(1888) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 01] : clinique des maladies du système nerveux
/ 200
(1888) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 01] : clinique des maladies du système nerveux

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTEME NERVEUX

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION

Du Professeur CHARCOT (DE L'INSTITUT)

PAR

PAUL RICHER GILLES DE la TOURETTE

CHEP DU LABORATOIRE CHEF DE CLINIQUE

ALBERT LONDE

DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE

TOME PREMIER

Avec 89 figures intercalées dans le texte et 50 planches

PARIS

LECROSNIER et BABÉ, LIBRAIRES-ÉDITEURS

PLACE DE L HCOLE-DE-MEDECINE

1888

AVERTISSEMENT

Notre intention, en fondant cette Iconographie, est de mettre à

profit les nombreux documents figurés qui journellement s'accu-

mulent dans les albums de la Salpêtrière.

Nul n'ignore aujourd'hui que la Clinique dont cet hôpital est le

siège constitue le plus grand centre scientifique pour l'étude des

maladies nerveuses. Il n'est guère de médecins français, de Paris

ou des départements, qui n'y aient envoyé des malades; la di-

versité des langues qu'on y entend parler prouve en outre que

tous les pays du monde en sont plus ou moins tributaires. Dans

ce grand nombre de patients il en est certainement beaucoup qui

sont venus chercher spontanément un remède à des maladies

rebelles, mais il en est plus encore qui ont été adressés par leur

médecin soucieux de permettre il un diagnostic hésitant de

s'établir sur des bases solides. Ces cas graves et ces cas difficiles

forment la série des faits intéressants qu'on est toujours sûr d'y

rencontrer.

Lorsqu'un malade présente objectivement quelque intérêt- ce

qui arrive souvent : atrophies, contractures diverses, attitudes

spéciales, déformations, etc., - il est immédiatement dessiné ou

photographié et l'on peut même dire qu'avec l'aide de la photo-

graphie instantanée on arrive a fixer, à décomposer sur le papier

, 1

n AVERTISSEMENT.

sensible des mouvements anormaux, par exemple, qu'il eut été

impossible d'analyser avec toute la précision désirable il l'aide du

simple examen clinique. Ces clichés forment aujourd'hui, à la

Salpêtrière, une collection de grande importance.

En outre, il est de par la pathologie nerveuse un certain nombre

de cas encore mal classés dont la description difficile se trouverait

singulièrement éclairée par la représentation objective. La photo-

graphie d'un paralysé agitant ou d'une hystérique en attaques

n'en dit-elle pas plus long à l'esprit qu'une description si analy-

tique qu'elle soit ?

Cette représentation figurée de cas douteux n'amènera-t-elle

pas parfois dans l'esprit de nos lecteurs l'idée de rapprochements

qui pourront permettre a un groupe de se créer, il un classement

de s'établir ? Notre Iconographie deviendra ainsi une source de do-

cuments écrits et figurés et nous nous empresserons de mettre

ces derniers à la disposition de ceux qui auront entrepris de dé-

brouiller ces énigmes pathologiques ou de développer dans un

travail d'ensemble, en les entourant de faits nouveaux et de consi-

dérations personnelles, les cas rares et intéressants dont nous

aurons donné l'exacte représentation.

Toutefois, ce n'est pas ici le lieu de faire ressortir tout l'in-

térêt de cette méthode d'analyse qui complète par l'image l'obser-

vation écrite, fait revivre les cas anciens et facilite considé-

rablement la comparaison des cas analogues même lorsque les

malades ont disparu depuis longtemps. La présente publication

permettra d'ailleurs à ceux qui s'intéressent à la neuropathologie

de juger par eux-mêmes. Cependant il nous sera bien permis

de croire que-nous faisons oeuvre utile en livrant à la publicité

des documents dont le sort du plus grand nombre eût été de

dormir sans profit dans nos cartons.

Mais la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière ne doit pas

être dans notre pensée un simple recueil de faits; le plus souvent,

nos observations seront accompagnées de réflexions qui feront de

..\..\'E n T 1 S S IDI E : 'iT. ni

chacune d'elles un exposé succinct de la question nosographiquc

à laquelle elles se rattachent. ,

L'importance que nous accordons au document figuré nous

marque donc une place parfaitement délimitée à côté des autres

Revues de pathologie nerveuse, des Archives de Neurologie par

exemple, dont nous aspirons à être le complément. D'ailleurs,

la voie nous a été ouverte dans ce sens par une publication de

MM. Bourneville et Rcgnard, l'Iconographie photographique de

la Salpêtrière, entreprise avant la fondation de la chaire de cli-

nique et interrompue depuis plusieurs années.

Placés par notre maître à la tête des branches les plus impor-

tantes de son service nous avons en main tous les éléments pour

mener à bien notre entreprise. Nous pouvons nous passer de faire

appel il des tiers pour le dessin, la gravure, la reproduction photo-

graphique des cas à représenter. L'interprétation industrielle des

dessins ou des clichés entrera donc seule en ligne de compte; or,

l'on sait qu'aujourd'hui, en traitant sans intermédiaires, on peut

avoir beaucoup et bien à peu de frais.

Notre but principal est donc le suivant : donner tous les deux

mois, en attendant mieux, une brochure de deux il trois feuilles

contenant l'exposé des faits les plus intéressants observés à la

Clinique pendant cette période, en tant que ces faits nécessiteront

pour leur parfaite intelligence une représentation figurée que

nous donnerons toujours aussi complète que possible.

De même, afin de rendre notre publication encore plus

fructueuse, accepterons-nous les travaux nés en dehors de la

Clinique, travaux qui n'auraient pu trouver place ailleurs que dans

nos colonnes, vu l'importance prépondérante de cet élément

figuré.

Nous ferons tous nos efforts pour maintenir l'exécution de notre

entreprise à la hauteur des encouragements que nous avons

reçus de toutes parts, et l'intérêt que M. le professeur Charcot té-

moigne a notre publication est la meilleure égide sous laquelle

1

1" AVERTISSEMENT.

nous puissions nous abriter pour la recommander à l'attention

des confrères qui, comme nous, s'intéressent aux études neuro-

pathologiques. C'est aussi le meilleur garant que nous puissions

donner de la constance que nous mettrons dans le bon accomplis-

sement de la tâche que nous nous sommes volontairement

proposée.

PAUL RICIIER.

' GILLES DE la Tourette.

ALBERT LONDE.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

L'ATTITUDE ET LA MARCHE

DANS s

L'11É111PLÉGIE HYSTÉRIQUE

I

Plus encore peut-être que celle des autres maladies, l'étude des

affections du système nerveux a bénéficié des récents procédés d'inves-

tigation applicables aux recherches cliniques. Il devait en être ainsi-

d'ailleurs si l'on réfléchit que ces maladies ont le plus souvent des

déterminations multiples et que généralement leur diagnostic est assez

difficile pour qu'il y ait lieu de ne rien négliger afin de le rendre com-

plet et sûr.

C'est guidé par ces considérations que nous avons étudié dans

notre thèse inaugurale', à l'aide de la méthode graphique, la marche

dans une série variée de maladies nerveuses. Nous ne décrirons pas

complètement ici la méthode que nous avons employée et qui consiste

à faire marcher les malades les pieds préalablement enduits d'une

substance colorante sur une longue feuille de papier, mais nous pou-

vons dire que les résultats qu'elle nous a permis d'obtenir nous ont

engagé il l'employer chaque fois que nous en trouverions l'occasion

1. 1,,lit(les cliniques et physiologiques sur la marche. - La marche dans les maladies du

système nerveux étudiée par la méthode des empreintes. Paris, 1886.

'2 NOU'1, : I,I,E ICONOGRAPHIE DE LA SALPI;THII;HE.

favorable. Aussi, considérons-nous comme une véritable bonne fortune c

de pouvoir aujourd'hui l'appliquer à l'étude de deux cas assez rares

que nous observons en ce moment dans Je service de la Clinique.

Il s'agit de deux hommes atteints d'hémiplégie hystérique et nous

croyons utile, pour bien l'établir, de résumer brièvement leur obser-

vation, nous réservant d'insister bientôt plus particulièrement sur

les phénomènes qui sont l'objet principal de cette noie.

Le premier, R... Albert, figé actuellement de quarante-sept ans est entré

le 17 février z1886 dans le service de M. Charcot. Si ses antécédents hérédi-

taires et personnels ne présentent rien de bien intéressant, il n'en est pas de

même des événements de toutes sortes qui. depuis 1871, ont marqué les

diverses étapes de son existence. Exerçant la profession de botaniste, il fait

de 1871 à 'l87 ! j plusieurs voyages en Australie à la recherche de collections

scientifiques. En lBicJ, il prend part à la fameuse expédition du marquis de

Rays et s'embarque pour la colonie imaginaire de Port-Breton. C'est alors

que commence une série d'aventures presque extraordinaires. Dénué de res-

sources, R... s'échappe avec quelques infortunés compagnons de voyage de

celte île maudite, et, monté sur une mauvaise pirogue, aborde en Nouvelle-

Guinée. Là il reçoit un coup de massue sur le côté gauche de la tête, perd

connaissance et se réveille paralysé .de la sensibilité et du mouvement du

côté droit. Il regagne enfin l'Europe et sa paralysie qui s'était améliorée

guérit définitivement «près une trépanation faite il Saint-Thomas llospital.

En 1881 nous le trouvons encore il Londres dans le service du D Wilks

qui publie son observation. Il était alors hémiplégique gauche sensilivo-

sensoriel et présentait des crises convulsives à la suite desquelles les membres

supérieur et inférieur gauches restaient contractures; après une vive émo-

tion, l'hémiplégie s'atténua considérablement. 11 quitta le service de M. Wilks

imparfaitement guéri.

,111 1883 il entre dans le service de M. Féréol il la Charité, avec une hémi-

plégie gauche complète sans participation de la face; puis il part pour Ivry,

et enfin entre, comme nous l'avons dit, le 17 février 1887 dans le service de la

Clinique.

Actuellement, le malade, de taille moyenne, se lient presque toujours au lit,

toussant et crachant, les deux poumons présentant des signes indiscutables

de tuberculose pulmonaire. Il est trcs-affaibti et la main droite normale ne

donne que 15 au dynamomètre.

Le côté gauche du corps mérite d'attirer tout particulièrement notre atten

lion. Le membre inférieur gauche est fiasque et inerte; le malade ne peut

en aucune façon le soulever; le réflexe rotulien est absent. Le bras gauche

peut exécuter quelques mouvements, mais avec grande peine, et la main ne

donne que 5 au dynamomètre; il est flasque comme le membre inférieur.

Les muscles de ce dernier sont en plus le siège d'une atrophie très-marquée,

étudiée déjà par M. Babinski ' dans un travail fort intéressant. La face ne

participe en rien à la paralysie.

1. Dz l'atrophie musculaire dans las paralysies hystériques. Archives de Neurologie

1886, p. loi. L

L'ATTITUDE ET LA MARCHE DANS L'HEMIPLEGIE HYSTÉRIQUE. 3

La sensibilité à la douleur est abolie complètement dans tout ce côté (fig. 1

et ' : 2). Toutefois, la moitié gauche postérieure et un peu latérale de la tête

et de la nuque est le siège d'une sensibilité exquise, exagérée par la moindre

pression superficielle. Cette plaque d'hyperesthésie parait avoir pour centre la

trépanation faite à Saint-Thomas Hospital. De plus, à partir de la proéminente

cervicale jusqu'à la pointe du sacrum, toute larégion vertébrale, y compris les

parties situées à droite et à gauche des apophyses épineuses, est le siège d'une

hypéresthésie encore plus particulière. La pression y détermine, surtout lors-

qu'elle est un peu forte, une sensation spéciale d'aura qui, partie de ce point,

gagne la gorge pour l'étreindre, occasionne des battements des tempes et enfin

déterminerait rapidement, si on insistait, une véritable attaque d'hystérie.

Aussi le malade ne peut-il rester dans le décubitus dorsal.

i NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA 5lLlli'f111Llth.

Le goût, l'odorat et l'ou'ie sont abolis à gauche et conservés à droite.

A gauche, amaurose complète avec anesthésie cornéene et conjonctivale; à

droite, rétrécissement très marqué du champ visuel sans dyschromatopsie

(fig. 3).

Le second malade, Gr... Noël, actuellement, comme le premier, en traite-

ment à la Salpêtrière, est âgé de vingt et nu ans et exerce la profession de

maçon-plâtrier. Rien de bien spécial dans ses antécédents héréditaires, si

ce n'est une maladie nerveuse assez mal déterminée dont est mort son grand-

père paternel à l'âge de soixante-dix-huit ans. Lui-même avait été bien por-

tant jusqu'au 21 avril 1887; époque il laquelle il tomba sur le sol, d'une hau-

teur de 4 mètres, à la suite de la rupture d'un échafaudage. Il était tombé sur

le dos, et la tôle, inclinée en bas et en dehors, n'avait pas porté sur l'escalier

de pierre sur lequel le corps avait frappé ;-il ne perdit pas connaissance. Au

bout de cinq minutes on vint à son secours, mais on ne put le mettre debout,

ses jambes se dérobant sous lui.

Il fut transporté chez un pharmacien qui lui fil quelques frictions d'arnica au

cours desquelles, vingt minutes après l'accident, il s'évanouit. Cet état dura

une demi-heure sans qu'il se produisît rien de notable. Puis on le transporta

en voiture à son domicile où il garda le lit pendant vingt-quatre heures. Durant t

cette période il eut de la fièvre, de l'inappétence, des hématémèscs et du

méloena. De plus, il éprouva des douleurs vagues avec prédominance dans

la région lombaire. On remarqua qu'il portait un ecchymose assez étendue

dans cette région, ainsi qu'au niveau de la partie supéro-extcrne de la cuisse

droite; le poignet droit était aussi assez violemment contusionné. Du reste,

aucun phénomène paralytique du côté des membres ondes sphincters.

Trois jours après l'accident, il essaya de se lever seul : il mit les pieds

hors du lit, mais à peine avait-il touché le sol qu'il s'aperçut que ses jambes

lui refusaient tout service; en même temps il éprouvait des sensations d'aura

qui devaient se reproduire lors des crises ultérieures. Ces sensations consis-

¡,'lU. : 1.

y / ET LA MAllGHE DAi'i : S ... ,

L'A 'fl'I1'UDE ET LA MARCHE DANS L'HEMIPLEGIE HYSTERIQUE. r.

r

laieryprincipalement en une douleur dorsale qui remontait jusqu'à la nuque

et s'accompagnait ensuite *de battements dans les tempes et de bourdonne-

ments dans les oreilles. Bientôt après il perdait connaissance et était agité,

pendant une heure environ, par des mouvements convulsifs des bras et des

jambes. Après cette première crise survinrent des douleurs abdominales avec

météorismc, vomissements bilieux, rétention d'urine, si bien que le médecin

appelé prescrivit des applications de glace loco dolenti.

Cet état général persista environ pendant un mois et demi, s'accompagnant

de douleurs en ceinture et entrecoupé par six crises convulsives semblables

t 1 : i première. Au bout de ce temps le malade put se lever, mais il fut forcé

pour marcher de prendre des béquilles, la jambe droite étant paralysée. Tou-

tefois, les crises disparurent et la marche s'améliora progressivement au point

qu'il put abandonner ses béquilles et les remplacer par une canne.

Il songea alors (juillet 1887), quatre mois après l'accident, à reprendre son

travail. Il put s'occuper chez son patron à de menus travaux, mais au bout de

dix jours, ayant essayé de lever un fardeau assez lourd, il ressentit quelques

heures plus tard une sensation d'aura sans perte de connaissance et tomba

sans pouvoir se relever. On le conduisit alors à l'hôpital Necker (14 juillet).

Au début de son séjour il dut rester au lit, souffrant beaucoup de douleurs

lombaires et en ceinture. Le diagnostic de mal de Pott fut porté et on lui

appliqua un corset silicaté, et tous les quinze jours des pointes de feu sur la

- wlOune lombaire. Pendant quatre mois il resta ainsi couché, souffrant des

douleurs déjà décrites, sondé à plusieurs reprises pour de la rétention d'urine

et présentant de temps-en temps des attaques convulsives.

Vers le milieu d'octobre l'appareil fut enlevé et on constata, en essayant de

faire marcher le malade, qu'il existait une paralysie flasque du membre infé-

rieur droit. Cette tentative fut suivie d'une nouvelle crise, et à partir de cette

époque l'état du malade ne se modifia plus jusqu'à son entrée à la Salpêtrière

(2 novembre 1887).

Etal actuel. Malade d'assez forte constitution, intelligent, d'allures

assez fines eu égard surtout à sa profession. Lorsqu'on l'examine couché, on

ne perçoit guère qu'un tremblement très-accentué du membre inférieur droit,

qui s'exagère dans les divers mouvements provoqués, qui tous d'ailleurs sont

conservés de ce côlé aussi bien pour le membre supérieur que pour le membre

inférieur.

Par contre, le membre inférieur droit, qui repose sur le plan du lit par

son bord externe, est inerte ; la paralysie flasque est complète (sauf quelques

légers mouvements de redressement du pied) avec abolition du réflexe

rotulien.

Le membre supérieur droit est également paralysé, mais à un degré plus

faible; l'impotence porte plus particulièrement sur les muscles de l'a'vant-

bras, et, alors qu'à gauche le dynamomètre monte à 00, adroite il n'atteint que

la vingtième division. Pas d'atrophie apparente; intégrité de la face. Aboli-

tion complète de la sensibilité à la douleur, au froid, à la chaleur, perle

des réflexes cutanés et du sens musculaire dans tout le membre inférieur

droit (fi ? 4 et 5). Ces mêmes phénomènes existent, mais moins marqués,

dans la moitié droite du segment supérieur du tronc y compris le bras droit.

Dans chaque flanc il existe deux zones pseudo-ovariennes hypresthésiques;

de même on constate une zone profonde de même nature au niveau de la

6 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

hanche droite. Le testicule droit et la peau des bourses du même côté sont

aussi hyperesthésiques.Zone hystérogène dans la région dorso-lombaire. La

sensibilité générale est conservée à gauche. A droite le goût et l'ouïe sont

affaiblis ; l'odorat est aboli. ZD

Le champ visuel est notablement rétréci des deux côtés (fit. 6) ; à droite

le malade ne voit que le rouge; à gauche il a pcrdu le violet; déplus, polyopic

monoculaire et macropsie à droite.

Après cet exposé nécessaire du passé pathologique et de l'état actuel

de nos malades, il nous faut maintenant examiner la façon dont ils

marchent et, comme on ne saurait voir dans l'hémiplégie dont ils sont

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I PL. 1

Hémiplégie HYSTÉRIQUE

l7cl.tlt.tyc et Lccl"l11cr, éditeur

L'ATTITUDE ET LA MARCHE DANS L'HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE. 7

atteints autre chose qu'une manifestation hystérique, nous avons la une

excellente occasion d'étudier la marche dans la paralysie d'une

moitié du corps relevant de la névrose.

Notons que, chez tous les deux, la paralysie est assez complète pour

qu'ils ne puissent se tenir debout, et, à plus forte raison, progresser

sans l'aide de béquilles; néanmoins cet artifice n'enlève rien dans la

circonstance - lorsqu'on en tient compte toutefois à la caractéris-

tique toute particulière de la marche.

Occupons-nous d'abord de R..., qui peut être considéré comme un

véritable cas de démonstration.

Le voici (pl. I) au repos, dans l'attitude du départ ou bien encore il

vient de s'arrêter après avoir fait quelques pas. Le corps s'appuie sur

le pied droit sain placé en avant et qui y restera toujours d'ailleurs, le

pied gauche ne devant jamais le dépasser, à l'inverse de cc qui se

produit dans les phénomènes du double pas ou pas normal.

La situation de ce membre gauche est intéressante à considérer. On

voit, on sent pour ainsi dire que toute tonicité a disparu de ces

muscles, qui sont du reste atrophiés en partie; le segment inférieur

du membre, la jambe, obéit uniquement aux lois de la pesanteur et fait

avec le segment supérieur un angle obtus que limite forcément la résis-

tance des ligaments de l'articulation du genou. Le pied, lui aussi, obéit

aux mêmes lois; placé en varus-équin,le talon se renverse en dehors et

la pointe repose sur le sol par l'intermédiaire de la face dorsale des

trois premiers orteils. Mais ce pied est tellement inerte que, pendant

la progression, il est ballotté pour ainsi dire au bout de la tige à

laquelle il sert de terminaison, de telle sorte que les parties, les orteils

Fig. 0.

8 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

u

qui viennent en contact avec le sol, ne sont pas

toujours les mêmes et que le sillon continu qu'il

laisse sur le sol présente des irrégularités dont la

figure 7 rend parfaitement compte.

Mais, regardons marcher notre malade. Comme

le membre inférieur gauche lui refuse tout point

d'appui, R... porte son corps à gauche, de telle

façon qu'il prenne la béquille gauche comme base

de sustentation, base peu solide d'ailleurs, car

le membre supérieur gauche presque complète-

ment paralysé rend difficilement rigide et résis-

tant ce centre de gravité d'un nouveau genre. La

base trouvée, il peut alors porter le pied droit

(et la béquille droite) en avant et progresser ainsi

de toute la longueur du pas droit qu'il vient de

faire. Mais ce pas est forcément bien court par

suite toujours du manque d'appui suffisant, car les

mensurations nous montrent qu'il est en moyenne

chez lui de 0 ? 498 mill., la moyenne que nous

avons établie il l'aide d'une semblable méthode

étant de 0 ? 6 cent.

Mais tout n'est pas fini, et lorsque le pied droit

s'est porté en avant de la quantité indiquée, si le

malade veut progresser à nouveau, il lui faut son-

ger au membre inférieur gauche qui est resté en

arrière d'une longueur égale au pas précédent.

S'appuyant alors solidement sur le pied droit (et la

béquille droite), R ? se penche en avant au maxi-

mum, essayant ainsi de détacher du sol, de sou-

lever par le poids du tronc le membre inférieur

gauche, puis mettant en peu tous les muscles du

côté droit qui peuvent servir à effectuer le mouve-

ment suivant il porte le tronc de gauche il droite,

tirant ainsi après lui le pied gauche qui, dans ce

mouvement est porté en avant sans jamais quitter

le sol qu'il balaie. Puis un nouveau pas recommence

toujours de la même façon.

En résumé, le malade ne marche, ne progresse

que d'un côté et ne fait dans ces circonstances que

le pas droit, lequel est considérablement raccourci

et ce sont des mouvements de latéralité du tronc

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I PL. II

HEMIPLEGIE Hystérique

1W I,th,tc et Lccrosnmr, éditeurs

L'ATTITUDE ET LA MARCHE DANS L'HEMIPLEGIE HYSTÉRIQUE. 9

qui permettent au membre paralysé de balayer passivement le sol qu'il

ne peut quitter, suivant une ligne droite à empreintes variant avec les

diverses oscillations paralytiques du pied.

Il, ... réalise ainsi le type le plus complet de marche dans l'hémiplégie

hystérique.

Quant au second malade, il présente quelques particularités fort inté-

ressantes.

Levoici(pl.2)qui vient de s'arrêter après avoir fait quelques pas. L'at-

titude est aussi caractéristique que dans le cas précédent; comme chez

R... le membre paralysé reste en arrière à la façon d'un appendice

surajouté. Néanmoins les muscles ayant, nous l'avons dit, conservé un

certain degré de tonicité, la jambe droite reste dans la rectitude phy-

siologique, le pied en équin portantsur le sol par les quatre premiers

orteils. La marche s'effectue d'ailleurs comme précédemment, les

mouvements d'inclinaison en avant et de latéralité du tronc étant

toutefois moins marqués, les muscles du segment supérieur droit du

corps jouissant d'une puissance relative.

Mais il existe une particularité qui vient dans une certaine mesure

mettre obstacle à la marche et en modifier le type Nous avons dit que le

membre inférieur gauche (sain) était animé d'un tremblement déjà

très-manifeste le malade étant couché. Aussitôt que ce membre exécute

un mouvement le tremblement s'exagère, à plus forte raison lorsque

pour tirer à lui le membre paralysé G... est obligé de porter tout le

poids du corps sur le pied gauche. Le pied alors ne reste pas fixe,

immobile, et ses déplacements se traduisent par les doubles em-

preintes qu'il est donné de voir en deux points de la figure 8; le trem-

blement s'accentuant alors avec la durée de l'appui, l'équilibre devient

tout à fait instable et le malade est menacé de tomber. Aussi s'ap-

puic-t-il au minimum sur ce pied et progresse-t-il par une série de

petits sauts sur un seul pied, lançant le tronc en avant et entraînant

dans ce mouvement le membre paralysé qui suit en balayant le sol.

Naturellement le pas (ou le saut) qui sert ainsi à la progression est

beaucoup moins long qu'à l'état normal puisqu'il ne mesure en

moyenne que 0 ? 4G7 millim. En réalité iln'est pas plus lon duele pied

lui-même (ou23), puisque la longueur du pied qui progresse fait na-

turellement partie intégrante de la longueur du pas'. Un procédé diffé-

rentconduit donc G... aux mêmes résultats que R..., qui, lui, marche

1. Nous n'avons pas tenu compte chez ces doux malades de deux mensurations toujours

relevées dans l'étude de la marche : l'écartement latéral et l'angle d'ouverture du pied

par rapport ;1 la ligne d'axe, l'usage de béquilles viciant singulièrement, on le comprend,

ces deux valeurs.

10 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

véritablement, bien que la paralysie et la faiblesse générale soient plus

accentuées.

il

Si les considérations que nous venons d'exposer ont leur intérêt

au point de vue nosographique, apportent-elles aussi leur contingent

au diagnostic différentiel des diverses variétés d'hémiplégie ?

Si nous en croyons Todd, la marche, dans l'hémiplégie hystérique,

serait véritablement caractéristique. Nous ajouterons que cet auteur

en a d'ailleurs donné du premier coup un tableau qui n'a jamais été

dépassé, car il est la simple et juste expression de la réalité.

«... Je désire dit-il, dans ses Leçons \ appeler particulièrement

votre attention sur le caractère spécial du mouvement de la jambe

paralysée lorsque la malade marche, lequel, dans mon opinion, est

caractéristique de l'affection hystérique. Si vous considérez une per-

sonne souffrant d'une hémiplégie ordinaire sous la dépendance de

quelque lésion organique du cerveau, vous vous apercevrez que, en

marchant, elle a une allure particulière pour porter en avant la jambe

paralysée; elle porte d'abord le tronc du côté opposé à la paralysie et

appuie tout le poids du corps sur ce membre sain; alors, par une

action de circumduction, elle porte en avant lajambe paralysée, faisant

décrire au pied un arc de cercle. Notre malade, au contraire, ne marche

pas de cette façon; elle traîne après elle (clrags) le membre paralysé,

comme s'il s'agissait d'une pièce de matière inanimée, et ne se sert

d'aucun acte de circumduction, ne fait aucun effort d'aucune sorte

pour le détacher du sol; pendant qu'elle marche le pied balaye (saueeps)

le sol. Cela, je pense, est caractéristique de la paralysie hystérique. »

La description de Todd est de tous points excellente, mais nous ne

saurions être aussi affirmatif que lui en répétant que la variété de

marche qu'il a si bien étudiée est caractéristique particulièrement,

ainsi qu'il le dit, de l'hémiplégie organique dans laquelle le membre

inférieur décrirait toujours un mouvement de circumduction.

Nous avons en effet établi dans notre thèse que ce mouvement de

circumduction ne se produisait que lorsque la sclérose du faisceau

pyramidal était déjà un fait accompli, alors qu'en un mot il s'agissait

d'une hémiplégie spasmodique.

Or il existe dans l'hémiplégie ordinaire, commune, par hémor-

rhagie cérébrale, une période qui s'étend du moment où le malade

peut mettre pied à terre et progresser, jusqu'à l'époque où les réflexes

1. Clinical lectures on parahjsis, 2' édition. Londres, 1850, p. 20.

L'ATTITUDE ET LA MARCHE DANS L'HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE. 11

commençant à s'exagérer. Pendant toute sa durée

l'hémiplégie est flasque et les caractères de la marche

sont alors absolument analogues à ceux de l'hémi-

plégie hystérique, ainsi qu'on peut le voir du reste par

comparaison, sur cette figure 9, que nous emprun-

tons à notre thèse.

A la vérité, cette période est toujours très-courte

dans la majorité des cas, et c'est presque une curio-

sité pathologique qu'une hémiplégie commune restée

flasque. Bientôt la dégénérescence s'empare du fais-

ceau pyramidal et alors se montre la circumduction

signalée par Todd, mais la paralysie est devenue spas-

modique. On pourra d'ailleurs suivre toute l'évolution

figurée de la marche dans l'hémiplégie ordinaire sur

celle figure 10 que nous empruntons encore au tra-

vail précité.

Ce que l'on peut affirmer, c'est que le type de

marche décrit par Todd est caractéristique de l'hémi-

plégie flasque, et voilà tout. Mais ce que l'on doit

ajouter immédiatement, c'est que, lorsqu'on voit chez

un adulte une hémiplégie rester flasque pendant des

mois et des années, il y a un certain nombre de

fiances pour qu'elle soit a origine hysté-

rique.

Ce qui est vraiment spécial à l'hystérie

et ce qu'a merveilleusement vu Todd, c'est

cette paralysie si absolue, si totale du

membre, véritable « pièce de matière ina-

nimée », suivant sa propre expression. Et

certainement, devant un malade tel que

en s'en tenant au simple aspect de

la jambe et du pied on s'exposerait bien

peu à commettre une erreur de diagnostic

en prononçant d'emblée le mot d'hystérie.

Cette constatation ne doit pas, à la

vérité, faire négliger la recherche des

autres signes, des stigmates hystériques ;

mais en admettant que ceux-ci n'existent

pas ou à peine, que le malade pour son

entrée dans la névrose ait été frappé d'une

attaque d'apoplexie hystérique et en soit

12 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

sorti paralysé, il est incontestable que ces caractères de marche

seraient d'un grand secours. Ils permettraient au diagnostic de s'éta-

blir, de même qu'au pronostic qui varie du tout au tout dans les deux

cas; car, bien que souvent fort tenace, l'hémiplégie hystérique n'en

est pas moins soumise aux mêmes lois que les autres manifestations de

cette névrose, à savoir qu'elle peut disparaître aussi brusquement

qu'elle est apparue, alors que l'hémiplégie organique est presque

toujours incurable.

Nous en arrivons ainsi, toujours à propos du pronostic, à formuler

cette proposition qui, au premier abord semblera paradoxale, à savoir

que, de la comparaison des deux cas, il résulte que c'est la jambe la

plus paralysée qui possède le plus de chances de restilulio ad inle.

g1'U1n.

Gilles DE la TOURETTE,

Chef de clinique de ? rial,nlis du système nerveux

NOTE SUR L'ANATOMIE MORPHOLOGIQUE

DE LA RÉGION LOMBAIRE

SILLON LOMBAIRE MEDIAN

I

Dans une de ses dernières conférences de la Salpêtrière, M. le pro-

fesseur Charcot, à propos d'un malade porteur d'une prétendue défor-

mation de la colonne vertébrale à la région lombaire, insistait avec

toute l'autorité qui s'attache à sa parole sur la nécessité, pour le clini-

cien, de connaître d'une façon précise et jusque dans ses moindres

détails, la conformation extérieure du corps humain. '

Ce n'est pas d'ailleurs la première fois que M. Charcot soulève

devant ses auditeurs cette intéressante question des relations intimes

qui unissent l'anatomie morphologique et la pathologie. Notre maître

a bien voulu encourager à ce propos les travaux que nous poursuivons,

depuis plusieurs années déjà, sur l'anatomie des formes. Et nous ne

saurions laisser passer aujourd'hui l'occasion qui nous est offerte de

préciser, sur un point de détail, la morphologie de la région lombaire,

dont l'intérêt sera mis en valeur par le cas clinique que nous rappor-

terons bientôt dans tous ses détails.

Mais auparavant qu'il nous soit permis de présenter rapidement

quelques considérations générales.

L'anatomie des formes extérieures du corps humain ne s'adresse pas

seulement aux artistes; elle est encore de première utilité pour les

médecins.

Il y a déjà longtemps que Gerdy avait compris tous les services qu'elle

pouvait rendre à ces derniers; aussi adressait-il son ouvrage sur les

formes extérieures du corps humain aux chirurgiens en même temps

qu'aux artistes. Son livre malheureusement trop oublié est le premier,

et encore peut-être le seul ouvrage, où les formes extérieures soient

étudiées et décrites méthodiquement. Le texte est accompagné de deux

sortes d'annotations contenant les applications pratiques, les unes

relatives aux beaux-arts, les autres se rapportant à la chirurgie. « Les

2

11 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

formes extérieures, dit-il, par leurs relations avec les formes in-

térieures, montrent, à l'intelligence du chirurgien, ce qui est caché

dans la profondeur du corps par ce qui est visible à sa surface. »

Mais il est un autre point de vue que nous voulons relever et qui

n'intéresse pas moins les médecins que les chirurgiens. C'est l'incon-

testable utilité d'une connaissance exacte et précise des formes exté-

rieures normales pour le diagnostic des défolmations que lui font

subir les maladies.

Comment reconnaître, en effet, que telle partie du corps est altérée

dans sa forme, si l'on ne sait pas comment, dans l'état de santé, cette

partie est exactement faite ?

Il est inutile d'insister sur les signes nombreux et importants que

le clinicien peut retirer de l'examen morphologique dans un grand

nombre de maladies parmi lesquelles les affections nerveuses tiennent

un rang prépondérant. Et il n'est pas douteux, à notre avis, que les

obstacles qui, dans la pratique journalière, s'opposent parfois à

l'examen du malade nu puissent devenir la cause de graves erreurs. Ils

privent tout au moins le clinicien d'une source féconde en renseigne-

ments précieux. -

Mais, pour tirer profit de l'examen du nu pathologique, il faut bien

connaître le nu normal, et c'est là une étude quelque peu négligée par

les médecins. 11 existe parmi nous, il faut bien le dire, une sorte de

préjugé qui nous fait considérer l'anatomie des formes comme une

science élémentaire qu'on abandonne volontiers aux artistes et que le

médecin connaît toujours assez.

L'anatomiste, en effet, qui a longtemps fréquenté les amphithéâtres,

dont le scalpel a fouilléle cadavre dans tous les sens, au dehors comme

au dedans, sans négliger la plus petite fibre, le plus mince organe,

peut se figurer, avec une apparence de raison, qu'une telle somme de

connaissances anatomiques renferme implicitement celle des formes

extérieures et qu'il doit connaître la morphologie humaine sans l'avoir

spécialement apprise, comme par surcroît. C'est là cependant une illu-

sion. Nous avons vu des anatomistes fort distingués se trouver fort

embarrassés en présence du nu vivant, et chercher inutilement dans

leurs souvenirs la raison anatomique de certaines formes imprévues

bien que parfaitement normales.

La chose en somme est facile à comprendre; l'étude du cadavre

ne peut donner ce qu'elle n'a pas. La dissection qui nous montre tous

les ressorts cachés de la machine humaine, ne le fait qu'à la condi-

tion d'en détruire les formes extérieures. La mort elle-même, dès les

NOTE SUR L'ANATOMIE MORPHOLOGIQUE. 15

premières heures, inaugure la dissolution finale, et, par les modifica-

tions intimes qui se produisent alors dans tous les tissus, en altère

profondément les apparences extérieures. Enfin, ce n'est pas sur le

cadavre inerte qu'on peut saisir les changements incessants que la

vie, dans l'infinie variété des mouvements, imprime à toutes les par-

ties du corps humain. C'est donc sur le vivant que l'anatomie des

formes doit être étudiée. Elle a pour fondements, il est vrai, les no-

tions que fournit le cadavre, mais elle anime, elle vivifie ces premières

connaissances à l'aide desquelles elle reconstitue l'homme vivant. Son

procédé est la synthèse; son moyen est l'observation du nu ; son but est

de découvrir les causes multiples de la forme vivante et de la fixer

dans une description : elle demande donc à être étudiée en elle-même,

et pour elle-même et fournit des connaissances que l'Anatomie pure

et simple ne peut donner.

Mais arrivons maintenant au sujet qui nous intéresse plus particu-

lièrement aujourd'hui, en insistant sur quelques points de la morpho-

logie de la région lombaire.

Dans la station verticale, la partie postérieure du tronc est traversée

de haut en bas par un sillon médian, large et profond à la région lom-

baire et qui correspond, sur le squelette, à la crète spinale transformée

en gouttière par la saillie des muscles puissants qui la bordent de

chaque côté. Néanmoins, les apophyses épineuses des vertèbres, même

sur un homme très-musclé, se révèlent à l'extérieur en deux endroits

principalement, au cou et aux lombes. A la naissance du cou, la 7e ver-

tèbre cervicale, qu'on nomme aussi proéminente pour cette raison, fait

en arrière une saillie souvent considérable, et son apophyse épineuse

se détache d'autant mieux qu'elle occupe le milieu d'une surface apo-

névrotique. Cette saillie est rarement isolée, elle est suivie du relief

moindre dû à la première vertèbre dorsale. Au-dessous commence le

sillon dorsal médian, ou raie du, dos, au fond duquel les apophyses

épineuses ne se voient pas. Cependant, vers la partie inférieure de la

région dorsale, la crête épinière se relève parfois et forme alors une

saillie allongée de quelques centimètres. Enfin, à la région des lombes

qui est ici notre principal objectif, le fond du sillon médian est géné-

ralement occupé par une série de saillies nodulaires, d'un relief va-

riable, au nombre de trois ou quatre; saillies qui s'exagèrent par la

flexion du tronc en avant, ainsi que nous le disons plus loin, mais

qui n'en existent pas moins dans la station verticale.

La crête formée par la série des apophyses épineuses est la seule

partie de la colonne vertébrale qui soit sous-cutanée, et qui, par la

même, influe directement sur les formes extérieures. Elle nous inté-

1G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Fie. 11. - Colonne vertébrale vue de profil.

resse donc tout particulièrement

et son étude, sur le squelette, ren-

dra compte des quelques détails

de morphologie que nous venons

d'exposer.

Les courbures de la colonne

vertébrale examinées dans le sens

antéro-postérieur ont élé décrites

avec beaucoup de soin parles ana-

lomistes. Elles sont formées par

la partie antérieure de la colonne,

c'est-à-dire par la succession des

corps vertébraux. On sait qu'elles

sont au nombre de quatre : une

convexité au cou, une concavité à

la région dorsale, une convexité à

la région lombaire, une concavité

à la région sacro-coccygienne.

Mais la ligne formée en arrière

par la série des apophyses épi-

neuses ne suit pas exactement la

direction donnée par les corps ver-

tébraux, et c'est là un point qui

n'a pas été relevé comme il con-

vient, surtout en ce qui concerne

la région lombaire. Au cou et au

dos, les courbures décrites par les

apophyses épineuses doublent, en

quelque sorte, celles formées par

les corps vertébraux. Elles suivent

des courbes de même sens, mais

appartenant à des circonférences

de rayon différent. Ainsi, à la région

cervicale, la courbe décrite par

les apophyses épineuses est plus

fermée que celle des corps verté-

braux. C'est l'inverse à la région

dorsale où la courbe postérieure

est la plus ouverte ; il en résulte

un aplatissement qui contribue

avec l'imbrication des apophyses

NOTE SUR L'ANATOMIE MORPHOLOGIQUE. 17 7

épineuses à atténuer leur saillie. Mais à la région lombaire la dissem-

blance est plus accusée. En raison du développementqu'elles acquièrent

dans cette région, les apophyses épineuses ne suivent que très-imparfai-

tement la direction des corps vertébraux. La ligne tangente à leurs

sommets devient presque une ligne droite qui descend directement des

dernières vertèbresdorsales au sacrum. Parfois même elle s'infléchit en

sens inverse, et il existe alors une sorte de contre-courburepostérieure

qui se voit très bien sur la colonne lombaire examinée deprofil(fig 11).

Fie. 12. Schéma pour montrer les différences de courbure des corps vertébraux (ligne continue)

et des apophyses épineuses (ligne pointillée).

Ceuedispositionnous paraît en rapport avec le développement des masses

musculaires sacro-lombaires; elle explique facilement les saillies plus

ou moins prononcées que nous signalions tout à l'heure chez certains

sujets au fond du sillon lombaire, même dans la station verticale.

Il nous faut signaler encore un autre point de la morphologie

rachidienne sur lequel les anatomistes ont insisté avec raison. C'est le

défaut d'uniformité de la crète formée par les apophyses épineuses

(fig. Il-». « ,le ne saurais trop appeler l'attention du praticien, dit Cru-

Fic. 13. - Partie postérieure du tronc dans la station debout.

NOTE SUR L'ANATOMIE MORPHOLOGIQUE. 19

veilhier, sur certaines déviations propres aux apophyses épineuses.

Combien de fois n'ai-je pas vu le sommet d'une ou de plusieurs apo-

physes épineuses hors de rang, et l'apophyse suivante reprenant sa di-

rection naturelle ! J'ai rencontré un cas dans lequel les sommets des

apophyses épineuses décrivaient des espèces de zigzags. » Nous ajou-

terons qu'il faut compter aussi avec l'inégalité de volume de la tubé-

rosité qui termine l'apophyse épineuse, fait qu'il n'est pas rare d'ob-

server surtout à la région lombaire.

La station verticale (fig. 13) est la moins favorable à la saillie

lombaire des apophyses épineuses à cause de l'ensellure physiologique

qui se produit alors. Mais cette saillie se développe dans la station

assise (fig. 14) ou dans la flexion du tronc en avant (fig. 15).

C'est dans celle dernière attitude qu'elle acquiert son maximum de

développement (fig. 16). Le sillon médian lombaire est alors remplacé

FIG. 14. - Station assise.

20 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

par une saillie allongée souvent très-nettement circonscrite et due à la

proéminence de la crête spinale lombaire que le mouvement de flexion

du tronc en avant exagère considérablement. Il suffit de se rappeler, en

effet, que la flexion du tronc s'opère par l'intermédiaire de la colonne

lombaire dont la courbure normale à convexité antérieure s'efface et

tend même à se reproduire dans le sens opposé. Ajoutons à cela la

disposition anatomique des apophyses épineuses lombaires, sur

laquelle nous insistions tout à l'heure, et nous comprendrons facile-

ment la modification profonde que le mouvement de flexion 'du tronc

apporte à la morphologie de la région. La saillie médiane qui se pro-

duit alors n'est pas uniforme. Elle est marquée de renflements qui

répondent aux sommets des apophyses épineuses et, chez les sujets

qui la présentent bien accentuée, on compte jusqu'à cinq renflements

correspondant aux cinq vertèbres lombaires. Mais il existe de grandes

FIG. 15. - Flexion légère du tronc.

Fig. 1(i. - Flexion pronuncée du tronc.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. 1 PL. III

Statue DE f ASON ou DE CINCINNATUS

(Musée des Antiques-Louvre)

1' : LAHAYL LCCROSNIHRv LUIICURS

NOTE SUR L'ANATOMIE MORPHOLOGIQUE. 21

variétés, individuelles, quant au nombre et à la régularité des apo-

physes saillantes. Nous ajouterons même que chez certains sujets cette

saillie longitudinale lombaire dans la flexion du tronc, ne se perçoit

pas ou presque pas.

Chez la femme, les formes que nous venons de signaler se retrouvent

également, mais un peu atténuées. Dans la station droite, le sillon lom-

baire médian est généralement uniforme, mais, dans la station assise

ou la flexion du tronc, il est aussitôt remplacé par la tumeur lombaire

parfois très-nettement circonscrite.

Les artistes ont fort bien reproduit ces détails de morphologie, lors-

qu'ils en ont eu l'occasion. Ainsi, pour ne parler que des oeuvres

exposées au Luxembourg, on reconnaîtra la proéminence lombaire '

médiane de la station assise dans les statues du Jeune joueur de flûte

de Delorme, de la Pileuse de Barrias, de la femme à sa toilette, inti-

tulée : Au matin, de Schoenewerk, de l'ouvrier qui symbolise le travail,

de Gautherin. Sur d'autres statues qui offrent plus prononcée l'in-

flexion du tronc en avant, la saillie lombaire est plus accentuée,

comme sur le Jeune buveur de Moreau Vauthier, le Jeune pécheur de

Cl. Vignon, et la Jeune fille à la fontaine de Schoenewerk. - . -

Enfin, l'antiquité n'a pas été moins exacte. Si, dans la station verti-

cale, elle a préféré la simplicité de forme qui résulte d'un sillon lom-

baire largement dessiné et dont le fond uni ne présente aucun accident,

elle a parfaitement reproduit les changements que lui font subir la

flexion forcée du tronc,.et nous en possédons, au musée duLouvre,-un

exemple fort intéressant que nous avons fait reproduire ici (PI. 3).

En effet, sur la statue grecque connue sous le nom de Cincinnatus ou

de Jason, qui représente un éphèbe remettant ses sandales, on voit à la

région lombaire, très-nettement circonscrite, la saillie longitudinale-

due à la proéminence des apophyses épineuses. Mais, là encore, se

retrouve la simplification des formes chère au génie antique, et cette

saillie est uniformément allongée, sans présenter les renflements dus à

la proéminence isolée de chacune des apophyses.' ' '

II .

Les quelques considérations que nous venons de présenter sur les

formes extérieures de la région lombaire trouvent leur application

dans l'histoire du malade dont il nous reste à parler maintenant. Il

s'agissait, comme on peut s'en rendre compte par l'observation

détaillée que nous publions plus loin, d'un cas assez complexe et bien

22 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE,

fait pour dérouter un clinicien inexpérimenté. La syphilis avait été la

cause occasionnelle d'accidents hystériques dont la véritable nature

fut d'abord méconnue en raison de leur apparente similitude avec de

véritables manifestations syphilitiques. De cette longue odyssée nous

ne relèverons ici que l'épisode suivaut.

Le malade se plaignait depuis un certain temps de violentes dou-

leurs de reins, lorsque son médecin constata dans la région lombaire

une saillie des apophyses, fort douloureuse au toucher. Celui-ci ne

cacha pas alors ses craintes au sujet d'une production gommeuse

dans la profondeur. Quoi qu'il en soit, la présence de quatre gros

cautères autour de la sus-dite proéminence lombaire prouve surabon-

damment qu'elle fut alors considérée comme une déviation vertébrale

pathologique. Le malade en porte encore aujourd'hui les marques

indélébiles ainsi que le montre la photographie (Pl. 4). Cette figure

prouve également qu'il ne s'agissait là que de la saillie normale sur

laquelle nous avons longuement insisté, avec prédominence d'une

épine sur les autres ainsi que cela se voit fréquemment. La pré-

tendue déformation de la région lombaire était donc tout simplement

une conformation normale.

Reste maintenant la douleur exquise dont cette saillie était le siège.

Les caractères mêmes de cette rachialgie permettent d'en faire un

accident hystérique et de la classer parmi les zones hyperesthésiques

et hystérogènes. C'est ce que prouve très clairement l'observation

prise avec beaucoup de soin que M. Gilles de la Tourette a bien voulu

nous communiquer. Bien que nous n'ayons insisté ici que sur un point

de détail, nous le publions in extenso, tant à cause du haut intérêt

qu'elle présente que pour mettre entre les mains du lecteur toutes les

pièces du procès.

S... Albert, voyageur de commerce, est actuellement âgé de vingt-huit ans.

Il est assez difficile d'obtenir des renseignements circonstanciés sur ses an-

técédents héréditaires, car il ignore entièrement ce qui s'est passé du côté

paternel. Le grand-pèrè maternel avait quitté subitement sa famille sans dire

où il allait, laissant sans ressources sa femme et trois enfants. Notons à ce sujet

que le malade ne se soustrait en aucune façon aux demandes qui lui sont

faites; bien au contraire, il s'étend avec complaisance et raconte volontiers

tout ce qui est arrivé à sa famille ou à lui *.

.Grand et robuste, sa santé est restée inaltérée jusqu'à l'âge de dix-huit

ans, époque à laquelle cohabitant avec une femme qui présentait des ulcéra-

tions à la vulve et à la partie interne et supérieure des cuisses, il contracta la

syphilis (1879).

1. L'observation a été recueillie par M. Blin, externe du service.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T I PL. IV

PHOTOTYPII, Berthaud

CLICH( : A. LONDE

Cautères-autour D'UNE saillie PHYSIOLOGIQUE DE la COLONNE lombaire

DELAHAyr. & LECROSNIF-1, EDITEUR

NOTE SUR L'ANATOMIE MORPHOLOGIQUE. 23

Celle-ci, en dehors de l'accident initial qui paraît avoir été mal observé, se

manifesta d'abord par des « ulcérations » du scrotum bientôt cicatrisées. Un

an plus tard survinrent des syphilides à l'anus dont l'origine nettement

reconnue par le Dr B. donna lieu à l'institution d'un traitement spécifique

(liqueur de Van Swieten, ICIj rigoureusement suivi pendant deux à trois mois.

Entre temps, étaient survenues quelques plaques muqueuses sur les lèvres

et sur la face interne des joues, en même temps que la corona Yeneris ap-

paraissait sur le front.

De 1880 à 1884, la syphilis reste silencieuse; le malade en profite pour se

livrer à une série d'excès de toutes sortes, vénériens surtout.

Le mardi soir Ie janvier 1884, S... en rentrant chez lui tombé inerte et reste

privé de connaissance pendant vingt-quatre heures. Lorsqu'il revient à lui, au

bout de ce temps, son entourage constate que le bras et la jambe droite sont

inertes et contractures. Sabouche ne présente qu'une légère déviation vers la

gauche, mais la langue est tournée vers la' droite à un tel degré que la pointe

se met en contact direct avec les grosses molaires droites. Le malade ne peut

proférer aucun son : le mutisme dura deux jours à l'état absolu. Le jeudi,

3 janvier, à 2 heures du matin, il dit par deux fois « à boire » qu'il prononce

du reste d'une façon presque intelligible : les deux jours suivante, il prononce

de la même façon quelques mots usuels. Le dimanche, 6 janvier, il dit net-

tement « oui » et « non et bégaye assez de mots pour se faire com-

prendre. Les cinq jours suivants, il recouvre peu à peu l'usage de la parole

et le vendredi, Il janvier, il peut parler correctement, mais la langue est

encore très épaisse; il présente en outre un degré notable d'amnésie et ne

peut se rappeler le nom de ses amis qu'en l'écrivant.

Presque immédiatement après l'attaque apparaissent des phénomènes

très intéressants dans l'espèce : ils consistent en maux de tète survenant vers

8 heures du soir et ne disparaissant qu'à partir de 3 à heures du matin. Leur z

siège principal est à la nuque et à l'occiput avec irradiations au voisinage

extrêmement douloureuses, s'effectuant surtout vers la droite. En même

temps, le cuir chevelu est le siège d'une hyperesthésie telle que les passages

du peigne et de la brosse causent des douleurs insupportables.

Avec ces céphalées coïncide l'apparition d'exostoses au niveau de deux

apophyses mastoïdes et de l'occipital. Les maxillaires inférieurs et la région

lombaire sont aussi le siège de douleurs intenses accompagnées de fourmil-

lement en ce dernier endroit.

Pendant la première semaine qui suit l'attaque, la contracture reste com-

plète ; pendant la deuxième, le malade commence à mouvoir un peu son bras

et sa jambe; au cours des deux mois suivants laraideur va en diminuant et la

motilitéen augmentant. Durant les quarante-trois jours qui suivent l'attaque les

douleurs de la mâchoire et surtout des cuisses et de la tête persistent avec

une intensité telle que le malade ne peut se coucher. Aux céphaléesnocturnes

se joignent des battements dans les tempes.

Pendant toute cette période, S... est soigné par le Dr Diday (frict. merc.'et

iodure de potassium, G grammes); d'après son dire, il présentait déjà une

lténaiartestltésie sensitivo-sensorielle droite, car il ne sentait nullement, en

particulier, les piqûres faites de ce côté par le médecin. Trois mois après

l'attaque il pouvait marcher assez bien en s'appuyant sur une canne.

Les choses en étaient là lorsque, au commencement de juillet 1884, le

21 i NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

malade, sans aucun symptôme prémonitoire, tombe subitement privé de con-

naissance. Lorsqu'il revient il 1 ui, au bou t de troisà quatre heures, il ne peut que

balbutier le mot « manger ». Le bras et la jambe droits sont raides, comme

dans la première attaque; la langue déviée à droite au même degré est

projetée hors de la bouche en même temps que cette dernière est plus déviée

que la première fois. Au bout de trois à quatre jours le malade peut se faire

comprendre.

L'évolution des phénomènes est du reste la même que la première fois.

Au mois de décembre la contracture a disparu et le malade peut marcher

facilement avec une canne. Pendant toute cette période il est soigné par

leur Gailleton (douches sulfureuses; douches froides; frictions mercurielles).

Le 17 mars 1885", S... était en train de lire lorsque sa vue se trouble brus-

quement; il appelle ses parents et perd connaissance. Lorsqu'il revient à lui,

son bras droit est contracture en demi-flexion et porté en arrière; la jambe

droite est contracturée dans l'extension, le pied tourné en dedans; la langue

aussi déviée à droite que dans les attaques précédentes est projetée hors de

la bouche. La contracture du côté droit cesse peu à peu et, quelques mois

après, le malade peut marcher avec une canne. Le 5 septembre 188 : , à la

suite d'un lavement qu'on vient de lui administrer malgré sa volonté, il sent

une boule qui lui monteà lagorge et l'étouffé, puis surviennent des battements

dans les tempes et une perte de connaissance qui dure une heure pendant

laquelle il crie « j'étouffe » et se débat violemment. Lorsqu'il revient il lui,

le bras et la jambe droite sont contracturés, mais cette contracture cesse

complètement au bout de quelques heures.

Au mois de mai 188G, survient, à l'occasion d'une contrariété, une crise

analogue à la précédente, crise pendant laquelle plusieurs personnes sont

obligées de le tenir afin qu'il ne se blesse pas. A la suite de cette crise, con-

tracture du côté droit qui ne dure que deux heures.

Quelque temps après, se produit une grande amélioration; la jambe et le

bras, jusqu'alors légèrement impotents, redeviennent tout à fait souples; les

maux de tête disparaissent, le malade se sent redevenir un homme .

Cette amélioration considérable dure jusqu'au mois de mai 1887, époque

à laquelle, à l'occasion d'une nouvelle contrariété, survient une légère crise

avec sensation de boule dans la gorge et d'étouffements suivis de pertes de con-

naissance pendant laquelle le malade se débat au point qu'on est obligé de

le lier sur son lit. Après l'attaque légère contracture du côté droit pendant

une heure.

Le malade reprend cependant son travail ; mais au bout de trois semaines il

est obligé de le quitter à nouveau, le côté droit devenant faible, la jambe

raide et les céphalées nocturnes reprenant avec une nouvelle intensité. Au

mois de juin 1887, S... va consulter M. X. qui fait mettre quatre cautères au

niveau des premières vertèbres lombaires, endroit où existe une légère

saillie, d'ailleurs normale, de la colonne vertébrale en même temps qu'un

point très douloureux spontanément et à la pression surtout.

Au mois d'août 1887, nouvelle crise avec sensation de boule, étouffements,

perte de connaissance, convulsions; au réveil, légère contraction du côté droit,

durant une heure.

Après ces crises, la contracture une fois passée, il ne restait pas de paralysie

du côté droit, mais, chaque fois que le malade se fatiguait, il était pris d'une

N,OTE SUR L'ANATOMIE MORPHOLOGIQUE. 25

faiblesse excessive dans les jambes en même temps que de douleurs dans le

cou-de-pied, le genou, le tibia et la hanche droite.

Il va alors consulter M. le professeur Fournier qui ordonne des douches

froides, 8 grammes d'iodure de potassium, un peu de bromure, de l'antipyrine

et des frictions mercurielles. Le malade constate que, depuis 1884, il a fait

plus de cent vingt frictions.

Actuellement, S... présente l'état suivant. Il a conservé toute son intel-

ligence, la parole est assez libre, et il entre, avons-nous dit, avec complai-

sance, dans le détail et l'énumération des excès qu'il a faits.

La mémoire est très diminuée néanmoins; s'il n'écrivait pas le nom de ses

amis il ne s'en rappellerait pas; souvent il lui arrive d'ailleurs de ne pas

trouver le mot propre à la pensée qu'il veut exprimer.

Lorsqu'il est debout, il se tient couché en avant, appuyé sur un bâton ; cette

altitude est nécessitée par la douleur des reins qu'il ressent et qui l'em-

pêche de se redresser. Lorsqu'il marche, il porte le poids du corps du côté

droit malade en s'appuyant sur sa canne, qu'il tient de la main droite. Le pied

droit traîne par terre tout d'une pièce, presque à plat, le bord externe un peu

relevé et cela d'autant plus qu'il est plus fatigué.

Veut-il se servir de sa main droite ? celle-ci est prise d'un tremblement

nerveux et rapide qui fait que l'écriture est tremblée. De plus, en jouant à « la

main chaude » il a remarqué qu'il lui arrivait souvent de ne pas frapper

juste. Lorsqu'il descend un escalier et qu'il a posé la pointe du pied droit

sur une marche, le talon trépide trois ou quatre fois avant que la pointe ne

touche le sol.

L'examen révèle que la jambe droite est co : itracturée en extension ; lors-

qu'on cherche à la fléchir, la contracture, augmente : cette contracture n'est

pas assez forte toutefois pour empêcher le malade d'imprimer au membre

inférieur certains mouvements de flexion et d'extension.

S... présente la diathèse de contracture, le côté droit étant plus contrac-

tuable que le côté gauche. Lorsqu'on lui fait tirer la langue, on remarque

que celle-ci est toujours et constamment déviée à droite, la pointe venant

loucher les grosses molaires; lorsqu'il la tire hors de la bouche elle est

agitée de tremblements et prise d'un spasme qui la dévie plus fortement

encore vers la droite. Lorsqu'il veut rire, les lèvres sont également agitées de

tremblements; la bouche ne présente pas de déformation.

Le côté droit est très notablement moins fort que le côté gauche; le bras

résiste très peu aux mouvements de flexion forcée; la résistance de la jambe

est encore moindre.

L'état général est resté néanmoins assez bon : il existe quelques ganglions

dans l'aine droite, durs et gros; à ce niveau on constate la présence d'une

hernie inguinale facilement réductible d'ailleurs; au niveau des deux apo-

physes mastoïdes on sent deux renflements osseux, traces d'anciennes exos-

loses syphilitiques.

La colonne vertébrale fait à la région lombaire une légère saillie d'ail-

leurs normale, avons-nous dit. Cette saillie a du reste valu au malade

quatre grands cautères dont persistent les traces indélébiles (pl. IV). Sur

les deux jambes se voient quelques varices.

L'examen de la sensibilité générale et spéciale est particulièrement inté-

ressant (fig. 17). Tout le côté droit est analgésique; celte analgésie diminue en

zig NOUVELLE ICONOGRAPHIE DELA SALPÊTRIÈRE. 1

avant et en arrière au niveau de la ligne médiane; elle est également plus 1

faible à la face qu'au bras, au bras qu'à la jambe. Il existe un bracelet

d'hypercsthésie au niveau du poignet droit et des plaques de même nature 1

du côté droit : à la partie antérieure de la jambe, à la partie postérieure du

coude, au niveau de l'aine, à l'endroit où porte le bandage herniaire, au

niveau des deux malléoles, sur la face dorsale du métatarse et au niveau de la

saillie de la colonne lombaire. En ce point particulièrement, la plus légère

friction de la peau détermine une vive douleur; toute la région de la colonne

vertébrale estdu reste notablement hyperesthésiée.

La sensibilité au tact et à la température est altérée dans les mêmes zones

et de la même façon que la sensibilité à la douleur.

La sensibilité profonde est également très diminuée du côté droit : la

NOTE SUR L'ANATOMIE MORPHOLOGIQUE. 27

torsion des articulations du bras droit (articulations douloureuses à la pres-

sion superficielle et spontanément) est beaucoup moins douloureusement

ressentie que pour les articulations du membre similaire du côté gauche.

Le sens musculaire est très diminué à droite : le malade hésite à dire

quel doigt on lui prend, quel mouvement on imprime à ce doigt ; il se trompe

même très souvent dans ses réponses.

Achromatopsie spéciale à droite avec rétrécissement presque maximum

(10 pour 100) du champ visuel; le malade voit tout gris, la cataracte estpresque

complète; rien à gauche. L'odorat est diminué à droite; de ce côté le goût

est aboli; le réflexe pharyngé persiste. Les réflexes rotuliens sont exagérés

des deux côtés sans trépidation spinale.

Signalons encore un point très douloureux à la pression, au niveau de la

région précordiale : la céphalée nocturne existe toujours avec les caractères

que nous lui avons assignés.

PAUL RICHER,

Chef du laboratoire des maladies du

système nerveux.

DES RÉTRACTIONS FIBRO-TENDINEUSES

COMPLIQUANT LA CONTRACTURE SPASMODIQUE

La préoccupation si évidente des pathologistes de chercher à diffé-

rencier aussi catégoriquement que possible les rétractions fibreuses

des contractures musculaires, est sans doute le motif pour lequel on

n'a pas admis pendant longtemps, la coexistence de ces deux phéno-

mènes, et méconnu le lien qui les unit.

Il est arrivé aussi qu'on n'a pas su distinguer les rétractions tendi-

neuses des rétractions musculaires, et que l'extrême rareté de celles-ci

a fait échapper la réalité de celles-là.

« La plupart des auteurs, dit M. Straus', mentionnent comme terme

ultime de la contracture des muscles, leur transformation fibreuse. Ce

mode de terminaison est possible, mais à coup sûr il est très rare. On

sait, en effet, combien sont insignifiantes les lésions histologiques que

présentent les muscles contracturés, même pendant de longues années

(Charcot et Cornil). La persistance et l'irréductibilité des attitudes

vicieuses pendant le sommeil ehloroforinique ne prouvent même pas

d'une façon péremptoire la transformation fibreuse du muscle; les

ligaments et les gaines péri-articulaires peuvent avoir subi des modi-

fications telles qu'elles s'opposent au redressement, sans que pour cela

le muscle, cause première du mal, se soit sclérosé. Le temps n'est plus

où l'on admettait avec M. Jules Guérin que l'élément fibreux résulte

des tractions auxquelles est soumis le muscle, et que la rétraction est

la dernière étape de la contraction; l'une est un phénomène actif et

vivant par excellence, tandis que l'autre est une propriété physique et

qui persiste sur le cadavre. »

On voit par cette citation que M. Straus émettait l'hypothèse de

l'altération des tissus fibreux lors de contracture pour expliquer la

non-disparition des déformations pendant le sommeil chloroformiquc.

C'est bien ainsi que les choses se passent en réalité dans les cas de ce

genre.

1. 7'I. r1 gré ? 1875.

DES RÉTRACTIONS CII31t0-1'E\DI\EUSES. 29

M. Brissaud' a pu mettre ces faits en évidence à l'aide du procédé

de la bande d'Esmarch.

« On sait, dit-il, que les contractures permanentes les plus invétérées

peuvent céder à l'action du chloroforme, et que, par conséquent, la

rétraction ne peut être invoquée comme la cause la plus ordinaire des

déformations paralytiques.

« Mais il est un moyen que nous avons mis en usage chez un certain

nombre de personnes et qui a permis de faire sans danger la part

exacte de ce qui appartient à la rétraction dans les déformations de la

contracture. Ce moyen consiste à rendre le membre exsangue par l'ap-

plication de la bande d'Esmarch, et du même coup à priver les mus-

cles de leur contractilité. Au bout de vingt minutes environ la défor-

mation commence à disparaître. Ce n'est pas à dire pour cela que la

contractilité soit complètement anéantie (il faut un temps bien plus

considérable pour que la fibre musculaire ne réponde plus aux exci-

tants), mais déjà ces quelques minutes suffisent pour détruire une atti-

tude qui durait depuis plusieurs années. Or, nous n'avons observé que

deux malades chez lesquelles l'application de la bande n'a que très-

légèrement modifié l'attitude vicieuse. Chez l'une, il existait une lésion

articulaire, chez l'autre une sorte d'ankylose fibreuse ».

L'auteur ne s'étend pas, du reste, autrement sur cette complication

rare mais non moins réelle des contractures.

M. Charcot avait observé depuis longtemps, à l'occasion d'une

malade atteinte de mal de Pott et de paraplégie spasmodique consé-

cutive, que la contracture pouvait s'accompagner de rétraction des

tissus fibreux et qu'alors, lorsque le spasme cessait, la déformation

persistait néanmoins, entretenue par des brides fibreuses. Aussi avait-

il pensé que ces obstacles étaient justiciables de l'intervention chirur-

gicale et l'événement avait confirmé ses vues.

Or il importe de savoir, et c'est ce que notre maître a bien fait res-

sortir dans une de ses leçons cliniques % que l'on peut rencontrer ces

rétractions fibro-tendineuses dans tous les cas de contracture spasmo-

dique et notamment lors de contracture hystérique.

Ainsi, que la contracture soit de cause organique ou de cause dyna-

mique, elle se compliquera parfois de ces productions fibreuses. De

plus celles-ci n'existent constamment ni dans un cas ni dans. un autre.

« Pourquoi, dit M. Charcot, tout étant égal d'ailleurs, du moins en

apparence, la complication tendino-fibreuse se produit-elle dans cer-

tains cas et non dans d'autres ? Qu'ont donc de particulier les sujets

1. Th. Paris, 18F0..

2. Bulletin médical, 23 mars 1887.

3

3(1 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DELA SALPÊTRIÈRE.

chez lesquels elle se produit ? S'agit-il d'une influence diathésique,

d'un élément rhumatismal, arthritique, que présenteraient ces sujets ?

On sait que certaines rétractions fibreuses, indépendantes de toute

paralysie, comme la rétraction de l'aponévrose palmaire, relèvent, au

moins souvent, d'un élément arthritique. »

Nous nous réservons de revenir ultérieurement sur la question

ainsi soulevée, mais il nous semble indispensable auparavant d'exposer

les faits. Outre les observations qui ont fait l'objet de la leçon précitée

et que nous reproduirons, nous citerons deux cas que nous avons

recueillis depuis et dont l'intérêt consiste surtout en ce qu'il s'agit de

contractures hystériques, cas où cette complication est assez rare et

particulièrement importante au point de vue thérapeutique.

Je puis y ajouter un fait que M. Joffroy a observé (communication

orale). Il s'agissait d'une malade entrée dans son service de la Salpê-

trière pour une contracture hystérique des deux pieds qui avaient

l'attitude du pied bot varus équin. Au début, la contracture disparais-

sait complètement pendant la narcose chloroformique, puis, au bout

d'un temps assez long, on s'aperçut que la déformation persistait

même pendant la phase* de résolution du sommeil chloroformique.

M. Joffroy crut alors pouvoir attribuer la persistance de la déformation

à la production de rétractions fibreuses justiciables d'une opération,

et confia la malade dans ce but à M. Terrillon.

Ce chirurgien sectionna, en effet, les tendons d'Achille, et, à la suite

de cette opération, la déformation disparut et la malade put marcher.

J'ai vu la malade alors que la guérison était complète.

Voici également une observation du même genre, où l'on a dû faire

pour ainsi dire un diagnostic rétrospectif dont la malade a bénéficié.

Observation I. - Contracture spasmodique de nature hystérique. -

Guérison du spasme. Rétractions fibl'o-tendineuses maintenant

la déformation. Intervention chirurgicale. - Guérison.

Olympe Pois... marchande de mercerie, âgée de trente-deux ans et demi,

est entrée à la Salpêtrière le 11 juin 1887 et occupe le lit n° 1G de la salle

Rayer dans le service de M. Charcot. l.

Antécédents héréditaires. - Son grand-père paternel est mort à quatre-

vingt-quatre ans. Sa grand'mère paternelle a succombé à un âge avancé,

sans avoir' eu d'affection rhumatismale ou nerveuse. Le grand-père maternel

est mort d'apoplexie cérébrale, la grand'mère maternelle d'une affection

utérine. Son père a succombé à une broncho-pneumonie, sa mère est

actuellement bien portante et n'est pas nerveuse. Elle ne connaît du reste

aucune neuropathie chez ses oncles et tantes, cousins, ou autres parents.

Antécédents personnels. - Elle a eu la, coqueluche à l'âge de sept ans, la

rougeole à quinze ans. Héglee à douze ans normalement et toujours régulière-

DES RÉTRACTIONS S F 11, P, 0 - TD 1 N 1,, U.S l ? S. 3)

ment depuis, elle a accouché il vingt-trois ans sans incidents d'une fille qui

est morte au bout de quatre mois, d'une fluxion de poitrine. Elle n'a du

reste jamais fait de maladie jusqu'au moment du début de l'affection pour

laquelle elle réclame nos soins.

Début et marche. -Olympe était d'un caractère très violent, vif, emporté.

impressionnable à l'excès, mais les émotions n'entraînaient jamais de réac-

tion nerveuse pathologique; cependant l'affection actuelle paraît avoir débuté

à la suite et à l'occasion de causes morales qui l'impressionnèrent d'une façon

intense et prolongée. Elle ou[ des préoccupations à la suite de pertes maté-

rielles qui entraînèrent des difficultés commerciales, d'où des peines et des

soucis; finalement son magasin fut vendu; la plupart des incidents de cette

histoire el en particulier ce dernier épisode furent presque aussitôt suivis de

manifestations hystériques.

Ce furent des vomissements qui inaugurèrent, il y a deux ans, la série de

ces accidents. Tous les ingesta quels qu'ils fussent étaient vomis presque

aussitôt après que la malade les avait absorbés et cela sans efforts, sans

douleurs. Il y avait aussi perte complète d'appétit. Au bout de quatre mois

d'un état caractérisé par ces seuls symptômes gastriques survint de la

diarrhée. Les selles se produisaient une dizaine de fois par jour, mais quel-

quefois leur nombre atteignait 40 ; elles étaient tout à fait liquides, jaunes,

verdâtres, semblables à de la bile. Les évacuations n'étaient pas précédées

de coliques, ni accompagnées de douleurs. Selon l'expression de la malade,

« cela partait naturellement ». En même temps, l'insomnie, était presque

absolue. Les vomissements ont persisté presque un an ; la diarrhée s'est

prolongée plus longtemps en diminuant toutefois d'intensité.

Du fait de ces accidents la malade avait dû s'aliter, lorsqu'elle fut prise il

y a seize mois (huit mois après le début des accidents) par des vomissements,

des sortes de crises de nerfs. Elle raconte ainsi sa première attaque : elle

sentait, dit-elle, quelque chose lui partir du ventre, lui remonter à la gorge

et l'étouffer; en même temps presque se produisait un tremblement général

de tout le corps avec claquement des dents; tout cela, sans perte de connais-

sance, durait environ dix minutes. Le premier jour de l'apparition de ces

phénomènes les crises revinrent tous les quarts d'heure, puis elles s'espacè-

rent et ne durèrent en tout que trois jours. Le dernier jour, où elle eut quatre

crises, apparut la contracture des membres inférieurs; dès ce moment les

symptômes gastriques s'amendèrent, les vomissements disparurent et l'ap-

pétit revint; mais la contracture persista et obligea la malade à conserver

le lit.

C'est brusquement, tout' d'un coup, que les jambes se raidirent toutes

droites en extension, représentant l'attitude du pied bot équin avec orteils

fléchis. On ne pouvait en rien modifier leur position. Les membres étaient

durs et immobilisés. Depuis ce moment jusqu'à il y a deux mois les jambes

ont conservé ces caractères.

La diarrhée, d'autre part, persistait avec des intermittences, et il se produi-

sait ainsi de temps à autre des sortes de crises mal définies mais avec sensa-

tion nette de constriction à la gorge.

A cette époque(il y a deux mois) à la suite d'un bain de pied trop chaud

(au dire de la malade), les jambes redevinrent tout à coup souples, et purent

être fléchies ou étendues sur les cuisses ; mais les pieds conservèrent l.enr

32 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

déformation empêchant la station et la marche. Celle situation se proton-,

géant sans aucune modification la malade prit le parti de venir à la Salpe.

trière.

Etat actuel (21 juin). - Olympe est une femme de forte constitution, pres.

que obèse, et ne paraît pas avoir beaucoup soulfert des troubles gaslro-intesli.,

naux qu'elle accusa pendant si longtemps. Elle répond intelligemment aux

questions qu'on lui adresse. Elle attire immédiatement l'attention sur l'état

de ses membres intérieurs. On constate que les deux pieds sont dansl'exten-'

sion forcée, et les orteils très fortement fléchis, surtout le gros orteil qui est

presque'complètement replié (PI. V). Le deuxième et le troisième orteils,

de chaque pied sont soudés l'un il l'autre dans les deux tiers supérieurs de !

leur étendue; celte disposition est congénitale et existait chez le père et la'

mère de la malade. ,

Les muscles du mollet et de la jambe ne sont pas durs, % la jambe joue;

facilement sur la cuisse au gré de la volonté. 0... peut imprimer même à,

son pied quelques mouvements, mais très limités. La force musculaire est.

conservée et l'on s'en assure aisément en essayant de plier la jambe étendue, j

lorsqu'on dit à la malade de résister. Toutefois les déformations empêchent

la malade de se tenir debout, car elle manque de base de sustentation

suffisante. Les réflexes tendineux sont normaux; des deux côtés il n'existe pas'

de trépidation spinale. On peut modifier légèrement la position du pied,

surtout dans le sens de l'extension; lorsqu'on cherche à imprimer un mou-

vement de flexion, ce mouvement, d'abord libre, est tout à coup arrêté par un

obstacle brusque, et la main qui soutient la jambe pendant cette manoeuvre

perçoit la sensation d'un véritable claquement dû au tendon d'Achille brus-

quement tiré. > '

Il en est de même pour le gros orteil qu'on n'arrive pas à redresser; on I

sent un léger frottement paraissant se passer dans la gaine tendineuse du j-

fléchisseur. Ces signes sont aussi manifestes des deux côtés. La sensibi- i

lité est partout intacte ; mais la malade affirme, qu'à un certain moment, j

les jambes auraient été insensibles, ainsi que l'aurait constaté le médecin i

qui la soignait à cette époque, en les lui piquant avec une épingle. Les)

jambes auraient un peu maigri; elles ne présentent aucun trouble trophique

de la peau et de ses dépendances ; explorés électriquement par M. Vigou- (

roux,'un seul muscle répond tout à fait bien à l'excitabilité électrique, c'est i

le tibial antérieur; les autres muscles sont peu excitables soit directement i

soit indirectement. La malade ne présente aucun stigmate hystérique, ni

aucun trouble des autres appareils. 1

Elle passe dans le service de M. Terrillon le 10 juillet; le 13 juillet, ce i

chirurgien pratique une opération consistant en la section sous-cutanée des

tendons d'Achille des deux côtés. A la suite de cette ténotomie, les pieds

sont redressés facilement et immobilisés en bonne position.

Octobre 1887. La malade, complètement guérie, marche aisément el

normalement; elle est sur le point de quitter le service (PI. V). Î

Ce cas est assez facile il interpréter et quoique nous n'ayons assisté

qu'il la phase terminale de l'affection, il est aisé de reconstituer l'his-

toirc de la malade, palhologiqucmcnl parlant.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I PL. V

YHOTOTfP117 BLRTHAUD

Contracture Hystérique

RETRACTIONS FIBRO-TENDINEUSES

(.\",\111 l'opér.llion)

DrAHAYE S LECROSNIER, tDl'tEURS

DES RÉTRACTIONS FI131t0-TGNDIGUSE5. 33

Les préoccupations et les soucis continuels de la malade lésée dans

ses intérêts matériels sont ici la cause banale des manifestations hys-

tériques. C'est peu préjuger que de qualifier d'hystériques les accidents

qu'elle a présentés; les vomissements incoercibles, sans efforts, sans

douleurs, portant indistinctement sur tous les infesta, puis disparais-

sant brusquement sans laisser de traces, ont tous les caractères qu'on

leur connaît dans la névrose.

De même ces sortes de crises éprouvées peu de temps après par 0...,

sans perte de connaissance, avec sensation de constriction à la gorge,

se refuseraient à d'autres qualificatifs.

Quant à l'attitude vicieuse des membres, son début brusque à la suilc e

d'une crise, la déformation énorme qu'elle produisit d'emblée, la

rigidité intense des membres, leur anesthésie, enfin la disparition

subite de la raideur ne peuvent nous laisser de doutes sur sa nature.

Ces déformations sont bien des traces laissées par un « orage hys-

térique » actuellement dissipé, comme le démontre l'absence de tout t

stigmate hystérique sensitif ou sensoriel.

Au surplus notre opinion était éclairée par l'observation presque

analogue en tous points d'une autre malade que nous allons rapporter,

qui fut, celle-ci, suivie du début à la fin de l'affection et présenta,

aux divers points de vue : des causes, des manifestations, du mode de

contracture, de son évolution, etc., une identité tout fait remarquable

avec celle dont nous venons de parler.

Les rétractions fibre-tendineuses sont également semblables chez ces

deux malades et ont nécessité les mêmes manoeuvres opératoires.

Mais il importait évidemment de savoir dans ce cas que la contrac-

ture hystérique, tout comme une autre, peut être suivie de rétraction

fibro-tendineuse, notion qu'on ne soupçonnait pas avant que M. Charcot

l'eût établie.

Voici cette observation :

Observation II. (Extrait d'une leçon de M. Charcot, recueillie par le

docteur Babinski et publiée dans le Bulletin médical du 23 mars 1887.)

Contracture hystérique des deux pieds. Disparition des phénomènes

spasmodiques. ' Persistance des déformations par rétractions fibro-

tendineuses. - Intervention chirurgicale. - Guérison.

Ho... a un père aliéné mort à l'asile de Clermont; elle a vingt-cinq ans;

de vingt à vingt-quatre ans elle a beaucoup souffert moralement; sous cette

influence sont survenus des vomissements fréquents se produisant sans effotts

et sans douleur et évidemment de nature névropathique ; des accidents qu'elle

appelle des syncopes et qui paraissent bien avoir été des crises hystériques ;

une paralysie transitoire du membre supérieur gauche avec anesthésie et

31 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

perte du sens musculaire qui manifestement doit être rattaché à l'hystérie.

Enfin, il y a deux ans, tout à coup, un matin, sans prodromes, s'est produite

la déformation des pieds en varus équin, déformation qui a atteint immédia-

tement son plus haut degré, et dont on retrouve aujourd'hui les vestiges. Il J

avait un an à peu près que cela durait quand la malade est entrée à la Salpê-

trière. Nous avons pu constater alors que l'articulation du genou était, elle,

aussi rigide; que les tentatives de redressement du pied faisaient percevoir la

sensation de résistance élastique qui est propre aux contractures. Nous avons

reconnu enfin l'absence, à cette époque, de tout stigmate hystérique sensitif

ou sensoriel, et nous avons constaté qu'il était impossible de produire aux

membres supérieurs la contracture artificielle : enfin les attaques avaient

complètement cessé.

On pouvait donc espérer que la diathèse hystérique était épuisée et que

l'on viendrait bientôt sans doute à bout de la contracture spasmodique du

pied. Les tentatives d'hypnotisme étant restées sans résultat, nous ne

pouvions compter sur une disparition des accidents par voie de suggestion.

Les moyens employés ont été l'électrisation et le massage : ce dernier mode

de traitement mis en oeuvre pendant un mois paraît avoir produit une notable

amélioration. La flexion du genou est devenue possible; quelques mouvements tus

ont reparu dans l'articulation tibio-tarsienne, et la malade a pu alors se tenir

debout sur la pointe des pieds comme on la voit aujourd'hui. On peut ob-

server (Pl. IX) comment la malade peut marcher sans appui en faisant

reposer les pieds sur l'extrémité des deux ou trois derniers métatarsiens.

Mais au bout d'un certain temps il est devenu clair qu'il ne se faisait pas

de progrès. L'examen révèle il cette époque les faits suivants :

La malade peut, dans une certaine mesure, mouvoir son pied librement en

dedans, en dehors, en avant, en arrière, ce qui n'arrive jamais au même degré

dans la contracture hystérique où les choses sont toujours poussées à l'ex-

trême, si bien qu'en général la malade ne peut imprimer aucun mouvement

aux parties contracturées.

De plus, quand on imprime des mouvements passifs à la jointure en de-

dans ou en dehors, le mouvement est à peu près complet; le mouvement

de flexion plantaire est aussi assez étendu et on ne sent nulle part cette

résistance élastique qui donne la sensation d'un ressort tendu qui appar-

tient à la contracture spasmodique. Au contraire, quand on veut produire

la flexion dorsale du pied, on est bientôt arrêté brusquement par un obs-

tacle purement mécanique qui paraît être surtout le tendon d'Achille

raccourci, mais qui pourrait bien avoir sa cause, d'après ce que nous

savons, dans la production du tissu fibreux péri-articulaire. La malade a été

soumise à la chloroformisation et, pendant le sommeil profond, la déformation

ne s'est en rien modifiée, elle est restée telle qu'elle était sans que nous

ayons rien pu gagner...

La malade est confiée aux soins de M. Terrillon. Une première opération

fut pratiquée le z10 mars et consista en la section sous-cutanée des tendons

d'Achille des deux côtés. A la suite, les pieds purent être redressés presque

complètement. Les membres furent immobilisés. Une seconde opération fut

pratiquée le 20 avril par M. Terrillon qui cette fois sectionna les tendons du

fléchisseur du gros orteil des deux côtés ; les pieds furent de nouveau immo-

bilisés dans un pansement oualé à la suite de cette opération.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I PL. VI

Contracture HYSTÉRIQUE

RETRACTIONS FIBRO-TENDINEUSES

(Avant l'opr,ttion)

DES RÉTRACTIONS F113RO-TFiNDINEUS17S. 35

Le 24 juin, la malade put se lever, les pieds étant redressés; un léger

degré de flexion des orteils persiste encore, la marche est encore difficile

mais possible. Depuis, les progrès dans la progression sont rapides, et, le

13 juillet, la marche est facile; tous les mouvements du pied sur la jambe

sont aisés et non douloureux, il y a toujours un très faible degré de flexion des

orteils qui peut-être nécessitera une troisième opération. La malade marche

seule et sans béquilles et n'accuse aucune douleur '. '

Quand M. Charcot présenta cette malade à ses auditeurs elle était

sur le point d'être opérée, et le professeur émettait l'espoir de la

présenter de nouveau à son cours, cette fois complètement guérie et

libre de tous ses mouvements. L'événement, comme on a vu, a justifié

cette prédiction.

Observation III. Recueillie par M. Blin, externe du service. (Résumé.)

Contracture hystérique de la jambe gauche. - Intervention chirurgicale

pendant la période spasmodique. - Persistance de la contracture. -

Complications, rétractions fibreuses et troubles trophiques.

Anna M..., âgée de dix-neuf ans, entre le 10 mai 1887 à la Salpêtrière et

occupe le lit ne 18 de la salle Rayer. 1

Antécédents héréditaires. - Elle a trois frères et une soeur tous plus

âgés qu'elle. Le frère aîné a des attaques de goutte, le plus jeune a une

coxalgie gauche dont il a été soigné à Berck. Il est en même temps très ner-

veux sans cependant avoir jamais eu d'attaques. Un troisième frère est aussi

très nerveux. La soeur, âgée de vingt-neuf ans actuellement, vers l'âge de

quinze ans est restée plusieurs mois au lit avec les jambes enflées; elle est

très nerveuse mais n'a jamais eu d'attaques.

Antécédents personnels. - Dès l'âge de quatre ans Anna a souffert pres-

que constamment de divers accidents scrofuleux : écoulements prolongés des

oreilles, abcès superficiels qui donnent lieu à des suppurations intermittentes.

Depuis au moins dix ans elle accuse dans la fosse iliaque gauche des

douleurs revenant par accès au cours desquels tantôt la sensations péni-

ble remonte à l'estomac, prend la malade à la gorge, l'empêchant de respi-

rer, et détermine enfin des convulsions avec perte de connaissance, tantôt

elle s'irradie dans la hanche et détermine l'impotence du membre infé-

rieur correspondant. Cette impuissance ne dure guère plus d'une heure et,

après ce temps, la malade peut marcher sans souffrir. Cos accès revenaient à

peu près tous les jours. A la même époque est survenu un abcès sur la face

dorsale du pied droit qui donna lieu à une longue suppuration.

Il y a six ans, survint à la hanche gauche un abcès gros comme une noisette,

entouré d'une zone enflammée, rouge, large comme la paume de la main qui,

en s'ouvrant, donne issue à une notable quantité de pus. Cet accident obligea

la malade à garder le lit pendant trois semaines au bout desquelles elle no

put se lever ni marcher. Les douleurs de la fosse iliaque persistèrent avec

I. Elle est actuellement sortie, et a repris ses occupations habituelles.

36 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

les divers phénomènes qui les accompagnaient. A l'âge de seize ans et demi

survient une nouvelle otite double suppurée très douloureuse cette fois, et qui

depuis ne guérit pas complètement ; il en reste encore des traces. C'est vers

cette époque que les attaques, ébauchées pour ainsi dire jusque-là aupara-

vant, se déclarèrent et prirent un développement considérable. Un an après

elles cèdent la place à de la chorée de Sydenham pendant quatre mois, au

bout desquels survient une nouvelle attaque, après quoi la danse de Saint-

Guy disparaît. Les attaques durent depuis quelque temps et se suspendent

pendant un séjour au bord de la mer.

Dès le mois de novembre suivant elles reparaissent; à ce moment la région

du genou est le siège d'une affection inflammatoire se traduisant par une

tumeur rouge, dure, limitée, très saillante, de la grosseur d'une balle située sur

la partie antéro-inlerne du genou.

La malade dut garder le lit deux mois. Depuis ce temps elle n'aurait jamais

recouvré complètement les mouvements de cet article. Toutefois elle put

marcher pendant quelque temps, mais de nouveau la tumeur du genou

ayant reparu, elle dut s'aliter pendant plusieurs semaines : les attaques ces-

sèrent pendant ce nouveau séjour au lit. Puis la malade se lève malgré l'avis

du médecin : la marche est pénible, claudicante, la jambe à demi contrac-

turée : les attaques reviennent plusieurs fois par jour.

Depuis cette époque l'état de M... reste stationnaire. Elle garde le lit pen-

dant huit jours, se lève pendant quinze autres jours, la jambe toujours raide,

se recouche et ainsi de suite, avec de grandes attaques quotidiennes. Dans le

courant de l'année dernière les deux bras sont restés contracturés pendant

trois mois.

La contracture a disparu lors d'une attaque. Depuis le mois de juillet der-

nier la contracture est demeurée définitive. Anna est alors rentrée dans un

hôpital où, après l'avoir chloroformisée, on immobilisa le membre contracture

par l'application d'un appareil plâtré. A la suite de cette opération la jambe

devint extrêmement douloureuse et il s'y forma une quantité d'érosions

superficielles. L'appareil fut retiré au bout de deux mois; la jambe conser-

vait sa déformation. et de plus était amaigrie et douloureuse.

État actuel (mai 1887). Depuis le mois de septembre l'état de la malade

ne s'est pas modifié. M... reste assise dans son lit, penchée sur le côté droit,

la jambe gauche dans l'extension forcée, la droite légèrement fléchie : ce der-

nier membre est souple et n'est pas contracture. La jambe gauche contrac-

turée dans l'extension porte à la face interne du pied et il la face antéro-esterne

de la jambe des cicatrices de foyers de suppuration. Ce qui frappe le plus à

l'aspect de ce membre c'est la déformation du pied (fig. 19). Celui-ci est dans

l'extension mais surtout dans l'adduction forcée, si bien que lorsque la malade

est dans le décubitus dorsal il repose sur le plan du lit, parlant sur le bord

interne. En même temps que le pied, la jambe a subi un ccrlain degré de

torsion en dedans. Lorsque avec beaucoup de peine on est parvenu à cou-

cher la malade sur le ventre, on voit que le pli fessier est abaissé de 2 à

3 centimètres. Cette attitude est fixe et on ne peut nullement la modifier ; on

se sent arrêté dans ces tentatives par une résistance élastique, et la malade

accuse en même temps des douleurs très vives; il semble qu'en insistant on

provoquerait des attaques.

La rigidité est égale, au pied, au genou, à la hanche; son intensité e1l1-

DES RÉTRACTIONS FIllI\O-TENDI1\EUSES. 37

pèche d'apprécier l'état du réflexe tendineux ; cependant, lorsqu'on essaye de

redresser le pied, on détermine la trépidation spinale. Pendant le sommeil

chloroformique, la contracture disparaît complètement à la hanche et au

genou, mais la déformation ne se résout pas absolument au pied, où quelques

obstacles, probablement de nature fibreuse, la maintiennent partiellement. En

même temps que la position vicieuse, on constate de l'atrophie de la jambe

gauche : les circonférences de la jambe et de la cuisse sont inférieures d'un

centimètre à celles de l'autre membre.

La jambe est aussi le siège de douleurs, non seulement lorsqu'on cherche à

lui imprimer des mouvements, mais encore spontanément. M... compare ces

sensations à des brûlures. Toutefois, presque tout le membre participe à

l'hémi-aiiesillésie (Fig. 20, 21), qui existe dans le côté gauche du corps

aux divers modes de sensibilité. La malade a aussi une anesthésie pharyngée

très accentuée. Il existe un point ovarique gauche douloureux mais non hysté-

rique. Les attaques ont lieu tous les jours et même assez souvent plusieurs

fois par jour-

II n'existe pas d'autres stigmates hystériques. Le champ visuel n'est pas

modifié, on ne peut se rendre compte de l'état de l'ouïe en raison des otites

qui expliquent suffisamment la légère diminution de son acuité. Les autres

sens et les autres appareils ne présentent rien de particulier. L'examen

Fig. 19. Contracture hystérique.

3S NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

électrique complet de la jambe contracturée n'a pu être fait à cause de

l'imminence des attaques produites par l'exploration ; on a seulement constaté

l'excitabilité faradique des muscles jumeaux. ,

Chez Anna M... l'élément myo-spasmodique dure encore; aussi, une

opération serait-elle inopportune et n'a-t-elle pas été tentée, quoiqu'il

existe dans le membre contracture des rétractions fibreuses qui per-

mettent de prévoir qu'après la disparition du spasme, la déformation

subsistera encore partiellement et nécessitera une intervention chi-

rurgicale.

C'est ce dont on s'est assuré par la narcose chloroformique, à l'aide

DES RÉTRACTIONS FIBRO-T ENDI11 USES. 30

de laquelle on a pu constater la coexistence de ces rétractions, et faire

la part de ce qui revient au spasme et à la lésion fibreuse, dans la pro-

duction de la déformation.

Cette observation présente en outre une autre particularité intéres-

sante. On a tenté chez la malade, intempestivement, en pleine période

spasmodique, de redresser le membre à l'aide d'un appareil plâtré, et

les résultats de cette intervention ont été déplorables; non seulement,

en effet, le redressement et l'immobilisation n'ont rien pu contre la

contracture, mais encore la jambe malade offre depuis ce temps des

troubles divers : douleurs, phénomènes vaso-moteurs, atrophie mus-

culaire : altérations de la peau, rétractions fibreuses, dont la rareté

dans les cas habituels de ce genre fait qu'on serait presque tenté de

rendre l'intervention chirurgicale responsable de ces complications.

Toutefois, il est juste de reconnaître aussi que la constitution de la

malade est quelque peu prédisposante : c'est une arthritique et une

scrofuleuse, elle a de plus souffert à diverses reprises de suppurations

superficielles, et ces accidents ont pu jouer un certain rôle dans la

genèse des altérations mentionnées, exceptionnelles dans les contrac-

tures hystériques.

(A suivre.) PAUL Block,

Interne de la Clinique des maladies du

système nerveux.

'un TYPE DE paralysie AGITANTE

.La malade que représente la planche VII est célèbre dans l'histoire de

la paralysie agitante. C'était un cas type, éminemment favorable pour la

démonstration; elle est restée longtemps dans le service de M. Charcot

à la grande Infirmerie de la Salpêtrière et, bien des fois, l'éminent pro-

fesseur l'a montrée dans ses conférences cliniques. Son observation

est d'ailleurs publiée in extenso dans le premier volume des ouvres

complètes de M. Charcot et elle y est accompagnée de deux dessins.

L'un, qui représente la malade en 1874, reproduit l'attitude ca-

ractéristique. « La roideur musculaire, devenue permanente, dit

M. Charcot, impose à ces malades, dans beaucoup de cas, une

attitude toute particulière. Ainsi la tête, en vertu de la rigidité des

muscles antérieurs du cou, est fortement inclinée en avant, et on la

dirait fixée dans cette position, car ce n'est pas sans efforts que les

malades parviennent à la porter en haut, à droite ou à gauche. Le

tronc lui-même est presque toujours, dans la station debout, un peu

penché en avant. L'attitude des membres supérieurs mérite d'être

relevée. Habituellement les coudes sont tenus faiblement écartés du

thorax, les avant-bras étant légèrement fléchis sur les bras; les mains

fléchies sur les avant-bras, reposant sur la ceinture. A la longue, les

mains, en raison de la rigidité permanente de certains muscles,

offrent des déformations qu'il est bon de connaître... » Le second

dessin représente la malade quatre ans plus lard en 1878, à un degré

plus avancé de la maladie, et l'on peut y voir l'exagération de l'attitude

en question.

Dans ces deux dessins la malade est debout. J'ai retrouvé dans mes

notes de cette époque (1878) - c'était le moment où j'avais l'honneur

d'être interne dans le service de M. Charcot - un troisième dessin,

où notrè malade est figurée assise dans son grand fauteuil, ainsi

qu'elle avait l'habitude de passer la plusgrandepartie de ses journées,

ne pouvant presque plus se lever ni se tenir sur ses jambes. Elle res-

tait là, dans l'angle de la grande salle, près de la fenêtre en regard de

son lit, immobile sur son siège, courbée en avant et comme recroque-

villée sur elle-même, les mains ramenées sur les cuisses, les deux

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. I PL. Vit

PHOTOTYPI1 BERTHAUD

CLicHi ? A. LONDE

Paralysie AGITANTE

DELAHAYE Q LECNOSNIFR, ÉDITEURS

UN TYPE DE PARALYSIE AGITANTE. 41

pieds relevés sur les barreaux d'une chaise, tournant vers ceux qui

passaient des regards obliques pour suppléer au défaut de mobilité de

la tête véritablement soudée entre les deux épaules.

Ceux qui l'ont vu à ce moment n'oublieront pas ce tableau où tous

les signes plastiques de la maladie se montraient si accentués. Nous

avons pensé qu'il était intéressant de sortir de l'ombre notre ancien

croquis. Il nous a paru bien à sa place dans le premier numéro de la

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, où il rappellera le souvenir

d'une ancienne malade du service, en même temps qu'il montrera

l'altitude aujourd'hui bien connue de la paralysie agitante sous un

aspect qui n'a pas encore été représenté.

PAUL TRICHER.

Chef du laboratoire des maladies

du système nerveux.

SUR UN LÉPREUX D'ALBERT DURER

Nous extrayons ce qui suit d'un ouvrage inédit sur la représentation

artistique des difformités et des maladies en général que nous espé-

rons publier très prochainement.

« Un jour, Pierre et Jean montaient au temple pour la prière de la

neuvième heure.

« En ce moment on portait un homme boiteux dès le sein de sa

mère ; lequel, chaque jour, on plaçait à la porte du temple appelée la

Belle, pour demander l'aumône à ceux qui entraient dans le temple.

« Celui-ci, voyant Pierre et Jean qui allaient entrer dans le temple,

les priait de lui donner l'aumône.

« Mais arrêtant, avec Jean, les yeux sur lui, Pierre dit : « Regarde-

nous. o

« Et il les regardait attentivement, espérant recevoir d'eux quelque

chose. '

« Alors Pierre dit : « De l'argent et de l'or, je n'en ai pas; mais ce

que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi

et marche. »

« Et l'ayant pris par la main droite, il le souleva; et aussitôt ses

jambes et ses pieds s'affermirent.

« Et s'élançant, il se tint debout; et il marchait, et il entra avec

eux dans le temple, marchant, sautant et louant Dieu. »

Ce passage des Actes des apôtres (chap. ni, 1 à 9) a donné nais-

sance à plusieurs oeuvres artistiques de premier ordre. Pour ne citer

que les plus célèbres nous rappellerons celles d'Albert Durer, de

Raphaël et du Poussin. Ces deux derniers, se conformant à la lettre du

texte sacré, ont représenté des infirmes perclus des jambes. Raphaël

nous montre un rachitique dont les deux pieds sont contrefaits;

Le Poussin a pris pour modèle un homme atteint de contracture du

pied droit. Le malade mis en scène par Albert Dürer appartient à une

catégorie toute différente.

C'est sur l'oeuvre du maître allemand que nous désirons attirer ici

tout particulièrement l'attention. Son infirme est dessiné avec une

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I PL. VIII

PHOTOTYP1K Beuthaud Cl.IC¡-O" A. Londe

LE LEPREUX D'ALBERT DURER

( i -> 1 3 )

DELAHAVE & LECIZOSN1F7, 1.. 1. 1 1 1..L ? R ? S

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I PL. VIII

PHOTOTYPIU BERTHAUD CLICHF A

LE LEPREUX D'ALBERT DURER

' · i

(151.3 )

DHLAHAYE&LECOSNtr-'H. IJ' II- : t1RS

z\

SUR UN LÉPREUX D'ALBERT DURER. 43

telle exactitude, un tel souci de la vérité jusque dans les moindres

détails, que le diagnostic de l'affection dont il est atteint est des plus

faciles. C'est bel et bien un lépreux, atteint d'une forme mixte de la

maladie. Sur la face, principalement aux lèvres, on reconnaît les no-

dosités de la lèpre tuberculeuse pendant que tout le corps porte les

stigmates de la lèpre atrophique.

Ce malheureux est assis à terre, les jambes ramenées sous lui et

enveloppées de bandelettes qui ne sauraient masquer leur état d'ex-

trême maigreur ni la déformation du pied gauche qu'on voit dans

l'ombre déjeté en dehors.. Mais c'est sur les membres supérieurs qui se

montrent presque complètement découverts que nous pouvons diri-

ger, avec plus de fruit, notre investigation. Ils sont émaciés au suprême

degré. De plus, les mains sont contrefaites. La gauche surtout affecte

une attitude sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure. Mais cette

maigreur-là n'est point banale. Elle retient la curiosité du médecin qui

y découvre, de la façon la plus évidente, les marques de l'atrophie

musculaire. On sait que l'atrophie musculaire qui se montre chez cer-

tains lépreux est exactement semblable, tout au moins au point de vue

de l'apparence extérieure dont il est seulement question ici, à celle qui

constitue le signe presque exclusifd'une autre affection d'origine exclu-

sivement nerveuse celle-là, et décrite par un éminent clinicien de notre

époque, Duchenne, de Boulogne, sous le nom d'atrophie musculaire

progressive. Il a défini et classé cette étrange maladie, dans laquelle

les muscles s'atrophient progressivement, un à un, débutant d'ordinaire

par les membres supérieurs. L'impuissance motrice s'accroît avec le

degré de l'atrophie qui, suivant sa localisation, laisse persister certains

mouvements, imprime aux divers segments du membre une attitude

en rapport avec les muscles disparus, jusqu'à ce que la maladie par-

venue à son dernier degré ait rendu tout déplacement du membre

impossible. L'infirme d'Albert Durer a le membre supérieur droit

profondément atteint. Il est inerte et la fibre musculaire est bien près

d'avoir complètement disparu, si ce n'est fait déjà.

Mais, à gauche, la lésion est bien moins avancée. L'attitude de la

main nous révèle l'invasion inégale de l'atrophie qui a porté surtout

sur les muscles interosseux et les extenseurs de l'avant-bras. On

remarquera, en effet, que les doigts sont étendus dans leurs articula-

tions métacarpo-phatangiennes, et fléchis dans leurs autres articula-

tions. Celle altitude est absolument caractéristique. Duchenne l'a

décrite avec soin, et s démontré qu'elle est la conséquence de l'atrophie

des petits muscles logés dans les espaces intermétacarpiens. C'est la

griffe atl'opll1'que des interosseux. Enfin, si le poignet est inerte, le

44 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

mouvement de flexion de l'avant-bras sur le bras persiste encore à un

certain degré; or nous savons aujourd'hui qu'un des muscles qui

président à ce mouvement, le long supinateur, est justement un des

derniers atteints par la maladie. Depuis la déformation de la main,

jusqu'au mouvement limité que le patient exécute avec ce membre,

le seul peut-être qui subsiste encore - tout est parfaitement con-

forme aux données scientifiques les plus exactes.

N'est-il pas intéressant de montrer l'art devançant la science, et

Albert Durer, en copiant un lépreux, donner non seulement une image

exacte de la lèpre, mais formuler d'une façon absolument précise, en

l'année 1513, les caractères morphologiques d'une altération muscu-

laire qu'un savant devait régulièrement décrire plus de trois siècles

plus tard ?

J. M. CIIARCOT (de l'Institut).

PAUL RICITER.

NOUVELLE ICONOGRA PHIE , T. I. PL. IX.

CONTRACTURE HYSTERIQUE

RÉTRACTIONS FIBRO-TENDINEUSES

(Avant l'opération)

L6CROSN1HR ET BABÉ, ÉDITEURS

NOUVELLE. ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH

I

Dans une récente séance de la Société médicale des hôpitaux, en

date du 7 mars '1888, M. le docteur Joffroy, médecin de la Salpêtrière,

présentait un sujet atteint de l'affection connue sous le nom d'ataxie

locomotrice héréditaire ou maladie de Friedreich et faisait suivre l'ob-

servation de son malade de considérations fort intéressantes.

Il remarquait, entre autres choses, que les faits publiés en France

étaient très peunombreux « sans qu'on puisse dire actuellement si cela

tient à la rareté des cas ou à la négligence qu'auraient mise à les pu-

blier les médecins français qui ont pu en observer ». De fait, y com-

pris celui de M. Joffroy, il n'existe pas actuellement, à notre connais-

sance tout au moins, plus de sept cas publiés par les auteurs de notre

pays. Ils se répartissent ainsi qu'il suit :

1° L'observation I de la thèse de Carre : De l'ataxie locomotrice pro-

gressive (Paris, 18G) qui, postérieurement à sa publication, a été

rapportée par M. Brousse à la maladie de Friedreich.

2° Une observation personnelle, avec autopsie, servant de base

à la thèse de M. Brousse : De l' ataxie héréditaire, maladie de Friedreich

(Montpellier, 1882).

3° Le 24 mars 1884, M. J. Teissier présentait un troisième cas à la

Société nationale de médecine de Lyon (Lyon médical 1884, n° 19,

p. 45). .

4° En 188G, M. Descroizilles, médecin de l'hôpital des Enfants ma-

lades publiait dans le Progrès médical (10 juillet, p. 569) une qua-

trième observation.

4

4G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

5° En 1887, M. P. Blocq, interne de la Clinique des maladies

du système nerveux, rapportait dans les Archives de Necrologie

(mars 1887, p. 217) l'observation d'un cinquième malade qui fut, de la

part de M. Charcot, l'objet d'une leçon sur la maladie de Friedreich

publiée par M. Berbez dans le Progrès médical (no du 4 juin 1887).

, 6" L'observation de M. Joffroy.

7° Enfin, antérieurement aux quatre dernières observations, M. le

professeur Charcot avait fait, le 15 février 1884, une première leçon

sur un malade atteint de cette affection. Cette leçon avait été briève-

ment analysée dans le numéro du 29 février 1884 du Progrès médical

et rapportée ultérieurement dans son entier par M. D. Miliotti dans les

Lezione cliniche (de M. Charcot) delL'aa2o scolastico 1883-84 sulle

malallie dell' sistemcz. nervoso (Milan, Vallardi, 1885).

On le voit, notre maître avait été l'un des premiers en France ;t

faire connaître la maladie de Friedreich.

A cette époque (1884), nous avions déjà l'honneur d'être attachés à

son service et l'observation du malade que nous avions recueillie avec

.tous lés détails qu'elle comportait servait à l'un de nous pour étudier

les caractères de la marche dans cette maladie, résultats consignés dans

sa thèse inaugurale'. -

Celte observation- n'ayant jamais été publiée complètement, nous

pensons qu'il est intéressant de combler cette lacune.

Seltz..., âgé de dix-huit ans, est entré le 7 janvier 1884 à la Salpêtrière

dans le service de M. le prof. Charcot. ,

Père, quarante-septans, bijoutier; mère, quarante-deux ans; tous deux sont

bien portants, Alsaciens, mais pas de consanguinité. - Du côté paternel pas

d'antécédents à signaler. Du côté maternel, le grand-père est d'un carac-

tère original, difficile à vivre. Un oncle (le plus jeune frère de la mère)

actuellement âgé de trente ans, est peu intelligent. Deux cousins germains

sont bossus.

Les parents de Seltz... ont eu neuf enfants; cinq sont encore vivants;

aucun n'a la même affection que le malade. Le premier, âgé de vingt ans,

est robuste et bien portant ; le deuxième, dix-huit ans, est notre malade;

le troisième est mort à vingt et un mois à la suite de convulsions; le quatrième,

quinze ans, bien portant ; le cinquième est mort à dix ans de la fièvre

typhoïde, il était très nerveux, avait des cauchemars la nuit; le sixième,

dix ans, est bien portant; la septième est morte à cinq mois d'une méningite

(trois semaines malade, cris, convulsions); le huitième, sept ans, bien por-

tant, si ce n'est un peu nerveux; le neuvième est mort à cinq mois, en nourrice,

de diarrhée infantile.

Seltz... s'est développé plus tardivement que ses frères et soeurs; il a marché

J . Études cliniques et physiologiques sur la marche. -- La Marche dans les maladies du

système nerveux étudiées par les méthodes des empreintes. Paris, 1886, p. 50.

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 47

seulement à deux ans, tandis que les autres enfants de sa famille ont marché

vers un an; il a uriné au lit jusqu'à l'âge de trois ans. Bien qu'il soit allé

à l'école pendant sept ans, son instruction est peu développée ; il apprenait

difficilement, se fatiguait vite dès qu'il appliquait un peu son attention, et

dormait souvent une partie de la journée.

C'est vers l'âge de treize à quatorze ans que ses parents ont remarqué

quelques troubles dans sa- démarche, mais ces troubles sont restés peu

accusés jusqu'à l'année dernière. Il était maladroit de ses mains; on s'en

est aperçu principalement lorsque son père a voulu lui faire apprendre son

métier de bijoutier, et, il ce sujet, ses parents nous disent que s'il n'eût été

dans sa famille on n'aurait pu le garder en apprentissage; d'ailleurs il a dû

cesser tout travail depuis le mois de mai dernier.

Il aurait toujours eu, depuis son enfance, la parole embarrassée.

Dans le courant de l'année dernière (on mai 1883), il est tombé malade et

a dti garder le lit pendant quinze jours. Aussitôt après, ses parents l'ont envoyé

en convalescence à la campagne où il est resté deux mois. A partir de ce

moment la marche est devenue beaucoup plus difficile ; les mouvements des

mains et des bras plus hésitants; la tête elle-même participait au tremblement,

ce qu'on n'avait pas remarqué jusqu'alors; enfin la parole était plus embar-

rassée.

A son retour de la campagne, au mois d'août 1883, il a passé deux mois à

l'hôpital Saint-Antoine dans le service de M. Dujardin-Beaumetz, puis il est

entré à la Clinique de M. le prof. Charcot au commencement de janvier 1884.

État actuel : 10 janvier 1884. -- Dans la station debout, Seltz... écarte

les pieds et élargit sa base de sustentation. Néanmoins, il présente continuel-

lement de petits mouvements oscillatoires soit latéralement, soit, plus souvent

encore, d'avant en arrière et d'arrière en avant; les orteils se relèvent conti-

nuellement et le malade se porte tour à tour du talon sur la pointe du pied

et vice versa. Si les deux pieds sont rapprochés, l'oscillation augmente; elle

augmente encore plus, si on lui dit de fermer les yeux, et il tomberait si on

n'était auprès de lui pour le retenir. Le même phénomène se produit si, au

lieu de lui faire fermer les yeux, on lui dit de regarder le plafond.

Pendant la marche, Seltz... écarte les jambes et frappe le sol du talon.

Mais, ce qui se remarque surtout dans sa démarche c'est une titubation très

prononcée ; il festonne et il lui est impossible de suivre la ligne droite mal-

gré toute l'attention qu'il y apporte. Cependant, malgré cette titubation, il ne

se prend pas les pieds l'nn dans l'autre, et il nous dit qu'il lui arrive rarement z

de tomber. Les yeux fermés il peut faire quelques pas, mais la titubation est

plus prononcée que lorsque les yeux sont ouverts.

Lorsqu'il est assis, il lui est impossible de garder complètement le repos,

même s'il s'appuie le dos contre le dossier de la chaise, les muscles des

cuisses et du tronc présentent des contractions continuelles qui déterminent

de petits mouvements très variés.

Lorsqu'il s'agit de prendre un objet, un verre par exemple, les mouvements

sont hésitants et incertains; il ouvre largement la main el écarte fortement

les doigts ; le verre une fois saisi, il le porte assez bien à la bouche. Cette

incertitude dans les mouvements est à peu près aussi prononcée aux deux

bras. Pour prendre une cuillère, l'hésitation est encore plus marquée, sur-

tout si les yeux sont fermés; dans ces conditions (les yeux fermés) la cuillère

48 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALI'1TRI$RE.

avant d'arriver à la bouche est portée au nez, ou aux lèvres, ou à l'une ou

l'autre joue.

Cette même hésitation dans les mouvements est encore très prononcée si

on lui fait porter sur le nez l'extrémité de l'index ; elle se remarque également

lorsqu'il s'habille et en particulier lorsqu'il boutonne ses vêtements; enfin

elle est très prononcée aussi lorsqu'on le fait écrire. Son écriture, en effet,

est très irrégulière, les jambages des lettres sont orientés dans divers sens,

et souvent une lettre vient s'enchevêtrer dans la lettre précédente.

Si on examine le malade au lit, dans le décubitus dorsal et au repos, les

contractions musculaires involontaires, que nous avons constatées dans la

station assise, sont très peu prononcées et, le plus souvent même, disparaissent

à peu près complètement. '

Si, alors, on lui dit de toucher avec son pied notre main tenue à 40 ou 50 cen-

timètres au-dessus du plan du lit, il atteint facilement ce but, mais ses mouve-

ments sont saccadés, incertains, et son pied décrit une série de festons de

droite à gauche ou de gauche à droite.

La force musculaire est bien conservée dans les divers groupes de muscles.

C'est ainsi que, sa jambe étant étendue sur la cuisse, si on cherche à la fléchir

tandis qu'il résiste, on ne peut y arriver; de même, en sens contraire, si sa

jambe étant fléchie on cherche à l'étendre. Aux membres supérieurs la force

musculaire est également bien conservée et il peut opposer une résistance

très grande; au dynamomètre il peut développer une pression assez considé-

rable ; de la main droite il amène l'aiguille du dynamomètre à 40 kilogrammes,

de la main gauche à 45.

La sensibilité est normale dans ses divers modes, douleur et température.

Les sens musculaire et articulaire sont également bien conservés; le

malade se rend bien compte, les yeux fermés, des diverses positions données

aux doigts, ou aux divers segments des membres.

Les réflexes rotuliens sont abolis.

Le réflexe plantaire persiste; le réflexe crémastérien et le réflexe cutané

abdominal persistent également.

Il n'y a aucune contracture, pas de rigidité musculaire, pas de phénomène

du pied. -

Le malade n'a jamais eu de douleurs ressemblant à celles de l'ataxie loco-

motrice proprement dite.

La parole présente un trouble très manifeste se rapprochant de celui de la

. sclérose en plaques; elle est hésitante, lente, traînante et nasonnée. Si on

le l'ail lire, il articule mal les mots, il semble qu'il n'est pas maître de l'arti-

culation des syllabes et sa prononciation est largement scandée.

Son intelligence paraît peu développée ; son instruction est très bornée

quoiqu'il soit allé longtemps à l'école ; son orthographe est très défectueuse;

ses connaissances en arithmétique également très limitées; il fait assez bien

lesadditions, mais beaucoup moins bien des opérations pluscompliquées telles

que divisions ou multiplications; il rit très facilement et sans raison suffi-

sante.

L'examen des yeux a été fait par M. Parinaud : pas de lésion du fond de

l'oeil. Pas de paralysie des muscles moteurs du globe oculaire. Léger nys-

lagryus qui devient très net lorsqu'on fait regarder le malade de côté et un

peu en haut.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I. PL. X

DÉFORMATION DES PIEDS DANS LA MALADIE DE FRIEDREICH

LECR06NIFH ET BABÉ, DtTHURS

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 49

Jamais de troubles vésicaux. Organes génitaux bien conformés.

Le malade quitte le service au mois de mars 188-f.; dans cet intervalle son

état est resté slationnaire.

En somme, il n'existerait actuellement de publiés en France que

sept cas de maladie de Friedreich dont un seul, celui de Brousse, avec

autopsie.

Cela tient-il, comme se le demande M. Joffroy, à la rareté des

cas ou à la négligence qu'auraient mise les observateurs français à les

publier ? Il serait, croyons-nous, difficile de répondre, toutefois nous '

inclinerions volontiers vers la rareté relative des observations.

Le nombre de celles-ci publiées par la totalité des auteurs n'est du

reste pas très considérable, et, depuis z1861, date à laquelle Friedreich

appela pour la première fois l'attention sur la maladie qui devait porter

son nom, il n'en aurait pas été publié plus de quatre-vingt-dix cas

suivant M. Vizioli i. Encore ce chiffre serait-il exagéré, si nous en

croyons M. J offroy, qui, s'associant, à ce propos, aux récentes remarques

formulées par M. Rutimeyer2 (de Bâle), le réduirait à soixante obser-

vations, dont douze, nombre considérable, appartiendraient au seul

Friedreich. Ce nombre serait toutefois un peu inférieur à la réalité

si nous adoptons l'opinion de M. Judson Bury (de Manchester), qui,

en 1886 comptait soixante-treize observations « susceptibles de sup-

porter l'analyse ».

Depuis le mois de juin il 887, il nous a été donné d'observer quatre

malades atteints de cette affection, et deux sont actuellement en traite-

ment dans le service de la Clinique. Ce sont ces quatre cas, auxquels

nous en joindrons un autre observé par l'un de nous en 1885 à la

consultation externe de M. Legrand du Saulle, dont nous allons rap-

porter l'histoire clinique. Vu le petit nombre de cas publiés, en France

tout au moins, le simple exposé des faits aurait pu suffire, mais nous

avons pensé qu'il pouvait être intéressant de les entourer de quelques .

considérations, destinées surtout à faire ressortir quelques traits sail-

lants, certaines particularités, présentés spécialement par deux d'entre

eux que nous avons eu le loisir d'étudier d'une façon approfondie.

UNS. I. Suzanne Desch..., âgée de quatorze ans, a été soignée à la consul-

tation externe de la Salpêtrière au mois d'août 1885, service de M. Legrand

du Salle.'

Son père est bien portant; il a exercé le métier de cordonnier dans la

1. La malatlia di Friedreich, Giornale di Neuropatologia, 1886.

2. Ueber leereditüre ataxie. Elit Beilrag zit den ]J1'imiiren combinlrten Silstemerkrtto-

IWI1(Jen des Ruckenmarkes. Archives de Virchow. Bd CX. Ilett. 2. lcr novembre 1887.

3. A contribulian to the symptomology of Friedreich's disease. Brain, juillet 1886.

50 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Charente-Inférieure jusqu'en 1880 ; à cette époque il a émigré avec sa famille

à Buenos-Ayres où il est resté dix-huit mois, puis il est rentré en France et

s'est fixé à Paris où il est employé an chemin de fer du Nord.

Le grand-père paternel, âgé de soixante-dix-huit ans; est bien portant; la

grand'mère paternelle, âgée de quatre-vingts ans, est atteinte depuis une

dizaine d'années de tremblement sénile. Un frère du père est bien portant;

une soeur est morte jeune, nous ne savons de quelle maladie.

La mère est nerveuse, impressionnable; elle a eu, vers l'âge de trente ans,

plusieurs attaques convulsives qui paraissent être de nature hystérique. Pas

d'antécédents nerveux à signaler du côté du grand-père et de la grand'mère

maternels. -

Un frère de la malade, âgé de vingt-trois ans, est bien portant; une soeur

de sept ans, également bien portante.

C'est vers l'âge de dix ans, pendant le séjour à Buenos-Ayres, qu'on s'est

aperçu des premiers symptômes de sa maladie. Elle a été prise peu -IL peu et

sans cause appréciable d'incoordination motrice pendant la marche ; ses pa-

rents ont remarqué « qu'elle marchait de travers, en titubant, comme une per-

sonne ivre ». Vers le même moment aussi, elle a été prise de son tremble-

ment des mains et de la tête.

Quelque temps après sou retour en France, environ deux ans après le

début de sa maladie, elle a eu la rougeole; à ce moment, le tremblement ne

paraît pas avoir augmenté.

État actuel, aoùt 1885. - La malade est intelligente,- elle a appris facile-

ment à lire et à écrire, mais son écriture se ressent de son tremblement, les

lettres sont assez régulières, mais les lignes qui les composent sont un peu

tremblées.

La parole est traînante, scandée et un peu nasonnée,. Tremblement très

prononcé de la langue lorsque celle-ci est tirée hors de la bouche.

Du côté des yeux, léger nystagmus dans le sens transversal.

Lorsque la malade est assise, léger tremblement de la tête.

Dans la station debout, elle écarte notablement les pieds, néanmoins elle

ne peut garder complètement le repos et présente continuellement de petites

oscillations, se portant alternativement du talon sur la pointe des pieds et

réciproquement; en même temps, les orteils sont relevés en extension d'une

façon exagérée. Si alors on lui fait fermer les yeux, les oscillations deviennent

beaucoup plus prononcées et la malade est obligée de se retenir aux objets

environnants pour éviter de tomber par terre. Les talons rapprochés, les oscil-

lations sont beaucoup plus étendues et, dans ces conditions, le signe de llom-

berg devient encore plus marqué que précédemment.

Lorsqu'elle marche, elle frappe le sol du talon et il lui est impossible de

suivre la ligne droite; cette titubation augmente manifestement par l'occlu-

sion des yeux.

Il existe également de l'incoordination des membres supérieurs; elle esl

malhabile de ses mains, surtout pour tenir de petits objets et exécuter des

mouvements de précision; ainsi elle ne peut travailler il l'aiguille. Elle met

très longtemps à s'habiller. Pour se peigner elle doit être assise; si elle reste

debout elle chancelle, et même elle tomberait, dit-elle. Lorsqu'elle mange,

elle renverse souvent une partie du contenu de sa cuillère; fréquemment

elle porto celle-ci au menton ou au nez avant d'arriver il la bouche. Au lieu de

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 51

tenir cette cuillère entre le pouce et l'index, comme on fait habituellement,

elle la tient entre le pouce et l'index à demi fléchis d'une part, et les autres

doigts complètement fléchis d'autre part. Si on lui fait porter un verre à la

bouche, le tremblement est assez marqué, mais il est iL peu près le même

pendant tout le mouvement et n'augmente pas lorsque le verre arrive près de

la bouche.

Il n'existe pas de troubles de la sensibilité.

Les réflexes rotuliens sont abolis.

Il n'existe pas d'autres troubles urinaires que des mictions nocturnes in-

volontaires : ces accidents arrivent assez fréquemment, une ou deux fois par

semaine. Jamais elle n'a eu d'attaques convulsives ressemblant à des accès

d'épilepsie. Très émotive, elle rit et pleure facilement. Son sommeil est habi-

tuellement agité; au dire de sa mère elle remue continuellement, souvent

elle parle haut. Cependant elle-même ne se rappelle pas être sujette à avoir

des rêves. Elle a fréquemment des maux de têtes (céphalalgie frontale).

Du côté de la colonne vertébrale scoliose assez prononcée.

Ons. IL - Angèle Gir..., quatorze ans, se présente il la consultation de la

Clinique, le 20 décembre 1887'.

Sa mère qui l'accompagne nous donne les renseignements suivants que

nous pouvons compléter par un examen ultérieur.

Antécédents héréditaires. - Grand-père paternel mort paraplégique; la

«rand'mère paternelle, âgée de soixante-dix-neuf ans, est originale, le grand-

père maternel, soixante-quatre ans, est bien portant, la grand'mère maternelle,

soixante ans, a une affection gastrique; un oncle est bien portant; père

rhumatisant.

La mère qui est bien portante a eu trois enfants : 1° notre malade; 2° une

fille actuellement âgée de huit ans; 3° un garçon de six ans, tous les deux

bien portants au moment de l'observation.

Angèle bien portante, si ce n'est l'affection actuelle, est née à terme et a

marché il onze mois. La première enfance a été difficile; gastro-entérite;

rachitisme sans déformations osseuses ; rougeole à deux ans ; coqueluche à

trois ans.

A l'âge de sept ans, Ang... qui jusqu'alors marchait bien, a commencé à

prendre une démarche incertaine, vacillante. Toutefois, ces phénomènes sont

restés stationnaires. L'enfant commençait il écrire; on s'est aperçu que

l'écriture devenait tremblée. Cependant l'écriture paraît s'être améliorée,

ainsi qu'il résulte de l'inspection comparative que nous avons pu faire de ses

cahiers d'écolière d'octobre 1887 et de février 1888.

Étal actuel. - 27 février 1888. - Ang...; de petite taille, d'assez bonne

constitution, se présente à nons en marchant comme une personne ivre.

Au repos on ne remarque rien d'anormal, si ce n'est des déformations.

Tronc. - Il existe une scoliose â convexité gauche dans la région dorsale

et une courbure de compensation dans la région lombaire. La hanche gauche

est plus haute que la hanche droite. L'omoplate gauche est placée en dedans,

la convexité des côtes est plus accentuée.

1. Les observations II et Vont été présentées par M. P. Blocq à la Société Clinique

dans la séance du 5 avril 1888; les observations qui suivent ont été recueillies par 9111. Carrel

Caryophlllis et Morax, externes du service de la clinique.

5° ! NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Tête. - Intelligence conservée. Lorsque la malade parle il existe un peu

de scansion des mots. Lorsque l'enfant est au repos, la tôle est agitéede temps

il. autre de petites oscillations. On trouve un très léger degré de nystagmus

bilatéral.

Membres supérieurs. - Au repos on n'observe rien d'anormal. En faisant

exécuter différents mouvements passifs, on constate que la force musculaire

est conservée entièrement. Il n'existe aucune douleur. De même la sensibilité

est parfaitement conservée dans tous ses modes. Pas de déformation. Ce n'est

qu'en faisant exécuter des mouvements actifs a la malade qu'on constate des

troubles. *

Si l'on dit à la malade de porter son doigt sur son nez, elle n'y arrive pas

exactement et le mouvement est plus maladroit du côté gauche que du côté

droit. L'occlusion des paupières exagère un peu le trouble.

L'incoordination motrice se montre encore avec plus de facilité lorsqu'on

dit a la malade de prendre une cuillère et de la porter il. sa bouche, cl l'in-

coordination csl toujours plus marquée il gauche. Lorsqu'on fait étendre les

bras de la malade, on constate qu'elle ne peut conserver cette situation sans

que les membres soient agités d'oscillations qui deviennent de plus en plus

étendues à mesure que la durée augmente.

Membres inférieurs. - Au repos on constate une déformation des pieds

en varus-équin, surtout équin, beaucoup plus prononcé à gauche qu'à

droite. La mère de la malade affirme que celle déformation remonte à six

mois au plus.

La voûte plantaire est extrêmement excavée. Le cou-de-pied esl très sail-

lant et le pied légèrement renversé sur son bord interne.

Lorsque la malade lient sa jambe étendue, elle ne peut conserver celle

situation sans que la jambe soit aussitôt animée d'oscillations. La force mus-

culaire, ainsi que la sensibilité, sont du reste conservées.

L'incoordination se révèle à l'occasion des mouvements volontaires, el en

particulier lors de la marche.

Si l'on dit à la malade de se tenir debout, elle ne peut se tenir immobile,

on voit'aussitôt apparaître des oscillations du corps. L'occlusion des yeux

provoquerait la chute (signe de liombcrg).

L'enfant peut marcher sans aides et même sans l'aide d'une canne. 11

existe alors une incoordination très manifeste, les pieds sont projetés de côté,

et le talon frappe violemment le sol. Souvent les jambes s'enchevêtrent l'une

dans l'autre, et la malade trébuche.

La malade ne peut s'accroupir sans risquer une chute.

Réflexes tendineux. - Ils sont complètement abolis au genou ainsi du

reste qu'au niveau des membres supérieurs.

Pas de (rouble des sphincters, ni des autres appareils.

Ces. III. -131anclle Iloud..., vingt-quatre ans, mécanicienne, est entrée

dans le service de la Clinique, salle Duchenne (de Boulogne), le 2 fé-

vrier 1888. 1

Père alcoolique, adonné à l'absinthe, esprit faible se laissant facilement

entraîner; exerçait la profession d'ouvrier tisseur dans une fabrique de draps

à Sedan. Mère très emportée, coléreuse.

Il semble qu'il n'y ait rien a noter du côté des grands-parents.

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 53

Quatre enfants : 1° une fille actuellement âgée de vingt-cinq ans, bien

portante, de taille au-dessus de la moyenne; 2° notre malade. Il est il noter

qu'entre la première et la seconde grossesse qui se suivirent de très près, la

mère présenta une série de vomissements incoercibles ressemblant assez bien

il des vomissements hystériques. Ces vomissements cessèrent après la concep-

tion. La grossesse fut bonne, l'accouchement normal; 3° un garçon actuel-

lement âgé de vingt et un ans, bien portant; 4° une fille, de dix ans, atteinte

d'une otite scrofuleuse avec écoulement purulent.

Blanche H... fut bien portante jusqu'à l'âge de six ans. A cette époque elle

eut une maladie que le médecin qualifia de fièvre muqueuse, bien qu'il

n'existât jamais de diarrhée. Cette affection laissa chez elle une grande

faiblesse générale; la malade fut incapable de se servir de ses jambes

pendant un mois ou deux, de même les facultés du langage furent troublées

à un haut degré ; on dut, pour ainsi dire, lui apprendre de nouveau à parler.

La langue n'était pas paralysée. C'est de cette époque que dateraientles troubles

de la parole qui existent aujourd'hui; la marche était redevenue normale.

Réglée il l'âge de treize ans, elle l'a toujours été régulièrement depuis,

quoique peu abondamment. Depuis l'âge de quinze à seize ans elle devint

très anémique avec leucorrhée qui persiste encore. Elle s'est mariée à dix-

huit ans, n'a pas eu d'enfant; appétit sexuel et sensations génitales modérés.

Vers l'âge de quinze ans, sa soeur s'aperçut, en se rendant avec elle à leur

atelier de dentellières, que Blanche marchait de travers. Ces phénomènes de

titubation étaient, encore plus accentués lorsque Blanche marchait dans

l'obscurité.. Depuis, ces troubles n'ont fait que progresser et ce sont eux, en

particulier, qui l'amènent à la Clinique le 2 février 1888.

État actuel. - T3lanche II... est de petite taille, '1 ? 45, blonde, pâle et ané-

mique, présentant un faciès un peu hébété; d'intelligence moyenne; riant

d'une façon niaise au moindre propos (pi. XII). Elle s'avance avec difficulté,

sans appui toutefois. Sa démarche est lente et titubante, les bras sont écartés

du tronc cherchant un appui pour maintenir l'équilibre qui, à chaque instant,

semble perdu. Ces difficultés s'accentuent encore lorsqu'elle doit faire un long

trajet ou lorsqu'elle est sous l'influence d'émotions morales; la tête est alors

agitée de petits mouvements d'oscillation latérale. Ces mouvements sont

encore plus marqués lorsqu'on lui ferme les yeux; du reste dans cette situa-

tion, même lorsque les pieds sont écartés, elle tomberait si on n'avait soin

de lui rendre aussitôt la lumière (signe de Romberg).

Lorsqu'elle est assise, on remarque une instabilité générale de tout le corps,

les bras remuent, de même les jambes, mais ces mouvements ont peu d'am-

plitude.

Dans les mouvements intentionnels des membres supérieurs, la direction

générale du mouvement persiste, mais les bras et les mains sont agités d'oscil-

lations latérales. Elle ne peut porter un verre à sa bouche sans renverser une

partie de son contenu.

La langue tirée au dehors est agitée par de légers mouvements.

Lorsqu'on lui dit, les yeux ouverts, de porter l'index sur son nez, le mouve-

ment s'accomplit avec assez de précision, après quelques hésitations latérales

toutefois; mais, lorsque les yeux sont fermés, la justesse du mouvement devient

impossible

Le sens musculaire est du reste fortement perverti ; c'est ainsi que les yeux

Si

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

fermés, elle ne se rend pas un compte exact de la position dans laquelle on

place ses membres supérieurs et inférieurs. Les pieds présentent une légère

exagération de la voûte plantaire avec saillie du tarse; ces phénomènes dis-

paraissent dans la station debout.

L'épaule droite est plus élevée que l'épaule gauche; il existe un léger degré

descoliose lombaire à concavité gauche.

Les réflexes rotuliens sont abolis. Les troublesde la parole, avons-nous dit,

ne se sont pas modifiés depuis leur apparition, l'émission des mots est tente

et scandée.

Etat de la sensibilité et des sens spéciaux. -D'une façon générale, sur toul

le corps, la sensibilité est très émoussée suivant ses divers modes : froid,

chaleur, tact, douleur àla piqûre ; de même pour la sensibilité articulaire.

De plus, il existe une anesthésie complète, suivant ses divers modes, de

tout le bras gauche se terminant en manchon au niveau et un peu au-dessus

de l'articulation scapulo-humérale.

Celle anesthésie existe également pour tout le segment inférieur du membre.

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 55

inférieur droit, commençant un peu au-dessus du genou, circulairement, elle

envahit la jambe et le pied dans leur totalité (fig. 22, 23).

Le réflexe pharyngien persiste.

Le coût, l'odorat et l'ouïe sont normaux.

Il existe des troubles de la vision qui seront analysés plus loin.

La miction et la défécation se sont toujours accomplies normalement. La

force musculaire est suffisante et en rapport avec la petite taille et l'état

d'anémie de la malade. L'écriture est irrégulière. Les organes thoraciques et

abdominaux paraissent sains.

Ons. IV. - Aub..., dix-huit ans, instituteur, est adressé à la Clinique

des maladies du système nerveux par lI. le docteur Jacquin, le 14 décem-

bre 1887.

Antécédents héréditaires. - Son père, exerçant la profession de maçon,

était alcoolique. Il mesurait 1 ? G7.

Sa mère, âgée de quarante-cinq ans, est actuellement bien portante. Elle

est de petite taille.

On ne trouve pas d'antécédents nerveux héréditaires ni du côté du père ni

du côté de la mère qui ont eu trois enfants : 1° un garçon mort, d'accident à

seize ans; 1° notre malade; 3°un garçon âgé de dix-sept ans, actuellement bien

portant et exerçant la profession de pâtissier.

Rien de particulier à noter du côté de la grossesse et de l'accouchement de

la mère, qui furent normaux.

Le première enfance d'Aub... se passa sans encombres : cependant, il était

débile et il le resta toujours. Ce furent même ces considérations qui enga-

gèrent sa famille à lui faire embrasser la profession d'instituteur, vu l'impos-

sibilité où il était de se livrer aux rudes travaux des champs.

L'affection actuelle paraît avoir débuté chez Aub... vers l'âge ;lc quatorze

ans. Il s'aperçut alors qu'il ne pouvait marcher que très-difficilement dans

l'obscurité, il titubait et, un an plus tard, cette titubation devint assez forte

pour persister même pendant la journée : il marchait, suivant son dire,

« comme un homme ivre ».

A l'âge de quatorze ans, il s'aperçut aussi que ses pieds se déformaient, la

saillie physiologique de la région dorsale s'accentuait suivant les dispositions

que nous décrirons dans un instant.

Depuis cette époque, la maladie a constamment progressé et le malade so

présente ainsi qu'il suit à noire examen.

Etat actuel. - Aub... est de taille peu élevée, Im,56. Extérieurement, au

premier aspect, il semble bien proportionné, il est blond-châtain, et sa phy-

sionomie, quoique presque toujours souriante, a une expression d'hébétudo

assez particulière, ainsi que le montre la planche XII. La bouche fait une

saillie marquée en avant en forme de museau; elle est largement fendue,

la lèvre inférieure tendant à se renverser en bas. Celle physionomie coïncide

avec un étal mental qui mérite également d'être signalé. A propos de la de-

mande la plus simple Aub... se met a rire bruyamment, sans que rien ne

justifie ce large rictus, cette soudaine explosion de gaieté. Qu'on joigne à

cela une certaine oscillation dans le sens lllltéro-postérieur de la tète qui

s'accentue encore dans certaines conditions, lorsque Aub... marche, par

exemple, et l'un pourra juger de l'aspect tout particulier du malade.

56 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. "»» 1

1

Si on l'interroge on remarque que sa parole a également quelque chose de !

spécial : elle est lente, saccadée, les phrases sont hachées ; pourtant les mou-

vements de la langue s'effectuent normalement. Toutefois, lorsqu'on la fait

tirer au dehors de la bouche, on la voit agitée de petites secousses, d'un léger r

tremblement en totalité s'effectuant dans tous les sens. Elle participe du

reste à l'instabilité générale. Les troubles de la parole auraient débuté à l'âge

de seize ans.

Le voile du palais ne présente rien de particulier; le réflexe pharyngé esl

un peu émoussé; le goût est normal ; de même l'ouïe et. l'odorat.

L'examen des yeux montre qu'il existe des deux côtés une instabilité des

globes oculaires dégénérant en véritable nystagmus lors des mouvements

extrêmes en dehors ou en dedans.

Le malade est myope. Les pupilles sont égales des deux côtés et réagissent

bien à la lumière et à l'accommodation. Il n'a jamais existé de diplopie ni

d'autres troubles oculaires; le fond de l'oeil est normal; le champ visuel

non rétréci; les couleurs sont bien vues. L'orbiculaire des paupières résiste

bien quand, le malade ayant les yeux fermés, on cherche à les ouvrir.

La colonne vertébrale est le siège d'une déviation scoliotique à concavité

lombaire gauche ce qui fait que l'épaule gauche est normalement plus élevée

que la droite... Il existe en même temps une ensellure lombaire très ac-

centuée (pl. XI).

Les membres inférieurs sont bien développés et leurs divers muscles offrent

une force de résistance normale; les pieds toutefois ontun aspect tout particu-

lier qui s'accentue surtout lorsque le malade étant assis sur une chaise

élevée les faces plantaires ne sont pas au contact du sol. On remarque alors

qu'ils présentent une exagération considérable de la cambrure normale, se

trahissant dans la circonstance par une saillie exagérée de la région dorsale

qui paraît bombée, surtout lorsqu'on la regarde de profil, et par une exca-

vation extrême de la voûte plantaire. De plus, les orteils des deux côtés et

particulièrement les gros orteils se redressent en permanence en haut, les

tendons des extenseurs faisaient alors une saillie très marquée sous la peau.

Ces orteils sont agités de mouvements incessants ressemblant assez bien aux

mouvements athétosiques. ,

Cette saillie dorsale s'atténue considérablement lorsque le malade est de-

bout, sans disparaître toutefois complètement ; il en est de même pour la voûte

plantaire dont l'excavation reste toujours très marquée, ainsi qu'il est facilc

de s'en convaincre en regardant la figure 24, comparée à la figure 28, repré-

sentant l'empreinte d'un pied, normalement conformé. Lorsque le malade

est debout, les mouvements dont les orteils sont, spontanément le siège s'ac-

centuent encore.

Notons de plus qu'il existe une mobilité extrême de l'articulation libio-

tarsienne des deux côtés. Lorsqu'on saisit la jambe par le milieu et qu'on lui

imprime des mouvements latéraux ou antéro-postérieurs on voit le pied s'a-

giter, indépendamment des mouvements communiqués à l'instar d'une

masse inerte retenue â l'extrémité d'une tige rigide par des ligaments peu

résistants.

Les réflexes rotuliens sont absents. Les réflexes cutanés sont normaux.

Les membres supérieurs sont normalement conformés; on notedetemps en

temps du côté des doigts de légers mouvements alhétosiques analogues (mais

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 57

moins marqués) à ceux que nous avons notés au niveau des orteils. Leurs

muscles, de même que ceux des membres inférieurs, paraissent avoir con-

servé leur force normale.

Les organes génitaux sont bien conformés, les érections faciles et l'éjacu-

lalion normale. '

Il n'existe en aucune partie du corps des troubles des diverses sensibilités,

toutes réserves faites au point de vue du sens musculaire.

Les fonctions rectales et vésicales sont normales; les organes thoraciques

et abdominaux paraissent sains. p

FIG. 2t. - Empreinte du pied d'Aub, (Obs, IV) (Réduct. 2/3).

5S NOUVELLE CON 0 G nA]> HIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Lorsque le malade se lève et se tient debout, on remarque qu'il écarte lar.

gement les jambes, la pointe des pieds étant portée en dehors ; le corps tout

entier est animé de légères oscillations; lesoscillations antéro-postérieuresde

la tête que nous avons déjà citées s'accentuent encore.

Vient-on à lui fermer les yeux, Aub... oscille alors sur sa base, les pieds se

lèvent et il tomberait infailliblement sur le sol si l'on ne le retenait ou si

l'on n'ouvrait pas les paupières. La façon dont marche le malade est tout à

fait particulière. Notons qu'il ne peut progresser qu'avec sa canne; dans

ces conditions mêmes, il ne marche que très difficilement, il lance les

jambes en avant il la façon des ataxiques et est incapable de suivre la ligne

droite : sa démarche rappelle celle d'un homme ivre. Il fixe toujours ses pieds

quand il marche et il lui est impossible de marcher les yeux fermés.

Lorsqu'on lui commande de prendre une épingle posée il plat sur une table,

on remarque que le bras tout entier qui va exécuter le mouvement est animé

de légères oscillations en haut, en bas et latéralement. La main qui va saisir

l'objet semble planer quelque temps avant d'exécuter l'ordre prescrit : les

doigts sont alors animés de mouvements athétosiques et c'est avec d'assez

grandes difficultés, surtout marquées pour le bras droit, que l'épingle est saisie.

Si. l'on remplace l'épingle par un objet assez lourd, un verre d'eau par

exemple, et qu'on ordonne il Aub... de porter le verre à sa bouche, on constate

une exagération marquée des oscillations que nous venons de signaler. Elles

sont assez accentuées, surtout à droite, pour que le verre ne puisse arrivera 't

destination sans qu'une partie de son contenu ne se répande sur le sol.

Lorsque, lui maintenant les yeux fermés, on lui commande de porter l'index

de la main droite ou gauche sur l'extrémité du nez, les oscillations deviennenl

encore plus apparentes et le but n'est jamais directement atteint, ce qui

existe également, mais à un degré moindre, lorsque les yeux sont ouverts,

L'intention exagère donc considérablement cette instabilité de tous les mou-

vements.

L'instabilité existe également du côté des membres inférieurs; si, lorsqu'il

est assis on lui dit de lever une jambe en l'air, on remarque que le pied est

agité de légères oscillations dans tous les sens, oscillations encore plus marquées

lorsqu'on commande au malade d'aller' toucher avec l'extrémité du pied un

objet placé un peu haut.

L'intelligence est suffisante : rien a noter si ce n'est cet état mental si

particulier qui le porte il rire à propos des choses les plus futiles.

Son instruction est assez développée; son écriture présente des caractères

particuliers; Aub... écrit lentement et les caractères qu'il trace sont mani-

festement tremblés, ainsi qu'on en peut juger par la figure 25.

Ons. V. - Pascaline Gr... âgée de vingt'ans, est entrée a la Salpêtrière

dans le service de M. Charcot, le 28 juin 1887, et occupe le n° 9 de la salle

Rayer....

Antécédents héréditaires. Son père, qui était un enfant trouvé, est mort

d'une fluxion de poitrine. Il était peu intelligent, mais non nerveux. La malade,

en raison de l'état social de son père, ne connaît rien sur ses antécédents

paternels. 1

Le grand-père maternel est mort d'accident; la grand'mère maternelle a

succombé à soixante-dix ans. La mère de P... vit encore el n'a pas de maladie

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. I. PL. XI

SCOLIOSE DANS LA MALADIE DE FRIEDREICH

LECROSNIBR ET BASÉ, } : "DIT ? UR6

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 511

nerveuse. Un oncle maternel était alcoolique et est mort paralysé. Une tante

est bien portante. Ainsi en est-il des cousins et du frère et de la soeur de la

malade.

Antécédents personnels. Pasc..., à part une fièvre éruptive quand elle

était enfant, s'est toujours bien portée. Elle a été réglée à l'âge de dix-sept

ans, et depuis l'a toujours été irrégulièrement, souffrant le plus habituelle-

ment de douleurs et de divers troubles au moment de ses règles.

Début. Il y a une dizaine d'années, la malade avait alors dix ans, l'affec-

Ition commença par de l'impotence fonctionnelle des membres inférieurs.

Quoique la marche fût possible, elle se faisait avec des mouvements bizarres,

« comme si j'avais été ivre », dit la malade. Depuis, ces phénomènes persis-

tent et s'aggravent, sans jamais s'accompagner de douleurs.

Cependant, environ un an après, il se serait produit des douleurs et du gon-

flement de la jambe gauche, accident qui fut qualifié de sciatique par le

médecin,, et obligea la malade à garder le lit un mois. Depuis, la marche

devint de plus en plus difficile, puis impossible sans le secours d'un aide.

C'est vers celte même époque que les membres supérieurs furent insensi-

blement frappés d'incoordination motrice.

La difficulté de maintenir la tête immobile remonterait aussi à ce temps;

mais, t cet égard, Pasc... ne peut préciser.

Les troubles de la parole, eux, ne sont apparus qu'il y a trois ans. A aucun

moment ne se sont montrés ni douleurs ni troubles organiques.

Etat actuel. Il s'agit d'une jeune fille de forte constitution, grande,

d'un embonpoint notable, au teint coloré, sans stigmates scrofuleux.

Elle est très intelligente, a obtenu son certificat d'études primaires, et

répond avec beaucoup de précision aux questions qu'on lui adresse.

Tête. - Au repos, la malade se tient dans le décubitus dorsal, et on ne

remarque aucun phénomène anormal, sinon que, lorsque la tête n'est pas

soutenue par l'oreiller, elle est de temps à autre agitée d'oscillations analo-

gues il celles d'un sujet qui est sur le point de s'endormir étant assis. On note

aussi un strabisme de l'oeil gauche, qui. paraît-il, est congénital. Il n'existe

pas de nystagmus.

La parole esl très altérée : la malade parle distinctement, mais avec une

Fie. 25.

GO NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SA LI' IT nIt 11 E.

extrême lenteur, en scandant les mois (parole analogue celle de la sclérose

en plaques).

Tronc. On observe une légère déviation de la colonne vertébrale : sco.

liose à convexité droite de la région dorsale.

Membres supérieurs. -Au repos, les membres supérieurs ne présentent

rien d'anormal. Leur force dynamomélriquc persiste, quoiqu'elle soit infé-

rieure à la normale (25 à gauche, 20 à droite), et la sensibilité est indemne

dans tous ses modes. Mais, t l'occasion des mouvements, se révèle un degré

d'incoordination manifeste : si l'on dit à la malade de prendre un verre et de le

porter à sa bouche, la main plane et n'arrive à atteindre son but qu'après une

série d'oscillations. De môme, elle ne peut mettre promptement le doigt sur

son nez. Ce trouble est plus manifeste du côté gauche que du côté droit : les

mouvements de ce bras'sont du reste limités depuis trois ans, époque où il

fut fracturé à la suite d'une chute.

Enfin, si l'on ordonne a la malade de tenir son bras étendu et immobile, le

membre ne tarde pas à être agité d'oscillations qui le font dévier.

L'écriture se ressent de l'incoordination motrice ; les caractères tracés sonl

irréguliers et tremblés.

Membres inférieurs. De même, au repos, on ne remarque rien de par-

ticulier, sinon un degré assez prononcé d'équinisme surtout accusé à gauche

où le creux du pied est extrêmement accentué. Dès que l'on engage la malade

à faire un mouvement, par exemple à atteindre la main qu'on lui présente;

avec son pied, on observe une incoordination très manifeste, et elle n'arrive

pas au but.

La marche est encore possible, mais seulement lorsque la malade est sou-

tenue par des aides. Elle offre les caractères typiques de la démarche ataxique :

projection des pieds, frappement du talon, etc. La station debout, les jambes

rapprochées et les yeux fermés, est impossible (signe de Romberg). Le trouble

paraît augmenté par l'occlusion des yeux.

La sensibilité et la force musculaire des membres sont conservées; ainsi.

on ne parvient pas à plier le genou quand on dit â la malade de résister. -

Sensibilité. - Pas de douleurs. Tous les modes de sensibilité et sens

musculaire indemnes.

Réflexes. - Les réflexes rotuliens sont complètement abolis des deux côtés.

Réactions électriques. - Normales.

Examen ophtalmoscopique. Négatif.

Autres appareils. - Sains.

Il

La lecture des observations que nous venons de rapporter ne laisse

aucun doute sur la nature de l'affection dont sont atteints les malades

qui en font le sujet. On y retrouve tous les symptômes attribués par

les auteurs à la « maladie de Friedreich » et signalés déjà pour la plu-

part par le médecin allemand lui-même dans son premier mémoire.

Début de l'affection dans la seconde enfance, le plus souvent par

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 61

l'incoordination motrice des membres inférieurs, accompagnée du

signe de Romberg et de l'absence du réflexe patellaire; progression

lente de cette instabilité bientôt généralisée à tous les muscles; scan-

sion de la parole; nystagmus plus ou moins marqué; le tout sans trou-

bles sensitifs ni désordres urinaires, tels sont, dans leur ensemble et

sans tenir compte des exceptions, les traits principaux du tableau

symptomatique.

Nous en négligeons volontairement quelques-uns relatifs en particu-

lier à la scoliose et à la déformation des pieds, notre attention étant

d'en faire bientôt une étude plus complète et non de nous borner à

leur simple énumération.

Occupons-nous d'abord de la marche du sujet qui est atteint de la

maladie de Friedreich. A la vérité, ses caractères ont frappé tous les

observateurs, mais grâce au procédé de la méthode des empreintes elle

a été de notre part, dès 1884, l'objet de recherches particulières que

nous avons eu tout le loisir de corroborer depuis cette époque par des

observations nouvelles.

Voici en effet ce que l'un de nous' écrivait à propos du malade Seltz...

observé en 1884 dans le service de la Clinique : « Nous aurions désiré é

rapprocher, en ce qui concerne la marche, la maladie de Friedreich

(ataxie locomotrice héréditaire) du tabès dorsalis, mais nous n'avons

eu l'occasion que d'en observer un seul cas, et l'unique tracé que nous

possédons ne nous semble pas assez caractéristique pour être publié.

Si cependant il nous était permis d'émettre une opinion, nous dirions

volontiers que ce tracé se rapproche de la marche de l'ataxie combinée

avec celle de la sclérose en plaques, réalisant le type de la démarche

titubante au début. »

Cette description, nous désirons uniquement la préciser, car, sauf

accentuation sur quelques points, nous n'avons rien à changer à ses

termes généraux.

L'individu atteint de maladie de Friedreich et chez lequel les troubles

de la locomotion sont suffisamment marqués (Obs. IV) offre en effet

un mélange bien particulier des caractères propres à la marche dans

l'ataxie et dans la sclérose en plaques.

Comme l'ataxique il lance les jambes en avant et frappe fortement

le sol du talon; le pas est petit, l'écartement latéral de la ligne d'axe

ou base de sustentation fortement élargi; comme dans la sclérose en

plaques la démarche est titubante, les pieds de même nom passant

alternativement des deux côtés de la ligne d'axe, ainsi qu'on en pourra

1. Gilles de la Tourette. Etudes cliniques et physiologiques sur la marche, loc. cit., p. 50.

5

02 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SAL pÈTnIÈRE.

juger sur les tigures représentant les tracés qui

nous ont été fournis par Aub... (fig. 26, 27).

Mais l'inspection minutieuse de ces empreintes

nous révèle encore des caractères particuliers qui

n'appartiennent ni. à l'ataxie ni à la sclérose en pla.

ques et qui, joints à certains autres que nous allons

exposer, nous semblent tout particulièrement dévo-

lus à la maladie de Friedreich

Lorsqu'on examine l'empreinte laissée sur le sol

ou le papier d'expérience par un pied normalement

conformé (fig. 28), on remarque qu'elle est constituée

, par deux ovoïdes irréguliers, l'un antérieur (sur-

monté des empreintes laissées par les cinq orteils),

l'autre postérieur, réunis entre eux par une bande

longitudinale affectant grossièrement la forme d'un

croissant à concavité interne dont les extrémités

antérieure et postérieure vont se confondre avec les

ovoïdes de. même nom.

Qu'on compare maintenant les tracés et particuliè-

rement la figure 24 représentant l'empreinte du pied

d'Aub... avecl'empreinte normale, et l'on constatera

immédiatement des différences portant surtout sur

cette bande intermédiaire. Ici, la concavité du crois-

sant est portée à. son maximum, ce qui est, ainsi

qu'il est facile de se l'imaginer, l'indicecertaind'une

excavation exagérée de la voûte plantaire dont le

corollaire presque obligé est l'exagération de la

cambrure normale du pied.

C'est qu'en effet, ainsi que le montrent les em-

preintes, les pieds des malades atteints de la mala-

die de Friedreich, sont assez souvent le siège de

déformations spéciales bien décrites et déjà figu-

rées par M. Bury i. Files se caractérisent (pl. 10)

par une cambrure exagérée du pied, une saillie anor-

male, du, tarse en dos d'âne, visible surtout lorsque

le malade étant assis sur un siège élevé, les mem-

bres inférieurs sont pendants, sans toucher le sol.

Cette, cambrure s'accompagne d'une excavation très

marquée de la voûte plantaire, bien indiquée par

les empreintes.

I. lirai n, 1()C. ci(., p. 172.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE " ? " T. 1. PL. X1t

AUB ? OBS. IV HOUD..., OBS. III LE PL ? OBS. DE JOFFROY

PHYSIONOMIE DANS LA MALADIE DE FRIEDREICH

LECROSNIER ET babé, ÉDITKURS

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. ?

Mais ce qu'elles ne peuvent nous révéler, c'est l'aspect tout spécial

des orteils. Lorsque le membre est au repos, les orteils, et particuliè-

rement le gros, animés sans cesse de légers mouve-

ments athétosiques, se redressent en flexion dorsale

exagérée, les tendons extérieurs faisant une saillie

très marquée sous la peau. Il existe là un ensemble

de phénomènes véritablement spécial.

A quoi tient celte déformation ? Il est assez difti-

cile de le dire. Elle semble résulter de phénomènes

complexes; dans tous les cas, elle ne paraît pas être

sous la dépendance d'altérations dans la charpente

osseuse du pied. En effet, cette cambrure exagérée se

corrige singulièrement par le seul poids du corps

lorsque le malade, de la station assise sur un siège

élevé,'passe à la station debout. Mais, dans les cas

accentués tout au moins, elle ne disparait jamais

complètement, ainsi que l'indiquent les tracés ; pas

plus, du reste, que l'excavation maximum de la voûte plantaire.

En songeant cependant aux caractères communs qui semblent relier

la maladie de Friedreich, ataxie locomotrice héréditaire, il l'ataxie

locomotrice vraie, on pensera peut-être qu'il s'agit la d'un pied bol

tabétique ou tout au moins d'un succédané de cette altération patholo-

tique `. II n'en est rien cependant, ainsi que l'enseigne M. Charcot,

et l'empreinte laissée par un pied tabétique suffirait à elle seule pour

écarter toute idée de rapprochement, si les lésions anatomiques bien

connues dans ce dernier cas ne suffisaient pas amplement à elles

seules.

Gilles de la Tourette, P. LJLOCQ, IIUER.

Clinique des maladies du système ncrvcuz.

(A suivre.)

t

1. Charcot et Féré. Note sur les altérations osseuses et articulaires du pied chez les ta6-

tiques. Archives de neurologie, 1883. - .loflrov, Société médicale des hôpitaux, ISSu,

p. 345 et il(;. . - , ,

2. Leçons du mardi lit Salpêtrière, 13 mars 1888.

Fin. 2-i. ?

1/ ? schématique.

DES RÉTRACTIONS FIBRO-TENDINEUSES

compliquant la contracture spasmodique

. (Suile et fin').

Observation IV. - (Leçons de M. Charcot, Résumé.) Pachyménk-

- gite cervicale hypertrophique. - Paraplégie spasmodique. Dis-

parition de la contracture. Persistance des déformations maintenue !

par des rétractions tel1dino-flbretses. - Intervention chirurgicale.-

Guérison. -

Jouv... a été atteinte à l'âge de trente-trois ans, à la suite d'un séjour de

plusieurs années dans une habitation humide et froide. La période doulou-

reuse duré six mois; les douleurs occupaient non seulement les membres

inférieurs, mais encore le thorax; la moelle dorsale était donc atteinte. h

période paralytique a débuté par les membres supérieurs; peu après, Ici

membres inférieurs se sont pris ; quoi qu'il en soit, pendant plus d'un an, il

exista une paralysie atrophique des membres supérieurs avec griffe radiale,

et une paralysie spasmodique des membres inférieurs, avec flexion excessive :

les talons touchaient les fesses. Au bout d'un an, sous l'influence d'un traite-

ment qui a surtout consisté en application de pointes de feu sur la région

spinale, ou spontanément, il s'est fait une résolution progressive des phéno-

mènes paralytiques et atrophiques du côté des membres supérieurs; les mou-

vements de ces membres sont revenus aussi bien à l'avant-bras qu'au bras et

à l'épaule, les masses musculaires se sont développées et la griffe de droite

s'est effacée peu à peu. Dans les membres inférieurs l'amélioration s'esl

faite à peu près parallèlement, l'exagération des réflexes tendineux a disparu.

La rigidité musculaire, ou autrement dit la contracture, s'est effacée, le;

mouvements sont devenus libres dans la plupart des jointures, à l'exception

des genoux. A ce moment il ne s'agissait plus d'une flexion des genoux à

angle aigu comme autrefois, mais d'une flexion à angle obtus, et cette flexion

n'était plus due à la contracture, car on pouvait produire dans la jointure des

mouvements de flexion étendus et quelques mouvements d'extension; mais,

quand on voulait dépasser une certaine limite, on était arrêté par une résis-

tance mécanique. L'extension complète était impossible et il en résultait un

obstacle à peu près invincible à la station et à la marche. Il y avait lieu de

croire-qu'une opération chirurgicale appropriée aurait pour effet de rendre

aux membres leurs mouvements d'extension normale. Je consultai alors mon

collègue M. Terrillon, qui approuva mon opinion et voulut bien se charger de

l'opération. La malade fut placée dans son service, d'où elle est sortie ces

jours-ci. Voici la note remise par M. Terrillon :

État à l'arrivée. Les jambes sont dans la demi-flexion. La peau, au

niveau du genou, est adhérente aux parties profondes. Lorsqu'on fait des

tentatives d'extension on n'obtient qu'un mouvement limité, et on seul

manifestement au niveau du creux poplité les tendons du demi-membra-

1. Voy. le n° 1, janvier-février 1888.

DES RÉTRACTIONS FIBRO-TENDINEUSES. 65

neux du demi-tendineux et du biceps devenir durs et saillants : il existe à ce

niveau un épaississement considérable de tissu fibreux, qui paraît le prin-

cipal obstacle au redressement du membre. La rotule, fortement appliquée

contre les condyles, est immobilisée par l'induration fibreuse périphérique.

i. juillet. La malade est chloroformisée et on pratique des deux côtés

la section des tendons du creux poplité signalés plus haut. En même temps

une légère tentative de redressement fut faite, mais sans insister, car malgré

la section tendineuse, la résistance due au paquet fibreux occupant le creux

poplité était considérable. Appareil ouaté.

20 juillet. Anesthésie par le chloroforme, tentatives violentes d'exten-

sion forcée, qui provoquent des déchirures avec craquement du tissu fibreux

postérieur; on ne va pas jusqu'à l'extension complète dans la crainte de léser

l'artère poplitée, probablement englobée dans le tissu fibreux. Lajambe droite

est un peu plus étendue que la gauche. Les deux jambes sont de suite fixées

dans des gouttières plàtrées remontant jusqu'à la racine des cuisses.

30 juillet. Nouvelles tentatives d'extension et réapplication immédiate

de l'appareil; il est enlevé le 15 août; dès cette époque la malade peut se

tenir debout et marcher un peu. Depuis, les progrès ne se sont pas ralentis.

Mars 1887. = La malade, complètement guérie depuis longtemps, est pré-

sentée au cours. Elle marche aussi bien qu'avant la maladie.

Dans le cas qu'on vient de lire, il ne s'agit plus de contracture hysté-

rique, mais de paraplégie spasmodique organique par excellence,

puisqu'il s'agit de pachyméningite cervicale hypertrophique. M. Char-

cot, dans la leçon qu'il fit à celle occasion, avait du reste rapproché ce

sujet de la malade II... (observation II) comme appartenant à des

groupes nosographiques éloignés, mais offrant ce point commun, entre

autres, que dans tous deux le même motif, la production de rétractions

fibreuses consécutives à des contractures spasmodiques, avait nécessité

une intervention chirurgicale.

Le professeur faisait du reste remarquer, au cours de sa leçon, que

cette complication ne se voit pas dans tous les cas appartenant à un

même groupe : « Ainsi je pourrais citer, disait-il, au moins un cas de

pachyméningite cervicale hypertrophique ayant produit une paralysie

spasmodique avec flexion des membres, dans lequel la paralysie a guéri

au bout de deux ans sans qu'on pût constater autour de l'articulation,

de celle du genou en particulier, la moindre trace de rétraction

fibreuse péri-articulaire. Ce que je viens de dire de la paraplégie

spasmodique de la pachyméningite cervicale hypertrophique, je puis

le répéter à propos de la paraplégie par mal de Pott. Dans la plupart

des cas de ce genre que j'ai observés, la résolution des contractures

etla guérison se sontfaites absolument sans intervention chirurgicale,

tandis que dans d'autres cas de beaucoup les moins fréquents, en

raison de l'existence de productions fibreuses péri-articulaires et du

60 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

raccourcissement des tendons, l'intervention chirurgicale a été comme

dans notre cas nécessaire pour faire disparaître la déformation. »

Chez cette malade, de plus, les rétractions fibro-tendineuses étaient

complexes, du moins il ce qu'on en peut juger par la description des

diverses manoeuvres opératoires qui ont dû être employées; il existait

non seulement un raccourcissement des muscles fléchisseurs de la

cuisse, mais encore une sorte de rétraction du tissu fibro-celluleux

du creux poplité, que l'on dut déchirer. On peut également noter que

cette femme avait autrefois souffert de douleurs rhumatoïdes, sans

cependant avoir subi une véritable attaque de rhumatisme. Mais le

fait le plus saillant est en somme la guérison complète qu'on a pu

lui procurer grâce à la connaissance exacte que l'on a pu acquérir sur

la nature successivement différente de la cause des déformations.

Il importe donc, il ce qu'on voit, de savoir différencier les rétractions

fibro-tendineuses de la contracture spasmodique, et mieux, d'être au fait

de la possibilité de cette terminaison.

Comment reconnaîtra-t-on que la contracture spasmodique a aban-

donné la place, qui n'est plus occupée que par les rétractions fibro-

tendineuses ? Ce diagnostic est possible le plus souvent avec les

moyens d'exploration ordinaires, mais, dans certains cas, on devrapour

plus de certitude avoir recours à la narcose chloroformique qui résout

complètement les contractures spasmodiques pures non compliquées.

Les mouvements spontanés sont totalement impossibles lors de

contractures; on peut les exécuter dans des limites déterminées lors de

rétractions fibreuses.

Les mouvements communiqués sont également difficiles dans tous

les sens dans le premier cas ; ils sont aisés dans certains sens dans le

second. Lorsqu'on les imprime au membre contracture, on éprouve

une sorte de résistance élastique « sensation du ressort tendu D;

si c'est au membre rétracté, on perçoit tout à coup une apparence

de ressaut qui montre qu'on a affaire à un obstacle mécanique et non

plus physiologique.

Quand la déformation, comme dans la plupart des cas que nous

avons relatés, consiste dans un pied bot équin, si l'on fléchit tout

d'un coup le pied avec une certaine violence, on sent et on entend

presque le claquement du tendon d'Achille. On peut de plus constater

que les réflexes tendineux ne sont pas exagérés et qu'il n'existe pas de

trépidation spinale.

Le procédé de la bande d'Esmarch peut aussi rendre service pour assu-

rer le diagnostic dans quelques cas : on sait que l'ischémie déterminée

par son application suffisamment prolongée fait disparaître le spasme

LES RÉTRACTIONS FIBP0-TEiil)IiNEUSES. 07

musculaire; par suite, on pourra attribuer les déformations qui sub-

sistent malgré la constriction à des lésions autres que la contracture.

Quoi qu'il en soit, dans les cas difficiles, la narcose chloroformique

poussée jusqu'àses dernières limites lèvera tous les doutes en faisant dis-

paraître complètement la contracture spasmodique, en restant sans au-

cune action sur les déformations dues aux rétractions tendino-fibreuses.

« Les productions fibro-tendineuses sont rares, dit M. Charcot,, dans

les contractures hystériques, alors même qu'elles ont duré de longues

années; la disparition de la contracture spasmodique peut se faire

progressivement ou même subitement sans laisser après elle aucune

trace de rigidité articulaire, alors même que la rigidité par contracture

a duré plusieurs mois, voire plusieurs années; mais il faut reconnaître

que le fait n'est pas absolument général, et il faut savoir que les ré-

tractions fibreuses peuvent compliquer les contractures hystériques

comme elles compliquent les paralysies organiques. Je pourrais même

citer trois exemples de ce genre, dont deux, par une singulière coïnci-

dence, chez des dames russes. » Déjà j'ai insisté sur le fait de l'incon-

stance de l'apparition de cette complication, non seulement dans la con-

tracture spasmodique en général, mais dans la même variété de spasme.

Aussi eût-il été intéressant de déterminer rigoureusementles causes

qui leur donnent naissance. M. Charcot ne se prononce pas catégo-

riquement à ce sujet, mais il laisse entendre qu'elles sont peut-être

sous la dépendance de la diathèse arthritique qui prédispose, comme

on sait, aux manifestations morbides des tissus fibreux. A l'appui de

cette hypothèse on pourrait même invoquer l'extrême fréquence de

cette complication dans les contractures d'origine articulaire.

Mais il existe aussi à l'encontre de cette manière de voir divers argu-

ments qui nous empêcheraient de la généraliser à tous les cas.

Tout d'abord, dans certaines observations, les rétractions tendino-

fibreuses de cet ordre se sont établies chez des sujets complètement

indemnes de toute manifestation arthritique, et dont les parents eux-

mêmes n'étaient pas, rhumatisants; de plus, la fréquente association de

la diathèse arthritique et névropathique qu'a démontrée M. Charcot

rendrait mal compte de la rareté de la complication.

Deux points restent à élucider relativement à la question proposée :

Quelle est la lésion exacte que nous avons cru pouvoir qualifier de

rétraction fibro-tendineuse ? Quelle en est la cause ?

Pour résoudre catégoriquement le problème, il nous eût fallu des

autopsies ; malheureusement il ne nous a pas été donné de recueillir

1 . Loco citato.

68 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

des documents à cet égard, aussi en serons-nous réduit aux conceptions

hypothétiques les plus satisfaisantes dont l'exploration clinique des ré-

tractions d'une part, les enseignements tirés du mode d'intervention

et des résultats mêmes des opérations d'autre part, constitueront la base.

D'après ces données, dans la majorité des faits, les lésions paraissent

être exclusivement tendineuses. Or, sont-ce les gaines synoviales ou les

tendons eux-mêmes qui sont atteints ? A notre avis, ce seraient les ten-

dons eux-mêmes, car s'il s'agissait des gaines, il serait possible, ce qui

n'est pas, de constater, à un moment donné, soit de la douleur et du

gonflement, soit un épanchcment ou des frottements, signes habituels

des altérations de ces synoviales.

De plus, quant à l'affection tendineuse elle-même, elle ne nous

semble pas imputable à une inflammation. En effet, les tendons sont

bien peu susceptibles de s'enflammer, et l'on concevrait malaisément

qu'une contracture spasmodique laissât tous les tissus indemnes et

affectât précisément les plus résistants d'entre eux, sans compter

qu'à aucun moment on n'a pu observer aucun signe a) testant la période

initiale inflammatoire de ce trouble.

Aussi serais-je disposé à supposer qu'il s'agit dans l'espèce

de ruptures de fibrilles tendineuses. La cause prédisposante des so-

lutions de continuité résiderait dans la fragilité pathologique du

tendon, attribuable a ce que le muscle contracturé absorbe un excès

de matériaux nutritifs à son détriment; la cause déterminante serait

représentée par le tiraillement que produit le muscle rigide. La ré-

traction cicatricielle de ces fibrilles rupturées serait l'agent de la

rétraction tendineuse.

Ce mécanisme admis, on s'explique dès lors que les rétractions

tendineuses ne se produisent pas dans tous les cas, puisqu'il ne s'agit

plus que de la résistance de ces organes, variable comme celle de tous

les autres, selon l'individu. De même, on comprend l'absence de signes

inflammatoires. Enfin, il n'est plus besoin de l'intervention pathogène

d'une influence diathésique inconstante.

Toutefois, M. Charcot nous a fait remarquer, à l'enconlre de notre

hypothèse, que les rétractions étaient plus rares dans le cours des con-

tractures hystériques que lors de contractures organiques, alors que les

premières sont d'ordinaireplusintenses, tiraillen t plus les tendons, et, par

suite, devraient plutôt entraîner les ruptures fibrillaires. Mais ne peut-

on invoquer les meilleures conditions de résistance des tendons chez

les hystériques que chez les organiques ? De sorte que nous serions

ainsi disposé à admettre une fragilité par trouble trophique du ten-

don comme prédisposition ; la rareté des troubles trophiques chez

DES RÉTRACTIONS IIB1.0-'flNDIN1 : USES. 69

les hystériques nous rendant compte de la rareté de celte complication

chez elles.

Lorsque la contracture spasmodique se complique de rétraction

fibro-tendincuse, la conduite à suivre, au point de vue thérapeutique,

devient tout à fait particulière. '

Si le spasme pcutdisparaîtrespontanément, la lésion fibreuse, elle, de-

meure indélébile et maintient indéfiniment la déformation originel-

lement spasmodique. La seule chirurgie a, dans ces cas, les moyens de

redresser l'attitude vicieuse et, lors de contracture, c'est, selon l'indi-

cation nettement formulée par M. Charcot, dans ces seuls cas que doit

se poser la question d'une intervention chirurgicale. Dès à présent on

la pourra résoudre presque a coup sûr. Déjà, en effet, nous possédons les

éléments d'appréciation de l'indication, et ici nous considérons la cpn-

Iracture spasmodique, en général, quelle qu'en soit l'origine, hysté-

rique, ou organique.

Lorsque, dans un cas de contracture, l'élément spasmodique aura dis-

paru et qu'on sera assuré que la déformation est le résultat de rétrac-

tions fibro-tendineuses qui seules s'opposent à la bonne position et à

l'usage des membres, il y aura lieu de recourir à une opération con-

sistant en la section des tendons ou des brides qui maintiennent

l'altitude vicieuse. Or on peut, j'ai dit comment, constater clinique-

ment l'absence du spasme musculaire, et se rendre compte du siège

des lésions fibreuses, puisque l'exploration pendant la narcose chloro-

formique- qu'il sera prudent pour le moins de tenter avant de prendre

une décision confère la presque certitude à cet égard. Dans cette

question, les indications chirurgicales sont même d'une précision

saisissante, puisque, dans un cas (spasme), non seulement il faut

s'abstenir, mais toute intervention est condamnable, et dans un autre

(rétraction fibreuse), l'opération est seule capable de guérir. 11 s'agira

seulement de diagnostiquer avec certitude si la cause de la déforma-

tion réside dans la contracture musculaire, ou dans la rétraction fibro-

tendineuse.

Nous n'indiquerons pas par le détail la technique opératoire à suivre,

ce qui sortirait du cadre de cet article, et doit faire l'objet d'un travail

de M. le Dr Terrillon1. Il nous sera permis d'ajouter que la lecture des

observations justifie pleinement la ligne de conduite que nous préco-

nisons.

' P. BLOCQ,

Interne de la Clinique des maladies du système nerveux.

1. Société de chirurgie. Séance du 28 mars 1888. (Nous commencerons la publication do

cet intéressant travail dans le n° 3. - N. D. L. R.)

NOTE SUR LES PHÉNOMÈNES MÉCANIQUES

/lE LA A

RESPIRATION CHEZ LES ÉPILEPTIQUES

J'ai présenté à la Société de biologie' trois tableaux dans lesquels ! 1

j'avais réuni les tracés respiratoires de cent trente épileptiques sans 1

lésions pulmonaires. Ces tracés ont été pris en dehors des manifes-

tations paroxystiques de la névrose, au moins vingt-quatre heures, et

souvent plusieurs jours, ou même plusieurs semaines après une

attaque, c'est-à-dire qu'on peut les considérer comme la représentation

de l'état normal chez ces individus.

J'ai cru qu'il n'était pas sans intérêt de reproduire la forme la plus

typique de ces courbes respiratoires.

A première vue, on est frappé de la forme et de la longueur

excessive de l'expiration : la courbe expiratoire semble manifes-

tement prolongée chez la plupart des sujets, et elle est oblique dès le

début.

Cependant, en mesurant tous les tracés, je me suis assuré qu'en

moyenne, sur ces cent trente sujets, la durée de l'inspiration n'est

pas moindre que 97 pour '100 de la durée totale de la courbe respi.

ratoire.

Si cette moyenne est un peu au-dessous de la moyenne ordinaire,

que l'on estime à un tiers, elle n'est pas cependant très caractéristique.

J'ai, en effet, vérifié sur un certain nombre de tracés de respiration, pris

sur des individus normaux, que le rapport de la durée de l'inspiration

à la durée totale de la respiration peut varier chez le même individu de

2.3 à 40 pour 100. Ce n'est que chez 07 épileptiques pour '100 que la

durée de l'inspiration n'atteint pas la moyenne physiologique. Il serait,

par conséquent, exagéré de dire d'une manière générale que l'expira-

tion est prolongée chez les épileptiques.

Toutefois, si nous divisons ces cent trente sujets par catégories,

nous obtenons le tableau suivant, qui me paraît assez instructif :

1. Bull. Soc. de biologie, 1888, p. 134.

RESPIRATION CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 71

Rapport de la durée de l'inspiration à la durée totale de la respiration

1 sur cent trente épileptiques.

72 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. 1

Quand ces saccades, ces arrêts expiratoires, sont assez marquées,

on peut saisir, au moment où elles se produisent, soit au niveau du

poumon, soit au niveau du larynx, une suspension du bruit expira-

toire qui est généralement très faible.

La lenteur générale de l'expiration ne permet guère de supposer

que les saccades soient dues à des contractures spasmodiques des

1 Fic, 29. Tracé respiratoire en dehors des accès elitz D ? 1

1

Fio. 30, - Respiration normale clicz C...

Pic. 31. - Respiration normale de V... .

l'iC. 3. - Yespiration normaledoM...

RESPIRATION CHEZ LES ÉPILEPTIQUES. 73

muscles expirateurs; il est plus légitime de les attribuer à la suspen-

sion de la rétraction passive de la cavité thoracique produite par des

spasmes de la glotte mettant obstacle à l'expulsion de l'air.

Notons d'ailleurs que chez un bon nombre des individus qui pré-

sentent cette expiration saccadée et prolongée, la respiration est lente :

plusieurs n'ont que quatorze ou même douze respirations par minute.

Ces caractères spasmodiques de la respiration, et en particulier de

l'expiration, m'ont paru intéressants a signaler, parce qu'ils semblent

indiquer que les épileptiques présentent plus souvent qu'on ne pense

des phénomènes convulsifs permanents. La respiration saccadée peut

être rapprochée du tremblement des membres et de la langue, que

quelques-uns présentent d'une façon constante.

Du reste, la nature spasmodique de ces saccades respiratoires peut

être mise en évidence par cette circonstance qu'elles s'exagèrent à la

Fig. 33. Respiration une demi-heure après l'attaque de D..., dont la respiration normale

est représentée fig. 2 £ 1.

FIl;, 31. - a b tracé du long-supinateur droit de F... pendant une secousse. - c Il tracé respiratoire

pendant [la même secousse. La respiration, très superficielle avant la secousse, présente une expi-

ration saccadée pendant la secousse et une expiration prolongée après.

74 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. |

suite des accès, comme on le voit dans la figure 29 qui reproduit le

tracé respiratoire pris une demi-heure après un accès chez le sujet

dont le tracé normal est représenté par la figure 33.

On voit sur cette figure 33 que, à la suite de l'accès, l'inspiration

présente aussi des saccades.

Enfin, chez un épileptique qui présente de temps en temps des

séries de secousses de tout le corps, j'ai réussi à inscrire en même

temps le tracé respiratoire et le spasme du long supinateur gauche,

* On voit sur la' figure 34, qui représente cette expérience, qu'aux

secousses musculaires correspond une expiration en escalier très

^caractéristique.

Cn. FÉRÉ,

. Médecin de 131cCti,e.

DES TROUBLES NERVEUX CONSÉCUTIFS

aux : fractures de LA tète du péroné

L'étude des fractures de la tête du péroné est de date relativement

t récente; d'ailleurs cette variété de fracture est fort rare. Le premier

cas qui ait été signalé est dû au professeur Hergott, de Strasbourg'.

' Un cas rapporté par Brandi en 1877, compliquait une luxation de la

J jambe en avant. Des faits analogues ont été publiés récemment par

111111. Duplay3 Perrin et Terrier. Enfin M. Couette en a fait le sujet de

, sa thèse inaugurale, en '188'1 \. ·

, Les divers modes pathogéniques des fractures de l'extrémité supé-

; rieure du péroné sont de trois ordres :

· 1° Arrachement par contraction musculaire. - Ce mécanisme est

1 décrit dans l'observation d'IIergott, la première en date :

Le 21 janvier 1854, étant dans un corridor peu éclairé, la malade prend

la porte de la cave pour une autre porte et avance le pied droit; au lieu du

sol qu'elle croyait rencontrer, elle sent le vide sous elle, étend les bras ponr

se retenir au chambranle de la porte, se jette instinctivement en arrière pour

prévenir la chute et ressent distinctement un craquement dans la jambe

gauche sur laquelle portait le corps. Elle tombe et roule en bas de l'escalier.

' La malade n'accusait de douleur qu'à la partie supérieure et externe de la

; jambe.

\ Au niveau de la tête du péroné, point où la malade accusait la douleur, il

y avait une légère tuméfaction. La fracture, non douteuse, avait eu lieu par

une violente contraction du biceps crural el cette contraction ayant eu lieu

dans la position de la jambe fléchie sur la cuisse, l'action principale du

, biceps s'était exercée perpendiculairement à la direction du péroné dont la

partie rétrécie avait opposé moins de résistance que les ligaments qui le

*' fixent au tibia.

f

; 2° Arrachement par mouvement forcé. Ce mécanisme est indiqué

; 1. Gazette médicale de Strasbourg. 1854.

. 2. Bayer. rrrlaLicIePS ItalelligeaGl. 1877. ni 55. p. 513.

, 3. Bulletin de la Société de chirurgie. 1880. : si. Le 25 janvier 1888, le docteur Gérard Marchant, chirurgien des hôpitaux, a fait une ! communication à la Société de chirurgie sur ce même sujet, à l'occasion d'un malade dont

,' nous indiquons plus loin l'observation qui sera rapportée in extenso dans un mémoire que

nous espérons publier dans un de nos prochains numéros. - N. D. L. H.

76 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

dans l'observation de Duplay. Le premier des malades qu'il cite avait

été pris par l'arbre de couche d'une machine.

Au niveau de la tête de l'os, sous la peau, existait une petite tumeur

osseuse du volume d'une noisette, mobile latéralement, s'élevant

dans la flexion de la jambe sur la cuisse, s'abaissant dans l'extension.

Cette saillie se continuait directement avec le tendon du biceps : au-

dessous existait une dépression visible et sensible dans laquelle on

pouvait loger le pouce. Au-dessus de cette dépression on ne pouvait

plus suivre le péroné; la tête a évidemment été arrachée et est repré-

sentée par la saillie osseuse adhérente au tendon du biceps.

« La fracture, dit-il, a eu lieu par une flexion violente du genou en

dedans, arrachant l'extrémité supérieure du péroné comme la malléole

externe peut l'être dans la flexion exagérée du pied en dedans. »

3° Le dernier mode de fracture de l'extrémité supérieure du péroné,

comme aussi le plus rare, est le traumatisme direct.

Ce processus peut se rencontrer uni à l'un des deux premiers, el

nous verrons tout à l'heure que cette explication est possible dans

l'observation que nous allons relater. Il en est de même pour le cas de

Perrin, où le malade eut la jambe prise entre le sol et le corps de son

cheval qui s'était abattu.

Pour Hamilton i, le mécanisme admis par Hergott peut s'appliquer

à tous les cas. Incontestable pour le fait d'IIergott, il ne serait pas

moins admissible pour ceux de Perrin et de Duplay : « On comprend

très bien, dit-il, que la partie inférieure de la jambe étant fixée en

flexion légère par la rencontre avec le sol ou le plafond, le biceps en

ait dû agir plus efficacement. »

L'impotence de la jambe et la douleur se trouvent au début de toutes

les observations, douleur parfois très étendue, d'autres fois localisée

à la partie supérieure et externe de la jambe, dans tous les cas très

vive. Ce n'est que dans peu de cas que se rencontre une dépression à

la place de la tête du péroné et que cette dernière se trouve remontée

vers le creux poplité, mobile, à l'extrémité du tendon du biceps. Il

faut, pour qu'il en soit ainsi, qu'il y ait eu arrachement complet de la

tète de l'os et, dans ces circonstances, à la dépression se joint un autre

symptôme, la mobilité latérale excessive de l'articulation du genou.

Or, le plus souvent, au niveau de la tête du péroné, on sent une légère

tuméfaction, c'est-à-dire que les deux fragments sont encore en con-

tact, ce qui permet, en posant les deux pouces à la partie interne du

genou et en pressant légèrement avec les doigts sur la région externe,

1. Hamilton et Puiusot, Traité pratique des fractures et luxations. 188.1.

DES TROUBLES NERVEUX CONSÉCUTIFS 77

sur la tête du péroné, de percevoir très nettement de la crépitation.

Enfin, on a, dans la plupart des observations, constaté des troubles

nerveux : avant d'analyser ces derniers, nous citerons un cas;dans

lequel ils se sont présentés avec une netteté toute particulière :

D..., trente-sept ans, fabricant d'abat-jour, se présente à la Clinique des

maladies du système nerveux, le 15 décembre 1887 i.

Antécédents héréditaires. Père mort du choléra, mère morte d'un ané-

vrysme à soixante-huit ans; pas d'antécédents nerveux.

Antécédents personnels. - Bonne santé générale; variole en 1869;

migraines assez fréquentes à la suite de fatigues.

Début et marche. Le 9 octobre 1887, étant à la chasse, il veut sauter un

fossé, mais le pied droit, seul, atteint l'autre bord, le pied gauche reste accro-

ché par une broussaille et le malade retombe en arrière; le corps porte sur la

jambe gauche dont le pied est fortement tourné en dedans en même temps

que toute la face externe de la jambe porte à terre. ,

Il ressent immédiatement une douleur très forte siégeant entre le gros

orteil et le deuxième orteil du pied gauche : cette douleur est tellement

intense qu'il en a des sueurs froides et est sur le point de perdre connais-

sance. La face antéro-externe de la jambe est couverte d'ecchymoses qui

s'accentuent quelques jours après l'accident; un médecin est alors appelé qui

diagnostique une fracture de l'extrémité supérieure du péroné.

Les mouvements volontaires du genou sont conservés et indolores, ceux

des orteils sont également indolores mais limités à la flexion, quant à ceux

de l'articulation tibio-tarsienne, limités aussi à la flexion, ils provoquent des

douleurs très vives irradiant jusqu'à la partie supérieure et externe de la

jambe.

Le malade ne peut mettre le pied gauche à terre, la moindre pression sur

un point quelconque détermine une douleur excessive et le poids même des

couvertures est très pénible. Il existe un point maximum de la douleur dans

l'espace compris entre les deux premiers orteils; cette douleur est continue

et très aiguë, comparable à un tiraillement. Le malade dit qu'il éprouvait un

grand soulagement lorsque, étant couché, il tenait son pied demi fléchi sur la

jambe, la plante appuyée contre un plan résistant, pour maintenir le pied

dans cette position. A la partie externe et supérieure de la jambe, à un ou

deux centimètres au-dessous de la tête du péroné existe un second point où

la pression est très douloureuse.

En même temps que les douleurs spontanées ressenties par le malade

dans la profondeur du membre et les douleurs à la pression il existe une zone

d'anesthésie (figure 34), comprenant en bas la partie supérieure du gros orteil

et le tiers interne du deuxième; de là elle monte en s'élargissant un peu

sur le dos du pied pour en occuper d'abord le tiers moyen, puis les deux tiers

externes, atteint son maximum de largeur au niveau de l'espace intermal-

léolaire antérieur, comprend la partie antérieure de la malléole externe,

1. Ce malade a fait l'objet, le 20 décembre 1887, d'une première leçon de M. Charcot.

Leçons du mardi et la Salpêtrière, policlinique 1887-1888; notes de cours de MM. Blin,

Charcot, Coliu, élèves du service, v° leçon, p. 71. Progrès médical, Delahaye et Lecros-

nier, éd. 1888.

G

78 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

remonte sous forme de bande de 5 à 6 centimètres de largeur le long de la

région antéro-externe de la jambe et s'arrête au niveau de la jonction du

tiers moyen avec le tiers supérieur. La zone d'anesthésie présente un abaisse-

ment notable de la température,

Pendant les huit premiers jours, le malade eut une fièvre à peu près con-

tinue avec perte de l'appétit et du sommeil. Au bout de ce temps, la lièvre

tombe, il recommence à dormir et à manger ; la douleur n'est plus aussi aiguë.

Il reste encore couché pendant treize jours, puis commence à faire quelques

pas dans l'appartement en s'appuyaht sur une chaise.

Un mois environ après l'accident, il peut sortir de chez lui en s'appuyant

sur une canne. Les troubles de sensibilité et de calorification durent pendant

deux mois.

TVa ! HCHf. Pendant les premiers jours, bains aromatiques locaux; le

huitième jour, trois vésicatoires au tiers moyen de la partie latérale externe

de la jambe, repos au lit pendant vingt et un jours.

État actuel, 17 décembre 1887. Marche. - Le malade a une démarche

caractéristique. Lorsqu'il veut-'porter le pied gauche en avant, il est obligé de

lever la cuisse très haut, sinon le pied traînerait à terre par la pointe. Lorsque

la jambe est levée suffisamment, on voit le pied retomber inerte, la pointe

tournée vers le sol. Quand le malade pose son pied à terre, la pointe et le

bord externe touchent le sol les premiers. En un mot, le malade steppe de

la jambe gauche.

Aspect. La jambe gauche ne présente aucun amaigrissement ; sa cir-

conférence est à peine inférieure de quelques millimètres à celle delà jambe

droite, ce qui, du reste, est normal.

Pàlpation. Lorsqu'on palpe la partie supérieure de la face externe de

la jambe gauche, on constate que la tête du péroné est notablement plus

volumineuse que celle du côté opposé.

' Mouvement. - Le malade ne peut communiquer au pied gauche aucun

mouvement volontaire de flexion sur la jambe, ni aux orteils de mouvements

d'extension sur le pied.

Il lui est de môme impossible de relever le bord externe ou le bord interne

du pied, le talon restant à terre. Il n'offre aucune résistance : 1° si le pied

étant fléchi sur la jambe, on cherche à l'étendre; 2° si le pied étant dans

la rotation en dehors on cherche à le tourner dans la rotation en dedans

et réciproquement; 3° si les orteils étant étendus sur le pied, on cherche

à les fléchir. On peut donc dire que le jambier antérieur, l'extenseur

commun des orteils, l'extenseur propre du gros orteil, le pédièux et les

péroniers latéraux sont paralysés. Les autres muscles sont absolument in-

demnes. L'articulation du genou ne présente aucun trouble du mouve-

ment.

Sensibilité. Au niveau de la zone d'anesthésie qui existait à la face

dorsale du pied et à la face antéro-externe de la jambe, il n'existe plus

qu'une sensation d'engourdissement, sensation dont les limites sont exacte-

ment celles de l'ancienne zone d'anesthésie. La sensibilité à la piqûre est

entièrement revenue. Il n'y a pas d'autre trouble de la sensibilité.

DES TROUBLES NERVEUX CONSÉCUTIFS. 79

Douleurs. - A l'heure actuelle, il n'existe plus de douleurs, ni sponta-

nées ni à la pression.

Troubles 'Vaso-mote1l1'S. Au niveau de l'ancienne bande d'anesthésie, la

température ne paraît pas inférieure à celle des parties voisines.

Examen électrique dû à 111. Vigouroux. - Nerf sciatique poplité externe

inexcitable au creux du jarret; excitabilité faradique abolie dans les muscles

tibial antérieur, extenseur commun des orteils, extenseur propre du gros

orteil, pédieux, péroniers latéraux; excitabilité galvanique conservée (sans

exagération) dans les mêmes muscles avec prédominance de l'anode et con-

traction lente (réaction de dégénérescence).

Cette observation présente diverses particularités intéressantes. Si

tout d'abord on recherche quel a été le mécanisme de la fracture, on

voit que le cas n'est pas d'une interprétation aussi nette que celui

d'IIergott, et que chacun des divers mécanismes invoqués pour les

fractures de l'extrémité supérieure du péroné pourrait être invoqué

ou défendu; il nous paraît rationnel d'admettre un mécanisme hybride,

mélange de [fracture par contraction musculaire et de fracture par

traumatisme direct. Quant au mode de fracture par flexion latérale

forcée de l'articulation du genou, nous croyons pouvoir l'écarter ici,

car, dans les quelques cas où il a pu être constaté, il y avait arrache-

ment complet de l'extrémité supérieure du péroné, à la place de

laquelle n'existait plus qu'une dépression, ce qui n'est pas le cas dans

notre observation.

Nous avons vu que les muscles intéressés par la paralysie sont les

deux péroniers, le jambier antérieur, l'extenseur commun des orteils,

l'extenseur propre du gros orteil et le pédieux : ce sont en un mot tous

les muscles innervés par le sciatique poplité externe. Cette paralysie

des extenseurs, d'origine traumatique, présente une grande ana-

logie de symptômes avec certaines paralysies toxiques, la paralysie

alcoolique entre autres. On la distinguera de cette dernière par

les commémoratifs et la soudaineté du début. Un cas cependant peut

se présenter où la paralysie des extenseurs peut survenir progres-

sivement après une lésion traumatique du sciatique poplité externe,

nous voulons parler des accidents paralytiques survenant à la suite de

compression du nerf pris dans le cal'. Dans ce cas, l'étude des défor-

mations produites par la fracture sera d'un grand secours pour le

diagnostic; de plus, la paralysie alcoolique est le plus souvent bilatérale

et accompagnée d'abolition des réflexes.

1. C'est ce qui eut lieu dans le cas de M. Gérard Marchant. Voici du reste le titre de cette

intéressante observation : Fracture de l'extrémité supérieure du péroné gauche.. compression

du sciatique poplité externe par un cal exubérant et paralysie totale des muscles exten-

seurs de la jambe. Résection du cal et dégagement du nerf. Guérison complète. eett-

80 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Si le diagnostic des paralysies consécutives aux fractures de la tête

du péroné et des paralysies toxiques peut en général se faire facile-

ment, il n'en est pas de même dans certains cas de paralysies rhuma-

tismales ou a frigore du sciatique poplité externe, surtout si les défor-

mations produites par la- fracture sont, comme dans l'observation citée

plus haut, de médiocre importance et peuvent être confondues avec des

lésions rhumatismales possibles au niveau de l'articulation tibio-pé-

ronière supérieure.

Or, le nerf sciatique poplité externe, au moment de son passage au

niveau de la face externe de la tète du péroné, se trouve dans une

situation analogue à celle du radial au sortir de la gouttière de torsion :

pourquoi, comme pour ce dernier nerf, le froid, la compression, ne

pourraient-ils développer des palalysies des muscles innervés par ce

nerf; pourquoi la diathèse rhumatismale, seule ou jointe aux causes

occasionnelles précédentes, ne développerait-elle pas des paralysies

rhumatismales des muscles innervés par le sciatique poplité externe ?

Quelques faits, d'ailleurs, semblent plaider en faveur de cette hy-

pothèse : Seeligmtdler1 cite un cas de paralysie dite rhumatismale des

muscles extenseurs de la jambe, dans lequel existaient de la douleur

et de l'amaigrissement.

Rosentha12 rapporte deux cas de paralysie du nerf peronetts, de

cause inconnue, dans lesquels se trouvent la paralysie des extenseurs et

la bande d'hypoesthésie décrite chez notre malade.

Enfin, tout récemment, M. Blocq, interne du service, nous a montré,

à la consultation, un malade atteint de paralysie des extenseurs de la

jambe droite, accompagnant une plaque d'engourdissement analogue

à celle de notre malade, plaque consécutive à la plaque d'anesthésie.

Malheureusement le malade n'est pas revenu à l'hôpital au jour qu'on

lui avait fixé pour l'examiner de nouveau, et n'a pu être complètement

étudié. En pareil cas, les commémoratifs, l'étude de la constitution

du malade deviendront très importants pour le diagnostic entre les

paralysies traumatiques et les paralysies rhumatismales.

L'examen de la disposition alfeciée par l'innervation cutanée va

nous permettre de localiser l'endroit précis où ce nerf a été intéressé

et la portion du nerf qui a été le plus touchée.

Le nerf sciatique poplité externe, nerf peroJ1ws des Allemands,

branche externe de bifurcation du grand nerf sciatique (fig. 35), après

1. Seeligmiiller, Lehrbuch der 111'(/1/lihei/en der péri plier en nerven und des sympa-

tlticlls. 1882.

2. Hoscnll1al et IJCl'lll1al'llt, Eleclrizilalslelire sur lletliciner und Eleclrotherapie. Ber- 1

lin, 1881, p. 480.

FiG. 35. Distribution musculaire du nerf sciatiquo poplité externo. 1. Nerf sciatique poplité

externe. - 2.3. Nerf lI1usculo-culané. - 4 et 5. Nerf tibial antérieur. - 5. Rameau du muscle pé-

diou ? -J.A. Jambior antérieur. - E.P.G.O. Extenseur propre du gros orteil. T. Son tendon

E.C.D. Extenseur commun des orteils. - P.A. Péronier antérieur. - L.P.L. Long péronier

latéral. -C.P.L. Court péronier latéral. Pc Pédieux.

82 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE,

avoir longé le tendon du biceps, passe derrière la tête du péroné dont

il est séparé par l'insertion supérieure du muscle soléaire, contourne

horizontalement le col de cet os, passe entre ce col elle long péronier

latéral et se subdivise en deux branches, le musculo-cutané et le tibia !

antérieur. Avant de contourner la tête du péroné, le sciatique poplité

externe a fourni, derrière le condyle externe du fémur, la branche

cutanée péronière; au moment où il la contourne, il affecte la forme

d'un ruban dont la moitié supérieure est formée par les fibres du

tibial antérieur, et la moitié inférieure par celles du musculo-cutané :

cette disposition peut facilement se constater chez l'enfant.

= La branche cutanée péronière (fig. 36) innerve la partie la plus

externe de la face antérieure de la jambe jusqu'au niveau de la mal-

léole externe. Le nerf saphène interne, branche du crural, innerve la

moitié interne de cette face antérieure, et le bord interne du pied.

La zone d'innervation du nerf saphène interne et celle de la branche

cutanée péronière se rejoignent au niveau du tiers supérieur de la

jambe. Dans les deux tiers inférieurs, ces deux zones sont séparées par

une troisième zone à sommet angulaire, zone qui va en s'élargissant

jusqu'au niveau de la partie moyenne de la face dorsale du pied où

elle s'effile en une petite bande qui va occuper la moitié interne de

la face supérieure du gros orteil. Cette zone est innervée par le mus-

culo-cutané et par le tibial antérieur qui, à cet endroit, envoie sous

la peau un rameau grêle et dirigé dans le sens de la- jambe.

Ce rameau émet sur son parcours une série de rameaux cutanés

assez déliés, puis, parvenu au niveau de la partie antérieure du

premier espace intermétatarsien, se sépare en deux rameaux ter-

minaux situés, l'un à la partie interne du deuxième orteil, l'autre

*à la partie externe du premier. En cet endroit, ce rameau s'ana-

stomose avec la branche dorsale interne du tibial antérieur et quel-

ques rameaux du musculo-cutané, si bien que la peau de la moitié

externe du premier orteil, de la moitié interne du deuxième et celle

de la partie antérieure du premier espace intermétatarsien, est

innervée surtout par le tibial antérieur mais aussi par quelques fibres

du musculo-cutané.

Le musculo-cutané seul innerve une bandelette située sur la face

dorsale du pied, allant jusqu'à la malléole externe et s'étendant du

milieu du deuxième orteil au milieu du quatrième.

Le reste de la face dorsale et le bord externe du pied sont innervés

par le nerf saphène externe.

Examinons maintenant le tracé de la zone d'anesthésie de notre

malade (fig. 37) : elle reproduit exactement la distribution cutanée du

FIG, 36. - Distribution des nerts cutanés ae in

face antérieure de la jambe. -A. Nerf crural.

- B. Nerf sapliène interne. - C. Braiielie cu-

tanôe péronière. D. Nerf tibial antérieur et

surtout mesculo-cutané. E. Nerf musculo-

cutané et surtout tibial antérieur. - F. Mus-

culo-culanc ? G. Nerf saphène externe.

FiG. 37. Zone d'anesthésie chez D.

84 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

tibial antérieur. Il est vrai que, dans cette zone d'anesthésie, se dis-

tribuent aussi des fibres du musculo-cutané; mais, là où le musculo-

cutané se distribue seul, la sensibilité est intacte. On peut donc con-

clure que l'anesthésie siège au niveau de la distribution cutanée du

tibial antérieur, puisque, partout où se dernier se distribue il la peau,

l'anesthésie a existé.

Or, tous les muscles innervés par le sciatique poplité externe ayant

été touchés, on est en droit d'en déduire une lésion de ce nerf. Com-

ment se fait-il alors qu'une des fonctions du nerf, la. sensibilité, ait

été abolie dans une dès-branches de bifurcation, le tibial antérieur, et

conservée dans l'autre, le musculo-cutané, tandis que la motilité est

abolie pour toutes les deux ? ,

On sait que, lorsqu'un nerf mixte est lésé, la première fonction

abolie est la motilité, puis vient la sensibilité, lorsque la lésion

est plus accentuée. On est donc en droit de penser que la lésion

du tibial antérieur a été plus forte que celle du musculo-cutané et

cela peut s'expliquer assez facilement. Tout d'abord, le nerf a été

blessé au niveau de la tête du péroné, puisque la branche cutanée

péronière, qui naît au-dessus, est intacte. De plus, le nerf ayant, au

niveau du col de la tête du péroné, la forme d'une bandelette, il est

probable que la partie supérieure de cette bandelette, contenant les

fibres du tibial antérieur, s'est trouvée pincée entre les deux fragments

de la fracture, la partie inférieure ressentant les effets seuls du trau-

matisme, et, si les péroniers, innervés par les fibres de la partie infé-

rieure de cette bandelette, c'est-à-dire par les fibres du musculo-

cutané, se trouvent intéressés au même degré que les muscles innervés

parle tibial antérieur, c'est que ces péroniers latéraux sont les muscles

les plus sensibles de la jambe : ce sont eux les premiers atteints dans

les lésions du nerf sciatique.

Un fait vient confirmer cette hypothèse de la lésion du tibial anté-

rieur, c'est la douleur ressentie au moment même de l'accident au

niveau de la partie terminale de ce nerf tibial antérieur, à la partie

antérieure du premier espace intermétatarsien.

On peut se demander pourquoi, la sensibilité étant, suivant notre

hypothèse, atteinte dans le seul domaine du tibial antérieur, on a

constaté de l'anesthésie dans la zone où les fibres du musculo-cutané

sont plus nombreuses que celles du tibial antérieur, c'est-à-dire dans la

zone qui remonte à la partie antéro-externe de la jambe. Or, le malade

a remarqué que dans cette zone, alors que l'anesthésie était le plus

marquée, il se trouvait des endroits où il ressentait la piqûre aussi

bien que dans les parties saines. Cette observation confirme ce fait

DES TROUBLES NERVEUX CONSÉCUTIFS. 85

que, lorsque deux nerfs s'anastomosent pour innerver une surface

cutanée chacun des nerfs donne la sensibilité à de petites plaques

bien délimitées, disséminées sans ordre au milieu des petites plaques

innervées par l'autre nerf, en sorte que les endroits sensibles dissé-

minés dans cette zone d'anesthésie correspondaient aux plaques d'in-

nervation du musculo-cutané dont la sensibilité était restée intacte.

Cette blessure du nerf sciatique poplité externe se trouve notée dans

toutes les observations de fractures de l'extrémité supérieure du

péroné. Le mécanisme de cette lésion n'est pas toujours analogue à

celui que nous avons rencontré chez notre malade. Le nerf se trouve

lésé, soit au, moment de la fracture, soit plus tard. Dans le premier

cas, il peut l'être : 1° par contusion, dans le cas de fracture directe;

2° par élongation, dans le cas de fracture indirecte, le nerf, adhérent

à la tête du péroné, étant entraîné avec elle par le biceps; 3° par pin-

cement du nerf entre les deux fragments.

Dans le second cas, il y a compression du nerf pris dans le cal.

Pronostic. - Que peut-on dire maintenant du pronostic de ces

fractures ?

Il comprend deux points relatifs : 1° à la fracture en elle-même;

2° à sa complication. Le pronostic de la fracture en elle-même est bénin

lorsqu'il n'y a qu'un léger écartement des fragments. Il n'en est pas

de même dans tous les cas. Citons comme exemple le malade de

Duplay, qui quitta l'hôpital sans présenter aucune sorte de consoli-

dation de sa fracture. '

Quant au pronostic de la lésion du nerf sciatique poplité externe, il

est loin d'être favorable. Chez le malade d'IIergott, il resta pendant

deux mois et demi une impossibilité de la marche. Un malade de

Weber conserva une paralysie incomplète des fléchisseurs du pied.

Chez le malade de Brand, il persista quelque temps une paralysie

incomplète des muscles et une anesthésie cutanée locale. Le malade de

Duplay présentait encore au bout d'un an une paralysie complète des

muscles extenseurs du pied et des péroniers latéraux. '

Chez le malade.de Perrin, la paralysie, au bout de deux mois, restait

telle que le premier jour. M. Terrier a vu, chez son malade, des dou-

leurs violentes et une anesthésie du dos du pied se montrer dès le

début; mais à ces phénomènes primitifs ne tardèrent pas à s'ajouter

des accidents secondaires de paralysie.

Enfin, chez notre malade, l'accident primitif date de plus de deux

mois et la paralysie des muscles extenseurs et des péroniers n'a aucu-

nement rétrocédé, et la réaction de dégénérescence des muscles affectés

n'est pas propre à faire espérer une guérison rapide. Les troubles de

86 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

sensibilité ont seuls presque disparu et il n'existe plus, au niveau de

l'ancienne zone d'anesthésie, qu'une sensation assez intense d'engour-

dissement. Il en est de même des troubles vaso-moteurs qui ont cessé

depuis plusieurs jours.

Traitement. - Quant au traitement, le seul à employer en pareil

cas est l'électrisation, soit qu'on se borne avec Duchenne (de Boulogne),

à l'électrisation localisée; soit qu'on y joigne l'électrisation statique.

Toutefois, lorsque les phénomènes paralytiques sont sous la dépen-

dance d'une compression du nerf par un cal, il faut, comme M. Gérard

Marchant l'a si heureusement tenté chez son malade, intervenir par

une opération 1.

BLIN et DAMAYE,

Externes de la Clinique des maladies du système nerveux.

1. Nous ajouterons que le malade dont l'observation sertdebase à l'intéressant travail de

nos collaborateurs a été soumis depuis le 15 décembre, par M. Vigouroux, au traitement

par l'électricité statique avec étincelles loco dolente, trois fois par semaine, dans le service

électrothérapique de la Salpêtrière. Le 21 février, il était complètement guéri. L'anes-

thésie, la réaction de dégénérescence n'existaient plus, les muscles affectés avaient repris

l'intégrité totale de leurs mouvements et M. Charcot le présentait de nouveau à ses audi-

teurs du mardi. - Voy. Leçons du mardi à la Salpêtrière, loc. cit., p. 197. Leçon du 21 fé-

vrier 1888. (N. D. L. R.) .

LE MASCARON GROTESQUE

DE L'ÉGLISE SANTA MARIA FORMOSA, A VENISE

ET T

L'HÉMISPASME GLOSSO-LADIÉ HYSTÉRIQUE

Le Mascaron grotesque de l'église Santa Maria Formosa, il Venise,

dont nous donnons la reproduction (Pl. XIII), d'après une photographie

que nous devons à l'obligeance du docteur Richetti, appartient à l'art

de la décadence italienne.

John Kuskin qui en parle dans son ouvrage : Les Pierres de Venise

(ch. III, p.'151), l'apprécie fort sévèrement : « Une tête énorme, inhu-

maine et monstrueuse, ricanante, d'une expression qui la' ravale au

niveau de la brute, trop abjecte pour être représentée ou décrite, et

qu'on ne saurait contempler au delà de quelques instants... On peut

y voir l'indice de cette complaisance à contempler la dégradation de la

brute et l'expression du sarcasme bestial, qui est, je crois, l'état d'esprit

le plus déplorable où l'homme puisse descendre. Cet esprit de moquerie

stupide est, comme je l'ai dit, la caractéristique la plus marquée des

oeuvres de la dernière période de la Renaissance. »

Sans avoir l'intention de relever le mérite artistique de ce morceau

de sculpture, nous pensons qu'il n'est peut-être pas sans intérêt

d'exposer les quelques réflexions que son étude, à un certain point de

vue médical, nous a suggérées, car à notre avis, cette déformation des

traits qui donne au masque un aspect si grotesque et si hideux n'est

point le résultat d'une simple fantaisie artistique. La nature dans

l'infinie variété des formes est une mine d'une richesse inépuisable où t

se mêlent le beau et le laid, l'harmonieux et le difforme avec tous les

degrés intermédiaires. - . ^-"~"

L'artiste de Santa Maria Formosa, en quête d'un type-grotesque,

nous paraît l'avoir rencontré sur son chemin, vu de ses yeux, saisi au

passage et reproduit avec une fidélité qui nous permet aujourd'hui d'y

retrouver les marques d'une déformation pathologique, d'une affection

nerveuse nettement définie dont nous avons en ce moment à la

Salpêtrière des exemples fort intéressants i (Pl. XIV et XV).

1. Voy. à ce sujet, et pour ce qui regarde l'histoire clinique de ces deux malades, une

88 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.

Il s'agit d'un spasme de la face d'une nature spéciale, coexistant sou

vent chez les sujets hystériques avec une hémi-paralysie des membre :

et présentant des caractères si tranchés qu'il est impossible de li

confondre avec une autre affection faciale spasmodique.

Avec des traits d'une laideur moindre, nous retrouvons chez no;

malades atteints de cet hémispasme glosso-labié une déformation en

tous points semblable à celle du Mascaron de Santa Maria Formosa,

Des de2ly côtés, en effet, nous constatons que le spasme est localisé

à une moitié de la face. Il envahit l'oeil qui se trouve clos en partie ou

complètement, ainsi que le nez fortement dévié et dont la narine du

même côté est tirée par en haut. Il comprend également la partie

leçon de M. Charcot : Spasme glosso-labié unilatéral des hystériques. Diagnostic elltrt

l'hémiplégie capsulaire et t'hémiplégie hystérique (Semaine médicale, n° 5,2 février 1887,

p. 37). - Brissaud et Il. Marie, De la déviation faciale dans l'hémiplégie hystérique (Profit i

médical, n°> 5 et 7, 29 janvier et 12 février 1887.) (N.D.L.Tt.) 1

Fic;. 38. - Diable des tours de Notre-Dame do Paris.,

\OUVELLE ICOnOGRAPIIIE T. 1. PL. '\]Il

MASCARON GROTESQUE

DE L'ÉGLISE SANTA MARIA FORMOSA A VENISE

DELAHAYE ET LECROSNIER, CDITCURS

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I. PL. XIV

HÉMISPASME GLOSSO-LABIÉ HYSTÉRIQUE

nsLnuw ET t,ccao5w en, ÉDITEURS

LE fil A SC A Il 0 GROTESQUE. i<9 9

inférieure du visage, cl la commissure labiale ainsi que le menton se

trouvent violemment tirés sur le côté. Enfin, la langue sortie de la

bouche est déviée, la pointe dirigée du même côté que le spasme et

avec une exagération qui constitue par elle-même un des traits les plus

caractéristiques de l'affection.

' Sans avoir à nous étendre ici sur ce que la réunion de ces différents

signes présente de Caractéristique pour spécifier une affection et la

différencier d'autres plus ott itibins analogues, il nous semble impos-

sible d'attribuer au hasard seul les similitudes sur lesquelles nous

venons d'insister.

Non seulement l'artiste vénitien ne s'est pas abandonné aux caprices

de son imagination, mais il a en quelque sorte rompu avec la tradition

FIG. 39. - 1,lSCal'On du Pont-Neuf (Musée de Cluny).

90 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

du grotesque pour imprimer à son oeuvre ce caractère de réalité

saisissante. Cette face large, hideuse, aux traits grossiers, nez camard,

bouche lippue, qui se retrouve fréquemment dans l'ornementation

grotesque du moyen âge, descend en ligne droite de la Gorgone des

Grecs et du dieu Bès des Égyptiens.

La saillie de la langue vient compléter la ressemblance, mais alors,

comme dans ces types antiques, elle pend large et droite, nullement

tirée de côté. C'est ainsi qu'on voit un des diables des tours Notre-Dame

de Paris tirer une langue droite et pointue (fig. 38). Un des diables

fantastiques de la cathédrale de Bourges (bas-relief du tympan de la

porte centrale, façade occidentale), qui conduit les damnés dans

l'éternelle chaudière, laisse pendre hors de sa bouche une grosse

langue. Des monstres de chapitaux romains figurés dans l'Abécédaire

d'archéologie de A. de Caumont tirent également la langue toute

droite. C'est aussi ce qu'on peut voir sur un des Mascarons du Pont-

Neuf (fig. 39) conservé au musée de. Clnny à Paris, et sur une large

face aux cheveux bouclés qui orne un chapiteau à Semur (fig. 40).

Au moyen âge, cette protrusion de la langue devient un signe de

moquerie, ou bien, comme on le voit sur quelques sculptures du

FIG. il0. Tôle grotesque do l'église de Semur.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I. PL. XV

HEMISPASME GLOSSO-LABIE HYSTERIQUE

DELA. HAYE ET LECKOSNtEK, ÉDITEURS

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. 1. PL. XVI

MASQUE EN TERRE CUITE

Musée du Louvre (Collection Campana)

tELAHAYE ET LECROSNIER, EDITEURS

LE MASCARON GROTESQUE. 91

sièclp de Magdalen College à Oxford, c'est le symbole de la luxure

et de la gourmandise.

Une tête de femme des boiseries sculptées (xve siècle) de l'église de

Saint-Mullion en Cornouailles tire tout droit une langue effilée dont la

pointe se relève en haut. Elle est désignée généralement comme repré-

sentant une grimace. Nous ne serions pas éloignés d'y voir la représen-

tation d'une tête de possédée. On remarquera, en effet, qu'en outre de

cette manière bien spéciale de tirer la langue, la face est complètement

tournée de côté, comme dans une convulsion.

C'est ici le lieu de rappeler le masque de Klapperstein, à l'hôtel de

ville de Mulhouse. La langue- est hors de la bouche et pend droite.

Nous connaissons bien peu de figures grotesques dans lesquelles la

langue est tirée de côté. On peut en trouver cependant un spécimen

dans un groupe de trois figures empruntées à l'une des stalles sculptées

de l'église de Statford-sur-Avon. Mais il est clair qu'il ne s'agit ici que

d'une simple grimace. Toute la face porte les signes exagérés du rire,

mais ne présente en aucune façon ce cortège de symptômes si spécial

qui fait du Mascaron de Santa Maria Formosa une oeuvre naturaliste

au premier chef.

Nous rapprocherons du- Mascaron de Santa Maria Formosa un

masque en terre cuite (Pl. XVI) qui présente une déformation analogue

des traits, moins la saillie de la langue. Cette figure provient de la

collection Campana; elle se trouve actuellement au musée du Louvre,

dans une des vitrines de milieu de la salle Charles X (pièce non nu-

mérotée).

Tout le côté gauche de la figure est contracté, l'oeil est fermé, la

narine fortement relevée, le nez tors et la commissure labiale relevée

et entraînée du même côté. La joue gauche est plissée, sillonnée de

rides. Par contre, l'oeil droit est grand ouvert, saillant, et tout ce même

côté de la face contraste par le calme des traits et l'absence de rides

avec le spasme qui bouleverse tout le côté gauche.

Une petite tête en terre cuite trouvée à Myrina offre une difformité

semblable. Inscrite sous le no 777 au Catalogue de MM. Pottier .et

Reinach, elle est ainsi décrite : « tête longue, étroite, le sourcil gauche

relevé, la bouche est ouverte et de travers, expression de souffrance. »

Nous ajouterons que du côté de la déviation de la bouche, la narine est

relevée, le nez tordu, la joue ridée, l'oeil fermé. Ceci a lieu à droite,

pendant que tout le côté gauche garde une impassibilité complète.

Cette tête est celle d'un vieillard et son expression est d'une réalité si

saisissante qu'elle force l'attention du médecin. Elle offre l'image,

insi que la tête précédente, d'une affection nerveuse, plus difficile à

92 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

définir nettement que chez le Mascaron grotesque, parce que l'absence

de la saillie de la langue enlève un signe d'une importance décisive ,

le diagnostic peut hésiter, le sujet est atteint ou d'hémispasme à droite ,

ou d'hémiparalysie à gauche. On comprend que la seule inspection soit

insuffisante pour trancher la question entre deux affections qui donnent

lieu à une déformation analogue et dont le diagnostic dans la pratique

n'est pas sans présenter quelque difficulté. L'aspect lisse et exempt de

rides du côté de la face qui n'est pas contracté plaiderait plutôt en

faveur de l'hypothèse d'une paralysie faciale localisée à ce même côté.

Quoi qu'il en soit, il y a dans ^expression de ces deux petites têtes un

accent de vérité qui ne saurait tromper. A notre avis, ce n'est pas là une

simple grimace, et nous sommes disposés à y voir la manifestation d'une

déformation pathologique prise sur nature et reproduite par l'artiste

avec un rare bonheur.

J.-M. Charcot (de l'Institut).

PAUL nICHER.

Le gérant : 1 ? IILE LECROSNIER.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

DE L'INTERVENTION CHIRURGICALE

BANS CERTAINS CAS DE RÉTRACTIONS MUSCULAIRES SUCCÉDANT

A LA CONTRACTURE SPASMODIQUE.

I

1. - Un certain nombre de maladies du système nerveux central pro-

voquent dans les muscles des membres des contractures plus ou moins

rebelles auxquelles on a donné le nom de contractures spasmodiques.

Celles-ci occasionnent des attitudes vicieuses, principalement du côté

des extrémités, et les déformations ainsi produites ont ordinairement

un caractère qui ne varie pas pour chaque segment du membre. Pour

le pied, c'est l'équinisme, avec légère flexion des orteils, qui est ordi-

nairement observé. Cette attitude vicieuse est due à la prédominance

des muscles postérieurs de la jambe sur ceux de la région antérieure.

Lorsque la contracture occupe les muscles de la cuisse, la jambe est

fléchie sur la cuisse, soit complètement, soit dans une position inter-

médiaire entre la flexion et l'extension.

La contracture des muscles de la hanche (coxalgie hystérique) met

la cuisse dans la flexion sur le bassin et dans l'adduction.

S'il s'agit du bras, la main est fléchie sur le poignet, et les doigts

fortement fléchis dans la paume de la main. Le coude est en état de

flexion. Enfin l'épaule est aplatie, et le bras collé contre le tronc, dans

les contractures des muscles de cette région. ,

Telles sont les déformations ordinairement observées, mais elles

peuvent varier suivant certaines circonstances et occuper également

d'autres régions. z

La contracture spasmodique est un phénomène ayant une durée

7

91 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

variable, parfois passagère, souvent très longue. Quand elle cesse, les

muscles ordinairement intacts peuvent reprendre leurs fonctions, les

articulations très peu altérées par l'immobilisation peuvent être mo-

bilisées facilement. Tous les désordres apparents produits par celte

attitude des muscles sont donc susceptibles de disparaître et de ne laisser

aucune trace.

Cet heureux résultat est fréquent, surtout dans les contractures

d'origine hystérique; les exemples nombreux et très remarquables

du retour rapide, quelquefois même presque instantané, de la fonction

du membre depuis longtemps en attitude vicieuse, ne laissent aucun

doute sur ce phénomène.

On a même cru pendant longtemps que, après la disparition de la

contracture spasmodique de nature hystérique, il ne persistait aucune

attitude vicieuse, et que le retour des mouvements était assuré, à

cause de l'intégrité des muscles et des articulations immobilisées.

Malheureusement, l'examen plusjapprofondi de quelques malades

a montré que chez un certain nombre d'entre eux, la contracture

pouvait cesser complètement (nous verrons plus tard comment onpeut

s'assurer de cette disparition de la contracture) mais que, après elle,

persistait une rétraction des muscles qui maintenait indéfiniment les

attitudes vicieuses. Cette rétraction musculaire s'accompagne souvent

de lésions dans le tissu fibreux périarticulaire, lesquelles opposent au

mouvement des articulations une gène assez marquée.

La contracture hystérique n'a pas seule ce privilège, car d'autres

affections du système nerveux, telles que les altérations de la moelle

et des nerfs produites par l'alcoolisme, la pachyméningite cervicale

hypertrophique, etc., peuvent également occasionner des troubles

musculaires avec contractures, et' laisser à' leur suite une rétraction

fibreuse indélébile.

Dans ces conditions, c'est-à-dire quand, la contracture ayant cessé,

l'attitude .vicieuse persiste, les- muscles qui maintiennent cette défor-

mation semblent raccourcis.,Quand on essaye de redresser la fausse

position du membre, on a la notion d'une- résistance brusque, comme

celle que produirait une corde rigide.

En même temps, la palpation du muscle donne une sensation de

dureté, de rigidité spéciale.

Cependant, phénomène curieux, la contractilité musculaire est in-

tacte et l'exploration électrique ne laisse aucun doute sur sa persis-

tance. Cctte nouvelledispositiondumuscle qui succèdeàla contracture

devient immuable; elle n'a aucune tendance à changer.

Lorsque les muscles sont faibles, peu volumineux, on peut, au moyen

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. I PL. 1 7

CONTRACTURE HYSTÉRIQUE EN EXTENSION

(Avant l'Opération)

DELAHAYE h LKCROSNÏKR ÉDITEURS

DE L'INTERVENTION CHIRURGICALE. 95

de l'extension graduée, arriver à les allonger légèrement, mais ce

résultat ne peut être obtenu, dans les muscles épais et solides, que par

une intervention chirurgicale. Celle-ci doit consister en une section

des tendons qui, permettant la cicatrisation des deux bouts à une cer-

taine distance l'un de l'autre par du tissu fibreux intermédiaire, per-

mettra un allongement artificiel du muscle.

Je ne discuterai pas longuement quelle est l'origine intime de cette

rétraction musculaire qui succède à certaines contractures.

Cependant je signalerai les principales théories émises à son sujet.

D'après l'opinion de Roth, défendue aussi par Déjerine1, le muscle

subirait une modification spéciale qui consisterait dans une transfor-

mation fibreuse se localisant au point où la fibre musculaire se continue

avec le tendon qui lui fait suite. Ce tissu fibreux qui s'est substitué sur

une certaine longueur à la fibre musculaire subirait une rétraction

spéciale qui aurait pour résultat de raccourcir la totalité du muscle.

Ainsi se trouverait expliquée, d'une part, la diminution de longueur

et, d'autre part, la conservation de la contractilité musculaire dans une

certaine étendue du muscle resté intact.

Celte explication, confirmée par des examens histologiques assez

probants, n'est pas admise par tous les auteurs et nous voyons Blocq,

dans sa thèse sur les contractures (1888), admettre une autre opinion.

.Pour lui, le phénomène de rétraction musculaire ne serait qu'appa-

rent, et le raccourcissement du muscle ne serait dû qu'à l'action pré-

dominante de celui-ci sur ses antagonistes. Cependant, ajoute-t-il, la

lésion devient indélébile après quelque temps, et la position vicieuse ne

peut plus varier, parce que le muscle subit un certain degré de cir-

rhose par épaississement du sous-tissu fibreux.

Il y aurait donc une véritable myopathie atrophique et interstitielle,

décrite aussi sous le nom de cirrhose parenchymateuse atrophique,

qui lui a été donné par MM. Landouzy et Déjerine2.

Quelle que soit l'explication, qui peut être variable, il n'en reste pas

moins un fait acquis, c'est le raccourcissement permanent du muscle

entraînant uue attitude vicieuse d'un segment de membre, avec conser-

vation de la contractilité dans une grande partie de ce muscle.

Mais ce n'est pas tout; l'obstacle au mouvement ne réside pas seule-

ment dans cette rétraction musculaire. Quand on examine attentivement f

les malades atteints de ces déformations, on constate un autre phéno-

mène important. A côté de la déformation produite par la relrac-

lion des muscles succédant à la contracture spasmodique, il existe un

1. Comptes rendus de la Soc. de biologie, 11 décembre 188G.

1 lteuue de médecine, 1885.

96 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

autre élément qui concourt également à rendre les mouvements dif-

ficiles dans les articulations immobilisées : c'est l'altération des tissus

péri-articulaires.

Nous avons vu, en parlant de la contracture spasmodique en général,

quel'immobilité dans laquelle elle maintient les articulations n'aaucun

effet nuisible sur celles-ci, et que, souvent, les mouvements peuvent

s'exécuter facilement aussitôt que les muscles sont relâchés. C'est là

un fait d'observation générale et qui n'est pas douteux ; non seulement

l'articulation immobilisée est intacte, mais ses tissus périphériques ne

sont ni engorgés, ni indurés, et ne peuvent gêner les mouvements,

ou ne les gênent que temporairement. i

Or, ce qui est vrai pour les contractures spasmodiques, qui laissent

intacts les muscles et peuvent disparaître complètement, ne l'est plus

pour les cas dans lesquels le muscle, en cessant d'être contracturé,

subit l'altération spéciale dont nous avons parlé plus haut et semble

se rétracter. 1

Dans ce cas, il se passe aussi, du côté de l'articulation, des phénomènes

particuliers qui vont gêner le retour des mouvements. Ce n'est'heu-

reusement pas dans l'intérieur de l'articulation que se produisent ces

désordres. Celle-ci reste intacte, et ses cartilages ne sont pas dépolis,

la synovie seule étant peut-être moins abondante, comme dans toute

articulation immobilisée. Ces désordres se développent autour de'l'ar-

ticle, dans le tissu cellulaire et les tissus fibreux ou ligamenteux qui

l'entourent, en un mot dans les tissus péri-articulaires. Ceux-ci s'épais-

sissent, s'indurent, s'exagèrent, de manière à masquer les reliefs de

l'articulation. Ils ont surtout pour effet de gêner les mouvements

lorsque le muscle trop court a été allongé par une opération appropriée.

- Des tiraillements douloureux, la déchirure des plans fibreux péri-

.phériques au moment où on pratique des mobilisations, donnent la

preuve de leur résistance qui retarde pendant quelque temps le retour

des mouvements complets de l'articulation. Ces désordres sont va-

riables suivant les cas; ainsi, ils nous ont semblé moins accentués

dans les reliquats des contractures hystériques spasmodidues d'autre

origine.

En résumé, on constate une dureté des tissus péri-articulaires en-

tourant l'articulation immobilisée. Cette altération portant sur les

éléments fibreux, doit être de même nature que celle qui atteint le

muscle en agissant sur son tissu cellulaire pour le rendre inextensible,

mais en laissant intacte la partie contractile.

Dans les deux appareils, un des éléments reste indemne de lésions,

l'autre étant altéré; d'une part, l'articulation est intacte, mais les tissus

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I PL. -18

PHOTOTYPÏhBERTHAUD CLICHt A LONDh

CONTRACTURE HYSTÉRIQUE

(Après l'Opération)

DELAHAYE & LECROSNIER ÉDITE PI y

DE L'INTERVENTION CHIRURGICALE. '7

. fibreux qui l'entourent sont indurés et,' épaissis ; d'autre part, le

muscle proprement dit(la substance contractile) est sain, et a conservé

ses propriétés physiologiques, mais son enveloppe fibreuse et son

tendon ont subi un certain degré d'induration qui a produit un rac-

courcissement évident.

Ces désordres resteraient probablement indélébiles, ainsi que cela

arrivait avant qu'on les soumît à un traitement chirurgical rationnel.

Actuellement, nous savons que, par des moyens appropriés, on peut les

faire disparaître, les amoindrir, au point que la fonction reparaisse

complète et parfaite.

L'enseignement qui découle de ces préliminaires peut se résumer

dans les deux conclusions suivantes au point de vue de l'intervention

chirurgicale : `

1° Il faut d'abord allonger les muscles rétractés, de façon à leur

permettre de fonctionner dans leur attitude physiologique et de mettre

leurs antagonistes dans une condition semblable;

2° Il est nécessaire d'assouplir les tissus périphériques pour faire,

disparaître cette cause de gène dans les mouvements articulaires.

II. - Afin de pouvoir agir d'une façon utile et opportune pour

arriver au résultat que nous venons d'indiquer, il est absolument né-

cessaire de se pénétrer de quelques principes qui sont indispensables

pour obtenir un bon résultat.

Le premier précepte, qu'il ne faut pas oublier et qui prime tous les

autres lorsqu'il s'agit d'intervenir pour des déformations résultant

des contractures, c'est d'attendre que le phénomène actif, la contrac-

ture elle-même, ait disparu.

Pendant tout le temps que les muscles sont sous l'influence de ce

phénomène physiologique, il faut s'abstenir. La section des tendons

serait alors plus nuisible qu'utile, car, après la séparation des deux

bouts, le muscle contracturé entraînant le bout tendineux qui lui

correspond, empêcherait la réunion par un cordon fibreux inter-

médiaire.

Mais il est encore une autre raison, qui force à s'abstenir pendant

la période de contracture, c'est que les muscles antagonistes également

contractures, libres de leur action, reproduiraient aussitôt une défor-

mation inverse de la précédente. Au lieu d'un pied équin, on aurait

un pied talus, etc. M. Charcot est très affirmatif sur ce point, et voici

comment il s'exprime : t Tant que persiste l'élément myospasmodique,

je repousse toute tentative de redressement à l'aide d'appareils, car

j'ai constaté toujours les plus fâcheux effets de ce mode de traitement

98 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

et je prêche en pareil cas avec conviction la doctrine de l'expectative.

« Mais, lorsque toute manifestation de l'hystérie ou de l'élément

myospasmodique a complètement disparu, nous sommes dans les con-

ditions les plus favorables au succès d'une opération 1. »

Pour donner un exemple de la réserve dans laquelle on doit se tenir

en pareil cas, je rappellerai en quelques mots un cas de contracture

hystérique que j'ai observé dernièrement dans le service de mon ami,

le docteur Debove2. Le malade a été présenté par lui devant la Société

médicale des hôpitaux (séance du 25 nov. '1887).

Cet homme est atteint, depuis plusieurs années, d'une contracture

des muscles de l'avant-bras gauche, avec prédominance ordinaire des

muscles fléchisseurs sur les extenseurs; aussi la main et le poignet

droits sont-ils en flexion exagérée', et les doigts fléchis dans la paume de

la main menacent de perforer la peau.

Cette contracture, probablement de nature hystérique, persiste au

même degré qu'au début, qui remonte à plusieurs années. La réaction

électrique des muscles est parfaite. Ce malade, atteint d'une infirmité

aussi déplorable, et incapable de gagner sa vie, demandait qu'on lui

fit l'amputation, pour être délivré de cette main inutile et doulou-

reuse.

Malgré ses désirs, je ne crus pas avoir le droit de le priver ainsi de

son membre supérieur, car la contracture peut disparaître d'un jour à

l'autre et permettre la guérison complète du malade; tel a été également

l'avis des membres de la Société médicale des hôpitaux et entre autres

de M. Joffroy.

Mais, en refusant à cet homme l'amputation de l'avant-bras qu'il ré-

clamait avec énergie, on pouvait se demander s'il n'était pas possible

de faire une opération moins radicale pour redresser la main. Par

exemple, la section des tendons des muscles qui maintenaient la

main dans l'attitude vicieuse. La réponse à cette question était facile.

Comme la contracture persiste et est encore en pleine activité, ce que

nous a prouvé le sommeil sous le chloroforme, la section des tendons

fléchisseurs aurait immédiatement permis aux extenseurs de porter

la main en arrière, et de la placer dans l'extension forcée et per-

manente. On n'aurait donc fait que changer l'attitude du membre

contracturé, mais sans aucun bénéfice.

Cet exemple montrera bien nettement combien ce précepte de

l'abstention pendant toute la période de contracture active est impor-

1. Bulletin médical. 1887, p. 109.

2. L'histoire de ce malade, le nommé nUI]1... est rapportée pour la première fois dans le

3" volume des Leçons sur les maladies du système nerveux de M. Charcot, 2;)" leçon, p. 100-

DE L'INTERVENTION CHIRURGICALE. 9J

tant à connaître et à observer. Si la contracture vient à cesser chez

cet homme et que les fléchisseurs restent contractés, comme dans le

cas dont nous nous occupons, on pourra alors faire avec succès des

sections sur les tendons de ces muscles et obtenir un excellent ré-

sultat.

TERRILLON,

Chirurgien de la Salpêtrière.

(A suivre.)

NOTE SUR UN CAS D'IMBÉCILLITÉ

CONSÉCUTIVE A UNE HYDROCÉPHALIE VENTRICULAIRE AVEC ARRÊT

DE DÉVELOPPEMENT DE CERTAINES PARTIES DU CERVEAU.

Nous avons observé récemment à l'hospice de Bicêtre un homme

atteint d'imbécillité, à l'autopsie duquel nous avons trouvé une hydrocé-

phalie remarquable par sa localisation à la corne occipitale des deux

ventricules latéraux et par sa coexistence avec un certain nombre de

malformations cérébrales.

Chez ce malade, toute la partie des hémisphères située en arrière

des noyaux centraux était transformée en une vaste poche kystique

remplie d'un liquide citrin; les parois de cette poche étaient consti-

tuées par une mince couche de substance grise, la substance blanche

centrale ayant presque complètement disparu. En outre, la voûte du

corps calleux faisait totalement défaut, de sorte que les couches optiques

étaient directement en rapport avec les circonvolutions de la face in-

terne des hémisphères. En soulevant légèrement ces circonvolutions

pour les isoler des couches optiques, on apercevait un repli de l'écorce,

vestige à la fois du corps calleux et du trigone (circonvolution arquée

ou marginale), qui encliatonnait complètement les couches optiques.

A la partie antérieure de ce repli un petit cylindre de substance blanche,

sorte de corps calleux embryonnaire, réunissait les deux hémisphères.

Il résultait de cette disposition que les deux ventricules latéraux

s'ouvraient directement à la face interne de chaque hémisphère au

niveau des couches optiques, et communiquaient librement, sous la

faux du cerveau, avec le troisième ventricule dépourvu de paroi supé-

rieure.

La coexistence de ces diverses anomalies avec un épanchement ven-

triculaire abondant, chez un homme qui avait dépassé l'âge adulte,

constitue un fait assez intéressant au point de vue clinique et anato-

mopathologique pour que nous croyions devoir en communiquer la

relation d'après les notes recueillies par M. Marx, interne du service :

Le nommé Ter journalier, âgé de 50 ans, est entré à l'hospice

NOTE SUR UN CAS D'IMBÉCILLITÉ. 101

de Bicêtre, le 7 avril 1887. Le certificat d'admission était ainsi conçu :

Imbécillité, malformation crânienne.

La soeur du malade nous a appris que son père était sobre et qu'il

avait toujours eu une bonne santé, bien qu'il fût sujet aux maux de

tête; il est mort à 67 ans; sa mère était nerveuse, elle est morte à

CI ans. Pas de} renseignements sur les grands parents, ni sur les

collatéraux.

Cinq enfants : 1° fille morte à l'âge de 3 ans de jalousie de son frère ;

2° "arçon mort à z15 jours ; 3° garçon insouciant, buveur, on ne sait

pas ce qu'il est devenu; 4° notre malade; 5° fille bien portante.

Antécédents personnels.-Grossesse normale, accouchement à terme,

terminé avec le forceps (il en a été de même des autres couches).

A la naissance, pas d'asphyxie, mais ictère, la tête était déjà volu-

mineuse. V... a été élevé au sein par sa mère, il n'a jamais été malade et

se serait développé normalement jusqu'à trois ans; à cette époque il a

reçu un coup de pied de cheval sur la région frontale (sa soeur ne sait

pas s'il a été malade à la suite de cet accident, mais elle a entendu dire,

qu'à partir de ce moment, son frère était devenu moins intelligent).

Il est resté à l'école jusqu'à 15 ans où il a appris avec peine à lire et

à écrire. De 15 à 50 ans, il a été placé en apprentissage, mais il n'a

jamais pu apprendre aucun métier. De 20 à 40 ans, il est resté dans une

fabrique, occupé à tourner une roue; à cette époque, il a été renvoyé

parce qu'à la roue on a substitué une machine.

Il a cessé alors tout travail, n'ayant trouvé personne qui ait voulu

l'occuper, et a été placé à Bicêtre au mois d'août 1887.

V... n'a jamais fait d'excès de boisson ; il a un caractère doux, facile

à vivre. A aucune époque il n'a eu de convulsions ni d'attaques de nerfs.

État actuel (août 1887). Taille au-dessus de la moyenne. Corps

dans son ensemble bien développé. Crâne volumineux(pl. XIX), bosselé

irrégulièrement, asymétrique.

Face petite, triangulaire, couverte de rides, front bas, arcades sour-

cilières saillantes, yeux petits, oreilles larges, minces et détachées du

crâne, nez droit, pommettes bombées, voûte palatine ogivale, dents

plantées irrégulièrement.

Membres égaux, réguliers, sans incurvations ni nouures. Tronc nor-

mal. Organes génitaux bien développés. Peau brune, flasque et ridée.

Muscles émaciés. État cachectique. Poids 56 kilog.

Pas de troubles de la motilité et de la sensibilité; pas de troubles

. sensoriels. Pas de tics.

Facultés intellectuelles. , Physionomie niaise. V... ne répond aux

questions que par monosyllabes, ou ne répond pas et sourit. Il lit des

102 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

caractères imprimés et écrit son nom, mais il est incapable de faire le

moindre calcul. Il ne peut donner aucun renseignement sur sa vie

passée; la mémoire lui fait complètement défaut et son intelligence

est tout à fait bornée. ,.

Du mois d'août d 887 au mois de février 1888, V... travaille aux champs

quand la saison le permet. Il se conduit bien,vit en bonne intelligence

avec tout le monde et ne donne lieu à aucune observation de la part

du surveillant.

Dans le milieu du mois de février, V... se plaignit de toux et d'op-

pression ; à l'auscultation on trouva des signes manifestes de tubercu-

lose pulmonaire : gargouillement au niveau de la fosse sus-épineuse

droite, matité, etc. Envoyé à l'infirmerie, il y mourut subitement au

bout de quelques jours, sans avoir présenté ni convulsions ni coma;

sa température était toujours restée normale.

Autopsie le 10r mars 1888. Thorax et abdomen. Le poumon

droit était farci de masses caséeuses en voie de ramollissement à la

partie supérieure; il existait en outre de ce côté des traces d'une an-

cienne pleurésie : épaississement de la plèvre pariétale, adhérences et

nappe de pus entre le diaphragme et le poumon. Dans le poumon

gauche on trouva également un certain nombre de noyaux caséeux.

Tous les autres viscères thoraciques et abdominaux furent trouvés

sains.

Tête. Dimensions du crâne :

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T 1 PL, 1 n

IMBÉCILITÉ. ABSENCE DE CORPS CALLEUX

DELAHAYE 6 txcpos.TE. f P 1 T Z U R s

NOTE SUR UN CAS D' ! MBËC ! LHTË. 103

Les sutures ne sont pas ossifiées, mais les os qui les forment sont

partout contigus, sauf au. niveau de la suture lambdoïde, où l'on

aperçoit un très grand nombre d'os wormiens : les plus volumineux

occupent la partie moyenne du lambda et les plus petits les parties

latérales.

Les os de la base du crâne ne présentent rien de particulier.

La dure-mère et l'arachnoïde incisées, il s'écoule une quantité nor-

male de liquide céphalo-rachidien. 1

L'encéphale est volumineux : son poids total est de 1,750 gr.

0-1. NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.

aux dépens de la corne occipitale du ventricule latéral; elle mesure

0m,10 de longueur et O'n,07 de largeur et se termine en cul-de-sac a la

pointe du lobe occipital dont toute la substance blanche a disparu ainsi

qu'une partie de celle des lobes pariétaux et sphénoïdaux. La saillie

formée par l'ergot de Morand a complètement disparu.

La corne frontale a conservé ses dimensions normales. Il en est de

même de la corne sphénoïdale et de la corne d'Ammon. L'épendyme

qui tapisse la cavité ventriculaire n'est pas altéré, la substance céré-

brale sous-jacente est sillonnée paradé nombreux vaisseaux.

En considérant les autres parties de la face interne, on constate

encore plusieurs particularités : 1° le corps calleux fait totalement

t \ > , l.. "\

défaut ainsi que la circonvolution de même nom; 2° à l'extrémité anté-

rieure de la couche optique on voit la coupe d'un cylindre de substance

blanche, du volume d'un petit crayon, qui servait de commissure entre

les deux hémisphères. Ce petit cylindre prenait naissance dans une

bandelette,de substance blanche cachée sous les circonvolutions qui

bordaient la couche optique.. -' 4 f l' .

Cette bandelette mérite une description spéciale : par sa face infé-

rieure elle est exactement- appliquée sur les couches optiques qu'elle

. ,

contourne complètement en avant et; en arrière; sa face supérieure, en

rapport avec les circonvolutions adjacentes, est soudée à ces circonvo-

lutions par son bord externe, tandis que son bord interne, mousse el

arrondi, est divisé longitudinalement par un léger sillon. Aucune fibre

nerveuse ne réunit la bandelette du côté droit à celle du côté gauche.

3° Il n'existe pas de septum lucidum ; .

40 Les commissures blanches, antérieure et postérieure, ainsi que la

commissure grise, occupent leur situation normale; -

5° Les couches optiques et'le noyau caitelé présentent un degré

d'atrophie notable; les autres parties des hémisphères sont nor-

males. ' ,

6° Les circonvolutions de la face interne affectent une morphologie

spéciale et différente un peu sur chaque hémisphère. A la face interne

de l'hémisphère droit, la première frontale est directement en rapport

en avant avec la couche optique; en arrière, elle est séparée du lobe

paracentral par un lobule en forme de fer à cheval de la face convexe

duquel se détache une petite circonvolution qui se termine au niveau de

la couche optique pl. XXI). Le. lobule paracentral est plus petit

qu'à l'état normal et triangulaire; en arrière, on distingue le lobule

quadrilatère, il est volumineux et s'étend jusqu'aux noyaux gris. Ce

lobule est divisé en deux moitiés par une large incisurc étendue de son

angle antéro-supérieur à son angle postéro-inférieur. En arrière encore,

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I PL. 20

CLICk" : H UllhRT

1MBÉCIL1TÉ. ABSENCE DE CORPS CALLEUX

DtLAHAYt & LKCNùSNIEU ÉDITEURS

NOTE SUR UN CAS D'IMBECILLITE. joli

on voitle coin, remarquable également par ses grandes dimensions; au-

dessous des noyaux gris, les deux circonvolutions temporo-occipitales

sont normales.

Longueur de la face interne de l'hémisphère droit, 3t centimètres;

longueur de la face interne de l'hémisphère gauche, 20 centimètres.

Face externe : d'une façon générale les circonvolutions ont un déve-

loppement exagéré, mais elles ne présentent pas d'anomalies. Les

sillons ont également leurs rapports normaux.

Les pédoncules cérébraux, la protubérance, le cervelet et le bulbe ont

leurs dimensions normales et ne sont le siège d'aucune altération; il

en est de même du quatrième ventricule ainsi que de l'aqueduc de

Sylvius.

La moelle n'a pas été examinée.

Les vaisseaux et les nerfs de la base du crâne ne présentaient aucune

anomalie.

Malgré ses lacunes, l'observation que nous venons de relater présente

un certain nombre de particularités intéressantes :

Au point de vue clinique, nous ferons remarquer que l'hydrocéphalie

congénitale se traduit habituellement par un état d'idiotie complète.

31. Bourneville en a publié, dans ces dernières années, plusieurs

exemples remarquables. La persistance chez notre malade d'un certain

degré d'intelligence peut toutefois s'expliquer par le siège de l'épan-

chemenf à la partie postérieure du ventricule, et par l'intégrité à peu

près complète des lobes frontaux. La longue survie de Y... peut

également être attribuée au siège de l'épanchement et probablement

aussi aux conditions dans lesquelles il s'est effectué.

Cet épanchement ne s'est traduit pendant la vie que par le

volume et la déformation de la tête, quelques phénomènes diffus de

dépression cérébrale et un état de faiblesse intellectuelle très pro-

noncée ; il faut noter l'absence de toute espèce de symptômes de foyer,

paralysies, contractures, convulsions.

D'après Cossy, les phénomènes convulsifs font défaut lorsque l'épan-

chement ventriculaire se développe lentement, etc.,111. Jaccoud soutient

au contraire que les convulsions manquent lorsque l'épanchement est

d'emblée très abondant et qu'elles n'apparaissent que s'il est graduel :

dans le premier cas, les éléments nerveux fortement comprimés auraient t

perdu leur aptitude fonctionnelle. Notre observation ne nous permet

pas de trancher cette question; rappelons seulement qu'il n'existait

ancune trace de méningite extra ou intra-ventriculaire.

Les causes de l'hydrocéphalie congénitale sont encore peu connues :

on a invoqué tour à tour l'alcoolisme, la syphilis, le crétinisme, la

106 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

vieillesse des ascendants, la consanguinité, etc., mais, outre que l'in-

fluence de ces conditions étiologiques est encore très problématique,

aucune d'elles n'a été relevée dans les antécédents de notre malade.

C'est donc là un point qui reste obscur, et nous devons nous borner il

constater que, chez lui, l'hydropisie ventriculaire était liée à un arrêt de

développement partiel du cerveau.

Cet arrêt de développement nous permet, du reste, de nous rendre un

compte assez exact des différentes malformations trouvées à l'autopsie,

notamment de celles qui intéressaient le corps calleux et le trigone

cérébral. -'

Otusait que ces organes sont des formations embryonnaires tar-

dives : d'après Iluguenin, le corps calleux apparaît vers le quatrième

mois de la vie foetale au sommet de la gouttière qui divise la circon-

volution arquée en deux anneaux concentriques parallèles à la scissure

courbe d'Arnold : l'anneau externe de cette circonvolution forme le

tractus de Lancisi et le faisceau de fibres situées sur la circonvolution

du corps calleux, tandis que l'anneau interne donne naissance au

trigone. 1 w

On pourra se rendre compte de ces dispositions sur la figure 49,

empruntée au traité d'anatomie de Iluguenin, quijreprésente la face

interne de l'hémisphère droit d'un embryon de quatre mois. Ces

dispositions se retrouvent également sur la face interne de l'hémi-

sphère droit de notre malade (pl. XXI et fig. 41).

FIG, 42. - Face interne de l'hémisphère droit présentant l'indication des principaux'sillons do l'encé-

phale complètement développé, (d'après Iluguenin). - a, a. Fente donnant accès dans le ventricule

latéral. - b. Scissure courbe d'Arnold. c. Scissure occipitale (perpendiculaire interne). - d. Sil-

lon secondaire divisant la circonvolution arquée ou marginale en deux parties (u, et P) et marquant

le lieu d'émergence des corps calleux (i). f. Sillon calloso-marginal (scissure festonnée). g. Sil-

lon de l'hippocampe. h. Insertion des pédoncules cérébraux. '- i. Première apparition duco.rp,

calleux. k. Commissure antérieure. - /. Lobe olfactif.

NOUVELLE ICONOGRAPHIF T IPL 21

CLI('1 ! { HUBERT

ABSENCE DE CORPS CALLEUX. < ? DILATATION DU VENTRICULE LATÉRAL

4

DLAHAYh. & LECROSNIER ÉDITEURS

NOTE SUR UN CAS D'IMBÉCILLITÉ. 107

La bandelette que l'on aperçoit sous les circonvolution s qui bordent

lit couche optique n'est autre chose que le trigone incomplètement

développé, et le petit cylindre de substance grise situé à l'extrémité

antérieure de cette bandelette représente le vestige du corps calleux.

Il nous est donc permis de supposer que c'est vers le quatrième mois

de la vie intra-utérine que sont survenus les troubles de nutrition qui

ont eu pour conséquence, à la fois l'hydropisie de la cavité ventricu-

laire et les anomalies cérébrales trouvées à l'autopsie.

Parmi ces anomalies il en est une qui devait attirer particulièrement

notre attention, c'est l'absence de la grande commissure interhémis-

phérique du cerveau. Cette anomalie est en effet relativement rare, et,

en dehors des cas d'anencéphalie dans lesquels la totalité ou la plus

grande partie des hémisphères font défaut, il n'en existe que quelques

observations. ,

La première, en France du moins, si nos recherches sont exactes,

aurait été publiée en 1835 par Dubreuil (de illontpellierl) : il s'agissait

d'un enfant atteint d'un double bec de lièvre de la lèvre supérieure

qui ne vécut que quelques heures. On constata après sa mort que les

hémisphères cérébraux étaient adhérents au niveau du 1/4 antérieur

de leur face interne; que les nerfs olfactifs étaient absents ainsi que le

corps calleux, le septum lucidum et la voûte à trois piliers. Il existait

en outre une atrophie des corps striés.

Antérieurement, Tiedeman avait déjà remarqué « que le cerveau de

l'homme est sujet à ne pas se développer complètement' sous le rapport'

ducorpscalleuxet à s'arrêter sous cepointde vue àquelqu'un des degrés'

d'évolution dont il parcourt la série successive ° D. Dans un mémoire

consacré à l'étude des rapports qui peuvent exister entre le cerveau,

les nerfs et certains vices de conformation, cet auteur .relate quelques

faits destinés à prouver que l'absence ou la fusion des deux yeux coïn-

cide souvent avec plusieurs agénésies cérébrales au nombre desquelles

il ci le l'absence du corps calleux. '

Riel, cité également par Tiedeman, rapporte une observation qui pré-

sente avec la nôtre une certaine analogie : une femme âgée d'environ

trente ans, bien portante mais idiote, ce qui ne l'empêchait pas de faire

les petites commissions dont les habitants de son village la chargeaient

quelquefois pour la ville voisine, tomba tout d'un coup à la renverse et

mourut d'une attaque d'apoplexie. En ouvrant la tête, on trouva, qu'in-

dépendamment d'une légère accumulation de sérosité dans les ventri-

1. Dubreuil. Bec de lièvre double, séparation complète de la voûte palatine, absence des

«cris olfactifs, du trigone et du corps calleux (Gaz-, méd. de Paris, 1835, p. 213).

2. Tiedeman. Anatomie du cerveau, trad. Jourdan. Paris, 1823.

108 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

cules, le corp{calleux offraitune solution de continuité dans toute lalon-

gueur de sa partie moyenne, ou plutôt, que cette partie moyenne man-

quait complètement, de sorte que les couches optiques se montraient

à découvert et que les deux hémisphères étaient unis seulement parla

commissure decescouches, par la commissure antérieure etpar les tu-

bercules quadrijumeaux. Il n'y avaitni genou ni cuisses du corps calleux,

par conséquent point non plus de cloison transparente. Riel attribue

cette absence du corps calleux à un arrêt de développement du cerveau.

Le fait que nous allons maintenant rapporter doit évidemment rece-

cevoir la même interprétation ; il a été communiqué en 1 862 à la Société

de biologie par M. le Dr Poterin-Dumotell :

L'homme, sujet de l'observation suivante, est mort à soixante-douze ans.

Il s'était toujours bien porté et n'avait jamais éprouvé d'autres indispositions

que des éblouissements passagers, avec pâleur de la face et résolution mo-

mentanée des membres; accidents très fugaces qui se sont montrés trois ou

quatre fois au plus et dont il se remettait aussi rapidement que d'une simple

syncope. '

C'élail un homme de taille moyenne, de complexion physique robuste, of-

frant une conformation du crâne assez remarquable pour adirer au premier

coup d'oeil l'attention. En effet, la voûte crânienne, très sensiblement aplatie,

présentait une surface dont les amples dimensions résultaient, non-seule-

ment de cet aplatissement, mais encore de l'énorme circonférence de la base

du crâne.

Cet homme était affecté de surdité congénialc. Sa vue, longtemps très bonne,

quoique la saillie des globes oculaires rappelât la myopie, ne s'était affaiblie

qu'avec l'âge. Les attires fondions sensorielles étaient intactes.

Le sujet de cette observation avait été conçu t Paris, t l'époque des pre-

mières scènes de la Révolution, et c'était unc tradition dans sa famille que

sa mère avait été violemment impressionnée, dans les premières semaines

de sa gestation, par les événementsqui accompagnèrent et suivirent la prise

de la Bastille.

Ce fait bien établi, voici l'inventaire rapide de l'intelligence du sujel.

C'était un imbécile, mais dans l'acception latine du mort, c'est-à-dire uu

faible d'esprit. Cependant, on avait pu lui donner dans sa jeunesse une ins-

truction élémentaire, car il savait lire et écrire; son écriture était, il est

vrai, peu régulière, et son orthographe très indépendante des règles delà la

grammaire. Il connaissait il peine les premières colonnes de la table de

Pylhagore. La se bornait son savoir. Sa mémoire, trop restreinte, était en

même temps assez tenace, et lui fournissait surtout les souvenirs relatifs a

son enfance. Il se rappelait très bien ce qu'il avait entendu dire des circons-

tances dans lesquelles il était né, et de l'influence qu'elles avaient eues sur

son infirmité d'esprit dont il avait bien conscience. Incapable de combinai-

sons d'idées au delà des plus simples, il répondait juste aux questions élémen-

taires, pouvait converser quelques instants dans le cercle des phrases banales,

1. Voy. Bull. Soc. biol., 1862, p. 93.

NOTE SUR UN CAS D'IMBÉCILLITÉ. 109

comprendre les alinéas les plus courts d'un journal, ceux, par exemple,

nui sonlconsacrés il des événements familiers, les nouvelles diverses; encore,

quelques heures plus tard, n'en avait-il aucun souvenir. Enfin, il s'acquittait

assez bien de quelques commissions, pourvu que les explications ne deman-

dassent ni attention soutenue, ni effort de mémoire. Aux personnes qui, ne le

le connaissant pas, lui parlaient et le sortaient de ses habitudes intellec-

tuelles, il répondait qu'il ne comprenait pas; aux autres, qui lui faisaient

des questions au-dessus de sa portée, il disait souvent : « Je suis né dans

les boulets de 21... Pour avoir de l'esprit il faut avoir lait sa rhétorique et

sa philosophie, et que ça parte de la (en montrant sa tète). » C'était son plus

long discours.

Au moral, il variait d'une jovialité niaise, qui lui inspirait quelques bribes

de vieilles chansons, à une maussaderie puérile où perçait un peu d'envie

contre ses semblables mieux doués.

C'est en raison de ces commémoratifs, attestant évidemment un arrêt du

développement de l'intelligence, sans mélange d'aucune influence patholo-

gique accidentelle et en dehors de tout état maniaque, par conséquent de

l'aliénation mentale proprement dite, qu'il était intéressant de rechercher

si ? [cet accident fonctionnel, correspondait un accident organique homologue.

L'ouverture du crâne a été faite trente heures après la mort. Il s'est

écoulé, il l'incision de la dure-mère, environ 130 grammes de sérosité inco-

lore, sans détritus organiques.

L'encéphale, posé par sa base sur une table garnie d'une serviette, s'étale

comme une masse diffuenle, son tissu ne présente cependant aucun signe de

ramollissement interstitiel, ni injection, ni coloration anomales. Les hémis-

phères, très écartés l'un de l'autre, ne sont plus réunis que par l'isthme

dont on aperçoit à nu la face supérieure. Il n'y a aucun vestige du corps

calleux ni de ses prolongements.

La coupe horizontale elliptique de toute la face supérieure de l'hémisphère

droit fait apercevoir l'ampliation de la cavité ventriculaire qui s'étend de la

corne frontale il la corne occipitale et de la circonférence externe au bord

interne de l'hémisphère, aux dépens de la substance médullaire réduite par-

tout à l'épaisseur d'une lame blanche qui double les circonvolutions. La

cavité ventriculaire figure par conséquent-une vaste poche qui ne présente

plus de diverticulum, mais assez largement ouverte au-dessus du noyau de

l'hémisphère.

Des parties qui constituent le trigone, on n'a constaté que les tubercules et

les prolongements adhérents a la surface interne des couches optiques,

c'est-à-dire la partie antérieure des piliers. Les commissures antérieure et

grise existaient, mais ont été déchirées; on n'a pas constaté l'existence de

la commissure postérieure.

Il est superflu de faire remarquer qu'un certain nombre de circonvolutions

manquent, comme celles qui sillonnent la face interne des hémisphères et

les deux satellites du corps calleux, quoique celles de l'hippocampe, con-

sidérées comme la terminaison de ces deux dernières existent ici, aussi bien

que leur revêtement interne qui constitue la corne d'Ammon. L'ergot de.

Morand est indiqué dans le ventricule droit par une saillie bien plus étendue

en long et en large, mais' en même temps bien moins en relief que de cou-

tume.

8

110 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Le noyau hémisphérique proprement dit, pédoncule, couche optique et

corps strié, se présente dans sa conformation normale, mais plus aplati et

avec une surface plus étendue il gauche qu'a droite.

Le poids total de l'encéphale, y. compris ses membranes propres, était

de 1078 grammes.

Le cervclclel l'isthme, séparés de l'encéphale par une coupe des pédon-

cules au ras de la protubérance, pesaient à très peu près 100 grammes.

Reste donc 978 grammes pour le poids du cerveau seul. ,

Il est impossible de lire la relation de ce fait sans être frappé dela

ressemblance qu'il présenteavecla nôtre, aussi l'avons-nous reproduit

presque intégralement : il s'agit également d'un imbécile qui a vécu

jusqu'à un âge avancé et à l'autopsie duquel on a trouvé, comme chez

V ? une dilatation considérable des ventricules latéraux, une absence

complète du corps calleux, un trigone rudimentaire et plnsieurs an011 ! a-

lies des circonvolutions de la face interne des hémisphères. Bien que

)1. Poterin-Dumotel n'en ait pas fait mention, nous croyons pouvoir ad-

mettre que la poche formée par la dilatation des ventricules latéraux

était remplie de sérosité. Son malade était donc, comme le nôtre, atteint

d'une hydrocéphalie ventriculaire congénitale liée à un arrêt de déve-

loppement du cerveau antérieur. Il y avait toutefois, entre le cerveau

de ces deux malades, une différence importante : abstraction faite du

liquide contenu dans les ventricules, celui de V... pesait 1260 grammes,

tandis que le poids du cerveau du malade de M. Poterin-Dumotel ne dé-

passait pas 978 grammes. Or, on sait que, d'après Broca, la micro-

céphalie commence lorsque le cerveau pèse z10 ! >·9 grammes chez

l'homme, et 907 gr. chez la femme. Le malade de M. Poterin-Dumotel

était donc un microcéphale, tandis que le nôtre pouvait être ajuste

titre considéré comme un mégalocéphale.

C'est également chez une micro-hydrocéphale, dont le cerveau ne

pesait que 104 grammes, et qui n'a du reste vécu que quatre mois, que

Broca a constaté l'absence de la plus grande partie du corps calleux'.

Tous les, autres exemples de la même anomalie que nous avons recueil-

lis ont été observés à l'étranger; on en trouvera plus loin l'indication

bibliographique, nous nous bornons actuellement à les signaler, nous

réservant de les étudier dans un travail ultérieur et d'en tirer, s'il est

possible, quelques déductions au point de vue de la physiologie

encore si obscure du corps calleux.

Index BIBLIOGV4.1PIIIQUE. - Tiedemann. Beobacbtungen über missbildungcn der fichions

und sciner Ncrvcn; in, Zeitschr. sur Ph ys. 18H, p. 5G. - WARD. Congénital absence of

tbo corpus callosum (Lond. merl. Gaz. J84G, p. 575). - 1·AGET. Case in which the corpus

1. BRocA. Sur un cas de microcéphalic excessive. Paris, Bull. Soc. antlerop., 1870.

NOTE SUR UN CAS D'IMBÉCILLITÉ. 111

Ilosura farnix and scptum lucidum, were imperfectly formed. ( ! lied. ,Chiru1". trans. Lond.

1816 p, 55). Henry. Description of thé dissection of a uram in whiclt thé corpus callo-

nn'fornixMd septum )ueidu)n wcre imperfectly dcveloppcd. (J11ed. chir. trans. Land.

1818 p. 239). I\LOU. Farbendlinlieit bci Mangcl der Corpus Callosum und Hydrocepbalie.

(Jnrhr6. ( liinderh. \Vieu. 1859-GO, p. 201). DowE. Case in which the corpus callosum

aud fornix were imperfoctty formed, and thé scptum lucidum and commissura mollis werc

absent. (Proc. Roy. med. and chir. Soc. Lond.1861, p.401). Cumsrte. A case in which

llie corpus allosum was absent (Proc. Roy. med. and. chir. Soc. Lond. 1868, p. 681).

Gemano. M. S. Ccrvcllo di uomo mancante del corpo calloso, dcl scllo lucido et dclla

grande circonvoluzione cérébrale chiamata del corpo calloso, colla integrita délie funzioni

inlelleetuali. Torino 1874. Ivaoa. Description of a case of defective corpus callosum.

(Dled. Jour. Glasgow 1875, p. 227). H. VIRCHOW. Sur un cerveau dépourvu de corps cal-

leux (Société de psychiatrie el maladies nerveuses de Berlin, séance du 9 mai 1888,

analysé in Archives de neurologie, mai 1888, p. -178).

Deny,

léùecil1 cie Bicèll'Q.

UN CAS DE LENTIGO UNILATERAL

CHEZ UN ÉPILEPTIQUE.

Le nommé St..., Auguste, est entré le 17 février 1888 dans mon

service comme épileptique.

Son père est mort des suites de brûlures qu'il s'était faites dans un

accès d'épilepsie; il était épileptique depuis l'âge de quinze ans. Un

oncle paternel est bien portant et a deux filles en bonne santé sans

(roubles nerveux.

Aucun antécédent morbide du côté de la mère. Grand-père et grand'-

mère maternels encore vivants et bien portants.

Il a un frère et deux soeurs plus jeunes que lui. Le frère a quinze

ans, il n'a pas eu de convulsions dans l'enfance et se porte assez bien,

mais il est pâle et peu développé pour son âge. La soeur aînée adiv

ans; bien portante jusqu'à l'âge de quatre ans et demi, elle a eu à celte

époque une attaque de paralysie du côté gauche; deux ans plus tard,

elle eut une seconde attaque à la suite de laquelle elle a conservé une

grande faiblesse de la jambe gauche qui est atrophiée; le bras gauche

serait resté indemne. La plus jeune soeur, âgée de quatre ans, ne

présente rien d'anormal.

St... a eu plusieurs fois des convulsions dans le cours de sa pre-

mière année. Dans sa première enfance, il était sujet à des cauche-

mars et à des terreurs nocturnes; il a été plusieurs fois atteint de tous

spasmodique ( ? ). C'est à treize ans qu'il a eu sa première attaque

d'épilepsie. Depuis, elles se sont renouvelées à peu près régulièrement

trois à cinq fois par mois, un peu plus fréquemment dans ces derniers

temps. Elles se produisent aussi bien le jour que la nuit. Ordinairement

les accès sont précédés pendant douze ou vingt-quatre heures d'uneir-

ritabilité particulière, et il devient sombre. En général, pendant cetle

même période, il a des secousses qui lui font souvent lancer au loin

les objets qu'il tient à la main. Ces secousses, d'ailleurs, se produisent

souvent en dehors des attaques, et principalement le matin. Elles pré-

dominent dans le bras gauche. Dix minutes avant l'accès, elles devien-

nent très fréquentes. Il sent quelque chose qui lui monte de l'estofflac

à la gorge. Les membres se raidissent, surtout à gauche; il jette un pelil

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T I PL 22

Phototypie BERTHAUD

Cliché HUBERT

LENTIGO UNILATÉRAL CHEZ UN ÉPILEPTIQUE

DELAHAYE & LECROSN1ER ÉDITEURS

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. 1. PL. 23

Phototypie BERTHAUD

CLICHr. HUBEITT

LENTIGO UNILATÉRAL CHEZ UN ÉPILEPTIQUE

DELAHAYE & LECROSNIER ÉDITEURS

UN CAS DE LENTIGO UNILATÉRAL. il,;

cri et tombe sur le côté droit. Les membres se fléchissent convulsive-

ment dans tous leurs segments; les deux poignets se fléchissent de

telle sorte que les doigts viennent toucher la face antérieure de

l'avant-bras; les deux membres inférieurs, surtout le gauche, s'éten-

dent. Il reste pendant deux ou trois minutes fixe, en état de rigidité,

les yeux hagards, le visage pourpre; puis il fait entendre un léger

ronflement, il lui vient un peu d'écume blanchâtre entre les lèvres,

et il tombe pour une vingtaine de minutes dans un sommeil sterto-

reux. Il se réveille avec un mal de tête qui dure le reste de la journée.

Il ne s'est pas mordu la langue, n'a pas uriné; il ne se souvient de

rien.

Il existe un peu d'aplatissement de la bosse frontale du côté gauche.

La face semble aussi un peu plus petite de ce côté. Tourbillon des

cheveux dévié à droite. Iris normaux, la dentition est régulière et bonne;

pas de déformation de la voûte palatine. Les oreilles présentent de

chaque côté un volume un peu exagéré de la racine de l'hélix; à droite,

la pointe de Darwin est assez marquée. Les épaules sont un peu tom-

bantes, ont un aspect féminin. Phimosis. ,

La sensibilité paraît égale des deux côtés. Le malade est gaucher :

force dynamométrique de la main droite 20, de la main gauche 35.

On voit sur la moitié droite du cou et du thorax, et sur le bras droit,

des taches d'un jaune brun, de dimensions très variables, depuis celle

d'une tête d'épingle jusqu'à celle d'un haricot, surtout foncées et con-

fluentes sur le cou. La peau qui environne ces taches est absolument

normale; les taches elles-mêmes ne présentent aucune élevure, aucune

irrégularité de la surface; elles ne sont le siège d'aucune sensation

particulière. En avant et en arrière, ces taches, qui ne sont autres que

des taches de lentigo, s'arrêtent sur une ligne à peu près verticale située

à peu près à un centimètre à gauche de la ligne médiane. A gauche de

cette ligne, il n'existe aucune tache, la peau est d'une couleur parfai-

tement uniforme. ,

On voit que ce lentigo s'est développé du côté opposé à l'atrophie

faciale et à la localisation prédominante des convulsions. S'il y a un

rapport entre le développement du lentigo et les phénomènes hémi-

plégiques, il faut admettre que le trouble trophique a eu pour résultat

de mettre obstacle à la production de la lésion cutanée.

Ch. FEUE,

Médecin de BicéLre.

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICII

(Suite et fin). 1

Anatomiquement, le pied tabétique est caractérisé par une altération

portant sur les os du tarse et du métatarse, dont l'usure, le désagrège-

ment amènent la disparition de la saillie dorsale physiologique et

l'écrasement concomitant de la voûte plantaire. L'empreinte est

celle du pied plat à son maximum de développement, la concavité

interne de la bande intermédiaire disparaissant presque complète-

ment1.

De tout cela il résulte, croyons-nous, que les déformations du pied

- dans la maladie de Friedreich sont assez spéciales pour être particu-

lièrement décrites et méritent d'entrer en grande ligne de compte dans

le diagnostic de l'affection 2.

Puisque nous en sommes sur le chapitre des déformations, nous

mentionnerons encore la déviation de la colonne vertébrale, phénomène

déjà observé une fois par Friedreich lui-même, et qui consiste dans une

scoliose également notée dans nos observations (pl. XI).

La direction de cette scoliose nous a paru variable. Elle peut s'ac-

compagner de cyphose (Brousse); chez Aub..., au contraire, elle coïnci-

dait, ainsi que le montre la planche X, avec un ensellure lombaire, une

lordose assez prononcée. La scoliose du reste et sa fréquence, bien plus

que sa direction, nous paraissent caractéristiques dans l'espèce. Il est

difficile de préciser ses conditions de développement, les auteurs - et

ils sont peu nombreux - qui ont eu l'occasion de faire des autopsies

n'ayant pas porté spécialement leurs investigations de ce côté. Peut-

être est-elle sous la dépendance des atrophies musculaires partielles

notées par M. Joffroy dans son observation.

L'instabilité pendant la marche et la station debout, la déformation

de la colonne vertébrale amenant l'élévation exagérée d'une épaule,

1. Féré. Note sur un nouveau cas de pied tabétique. Revue de médecine, 1887. - Gilles

de la Tourette, Études sur la marche, loc. cit., p. 49, fig. 17.

2. Certains hémiplégiques infantiles, avec atliétose, présentent une déformation du pied

qui se rapproche assez particulièrement de celle que nous venons de décrire dans la maladie

de Friedreich. Mais ici l'affection est unilatérale et spasmodique, bien qu'on puisse à la

rigueur imaginer sa bilatéralité.

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICII. 115

d'une façon générale la petitesse de la taille; d'autre part, le parler

scandé et traînant, contribuent à donner aux individus atteints de la

maladie de Friedreich un air de famille (pl. XII) qu'on retrouve peut-

être encore plus marqué dans la physionomie elle-même `. 1

Nous avons eu, sauf trois, l'occasion de voir tous les malades, au

nombre de douze y compris les nôtres, atteints de cette affection, dont

l'observation a été publiée en France. Chez la plupart d'entre eux,

sinon chez tous, nous avons noté avec M. Joffroy un faciès spécial,

un air hébété. De plus, ce qui a également été noté par les observa-

teurs étrangers, le plus souvent ils paraissaient être au-dessous de

leur âge.

Ce faciès coïncide avec un état mental sur lequel on n'a pas, croyons-

nous, suffisamment attiré l'attention. Ces malades, quoiqueleur intelli-

gence soit parfois assez développée, restent toujours de grands enfants;

ils sont incapables d'un travail sérieux, s'arrêtent constamment à des

futilités, et, à propos de conversations insignifiantes, sont pris d'accès

d'un rire niais et prolongé.

Il y a lieu de rapprocher cet état normal de celui qu'on observe par-

fois dans la sclérose en plaques, ainsi que nous en avons vu et en

voyons encore des exemples frappants dans le service de M. Charcot.

Chez tous il existe, mentalement et physiquement, une instabilité véri-

tablement particulière.

III

Restent maintenant à exposer certains phénomènes notés dans l'ob-

servation III et qui sortent un peu du cadre symptomatique habituel de

la maladie de Friedreich. Ils ont plus particulièrement trait à l'étude

de la sensibilité cutanée et aux troubles de la vision.

Si l'on veut bien se reporter à l'observation d'IIoud..., on y verra

noté : « D'une façon générale, sur tout le corps, la sensibilité est très

émoussée suivant ses divers modes, froid, chaleur, tact, douleur à la

piqûre. De même pour la sensibilité articulaire.

« De plus, il existe une anesthésie complète suivant ses divers modes

de tout le bras gauche, se terminant en manchon au niveau et un peu

au-dessus de l'articulation scapulo-humérale.

« Cette anesthésie existe également pour tout le segment inférieur

du membre inférieur droit; commençant un peu au-dessous du genou,

1. Nous remercions notre excellent maître, M. le Dr Joffroy, médecin de la Salpêtrière,

de nous avoir permis de reproduire les traits]de son intéressant malade (Le Plen ? pl. XII)

et quelques particularités afférentes à son observation.

116 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

circulairement, elle' envahit la jambe et le pied dans leur totalité. »

Nous n'ignorons pas que plusieurs auteurs ont également observé

des troubles de la sensibilité, « une anesthésie plus souvent limitéeaux

membres inférieurs' ». Mais ce sont presque là des exceptions et les

troubles si accentués présentés par notre malade nous firent songera A

rechercher s'il n'existait pas certains stigmates oculaires coïncidant

souvent avec ces altérations sensitives. Nos investigations à ce sujet

n'ont pas été vaines, car M. le docteur Parinaud, directeur du service

ophthalmologique de la Clinique, nous remettait, le 14 mars 1888, la

note et le schéma suivants (fig. 43) :

« Chez Iloud... (obs. III) les troubles oculaires consistent en une

1. Brousse, loc. cil., p. h.l. Il peut également exister de véritables douleurs fulgurantes

coïncidant ou non avec l'anesthésie.

Ftc. 43.

Fie. 44.

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 117

parésie des mouvements associés. Diplopie intermittente; pas de

nystagmus. L'acuité visuelle est de 1/2. A l'oplitalmoscopc on ne

constate aucune lésion du fond de l'oeil. Les réflexes pupillaires sont

conservés.

« II y a rétrécissement concentrique du champ visuel à 50°, intéres-

sant également les deux yeux, sans dyschromatopsie. »

Et il ajoutait : « En somme, l'amblyopie est identique à celle de

l'hystérie. »

Le même jour, M. Parinaud examinait le malade de M. Joffroy et

s'exprimait ainsi : « Le Pl... a eu de la diplopie il y a deux ans, mais il

n'en présente plus actuellement. Pas de nystagmus. Les réflexes pupil-

laires sont conservés. Pas de lésions du fond de l'oeil autres que celles

delamyopie : M = 4 dioptries. Acuité visuelle : V= oeil droit 1/3, oeil

gauche 1/20.

« Rétrécissement concentrique du champ visuel il 40° pour l'oeil droit,

il 25° pour l'oeil gauche (fig. 44).

c Le champ visuel du bleu est moins étendu que celui du rouge dans

les deux yeux. L'oeil gauche ne distingue pas le violet à la vision

centrale.

a Les troubles oculaires sont identiques iL ceux de l'hystérie. »

Ces dernières conclusions présentent un intérêt tout particulier. Les

phénomènes qui leur servent de base nous montrent, en effet, que l'hys-

térie peut affecter les sujets atteints de maladie de Friedreich au même

titre, du reste, qu'elle apparaît dans d'autres affections par arrêt de

développement, les myopathies par exemple. En effet, nous observons

en ce moment dans le service de la Clinique deux myopathiques chez

lesquels la coexistence de l'hystérie est indéniable.

Quant à la façon dont la névrose se comporte dans ces circonstances,

c'est là un point intéressant et tout spécial qui mérite de faire le sujet

d'une étude particulière.

[Depuis la publication de la première partie de ce travail, la malade,

Suzanne Desch..., qui fait le sujet de l'observation 1, est entrée dans

le service de la Clinique. Les notes qui suivent compléteront heureuse-

ment son observation prise en 1885 pour la première fois, en même

temps qu'elles nous montreront, par une singulière coïncidence,

l'hystérie venant encore une fois compliquer la maladie de Friedreich.

Suz. D... actuellement figée de dix-sept ans, ne peut plus que difficilement

se tenir debout tellement le caractère titubant de la démarche s'est accentué

dans ces dernières années; du reste, aucun des symptômes précédemment

signalés n'a rétrocédé.

118 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Depuis trois mois environ, ont apparu chez elle des crises nerveuses qui suc

montrent dans les conditions el avec les apparences suivantes.

Le jour où elle doit avoir sa crise, elle se réveille fatiguée, énervée, un

rien l'irrite; ce n'esl toutefois que dans l'après-midi que se montrent les

phénomènes convulsifs. Quelque temps avant leur apparition, elle a la sensa-

tion d'une boule qui, moulant de l'épigastre, vient lui serrer la gorge; puis

surviennent des battements dans les tcmpcs et des bâillements réitérés. Elle

est alors obligée de se coucher. Parfois ces phénomènes prémonitoires fout

défaut et les convulsions se montrent d'emblée.

Les membres supérieurs et inférieurs se raidissent, puis ne tardent pas il

être agités de mouvements cloniques en même temps quc la malade, se por-

tant sur le côté gauche, l'ail des esquisses d'arc de cercle latéral. De plus,

quelques mouvements de projection du bassin en avant. En résumé, phé-

nomènes les plus légitimes d'une série de petites attaques d'hystérie qui

ne durent pas en moyenne plus d'une heure. Puis, tout se dissipe, el la ma-

CINQ CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH.

119

lade, qui ne perd jamais connaissance, peut se lever et reprendre ses occu-

pations habituelles.

Ces attaques qui, il leur début, revenaient tous les trois ou quatre jours,

ne se montrent plus en moyenne que tous les cinq ou six jours.

L'examen delà sensibilité révèle les particularités suivantes (fig. 45, 46).

Sur la face antérieure du corps, zone d'anesthésie totale à la piqûre, à la

chaleur et au froid, comprenant la tôle, la face et le cou, limitée en bas par

une lignc transversale passant par les clavicules. Au-dessous, plaque sen-

sible coupant transversalement les seins il leur partie moyenne. Zone d'hé-

miancslhésie gauche, descendant jusqu'au genou; le reste du membre infé-

rieur gauche est hypoesthésiclue.

Le côté droit, y compris le bras, cst hypocsthésic]ue au-dessous de la ligne

mammaire indiquée.

En arrière, hémianeslhésie, bras y compris, intéressant tout le côté droit

ci descendant jusqu'à la naissance de la fesse : au-dessous hypoesthésie.

A gauche, hypoesthésie du membre inférieur à partir du pli fessier, le seg-

ment supérieur, y compris le bras, possédant sa sensibilité normale.

La sensibilité profonde, articulaire, n'est pas moins intéressée dans les ré-

gions correspondantes que la sensibilité superficielle ou cutanée.

Le goût et l'odorat sont abolis; la muqueuse buccale est insensible; le ré-

Oexepharyngé conservé il gauche est aboli à droite.

L'acuité auditive est très diminuée des deux côtés.

A droite et à gauche, rétrécissement concentrique du champ visuel

(fig. 47) à 15°; abolition de la perception du violet.]

. GILLES DE la TOURETTE, P. BLOCQ, IIUET.

Clinique des maladies du système nerveux.

FIG. n.

NOTE SUR LES MODIFICATIONS DU POULS

DANS LE PAROXYSME ÉPILEPTIQUE, ET SUR L'INFLUENCE DE L'EFFORT

MUSCULAIRE LOCALISÉ

SUR LA FORME DU TRACÉ SPIITGlI0GR : 11'IIIQUE.

Dans le but de dépister la simulalion de l'épilepsie, on s'est ingénié

à à trouver les phénomènes indépendants de la volonté qui puissent

constituer un caractère objectif des manifestations comitiales. Parmi

les phénomènes qu'on a cru pathognomoniques, il faut citer certains

caractères du pouls, signalés par M. Auguste Voisin dans différents

travaux

Cet observateur a remarqué que, quelques secondes avant l'attaque,

le pouls devient plus rapide, les courbes sphygmographiques sont,

non seulement plus courtes, mais moins élevées et plus arrondies.

Après l'attaque, on voit les ondulations prendre une forme curviligne

très particuière, puis les courbes s'élèvent et montrent un dicrotisme

très marqué qui peut durer pendant plusieurs heures avec une exagé-

ration de la hauteur. Tels sont, en résumé, les principaux traits que

M. Voisin considère comme spécifiques du pouls pendant et après le

paroxysme épileptique.

Il faut remarquer d'ailleurs que le pouls arrondi signalé par M. Voi-

sin à la suite de l'accès d'épilepsie a été retrouvé par Lorain qui l'a

désigné sous le nom de pouls ondulant dans l'éclampsie et dans la

manie puerpérales. ,.

Pour me rendre témoin de ces faits, j'ai pris un grand nombre de

tracés sur les épileptiques de mon service, avant, pendant et après les

accès ou les vertiges, et dans l'intervalle des manifestations comitiales.

Ces explorations répétées m'ont permis de relever quelques faits in-

téressants ; je ne m'arrêterai que sur un petit nombre.

1. A. Voisin, De la paralysie générale (Union médicale, 1868, t. VI, p. 89). - De l'épi-

lepsie simulée et de son diagnostic par les caractères sphygmographiques du partis (Ann,

d'hygiène publ. et de méd. légale, 1868, t. XXIX, p. 341). - Art. Eimlepsic (Dict. de miel

et de chir. pratiques, 1870).

2. Lorain, hluctes de médecine clinique : le Pouls, 1870, 1)1). 1`23, 209, 210.

1.1

0

en

C. : 3 "i

n

en

=*

o

s

Ili

n

']

0

en

C

CI

C

CI

r

M

n

Fie 48. a. Tracé du pouls avant l'accès. - b. Tracd'parallèle de la respiration qui devient de plus en plus superficielle à mesure que l'accès approche

(chez B..., état de mal).

Fin. 49. - Tracé du pouls avant le commencement d'un accès (chez B..., état de mal).

122 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Je n'insisterai pas sur la faiblesse extrême du pouls que l'on ob-

serve chez un grand nombre d'épileptiqyes, sur la lenteur ou les

irrégularités qu'on observe chez quelques autres.

Quant à la forme des tracés sphygmographiques sous l'influence

des paroxysmes, j'ai pu relever plusieurs fois la réalité des modifica-

tions signalées par M. Voisin; mais je ne crois pas que ces modifica-

tions soient spéciales aux paroxysmes épileptiques; il s'en faut

d'ailleurs qu'elles se présentent avec une régularité absolue. On peut

mème observer chez le même malade des différences très importantes

dans des accès consécutifs : on pourra se faire une idée de ces diffé-

rences sur les tracés que j'ai pris sur un malade de mon service qui a

succombé à un état de mal. Ceux de ces tracés qui comprennent

toute la durée de l'accès rendent compte du.trouble que la convulsion

musculaire jette dans l'étude des changements du pouls.

On remarquera tout d'abord qu'avant le début de l'accès, la respira-

tion subit une modification importante, devient extrêmement super-

ficielle avant que le pouls n'ait éprouvé aucun changement (fig. 48).

Au début de l'accès, la tension des muscles modifie la forme du

tracé qui présente des formes assez différentes (fig. 49, 50, 51, 52).

A la suite du paroxysme, on peut retrouver la même variété; en

général on trouve une augmentation de l'impulsion, comme on le voit

sur les figures 53, 54, 55. '

1. Il s'agit du malade atteint d'épilepsie traumatique que j'ai présenté à la Société ment-

cale des hôpitaux après sa guérison par la trépanation (Bull. Soc. méd. des hâp., lift

1>. 95).

FiG. 50. - Tracé du pouls au commencement d'un accès (chez B..., état de mal).

FiG. z- Tracé du pouls au commencement d'un accès chez T..., (l'accès provoque).

i

0

M

en

en

r

pi

en

=>

0

c

n

0

en

M

0

ci

"3

0

C

en

w

is

M

FtG. 52. - Pouls et respiration pendant toute la durée d'un accès chez B.

rtG. 53. - I*Vdcc .pltygmograpliyuo chez T..., pendant un vertige.

121 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.

Pendant les secousses le tracé est modifié d'une- manière analogue il

existe une exagération du dicrotisme normal, et une augmentation

de l'impulsion (fig.5G) que l'on retrouve dans l'accès incomplet

A la suite du paroxysme, on retrouve pendant un ccrtain temps soil

l'exagération du dicrotisme normal, soit un véritable polycrolisme

(fig. 58), soit l'arrondissement particulier de la courbe, signalé par

M. Voisin (fig. 59), soit une tendance la formation d'un plateau

(fig. G1, 63).

Mais, comme je l'ai montré sur de nombreux tracés', ces modifica-

tions du pouls ne sont pas spécifiques de l'épilepsie.

J'ai noté, en effet, que, sous l'influence de l'exercice musculaire, on

peut voir se reproduire la même exagération de la hauteur du tracé, le

dicrotisme et le polycrotisme, et que, dans une circonstance parti-

culière, on peut provoquer la même forme arrondie.

Mes observations ont été faites toutes dans les mêmes conditions.

Sauf de rares exceptions, l'observation a été faite sur la radiale droite,

le membre restant constamment dansla même position, avec le sphyg-

mographe à transmission, qui permet d'obtenir un tracé prolongé et

sans interruption.

Après avoir pris le pouls normal, je fais faire au sujet, avec la main

gauche, une pression soutenue sur le dynamomètre pendant une demi-

1. Bull. de la Soc. de biol., 1888, p. 253, 19 mars.

FiG. 51. - a. Tracé sphygmonraphique chez B... à la fin d'un accès. b. Tracé parallèle

de la respiration.

NOTE SUR LES MODIFICATIONS DU POULS. ,or or)

ilc. 5, z CI, Tr : cu FI,111'd'mogl ? phiql1C a la fin d'un accès chez D ? - Ii.Tlncé

parallèle de la respiration. ,

leu

NOUVELLE l'CONOGnAl'UtE DE LA SALPÊTRIÈRE.

minute environ. Pendant cet effort de la main gauche, les muscles de

l'avant-bras droit sont le siège d'une tension involontaire ou d'une

trémulation qui rend souvent le pouls indistinct. Lorsqu'il continue il

s'inscrire, on le voit souvent augmenter de fréquence, présenter une

grande hauteur, une exagération du dicrotisme ou un véritable

polycrotisme. Dès que l'effort a cessé, le pouls se ralentit, mais con-

serve une plus grande hauteur qu'avant l'expérience et un crochet plus

aigu; l'exagération du dicrotisme;persiste plus ou moins longtemps,

suivant les sujets.

Quand le pouls est revenu : a son état normal, sans déplacer l'ins-

trument, je fais' faire au sujet avec sa main droite (du côté où le

sphygmographe est appliqué) une pression, du dynamomètre analogue

FIG. 51. Tracé du pouls pendant nue période de secousses chez L...

Fin. 57. Tracé du pouls chez le même malade immédiatement aprs un accès.

1 ir. 5S. Tracé du pouls chez le mémo malade vingt minutes après un accès.

Fie. 59. · Tracé du pouls cl.07 V..., une demi-heure après un accès.

NOTE SUR LES MODIFICATIONS DU POULS. 127

il celle qu'il a faite avec la main gauche. Pendant cet effort, en raison

delà trémulation des muscles et de la modification -de pression du

ressort, la forme du tracé présente des différences assez grandes. Dans

les meilleures conditions, la hauteur de la courbe s'exagère, et l'on

voit apparaître un; polycrotisme très marqué (fig. 04). En tout cas,

quand l'effort cesse, la courbe subit une modification constante, qui

consiste en ce que le crochet s'émousse [et que la ligne de descente

s'arrondit, se bombe, d'une manière plus ou moins nette. D'ailleurs,

cette modification a plusieurs variétés dont on trouve des spécimens

dans les tracés..

1° Tantôt l'ascension se fait verticalement, puis la ligne se brise

pour se diriger brusquement obliquement en haut \ rappelant h

métacrotisme du pouls cérébral (fig. 65, 66, 67) ; 2° tantôt, à la place

de cette ligne oblique qui prolonge l'ascension verticale, on voit un

plateau horizontal (fig. 68); 3° tantôt, enfin, l'ascension et la descente

1. Lorain, loc. cit., p. JSi,'1J, signale cette forme de pouls chez la femme fin travail. ! ·'ic, G0. - Pouls normal clicz;)l ...*

FJG, 61. - Pouls à la suite d'un vertigo chez M...

1-iG 62. - Pouls noimal chez li..

1 tc. 03. - Pouls à la suite d'un accès, provoqué chez IL,

J2R NOUVELLE ICOXOCUAPIHE DE LA SALPÊTRIÈRE.

se cont.it.u6nt en fumant une ligne plus ou moins uniformément ar.

rondie (ti. liJ). Dans tous les cas, la ligne de

descente présente une convexité supérieure

plus ou moins marquée, et non interrompue;

il n'y a pas de trace de dicrotisme. Quelque-

lois, le tracé forme une série d'ondulations à

peu près régulièrement demi-circulaires. Ces

modifications du pouls, relevées sur des épilep-

tiques en dehors des accès, ne'leur sont donc

pas particulières; j'ai répété l'expérience sur

les élèves du service et sur moi-même avec le

même résultat.

A la suite de l'exercice des membres infé-

rieurs, d'une course, je n'ai trouvé qu'une lé-

gère élévation du pouls avec un peu d'exagé-

ration du dicrotisme. Or, il faut remarquer que

c'est précisément le pouls après la course que

M. Voisin a comparé au pouls de la période

qui suit le paroxysme épileptique. Il n'y a'donc

pas d'erreur d'observation dans son trayail.

L'inexactitude de sa conclusion n'a été mise en

lumière que par l'étude comparée du pouls 's

après l'exercice des quatre membres isolément.

Les modifications apportées à la forme du

tracé sphygmograhique du pouls par l'exer-

cice musculaire ne diffèrent pas des modifi-

cations apportées par le paroxysme épilep-

tique ; mais ces modifications peuvent varier

suivant que les mouvements, convulsifs ou

non, se sont produits dans le membre sur le-

quel on fait l'exploration sphygmographique,

ou sur un autre. Telle est la déduction facile

à prévoir, d'ailleurs, de mes observations.

Quant à .a modification apportée par l'exer-

cice du membre sur lequel l'exploration, est

faite, j'en ai cherché vainement la' trace dans

les auteurs. J'ai interrogé il cet égard deux de

nos collègues beaucoup plus compétents que

moi sur ce point de physiologie, MM. Dastre et François-Franck : le

lait leur était inconnu. Je ne crois pas cependant que cet arrondis-

sement si particulier du Iracé 'puisse être attribué à un vice de-1'0 £ -

li.

5D

z

r

rt

p

,0

o

z

Tio

1

7

1

c-

L

o

t

- 1

C

G)

cj

1 : t

1

1

C

I

O

NOTE SUR LES MODIFICATIONS DU POULS. 120

FIL;, 05. - a. Pouls radial droit normal de P... - b. Pouls radial droit après effort de : a 11l.Ii : 1

gauche. c. Pouls radial droit après effort de la main droite.

l'IG, 00. - a. Pouls radial droit 1101'111'" chez S... - b. Apres effort de la main ga.hc.

c. Après effort de la main droite.

Inc. 07. - a. Pouls radial droit uoI'I1111/ ! do N... - b. \na'rlfnrt ,'e 11 ma : " go : > : chu.

' (', .\;\l'Î'' 'C' il" de la m,i.i "'oitc.

LU NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

périencc : mes tracés sont, on effet, d'une régularité parfaite : on no

peu donc pas invoquer un déplacement de l'appareil; et cependant on

voit que, peu à peu, les courbes reprennent leur caractère normal

après un temps variable, suivant les sujets. '

Cette modification ne peut guère avoir une origine cardiaque, pjis-

qu'elle ne se produit pas quand le même effort a été fait avec le

membre du côté opposé. Il semble probable qu'elle tient à l'état des

vaisseaux des muscles dont la contraction s'accompagne d'une aug-

mentation de tension qui cesse ou se modifie, après que 'la con-

traction a cessé'. Cn. Féré,

hlédccin dc Bicûle.

I. J'ai fait,avecte sphygmomutre de M. Bloch, chez un certain nombre ¡l'épileptiques, d.s

explorations comparatives à la suite des accès ou dans leur intervalle, et j'ai tromequen

général il existe, pendant les quelques heures qui suivent les paroxysmes, une diminution

de la tension artérielle; il suffit, pour écraser le pouls, d'uncipression de 100 à 250 grammes

moins considérable qu'à l'état normal. '

Fig. Gb. a. Pouls radul droit normal de F... - G. effort de la maio.gauclic;

c..\]'1'03 effort de la main droite. "

1'16. OU. a. 1'0111, radial droit normal de N... - b. Après effort do la main gauche. ?

c. d. Après effort de main droite ?

CiOIÏVELLE lCO,OGRA.PIHL f TIPI. "1\

FRESQUE ATTRIBUEE A TADDEO GADDI OU A ANDREA DE FLORENCE £

(CAPELLONE DEGLI SPAGNOLI, FLORENCE)

LES INFIRMES D'UNE ANCIENNE FRESQUE

DE FLORENCE

Une ancienne fresque de Florence (Cappellone degli Spagnoli) repré-

sente une réunion remarquable d'infirmes de toutes sortes. Cette pein-

ture est attribuée à Taddeo Gadi ou à Andréa de Florence.

Quel qu'en soit l'auteur, cette oeuvre appartient à l'école du grand

réformateur de la peinture en Italie, Giotto, qui sut le premier rompre

avec la tradition byzantine pour introduire dans ses compositions la

clarté, l'émotion : en un mot la vie réelle. Malgré les incorrections du

dessin et les fautes de perspective, nous avons été frappés de nombreux

détails absolument typiques et qui montrent avec quel soin ces anciens

maîtres cherchaient à copier la nature. Le but de leur art était d'ins-

truire, d'édifier, et surtout d'émouvoir. Aussi leur oeuvre, dans la

représentation des difformités physiques, s'offre-t-clle à nous avec un

accent de sincérité d'autant plus grand que l'art ne s'était pas encore

élevé au culte exclusif de la beauté et n'était point tourmenté de la

recherche de l'idéal.

La fresque qui nous occupe nous montre des infirmes demandant la

santé à saint Dominique. Ils sont nombreux et forment la majorité de

la foule compacte qui emplit la composition. Au milieu, une jeune fille

est étendue à terre, le haut du corps seulement soutenu par deux

femmes. Pas la moindre recherche dans l'arrangement de cette figure;

les bras reposent inertes, ramenés sur le devant du corps, la tête est

inclinée à droite, la bouche légèrement entr'ouverte et les globes ocu-

laires convulsés en haut présentent un léger degré de strabisme. Si l'on

ajoute, à ces différents caractères, un certain degré de roideur de tout

le corps, nous pouvons reconnaître là, sans trop nous aventurer, une

crise de sommeil léthargique, image de la mort.

Le cul-de-jatte qui se trouve sur la gauche a le nez à demi rongé

par un ulcère; ses jambes atrophiées le condamnent ;1 se traîner sur

son siège, emprisonné dans la jatte traditionnelle, au moyen de ses

mains munies de petits chevalets semblables à ceux que nous voyons

encore aujourd'hui au : ; infirmes de nos rues et que l'on retrouve fré-

quemment dans les représentations artistiques analogues.

132 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Vers la droite, un malheureux béquillard montre une jambe oedé-

matiée enveloppée d'une bande qui laisse à découvert le pied tuméfie

et couvert d'ulcères.

A l'extrémité opposée de la fresque, un aveugle, tenant un bâton de

la main droite, a cette attitude rigide bien observée qu'on retrouve

également dans d'autres oeuvres remarquables. La tête est droite, la la

face impassible contraste avec la figure toute pleine de compassion du

moine qui s'approche de lui.

Mais, nous avons encore à relever d'autres difformités peut-être

même plus typiques. Tout au milieu de la fresque, un homme porte

sur ses épaules un enfant qui lève au-dessus de sa tête ses deux bras

atrophiés, terminés par des mains difformes. Le buste de cet enfantes !

droit et bien conformé. S'il est porté, c'est que ses jambes sont égale-

ment malades; on peut distinguer en effet un pied enveloppé de bande-

lettes. S'il nous fallait désigner la maladie qui a réduit ce pauvre être

à ce degré d'infirmité, nous ne craindrions pas de nous tromper en

disant que la « paralysie infantile », maladie ancienne bien que ré-

cemment nommée et décrite, a fait tout le mal.

Enfin, on peut distinguer dans le haut de la fresque, à droite, un

bras levé qui appartient à un individu dont on ne voit que la tête. La

main n'est nullement contrefaite, l'avant-bras seul découvert paraît

bien musclé; ici, pas-trace d'atrophie musculaire. Mais on remarque

une flexion du poignet absolument caractéristique. Toute simple que

puisse paraître cette, attitude, elle offre un aspect si spécial que le

peintre l'a très' certainement copiée sur nature. C'est bien cette

« chute du poignet », conséquence immédiate du défaut d'action des

muscles extenseurs, et dont la cause réside dans une paralysie du nerf

radial.

J.-M. CHARCOT (de l'Institut).

PAUL RICIIER.

Le gérant : ÉJIlLE LECHOS : \IEI\.

BouitLOTON. Imprimeries réunies, B, rue Mignon, 2.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

DES ARTIIHOPATHIES TABÉTIQUES DU PIED

Nous avons eu la bonne fortune d'observer dans le service de M. le

professeur Damaschino, l'hôpital Laënnec, sept cas d'arthropathie du ,

pied chez des ataxiques. Ce sont ces observations qui forment la base du

présent travail. De plus, un de nos malades étant mort, nous avons pu

disséquer l'articulation atteinte, en même temps que notre éminent

maitre pratiquait l'examen microscopique de la moelle.

Les manifestations tabétiques du pied étant relativement rares, nous

avons cru intéressant de réunir ces faits et de les entourer de quelques

considérations.

f

Historique. - Les complications articulaires survenant dans le

cours des maladies de la moelle étaient connues et admises depuis

longtemps, mais personne n'avait encore décrit des cas d'arthropathie

labliqllc, lorsque, en 1808, M. le professeur Charcot publia la pre-

mière observation d'arthropathie chez un alaxiquc. Depuis, les tra-

vaux se sont succédé, et la question a été étudiée principalement en

France par MM, Charcot, Bail, Vulpian, Bourneville, Michel; en Alle-

magne, par \'estphall; en Angleterre, par Blizzard et Page; en Amé-

rique, par Dudley.

Mais, toutes ces arthropathies labétiqucs siégeaient dans le genou,

la hanche, l'épaule, etc., et aucun cas d'arthropathie du pied n'était

signalé jusqu'en 1883, époque à laquelle M. le professeur Charcot

décrivit le pied tabétique. « Presque toutes les observations publiées

jusqu'à ce jour, disent MM. Charcot et Féré1, dans leur important

1. Charcot et Féré, Archives de neurologie, ISSi.

10

13t i NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

mémoire, ont trait à des lésions des grands os longs des membres et

des articulations; et il n'a point encore été question, que nous

sachions, d'altérations analogues portant sur les os courts et les

petites articulations du pied. C'est sur un groupe de faits de ce genre

que nous désirons appeler l'attention. '

« C'est au mois d'avril 1881 que nous avons observé le premier

exemple de cette affection...

« Ces lésions symétriques du pied, se présentant en dehors de toute

autre cause connue chez un ataxique avéré, nous parurent devoir être

rapprochées des lésions osseuses ci articulaires, si fréquentes chez les

tabétiques.

« Mais la diffusion de la déformation, l'ahsence de craquements ar-

ticulaires, nous portèrent il penser que si les articulations étaient

affectées, elles n'étaient pas seules enjeu, et que les os aussi devaient

être lésés. Toutefois, en l'absence de vérifications anatomiques, nous

.crûmes devoir rester sur la réserve relativement à la nature intime de

l'affection qui nous parut provisoirement désignée suffisamment sous

le nom de pied tabétique... Il peut, comme on le voit, se présenter,

dans le cours de l'ataxie locomotrice, une affection complexe du pied,

dans laquelle les os et les articulations sont le siège de lésions ana-

logues à celles qu'offrent, dans les mêmes circonstances, les os longs

et les grandes articulations. Celle affection, que nous proposons de

désigner, pour plus de commodité, par la dénomination de pied tabé-

tique, mérite de fixer l'attention, car, principalement dans le cas où

elle se montre isolée, elle peut faire errer le diagnostic. »

On trouvera dans le mémoire de MM. Charcot et Féré cinq observa-

tions de pied tabétique.

Nous avons cru devoir insister sur ce travail, parce qu'il est le pre-

mier qui ait paru sur la question, et que celle priorité est souvent

oubliée en Allemagne.

Depuis celte époque, on trouve dans les recueils de médecine un cer-

tain nombre de cas qui sont moins nombreux que ceux qui se rap-

portent aux autres arthropathies tabétiques.

- MM. Gaucher et Duflocq publièrent, en 1881, dans la l3cvnc cle anéclc-

cine, un cas d'arlhropathie tll)1)-11L;1'OllCO-lal'S1C1111C tabétique.

La même année', M. Féré en publia un autre cas dans la Revue de

médecine; de même M. Page, dans The Lancel.

En 188, M. Boyer fit paraître dans la Revue de médecine un cas de

pied tabétique.

M. Chauffard, en 1885, présenta il la Société médicale des hôpitaux

un malade atteint de pied tabétique. Cette communication résumait

DES .IR'rlll;0h,1'CIIII;S 'C.1B1 : 'l'IQUCS DU PIED. 135-

alors d'une façon très précise et très complète l'état de la question.

Dans ses leçons (inédites) de '1SSG, sur l'ataxie, M. le professeur

Damaschino a consacré toute une leçon it l'étude des arthropathies

tabétiques du pied.

En 1880, M. Troisier présenta à la même Société un cas de pied

tabétique double à la première période du tabes.

La même année, à la Société médicale des hôpitaux, parut un cas

de pied tabétique observé par M. Féréol.

En 1887, à la Société de médecine interne de Berlin, M. Bernhardt

présenta un malade tabétique atteint d'une arthropathie du pied

gauche.

La même année, le docteur Czerny publia, dans les Archiv sur

klinische Chirurgie, deux cas d'arthrite subaiguë du cou-de-pied chez

un ataxique.

II

Symptômes. En général, l'arthropathie du pied, comme celle

des autres parties du squelette, débute vers la fin de la première -pé-

riode de l'ataxie ou au commencement de la seconde, c'est-à-dire à la

fin des douleurs fulgurantes, au commencement de l'incoordination

des mouvements. Cependant, il y a des exceptions, et l'arthropathie a

pu débuter à une période de l'ataxie où le diagnostic était encore

incertain.

C'est ainsi que, dans le mémoire de Joffroy, on trouve une observa-

tion d'arthropathie qui se développa onze ans après le début des acci-

dents, alors que l'incoordination motrice et même l'atrophie des

muscles étaient déjà très avancées.

M. Bail a signalé des cas analogues, et cet auteur distingue les

arthropathies ataxiques en précoces et tardives.

Les observations de 1111. Joffroy et Bail ne sont pas relatives à des

arthropathies du pied; mais on peut admettre, par analogie, que les

mômes phénomènes se passent' au niveau des grandes articulations et

au niveau du pied.

Ce début si fréquent de l'arthropatllie dans une période où le ma-

lade souffre de douleurs fulgurantes ou de douleurs viscérales, gas-

tragiques par exemple, a été l'origine de nombreuses discussions;

plusieurs auteurs, en effet, ont prétendu que ces arthropathies étaient

toujours ou presque toujours liées à des manifestations douloureuses

du côté des membres ou des viscères.

Ordinairement, le début est brusque. « L'absence de fièvre, de rou-

13G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.

gour et de douleur paraît être un caractère il peu près constant. »

(Charcot.) Cependant, il est des cas dans lesquels une réaction assez

vive s'est montrée dans les premiers temps, comme chez un malade

o' serve par M. Bail, et chez un individu soigné par le docteur Czerny.

Tout le membre est gonflé; la tuméfaction est plus marquée au ni-

veau de la jointure malade et reconnaît pour cause une effusion consi-

dérable dans la cavité synoviale.

Les parties voisines sont le siège d'un empâtement qui ne ressemble

pas à l'oedi'me ordinaire; il ne s'affaiblit pas sous la pression du doigt,

et lui oppose une certaine résistance.

La tuméfaction dorsale du pied augmente peu à peu; elle est uni-

forme, et ne laisse sentir aucun os hors rang, aucune saillie irrégu-

lière. La tuméfaction est surtout marquée au niveau de l'articulation

tarso-métatarsienne : c'est une saillie angulaire portant seulement sur

la surface dorsale du pied, et prédominant plus ou moins sur le bord

interne du pied. Il y a alors une déviation apparente, parfois très mar-

quée, du métatarse en dehors.

Cette déviation du métatarse en dehors, sur laquelle insistent

MM. Charcot et Féré, n'est cependant pas toujours de règle. Elle peut

manquer complètement ou être à peine marquée, la déformation se

faisant tout entière dans le plan vertical. M. le docteur Boyer ' a noté

l'absence de celle déviation en dehors, et nous en avons aussi observé

un cas.

On comprend d'ailleurs aisément que la lésion puisse avoir envahi

une plus ou moins grande partie du squelette du pied, et donner lieu

par conséquent il des déformations variables.

Mais il est un point sur lequel nous ne saurions trop insister, c'est

que la déformation n'est pas souvent en rapport avec le degré de la lé-

sion : il arrive en effet fréquemment que la déformation soit minime

et qu'on pense à l'existence d'une arthropathie peu étendue, alors que

l'autopsie vient démontrer l'erreur. C'est ce que nous avons pu voir

chez une de nos malades (Ces. 1). Pendant la vie il existait une simple

augmentation transversale des malléoles, avec hypertrophie de la mal-

léole externe : la dissection du pied nous permit de voir que non

seulement le péroné, mais aussi le calcanéum étaient profondément

altéras.

Le bord interne du pied est très épaissi ; il est abaissé. Cet épaissis-

sement va souvent du cou-de-pied jusqu'au niveau de l'articulation

tarso-métatarsienne inclusivement, d'où il résulte un effacement àpeu

I. Revue de médecine, 1881. L

DES ARTHROPATHIES 1'IIiI : 'fIllUl;S DU PIED. 137

près complet de la voûte plantaire, qui donne lieu à un pied plat.

L'existence de ce pied plat, facile à reconnaître à la vue, peut aussi

être enregistrée sur le papier par la méthode des empreintes'. L'em-

preinle du pied plat est toute particulière. Grâce à cette méthode on

peut également noter, comme l'a montré M. Gilles de la Tourette, les

modifications profondes'que le pied arthropalhique entraîne, par le fait t

même de sa lésion, du côté de son écartement latéral et de son angle

d'ouverture; l'axe du pied, chez ces malades, est sensiblement paral-

lèle à la directrice, ce qu'on n'observe pas chez l'homme sain.

Il serait, croyons-nous, inexact d'avancer que le pied plat se ren-

contre toujours dans le pied tabétique. Sur ce point, nous ne parta-

geons pas l'avis des auteurs qui se sont occupés de la question. Le

pied plat peut faire complètement défaut, alors que l'arthropathie est

très manifeste.

Cette observation a déjà été faite à la Société médicale des hôpi-

taux 2 par M. Troisier, à propos d'un malade qui est actuellement soi-

gné dans le service de M. le professeur Damaschino. « La voûte plan-

taire persiste, dit M. Troisier; elle parait même un peu exagérée, de

sorte que l'empreinte des pieds est normale. » MM. Charcot et Féré

ont, du reste, noté dàns leur travail la conservation possible de la

voûte plantaire.

C'est avec raison que M. Troisier propose d'admettre deux variétés

de pied tabétique, l'une avec effacement, l'autre avec conservation de

la voûte plantaire, la première plus fréquente que la seconde.

En tout cas, on devra recueillir les empreintes, non pendant la sta-

tion verticale, mais pendant la marche3.

Lorsque l'arthropathie n'a pas donné lieu à un pied plat, la voûte

plantaire est exagérée, et ce pied, avec sa forte convexité dorsale, peut

être comparé très justement au pied chinois. '

M. Chauffard a également insisté sur l'empreinte donnée par un pied

frappé d'arthropathie. Le pied est, en général, diminué de longueur.

Les malléoles subissent également des changements; elles sont tu-

méfiées, augmentées de volume, et peuvent former de véritables tu-

meurs se continuant avec le corps de l'os.

La pression exercée sur le tarse, ou les mouvements exécutés par le

pied, ne sont en général pas douloureux : il existe peu de craque-

ments articulaires. -

1. Voir la thèse de M. Gilles, de la Tourette. Eludes cliniques el physiologiques sur la

marche. Paris, 1886.

2. Société médicale des hôpitaux, 7 avril 188G.

3. Voir Féréol, Société médicale des hôpitaux, 9 avril 1886.

13S NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.

Quant aux mouvements de l'articulation, ils sont diminués, et

peuvent, même, être impossibles : le pied, dans sa totalité, est anky-

losé.

Ces changement si importants qui se passent du côté du pied

donnent lieu il des troubles plus ou moins marqués dans la marche de

l'ataxique. Si la déformation est très développée, le malade ne peut

plus se reposer sur son pied arthropathique et, il est obligé de se ser-

vir de béquilles.

Enfin, s'il est des cas où la lésion atteint son maximum en quelques

semaines, il en est d'autres où la lésion évolue par poussées succes-

sives à la suite desquelles les déformations sont de plus en plus mar-

quées. -

Lorsque la déformation semble diminuer, ce n'est pas que les lésions

se soient réparées; nous verrons en effet, en traitant de l'anatomie pa-

thologique, qu'un semblable processus n'est pas possible. Cette dimi-

nution de volume tient il la disparition de l'hydarllirose et de l'oedème

des tissus péri-articulaires. La lésion des extrémités articulaires per-

sistc toujours et fait des progrès continuels quoique lents.

La sensibilité il la piqûre et au froid est, généralement abolie dans

le pied, mais d'une façon particulière. La région dorsale du pied est

complètement insensible, tandis que la face plantaire a conservé toute

sa sensibilité au froid et à la piqûre. Notons que ces troubles de scn-

sibilité ne sont pas spéciaux au pied atteint d'arlhropathie, mais

qu'ils existent souvent aussi au niveau de l'autre pied sur lequel il

est impossible de trouver la plus petite lésion osseuse ou articu-

laire.

Dans les artllropathies du pied, le siège des lésions est presque tou-

jours le même. -

On peut dire que, d'une façon presque constante, l'articulation tibio-

tarsienne est frappée. Dans les différentes autopsies, le tibia et le pé-

roné étaient malades. Dans l'observation Y de MM. Charcot et Féré il

n'est cependant pas question du tibia et du péroné..

. Les os du tarse et du métatarse sont atteints il des degrés divers.

Quelquefois (et nous en citons un cas, Ors. III) l'arthropathie

peut ne siéger au pied qu'au niveau d'un orteil. Chez noire malade, on

ne trouvait aucune autre arthrophathie du pied que celle du deuxième

orteil.

Celle artliropalhie se traduit par des déviations latérales des pha-

langes; de plus, la première phalange est dans l'extension. La seconde

phalange est fortement fléchie et forme avec la première un angle

presque droit; en même temps, elle est, légèrement portée en dehors.

DES A Il T 11 Il 0 JI A T II [E S TA B É T 1 I U E S D PIED. 13'J

La troisième phalange est dans l'extension et forme avec la seconde

un angle aigu.

De ces différentes modifications, il résulte que la troisième phalange

repose presque entièrement sur le sol, et est déformée, aplatie, ce que

l'empreinte du pied montre d'une façon très nette.

Dans une autre observation d'arthropathie d'un orteil, la première

phalange était dans l'extension, tandis que les deux autres étaient dans

la flexion.

En résumé, on peut classer les arthropathies labétiques du pied de

la façon suivante :

1° Arthropathies libio-péronéennes;

2° Arthropathies tarso-métalarsiennes ;

3° Arthropathies des orteils;

4° Arthropathies généralisées du pied. Dans cette dernière forme,

les différentes parties du squelette du pied sont atteintes il des degrés

divers.

OUS. 1. -ltaxie loconaotrice.-Artlanopallaie cltc 1)iect.-Illonl, autopsie.

Le 8 novembre 1887, la nommée Jeanne P..., âgée de soixante-quatre ans,

couturière, entre salle Moimerct, if 30, dans le service de M. le professeur

Damaschino, a l'hôpital Laënnec.

L'ataxie locomotrice a débuté il l'âge de vingt-huit ans : il cette époque les

douleurs fulgurantes ont apparu pour la première fois. Ces douleurs, très

vives, passagères, revenaient par crises et siégeaient dans les membres

inférieurs.

Ce n'est que depuis trois ans que la maladie a fait de grands progrès; une

arthropatliic du genou gauche obligea la malade à entrer à l'hôpital.

Peu il peu, insidieusement, le genou augmenta de volume; il devint très

gros, globuleux, mais sans aucune réaction locale. 11 était indolent; le genou

était le siège de craquements.

Le lendemain du jour où elle quitta l'hôpital, elle ressentit des douleurs

aiguës au niveau de l'articulation Libio-tarsicunc gauche. Les jours suivants,

l'articulation augmenta de volume, el resta dans cet état pendant près d'un

mois; l'articulation n'était douloureuse que dans les mouvements de la

marche.

En mars 1888, la malade ressentit de vives douleurs d'estomac qui persis-

tèrent plusieurs jours et disparurent il la suite d'une abondante héma-

temese.

Etat de la malade à son entrée à l'hôpital (novembre z1887>. Douleurs

fulgurantes et douleurs en ceinture; incoordination des membres inférieurs;

abolition des réflexes rotuliens : signe de Rombcrg.

Les troubles trophiques sont très marqués chez cette malade.

Le genou gauche est le siège d'une athropalhic considérable qui déforme

la région : celte tuméfaction est surtout le fait d'un épancbcmentde sérosité

qui se résorbe rapidement sous la seule influence du repos au lit.

Le cou-de-pied du même côté présente des troubles analogues; l'articula-

110 lVOfJ\'l'sLLI;-ICONOCI;.\l'llll, Ilf : 1..1 511.1'1 : 'CIjIÎ;ItG.

lion tibio-larsieiine est le siège de frottements qui se produisent dans les

mouvcmcnts de flexion et d'extension du pied. L'articulation est augmentée

de volume, elle est élargie transversalement. La malléole externe est volll-

mineuse dans toute sa surface externe et surtout à son bord antérieur, et son ' 1

aspect pourrait faire croire à une fracture ancienne.

Le premier orteil gauche est déformé, augmenté de volume au voisinage

du premier métatarsien.

La malade meurt le 8 avril 1888, à la suite d'une ]Jhleglilalia alba dolens

qui s'était développée dans le membre inférieur gauche.

Examen anatomique du pied. - L'extrémité inférieure du tibia ne pré-

sente rien de particulier à signaler.

L'extrémité inférieure du péroné est déformée. Outre un élargissement

de cette extrémité dans le sens antéro-postérieur, elle présente un accroisse-

ment de volume dans le sens transversal : la malléole est hypertrophiée,

comme déjetée en dehors (pi. xxv).

La surface articulaire inférieure (pi. xxvi) ne présente plus de cartilage

en aucun point; l'os lui-même est atteint, 1, ct pI'ésentc un aspect rugueux avec

de nombreuses saillies et dépressions dont In surface est néanmoins tout à

fait lisse et comme polie.

Le calcanéum est fortement alloiiilnu niveau de sa surface qui s'articule

avec le péroné. En cet endroit, il n'existe plus de trace de cartilage arlicn- '

laire : l'os est rouge, rugueux, granité. ,

Le cartilage a disparu également sur le licrs externe de l'articulation i

calcanéo-astragaliennc. L'astragale, au niveau de cette articulation, a égale- ;

ment perdu une partie de son cartilage. Cependant il existe encore par places; ,

la lésion est moins avancée que sur le calcanéum. '

Les autres os du pied ne présentent rien d'anormal, sauf le premier mé-

tatarsien; son extrémité antérieure est hypertrophiée. La surface articu-

laire présente encore, par places, quelques ilots cartilagineux; mais, dans

plus des deux tiers de cette tète articulaire, la surface est jaunâtre, mame-

lonnée, irrégulière.

M. le professeur Damaschino nous a communiqué les notes suivantes sur

l'état du système nerveux (pl. XXYII-XXXI).

La face postérieure de la moelle épinière présente, dans toute sa hauteur,

des traces évidentes de lepto-méningitc; elle oll're en outre une coloration

grisâtre et un aspect demi translucide.

Sur des coupes transversales, la sclérose des cordons postérieurs affecte à

la région lombaire toute l'étendue de ces cordons : aux régions dorsale et

cervicale, les cordons de Goll semblent seuls el incomplètement affectés.

Sur des coupes pratiquées après durcissement dans le liquide de Millier

et l'acide osmique, les altérations deviennent très nettes. Au niveau dlt 'e11-

flement lombaire, la sclérose a/l'cetc partiellement les cordons de Goll et de

3urdacll. surtout fit gauche; toutefois, un certain nombre de tubes

nerveux se montrent, çà et la, inaltérés. En outre, la presque tolalilé des

fibres blanches qui traversent les cornes postérieures a disparu : si peint'

en tru1l\"c-t-un quelques vestiges.

On rencontre, disséminés dans les régions sclérosées, un grand nombre de

corps amyloïdes. '

A celle môme région, la plus grande partie des lubes nerveux des racines

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. I. PL. XXV

'f Limier CJ Pans 1 - Nicolet ! ;th

J Î ARTHROPATHIE TABÉTIQUE DU PIED

;

AVANT L'OUVERTURE DE L'ARTICULATION

A. Peroné à létal normal, comme terme de comparaison

LECROSNIER ET DAE3Ei , EDITEURS

1 WELLE ICONOGRAPHIE

T. 1. PL. XXVI.

4 Lemerd, C' ? Pa"is

Nicolet Itth

ARTHROPATHIE TABETIQUE DU PIED

APRÈS L'OUVERTURE DE L'ARTICULATION

LECROSNIER HT BABH EDITEURS

DAMASCHINO microphot.

PHOTOTYPIL BERI'HAUD

COUPE Transversale DE la MOELLE Lombaire dans UN cas d'Arthropathie

1 Tabétique DU Pied

LECRÛSN1E1Î & BABÍ., ÉDITEURS

NQUVI £ LLL : ICONQGFfAPIlIC -r l, l'L xxviu

DAMASCHINO MICROPHOT. PHOTOTYP1TP BERTHAUD

COUPE Transversale DE la MOELLE Dorsale dans UN cas d'Arthropathie

Tabétique DU PIED

LECROSNIER & BADZ : ÉDITEURS» b

DAMASCHINO MICROPHOT. PHOTOTYPIE BERTHAUD

COUPE Transversale DE la MOELLE Lombaire dans UN cas

d'Arthropathie Tabétique DU PIED

Disposition des tubes restes sains par rapport au tissu de sclérose

LLCROSNIEI & PAH1., ÉDITEURS

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. 1, pu. XXX

COUPE Transversale DE la MOELLE Lombaire dans UN cas

d'Arthropathie Tabétique DU PIED

Les Iules restes sains \Ont sépares les uns des autres par le tissu sclérose. On voit les cylindres-axes

entourés de la gaine de myéline colorés en noir par l'acide osmique

LECROSNIER de BASÉ, ÉDITEURS

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T I. PL XXXI

DAMASCHINO MICROPHOT. PHOTOTYPIE BERTHAUD

OUPE Transversale DE la MOELLE Lombaire dans UN cas d'Arthropathie

Tabétique DU PIED

On voit un certain nombre de tubes en processus Je dégénérescence ; Je nombreuses boules de myéline

colorées en noir placées bout à bout occupent la place du tube altéré.

Les corpuscules arnvloïdes sont reconnaissables à leurs grandes dimensions et à leur réfringence

LECROSNIER, & BASÉ, ÉDITEURS

DES AflTilHOPATilIES TABÉTIQUES OU PIEu. 111 1

postérieures a disparu : cependant la sclérose est plus accentuée dans les

cornes postérieures qu'elle ne l'est aux racines postérieures.

Par contre, intégrité absolue des régions antéro-latérales et notamment

des cornes antérieures; les racines antérieures ne sont pas lésées.

Région dorsale. - L'altération est il peu près localisée aux cordons de

Goll, et n'affecte qu'une partie des tubes de ces cordons, sous forme d'un

triangle dont la pointe ne louche pas la comnissure ; le nombre des tubes

lésés est moindre à droite qu'à gauche.

Les cellules des colonnes de Clarke ne sont pas intéressées par le pro-

cessus destructif, non plus que celles des cornes antérieures; intégrité

absolue des faisceaux antéro-tateraux.

Région cervicale. La lésion se présente avec des caractères identiques

à ceux que nous venons de décrire dans la moelle dorsale; toutefois la sclé-

rose des cordons de Goll est moins prononcée que dans cette dernière; elle

est toujours prédominante à gauche.

(A suivre.)

Dr 1.1VLID1 : S.

DE L'INTERVENTION CHIRURGICALE

DANS CERTAINS CAS DE RÉTRACTIONS MUSCULAIRES SUCCÉDAIT T

A LA CONTRACTURE SPASMODIQUE

(Suite et fin'.)

III. - Etudions maintenant quels sont les signes qui nous per-

mettront de savoir si l'on pcut intervenir, en un mot si la contracture a

disparu.

En général, celle constatation est facile. L'élude attentive des mou-

vements pourra, dans la plupart des cas, démontrer assez facilement

l'absence de contracture.

Chez mes malades, après la disparition de la contracture, on pou-

vait imprimer à la jointure quelques mouvements, limités, il est vrai,

par la tension des tendons raccourcis et des tissus fibreux péri-arti-

culaires, mais ces mouvements étaient assez faciles etnon douloureux.

Au contraire, dans le cas de contracture en activité, ces mouvements,

ou bien sont impossibles, ou ne sont possibles qu'à condition de ti-

railler les muscles, de faire souffrir les malades et d'augmenter secon-

dairement la contracture musculaire. En effet, les réflexes tendineux

sont exagérés dans le cas de contracture. Ils diminuent et redeviennent

normaux, quand la contracture cesse et fait place à la simple rétrac-

tion. C'est là un signe excellent qui sert à différencier les deux étals

des muscles. M. Charcot a particulièrement insisté sur ces signes,

dans la leçon que j'ai signalée plus haut.

Enfin, on peut avoir recours à l'emploi du chloroforme; dans le

cas de doute, il faut toujours user de ce moyen.

Lorsque le malade est profondément endormi, et que ses muscles

sont en relâchement, la contracture spasmodique s'amoindrit, dis-

paraît même complètement et alors tous les mouvements de l'articula-

tion immobilisée peuvent reparaître. Au moment du réveil, ou plutôt

à mesure qu'il se produit, on voit la contracture renaître et l'atti-

tude vicieuse se montrer de nouveau.

Ce phénomène est très frappant, comme on le sait, dans la coxalgie

hystérique, el constitue un puissant moyen de diagnostic. Chez le ma-

lade de M. Debove, dont j'ai parlé plus haut, le chloroforme abolissait

1. Voir le nO : 3, mai-juin 1t)8,

1>E L'1\Tl : ll1'lii\'l'i(I\ CllIHUH(;I(;,\LII. 143

toute contracture à peu près complètement et les doigts pouvaient se

redresser entièrement.

Dans le cas de rétraction secondaire succédant à la contracture, ce

résultat n'existe pas; malgré l'anesthésie la plus profonde, le muscle

raccourci par rétraction de ses éléments fibreux ou de son tendon

reste toujours à l'état de corde rigide, d'autant plus tendue qu'on veut

la violenter davantage. On a ainsi la confirmation de ce fait, que la

rétraction vraie est un phénomène différent de la contracture et qu'elle

ne peul céder que par les moyens mécaniques ou chirurgicaux.

il serait facile également d'employer la méthode qui consiste à pro-

duire une anémie complète du membre en enroulant autour de lui

une bande d'Esmarch. Sous cette influence, on voit la contracture

spasmodique disparaître; tandis que la rétraction musculaire empêche

tout mouvement. Ce procédé, indiqué par le docteur Brissaud, peut

rendre service dans certains cas.

]Y. Méthode opératoire. Après avoir montré par ces réflexions

les indications principales de l'intervention chirurgicale, j'entrerai

dans quelques détails sur la manière d'intervenir, et sur les précau-

tions qu'il est nécessaire de prendre, non seulement pour la section

des tendons, mais aussi quand il s'agit de faire les manipulations con-

sécutives qui sont utiles au rétablissement de la fonction du membre.

Pour conserver la fonction du muscle après la section du tendon, il

est nécessaire de ne produire entre les deux bouts sectionnés qu'un

écart assez petit, surtout au début.

Cet écart ne doit pas dépasser un ou deux centimètres pour les

tendons un peu longs, surtout ceux qui sont contenus dans une gaine.

Sans cette précaution, il pourrait se faire que les deux bouts ne fussent

plus unis par le tissu fibreux secondaire qui se développe dans la gaine

intermédiaire. L'écartement trop considérable empêcherait cette pro-

duction. Le résultat serait défectueux, car le muscle devenant impuis-

sant, le segment du membre dévié prendrait bientôt une déviation en

sens opposé, grâce à la tonicité des muscles antagonistes. Cette infir-

mité nouvelle serait souvent plus grave que la précédente.

Souvent, après l'opération, cet écart peu considérable des deux bouts

coupés semble ne procurer qu'un redressement modéré et ne pas

fournir la totalité du résultat espéré. Il semble donc que le muscle

reste encore trop court. Mais l'expérience a prouvé qu'on peut négliger

cette crainte, car, dans tous les cas que j'ai vus, j'ai été frappé de la

facilité avec laquelle on obtenait ultérieurement, par des tractions

méthodiques, rallongement définitif du muscle. Cet allongement

1 secondaire se produit probablement aux dépens du morceau cica-

14f- NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S.HPÈrI\IEI\I : ,

triciel intermédiaire aux deux bouts coupés. Après quelques jours de

marche ou par des exercices variés, on voit la partie encore déviée

d'une certaine quantité reprendre progressivement sa position nor-

male. ' '. - ' -

Aussi je conseille de ne faire après la section qu'un redressement

incomplet, de ne pas trop écarter les bouts coupés, car la restauration

immédiate de la position normale n'est pas indispensable et peut avoir

des' inconvénients..l'ajouterai que souvent les lésions périphériques à

l'articulation, la péri-arthrite que j'ai déjà signalée, empêchent heu-

reusement ce redressement complet.

, .'Immédiatement après la section, la partie redressée est simplement

immobilisée avec de la ouate maintenue par des bandes de toile, et

fixée sans une trop grande rigueur dans sa nouvelle situation.

Après sept ou huit jours on applique un appareil plâtré qui est

disposé de façon à immobiliser le membre dans une-position se rap-

prochant le plus possible de la normale. 1

Y. Manipulations et soins consécutifs. - Lorsque la section tendi-

neuse a été pratiquée et que la cicatrisation- est' suffisante, après

un mois environ, le segment du membre dévié n'a pas encore repris

sa position-normale. Il reste encore un peu dévié, les mouvements des

articulations provoquent des douleurs; enfin il existe autour de ces

articulations des épaississements fibreux qni limitent la mobilité.

D'autres altérations de voisinage peuvent aussi gêner les mouve-

ments. Ainsi, quand la déviation a porté sur le pied, lorsque celui-ci a

été redressé, on voit persister un certain degré de flexion des orteils;

ce phénomène est plus prononcé du côté du gros orteil; cette flexion a

pour inconvénient principal, lorsque le malade commence à marcher,

de provoquer des douleurs; le pied ne peut reposer' entièrement sur

la plante, à cause de cette position vicieuse persistante dès orteils et

aussi delà raideur périarticulair,e. En même temps, la plante du pied

demeure encore creusée, ridée, et ne peut être étendue. Pour la main,

la flexion des phalanges produit le même résultat.

C'est alors que. commence ce qu'on pourrait appeler la seconde pé-

riode du traitement chirurgicale, qui a pour but de détruire petit à

petit les causes de raideur et d'atténuer la difficulté qu'éprouve le

malade à s'appuyer complètement sur la plante du pied. Il est inutile

d'ajouter que la flexion des orteils, et surtout de l'un deux, est due au

raccourcissement évident du tendon fléchisseur; celui-ci sera coupe

s'il résiste trop aux tractions.

Pour arriver à rendre aux articulations, surtout à celles du pied et

du genou, toute lenr souplesse, deux facteurs sont indispensables : la

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. I, PL. XXXII

Cliché A. LONDE £

PkIOTOTYt IF BERTHAUD

CONTRACTURE HYSTÉRIQUE

(Avant l'Opération)

LECROSNIER & BASÉ, ÉDITEURS

NOUVELLE ICONOGRAPHIE ' T 1, PL. XXXIII j

Cliché A. LONDE PHOTORYFIE BERTHAUD

CONTRACTURE HYSTÉRIQUE

(Après l'Opération;

LECROSNIER HABÉi ÉDITEURS

]) I L' J : , T J'; H YEN T 1 () : 'i C 111 nu Tt r. 1( : .\ LE, lit

marche graduée, les massages ou manipulations diverses, en y ajou-

tant l'électrisation des muscles.

Rien ne peut remplacer l'exercice modéré qu'on impose au malade,

malgré la douleur, la difficulté de la station et la raideur des jointures.

On doit commencer par mettre le malade debout, soutenu par un

ou deux aides. Cette position pénible et douloureuse provoque une

congestion avec gonflement des pieds et des jambes, qui deviennent

rouges et chauds; mais tous ces phénomènes disparaissent quand

le malade est remis dans la position horizontale; aussi ils n'ont pas

d'inconvénient.

Rien ne frappe davantage que les progrès rapides obtenus par la

persévérance dans l'emploi de ce moyen; bientôt on permet la marche

modérée et progessive, avec l'aide d'une personne étrangère, de

béquilles ou d'une chaise.

Après quelques jours, la congestion douloureuse diminue, les arti-

culations s'assouplissent, la plante du pied s'aplanit, sauf sur le bord

interne qui est le plus rebelle à ce redressement lent; enfin les orteils

se redressent petit à petit.

Le gros orteil est souvent rebelle, et dans ce cas, si le tendon flé-

chisseur tendu semble la cause de la permanence de la flexion, on

peut, comme je l'ai indiqué, le sectionner, comme dans mes observa-

lions I et VI, mais cela n'est pas toujours nécessaire.

En même temps que la marche graduée est effectuée plusieurs fois

dans la journée par petites séances et limitée par la douleur éprouvée

parle malade, on doit employer les manipulations.

Celles-ci consistent dans des séances courtes, pendant lesquelles un

aide cherche à redresser lentement, par une traction douce, les orteils

ainsi que la plante du pied, et à mobiliser les articulations dans tous

les sens. La douleur excessive doit être considérée comme une limite

à cette manipulation. En même temps, quelques massages ou frictions

dans le sens de la circulation veineuse, pratiqués sur les tissus engorgés

qui existent autour des articulations, constituent un adjuvant très

utile. 1

Après ces séances, on exerce une légère compression au moyen

d'une bande de flanelle enroulée autour du membre. Il ne faut pas

négliger non plus l'électricité qui, en ranimant la contractilité mus-

culaire, lui donne plus d'action. Celle-ci est d'autant plus importante

qu'elle permet au malade des exercices, et que, pendant la marche, la

mobilisation des articulations retourne à l'état physiologique parfait.

Ici les deux variétés d'électricité peuvent être employées avec avan-

ce. Les courants induits pour agir sur la contractilité, les courants

1 tG ) ! () l1 \' l' : L L E [C O : 'i () (; n ,\ P III E nE LAS AL P l '[' It II : It E,

continus pour activer la nutrition des muscles. Ces moyens adjuvants

que nous avons toujours employés ont donné d'excellents résultats et

hâté d'une façon manifeste la guérison définitive.

Tout ce que nous avons dit à propos des pieds ou des genoux qui z

ont servi de type à noire description peut s'appliquer aussi aux : dévia-

tions des membres supérieurs; leur traitement doit être basé sur les

mêmes principes. -

Il

Observations. - Les observations de mes six malades répondent il

trois groupes distincts, la rétraction musculaire indélébile précédée

ou non par la contracture étant le résultat de causes différentes : la

pachméniytcile cervicale, la contracture hystérique, L'alcoolisme

cl ironique.

I. Premier groupe. - Il s'agissait d'une pachyméningite cervicale

hypertrophique, dont l'observation fut publiée par moi en )884', el

qui fit le sujet de deux leçons de M. le professeur Charcot 2.

Je rappellerai rapidement les phases principales de l'intervention

chirurgicale. Cette femme avait eu une paraplégie spasmodique des

membres inférieurs, avec flexion à angle aigu des jambes sur les

cuisses. Cette position vicieuse avait persisté autant de temps que la

paraplégie spasmodique avec contracture des muscles postérieurs de

la cuisse. Après la guérison, c'est-à-dire après la disparition de la

contracture, la flexion était moins prononcée; elle atteignait seulement

l'angle obtus, mais l'extension complète était devenue absolument

impossible. Elle était gênée par la rétraction des muscles postérieurs

de la cuisse qui se tendaient comme des cordes rigides quand on

essayait de redresser la jambe. En même temps, on constatait dans le

creux poplité un épaississement considérable de tissu fibreux devenu

dense et qui semblait mettre obstacle à l'extension en même temps que

le raccourcissement des muscles.

Cet épaississement fibreux existait également autour de l'articulations

du genou, la rotule fortement appliquée sur les condyles était immo-

bilisée dans cette position.

Les quelques mouvements de flexion et d'extension qu'on pouvait

produire dans l'articulation prouvèrent que celle-ci était intacte, et que

1. Bulletin de il Société de chirurgie, 1881, p. 801 ; fausse ankylose du genou pCKbbct

après une pocliynaningilc cervicale guérie. Section des tendons du crcnx pnpl : lé. -

Herlresscmcnt sous le chloroforme. - Guérison.

2. Progrès médical, lz8a, il, 18, l. ;i0;, et : 362, et Bulletin médical, 1887, n° 7, p,99.

DE L'INTERVENTION CIIII;UiCIC4f.G. ' 117

la gêne venait exclusivement de la résistance des parties périphériques,

et surtout de la rétraction musculaire.

En présence de ces obstacles multipliés qui s'opposaient au redres-

sement du genou, je résolus d'agir lentement et par étapes succes-

sives ; aussi, les manoeuvres furent-elles pratiquées en plusieurs séances,

en commençant par la section des tendons rétractés. La malade est

chloroformée, et je pratique des deux côtés la section des tendons

du creux poplité (demi-membraneux, demi-tendineux et biceps).

En même temps, une légère tentative de redressement fut pratiquée,

mais sans insister trop fortement; car, malgré la section tendineuse,

la résistance due au paquet fibreux occupant le creux poplité était

considérable. 11 n'y eut aucune réaction; aussi je pus, quelques jours

après, faire des tentatives sérieuses de redressement. Quinze jours

après la section des tendons, on soumet de nouveau la malade ;t

l'anesthésie par le chloroforme. Des tentatives violentes de tension

forcée provoquent des déchirures avec craquement des tissus fibreux

postérieurs. On ne va pas jusqu'à la tension complète, dans la crainte

de produire des lésions de l'artère poplitée, englobée probablement

dans le tissu fibreux.

La jambe droite est un peu plus étendue que la gauche. Les deux

jambes sont immédiatement fixées dans des gouttières plâtrées. On

voit se développer du côté des articulations tibio-tarsiennes (les pieds

n'ayant pas été pris dans l'appareil), et surtout dans les tissus qui les

entourent, des phénomènes légèrement inflammatoires avec épaissis-

sement des tissus. En même temps, se développent plusieurs fois de

petites eschares au nivean du talon, sous l'influence de la mojndre

pression. Pendant ce temps, il n'y eut aucun phénomène de réaction

du côté de l'articulation du genou. Après quinze jours, on enlève les

appareils plâtrés; il est facile de constater une mobilité assez facile,

mais douloureuse, de l'articulation, et l'on applique deux membres-

gouttières, après un redressement qui a permis d'obtenir une rectitude

presque complète.

La malade reste ainsi immobilisée pendant six semaines. A ce

moment, les genoux étaient assez mobiles; l'articulation du cou-de-

pied au contraire présentait une grande raideur, le moindre mouve-

ment provoquait une douleur vive. Malgré cela, la mobilité revint

petit à petit; au bout d'un mois, la malade mit le pied à terre; les

articulations devinrent plus souples et moins douloureuses; actuelle-

ment, la malade peut marcher dans de parfaites conditions.

Celte amélioration qui avait demandé plusieurs mois pour arriver à

ce résultat a été activée par l'emploi de l'électricité et du massage. Par

US NOUVELLE ICONOGRAPHIE UI : LA 5 : 11.1`I;'l'ltll : ltl;.

l'emploi de ces deux méthodes, les muscles ont repris leur activité, les

tissus périarticulaires se sont assouplis, et leur induration a disparu.

II. Deuxième groupe. Dans le groupe des contractures hystériques

se trouvent trois femmes, deux appartenant auservice de M. le profes-

seur Charcot, l'autre au service de M. Joffroy, mon collègue à la Salpê-

trière.

Toutes trois présentaient un double pied-bot varus-équin accidentel, ,

résultat d'une contracture spasmodique hystérique qui avait cessé, mais

avait laissé après elle une rétraction tendineuse des muscles posté-

rieurs de la jambe. --

La rétraction musculaire avec déformation des pieds avait pour

caractère particulier de différer un peu de celle produite par l'alcoo-

lisme du côté des pieds, ou par la pachyméningite du côté des genoux.

L'induration fibreuse péri-articulaire, que nous avons notée dans les

autres cas, était beaucoup moindre. Aussi les sections tendineuses et

les manipulations consécutives ont-elles suffi chez elles pour obtenir

le résultat voulu et le rétablissement de la fonction des pieds, sans avoir

recours au sommeil anesthésique et aux violences sur les tissus péri-

articulaires nécessités par le premier cas.

Ces. I. Double pied-bot équin par rétraction musculaire succédant ri

une contracture hystérique. - Section sous-cutanée des tendons d'Achille

et des tendons fléchisseurs du gros orteil. Guérison. Rétablissement de

la marche 1.

La nommée Blanche IL, âgée de vingï-cinq uns, cuire le 4 mars 1881,

salle Lallcmand, à la Salpêtrière.

Aux'mois de novembre el de décembre '1881. elle éprouve pour la pre-

mière l'ois des pertes de connaissance et des phénomènes nerveux que

M. Charcot rattache à l'hystérie.

Ce l'il[ à celle époque qu'apparut subitement la conll;2clure Iles jambe*

immobilisant les pieds dans l'altitude de l'équinisme. Celle contracture per-

sista jusqu'en janvier 1887. Quand elle eut disparu, les pieds reslcrenl en

équinisme, mainlenus par une rigidité persistante des muscles 2.

Le 4 mars 1887, ou constate aux pieds les défol'l11aliolls suivantes : les

pieds fortement fléchis forment avec l'axe de la jambe un allgle 1 l'ès obtus,

l'axe du pied étant presque sur la môme ligne que celui de la jambe. Sur le

dos du pied existe une tuméfaction arrondie, formée par la poulie aslra-

jalienne soulevant les tendons des muscles extenseurs.

La plante du pied est très fortement excavéc.

Tous les orteils sont fléchis. La flexion porte principalement sur les deux

dernières phalanges. La déformation esl plus accentuée encore sur les gros

1. Observation déjà signalée par Il. Charcot. Leçon, l3ull. mM" 23 mai IS7, p. 102.

2. Voir Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, t. le', n° 2, ni. tx.

DE L'INTERVENTION CIIIRUIIGICALE. 149

orteils dont la dernière phalange est fortement fléchie et en môme temps

légèrement déviée vers le bord externe du pied.

Les mouvements spontanés sont très limités. La flexion du pied sur la

jambe est presque complètement abolie. Ce n'est qu'après de grands efforts

que la malade peut relever de quelques degrés la face dorsale du pied. Le

mouvement d'extension des orteils est peu près nul.

Les mouvements communiques (articulations tibio-tarsienne et médio-

larsienne) sont très limités, douloureux, et déterminent des craquements.

Si on place la main sur les tendons péroniers et sur ceux qui contournent la

malléole interne on sent une crépitation très nette pendant les mouvements

communiqués au pied.

A quelques centimètres au-dessus du talon, les téguments sont plissés et,

au-dessous d'eux, le tendon d'Achille forme une corde résistante.

Sur la plante du pied, près du bord interne, on sent une corde saillante

formée par le fléchisseur propre du gros orteil.

Toutes les déformations précédentes sont identiques sur chaque pied.

Les muscles réagissent facilement sous l'influence de l'électricité, et la

malade peut produire quelques contractions volontaires qui sont limitées à

cause du raccourcissement des muscles.

Il n'existe aucune lésion trophique, et la sensibilité est normale. L'état

général est excellent. '

10 mars 1887. - Section sous-cutanée des deux tendons d'Achille.

Quelques craquements se produisent au moment où on ramène les pieds à

peu près à l'angle droit. Un appareil ouaté les maintient dans cette position

mais sans l'exagérer, dans la crainte de trop éloigner l'un de l'autre les

deux bouts coupés. ,

19 mars. - On retire le pansement ouaté pour appliquer un appareil

plâtré. Le redressement du pied est très douloureux : sueurs, lipothymie,

vomissements.

1 mat. - L'appareil plâtré est enlevé. La malade peut fléchir et

étendre les pieds. Mais les orteils sont toujours dans une position vicieuse, et

la flexion exagérée du gros orteil empêche la malade de mettre sa chaussure.

9 mai. Section du tendon du long fléchisseur du gros orteil (sur chaque

pied). Malgré cette section, la deuxième phalange ne se laisse pas étendre

complètement. Pansement ouaté.

,8 mai. - Attelles plâtrées pour maintenir les gros orteils en extension.

11 juin. - Les appareils plâtrés sont enlevés. La malade descend du lit

et peut se tenir debout sans appui.- Électricité. Massage.

14 juin. - L'opérée marche dans la salle en s'aidant d'une chaise. Les

orteils restent toujours fléchis, malgré une séance d'un quart d'heure de

massage chaque jour.

1" juillet. - La malade sort dans le jardin au bras d'une infirmière.

Du le'juillet au '1er août, grâce à l'emploi de l'électricité et du massage,

la marche est devenue de plus en plus facile, elle s'exécute sur la plante du

pied devenue normale, les orteils étant suffisamment allongés et redressés.

L'opérée se promené maintenant sans fatigue dans le jardin, et monte assez

facilement les escaliers. -

Le 1er novembre, elle sort de la Salpêtrière. Les orteils ne gênent plus la'

marche qui est normale.

H

150 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.

Réflexions. Cette observation démontre nettement que l'immo-

bilisation du pied en équinisme, produite primitivement par une con-

tracture des muscles de la jambe avec prédominance d'action des

muscles de la région postérieure, était entretenue, depuis la guérison

de la contracture, par un raccourcissement des muscles extenseurs

devenu permanent et indélébile.

Ce raccourcissement des muscles contractures est rare dans l'hys-

térie, mais on en connaît déjà plusieurs exemples.

Ici la section des tendons des muscles raccourcis a suffi pour per-

mettre la fonction de tous les groupes musculaires dont la vitalité de

la contractilité était restée intacte. Les lésions articulaires étaient

presque nulles et semblables à celles qui succèdent à l'immobilité

forcée. Raideurs, craquements ont disparu rapidement.

Cas. II. Double pied-bot équin par rétraction musculaire succédant

à une contracture hystérique. Section sous-cutanée des tendon

d'Achille. Guérison. Rétablissement delà marche {Résumée).

Madame Olympe P., âgée de trente-trois ans, entre le 21 juin 1887 à la

salle Lallemand, à la Salpêtrière.

Celte femme jouissait d'une excellente santé lorsque, au mois d'août

1884, à la suite de chagrins prolongés, elle éprouve des vomissements, qui

deviennent bientôt incoercibles et durent jusqu'au mois de novembre 1885.

Au mois de novembre 1885, la malade éprouve des douleurs extrêmement

violentes dans les bras, les jambes et la région dorso-lombaire. En même

temps, les deux jambes sont atteintes de contractures qui immobilisent les

pieds dans la position de l'équinisme. Les membres supérieurs restent libres.

Tels sont les renseignements qu'elle nous fournit. Il faut ajouter qu'au

mois d'août 1885, une série d'abcès se développèrent dans les ganglions

cervicaux et sous-maxillaires. Les cicatrices qu'ils ont laissés à leur suite

permettent de mettre ces lésions sur le compte de la scrofule.

Au mois de novembre 1885, les vomissements cessèrent, et bientôt la santé

fut complètement rétablie, mais les contractures des membres inférieurs

résistèrent à tous les moyens de traitement. ,

Cependant le phénomène contracture alla en diminuant, et disparut vers

le mois de mai, mais en laissant après lui une rétraction des muscles

' postérieurs qui immobilise les pieds dans l'équinisme.

Au mois de juin 1887, elle vient à la consultation du professeur Charcot qui

conseille la section des tendons d'Achille et l'envoie à la salle Lallemand.

A ce moment on constate les déformations suivantes (pl. v) :

Les pieds sont dans la position de l'équinisme le plus complet. Sur les

cous-de-pied, les tendons extenseurs forment un relief très appréciable à la

vue et au toucher. Tous les orteils présentent un léger degré de flexion,

surtout le gros orteil. En arrière, immédiatement au-dessus du talon, les

. 1. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, t. I", no 1, p. 30.

DE L'INTERVENTION CHIRURGICALE. 151

téguments sont plissés ; au-dessous d'eux, l'exploration digitale permet de

sentir le tendon d'Achille fortement tendu.

Les mouvements des pieds sont très limités. Avec de grands efforts, la

malade arrive à porter la pointe des pieds en dedans et en dehors. Mais les

mouvements de flexion et d'extension qui ont pour siège l'articulation

tibio-tarsienne sont complètement supprimés. Les mouvements communiqués

sont très limités.

Il n'existe pas de troubles trophiques. Les muscles réagissent nettement

par l'électricité. La sensibilité est intacte dans toute l'étendue des membres

inférieurs.

Toutes les fonctions de l'économie s'accomplissent régulièrement et la

santé serait parfaite sans cette impotence des membres inférieurs.

13 juillet 1887. - Section sous-cutanée des tendons d'Achille. Les pieds

sont maintenus, à peu près à angle droit, dans un appareil ouaté pendant

huit jours.

22 juillet. Appareil plâtré immobilisant les pieds il angle droit.

28 août. - Les appareils plâtrés sont retirés. La malade descendue du

lit peut se tenir debout sans appui.

Du 28 août au 20 septembre. La malade se promène dans la salle en

s'aidant d'une chaise ; massage et électricité.

Du 20 septembre ait 24 octobre. La marche devient de plus en plus

facile, et la malade se promène dans le jardin.

Le 30 novembre 1887 nous constatons les faits suivants (pl. vi) :

Les mouvements de flexion et d'extension de l'articulation tibia-tarsienne

sont intégralement rétablis.

Néanmoins, l'attitude des pieds n'est pas tout à fait normale; ainsi, le

pied gauche est légèrement dévié en dedans.

Les orteils, principalement les deux gros, sont légèrement fléchis, et

malgré tous ses efforts, la malade ne peut complètement les relever. Si on

saisit les orteils pour les étendre, on sent que les tendons fléchisseurs devenus

trop courts s'opposent à ce mouvement. Celle position défectueuse oblige la

malade à porter des chaussures un peu grandes.

Tous ces désordres ont disparu depuis la fin de décembre et, actuellement,

la marche est parfaite.

Cas. III. Contracture hystérique suivie de rétraction. Pieds-bots

qzcits. - Sections tendineuses. - Guérison.

Madame Julie-Anlonine B., âgée de quarante-deux ans, a eu ses premiers

accidents en 1880. A la suite d'une attaque d'hystérie pendant laquelle elle

tombe sans connaissance, elle reste au lit pendant six semaines et ensuite

elle s'aperçoit que ses jambes sont immobiles; à partir de cette époque, elle

ne peut plus marcher.

En 1881, elle entre dans le service de M. Charcot qui diagnostique une

paraplégie hystérique et la garde pendant quelque temps dans son service,

d'où elle sort, en janvier 1883, pour entrer dans le service de M. Joffroy.

L'état de ses jambes en avril 1885 était suivant (pl.1VII) :

Les deux pieds sont fortement contractures en équinisme. Elle ne peut se

lenir seule debout ; mais, si on la soutient sous les bras, elle peut faire

152 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

quelques pas. La marche esl surtout difficile, car les pieds ne reposent sur

le sol qu'au niveau des orteils et de l'extrémité antérieure des métatarsiens,

le talon restant éloigné du sol d'environ dix centimètres. '

Dans la situation debout un peu prolongée, les douleurs deviennent in-

tolérables, et la contracture augmente.

A cette époque, la malade ne présentait que des symptômes d'hystérie

assez vagues, mais elle n'a aucun symptôme de paralysie générale. Les

tentatives d'hypnotisme restent infructueuses.

La malade étant profondément chloroformée, on constate la mobilité

complète de l'articulation tibio-tarsienne et la disparition de la contracture

qu ireparaît au réveil.

En décembre 1886, on constate une différence dans les symptômes; les

douleurs sont moins vives, la contracture semble avoir disparu et n'est plus

exagérée parla station debout.

Sous l'influence du sommeil anesthésique, on constate que l'équinisme

est permanent et que, à la contracture, s'est substituée une rétraction mus-

culaire permanente et indélébile.

Elle entre le 31 janvier 1887 dans la salle Lallemand où M. Terrillon

pratique la section sous-cutanée des deux tendons d'Achille. Le redressement

est d'abord incomplet à cause des épaississements périphériques existant

autour de l'articulation tibio-tarsienne.

Quinze jours après la section, les pieds sont maintenus dans la flexion,

aussi complète que possible, au moyen d'une gouttière plâtrée. Au mois de

mai, elle commence à marcher dans la salle, soutenue par un aide. Les

pieds se redressent rapidement et, malgré la douleur et le gonflement avec

rougeur de la peau qui gênent la malade, elle peut bientôt marcher avec

une chaise, puis avec une canne, et enfin elle sort de la salle au mois de

juin. Des massages méthodiques et l'électricité avaient aidé beaucoup à la

guérison (pl. xvlll).

En janvier 1888, elle donne de ses nouvelles par lettre, et prétend qu'elle

marche aussi bien qu'avant sa maladie.

III. Troisième groupe. Ce groupe comprend les malades ayant pré-

senté des altérations résultant d'un alcoolisme chronique invétéré : ma-

dame Bourillat, femme Aubeux, quarante-trois ans; madame Jonnery, femme

Bonnet, quarante-six ans 1.

Ces deux malades ont fait le sujet d'une leçon de M. le professeur Charcot

qui compare les lésions qu'elles onf présentées avec celles que portait la

malade atteinte de pachyméningite cervicale.

Ces deux malades, à la suite d'une paralysie alcoolique occupant les

muscles des deux jambes, avaient eu des troubles trophiques du groupe mus-

culaire postérieur; de là, de l'équinisme dû à la rétraction de ces muscles et

de leur tendon, principalement du tendon d'Achille. En oulre, existaient

autour de l'articulation des épaississements fibreux qui gênaient les mou-

vements de l'articulation. Après la section tendineuse, les pieds furent ra-

menés dans la position normale. Mais les lésions périphériques nécessitèrent

des séances de mobilisation sous le chloroforme.

Je pourrais à côté de ces faits signaler une observation à peu près sem-

1. Bulletin médical 1887, p. 101.

DE L'INTERVENTION CHIRURGICALE. 153

blable ou qui s'en rapproche beaucoup, au point de vue des attitudes qui

persistèrent par le fait de la rétraction d'un groupe de muscles, et aussi au

point de vue de l'intervention chirurgicale.

Il s'agit d'une jeune fille de dix-huit ans qui, dans le cours d'une fièvre

typhoïde grave, eut des troubles trophiques des deux membres inférieurs.

Après la guérison, la plupart des muscles purent reprendre un peu de vita-

lité grâce au massage et à l'électricité ; mais, à droite, le pied resta dans un

équinisme très marqué et empêchant la marche.

M. Coffin, le médecin de la malade, me pria de la voir et je constatai un

équinisme prononcé. Les muscles antérieurs faibles se contractent assez

bien sous l'influence de l'électricité, les muscles postérieurs aussi, mais les

muscles postérieurs de la jambe elle tendon d'Achille, manifestement trop

courts, s'opposent au redressement du pied et à la flexion. L'articulation

tibia-tarsienne me semble saine, mais autour d'elle existe un épaississement

manifeste des tissus périphériques qui semble être aussi un obstacle au mou-

vement de l'articulation.

Le 1 cr octobre 1887, je fais la section du tendon d'Achille et mets le pied

autant que possible dans la flexion, mais incomplète.

Le pied est entouré de ouate et maintenu avec des bandes.

Après huit jours, j'applique une gouttière plâtrée qui maintient le pied

dans la flexion presque complète.

L'appareil reste en place pendant quarante jours. Après que le pied est

sorti de l'appareil, la jeune fille s'exerce à la marche; la pointe du pied

porte seule sur le sol au début, mais avec des massages, un peu de violence,

la plante appuie sur le sol.

La marche s'est améliorée rapidement et cette jeune fille est actuellement

Conclusions. - Nous pouvons donc, de ces faits et de la discussion

qui les accompagne, tirer les conclusions suivantes : 1° La contracture

hystérique, les contractures spasmodiques d'origine nerveuse ou médul-

laire laissent quelquefois, après leur disparition, des lésions perma-

nentes dans certains groupes musculaires et dans les tissus périarticu-

laires. Ces lésions entretiennent des attitudes vicieuses indélébiles de

certains segments des membres.

2° Les altérations des muscles qui succèdent à la contracture portent

sur leur partie fibreuse et principalement sur leurs tendons, qui se

trouvent raccourcis dans la position vicieuse qui existait pendant la con-

tracture. La fibre musculaire affaiblie reste cependant intacte et peut

retrouver toutes ses propriétés physiologiques.

Les lésions périarticulaires consistent dans un épaississement des

capsules d'enveloppe, et des autres tissus fibreux qui, ainsi altérés,

gênent ou empêchent les mouvements de l'articulation. *

3° Pour remédier à ces attitudes vicieuses, il est nécessaire de faire

la section des tendons raccourcis en une ou plusieurs séances.

jus'1 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

On doit également rompre les adhérences périphériques, en ayant,

au besoin, recours au sommeil anesthésiquc.

4° Il est toujours utile de remédier à tous ces désordres par un traite-

ment secondaire qui consiste dans l'excitation des muscles par l'élec-

tricité, dans des pratiques de massage portant sur les parties indurées

périarticulaires, enfin dans une mobilisation méthodique et progres-

sive des jointures.

5° Avant de commencer cette intervention et surtout les sections

tendineuses, il est indispensable de s'assurer que la contracture mus-

culaire a disparu et qu'il s'agit d'une rétraction capable de maintenir

l'attitude vicieuse.

On pourra obtenir cette notion par l'étude méthodique des mouve-

ments musculaires, mais il sera préférable de les examiner sous l'in-

fluence du sommeil anesthésique. Dans ces cas, la contracture dispa-

raît pour reparaître après le réveil; la rétraction au contraire persiste

et ne change pas.

TERRILLON,,

Chirurgien de la Salpêtrière.

UN NOUVEAU CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH

Les observations de maladie de Friedreich publiées en France sont

très peu nombreuses : à peine en compte-t-on douze, et encore y

aurait-il lieu de faire quelques réserves à propos de trois d'entre elles

(Carre, Brousse, Descroizilles). Aussi, espérons-nous qu'on lira avec

quelque intérêt l'exposé du cas suivant que la libéralité bien connue

de notre savant maître, M. le docteur IIanot, nous permet de publier.

Cette observation sert, du reste, de base à une monographie complète que

nous avons entreprise sur la maladie de Friedreich et qui paraîtra ulté-

rieurement.

I. Pag... Alexandre, dix-huit ans, entré à l'hôpital Saint-Antoine dans

le service de M. le docteur Hanot, le 19 juin 1888, lit no 2, salle Aran. Il est né

à B... (Haute-Loire), et habite ordinairement cette ville. Ce garçon est suffi-

samment développé pour son âge. Il pèse 9 livres, est de taille moyenne,

brun, pâle, paraît assez bien nourri : pas de pannicule adipeux sous-cutané.

Il ignore à quel âge il a commencé à marcher, pendant combien de temps

il a été allaité, et ne peut rien dire sur les circonstances particulières à sa

naissance. Il est doué d'un caractère doux et affectueux, que n'a pu altérer

sa longue maladie. Son intelligence est ordinaire, sans doute, mais très suf-

fisante, et son instruction est en rapport avec sa condition sociale. Il ne paraît

avoir aucun vice dangereux. Il ne fume pas : il s'est toujours' bien nourri,

car il appartient à une famille qui est relativement aisée. Il boit, dit-il, deux

litres de vin par jour, mais il s'agit ici de vin de ménage, très peu alcoolisé,

qui, d'après lui, « ne grise jamais personne ». Il n'a jamais fait usage d'autres

liqueurs.

Avant le début de la maladie actuelle, il a été rarement souffrant : à l'âge

de deux ans, il a eu la rougeole; peu de temps avant il a eu, dit-il, une sorte

de fièvre muqueuse. Pas de ganglions, ni de maux d'yeux, ni d'écoulements

purulents. Il s'enrhume facilement du cerveau, et il a eu ce qu'il appelle « la

gourme », dont il porte encore les traces à la tête. Cette « gourme » a duré

jusqu'à l'âge de quinze ans. C'était peut-être une teigne faveuse, à en juger

par les cicatrices qu'elle a laissées sur le cuir chevelu. Il y a six ans, il a fait

une chute qui lui a valu une plaie à la région temporale, suivie, d'après lui,

d'une forte hémorrhagie, et même qui a pu mettre sa vie en danger. La

trace de cette plaie persiste sous' la forme d'une cicatrice ovalaire, de cinq ou

six centimètres de longueur, dont l'extrémité supérieure est située à environ

trois centimètres en avant du tragus. Cette cicatrice est le siège d'une sensa-

tion spéciale de chaleur qui augmente quand on la touche.

156 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Le père de notre malade est âgé de quarante-huit ans. Il est boulanger a

B..., où il est établi. Pas d'histoire de maladie nerveuse, ni d'autres. Il

parait être sobre et mener une vie réglée. Point de singularités de caractère-

un peu coléreux seulement. )

La mère est âgée de quarante-huit ans : elle jouit d'une bonne santé.

Cependant elle souffre d'une migraine depuis près de vingt ans, dont les

attaques se manifestent une fois par mois. Elle n'a jamais fait de fausses

couches, et n'a jamais souffert d'autres maladies. Pas de bizarreries de carac-

tère : sobre, ne se met jamais en colère.

Un frère de la mère souffre de la migraine : les autres frères et soeurs de

la mère sont bien portants. Les cousins également, du côté de la mère, se

portent bien.

Un frère de son père a eu, à l'âge de sept ans, des convulsions à la suite

desquelles il a gardé un écartement des jambes, lesquelles sont fléchies, et il

ne peut marcher qu'avec l'aide de béquilles. Tous les autres parents de son

père se portent bien : il en est de même chez les cousins. Le fils d'une de

ses cousines est boiteux de naissance.

Du mariage de ses parents, qui ne sont pas consanguins, il est résulté trois

enfants. L'alné, c'est notre malade; le deuxième est un frère âgé de treize

ans qui se porte bien, écrit bien, et marche sans aucune anomalie. La troi-

sième était une soeur, morte il y a quatre ans à l'âge de quatre ans. Elle a

succombé à la suite d'une fluxion de poitrine ; elle n'avait jamais été malade;

rien d'anormal dans sa marche.

La maladie actuelle de Pag... a débuté à l'àge de douze ou treize ans, et

précisément, fait sur lequel le malade insiste avec persistance, cinq ou six

mois après le coup qu'il a reçu sur le front. Ce dont il s'est aperçu pour la

première fois, c'est une faiblesse des jambes; cette faiblesse lui était révélée

en ce sens qu'il sentait quelquefois ses jambes se dérober sous lui. De plus,

' tandis qu'auparavant il pouvait faire facilement 10 kilomètres avec son frère;

déjà, tout à fait au début, il ne pouvait fournir le même chemin sans une

extrême fatigue. A quatorze ans, il ne lui était plus possible de courir, et il

était obligé de s'asseoir au milieu de ses camarades qui s'amusaient autour

de lui. Vers l'âge de quinze ans, il s'est aperçu, dit-il, qu'il marchait de côté,

et pour cette raison, il avait renoncé à toutes ses courses habituelles. Il allait

seulement en classe. Alors, il consulta un médecin qui l'envoya dans un éta-

blissement hydrothérapique où, pendant trois semaines, on lui administra des

douches tièdes et des bains russes (ce qui ne lui fit ni bien ni mal). Quel-

ques mois après, sa marche était tellement désordonnée, les chutes deve-

naient si fréquentes, qu'il fut obligé de s'aider d'une canne qu'il n'a pas

quittée depuis. Ceci se passait vers l'âge de seize ans. Depuis lors, son état

est, à ce qu'il paraît, sensiblement le même qu'à cette époque. C'est ainsi,

vers l'âge de seize ans, qu'il s'est aperçu qu'il ne pouvait marcher dans l'obs-

curité, ainsi que lui fit remarquer un médecin de Clermont.

Il. - Le malade a l'air triste et sombre : cette tristesse est entrecoupée

d'une manière étrange par des éclats de rire pour des motifs absolument

futiles, et à tous propos. Il reste toujours assis ou couché, et rarement il se

dérange, si ce n'est pour satisfaire ses besoins naturels, ou pour aller prendre

des douches. Quand il est assis, son dos est courbé en avant, sa tète est inclinée

sur la poitrine et touche presque le sternum. Pour nous parler, il est obligé

UN NOUVEAU CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 157

de la relever, et l'on voit alors qu'elle est agitée par quelques petits mouve-

ments comme « de salutation ». Quand il veut se lever, il se lance brusque-

quement sur les objets voisins, et s'y accroche.. Son siège se relève, retombe

quelquefois, puis, une fois debout, Pag... conserve l'appui qui lui avait servi

à se lever, comme s'il n'était plus sûr de lui-même.

Les autres particularités de son habitus extérieur ne présentent pas

d'intérêt pour le moment. Pas de taches, pas de cicatrices, à part celles sus-

indiquées ; ongles normaux, ouvertures des orifices naturels normales, masses

musculaires médiocrement développées, assez résistantes, uniformes partout,

pas plus saillantes aux membres supérieurs qu'aux membres inférieurs. Nulle

part ni saillies, ni méplats anormaux. Squelette d'un développement normal

et régulier. Il existe pourtant des déviations dont nous parlerons en temps et

lieu.

III. Alex... peut rester debout avec les jambes écartées et les yeux

ouverts. Mais dans cette position, sa tête est sujette à de légers mouvements

de « salutation » : son corps à des balancements antéro-postérieurs assez

étendus, mais très doux, très égaux, sans secousses, ni brusquerie. Quand on

lui fait rapprocher les pieds, à ces balancements s'ajoutent de véritables se-

cousses musculaires, brusques, tantôt d'un côté et tantôt de l'autre, et toutes ten-

dant visiblement à la conservation de l'équilibre. Dans cette position, même

avec les yeux ouverts, il finirait par tomber, si on ne le soutenait pas. S'il

fermait les yeux, même avec les jambes écartées, il lui serait impossible de se

tenir debout. Des secousses énormes surviennent, etle malade tombe. C'est le

signe de Romberg, aussi net que possible. La démarche est typique. Je le

mets au bout de la salle, et il s'avance sur moi. La tête est fléchie sur la poi-

trine, et il fait constamment de petits mouvements comme de « salutation ».

Le dos est courbé en avant; le regard est fixé invariablement sur les pieds. Le

bras droit est écarté du tronc : il est armé d'une canne dont il ne peut se sé-

parer ; le malade en frappe le sol avec violence, tellement il a besoin de son

appui. Les jambes se détachent du sol avec une certaine brusquerie, décrivent

un arc de cercle et retombent sur le sol qu'elles frappent du talon. De temps

en temps, le malade fait un ou plusieurs pas de côté, après quoi il reprend

sa ligne de marche. Ces mouvements sont plus ou moins fréquents et iné-

gaux, c'est-à-dire qu'il titube comme un homme ivre (démarche cérébelleuse

en même temps qu'ataxique). Si le malade vient à déplacer un instant ses

regards de ses pieds, soit qu'il ferme les yeux, soit qu'il regarde le plafond, il

tombe, si on ne lui prête secours. Sa démarche, soit l'ataxique, soit la cérébel-

leuse, présente certaines particularités qui méritent d'être mentionnées. Aupre-

mier coup d'oeil, on voit que sa démarche ataxique diffère de celle que l'on voit

dans les cas purement et typiquement ataxiques. Évidemment, les mouve-

ments fondamentaux sont les mômes, mais la manière dont ils s'accomplissent

est différente. Ce qui frappe chez notre malade, c'est l'absence de violence,

d'excessive énergie, de cette brusquerie de ressort élastique subitement

détendu qui est le caractère de la vraie démarche tabétique. Ici au contraire,

les mouvements sont doux et ont quelque chose de l'impuissance du paraplé-

nique. C'est bien une ataxie, mais une ataxie sans force. La projection en

avant et décote existe, mais elle est très peu étendue, et se fait avec une cer-

taine lenteur. Le pied retombe sur le plancher en le frappant du talon, mais

la chute est douce, et le bruit qui en résulte est peu considérable. Il est vrai

158 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

de dire que le malade s'appuie sur sa canne dont il frappe violemment le

sol : au loin, on n'entend pas le bruit de ces coups. Quant au caractère cé-

rébelleux de-la démarche, il n'est pas non plus très accentué, et il serait bien

inexact de dire que sa démarche est constituée par une série de zigzags. La

démarche cérébelleuse serait au contraire bien exprimée schématiquement

par une ligne droite coupée par des déviations plus ou moins nom-

breuses, mais n'arrivant jamais, dans son ensemble, à la vraie ligne

brisée.

En résumé, on pourrait caractériser la démarche de notre malade par ce

mot : démarche tabéto-cérébello-parétique.

Les mouvements dans le lit ne sont pas moins troublés que dans la station

ou dans la marche. Ils sont nettement ataxiques, et je ne crois pas devoir les

décrire ici tout au long. Cette ataxie est autant motrice que statique. Le ma-

lade peut bien fléchir, étendre la jambe, le pied, la cuisse, et diriger le

membre dans tous les sens, mais ces mouvements sont maladroits, brusques,

excessifs ou insuffisants comme étendue, trop forts ou trop faibles comme

force, sans mesure.

Des désordres semblables existent aux' membres supérieurs, dans les-

quels l'ataxie la plus nette, la plus pure, se manifeste à toutes les épreuves

connues. L'occlusion des yeux exagère tous ces troubles. Les troubles des

mouvements dans les membres supérieurs s'accusent encore d'une manière

remarquable dans l'écriture. Il est assez curieux de faire remarquer que notre

jeune malade n'a jamais pu apprendre à écrire correctement. Son écriture,

dit-il, a toujours été « tremblée et illisible », même plusieurs années avant

le début de sa maladie. Actuellement, avec les yeux fermés, il lui est impos-

sible d'écrire quoi que ce soit; néanmoins, quand il a les yeux ouverts, et

quand il y met beaucoup d'attention, il peut écrire, bien lisiblement, malgré

ses dénégations. Dans son écriture, on trouve la plupart des caractères de

l'écriture ataxique. On voit tout d'abord que cette écriture est « tremblée »,

et, si l'on y regarde de plus près, on constate qu'il existe très peu de

courbes, que le malade prend mal la plume, qu'il « manque l'encrier », qu'il

enfonce la plume dans le papier, etc..

En résumé, aux membres supérieurs comme aux inférieurs, tous les mou-

vements sont possibles, mais ils se font avec des qualités défectueuses, surtout

quand il s'agit d'exécuter des mouvements complexes, et d'une coordination

compliquée et délicate.

La force musculaire est diminuée à peu près partout chez notre malade,

mais il faut, pour arriver à cette conviction, une exploration assez sérieuse.

Je m'y suis livré avec tous les soins et toutes les précautions possibles. J'ai

opéré directement, j'ai fait des comparaisons nombreuses et multiples avec

d'autres jeunes gens dont l'âge variait de treize à vingt ans. J'ai exploré les

muscles, système par système, muscle par muscle, et je suis arrivé à me

convaincre que la diminution de la force était réelle partout, quoique distri-

buée assez inégalement. Voici, par ordre de faiblesse, l'état des muscles de

mon malade : 1° Fléchisseurs de la jambe; 2° fléchisseurs de la cuisse;

3° fléchisseurs du pied et extenseurs des orteils ; 4° extenseurs de la jambe;

5° extenseurs du tronc; G0 fléchisseurs du cou; 7° fléchisseurs des doigts

(D. g. = 30 ; D. d. = 20) ; 8° extenseurs des doigts ; 9° fléchisseurs de l'avant-

bras. Les masses musculaires ne sont nulle part atrophiées : elles présentent

. UN NOUVEAU CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 159

une résistance peu inférieure à la normale, et se « durcissent » énergiquement

pendant la contraction.

Lorsque le malade reste entièrement au repos (couché), il y a peu ou point

de mouvements. Mais, quand il lui faut s'asseoir, manger, parler, écrire, des

mouvements divers apparaissent. Il est inquiet, paraît agité : il remue conti-

nuellement soit ses bras, ses jambes, ses pieds. Ces mouvements, qui n'ont

rien de convulsif, sont très naturels, très normaux, et expriment seulement un

« besoin particulier de mobilité ». Mais les mouvements les plus remarquables

sont ceux de la tête, lesquels ont un caractère anormal bien tranché, et qu'on

pourrait appeler convulsif. La tète fait de temps à autre (et surtout quand le

malade marche, s'émotionne, parle) des séries de mouvements antéro-posté-

rieurs assez rapides, d'une très courte étendue, de vrais petits mouvements

de salutation. Ces mouvements me paraissent rappeler, d'une manière bien

lointaine, ceux d'une personne qui s'endort sur une chaise, suivant une com-

paraison reçue.

Si on examine de près la tète, et alors même que celle-ci ne remue pas,

on ne tarde pas à s'apercevoir que les mouvements de totalité ont leurs ana-

dogues dans divers points de la face. Aux lèvres, on note des petites secousses,

des petits battements partiels, visibles surtout quand le malade se dispose

à rire ou vient de rire ou de parler, quand on l'observe avec trop d'at-

tention.

Tantôt c'est la commissure qui est le siège d'une légère dépression qui

dure une demi-seconde. Tantôt c'est la lèvre supérieure qui se relève brus-

quement, et dans un point très circonscrit; tantôt c'est la lèvre inférieure;

tantôt une petite secousse agite le carré du menton, etc., etc., et ces petits

mouvements se répètent avec une fréquence et une intensité variables. A de

certains moments, et notamment quand le malade est dans un calme absolu,

ces mouvements font absolument défaut. Si on lui fait tirer la langue, on

voit que ces « petites secousses » se répètent avec les mêmes caractères dans

l'organe de la parole, et avec une intensité d'autant plus grande qu'on fait

tirer plus violemment la langue. Celle-ci s'allonge, se raccourcit; des échan-

crures apparaissent et disparaissent dans son bord, à sa pointe, des enfon-

cements dans sa surface, et ces mouvements et ces petites convulsions se

succèdent, se mêlent et se répètent d'une façon quasi inextricable. Par contre,

la langue ne présente pas, ou présente à peine de vrais mouvements fibril-

laires. En même temps, les mêmes petites secousses se produisent à la joue,

à l'aile du nez qui s'écarte et se rapproche de la cloison comme dans l'action

de flairer; aux paupières qui sont le siège de battements constants; aux

sourcils qui s'élèvent et qui s'abaissent irrégulièrement.

Si, à tous ces petits mouvements réunis, ou se succédant les uns aux autres,

on ajoute le nystagmus, et si l'on se rappelle les mouvements de « saluta-

tion » dont nous avons parlé, on voit, qu'à de certains moments, la tête est

pour ainsi dire tout entière, dans son ensemble et dans ses parties, le siège

d'une espèce de chorée, qu'on pourrait appeler, pour faire image, nystag-

11 ! US de la tête et de la face.

Pas de contractures manifestes : quelques crampes cependant, dont j'ai

été témoin.

Les mouvements de la langue sont possibles dans tous les sens, et cet

organe exécute toutes ses fonctions motrices d'une manière parfaite, hormis

160 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

la parole. Nous avons déjà parlé des mouvements spontanés de la langue.

La parole est modifiée manifestement, et cette altération rappelle de loin

celle de la sclérose en plaques. Elle est difficile, embarrassée, traînante

ressemblant un peu à celle des gens avinés. '

Le pied est déformé. Le malade ne peut nous renseigner sur le moment

de l'apparition de cette déformation. Elle se caractérise par l'excavation de

la plante des pieds, surtout vers le bord interne; saillie sous-métatarsienne

du gros orteil accentuée, mais pas à un fort degré; saillie dorsale au niveau

du cou-de-pied, modérée; pas de saillie des tendons ni de flexion dorsale des

orteils. Équinisme très léger : malléole externe plus saillante que l'interne-

articulation tibio-tarsienne assez ferme; articulation médio-tarsienne relâchée.

Dans la station, la déformation se modère, mais peu; les tendons extenseurs

font, alors seulement, saillie sous la peau ; le tendon d'Achille et celui du

long péronier se tendent énergiquement.

L'empreinte est celle du « pied creux ».

Il n'y a pas d'exagération dans l'extension active des orteils, mais ce mou-

vement se fait avec une certaine brusquerie, et une fois arrivée à son maxi-

mum, l'extension dure un certain temps, comme si le malade oubliait de

relâcher ses muscles.

Notre malade présente une scoliose à courbure convexe à droite, dans la

région dorsale supérieure, avec une petite courbure de compensation dans la

région lombaire et près des dernières vertèbres dorsales. Il y a, en plus, une

lordose légère dont le centre est la région lombaire. Le malade ne peut pré-

ciser le moment de l'apparition de la scoliose. Il se borne à dire qu'elle

existe depuis qu'il est malade.

IV. Alex. P... n'a jamais eu de douleurs d'aucune sorte, ni de fourmil-

lements, ni de picotements. Tout ce dont il se plaint, comme phénomène de

sensibilité, c'est d'une sensation particulière à la plante des pieds, et pendant

la marche, il lui semble, dit-il, qu'il marche sur du sable, sur du coton, que

le terrain s'enfonce sous ses pieds. Si on recherche la douleur en la provo-

quant, on ne trouve nulle part d'hyperesthésie, sauf au rachis. Si l'on par-

court la colonne vertébrale en comprimant, l'une après l'autre, les apophyses

épineuses, on voit que le malade n'accuse de la douleur que lorsqu'on arrive

à deux points circonscrits dans le voisinage des renflements cervical et lom-

baire.

Les mouvements de la colonne lombaire ne produisent aucu e douleur.

L'éponge chaude la réveille exactement aux mêmes endroits que la pression.

Les troubles par diminution de la sensibilité sont plus accentués. Ce qui

caractérise ces troubles, c'est que, tout en étant très légers, ils sont réels et

présentent une disposition particulière. On peut dire que, presque partout,

aux jambes comme aux bras, la sensibilité est émoussée, notamment aux

jambes. En effet, la sensibilité douloureuse n'est nulle part très vive, et pour

les autres formes de la sensibilité, les réponses sont incertaines, contradic-

toires, variables selon les jours et les heures, selon que le malade vient de

prendre sa douche ou non, etc... Ce manque de certitude et cette perpétuelle

contradiction ne peuvent exister qu'avec un certain degré d'émoussement de

la sensibilité. Dans tous les cas, si l'on examine le malade de plus près, on

trouve des points où l'altération est manifeste. Quand on répète les questions,

qu'on insiste, qu'on revient à plusieurs reprises sur le même examen,

UN NOUVEAU CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH.

m

l'attouchement simple, sans pression ni frôlement, est perçu dans presque

toute l'étendue des membres inférieurs.

Il y a pourtant certains points, marqués en noir sur le dessin qui accom-

pagne notre observation, où la réponse a été constamment négative. Ces points

sont très circonscrits ; des petites plaques pas plus grandes, dans deux ou trois

endroits, que le bout du doigt, souvent beaucoup plus grandes, soit arrondies,

soit allongées dans le sens de la longueur du membre. J'en ai trouvé dix au

membre inférieur droit, trois au membre gauche et plusieurs autres ailleurs,

mais plus incertaines. Je crois inutile d'indiquer leur topographie. Les

figures 70 et 71 sont suffisamment explicatives.

Si, à l'attouchement simple, on substitue le frôlement avec le bout du

doigt, quelques-unes de ces plaques disparaissent, la plupart cependant per-

sistent, et, à leur niveau, le malade ne perçoit rien. Il est intéressant de faire

remarquer que les plaques qui s'effacent ne le font qu'après un frôlement

continué pendant un certain temps, comme si la stimulation due à l'irritation

mécanique pouvait ranimer les filets nerveux compromis.

Si le malade sent l'attouchement et le frôlement partout en dehors des

plaques, il ne les localise pas partout avec une égale exactitude. Je touche

mon malade à la partie moyenne de la jambe, il accuse l'attouchement au

162 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

gros orteil. Je le touche à la cuisse, au-dessous du genou, il localise l'impres-

sion à la partie moyenne de la jambe. Je le touche dans un point circonscrit

du mollet, il accuse l'impression à la plante du pied. Il en est de même pour

beaucoup d'autres points de la jambe et de la cuisse; mais, par contre, la

plupart du temps, mon malade localise assez bien, mais il faut l'avouer,

rarement avec une sécurité absolue. '

Je me suis servi aussi du compas de Weber pour apprécier les qualités de

la sensation tactile. Ce moyen est insuffisant; cependant il m'a permis de

constater une fois de plus les incertitudes et les contradictions de mon

malade. On peut dire qu'il ne savait jamais à coup sûr, à moins que l'écart

ne fût très grand, quand il y avait une pointe, ou quand il y en avait deux. Au

reste, comme les chiffres que j'ai obtenus sont très grands, ils ont peut-être

une certaine valeur. En voici quelques-uns : L'écart minimum pour la face

plantaire du métatarsien du gros orteil égale 4 centimètres ; pour la jambe,

8 centimètres; pour le genou, 6 centimètres. Ces chiffres sont doubles ou

triples de ceux que j'ai obtenus sur moi-même. La sensibilité à la pression

existe partout ; cependant, elle est très émoussée dans la région des plaques

anesthésiques, et, à ce niveau, il faut comprimer assez fortement pour que la

sensation se produise. Ailleurs elle est aussi, je crois, un peu émoussée. J'ai

mis sur la peau, le membre étant au repos et reposant sur le lit, des poids

différents entre eux de 20, 30 et 50 grammes (le poids principal, étalon, était

de 100 grammes). Le malade a montré toujours la plus grande incertitude, et

dans quelques endroits, il ne savait en aucune façon quel était le poids le

plus considérable, alors même que l'un des poids était le double de l'autre.

Je pense que cette épreuve a quelque valeur, car j'ai répété les expériences

sur moi-même, et les résultats ont été tout autres. J'appréciais fort bien les

différences que le malade ne saisissait en aucune façon.

(A suivre.) F. SoccA.

BAILLEMENTS CHEZ UN ÉPILEPTIQUE

Le bâillement est constitué par une large inspiration avec distension

extrême du thorax, élévation et rétraction en arrière des épaules. Cette

inspiration bruyante s'accompagne d'une large ouverture de la

bouche. Quelquefois, les bras s'élèvent et s'étendent, c'est ce qui cons-

titue la pandiculation. C'est un acte involontaire qui se propage

par imitation, qu'il soit vu ou entendu : on sait, en effet, que le

bâillement se propage aussi bien par contagion chez les aveugles que

chez les voyants. A l'état physiologique, il se produit sous l'influence

de la fatigue, de la faim, d'états psychiques dépressifs, du froid, de

la chaleur excessive. Il est plus fréquent chez la femme, surtout sous

l'influence de la contagion.'

Le bâillement est souvent un symptôme de troubles digestifs. 11

peut encore se produire dans un grand nombre de conditions où

l'hématose est gênée, au début de l'asphyxie, au moment de l'inva-

sion d'un grand nombre de pyrexies, au début d'un bon nombre de

pneumonies. Il n'est pas rare de le voir se produire à la suite des

pertes de sang, etc.

Il est fréquent dans les. psychoses à forme dépressive, dans l'hypo-

chondrie, la mélancolie; on le voit aussi dans l'hystérie. Dans cette

dernière névrose, il peut tenir au ralentissement général des phé-

nomènes nutritifs, ou constituer une forme de spasme.

Dans l'épilepsie on le voit quelquefois précéder les attaques ou les

vertiges ; mais il est assez rare de le voir se produire d'une façon à

peu près constante dans l'intervalle des paroxysmes. Aussi, ai-je cru

que le fait suivant que j'ai observé dans mon service, à Bicêtre, n'était

pas indigne d'être rapporté, surtout en raison des quelques expériences

qu'il a provoquées.

B... estagé de vingt-trois ans. Son père, âgé de quarante-sept ans, est un

homme nerveux qui s'effraye au moindre' bruit; il lui est arrivé plusieurs fois,

lorsqu'un bruit violent venait à frapper ses oreilles, de pâlir et d'être pris de

sortes de convulsions qui le laissaientsouffrant pendant plusieurs jours. 11 est

habituellement sobre. Un de ses cousins est devenu épileptique à la suite

164 - NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

d'une peur et tomba jusqu'à huit fois par jour. Aucun autre antécédent

précis de ce côté. Sa mère a cinquante ans, n'a jamais été malade; elle ne

donne sur sa famille aucun renseignement dont on puisse tenir compte.

De leur mariage sont nés d'abord quatre enfants qui sont morts en basane :

un seul était né avant terme, ils n'ont pas eu de convulsions; puis vint

notre malade; ensuite deux filles qui se portent bien; et enfin ,un garçon

enfant du siège, qui a eu une seule crise de convulsions pendant l'allaitement

et se porte bien depuis.

B... est né à terme et était bien constitué. Il a commencé à avoir des con-

vulsions à l'âge de quatre mois; ces convulsions étaient fréquentes et vio-

lentes, il criait, se raidissait en portant le tronc en arrière, puis trémulait

pendant un quart d'heure. Ces crises se produisaient quelquefois par séries qui

duraient vingt-quatre heures. A six mois, à la suite d'une crise, il est resté

paralysé de la moitié gauche du corps. A partir de ce moment, il s'est

développé difficilement; ses attaques se renouvelaient plusieurs fois par

mois, mais sa paralysie a diminué peu à peu. A quatre ans, il pouvait mar-

cher, mais présentait des mouvements bizarres des quatre membres. C'est à

peine si, à six ans, il disait « papa, maman : Il a continué à se développer

péniblement; mais, à dix ans, on ne distinguait plus de traces de sa paralysie;

il avait toujours des mouvements athétosiques qui ont persisté. Ses attaques

sont devenues moins fréquentes dans ces dernières années; depuis deux ans,

il en a douze et sept par an et neuf vertiges.

B... est assez bien constitué ; mais on est tout desuite frappé de la longueur

disproportionnée de ses membres supérieurs (taille, 1m,58; envergure

4m,69); il présente une légère asymétrie de la face aux dépens du côté

droit. Il existe un léger degré de strabisme convergent del'oeil droit. La den-

tition est irrégulière et mauvaise. Aucune asymétrie sur le tronc et les

membres, sauf un léger abaissement, avec dédoublement du pli fessier

droit. Phimosis. - Force dynamométrique : main droite, 50 ; main

gauche, 45.

B... offre une mobilité extrême de la face et des membres; de temps

en temps sa bouche se dévie à droite en même temps qu'elle s'ouvre large-

ment et les yeux clignent ou se ferment. Il existe en même temps des mou-

vements dans le cou avec prédominance de la rotation de la tête à droite.

Les membres des deux côtés sont animés de mouvements lents de flexion et

d'extension qui se produisent dans tous les segments, y compris les doigts et

les orteils ; ces mouvements, qui se font alternativement dans toutes les

directions, rappelleraient la chorée n'était leur lenteur. Les mouvements du

thorax présentent aussi des irrégularités sur lesquelles nous aurons à re-

venir. Ce qui frappe, en particulier, ce sont des bâillements qui se répètent

très fréquemment, surtout lorsqu'on force B... à rester assis tranquille.

Les paroxysmes se présentent sous la forme de vertiges qui paraissent se bor-

ner à de simples éblouissements sans chute. Quant aux accès, voici comment

s'est présenté celui qui a eu lieu devant nous. Il lève le bras droit, semble

tirer des fils de sa main gauche qu'il regarde fixement, a quelques tremble-

ments des bras, et tombe en se tournant vers la droite sans pousser aucun cri.

Il reste rigide, presque dans l'immobilité absolue; il n'y a que peu de con-

torsions dans la face, qui s'est tournée à droite au moment de la chute, et a

pâli. Il ne s'est pas mordu la langue, n'a pas uriné. Sitôt après l'accès, on le

' BAILLEMENTS CHEZ UN EPILEPTIQUE. 165

relève, mais il ne tient pas sur ses jambes. Il se livre à des mouvements

bizarres avec ses membres supérieurs, prend avec ses mains des objets ima-

ginaires sur sa tête et les porte à sa bouche; regarde de côté et d'autre, mais

ne répond pas aux interpellations. Il est incapable de conserver dans sa

main les objets qu'on y place. Pendant une demi-heure, il paraît suivre du

regard des objets imaginaires. Au bout de ce temps, il est parvenu à grand'-

peine à se mettre debout en s'appuyant sur la muraille; mais il s'est laissé

retomber au bout d'un instant, promenant de tous côtés un regard effaré, se

mordant les doigts, se grattant la tête. Il se remet debout avec la même

peine; on lui présente le dynamomètre pour provoquer une manoeuvre qu'il

connaît bien, mais il porte immédiatement l'instrument à sa bouche. Il s'est

enfin jeté sur le lit de camp où il s'est endormi pour un quart d'heure. A son

réveil, l'exploration dynamométrique donne 40 pour la main droite, 25 pour

la gauche. Il ne se rappelle rien. Sa langue est encore plus embarrassée

que dans l'état normal et on distingue à peine quelques paroles.

B... n'a jamais pu apprendre à lire ni à compter; il est très difficile de

fixer son attention et il paraît avoir fort peu de mémoire; il reconnaît pourtant

assez bien les personnes. De temps en temps il présente des périodes d'excita-

lion et de violence dans lesquelles il frappe et mord; ces manifestations s'at-

ténuent depuis qu'il prend du bromure de potassium, sous l'influence duquel

les accès ont aussi un peu diminué de fréquence.

L'histoire de ce malade ne présente guère de traits saillants en

dehors du bâillement; mais j'ai cru que ce phénomène, en apparence

fort banal, méritait quelque attention. C'est qu'en effet, on a assez

rarement l'occasion d'étudier de près le bâillement spontané; et d'ail-

leurs, qu'il soit spontané ou provoqué, on s'est peu préoccupé de

considérer avec soin son mécanisme. Chez B..., les bâillements ne se

produisent pas nécessairement à propos des accès d'épilepsie; on a vu

en effet, à propos de l'accès que nous avons décrit de visu, que ce

symptôme n'existait ni avant, ni après le paroxysme. Il n'en est pas

toujours ainsi.

Mais, en tout cas, les bâillements se produisent dans l'intervalle des

accès presque à toute heure du jour, et surtout lorsqu'on le fait rester

immobile; ils se répètent très fréquemment, puisque j'ai pu en

enregistrer plus de vingt en une demi-heure; souvent ils se produisent

par séries continues.

Cette exploration, que j'ai faite à plusieurs reprises en me servant

du pneumographe de Marey, m'a fourni quelques tracés qui ne m'ont

pas paru dépourvus d'intérêt. On y voit, par exemple, qu'en général le

bâillement est précédé (fig. 72) d'un abaissement des courb s respira-

toires ; la respiration devient d'abord superficielle et le bâillement cons-

titue une sorte d'inspiration supplémentaire. On sait d'ailleurs que le

bâillement se produit en général sous l'influencede la fatigue, del'ennui,

12

166 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

d'un trouble digestif produisant, grâce à la dilatation de l'estomac, un

obstacle z. l'inspiration, c'est-à-dire dans toutes les conditions où la

respiration devient superficielle ou ralentie. J'ai relevé déjà 1 que

l'accès d'épilepsie est quelquefois précédé d'un abaissement considé-

rable des courbes respiratoires; il n'y a donc pas lieu de s'étonner

que l'on observe quelquefois le bâillement comme précurseur de l'at-

taque d'épilepsie.

Le bâillement est généralement suivi d'une expiration prolongée

1. Chez bon nombre de mélancoliques qui ont la respiration extrêmement superficielle

et lente, on voit aussi de temps en temps se produire, eu dehors dos bâillements, des inspi-

rations amples et bruyantes qui ont pour but de compenser l'iiisuflisaiico des inspirations

ordinaires. 1

FIG. 72. Quatre courbes respiratoires inscriles sans iutorruption mOllIra ? que la rcspiwlion défier

ptu9SUpcr)icieKoav ! tnUobino]nont.

BAILLEMENTS CHEZ UN ÉPILEPTIQUE. 167

(fig. 72) ou d'une large et brusque expiration (fig. 73). Lorsque le

bâillement se produit par séries, les bâillements successifs peuvent

être séparés, soit par une expiration prolongée (fin. 74), soit par une

large et brusque expiration (lig. 75). C'est surtout dans les séries que

l'inspiration et d'expiration du bâillement présentent des saccades

FiG. 73. - Bâillement simple constitué par une inspiration profonde ot subi

d'une expiration prolongée»

1-IG. 71. - Deux bâillements successifs séparé. par une expira' uni prolongée.

168 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

rit. 75 - Deux bâillements successifs séparés par une expiration large et brusque.

Fis 76 et 77. - Irrégularités delà respirationeliez B... dans l'intervalle des bâillements.

BAILLEMENTS CHEZ UN ÉPILEPTIQUE. 189

(fis'. 74 et 75). Dans les bâillements isolés la dilatation et la rétraction

du thorax sont figurées par des courbes régulières (fig. 72 et 73).

Je noterai en outre chez ce sujet des irrégularités du tracé respira-

toire dont es courbes représentent bien les mouvements choréiformes

que l'on remarque à l'inspection extérieure (fig. 76, 77).

CH. Féré,

Mélecin de Bicôti-0.

LE PARALYTIQUE DE RAPHAML

La grande époque de l'art en Italie est représentée dans la collec-

tion des difformités reproduites par l'art par le chef même de l'école

romaine, Raphaël Sanzio.A propos du jeune démoniaque delà Trans-

figuration, nous pourrions dire comment ce maître illustra, de parti

pris, éludé la représentation exacte de la nature, et comment, par

une sorte de compromis entre le naturalisme et la convention, il n'a

réussi qu'à-composer une figure contradictoire au point de vue spécial

de la critique scientifique, pendant que, plus heureux, d'autres maîtres

tels queAndré del Sarte, le Dominiquin, etc., ont su éviter l'horreur de

semblables scènes tout en restant dans les limites étroites de la vérité.

Mais, dans la représentation de la difformité, Raphaël, disons-le

tout de suite, a su, dans une oeuvre capitale, serrer de plus près la

réalité. Nous aurons néanmoins quelques réserves à faire.

Nous ne parlerons pas ici du portrait d'Inguirami (Palais Pitti) dont

le strabisme est reproduit avec l'accent le plus sincère, bien que le

peintre ait cherché à en diminuer le degré par la direction générale

donnée au regard. Dans une élude au crayon pour un des anges du

Couronnement de -la hC1'(Jc (dessin du musée Wirar), Raphaël

a copié son modè.le avec une fidélilé qui a été jusqu'à indiquer

très exactement un léger défaut physique. Si l'on examine l'oeil droit,

on constate en effet ce renversement de la paupière inférieure que

la pathologie désigne sous le nom d'ectropIOn ¡.

Mais l'eeuvrede Raphaël où la difformité tient une place importante

se trouve aujourd'hui au musée de South Kensington. Elle l'ait partie

de la première série de tapisseries destinées à la chapelle Sixtine et

dont les cartons avaient été commandés à Raphaël par Léon X. Elle

devait représenter les Actes des apôtres.

Le carton qui nous intéresse en ce moment, désigné sous le nom de

La Guérison du boiteux, représente les apôtres saint Pierre et saint

Jean rendant la santé à un infirme à la porte du temple. L'élément

décoratif y joue son rôle important sans nuire toutefois à l'intérêt

dramatique du sujet. Le milieu de la composition est occupé par unin-

[ 1. Mantz, Raphaël et sonaemps..

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. 1 PL. XXXIV

GUÉRISON DU PARALYTIQUE A LA PORTE DU TEMPLE

Carton de Raphaël (Musée de Soulli-ICensinbton)

1 I.CIIOS',Iirrt El UAUL, LD[Trl'RS

LE PARALYTIQUE DE RAPHAËL. 171

firme assis à terre et qui étale au grand jour ses jambes et ses pieds

contrefaits. Saint Pierre, d'un geste qui signifie : « Lève-toi ! » sou-

lève le poignet gauche du malheureux qui, l'oeil fixe et la bouche bée,

semble encore douter de la possibilité d'un tel bonheur. Dans le

coin à gauche, un second infirme, à genoux, se penche appuyé sur

son bâton (pl. xxxiv).

Nous attirerons tout d'abord l'attention sur les deux têtes des in-

firmes dont les physionomies offrent entre elles de grandes analogies.

Elles ont un accent d'originalité bien particulier et qui nous paraît

puisé dans une juste observation de la nature. Telle déformation des

membres qui semble un mal tout local relève souvent d'une affec-

tion générale dont les stigmates se retrouvent généralement sur-

d'autres parties du corps souvent'fort éloignées du siège de l'infir-

mité.

Parmi ces maladies constitutionnelles qui impriment leur sceau sur

la physionomie, tout en produisant dans les extrémités ces lésions

qui conduisent à des déformations permanentes, nous pouvons citer au

premier rang le rachitisme. Or il nous semble précisément que Raphaël,

dans les figures de ses deux infirmes, a cherché à reproduire les traits

généraux du faciès rachitique. Ce faciès qui, chez les enfants en bas

âge,présente un aspect si singulier avec son expression de tristesse et

son masque de sénilité précoce, garde toujours dans la suite quelque

chose de caractéristique qui peut s'analyser ainsi : crâne plus ou moins

déformé, front quelquefois saillant, d'autres fois bas et fusant;

oreilles larges et détachées; face amaigrie, ridée; pommettes sail-

lantes ; orbites creux au fond desquels les yeux paraissent plus brillants;

nez écrasé à sa racine, élargi et relevé à sa base; bouche largement

fendue, édentée; mâchoire saillante; barbe rare. La plupart de ces

traits se retrouvent sur les infirmes que Raphaël met en scène dans la

Guérison du boiteux.

Le grand chef de l'école romaine a été tellement frappé de ce faciès

si caractéristique qu'il en a fait, en quelque sorte, l'apanage exclusif

des infirmes et des estropiés. Nous en pouvons reconnaître quelques

traits, chez le paralytique du Sacrifice de Lystra, une autre composi-

tion de la série desActes des apôtres. Ici le miracle est consommé, le pa-

ralytique a jeté ses béquilles, il est guéri. Cet homme, que saint Lucnous

dépeint ainbi : « Il y avait à Lystra un homme perclus des jambes qui

était boiteux de naissance et qui n'avait jamais marché... » a vu ses

membres inférieurs se redresser et reprendre leur vigueur ainsi

que le peut constater le spectateur incrédule qui soulève le pan de son

vêtement mais il garde sur sa figure les marques de la maladie qui

172 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA, SALPÊTRIÈRE..

l'avait rendu infirme. Par la face, il reste le frère des pauvres infirmes

de la Guérison du boiteux.

Il nous faut examiner maintenant comment, dans cette dernière

oeuvre, Raphaël a représenté la difformité elle-même. Les membres in-

férieurs sont courts, légèrement amaigris, les articulations noueuses,

le tibia droit légèrement incurvé. Il nous paraît difficile d'accuser plus

directement, tout en restant dans la vérité, les signes du rachitisme.

Mais, là ou'nous devons faire quelques réserves, c'est sur les déforma-

tions des pieds. Les orteils du membre gauche sont étrangement

tordus, et le pied droit a subi une sorte de torsion sur son axe qui

nous semble devoir s'expliquer difficilement. Le pied nous montre sa

face plantaire, pendant que la jambe est vue par sa face antérieure.

C'est là une déformation dont le' mécanisme nous échappe, et qui ne

nous semble pas s'accorder avec l'état du reste du membre, dont la

musculature est alors trop accentuée. En un mot, il y a entre ces deux

segments du membre inférieur une sorte de contradiction. Et nous

sommes en droit de nous demander si Raphaël, dans la représentation

de la jambe mise en pleine lumière, n'a pas, de parti pris, atténué les

déformations que le pied qui la termine ferait supposer beaucoup plus

accentuées.

Dans la figure de l'infirme qui occupe l'angle droit de la composi-

tion, les membres inférieurs sont en partie masqués par une colonne.

Mais on n'en remarque pas moins une disproportion flagrante entre le

tronc et les cuisses, ce qui est l'indice d'un arrêt de développement,

d'ailleurs parfaitement légitime dans la circonstance.

J.-M. CHARCOT (de l'Institut).

,

PAUL RICIIER.

ERRATU\1. - T. le,, pl. xxxi, au lieu de : coupe transversale do la moelle lom-

baire, lire : coupe longitudinale des cordons de Goll, à la région dorsale.

Le gérant : Emile Lecrosnier.

MOTTMOZ. Imprimeries réunies, B, rue Mignon, 2.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

L'ACROMÉGALIE

Dans un travail paru en 1886 (Revue de médecine), j'avais cherché à

isoler nosographiquement et à décrire une affection singulière carac-

térisée par l'hypertrophie non congénitale des extrémités supérieures,

inférieures et céphalique, et je proposais, pour cette raison, de la

désigner sous le nom d'acromégalie. La description a été, je crois,

; accueillie avec quelque faveur. Quant au nom, il semble avoir été lui

J aussi généralement adopté; je reconnais volontiers qu'aupoint de vue

1 philosophique, on peut le critiquer ; mais mon seul but en le créant

' était de rappeler le symptôme majeur de cette maladie (axpov extré-

' mité, p.É ? aç grand), de façon à le mettre assez en relief pour que l'at-

tention des observateurs fût attirée sur ce point.

J'avais dans ce travail donné les observations de deux malades du ! service de M. le professeur Charcot; et, à cette occasion, recherché et

' reproduit des observations analogues publiées par différents auteurs. ! Quelques autres m'avaient échappé dont j'ai eu depuis connaissance'.

Plusieurs travaux ont paru en outre récemment sur cette question,

. parmi lesquels celui de M. le professeur Erb doit être tout spécialement

t signalé. Enfin, une autopsie ayant été faite dans le service de M. le pro-

fesseur Charcot et deux nouveaux malades observés à sa consultation,

notre maître a bien voulu en disposer en notre faveur, nous le re-

I mercions vivement de celte nouvelle libéralité. C'est là, on le voit, une

somme de documents assez importante, j'ai cru qu'il y aurait quelque

intérêt à les réunir, à les comparer et à compléter ainsi, autant que

" 1. Je signalerai notamment le très important mémoire de MM. Kleb's et Fritsche, ainsi

que ceux de Taruffi et de 13ribidi dont l'existence ne m'a été révélée que par le travail de

DI, Minkowski, et sur lesquels j'aurai plus d'une fois l'occasion de revenir; en Angleterre

une observation très intéressante de M. Hadden.

. 13

174 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

possible, la description première de l'acromégalie. Tel est le but de la

présente étude.

OBS. I. M. C... quarante-cinq ans. Sa mère a quatre-vingt-deux ans, se

porte admirablement, n'a pas encore perdu une dent. Père mort à cinquante-

huit ans (ramollissement cérébral ? ? ). Tous ses oncles et tantes étaient

robustes ; personne n'a jamais présenté rien d'analogue à l'affection dont il'est

atteint. Les membres de sa famille sont en général de taille un peu au-dessus

de la moyenne, mais sans être vraiment des gens d'une grandeur extraordi-

naire.

N'a eu qu'un frère mort en bas âge. Lui-même a toujours été d'une

bonne santé pendant son enfance, mais n'a jamais eu un teint très coloré. -

A l'âge de vingt-trois ans, syphilis nettement établie, peu d'accidents ulté-

rieurs, sauf du côté de la gorge. Jusqu'à l'âge de seize ans, le malade était d'une

taille tout à fait ordinaire, plutôt un peu petite, lorsque, vers cette époque,

tout d'un coup, il se mit agrandir; de dix-sept à dix-huit ans sa taille s'accrut

d'une façon considérable et depuis lors, jusqu'à près de quarante ans, il est

convaincu qu'il n'a cessé de grandir, très peu il est vrai, mais d'une façon sen-

sible cependant. A l'âge de dix-neuf ans ou dix-neuf ans et demi, en sortant du

collège, il ne mesurait pas moins de 5 pieds 8 pouces; de dix-sept à dix-huit

ans il avait grandi de Il pouces, de dix-huit à dix-neuf ans de 4 à 5 pouces.

Depuis l'âge de dix -neuf ans et demi jusqu'à l'âge de quarante ans, il a encore

gagné 3 pouces; depuis cette époque, en effet, il mesure 5 pieds 11 pouces.

Le malade était d'une bonne santé et d'une force musculaire assez remar-

quable, il était soldat, avait fait la guerre carliste marchant beaucoup, résis-

tant très bien à la fatigue.

C'est vers l'âge de trente-deux ou trente-trois ans qu'il remarqua (sans

pouvoir attribuer à cela aucune raison) que ses mains, qu'il avait toujours eu

àla vérité un peu fortes et charnues, augmentaient très notablement de volume

et cela d'une façon progressive (fig. 78, 79)`. Il semble que cet accroissement

n'est pas encore complètement terminé, car, dans ces derniers temps, le malade

croit avoir remarqué qu'il avait un peu plus de difficulté à mettre ses gants.

L'hypertrophie des pieds se serait montrée à peu près en même temps que

celle des mains.

Main droite.

Circonférence au niveau de la tête des métacarpiens, 253 millimètres.

Circonférence maxima de la main au niveau de l'articulation métacarpo-

phalangienne du pouce, les doigts était dans la position de la « main

d'accoucheur », 275 millimètres.

Longueur de la main depuis l'interligne articulaire du poignet jusqu'à

l'extrémité du médius, 22 centimètres.

Circonférence de la phalangette du pouce, 85 millimètres.

Circonférence du médius au niveau de l'articulation entre la phalange et la

phalangine. 87 millimètres.

Épaisseur maxima de la main au niveau de l'éminence thénar (avec le

compas d'épaisseur), 47 millimètres.

1. Ce dessin a été fait d'après nature par M. Paul Richer auquel nous adressons tous nos

remerciements pour son obligeant et précieux concours.

L'ACROMÉGALIE.

175

Longueur du médius prise à partir du pli palmaire, 95 millimètres.

Longueur de l'annulaire, 91 millimètres.

Longueur de l'auriculaire, 80 millimètres.

Longueur de l'index, 85 millimètres.

Longueur de la paume de la main depuis l'interligne articulaire du poignet

jusqu'au pli palmaire de la base du médius, 130 millimètres.

Largeur de la paume de la main à la partie moyenne, 10 millimètres.

Le pouce peut être considérablement écarté des autres doigts, la ligne droite

menée entre l'extrémité de l'auriculaire et l'extrémité du pouce ainsi écarté

par le malade est de 292 millimètres.

Circonférence du poignet au-dessous des extrémités osseuses de l'avant-

bras, 20 centimètres.

La main gauche présente une hypertrophie tout à fait analogue, mais ses

dimensions et celles des doigts sont très légèrement inférieures à celles de la

Ptc. 78 et 79. Les deux mains inférieures sont celles du malade, les deux mains supérieures sont celles

(l'un homme en bonne santé dont la taille est la même que celle de C... (Dessin de P. Richer, d'après

une photographie de ces quatre mains prises simultanément).

176 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

main droite du moins quant à la largeur et à l'épaisseur ; la longueur semble

être exactement la même, c'est surtout l'épaisseur qui est moindre; les masses

thénar et hypothénar sont moins développées et un peu plus flasques qu'à la

main droite.

La forme des mains est en somme régulière bien qu'étant élargie. Les

parties molles ont subi une hypertrophie considérable qui s'observe surtout

nettement à la face palmaire des doigts, notamment au niveau de la dernière

phalange, et àl'éminence hypothénar; on peut saisir en cet endroit les parties

molles (assez flasques surtout à la main gauche), les isoler du cinquième mé-

tacarpien et juger ainsi de leur très réelle augmentation de volume.

Sur le dos des mains et la face postérieure des avant-bras, plexus veineux

assez riche; la largeur des veines à ce niveau semble certainement plus

grande que celle des veines d'une main saine (assez turgescente cependant)

prise comme terme de comparaison (il est vrai que des différences dans l'épais-

seur des téguments à ce niveau peuvent être cause de cette divergence).

Les ongles ne sont pas comparativement très larges, il est même douteux

qu'ils soient hypertrophiés; s'ils semblent très légèrement, plus larges que ceux

d'une main normale, c'est plutôt par suite d'un certain degré d'aplatissement;

à leur extrémité libre sur les côtés ils ont tous, mais plus ou moins, une ten-

dance à se recourber en dehors et en haut et prennent ainsi la forme de

certaines tuiles. Leur largeur n'étant pas augmentée on conçoit aisément

qu'ils sont débordés par les parties molles et se trouvent comme enchâssés

à l'extrémité du doigt.

Ils présentent tous une striation longitudinale très nette. Leur longueur

n'est pas augmentée, mais semble être restée tout à fait ordinaire; aussi, vu

l'hypertrophie des parties voisines, les ongles semblent-ils un peu courts.

A la paume de la main, les bourrelets situés au niveau de la tête des méta-

carpiens sont considérablement augmentés de volume.

L'annulaire et l'auriculaire de la main droite présentent très nettement le

phénomène du « doigt à ressort », ce que le malade attribue à une sorte de

traumatisme éprouvé en soulevant un fardeau trop lourd.

A l'auriculaire de la main gauche se trouve une bague qui ne peut en être

que très difficilement retirée et ne peut entrer à l'auriculaire de la main

droite ; il y a quatre ou cinq ans cette bague était très à l'aise à l'auriculaire

de la main gauche. Son diamètre intérieur mesure 20 millimètres.

Aux membres supérieurs, pas plus du reste qu'aux membres inférieurs, on

ne trouve d'atrophie musculaire, mais les chairs sont en général assez

flasques, la force médiocre, eu égard à la stature du malade.

. Quant au tronc, ce qui frappe immédiatement les regards, c'est une pro-

jection-tout à fait singulière de l'extrémité inférieure du thorax en avant. C'est

en somme la bosse antérieure de Polichinelle; l'analogie est d'autant plus

frappante qu'il existe en même temps un certain degré de gibbosité posté-

rieure ; si cette dernière était plus prononcée.'la ressemblance avec le célèbre

pantin serait complète (fig. 80; pl.-X1YVI, XXXVII, XXXVIII) :

La partie antérieure du thorax présente un plan obliquement incliné (dans

la position debout) de haut en bas, d'arrière en avant, de façon à faire avec

une verticale correspondant au rachis un angle d'environ 45°; il en résulte

une projection considérable des fausses côtes en avant ; à la partie supérieure,

au-dessous des clavicules, il existe plutôt un aplatissement assez net (sur la

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T I. PL. XXXVI

Cliché A LONDE £

PHOTOTYPIE BERTHAUD

ACROMEGALIE

(OBS. I)

LhCROSNf £ & h BABÉ, ÉDITEURS

NOUA ELLE ICONOGRAPHIE

T. I. PL. \X1VII

ACROMEGALIE

(Ces. ! )

Le thorax est en état d'inspiration forcée.

LCCROSNIEti ET BAUE, EDITEURS

NOUVELLE ICOJ\OGIIAPIIIE

T. I. PL. XXXVIII

ACROMEGALIE

(013S. 1)

t.[ : CnOSNtt;n fît DABE, ÉDITEURS

L'ACROMÉGALIE. 177

région pectorale droite, lipome siégeant à la hauteur du bord inférieur et

antérieur de l'aisselle ou un peu au-dessus).

A partir del'appendice xyphoïde projeté en avant, le profil du ventre devient

vertical dans une étendue d'un travers de doigt, puis il se recourbe en bas et

en arrière pour arriver à l'ombilic; à partir de celui-ci, le profil redevient à

peu près normal; mais, en somme, tout le thorax dans sa partie inférieure se

trouve comme porté en avant, ce qui s'exagère et devient tout à fait étrange

quand on fait faire au malade un effort inspiratoire énergique. Les parties

latérales en sont aplaties, de sorte qu'il se termine comme en pointe au niveau

de l'appendice xyphoïde.

Depuis les dernières cervicales jusqu'au niveau de l'angle inférieur de

l'omoplate, il existe une gibbosilé très marquée, puis une ensellure corres-

pondant en partie (mais non proportionnelle) à la projection si considérable

des fausses côtes en avant signalée plus haut (fig. 80).

Peut-être existe-t-il une très légère courbure latérale du rachis à conca-

vité vers la droite, mais cette courbure est si peu marquée qu'on ne saurait

en affirmer catégoriquement l'existence. L'épaule gauche est un peu plus

haute que la droite.

A la palpation, les clavicules ne semblent pas présenter de dimensions

exagérées pour un homme de cette stature; elles sont peut-être un peu

plus obliques que chez la majorité des individus.

La forme et les dimensions des omoplates sont trop difficiles à déterminer

pour qu'on puisse rien dire de précis à leur égard. ,

Les côtes ont considérablement augmenté de volume, elles sont notamment

beaucoup plus larges que normalement.

L'appendice xyphoïde est énorme.

La circonférence du thorax suivant une ligne horizontale passant par

l'extrémité libre de l'appendice xyphoïde est de 111 centimètres.

La distance de la fourchette sternale à la pointe libre de l'appendice

xyphoïde est de 25 centimètres.

Le type de la respiration est surtout diaphragmatique et costo-inférieur.

Le malade marche bien, chasse sans difficulté des journées entières, mais

cependant, s'il monte un escalier, au second, étage, il commence à être

essoufflé, et s'il avait à monter un peu haut il serait obligé de s'arrêter et de

se reposer.

Le bassin ne semble pas en lui-même avoir des dimensions exagérées,

mais les crêtes osseuses en sont certainement augmentées de volume.

Les cuisses, les fesses, ne présentent rien de particulier ; les masses mus-

culaires en sont un peu flasques, la peau en est sèche, rugueuse ; quelques

vergetures horizontalement disposées au niveau de la ceinture.

Les testicules sont assez gros; la verge très notablement plus longue et plus

grosse que chez la plupart des individus. Les poils du pubis sont abondants.

Le réflexe crémastérien ne peut êlre provoqué (n'a été d'ailleurs cherché

qu'une fois, les testicules étant alors fortement rétractés). Le malade accuse

une certaine diminution dans l'appétit génital.

Aux membres inférieurs :

Rotule : Diamètre vertical, G centimètres; diamètre tranversal, 6 centi-

,. mètres. '

Les condyles du fémur ne font pas de saillie anormale. Le plateau du tibia

1

178 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

est cependant très développé. La tête du péroné et les deux malléoles parais-

sent élargies.

La forme générale de la cuisse, de la jambe, du mollet, est parfaitement

normale (circonférence du mollet, 385 millimètres) ; le malade est d'ailleurs

un grand marcheur et passe, maintenant encore, des journées à chasser.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T I. PL XXXV

Phototypie BERTHAUD

Cliché A. LONDE

ACROMEGALIE

(OBS. Il

L ! i : CROSNJER b DAHÉ, ÉDITEURS

L'ACROMÉGALIE. 170

Longueur du tibia en ligne droite 442 millimètres. 1

Les pieds sont volumineux, leur hypertrophie- présente les mêmes carac-

tères généraux que celle des mains ; leur longueur maxima est de 30 centi-

mètres.

Circonférence au niveau du cou-de-pied, 28 centimètres. ;

' Circonférence passant immédiatement au-dessous de la pointe des deux

malléoles, 29 centimètres.

Circonférence du gros orteil, 12 centimètres. ,

Circonférence du petit orteil, 75 millimètres. = n '

Le second orteil, surtout au pied gauche, est un des plus hypertrophiés.

Ici encore on constate comme aux mains une hypertrophie considérable

des parties molles et dans certains points, où elles se trouvent comprimées,

leur rebroussement. a -

Ongles striés en long et en travers n'ayant pas augmenté de dimensions^

" sauf peut-être celui du gros orteil qui a des proportions assez considérables :

longueur 23 millimètres, largeur 27 millimètres.

Depuis quatre ou cinq ans il se chausse chez le même bottier, et depuis

cette époque celui-ci lui fait ses souliers sur les mêmes mesures et avec les

mêmes formes; or ces souliers lui vont toujours bien et ne sont pas devenus

trop étroits, il semble donc que l'hypertrophie des pieds soit restée station-

naire depuis ce laps de temps.

Sur toute l'étendue du corps, la peau du malade a une teinte jaune brun

mélangé d'une légère nuance olivâtre ; cette coloration est encore plus nette

à la face. La peau est d'ailleurs flasque et comme trop large pour le corps,

plutôt un peu épaissie, présentant l'aspect ansérin dans certains points (sur-

tout face postérieure des bras et ceinture), sèche et cependant un peu grasse,1

(le crayon marque difficilement). Sur le cou, les épaules, le dos, plusieurs

petites tumeurs de molluscum pendulum. t

Aux jambes, on trouve quelques varices, mais leur développement est bien

loin d'être considérable. ' 1 .

Il existe aussi des hémorrhoïdes qui se sont montrées vers l'âge de vingt-cinq

ou vingt-six ans, puis ont augmenté; assez souvent elles ont donné lieu à des

hémorrhagies de quantité modérée. :

Le malade a toujours eu bon appétit et mange bien, un peu plus que la

majorité des gens, mais non excessivement, affirme-t-il, si- on a égard à sa

taille. Ses digestions sont toujours bonnes, sauf quand il se couche trop tôt.

Jamais de fringales en dehors des repas. Il boit une assez grande quantité de

liquide (eau) aux repas, mais jamais dans l'intervalle de ceux-ci, moins

qu'il n'aille à la chasse et ne sue beaucoup. Il évalue la quantité bue en

vingt-quatre heures à deux litres et demi environ.. z

Il pisse cinq à six fois par jour et chaque fois assez abondamment (environ

400 grammes chaque fois ; cela n'a pu être contrôlé). L'urine est claire,

de couleur ordinaire, ne contient ni sucre ni albumine. - "

Face (pl. xxxv). - Dans son enfance et jusqu'à l'âe de vingt-deux à

vingt-quatre ans le malade avait la face ronde et assez joufflue, le nez

petit ; à ce moment, elle commença à se modifier, mais ce n'est que depuis

l'âge de trente ans qu'elle a été vraiment déformée, et depuis cette défor-

mation n'a fait et ne'fait encore qu'augmenter. '

La forme générale de la face est très allongée; longueur (au compas

180 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

d'épaisseur) de la racine des cheveux sur le front au bas du menton, 22 cen-

timètres ; de la racine des cheveux à la partie supérieure des os propres du

nez, 66 millimètres; des os propres du nez au bout du nez, 76 millimètres-

de la base de la cloison du nez à la partie inférieure de la symphyse du men-

ton, 90 millimètres.

Distance entre la face externe des deux pommettes, 145 millimètres.

Le front est oblique, les arcades sourcilières font une saillie considérable

en avant, tandis qu'en arrière d'elles, latéralement, existe une dépression qui

fait un peu ressembler la région frontale de ce malade à celle d'une vache.

Les sourcils sont bien fournis. Les paupières, d'une pigmentation plus brune

que le reste du corps, ne sont pas épaissies, leur longueur, à compter de la

partie inférieure de l'arcade sourcilière est de 25 millimètres.

Les yeux sont légèrement saillants, de volume normal, la conjonctive un

peu vascularisée, la pupille petite (il existe réellement un certain degré de

myosis); cils d'aspect ordinaire.

Le nez est très allongé, sa largeur maxima est de 4 centimètres (distance

entre la face externe des deux ailes du nez).

La cloison est un peu déjetée à droite. La forme du nez est assez régulière,

son extrémité plutôt pointue que camarde.

Les pommelles font une assez forte saillie.

La.bouche n'a pas des dimensions exagérées, mais la lèvre inférieure est

très saillante et forme un gros bourrelet dont la hauteur est de 17 millimètres.

Les dents sont bonnes, leurs dimensions tout à fait normales, plutôt

petites ques grandes ; les dents de la mâchoire inférieure,- qui autrefois étaient

en arrière de celles de la mâchoire supérieure, sont maintenant en avant de

celle-ci d'au moins deux millimètres. Il y a douze ou quatorze ans que le

malade a remarqué un changement dans la position respective de ses dents et

voici comment : étant très amateur de pêche, il a l'habitude de confectionner

lui-même ses lignes; il coupait, étant plus jeune, avec ses dents, le crin dont

celles-ci se composent, mais, depuis douze à quatorze ans, il s'est aperçu que

la position de ses dents était telle qu'il ne pouvait plus couper le crin avec elles.

La langue est très augmentée de volume ; largeur maxima, 65 millimètres.

La longueur est aussi notablement augmentée; sa face supérieure présente

un assez grand nombre de sillons, mais c'est là tout au plus l'exagération

de l'état normal.

Le maxillaire supérieur ne présente rien de bien net; il est probablement

un peu plus développé que normalement, mais cette différence, si elle existe,

est difficile à constater.

Le maxillaire inférieur est plus grand, plus large et plus haut que

normalement, son angle est certainement beaucoup plus ouvert.

Sa hauteur, du bord libre des gencives à la partie inférieure de la symphyse

du menton, est de 5 centimètres; l'angle gauche du maxillaire fait une plus

forte saillie que le droit. Distance (au compas d'épaisseur) de l'articulation

temporo-maxillaire à la partie inférieure de la symphyse du menton, 142 mil-

limètres.

Les oreilles sont un peu grandes (73 millimètres) assez saillantes, mais sans

présenter un aspect réellement anormal.

Le crâne ne présente (à part la région frontale) aucune déformation mar-

quée ; cependant les sutures sont très faciles à suivre avec le doigt ; la pro-

L'ACROMÉGALIE. 181

tubérance occipitale externe et les lignes qui en partent font une saillie

considérable, ainsi que la région mastoïdienne. Les cheveux sont abondants,

un peu grisonnants, leur grosseur semble normale.

Au cou, le larynx fait une saillie assez notable, mais non excessive eu

égard à la stature, ses dimensions dans le sens antéro-postérieur semblent

cependant augmentées.

L'os hyoïde paraît être aussi d'un volume supérieur à la normale.

Le corps thyroïde ne peut être qu'à peine senti par la palpation, il semble

diminué de volume (on sait que cette recherche n'est pas très aisée, même

chez l'homme sain); ce que l'on peut affirmer, c'est que cet organe est ici non

pas plus gros, mais vraisemblablement plus petit que normalement.

La recherche du thymus ou d'une zone de matité au niveau du sternum,

suivant les indications de M. le professeur Erb, n'a donné aucun résultat.

La voix du malade, qui dans l'enfance, était assez aiguë et pouvait monter

à des notes élevées et qui d'ailleurs au moment de la puberté était devenue

plus grave, est actuellement forte, très grave et parfois un peu voilée (fume

beaucoup, surtout la cigarette) ; en faisant solfier le malade devant un piano

on constate que les seules notes qu'il puisse émettre sont comprises entre

mia et ut3 ; il ne peut donner de notes plus élevées.

Au point de vue des organes des sens voici ce que l'on peut noter :

La vue, dit le malade, est à peu près intacte et notamment quand il est à

la chasse il n'a pas à s'en plaindre. En effet, l'examen pratiqué par M. Pari-

naud montre que l'acuité visuelle est très peu réduite : V= 1o pour les deux

yeux; pas de troubles pour l'appareil musculaire et les pupilles. Mais, à

l'ophthalmoscope, on constate unenév1'ite double caractérisée par une colora-

tion rouge sombre de la papille avec infiltration de ses contours et des parties

voisines de la rétine. Les veines sont dilatées et sinueuses, accusant un état

d'étranglement assez accentué.

L'ouïe, d'après le malade, serait un peu faible, mais cependant il entend

bien quand on lui parle, même à voix basse.

Odorat médiocre, la respiration nasale est d'ailleurs assez pénible.

Goût bon.

Mais ce n'est pas l'un quelconque de ces symptômes, de ces bizarres

phénomènes, qui avait appelé l'attention du malade. Chose singulière,

il n'avait attaché aucune importance à l'augmentation de volume des

mains et des pieds, non plus qu'à celle de la face, et quant à la défor-

mation du rachis et du thorax il se contentait pour se l'expliquer à

lui-même, d'une histoire passablement naïve de rupture de la colonne

vertébrale consécutive à un effort qu'il aurait fait en aidant ses

hommes à soulever un canon au passage d'une montagne. La seule

chose qui détermina le malade à venir (mai 1888) d'Espagne à Paris,

pour consulter M. le professeur Charcot, c'était uniquement une

céphalalgie persistante et fort pénible. C'est seulement de cela qu'il se

plaignit lorsqu'il fut dans son cabinet. Notre maître ayant du premier

coup d'oeil reconnu l'existence de l'acromégalie, voulut bien nous

182 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

inviter à examiner ce malade avec lui, et c'ast avec la glus grande sur-

prise qu'assistant au premier interrogatoire, nous constatâmes que

cet homme n'avait pour ainsi dire pas conscience des difformités dont

il était atteint. '

Pour en revenir à cette céphalalgie, voici ce que le malade racon-

tait à son sujet. En juin 1885, il avait, pour la première fois, éprouvé

pendant la nuit une forte douleur de'tête; à celle occasion il vomit

des matières verdâtres en assez grande abondance, puis la douleur

cessa complètement.

Six ou huit mois plus tard, la douleur de tête revint, mais c'était

seulement le matin, quand vers sept heures le malade, après avoir pris

le chocolat, cherchait à se rendormir; elle cessa de nouveau.

C'est ily a a deux ans (1880) que la céphalalgie revint plus fréquente;

le malade avait alors l'habitude de s'administrer une purgation et

restait ainsi quelques jours indemne. Depuis six mois, la douleur se

montre toutes les nuits quand il a dormi deux ou trois heures; si, au^

lieu de se coucher, il dort assis, la céphalalgie est nulle ou très faible

(il est très affirmatif sur l'influence de la position). Cette douleur

réside principalement au front et à la nuque, elle est continue et siège

« comme dans les os »; la chaleur l'augmente, elle serait surtout pro-

noncée quand M. C... dort la tête reposant sur un oreiller.

En outre de cette céphalalgie, il existe quelques douleurs dans les

articulations scapulo-humérales (surtout la gauche). Le malade se

plaint en outre de craquements dans les genoux (pas de douleurs); il

ne peut plus les plier aussi complètement qu'autrefois, et notamment

faire toucher les fesses par le talon (c'est uniquement à la disposition

des surfaces articulaires que ces troubles dans les mouvements

extrêmes des genoux semblent tenir).

Après avoir passé quelques jours à Paris ce malade retourna en

Espagne : il est actuellement soumis à un traitement ioduré.

J'aurai l'occasion de revenir sur plusieurs points de cette observa-

tion, mais, en attendant, il est bon d'attirer l'attention sur ce fait que

cet homme, chez lequel les déformations les plus accentuées existaient

tant aux extrémités qu'au visage, n'avait prêté à celles-ci aucune at-

tention, et ne les considérait nullement comme pathologiques. Il était

venu d'Espagne tout exprès pour consulter M. le professeur Charcot,

et la seule chose qui l'avait déterminé à faire ce voyage, c'était une

violente céphalalgie; il ne se plaignait d'aucun autre symptôme et on

eut quelque peine à lui faire comprendre que ce n'était pas là toute

sa maladie.

(A suivre.) PIERRE Marie.

1 .

UN NOUVEAU CAS DE MALADIE DE FRIEDREICII

(Suite et fin ! .)

Les sensations de froid et de chaleur, grossièrement appréciées, existent

partout, même au niveau des plaques, je crois. Quant à l'exploration portée

jusqu'aux dernières finesses, je n'ai pu la réaliser faute d'un instrument suffi-

samment précis. Mais, en me servant d'un thermomètre plongé dans une sorte

de dé en fer, plein d'eau, et en opérant aux températures les plus favorables,

c'est-à-dire entre 27° et 30°, et à des températures voisines de celles de la

peau, ce qui est plus favorable encore, j'ai été à même de me convaincre que

le malade appréciait presque partout aux jambes des différences de un degré

dans deux applications successives. Les différences d'un demi-degré n'étaient

pas perçues ; mais les expériences dans ces conditions ont été peu nom-

breuses et peu probantes, à cause des conditions défectueuses de. l'opération.

Je n'ai pas noté de différence dans la sensibilité thermique entre la région

des plaques ciuesthésiqucs et le reste des jambes. Mais je le répète, il fallait

pouvoir apprécier deux dixièmes de degré pour savoir exactement à quoi

s'en tenir à cet égard. La sensibilité douloureuse, essayée par la piqûre,

existe partout. Elle est, ce me semble, un peu moins exquise qu'à l'état nor-

mal. En tout cas, elle est certainement légèrement émoussée au niveau des

plaques, où les piqûres très légères ne sont pas perçues. Essayée par le cou-

rant faradique, elle est manifestement diminuée. J'ai vu le malade insen-

sible à des courants qui nous incommodaient, d'autres personnes et moi.

Il y a, en tant qu'on peut l'affirmer par une exploration grossière, un cer-

tain retard dans la transmission des impressions, notamment des impres-

sions douloureuses.

La sensibilité musculaire au courant faradique est manifestement diminuée.

La plupart des données antérieures ont trait aux membres inférieurs. La

sensibilité aux membres supérieurs est très légèrement émoussée, et le

trouble s'accuse seulement par l'incertitude des réponses, par certaines

erreurs de localisation, par la dimension trop grande des cercles de sensibi-

lité au compas de Weber. Voici quelques chiffres : 1° face palmaire de la

seconde phalange du doigt, deux centimètres; 2° dernière phalange, face pal-

maire, deux centimètres; 3° de la main, 5 centimètres; 4° avant-bras, six

centimètres. Ces chiffres sont manifestement trop élevés. Mais, je le 81

répète, ce moyen ne peut servir qu'à confirmer d'autres résultats plus sûrs.

En résumé, aux membres supérieurs, la sensibilité est très légèrement

diminuée. Partout ailleurs, elle est normale ou à peu près. Le sens muscu-

laire n'est pas tout à fait normal : les expériences comparatives très nom-

breuses et très minutieuses que j'ai faites à ce sujet, m'ont convaincu que

le sens musculaire est relativement diminué aux membres supérieurs et aux

membres inférieurs.

V. - La vue est parfaite : le fond de l'oeil, examiné par M. Parinaud, est

1. Voir le n° i, t. I, 1888.

184 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

parfaitement normal. Il n'y a pas non plus de rétrécissement du champ

visuel, ni de dyschromatopsie d'aucun genre. La pupille réagit rapidement à

la lumière ainsi qu'à l'accommodation. Les pupilles sont égales et de dimen-

sions normales. Jamais de.diplopie, ni de strabisme, ni de ptosis. Cependant

les mouvements de l'oeil ne sont pas normaux. Je constate un certain degré de

nystagmus. Si l'oeil est en repos absolu, il n'y a pas de mouvements anormaux.

Si l'oeil fixe un objet en avant, quelques petites secousses apparaissent,

quelquefois isolées, quelquefois par séries : elles cessent pour recommencer

un moment après, et avec d'autant plus de violence que la fixation dure plus

longtemps. Les secousses sont toutes transversales. Si le malade regarde

vaguement au loin, il n'y a pas de secousses, ou seulement quelques-unes de

temps en temps. Dans la fixation oblique dans laquelle l'objet est placé, laté-

ralement, dans les limites du champ visuel, il n'y a presque pas de nystag-

mus, soit que le point fixé soit situé à droite ou à gauche, en haut ou en bas,

dans les extrémités du diamètre oblique, chose remarquable et si contraire

à ce que l'on observe d'habitude. Pendant les mouvements de l'objet, le nys-

tagmus est présent, et il est plus fort, plus rapide, plus persistant que dans

n'importe quelle fixation, et d'autant plus fort que l'excursion de l'objet est

plus rapide et plus souvent répétée. Les secousses sont alors toujours hori-

zontales. Le maximum du nystagmus se produit quand l'excursion de l'objet

se fait elle-même dans le plan horizontal. Alors le nystagmus est de tel sens

que l'excursion du globe oculaire pendant la secousse est contraire à l'excur-

sion de l'objet fixé. Dans les mouvements verticaux, il y a encore quelques

secousses, et aussi dans les mouvements obliques de l'objet, mais, comme je

l'ai dit, les secousses sont toujours transversales, quel que soit le sens de

l'excursion de l'objet. Le nombre, la violence des secousses varient beaucoup

dans les diverses explorations, et suivant que le malade est émotionné, fati-

gué, etc. Quelquefois, j'ai trouvé ces symptômes très intenses, d'autres fois

imperceptibles. Pour bien se rendre compte de la physionomie du nystagmus

chez notre malade, il faut se rappeler qu'il s'accompagne de battements des

paupières, des sourcils, des joues, des lèvres, des ailes du nez, et enfin de

petits mouvements de « salutation » de la tête.

L'ouïe est parfaite : jamais de bourdonnements, ni quoi que ce soit.

L'odorata toujours été imparfait, cependant il n'y ajamais eu de catarrhe nasal.

VI. Les réflexes superficiels sont présents. Le réflexe plantaire est très

sensible. Le réflexe crémastérien est exagéré à gauche, normal ou inférieur

à la normale, à droite. Le réflexe abdominal est très marqué des deux côtés.

Le réflexe épigastrique est absent. Le réflexe scapulaire est présent et tout

au moins normal. Les réflexes tendineux sont absolument absents partout.

VII. - L'intelligence, dans ses opérations fondamentales, est absolument

intacte chez notre malade, et, comme je l'ai déjà fait remarquer, elle a une

certaine vivacité. On pourrait tout au plus signaler un état psychique un peu

particulier, accusé par cette tristesse apparente, mêlée à des éclats de rire

bruyants, et non toujours bien motivés, que j'ai déjà signalés. Mais c'est bien

peu de chose, et, à pari cela, sa sentimentalité est aussi correcte et aussi

bien ordonnée que ses facultés intellectuelles. Il n'a jamais eu de vertiges.

Il accuse une espèce de céphalalgie sourde, une lourdeur dans la tête, dit-il,

qui vient par crises durant quelques heures. Cette céphalalgie tend, du reste,

à disparaître actuellement.

UN NOUVEAU CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 185

1 VIII. Les phénomènes d'ordre trophique sont absolument nuls. Les

muscles eux-mêmes ne sont nulle part atrophiés, et, en tout cas, nulle part

on ne trouve les réactions électriques de dégénérescence; les réactions élec-

triques, au contraire, m'ont paru normales. Les phénomènes vaso-moteurs

sont représentés chez notre malade par certains troubles dans la circulation

des pieds. Les orteils, surtout du côté de la plante, sont le siège d'une vive

rougeur qui ne s'efface à la pression du doigt que pour reparaître ensuite.

Cette rougeur rappelle de tous points, la coloration spéciale que l'on trouve

dans les régions qui sont le siège de cette altération trophique par destruc-

tion des nerfs que l'on appelle causalgie, à cause de la douleur, ou encore,

mais moins exactement, à la coloration violacée de la maladie de Raynaud.

Cette coloration existe aussi au talon, à la plante, sauf à la partie excavée;

elle est peu marquée au dos du pied. Elle augmente beaucoup quand le

malade se met debout. C'est alors qu'elle est manifeste partout, même à la

face dorsale du pied. En outre, les pieds de notre malade sont toujours

froids, d'après ce qu'il dit, en été, comme en hiver. Et, en effet, je l'ai exa-

miné en plein été et j'ai toujours trouvé ses pieds glacés, même quand il

venait de faire une course. Il est assez remarquable que le refroidissement

ne s'étende pas à la jambe. Jamais d'oedème. Le malade ignore le moment

du début de ces phénomènes.

IX. - La miction est absolument normale. Jamais d'incontinence d'urine,

ni diurne, ni nocturne; jamais de rétention, ni la moindre difficulté pour

uriner; jamais de douleurs dans la miction; besoins réguliers. Bref, l'interro-

gatoire le plus minutieux ne révèle pas la moindre altération dans les fonc-

tions de l'excrétion de l'urine. Les fonctions de sécrétion sont tout aussi nor-

males. Un litre d'urine par jour ou peu près. Urines claires, transparentes,

légèrement acides, sans sucre, ni albumine, ni quoi que ce soit d'anormal.

Les organes génitaux sont, chez notre malade, normaux et bien dévelop-

pés. Pénis avec phimosis assez marqué : testicules très volumineux, trop vo-

lumineux peut-être. Pourtant l'instinct génital ne paraît pas s'être développé

encore. Quoique d'un âge où les besoins du sexe parlent généralement très

forl, il a pour les femmes, ainsi que me l'a appris un interrogatoire discret,

une parfaite indifférence, et, pour lui, elles ne se distinguent en quoi que ce

soit des hommes. Il prétend que, depuis quelque temps, il est affecté d'une

incontinence d'urine, dont il trouve les traces sur sa chemise et sur ses

draps. Or, il s'agit là, certainement, de pollutions nocturnes qu'il ignore de

la façon la plus absolue, au moins si on accorde crédit à ses paroles, ce

que je ferais pour ma pari.

Les dents sont bonnes : mastication et déglutition normales ; pharynx sain.

Appélit excellent. Fonctions gastriques et intestinales normales : rien au

rectum.

Fonctions circulatoires, à l'examen fonctionnel et organique le plus mi-

nutieux, normales ainsi qu'elles l'ont toujours été.

Larynx, bronches, poumons sains : fonctions respiratoires absolument

normales.

X. Plusieurs particularités sont à relever dans cette observation.

D'abord pour l'étiologie. Nous ne trouvons presque rien de ce côté, si

ce n'est l'arthritisme dont paraît être entachée la famille de sa mère.

186 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

L'influence héréditaire est absente. Par ce côté, notre cas rentre dans

la loi qui paraîl dominer les cas français. Dans les neuf cas publiés et

purs, le caractère familial n'est présent que dans deux observations

(Joffroy, Teissier). Dans tous les autres cas, il n'y a qu'une personne

malade dans la famille. Parmi les observations étrangères, au nombre

de 120 que j'ai examinées, cette coïncidence familiale n'est absente

que dans quatre ou cinq observations nettes.

La disproportion entre les observations françaises et étrangères est

donc énorme. Pourquoi ? C'est peut-être une vulgaire question de série

et rien de plus, et je ne serais pas étonné que les observations ulté-

rieures donnassent un démenti à ces résultats de la première heure.

Cependant, en examinant les observations étrangères, je suis frappé

d'un fait qui explique peut-être, d'une manière fort simple, ces dissem-

blances. Dans l'immense majorité des cas, les familles où sévit la ma-

ladie de Friedreich sont des familles nombreuses, depuis huit jusqu'à

dix-sept enfants. Or, les familles auxquelles appartiennent les cas fran-

çais, sont toutes peu nombreuses, deux, trois, quatre enfants, et celles

qui arrivent à cinq, comme dans le cas de M. Joffroy, fournissent déjà

deux malades. Il n'y aurait dans tout cela qu'une .simple question de

probabilités plus ou moins nombreuses ? Et puis, qui nous assure que

quelques-uns des frères épargnés jusqu'au moment de l'observation

le seront toujours ? Ainsi, mon malade a un frère de treize ans et je

ne suis pas rassuré sur son sort.

Pour les symptômes, je veux d'abord appeler l'attention sur la di-

minution de la force musculaire chez mon malade, réelle, pourtant,

quoique inégalement répartie. A cet égard, je dois faire remarquer

que dans un premier examen, j'avais cru que seulement la force des

fléchisseurs de la jambe était diminuée. Toutefois, des recherches ul-

térieures plus patientes, plus minutieuses, comparaisons répétées dans

des conditions telles qu'une induction sérieuse était possible, m'ont

convaincu que le trouble était général.

C'est qu'en réalité, il est excessivement difficile de juger de la force

musculaire quand celle-ci est simplement diminuée et d'une manière

symétrique. C'est là, je crois, la raison de cette idée qui se trouve par-

tout, que la force est toujours conservée dans la maladie de Friedreich.

J'incline à croire au contraire que la force est diminuée presque tou-

jours, ou du moins très souvent.

Dans un grand nombre d'observations, on dit le contraire; mais les

recherches n'ont pas été assez minutieuses pour qu'on accorde une

valeur décisive à ces affirmations. D'un autre côté, dans le plus grand

nombre d'observations, la diminution de la force est indiquée, et cela,

UN NOUVEAU CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 187

d'une façon précoce. Sur 68 oliservations que j'ai examinées, j'ai

trouvé la force diminuée 36 fois, dans la moitié des cas avant douze

ans de maladie. Si une parésie simple ou une contracture n'était pas

à peu près constante dans la maladie de Friedreich, comment expliquer

ce pied bot spécial qui tient certainement à une déséquilibration

musculaire, et qui est un phénomène banal, ordinaire de cette maladie ?

Cette remarque donne à l'idée de la parésie constante ou très fré-

quente des chances d'exactitude qui me paraissent considérables. Du

reste, la notion de la contracture ou de la parésie habituelle dans la

maladie de Friedreich, répond à l'idée qu'il faut se faire de l'anatomie

pathologique après les deux autopsies si remarquablement conduites

et si concluantes de Rütimeyer. Il paraît bien probable que le cordon

latéral est touché dans cette maladie, à peu près constamment, et

qu'il s'agit d'une affection combinée de plusieurs systèmes de la

moelle, selon l'idée qui avait déjà été mise en avant par Kahler et Pick.

J'appelle l'attention sur la démarche de mon malade : je l'ai appelée

tabéto-cérébello-parétique : la dernière épithète ne me paraît pas

être la moins importante. D'autres observateurs ont été déjà frappés

de cette faiblesse, de cette impuissance particulière que présentent

les mouvements ataxiques dans la maladie de Friedreich. Musso a con-

sacré tout un mémoire, très intéressant d'ailleurs, à en chercher

l'explication. Et puis nous venons de voir que la parésie est probable-

ment ordinaire dans la maladie de Friedreich. J'incline à croire que

l'épithète de démarche tabéto-cérébello-parétique doit sortir des cas

particuliers pour s'appliquer à la maladie de Friedreich en général;

mais je l'avoue, ce n'est là qu'une présomption, mon expérience sur

ce point étant très réduite. Dans tous les cas, la faiblesse de l'ataxie

dans la maladie de Friedreich me paraît tenir à la parésie, et à rien

autre chose, malgré l'opinion contraire de Musso.

Parmi les troubles des mouvements actifs, je décris ici le premier

ce que j'appelle le nystagmus des muscles de la face. Ces mouvements,

au moins dans leur ensemble si frappants, n'ont jamais été vus jus-

qu'à présent. Il se trouve cependant quelques indications partielles

dans une belle observation de Galassi, de Rome. J'ignore quelle peut

être la fréquence de ces symptômes si délicats, qu'on ne voit qu'en

examinant de très près et quand on est disposé à tout voir. S'il n'était

pas rare, ce qui est possible, il devrait être rapproché du nystagmus

ordinaire, et pourrait avoir une valeur pour le diagnostic, considérable,

surtout en l'absence du nystagmus, si tant est que ces deux phéno-

mènes puissent se présenter isolés, car ces petits mouvements si capri-

cieusement circonscrits sont très singuliers, et n'ont, je crois, leurs

188 NOUVELLE JCONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

pareils dans aucune autre maladie. En tout cas, il m'a paru curieux et

intéressant de les relever.

Le pied bot diffère chez notre malade du type qu'a si bien décrit M.le

professeur Charcot. Il manque un détail : le relèvement des orteils

dans la flexion dorsale, et la corde des tendons extenseurs de ces

mêmes orteils. Fait très intéressant, et à rapprocher de l'existence

isolée de la flexion dorsale qui a été contastée à plusieurs reprises,

(Rutimeyer) et que moi-même j'ai observée. Ces deux faits ainsi pré-

sentés prouvent peut-être que le pied bot de la maladie de Friedreich

n'est pas un ensemble dont toutes les parties s'enchaînent nécessaire-

ment. Ce serait une déformation faite de fragments isolés et se ren-

contrant dans un ensemble. Ainsi, on est tenté de croire, à première

vue, que le relèvement des orteils n'est que la conséquence de l'équi-

nisme, et de l'incurvation du pied; mais, voici l'incurvation et l'équi-

nisme, et point de flexion dorsale des orteils; voilà le redressement

des orteils, sans équinisme ni incurvation appréciable. Fait important,

car il prouve peut-être à lui seul que le pied bot de la maladie de

Friedreich est un pied bot de contracture. Comment, en effet, expliquer

cette flexion dorsale des orteils qui ne tient pas à l'équinisme ni à l'in-

curvation du pied ? En dehors de la contracture, il n'y aurait, je crois,

qu'une hypothèse, celle de la paralysie des interosseux, hypothèse

sans aucune base et contraire aux faits, du reste. Mais je ne puis

aborder ici cette intéressante question dans toute sa largeur, et je

me borne à la présenter pour faire valoir la forme particulière du pied

bot que j'ai trouvé chez mon malade.

Mais je tiens surtout à relever les troubles de la sensibilité. Mon

malade n'a pas de douleurs fulgurantes; il rentre par là dans la règle,

pour ainsi dire, absolue. Parmi une centaine de cas que j'ai ana-

lysés, je n'en ai trouvé que six où des douleurs fulgurantes aient été

nettement indiquées, et jamais, sauf dans deux cas, douteux d'ailleurs,

sous la forme classique. Comme sensations anormales et non doulou-

reuses, je signale la sensation de sable, de coton sous la plante des

pieds pendant la marche. C'est là un fait très rare dans la maladie de

Friedreich, si bien que, malgré les 120 cas publiés, je suis un des

premiers à le signaler. Il est encore plus rare que les douleurs fulgu-

rantes. C'est là encore une curieuse différence avec le tabes commun.

Rappelons la douleur provoquée au niveau des renflements cervical et

lombaire. Ce fait a été signalé une quinzaine de fois, surtout en Italie

(Vizioli, Musso). Enfin, les troubles par diminution de la sensibilité;

dans presque toutes ses formes sont très réels, quoique peu profonds.

Je veux surtout attirer l'attention sur la distribution si singulière de

UN NOUVEAU CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 189

ces hypoesthésies, distribution qui rapproche cette maladie du tabes

vulgaire, et que je suis le premier à signaler. C'est l'anesthésie par.

plaques, au niveau desquelles la sensation tactile est absente et toutes

les autres formes de la sensibilité légèrement émoussées. Ces plaques

sont au nombre de huit ou dix pour le membre droit, et de trois pour

le gauche; elles sont très circonscrites, inégales, et présentent des

formes diverses dont les figures 70 et 71 peuvent rendre compte. Dans

les intervalles, la sensibilité persiste, ou présente seulement de très

légères modifications.

Cette distribution singulière suffirait à elle seule pour prouver, je

crois, qu'il y a dans la maladie de Freidreich une anesthésie qui lui

appartient en propre indépendamment de toute complication. Ce qui

le prouve surtout, c'est que Pag... est aflecté de la maladie de Fried-

reich, et de rien autre chose. Il n'est sous l'influence d'aucune intoxi-

cation, il n'est pas hystérique. En effet, l'interrogatoire, l'exploration

les plus délicats, les plus scrupuleux, ne permettent pas de découvrir

chez lui aucun stigmate, aucun symptôme qui puisse autoriser une

pareille supposition. Il faudrait admettre une hystérie dont il n'a pas

le moindre symptôme pour expliquer des troubles de la sensibilité

dont les caractères, et, notamment, la distribution, sont en dehors des

habitudes de cette névrose, alors que le malade porte des lésions qui

peuvent en rendre compte suffisamment. Ainsi donc, il y a une anes-

thésie dans la maladie de Friedreich qui peut être caractérisée par son

faible degré et une distribution particulière.

Aussi faut-il s'élever contre ce que l'on lit partout : à savoir que les

troubles de la sensibilité sont rares; tardifs, quand ils existent, dans

lamaladie de Friedreich. Sur cent cas de la maladie de Friedreich, il

y en a quatre-vingts où un trouble quelconque de la sensibilité est

relevé. Sur soixante et un cas qui m'ont paru utilisables à ce sujet, j'en

ai trouvé trente-deux où aucun trouble n'est signalé, et vingt-neuf où

la diminution était réelle. Dans les premiers trente-deux cas, l'examen

a été pratiqué à des époques diverses de la maladie, depuis un an

jusqu'à trente, ce qui prouve, sans doute, que la maladie de Friedreich

peut atteindre les dernières limites de la durée de la gravité sans que

la sensibilité soit diminuée. Les vingt-neuf cas appartiennent aussi il

des époques diverses de son évolution. Ce qu'il est utile de faire

remarquer, c'est que les troubles de la sensibilité peuvent être très

précoces et accompagner déjà les premiers linéaments de la maladie.

En tout cas, il n'est rien moins que rare que de trouver ces désordres

dans les premiers temps de la maladie. Et si on analyse de près tous

ces cas, on s'aperçoit qu'il n'y a, pas plus que chez Pag..., aucune

n

190 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

raison valable pour attribuer ces hypo-anesthésics à l'hystérie ou à toute

autre cause étrangère à la maladie de Friedreich. Ces troubles se

caractérisent parleur médiocre degré, parleur limitation aux membres

inférieurs, par leur distribution fragmentaire, et rappellent bien mon

cas sans atteindre la même originalité de disposition.

Cependant, il y a des cas où les troubles de la sensibilité relèvent

de l'hystérie : ce n'est pas douteux. J'en ai trouvé plusieurs exemples

dans la science, présentés, du reste, comme des cas de Friedreich

purs, etMM. Gilles de la Tourette, Bloch, IIuet viennent d'en publierici-

même deux cas aussi probants que possible, mais il est certain que

c'est là l'exception.

J'appelle l'attention sur les troubles de la circulation vasomotrice

que j'ai constatés au niveau des pieds de mon malade. Ces phénomènes

n'ontpas été, que je sache,signalés encore en France. Parmi les obser-

vations étrangères, je les trouve indiqués une quinzaine de fois, et il y

a peut-être davantage de cas. C'est donc là un syndrôme assez fréquent

qui, dans mon cas, n'a pas été complet. J'ai noté la coloration vio-

lacée et le refroidissement du pied. Il y a des observations où seule-

ment le refroidissement du pied est constaté. Daus la plupart des cas,

à la coloration violacée et au refroidissement s'ajoute un léger oedème

des malléoles qui peut même s'étendre à la jambe; et cela dans des

conditions telles, qu'il n'est pas possible de l'expliquer par aucune

autre cause. Ainsi Rutimeyer a observé ces phénomènes dans presque

oute une famille affectée de maladie de Friedreich.

Enfin, faisons remarquer que l'instinct génital pouvait ne pas s'être

encore développé chez notre malade. C'est là un fait à raprocher du

retard de la menstruation chez la femme. Mais ce retard est la seule

chose qui soit authentique chez ces malades comme trouble génital.

Beaucoup d'auteurs disent bien le contraire, mais cela ne nous paraît

pas juste. Il ne paraît pas y avoir un seul cas d'impuissance par maladie

de Friedreich, au moins assez précoce pour qu'on soit sûr que ce

trouble relève réellement de la maladie non altérée, non déformée par

des complications. Peut-être cependant en existe-t-il un cas de Fried-

reich lui-même ?

Par contre, la conservation et même l'exagération du désir et de la

puissance génitale ont été observés maintes fois. Les Friedreich ont pu

se marier et faire des enfants qui étaient souvent des Friedreich, du

reste. Ainsi, pour revenir à mon malade, je suis persuadé que si

l'instinct génital dort à l'heur,c qu'il est chez lui, il ne tardera pas à se

réveiller malgré sa terrible infirmité.

F. Socca.

DÉFORMATION DE LA RÉGION LOMBAIRE

DE NATURE NEURO-MUSCULAIRE (CYPHO-SCOLIOSE HYSTÉRIQUE).

Les déformations de la colonne vertébrale dans la région lombaire

sont nombreuses et de causes variées.

Pour les apprécier justement, il est indispensable, ainsi que le fai-

sait remarquer dans son intéressant travail, M. Paul Richer, d'avoir

des notions exactes sur l'anatomie morphologique de la région'. Il

importe de savoir que, soit dans la station debout, mais principale-

ment dans la station assise, et surtout dans la flexion du tronc en

avant, on observe une saillie médiane, marquée de renflements qui

répondent aux sommets des apophyses épineuses; ils sont au nombre

de quatre ou cinq.

Les artistes, les sculpteurs contemporains et même les anciens, ont

bien reproduit ces détails morphologiques; mais les médecins, parfois

ignorants de ces particularités, ont commis des erreurs. A l'appui de

cette incrimination, est rapportée l'histoire d'un malade d'ailleurs

névropathique, dont les saillies tuberculeuses des vertèbres lombaires

etleur convexité ont été prises pour une déformation osseuse du mal de

Pott; sur les côtés de cette courbure normale, on avait placé quatre cau-

tères, ayant laissé, au moment de l'observation, des marques indélébiles.

Dans notre service, à l'hôpital de La Charité, nous avons observé

récemment une déformation pathologique de la même région, que

nous croyons avoir été rarement signalée à cet état d'isolement. C'est

une courbure, à convexité latérale et postérieure, d'origine hystérique

et neuro-musculaire, une sorte de cypho-scoliose, causée, croyons-

nous, par la contracture de certainsmuscles. Bien que persistant depuis

plusieurs mois, et étant accusée au point que plusieurs avaient opiné

pour une'déformation de mal de Pott ou de polyarthrite vertébrale,

cette déformation a disparu sous l'influence de la chloroformisation.

Exposons d'abord le fait : nous le ferons suivre de quelques réflexions.

Joseph C..., âgé de vingt-trois ans, est fils d'une mère névropathe, ayant

eu plusieurs attaques d'hystérie convulsive '. Il a plusieurs frères et soeurs qui

se portent bien. Lui-même n'aurait jamais rien eu d'important jusqu'à l'Age

de dix-sept ans. En 1885, après un séjour dans un endroit humide, il fut

atteint d'une double sciatique, dit-il, pour laquelle on lui mit des vésicatoires

1.I'. Richer. Note sur l'anatomie morphologique de la région lombaire (Nouvelle Icono-

grQ]Jhie de la Salpêtrière, t. I, n° 1, 1888).

192 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

et on lui fit faire des frictions à l'alcool camphré. Au bout de quelques

semaines, il était guéri et marchait bien.

Mais un jour, en se promenant, il fut pris d'une défaillance (attaque ? ) et on

dut le ramener chez lui.

Le lendemain, il put se lever et marcher facilement, mais il lui était

impossible d'uriner et d'aller il la selle. Au bout de deux jours, il entra dans

le service de médecine, à l'hôpital de la Charité (octobre 188G). Là, on le consi-

déra comme atteint d'hystérie : on dut le sonder journellement; puis il s'ac-

quitta lui-même de ce soin. Il se plaignait de douleurs dans les aines, mais il

pouvait marcher sans troubles apparents. Outre sa rétention d'urine, on cons-

tata une anesthésie du périnée- Au bout de quelques jours, les cathétérismes

amenèrent un peu de cystite, et on le transféra dans le service de chirurgie.

j Nous constatons une paralysie vésicale, ayant amené une rétention d'urine :

quelques gouttes d'urine s'échappaient parfois par regorgement. On soumit

d'abord le malade il des cathétérismes et il des lavages journaliers à l'eau

boriquée; on lui fit prendre quelques capsules de térébenthine, et bientôt

tout dépôt de muco-pus disparut des urines. Mais la paralysie et la rétention

persistèrent ou furent à peine améliorées malgré l'usage de la noix vomique

et des électrisations vésicales régulières. Comme il existait en même temps

des irradiations douloureuses sur le trajet des nerfs cruraux et sciatiques et

des douleurs en ceinture au niveau des branches lombo-abdominales, et bien

qu'aucun trouble d'incoordination ne pût être constaté, nous pensâmes qu'il

pouvait. y avoir un début de myélite, d'une nature indéterminée : nous fîmes

quelques applications de pointes de feu dans la région lombaire. (Nous

eûmes l'occasion de constater qu'à cette époque il n'existait aucune déforma-

tion de la région.) Ce traitement n'améliora guère son état : lestroublesvési-

caux quoique diminués persistèrent; le malade vidai incomplètement sa vessie.

''Il retourna dans le service de médecine, où bientôt l'on vit la motilité des

membres inférieurs diminuer au point qu'il ne lui était plus possible de se

tenir debout et de marcher qu'à l'aide d'une chaise. De nouveau, on constata

l'anesthésie du périnée et de l'urèthre, et après avoir pensé, aussi un instant,

à la myélite, on revint à l'idée d'hystérie.

On mit au malade une ceinture de gros sous, en lui annonçant qu'il allait

recouvrer la sensibilité et la possibilité de marcher facilement. Dès le len-

demain, on villa sensibilité réapparaître autour des plaques; et quelques'

jours après, elle était redevenue normale, même pour l'urèthre. La rétention

d'urine disparut définitivement, et le malade put marcher. Mais pour le rec-

tum, le résultat ne fut pas complet, car la constipation persista. Le 3 avril 1887,

le malade sortit de l'hôpital'.

° Ayant éprouvé de nouveau des douleurs dans les cuisses et dans les reins,

au mois d'août de la même année, il rentra dans le service de médecine. On

constate qu'il urine bien, mais qu'il reste constipé comme auparavant, et que

là sensibilité périnéale est émoussée surtout à gauche. Ni la ceinture métal-

lique, ni la faradisation rectale, ni la suggestion n'améliorèrent son état.

Dans le cours du mois de janvier, on remarqua qu'une saillie très étendue

1. Nous (lovons à l'obligeance de M. Maliieu, élève du service, les noies et les photo-

graphies qui nous ont servi à rédiger cotte observation. '

.2. Voy. au point de vue des phénomènes hystériques, la communication de M. Dcspl.1ls à

11 Société des sciences médicales (Journal des se. mécl., juin 1888).

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T I, PL XXXIX

Phototypie BERTHAUD

CYPHO-SCOLIOSE HYSTÉRIQUE

LKCROSNIER z BABÉ, ÉDITEURS

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I, PL. XL

1 Phototypie Berthaud 1

1

1 1 r CYPHO-SCOLIOSE HYSTERIQUE PHOTOTYPIE BERTHAUD 1 : 1

I

LECROSNIER A BASÉ, "ÉDITEURS

. DÉFORMATION DE LA RÉGION LOMBAIRE. '193

était apparue dans la région lombaire, entre les cicatrices laissées par les

pointes de feu : on craignit d'être définitivement en présence d'un mal de

Pott, et on envoya le malade dans le service de chirurgie, le 15 mai 1888.

Cette fois, nous ne nous en laissâmes pas imposer, et, ayant remarqué que

cette saillie, étendue, scoliotique, et très prononcée, présentait un aspect

anormal pour une saillie du mal de Pott, nous résolûmes de nous livrer à un

minutieux examen. ,

Le malade a' de la peine à se tenir debout; il ne peut se redresser complè-

tement. Le tronc est incliné en avant, comme fléchi brusquement au niveau

des lombes; il semble s'enfoncer dans le bassin lorsqu'on regarde le dos du

patient : les rebords des os iliaques sont très saillants et ils débordent de deux

on trois travers de doigts la ligne qui dessine les contours du torse; les cuisses

sont un peu fléchies sur le bassin et les jambes sur les cuisses (Pl. XXXIX).

La saillie postérieure correspond exactement à la région lombaire; elle est

à grande courbure, polytuberculeuse; elle présente une concavité dirigée à

gauche : c'est donc une cypho-scoliose. La flèche abaissée de son maximum

de courbure, sur la ligne axiale de la colonne vertébrale est de 2 centimètres

et demi environ. Dans la région dorsale, la crête des apophyses épineuses

s'enfonce profondément, entre les saillies des muscles des gouttières verté-

brales, et les bords spinaux des omoplates sont presque au contact sur la

ligne médiane. L'épaule gauche paraît abaissée. ,

Lorsqu'on dirige maintenant son examen vers la face antérieure du corps,

on voit qu'il existe à l'abdomen une dépression extrêmement profonde, trans-

versale, passant par l'ombilic; cette dépression est produite par une incli-

naison forcée et des plus remarquables de la cage thoracique, qui s'est consi-

dérablement rapprochée du bassin (Pl. XL). ,

Le malade marche très difficilement, à demi fléchi : il lui est tout à fait

impossible de se redresser. La flexion exagérée du torse, en avant, sur la

colonne lombaire, manque de lui faire perdre l'équilibre, et on est obligé de

le soutenir un peu sous les bras.

Outre celte' forme particulière de la courbure lombaire, cette attitude - et

cette démarche si spéciales, l'absence complète de douleurs, soit à la percus-

sion, soit spontanément, au niveau de la gibbosité, contribue encore à nous

faire rejeter' l'idée d'un mal de Pott. Les douleurs irradiées sur le trajet des

nerfs et les troubles vésicaux antérieurs ne suffisent pas d'ailleurs à ébranler

notre incrédulité sur ce point spécial. ' ;

Nous pensâmes qu'il était plus logique d'attribuer la déformation lombaire

et l'attitude si particulière, à des troubles neuro-musculaires, à des contrac-

tures, et nous dûmes chercher la confirmation de cette hypothèse dans la

chloroformisation. Sans doute il s'agissait d'une localisation peu commune

de ces phénomènes. Ce n'était pas une raison suffisante pour hésiter. 1

La chloroformisation ne se fil pas sans difficultés ; et, à plusieurs reprises,

lorsque déjà une quantité notable de chloroforme eût été absorbée, survinrent

des crises convulsives, cloniques, té 'laniformes : elles furent incomplètes,

mais cependant les bras s'étendirent, se tordirent en dehors, en même temps

que les mains se mirent en griffe, le pouce rentré fortement dans la paume au

niveau de la base des doigts, étendus, ramassés ensemble, et tournés en dehors.

1 Lorsque le sommeil anesthésique fut assez avancé pour que toute sensibi-

lité fût disparue,' la déformation lombaire et l'attitude du thorax persistèrent.

194 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Nous retournâmes alors le patient sur le ventre, et faisant relever les membres

inférieurs et le bassin par des aides, nous pûmes redresser la saillie lom-

baire, la faire disparaître complètement, et même déterminer une incurvation

à concavité postérieure. Le malade fut remis sur le dos; a la place de la dé-

pression transversale de l'abdomen existait un sillon cutané, tracé de l'in-

flexion forcée du thorax en avant. Lorsque le réveil eut lieu, la correction

obtenue persista et le malade fut transporté dans son lit.

Le lendemain, la saillie lombaire est restée presque complètement effacée :

mais C... demeure couché, infléchi et ramassé sur lui-même; si on insiste,

il se redresse. Dans la station debout, il éprouve d'abord quelque peine à se

tenir droit. 11 marche à petits pas, un peu incliné en avant; mais il suffit de

le gourmander vivement, de lui dire d'une façon impérative : « Tenez-vous

donc droit, vous le pouvez », pour que le tronc et les membres prennent

une rectitude complète.

Quoi qu'il en advienne au point de vue de la cure définitive par cette

simple chloroformisation, le point suivant est acquis : il n'existe pas de défor-

mation osseuse, la gibbosité est le résultai d'une contracture musculaire.

Nous devons nous demander maintenant quels sont les agents de

la contracture ? .

Les muscles carrés des lombes, d'après M. Sappey, lorsque leur action

coïncide des deux côtés, contribuent à maintenir la colonne lombaire

dans la rectitude; lorsqu'un seul de ces muscles se contracte par ses

faisceaux transversaires, il incline la colonne de son côté. Chez notre

malade, la contracture du carré des lombes gauche pourrait donc

expliquer la concavité à gauche de la déformation. Peut-être les petits

muscles intertransversaires ajoutaient-ils leur action; car ils ont

pour effet « de rapprocher les apophyses auxquelles ils s'insèrent,

c'est-à-dire d'incliner les vertèbres lombaires de leur côté ».

On pourrait peut-être penser à attribuer l'incurvation latérale à

l'action des muscles de la masse sacro-lombaire; mais il suffit de

remarquer : 1° qu'au palper on ne trouvait pas ceux-ci contractés et

durs; 2° que leur action consiste à courber la tige vertébrale de leur

côté, dans une étendue plus considérable (qui n'est pas limitée à la

région lombaire); elle s'accompagne d'une rotation des vertèbres les

unes sur les autres, qui n'existait pas chez notre malade.

La flexion si prononcée du torse en avant, au niveau de la colonne

lombaire, de manière à déterminer un angle, saillant en arrière, est

d'une explication plus difficile. Il faut l'attribuer, selon nous, aux

muscles psoas-iliaques; car, dit M. Sappey : « dans la station verti-

cale les psoas-iliaques prennent leur point d'appui sur le fémur; ils

tendent alors à fléchir le tronc; et si les deux muscles se contractent

ensemble, le tronc se porte directement en avant... » Cette action des

psoas se trouvait aussi mise en relief, chez notre patient, par l'attitude

DÉFORMATION DE LA RÉGION LOMBAIRE. 195

en demi-flexion et en rotation en dehors des cuisses, soit dans la sta-

tion debout, soit dans la marche. Tous les auteurs signalent les effets

des contractions de ces muscles.

Cependant, il existe encore d'autres muscles susceptibles d'entraîner

le torse en avant, de le fléchir : ce sont les muscles de la paroi abdo-

minale antérieure. Mais la profonde dépression dont ils étaient creusés,

montre qu'ils n'étaient pas en contracture; et, d'autre part, il n'exis-

tait aucune gêne de la respiration : or, celle-ci est toujours très pro-

noncée, dans ces cas, d'après Duchenne, de Boulogne (Physiologie des

mouvements, p. 684).

La cypho-scoliose lombaire s'observe encore assez fréquemment dans

deux au très circonstances : 1- dans la sciatique ; 2° dans la coxalgie.

Dans la sciatique, ainsi que l'a fait remarquer M. Babinski dans son

intéressant mémoire des Archives de neurologie (janvier 1888), on

observe aussi une scoliose lombaire dont la convexité est tournée du

côté de la sciatique, mais le tronc est incliné du côté opposé à la lésion

et le rebord costal est très rapproché de la crête iliaque. C'est plutôt

d'une inclinaison avec flexion latérale et torsion du tronc dont il

s'agit. Tout autre était l'aspect de notre malade. Dans un cas de scia-

tique duuble que nous avons eu d'ailleurs l'occasion d'observer, il

existait aussi une flexion directe du tronc en avant; mais les muscles

abdominaux ne présentaient pas la dépression profonde de notre ma-

lade ; la colonne lombaire offrait une concavité directe et médiane en

arrière, tandis que peu à peu la colonne dorsale se redressait; il n'exis-

tait aucune déviation latérale; les fesses et le bassin étaient très sail-

1 ails eu arrière, simulant à un premier examen la déformation de la

Vénus hottentote. Enfin, si notre malade avait eu jadis des douleurs de

sciatique, elles étaient maintenant disparues.

La coxalgie détermine aussi une inclinaison latérale; mais elle n'est

nullement comparable à celle de notre sujet, chez lequel existait en

même temps une flexion très prononcée du torse en avant. D'autre

part, l'articulation coxo-fémorale chez lui avait conservé tous ses

mouvements et n'était pas douloureuse.

La conclusion donc qui s'imposait dans notre cas était la suivante :

il s'agissait d'une contracture hystérique des muscles du plan profond

de la région abdominale postérieure, c'est-à-dire du carré des lombes et

du psoas-iliaqlte, et telle était la cause de la cypho-scoliose lombaire.

Il était intéressant d'apporter cette contribution à la pathologie des

déformations, de la colonne lombaire.

II. DURENT,

Professeur de clinique chirurgicale à la Faculté catholique dc Lille.

DES ARTHROPATHIES TABËTIQUES DU PIED

(Suite et fin')

OBS : II. - Ataxie locomotrice, arthropathie double des pieds. Arthro-

pathie d'un orteil.

Il s'agit d'un malade ataxique soigné en 1886, dans le service du docteur

Troisier 2. Il est entré pour la seconde fois, le 31 janvier 1888, dans le ser-

vice de M. le professeur Damaschino ; nous croyons inutile de décrire tous

les signes d'ataxie locomotrice qu'il présente : abolition des réflexes, incoor-

dination motrice, signe de Romberg, (roubles de la sensibilité, etc.

Ses deux pieds sont déformés, principalement le pied droits. 11 existe au

niveau de la région dorsale du pied droit, une saillie surtout marquée au

niveau de la rangée antérieure des os du tarse. Même saillie un peu moins

marquée à gauche.

Les pieds semblent être tassés d'avant en arrière, et la voûte du tarse est

conservée, de telle sorte que l'empreinte des pieds est normale.

La pression n'est pas douloureuse.

Le pied droit présente un certain degré de varus quand le malade le

laisse aller dans la résolution complète.

La mensuration des pieds donne les résultats suivants.

DES ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DU PIED. 197

le 15 avril 1882, salle Louis, n° 16, dans le service du professeur Damas-

chino, à l'hôpital Laënnec.

Toujours bonne santé.

En 1877 la,malade ressentit pendant plusieurs mois de très vives douleurs

à la nuque.

En 1880, douleurs névralgiques très vives dans le côté droit; ces donleurs

descendirent dans la cuisse jusqu'au genou. La jambe droite était devenue

plus raide à la suite de ces douleurs.

Dans le mois de mars 1880, la malade se promenait dans la rue, et en des-

cendant le trottoir, sans avoir glissé, elle s'aperçut tout à coup que son

membre inférieur gauche ne pouvait plus la porter; elle tomba, fut portée à

l'IIôtel-Dieu où l'on constata une fracture du fémur au niveau du col.

Seconde fracture du col du fémur, cinq mois plus tard.

Fracture du col du fémur gauche, en 1882.

Plus tard, douleurs fulgurantes.

Pertes des réflexes tendineux, signe d'Argyll Robertson, perle des membres

dans le lit, etc. Le diagnostic d'ataxie locomotrice n'est pas douteux.

Il y a un an, douleurs fulgurantes très violentes dans le membre inférieur

droit : les douleurs partaient des orteils et remontaient jusqu'à la partie su-

périeure de la cuisse. '

A la suite de ces douleurs, le deuxième orteil se déforma; cette déformation

s'accentua davantage les mois suivants, sans donner lieu à la moindre dou-

leur en ce point; le tarse était cependant très douloureux.

Actuellement l'arthropathie du second orteil présente l'aspect suivant : la

première phalange est déviée légèrement en dedans, et dans l'extension; la

seconde phalange est fortement fléchie et forme avec la première un angle

presque droit; en même temps elle est légèrement portée en dehors.

La troisième phalange est dans l'extension et forme avec la seconde un

angle aigu.

Comme la seconde phalange est très fortement fléchie, il en résulte que le

second orteil est abaissé, le premier orteil et le troisième le recouvrent

presque. Quant à la face plantaire de la troisième phalange du second orteil,

elle repose presque entièrement sur le sol, elle est déformée, aplatie.

Pas de trouble du côté des ongles.

La sensibilité à la piqûre et au froid fait défaut dans les régions antéro-

externe et antéro-interne des jambes, tandis que le tiers supérieur de la

région postérieure est sensible.

Insensibilité absolue de la face dorsale des pieds; conservation de la sen-

sibilité à la face plantaire. -

Anesthésie complète au froid et à la piqûre de toute la région mammaire.

Sur toutes les autres parties du corps il n'existe pas de troubles de la sen-

sibilité.

Ons. IV. - Ataxie locomotrice. Arthropathie du pied droit.

Le nommé S...., Pierre, âgé de cinquante-deux ans, entre le 26 juin 1888,

salle Bayle, à l'hôpital Laënnec, dans le service de M. le professeur Damas-

chino. Le malade a eu la syphilis à l'âge de vingt-cinq ans.

Il y a cinq ans environ que le malade ressentit dans les membres infé-

rieurs des douleurs lancinantes. Il a ensuite eu des douleurs en ceinture

198 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

très vives également. Il a aussi ressenti des douleurs fulgurantes dans les

membres supérieurs.

Depuis quatre ans, sa vue a beaucoup faibli. Il y a mal perforant au pied

droit. A sa sortie de l'hôpital, le malade recommença à travailler; mais il

dut entrer de nouveau il l'hôpital, pour des douleurs dans les membres infé-

rieurs : il existait à cette époque un oedème de tout le membre inférieur

droit, remontant jusqu'au genou, et le pied commença il se déformer. La dou-

leur existait dans tout le membre inférieur droit, surtout dans le mollet; l'ar-

ticulation ti>71o-tarsienne; quoique étant le siège de cette déformation rapide.

n'était pas douloureuse. Soigné dans le service de M. Kicaise à l'hôpital

Laënnec, on fil le diagnostic d'arthrite nerveuse, après avoir pensé à l'exis-

tence d'une tumeur blanche.

C'est à partir de cette époque que les orteils du pied droit subirent aussi

de notables déformations.

État actuel. La démarche du malade est lente, mal assurée; il ne peut

se retourner rapidement sans chercher un appui avec les mains. Abolition

des réflexes rotuliens. Le malade ne peut rester dans la station debout, s'il

ferme les yeux; il vacille et tomberait, s'il n'était soutenu.

La force musculaire est conservée.

La sensibilité est diminuée partout, principalement au niveau du pied

droit, où le malade perçoit à peine les piqûres d'épingle Mans une zone par-

tant en bracelet au-dessus des malléoles et s'étendant sur toute la face dor-

sale du pied. Les recherches de la sensibilité au, froid donnent les mêmes

résultais; dans toute la même zone le malade perçoit il peine la différence

entre la chaleur de la main et celle d'un verre.

Du côté du péroné il semble exister un élargissement de l'extrémité in-

férieure de cet os, qui présente un diamètre d'avant en arrière de 4 centi-

mètres 1/2. Mais la palpation de la région permet de reconnaître que la sail-

lie est formée en partie aux dépens de la tête du péroné, en partie aux dépens

du scaphoïde qui n'a point perdu sa forme générale et qu'on sent sous le

doigt; entre le péroné et le scaphoïde existe une légère 'dépression.

On perçoit quelques craquements articulaires.

Les mouvements de l'articulation tihio-tarsienne sont très diminués; les

mouvements de 'flexion du pied en dedans sont à peu près nuls.

Tous les orteils sont déformés, ankylosés; il est impossible de les redresser.

Le premier orteil est fortement dévié en dehors; ses phalanges sont dans

la flexion.

Les deuxième et troisième orteils ont leur première phalange dans l'ex-

tension.

Le troisième orteil est porté en haut.

Ons. V. - Ataxie locomotrice. flrtlaropatlcie tibio-pé°onéo-tccrsiemae

gauche. Arthropalhie du premier orteil.

Ce malade a été soigné en 188 dans le service du professeur Potain, et

son observation a été publiée par MM. Gaucher et Duflocq, dans la Revue de

médecine 1884.

Il est entré au commencement de l'année 1888, dans le service de M. le

professeur Damaschino, et, après en être sorti après quelques mois, il y est

rentré le 1G juin 1888.

DES ARTHROPATHIES. TABÉTIQUES DU PIED. 199

Vers 1886, il eut de fortes douleurs fulgurantes dans les membres infé-

rieurs, et le premier orteil gauche subit un déplacement très marque.

L'orteil est fortement dévié en dehors et a passé sous le deuxième et le

troisième orteil qui le recouvrent.

Outre ce changement de situation, l'orteil a subi une légère rotation, de

,telle sorte que sa face interne regarde en bas, et que, dans la station debout,

le pied repose en partie sur la face inférieure de l'orteil, en partie sur sa face

interne.

MM. Gaucher et Dullocq, en 1884, signalaient la présence d'un oignon ar-

thritique au niveau de la tète du premier métatarsien qui était volumineuse.

Aujourd'hui, on constate que cette tête est volumineuse, déformée, globu-

leuse, et que celle déformation n'est pas seulement le fait de l'oignon. A la

.palpation on sent aisément que l'extrémité antérieure du premier métatar-

sien forme une masse plus volumineuse qu'à l'état normal. Les mouvements

sont très restreints dans cette articulation.

Ons VI. - Ataxie locomotrice. Arthropathies du genou et dit premier

métatarsien.

Le nommé T..., charpentier, âgé de cinquante-six ans, entre le 26 juin,

«aile Bayle, nu9, dans le service de M. le professeur Damaschino.

On ne trouve rien de particulier à signaler dans les antécédents du malade.

Pas d'éthylisme, pas de syphilis.

Vers l'âge de vingt-cinq ans, il a commencé à ressentir dans les membres

inférieurs des douleurs fulgurantes. '

Aftrenle-cinq ans, après quelques jours de grande fatigue, il lui sembla

que la cuisse gauche était plus lourde, et se fatiguait plus facilement. La

hanche, à la même époque, ainsi que le genou étaient gonflés, légèrement

déformés. Il n'y avait vraiment pas de douleur; les mouvements étaient plutôt

gênés.

Il dut bientôt entrer à l'hôpital, par suite de la gêne dans la marche et du

gonflement progressif de toute la cuisse gauche. On diagnostiqua à cette

époque une luxation de la hanche ( ? ) avec un raccourcissement de près de

8 centimètres.

En 1872, son genou gauche devint plus gros que le droit, et cette tumé-

faction devint considérable. Le malade ressentit quelques douleurs sourdes

pendant la marche, mais il n'avait pas de fièvre. Au bout de six mois, il

pouvait imprimer à sa jambe gauche des mouvements de latéralité. De temps z

en lemps, oedème du membre inférieur.

Il y six mois, mal perforant au niveau de la tête du premier métatarsien

gauche.

Quelque temps après, tout le bord interne du pied gauche s'est tuméfié.

Abolition des réflexes rotuliens.

Aujourd'hui on constate, au niveau du pied gauche, une tuméfaction

siégeant principalement sur le premier métatarsien, dont l'extrémité anté-

rieure présente 5 cenlimètres et demi de hauteur, tandis que sur le pied

droit, la mensuration de la tête du premier métatarsien ne donne de haut en

bas que 3 centimètres et demi.

Les mouvements qu'on cherche à imprimer dans l'articulation métatarso-

phalangienne il gauche donnent lieu à quelques craquements.

200 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Ons VII. Ataxie locomotrice. Arthropathie des genoux. Arthropathie

mêtatarso-phalangienne.

Le 7 juillet, entre àl'hôpital Laënnec, dans le service de M. le professeur

Damaschino la nommée Julie S..., âgée de cinquante-cinq ans, casquettier.

Rien à signaler dans les antécédents héréditaires.

La malade dit avoir eu une fracture de la jambe droite dans son enfance ?

Réglée à quinze ans; toujours bonne santé; pas de syphilis.

Elle a eu un enfant vers l'âge de trente ans. Vers cette époque, elle eut des

douleurs très vives dans les membres inférieurs, et dut entrer à l'hôpital

Lariboisière : ces douleurs survenaient brusquement et disparaissaient de

même ; la malade les compare à des coups de canif.

Le genou gauche était assez douloureux, et était le siège d'un gonflement

très marqué ; on y appliqua des vésicatoires. Elle resta quatre mois à l'hôpital.

A sa sortie elle ne pouvait marcher qu'avec l'aide d'un bâton. Le genou avait

repris son volume normal.

Les années suivantes, la malade ne ressentit que très rarement des dou-

leurs.

Vers quarante-cinq ans, disparition des règles. A partir de cette époque, les

douleurs fulgurantes reviennent plus fréquemment, les genoux se déforment

peu à peu, et la marche est de plus en plus difficile.

Il y a deux ans, douleurs vives dans la jambe droite et déformation consé-

cutive du premier orteil droit.

Il y a six mois, la malade s'aperçut qu'elle était, maladroite de ses mains, et

qu'elle avait de la peine à coudre.

État actuel. - La malade ne peut marcher : il existe une arthropathie

volumineuse du genou gauche, et une déformation analogue, quoique moins

marquée, au niveau du genou droit; jambes de polichinelle; des deux côtés,

il existe des mouvements de latéralité dans les articulations des genoux.

Le premier orteil droit est le siège d'une arthropalhie. Il n'existe pas

une déformation osseuse très marquée au niveau du premier métatarsien et

de la première phalange; l'os semble peu touché; c'est l'articulation méta-

tarso-phalangienne qui semble être atteinte. Tout le premier orteil est dirigé

en dehors, et une partie de la face plantaire de cet orteil repose sur le

deuxième orteil, de telle sorte que l'extrémité antérieure du premier orteil

est en contact avec le troisième orteil. En même temps, le premier orteil a

subi un léger mouvement de torsion, de telle sorte que sa lace dorsale est

tournée un peu en dedans.

Sensibilité. Il y a une'diminution de la sensibilité au niveau des membres

inférieurs.

Incontinence d'urine. - Signalons une incoordination très marquée au

'niveau des membres supérieurs. - Diminution des réflexes tendineux.

III

IV. Anatomie pathologique. - M. Bail décrit trois degrés dans les

lésions anatomiques des arthropathies liées à l'ataxie locomotrice :

1° Désordres d'abord légers; .

. DES ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DU PIED. 201

2° Troubles plus graves; . - 1 i

3° Désorganisation permanente de l'articulation.

Le premier degré est constitué par une hydarthrose plus ou moins

considérable et une infiltration de sérosité des tissus voisins.

Le liquide ne contient ni sang, ni pus, ni flocons albumineux

comme l'ont montré les ponctions faites sur le vivant par MM. Labbé

et Ball. Toutefois, on a signalé quelques cas où l'épanchement était

purulent. ,

Le liquide épanché est souvent considérable et peut aller jusqu'à

300 grammes. La synoviale ne présente pas de vascularisation anor-

male. Ce premier degré est donc caractérisé par une sorte de fluxion,

séreuse.

Dans le second degré, il y a destruction rapide des surfaces articu-

laires, disparition du cartilage d'encroûtement, et la substance osseuse

est rongée, détruite.

Le troisième degré est caractérisé par' la désorganisation perma-

nente de l'articulation.

M. le professeur Damaschino a fait voir, dans ses leçons professées

à la Faculté de médecine en 1887, que chez les ataxiques les articula-

tions présentaient fréquemment des altérations qui passaient ina-

perçues pendant la vie : elles consistent en altérations des cartilages

d'encroûtement qui, comme usés par place, offrent de véritables éro-

sions. '

Autour de l'articulation, il existe très souvent un oedème dur, résis-

tant au doigt, et s'étendant parfois à une certaine distance. ,

La capsule est généralement épaissie; elle peut même être de con-

sistance ostéo-cartilagineuse.-

Les ligaments péri-articulaires sont hypertrophiés, distendus. ,

La' synoviale est détruite en partie ; ailleurs elle est épaissie. ,

On a signalé des corps étrangers articulaires, sessiles. ou pédicules..

Dans les autopsies d'arthropathies tabétiques qu'il a faites, M. le.

professeur Damaschino a le plus souvent rencontré ces lésions de la

synoviale qui consistent dans le développement de nombreuses, saillies,

de formes et de volumes divers (d'un grain de chènevis à un. gros pois,

et même plus)..

La plupart des corps étrangers, dont un très petit nombre est libre

dans l'articulation, sont constitués, indépendamment du tissu fibreux,

par de véritables noyaux de cartilage : le microscope y démontre les

capsules, les cellules caractéristiques, et, dans quelques-uns d'entre

eux, du véritable tissu osseux avec des ostéoplastes parfaitement dé- ,

veloppés et à prolongements anastomosés entre eux..

20 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Le liquide épanché est citrin, séreux. On a trouvé du pus dans

quatre cas.

Les cartilages sont érodés, détruits et laissent l'os à nu.

Dans les arlhropalhies tabétiques du pied ce- sont les os qui pré-

sentent les lésions les plus accusées : les épiphyses sont rapidement

altérées. ' 1

Les surfaces articulaires de l'astragale, du calcanéum sont érodées,

usées, et peuvent présenter de petites végétations sur leurs bords. Il

en est de même des autres os du tarse. En somme, on observe une dé-

formation, un épaississement ou une usure des différents os du pied.

Ils ont généralement un aspect spongieux, une friabilité et une légè-

reté inusitées.

Du côté du tibia et.du péroné les lésions osseuses et articulaires

sont les mêmes : les malléoles sont déformées, élargies, les gouttières

plus profondes.

Les lésions osseuses et articulaires sont très étendues : celles-ci sont

parfois excessivement développées, les différents os du tarse et du mé-

tatarse, les extrémités inférieures du tibia et du péronné, tout le

squelette du pied, présentent des troubles destructifs que la déforma-

tion observée sur le vivant ne pouvait laisser soupçonner.

C'est ainsi que sur le malade de l'observation I, la déformation du

pied était loin d'être en rapport avec les lésions articulaires et

osseuses que nous avons trouvées à l'autopsie.

Nous résumons ici la première autopsie de pied tabétique, publiée

par MM. Charcot et Féré.

Calcanéum. - La facette postérieure de la surface articulaire su-

périeure est facilement reconnaissable; on remarque seulement, à

son pourtour, un certain nombre de petites productions ostéophy-

tiques. La facette antérieure est au contraire complètemeut usée et

comme évasée. La surface articulaire antérieure n'est plus reconnais-

sable. La petite apophyse est augmentée de volume et déformée.

Astragale. La face supérieure est complètement usée, la tête a

disparu.

Cuboïde. - Il est représenté par une masse irrégulière et ne peut

être reconnu que par la gouttière de la face inférieure.

Le scaphoïde est représenté par deux fragments irréguliers à surface

poreuse.

Premier métatarsien. Considérablement épaissi à sa partie pos-

térieure qui est complètement soudée au premier cunéiforme. Le

deuxième métatarsien est également soudé au deuxième cunéiforme.

Toutes les surfaces articulaires postérieures des trois autres méta-

DES ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DU PIED. 203

tarsiens sont plus ou moins altérées, détruites par usure sur certains

points. Vingt-cinq fragments osseux de volumes divers et de formes

irrégulières se sont détachés des os principaux.

En somme, la perte de substance l'emporte toujours sur la néofor-

mation.

Les ostéophytes sont fréquentes; elles sont quelquefois très déve-

loppées ; il y a des masses osseuses, entièrement indépendantes des

articulations ou des os, et situées dans l'intérieur des gaines muscu-

laires.

Au point de vue histologique, on constate les lésions de l'ostéite

raréfiante : les canalicules de Havers sont dilatés, il y a destruction

des ostéoplastes. '

M. Regnard, en 1879, a montré, par des analyses chimiques, que

l'arthropathie était bien plutôt osseuse qu'articulaire. Il a présenté la

tête du fémur d'un ataxique dont les apophyses et les épiphyses

étaient complètement usées.

L'analyse chimique de l'extrémité inférieure du fémur lui a montré

que 100 grammes contenaient 75 grammes de matières organiques et

25 grammes de matières inorganiques.

La quantité d'osséine était à peu près normale, mais les proportions

de la graisse étaient considérables : 37 grammes, 70 pour 100; elle

remplaçait le phosphate de chaux qui était tombé à 10 grammes, alors

qu'à l'état normal on trouve 50 grammes de ce sel.

Quant aux altérations nerveuses, elles ne présentent rien qui semble

spécial; c'est la sclérose des cordons postérieurs, avec ses caractères

habituels.

Notons, toutefois, que dans deux autopsies d'arthropathies tabé-

tiques, faites par lui, M. le professeur Damaschino a observé la

grande prédominance des lésions spinales à la région lombaire. Le

premier fait avait trait à une arthropathie tabétique des deux genoux,

le second à une arthropathie du genou et du pied gauches : dans ces

deux faits, à la région lombaire, les cordons de Goll et de Burdach

étaient simultanément et profondément lésés, mais non dans la tota-

lité de leurs tubes nerveux; aux régions dorsale et cervicale, les cor-

dons de Goll étaient partiellement et presque exclusivement affectés;

quelques tubes nerveux, çà et là altérés, dans les cordons de Burdach,

indiquaient toutefois qu'il s'agissait de lésions tabétiques et non pas

seulement d'une sclérose ascendante des cordons de Goll, en rapport

avec l'altération de la moelle lombaire.

Quant aux nerfs articulaires, leur étude n'a fait connaître encore

aucune altération notable : dans un cas d'arlhropathie du genou, M. le

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

professeur Damaschino n'a pu y découvrir aucun tube nerveux en voie

de dégénération. Pareille constatation négative a été faite par M. Bel-

langée

IV

- Pathogénie. - En France, on regarde les arthropathies tabétiques

comme une conséquence d'une lésion du système nerveux.

« La physiologie et la pathologie sont d'accord, dit M. Ball, pour

nous montrer l'influence que les centres nerveux exercent sur la

nutrition de tous les tissus de l'économie. Ce pouvoir- s'execce-t-il par

l'intermédiaire de certains nerfs trophiques ? Est-il, au contraire,'

placé sous l'influence du grand sympathique ? Nul ne saurait le dire

en ce moment. »

M. Charcot crut tout d'abord à une lésion des cornes antérieures.

Une autopsie faite par Pierret, en 1870, une seconde par Liouville, en

1874, semblaient corroborer ce que M. Charcot avait trouvé dans sa

première autopsie (1869).

Mais le cas de M. Bourceret (1875), ceux de M. Raymond (1875) ne

laissèrent voir aucune altération des cellules des cornes antérieures.

En 1880, M. Charcot abandonna sa première thégrie.

M. Michel, dans sa thèse, propose trois théories : 1° ou bien c'est ! a paralysie vaso-motrice qui produit la cause adjuvante, et la cause

efficiente serait un léger traumatisme; 2° ou bien l'arthropathie pro-

vient de l'irritation nerveuse et de l'exagération de l'acte trophique;

3° ou enfin, le système nerveux manifesterait son action par voie

réflexe.

Buzzard est un des rares auteurs qui, en Angleterre, rattache l'ar

thropathie tabétique à une lésion du système nerveux : il croit que

l'arthropathie est due à une sclérose des fibres radiculaires du pneu-

mogastrique, les crises gastriques coïncidant souvent avec l'apparition

des arthropathies.

Arnozan pense à un processus irritatif qui intéresserait les nerfs

sensibles : l'arthropathie serait, d'après cet auteur, une lésion des

nerfs périphériques. 1

Ce sont les travaux de MM. Joffroy et Déjerine qui ont bien fait con-

naître ces névrites périphériques.

Dansune observation de M. Pitres,il existait dans le sciatique gauche

côté frappé d'arthropathie) « au millicu des faisceaux nerveux, un

1. Encéphale, 1884, p. 695 : Note sur un cas d'arthropathie ataxique.

DES ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DU PIED. z)05

certain nombre de fibres altérées et présentant les caractères de la dé-

génération wallérienne ancienne. Leur myéline est divisée en goutte-

lettes fortement colorées par l'osmium et formant de petits amas sé-

parés par des espaces où le tube est atrophié. Certaines fibres ne sont

plus représentées que par la gaine de Schwann contenant de loin en

loin, autour des noyaux, quelques granulations ambrées ».

Nous croyons que ces arthropathies sont sous la dépendance des

lésions nerveuses. Les autopsies ne sont pas encore assez nombreuses

pour pouvoir affirmer ce fait; mais cette supposition nous semble d'au-

tant plus juste que ces arthropathies n'apparaissent que sur des mem-

bres déjà malades, frappés d'incoordination ou ayant présenté des

douleurs fulgurantes. Disons, en terminant, que l'opinion de la plu-

pari des auteurs anglais semble beaucoup moins juste que la théorie

que nous appellerons théorie française. Les Anglais, en effet, consi-

dèrent l'arthropathie comme étant une arthrite déformante modifiée

par une influence nerveuse.

Il suffit, pour réfuter cette théorie, de considérer la marche, les

symptômes, les lésions anatomiques de l'arthropathie tabétique : ces

gonflements énormes, ces rapides désorganisations qui surviennent

en quelques jours ne s'observent pas dans l'arthrite déformante.

V

Toutes les fois que vous voyez une articulation devenue rapi-

dement énorme, toute disloquée, et, malgré cela, n'ayant jamais été

douloureuse et permettant encore les mouvements, vous devez penser

à l'arthropathie des ataxiques. » (Trélat.)

Cependant, le diagnostic, malgré les caractères propres à l'arthro-

pathie tabétique, est parfois très difficile. '

Dans la plupart des cas, le diagnostic sera facilité, non par les signes

particuliers à l'arthropathie tabétique, mais par la constatation ma-

nifeste des symptômes généraux de la sclérose des cordons posté-

rieurs.

Dans les cas douteux, il sera donc de toute nécessité de rechercher

avec grand soin les symptômes de l'ataxie, recherche souvent très diffi-

cile parce que, comme l'a montré le professeur Charcot, l'arthropa-

thietabétique frappe souvent les malades au début de leur ataxie loco-

motrice, alors que les signes de cette maladie sont peu nombreux et

à peine marqués. On comprend aussi toutes les difficultés qui sont

inhérentes aux cas d'ataxie fruste.

15

: W6 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Nous passerons en revue quelques affections qui peuvent simuler

l'arthropathie labétique du pied.

Le rhumatisme articulaire aigu présentera de la fièvre, de la dou-

leur, des localisations multiples, sur lesquelles nous n'avons pas à

insister.

Dans le rhumatisme blennorrhagique, l'existence d'un écoulement,

les caractères spéciaux de l'arthrite faciliteront le diagnostic.

L'hydarthrose a une évolution lente; il n'y a pas d'oedème péri-arti-

culaire; les extrémités osseuses sont indemnes.

, Le rhumatisme noueux n'attaque que les petites articulations, qui

sont douloureuses alapression : les têtes osseuses sont hypertrophiées.

' - L'arthrite sèche est confondue avec l'arthropathie tabétique par les

médecins anglais. Elle se développe lentement, ne présente pas ces

épanchements séreux survenant rapidement.

Les arthropathies d'origine nerveuse ou syphilitique se reconnaî-

tront grâce aux commémoratifs (contusion, section, plaie par arme à

feu, compression par tumeur, syphilis, etc.)

La tumeur blanche est parfois d'un diagnostic très difficile. Mais, en

général, elle est douloureuse, elle évolue lentement, et lesujet présente

des traces de tuberculose.

Nous n'insistons pas sur la goutte, qui apparaît brusquement, pré-

sente des localisations spéciales et des symptômes qui la distinguent

aisément de l'arthropathie tabétique.

A côté dupiedtabétique, M. Joffroyi a signalé le pied bot tabétique.

Ce n'est pas un pied bot osseux, car les lésions articulaires sont

nulles ou insignifiantes; c'est un pied bot musculaire. Dans le tabes,

en effet, les muscles ont perdu leur sensibilité musculaire ou du moins

leur réflectivité. Le tonus musculaire est affaibli ou nul, et les ten-

dons ne sont plus pour les articulations que des ligaments relâchés. Le

pied se trouve livré à son propre poids ou aux forces extérieures telle

que la pression des couvertures.

On constate alors l'allongement du ligament antérieur de l'articula-

lion tibio-tarsienne. Les muscles du mollet sont flasques et amaigris;

ou obtient très facilement le ballottement latéral du pied.

Nous terminerons le diagnostic par ces quelques lignes emprun-

- tées à M. Blum : « Si, jusqu'à ce jour, la maladie2 a été complètement

méconnue et a passé inaperçue, c'est qu'en réalité le diagnostic ne

laisse pas d'être très délicat...

1. Du pied bot tabétique, Société médicale de ? hôpitaux, 13 nov. 1885.

2. M. Blum fait allusion au\ arthropathies labétiques en général ; il ne parle pas des

arthropathies du pied qui n'étaient pas connues à cette époque.

DES ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DU PIED. 207

Dans certains cas, on a méconnu l'orioine nerveuse de l'arthropathie,

parce que l'attention se trouvait exclusivement attirée sur la lésion

articulaire,et que les malades, sans tenir compte des phénomènes de

l'ataxie (strabisme, douleursfuCurantes,etc.), se présentaient dans les

services de chirurgie pour se faire guérir de leur articulation malade.-

La préoccupation de l'affection locale peut faire oublier que derrière

la maladie de la jointure, il y a une affection plus importante qui

domine la situation. » -

Pronostic. Le pronostic est peu sérieux, si l'on n'a en vue, par ce

mot, que la vie de l'individu. L'arthropathie tabétique du pied ne

menace pas directement le malade. -

Mais il est grave parce que la jointure malade devient rapidement le-

siège d'altérations permanentes qui rendront la marche pénible et

difficile et qui, bien souvent, empêcheront le malade de marcher et

l'obligeront à garder le lit.

Ce sera une infirmité de plus ajoutée à toutes celles qui caractéri-

sent déjà l'ataxie locomotrice.

De plus, une arthropathie du pied, qui forcera le malade à ne plus

sortir de son lit, pourra, dans certains cas, retentir d'une façon

fâcheuse sur l'état général de ce malade condamné par ce fait à ne

plus quitter son lit ou sa chambre.

Notons cependant que l'évolution morbide peut se terminer promp-

tement, et les lésions peuvent alors être peu étendues, ou tout au

moins être disposées de façon à ne pas empêcher la marche. Il est en

effet fréquent de voir le sujet recouvrer l'usage de son membre malade,

qui reste plus ou moins déformé, mais qui ne l'empêche pas de mar-

cher.

N'oublions pas de noter les récidives fréquentes, signalées par les

auteurs. Dans ces cas, l'arthropathie semble progresser par pous-

sées successives, et ce qu'on a pu considérer comme guérison n'est

bien souvent qu'un étal stationnaire du mal qui, sous l'influence d'une

cause quelconque, un coup, une chute, etc., pourra tôt ou tard évoluer

de nouveau et aboutir, dans la majorité des cas, à une lésion durable,

privant le membre de toute fonction.

Traitement. Nous serons bref à propos du traitement.

Au moment de la période du début, alors que les tissus sont gonflés,

que l'articulation est remplie de liquide, on prescrira le repos, et, si

l'hydarthrose persiste, quelques révulsifs tels qu'un vésicatoire, la

teinture d'iode, ou des pointes de feu, pourront activer peut-être la

résorption du liquide. Mais tous ces moyens seront en général peu

efficaces.

`30S NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Plus tard, on pourra faire une compression avec une bande de toile

ou une bande de flanelle pour faciliter la résorption du liquide, et sur-

tout pour soutenir l'articulation.

Si l'ankylose a de la tendance à se faire, il faudra placer le pied

dans une bonne situation, et appliquer un appareil approprié.

Quant aux opérations chirurgicales, il faudra les rejeter.

Czerny pratiqua l'amputation sus-mal léolaire chez un ataxique

atteint d'une arthropathie du pied : il n'avait pu redresser l'ankylose.

Le malade mourut d'érisypèle.

Il nous semble bien bizarre de pratiquer une amputation du pied

chez un malade « dont la faiblesse des jambes et l'ataxie avaient déjà

atteint un haut degré ». On ne voit pas l'usage qu'un ataxique, à cette

période, eût pu faire d'un pied artificiel.

Czerny conseille l'arthrotomie ou la résection (OEstringer) ou l'am-

putation (Berlcer, Junghaus) quand la destruction est très marquée ou

qu'il y a du pus.

Nous préférons la pratique de Marsh, l'abstention de résection el

d'amputation, le résultat étant presque toujours défavorable 1.

Dr Pavlidès.

1. Marsh, Maladies des articulations, 1887.

LES AVEUGLES DANS L'ART

La première à citer parmi les oeuvres d'art représentant des per-

sonnages atteints de cécité est le célèbre buste d'Homère, du musée

de Naples. Nous n'avons pas à nous étendre sur les qualités de

premier ordre de ce morceau de sculputure. Nous nous bornerons à

signaler le mouvement expressif des yeux qui nous paraît admirable-

ment rendu. Ces yeux inégalement ouverts, au-dessus desquels le

sourcil s'élève, dans un vain effort, comme pour faciliter l'accès

désormais inutile de la lumière du jour, sont bien les yeux d'un

aveugle.

11 est en effet bien curieux d'observer que la cécité imprime souvent

à tout le corps une attitude spéciale bien connue.

Sur la physionomie, on constate le relèvement des sourcils comme

sur le buste d'Homère 'dont il est question ici. Quant à l'attitude, elle

consiste dans le redressement de tout le corps, la tête droite, légère-

ment renversée en arrière; la face dirigée en haut vers le ciel d'où

vient la lumière.

Ce type d'amaurotique est fréquent. Nous en connaissons à la

Salpêtrière de bien beaux exemples, et il n'est certainement pas de

nos lecteurs qui, recueillant leurs souvenirs, ne se souviennent l'avoir

croisé dans les rues. Il marche seul, la canne en avant, raide et tout

d'une pièce, l'oeil sans regard dirigé en haut, avec une assurance et

une connaissance du chemin qui étonnent les passants. Ou bien il est

accompagné, et le conducteur, dont l'oeil est sans cesse sollicité parce

qui se passe autour de lui, contraste singulièrement par la liberté et

la variété de son allure et de ses mouvements avec l'attitude rigide et

compassée de son compagnon. D'aussi loin qu'il les aperçoit, l'oeil le

moins exercé n'hésite pas à reconnaître lequel des deux promeneurs

est privé du sens de la vue.

Et ce type si expressif de l'aveugle qui garde dans ses traits et dans

toute son altitude la recherche de la lumière ne se rencontre généra-

1. Les maladies nerveuses étant une cause très fréquente de cécité, nous sommes

heureux d'offrir à nos lecteurs la primeur de cet article extrait d'un livre actuellement

sous presse. (N. D. L. R.) .

210 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.

lement que dans les cas de cécité invétérée, alors que toute perception

lumineuse est depuis longtemps abolie. C'est celui que les artistes ont

en quelque sorte choisi, et nous le trouvons admirablement rendu

dans plusieurs tableaux que nous citerons tout à l'heure.

Il n'est pas sans intérêt de faire remarquer que, pendant l'évolution

des maladies qui aboutissent à l'amaurose, l'impression lumineuse

est, souvent douloureuse au point que toute la mimique du patient n'a

qu'un but, celui d'apporter un obstacle à l'entrée des rayons lumineux

dans l'oeil; d'où le froncement ou l'abaissement constant des sourcils,

la demi-occlusion des paupières et l'inclination en avant de toute la

tête, la face tournée vers le sol; d'où l'usage des grandes visières, etc..

C'est le tableau du photophobe diamétralement opposé à celui de

l'amaurotique signalé plus haut.

Il n'y a donc pas lieu de chercher à expliquer celte attitude de

l'aveugle par l'habitude qu'aurait contractée l'amblyopique de cher-

cher, alors que la vision s'affaiblit progressivement, à augmenter par

tous les moyens possibles la quantité de rayons lumineux qui frappent

la rétine, et à faciliter l'accès de cette lumière qui le fuit.

Le fait n'en reste pas moins, malgré son apparence contradictoire

et paradaxole, et ce n'est, ainsi que nous l'avons déjà dit, que

dans les cas les plus anciens et les plus graves (atrophie papillaire,

atrophie du globe de l'oeil tout entier^ alors que toute perception

lumineuse est rendue radicalement impossible, que se développe

l'attitude si cî ? 1.ctéristique décrite plus haut et si bien rendue par les

artistes.

Nous avons déjà signalé dans une ancienne fresque de Florence,

attribuée à Taddeo Gaddi ou àAndrea de Florence, une figure d'aveugle

assez bien réussie, toute rigide, la tête droite, la face impassible, un

bâton à la main (pl. XXIV).

Le même type a été reproduit avec plus d'habileté et non moins de

bonheur par le peintre angélique Fra Beato de Fiesole, dans une

fresque du Vatican déjà citée.

Raphaël, dans le carton de South Kensington représentant Elymas

frappé de cécité, a peint un aveugle, mais il lui a donné une toute

autre attitude que celle que nous venons de signaler, attitude d'ail-

leurs parfaitement légitimée par les circonstances spéciales du fait

qu'il a su traduire avec une grande finesse d'observation.

Nous ne saurions mieux faire que de rappeler ici le texte de saint

Luc : « Ayant traversé l'ile jusqu'à Paphos, ils trouvèrent un Juif ma-

gicien et faux prophète, nommé Barjésu, qui était avec le proconsul

Serge Paul, homme très prudent. Celui-ci envoya chercher Barnabé et

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. I. l'L. XI-1

TOBIE AVEUGLE COURANT A LA RENCONTRE DE SON FILS

Eau-forte de f1AMBI1A : -DT

LE CROSF* 1ER ET BADE, 1'.DITr : UnS

LA PARABOLE DES AVEUGLEES

Par P. Breugiiel (Musée de Naples)

ccnosmen cT o,wsc, cmTCUns

LES AVEUGLES DANS L'ART. 211

Paul, désirant entendre la parole de Dieu. Mais Elymas le magicien

(tel est le sens de ce nom) leur résistait, cherchant à empêcher le

proconsul d'embrasser la foi. Alors Saul, qui fut depuis appelé Paul,

étant rempli du Saint-Esprit et regardant fixement cet homme, lui

dit : « 0 homme plein de tromperie et de malice, enfant du diable,

ennemi de toute justice, ne cesseras-tu pas de pervertir les voies

droites du Seigneur ? Voici la main du Seigneur qui est sur toi, tu vas

devenir aveugle, et tu ne verras pas le soleilpendantun certain temps. »

Et aussitôt les ténèbres tombèrent sur lui, ses yeux s'obscurcirent, et

tournant de tous côtés, il cherchait quelqu'un qui lui donnât la

main... »

Raphaël en suivant de près le texte sacré a excellemment rendu le

désarroi et le trouble d'un homme plongé tout à coup au milieu

d'épaisses ténèbres. La face tournée en haut par le sentiment ins-

tinctif de la recherche de la lumière perdue, le malheureux se tient

courbé en avant, rempli de crainte, n'avançant qu'avec précaution,

les mains tendues en avant, à la recherche d'un guide ou d'un con-

ducteur.

Rembrandt a dessiné un Tobie aveugle courant au devant de son

fils, où se trouvent admirablement représentés et l'empressement du

père et l'incertitude de l'aveugle. Les jambes courent et les bras tendus

en avant hésitent. L'aveugle dans sa demeure se conduit seul et

d'ordinaire avec plus d'assurance. Mais l'émotion trouble le vieil-

lard, et ce trouble n'a-t-il pas été très finement noté par Rembrandt

qui a fait Tobie s'avançant dans une autre direction que celle de la porte

grande ouverte ? Le petit chien qui se jette dans ses jambes comme

pour l'arrêter ne semble-t-il pas avertir son maitre qu'il se trompe de

chemin (PI. XLI) ?

Une des oeuvres de peinture les plus intéressantes consacrées à la

représentation des aveugles est sans contredit le tableau du Musée de

Naples peint par Pierre Breughel le Vieux et intitulé la Parabole des

Aveugles (PI. XLII).

Dans un paysage accidenté, des aveugles, au sortir du village dont

les maisons et l'église se profilent à l'horizon, s'avancent à la queue

leu leu, se prêtant un mutuel concours. Ils sont au nombre de six.

Mais une rivière se rencontre sur leur chemin. Les deux premiers y

culbutent, risquant fort d'entraîner les autres à leur suite.

Rien de plus naturel et de plus vrai que la démarche de ces aveugles,

rien de plus finement observé que leurs traits impassibles, la face

uniformément dirigée en haut.

Nous citerons encore, mais sans y insister, les Aveugles de Jéricho

Le gérant . É311LE Lecroswen.

212 z2 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. 1

de Poussin, le Bélisaire de David, celui de Gérard, Homère aveugle \

du même peintre, etc. t

Un tableau de Le Sueur représentant saint Paul guérissant des (

malades mérite une mention spéciale. !

Dans l'angle de droite, un malade à genoux est atteint d'une oph-

thalmie intense bien rendue par le peintre et qui se traduit par un !

gonflement considérable de la paupière supérieure. :

i

J.-M. CHARCOT (de l'Institut).

PAUL Richer.

Motteiioz. - Imprimeries réunies, B, rue Mignon, .

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPETRIERE

HABITUDE EXTÉRIEURE ET FACIES

DANS LA PARALYSIE AGITANTE

Le faciès et l'habitude extérieure du corps jouent un rôle considé-

rable dans la séméiologie de la paralysie agitante. C'est, en effet, une de

ces maladies qui impriment aux malheureux patients une physionomie

si accusée et si spéciale que le médecin quelque peu expérimenté en

fait le diagnostic à distance, dans la rue, ou aux premiers pas du malade

dans son cabinet. La description, aujourd'hui classique, qu'en a donnée

M. le professeur Charcot n'est point à refaire. Elle subsiste dans toute

son intégrité pour la plus grande généralité des cas; mais il faut comp-

ter aujourd'hui avec le chapitre des exceptions, et M. le professeur

Charcot a été conduit, au sujet d'un malade de la Clinique, à admettre

une variété nouvelle qu'il a signalée dans une de ses dernières confé-

rences. C'est à propos de ce malade dont nous publions aujourd'hui

plusieurs dessins, que nous pensons utile de dire quelques mots sur

ce qu'on pourrait appeler le côté plastique de la maladie de Parkinson.

Le type vulgaire est si connu qu'il suffit de le rappeler en quelques

mots.

Dans la station debout, le tronc est penché en avant et la tête incli-

née dans le même sens. De plus, les membres supérieurs sont fléchis

dans leurs diverses jointures, les coudes sont faiblement écartées du-

tronc, et les mains, qui subissent aussi une déformation spéciale, re-

posent sur la ceinture. La flexion prédomine également aux membres-

inférieurs et les genoux sont généralement plus ou moins fléchis. Tous

les différents segments du corps sont fixés dans l'altitude que nous'

venons d'indiquer par une rigidité musculaire généralisée qui est la

cause de l'immobilité qu'affectent ces sortes de malades et de la lenteur

16

214 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

de leurs mouvements. Pendant la marche, tout le corps conserve cette

même physionomie; il s'y ajoute la tendance àl'antépulsion et la diffi-

culté de changer de direction qui contribuent à donner à la démarche

un aspect si caractéristique. C'est là ce qu'on pourrait appeler le type

de flexion (fig. 81). -

Biais il est des malades, et celui que nous avons en vue plus particu-

lièrement aujourd'hui est du nombre qui en diffèrent par la pré-

dominance, dans les membres, de l'extension sur la flexion. Il en

résulte un aspect extérieur bien différent et capable d'induire en erreur

un esprit non prévenu, comme c'a été le cas pour notre malade, sur-

tout lorsqu'il s'y ajoute l'absence d'un autre signe capital tel que le

tremblement. Cette variété de l'attitude dans la paralysie agitante a été

désignée par M. Charcot sous le nom de type d'extension (fig. 82).

On voit, en effet, d'après la pl. XLIII, que si notre malade ressemble

à ses autres confrères en maladie par l'inclinaison en avant du tronc et

de la tête, il en diffère complètement par l'attitude des membres. Les

membres supérieurs sont étendus dans l'articulation du coude et dans

celle du poignet; les mains légèrement ramenées en dedans reposent

sur le devant des cuisses. La déformation des mains est vulgaire : elles

affectent la position d'une main tenant une plume à écrire, mais elles

offrent ceci de particulier, qu'elles ne sont pas affectées de tremble-

ment. Les membres inférieurs sont également dans l'extension.

Pendant la marche, ces caractères d'extension persistent. Les

Fig. 81.- Attitude de la paralysie agitante dans la station debout et pendant la marche.

Type de flexion.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. I. PL, XLIII

BACH...

PARALYTIQUE AGITANT, DANS LA STATION DEBOUT

LECROSMER ET RADE. ÉDITEURS S

HABITUDE EXTÉRIEURE ET FACIES.

215

membres supérieurs restent droits et pendants, les mains ne quittent

guère le contact des cuisses. Quant aux genoux-, ils se fléchissent peu,

ce qui force le malade à faire de grandes enjambées. Cette persistance

de l'extension dans les membres inférieurs donne à la démarche un

aspect fort différent de celle des paralytiques agitants vulgaires et que

nous avons essayé de rendre parles croquis demi-schématiques ci-joints.

Néanmoins, deux autres grands caractères persistent chez notre malade,

c'est la tendance à l'antépulsion et la difficulté de changer de direction.

Il est bien d'autres caractères communs permettant d'asseoir sûre-

ment le diagnostic et de faire entrer B... dans la grande famille des

Parkinson, tout en lui réservant une mention spéciale à titre de variété ;

mais nous pensons inutile d'y insister ici, l'observation ayant été

publiée ailleurs in extenso1. Nous y renvoyons le lecteur.

Nous dirons, pour terminer, quelques mots de l'aspect de la physiono-

mie. L'immobilité des traits, el la fixité du regard lent à se déplacer, en

sont les traits les plus caractéristiques. Il faut y joindre ce qui constitue

l'expression. A ce point de vue la face pourrait être divisée en deux par-

ties : le front et le reste du visage. En effet, toute la partie du visage qui

se trouve au-dessous de la ligne des yeux se fait rcmarquerpar une pla-

cidité et une impassibilité caractérisées par l'absence de rides. C'est un

1. Voir : Blocq, Des contractures, 1888, obs. XXII.

Fic. 82. - Attitude de la paralysie agitante dans la station debout et pendant la marche.

Type d'extension.

'1 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE. LA SAL1'1 : 'l'IIII,I ?

masque- vide, dont la vie semble absente; ni douleur, ni plaisir, absence

de toute expression. Au front, c'est tout autre chose; les rides se

creusent et donnent à cette partie de la face une expression en rapport

avec leur direction variable, d'ailleurs, suivant les malades. Ainsi, chez

B... les sourcils sont élevés, et les rides,' exclusivement transversales ,

ainsi qu'on le voit sur la pl. XLIV, concourent à l'expression de l'étonne-

ment; comme l'a démontré Duchenne (de Boulogne), c'est ici le muscle

frontal qui est enjeu. Nous avons observé,'chez d'autres malades, des

rides exclusivement vertiçales, avec l'abaissement et le rapprochement

des sourcils. L'expression,qui en résulte est celle de l'attention, et elle

est due à la prédominance d'action du muscle orbiculaire palpébral

supérieur.

Enfin, sur d'autres fronts, on observe les deux sortes de rides à la fois,

les verticales et les transversales. Cette dernière combinaison qui ne

se trouve pas dans le jeu des passions puisqu'elle associe deux expres-

sions qui accompagnent des états de l'esprit en quelque sorte opposés

et contradictoires, l'attention et l'étonnement, nous semble porter avec

elle son enseignement. Pas plus que le reste de la physionomie qui

manque d'expression, le front qui porte le masque d'expressions

diverses, ne répond à un état particulier de l'âme. Le cause en est toute

périphérique et réside dans la prédominance de la rigidité dans certains

muscles.

Entre ce front mouvementé, expressif ou ridé contradictoiremcnt, et

le reste de la face impassible, plaçons les yeux fixes et immobiles,

grands ouverts, avec une absence presque complète du clignement,

et nous aurons les éléments fondamentaux de ce masque étrange et

saisissant.

PAUL Richer,

Chef du laboratoire des maladies du système nerveux.

1 UVELLE ICONOGRAPHIE T. I. PL. XL1V

BACH...

PARALYTIQUE AGITANT. ASPECT DE LA PHYSIONOMIE

LCCROSNiEn ET DADÉ, ÉDITEURS

DES SUITES ÉLOIGNÉES DES TRAUMATISMES

DE LA MOELLE, EN PARTICULIER DANS LES FRACTURES DU RACHIS

I

Il nous a paru intéressant d'étudier/chez quelques malades qui se

sont présentés à notre observation, les troubles nerveux tardifs qui

peuvent résulter des lésions traumatiques anciennes de la moelle

épinière. La plupart des faits que nous rapporterons concernent des

cas de fractures du rachis.

. Les troubles nerveux qui suivent de près ces accidents ont été bien

étudiés; on les trouvera très bien décrits, en particulier, dans le

Traité des maladies de la moelle épinière de Leyden; mais l'évolution

ultérieure des phénomènes a moins fixé l'attention des observateurs.

Toutefois, on trouvera relaté dans le consciencieux ouvrage de Gllrlt' 1

un certain nombre de faits instructifs à cet égard.

Des lésions médullaires par fracture vertébrale nous avons cru pou-

voir rapprocher deux cas de traumatismes directs où l'agent vulnérant

a atteint le névraxe, ou tout au moins ses enveloppes, à travers une

plaie des téguments. En effet, ces deux variétés de lésions se ressemblent

au point de vue des résultats.

Observation I. - Fract1¿re du rachis au niveau de la douzième ver-

tèbre dorsale, datant de sept ans. - Signes d'hémilésions de la moelle.

- Paralysie et atrophie du membre inférieur droit. - Signes de myé-

lite ascendante.

Cail, Eugène, parqueteur, entré le 10 février 1888 à l'IIôtel-Dieu, salle

Saint-Jean, lit n° 20.

En 1881, étant soldat, le malade tombe du haut des remparts de Brest, à

une profondeur de 20 mètres. La chute a lieu sur le siège. Après un moment

de perte de connaissance, l'intelligence reparaît entière. On le relève; son

corps ploie sans résistance, comme s'il eùt été à charnière. On transporte

le malade à l'hôpital militaire de Brest, ou il reste en traitement plusieurs

mois.

Il raconte avec beaucoup d'intelligence les accidents qu'il éprouva à cette

époque; son récit représente le tableau complet des phénomènes décrits

1. Ilandbuch dur Lettre von den Ifaochenbruchen, 1. I, Merlin, 1804.

218 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

comme suivant immédiatement les fractures de la région dorso-lombaire

du rachis.

Pour ne parler que des particularités qui nous intéressent par comparai-

son avec les symptômes actuels, notons seulement les faits suivants.

Les médecins traitants portèrent le diagnostic de fracture du rachis sié-

geant au niveau des douzième vertèbre dorsale et première lombaire, et

l'immobilisèrent dans une gouttière de Bonnet.

Le malade éprouva des douleurs vives au niveau du membre inférieur

droit, douleurs qui commencèrent si apparaître peu de temps après la chute

et le retour de la connaissance, et s'accentuèrent plusieurs jours, pour

décroître ensuite lentement. Elles présentaient des exacerbations tantôt

soudaines et très intenses, tantôt plus prolongées et moins pénibles; par

moments, véritables éclairs douloureux parcourant le membre de haut en

bas. Hyperesthésie du môme membre et de la région lombaire correspon-

dante ; cette hyperesthésie, recherchée par les médecins, faisait défaut sur

les faces antérieure et externe de la cuisse.

Motilité complètement abolie dans ce membre; quelques soubresauts.

Enfin, troubles trophiques notés dès le cinquième jour; l'amaigrissement

du membre aurait atteint en quinze jours le degré auquel on le trouve

aujourd'hui ; la coloration était remarquablement pâle et jaunâtre.

Tel était le membre inférieur droit. Le gauche, au contraire, ne présentait

'qu'un affaiblissement, non une disparition complète de la motilité volontaire,

des soubresauts et des crampes douloureuses.

Notons enfin des vomissements pendant le premier jour, de la rétention

d'urine ayant duré une semaine, une constipation opiniâtre ayant persisté

un mois, enfin des symptômes d'excitation génitale : état permanent de

semi-érection, constatation de sperme dans les urines. Fait assez singulier,

comme on pratiquait de temps en temps un badigeonnage de la région

dorso-lombaire avec une plume imbibée d'un topique médicamenteux, le

chatouillement ainsi provoqué amenait, au dire du malade, une sensation

génésique voluptueuse, qui fut accompagnée à trois reprises d'éjaculation.

Il est remarquable que ces troubles digestifs, génitaux et urinaires n'ont

laissé aucune trace dans l'état ultérieur du malade.

L'état,général à cette époque se maintint excellent.

Sorti de la gouttière de Bonnet vers le centième jour après l'accident, le

malade commença à marcher, d'abord à l'aide de deux cannes dont il finit

par se passer complètement; il porta, régulièrement d'abord, puis d'une

façon intermittente, un corset, orthopédique.

Au bout de quelques mois il fut réformé.

Il persistait, dans le membre inférieur droit, divers troubles de la sensi-

bilité ; ainsi le mollet était presque insensible au contact, et sensible au

contraire à une pression exercée fortement sur la masse musculaire :

quelques picotements, pas de véritable douleur. Le sol était senti.

Le malade raconte qu'il guidait difficilement sa jambe droite; que celle-ci

était, pendant la marche, involontairement projetée en avant d'une façon

excessive, le pied droit retombait lourdement et faisait en louchant le sol

plus de bruit que l'autre pied.

Ce phénomène, cette espèce d'ataxie aurait disparu peu à peu. La force

du membre était assez bien rétablie pour permettre la marche sans canne,

DES SUITES ÉLOIGNÉES DES TRAUMATISMES. 219

et notre homme put exercer, non sans fatigue il est vrai, un métier exigeant

la station debout prolongée. La force du membre subissait des variations

assez prononcées qui n'étaient pas toujours en rapport avec un exercice ex-

cessif. Parfois, le genou fléchissait, surtout dans les premiers mois, et à

plusieurs reprises le malade tomba. L'atrophie restait stationnaire; pas de

troubles trophiques cutanés.

En 1885, le sujet, trouvant son métier trop fatigant, s'établit comme mar-

chand de vin. Sobre jusque-là, il présente alors divers symptômes d'alcoo-

lisme, troubles digestifs, cauchemars. Le membre malade s'affaiblit consi-

dérablement. Douleur assez vive dans la région lombaire, à droite de la

ligne médiane.

En mai 1886, saison de trois semaines à Plombières. Douches, électrisa-

tion, amélioration sous tous les rapports.

Le malade se marie le 22 décembre 1886. Il raconte qu'une huitaine de

jours avant son mariage, il aurait « eu de l'eau dans le genou droit », sui-

vant le diagnostic porté par un médecin alors consulté. Vésicatoire, guéri-

son rapide en quelques jours.

Dans le temps qui a précédé et suivi son mariage, quelques excès rame-

nèrent des troubles de la santé générale, et C... éprouva, vers le membre

inférieur droit, des douleurs fulgurantes qu'il avait déjà ressenties de temps

en temps, dès la deuxième année après la fracture, mais avec moins de per-

sistance et d'intensité.

A cette époque aussi s'accentuèrent des crampes douloureuses dans la

jambe gauche, crampes survenant surtout la nuit et forçant le malade à se

lever.

Persuadé que les excès de boisson entraient pour une part dans ces

troubles de la santé, C... devient plus tempérant. La santé s'améliore.

En août 1887, après des émotions vives et répétées (colères, chagrins de

famille, pertes d'argent, etc.) les crampes de la jambe gauche et les dou-

leurs fulgurantes de la jambe droite acquièrent une grande intensité; et, à

cette époque, apparaissent en outre des douleurs fulgurantes dans le membre

supérieur droit. Il existait aussi une douleur sourde, continue, mal loca-

lisée, dans le membre inférieur du même côté. La force musculaire de ce

membre baissa beaucoup.

Le malade vint habiter Paris, y vécut misérablement, exposé au froid.

Les phénomènes précédents s'accentuèrent : l'état digestif devint très

médiocre.

Au mois de décembre dernier, il entra à l'hôpital de la Pitié, où il ne

resta que trois jours ; en juin, il passa quelque temps à l'hôpital Laënnec,

enfin il entra, le 10 février, à l'Hôtel-Dieu, dans le service de M. le profes-

seur Richet.

État actuel. Sujet de taille moyenne, bien musclé; apparence de bonne

santé.

Ce qui frappe tout d'abord, c'est une atrophie très considérable du

membre inférieur droit.

Disons dès maintenant que les appareils circulatoire, respiratoire, ne pré-

sentent rien de particulier, que les fonctions génito-urinaires s'accomplissent

normalement. Pour ce qui est des fonctions digestives, le malade se plaint

de pituites matinales, de pesanteurs et de tiraillements à l'estomac après

220 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

le repas,,de pyrosis, d'éructations. L'appétit est excellent, la langue saine.

Ballonnement notable de l'abdomen, dilatation stomacale très nette.

A l'exploration du rachis, on ne constate rien d'appréciable à la vue, mais

la.palpalion montre une déviation de la crête épineuse au niveau des dou-

zième vertèbre dorsale et première vertèbre lombaire. A ce niveau, la

crête, un peu plus saillante en arrière que normalement, décrit une légère

courbe à, concavité droite. Pas de courbures de compensation. On sent dans

la gouttière vertébrale, il gauche de ce même point, une légère augmenta-

tion de, volume du plan osseux sous-jacent à la masse musculaire sacro-

lombaire. Pas de douleur à la pression.

Le membre inférieur gauche n'offre rien d'anormal.

- Le membre inférieur droit présente les phénomènes suivants. Nous avons

décrit, d'après l'interrogatoire du malade, les douleurs dont ce membre est

le siège; les douleurs fulgurantes s'y montrent encore actuellement.

. Sensibilité. La sensibilité est normale dans tous ses modes, sauf pour

la région' externe de la cuisse droite qui présente une zone d'anesthésie

(intéressant tous les modes de sensibilité) s'étendant jusqu'à,la partie ex-

terne et antéro-externe du genou, zone peu près verticale, large de trois ou

quatre travers de doigt, et. semblant correspondre au filet descendant du l'é-

moro-cutané. '

. Motilité. Tous les mouvements sont possibles, mais sans force. L'im-

potence ne paraît pas prédominer notablement sur un ou plusieurs groupes

musculaires. -

, La marche s'accompagne d'une claudication légère; il marche à petits pas.

Il projette un peu la jambe droite en avant, mais celle projection n'a rien

d'involontaire; c'est un artifice destiné à allonger -le pas qu'exécute le

membre malade.

-Réflexes. - Réflexe patellaire complètement aboli à droite.

Troubles trophiques. Pas de changement de coloration de la peau. Le

membre inférieur droit est notablement plus grêle que le gauche et le pli

fessier esteffacé de ce côté. La longueur est, à très peu de chose près, la même

.pour les deux membres, car, le malade étant debout, les deux épines iliaques

anléro-supérieures sont sensiblement au même niveau. Mais la longueur res-

pective des deux pieds diffère notablement. Pour le droit 0,23 cent., pour le

gauche, z5. La mensuration circulaire à différentes hauteurs donne les

résultats comparatifs suivants :

CLICHÍ; A. LON Dl :

PHOTOTYPIE 13kli'rHUD

Troubles TROPHIQUES CONSÉCUTIFS A UNE Fracture

DE la COLONNE Vertébrale

LICHOSNI7R ET BABÉ, 1H1T £ UF

DES SUITES ÉLOIGNÉES DES T il AUIATISM ES. 52l

Exploration électrique. - Soit aux courants continus, soit aux courants

interrompus, et quel que soit le pôle appliqué sur le membre, on ne constate

pas, entre la jambe droite et la jambe gauche, de différence notable comme

réaction au point de vue qualitatif; mais elle est beaucoup plus faible dans la

première pour tous les modes d'excitation, et quel que soit le groupe muscu-

laire exploré.

Le reste du corps, et en particulier les parois abdominales, ne présentent t

aucune paralysie ni atrophie musculaire.

Enfin l'examen de l'oeil montra les pupilles parfaitement égales. Du reste,

pas de troubles de la vision.

Prescription. Courants continus tous des jours pendant un quart

d'heure, une plaque étant appliquée sur le rachis, l'autre baignant dans de

l'eau salée où plongeait le pied droit du malade. Courant maintenu à 12

milliampères, avec quelques interruptions, et passant pendant la première

moitié de la séance dans un sens, et le reste du temps en sens inverse. Les

courants induits furent, en outre, appliqués à plusieurs reprises.

Bicarbonate de soude contre les phénomènes digestifs.

Enfin, douches sulfureuses et bains sulfureux.

Les douleurs et les crampes disparurent rapidement. La force revint en

partie dans le membre inférieur droit. L'état des fonctions digestives s'améliora

beaucoup.

Quand cet homme quitta l'hôpital, le 3 mars, il n'éprouvait plus aucun phé-

nomène douloureux. La marche était devenue plus facile, la force musculaire

du membre inférieur droit avait notablement augmenté. Cependant l'atrophie

était demeurée absolument stationnaire et la mensuration donnait exactement

les mêmes chiffres qu'à l'entrée.

Pendant trois semaines, le malade continua a être soumis aux douches jour-

nalières qui lui faisaient, dit-il, le plus grand bien.

L'ayant revu le 7 mars, nous constatâmes une inégalité très notable des pu-

pilles, la droite étant la plus dilatée. Le malade dit avoir remarqué à plusieurs

reprises, depuis quelques mois, l'inégalité de ses pupilles, phénomène qui se

montrait d'une manière intermittente sans qu'il existât aucun trouble fonc-

tionnel de la vision.

Ayant eu l'occasion de le revoir une fois encore à la fin de mai, nous

pûmes constater à nouveau cette inégalité pupillaire, qui semblait tenir

plutôt il la contraction de la pupille gauche qu'à la dilatation de la pupille'

droite. Nous aurions désiré que le malade revînt nous trouver, suivant sa

promesse, pour le faire soumettre à un examen ophtalmoscopique, mais nous

ne l'avons point revu; ce qui nous fait regretter de n'avoir pas du moins

cherché chez lui le signe d'Argyll Robertson. Quand nous le vîmes pour la

dernière fois, il ne se plaignait plus d'aucun phénomène douloureux,

et la marche était devenue bien moins fatigante, de même que la station

debout prolongée. -, . - - . - -

Sans nous étendre longuement sur le diagnostic des lésions anato-

miques de la moelle qu'on pourrait déduire de cette histoire clinique,

nous ferons seulement les remarques suivantes :

Le fait le plus intéressant est celui-ci : les lésions existent surtout,

222 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

sinon exclusivement, du côté droit. Elles semblent porter 1° sur les

cornes antérieures de la substance grise, ce qui explique l'atrophie

étendue à toutle membre inférieur droit; 2° sur les cordons postérieurs,

qui paraissent avoir été le siège d'une sclérose ascendante. Les douleurs

fulgurantes, qui, d'abord localisées au membre inférieur droit, attei-

gnirent ensuite le membre supérieur du même côté, l'inégalité pupil-

laire intermittente, semblentindiquer des altérations anatomiques sem-

blables à celles qu'on rencontre dans l'ataxie locomotrice progressive.

La prédominance si remarquable des altérations sur la moitié droite

de la moelle s'explique bien par la déformation du rachis. En effet, la

courbure à concavité droite de la crête épineuse n'indique-t-elle pas un

tassement plus prononcé du corps vertébral à droite du plan médian ?

Enfin, il est intéressant de voir les exacerbations des phénomènes

morbides correspondre à des périodes pendant lesquelles des causes

banales de maladies médullaires (froid, excès, etc.) vinrent ajouter

leur action aux lésions préexistantes, et de voir cette .action s'exercer

de préférence sur le côté atteint.

Bien que chez les autres malades dont nous allons rapporter l'histoire,

il y ait une légère prédominance des lésions sur un côté du corps, chez

aucun d'eux nous ne la retrouverons aussi nette que dans l'observa-

tion qui précède.

Cependant un blessé, qu'il nous a été donné d'observer, grâce à

l'obligeance de notre ami le docteur Schmidt, de Baccarat, nous

montre, à la suite d'une frature du rachis survenue dans des

circonstances et par un mécanisme presque identiques, la paralysie et

l'atrophie musculaire prédominantes dans le membre inférieur gauche.

OBS. II - Fracture du rachis au niveau de la région dorso-lombaire

datant de dix ans. -Parésie des membres inférieurs plus accentuée à

gauche. Anesthésie incomplète. - Atrophie musculaire à gauche.

zig..., âge de cinquante-deux ans, est tailleur sur cristaux à l'usine de Baccarat.

Sa santé a été excellente jusqu'en avril 1878. A cette époque, il tombe

d'une hauteur de 12 mètres, sur les pieds, et se fracture le rachis dans la

région dorso-lombaire.

Coma pendant trois jours. Séjour au lit pendant un an, et six mois de repos

avant de reprendre son travail. On aurait constaté dans ce laps de temps, les

phénomènes suivants :

Paralysie complète des deux membres inférieurs, ayant ensuite diminué

peu à peu. Troubles passagers de la miction (on a dû, pendant quelque temps,

recourir au cathétérisme) et de la défécation.- Anesthésie complète de toute

la partie du corps située au-dessous de la ceinture. Une aiguille traversant

le mollet ne provoquait aucune douleur. Atrophie musculaire très prononcée

du membre inférieur gauche (beaucoup plus prononcée qu'elle ne l'est au-

jourd'hui). Ni troubles trophiques cutanés notables, ni eschare sacrée.

DES SUITES ÉLOIGNÉES DES TRAUMATISMES. 223

Un an et demi après l'accident, reprise du travail (il travaille assis). Il

se plaint surtout de douleurs qui surviennent de temps en temps dans le

membre inférieur gauche, principalement à la cuisse, et plus encore à la

face dorsale du pied. Cette douleur, plus fréquente par les temps humides,

surprend le malade subitement, elle est d'emblée très-intense, térébrante.

C'est comme un clou qu'on enfoncerait dans les os; elle force le sujet à

s'arrêter immédiatement si elle survient pendant la marche. Elle durerait de

dix minutes à deux heures et plus. Jamais elle ne se manifesterait sous forme

d'élancement.

En outre, endolorissement de la région dorso-lombaire quand survient la

fatigue, et enfin douleur violente survenant fréquemment dans les talons

pendant le décubitus dorsal prolongé. Crampes fréquentes dans les deux

jambes, mais surtout dans le pied gauche. Le sujet n'a pas cessé de boiter,

cette claudication, d'ailleurs légère, ne l'a pas beaucoup gêné. ,

État actuel. - Homme maigre, de taille moyenne, se tient légèrement

incliné en avant. Bonne santé générale. Quelques phénomènes d'alcoolisme :

cauchemars légers, troubles digestifs. Pas de tremblement.

Rachis. Aucune déviation transversale, symétrie parfaite. La crête

épineuse forme, au niveau de la douzième vertèbre dorsale, une saillie

anguleuse, nette, quoique peu prononcée, saillie qui se prolonge en bas dans

une étendue qui paraît correspondre aux deux premières vertèbres lombaires.

Sensibilité. -Outre la douleur déjà décrite, diminution très notable de la

sensibilité dans toutes les parties situées au-dessous de la ceinture. Nous

avons pu, sur la distribution de la sensibilité cutanée aux deux membres in-

férieurs, obtenir les renseignement suivants, que nous ne saurions toutefois,

étant donnée l'intelligence un peu médiocre du malade, considérer comme

absolument précis.

L'anesthésie à la piqûre est variable suivant les régions. Aux cuisses, elle

est surtout accentuée sur les faces antérieure et interne. Elle est plus con-

sidérable aux jambes qu'aux cuisses : la face postérieure de la jambe droite

est toutefois assez sensible. Enfin les pieds sont presque complètement anes-

thésiés : à la plante, la piqûre est perçue comme chatouillement.

La sensibilité au froid est conservée, peut-être augmentée. En tout cas, il

y a constamment sensation de froid aux jambes et surtout aux pieds; ce phé-

nomène semble être exclusivement subjectif.

Le malade sent mal ses jambes dans son lit.

Chatouillement parfaitement perçu.

La motilité est affaiblie 'notablement dans les deux membres inférieurs,

mais beaucoup plus du côté gauche, comme en témoigne la claudication de

ce côté.

Il ne fauche pas, mais les divers segments des membres oscillent molle-

ment les uns sur les autres, ils sont entraînés par un mouvement passif plutôt

que solidement fixés par les muscles. De légers obstacles font trébucher le

malade.

Troubles trophiques. - La cuisse gauche est un peu moins volumineuse

que la droite : la différence est accentuée surtout à la partie inférieure de

celle région. A la partie moyenne des cuisses, la mensuration circulaire donne

un centimètre de moins à gauche qu'à droite. Les masses musculaires de la

cuisse et du mollet gauches sont aussi plus flasques à la palpation.

224 1V,4UVEL1.1, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

La peau est très légèrement épaissie sur la face postérieure de la cuisse

gauche, par rapport à la même région du côté droit.

Sens spéciaux. La vue a baissé depuis deux ans, mais d'une façon

progressive. Parfois il y a comme des nuages de fumée passant devant les

yeux. Pupilles égales.

Ainsi donc, chez ce malade, troubles de la motilité relativement

légers, troubles de la sensibilité cutanée et quelques douleurs, enfin

troubles de la nutrition musculaire plus accentués, sinon exclusivement

localisés dans le membre inférieur gauche. Chez lui, comme chez le

premier malade, épaississement de la peau du côté atrophié. Pas de

lésions cutanées appréciables à la vue. Il n'en est pas de même chez

les sujets dont nous allons maintenant rapporter l'observation.

OBS. III. -Fracture du rachis dans la région dorsale datant de onze

ans. Troubles trophiques. - Engelures, accidents épileptiformes.

L..., Désiré, journalier, âgé de trente-quatre ans, entre, le 13 juin 1888, à

l'Hôtel-Dieu, salle Saint-Jean, dans le service de M. le professeur Richet.

Son père et sa mère sont morts, cette dernière a succombé à une affection

pulmonaire. De quatre enfants, L... reste seul vivant. Les autres sont morts en

bas âge; l'un d'eux aurait succombé à des convulsions. Pas de maladies ner-

veuses dans la famille.

L... lui-même, dans son enfance, aurait eu des convulsions; du moins on

le lui a raconté. Depuis, sa santé ne laissa rien à désirer, il fit une année de

service militaire pendant laquelle il ne présenta aucun accident nerveux. Pas

de syphilis ni d'alcoolisme.

Au mois d'août 1877, il exerçait le métier de maçon. Il tomba d'une hau-

teur de 9 mètres par la fenêtre d'une maison en construction. La chute aurait

eu lieu sur le dos, ou plutôt sur le siège, qui porta sur un amas de moellons.

Les souvenirs du malade sont peu précis sur les détails de cette chute. Il

perdit en effet connaissance et fut transporté à l'hôpital d'Épernay.

Il dut, suivant toute probabilité, se fracturer la' colonne vertébrale. Toute-

fois, il ne se rappelle pas avoir entendu porter le diagnostic de fracture du

rachis par les médecins, et n'indique que vaguement, et avec peu d'assu-

rance, des douleurs dorsales ressenties à la suite de l'accident. Le trauma-

tisme lui aurait, dit-il, fracturé quelques côtes, et de plus il aurait subi à

la nuque une forte contusion, à la suite de laquelle se serait développée

une saillie que l'on constate encore aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, il pré-

senta alors les phénomènes suivants. Le coma se prolongea pendant trois

jours, après lesquels le malade, en dépit du pronostic sévère qui avait été

porté par les médecins, reprit connaissance. Les deux membres infé-

rieurs étaient presque entièrement paralysés; ils étaient agités par quelques

soubresauts involontaires. La sensibilité au contact y était fort émoussée, et

c'est à peine si le malade sentit la brûlure qu'on lui fit au mollet à l'aide du

thermocautère appliqué, semble-t-il, dans un but diagnostique. Toutefois,

une deuxième exploration de la sensibilité à la brûlure, faite quelque temps

après, provoqua une vive douleur. Il y eut pendant quelques jours de la réten-

tion d'urine, qui nécessita le cathétérisme, et, pendant un mois, on dut com-

DES SUITES ÉLOIGNÉES DES TPAU\IATIS111 : S. 225

battre par les lavements et les purgatifs une constipation opiniâtre. Il n'y

aurait pas eu de troubles génitaux. Enfin la nutrition des membres éprouva

un ralentissement qui se traduisit par une atrophie très considérable. « Mes

jambes étaient comme des bâtons, » nousj dit-il. De plus, la peau en était

pâle et jaunâtre.

Pendant trois mois entiers, L... resta immobilisé dans un appareil formé

de longues attelles et de bandes enserrant le tronc.

Au bout de ce temps il se leva. Il ne pouvait marcher qu'à l'aide de deux

béquilles, ses jambes étant très faibles et très grêles. Plus tard, il se servit

simplement de deux cannes qu'il arriva à supprimer. Il éprouvait une sensa-

tion de douleur obtuse au niveau des lombes, quand il était fatigué. Ses

jambes devenaient bleuâtres quand il marchait.

Six mois après l'accident, il reprend son travail de maçon, mais il se voit

bientôt obligé d'y renoncer, moins à cause de la faiblesse des membres in-

férieurs, laquelle s'était beaucoup amendée, qu'à cause du développement

d'accidents épileptiques.

Ces derniers éclatèrent cinq mois après l'accident. Ils revêtaient les carac-

tères qu'ils ont conservés jusqu'aujourd'hui, mais, à cette époque, les attaques

étaient plus fréquentes, survenant cinq à six fois par jour. z

Il dut, en conséquence, changer d'état, et se fit journalier. Depuis lors, il

ne trouva pas toujours à s'employer, bien des gens refusant de l'occuper à

cause des attaques épileptiques qu'il présentait.

En novembre 1887, il travailla pendant une- huitaine de jours les pieds

dans l'eau glacée. Ceux-ci, dès les premiers jours, perdirent leur sensibilité,

devinrent d'un ^blanc mat, sauf le gros orteil du pied droit qui était vio-

lacé, desquamèrent, et bientôt des ulcérations apparurent sur les orteils du

pied droit. Le malade entra le 6 décembre à l'hôpital de Château-Thierry,

où l'on pansa les ulcérations à l'onguent styrax, et on dut amputer la deuxième

phalange du gros orteil droit, laquelle était noire et se gangrenait. Il quitta

l'hôpital de Château-Thierry le 28 mars dernier. Depuis ce temps, les

lésions du pied droit, et particulièrement le durillon du talon antérieur, le

gênent beaucoup dans la marche. C'est la cause qui l'amène à la consultation

de l'Hôtel-Dieu.

Son état actuel est le suivant. Taille et embonpoint moyens, apparence

de bonne santé. Le malade se tient notablement voûté, quand il est debout ou

assis. L'examen du tégument cutané montre l'existence d'un très grand

nombre de petites cicatrices non pigmentées sur le tronc et les membres

inférieurs. A la cuisse gauche on voit une cicatrice arrondie, non pigmentée,

de l'étendue d'une pièce de cinquante centimes. Sur la face externe de la

jambe droite, cicatrice pigmentée, circulaire, grande comme une pièce de

1 franc. Le malade attribue l'origine de ces diverses cicatrices il des plaies

contuses produites pendant ses attaques. Enfin, à la fesse droite, existe une

cicatrice ovalaire, dont le grand diamètre vertical est égal à cinq travers

de doigt; cette cicatrice est irrégulière, surélevée, d'apparence kéloidienne.

Le système osseux est régulièrement développé, et parfaitement symétrique.

Toutefois on constate il la nuque, à deux travers de doigt à gauche de la pro-

tubérance occipitale externe, une légère saillie osseuse, qui remonte, dit le

malade, à sa chute dç 1877, et qui est due, suivant lui, à une contusion de la

région. Le rachis présente une déviation importante au niveau de la 90 ver-

2S6 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

tèbre dorsale, il forme un angle à sommet postérieur, peu accentué, mais

néanmoins très net. Il n'y a pas de déviation latérale. Celle lésion paraît pou-

voir être rapportée à une fracture ancienne du rachis, survenue en 1877,

d'autant mieux que D... n'est ainsi légèrement voûté que depuis l'accident

subi à cette époque. Depuis ce temps aussi il éprouve pendant le travail une

sensation de fatigue au niveau de la région dorsale, sensation qu'il soulage

en se tenant courbé en avant, les mains fixées sur un point d'appui.

Le malade attire immédiatement l'attention sur l'état de ses pieds, et

surtout de son pied droit. Celui-ci a une coloration normale; cependant il

devient rapidement violacé quand le malade est assis. Sous la tête du premier

métatarsien, siège un durillon qui présente tous les caractères objectifs du

durillon, de la première période du mal perforant. Toutefois, il n'est pas

entouré d'une zone anesthésiée. A cette même place se serait développée, huit

jours après l'entrée du malade à l'hôpital de Château-Thierry, une ampoule

noirâtre que les médecins incisèrent. Le durillon se serait montré à la suite,

quand le malade commença à marcher. Il gêne beaucoup la marche par les

douleurs qu'il provoque; il n'est pas douloureux spontanément. Les orteils

sont comme rabougris, le deuxième et le quatrième sont dépourvus de leurs

ongles, le troisième et le cinquième ont un ongle irrégulièrement développé.

Enfin le premier orteil présente la cicatrice de l'amputation qu'on fit de la

deuxième phalange; sur un point de la ligne cicatricielle, à l'extrémité sail-

lante du moignon, se trouve une ulcération du diamètre d'un grain de ché-

nevis. La sensibilité est très émoussée à l'extrémité des orteils, notamment

auprès de l'ulcération du premier orteil. Quant au pied gauche, il ne présente

pas de plaie ni de cicatrices, mais un développement très irrégulier des

ongles et plusieurs durillons. Sur la face dorsale du quatrième orteil, sur la

pulpe du premier orteil, sous la tête du premier métatarsien, ces divers duril-

lons, même le dernier, auraient à l'inverse de celui du pied droit, préexisté

à la gelure, et même à la chute du malade. -

Le malade ne se plaint de douleurs d'aucune sorte, si ce n'est de céphalal-

gies fréquentes, quelquefois très intenses; céphalalgies frontales, sans prédo-

minance uni-latérale, sans recrudescences nocturnes. La sensibilité des divers

segments du corps est intacte.

Ce qui, par contre, cause une assez grande gêne, c'est la faiblesse des membres

inférieurs, lesquels résistent assez bien aux fatigues de la marche, mais flé-

chissent dès que le malade veut soulever des fardeaux un peu lourds. La

jambe droite serait maintenant plus faible que la gauche.

Il existe un tremblement très marqué des doigts et des mains, tremble-

ment qui ressemble fort au tremblement alcoolique; cependant le malade

nie tout excès de boisson. Ce phénomène daterait de l'époque de la chute;

le malade s'en serait aperçu en cherchant à écrire, occupation à laquelle il

ne pouvait se livrer que difficilement. L'émotion augmente ce phénomène.

Les réflexes rotuliens sont un peu amoindris des deux côtés.

Enfin l'accident le plus grave consiste dans les attaques épileptiformes que

nous allons décrire. Ces attaques, nous l'avons vu, se présentèrent pour la

première fois cinq mois après l'accident primitif. Elles étaient alors très

fréquentes (quatre à cinq par jour); aujourd'hui, c'est à peine si le malade en

présente une par vingt-quatre heures. Ces attaques, pendant lesquelles la

perte de connaissance est complète, se produisent sans aucun phénomène

DES SUITES ÉLOIGNÉES DES TIt.IUIIATIS111ES. 27

précurseur. Elles durent quelques minutes, puis la conscience reparaît entière ;

le malade ignore alors ce qui s'est passé. On lui a donné peu de détails sur

ce qui se produisait au cour de ces attaques; s'il est debout, il tombe toujours

en arrière. Il s'est fait ainsi des contusions fréquentes; une fois, il tomba dans

une pièce d'eau, on l'en retira aussitôt; il n'en eut ensuite aucun souvenir.

Il présentait enfin, très souvent, des attaques semblables pendant la nuit,

ses camarades lui ont dit qu'alors il poussait souvent comme un bâillement,

puis s'agitait pendant quelques minutes; il n'est jamais tombé hors de son

lit. Pendant un certain temps, il urinait dans son sommeil, ce qui le fit

renvoyer d'une maison où il était alors employé. Il ne mord pas sa langue.

Souvent, il lui passe comme un brouillard devant les yeux; cette obnubilation

de la vue, très-fugace, durant quelques instants seulement, est suivie d'ordi-

naire d'une céphalalgie frontale qui se dissipe elle-même assez rapidement.

Quelquefois diplopie passagère.

Pas d'autres troubles intellectuels ; pas de changements de caractère, la

mémoire est parfaitement conservée. Il est seulement plus impressionnable,

mais il a toujours été assez facile à émouvoir. Les sens spéciaux ne présentent

aucun trouble, sauf la vue. Ajoutons que le sujet n'a jamais eu la vue bien

bonne; il a toujours été myope.

A part les troubles que nous venons de passer en revue, la santé reste

satisfaisante; les appareils circulatoire, respiratoire, digestif, urinaire, fonc-

tionnent normalement.

Le lendemain de son entrée à l'hôpital, il eut une attaque dont les circon-

stances nous furent rapportées par les autres malades. Étant en train de

manger sa soupe, assis dans son lit, il tenait son assiette d'une main, sa

cuiller de l'autre : tout à coup, son regard devint fixe, ses traits se contrac-

tèrent légèrement et demeurèrent immobiles, les deux mains, les doigts

fléchis à demi se mirent à trembler fortement et laissèrent échapper les

deux objets qu'elles tenaient. Ce fut l'affaire de quelques instants, puis le

malade reprit connaissance, sans traverser une période de coma.

Dans chacune des nuits qui ont suivi son entrée, il a présenté des convul-

sions. Ses voisins rapportent qu'il semblait râler, qu'il exécutait d'assez

grands mouvements pour leur faire craindre une chute hors du lit. Pas

d'autres renseignements. Nous le soumettons à un traitement antisyphilitique,

(iodure de potassium et sirop de Gibert), les cicatrices qu'il présente, surtout

une d'elles, circulaire et pigmentée, permettant, de même que les crises

signalées ci-dessus, de songer chez lui à une syphilis ignorée ou dissimulée.

A propos de ce malade, plusieurs questions se posent.

1° S'agit-il bien ici d'une fracture du rachis ? Les commémoratifs, il

est vrai, manquent de précision. Cependant, comment expliquer par

un autre mécanisme la déformation rachidienne que nous avons signa-

lée, déformation que le malade fait très nettement remonter àl'époque

de sa chute ?

2° Les divers troubles trophiques que l'on trouve aux deux pieds,

principalement au pied droit, sont survenus à la suite d'un refroi-

dissement local intense et prolongé. Cependant il ne nous paraît pas

228 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

douteux que ces lésions aient été favorisées dans leur production par

l'existence des troubles nerveux antérieurs; on se rappelle qu'il avait

existé, au moins pendant un certain temps, une tendance à la paralysie

vasomotrice de la peau des pieds.

3° Que penser des accidents épileptiformes présentés par L..., cinq

ans après la chute et persistant encore aujourd'hui ? On pourrait

songer à la syphilis; cependant cette dernière hypothèse ne s'appuie-

rait sur aucun symptôme hien' net. Le malade, très sincère, croyons-

nous, nie absolument tout antécédent vénérien ; dans les commémo-

ratifs, rien qui rappelle.les accidents spécifiques, sauf ce fait, parfaite-

ment explicable d'ailleurs sans invoquer la syphilis, que depuis sa

chute, il est sujet à des céphalalgies assez fréquentes; dans l'état actuel,

pas de stigmates syphilitiques; l'exostose de l'occiput a suivi un trau-

matisme local ; les cicatrices multiples que présente le tégument externe

n'offrent pour la plupart aucun caractère spécial. Enfin le traitement

par l'iodure de potassium et le sirop de Gibert est demeuré sans résul-

tat. Bref, en l'absence dé syphilis, en l'absence de toute cause appré-

ciable, cette épilepsie, 'survenue cliez D... à de vingt-trois ans,

cinq mois après sa chuter paraît relever nettement du traumatisme.

Mais par quel mécanisme ? Les lésions de la moelle dorsale, ainsi

que l'a démontré Brown-Séquard, sont capables de déterminer l'épi-

lepsie, et cette -épilepsie- ne se déclare'que quelque temps après la

lésion médullaire. Il ' semble donc que notre observation doive

s'ajouter à celles que Brown-Séquard a rapportées à l'appui de ses

expériences physiologiques.. , \

Toutefois la nuque a subi, chez notre sujet, un^choc violent; or on

sait qu'un choc sur la tête, et particulièrement dans la région occipi-

tale,-a pu assez souvent être incriminé comme cause de l'épilepsie.

Aussi nous abstiendrons-nous de rien affirmer d'une manière absolue,

quant aux relations de cause à effet entre la fracture du rachis et cette

épilepsie symptomatique....

En résumé, et pour nous en tenir aux faits qui paraissent hors de

contestation, nous trouvons chez D..., à la'suite de cette fracture, un

affaiblissement notable de la force musculaire dans les deux membres

inférieurs, surtout à droite et, -sâi ? 7ni7t1c'vra*isemblance, un cer-

tain défaut de la nutrition dans ces mêmes membres, défaut de la

nutrition qui est resté à peu près latent jusqu'au moment où une cause

occasionnelle, le froid, est intervenue.

(A suivre.)

TUFFIER, IÏALHON,

Chirurgien des libpitaux. Interne des ¡'ôl'ilau,

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. I, PL. XLVI

CLICH1'; A LO : 1DF

PHOTOTYPIe BERTHAUD

ACROMÉGALIE

(OBS. Il)

LECROSNIER ET BABÉ, ÉDITEURS

L'ACROMÉGALIE

{Suite i).

Ces. Il 2. il. B..., comptable, âgé de quarante-sept ans, se présente, le

24 mars 1887, à la consultation externe de la Salpêtrière, du service de M. le

professeur Charcot.

Grand'mère maternelle rhumatisante. Père et mère bien portants. Un

frère et une soeur sont en bonne santé, une autre soeur est rhumatisante. Il

ne connaît pas d'autres de ses parents qui soient malades.

Lui-même ne se souvient pas d'avoir fait aucune maladie avant le début de

l'affection actuelle.. -

La maladie dont il se plaint a débuté en mars 1862. Bar... était alors ar-

tilleur, et couchait près d'une porte, exposé à de continuels courants d'air. Il

souffrit à ce moment de douleurs lombaires assez vives, mais qui cependant

ne l'empêchaient point de faire son service. Ces sensations pénibles s'éten-

dirent bientôt aux fesses, puis à la jambe gauche et à la jambe droite, enfin

elles gagnèrent successivement les membres supérieurs, le cou et la tête. Ces

douleurs étaient intermittentes, comparables à des sortes de tiraillements, et

siégeaient dans la continuité des membres, et non dans les jointures. En

même temps que ces douleurs, les forces du malade s'affaiblissaient gra-

duellement, quoique la santé générale se maintînt bonne. A cette époque,

pendant la longue période (un à deux ans) où apparurent ces phénomènes,

B... aurait maigri de 25 kilogrammes. - Il a beaucoup grandi, de 7 à 8 cen-

timètres, dit-il, aussi à ce moment; cependant le développement considé-

rable de ses extrémités ne l'a jamais frappé, pas plus que sa femme, que

nous interrogeons à cet égard. C'est pour l'affaiblissement progressif de

ses membres inférieurs, qui s'est établi lentement à la suite des accidents

douloureux, et pour les troubles consécutifs de la marche qu'il vient ré-

clamer nos soins.

État actuel (` ? G mars 1887). - On est immédiatement frappé du dévelop-

pement énorme de la face et des mains du malade, quoiqu'il n'attire

lui-même l'attention que sur les troubles moteurs dont il se plaint.

Face (pl. XLVI). - Le volume de la face est considérable par rapport à

celui du crâne; c'est surtout le maxillaire inférieur qui atteint des dimensions

énormes. On apprécie aisément la nature osseuse de ce développement à

cause de l'amaigrissement des parties molles. -La branche montante du

maxillaire inférieur mesure 8 centimètres et demi; le corps de la mâchoire

1. Voir le n" 5, 1888..

2. Cette observation prise à la consultation externe de M. le professeur Charcot nous a

été obligeamment communiquée par M. Blocq, interne du service.

1

' : J30 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

mesure de l'angle à la symphyse 12 centimètres au niveau de sa base. Le

malade ne peut ouvrir complètement la bouche, l'augle saillant, formé par

la rencontre des bords postérieur et inférieur du maxillaire, venant s'appliquer

contre les parties antéro-latérales du cou et s'opposer à ce mouvement.

Les os propres du nez sont très larges; la saillie des pommettes est consi-

dérable, les rebords orbitâires sont mousses. Toutefois, la face ne présente pas

de déformation à proprement parler, mais seulement des dimensions

exagérées.

Le crâne, comme nous l'avons dit, ne répond pas apparemment à ce dévelop-

pement extrême de la face. La circonférence de la tête passant par l'angle du

maxillaire et le vertex est de 61 centimètres : la circonférence horizontale au

niveau des angles orbitaires externes mesure 61 centimètres.

Membres supérieurs. - L'augmentation de volume porte surtout sur les

mains, et se montre symétrique. Les articulations phalango-phalanginiennes

sont notablement gonflées. La longueur du médius est de 10 centimètres,

son diamètre de 3 centimètres. La longueur de l'interligne de l'articulation

radio-carpienne à celui de l'articulation mélacarpo-phalangienne est de

11 centimètres. Le diamètre de la main au niveau des articulations métacarpo-

phalangiennes est de 12 centimètres. La longeur totale de la main au niveau

du médius est de 22 centimètres (pl. XLVII).

Membres inférieurs. - Ce sont ici aussi les extrémités qui présentent

des dimensions exagérées. La longueur du gros orteil est de 7 centimètres

et demi et son diamètre de 2 centimètres et demi. La longueur totale du pied

est de 30 centimètres et son diamètre au niveau des articulations métatarso-

phalangiennes de 12 centimètres. Il n'existe pas de déformation, l'augmenta-

tion de volume, est uniforme.

Au dynamomètre, la main droite donne 55, la main gauche 40. Malgré cela,

et quoiqu'on ne perçoive pas de craquements dans les articulations, les mou-

vements sont limités, et le malade arrive difficilement à mettre la main sur

sa tête. La force des membres inférieurs est diminuée surtout dans la jambe

droite; M. B... marche habituellement avec l'aide de deux cannes; cependant

la marche est possible sans cannes. On sent quelques craquements dans

les genoux qui sont assez notablement gonflés.

Sensibilité. - Il n'existe d'autres troubles de la sensibilité que quelques

douleurs peu intenses et intermittentes au niveau des épaules, des coudes et

des genoux.

Les réflexes tendineux sont très forts des deux côtés; il n'y a pas de trépi-

dation spinale.

Il n'existe ni troubles des sphincters ni troubles vaso-moteurs ou tro-

phiques.

Les autres appareils ne présentent,, pas plus que l'état général, d'alté-

ration notable. " 1

Les deux observations qui suivent ont été publiées dans mon pre-

mier travail (Revue de médecine, '1886), on les trouvera reproduites ici

in extenso; 'elles font partie des quatre cas observés dans le service de

M. le professeur Charcot.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. 1. pL. XLVI1'

Cliché .1. Lande.

ACROMÉGALIE

Obs. II

ECnOSNIER ET B A C ÉDITEURS

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T, I. PL. XLVIII

Cliche A. Loadr.

ACROMÉGALIE

Ons. Il 1

LECnOSMBIt ET BA13É, ÉDITEUZIS

L'A (; Il 0 I É G ALI E, ? 1 1

OBS. III. - Fusch, femme de trente-sept ans (pl. XLVII1). Mère morte de

bronchite, pas de rhumatisme, pas d'affection nerveuse. Père mort asthmatique,

pas de rhumatisme.

Pas de renseignements sur les grands-parents maternels et paternels.

Oncles, tantes en bonne santé. Un frère et une soeur en bonne santé. A eu la

rougeole. N'ajamais eu de rhumatisme. Pas de syphilis. Toujours très forte,

faisant de gros ouvrages;- « travaillait comme un homme ». N'a pas été

mariée.

A l'âge de vingt-quatre ans, à la suite d'une grande fatigue et d'un chaud et

froid en lavant une maison, ses règles s'arrêtèrent brusquement. Quinze

jours après elle se couche avec frisson et sensation de brisement général, elle

tremblait *de tous ses membres; au bout de quatre ou cinq jours ses règles

reparaissent. Elle reste couchée pendant trois semaines. Aucune douleur du

côté des jointures. Elle remarqua en se levant une faiblesse dans la main

gauche et des fourmillements.

Au bout de quelques semaines, la force est revenue dans cette main, en

grande partie, mais non complètement. A partir de ce moment, elle est restée

trois mois sans avoir ses règles. - Ayant été alors de nouveau exposée aux

courants d'air, elle fut prise de douleurs dans la tète, le dos et les bras. Il

n'y avait ni rougeur, ni gonflement des articulations. Elle ne s'est pas cou-

chée, mais a remarqué que dès ce moment elle avait des craquements dans

les épaules et dans les genoux. On lui fit prendre des bains de siège, et les

règles reparurent une fois encore pour ne plus revenir depuis. Elle éprouvait

une sensation de faiblesse au creux épigastrique; il lui semblait, un quart

d'heure après le repas, être à jeun, et avoir de nouveau besoin de manger. Le

médecin qu'elle consulta la traita alors pour de l'anémie. Elle partit chez

sa mère pour se reposer; les forces reviennent, elle recommence à travailler,

mais elle est moins forte qu'auparavant. Elle a vécu ainsi pendant sept ans

avec sa mère, aux champs, et se livrant à des besognes très pénibles.

En 1880 elle vient à Paris; elle est alors âgée de trente-deux ans et reste

dans un état à peu près satisfaisant jusqu'au commencement de 1883. Depuis

ce moment elle a été prise de douleurs violentes siégeant soit au niveau du

bregma, soit au niveau des bosses pariétales, soit aux tempes. Souvent ces

douleurs l'ont empêchée de dormir, et elles sont devenues plus fortes depuis

quelque temps, surtout depuis le mois de septembre ou d'octobre. La malade

a toujours eu les membres assez gros, mais ce n'était pas à comparer avec ce

que l'on voit actuellement; c'est à l'âge de vingt-quatre ans, lorsqu'est sur-

venu cet arrêt brusque des règles, qu'elle a vu, d'une façon très rapide, ses

mains augmenter de volume; il la même époque aussi; sa figure a éprouvé

des modifications que nous signalerons plus loin ; ces modifications étaient

telles que lorsque la malade est revenue chez sa mère pour se reposer, ni

celle-ci, ni les voisins, ni les personnes de la famille ne la reconnurent.

État actuel. Les pieds sont volumineux, ainsi que les orteils; quoique

ceux-ci soient augmentés de volume, ils ont cependant conservé leur forme;

il n'y a aucune déformation des pieds dans le sens propre du mot, seulement

ceux-ci semblent être ceux d'un colosse. La circonférence du pied au niveau

de la tête des métacarpiens est de 29.5.

Circonférence au niveau du cou-de-pied, 29. '

Longueur du talon à l'extrémité du gros orteil, 25.5.

232 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

La forme générale du pied est conservée; le pied n'est pas plat. Le cin-

quième orteil se trouve un peu au-dessus et très en arrière des autres orteils

(fig. 83).

Circonférence au niveau de la partie inférieure des malléoles, 27.5.

Mollet : plus grande circonférence, 33.

Les membres inférieurs ne présentent aucune adipose, les poils sont nor-

maux, les ongles ne présentent pas de dystrophie notable ; la peau a sa con-

sistance et sa coloration ordinaires.

La courbure des tibias est un peu prononcée, à concavité interne, mais sans

présenter de caractère pathologique; leur épaisseur n'est pas notablement

augmentée.

Longueur du tibia en suivant la courbure, 35.3.

Rotule : Diamètre transversal, 9.

- Diamètre vertical, 7.2.

Elle ne présente pas de mobilité anormale. Pas de liquide dans l'articula-

tion.

Vus de profil, les genoux présentent, par rapport à la partie antérieure de

la jambe, une saillie notable qui donne il la jambe l'aspect d'une courbe à

concavité antérieure très prononcée. La saillie du genou au-dessus de la ligne

formée par la crête antérieure du tibia égale environ 5 centimètres : comme

il n'y a pas de liquide dans l'articulation, cette saillie tient, soit à une épais-

seur considérable de la rotule, soit à une déformation des condyles du fémur.

Fic. 83. - Ohs, III.

L'A C Il 0 H; GA LIE. 233

En imprimant des mouvements à l'articulation du genou on sent quelques

craquements, mais sans que ceux-ci soient aussi forts que dans l'arthrite

sèche. Il n'est pas certain que ces craquements soient dus au frottement des

parties osseuses; peut-être tiennent-ils simplement au glissement des parties

fibreuses, situées en dehors de l'articulation.

Longueur de la cuisse, du grand trochanter à l'extrémité inférieure du

fémur, 41.

Circonférence à la partie moyenne de la cuisse, 5G.

La peau de la cuisse est absolument normale. Au-dessus du genou se trou-

vent quelques verge turcs dans le sens transversal.

Le mouvement de flexion dorsale se fait avec une force considérable et ne

peut être vaincu.

Il en est de même pour la flexion plantaire.

La malade peut très bien remuer les orteils, les écarter et les rapprocher.

Le mouvement de flexion et d'extension de la cuisse se fait avec une inten-

sité parfaitement normale.

Le ventre est assez volumineux; le pannicule adipeux, sans être extraor-

dinairement développé, est cependant assez considérable; les parois abdomi-

nales sont plutôt un.peu lâches, .

Le tronc ne présente rien à signaler, si ce n'est une courbure très accen-

tuée du rachis. Cette courbure est à concavité antérieure, existe à partir de

la vertèbre proéminente et occupe les sept ou huit premières vertèbres dor-

sales. La gibbosité ainsi produite est assez accentuée, mais elle n'est nulle-

FIG. 8t - Ob". III.

234 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

ment angulaire, et le dos est, à sa partie supérieure, tout à fait convexe. Au

niveau de la base du cou, en arrière, et de la partie supérieure des épaules,

se voient une quinzaine de petites tumeurs de molluscum ne dépassant pas

le volume d'un pois.

Les mains sont très larges, mais d'une forme à peu près régulière; leur

épaisseur et leur largeur sont relativement bien plus grandes que leur lon-

gueur, ce qui leur donne un aspect tel que, dès qu'on voit la malade, c'est

sur les mains que l'attention est attirée tout d'abord. 1

Longueur de la main, du pli inférieur du poignet à l'extrémité inférieure

du médius, 18,3.

Plus grande largeur de la paume de la main, 11.

Longueur du médius à la face palmaire, 8.

Longueur du pouce à la face palmaire, 6.2.

Circonférence de l'index à sa base, 9.

Circonférence de l'index au niveau de la phalangette, 8.2.

Circonférence du médius à sa base, 8.5.

Circonférence du médius au niveau de la phalangette, 8.2.

Longueur de l'auriculaire, 5.2.

Circonférence de celui-ci à sa base, 7.

Circonférence au niveau de la phalangette, G.3.

Circonférence du poignet, 18.5. '

Plus grande circonférence de l'avant-bras, 27.

Circonférence du bras, partie moyenne, 29.

Longueur du cubitus, 24. .

Le volume des doigts de la main gauche est le même que celui des doigts

de la main droite, avec 2 ou 3 millimètres en moins pour chaque; il en est

de même pour les autres mesures du bras et de l'avant-bras.

La forme de la main est assez régulière, mais camarde (fig. 8 i). Les juin-

tures ne font pas (toutes proportions gardées) de saillie notable, quoique le

squelette ait certainement participé à l'hypertrophie générale de la main; et

il semble que cette augmentation de volume des os soit plus grande dans le

sens transversal que dans le sens antéro-postérieur; aussi les doigts ont-ils

une apparence un peu aplatie.

Les différents plis de la main sont parfaitement normaux, ainsi que ceux

des articulations des doigts; la pulpe des phalangettes est globuleuse, mais

d'une façon régulière. Les ongles sont très courts, et, entre le point d'implan-

tation et celui où ils se détachent de la matrice, ils ne mesurent pas plus de

7 millimètres; leur largeur est augmentée. Ils sont, eux aussi, aplatis, et ne

présentent pour ainsi dire qu'à l'état rudimenlaire la convexité ordinaire. Ils

sont le siège d'une striation longitudinale très accentuée. La main gauche

présente d'une façon très notable à sa face dorsale une série de dépressions

correspondant aux espaces interosseux; les tendons y sont assez saillants, et

il semble qu'il y ait une diminution de volume des muscles interosseux;

cette dépression est surtout marquée pour le dernier espace interosseux dor-

sal et pour l'espace qui sépare le pouce de l'index. Il y a là une diminution

de volume évidente, et il semble que, d'après les affirmations de la malade,

cette diminution de volume du premier espace interosseux se soit montrée

dès les premiers temps de la maladie.

Force dynamométrique : -.

L'ACROMÉGALIE. 235

Main droite, 24 ; main gauche, 27.

La malade était droitière; la flexion des premières phalanges (interos-

seux) se fait bien des deux côtés, mais la malade'résiste cependant moins à

gauche qu'à droite.

Le mouvement d'écartemenl et de rapprochement des doigts se fait bien

des deux côtés, mais avec moins d'amplitude à gauche qu'à droite; cela est

surtout notable pour l'écartement du médius et de' l'annulaire l'un de

l'autre. La flexion du carpe a lieu avec un peu moins de force à gauche qu'à

droite. L'extension est facilement vaincue des deux côtés. L'adduction et

l'abduction du carpe sont à peu près normales.

La force du biceps et celle du triceps ne semblent pas diminuées : cepen-

dant le bras gauche est notablement moins fort que le droit, et la malade dit

s'être aperçue elle-même que son bras gauche était devenu plus faible.

La résistance des deltoïdes aux mouvements passifs du bras est notable-

ment affablic; pendant ces tentatives, on sent nettement des craquements

dans l'articulation scapulo-humérale. Ces craquements sont très forts et

donnent à peu près la sensation du sac.de noix.

Les pectoraux résistent assez bien, mais cependant leur puissance semble

aussi diminuée. " '

En somme, quoiqu'un grand nombre de mouvements s'exécutent avec

moins de force qu'à l'état normal, ils peuvent tous s'accomplir sans gène

nnlable. et la malade peut faire tout ce qu'elle veut. Il en est de même pour

les mouvements de la tête qui, quoique affaiblis, comme nous le verrons tout

il l'heure, n'en existent pas moins tous.

7 ? coM. Le mouvement d'extension et de flexion de la tête s'opère

bien, mais une pression un peu énergique de la main arrive facilement à le

surmonter. Le volume des trapèzes est normal; il en est de même des muscles

de l'épaule.

Le cartilage thyroïde semble augmenté de volume; son plus grand dia-

mètre, à sa partie supérieure, atteint 6 centimètres.

En revanche, c'est à peine si.'on trouve le corps thyroïde; en tous cas, on

peut dire qu'ici il est beaucoup moins développé que d'ordinaire chez la

femme.

La langue est élargie; sa largeur atteint 45 millimètres; elle est aussi

épaissie; son volume est nettement augmenté.

La malade est un peu sourde, il faut lui parler assez haut; la vue aurait

un peu baissé, mais ne semble pas très atteinte.

Mesures et dimensions de la tête. - Diamètre mento-bregmatique, 27.

Distance de la racine du nez à la bosse occipitale, 19 centimètres.

Diamètre bi-malaire, 15 centimètres.

Diamètre bi-auriculaire en avant du conduit auditif, 15.

Diamètre bi-mastoïdien; 14.

Distance de la racine du nez au bregma, 15.

Grand diamètre de la bosse occipale au menton, 21.7.

Longueur du maxillaire inférieur de l'articulation temporo-maxillaire

à la partie inférieure de la symphyse mentonnière, 14.6.

Diamètre transversal du front au niveau de la partie externe de l'arcade

sourcilière et à 2 centimètres au-dessus et en arrière, 12.6.

Distance entre les extrémités externes des deux arcades sourcilières, 12.7.

236 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Diamètre bi-pariétal à 6 centimètres au-dessus du conduit auditif, 15.

Sur le côté droit du crâne on remarque une dépression très nette, ova-

laire, à grand axe dirigé d'avant en arrière et mesurant 3 centimètres et demi

à 4 centimètres de longueur, et d'nne profondeur de quelques' millimètres

allant en augmentant progressivement des bords vers le centre. Cette dépres-

sion siège sur le pariétal; son extrémité postérieure touche presque la ligne

articulo-bregmatique; son centre est à environ 55 millimètres de la suture

sagittale. Du côté gauche, on constate l'existence d'une dépression analogue

et symétriquement placée; mais cette dépression est notablement moins

accentuée que celle du côté droit. 1

Les sulures du crâne ne sont pas proéminentes en forme de crête. C'est au

niveau de la dépression du côté droit que la malade accuse d'une façon per-

manente une douleur assez intense.

En somme, l'aspect général de la face est celui d'une ellipse allongée, il

grand diamètre dirigé de haut en bas, et régulière.

L'extrémité crânienne ayant peu près la même dimension que l'extré-

mité mentonnière, le centre de cette ellipse siégerait environ au niveau de la

racine du nez, son plus grand diamètre transversal au niveau des apophyses

malaires. Le maxillaire inférieur est très développé.

La teinte de la face est pâle, les sclérotiques ont une teinte légèrement

suh-ictérirlue, les paupières sont un peu pigmentées.

Il existe aussi une soif intense qui obligeait celle femme, pour qui la ration

journalière de tisane n'était pas suffisante, il demander à ses voisines de lui

donner la leur; la quantité des urines était abondante, mais aucune mensu-

ration de cette quantité n'a été conservée sur l'examen de l'urine; il n'y avait

pas de glycosurie.

Au bout d'un séjour de quelques semaines à l'hôpital pendant lequel les

douleurs de tête avaient été très violentes, la malade sort sur sa demande.

Nous avons cherché à;retrouver depuis lors les deux malades qui font

l'objet des observations II et III mais tous nos efforts à cet égard ont

été infructueux. Au contraire nous avons pu continuer à suivre la malade

de l'observation IV et il nous a même été donné d'en faire l'autopsie.

OBS. IV. - Héron, veuve Beaufils, cinquante-quatre ans, lingère. Pas d'an-

técédents héréditaires.

Cinq frères morts tuberculeux, le sixième âgé de soixante-dix ans, rhu-

matisant.. 1

Pas de maladie jusqu'à l'âge de quinze ans. A cette époque première

attaque de rhumatisme ( ? ). Un an après, la malade a eu la variole ; elle s'est

bien portée depuis lors jusqu'à l'âge de vingt-neuf ans. -Itéglée à douze ans

et demi, mariée à seize ans; unipare.

Début. - t1 vingt-neuf ans, la malade a fait une chute d'un endroit élevé

sur un tas de neige; elle a fait la culbute par-dessus et est tombée à plat

ventre. Elle était très peureuse et fut vivement impressionnée par cette

chute. Ses règles disparurent immédiatement pour ne plus reparaître.

Dans les premiers temps qui suivirent elle se crut enceinte et ne se soigna

pas.

L'ACROMÉGALIE. 237 7

Trois mois après la chute, elle se plaignit de courbature générale et fut

obligée de garder le lit pendant huit jours environ.

Deux mois après, c'est-à-dire cinq mois après l'accident, des abcès appa-

rurent dans différents endroits, dans les régions axillaire et sous-maxillaire

et aux grandes lèvres.

C'est à celle époque que la malade s'aperçut que sa taille avait grossi.

Rien encore aux mains et aux pieds.

A l'âge de trente ans elle commença à souffrir d'hémorrhoïdes et à perdre

du sang; ces hémorrhagies apparaissaient régulièrement tous les trois mois.

La malade était encore forte et pouvait marcher, mais tout à coup elle fut

frappée de cécité, et resta aveugle pendant huit mois ; à la suite d'un traite-

ment, elle recouvra la vue en partie (elle pouvait enfiler une aiguille). Mais

cette amélioration n'était que passagère, et, deux ans après, elle perdit défi-

nitivement la vue (des opacités cornéennes très étendues ont empêché tout

examen du fond de l'oeil).

Vers l'âge de frente-deuv. à trenle-trois ans, la malade fut prise tout à

coup de faiblesse ; elle ne pouvait marcher cinq minutes sans être obligée de

s'asseoir. C'est à cette époque que, voulant mettre un chapeau de l'année pré-

cédente, elle s'aperçut que sa tête avait augmente de volume, le chapeau étant t

devenu trop petit; la malade s'était mise alors à grandir assez rapidement ; on

l'appelait autrefois « la petite » et elle portait alors des bottines il talons pour

se grandir; il est donc bien avéré qu'avant cette époque il existait une

exiguïté et une gracilité très notables de la taille ; la longueur de ses jupes,

qui auparavant était de 80 et quelques centimètres, a atteint depuis un mètre

au moins.

Longueur totale du corps (mesurée debout), l"' 54.

La circonférence de la taille a augmenté aussi considérablement. C'est

à celte époque que ses mains et ses pieds commencèrent à grossir progres-

sivement. Il faut remarquer cependant que, depuis quelques années, ces

extrémités ont un peu diminué et que leur volume n'égale pas celui

d'autrefois; la malade affirme de la façon la plus formelle qu'à une cer-

taine époque elles étaient plus hypertrophiées qu'on ne les voit aujourd'hui.

La faiblesse dont souffrait la malade dura environ un an, puis les forces

revinrent petit à petit, et la malade put de nouveau marcher.

A trente-trois ans, deuxième attaque de rhumatisme, qui dura environ six

mois ; la malade put encore marcher, mais se trouva dans l'impossibilité de

monter les escaliers.

En 1869 elle est admise à la Salpêtrière. Elle continue à souffrir de ses

hémorrhoïdes. '

En 1872 elle est prise de violentes névralgies, et ses dents tombent presque e

toutes. '

Actuellement (3e trimestre de 1885). -Les doigts (fig. 85) présentent des

nouures très accentuées, surtout au niveau de l'articulation des phalanges

avec les phalangines. Ces nouures semblent exister surtout sur la face dorsale

plus encore que sur les parties latérales ; elles sont relativement peu marquées

sur la face palmaire. C'est au niveau du médius qu'elles sont le plus marquées ;

elles le sont passablement aussi au niveau de l'articulation métacarpo-phalan-

gienne. Sur le dos de la main, on voit les tendons des extenseurs faire une

saillie assez nette.

23R

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Les métacarpiens sont sentis très facilement, et l'on peut se demander s'il

n'existe pas un certain degré d'atrophie des interosseux. Les éminences

thénar et hypolhénar ne présentent rien de particulier.

Les ongles n'offrent pas d'altération considérable, mais ont cependant une

striation longitudinale très notable ; ils sont courts et assez aplatis.

La colonne vertébrale a subi une légère courbure latérale il concavité

gauche surtout au niveau de la région dorsale ; cette courbure est d'ailleurs

régulière, sans angle brusque, et, en somme, pas très accentuée ; il y a aussi

à la région cervicale une certaine courbure à concavité antérieure qui fait que

la malade est un peu voûtée.

Par suite de la position inclinée du cou et l'élévation des épaules, les

clavicules sont très obliques de haut en bas et de dehors en dedans. z

l''IG. 85. - Obs IV

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

T. I, PL. XLIX

ACROMÉGALIE

(OBS. IV)

LECROSNIER ET DABÍ, LDtTEU !

4

L'ACROMÉGALIE. 239

Au niveau du tiers interne et des deux tiers externes la largeur de leur

bord ou face antéro-supérieure est de 2 centimètres et demi.

Au niveau de la plus grande étendue de l'extrémité acromiale, la largeur

de la clavicule est de 3 centimètres et demi. Les omoplates ne présentent rien

de particulier, si ce n'est une saillie assez forte de l'épine. '

Le relief des côtes est assez marqué, surtout l'angle antérieur, qui fait une

saillie notable. Elles sont sensiblement plus larges ; quelques-unes ont

2 centimètres à 2 centimètres et demi de hauteur.

Il n'y a rien de bien particulier à signaler pour la respiration ; elle est

cependant plutôt diaphragmatique que costo-supérieure.'llIais on ne. peut pas

dire que les côtes soient absolument rigides, bien qu'elles' aient perdu de

leur mobilité. ,

L'épaisseur des os du bassin semble un peu augmentée, notamment au

niveau de l'épine iliaque antéro-supérieure.

A l'âge de dix-huit ans, la malade portait une chaussure de la pointure

n° 37, et aujourd'hui il lui faudrait environ 48 ou 50. Les deux pieds sont

considérablement augmentés de volume, les orteils ont des dimensions bien

plus fortes que chez une personne ordinaire, surtout le gros orteil, dont

l'extrémité est un peu en massue ; le coussinet cellulo-adipeux lui forme un

renflement assez considérable, de même sous les articulations métatarso-

phalangiennes. ?

Pas de courbure des os des membres, notamment celle des tibias n'est pas

exagérée ; les genoux seuls sont saillants. Nulle part on ne sent d'exostose.

Les masses musculaires des mollets ont considérablement diminué de

volume. : .

Sur le dos des pieds et la face antéro-externe de la jambe se- trouvent

quelques taches pigmentaires ; des varices assez développées se voient aux

jambes et aux cuisses. '

La face (pi. XLIX) présente un ovale très allongé,.le front est peu élevé ;

il n'y a que 5 centimètres de la racine du nez à la ligne d'implantation des

cheveux, mais, au-dessus de cette ligne, le -frontal se continue sur le même

plan que le front proprement dit sur une hauteur de 4 à 5 centimètres.

La ligne des cheveux se trouverait donc. o peu près au milieu' du plan

vertical formé par le frontal. Les rebords des cavités orbitaires sont extrê-

mement saillants; la saillie des apophyses du frontal fait qu'entre celles-ci

et le bord supérieur de l'os malaire se trouve une' profonde dépression qui

rappelle assez l'aspect- de cette région chez la vache; le nez est volumineux

et proémine de 43 millimètres^ en avant de la lèvre supérieure; sa .largeur

à la base des narines est de 42 millimètres.. ' ' '

Le maxillaire inférieur, augmenté de volume dans toutes ses dimensions,

est extrêmement saillant; la lèvre inférieure est proéminente par rapport

à la lèvre supérieure.

La distance qui sépare l'extrémité antérieure de la symphyse du maxillaire

inférieur et l'os hyoïde est de près de 8 centimètres. ' @

Toutes les sutures du crâne, mais surtout celles qui réunissent le frontal

aux pariétaux, et les pariétaux à l'occipital, font une proéminence très

appréciable, une sorte de crête ou de bourrelet el. semblent envahies par

l'hyperostosc.

Au niveau de l'angle supérieur de l'occipital au point de jonction avec la

2<0 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

suture sagittale existe une saillie considérable à laquelle semble participer

le reste de l'écaille de cet os.

Les temporaux font aussi une saillie notable sur la surface du crâne.

La langue est élargie, craquelée, mais pas sèche.

Les mouvements de l'avant-bras sont conservés, mais semblent un peu

affaiblis.

Dynamomètre : main droite, 10 kil. ; main gauche, 4 lui.

La puissance du biceps est normale à gauche, légèrement affaiblie à droite,

celle du triceps semble légèrement diminuée.

Le deltoïde fait bien ses mouvements, mais sans grande force. Il y a, de

plus, dans l'articulation scapulo-humérale une certaine raideur ; la malade

ne peut mettre la main sur l'épaule opposée en passant derrière la tôle; la

raideur est plus considérable à gauche qu'à droite.

Le triceps crural a beaucoup diminué de force ; la malade ne peut presque

pas résister à la flexion passive. Au contraire, les fléchisseurs de la cuisse onl

une force à peu près normale. Il en est de même des jumeaux et des muscles

de la région antéro-externe de la jambe.

Le corps thyroïde est à peine perceptible ; il est notablement diminué de

volume ; les cartilages du larynx paraissent un peu volumineux, sans que

l'on puisse affirmer qu'ils soient hypertrophiés ; quant aux oreilles, elles sont

très grandes ; la bailleur est de 6 centimètres, la plus grande largeur de

4 centimètres ; la malade dit qu'auparavant elle avait une oreille, sinon tout

à fait petite, du moins ordinaire.

Les mesures suivantes ont été prises avec le compas d'épaisseur pour les

diamètres, avec le ruban métrique pour les circonférences : grand diamètre

occipito-mentonnier, 26.7.

Longueur du maxillaire inférieur de l'articulation temporo-maxillaire il la

partie inférieure de la symphyse mentonnière, 14.6.

Mento-bregmatique, 26. ' ·

Diamètre transversal du front au niveau de la partie supérieure de l'arcade

sourcilière et à 2 centimètres au-dessus et en arrière, 10.8.

Diamètre entre les extrémités externes des deux arcades sourcilières, lita..

Diamètre bi-mastoïdien, 12. -

Diamètre bi-rnalaire au niveau de la jonction des apophyses zygoma-

tiques, 10.4.

Distance de la racine du nez au bregma, 14.7.

Diamètre bi-pariétal, à 6 centimètres au-dessus du conduit auditif

externe, 13.6.

Diamètre bi-auriculaire, 13.7.

Longueur du pied gauche, 22.6.

Longueur du pied droit, 24.

Diamètre transversal au niveau de la tête des métatarsiens : à droite, 10 ;

à gauche, 10.3.

Circonférence au même niveau, 26.

Hauteur au milieu de la plante du pied droit, 5.8 ; gauche, 5.8.

Circonférence du gros orteil gauche au niveau de la pulpe, 10.8; droit, 10.5.

Circonférence du deuxième orteil droit, 6.8 ;' gauche, 6.8.

Longueur du tibia sans tenir compte de la courbure, à droite, 34.5.

Longueur en tenant compte de la courbure, 35.4.

L'ACROMÉGALIE. ? A1

Circonférence de la jambe au niveau des malléoles, 25.

Plus grande circonférence du mollet, 27.5.

Plus grande circonférence du genou droit, 35 ; gauche, 34.

Des deux côtés le condyle interne du fémur fait une très forte saillie.

La rotule est volumineuse : diamètre vertical, 6.5 ; transversal, 6.5.

Circonférence de la cuisse à la partie moyenne, 36 des deux côtés.

Largeur de la face interne du tibia, à la partie moyenne, 3.4 ; au niveau

de la tubérosité antérieure, 5.5.

Diamètre transversal de la main au niveau de la tête des quatre derniers

métacarpiens, 8.6.

Circonférence au même niveau, 21.5.

Circonférence de l'index au niveau de l'articulation des phalanges avec les

phalangines, 7.2.

Circonférence au niveau de l'articulation des phalangines et phalan-

gettes, 6.

Circonférence de la dernière articulation du pouce, 6.8.

Circonférence du poignet au niveau de l'extrémité du radius et du

cubitus, 17.

Plus grande circonférence de l'avant-bras, 21.2.

Circonférence à la partie moyenne du bras, 20.2.

Le radius et le cubitus ne sont pas notablement augmentés de volume ; au

contraire, les os du carpe semblent plus épais. '

Diamètre antéro-postérieur du carpe un peu en dedans de la base du

pouce, 4. '

L'aspect général de la malade estïun peu cachectique, teinte jaunâtre de

la peau, muqueuses pâles, peau molle, chairs flasques, nécessité de garder

le lit par suite d'un certain degré de faiblesse générale (et aussi de la crainte

vraiment excessive éprouvée par la malade que ses hémorrhoïdes ne viennent

à sortir). Dans les premières années de sa maladie elle nous dit avoir éprouvé

une soif très violente ; elle buvait presque coup sur coup quatre ou cinq

chopes pleines d'eau ; depuis assez longtemps cette soif n'existe plus, mais il

paraîtrait qu'elle se montre encore quelquefois à intervalles assez éloignés.

L'urine examinée par les procédés ordinaires (il n'a pas été fait de dosages

quantitatifs) n'a rien présenté d'anormal.

Cette malade mourut dans l'été de 1887 d'une façon assez brusque et sans

que nous ayons pu savoir comment; nous avons fait son autopsie et nous en

présenterons plus loin les résultats.

OBs. Vi. Il y a environ six ans qu'un habitant du village de Mangon-

ville, à quatre lieues de Lunéville, âgé de trente-neuf ans, haut de cinq pieds

deux à trois pouces, d'une stature grêle et mince, à l'époque citée d'il y a

environ six ans, s'aperçoit que tous les os de son corps, à l'exception peut-être

des dents, grossissent peu à peu sans s'allonger (ceux au moins qui peuvent

faire croître un individu en hauteur), de manière qu'il estime présentement t

avoir les os au moins du double gros qu'au terme d'il y a six ans.

Il est certain que c'est un homme extraordinaire, eu égard à la circonfé-

1. Saucerotte, Mélanges de chirurgie. Première partie, 1801, p. 407 et suiv. Obser-

vation communiquée à l'Académie de chirurgie en 1772.

. . NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

rence de son corps en général et de chacune de ses parties dans le détail,

sans que les chairs y soient pour beaucoup, car elles sont flasques et affaissées,

et démontrent que c'est aux dépens de leur tissu cellulaire que les os

acquièrent un embonpoint contre nature, s'il est possible de m'exprimer

ainsi.

Cet homme est obligé de se faire faire des chapeaux, n'en trouvant point

dont la forme soit assez ample pour lui; ses yeux sont actuellement très à

fleur de tête par l'épaississement des os de l'orbite qui ont porté ces organes

en dehors; sa mâchoire inférieure ayant sans doute eu plus de facilité à

s'étendre que la supérieure parce qu'elle est un os unique et mobile, il s'ensuit

que les dents incisives du basdébordentcelles du haut de l'épaisseur du doigt,

ce qui n'est pas de même pour les dents molaires, sans doute parce que la

force des muscles crotaphytes et masséters s'est opposée à l'élargissement de

la mâchoire inférieure sur les côtés.

La lèvre inférieure est peut-être l'unique partie molle qui ait suivi

l'accroissement progressif des parties dures, car elle est très grosse; la

colonne vertébrale est d'un calibre singulier; il en est de même des clavi-

cules ; les omoplates et les os des hanches ont prodigiensément pris d'étendue

et d'épaisseur, de même que les côtes et le sternum, de sorte que la poitrine

est fort éminente et le ventre plat, eu égard à l'affaissement et iL l'émaciation

des parties molles. Les côtes ont bien un pouce et demi de largeur, et

paraissent même en quelques endroits déborder les unes sur les autres; les

pieds et les mains peuvent être comparés, relativement à la grosseur, à ces

mêmes parties qui, chez un sujet ordinaire, seraient attaquées d'un gonflement,

comme on dit, à pleine peau.

Les jambes paraissent à la première inspection ne point cadrer avec le

reste du corps; mais bientôt l'illusion cesse, si l'on fait attention qu'elles sont

tout os, et qu'elles n'ont point ou presque point de mollet. Malgré cela le

tendon d'Achille est bien le double gros que chez un autre sujet adulte.

Ce citoyen ne peut imputer l'accroissement de ses os à aucun état maladif;

il est vrai que dans tous les temps il a été assez gros mangeur, mais aussi il

a constamment fait beaucoup d'exercice, car il est un des plus grands culti-

vateurs de la province. Actuellement il est presque toujours assoupi, sans

doute à cause de la compression du cerveau par l'épaisseur des os du crâne.

Depuis environ deux ans il éprouve une oppression de poitrine, sans doute

aussi par la gêne où se trouvent les poumons. Je crois qu'il n'est pas inutile

de dire que, depuis que cette augmentation est parvenue à un certain point,

le pouls est constamment si petit qu'on ne peut souvent le trouver.

Le malade a pris toutes sortes de remèdes altérants et évacuants, sans pou-

voir détourner les sucs nourriciers de se porter aux os plutôt qu'aux chairs.

Mais pourquoi ces sucs ont-ils abandonné des canaux flexibles, perméables et

d'une extensibilité facile pour se rendre dans les tuyaux durs qui offrent une

résistance considérable à la dilatabilité ? Enfin il ressent, j'oubliais de le dire,

dés douleurs universelles, qu'il croit être des rhumatismes; mais il est bien

plus à présumer qu'elles sont le résultat de la distension du périoste et des

autres parties membraneuses qui environnent les os.

En 1766, le sujet pesait 119 livres et en pesait l'an dernier(1771)178, sans

que l'embonpoint des chairs y soit pour quelque chose, bien au contraire,

comme j'en ai fait mention dans l'observation.

L'A C Il 0 M É G ALI E. 213

Quant aux divers diamètres de la tête, il y a, depuis la racine du nez jusqu'à

la nuque, en passant le long de la suture sagittale, 21 pouces; depuis un trou

auditif externe à l'autre, en passant par le .vertex, 19 pouces; et circulaire-

ment dans la plus grande circonférence, 29 pouces.

La mâchoire inférieure, qui déborde antérieurement la supérieure de

l'épaisseur d'un doigt, a 18 pouces en prenant de l'un de ses condyles à

l'autre et descendant sur ses angles et de là au menton. De la partie infé-

rieure moyenne du menton à la supérieure des dents incisives de cette

mâchoire, il y a 4 pouces, ce qui fait qu'elle descend en bas et vient poser

sur la partie supérieure du sternum, de manière que le sujet paraît n'avoir

point de cou.

Le jeu des articulations est assez laborieux, surtout celui des petites,

comme par exemple celles des doigts et des orteils. Les urines ont été

analysées fraîches et conservées, et Harmant, médecin de ce malade, n'y a

pas découvert les principes ordinaires que l'on y trouve, surtout leur terre

particulière; elles étaient souvent comme du petit lait, d'autres fois absolu-

ment blanchâtres et glaireuses.

En résultat de toutes les particularités de cette observation, ajoute Sauce-

rotte, ne pourrait-on pas conclure que la terre de l'urine se portait aux os,

chez ce malade ?

Dans le cours de l'année 1771, le malade n'avait plus constaté d'augmen-

tation de volume de ses os, et, en mai 1773, .il n'avait plus d'oppression et se

trouvait beaucoup mieux; mais en juillet 1773, « après quinze jours passés

dans des divertissements continuels qui l'ont dérangé de sa façon de vivre

ordinaire, il a commencé à beaucoup ronfler en dormant; son estomac et son

bas-ventre se sont tendus et durcis, avec altération et nausées; sa bouche est

devenue mauvaise ; sa langue s'est chargée d'une croûte jaunâtre, et beaucoup

de vapeurs se sont mises de la partie : en conséquence M. Noël lui a admi-

nistré une boisson légèrement émétisée, quelques purgatifs et plusieurs

lavements. Peu de jours après, la respiration est devenue gênée et la tête

pesante; le malade éprouvait un accablement général; tout son corps s'est

tuméfié; l'oeil est presque sorti de son orbite et larmoyait conti-

nuellement; enfin il s'est formé au cou une tumeur, grosse comme un pain

d'une livre, mollasse et emphysémateuse, qui paraissait et disparaissait suc-

cessivement...

« L'enflure commençait à diminuer lorsque le chirurgien (M. Noël) a été

appelé à quelques lieues pour un accouchement, pendant lequel temps on a

administré contre son avis quelques prises de poudres hydragogues : alors le

bas-ventre s'est enflammé; il est survenu des hémorrhoïdes externes, dures,

gonflées et grosses comme un oeuf de poule. A cette époque il n'a plus été

possible de faire passer les lavements, et le malade, se plaignant dans les

derniers temps d'être comme dans une fournaise ardente, est mort en par-

faite connaissance. » .

Ons. VI1. A la fin de 1860, visitant les malades chroniques de l'église Santa

Maria ai Nuovi Sepolcri, une des succursales de l'Ospedale Maggiore de

1. A. Vcrga, Caso singolare di prosopectasia, dans Rendiconli del ¡¡el/le Isliluto ai

Scienze e lcitere. -Gdunanza, del 28 Aprilc 1864.

211 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Milan, j'étais resté frappé de l'aspect d'une malade dont le visage, d'une pâ-

leur de cire et d'une grandeur disproportionnée, faisait presque peur. Telle

devait être l'impression que ressentait aussi le bas personnel de service, car

cette femme était appelée «le grotesque». Voyant queje la regardais fixement,

elle eut l'ingénuité de me dire qu'elle n'avait pas toujours été ainsi, que dans

un temps elle avait été comme les autres jeunes filles. Je désirai connaître

ses antécédents, et je recueillis du Dr Chiapponi l'assez curieuse notice qui

suit : '

Maria B... est de Milan; sa mère mourut à vingt-trois ans à la suite

d'une maladie à marche rapide; son père à plus de cinquante-sept ans d'un

squirrhe de l'estomac; ses frères moururent en bas âge, un seul est encore

vivant, en bonne santé, il est grand et maigre.

Apres avoir eu ses premières règles à onze ans, elle perdit celle évacuation

périodique au bout d'un an après avoir eu la variole ; la menstruation re

parut à l'âge de seize ans, et continua très abondante pour cesser de nouveau

et pour toujours à vingt-cinq ans. Mariée elle n'eut pas d'enfants. Elle vivait

du métier de tailleuse.

Depuis qu'elle était petite fille elle fut sujette à des ophtalmies obstinées

qui se guérissaient par des applications topiques et se reproduisirent avec

une assez grande fréquence pendant toute la vie. Mais la santé générale s'al-

téra après la cessation des règles, et il partir de cette époque (vingt-cinq ans),

pendant une dizaine d'années, apparurent en relation avec les diverses arti-

culations, spécialement aux jambes, un assez grand nombre de tumeurs

(cinquante environ) de la grosseur d'un oeuf de poule, de coloration natu-

relle, douloureuses au moindre attouchement, pas molles : elles surgissaient

par deux, trois, quatre à la fois, et en deux ou trois semaines se résorbaient

sans jamais suppurer. Délivrée à trente-cinq ans de ces tumeurs elle vit sa

santé devenir encore plus mauvaise, elle fut ascitique pendant quelque

temps, et éprouva de fortes douleurs aux jambes qui lui rendirent dans la

suite les mouvements impossibles. Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est

qu'à cette période elle commença à s'apercevoir que toutes les parties de sa

personne qui, auparavant, étaient plutôt grêles, allaient en grossissant gra-

duellement, de' sorte que par trois fois elle fut obligée de faire couper les

bagues qu'elle avait au doigt, et que sa face en particulier devenait mons-

trueuse.

Admise pour une fièvre gastrique à l'hôpital, le 24 août 1856, elle fut placée

dans la catégorie des chroniques pour rhumatalgie et amblyopie, le 16 sep-

tembre de la même année. Depuis cette époque, ses souffrances et, en

particulier, certaines douleurs lancinantes au niveau des articulations, ne

l'abandonnèrent plus.

Quand je la vis, en 1860, elle restait toute la journée au lit où elle ne pou-

vait même se retourner qu'au prix de grands efforts et avec l'aide des infir-

mières. L'intelligence était un peu lente, mais assez lucide,l'humeur toujours

égale mais plutôt susceptible à la plus légère contrariété, la vue faible, l'ouïe

obtuse, l'appétit bon, la digestion normale. Constipation continuelle quel-

quefois absolue pendant vingt-deux jours, il fallait constamment recourir

à des moyens excitants pour régulariser un peu les fonctions intestinales.

Urines toujours abondantes, parfois même un peu difficiles. Les organes

respiratoires ne montraient aucun trouble... Il y avait de temps en

l ? ICItOJI$C11.I1 ? 245

temps des palpitations et aussi des intermittences des bruits du coeur avec

quelques faux pas cardiaques. Jamais de mouvement fébrile. La longueur de

toute la personne arrivait à lm 71; du sourcil au menton on comptait environ

18 centimètres et d'un angle à l'autre de la mâchoire inférieure en passant

sur le menton environ 29 centimètres; il ne me fut pas possible de déter-

miner si la tendance à l'augmentation de volume était plus grande dans les

os plats, dans les cylindriques, ou dans ceux de forme mixte.

Je trouve dans les notes sur celte malade qu'en novembre de la même année

elle fut atteinte d'un érysipèle de la face, que dans les premiers jours de

1862 elle souffrit d'un écoulement purulent de l'oreille droite qui plus tard

s'étendit aussi à l'oreille gauche, et qu'en octobre de la même année elle

devint complètement aveugle, et presque complètement sourde. Enfin, après

quelques alternatives de coma et de subdelirium, elle succomba âgée de cin-

quante-neuf ans à une affection typhoïde dans laquelle apparurent de vastes

plaies de décubitus et de graves accès épileptiformes.

UNS. VII ? Homme de trente-sept ans,avaitjoui d'une bonne santéjusqu'à

l'âge de vingt et un ans, il eut alors une bronchite ou mieux une bronchor-

rhagie ; lorsqu'il fut guéri il vit son corps augmenter tout d'un coup, de sorte

qu'en quatre mois il dut changer trois fois ses vêtements. Il eut à ce moment

quelques petites fièvres intermittentes et fut pris d'une voracité extraordinaire

et de quelques douleurs dans les os, les articulations et l'estomac. Les forces

baissèrent; il survint de la dyspnée et de la cardialgie. Lombroso vit cet

homme pour la première fois seize ans après le début de l'affection : il

pesait 120 kilogr. 400, sa taille était de 1m80, la peau d'un jaune foncé, la

barbe un peu rare; les cheveux, assez abondants, étaient châtains et rudes. --

Les dimensions de la tête sont à peu près normales, les oreilles normales de

volume et d'implantation. Mais la face se montre disproportionnée, surtout

en largeur, et rappelle dans sa monstruosité celle du gorille et du lion ;

grande est la distance entre les deux pommelles, mais plus encore la lon-

gueur et. la largeur de la mâchoire inférieure, qui, malgré son énorme déve-

loppement, vient presque au niveau de la mâchoire supérieure. Les parties

molles de la face ne suivent pas dans une égale proportion le développement

des os, les yeux ne sont guère plus gros que normalement, le nez est assez

peu épaissi, les lèvres au contraire sont très volumineuses, un peu plus l'in-

férieure que la supérieure, la langue n'est pas beaucoup plus grosse que

normalement (plus grand diamètre transverse 65 millimètres), les dents

manquent presque toutes, celles qui restent sont d'un aspect normal. - Le

cou est énorme, le double de la dimension ordinaire (470 millimètres de

circonférence), énorme anssi le développement des épaules, de l'omoplate,

de la clavicule, de toute la circonférence du thorax qui d'un mamelon à

l'autre mesure 1,330 millimètres. - Le bras et la cuisse ne présentent

aucune hypertrophie, mais à partir du milieu de la jambe et du milieu de

l'avant-bras vers en bas le membre devient extraordinairement hypertrophique,

plus encore pour les membres supérieurs que pour les inférieurs.

1. Cesare Lombroso, Caso singolare di macrosomia. Publié d'abord dans Giornale ital.

délie malattie veneree, etc... 1868. Traduit par M. Fraenkel dans Virchow's Archiv,

t. XLVI, p. 253. Publié de nouveau avec considérations sur les hypertrophies osseuses

partielles dans annale universali "21 medicina, t. CCXXVII, p. 505 et suiv.

. 18

246 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

' L'A C Il O)l É 6, L 1 L. 247

Ons. IX1. Ghirlenzoni dans sa jeunesse était joli garçon, d'une physionomie

ouverte et plutôt sympathique, aussi, ayantquelquesdispositions,embrassa-t-illa

carrière dramatique. Voici les renseignements fournissur son compte par Michel

Casini, barbier à Florence : « J'ai connu Ghirlenzoni depuis 1835. C'était alors

un beau jeune homme de vingt-cinq ans environ, ses traits étaient parfaite-

ment réguliers, et les diverses parties de son corps ne présentaient aucune

disproportion sauf le nez qui, par sa longueur, excédait notablement les di-

mensions ordinaires. - Une jeune et jolie veuve, qui de plus'avait une cer-

taine fortune, s'éprit de lui, il l'épousa et en eut une fille encore vivante .et bien

conformée. - A trente-cinq ans, Ghirlenzoni s'en fut dans la haute Italie pour

l'exercice de sa profession, et là il attrappa la syphilis. Lorsqu'il retourna à

Florence, en 1859, il était déjà difforme. -Il me raconta confidentiellement

avoir souffert pendant plus de deux ans de ce terrible mal et me dit, qu'au

'cours de celui-ci, il avait vu tomber ses cheveux et son corps se couvrir de

taches et de pustules. A partir de ce temps Ghirlenzoni ne fut plus jamais

bien portant et sa difformité devint plus marquée d'année en année. »

Jamais, d'après les témoignages de ses amis, il n'aurait, étant jeune, été at-

teint de rachitisme. On ne sait pas à quel âge débuta la difformité, mais ce

qui est certain c'est qu'elle se montra de plus en plus prononcée à mesure

qu'il avançait eh âge. Il vint un moment où cette difformité devint un

moyen de succès pour Ghirlenzoni qui était resté 'au théâtre, et Brigidi ra-

conte avec quel enthousiasme les Florentins l'accueillaient lorsqu'il jouait des

rôles d'amoureux, comme par exemple dans Francesca da Rimini au moment

où avec des gestes brûlants il s'écriait en parlant fortement du nez :

... t'amo F1'ancesca, t'amo

E disperato è l'arno1' ntio.

Mais l'affection s'accroissant sans cesse la gibbosité devint très marquée ;

de plus l'infortuné ne pouvait plus parler couramment par suite du volume

excessif qu'avait acquis la langue qui, par suite de cette augmentation de vo-

lume, n'était plus contenue entre les arcades dentaires et dépassait un peu les

, incisives. C'est à peine si ses jambes pouvaient le porterait marchait en s'ap-

puyant sur un bâton. Il était en outre adonné à la boisson et cela dès l'époque

même où il était vigoureux; il en était arrivé, quoique très misérable, à dé-

penser pour satisfaire ce vice le peu d'argent qu'il arrivait à se procurer.

«Ghirlenzoni était un homme de taille plutôt élevée, il avait le thorax aplati

latéralement et proéminent autant en avant qu'en arrière. Cependant la cour-

bure postérieure était plus marquée que l'antérieure et ne se trouvait pas

exactement sur la ligne médiane, mais s'inclinait du côté droit produisant

une véritable scoliose avec élévation de l'épaule d'environ un centimètre. Le

ventre faisait suite à la courbe antérieure du thorax, décrivant avec celui-ci

un seul et même arc de cercle. Le tronc, gros et massif, était soutenu par deux

membres inférieurs grêles et droits comme par deux colonnettes à large

base. Les membres supérieurs étaient grêles et longs ; les mains seules

étaient larges et grosses avec les doigts longs et fortement noueux. La

1. Vincenzo Brigidi, Sludii anatomo-patologici sopra un uomo divenuto slranamente

déforme per cronica infermità (Societa medico-fisica fiorevlina). Séance publique du

1 26 août 1877.

218 NOUVELLE ICONOGKAPU 1E DE LA 8A1.1'liTltll : ltl ?

tête semblait attachée sur le Ironc, par suite du peu de hauteur du cou in-

cliné vers le côté gauche; elle était volumineuse et aplatie latéralement,

les cheveux étaient rares, courts, hirsutes, grisonnants. Le front large, coupé

de profondes rides transversales, était limité en bas par deux grandes arcades

sourcilières recouvertes de longs poils noirs comme de l'encre à peine ça. et là

tachetés de blanc. Cette région, regardée généralement comme un miroir de

la vigueur intellectuelle, était chez Ghirlenzoni aussi belle que possible. Au-

dessous, enfoncés dans les orbites se trouvaient deux yeux petits, noirs, peu

expressifs et nullement en proportion avec les larges dimensions du front. Le

reste de la face avait bien plus un aspecl simiesque qu'humain ; elle était

allongée avec un très fort prognathisme, aplatie et creusée latéralement,

comme si par un coup de hache donné des deux côlés on avait enlevé les

joues. La langue grosse, large, charnue, demeurait interposée entre les arcades

alvéolaires très écartées l'une de l'autre d'arrière en avant. Pour rendre

encore plus difforme un aussi affreux visage, la lèvre inférieure était hyper-

trophiée et renversée en dehors, le nez grand et aquilin. Toul autour, la face

était garnie d'une barbe rare, courte, hirsute, grisonnante par l'âge. »

Malheureux et infirme comme il l'était, Ghirlenzoni résolut de se donner la

mort, et, après quelques moments d'un cruel combat, il se jeta dans l'Arno le

29 août 1875. Mais aussitôt dans l'eau il se mit à crier au secours, des bate-

liers purent le sauver et d'après leur récit son corps « flottait comme du

liège ». Porté à l'hôpital, il fut pris de délire et mourut dans le coma le len-

demain ou le surlendemain.

OBS. X. Homme de trente-six ans, non syphilitique; depuis l'âge de

six ans, engorgement des glandes sous-maxillaires qui a toujours été en

augmentant; pas de cicatrices strumeuses.

Depuis l'âge de quinze ans, augmentation progressive des pieds et des

mains. A vingt ans, soldat pendant sept ans.

Janvier 1877. La partie inférieure de la face présente un développe-

ment insolite; elle se confond sans ligne de démarcation avec la partie

supérieure de la poitrine. Les lèvres sont boursouflées, l'inférieure forme

un véritable bourrelet de la grosseur du doigt; elle est renversée en bas, et

laisse la bouche entr'ouverte; la langue ayant au moins le double de son

volume normal emplit toute la cavité buccale et vient faire saillie au dehors ;

elle présente la coloration et le degré de consistance ordinaires; ce n'est pas

de l'oedématiation de la pointe, mais bien de l'hypertrophie portant sur la

totalité de l'organe (fig. 86).

L'arcade dentaire supérieure est normale; l'arcade dentaire inférieure

appartient à une circonférence beaucoup plus grande que la supérieure; i

on dirait la mâchoire d'un géant appliquée contre le maxillaire supérieur d'un

adulte; on peut, lorsque la mâchoire inférieure esl aussi rapprochée que pos-

sible de la supérieure, passer le bout de l'indicateur entre les arcades dentaires.

Les dents du maxillaire inférieur présentent une hypertrophie dans tous

les diamètres; elles sont plus longues et plus larges que les supérieures...

Les globes oculaires font une saillie considérable : le regard manque de

1. Notes de clinique médicale, par le docteur Henri llenrot, 1877, Reims; et Notes de

clinique médicale, Des lésions anatomiques et de la nature du my.l'oedème, par le doc-

teur Henri lienrot, Reims, 18si.

L'ACROMÉGALIE.

3 M

vivacité, il semble à demi éteint; les paupières, sans être oedématiées, pré-

sentent un gonflement spécial : la supérieure recouvre la moitié de la cornée,

on dirait qu'elle est trop longue. Les pupilles sont égales, modérément dila-

tées, peu impressionnables à la lumière; dans certains moments il y a peut-

être un peu de loucherie, ce n'est pas constant ni assez accentué pour qu'on

puisse indiquer l'oeil dévié.

Le nez est extrêmement développé.

L'élargissement de la face est considérable; d'une région parotidienne à

l'autre, on constate au moins 6 ou 7 centimètres de plus que dans l'état nor-

mal. Tout le pourtour du maxillaire inférieur, aussi bien au niveau des

branches montantes que des branches horizontales, contient d'immenses

paquets ganglionnaires confondus en une seule masse, semblant faire corps

avec l'os lui-même; ces masses uniformément arrondies ont une consistance

telle que, dans beaucoup de points, il est impossible de dire si c'est la surface

de l'os ou la surface de la tumeur qu'on a sous la main; ces tumeurs, qui ont

développé les régions parotidicnncs et sous-maxillaires d'une façon uniforme,

se continuent sans ligne de démarcation avec la partie supérieure de la poi-

trine. Le corps thyroïde hypertrophié se confond dans la masse commune.

Le front est normal ; il ne présente, ainsi que le crâne, aucune déforma-

tion ; à première vue, il semble atrophié à cause du développement énorme

de la face, mais un examen plus attentif permet de reconnaître que la face

seule est hypertrophiée.

Le teint est d'un blanc mal.

Fie 86. Obs. X (d'après Ilenrot).

250

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Le facies présente à la fois le type du scrofuleux, du leucocythémique et

de l'idiot; comme expression, c'est un mélange d'avachissement et de basse

sensualité...

Les membres supérieurs et inférieurs ont leur volume ordinaire; ils sem-

blent plutôt amaigris si on les compare à l'ensemble de l'individu; la peau est

saine, blanche, fine, atémique, sans oedème.

Comme contraste, les mains et les pieds sont phénoménaux; la forme de

ces extrémités n'est pas sensiblement modifiée; il y a de l'hypertrophie totale;

la longueur, la largeur, l'épaisseur des doigts et de la main ont subi un

accroissement proportionnel; les ongles présentent une large surface plane

(fig. 87).

Le système veineux superficiel ne présente rien de spécial, il n'est nulle

part variqueux. Les lymphatiques ne sont enflammés d'aucun côté ; les gan-

glions de l'aisselle, de l'aine, du creux poplité sont normaux.

Il n'y a pas de paralysie; le malade peut remuer bras et jambes, cependant

les mouvements sont lents ; il faut un certain effort pour soulever les mains

et surtout les pieds; y a-t-il de l'affaiblissement musculaire ou est-ce le

poids des extrémités qui rend les mouvements pénibles ? Il est vraisemblable

que ces deux causes agissent dans le même. sens; toujours est-il qu'il garde

dans son lit une immobilité à peu près complète; on dirait un homme

de cire.

Fis. 87. - Obs. X (d'après Henrot). Contour de la main du malade; les lignes pointillées représentent

la main d'un homme sain, prise comme terme de comparaison. -

L'ACROMÉGALIE. 251

La sensibilité cutanée semble un peu obtuse, il n'y a nulle part anes-

thésie.....

L'intelligence est lourde; il entend sans que l'on soit obligé d'élever nota-

blement la voix, il répond avec assez de précision aux questions qu'on lui

adresse; il se plaint constamment d'une céphalalgie profonde sans irradiation

périphérique. La vision est très incomplète; dans certains cas, il éprouve des

difficultés à saisir les objets qu'on lui présente, surtout quand ils ont un petit

volume.

En un mot, ce malade est étendu dans son lit comme une masse inerte; il

ne cause pas avec ses voisins, et ne semble prêter qu'une attention très dis-

traite à tout ce qui se passe autour de lui; il faut le questionner, l'exciter,

pour obtenir une réponse...

OBS. XI1. -Peter Rhyner, quarante-quatre ans, célibataire. Aucune affection

analogue n'aurait été observée dans sa famille. Lui-même était né avec

toutes les apparences d'une santé normale, pas de rachitisme, et d'ailleurs

aucune maladie. Dans les premières années de l'âge adulte il comptait à

Elm parmi les gens de taille moyenne (les habitants de ce pays sont réputés

pour leur haute taille et leur belle stature). Le malade ne sait pas au juste

combien il mesurait, mais il se souvient que, quand il était militaire, il avait

un peu moins de six pieds. Son dos était alors parfaitement droit. Le poids

du corps était de 75 kilogrammes, il aurait même un moment atteint

83 kilogrammes.

La maladie actuelle commença il y a environ huit ans, c'est-à-dire à l'âge

de trente-six ans, par des douleurs et de la faiblesse dans les mains. Les

douleurs ne se localisèrent pas aux seules articulations, mais siégèrent

vraisemblablement sur tous les points. Elles sont décrites par le malade

comme des tensions, des tiraillements. En même temps, il y aurait eu un léger

gonflement des mains avec rougeur de celles-ci ; d'après la description du

malade il ne s'agissait pas là d'un processus aigu inflammatoire, non plus

que d'un véritable oedème, car la pression ne formait pas de godet.

Peu à peu les douleurs remontèrent dans les bras et se montrèrent tantôt

plus tantôt moins sur tout le corps. Les douleurs de tête furent particuliè-

rement pénibles, elles étaient fréquentes; depuis les six dernières années

elles étaient restées localisées derrière les oreilles; depuis les trois dernières

années elles s'étaient étendues, avec moins d'intensité à toute la tête. Le

visage a toujours été un peu pâle et l'est resté. C'est seulement dans les

deux dernières années que les jambes devinrent douloureuses, particulière- '

ment les genoux cet été, mais jamais les pieds n'ont été notablement dou-

loureux. Dans le temps le malade prétend avoir eu des fourmillements dans

les mains et une diminution de la sensibilité, mais tout cela a disparu, ainsi

qu'une tendance très marquée à suer des mains.

En même temps que ces sensations douloureuses survint l'augmentation

de volume des mains, des pieds, des oreilles, des lèvres et même de toute la

tête, du cou et des genoux ; c'est l'épaississement des doigts qui attire tout

d'abord l'attention, en dernier lieu celui des genoux; d'ailleurs, l'augmenta-

1. Fritsche et Klebs, Ein Beitrag zur Pathologie des Riesenwuchses. Klinische und

pathologisch analomische Unlersuehungen. Leipzig, 1881.

252 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

lion de volume paraît être survenue partout en même temps. La circonfé-

rence du thorax s'accrut aussi d'une manière très notable; mais, d'après la

conviction du malade, les bras et les jambes n'auraient éprouvé aucune mo-

dification en longueur.

C'est également à cette époque que se montra uneincurvation de la colonne

vertébrale, une cyphose lentement progressive.

Depuis environ deux ans l'augmentation de volume des différentes parties

du corps et la cyphose se sont arrêtées, et, en effet, pendant toute l'année où

M. Fritsche a pu l'observer, il n'a constaté aucune modification.

A peu près en même temps que les autres symptômes survint une faiblesse

qui, en quelques années, s'accrut au point de lui rendre très pénible une

marche de quelques minutes ; depuis quatre ou cinq ans dyspnée au moindre

effort; depuis six ou sept ans fréquentes palpitations.

Le malade n'a jamais été un fort mangeur. Constipation depuis de nom-

breuses années. On n'a pas remarqué que la quantité d'urine fùt anormale.

Depuis plusieurs années perte de toute excitation génitale; n'a plus de

pollutions.

Le malade prétend avoir remarqué une diminution de la mémoire.

Les yeux seraient devenus plus faibles, mais l'ouïe et les autres sens sont

bien conservés.

Au premier coup d'oeil, augmentation de la tête, des mains, des pieds,

faisant un contraste frappant avec- le peu de longueur du corps; celle-ci

trouve son explication dans l'existence de la cyphose très prononcée qui a

amené un raccourcissement du corps; la tête, vue par devant, est trop grosse

comparativement au crâne, par suite de la forte cyphose entre les épaules.

- La face et surtout sa partie inférieure, notamment le nez, les lèvres, le

menton surprennent par leur proéminence; les dimensions du pavillon de

l'oreille semblent aussi excessives fig. 88).

Le pénis est grand mais non d'une façon extraordinaire, le scrotum et les

testicules sont certainement atrophiés.

Les jambes et les bras sont d'une maigreur qui contraste avec le volume

des pieds et des mains. Les genoux sont notablement épais en comparaison

avec les cuisses et les mollets.

Voici quelques-unes des' mensurations données par MM. Fritsche et Klebs :

L'A CR 0 I É G ALI E. 21J3

251 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

L'ACROMÉGALIE. - . 255

trophie se remarque aussi aux coudes et aux genoux. La peau y semble comme

trop large, elle est extraordinairement mobile et se laisse saisir en gros bour-

relets mous bien plus largement que d'habitude. L'accroissement anormal

de la peau est surtout visible il la région occipitale. Au niveau de la protu-

bérance occipitale externe se trouve une exostose horizontale en forme de

peigne d'environ 3 centimètres de long et d'un centimètre de haut dans sa

région moyenne (vraisemblablement congénitale). Au dessus d'elle jusqu'à

peu près à la hauteur du sommet de la tète on trouve dans le cuir chevelu

quatre à cinq bourrelets longitudinaux ayant environ l'épaisseur d'un doigt

et une longueur de près de 12 centimètres. Au-dessous de ces bourrelets on

sent des éminences osseuses, aplaties, allant des os pariétaux à l'écaille de

l'occipital.

Les cheveux sont abondants et épais, ils croissaient avec une rapidité no-

FIG. 89. - Obs. XI (d'après Fritsche et Klebs).

256 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

table; les poils du corps sont peu développés; la barbe et les poils du pubis

sont peu abondants.

Les ongles sont à la vérité élargis, mais, en comparaison avec les doigts du

malade, ils paraissent plutôt petits. Les phalangettes sont d'ailleurs compara-

tivement moins développées que les autres segments des doigts; les ongles i

poussent rapidement. ï

La musculature est partout flasque et maigre, notamment celle des extré-

mités. Seule celle de la nuque est massive et ferme. La force musculaire est

très abaissée. L'atrophie des muscles est surtout marquée aux bras, aux

mollets, et notamment aux éminences thénar et au dos de la main où, par '<

suite de la disparition des interosseux, de profonds sillons se voient entre les 1

métacarpiens.

Parmi les artères accessibles à la palpation, les fémorales et les bra-

chiales montrent une certaine rigidité, mais les radiales et les temporales

sont souples. Le pouls est pour la grandeur du corps, et même d'une

façon absolue, petit et faible; le nombre des pulsations est peu fréquent (48 à

la minute).

Les ganglions inguinaux sont un peu gros, à part cela il n'existe nulle part '

de tuméfaction ganglionnaire.

Les dents sont écartées l'une de l'autre (moins en avant qu'en arrière); et

cela, paraît-il, beaucoup plus qu'auparavant ; elles sont de grosseur normale.

Quand les mâchoires sont fermées, les dents de l'inférieure dépassentcelles de

la supérieure.

Le larynx et l'os hyoïde ne semblent pas augmentés de volume.

Aux genoux, les extrémités articulaires sont épaissies, indépendamment de

l'hypertrophie de la peau. -Aucun exsudât dans les jointures, mais, dans les

deux genoux, crépitations lors des m'ouvements comme dans l'arthrite défor- ,

mante. Dans l'articulation scapulo-humérale il existe également des frotte- '

ments secs.

Au niveau du rachis cyphotique les trois à quatre premières vertèbres dor-

sales (apophyses épineuses) sont à peu près de la même hauteur, c'est-à-dire

se dirigent horizontalement en arrière; au-dessous, les apophyses épineuses

se disposent de telle façon que, au niveau de la neuvième ou de la dixième,

le point le plus proéminent en arrière est atteint, pour de là descendre pres-

que verticalement, seulement avec une très légère lordose, jusqu'au sacrum, i

La mobilité du rachis, il part celle du cou qui est tout il fait libre, ne peut être

démontrée que dans la région lombaire et y est fort limitée. :

L'incurvation est une cyphose presque pure, il n'existe qu'un léger vestige «

de déviation vers la droite. Correspondant à la cyphose, le sternum est dans sa

partie inférieure notablement déjeté en avant, de sorte que sa direction est

très oblique en avant. C'est seulement à la partie inférieure qu'il est vertical i

sur une très petite étendue, pour se continuer alors avec l'appendice xyphoïde ,\

fortement plié en dedans. ;'

Les côtes sont, comme dans la cyphose en général, dirigées à pic vers en;

bas. Le bord inférieur des côtes touche presque le bord de l'os coxal. Les' i

extrémités où s'attachent les cartilages sont en partie très aplaties et forment j i

un chapelet très prononcé.

Rien de spécial à la gorge et au larynx. Des deux côtés légèreaugmentalion ;

des lobes dit corps thyroïde. Matitc cardiaque : bord supérieur de la deuxième ' ¡

L'.\Clt031 £ GALIE, : ! jÍ

et quatrième côte, bord gauche du sternum jusqu'à un travers de doigt en

dehors du mamelon. Large impulsion de la pointe dans la région du mamelon

jusqu'à deux travers de doigt en dehors de celui-ci. Souffle systolique net à la

pointe, faible à la base. Diastole pure. Action du coeur faible, régulière. La

matité de la rate n'a pas été trouvée augmentée. Matité hépatique : bord supé-

rieur de la quatrième et sixième côte. Le malade tousse et crache un peu,

sécrétion catarrhale modérée. L'urine ne présente rien de particulier; pas

d'albumine, pas de sucre. Constipation,

L'intelligence est intacte. Le malade jouit même d'une excellente humeur.

On ne s'aperçoit pas dans la conversation de la diminution de la mémoire.

Les yeux sont hypermétropes mais d'une acuité visuelle normale. Les globes

oculaires paraissent augmentés de volume. Léger arc sénile. La sensibilité

cutanée normale à la piqûre et au toucher semble abaissée à l'exploration

électrique. Ouïe, odorat, goût parfaitement conservés. A part la faiblesse

générale la motilité est partout conservée, mais l'excitabilité électrique (exa-

minée avec les appareils vulgaires) est abaissée pour les courants faradique

et galvanique. Malgré l'hypertrophie de la langue la prononciation est bonne,

la parole peut-être un peu lente.

Le-17 septembre le malade éprouva du malaise, et eut une syncope, perte

d'appétit, pouls petit; le 18, mêmes symptômes, pouls petit, très lent; trois

nouvelles syncopes dont la dernière se termina par la mort

PIERRE Marie.

(A suivre.)

. . h .1, ,. -J .' ... ? ) " 1. l , .' i 1 ( J' '

. r. : f- ,1 ? . ,. j i : . ' : '" r

f' , . ( l ,J f : ' ' . .

' ;J . '- ? f L : . ' '4 ? t ..

.l'LËS SYPHILITIQUES DANS L'ART1 ' '

L) f>" f' > . l'ji J ? . r . ,

C'ést au xy° siècle que -la- syphilis .se .montra en Europe et qu'telle

sévit' d'une- façon terrible sousda forme, d'épidémies violentes,' au

même moment' en Italie,' en Espagne, en France, en' Allemagie et en

Angleterre; Or les deux documents artistiques relatifs à la syphilis que

nous connaissons datent précisément de cette époque. ' .

C' est d,4bord, une gravure extraite du traité de Joseph Griïnpeck (de,

Burckhausen) publiée en '1496 et reproduite dans le traité complet des

maladies vénériennes dé Ricord -(édition de 1851). Elle représente

la Vierge'a11oe Syphilitiques.

Au premier plan, un mort est étendu, il est nu et couvert de lésions

syphilitiques ; qui, -bien qu'assez grossièrement représentées, res-

semblent à des pustules de rupia. Sur la droite, deux femmes à

genoux portent à la figure, au cou et aux mains, les mêmes altérations.

A gauche, un chevalier qui n'offre aucun signe de maladie est age-

nouillé. Il porte l'étendard et reçoit une couronne des mains de la

Vierge portée sur un nuage, pendant que l'enfant Jésus au bras de sa

mère tourne la tête et sourit aux femmes syphilitiques.

Le second document (pl. L) offre un intérêt plus considérable.

C'est d'ailleurs l'oeuvre d'un maître allemand fort apprécié et nous y

verrons les accidents syphilitiques les plus variés reproduits avec un

art irréprochable et une vérité scientifique qui ne laissent rien à dé-

sirer.

Nous en devons la connaissance à notre ami, le docteur Keller, qui a

eu l'obligeance d'en faire faire pour nous une copie et a bien voulu nous

remettre la note suivante à laquelle nous ne trouvons rien à ajouter.

« Ce tableau se trouve au musée de Colmar, en Alsace. Il représente

1. En même temps que ce numéro paraît à la librairie Lecrosnier et Babé le livre de

nos éminents collaborateurs MM. Charcot et Paul Richer : les Difformes et les Malades

dans l'art. Nos lecteurs pourront juger, d'après les extraits qu'il nous a été permis d'en

publier, de quelle importance est cet ouvrage dont le succès s'annonce déjà comme devant

surpasser celui, cependant si considérable, des Démoniaques dans l'art. Par la place qu'oc-

cupe la syphilis dans les maladies de l'axe cérébro-spinal, par l'attitude même du person-

nage du tableau, véritable convulsionnaire, nous avons pensé que cet article avait sa place

toute marquée dans une publication exclusivement consacrée aux maladies du système ner-

veux (N. D. L. R.).

NOUVELLE ICONOGRAPHIE T. I. PL. L

FRAGMENT DU

SAINT ANTOINE TOURMENTÉ PAR LES DÉMONS

Par Mathias GRÙNEWALD

Musée de Colmar (Alsace)

LECROSNIER ET DA DÉ, EDITEUIÜ.

LES SYPHILITIQUES Il ? 1S L'ART. ,

saint Antoine tourmenté par des démons et est attribué a un peintre

allemand, Mathias Grünewalil, qui fut le contemporain et l'émule

d'Albert Durer et de Cranach.

a Nous devons d'avoir connu l'existence de ce tableau et sa. significa-

tion a notre regretté maître de Strasbourg le professeur KiÍf3. Il nous

l'a signalé jadis si sa clinique des maladies vénériennes, nous engageant

à l'aller voir, pour nous faire une idée de ce que la vérole a pu être au

XV' siècle.

« Il n'est pas difficile, en effet, de reconnaître un syphilitique dans

le malheureux qui est figuré dans l'angle inférieur gauche du tableau

sous la forme d'une sorte de personnage diabolique on de damné.

L'horrible mal est gravé sur tout son corps d'une façon indéniable. Il

se tord dans des convulsions indiquant d'affreuses douleurs; la face

est rongée par des ulcérations qui ont détruit une partie du nez et de

l'oreille ; les os des membres sont déformés, la main gauche est ré-

duite à un moignon boursouflé au bout duquel apparaît une pfumm-

gette mise à nu ; la main droite n'a que les trois doigts du ani9ü

Enfin le front, l'abdomen, le bras et la jambe gauche sont courants

d'une éruption caractéristique. Qui pourraitse tromper â l'aspect deoe.s

lésions et quelle autre maladie pourrait les produire si ce n'est la

syphilis ?

« Ce qui donne à ce tableau une importance toute particulière, snr

laquelle Iiüss avait attiré notre attention, c'est l'époque J : R2m.e((}n il a

été peint. GrünPn-ald a vécu de 1450 â 1530. Il a donc dû voir la grande r

épidémie de vérole qui a ravagé l'Europe à la fin du siècle, et il

est admissible que, l'imagination frappée parle spectacle de 17a&aa ? a

maladie, Grùnewald ait voulu représenter dans son tableau une ds úoe ?

times de l'épidémie. Il nous aurait laissé ainsi un dorom.e1lJl1L des plus

précieux de ce que la maladie a été â son apparition primitif, si esl

permis de croire aussi quelepeintreacopié son sujetsorlamm ?

car les lésions paraissent figurées avec une grande vérité. H y a {«mit-

être quelque exagération dans la manière dont est représenta te binas

gauche qui est réduit à un état vraiment rudimentaire. Mais, rl 11" la

main qui fait suite à ce bras, ne voyons-nous pas des lésions osssm&&5

absolument acceptables. Quant aux manifestations cutanées elles cons

semblent peintes avec plus de fidélité encore; elles ne différait pas de

celles que l'on peut voir de nos jours dans les formes un peu sévères

de la maladie. Dans l'éruption qui couvre la jambe et le bras droîl ne

trouvons-nous pas les signes de la syphilis, des pustules catanëûs ans

leurs croûtes d'une teinte gris verdâtre et leur auréole rouge vineux ?

Sur le ventre, ces grosses pustules ne représentent-elles pas des syphi-

260 NOUVELLE ICOi0GR.ll'IIIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

lides tuberculeuses avec leur forme conique et leur teinte violacée ?

« On comprend, en les voyant, le nom de grosse vérole que l'on avait

donné à la maladie. Enfin tous les caractères de la syphilis ne se

retrouvent-ils pas dans les altérations de la face, dans les exostoses qui

se voient sur le cubitus et dans la manière dont le peintre a représenté

les cheveux ?

« Est-ce pour marquer l'opprobre dont étaient couverts les malheu-

reux syphilitiques à son époque, que Grunewald a fait de son person-

nage une sorte de démon, probablement un damné ? 11 l'a revêtu de la

capeline rouge sous laquelle on représente fréquemment le diable au

moyen âge. Au lieu de pieds humains, il lui a donné des pâlies d'oiseau

palmées, enfin il le fait se tordre dans les convulsions et lui fait déchirer

le voile qui recouvre un livre placé à sa droite, probablement le livre

sacré du saint. »

J.-M. CIIARCOT (de l'Institut).

Paul Richer.

TABLE DES PLANCHES

Acromégalie (configuration extérieure dans

l'), 36, 37, 38, 39, 46, 47, 48, 49. '

Arthropathie (voy. tabétique).

Aveugle (Tobie - courant à la rencontre

de son fils), 41.

Aveugles (parabole des), 42.

Calleux (corps) (absence de dans l'imbé-

cillité), 19, ` ? 0, 21.

Epileptique (lentigo unilatéral chez un), 22,

23.

Friedreich (maladie de), déformation des

pieds dans la -, 10; physionomie dans la

- , 12; scoliose dans la -, 11.

Hystérique (contracture et rétractions

fibro-tendineuses), 5, 6, 9, 32, 33; contrac-

ture en extension, 1 7, 1 8 ; cypho-scoliose

- , 39, 40; hémiplégie -, 1, 2; liéniis-

pasme glosso-labié -, 15, 15.

Imbécillité (absence de corps calleux dans

l'), 19, 20, 21.

Infirmes (les - d'une ancienne fresque de

Florence), 24.

Mascaron grotesque de l'église Santa-llaria

Formosa à Venise, 13.

Masque en terre cuite, 16.

Lépreux (le - d'Albert Durer), 8.

Lombaire (région) (cautères autour d'une

saillie de la colonne), 4; déformation de

la - de-nature neuro-musculaire (cypho-

scoliose hystérique), 39, 40; statue de

Jason ou de Cincinnatus, 3.

Paralysie agitante, 7; attitude dans la - 44;

faciès dans la 43.

Paralytique (guérison du à la porte du

Temple), 34.

Rétractions fibro-tendineuses et contracture

hystérique, 5, 6, 9, 32, 33.

Statue de Jason ou de Cincinnatus, 3.

Syphilitiques (les dans l'art), 50.

Tabétique (arthropathie - du pied), 25, 26;

coupe transversale de la moelle lombaire,

27, 29,30; de la moelle dorsale, 28;

longitudinale des cordons de Goll, 31, dans

un cas d'arthropathie du pied.

Trophiques (troubles dans les fractures de

colonne vertébrale), 45.

TABLE DES FIGURES

Calleux (corps) (absence de dans l'imbécil-

lité), 41.

Cerveau (développement du), 42.

Diable des tours Notre-Dame, 38.

Acromégalie (configuration extérieure dans

l'), 78, 79, 80, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89.

Epilepsie (Bâillements dans l'), 72, 73, 74,

75, 76, 77 ; modification du pouls dans l'-

48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58,

59, 60, 61, 62, tri3, 64, 65, 66, 67, 68, 69;

respiration dans l' , 29, 30, 31, 32, 33,

34.

Friedreich (maladie de) anesthésie dans la

- , 70, 71; écriture dans la , 25; em-

preinte du pied dans la - 24; tracés de

marche dans la -, 26, 27.

Hémiplégie (tracés de marche dans l'

flasque, 9; spasmodique, 10.

Hystérie (champs usuels dans l'), 3, 6; -

combinée à la maladie de Friedreich, 43,

44,47; schémas de sensibilité, zones hys-

térogènes dans l' , 1, 2, 4, 5, 17, 18, 20,

. 1;-combinéeulamaladiederriedreich

22, 23, 45, 46.

Hystérique (contracture), 19; tracés de marche

dans l'hémiplégie -, 7, 8.

Mascaron du Pont-Neuf, 39.

Nerfs (distribution des cutanés de la

face antérieure de la jambe, 36.

Paralysie agitante (attitude dans la), 81,

82.

Péroné (zone d'anesthésie dans la fracture

du), 37.

Pied (empreinte du dans la maladie de

Friedreich), 21 ; empreinte du - normal,

28.

Sciatique poplité externe (distribution du)

35.

Tronc (partie postérieure du - dans la sta-

tion assise), 14; debout, 13 ; dans flexion

légère, 15; dans flexion prononcée, 16.

Vertébrale (colonne) vue de profil, 11 ;

schéma des différences de courbure de la-

12.

TABLE DES MATIÈRES

AVERTISSEMENT. I.

Acromégalie, par Marie, 173, 229.

Arthropathies (des - tabétiques du pied),

par Pavlidès, 133, 198.

Aveugles (les - dans l'art), par Charcot et

Richer,211.

Contracture spasmodique (des rétractions

fibro-tendineuses compliquant la), par.

P. Blocq, 28, 64.; intervention chirurgi-

cale dans certains cas de rétractions mus-

culaires succédant à la -, par Terrillon,

93, 142.

Epileptique (bâillements chez un), par Féré,

163 ; lentigo unilatéral chez un -, par

Féré, 112; modifications du pouls dans le

paroxysme -, par Féré, 120; phénomènes

mécaniques de la respiration chez les-s,

par Féré, 70.

Fractures (voy. péroné, rachis).

friedreich (cinq cas de maladie de) par

Gilles de la Tourette, Blocq, Huet, 45,

114; un nouveau cas de maladie de

par Socca, 155, 133.

Hystérique (l'attitude et la marche dans

l'hémiplégie), par Gilles de la Tourette, 1 ;

cypho-scoliose -, par Duret, 192; hé-

mispasme glosso-labié -, par Charcot et

nicher, 87.

Imbécillité (note sur un cas d'), par Deny,100.

Infirmes (les - d'une ancienne fresque de

Florence), par Charcot et Richer, 131.

Mascaron grotesque (le et l'hémispasme

glosso-labié hystérique), par Charcot et

Richer, 87.

Moelle (des suites éloignées des trauma-

tismes de la), par Tuffier etHallion, 217.

Lépreux (sur un - d'Albert Dürer), par

Charcot et Richer, 42.

Paralysie agitante (habitude extérieure et

facies dans la), par Richer, 213; un type

de -, par Richer, 42.

Paralytique (le de Raphaël), par Cnarcot

et Richer, 170.

Péroné (des troubles nerveux consécutifs

aux fractures de la tête du), par Blin et

Damaye, 75.

Rachis (des suites éloignées des trauma-

tismes de la moelle, en particulier dans

les fractures du -), par Tuffier et llallion,

217.

Région lombaire (anatomie morphologique

de la), par Paul Richer, 13; déformation

delà de nature neuro-musculaire(cypho-

scoliose hystérique), par Duret, 192,

Syphilitiques (les dans l'art), par Char-

cot et Richer, 258.

Traumatismes (voy. moelle).

TABLE DES AUTEURS

Blin, 75.

Blocq, 28, 45, G1, lit. t.

Charcot, 42, 87, 131, 170, : ! OU, 258.

Damaye, 75. "

Dcny, 100.

Durët, 192.

Féré, 70, 112, 120, IG3.

Gilles de la Tourette, 1, 45, 114.

Il;illiou, 217.

Londc, I.

Marie, 173, 229.

Pavlidès, 133, 198.

nicher (Paul), 1,13, 40, 42, 87, 131, 170, 200,

213, 258.

Socca, 155, 183.

Terrillon, 93, 142.

Tuffier, 217.