J. BABINSKI
OEUVRE
SCIENTIFIQUE
RECUEIL DES PRINCIPAUX TRAVAUX PUBLIÉ
PAR LES SOINS DE .
J.-A. BARRÉ, J. CHAILLOUS, A. CHARPENTIER, O. CROUZON
L. DELHERM, J. FROMENT, CI. GAUTIER
Ed. HARTMANN, Ed. KREBS, R. MONIER-VINARD, R. MOREAU
A. PLICHET, Aug. TOURNAY, Cl. VINCENT, G.-A. WEILL
MASSON ET Cie, ÉDITEURS
LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS (VIe)
1934 =====
Université Pierre et Curie Pari ? VI
Service Commun de Documentation Médicale
Bibliothèque Charcot
Hôpital de la Salpétrière
47, Boulevard de ''Hôpital
7565) Pans CEIÆX 13
Tél 01 45 82 0" 40 - 01 42 16 18 35
FaxO) 45 70 93 17
OEUVRE
SCIENTIFIQUE
J. BABINSKI
(i85y-93z)
.T. BABINSIU r
OEUVRE
SCIENTIFIQUE
RECUEIL DES PRINCIPAUX TRAVAUX PUBLIÉ
PAR LES SOINS DE
J.-A. BARRÉ, J. CHAILLOUS, A. CHARPENTIER, 0. CROLXON, L. DELHERM,
J. FROMENT, CL. GAUTIER, En. HARTMANN, Eu. KREBS,
R. MONIER-VINARD, IL MOREAU, A. PLICHET, Auc. TOURNAT,
CL. VINCENT, G.-A. WEILL
MASSON ET C\ ÉDITEURS
LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
120, IIOULEYARD I\T-GERIfAIV PARIS
1934 ===
INTRODUCTION
Babinski mort, son oeuvre appartient à l'Histoire de la Neurologie.
De cette oeuvre, une partie déjà s'est incorporée, vivante, à l'activité des
Neurologistes, se perpétuant dans les gestes de la sémiologie journalière.
Mais l'autre partie, témoignage écrit, constitué presque uniquement de
notes et communications éparses, de 1882 à 1932, dans des périodiques et
répondant aux 288 numéros d'une bibliographie, restait exposée à tous les
désavantages d'une telle dispersion.
C'est pourquoi des élèves de Babinski ont rassemblé les éléments essentiels
de cette OEuvre scientifique, moins pour la préserver d'un oubli qui ne
saurait la menacer que dans le but d'être utiles à tous les Neurologistes du
présent et de l'avenir à qui elle deviendrait de plus en plus malaisément acces-
sible.
Devant l'impossibilité de procéder à une pure réimpression de la totalité des
textes originaux dans l'ordre chronologique, ce qui les eût dispensés d'inter-
venir, ils ont dû prendre la responsabilité, tout en n'insérant aucune ligne qui
ne frit de la main même de Babinski. de faire un choix et des coupures.
En s'inspirant le mieux qu'ils ont pu de l'esprit de leur Maître, ils s'en
sont essentiellement rapportés à son propre jugement exprimé dans cet
Exposé des Travaux scientifiques du Dr Babinski établi en 1913 {Paris,
Masson et Cie) et qui restait à compléter.
Toutefois, ils n'ont pas cru devoir s'en tenir strictement au plan de cet
Exposé ; ils ont, notamment, mis en tête du présent ouvrage les textes où
Babinski a insisté sur la Méthode et ils ont dégagé, en lui accordant une
très large part, tout ce par quoi le Neurologiste de la Pitié a si puissamment
contribué à la Sémiologie.
L'ouvrage est divisé en parties; certaines de ces parties, en raison de leur
importance, sont subdivisées.
Les textes ainsi groupés sont dans chaque section reproduits dans l'ordre
chronologique, soit intégralement, soit en extraits, avec, en tète, la date et la
référence.
VI INTRODUCTION
Par exception, en certains endroits où trop de coupures risquait de créer
des lacunes et l'impression du texte intégral d'entraîner à de trop longs déve-
loppements, il été inséré le texte plus condensé par lequel Babinski lui-même
fit le compte rendu de son travail dans son Exposé, la référenee étant pareil-
lement mentionnée.
« Certains phénomènes que je décris », disait Babinski dans l'Avertissement
de cet Exposé, <c pourraient être rattachés à plusieurs de mes subdivisions ; je
me suis efforcé de les situer à la place qui leur convient le mieux et d'éviter
des redites. »
Ainsi a-t-on lâché de faire pour répartir les textes dans le présent volume
dont voici le plan dans ses grandes lignes : la méthode en sémiologie ; la
sémiologie; les tumeurs et les compressions cérébrales; les affections
non pyramidales ; les affections du cervelet, du bulbe et du labyrinthe ;
les paraplégies et les affections de la moelle ; les affections des nerfs ;
les affections des muscles ; l'hystérie et le pithiatisme ; les troubles
physiopathiques ; la thérapeutique.
PREMIERE PARTIE
LA MÉTHODE EN SEMIOLOGIE
Babinski
I
INTRODUCTION A LA SÉMIOLOGIE DES MALADIES DU SIS-
TÈ1JIIj,' NERVEUX. DES SYMPTOMES OBJECTIFS QUE LA
VOLONTÉ EST INCAPABLE DE REPRODUIRE. DE LEUR
IMPORTANCE EN MÉDECINE LÉGALL' (').
J. 13aBmsxi.
Publié dans la Gazelle des hôpitaux du 1 1 octobre l 9°4.
Messieurs,
EN commençant la série de conférences que je me propose de faire
t< cette année je dois vous en indiquer le programme. Mon inten-
tion est d'écarter autant que possible de mon enseignement toute
question susceptible d'être étudiée dans un livre aussi bien qu'à l'hôpital
et de me cantonner dans le domaine de la clinique. Je ferai passer devant
vous un certain nombre de malades, en les réunissant quand jele pourrai
par groupes, d'une manière systématique, je les examinerai en votre
présence et je m'appesantirai sur la technique qu'il faut employer dans
la recherche des symptômes ainsi que sur leur analyse ; c'est dire que je
tâcherai surtout de vous enseigner la sémiologie qui est le fondement de
la clinique. J'estime que les erreurs de diagnostic proviennent bien
(1) Leçon faite à l'Hôpital de la Pitié.
Un certain nombre de mes leçons ont été publiées dans divers journaux sans mon assentiment,
sans même que leur rédaction m'ait été soumise ; ma pensée n'y a pas toujours été fidèlement rendue
et des erreurs s'y sont glissées. Pour éviter tout malentendu je liens à déclarer que les seules dont
j'accepte d'un bout à l'autre la responsabilité sont les suivantes :
i° Anatomie pathologique des névrites périphériques (in Gaz. hebdomad. de méd. et de chir., août
1890);
2° Hypnotisme et hystérie. Du rôle de l'hypnotisme en thérapeutique (in Gaz. hebdomad., juillet
1892);
3° Du phénomène des orteils et de sa valeur sémiologique (in Semaine médit ? 27 juillet 1898) ;
4" Diagnostic dZO'érenciel de l'hémiplégie organique et de l'hémiplégie hystérique (in Gaz. des hôpit.,
5 et 8 mai 1100).
Je désire aussi qu'il soit établi qu'à l'avenir je ne devrai être rendu responsable que des leçons qui
porteront la mention qu'elles ont été rédigées ou revues par moi.
4 LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
moins souvent d'une fausse interprétation que d'une observation impar-
faite des symptômes, qu'elles sont ordinairement liées à des erreurs de
sémiotique. L'étude de cette partie de la neurologie est donc essentielle ; -,
elle mérite toute votre attention et elle nécessite aussi, sachez-le bien, un
long apprentissage, un travail assidu, au même titre que la sémiotique
des affections du poumon ou que celle des affections cardiaques.
Les symptômes peuvent être divisés en deux catégories, suivant qu'ils-
sont subjectifs ou objectifs.
Les symptômes subjectifs, comme leur dénomination l'indique, sont
ceux que le médecin n'est pas en mesure de constater au moyen de ses
propres sens et que le malade seul peut percevoir ; la douleur, la sen-
sation de fatigue, par exemple, voilà des phénomènes subjectifs. C'est
sur des troubles de ce genre que le malade commence d'habitude par
attirer l'attention du médecin qui devra ordinairement en tenir compte
au point de vue du diagnostic, du pronostic et du traitement qu'il aura à
établir ; mais comme il n'existe aucun moyen de les appécier avec rigueur,
de les mesurer, que leur réalité même ne peut jamais être démontrée, ils
ne méritent d'occuper en sémiologie qu'une place de second ordre. Ce
que je dis là vous paraîtra sans doute exact si vous songez à la diversité
des phénomènes que l'autosuggestion et la suggestion sont capables
d'engendrer, ou encore si vous prenez en considération ce fait que dans
bien des circonstances on est en droit de douter de la sincérité du sujet
qu'on est appelé à examiner. Voici par exemple, un individu qui a subi
un traumatisme dont il demande à être indemnisé en vertu de la loi sur
les accidents du travail. Il déclare qu'il éprouve des douleurs très vives,
qu'il n'a plus la force de travailler, que le moindre effort l'épuisé, que son
intelligence est ébranlée, qu'il n'est plus en état de suivre un raisonne-
ment, que sa mémoire est affaiblie et qu'en un mot, outre qu'il souffre,
il est devenu incapable de subvenir à ses besoins. L'expert chargé d'exa-
miner ce sujet sera dans l'impossibilité d'émettre sur son état une opinion
scientifiquement fondée, s'il n'a pour se former une idée que de pareilles
données. Il devra se contenter d'enregistrer les affirmations de l'intéressé
en indiquant, s'il le croit bon, l'impression qu'elles lui ont faites au point
de vue de leur véracité, mais il ne pourra pas s'en porter garant, car il
est impossible de certifier des phénomènes subjectifs.
Les phénomènes objectifs sont ceux que le médecin peut lui-même
percevoir, dont il doit constater la présence s'il est bon observateur et
dans l'appréciation desquels il n'est plus à la merci du sujet qu'il exa-
mine. Il faut toutefois remarquer que parmi ces symptômes il en est
quelques-uns qui, si l'on va au fond des choses, mériteraient plutôt d'être
rangés dans le premier que dans le second groupe et n'ont pas, malgré
les apparences, une grande valeur sémiologique. La paralysie, c'est-à-dire
la privation du mouvement volontaire, constitue un trouble de ce genre,
à moins qu'elle ne réalise quelques conditions que je chercherai à déter-
miner dans la suite ; à certains points de vue elle peut être considérée
INTRODUCTION A LA SEMIOLOGIE 5
comme un signe objectif ; en effet, si, par exemple, après avoir soulevé à
un individu un de ses membres et lui avoir recommandé de le maintenir
ainsi sans appui, on constate qu'il retombe comme une masse inerte dès
qu'on l'abandonne à lui-même, on se trouve en présence d'un fait qui
frappe le sens de la vue et qui, par conséquent, est objectif, mais, en réa-
lité, ce fait peut dépendre exclusivement d'une disposition d'esprit, d'un
état d'âme du sujet en observation ; il peut être le résultat d'une auto-
suggestion ou d'une simulation qui sont des phénomènes subjectifs.
Les phénomènes objectifs d'une valeur capitale sont ceux que la volonté
est impuissante à reproduire. Vous ne sauriez, Messieurs, trop vous
appliquer à les étudier, car c'est seulement grâce à la connaissance de
pareils symptômes que vous serez en mesure de porter des diagnostics
rigoureusement précis et de résoudre soit comme experts, soit comme
médecins militaires certains problèmes qui sont d'une grande importance
sociale.
Dans les leçons suivantes je chercherai à vous décrire d'une manière
minutieuse les symptômes objectifs de ce genre ; je me contenterai
aujourd'hui de les passer en revue en vous montrant par quelques
exemples la prépondérance de leur rôle. '
Vous êtes consulté par un sujet qui se plaint d'éprouver depuis quel-
que temps des douleurs de tête entravant ses occupations habituelles et
lui ôtant son sommeil, de sentir ses forces diminuer et d'être gêné par
des troubles gastriques, des nausées et des vomissements. De quoi s'agit-
il ? d'une affection organique ou d'un état purement névropathique, de
neurasthénie, d'hystérie, ou enfin d'une maladie simulée ? Assurément,
suivant les caractères des troubles subjectifs énumérés, suivant les ren-
seignements qui vous sont fournis sur le passé de cet individu, sur sa
mentalité habituelle, sur sa moralité, vous pouvez faire une opinion ayant
quelques chances d'être exacte, mais vous n'arriverez ainsi qu'à un dia-
gnostic tout au plus probable et vous n'aurez obtenu ce résultat qu'à
l'aide d'un interrogatoire habile, d'une enquête approfondie. Si, mainte-
nant, examinant ce sujet à l'ophtalmoscope, vous constatez les signes
objectifs qui caractérisent la névrite oedémateuse, vous êtes immédiate-
ment fixés d'une manière définitive, car ces signes, ai-je besoin de le dire,
ne peuvent être reproduits par la volonté. Ils sont d'un poids incompara-
blement supérieur à celui de tous les renseignements qui vous ont été
fournis ; leur présence vous permet d'affirmer l'existence d'une lésion
organique intra-crânienne, d'un oedème cérébral, trouble ordinairement
lié à un néoplasme, auriez-vous affaire même à un homme dont vous
auriez toutes les raisons.de suspecter la bonne foi, à un simulateur de
profession. - Les signes ophtalmoscopiques, pour le motif que je viens
d'indiquer, ont tous une valeur capitale. Ils dénotent l'existence d'une
lésion et dans bien des cas vous mettent en mesure d'en déterminer la
nature. A la vérité un trouble ophtalmoscopique constitue plus qu'un
simple signe de lésion, c'est la lésion même d'une portion du système
nerveux, du nerf optique, perceptible pendant la vie grâce à l'usage de
G LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
l'ophtalmoscope et permettant en outre de déceler l'existence d'une affec-
tion plus étendue des centres nerveux. Or si l'on considère que les troubles
ophtalmoscopiques sont des manifestations fort communes des affections
les plus courantes du système nerveux, de la syphilis, du tabes qui
d'ailleurs n'est qu'une forme de la syphilis nerveuse, de diverses autres
infections, de certaines intoxications, en particulier de l'alcoolisme, de
la sclérose en plaques qui vraisemblablement est la conséquence d'une
infection ou d'une intoxication, on est conduit à cette conclusion que
l'étude de l'ophtalmoscopie s'impose à tout neurologiste.
Je vous ai dit précédemment que la paralysie pouvait être reproduite
par la volonté, à moins qu'elle ne réalise quelques conditions particulières.
Je vous renseignerai déjà en partie à cet égard en énoncant la loi sui-
vante : la volonté est impuissante à engendrer des paralysies identiques
à celles qui sont sous la dépendance d'une altération des nerfs. Envi-
sageons, par exemple, la paralysie vulgaire du nerf radial ; sans doute la
chute de la main peut être volontairement obtenue et il est possible de
simuler l'impuissance d'étendre les doigts sur la main et la main sur
l'avant-bras ; mais ce que personne ne serait en mesure de faire, c'est de
dissocier à son gré, comme le fait involontairement le malade atteint de
paralysie radiale, dans un mouvement énergique de flexion de l'avant-bras
sur le bras, la contraction des muscles de la région antérieure du bras et
celle du long supinateur ; faites exécuter ce mouvement au malade en
question et vous constaterez que le long supinateur reste relâché, tandis
que chez un individu normal vous percevrez infailliblement la corde du
supinateur dès qu'il contractera énergiquement le biceps. Nous allons
emprunter d'autres exemples à la pathologie de l'oeil, dont nous avons
déjà eu l'occasion de montrer l'importance et qui, à tant d'égards, est du
plus haut intérêt en neurologie. La paralysie de la troisième paire ainsi
que celle de la sixième paire donnent lieu, il est vrai, entre autres
symptômes, à des troubles que la volonté peut, en apparence, faire
naître ; elles provoquent de la diplopie qui est un phénomène subjectif, et
mettent le malade dans l'impossibilité de porter le globe oculaire dans
telle ou telle direction, ce qui peut être simulé dans une certaine mesure ;
mais, outre que la paralysie complète de la troisième paire détermine de
la mydriase et de l'immobilité pupillaire que la volonté est absolument
incapable d'engendrer, la diplopie simulée peut être facilement reconnue
au moyen d'épreuves faites avec des verres de couleur; de plus la para-
lysie du moteur oculaire commun, même quand elle est partielle, lors-
qu'elle porte, par exemple, sur le droit interne, et la paralysie périphé-
rique de la sixième paire donnent naissance à du strabisme qui apparaît
déjà généralement à l'état de repos, vraisemblablement en raison de
l'action tonique de l'antagoniste dépourvu de contre-poids, et qui
s'accentue lorsque le malade cherche à regarder un objet situé du côté
du muscle paralysé, parce qu'alors le globe oculaire du côté normal se
met seul en mouvement ; or ce strabisme ne peut être réalisé par une
INTRODUCTION A LA SÉJI10LOGIE 7
influence psychique, car la volonté n'a aucune action sur la tonicité
musculaire et qu'elle est incapable de dissocier les mouvements bino-
culaires. Cette perturbation dans la synergie du droit interne et du
droit externe constitue un signe objectif d'autant plus remarquable qu'il
permet même de distinguer la paralysie de la sixième paire due à une
lésion périphérique de celle qui est causée par une altération du noyau
d'origine de ce nerf; dans celle-ci, en effet, il y a bien aussi parfois du
strabisme, mais ce trouble est peu prononcé quand il existe ; de plus, il ne
s'accentue guère lorsque le malade s'efforce de porter son regard vers le
côté de la paralysie, ce qui tient sans doute à ce que le noyau de la
sixième paire fournit des fibres nerveuses au droit interne du côté opposé
et que, par conséquent, la paralysie nucléaire du droit externe d'un oeil
s'associe à une parésie du droit interne de l'autre oeil. Voici une
malade dont l'analyse vous permettra de voir une fois de plus l'intérêt
qui s'attache, au point de vue du diagnostic, dans les paralysies des nerfs
moteurs, à la dissociation de mouvements qui, à l'état normal, s'opèrent
d'une manière synergique. Cette femme est sujette à de grandes crises
manifestement hystériques ; elle m'a été adressée par un médecin qui,
ayant constaté chez elle, peu de temps après une de ces crises, une
asymétrie faciale, a pensé qu'il s'agissait là d'un cas d'hémispasme d'ori-
gine hystérique. Vous pouvez voir que la commissure labiale droite à
l'état de repos est à un niveau plus élevé que la commissure gauche et
que cette disposition s'accentue notablement lorsque la malade fait fonc-
tionner les muscles de la face, qu'elle parle ; la commissure droite est
alors fortement attirée en haut et en dehors et les plis de la figure sont
très marqués à droite, comme s'il y avait de ce côté un état spasmodique
des muscles. Mais on doit se demander si cette asymétrie faciale tient bien
à du spasme ou si elle n'est pas due à une paralysie de la face du côté
opposé ; en effet vous devez être frappés par ce caractère qu'on n'observe
guère dans l'hémispasme hystérique, à savoir que quand on invite cette
femme à fermer les deux yeux, l'oeil droit seul se ferme ; ce défaut
d'occlusion de l'oeil gauche ne dépendrait-il pas d'une paralysie de l'orbi-
culaire ? Comment résoudre ce problème ? Le fait simple de ne pas fermer
un oeil quand on vous y invite n'a rien de caractéristique, car il peut être
obtenu volontairement. Mais, en examinant attentivement la malade pen-
dant qu'elle cherche à fermer les yeux, vous constaterez que le globe
oculaire gauche se porte fortement en haut, tandis que les paupières res-
tent immobiles ; ce phénomène, connu sous la dénomination de « signe
de Ch. Bell », est du à l'association d'une altération du nerf facial avec
l'intégrité du moteur oculaire commun et nous permet d'établir que ce
sujet est atteint de paralysie et non de spasme ; de plus nous pouvons
affirmer que cette paralysie n'est pas psychique, car cette dissociation de
mouvements, cette variété d'asynergie est impossible à imiter.
Il existe une autre variété d'asynergie qui est liée à une altération de
l'appareil bulbo-ponto-cérébelleux, sur laquelle je ne puis m'étendre ici,
que j'étudierai dans une des leçons suivantes et qui se manifeste par divers
8 LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
caractères formant un ensemble bien difficile ou impossible à reproduire
sous l'influence de la volonté. J'attire seulement votre attention sur un
trouble qui parait être une forme de cette asynergie, localisée dans l'appa-
reil oculaire, je veux parler du nystagmus qui accompagne souvent la para-
lysie nucléaire de la sixième paire et qu'il n'y a pas moyen de feindre.
J'ai eu l'occasion de vous dire que dans la paralysie complète de la troi-
sième paire la pupille est immobile, ce qui signifie que ses mouvements
réflexes font défaut. Mais l'abolition du réflexe à la lumière des pupilles
peut encore être observée dans deux autres circonstances différentes ;
d'une part, elle accompagne les lésions de l'appareil occulaire qui inter-
ceptent les rayons lumineux et elle n'est alors qu'un épiphénomène sans
grand intérêt ; d'autre part, elle peut exister indépendamment de tout
autre trouble oculaire et elle constitue alors, à condition d'être perma-
nente, un signe de haute valeur. Cette dernière variété d'abolition du
réflexe à la lumière peut être subdivisée en plusieurs sous-variétés ; par-
fois elle est associée à du myosis et à une conservation du mouvement de
la pupille, qui à l'état normal coïncide avec la convergence et avec l'ac-
commodation et que l'on a, à tort, l'habitude de dénommer « réflexe de la
convergence ou de l'accommodation » ; ; c'est cette sous-variété qui
constitue le signe ou mieux le syndrome décrit par Argyll-Robertson ;
parfois elle est associée à de la mydriase ; généralement alors, le réflexe
de la convergence est aboli et dans certains cas même, les troubles pupil-
laires s'accompagnent d'une paralysie de l'accommodation ; c'est là l'oph-
talmoplégie interne ; parfois enfin, la pupille est de dimensions normales
et le réflexe de la convergence est alors tantôt conservé, tantôt aboli ;
mais quelle que soit la sous variété à laquelle on ait affaire, l'abolition du
réflexe à la lumière, dans les conditions que j'ai précisées, semble patho-
gnomonique de la syphilis acquise ou delà syphilis héréditaire (Babinski
et Charpentier), et, pour être encore plus précis, d'une méningite chronique
syphilitique (Babinski et Nageotte). Je considère ce signe comme le plus
remarquable de la sémiotique des maladies nerveuses ; il est dans bien
des cas la seule manifestation d'une affection méningée capable de
conduire au tabès, à la paralysie générale ou la syphilis conglomérée des
centres nerveux; il en constitue une manifestation caractéristique; il
donne des indications précises au point de vue thérapeutique ; il peut les
donner à une période de la maladie où le traitement mercuriel est en état
d'agir efficacement, et, chose essentielle, il n'est pas susceptible d'être
reproduit par la volonté.
C'est grâce à l'examen cytologique du liquide céphalorachidien que nous
avons pu, Nageotte et moi, établir que ce signe est intimement lié à une
méningite, car il coïncide presque toujours avec de la lymphocytose
rachidienne. Cela m'amène à vous dire que, grâce aux importants tra-
vaux de Widal et de ses élèves sur la cytologie du liquide céphalorachi-
dien, nous possédons depuis quelque temps des caractères objectifs per-
mettant de reconnaître avec certitude l'existence d'une inflammation
INTRODUCTION A LA SÉMIOLOGIE 9
méningée. La présence, le nombre, la nature des éléments figurés (lym-
phocytes, polynucléaires, etc.) contenus dans le liquide, sa composition
(fibrine, albumine, substances colorantes) fournissent au diagnostic des
éléments de premier ordre. Mais je puis dire de ces caractères ce que je
disais des troubles ophtalmoscopiques ; ils constituent plus que des signes
de lésion, c'est la lésion même d'une partie du système nerveux, la lésion
des méninges, dans l'espèce, visible pendant la vie.
Je reviens à la sémiologie de la pupille. On attache généralement de
l'importance à l'inégalité pupillaire ; mais, en réalité, à l'état mono-symp-
tomatique ce signe ne semble pas avoir de valeur clinique. Il n'en a pas
non plus quand il coïncide avec l'immobilité pupillaire qui seule alors doit
être prise en considération. - Il devient intéressant dans les circonstances
suivantes : les pupilles étant inégales et les deux se contractant bien à la
lumière, l'une est normale, l'autre rétrécie ; du côté de la pupille la plus
petite, il y a aussi un rétrécissement de la fente interpalpébrale et de
l'enophtalmie ; voilà une triade de symptômes, un syndrome, bien mis en
lumière par Claude Bernard et Hutchinson, qui est caractéristique d'une
lésion du sympathique cervical située soit dans le tronc du nerf, soit à son
origine dans la moelle ou dans le bulbe, et que l'imagination, la sugges-
tion ou la simulation ne saurait développer.
Ai-je besoin de vous faire observer que le symptôme inverse de
l'enophtalmie, l'exophtalmie, qui est une des manifestations de la maladie
de Basedow, n'est pas non plus susceptible d'être créé par la volonté ? ' ?
Enfin, il est une affection nerveuse, l'intoxication diphtérique du
système nerveux, qui donne souvent lieu à un trouble oculaire qui lui est
spécial; c'est une paralysie double de l'accommodation, coïncidant avec
l'intégrité des mouvements pupillaires. On pourrait, à la vérité, feindre
un trouble de ce genre, car il s'agit d'un phénomène dont la constatation
nécessite l'intervention volontaire du sujet en observation, qui peut par
des réponses mensongères induire le médecin en erreur; mais, à l'aide
d'épreuves pratiquées avec des verres spéciaux, il devient facile de déjouer
la simulation et de reconnaître la paralysie légitime de l'accommodation,
qui peut ainsi être considérée comme un signe objectif précieux.
Parles divers exemples que j'ai choisis, vous voyez que la pathologie
oculaire fournit à la neuropathologie un fort contingent de signes objectifs
capitaux.
La pathologie du larynx est bien moins importante pour le neuro-
logiste ; toutefois, dans certaines circonstances, l'examen laryngoscopique
peut lui donner des renseignements utiles. Supposons qu'on se trouve
en présence d'un sujet considéré comme un névropathe, un hystérique,
qui a des troubles de la phonation, et qu'on soit conduit à se demander
s'il s'agit d'une dysphonie hystérique. Si l'on constate chez lui la paralysie
d'unccorde vocale, paralysie dont les caractères ne peuvent être reproduits
par suggestion, on peut affirmer que, si l'hystérie intervient dans la
genèse des accidents, elle ne joue qu'un rôle d'importance secondaire et
qu'on a affaire à une affection organique.
JO LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
La recherche des réflexes tendineux est, comme vous le savez, une
pratique courante en clinique neurologique; il est essentiel, en effet, de
connaître l'état dans lequel ils se trouvent, parce qu'ils subissent des
perturbations dans un grand nombre d'affections nerveuses et donnent
des indications fondamentales au point de vue du diagnostic. L'abo-
lition des réflexes tendineux est caractéristique d'une lésion du système
nerveux, et ce trouble est étranger à la symptomatologie de l'hystérie. Ce
sont Westphal et Erh qui ont les premiers, à peu près simultanément,
signalé dans le tabès l'absence des réflexes rotuliens; ce phénomène peut
être observé aussi dans les névrites et dans la poliomyélite antérieure.
Mais je tiens à faire remarquer que le réflexe de la rotule, qui est le seul
que certains médecins recherchent, n'est pas le seul dont la perturbation
a de l'intérêt. La disparition du réflexe achilléen permet dans certains cas
de distinguer la névrite sciatique de la pseudo-sciatique hystérique
(Sternberg, Babinski, Biro), et constitue un des signes les plus précoces
du tabes, apparaissant généralement avant le signe de Westphal
(Babinski). L'exagération des réflexes tendineux n'a pas moins de
valeur que leur abolition. Dans un cas de paraplégie crurale, l'exagé-
ration bilatérale des réflexes tendineux des membres inférieurs, carac-
térisée en particulier par la trépidation épileptoïde du pied, permettra de
reconnaitre l'existence d'une affection organique, car ces symptômes ne
peuvent être produits par l'hystérie; c'est du moins l'opinion que je
soutiens depuis plus de dix ans et qui tend à être généralement admise.
Il en est de même dans l'hémiplégie; si l'on constate chez un hémiplé-
gique, du côté de la paralysie, une exagération des réflexes rotulien,
achilléen, olécrânien, ainsi que des réflexes tendineux et osseux du
poignet, on est en droit d'affirmer que l'on a affaire à une hémiplégie
organique, car dans l'hémiplégie hystérique pure les réflexes tendineux
sont égaux des deux côtés (Babinski).
A propos d'hémiplégie, qu'il me soit permis de mentionner divers
caractères que j'ai découverts et qui peuvent servir à distinguer l'hémi-
plégie organique de l'hémiplégie hystérique; ce sont l'hypotonicité
musculaire, le mouvement combiné de flexion de la cuisse et du bassin,
le signe du peaucier, la griffe spéciale de la main (voir : Leçon sur le
diagnostic différentiel de l'hémiplégie organique et de l'hémiplégie hysté-
rique, loc. cit.).
Les réflexes cutanés étaient considérés autrefois comme fournissant
des signes d'un intérêt médiocre; on savait toutefois, depuis longtemps,
que l'abolition ou l'affaiblissement unilatéral du réflexe crémastérien et
du réflexe abdominal (Rosenbach) constituaient des manifestations de
l'hémiplégie organique. On sait maintenant que les réflexes cutanés ont
une importance sémiologique de premier ordre; j'ai montré en effet, et
mon opinion est à peu près universellement admise, que le réflexe cutané
plantaire subit ordinairement une transformation dans les cas de pertur-
bation dans le système pyramidal; le gros orteil, au lieu de se fléchir sur
le métatarse, exécute alors un mouvement d'extension quand on excite la
INTRODUCTION t LA SÉMIOLOGIE 1
plante du pied et, de plus, il n'est pas rare que les orteils s'écartent les
uns des autres (signe de l'éventail). Ces phénomènes ne font pas partie
de la symptomatologie de l'hystérie.
Je prévois une objection que vous pourriez me faire. Vous me direz
peut-être qu'un simulateur serait capable de reproduire les signes que je
viens de passer en revue ; en effet, un individu dont les réflexes rotuliens
sont normaux ou abolis, peut, consécutivement à la percussion du tendon
de la rotule, exécuter volontairement un fort mouvement d'extension de
la jambe sur la cuisse et donner à l'observateur l'impression que les
réflexes sont exagérés; inversement un sujet, dont les réflexes rotuliens
sont exagérés ou normaux, est en mesure de s'opposer au mouvement
qui doit suivre la percussion du tendon en raidissant volontairement la
cuisse et suggérer ainsi l'idée d'une abolition des réflexes; de même
l'extension du gros orteil, à la suite de l'excitation plantaire, pourrait
être obtenue sous l'influence de la volonté. Je répondrai à cela que ces
divers signes sont, il est vrai, susceptibles d'être simulés et qu'un obser-
vateur inexpérimenté peut être ainsi induit en erreur, mais qu'il ne s'agit
alors que d'une simulation grossière et non d'une reproduction, car, en
employant une technique spéciale, en analysant ces troubles, en étudiant
attentivement les divers caractères qui leur appartiennent, ainsi que je le
ferai dans les leçons ultérieures, on parvient toujours, lorsqu'on a acquis
de l'expérience en cette matière, à distinguer le vrai du faux.
Les perturbations dans l'excitabilité électrique des nerfs et des muscles
offrent, au point de vue qui nous occupe, un gros intérêt. Vous savez
tous, sans doute, que la réaction de dégénérescence est pathognomo-
nique d'une lésion musculaire consécutive à une altération primitive ou
secondaire des nerfs; aucun des caractères qui lui appartiennent, l'abo-
lition de l'excitabilité électrique des nerfs, l'abolition de la con ractilité
faradique des muscles I)uchenne (de Boulogne)], l'augmentation de leur
excitabilité voltaïque (Baïerlacher), la lenteur de la secousse (Remak),
l'inversion de la formule normale (Erb), ne saurait être reproduit par la
volonté. La compression d'un nerf moteur, sans aboutir à la dégéné-
rescence de son bout périphérique, peut donner naissance il une modifi-
cation de son excitabilité électrique, moins connue que la réaction de
dégénérescence, mais tout aussi remarquable et également impossible à
simuler ; voici en quoi elle consiste : le nerf, au-dessus du point com-
primé, a perdu son excitabilité électrique, tandis qu'au-dessous de ce
point il a conservé ses propriétés normales (Erb). C'est ce qu'on observe
habituellement dans la paralysie radiale vulgaire. Enfin j'attire votre
attention sur les troubles que les lésions auriculaires apportent dans le
vertige voltaïque; ce sont là des phénomènes objectifs inconnus de la
plupart des médecins et qui, pourtant, ont une grande signification
pratique. Voici un individu qui déclare avoir perdu l'ouïe ; un attriste
consulté n'a trouvé aucune altération de l'oreille interne ni de l'oreille
moyenne et il n'a en sa possession aucun moyen sur de reconnaître si la
12 LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
surdité est réellement due à une affection organique du labyrinthe, ou
bien si elle est, soit hystérique, soit simulée. Si, en pareil cas, avec un
courant de 15 ou 20 milliampères, on n'obtient ni inclination ni rotation
latérale de la tête on peut affirmer qu'il existe une lésion labyrinthique,
que l'hypothèse de surdité hystérique ou de simulation doit être écartée
(Babinski). On arrivera à la même conclusion dans un cas de surdité
unilatérale si l'inclination ou la rotation ne s'opère que d'un côté quel
que soit le sens du courant, ou si seulement elle prédomine notablement
d'un côté (Babinski).
Les troubles trophiques, les troubles circulatoires, les troubles sécré-
toires apportent aussi au diagnostic des éléments d'appréciation d'ordre
majeur. Il n'est pas besoin d'insister sur l'importance des eschares, des
arthropathies, de la scoliose, de l'amyotrophie, surtout quand elle est
prononcée et qu'elle s'accompagne de secousses fibrillaires; d'ailleurs,
de même que les phénomènes ophtalmoscopiques et la lymphocytose, ce
ce sont là plus que des signes, ce sont des lésions qui sont symptoma-
tiques de maladies nerveuses et qui ne peuvent être simulées. On peut
en dire presque autant de certains troubles circulatoires et sécrétoires ;
si, par exemple, dans un cas de monoplégie, de monoparésie, ou de
névralgie occupant le domaine d'un des membres inférieurs vous constatez
que la jambe qui est le siège du mal est plus froide que l'autre, que la
sécrétion sudorale y est plus abondante et que la peau a une coloration
rouge violacée, vous pouvez affirmer que vous avez affaire à une affection
organique. Ce sont encore des troubles circulatoires qui constituent
un des signes les plus caractéristiques de la crise épileptique et permettent
de la distinguer des attaques hystériques. On enseigne généralement que
le cri initial, la chute brusque, la perte complète de connaissance, la
morsure de la langue, la présence d'une écume sanguinolente aux lèvres,
l'émission de l'urine, l'abattement consécutif sont des symptômes qui
appartiennent en propre à l'accès comitial; et, en effet, ce sont des
éléments précieux de diagnostic, qui dans la plupart des cas peuvent
être utilisés ; mais, pour peu qu'on y réfléchisse, on s'aperçoit que tous
ces symptômes pourraient être simulés par quelqu'un qui aurait assisté
à des crises d'épilepsie et qui serait intéressé à induire le médecin en
erreur. Or, il existe deux signes, qui sans être constants, sont communs
dans l'accès épileptique etquisont bien plus importants que les précédents,
car on ne les observe jamais dans les attaques d'hystérie et parce qu'ils
ne peuvent pas être l'oeuvre de la simulation; c'est, d'une part, le phéno-
mène des orteils, dont je vous ai déjà parlé, et, d'autre part, un trouble
d'ordre circulatoire, la lividité de la figure et plus particulièrement celle
des lèvres; ne vous y trompez pourtant pas; il ne suffit pas, tant s'en faut,
pour diagnostiquer l'épilepsie que le visage soit congestionné pendant
l'accès, car cet état peut résulter d'un simple effort volontaire; il faut
que le trouble de la circulation soit plus profond, que les lèvres soient
plombées, livides. Ainsi que vous le voyez, les troubles trophiques, les
troubles circulatoires ont beaucoup de prix au point de vue qui nous
INTRODUCTION A LA SEMIOLOGIE 13 'i
occupe. Mais remarquez bien qu'il y a des lésions cutanées qui sont
susceptibles de dépendre indifféremment, soit d'une maladie du système
nerveux, soit de quelque cause banale facile à mettre enjeu. Admettez
que vous ayez affaire à un sujet se plaignant de ressentir des douleurs
violentes dans un bras ou dans une jambe et que vous constatiez que le
membre en question soit oedématié, ou encore qu'il se développe des
phlyctènes à sa surface; gardez-vous en pareil cas de certifier sans examen
plus approfondi qu'il s'agit d'une affection nerveuse de nature organique,
car il est possible que vous soyez en présence d'un simulateur; il est
facile, en effet, de provoquer artificiellement l'oedème en comprimant un
membre ou en le laissant longtemps dans une position déclive et d'amener
la vésication de la peau par l'application de substances irritantes.
Je vous disais, à propos de la crise épileptique, que l'émission d'urine
pendant l'accès ne pouvait être considérée comme un signe décisif, car
c'est un phénomène qui peut être reproduit par la volonté ; ce que j'ai
dit au sujet de l'épilepsie s'applique aussi d'une manière générale à tous
les cas où l'on note une émission d'urine qui, en apparence, s'effectue
d'une manière involontaire. Pour éviter un malentendu, je dois m'expli-
quer plus longuement à cet égard ; je reconnais fort bien, naturellement,
que l'incontinence d'urine est un phénomène pathologique de haute
valeur au point de vue sémiotique, mais je vous fais observer que la
déclaration seule de l'intéressé ou même la constatation de vêtements
souillés par l'urine ne peut être tenue pour rigoureusement probante, car
rien ne démontre alors que l'émission a été involontaire. Pour l'affirmer,
le certifier, il est indispensable d'avoir constaté, ce que l'on ne fait
généralement pas et d'ailleurs ce que l'on n'est pas toujours en mesure de
faire, que cette émission présente des caractères que la volonté ne serait
pas capable de reproduire ; si, par exemple, après avoir observé le sujet
à nu, on a vu l'urine sortir sans jet, goutte à goutte, en quelque sorte en
suintant, on est en droit de dire qu'on a affaire à un phénomène objectif
qui ne peut appartenir ni à la suggestion, ni à la simulation, qu'il s'agit
d'une incontinence d'urine légitime.
J'espère vous avoir convaincus de l'importance qui s'attache à la connais-
sance des symptômes objectifs que la volonté n'est pas en mesure de
reproduire ; elle est capitale en médecine légale où de gros intérêts
peuvent être en jeu, particulièrement quand il s'agit de déterminer dans
une expertise relative à un accident de travail s'il existe ou non chez le
sujet en observation des désordres nerveux organiques ; elle est encore
fondamentale toutes les fois que l'on veut résoudre le problème qui se
présente si souvent en clinique, de distinguer des manifestations hysté-
riques celles qui dépendent de lésions du système nerveux.
Mais n'oubliez pas que la constatation d'un ou de plusieurs de ces
signes chez un malade ne permet pas d'exclure l'idée qu'il simule ou
qu'il se suggestionne dans une certaine mesure ; vous ne devez pas
ignorer, en effet, que les associations hystéro-organiques sont chose fort
t/t LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
commune. Les faits de ce genre sont complexes et en de pareils cas il est
souvent difficile ou même impossible de faire la part exacte de chacun des
facteurs dans la genèse des accidents ; il n'en est pas moins essentiel de
savoir déterminer alors avec rigueur la part des troubles que la volonté
n'a pu engendrer.
Comme je vous l'ai annoncé, je ferai, mes efforts, dans les leçons sui-
vantes, pour vous enseigner les caractères précis des phénomènes objec-
tifs dont je viens de vous entretenir et la technique qu'il faut employer
dans leur recherche.
Avant de terminer je veux vous donner un dernier conseil pratique.
Recherchez systématiquement ces divers signes objectifs ou du moins la
plupart d'entre eux chez tous les sujets que vous serez appelés à examiner
ou à soigner ; une fois que vous en aurez pris l'habitude vous arriverez à
le faire en quelque sorte machinalement et rapidement. Vous découvrirez
ainsi bien des fois, pour le plus grand profit de vos malades, des troubles
qui autrement auraient passé inaperçus, vous serez alors ordinairement
en mesure de porter des diagnostics précis et, en tout cas, en procédant
de cette manière, vous vous mettrez à l'abri d'erreurs grossières préjudi-
ciables à votre réputation et, ce qui est plus grave, susceptibles de nuire à
ceux qui auront placé en vous leur confiance.
Il
QUELQUES CONSIDÉRATIONS SUR L'INTERROGATOIRE EN
CLINIQUE ET LES SYMPTOMES SUBJECTIFS.
[J. Babinski.]
Conférence faite le II 1 janvier ra : i à la Réunion neurologique de Strasbourg.
Les signes sur lesquels le clinicien s'appuie pour établir le diagnostic
peuvent être divisés, d'une manière générale, en deux groupes :
- d'une part, les signes objectifs, notamment ceux que la volonté seule
ne saurait reproduire ; d'autre part, les symptômes subjectifs, ceux qui
seraient méconnus de l'observateur sans l'intervention du sujet en obser-
vation, sans les renseignements qu'il fournit soit spontanément, soit en
réponse aux questions qui lui sont posées.
Voici quelques exemples de signes objectifs...
Mais je m'éloigne un peu du sujet que je me proposais de traiter, car
ce n'est pas des signes objectifs que je voulais vous entretenir. Ce que
je viens de dire n'aura cependant pas été inutile, je pense ; cela vous
permettra de mieux vous rendre compte de la place qu'occupent les
symptômes subjectifs dans la hiérarchie symptomatologique.
Le médecin a besoin de l'intervention, de la collaboration du malade
pour arriver à la connaissance de ces phénomènes. C'est par les rensei-
gnements fournis par celui-ci qu'il sera informé de l'existence de douleurs,
de leur siège, de leurs caractères. L'attitude du patient, sa physionomie,
certaines réactions telles que les cris, les pleurs donnent, il est vrai, quel-
ques indications à cet égard et ce sont des manifestations de ce genre qui,
chez un enfant ne parlant pas encore, constituent les premiers avertisse-
ments d'une affection commençante ; mais ces manifestations, parfois très
significatives du reste, sont déjà nous reviendrons sur ce point - un
mode de langage dans la mise en jeu duquel la volonté peut avoir sa
part...
Comme premier exemple de signe subjectif, prenons la céphalée. Entre
autres affections dont elle est très souvent symptomatique, je relèverai en
16 LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
particulier la syphilis cérébrale, les diverses néoplasies intracrâniennes,
les abcès de l'encéphale. Sans doute, ce sont les signes objectifs qui
permettent, dans les cas de ce genre, d'affirmer l'existence d'une lésion
et d'en préciser la nature, mais la céphalée peut en être la première
manifestation, conduire le malade à consulter et mettre sur la voie du
diagnostic.
Les douleurs à type radiculaire sont parfois le premier indice d'un
mal de Pott, d'une tumeur comprimant la moelle. Très souvent les dou-
leurs lancinantes constituent la manifestation initiale du tabès.
C'est par les vertiges que se traduisent généralement, dès leur début,
les lésions de l'appareil vestibulaire, et c'est à cause de ce phénomène
subjectif que le malade demande le secours d'un neurologiste.
Une diminution unilatérale de la sensibilité de la main, un affaiblisse-
ment du sens stéréognostique rendant malaisé l'accomplissement de cer-
tains actes tels que se boutonner, prendre dans sa poche une pièce de
monnaie sont, dans certains cas, les phénomènes prémonitoires d'une
hémiplégie.
Je viens de choisir ces exemples dans le domaine de la neurologie. Je
pourrais en prendre dans toutes les autres branches de la médecine.
N'est-ce pas par des douleurs que s'annoncent souvent l'appendicite, l'ul-
cère pylorique, certaines affections cardiaques, la claudication inter-
mittente, etc. ?
Personne ne conteste du reste l'importance des données que fournissent
les troubles subjectifs. Le rôle du patient est donc très important. En
prévenant à temps le médecin de troubles dont seul il peut avoir notion,
il lui donne le moyen d'instituer une thérapeutique d'autant plus active
généralement qu'elle est plus prompte.
Les renseignements recueillis sur les phénomènes subjectifs sont sur-
tout précieux quand ils sont précis, circonstanciés ou lorsqu'ils s'ac-
compagnent de certaines réactions dont j'ai déjà parlé brièvement. Je vais
chercher à vous faire bien saisir ma pensée en reprenant quelques exem-
ples. Voici trois sujets qui se plaignent d'éprouver de très vives douleurs.
L'un d'eux vous déclare qu'on ne peut souffrir plus que lui, qu'il souffre
constamment, et qu'aucune partie de son corps n'est épargnée ; mais si
on lui demande d'indiquer les caractères de ses douleurs, il reste dans le
vague ; en outre, son attitude, ses traits ont une apparence normale ;
rien dans son aspect ne traduit les sensations qu'il prétend éprouver, et
vous apprenez en l'interrogeant ou en vous renseignant auprès de son
entourage que son sommeil est parfait, jamais entrecoupé de réveils. Le
second, tout en affirmant que ses douleurs sont terribles, ajoute qu'elles
ne sont pas continues, qu'elles surviennent par crises et siègent tantôt à
la jambe, tantôt à la cuisse, parfois à droite, parfois à gauche ; il cherche
à donner une idée de ses souffrances à l'aide de gestes en faisant exécuter
à son membre inférieur un mouvement brusque et saccadé, image des
élancements qu'il ressent ; il objective en quelque sorte le trouble subjec-
tif ; de plus, pendant votre entretien avec lui, il a de temps en temps des
INTERROGATOIRE EN CLINIQUE ET SYMPTÔMES Sf7/ ! JSCV7FS 17 7
sursauts occasionnés, dit-il, par des douleurs comparables à celles que
provoqueraient des coups de couteau ou une décharge électrique ; il
ajoute que son sommeil est fréquemment interrompu par des sursauts
semblables. Le troisième malade se plaint aussi de douleurs vives, lanci-
nantes, un peu comparables à celle du malade précédent ; mais vous
constatez ceci de particulier que, quoique ne présentant aux membres
inférieurs aucun signe de maladie locale infectieuse, telle que phlébite,
synovite, arthrite, il fait une grimace ou pousse un cri lorsque vous
comprimez les membres inférieurs au niveau des articulations et surtout
des masses musculaires.
Il y a bien des chances pour que le dernier de ces malades soit
atteint d'une névrite périphérique, le deuxième de tabes et que le
premier soit un simple névropathe. Je vous ferai remarquer immédia-
tement que les phénomènes névropathiques, qu'ils se manifestent par
des troubles sensitifs ou des troubles moteurs, ou bien encore par des
attitudes anormales, ont souvent quelque chose d'outré, de théâtral qui
met en éveil un clinicien averti : ils ne sont pas empreints du sceau de la
réalité.
Un quatrième malade consulte aussi pour des douleurs occupant les
deux membres inférieurs ou un seul. Mais elles ont des caractères bien
différents de ceux qui appartiennent aux douleurs qui viennent d'être
décrites. Elles font défaut au repos ; elles apparaissent inévitablement
après une promenade plus ou moins longue, souvent très courte, s'ac-
compagnent alors de boiterie, s'accentuent et deviennent très vives si le
malade continue à marcher ; s'il s'arrête, elles s'atténuent et finissent par
disparaître. Voilà un genre de douleurs à peu près caractéristiques d'une
claudication intermittente liée à une lésion artérielle.
Tel autre malade se plaint de douleurs au tronc en des points fixes,
très violentes, extrêmement vives dans la toux et l'éternuement. Ces
caractères rendent déjà probable l'existence d'une lésion radiculaire.
Cette simple donnée jointe à la constatation, au niveau où siègent les dou-
leurs, d'une anesthésie à type radiculaire, et du signe des orteils a permis
dans quelques cas de reconnaitre l'existence d'une tumeur intra-rachi-
dienne, diagnostic ayant eu pour conclusion une intervention chirurgi-
cale suivie de guérison.
Une douleur de tète liée à une tumeur, à un abcès encéphalique peut
n'avoir rien de caractéristique par elle-même le malade dit qu'il souffre,
mais sans être en état de définir ses souffrances; il en résulte que dans
bien des cas les plaintes des malades de ce genre ne sont pas appréciées
à leur valeur et sont considérées comme dues à un état simplement névro-
pathique. Les conséquences de cette erreur peuvent être extrêmement
graves. Mais, sans parler de signes objectifs capables d'éclairer la situa-
tion, sur quoi se fonder afin d'établir le diagnostic ?
Je vais vous rapporter une observation très ancienne, remontant à
l'époque où j'étais encore interne, et qui a été à cet égard très instructive
pour moi.
Baiunski. j
18 ' LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
Une femme se plaignant de douleurs vives à la région occipitale était entrée dans le
service. L'examen objectif, tel qu'on le pratiquait à cette époque, n'ayant rien décelé
d'anormal, on avait été conduit à attribuer cette céphalée à un état neurasthénique ou
hystéro-neurasthénique ; ce qui paraissait venir à l'appui de cette idée, c'est que cette
personne avait eu autrefois des crises avec mouvements clowniques et arc de cercle.
Or il y avait alors dans les salles plusieurs jeunes filles atteintes de troubles hysté-
riques et dont l'une avait son franc parler. Elle vint me trouver quelques jours après
l'entrée à l'hôpital de la malade en question et me tint ce langage : a Vous êtes dans
l'erreur ; la nouvelle venue n'est pas du tout hystérique. » Pourquoi ? lui demandai-je.
« Parce que, répliqua mon interlocutrice, elle ne ressemble pas du tout à nous autres ;
elle évite tout effort, elle reste dans son coin, couchée dans son lit ou assise dans son
fauteuil, n'adressant la parole à personne, répondant à peine, quand on lui parle, ne
mangeant presque pas ; elle est toujours triste, absorbée, on voit qu'elle souffre.
Croyez-moi, c'est du sérieux. » La malade succomba quelque temps après cette conver-
sation et la nécropsie décela l'existence d'une tumeur cérébelleuse.
J'avais ainsi reçu une leçon dont j'ai tiré profit. On peut dire que la
céphalée liée à une lésion intra-crânienne s'accompagne ordinairement de
manifestations qui lui donnent un cachet d'authenticité.
Une céphalée ayant des caractères pareils, mais surtout prononcée le
soir, la nuit, doit faire songer à une affection de nature syphilitique.
Je pourrais multiplier les exemples...
Je désire seulement, pour compléter la liste des exemples que j'ai choi-
sis, vous dire quelques mots du vertige, terme qui n'est pas toujours
employé dans son sens propre. Beaucoup de personnes qui se servent de
ce vocable veulent dire simplement que parfois elles se sentent comme
étourdies, ne suivent pas une conversation aussi facilement que de cou-
tume, n'ont pas leur aptitude habituelle au travail. Des impressions de ce
genre n'ont pas grande signification.
Le véritable vertige est au contraire un phénomène important, déce-
lant généralement une perturbation de l'appareil vestibulaire. On peut
penser qu'il s'agit bien de vertige lorsque le malade dit qu'il a la sensa-
tion de tourner sur lui-même (vertere) ou de voir se déplacer les objets
qui se trouvent devant lui, qu'il a l'impression que la maison où il se
trouve s'effondre ou que le sol s'ouvre sous lui, qu'il est projeté par terre,
et à plus forte raison si ces sensations s'accompagnent de bourdonne-
ments d'oreilles, de vomissements.
Les symptômes subjectifs, quand ils présentent des particularités en
quelque sorte caractéristiques, sont donc d'un grand intérêt. Mais encore
faut-il que leur authenticité paraisse fondée.
J'en arrive ainsi à un chapitre sur lequel je désire insister.
Et d'abord, on est bien obligé de reconnaître que les symptômes dont
nous venons d'indiquer les traits spéciaux peuvent être feints ou repro-
duits volontairement par un individu bien informé ; ils seraient surtout
susceptibles d'être imités, pour ce qui concerne l'a partie mimique, par
un comédien. Il y a des cas où la tromperie serait singulièrement aisée :
INTERROGATOIRE EN CLINIQUE ET SYMPTÔMES SUBJECTIFS 19
tel sujet atteint autrefois d'une névrite sciatique, n'éprouvant plus aucune
douleur, aucun trouble dans ses fonctions et ne conservant plus comme
séquelle de cette affection qu'une abolition du réflexe achilléen, pourrait
soutenir que ses souffrances sont toujours présentes, qu'elles l'empêchent
de travailler; la description qu'il donnerait de ses douleurs et qui corres-
pondrait aux souffrances passées serait précise et l'irréflectivité tendi-
neuse ferait prendre le change à bien des experts.
Je ne veux pas dire que, dans les cas de cet ordre, il soit toujours
impossible de discerner la vérité ; mais des interrogatoires répétés et
habilement conduits joints à une surveillance spéciale seraient néces-
saires pour arriver au but. Ces faits, d'ailleurs, ne sont pas très communs
dans la pratique habituelle, hormis les cas d'accidents pouvant entrainer
des dommages intérêts et je ne m'en occuperai pas davantage, je ferai
aussi abstraction des cas de simulation, sans intérêt véritable, par per-
version mentale.
J'envisagerai seulement les faits où ces deux facteurs : simulation vul-
gaire, dans le but d'obtenir quelque avantage matériel, et mythomanie
paraissent devoir être écartés.
Ce que je me propose de vous prouver, c'est que les renseignements
fournis par un sujet de bonne foi peuvent être inexacts parce que les
questions posées par les personnes avec lesquelles il s'est entretenu de sa
maladie, et notamment par ses médecins, l'ont troublé au point de l'avoir
rendu inapte à témoigner librement, impartialement ce qu'il a ressenti
ou ce qu'il ressent, et cela pour des motifs divers. Il faut tenir compte
d'abord d'un état d'âme assez commun, celui d'un homme n'ayant pas
l'habitude de l'observation et de l'analyse des faits, émotif, doutant de
lui-môme, convaincu de la science infuse du médecin qu'il consulte. Il
est très porté à penser que celui-ci comprend immédiatement la nature
de son mal et il répond affirmativement à ses questions ; il craindrait de
passer autrement pour un sot, surtout si les mêmes questions lui sont
posées plusieurs fois. Il se persuade que les sensations dont il a entendu
la description sont réelles ; il se suggestionne en un mot. Il y a un
ensemble de faits qui parait bien établir la réalité de ce mécanisme.
L'histoire de ce que l'on a appelé « les stigmates de l'hystérie »,
l'hémianesthésie sensitivo-sensorielle, est particulièrement instructive à
cet égard. On admettait autrefois que les troubles hystériques devaient
être divisés en deux groupes : d'une part, les troubles transitoires (crises,
paralysies, contractures, mutisme, etc.) ; d'autre part, précédant ceux-ci
et leur survivant, les troubles permanents qui se développeraient sans
que la conscience en fut avertie. En fait, vous n'avez qu'à consulter les
anciens Traités de Médecine, les Revues et les Leçons consacrées à l'étude
des maladies nerveuses, les journaux périodiques pour voir que dans la
très grande majorité des observations d'hystérie (observations de troubles
moteurs, attaques, tremblements, etc.), l'existence d'une hémianesthésie
avec troubles sensoriels et particulièrement avec rétrécissement du champ
visuel est expressément notée. Or, il n'en est pour ainsi dire plus ques-
20 LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
tion actuellement. Je crois qu'à cet égard presque tous les neurologistes
sont aujourd'hui d'accord. D'oit provient ce changement ? Il serait inexpli-
cable si ces stigmates étaient le résultat d'une perturbation inconsciente
du système nerveux. On le conçoit au contraire fort bien, si l'on admet
qu'ils sont l'effet de l'hétéro-suggestion et plus particulièrement, presque
exclusivement de la suggestion médicale. C'est en effet depuis le moment
où l'on s'est rendu compte de l'influence de la suggestion sur certains
esprits et qu'on s'est efforcé de l'écarter dans la recherche des troubles
sensitifs que l'hémianesthésie est devenue plus rare et a disparu.
Voici, se rapportant à ce sujet, un passage d'une conférence que j'ai
faite à la Société de l'Internat des Hôpitaux de Paris, le 28 juin 1906, et
qui a pour titre Ma Conception de l'Hystérie et de l'Hypnotisme : .'
« Avant d'explorer la sensibilité, je me contente de recommander au malade de me
prévenir dès qu'il aura perçu une sensation de contact, de piqûre, ou toute autre
impression ; puis, après lui avoir fait fermer les yeux, j'applique sur différentes par-
ties des téguments, tantôt à gauche, tantôt à droite, un pinceau de blaireau, la pointe
d'une épingle, des corps chauds et des corps froids ; ensuite je fais exécuter des
mouvements passifs aux segments des membres supérieurs et des membres inférieurs,
et enfin je fais palper par le malade des objets ayant des formes diverses. Si je n'en
obtiens pas une réponse immédiate, je me contente de lui dire : « Que sentez-vous,
«qu'est-ce que je viens de faire ? » et jamais je ne lui pose ces questions : « Sentez-
« vous ce que je fais ? » ou encore : « Sentez-vous aussi bien d'un côté que de l'autre ? »
car ce dernier mode d'interrogatoire peut déjà être le point de départ d'une sugges-
tion. Depuis de nombreuses années que j'ai adopté cette méthode, je n'ai pas constaté
un seul cas d'hémianesthésie chez des sujets qui, avant de me consulter, n'avaient
jamais été soumis à un examen neurologique et il va sans dire que j'ai exclusivement
en vue des malades ayant des manifestations incontestables d'hystérie, telles que des
attaques caractéristiques; j'ajoute que mon expérience à cet égard porte sur plus de
cent individus des deux sexes. »
A partir de l'époque où ces lignes ont été écrites jusqu'à ce jour, c'est-
à-dire pendant une période de dix-huit ans, je n'ai pas manqué de renou-
veler cette exploration toutes les fois que j'ai eu l'occasion d'examiner des
malades présentant des manifestations hystériques et le résultat a été
constamment négatif. Je n'en trouve plus, même chez des sujets qui ont
« roulé » dans les hôpitaux de Paris ; ce qui tient sans doute à ce que la
plupart de mes collègues et des jeunes médecins prennent les mêmes
précaution que moi ou ne recherchent plus l'hémianesthésie, sachant à
quoi s'en tenir à cet égard.
Dans cette même Conférence, montrant comment il fallait procéder
afin d'éviter les suggestions dans la recherche des troubles visuels qui
constituent les prétendus stigmates oculaires de l'hystérie, je disais en
terminant : '
« J'ai étudié de cette manière, en collaboration avec mon ami M. J. Chaillous, un
grand nombre d'hystériques et le champ visuel nous a paru sensiblement normal chez
ceux d'entre eux qui, jusque-là, n'avaient pas encore été soumis à des examens ocu-
INTERROGATOIRE EN CLINIQUE ET SYMPTÔMES SUBJECTIFS si
laires. Nous n'avons jamais non plus observé chez eux soit la polyopie monoculaire,
soit cette dyschromatopsie prétendue spéciale. »
... Il ressort de ce qui précède que c'est à l'interrogatoire du médecin,
quand il est pratiqué sans les précautions voulues, à certaines paroles
imprudemment prononcées par lui devant les malades qu'il faut attribuer
la genèse des stigmates hystériques.
On peut aisément établir que ce même facteur est capable de faire
naître ou entretenir les divers accidents dits hystériques ou pithiatiques.
Il n'était pas rare autrefois de voir des malades sujettes à de grandes
attaques de longue durée, se renouvelant fréquemment, et qui, pour
ce motif, étaient hospitalisées pendant des mois, des années. La sugges-
tion des médecins et des élèves qui faisaient cercle autour de ces malades
durant la crise, en échangeant leurs idées souvent pessimistes sur le pro-
nostic, était d'autant plus active que ces réflexions se faisaient sans
aucune retenue, à haute voix, l'attaque étant alors considérée comme
déterminant une perte de conscience. Aujourd'hui, les médecins sont
avertis, s'observent ; aussi ces crises sont-elles devenues bien moins
communes et, quand il s'en produit, elles sont généralement étouffées
à l'état naissant.
Vous penserez peut-être qu'en vous parlant de l'attaque hystérique
j'empiète sur le terrain des troubles objectifs ; l'attaque, en effet, est un
phénomène qui « se présente à la vue » ; j'estime pourtant qu'elle peut
être considérée plutôt comme un phénomène subjectif parce qu'elle
est liée à « ce qui se passe dans l'intérieur de l'esprit », à un acte de la
volonté.
Parmi de très nombreux faits que j'ai observés et dans lesquels la sug-
gestion médicale, résultant d'un interrogatoire défectueux ou de propos
inopportuns, a créé des troubles moteurs de nature hystérique, je vous
en citerai deux seulement, faute de temps. Mais ils suffiront à vous
édifier.
i " Observation : Un enfant de 12 ans vient d'être atteint d'une broncho-pneumonie
qui l'a conduit à garder le lit pendant plusieurs semaines. Le premier jour où il essaie
de se lever, encore très affaibli par l'affection grave qu'il a subie, il s'affaisse. Son
père le prend dans ses bras, le remet dans son lit; inquiet, il fait venir immédiate-
ment le médecin. Celui-ci, bien qu'ayant constaté la conservation des mouvements
des membres inférieurs et l'absence de troubles sensitifs, déclare au père qu'il s'agit
sans doute d'une myélite infectieuse, qu'une aggravation du mal est fort à craindre ; il
lui recommande d'observer attentivement son enfant, de le questionner de temps en
temps pour se rendre compte des sensations qu'il éprouvera et de l'évolution des
troubles. Le père, affolé, ne quitte plus le chevet du lit de son fils ; plusieurs fois par
jour il l'invite à remuer ses jambes et lui demande si elles ne s'affaiblissent pas, si sa
sensibilité ne diminue pas. Les réponses, d'abord négatives, deviennent ensuite posi-
tives, puis au bout de quelques jours se constitue une paraplégie complète avec anes-
thésie. Je le vois dans cet état 6 mois après le début des troubles. Ne constatant aucun
signe objectif d'affection organique du système nerveux, je porte le diagnostic de
22 LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
paraplégie hystérique, que confirme l'épreuve thérapeutique : en effet, séance tenante,
par des pratiques de contre-suggestion, j'obtiens une guérison qui s'est maintenue
depuis. Incontestablement, il s'agissait là d'une paraplégie par suggestion, créée par
les questions pressantes et malencontreuses d'un père jouant, pour ainsi dire, le rôle
de mandataire de son médecin.
2" Observation (extraite d'une conférence que j'ai faite il y a 33 ans à la Salpêtrière) :
La nommée F..., pensionnaire à l'Orphelinat Rothschild, ressent à l'âge de 12 ans,
à la suite d'une chute sur le genou droit, des douleurs très vives dans la région affec-
tée ; il se développe une hydarthrose qui met l'enfant dans la nécessité de garder le
repos. L'épanchement diminue petit à petit et finit par disparaitre ; mais les douleurs
, persistent et s'étendent même à tout le membre inférieur; elles prédominent au niveau
de l'articulation du genou et de celle de la hanche.
L'affection, dont je ne puis rapporter ici l'histoire en détail, a présenté une inten-
sité et une ténacité telles que la malade a été obligée de garder le lit pendant onze
années consécutives ; il lui a été pourtant possible à plusieurs reprises, après avoir
eu le membre immobilisé dans un appareil, de marcher à l'aide de béquilles. Il y a
de cela quelques années un chirurgien a pratiqué sur elle une élongation du nerf
sciatique. Malgré les divers modes de traitement mis en oeuvre, la malade arrivée à
l'âge de 22 ans se trouve dans une situation plus pénible que jamais ; le membre
inférieur est complètement contracturé, il est immobilisé dans l'attitude de la rotation
en dedans et présente un raccourcissement apparent très marqué, ses muscles sont
un peu atrophiés ; les douleurs de la hanche et du genou sont extrêmement vives, la
raideur s'étend aux muscles du tronc et la malade ne peut même pas se mettre sur son
séant. Plusieurs chirurgiens consultés alors pensent qu'il existe du côté des jointures
des lésions indélébiles et conseillent l'amputation du membre.
Mon maitre, le Dr Périer, chirurgien de l'hôpital Lariboisière. consulté à son tour,
émet l'opinion qu'il s'agit là de troubles nerveux et me fait l'honneur de me deman-
der mon avis à cet égard. Les stigmates hystériques font presque totalement défaut.
Toutefois la sensibilité au tact du membre inférieur gauche est plus obtuse que du
côté opposé. Cette jeune fille est sujette à des crises convulsives avec grands mouve-
ments en arc de cercle ; de plus, la chloroformisation amène la résolution complète de
la contracture et montre que les articulations sont absolument libres.
Je porte le diagnostic de contracture et coxalgie hystériques.
M. Charcot veut bien, sur ma demande, recevoir la malade dans son service à la
Salpêtrière.
Après plusieurs mois de traitement, la malade guérie sort de l'Hospice.
Voici des renseignements complémentaires sur elle. D'abord je vous
dirai que la guérison a été complète et qu'elle s'est maintenue sans aucune
récidive, sans qu'aucun trouble hystérique se soit manifesté depuis. Tous
les ans, jusqu'au début de la guerre, c'est-à-dire pendant près de 25 ans,
elle m'a écrit d'une localité du Midi où elle s'est installée, après s'être
mariée, pour me faire savoir que sa santé était parfaite, ce qui m'a été
confirmé par des personnes qui la connaissent. J'ajoute, et que c'est là ce
qui est Intéressant au point de vue qui nous occupe, que son bonheur
d'être guérie, rétablie, de jouir de la vie a été d'autant plus grand elle
me l'a plusieurs fois répété qu'elle s'était bien cru condamnée à une
infirmité incurable, d'après tout ce qui lui avait été dit par les médecins
INTERROGATOIRE EN CLINIQUE ET SYMPTÔMES SUBJECTIFS 23
appelés à la soigner pendant la période de i ans où elle avait été malade,
impotente. En réalité ce sont eux je n'en doute pas qui, par leurs
questions, leur attitude, leurs propos inconsidérés, ont causé ou au
moins entretenu si longtemps un mal curable au plus haut point. Quel
enseignement !
C'est parce que, les idées ayant évolué, le rôle de la suggestion et celui
de la contre-suggestion ont fini par être bien compris que le domaine de
l'hystérie s'est notablement réduit, que les hôpitaux ne sont plus encombrés,
comme autrefois, par des hystériques à manifestations diverses.
Certains d'entre vous se demanderont peut-être si les sujets dits hysté-
riques ou pithiatiques, dont je viens de vous entretenir, ne doivent pas
être englobés dans la catégorie des simulateurs, des mythomanes sur
lesquels j'ai appelé votre attention. C'est là une question qui mérite d'être
posée et discutée, car toutes les manifestations hystériques peuvent être
reproduites volontairement par certains sujets. Toutefois, de l'observation
de très nombreux hystériques que j'ai suivis s'est dégagée pour moi cette
conviction, qui est celle de la plupart des neurologistes, que beaucoup
de ces sujets sont sincères au moins dans une certaine mesure...
Peu importe, d'ailleurs, au point de vue pratique. Le service social
rendu par les précautions apportées afin d'esquiver la suggestion et par
la mise en jeu des méthodes dites de contre-suggestion ne serait pas
moindre si les sujets que nous avons en vue étaient absolument conscients
de l'irréalité des troubles accusés ; suggestionnés ou simulateurs-mytho-
manes, ce sont des non-valeurs. Or il est incontestable qu'ils sont beau-
coup moins nombreux depuis qu'on a recours aux moyens sur lesquels
nous avons insisté et, en particulier, depuis que les médecins savent mieux
qu'autrefois éviter dans leurs examens les questions, les propos suscep-
tibles de donner prise à ce que nous appelons la suggestion.
Afin d'établir l'exactitude de la thèse que je soutiens, j'ai choisi des faits
rangés dans le domaine de la neurologie, qui sont particulièrement
démonstratifs. Mais ce que j'ai dit s'applique à toutes les branches de la
clinique, entre lesquelles, d'ailleurs, il n'y a pas de cloisons étanches. Il
est bien évident qu'un sujet suggestionnable, susceptible d'être atteint
d'une hémianesthésie ou d'une paralysie hystérique, pourra tout aussi
bien se suggérer qu'il souffre d'une affection du coeur, de l'estomac ou de
tout autre organe. Je ne crois pas m'exposer à la contradiction en disant
que la suggestion médicale, inconsciente, s'opérant suivant le mécanisme
que j'ai indiqué pour la genèse des troubles qualifiés hystériques a été
souvent la source de fausses angines de poitrine, de fausses gastropathies,
de faux vertiges, etc., et que tout clinicien, quel que soit son champ
d'action, doit dans ses examens, dans ses interrogatoires, s'astreindre
aux mêmes règles que le neurologiste.
Je me suis laissé entrainer à vous parler longuement de la suggestion,
bien que ce mot ne figurât pas dans le titre de ma conférence. J'ai cru
bon de le faire parce que ce n'est qu'après s'être rendu compte de son
24 LA METHODE EN SEMIOLOGIE
importance qu'on fait le nécessaire pour l'éviter. Dans ces conditions
seulement, les symptômes subjectifs acquerront de la valeur, sans que
leur authenticité égale celle que possèdent les signes objectifs bien
caractérisés.
Je dois faire remarquer que les faux cardiaques, les faux gastropathes
et, d'une façon générale, les sujets se croyant à tort atteints d'une lésion
du système nerveux ou de quelque organe ne sont pas nécessairement
victimes d'une suggestion. Certains d'entre eux éprouvent réellement des
sensations pénibles, mais ils les interprètent d'une manière inexacte en
les attribuant à une affection organique grave dont ils ont vu souffrir ou
mourir des personnes de leur entourage. C'est ainsi qu'on voit fréquem-
ment des sujets qui se croient atteints d'une angine de poitrine, alors que
leurs sensations sont exclusivement provoquées par l'existence d'une
poche à air gastrique sous pression plus ou moins forte. Sans doute, le
médecin est souvent tout à fait étranger au développement de ces troubles,
véritables obsessions, mais ses entretiens avec le malade qui guette ses
paroles, capables de lui être utiles, risquent par contre de lui être préju-
diciables s'il y trouve la moindre pâture pour sa phobie.
Si vous avez bien suivi ma pensée, vous devez conclure qu'un diagnostic
fondé uniquement sur des symptômes subjectifs, c'est-à-dire sur des
sensations qui peuvent être feintes, imaginaires ou dénaturées par
la description de celui qui les éprouve, sur des phénomènes que la
volonté peut reproduire, n'est jamais d'une certitude absolue.
Tandis que les erreurs commises dans l'examen des troubles objectifs
que la volonté est incapable de reproduire sont imputables uniquement à
l'observateur, celles qui sont faites dans la recherche des troubles
subjectifs peuvent être dues au sujet en observation.
Toutefois, le rôle du médecin dans son enquête est loin d'être passif
car, suivant la manière dont il la pratique, il peut obtenir des renseigne-
ments exacts, d'un grand profit ou, au contraire, il court le danger de
suivre une fausse piste et de s'égarer. Si la recherche des signes subjectifs
est faite par lui sans la prudence requise, si les questions qu'il pose sont,
en quelque sorte, tendancieuses, ses investigations peuvent aboutir à la
production de troubles ayant la suggestion pour cause ou à la fixation
d'idées hypochondriaques.
A la vérité, même en prenant dans son interrogatoire toutes les précau-
tions voulues, il ne sera pas complètement à l'abri d'une méprise, car
je le répète le récit de celui qui le consulte, ses gestes, son attitude
peuvent être non l'expression de phénomènes ressentis, mais la repro-
duction de choses antérieurement entendues ou vues. La prétention de ne
jamais être induit en erreur serait illusoire. Il n'en est pas moins vrai que
vous en réduirez notablement les risques, dans vos enquêtes sur les
troubles subjectifs, en vous comportant auprès des sujets en observation
et en les interrogeant conformément à la méthode que je vous ai exposée.
DEUXIÈME PARTIE
SÉMIOLOGIE
ÉLÉMENTS FONDAMENTAUX
DE LA SÉMIOLOGIE ORGANIQUE
1
SUR LE RÉFLEXE CUTANÉ PLANTAIRE DANS CERTAINES
AFFECTIONS ORGANIQUES DU SYSTÈME NERVEUX CEN-
TRAL,
i.r. Babinski.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Biologie,
séance du 22 février ¡8g(j.
Ai observé dans un certain nombre de cas d'hémiplégie ou de
t monoplégie crurale liée à une affection organique du système ner-
veux central une perturbation dans le réflexe cutané plantaire dont
voici en quelques mots la description.
Du côté sain, la piqûre de la plante du pied provoque, comme cela a
lieu d'habitude à l'état normal, une flexion de la cuisse sur le bassin, de
la jambe sur la cuisse, du pied sur la jambe et des orteils sur le méta-
tarse. Du côté paralysé, une excitation semblable donne lieu aussi à une
flexion de la cuisse sur le bassin, de la jambe sur la cuisse et du pied sur
la jambe, mais les orteils, au lieu de se fléchir, exécutent un mouvement
d'extension sur le métatarse.
Il m'a été donné d'observer ce trouble dans des cas d'hémiplégie
récente remontant à quelques jours seulement, ainsi que dans des cas
d'hémiplégie spasmodique de plusieurs mois de durée; je l'ai constaté
chez des malades qui étaient incapables de mouvoir volontairement les
orteils, comme aussi sur des sujets qui pouvaient encore faire exécuter
aux orteils des mouvements volontaires; mais je dois ajouter que ce
trouble n'est pas constant.
J'ai aussi observé dans plusieurs cas de paraplégie crurale due à une
lésion organique de la moelle un mouvement d'extension des orteils à la
28 SÉMIOLOGIE
suite de la piqûre de la plante du pied, mais, comme en pareil cas, il n'y
a pas chez le malade même de point de comparaison, la réalité d'un
trouble est moins manifeste.
En résumé, le mouvement réflexe consécutif à la piqûre de la plante du
pied peut subir dans les paralysies crurales reconnaissant pour cause une
affection organique du système neigeux central non seulement, comme on le
sait, une modification dans son intensité, mais aussi une perturbation dans
sa forme.
II
DU PHÉNOMÈNE DES ORTEILS ET DE SA VALEUR
SÉMIOLOGIQUE .
[J. Babinski.)
Publié dans La Semaine Médicale, 27 juillet ¡8g8.
E vous entretiendrai dans cette leçon d'un phénomène que j'ai fait
j connaître il y a plus de deux ans déjà, sur lequel j'ai présenté une
note à la Société de biologie en février 1896 et dont j'ai fait l'objet
d'une nouvelle communication au Congrès de neurologie tenu à Bruxelles
au mois de septembre de l'année dernière. Ce phénomène consiste en
une perturbation dans le réflexe cutané plantaire.
Avant de vous en faire la description, je dois vous dire quelques mots
sur le réflexe cutané plantaire à l'état normal chez l'adulte dont je m'oc-
cuperai exclusivement ici. Il faut que vous sachiez que dans ces conditions
l'excitation de la plante du pied provoque ordinairement, entre autres
mouvements réflexes, tels que la flexion du pied sur la jambe, de la
jambe sur la cuisse, de la cuisse sur le bassin, que je me borne à men-
tionner, une flexion des orteils sur le métatarse que je signale particu-
lièrement à votre attention. Il est des individus normaux chez lesquels,
à la suite de l'excitation de la plante du pied, les orteils restent, au moins
en apparence, immobiles, mais et c'est là un point essentiel jamais
ils n'exécutent de mouvement d'extension ; cela s'applique principalement
au gros orteil qu'il faut avoir ici spécialement en vue.
Or, dans certains états pathologiques, l'excitation de la plante du pied
provoque l'extension des orteils, en particulier du gros orteil. Je désigne
cette modification dans la forme du mouvement réflexe sous la dénomi-
nation de phénomène des orteils.
En général, ce n'est pas seulement par le sens du mouvement que le
réflexe normal diffère du réflexe pathologique; le plus souvent l'extension
est exécutée avec plus de lenteur que la flexion ; en outre, la flexion est
d'habitude plus forte quand on excite la partie interne de la plante du
3o SÉMIOLOGIE
pied que lorsque l'excitation porte sur la partie externe et c'est l'inverse
pour ce qui concerne l'extension; enfin, tandis que la flexion prédomine
généralement dans les deux ou trois derniers orteils, c'est dans le premier
ou les deux premiers orteils que l'extension est ordinairement le plus
prononcée.
Le phénomène des orteils peut se présenter sous des formes frustes,
c'est-à-dire que le réflexe plantaire peut revêtir des caractères en partie
pathologiques, en partie physiologiques. En voici des exemples : chez
certains sujets, l'excitation de la plante du pied ne provoque d'extension
que dans le gros orteil ou dans les deux premiers orteils et donne lieu en
même temps à une flexion des derniers orteils ; chez d'autres, les orteils
s'étendent quand on excite la partie externe de la plante du pied et se
fléchissent lorsque c'est la partie interne du pied qui est excitée ; chez
d'autres encore, le réflexe plantaire, quelle que soit la partie de la plante
du pied qui est excitée, se manifeste tantôt par de la flexion, tantôt par
de l'extension des orteils ; dans ce dernier cas, ce sont généralement les
premières excitations qui donnent lieu à de la flexion.
Cela dit, je vais vous faire connaître la technique qu'il faut employer
pour bien observer le mouvement réflexe des orteils. Il importe que les
muscles du pied et de la jambe ne soient pas en état de contraction, et
pour obtenir ce résultat il est bon de ne pas prévenir le sujet de l'expé-
rience qu'on se propose de pratiquer et de lui faire fermer les yeux. La
jambe doit être légèrement fléchie sur la cuisse, et le pied reposera sur le
lit par son bord externe ou bien sera privé de tout appui, la jambe étant
relevée et soutenue par l'expérimentateur. Le membre inférieur étant placé
dans cette attitude, on attendra pour procéder à l'excitation que les muscles
paraissent bien relâchés.
Il n'est pas indifférent d'exciter légèrement ou énergiquement, de cha-
touiller simplement ou de piquer la plante du pied. Ce dernier mode
d'excitation est nécessaire chez certains sujets pour faire apparaître un
mouvement réflexe des orteils ; mais, par contre, il donne lieu chez d'autres
individus à des mouvements si vifs des divers segments du membre infé-
rieur, qu'il est difficile de les analyser ; en pareille conjoncture, le sens du
mouvement des orteils peut être impossible à déterminer, et, lorsqu'on
le perçoit, il est encore permis de se demander s'il s'agit bien d'un mou-
vement réflexe ou d'un mouvement volontaire, question importante à
résoudre, car il est à peine besoin de faire remarquer que si, à l'état
normal, le réflexe cutané plantaire ne se manifeste jamais par une exten-
sion des orteils, ce mouvement pourrait être exécuté consécutivement à
la piqûre de la plante du pied par un acte de la volonté ; il faut, dans des
cas de ce genre, renouveler l'excitation en la pratiquant superficielle-
ment.
Il y a encore une cause d'erreur d'observation que je veux vous signaler.
Les orteils suivent nécessairement le pied dans le mouvement de flexion
qu'il exécute sur la jambe à la suite de l'excitation de la plante ; si donc
PHÉNOMÈNE DES ORTEILS ET SA VALEUR SÉMIOLOGIQUE 31
le mouvement de flexion sur le métatarse fait défaut, ainsi que cela a lieu
parfois, les orteils, entraînés passivement vers la partie antérieure de la
jambe, peuvent donner à un observateur inattentif l'illusion qu'ils exé-
cutent un mouvement d'extension sur le métatarse. Pour éviter cette cause
d'erreur, il faut avoir soin d'examiner la région de l'articulation métatarso-
phalangienne du gros orteil, afin de voir comment se comportent la pha-
lange et le métatarse l'une par rapport à l'autre.
Je vous présente d'abord plusieurs individus normaux, pris au hasard,
que vous pourrez examiner vous-mêmes à loisir et sur lesquels vous serez
en mesure de vérifier mes assertions en ce qui concerne le réflexe cutané
plantaire à l'état physiologique.
Voici maintenant quelques sujets chez lesquels on observe le phénomène
des orteils.
Le premier est une femme atteinte d'hémiplégie organique gauche due
à une lésion de l'hémisphère cérébral droit, remontant à trois ans ; la
paralysie occupe le membre inférieur, le membre supérieur et la face, elle
est plus prononcée au membre supérieur qu'au membre inférieur ; toute-
fois, les mouvements volitionnels des orteils sont presque complètement
abolis ; c'est à la face que la paralysie est le moins accentuée ; la malade
marche en fauchant, les membres sont contracturés et les réflexes tendi-
neux sont très exagérés. Du côté droit, le chatouillement de la plante du
pied donne lieu à une flexion des orteils ; du côté gauche, il détermine
une extension qui est plus forte dans les deux premiers que dans les trois
derniers orteils.
Le second sujet est une femme présentant une hémiplégie gauche de
deux ans de durée, dont les caractères sont semblables à ceux que nous
avons relevés chez la malade précédente, sauf que les mouvements voli-
tionnels des orteils sont assez étendus, et qui est aussi incontestablement
de nature organique. Comme dans le premier cas, on constate ici un
mouvement réflexe normal du côté droit et une extension des orteils à la
suite de l'excitation de la plante du pied gauche.
La troisième malade a été frappée il y a un an d'une hémiplégie droite,
et un mois après d'une hémiplégie gauche. Là encore il existe des carac-
tères objectifs, tels que l'exagération notable des réflexes tendineux, la
trépidation épileptoïde, etc., qui permettent d'affirmer qu'il s'agit d'une
lésion organique. L'extension des orteils peut être provoquée des deux
côtés, mais elle est plus prononcée à droite, où la paralysie est plus mar-
quée.
La malade suivante est atteinte d'une paraplégie spasmodique avec exa-
gération notable des réflexes tendineux et trépidation épileptoïde du pied,
qui me parait due à une plaque de sclérose occupant la région dorso-
lombaire de la moelle. Le phénomène des orteils est ici encore plus
accentué que chez les malades précédentes ; l'extension est très forte aux
cinq orteils.
Le cinquième sujet est un homme chez lequel vous pouvez constater
l'existence d'un mal de Pott avec gibbosité occupant la partie moyenne de
3a SÉMIOLOGIE
la région dorsale. Il est entré dans notre service il y a un an, et à cette
époque il présentait, outre quelques troubles vésicaux et rectaux, une
paraplégie spasmodique avec exagération des réflexes tendineux et épi-
lepsie spinale qui l'immobilisait au lit et le mettait dans l'impossibilité
absolue de se tenir debout ; l'excitation de la plante du pied provoquait
alors, d'une façon constante, l'extension des orteils. Depuis, les troubles
se sont progressivement atténués, et actuellement cet homme est, comme
vous le voyez, en état de se tenir debout et de faire quelques pas ; toute-
fois, l'exagération des réflexes tendineux et la trépidation réflexe per-
sistent. L'excitation de la plante du pied détermine maintenant d'abord la
flexion des orteils, mais, si cette excitation est répétée plusieurs fois de
suite, les orteils, à un moment donné, s'étendent au lieu de se fléchir.
Cet autre malade présente une paraplégie spasmodique d'origine syphi-
litique. Ici encore vous constaterez le phénomène des orteils.
Le sujet que voici est atteint d'hémiparaplégie spinale avec anesthésie
croisée, consécutive à une blessure de la moelle par arme à feu. Du côté
gauche, qui est le siège d'une paralysie spasmodique, la piqûre de la
plante du pied donne lieu à une extension des orteils. Du côté droit, où
il existe aussi, mais à un degré bien moins élevé, des troubles de la
motilité, l'excitation de la plante du pied détermine une extension très
légère du gros orteil.
Enfin, cette dernière malade est une femme de vingt-six ans, atteinte de
tabes et de méningo-encéphalite diffuse, le tabes étant caractérisé par de
l'atrophie papillaire du côté droit, le signe de Robertson, des douleurs
fulgurantes, l'absence des réflexes des tendons du triceps crural, des ten-
dons d'Achille, des tendons du triceps brachial, et la méningo-encépha-
lite diffuse se manifestant par des troubles psychiques, du tremblement
des lèvres et de la langue, de l'embarras de la parole. Veuillez remarquer
que chez cette jeune femme les membres inférieurs sont, à la vérité, moins
vigoureux que chez un sujet sain, mais que la faiblesse n'est pas très
marquée et que la démarche est presque normale. L'extension des orteils
est ici des plus nettes.
En m'appuyant sur ces quelques faits et sur d'autres beaucoup plus
nombreux que j'ai recueillis depuis que ce signe a attiré mon attention,
je vais passer en revue d'une manière méthodique les affections dans
lesquelles on peut observer le phénomène des orteils.
C'est d'abord l'hémiplégie due à une lésion organique de l'encéphale,
quelle qu'en soit la cause, qu'il s'agisse d'hémorragie, de ramollissement
ou de néoplasme, que l'on ait affaire à une hémiplégie de l'adulte ou à
une hémiplégie infantile.
Chez les sujets que je vous ai montrés il s'agissait d'hémiplégie de date
ancienne avec contracture et exagération des réflexes tendineux. Mais j'ai
constaté aussi ce phénomène dans plusieurs cas d'hémiplégie récente,
flasque, où les réflexes tendineux étaient normaux, affaiblis, ou même
abolis du côté paralysé. C'est ainsi que chez la deuxième malade que je
PHÉNOMÈNE DES ORTEILS ET SA VALEUR SÉMlOLOGIQUE 33
vous ai présentée je l'ai observé dès le premier examen qui avait été pra-
tiqué vingt-quatre heures après le début de l'hémiplégie ; les réflexes ten-
dineux étaient alors à peu près de même intensité des deux côtés ; chez
une autre femme, atteinte d'hémiplégie organique, soumise à mon examen
une heure après l'ictus apoplectique, le phénomène des orteils était dès
ce moment très manifeste et les réflexes tendineux du côté de l'hémi-
plégie étaient très faibles. L'extension des orteils m'a paru même ordi-
nairement plus marquée dans l'hémiplégie récente que dans l'hémiplégie
ancienne.
J'ai constaté aussi l'existence de ce signe chez deux sujets présentant
une hémiplégie ancienne flasque avec abolition des réflexes rotuliens.
L'un d'eux était atteint d'hémiplégie gauche remontant à trois ans ; la
paralysie était flasque au membre inférieur ; le membre supérieur gauche
était légèrement contracturé ; les réflexes rotuliens et les réflexes du
tendon d'Achille faisaient défaut des deux côtés ; le réflexe du triceps bra-
chial était normal à droite, exagéré à gauche ; le malade avait eu quelques
douleurs lancinantes et sa pupille droite était plus petite que la gauche ;
il est vraisemblable qu'il s'agissait d'une association de lésions radiculaires
postérieures et d'une lésion organique de l'hémisphère droit avec dégé-
nération secondaire. Le second sujet était une femme atteinte manifeste-
ment de tabes, caractérisé par des douleurs fulgurantes, des troubles
vésicaux, le signe de Robertson, l'absence des réflexes des tendons rotu-
liens, des tendons d'Achille et des tendons du triceps brachial ; elle avait
été frappée brusquement d'une hémiplégie gauche. Le phénomène des
orteils existait dès le début de la paralysie et trois mois plus tard, la para-
lysie étant toujours flasque et les réflexes tendineux faisant défaut à ce
moment comme auparavant, l'excitation de la plante du pied provoquait
ainsi qu'au premier jour, l'extension des orteils.
Le phénomène des orteils n'est pas en relation directe avec la paralysie
au point de vue de l'intensité : il est très marqué dans certains cas où
l'hémiplégie est légère et où la motilité volontaire des orteils n'est pas très
affaiblie ; par contre, il peut être fort peu accusé et faire même défaut dans
des cas où la paralysie est très prononcée.
Généralement du côté opposé à la paralysie, le réflexe cutané plantaire
est normal ; parfois pourtant j'ai constaté de ce côté le signe des orteils,
moins accentué toutefois qu'au pied paralysé.
Chez une femme atteinte d'hémiplégie spasmodique datant de plusieurs
années, j'ai noté le fait curieux suivant : l'excitation de la plante du pied
paralysé donnait lieu de ce côté à une extension des orteils ; l'extension
de la plante du pied normal provoquait, outre une flexion des orteils de ce
pied, une flexion des orteils du pied paralysé.
J'ai vu le phénomène des orteils dans quelques cas de méningo-encé-
phalite diffuse; il y avait alors en même temps une grande faiblesse des
membres inférieurs et les réflexes tendineux étaient exagérés ; la malade
que je vous ai présentée en dernier lieu fait exception à cette règle, car,
ainsi que vous l'avez vu, chez elle, les membres inférieurs ne sont que
13ADIIqSi,l. 3
34 SEMIOLOGIE
très peu affaiblis et les réflexes tendineux sont abolis; il s'agit là, il est
vrai, d'une méningo-encéphalite diffuse associée au tabes.
Dans un cas d'épilepsie partielle, j'ai eu l'occasion de constater ce phé-
nomène : il s'agissait d'un homme sujet à des crises d'épilepsie jackson-
nienne, chez lequel, les mouvements convulsifs occupaient le côté gauche
du corps. Ayant examiné le malade immédiatement après une crise, j'ai
vu que l'excitation de la plante du pied donnait lieu à de l'extension des
orteils à gauche ; en dehors des crises, le réflexe cutané plantaire était
normal et le côté gauche ne présentait aucun trouble de la motilité.
J'ai également observé le signe des orteils chez un individu atteint de
méningite cérébro-spinale et chez une femme qui avait ingéré de la strych-
nine à dose toxique ; chez ces deux malades, les membres inférieurs étaient
atteints de contracture, d'exagération des réflexes tendineux et de trépi-
dation ëpileptoïde du pied. Le sujet empoisonné par la strychnine guérit
rapidement et quarante-huit heures environ après le début des troubles
morbides, le réflexe cutané plantaire était redevenu normal.
Dans les paralysies spinales spasmodiques, quelle qu'en soit la cause,
qu'il s'agisse de lésion traumatique, de compression de la moelle par mal
de Pott, de méningomyélite, de myélite transverse, de sclérose en plaques,
de syringomyélie, de sclérose latérale amyotrophique, on observe souvent
le phénomène des orteils et il est généralement plus prononcé dans les
cas de ce genre que dans l'hémiplégie d'origine cérébrale.
Ce signe peut exister aussi dans certaines paraplégies flasques avec
affaiblissement ou abolition des réflexes tendineux. Je l'ai constaté du
côté de la paralysie, dans un cas d'hémiplégie spinale avec anesthésie
croisée due à une hémisection traumatique de la moelle, à la partie
moyenne de la région dorsale, quinze heures après l'accident ; le côté
paralysé était flasque et les réflexes tendineux y étaient abolis.
Enfin, j'ai noté le phénomène des orteils dans plusieurs cas de maladie
de Friedreich.
Je dois vous indiquer maintenant quelques-unes des affections du système
nerveux dans lesquelles le signe des orteils paraît faire défaut. Je ne l'ai
jamais observé dans l'hystérie, que cette névrose se fut manifestée par des
troubles de la motilité à forme hémiplégique ou à forme paraplégique, par
de la paralysie flasque ou par de la contracture. Il n'existait pas dans les
cas de myopathie progressive primitive, de névrite périphérique que j'ai
eu l'occasion d'observer. Je ne l'ai pas constaté non plus dans la polio-
myélite antérieure, sauf chez un sujet dont les fléchisseurs des orteils
étaient complètement atrophiés, mais il s'agissait là d'un cas tout à fait
spécial, les orteils se trouvant, en raison du siège de l'amyotrophie, dans
l'impossibilité d'exécuter de mouvement volitionnel ou de mouvement
réflexe de flexion. Le phénomène des orteils manque aussi dans le tabes
pur; toutefois, il peut exister, ainsi que vous l'avez vu, dans des cas de
tabes associé à une affection du système nerveux, telle qu'une hémiplégie
organique ou la méningo-encéphalite, capable de le produire.
Dans deux cas de section traumatique complète de la moelle, observés par
PHÉNOMÈNE I)ES ORTEILS ET SA VALEUR SÉMIOLOGIQUE 35
mon interne M. Cestan, l'excitation de la plante du pied ne provoquait
aucun mouvement des orteils. Chez l'un des sujets la lésion siégeait au
niveau de la septième cervicale et l'examen avait été pratiqué neuf heures
après l'accident ; chez l'autre la lésion avait pour siège la partie supérieure
de la moelle dorsale et l'examen avait eu lieu trois heures après le trau-
matisme. Mais on n'est pas en droit de conclure de ces deux cas que le
phénomène des orteils doive toujours faire défaut dans la paraplégie
résultant d'une section complète de la moelle.
Si l'on jette un coup d'oeil d'ensemble sur les faits que je viens de vous
énumérer, en cherchant à déterminer la cause du phénomène des orteils,
on s'aperçoit immédiatement que cette inversion dans la forme du réflexe
cutané plantaire est liée à des affections diverses de l'encéphale ou de la
moelle. Or, ces affections, à tant d'égards si différentes les unes des
autres, ayant pour caractère commun de donner naissance toujours ou
parfois, suivant l'espèce dont il s'agit, à une perturbation dans le fonc-
tionnement du système pyramidal, c'est de cette perturbation que l'on est
amené à faire dépendre le phénomène qui nous occupe. Je ne crois pas,
pour le moment, pouvoir affirmer la nécessité de cette relation; mais je
puis déclarer que, dans tous les cas où j'ai constaté le phénomène des
orteils, cette relation était soit incontestablement établie par l'ensemble
clinique ou par un examen nécroscopique ultérieur, soit très probable,
soit tout au moins possible et que jusqu'à présent, je n'ai pas observé
une seule fois ce signe chez un sujet dont le système pyramidal fut sûre-
ment en état d'intégrité.
Mes observations montrent qus le phénomène des orteils peut être
déterminé par une perturbation dans le système pyramidal, quelles qu'en
soient la durée, l'intensité et l'étendue. Je l'ai constaté en efiet, dans les
hémiplégies très anciennes ainsi que dans les hémiplégies toutes récentes,
dans les cas où les fibres nerveuses du faisceau pyramidal étaient détruites
et dans d'autres (sclérose en plaques, par exemple) où l'altération n'était
que superficielle, où les cylindraxes de ce faisceau étaient conservés, sur
des sujets chez lesquels les lésions du faisceau pyramidal devaient être
très étendues et sur d'autres chez lesquels ces lésions étaient très limi-
tées.
Il faut donc bien remarquer que ce signe, s'il révèle l'existence d'une
perturbation dans le système pyramidal, n'en dénote pas la gravité. Il peut
exister dans des cas de paralysies très légères, de paralysie curable et
disparaître après guérison; il peut se manifester d'une façon passagère
dans l'épilepsie partielle, dans l'empoisonnement par la strychnine; il
semble même qu'il puisse parfois constituer le seul indice de cette pertur-
bation. Par contre, il peut faire complètement défaut chez des malades
dont le système pyramidal est profondément altéré. Il y a là un contraste
qui conduit à se demander s'il n'y a que certaines parties du système
pyramidal dont l'altération puisse produire le phénomène des orteils ; mais
nous ne sommes pas en mesure d'être précis à cet égard.
De tout ce qui précède, il résulte que le phénomène des orteils a un
36 SEMIOLOGIE
lien avec l'exagération des réflexes tendineux et l'épilepsie spinale, qui
sont souvent sous la dépendance d'une lésion du système pyramidal, mais
que ce lien n'est pas tant s'en faut indissoluble. Aussi observe-t-on fré-
quemment la réunion de ces signes chez un môme sujet et c'est ce que
vous avez pu constater chez la plupart des malades que je vous ai présen-
tés. Néanmoins, ils peuvent exister l'un sans l'autre ; en effet, comme je
vous l'ai fait voir, le phénomène des orteils fait parfois défaut dans un
membre atteint de paralysie spasmodique avec exagération des réflexes
tendineux et trépidation épileptoïde du pied, tandis qu'inversement on
observe très nettement ce signe dans des cas où, malgré l'existence d'une
lésion du système pyramidal, les réflexes tendineux sont normaux, affai-
blis ou abolis, soit parce que la lésion est de fraîche date soit parce qu'elle
s'associe à des altérations des racines postérieures.
L'importance du phénomène des orteils, au point de vue du diagnostic,
ressort de l'exposé des faits dont je vous ai entretenus et je ne saurais y
insister sans m'exposer à répéter ce que j'ai dit.
Je désire seulement vous faire remarquer que sa valeur sémiologique
est surtout grande dans les cas où l'état des réflexes tendineux ne permet
pas de déceler l'état du système pyramidal. C'est ainsi que dans l'hémiplé-
gie organique récente les réflexes tendineux sont généralement, ainsi que
vous le savez, normaux ou affaiblis et l'on s'accorde à dire qu'il est sou-
vent impossible de distinguer à la première période l'hémiplégie hysté-
rique de l'hémiplégie organique; dans un cas de ce genre, l'existence du
signe des orteils est particulièrement précieuse, car elle permet d'écarter
l'hypothèse d'hystérie. Il en est de même pour la paraplégie au début.
Les réflexes tendineux étant généralement abolis lorsqu'une lésion du
système pyramidal s'associe à une altération des racines postérieures, la
présence du phénomène des orteils, dans un cas de tabes, sera un indice
important, en révélant l'existence d'un trouble dans le système pyramidal,
qui, sans ce signe, aurait pu être méconnu.
Au commencement de cette leçon je vous ai dit que je ne m'occuperai que
du réflexe cutané plantaire chez l'adulte. Je veux toutefois, avant de ter-
miner, vous dire un mot de ce réflexe chez le nouveau-né. Le chatouille-
ment de la plante du pied provoque normalement l'extension des orteils.
Or si l'on considère qu'à la naissance le système pyramidal n'est pas encore
développé, on trouvera dans ce fait une confirmation de cette idée que le
phénomène des orteils est en relation avec un trouble dans le fonctionne-
ment du système pyramidal.
111
DE L'ABDUCTION DES ORTEILS
J. BABINSKI.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 2 juillet igo3.
L'excitation de la plante du pied provoque parfois, entre autres mouve-
t ments réflexes, une abduction plus ou moins marquée d'un ou de
plusieurs orteils qui a déjà été incidemment signalée par certains
auteurs sans qu'ils y aient attaché une valeur sémiologique quelconque.
Mon attention a été attirée aussi, depuis assez longtemps, sur ce phéno-
mène que j'ai observé à l'état normal ainsi qu'à l'état pathologique (voir
fig. t et 2). Mais chez les sujets sains il est rare, et quand il existe il est
peu prononcé, tandis que chez les malades atteints d'une perturbation du
PARAPLÉGIE SPASMODIQUE
Fig. 1. - Pied au repos. Fil : ). 2. - Pied au moment de l'ex-
citation. Abduction des orleils,
d'une intensité moyenne.
38 SÉMIOLOGIE
système pyramidal il est bien plus commun, sans l'être toutefois autant
que l'extension du gros orteil, et il est parfois très marqué. Il m'a paru
surtout très développé dans les paralysies spasmodiques congénitales
accompagnées d'athétose qui consiste d'ailleurs, en partie, en des mouve-
ments d'abduction des orteils. J'ajoute à cela que chez le. nouveau-né, dont
le système pyramidal n'est pas encore constitué, le chatouillement de la
plante du pied donne lieu généralement à une abduction des orteils en
même temps qu'à une extension du gros orteil.
Ce fait seul qu'il peut exister à l'état normal m'empêche d'attribuer à
ce phénomène l'importance fondamentale qui appartient à l'extension du
gros orteil, caractéristique d'une perturbation du système pyramidal ;
néanmoins, quand il est très accentué, il me parait avoir une certaine
signification. Récemment, dans un cas de paraplégie crurale consécutive
à un traumatisme ayant motivé une expertise médico-légale, l'absence de
tout signe objectif classique d'affection organique du système nerveux
avait conduit les médecins chargés de l'examen à émettre l'avis qu'il s'a-
gissait d'hystérie ou de simulation ; ayant observé chez ce malade une
abduction très nette des orteils, j'ai émis une opinion contraire et, environ
trois semaines après ma première consultation, un deuxième examen me
permettait de constater une extension des orteils qui avait fait défaut
jusque-là et qui confirmait ma manière de voir.
J'estime donc que l'abduction des orteils, dans les conditions que je
viens de spécifier, constitue un signe de probabilité en faveur d'une per-
turbation du système pyramidal, qui peut être précieux dans certains cas
douteux.
IV
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX(')
1 [J. BABliNSKI.]
Publié dans le Bulletin Médical des ig et 26 octobre, 6 et a3 novembre ig/2.
Les réflexes tendineux et osseux méritent toute l'attention des clini-
t ciens en leur qualité de phénomènes objectifs que la volonté est
incapable de modifier, en raison de la fréquence des affections qui
les troublent et de la valeur des renseignements que leur exploration
fournit. Leur étude a fait réaliser à la pathologie des progrès qui ont
largement récompensé les efforts consacrés à cette branche de la sémio-
logie.
La main, munie du marteau percuteur, interroge le système nerveux
qui, par l'intermédiaire de ces réflexes, répond avec netteté aux questions
posées. Précieuses sont les révélations que l'on obtient ainsi de lui : il
fait part de dégâts que sa texture a subis, désigne les départements où ils
se sont produits; parfois même, comme un géomètre, il en précise le siège
et l'étendue et met en garde contre les dangers graves qui le menacent.
Un pareil entretien, d'où le mensonge et l'erreur sont exclus, pour qui
connait ce langage, peut en quelques instants dévoiler des secrets qu'il
eût été impossible de surprendre autrement.
Apprendre à bien connaitre les réflexes osso-tendineux, puis s'astrein-
dre à les explorer systématiquement et avec méthode ne constitue donc
pas une minutie ; telle particularité qui, à première vue, semble un détail
sans importance acquiert parfois un intérêt majeur. J'espère faire partager
mon opinion à ceux qui voudront bien suivre ces leçons avec quelque
attention.
Je dois dire cependant que mon intention n'est pas de faire un exposé
complet de tout ce qui a été écrit sur ce sujet. Mon but est de mettre en
lumière les faits qui me paraissent essentiels, et de réunir, à cette occa-
sion, les résultats de mes recherches personnelles éparses en diverses
communications.
(') Leçons laites à l'hôpital de la Pitié.
4o SÉMIOLOGIE
Définition.
On appelle réflexe tendineux, réflexe osseux, le phénomène complexe
que détermine la percussion d'un tendon, d'un os, et qui se manifeste par
une contraction musculaire involontaire, brusque, de courte durée.
METHODE QU IL FAUT EMPLOYER DANS L'EXPLORATION DES REFLEXES
TENDINEUX ET DES REFLEXES OSSEUX.
On est exposé à des erreurs d'observation nombreuses et lourdes si,
dans la recherche des réflexes, on néglige, comme le font bien des méde-
cins, de se conformer à certaines règles.
Nous allons indiquer les conditions principales qu'un pareil examen
doit réaliser pour avoir de la valeur.
1° Il faut que le membre examiné soit mis à nu. L'interposition de vête-
ments entre les téguments et l'objet percuteur présente, en effet, des
inconvénients divers : elle rend difficile la justesse du choc, en diffuse les
effets et masque la secousse musculaire ; or, celle-ci est parfois la seule
manifestation d'une contraction réflexe faible, insuffisante pour provoquer
un déplacement du membre percuté.
2" Il est important que, pendant l'examen, les muscles du segment de
membre exploré ne se contractent pas volontairement, qu'ils soient,
autant que possible, en état de relâchement. Cette condition est parfois
très difficile à réaliser ; sans compter les enfants et les malades atteints
de troubles mentaux, qui s'insurgent contre l'examen et l'entravent en
gesticulant et en se raidissant, certaines personnes, malgré une docilité
entière, ne parviennent que très péniblement ou ne parviennent pas du
tout à relâcher leurs muscles. Plus elles s'efforcent de le faire, moins
elles y arrivent. Pour atteindre le but visé, il faut obturer les yeux du
sujet,, lui parler afin de détourner son attention, ou encore faire accomplir
une contraction musculaire énergique dans une partie du corps diffé-
rente de celle qu'on examine. Quand, par exemple, on recherche le réflexe
rotulien, on demande à l'individu en observation de joindre les mains et
de tirer très fortement sur les doigts entrelacés, au moment où il exécute
cet acte on percute le tendon ; c'est là l'excellent procédé imaginé par
Jendrassik. Dans l'examen des réflexes du membre supérieur, souvent
difficiles à constater, il y a lieu d'inviter le sujet à fermer le poing du
côté opposé. Quelquefois on parvient au résultat cherché grâce à un
simple changement de position : tel individu qui, assis, contractait ses
muscles, les relâche lorsqu'il est couché. Par la palpation on se rend
compte de l'état musculaire, et au besoin on attend avec patience le
moment opportun pour pratiquer la percussion.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 4r
3" Les tendons doivent être dans un certain degré de tension mécani-
que qui généralement est réalisé quand les membres se trouvent dans les
positions que j'indiquerai ultérieurement et qui d'habitude conviennent
le mieux pour l'exploration des divers réflexes osso-tendineux. Mais il y
a à cet égard des différences individuelles ; il peut être nécessaire de
placer les segments d'un membre dans des positions très variées et de
tâtonner avant de déterminer celle qui favorise le mieux l'apparition du
mouvement réflexe. ! i" J'en arrive à la percussion. Elle ne doit pas être pratiquée, ainsi que
beaucoup le font encore, avec le bord cubital de la main, procédé dont
un des inconvénients, entre autres, consiste en ce que le coup porte sur
une surface trop étendue. Il y a lieu de se servir d'un marteau percuteur
dont on fabrique différents modèles. En voici deux dont je fais le plus
habituellement usage. L'un se compose d'un manche en acier nickelé,
long de 20 à 25 centimètres, fixé au centre d'un disque de même sub-
stance qui, à sa circonférence, est creusé d'une gorge garnie d'un anneau
en caoutchouc. Dans le deuxième spécimen, qui a pour avantage de
pouvoir être mis plus facilement dans la poche, le manche est semblable
au précédent, mais le disque est remplacé par une plaque rectangulaire
qui se trouve dans le même plan que le manche ; elle est munie également
d'un anneau de caoutchouc dans sa cannelure périphérique. Ces mar-
teaux sont doués de l'élasticité qui convient à la fonction qu'ils sont
appelés à remplir.
L'opérateur appliquera sur le tendon ou sur la portion de l'os qu'il se
propose d'exciter un coup sec d'une intensité qui doit atteindre un cer-
tain degré sans le dépasser : excessive, elle provoque de la douleur qui,
déjà fâcheuse en soi, est encore regrettable parce qu'elle détermine géné-
ralement des réactions musculaires entravant l'observation de la contrac-
tion réflexe ; trop faible, elle est sans effet. Il est impossible de préciser
la mesure de cette intensité ou le degré de promptitude avec laquelle le
coup doit être porté ; c'est une affaire d'habitude. On arrive, en quelque
sorte d'une manière automatique, à percuter correctement les tendons et
les os, comme on apprend, en jouant au billard, à faire « un coulé » ou
« un rétro ».
Je vais indiquer maintenant les attitudes qui semblent les meilleures
pour la recherche de chaque réflexe, ainsi que les points où doit porter
la percussion pour les réflexes osseux, en insistant plus particulièrement
sur cinq réflexes qui me paraissent constants :
zut. - Réflexe rotulien ou du triceps crural ;
B. Réflexe achilléen ou du triceps sural ;
C. Réflexe du triceps brachial ou d'extension de l'avant-bras ;
D. Réflexe de flexion de l'avant-bras ou réflexe de l'extrémité infé-
rieure du radius ;
E. Réflexe de pronation de la main.
4a SÉMIOLOGIE
A. Réflexe rotulien ou du triceps crural. Plusieurs positions sont
bonnes et doivent être essayées successivement en cas d'incertitude : -.
i" Jambes croisées ; c'est une position difficile pour les gens corpulents :
2" Le sujet est assis ; les jambes font avec les cuisses un angle obtus ;
les pieds reposent sur le sol par le talon.
3" Le malade est couché sur le dos ; le talon porte sur le plan horizon-
tal et le creux poplité repose en flexion sur l'avant-bras gauche de l'obser-
vateur.
fin Le sujet est assis sur une table, les jambes pendantes.
B. Réflexe ACHILLEE\ ou du triceps SURAL. - La meilleure position est
celle que j'ai indiquée et qui a été adoptée par tous les neurologistes : le
sujet se met à genoux sur une chaise ; mais si, pour quelque motif, il
ne peut être placé dans cette position, s'il est incapable de quitter le lit,
il convient de l'examiner couché sur le côté, la jambe légèrement
fléchie sur la cuisse, l'extrémité du pied soutenue par la main gauche de
l'observateur.
C. RÉFLEXE DU TRTCEPS BRACHIAL OU D'EXTENSION DE L'AVANT-BRAS. On
lait porter le membre supérieur en dehors et en arrière ; on le soutient
de la main gauche au niveau du pli du coude, le bras du sujet formant
un angle obtus avec l'avant-bras. Cette autre position me semble préfé-
rable : l'attitude du membre supérieur est analogue à la précédente, mais
au lieu de soutenir le pli du coude, l'observateur, assis, fait appliquer à
plat sur sa cuisse la main du sujet. Il est à noter que, dans ces conditions,
l'avant-bras étant immobilisé ne peut s'étendre et que la secousse mus-
culaire seule est susceptible d'être observée.
On obtient encore une extension de l'avant-bras en percutant celui-ci
le long du tiers inférieur du cubitus.
D. RÉFLEXE DE FLEXION DE L'AVANT-BRAS OU REFLEXE DE L'EXTRÉMITÉ
inférieure du radius. L'avant-bras, en partie fléchi sur le bras, est
placé en demi-pronation et soutenu par la main gauche de l'observateur
au niveau de l'extrémité inférieure. On percute le radius à son extrémité
inférieure et on provoque ainsi la contraction de tous les muscles qui flé-
chissent l'avant-bras.
On obtient aussi la flexion de l'avant-bras par la percussion du tendon
du biceps, mais le mouvement de flexion est généralement moins pro-
noncé, peut-être parce que, d'habitude, la contraction se limite au
seul muscle biceps. On provoque encore pas toujours il est vrai la
flexion de l'avant-bras en percutant l'extrémité inférieure de l'humérus et
différentes parties de l'avant-bras, sauf le tiers inférieur de la région
cubitale dont il vient d'être question à propos du réflexe d'extension.
Ordinairement, je le répète, c'est l'extrémité inférieure du radius dont
la percussion détermine le mouvement réflexe de flexion le plus éner-
gique. Là réside le point d'élection. Parfois, en percutant ce point, on
provoque aussi une flexion de la main et des doigts.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 43
E. Réflexe de pronation. Le membre supérieur est placé dans la
même position que pour la recherche du réflexe de flexion. On obtient le
mouvement de pronation soit en percutant la partie antéro-interne du
radius, soit la partie postéro-inférieure du cubitus d'où le nom de réflexe
cubito-pronaleur proposé par MM. Marie et Barré. La percussion de
l'extrémité inférieure du cubitus provoque chez certains sujets, comme
celle de l'extrémité inférieure du radius, outre le réflexe constant, un
mouvement réflexe de flexion de la main et des doigts.
Telles sont les règles principales, les indications générales qu'il faut
suivre dans l'exploration des réflexes tendineux et osseux. J'aurai l'occa-
sion ultérieurement de montrer les erreurs grossières trop souvent
commises par ceux qui ne les observent pas.
REFLEXES TENDINEUX ET OSSEUX A L'ETAT NORMAL
A vrai dire, il n'est pas aisé de faire le départ précis des sujets nor-
maux et des sujets anormaux. Un individu présentant toutes les appa-
rences de la santé peut avoir un passé pathologique chargé et en conser-
ver des reliquats qu'une investigation attentive fait découvrir; ce n'est
plus un sujet normal. ,
Il faut nécessairement se contenter d'approximation. Celle-ci suffira si
l'on choisit un groupe nombreux d'individus jeunes, bien conformés,
n'accusant aucun malaise, capables de fournir un travail moyen, par
exemple des jeunes soldats. Il sera légitime de considérer comme nor-
maux les phénomènes qui ne manqueront chez aucun d'eux ou qui feront
défaut d'une manière tout à fait exceptionnelle. En procédant ainsi on
arrive aux conclusions suivantes :
Les cinq réflexes cardinaux dont il a été question précédemment exis-
tent dans l'immense majorité des cas ; l'absence de l'un d'eux doit donc
être considérée comme une anomalie. Si une autre opinion a été soutenue
autrefois c'est que la technique employée clans les recherches était défec-
tueuse.
Pour le réflexe rotulien, les statistiques déjà anciennes avaient établi
que son absence est extrêmement rare.
Mais pour le réflexe achilléen on avait lourdement erré. Eulenbourg,
par exemple, en 1882, déclarait que ce réflexe faisait défaut chez 80 pour
100 d'individus normaux. Pour Berger, qui entreprit des recherches sur
1 loo sujets normaux et qui publia le résultat de ses investigations en
1879, le réflexe du tendon d'Achille serait absent dans 20 pour 100 des
cas. En employant la technique que j'ai proposée (voir p. 2) on constate
que le réflexe achilléen ne manque pour ainsi dire jamais. Les conclusions
de mes recherches ont été confirmées par nombre de neurologistes.
C'est ainsi qu'Oppenheim écrit : « Comme la meilleure méthode (pour
44 SEMIOLOGIE
rechercher le réflexe achilléen) je considère celle que Babinski a pro-
posée. Depuis que j'opère d'après cette technique, je n'ai trouvé ce
réflexe absent chez les sujets normaux que très exceptionnellement. Je
considère donc l'absence du réflexe achilléen comme signe d'un état
pathologique. »
Albert Charpentier ayant examiné, en r8g8, les réflexes tendineux de
1 200 militaires âgés de dix-huit à vingt-quatre ans, n'a pas trouvé une
seule fois l'absence des réflexes rotuliens et achilléens.
Quant aux réflexes du membre supérieur, ils ont été généralement
considérés comme inconstants. Tel est l'avis d'Oppenheim. C'est aussi
l'opinion de Berger, suivant lequel le réflexe du biceps manquerait 35 fois
sur 100 et le réflexe du triceps brachial 25 fois sur 100. Mohr aurait noté
leur absence dans 33 pour 100 des cas chez des jeunes soldats bien por-
tants. Pour Sternberg, en 1896, le réflexe du biceps fait moins rarement
défaut que celui du triceps brachial.
D'après mes observations, parmi les réflexes du membre supérieur, il
en est trois, le réflexe du triceps, le réflexe de flexion de l'avant-bras et
le réflexe de pronation, qui présentent la même constance que le rotulien
et 1',tchilléen(').
Si maintenant, dans le groupe des individus paraissant jouir d'une par-
faite santé, au lieu de choisir uniquement les jeunes, on examine indis-
tinctement des sujets de différents àges 0, on constate que la présence
des cinq réflexes cardinaux constitue encore une règle souffrant peu
d'exceptions. Cependant elles sont plus fréquentes et cela s'explique
aisément : le passé pathologique se charge en général d'autant plus qu'on
avance dans la vie. C'est ce qui ressort nettement d'un intéressant travail
du Dr Dupuy, médecin-major de la garde républicaine, qui examina
23o gardes âgés de 22 à 54 ans (').
J'ajouterai que, même chez les vieillards, même chez des sujets très
affaiblis, les réflexes existent ordinairement.
Si les cinq principaux réflexes sont pour ainsi dire toujours présents à
l'état normal, il n'en va pas de même de quelques autres réflexes tendi-
neux tels que ceux d'adduction de la cuisse, de flexion de la main et des
doigts, d'extension de la main et des doigts, d'abduction, d'adduction de
la main, etc. En réalité, leur absence, à l'état normal, n'est peut-être
qu'une apparence : en employant certains moyens permettant de perce-
voir des réactions motrices très légères, il se pourrait qu'on les mît en
évidence ; mais avec les procédés usuels, clans un grand nombre de cas
ils semblent faire défaut.
Ce que nous venons de dire sur les réflexes inconstants montre qu'à
l'état normal il existe des variétés individuelles. Mais cette diversité se
(1) Au Congrès de Francfort de J9' J, NI. 1'1'010 mer (de Hambourg) a fourni des statistiques- pres-
que semblables aux miennes.
(2) Je fais abstraction des nouveau-nés et des jeunes enfants.
(3) De l'absence des réllexes achilléens et des réflexes rotuliens sans autre signe d'affection du sys-
tème nerveux (Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, n° 2, J \) J 2).
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 4îi
trouve aussi dans les réflexes constants, car ces derniers sont loin d'avoir
la même amplitude chez tous les sujets.
Bien plus, à l'état normal, les réflexes osso-tendineux forts se distin-
guent des réflexes moyens ou faibles non seulement par l'amplitude du
mouvement provoqué, mais encore par divers autres caractères que nous
allons décrire.
Comparons par exemple les réflexes de flexion de l'avant-bras de deux
individus, du reste parfaitement sains, dont les réflexes osso-tendineux
du membre supérieur sont forts chez l'un et faibles chez l'autre. Voyons
les différences qui existent entre eux.
a) Le seuil de la contraction est atteint chez le sujet dont les réflexes
sont forts à la suite d'un choc d'une intensité insuffisante pour déterminer
une réaction chez l'autre.
b) Chez le premier sujet, avec une même intensité de choc, le mouve-
ment réflexe a une vitesse et une brusquerie plus grandes que chez le
second.
c) Tandis que chez ce dernier la percussion de l'extrémité inférieure
du radius ne provoque de contraction apparente que dans les muscles
fléchisseurs de l'avant-bras, nous constatons chez l'autre individu (aux
réflexes forts), outre la réaction des fléchisseurs, des contractions dans
d'autres muscles plus ou moins éloignés, dans le deltoïde par exemple.
L'étendue du territoire des réactions motrices est donc variable.
d) Chez le sujet aux réflexes faibles, nous obtenons la flexion par la
percussion d'une zone assez limitée (lieu d'élection; voir p. 42), chez
l'autre, le réflexe peut être provoqué par la percussion d'une surface
beaucoup plus considérable, par celle des différentes parties de l'avant-
bras et même parcelle de la région carpienne. L'étendue de la zone ré-
flexogène est donc variable elle aussi.
Il est encore un point qu'il importe de noter ; si chez un môme indi-
vidu les réflexes tendineux des différentes parties du corps sont ordinai-
rement d'une intensité analogue, il n'en est pas toujours ainsi, tant s'en
faut. Les réflexes tendineux des membres intérieurs peuvent être forts et
ceux des membres supérieurs faibles; et môme les divers réflexes d'un
membre offrent parfois une intensité inégale, le réflexe de flexion étant,
par exemple, beaucoup plus fort que le réflexe d'extension, ou inverse-
ment.
Il importe de connaître ces diflérences individuelles et je ne saurais
trop engager les étudiants à examiner systématiquement un grand nombre
de gens sains pour connaitre toute la gamme des réflexes nouveaux avant
d'aborder l'étude des états pathologiques. Pour ne pas s'être familiarisé
suffisamment avec ces variétés on a commis des erreurs sur lesquelles
j'aurai à insister, en particulier quand je m'occuperai de la « trépidation
épileptoïde du pied ».
Mais en opposition avec cette variabilité que j'ai cru indispensable de
mettre en lumière, les réflexes tendineux possèdent certains caractères de
fixité. Si la percussion d'un des points d'élection pour la production d'un
46 SÉMIOLOGIE
des cinq réflexes cardinaux peut provoquer parfois, outre le réflexe
constant, un des réflexes inconstants signalés précédemment, ce dernier
ne l'emporte jamais en intensité sur le premier. Par exemple, si chez tel
sujet normal, par la percussion de l'extrémité inférieure du radius on
détermine une flexion de la main et des doigts, cette flexion est ordinai-
rement moins marquée que la flexion de l'avant-bras sur le bras, ou, tout
au moins, n'est pas prédominante. Nous aurons à revenir sur ce fait et
à montrer son importance clinique à propos de « l'inversion du réflexe du
radius ».
Un autre caractère de fixité, dont l'intérêt est encore plus grand, mérite
d'être énoncé sous forme de loi.
Loi de symétrie. - A l'étal normal, les réflexes tendineux du côté droit
sont égaux ri ceux du côté gauche.
Sans doute, à l'état normal, comme je l'ai dit, le réflexe de flexion des
doigts et de la main, le réflexe d'extension des doigts, etc., peuvent faire
défaut chez un individu sain, mais alors ils font défaut des deux côtés ;
si l'un d'entre eux manque d'un côté tandis qu'il existe de l'autre, on a
affaire à un état pathologique.
SUR LA LOCALISATION DES CENTRES DES REFLEXES TENDINEUX ET OSSEUX.
Quelques mots enfin sur la localisation des centres des réflexes tendi-
neux dans le névraxe. Comme nous le verrons au chapitre de la patholo-
gie, l'étude des réflexes nous donne des renseignements non seulement
sur la nature des maladies, mais encore sur le siège de lésions atteignant
des arcs réflexes.
On admet que chaque muscle est innervé par plusieurs racines (habi-
tuellement par trois racines) et qu'il dépend, par conséquent, de plusieurs
segments médullaires .
Nous ne savons pas, à vrai dire, dans quelle mesure la participation des
divers segments est nécessaire à la production du phénomène réflexe;
néanmoins, les notions déjà acquises présentent une réelle valeur pra-
tique : elles nous permettent parfois de situer des lésions médullaires
avec une approximation suffisante pour les exigences de la clinique. On
trouvera groupées dans le tableau ci-dessous les données que nous pos-
sédons sur la localisation des centres des principaux réflexes.
Ces localisations qui, envisagées chacune isolément, sont peut-être appe-
lées à subir quelques corrections, paraissent tout à fait exactes relative-
ment à l'ordre de succession en hauteur des centres des réflexes tendi-
neux depuis la protubérance jusqu'à la moelle sacrée.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX
47
TABLEAU 140 Il Localisations des centres des réflexes tendineux et osseux.
48 SÉMIOLOGIE
SUBRÉFLECTlVITÉ; IRRÉFLECTIVITÉ
Ces troubles sont dus, habituellement je viens de le dire à une
altération d'une des trois portions de l'arc du réflexe atteint : a) la voie
centripète (nerf sensitif ou racine postérieure); 6) la partie centrale (sub-
stance grise) ; c) la voie centrifuge (racine antérieure, nerf moteur ou
muscles auxquels aboutit ce nerf).
CARACTÈRES PERMETTANT DE RECONNAITRE l'iRRÉFLECTIVITÉ
ET LA SURRÉFLECTIVITÉ
Causes d'erreur d'appréciation.
En matière d'irréflectivité, on risque, quand on est insuffisamment
expérimenté, de commettre deux genres d'erreur, de considérer soit
comme absent un réflexe simplement faible ou même normal, soit comme
présent un réflexe aboli. La gravité de pareilles erreurs est proportionnée
à la valeur clinique du symptôme en question.
L'erreur qui consiste à méconnaître l'irréflectivité a plusieurs origines :
a) Certains individus chez lesquels la recherche des réflexes a déjà été
pratiquée, qui savent ce qu'on attend de la percussion des tendons, exé-
cutent presque inconsciemment, à la suite du choc, un mouvement voli-
tionnel susceptible d'être pris pour une contraction tendino-réflexe. En
pareil cas, on est exposé à se tromper dans son interprétation si le réflexe
que l'on explorait est aboli.
Pourtant on arrive aisément à distinguer du réflexe « légitime » le
« faux » mouvement réflexe. Outre que la forme de ce dernier n'est pas
identique à celle du premier, ce qui, à la vérité, est d'une appréciation
délicate, le temps perdu entre la percussion et la réaction est souvent
beaucoup plus long que lorsqu'il s'agit du réflexe tendineux vrai, et il
varie d'une expérience à l'autre ; de plus, l'intensité de la contraction
musculaire subit aussi de notables variations dans plusieurs expériences
successives. Ces caractères sont particulièrement nets quand le sujet a les
yeux obturés.
b) Dans l'exploration du réflexe du triceps brachial, si on vise mal, et
si le choc, au lieu de porter immédiatement au-dessus de l'olécrâne sur
le tendon, s'égare et atteint le muscle, on provoque une contraction idio-
musculaire qui peut en imposer pour un mouvement réflexe. Semblable
confusion est parfois commise, lorsque, pour explorer la flexion réflexe
de l'avant-bras sur le bras, on cherche à percuter le tendon du biceps. Il
suffit d'être prévenu de cette cause d'erreur pour être à même de l'éviter.
c) Enfin je dois encore attirer l'attention sur une autre cause de confu-
sion. On observe, en effet, notamment chez certains paraplégiques, sous
l'influence d'une excitation de la peau des membres inférieurs, des mou-
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 49
vements réflexes qui constituent ce qu'on appelle « des réflexes cutanés
de défense », sur lesquels je reviendrai : Ces réflexes de défense coexis-
tent parfois avec l'affaiblissement ou l'abolition des réflexes tendineux.
En pareil cas, la percussion du tendon rotulien occasionne indirectement,
par suite de l'excitation de la peau dans la zone du tendon du quadriceps,
un mouvement réflexe qu'un observateur superficiel risquera de prendre
pour un réflexe tendineux; c'est là « le pseudo-phénomène du genou » de
WestphaL .
Mais pour peu qu'on soit sur ses gardes, on ne tombera pas dans une
pareille méprise : le mouvement réflexe de défense, à l'état pathologique,
est généralement plus lent et d'une durée plus longue que le mouvement
tendino-réflexe ; il envahit des groupes musculaires autres que ceux qui
constituent le domaine du réflexe tendineux ; enfin les réflexes de défense
peuvent d'habitude être provoqués par l'excitation de diverses parties des
membres inférieurs.
En résumé, il est assez facile de se mettre à l'abri du premier genre
d'erreur.
L'erreur du deuxième genre est extrêmement commune. Que de fois
n'ai-je pas été consulté par des personnes jouissant d'une santé parfaite,
et que leur médecin traitait comme tabétiques, pour avoir cru, à tort,
constater une abolition des réflexes rotuliens. Une pareille faute a pour
cause l'inobservation des règles qu'il faut suivre dans l'examen de ces
réflexes et que j'ai indiquées précédemment.
J'avoue que, malgré mon habitude de ces explorations, je suis obligé, par-
fois, de consacrer plusieurs minutes à la recherche d'un seul réflexe pour
être fixé sur son état. Je ne saurais donc trop recommander à ceux auxquels
la neurologie n'est pas très familière, d'être circonspects et, au besoin, de
renouveler leurs investigations plusieurs fois avant de se prononcer.
Je signalerai incidemment un procédé m'ayant permis dans certains cas
de faire apparaître un réflexe tendineux qui m'avait semblé aboli : c'est
la percussion plusieurs fois répétée des muscles de la région explorée.
Lorsque l'absence des réflexes précédemment décrits oui seulement
celle de l'un d'eux est nettement constatée, on peut affirmer immédiate-
ment qu'on a affaire à un état anormal ; cela ressort des données fournies
par l'étude physiologique des réflexes. Mais il est plus difficile de déter-
miner le degré d'intensité au-dessous duquel on est en droit de dire qu'il
y a de la subréflectivité. Sur quel critérium fonder une opinion ?
Deux catégories de faits doivent être envisagées :
a) Les réflexes tendineux sont faibles dés deux côtés et, en outre, plus
faibles d'un côté que de l'autre.
L'interprétation d'un pareil cas est simple. En effet, l'asymétrie dénote
un état pathologique. Il reste à savoir si cette asymétrie se trouve liée à
une exagération des réflexes tendineux d'un côté, ou à un affaiblissement
des réflexes du côté opposé. La faiblesse générale des réflexes ne permet-
tant pas d'accepter la première idée, c'est la deuxième qu'on est obligé
d'admettre. '
Babinski. 4
5o SÉMIOLOGIE
Abstraction faite du degré d'intensité des réflexes, on peut déterminer
aisément si leur inégalité tient à de la subréflectivité ou à de la surréflec-
tivité quand il existe des troubles fonctionnels unilatéraux. Il va sans dire
qu'en pareil cas les réflexes du côté malade doivent être considérés comme
affaiblis ou exagérés suivant qu'ils sont moins forts ou plus forts que
ceux du côté sain.
b) Les réflexes sont faibles et égaux des deux côtés.
A-t-on affaire à de la faiblesse physiologique ou bien à un affaiblis-
sement pathologique ? Si la faiblesse est très marquée, si, de plus, on
constate le phénomène de l'« épuisement » les percussions successives
donnant lieu à des réactions musculaires de plus en plus faibles on
n'hésitera pas à reconnaître un état pathologique. La faiblesse est-elle
moins accentuée et le phénomène de l'épuisement fait-il défaut, il sera
plus difficile ou même impossible de se former une opinion ferme. Cela
devient une question d'impression qui a d'autant plus de chances d'être
juste que l'observateur a fait une étude plus approfondie des réflexes
tendineux à l'état normal. Mais il faut reconnaître que, le plus ordinai-
rement, quand il s'agit de subréflectivité véritable, la symétrie parfaite est
exceptionnelle, et il est bien rare que le problème ne puisse être résolu.
DES DIVERS MODES DE LA SIuBREPLECTIVITE ET DE L'iRRÉFLECTIVITÉ.
La subréflectivité ou l'irréflectivité peut être généralisée ou localisée;
nous aurons l'occasion par la suite d'indiquer, à cet égard, les variétés
les plus communes que l'on observe.
L'irréflectivité, quand elle est partielle, peut avoir pour conséquence
une transformation des mouvements consécutifs à la percussion des
tendons et des os. C'est ainsi que le choc sur le tendon du triceps brachial,
lorsque le réflexe d'extension de l'avant-bras est aboli ou affaibli, peut
être suivi d'une flexion de l'avant-bras sur le bras. C'est là le réflexe
paradoxal du coude. Voici comment j'interprète ce phénomène. A l'état
normal, la percussion de l'extrémité inférieure de l'humérus détermine
une flexion de l'avant-bras, sauf quand elle est pratiquée au niveau du
tendon du triceps, les effets de l'excitation de ce tendon l'emportant alors
sur ceux qui résultent de l'ébranlement de l'os sous-jacent. A l'état patho-
logique, lorsque le réflexe d'extension est aboli ou affaibli, le mouvement
réflexe de flexion apparaît, même quand le choc porte sur le tendon
tricipital (').
La flexion de la jambe sur la cuisse, consécutive à la percussion du
tendon rotulien (réflexe paradoxal du genou de Benedikt), relève d'un
mécanisme analogue. Dejerine et Jumentié ont insisté récemment sur ce
phénomène.
Nous avons dit (p. 42) que la percussion de l'extrémité inférieure du
radius provoque toujours, à l'état normal, une flexion de l'avant-bras sur
(1) Voir Revue neurologique, 191 Ie semestre, p. 5 [I.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 51
le bras. Celle-ci s'accompagne parfois d'une flexion de la main et des
doigts; mais ce dernier mouvement, chez l'individu sain, a une intensité
qui est généralement inférieure à celle de la flexion de l'avant-bras sur le
bras et ne lui est jamais supérieure. Or, la diminution ou l'abolition du
réflexe de flexion de l'avant-bras, état pathologique, peut avoir cette
conséquence que la percussion de l'extrémité inférieure du radius
détermine une flexion de la main et des doigts l'emportant en intensité
sur la flexion de l'avant-bras ou se produisant alors que celle-ci fait
défaut. C'est ce phénomène que j'ai décrit sous la dénomination d'inver-
sion du réflexe du radius(') et dont la réalité a été confirmée depuis par
de nombreux observateurs.
On conçoit des combinaisons pouvant donner lieu à d'autres modes
d'inversion. Marie et Barré ont attiré l'attention sur ce qu'ils ont appelé
l'inversion du réflexe eub ilo-prona leur.
Les réflexes tendineux s'affaiblissent ou disparaissent tantôt soudai-
nement, tantôt lentement. L'irréflectivité dure indéfiniment ou elle
régresse. Elle s'accompagne d'autres symptômes qui la précèdent ou la
suivent, ou bien elle représente la seule manifestation d'un état patho-
logique. En effet, sauf l'hypotonie qui en est la conséquence habituelle,
l'abolition des réflexes tendineux ne produit par elle-même aucune per-
turbation fonctionnelle : un individu privé de tous ses réflexes tendineux
peut n'éprouver aucun malaise; il en est ainsi dans beaucoup de cas de
tabes fruste. C'est un phénomène qui présente une valeur capitale au point
de vue du diagnostic, mais qui ne cause aucune gène et qui, de plus, ne
donne pas nécessairement la mesure de la gravité de l'affection à laquelle
il est lié.
AFFECTIONS QUI PRODUISENT DE L'IRRÉFLECTIVITÉ OU DE LA SUBREFLECTIVITE,
(Lésions intéressant les arcs des réflexes tendineux.)
Nous allons passer en revue les principales maladies qui engendrent
de l'irréflectivité. Nous pourrions adopter un ordre méthodique et
examiner successivement ces affections en commençant par celles qui
atteignent la partie périphérique de la voie centripète de l'arc réflexe
pour aboutir aux lésions frappant la périphérie de la voie centrifuge;
nous préférons une classification moins physiologique mais plus clinique,
semble-t-il.
Au point de vue qui nous occupe, on peut classer les maladies dans
lesquelles on observe de l'irréflectivité en deux groupes. Au premier
appartiennent trois grandes affections pour le diagnostic desquelles
l'absence des réflexes osso-tendineux constitue un symptôme de première
importance. Ce sont le tabès, les névrites et la poliomyélite antérieure.
Joignons à cette triade pathologique la maladie de Friedreich que nous
(') Voir Bulletins et Mémoires de la Société médicale des hôpitaux, 1910, t. XXX, 3e série,
p. 185.
52 SÉMIOLOGIE
plaçons sur un second plan en raison de sa moindre fréquence. Dans le
deuxième groupe nous rangerons toutes les affections dans la symptoma-
tologie desquelles l'irréflectivité, quoique importante, n'occupe pas
d'habitude la première place. Ainsi apparaissent les myélites diffuses,
transverses, les compressions médullaires, la syringomyélie, etc.
PREMIER GROUPE.
Tabès. Occupons-nous d'abord de la maladie de Duchenne, où,
comme nous l'avons déjà dit, l'abolition du réflexe rotulien a été signalée
pour la première fois par Westphal en 1870. Cet auteur, en 1881, revenait
plus particulièrement sur cette question et établissait que l'absence du
réflexe rotulien constitue parfois un signe précoce de l'ataxie locomotrice.
Ce symptôme étendit considérablement le domaine de nos connaissances
sur la maladie de Duchenne de Boulogne et permit de la déceler dans bien
des cas où autrefois elle eut été méconnue.
Les réflexes rotuliens ne sont pas les seuls réflexes tendineux qui soient
atteints dans le tabès ; tous peuvent être abolis.
On peut même dire que, dans la hiérarchie des irréflectivités tendi-
neuses, le signe de Westphal n'occupe pas le premier rang ; celui-ci est
tenu, comme je l'ai établi, par l'abolition du réflexe achilléen. Ce trouble
a été autrefois signalé, il est vrai, dans quelques observations de tabes,
mais on n'y avait attaché aucune valeur parce que l'on considérait
l'absence du réflexe achilléen comme très commune à l'état normal. Or,
ayant montré que ce réflexe est pour ainsi dire constant chez l'individu
sain, j'ai pu tirer parti de son abolition ('). Je me suis convaincu que ce
symptôme est très fréquent dans le tabes, qu'il précède généralement
l'abolition du réflexe rotulien et qu'il a une valeur prépondérante pour le
diagnostic de la maladie de Duchenne à son début; cela, d'ailleurs, se
conçoit quand on sait que les lésions du tabès suivent d'habitude une
marche ascendante et débutent par les racines les plus inférieures. Ces
notions ont été acceptées par la plupart des neurologistes (Erb, Biro,
Goldflam, Soeger, Oppenheim, etc.).
On observe parfois une abolition croisée des deux réflexes, rotulien et
achilléen; il n'est pas rare, en effet, de trouver d'un côté le réflexe
achilléen aboli et le réflexe rotulien conservé, tandis que de l'autre côté
c'est l'inverse qui a lieu : le réflexe achilléen existe et le rotulien est aboli.
Les réflexes des membres supérieurs dans le tabès ont été, en 1901,
l'objet d'un travail de Fraënkel (v. Revue neurologique, 1901, p. 2 ! ¡ : -i).
D'après lui, l'abolition des réflexes des membres supérieurs précéderait
habituellement l'irréflectivité des membres inférieurs et constituerait un
signe précoce du tabes. Cette allégation est inexacte. L'erreur a proba-
blement pour cause des fautes de technique dans l'exploration des réflexes
(') a) Sur le réflexe du tendon d'Achille dans les tabès, par J. Babinski (Bulletins et mémoires de
la Soc. méd. des hôpitaux, 1898, p. 679). .
b) Sur le réflexe du tendon d'Achille, par J. Babinski (Revue neurologique, 1901, p. (i82).
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 53
des membres thoraciques. En les recherchant suivant les procédés que
j'ai indiqués, on constate, dans un grand nombre de cas, leur présence
alors que les réflexes des membres pelviens sont déjà abolis. Le fait
inverse est excessivement rare. Il n'en est pas moins vrai qu'à une
certaine phase de la maladie les réflexes des membres supérieurs s'affai-
blissent et disparaissent à leur tour chez beaucoup de sujets. Ordinai-
rement alors les troubles suivent une marche ascendante, le réflexe,
d'extension de l'avant-bras étant le plus souvent atteint avant le réflexe
de flexion. En pareil cas, la percussion du tendon du triceps brachial
provoque généralement ce que nous avons appelé « le réflexe paradoxal
du coude ».
.Avant de disparaître, les réflexes passent par une phase où ils sont affai-
blis et cet affaiblissement est d'habitude asymétrique ; Goldflam a insisté
sur l'inégalité des réflexes rotuliens (Voir : Neurologisches Centralblatt,,
1888, p. 529). Je ferai remarquer, à ce propos, que la plupart des mani-
festations du tabes se présentent, au moins à une certaine période, sous
une forme asymétrique.
L'irréflectivité on vient de le voir peut se généraliser. Quelque-
fois, au contraire, elle reste localisée dans un seul département, le plus
souvent alors dans celui du tendon d'Achille, et ne s'étend pas au delà.
Dans certains cas, l'irréflectivité, même quand elle envahit plusieurs
départements, demeure indéfiniment la seule manifestation clinique du
tabès. D'autres formes de la maladie se traduisent par des douleurs ful-
gurantes, des crises gastriques, des crises laryngées, de l'atrophie papil-
laire, etc., les réflexes tendineux n'étant que peu atteints ou restant tous
normaux. Pourtant il existe un trouble tabétique, le plus saillant de tous,
l'ataxie, qui semble s'accompagner nécessairement d'irréflectivité ten-
dineuse.
Dans la maladie de Duchenne, les réflexes tendineux, après avoir été
abolis, sont-ils susceptibles de reparaître ? Ce fait est certainement très
rare dans le tabes pur ; il l'est moins lorsque le tabes se complique d'une
hémiplégie (Goldflam, Jackson et Taylor, etc.). Nous aurons à revenir
sur ce sujet quand nous nous occuperons de l'association des lésions
dont les unes exaltent et les autres affaiblissent les réflexes tendineux.
Névrites. Si l'on considère l'importance relative de l'irréflectivité
tendineuse dans la symptomatologie des maladies nerveuses, il faut, après
le tabès, étudier les névrites.
Dans la grande majorité des cas de névrites, en effet, on observe un
affaiblissement ou une abolition des réflexes tendineux et osseux, et c'est
là un signe capital pour le diagnostic. On constate l'abolition des réflexes
dans toutes les espèces et variétés de névrites, que la lésion porte plus
particulièrement sur les fibres motrices ou qu'elle atteigne de préférence
les fibres sensitives ; on l'observe non seulement dans les névrites graves
avec réaction de dégénérescence, mais aussi dans les névrites dilespéri-
axiles (Gombault). , .
54 SÉMIOLOGIE
. Comme dans le tabes, l'irréflectivité peut être, dans la névrite, géné-
ralisée ou localisée. Elle suit le cours de la maladie : là où la névrite se
généralise d'emblée, nous trouvons parfois, dès le début, une abolition
de tous les réflexes ; dans d'autres formes où l'évolution est lente, l'irré-
flectivité s'étend progressivement. Elle peut constituer la seule manifes-
tation de l'affection ; pourtant cela paraît beaucoup plus rare que dans le
tabes. Contrairement aussi à ce qu'on observe dans la maladie de
Duchenne, il n'est pas rare de constater dans les névrites la réapparition
et le retour à l'état normal de réflexes tendineux qui avaient été abolis. Il
faut ajouter que la régression de l'irréflectivité est précédée habituelle-
ment par la disparition des autres troubles caractérisant les névrites (dou-
leurs, paralysies, amyotrophies, etc.). Parfois la réapparition des réflexes
est très rapide; cela a lieu surtout dans les névrites périaxiles, la névrite
diphtérique par exemple.
Les diverses variétés de névrites ne présentent pas de notables diffé-
rences en ce qui concerne l'irréflectivité. Cependant certaines formes
déterminent de préférence l'abolition de tel ou tel réflexe. Ainsi, la névrite
alcoolique, qui frappe avec prédilection les membres inférieurs, présente
surtout l'abolition des réflexes rotuliens et achilléens ; par contre, la névrite
saturnine, atteignant principalement les membres supérieurs, n'abolit
parfois que les réflexes de ces membres.
Nous venons d'envisager l'irréflectivité tendineuse dans les polynévrites.
Il nous reste à examiner rapidement, à ce même point de vue, les névrites
localisées. Nous ne les passerons pas toutes en revue ; il ne sera question
ici que de la sciatique, qui est la plus commune des névrites localisées, et
de la névrite radiale, sur laquelle j'ai fait quelques observations nouvelles.
Dans la névralgie sciatique, l'irréflectivité peut faire défaut, et pour éta-
blir le diagnostic on se fonde en particulier sur l'existence de certains
points douloureux (Valleix), sur le signe de Lasègue, sur la scoliose, que
Charcot et moi avons étudiée ('). Cependant, lorsque le réflexe achilléen
est conservé, la réalité d'une lésion du nerf sciatique est souvent difficile
à affirmer. Le diagnostic différentiel de cette forme d'avec la pseudo-scia-
tique (névralgie hystérique) est quelquefois impossible. Au contraire,
l'absence du réflexe achilléen, phénomène assez commun dans la scia-
tique, permet d'écarter l'hypothèse de suggestion ou de simulation et
d'établir d'une façon rigoureuse l'existence d'une névrite (Sternberg,
Babinski, Forestier) (2).
Il faut remarquer qu'une sciatique-névrite avec abolition du réflexe
achilléen ne s'accompagne pas nécessairement de violentes douleurs,
qu'elle peut même être indolore et bénigne, et qu'inversement une scia-
tique avec conservation du réflexe achilléen donne parfois naissance à
des douleurs atroces et à de la scoliose.
(1) Sur une déformation particulière du tronc causée par la sciatique, par J. Babinski (Archives de
neurologie, 1888, IV, 43).
(2) Voir Société méd. des hôpitaux de Paris, 1896, p. 887 : Abolition du réflexe du tendon
d'Achille dans la sciatique, par J. Babinski.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 55
La névrite radiale, dans la forme que j'ai décrite('), est caractérisée par
des douleurs violentes, lancinantes, prédominant à la région postérieure
du bras, une légère amyotrophiedu triceps brachial avec simple diminu-
tion de la contractilité électrique, et par l'abolition du réflexe d'exten-
sion de l'avant-bras sur le bras.
POLIOMYÉLITE antérieure. Tandis que dans les névrites nous avions
affaire à une irréflectivité par lésions des voies centripètes ou centrifuges,
dans les poliomyélites ce symptôme est produit par une lésion des centres
réflexes eux-mêmes, par une lésion des cellules des cornes antérieures.
L'irréflectivité est diverse dans les poliomyélites, ce qui d'ailleurs eût
pu être prévu, étant donné que cette affection présente des variétés nom-
breuses que je n'ai pas à décrire ici en détail. Il va sans dire qu'elle atteint
un nombre plus ou moins grand de départements, suivant que les lésions
sont elles-mêmes plus ou moins étendues : elle occupe tantôt les quatre
membres, tantôt les membres supérieurs ou les membres inférieurs, tan-
tôt un seul membre ; elle se localise parfois dans un seul département :
le réflexe du tendon achilléen peut être aboli tandis que le réflexe rotulien
est conservé, ou inversement.
Au point de vue de son évolution, il y a lieu d'envisager l'irréflectivité
séparément dans la poliomyélite chronique et dans la poliomyélite
aiguë.
Dans la première, elle ne se constitue que très lentement; elle est pré-
cédée par de la subréflectivité qui, elle-même, n'apparaît pas nécessaire-
ment dès le début de l'affection dont l'amyotrophie peut être le premier
signe objectif. Un groupe musculaire est parfois très atrophié sans que
ses réflexes tendineux soient abolis ; néanmoins, l'irréflectivité s'établit
généralement avant que l'atrophie des muscles soit complète. Dans la
poliomyélite chronique la subréflectivité et l'irréflectivité ne régressent
pas.
Dans la poliomyélite aiguë, l'affaiblissement ou l'abolition des réflexes
tendineux atteint d'emblée les territoires qui sont frappés par les lésions,
et constitue pour le diagnostic et le pronostic un signe objectif de grande
valeur. Il est évident que la subréflectivité dépend d'altérations moins
profondes que l'irréflectivité. Celle-ci pourtant n'est pas un indice cer-
tain d'un désordre irrémédiable des centres nerveux. Les réflexes tendi-
neux peuvent reparaître, au moins en partie, et l'on voit, dans bien des
cas, le domaine de la subréflectivité et de l'irréflectivité, d'abord très
étendu, se rétrécir progressivement.
Enfin, il nous reste à mentionner, parmi les maladies où l'irréflectivité
est un signe cardinal, la maladie de Friedreich, variété de sclérose combi-
née. Quoique dans cette affection, aux lésions des arcs tendino-réflexes
s'associe une sclérose des faisceaux pyramidaux, les réflexes tendineux
paraissent toujours abolis ou affaiblis. Si, dans les névrites, dans la polio-
myélite aiguë, comme je l'ai dit, les réflexes, après avoir été abolis, peu-
(') Voir Revue neurologique, 1903, p. 734 : Névrite radiale, par J. Babinski.
56 SEMIOLOGIE
vent reparaître et redevenir normaux, si même dans le tabes, quoique
exceptionnellement, on observe le retour des réflexes en particulier
sous l'influence d'une altération des faisceaux pyramidaux (hémiplégie)
l'irréflectivité est toujours définitive dans la maladie de Friedreich.
deuxième GROUPE.
Lorsque des lésions intra-spinales : myélites, néoplasies, hématomyélie,
atteignent les fibres ou les cellules d'arcs tendino-réflexes, elles provo-
quent l'affaiblissement ou l'abolition des réflexes tendineux correspon-
dants ; à ce point de vue elles ressemblent à la poliomyélite antérieure.
Prenons quelques exemples. Une myélite détruisant le renflement lom-
baire déterminera une abolition des réflexes rotuliens. Une lésion du
renflement cervical donnera lieu parfois à une abolition de tous les
réflexes tendineux des membres supérieurs ; en pareil cas l'état des réflexes
des membres inférieurs dépendra de circonstances diverses ; ils pourront
être abolis ou exagérés, selon que l'affection sera de date récente ou
ancienne ; c'est là un point que nous aurons à traiter ultérieurement.
Si les lésions de la moelle cervicale, au lieu d'atteindre tout le renflement
n'en détruisent qu'une portion limitée, les réflexes tendineux des mem-
bres supérieurs ne seront troublés que d'une manière partielle ; on pourra
observer alors, soit le réflexe paradoxal du coude, soit l'inversion du
réflexe du radius, soit d'autres modes de dissociation.
On sera ainsi en mesure de déterminer, par l'étude seule des réflexes,
le siège des altérations, et d'en préciser parfois les limites. Cependant,
en ce qui concerne la syringomyélie, la gliomatose, il y aurait témérité à
localiser les frontières de la lésion en se fondant sur l'état des réflexes
tendineux. Admettons que le réflexe de flexion de l'avant-bras sur le bras
soit seul aboli. Il ne faut pas en conclure que la lésion se limite au cin-
quième segment ; malgré l'intégrité des autres réflexes tendineux du
membre supérieur, la cavité médullaire peut avoir envahi toute la région
cervicale. L'interprétation de ce fait est d'ailleurs assez simple : les
lésions de syringomyélie peuvent s'étendre sur une grande hauteur sans
intéresser les arcs réflexes.
Envisageons maintenant les lésions péri-médullaires capables de donner
naissance à de l'irréflectivité : fracture de la colonne vertébrale, luxation
des vertèbres, mal de Pott, méningites diverses, tumeurs méningées. L'irré-
flectivité résultera, soit d'une compression de la moelle et sera alors ana-
logue à celle qu'engendrent les lésions intra-médullaires que nous venons
d'étudier, soit d'une lésion des racines.
Remarquons cependant que la compression des racines ne suffit pas
toujours à abolir les réflexes. Nous avons présenté, Jumentié, Jarkowski
et moi, à la Société de neurologie, un cas de méningite hypertrophique
où les réflexes n'étaient pas abolis, quoique les racines fussent englobées
dans le tissu inflammatoire et que les lésions eussent déterminé une
atrophie considérable des muscles.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX z
Dans la spondylose, l'abolition des réflexes rotuliens et achilléens, qu'on
observe parfois, ainsi que je l'ai montré, est liée vraisemblablement à une
propagation du processus inflammatoire au nerf radiculaire ou au nerf
mixte. Cette irréflectivité, quand elle est associée à des douleurs fulgu-
rantes, risque d'être attribuée, si l'on n'y prend garde, à du tabes. Pour
mettre ce trait en évidence, j'ai désigné cette forme de spondylose sous
la dénomination de « pseudo-tabes spondylosique » (').
Il nous reste à voir dans quelle mesure les maladies du muscle lui-même
sont capables de produire l'irréflectivité tendineuse et osseuse. Plusieurs
auteurs ont signalé l'affaiblissement, ou même l'abolition des réflexes
dans la myosite aiguë. On conçoit facilement qu'une altération du muscle
puisse entraver ses fonctions physiologiques. Mais ce qui nous intéresse
ici spécialement, ce sont les maladies musculaires placées sur les confins
des maladies nerveuses^
Examinons, en premier lieu, la myopathie primitive progressive. On
admet généralement que, dans la myopathie primitive, les réflexes s'affai-
blissent et finissent par disparaître au sur et à mesure que progresse
l'atrophie. Cependant Landouzy et Dejerine, Erb, Marie, Guinon, Léri et
d'autres ont rapporté des cas d'abolition du réflexe patellaire avant que le
quadriceps fût sensiblement atrophié. Dejerine et Landouzy trouvent le
fait inexplicable. D'autres auteurs croient pouvoir chercher la raison du
phénomène dans la concomitance de lésions nerveuses. Jarkowski et
moi(2) avons étudié des faits de ce genre, et nous fondant sur la coïnci-
dence de l'abolition des reflexes tendineux avec l'inexcitabilité idio-mus-
culaire, nous avons émis l'hypothèse que l'irréflectivité, dans la myopa-
thie, est due à une altération particulière au muscle.
L'affection décrite par Erb en 1878, communément appelée aujourd'hui
myasthénie et généralement considérée, depuis les travaux de Goldflam et
Joly, comme une maladie du muscle, peut-elle provoquer de l'irréflecti-
vité ? On a rapporté quelques cas de myasthénie avec affaiblissement et
même abolition des réflexes tendineux. Steinert prétend avoir vu les
réflexes passagèrement abolis. Erb, interrogé par moi à ce sujet, m'a dit
qu'il avait noté parfois de l'affaiblissement des réflexes mais qu'il n'avait
jamais constaté leur disparition. Mes observations personnelles sont
conformes à celles d'Erb.
Terminons par l'étude des réflexes tendineux dans la paralysie pério-
dique, affection très rare en France, observée surtout en Allemagne, en
Pologne et en Russie. Je suis porté à croire que cette maladie appartient
plutôt à la pathologie du muscle qu'à celle du système nerveux ; l'absence
des caractères de la réaction de dégénérescence et l'abolition de l'excita-
bilité idio-musculaire sont pour moi des arguments à l'appui de cette
idée. C'est pour ce motif que je range cette affection à la suite de la dys-
(') J. Babinski. - Pseudo tabes spondylosique (Revue neurologique, igo3, p. 6 ! 5)..
(2) Voir Revue neurologique, ign, 1 er semestre, p. 778 : Sur l'excitabilité idio-musculaire et sur
les réflexes tendineux dans la myopathie progressive primitive, par J. Babinski et J. Jarkowski. '
58 SÉMIOLOGIE
trophie musculaire progressive et de la myasthénie. Pendant la crise de
paralysie, qui occupe généralement les quatre membres, le tronc et le cou,
il y a simultanément abolition de la motilité volitionnelle, de l'excitabilité
électrique des nerfs et des muscles, de l'excitabilité idio-musculaire et
des réflexes tendineux. Tous ces phénomènes se développent progressi-
vement et, après avoir duré d'habitude quelques heures, disparaissent
petit à petit comme ils ont apparu. Parmi toutes les affections connues,
c'est la seule dans laquelle les réflexes tendineux se comportent ainsi.
lésions siégeant au-dessus DES centres DES réflexes tendineux.
Nous venons d'envisager les différentes lésions de l'arc réflexe qui
produisent de l'irréflectivité. Ce trouble peut-il être engendré directement
par une altération du système nerveux central siégeant au-dessus des
centres des réflexes tendineux ? Telle est la question que nous allons dis-
cuter.
Il est incontestable que des lésions survenant brusquement, provoquant
des phénomènes de shock, s'accompagnent souvent d'irréflectivité tendi-
neuse et osseuse. Un ictus apoplectique, une compression subite de la
moelle, une myélite aiguë, une hématomyélie peuvent abolir transitoirement
les réflexes au-dessous de la zone atteinte Les phénomènes de shock dis-
parus, on voit réapparaître les réflexes tendineux, lorsque les arcs réflexes
n'ont pas été lésés.
Mais on doit se demander si dans d'autres cas l'irréflectivité peut être
permanente.
A ce propos nous allons examiner avec quelques détails la conception
très répandue, connue sous le nom de LOI de Bastian, énoncée par cet
auteur pour la première fois en 1890, suivant laquelle une solution de
continuité totale de la moelle, notamment dans la région cervicale ou cer-
vico-dorsale, donne lieu à une abolition des réflexes tendineux dans les
segments sous-jacents.
Pour expliquer ce fait, Bastian adoptait l'hypothèse émise par Jackson,
d'après laquelle le cervelet aurait une action excitatrice sur les centres
médullaires des réflexes, la région psycho-motrice du cerveau exerçant
sur eux, par l'intermédiaire du faisceau pyramidal, un pouvoir frénateur.
Bruns, Dejerine, Nonne, Marinesco, etc., furent les premiers à accepter
la manière de voir de Bastian, en faveur de laquelle on invoque deux
ordres de faits : 1° les observations anatomo-cliniques où une destruction
transversale complète de la moelle s'était manifestée, entre autres signes,
par une abolition des réflexes tendineux ; 2" des observations cliniques
où les réflexes tendineux et la sensibilité s'afl'aiblissent et disparaissent
simultanément.
Par contre, depuis longtemps on savait qu'une section de la moelle
chez une grenouille provoque une exagération des réflexes au-dessous de
la lésion. Après la publication de Bastian, la question fut reprise expéri-
mentalement, et voici les données qui semblent résulter des recherches
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 59
entreprises par Gad et Flatau, Lapinski, Sherrington, Sternberg, etc.
Chez le lapin, le chien, une section de la moelle à la région dorsale ou à
la région cervicale peut, il est vrai, déterminer un affaiblissement ou une
abolition des réflexes tendineux des membres inférieurs, mais ces troubles
sont passagers. Chez le singe, d'après Sherrington, la durée du shock est
plus longue que chez le chien et le lapin, mais l'abolition des réflexes ten-
dineux n'est pas non plus permanente.
Une observation, qui a la valeur d'une expérience de laboratoire, fut
faite par Barbé sur un guillotiné. Voici ce qu'écrit cet auteur en 1885,
dans les comptes rendus de la Société de biologie : .
« L'observation fut commencée un peu plus d'une minute après l'exécution. Les
membres étaient en résolution complète. Je n'ai constaté aucune trace d'érection ni
d'éjaculation. Soulevant alors la jambe droite, j'ai obtenu très manifestement le réflexe
rotulien. Me rendant compte de l'importance qu'il y avait à constater avec certitude
ce réflexe persistant après la décapitation, j'ai prié les étudiants qui m'accompa-
gnaient de prêter la plus grande attention aux nouvelles tentatives que j'allais faire, et
tous ont pu constater comme moi ce réflexe qui a persisté jusqu'à huit minutes après
l'exécution. » .
Cette observation, à première vue, semble décisive. Cependant on pour-
rait objecter que les effets de l'influence excitatrice du cervelet hypo-
thèse émise par Jackson se maintiennent quelque temps après la sec-
tion de la moelle.
Mais on a publié des faits de section complète de la moelle, vérifiée
anatomiquement, où les réflexes tendineux avaient subsisté jusqu'à la
mort. Telles sont les observations de Kausch, de Joly et Lapinski, de
Henneberg. Si elles sont exactes, elles établissent tout au moins que la
section de la moelle, chez l'homme comme chez les animaux, n'a pas
pour conséquence nécessaire une abolition des réflexes tendineux au-des-
sous de la lésion. Et alors la proposition de Bastian ne constituerait
plus une loi.
Il n'en reste pas moins vrai que, chez l'homme, dans la plupart des cas
de destruction transversale complète de la moelle, on constate une abo-
lition des réflexes tendineux au-dessous de la zone lésée ('). Si cette irré-
flectivité n'est pas sous la dépendance directe de la solution de continuité
de la moelle, elle doit être liée à des causes indirectes qu'il s'agit de déter-
miner. Il existe un certain nombre de faits bien observés où l'on a pu
établir que des lésions concomitantes d'arc réflexes devaient être incri-
minées. Dans ces cas, l'irréflectivité est d'une interprétation très simple.
En l'absence d'altérations appréciables des voies tendino-réflexes, on peut
encore se demander si certaines lésions spinales, d'une nature spéciale,
Il est à noter qu'on a signalé l'irréflectivité aux membres inférieurs dans beaucoup d'observa-
tions où il n'existait que des lésions incomplètes de la moelle cervicale. J'ai rapporté moi-même
(Archives de médecine expérimentale, 1891, n° 2 : Paraplégie flasque par compression de la (moelle)
un cas de compression de la moelle cervicale où j'avais constaté l'abolition des réflexes rotuliens sans
qu'il y eût de troubles de sensibilité.
60 SÉMIOLOGIE '
ne provoqueraient pas dans la partie sous-jacente de la moelle une per-
turbation comparable à celle que détermine le shock opératoire, et cela
d'une manière permanente. Quelques expérimentateurs, parmi lesquels
Margouliès, Balint et Lapinski, soutiennent que l'état des réflexes dépend
surtout de la modalité de la lésion.
A l'appui de cette idée, voici une très intéressante expérience que
Lapinski aurait réalisée : la moelle étant sectionnée chez le chien, dans
la région cervicale, avec un instrument bien tranchant, on constate, peu
de temps après l'opération, la présence des réflexes tendineux. Quelques
jours plus tard, on contusionne l'extrémité libre de la partie inférieure de
la moelle, en la comprimant à plusieurs reprises entre les mors d'une
pince : les réflexes tendineux disparaissent d'une manière durable. Enfin,
on pratique une nouvelle section de la moelle au-dessous de la région
comprimée : à la suite de cette troisième opération les réflexes tendineux
réapparaissent.
Dans quelle mesure peut-il y avoir analogie entre ces faits de patholo-
logie expérimentale et ce que l'on observe chez l'homme ? Nous poserons
la question sans la résoudre.
On a rapporté un grand nombre de cas où des altérations encéphali-
ques, causées en particulier par des tumeurs, avaient aboli les réflexes
tendineux. Il s'agissait, très souvent, de lésions portant sur le cervelet.
Ces faits paraissent explicables, d'après Jackson et Bastian, par le rôle
excitateur qu'exercerait, à l'état normal, le cervelet sur les centres médul-
laires. Mais la plupart des auteurs, Oppenheim, Bruns, Bechterew, font
dépendre l'irréflectivité de lésions radiculaires concomitantes éloignées
de la tumeur et causées soit par l'augmentation de pression du liquide
céphalo-rachidien, soit par des produits toxiques. Collier, Nageotte ont
publié des faits absolument démonstratifs à cet égard. Toutefois il n'est
pas encore permis de généraliser.
. SURREFLECTIVITE
En général, les réflexes tendineux et osseux sont exagérés sous l'influence
de lésions du système pyramidal siégeant au-dessus de leurs centres.
CARACTÈRES PERMETTANT DE DISTINGUER LA SURRErLECTIYITE.
- (Causes d'erreur d'appréciation.)
En traitant de l'irréflectivité, j'ai fait remarquer que des mouvements
volontaires sont capables de masquer cet état pathologique.
Ils peuvent être cause d'une erreur inverse et faire admettre l'existence
d'un état pathologique, d'une surréflectivité tendineuse chez un sujet dont
les réflexes sont normaux. C'est là une confusion qu'on doit savoir éviter :
j'ai déjà indiqué les moyens de discerner les contractions produites par
un acte de la volonté de celles qui sont d'origine tendino-réflexe.
RÉFLEXES TENDINEUX ET REFLEXES OSSEUX 61
Il est plus délicat de fixer la limite de l'état normal. Nous avons dit pré-
cédemment qu'au point de vue de l'intensité, les réflexes tendineux pré-
sentent, chez l'homme sain, de grandes différences individuelles : moyens
ou faibles chez les uns, ils sont forts chez les autres ('). Aussi s'agit-il de
déterminer les caractères permettant de distinguer d'avec les réflexes
tendineux simplement forts, encore physiologiques, les réflexes « exa-
gérés », c'est-à-dire pathologiques. Entre les réflexes forts et les réflexes
exagérés, il existe, à la vérité, des transitions, et il peut être malaisé dans
un cas donné, d'affirmer que la frontière de l'état normal a été franchie.
Cependant, j'estime que le plus souvent un observateur expérimenté par-
viendra à résoudre le problème.
Il faut envisager deux ordres de faits :
1° Les réflexes tendineux étant forts des deux côtés, sont plus forts d'un
côté que de l'autre.
En vertu de la loi de symétrie, nous dirons qu'il s'agit manifestement
d'un état anormal et, tenant un raisonnement analogue à celui que nous
avons fait à propos de la subréflectivité unilatérale, nous ajouterons qu'il
y a tout lieu d'admettre non un affaiblissement du côté où les réflexes
sont le moins vifs, mais une exagération du côté où ils sont le plus vifs.
2° Les réflexes sont égaux et très forts des deux côtés. Remarquons que
si la symétrie dans la subréflectivité est rare, elle est commune dans la
surréflectivité. On l'observe, en effet, dans un grand nombre de cas de
maladies médullaires.
. Outre l'impression que l'on peut avoir au jugé, il est un caractère géné-
ral, un critérium de l'exagération des réflexes tendineux que j'énoncerai
de la manière suivante : il y a surréflectivité lorsque, le sujet ne contrac-
tant pas volontairement ses muscles, l'excitation d'un tendon détermine dans
le groupe musculaire correspondant une série de contractions réflexes ryth-
mées.
Ce caractère, dont l'absence, il est vrai, ne permet pas d'exclure l'idée
de surréflectivité, est particulièrement apparent dans le phénomène que
les cliniciens appellent « épilepsie spinale » et qu'on observe le plus sou-
vent au pied. On le désigne alors sous la dénomination de « clonus du
pied », « trépidation épileptoïde du pied ». On recherche ce signe en pro-
cédant ainsi : tenant la jambe immobile dans la main gauche et saisissant
l'extrémité du pied avec la main droite, l'observateur fléchit brusquement
le pied sur la jambe sans l'abandonner. Il y a trépidation épileptoïde quand
cette impulsion détermine une succession rapide de flexions et d'exten-
sions, donnant à la main qui soutient et accompagne le pied, la sensation
d'un rythme parfait. '
Ce phénomène peut être facilement distingué de la fausse trépidation,
simple tremblement, dont les oscillations ne sont pas aussi régulières et
sur laquelle je reviendrai en traitant de l'hystérie. '.
(') Un certain nombre d'auteurs emploient indistinctement ces deux expressions : réflexes forts,
réflexes exagérés, ce qui entraîne une confusion. Le qualificatif « exagéré » doit, être réservé à un
état pathologique.
6a SÉMIOLOGIE
Le clonus du pied cela ressort de ce qui précède ne constitue un
critérium de surréflectivité que lorsqu'il remplit la condition suivante : le
clonus doit être obtenu en l'absence de toute contraction volontaire des
muscles de la jambe ; alors seulement on a le droit de considérer la trépi-
dation comme parfaite et dénotant un état pathologique. Si non, on peut
avoir affaire à une trépidation que j'appelle fruste ('), phénomène banal
qu'on observe chez des sujets dont il y a tout lieu de considérer le système
nerveux comme absolument sain.
Pour s'en convaincre il suffit de choisir quelques individus ne présentant
aucun signe d'affection nerveuse, ayant simplement des réflexes tendineux
forts et chez lesquels le soulèvement du pied, sans nul artifice préalable,
n'a pas provoqué de trépidation ; qu'on invite alors les sujets en expérience
à étendre le pied sur la jambe et à résister un peu au mouvement de
flexion que l'expérimentateur cherche à lui imprimer pour faire apparaître
l'épilepsie spinale ; en procédant de cette façon on obtiendra, dans un
assez grand nombre de cas, une trépidation identique dans sa forme à
celle qui dépend d'un état pathologique. Je ferai remarquer que le phéno-
mène ne se manifeste pas toujours dès que la contraction volontaire se
produit ; il faut que celle-ci s'opère avec une certaine mesure ; si elle est
trop forte ou trop faible, le clonus fait défaut. Il en résulte qu'un individu,
chez qui l'expérience est pratiquée pour la première fois, a besoin de
tâtonner en quelque sorte avant d'opposer le degré de résistance néces-
saire ; il y arrive plus facilement après plusieurs essais et la trépidation
qu'on observe alors se rapproche davantage de l'épilepsie parfaite. Quoi
qu'il en soit, dans ces divers cas, il est extrêmement facile de reconnaître
qu'il s'agit d'épilepsie fruste : on a affaire, en effet, à des gens se prêtant
à ces recherches, mettant, quand on les y invite, leurs muscles dans le
relâchement, état dans lequel la trépidation épileptoïde ne peut plus être
provoquée.
Mais admettons qu'un de ces sujets, après s'être exercé et avoir été pour
ainsi dire dressé, se propose de simuler l'épilepsie spinale. Y aura-t-il
quelque moyen de reconnaître la nature fruste de sa trépidation ? Assu-
rément, car il est très difficile ou même impossible de maintenir volon-
tairement, pendant plusieurs minutes consécutives, les muscles au degré
nécessaire de contraction, et par conséquent la trépidation ne présentera
pas le même degré de constance que dans l'épilepsie spinale parfaite.
J'ajoute que les contractions volontaires gênent plutôt qu'elles ne facilitent
la manifestation de la trépidation parfaite, ce qui constitue encore un
moyen de la discerner de la trépidation fruste.
Il n'en est pas moins vrai que si l'on n'y prête pas une attention suffi-
sante, si, comme beaucoup de médecins le font, on se contente d'une
exploration rapide, on est très exposé à confondre les deux variétés d'épi-
lepsie spinale. Et pourtant, il est essentiel de les distinguer puisque, je
(') De l'épilepsie spinale fruste, par J. Babinski (Revue neurologique, igo3, p. m, et 1906
p. 287).
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 63
le répète, la trépidation épileptoïde parfaite est un phénomène patholo-
gique et que la fruste peut exister à l'état physiologique.
Il est à retenir que la trépidation épileptoïde fruste se rencontre assez
communément chez les tuberculeux ne présentant, du reste, aucun signe
d'affection organique du système nerveux.
Si je suis entré dans des développements circonstanciés sur ce sujet
c'est qu'il me paraît d'une grande importance pratique ; qu'il est encore
imparfaitement connu de beaucoup de médecins et que sa méconnaissance
explique, comme on le verra dans la suite, les divergences d'opinions sur
la signification du clonus du pied.
Outre la trépidation du pied, on observe des phénomènes identiques
dans d'autres parties des membres. Ainsi, en repoussant violemment la
rotule vers l'extrémité distale du membre, on provoque parfois des contrac-
tions successives du quadriceps qui entraînent « la danse de la rotule ».
De même, en redressant fortement la main on obtient, dans certains cas,
une série de secousses identiques à celles du clonus du pied : c'est la
« trépidation épileptoïde de la main » signalée par Bouchard en 1866. Ce
phénomène n'apparait pas toujours avec facilité. Nous conseillons, pour
la constatation de ce signe, de placer le membre supérieur du sujet en
demi-flexion et pronation et d'immobiliser l'avant-bras. Nous n'insisterons
pas sur une trépidation analogue qu'on observe plus rarement aux orteils
et aux doigts.
Les diverses variétés de trépidation épileptoïde que nous venons de
décrire sont déterminées par une excitation tendineuse persistante ou
renouvelée à courts intervalles. Si, dans la recherche d'un réflexe tendi-
neux, une seule percussion est suivie de plusieurs secousses successives
on a affaire à un réflexe dit polycinélique (A. Charpentier) qui est analogue
à l'épilepsie spinale et a la même signification, quand il est bien marqué.
Dans le même ordre de faits rentrent les cas où sous l'influence d'un
déplacement du membre, spontané ou provoqué, se déclenche une trépi-
dation réflexe qui subsiste plus ou moins longtemps alors que le membre
est abandonné à lui-même.
Nous devons mentionner encore deux phénomènes, particuliers au
membre inférieur, dénotant la surréflectivité : ce sont le signe de Rosso-
limo et celui de Mendel-Bechterew. Le signe de Rossolimo consiste dans
le fait qu'une chiquenaude relevant les orteils provoque une flexion
réflexe de ceux-ci. Le signe de Mendel-Bechterew est constitué par une
flexion réflexe des orteils qu'on obtient par la percussion de la face dorsale
du pied. A l'état physiologique cette excitation provoque une extension
des quatre derniers orteils, due à une contraction idio-musculaire du
pédieux. Voici comment il est permis d'interpréter, avec M. Yoshimura,
de Tokio, l'inversion de ce mouvement : l'exagération des réflexes osso-
tendineux du membre inférieur peut se traduire par l'apparition d'un
réflexe de flexion des orteils; or, les effets de ce réflexe provoqué par la
percussion de la face dorsale du pied masquent, s'ils ont une puissance
suffisante, ceux de la contraction idio-musculaire.
64 SEMIOLOGIE ' '
Toutes ces manifestations cliniques que nous venons de décrire per-
mettent nous y insistons d'affirmer que les réflexes tendineux sont
exagérés. ' ' .
DES DIVERS MODES DE LA SURREFLECTIVITE.
La surréflectivité, au point de vue de sa répartition, se présente sous
des aspects divers. Les deux modes les plus communs sont : '
a) La surréflectivité unilatérale, liée le plus souvent à une affection du
système pyramidal siégeant dans l'encéphale du côté opposé, ou, plus
rarement, à une lésion spinale du même côté.
b) La surréflectivité bilatérale des membres pelviens, liée presque
toujours à une affection spinale, mais pouvant être exceptionnellement
causée par une affection encéphalique bilatérale, corticale ou sous-
corticale.
Il y a d'autres types plus rares que nous allons indiquer.
c) La surréflectivité limitée à un membre inférieur. Ce type, parfois lié
à une affection corticale, dépend bien plus souvent d'une lésion spinale;
dans ce dernier cas, à la vérité, la surréflectivité atteint ordinairement,
dans une certaine mesure, l'autre membre. Il y a toute une série de
transitions entre ce type et la surréflectivité bilatérale des membres
pelviens.
d) La surréflectivité est circonscrite dans un des membres supérieurs.
Ce type s'observe plus rarement que le précédent; il n'est guère causé
que par des lésions siégeant dans l'écorce cérébrale ou immédiatement
au-dessous; en effet, sauf dans cette région, les fibres du faisceau pyra-
midal sont partout tellement rapprochées qu'une lésion atteignant les
fibres correspondant au membre supérieur frappe presque inévitablement
celles qui commandent le membre inférieur.
e) La surréflectivité atteint les quatre membres. Ce type se subdivise
en deux sous-variétés. Dans la première, tous les réflexes tendineux et
osseux des membres supérieurs sont exagérés : elle dépend d'une lésion
bilatérale occupant soit l'encéphale, soit la moelle cervicale au-dessus du
quatrième segment. Dans la seconde sous-variété, l'exagération des
réflexes tendineux des membres supérieurs n'est que partielle ; le réflexe
d'extension de l'avant-bras, par exemple, étant exagéré, le réflexe de
flexion de l'avant-bras est au contraire affaibli ou aboli : il s'agit alors
sûrement d'une affection spinale; nous reviendrons sur ce point.
f) Enfin la surréflectivité peut occuper les deux membres inférieurs et
un membre supérieur. C'est un type rare que nous ne faisons que
signaler.
- En général, l'exagération des réflexes tendineux se constitue d'une
manière progressive. Elle peut être transitoire, mais le plus ordinaire-
ment elle demeure, sujette parfois à des alternatives de diminution et
d'augmentation.
La surréflectivité s'accompagne habituellement d'autres symptômes :
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 65
paralysie, contracture, etc., mais elle peut se présenter aussi comme
signe unique d'un état pathologique. Cela est pourtant beaucoup plus
rare que pour l'irréflectivité. En effet, lorsque la surréflectivité acquiert
un degré d'intensité assez élevé elle se lie inévitablement à une gène dans
les fonctions motrices.
AFFECTIONS QUI PRODUISENT DE LA SURRETLECTIVITE.
Nous allons passer en revue les principales affections du système
nerveux central dont la surréflectivité est une des manifestations habi-
tuelles, en cherchant à dégager ce que chacune d'elles présente de parti-
culier quand on l'envisage dans ses relations avec ce symptôme.
Lésions de l'encéphale. Des affections diverses de l'encéphale :
hémorragies, ramollissements, tumeurs, etc., atteignant directement ou
indirectement le faisceau pyramidal, provoquent des troubles de motilité
et déterminent, du moins dans une phase de leur évolution, de la surré-
flectivité.
Étudions l'exagération des réflexes tendineux dans ses relations avec
l'hémiplégie cérébrale organique.
Voyons d'abord la variété la plus commune, l'hémiplégie vulgaire de
l'adulte, produite par une lésion destructive en foyer ayant pour consé-
quence une dégénération secondaire du faisceau pyramidal.
Dans la phase où la dégénération est constituée, les réflexes tendineux
du côté paralysé sont exagérés. L'intensité de la surréflectivité est géné-
ralement proportionnée à celle de la paralysie. La surréflectivité dans
l'hémiplégie organique est très facile à reconnaitre. Les réflexes tendineux
examinés exclusivement du côté malade offrent déjà, d'ordinaire, les
caractères intrinsèques qui constituent le criterium de la surréflectivité
(trépidation épileptoïde, réflexe polycinétique, etc.). De plus, abstraction
faite des caractères précédents qui peuvent être frustes, la comparaison
du côté malade avec le côté sain décèle la surréflectivité. Dans la majo-
rité des cas, la différence entre les deux côtés est particulièrement nette
pour le réflexe de flexion de l'avant-bras sur le bras. Au membre inférieur,
l'inégalité dans le « réflexe contra-latéral des adducteurs » décrit par
Pierre Marie réflexe qui, à l'état normal, fait souvent défaut est
parfois très frappante : la percussion du tendon rotulien du côté sain, et
mieux encore de la face interne du condyle fémoral, donne lieu à une
adduction très marquée de la cuisse paralysée, tandis que la môme
manoeuvre du côté malade n'est suivie d'aucune réaction du côté sain ou
ne détermine qu'une adduction moindre.
Nous venons de voir que l'hémiplégie de l'adulte, dans la période où la
dégénération secondaire est constituée, s'accompagne de surréflectivité.
Quel est l'état des réflexes osso-tendineux dans la phase initiale ? Immé-
diatement après l'ictus les réflexes peuvent n'avoir subi aucune modifi-
cation ; ils sont parfois affaiblis ou abolis, quelquefois exagérés. Ce
dernier fait n'est peut-être pas aussi rare qu'on le pensait autrefois. Sur
li,% ni NSK 1. . 5
66 SÉMIOLOGIE
dix cas d'hémiplégie récente observés par Ganault C), le réflexe rotulien
était normal trois fois, affaibli deux fois, exagéré cinq fois. MM. Gendron
et Miraillé ont relaté l'histoire de six cas d'ictus apoplectique examinés
quelques minutes après le début dans lesquels les réflexes, les rotuliens
en particulier, étaient déjà exagérés.
D'une manière approximative, on peut dire que vers la fin de la deuxième
semaine qui suit l'attaque, la surréflectivité est établie. Une fois constituée,
l'exagération des réflexes tendineux, dans la forme d'hémiplégie dont
nous nous occupons, ne subit pas de modification importante. Elle peut
s'atténuer dans une certaine mesure, mais elle ne disparait pas.
Considérons maintenant une hémiplégie organique due à une lésion
cérébrale qui exerce sur le système pyramidal une action perturbatrice,
mais non destructive, et qui n'a pas pour conséquence une dégénération
secondaire.
Soit une hémiplégie liée à une hémorragie de la capside externe ou à une
hémorragie méningée. Les réflexes tendineux peuvent, pendant une période
plus ou moins longue, se comporter comme dans la forme habituelle dont
il a été question précédemment. Mais contrairement à ce qui a lieu dans
l'hémiplégie vulgaire, la surréflectivité, après avoir été parfois très
prononcée, est susceptible de s'atténuer et de disparaître. Sa régression
coïncide, du reste, avec celle de la paralysie.
Choisissons, comme autre exemple d'hémiplégie sans dégénération
secondaire, un cas de néoplasme intra-crânien qui comprime le faisceau
pyramidal sans le détruire. La surréflectivité, l'une des manifestations
possibles de cette compression, régressera parfois, comme dans les cas
d'hémorragie de la capsule externe ou d'hémorragie méningée. Le retour
des réflexes à l'état normal coïncide aussi avec la guérison des troubles
paralytiques obtenue par des moyens médicaux (traitement spécifique s'il
s'agit de néoplasme syphilitique) ou par une intervention chirurgicale
(extraction de la tumeur).
Il est à noter que dans l'hémiplégie par compression lente, contraire-
ment à ce que l'on observe dans les autres formes d'hémiplégie, la surré-
flectivité n'est jamais précédée par une phase de sub ou d'irréflectivité ;
elle s'installe souvent d'une manière sournoise et peut progresser pendant
des mois avant d'atteindre son apogée.
Les divers cas d'hémiplégie que nous avons envisagés jusqu'à présent
ont été marqués par de la surréflectivité, au moins dans une de leurs
phases. Il y a lieu de se demander si l'exagération des réflexes tendineux
accompagne nécessairement une hémiplégie organique permanente. Telle
est la question que nous discuterons.
Il importe avant tout d'éviter les confusions. On a décrit sous le nom
d'hémiplégie cérébelleuse des troubles de motilité unilatéraux sans
(') Contribution à l'étude de quelques réflexes dans l'hémiplégie de cause organique (Thèse de
Paris, 1S9X).
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 67
accompagnement de surréflectivité. Ces faits ne rentrent pas dans le cadre
de notre étude ; il ne s'agissait pas là d'hémiplégie, c'est-à-dire de para-
lysie unilatérale, mais de troubles moteurs d'une tout autre nature (mou-
vements démesurés, asynergie, adiadococinésie).
Cette élimination faite, il nous faut considérer successivement l'hémi-
plégie sans dégénération secondaire du faisceau pyramidal et l'hémiplégie
avec dégénération secondaire.
En ce qui regarde la première variété, je puis répondre par l'affirmative
à la question posée. J'ai relaté (') l'observation d'un malade atteint d'une
tumeur intra-crânienne comprimant la région psycho-motrice sans la
détruire où, malgré la présence de troubles moteurs très manifestes
(épilepsie Bravais-Jaksonienne, hémiparésie caractérisée, légère raideur)
d'une très longue durée, les réflexes tendineux n'avaient subi aucune
exagération. L'absence de surréflectivité, coïncidant avec une hémiparésie
manifestement organique et déjà ancienne, est un des arguments sur
lesquels je m'étais fondé pour affirmer qu'il s'agissait là d'une compres-
sion de la région rolandique sans dégénération secondaire.
Il reste à voir si la surréflectivité peut faire défaut dans l'hémiplégie
avec dégénération secondaire ? Assurément cela est possible si à la lésion
du faisceau pyramidal s'associent des altérations dans les arcs tendino-
réflexes (par exemple, association de tabes et d'hémiplégie). Nous revien-
drons bientôt sur ce point.
D'autres associations sont-elles capables de produire le même effet ?
Des lésions de la couche optique ou du corps strié, associées à une alté-
ration du faisceau pyramidal, peuvent-elles entraver la surréflectivité ? ' ?
Ce qui conduit à émettre cette idée simple hypothèse c'est principa-
lement l'étude de l'hémiplégie infantile dans laquelle l'absence de surré-
flectivité a été souvent notée C) et où les lésions des noyaux gris centraux
sont assez communes. Mais, dans l'état actuel de nos connaissances, il
est impossible de se prononcer sur ce point qui, pour être éclairci, exige
de nouvelles recherches anatomo-cliniques. Il est encore à remarquer que
dans les observations étiquetées « hémiplégie infantile » il s'agit parfois
d'hémispasme plutôt que d'hémiplégie à proprement parler : l'élément
« paralysie » est accessoire ou nul, l'élément « spasme » unique ou pré-
pondérant. L'absence de surréflectivité tient peut-être à ce que, en pareil
cas, la couche opto-striée seule est atteinte et que le faisceau pyramidal
est intact. ,
En ce qui concerne les faits d'hémiplégie avec dégénération secondaire,
incontestablement purs l'absence de toute association ayant été véri-
fiée anatomiquement - je n'en connais pas un seul, ni chez l'enfant, ni
chez l'adulte, où l'exagération des réflexes tendineux ait manqué.
Lésions de la moelle. La surréflectivité dans les lésions de la moelle
(') De la paralysie par compression du faisceau pyramidal sans dégénération secondaire, par
J. Babinski (Revue neurologique, igo6, p. 6g3).
(2) Voir à ce sujet : Sur l'absence fréquente de la contracture permanente dans l'hémiplégie infan-
tile, par E. Long (Revue neurologique. 1910, t. XIX, p. 9).
68 SÉMIOLOGIE
est un symptôme extrêmement commun ; ce qui se conçoit d'ailleurs aisé-
ment en raison de la place importante occupée par les faisceaux pyrami-
daux dans cette partie du système nerveux.
Il n'est peut-être pas sans intérêt de faire remarquer ici que les relations
de la surréflectivité avec les troubles de la motilité volontaire sont diffé-
rentes suivant que le système pyramidal est atteint dans la moelle ou dans
l'encéphale : dans les lésions encéphaliques du moins chez l'adulte
lorsque l'exagération des réflexes est intense, il y a généralement des
troubles paralytiques assez accentués ; il n'en est pas de même dans les
lésions spinales où une surréflectivité très marquée peut coexister avec
conservation à peu près complète de la force musculaire.
Examinons d'abord le type morbide décrit par Erb sous le nom de
paralysie spinale spastique et dénommé par Charcot tabès dorsal spasmo-
dique. Dans ce type, cliniquement bien défini, il existe un contraste,
signalé déjà par l'éminent neurologiste d'Heidelberg, entre l'exagération
notable des réflexes tendineux et l'intégrité relative de la force mus-
culaire ; la surréflectivité s'installe petit à petit ; elle n'est jamais précédée
par une phase d'irréflectivité ou même de subréflectivité et, une fois
constituée, elle subsiste indéfiniment. S'agit-il là, comme le pense Erb,
d'une entité nosologique conditionnée par une sclérose systématique des
faisceaux pyramidaux, sans lésion en foyer, ou bien d'un syndrome,
comme d'autres le soutiennent ? C'est une question que nous n'avons pas
à discuter ici.
Quoi qu'il en soit, diverses affections spinales diffuses : syphilis médul-
laire, sclérose multiloculaire , lésions traumatiques, syringomyélie, peuvent,
à un moment de leur évolution, réaliser un tableau symptomatique, sinon
identique, du moins très voisin de celui de tabès dorsal spasmodique.
Cependant, en envisageant ces affections au point de vue des réflexes
tendineux, qui seuls nous intéressent ici, nous pouvons relever des diffé-
rences parfois très notables. Ces différences tiennent soit à ce que la
dégénération secondaire peut y faire défaut et que les lésions sont répa-
râblés, soit encore à ce que d'autres lésions s'associent à celles du fais-
ceau pyramidal.
La surréflectivité liée à des altérations syphilitiques de la moelle, dispa-
rait quelquefois à la suite d'un traitement spécifique.
La surréflectivité de la sclérose multiloculaire comme d'ailleurs les
autres symptômes de cette affection est sujette à des fluctuations. Elle
peut régresser après avoir été très prononcée ; parfois même elle est
remplacée par de la subréflectivité ou de l'irréflectivité.
Si la syringomyélie est capable de produire aux membres inférieurs des
troubles identiques à ceux qu'on observe dans le tabès dorsal spasmo-
dique, entre autres une surréflectivité très notable, généralement l'état des
réflexes tendineux aux membres supérieurs est bien différent. Nous
reviendrons sur ce point à propos des relations entre la surréflectivité et
l'irréflectivité.
On sait que la paraplégie du mal de Poil, môme après avoir été totale,
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 69
guérit parfois. Les faits de ce genre, au point de vue qui nous occupe,
peuvent être divisés en deux catégories. Dans les uns, malgré la régres-
sion de la paralysie, la surréflectivité se maintient; c'est qu'il y avait de
la dégénération secondaire des faisceaux pyramidaux. Dans les autres, la
surréflectivité elle-même disparaît; les faisceaux pyramidaux étaient alors
simplement comprimés, non dégénérés.
La surréflectivité due à une compression de la moelle par tumeur
peut disparaître aussi, complètement après extraction du néoplasme,
ainsi que les autres troubles par lesquels l'affection s'était manifestée.
L'exagération des réflexes tendineux constitue un des signes cardinaux
de la sclérose latérale amyotrophique, maladie découverte par mon illustre
maître Charcot. C'est surtout dans cette affection que la recherche du
réflexe massélerin, souvent très exagéré, présente de l'intérêt. Voici
comment on procède : on demande au malade d'entr'ouvrir la bouche
sans raidir la mâchoire; puis on appuie sur l'arcade dentaire inférieure
un abaisse-langue que l'on percute avec le marteau ; l'arcade dentaire
s'abaisse d'abord à la suite du choc, et se soulève ensuite sous l'influence
de la contraction réflexe du masséter.
Contrairement à ce qu'on observe dans la paralysie spastique d'Erb,
la surréflectivité peut, dans la maladie de Charcot, régresser et faire place
à de la subréflectivité quand les lésions des cornes antérieures acquièrent
une certaine intensité. J'ai même observé un cas de sclérose latérale
amyotrophique dans lequel les réflexes tendineux des membres inférieurs
n'ont jamais été exagérés et qui même s'était manifesté, à sa période ini-
tiale, par de l'affaiblissement des réflexes achilléens.
I)ans les diverses affections spinales que nous avons considérées jus-
qu'à présent et qui d'habitude ont une évolution lente, la perturbation des
réflexes tendineux se traduit presque toujours dès le début par de la sur-
réflectivité.
Il n'en est pas de même dans les affections spinales à début brusque. Si,
par exemple, un abcès vertébral fait irruption dans la cavité rachidienne,
il peut en résulter une paraplégie avec abolition des réflexes tendineux à
laquelle succédera parfois de la surréflectivité.
C'est ce que l'on voit généralement aussi dans la myélite transverse; la
surréflectivité n'est qu'un phénomène tardif, précédé d'habitude par une
phase de sub ou d'irréflectivité.
Dyscrasies. Infections. EMPOISONNEMENTS. - Nous avons déjà vu que chez
les anémiques, chez les tuberculeux, les réflexes tendineux sont générale-
ment forts. Dans la tuberculose ils peuvent même devenir nettement exa-
gérés (Strumpell a signalé le fait et Claude en a rapporté un cas). Il est
possible qu'il s'agisse d'une excitation du système pyramidal par des
toxines résorbées, comme on l'a supposé. Dans l'empoisonnement par la
strychnine, l'exagération des réflexes tendineux constitue un des symp-
tômes les plus saillants.
l : rm ? rsir... Pendant l'attaque de mal comitial et quelque temps après,
7° SÉMIOLOGIE
on peut constater de la surréflectivité qui se manifeste, en particulier, par
de la trépidation épileptoïde du pied.
. Lésions périphériques. Les névrites peuvent-elles produire de la sur-
réflectivité osso-tendineuse ? Certains auteurs le soutiennent, Strumpell
entre autres. Je n'en suis pas convaincu.
Mais une irritation portant sur l'extrémité des fibres sensitives semble
pouvoir déterminer une exagération des réflexes ; c'est du moins par ce
mécanisme qu'on peut expliquer la surréflectivité observée parfois consé-
cutivement aux lésions osseuses et articulaires. Dans ces faits, l'exagéra-
tion des réflexes est d'autant plus frappante qu'elle s'associe le plus sou-
vent à une atrophie musculaire. Bien plus, l'amyotrophie sans réaction de
dégénérescence, sans secousses fibrillaires et sans paralysie, lorsqu'elle
s'accompagne de surréflectivité, est presque toujours la conséquence d'une
altération d'un os ou d'une articulation. La surréflectivité, en pareil cas,
prédomine dans la région avoisinant la lésion qui en est le point de
départ : une arthrite tibio-tarsienne provoquera avant tout une exagéra-
tion du réflexe achilléen et on pourra même observer la trépidation épi-
leptoïde du pied; une arthrite du genou déterminera d'abord une exagé-
ration du réflexe rotulien ; mais bien souvent une lésion atteignant l'une
de ces articulations ou encore l'articulation coxo-fémorale donnera lieu à
une exagération des réflexes tendineux dans tout le membre inférieur.
ASSOCIATIONS DE CAUSES
PROVOQUANT LES UNES DE LA SURRÉFLECTIVITÉ,
LES AUTRES DE L'IRRÉFLECTIVITÉ OU DE LA SUBRIFLECTIVITI ?
L'association des causes provoquant les unes de la surréflectivité, les
autres de l'irréflectivité, peut s'effectuer de deux manières bien diffé-
rentes : tantôt chacun des réflexes atteints a subi l'influence d'une seule
de ces causes et l'association consiste simplement dans la coexistence de
réflexes, les uns exagérés, les autres affaiblis ou abolis; tantôt le même
réflexe a été soumis simultanément à l'influence des deux causes qui
deviennent ainsi des forces antagonistes ayant une résultante variable.
L'adjonction de l'hémiplégie organique au tabes réalise une des condi-
tions où s'associent les causes de surréflectivité et d'irréflectivité. Cette
complication aura sur les réflexes tendineux une action qui sera subor-
donnée à l'état où ils se trouvaient avant l'apparition de la paralysie.
Voici un certain nombre de types que l'on observe : -.
a) Les réflexes tendineux des quatre membres étaient complètement
abolis avant l'hémiplégie. Le plus souvent, en pareil cas, la lésion du
faisceau pyramidal n'influencera pas les réflexes. On conçoit, en effet, que
l'irréflectivité liée il une altération profonde de l'arc soit irrémédiable et
définitive. Cependant on a relaté quelques faits où, du côté paralysé, l'ir-
réflectivité a fait place à de la subréflectivité. En pareil cas, sans doute,
les lésions radiculaires étaient moins étendues, plus superficielles.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 71 1
A ce sujet nous rappellerons une expérience de Westphal : il sectionne
chez le lapin, deux des trois racines postérieures appartenant à l'arc du
réflexe rotulien et constate alors de l'irréflectivité. Puis il injecte de la
strychnine et obtient ainsi la réapparition du réflexe.
6) Les réflexes tendineux n'étaient pas abolis, mais simplement affaiblis.
Sous l'influence d'une sclérose du faisceau pyramidal la subréflectivité
peut s'atténuer, disparaître et même faire place à de la surréflectivité.
c) Choisissons un autre exemple : le réflexe rotulien, avant l'ictus, était
conservé et l'achilléen aboli. On pourra constater alors, quelque temps
après l'ictus, du côté de l'hémiplégie, une exagération du réflexe rotulien
contrastant avec l'état du réflexe achilléen qui est resté aboli. Le type
inverse consistant en une exagération du réflexe achilléen avec abolition
du réflexe rotulien, sans être impossible dans le tabes, doit y être excep-
tionnel, car, comme je l'ai déjà fait remarquer, dans cette affection il est
très rare que le réflexe achilléen soit conservé, le rotulien étant aboli.
d) Voici une variété d'association d'une hémiplégie avec le tabès qui i
est très commune : les réflexes du membre inférieur restent abolis après
l'attaque; au contraire, les réflexes du membre supérieur, qui étaient
conservés, s'exagèrent.
e) Enfin, je dois indiquer un mode de combinaison assez fréquent et
particulièrement intéressant. Avant l'ictus, le réflexe rotulien, le réflexe
achilléen, ainsi que le réflexe d'extension de l'avant-bras sur le bras fai-
saient défaut ; le réflexe de flexion de l'avant-bras, au contraire, était
conservé. Après l'attaque on constate ce contraste : tous les réflexes d'un
côté du corps sont abolis, à l'exception du réflexe de flexion qui est exa-
géré. De plus, on peut observer alors, dans toute son intensité, le « réflexe
paradoxal du coude » dont il a été question précédemment. Ce signe,
comme nous l'avons vu, peut se manifester déjà dans le tabès sans asso-
ciation d'hémiplégie, mais, quand cette association existe, il est particuliè-
rement net en raison de l'exagération du réflexe de flexion. M. Souques
a eu le mérite d'attirer le premier l'attention sur les faits de ce genre.
Je dirai, par parenthèse, que j'ai observé le réflexe paradoxal chez des
sujets atteints d'hémiplégie sans association de lésions radiculaires, et
dont le réflexe du triceps brachial était non seulement conservé mais
même exagéré; en pareil cas, les effets de la percussion diffèrent suivant
son intensité. Si le choc est léger et n'ébranle guère que le tendon, on
obtient une extension énergique de l'avant-bras. S'il est violent, il produit
une excitation osseuse déterminant une contraction des fléchisseurs de
l'avant-bras qui l'emporte sur celle des extenseurs.
Revenons à notre sujet. Dans les exemples que nous avons choisis nous
avons supposé que l'hémiplégie faisait suite au tabes; c'est d'ailleurs
l'éventualité la plus commune. Nous avons vu que la subréflectivité pou-
vait s'atténuer, mais que l'irréflectivité était souvent définitive. L'adjonc-
tion de la sclérose pyramidale ne modifie donc pas nécessairement, tant
s'en faut, l'état des réflexes tendineux troublés par le tabès.
Lorsque, comme cela a lieu plus rarement, les lésions radiculaires tabé-
72 SÉMIOLOGIE
tiques apparaissent chez un sujet atteint déjà d'hémiplégie avec dégéné-
ration descendante, l'état des réflexes tendineux subit presque toujours
une modification sensible. L'exagération s'atténue, fait place à de la
subréflectivité, et, quand les lésions tabétiques sont intenses, à de l'irré-
flectivité.
On peut donc dire, d'une manière générale, que dans ce conflit, les forces
tendant à produire l'irréflectivité finissent par l'emporter sur les forces
antagonistes.
Dans la maladie de Friedreich, où à des lésions des arcs réflexes se
joint une sclérose des faisceaux pyramidaux, les causes de l'irréflectivité
prévalent toujours, semble-t-il, sur celles de la surréflectivité. Les
réflexes tendineux sont affaiblis ou abolis, comme nous l'avons dit précé-
demment.
A la surréflectivité, qui constitue un des symptômes les plus habituels
de la sclérose latérale amyotrophique, se substitue parfois de la subréflec-
tivité qui apparaît généralement quand les lésions des cornes antérieures,
entraînant à leur suite l'amyotrophie, deviennent intenses ; la transforma-
tion de l'état des réflexes est d'une interprétation très simple.
Dans les faits que nous avons considérés jusqu'à présent, un môme
département tendino-réflexe était susceptible de subir à la fois l'action des
deux causes antagonistes, l'une tendant à produire la surréflectivité,
l'autre l'irréflectivité. Dans ceux que nous allons envisager maintenant,
les réflexes tendineux, considérés les uns par rapport aux autres, subiront
des influences contraires, mais chacun d'eux sera soumis à l'action d'une
cause unique.
Soit, par exemple, une lésion de la moelle lombaire au niveau du troi-
sième segment, provoquant une abolition des réflexes rotuliens. Si cette
lésion irrite ou détruit les faisceaux pyramidaux, elle aura, comme autre
conséquence, l'exagération des réflexes achilléens. Cette disposition est
l'inverse de celle que l'on observe parfois dans le tabès associé à l'hémi-
plégie et que nous avons signalée précédemment.
Mais, au point de vue qui nous occupe, ce sont surtout les lésions de la
moelle cervicale qui méritent une attention particulière.
Admettons que nous ayons affaire à une lésion de la moelle cervicale
(méningo-myélite 0, pachyméningite, maldePott, ou tumeur). Supposons
que cette lésion exerce sur les faisceaux pyramidaux une action destruc-
tive ou simplement perturbatrice. Qu'observons-nous alors ? Les réflexes
tendineux des membres inférieurs sont habituellement tous exagérés. Il
en est tout autrement pour les réflexes des membres supérieurs dont les
modifications sont subordonnées, en partie, à la longueur de la lésion.
Ils peuvent être tous abolis. Il faut pour cela que les désordres anato-
miques s'étendent au moins du cinquième segment, centre du réflexe de
(') Si j'en juge par mes observations, la méningo-myélite syphilitique de la région cervicale est
assez commune.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 73
flexion de l'avant-bras sur le bras, jusqu'au huitième segment cervical,
centre du réflexe de flexion de la main et des doigts. Sinon, l'irréflectivité
du membre supérieur n'est que partielle et l'on constate alors presque
toujours « l'inversion du réflexe du radius » dont il a déjà été question à
propos de l'irréflectivité pure, mais qui acquiert ici une netteté beaucoup
plus grande. Pour que cette inversion se manifeste dans tout son éclat,
trois conditions sont nécessaires. Il faut : i° qu'il y ait une lésion du cin-
quième segment cervical ; 2° que le huitième segment cervical ait conservé
son intégrité ; 3° qu'il existe une perturbation du système pyramidal au-
dessus du huitième segment.
Comment se comportent, dans ces cas d'inversion du réflexe du radius,
les réflexes intermédiaires, celui d'extension de l'avant-bras sur le bras
et celui de pronation ? Ordinairement ils sont tous deux abolis quand la
lésion occupe les cinquième, sixième et septième segments cervicaux. Ils
sont, au contraire, tous deux exagérés lorsque les altérations atteignent
le cinquième segment et ne le dépassent pas. Enfin, l'un des deux peut
être aboli et l'autre exagéré ; en pareil cas on a le droit de dire à priori
que c'est le réflexe dont le centre se trouve le plus rapproché du cinquième
segment qui doit être aboli. D'après les données classiques, ce devrait
être le réflexe d'extension. Or, des recherches, pratiquées dans mon ser-
vice par mon interne M. Gendron sur un assez grand nombre de sujets
présentant l'inversion du réflexe du radius, ont établi que le réflexe d'ex-
tension était parfois exagéré, celui de pronation étant aboli ; il ne s'est
rencontré aucun cas où le réflexe d'extension étant aboli, celui de prona-
tion fût exagéré. Il ressort de ces observations que le centre du réflexe
de pronation se trouve au-dessus du centre du réflexe d'extension de
l'avant-bras.
Cet exposé montre que la recherche méthodique des réflexes tendineux
des membres supérieurs, d'habitude négligée, fournit des renseignements
permettant souvent de reconnaître et de localiser, avec une remarquable
précision, les lésions de la moelle cervicale.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES CUTANÉS
Nous envisagerons les réflexes cutanés uniquement dans leurs rapports
avec les réflexes tendineux, seul objet de ces leçons. Mais avant d'entre-
prendre l'étude de ces relations, je crois indispensable de rappeler cer-
taines notions fondamentales sur la réflectivité cutanée.
Quelques mots d'abord sur ces réflexes à l'état normal.
On sait que l'excitation de la peau à la partie supéro-interne de la cuisse
provoque un mouvement du testicule de bas en haut ; c'est le réflexe cré-
mastérien.
L'excitation des téguments de la paroi abdominale détermine une réac-
tion qui diffère suivant le point où elle est pratiquée. On distingue trois
réflexes cutanés abdominaux : l'inférieur, le moyen et le supérieur.
z4 si SÉMIOLOGIE
Une excitation légère de la plante du pied donne lieu généralement à
une flexion des orteils sur le métatarse et à une contraction du tenseur du
fascia lata sur laquelle Brissaud a appelé l'attention ; plus forte, elle
détermine, en outre, des réactions dans les muscles du membre inférieur
se manifestant principalement par une flexion du pied, de la jambe et de
la cuisse ; ce mouvement est brusque, de faible amplitude et de très
courte durée.
Au point de vue de l'intensité de ces réflexes, il y a des différences indi-
viduelles. Chez certains sujets parfaitement sains, le réflexe abdominal
et le réflexe cutané plantaire semblent même faire défaut ; l'irréflectivité
est alors bilatérale. Il en résulte que l'absence de toute réaction motrice
appréciable, après excitation de la paroi abdominale ou de la plante du
pied, quand on la constate des deux côtés, ne constitue pas un signe cer-
tain d'un état pathologique.
Je signale encore un réflexe cutanéo-muqueux, le réflexe anal, consistant
en une contraction du sphincter produite par une excitation de la marge
de l'anus ; il est pour ainsi dire constant.
Je passe sous silence les autres réflexes cutanés sur lesquels je n'aurais
rien à dire d'intéressant au point de vue qui nous occupe.
Diverses affections sont capables de faire disparaître les réflexes que
nous venons d'énumérer.
Ces réflexes sont-ils susceptibles d'être exagérés ? C'est là une question
complexe à laquelle il est impossible de répondre d'une manière générale.
Il faut envisager séparément, d'une part les réflexes abdominaux, la
contraction réflexe du fascia lata, le mouvement réflexe de flexion des
orteils, et, d'autre part, les mouvements réflexes de flexion du pied, de la
jambe et de la cuisse.
En ce qui concerne le premier groupe de réflexes, que je réunis
momentanément d'une manière artificielle, je ne suis pas en mesure de
me prononcer. Sans doute, et je l'ai déjà dit, leur intensité est variable :
ils sont parfois extrêmement forts et vifs, mais je ne saurais affirmer que
sous quelque influence pathologique ils puissent atteindre un degré dépas-
sant en hauteur l'état normal.
Pour le deuxième groupe il en va autrement. Dans certaines affections
du système nerveux central, les mouvements réflexes de flexion du pied,
de la jambe et de la cuisse sont manifestement exagérés.
Les réflexes de ce deuxième groupe méritent un nom spécial ; on les a
appelés « réflexes cutanés de défense » ou simplement « réflexes de
défense », dénomination dont se sont servis les physiologistes pour dési-
gner les mouvements réflexes qu'on observe chez l'animal et qui sont par-
ticulièrement intenses aux membres inférieurs après section transversale
de la moelle dorsale (').
(') J'ai publié, en collaboration avec MM. Jarkowski et Vincent, quelques travaux sur les réflexes
de défense dont voici les indications :
a) Sur la possibilité de déterminer la hauteur de la lésion dans les paraplégies d'origine spinale
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 75
Comment reconnaît-on l'exagération des réflexes de défense ?
11 y a trois caractères principaux qui permettent de la distinguer : l'am-
plitude des mouvements est plus grande, la durée de la contraction plus
longue, et la zone réflexogène plus étendue. La flexion du pied, de la
jambe et de la cuisse est parfois portée à son degré le plus élevé ('). Dans
certains cas la contraction musculaire se maintient 10, 15 secondes,
davantage même, surtout si l'excitation qui a provoqué le mouvement est
continue, et il est possible quelquefois de déterminer ainsi une sorte de
contracture transitoire. Quant à la zone réflexogène, qui, à l'état normal,
est ordinairement circonscrite à la plante du pied, elle gagne la jambe,
la cuisse et souvent elle envahit le tronc. En outre, il est à remarquer que
le plus ordinairement ces mouvements s'accomplissent avec plus de len-
teur qu'à l'état normal ; ils sont, à cet égard, comparables aux mouvements
réflexes d'extension et d'abduction des orteils. Je dois dire encore qu'à
l'état pathologique les réflexes de défense peuvent être provoqués non
seulement par l'excitation de la peau, mais aussi au moyen de tractions
ou de pressions exercées sur les parties profondes.
Si dans les cas types l'exagération des réflexes de défense saute aux yeux,
il en est d'autres où, à première inspection, elle est douteuse, car la ligne
de démarcation entre l'état physiologique et l'état pathologique n'est pas
d'une netteté parfaite. Voici quelques moyens propres à mettre en évidence
cette surréflectivité.
a) Le sujet étant assis et ses pieds reposant sur le parquet, on excite les
téguments de la cuisse ou de la jambe par la faradisation. Quand les
réflexes de défense sont exagérés, on constate d'habitude que la cuisse se
fléchit sur le bassin, que le pied se détache du plancher et se maintient
quelque temps dans cette attitude. Lorsqu'on électrise, en se plaçant dans
les conditions que je viens d'indiquer, des sujets normaux, le pied reste
généralement fixé au sol ; exceptionnellement cependant on observe aussi
une flexion de la cuisse, mais on a l'impression qu'il ne s'agit pas là d'un
phénomène réflexe car cette flexion fait partie d'un cortège de mouvements
manifestement volontaires.
b) Le sujet étant assis ou couché, on pince la peau de la face dorsale
du pied ou de la partie inférieure de la jambe. Sous cette action le pied
se fléchit, parfois très énergiquement, ce que l'on n'observe jamais à l'état
physiologique. Ce procédé est peut-être le plus simple pour déceler une
exagération légère des réflexes de défense.
r) Le sujet étant couché, on saisit avec la main l'extrémité du pied et
par certaines perturbations des réflexes, par J. Babinski et .f..larkowski (Soc. de neurologie de Paris,
12 mai 1910) .
6) Sur la localisation des lésions comprimant la moelle. De la possibilité d'en préciser le siège et
d'en déterminer la limite inférieure au moyen des réflexes de défense, par J. Babinski et J. Jar-
kowski (Communication faite à l'Académie de médecine le 16 janvier 1912).
c) Des réflexes cutanés do défense dans la maladie de Friedreich, par J. Babinski, Vincent et
J. Jarkowski (Société de neurologie de Paris, 7 mars 1912).
(') Dans certaines attitudes, l'excitation des téguments de la cuisse ou du tronc, au lieu d'un mou-
vement de flexion, peut déterminer un mouvement d'extension. Je ne fais que signaler ce fait.
76 SÉMIOLOGIE
on plie fortement les orteils. Cette manoeuvre, en cas de surréflectivité,
provoque généralement une flexion très prononcée de la cuisse, de la
jambe et du pied (Bechtereff, Marie et Foix). A vrai dire, il ne s'agit pas là
d'un réflexe cutané, mais les réactions obtenues ainsi ne diffèrent pas de
celles qu'on peut déterminer par l'excitation des téguments.
Je tiens à ajouter que le degré d'intensité des réflexes de défense pré-
sente, au point de vue de ses conséquences, une grande importance, ainsi
qu'on le verra ultérieurement (').
Je me suis borné jusqu'à présent à l'étude des réflexes de défense aux
membres inférieurs ; ce sont de beaucoup les plus communs. Mais il faut
savoir qu'on peut observer aussi des réflexes de ce genre aux membres
supérieurs.
Ces données établies, nous sommes en mesure de faire le rapproche-
ment que nous avions en vue.
Comment se comportent les réflexes cutanés dans les cas de lésions
pures des arcs tendino-réflexes produisant de l'irréflectivité tendineuse,
comme par exemple dans les névrites périphériques, le tabes ? Ils peuvent
être également abolis, mais bien souvent aussi ils sont conservés. Chez
des tabétiques dont tous les réflexes tendineux font défaut, il n'est pas
rare de constater la présence des réflexes abdominaux et du réflexe plan-
taire ; quant au réflexe anal, particulièrement étudié par Rossolimo, son
absence est beaucoup plus commune. Mais, dans cet ordre de faits, la
(') MM. Marie et Foix ont émis sur le mécanisme des réflexes de défense une théorie que je ne
puis discuter ici (Voir : Les réflexes d'automatisme médullaire, Revue Neurologique, n° 10, ! () ! 3). Ils
les considèrent comme liés à l'acte complexe de la marche et les appellent « réflexes d'automatisme
médullaire ».
M. van W. Woerkom (Voir : Sur la signification physiologique des réflexes cutanés des membres
inférieurs, Revue Neurologique, n° 17, 19 12) critique cette conception, soutient que ces réflexes dif-
fèrent essentiellement des mouvement alternatifs du « stepping reflex » qui sont rythmiques et les
assimile au « flexion reflex » des physiologistes anglais. Mais il estime que l'expression « réflexe de
défense », qui s'appliquerait bien au « scratch reflex » (« tentative d'éloigner la source de la dou-
leur par des mouvements de défense active, à la façon de la grenouille qui cherche à essuyer l'acide
déposé sur sa jambe ») ne convient pas aux réflexes que nous avons en vue ; il les dénomme « mou-
vements de fuite localisée », en les opposant aux « mouvemenls de fuite généralisée » du « stepping
reflex ». Peu importe, du reste : c'est là affaire de convention.
M. van Wonrkom, comme MM. Marie et Foix, englobe avec les réflexes en question l'extension
réflexe du gros orteil. En se plaçant au point de vue de la clinique, je crois qu'il est préférable de
dissocier ces deux phénomènes. En effet, chez l'adulte normal, les mouvements réflexes de flexion du
pied, de la jambe et de la cuisse s'associent à la flexion des orteils, et à l'état pathologique, comme
M. van W oerkom le reconnaît lui-même, le lien qui unit le signe du gros orteil au « flexion reflex »
n'est pas indissoluble. J'ai même montré (Modifications des réflexes cutanés sous l'influence de la
compression par la bande d'smarcli, Revue Neurologique, 191 1. t. Il, p. t5 i) que chez des sujets
atteints de paralysie avec contracture liée à des lésions du système pyramidal, et présentant phéno-
mène des orteils, la compression de la jambe avec une bande d'Esrnarch peut en même temps exagé-
rer la flexion réflexe du pied, de la jambe et de la cuisse et faire disparaître l'extension réflexe du
gros orteil. MM. Dejerine et Lévy-Valensi (Revue neurologique, 1 ! l11, 2" semestre, p. t4t) ont publié
l'observation d'un malade atteint d'une lésion traumatique de la région cervicale de la colonne ver-
tébrale ayant déterminé une solution de continuité complète de la moelle ; chez ce malade les réflexes
de défense étaient exagérés, tandis que le réflexe cutané plantaire était resté normal, en flexion. Ce
fait vient encore à l'appui de la distinction qu'il y a lieu d'établir entre ces doux ordres de réflexes.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 77
comparaison des deux espèces de réflexes ne semble pas avoir beaucoup
d'intérêt. Elle mérite au contraire de fixer l'attention dans les cas de
lésions constituant des causes de surréflectivité tendineuse.
Voici, par exemple, un malade atteint de paraplégie liée à une affection
spinale intéressant les faisceaux pyramidaux, siégeant vers le milieu de
la moelle dorsale et donnant lieu à de l'exagération des réflexes tendi-
neux des membres inférieurs. Les réflexes cutanés présentent assez commu-
nément en pareil cas les modifications suivantes : les réflexes abdomi-
naux et le réflexe crémastérien sont abolis ; le mouvement réflexe de
flexion des orteils est remplacé par de l'extension associée à de l'abduc-
tion ; les réflexes de défense sont exagérés ; quant au réflexe anal, il est
généralement conservé.
Dans l'hémiplégie organique, on peut observer, du côté de la paralysie,
des perturbations de même ordre.
Rosenbach a, le premier, constaté l'abolition unilatérale des réflexes
abdominaux chez les hémiplégiques et a été frappé par le contraste de ce
trouble avec l'exagération des réflexes tendineux. Van Gehuchten, enché-
rissant sur cette donnée, a cherché à opposer, d'une manière générale,
les réflexes tendineux aux réflexes cutanés ; l'exagération des uns coïnci-
derait avec l'abolition des autres, du moins de ceux qui seraient, d'après
lui, « à long trajet cérébro-médullaire », c'est-à-dire des réflexes abdomi-
naux, du réflexe crémastérien, du réflexe fessier et du réflexe de flexion
des orteils, d'habitude remplacé par de l'extension. Cette conception,
bien qu'intéressante, n'est pas à l'abri de la critique. On connaît des faits
qui ne cadrent pas avec elle : 1" dans certains cas de lésion de la voie pyra-
midale avec surréflectivité tendineuse on peut obtenir alternativement de
l'extension du gros orteil ou de la flexion, suivant que l'on excite la région
plantaire à sa partie externe ou à sa partie interne ; 2" dans un travail
paru en 19°1 C), où je me suis occupé des perturbations des réflexes
cutanés dans les affections du système pyramidal, j'ai fait remarquer que
chez quelques malades, tandis que l'excitation de la plante du pied déter-
mine de l'extension des orteils, ceux-ci se fléchissent très nettement quand
on excite la peau de la partie supérieure de la cuisse ou de la partie
inférieure de l'abdomen ; 3° des expériences de M. Ozorio de Almeida(), @
confirmées par moi, ont montré que, chez des sujets présentant le signe
des orteils, une compression du membre inférieur avec une bande élas-
tique peut amener transitoirement la réapparition du mouvement réflexe
de flexion des orteils. Ces diverses observations montrent qu'en ce qui
regarde les relations des réflexes tendineux et le réflexe de flexion des
orteils, l'antagonisme que M. Van Gehuchten a voulu établir n'est pas
suffisamment fondé et que sa conception, si elle contient une part de
vérité, ne doit pas être admise dans son ensemble.
Je rappelle à ce propos que dans l'observation de MM. Dejerine et
(') Sur la transformation du régime des réflexes cutanés dans les affections du système pyramidal,
par J. Babinski (Revue neurologique. Igu).
, (2) Brazil médical, n octobre 1\)10.
78 SÉMIOLOGIE
Lévy-Valensi relative à un cas de complète solution de continuité de la
moelle cervicale, le réflexe cutané plantaire était normal ; ce fait est
contraire à l'hypothèse de M. Van Gehuchten d'après laquelle ce réflexe
serait « d'origine corticale ».
Parmi les faits que j'ai précédemment signalés, il en est un qui me
parait surtout mériter de fixer l'attention. C'est l'association fréquente,
dans les affections atteignant le système pyramidal, de trois phénomènes :
exagération des réflexes tendineux, signe des orteils, exagération des
réflexes de défense. Mais dans quelle mesure les deux derniers sont-ils
liés au premier ? C'est ce que nous allons chercher à déterminer, en
examinant les relations de la surréflectivité tendineuse avec le signe des
orteils d'abord, avec les réflexes de défense ensuite.
Dans la grande majorité des cas de surréflectivité tendineuse, surtout
quand elle se manifeste par de la trépidation épileptoïde du pied, le phé-
nomène des orteils est présent : les orteils, particulièrement le gros orteil,
s'étendent sous l'influence de l'excitation de la plante du pied et parfois,
en même temps, ils s'écartent les uns des autres (signe de l'éventail).
C'est là une règle qui souffre quelques exceptions. Nous avons vu que
des lésions articulaires peuvent engendrer de la surréflectivité tendineuse,
de la trépidation du pied, quand il s'agit d'arthrite médio-tarsienne ou tibio-
tarsienne. Or, dans les faits de ce genre, le réflexe cutané plantaire reste
normal, à moins qu'à l'affection périphérique se joigne un trouble du
système pyramidal, comme cela avait lieu, sans doute, dans les observa-
tions de rhumatisme chronique avec signe des orteils publiées par M. Léri.
J'ai déjà eu l'occasion de dire que, parfois, dans l'hémiplégie organique
avec exagération incontestable des réflexes tendineux, l'excitation plan-
taire est suivie d'une flexion des orteils.
Les faits où, inversement, on constate le signe des orteils, tandis que
les réflexes tendineux sont normaux, affaiblis ou abolis, sont beaucoup
plus communs que les précédents. Je rappelle que, dans l'hémiplégie
cérébrale déterminée par une lésion en foyer atteignant la voie pyrami-
dale, ou bien dans la paraplégie due à une myélite aiguë ou à une hémor-
ragie, la surréflectivité tendineuse n'apparaît d'habitude qu'après un
délai plus ou moins long. Le signe des orteils, au contraire, se manifeste
immédiatement ; je l'ai constaté quelques instants après l'ictus.
Dans les paraplégies liées à des lésions scléreuses de la moelle, il n'est
pas exceptionnel d'observer le signe des orteils alors que les réflexes
tendineux sont d'une intensité à peu près normale et que le phénomène
du pied fait défaut.
Les réflexes tendineux finissent généralement par disparaitre, comme
on le sait, lorsque deux causes, dont l'une tend à produire de la surréflec-
tivité et l'autre de l'irréflectivité, entrent en conflit. Or, en pareil cas, le
phénomène des orteils est ordinairement présent et constitue le témoi-
gnage d'une lésion des faisceaux pyramidaux. C'est ce qu'on observe, en
particulier, dans l'hémiplégie associée au tabes, dans la maladie de Fried-
reich et dans d'autres variétés de scléroses combinées.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX
79
Rapprochons maintenant la surréflectivité tendineuse des réflexes de
défense.
Dans les cas où les lésions spinales sont cantonnées dans la voie
pyramidale, comme par exemple dans l'hémiplégie vulgaire, dans la para-
plégie du type Erb, tandis que la surréflectivité tendineuse est toujours
présente et parfois très forte, les réflexes de défense ne sont générale-
ment que légèrement exagérés et peuvent même être normaux.
Au contraire, dans les scléroses spinales diffuses, dans les cas de
compression de la moelle par tumeur, pachyméningite, mal de Pott, les
réflexes de défense acquièrent souvent une grande intensité, ainsi que
l'ont montré mes observations. Dans les faits de cet ordre il y a souvent
aussi de la surréflectivité tendineuse, mais cela n'est pas constant ; on
peut voir alors des réflexes de défense très forts associés à des réflexes
tendineux normaux, faibles ou abolis ; je reviendrai sur ce point dans le
chapitre consacré à l'étude de la contracture dans ses rapports avec les
réflexes tendineux.
TABLEAU N° II.
80 SÉMIOLOGIE
Mettons enfin en parallèle à la fois les trois phénomènes en question.
Les divers modes suivant lesquels ils peuvent s'associer ou se disso-
cier ont une signification clinique qu'il me parait intéressant d'indiquer.
Dans le tableau de la page précédente se trouvent résumées nos connais-
sances relatives à ce sujet qui, d'ailleurs, n'est pas épuisé, qui nécessite
de nouvelles recherches et sur lequel je ne prétends pas fournir des
données à l'abri de toute revision. Je désire surtout mettre en évidence
l'intérêt qu'il y aurait à faire systématiquement une étude comparative de
ces trois ordres de réflexes.
SURRÉFLECTIVITÉ TENDINEUSE ET CONTRACTURE
La surréflectivité tendineuse ne s'accompagne pas toujours de troubles
fonctionnels apparents, comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire.
Cependant, quand elle atteint un degré élevé, elle est suivie générale-
ment de contracture.
Le lien entre la surréflectivité et la contracture se manifeste nettement
dans la paraplégie spastique d'Erb.
Dans l'hémiplégie vulgaire d'origine cérébrale la contracture apparaît
ordinairement quand l'exagération des réflexes tendineux a acquis une
certaine intensité.
Nous avons étudié précédemment l'état des réflexes tendineux dans les
cas où le tabes s'associe à une hémiplégie organique et nous avons indi-
que divers modes d'association de l'irréflectivité à la surréflectivité (voir
p. 70). Or, en pareille occurrence, le sort de la contracture est principa-
lement lié à celui des réflexes tendineux, que le tabes précède l'hémiplé-
gie ou la suive : dans les départements dont les réflexes sont exagérés il
y a d'habitude de la contracture ; celle-ci, au contraire, fait toujours
défaut dans ceux dont les réflexes sont abolis.
De ces notions il est légitime de déduire qu'un procédé artificiel qui
supprimerait la surréflectivité constituerait un moyen curatif delà contrac-
ture. J'ai émis cette idée, en 1906, à la Société de neurologie, à l'occasion
d'une discussion sur les injections intra-nerveuses d'alcool. Je me suis
exprimé en ces termes :
« Je m'étais souvent demandé, en présence de malades atteints de para-
plégie avec contracture intense, chez lesquels la force musculaire parais-
sant entièrement conservée, l'impotence était liée à l'état spasmodique,
s'il ne serait pas légitime de chercher à supprimer le spasme par une
intervention chirurgicale dirigée sur les racines postérieures de la moelle,
mais la crainte d'accidents m'avait toujours empêché de mettre cette idée
à exécution » (').
Deux ans plus tard, en 1908, Foerster eut le mérite de passer de l'idée
à la réalisation et de fixer la technique de l'opération qui porte actuelle-
() Voir Revue de neurologie, 1906, 1). O7O.
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 8t
ment son nom. Elle consiste à sectionner quelques-unes des racines pos-
térieures de la région lombo-sacrée. Afin d'éviter l'anesthésie qui serait la
conséquence de la section d'une série de trois racines situées les unes
au-dessus des autres, on doit n'en couper qu'une sur deux ou deux sur
trois ('). En procédant ainsi, à la surréflectivité succède, immédiatement
après l'intervention chirurgicale, de l'irréflectivité, qui bientôt fait place
à de la subréflectivité. La contracture cède, conformément aux prévisions.
C'est surtout dans la maladie de Little que cette opération a été pratiquée,
et déjà, dans bien des cas, elle a été couronnée de succès. Grâce à elle,
des malades, dont l'impotence était principalement subordonnée à la rigi-
dité musculaire, ont été rendus capables de marcher. Mais il faut
reconnaître que cette intervention n'est pas sans risques ; on y renonce-
rait sans hésitation si l'on découvrait un jour une substance ayant la pro-
priété d'abolir ou de diminuer la réflectivité tendineuse sans exercer
d'ailleurs sur l'organisme quelque action préjudiciable.
Il résulte de ce qui vient d'être dit que la contracture vulgaire, celle
qu'on observe d'habitude dans les lésions de la voie pyramidale, a des
relations étroites avec l'exagération des réflexes tendineux, qui paraît en
. être la condition nécessaire, ce qui, bien entendu, ne veut pas dire qu'elle
en soit la condition suffisante.
Mais ne peut-il pas se développer aussi, au cours d'affections où les
faisceaux pyramidaux sont intéressés, quelque autre espèce ou forme de
contracture qui ne dépende pas de la surréflectivité tendineuse ? C'est ce
que nous allons discuter.
Au préalable, quoique je n'aie pas l'intention de faire une étude détail-
lée de la contracture, je chercherai à préciser le sens de ce terme, ce qui
est indispensable pour éviter l'ambiguïté.
On peut exprimer, je pense, l'idée qu'on s'en fait généralement, en
disant que c'est « une rigidité pathologique stable, liée à quelque mode
de l'activité musculaire ». Le mot « stable » n'implique pas que la raideur
ne doive jamais disparaître. Ainsi, la rigidité des membres dans la para-
plégie pottique, parfois pareille à celle de la paraplégie spastique d'Erb,
peut guérir complètement. Il n'implique pas non plus que la raideur soit
immuable pendant toute sa durée ; il s'agit d'une fixité relative : la
contracture, dans les exemples que nous avons choisis précédemment, est
bien sujette à quelques fluctuations ; elle n'est pas toujours égale ; toute-
fois, d'une manière générale, il est permis de dire qu'elle a de la sta-
bilité.
Cette stabilité contraste avec l'instabilité de la raideur musculaire qu'on
observe dans diverses affections auxquelles on a donné le nom de
« spasmes ». Il en est ainsi, par exemple, dans le torticolis dit mental,
qu'on a aussi appelé « spasme fonctionnel du cou », où l'activité anormale
des muscles cervicaux et la raideur qui en est la conséquence ne se mani-
(') L'observation de cette règle, il est vrai, n'est essentielle que pour les territoires dont il importe
de respecter la sensibilité, comme la région plantaire.
Babinski. G
th SEMIOLOGIE
lestent que d'uue manière intermittente ; il en est de même dans 1' « hémi-
spasme facial ».
Cependant l'épithète « spasmodique » est un des termes dont on s'est
servi aussi pour dénommer une affection caractérisée par delà rigidité mus-
culaire stable, l'expression de tabès dorsal spasmodique, consacrée par
l'usage, étant appliquée à une forme de paraplégie où la contracture est
remarquable par sa fixité. Il y a là un manque de précision du langage
qui pourrait amener la confusion dans un esprit non prévu. Sans doute
les deux modes de l'activité musculaire que j'aie en vue peuvent s'asso-
cier ; il n'en est pas moins vrai qu'il est indispensable de les distinguer
l'un de l'autre. Je n'insiste pas davantage sur ce point, pour ne pas sortir
des limites de mon sujet.
Après ces préliminaires, nous pouvons discuter plus aisément la ques-
tion que nous avons posée.
Dans l'hémiplégie infantile, dont j'ai déjà eu à m'occuper, on peut
observer deux variétés de rigidité musculaire. L'une ressemble complè-
tement à la contracture de l'hémiplégie de l'adulte : elle est stable,
s'accompagne de surréflectivité tendineuse et elle est liée à une dégéné-
ration du faisceau pyramidal ; l'autre a des analogies cliniques avec la
rigidité de la maladie de Wilson(') ; elle se rapproche plus du spasme que
de la contracture ; il est fort possible qu'elle soit causée par une altéra-
tion des noyaux gris centraux sans participation du système pyramidal,
et, pour ce motif, je n'ai pas à m'y arrêter.
Je dois, au contraire, m'occuper, en y insistant, d'une variété de
contracture sur laquelle j'ai appelé l'attention (2) et qui, étant donné le but
que nous visons, mérite d'être décrite. On l'observe surtout aux membres
inférieurs et elle est un des éléments constitutifs d'une espèce de para-
plégie dont on saisira mieux l'aspect en la rapprochant de la paraplégie
spastique d'Erb. Celle-ci, nous le rappelons, se caractérise par les phéno-
mènes suivants : a) rigidité musculaire en extension, stable, b) simple
parésie, c'est-à-dire affaiblissement peu prononcé de la motricité volon-
taire ; c) exagération notable des réflexes tendineux avec trépidation épi-
leptoïde du pied, et parfois danse de la rotule ; d) réflexes de défense
légèrement exagérés ou à peu près normaux ; e) signe des orteils.
Voici maintenant les caractères de la paraplégie que nous avons en
vue : a) rigidité musculaire en flexion, qui au début cède par moments
d'une manière complète ou presque complète, mais qui plus tard devient
stable ; cependant cette stabilité n'atteint guère le même degré que dans
(') Voir : Dégénération lenticulaire progressive. Maladie nerveuse familiale associée à la cirrhose
du foie (Revue neurologique, n° 4, rgiz, p. 229). Dans les cas types de cette affection les réflexes
tendineux ne sont pas exagérés et les faisceaux pyramidaux sont intacts.
e) Voir : a) Sur une forme de paraplégie spasmodique consécutive à une 'lésion organique et sans
dégénération du système pyramidal, par J. l3ahinslii (Bulletins et Mémoires de la Société médicale
des Hôpitaux de Paris, 1899, p. 342).
6) Paraplégie spasmodique organique avec contracture en flexion et contractions musculaires invo-
lontaires, par J. Babinski (Société de neurologie de Paris, 12 janvier if)n).
c) Contracture tendino-réflexe et contracture cutanéo-réflexe, par J. Babinski (Ibid., g mai 1912).
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 83
la forme précédente ; elle est sujette à des variations fréquentes qui résul-
tent de contractions involontaires des muscles des membres inférieurs ;
ces contractions sont habituellement lentes ; elles donnent lieu à des mou-
vements alternatifs de flexion et d'extension avec prédominance d'action
des fléchisseurs ; b) motricité volontaire profondément troublée ; il peut y
avoir paralysie complète ; c) réflexes tendineux parfois exagérés, mais
pouvant être normaux, affaiblis ou même abolis , d) réflexes de défense
toujours très forts ; e) dans la grande majorité des cas, signe des
orteils. Ajoutons que la rigidité en flexion, quand elle est devenue
stable. se complique presque inévitablement de rétractions fibro-tendi- '.
neuses.
Je ne m'étendrai pas sur les lésions qui déterminent cette forme de para-
plégie ; qu'il me suffise de dire qu'il s'agit généralement, soit d'altéra-
tions scléreuses diffuses de la moelle, soit d'une compression spinale par
une tumeur intra-rachidienne, ou une pachyméningite ; en outre, dans les
cas de ce genre, quand ils sont très caractérisés, la dégénération
secondaire des faisceaux pyramidaux fait défaut ou bien est très légère ;
c'est, du moins, ce qui semble ressortir des observations anatomo-
cliniques recueillies jusqu'à ce jour.
Je reviens à la clinique. La rigidité musculaire de cette forme de para-
plégie constitue bien une contracture ; elle est, en effet, pathologique,
due à un mode de l'activité musculaire, et elle est stable, au moins à une
période de son évolution. Mais, comme nous venons de le voir, cette sta-
bilité est moindre que celle de la contracture de la paraplégie spastique
d'Erb ; elle est entrecoupée en partie de contractions involontaires lentes
constituant de véritables mouvements spasmodiques, et, à la phase de
début, les troubles méritent moins d'être rangés dans la catégorie des
contractures que dans celle des spasmes. Il en résulte que l'épithète de
« spasmodique » conviendrait bien plus à cette variété de paraplégie qu'au
syndrome dénommé « tabes dorsal spasmodique ».
La contracture dont nous nous occupons a poursubstratum anatomique,
comme nous venons de le voir, des lésions du système nerveux central ;
ces lésions intéressent la voie pyramidale dont la perturbation se mani-
feste pendant la vie par le signe des orteils et par l'exagération des
réflexes de défense.
Me voici maintenant en mesure de répondre à la question que j'ai posée
après avoir montré que la contracture vulgaire, liée à une altération de la
voie pyramidale, a des relations étroites avec la surréflectivité tendineuse.
Je peux affirmer qu'il existe aussi une contracture différente, il est
vrai, de la précédente par sa forme déterminée par des lésions ner-
veuses centrales atteignant les faisceaux pyramidaux, et pourtant absolu-
ment indépendante de la surréflectivité tendineuse. En effet, chez les
malades qui la présentent, les réflexes tendineux ne sont pas toujours
exagérés, tant s'en faut : ils sont souvent, soit normaux, soit affaiblis, soit
même abolis. Les réflexes de défense, au contraire, sont non seulement
toujours présents, mais ils atteignent une très grande intensité.
84 SEMIOLOGIE
Mes observations ont été confirmées sur tous les points par plusieurs
neurologistes (').
Cette forme de contracture, surtout commune aux membres inférieurs,
peut atteindre en même temps les membres supérieurs, où elle offre les
mêmes caractères : rigidité avec mouvements spasmodiques, affaiblis-
sement ou abolition possible des réflexes osso-tendineux, réflexes de
défense très forts.
Qu'on la considère aux membres inférieurs ou aux membres supérieurs,
ce qui frappe surtout, ce sont ses liens intimes avec les réflexes cutanés
de défense dont elle parait dépendre, comme la forme habituelle de la
contracture dépend de la surréflectivité tendineuse. Pour mettre ces traits
en évidence et pour donner à chacune de ces formes de contracture qui
peuvent d'ailleurs s'associer une dénomination qui les distingue, j'ai
proposé d'appliquer à l'une le qualificatif de « tendino-réflexe » et celui
de « cutanéo-réflexe » à l'autre.
- RÉFLEXES TENDINEUX ET HYSTÉRIE
Avant de terminer, je désire examiner une question, longtemps contro-
versée, sur laquelle il importe d'être fixé : je veux parler de l'influence
que l'hystérie pourrait exercer sur les réflexes tendineux et osseux.
11 n'y a pas encore bien longtemps, les neurologistes admettaient que
l'hystérie est capable de déterminer des troubles dans la réflectivité
tendineuse; ils s'accordaient à dire que son pouvoir s'exerce soit en
exagérant tous les réflexes tendineux la motilité volontaire restant
d'ailleurs normale soit en affaiblissant, abolissant ou exagérant les
réflexes tendineux dans des membres qu'elle avait frappés de paralysie
ou de contracture. C'était une donnée classique que l'hémiplégie et la
paralysie hystériques se manifesteraient parfois par des caractères intrin-
sèques identiques à ceux de l'hémiplégie et de la paraplégie organiques
et que les phénomènes extrinsèques seuls permettraient de distinguer
ces deux espèces de troubles.
Je soutiens une opinion diamétralement opposée depuis près de vingt
ans, mon premier travail relatif à cette question datant de t83(2). Je suis
revenu sur ce sujet à maintes reprises, cherchant à démontrer l'inexac-
titude de la conception traditionnelle.
Au début, mes idées trouvèrent une vive opposition. Actuellement, au
(') a) Souques. Paraplégie spasmodique organique, avec contracture en flexion et exagération
des réflexes cutanés de défense (Revue neurologique, 1911, p. 376).
b) Claude. Sur la paraplégie avec contracture en flexion (Revue neurologie, 1()l 1, p. 249).
c) G. Etienne et E. Gelma. - Paraplégie spinale en Flexion (Nouvelle Iconographie de la Salpê-
trière, 1911, n° 5).
d) Lion et J. Rolland. Paraplégie spasmodique avec contraction en flexion (type cutanéo-
réflexe de Babinski) dans un mal de Polt (Revue neurologique, 1912, 1 Il semestre, p. 8f3).
e) Klippel et Monier-Vinard. Paraplégie avec contracture en flexion et exaltation des réflexes de
défense (Revue neurologique. 1912, 2e semestre, p. i 3y).
(2) Contractures organique et hystérique, par J. Babinski (Bulletins et mémoires de la Société
médicale des hôpitaux de Paris, 5 mai 1893).
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 85
contraire, la plupart des cliniciens partagent ma manière de voir. J'aurais
donc le droit de tenir la question pour résolue et de la passer sous silence.
Cependant, comme il existe encore quelques dissidents, je pense qu'il n'est
pas sans intérêt d'indiquer les causes de l'erreur commise et de montrer
comment je suis arrivé à la détruire. (Je ne fais que signaler en passant
la faute grossière consistant à prendre pour de la trépidation épileptoïde
le tremblement hystérique, dont les oscillations se distinguent aisément par
leur irrégularité de celles du vrai clonus. Claude et Rose('), en employant
des procédés graphiques, ont confirmé ce que j'ai dit sur ce point.)
L'erreur d'autrefois avait pour origines principales l'insuffisance des
notions concernant les réflexes tendineux à l'état normal, la pénurie des
données sémiologiques et en outre un défaut de méthode.
Il est évident que sans la connaissance exacte de ce que sont les réflexes
chez l'homme sain, des variétés qu'ils peuvent présenter, des caractères
qui permettent de discerner la surréflectivité, on est exposé à de fortes
méprises. C'est pour ne pas avoir déterminé toute la gamme des réflexes
tendineux à l'état physiologique préliminaire indispensable à l'étude
de ces réflexes à l'état pathologique qu'on a attribué à l'hystérie la
faculté de produire une surréflectivité générale. Si l'on compare un grand
nombre de sujets, les uns en parfaite santé, les autres ayant des mani-
festations hystériques et, bien entendu, exempts de toute autre affection,
on ne constate aucune différence entre les deux groupes en ce qui
concerne la réflectivité tendineuse. C'est, en particulier, pour n'avoir pas
distingué la trépidation épileptoïde fruste, phénomène physiologique, de
la trépidation parfaite, phénomène pathologique (voir p. 61), que l'exagé-
ration des réflexes tendineux a été considérée comme un caractère com-
mun à la paraplégie organique et à la paraplégie hystérique. On conçoit
du reste fort bien, si l'on se rappelle ce que j'ai dit, que la contracture
hystérique en réalité simple contraction volontaire s'accompagne
volontiers, quand elle occupe les membres inférieurs, de clonus fruste
du pied. Mais c'est peut-être la pauvreté de la sémiotique qui a contribué
le plus à fausser les idées. Que l'on se reporte à l'époque où les signes
dont on se sert couramment aujourd'hui pour le diagnostic (phénomène
des orteils, mouvement combiné de flexion de la cuisse et du bassin,
signe de la pronation, signe de Mendel-Bechtereff, etc.), étaient ignorés.
On admettait alors que les caractères extrinsèques fournissaient seuls le
moyen de discerner les paralysies hystériques des paralysies organiques :
une paraplégie ou une hémiplégie survenait-elle chez un sujet jeune, non
syphilitique, paraissant avoir un appareil cardio-vasculaire normal et
présentant ou ayant présenté des manifestations hystériques, elle était
généralement attribuée à l'hystérie.
Il est facile d'imaginer, avec les notions actuelles, le nombre de
diagnostics erronés dont une semblable règle a dû être la source, ainsi
(') Étude graphique du clonus dans les maladies organiques et fonctionnelles du système nerveux £
(Revue neurol., 1906, p. 82g).
86 SÉMIOLOGIE
que leurs conséquences au point de vue qui nous occupe. Après avoir
indûment incorporé des cas de paralysie organique dans le domaine de
l'hystérie, on était inévitablement conduit à admettre que cette névrose
peut avoir sur les réflexes tendineux une action pareille à celle des lésions
nerveuses qui engendrent des paralysies ou des contractures ; cette
conclusion, d'ailleurs, était acceptée d'autant plus volontiers qu'on prêtait
à l'hystérie, comme à quelque agent matériel, la faculté de se localiser
en divers départements du cerveau, voire de la moelle et des nerfs, et
de produire les mêmes effets que les altérations organiques.
Aujourd'hui, grâce aux signes nouveaux que l'on possède, on n'est plus
exposé à se tromper ainsi. Mais déjà, avant que ces signes fussent connus,
il m'a été possible de rectifier les idées qui avaient cours. Voici les
données sur lesquelles j'ai fondé mon opinion.
Ce sont, d'une part, des expériences répétées sur un grand nombre de
sujets hystériques, suggestionnables, hypnotisables. Elles m'ont prouvé
que la suggestion, quelles qu'en soient la forme et la durée, est sans
action sur les réflexes tendineux, qu'elle ne peut ni les affaiblir, ni les
abolir, ni les exagérer. Provoquez par suggestion une monoplégie, une
hémiplégie ou une paraplégie hystérique, cherchez par tous les moyens
d'ordre psychique à augmenter l'intensité des réflexes dans les membres
paralysés ou à les faire disparaître, ce sera peine perdue, vous échouerez
complètement dans vos tentatives.
Ce sont, d'autre part, des observations nombreuses desquelles s'est
dégagée cette notion que les paralysies s'accompagnant d'irréflectivité
ou de surréflectivité ne guérissent pas sous l'influence de la contre-
suggestion ; celle-ci peut les atténuer, il est vrai, quand il s'agit d'une
association hystéro-organique, mais elle ne les fait jamais disparaitre
complètement, et, en tout cas, elle ne fait subir aucune modification à
l'état des réflexes tendineux.
Pourtant, comme l'expérience d'un seul, si étendue qu'elle soit, est
encore limitée, j'avais invité ceux qui auraient cru constater des faits en
opposition à les présenter. Voici comment je me suis exprimé à ce sujet
en 1900 au Congrès international de médecine, à l'occasion du rapport
sur le « Diagnostic de l'hémiplégie organique et de l'hémiplégie
hystérique » : :
«.le ne crois pas que dans l'hémiplégie hystérique pure il puisse y avoir, comme
dans l'hémiplégie organique, de l'exagération des réflexes tendineux du côté de la
paralysie. Un hystérique peut, il est vrai, dans certains cas, exécuter volontairement.
à la suite de la percussion du tendon rotulien, un mouvement plus énergique du côté
malade que du côté sain et simuler ainsi, si l'on n'y prend pas garde, une exagération
des réflexes ; mais on arrivera généralement à distinguer ce pseudo-réflexe du réflexe
légitime à l'aide des caractères que j'ai indiqués. J'ajoute qu'en pareil cas ce n'est
guère que le réflexe rotulien qui parait exagéré et les autres réflexes tendineux et
osseux, le réflexe du tendon d'Achille, le réflexe radial, le réflexe du triceps brachial,
sont égaux des deux côtés, contrairement à ce qui a lieu dans l'hémiplégie organique.
Je n'ignore pas que certains médecins affirment avoir observé dans l'hémiplégie hysté-
RÉFLEXES TENDINEUX ET RÉFLEXES OSSEUX 87
rique une exagération unilatérale de tous les'réflexes tendineux, mais je déclare
n'avoir rien vu de pareil et je suis convaincu qu'il s'agissait dans ces cas d'associations
hystéro-organiques. Pour établir que l'exagération des réflexes tendineux relève de
l'hystérie il faudrait prouver, dans un cas donné, d'une part que la paralysie, en rai-
son de son mode d'évolution, de l'action exercée sur elle par la suggestion, dépend
exclusivement de l'hystérie, et, d'autre part, que l'exagération des réflexes tendineux,
disparaissant avec la paralysie, devait être intimement liée à l'hystérie.
« Il est à souhaiter que les neurologistes qui admettent la possibilité de l'exagération
des réflexes tendineux dans l'hémiplégie hystérique veuillent bien présenter à leurs
collègues de pareils malades, car ce n'est, en quelque sorte, que « pièces en main »
qu'on finira par s'entendre (). »
Les années se succédèrent sans qu'il nous fût donné de voir un seul
sujet de ce genre, et en 1908, lors de la discussion sur l'hystérie à la
Société de neurologie de Paris, il ne se trouva personne pour défendre
la thèse ancienne.
En 1909, à l'occasion d'un travail de M. Ettore Levi, intitulé : « Quelques
nouveaux faits relatifs à un cas d'hystérie avec forte exagération des
réflexes tendineux », j'écrivais les lignes suivantes :
« S'il est vrai, comme le prétend M. Levi, que bon nombre de mes collègues, en
France, ne se sont pas rangés à mon opinion et s'il y a encore des neurologistes pari-
siens réellement convaincus que l'hystérie peut exagérer les réflexes tendineux, que
ne le démontrent-ils ? Rien ne devrait être plus simple, car la preuve d'un fait positif
est facile à faire. S'il nous est impossible d'apprécier ici la valeur exacte des observa-
tions recueillies sur des malades comme ceux de M. Levi, que nous n'avons pas vus,
nous serions bien forcés de nous incliner devant des faits probants qu'on nous met-
trait sous les yeux.
« Qu'on présente, par exemple, un sujet atteint d'hémiplégie hystérique avec exa-
gération unilatérale bien nette des réflexes tendineux, et qu'après l'avoir guéri par
des pratiques psychothérapiques. on fasse constater le retour des réflexes à l'état
normal : je serai obligé de reconnaître que je me suis trompé. Mais, jusqu'à
maintenant, quoique la question ait été posée depuis plus de dix ans, personne n'a été
à même de montrer un pareil fait à la Société de neurologie de Paris, malgré l'immen-
sité du matériel dont on dispose ici, ou plutôt voici ce qui s'est produit : on a bien
présenté, avec l'étiquette d'hystérie, quelques hémiplégiques et quelques paraplégi-
ques dont les réflexes tendineux étaient manifestement exagérés, et qui avaient du
clonus parfait, mais aucun d'eux n'a été vu une seconde fois guéri de son affection, et
en ce qui concerne la plupart d'entre eux, leurs présentateurs sont venus plus tard
avouer loyalement qu'ils avaient commis des erreurs de diagnostic. »
Ces réflexions conservent toute leur portée, car au cours des trois
années qui se sont écoulées depuis lors, il n'a été enregistré aucun fait
infirmant mon opinion.
La question me paraît donc définitivement jugée.
Au point de vue clinique, il était essentiel de la résoudre, et c'est pour
ce motif que j'ai poursuivi son étude avec persévérance pendant de
nombreuses années.
(1) Revue neurologique, 1900, il. 771.
V
(WO.PZG'7 ? MCMF ORGANIQUE. MOUVEMENTS ACTIFS
ET MOUVEMENTS PASSIFS.
[J. BABINSKI.
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 5 février igog.
Le malade que je présente est un homme de 60 ans, dont la santé jusqu'au mois
de décembre dernier avait été satisfaisante.
Le'-22 décembre, vers 8 heures du matin, conduisant, au bois de Vincennes,
un tombereau de feuilles qu'il venait de charger, il ressentit un engourdissement dans
le bras gauche et il s'aperçut que ce bras était involontairement balancé le long de
son corps : s'observant plus attentivement, il constata alors que les mouvements des
divers segments du membre supérieur gauche s'opéraient bien plus difficilement que
d'habitude. Il se rappela que deux jours auparavant il avait éprouvé subitement une
sensation de froid dans les membres du côté gauche. Ne sentant aucune douleur, il
continua à travailler toute la journée, et se coucha le soir à l'heure habituelle.
Le 23 décembre, à son réveil, le membre supérieur gauche était totalement paralysé.
Le malade se leva et remarqua que le membre inférieur gauche était un peu engourdi,
mais ce trouble ne l'empêcha pas de marcher et ne dura que 48 heures environ.
Quant à la paralysie brachiale, après être restée complète pendant quelques jours,
elle s'atténua un peu ultérieurement.
Le 15 janvier, j'examine le malade et, après avoir fait mettre à nu la partie supé-
rieure du corps, voici ce que je constate : .
Le membre supérieur gauche est plus rapproché du tronc que le membre supérieur
droit et la main gauche se trouve plus près de la ligne médiane que la droite.
Le membre supérieur gauche est flasque ; on peut facilement fléchir et étendre les
divers segments les uns sur les autres ; cependant on ne peut pas soulever le bras
malade aussi facilement qu'à l'état normal, ce mouvement provoquant une légère
douleur. L'avant-bras étant soutenu au niveau du poignet, si, après l'avoir placé en
supination, on cesse de le maintenir dans cette attitude, on constate qu'il se porte
immédiatement en pronation. Le malade, avec des efforts, parvient à fléchir sponta-
nément les doigts sur la main et l'avant-bras sur le bras, mais ces mouvements sont
très faibles, très limités et, au point de vue fonctionnel, sans aucune utilité. Le
MONOPLÉGIE BRACHIALE ORGANIQUE 89
réflexe du triceps brachial est manifestement exagéré ; il est plus fort et plus brusque
à gauche et la percussion du tendon tricipital donne lieu de ce côté à plusieurs secous-
ses consécutives, ce qu'on n'observe pas à droite. Le mouvement réflexe de flexion de
l'avant-bras sur le bras est aussi nettement plus fort du côté de la paralysie. Le mem-
bre supérieur gauche est sensiblement plus froid que le droit. Sauf de légères dou-
leurs déjà signalées, il n'y a aucun trouble de la sensibilité.
Dans les autres parties du corps rien d'anormal digne d'être mentionné.
Il s'agit incontestablement d'une monoplégie brachiale liée à une lésion
du système nerveux central. Le signe de la pronation, l'hypothermie et
l'exagération des réflexes tendineux permettent de l'affirmer. Où siège
cette lésion ? elle est probablement corticale ou sous-corticale. Mais je ne
m'attarderai pas à discuter cette question, pas plus que celle de la nature
de cette lésion, car c'est sur d'autres points que je veux arrêter l'attention
de la Société, et il me suffit d'avoir établi d'abord que la monoplégie dont
est atteint ce malade est d'origine organique.
Voici maintenant les autres particularités que j'ai observées, sur les-
quelles je désire insister et que je vais énumér'er. :
a) Dans la marche, le côté droit présente l'allure habituelle : lorsque le membre
inférieur se porte en avant, on voit le bras se porter en arrière et vice versa ; du côté
gauche, il en est tout autrement : le bras se meut très peu et on observe comme une
inversion dans les rapports entre les mouvements du membre inférieur et ceux du
membre supérieur ; la cuisse et le bras se portent simultanément en avant et le malade,
vu du côté gauche, semble aller l'amble ; en réalité le mouvement en avant du bras
n'est que la conséquence d'une propulsion exercée par la cuisse.
.b) Lorsqu'étant debout, le malade tourne sur lui-même avec une certaine brusque-
rie, les membres supérieurs s'écartent du tronc ; mais du côté gauche le mouvement
est bien plus étendu ; de plus, le membre paralysé se déplace et oscille encore alors
que le membre sain est déjà revenu au repos.
c) Le malade étant assis ou debout, si après lui avoir recommandé de laisser le
membre sain comme inerte et lui avoir soulevé les deux bras, je les abandonne à eux-
mêmes, je constate ceci : du côté sain le membre supérieur vient heurter contre le
tronc, rebondit une fois ou deux, puis reste immobile ; du côté paralysé le membre
supérieur présente des oscillations plus nombreuses et ne revient que plus tardive-
ment au repos.
d) Le malade étant assis ou debout, si, après avoir attiré ses bras en avant, je laisse
simplement reposer ses mains sur les miennes et cesse de les tenir, le membre supé-
rieur garde généralement, du côté sain, l'attitude que je lui ai donnée, tandis que du
côté malade la main glisse sur la mienne et se porte en arrière.
Pour interpréter ces faits, il faut d'abord se remémorer quelques no-
tions de physiologie. Je rappellerai que les mouvements du corps et des
parties qui le composent peuvent être divisés en deux catégories, suivant
qu'ils sont spontanés ou bien d'origine externe, provoqués par une force
indépendante de l'appareil neuro-musculaire et venue du dehors.
Les mouvements de la première catégorie sont qualifiés d'actifs; on
appelle passifs ceux de la deuxième.
go SEMIOLOGIE
Les mouvements actifs, si on les envisage dans les actes volitionnels
tant soit peu compliqués, peuvent être eux-mêmes subdivisés en essentiels
et accessoires; les essentiels étant ceux qui jouent dans un acte le rôle
fondamental. Dans la marche, par exemple, les mouvements des membres
inférieurs et du tronc constituent les mouvements essentiels ; on doit
considérer comme accessoires les mouvements des membres supérieurs
qui s'associent généralement aux précédents sans être d'ailleurs indispen-
sables à l'accomplissement de l'acte et qui consistent en un balancement
du bras se faisant en sens inverse du mouvement de va-et-vient de la
cuisse.
Je ferai remarquer ensuite que si les mouvements spontanés expriment
de la manière la plus éclatante l'activité musculaire, ils n'en sont pas la
seule manifestation; cette activité apparaît encore dans les mouvements
passifs qui sont plus ou moins modifiés par son intervention. Je soulève,
par exemple, mon bras, puis je le laisse retomber comme inerte, en lui
faisant exécuter ainsi un mouvement passif; si, comme cela arrive souvent,
le membre supérieur, après être retombé, reste immédiatement appliqué
le long du corps, sans avoir oscillé, je puis affirmer que l'activité mus-
culaire est intervenue, car, en vertu des lois de la mécanique, le membre
supérieur, s'il avait été complètement inerte, aurait dû, avant que son
mouvement se soit arrêté, avoir subi des oscillations à la manière d'un
pendule. A l'état normal l'activité musculaire trouble presque toujours les
mouvements passifs et leur enlève leur pureté.
Cela posé, il est facile d'expliquer les faits sur lesquels j'ai appelé l'at-
tention.
Il est naturel que le balancement du bras, mouvement accessoire fai-
sant habituellement partie de l'acte de la marche, fasse défaut dans la
monoplégie brachiale organique qui doit frapper tous les mouvements
actifs, qu'ils soient essentiels ou accessoires.
L'augmentation de l'étendue des mouvements passifs, l'augmentation
du nombre des oscillations du bras paralysé, comparé au bras du côté
sain, dans les expériences b et c, la rétropulsion de la main paralysée,
dans l'expérience d, sont dues à ce que la paralysie libère les mouve-
ments passifs des entraves qui leur sont mises à l'état normal par l'acti-
vité musculaire.
En résumé, dans la paralysie organique, l'abolition des mouvements
actifs, l'affranchissement et l'exagération des mouvements passifs sont des
phénomènes connexes. '
VI
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DE L'HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE
ET DE L'IIF,, , 11 / P L É G IE, . Il YS 7'1,, 111 Q UE, (')
[J. Babinski.]
Publiée dans la, Gazelle des Hôpitaux des 5 et 8 mai igoo.
Il serait superflu de chercher à démontrer qu'il est essentiel, au point
de vue pratique, de savoir distinguer l'hémiplégie organique de l'hé-
- miplégie hystérique ; aucun de vous n'ignore, en effet, que ces deux
espèces d'hémiplégie comportent un pronostic et un mode de traitement
absolument différents et qu'un diagnostic erroné peut conduire le médecin
à des prescriptions très préjudiciables au malade. Il n'est pas non plus
nécessaire de disserter longuement pour établir que dans bien des cas ce
diagnostic est difficile et même impossible, si, pour se faire une opinion,
on ne dispose que des signes différentiels classiques; il est arrivé à tout
médecin d'observer des cas de ce genre.
Les caractères dont on se sert pour distinguer l'hémiplégie organique
de l'hémiplégie hystérique peuvent être groupés en deux catégories :
d'une part les caractères intrinsèques relatifs aux troubles de motilité qui
occupent un côté du corps, de l'autre les caractères extrinsèques qui se
rapportent à la présence ou à l'absence de certains phénomènes indépen-
dants de ces derniers troubles, aux circonstances dans lesquelles la para-
lysie a pris naissance et à la nature du terrain sur lequel elle s'est déve-
loppée.
Ce sont ces derniers caractères auxquels on paraît généralement atta-
cher le plus d'importance. Voici, par exemple, un individu âgé, n'ayant
jamais eu de manifestations de l'hystérie et frappé d'hémiplégie sans cause
immédiate apparente; il sera considéré sans plus ample examen par la
plupart des médecins comme atteint d'hémiplégie organique. Pareil dia-
gnostic sera porté généralement, même chez un sujet jeune atteint d'hé-
(') Leçon clinique faite à l'hôpital de la Pitié.
92 SÉMIOLOGIE
miplégie, si le malade n'a pas de stigmates de l'hystérie, s'il est syphili-
tique, ou s'il présente les signes d'une affection cardiaque, en particulier
d'un rétrécissement mitral. Soit, par contre, un individu jeune, ni syphi-
litique ni cardiaque, présentant des stigmates hystériques, de l'hémianes-
thésie sensitivo-sensorielle, s'il déclare que l'hémiplégie a apparu à la
suite d'une vive émotion, on n'hésitera guère à admettre que la paralysie
relève de l'hystérie.
Il ne me vient certes pas à l'esprit de refuser toute valeur aux caractères
extrinsèques ci-dessus mentionnés, et je reconnais même volontiers qu'ils
sont susceptibles de conduire à une très sérieuse présomption, mais je
suis d'avis qu'ils ne peuvent en aucun cas procurer la certitude et je vais
chercher, en les analysant successivement, à vous prouver l'exactitude de
cette opinion.
Le rôle de l'émotion dans la genèse des troubles hystériques est sans
doute des mieux établis, mais il ne faudrait pas en conclure que toute
hémiplégie attribuée par le malade à un choc moral soit hystérique. Ne
sait-on pas d'abord combien les malades sont enclins l'aire dépendre de
ce facteur les troubles dont ils sont atteints et l'on doit se garder d'accep-
ter sans contrôle suffisant leurs déclarations à cet égard. De plus, et c'est
un point sur lequel on ne saurait trop insister, il est incontestable qu'une
secousse psychique peut déterminer une lésion organique de l'encéphale
chez un individu dont le coeur et les artères cérébrales sont altérés ; l'igno-
rance de cette notion a occasionné bien souvent des erreurs de diagnos-
tic et récemment encore j'ai observé un fait de ce genre que mon interne,
M. Cestàn, a relaté à la Société anatomique (').
Il est certain que l'hémiplégie organique est plus commune dans les
périodes avancées de la vie que dans le jeune âge et que c'est le contraire
pour l'hémiplégie hystérique. Toutefois ce n'est là qu'une règle qui
souffre beaucoup d'exceptions.
Les affections cardiaques, plus spécialement le rétrécissement mitral,
l'artérite cérébrale et plus particulièrement l'artérite syphilitique comptent,
il est vrai, parmi les causes ordinaires des lésions en foyer de l'encéphale,
mais il ne faut pas oublier qu'on peut être atteint d'une lésion artérielle
du cerveau sans en présenter de signes objectifs, que, par conséquent,
l'absence de ces signes ne permet pas d'écarter l'hypothèse de ramollis-
sement ou d'hémorragie cérébrale et que, d'autre part, ainsi que le simple
bon sens l'indique, une affection organique de l'appareil circulatoire ne
conférant pas l'immunité contre l'hystérie, un individu porteur d'une
pareille affection est susceptible tout comme un autre d'être frappé
d'hémiplégie hystérique.
-Des considérations analogues s'appliquent à ce caractère, présence ou
absence' de stigmates hystériques, les stigmates pouvant faire complè-
tement défaut dans les paralysies hystériques et l'hystérie ne mettant pas
à l'abri des affections organiques. Il suffit du reste de se rappeler que les
bulb. de la Soc. anal, de Paris, 1898, p. 730.
HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE ET HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE 93
associations hystéro-organiques sont très fréquentes ('), que, par exemple,
une hémianesthésie hystérique se développe très volontiers chez 'un sujet
atteint d'hémiplégie organique, pour saisir l'insuffisance, au point de vue
du diagnostic différentiel, des caractères précédents.
Il est quelques autres caractères extrinsèques qui ont plus de prix; ce
sont la fièvre, l'incontinence des matières fécales, les escarres à évolution
rapide (decubitus acutus) qui se forment du côté paralysé; certes
l'existence de pareils troubles, particulièrement des deux derniers,
permet presque d'affirmer que l'hémiplégie dépend d'une affection
organique, mais ou bien ils sont transitoires, ou bien ils se manifestent
dans des cas graves se terminant rapidement par la mort. Le médecin
n'est donc que rarement en mesure de les observer et de se fonder sur
leur présence pour établir le diagnostic.
De ce qui précède, ressort l'insuffisance des caractères extrinsèques au
point de vue du diagnostic différentiel des deux espèces d'hémiplégie.
Depuis longtemps pénétré de cette idée, je me suis attaché à l'étude
des caractères intrinsèques, j'ai cherché à apprécier exactement l'impor-
tance de ceux qui étaient déjà décrits; dans le cours de mes examens j'ai
été conduit à en observer quelques nouveaux dont je me suis aussi efforcé
de déterminer la valeur, et je me crois autorisé à soutenir actuellement
que, dans la grande majorité des cas, les caractères intrinsèques four-
nissent des éléments de différenciation décisifs. C'est à l'exposé des
caractères intrinsèques qui me paraissent propres à différencier les deux
espèces d'hémiplégie que cette leçon sera consacrée.
On peut déjà entrevoir théoriquement les diverses manières dont est
susceptible d'être troublée la motilité dans l'hémiplégie, si l'on se repré-
sente au préalable les divers modes de l'activité musculaire à l'état
normal, la tonicité, la contractilité volontaire, la contractilité réflexe.
La tonicité maintient dans une attitude déterminée les parties du corps,
les unes par rapport aux autres, et il est facile de concevoir que son
affaiblissement ou son exagération entraine certaines déformations.
Lorsqu'on analyse la contractilité volontaire dans un acte quelque peu
compliqué, on reconnait qu'elle se manifeste par deux ordres de mouve-
ments : les uns conscients, les autres inconscients ou subconscients.
Soit, par exemple, l'acte sur lequel j'aurai à revenir dans la suite, et qui
consiste à se mettre sur son séant après s'être placé sur le dos dans la
position horizontale. Dans cet acte, la flexion du bassin sur les cuisses
et du tronc sur le bassin constitue le mouvement principal et conscient,
mais son accomplissement régulier nécessite l'extension préalable de la
cuisse sur le bassin, mouvement qui est exécuté automatiquement, et
dont on n'a que peu ou pas conscience. Il y a lieu de supposer que, dans
une paralysie, ces deux ordres de mouvements peuvent être troublés.
(') Voir à ce sujet : « Association de l'hystérie avec les maladies organiques du système nerveux,
les névroses et diverses autres affections », par J. Babinski, Bull, de la Soc. méd. des hôpit. de Paris,
1892, p. 775· -. -> ' ; ;
g4 SÉMIOLOGIE
Enfin, la contractilité réflexe pouvant être mise en jeu par l'excitation
des tendons ou celle des téguments est susceptible, ainsi qu'il est facile
de le prévoir, de présenter chez un sujet paralysé deux sortes de modifi-
cations ressortissant l'une aux réflexes tendineux, l'autre aux réflexes
cutanés.
Ces considérations théoriques posées, passons à l'examen des faits.
Pour commencer, occupons-nous de la paralysie faciale. Mon intention
n'est pas de faire ici une étude complète de ce syndrome; je me conten-
terai de rectifier quelques données classiques, mais, selon moi, inexactes,
et je chercherai à mettre en lumière les caractères qui peuvent permettre
de distinguer l'une de l'autre les deux espèces d'hémiplégie faciale que
nous avons en vue.
Étudions d'abord la paralysie faciale dans l'hémiplégie organique.
A l'état de repos, dans la période de flaccidité, la face présente l'aspect
suivant. Du côté paralysé, la commissure labiale est abaissée, le sillon
naso-labial est effacé et à l'expiration la joue fait saillie au dehors; de
plus, quand le domaine du facial supérieur est atteint, ce qui n'est pas
rare, surtout au début, avant que la paralysie n'ait commencé à rétro-
grader, les plis du front sont effacés et le sourcil est abaissé. On peut
facilement se convaincre que ces troubles sont sous la dépendance d'un
affaiblissement de la tonicité des muscles ; il suffit de saisir entre les
doigts les lèvres et la joue, et de leur imprimer des mouvements passifs
pour constater le relâchement musculaire.
Si l'on s'en rapportait aux traités classiques, l'asymétrie faciale à l'état
de repos et dans la période de contracture serait l'inverse de celle qui
vient d'être décrite; du côté de la paralysie le sillon naso-labial, après
avoir été effacé, deviendrait plus marqué et la commissure labiale, après
avoir été abaissée, serait plus élevée que du côté sain. Cette description
s'applique bien à un certain nombre d'hémiplégiques, mais non pas à
tous, tant s'en faut. Il n'est pas rare, en effet, d'observer chez des sujets
atteints d'hémiplégie depuis plusieurs années, et dont les membres sont
contractures, un abaissement de la commissure du côté de la paralysie,
comme dans la période de flaccidité.
Les mouvements unilatéraux de la face sont plus difficilement exécutés
du côté de l'hémiplégie que du côté normal, ainsi, du reste, que le veut le
simple bon sens. Il en est de même des mouvements bilatéraux, que
l'hémiplégie soit à la période de flaccidité ou dans celle de contracture.
L'action prédominante des muscles de la face du côté sain est particu-
lièrement apparente quand le malade parle; on constate alors aisément
que les muscles des lèvres fonctionnent de ce côté d'une manière plus
active; je n'ai jamais vu le contraire. I)ans l'acte du rire, on observe aussi
assez souvent que la commissure labiale se soulève et que le sillon naso-
labial s'accentue du côté normal, même chez des hémiplégiques dont, à
l'état de repos, la commissure labiale est plus élevée et le sillon naso-
labial plus marqué du côté de la paralysie. Je dois faire remarquer, tou-
HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE ET HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE y5
tefois, qu'il n'en est pas toujours ainsi, et que parfois le rire ne fait
qu'accentuer l'asymétrie due à la contracture.
La langue, tirée hors de la cavité buccale, est ordinairement un peu
déviée du côté de l'hémiplégie.
Je tiens à attirer maintenant votre attention d'abord sur ce point que la
paralysie faciale est limitée au côté hémiplégie et ensuite sur le parallé-
lisme qu'il y a entre les divers troubles de motilité volontaire. Si, par
exemple, les mouvements unilatéraux sont très affaiblis, l'impotence appa-
raîtra aussi avec netteté, du côté de l'hémiplégie, pendant l'exécution des
divers mouvements bilatéraux synergiques; il va sans dire que ce paral-
lélisme n'est pas mathématique, chacun de ces divers troubles pouvant
être un peu plus saillant que les autres.
Je dois vous dire, enfin, que cette paralysie est soumise à des règles
sinon à des lois, la contracture succédant à la paralysie flasque et les
troubles de motilité s'atténuant plus ou moins, suivant les malades, mais
toujours d'une manière progressive et n'étant pas sujets à des alternatives
en bien et en mal.
Ai-je besoin d'ajouter que, dans certains cas d'hémiplégie, la face n'est
que très légèrement atteinte et peut paraître même absolument nor-
male ?
En ce qui concerne les troubles de motilité que l'hystérie peut engen-
drer dans le domaine des muscles de la face, ce sont des phénomènes de
nature spasmodique dont la réalité est le plus anciennement et le mieux
établie.
Charcot a donné de l'hémispasme glosso-labié une description magis-
trale (') que toutes les observations recueillies depuis n'ont fait que
confirmer (-».
L'existence de la paralysie flasque dans l'hystérie a été longtemps mise
en doute et Charcot, après l'avoir énergiquement contestée, avait fini par
l'admettre à la suite des publications de Ballet (3) et de Chantemesse (4).
Koening a produit sur ce sujet un travail intéressant (') et pour ma part
j'ai relaté, dans deux communications devant la Société médicale (), des
faits tendant à montrer que la paralysie faciale hystérique a un aspect cli-
nique tout particulier qui permet de la distinguer de la paralysie faciale
liée à l'hémiplégie organique.
On peut observer dans cette espèce de paralysie faciale un abaissement
de la commissure comme dans la paralysie organique, mais, contraire-
ment à ce qui a lieu là, quand on saisit, entre les doigts, les lèvres et la
joue et qu'on leur imprime des mouvements passifs, on constate ici une
absence de relâchement musculaire et on reconnait, soit que l'abaisse-
(1) Charcot, Spasme glosso-labié unilatéral des hystériques, Semaine méd ? 1887, p. 37-
(2) Brissaud et Marie, De la déviation faciale dans l'hémiplégie hystérique, Progrès méd., 1887,
p. 811, 128.
(3) Ballot, Bull, de la Soc. méd. des pipit., t8go, p. 4 10 et 800.
e) Chantemesse, Id., 18go, p. 7\17-
C) Koenig, Neurol. Centralbt.. )8c) ? p. ? \7'
(6) Babinski, Bull, de la Soc. méd. des hôpit., 1892, p. 'yo6, 738, 867.
96 SÉMIOLOGIE
ment de la commissure n'est qu'une apparence qui résulte d'un soulève-
ment d'origine spasmodique de la commissure opposée, soit qu'il est dû
à une contraction des fibres musculaires qui abaissent la lèvre et que, par
suite, loin d'être la conséquence d'un affaiblissement de la tonicité des
muscles, il est une manifestation de leur activité. Jamais on n'observe
dans la paralysie faciale hystérique l'abaissement du sourcil ni l'efface-
ment des plis du front qui dépendent dans la paralysie organique d'une
diminution ou d'une abolition de la tonicité musculaire. L'absence de
toute perturbation de ce mode d'activité des muscles donne à la paralysie
faciale hystérique comme du reste aux paralysies hystériques en général,
quelle qu'en soit la localisation, un cachet spécial. C'est du moins l'opi-
nion que j'ai émise et que je soutiens.
La langue est parfois déviée du côté de la paralysie faciale et à un
faible degré, comme dans la paralysie organique, mais, contrairement à
ce qu'on observe dans celle-ci, la déviation peut être prononcée et il est
facile de s'assurer qu'il s'agit alors d'un spasme de la langue; elle peut
aussi s'opérer du côté opposé à celui qu'occupe la paralysie de la face.
Les troubles sont rarement limités d'une manière rigoureuse à un côté
de la face, comme dans la paralysie organique.
Contrairement encore à celle-ci la paralysie faciale hystérique est ordi-
nairement une paralysie systématique, c'est-à-dire qu'elle ne porte que sur
un ou plusieurs systèmes de mouvements volontaires que les muscles de
la face sont appelés à exécuter. Chez tel malade par exemple les deux
côtés de la face fonctionnent à peu près de la même façon dans l'acte de
parler ou celui de siffler, tandis que les mouvements unilatéraux sont
abolis d'un côté, que de ce côté le mouvement d'élévation de la commis-
sure labiale est tout à fait impossible.
Enfin l'évolution de la paralysie faciale hystérique est capricieuse et
n'est pas soumise aux règles de la paralysie organique. Les phénomènes
spasmodiques ne succèdent pas nécessairement, tant s'en faut, aux phéno-
mènes paralytiques ; ils peuvent les précéder et dans bien des cas ils sont
associés les uns aux autres. De plus les troubles sont susceptibles de
s'atténuer et de s'aggraver à plusieurs reprises et de se modifier notable-
ment dans leur intensité ainsi que dans leur forme, non seulement du
jour au lendemain, mais même d'un instant à l'autre.
Après cette étude comparative des deux espèces de paralysie faciale, je
veux vous entretenir d'une perturbation dans le domaine du peaucier, sur
laquelle j'ai appelé l'attention dans une présentation faite à la Société
médicale(').
C'est dans l'hémiplégie organique que j'ai observé ce trouble qui consiste
en ce que, dans certains actes où le muscle peaucier entre en jeu, la
contraction de ce muscle est plus énergique du côté sain que du côté
(1) Spasme associé du peaucier du cou du côté sain dans l'hémiplégie organique, par J. Babinski,
Bull. de la Soc. méd. des hôpit. de Paris, 3o juillet 1897.
HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE T'1 7 HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE
97
paralysé ; ce phénomène est particulièrement apparent tantôt quand le
malade ouvre la bouche toute grande, tantôt quand il fléchit la tête et
s'oppose au mouvement d'extension qu'on cherche à lui imprimer, tantôt
quand le malade siffle, souffle ou exécute des mouvements de déglutition.
Je me hâte d'ajouter que tous les hémiplégiques ne présentent pas ce
signe. J'ai désigné ce phénomène sous la dénomination de spasme asso-
cié du peaucier, qui, toute réflexion faite, me paraît défectueuse ; je crois
en effet qu'il ne s'agit pas d'un spasme du côté normal, mais plutôt d'une
parésie du peaucier du côté malade, qui apparaît dans les mouvements
synergiques que les peauciers sont appelés à accomplir et qui se mani-
feste par la prédominance d'action du muscle du côté normal ; je propose
d'appeler simplement ce trouble le signe du peaucier. Ce signe peut exister
aussi dans la paralysie faciale périphérique, le peaucier étant en partie
innervé par le facial.
J'ai observé deux sujets atteints d'hémiplégie organique chez lesquels
les fibres du peaucier étaient plus apparentes du côté paralysé que du
côté sain à l'ouverture de la bouche ; il s'agissait probablement dans ce
cas d'un véritable spasme ; on constatait du reste en même temps chez
ces malades, du côté de l'hémiplégie, un abaissement de la commissure
qui était manifestement d'origine spasmodique ; ces faits me paraissent
exceptionnels.
Chez les sujets atteints d'hémiplégie hystérique pure que j'ai examinés
à ce point de vue, ce phénomène faisait défaut ; néanmoins, comme il est
Badinai. 7
Fig. 3. Hémiplégie gauche organique un an après son début.
Contraction du peaucier du cou à droite.
98 SÉMIOLOGIE
possible de faire contracter volontairement le peaucier du cou d'un seul
côté, je conçois fort bien que ce signe puisse être observé dans l'hystérie
ou plutôt être simulé par l'hystérie. Quoi qu'il en soit, il semble pour le
moins plus rare dans l'hémiplégie hystérique que dans l'hémiplégie orga-
nique et, sans vouloir y attacher une importance fondamentale, j'estime
que le signe du peaucier, quand il existe nettement du côté sain dans un
cas d'hémiplégie, constitue un indice de lésion organique.
Passons à l'étude des troubles de motilité qu'on peut observer dans les
membres et dans le tronc et qui sont propres à nous conduire au but que
nous nous proposons d'atteindre. . '
J'ai fait remarquer précédemment que l'abaissement de la commissure
labiale ainsi que l'effacement des plis du front dans la paralysie faciale de
l'hémiplégie organique étaient dus à un affaiblissement de la tonicité
musculaire. Cette perturbation dans l'hémiplégie organique n'est pas limi-
tée aux muscles de la face; elle est simplement plus apparente là qu'ailleurs
parce qu'elle se traduit par une asymétrie faciale qui s'impose à l'atten-
tion, mais, comme je l'ai montré ('), elle peut atteindre aussi les membres.
Elle se manifeste par un abaissement de l'épaule ainsi que par une chute
du pied et de la main ; lorsque les jambes sont pendantes, l'angle que
forme le pied avec la jambe est plus grand du côté paralysé ; quand
l'avant-bras est maintenu dans la position horizontale et en pronation, la
flexion de la main est plus accentuée de ce côté. L'affaiblissement de la
tonicité dans les muscles du membre supérieur peut encore être décelé de
la manière suivante : lorsqu'on imprime à l'avant-bras placé en supina-
tion un mouvement passif de flexion sur le bras et qu'on cherche à appli-
quer ainsi ces deux segments du membre supérieur l'un sur l'autre aussi
fortement qu'il est possible de le faire sans provoquer de douleur et en
déployant de part et d'autre la même énergie, on constate, en comparant
les deux côtés l'un à l'autre, que le degré de flexion est plus grand du
côté paralysé. Ce phénomène pourrait être désigné sous la dénomination
de flexion exagérée de l'avant-bras. Je dois faire remarquer toutefois que,
même chez des sujets sains, il peut y avoir à cet égard une légère diffé-
rence entre les deux côtés ; généralement en pareil cas, le degré de flexion
est plus prononcé du côté le plus faible, du côté gauche. Ce phénomène
n'a donc de valeur que s'il est très net et il a une plus grande significa-
tion dans l'hémiplégie droite que dans l'hémiplégie gauche. C'est princi-
palement dans les cas d'hémiplégie récente, flasque, sans exagération ou
avec affaiblissement des réflexes tendineux, qu'on l'observe, mais je l'ai
constaté aussi, ce qui peut paraître surprenante) dans quelques cas d'hé-
miplégie ancienne avec exagération des réflexes tendineux.
(1) Relâchement des muscles dans l'hémiplégie organique, par J. Babinski. C. R. de la Soc. de
biol., 1896, p. 17f. z
(2) Voir à ce sujet : ce L'état des réflexes et la contracture dans l'hémiplégie organique», par Van
Gehuchten, Semaine méd., 1898, p. 507.
HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE ET HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE gg
N'ayant jamais constaté l'existence de ce signe dans l'hémiplégie hysté-
rique, j'estime qu'il peut contribuer à différencier les deux espèces
d'hémiplégie dont nous nous occupons. Je tiens à ajouter que la flexion
exagérée de l'avant-bras n'a de signification que si le membre paralysé
n'est pas atteint d'amyotropie, car le degré de flexion est toujours plus
marqué du côté du membre atrophié, même quand l'atrophie relève d'une
paralysie hystérique.
J'appelle maintenant votre attention sur un signe différentiel des deux
espèces d'hémiplégie que j'ai fait connaître il y a deux ans et auquel
j'attache une grande valeur. On l'observe chez la plupart des sujets atteints
d'hémiplégie organique. Lorsque, étendu sur le plan résistant horizon-
tal, sur un plancher par exemple, dans le décubitus dorsal, les bras croi-
sés sur la poitrine, le malade fait un effort pour se mettre sur son séant,
du côté paralysé la cuisse exécute un mouvement de flexion sur le bassin
et le talon se détache du sol, tandis que, du côté opposé, le membre infé-
rieur reste immobile ou que la flexion de la cuisse et le soulèvement du
talon n'apparaissent que plus tardivement et sont bien moins marqués
qu'au membre atteint de paralysie (voir fig. 4) ; en même temps, l'épaule
du côté normal se porte en avant.
Le mouvement que je viens de décrire se reproduit et peut être plus ou
moins accentué que dans l'acte précédent, quand le malade, après s'être
mis sur son séant, les bras toujours croisés sur la poitrine, porte le tronc
en arrière pour reprendre la position primitive ('). C'est surtout quand
le malade se renverse avec brusquerie que le mouvement est prononcé.
Quel est le mécanisme de ce mouvement ?
Pour comprendre l'interprétation que je propose, il faut d'abord ana-
(') Pour plus de détails voir : « De quelques mouvements associés du membre inférieur paralysé
dans l'hémiplégie organique », par J. Babinski, l3ull. de la Soc. méd. des hôpil. de Paris, 3o juillet
1897.
Fig. 4. Hémiplégie gauche organique un an après son début.
Flexion combinée de la cuisse et du tronc à gauche.
ion SÉMIOLOGIE
lyser l'acte qui consiste à se mettre sur son séant. Le mouvement essentiel
de cet acte est absolument conscient, c'est l'inclinaison en avant du bassin
et de la colonne vertébrale, mais cette inclinaison ne peut s'opérer d'une
manière normale que si les fémurs ont été préalablement immobilisés.
En effet, si on réfléchit au mode d'action du psoas iliaque, qui, suivant
qu'il prend son point d'appui à son insertion supérieure ou à son insertion
inférieure, fléchit la cuisse sur le bassin ou bien incline en avant le bassin
et la colonne vertébrale, on conçoit qu'un défaut d'immobilisation de la
cuisse, dans l'acte en question, doive entraver l'inclinaison du tronc en
avant et entrainer une flexion de la cuisse sur le bassin. Cette immobili-
sation de la cuisse est obtenue par la mise en activité inconsciente ou
sub-consciente des muscles qui étendent la cuisse sur le bassin.
Je suppose que c'est la parésie de ces muscles qui est la cause du phé-
nomène qui nous occupe. Du reste la réalité de cette parésie est incontes-
table, car lorsque le malade, se trouvant couché sur le dos, cherche à
maintenir les membres inférieurs appliqués contre le sol aussi étroitement
que possible, on arrive plus facilement du côté de la paralysie que du
côté sain à soulever la jambe en exerçant une traction de bas en haut.
Ce phénomène, que j'ai appelé mouvement associé de la flexion de la
cuisse dépendant, si mon interprétation est juste, d'un mécanisme bien
différent de celui qui appartient aux diverses variétés de mouvements
associés qu'on a décrits dans l'hémiplégie, pourrait être de préférence
désigné sous la dénomination de flexion combinée de la. cuisse et du tronc
qui exprime simplement et avec précision le mouvement en question.
Il est facile de comprendre pourquoi le mouvement de flexion de la
cuisse se reproduit lorsque le malade, après s'être mis sur son séant,
cherche à reprendre sa position primitive. Ce serait en effet une erreur
de croire que, dans cet acte, le sujet se borne à faire contracter les muscles
qui inclinent le tronc en arrière. S'il en était ainsi, la partie supérieure
du tronc, entraînée par la pesanteur, viendrait buter brutalement contre
le sol. L'extension du tronc doit être modérée par la contraction des flé-
chisseurs qui ne se relâchent que progressivement, et cette contraction
des fléchisseurs, pour être efficace, nécessite une immobilisation préalable
de la cuisse. Les conditions sont donc semblables de part et d'autre.
Ce qui me pousserait encore à admettre que cette interprétation est
juste, c'est que j'ai observé le mouvement de flexion combinée de la cuisse
et du tronc dans plusieurs cas de sciatique où les muscles extenseurs de
la cuisse sur le bassin étaient atrophiés. Du reste que ma manière de
concevoir le mécanisme de ce phénomène soit exacte ou non, sa réalité
est incontestable et c'est là le point essentiel.
Je dois faire remarquer qu'à l'état normal l'immobilisation de la cuisse
parait être plus ou moins parfaite suivant les sujets, ce qui, sans doute,
est une des raisons pour lesquelles tous les individus ne se mettent pas
sur leur séant avec la même aisance et que, tandis que chez les uns, pen-
dant cet acte, les cuisses restent appliquées sur le sol, chez les autres les
cuisses exécutent un mouvement plus ou moins marqué de flexion sur le
HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE ET HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE mn
bassin ; mais chez des sujets normaux, quand ce dernier mouvement se
produit, il est à peu près égal des deux côtés. Néanmoins, comme en
dehors de l'hémiplégie il peut y avoir entre les deux côtés de légères
différences au point de vue qui nous occupe, le mouvement de flexion
combiné de la cuisse et du tronc ne peut être considéré comme patholo-
gique que quand, ne se produisant que d'un côté, il est très net, ou que,
se produisant des deux côtés, il est bien plus apparent d'un côté que de
l'autre.
Le mouvement de flexion combinée de la cuisse et du tronc implique
naturellement que les membres qui l'exécutent fonctionnent, au moins
dans une certaine mesure ; aussi pourrait-on prévoir théoriquement qu'il
doit faire défaut quand la paralysie est complète et, l'observation confirme
cette vue de l'esprit. En effet, ce n'est généralement que quelque temps
après le début de l'hémiplégie, lorsque les troubles se sont atténués, que
ce phénomène apparaît. Dans la première phase de l'hémiplégie, l'impo-
tence du côté paralysé étant complète, ou bien le malade est tellement
prostré qu'il est incapable de faire le moindre effort, ou bien, quand il
cherche à se mettre sur son séant, il exécute un mouvement de rotation
autour d'un axe longitudinal passant par le côté paralysé ; ce mouvement
me parait être le résultat de l'action limitée à un côté du corps des muscles
qui inclinent le tronc en avant.
Dans l'hémiplégie hystérique, le phénomène dont je viens de vous faire
la .description fait défaut. Quand on fait coucher le malade sur le dos et
qu'on 1 invite à se mettre sur son séant, ou bien il reste immobile et
déclare qu'il est incapable d'accomplir l'acte commandé, ou bien il se met
sur son séant comme un sujet normal, ou enfin il fait exécuter au tronc
et aux membres des mouvements divers bien différents du mouvement de
flexion combinée de la cuisse et du tronc.
L'état des réflexes tendineux et des réflexes osseux fournit des données
de la plus grande importance pour la solution du problème que nous
nous sommes posé. C'est, du moins, mon avis ; mais il y a à cet égard des
divergences d'opinion entre les neurologistes.
En ce qui concerne l'hémiplégie organique, tous sont d'accord pour
admettre qu'au début les réflexes tendineux du côté paralysé peuvent être,
suivant les cas, normaux, exagérés, affaiblis ou abolis, tandis que dans la
deuxième période, c'est-à-dire à partir de la quatrième ou de la cinquième
semaine, ces réflexes sont presque toujours exagérés, sauf lorsqu'il y a
une lésion radiculaire postérieure concomitante. On constate aussi chez
beaucoup de malades de la trépidation épileptoïde du pied et parfois aussi
de la trépidation épileptoïde de la main.
Il n'en est pas de même pour l'hémiplégie hystérique ; beaucoup de
médecins pensent que, si l'exagération des réflexes du côté paralysé est
plus rare clans cette affection que dans l'hémiplégie organique, elle peut
pourtant y être observée, qu'il en est de môme de l'affaiblissement ou de
l'abolition des réflexes et que, par conséquent, on ne saurait considérer
102 SEMIOLOGIE
la perturbation dans ces réflexes comme un caractère différentiel de
grande valeur.
Dans un travail publié il y a sept ans('), j'ai soutenu l'opinion contraire
et l'expérience que j'ai acquise depuis me confirme dans cette manière de
voir. J'estime que les paralysies hystériques en général et l'hémiplégie
hystérique en particulier n'exercent aucune action sur les réflexes tendi-
neux.
Je dois faire remarquer que l'appréciation de l'état des réflexes tendi-
neux n'est pas sans présenter quelques difficultés, dont la principale
consiste en ce que la manifestation extérieure de ce phénomène peut être
dénaturée par des influences psychiques ; en effet, le mouvement d'un
segment de membre, qui résulte de la percussion d'un tendon et qui donne
la mesure apparente de l'intensité du réflexe, est susceptible d'être, par
un acte moteur d'origine psychique, atténué ou exagéré, suivant que les
effets de ces deux phénomènes se contrarient ou s'ajoutent.
C'est, du reste, pour éliminer l'influence du second facteur que, quand
on explore les réflexes rotuliens, on recommande au sujet en observation
de fermer les yeux, de relâcher les muscles des membres inférieurs et,
pour arriver plus facilement à ce but, de faire contracter énergiquement
les muscles des membres supérieurs. Malgré ces précautions on n'arrive
pas toujours facilement au résultat désiré et il peut être nécessaire de
répéter l'examen à plusieurs reprises pour être fixé exactement sur l'état
des réflexes.
Les difficultés sont encore plus grandes chez les hystériques, comme
cela est aisé à comprendre, et si l'on n'y prête pas une grande attention
on s'expose à des méprises. La percussion des tendons chez les hystériques
peut être suivie des deux côtés, ou d'un côté seulement, d'une secousse
énergique et donner ainsi l'impression d'une exagération de ces réflexes ;
le soulèvement de la plante du pied a parfois pour conséquence une tré-
pidation du pied qui se propage dans certains cas au membre entier et
qui rappelle la trépidation épileptoïde. Mais si on regarde de près, si on
analyse soigneusement le phénomène, on arrive le plus souvent à
reconnaître, c'est là du moins ma manière de voir, que cette exagération
des réflexes n'est qu'apparente, que le mouvement qu'on observe se
compose de deux éléments qui représentent les effets de deux actes bien
différents : d'une part un mouvement ayant une amplitude égale et une
forme identique à celle d'un réflexe normal (réflexe tendineux légitime)
et d'autre part un mouvement bien plus étendu, d'origine psychique
(réflexe tendineux illégitime ou pseudo-réflexe tendineux). Le plus souvent
une simple inspection suffit pour distinguer ces deux phénomènes l'un de
l'autre ; c'est ainsi qu'on pourra affirmer dans certains cas qu'un mouve-
ment consécutif à la percussion d'un tendon n'est pas le résultat d'un
réflexe tendineux légitime, soit parce que le temps perdu entre la per-
(1) Contractures organique et hystérique, par J. Babinski, Bail de la Soc. méd. des hdpit. de Paris,
5 mai 1893. '
HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE ET HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE io3
cussion et la réaction est d'une durée excessive, soit parce que le mode de
contraction des muscles ou la nature du mouvement ne présente pas les
caractères qui appartiennent au réflexe tendineux légitime, soit parce
qu'un mouvement analogue peut être obtenu par la percussion d'une
région qui avoisine le tendon, soit encore parce que l'état de ces réflexes
subit à de courts intervalles des modifications notables. On peut voir de
même, en ce qui concerne la trépidation du pied, qu'il ne s'agit pas d'une
véritable trépidation épileptoïde, mais d'une contrefaçon de ce phénomène,
bien différente de l'épilepsie spinale.
Je tiens à faire remarquer que le réflexe radial qu'on fait apparaître en
percutant le radius à son extrémité inférieure, qui est rarement recherché,
mérite pourtant de l'être, autant et plus même que tout autre réflexe,
parce que, quand il est réellement exagéré, il se manifeste par un mouve-
ment d'une intensité et surtout d'une brusquerie particulièrement malai-
sées à contrefaire.
Ainsi donc l'abolition ou l'exagération des réflexes tendineux du côté
paralysé dans un cas d'hémiplégie constitue un indice important de lésion
organique du système nerveux et doit éloigner de l'esprit l'idée de para-
lysie hystérique. Ce serait même un caractère différentiel presque décisif
si l'hémiplégie hystérique ne se manifestait jamais qu'à l'état de pureté.
Mais il n'en est pas ainsi et l'on se heurte parfois à des difficultés de dia-
gnostic qui tiennent à ce qu'une paralysie ou une contracture hystérique
est susceptible de s'associer il une paralysie organique ou encore de se
développer sur un membre dont les réflexes tendineux sont exagérés à
cause de quelque autre affection concomitante. Voici par exemple une
malade atteinte d'une lésion de l'articulation tibio-tarsienne qui a donné
naissance à de l'exagération des réflexes tendineux et à de l'épilepsie spi-
nale ; cette lésion a été aussi l'agent provocateur d'une contracture hysté-
rique du membre inférieur ; un observateur superficiel sera exposé à faire
dépendre de l'hystérie les phénomènes tendineux.
Je dois reconnaître cependant que j'ai observé, dans un cas de contrac-
ture hystérique crurale paraissant pure, delà trépidation qui m'a semblé
identique à l'épilepsie spinale. Je suis porté à croire que ce phénomène
était le résultat d'une irritation du tissu fibro-tendineux périarticulaire,
consécutive elle-même à l'attitude vicieuse du pied qui remontait déjà à
plusieurs mois et qu'en définitive l'épilepsie spinale n'était qu'indirecte-
ment liée à la contracture hystérique.
Quoi qu'il en soit, l'absence d'épilepsie spinale vraie dans l'hémiplégie
hystérique peut être considérée, sinon comme une loi, du moins comme
une règle qui ne souffre que très peu d'exceptions.
Tandis que les réflexes tendineux sont depuis fort longtemps l'objet de
l'attention des neurologistes et qu'ils sont recherchés d'une manière sys-
tématique dans les affections du système nerveux, l'étude des réflexes
a été négligée. On admet simplement, que dans l'hémiplégie organique,
ces réflexes sont parfois affaiblis ou abolis du côté paralysé, mais dans les
lu5 t SEMIOLOGIE
traités classiques on ne discute même pas la question de savoir si ce
trouble peut servir à différencier les deux espèces d'hémiplégie.
Je dois dire toutefois qu'en ce qui concerne le réflexe cutané abdomi-
nal, Rosenbach, qui signala, le premier, son abolition dans l'hémiplégie
organique, est d'avis que cette perturbation fait défaut dans l'hémiplégie
hystérique. D'après mes observations, l'opinion de Rosenbach me paraît
juste ; je ne crois pas que l'hystérie puisse, au même titre qu'une affection
organique de l'encéphale, abolir le réflexe cutané abdominal, et dans la
plupart des cas d'hémiplégie hystérique que j'ai examinés j'ai constaté un
mouvement réflexe consécutif à l'excitation de la peau de l'abdomen.
Néanmoins, chez quelques hystériques hémianesthésiques, je n'ai obtenu
aucun mouvement apparent. Je ne pense pas qu'il s'agisse en pareil cas
d'une véritable abolition du réflexe et je suppose que le mouvement
réflexe est simplement masqué par une contraction volontaire des muscles
de la paroi abdominale.
Quoi qu'il en soit, l'absence de mouvement de la paroi abdominale à la
suite d'une excitation de la peau de l'abdomen dans un cas d'hémiplégie
doit être considéré comme un indice incertain de lésion organique.
L'abolition du réflexe crémastérien du côté paralysé, coïncidant avec
la conservation de ce réflexe du côté sain, n'est pas rare dans l'hémiplé-
gie organique et me paraît avoir plus de valeur, au point de vue du dia-
gnostic, que l'abolition du réflexe abdominal.
Les mouvements consécutifs à l'excitation de la plante du pied sont,
dans bien des cas d'hémiplégie organique, plus faibles du côté paralysé
que du côté sain, mais il peut en être de même dans l'hémiplégie hysté-
rique et ce que nous avons dit à propos du réflexe abdominal s'applique
au réflexe plantaire. Et pourtant le réflexe cutané plantaire fournit au
diagnostic différentiel des indications de premier ordre, si, au lieu de se
contenter, comme on l'a fait jusqu'à présent, de noter simplement son
degré d'intensité, on prend en considération sa forme.
J'ai montré, il y a déjà plusieurs années, qu'à l'état normal, chez l'adulte,
l'excitation de la plante du pied provoque entre autres mouvements
réflexes une flexion des orteils sur le métatarse et jamais d'extension; que,
d'autre part, quand il y a une perturbation dans le système pyramidal,
l'excitation de la plante du pied donne lieu généralement à de l'extension
des orteils, en particulier du gros orteil. J'ai désigné sous la dénomina-
tion de « phénomène des orteils » cette modification pathologique dans
la forme du mouvement réflexe et j'en ai donné une description détaillée
dans une leçon publiée par la Semaine médicale à laquelle je vous prie de
vous reporter.
Dans l'hémiplégie organique qui est sous la dépendance d'une lésion
qui atteint le système pyramidal on observe ce signe du côté paralysé. Il
existe dans la plupart des cas d'hémiplégie et il est ordinairement plus
marqué dans l'hémiplégie récente que dans l'hémiplégie ancienne. J'ai
constaté aussi ce signe chez des malades atteints à la fois d'hémiplégie
ancienne et de tabes et dont les réflexes tendineux étaient abolis.
HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE ET HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE 105
Dans les paralysies hystériques je n'ai jamais observé le phénomène des
orteils et j'estime que, si son absence ne permet pas d'écarter l'hypothèse
d'affection organique du système nerveux central, sa présence donne le
droit d'affirmer l'existence d'une pareille affection.
Sa valeur sémiologique est surtout grande dans les cas où l'état des
réflexes tendineux ne fournit pas le moyen de déceler l'état du système
pyramidal. C'est ainsi que, dans l'hémiplégie organique récente, les
réflexes tendineux sont généralement normaux ou affaiblis, et l'on s'ac-
corde à dire qu'il est souvent impossible de distinguer il la première
période l'hémiplégie hystérique de l'hémiplégie organique ; dans un cas
de ce genre l'existence du phénomène des orteils est particulièrement pré-
cieuse, car elle permet d'affirmer que la paralysie est organique.
Les résultats de mes recherches ont été confirmés par de nombreux
auteurs et en particulier par MM. van Gehuchten, Glorieux, Ganault,
Létienne et Mircouche, Collier, Buzzard, Kalischer, Boeri, Acchiote,
Koenig, Cestan et L. Le Sourd, Zlotorofl, Langdon, Gilbert Chaddock.
M. Schuler, cependant, tout en reconnaissant que ce signe est un indice
de lésion organique, ne le considère pas comme tout à fait caractéris-
tique. Seuls MM. Martin Cohn et Giudiccandra sont tout à fait en désac-
cord avec moi, mais il me parait manifeste que mes contradicteurs ont
commis dans leurs recherches des fautes de technique contre lesquelles
j'ai cependant mis en garde les observateurs.
La contracture de l'hémiplégie organique a un aspect propre, différent
de celui que présente la contracture de l'hémiplégie hystérique et là encore
on trouve des éléments de diagnostic. Cette contracture donne lieu ordi-
nairement à un mode de déambulation spécial qui a été décrit magistra-
lement par Todd : le malade porte le tronc sur le côté opposé à la para-
lysie et il fait décrire au membre paralysé un mouvement de circumduction :
« il fauche. » Rien de pareil dans l'hémiplégie hystérique. Je n'en dirai pas
davantage de cette démarche, car elle est bien connue.
Je désire, au contraire, insister sur l'attitude de la main et des doigts,
la griffe particulière qu'on observe dans bien des cas d'hémiplégie orga-
nique et qui est la conséquence de la contracture. Remarquez d'abord
que, même lorsque la contracture est intense et que la flexion des doigts
est très prononcée, on peut faire exécuter aux doigts quelques mouve-
ments passifs et glisser facilement sa propre main entre les doigts et la
paume de la main du malade. Si alors on cherche à porter celle-ci dans
l'extension, on éprouve une résistance qui donne l'impression d'un obs-
tacle doué d'élasticité et animé d'une légère trépidation ; de plus, pendant
que la main s'étend sur l'avant-bras, les phalanges se fléchissent les unes
sur les autres et sur les métacarpiens et viennent serrer la main de l'ob-
servateur. Il résulte de ces diverses perceptions une sensation d'ensemble
que l'on a très nettement à l'examen de la plupart des malades atteints
d'hémiplégie organique spasmodique, à condition que la paralysie du
membre supérieur soit assez marquée ; je n'ai jamais perçu cette sensa-
loo SEMIOLOGIE
tion dans l'hémiplégie hystérique avec contracture et je la considère
comme un signe tout à fait caractéristique. J'ai décrit ce signe pour la
première fois dans mon travail que je vous ai déjà mentionné sur la
contracture organique et la contracture hystérique. J'ajoute que la contrac-
ture hystérique du membre supérieur est ordinairement plus intense ; la
pulpe des doigts est en contact avec la paume de la main. Pour donner
une idée de la forme de la contracture hystérique, je dirai qu'une contrac-
tion volontaire des muscles peut la reproduire exactement, tandis que la
contracture organique ne pourrait être que très imparfaitement simulée.
Enfin la paralysie des membres présente, comme la paralysie faciale,
des caractères distinctifs dans son mode d'évolution. Dans l'hémiplégie
organique, la marche de la maladie est régulière, la contracture succède
à la flaccidité, l'amélioration est progressive et la paralysie n'est pas
sujette à des alternatives en bien et en mal. C'est ordinairement le
contraire dans l'hémiplégie hystérique ; l'évolution en est capricieuse, la
paralysie peut rester indéfiniment flasque, comme elle peut aussi être
spasmodique dès le début, elle est souvent marquée par des rémissions
transitoires pouvant ne durer que quelques instants et qui éclairent le
diagnostic.
Voici par exemple deux sujets atteints, l'un d'hémiplégie organique,
l'autre d'hémiplégie hystérique, qui tous deux paraissent dans l'impossi-
bilité de faire exécuter un mouvement quelconque aux divers segments
du membre supérieur paralysé. Faites l'expérience suivante : saisissez le
bras paralysé, soulevez-le et abandonnez-le ensuite à lui-même, répétez
cette opération plusieurs fois de suite et en même temps cherchez, en
posant des questions au malade, à détourner son attention de ce que vous
faites. Vous constaterez alors que chez le premier malade le bras para-
lysé retombera immédiatement comme un corps inerte aussitôt que vous
aurez cessé de le soutenir et ce phénomène se reproduira chaque fois que
vous renouvellerez la tentative. Chez l'hystérique, vous observerez géné-
ralement le même fait dans la plupart des expériences que vous ferez,
mais il pourra arriver aussi quelquefois que le membre soulevé conserve
plus ou moins longtemps, après avoir été privé de votre appui, l'atti-
tude que vous lui aurez imprimée. La paralysie aura transitoirement
disparu. Ce caractère, qui fait toujours défaut dans l'hémiplégie orga-
nique, présente une importance de premier ordre, au point de vue du
diagnostic.
Vous pourrez encore constater le caractère précédent d'une autre
manière. Soutenez avec la main le membre paralysé et soulevez-le il une
certaine hauteur ; le membre inerte, obéissant aux lois de la pesanteur,
donnera à la main sur laquelle il repose une sensation de poids, produira
un effort statique qui sera toujours le même quand il s'agira du malade
atteint d'hémiplégie organique et qui, au contraire, quand vous aurez
affaire à l'hystérique, sera susceptible de variations et pourra même dispa-
raître complètement pendant quelque temps.
HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE ET HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE 107
Vous voyez par ce qui précède que les troubles de motilité de l'hémi-
plégie hystérique diffèrent notablement de ceux qui appartiennent il
l'hémiplégie organique.
Vous devez aussi avoir remarqué que l'hémiplégie hystérique se dis-
tingue bien moins par la présence de quelques signes spéciaux que par
l'absence de certains caractères objectifs qui donnent leur cachet à l'hémi-
plégie organique.
Si l'on veut se rendre compte des raisons pour lesquelles ces caractères
font défaut dans l'hystérie, il faut au préalable chercher à comprendre le
mécanisme de la paralysie hystérique.
Certains médecins admettent que l'agent qui produit les phénomènes
de l'hystérie peut se localiser dans divers départements de l'écorce céré-
brale, en particulier dans les centres moteurs et déterminer ainsi des
manifestations analogues à celles qui sont le résultat d'une altération
organique de ces régions. C'est, sans doute, en partie à cause de cette
conception pathogénique que l'on a considéré l'hystérie comme capable
d'engendrer des paralysies identiques au point de vue clinique à celles
qui dépendent d'une lésion de l'encéphale, ce qui est une grosse erreur,
si les données que je viens de vous exposer sont exactes, ainsi que j'en
suis convaincu.
L'idée qu'on doit se faire du mécanisme de la paralysie hystérique est
tout autre.
Ce phénomène, de même que les autres manifestations de l'hystérie du .
reste, ne saurait être considéré comme la conséquence d'un trouble fonc-
tionnel limité à un territoire anatomique, mais bien comme une perturba-
tion de ce que les psychologues appellent le moi.
En quoi consiste cette perturbation, ou, ce qui constitue la même
question, en raison de quel état d'esprit un individu est-il atteint de para-
lysie hystérique ? Deux interprétations me paraissent soutenables. On peut
supposer que le malade a perdu la faculté d'évoquer les images motrices
correspondant aux mouvements qu'il est incapable d'accomplir, ou bien
que sa volonté se refuse à exécuter certains mouvements. Il est possible
que chacune de ces deux interprétations, qui ne s'excluent pas l'une à
l'autre, soit applicable à un groupe de faits.
J'ajoute à ce qui précède que les paralysies hystériques peuvent être
reproduites expérimentalement chez quelques sujets hypnotisés par la
suggestion et l'identité de ces deux ordres de paralysies semble bien
montrer que la paralysie qui relève de l'hystérie a pour origine la sug-
gestion ou l'auto-suggestion.
Je ne veux pas m'arrêter davantage sur l'étude du mécanisme de la
paralysie hystérique ; cela nécessiterait de longs développements. Ce qui
précède suffit à faire comprendre, et c'est là le but que je me proposais
d'atteindre, que la paralysie hystérique étant un trouble psychique, le résul-
tat d'une perturbation de l'imagination ou de la volonté, un produit de la
suggestion ou de l'auto-suggestion, ne peut se traduire que par des phéno-
mènes sur lesquels l'imagination, la volonté, la suggestion ont de l'action.
io8 SÉMIOLOGIE
On comprend ainsi fort .bien que la paralysie hystérique n'atteint ni la
tonicité musculaire, ni les mouvements réflexes, soit tendineux, soit cuta-
nés, dont la perturbation constitue les caractères objectifs les plus impor-
tants de l'hémiplégie organique. Ce sont là, en effet, des modes de l'acti-
vité musculaire sur lesquels la volonté, l'imagination n'ont pas d'influence.
La volonté peut tout au plus, comme nous l'avons déjà indiqué, entraver
l'observation des réflexes, mais ne peut en réalité ni les abolir ni les exa-
gérer.
On conçoit aussi que la contracture de l'hémiplégie organique, qui est
sous la dépendance de la lésion d'un système anatomique, a une forme
spéciale que la volonté ne peut réaliser et qu'on n'observe jamais dans
l'hystérie, que, d'autre part, l'aspect de la contracture hystérique puisse
être reproduit d'une manière rigoureuse par une contraction musculaire
volontaire.
Il est encore facile de saisir la cause pour laquelle le signe du peau-
cier manque dans l'hémiplégie hystérique. On sait que, dans la plupart
des mouvements volontaires sinon dans tous, plusieurs muscles entrent
en jeu et il n'appartient pas à la volonté d'exclure de l'action un de ces
muscles. L'ouverture énergique de la bouche, ainsi qu'une forte flexion
de la tête et du cou sur le tronc sont des actes dans lesquels les peau-
ciers du cou interviennent. Or le signe du peaucier de l'hémiplégie
organique, si l'explication que j'en ai donnée est juste, est dû à ce que
dans les actes en question la contraction du peaucier est faible ou nulle
du côté paralysé. Ce signe doit donc faire défaut dans l'hémiplégie hysté-
rique et, s'il semblait exister dans un cas, il s'agirait probablement d'une
simulation de ce signe résultant d'une contraction volontaire unilatérale
du peaucier, associée au mouvement d'ouverture de la bouche ou de
flexion du cou. '
Si dans l'hémiplégie hystérique les troubles de motilité de la face sont
généralement bilatéraux, c'est que, dans la plupart des mouvements
volontaires que la face exécute, les deux côtés fonctionnent à la fois et
que la volonté ne peut que difficilement réaliser des troubles musculaires
unilatéraux dans le domaine de la face.
Je vous ai dit que le phénomène de « la flexion combinée de la cuisse
et du tronc » de l'hémiplégie organique n'appartient pas à la symptoma-
tologie de l'hémiplégie hystérique; en voici la raison. Je vous rappellerai
d'abord que l'acte complexe qui consiste à se mettre sur son séant se
compose de deux ordres de mouvements, l'un conscient, c'est la flexion
du tronc et du bassin sur la cuisse, l'autre subconscient, c'est l'extension
de la cuisse sur le bassin, et que le phénomène dont je m'occupe tient à
une perturbation dans le mouvement subconscient, à la parésie des
extenseurs de la cuisse. L'auto-suggestion ne doit guère avoir d'influence
sur les mouvements inconscients ou subconscients; voilà pourquoi sans
doute le signe de la flexion combinée de la cuisse et du tronc manque
dans l'hémiplégie hystérique. Néanmoins les deux ordres de mouvements
qui composent l'acte que nous avons en vue pouvant être exécutés volon-
HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE ET HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE rog
tairement, indépendamment l'un de l'autre, on conçoit qu'un hystérique
puisse reproduire par imitation, au moins d'une manière approximative,
le trouble en question; aussi, quoique je ne l'aie jamais observé dans
l'hystérie, il me semble fort possible qu'exceptionnellement il s'y trouve.
Enfin, il est tout naturel que, contrairement à ce qui a lieu dans les
affections organiques de l'encéphale, la paralysie hystérique puisse être
systématique, qu'elle soit sujette à des alternatives en bien et en mal et
que même, dans certains cas, elle disparaisse transitoirement d'une
manière complète. On comprend, en effet, aisément, que l'imagination,
la volonté, la suggestion dissocient les divers modes de mouvements
volontaires en abolissant exclusivement certains systèmes de mouvements
et qu'un agent sujet à de brusques variations détermine des effets soumis
à la même variabilité.
J'ai été amené à aborder la question du mécanisme des troubles hysté-
riques. Comme je vous l'ai déjà dit, je ne puis m'appesantir sur ce sujet;
je tiens toutefois à ajouter que les réflexions précédentes ne s'appliquent
qu'aux manifestations de l'hystérie, les plus communes du reste, qui sont
susceptibles d'apparaître et de disparaître d'un instant à l'autre et aux-
quelles on pourrait donner l'épithète de primitives, par opposition à
certains troubles liés à l'hystérie, tels que l'amyotrophie ou les rétractions
fibro-tendineuses, qui ne se développent jamais que secondairement aux
manifestations primitives et sur la genèse desquels la volonté, l'imagi-
nation, la suggestion semblent sans influence.
Voici, résumés dans un tableau, les caractères relatifs aux troubles de
motilité qui distinguent l'hémiplégie organique de l'hémiplégie hystérique :
Hémiplégie organique.
i. La paralysie est limitée à un côté du
corps.
2" La paralysie n'est pas systématique.
Si, par exemple, à la face les mouvements
unilatéraux sont très affaiblis, l'impotence
apparaît aussi avec netteté du côté de
l'hémiplégie pendant l'exécution des mou-
vements bilatéraux synergiques.
3" La paralysie atteint les mouvements
volontaires conscients, ainsi que les mou-
vements volontaires inconscients ou sub-
conscients ; de là résultent les deux phé-
nomènes dont j'ai dénommé l'un le signe
du peaucier, l'autre la flexion combinée de la
cuisse et du tronc.
Hémiplégie hystérique.
i° La paralysie n'est pas toujours limi-
tée à un côté du corps. Cette remarque
s'applique particulièrement à la paralysie
de la face, où les troubles sont générale-
ment bilatéraux.
2° La paralysie est parfois systémati-
que ; il en est presque toujours ainsi à la
face. Par exemple, les mouvements uni-
latéraux de la face peuvent être complè-
tement abolis, tandis que les muscles du
côté de l'hémiplégie fonctionnent norma-
lement pendant l'exécution des mouve-
ments bilatéraux synergiques.
3° Les mouvements volontaires in-
conscients ou subconscients ne sont pas
troublés ; de là résultent l'absence du
signe du peaucier, ainsi que l'absence de
la flexion combinée de la cuisse et du
tronc.
If0
SÉMIOLOGIE
Hémiplégie organique.
(Suite.)
4° La langue est en général légèrement
déviée du côté de la paralysie.
5° Il y a, principalement au début, de
1 /tyno/o/nct<e musculaire, qui peut se tra-
duire à la face par de l'abaissement de la
commissure, de l'abaissement du sourcil,
etc., et au membre supérieur par le phé-
nomène que j'ai appelé Inflexion exagérée
de l'avant-bras.
6° Les réflexes tendineux et les réflexes
osseux sont souvent troublés dès le début ;
ils peuvent être à ce moment abolis, affai-
blis ou exagérés. Plus tard, ils sont pres-
que toujours exagérés et il existe dans
bien des cas de la trépidation épileptoïde
du pied.
7° Les réflexes cutanés sont générale-
ment troublés.
Le réflexe abdominal et le réflexe cré-
mastérien sont ordinairement, surtout au
début, affaiblis ou abolis.
Le mouvement réflexe des orteils consé-
cutif à l'excitation de la plante du pied
subit ordinairement une inversion dans sa
forme ; les orteils, au lieu de se fléchir,
s'étendent sur le métatarse. Ce signe,
auquel j'ai donné la dénomination de phé-
nomène des orteils, appartient à toutes les
périodes de l'hémiplégie.
8" La forme de la contracture a un
aspect particulier et ne peut être repro-
duite par une contraction volontaire des
muscles.
go L'évolution est régulière ; la contrac-
ture succède à la flaccidité ; l'amélioration
est progressive ; la paralysie n'est pas
sujette à des alternatives en bien et en
mal.
Hémiplégie hystérique.
(Suite.)
4° La langue est parfois légèrement
déviée du côté de la paralysie, mais la
déviation de la langue peut aussi être très
prononcée, ou encore s'opérer du côté
opposé à la paralysie. '
5° Il n'y a pas d'hypotonicité muscu-
laire. Quand il existe de l'asymétrie faciale
on peut reconnaître qu'elle est due, non
à de l'hypotonicité musculaire, mais à du
spasme; le signe de la flexion exagérée de
l'avant-bras fait défaut.
6° Les réflexes tendineux et les réflexes
osseux ne subissent pas de modification
et la trépidation epileptoïde du pied fait
défaut.
7° Les réflexes cutanés ne paraissent
pas troublés.
Le réflexe abdominal et le réflexe cré-
mastérien sont ordinairement normaux.
Le mouvement réflexe consécutif à
l'excitation de la plante du pied ne subit
pas d'inversion dans sa forme. Le phé-
nomène des orteils fait défaut.
8° La forme de la contracture peut être
reproduite par une contraction volontaire
des muscles.
go L'évolution est capricieuse; la para-
lysie peut rester indéfiniment flasque,
comme elle peut aussi être spasmodique
dès le début ; les phénomènes spasmodi-
ques s'associent parfois, surtout à la face,
aux phénomènes paralytiques. Les trou-
bles sont susceptibles de s'atténuer et de
s'aggraver alternativement à plusieurs
reprises, de se modifier rapidement dans
leur intensité ainsi que dans leur forme,
de présenter des rémissions transitoires
pouvant ne durer que quelques instants.
HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE ET HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE ni
J'ai eu en vue, dans la description que j'ai faite de l'hémiplégie orga-
nique, l'hémiplégie vulgaire, celle qui est liée à une altération de l'écorce
cérébrale, du centre ovale ou de la capsule interne.
Il existe certaines variétés d'hémiplégie organique dues à des lésions
siégeant dans d'autres parties du système pyramidal et qui, en raison de
leur localisation spéciale, présentent quelques particularités cliniques
relatives à la motilité, qui contribuent encore à les distinguer de l'hémi-
plégie hystérique.
L'hémiplégie alterne, connue sous la dénomination de « syndrome de
l-Iillard-Gubler », qui dépend d'une lésion de la partie inférieure de la
protubérance, se manifeste d'un côté du corps par une paralysie des
membres pouvant présenter tous les caractères qui appartiennent à
l'hémiplégie vulgaire, et du côté opposé du corps par une paralysie de la
sixième paire ainsi que de la septième paire ; cette dernière a les caractères
de la paralysie faciale dite périphérique avec DR. La paralysie des troncs
nerveux et la DR étant étrangères à la symptomatologie de l'hystérie, leur
présence dans l'hémiplégie alterne facilite encore le diagnostic.
La paralysie de la troisième paire aide aussi à écarter l'hypothèse
d'hystérie dans cette variété d'hémiplégie décrite par Weber, qui se
caractérise par les symptômes de l'hémiplégie vulgaire associés à une
paralysie du nerf moteur oculaire commun qui occupe l'autre côté du
corps.
Je viens d'étudier successivement les divers caractères d'ordre moteur
qui peuvent servir à distinguer l'hémiplégie organique de l'hémiplégie
hystérique et j'ai cherché à en établir la valeur. Y en a-t-il qui soient
pathognomoniques ? Ainsi que je l'ai déjà dit, je le crois, et j'en suis
surtout convaincu pour ce qui concerne le phénomène des orteils.
Mais admettons qu'il n'y en ait pas un seul qui soit absolument décisif.
Il me paraît du moins certain que quand plusieurs de la même espèce
se trouvent réunis le doute n'est plus guère possible. Or, il en est géné-
ralement ainsi, quelle que soit la période de l'hémiplégie dont il s'agisse.
Il en résulte que, conformément à ce que je me suis proposé de
démontrer, on peut arriver dans la grande majorité des cas, en se fondant
sur les caractères intrinsèques, à se former une opinion précise, à
reconnaître si l'hémiplégie dépend de l'hystérie, ou si elle est liée à une
affection organique du système nerveux central.
VII
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DES TROUBLES MENTAUX
DANS L'HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE ClsllL5l31aLL'
(..4 NOSO GNOSIE)
JJ. Babinski.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 1 1 juin r, rl. : désire attirer l'attention sur un trouble mental que j'ai eu l'occasion
j d'observer dans l'hémiplégie cérébrale, et qui consiste dans ce fait
F que les malades ignorent ou paraissent ignorer l'existence de la para-
lysie dont ils sont atteints.
Il est bien entendu que je fais abstraction des cas où, l'intelligence étant
très amoindrie, le malade ne peut avoir qu'une notion vague de ce qui le
concerne.
J'écarte également les faits où les fonctions intellectuelles, sans être
aussi profondément touchées, ont cependant subi une perturbation
notable.
A ce sujet, je rappelle une observation publiée par M. Barat et intitulée :
« Substitution des images aux sensations, à propos d'un cas d'hallucina-
tions et d'illusions multiples. » (.Journal de psychologie normale et patholo-
gigue, numéro de mars-avril 19 12.) La malade qui fait l'objet de ce travail
était atteinte d'hémiplégie gauche et de cécité. Quoique le déficit intellec-
tuel n'atteignit que très peu le jugement et le raisonnement, elle ne se
rendait pas compte de sa paralysie. Mais elle présentait de la confusion
mentale. « La désorientation dans le temps et l'espace est complète. » De
plus, cette malade a « des hallucinations visuelles manifestes ; elle voit
des lampes tout près d'elle et demande qu'on les retire, car elles lui font
mal aux yeux; elle a aussi des illusions et peut-être des hallucinations
auditives. »
Les observations que je vais rapporter, tout en ayant des analogies avec
celle qui précède, en diffèrent sensiblement. Les fonctions psychiques, que
TROUBLES MENTAUX DANS L'HÉMIPLÉGIE ORGANIQUE 113
je n'ai pas eu d'ailleurs le loisir d'étudier avec détails comme je l'aurais
voulu, n'étaient peut-être pas dans un état d'intégrité parfaite ; mais,
d'après ce que j'ai constaté et les renseignements complémentaires qui
m'ont été fournis, je puis dire qu'il n'y avait ni confusion mentale, ni
fabulation, ni hallucinations.
Une des malades en question, examinée avec le Dr Langlois, agrégé de la Faculté,
frappée d'hémiplégie gauche, a, pendant plusieurs mois, conservé en grande partie
ses facultés intellectuelles et affectives. Elle se souvenait bien des événements passés,
causait volontiers, s'exprimait correctement, émettait des idées sensées ; elle s'inté-
ressait aux personnes de sa connaissance et en demandait des nouvelles ; elle s'entre-
tenait avec les siens à peu près comme avant l'ictus. Pas d'hallucinations, de divaga-
tions, de confusion, de fabulation. Ce qui contrastait avec la conservation apparente
de l'intelligence de cette malade, c'est qu'elle semblait ignorer l'existence de l'hémi-
plégie presque complète dont elle était atteinte et qu'elle avait cependant redoutée
pendant plusieurs années. Jamais elle ne s'en plaignit ; jamais elle n'y fit même allu-
sion. Si on lui disait de mouvoir le bras droit, elle exécutait immédiatement l'ordre
donné. Lui demandait-on de mouvoir le bras gauche, elle restait immobile, gardant
le silence et se comportant comme si la question avait été adressée à une autre per-
sonne.
.le dois faire remarquer que la sensibilité des membres paralysés était troublée
mais non abolie; la malade percevait un peu les déplacements passifs et se plaignait
parfois de douleurs à l'épaule gauche.
J'ajoute que des désordres mentaux graves apparurent ultérieurement et que la
malade finit par succomber, après être restée quelque temps dans un état démentiel.
Une autre malade, que j'ai observé avec le Dr Larcher, atteinte également d'hémi-
plégie gauche consécutive à un ictus, s'est présentée pendant plusieurs mois sous un
aspect à peu près semblable. Comme dans le cas précédent, on ne constata durant cette
période, ni hallucinations, ni confusion, ni fabulation. Toutefois, elle était un peu
surexcitée ; sa mentalité était modifiée et, au dire de la femme de chambre qui la ser-
vait depuis de nombreuses années, elle tenait parfois des propos qui, de sa part,
semblaient étranges. Mais sa mémoire était excellente, sa conversation vive et même
intéressante ; elle plaisantait, rappelait à son médecin qu'il l'avait toujours guérie des
divers malaises dont elle avait souffert, mais lui faisait remarquer que, cette fois, « sa
science était impuissante ».
Lorsqu'on lui demandait d'indiquer avec précision ce qui la gênait, elle répondait
qu'elle avait mal au dos, ou encore qu'elle souffrait de sa phlébite ancienne (effective-
ment, elle avait eu autrefois une phlébite), mais elle ne se plaignait nullement de son
membre supérieur, qui cependant était absolument inerte. Elle exécutait du côté
droit tous les mouvements qu'on la priait d'accomplir. Quand on l'invitait à mouvoir
le bras gauche, ou bien elle ne répondait pas, ou bien elle disait simplement : « Voilà ;
c'est fait. » Comme la question de l'électrothérapie avait été discutée devant elle, elle fit
à son médecin, quelques jours après la consultation, cette remarque : « Pourquoi donc
a-t-on l'intention de m'électriser ? Je ne suis pourtant pas paralysée. »
Chez cette malade, l'anesthésie était profonde ; elle ne paraissait pas percevoir les
déplacements passifs du membre supérieur.
J'ai appris que plus tard son intelligence s'affaiblit progressivement ; elle devint
démente et mourut.
BADlNSi.I. S
m4 SEMIOLOGIE
Il est, je crois, permis de se servir d'un néologisme pour désigner cet état et de
l'appeler anosognosie. ,
J'ai observé aussi quelques hémiplégiques qui, sans ignorer l'existence de leur
paralysie, semblaient n'y attacher aucune importance, comme s'il se fût agi d'un
malaise insignifiant. Un pareil état pourrait être dénommé anosodiaphorie ((x3 ! <xccopLc<,
indifférence, insouciance).
Comment interpréter ces faits ?
On pourrait supposer que cette ignorance de la malade, cette anoso-
gnosie est feinte; on sait que bien des malades, par coquetterie, par
amour-propre, cherchent à dissimuler les troubles dont ils sont atteints,
mais, dans l'espèce, cette dissimulation eût été absolument vaine, car
l'existence de la paralysie ne pouvait échapper à l'attention de personne.
S'il s'agit d'une tentative de dissimulation, la persistance que les malades
y ont apportée est remarquable, car elles auraient tenu sans aucune défail-
lance, pendant plusieurs mois, le rôle qu'elles se seraient proposé de
jouer.
Doit-on admettre plutôt que l'anosognosie est .réelle ? Je ne saurais
l'affirmer, et il m'a été impossible d'interroger les malades d'une façon
suffisante pour être fixé sur ce point. En effet, dans les deux cas que j'ai
relatés, les familles considéraient cette aberration comme providentielle
en quelque sorte et nous avaient demandé instamment d'éviter toute
question pouvant détromper les malades et les troubler dans leur quié-
tude. Si elle est réelle, les troubles de sensibilité jouent vraisemblable-
ment un rôle important dans leur genèse.
Quelle que soit l'hypothèse que l'on accepte, il s'agit là d'un phénomène
qui m'a paru digne d'être signalé, et crue je me propose d'étudier à fond
si l'occasion se présente à moi de le faire.
Je ferai remarquer, en terminant, qu'il s'agissait, dans les cas observés,
d'hémiplégie gauche. L'anosognosie serait-elle particulière aux lésions
occupant l'hémisphère droit ?
VIII
RÉFLEXES DE DÉFENSE. ÉTUDE CLINIQUE
rJ. Babinski.]
Publié dans la Revue Neurologique, n° 3. mars 1915.
Les phénomènes dont nous allons nous occuper paraissent avoir été
t mentionnés pour la première fois en 1784 par Prochaska ('). L'expé-
rience faite par cet auteur a été maintes fois reproduite depuis ;
Schiff, Vulpian, Brown-Séquard, pour ne citer que quelques-uns des phy-
siologistes qui se sont occupés des réflexes de défense, ont vu comme
Prochaska qu'une grenouille ou un mammifère, dont on sectionne la moelle
dorsale, retire brusquement la patte en fléchissant les divers segments de
ce membre les uns sur les autres quand on en pique l'extrémité.
Ce mouvement reproduit assez exactement celui qu'effectue, sous la
même excitation, une grenouille dont la moelle est intacte et qui cherche
à se dérober à l'injure extérieure, à se défendre. Le phénomène fut pour
cela qualifié de « mouvement réflexe de défense », et l'usage a consacré
cette dénomination, passible pourtant de quelques critiques Q.
Les physiologistes seuls s'occupèrent d'abord de ces mouvements par-
ticuliers. Vulpian, Brown-Séquard C') signalent, il est vrai, leur existence
(1) Prochaska, Commentatio de Junctionibus systematis nervosi. cap. IV, p. ¡59.
(2) Pierre Mario et Foix, se basant sur les expériences de Sherrington, ont proposé de remplacer
l'expression de réflexe de défense par celle de « réflexe d'automatisme médullaire ».
Vt'oerkom soutient à son tour que ces réflexes diffèrent essentiellement du mouvement alternatif du
stcpping-roflex et les assimile au « flexion-reflex » des physiologistes anglais. Il les appelle « mouve-
ments de fuite localisés » en les opposant aux « mouvements de fuite généralisés » du stepping-re0ev.
Nous ne discuterons pas ces opinions, n'ayant pas l'intention d'aborder ici l'étude du mécanisme des
phénomènes en question. Il nous snllit d'indiquer que les diverses dénominations proposées corres-
pondent toutes au même objet.
A co propos je rappellerai aussi que le « réflexe fléchisseur dorso-plantaire » (Bechlerew) et le
« phénomène des raccourcisseurs » (Pierre Marie et Foix) ne sont autre chose que des réflexes de
défense.
vulpin, Dictionnaire de Dechambre. Article : Moelle épinière (Physiologie).
() Brown-Séquard, Lectures on the Physiology and Putholoyy of the central Nervous Svslem, 1860 et
Journal de la Physiologie de l'homme et des animaux , 8 : ig-t86a.
116 SÉMIOLOGIE
dans les tumeurs de la moelle et dans quelques autres affections de cette
partie du névraxe, mais ils n'en indiquent pas la valeur sémiologique et
ne tirent aucune déduction pratique de leur constatation.
L'attention qu'on leur avait prêtée fut même bientôt très réduite lors-
qu'on acquit la connaissance des réflexes tendineux et qu'on s'attacha à
leur étude. La brièveté des mentions qu'on trouve au sujet des réflexes de
défense dans les meilleurs traités classiques de neurologie fait foi d'ailleurs
de ce réel discrédit.
Pourtant, depuis une quinzaine d'années, cette question a été l'objet de
nouvelles recherches.
Schaefer, dans un travail publié en 1899, sur lequel je reviendrai plus
loin, signale des phénomènes qui ressortissent au chapitre des réflexes de
défense.
Van Gehuchten, dans des travaux ayant principalement pour but d'oppo-
ser aux réflexes tendineux les réflexes cutanés « à long trajet cérébro-
médullaire » et dont j'ai eu l'occasion de critiquer certaines conclusions,
a rappelé que les réflexes cutanés de défense sont, comme les réflexes
tendineux, généralement exagérés dans les affections de la voie pyrami-
dale. J'ai moi-même, dans une série de communications, contribué à pré-
ciser la valeur clinique des réflexes de défense et j'ai cherché à tirer de
leur étude des indications pratiques : c'est sur ce terrain clinique que
je veux rester dans cet article, mettant absolument de côté tout ce qui
concerne l'interprétation physiopathologique de ces phénomènes.
Mais avant tout il me parait essentiel, pour bien préciser l'objet de ce
travail, de montrer en quoi consistent les réflexes de défense chez l'homme.
C'est aux membres inférieurs qu'on a le plus souvent l'occasion de les
observer et c'est là peut-être qu'ils se présentent le plus favorablement à
l'étude. Aussi, pour cette double raison, les prendrons-nous comme type
de notre description.
Voici, par exemple, un sujet atteint de paraplégie par compression de la
moelle état dans lequel les réflexes de défense sont généralement très
forts et dont les membres inférieurs sont privés de tout mouvement
volitionnel. On peut les voir pourtant se remuer sous les draps, s'agiter
quand on les découvre et se contracter sous l'influence d'excitations variées.
Analysons ces phénomènes. Ils consistent en une série de flexions des
divers segments du membre inférieur les uns sur les autres : le pied se
relève et se fléchit sur la jambe, celle-ci sur la cuisse, la cuisse sur le
bassin ; parfois une adduction de la cuisse s'ajoute aux mouvements pré-
cédents. L'attitude que ces mouvements impriment à l'ensemble du
membre inférieur ne dure généralement pas, du moins dans les premières
périodes de la paraplégie, et, après un temps variable, il s'étend pour se
fléchir de nouveau à la suite d'une nouvelle excitation. Tel est le type
général des réflexes de défense du membre inférieur.
Mais ils peuvent varier dans leur forme, leur rapidité, leur amplitude et
dans l'étendue du territoire des groupes musculaires qui entrent en jeu
pour les constituer.
RÉFLEXES DE DÉFENSE Il-,
En effet, nous avons décrit le réflexe de défense en flexion qui est de
beaucoup le plus fréquent, mais il y a des cas où il affecte le type
d'extension : la cuisse s'étend alors sur le bassin, la jambe sur la cuisse
et le pied sur la jambe ; le membre inférieur tout entier s'allonge au
maximum et reprend rapidement cette attitude si on vient à l'abandonner 1-
à lui-même après en avoir fléchi les divers segments.
Ces deux types « en flexion » et « en extension » peuvent s'associer de
diverses manières : chez tel paraplégique, on observera aux deux membres
inférieurs des réflexes de défense en flexion qui s'effectueront simultané-
ment, et chez tel autre on verra se produire, à l'occasion du retrait d'un
membre, l'allongement de l'autre membre préalablement fléchi (Marie et
Foix).
Habituellement, le mouvement réflexe, à l'état pathologique, s'accomplit
avec une certaine lenteur. Il y a cependant de fréquentes exceptions à
cette règle ; dans la maladie de Friedreich, par exemple, les réflexes de
défense sont d'ordinaire très exagérés et très brusques.
Il y a de grandes différences en ce qui concerne l'amplitude des mou-
vements. Tantôt le moindre attouchement de la peau d'un membre suffira a
à déclencher une flexion très prononcée de tous ses segments et amènera
une série de mouvements alternatifs de flexion forte et d'extension ; tantôt,
au contraire, le pincement très vif de la peau ne déterminera qu'avec
peine une simple flexion du pied. Entre ces types extrêmes se placent
tous les intermédiaires. En outre, je tiens à faire ressortir que si, pour
chaque malade, il existe au cours d'un examen une certaine proportion-
nalité entre l'intensité de l'excitation et celle de la réaction, le rapport
entre ces deux éléments peut varier notablement lorsqu'on considère les
résultats de deux examens pratiqués à quelques jours ou même à quelques
heures d'intervalle. Cette variabilité constitue un caractère sur lequel
nous aurons à revenir.
Ajoutons enfin qu'une flexion réflexe très forte du pied sur la jambe
peut se produire, les autres segments du membre inférieur restant presque
immobiles, tandis que parfois le genou et la hanche participeront à la
flexion, le mouvement restant simplement ébauché dans les trois articula-
tions.
Nous ne nous sommes occupé jusqu'ici que des réflexes de défense
aux membres inférieurs. On peut en observer aussi aux membres supé-
rieurs ; ils consistent également en mouvements de retrait ou d'allonge-
ment, souvent combinés à de la pronation de l'avant-bras et de l'adduc-
tion du bras. Ces mouvements peuvent présenter des modalités diverses
comme les réflexes des membres inférieurs, mais ils sont plus souvent que
ceux-ci localisés à un seul côté.
Les grands mouvements des membres, qui s'imposent surtout à
l'attention, furent seuls étudiés au début, mais un examen minutieux
montre que d'autres groupes musculaires peuvent entrer en jeu, comme
cela résulte des recherches faites par mon élève Barré. La contraction des
muscles de la paroi abdominale provoque un retrait de l'abdomen; celle
m8 8 SEMIOLOGIE
des muscles de la paroi thoracique produit des spasmes respiratoires
brusques. Ces divers mouvements se font généralement en même temps
que ceux des membres ou les suivent à très court intervalle. Enfin, les
muscles profonds du tronc, ceux qui sont en partie volontaires, comme le
diaphragme, ou ceux qui sont spécialement adaptés à la vie végétative,
comme les muscles intestinaux et les muscles vésicaux, peuvent égale-
ment entrer en contraction en même temps que les muscles des membres ;
les malades ont parfois alors des débâcles gazeuses ou des mictions invo-
lontaires qui témoignent de la mise en activité de certains de leurs
muscles lisses.
A priori, l'expression de réflexe de défense parait convenir surtout aux
mouvements des membres ; il est certain cependant que les contractions
des muscles du tronc que nous avons envisagées sont du même ordre, et
elles peuvent être désignées de la même manière.
Les procédés usités pour faire apparaître les réflexes de défense sont
multiples. L'un des plus employés est le pincement de la peau. C'est tou-
jours à lui que j'ai recours d'abord. Chez certains malades, il est facile
de provoquer le phénomène en excitant ainsi le tégument en un point
quelconque du membre inférieur ; chez d'autres, le pincement n'est efli-
cace que lorsqu'il porte seulement sur une partie plus limitée et qui
occupe presque toujours la périphérie du membre. Nous reviendrons
plus loin sur ce fait. '
La piqûre, l'application d'un corps chaud ou d'un corps froid, l'électri-
sation avec des courants faradiques ou voltaïques, la pression exercée sur
les parties profondes, les tractions constituent encore d'excellents procé-
dés d'excitation.
Bechterew, puis Pierre Marie et Foix ont recommandé une manoeuvre
indiquée déjà par Charcot et qui consiste à fléchir fortement les orteils
sur la plante, en môme temps qu'on abaisse l'extrémité antérieure du
pied.
Au membre supérieur on peut facilement provoquer le déclenchement
du réflexe de défense en portant la main du malade en hyperextension ou
en supination forcée, comme l'a indiqué Claude.
Il est impossible de faire un classement de ces divers procédés d'après
leur degré d'eflicacité, car un même malade peut se montrer plus sensible
à l'un ou l'autre d'entre eux, suivant le jour de l'examen ou la région
qu'on excite. Il y a donc lieu de les employer à tour de rôle, surtout dans
les cas où les réflexes sont difficiles à mettre en évidence et où la déter-
mination de la limite supérieure de leur zone de production est impor-
tante à connaître. J'insisterai plus loin sur certaines précautions particu-
lières qu'il importe de ne jamais négliger en pareil cas(').
(') Je dois faire remarquer que les mouvements spasmodiques qui se produisent d'une manière
« spontanée » chez certains paraplégiques, comme nous l'avons déjà indiqué, sont identiques quant
à leur forme aux mouvements réflexes de défense « provoqués » ; évidemment, ce n'est qu'en appa-
rence qu'ils sont spontanés; en réalité, il doit toujours avoir à leur origine une excitation faible ou
forte, portant sur le tégument ou venant des régions profondes ; chez certains malades, la réplétion de
RÉFLEXES DE DÉFENSE 119
La description qui précède s'applique aux réflexes de défense qu'on
peut observer à l'état pathologique.
Ces réflexes existent-ils aussi à l'état physiologique ? Chez l'individu
normal, en excitant la région plantaire on peut obtenir, entre autres
mouvements réflexes, une flexion du pied, de la jambe et de la cuisse.
S'agit-il là d'un réflexe identique dans sa nature à ceux dont je viens de
donner la description ? Je ne saurais l'affirmer. J'admettrai cependant,
jusqu'à plus ample informé, qu'il en est ainsi (cette question n'a, du reste,
qu'une importance secondaire au point de vue clinique) et je considé-
rerai les réflexes de défense pathologiques comme l'exagération du
réflexe de défense physiologique.
Comment donc distinguer l'état pathologique et sur quels signes se
fondera-t-on pour s'assurer que les réflexes de défense sont exagérés ?
Sans doute il est souvent possible de reconnaître la surréflectivité à
l'amplitude des mouvements réflexes, mais il est parfois difficile de se
former une opinion d'après ce caractère qui consiste simplement en une
différence de degré dans le déplacement du membre. On peut y arriver
grâce à un signe qui me parait pathognomonique : si on obtient une
flexion réflexe du pied en pinçant la peau du membre inférieur hors de la
zone plantaire, par exemple à la face dorsale du pied ou à la jambe, on
est en droit d'affirmer qu'il y a exagération des réflexes de défense, car
dans les mêmes conditions un pareil mouvement ne se produit pas à
l'état normal.
Je rappellerai ici comment fut découvert ce signe qui me semble être le
critérium de l'exagération des réflexes de défense.
Après que j'eus fait connaître à la Société de Biologie le phénomène
des orteils, Schaefer (') montra que dans l'hémiplégie organique la pres-
sion énergique du tendon d'Achille entre le pouce et l'index peut déter-
miner la flexion du pied et l'extension des orteils du côté paralysé, ce qui
n'a pas lieu à l'état physiologique. Schaefer considérait ce phénomène
comme un réflexe tendineux et il l'appelait « réflexe antagoniste ».
D'une critique (2) que je fis du travail de cet auteur j'extrais le passage
suivant : .
« .1'api examiné plusieurs hémiplégiques présentant le phénomène des orteils. En
pratiquant la manoeuvre décrite par Schaefer, j'ai obtenu, comme lui, la flexion du
pied et l'extension des orteils. Puis, je me suis contenté de pincer exclusivement la
peau dans le voisinage du tendon d'Achille ou encore en d'autres parties du membre
inférieur, et j'ai constaté les mômes mouvements réflexes...
« Rien n'autorise donc à soutenir que le réflexe de Schaefer soit un réflexe tendi-
neux antagoniste. Il y a tout lieu d'admettre qu'il s'agit tout simplement d'un réflexe
cutané. »
la vessie, par exemple, est la source d'excitations qui entrainent, jusqu'au moment où le réservoir se
vide, de grands mouvements de défense quasi incessants.
(1) NeIll'. Genlralblalt, r8gg, n° 22. -
(2) Revue neurologique, igoo, p. 52.
120 SÉMIOLOGIE
Les recherches d'Oppenheim confirmèrent les observations précédentes.
En effet, si dans 1' « Unterschenkelsreflex » de cet auteur on fait abstrac-
tion du mouvement du gros orteil, on voit que le phénomène d'Oppenheim
est caractérisé par la flexion réflexe du pied que provoque, chez les malades
atteints de lésion de la voie pyramidale, l'excitation de la partie interne
de la jambe.
Il nous reste maintenant à interpréter les réflexes de défense, à montrer
leur valeur sémiologique.
D'une manière générale cela ressort déjà en partie de ce qui précède
on peut dire que l'exagération de ces réflexes dénote une perturbation
des fonctions du système pyramidal, ce qui ne veut pas dire, d'ailleurs,
que ce trouble en soit la condition suffisante. Par leur signification ils se
rapprochent du signe des orteils et de l'exagération des réflexes tendineux.
Ces divers phénomènes coexistent fréquemment, mais il n'en est pas
toujours ainsi. Dans un travail antérieur ('), auquel je renvoie le lecteur,
j'ai indiqué plusieurs modes suivant lesquels ils peuvent s'associer ou se
dissocier.
Pour ce qui concerne en particulier les relations des réflexes de défense
avec le signe des orteils, je rappellerai que suivant Pierre Marie et Foix,
qui ont exposé leurs idées dans plusieurs publications, les deux phéno-
mènes seraient intimement liés et l'extension de l'orteil ferait partie inté-
grante du grand réflexe de défense des membres inférieurs, du « phéno-
mène des raccourcisseurs » ; le premier, quand il existe seul, constituerait
l'ébauche du second.
Je ne saurais souscrire à cette proposition, à laquelle on peut opposer
divers arguments. Il n'est pas rare, en effet, d'observer des malades chez
lesquels l'excitation du tégument du dos du pied ou de la jambe provo-
que simultanément un mouvement de retrait du membre inférieur et une
flexion plantaire du gros orteil. Parfois alors une excitation légère de la
plante du pied détermine une extension du gros orteil, les autres seg-
ments du membre inférieur restant immobiles. Ces deux phénomènes sont
donc en pareil cas nettement dissociés.
Une observation anatomo-clinique relatée par Dejerine, Lévi-Valensi et
Long (2) vient à l'appui de ma manière de voir : il s'agissait d'un cas de
paraplégie par section complète de la moelle où il existait, en même
temps que des réflexes de défense très nets, une flexion plantaire des
orteils des plus franches.
Pastine a publié récemment Q des faits qui confirment mon opinion.
(') Voir à ce sujet : Rétlexes tendineux et réflexes osseux. Leçons faites à l'hôpital de la Pitié (I3ul.
letin médical, ta et 26 octobre, 6 et 23 novembre 1912).
Je mentionnerai à ce propos les résultats des recherches, encore inédites, faites sur mon conseil par
une de mes élèves, 1' Rosenblum. Son étude montre que les réflexes de défense sont presque tou-
jours exagérés dans les premiers mois de la vie et que cette surréflectivité s'atténue à partir du qua-
trième mois, pour disparaître après le sixième, tandis que l'extension du gros orteil se maintient beau-
coup plus longtemps et s'observe assez souvent jusque vers l'âge de 18 mois.
(2) Dejerine, Lévi-Valensi et Long, Revue neurologique, 3o juillet tgt 1 et tu mars 1912.
C) Pastine, Revue neurologique, 15 octobre r 9 r 3.
RÉFLEXES DE DÉFENSE 121
Ce que nous avons dit plus haut sur la signification générale des ré-
flexes de défense exagérés explique qu'on puisse les observer dans toutes
les affections atteignant la voix pyramidale. Nous les examinerons tour
à tour dans divers états pathologiques où ils ont été l'objet de travaux
spéciaux : dans l'hémiplégie cérébrale, dans l'hémiplégie spinale ou syn-
drome de Brown-Séquard, dans la maladie de Friedreich, enfin et surtout
dans les paraplégies.
Plusieurs des physiologistes dont nous avons mentionné les travaux
sur les réflexes de défense au début de cet article avaient déjà constaté
l'existence de ces réflexes chez les hémiplégiques et noté qu'ils étaient
généralement peu marqués. Je rappelle les recherches de Schaefer et les
miennes sur ce sujet. Ces réflexes ont été de nouveau étudiés par Claude
qui, dans son travail, a eu particulièrement en vue ceux du membre supé-
rieur. Cet auteur a décrit en 1 ploc) comme manifestations d' « hyperki-
nésie réflexe » des mouvements provoqués par le pincement de la peau,
la pression transversale du métacarpe, la supination forcée de l'avant-
bras, etc. Ils apparaissent surtout dans les hémiplégies incomplètes et
feraient, au contraire, défaut dans les cas où l'hémorragie ou le ramollis-
sement créent des lésions étendues et doivent laisser à leur suite une
paralysie plus ou moins complète. Ils seraient l'expression d'altérations
non définitives de la voie pyramidale et acquerraient ainsi une certaine
valeur pronostique dans l'hémiplégie. Ces faits, que je n'ai pas eu l'oc-
casion de vérifier moi-même, concorderaient avec ceux que j'ai notés déjà
dans mon premier travail sur la paraplégie en flexion et sur lesquels je
vais revenir bientôt.
Dans l'hémiplégie spinale, syndrome de Brown-Séquard, les réflexes
dont nous nous occupons ont été fréquemment décrits, et par Brown-
Séquard tout le premier. Cet auteur avait déjà indiqué qu'ils existaient
d'ordinaire du côté de la paralysie motrice ; dans un cas cependant il les
avaient observés du côté opposé.
De l'ensemble des faits qui ont été publiés en France au cours de ces
dernières années, il ressort que l'exagération des réflexes de défense dans
le syndrome de Brown-Séquard peut exister du côté anesthésié (2) ou du
côté des troubles moteurs ('). Parfois on les voit apparaître du côté de
l'anesthésie quand on excite le côté opposé (*). Enfin, la surréflectivité est
bilatérale, dans certains cas, mais prédomine d'un côté(').
I)ans la maladie de Friedreich les réflexes de défense, comme je l'ai
montré avec Vincent et Jarkowski (G), sont très amples et très brusques ;
parfois le territoire cutané, dont l'excitation est susceptible de les pro-
voquer, est très vaste ; il peut même comprendre toute la surface du
(') Claude, Sur certains phénomènes d'hvperkincsiu réflexe. Encéphale, 19'o, p. 287.
(2) Babinski, Jarkowski et Jumcntié, Revue neurologique, t5 septembre 191 1.
(3) Guillain, Revue neurologique, t 5 décembre t g 2 ; - Claude, Revue neurologique, 3o décembre t91 a.
(4) Babinski, Chauve(. et Jarkowski, Revue neurologique, 1910, p. 8.') ?
( ! 1) Souques et Mignot, Revue neurologique, 3o avril 1 g 1 3 .
('') Babinski, Vincent et Jarkowski. Des réflexes culanés de défense dans la maladie de Friedreich.
Revue neurologique, 31 mars 1912. 2.
122 ' SÉMIOLOGIE
corps. En outre, l'exagération des réflexes de défense présente ici cette
particularité, digne d'attention, de coïncider avec l'abolition des réflexes
tendineux et une absence complète de contracture.
Nous arrivons à l'étude des réflexes de défense dans le syndrome « para-
plégie » et c'est là peut-être qu'ils présentent le plus d'importance pour
le clinicien.
Dans la paraplégie, les réflexes de défense sont généralement exagérés,
mais l'intensité de cette surréflectivité est très différente selon les cas. On
sait qu'il en est de même pour la surréflectivité tendineuse. Ce sont là
des faits qui deviennent intéressants quand on les rapproche d'autres
données et qu'on établit un parallèle entre les divers éléments qui consti-
tuent le syndrome.
Il est à remarquer d'abord que l'intensité des réflexes de défense n'est
pas toujours proportionnée à celle des réflexes tendineux, les premiers
pouvant être très forts, les autres faibles ou nuls, et inversement. Dans la
paraplégie avec raideur musculaire, ce défaut de parallélisme est parfois
éclatant et c'est en partie l'étude comparative de ces deux espèces de
réflexes qui m'a conduit à soutenir qu'entre la paraplégie spastique en
extension et la paraplégie spasmodique en flexion, il existe une distinc-
tion profonde basée non pas seulement sur l'attitude des membres para-
lysés, mais sur la nature même de la contracture.
Qu'il me soit permis d'entrer dans quelques développements à ce sujet
et de reproduire ici en partie ce que j'ai déjà écrit ailleurs (') sur ce point :
« Dans la paraplégie spastique spinale, on constate, comme l'a indiqué Erb, outre
la raideur musculaire déterminant une attitude en extension, une simple parésie, c'est-
à-dire un affaiblissement peu prononcé de la motilité volontaire et une exagération
constante des réflexes tendineux avec trépidation épileptoïde du pied...
Le phénomène des orteils s'associe à cette triade symptomatique...
De plus, je ferai remarquer que les réflexes de défense, souvent plus forts, il est
vrai, qu'à l'état normal, ne sont pas nécessairement exagérés.
« Considérons maintenant la paraplégie spasmodique en flexion. Dans ce type,
contrairement à ce qui a lieu dans le précédent, la motilité volontaire est profondé-
ment troublée et chez beaucoup de malades elle est complètement ou presque complè-
tement abolie...
« Dans la plupart des cas, on constate, au moins à une certaine période, de la sur-
réflectivité tendineuse, mais celle-ci n'est pas constante ; elle peut faire défaut depuis
le début jusqu'à la fin. Parfois même les réflexes tendineux sont très affaiblis ou abo-
lis. Les réflexes cutanés de défense sont, au contraire, toujours exagérés et c'est
peut-être là le caractère le plus essentiel de cette forme de paraplégie. Le lien qui
unit ces deux phénomènes est comparable à celui qui rattache l'exagération des réflexes
tendineux à la paraplégie spastique spinale...
« La paraplégie spasmodique en flexion, ordinairement précédée de la paraplégie
en extension, dépend comme celle-ci de lésions du système nerveux central intéres-
(') Voir : Exposé des travaux scientifiques du Dr Babinski, igi3, chez Masson et ( ? éditeurs à
Paris, où l'on trouvera des renseignements complémentaires sur cette question.
Voir également : Nicaud, T'lèse de Paris, juillet rgr4. Paraplégie en flexion type Babinski.
RÉFLEXES DE DÉFENSE 123
sant le système pyramidal, ce que démontre du reste pendant la vie la présence habi-
tuelle du phénomène des orteils.
« Déterminée le plus souvent soit par une sclérose spinale diffuse, soit par une
compression de la moelle ou du bulbe, elle semble liée, particulièrement quand la
contracture en flexion est très prononcée, à une lésion non destructive de la voie pyra-
midale. »
J'ai eu l'occasion d'observer chez une malade atteinte de paraplégie
spasmodique en flexion une contracture du membre supérieur avec abo-
lition des réflexes tendineux et exagération des réflexes de défense.
Je suis arrivé ainsi à cette idée que, dans le groupe des contractures
liées à une perturbation de la voie pyramidale, qu'elles occupent les
membres inférieurs ou les membres supérieurs, il était nécessaire de faire
une subdivision et de distinguer deux formes de rigidité musculaire qui
souvent, il est vrai, s'associent l'une à l'autre.
L'une de ces formes est constituée par la contracture vulgaire en rela-
tion, comme on le sait depuis longtemps, avec l'exagération des réflexes
tendineux ; on peut l'appeler contracture tendino-ré flexe .
La deuxième forme de contracture se différencie principalement de la
précédente par les traits suivants : elle est indépendante de l'état des
réflexes tendineux qui sont tantôt forts, tantôt normaux, tantôt affaiblis
ou abolis ; mais elle a des liens avec les réflexes de défense qui sont tou-
jours exagérés. J'ai proposé de la dénommer, par opposition à la contrac-
ture telicliiio- ? -élie.7,,e, contracture CUlaîléO-i'éllex(-,(,).
Avant de terminer je tiens à répondre à une objection qui m'a été faite.
On a prétendu que l'affaiblissement ou l'abolition des réflexes tendineux
notée par moi n'était qu'une apparence : l'attitude vicieuse des membres
et l'intensité de la contracture rendraient impossible la manifestation du
phénomène réflexe.
Je reconnais fort bien, et j'en ai déjà fait moi-même la remarque, que
l'exploration des réflexes tendineux dans la paraplégie en flexion est par-
fois malaisée, notamment quand de fortes rétractions fihro-tendineuses se
sont développées, ce qui est la règle à une certaine période de la maladie.
Mais la contracture cutanéo-réflexe est sujette à des variations ; elle cède
parfois en partie et pendant une durée plus ou moins longue ; c'est ce
qui a lieu surtout au début de l'affection, quand les spasmes apparaissent.
Dans ces phases de relâchement relatif, l'examen de la réflectivité tendi-
neuse est facile à faire ; or, j'ai pu, chez certains sujets se trouvant dans
cet état, constater d'une manière incontestable l'affaiblissement ou l'abo-
lition des réflexes tendineux. J'ajoute qu'en pareil cas la réapparition des
phénomènes spasmodiques sous l'influence de l'excitation de la peau éta-
(') Les réflexes de défense pouvant être provoqués non seulement par l'excitation des téguments,
mais aussi par la compression des parties profondes ou par des tractions, l'expression etilanéo-i-éj7exe,
que je propose, pourrait être critiquée. Mais je n'en trouve pas d'autre qui fasse mieux ressortir le
contraste essentiel entre les deux formes de contracture en question. Elle remplit d'ailleurs les condi-
tions d'une bonne dénomination qui consiste à éveiller dans l'esprit l'idée d'un des caractères princi-
paux de l'objet qu'elle désigne.
ta4 SÉMIOLOGIE
blit d'une manière frappante le lien qui unit cette forme de contracture à
l'exagération des réflexes de défense.
Je vais maintenant chercher à montrer le parti qu'on peut tirer de
l'étude des réflexes de défense pour la localisation des lésions spinales,
en particulier des compressions de la moelle.
On sait que la topographie de l'anesthésie permet généralement de
déterminer le siège d'une compression, ce qui est d'un grand intérêt
quand il s'agit d'une tumeur susceptible d'être extraite ; mais l'anesthésie
donne seulement le moyen de connaître la place occupée par la partie
supérieure du néoplasme et ne renseigne pas sur la situation de son extré-
mité inférieure. Or, dans les compressions de la moelle ayant déterminé
de la paraplégie avec anesthésie, les réflexes de défense, exagérés,
comme il a été dit plus haut, peuvent occuper, ainsi que nous l'avons éta-
bli, Jarkowski et moi, tout le territoire cutané en rapport avec la partie
de la moelle sous-jacente à la lésion et la surréflectivité ne franchit jamais
la limite supérieure de cette région.
Ces deux données, limité de l'anesthésie et limite des réflexes de
défense, outre qu'elles constituent l'une pour l'autre un mutuel contrôle,
permettent le plus souvent, quand elles sont bien nettes, de déterminer
par leur association la longueur sur laquelle la moelle est comprimée.
A cette première règle nous avons pu ajouter la suivante :
Dans un syndrome de compression, lorsque l'écart entre la frontière de
l'anesthésie et celle des réflexes de défense est considérable, l'hypothèse
d'une compression par tumeur extra-dure-mérienne (tumeurs qui peuvent
acquérir une grande longueur) ou par pachyméningite est la plus vraisem-
blable ; quand, au contraire, les deux frontières se confondent ou sont très
rapprochées, il est extrêmement probable qu'il s'agit d'une tumeur intra-
dure-mérienne (tumeurs généralement courtes).
En nous basant sur ces données, il nous a été possible d'établir plu-
sieurs fois un diagnostic clinique de tumeur extra-dure-mérienne.
Depuis le début de nos recherches, la localisation d'une lésion médul-
laire au moyen des réflexes de défense fut vérifiée dans 16 cas (') : dans
12 cas, il s'agissait de tumeurs intra-rachidiennes, dont 3 de tumeurs
extra-dure-mériennes ; dans 2 cas, de syndrome de Brown-Séquard par
coup de couteau ; dans un cas, de méningite hypertrophique cervicale, où
(') Voici les publications dans lesquelles furent relatés ces cas, en grande partie réunis dans la
thèse de mon élève Gendron, Paris, 1913 :
Babinski et Jarkowski, Revue neurologique, 3o mai Ygio (3 cas); Académie de médecine, Bulletin
médical, 17 janvier 1912 ; Babinski, Lecène et Bourlot, Revue neurologique, 15 janvier 1912 Babinski,
de Martel et Jumentié, Revue neurologique, 15 mai ioi 2 ; Barré, Observations VIII, XI et XVII de la
Thèse de Gendron, in[3; Babinski, Enriquez et Jumentié, Tumeur extra-dure-mérienne ; Babinski et
Barré, Tumeur extra-dure-mérienne, Revue neurologique, n° fi, 1 (pt. ; Barré, Desmarest et Joltrain,
Revue neurologique, n° 4, 1 9 1 4 ; Babinski, Lecène et Jarkowski, Tumeur extra-dure-mérienne,
Revue neurologique, n" 12, igi4 ; Babinski, Jarkowski et Jumentié (Brown-Séquard), Revue neuro-
logique, 11 septembre ton; Babinski, Chauvet et Jarkowski (Brown-Séquard), Revue neurologi-
que, 8 mai 1 g 1 3 ; Babinski, Jumentié et Jarkowski (Pachyméningite cervicale), Iconographie de la
Salpêtrière, janvier-férier 191 3.
RÉFLEXES DE DÉFENSE 125
la limite supérieure des réflexes de défense se trouvait au niveau de la
VIIe cervicale.
Si je fais abstraction de ces diverses observations recueillies par moi et
mes élèves, ie dois reconnaître que la notion nouvelle dont nous cher-
chons à asseoir la valeur n'a pas encore été confirmée et qu'on a même
publié quelques faits tendant à l'infirmer.
Cela tient, je crois, aux difficultés nombreuses que l'on rencontre quand
on s'efforce de délimiter le territoire des réflexes de défense. On est
exposé à des erreurs d'observation et d'interprétation sur lesquelles je
crois devoir insister.
C'est ainsi que chez les malades ayant conservé en partie leur motilité
volitionnelle, un mouvement volontaire pourrait faire prendre le change
et être considéré à tort pour un réflexe de défense. Chez d'autres malades,
un mouvement spasmodique « spontané » risque d'être attribué à une
excitation provoquée par l'expérimentateur s'il coïncide avec cette der-
nière. On saisit immédiatement la portée d'une telle confusion, si cette
excitation a été appliquée au-dessus du territoire des réflexes de défense.
D'autre part, la réflectivité peut varier au cours d'un même examen et,
à fortiori, d'un jour à l'autre ; on obtient ainsi des résultats en apparence
contradictoires. De plus, la surréflectivité, que nous avons en vue, n'at-
teint son niveau maximum qu'à une période plus ou moins tardive de
l'évolution de la maladie.
Il faut donc renouveler les explorations pendant plusieurs jours, au
besoin pendant plusieurs semaines et retenir, entre les limites variées qui
ont été obtenues, celle qui est la plus élevée, qu'elle se trouve des deux
côtés au même niveau ou à des hauteurs différentes, pourvu qu'elle soit
dûment établie.
Il est encore essentiel de savoir que les réflexes de défense se laissent
provoquer beaucoup plus facilement sur les membres inférieurs que sur
le tronc et que parfois le domaine de la surréflectivité ne dépasse pas le pli
de l'aine, même lorsque la limite inférieure de la lésion siège à la partie
moyenne de la moelle dorsale ou au-dessus. Notre expérience nous a
appris qu'il fallait seulement tenir compte des cas où le territoire de la
surréflectivité envahit une partie plus ou moins étendue du tronc, à moins
que d'autres symptômes ne permettent déjà de localiser la lésion dans la
région lombaire ou sacrée.
Enfin, je rappelle que les réflexes de défense se laissent provoquer de
préférence tantôt parle pincement, tantôt par le froid, la chaleur, l'élec-
tricité ou la piqûre. Dans chaque cas particulier, il faut employer le mode
d'excitation qui constitue le réactif le plus sensible.
On voit, par ce qui précède, combien ces recherches sont délicates, et
je conviens qu'un observateur, quelque averti et méthodique qu'il soit, ne
parviendra pas toujours à obtenir de ses investigations sur les réflexes de
défense des renseignements utilisables. Il n'en est pas moins vrai que
dans bien des cas de compression spinale, il sera possible d'acquérir
ainsi des données précieuses pour le diagnostic topographique des lésions.
IX
RÉFLEXES DE DÉFENSE
[J. Babinski.]
Conférence faite , le 31 mai 1922, à la Société royale de médecine de Londres, avec
présentation de malades et projection de films cinématographiques.
MESSIEURS,
J'ai entendu raconter l'anecdote suivante : Le grand seigneur espagnol
j auquel Cervantes a dédié son livre Don Quichotte, voyageant en
France, arrive à une heure tardive dans une localité où il se propose
de passer la nuit. Il sonne à une auberge dont le patron, avant d'ouvrir la
porte, demande à qui il a affaire. Le noble gentilhomme décline ses noms :
Duque de Bejar, Marquez de Gibraleon, Conde de Bafialcazar y Banares,
Visconde de la Puebla de Alcocer, Senor de las Villas de Capilla, Curiel
y Burguillos. L'aubergiste, qui ignorait qu'un Espagnol pouvait avoir six
ou huit noms différents, réplique : Messieurs, vous êtes beaucoup trop
nombreux, je ne puis vous loger. Il laisse le seigneur dans la rue et se
prive ainsi d'un hôte qui lui aurait valu un beau bénéfice. Une mésaven-
ture un peu analogue est arrivée à un étudiant en médecine désireux
d'apprendre la sémiologie des maladies du système nerveux. Parcourant
la table des matières d'un livre qu'on lui avait recommandé, il trouve en
particulier, pour ce qui concerne l'examen des membres inférieurs, l'indi-
cation des signes suivants : réflexes de défense, réflexe antagoniste de
Schaefer, Unterschenkelphaenomen d'Oppenheim, réflexe fléchisseur
dorso-plantaire de Bechterew, triple retrait du membre inférieur, phéno-
mène des raccourcisseurs, réflexes d'automatisme médullaire, massreflex.
Ne sachant pas que toutes ces dénominations se rapportaient, au moins
en très grande partie, à un seul et même phénomène, et se jugeant inca-
pable de loger dans son esprit tant de données qu'il croyait différentes,
il renonça à cette étude et se priva ainsi d'une notion facile à acquérir et
qui lui aurait été très utile.
RÉFLEXES DE DÉFENSE 127
Je ne veux pas soutenir que le sujet dont je me propose de vous entre-
tenir soit en tous points définitivement fixé et ne comporte plus de discus-
sion ; vous verrez dans la suite qu'il n'en est pas ainsi ; mais je crois pou-
voir dire que la question est fort simple en ce qui regarde la clinique,
les moyens qu'il faut employer pour mettre en évidence les réflexes dont
nous allons nous occuper et certaines conséquences que l'on peut en
déduire pour le diagnostic.
Me plaçant d'abord sur le terrain de l'observation et écartant les inter-
prétations pathogéniques, je vais décrire les phénomènes que j'ai en vue.
Il s'agit de réactions motrices consécutives à des excitations cutanées
ou à des excitations profondes. Pour commencer, j'envisagerai unique-
ment les réactions observées aux membres inférieurs du côté excité, fai-
sant abstraction des orteils (c'est là une dissociation artificielle il est
vrai, mais vous verrez ultérieurement pourquoi je la fais) et me bornant à
observer les mouvements exécutés par le pied, la jambe et la cuisse. Voici
en quoi consistent ces réactions : sous l'influence d'excitations du mem-
bre inférieur telles que le frottement de la plante du pied avec une
épingle, le pincement de la peau de la région dorsale du pied ou de la
jambe, notamment à sa partie inférieure, il se produit, outre une contrac-
tion du fascia lata, une flexion du pied sur la jambe, de la jambe sur la
cuisse, de la cuisse sur le bassin ; l'attitude en flexion se maintient
généralement un laps de temps appréciable et le membre inférieur ne
reprend qu'avec une certaine lenteur son attitude primitive ; dans certains
cas, la contraction musculaire dure 10, 15 secondes, davantage même,
surtout si l'excitation qui a provoqué le mouvement est continue, et il est
possible quelquefois de déterminer ainsi une sorte de contracture
transitoire.
Ce mode de réaction (triple flexion) susceptible d'être obtenue par des
excitations portant sur diverses parties du membre inférieur est un des
plus communs et l'on a couramment l'occasion de l'observer en clinique.
On le constate ordinairement chez des malades présentant des troubles
notables de la motilité volontaire et c'est là qu'il acquiert le maximum
d'intensité, mais il peut être très net chez des sujets encore assez valides.
L'électrisation avec des courants voltaïques ou avec des courants fara-
diques, l'application d'un corps chaud ou d'un corps froid, la pression
exercée sur les parties profondes, les tractions constituent aussi de bons
procédés d'excitation. Bechterew, puis Pierre Marie et Foix ont recom-
mandé une manoeuvre indiquée déjà par Charcot et qui consiste à fléchir
fortement les orteils sur la plante, en même temps qu'on abaisse l'extré-
mité antérieure du pied.
La zone réflexogène est plus ou moins étendue suivant les malades.
Souvent, elle occupe seulement le pied et la jambe et s'arrête approxima-
tivement au genou, mais parfois elle s'étend même à la cuisse et à une
partie plus ou moins vaste du tronc ; nous reviendrons ultérieurement
sur ce point. Dans certains cas, tandis que l'excitation du pied et de la
jambe donne lieu au mouvement habituel, c'est-à-dire à la triple flexion,
128 ' SÉMIOLOGIE
une irritation portant sur la cuisse est suivie d'une extension des trois
segments. Voici une autre modalité de la réaction dont je m'occupe : le
pincement de la peau de la partie inférieure de la jambe est suivi d'une
flexion du pied et d'une extension de la jambe sur la cuisse ; j'ai particu-
lièrement observé cette modalité chez des malades plus ou moins contrac-
turés, dont les jambes, qui d'habitude se maintenaient en extension,
avaient été préalablement placées par moi en demi-flexion. Il m'est arrivé
aussi de voir ceci : l'excitation, provoquant toujours une flexion du pied,
accentuait un peu, pour commencer, l'attitude de la jambe en flexion,
laquelle était immédiatement suivie d'un fort mouvement en sens inverse
qui ramenait la jambe en extension. Parfois, quel que soit le sens du
mouvement, flexion ou extension, on constate des contractions dans les
muscles de groupes opposés, et l'on peut concevoir que le sens du
mouvement soit conditionné en partie par la position où se trouvent au
moment de l'excitation les segments du membre les uns par rapport aux
autres.
Il y a de grandes différences en ce qui concerne l'intensité des réflexes,
l'amplitude des mouvements. Tantôt, le moindre attouchement de la peau
d'un membre suffira à déclencher une flexion très prononcée de tous ses
segments et amènera une série de mouvements alternatifs de flexion et
d'extension; tantôt, au contraire, le pincement très vif de la peau ne
déterminera qu'avec peine une simple flexion du pied. Entre ces types
extrêmes se placent tous les intermédiaires. En outre, il est à remarquer
que si, pour chaque malade, il existe, au cours d'un examen, une certaine
proportionnalité entre l'intensité de l'excitation et celle de la réaction,
le rapport entre ces deux éléments peut varier notablement lorsque l'on
considère les résultats de deux examens pratiqués à quelques jours ou
même à quelques heures d'intervalle.
La description qui précède se rapporte à des observations faites sur des
malades atteints d'affections organiques intéressant la voie pyramidale.
Mais, avant d'aller plus loin, je dois discuter les questions suivantes :
les réactions signalées sont elles toutes pathologiques ? quelques-unes
d'entre elles peuvent-elles au contraire être obtenues à l'état physiolo-
gique ? y a-t-il des caractères permettant d'affirmer la nature patholo-
gique de ces réactions ou de quelques-unes d'entre elles ?
Pour résoudre le problème, il est indispensable d'avoir examiné un
grand nombre d'individus normaux et de savoir comment chez eux les
membres inférieurs se comportent vis-à-vis d'excitations diverses. Or,
voici ce qui parait bien établi. Une excitation de la plante du pied telle
que le frottement avec une épingle est souvent suivie, élimination faite
du mouvement des orteils sur lequel je reviendrai ultérieurement, d'une
contraction du fascia lata que Brissaud a très bien décrite et d'une flexion
du pied, de la jambe et de la cuisse. Ce sont là les mêmes mouvements
que ceux qu'on observe à l'état pathologique. Mais chez le sujet normal,
la contraction est rapide, de courte durée, tandis que chez les malades
dont il est question, l'attitude en flexion obtenue par l'excitation plantaire
RÉFLEXES DE DÉFENSE 129
se maintient généralement quelque temps et ne reprend que lentement sa
position primitive; en outre, chez ces derniers, l'amplitude du mouve-
ment est bien plus marquée d'habitude. Ces différences sont souvent suf-
fisantes pour établir une ligne de démarcation nette entre l'état physio-
logique et l'état pathologique. Toutefois, en se fondant uniquement sur
ce qui vient d'être dit, des médecins encore peu expérimentés en clinique
neurologique et n'ayant pas la vision précise de la forme des mouve-
ments réflexes pathologiques seraient exposés à des erreurs ; ajoutons à
cela que ces mouvements n'ont pas toujours la lenteur ci-dessus décrite.
Un autre caractère plus important et conduisant à distinguer l'état
physiologique de l'état pathologique est le suivant : chez l'homme normal,
l'excitation d'une région quelconque du membre, hors de la plante du
pied, si elle peut provoquer un mouvement de flexion de la cuisse et de la
jambe, ne donne jamais lieu à la flexion du pied. Je crois utile d'appuyer
sur ce point. Sans doute, le retrait de la cuisse et celui de la jambe qu'on
peut observer alors semblent volontaires et diffèrent d'habitude des réac-
tions réflexes par les caractères du mouvement, ainsi que par ce fait que
la contraction spéciale du tenseur du fascia lata signalée plus haut fait
défaut ; mais, je le répète, sans autres moyens distinctifs, la confusion
entre l'état physiologique et l'état pathologique pourrait être malaisée à
éviter. Au contraire, l'absence pour ainsi dire constante de la flexion
du pied chez le sujet normal (exception faite pour un cas de simulation
qu'on pourrait d'ailleurs dépister) rend simple la solution du problème.
La flexion du pied obtenue par l'excitation d'une autre région que la plante
du pied permet d'affirmer qu'on a affaire à un état morbide.
Ce signe à lui seul me paraît donc décisif; c'est le criterium de l'état
pathologique. Il va sans dire que la conviction qu'il entraine ne peut que
se fortifier lorsque ce caractère s'associe au précédent, à la lenteur de la
contraction et surtout de la décontraction. Au risque de décourager l'étu-
diant dont je vous parlais au début de cette Conférence, je propose une
expression nouvelle : signe de la flexion réflexe du pied pour désigner les
réflexes pathologiques que nous étudions. Le moyen le plus simple pour
constater ce phénomène est de pincer la peau du dos du pied ou de la par-
tie inférieure de la jambe. J'insiste auprès de ceux de mes auditeurs qui
sont des débutants sur l'intérêt qu'il y a à connaître ce signe, lequel a le
double mérite d'être d'une exploration très facile et d'avoir une grande
valeur clinique puisqu'il décèle l'existence d'une perturbation de la voie
pyramidale, que celle-ci siège dans l'encéphale ou dans la moelle. S'ils
retiennent seulement cette donnée, j'aurai la satisfaction de croire qu'ils
n'ont pas perdu l'heure qu'ils ont bien voulu me consacrer. : :
Le retrait du membre inférieur, et notamment la flexion du pied, a mani-
festement des rapports avec le signe des orteils, puisque ces deux phéno-
mènes paraissent bien caractéristiques d'une perturbation de la voie pyra-
13À.niNsx 1. 9
130 SÉMIOLOGIE
midale. Ces deux réactions motrices se produisent généralement dans les
mêmes conditions et suivant un mode semblable ; je viens de dire que
dans la triple flexion contraction et surtout la décontraction sont lentes ;
or, dans mon travail sur le phénomène des orteils, en 1898, je faisais déjà
remarquer que le plus souvent l'extension des orteils (réaction pathologi-
que) est exécutée avec plus de lenteur que la flexion des orteils (réac-
tion normale). Je suis très porté à admettre j'y reviendrai plus loin
que la pathogénie du signe des orteils ressemble à celle de la triple flexion.
Mais envisageant la question du point de vue clinique et, comme je l'ai
dit dans mon travail sur les réflexes de défense publié en gi4, « mettant
absolument de côté tout ce qui concerne l'interprétation physio-patholo-
gique de ces phénomènes », j'ai soutenu que les liens entre les réflexes
dits de défense et le phénomène des orteils ne sont pas indissolubles, que
par conséquent il y avait lieu de ne pas les fusionner complètement.
MM. Marie et Foix, tout en admettant qu'ils peuvent être dissociés et
tout en reconnaissant que je n'ai pas prétendu qu'il y eût différence
absolue de nature entre le signe des orteils et les réflexes cutanés de
défense, déclarent être d'un avis contraire au mien. « Pour nous, au
contraire, écrivent nos collègues, le signe de Babinski appartient à
l'ensemble des mouvements automatiques complexes dont le mécanisme
est un mécanisme de marche. »
M. Walshe, sans être d'accord avec les auteurs précédents sur le méca-
nisme de ces réactions motrices, ne veut établir aucune distinction entre
ces deux phénomènes, et il écrit que tandis que je regarde la triple flexion
comme de nature défensive, je considère 1' « extensor response » comme
un réflexe distinct et séparé, une chose à part pour laquelle je n'offre pas
d'explication et qui resterait pour moi un signe mystique et inexplicable
d'affection du faisceau pyramidal. Je répondrai à cela que, si je n'ai pas
cherché à expliquer le phénomène des orteils quand je l'ai décrit, je n'ai
jamais dit qu'il fût inexplicable, et je ne vois pas bien ce qu'il y a de
mystique à se cantonner dans le domaine de l'observation clinique ;
j'aurai plutôt mérité le reproche d'être « terre à terre ».
Il est incontestable, je le répète, que l'extension réflexe des orteils et
la flexion réflexe du pied sont, dans la majorité des cas, associées et je
serais sans doute le dernier à la nier, ayant été le premier à signaler en
1900, à propos du travail de Schaefer sur le réflexe antagoniste du pied,
que, dans l'hémiphégie organique, le pincement de la peau en diverses
parties du pied et de la jambe peut provoquer à la fois ces deux réactions.
Mais, encore une fois, l'une peut se produire sans l'autre. On peut observer
non seulement le phénomène des orteils en l'absence du signe de la
flexion réflexe du pied, mais aussi la disposition inverse.
J'ai cité autrefois, à l'appui de mon.opinion, une Observation anatomo-
clinique relatée par Dejerine, Lévi-Valensi et Long(') : il s'agissait d'un
cas de paraplégie par section complète de la moelle où il existait, en même
(') Revue Neurologique, njn, t. XXII, p. 141 et 1912, t. XXIV, p. 772.
RÉFLEXES DE DÉFENSE 13l
temps que des réflexes de défense très nets, une flexion plantaire des
orteils des plus franches ; il est à remarquer qu'il n'y avait pas trace de
réaction de dégénérescence dans les muscles de la jambe. M. Walshe
récuse cette Observation à cause du passage suivant qu'on y trouve :
« Les pieds sont en varus équin et les orteils en flexion. Cette déformation
est aujourd'hui fixée par des rétractions fibro-musculaires. » La critique
de M. Walshe n'est pas sans valeur. Mais il y a tout lieu de penser que
ces rétractions n'étaient pas assez marquées, au moins pendant un certain
laps de temps, pour entraver l'exploration des réflexes, car M. Dejerine
donne à cet égard des renseignements tellement circonstanciés qu'un
doute ne peut guère subsister. Il écrit en effet : « J'arrive maintenant à
une question encore plus importante peut-être que les précédentes, à
savoir l'état du réflexe cutané plantaire. Pendant les six mois que passa ce
malade dans mon service, le réflexe cutané de la plante du pied se faisait
des deux côtés en flexion plantaire, c'est-à-dire comme à l'état physiolo-
gique. »
Je rappelle aussi l'Observation publiée par Pastine (') se rapportant à un
sujet atteint de paraplégie motrice absolue avec troubles très accentués
de la sensibilité superficielle et profonde des membres inférieurs. J'extrais
de ce travail le passage suivant : « Le fait intéressant pour la question qui
nous occupe me semble être celui-ci : la possibilité presque constante
d'obtenir, par une excitation plantaire un peu forte ou répétée, ou encore
mieux par un pincement énergique de la peau du dos des pieds, le mou-
vement réflexe de flexion du pied, de la jambe et de la cuisse associé à
la flexion nette de tous les orteils, et par une excitation minimale du bord
plantaire externe le signe de Babinski nettement positif et isolé. Dans ce
cas, c'est la flexion du gros orteil qui fait partie du mouvement général
de retrait, et pourtant l'extension pathologique du même orteil existe dans
toute sa pureté. »
Du reste, déjà dans un travail publié par moi en mars 1899 Q, basé en
particulier sur une observation qui est un type de paraplégie en flexion,
avec mouvements spasmodiques intermittents accentuant la flexion des
cuisses et des jambes, il est dit expressément que le réflexe cutané plan-
taire est normal.
Des expériences de M. Ozorio de Almeida, confirmées par moi, ont
montré que chez des sujets présentant le signe des orteils, une compres-
sion du membre inférieur avec une bande élastique peut amener transi-
toirement la réapparition du mouvement réflexe de flexion des orteils ; or
le pied peut contiuner alors à exécuter un mouvement réflexe en flexion.
MM. Marie et Foix, dans un article sur « les réflexes d'automatisme
médullaire » (3), écrivent à ce sujet : « Nous avons, sur la plupart de ces
points, pu reproduire les expériences de Babinski, mais l'interprétation
(') Revue Neurologique, 1\)1 ? vol. XXVI, p. 4"3.
(2) Société médicale des Hôpitaux, ac5y), P. V ? : v Sur une forme de paraplégie spasmodique consé-
cutive 1l une lésion organique et sans dégénératiou du système pyramidal. »
(3) Revue Neurologique, 1912, t. 1111, p. 672.
13a SÉMIOLOGIE
que nous inclinons à donner nous apparaît comme très différente de la
sienne ».......................
« Il est aisé de se convaincre par l'observation attentive que l'application
de la bande d'Esmarch agit en supprimant momentanément l'excitabilité
réflexe des muscles ischémies »
Les muscles extenseurs, par suite des dispositions anatomiques, subi-
raient une ischémie plus intense que les fléchisseurs.
L'interprétation donnée par mes collègues me semble discutable. Elle
ne permet guère de comprendre ce fait noté chez certains sujets et que
je rappelle : avant la compression, réflexe plantaire toujours en extension
quelle que soit la région de la plante que l'on excite ; après la compres-
sion, réflexe en extension ou en flexion suivant qu'on excite le bord
externe ou le bord interne de la plante.
De plus, en variant la durée de la compression, j'ai fait plusieurs fois
les constatations suivantes : après avoir enlevé la bande à un moment
où le réflexe se faisait encore en extension, j'ai vu cependant, au bout de
quelques instants, au retour de l'irrigation sanguine, le réflexe en flexion
remplacer pour quelque temps le mouvement réflexe précédent. Il m'est
arrivé alors d'observer, après avoir pincé la peau de la jambe ou du dos
du pied, la flexion des orteils associée à une forte flexion du pied.
Ces faits ne sont guère en concordance avec l'interprétation proposée
par MM. Marie et Foix. D'ailleurs, celle-ci serait-elle juste, elle n'infir-
merait pas ma thèse, car me plaçant simplement sur le terrain de l'obser-
vation, et sans contester aucunement les relations qui unissent la flexion
réflexe du pied avec l'extension des orteils, les connaissant même depuis
plus de vingt ans, comme je viens de le dire, j'ai voulu établir qu'il
pouvait y avoir dissociation de ces deux phénomènes. Les cas où
cette dissociation existe, sans être très communs, ne sont pas tout à fait
exceptionnels ; j'en ai observé déjà un assez grand nombre et vous
aurez l'occasion de la constater vous-mêmes sur l'un des films que je
ferai passer devant vos yeux. Il s'agit d'un malade atteint de paraplégie
incomplète liée vraisemblablement à une plaque de sclérose ; d'un côté
on observe la trépidation épileptoïde du pied et le triple retrait associé
à l'extension du gros orteil; de l'autre côté, la trépidation épileptoïde
et le triple retrait existent nettement, mais ce dernier phénomène coïncide
avec un réflexe plantaire en flexion bien qu'il n'existe pas de réaction
de dégénérescence dans les muscles de la jambe.
Avant de terminer ce chapitre, je ferai remarquer que Marie et Foix,
malgré leur désaccord apparent avec moi, semblent avoir dans le fond
une opinion analogue à la mienne puisque, dans leur premier article sur
le retrait réflexe du membre inférieur ('), ils écrivent ceci : « Il (le retrait
réflexe) est extrêmement fréquent dans l'hémiplégie constituée. Il est
en général associé au signe de Babinski, mais ne lui est pas superposable.
On l'observe en effet en dehors de ce signe, particulièrement chez certains
(') Revue Neurologique, IUI2, t. XXIII, p. 1 z.
RÉFLEXES DE DÉFENSE 133
pseudo-bulbaires, ou dans certains cas d'hémiplégie ancienne » ; et,
dans un deuxième travail sur les réflexes d'automatisme médullaire ('),
ils écrivent encore : « l'on peut cependant voir, dans les cas où, par suite
du combat entre le réflexe normal en flexion et le réflexe pathologique
en extension, le mouvement des orteils est nul ou même en flexion, le
signe des raccourcisseurs établir une lésion que la recherche du signe
de Babinski n'avait pu dépister ».
N'est-ce pas absolument conforme à ce que j'ai soutenu ?
Il me semble intéressant, à l'appui de ma thèse, de noter que M. Van
Woerkom, dans un travail Sur la signification physiologique des réflexes
cutanés des membres inférieurs (2), écrit ceci : « Pourtant, le lien qui
relie le signe de Babinski au « flexion réflexe » n'est pas indissoluble. »
Contrairement à l'usage suivant lequel l'exposé d'une question est
généralement précédé de l'indication des noms de ceux qui s'en sont
principalement occupés, j'ai cherché d'abord à faire une description des
faits cliniques suffisante pour bien délimiter mon sujet. Je crois le
moment venu de faire un historique, surtout étant donné que j'ai déjà
été entraîné à signaler quelques controverses entre neurologistes.
Les phénomènes que nous étudions paraissent avoir été mentionnés
pour la première fois en 1784 par Prochaska. L'expérience faite par cet
auteur a été maintes fois reproduite depuis ; Schiff, Vulpian, Brown-
Séquard, pour ne citer que quelques-uns des physiologistes qui se sont
occupés des réflexes de défense, ont vu comme Prochaska qu'une
grenouille ou un mammifère dont on sectionne la moelle dorsale retire
brusquement la patte en fléchissant les divers segments de ce. membre
les uns sur les autres quand on en pique l'extrémité. ,
Ce mouvement reproduit assez exactement celui qu'effectue, sous la
même excitation, une grenouille dont la moelle est intacte et qui cherche
à se dérober à l'injure extérieure, à se défendre. Le phénomène fut pour
cela qualifié de « mouvement réflexe de défense », et l'usage a consacré
cette dénominaton.
Les physiologistes seuls s'occupèrent d'abord de ces mouvements par-
ticuliers. Vulpian, Brown-Séquard signalent, il est vrai, leur existence
dans les tumeurs de la moelle et dans quelques autres affections de cette
partie du névraxe, mais ils n'en indiquent pas la valeur sémiologique
précise.
L'attention qu'on leur avait prêtée fut même bientôt très réduite
lorsqu'on acquit la connaissance des réflexes tendineux et qu'on s'attacha
à leur étude. La brièveté des mentions qu'on trouve au sujet des réflexes
de défense dans les meilleurs Traités classiques de neurologie fait foi,
d'ailleurs, de ce réel discrédit.. -
(') Revue Neurologique, 19[0, t. XX, p. 122.
e) Revue Neurologique. tt2. l. XXIV, p. 291.
134 SÉMIOLOGIE
C'est depuis 25 ans environ, et à la suite de ma communication sur le
réflexe cutané plantaire et le phénomène des orteils que l'attention a été
de nouveau dirigée sur les réflexes de défense, bien qu'on se soit servi
parfois d'autres termes pour désigner les faits qui s'y rapportaient.
Schaefer, dans le n" 22 de l'année 1899 du Neurologisches Centralisait,
décrit un phénomène réflexe dont voici les caractères : lorsqu'on presse
énergiquement, entre le pouce et l'index, le tendon d'Achille dans son
tiers moyen ou son tiers supérieur, on provoque chez l'individu sain une
sensation de douleur légère et en même temps une très faible extension du
pied et parfois aussi une flexion des orteils. Or, dans certains cas patho-
logiques, chez les malades atteints d'hémiplégie cérébrale organique, la
même manoeuvre donne lieu à une sensation de douleur plus intense, et,
en outre. à une flexion du pied ainsi qu'à une extension des orteils du
côté paralysé. Ce réflexe pathologique se distinguerait des autres réflexes
tendineux parce que la réaction, au lieu de s'opérer dans le muscle dont
le tendon est excité, se manifesterait dans les antagonistes, d'où la déno-
mination de Réflexe antagoniste que Schaefer propose de donner à ce phé-
nomène.
Ainsi que je l'ai dit dans une communication à la Société de Neuro-
logie en janvier 1900, il est aisé de vérifier les faits décrits par Schaefer
qui sont absolument exacts, mais ses déductions comportent des critiques :
d'une part, l'extension des orteils qu'il indique n'est autre chose que le
phénomène des orteils découvert antérieurement ; d'autre part, rien n'au-
torise à admettre que la réaction obtenue dans les expériences de Schaefer
constitue un réflexe tendineux antagoniste. J'ai montré, en effet, que chez
les hémiplégiques qui présentent ces réactions, extension des orteils et
flexion du pied, celles-ci sont généralement obtenues par le pincement de
la peau seule dans le voisinage du tendon ou encore en d'autres parties
du membre inférieur. Comme on le voit, ces observations ont conduit
à cette notion nouvelle, dont j'ai fait ressortir précédemment l'intérêt,
qu'une excitation du membre inférieur, hors de la zone plantaire, inca-
pable de produire une flexion réflexe du pied à l'état normal, peut en
déterminer une dans l'hémiplégie organique, affection dans laquelle la
voie pyramidale est intéressée.
Les réactions décrites ultérieurement par Oppenheim sous la dénomi-
nation d' « Unterschenkelphaenomen » dans les affections pyramidales
sont identiques aux précédentes. Voici en quoi elles consistent : tandis que
l'excitation des téguments de la partie interne de la jambe provoquée par
le frottement ne détermine à l'état normal aucun réflexe, ou seulement
une flexion des quatre petits orteils, cette excitation, dans les cas où il
y a une lésion de la voie pyramidale, produit une contraction des muscles
extenseur propre du gros orteil, jambier antérieur, extenseur commun
des orteils et parfois des muscles péroniers.
Van Gehuchten, dans un travail présenté au Congrès de Médecine de
Paris en août 1900, entre autres questions qu'il aborde sur les réflexes
cutanés et les réflexes tendineux, étudie particulièrement les réflexes de
RÉFLEXES DE DÉFENSE 135
défense dans les lésions atteignant le système pyramidal ; il se sert de ces
termes : « mouvement de retrait brusque de tout le membre : flexion du
pied sur la jambe, de la jambe sur la cuisse, de la cuisse sur le bassin,
avec mouvements d'adduction de la cuisse. » .
Je reviens sur ce sujet dans un travail publié en igo4 à la Société de
Neurologie et intitulé : « Sur la transformation du régime des réflexes
cutanés dans les affections du système pyramidal. »
Bechterew en 1906 (Neurologisches Centralblatt, p. 290) a publié une
note sur les mouvements réflexes produits par la manoeuvre qui consiste
à fléchir le pied et les orteils.
En mai 1910 (Revue Neurologique, t. XIX, p. 666), nous cherchons,
Jarkowski et moi, à utiliser les réflexes de défense pour déterminer le
niveau d'une lésion spinale.
En juillet 1910 (Revue Neurologique, t. XX, p. 121), Pierre Marie et Foix
publient leur premier travail sur ce sujet. Il est intitulé : « Sur le retrait
du membre inférieur provoqué par la flexion forcée des orteils. »
Dans le journal L'Encéphale, 1910, p. 287, Claude traite de l'hyper-
kinésie réflexe qu'on peut observer au membre supérieur.
En janvier 1911 (Revue Neurologique, t. ;XXI, p. 132), te décris « la para-
plégie spasmodique avec contracture en flexion et contractions muscu-
laires involontaires » et je fais ressortir les liens qui l'unissent aux réflexes
de défense. En mai 1912, je reviens sur ce sujet (Revue Neuroloclique.
t. XXIV, p. 77). ,
Nouveau travail de Marie et Foix en mai 1912 (Revue Neurologique,
t. XXIV, p. 607), intitulé : « Les réflexes d'automatisme médullaire et le
phénomène des raccourcisseurs. Leur valeur sémiologique. Leur signifi-
cation physiologique. » Mémoire de Van Woer-
En 1912 2 (Revue Neurologique, t. XXIV, p. 285), Mémoire de Van Woer-
kom : « Sur la signification physiologique des réflexes cutanés des mem-
bres inférieurs. »
Dans la Revue Neurologique, 191 ! ¡-1915, t. XXVIII, p. 145, je publie
une étude sur les réflexes de défense, et quelques semaines plus tard
(Revue Neurologique, t. XXVIII, p. 225), Pierre Marie et Foix font paraître
à leur tour un mémoire sur « les Réflexes d'automatisme médullaire dits
de défense ».
Dans un travail intitulé : « Quelques remarques sur les réflexes de
défense dits d'automatisme médullaire » (Revue Neurologique. 1916, p. 34),
Jarkowski discute la pathogénie de ces phénomènes.
Voici maintenant l'indication de plusieurs travaux sur le sujet qui nous
occupe qui sont l'oeuvre de neurologistes anglais :
Walshe, F. M. R. « The Physiological Signifiance of the Reflex Phe-
nomena in Spastic Paralysis of the Lower Limbs « (train, igi4, 37,
269).
Idem. « On the Genesis and Physiological Significance of Spasticity
and other I)isorders of Motor Innervation » (Brain, 1919 ! 2, 16).
Head, Henry and Riddoch, Georges. « The Automatic Bladder, Exces-
136 SÉMIOLOGIE
sive Sweating and some other Reflex Conditions in Gross Injuries of the
Spinal Cord » (Brain, 1917, 40, 217). '
George Riddoch. « The Reflex Fonctions of the Completely Divided
Spinal Cord in Man » (Brain, 1917, 40, 254).
Idem. « The Clinical Picture of complète Transverse Division of the
Spinal Cord » (Médical Science, 192 1, 5, 49). '
George Riddoch and Farquhar Buzzard. « Reflex Movements and Pos-
tural Reactions in Quadriplegia and Hemiplegia with Especial Reference
to those of the Upper Limb » (Brain, 44, 3()7-8g, 1921).
Je fais une place à part au grand physiologiste Sherrington dont les
découvertes ont orienté les recherches des neurologistes anglais et les ont
inspirés dans leurs interprétations des faits cliniques observés. Le nom de
Philipson, collaborateur de Sherrington, mérite aussi d'être particulière-
ment retenu. '
Après ce court historique, reprenons le fil de nos idées. J'ai dit que si
le lien entre les réflexes de défense pathologiques, notamment la flexion
réflexe du pied, et le signe des orteils n'est pas indissoluble, il est pourtant
assez étroit.
Et quelles sont les relations entre ces diverses réactions et la surréflec-
tivité tendineuse qui, elle aussi, constitue un signe de perturbation de la
voie pyramidale ? On peut dire, a priori, que ces deux ordres de phé-
nomènes doivent être souvent associés, mais c'est une liaison beaucoup
moindre que la précédente. Dans le tabès dorsal spasmodique avec surré-
flectivité tendineuse extrêmement forte, la flexion réflexe du pied est
généralement faible ou même fait défaut, ce qui, à la vérité, pourrait
tenir à la contracture en extension qui entrave la manifestation des
réflexes de défense. Dans l'hémiplégie organique avec exagération notable
des réflexes tendineux et trépidation épileptoïde, la flexion réflexe du pied
peut aussi manquer de même qu'il y a parfois absence du signe des orteils.
Mais ce qui est plus frappant, c'est la disposition inverse : affaiblisse-
ment ou abolition des réflexes tendineux avec exagération notable des
réflexes de défense. C'est ce qu'on observe d'habitude dans la maladie
de Friedreich ; c'est ce qu'on peut voir dans le tabes associé à une lésion
pyramidale. J'ai insisté déjà en 1898, dans un travail relatif au phéno-
mène des orteils ('), sur la coexistence de ce signe avec la subréflectivité
ou l'irréflectivité tendineuse. « J'ai constaté, disais-je, ce phénomène
dans plusieurs cas d'hémiplégie récente flasque, où les réflexes tendi-
neux étaient normaux, affaiblis ou même abolis du côté paralysé. »
On observe très couramment des malades atteints de paraplégie cru-
rale plus ou moins marquée avec réflexes tendineux normaux, sans trace
de trépidation épileptoïde du pied et avec réflexes de défense très caracté-
risés. Je suis convaincu, certain même, qu'autrefois beaucoup de malades
(1) Semaine médicale, 27 juillet rt3g3.
RÉFLEXES DE DÉFENSE 137
de ce genre ont été considérés comme atteints de paraplégie hystérique.
Ces erreurs sont devenues bien plus rares depuis que la connaissance
des signes en question s'est répandue parmi les praticiens.
Dans la paraplégie en flexion, sur laquelle je reviendrai plus loin et dont
le trait le plus essentiel est l'exagération des réflexes de défense, les
réflexes tendineux peuvent aussi être exagérés, mais il n'en est pas toujours
ainsi : ils sont parfois d'une intensité moyenne, ils peuvent être faibles
et semblent même abolis dans certains cas. Je sais bien que l'exploration
des réflexes tendineux est rendue quelquefois difficile par les rétrac-
tions fibro-tendineuses, par l'intensité et la fréquence des spasmes qui
se produisent ; mais en renouvelant les explorations à plusieurs reprises,
en saisissant, pour les pratiquer, les moments où le spasme cesse, il est
ordinairement possible de se rendre compte de l'état de la réflectivité
tendineuse. Si j'ai bien compris ce qu'a écrit M. Walshe à ce sujet, il est
d'avis que dans la paraplégie en flexion, si les réflexes tendineux des exten-
seurs peuvent être abolis, ceux des fléchisseurs sont toujours exagérés;
Je ne puis souscrire à cette opinion, m'étant assuré dans quelques cas de
paraplégie en flexion que les réflexes tendineux des fléchisseurs de la
jambe sur la cuisse n'étaient pas du tout au-dessus de la normale etparais-
saient même plutôt faibles. ,
Dans la paraplégie en flexion, l'affaiblissement des réflexes tendineux
peut survenir après une période plus ou moins longue pendant laquelle
il y a eu surréflectivité tendineuse. Mais il y a des cas où, dès le début, les
réflexes tendineux sont amoindris. J'ai rapporté une Observation de ce
genre dans une communication à la Société de Neurologie. Voici un pas-
sage du travail où ce fait est relaté (') : « Ce qui est capital c'est que, chez
cette malade, où l'existence d'une affection organique de la moelle inté-
ressant les faisceaux pyramidaux est incontestable, on observe une
contracture associée à une abolition à peu près complète des réflexes ten-
dineux et à des réflexes de défense extrêmement forts. Ce fait constitue un
nouveau document relatif à l'histoire de la paraplégie organique spasmo-
dique avec contracture en flexion et contractions musculaires involontaires,
et il mérite pour plusieurs motifs d'attirer l'attention.
« Tandis que, chez les sujets où la contracture en flexion estpermanente
et a acquis une grande intensité, la faiblesse ou l'abolition des réflexes
tendineux est difficile à apprécier et ne peut être affirmée qu'après des
examens plusieurs fois renouvelés ; dans le cas particulier, la contracture
en flexion étant intermittente, on est à même, pendant les phases de détente
qui sont très fréquentes, de se rendre un compte exact des réflexes ten
dineux ; on s'assure aisément que le réflexe rotulien droit et les réflexes
achilléens sont abolis. J'ajoute que l'affaiblissement des réflexes tendi-
neux a été noté, dans ce cas, dès le début de l'affection et n'a pas été pré-
cédé de l'exagération de ces réflexes, ainsi que cela se voit assez souvent
dans cette forme de paraplégie. »
e,) Revue Neurologique, '912, t. XXIV; p. 79.
138 SÉMIOLOGIE
L'exagération des réflexes de défense conduit-elle seulement au
diagnostic de perturbation de la voie pyramirale ? N'est-elle pas en mesure
de fournir d'autres renseignements ayant une portée pratique, notamment
dans les cas de compression de la moelle ? C'est une question que nous
avons cherché à résoudre, Jarkowski et moi. Mais il est de mon devoir de
signaler un passage relatif à ce sujet que j'extrais de l'ouvrage de
Duchenne de Boulogne : De /WecMQ ? o localisée, et qui nous avait
échappé autrefois : «Le point où le chatouillement de la peau cesse de
provoquer des contractions réflexes indique le niveau où existe la
compression de la moelle. » Il est à noter que ce moyen de localisation
n'avait jamais été utilisé jusqu'à nous par aucun des neurologistes qui
s'étaient occupés de repérer les tumeurs comprimant la moelle en vue de
l'intervention chirurgicale. Voici, en résumé, ce que nous avons cru
pouvoir déduire de nos investigations. Dans tout le territoire cutané en
rapport avec la portion delà moelle sous-jacente à la partie inférieure delà
lésion, et dans ce territoire seulement, du moins quand la paraplégie est
très marquée, une excitation peut provoquer des réflexes de défense. On
possède ainsi un moyen de déterminer la limite inférieure de la compres-
sion. Ce n'est pas là une vue théorique. Cette donnée est établie déjà sur
un certain nombre d'observations où le diagnostic a été vérifié pendant
l'opération. ,
On a aussi publié, il est vrai, quelques faits qui tendent à infirmer cette
notion, mais la contradiction n'est peut-être qu'apparente et j'ai cherché
à l'expliquer dans mon travail de agi4, dont j'extrais le passage suivant :
« Cela tient, je pense, aux difficultés nombreuses que l'on rencontre
quand on s'efforce de délimiter le territoire des réflexes de défense. On est
exposé à des erreurs d'observation et d'interprétation sur lesquelles je crois
devoir insister.
« C'est ainsi que chez des malades ayant conservé en partie leur motilité
volitionnelle, un mouvement volontaire pourrait faire prendre le change
et être considéré à tort pour un réflexe de défense. Chez d'autres malades,
un mouvement spasmodique « spontané » risque d'être attribué à une
excitation provoquée par l'expérimentateur, s'il coïncide avec cette
dernière. On saisit immédiatement la portée d'une telle confusion, si
cette excitation a été appliquée au-dessus du territoire des réflexes de
défense.
« D'autre part, la réflectivité peut varier au cours d'un même examen
et, a fortiori, d'un jour à l'autre ; on obtient ainsi des résultats en appa-
rence contracdictoires. De plus, la surréflectivité, que nous avons en vue,
n'atteint son niveau maximum qu'à une période plus ou moins tardive de
l'évolution de la maladie.
« Il faut donc renouveler les explorations pendant plusieurs jours, au
besoin pendant plusieurs semaines, et retenir, entre les limites variées qui
RÉFLEXES DE DÉFENSE 13g
ont été obtenues, celle qui est la plus élevée, qu'elle se trouve des deux
côtés au même niveau ou à des hauteurs différentes, pourvu qu'elle soit
dûment établie. ' .
« Il est encore essentiel de savoir que les réflexes de défense se laissent
provoquer beaucoup plus facilement sur les membres inférieurs que sur
le tronc et que parfois le domaine de la surréflectivité ne dépasse pas
le pli de l'aine, même lorsque la limite inférieure de la lésion siège à la
partie moyenne de la moelle dorsale ou au-dessus. Notre expérience nous
a appris qu'il fallait seulement tenir compte des cas où la surréflectivité
envahit une partie plus ou moins étendue du tronc, à moins que d'autres
symptômes ne permettent déjà de localiser la lésion dans la région lom-
baire ou sacrée.
« Enfin, je rappelle que les réflexes de défense se laissent provoquer
de préférence tantôt par le pincement, tantôt par le froid, la chaleur,
l'électricité ou la piqûre. Dans chaque cas particulier, il faut employer le
mode d'excitation qui constitue le réactif le plus sensible.
« On voit, par ce qui précède, combien ces recherches sont délicates,
et je conviens qu'un observateur, quelque averti et méthodique qu'il soit,
ne parviendra pas toujours à obtenir de ses investigations sur les
réflexes de défense des renseignements utilisables. »
Il n'en est pas moins vrai, pensons-nous, que dans certains cas de
compression spinale, il sera possible d'acquérir ainsi des données
intéressantes pour le diagnostic topographique des lésions, surtout si on
les rapproche de celles, plus importantes sans aucun doute, qui sont
fournies par les troubles de la sensibilité.
Autre problème. L'intensité des réflexes de défense et les diversités de
forme qu'ils présentent sont-elles en rapport avec l'intensité des lésions,
le niveau où elles siègent et leur nature ? Dans mon article de 1898,
j'écrivais déjà ceci à propos du signe des orteils : « Il faut donc bien remar-
quer que ce signe, s'il révèle l'existence d'une perturbation dans le sys-
tème pyramidal, n'en dénote pas la gravité... Il semble même qu'il puisse
parfois constituer le seul indice de cette perturbation ». Je reviendrai
dans un instant sur ce point.
Pour ce qui est relatif au niveau, j'ai dit autrefois et tous les neurolo-
gistes semblent d'accord là-dessus, que les réflexes de défense sont, d'une
manière générale et sauf à la période initiale quand il y a shock, plus
' accentués dans les lésions spinales que dans les lésions cérébrales, ce qui
tient peut-être en partie à ce que d'ordinaire les premières sont bilatérales.
les secondes unilatérales.
En ce qui regarde la nature des lésions, d'après ce que j'ai observé,
je pense que l'exagération des réflexes de défense est particulièrement
intense et durable dans les cas de paraplégie spasmodique par compres-
sion de la moelle ou par sclérose spinale dans lesquels les
.I4o SÉMIOLOGIE
nératives du faisceau pyramidal font défaut ou sont peu prononcées.
Plusieurs observations tendant à confirmer cette opinion ont été rapportées
par divers auteurs (').
Les faits de section complète de la moelle observés à la suite de trau-
matismes de guerre ont montré à MM. Head, Riddoch, à M. Lhermitte que
ces lésions, qui produisent le maximum de dégénération, peuvent aussi
se manifester, à une certaine période de leur évolution, par des réflexes
de défense très marqués. Mais dans ces derniers cas, la phase pendant
laquelle les réflexes de défense sont exagérés est relativement courte, et
la contracture qui se lie à ces réflexes dans la paraplégie que j'ai envisagée
et dont nous aurons à nous occuper dans la suite, manque ou est peu
marquée. En tous cas, mes observations ont montré que l'intensité des
réflexes de défense n'est pas, tant s'en faut, en proportion directe avec
le degré d'intensité de la dégénération secondaire. M. Walshe, à ce pro-
pos, dit ceci : Le point soulevé par Babinski qu'il peut n'y avoir que peu
ou pas de dégénération secondaire de la voie pyramidale à l'examen
anatomique dans de tels cas n'a pas de signification spéciale parce que,
comme Gordon Holmes l'a montré, il n'y a pas de relation directe,
constante entre la gravité des manifestations cliniques et la dégénération
descendante secondaire. Une lésion en foyer de la moelle, dit-il, peut
causer une paralysie spastique extrême et perte du contrôle sphinctérien,
et cependant, à l'autopsie, il peut ne pas y avoir de dégénération spinale
descendante.
Je sais cela depuis longtemps et j'ai précisément rapporté moi-même
en 1899 une observation de ce genre que j'ai déjà rappelée. Mais il faut
savoir aussi qu'une paralysie complète due à une compression de la
moelle, accompagnée de reflexes de défense très intenses, peut guérir
totalement; et cette régression des accidents n'est-elle pas explicable
par l'absence de dégénération ? C'est ce que j'ai cherché à mettre en
lumière.
Je le répète, la présence de réflexes de défense même très prononcés et
avec accompagnement de troubles moteurs des plus marqués n'est pas
nécessairement l'expression d'un état incurable. Entre autres faits à l'appui
de cette notion, je puis vous citer quelques extraits d'une Observation
publiée par Jarkowski, Lecène et moi (Revue Neurologique, 1914, t. XII,
p. 801), et intitulée : « Paraplégie crurale par néoplasme extra-dure-
mérien. Opération. Guérison. . En décembre 191 ! , on note ceci : « La
malade présente une paraplégie spasmodique en extension avec troubles
de la sensibilité remontant jusqu'à la ligne mamelonnaire. La paralysie
des membres inférieurs est complète et ne cède même pas sous l'influence
de divers procédés dynamogénisants (faradisation, application de la bande
d'Esmarch). Cette contracture ne peut être vaincue que par un très grand
effort; pourtant, elle n'est pas toujours égale à elle-même et peut être
diminuée par des mouvements passifs. De plus, la contracture en exten-
(1) Voir Thèse de Paris, ici4- La paraplégie en flexion, par le Dr Paul Nicaud.
RÉFLEXES DE DÉFENSE if,i
sion est entrecoupée de temps à autre par des mouvements spasmodiques
involontaires qui déplacent brusquement les membres inférieurs, flé-
chissent la cuisse, la jambe et le pied, les allongent ensuite avec une
grande force, en détachant le membre du plan du lit, et ainsi de suite,
jusqu'à ce que le membre retrouve sa position primitive de repos.
« Ces spasmes se produisent soit dans un seul des membres inférieurs,
soit dans les deux et, alors, tantôt ils revêtent la même forme des deux
côtés, tantôt ils donnent lieu à une flexion à droite et une extension à
gauche et vice versa. Les réflexes tendineux des membres inférieurs sont
nettement exagérés ; il y a de la trépidation épileptoïde du pied des deux
côtés.
« On constate le signe des orteils des deux côtés.
« Les réflexes de défense sont fortement exagérés et peuvent être pro-
voqués même par des excitations très légères. Leur forme varie suivant
la position des membres et l'endroit de l'excitation, mais elle est sensi-
blement pareille à celle des spasmes involontaires spontanés. »
La malade est opérée en janvier 1912. L'intervention est suivie d'une
amélioration qui se poursuit, ensuite, mais lentement.
En juin 1914, on note : « Elle marche toute seule, sans canne, pas très
vite il est vrai, mais d'une manière à peu près normale ; elle ne traîne pas
ses jambes; elle ne fauche pas; la pointe du pied ne butte pas contre le
sol.
« Un examen objectif minutieux ne décèle comme reliquat des troubles
d'autrefois qu'une tendance à l'extension des orteils et une légère exagé-
ration des réflexes de défense. »
J'apprends ultérieurement que la guérison est devenue complète.
Ce n'est pas dans la patrie de l'illustre Horsley dont je m'honore d'avoir
été l'ami, que je provoquerai de la surprise en rapportant l'Observation
d'une paraplégie due à une tumeur comprimant la moelle et guérie à la
suite d'une intervention chirurgicale. Si je l'ai relatée, c'est afin de bien
mettre en évidence ce fait que la surréflectivité défensive n'implique pas
l'idée d'incurabilité.
Les réflexes de défense, après disparition complète des troubles
moteurs, peuvent redevenir absolument normaux. ,
On a pris l'habitude de dire que l'exagération des réflexes de défense
témoigne que la moelle est délivrée du joug des centres supérieurs; mais,
comme on le voit par ce qui précède, la moelle, en recouvrant les réflexes
de défense de ses ancêtres, n'a pas reconquis toute leur indépendance ;
pareille aux affranchis de Rome, elle ne jouit parfois que d'une liberté
transitoire et elle est exposée à reprendre ses chaînes, ce qu'atteste le
retour des réflexes à l'état physiologique..
Mais il y a plus : daus certains cas, les réflexes de défense patholo-
giques survivent à tous les autres troubles. "
Entre autres malades de ce genre, j'en puis citer un qui, guéri d'une
paraplégie par lésion syphilitique de la moelle, avait recouvré la motilité
au point de pouvoir parcourir sans arrêt une distance de plus de 10 kilo-
142 SÉMIOLOGIE
mètres et qui cependant présentait d'une manière très nette le signe des
orteils et le signe de la flexion réflexe du pied.
On peut dire qu'en pareille occurrence il s'agit de la part de la moelle
d'une fanfaronnade, d'un bluff : elle affiche des airs d'indépendance, se
prétend libérée, tout en obéissant servilement à l'encéphale, son maitre.
Si la diminution progressive des réflexes de défense préalablement
exagérés peut être un signe favorable, comme dans l'observation de
tumeur que je viens de rapporter, elle peut au contraire dénoter une
aggravation : dans les cas de section complète de la moelle, ces réflexes
s'affaiblissent d'habitude à la période qui précède la mort.
J'ai été amené à vous indiquer l'état des réflexes de défense dans les
sections spinales totales à la phase terminale, à la phase moyenne. Je dois
vous exposer l'état de ces réflexes à la première phase, après le trauma-
tisme. Sous l'influence du shock, les réflexes cutanés aux membres infé-
rieurs peuvent être complètement abolis comme le sont les réflexes ten-
dineux. Pour ce qui concerne les réflexes tendineux, dont je ne vous parle
qu'incidemment, et contrairement à l'opinion émise par Bastian et acceptée
pendant 3o ans par la majorité des neurologistes, leur abolition n'est pas
non plus définitive; ils peuvent reparaitre et même atteindre un degré
plus élevé que la normale, mais leur retour est plus tardif que celui des
réflexes cutanés. Au sujet de ces derniers, les opinions ne sont pas toutes
concordantes, ce qui tient sans doute à la diversité des cas et à ce qu'un
même auteur a eu seulement l'occasion d'observer un nombre de faits
restreint. 11 y aurait tantôt abolition du réflexe cutané plantaire, tantôt
extension, tantôt flexion des orteils. D'après Guillain et Barré, le réflexe
en flexion de ces paraplégiques se différencie de celui de l'homme sain
par sa lenteur, son temps de latence prolongé, la persistance relative de
l'attitude en flexion. Dans cette première phase, la zone réflexogène serait
limitée, comme à l'état phisiologique, à la zone plantaire, et ce n'est
qu'ultérieurement qu'elle s'étendrait à tout le pied et à la jambe; les
réflexes deviennent de plus en plus forts et une exagération parfois très
marquée des réflexes de défense se constitue alors.
Il y a lieu de comparer ces faits de paraplégie à début brusque avec les
cas d'hémiplégie cérébrale succédant à un ictus apoplectique. Souvent,
dès les premiers jours, alors que le malade est encore dans le coma,
que la paralysie est complète et la surréflectivité tendineuse d'habitude
affaiblie, on peut constater l'extension réflexe des orteils et la flexion
réflexe du pied. Dans quelques cas, des neurologistes, présents à une
attaque, ont eu l'occasion de constater ces signes dès la première minute.
L'exagération des réflexes de défense parait donc bien plus précoce dans
l'hémiplégie cérébrale vulgaire que dans la paraplégie spinale à début
brusque, ce qui dépend peut-être de ce quelle shock subi par la moelle
est plus grand quand il s'agit d'une lésion bilatérale que lorsqu'on a
affaire à une lésion unilatérale. C'est une disposition contraire de celle
qu'on observe, comme nous l'avons dit, à une période plus avancée des
RÉFLEXES DE DÉFENSE 1/13
lésions cérébrales et spinales. Dans les affections spinales occupant un
seul côté, la réflectivité se comporte peut-être comme dans l'hémiplégie
cérébrale. J'ai rapporté un cas d'hémiplégie spinale avec anesthésie
croisée due à une hémisection traumatique de la moelle, à la partie
moyenne de la région dorsale, et dans lequel 15 heures après l'accident,
le côté paralysé présentait de la flaccidité, de l'irréflectivité tendineuse
en même temps que le phénomène des orteils.
Je dois poursuivre l'étude des sections spinales dans leurs relations
avec les réflexes cutanés, les réflexes de défense, me rapportant surtout
aux travaux de MM. Head et Riddoch qui ont cherché à établir le parti
qu'on pourrait tirer de l'état des réflexes de défense au point de vue du
diagnostic différentiel entre les sections complètes et les sections incom-
plètes de la moelle. Je me permettrai toutefois de soumettre à la critique
quelques-unes des idées que ces auteurs ont énoncées.
Auparavant, je dois compléter ce que j'ai dit sur les réactions obtenues
par l'excitation du membre inférieur, m'étant borné d'abord, afin de ne
pas compliquer mon sujet, à décrire celles qui se produisent dans le
membre excité. Or, l'excitation d'un des membres inférieurs peut déter-
miner aussi des mouvement réflexes dans l'autre membre, que j'ai seu-
lement notés jusqu'à présent d'une manière incidente. Je ne puis mieux
faire pour vous en donner une idée que de citer un passage du travail de
MM. Marie et Foix('). Les observations qu'ils ont faites servent de base à
leur conception du mécanisme de ce qu'ils appellent « les réflexes d'auto-
matisme médullaire. »
« Nous allons voir maintenant, écrivent-ils, qu'il peut exister chez
l'homme, dans quelques cas seulement il est vrai, un réflexe d'extension
croisée analogue au « crossed extension reflex » de Philipson.
« Pour l'observer, il faut choisir un malade très spasmodique, non pas,
comme nous l'avons dit, un malade atteint de paraplégie spasmodique
syphilitique, mais d'une paraplégie par compression, telle que celle du
Mal de Pott. Nous l'avons rencontrée, en outre, de la façon la plus indis-
cutable, au cours de la sclérose en plaques à forme spasmodique et de la
syringomyélie.
« Voici comment il faut procéder chez l'homme : on place tout d'abord
les membres inférieurs en flexion légère, puis par la flexion forcée des
orteils on provoque d'un seul côté le phénomène des raccourcisseurs.
L'excitation doit, pour déterminer le réflexe croisé, être forte, progressive
et prolongée ; aussi est-il préférable de choisir des malades présentant des
troubles de la sensibilité, de manière à éviter les phénomènes douloureux.
« Dans ces conditions, on voit se produire en un premier temps la
flexion du membre excité, puis, l'excitation persistant toujours, se pro-
duit en un deuxième temps qui suit plus ou moins vite le premier, se
confondant souvent partiellement avec lui, l'extension du membre croisé.
(') Revue Neurologique, 1912. t. \\III, h. 668.
c44 z4 SÉMIOLOGIE
L'ensemble reproduit, on le voit, de la la(,-on la plus typique le « crossed
extension reflex » de Philipson. »
Nous sommes maintenant en mesure d'indiquer les caractères em-
pruntés à l'état des réflexes de défense et qui permettent, d'après Head et
Riddoch, d'affirmer que la section de la moelle est soit incomplète, soit
complète.
Voici les caractères qui dénoteraient une section incomplète : .'
a) Présence du « crossed reflex ».
Dans les sections totales, il n'y aurait pas de véritables réflexes croisés :
dans 6 cas sur les 8 cas observés, la flexion réflexe du côté excité s'associe
à une flexion du côté opposé; on peut bien observer parfois de ce côté
une contraction du quadriceps et des muscles du mollet, mais sans
déplacement du membre.
La proposition de Riddoch constitue non une loi, mais une règle souf-
frant des exceptions si l'on s'en réfère à une observation de Lhermitte(')
et dont voici le résumé : « Syndrome de section totale de la moelle dor-
sale moyenne. Phase de shock durant 1 mois et demi. Réapparition des
réflexes tendineux; extension du gros orteil; mouvements automatiques
spontanés extrêmement intenses, mouvements de défense très vifs,
mictions réflexes et spontanées, érections fréquentes : hypersudation dans
le segment inférieur du corps ». Or, à la page 62, on lit ceci : « Le blessé
étant dans le décubitus latéral gauche, on excite la face postérieure de la
cuisse droite : le membre inférieur droit se fléchit, le gros orteil s'étend ;
du côté opposé, le membre inférieur s'allonge, le pied s'étend et les orteils
se fléchissent (réflexes d'extension croisée). »
b) Présence des réflexes en extension, qui ne s'observeraient que quand
il y a persistance de l'influence des centres supérieurs. Dans la section
complète, l'extension se produirait exclusivement par relâchement des
fléchisseurs.
Un passage de l'observation précédente de Lhermitte semble montrer
qu'il n'en est pas toujours ainsi. A la page 63, où il est fait mention de
l'état des réflexes 52 jours après l'examen précédent, nous trouvons ceci :
« Les mouvements de défense sont toujours très accusés. Le pincement
de la peau de la face antérieure de la cuisse détermine l'extension de la
jambe et la contraction tonique du quadriceps ; quelquefois, le mou-
vement s'étend au membre opposé. »
, c) Présence de ce que les auteurs anglais appellent « local sign » et qui
consiste en ce que les réactions seraient différentes suivant les points
excités. Si, par exemple, l'excitation de la plante du pied, selon qu'elle
porte sur sa partie externe ou sa partie interne provoque, outre la triple
flexion, une abduction ou une adduction du pied, on pourrait affirmer
que la section est incomplète.
D'après Riddoch, si je l'ai bien compris, dans la section incomplète,
la zone réflexogène du réflexe en flexion ne dépasserait pas le genou.
(') Sur la section totale de la moelle, 1919 C\laloine, éditeur), p. 09.
RÉFLEXES DE DÉFENSE </)5 5
Cette opinion me semble en contradiction avec certains faits. Vous verrez
sur un des films une malade atteinte de paraplégie incomplète ; elle peut
mouvoir volontairement ses membres inférieurs et cependant l'excitation
de l'abdomen avec un tube de glace provoque une flexion comme l'exci-
tation du pied.
Par contre, on pourrait considérer, d'après MM. Head et Riddoch,
comme caractéristique d'une section totale, d'une libération complète de
la moelle, ce qu'ils appellent « Massreflex », c'est-à-dire réflexes de défense
toujours en flexion avec mictions réflexes et forte sudation dans le seg-
ment inférieur du corps.
J'ai eu l'occasion de décrire moi-même les troubles vésicaux en ques-
tion dans mon travail déjà cité. Voici le passage qui s'y rapporte :
« Les grands mouvements des membres, qui s'imposent surtout à
l'attention, furent seuls étudiés au début, mais un examen minutieux
montre que d'autres groupes musculaires peuvent entrer en jeu, comme
cela résulte des recherches faites par mon élève Barré. La contraction des
muscles de la paroi abdominale provoque un retrait de l'abdomen ; celle
des muscles de la paroi thoracique produit des spasmes respiratoires
brusques. Ces divers mouvements se font généralement en même temps
que ceux des membres ou les suivent à très court intervalle. Enfin, les
muscles profonds du tronc, ceux qui sont en partie volontaires, comme le
diaphragme, ou ceux qui sont spécialement adaptés à la vie végétative,
comme les muscles intestinaux et les muscles vésicaux, peuvent égale-
ment entrer en contraction en même temps que les muscles des membres;
les malades ont parfois alors des débâcles gazeuses ou des mictions
involontaires qui témoignent de la mise en activité de certains de leurs
muscles lisses. »
Y a-t-il là des éléments de différenciation ?
Ce que je puis dire, c'est que nous avons suivi très longtemps, Jarkowski
et moi, un sujet atteint d'une paraplégie liée à des lésions spécifiques,
paraplégie très grave, mais dans laquelle les mouvements volontaires
n'étaient pas complètement abolis; la moelle n'était donc pas entièrement
libérée des centres supérieurs; or, chez ce malade, bien souvent, des
excitations diverses déterminaient en même temps que des réflexes de
défense, des mictions involontaires et l'évacuation de matières fécales.
Avant de terminer ce chapitre, je ferai remarquer que l'on a très
rarement l'occasion d'observer des cas avérés de section totale de la
moelle. Ce sont les blessures de guerre qui ont fourni le matériel d'études.
Sans elle, la prétendue loi de Bastian ne serait pas encore abrogée. Mais
avouez que les acquisitions neurologiques nouvelles sont une bien faible
compensation des misères déchaînées par la catastrophe mondiale.
Quelques mots sur les mouvements réflexes des membres supérieurs.
Claude, dans un travail : « Sur certains phénomènes d'hyperkinésie
ŸAIt1\AI. I O
r{¡6 SÉMIOLOGIE
réflexe(') » a décrit dans l'hémiplégie cérébrale des réactions motrices
réflexes et a eu surtout en vue celles du membre supérieur.
J'ai mentionné des réflexes de défense du membre supérieur dans mon
article de i()'5. « Ils consistent également, disais-je, en mouvements de
retrait ou d'allongement, souvent combinés à de la pronation de l'avant-
bras et de l'adduction du bras. Ces mouvements peuvent présenter des
modalités diverses comme les réflexes du membre inférieur, mais ils sont
plus souvent que ceux-ci localisés à un seul côté. »
MM. Georges Riddoch et Farquhar Buzzard ont fait une étude appro-
fondie de ces réactions motrices dans un travail dont j'ai donné déjà
l'indication bibliographique et sur lequel le manque de temps m'empêche
d'insister.
Comment se comportent les réflexes de défense pendant le sommeil
artificiel ? Cela dépend sans doute de l'agent anesthésiant dont on fait
usage. On sait que l'éther agit autrement sur les réflexes tendineux que
le chloroforme. Je ne puis entrer dans les détails de cette question; je
me contenterai de livrer comme document l'observation suivante recueillie
avec un soin minutieux :
Compression de la moelle de D : 1 à DG (il s'agit du sujet que vous verrez
sur un des films et chez lequel le niveau inférieur de la compression
correspondait à la limite supérieure des réflexes de défense) : Paraplégie
incomplète avec contracture en extension d'intensité moyenne. Hypoes-
thésie jusqu'à 1-) ? Réflexes rotuliens forts, trépidation épileptoïde du
pied. Signe des orteils et flexion réflexe du pied très caractérisés. La
malade reçoit une heure avant l'opération, en injection sous-cutanée,
un centigramme de chlorhydrate de morphine et un milligramme de
bromhydrate de scopolamine. Elle est ensuite endormie à l'éther avec
l'appareil d'Ombredanne. L'état des réflexes tendineux et des réflexes de
défense reste semblable à ce qu'il était précédemment à un moment où
l'anesthésie, semblant complète, se traduit par l'abolition du réflexe
cornéen, l'abolition presque complète des réflexes pupillaires, l'insen-
sibilité au pincement avec une pince et à l'incision pratiquée pour l'inter-
vention. Pendant 20 minutes, jusqu'au moment de l'ouverture du canal
rachidien, la malade étant plongée dans un sommeil profond, les réflexes
tendineux et les réflexes cutanés, examinés de 2 minutes en 2 minutes,
ne subissent pas de modification appréciable. Je note seulement que la
flexion réflexe du pied obtenue par le pincement de la peau de la jambe
est particulièrement lente : le pied, après s'être fléchi, ne revient à sa
position de départ qu'au bout de 5 à io secondes. La contracture s'atténue
progressivement.
Peu de temps après l'ouverture du canal rachidien et excision d'un
tissu néoplasique un peu adhérent à la dure-mère, un nouvel examen des
(') Encéphale, 1910, p. 287.
RÉFLEXES DE DÉFENSE 147
réflexes est fait, 4 ou 5 minutes après le précédent. Cette fois, transfor-
mation complète : tous les réflexes sont abolis. La pression artérielle qui
avait été prise plusieurs fois depuis le début de l'opération et qu'on
explore de nouveau à ce moment ne s'est pas modifiée (16 avec la méthode
des oscillations). Mais très peu de temps après, la pression systolique,
recherchée de nouveau, n'est plus que de 5. A noter que la température
rectale mesurée à ce moment est de 3SA,2 alors qu'elle était de 37°,4, au
début. Quant à la rigidité musculaire, elle a complètement disparu.
En présence de cet état de shock, on met fin à l'opération. Une heure
après, les réflexes rotuliens ont reparu, mais ils sont faibles; les réflexes
achilléens restent abolis; le pincement de la peau de la face dorsale du
pied ne provoque aucun mouvement; l'excitation de la plante du pied
détermine une forte extension du gros orteil, la triple flexion du pied, de
la jambe et de la cuisse, et une contraction du tenseur du fascia lata. Le
lendemain de l'opération le pincement du dos du pied déterminait
l'extension des orteils et la flexion réflexe du pied.
Je vais actuellement étudier les réflexes de défense dans leurs rapports
avec les troubles moteurs, la paraplégie spasmodique, la contracture.
Mes observations m'ont conduit à assigner à chacune de ces deux formes
de paraplégie, celle en extension et celle en flexion, des caractères
cliniques distinctifs, au milieu desquels les réflexes de défense occupent
une place importante. Pour donner un aperçu exact des idées que j'ai
exposées sur ce sujet, je pense que le mieux est d'extraire d'un travail
que j'ai publié en 1912 dans le Bulletin Médical sur les Réflexes tendineux
et les Réflexes osseux, les passages suivants :
« Je dois m'occuper, en y insistant, d'une variété de contracture sur
laquelle j'ai appelé l'attention et qui, étant donné le but que nous visons,
mérite d'être décrite. On l'observe surtout aux membres inférieurs et
elle est un des éléments constitutifs d'une espèce de paraplégie dont on
saisira mieux l'aspect en la rapprochant de la paraplégie spastique d'Erb.
Celle-ci, nous le rappelons, se caractérise par les phénomènes suivants :
a) rigidité musculaire, en extension, stable ; b) simple parésie, c'est-à-
dire affaiblissement peu prononcé de la motricité volontaire ; c) exagé-
ration notable des réflexes tendineux avec trépidation épileptoïde du
pied, et parfois danse de la rotule; d) réflexes de défense légèrement
exagérés ou à peu près normaux; e) signe des orteils.
« Voici maintenant les caractères de la paraplégie que nous avons en
vue : a) rigidité musculaire en flexion, qui au début cesse par moments
d'une manière complète ou presque complète, mais qui plus tard devient
stable; cependant cette stabilité n'atteint guère le même degré que dans
la forme précédente ; elle est sujette à des variations fréquentes qui résul-
tent des contractions involontaires des muscles des membres inférieurs;
ces contractions sont habituellement lentes; elles donnent lieu à des
j48 SÉMIOLOGIE
mouvements alternatifs de flexion et d'extension avec prédominance
d'action des fléchisseurs ; b) motricité volontaire profondément troublée ;
il peut y avoir paralysie complète ; c) réflexes tendineux parfois exagérés,
mais pouvant être normaux, affaiblis ou même abolis; d) réflexes de
défense toujours très forts; e) dans la grande majorité des cas, signe des
orteils. Ajoutons que la rigidité en flexion, quand elle est devenue stable,
se complique presque inévitablement de rétractions fibro-tendineuses.
« Je ne m'étendrai pas sur les lésions qui déterminent cette forme de
paraplégie ; qu'il me suffise de dire qu'il s'agit généralement, soit d'alté-
rations scléreuses diffuses de la moelle, soit d'une compression spinale
par une tumeur intra-rachidienne, ou par une pachyméningite ; en outre,
dans les cas de ce genre, quand ils sont très caractérisés, la dégénération
secondaire des faisceaux pyramidaux fait défaut ou bien est très légère ;
c'est du moins ce qui semble ressortir des observations anatomo-cliniques
recueillies jusqu'à ce jour.
« Je reviens à la clinique. La rigidité musculaire de cette forme de para-
plégie constitue bien une contracture ; elle est, en effet, pathologique,
due à un mode de l'activité musculaire, et elle est stable, au moins à une
période de son évolution. Mais, comme nous venons de le voir, cette
stabilité est moindre que celle de la contracture de la paraplégie spastique
d'Erb ; elle est entrecoupée en partie de contractions involontaires lentes
constituant de véritables mouvements spasmodiques, et, à la phase de
début, les troubles méritent moins d'être rangés dans la catégorie des
contractures que dans celle des spasmes. Il en résulte que l'épithète de
« spasmodique » conviendrait bien plus à cette variété de paraplégie qu'au
syndrome dénommé « tabes dorsal spasmodique ».
« La contracture dont nous nous occupons a pour substratum anato-
mique, comme nous venons de le voir, des lésions du système nerveux
central ; ces lésions intéressent la voie pyramidale dont la perturbation
se manifeste pendant la vie par le signe des orteils et par l'exagération
des réflexes de défense.
« Me voici maintenant en mesure de répondre à la question que j'ai
posée après avoir montré que la contracture vulgaire, liée à une altération
de la voie pyramidale, a des relations étroites avec la surréflectivité ten-
dineuse. Je peux affirmer qu'il existe aussi une contracture différente,
il est vrai, de la précédente par sa forme déterminée par des lésions
nerveuses centrales atteignant les faisceaux pyramidaux, et pourtant
absolument indépendante de la surréflectivité tendineuse. En effet, chez
les malades qui la présentent, les réflexes tendineux ne sont pas toujours
exagérés, tant s'en faut ; ils sont souvent, soit normaux, soit affaiblis,
soit même abolis. Les réflexes de défense, au contraire, sont non seu-
lement toujours présents. mais ils atteignent une très grande intensité.
« Mes observations ont été confirmées sur tous les points par plusieurs
neurologistes.
« Cette forme de contracture, surtout commune aux membres inférieurs,
peut atteindre en même temps les membres supérieurs, où elle offre les
RÉFLEXES DE DÉFENSE 14g
mômes caractères : rigidité avec mouvements spasmodiques, affai-
blissement ou abolition possible des réflexes osso-tendineux, réflexes
de défense très forts.
« Qu'on la considère aux membres inférieurs ou aux membres supé-
rieurs, ce qui frappe surtout, ce sont ses liens intimes avec les réflexes
cutanés de défense dont elle parait dépendre, comme la forme habituelle
de la contracture dépend de la surréflectivité tendineuse. Pour mettre
ces traits en évidence et pour donner à chacune de ces formes de contrac-
tures qui peuvent s'associer une dénomination qui la distingue,
j'ai proposé d'appliquer à l'une le qualificatif de tendin.o ? é flexe et celui
de cutanéo-réflexe à l'autre. »
A côté des formes types, il y a des formes qu'on pourrait appeler inter-
médiaires où l'on trouve les principaux caractères de la contracture
cutanéo-réflexe (motricité volontaire très troublée, réflexes de défense très
forts), bien que les membres inférieurs gardent d'habitude une attitude
en extension. Précédemment, j'en ai montré un bel exemple en vous
relatant l'Observation d'une paraplégie due à une compression par
tumeur, et guérie à la suite de l'intervention chirurgicale. Cette dernière
forme comporte un pronostic moins sévère que la paraplégie spasmodique
en flexion, laquelle correspond à un stade plus avancé de l'affection.
En France, ma manière de voir a été généralement acceptée, et dans
un article récent M. Foix (') écrit ceci :
« Contracture d'automatisme médullaire. C'est à mon maître Brissaud,
dont la mort prématurée fut un deuil pour la neurologie française, que
revient l'honneur d'avoir étudié en premier les contractures en flexion ;
mais c'est M. Babinski qui le premier en a établi toute l'importance en
montrant qu'elles avaient une sémiologie, une signification pathologique
complètement différentes des contractures en extension.
« C'est en effet au sujet des paraplégies en flexion que M. Babinski a
établi une distinction entre les contractures tendino et cutanéo-réflexes
qui marque une date dans l'histoire des contractures.
« Nous ne chicanerons pas ici M. Babinski sur le mot plus ou moins
heureusement choisi de cutanéo-réflexe. Il est évident que cette contracture
n'a rien de cutané, puisque les réflexes qui la caractérisent peuvent être
aussi bien provoqués par l'excitation de la sensibilité profonde que par
celle de la sensibilité superficielle. Il n'en est pas moins vrai que la
contracture en extension est avant tout caractérisée par l'exagération des
réflexes tendineux et la faible intensité des réflexes d'automatisme appelés
encore de défense. Tandis que la contracture en flexion est caractérisée
non seulement par l'exagération considérable des réflexes d'automatisme,
mais encore par la diminution ou l'abolition des réflexes tendineux.
« A cette différence de sémiologie répondent des différences profondes
d'étiologie, de pronostic, de signification physiologique.
(1) Questions de Neurologie d'Actualité. basson et Cie, éditeurs, 1922 p. 38g-3gg.
15o SÉMIOLOGIE
« Voici une malade qui présente précisément cette contracture en
flexion. Considérons-la un instant. Nous voyons d'abord quelle est son
attitude. Ses jambes sent ramassées vers elle. Examinons-la de plus près.
C'est une attitude de raccourcissement. Et ce raccourcissement comporte
le triple retrait segmentaire que nous avons déjà deux fois rencontré :
flexion du pied sur la jambe, de la jambe sur la cuisse, de la cuisse sur
le bassin.
« Poursuivons plus loin notre étude. Les réflexes rotuliens sont faibles,
il n'y a pas de clonus du pied. Par contre, ses réflexes d'automatisme sont
très faciles à provoquer : voici le phénomène des raccourcisseurs, une
ébauche de réflexe d'allongement, un réflexe partiel d'allongement croisé.
C'est bien la dissociation décrite par M. Babinski.
« Comment peut-on interpréter cette sémiologie, d'abord, cette attitude
ensuite ?
« En ce qui concerne les réflexes d'automatisme, leur intensité implique
une libération de la moelle inférieure. C'est là un fait qui n'est pas sans
importance, car il indique en général des lésions plus profondes que celles
qui s'accompagnent de contractures en extension. On voit assez souvent
la contracture en flexion se substituer à la contracture en extension.
Pendant quelque temps alors, il y a lutte entre les deux tendances et les
deux réflectivités. Toujours la victoire de la flexion implique une aggra-
vation de l'état du malade.
« Y a-t-il seulement libération de la moelle ? N'y a-t-il pas en outre irri-
tation, exaltation de l'automatisme médullaire ? C'est une chose que, pour
ma part, je crois, mais il est difficile d'en donner la preuve...
« Quant à la contracture en flexion elle-même, son aspect indique quelle
en est la pathogénie. Elle n'est autre chose, en effet, qu'un phénomène
des raccourcisseurs fixé. » .
Sauf ma remarque sur le terme cutanéo-réflexe, M. Foix est à peu près
d'accord avec moi. Je ne trouve pas, soit dit en passant, que son objection
soit juste ; peu importe que les réactions motrices puissent être obtenues
aussi par l'excitation des parties profondes ; il suffit que l'excitation de la
peau seule puisse y donner naissance pour qu'on ait le droit de dire
qu'elles sont cutanées. Mais c'est là un point tout à fait secondaire. Pour
le fond de la question, M. Foix confirme mes observations.
Au contraire, les neurologistes anglais, en particulier MM. Walshe et
Riddoch, expriment des critiques qui sont peut-être, au moins en partie,
la conséquence de malentendus. Si je saisis bien ce qu'il y a de principal
dans les idées de M. Walshe sur les réflexes d'extension et de flexion,
voici en quoi elles consistent :
Les extenseurs et les fléchisseurs forment deux groupes soumis chacun
à une forme spécifique d'activité réflexe ; elle est tonique dans l'un,
clonique, phasique dans l'autre. Le centre de cette activité a pour siège
unique les noyaux spinaux, en ce qui concerne les fléchisseurs; l'activité
des extenseurs nécessite, pour se maintenir, la mise en jeu d'un autre
RÉFLEXES DE DÉFENSE 1,51
appareil réflexe dont le centre occupe le mésocéphale, les noyaux para-
cérébelleux probablement (centre des réflexes de posture). Une lésion
cantonnée dans le faisceau pyramidal exalte à la fois l'activité réflexe
des extenseurs et celle des fléchisseurs et donne lieu à une paraplégie en
extension. Une lésion siégeant au-dessus du mésocéphale ne produirait
jamais une paraplégie en flexion. - Au contraire, une lésion de la voie
pyramidale associée à une lésion occupant une des parties de l'arc réflexe
ayant pour centre les noyaux paracérébelleux détermine une paraplégie
spasmodique en flexion ; en eflet, l'activité réflexe des fléchisseurs n'est
pas affectée par l'interruption de cette voie puisque cette activité est d'ori-
gine uniquement spinale ; elle est même augmentée n'étant plus freinée
par une force antagoniste. De pareilles altérations donneraient lieu à une
exagération des réflexes s'opérant toujours en flexion ; l'extension,
quand elle s'observe, n'étant qu'un effet du relâchement des fléchisseurs,
ou étant un allongement croisé, toujours secondaire, jamais primitive.
Les réflexes de défense sont d'autant plus forts (période de shock mise à
part) que la séparation entre les centres spinaux et les centres mésocé-
phaliques est plus grande, que la libération de la moelle est plus complète.
Mais, pour qu'il se développe de la contracture, il faut que les muscles
aient un certain degré de tonicité que n'atteignent pas, même après la
période de shock, les muscles dans les cas de paraplégie consécutive à
une section totale de la moelle la contracture implique la persistance de
quelques connexions entre l'encéphale et la moelle.
A certains points de vue, cette conception pathogénique cadre avec la
description clinique que j'ai faite antérieurement de la paraplégie en
extension et de la paraplégie en flexion.
Mettons en regard les caractères symptomatiques tracés par moi de ces
deux types de paraplégie et les données physio-pathologiques énoncées
par les auteurs anglais.
Paraplégie spasmodique en extension. - -
RÉFLEXES DE DÉFENSE 153
n'existait pas chez notre malade de lésions mésocéphaliques, mais sim-
plement une double lésion cérébrale. La suppression de l'influence des
centres mésocéphaliques n'est donc pas indispensable pour que se pro-
duise l'automatisme médullaire et la paraplégie en flexion. Il n'est pas
nécessaire non plus qu'il y ait lésion irritative comme dans le cas déjà
signalé de M. Babinski (Paraplégie en flexion par compression mésocé-
phalique) ; une simple lésion destructive suffit, en supprimant l'influence
cérébrale. »
A ce sujet, je rappellerai que dans mon travail de igi 1 sur la Paraplégie
spasmodique avec contracture en flexion, j'écrivais ceci, p. 135 : « Des
lésions bilatérales de l'encéphale semblent pouvoir donner naissance à
un syndrome analogue. »
Il faut s'attendre à la publication de nouvelles observations et à de
nouvelles discussions. Le dernier mot sur cette question ne parait pas
avoir été dit.
Dans une communication intitulée : « De la surréflectivité hyperalgé-
sique » ('), nous avons relaté, Jarkowski et moi, trois Observations de
Syndrome de Brown-Séquard, dans lesquelles nous avons été frappés
par la présence d'un même phénomène dont voici les traits essentiels :
une excitation telle que le pincement de la peau du côté de la lésion, où
il y a de l'hyperalgésie, sans être suivie d'aucune manifestation de ce côté,
donne lieu du côté opposé à une réaction motrice brusque, en même temps
qu'elle détermine des grimaces et une inspiration bruyante (phénomènes
analogues aux « pseudaffective réflexes » observés par Sherrington chez
les animaux décérébrés).
Dans un travail ultérieur, « Automatisme et hyperalgésie dans l'hémi-
plégie cérébrale » (2), nous avons relaté les faits suivants : chez certains
hémiplégiques présentant de l'hyperalgésie, l'excitation des téguments
du membre inférieur est suivie d'une réaction motrice du membre supé-
rieur du côté sain, différente suivant qu'on excite le côté sain ou le côté
malade. Dans le premier cas, la main se porte sur le point excité comme
pour le protéger. Dans le deuxième, le membre supérieur se soulève, la
main se porte sur Ja tête et vient s'appliquer soit à sa partie antérieure, soit
à sa partie postérieure. Dans certains cas, nous avons été frappés par la
constance avec laquelle ces réactions se produisaient. On pouvait à
volonté, en pinçant alternativement les deux côtés, faire exécuter à la
main saine des mouvements en sens inverse : la main était-elle appliquée
sur la tête à la suite du pincement du côté malade, on obtenait son dépla-
cement vers le membre inférieur du côté sain en pinçant la jambe saine ;
et si alors on pinçait la jambe du côté malade, le bras s'élevait de nouveau
et la main se portait sur la tête.
z> Revue Neurologique, mai ig2. : : (2) fievue Neurologique, 3 mars I ! P, p. 3oo.
1554 ' SÉMIOLOGIE
Ces réactions motrices diffèrent cliniquement de celles que nous avons
étudiées dans notre Conférence. Nous les rapprochons des réflexes de dé-
fense, mais nous les en distinguons. Les unes et les autres peuvent d'ail-
leurs être associées.
Nous pensons que les réactions observées chez les malades qui font
l'objet de notre travail sur la réflectivité hyperalgésique sont des réflexes
ayant leur centre dans l'encéphale.
Quant aux mouvements de la main vers la tête constatés chez les hémi-
plégiques dans notre note sur l'automatisme et l'hyperalgésie, nous sommes
portés à croire qu'il s'agit là d'un acte automatique déclenché par la sen-
sation spéciale qui résulte de l'hyperalgésie, sensation nouvelle, non encore
éprouvée, insolite et occasionnant ainsi une surprise, un état d'anxiété
que traduit la physionomie du malade, bien que sa conscience puisse être
considérablement amoindrie.
Nous avons cru devoir signaler ces phénomènes dont on trouvera la
description détaillée dans nos publications. Mais nous n'y insisterons pas
davantage faute de temps et parce que, en le faisant, nous sortirions des
limites de notre programme.
Je me suis proposé de traiter dans cette Conférence la question des
réflexes de défense surtout en clinicien, en neurologiste. Je ne crois pas
cependant pouvoir la terminer sans vous dire quelques mots du méca-
nisme de ces réflexes dont il a été déjà question, du reste.
Vous avez vu que MM. Marie et Foix ont insisté sur la présence des
réflexes d'extension croisée observés par eux chez certains sujets atteints
de lésions de la voie pyramidale. Les rapprochant du « crossed extension
reflex » de Philipson, ils arrivent à cette conclusion que les mouvements
réflexes dits de défense sont des mouvements du même ordre que les
mouvements du a stepping reflex » et constituent des manifestations de
l'automatisme spinal de la marche. Les neurologistes anglais contestent
l'exactitude de cette conception ; ils soutiennent que chez l'homme, dans
les sections totales de la moelle, les excitations nociceptives d'un côté,
quand elles provoquent l'activité des extenseurs du côté opposé, ne donnent
lieu qu'à des contractions légères sans déplacement des divers segments
du membre, et que les mouvements alternatifs rythmés qu'on observe
chez le chien spinal font ici défaut.
M. Foix, dans une publication récente à laquelle j'ai déjà fait des
emprunts, semble faire quelques concessions tout en conservant en grande
partie son opinion première. « Il est possible, dit-il, que l'automatisme de
défense entre pour une part dans la pathogénie de ces réflexes, mais,
pour la majeure part, ils se rattachent à l'une des fonctions essentielles
de la moelle, c'est-à-dire à l'automatisme de la marche. »
J'ai cherché précédemment à faire ressortir la distinction capitale
qu'établissent les auteurs anglais entre le groupe des fléchisseurs et celui
RÉFLEXES DE DEFENSE 155
des extenseurs soumis chacun à une forme spécifique d'activité réflexe :
les réflexes d'extension seraient des réflexes de posture ; les réflexes de
flexion seraient des réflexes cloniques, phasiques. C'est dans le groupe de
ces derniers réflexes que rentrent pour la plus grande part ce qu'on
appelle les réflexes de défense.
La conception fondamentale des neurologistes anglais, issue des idées
de Jackson, de Sherrington, est que ces réflexes de flexion tels qu'on les
observe à l'état pathologique traduisent la libération de la moelle par
rapport aux centres supérieurs.
Les faits observés cadrent fort bien pour la plupart avec cette concep-
tion. Toutefois, sans en contester la justesse, on peut se demander si,
dans la genèse des phénomènes en question, l'élément « irritation » ne
peut pas jouer aussi un certain rôle. '
C'est une idée que M. Foix tend à admettre, comme on l'a vu précé-
demment.
Ce fait que les réflexes de défense m'avaient paru dès mes premières
observations particulièrement intenses dans les cas de compression de la
moelle et de sclérose spinale sans dégénération secondaire m'avait déjà
conduit autrefois à cette même idée.
A l'appui de cette manière de voir, on peut invoquer encore d'autres
faits sur lesquels nous avons déjà insisté. On peut observer parfois,
nous le rappelons des sujets atteints de lésions spinales qui, après
avoir présenté une paraplégie plus ou moins marquée, paraissent complè-
tement rétablis : la motricité est redevenue normale, la sensibilité est
intacte, il n'y a pas de perturbation des sphincters, et cependant il y a
persistance très nette du signe des orteils et de la flexion réflexe du pied.
Sauf ces derniers phénomènes, le fonctionnement du système nerveux
semble absolument normal. Est-il permis de soutenir en pareil cas qu'il
y a libération de la moelle ? Ce ne serait alors qu'une libération relative
aux réflexes de défense. L'état pathologique de ces réflexes ne se
comprendrait-il pas mieux dans des cas de ce genre, si l'on admettait
qu'il est sous la dépendance de l'irritation des centres nerveux produite
par le reliquat de la lésion ?
Considérant maintenant la question d'un autre point de vue, je sou-
mettrai quelques idées à vos réflexions.
Au début de cette conférence, j'ai tracé un parallèle entre les réactions
motrices consécutives aux excitations périphériques, suivant qu'elles
sont pathologiques ou physiologiques. Il résulte de ce que j'ai dit que les
premières peuvent être considérées comme l'exagération des secondes,
ou plutôt les secondes comme la réduction des premières : de part et d'autre,
en effet, on observe le phénomène de la triple flexion avec contraction
du tenseur du fascia lata ; mais ce qu'il y a de spécial aux réactions
physiologiques, c'est qu'on ne les obtient que par l'excitation de la zone
plantaire et que les mouvements sont plus rapides et moins amples. A
l'état pathologique, la triple flexion (seule mode de réaction que j'envisage
r : ï6 ,)6 SÉMIOLOGIE
ici) semble bien pouvoir être interprétée comme un retour à un état
ancestral : la partie excitée fuit l'objet vulnérant (retrait du membre,
raccourcissement) et une excitation peut déterminer, loin du point où
elle a eu lieu, un mouvement de fuite ; c'est ainsi que la triple flexion
peut être provoquée par excitation de l'abdomen ou du thorax. A l'état
physiologique, ces réactions ancestrales se sont maintenues, mais ont
subi des modifications importantes. Comment le comprendre ? On pourrait
dire que lorsque les centres supérieurs ont asservi les centres infé-
rieurs, ceux qui correspondaient aux centres spinaux, ils ont inhibé les
réactions susceptibles d'être nuisibles à l'individu et ont laissé subsister,
en les adaptant à ses besoins, celles qui sont capables de lui servir. Or,
il est évident que la triple flexion consécutive à une excitation de la jambe,
de la cuisse ou de l'abdomen ne pourrait avoir que des inconvénients ;
cette réaction a donc été supprimée. Que sous l'influence d'une irritation
nocive de la plante du pied continuellement en contact avec le sol, la triple
flexion s'opère, même indépendamment de la volonté, cela ne peut être
qu'utile ; cette réaction a donc été conservée. Mais il y a intérêt aussi, au
point de vue de la marche, à ce que la réaction ne soit pas de longue durée;
aussi la décontraction est-elle devenue rapide au lieu de rester lente. On
saisit ainsi les raisons pour lesquelles, à l'état physiologique, les réactions
motrices qui me paraissent ressortir aux réflexes de défense s'effectuent
avec rapidité et ne se produisent que lorsque les excitations portent sur
la région plantaire.
Il me semble intéressant de rappeler à ce propos que dans les sections
totales de la moelle, après la période de shock, lorsque les réflexes cutanés
reparaissent, la région plantaire est seule réflexogène pendant un certain
temps.
Comparons maintenant le réflexe des orteils aux réflexes précédents..
Si à l'état pathologique la réaction habituelle des orteils, l'extension,
peut être rapprochée, en ce qui concerne son mécanisme, de la triple
flexion, à l'état physiologique le mouvement des orteils, la flexion, semble
avoir une autre signification que la triple flexion du pied, de la jambe et
de la cuisse. M. Riddoch fait observer que la flexion réflexe des orteils
fait partie du stepping réflexe et qu'elle accompagne l'extension de la
cuisse, de la jambe et du pied. Mais il est à remarquer qu'à l'état physiolo-
gique chez l'homme, l'excitation de la plante du pied, qui provoque la
flexion des orteils, détermine du même côté la triple flexion du membre
inférieur, et il en résulte une quadruple flexion. Cette flexion des orteils ne
serait-elle pas aussi le témoin d'une réaction ancestrale, ayant apparu
toutefois à une période du développement plus avancée que les réflexes de
défense dont il a été précédemment question, période où les orteils
servaient de griffe ? Cette réaction avait aussi en partie la protection pour
but, mais c'était un mode de protection différent de celui qui est réalisé
par les réflexes de défense primitifs ; il ne s'agit plus d'une fuite localisée,
d'une retraite en face d'une offensive ; ce mouvement de griffe vis-à-vis
d'une agression constitue une contre-offensive, mode de protection d'un
RÉFLEXES DE DÉFENSE 107
ordre plus élevé ; on conçoit du reste fort bien qu'un animal cherchant à
se défendre combine l'attaque avec la fuite. On saisirait ainsi la quadruple
flexion à l'état physiologique : la flexion de la cuisse, de la jambe et du pied
ressortissant aux réflexes de défense primitifs, la flexion des orteils étant
l'expression atavique d'un réflexe de préhension.
Cette conception permettrait de comprendre pourquoi l'extension des
orteils n'est pas toujours associée à la triple flexion : suivant que dans le
domaine des orteils, le réflexe de fuite l'emportera, ce qui est la règle à
l'état pathologique, sur ce que nous appelons le réflexe de préhension ou
bien sera dominé par lui, on obtiendra l'extension ou la flexion des
orteils.
Je rappellerai à ce propos que M. Van Woerlcom, dans le travail cité plus
haut, fait ressortir que « le gros orteil est construit dans certains stades de
la vie intra-utérine pour remplir une fonction de préhension ». Cet état qui,
chez les autres primates est perpétuel, est passager chez l'homme.
Est-il nécessaire d'ajouter qu'il s'agit là, pour une grande part, d'hypo-
thèses ? ..
Dès le début de mes recherches sur le phénomène des orteils, j'avais eu
l'occasion de le constater chez des nourrissons et il m'avait semblé qu'il
persistait approximativement jusqu'à la période où l'enfant commence à
marcher, ce qui s'explique quand on se rappelle quel est l'état du système
pyramidal à cette époque de la vie ; on peut dire que l'enfant est atteint
d'une paraplégie - curable - comme on peut dire aussi que chez lui la
moelle n'est pas encore sous la domination de l'encéphale.
D'après Léri, à la naissance, l'extension des orteils est la règle ; la flexion
l'exception. L'extension disparait en général, chez l'enfant normal, vers
5 ou 6 mois, mais il y a des variétés individuelles ; il peut y avoir une
période de transition assez prolongée, marquée par des alternatives de
flexion et d'extension et souvent par l'extension unilatérale.
Des recherches nouvelles de Bersot ('), de Lantuéjoul Q ont montré
qu'il y avait lieu de rectifier un peu les données précédentes : à la nais-
sance, puis pendant un laps de temps d'une durée assez courte, les orteils
réagissent en flexion et ce n'est qu'ultérieurement que l'extension appa-
rait. Cela surprend d'abord, mais n'est pas contradictoire si l'on admet
que la flexion des orteils, réaction physiologique il est vrai, est le reliquat
d'une réaction ancestrale, et si l'on se rappelle que chez l'adulte on peut
observer un réflexe en flexion chez des sujets atteints de lésions avérées
de la voie pyramidale.
En ce qui concerne la flexion réflexe du pied, on la constate aussi chez
l'enfant, ainsi que l'a établi une de mes élèves, 14 ? Rosenblum, qui a fait
(1) Archives suisses de Neurologie et de Psychiatrie. 1921. Développement réactionnel et réflexe
plantaire.
('2) Communication orale.
158 SÉMIOLOGIE
de cette question l'objet de sa Thèse inaugurale ; mais l'extension du gros
orteil subsiste d'habitude plus longtemps que la triple flexion.
Je vous signale, avant de terminer, un travail de M. Minkowski ayant
pour titre : « Sur les mouvements, les réflexes et les réactions musculaires
du foetus humain de 2 à 3 mois et leurs relations avec le système
nerveux foetal ('). »
J'extrais de cet article (p. 1 n3) le passage suivant : « On peut dire en
général que chaque partie des téguments peut servir de zone réflexogène
à des réactions motrices très variables, proches et lointaines, ayant la
tendance à se généraliser plus ou moins à tout l'organisme foetal. »
Cette donnée est à rapprocher de ce que j'ai dit précédemment sur la
possibilité de provoquer parfois, à l'état pathologique, des réflexes des
orteils et du pied en excitant les téguments de l'abdomen et du thorax.
Messieurs, comme vous venez de le voir, l'étude des réflexes de défense
soulève des problèmes de phylogénie et d'ontogénie, et à cet égard elle est
déjà fort intéressante ; mais elle l'est surtout pour le neurologiste. Ces
réflexes constituent un chapitre important de la Pathologie du système
nerveux.
W Revue Neurologique, 1921, nos il et 12.
X
SUR LES MOUVEMENTS CONJUGUÉS
[J. BABINSKI ET J. JARKOWSKI.
Publié dans la Revue Neurologique, no 2, 3o février Igd.
Parmi les causes qui troublent les fonctions motrices dans les affec-
tions du système pyramidal, il en est une à laquelle on n'a peut-
jL être pas attaché une importance suffisante : nous voulons parler de
la difficulté ou de l'impossibilité d'exécuter des mouvements élémentaires
isolés.
Lorsque le malade cherche à mouvoir un segment de membre, les
autres segments se meuvent simultanément d'une manière automatique
et de telle façon que ces divers mouvements sont dans leur forme subor-
donnés les uns aux autres.
Ceux-ci sont bien différents des « mouvements associés homolatéraux ».
Pour les distinguer, nous les désignerons sous la dénomination de
« mouvements conjugués ».
Nous nous bornerons, ici, à l'étude des mouvements conjugués aux
membres inférieurs.
Lorsque par exemple un sujet atteint d'une lésion de la voie pyramidale
fléchit la cuisse et la jambe, il se produit en même temps une flexion du
pied. C'est là le « tibialis phénomène » de Strümpell. Ce phénomène
apparaît avec plus de netteté si on oppose une résistance au mouvement
que le malade veut exécuter. Inversement, la flexion du pied entraîne une
flexion de la jambe et de la cuisse. Ainsi les trois mouvements élémen-
taires de flexion sont, dans ces cas pathologiques, intimement liés entre
eux; ils sont « conjugués » et déterminent un « raccourcissement du
membre inférieur.
De même l'extension d'un des segments a pour conséquence l'extension
des deux autres ; ce sont là encore des mouvements conjugués dont le
résultat est un « allongement » du membre inférieur.
On voit donc que dans ces affections l'ordonnance des mouvements
160 SÉMIOLOGIE
volitionnels peut être semblable à celle des réflexes de défense ou « d' « au-
tomatisme médullaire ».
Comment expliquer ces faits ?
On serait disposé à penser, ainsi qu'on l'a déjà supposé pour les réflexes
de défense ('), que les divers groupes musculaires dont la contraction
provoque un mouvement conjugué ont dans la moelle des centres fonc-
tionnant d'une manière synergique.
Sans discuter cette idée, nous croyons qu'il y a lieu d'admettre l'inter-
vention d'un autre mécanisme. Nous tâcherons de le démontrer en ana-
lysant quelques-uns des mouvements conjugués.
Voici un malade atteint de paraplégie spasmodique en extension.
Lorsque, étant couché sur le ventre, il cherche à fléchir la jambe, nous
constatons que son bassin se soulève, c'est-à-dire se fléchit sur le bassin.
Cette double flexion pourrait, il est vrai, être attribuée à la contraction
du couturier, qui est à la fois fléchisseur de la cuisse et de la jambe.
Mais si maintenant nous opposons une résistance suffisante à l'éléva-
tion du bassin, nous voyons que la flexion de la jambe devient plus faible
et parfois même impossible. En augmentant et diminuant alternativement
cette résistance on s'assure que la flexion de la jambe est proportionnée
à celle de la cuisse, et on a l'impression que ces deux mouvements ont
une connexion d'ordre mécanique.
L'action du muscle couturier ne permet plus d'expliquer ce phéno-
mène. En effet, l'immobilisation du bassin ne peut empêcher la contrac-
tion de ce muscle et devrait plutôt faciliter la flexion de la jambe. Nous
devons donc rechercher une autre cause.
Pour que la flexion de la jambe ne puisse se produire malgré une forte
contraction des muscles fléchisseurs, il faut qu'elle soit entravée par l'ac-
tion antagoniste des muscles extenseurs. Or, ceux des extenseurs de la
jambe qui ont leur point d'attache supérieur sur le fémur ne peuvent être
influencés par la position du bassin ; ce n'est que le muscle droit anté-
rieur, fixé en haut à l'os iliaque, qui opposera à la flexion de la jambe une
résistance plus grande, lorsque la cuisse sera étendue sur le bassin ; et
inversement le rapprochement des deux points d'attache de ce muscle,
produit par la flexion de la cuisse sur le bassin, diminue la résistance
opposée à la flexion de la jambe.
Nous voyons donc que, dans l'exemple choisi, le mouvement conjugué
de flexion a pour cause première la tension d'un muscle appartenant au
groupe des extenseurs(=).
Il n'en est pas de même lorsque le mouvement conjugué apparait à
l'occasion de la flexion de la cuisse. Évidemment, ce n'est plus le droit
antérieur qui peut être incriminé en pareil cas, et voici quel semble être
le mécanisme du phénomène : tant que la jambe reste étendue, la flexion
de la cuisse éloigne les points d'insertion supérieurs de la longue portion
z) Voir ce sujet l'article de MM. Pierre Marie et Ch. Foix. Revue neurologique, n° 10, 1912.
(2) Nous devons remarquer que le fascia lata exerce une action analogue, mais son rôle dans la
production de ce phénomène n'est que secondaire.
MOUVEMENTS CONJUGUES 161
du biceps, du demi-membraneux et du demi-tendineux de leurs points
d'insertion inférieurs, et cette flexion ne peut s'effectuer sans un certain
relâchement des fléchisseurs de la jambe. Si ce relâchement fait défaut,
comme cela a lieu quand ces muscles sont en état de contraction ou de
contracture, ou lorsqu'il y a des rétractions fibro-tendineuses, la flexion
de la cuisse entraîne inévitablement une flexion de la jambe.
En ce qui concerne la flexion de la jambe à l'occasion de la flexion du
pied, elle s'explique aisément par ce fait que les muscles jumeaux ont
leur point d'attache au fémur.
Quant à la flexion du pied associée à la flexion de la jambe, elle pour-
rait être attribuée en partie au relâchement des muscles jumeaux, et, pour
une autre part, à la traction exercée sur le jambier antérieur par l'aponé-
vrose jambière.
Il nous paraît inutile d'analyser le mouvement conjugué d'extension ; il
a pour cause les mêmes dispositions anatomiques.
Ajoutons que, dans le cas où la contracture est forte, les mouvements
conjugués peuvent être obtenus par des déplacements purement passifs
des divers segments de membre et sans aucune intervention volitionnelle
du malade.
Il est à remarquer que les mouvements conjugués existent aussi à l'état
physiologique : il est plus facile de fléchir la jambe quand la cuisse est
fléchie que lorsqu'elle est étendue ; et une flexion très prononcée de la
cuisse a pour conséquence une flexion de la jambe ; l'extension du pied
peut s'accomplir avec une énergie plus grande si les deux autres segments
du membre inférieur sont étendus ; et pour prendre un autre exemple,
l'extension de la cuisse poussée à son extrême limite s'accompagne d'une
extension de la jambe. Mais, chez l'homme normal, les mouvements
conjugués n'existent qu'en germe. Au contraire, chez certains animaux,
les mouvements conjugués sont à l'état normal aussi marqués que chez
l'homme à l'état pathologique. Cela est particulièrement évident chez le
lapin : si on saisit entre deux doigts la cuisse et si on imprime à ce seg-
ment un mouvement de flexion ou d'extension, on constate que la jambe
et le pied se fléchissent ou s'étendent simultanément. On observe les
mêmes mouvements, que l'animal soit vivant ou mort, ce qui prouve d'une
manière indiscutable qu'ils sont d'ordre mécanique et confirme ce que
nous avons dit précédemment.
En analysant les divers mouvements conjugués, nous avons indiqué les
dispositions anatomiques particulières qui les déterminent. D'une manière
générale, on peut dire que ces mouvements résultent de ce que certains
muscles ont des connexions avec trois segments, qu'ils sont fixés sur deux
segments séparés l'un de l'autre par un segment intermédiaire et qu'ils
sont ainsi capables d'agir à la fois sur deux articulations.
Il nous reste à déterminer les causes pour lesquelles ces mouvements
deviennent particulièrement apparents dans les affections de la voie
pyramidale.
La contracture permanente parait être la cause la plus importante et la
Babinski. ' Il 1
16a SEMIOLOGIE
plus fréquente : elle augmente la tension des muscles et entrave le relâ-
chement des antagonistes, condition essentielle pour l'accomplissement
d'un mouvement élémentaire isolé.
Mais les mouvements conjugués peuvent se manifester aussi dans les cas
où la contracture fait défaut. Ils sont dus alors à la diffusion de l'influx ner-
veux dans les antagonistes, diffusion réalisant d'une manière transitoire des
conditions comparables à celles que détermine la contracture.
Enfin, il faut tenir compte de la parésie musculaire qui conduit le malade,
cherchant à effectuer un mouvement isolé, à placer automatiquement le
membre dans la position la plus favorable à l'exécution de l'acte projeté (').
Il résulte de ce qui précède que les mouvements conjugués apportent
aux fonctions motrices une entrave plus ou moins notable, et que leur
recherche fournit, par conséquent, un élément d'appréciation des désordres
moteurs, qui n'est pas à négliger. "
Les mouvements conjugués constituant, pour une grande part au moins,
un phénomène d'ordre mécanique, il est légitime de se demander s'il ne
serait pas possible de remédier dans une certaine mesure aux troubles de
la motilité qui en sont la conséquence, par des interventions chirurgi-
cales, telles que des sections et des transplantations tendineuses.
(1) Ce qui vient d'être dit permet de comprendre que, si les mouvements conjugués doivent être
particulièrement apparents dans les affections du système pyramidal, ils peuvent se manifester égale-
ment dans les cas où les troubles de la motilité ont une autre origine.
XI - .
MODIFICATIONS DES RÉFLEXES CUTANÉS
SOUS L'INFLUENCE
DE LA COMPRESSION PAR LA BANDE D'ESMARCH
J-J. Babinski.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 9 novembre 191 l '¡j¡fu,
On sait que la compression d'un membre par la bande d'Esmarch
O peut déterminer une abolition des réflexes tendineux de ce ? membre même dans les cas pathologiques où il y a hyperréflexie
tendineuse et trépidation épileptoïde. '
Des expériences que j'ai faites sur des sujets atteints de paralysie avec
contracture liée à des lésions du système pyramidal, et présentant le
phénomène des orteils m'ont conduit à constater que, sous l'influence
d'une pareille constriction du membre inférieur, les réflexes cutanés
subissent aussi parfois des modifications.
Lorsque la compression a été suffisamment prolongée, les orteils ne
réagissent plus du tout sous l'influence de l'excitation de la plante du
pied : ils restent immobiles. Mais, quelques instants après que la bande
a été ôtée, on observe une transformation du réflexe cutané plantaire : le
phénomène des orteils le plus parfait, caractérisé par une extension du
gros orteil et par une abduction des autres orteils, fait place, pour
quelques minutes, à un réflexe cutané plantaire absolument normal
(flexion des orteils sans aucune abduction, quelle que soit la région de la
plante du pied sur laquelle porte l'excitation). Plus ordinairement, le
signe des orteils ne se modifie que partiellement; l'excitation du bord
interne de la plante du pied provoque la flexion du gros orteil, tandis que
cet orteil s'étend quand le pied est excité sur son bord externe. De ces
observations il semble permis d'inférer que, dans le cas où l'on trouve le
signe des orteils, le réflexe cutané plantaire normal n'a pas nécessaire-
164 SÉMIOLOGIE
ment disparu, que sa manifestation est simplement entravée par une
puissance qui agit en sens contraire et qui est prépondérante.
De plus, chez des sujets atteints de paraplégie spasmodique en exten-
sion, avec exagération des réflexes tendineux et réflexes cutanés de
défense, la compression, tandis qu'elle affaiblit les réflexes tendineux,
augmente d'une manière notable les réflexes cutanés de défense, et alors
la moindre excitation de la peau provoque momentanément une contrac-
ture en flexion reproduisant la forme de paraplégie spasmodique que j'ai
décrite récemment, en l'opposant à la paraplégie spastique spinale d'Erb
ou tabes dorsal spasmodique de Charcot. (Voir : Société de Neurologie,
séance du 12 janvier 1911.)
ÉTUDE COMPARATIVE DES LIMITES DE L'ANESTHÉSIE ORGANIQUE
ET DE L'ANESTHÉSIE PSYCHIQUE (<)
La distinction de l'hypoesthésie ou de l'anesthésie organique d'avec
l'hypoesthésie ou l'anesthésie psychique (simulée ou suggérée) est souvent
difficile. Généralement on a recours, pour l'établir, aux signes extrin-
sèques permettant d'admettre ou d'écarter l'hypothèse d'une lésion du
système nerveux. Cependant, en procédant ainsi, on s'expose à commettre
des erreurs, car une anesthésie psychique s'associe quelquefois à une
affection organique.
Aussi serait-il précieux de posséder des caractères intrinsèques pouvant
servir à différencier ces deux espèces d'anesthésies. On conçoit, d'ail-
leurs, que cette distinction soit malaisée, car les troubles de sensibilité
sont des phénomènes subjectifs, dont l'appréciation se fonde principale-
ment sur les renseignements fournis par le sujet en observation. Elle
n'est pas pourtant impossible.
Nous faisons abstraction de différents artifices qui, amenant par exemple
une disparition immédiate d'une anesthésie (guérison instantanée par
électrisation), conduisent à reconnaître sa nature psychique.
Nous nous proposons de démontrer que l'anesthésie organique dans la
zone limitrophe possède, au moins dans certains cas, un caractère qui
fait défaut dans les anesthésies psychiques et qui, par conséquent, est
distinctif.
Nous allons exposer d'abord les recherches expérimentales faites sur
des individus dont la sensibilité est normale et qui sont la base de ce
travail.
On trace, par exemple, un trait le long de la ligne médiane du corps ;
on prévient le sujet en expérience qu'on pratiquera des excitations diverses
à droite et à gauche de cette ligne ; on l'invite à fixer son attention et à
indiquer le côté du corps sur lequel auront porté les divers attouchements.
(') J. Babinski et J. Jarkowski, Société de neurologie de Paris, séance du n juillet 1912.
ANESTHÉSIE ORGANIQUE ET . ANESTHÉSIE PSYCHIQUE 165
Pour l'accoutumer aux expériences qu'on va faire et se mettre à l'abri de
tout malentendu, on lui montre, ses yeux étant ouverts, comment on va
procéder. Cela fait, on lui obture les yeux. On se sert de divers excitants
que l'on emploie pour l'exploration de la sensibilité (épingle, glace, etc.).
Or, voici ce qu'on observe :
A une distance de la ligne médiane variant, suivant.les individus, de
2 à 3 centimètres environ, les excitations sont toujours bien localisées,
quelle que soit la durée de l'examen. En deçà de cette limite, les réponses
sont d'habitude parfaites au début ; mais après un certain nombre
d'excitations elles deviennent inexactes. Bien souvent le malade déclare
qu'une excitation porte sur la ligne médiane, tandis que le point excité
est séparé de cette ligne de 2 à 3 centimètres. Cette erreur est surtout
commune quand on pratique une série d'excitations successives de dehors
en dedans, et qu'on recommande au sujet de préciser le moment où la
limite sera atteinte.
Si maintenant, au lieu de choisir la ligne médiane comme limite, on
trace sur une partie quelconque du corps ou d'un des membres une ligne
transversale qui doit servir de frontière artificielle dans une expérience
analogue à la précédente, on constate que les erreurs commises sont
encore plus grandes.
Dans ces expériences l'effort d'attention du sujet en observation est
identique à celui d'un simulateur qui chercherait à feindre une anesthé-
sie ; la limite d'une anesthésie simulée est donc inconstante.
Nous en dirons autant des anesthésies suggérées ; l'inconstance des
limites de l'anesthésie hystérique est un fait que nous avons maintes fois
observé.
Il n'en va pas de même d'habitude dans les anesthésies organiques :
parfois cependant la limite semble inconstante, comme dans l'anesthésie
psychique, ce qui, à vrai dire, est assez difficile à concevoir ; aussi serait-
il permis de se demander s'il ne s'agit pas alors d'une association
psycho-organique. Nous nous contentons de poser la question sans la
résoudre. Mais, nous le répétons, d'habitude la frontière de l'anesthésie
organique est relativement fixe.
Remarquons, pour éviter toute confusion, qu'en particulier dans les
anesthésies d'origine spinale on observe fréquemment des fluctuations
dans l'intensité de l'anesthésie, surtout dans la zone limitrophe ; mais la
frontière qui sépare la zone hypoesthésiée de celle où la sensibilité est tout
à fait normale a une fixité relative avec une approximation d'un demi à
un centimètre. Il est souvent nécessaire, pour constater nettement ce fait,
d'employer des procédés d'investigation variés, permettant de découvrir
des nuances susceptibles de passer inaperçues autrement. Entre autres
procédés de ce genre en voici un dont nous faisons couramment usage et
qui parfois donne des indications précieuses : nous appliquons simulta-
nément sur la peau deux excitants de nature différente, soit par exemple
un corps froid et un corps chaud ; si les deux excitants sont placés dans
la région hypoesthésiée, une seule des deux excitations est perçue ; le
166 SÉMIOLOGIE
sujet les perçoit, au contraire, toutes deux quand on applique les deux
excitants sur la zone normale.
Conclusions. 1° Le territoire d'une anesthésie psychique peut varier
d'un instant à l'autre d'une manière notable ; sa limite se déplace inévita-
blement de plusieurs centimètres au cours d'un examen quelque peu
prolongé.
2° Le territoire de l'anesthésie organique qui, il est vrai, paraît parfois
soumis'à des variations analogues, présente ordinairement une fixité rela-
tive ; les déplacements apparents de sa limite, au cours même de plusieurs
examens, peuvent ne pas dépasser une distance d'un demi à un centi-
mètre.
3° Si l'inconstance de la limite d'une anesthésie ne permet pas d'exclure
le diagnostic d'anesthésie organique, sa fixité nous autorise à l'affirmer.
XII
DE LA SURRÉFLECTIVITÉ IIYPEItILG'SIQUE
[J. Babinski et .T..T : RKOVSIiI.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 3 février ig21 .
Il peut être difficile parfois de distinguer, dans les mouvements consé-
dits de défense ou d'automatisme médullaire de celle qui appartient
aux réactions volontaires. Mais notre intention n'est pas de rappeler ici
les caractères propres aux réflexes de défense, et qui permettent d'habi-
tude de les reconnaitre. '
Ce que nous nous proposons d'établir dans cette étude, c'est que la
distinction, en clinique, entre les mouvements réflexes et les mouvements
volontaires est plus complexe qu'on ne le suppose et que, dans certains
cas de lésions du névraxe, on peut voir se produire, sous l'influence
d'excitations périphériques, des mouvements réactionnels qui, sans ren-
trer dans la catégorie des mouvements réflexes dits de défense ou d'auto-
matisme médullaire, et tout en se rapprochant des mouvements réaction-
nels volontaires, sont cependant indépendants de la volonté et, par
conséquent, constituent de véritables mouvements réflexes.
Nous allons exposer les observations sur lesquelles ce travail est fondé ;
elles se rapportent à des malades présentant le syndrome de Brown-
Séquard, état qui semble particulièrement favorable à la mise en évidence
des phénomènes que nous avons en vue.
OBSERVATION I. Homme de 57 ans, probablement spécifique qui, il y a quatre ans,
fut pris brusquement d'une paralysie du membre inférieur gauche avec troubles sen-
sitifs du côté droit. Son état s est rapidement amélioré ; il a pu reprendre son travail de
contre-maître : il ne lui est resté qu'une certaine gène et une fatigahitité du membre
inférieur gauche.
Nous l'examinons pour la première fois, il y a un mois environ, et nous constatons
168 SÉMIOLOGIE
un syndrome de Brown-Séquard gauche léger, avec des troubles de motilité à peine
ébauchés et des troubles sensitifs peu marqués.
Du côté droit, on trouve une hypoesthésie à dissociation syringomyélique qui
remonte jusqu'à D 2 sur le tronc et peut se poursuivre en D 2-D 1 sur la face interne
du membre supérieur droit. Sur la plus grande étendue du territoire atteint, cette
hypoesthésie n'est que quantitative : le malade reconnaît bien toutes les excitations
thermiques, mais accuse une sensation moins nette qu'au point correspondant du
côté gauche ; ce n'est qu'au membre inférieur droit qu'il commet des erreurs d'appré-
ciation d'ordre qualitatif; en effet, le froid est pris ici constamment pour du chaud.
Du côté gauche, on constate une hyperalgésie sur tout le territoire au-dessous de D 1,
sauf celui des racines sacrées; cette hyperalgésie existe même en D 1, D 2, D 3, D 4,
où il y a une hypoesthésie, très légère, il est vrai, pour le chaud, le froid et le
tact.
Les réflexes tendineux sont peut-être un peu plus forts à gauche, mais il n'y a ni
clonus, ni danse de la rotule; les réflexes abdominaux et crémastériens sont un peu
plus vifs à droite ; le réflexe plantaire se fait à gauche en extension, mais d'une
manière inconstante.
Le pincement de la peau à la face dorsale du pied ne provoque de flexion du pied
ni à droite ni à gauche (criterium de l'exagération pathologique des réflexes de défense.
Voir; Réflexes de défense. Revue neurol. 1910, p. 145, par Babinski). Ce mode
d'excitation n'est suivi d'aucune sorte de réaction quand on pince le côté droit (côté
anesthésié); par contre, si on pince de la même manière le pied gauche (côté des
troubles moteurs), on voit apparaître une ou plusieurs secousses brusques au membre
inférieur du côté opposé, tandis que le membre excité reste immobile; on trouve
donc là un réflexe croisé provoqué par l'excitation de la peau du côté de la lésion et
se traduisant par une réaction motrice du côté des troubles sensitifs. Cette réaction
est accompagnée d'une grimace et d'une secousse inspiratoire brusque et bruyante
(sorte de cri) semblant dénoter comme une surprise douloureuse ; d'ailleurs, le malade
accuse une sensation particulièrement désagréable.
Cette réaction se laisse déclencher avec facilité quel que soit le point que l'on
excite dans tout le domaine de l'hyperalgésie. On peut même obtenir des effets sem-
blables en portant l'excitation sur la partie du corps située au-dessus de la lésion, tant
à gauche qu'à droite, mais il est nécessaire d'exciter les téguments avec plus d'éner-
gie. Il en est de même dans le territoire des racines sacrées gauches où l'hyperalgésie
fait défaut ; l'intensité des excitations doit être ici considérablement accrue pour que
la réaction se produise.
Observation II. Il s'agit d'un malade dont nous avons déjà rapporté l'histoire
dans un travail publié en agi3 en collaboration avec Chauvet (voir Revue neurologique,
igi3, n° 12, p. 857)' .Il nous paraît inutile de transcrire ici cette observation; nous
nous contenterons de noter que si les réactions motrices consécutives aux excitations
n'ont pas été analysées là d'une manière aussi complète que dans l'observation I,
quelques-uns des caractères essentiels dont nous nous occupons y ont été nettement
signalés.
Cet homme, atteint d'un syndrome de Brown-Séquard par coup de couteau au
niveau de la moelle cervicale supérieure présentait à son entrée à l'hôpital, entre autres
symptômes, les particularités suivantes : le pincement des téguments de tout le côté
droit (côté de la paralysie où il existait aussi de l'hyperalgésie), et cela jusqu'à la par-
tie inférieure de la joue droite, qui correspond à la distribution cutanée de la 2e racine
cervicale, déterminait une réaction énergique dans tout le membre inférieur du côté
SURRÉFLECTIVITÉ 11TPER 1LCÉSIOUE 1G9
opposé. Le pincement du côté gauche (côté anesthésié) ne provoquait aucune réaction
homo ou contralatérale.
Quelques mois plus tard, l'état du blessé s'étant notablement amélioré, la réaction
motrice ci-dessus signalée a disparu ; il est à remarquer que dans l'examen des
troubles sensitifs, nous n'avons plus noté alors d'hyperalgésie.
Observation III. Homme de 53 ans. Après une période de malaises vagues ayant
duré plusieurs mois, le malade est pris en février 1920, au cours d'une marche, d'une
crampe violente dans la jambe droite, qui dure à peine quelques secondes, mais qui
l'oblige à s'arrêter. Pendant les semaines qui suivent, des crampes analogues se
renouvellent deux ou trois fois. Puis, le malade s'aperçoit de troubles sensitifs à la
jambe gauche et de lourdeur dans le bras droit.
L'affection progresse insidieusement, sans rémission, ni aggravation brusque.
Au milieu de septembre, une ponction lombaire fut pratiquée : on aurait constaté
de l'hyperalbuminose dans le liquide céphalo-rachidien. A la suite de la ponction, des
douleurs violentes apparurent à l'épaule et au bras droit ; ces douleurs existent
encore.
Le malade nie la syphilis ; d'ailleurs la réaction de Wassermann, faite à plusieurs
reprises, s'est toujours montrée négative aussi bien dans le sang que dans le liquide
céphalo-rachidien.
A son entrée à l'hôpital, en janvier 1921, le malade présente un ensemble de signes
dénotant l'existence d'une lésion intéressant la moelle cervicale et prédominant du
côté droit (probablement néoplasme).
Du côté gauche, à partir du territoire de C 7 jusqu'en bas, y compris les racines sacrées,
il existe une anesthésie à la température et à la douleur. A droite, le même trouble
s'étend de C 7 jusqu'à D 6 environ ; au-dessous de cette zone, on trouve de l'hypoesthé-
sie thermique avec hyperalgésie; les excitations thermiques sont plus ou moins bien
perçues, suivant les moments, mais elles provoquent toujours une sensation doulou-
reuse extrêmement pénible ; le pincement de la peau détermine la même sensation.
Cette hyperalgésie disparaît dans le territoire des dernières racines sacrées, où la sen-
sibilité paraît absolumeut normale.
La sensibilité tactile est parfaitement conservée sur toute l'étendue du corps ; la
sensibilité profonde est légèrement atteinte du côté droit.
Il existe des troubles moteurs prédominant du côté droit. Au membre supérieur
droit, le biceps et les supinateurs sont à peu près normaux, mais on constate une parésie
des autres muscles, particulièrement du triceps, des pronateurs, des extenseurs de la
main et des doigts et des interrosseux. L'examen électrique ne décèle pas de modifi-
cation notable de l'excitabilité électrique.
Au membre supérieur gauche, les troubles parétiques atteignent les mêmes groupes
musculaires, mais sont beaucoup moins prononcés.
Les membres inférieurs sont atteints d'une paraplégie spasmodique ; les troubles
moteurs sont relativement peu prononcés à gauche ; ils sont au contraire très marqués
à droite.
Les muscles de la paroi abdominale paraissent parésiés du côté droit.
Des 2 côtés lé réflexe de flexion de l'avant-bras est normal ; le réflexe d'extension
semble affaibli. Les autres réflexes tendineux, vifs à gauche, sont manifestement
exagérés à droite où l'on constate de la trépidation épileptoïde du pied.
Le réflexe plantaire se fait à droite toujours en extension ; à gauche, il y a tantôt
extension, tantôt flexion. '
Les réflexes abdominaux sont plus forts à gauche.
170 SEMIOLOGIE
De ce même côté (où prédomine l'anesthésie), le pincement du dos du pied pro-
voque parfois un réflexe de défense classique, c'est-à-dire une flexion dorsale du pied
lente et continue. Ce mouvement peut résulter d'excitations sur diverses parties du
tégument jusqu'à une limite située à plusieurs travers de doigt au-dessus de l'ombilic;
mais cette réaction est inconstante et relativement faible. '
Les excitations de la peau du côté droit ne sont suivies d'aucun mouvement du mem-
bre inférieur de ce côté ; mais elles déterminent des secousses brusques et violentes du
côté gauche, sans accompagnement de flexion dorsale du pied. De plus, ces excitations
douloureuses, sont suivies immédiatement de grimaces à la figure, en même temps
qu'on perçoit une inspiration brusque et bruyante. ' '. "
Comme dans le cas I, cette surréflectivité est particulièrement marquée dans le ter-
ritoire hyperalgésique, mais les mêmes réactions peuvent être parfois provoquées par
des excitations sur des territoires à sensibilité normale, soit dans la région des racines
sacrées droites, soit au-dessus de la lésion, à condition que ces excitations soient
bien plus vives.
Dans les trois cas de syndrome de Brown-Séquard que nous venons de
rapporter, nous avons été frappés par la présence d'un même phénomène
qui, à notre connaissance, n'a pas encore été mis en lumière et dont voici
les traits essentiels : une excitation telle que le pincement de la peau du
côté de la lésion, où il y a de l'hyperalgésie, sans être suivie d'aucun mou-
vement de ce côté, donne lieu du côté opposé à une réaction motrice
brusque, en même temps qu'elle détermine des grimaces et une inspira-
tion bruyante. (Ce dernier caractère était très net dans nos observations
I et III, et nous l'avons constaté encore dans un autre cas que nous rela-
terons ultérieurement ; il n'a pas été consigné, il est vrai, dans l'observa-
tion II, qui est ancienne ; nous croyons toutefois nous souvenir qu'il exis-
tait, mais nous n'osons pas l'affirmer.)
Quelle est la nature de ces phénomènes ? On doit se demander s'il ne
s'agit pas de réactions volontaires provoquées par des excitations déter-
minant de la douleur, laquelle paraît se manifester en particulier par les
grimaces, le bruit respiratoire, cette sorte de cri que le malade fait
entendre. Mais il n'est pas démontré, tant s'en faut, que ces phénomènes
soient voulus, et nous rappellerons que Sherrington insiste sur la mimique,
semblant traduire de la souffrance, et le cri consécutifs à des excitations
périphériques chez les animaux décérébrés (pseudo affective réflexes
The integrative action of Nervous system, p. 352). Voici les raisons qui
militent contre l'hypothèse de réaction volontaire :
a) Il est à remarquer d'abord que nos malades déclarent que ces mou-
vements se produisent indépendamment de leur volonté, et qu'ils ne
peuvent même pas s'y opposer.
b) On ne comprendrait guère avec une pareille hypothèse ce fait que le
mouvement réactionnel a lieu, non du côté excité, mais du côté opposé.
A cet argument, il est vrai, on peut objecter, si l'on considère le malade
de l'observation III, que l'absence de mouvement du côté de la lésion est
due à ce que les mouvements volontaires de ce côté sont extrêmement
affaiblis ; mais cette objection n'est pas valable pour l'observation I, où
SURRÉFLECTIVITÉ YPEALGES/()i7E 171
les mouvements volontaires sont presque normaux. Notre argument ne
serait peut-être pas péremptoire si le fait sur lequel nous insistons
avait été constaté chez un seul sujet ; mais ce qui lui donne, selon nous,
une valeur décisive, c'est qu'il se présente chez tous avec les mêmes
caractères et qu'il se produit sous le même aspect à chaque excitation. Il
nous semble inadmissible qu'un phénomène aussi paradoxal, une réaction
tellement différente des réactions voulues qu'on exécute à la suite des
excitations douloureuses, soit un phénomène volontaire. Il nous paraît
donc incontestable qu'il s'agit là d'une réaction motrice involontaire,
c'est-à-dire d'un mouvement réflexe.
Ces mouvements réflexes, sur lesquels nous appelons l'attention,
peuvent-ils être assimilés aux mouvements réflexes connus depuis bien
longtemps et désignés sous la dénomination de réflexes de défense ou de
réflexes d'automatisme médullaire ?
Nous ne le pensons pas, et notre opinion est fondée sur les raisons
suivantes :
a) Tandis que les réflexes dits de défense peuvent se produire à la suite
d'excitations à peine perçues ou même non perçues, les réflexes que nous
avons en vue semblent liés, au moins pour une part, à l'hyperalgésie ; ;.
la réaction motrice est d'autant plus forte que la douleur produite par
l'excitation est plus vive et, comme on l'a vu dans l'observation II, la
disparition de ces réactions spéciales semble avoir coïncidé avec la
régression de l'hyperalgésie.
b) Au lieu que les réflexes de défense se traduisent par des mouvements
relativement lents et que la contraction musculaire persiste généralement
quelque temps avant de s'épuiser, dans les phénomènes que nous envi-
sageons on a affaire à des mouvements brusques, rapides.
c) La flexion du pied qui constitue, comme l'un de nous l'a montré, la
réaction la plus caractéristique, le criterium des réflexes de défense, fait
ici défaut.
d) Enfin, ainsi que nous l'avons déjà fait ressortir, les réactions motrices,
bien loin de se produire uniquement ou d'une manière prédominante
dans le membre du côté excité, ont lieu du côté opposé. (Nous croyons
devoir rappeler à ce propos que tous les sujets que nous avons ici en vue
présentaient un syndrome de Brown-Séquard.)
Pour distinguer d'une façon spéciale les réflexes que nous venons de
décrire d'avec les réflexes dits de défense ou d'automatisme médullaire,
et en tenant compte de l'hyperalgésie toujours présente dans les cas
observés jusqu'ici, nous les appellerons réflexes hyperalgésiques ; en
outre, comme ces mouvements réflexes consistent en secousses d'une
intensité et d'une brusquerie qu'on n'observe pas à l'état normal, nous
dirons qu'il s'agit d'une surréflectivité hyperalgésique. Quelle que soit
d'ailleurs l'opinion qu'on se fasse sur le mécanisme de ces réflexes, le terme
que nous proposons peut servir à désigner l'objet de notre étude.
Si les réflexes de défense doivent être distingués des réflexes hyperalgé-
172 ' SÉMIOLOGIE
siques et si, comme dans l'observation I. ces derniers existent parfois en
l'absence des premiers, il n'en est pas moins vrai que ces deux espèces
de réflexes peuvent coexister jusqu'à un certain point chez le même sujet.
On pourrait déjà presque le prévoir a priori mais, ce qui est mieux, les
faits le prouvent. C'est ce que l'on constate dans l'observation III.
En ce qui concerne le mécanisme des réflexes hyperalgésiques, nous
pensons qu'il diffère notablement de celui des réflexes de défense. Il est
facile d'établir avec certitude, dans certains cas de lésion spinale, que le
centre des réflexes de défense se trouve dans la portion de la moelle située
au-dessous de la lésion. Quant au centre spécial des réflexes hyperalgé-
siques, dans les cas que nous avons observés, il siège sans doute au-dessus
de la lésion, probablement dans l'encéphale. Ce n'est qu'avec cette hypo-
thèse qu'on peut comprendre la production des grimaces, du spasme res-
piratoire, du cri (étant admis que ces réactions sont réflexes), ainsi que
ce fait que les réactions motrices du membre inférieur peuvent être déclen-
chées par une excitation dans le domaine du trijumeau. Si le membre
inférieur du côté de la lésion ne participe pas à la réaction motrice, c'est
vraisemblablement parce que l'excitation, après s'être réfléchie dans le
centre encéphalique présumé, est arrêtée à son retour par le barrage que
lui oppose la lésion spinale. Et si l'excitation de la zone anesthésiée ne
provoque aucune réaction motrice, c'est sans doute parce que dans son
parcours centripète elle est arrêtée par le barrage en question et ne par-
vient pas au centre encéphalique.
Les réflexes de défense paraissent conditionnés par une perturbation
de la voie pyramidale, tandis qu'on est conduit à penser que la surréflec-
tivité hyperalgésique implique une perturbation de la voie sensitive ; mais
celle-ci suffit-elle à faire naître le phénomène ? Nous ne pouvons pas l'affir-
mer, car dans nos observations, la lésion n'atteint pas uniquement la voie
sensitive, elle intéresse aussi la voie pyramidale.
L'analyse à laquelle nous avons soumis les faits que nous venons de
relater établit l'existence de certaines réactions motrices qu'il faut distin-
guer d'une part des réflexes dits de défense ou d'automatisme médullaire,
d'autre part des réactions motrices volontaires, et qui sont en quelque
sorte intermédiaires entre ces deux ordres de réactions (').
(') Dans l'hémiplégie liée à une lésion cérébrale, on peut observer des phénomènes ayant des ana-
logies avec ceux que nous venons d'étudier. D'ailleurs, cette surréflectivité hyperalgésique n'est pro-
bablement que l'exagération d'une réflectivité physiologique.
XIII
RÉAPPARITION PROVOQUÉE ET TRANSITOIRE
DE LA MOTILITÉ YOLITION1VELLE DANS LA PARAPLÉGIE
J. BABINSKI et J. Jarkowski].
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du g novembre ig 1 1.
Dans certains cas de paraplégie spasmodique où la motilité volition-
nelle semble complètement abolie, on peut la faire transitoirement
JL réapparaître par certains procédés. Nous avons obtenu ce résultat
soit par des excitations électriques provoquant d'énergiques mouvements
réflexes de défense, soit par la constriction au moyen de la bande d'Es-
march, qui, ainsi que l'un de nous vient de le montrer, exagère notable-
ment ces réflexes.
Voici une malade atteinte d'une paraplégie crurale liée à une compres-
sion de la moelle dans la région cervicale ; les mouvements des membres
inférieurs sont complètement abolis ; ses réflexes tendineux sont exa-
gérés ; elle a des réflexes de défense assez forts, et une anesthésie qui
occupe les membres inférieurs et le tronc jusqu'au-dessus de la ligne
mammaire. Quand on applique les électrodes d'un appareil faradique des
deux côtés du genou, elle exécute d'abord des mouvements de défense
involontaires ; puis elle devient momentanément capable d'accomplir, au
commandement, des mouvements d'extension et de flexion de la jambe et
de la cuisse, d'abduction et d'adduction de la cuisse. La région du genou
n'est pas d'ailleurs la seule dont la faradisation puisse faire réapparaître
des mouvements volontaires.
Cette réapparition de la motilité volitiannelle peut être provoquée d'une
manière plus frappante par l'application de la bande d'Esmarch : on
comprime le membre inférieur jusqu'à la partie moyenne de la cuisse
d'une manière assez énergique pour produire une anémie profonde du
membre et on laisse la bande de 20 à 25 minutes. Quelques minutes après
que la bande a été enlevée, la malade exécute spontanément divers mou-
174 SÉMIOLOGIE
vements ; ce retour de la motilité volitionnelle ne dure que quelques
minutes.
Dans des cas de paraplégie incomplète, les mouvements volontaires
peuvent augmenter notablement d'amplitude, sous l'influence des moyens
que nous venons d'indiquer, et aussi d'une manière passagère.
Ces expériences sont susceptibles de quelques objections. Il serait
permis de se demander si l'on n'est pas victime de quelque illusion ; ces
prétendus mouvements volontaires ne seraient-ils pas simplement des
mouvements réflexes de défense ? Ce qui prouve qu'il n'en est pas ainsi,
c'est d'abord que le malade distingue lui-même ces deux ordres de mou-
vements, c'est ensuite que l'expérimentateur est en mesure de lui faire
accomplir, au commandement, des mouvements soit de flexion, soit
d'extension, soit d'abduction, soit d'adduction, c'est enfin que quelques-
uns de ces mouvements tels que l'abduction et l'adduction de la cuisse ne
font pas partie des réflexes de défense.
On pourrait aussi supposer qu'il s'agit, dans les cas de ce genre, d'asso-
ciations hystéro-organiques. Cette hypothèse nous semble très peu vrai-
semblable ; en effet, la réapparition des mouvements volontaires, chez les
divers malades sur lesquels nous l'avons observée, s'est présentée sous le
même aspect, particulièrement au point de vue de sa durée et ne paraît
pas exposée à la variabilité qui appartient aux manifestations hystériques.
Quoi qu'il en soit, le phénomène que nous venons de décrire a, selon
nous, une signification clinique de quelque importance.
Cette réapparition de la motilité volitionnelle, quoique transitoire,
prouve que la lésion du système nerveux n'est pas profondément destruc-
tive ; du reste, jusqu'à présent nous l'avons observée seulement dans la
sclérose multiloculaire et dans la compression de la moelle par pachymé-
ningite ou tumeur. Elle peut avoir surtout une valeur pratique dans les
cas de néoplasie, lorsque se pose la question d'une intervention chirur-
gicale ; toutes conditions égales d'ailleurs, l'opération est alors d'autant
plus tentante que les mouvements volitionnels provoqués par les
manoeuvres que nous avons décrites sont plus étendus.
SEMIOLOGIE OCULAIRE
XIV ,
DE L'INFLUENCE DE L'OBSCURATION
SUR LE RÉFLEXE DES PUPILLES A LA LUMIÈRE
ET DE LA PSEUD0-AR0LIT10N DE CE RÉFLEXE
[J. BABINSKI.
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 7 décembre rgo5.
EN raison de l'importance fondamentale qui s'attache à l'étude des
troubles pupillaires, j'estime qu'on ne saurait trop chercher à pré-
ciser les conditions capables de modifier l'état des pupilles ; aussi,
j'espère que la Société trouvera de l'intérêt à la relation de quelques faits
nouveaux relatifs à ce sujet.
Examinant une jeune femme sujette à des crises d'épilepsie et recher-
chant chez elle, d'une manière systématique, comme j'ai l'habitude de le
faire chez tous mes malades, les divers signes objectifs qui peuvent se
manifester dans les affections organiques du système nerveux, je fus
frappé par ce fait que les pupilles explorées immédiatement après l'entrée
de cette femme dans une pièce sombre, suivant la méthode dont j'ai cou-
tume de faire usage ('), étaient dilatées et ne réagissaient pas du tout à
la lumière. Mais pratiquant une nouvelle exploration quelques minutes
(1) Voici, en quoi consiste cette méthode : l'examen est pratiqué dans un endroit sombre ; on place
une bougie, une allumette-bougie ou un rat-de-cave latéralement, à un décimètre environ de l'oeil à
examiner et un peu en avant des yeux ; on interpose sa main, qui joue le rôle d'écran, entre l'oeil et
la lumière, puis, après avoir recommandé au sujet en observation de fixer un objet éloigné, on retire
brusquement la main ; or à ce moment, dans ces conditions, à l'état normal, la ^pupille se contracte
très nettement.
176 SÉMIOLOGIE
après la première, la malade étant restée pendant cet intervalle dans la
pièce obscure, je constatais cette fois que l'excitation lumineuse provo-
quait une contraction pupillaire faible, mais nette.
Ces deux examens successifs donnaient donc des résultats en appa-
rence contradictoires, et je pensais alors qu'il serait intéressant de connaî-
tre la raison de leur dissemblance ; pour atteindre ce but, je fis pendant
une dizaine de jours consécutifs des observations et des expériences qui
m'ont renseigné, au moins en partie. Je dois en effet déclarer d'abord que
la contractilité pupillaire chez cette malade est soumise à des fluctua-
tions quotidiennes dont je ne suis pas arrivé à pénétrer toutes les causes,
mais il en est une que je suis sur d'avoir déterminée. Je puis dire que la
lumière tend à épuiser le réflexe à la lumière et que l'obscuration, au
contraire, le renforce. C'est pour ce motif que quand l'examen est prati-
qué dans une pièce obscure, le réflexe, faible ou nul au moment où le
sujet pénètre dans cette pièce, devient plus fort après que la malade y a
séjourné quelque temps : je ferai remarquer que l'épuisement complet du
réflexe n'apparaît parfois qu'après deux ou trois excitations suivies encore
d'une réaction pupillaire ; c'est aussi pour ce motif que généralement, par
les jours clairs, le réflexe est plus faible que par les jours sombres.
« Un excellent moyen de mettre en évidence l'influence de l'obscuration
consiste, après avoir constaté la faiblesse ou l'absence du réflexe, à fer-
mer hermétiquement avec un bandeau les yeux de la malade et à les lais-
ser ainsi pendant vingt à trente minutes; immédiatement après qu'on a
enlevé le bandeau, le réflexe à la lumière est à peu près aussi fort que
chez les individus normaux. L'expérience est encore plus intéressante et
plus convaincante si l'on ne pratique que l'occlusion d'un oeil, l'autre oeil
restant exposé à la lumière du jour; on constate, après le délai indiqué,
que la pupille de l'oeil qui a été fermé réagit normalement à la lumière,
tandis que l'autre pupille réagit faiblement, ou ne réagit pas. Répétant
cette dernière expérience certains jours où les deux pupilles examinées
avant l'application du bandeau présentaient une réaction à la lumière
faible mais nette, j'ai cru remarquer que l'application unilatérale du ban-
deau, outre qu'elle renforçait le réflexe de l'oeil bandé, comme je viens de
le dire, exerçait de plus une action inhibitoire sur la pupille de l'oeil resté
ouvert, dont le réflexe à la lumière m'a paru alors manifestement amoindri,
non seulement d'une façon relative, mais même d'une manière absolue. »
Voilà donc une malade dont le réflexe à la lumière est très affaibli ou
même fait complètement défaut certains jours, quand pour le rechercher
on se place dans certaines conditions qui ont été spécifiées. Je viens de
dire que l'obscuration le fait redevenir normal, mais je dois ajouter immé-
diatement qu'il n'est pas nécessaire d'employer ce moyen pour s'assurer
qu'il ne s'agit pas là d'une véritable abolition de ce réflexe ; en effet, si
au lieu de faire usage d'une bougie on se sert d'une lumière beaucoup
plus vive, ou si au lieu de laisser la bougie sur la partie latérale de l'or-
bite on la porte devant l'oeil, de manière à faire pénétrer dans les centres
une quantité bien plus grande de lumière, tout en faisant fixer à la malade
SÉMIOLOGIE OCULAIRE 177
un objet éloigné afin d'éviter l'intervention de l'accommodation, on voit
que les pupilles se contractent ; le réflexe consensuel est aussi conservé,
ce qui tient sans doute à la grande quantité de lumière utilisée générale-
ment dans cette exploration. Quoi qu'il en soit, il s'agit là d'une disposi-
tion anormale, d'une perturbation que l'on pourrait dénommer, pour fixer
les idées, une pseudo-abolition du réflexe à la lumière. Je dirai encore
pour compléter la description de ce trouble que les pupilles de cette
malade réagissent à la convergence et à l'accommodation.
Quelle est la cause de ce phénomène, que dénote-t-il ? J'avoue n'être
pas en mesure de répondre catégoriquement à cette question. L'examen
de l'oeil, pratiqué d'une manière complète par le fez Chaillous, a donné un
résultat négatif ; le trouble en question ne me parait donc pas lié à quel-
que affection oculaire. La pseudo-abolition du réflexe à la lumière ne
serait-elle pas le premier stade de l'abolition complète de ce réflexe, qui
est symptomatique de la méningite chronique syphilitique ? Assurément
non, car la malade ne se plaint d'aucun des signes subjectifs qui appar-
tiennent à cette lésion, elle n'en a aucun des signes objectifs et, cytolo-
giquement, son liquide céphalo-rachidien est tout à fait normal. Faut-il
attribuer cette perturbation à l'épilepsie ou à la médication bromurée à
laquelle la malade est soumise depuis quelque temps déjà ? Cette opinion
pourrait être soutenue, on sait en effet qu'on a signalé depuis longtemps
de la paresse pupillaire dans des cas de ce genre ; je dirai de plus, à l'ap-
pui de cette manière de voir, que j'ai actuellement dans mon service une
autre femme à peu près identique à celle dont je viens d'entretenir la So-
ciété, présentant aussi la pseudo-abolition du réflexe à la lumière, n'ayant
d'ailleurs aucune manifestation d'affection oculaire ou de méningite
chronique syphilitique, et qui également est une épileptique soumise au
traitement bromure ; enfin, le Du Chaillous, après avoir été mis au cou-
rant de mes recherches, a eu l'occasion d'observer un troisième fait
superposable aux deux précédents. Néanmoins, ces observations ne sont
pas encore assez nombreuses pour qu'il soit permis d'affirmer qu'il existe
entre le trouble qui nous occupe et l'épilepsie ou l'usage du bromure une
relation de cause à effet.
Si on n'est pas prévenu de la possibilité de confondre la pseudo aboli-
tion avec l'abolition vraie du réflexe à la lumière, on risque de commettre
cette erreur grave au point de vue pratique. Je suis persuadé qu'on s'y
est laissé prendre parfois et on a peut-être là l'explication des prétendues
disparitions et réapparitions successives du signe d'Argyll-Robertson
signalées par quelques observateurs, que pour ma part j'ai toujours mises
en doute, sans pourtant les nier. Mais si l'attention est attirée sur cette
cause d'erreur, il est très simple de l'éviter; en effet, quand il s'agit d'une
véritable abolition du réflexe des pupilles à la lumière, le trouble persiste
quelle que soit l'intensité de la source lumineuse, il persiste aussi mal-
gré l'emploi de l'obscuration, quelque prolongée qu'elle soit, et le réflexe
consensuel est également aboli. '
L'étude des faits que je viens de rapporter m'a conduit à me demander
u"«<.u. 1 :
178 1 . 1 SÉMIOLOGIE
si l'obscuration ne serait pas capable de renforcer le réflexe à la lumière,
même à l'état normal; or, des expériences faites sur une vingtaine d'in-
dividus n'ayant aucun signe d'affection oculaire ni de maladie organique
du système nerveux m'ont donné un résultat nettement positif dans la
plupart des cas ; il s'agit donc là d'un phénomène physiologique, facile à
vérifier. Pour éviter toute confusion, au risque de répéter ce qui a déjà
été dit, je vais indiquer avec précision les conditions qui permettent de
mettre ce fait en évidence. L'individu en observation, après avoir eu un
oeil hermétiquement clos, doit séjourner pendant une demi-heure environ
dans un endroit bien éclairé à la lumière du jour; puis, on le fait passer
dans une pièce obscure, et en éclairant latéralement avec une bougie
l'oeil qui est resté ouvert, on détermine d'abord le degré de dilatation de
sa pupille ainsi que l'intensité de son réflexe à la lumière ; cela fait, on
ferme cet oeil, on enlève le bandeau qui recouvrait l'autre oeil et on exa-
mine immédiatement la pupille de ce côté, en employant la même tech-
nique que précédemment. Cette comparaison conduit à la conclusion que,
abstraction faite de la dilatation développée par l'obscurité et perçue un ins-
tant seulement au moment même où on découvre l'oeil, la pupille de l'oeil qui
était restée bandée est plus petite que l'autre, ce qui tient évidemment à ce
que la lumière impressionne le centre du réflexe d'une manière plus active ;
de plus, les mouvements pupillaires réflexes obtenus à l'aide du procédé
usuel sont ordinairement plus vifs de ce côté ; on crée ainsi artificielle-
ment une inégalité pupillaire plus ou moins prononcée, suivant les
sujets, suivant le degré de clarté du jour où l'expérience est faite, qui
persiste plus ou moins longtemps ; généralement, quand on ouvre les
deux yeux, l'équilibre tend à se rétablir rapidement (').
Il y a lieu de rappeler que l'obscuration, qui renforce le réflexe à la
lumière, amène aussi la régénération du pourpre visuel (voir à ce sujet
l'ouvrage de Parinaud, La Vision, Octave Doin, 1898, p. 48 et suiv.), et
dès lors on peut se demander s'il n'y a pas entre ces deux phénomènes de
relation de cause à effet ; c'est, peut-être, parce que la rétine soumise à
l'obscuration a acquis des propriétés fluorescentes que le réflexe à la
lumière devient plus énergique. S'il en était ainsi, il faudrait admettre
que l'érythropsine joue un rôle important dans la production de ce réflexe ;
à l'appui de cette idée encore hypothétique, je mentionnerai les faits sui-
vants : j'ai constaté que, chez la chouette, dont la rétine contient beaucoup
de pourpre, le réflexe à la lumière est remarquablement vif, que chez la
poule au contraire, dont la rétine est dépourvue d'érythropsine, ce réflexe
est faible; en faveur de cette conception on peut encore invoquer l'état
des pupilles dans l'héméralopie, affection produite par une altération du
pourpre (Parinaud) et dans laquelle le réflexe à la lumière sera faible ou
aboli.
(1) Dans un travail fort intéressant, M. Magnus a signalé incidemment chez le poulpe le phéno-
mène que j'ai observé chez l'homme ; le réflexe à la lumière serait particulièrement vif quand l'ani-
mal est resté préalablement pendant quelque temps dans l'obscurité. (Die Pupillarreaction der Octo-
poden. - PJluyer's /lrc/nu/. Physiologie. Vol. 92, année 1902, p. 626.)
SÉMIOLOGIE OCULAIRE 179
De ces observations et de ces expériences je puis tirer les conclusions
suivantes :
i° L'obscuration renforce le réflexe des pupilles à la lumière et. permet
de créer artificiellement, chez l'homme normal, une inégalité pupillaire
transitoire.
2° II existe une perturbation pupillaire, de cause encore indéterminée,
qu'on peut dénommer pseudo-abolition du réflexe à la lumière, pouvant
prêter à confusion, mais qui, par la possibilité de faire apparaître le mou-
vement réflexe au moyen d'un éclairage intensif ou grâce à une obscura-
tion préalable, et par la conservation du réflexe consensuel, se distingue
de l'abolition vraie du réflexe à la lumière, liée à la méningite chronique
syphilitique.
? XV : ,
DES TROUBLES PUPILLAIRES
DANS LES ANÉVRISMES DE L'AORTE
[J. Babinski. | .
Publié dans les Bulletins et Mémoires des Hôpitaux de Paris,
séance du 8 novembre igoi.
Les troubles pupillaires, en particulier l'inégalité des pupilles, qu'il
n'est pas rare d'observer dans l'anévrisme de l'aorte, sont attribués à une
compression que la poche exercerait sur le sympathique en produisant
une irritation ou une paralysie de ce nerf. Sans contester qu'il en soit
ainsi dans certains cas, je me crois en mesure de soutenir que le méca-
nisme de ces troubles peut être bien différent.
Voici d'abord, brièvement relatés, les faits sur lesquels je fonde cette
opinion.
uns. I. Femme X..., Agée de quarante et un ans, fille publique. A partir de l'âge
de trente-six ans, elle éprouve une gène dans la respiration, qui n'était d'abord que
transitoire, et qui, depuis deux mois, est devenue permanente. La malade est obligée
de garder le repos complet, et elle respire plus facilement quand elle est assise que
lorsqu'elle est dans la position horizontale.
A l'inspection et à la palpation de la région précordiale, rien d'anormal. La pointe
bat dans le 5e espace intercostal, à un centimètre en dehors de la ligne mamelonnaire.
A droite, dans le 2e et 3e espace intercostal, on constate de la matité sur un espace
qui s'étend à un centimètre et demi en dehors du bord droit du sternum.
A l'auscultation, on entend un double souffle systolique et diastolique dans le 2e
espace intercostal droit; le souffle diastolique s'étend jusqu'au niveau de l'appendice
xyphoïde.
L'index, placé dans la région de la fourchette sternale, est soulevé par l'aorte.
L'examen radioscopique permet de percevoir des battements très marqués de l'aorte
ascendante, à gauche et à droite de l'ombre médiane ; à l'examen radiographiquc, on
constate une dilatation de l'aorte ascendante, se présentant sous la forme d'un tronc
de cône dont la base se confond avec la base du coeur.
La pupille droite est plus petite que la gauche, qui a une dimension normale; les
deux pupilles ne se contractent pas à la lumière et se contractent au contraire sous
l'influence de l'accommodation. Les réflexes achilléens sont abolis des deux côtés. Aucun
autre signe objectif à noter; la malade n'a jamais eu de douleurs dans les membres,
elle n'a pas de troubles vésicaux et elle ne présente pas le signe de Romberg.
SÉMIOLOGIE OCULAIRE 181
OBs. II. Femme Z..., âgée de quarante-neuf ans. Rien de particulier à noter
dans les antécédents de cette malade, si ce n'est qu'elle a eu deux enfants morts,
l'un à l'âge de six semaines et l'autre à trois mois. Depuis dix-huit mois, la respi-
ration est devenue difficile.
La face antérieure du thorax présente une voussure dont le sommet occupe l'arti-
culation chondro-sternale de la deuxième côte gauche, et qui est animée de battements
systoliques. Sur toute la région précordiale on constate une circulation veineuse
collatérale très marquée. L'index placé dans la région de ,la fourchette sternale est
soulevé par l'aorte.
Le palper fait percevoir un frémissement systolique au niveau de la voussure. Le
maximum des battements du coeur se trouve dans le 5e espace intercostal gauche, à
i centimètre en dehors de la ligne mamelonnaire. La percussion donne, à la hauteur
de l'union de la première avec la deuxième pièce sternale, une matité large de
8 centimètres qui déborde de 3 centimètres à droite du bord droit le sternum. Au
foyer d'auscultation de l'orifice aortique, on entend un souffle systolique et un
deuxième bruit clangoreux; à l'appendice xyphoïde on entend un double souffle systo-
lique et diastolique.
A l'examen radiographique, on voit une ombre située au-dessus de l'ombre du
coeur, aussi étendue que celle-ci et correspondant évidemment à une vaste poche
anévrismale.
La pupille gauche est très dilatée; le réflexe à la lumière de ce côté n'est pas
complètement aboli mais est très notablement affaibli ; la pupille gauche se contracte
à l'accommodation. La pupille droite est normale. Le réflexe du tendon d'Achille est
extrêmement faible à gauche, il est aboli à droite. Aucun autre signe objectif à noter;
pas de douleurs, pas de troubles vésicaux, pas trace d'incoordination motrice.
Chez la malade qui fait le sujet de l'observation I on constate que la
pupille droite est plus petite que la gauche, et on est porté au premier
abord à faire dépendre ce trouble de la compression que l'aorte dilatée
exercerait sur le sympathique droit; on admet, en effet, que la paralysie
du nerf sympathique dans cette région produit un rétrécissement pupil-
laire. Mais si l'on y regarde de près, on arrive à cette conviction que le
myosis doit tenir à une tout autre cause ; en effet, la paralysie du sympa-
thique, quelque complète qu'elle soit, ne donne pas lieu à une abolition
du réflexe à la lumière, que l'on observe ici. Il faut donc chercher une
autre explication à ce phénomène.
Nous soutenons, M. Charpentier et moi, et notre opinion a déjà été
confirmée par les observations de nombreux médecins^), que l'abolition
du réflexe à la lumière, quand elle est permanente, qu'elle n'est liée à
aucune lésion du globe oculaire, et n'est pas associée à une paralysie de
la troisième paire, est l'indice d'une altération du système nerveux cen-
tral, presque sûrement d'origine syphilitique, et que le sujet chez qui on
constate ce phénomène est un candidat au tabes ou à la paralysie géné-
rale. J'estime que, chez la malade qui nous occupe, c'est bien à une lésion
du système nerveux central qu'il faut attribuer le trouble pupillaire; ce
qni vient à l'appui de cette manière de voir, c'est que le signe d'Argyll
(') Voira) Bulletin de la Société de dermatologie, séance du 1 3 juillet 1899. b) Société médicale
des Hôpitaux de Paris, séance du 17 mai 1901 - ' ? -- ............. - . , .
182 SEMIOLOGIE
Robertson est ici bilatéral, et que les réflexes achilléens sont abolis ; je
crois, en effet, avoir montré (') que l'abolition du réflexe du tendon
d'Achille avait, au point de vue du diagnostic, au moins autant d'impor-
tance, sinon plus, que le signe de Westphal. Je suis d'avis que, malgré
l'absence de tout autre signe de maladie organique du système nerveux,
on est en droit de porter le diagnostic de tabes fruste.
Il y a tout lieu de supposer que la syphilis est le lien qui unit chez
cette malade la lésion aortique aux troubles pupillaires.
Dans l'observation II la pupille gauche est très dilatée, et l'on pourrait
se demander si cette mydriase est sous la dépendance d'une excitation du
sympathique par la poche anévrismale. Je crois qu'on doit écarter cette
hypothèse ; il ne m'est pas démontré, en effet, qu'une irritation du nerf
sympathique soit capable de donner lieu à une dilatation permanente de
la pupille ; de plus, et ce caractère a encore plus d'importance, le réflexe
à la lumière est, sinon complètement aboli, du moins très affaibli ; enfin
le réflexe achilléen fait défaut à droite et il est très faible à gauche.
Comme dans le cas précédent, il s'agit, selon moi, de tabès fruste.
Je rappellerai que la coïncidence entre le tabès confirmé et l'insuffisance
aortique a été fréquemment signalée ; mais dans les faits de ce genre le
diagnostic d'ataxie s'imposait, et il n'y avait aucune raison pour songer à
une compression du sympathique par une aorte dilatée. Dans les obser-
vations que je viens de rapporter, il en est tout autrement ; la lésion orga-
nique du système nerveux eût fort bien pu être méconnue, ce qui me
conduit à me demander s'il n'en a pas été ainsi dans d'autres cas d'ané-
vrisme aortique accompagnés de troubles pupillaires, et je voudrais savoir
jusqu'à quel point est fondée la notion classique qui fait dépendre ces trou-
bles d'une compression nerveuse ; n'a-t-on pas été amené à cette idée par
des considérations théoriques, en rapprochant les phénomènes pupillaires
des phénomènes laryngés qui sont dus à la compression du récurrent ?
Pour résoudre cette question, il faut de nouvelles observations ; j'in-
vite donc mes collègues à examiner, chez les aortiques qui se présenteront
à eux, l'état du réflexe à la lumière des pupilles, et à faire connaître à la
Société le résultat de leurs recherches.
Cette exploration a, dans l'espèce, un intérêt capital, car, je le répète,
l'abolition du réflexe à la lumière permet d'écarter l'hypothèse d'une
simple lésion du sympathique ; même en l'absence de tout autre signe
objectif, quand elle se présente dans les conditions spécifiées plus haut,
cette abolition dénote une altération du système nerveux central, d'origine
syphilitique selon toute probabilité. J'en conclus que dans un cas où chez
un aortique on se demande s'il existe une poche, contrairement à ce
qu'on enseigne, la présence de troubles pupillaires ne peut en rien
contribuer à établir le diagnostic d'anévrisme, si le réflexe à la lumière
est aboli ou notablement affaibli.
(1) a) Sur le réflexe du tendon d'Achille dans le tabes. Soc. méd. des Hep. de Paris, 26 octobre
1898. b) Sur le réflexe du tendon d'Achille. Soc. de Neurologie de Paris, 2 mai igoi.
SEMIOLOGIE OCULAIRE 183
, r . DE L'ABOLITION DES REFLEXES PUPILLAIRES .. ..
w . .' DANS SES RELATIONS AVEC LA SYPHILIS^) ;[ : ~
Dans un travail présenté, il y a deux ans, à la Société de Dermato-
Iogie (2), nous avons cherché à établir que l'abolition des réflexes des
pupilles et particulièrement du réflexe à la lumière, quand elle est per-
manente, qu'elle est l'expression d'une lésion limitée à l'appareil des
réflexes pupillaires, c'est-à-dire qu'elle n'est liée à aucune altération du
globe oculaire et du nerf optique et n'est pas associée à une paralysie
de la 3" paire, constitue un signe de syphilis acquise ou de syphilis héré-
ditaire presque, sinon tout à fait, pathognomonique.
Cette idée a été confirmée depuis par plusieurs observateurs, par Koe-
nig(3), qui rapporte plusieurs faits d'abolition des réflexes pupillaires dans
la syphilis héréditaire, par Erb ("), qui déclare que ce signe lui paraît
indiquer que le système nerveux central est touché par la syphilis, par
Harris ('), pour qui le phénomène d'Argyll Robertson est un signe pres-
que certain de syphilis, par Parinaud, qui nous autorise à dire qu'il par-
tage entièrement notre opinion, par Antonelli, qui vient de nous faire
connaître son avis sur ce sujet dans une lettre de laquelle nous extrayons
le passage suivant : « L'abolition ou l'affaiblissement considérable du
réflexe pupillaire à la lumière (les mouvements synergiques de la pupille
étant conservés) est pour moi un signe spécifique précieux. »
Cestan a relaté aussi des faits conformes à notre idée (6); il rapporte
l'histoire de quatre malades du service de Raymond à la Salpétrière,
atteints de méningo-myélite syphilitique avec signe d'Argyll Robertson.
Les nouvelles observations que nous avons faites depuis la publication
de notre premier travail ont encore fortifié notre manière de voir, à l'ap-
pui de laquelle nous présentons aujourd'hui à la Société des malades
actuellement hospitalisés dans le service de l'un de nous.
Voici d'abord une femme âgée de trente-quatre ans, syphilitique depuis
l'âge de vingt-sept ans ; elle a des exostoses syphilitiques. On constate le
signe de Robertson. Outre ce trouble il n'existe chez elle aucune mani-
festation fonctionnelle, aucun caractère objectif d'affection organique du
système nerveux ; les réflexes tendineux des membres supérieurs et des
membres inférieurs sont normaux ; la vue est bonne ; il n'y a jamais eu
de diplopie ; la vessie fonctionne bien ; le signe de Romberg fait totale-
ment défaut; il n'y a jamais eu de douleurs.
(1) MM. J. Babinski et Charpentier, Bulletins et Mémoires de Id Soc. Médicale des Hôpitaux, 17 mai
1901.
(2) Bulletins de la Société de dermatologie, séance du 13 juillet 18qq. Voir aussi la Thèse de Char-
pentier sur ce sujet. (Thèse de Paris, août 189g.)
(3) On pupillary anomalies in paralyse and non-paralysed idiot cbildren and their relation tohere-
ditary syphilis, The Journal of Mental Science, July igoo.
(t) Gur Friihdiagnose der Tabes, llünchener medicinische Wochenschrift, igoo, p. 99°.
(°) Signification de la pupille d'Argyll-Roberlson, Brit. med. Journ., 29 sept igoo.
(6) « Méningo-myélite syphilitique avec signe d'Argyll Robertson o, Archives de Neurologie, 1900,
t. V, f. 104, -
184 SÉMIOLOGIE
Cette autre femme, âgée de cinquante-huit ans, a contracté la syphilis
il y a quarante-deux ans, à l'âge de seize ans; elle a une lésion au nez
sur la nature de laquelle on n'a pas été fixé à l'hôpital Saint-Louis ; il
s'agit d'un lupus tuberculeux ou d'une syphilide. Les pupilles ne se
contractent pas à la lumière ; leurs dimensions se modifient sous l'influence
de l'accommodation, comme à l'état normal. Du reste, cette malade,
comme la précédente, n'a aucun autre signe objectif, aucune manifesta-
tion subjective d'affection organique du système nerveux.
Voici un homme âgé de quarante-six ans, qui a contracté la syphilis
à l'âge de trente et un ans. Il a le signe de Robertson et on ne trouve chez
lui aucun autre caractère objectif de maladie organique du système
nerveux. Mais, contrairement aux deux autres malades, il a quelques
troubles subjectifs : il est sujet depuis plusieurs mois à quelques douleurs
lancinantes et il se plaint que sa mémoire se soit affaiblie.
Enfin, cette femme, âgée de cinquante-deux ans, ne présente que le
signe de Robertson comme manifestation d'affection organique du
système nerveux. Elle ne se rappelle pas avoir eu d'accidents spécifi-
ques. Mais elle a eu une grossesse qui s'est terminée par un avorte-
ment ; de plus, elle a depuis l'enfance une déformation bilatérale des
tibias en lame de sabre. Nous sommes portés à croire qu'il s'agit ici de
syphilis héréditaire.
Relativement au grand nombre d'individus atteints de syphilis, les cas
d'abolition des réflexes pupillaires sont évidemment rares, mais d'une
manière absolue ces faits sont assez communs (nous n'avons en vue, bien
entendu, que les sujets chez lesquels le trouble pupillaire n'est pas asso-
ciés à d'autres manifestations caractéristiques du tabès ou de la méningo-
encéphalite diffuse).
L'abolition des réflexes pupillaires, dans les conditions précédemment
précisées, nous parait indiquer que le système nerveux central est
atteint par la syphillis et que le sujet chez qui on le constate est un can-
didat au tabes, à la paralysie générale, ou à la syphilis cérébro-spinale
confirmée.
Il y a du reste tous les intermédiaires entre les cas où l'une de ces trois
affections est dans son complet développement et les faits où l'abolition
des réflexes pupillaires est le seul signe d'une affection organique du
système nerveux. Comme l'abolition du réflexe à la lumière n'apporte
aucune gêne dans la vision, qu'il n'est guère susceptible de frapper
l'attention du malade, il doit être recherché systématiquement chez tout
individu qui se présente à l'examen du médecin,
Sa constatation a une importance pratique très grande. Elle décèle
l'existence d'un état qui est souvent le précurseur de troubles fort graves
et constitue une indication impérieuse au point de vue du traitement ; en
effet, si la cure spécifique peut exercer une influence favorable sur les
lésions du système nerveux d'origine syphilitique, elle sera naturelle-
ment d'autant plus efficace que ces lésions sont à leur début et que les
éléments nerveux ne sont pas encore profondément altérés.
SÉMIOLOGIE CEREBELLEUSE
XVI
.. ASYNERGIE CÉRÉBELLEUSE
. [J. Babinski.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de neurologie de Paris,
, séance du g novembre 1899.
désire entretenir la Société d'une forme de troubles de motilité,
t dont la cause anatomique est une lésion cérébelleuse et qui dépend
J d'une perturbation de la faculté d'association des mouvements, la
synergie musculaire ; cette perturbarion peut, en raison de son origine,
être désignée sous la dénomination d'asynergie cérébelleuse..
... Les troubles de motilité, dont est atteint H. M. (malade de l'observa-
tion I), sont indubitablement une manifestation d'une lésion des fibres
cérébelleuses de la protubérance. Le tremblement des membres et de la
tête, la scansion de la parole, le nystagmus, la titubation, la perturbation
profonde dans la marche qui contraste avec l'intégrité de la force muscu-
laire et la persistance de la notion de position des membres, voilà, en effet,
un ensemble symptomatique qui justifie pleinement cette manière de voir.
Ce sont là des données qui sont bien établies et sur lesquelles il n'y a
pas à insister.
Je veux, au contraire attirer particulièrement l'attention de la Société
sur certains phénomènes relatifs aux troubles de motilité qui, à ma connais-
sance, n'ont pas été décrits.
L'attitude du malade, quand il cherche à marcher, a un aspect tout à
tait spécial ; la partie supérieure du corps ne suit pas le mouvement du
membre inférieur et reste en arrière. Je suis disposé à croire que ce
phénomène est pathognomonique d'une perturbation dans les fonctions
cérébelleuses, et c'est en me fondant sur ce caractère que j'ai porté pen-
dant la vie le diagnostic, confirmé par la nécropsie, d'affection cérébel-
leuse chez la malade qui fait le sujet de l'observation II... '
186 SÉMIOLOGIE
Pour bien comprendre la signification de ce phénomène il est utile de
considérer au préalable l'acte complexe de la marche chez l'individu sain.
Il n'est pas nécessaire, du reste, de l'analyser d'une manière complète.
Il suffit, au point de vue qui nous occupe, de se mettre dans l'esprit que
cet acte se compose de deux ordres principaux de mouvements donnant
lieu, l'un au soulèvement du pied au-dessus du sol et à sa translation,
l'autre à la translation du reste du corps. L'exécution normale de la
marche implique l'intégrité des muscles qui opèrent ces mouvements et
la synergie entre ces deux ordres de mouvements. '
Chez H. M., la force musculaire étant normale, c'est à une perturbation
dans la faculté d'observation, à l'asynergie, qu'il faut attribuer l'impossi-
bilité dans laquelle il se trouve d'associer la translation du corps à la pro-
pulsion du pied. "
Je relève ensuite cet autre caractère noté pendant l'examen pratiqué
dans la station debout. Lorsque le malade étant debout cherche à porter
la tête en arrière et à incliner le tronc dans le même sens, en forme
d'arc, les membres inférieurs restent presque immobiles et il tombe avant
d'avoir fait attendre au tronc le degré de courbure qu'on peut obtenir à
l'état normal sans perdre l'équilibre.
Ce phénomène dénote aussi un défaut dans la fonction d'association des
mouvements du tronc et des membres inférieurs. En effet, dans l'acte que
nous avons en vue, l'individu normal, en même temps qu'il incline la
partie supérieure du corps en arrière, fléchit la jambe sur le pied et la
cuisse sur la jambe et portant ainsi les genoux en avant, maintient son
équilibre...
itDIAD aGas ! NÉS ! E (1)
... Comme type de mouvements successifs, on peut prendre l'acte qui
consiste à porter alternativement, avec toute la rapidité dont on est capable,
la main en pronation, puis en supination,
Observez le malade H. M., atteint, comme vous le savez, d'asynergie
cérébelleuse. Il exécute aussi rapidement qu'un individu normal chacun
de ces deux mouvements élémentaires : la pronation et la supination ;
mais il accomplit deux ou trois fois moins vite qu'un sujet sain l'acte
complot, Le trouble devient surtout manifeste quand on fait répéter le
même acte un grand nombre de fois en recommandant au malade de ne
pas interrompre les mouvements. ,
Voici maintenant deux sujets atteints de sclérose multiloculaire avec
plaques soit sur le cervelet, soit sur les fibres cérébelleuses de la protu-
bérance ou du bulbe ; en effet leur parole est scandée, ils ont du nystag-
(') J. Babinski (Extrait du premier travail : Sur le rôle du cervelet dans les actes volitionnels
nécessitant une succession rapide de mouvements (Diadococinésie). Revue neurologique, n° 21,
}5 novembre igo2.
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE 187
mus, du tremblement dit intentionnel des membres supérieurs et de
l'asynergie des membres inférieurs ; ce sont donc des cérébelleux. Or, pour
les mouvements de pronation et de supidation. ils se comportent exacte-
ment de la même manière que le sujet précédent.
Cette jeune fille que je vous présente est atteinte d'un néoplasme intra-
crânien siégeant à la partie gauche du bulbe rachidien ; le diagnostic de
tumeur repose sur la céphalée, les vomissements et la névrite oedémateuse
que l'on a constatée à l'examen ophtalmoscopique ; la notion de siège
s'appuie sur une paralysie du facial et du moteur oculaire externe gauches,
sur une anesthésie de la cornée et une surdité du côté gauche ; enfin, en
se fondant sur les vertiges, la latéropulsion à gauche, l'asynergie du
membre inférieur gauche, bien plus prononcée il est vrai autrefois que
maintenant, et un léger tremblement intentionnel du membre supérieur
gauche, on peut affirmer que la partie de l'appareil cérébelleux qui occupe
la moitié gauche du bulbe est altérée. Comparez maintenant les deux
côtés au point de vue des mouvements de pronation et de supination ; à
droite, les mouvements sont à peu près normaux ; à gauche, ils sont
analogues à ceux qu'exécutent les malades que vous venez de voir ; ce
cas est particulièrement intéressant, car, en faisant fonctionner simul-
tanément les deux membres, le trouble du membre supérieur gauche
s'impose à l'observation.
On observe donc chez tous les- malades que je viens de faire passer
sous vos yeux un trouble de motilité qui n'a pas encore été décrit. Je tiens
à bien faire ressortir, pour éviter un malentendu. que ce trouble ne peut
être considéré comme constitué que quand il se manifeste chez un sujet
en mesure d'exécuter, avec la rapidité normale, les mouvements élémen-
taires, car il va sans dire qu'un individu qui ne peut faire rapidement un
mouvement isolé, soit de pronation, soit de supination, est a fortiori inca-
pable d'accomplir une succession rapide de ces deux mouvements. Mais
l'inverse est facile à concevoir ; en effet, la succession rapide de plusieurs
mouvements implique la faculté d'arrêter brusquement une impulsion
motrice et aussitôt après de donner aux muscles une impulsion nouvelle,
et l'on comprend très bien que cette faculté puisse être troublée alors
que l'exécution de chacun des mouvements élémentaires s'opère correc-
tement. On est en droit de dire qu'il s'agit là d'une fonction spéciale qui
consiste dans l'association d'une action excito-motrice à une action fréna-
trice ; cette fonction est normale quand chacune des deux actions qui la
constituent peut s'exercer avec rapidité.
... Il y aurait lieu de donner à cette fonction une dénomination pro-
pre. Je propose de l'appeler diadococinésie, néologisme formé de deux
termes dérivés de deux mots grecs, dont l'un signifie « successif » et
l'autre « mouvement ». De même que le mot syncinésie, créé par Vul-
pian, est synonyme de mouvement associé, de même ce mot de diadoco-
cinésle sera synonyme de mouvement successif et, par extension, pourra
désigner la fonction qui, par le mécanisme que j'ai cherché à expliquer.
permet l'accomplissement de mouvements successifs.
XVII
LES SYMPTOMES DES MALADIES DU CERVELET
ET LEUR SIGNIFICATION
.
" [J. Babinski et A. Tournay.]
Publié dans le rapport au congrès international de médecine, Londres, igi3. '
INTRODUCTION (')
'ETUDE des symptômes des maladies du cervelet offre de grandes
) difficultés auxquelles se sont heurtés les cliniciens aussi bien que
les physiologistes.
Ces symptômes sont divers, ils s'associent, se mélangent, s'enche-
vêtrent. C'est là, pour l'analyse, une première cause d'embarras, d'un
genre, il est vrai, assez commun en pathologie.
Mais il surgit ici un obstacle, d'un ordre tout spécial, résultat des
connexions anatomiques et fonctionnelles qui unissent le cervelet et le
labyrinthe non-acoustique. La symptomatologie des affections cérébel-
leuses présente de ce fait une parenté étroite avec celle des affections
labyrinthiques. Bien souvent, on est amené à se demander s'il ne revient
pas à l'appareil vestibulaire une part plus ou moins grande dans la genèse
des troubles que l'on constate chez un cérébelleux.
Il nous a semblé qu'il était, avant tout, essentiel de rapprocher les
lésions du labyrinthe de celles du cervelet au point de vue de leurs mani-
festations symptomatiques, et de chercher à dégager, parmi les symp-
tômes englobés dans le syndrome cérébelleux, ceux qui constitueraient
seulement des phénomènes d'emprunt, ou qui seraient communs à ces
deux ordres de lésions. Ce sera l'objet de la première partie de notre
rapport.
Ce triage une fois fait, nous serons en mesure d'étudier ensuite, dans
une deuxième partie, des symptômes qui pour la plupart n'ont guère été
(') Extrait de l'introduction du rapport.
/
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE 189
rencontrés jusquici que dans les aflections du cervelet et dont quelques-
uns conslituent des acquisitions récentes.
Enfin, dans une troisième partie, nous exposerons les conditions qui
font varier les symptômes cérébelleux, qui expliquent leur atténuation,
leur persistance ou leur aggravation, et nous aborderons le problème
des localisations.
Nous avons eu comme objectif principal, dans l'élaboration de ce tra-
vail, la description des phénomènes que l'on observe dans la clinique
humaine ; toutefois, il nous a paru indispensable de mettre largement à
profit les données fournies par la pathologie expérimentale, et de rap-
procher les résultats de ces deux ordres de recherches.
PREMIÈRE PARTIE (')
La constatation des analogies entre les effets des altérations du cerve-
let et ceux des altérations du labyrinthe non acoustique a d'abord été
faite par les expérimentateurs. Ce sont eux qui ont posé l'important pro-
blème qui en résulte, et qui ont essayé d'établir une démarcation entre
les fonctions de ces deux organes. Aussi nous a-t-il paru naturel de rap-
peler d'abord les résultats de leurs investigations. Nous serons alors
mieux préparés pour exposer les phénomènes qui se présentent chez
l'homme dans les cas d'affections cérébelleuses et labyrinthiques, et pour
les mettre en parallèle.
... En résumé, les symptômes dont il vient d'être question ne sont pas,
sans doute, absolument identiques suivant que leur origine est labyrin-
thique ou cérébelleuse. Cependant les différences qui les séparent ne sont
pas assez tranchées pour qu'on puisse établir une ligne de démarcation
entre les deux ordres de faits que nous envisageons.
Pour distinguer nettement les affections du cervelet de celles du laby-
rinthe il faut faire appel à une autre catégorie de signes.
Nous n'avons pas à nous occuper des symptômes qui appartiennent
en propre aux aflections labyrinthiques. Nous devons au contraire recher-
cher ceux qui sont spéciaux aux affections cérébelleuses.
DEUXIÈME PARTIE n
Parmi les symptômes cérébelleux que nous allons maintenant étudier
il en est plusieurs, anciennement décrits, dont nous avons déjà fait men-
tion ; d'autres constituent des acquisitions plus récentes de la Séméio-
logie. Nous allons passer en revue une série de phénomènes que l'on n'est
pas encore en droit de considérer tous comme caractéristiques ; quelques-
(') Extrait de la première partie du rapport.
(2) Extrait de la deuxième partie du rapport.
igo SÉMIOLOGIE ' '
uns, en effet, sont de valeur discutable et nous ferons des réserves à leur
sujet. Mais la plupart n'ont guère été observés jusqu'à présent, chez
l'homme, que dans les affections de l'appareil cérébelleux.
MOUVEMENTS DEMESURES : HYPERMÉTRIE.
Chez les malades atteints d'affections cérébelleuses on peut constater
que les mouvements volontaires, ou tout au moins certains mouvements
et dans certaines conditions, sont exécutés d'une manière démesurée.
L'observation peut en être faite à l'occasion d'actes accomplis sponta-
nément. Mais c'est dans certains actes commandés que le trouble appa-
raît généralement avec le plus de netteté.
On ordonne, par exemple, au malade de porter l'extrémité de l'index
(droit ou gauche) au bout de son nez. Tandis qu'un sujet sain arrive aisé-
ment, quelle que soit la vitesse du mouvement, à appliquer sans choc
l'extrémité du doigt juste sur le bout du nez, et à la maintenir à cette
place, le cérébelleux n'y parvient pas ; son doigt après avoir suivi dans sa
course la direction voulue, après avoir touché au but, ne s'y arrête pas,
mais le dépasse : il heurte violemment le nez, glisse ou ricoche, et de là
va en dehors et en arrière, vers la joue et l'oreille.
Le malade étant assis, on lui dit de mettre sa main en pronation, la
paume appliquée sur le genou du même côté. Puis on lui commande de
retourner sa main, par un mouvement de supination, de telle façon que
par sa face dorsale elle vienne se poser exactement à la même place sur
le genou. Ce mouvement, simple et facile pour un sujet normal, n'est pas
accompli correctement : l'avant-bras est entraîné en dedans de la cuisse,
et, de plus, le mouvement de supination est plus ample qu'il ne convien-
drait, le bord cubital de la main atteignant un niveau plus élevé que le
bord radial.
A la droite d'une feuille de papier on abaisse une ligne verticale, et
l'on prie le malade de tracer à son tour, de gauche à droite, des lignes
horizontales partant d'un point quelconque, mais devant s'arrêter exacte-
ment à la verticale : la main franchit la limite fixée. On peut faire répéter
cet exercice de droite à gauche, mouvement élémentaire moins habituel.
On peut aussi faire reproduire un modèle composé d'une série de zig-
zags égaux et réguliers. Mais c'est demander alors l'exécution de mouve-
ments composés, successifs et alternatifs ; ce qui met en jeu une faculté
nouvelle, la diadococinésie, que nous étudierons plus loin.
Le malade étant debout, aidé au besoin ou surveillé, si on lui commande
de marcher, on constate que, dans le premier temps de la marche, la
flexion de la cuisse sur le bassin est bien plus prononcée qu'à l'état nor-
mal, ce qui a pour conséquence un soulèvement excessif du pied ; dans
le deuxième temps, le bruit produit par la plante du pied qui vient s'ap-
pliquer violemment sur le sol dénote l'extension démesurée de la cuisse.
La flexion démesurée de la cuisse sur le bassin est encore constatée au
cours des exercices suivants : .
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE 19t.
Si, étant couché sur le dos, le malade cherche à placer le talon d'un
côté sur le genou de l'autre côté, le talon est porté trop haut et dépasse.
le but, ce n'est que dans un second temps que le talon revient se poser
sur le genou.
Si maintenant le malade, restant étendu sur le dos, cherche à rappro-
cher le talon de la fesse du même côté, la cuisse est d'abord fléchie de
façon exagérée sur le bassin, la jambe n'étant que légèrement fléchie sur
la cuisse ; puis, dans un second temps, la jambe est fléchie fortement sur
la cuisse, et la cuisse retombe brusquement, de telle sorte que le pied
vient frapper le sol contre la fesse.
On voit en quelle manière les mouvements exécutés dans ces deux pré-
cédents exercices sont démesurés ; mais ils présentent dans leur succes-
sion un autre caractère anormal, l'asynergie, sur lequel nous reviendrons
plus loin. Nous discuterons alors les rapports de ces troubles entre eux.
Pour bien constater le caractère démesuré des mouvements il faut
demander au cérébelleux d'exécuter ceux-ci rapidement, lui dire par
exemple, portez l'extrémité de votre index au bout de votre nez, vite,'
encore plus vite. Le doigt dépasse le but. Le sujet, dont la sensibilité
est intacte a parfaitement conscience de toute son erreur. Lorsqu'on le
prie de répéter le même geste en s'efforçant de le rendre correct, il peut
y réussir. C'est qu'alors il se surveille, exécute le mouvement avec lenteur
et circonspection. Souvent ses mouvements spontanés ne sont pas déme-
surés, parce qu'ils sont précisément surveillés et lents. Mais si, par empres-
sement ou par inadvertance. il veut accomplir avec promptitude quelque
mouvement, celui-ci est plus ou moins démesuré.
D'autre part, il est à remarquer que, lorsque l'affection est encore
récente, les sujets ont de la peine à exécuter même avec lenteur les mou-
vements qu'on leur commande. Pour ne pas dépasser le but, ils usent
d'artifice ; ils visent sur la trajectoire du mouvement un point en deçà du
but. Mais dans leurs premiers essais ils commettent des erreurs d'évalua-
tion, et ce n'est qu'après bien des tentatives qu'ils atteignent avec quel-
que précision la limite fixée.
Si le malade répète ces mêmes épreuves, tantôt en gardant les yeux
ouverts et tantôt en fermant les yeux, le plus généralement, l'observateur
ne constate aucune différence dans la modalité des mouvements démesu-
rés. La vue n'influe pas sur eux. C'est là pour les mouvements démesurés
cérébelleux un caractère différentiel capital.
Un autre caractère, non moins important, complète la définition de ces
mouvements. C'est que, d'une façon générale, le mouvement démesuré
cérébelleux conserve sa direction, son orientation intentionnelle. Le
membre ne dévie pas, il va à peu près directement vers le but et ce n'est
qu'après l'avoir dépassé qu'il s'en écarte.
Ainsi dans son trajet, dans la majeure partie de son trajet tout au moins,
le mouvement, rapide, continu, est à peu près uniforme et orienté. Ce
n'est qu'à fin de course que le membre, ne s'arrêtant pas avec la précision
19ï SÉMIOLOGIE
coutumière au sujet sain, décrit quelques oscillations en sens divers.
Nous reviendrons ultérieurement sur ces oscillations et sur celles que l'on
observe au cours des mouvements spontanés.
Nous insistons sur ce fait que les mouvements que nous venons de
décrire sont, au pied de la lettre, des mouvements démesurés. Leur carac-
tère brusque ne suffit pas à les définir.
Déjà nous indiquions en 1906 qu'il est des mouvements que l'on appelle
brusques, mais auxquels l'expression sans mesure conviendrait mieux ;
un mouvement peut en effet être brusque, mais être en quelque sorte
rigoureusement dosé ; il est par exemple possible de porter avec brusque-
rie l'index vers la bouche et y arriver sans dépasser le but ; or, dans l'es-
pèce, le malade, il est vrai, finit par atteindre l'endroit visé, mais après
l'avoir dépassé, en raison de son incapacité d'arrêter le mouvement à point.
En 1909 nous avons plus expressément attiré l'attention sur ces mou-
vements démesurés.
Nous rappelions alors sommairement que des physiologistes avaient
antérieurement relaté des troubles analogues dans leurs comptes rendus
d'expériences.
Nous n'avions pas eu connaissance d'une observation isolée de Hup-
pert(') lorsque nous avons fait paraître notre mémoire en mai 1909.
Notre attention était attirée sur ce fait que les malades cérébelleux que
nous examinions présentaient des mouvements que l'épithète de brusque
ne qualifiait pas suffisamment et auxquels, comme nous le faisions remar-
quer en juillet 1906, l'expression sans mesure conviendrait mieux. Une
fois fixé sur la valeur de ce caractère constituant un véritable symptôme,
nous nous sommes servi de l'expression mouvements démesurés pour
indiquer, sans confusion possible, que dans l'exécution de ces mouve-
ments la mesure est dépassée.
... Peut-on observer des mouvements volontaires, à la fois rapides et
démesurés, dans d'autres affections ? Et si oui, peut-on les distinguer des
mouvements démesurés cérébelleux ? ' ?
Au cours de l'ataxie qui se rencontre chez l'homme dans le tabes, les
mouvements peuvent être brusques et sans mesure. Assurément, de par
les signes concomitants que l'examen révèle. chez un tabétique d'une part,
chez un cérébelleux d'autre part, on pourrait inférer que le trouble en
question relève de l'une ou de l'autre cause. Mais ce que nous nous
z) Huppert relate le cas d'un homme de 23 ans, faible d'esprit (depuis l'âge de 3 ans, où étaient
apparus de la fièvre et des accès épileptiques), dont la sensibilité est intacte et qui ne présente que des
désordres moteurs. La parole est lente et interrompue. Les mouvements des membres supérieurs sont
maladroits, manquant de la juste mesure, d'où l'inaptitude à exécuter les actes les plus délicats. Les
désordres dans les membres inférieurs sont plus graves; le malade marche avec les jambes écartées,
en oscillant continuellement et ses mouvements se distinguent par leur maladresse (Ungeschichlichloeit),
leur lourdeur (Seltwerjâlliglceil) et leur manque de mesure (Masslosigheit) ; il les laisse pesamment
retomber sur le sol.
« C'est pour la première fois, dit Luciani, qu'apparaît et est minutieusement décrit un symptôme...,
il consiste en ce que l'auteur appelle « Masslosigkeit der Muskelthatigkeit », et que je nomme « dis-
« metria dei movimenti ». » '
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE tg3
demandons, c'est si on peut remonter à l'origine de ce trouble de par ses
modalités propres, de par ses caractères intrinsèques.
Faisons asseoir côte à côte un tabétique ayant de l'ataxie aux membres
supérieurs et un cérébelleux présentant de façon typique les mouvements
démesurés ci-dessus décrits; et commandons-leur de porter avec rapi-
dité l'extrémité de l'index au bout du nez. Il se peut qu'occasionnellement
ces deux malades accomplissent un mouvement fort comparable, que
leur doigt aille avec brusquerie heurter le nez et osciller au delà. Mais, à
la répétition, des différences vont infailliblement apparaître.
On peut remarquer, d'une façon générale, que le cérébelleux, restant
dans les mêmes conditions et cherchant à faire le même mouvement, le
reproduit avec les mêmes caractères. Répétant un mouvement rapide, il
l'exécute avec brusquerie et démesure ; il parvient au but mais le dépasse ;
et c'est seulement après l'avoir atteint qu'il dévie. Répétant un mouve-
ment lent, il arrive plus ou moins à se corriger et à toucher le but avec
une lenteur suffisante pour être capable de s'y arrêter. Enfin, si le malade
ferme les yeux, il n'apparaît guère de changement appréciable dans la
forme du mouvement exécuté. Parfois, il est vrai, le doigt passe à côté
du but, va vers la joue et n'atteint le nez que dans un second temps ; mais
cette déviation n'est jamais très considérable, et, quand elle se reproduit,
elle s'opère toujours dans le même sens, d'une manière en quelque sorte
systématique.
Au contraire le tabétique dévie dans les sens les plus divers, et sous
des angles fort variables. Il commence son mouvement avec brusquerie et
lui imprime presque dès le début une fausse orientation, que le mouve-
ment soit rapide ou lent. Dans ce dernier cas, il est vrai, le tabétique
peut plus aisément corriger son erreur ; mais le doigt à chaque instant
ramené dans le bon chemin s'en écarte à nouveau. Ce n'est qn'après plu-
sieurs saccades irrégulières, des arrêts et reprises, constituant un ensem-
ble de gestes désordonnés et maladroits, que le but est atteint. Si main-
tenant le tabétique ferme les yeux, ce trouble s'accentue de façon très
notable. Le mouvement perd toute mesure, le doigt peut être porté en
divers sens, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, complètement désorienté.
Mais, si généralement il va au delà, il s'arrête parfois en deçà du but
qu'il doit atteindre.
Ainsi dans les cas typiques, les mouvements démesurés des cérébelleux
et ceux des tabétiques diffèrent cliniquement : les uns dépassent la me-
sure, d'autant plus qu'ils sont plus rapides, restent orientés, ne sont pas
influencés par l'occlusion des yeux ; les autres, même exécutés lentement,
sont désorientés ; leur désorientation s'accentue considérablement quand
les yeux sont fermés ; enfin nous sommes tentés de dire qu'ils sont mal
mesurés plutôt que démesurés.
Il y a dans ce dernier trait une nuance que l'on pourrait peut-être expri-
mer en réservant le terme de dysmétrie aux mouvements sans mesure des
tabétiques, et en appliquant à ceux des cérébelleux le vocable hypermé-
trie (de vT,épy.s ? ç>3ç, qui passe la mesure).
13.tBl-"SLI. 1 3
194 SEMIOLOGIE
En ce qui concerne la pathogénie des mouvements démesurés dans les
affections cérébelleuses, les opinions sont encore partagées.
Nous ne nous croyons pas en état de résoudre ce problème. Nous
avouerons que nous ne sommes guère disposés à faire dépendre ces
troubles de l'atonie, phénomène primordial d'après Luciani. Nous avons
en effet constaté des mouvements démesurés à leur plus haut degré de
développement dans des cas où l'hypotonie, telle qu'on la recherche en
clinique, faisait complètement défaut. Nous ne saurions admettre non
plus l'idée de Lewandowsky pour qui l'hypermétrie relèverait d'un trouble
du sens musculaire ; car la sensibilité sous toutes ses formes, explorée
avec les divers moyens dont on dispose, paraissait complètement intacte
chez les malades de ce genre que nous avons eu l'occasion d'examiner.
Nous dirions volontiers, s'il nous fallait émettre une hypothèse, que tout
se passe comme si le cervelet exercait à l'état normal sur les mouvements
une action frénatrice dont la suppression engendrerait l'hypermétrie.
ASYNERGIE CÉRÉBELLEUSE.
Nous avons été conduit par l'observation clinique à rassembler, sous
la dénomination d'asynergie cérébelleuse, des troubles de motilité d'un
mode particulier.
Nous voudrions d'abord, en nous affranchissant de toute interprétation,
rappeler les faits qui ont retenu notre attention.
Voici ce que nous avons constaté dans le premier cas que nous avons
observé et qui, étant donné la netteté des troubles, se prêtait favorable-
ment à l'étude des phénomènes dans leur forme type.
Le malade, dont la force musculaire est normale et la sensibilité
intacte, est incapable de marcher sans soutien. Deux aides l'assistant,
l'un à droite, l'autre à gauche, avec mission de soutenir seulement la
partie supérieure de son corps sans lui imprimer de mouvements, il est
invité à se mettre en marche. Or, dès son premier pas il est arrêté.
La cuisse est fléchie, elle l'est brusquement et démesurément, et le pied
est porté en avant. Mais la partie supérieure du corps ne concourt pas
au mouvement de translation, le tronc reste étendu sur le bassin ; il est
même un peu entrainé en arrière, ce qui peut être la conséquence du
mouvement démesuré de flexion de la cuisse. Aussi, lorsque le malade,
ayant reposé brusquement et avec bruit sur le sol sa jambe oscillante,
a terminé son premier pas, il ne peut aller plus loin ; il est en danger
de tomber en arrière, et sa chute deviendrait inévitable dès l'ébauche
du second pas, s'il n'était soutenu. Ainsi le haut du corps reste en place
et la progression est impossible.
Pour que le malade puisse avancer, il faut donc que les aides impri-
ment à la partie supérieure de son tronc une légère impulsion en avant,
ou bien qu'un seul aide, se plaçant devant lui et le prenant par les deux
mains, l'attire légèrement au moment où il soulève la cuisse. Il est
aussi en état de marcher, sans l'assistance d'autrui, si, rencontrant des
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE ig5
appuis fixes échelonnés sur sa route, il peut s'y cramponner et par la
force des bras attirer son corps en avant. ,
Donc, à chaque tentative de déambulation le tronc reste inerte tandis
que les membres inférieurs fonctionnent, et la marche n'est possible que
si d'une façon ou d'une autre on remédie à cette perturbation.
Un tel fait est pour nous la caractéristique d'un phénomène qui diffère
objectivement de tous les troubles de locomotion déjà connus. Une
dénomination spéciale s'imposait : nous verrons plus loin pourquoi nous
avons choisi celle d'asynergie cérébelleuse.
Nous rappellerons auparavant que nous avons également donné l'épi-
thète d'asynergiques à d'autres phénomènes se manifestant au cours des
épreuves suivantes :
a) Le malade se tenant debout et immobile, on l'invite à porter
la tête en arrière et à courber le tronc dans le même sens en forme
d'arc. On observe alors qu'ayant imprimé à son corps un degré d'in-
curvation relativement modéré il perd la stabilité ; il faut le retenir pour
éviter une chute. Un sujet sain comparativement examiné peut, exécutant
cet acte, se renverser bien davantage en arrière sans tomber; mais on
constate qu'il y réussit en fléchissant dans une mesure appropriée les
jambes sur les pieds et les cuisses sur les jambes ; c'est tout le corps,
de la tête aux pieds, qui s'incurve en arrière, et les genoux sont portés
en avant. Au contraire, le malade en question garde les jambes verti-
cales et à peu près immobiles, les pieds comme figés au sol : la partie
supérieure du corps seule s'infléchit en arrière, et, lorsqu'un certain degré
d'inclination est dépassé, l'équilibre est définitivement rompu.
La même épreuve étant répétée lorsque les yeux sont fermés le
phénomène est reproduit de façon identique. Il n'y a là rien, ni dans
les conditions ni dans la forme, qui puisse être confondu avec le signe de
Romberg. On ne peut dire d'autre part qu'il s'agisse d'un mouvement
démesuré, et d'ailleurs ici la caractéristique à retenir c'est non pas le
mouvement de la partie supérieure du corps, mais bien l'inertie de la
partie inférieure. C'est pour ainsi dire la contre-partie de ce qui se
produisait tout à l'heure dans la marche.
b) Lorsque le malade, après s'être couché à plat sur le dos et avoir
croisé ses bras sur sa poitrine, fait des efforts pour se mettre sur son séant,
il n'y réussit pas ; de plus les cuisses se fléchissent fortement sur le
bassin, et les talons s'élèvent notablement au-dessus du sol, contraire-
ment à ce que l'on observe chez un sujet normal et vigoureux.
Sans doute, comme le fait remarquer André Thomas, il y a des
sujets normaux qui ne s'asseyent pas ou s'asseyent difficilement dans
ces conditions, et dans leurs tentatives répétées les cuisses se plient
quelquefois sur le bassin. Mais, dans ce que nous décrivons ici comme
trouble asynergique, cette flexion de la cuisse est frappante par son
amplitude et sa constance.
Nous avons, dès notre première communication, rapproché ce phé-
nomène du mouvement de flexion combinée de la cuisse et du tronc
tyli SEMIOLOGIE
décrit par nous dans l'hémiplégie organique. Il faut donc, pour pouvoir
lui attribuer la valeur d'un trouble asynergique, le constater en l'absence
de signes d'altération du faisceau pyramidal. On doit s'assurer par
avance que le sujet dispose d'une force musculaire normale, ou en tout
cas suffisante pour lui permettre de maintenir volontairement son talon
fixé au sol. ,
c) Le malade étant assis, on l'invite à porter le bout du pied vers un
point situé à 60 centimètres environ au-dessus du sol : au début de
l'acte, la cuisse se fléchit sur le bassin et la jambe ne s'étend que légère-
ment sur la cuisse, puis l'extension de la jambe devient plus énergique
et la pointe du pied arrive au but ou le dépasse, lancée avec une certaine
brusquerie. Quand le malade cherche ensuite à replacer le membre dans
la position primitive, on voit d'abord la jambe se fléchir sur la cuisse,
tandis que la cuisse ne se meut que légèrement ; puis, lorsque la jambe est
en demi-flexion sur la cuisse, celle-ci s'étend brusquement sur le bassin
et le pied vient s'appuyer sur le sol.
d) Cette dernière variété d'asynergie peut être constatée aussi dans un
exercice que l'on fait exécuter au malade couché à plat sur le dos, et qui
consiste à porter le talon en arrière aussi près que possible de la fesse
et à le ramener dans la position primitive.
Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, lors de ces deux dernières
épreuves le malade accomplit, surtout s'il manoeuvre vite, des mouve-
ments démesurés. Mais nous ne croyons pas que l'on doive dire avec
André Thomas que l'asynergie peut être la conséquence indirecte de
la dysmétrie. Dans le décubitus un sujet sain peut rapprocher le talon
de la fesse en un seul temps, la flexion de la jambe sur la cuisse et celle
de la cuisse sur le bassin se faisant simultanément. Il peut de même
replacer le membre dans la position primitive par extension simultanée
de la cuisse et de la jambe. On conçoit que dans l'un et l'autre cas les
mouvements de chaque segment de membre pourraient être brusques,
forts, exagérés, s'il y avait un simple trouble de la mesure. Mais chez le
cérébelleux ce qui se montre en outre, et qui pour nous est caractéristique
de l'asynergie, c'est que ce mouvement est décomposé : lorsque la cuisse
est fléchie démesurément, la jambe ne l'est que légèrement, la flexion
de la jambe n'étant forte que dans un second temps.
Dans l'ensemble les mouvements sont donc décomposés et démesurés.
Il ne faut pas s'attendre, en effet, à ce que le malade au cours des
diverses épreuves puisse à tour de rôle révéler uniquement soit l'une,
soit l'autre de ces deux catégories de troubles qui coexistent et qu'il
appartient à l'observateur de dissocier. Tout au plus y a-t-il des épreuves
plus favorables à la manifestation de tel ou tel de ces phénomènes.
Nous disons donc qu'à côté de l'hypermétrie, l'asynergie cérébelleuse
constitue bien un trouble à part. Mais, certes, elle n'atteint pas chez
tous les malades un pareil degré de développement; elle peut être nette-
ment caractérisée ou fruste. : En décrivant en 1899 l'asynergie cérébelleuse chez le malade qui
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE 197
nous a servi de type, nous rapportions un deuxième cas. Voici un extrait
de l'observation : · La déambulation sans aide est impossible. Quand
la malade est soutenue des deux côtés et qu'elle cherche à marcher, le
membre inférieur exécute les mouvements élémentaires d'une manière
presque normale, mais la partie supérieure du corps reste en arrière, et
il faut que les aides l'attirent en avant. » Conformément au diagnostic
qui avait été porté on constata, la malade étant morte brusquement,
qu'une tumeur de la grosseur d'un ouf de poule s'était creusée une loge
par refoulement, en majeure, partie aux dépens du cervelet.
Ultérieurement nous avons observé que les troubles asynergiques
tels que nous les avions décrits aux membres inférieurs peuvent être
localisés d'un côté (côté lésé). Dans un travail intitulé Hémiasynergie
et hémitremblement d'origine cérébello-protubérantielle nous relations
l'asynergie du membre inférieur droit chez un sujet à l'autopsie duquel
on découvrit une tumeur remplissant l'espace compris à droite entre
le bulbe, la face inférieure du cervelet et la protubérance, l'angle ponto-
cerébelleux dirions-nous aujourd'hui.
L'hémiasynergie se retrouve dans le syndrome que nous avons exposé
avec J. Nageotte en nous basant sur trois cas : Hémiasynergie, latéro-
pulsion et myosis bulbaires avec hémianesthésie et hémiplégie croisées.
Quelle que soit l'idée qu'on se fasse à cet égard, il n'en est pas moins
incontestable, pour nous, que les troubles de motilité dont nous venons
de donner la description diffèrent totalement de l'ataxie tabétique.
Quant à la titubation vertigineuse, attribuée par Duchenne de Bou-
logne aux cérébelleux, et qui, comme nous l'avons vu, est bien plus
vraisemblablement d'origine labyrinthique, elle n'offre également rien de
comparable à la démarche asynergique que nous avons décrite.
Il nous a donc paru indispensable, pour désigner ce trouble, de lui
appliquer une dénomination particulière. Duchenne de Boulogne avait
autrefois qualifié, il est vrai, d'asynergique la titubation de l'ataxie loco-
motrice, opposée par lui à la titubation vertigineuse ; mais ce mot pris
dans cette acception n'a pas été consacré par l'usage et il est même
tombé en désuétude.
Nous l'avons repris. Il nous sert à grouper les faits que nous avons
décrits ; il s'accorde avec la conception que nous nous faisons de leur
mécanisme, et que nous rappellerons en citant textuellement ce que nous
avons écrit à ce sujet.
Envisageons, pour commencer, la démarche dite asynergique. Si
l'on appelle synergie la faculté d'accomplir simultanément les divers
mouvements qui constituent un acte, le phénomène que nous venons
de décrire peut être considéré comme l'effet d'une absence de synergie,
d'une asynergie ; il faut l'attribuer à l'impossibilité où se trouve le
malade d'associer, comme à l'état normal, dans l'acte de la marche, la
translation du corps à la flexion de la cuisse. L'immobilité de la partie
supérieure du corps pendant que le membre inférieur se porte en avant
198 SÉMIOLOGIE E
ne saurait en effet être attribuée à une paralysie des muscles qui dans la
marche impriment au tronc une propulsion, puisque la force musculaire
est conservée et que les mouvements élémentaires s'accomplissent nor-
malement, ainsi que nous l'avons fait remarquer précédemment. L'inter-
prétation de ce trouble de la déambulation me paraît donc légitime.
Elle semble encore plus fondée quand on considère l'attitude spéciale
du malade cherchant à courber le tronc en arrière. Cette épreuve est
en effet comme le complément de la précédente. Dans l'une, c'est la partie
supérieure du corps qui n'accompagne pas le mouvement de la partie in-
férieure ; dans l'autre, c'est la partie inférieure qui reste immobile, tandis
que la partie supérieure fonctionne. N'est-il pas rationnel de soutenir que
la perturbation de ces deux actes dérive d'une même cause, de l'impossibi-
lité d'associer les deux ordres principaux de mouvements qui les
composent ?
Passons au mouvement combiné de flexion de la cuisse et du bassin.
C'est un phénomène que j'avais observé déjà dans l'hémiplégie organique
du côté de la paralysie, et je rappelle l'explication que j'en avais donnée
en citant un passage de mon travail sur ce sujet.
Pour comprendre l'interprétation que je proposerais, il faut d'abord
analyser l'acte qui consiste à se mettre sur son séant. Le mouvement
essentiel de cet acte est l'inclination en avant du bassin et de la colonne
vertébrale ; mais cette inclination ne peut s'opérer d'une manière nor-
male que si les fémurs ont été préalablement immobilisés. En effet, si
l'on réfléchit au mode d'action du psoas-iliaque qui, suivant qu'il prend
son point d'appui à son insertion supérieure ou à son insertion inférieure,
fléchit la cuisse sur le bassin ou bien incline en avant le bassin et la colonne
vertébrale, on conçoit qu'un défaut d'immobilisation de la cuisse dans
l'acte en question doive entraver l'inclination du tronc en avant et
entraîner une flexion de la cuisse sur le bassin. Cette immobilisation de
la cuisse est obtenue par la mise en activité des muscles qui étendent la
cuisse sur le bassin.
Je suppose que c'est la parésie de ces muscles qui provoque dans
l'hémiplégie le mouvement associé de la flexion de la cuisse.
Cette interprétation ne saurait être appliquée à ce phénomène dans
les cas que nous avons ici en vue ; nous avons bien spécifié, en effet,
qu'il s'agit de malades dont les muscles ont toute leur vigueur. Nous
sommes donc obligés de faire intervenir un autre facteur qui, croyons-
nous, consiste précisément dans un défaut d'association motrice; l'acte
qui nous occupe est exécuté d'une manière imparfaite parce que le malade
n'associe pas ou associe mal le mouvement d'extension de la cuisse sur
le bassin au mouvement de flexion du tronc. C'est donc encore l'asynergie
qui est en jeu.
Porter la pointe du pied vers un endroit déterminé est un acte qui,
chez un individu sain, s'accomplit de telle façon que les divers mouve-
ments de flexion et d'extension de la cuisse sur le bassin, de la jambe
sur la cuisse et du pied sur la jambe sont exécutés simultanément ; qu'ils
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE
1 '.19
sont en quelque sorte fondus les uns avec les autres. Ici, au contraire,
ils s'opèrent séparément : au début, la cuisse se fléchit énergiquement,
tandis que le fonctionnement de la jambe est d'abord nul ou très faible ;
il commence seulement ou ne devient très apparent que lorsque le mouve-
ment précédent est terminé ; en un mot, la flexion de la cuisse sur le
bassin et l'extension de la jambe sur la cuisse ne sont pas synchrones.
N'y a-t-il pas lieu de penser que ce défaut de synchronisme est dû à une
perturbation de la synergie ?
Mais, en admettant même que l'on critique notre façon d'interpréter
ces faits, leur réalité nous semble à l'abri de toute contestation.
ADIADOCOCINESIE.
L'adiadococinésie est l'abolition ou l'amoindrissement de la faculté
d'exécuter rapidement des mouvements volontaires successifs. C'est la
perte même de cette faculté qui nous en fait concevoir l'existence.
Un sujet sain est capable d'exécuter isolément avec rapidité chacun
des mouvements élémentaires, par exemple de porter la main rapidement
soit en pronation, soit en supination ; il est capable aussi d'exécuter une
succession rapide de mouvements élémentaires, par exemple de porter
avec rapidité la main alternativement en pronation et en supination.
Or, chez le cérébelleux, voici ce que l'on peut constater. Sa force
musculaire est intacte ; il exécute aussi rapidement qu'un individu normal
chacun des mouvements élémentaires : la pronation et la supination ;
mais il accomplit deux ou trois fois moins vite qu'un sujet sain l'acte
complet constitué par la succession de ces deux mouvements. Le phé-
nomène devient surtout manifeste quand on fait répéter le même acte
un grand nombre de fois.
Pour dénommer la fonction qui est ainsi troublée nous avons proposé
un néologisme formé de deux termes dérivés de deux mots grecs, dont
l'un signifie successif et l'autre mouvement. Le mot diadococinésie
est synonyme de mouvement successif et par extension peut désigner la
fonction qui permet l'accomplissement des mouvements successifs.
Quant au terme adiadococinésie proposé par Bruns et couramment
employé dans les observations, il exprime par l'addition de l'a privatif
la perte ou l'altération de cette fonction.
Nous avons, dès l'origine, pris soin de faire ressortir pour éviter
tout malentendu, que ce trouble ne peut être considéré comme constitué
que quand il se manifeste chez un sujet en mesure d'exécuter avec la
rapidité normale les mouvements élémentaires, car il va sans dire qu'un
individu qui ne peut faire rapidement un mouvement isolé, soit de pro-
nation, soit de supination, est à fortiori incapable d'accomplir une suc-
cession rapide de ces deux mouvements.
... L'impossibilité dans laquelle se trouvent les hémiplégiques d'accom-
plir du côté atteint les mouvements successifs ne constitue pas en effet de
aoo SÉMIOLOGIE
l'adiadococinésie vraie, car les mouvements élémentaires sont eux-mêmes
exécutés avec lenteur.
La réalité de l'adiadococinésie n'a pas été contestée. Beaucoup de
cliniciens l'ont recherchée, notant ici son absence, là sa présence. Ils ont
toujours utilisé l'épreuve que nous avons proposée. C'est qu'en effet,
comme nous l'avons dit, en le faisant connaître, ce trouble se manifeste
surtout aux membres supérieurs.
L'adiadococinésie est tantôt bilatérale, tantôt unilatérale et alors
ce symptôme s'observe du même côté que celui de la lésion cérébelleuse ;
aussi l'a-t-on mis à profit pour reconnaitre le siège des néoplasmes du
cervelet intus et extra.
... Pour comprendre l'adiadococinésie il est nécessaire d'analyser la
diadococinésie. Pour que des mouvements alternatifs de pronation et de
supination se succèdent avec rapidité, il est indispensable que chacun de
ces mouvements successifs soit bien réglé, ne dépasse pas la mesure et
que le temps perdu entre les deux mouvements successifs soit réduit au
minimum. Ces conditions se réalisent grâce à une action régulatrice
combinée à l'action excito-motrice dont il vient d'être question (action
excito-motrice de renfort ayant pour conséquence une réduction de la
durée du temps perdu entre l'incitation volitionnelle et l'apparition de la
contraction). L'adiadococinésie serait la conséquence d'une perturbation
dans ces actions.
ATAXIE CÉRÉBELLEUSE.
Jusqu'ici, sans doute l'a-t-on remarqué et peut-être s'en est-on étonné,
nous n'avons pas fait une étude spéciale de « l'ataxie cérébelleuse ».
Par cette expression, assez couramment employée, que désigne-t-on ' ?
Certains expérimentateurs s'en servent. « Considérons, dit Luciani,
les effets positifs de déficit ; il faut analyser les éléments de l'ataxie céré-
belleuse, c'est-à-dire du désordre des actes volontaires qui s'observent
chez l'animal privé de cervelet, après disparition des phénomènes irrita-
tifs. » Le déficit cérébelleux se ramène, on le sait, pour Luciani, aux trois
composants primordiaux : l'asthénie, l'atonie et l'astasie. Mais un autre
élément s'ajoute pour constituer l'ataxie. « Dans l'ataxie cérébelleuse,
dit-il, nous distinguons nettement deux ordres de faits de nature et
d'origine effectivement diverses : les phénomènes vrais de déficit fonc-
tionnel dépendant du manque d'innervation cérébelleuse, et les phéno-
mènes de compensation fonctionnelle représentés par l'ensemble des actes
et mouvements anormaux, instinctifs ou volontaires, avec lesquels l'animal
tâche de réparer les effets de déficit fonctionnel. » La dysmétrie, nous
l'avons vu, figure dans ce tableau.
Lewandowsky propose des interprétations très différentes ; mais, de
manière à peu près analogue, il distingue les phénomènes initiaux d'avec
les phénomènes tardifs ; il décrit d'une part les mouvements forcés,
troubles de l'orientation spatiale, et d'autre part les troubles ataxiques
SEMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE 201
qui, s'ils surviennent avant la disparition des phénomènes initiaux, leur
survivent pendant une longue durée.
« L'ataxie cérébelleuse » se présenterait comme un ensemble de symp-
tômes, comme un complexus symptomatique comprenant la presque tota-
lité des troubles observés chez l'animal à une période donnée.
En clinique humaine le terme ataxie a été pris dans des acceptions
variées. Certains auteurs décrivent, sous ce titre, dans les traités, tout
ce qui concerne les symptômes des affections cérébelleuses, le syndrome
cérébelleux au complet. Il en est qui emploient ce mot pour rapprocher les
phénomènes observés des troubles ataxiques de la maladie de Duchenne ;
et d'aucuns vont jusqu'à les identifier; s'ils qualifient l'ataxie de céré-
belleuse, c'est seulement pour dire qu'elle survient dans les affections du
cervelet. D'autres, au contraire, estiment qu'elle se distingue véritable-
ment de l'ataxie tabétique, mais ils n'indiquent pas d'une façon précise
les différences sémiologiques qui l'en séparent. ,
En raison de cette imprécision, il y a lieu de se demander si le terme
ataxie ne répond pas simplement à des troubles que nous avons décrits
précédemment sous un autre nom ; ou bien s'il s'applique à des phéno-
mènes non-décrits encore dans notre exposé, et qui seraient identiques
ou analogues à l'ataxie tabétique.
Parmi les nombreux documents relatifs à l'histoire des affections
cérébelleuses, il en est peu qu'on puisse utiliser pour résoudre cette
question. En effet, dans beaucoup d'observations on trouve de simples
mentions de ce genre : « ataxie légère du membre supérieur »,... « ataxie
de la main ». C'est là peut-être une manière commode de résumer, de
désigner brièvement un trouble de motilité non-paralytique, mais le
lecteur n'est nullement éclairé sur ses caractères.
Il faut convenir qu'il n'est pas toujours facile à l'observateur d'éti-
queter rigoureusement un trouble. Il y a des cérébelleux dont les mouve-
ments, bien qu'anormaux et sans précision, sont mal caractérisés, et n'ont
aucun des traits propres à des symptômes déjà catalogués. A de pareils
états on aurait tort d'appliquer une désignation précise ; le terme d'ataxie
ne leur convient pas plus que celui de dysmétrie ou d'asynergie.
Quoi qu'il en soit, il est regrettable que toutes les fois où une analyse
rigoureuse a pu être faite, il n'en soit pas rendu compte. Bien des docu-
ments qui auraient été précieux ne nous renseignent que fort imparfaite-
ment.
Il est à désirer qu'à l'avenir les descriptions cliniques, et particulière-
ment en ce qui concerne ladite ataxie cérébelleuse, soient plus précises
et plus détaillées.
Mais, à considérer les matériaux dont on dispose actuellement, les
faits qui sont bien connus des cliniciens, y a-t-il des troubles cérébelleux
qu'il soit légitime, au point de vue sémiologique, d'appeler ataxiques ?
N'y a-t-il pas, au contraire, entre les symptômes de l'ataxie locomotrice et
ceux des affections cérébelleuses des différences trop grandes pour per-
mettre l'emploi d'un même mot ?
202 1 SÉMIOLOGIE
Nous avons déjà indiqué comment certains désordres cérébelleux, les
mouvements démesurés, par exemple, se distinguent de troubles observés
chez les ataxiques. Nous rappellerons ici brièvement les différences fon-
damentales que l'on peut établir dans les cas typiques.
D'une façon générale chez les cérébelleux, les phénomènes ne sont pas
influencés par l'exclusion de la vue et le signe de Romberg fait défaut.
Les mouvements rapides, démesurés, conservent leur orientation. Au
contraire chez le tabétique les mouvements rapides, mal mesurés, perdent
leur orientation, et l'occlusion des yeux aggrave considérablement les
troubles. Chez lui, les mouvements d'ensemble ne sont pas décomposés
et les mouvements successifs sont exécutés correctement. Chez les céré-
belleux il y a de l'asynergie, de l'adiadococinésie. Enfin si, comme l'a
magistralement démontré Duchenne de Boulogne, il faut distinguer la
démarche titubante de certains cérébelleux d'avec la démarche des
ataxiques, il nous semble que ni l'un ni l'autre de ces deux modes de
déambulation ne peuvent être confondus avec la démarche asynergique
décrite par nous.
Il parait donc rationnel de se servir de termes tout différents pour dési-
gner des états tellement dissemblables ; mieux vaudrait ne pas étendre
ainsi l'épithète d'ataxique et ne pas l'appliquer à des troubles cérébelleux
que d'autres expressions traduisent.
Il reste pourtant à rechercher si une altération cérébelleuse ne peut,
dans certaines conditions exceptionnelles, reproduire l'aspect clinique de
l'ataxie locomotrice.
« Au préalable, écrivions-nous en 1909, il y a une cause d'erreur
d'interprétation qu'il faut écarter. Les lésions du bulbe et de la protubé-
rance peuvent atteindre simultanément des fibres appartenant à l'appareil
cérébelleux ainsi qu'à la voie sensitive. En pareil cas, si l'on n'y prend
garde, on est exposé à faire dépendre d'une altération cérébelleuse des
troubles se rattachant à une perte de la sensibilité profonde et ressem-
blant à ceux de l'ataxie tabétique, quoique généralement moins prononcés
que ces derniers, comme l'ont fait remarquer Dejerine et Egger. Les faits
de ce genre sont hors de cause. »
« Bruns, il est vrai, prétend que la démarche ataxique peut être causée
par une lésion atteignant la voie médullo-cérébelleuse ascendante ; dans
les cas de ce genre qui d'ailleurs, dit-il, seraient exceptionnels, la notion
de position est normale. Nothnagel aurait vu des faits analogues.
« Nous ne le contestons pas, ajoutions-nous, mais nous conservons
quelques doutes à ce sujet, car la description que donne Bruns, dans
laquelle nous relevons en particulier ce signe, « Hahnentritt », peut
s'appliquer à la démarche de l'asynergie aussi bien qu'à celle de
l'ataxie. »
Le Hahnentritt, en effet, n'appartient pas absolument en propre à la
démarche ataxique.
A ce propos, il est bon de rappeler les observations de O. Polimanti
qui, chez le chien, après avoir pratiqué l'ablation du lobe frontal gauche
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE 203
et de l'hémisphère gauche du cervelet, constate des deux côtés le Hahnen-
tritt. Du côté correspondant à l'altération cérébrale, dans la patte anté-' 0
rieure droite, ce trouble serait caractéristique (type Goltz) ; au contraire,
dans la patte gauche dont les troubles sont dus à l'altération cérébel-
leuse, on n'aurait plus affaire qu'à un « Hahnentritt modifié». Nous en
concluons qu'il s'agit là d'un symptôme méritant d'être précisé.
Nous reconnaissons volontiers que parfois l'aspect d'un cérébelleux
offre des ressemblances avec celui d'un tabétique et qu'au premier abord
la confusion est possible. Il en est ainsi, par exemple, lorsque comme
cela peut se voir en l'absence d'asynergie, la titubation s'associe à
l'hypermétrie. En pareil cas la démarche peut présenter, il est vrai, d'assez
grandes analogies avec celle du tabétique. Le malade, en même temps
qu'il fléchit la cuisse, étend la jambe, porte le pied en avant d'une manière
démesurée et le lance presque comme le fait un ataxique. Mais, nous le
répétons, contrairement à ce qui se passe chez ce dernier, l'orientation
est relativement correcte et l'occlusion des yeux n'accentue pas sensible-
ment le trouble. Si donc l'on y regarde de près, le diagnostic sera
aisément établi, en prenant exclusivement en considération les caractères
intrinsèques des phénomènes.
Nous n'avons pas le droit de nier à priori que, par suite de circonstances
rares, une affection cérébelleuse ne puisse reproduire chez l'homme les
traits de l'ataxie typique. Mais nous devons déclarer que nous n'avons
jamais vu pareil fait.
Cependant, ne doit-on pas conserver, en se plaçant au point de vue
pathogénique, l'expression « ataxie cérébelleuse » correspondant à un
complexus symptomatique qui ne différerait pas dans son essence, dans
son mécanisme de l'ataxie sensorielle, de l'ataxie radiculaire ?
C'est l'opinion de Lewandowsky. « En fait nous voulons démontrer,
dit-il, que l'ataxie cérébelleuse n'est rien de plus qu'une ataxie senso-
rielle. » Chez l'animal, aucune différence d'aspect, de plus aucune diffé-
rence d'origine : des troubles de sensibilité la provoquent et tout spécia-
lement des troubles du sens musculaire. Ces conclusions s'étendent à
l'homme. Les cliniciens, il est vrai, ne sont pas arrivés à découvrir chez
les cérébelleux des troubles de la sensibilité profonde, sauf dans des cas
isolés. « Mais l'indubitable insignifiance des troubles de sensibilité dans
les affections cérébelleuses peut s'expliquer par une série de raisons : il par
la localisation de l'ataxie : elle porte en première ligne sur le tronc, et
l'on examine la sensibilité, en particulier la sensibilité profonde, aux
membres seulement ; 2" par la combinaison des troubles ataxiques du
tronc avec les troubles d'orientation spatiale ; et 3" par la nature sous-
corticale de l'ataxie cérébelleuse. »
Ces arguments, pensons-nous, ne sont pas péremptoires. En admettant
que, chez les cérébelleux, le tronc ne soit pas d'habitude, au point de vue
de la sensibilité profonde, l'objet d'une exploration attentive et que des
troubles sensitifs aient pu y être méconnus pour n'avoir pas été recher-
204 SÉMIOLOGIE
chés, il n'en est pas de même pour les membres. Ceux-ci sont bien plus
souvent qu'on ne paraissait l'admettre autrefois le siège de perturbations
cérébelleuses : or, l'hypermétrie, l'asynergie, l'adiadococinésie, le trem-
blement peuvent y atteindre leur plus haut degré de développement sans
que les examens les plus minutieux l'établissent la sensibilité soit
atteinte dans aucun de ses modes. Nous ne parlons, bien entendu, que de
la sensibilité consciente telle qu'on la recherche en clinique, car comment
déceler des troubles de sensibilité qui seraient en quelque sorte au-des-
sous du seuil de la conscience ?
Nous croyons donc pouvoir conclure que les troubles de motilité obser-
vés chez les cérébelleux diffèrent essentiellement dans leur aspect clinique
et dans leur mécanisme pathogénique de ceux qui constituent l'ataxie
radiculaire ou tabétique.
S'il en est ainsi à l'état dynamique, cinétique, nous estimons que la
différence s'accroît encore lorsqu'on considère les deux catégories de
malades à l'état statique.
Nous allons le montrer en étudiant la catalepsie cérébelleuse et les
conditions de l'équilibre chez les cérébelleux.
CATALEPSIE CÉRÉBELLEUSE.
Le phénomène auquel nous avons donné la dénomination de catalepsie
cérébelleuse, et que l'on peut observer dans les affections de l'appareil
cérébelleux, est caractérisé par « la propriété que présentent les muscles
soumis à l'influence de la volonté de se maintenir longtemps immobiles,
comme s'ils étaient figés, sans être pourtant contractures, dans certaines
positions où l'équilibre volitionnel est réalisé ». On verra plus loin ce que
nous entendons par « équilibre volitionnel ».
L'attitude dans laquelle la catalepsie apparaît de la manière la plus frap-
pante est la suivante : le sujet est couché sur le dos, les cuisses fléchies
sur le bassin, les jambes légèrement fléchies sur les cuisses, les pieds
écartés l'un de l'autre. Quand le malade, après s'être mis sur le dos, sou-
lève les membres pour prendre cette attitude, ses membres et son tronc
exécutent pour commencer de grandes oscillations en divers sens, parti-
culièrement de gauche à droite et de droite à gauche, mais au bout de
quelques instants le corps et les membres inférieurs deviennent fixes.
Cette fixité est remarquable par sa perfection, elle est supérieure à celle
qu'un homme normal est en mesure de réaliser ; c'est presque une fixité
de cire, de mannequin, qui n'est troublée par aucune secousse muscu-
laire, contrairement à ce qui se voit chez les sujets les plus vigoureux que
nous avons fait placer dans la même position ; elle subsiste longtemps,
plusieurs minutes, et le malade, contrairement à ce qui a lieu chez les
sujets témoins, n'accuse presque aucune sensation de fatigue.
La méthode graphique fait ressortir la fixité dont il vient d'être ques-
tion. Nous avons vu avec Hallion, en comparant des sujets normaux à un
malade atteint de catalepsie cérébelleuse type, que chez celui-ci le
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE 3o5
tracé est rectiligne, que chez ceux-là il présente au contraire de nombreux
crochets.
Cette fixité peut être considérée comme la manifestation d'une propriété
nouvelle créée parla maladie, ou tout au moins comme l'exaltation d'une
propriété physiologique.
Il ressort de ce qui précède que le phénomène auquel nous avons
donné le nom de catalepsie cérébelleuse se présente, dans son état de
pureté, sous un aspect saisissant. ,
A en juger par nos propres observations, la catalepsie pure, parfaite,
est très rare ; il est probable qu'elle nécessite, pour se développer ainsi,
la réalisation d'un ensemble de conditions particulières dont la réunion
est exceptionnelle. L'association d'un affaiblissement musculaire à la
perturbation cérébelleuse, par exemple, est une entrave à la production
de la catalepsie parfaite.
Nous ne sommes donc pas surpris que le phénomène soit beaucoup
moins cité dans les observations des neurologistes que ceux que nous
avons étudiés ci-dessus.
S'il est rare de rencontrer la catalepsie cérébelleuse parfaite, ce qui
l'est moins c'est d'observer des cérébelleux atteints de titubation, d'asy-
nergie, leur rendant la marche très difficile et qui placés dans l'attitude
requise conservent une fixité équivalente à la normale.
A défaut de la véritable catalepsie cette stabilité seule suffit à distin-
guer le malade d'avec un tabétique. Celui-ci placé dans la même attitude
se comporte tout différemment : « Ses membres oscillent dans tous les
sens et il lui est impossible de conserver sa stabilité. Il n'est pas néces-
saire pour cela que l'incoordination et les troubles de sensibilité profonde
soient très accusés. On constate cette instabilité chez des tabétiques
capables encore de marcher et qui, les yeux fermés, en ont déjà une
notion très nette. Ils savent dans quelle direction leurs membres se
déplacent, mais ils sont incapables de les immobiliser, quelque effort
qu'ils fassent, que leurs yeux soient ouverts ou fermés. »
De ces faits semblent découler des conséquences que nous avons égale-
ment fait ressortir et que nous croyons à propos de rappeler :
« On admet que le cervelet joue un rôle essentiel dans l'équilibration
et que les lésions cérébelleuses troublent cette fonction.
« Cela est incontestable, mais il résulte de mes observations que cette
notion a besoin d'être précisée davantage, car, exprimée comme elle l'a
été jusqu'à présent, elle n'est pas à l'abri de la critique.
« Le mot équilibre a plusieurs acceptions Dans le langage courant il
signifie « qu'un corps se tient debout sans pencher d'aucun côté » (Littré).
« En employant ce terme dans ce sens, on dit avec raison qu'un céré-
belleux titubant asynergique n'est pas capable de rester en équilibre.
« Mais ce vocable a aussi cette autre signification : « état d'un corps
« maintenu au repos sous l'influence de plusieurs forces qui se contre-
« balancent exactement (Littré). En le comprenant ainsi on est autorisé à
dire qu'un malade atteint de catalepsie cérébelleuse présente une exalta-
ao6 SÉMIOLOGIE
tion de l'équilibration. Or, comme ce malade est à la fois asynergique et
cataleptique, on est en droit de soutenir, suivant le point de vue qu'on
envisage, que sa faculté d'équilibration est amoindrie ou augmentée.
« Cela m'amène à faire remarquer que l'équilibre doit être envisagé
sous deux faces, suivant que le corps se trouve dans un état d'immobilité
active, ou bien qu'il est en mouvement, qu'il se déplace. Dans le premier
cas l'équilibre peut être qualifié de statique et dans le second de cinétique.
De plus, comme dans les deux cas que nous avons en vue, la réalisation
de l'équilibre nécessite l'intervention d'un acte de la volonté, j'appelle
volitionnelles ces deux variétés d'équilibre ou d'équilibration. Le choix
de ces expressions pourrait être aisément critiqué, mais il ne s'agit là
que d'une affaire de convention et il suffit de s'entendre.
« A l'état normal, l'équilibre volitionnel cinétique est réalisé plus faci-
lement que l'équilibre volitionnel statique ; il est plus facile, en effet, de
marcher que de rester debout sans tituber, bien plus difficile de se tenir
immobile sur une jambe que de sauter à cloche-pied.
« Dans les affections cérébelleuses, l'équilibre volitionnel cinétique
peut être profondément troublé alors que l'équilibre volitionnel statique
est conservé ou même qu'il est exalté.
« Il ressort de ce qui précède que, d'une part, les observateurs devront
à l'avenir envisager séparément chacun de ces modes de l'équilibre et
que, d'autre part, les données classiques sur les troubles de l'équilibration
clans les affections du cervelet ne sont inattaquables que pour ce qui
concerne l'équilibre volitionnel cinétique. »
TROISIÈME PARTIE (')
Dans cette troisième partie nous nous occuperons d'abord des compen-
sations et des associations, questions connexes sur lesquelles la pathologie
expérimentale fournit des données importantes dont le clinicien peut tirer
parti...
COMPENSATIONS. ASSOCIATIONS.
Lorsque nous avons présenté ci-dessus la description méthodique des
divers signes, nous nous sommes efforcés d'en donner une idée claire et
distincte. Dans ce but nous avons intentionnellement, chaque fois, supposé
le cas où le phénomène est net et pur. On ne peut procéder autrement
dans l'élaboration d'une sémiologie.
Mais, bien entendu, ces signes ne présentent pas toujours, tant s'en
faut, une pareille fixité de forme, ils n'atteignent pas constamment un
pareil développement : ils varient, ils se réduisent, ils se dégradent.
Nous ne voudrions pas que la notion que nous en avons donnée, dans sa
formule un peu rigide, nous soit reprochée sinon comme une erreur, du
(1) Extrait de la troisième partie du rapport.
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE 207
moins comme une exagération. Nous n'ignorons aucun des assouplisse-
ments, des tempéraments qu'elle doit subir.
Chacun de ces signes, qui d'ailleurs sont rarement tous réunis chez
un même sujet, peut être très net, d'intensité moyenne ou simplement
ébauché ; dans ce dernier cas il prend surtout de la valeur quand il
coexiste .avec une ou plusieurs autres manifestations d'affection cérébel-
leuse.
D'ailleurs il est rare qu'un signe suffise à lui seul pour établir un
diagnostic et qu'il puisse être considéré, même quand il est marqué,
comme pathognomonique. Il constitue, si l'on veut, une présomption
plus ou moins forte qui invite à la recherche d'autres signes passés d'abord
inaperçus, ou à l'attente de leur éclosion.
Quand plusieurs signes sont observés dans un même cas, ils renforcent
mutuellement leur valeur individuelle, et leur coïncidence a, pourrait-on
dire, une valeur propre supplémentaire. Lorsqu'il en est ainsi, l'un d'eux
peut prédominer. Assez souvent, au contraire, ils sont tous d'intensité
comparable, forts, moyens ou légers.
Enfin, une lésion cérébelleuse, parfois considérable, pourra ne se tra-
duire par aucun signe, aucun trouble, être latente, rester méconnue et
constituer une trouvaille d'autopsie.
La relation de cas de ce genre n'est pas exceptionnelle dans les diverses
publications périodiques. Les bulletins des sociétés où l'on présente des
pièces cadavériques (à Paris, la Société anatomique) continueraient à en
fourmiller, si le fait, par sa répétition, n'était devenu banal. Il s'agit le
plus souvent de vieux abcès, de tumeurs, et surtout de tubercules soli-
taires du cervelet ayant parfois envahi tout un lobe, d'autres fois de
foyers d'hémorragies ou de ramollissement plus ou moins anciens. Mais
on note aussi des cas d'atrophie ou plutôt d'agénésie partielle s'étendant
parfois jusqu'à la totalité d'un hémisphère.
Dans quelles conditions et pour quelles raisons une affection du cer-
velet reste-t-elle latente ?
Dans une première catégorie de faits il n'apparaît jamais de symp-
tômes. Il en est ainsi dans les cas latents d'agénésie, quelquefois aussi
dans certaines tumeurs et particulièrement les tubercules ; on peut alors
se demander si ces néoplasies n'ont pas pu se développer jusqu'à un
certain point en dissociant les éléments nerveux sans interrompre leur
continuité.
Dans une seconde catégorie, l'affection n'est pas latente dès le début ;
primitivement des troubles cérébelleux ont existé de façon temporaire.
Il peut en être ainsi, par exemple, dans les cas d'hémorragie ou d'embolie.
Une pareille régression de manifestations pathologiques n'est d'ailleurs
pas particulière à l'homme. Les expérimentateurs l'ont également consta-
tée. Luciani et ceux qui, comme lui, ont pu garder longtemps en obser-
vation les animaux opérés ont vu que, à la suite de destructions diverses
du cervelet, les désordres au début très intenses, puis encore assez
notables pendant un certain temps, s'atténuent progressivement. L'animal
ao8 SÉMIOLOGIE
se remet à marcher, à courir, à sauter, sans doute avec moins d'aisance
et de spontanéité qu'avant l'opération ; mais, au total, son état est consi-
dérablement amélioré.
Luciani soupçonna que, dans cette phase d'amélioration, l'animal exé-
cutait des actes compensateurs venant changer le tableau clinique. Il
rechercha « les modifications que subit l'ataxie cérébelleuse la suite de
l'ablation unilatérale ou bilatérale du gyrus sigmoideus ». Il exécuta
cette seconde opération sur des chiens qui avaient préalablement subi
l'extirpation d'une moitié du cervelet. La conséquence fut que l'animal
perdit à nouveau la faculté de se tenir debout, de marcher, de nager en
se tenant en équilibre.
Il résulte de cette expérience que la lésion cérébrale accentue les
troubles qui s'étaient atténués et fait par conséquent cesser une sup-
pléance. Celle-ci n'est donc pas remplie par l'autre moitié du cervelet,
ou du moins si de pareilles compensations s'accomplissant à l'intérieur
de l'organe même sont possibles, elles ne sont pas les seules.
Ces données sont confirmées par Bickel qui a répété ces expériences et
par Polimanti qui a combiné l'ablation d'un hémisphère cérébelleux avec
celle du lobe frontal contralatéral.
Nous avons cité précédemment les recherches de Lange, de Thomas,
qui montrent la possibilité de suppléances réciproques entre le cervelet
et le labyrinthe.
Bickel a de plus étudié à ce point de vue les rapports entre le cervelet
et les racines postérieures de la moelle. Après compensation des troubles
produits par opération portant sur l'un ou l'autre de ces organes, l'auteur
pratique soit l'ablation du cervelet, soit la section des racines postérieures.
Il reconnait dans le tableau clinique présenté par le chien, outre les
symptômes qu'il provoque par cette seconde intervention, la réapparition
des troubles consécutifs à la première et qui s'étaient en partie compen-
sés. Il conclut : « Non seulement le cervelet contribue à la compensation
des symptômes produits par résection des racines spinales postérieures,
mais encore, réciproquement, la compensation des troubles cérébelleux
s'appuie sur la fonction des nerfs périphériques. »
Ces divers résultats justifient les suppositions des cliniciens qui, à
propos de cas de déficits cérébelleux restés latents, avaient incidemment
émis, entre autres explications, l'idée d'une suppléance.
« Il faut, dit Bickel, d'autant plus attacher d'importance à la compensa-
tion des troubles dans l'observation sur l'homme que le pouvoir de
compensation du système nerveux est plus grand à mesure qu'un individu
se trouve plus haut placé dans la série des vertébrés. »
Si dans les lésions atteignant uniquement l'appareil cérébelleux les
troubles peuvent s'atténuer, disparaître ou faire défaut même dès le
début, grâce à des compensations, inversement l'association de deux
ordres de lésions, les unes frappant le cervelet, les autres atteignant
d'autres régions du système nerveux et en particulier les organes compen-
SÉMIOLOGIE CÉRÉBELLEUSE 209
sateurs (cerveau, labyrinthe, voie sensitive), explique dans certains cas
la gravité, la ténacité des troubles cérébelleux.
André Thomas, traitant ce sujet, rapporte un cas d'atrophie olivo-
ponto-cérébelleuse où l'examen anatomique décela, outre les altérations
habituelles, une lésion bilatérale des pédoncules cérébraux. Or, dans ce
fait, « les troubles de l'équilibre, de la station et de la marche, le nystag-
mus, la scansion de la parole étaient si accusés qu'on avait porté le dia-
gnostic de sclérose en plaques ».
Dans certaines observations d'affections du cervelet, et surtout de
tumeurs de l'angle ponto-cérébelleux, il existe une altération concomi-
tante du nerf acoustique ou de ses terminaisons. Il faut tenir compte de
cette coexistence pour apprécier l'intensité des troubles de l'équilibre.
Enfin il est fort possible que l'intensité, la permanence des troubles
cérébelleux provoqués par certaines lésions à siège bulbaire ou protubé-
rantiel tienne à ce que l'appareil cérébelleux n'est pas seul intéressé.
Pierre Marie dit avoir constaté « plus d'une fois que chez des malades
porteurs d'une lésion en foyer du cervelet et présentant de ce chef des
troubles de l'équilibre, peu à peu, pendant des mois et même des années,
se produisait une amélioration des symptômes qui pouvait être très
prononcée. ,
« Lorsque, au contraire, ce sont les conducteurs des voies cérébel-
leuses qui sont primitivement lésés, l'amélioration est bien moins fré-
quente et moins accentuée ; parfois même au contraire il y a avec le
temps augmentation des symptômes. »
L'on peut estimer que la lésion des conducteurs, à volume égal,
endommage plus d'éléments et provoque plus de troubles qu'un foyer
en plein hémisphère. Mais il est aussi permis de penser qu'en pareil
cas les lésions ne sont pas exclusivement cantonnées dans l'appareil
cérébelleux et qu'il s'y adjoint des altérations atteignant les éléments
voisins. Si ces altérations sont contemporaines des lésions cérébelleuses,
les suppléances ne peuvent s'établir et les troubles ï)e régressent pas ; si
elles leur sont consécutives, les effets de la compensation disparaissent et
les troubles, après s'être atténués, s'accentuent.
L'association à des foyers de sclérose atteignant le cervelet ou ses
dépendances de foyers occupant diverses autres régions du névraxe peut
être la raison de l'intensité de certains troubles cérébelleux, en particu-
lier du tremblement dans la sclérose en plaques.
Des observations anatomo-cliniques précises permettront peut-être un
jour de déterminer avec rigueur l'influence que les divers modes d'asso-
ciations peuvent exercer sur l'intensité, la forme et la durée des symp-
tômes cérébelleux.
BaI)11\SK1. 1 f4
SÉMIOLOGIE VESTIBULA1RE
XV111
SÉMIOLOGIE l'l,'S l'l13 ULAIl ls
IJ. Babinski : 1
Publié dans les comptes rendus de la Société de Biologie, 25 avril igo3.
I. LE VERTIGE YOLTAIQUE
Les travaux de Bl'eÜer (1), de Hitzig (2) et de plusieurs autres expéri-
, . mentateurs (3), ont établi que si les électrodes d'un appareil voltaï-
que sont appliquées chez l'homme des deux côtés de la tête, soit
aux apophyses mastoïdes, soit aux tempes, à la fermeture du courant le
sujet en expérience éprouve, entre autres phénomènes, une sensation de
vertige ainsi qu'une inclination latérale de la tête et de la partie supé-
rieure du corps du côté où se trouve le pôle positif. C'est là le vertige
voltaïque.
. En igoi date de mon premier travail sur ce sujet l'accord n'était pas
fait sur le mécanisme de ce phénomène ; certains supposaient qu'il était
dû à une excitation du labyrinthe, d'autres pensaient qu'il dépendait d'une
irritation directe des centres nerveux.
Par mes recherches sur l'homme, par des expériences sur les animaux
j'ai contribué à prouver que le labyrinthe participe à ce phénomène qui
peut, il est vrai, se produire encore quand les deux labyrinthes sont
détruits (Lewandowsky).
(') (Unlersuchunyen und lieo6achtunyen über die Wir/wny eleklrisicher Sir6ma auf das Geli6rorgan iiii
gesunden und ! (ran/oen Zustancle), von Rudolf l3reüer.
(2) Untersuclun iiber das Gehirn (Abhandlung physiolorlischen und patholigischen Inhalls), von
Eduard llitzis.
('3) (Traité d'éleclrolhérapie), par W. Erb. Traduction Rueff. Paris, 1884.
SEMIOLOGIE lL ? STIIIUL211RL 211
EXPÉRIMENTATION SUR LE PIGEON
L'animal qui m'a paru réunir les conditions les plus favorables dans
mes premières recherches est le pigeon, dont s'est servi Flourens dans
ses mémorables travaux sur le labyrinthe.
J'ai mis à nu sur l'oreille d'un pigeon les canaux semi-circulaires et le
vestibule, puis j'ai appliqué les électrodes d'une batterie de piles, l'une
immédiatement sur un point de l'appareil labyrinthique dénudé, l'autre
un demi-centimètre en dehors de cet appareil ('). En disposant l'expé-
rience de cette manière, il est impossible, me semble-t-il, de supposer
que le courant agisse sur l'oreille opposée, et, d'autre part l'action de
chaque pôle peut être exactement observée.
J'ai constaté alors de la manière la plus nette qu'à la fermeture du cou-
rant, la tête s'inclinait du côté du labyrinthe excité si l'électrode avec
laquelle il se trouvait en contact était positive, et que, lorsque l'électrode
était négative, la tête s'inclinait du côté opposé.
J'ajoute que le mouvement produit par le pôle négatif était plus brusque
et bien plus intense. L'expérience, répétée sur plusieurs pigeons, a tou-
jours donné le même résultat.
J'ai cherché si l'excitation électrique de chacun des trois canaux semi-
circulaires produirait des mouvements différents ; or la réaction paraît
être la même, que l'on excite l'un des trois canaux ou le vestibule. Je puis
dire seulement que dans la genèse du vertige voltaïque, l'excitation du
vestibule et des ampoules me semble jouer un rôle capital, car lorsqu'on
les a détruits, on ne peut plus provoquer le phénomène en question, tan-
dis que la destruction de la majeure partie des canaux semi-circulaires
ne supprime pas la possibilité de les faire apparaître.
Pendant le sommeil chloroformique le vertige voltaïque est aboli ; sa
réapparition est une des manifestations du réveil.
Je dois ajouter que cette expérience a été pratiquée seulement sur le
pigeon, le lapin et le cobaye.
Chez un pigeon dont on a tamponné le conduit auditif externe on appli-
que les électrodes d'une batterie de piles aux tempes, on constate au
moment de la fermeture que la tête s'incline du côté de l'oreille bouchée
quand le pôle positif est de ce côté, et que, lorsqu'on inverse le courant, la
tête s'incline beaucoup moins du côté oppo.sé ou se porte en arrière. C'est
la reproduction de certains faits observés chez l'homme. '
EXPÉRIMENTATION SUR LE COBAYE
(En collaboration avec Cl. Vincent et Barré.)
A l'état normal quand on applique une électrode derrière chacune des
oreilles, le passage d'un courant galvanique de 3 millimampères et au
(') Je tiens à remercier mon collègue et ami le Dr Nageotte du précieux concours qu'il m'a prêté
dans ces expériences. '
212 SÉMIOLOGIE
delà, détermine une rotation de la tête de l'animal autour de son axe
occipito-nasal et vers le côté où se trouve appliqué le pôle positif. En
même temps les globes oculaires se déplacent vers le pôle positif. Le
déplacement dure tant que le courant passe et les yeux reprennent leur
position primitive dès qu'on ouvre le circuit.
Avec un courant de 10 milliampères l'amplitude des mouvements ocu-
laires est sensiblement plus grande. De plus, à ces contractions muscu-
laires toniques s'associe du côté du pôle négatif un nystagmus qui appa-
rait à la fermeture,1 s'atténue petit à petit et disparaît au bout de 10 à
20 secondes.
Après la destruction d'un labyrinthe, en faisant passer un courant gal-
vanique de courte durée, la réaction voltaïque conjuguée de la tête et des
yeux fait pour ainsi dire défaut, quand le pôle positif se trouve du côté
lésé ; le courant étant inversé, on obtient une rotation conjuguée du côté
sain, égale ou supérieure à la normale ; la rotation voltaïque conjuguée
de la tête et des yeux devient unilatérale.
Les résultats obtenus différent des précédents lorsqu'on fait passer le
courant pendant un certain temps (de quelques secondes à une minute) :
la rotation voltaïque conjuguée au lieu d'être unilatérale ou à peu près,
devient seulement prédominante du côté sain ; le mouvement de rotation
du côté lésé peut même être très marqué, mais il s'effectue d'habitude
lentement et progressivement, après un temps perdu notable. A l'ouver-
ture, le mouvement de retour est faible et fait parfois défaut, contraire-
ment à ce qu'on observe quand le pôle positif est placé du côté sain.
Pour étudier les résultats de la délabyrinthisation bilatérale il est bon
d'exécuter la seconde opération quelques jours après la première.
Immédiatement après l'intervention, l'animal choqué profondément ne
réagit pas au courant électrique de même que lorsqu'il est sous la nar-
cose chloroformique.
Plus tard on obtient avec un courant de 5 à 10 milliampères à chaque fer-
meture de circuit, une rotation conjuguée de la tête et des yeux vers le pôle
positif. Ces résultats concordent avec ceux qu'a obtenus Lewandowsky.
Dans les expériences ci-dessus les pattes du cobaye sont fortement
fixées sur la table d'opération. Voyons ce qui se passe lorsque les pattes
ne sont pas entravées.
Le cobaye normal exécute dès le passage d'un courant de 5 à 10 milli-
ampères un mouvement d'inclination de tout le corps, puis s'incurve du
côté où se trouve le pôle positif; il présente alors l'attitude qu'a d'ordi-
naire et spontanément au moins pendant les premiers jours qui suivent
l'opération, l'animal dont on a détruit un labyrinthe. Ewald a déjà signalé
cette analogie (').
En augmentant la puissance du courant on obtient un mouvement de
manège puis une chute avec rotation autour de l'axe longitudinal du corps
en direction du pôle positif.
(') Ewald : (Physiologische Untersuchungen v. d. Endorgan des ncrvus Oclavus, 1892, p. z34.)
SÉMIOLOGIE VESTIBULAIRE 2t3 3
En diminuant alors l'intensité du courant on observe la succession
des mêmes mouvements en sens inverse.
Quand le galvanomètre est au o° le corps peut même se porter légère-
ment et pour peu de temps en sens inverse.
Sur un cobaye délabyrinthé d'un côté, si le pôle positif est appliqué du
côté opéré, le passage d'un courant prolongé augmente les troubles pro-
voqués par la destruction du labyrinthe (incurvation du tronc, instabilité,
mouvement de manège), l'animal s'enroule davantage et la tète se porte
du côté de la lésion, en même temps qu'elle tourne vers le même côté
autour de son axe occipito-nasal. Lorsque le pôle positif est du côté sain,
à mesure qu'on augmente le nombre de milliampères, l'attitude anor-
male du cobaye s'atténue ; il reprend la rectitude et, à condition de ne
pas exagérer l'intensité du courant, on peut le voir se mettre à courir
droit devant lui, comme le ferait un cobaye dont les labyrinthes sont sains.
Ces données expliquent peut-être les résultats en apparence contradic-
toires, tantôt utiles, tantôt nuisibles, que l'on obtient en électrisant avec
des courants voltaïques les malades atteints de vertige auriculaire ; elles
méritent en tous cas d'être prises en considération au point de vue théra-
peutique.
Le cobaye dont on a détruit les deux labyrinthes présente une attitude
qui rappelle celle décrite par Lewandowsky chez certains animaux à qui
on a détruit le vermis ; il dresse la tête le museau en l'air, le cou tendu, le
corps pelotonné, il fait le gros dos et parfois marche en arrière ; il a une
tendance marquée à garder l'immobilité, ne se déplace pas pour prendre
sa nourriture.
Il faut le gaver si l'on veut le conserver.
Par l'excitation galvanique on peut provoquer des deux côtés la rota-
tion conjuguée de la tête et des yeux ; mais le corps reste relativement
immobile. Sous l'influence d'un fort courant, l'animal tombera du côté du
pôle positif et pourra rester absolument immobile dans cette attitude
cataleptoïde un temps assez long.
EXPÉRIMENTATION SUR L'HOMME
(Inclination et rotation de la tête.)
Chez l'homme normal, le courant galvanique, outre l'inclination connue
depuis longtemps, provoque souvent une rotation de la tête et parfois aussi
du tronc.
La région qui me semble la plus excitable est celle qui se trouve au
devant du tragus et à sa partie supérieure ; c'est là « le point d'élection ».
En appliquant les deux électrodes, une de chaque côté sur le point
d'élection, on obtient généralement, à l'état normal, une inclination de la
tête avec un courant de très faible intensité. J'ai pu la provoquer chez cer-
tains individus, avec une source d'électricité fournissant une force élec-
tromotrice de 3 à ! l dixièmes de volt ; l'intensité du courant était alors
214 SÉMIOLOGIE
une faible fraction de milliampère, que je n'ai pas pu mesurer d'une
manière précise avec les galvanomètres que j'avais à ma disposition, et
les sujets en expérience n'éprouvaient aucune sensation spéciale.
En outre, on constate parfois un mouvement de rotation de la tête.
Pour le faire apparaître, il suffit de modifier la position de l'électrode
négative, l'électrode positive restant au point d'élection, de l'abaisser
verticalement et de la placer à la partie inférieure du tragus, au devant
du lobule de l'oreille. On voit alors la tête exécuter une rotation du côté
opposé au pôle négatif; ce mouvement commence au moment de la fer-
meture du courant, mais contrairement à ce qui a lieu quand on excite un
muscle avec le courant voltaïque, continue après la fermeture et s'opère
lentement, en donnant au spectateur l'impression d'un mouvement exé-
cuté volontairement.
S'il s'agit d'un mouvement réflexe, comme cela est très probable, il
faut reconnaître que sa forme diffère notablement des autres réflexes
musculaires, des réflexes tendineux, ainsi que des réflexes cutanés. Ce
mouvement de rotation, suivant les individus, est pur ou associé à l'incli-
nation ; il est aussi plus ou moins prononcé.
A l'état normal, si la situation des pôles est inversée, le négatif se trou-
vant d'un côté au point d'élection et le positif de l'autre côté au devant
du lobule, la rotation est faible ou nulle et c'est l'inclination qui domine.
ÉPREUVE GALVANO-CALORIQUE
Chez l'homme à l'état normal, une irrigation de l'oreille avec de l'eau à
la température de 15" à 20" pratiquée suivant la méthode de Barany, en
même temps qu'elle provoque du nystagmus, trouble le vertige voltaïque
comme le font parfois les affections auriculaires, mais seulement d'une
manière transitoire. L'inclination ne peut être obtenue que du côté irri-
gué, ou bien elle est plus prononcée de ce côté que de l'autre. En même
temps le nystagmus augmente d'intensité si le pôle positif est du côté
irrigué ; si le pôle positif est du côté opposé le nystagmus s'arrête pour
reparaître après l'interruption du courant.
II. - DÉSORIENTATION ET D1;S1 ? QUILIBRATION
SPONTANÉE ET PROVOQUÉE.
MOUVEMENTS RÉACTIONNELS ET CONTRI ? RI"ACTI0,NNELS()
(En collaboration avec G. A . Weill.) .
Les mouvements réactionnels décrits par Barany s'observent au cours des
différentes épreuves vestibulaires et dans les différents segments du corps.
Les mouvements d'inclination et de rotation de la tête et du tronc qu'on
peut obtenir par différents excitants : les courants continus (Breüer-
(') J. Babinski. Comptes rendus de la Société de Biologie, séances du 26 avril iqi'S et du 19 juillet
1913.
SÉMIOLOGIE VESTIRULAIRE ai5
Ewald-Pollak-Babinski), la giration (Marsh-Egger), l'épreuve calorique et
la compression ou la raréfaction d'air dans le conduit auditif (Baldenwek),
sont des mouvements réactionnels.
DÉVIATION ANGULAIRE
La déviation de la marche constitue un mouvement réactionnel com-
plexe. Étudiée par Buys(') après les épreuves caloriques, par Gèzes C)
après les épreuves giratoires, elle constitue telle que nous la pratiquons
un procédé permettant de rendre manifestes les perturbations les plus
légères de l'équilibre et de l'orientation.
Voici comment on peut observer et mesurer une déviation angulaire
spontanée, une déviation voltaïque, calorique ou giratoire :
Déviation angulaire spontanée (3). - Le sujet étant placé debout, face
à un point de direction qu'on lui désigne, on lui bande les yeux et on lui
commande d'avancer dans la direction déterminée, puis de reculer et,
sans interruption d'avancer et de reculer au commandement toujours dans
la même direction jusqu'à ce qu'il ait effectué cinq trajets en avant, cinq
en arrière de six pas dans chaque sens. - Après quoi il est normal, il doit
se retrouver sensiblement sur la même ligne et dans la même orientation
qu'au départ.
S'il existe une anomalie de l'appareil statique, les déviations pendant la
marche directe, et les déviations généralement plus considérables pen-
dant la marche à reculons, vont s'additionner jusqu'à la fin de l'expérience
et produire soit une latéropulsion, soit, dans la majorité des cas, une
déviation angulaire correspondant parfois à un demi-tour complet.
C'est ce que nous appelons la déviation angulaire spontanée (D. A. S.)
Déviation angulaire voltaïque (D. A. Vo).
Sur un individu normal, l'application bitemporale du courant galvani-
que provoque la déviation angulaire du côté du pôle positif. Les électrodes
appliquées au devant et au-dessus du tragus sont maintenues par un lien
élastique, un tube à douche par exemple, qui passe sous le menton et
au devant des oreilles. Les électrodes sont faites d'ouate mouillée et
enroulée autour de l'extrémité des conducteurs.
Le courant nécessaire pour rendre évidente la déviation angulaire vol-
taïque est très faible; à l'état normal un milliampère suffit. Un courant
trop fort détermine une titubation avec latéro-pulsion vers le pôle positif. : Déviation angulaire CALORIQUE (D. A. Ca).
. Après une irrigation très brève avec de l'eau à 27 degrés, si on re-
(1) Buys (Journal Médical de Bruxelles, 1912, na 43).
(2) Gèzes (Revue Ilebd. de Laryng. 15 mars pu3) (Bull. de la Société française d'Oto-Rhino-
Laryng, mai 19 13).
(3) Heyninx (Société Belge d'O. R. L. juillet Tqi3) a décrit cette épreuve peu de temps après nous.
216 SÉMIOLOGIE
cherche la déviation angulaire, elle apparaîtra très nette sur un sujet nor-
mal, alors même que le nystagmus ne s'est pas manifesté ; la déviation se
fera vers l'oreille irriguée.
Avec de l'eau à 39 degrés, la déviation se fera en sens inverse de
l'oreille irriguée.
DÉVIATION ANGULAIRE APRÈS GIRATION (D. A, Gi).
Après l'épreuve normale de dix tours en vingt secondes, dès que le
sujet peut marcher, il présentera une déviation angulaire dans le même
sens que la giration.
Toutefois une grande variabilité s'observe dans l'amplitude et le sens
de la déviation après giration. Ce phénomène nous a conduit à l'étude
des mouvements contre-réactionnels.
Mouvements contre-réactionnels.
A l'état normal, tous les mouvements réactionnels, toutes les épreuves
de la déviation angulaire obéissent à une même règle : leur direction est
inverse de celle du nystagmus que doit provoquer chaque épreuve.
On peut mettre en évidence, succédant en général à un mouvement
réactionnel, un mouvement en sens inverse ou contre-réactionnel.
Nous avons utilisé pour cette recherche deux épreuves : les déviations
angulaires et l'inscription réalisée par l'un de nous pour le membre
supérieur par le procédé suivant (') : sur une feuille de papier fixée dans
un cadre et présentée verticalement, le sujet un crayon à la main, les
yeux fermés, trace de haut en bas et de bas en haut des lignes qui doivent'
se recouvrir à peu près, s'il n'y a pas de déviation du bras. S'il existe
une déviation, elle se traduira par une ligne brisée indiquant la direction
et l'amplitude de ce déplacement.
Nous avons par ces expériences constaté qu'après chaque épreuve ves-
tibulaire, il se produit, en sens inverse de la réaction et après elle, une
contre-réaction.
Celle-ci, dans l'épreuve voltaïque, succède immédiatement à la dévia-
tion, aussitôt l'ouverture du courant.
Elle n'apparaît que quelques instants après dans l'épreuve calorique ou
la giration. Sa durée et son amplitude peuvent atteindre et parfois dépas-
ser celles du mouvement réactionnel primitif.
Observée après la giration elle nous explique la variabilité des résultats
obtenus.
Après la giration de dix tours, suivant la sensibilité vestibulaire à ce
mouvement, sensibilité qui peut varier beaucoup même à l'état normal,
et d'un sujet à l'autre, on observera soit une déviation en sens normal
(sens de la giration) à laquelle succédera après deux ou trois minutes
une contre-déviation, soit une déviation de très courte durée, par
exemple pendant le premier trajet, à laquelle succédera une contre-dévia-
(') G. A. Weill (Soc. Paris, d'Oto-rhino-laryng. 10 juillet igi3).
SÉMIOLOGIE VESTIBULAIRE 217
tion; soit d'emblée une contre-déviation inverse de la déviation prévue.
Les excitations portant directement sur le vestibule ne sont pas. seules
capables de déterminer des mouvements réactionnels ou contre-réaction-
nels ; en voici des exemples :
Un point lumineux latéral est ménagé dans les coquilles de lunettes
complètement opaques ; on fait fixer le regard du sujet vers ce point pen-
dant l'épreuve de la déviation angulaire. Soit que le mouvement conjugué
des yeux représente uniquement le mouvement lent d'un nystagmus, soit
qu'il détermine réellement des secousses nystagmiques, on obtiendra une
déviation angulaire tantôt dans le sens du regard, tantôt en sens inverse.
C'est un mouvement réactionnel.
Avant l'épreuve de la D. A. en produisant un nystagmus panoramique
(opto-cinétique) on obtiendra très souvent une déviation dans le sens du
nystagmus provoqué. Ce phénomène a donc les caractères d'une contre-
réaction. Enfin la déviation angulaire se manifeste si on fait porter à la
main d'un seul côté, le bras pendant, un poids de cinq kilogrammes ; elle
se produit généralement du côté où le poids est porté.
Ces mouvements réactionnels sont moins constants et moins amples
que ceux qui sont obtenus par excitation vestibulaire directe.
ÉLECTROLOGIE
XIX
DE LA CONTRACTILITÉ ÉLECTRIQUE DES MUSCLES
STRIÉS APRÈS LA MORT
i.
J. 13 : liwsm.
Publié dans les comptes rendus de la Société de Biologie, séance du 6 mai 18gag.
observé certaines modifications de l'excitabilité électrique des
) muscles après la mort qui, à ma connaissance, n'ont pas encore été
F signalées.
On enseigne simplement dans les Traités de Physiologie que chez les
animaux à sang chaud la contractilité disparaît très vite, que l'irritabilité
des nerfs se perd toujours avant la contractilité directe des muscles et
que l'excitabilité disparaît plus vite pour les courants faradiques que pour
les courants voltaïques. Chez la grenouille, la diminution de l'irritabilité
électrique des muscles, après la mort, serait précédée d'une période
d'augmentation. Enfin, d'après Jeanselme et Lermoyez('), chez les cholé-
riques, le muscle avant de mourir passerait une période caractérisée par
l'exagération de l'excitabilité idio-musculaire.
Les faits nouveaux que j'ai constatés ressortiront du compte rendu des
2 observations suivantes :
Observation 1. Femme de 6h ans, n'ayant pas présenté pendant la vie de troubles
de motilité, morte de tuberculose pulmonaire. Examen électrique, commencé heure
et demie après la mort. Pour la recherche de l'excitabilité voltaïque, l'électrode indiffé-
rente est appliquée à la région sternale.
(') Archives de Physiologie, tri.
1,'LECTROI,OGIE 219
Muscles de la face. L'excitabilité faradique directe et l'excitabilité faradique indi-
recte sont abolies. Il en est de même de l'excitabilité voltaïque indirecte. L'électrode
différente étant appliquée à 3 centimètres environ en arrière de la commissure labiale
droite et à 1 centimètre et demi au-dessus d'une ligne horizontale qui prolongerait la
fente buccale, on constate que P, F. C. peut se manifester avec un courant d'une
intensité qui est insuffisante pour faire apparaître N. F. C., qu'avec 14 volts de diffé-
rence de potentiel aux électrodes et un courant de 13 milliampères P. F. C. N. > F. C.,
que la contraction est lente, paresseuse et que la forme du mouvement diffère sui-
vant le sens du courant ; quand le pôle négatif est à la joue, à la fermeture, la partie
latérale de la lèvre inférieure se soulève et il ne se produit pas d'autre mouvement si
le courant est faible, si ce dernier est plus intense, la lèvre supérieure du côté élec-
trisé s'abaisse et se porte en avant ; quand on intervertit le sens du courant, à la fer-
meture, la commissure du côté électrisé se porte en haut en arrière.
Muscle deltoïde droil. Contractilité faradique abolie. Avec 3a volts et 3o milli-
ampères N. F. C, fait défaut. Avec 22 volts et 3o milliampères, P. F. C. est très nette.
L'électrisation des troncs des nerfs médian, cubital et radial ne provoque aucune
contraction.
Muscles de l'avant-bras. - Pas de différence bien nette entre N. F. C. et P. F. C.
Biceps brachial gauche. - Avec 27 volts et 20 milliampères, N. F. C. manque. Avec
25 volts et 20 milliampères. P. F, C. forte.
Muscles de la région antéro-externe de la jambe gauche. Avec 35 volts et 53 milliam-
pères, N. F. C. < P. F. C. avec 33 volts et 53 milliampères.
Muscles trapèze droit. Avec 33 volts et 4o milliampères, N. F. C. faible. Avec
33 volts et 4o milliampères, P. F. C. assez forte.
Observation II. Femme de 28 ans, atteinte de névrite alcoolique des membres
inférieurs, n'ayant pas présenté pendant la vie de troubles de motilité de la face et
dont les membres supérieurs n'avaient été que légèrement parésiés. Examen élec-
trique commencé 1 heure et demie après la mort. Pour la recherche de l'excitabilité
galvanique, l'électrode indifférente est appliquée à la région cervico-dorsale.
Muscle de la face du côté droit. L'excitabilité faradique et l'excitabilité voltaïque
du tronc du nerf facial sont abolies. L'excitabilité faradique directe des muscles de la
face donne lieu à une contraction mais celte dernière est bien moins forte qu'à l'état de
vie, et de plus la contraction est lente, paresseuse. L'électrode différente est placé comme
chez le sujet précédent, avec 35 volts et 20 milliampères, le pôle négatif donne lieu
du côté électrisé, à la fermeture à une contraction de la partie inférieure du muscle
orbiculaire des paupières, tandis que les lèvres restent immobiles et, à l'ouverture, à
une contraction analogue mais plus faible ; avec 26 volts et 20 milliampères, le pôle
positif fait apparaître du côté électrisé, à la fermeture, une contraction de la paupière
inférieure, comme précédemment, et de plus, un mouvement très net de la commis-
sure labiale en haut et en arrière ; à l'ouverture, même avec 3g volts et 29 milliam-
pères, le pôle positif ne provoque pas de mouvement. Avec 13 volts et 13 milliam-
pères, on obtient déjà P. F. C. à l'orbiculaire de la paupière et aux lèvres. Il faut 19 o
volts et 19 milliampères, pour avoir N. F. C. à l'orbiculaire de la paupière et avec
cette intensité la lèvre reste encore immobile. Quel que soit le sens du courant, la
secousse est lente, paresseuse. La forme du mouvement diffère suivant le sens du cou-
rant ; avec N. les deux lèvres se rapprochent l'une de l'autre et tendent à se porter
en avant; avec P la commissure labiale se porte en haut et en arrière.
Muscle deltoïde droit. Abolition de la contractilite faradique et de la contraction
voltaïque.
220 , ' SÉMIOLOGIE
Muscles de la région postérieure de lavant-bras droil. Contraction faradique très
faible. Pas de différence entre. P. F. C. et N. F. C.
Muscles de la région antérieure de l'avant-bras droit. Contraction faradique très faible.
Avec 41 volts et 29 milliampères, N. F. C. fait défaut; avec 3t volts et 29 milliam-
pères, P. F. C. apparaît.
Triceps brachial gauche. Tampon appliqué à la partie moyenne et postérieure du
bras. Avec 36 volts et 54 milliampères, N. F. provoque une légère contraction à
quelques centimètres au-dessus du tampon et rien au niveau du tampon ; avec 33 volts
et 54 rnilltiampères, P. F ne donne lieu à aucune contraction au-dessus du tampon,
mais en fait apparaître une au niveau du tampon et au-dessous.
Trapèze droit. Contractilité faradique abolie. Très grand affaiblissement de la
contractilité galvanique.
Si nous comparons ces deux observations l'une à l'autre, nous voyons
qu'en ce qui concerne les muscles des membres il y a entre elles des dif-
férences notables, non contradictoires du reste, mais qu'à la face les
résultats de l'examen sont presque semblables.
De ces recherches se dégagent ces notions nouvelles que chez l'homme,
après la mort, les muscles ou tout au moins certains muscles, particulière-
ment ceux de la face, avant de perdre leur contractilité électrique, pas-
sent par une phase dans laquelle leur excitabilité indirecte ayant disparu
et leur excitabilité directe étant abolie ou affaiblie, ils se contractent len-
tement, paresseusement sous l'action directe des courants voltaïques et
présentent une inversion de la formule normale de l'excitabilité voltaïque,
P. F. C. étant > N. F. C. et N. O. C. > P. O. C., que, par conséquent, la
contractilité électrique de ces muscles subit après la mort des modifica-
tions qui, à une période donnée, offrent une très grande analogie avec la
réaction de dégénérescence.
Chez le lapin, j'ai observé après la mort des modifications du même
ordre, mais bien moins nettes que chez l'homme.
Quelle est la cause de ce phénomène ? Et d'abord quelle est la cause
de la réaction de dégénérescence qui apparaît à la suite de certaines
lésions des nerfs ? On admet généralement que cette réaction, en parti-
culier la modification qualitative de l'excitabilité galvanique (Erb) ('), est
sous la dépendance des modifications histo-chimiques qui se dévelop-
pent dans les muscles dont les nerfs sont dégénérés. Mais si l'on consi-
dère que les caractères de réaction de dégénérescence peuvent apparaître
dans certains muscles, ceux de la face, ainsi que je l'ai indiqué (2), dès le
3e ou 4e jour après la section du facial, c'est-à-dire à une période où, le
bout périphérique du nerf étant dégénéré, les fibres musculaires ne pré-
sentent que des altérations morphologiques à peine appréciables, il y
a lieu de penser que cette réaction de dégénérescence tient, au moins
pour une part, à ce que le muscle est alors complètement soustrait à
l'influence du système nerveux et que l'excitation électrique ne porte
(') Traité d'Électrothérapie traduit par RuefT, page 181.
(2) J. Babinski, Traité de \léddcine : « Des névrites », page 181.
ELECTIIOLOGIE 221 t
que sur les fibres musculaires, ce qui revient à dire que la réaction dite
de dégénérescence ne serait, en partie au moins, que la réaction propre
des fibres musculaires sans aucune intervention des nerfs. Si cette idée
était exacte, il serait légitime, pour expliquer la réaction de dégénéres-
cence dans les muscles après la mort, de supposer qu'elle est due à ce
que les éléments histologiques scccombant avec une rapidité d'autant plus
grande qu'ils sont d'un ordre plus élevé, les fibres musculaires conser-
vent encore leur excitabilité électrique propre à une période où l'excitabi-
lité des fibres nerveux intra-musculaires est abolie (').
HYPEREXC1TABlLITÉ ÉLECTRIQUE DU NERF FACIAL
DANS LA PARALYSIE FACIALE^1)
On admet généralement que dans les paralysies liées à des lésions des
nerfs moteurs, l'excitabilité électrique de ces nerfs ne peut être exagérée
que pendant les premiers jours qui suivent le début de l'affection. Les
faits que je vais rapporter montrent que cette opinion n'est pas exacte.
Voici d'abord l'exposé de ces faits.
.
Observation I, Jeune homme de 27 ans, atteint depuis 1902 d'une diminution
notable de l'acuité auditive du côté droit.
Au commencement d'août 1904, début d'une fièvre typhoïde grave nécessitant envi-
ron 60 jours de lit. Vers la fin de la maladie on s'aperçoit que pendant le sommeil
l'oeil droit reste entrouvert ; on examine alors attentivement la face et l'on constate
l'existence d'une hémiplégie faciale droite occupant les deux branches du nerf. Un
médecin électrise le malade et observe ce fait, qui frappe d'ailleurs le sujet lui-même,
que les contractions obtenues avec les courants faradiques, d'égale intensité de part
et d'autre, sont plus fortes du côté paralysé que du côté sain ; pour ce motif il aurait
porté un pronostic favorable et aurait annoncé une guérison rapide. Cependant le
temps passe et la paralysie ne subit aucune modification sensible.
A l'examen pratiqué à la fin du mois d'octobre 1905, voici ce que l'on noie :
L'examen faradique de la face a été pratiqué, le pôle indifférent à la nuque, le pôle
actif porté sur le point d'exploration. Il a montré qu'il était nécessaire, pour obtenir
une contraction visible du côté sain, de pousser la bobine à fil fin, en moyenne, à la
division 9 ou à la division 8 du chariot Gaiffe, alors que du côté malade il suffisait
de placer la division i 1 ou II 1/2. Quand on avait dépassé le seuil de l'excitation,
à intensité égale, la contraction consécutive de l'excitation du nerf ou des muscles
était toujours plus forte du côté malade que du côté sain. L'examen voltaïque a été
pratiqué de la même manière et a donné des résultats analogues. Du côté sain, il était t
nécessaire d'employer 3 milliampères pour obtenir une contraction en excitant le
tronc du facial, et de 3 milliampères à Il milliampères et demi si on excitait les muscles,
alors que du côté malade le tronc du facial, tous les muscles innervés par le facial
(') Dans des expériences inédites que j'ai pratiquées autrefois et sur lesquelles j'ai l'intention de
revenir ultérieurement, j'ai observé sur des grenouilles curarisées des modifications delà contracti-
lité électrique ayant aussi de l'analogie avec la réaction de dégénérescence.
(2) J. Babinski, Société de Neurologie de Paris. Séance du 9 novembre i go5.
222 SÉMIOLOGIE
supérieur réagissaient avec i milliampère et demi et les autres muscles avec 2 milli-
ampères. La contraction pour tous les muscles était brève et en éclair ; il n'y avait
aucune trace de réaction lente ou d'inversion de la formule.
Le nerf facial et les muscles faciaux du côté paralysé sont aussi hyperexcitables vis-
à-vis des excitations mécaniques.
Observation II. Jeune fille de 23 ans, atteinte depuis l'enfance d'une asymétrie
faciale liée à une hémiplégie faciale gauche, qui, après avoir été complète autrefois,
s'est notablement atténuée.
Du côté sain il faut, pour obtenir une contraction en excitant le tronc du facial,
utiliser T divisions de la bobine et pour les muscles entre 9 divisions et 11 divisions
et demie. Du côté malade le facial est excitable à la division de 12 et les muscles entre
i 1 et demi et 12. La différence est nette quoique un peu moins sensible que dans le
cas précédent. Avec les courants vollaïques, le facial sain est seulement excitable avec
4 milliampères et celui du côté malade avec 2 et demi. Les muscles sains sont exci-
tables entre 3 et 4 milliampères, les muscles du côté malade réagissent avec 1, 1 et
demi, 2 milliampères au plus. 11 y a une exception pour la houppe du menton, qui, des
deux côtés, réagit à 3 milliampères. Quand on a dépassé le seuil de l'excitation, à
intensité égale, le côté malade réagit plus que le côté sain, surtout quand on porte le
tampon sur le tronc du facial et sur la branche moyenne au niveau de l'os malaire. La
contraction musculaire est pour tous les muscles brève, en éclair; il n'y a pas de
contraction lente.
.
Il me parait incontestable que les troubles constatés chez le malade
qui fait le sujet de l'observation I sont sous la dépendance d'une lésion
occupant la région bulbo-protùbérantielle droite.
La lésion bulbo-protubérantielle a évolué d'une manière assez singu-
lière ; la paralysie faciale en a été la première manifestation et longtemps
après son début, tandis qu'elle s'atténuait, très légèrement il est vrai,
d'autres symptômes bulbaires apparaissaient.
C'est l'hyperexcitabilité électrique du nerf facial qui constitue le trait
intéressant de cette observation. Elle diffère absolument de l'hypoexcita-
bilité voltaïque des muscles qui appartient à la D. R.
L'hyperexcitabilité électrique des nerfs a déjà été notée bien souvent
dans les paralysies liées à des lésions des nerfs, dans la paralysie faciale
en particulier, mais tous les auteurs sont d'accord pour déclarer qu'on
ne l'observe que pendant les premiers jours qui suivent le début de la
paralysie. Or, dans ce cas, elle dure depuis fort longtemps et aujour-
d'hui, plus d'un an après le début de la paralysie, elle est extrêmement
prononcée. z
Abstraction faite de cette singularité, l'hémiplégie faciale présente ici
les caractères de la paralysie faciale dite périphérique, dépendant d'une
altération du noyau du nerf facial ou du tronc qui émane. Si donc cette
particularité faisait défaut, on n'hésiterait pas à admettre, pour les
motifs précédemment énoncés, que le noyau, ou la portion intra-bulbaire
du nerf facial est intéressé. Mais il faut bien tenir compte de cette ano-
malie et se demander si elle est en opposition avec un pareil diagnostic.
N'y aurait-il pas lieu de supposer par exemple que le noyau ainsi que le
ÉLECTROLOGIE n3
nerf facial à son origine sont dans un état d'intégrité anatomique et que
la lésion occupe la partie supranéculaire du facial, réalisant un type de para-
lysie faciale tout spécial ? Cette idée n'est pas inadmissible mais il est peut
être plus simple de penser que la lésion atteint le noyau lui-même ou le nerf
à son origine, mais qu'en raison d'une certaine disposition, impossible à
préciser, elle exerce sur lui une action irritative qui se traduit par l'hyper-
excitabilité électrique. Cette hypothèse me paraît d'autant plus accep-
table que dans l'observation II, où la lésion occupe sûrement le tronc
même du facial dans sa portion intra-auriculaire, j'ai constaté aussi de
l'hyperexcitabilité électrique, bien moins prononcée, à la vérité, que dans
le cas précédent, mais pourtant absolument nette.
Ces faits établissent qu'une lésion intéressant le nerf facial dans son
trajet ou à son origine peut déterminer, dans sa partie périphérique,
une hyperexcitabilité durable et associée à de la paralysie.
Ils montrent aussi qu'une paralysie faciale n'est pas nécessairement
bénigne et ne doit pas infailliblement guérir dans un délai de quelques
semaines quand la D. R. fait défaut ; ils fournissent une donnée nouvelle
d'une certaine importance au point de vue pratique.
XX
LENTEUR DE LA SECOUSSE FARADIQUE.
LENTEUR DE LA SECOUSSE TENDINO-IIL'FLL,XL'.
FUSION ANTICIPÉE DES SECOUSSES FARADIQUES.
[J. BABINSKI.] -
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du inars igi5.
Les deux malades que je présente sont atteints d'une contusion légère
du nerf sciatique par projectile. Il n'y a pas d'anesthésie. Les
troubles de la motilité volontaire ne sont pas très prononcés ; en
effet, les divers mouvements du pied sur la jambe peuvent être exécutés
dans une certaine mesure.
En ce qui concerne l'excitabilité voltaïque des muscles de la jambe, il
est à noter que la secousse de fermeture est plus lente qu'à l'état nor-
mal.
Il y a aussi, principalement dans les muscles du mollet, de la lenteur
de la secousse faradique, phénomène signalé depuis longtemps déjà,
en particulier par Remak et Dubois ; la décontraction ne succède pas
immédiatement à l'interruption du courant.
On peut rapprocher ce phénomène de la lenteur de la secousse provo-
quée par l'excitation directe du muscle, et de la lenteur de la secousse
consécutive à la perte du tendon achilléen que l'on observe chez l'un
des deux malades (chez l'autre, le réflexe achilléen est aboli) ; j'ai eu sou-
vent l'occasion de constater ce fait dans des cas analogues.
Enfin, et c'est surtout sur ce point que je désire appeler l'attention : si
l'on fait usage des courants induits en augmentant progressivement le
nombre des interruptions du courant inducteur, on obtient le tétanos
faradique plus rapidement du côté atteint que du côté sain.
M. Allard, dans sa thèse, a déjà signalé cette particularité qu'il a
observée chez quelques malades atteints d'atrophie musculaire progres-
sive, de poliomyélite antérieure aiguë, de paralysie saturnine des exten-
R LECTROLO CI E 225
seurs, d'atrophie musculaire ab-articulaire ('). D'après Huet, ce fait s'ob-
serve dans la maladie de Thomsen et il y est particulièrement accentué.
Le phénomène en question, dans les cas que je présente, est facile à
mettre en évidence par la comparaison. du côté malade au côté sain, les
troubles étant unilatéraux ; la différence est perceptible au tact mieux
encore qu'à la vue : lorsqu'on applique sur le muscle les deux élec-
trodes et qu'on tient entre les doigts les manches auxquels elles sont
fixées, si l'on augmente progressivement le nombre. des interruptions, il
arrive un moment où les vibrations correspondant aux secousses cessent
complètement du côté malade, ce qui indique que le tétanos complet est
obtenu, tandis que du côté sain, avec le même nombre d'interruptions, les
vibrations continuent à se faire sentir.
Ce fait est la conséquence de la lenteur des secousses. On conçoit aisé-
ment que la réalisation du tétanos faradique, conséquence de la fusion
des secousses, nécessite des excitations électriques d'autant moins rap-
prochées que les secouss.es musculaires sont de plus longue durée.
Si ce phénomène a été mentionné, il n'a pas suffisamment attiré l'atten-
tion. D'après ce que j'ai vu, il est assez commun; il me paraît mériter
d'être recherché systématiquement et d'avoir une dénomination propre.
On pourrait l'appeler : « apparition anticipée du tétanos faradique » ou
encore « fusion anticipée des secousses faradiques ».
. FUSION ANTICIPÉE
DES SECOUSSES FARADIQUES DANS LES MUSCLES
DE LA PLANTE DU PIED (2)
Dans la séance du mars igi5 de la Société de Neurologie, présentant
deux malades atteints de contusion légère du nerf sciatique, chez lesquels
le phénomène de la fusion anticipée des secousses faradiques était très
manifeste dans les muscles du mollet, je disais ceci : « Le phénomène
en question, dans les cas que je présente, est facile à mettre en évidence
par la comparaison du côté malade au côté sain, les troubles étant uni-
latéraux ; la différence est perceptible au tact mieux encore qu'à la vue :
lorsqu'on applique sur les muscles les deux électrodes et qu'on tient
entre les doigts les manches auxquels elles sont fixées, si l'on augmente
progressivement le nombre des interruptions, il arrive un moment où les
vibrations correspondant aux secousses cessent complètement du côté
malade, ce qui indique que le tétanos complet est obtenu, tandis que du
côté sain, avec le même nombre d'interruptions, les vibrations continuent
à se faire sentir. »
Dans de nombreux cas de contractures, de paralysies ou de parésies
d'ordre réflexe siégeant au membre inférieur, nous avons eu l'occasion,
(1) Contribution à l'étude du tétanos électrique chez l'homme. Thèse de Montpellier, 1896.
(2) J. Babinski, Société de Neurologie de Paris, séance du n janvier 1917.
Badinsii. 1. 15
2 2 C) SEMIOLOGIE
Froment et moi, d'obtenir cette même fusion anticipée des secousses
faradiques et nous avons remarqué que ce phénomène est d'autant plus
net que l'hypothermie est plus accentuée, ce qui d'ailleurs se comprend
fort bien ; en effet, c'est alors que la lenteur de la secousse provoquée
par l'excitation directe du muscle est surtout marquée, or, lenteur de la
secousse mécanique, lenteur de la secousse faradique et fusion anticipée
des secousses sont des caractères connexes.
Dans les troubles de motilité d'ordre réflexe, l'hypothermie étant géné-
ralement la plus prononcée à l'extrémité du membre malade, il y avait
lieu de penser que la fusion des secousses serait encore plus nette au
pied qu'à la jambe, et l'observation confirme cette idée. Chez les malades
de ce genre, comme chez le sujet que je présente, le phénomène est
des plus apparents : les électrodes étant appliquées à la plante du pied
avec un nombre donné d'interruptions, tandis que, du côté atteint, le
tétanos complet est obtenu et les orteils restent immobiles en flexion, du
côté sain les orteils exécutent des mouvements successifs dont le nombre
égale celui des interruptions et qui sont perceptibles à la vue aussi bien
qu'au tact. C'est certainement dans les muscles de la plante du pied que
la fusion anticipée des secousses faradiques se manifeste de la manière
la plus éclatante (').
A PROPOS DE LA COMMUNICATION DU Dr BORDIER
SUR LES RÉACTIONS ÉLECTRIQUES D'EIYPOTHERMIE LOCALE ? )
M. Bordier a attiré l'attention sur la lenteur de la secousse galvanique,
l'inversion polaire et l'hypoexcitabilité faradique qu'on peut observer
dans les muscles dont le nert moteur n'est pas lésé et qui ont été soumis
à la réfrigération.
C'est à l'étude des faits cliniques que M. Bordier s'attache surtout. Il a
observé, en hiver, des réactions électriques d'hypothermie locale dans les
cas de contractures ou de paralysies dites fonctionnelles et plus parti-
culièrement dans les petits muscles de la main ou du pied. Sous l'influence
du réchauffement par la diathermie, les réactions électriques redeve-
naient normales.
MM. Babinski et Froment ont étudié, il y a déjà longtemps, dans des
cas de paralysies et de contractures consécutives à des traumatismes, et
rangé dans le groupe des troubles d'ordre réflexe, l'exitabilité mécanique
des muscles qui est connexe à l'excitation voltaïque. Ils ont insisté sur la
(') Quand il s'agit de paralysies réflexes du membre supérieur avec hypothermie, la fusion anti-
cipée des secousses est souvent très apparente dans les muscles de la main, en particulier dans ceux
de l'éminence thénar.
(2) J. Babinski, Bulletin de l'Académie de Médecine, t. LXXVII, n° 7, p. 182, r3 février 1917.
ÉLECTROLOGIE 227
lenteur de la secousse déterminée par l'excitation mécanique et sur ses
relations avec l'hypothermie.
Avec M. Hallion ils ont appliqué à l'étude de ces faits la méthode gra-
phique ; elle a montré que la lenteur de la secousse musculaire provoquée
par la percussion peut être tout aussi marquée dans les contractures et
parésies d'ordre réflexe que dans bien des cas de paralysie avec réaction
de dégénérescence. La surexcitabilité musculaire et la lenteur de la
secousse sont proportionnées dans leur intensité aux troubles vaso-moteurs
et thermiques ; lorsque l'hypothermie est considérable, on peut presque
affirmer, a priori, que l'excitabilité mécanique des muscles est exagérée
et que la secousse musculaire est lente.
Ils ont indiqué les modifications que l'on observe chez les blessés
atteints de troubles d'ordre réflexe après immersion des membres malades
dans de l'eau chaude ou après diathermie : la contraction, de lente et
prolongée, devient rapide et peu soutenue.
Ils ont constaté aussi que la fusion anticipée des secousses faradiques,
conséquence de la lenteur de ces secousses, s'observe dans les faits de
cet ordre et qu'elle disparaît après réchauffement.
MM. Babinski et Froment ont fait ressortir l'intérêt qu'il y a à examiner
l'état de l'excitabilité du muscle, quand le membre est froid, et après
réchauffement.
Si la méconnaissance de ces réactions d'hypothermie locale fait courir
le risque de considérer comme en voie de dégénérescence des nerfs qui
ne sont pas altérés, ce fait que des muscles normaux peuvent, sous l'in-
fluence de la réfrigération, présenter de pareilles réactions, expose à une
erreur d'ordre inverse : il a conduit quelques observateurs à dénier toute
importance clinique à la lenteur de la secousse quand elle disparaît après
réchauffement. Or, celle-ci a de la valeur lorsqu'elle se lie à une hypo-
thermie locale qui ne dépend qu'en partie de la température du milieu
ambiant et qui décèle une vaso-constriction consécutive à une lésion ou,
en d'autres termes, qui traduit un véritable trouble de la régulation vaso-
motrice et thermique locale. C'est là un de ces caractères qui établissent
une distinction nette, admise aujourd'hui par la plupart des neurolo-
gistes, entre diverses paralysies et contractures réunies antérieurement
dans le cadre des troubles dits fonctionnels : parmi ces paralysies et
contractures, les unes, qui ne s'accompagnent d'aucun des caractères en
question, sont d'ordre psychopathique, hystérique, pithiatique, les autres
sont d'ordre physiopathique et réflexe. Or, il est essentiel de les distin-
guer les unes des autres, car elles comportent un pronostic et un mode de
traitement tout différents.
228 SEMIOLOGIE
SUR L'EMPLOI DE DEUX COURANTS EN ÉLECTRODIAGNOSTIC
ET EN ÉLECTROTHÉRAPIE(')
LA RÉACTION FARADIQUE LATENTE, LA FARADO-GALVANISATION,
LA GALVANO-GALVANISATION.
Si parfois quelques électrophysiologistes, dans leurs recherches sur
l'électrotonus, ont employé simultanément deux circuits électriques indé-
pendants, il ne semble pas que ce dispositif ait été utilisé d'une manière
systématique en électrodiagnostic et en électrothérapie.
Nous avons, dans ces derniers temps, étudié à ce double point de vue
les courants associés ; et nous avons expérimenté avec le galvano-fara-
dique et aussi avec le galvano-galvanique.
Notre appareillage a été disposé de la manière suivante :
Chaque appareil producteur de courant (deux sources galvaniques ou
une source galvanique et une source faradique) est relié au patient par
deux fils portant l'un du positif, l'autre du négatif qui aboutissent cha-
cun à une électrode.
Il en résulte que le dispositif complet comprend quatre électrodes.
Chaque circuit conserve ainsi son individualité propre et peut être dis-
posé au gré de l'opérateur, lui permettant de localiser ou de diffuser son
action. Cette technique est, comme on peut le voir, très spéciale et en
particulier complètement différente par le mode d'association du fara-
dique et du galvanique de celle qui a été préconisée par de Watteville et
qui est devenue classique.
Voici comme nous procédons :
Deux larges électrodes reliées à une batterie de piles que nous appellerons bat-
terie n° i sont placées l'une à l'extrémité du membre à examiner, l'autre au tronc.
Deux tampons reliés soit à une autre batterie de piles que nous appellerons batte-
rie 2, soit à un appareil faradique, sont placées sur muscle dont on se propose de
faire l'exploration électrique.
Nous commençons d'abord par faire contracter les muscles en faisant usage de la
batterie 2 ou de l'appareil faradique, comme on le fait d'habitude, sans faire fonction-
ner la batterie i, et nous notons l'intensité nécessaire pour obtenir des contractions
musculaires.
Dans une deuxième expérience, nous faisons agir la batterie n° i en établissant un
courant de 10 à 20 milliampères ; cela fait, nous excitons de nouveau les muscles avec
la batterie n° 2.
Lorsque les deux pôles négatifs des deux appareils sont distaux, nous constatons
que, à la fermeture du courant de la batterie 2, nous avons une contraction sensible-
ment plus forte si le circuit de la batterie 1 est fermé que s'il est ouvert.
On observe un résultat analogue si au lieu d'employer la batterie 2 on se sert de
l'appareil faradique.
('). Babinski, Delherm et Jarkowski, Archives d'Electricité médicale, tgt3, t. I, p. 491.
ÉLECTROLOGIE 229
Lorsque les pôles de même nom au lieu d'être tous deux distaux sont l'un dislal,
l'autre proximal, on constate, en introduisant le courant de la pile i, que l'excitabilité
à la fermeture du courant de la pile 2 est diminuée tandis que l'excitabilité à l'ouver-
ture devient plus forte.
De même l'excitabilité faradique est diminuée.
Ces recherches nous ont permis de tirer un parti pratique de l'associa-
tion des deux courants, Dans une communication faite à la Société Fran-
çaise d'Electrothérapie ('), nous avons attiré l'attention sur une réaction
électrique nouvelle que nous avons appelée excitabilité faradique latente.-
Nos observations ultérieures ont entièrement confirmé notre manière de
voir.
On constate, dans certains cas, que les muscles qui ne réagissent pas
à des courants faradiques aussi forts que l'appareil peut les fournir quand
la faradisation est employée seule, se contractent très nettement avec
des courants beaucoup moins intenses si on emploie le dispositif que
nous venons d'indiquer.
Le phénomène se produit avec son maximum de netteté lorsque les
pôles distaux du galvanique et du faradique sont négatifs.
Nous avons pu, grâce à la voltaïsation, déceler chez un certain nombre
de malades l'excitabilité faradique latente et nous pouvons prendre comme
exemple type l'un d'eux, atteint depuis plusieurs mois d'une névrite des
deux jambes. La réaction de dégénérescence paraît complète par l'explo-
ration classique. Le nerf sciatique poplité externe est absolument inexci-
table au galvanique et au faradique. Les muscles du groupe antéro-externe
présentent l'inexcitabilité faradique, la contraction lente, l'inversion, la
réaction longitudinale.
Mais si l'on fait traverser par un courant galvanique constant les mem-
bres inférieurs, on constate que le jambier et l'extenseur propre du gros
orteil se contractent nettement au faradique; par contre, il est toujours
impossible d'obtenir de contraction musculaire par. l'excitation du nerf
sciatique poplité externe.
Cette réaction pourrait être considérée comme un échelon entre l'hypo-
excitabilité faradique et l'inexcitabilité absolue ; elle semble constituer le
stade ultime de la contractilité faradique et être taillée aux dépens de la
D. R. complète classique.
Il ne semble pas impossible, du reste, que dans certains cas, à l'aide
d'appareils faradiques plus puissants que ceux qu'on emploie dans la
pratique courante, on puisse obtenir la contraction des muscles présen-
tant cette réaction, sans avoir recours à la voltaïsation ; nous y verrions
une preuve de plus de la latence de l'excitabilité qu'il est si facile de
mettre en évidence avec le dispositif que nous employons.
Peut-être pourrait-on formuler, provisoirement au moins, cette réaction
de la manière suivante :
(') Babinski, Delherm et Jarkowski, Soc. d'Éleclrolh., 1912.
a3n SÉMIOLOGIE
(
i° Pour le nerf : inexcitabilité faradique et galvanique ;
2° Pour le muscle : excitabilité faradique latente, contraction lente au
courant galvanique.
La distinction de cette réaction d'avec la D. R, complète nous parait
justifiée. En effet, il y a tout lieu d'admettre que l'excitabilité faradique
latente dénote une perturbation musculaire moins profonde que l'inexci-
tabilité totale. C'est donc un caractère qui, selon toute vraisemblance,
présente une certaine valeur au point de vue du pronostic et il y aura
lieu de le rechercher systématiquement dans les cas où par les procédés
habituels on obtient une R. D. complète.
L'association des deux courants peut avoir aussi une utilité en théra-
peutique.
i" G : 1LVAN0-PlIIADTQUE DISSOCIE.- Dans l'état actuel de nos connaissances
il est classique de produire dans un but thérapeutique des contractions
musculaires à l'aide du galvanique toutes les fois que l'électrodiagnostic
nous montre que le faradique est impuissant à exciter la fibre musculaire.
Un certain nombre de ces muscles inexcitables en apparence au fara-
diques deviendront excitables par le procédé que nous avons indiqué
pour mettre en évidence leur excitabilité faradique latente.
Ces muscles pourront être traités avec le faradique qui ne comporte
aucun danger de brûlure et qui est un excellent excitant du muscle.
2° Galvano-galvanique simultané. On sait que dans les cas de polio-
myélite, de névrite, lorsque les muscles sont très atrophiés, il est parfois
impossible d'obtenir avec les courants galvaniques, suivant la méthode
habituelle, de bonnes contractions musculaires : on les provoque bien
plus aisément en employant notre dispositif ; et l'on peut ainsi pratiquer
plus utilement une électrisation galvanique localisée.
T il U / S lli' 111 E PA R TIE
TUMEURS CÉRÉBRALES
ET
COMPRESSIONS CÉRÉBRALES
TUMEURS CÉRÉBRALES
TUMEUR DU CORPS PITUITAIRE SANS ACROMéGALIE
ET AVEC ARRET DE DÉVELOPPEMENT
DES ORGANES GÉNITAUX
[J. Babinski.]
Publié dans la Revue Neurologique, n" de juin igoo.
L'observation anatomo-clinique que je rapporte succinctement est
incomplète et, par conséquent, susceptible d'être critiquée ; elle me
parait digne toutefois d'être relatée, malgré ses imperfections.
Il s'agit d'une jeune fille de 17 ans que j'ai observée il y a dix ans. Elle se plaignait
de douleurs de tête qui avaient apparu environ trois ans auparavant, avaient
augmenté d'intensité petit à petit et étaient devenues très violentes. Depuis plusieurs
mois elle était sujette à des crises épileptiformes, et sa vue s'était notablement
affaiblie.
On est frappé, après avoir fait déshabiller la malade, par la surcharge adipeuse du
corps et l'aspect infantile des organes génitaux (voir fig. 5 et 6), qui contraste avec
la taille, d'une hauteur moyenne ; la malade, du reste, n'est pas menstruée. L'intelli-
gence paraît normale, mais la mémoire a diminué beaucoup depuis quelque temps.
Il n'y a pas de paralysie localisée. Les réflexes tendineux sont exagérés, et il y a
de la trépidation épileptoïde du pied. A l'examen ophtalmoscopique on constate de
l'oedème de la papille des deux côtés. Tels sont les caractères objectifs qui
furent notés.
La malade succomba peu de temps après le premier examen.
La nécropsie décela l'existence d'une tumeur qui occupait la selle turcique, adhérait
au corps pituitaire et englobait le tuber cinereum (voir fig. 7 et 8, exécutées d'après
les dessins de mon ami, M. Meige). Ce néoplasme a été examiné histologiquement
234
TUMEURS CÉRÉBRALES ET COMPRESSIONS CÉRÉBRALES
par M. Onanoff, qui a fait de cette étude l'objet de sa thèse. Il s'agit d'après
M. Onanoff d'un épithélioma développé aux dépens de l'épithélium de la glande pitui-
taire, du type malpighien, en pleine évolution hyperplasique s'effectuant par division
indirecte, avec dégénérescence myxomateuse du stroma conjonctif.
Les ovaires et l'utérus sont très petits; d'après leurs dimensions ils sembleraient
appartenir à une fillette de 8 il 10 ans.
Cette observation est intéressante à deux points de vue : d'une part,
Fit. 5.
Fiv. si
Fig. n.
Fig. 8.
TUMEUR DU CORPS PITUITAIRE SANS ACROMÉGALIE 235
l'absence d'acromégalie, de gigantisme contraste avec l'existence d'une
grosse tumeur du corps pituitaire ; mais, à la vérité, pour que ce fait fût
très instructif, il serait nécessaire de savoir dans quelle mesure la glande
a été altérée. D'autre part, la coexistence de l'infantilisme, caractérisée
par l'arrêt de développement des organes génitaux, et de la lésion pitui-
taire, mérite aussi d'être remarquée. Il est vrai que l'examen du corps
thyroïde n'ayant pu être pratiqué, on pourrait supposer que cette glande
était altérée et que l'infantilisme était sous la dépendance de cette lésion
présumée. Il me semble toutefois que l'idée d'une relation de cause à
effet entre la tumeur du corps pituitaire et l'infantilisme est très accep-
table. On sait, en effet, que les lésions de l'hypophyse, quand elles appa-
raissent chez l'adulte, peuvent amener des troubles des organes génitaux,
la suppression des règles, l'atrophie de l'utérus ; il est donc bien naturel
qu'une sembable lésion, quand elle débute chez l'enfant, produise un
arrêt de développement des organes génitaux.
Il
STASE PAPILLAIRE GUÉRIE PAR LA TRÉPANATION
'... CRANIENNE
J. B : sm sm . |
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 7 février 1 go 1.
Le malade que je présente à la Société est une femme âgée de 29 ans,
qui, en juillet 1898, fit une chute de bicyclette et se heurta forte-
ment la partie postérieure de la tête contre le sol. Un mois après
cet accident, elle commença à souffrir de maux de tête qui augmentèrent
petit à petit d'intensité, et depuis le milieu de 1899, c'est-à-dire depuis
18 mois, étaient devenus extrêmement violents privant la malade de som-
meil, sans interruption, sauf pendant les trois ou quatre jours consécutifs
à chaque période menstruelle, pendant lesquels ils disparaissaient com-
plètement ; de plus, vomissements quotidiens. Un examen ophtalmosco-
pique pratiqué il y a plus d'un an par un oculiste décela l'existence d'une
névrite optique et d'hémorragies rétiniennes, sans affaiblissement de
l'acuité visuelle. Ce n'est que depuis six mois que la vision s'affaiblit, et
depuis un mois, la diminution de l'acuité visuelle alla en s'accentuant
rapidement.
Un traitement hydrargyrique intensif, suivi pendant un an, ne donna
aucun résultat appréciable.
La malade consulta alors le Dr Dubrisay, qui voulut bien me l'adresser.
Je la vois pour la première fois le 7 janvier dernier.
Elle me déclare que la douleur de tête, devenue intolérable, occupe le
front, l'occiput des deux côtés, et la région pariétale à gauche, qu'elle ne
reste pas 24 heures sans vomir, que sa vue s'affaiblit de jour en jour, et
qu'elle est prête à risquer la mort, si cela est nécessaire, pour obtenir un
soulagement. A l'examen ophtalmoscopique, je constate une névrite
optique oedémateuse double des plus prononcées, et le Dr Parinaud
confirme ce diagnostic; l'acuité visuelle est peu réduite; O. D. i/3,
STASE PAPILLAIRE GUÉRIE PAR TRÉPANATION CRANIENNE a3
O. G. i/4. A part ces troubles je ne constate aucun signe objectif d'af-
fection organique du système nerveux. Les organes thoraciques et les
organes abdominaux sont en bon état. Pas d'albumine. Pas de sucre.
Il me paraît impossible de porter un diagnostic précis avec certitude.
S'agit-il d'un néoplasme, d'une méningite avec hydrocéphalie ? Ce qui est
incontestable, c'est qu'on a affaire à une affection organique intra-
crânienne grave, dont la stase papillaire permet d'affirmer l'existence, et,
en raison de l'insuccès du traitement mercuriel, je suis d'avis qu'une
trépanation crânienne, pour amener de la décompression, est indiquée.
La malade accepte avec empressement ma proposition de la faire opérer,
et sur ma demande, le Dl Gosset pratique le 14 janvier, la crâniotomie,
qui est faite du côté gauche, pour cet unique motif que dans la région
pariétale c'est à gauche que la malade accuse de la douleur.
Voici la note qui m'a été remise par M. Gosset :
Sur la moitié gauche du crâne, on taille un lambeau cutané qui part en avant de
l'apophyse orbitaire externe, et s'étend en arrière jusqu'à la protubérance occipitale
externe. La convexité du lambeau atteint la ligne médiane au niveau de la ligne
bi-auriculaire et la base est dirigée vers l'oreille. On met à nu la surface osseuse ;
cinq perforations sont pratiquées à la boîte crânienne ; on les réunit avec un trait de
scie, et l'on luxe en bas le lambeau osseux ainsi formé. La dure-mère paraît normale;
il y a les battements habituels du cerveau. On pratique une incision courbe à conca-
vité supérieure de la dure-mère. L'exploration aussi complète que possible du cerveau
ne révèle rien d'anormal. On laisse la dure-mère sans la réunir, on enlève le volet
osseux de façon à éviter toute compression de la substance cérébrale et la peau est
suturée par-dessus le cerveau. En somme, on a incisé la dure-mère, on a fait l'abla-
tion d'un volet osseux, et le cerveau est à nu sous le péricrâne. Le volet osseux enlevé
mesure gcm,4 de long sur 5cm,8 de haut.
Suites opératoires simples. La malade se lève au toe jour.
Depuis l'opération, la douleur et les vomissements n'ont plus reparu, à
la grande joie de la malade. Un nouvel examen ophtalmoscopique prati-
qué le 3o janvier montre qu'il n'y a plus trace de stase papillaire ; je dois
ajouter que les papilles sont pâles et que l'acuité visuelle a diminué ; elle
est de 1/6 à droite et à gauche. C'est là un fait à ajouter à ceux déjà
connus où la stase papillaire a disparu sous l'influence de la décompres-
sion, mais en raison de sa netteté, il m'a semblé digne d'être relaté.
Je le rapprocherai d'un autre cas remarquable que j'ai observé. Il
s'agit d'une femme atteinte aussi d'une affection organique intra-crânienne,
caractérisée par de'la céphalée, un affaiblissement de l'ouïe voisin de la
surdité, et une décoloration papillaire bilatérale avec atrophie des vais-
seaux, sans affaiblissement de l'acuité visuelle. Elle présentait de plus un
écoulement intermittentdeliquide céphalo-rachidien parla narine gauche,
dû sans doute à une lésion de l'ethmoïde. La céphalée s'accentuait quand
l'écoulement n'avait pas lieu, elle s'atténuait et disparaissait même com-
plètement lorsque l'écoulement s'établissait de nouveau. Il est vraisem-
blable que c'est grâce à cette disposition que les troubles oculaires étaient
238 TUMEURS CÉRÉBRALES ET COMPRESSIONS CEREBRALES
restés bénins. La maladie en produisant une lésion de l'ethmoïde avait
amené une décompression providentielle analogue à celle qui a été réa-
lisée artificiellement chez notre opérée.
Avant de terminer, je crois devoir insister sur l'accalmie qui succédait
toujours, chez la malade que je présente, à la période menstruelle ; elle
me paraît comparable à l'effet produit par la saignée dans l'urémie, dont
l'aspect symptomatique, dans sa forme cérébrale, a des analogies avec le
tableau symptomatique des néoplasmes intra-crâniens. La théorie de
l'oedème cérébral, dans l'urémie, actuellement peu en faveur, ne contien-
drait-elle pas une part de vérité ? Je crois qu'il serait intéressant à tous
égards de chercher à vérifier cette idée en pratiquant la ponction rachi-
dienne chez des malades atteints d'urémie à forme cérébrale.
TROIS CAS DE GLIOMATOSE CÉRÉBRALE ? )
(DISCUSSION.)
M. J. BABINSKI. - Il y a lieu de se demander si l'intervention chirur-
gicale n'était pas indiquée et si la trépanation n'aurait pas pu donner dans
ce cas un résultat plus ou moins satisfaisant.
Il était, il est vrai, difficile et peut-être même impossible de reconnaître,
pendant la vie, le siège de la lésion, mais la trépanation aurait pu être
tentée pour obtenir simplement de la décompression qui fait disparaître
parfois la céphalée et la stase papillaire, ainsi que le montre l'observa-
tion d'une malade que je vais présenter à la Société. La trépanation une
fois décidée, on aurait été amené logiquement à intervenir du côté opposé
à l'hémi-parésie et alors, si on avait enlevé un volet osseux assez grand, on
aurait mis à découvert la tumeur, dont l'ablation partielle eut été possible.
Il est permis de supposer que l'on aurait obtenu ainsi, sinon la guéri-
son, car cela est peu vraisemblable, mais au moins une certaine amélio-
ration.
() Gilbert Ballet, Société de Neurologie, séance du 7 février igoi.
III
DEUX CAS DE TUMEUR CÉRÉBRALE DU LOBE FRONTAL
[J. BABINSKI.]
. Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 6 mai igog.
Malgré nos connaissances déjà très étendues sur les fonctions des
diverses parties de l'encéphale, il est souvent difficile ou impos-
- L Y sible de déterminer le siège précis d'une tumeur intra-crânienne.
On se rendrait un compte inexact du nombre des erreurs de localisation
commises en faisant des recherches bibliographiques sur cette question,
ce qui tient sans doute à ce qu'on publie de préférence les observations
où le diagnostic clinique a été vérifié par l'examen pratiqué à l'autopsie
ou après une crâniectomie. Cela est regrettable, car les autres faits ne
sont pas moins intéressants.
Je vais relater brièvement deux cas de néoplasme cérébral où le diagnos-
tic, exact en partie, n'avait pu être suffisamment précisé. Dans ces deux
cas, conformément à ce qu'on avait supposé, la lésion occupait le lobe
frontal au devant de la région motrice, mais dans l'un, on n'avait pas
pensé qu'il fut possible de désigner le côté où siégeait la tumeur ; dans
l'autre, elle se trouvait du côté opposé à celui où on l'avait cru située.
Observation I. Homme de QI ans, commence au mois d'août igi8 à souffrir
d'une douleur de tête siégeant au front, continue, avec paroxysmes. De temps en
temps vomissements sans efforts.
En septembre, le malade constate que sa vision s'affaiblit surtout à droite. Pas
de diplopie.
En octobre, un examen ophtalmologique pratiqué par un oculiste dont la prescrip-
tion m'est remise, décèle une double stase papillaire ; du côté gauche, l'acuité
visuelle est 7/10 ; à droite le malade reconnaît à peine la main que l'on déplace devant
son oeil. Les douleurs de la tête augmentent ; les crises, qui deviennent plus fréquentes,
débutent par une douleur très violente à la racine du nez et irradient dans les régions
sus et sous-orbitaires, surtout à gauche.
j'io TUMEURS CÉRÉBRALES ET COMPRESSIONS CÉRÉBRALES
Le malade entre dans mon service à la Pitié le 6 janvier igog.
Son intelligence semble normale. Il a un aspect cachectique. Les vomissements
auxquels il est encore sujet sont moins fréquents que précédemment. La céphalée, un
peu moins violente que par le passé, présente toujours les mêmes caractères au point
de vue de son siège ; elle est exclusivement frontale et pendant les crises, elle prédo-
mine du côté gauche.
La cécité est complète. A l'ophtalmoscope, M. Chaillous constate à gauche une
stase de la papille avec quelques hémorragies périphériques ; à droite, la papille est
très pâle, ses bords sont effrangés. Il y a du nystagmus horizontal. Le réflexe à la
lumière est aboli.
La marche, pénible il est vrai, à cause de l'état de faiblesse générale, et difficile à
cause de la cécité, est possible ; elle est très lente, mais correcte ; elle n'est pas titu-
bante. Les mouvements des membres supérieurs sont réguliers. Pas d'asynergie ; pas
d'adiadocosinésie. Les réflexes tendineux et le réflexe cutané plantaire sont normaux.
Pas de troubles de la sensibilité.
En raison de la cécité complète, et du mauvais état général, la crâniectomie me
paraît contre-indiquée.
Le malade succombe peu de jours après son entrée à l'hôpital.
A l'autopsie, on trouve à la face inférieure du lobe frontal droit, une tumeur ayant
la forme d'un oeuf de poule et en atteignant presque le volume ; sa surface est
bosselée ; elle paraît s'être développée dans les méninges molles ; elle s'est creusée
une loge dans le cerveau en refoulant les circonvolutions sus-jacentes. L'extrémité de
la tumeur se trouve distante d'un centimètre de l'extrémité antérieure du lobe frontal.
Sa partie interne s'insinue sous la faux du cerveau et refoule les circonvolutions
adjacentes de la face inféro-interne du lobe frontal gauche.
M. Nageotte a examiné cette tumeur au microscope et a constaté qu'il s'agissait
d'un sarcome angiolithique né dans le tissu conjonctif des méninges molles.
Observation II. Homme de 5 ans. En décembre 1908, il commence à éprouver
des douleurs frontales bilatérales qui, d'abord légères, augmentent rapidement d'inten-
sité et s'accompagnent bientôt d'un affaiblissement visuel.
Il vient me consulter une première fois à la Pitié au mois de janvier rgog. Je suis
frappé d'abord par son aspect béat qui me fait songer à un début de paralysie
générale. Il répond cependant correctement aux quelques questions que je lui pose.
Etant trop occupé ce jour pour l'examiner méthodiquement, je lui dis de revenir le
lendemain, me proposant en particulier de le soumettre à un examen oculaire.
Le malade ne se présente pas à la consultation le jour indiqué et ne revient à
l'hôpital que le 2 février. Il est admis dans le service de mon collègue le Dr Lion,
qui veut bien me l'adresser.
Les douleurs de tête sont devenues plus fortes et s'accompagnent de vomissements
qui surviennent sans efforts immédiatement après l'ingestion des aliments. Ce sont
des douleurs térébrantes, martelantes, siégeant exclusivement à la région frontale et
prédominant à gauche. Elles sont continues, mais deviennent particulièrement intenses
à certains moments.
Le malade est somnolent, mais son intelligence semble intacte, et il répond correcte-
ment aux questions qu'on lui adresse. Il faut noter cependant une apparence de
satisfaction, de béatitude, d'optimisme, qui sans être liée à des idées délirantes,
contraste avec l'aplatissement physique dans lequel il se trouve.
La déambulation, difficile à cause des troubles de la vision, ne présente aucune
véritable perturbation.
.CAS DE TUMEUR CÉRÉBRALE DU LOBE FRONTAL 241
Il n'y a pas de vertiges, pas d'ataxie, pas d'asynergie, pas d'adiadocosinésie.
Il n'existe pas non plus de troubles de la sensibilité générale.
La parole, sauf qu'elle est lente, ne présente aucun caractère anormal.
Les réflexes rotuliens sont faibles, surtout à gauche. Le réflexe achilléen normal à
droite, est faible à gauche. Les réflexes tendineux des membres supérieurs sont faibles
des deux côtés. Le réflexe cutané plantaire est normal.
Le Dr Chaillous constate le 5 février une stase papillaire très marquée des deux
côtés. La cécité est presque complète à gauche. A droite, il y a un grand affaiblisse-
ment de la vue ; toutefois le malade est en mesure de compter les doigts de la main ;
l'acuité visuelle est 2/10.
Le goût et l'odorat semblent affaiblis.
Ce même jour, on pratique une ponction lombaire ; on retire 20 centimètres cubes
de liquide ; on y constate une lymphocytose nette.
Le malade est soumis à un traitement mercuriel.
Le 12 février la situation s'est encore aggravée. La cécité est à peu près complète
à gauche, à droite l'acuité visuelle est 1/10. La céphalée occupe toujours la région
frontale et prédomine à gauche.
Malgré la gravité de l'état dans lequel se trouve le malade, j'estime qu'il y a
lieu de tenter une opération, et en raison de la prédominance de la céphalée et des
troubles oculaires du côté gauche je propose une cràniectomie à la région frontale du
côté gauche.
L'opération est pratiquée par le Dr Gosset, le 15 février; elle est faite en un temps.
Une exploration pratiquée, après l'incision de la dure-mère, montre qu'il n'y a pas
de tumeur dans cette région.
Le 25 février, M. Chaillous constate que du côté droit, l'état de l'oeil n'est pas
sensiblement modifié, mais que du côté gauche il y a un changement marqué. Les
bords de la papille sont nettement limités. Depuis l'opération, les douleurs de tête ne
se sont pas reproduites, mais l'affaiblissement général a augmenté.
Le malade meurt le 26 février.
A l'autopsie, après avoir mis le cerveau a nu, on constate que le lobe frontal a un
volume plus considérable à droite qu'à gauche. Sur une coupe, on trouve une tumeur
située dans la profondeur du lobe frontal droit, faisant corps avec lui, occupant
toute sa partie antérieure et grosse comme un petit oeuf de poule. M. Monier-Vinard
en ayant fait un examen histologique a reconnu qu'elle était constituée par un
gliosarcome.
Dans ces deux cas, la céphalée, les vomissements, la stase papillaire
rendaient le diagnostic de néoplasme intracrànien extrêmement probable.
En me fondant sur l'absence de tout signe décelant une perturbation
soit du système pyramidal, soit de la voie sensitive, soit de l'appareil céré-
belleux, soit enfin des nerfs crâniens à partir de la IIIe paire, je devais
être nécessairement conduit à admettre la possibilité d'une tumeur siégeant
à la partie antérieure de la région frontale.
La localisation de la céphalée à la région frontale m'avait semblé un
argument important à l'appui de cette hypothèse. Il est vrai que dans les
néoplasmes de l'encéphale, la douleur de tête est bien souvent diffuse ;
elle est susceptible de changer de place et elle ne prédomine pas toujours,
tant s'en faut, à l'endroit où siège le mal, mais dans ces deux cas il ne
s'agissait pas d'une simple prédominance ; la céphalée avait toujours été
n»t>sd. iü
242 TUMEURS CÉRÉBRALES ET COMPRESSIONS CÉRÉBRALES
limitée à la région frontale. L'examen post mortem semble montrer que
j'avais eu raison d'attacher de la valeur à ce signe. Mais je n'avais pas été
en mesure de pousser plus loin la précision.
Dans l'observation I, je ne m'étais pas cru en état de déterminer le côté
de la lésion. En raison de la prédominance des troubles oculaires du côté
droit, j'avais tenté de dire que la tumeur siégeait à droite, mais la pré-
dominance de la céphalée à gauche me portait à penser qu'elle occupait
le côté gauche et en définitive j'étais resté dans le doute.
Dans l'observation II, je croyais que la tumeur se trouvait dans le lobe
frontal gauche, car les troubles visuels et la céphalée étaient notablement
plus prononcés de ce côté. Or l'autopsie est venue montrer que j'avais com-
mis à cet égard une erreur. Serait-il possible de l'éviter dans un cas ana-
logue ? La ponction cérébrale, suivant la méthode de Neisser, serait peut-
être le seul moyen de conduire au diagnostic.
Ainsi donc, dans ces deux cas, la céphalée était plus marquée du côté
opposé à celui où siégeait la tumeur. Quant aux troubles visuels, ils étaient
dans un de ces deux cas plus prononcés du côté où le néoplasme s'était
développé.
TRÉPANATION POUR TUMEUR CÉRÉBRALE. ABLATION DE LA TUMEUR.
GRANDE AMÉLIORATION ? )
L'opéré, un homme de trente ans, entre dans le service de l'un de nous pour des
céphalées atroces, complètement rebelles et des vomissements.
L'examen du fond de l'oeil pratiqué immédiatement montre un oedème de la papille
très marqué, sans diminution de l'acuité visuelle. La motilité et la sensibilité
sont normales. Les réflexes sont normaux sauf le réflexe achilléen gauche qui
est aboli.
Ce malade est atteint d'un polype naso-pharyngien qui repousse le voile du palais
en bas, et envoie un prolongement dans la fosse nasale droite, et aussi un prolonge-
ment dans l'orbite du côté droit.
Exophtalmie droite très marquée, et légère exophtalmie gauche.
L'examen du crâne montre à la partie antérieure de la région tempo-pariétale droite,
une exostose très appréciable. La percussion à ce niveau est douloureuse.
L'oedème de la papille, la céphalée et les vomissements commandent au moins une
trépanation décompressive.
Il nous semble tout indiqué d'opérer au niveau de l'exostose.
Avant l'opération, M. Infroit pratique une radiographie du crâne, qui montre un
épaississement considérable de la paroi osseuse à ce niveau.
L'opération une fois décidée, est pratiquée immédiatement.
Une fois le volet osseux soulevé, on put constater sur sa paroi endocrànienne une
énorme exostose dont la présence eût suffi largement à expliquer les troubles de
compression dont souffrait le malade. -
Mais sous la dure-mère incisée on trouva une tumeur de consistance osseuse,
du volume d'une petite mandarine, qui avait refoulé le cerveau et s'y creusait
une loge.
(') J. Babinski et de Martel, Société de Neurologie, séance du 2 décembre r( )1)9.
TUMEURS MÉNINGÉES UNILATÉRALES 243
Cette tumeur sous-dure-mérienne était reliée à la paroi crânienne épaissie par un
mince pédicule qui traversait la dure-mère. '
Elle se laissa énucléer facilement, mais il y eut, durant ce temps opératoire, une
abondante hémorragie.
Après tamponnement et drainage de la cavité qui résultait de l'ablation de la
tumeur, les téguments furent suturés au-dessus de la perte de substance osseuse.
L'opération dura en tout douze minutes.
L'opéré revint à lui très rapidement, et, dès le soir, il se déclara complètement
soulagé.
Les douleurs de la tête ont complètement disparu, ainsi que les vomissements.
L'oedème de la papille subsiste. , '
M. Babinski insiste depuis longtemps sur la nécessité de trépaner aus-
sitôt que possible les malades qui présentent un syndrome d'hypertension
cérébrale ; ce fait vient à l'appui de son opinion. , , .
TUMEURS MÉNINGÉES UNILATÉRALES.
HÉMIPLÉGIE SIÉGEANT DU MÊME CÔTÉ QUE LES TUMEURS ? )
Nous venons relater un fait anatomo-clinique d'hémiplégie liée à des
néoplasmes intra-crâniens qui, entre autres particularités dignes d'être
mentionnées, présente surtout ceci d'intéressant : d'une part, il a été pos-
sible de reconnaître, grâce à certains caractères intrinsèques, que la
paralysie était due à une compression des centres nerveux ; d'autre part,
contrairement à ce qui avait été supposé pendant la vie du malade, la
nécropsie a montré que les tumeurs, qui étaient unilatérales, siégeaient
du côté de l'hémiplégie.
Observation. C..., àgé de 43 ans, garçon de magasin, entre le 9 avril 1908 à la
Pitié. Il est atteint d'une paralysie qui occupe tout le côté droit du corps, qui aurait
débuté, sans ictus, il y a 6 mois, se serait accrue progressivement et aurait atteint le
degré qu'elle a maintenant en l'espace de 15 jours. -
La face est légèrement parésiée. Le membre supérieur, au contraire, est presque
inerte; les mouvements qu'il peut exécuter sont extrêmement limités. Le membre
inférieur est un peu moins paralysé que le membre supérieur ; le malade, il est vrai,
est incapable de se tenir debout sans appui, mais, quand il est soutenu de chaque
côté, il peut faire quelques pas. On observe alors une latéropulsion droite des plus
prononcées.
Les réflexes tendineux sont faibles des deux côtés, et à peine plus forts à droite
wu gauche.
On constate le signe de l'orteil, ainsi que le mouvement combiné de la cuisse et du
bassin à droite, ainsi que le signe du peaucier. " '
......... ? u ." .' ......... ? ....... "-
Les membres du côté de l'hémiplégie ont conservé de la souplesse, et on ne note
aucune tendance à la contracture.
(') J. Babinski et J. Clunet, Société de Neurologie de Paris, séance du 2 juillet igo8. .
a44 TUMEURS CÉRÉBRALES ET COMPRESSIONS CÉRÉBRALES
M. Weill a pratiqué l'examen du larynx et l'a trouvé normal.
Le malade semble obnubilé, déprimé, ne répond aux questions qu'on lui pose que
si on y met de l'insistance, il sort alors pour quelque temps de sa torpeur et comprend
bien ce qu'on lui dit ; ses réponses sont correctes, mais il éprouve une certaine gêne
dans l'articulation des mots. Il se plaint d'une céphalée vive et permanente. Il n'existe
pas de troubles appréciables de la sensibilité. L'examen ophtalmoscopique montre
qu'il n'y a pas d'oedème des papilles.
Il s'agit manifestement d'hémiplégie organique ; le signe de l'orteil, le
signe du peaucier, et le mouvement combiné de flexion de la cuisse et
du bassin permettent de l'affirmer. De plus, malgré l'absence de stase
papillaire, de nausées et d'épilepsie Jacksonienne en nous fondant seu-
lement sur ce fait que la paralysie du bras, quoi qu'elle ait débuté il y a
six mois, et qu'elle soit très intense, reste flasque et ne s'accompagne pas
d'une exagération sensible des réflexes tendineux, nous pensons que l'hé-
miplégie est due à une compression de l'encéphale vraisemblablement
produite par un néoplasme. L'un de nous a montré en effet, que ces carac-
tères appartiennent aux paralysies par compression des centres nerveux (').
Le 3 mai un nouvel examen du fond de l'oeil, pratiqué par M. Chaillous, décèle une
névrite oedémateuse bilatérale. Le malade, d'ailleurs, est dans le même état si ce n'est
que la céphalée a augmenté.
Une ponction lombaire donne issue à du liquide céphalo-rachidien qui sort en jet,
et à l'examen cytologique, on constate une lymphocytose pure et très marquée.
Pas de sédation de la céphalée après la ponction.
Le malade qui a contracté la syphilis à l'âge de 20 ans est soumis à des frictions
mercurielles quotidiennes, et on lui pratique une injection intramusculaire de 5 centi-
grammes de calomel. Huit jours après le début de ce traitement, le malade sort de son
état de demi-prostration, il se lève et marche sans soutien.
Cette amélioration, obtenue consécutivement à l'emploi du mercure chez
un syphilitique, pouvait faire penser que les lésions intra-crâniennes
dépendaient de la syphilis. Nous fîmes cependant nos réserves à ce sujet,
ayant observé autrefois des rémissions notables, à la suite de l'emploi du
mercure dans des cas de néoplasmes encéphaliques non syphilitiques (2).
L'évolution de la maladie vient justifier ces réserves.
L'amélioration est de courte durée, et malgré la continuation du traitement intensif,
le malade décline de nouveau ; le 17 mai, il est dans l'impossibilité complète de se
tenir debout et même assis sans être soutenu. L'oedème papillaire ne s'est pas modifié,
l'acuité visuelle est de 7/10.
Le 24 mai, l'oedème papillaire a diminué à gauche. M. Chaillous constate très nette-
ment deux taches blanches qui semblent dues à la présence de fibres à myéline et qui
(') a) Sur une forme de paraplégie spasmodique consécutive à une lésion, sans dégénération du
système pyramidal, par J. Babinski (Société médicale des Hôpitaux, 24 mars 18qq).
6) De la paralysie par compression du faisceau pyramidal, sans dégénération secondaire.
Contribution au diagnostic précoce des néoplasmes intracrauicns, par J. Babinski (Société Neurologique,
5 juillet 1906).
(2) Société Neurologique, ] ! )06, p. 6g4.
TUMEURS MÉNINGÉES UNILATÉRALES 245
n'apparaissaient que d'une manière confuse lors des précédents examens. L'acuité
visuelle est remontée à go de ce côté. La céphalée et la torpeur cependant paraissent
augmenter. On décide une intervention chirurgicale.
Le ter juin, craniectomie droite pratiquée par M. Gosset. Mise à nu de la dure-
mère sur une surface de 15 centimètres carrés environ, répondant à la face
externe de l'hémisphère gauche. La dure-mère extrêmement tendue fait une légère
hernie à travers le cadre osseux, elle bat à peine. On réapplique le lambeau
ostéo-cutané.
Pas de modifications du fond de l'oeil ni des réflexes, à la suite de cette
intervention.
Le 1 1 juin, ouverture de la dure-mère par une incision en fer à cheval à convexité
supérieure, et une seconde incision verticale partant du sommet de cette convexité.
Le cerveau sain en apparence fait aussitôt hernie à travers l'orifice dure-mérien.
On ne voit ni ne sent aucune tumeur.
Le 4 juin, l'état des réflexes et celui du fond de l'oeil sont stationnaires ; la
torpeur du malade augmente ; il présente des signes de congestion pulmonaire au
niveau des bases.
Mort le 3 juillet dans le coma. Formolisation du névraxe par l'angle interne de
l'oeil, 3 heures après la mort.
Autopsie le 4 juillet.
Poumons : bronchite capillaire généralisée, pas d'hépatisation. Les autres viscères
paraissent microscopiquement sains.
Hémisphère gauche : Au niveau des bords de la hernie cérébrale qui fait saillie
de plus d'un travers du doigt sur toute l'étendue de l'orifice crânien, on constate
une petite hémorragie méningée. Le reste de l'hémisphère paraît indemne ; pas de
tumeurs. ,
Hémisphère droit : On constate la présence de trois tumeurs méningées. une laté-
rale, deux inférieures, toutes trois complètement indépendantes de la dure-mère et
de l'écorce cérébrale qu'elles refoulent, paraissent développées dans les méninges
molles.
La tumeur latérale presque sphérique, lisse, du volume d'une très grosse noix,
de teinte gris, rosé à la coupe, d'aspect homogène, est enclavée dans la vallée
sylvienne où elle s'enfonce jusqu'au contact de l'insula de Reil. Elle est limitée en
haut et en avant par la IIIe frontale, en arrière et en bas par la Ire temporale.
Ces circonvolutions sont simplement repoussées par la tumeur qui ne modifie pas
leur structure.
Les deux tumeurs inférieures ont le même aspect macroscopique; elles diffèrent
quelque peu de la tumeur sylvienne. Franchement blanches, bosselées, elles sont
comme lobulées à la surface, d'aspect nacré à la coupe, elles paraissent constituées
par des faisceaux entrecroisés en tous sens ; leur consistance est ferme, élastique,
mais nullement indurée, elles ne contiennent pas de formations calcifiées pas plus que
la première tumeur.
De ces deux tumeurs inférieures, l'antérieure, du volume d'une grosse amande,
est accolée au lobe orbitaire en dedans du sillon cruciforme ; l'autre, qui atteint le
volume d'une noix, occupe la partie antérieure de la première circonvolution
temporo-occipitale.
Si l'on pratique une coupe horizontale des deux hémisphères passant par la capsule
interne, on est frappé de ce fait que la scissure inter-hémisphérique est fortement
rejetée à gauche du plan sagittal médian du corps.
L'hémisphère droit auquel sont appendues les tumeurs paraît ainsi d'un tiers plus
246 TUMEURS CÉRÉBRALES ET COMPRESSIONS CÉRÉBRALES
large que l'hémisphère gauche qu'il refoule. Cette hypertrophie s'étend à la protubé-
rance et apparaît encore, quoique moins nettement, au niveau du bulbe; elle disparaît
par contre au niveau de la moelle dont les deux moitiés sont symétriques ainsi que
les lobes du cervelet.
La moitié droite de l'encéphale est tout entière comme distendue par un oedème qui
se serait développé progressivement et aurait comprimé la moitié gauche.
Un examen pratiqué avec la méthode de Marchi et avec celle de Pal ne décèle aucune
dégénérescence.
En résumé, cette observation vient à l'appui de cette idée, soutenue
précédemment par l'un de nous, que quand une hémiplégie organique,
déjà de quelque durée, reste flasque, ne s'accompagne pas d'une exagéra-
tion manifeste des réflexes tendineux, il y a lieu de penser qu'elle est due
à une compression des centres nerveux, à condition qu'elle ne soit pas
associée à une lésion des cornes antérieures, des racines ou des nerfs.
Elle montre de plus que dans les néoplasmes intra-crâniens avec hémi-
plégie, la paralysie peut siéger du même côté que le néoplasme.
Elle semble montrer enfin que ces hémiplégies paradoxales, dont on a
rapporté un certain nombre de cas, peuvent être dues à une compression
qu'exerce l'hémisphère du côté de la lésion sur l'hémisphère du côté
sain (').
(') Un travail plus complet sur ce sujet, surtout au point de vue histologique, paraitra prochaine-
ment dans l'Iconographie de la Salpêtrière. '
IV
DE LA CRANIECTOMIE DG'C0111'IESSIYE
. If. Babinski.]
Publié dans le Bulletin Médical du 20 avril 1.9 1 o.
On sait que dans la grande majorité des cas de tumeur cérébrale la
O crâniectomie constitue le seul moyen curatif dont la thérapeu- ? tique dispose, et que ce mode de traitement compte à son actif
des succès remarquables. Mais il ressort aussi des observations recueil-
lies jusqu'à présent, que les guérisons obtenues ainsi sont rares ce qui se
conçoit aisément, lorsqu'on envisage la série des conditions nécessaires
au retour à l'état normal. Pour cela, en effet, l'existence du néoplasme
doit être reconnue et son siège exactement déterminé ; il faut que ce
néoplasme soit de nature bénigne ; que la profondeur à laquelle il est
situé permette de l'aborder ; que son extirpation ne nécessite pas de
délabrements entraînant des troubles fonctionnels graves, et qu'elle n'ait
pas pour conséquence ces phénomènes de choc mortel que le plus habile
ne peut être sûr d'éviter. Lorsqu'on considère les échecs subis fréquem-
ment par les neurologistes disposant d'opérateurs experts, on comprend
aisément l'appréhension qu'une pareille intervention inspire aux prati-
ciens qui ne sont pas familiarisés avec les finesses de la clinique neuro-
logique et de la chirurgie crânienne.
Si l'ouverture du crâne ayant pour but la découverte de la tumeur est
aléatoire et souvent périlleuse lorsqu'elle est suivie de tentatives d'extrac-
tion, elle est ordinairement efficace et relativement peu dangereuse
quand elle ne vise pas à l'ablation du néoplasme et qu'elle se borne à
une action décompressive, la simple décompression a pour résultats habi-
tuels d'atténuer ou de supprimer la céphalée, les vomissements et les
troubles mentaux, et quand elle est faite en temps opportun, de préser-
ver de la cécité, en arrêtant l'évolution de la névrite oedémateuse.
C'est une opération très utile s'il s'agit d'une néoplasie progressive
248 TUMEURS CÉRÉBRALES ET COMPRESSIONS CÉRÉBRALES
devant entraîner la mort, car elle rend supportable la dernière période
de la vie, qui, d'ailleurs, peut se prolonger plusieurs mois, un an, davan-
tage même Les services qu'elle rend sont bien plus appréciables si l'on
a affaire à une tumeur susceptible de s'arrêter dans sa marche après
avoir produit des dégâts irréparables, tels que la cécité. On conçoit la
valeur, en pareil cas, d'une intervention capable de faire disparaître la
stase papillaire et d'empêcher le développement des troubles oculaires.
Cela est encore plus vrai pour ce qui concerne ces faits de « pseudo-
tumeur cérébrale » ou l'oedème peut rétrograder et disparaître après
avoir aboli définitivement la vision ; l'opération, simplement décompres-
sive, devient alors une opération curative, Ce sont là des notions que
surtout les remarquables travaux de Horsley ont servi à établir; les faits,
déjà nombreux, que j'ai observés moi-même m'ont convaincu de leur
exactitude, et cependant elles ne sont pas suffisamment répandues dans
le grand public.
Avant d'aller plus loin, et afin d'éviter un malentendu, je tiens à faire
remarquer que la crâniectomie suivie d'un essai d'extraction de la tumeur,
est parfois nettement indiquée malgré les dangers qu'elle peut faire cou-
rir : quand, dans un cas de néoplasme, il est possible de la mener à bonne
fin, elle donne des résultats auxquels la simple décompression ne peut
prétendre ; je suis donc loin de la rejeter systématiquement. Je dis seu-
lement que la crâniectomie décompressive, bien plus simple dans son
exécution, rarement mortelle, le plus souvent palliative, quelquefois
même curative, est d'une application plus courante.
Mais, pour exercer toute sa puissance, cette opération doit être faite
en temps opportun. Or, le plus ordinairement, la question de l'interven-
tion, quand elle est soulevée, l'est trop tardivement. Voici comment les
choses se passent d'habitude : dans une première période de l'affection,
le malade qui se plaint de lourdeur, de douleurs de tête, d'une faiblesse
générale, est considéré comme un neurasthénique, un hystérique ou un
dyspeptique ; dans une deuxième phase où les troubles s'accentuent, la
gravité du mal devient manifeste, mais sa nature reste encore méconnue,
et il n'est pas rare que les symptômes soient attribués à de l'artério-sclé-
rose ou à de la paralysie générale. Un jour, on constate que la vue du
malade a diminué : on pratique un examen ophtalmoscopique qui décèle
de la stase papillaire ; on porte alors un diagnostic exact. Le malade est
soumis à une cure hydrargyrique sous diverses formes et on s'acharne
à ce traitement surtout si, comme cela a lieu souvent, même dans les
néoplasies nullement syphilitiques, l'état du malade paraît quelque peu
s'améliorer sous l'influence de cette médication. Enfin, on reconnaît que
les efforts de la thérapeutique ont été stériles et on songe à une opéra-
tion, mais la vision est extrêmement réduite et les bénéfices que le malade
pourrait tirer de la chirurgie sont alors singulièrement limités.
Maintes fois j'ai été témoin de faits semblables et j'ai eu à déplorer les
erreurs et les atermoiements de confrères trop timorés ou insuffisamment
renseignés en cette matière. '
DE LA CRANIECTOMIE DÉCOM PRESSI V E 21)
S'il est essentiel, dans les cas que nous avons en vue, de ne pas dill'é-
rer l'opération outre mesure, il ne faut pas non plus tomber dans l'autre
excès et recourir à la crâniectomie dès qu'on a reconnu l'existence d'une
néoplasie intra-crânienne, d'une stase papillaire. On ne peut contester,
en effet, qu'un traitement hydrargyrique soit capable de faire disparaître
des néoformations syphilitiques. Il est bon de rappeler aussi que la rachi-
centèse a exercé dans certains cas une action favorable sur l'oedème des
papilles. Druault, Dupuis-Dutemps, de Lapersonne, Abadie ont rapporté
des observations de ce genre. J'ai relaté avec Chaillous (') des faits ana-
logues et particulièrement probants : des malades présentant les symp-
tômes essentiels des tumeurs cérébrales : de la céphalée intense, des
vomissements, de la stase papillaire, ont été complètement guéris à la
suite d'une ou de plusieurs ponctions lombaires associées à la cure mer-
curielle. A ce propos, je tiens à dire que les dangers de cette interven-
tion dans les cas de tumeur cérébrale me semblent avoir été considéra-
blement exagérés, on a publié, il est vrai, quelques observations où la
mort a été consécutive à cette opération, mais ces faits sont exception-
nels, si l'on tient compte du grand nombre de cas d'oedème cérébral où
la rachicenthèse a été pratiquée : d'ailleurs, il est vraisemblable qu'il s'est
agi parfois d'une simple coïncidence, car les malades en question, ceux,
en particulier, chez lesquels la néoplasie avoisine le bulbe, sont exposés
à des syncopes mortelles. Pour ma part, je n'ai pas observé d'accidents
semblables, peut-être parce qu'en pareil cas, j'ai l'habitude de ponction-
ner le malade placé dans la position horizontale afin d'évacuer le liquide
très lentement, en interrompant l'écoulement s'il est trop rapide, et de
n'en retirer qu'une petite quantité à la fois.
Il y a donc deux écueils à éviter : il faut se garder d'opérer hâtivement
ou de tarder outre mesure, et satisfaire, si possible, à ces deux conditions :
ne pas pratiquer la crâniectomie avant de s'être assuré de l'insuffisance
des moyens plus simples, et la faire cependant à la période où elle est
capable de fournir le plus de bénéfices, au moment où l'acuité visuelle
n'a pas encore ou n'a que très légèrement diminué. Ce problème serait
habituellement soluble si la généralité des médecins en connaissait l'im-
portance, contrairement à ce qui a lieu aujourd'hui.
Ainsi que je l'ai déjà rappelé, le plus souvent les troubles oculaires
sont précédés par une période parfois très longue où le malade ne pré-
sente que des troubles subjectifs, tels que des douleurs et un amoindris-
sement de la puissance cérébrale, que l'on attribue à la neurasthénie.
C'est là une erreur très commune, comparable à celle que l'on commet
souvent aussi en considérant comme de vulgaires neurasthéniques des
malades qui sont atteints d'hypertension artérielle ou de méningo-encé-
phalite diffuse. Or, dans cette première période, on dispose largement du
temps nécessaire pour faire l'épreuve de la cure hydrargyrique et de la
(') J. Babinski et Chaillous, Résultats thérapeutiques de la ponction lombaire, dans les névrites
optiques intra-cràniennes (Annales d'ocolistiquc, juillet 1907).
250 TUMEURS CÉRÉBRALES ET COMPRESSIONS CÉRÉBRALES
cure iodurée. Si, après avoir soumis un malade à ce double traitement,
on constate l'apparition d'un oedème papillaire, ont sait déjà que ces médi-
caments sont inefficaces ou tout au moins qu'ils sont incapables, par
leur puissance seule, d'enrayer le processus morbide.
Lorsque les premiers signes de la névrite oedémateuse se sont mani-
festés, la situation n'est pas encore alarmante, en ce qui concerne la
vision. En effet, la stase papillaire a la complaisance de prévenir en se
manifestant par des troubles ophtalmoscopiques avant d'affaiblir l'acuité
visuelle, qui peut rester normale plusieurs semaines et même plusieurs
mois. Il est indiqué de faire alors une ou plusieurs ponctions lombaires,
dont les dangers, que je ne conteste pas d'une manière absolue, me
semblent avoir été très exagérés, ainsi que je l'ai dit précédemment, et
sont encore moindres que ceux de l'ouverture crânienne. Rien n'empêche,
si l'épreuve du mercure et de l'iodure est jugée incomplète, de continuer
l'usage de ces médicaments pendant cette nouvelle période.
L'efficacité de ces deux ordres de moyens peut être ainsi appréciée
avant que la vision ait subi une atteinte sensible. Si ces moyens se sont
montrés insuffisants, si, de plus, l'oedème papillaire s'associe à d'autres
troubles graves, tels qu'une céphalée intense, des vomissements répétés,
de l'obnubilation intellectuelle, il est indiqué d'intervenir chirurgicale-
ment sans tarder davantage. Admettons que l'état ophtalmoscopique de
l'oeil ne se soit pas modifié, mais que la vision soit restée normale et que les
troubles subjectifs dont se plaignait le malade se soit atténués : il sera
alors, à la rigueur, permis de différer l'opération, à condition de renou-
veler souvent les mensurations de l'acuité visuelle, et, si elle vient à dimi-
nuer, de cesser la temporisation.
En ce conformant à ces règles, on résout le problème posé : la crâniec-
tomie n'est pratiquée que si elle est nécessaire, et alors on obtient d'elle
son maximum de rendement.
Malheureusement, pour les raisons que j'ai énoncées, des erreurs ou
des négligences sont souvent commises au début, et je vais supposer
maintenant qu'on se trouve, ce qui a lieu très communément, en présence
d'un malade dont l'acuité visuelle a déjà notablement diminué de la
moitié, par exemple qui n'a pas été soumis comme il convient aux
épreuves du mercure et de l'iodure et qui n'a pas subi de rachicentèse.
Ordinairement on a affaire alors à un sujet qui affirme n'avoir pas eu la
syphilis et qui ne porte aucune trace apparente de cette infection. Que
faire en pareil cas ? Pratiquer une ponction lombaire et rechercher la
réaction de Wassermann. Si le résultat est positif, le traitement anti-
syphilitique s'impose, mais il est indispensable de rester alors à l'affût, et
si la diminution de l'acuité visuelle s'accentue, si surtout l'aggravation
est rapide, on ne doit pas hésiter à proposer la crâniectomie, même avant
l'expiration des délais nécessaires pour apprécier l'action des autres
moyens. Il ne faut pas oublier, en effet, que l'évolution de la névrite
oedémateuse n'est pas toujours lente, qu'elle peut conduire à la cécité
en l'espace de quelques semaines, et qu'en un pareil laps de temps un
DE LA CRANIECTOMIE f)1C(¡llll)Hr;SSIVI : ' E 'j.'u
traitement spécifique, même intensif, n'arrête pas forcément la marche
d'un oedème des papilles lié à une néoplasie syphilitique.
Enfin, supposons qu'on ait affaire à un sujet qui n'a pas été soumis aux
épreuves du mercure, etc., et dont l'acuité visuelle est extrêmement
réduite. Si l'on considère que tout délai expose alors à la cécité et qu'en
prenant en bloc les faits d'oedème cérébral, la disparition de la stase papil-
laire sous l'influence des moyens préalables dont je viens de parler
constitue l'exception, qu'elle est, au contraire, la règle à la suite de la
crâniectomie, c'est à cette opération qu'il faut immédiatement avoir
recours.
L'opération une fois décidée, il reste à choisir le lieu où elle devra être
faite. Si le diagnostic de néoplasme est certain et si l'on a pu en déter-
miner le siège, il y a tout lieu d'opérer à l'endroit où la tumeur est présu-
mée se trouver, surtout s'il existe des raisons de penser quelle est super-
ficielle : il serait, évidemment, irrationnel d'écarter de parti pris l'idée
d'extraction. Si on n'arrive pas à préciser le point où la tumeur est placée
et, a fortiori, si l'on n'est pas certain que l'oedème soit symptomatique
d'un néoplasme, il est indiqué de pratiquer une ouverture à la région
temporale, à droite chez un droitier (Cushing). Les inconvénients d'une
opération faite en un autre lieu sont les suivants : la hernie cérébrale
qui se forme ordinairement après l'incision de la dure-mère constitue
une difformité fort gênante dans la région frontale ; dans la région rolan-
dique elle a souvent une hémiplégie pour conséquence ; dans la région
occipitale elle peut donner lieu à de l'hémianopsie. Le cervelet semble
plus accommodant, et les troubles qu'entraîne la hernie d'une portion de
cet organe sont relativement peu graves et peu tenaces, mais l'opération
dans la fosse cérébelleuse est assez laborieuse. La région temporale est
peut-être la plus tolérante ; l'opération en cet endroit est d'une exécui-
tion facile, et l'orifice créé artificiellement est protégé par le muscle tem-
poral.
Je passe sous silence les détails concernant le manuel opératoire ; je
me contenterai de dire que ceux qui ont l'expérience de la chirurgie céré-
brale, s'ils n'emploient pas tous la même instrumentation, sont d'accord
pour proscrire l'usage de la gouge et du maillet.
La crâniectomie « extractive » se fait généralement en deux temps, à
plusieurs jours d'intervalle ; dans le premier on ouvre le crâne, en lais-
sant intactes les enveloppes de l'encéphale : dans le deuxième on incise
la dure-mère et on va à la recherche de la tumeur.
La crâniectomie décompressive comporte-elle aussi l'exécution de ces
deux opérations successives ? Voici comment je répondrai à cette ques-
tion. La simple résection d'une partie de la voûte crânienne, particuliè-
rement quand elle a été faite largement, peut suffire à faire disparaitre la
céphalée et les divers troubles que l'oedème cérébral avait produits ; on a
publié des faits de ce genre et j'en ai moi-même observé des exemples
très nets.
Or, il est incontestable que les inconvénients de l'ouverture crânienne
252 TUMEURS CÉRÉBRALES ET COMPRESSIONS CÉRÉBRALES
sont moindres si la dure-mère n'est pas intéressée ; il est donc rationnel
de s'en tenir au premier temps si la stase papillaire vient à céder après
un délai de dix à quinze jours. Dans le cas contraire, on procède, dans
un deuxième temps, à l'incision de la dure-mère qui est suivie d'une
hernie cérébrale plus ou moins grande et qui, parfois, prend un dévelop-
pement énorme ; on ne peut d'ailleurs, considérer cette hernie comme
une complication de l'opération, car alors c'est grâce à ce phénomène
que les dangers imminents de l'oedème cérébral sont partiellement
conjurés.
En résumé, les services que peut rendre la crâniectomie décompressive
l'emportent notablement sur les dangers qu'elle fait courir ; il est essen-
tiel d'en connaître les indications et de se mettre en mesure de la prati-
quer en temps opportun pour en tirer tous les bénéfices qu'elle est capable
de fournir. Ces notions, en raison de leur importance pratique, doi-
vent devenir familières à tous les cliniciens (').
(') Voir à ce sujet la thèse très documentée d'un de mes élèves, M. Trocmé, ayant pour titre
« De la thérapeutique palliative dans les tumeurs de l'encéphale. Méthodes décompressives (ponction
lombaire et trépanation palliative) ». Paris, 19°\1, H. Jouve, éditeur.
0 UA 7'111 1, iTI - ? PAR TIF
AFFECTfONS NON PYRAMIDALES
1
SUR UN CAS D1 HÉMISPASME
(CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA PATHOGÉNIE)
DU TORTICOLIS SPASMODIQUE
I f . Babinski.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris;
séance du jeudi 1 il, e igoo.
TE présente à la Société un malade atteint d'hémispasme, dont
j l'étude me paraît jeter quelque lumière sur la pathogénie du torti-
colis spasmodique.
Le nommé D..., âgé de 34 ans, n'a dans son passé pathologique rien qui mérite
d'être relaté. De l'âge de 18 ans à celui de 3o ans, il a exercé la profession originale,
pour notre époque, de coureur, qui consiste à franchir, sur pari, de longues
distances dans un temps déterminé ; c'est ainsi qu'il se serait rendu en vingt heures
de Paris à Rouen, villes distantes l'une de l'autre de 160 kilomètres. Pour accomplir
plus aisément son travail, il aurait pris de l'arsenic, à des doses qu'il n'a pu déter-
miner. De plus il a usé largement des boissons alcooliques jusqu'en 1896, mais à
partir de cette époque, qui est celle du début de sa maladie, il en a fait un très grand
abus, ayant remarqué que l'ingestion de l'alcool calmait transitoirement les troubles
dont il est atteint.
Il y a quatre ans, en 1896, un matin, à son réveil, D. sentit des picotements dans
le bras gauche ; quelque temps après, le malade s'aperçut d'une diminution de la
force du membre supérieur gauche; puis apparurent des mouvements spasmodiques
involontaires dans les muscles du membre supérieur gauche et du cou, qui allèrent
en s'accentuant pendant plusieurs mois. Plus tard il éprouva des sensations analogues,
mais bien moins intenses, au membre inférieur gauche. Depuis trois ans l'état serait
à peu près stationnaire.
Etal actuel. Lorsque le malade est debout son attitude se modifie d'un instant à
l'autre sous l'influence des mouvements spasmodiques. Il présente toutefois une défor-
mation thoracique, plus ou moins prononcée suivant le moment où on l'examine,
mais ne disparaissant jamais complètement; la colonne vertébrale décrit une courbe
en lorme d'un S vu en miroir. L'omoplate gauche est abaissée ; son angle inférieur se
256 AFFECTIONS NON PYRAMIDALES
détache de la paroi thoracique gauche et vient faire saillie sous la peau. L'avant-bras
est fléchi sur le bras. Le malade a pris l'habitude de porter la main gauche derrière
le dos, car, dans cette position, les troubles dont il est atteint sont moins intenses.
Quand son membre supérieur gauche est placé en avant, il le maintient avec sa
main droite.
Le phénomène le plus saillant consiste en des mouvements spasmodiques qui sont
surtout très prononcés quand le membre supérieur gauche est en avant du thorax et
que le malade cherche à porter la main gauche en avant. On voit alors apparaître
des secousses dans la plupart des muscles de l'avant-bras, du bras, de l'épaule et du
cou du côté gauche, mais c'est dans le triceps, le grand pectoral et le trapèze qu'ils
sont le plus marqués. L'avant-bras en pronation se fléchit violemment sur le bras et
vient frapper par saccades la paroi thoracique gauche. Les doigts se fléchissent
sur le métacarpe, mais la flexion est plus prononcée sur le médius et l'annulaire que
sur l'index et le petit doigt. L'épaule gauche se soulève ; la tête se porte en arrière,
s'incline légèrement à droite, et exécute un mouvement de rotation de gauche à
droite ; on observe alors à la nuque du côté gauche des plis de la peau, qui sont la
conséquence de la contraction du trapèze gauche et en avant la saillie du sterno-
mastoïdien gauche. On a noté aussi parfois quelques légères contractions des muscles
de la face du côté gauche. De plus, quand les mouvements sont très violents, on voit
aussi apparaître des contractions spasmodiques dans le triceps fémoral gauche. Ces
mouvements spasmodiques se reproduisent plusieurs fois par minute et, sans être
douloureux, donnent lieu à une sensation de fatigue qui pousse le malade à reprendre
le plus tôt possible l'attitude dans laquelle le spasme s'atténue.
A l'état de veille les mouvements spasmodiques ne disparaissant jamais complète-
ment, même quand le malade est couché. Ils ne cèdent que pendant le sommeil.
Il y a une diminution de la force musculaire du côté gauche.
Pas de troubles de la contractilité électrique.
Pas de troubles de la sensibilité, sauf les picotements déjà mentionnés.
Les réflexes tendineux sont à peu près de même intensité des deux côtés ; ils sont
forts, sans être manifestement exagérés. Tandis que le pied droit présente une
attitude normale, et que de ce côté le réflexe cutané plantaire est également normal,
à gauche on constate que l'orteil est en extension sur le métatarse, et le chatouille-
ment de la plante du pied accentue encore l'extension ; on observe donc le phénomène
des orteils.
Rien d'anormal dans les organes des sens; dans les viscères, dans l'état intellectuel.
Ajoutons, en terminant, que le malade a été soumis à la balnéothérapie, depuis
quinze jours qu'il est à l'hôpital, et que les phénomènes spasmodiques se sont notable-
ment atténués.
Il s'agit d'un hémispasme gauche prédominant au membre supérieur
ainsi qu'au cou et très peu prononcé au membre inférieur.
Le spasme du cou occupe principalement le trapèze et le sterno-
mastoïdien gauches; en effet, quand il apparaît, l'épaule gauche se sou-
lève, la tête se porte en arrière et exécute en même temps un mou-
vement de rotation de gauche à droite ; ce mouvement, il est vrai, n'est
pas identique à celui qui serait obtenu par une contraction exclusive
de ces deux muscles et comparable à celle que déterminerait leur électri-
sation ; en effet, la tète n'est pas inclinée à gauche, elle s'incline même
légèrement à droite, comme si les muscles du côté opposé entraient en
SUR UN CAS D'HÉMISPASME - ! 5 ?
jeu. Quoi qu'il en soit, la forme des mouvements, leur mode de succes-
sion, les attitudes auxquelles ils donnent lieu reproduisent le tableau
classique de l'affection connue sous les dénominations d'hyperkinésie du
spinal, de spasme fonctionnel ou de crampe fonctionnelle du cou, de tor-
ticolis spasmodique, de torticolis mental.
Il n'est pas rare, du reste, que le spasme du cou s'associe à des mou-
vements spasmodiques du bras. Ce qui fait la rareté de ce fait c'est que
le spasme du membre supérieur est ici très marqué et que le membre
inférieur est atteint.
Mais l'intérêt principal de cette observation consiste en ce qu'elle peut
contribuer à éclaircir la pathogénie du torticolis spasmodique.
J'attire en particulier, à ce point de vue, l'attention de la Société sur
l'état du réflexe cutané plantaire ; l'excitation de la plante du pied donne
lieu à de la flexion du gros orteil à droite et de l'extension du gros orteil
du côté gauche.
Or, si l'on admet que tous les phénomènes nerveux observés chez 1).
sont de même origine, qu'en particulier le spasme musculaire dépend de
la même cause que le trouble dans le réflexe plantaire, et je ne vois
aucune raison pour supposer qu'on ait affaire ici à une association de
deux maladies différentes, si d'autre part, conformément à l'opinion que
j'ai soutenue, et qui a été acceptée pour la plupart des neurologistes, l'on
admet aussi que « le phénomène des orteils » est un indice d'une pertur-
bation dans le fonctionnement du système pyramidal, on est amené à
penser que c'est à une perturbation de ce genre qu'il faut attribuer dans
ce cas le spasme musculaire.
Si maintenant on considère que les caractères cliniques du spasme du
cou chez le malade que je vous présente sont semblables à ceux qu'on
observe dans les cas ordinaires de torticolis spasmodique, on est conduit
à cette idée que cette affection doit dépendre, sinon toujours, au moins
parfois, de quelque irritation du système pyramidal, dont je ne saurais du
reste préciser la nature.
Je ne discuterai pas aujourd'hui la question du traitement; j'aurai
peut-être l'occasion de le faire dans une autre séance. Je me contenterai
de dire à ce sujet que l'état du malade, entré tout récemment dans mon
service et soumis simplement jusqu'à nouvel ordre à la balnéothérapie,
s'est sensiblement amélioré. '
Bamssbi. 10
. r n
SUR LE SPASME DU COU
[J. Babinski.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 4 juillet Ig01.
J'ai présenté l'année dernière à la Société de Neurologie (') un malade
j atteint d'un hémispasme prédominant au cou ainsi qu'au membre
supérieur gauche et occupant aussi, mais à un degré moindre, le
membre inférieur gauche. Les mouvements spasmodiques du cou avaient
des caractères identiques à ceux que l'on observe dans les cas ordinaires
de l'affection connue sous la dénomination d'hyperkinésie du spinal, de
spasme fonctionnel du cou ou de torticolis mental, En me fondant sur
l'existence, au membre inférieur gauche, du phénomène des orteils, qui
dénote une perturbation du système pyramidal, j'ai été conduit à émettre
cette idée que le spasme du cou ou torticolis, dit mental, est lié, au
moins dans certains cas, à une irritation du système pyramidal.
M. Destarac, dans un travail tout récente), rapporte une observation
qui a quelque analogie avec la précédente. Il s'agit d'une jeune fille pré-
sentant des mouvements spasmodiques dans diverses parties du corps, en
particulier un spasme du cou ayant les caractères du torticolis que
M. Brissaud appelle « mental ». Or, chez cette malade, M. Destarac a
constaté le phénomène des orteils.
L'observation de l'homme, que je soumets aujourd'hui à l'examen de
la Société, vient encore à l'appui de l'opinion que j'ai soutenue.
Voici son histoire :
P. A..., âgé de 60 ans.
Rien de particulier à noter au point de vue des antécédents héréditaires.
A l'âge de 18 ans, il a subi l'ablation du gros orteil gauche pour une tumeur
(') Revue neurologique, 1900, p. 142.
(2) Torticolis spasmodique et spasmes fonctionnels. Revue neurologique, igot, p. 5gai.
SUR LE SPASME DU COU
59
blanche. En 18go, il a eu l'influenza. En mars igoo et en janvier igoi, il a souffert
de coliques hépatiques. Il n'a jamais été atteint d'aucune autre affection.
Il déclare, et sa femme confirme ce qu'il dit, qu'il a toujours été, au point de vue
nerveux, un homme normal, pondéré, qu'il n'a fait d'excès d'aucune sorte et que la
maladie pour laquelle il vient consulter n'a été précédée d'aucun choc moral, qu'elle
est survenue sans cause apparente, sans que la monotonie de sa vie ait été préalable-
ment troublée par quelque incident saillant.
Il est tailleur sur acier pour bijoux. Pendant son travail, il est obligé, paraît-il, de
porter presque constamment la tête en rotation à droite; quant à ses mains, elles
reposent sur la table par leur bord cubital, tandis que les doigts correspondants des
deux côtés viennent à chaque instant se mettre en contact par leur extrémité ; les deux
bras fonctionnent d'une manière à peu près égale et ne sont pas exposés à se fatiguer
l'un plus que l'autre.
, P. A... exerce son métier depuis sa première jeunesse, c'est-à-dire depuis plus de
quarante ans, sans aucune gêne, et jusque dans ces derniers temps il a pu accomplir l'
sa besogne avec régularité et correction.
Or, un jour du mois mars dernier, pendant qu'il était en train de travailler, il
constata, à sa grande surprise, que le bord cubital de la main gauche se détachait
involontairement de la table et se portait en dehors, en même temps qu'il éprouvait
une sensation de tiraillement dans le cou et dans l'épaule du côté gauche ; par un
effort de volonté, il remit la main dans la position primitive, mais quelques instants
après elle reprit l'attitude vicieuse ; le même manège se renouvela plusieurs fois, ce
qui impressionna vivement le malade. Les jours suivants, ce trouble s'accentua et de
plus la sensation de tiraillement du cou s'accompagna de mouvements involontaires
de rotation de la tête à gauche. Il lui fut encore possible pendant quelque temps de
surmonter dans une certaine mesure, par un effort de volonté, les impulsions invo-
lontaires qui entraînaient la tète et la main, et de continuer ses occupations tant
bien que mal, mais au bout d'une quinzaine de jours, en raison de l'aggravation
de la maladie, il dut quitter l'atelier et depuis cette époque son état ne s'est plus
guère modifié.
État actuel. On est frappé par l'attitude vicieuse presque permanente de la
tète et par les mouvements spasmodiques intermittents du cou et du membre supé-
rieur gauche.
La tête est à peu près constamment en rotation à gauche, et à tout instant on
observe des contractions spasmodiques de certains muscles du cou, principalement
du sterno-mastoïdien droit, qui accentuent le mouvement de rotation; en même temps
le menton se soulève et la tête se porte en arrière.
Le spasme du cou est associé à un spasme du membre supérieur gauche, ne cédant
que rarement d'une manière complète, caractérisé par de la rotation du bras en
dedans et un soulèvement de l'épaule, qui, à certains moments, deviennent très pro-
noncés ; le muscle trapèze de ce côté est tendu, le dos de la main regarde la ligne
médiane du corps ; de plus, l'avant-bras se fléchit sur le bras et le bras se porte en
adduction (voir fig. g). Ces mouvements spasmodiques se reproduisent avec une plus
ou moins grande rapidité suivant les circonstances ; ils se succèdent jusqu'à quinze
et vingt fois par minute ; ils sont généralement plus intenses et plus fréquents dans
la station et il paraît que les émotions les accentuent, mais les alternatives en bien
et en mal semblent aussi bien souvent indépendantes de toute cause.
Le malade est encore capable, à certains moments, de réagir contre le spasme et
de placer la tête ainsi que le bras dans leur position naturelle, mais il ne peut les
maintenir longtemps dans cette altitude. Il a été aussi amené, en quelque sorte
2Go
AFFECTIONS NON PYRAMIDALES
instinctivement, à soutenir sa tête avec la main, et il peut par cette manoeuvre atténuer
le spasme temporairement.
Ces troubles spasmodiques le fatiguent notablement, provoquent dans le cou une
sensation de gêne, de lassitude très pénible, mais n'ont jamais occasionné de douleurs
vives. Ils cessent complètement pendant le sommeil.
Le sterno-mastoïdien gauche est plus grêle que le sterno-mastoïdien droit, mais il
est difficile de savoir s'il s'agit d'une atrophie du côté gauche ou d'une hypertrophie
du côté droit.
L'intelligence est normale ; le malade se comporte à tous égards comme un homme
parfaitement équilibré au point de vue mental.
Tous les réflexes sont normaux et pareils des
deux côtés, sauf le réflexe du triceps brachial,
qui est manifestement, et cela d'une manière
permanente, plus fort et plus brusque à gauche
qu'à droite; l'examen a été répété un grand
nombre de fois et a donné toujours les mêmes
résultats.
Il n'existe aucun autre signe objectif, aucun
autre trouble fonctionnel. 1
Il s'agit là incontestablement de l'affec-
tion dont nous avons rappelé plus haut
les diverses dénominations.
J'attire immédiatement l'attention sur
l'exagération du réflexe du triceps bra-
chial gauche, qui semble bien dénoter une
irritation du faisceau pyramidal. Si on
l'admet, il reste encore à déterminer la
relation qui l'unit aux phénomènes spas-
modiques ; en est-elle l'effet ou la cause ?
M. Ballet, dans la discussion qui a
suivi l'année dernière la présentation du
malade atteint d'hémispasme, n'a pas contesté l'idée d'une perturbation
du système pyramidal, mais, a-t-il dit : « si un trouble du faisceau
pyramidal intervient à un titre quelconque dans la pathogénie des symp-
tômes, ce trouble me semble ne pouvoir être qu'un trouble consécutif à
un phénomène mental ».
Tel n'est pas mon avis ni en ce qui concerne le malade de l'année der-
nière, ni en ce qui regarde le malade que vous avez devant les yeux. Je
ne crois pas que ce spasme soit d'origine mentale, qu'il dépende de la
volonté. Je ferai d'abord remarquer que rien dans l'histoire de cet homme,
ni dans ses antécédents héréditaires, ni dans son passé, ni dans son pré-
sent n'autorise à admettre une perturbation psychique. De plus, l'influence
frénatrice que la volonté exerce sur le spasme ne constitue pas, tant s'en
faut, un argument décisif, car cette action n'est que modérée et transi-
toire. Enfin, un simple trouble mental peut-il amener une irritation du
système pyramidal ? c'est ce qui me parait fort contestable.
Fig.9-
SUR LE SPASME DU COU 261
Pour ces diverses raisons, je crois que les phénomènes spasmodiques
ne sont pas ici d'origine mentale, qu'ils sont consécutifs à une irritation
du système pyramidal, dont je ne suis pas en mesure de déterminer la
nature et je pense que cette pathogénie doit s'appliquer sinon à tous, du
moins à certains cas de spasme du cou, de torticolis dit mental.
TORTICOLIS SPASMODIQUE.
TORTICOLIS « MENTAL n. PATHOGÉNIE ? )
Depuis igoi, j'ai eu l'occasion d'observer encore plusieurs sujets chez
lesquels à un torticolis « mental » était associée l'extension réflexe du
gros orteil ou le signe de l'éventail.
Ces nouvelles observations ont fortifié dans mon esprit l'opinion que
j'ai émise sur la pathogénie du torticolis spasmodique. Mais, je tiens à le
faire remarquer, si je suis très porté à croire que cette affection est liée à
une perturbation organique des centres nerveux, je pense que les lésions
dont elle dépend doivent être, au moins dans la majorité des cas, superfi-
cielles ; autrement, il serait diflicile de comprendre la rapidité avec
laquelle elle est susceptible de s'atténuer et de disparaitre.
La perturbation organique présumée siège-t-elle dans le système pyra-
midal, comme paraissent l'indiquer les modifications des réflexes tendi-
neux et du réflexe cutané plantaire ? Je l'avais pensé d'abord ; mais, sur ce
point, il y a lieu de faire des réserves. Il serait permis de supposer qu'elle
occupe une région des centres nerveux avoisinant ces faisceaux, par exem-
ple le corps opto-strié. Le phénomène des orteils ou l'exagération des
réflexes tendineux, apparaissant au cours du torticolis « mental », signi-
fierait que la lésion n'est pas restée cantonnée dans cette région et qu'elle
a intéressé les fibres de la voie pyramidale.
(') Extrait de l'exposé des travaux scientifiques de J. Babinski, y3, p. 1-18.'
III
TORTICOLIS SPASMODIQUE
AVEC LÉSIONS DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL.
EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES MULTIPLES
JJ. Babinski, 11REBS ET PLICHET.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du mai 192.2.
(Addendum à la séance du 9 mars 1922.)
Le malade que nous présentons à la Société est venu consulter il y a
un an à la Pitié. Il était alors atteint d'un torticolis spasmodique,
- ayant tous les caractères du torticolis dit mental, qui s'est notable-
ment atténué depuis lors. On constatait en outre, chez lui, divers troubles
liés à des lésions du système nerveux central et des exostoses ostéogé-
niques.
Voici, résumée, son histoire clinique : C... Emile a 17 ans 1/2.
Antécédents héréditaires : on doit mentionner chez sa mère et chez un oncle de sa
mère, l'existence d'exostoses ostéogéniques multiples.
Antécédents personnels : Il est né à terme en état de mort apparente (asphyxie par
compression du cordon). Convulsions à l'âge de 3 jours, ayant duré plusieurs jours,
et ayant disparu sans laisser de parésie des membres.
L'enfant a parlé tard et a marché tard (à 22 mois seulement).
A l'âge de six ans, il eut une rougeole; à l'occasion de cette maladie on s'aperçut
qu'il avait des exostoses et des troubles moteurs. Il présentait une surélévation de
l'épaule gauche, avec scoliose dorsale supérieure, à convexité gauche et il inclinait le
tronc vers la droite. Il fut examiné à cette époque par Kirmisson(') aux enfants
malades, qui remarqua que cette scoliose était sous la dépendance d'une contracture,
et que cette attitude, qui n'était pas constante, s'exagérait à certains moments. Il
pensa d'abord à une névrose, mais découvrant l'existence d'une exostose du bord
spinal de l'omoplate, il lui attribua l'origine de l'attitude scoliotique. Il réséqua
l'exostose, mais les accidents persistèrent et se compliquèrent d'un procolis.
(1) Voir Kirmisson, la Clinique, rer mars igia. Attitude scoliotique provoquée par une exostose
sous-scapulaire gauche, chez un malade présentant des exostoses multiples.
TORTICOLIS SPASMODIQUE 203
Dans les mois qui suivirent, l'enfant fut l'objet d'un traitement orthopédique
(gymnastique, corset) qui n'amena aucun résultat, puis d'un traitement hydrargyrique
(après examen du sang), dont la fin semble avoir coïncidé avec une atténuation des
troubles moteurs. L'enfant conserva cependant un léger spasme du cou, qui s'accusait
quand il jouait ou quand il courait.
Vers l'âge de 10 ans, après une période de deux années environ de bon état relatif,
l'enfant fut pris de spasmes marqués du membre supérieur gauche (attitude de légère
abduction et de rotation interne). Il traînait la jambe du même côté. Une amé-
lioration survint qui coïncida avec un traitement électro thérapique d'une durée de
3 à 4 mois.
A l'âge de quinze ans, les mêmes troubles moteurs des membres du côté gauche
reparurent pendant une période de trois mois. Le traitement consista en des
massages.
Au mois de mars 1921, voici quel est l'aspect du malade :
La tête est légèrement inclinée à gauche et en rotation vers la droite ; l'épaule
gauche est soulevée. On constate que les sterno-cléido-mastoïdiens, particulièrement
le gauche, sont fortement contractés. Les deux trapèzes, le gauche surtout, et les
muscles de la nuque le sont également.
Cette attitude n'est pas permanente : les contractions musculaires diminuent ou
augmentent sous des influences diverses. L'émotion, et en particulier le sentiment
d'être observé, comme le dit lui-même le malade, augmentent le spasme.
Les mouvements et surtout la marche ont encore plus d'action peut-être. Dès les
premiers pas, la tète se renverse fortement en arrière et à gauche, tandis que le
menton exagère sa rotation vers la droite. L'épaule gauche se soulève davantage et
le membre supérieur gauche tend à se tourner en dedans. Le tronc est incliné en haut
et à droite. La déviation de la tête devient bientôt telle que le malade s'efforce de
la diminuer, en plaçant les deux mains croisées derrière la nuque, en un geste anta-
goniste efficace.
Le torticolis est beaucoup moins marqué le matin au réveil ; il augmente peu à peu
dans la journée sous l'influence de la fatigue ; il persiste encore lorsque le
malade est couché. Mais il disparaît totalement pendant le sommeil, ainsi que
l'affirment les parents qui l'ont observé. Il présente des alternatives en bien et en
mal, suivant les jours, suivant les heures, sans qu'on puisse en déterminer la cause.
Actuellement (mars 1922), on constate que le torticolis a notablement diminué.
Il s'est maintenu tel que nous l'avons décrit pendant sept mois environ (de février à
septembre J 921); sa régression a coïncidé avec un traitement d'injections intra-
veineuses répétées de néo-salvarsan (o81, 5 par injection : en tout 3 grammes). Il
n'a cependant pas totalement disparu. On peut le mettre en évidence en faisant
marcher le malade.
Il lui reste trois ordres de phénomènes permanents, constatés déjà en mars 1921.
° Un état spasmodique de tout le côté gauche prédominant au membre supérieur.
2° Des signes de lésion des faisceaux pyramidaux plus marqués du côté gauche.
3° Des exostoses ostéogéniques multiples, bilatérales et symétriques, mais d'une
façon générale plus volumineuses à gauche également.
I. Spasmes. Au repos, on constate que le bras est en légère abduction l'avant-bras
en demi-flexion (1) le long du tronc, la main, à demi fléchie, regarde la cuisse par sa
(') Les photographies de l'article de la Clinique montrent que le membre supérieur avait, il y -a a
dix ans, la même attitude générale que celle qu'il présente actuellement.
264 4 AFFECTIONS NON PYRAMIDALES
paume; les doigts et le pouce étendus et rapprochés sont animés de petits mouve-
ments lents de glissement les uns contre les autres et contre la cuisse à laquelle ils
s'appuient. Il y a en même temps, une sorte de trépidation du membre tout entier, de
l'épaule à la main : tous les muscles sont le siège de spasmes incessants avec relâche-
ments partiels.
Les spasmes sont à peu de chose près les mêmes dans les différentes attitudes du
malade, qu'il soit couché, assis ou debout. Ce qui les modifie, c'est surtout l'état
émotif du sujet : si celui-ci se sent observé, s'il pense simplement à son bras, ils
redoublent. Ils diminuent et viennent à céder presque complètement, si l'on arrive à
distraire le malade.
Par l'examen des mouvements passifs, on met en évidence un état de spasme
permanent des muscles adducteurs du bras : grand pectoral, grand rond et grand
dorsal. L'articulation du coude se meut librement. Dans les articulations des doigts
enfin, on note une excursion exagérée des segments les uns sur les autres.
Les mouvements actifs de l'épaule rendent manifeste l'état de spasme dont nous
venons de parler. Mais on observe à leur occasion autre chose encore : tout mouve-
ment commandé ne s'exécute qu'en s'accompagnant d'un mouvement de même sens du
côté opposé. Ceci est encore plus frappant à l'extrémité, dans les mouvements alter-
natifs de pronation et de supination par exemple, ou encore lorsqu'on fait fléchir ou
étendre les doigts. Les mouvements du côté sain ne déterminent au contraire aucune
syncinésie du côté malade.
Dans la marche, le sujet avance et lève l'épaule gauche et tous les muscles de son
cou se contractent, quoiqu'à un degré bien moindre qu'il y a six mois. Au contraire,
les mouvements spasmodiques de l'extrémité semblent alors moins prononcés qu'à
l'état de repos. Le malade boite, mais il est à remarquer que son tibia gauche est
déformé et dévié par une exostose. A part cette légère claudication, il semble au
premier abord que le membre inférieur ne soit pas atteint, d'une manière appréciable,
au point de vue moteur. Les spasmes existent pourtant et on les remarque dans les
muscles de la cuisse lorsque le sujet est couché. Celui-ci se plaint du reste de
crampes fréquentes des muscles postérieurs de la cuisse quand, accroupi ou à genoux,
il veut se relever.
La face n'est pas non plus complètement indemne. La commissure labiale gauche
se porte à toute occasion en haut et en dehors. Lorsque le sujet ouvre la bouche et
qu'il cherche à la maintenir aussi ouverte que possible, la traction des lèvres est
plus forte à gauche, et le peaucier gauche seul se dessine sous la peau. Enfin, il nous
est arrivé d'observer des spasmes du masséter gauche.
La langue ne présente rien d'anormal et la parole n'a jamais été troublée.
Tels sont les troubles moteurs que l'on relève constamment du côté gauche, avec
des différences d'intensité suivant les jours et même les heures, différences dont on
ne peut toujours dire la raison. Ces troubles subissent particulièrement l'influence de
l'état émotif du sujet et ils disparaissent dans le sommeil. Ces caractères se rapprochent
étroitement de ceux que présentait le torticolis.
IL Etat des réflexes. Les réflexes tendineux sont un peu plus forts à gauche
qu'à droite et le réflexe cutané plantaire se fait en extension, des deux côtés, bien
que d'une façon plus accentuée du côté gauche.
On note également de la surréflectivité hyperalgésique : quand on pince la peau du
cou-de-pied gauche le malade parait souffrir, fait une grimace, et détache le talon
droit du plan du lit. En pratiquant la même épreuve au cou-de-pied droit, on observe
des réactions analogues mais moins marquées. '
TORTICOLIS SPASMODIQUE 265
Les divers modes de la sensibilité sont normaux.
Les réactions électriques des muscles se sont montrées absolument normales sauf
celles des fibres de la portion inférieure du trapèze gauche sectionnées le long du
bord spinal de l'omoplate, lors de l'opération que nous avons mentionnée.
III. Exostoses. Elles sont fort nombreuses et presque tous les segments des
membres en présentent ? ).
Bilatérales et à peu près symétriques, elles sont, d'une façon générale, plus volu-
mineuses à gauche. Suivant la loi des exostoses de développement, elles siègent de
préférence au niveau des épiphyses fertiles « près du genou, loin du coude ». Enfin,
comme c'est fréquent dans les cas de ce genre, il existe en même temps des troubles
de la croissance osseuse.
On relève peu de chose à ce point de vue à droite : cependant, à la main, le médius
est de la même longueur que l'index et un peu plus court que l'annulaire, cette dimi-
nution des dimensions normales du doigt portant surtout sur le métacarpien correspon-
dant (un centimètre) et un peu sur la première phalange (un demi-centimètre).
A gauche, côté des plus volumineuses exostoses, les troubles du développement
sont plus marqués : l'humérus et le biceps qui le recouvre sont de deux centimètres
plus courts qu'à droite. Les exostoses de l'épiphyse tibiale supérieure ont provoqué
le déjettement en dehors et la torsion du tibia. Cet os est plus court d'un centimètre
que le tibia du côté droit. Le pied est plus court, plus creux, plus large et plus trapu
que le pied droit. Enfin, les muscles du mollet remplis, dans leur partie charnue,
par la masse osseuse et cartilagineuse d'une exostose importante sont moins exten-
sibles qu'à droite et le pied ne peut se fléchir sur la jambe plus qu'à l'angle droit.
Ainsi le côté où les exostoses ont les plus fortes dimensions est aussi celui qui
présente le plus de troubles du développement osseux (2). Il est intéressant de noter
que c'est également le côté où prédominent les troubles moteurs et les modifications
des réflexes que nous avons décrits.
On pourrait se demander s'il existe une relation de cause à effet entre ces
exostoses et les spasmes. MM. Pierre Marie et Léri (dans une communication du
12 mars 1920 à la Société médicale des Hôpitaux), ont rapporté des cas de torti-
colis dit mental, dans lesquels il existait des altérations osseuses des vertèbres du
cou. Chez notre malade, l'examen de radiographies faites à plusieurs reprises,
même stéréoscopiques, ne nous a permis de relever aucune exostose, aucune décal-
cification, aucune épine irritative au niveau des vertèbres de la colonne cervicale.
Les radiographies du crâne et particulièrement de la selle turcique ne nous ont
non plus révélé l'existence d'aucune excroissance osseuse. La selle turcique nous a
paru normale.
En résumé, le malade que nous présentons est atteint, d'une part, d'un
torticolis ayant tous les caractères cliniques du torticolis dit mental,
d'autre part, de mouvements spasmodiques du membre supérieur et du
membre inférieur gauches, qui rappellent ceux que l'on observe dans
l'athétose. '
(') Voir, pour l'énumération de ces exostoses, une note détaillée de l'observation publiée dans la
Revue neurologique (N. d. 1. R.).
(2) Voir dans une deuxième note du texte de la Revue neurologique, la relation des différents examens
cliniques, de spécialités, de laboratoire et des tests biologiques, auxquels fut soumis le sujet et qui
donnèrent, pour la plupart, des résultats normaux (N. d. 1. IL).
266 AFFECTIONS NON PYRAMIDALES
Il a des exostoses ostéogéniques multiples, et on s'était demandé s'il
existait une relation de cause à effet entre ces lésions osseuses et les
troubles précédents. Nous avons vu qu'on avait pratiqué autrefois au bord
spinal de l'omoplate gauche, l'ablation d'une exostose à laquelle on avait
attribué l'origine du spasme de l'épaule, mais sans résultat. En outre, des
examens radiographiques de la colonne cervicale n'ont révélé aucune
espèce d'altération, ni de malformation des vertèbres du. cou.
Quelle est la nature des troubles moteurs ? Sont-ils de nature fonction-
nelle ? A l'appui de cette idée, on pourrait invoquer le fait qu'ils se sont
atténués à plusieurs reprises, et actuellement le torticolis a très notable-
ment diminué. Mais c'est là un argument qui est loin d'être probant : on
sait que des troubles de ce genre, dus à une affection organique, sont
susceptibles de subir des alternatives en bien et en mal.
Le malade, comme nous l'avons vu, présente des signes objectifs
incontestables d'une perturbation de la voie pyramidale ; on peut affirmer
qu'il est atteint d'une lésion des centres nerveux. Les mouvements spas-
modiques que l'on observe chez lui, notamment du côté gauche, et qui
ont de grandes analogies avec l'athétose classique, sont, selon toute pro-
babilité, liés à une altération des noyaux gris centraux, et il y a tout lieu
d'admettre que c'est à cette même lésion que se rattache le torticolis, dont
les caractères se rapprochent beaucoup de ceux qui appartiennent aux
phénomènes spasmodiques précédents.
C'est là une nouvelle observation à ajouter à celles que l'un de nous a
rapportées il y a plus de vingt ans, et qui vient à l'appui de l'opinion qu'il
a soutenue, et d'après laquelle le torticolis dit mental peut être sous la
dépendance d'une affection organique du système nerveux central : on tend
à admettre, comme on le sait, que cette lésion siège dans les noyaux gris
centraux.
IV
DE LA DÉGÉNÉRATION ET DE LA RÉGÉNÉRA TION
DU STERNO-i11ASTOÏDIEN ET DU TRAPÈZE A LA SUITE
DE LA SECTION DE LA BRANCHE EXTERNE DU SPINAL
JJ. Babinski |
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 7 juillet 1910.
J'ai présenté à la Société de Neurologie il y a trois ans (') une malade
atteinte d'un torticolis dit mental, qui, après avoir été traitée sans
succès par les divers moyens médicaux, a subi, sur mon conseil, la
section de la branche externe du spinal gauche, avec résection d'une por-
tion du nerf d'un centimètre de longueur. Cette opération a été suivie
d'une amélioration notable qui, malgré les prévisions pessimistes de quel-
ques-uns de nos collègues, s'est maintenue et s'est même accentuée
depuis l'intervention remontant aujourd'hui à trois ans.
En ce moment, cette femme, que je soumets de nouveau à l'observation
de la Société, peut tenir sa tête absolument immobile et elle paraît tout à
fait guérie. Le retour à l'état normal n'est pas complet, il est vrai, car,
sous l'influence d'émotion ou de surmenage, il s'est produit quelques
contractions involontaires dans les muscles du cou ; mais ces troubles,
d'ailleurs intermittents, sont insignifiants à côté de ceux dont cette femme
souffrait autrefois. J'ajoute que la faiblesse du membre supérieur gauche,
consécutive à l'opération, s'est notablement atténuée. '
Je puis donc dire aujourd'hui que le résultat thérapeutique est remar-
quable et ce fait me paraît intéressant au point de vue pratique.
Mais il offre encore un autre intérêt que je désire faire ressortir. Lors
de la première présentation, en novembre 1907, le sterno-mastoïdien était
(') Voir Revue neurologique, tf)0 ? page 1208 et suivantes.
268 AFFECTIONS NON PYRAMIDALES
presque entièrement atrophié et la portion claviculaire du trapèze était
notablement diminuée de volume ; de plus, la contractilité électrique de
ces deux muscles étaient profondément troublée : les courants faradiques
ne provoquaient aucune contraction des sterno-mastoïdiens ; avec les
courants voltaïques on obtenait dans ce muscle PF > NF et la contrac-
tion, très faible, se faisait avec lenteur. Aujourd'hui, on constate que le
sternomastoïdien gauche, comparé au droit, est simplement réduit de
volume ; la contractilité volontaire a reparu, à uu faible degré, il est
vrai ; quant à la contractilité faradique, elle est très nette et même assez
prononcée.
Il m'a été impossible de pratiquer un examen électrique plus appro-
fondi, parce que la malade, devenue très douillette, se refusa à une ex-
ploration tant soit peu prolongée.
Voici maintenant un homme à qui j'ai fait subir, il y a trois ans, la même opération
que chez l'autre malade, avec cette différence qu'elle a été bilatérale. Cette interven-
tion était motivée par des mouvements spasmodiques involontaires extrêmement
intenses et pénibles dans le domaine de divers muscles de la face et du cou, des
sterno-mastoïdiens en particulier. Comme dans le cas précédent, le résultat de l'inter-
vention a été très satisfaisant et très persistant. Chez ce malade aussi, le sterno-
mastoïdien, des deux côtés, s'est d'abord tout à fait atrophié, sa contractilité volition-
nelle et sa contractilité faradique ont été totalement abolies pendant longtemps. Or,
actuellement les deux sterno-mastoïdiens se sont reformés et leur restauration est
même à peu près complète. Ils sont volumineux. Ils peuvent se contracter énergique-
ment sous l'influence de la volonté et leur contracture électrique est très normale. La
portion claviculaire du trapèze qui s'était aussi atrophiée à la suite de l'opération s'est
reconstituée et se contracte normalement.
Les faits que je viens de rapporter sembleront peut-être banaux. Il est
facile, en effet, en se plaçant expérimentalement dans certaines condi-
tions, d'obtenir, après section des fibres nerveuses motrices, des dégéné-
rations musculaires suivies de régénération et on signale dans la patho-
logie humaine des faits identiques. Cependant, en me fondant sur mes
observations personnelles, je crois pouvoir dire que chez l'homme adulte
la dégénération d'un muscle, consécutive à la section complète de son
nerf, est généralement définitive ; c'est du moins ce que j'ai constaté dans
le cas de section du médian, du cubital, du sciatique, du facial.
Je ne conteste pas, tant s'en faut, que la régénération soit alors impos-
sible, mais je la crois exceptionnelle. Or, il semble qu'il n'en soit pas de
même pour ce qui concerne le sterno-mastoïdien et le trapèze.
A quoi tient cette différence ? Le nerf spinal serait-il doué d'une plus
grande vitalité que les autres nerfs et régénérerait-il avec plus de facilité ?
Ou bien n'y a-t-il pas lieu d'admettre que la régénération du sterno-
mastoïdien et du trapèze se produit grâce à ce que ces muscles reçoivent
des nerfs de deux sources différentes ? Je ne suis pas en mesure de résou-
dre pour le moment cette question qui demande de nouvelles recherches.
Je me contente de faire remarquer que le sterno-mastoïdien et le trapèze
DÉGÉNÉRATION ET RÉGÉNÉRATION DU STERNO-11ASTOÏDIEN 26g
paraissent soumis à un régime privilégié au point de leur aptitude à
régénérer, après avoir subi la dégénération.
M. HUET.
M. J. BABINSKI. A propos de la remarque de M. Huet, je répéterai ce
que j'ai dit précédemment : je ne soutiens pas que la dégénération des
muscles innervés par le médian, le cubital, le facial, soit nécessairement
définitive à la suite d'une section complète de ces nerfs ; je dis qu'en
pareil cas le retour à l'état normal chez l'adulte est exceptionnel.
' ' .. v .
DE LA SECTION DU SPINAL EXTERNE DANS LE TORTICOLIS
SPASMODIQUE
[J. Babinski.]
Publié dans la Revue neurologique, n° 4, avril 19211.
A la dernière séance de la Société, la question de la section du spi-
nal comme traitement du torticolis spasmodique a été remise sur
JL le tapis et les avis de ceux qui ont pris part à la discussion ont
été discordants.
Je désire revenir aujourd'hui sur ce sujet, ayant des faits nouveaux à
relater.
L'opinion des adversaires comme celle des partisans de l'intervention
est fondée, ainsi qu'elle l'était autrefois, sur deux ordres d'arguments, les
uns théoriques, les autres cliniques.
En ce qui concerne les arguments de la Ire catégorie, ceux qui sont hos-
tiles à l'opération ne font plus valoir, il est vrai, à l'appui de leur manière
de voir, la nature prétendue mentale de cette affection, idée qui
jadis était généralement admise et que j'ai combattue à la Société de
Neurologie dès 1900; la plupart des neurologistes se sont, en effet, rangés
à mon avis, et pensent qu'il s'agit là d'une perturbation ayant pour base
une altération du névraxe.
Ce qu'ils font ressortir, c'est que le spasme n'a pas pour siège unique
le domaine des muscles innervés par le spinal. Cette objection aurait de la
valeur si les interventionnistes avaient la prétention, en sectionnant le
spinal, de faire disparaître d'une manière immédiate les spasmes des
muscles que la XIe paire n'innerve pas. Mais leurs visées, dès le début,
étaient plus modestes ; ils pensaient seulement que, dans certains cas du
moins, alors que le spasme prédomine dans les muscles soumis au spinal,
notamment le sterno-mastoïdien, il y avait tout lieu d'espérer qu'en
paralysant ces muscles, on obtiendrait un effet sédatif d'une durée plus
ou moins longue, ce qui était bien rationnel.
SECTION DU SPINAL I- EXTERNE 271
Ces vues a priori sont d'ailleurs d'un intérêt tout à fait accessoire.
Ce qui importe, c'est de se rendre compte, toute idée préconçue étant
mise à l'écart, des résultats de ces interventions, et il est incontestable
que les observations sont d'autant plus instructives que la période
pendant laquelle les malades ont été suivis après l'opération a été plus
longue.
Les adversaires de la section du spinal concèdent que les effets immé-
diats peuvent être favorables, mais ils soutiennent que l'amélioration ne
dure pas, que les spasmes se reproduisent ensuite sous une autre forme.
Qu'il en soit souvent ainsi, je ne le conteste pas ; les échecs doivent être
surtout fréquents si l'on intervient lorsque le spasme est généralisé à la
plupart des muscles du cou ; mais, même dans les cas les plus favorables,
le succès de l'opération n'est pas certain. Les malades doivent en être
prévenus, et il est sage, afin de se mettre à l'abri de toute récrimination,
de les avertir que les troubles sont mêmes susceptibles de s'accentuer
ultérieurement, l'affection pouvant continuer à évoluer comme elle
aurait pu le faire sans opération.
Quant aux inconvénients réels, liés à la section du spinal, tels que la gêne
dans le fonctionnement du membre supérieur, ils sont minimes et négli-
geables, si on les compare aux incommodités occasionnées par cette affec-
tion qui sont parfois intolérables et peuvent conduire à des idées de
suicide.
Il s'agit donc simplement de savoir si, dans un certain nombre de cas,
on a obtenu des résultats suflisamment nets et persistants par la section
du spinal pour que cela vaille la peine d'y avoir recours.
J'ai déjà rapporté quelques faits de ce genre et notamment une obser-
vation que j'ai relatée en 1907 ('). La malade qui en fait l'objet a été revue
par moi t4 ans plus tard. Elle était alors pour ainsi dire complètement
guérie ; en l'examinant attentivement on constatait bien, il est vrai,
quelques spasmes dans les muscles du cou, mais ils étaient très légers, ne
déterminaient pas de déplacement apparent de la tète et n'incommodaient
aucunement la malade. Je l'ai présentée à la Société de Neurologie à cette
époque (2). Je la présente de nouveau; son état n'a subi aucune modifi-
cation ; la guérison se maintient actuellement depuis 17 ans.
J'ai signalé, dans ma communication de 1921, un autre fait analogue
au précédent.
J'ai relaté aussi en 1910 C) l'observation d'un malade atteint de mouve-
ments spasmodiques de divers muscles de la face et du cou, des sterno-mas-
toïdiens en particulier, chez lequel, après avoir vainement essayé les divers
traitements médicaux, j'avais fait pratiquer une section bilatérale du
spinal. L'opération, qui avait éte faite trois ans auparavant, avait eu pour
conséquence une atténuation des spasmes très notable et durable. J'ai
revu cet homme il y a un an : l'amélioration, après s'être maintenue inté-
(1) Revue neurologique, 19o7, p. 1208.
(2) Revue neurologique, p2r, l. 367.
(v) Revue neurologique, 1910, t. XX, p. 129.
272 AFFECTIONS NON PYRAMIDALES
gralement pendant plus de 10 ans, avait perdu un peu de terrain ; néan-
moins, l'état du malade était sensiblement meilleur 15 ans après l'opéra-
tion qu'avant celle-ci, il était toujours en état de travailler et de gagner
sa vie, ce dont il était incapable autrefois.
Je rappellerai que MM. Sicard et Robineau ont rapporté aussi des faits
où l'amélioration obtenue a été persistante ('). J'extrais de ce travail
le passage suivant :
« Les deux autres sujets à section bilatérale paraissent, au contraire,
avoir maintenu leur bénéfice opératoire. Tous deux m'écrivaient, quatre
ans environ après l'intervention, l'un que « ce n'était pas la guérison, mais
la vie maintenant possible » ; l'autre « que si c'était à refaire, il prendrait
la même décision de se faire opérer ».
Voici enfin un fait qui n'a pas été encore publié. Il s'agit d'une femme
que j'ai eue en traitement dans mon service il y a 10 ans. Elle était atteinte
d'un torticolis spasmodique intéressant en particulier le sterno-mastoï-
dien droit. Divers traitements médicaux, entre autres la kinésithérapie,
avaient été mis en oeuvre pendant des mois sans aucun résultat. L'affec-
tion, ayant ainsi duré pendant 2 ans, s'aggravant constamment et rendant
l'existence de la malade extrêmement pénible, je lui proposai l'opération
en question qu'elle accepta et qui fut pratiquée par le 1) Baumgartner. La
malade sortit de l'hôpital, son état s'étant amélioré, et je la perdis complè-
tement de vue. Il y a trois jours, elle est venue se présenter à moi afin de
me consulter pour un néoplasme du sein dont elle est atteinte depuis
quelques mois. J'ai retrouvé dans mes cartons sa fiche et sa photographie
laquelle met en évidence le spasme du sterno-mastoïdien pour lequel elle
avait été traitée. Elle me dit qu'immédiatement après l'opération l'amé-
lioration avait été relativement légère, mais qu'elle s'est acentuée ensuite
d'une manière progressive, qu'au bout de six mois il y avait eu retour à
l'état normal et que la guérison s'est maintenue depuis, comme on peut le
constater aujourd'hui. Dans ma première communication sur la section du
spinal, j'ai déjà cherché à expliquer ce fait qui pourrait sembler para-
doxal, à savoir que le maximum d'amélioration peut se faire attendre plus
ou moins longtemps. Je note que le sterno-mastoïdien du côté opposé n'a
pas régénéré dans ce cas, qu'il reste complètement atrophié, comme cela a
lieu aussi chez la malade guérie depuis 17 ans.
Il me paraît impossible de ne voir dans cette série d'observations qu'une
simple coïncidence entre la guérison ou l'amélioration et l'intervention,
d'autant plus que l'on avait affaire à des malades longuement traités
médicalement et chez lesquels jusque-là aucun résultat appréciable
n'avait été obtenu.
Je me crois en droit de conclure, pour le moins, de ce qui précède, que
la section de la branche externe du spinal, d'un côté ou des deux côtés,
est légitime dans certains cas, notamment quand les spasmes prédominent
(') Revue neurologique, 1921, p. 291. Section bilatérale du nerf spinal externe dans le torticolis
spasmodique.
SECTION DU SPINAL EXTERNE 27 ?
dans le sterno-mastoïdien. On est particulièrement autorisé à la proposer,
avec les réserves ci-dessus indiquées, après échec des divers moyens thé-
rapeutiques d'ordre médical mis en oeuvre pendant une période sufli-
samment longue, surtout lorsque le malade déclare que les spasmes
incessants qui mettent sa tête en mouvement lui rendent la vie impossible
à supporter.
n<M'i9K). 1. 1 z
VI I
DE LA FLEXION COMBINÉE DE LA CUISSE ET DU TRONC
DANS LA CHORÉE DE SYDENHAM
.1. Babinski]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
. séance du 12 janvier igo ? ).
Ai observé chez un assez grand nombre de sujets, atteints de chorée
) de Sydenham, la flexion combinée de la cuisse et du tronc. Je l'ai
constatée dans certains cas où la chorée était à peu près également
marquée des deux côtés ; parfois alors, le phénomène se manifeste d'un
côté, quand le malade passe de la position horizontale à la position assise,
et côté opposé, lorsque le malade exécute le mouvement inverse. Mais c'est
surtout dans des cas de chorée prédominant notablement d'un côté du
corps, dans des cas d'hémichorée, que j'ai eu l'occasion de l'observer
avec le plus de netteté et cette flexion se produit du côté où prédominent
les mouvements involontaires.
Généralement, ce phénomène s'atténue et disparait en même temps que
les mouvements choréiques, et il est par conséquent étroitement lié à la
maladie. Or si l'on se rappelle que ce trouble constitue un des signes
objectifs les plus communs de l'hémiplégie organique, qu'il fait défaut
dans les paralysies psychiques, on peut considérer ce signe comme per-
mettant de distinguer, dans certains cas, la chorée de Sydenham de la
chorée hystérique, et on a là un fait, qui, sans avoir une valeur décisive,
vient à l'appui de cette opinion que la chorée est une affection organique
intéressant le système pyramidal.
VII
kinésie PARADOXALE. MUTISME PARKINSONIEN
[J. Babinski, J. Jarkowski et PLICIIET.]
Publié dans la Revue Neurologigue du lei' décembre 1921.
La malade qui fait l'objet de cette présentation a été atteinte en
février 192 d'encéphalite léthargique avec forte fièvre, délire et
insomnie. La période fébrile a duré environ trois semaines au bout
desquelles la malade, en apparence tout à fait remise, a repris son travail.
Mais au mois de mai 1921, soit trois mois après le début de l'encépha-
lite, apparaissent les premières manifestations d'un syndrome parkinso-
nien qui, progressivement, se complète et finit par se traduire par les
caractères suivants : aspect figé, raideur musculaire, lenteur des mouve-
ments, démarche à petits pas, léger tremblement, amoindrissement de
l'activité.
Ce serait un cas banal de syndrome parkinsonien post-encéphalitique
si ce n'était l'intensité et la modalité particulière de certains troubles qui
rentrent dans la catégorie des phénomènes que M. Souques a proposé
d'appeler « kinésie paradoxale ».
A la première visite, la malade ayant cessé depuis longtemps tout
traitement, sa famille attire notre attention sur les variations que l'on
observe dans son état. Tantôt elle mange, s'habille toute seule, s'occupe
de son enfant, range un peu son intérieur, tantôt elle reste presque immo-
bile et paraît dans l'impossibilité de faire quoi que ce soit sans aide.
L'ayant examinée à plusieurs reprises, nous avons pu constater nous-même
ces variations. Toutefois, même à ces moments d'aggravation, le défaut
d'activité n'est pas aussi complet qu'il le semble au premier abord. Quand
on l'y invite, elle est en mesure d'exécuter, avec lenteur il est vrai, les mou-
vements élémentaires ; elle peut écrire, marcher et arrive même à courir.
Mais c'est dans le domaine de la parole et des mouvements de la bouche
que les variations paraissent particulièrement prononcées et que les
troubles atteignent leur intensité maxima.
27fi ' AFFECTIONS NON PYRAMIDALES S
On observe chez elle des phases de mutisme absolu. Elle est alors
incapable d'ouvrir la bouche, d'avaler la salive et les aliments, elle bave
abondamment. Pour la nourrir, on est obligé d'écarter ses mâchoires, de
pousser ses aliments dans le fond de sa bouche, et encore garde-t-elle
parfois quelques minutes le bol alimentaire avant de l'avaler. C'est en
vain qu'on la sollicite à ouvrir la bouche ou à émettre un son. Sa tête,
son visage, restent figés et elle ne semble ne faire aucun effort pour
exécuter l'acte commandé. Certains procédés nous ont paru faciliter le
déclenchement de la parole : l'excitation faradique des muscles de la face,
la respiration profonde, le rire provoqué. Entraînée de cette façon, elle
arrive à compter facilement, à dire le résultat d'un calcul mental, à réci-
ter une fable entière d'une manière correcte. Mais cela ne semble vrai
que pour les réponses où seule la mémoire entre en jeu et qui peuvent se
faire en quelque sorte d'une manière automatique. Celles au contraire qui
nécessitent une tension d'esprit peuvent être difficiles ou même impos-
sibles. Elle ne peut, par exemple, raconter la fable qu'elle vient de réci-
ter et même elle n'est pas en mesure de répondre simplement un « oui »
ou un « non » à une question concernant son état. Il est à remarquer que
ce mutisme absolu peut être brusquement interrompu pour quelques ins-
tants, sous une influence émotive ; ainsi, par exemple, contrariée par la
désobéissance de sa fille, elle la réprimande avec énergie et parle alors,
d'après ce que nous disent son père et sa mère, d'une façon tout à fait
normale.
En face de ce fait, on pourrait se demander si l'on n'est pas en pré-
sence d'un trouble mental. Ne s'agirait-il pas là d'une idée délirante, de
négativisme ? Nous croyons pouvoir écarter cette hypothèse. La malade
ne commet et n'a jamais commis aucun acte déraisonnable ; son intelli-
gence paraît absolument intacte et par signes ou par écrit, elle se met,
volontiers, en rapport avec nous.
Voici par exemple ce qu'elle écrit pour expliquer son état. Nous trans-
crivons fidèlement :
Si je ne parle pas, cela provient, à mon avis, de la langue qui est ankylosée. La
salive me gêne également. Quand je ne salive pas, je parle plus volontiers et sans
gène. Je voudrais parler bien souvent et ne puis le faire. Quelque chose m'arrête et
pourtant je voudrais bien parler; cela m'agace de ne pouvoir le faire quand parfois
on a tant à dire.
On pourrait plutôt soutenir l'hypothèse de mutisme hystérique car, en
pareil cas, comme dans l'observation de notre malade, l'intelligence est
parfaitement conservée et le sujet, incapable de parler, est en mesure
d'écrire. Ce sont là des caractères que Charcot assignait au mutisme hys-
térique. Mais dans les observations de cet ordre qui ont été relatées,
diverses particularités que nous avons relevées chez notre malade font
défaut. Le mutisme hystérique ne s'accompagne pas de dysphagie, de
difficulté d'ouvrir la bouche, on n'a jamais marqué ce contraste entre
KINÉSIE PARADOXALE - MUTISME PARKINSONIEN 277
l'aisance avec laquelle le sujet répond à certaines questions et l'impossi-
bilité dans laquelle il se trouve de répondre à d'autres, etc..
Saus doute on pourrait concevoir qu'un pareil syndrome soit le résul-
tat d'une hétéro ou d'une auto-suggestion et s'il s'agissait d'un fait abso-
lument isolé, il serait peut-être difficile d'écarter complètement cette idée,
bien que la persuasion, la contre-suggestion que nous avons, par acquit
de conscience, mise en oeuvre avec insistance, n'ait donné aucun résul-
tat. Ce qui nous conduit surtout à éliminer cette hypothèse, c'est que ce
mutisme si spécial a été observé à l'état fruste chez d'autres parkinso-
niens, qu'il a été même constaté à peu près semblable à ce qu'il est chez
notre malade, chez un sujet vu par l'un de nous et par M. Souques et
dont ce dernier a relaté brièvement l'histoire dans son rapport sur les
« syndromes parkinsoniens ».
« Quand il (le malade) veut parler ou répondre à une question, il en est
pour ainsi dire toujours incapable, J'ai bien souvent attendu une courte
réponse pendant plus de cinq minutes. Récemment, il a fait appeler un
notaire ; le notaire est resté exactement une heure et a dû repartir sans
obtenir un mot. Or, parfois ce malade est capable de parler aisément.
Dans ce cas, il parle, dit-il, facilement après un léger effort, tandis que,
le plus souvent, il ne peut proférer un seul mot malgré les plus grands
efforts ('). »
Ce malade d'ailleurs était au point de vue mental tout à fait normal.
Ajoutons à cela que les caractères de ce mutisme sont, comme nous
l'avons dit précédemment, comparables à ce que l'on observe dans d'autres
formes de la kinésie paradoxale parkinsonienne.
C'est ainsi que le malade de M. Souques « qui ne pouvait généralement
se tenir debout ni faire un seul pas sans le secours de deux aides », a pu
à certains moments marcher rapidement en entraînant pour ainsi dire
ses deux aides et monter son escalier vite et deux degrés à la fois (2).
Enfin, nous ferons remarquer que ce trouble de la parole avec ses carac-
tères originaux n'a pas été observé jusqu'à présent en dehors de la mala-
die de Parkinson. Nous proposons du lui donner la dénomination de
« mutisme parkinsonien ». Étant donné les notions anatomo-patholo-
giques que nous possédons actuellement sur les syndromes parkinsoniens,
le trouble dont nous occupons semble être lié à une altération du système
pallidal.
Avant de terminer, nous rappellerons un fait observé par l'un de
nous(3), très analogue à un cas rapporté en q) 1'1 par Meige(') et qui, à
(1) A. Souques, Les syndromes parkinsoniens. Réunion annuelle de la Société de Neurologie de Paris,
3-4 juin 192 1 .
(-) A. Souques, Le., syndromes parkinsoniens . Réunion annuelle de la Société de Neurologie de Paris,
3-4 juin 192 1.
(-1) J. Babinski, Sur une forme de dysarthric paraissant liée à une lésion du corps strié (ses rela-
tions avec les crampes fonctionnelles et le torticolis spasmodique). Société de Neurologie, 5 mai 1921.
Analyse Presse Médicale, n° 46.
CI,) Henri Meige, Dysphasie singultueuse avec réactions motrices tétaniformes et gestes stéréotypes.
Société de Neurologie, 12 février 191 4. Voir aussi Revue neurologique, n" 5, p. 4o5,
2j8 AFFECTIONS NON PYRAMIDALES
certains égards, peut être rapproché de celui que nous venons d'étudier.
Il s'agit d'un sujet atteint aussi, selon toute probabilité, d'une lésion du
corps strié. Il présente un ensemble symptomatique tout autre, il est
vrai, que le syndrome parkinsonien, et il est atteint de troubles de la
parole dont les caractères sont, pour la plupart, bien différents de ceux
dont nous venons de donner la description. Quand on interroge cet
homme, loin de rester figé, en apparence indifférent à ce qu'on lui dit, il
fait manifestement un effort qui se traduit par une contraction des muscles
de la face, des peauciers, des muscles de la nuque. Ses yeux se ferment,
sa tête se renverse en arrière, etc... et, après un stade de préparation plus
ou moins long, il commence à parler, l'articulation étant très imparfaite ;
c'est une espèce de dysarthrie et non du mutisme.
Mais cette dysarthrie, et c'est ce qui la rapproche du mutisme parkin-
sonien, est surtout marquée quand le malade est obligé de réfléchir pour
répondre à une question ; elle s'atténue au contraire jusqu'à disparaître
presque lorsqu'il parle en quelque sorte automatiquement : excité par des
camarades qui le contrarient, il profère des paroles injurieuses sans aucun
effort, éveillé brusquement la nuit, il est capable, pendant quelques ins-
tants, de soutenir une conversation banale en articulant d'une manière à
peu près normale.
N-111
SYNDROME PARKINSONIEN FRUSTE POST-ENCÉPHALITIQUE.
TROUBLES RESPIRA TOIRES
JJ. Babinski et Charpentier.]
Publié dans la Revue Neurologique du 9 novembre 1[j22.
Plusieurs auteurs ont déjà attiré l'attention sur les troubles respi-
ratoires constatés chez des malades atteints d'encéphalite léthar-
- L gique et présentant aussi, pour la plupart, un syndrome parkin-
sonien, Ce fut le sujet de la communication de M. J. Bériel à la séance
annuelle de la Société de Neurologie enjuin 1921 ('), de celle de MM. Pierre
Marie, Binet et M"" Lévy, à la Société médicale des Hôpitaux C) et aussi
de la communication de MM. Clovis Vincent, Étienne Bernard à cette
même société en juillet 1922 Q.
Nous avons observé deux malades rentrant dans cette catégorie.
Cas I. Voici une jeune femme de 27 ans atteinte, en mars 191g, d'une encépha-
lite léthargique. Lorsqu'au mois de mai de la même année, la malade reprit ses
occupations de comptable, l'aspect parkinsonien fit son apparition : raideur généra-
lisée, lenteur des mouvements, fixité du regard. Pas de tremblement.
En même temps, la malade éprouve une gêne particulière de la respiration sur-
venant principalement le soir au lit. Après un accouchement normal en mai 1921, les
troubles respiratoires ont augmenté de fréquence, d'intensité et de durée. C'est pour
ces troubles que la malade est venue consulter à la Pitié en mars 1922. Il se présente
sous forme d'accès se produisant fréquemment et ayant les caractères communs
suivants : au moment de la respiration les narines se pincent et l'expiration est
bruyante. Parfois les mouvements respiratoires sont un peu accélérés, le plus souvent
ils sont ralentis et le nombre des inspirations peut descendre jusqu'à six par minute.
(') Troubles respiratoires dans les états parkinsoniens liés il l'encéphalite épidémique, par
in]. 1. Bériel. Société de Neurologie, 3-4 juin 1921.
e) Société Médicale des Hôpitaux, 7 juillet 1922. . ? ) Troubles respiratoires dans l'encéphalite- épidémique par MM. Clovis Vincent et Et. Bernard.
Société Médicale des Hôpitaux, 27 juillet 1922.
280 - AFFECTIONS NON PYRAMIDALES
En pareil cas, on observe à la fin de l'inspiration, une sorte d'état spasmodique qui
interrompt l'acte respiratoire pendant quelques secondes. A cette phase d'apnée
succède une expiration bruyante, soufflante, comme si le sujet voulait éteindre une
bougie par le nez.
La malade nous a dit spontanément qu'elle « éprouvait comme le besoin de respirer
de la sorte » ; elle a ajouté que, « par la volonté, elle pouvait améliorer un peu son
état pendant un laps de temps assez court ». Son mari nous a dit que pendant le
sommeil, sa respiration est absolument normale.
Cas II. Ce jeune homme de 18 ans aurait été atteint, en février 1920, d'une
maladie fébrile avec délire qui lui aurait fait garder le lit pendant deux mois. Vers la
fin de la même année, il présente un enrouement qui d'ailleurs ne dure pas, mais
pour lequel il quitte son école et rentre dans sa famille. Ses parents constatent qu'il a,
le matin et le soir, une respiration saccadée et bruyante. « Il souffle par le nez. »
En 1921, ce jeune homme est obligé de quitter son école une deuxième fois, parce
que, en plus des troubles respiratoires qui ont empiré, il s'endort à chaque instant.
En même temps le caractère aurait changé : lui qui, auparavant, était appliqué,
méticuleux, devient insouciant. Toutefois son intelligence reste normale. Depuis
lors, l'état du malade s'est peu modifié, sauf en ce qui concerne la somnolence qui
a disparu après un séjour en mer en août 1921. Le père l'a conduit à la Pitié en
novembre 1922 et nous dit qu'il reste inerte, soudé, parlant peu. Ses mouvements sont
lents et d'une manière intermittente, sous forme d'accès fréquents, sa respiration
devient irrégulière, parfois très rapide et soufflante. La première fois que nous
l'avons vu, il avait l'aspect figé habituel aux parkinsoniens, mais ne tremblait pas.
Le figement, sans être très marqué, était net, bien plus qu'il ne l'est aujourd'hui, ce
qui tient sans doute à ce que, depuis trois jours, ce malade est soumis à l'action de
la scopolamine.
Il y a tout lieu d'admettre que ces deux malades sont atteints d'un syn-
drome parkinsonien fruste consécutif à une encéphalite épidémique. Ce
diagnostic, qui pourrait être discuté, aujourd'hui surtout, pour le deuxième
de nos sujets, est incontestable pour le premier. Si, d'autre part, on prend
en considération ce fait que les troubles respiratoires observés chez nos
malades sont très analogues, pour ainsi dire identiques à ceux qui ont été
notés déjà par les auteurs que nous avons cités, chez des individus ayant
été également atteints d'encéphalite, on arrive à cette conclusion qu'il
s'agit là très vraisemblablement de phénomènes liés à une perturbation
organique du système nerveux, quelque soit l'idée qu'on puisse se faire
de leur mécanisme intime, question que nous n'avons pas l'intention de
discuter.
Mais voici le point sur lequel nous désirons attirer l'attention : notre
première malade, nous n'avons pas encore étudié à cet égard le deuxième
sujet -, nous a déclaré qu'elle a pu, en plusieurs circonstances, par un
effort de volonté, recouvrer pour quelque temps son mode habituel de
respiration ; Bériel a rapporté des faits analogues. En outre, et c'est ce
qui nous semble plus particulièrement intéressant, nous pouvons modi-
fier ces troubles d'une manière très appréciable, par une action qui
semble d'ordre purement psychique. Dès les premiers jours de l'entrée de
SYNDROME PARKINSONIEN FRUSTE POST-EN( : GPII1LITInUE E z
la malade à l'hôpital, intervenant en pleine crise, quelques instants après
avoir faradisé la région cervicale et voir affirmer qu'il s'agissait là d'un
moyen thérapeutique efficace, nous avons constaté que la respira-
tion était devenue à peu près normale et elle s'est maintenue pendant une
heure environ ainsi. Etait-ce là une simple coïncidence ? assurément non ;
car depuis, à de nombreuses reprises, nous avons renouvelé l'épreuve,
laquelle a toujours été suivie des mêmes effets, à cette différence près que
la sédation a été de plus courte durée. L'accalmie constatée est-elle due à
une action physique provoquée par l'électrisation ? Nous sommes à même
de répondre par la négative, car les résultats sont semblables si l'on
applique les tampons sans faire passer le courant et si l'on se contente
d'une simple injonction. On est donc amené à penser que la transformation
a pour cause, comme nous l'avons dit précédemment une action psychique
consistant soit en un phénomène émotif, soit en un phénomène intellec-
tuel, la malade devenant capable d'enrayer par un acte de volonté les
troubles respiratoires ; cette dernière interprétation est d'autant plus
vraisemblable que cette femme est en mesure par moment d'inhiber ce
trouble, sans aucune intervention étrangère, de son propre gré. La régres-
sion des crises à la suite immédiate de pratiques thérapeutiques analogues
à celles qu'on emploie quand on a affaire à des accidents hystériques
n'infirme-t-elle pas l'idée précédemment émise quant à leur nature et ne
pourrait-elle pas conduire au diagnostic d'hystérie ou d'association hys-
téro-organique ? Rien n'autorise à s'arrêter à cette hypothèse car la thé-
rapeutique employée n'a exercé qu'une action transitoire sur les troubles
respiratoires ; cette action. il est vrai, a été chaque fois très appréciable,
impressionnante au point qu'un observateur insuffisamment averti eut pu
s'y laisser prendre et croire que la guérison était imminente, mais
ce n'était qu'une apparence ; les troubles, après avoir rétrocédé, ne tar-
dent pas à se reproduire. Ils sont un peu moins accentués aujourd'hui
qu'au début, il y a huit mois, mais il n'est pas démontré, tant s'en faut,
que cette atténuation soit la conséquence des pratiques psychothéra-
piques ; elle peut être tout simplement l'oeuvre du temps ; en effet, des phé-
nomènes nerveux liés à l'encéphalite, tels que certaines clonies, bien que
pouvant coïncider avec le syndrome parkinsonien, rétrocèdent parfois
d'une manière progressive.
En résumé, en admettant comme établi que les effets obtenus dans le
cas que nous venons de relater soient la conséquence de la persuasion, on
n'est pas en droit de ranger le trouble en question dans la classe des
manifestations hystériques, car il n'est pas du tout permis de conclure de
nos observations qu'ils soient susceptibles de disparaître sous l'influence
de la persuasion seule. Nous rappelons à ce sujet que Charcot, étudiant
les mouvements anormaux caractérisant la maladie des tics convulsifs,
affection absolument indépendante de l'hystérie, faisait ressortir que « ces
malades peuvent souvent, pour un temps, les arrêter par un effort de
volonté. »
CINQUIÈME PARTIE
AFFECTIONS DU CERVELET, DU BULBE
ET DU LABYRINTHE
AFFECTIONS DU CERVELET
I
OBSERVATION PRINCEPS
[J. BABINSKI.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
Séance du g novembre 18gg.
(Extrait de /'Asynergie cérébelleuse.)
H. M..., âgé de 35 ans, sellier.
Antécédents héréditaires. Rien de particulier à noter.
Antécédents personnels. Variole à 10 ans ; à l'âge de ig ans, chancre qui ne fut pas
suivi d'accidents secondaires, mais qui paraît toutefois avoir été considéré comme de
nature spécifique par le médecin qui traita le malade, car il le soumit à une cure
mercurielle; à 24 ans pneumonie. A l'âge de 3o ans, en avril 1894, il se maria et à ce
moment sa santé semblait parfaite.
Six jours après son mariage il fut pris de faiblesse et de douleurs au bras droit et
en même temps d'une déviation de la bouche, qui aurait été sous la dépendance d'une
paralysie faciale gauche. De plus il avait des vertiges ; il lui semblait que les
objets qui étaient devant lui se déplaçaient et la démarche était devenue depuis cette
époque un peu titubante. Peu de temps après, à ces troubles s'associèrent des bour-
donnements d'oreille et la marche devint encore plus difficile. Le malade déclare que,
trois semaines après le début de la maladie, il lui était devenu impossible de marcher
sans être soutenu.
Dans le mois de juillet de la même année se développa brusquement, dit-il, une
paralysie faciale du côté droit et une paralysie complète avec anesthésie du membre
inférieur et du membre supérieur du côté gauche. Vers la même époque apparurent
des troubles oculaires du côté droit consistant en de l'opacité de la cornée et un
affaiblissement progressif de la vision consécutif aux lésions cornéennes. La parole
se modifia aussi à partir de ce moment et devint difficile à comprendre.
286
AFFECTIONS DU CERVELET
La paralysie motrice du membre supérieur et du membre inférieur gauches
commença à s'atténuer un mois après son apparition et l'amélioration s'accentua assez
rapidement. Depuis quatre ans environ la situation ne se serait pas sensiblement
modifiée ; dès cette époque le malade aurait été dans l'état dans lequel nous l'avons
vu à son entrée à l'hôpital, il y a deux ans et demi, et qui n'a pas changé jusqu'à
présent, maigre le traitement antisyphilitique au-
quel il a été soumis. Je dois ajouter cependant
que l'oeil droit, dont la fonction était abolie en
raison de l'opacité de la cornée, mais dont le
volume était resté normal jusqu'en 1898, fut atteint
il y a un an d'une suppuration qui en amena la
fonte.
État actuel (novembre t 8gg). Aspect extérieur.
L'état général du malade paraît satisfaisant, il
a un embonpoint moyen. Ce qui frappe surtout
lorsqu'on l'examine dans la position assise c'est
une inclinaison de la tête à droite, un abaissement
de l'épaule droite, une saillie des fibres muscu-
laires du peaucier droit et enfin une asymétrie
faciale très prononcée ; à droite l'oeil est fermé, le
globe oculaire est d'un volume trois ou quatre fois
moindre que du côté gauche, les plis du front sont
effacés, le sillon naso-labial est plus accentué et la
muqueuse des lèvres plus à découvert qu'à gauche
(voir fig. 10). On observe aussi une légère oscilla-
tion de la tête de droite à gauche et parfois d'avant en arrière.
Motilité (Examen pratiqué, le malade étant assis sur une chaise). La force
musculaire des membres est à peu près normale, ce dont on peut s'assurer lorsqu'après
avoir dit au malade d'étendre ou de fléchir tel ou tel segment d'un membre et de le
maintenir dans cette position, il
oppose de la résistance au mouve-
ment passif que l'on s'efforce d'im-
primer en sens inverse ; toutefois
le soulèvement de l'épaule s'opère
un peu plus difficilement à droite
qu'à gauche et l'occlusion de la
main est un peu plus énergique
du côté droit.
Quand il cherche à maintenir
son corps au repos on observe,
outre les oscillations de la tête
déjà signalées, un léger tremble-
ment des membres supérieurs, mais il y a des attitudes dans lesquelles le tremblement
disparaît complètement.
Le tremblement apparaît ou s'accentue notablement dans les mouvements ; il est
particulièrement net quand on fait porter au malade soit un verre à la bouche, soit
l'extrémité d'un de ses doigts au bout de son nez. Les mouvements ont alors une
certaine brusquerie, il y a des oscillations en différents sens, mais la direction générale
est celle que la main doit suivre, et le but est toujours atteint. L'occlusion des yeux
Fig. 10. Physionomie du malade
au repos.
Fig. 1 J.
OBSERVATION PRINCEPS 287
n'accentue pas les troubles qui sont à peu près pareils des deux côtés. L'écriture est
très difficile; ci-dessus un spécimen.
Quand on commande au malade de porter la pointe du pied vers un point déter-
miné, il exécute le mouvement à peu près de la même manière, que les yeux soient
ouverts ou fermés et il atteint toujours le but sans le dépasser, mais le mouvement
est exécuté d'une manière anormale. On l'invite, par exemple, à porter la pointe du
pied vers un point situé à 60 centimètres environ au-dessus du sol et à 60 centimètres
au-devant du genou ; au début de l'acte, la cuisse se fléchit sur le bassin et la jambe
ne s'étend que légèrement sur la cuisse, puis l'extension de la jambe devient plus
énergique et la pointe du pied arrive au but, lancée avec une certaine brusquerie.
Quand ensuite le malade cherche à replacer le membre dans la position primitive,
on voit d'abord la jambe se fléchir sur la cuisse, tandis que la cuisse ne se meut que
légèrement, puis, lorsque la jambe est en demi-flexion sur la cuisse, celle-ci s'étend
brusquement sur le bassin et le pied vient s'appliquer à plat sur le sol. Ces parti-
cularités sont surtout nettes quand on recommande au sujet d'exécuter les mouve-
ments avec lenteur.
La contractilité électrique des muscles des membres est normale.
Les mouvements de flexion, d'extension, d'inclinaison et de rotation de la tête
semblent être exécutés d'une manière à peu près normale des deux côtés. Il en est de
môme des mouvements de flexion et d'extension du tronc sur le bassin.
La contractilité électrique des muscles du tronc est normale, sauf en ce qui
concerne le trapèze droit; dans la portion cervicale de ce muscle il y a simplement
un affaiblissement de l'excitabilité électrique, sans D R ; la partie inférieure du tra-
pèze ne réagit plus du tout aux courants électriques et tandis que du côté gauche
l'électrisation de la partie moyenne de ce muscle, pratiquée entre le bord interne de
l'omoplate et la colonne vertébrale, donne lieu à un mouvement d'adduction du
scapulum, l'électrisation pratiquée à droite dans le point correspondant provoque un
mouvement d'ascension de cet os.
La contractilité électrique du peaucier droit malgré sa saillie est plus faible que
celle du peaucier gauche. Le sterno-mastoïdien du côté droit, un peu réduit de
volume, se contracte aussi plus faiblement à droite qu'à gauche.
On ne trouve ni dans le peaucier, ni dans le sterno-mastoïdien la D R.
Les mouvements unilatéraux et bilatéraux des muscles de la face sont plus difficiles
et moins étendus du côté droit que du côté gauche, le malade ne peut plisser son
front que très difficilement à droite.
Lorsqu'il parle, on constate que le côté gauche des lèvres fonctionne plus active-
ment que le côté droit. Quand il ouvre la bouche, la distance entre le bord libre des
lèvres est bien plus grande à gauche ; de ce côté les dents de la mâchoire inférieure
sont tout à fait à découvert, tandis qu'à droite elles sont masquées par les lèvres ; on
constate aussi, lorsqu'il ouvre la bouche, que le peaucier gauche se contracte plus
énergiquement que le peaucier droit.
La contractilité électrique (faradique et voltaïque) est notablement affaiblie à droite.
Les mouvements de la langue sont normaux.
La parole est profondément troublée ; il est assez difficile de comprendre ce que
dit le malade, à moins de s'être habitué à sa manière de parler. On arrive toutefois
assez rapidement à se convaincre que cette perturbation n'est pas liée à une affection
mentale; le malade, en effet, à la jouissance complète de ses facultés psychiques; cette
perturbation n'est pas non plus liée à un oubli des mots correspondant à la pensée,
elle est manifestement sous la dépendance d'un défaut dans l'articulation ; les mots
sont scandés, les syllabes des mots ne sont pas fondues les unes avec les autres, de
288
AFFECTIONS DU CERVELET
plus, certaines syllabes sont prononcées d'une manière peu distincte, mais je ne
saurais dire s'il s'agit là d'un phénomène pathologique ou d'une accentuation natu-
rellement vicieuse en raison de l'origine basque du sujet. ' -
(Examen dans le décubitus.) -' Lorsque le malade, après s'être placé à plat sur le
dos et avoir croisé ses bras sur la poitrine, fait des efforts pour se mettre sur son
séant, il n'y parvient pas ; de plus, les cuisses se fléchissent fortement sur le bassin
et les talons s élèvent jusqu 40
et même 5o centimètres au-dessus
du sol (lig. 12); ce mouvement est
un peu plus prononcé du côté
gauche que du côté droit. Quand
le sujet est dans le décubitus et
qu'il cherche à étendre énergi-
quement les cuisses et à appliquer
aussi étroitement que possible les
membres inférieurs contre le sol,
on peut constater, en s'efforçant
de soulever le talon, que la con-
traction musculaire est approxi-
mativement aussi forte qu'à l'état
normal, un peu moins pourtant
à gauche qu a droite (comparez fig. 13, l'attitude d'un sujet sain).
(Examen dans la station.) - Il serait impossible à IL \L.. de passer de la situation
assise à la station sans y être aidé. Dans cet acte le sujet titube, la partie supérieure
du corps et la tête présentent des oscillations en divers sens qui amèneraient la chute
du malade si on ne le maintenait pas énergiquement. Il parvient toutefois, après des
efforts, à trouver l'équibre, parfois les pieds très écartés l'un de l'autre, mais parfois
aussi les pieas rapprocnes, et Il
peut rester dans cette attitude,
sans être soutenu, plus ou moins
longtemps mais rarement plus
d'une minute; au début, les oscil-
lations de la partie supérieure
du corps sont très légères, elles
s'accentuent progressivement et
enfin le malade tomberait si on
ne venait pas à son secours.
Ajoutons que, pendant que la
partie supérieure du corps oscille
et que le sujet cherche à retrou-
ver l'équilibre, lesjambes restent
presque immobiles et les pieds sont en quelque sorte figés au sol. L'occlusion des
yeux ne semble pas avoir une grande influence sur le maintien de l'équilibre ; en effet,
le malade peut rester debout sans osciller et sans être soutenu, à peu près aussi
longtemps que les yeux soient ouverts ou fermés. '
Lorsque le malade cherche à porter la tête en arrière et à courber le tronc dans le
même sens en forme d'arc, les membres inférieurs restent presque immobiles et
n'exécutent pas (voir fig. t 4) ou n'exécutent que d'une façon très imparfaite les mouve-
ments de flexion de la jambe sur le pied et de la cuisse sur la jambe, qu'accomplit dans
cet acte, pour maintenir son équilibre, un individu normal (voir fig, 15). Il tombe en
Fig. 12. Attitude du malade sur le dos faisant effort
pour se mettre sur son séant.
Fig. 13. -titude d'un sujet sain faisant effort
pour se mettre sur son séant.
OBSERVATION PRINCEPS
2 8 j
arrière avant d'avoir fait atteindre au tronc le degré de courbure qu'un sujet sain
peut obtenir sans qu'une chute s'en suive.
(Examen pendant la marche.) - Lorsque 1-1. M., soutenu des deux côtés, cherche à
marcher, on constate que le mouvement des membres inférieurs se décompose d'une
l3ewss,.
la
Fig. n. - Attitude du malade dans la station
debout, cherchant à porter la tête en arrière et
à courber le tronc dans le même sens en forme
d'arc.
Fig. t5. Attitude d'un sujet sain dans la sta-
tion debout, cherchant il porter la tète en
arrière et à courber le tronc dans le même sens
en forme d'arc.
Fig. 16. Attitude du malade pendant la marche, soutenu par deux aides.
2)O AFFECTIONS DU CERVELET
manière plus nette qu'à l'état normal en mouvements élémentaires des divers
segments ; de plus, les mouvements ont plus de brusquerie que chez l'individu sain et
à chaque pas le pied vient frapper le sol en s'appliquant dessus par toute sa plante.
Ajoutons que les membres inférieurs, pendant qu'ils se déplacent d'arrière en avant,
oscillent un peu de gauche à droite, mais que le pied finit par se poser à peu près à
l'endroit qu'il devrait occuper si la marche était normale. Il faut bien remarquer que
le sujet ne peut avancer que si les aides ont soin, tout en maintenant la partie supé- '
rieure du corps, de lui imprimer en même temps une légère impulsion en avant. La
marche est encore possible si un seul aide placé devant le sujet le tient par les deux
mains et l'attire légèrement vers lui ou bien si le malade, privé de l'aide d'autrui,
trouve de distance en distance des points fixes qu'il puisse saisir des mains, comme,
par exemple, les barres des lits d'une salle d'hôpital. Si, au contraire, les aides,
placés de chaque côté du sujet, se contentent de soutenir la partie supérieure du tronc
sans lui imprimer de propulsion, dès le premier pas le malade est arrêté, le pied en
effet se trouve porté en avant et le tronc étendu sur le bassin ne suit pas le mouve-
ment du membre inférieur et reste en arrière (voir fig. 16). Ce défaut de synergie entre
la partie supérieure du corps et les membres inférieurs constitue le trouble le plus
saillant que l'on note pendant les efforts de marche.
Sensibilité. La sensibilité au tact, à la douleur et à la température est affaiblie aux
membres inférieur et supérieur gauches, à la partie gauche du tronc et du cou. A la
face du côté gauche la sensibilité est normale. Du côté droit, la sensibilité est intacte,
sauf à la face dans le domaine du trijumeau et en particulier au front et à la tempe,
dans la région orbitaire et à la pommette. Dans ces parties, la sensibilité au tact et à
la piqûre est extrêmement affaiblie et la sensibilité au froid est à peu près complète-
ment abolie. La sensibilité générale de la muqueuse olfactive et de la muqueuse
buccale du côté droit est affaiblie.
La notion de position est conservée des deux côtés.
Réflexes. Les réflexes du triceps brachial, du radius, les réflexes du tendon rotu-
lien et du tendon d'Achille sont forts des deux côtés, mais le sont un peu plus à
gauche qu'à droite. Il n'y a pas de trépidation épileptoïde du pied.
Le chatouillement de la plante du pied donne lieu, du côté droit, à de la flexion des
orteils; du côté gauche cette excitation n'est parfois suivie d'aucun mouvement réflexe
et provoque d'autres fois de l'extension des orteils.
Le réflexe abdominal est normal à droite, très faible à gauche.
Il est impossible de se rendre compte de l'état du réflexe crémastérien en raison de
l'existence d'une hernie inguinale droite qui distend le scrotum.
Le réflexe anal est normal.
Le réflexe pharyngien est très affaibli du côté droit.
Le chatouillement de la conjonctive du côté gauche provoque, comme à l'état nor-
mal, une occlusion de l'oeil gauche et en même temps un mouvement semblable, un
peu moins énergique du côté droit. L'excitation de la conjonctive du côté droit n'est
suivie d'aucun mouvement réflexe.
L'excitation de la fosse nasale gauche provoque une contraction réflexe des muscles
de la face du côté correspondant; du côté droit une pareille excitation ne donne lieu
à aucun mouvement.
Organes des sens. La vision est tout à fait abolie du côté droit. Il a été du reste
déjà dit plus haut que de ce côté l'oeil, à la suite d'une ophtalmie qui en avait amené
la fonte, était réduit au quart ou au tiers de son volume normal. Du côté gauche la
vision est normale ; la pupille se contracte à la lumière. Le seul trouble que l'on y
OBSERVATION PRINCEPS .<; 29 t
constate est du nystagmus, qui apparaît quand le malade porte le globe oculaire en
dehors ou en haut.
Il a un grand affaiblissement de l'acuité auditive du côté droit. Du côté gauche
l'ouïe est normale.
La sensibilité olfactive est émoussée du côté droit.
La sensibilité gustative paraît à peu près abolie à droite ; l'amertune de la quinine
n'est pas du tout perçue de ce côté et le malade dit que quand il mange, du côté droit
de la bouche, il a simplement la sensation de la présence d'un corps étranger, mais
qu'il n'éprouve aucune sensation gustative.
L'intelligence est absolument normale ; l'appareil respiratoire, l'appareil circulatoire,
l'appareil urinaire, les fonctions génésiques ne présentent aucune perturbation.
La déglutition s'opère avec difficulté. Le malade avale assez bien les solides, mais il
arrive souvent que les liquides qu'il cherche à ingérer pénètrent dans les fosses
nasales. Les autres parties du tube digestif fonctionnent d'une manière régulière.
L'ÉQUILIBRE VOLITIONNEL STATIQUE
ET L'ÉQUILIBRE VOLITIONNEL CINÉTIQUE.
ASYNERGIE ET CATALEPSIE ? )
Voici un autre malade, H. M..., atteint d'une lésion cérébello-protubé-
rantielle, qui me paraît particulièrement digne de fixer votre attention. Je
l'ai déjà présenté à la Société il y a plus de deux ans, et il a été le sujet
principal d'un travail sur l'asynergie cérébelleuse, auquel on devra se
reporter. Je rappelle seulement que cet homme, dont l'état ne s'est guère
modifié depuis, est doué aux membres et dans le tronc d'une force mus-
culaire normale, que son sens musculaire est conservé et que, néanmoins,
il est dans l'impossibilité de marcher, en raison d'un trouble que l'on
appelle, à tort selon moi, ataxie cérébelleuse, pour ne l'avoir pas suffi-
samment analysé, et qu'il y a lieu de désigner sous la dénomination d'asy-
nergie cérébelleuse. Quoi qu'il en soit, cette impossibilité dans laquelle
se trouve cet homme d'avancer d'un pas sans être aidé, ce désordre dans
les mouvements que vous constatez, constituent une perturbation profonde
dans l'équilibre volitionnel cinétique. Or, j'ai déjà fait remarquer que dans
la station il peut parvenir, après des efforts, à trouver la stabilité et res-
ter longtemps debout, immobile, sans être soutenu ; il a donc conservé la
fonction de l'équilibre statique. Il est vrai qu'au bout d'un temps dont la
durée varie, mais qui peut atteindre et dépasser une minute, il titube et
tomberait si l'on ne venait à son secours ; ce fait, contrairement à ce
qu'on pourrait croire à première vue, n'est pas en contradiction avec ce
que je viens de dire ; en effet, même chez un sujet dont la fonction de
l'équilibre statique est normale, l'immobilité ne peut être permanente ; il
se produit inévitablement de temps en temps un déplacement plus ou
moins prononcé de certaines parties du corps, sans inconvénient pour
l'individu chez qui la fonction de l'équilibre cinétique s'accomplit correc-
(') Extrait de la communication faite à la Société de neurologie de Paris. Séance du n mai 1902.
203 9, AFFECTIONS DU CERVELET
tement, mais qui, dans le cas contraire, amène de la titubation, de l'in-
coordination et peut déterminer une chute.
La dissociation des deux modes de l'équilibre volitionnel est particu-
lièrement manifeste quand le malade, après s'être mis sur son dos, sou-
lève les membres pour prendre l'attitude spéciale que j'ai déjà décrite
(fig. Il). Pendant l'exécution du mouvement, les membres et le tronc oscil-
lent dans tous les sens d'une manière désordonnée, ce qui dénote un
trouble de l'équilibre cinétique, puis, au bout de quelques instants, la
fixité est obtenue. Cette fixité est remarquable par sa perfection ; elle
semble même supérieure à celle qu'est en mesure de réaliser un homme
normal ; c'est presque une fixité de cire, cataleptique ('), qui n'est trou-
blée par aucune secousse musculaire, contrairement à ce qui se voit chez
les sujets les plus vigoureux que nous avons fait placer dans la même
position ; cette fixité persiste longtemps, plusieurs minutes, et le malade,
contrairement à ce qui a lieu chez les sujets témoins, n'accuse presque
aucune sensation de fatigue. Ainsi donc, l'équilibre volitionnel statique,
non seulement n'est pas affaibli, mais paraît même plus parfait qu'à l'état
normal.
Aux membres supérieurs il y a du tremblement intentionnel, mais le
malade, après avoir soulevé les bras, peut les maintenir quelque temps
immobiles, sans appui. Là aussi l'équilibre cinétique est donc troublé et
l'équilibre statique conservé.
() On pourrait critiquer l'usage que je fais ici du mot catalepsie si l'on estime qu'il implique que
les attitudes fixes des membres doivent leur avoir été imprimées par autrui ; ici, en effet, c'est le
malade lui-même qui prend ces attitudes quand on l'y invite. Mais, selon moi, ce n'est pas là le trait
essentiel de la catalepsie. Le caractère fondamental de cet état, c'est la propriété que présentent les
muscles soumis à l'influence de la volonté de se maintenir longtemps immobiles, comme s'ils étaient
figés, sans être pourtant contracturés, dans certaines positions où l'équilibre volitionnel est réalisé. Ce
n'est là, du reste, qu'une question de définition de mot.
il J
SYNDROME Cls'11131sLL EU \'
Publié dans le Bulletin de l'Académie de Médecine, 23 avril lg25.
J. Babinski fait projeter des films cinématographiques et des coupes
histologiques se rapportant au cas princeps qu'il a relaté, il y a longtemps
(lésion bulbo-protubérantielle), où il a observé pour la première fois les
troubles qu'il a décrits sous les noms d'asynergie, adiadococinésie, cata-
lepsie cérébelleuse, et où il a étudié chez l'homme l'hypermétrie ou
dysmétrie cérébelleuse constatée par Luciani dans des expériences sur
les animaux.
Ces notions ont été confirmées par les faits relatés dans différents tra-
vaux français et étrangers. Mais, comme les phénomènes en question ne
sont pas constants dans les affections atteignant l'appareil cérébelleux,
que leur présence ou leur absence, leur intensité, leur durée dépendent
sans doute du siège et de l'intensité des lésions cérébelleuses et, quand
celles-ci s'associent à des altérations occupant d'autres régions du névraxe,
des modes divers de ces associations, il était intéressant de savoir exacte-
ment comment étaient disposées les lésions dans le cas que nous avons en
vue, où ces phénomènes étaient remarquables par leur pureté, leur inten-
sité et leur ténacité. Or nous sommes aujourd'hui renseignés à cet égard,
le malade ayant succombé à un cancer de l'estomac.
Voici le résumé des constatations faites sur des coupes sériées (en col-
laboration avec le ))" Jumentié) : ,
foyer unique occupant la partie antéro-externe droite de la protubérance el du
bulbe et s'enfonçant dans la substance blanche centrale de l'hémisphère cérébelleux
correspondant en suivant les fibres du pédoncule cérébelleux inférieur et les voies
vestibulo-cérébelleuses pour gagner le noyau dentelé. La limite supérieure de ce foyer
répond à l'union du tiers supérieur et du tiers moyen de la protubérance, un peu
au-dessus de l'émergence du trijumeau ; sa limite inférieure se trouve au niveau du
noyau para-olivaire interne. Cette lésion présente, dans une grande partie de son
étendue, des caractères nettement destructifs : aspect lacunaire nécrotique avec vais-
seaux épaissis et néoformations capillaires ; en d'autres points, elle est le siège d'une
2\)/1 AFFECTIONS DU CERVELET
hyperplasie névroglique rappelant l'aspect de la sclérose en plaques. La topographie
de cette lésion est vasculaire.
J. Babinski signale brièvement : les altérations des nerfs facial, trijumeau, glosso-
pharyngien, cochléaire ne pouvant avoir aucun rapport avec les troubles de motilité
dont il s'occupe ; les altérations de la pyramide antérieure expliquant le signe des
orteils qui avait été noté, mais sans intérêt non plus, puisqu'il n'y avait pas d'affai-
blissement musculaire ; les altérations de la voie sensitive qui n'étaient pour rien
dans les désordres moteurs, car la sensibilité profonde, la notion des attitudes
étaient parfaites.
Il insiste, au contraire, sur les lésions constatées au côté droit de l'appareil céré-
belleux et qui sont les suivantes :
in Destruction des fibres cérébelleuses remontant de la moelle par le faisceau
latéral et qui constituent le contingent médullaire du pédoncule cérébelleux inférieur
du même côté;
2° Interruption des fibres provenant du noyau de von Monakow, contingent bulbaire
du même pédoncule ;
3° Destruction, au niveau du corps restiforme, du pédoncule cérébelleux infé-
rieur, de toutes les fibres cérébelleuses provenant des formations olivaire et juxta-
olivaire gauches ;
4° Destruction de l'olive bulbaire et des noyaux juxta-olivaires dont les fibres
constituent la contingent bulbaire du pédoncule cérébelleux du côté opposé ;
5° Destruction partielle de la substance grise du pont et du pédoncule cérébelleux
moyen ;
6° Destruction de la partie antérieure du corps dentelé et dégénération consécutive
du pédoncule cérébelleux supérieur ;
7° Lésion du floculus et de l'amygdale dont la base d'implantation est occupée par
le foyer intra-cérébelleux en continuité avec le foyer bulbo-protubérantiel ;
8° Destruction des fibres vestibulaires de la 8e paire, ainsi que des fibres qui éta-
blissent une connexion entre le noyau de Deiters et le vermis.
Il n'y a pas de foyer nécrobiotique du côté gauche; mais l'appareil cérébelleux
est atteint dans ses pédoncules inférieur et moyen par suite de la destruction des
formations olivaire et justa-olivaire droites et des lésions des noyaux du pont
à droite.
La pureté et l'intensité des troubles cérébelleux s'expliquent bien par
ces constatations anatomiques. Mais il est à remarquer que les symptômes
étaient à peu près semblables des deux côtés, bien que les altérations
soient beaucoup plus importantes à droite qu'à gauche.
ni
HL'lIIrISYNERGlI, LATI;'lIOPULS101' ET Myosis BULBAIRES
AVEC lIÉlJlIANESTHÉSIE ET HÉMIPLÉGIE CROISÉES
[J. Babinski et J. Nageotte..]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
- séance du i avril igo2.
Nous venons d'observer dans le courant de ces six derniers mois
trois malades présentant un syndrome assez bien défini, dont le
L ) titre de ce travail met en évidence les traits essentiels et qui dépend
de lésions bulbaires unilatérales.
Nous allons exposer les faits anatomiques et cliniques, en partie nou-
veaux, qu'il nous a été donné de constater.
Observation I. F. P..., âgé de 5o ans, entre le 5 octobre igoi à la Pitié.
Il a contracté la syphilis à l'âge de 3o ans.
Il y a huit jours, en pleine santé, il a ressenti une douleur de tète vive du côté
gauche et il a été pris brusquement de vertiges, de troubles de motilité graves, ainsi
que d'une grande gêne dans la déglutition. Son état ne s'est guère modifié, dit-il,
depuis le début, sinon que la céphalalgie s'est atténuée et qu'il a maigri. Le malade
est, en effet, maigre, pâle, paraît très faible, ce qui s'explique du reste fort bien, car
il ne s'est presque pas du tout alimenté pendant cette période de huit jours; ce qui
l'en empêche, c'est que la déglutition est très difficile ; lorsqu'il cherche à boire, il
rend en partie le liquide par le nez et il est pris d'une quinte de toux. Il ne peut
siffler ; la voix est nasillarde ; le réflexe du voile du palais est aboli.
Il y a des troubles de sensibilité ; tout le côté droit du corps jusqu'au cou présente
un affaiblissement de la sensibilité au tact et à la température ; l'anesthésie est surtout
très accusée à la jambe et à la partie inférieure de la cuisse ; à la face, la sensibilité
parait émoussée des deux côtés d'une manière il peu près égale ; le sens musculaire
est normal à gauche et à droite ; un piqûre provoque une sensation moins désagréable
à droite, mais la compression des masses musculaires semble plus douloureuse de ce
côté qu'à gauche.
La motilité est profondément troublée. Le malade ne peut marcher sans être sou-
tenu ; il est sans cesse entraîné à gauche et il tomberait de ce côté s'il était ahan-
3gô ". AFFECTIONS DU CERVELET
donné à lui-même. Dans la marche les membres inférieurs sont écartés l'un de l'autre,
les mouvements élémentaires du membre inférieur gauche sont brusques et le pied
gauche vient s'appliquer sur le sol d'une manière bruyante; les mouvements du
membre inférieur droit présentent aussi ces caractères, mais d'une manière bien moins
prononcée. Lorsque le malade, placé dans le décubitus dorsal, après avoir fléchi la
cuisse sur le bassin et la jambe sur la cuisse, replace le membre dans sa position pri-
mitive, voici ce qu'on observe : à droite, le mouvement est à peu près normal, l'exten-
sion de la cuisse sur le bassin et celle de la jambe sur la cuisse sont exécutées
presque synergiquement et le talon glisse sur le sol d'arrière en avant ; à gauche, le
mouvement est bien différent : dans un premier temps la jambe s'étend brusquement
sur la cuisse et le talon est éloigné du sol par une distance d'un décimètre; dans un
second temps, la cuisse s'étend sur le bassin et le talon vient s'appliquer sur le sol.
Quand le malade se met à genoux sur une chaise, à droite le mouvement est normal,
à gauche il s'accomplit avec brusquerie. Le côté droit est toutefois un peu plus faible
que le gauche, mais à la vérité la différence à cet égard entre les deux côtés est
minime. Quand le malade, placé dans le décubitus, cherche à se mettre sur son séant,
il exécute un mouvement de rotation autour d'un axe passant par le côté gauche du
corps et on constate à droite « le mouvement combiné de flexion de la cuisse et du
tronc ». Les mouvements des membres supérieurs sont accomplis avec correction,
mais avec un léger tremblement.
Le réflexe crémastérien et le réflexe abdominal existent et sont semblables des deux
côtés. A gauche, le réflexe plantaire est normal ; à droite, on constate le phénomène
des orteils. Le réflexe du tendon rotulien droit est normal ; à gauche, en outre de la
contraction du triceps crural de ce côté, la percussion du tendon rotulien donne lieu
à une contraction des adducteurs de la cuisse droite. Les réflexes achilléens sont
normaux. Les réflexes tendineux du membre supérieur paraissent un peu plus forts a
droite qu'à gauche.
Du côté de l'oeil, on note un peu de nystagmus, surtout dans le sens latéral, mais
parfois aussi dans le sens vertical. Les pupilles se contractent à la lumière, mais
elles sont inégales ; la gauche, sans être très petite, est sensiblement plus étroite que
la droite.
Dès l'entrée du malade à l'hôpital on cherche à lutter contre la faiblesse qui résulte
de l'inanition par l'alimentation artificielle, en attendant de le soumettre à un traite-
ment hydrargyrique qui, en raison de ses antécédents, est indiqué. Mais cinq jours
après, dans l'après-midi, il succombe brusquement dans une syncope.
Étude anatomique. Après avoir pratiqué à l'état frais la coupe de Meynert, on a
fait durcir dans le bichromate la pièce constituée par le hulbe, le cervelet, la protu-
bérance et les ganglions de la base. Une fois durcie, celte pièce a été débitée en
tranches minces par des coupes perpendiculaires à la tige cérébrale; ces tranches ont
été imprégnées d'acide osmique par la méthode de Marchi, puis incluses à la
celloïdine ; enfin la pièce a été reconstituée pendant l'enrobage par la superposition
de toutes les tranches, et le bloc ainsi obtenu a été débité en zoo coupes d'un dixième
de millimètre. Toutes les coupes ont été montées en série, et si quelques défauts
d'imprégnation au centre de certains morceaux sont venus, par places et sur une
petite étendue, interrompre la continuité des faisceaux dégénérés, les points de repère
sont restés suffisamment rapprochés pour que les trajets aient pu être déterminés avec
une absolue certitude et pour qu'aucun foyer primitif n'ait échappé.
II existe dans la moitié gauche du bulbe quatre foyers primitifs, dont l'un, le plus
grand, est tout récent. Ce premier foyer s'étend sur toute la moitié supérieure du
bulbe ; sa forme générale est triangulaire ; sa hase s'appuie à la pie-mère, son sommet
llÉi111r1 SYOrERGIE, LrITÉROPULSlOi1' ET MYOSIS BUU3 : \IHES 2g7
s'avance dans l'épaisseur de la substance réticulée jusque près du plancher, entre le
faisceau solitaire et le faisceau longitudinal postérieur ; il est limité par un sillon
d'oedème ; dans son épaisseur la myéline des tubes n'a pas encore subi la dégéné-
rescence graisseuse, mais il existe déjà à la périphérie et le long des vaisseaux des
corps granuleux disséminés.
Ce foyer entame la lame postérieure de l'olive, la moitié antérieure de la racine du
trijumeau sur une petite étendue, et sectionne une partie des racines du spinal; il
interrompt forcément le trajet des fibres ascendantes du faisceau antéro-latéral
(faisceau de Gowers); toutefois le faisceau cérébelleux direct, qui passe très tôt en
arrière, paraît lui avoir échappé ; les noyaux situés dans le faisceau latéral du bulbe
sont naturellement englobés. Toutes les dégénérescences secondaires que ce foyer
aurait été capable d'amener, de par sa situation, ne sont certainement pas encore
achevées, car la racine du trijumeau n'a pas dégénéré au-dessous de la section ; néan-
moins les fibres arciformes ont dégénéré à partir du point sectionné et il est possible
qu'au moins une partie de la dégénérescence du ruban de Reil droit lui soit imputable.
Nous n'avons pas constaté au-dessus de lui de dégénérescence répondant au trajet
récemment décrit du faisceau de Gowers vers le cervelet.
Le second foyer est étroit et allongé dans le sens vertical ; son trajet onduleux
s'étend de la partie moyenne à la partie supérieure des olives ; il siège sur les
parties latérales du ruban de Reil, plus ou moins en arrière, suivant le niveau où on
le considère. Certainement plus ancien que le précédent, il est constitué par une
cavité remplie de corps granuleux. Il sectionne la moitié postérieure du ruban de
Reil, les régions internes de la substance réticulée, quelques fascicules de l'hypo-
glosse ; il entame le faisceau longitudinal postérieur et se place au hile de l'olive
de manière à interrompre à la fois les fibres olivaires gauches avant leur entre-
croisement et les fibres olivâtres droites après leur entre-croisement; de là résulte
une dégénérescence bilatérale et symétrique de ces fibres, ou du moins d'une bonne
partie d'entre elles.
Les troisième et quatrième foyers sont peu étendus et constitués par des zones de
myélite plutôt que par des ramollissements. L'un siège sur la partie antérieure du
ruban de Reil, respectée par le foyer précédent, et l'autre sur le faisceau pyramidal.
Nous étudierons les dégénérescences secondaires en envisageant successivement
chaque faisceau au-dessus et au-dessous des foyers.
Le faisceau pyramidal est altéré dans toute la hauteur de la moelle ; nous ne dirons
rien de la disposition de ses.deux portions qui est classique, sinon que la limite externe
du faisceau pyramidal direct ne peut être fixée avec certitude à cause de la présence
du faisceau cérébelleux descendant qui lui est immédiatement juxtaposé. Au-dessus
du foyer il existe quelques fibres dégénérées dans le faisceau pyramidal; on peut les
suivre jusqu'à la capsule interne où elles se groupent dans la partie la plus externe
du segment postérieur (sur les coupes obliques) ; s'agit-il là d'une dégénérescence
rétrograde ? Nous ne pouvons l'affirmer, n'ayant pas suivi les fibres dégénérées jusqu'à à
leur disparition.
Le ruban de Reil gauche, au-dessus des foyers, présente une dégénérescence intense
de sa moitié postérieure : la moitié antérieure est relativement intacte, sauf tout à
fait en avant où il existe une zone de dégénérescence légère consécutive au petit
foyer de myélite signalé plus haut. En remontant dans la protubérance, les fibres
dégénérées suivent le trajet classique du ruban de Reil médian; elles se disséminent
bientôt dans toute l'épaisseur de ce faisceau. Arrivées dans la couche optique, les
fibres dégénérées s'écartent les unes des autres et se raréfient rapidement ; elles
ne forment plus de faisceau compact et occupent toute la région désignée par
298 ~ AFFECTIONS DU CERVELET. .
IIEdIlASYNERC1E, LATÉROPU LSION ET MYOSIS BULBAIRES 299
M. et 1\1"'e Déjerine sous le nom de zone du ruban de Reil médian, à la partie inférieure
du noyeau externe, au-dessous et en dehors du noyau médian, dans lequel elles
pénètrent en grand nombre. On suit cette dégénérescence jusqu'à quelques milli-
mètres au-dessus du point où disparaît le noyau médian, puis toute dégénérescence
cesse, et nous nous sommes assurés qu'aucune des fibres du ruban de Reil ne se
dirige vers l'écorce. Au-dessous des foyers, on observe une dégénérescence centripète
moins intense que la dégénérescence centrifuge, mais parfaitement nette, qui permet
CAn. Corne antérieure. FCC. Faisceau central de calotte. FCd. Faisceau cérébelleux direct.
FD. Faisceau cérébelleux descendant (f. de Marchi). Flp. Faisceau longitudinal postérieur. FlF2FaF.
Foyers de ramollissement. Il Nerf intermédiaire de Wrisberg. NC. Noyau cunéiforme du bulbe.
ND. Noyau de Deiters. NG. Noyau grêle du bulbe. NV. Noyau de la 5° paire. NXII. Noyau de la
12' paire. OG. Fibres olivo-cérébellcuses. PCM. Pédoncule cérébelleux moyen. PCS. Pédoncule céré-
belleux supérieur. V. Nerf trijumeau. N'Il. Nerf facial. VII.. Nerf acoustique. IX. Nerf glosso-
pharyngien. X. Nerf pneumogastrique.
de suivre les fibres dans leur entre-croisement jusqu'aux noyaux d'origine (Goll,
Burdach, trijumeau).
Le ruban de Reil droit présente une zone de dégénérescence légère qui répond
précisément à la région épargnée dans le ruban de Reil gauche et qui provient de
fibres sectionnées à gauche de la ligne médiane avant leur entre-croisement ; ce
sont naturellement les fibres dont l'entre-croisement est le plus élevé qui ont été
ainsi atteintes.
Au-dessous des foyers, dans la région de la substance réticulée qui avoisine le
ruban de Reil et le faisceau longitudinal postérieur, on aperçoit des faisceaux longi-
Fig.. 2 1.
Fig. 17, 18, 19, 20. Coupes du Bulbe. Fig. 21. Coupe de la Protubérance.
3oo AFFECTIONS DU CERVELET
tudinaux dégénérés qui cheminent entre les fibres de l'hypoglosse. Au-dessous des
olives ces fibres sont séparées du ruban de Reil par le corps juxta-olivaire interne ;
elles s'appliquent sur la corne antérieure qu'elles coiffent. Plus bas elles sont séparées
du faisceau pyramidal direct par une mince ligne pâle, puis cette ligne de démar-
cation disparaît ; elles descendent dans la moelle en s'écartant un peu de la corne
antérieure et forment une virgule dont la tête s'adosse au faisceau pyramidal direct
en touchant à la périphérie de la moelle, et dont la queue se perd dans l'épaisseur
du faisceau antéro-latéral, en dedans de la place du faisceau de Gowers. Ces fibres
diminuent rapidement de nombre dans la région cervicale, mais nous avons pu les
suivre jusque dans la région sacrée. Le faisceau répond à la description du faisceau
cérébelleux descendant qui, suivant les auteurs, proviendrait en partie du cervelet, en
partie du noyau de Deiters.
Au-dessus des foyers on trouve à la même place des faisceaux dégénérés, en moins
grand nombre, épars dans la substance réticulée. Un certain nombre de fibres se
recourbent dans la portion postérieure de cette substance réticulée, pour pénétrer
dans le noyau de Deiters où elles s'arrêtent. Nous supposons qu'il s'agit là d'une dégé-
nérescence centripète du faisceau descendant, originaire du noyau de Deiters, plutôt
que de fibres ascendantes venant de la moelle et destinées à ce noyau.
Il existe, en outre, d'autres fibres dégénérées qui se rencontrent jusque dans les
régions supérieures de la calotte.
Le faisceau longitudinal postérieur gauche présente au-dessous des foyers une dégé-
nérescence intense ; mais comme ses fibres se mélangent bientôt à celles du ruban de
Reil, nous n'avons pas pu savoir ce qu'elles deviennent par en bas. En haut il existe
un petit nombre de fibres dégénérées dans le faisceau; par analogie avec ce qui se
passe dans le ruban de Reil, on peut supposer que ces fibres représentent une dégéné-
rescence centripète qui s'étend jusqu'à l'extrémité supérieure du faisceau, sur la face
interne du noyau rouge.
Enfin nous arrivons à la dégénérescence des fibres olivaires, que nous avons pu
suivre dans toute leur étendue jusqu'à leur terminaison. Les libres émanant des deux
olives bulbaires, sectionnées en grand nombre par un foyer unique, comme nous
l'avons dit, forment par leur dégénérescence des boules beaucoup plus petites que les
fibres des autres faisceaux. Elles constituent d'abord les fibres pré-, inter- et rétro-
trigéminales, puis vont se grouper à la partie profonde des corps restiformes, avec
lesquels elles pénètrent dans le cervelet. Bientôt elles traversent en réseau les corps
restiformes et vont se grouper dans leur angle postérieur.
Elles montent ainsi jusqu'à la partie supérieure du corps ciliaire et se recourbent
pour descendre entre l'ernbolus et l'olive, ainsi qu'à la face interne de la moitié posté-
rieure de l'olive où elles prennent part au plexus intraciliaire. Un certain nombre
d'entre elles se dirigent directement dans la toison pendant leur trajet ascendant. Ces
fibres se terminent dans l'embolus et l'olive cérébelleuse, et ne se rendent pas à
l'écorce comme on l'avait supposé. A la dénomination de fibres olivo-cérébelleuses, il
convient donc de substituer celle d'oliva-ciliaires qui indique leur origine dans l'olive
bulbaire et leur terminaison dans le corps ciliaire du côté opposé.
Les faits anatomiques s'adaptent bien aux faits cliniques. L'hémianes-
thésie droite doit être sous la dépendance des lésions du ruban de Reil et
probablement aussi du faisceau de Gowers ; il est à remarquer toutefois
que le sens musculaire n'était pas troublé. La diminution de la sensibi-
lité aux deux côtés de la face peut être expliquée par ce fait que la lésion
du ruban de Reil a atteint à la fois des fibres entre-croisées et des fibres
Ills1119SYiVERGIE, 1,,i TllRoP Ul. SION ET MYOSIS S BULBAIRES S 3oi
non entre-croisées. L'hémiplégie droite, très légère il est vrai, caractéri-
sée par le signe des orteils ainsi que par le mouvement combiné de flexion de
la cuisse et du bassin, bien plus que par l'affaiblissement de la contractilité
volontaire, dépend de la lésion du faisceau pyramidal. La perturbation
dans l'asynergie musculaire, phénomène sur lequel l'un de nous a attiré
l'attention, l'hémiasynergie, qui chez ce malade constituait le principal
trouble de la motilité, est évidemment liée à la lésion des fibres cérébel-
leuses contenues dans le bulbe, mais nous ne savons pas si elle dépend
plus particulièrement de l'altération de tel ou tel système de fibres bul-
baires qui sont en connexion avec le cervelet. Faut-il l'attribuer à la lésion
des fibres olivo-ciliaires ? L'action de ce système dans l'asynergie ne doit
pas être prépondérante en tout cas, car l'asynergie est presque exclusi-
vement limitée à un côté, tandis que la dégénérescence de ces fibres est
bilatérale. Il y a tout lieu de faire jouer un rôle important à la lésion du
faisceau cérébelleux descendant, ou à celle des fibres cérébelleuses conte-
nues dans le faisceau de Gowers. Il est à remarquer que comme dans
l'observation d'hémiasynergie que l'un de nous a publiée autrefois, le
trouble siège du côté de la lésion, contrairement à l'hémianesthésie et à
l'hémiplégie. La latéropulsion, les vertiges, le nystagmus, sont liés aussi
à l'altération des fibres cérébelleuses. La paralysie du voile du palais est
provoquée par l'altération des fibres de la XIe paire qui passent par le foyer
externe. Quant au rétrécissement de la pupille, il n'a rien qui doive sur-
prendre, puisqu'on admet qu'il y a dans le bulbe des fibres irido-dilata-
trices ; mais où siège la lésion qui donne lieu à ce trouble ? Serait-ce dans
le faisceau longitudinal postérieur ? Nous ferons observer enfin que nous
avons été à même de suivre les fibres qui émanent de l'olive bulbaire et
de déterminer le lieu où elles se terminent, la partie postérieure du corps
ciliaire ; elles méritent, par conséquent, d'être dénommées fibres olivo-
ciliaires.
Des faits que nous venons d'exposer, nous déduisons les conclusions
suivantes : -.
i° Les fibres émanées de l'olive bulbaire aboutissent à la partie posté-
rieure du corps ciliaire du cervelet ; elles méritent par conséquent le
nom de fibres olivo-ciliaires ;
2° Une lésion unilatérale du bulbe peut donner naissance à une hémia-
nesthésie exclusivement relative au sens thermique et au sens de la dou-
leur, comme l'anesthésie syringomyélique ;
3° Une lésion unilatérale du bulbe peut provoquer des troubles oculo-
pupillaires qui consistent en un rétrécissement de la pupille, une dimi-
nution de la l'ente palpébrale, ainsi qu'en une rétropulsion du globe ocu-
laire et qui paraissent semblables à ceux qui résultent de la section des
deux premières paires dorsales ;
1,° Une lésion unilatérale du bulbe peut produire un syndrome ou plu-
tôt une association de syndromes dont les traits essentiels sont des vertiges,
une hémiplégie et une hémianesthésie du côté opposé à la lésion, une
hémiasynergie, de la latéropulsion et du myosis du côté de la lésion.
AFFECTIONS DU BULBE
IV ?
THERMO-ASYMÉTRIE D'ORIGINE BULBAIRE
[J. Babinski.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du Il mai igo.,).
E présente un malade dont l'étude montre qu'une lésion bulbaire peut,
j sans atteindre la motilité volontaire, donner lieu à des troubles
i vaso-moteurs et thermiques à forme hémiplégique.
Voici cette observation :
B..., âgé de 35 ans, sommelier, entre le 9 mars igo5 à l'hôpital de la Pitié.
Il a toujours joui d'une excellente santé.
A 33 ans érysipèle.
Pas d'alcoolisme (quoique sommelier); pas de syphilis.
En septembre igo4, B..., qui avait prêté tout son avoir à un ami, a été ruiné par la
faillite de ce dernier. Il en éprouva de grands soucis, quitta sa place de sommelier et
tomba dans une profonde misère, restant parfois plusieurs jours sans manger.
Le 6 mars dernier, au soir, il est pris de vertiges et de titubation pendant un quart
d'heure environ. Il dîne, se couche et dort assez bien.
Le 7 mars, en se réveillant, il éprouve une sensation de froid dans tout le côté droit
du corps; il constate au toucher que ce côté est, en effet, plus froid que le ganche.
La sensation de froid est profonde ; il l'éprouve « même dans les entrailles », dit-il.
Le 8 mars, un ami lui fait remarquer que son oeil gauche est plus petit que le droit
et tout injecté de sang; le malade ne s'en était pas aperçu.
C'est pour ces troubles thermiques et oculaires, ainsi que pour une certaine gêne
dans la déglutition, que B... vient consulter à la Pitié, le g mars au matin.
r) mars. B... est grand, bien constitué et robuste. On remarque une diminution d'ou-
verture de la fente palpébrale gauche, un certain degré d'enophtalmie et du myosis ;
les réflexes pupillaires sont d'ailleurs normaux des deux côtés.
Du côté droit, où le malade éprouve une sensation de froid, on constate un refroi-
dissement très net de la face, du corps et des membres. Un thermomètre placé dans
Tllis'RillO-i1 SYIII;TRII D'ORIGINF BULBAIRE 3o3
la main fermée marque à gauche 35°,4, à droite 34°,3 seulement. Les veines du dos
de la main sont moins saillantes à droite qu'à gauche où elles ont un aspect normal.
Les réflexes tendineux et les réflexes cutanés sont normaux. La motilité volontaire
n'est aucunement troublée.
L'examen de la sensibilité révèle dans tout le côté droit du corps, sauf à la face,
une dissociation à forme syringomyélique des divers modes de la sensibilité.
Rien au coeur. Les appareils pleuro-pulmonaire et génito-urinaire sont sains.
L'appareil digestif fonctionne bien, si ce n'est que le malade se plaint de déglutir
difficilement ; il n'avale ses aliments qu'avec peine et doit boire presque après chaque
bouchée. Il localise ces troubles de la déglutition dans la moitié droite du pharynx. Il
n'existe aucune paralysie du voile ; le malade ne rejette pas les liquides par le nez.
Les fonctions visuelles et les fonctions auditives sont normales.
Le malade, qui, depuis l'enfance, souffrait de sueurs profuses aux pieds, au point
d'être obligé de changer trois fois par jour de chaussettes, ne transpire plus depuis le
15 janvier, sans avoir subi aucun traitement spécial.
Le // mars au soir le malade sent tout à coup que sa main droite se réchauffe, que
le sang y circule largement ; il constate aussi que les veines dorsales, affaissées depuis
le léger ictus initial, reprennent brusquement leur saillie normale.
12 mars. La dissociation syringomyélique a disparu à la main droite et à la moitié
droite de la face. Au membre inférieur, au bras, à l'avant-bras droits et sur la moitié
droite du tronc l'application d'un morceau de glace éveille une vive sensation de
chaleur. La température est à peu près égale des deux côtés du corps et les veines de
la main sont presque aussi saillantes à droite qu'à gauche.
Les deux mains sont immergées vers 10 heures du matin pendant quelques minutes
dans de l'eau froide ; à leur sortie de l'eau elles restent environ quatre à cinq minutes
aussi froides l'une que l'autre et les veines sous-cutanées sont effacées des deux côtés ;
puis la main gauche s'échauffe, ses veines se dilatent, tandis que la main droite reste
plusieurs heures manifestement plus froide et les veines sous-cutanées sont aplaties;
ce n'est que vers 3 heures de l'après-midi que la symétrie thermique et vasculaire se
rétablit à peu près, au moins en apparence.
13 mars. Les veines du dos de la main sont plus saillantes à gauche qu'à droite ; la
main droite est un peu plus rouge que la gauche.
Quand le malade lève ses mains en l'air, la saillie des veines disparaît au dos de la
main gauche ; les deux mains tendent à pâlir, la gauche plus vite que la droite ; à un
moment donné, la différence de coloration des deux mains est maxima; puis les deux
mains deviennent à peu près également pâles.
On remarque au coude droit une rougeur qui n'existe pas à gauche.
/J mars. Les extrémités présentent la même température des deux côtés ; après
immersion prolongée dans de l'eau froide, la main droite redevient plus froide que la
gauche, mais elle reprend plus vite que le tg mars sa température normale.
rer avril. La différence de température, après l'épreuve de l'eau froide, apparait tou-
jours au niveau des mains, mais elle est moins accentuée et moins durable qu'au début.
La sensibilité est redevenue presque normale ; il n'existe plus, à droite, qu'une très
légère hypoesthésie à la température et à la piqûre.
La fente palpébrale gauche est presque aussi ouverte que la droite; la rétraction de
l'oeil et le myosis sont très peu prononcés.
Mon ami le Dr Hallion a bien voulu, ce dont je le remercie, explorer
comparativement des deux côtés l'état de la vasomotilité de ce malade,
à l'aide du pléthysmographe dont il est l'inventeur.
3nli AFFECTIONS oS DU BULBE E
Voici la note qu'il m'a remise relatant le résultat de son examen renou-
velé plusieurs jours de suite et accompagnée de quelques indications
précieuses à l'usage de ceux qui ne sont pas initiés à cet ordre de
recherches.
Technique. Chacune des deux mains est munie d'un pléthysmographe d'Hallion et
Comte, qui fournit l'indication du pouls capillaire et des variations de volume de
l'index et du médius. Les deux tracés sont recueillis par des tamhours de Marey très
sensibles, montés par M. Verdin ; ils s'inscrivent simultanément.
Pour établir avec une parfaite certitude la comparaison entre les deux mains
explorées ainsi de façon symétrique, on élimine les différences qui pourraient tenir à
des écarts de sensibilité entre les pléthysmographes ou entre les tambours : pour cela,
on intervertit quelquefois les appareils d'une main à l'autre, ou bien, avec le même
appareil, on explore alternativement les deux mains.
Nous avons pu, avec ce dispositif, étudier la manière d'être des réflexes vaso-
constricteurs. Pour cela, tandis que s'inscrivent le pouls capillaire et le volume des
doigts de chaque côté, nous appliquons de la glace soit sur la face dorsale d'une des
deux mains, soit sur la nuque, ou sur les parties latérales du cou.
On sait que chez un sujet normal, il se produit, sous l'influence d'une impression
de froid, une vaso-constriction réflexe, notamment dans les extrémités supérieures.
Cette vaso-constriction se traduit par deux phénomènes : d'une part, le pouls capillaire
diminue d'amplitude ; d'autre part et surtout, le volume total de l'organe exploré
décroit, par suite du resserrement de ses vaisseaux. Le phénomène évolue avec lenteur :
la diminution de volume des doigts commence presque aussitôt après la sensation pro-
vocatrice, s'accentue pendant quelques secondes, se maintient assez longtemps, puis
s'efface progressivement. La courbe pléthysmographique qui en résulte est bien carac-
téristique. Elle se développe avec une rapidité et une ampleur un peu variables, sui-
vant certaines conditions physiologiques; mais, chez un sujet normal, quand les deux
mains sont dans les mêmes conditions, les courbes se correspondent exactement d'un
côté à l'autre, évoluent de la même façon, quels que soient d'ailleurs la région et le
côté sur lesquels a porté l'impression du froid.
Une excitation psychique engendre les mêmes réflexes vasculaires : c'est ainsi que
le geste seul d'approcher la glace de la peau, la simple menace de réfrigération que ce
geste implique, produit une vaso-constriction très nette, quoique moins intense, en
général, que celle qui suit la sensation effective.
Disons tout de suite que l'étude de ces réflexes de cause psychique nous a donné,
dans le cas pathologique dont il est question ici, exactement les mêmes résultats que
les réflexes proprement dits déterminés par le froid.
Pour comparer, au point de vue de leur intensité, les modifications vasomotrices
réflexes simultanément engendrées d'un côté et de l'autre, il va sans dire qu'il faut tenir
compte de la sensibilité des appareils inscripteurs, et s'assurer que, pour une variation
équivalente communiquée aux deux tambours, ces deux tambours inscrivent des indi-
cations équivalentes ou des indications de valeur différente dont on établit le rapport.
Dans ce deuxième cas, si, au cours de l'expérience, c'est l'organe en rapport avec le
tambour le moins sensible qui fournit la courbe de vaso-constriction la plus ample, on
peut conclure a fortiori que c'est lui qui a présenté réellement la vaso-constriction la
plus considérable.
Enfin, pour étudier en détail l'évolution des phénomènes comparativement dans les
deux mains, il faut tracer avec soin, sur chacune des deux courbes à comparer, des
repères correspondant respectivement à un moment identique.
'IIER ! l0-1.S)'VIÉTRIE D'ORIGINE BULBAIRE 3o5
Tels sont les détails les plus importants relatifs à la technique.
Principaux faits observés chez le malade B... - 10 Sans aucun doute possible, le pouls
capillaire est beaucoup plus ample du coté gauche que du coté droit. Il y a donc vaso-dilata-
tion relative du côté gauche, ou vaso-constriction relative du côté droit. A la vérité,
cette constatation ne fait que confirmer une conclusion que les différences thermiques
et les écarts de turgescence veineuse suffisaient à imposer.
2° Les réflexes vaso-constricleurs sont conservés du côté gauche comme du coté droit. La
recherche de ce dernier point était importante au point de vue que voici. Si les
réflexes vaso-constricteurs s'étaient trouvés abolis à gauche, on aurait pu conclure que
la différence de vascularisation constatée était due à une suppression d'action des
centres vaso-constricteurs correspondant à la main gauche : abolition du tonus
vasculaire entretenu par ces centres, d'où vaso-dilatation relative dans cette main, et
élévation relative de sa température superficielle.
3° Lorqu'un sujet sain est dans un milieu relativement froid, les vaisseaux de la
main sont relativement contractés. Lorsqu'il passe de là dans un milieu chaud, ces
mêmes vaisseaux se dilatent progressivement. Que se produit-il, chez notre malade,
lorsqu'il arrive et séjourne dans la pièce assez fortement chauffée où se sont faites les
expériences que nous rapportons ? Au moment où il arrive, nous explorons son
pouls capillaire : à ce moment, la différence d'amplitude du pouls, que nous avons
signalée entre les deux mains, est au maximum : à droite, pouls capillaire extrêmement
faible ; à gauche, pouls capillaire beaucoup plus fort. Ensuite, à mesure que l'expé-
rience se poursuit, on voit, de minute en minute, l'amplitude des pulsations augmenter.
Elle augmente dans les deux mains, mais surtout dans la main où elle était d'abord
le plus faible, si bien que les deux pouls capillaires tendent à s'égaliser, sans que
nous les ayons vus pourtant, même au bout d'une heure environ, arriver à une ampli-
tude équivalente.
110 Dans ces mêmes conditions, que deviennent les réflexes vaso-constricteurs : '
Considérons-les d'abord au début de l'expérience, quand le sujet vient de pénétrer
dans la pièce chaude. A ce moment, le réflexe se présente avec des caractères diffé-
rents à droite et à gauche. A droite (là où le pouls capillaire est le plus faible) la
vaso-constriction est plus lente à apparaître, plus lente à se parfaire, plus lente à se
dissiper ; elle est parfois précédée d'une vaso-dilalation légère et fugace, durant trois
ou quatre secondes.
Plus tard, quand le pouls capillaire de la main droite s'est amplifié fortement, cette
différence disparaît : le réflexe vaso-constricteur évolue avec un parfait parallélisme
des deux côtés, au point de vue de la durée des phases successives.
Une différence persiste : l'ampleur de la vaso-constriction reste moindre à droite
qu'à gauche, moindre donc du côté le moins abondamment irrigué, le moins pulsatile.
En résumé, il existe, dans les conditions que nous avons dites, une double différence
entre les courbes vaso-constrictives réflexes : différence d'amplitude, différence de forme.
La différence d'amplitude trouve son explication, ou plutôt une explication simple
dans ce fait qu'à égalité de valeur de l'influence nerveuse vaso-constrictive, on
comprend que la quantité de sang exprimée par les vaisseaux soit d'autant plus
grande, et par suite la diminution de volume de l'organe d'autant plus marquée que
les vaisseaux étaient dans un état plus marqué de turgescence initiale.
Quant aux différence de forme, il faudra déterminer, par des expériences réalisées
soit sur l'animal, soit sur des sujets sains, qu'on soumettra à des influences vaso-
constrictives ou vaso-dilatatrices unilatérales, leur signification précise. On saura
peut-être alors quelle part il convient d'attrihuer dans l'interprétation pathogéniquc
des phénomènes observés, aux nuances que nous avons relevées.
Babinski. , 10
So6 AFFECTIONS DU BULBE
Il me parait incontestable que les troubles observés chez ce malade
sont liés à une lésion occupant le côté gauche du bulbe ou de la région
bulbo-protubérantielle, qui seule peut donner lieu à la fois à des vertiges,
de la titubation, à de l'hémianesthésie à type syringomyélique à droite, et
au syndrome oculo-palpébral de Claude Bernard-Hutchinson, à gauche.
Quelle est la nature de cette lésion ? Il m'est impossible de le dire ; je
suis simplement en droit de penser qu'il s'agit d'altérations peu pro-
fondes, puisque les troubles se sont rapidement atténués. Je ne suis pas
non plus en mesure de déterminer la relation qu'il peut y avoir entre la
lésion bulbaire et la suppression de la transpiration des pieds signalée par
le malade ; cette perturbation aurait-elle joué un rôle dans la genèse des
lésions bulbaires, ou, au contraire, aurait-elle été la première manifesta-
tion de la lésion, ou bien ne se serait-il agi là que d'une simple coïnci-
dence ? Je l'ignore. Peu importe, d'ailleurs, au point de vue de ce qui m'oc-
cupe principalement ici, que sur ces diverses questions il soit impossible
de se prononcer.
Ce sont les troubles vaso moteurs et thermiques qui me paraissent
constituer la particularité curieuse de ce fait. A la vérité, des phéno-
mènes de ce genre ne sont pas exceptionnels dans les affections du sys-
tème nerveux central et il n'est pas rare de les constater dans l'hémiplégie
organique, à laquelle ils semblent alors liés ; mais dans le cas qui nous
occupe ils sont indépendants de toute perturbation de la motilité volon-
taire et leur autonomie en augmente l'intérêt.
Une question se présente tout naturellement à l'esprit : s'agit-il d'une
vaso-dilatation et d'une hyperthermie du côté gauche, ou d'une vaso-
constriction et d'une hypothermie à droite ? J'avoue que j'incline vers la
seconde hypothèse pour les motifs suivants. a) Le malade s'est toujours
plaint d'éprouver une sensation anormale il droite; le côté gauche ne lui
a jamais semblé plus chaud qu'il ne devait être, mais dès le début il a eu
une impression de froid au côté droit; b) lorsque, cinq jours après l'ic-
tus, la symétrie thermique des deux côtés du corps s'est complètement
rétablie, ce n'est pas le côté gauche dont la température s'est abaissée,
mais c'est le côté droit qui s'est échauffé et c'est de ce côté que les veines,
en se dilatant, ont manifesté une modification dans leur forme ; c) enfin,
l'immersion des mains dans l'eau froide a provoqué une réfrigération
d'une durée de quelques minutes seulement à gauche et de plusieurs
heures à droite ; or, il mc parait difficile de ne pas considérer comme
pathologique une vaso-constriction réflexe aussi prolongée. Néanmoins,
comme ces divers arguments n'ont peut-être pas une valeur absolument
décisive, je ne me crois pas en droit d'émettre à ce sujet une opinion
ferme et je me contente, jusqu'à nouvel ordre, de cette constatation qu'une
lésion bulbaire unilatérale est capable de provoquer une rupture de la
symétrie des deux côtés du corps au point de vue de la vaso-motilité et de
la température. Cette perturbation peut être brièvement dénommée une
tltenno-asymp trie.
AFFECTIONS DU LABYRINTHE
V
AFFECTIONS DE L'APPAREIL VESTIBULAIRE
¡J. Babinski.]
Publié dans les Comptes-Rendus de la Société de Biologie
26 Janvier igoi.
1" troubles ou vertige voltaïque.
Ewald et Pollack ont noté que, dans les explorations électriques
fait défaut dans une proportion de 3o pour 100 et ont remarqué
dans ces cas une « résistance » à l'action du courant. J'ai depuis établi
que les perturbations du vertige voltaïque dans les affections labyrinthi-
ques se présentent sous divers aspects ; les unes sont d'ordre subjectif,
les autres sont d'ordre objectif.
Voyons d'abord les premières, elles portent sur les sensations de dépla-
cement, de rotation, qui peuvent être exagérées, affaiblies ou abolies.
Tandis qu'à l'état normal, avec un courant peut intense, de 1 à 3 milli-
ampères, ces phénomènes sont généralement très tolérables et disparais-
sent dès que l'électrisation est terminée, un courant semblable, de quel-
ques secondes de durée, peut en cas de trouble labyrinthique provoquer
des sensations anormales fort désagréables, susceptibles de se prolonger
pendant des heures.
Par contre les affections destructives du labyrinthe ont pour consé-
quence une diminution ou une abolition de la sensation de vertige, per-
mettant parfois aux malades de supporter, sans être incommodés, des
courants de 10, 15 milliampères et même d'une intensité encore plus
grande.
308 Il F F E C l' JO N S DU LABYRINTHE
Passons aux phénomènes objectifs ;
La résistance au courant voltaïque - ou plus exactement à l'excitation
provoquée par ce 'courant est ordinairement exagérée et, dans les affec-
tions bilatérales, c'est là le caractère le plus saillant. Le degré de cette
résistance est plus ou moins élevé ; parfois, malgré un courant atteignant
15 ou 20 milliampères l'inclination de la tète fait totalement défaut, au
lieu qu'à l'état normal elle est généralement perceptible avec un courant
de 1 à 2 milliampères.
Cette augmentation de résistance peut s'observer aussi dans des cas
de tumeur intra-crânienne accompagnée d'oedème cérébral et d'hyperten-
sion du liquide céphalo-rachidien ; mais elle n'est pas constante, tant s'en
faut.
Très souvent l'inclination et la rotation sont remplacées par un mou-
vement de la tête en arrière. Parfois, bien plus rarement, la tête se porte
en avant.
Dans certains cas, pendant le passage du courant, on voit la tète exé-
cuter des mouvements alternatifs d'inclination à gauche et à droite ; c'est
là un phénomène auquel s'applique fort bien la dénomination de « nys-
tagmus céphalique ».
Dans les affections vestibulaires qui siègent exclusivement ou prédo-
minent d'un côté, on observe communément un trouble que j'ai appelé :
« l'inclination unilatérale » et qui présente des modalités variées. Tantôt,
quel que soit le sens du courant, la tête s'incline du côté de l'oreille
malade ; en pareil cas, à l'ouverture du courant, la tête reprend immédia-
tement sa position primitive ou bien exécute d'abord un mouvement brus-
que qui augmente encore l'inclination provoquée par le passage du cou-
rant. Tantôt la tête s'incline, comme à l'état normal, du côté du pôle
positif, mais le mouvement est plus étendu d'un côté que de l'autre. Par-
fois la tète s'incline du côté malade lorsque le pôle positif occupe ce côté
et, quand on intervertit le sens du courant, au lieu de s'incliner, elle se
porte en arrière.
D'autres fois enfin, l'inclination parait se faire exclusivement du côté
sain, comme dans les expériences de Weill, Vincent et Barré (destruction
complète du labyrinthe chez le cobaye).
La rotation de la tête subit fréquemment aussi des modifications. Elle
peut être exclusivement unilatérale, quel que soit le sens du courant, et
s'opérer du même côté que l'inclination ou du côté opposé.
L'inclination ou la rotation unilatérale peut être plus ou moins pro-
noncée, mais son intensité ne donne aucunement la mesure de l'intensité
de la lésion.
Enfin, le nystagmus provoqué à l'état physiologique par le courant
électrique peut manquer.
Telles sont les principales variétés du vertige voltaïque à l'état patholo-
gique.
D'après ce qui précède je crois pouvoir affirmer que les divers phéno-
mènes dont j'ai fait l'exposé expriment tous un trouble de l'appareil
AFFECTIONS DE L'APPAREIL VESTIBULAIRE 3og
vestibulaire et permettent parfois de reconnaître des perturbations encore
très légères.
Les modifications du vertige voltaïque s'associent très souvent à celles
du réflexe calorique ou giratoire mais, et c'est là un point essentiel, elles
ne sont pas nécessairement liées les unes aux autres. J'ai observé bien des
malades atteints de lésion auriculaire dont le réflexe calorique était nor-
mal et chez lesquels l'exploration électrique avait révélé l'existence d'une
altération vestibulaire. Par contre on peut constater un reste de vertige
voltaïque, une conservation du nystagmus électrique chez des malades
qui n'ont plus trace de nystagmus calorique.
2" TROUBLES DE la déviation ET DES mouvements réactionnels.
Ils sont comparables à ceux de l'inclination et de la rotation voltaïque.
On constatera en règle générale l'unilatéralité ou la prédominance des
réactions du côté malade ou le plus atteint.
Quand les lésions vestibulaires sont unilatérales ou prédominent d'un
côté, la déviation angulaire spontanée sera constante vers ce côté.
Les déviations et les contredéviations provoquées seront unilatérales
ou prédominantes en direction du côté lésé ou le plus touché.
L'asymétrie, d'ailleurs, ne doit être considérée comme pathologique que
lorsqu'elle est notable et constante. Cette notion de constance dans les
anomalies observées est commune d'ailleurs à toutes les épreuves vestibu-
laires.
La recherche de ces anomalies, ne provoquant aucun malaise, peut être
renouvelée sans inconvénient. On doit cependant avoir soin de laisser un
certain intervalle entre deux expériences successives, pour être sûr que
nul vestige de la précédente épreuve ne viendra fausser les résultats de
celle que l'on entreprend à nouveau. Il faudra s'assurer que les phéno-
mènes de déviation sont bien épuisés.
Leur persistance indique du reste un état pathologique ; la sensibilisa-
tion produite par l'épreuve initiale peut mettre en évidence une déviation
spontanée pathologique qui tout d'abord ne s'était pas manifestée.
Ces divers signes permettent donc de déceler des altérations même
superficielles du labyrinthe postérieur. Ils fournissent d'importants élé-
ments d'appréciation lorsqu'il s'agit de différencier une affection auricu-
laire vraie d'un trouble imaginaire ayant la suggestion pour cause, ou
encore quand on soupçonne la simulation.
Ils peuvent contribuer à établir le diagnostic d'une affection organique
du système nerveux central et comptent parmi les manifestations objec-
tives précoces des tumeurs ponto-cérébelleuses.
SIXIÈME PARTIE
PARAPLÉGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
1. SCLÉROSE EN PLAQUES. PARAPLÉGIES
I
SCLÉROSE EN PLAQUESO
[J. Babinski.]
Extrait de la thèse de J. Babinski. r 885.
i" L'absence habituelle de dégénérations secondaires dans la sclérose
en plaques ne constitue pas une dérogation à la loi Wallérienne. Cette
apparente anomalie tient à ce que les cylindres-axes sont ordinairement
conservés dans les plaques de sclérose. Dans les cas où l'intégrité n'est
pas complète, il se développe, comme dans les autres affections destruc-
tives du système nerveux central, des dégénérations secondaires dont
l'intensité est en rapport avec le nombre des cylindres-axes détruits.
2° La destruction des gaines de myéline dans la sclérose en plaques,
loin d'être sous la dépendance d'un phénomène mécanique, d'une compres-
sion exercée sur les tubes nerveux par le tissu conjonctif de nouvelle
formation, est liée au contraire à un phénomène vital et résulte principa-
lement de l'activité nutritive des cellules de la névroglie et des cellules lym-
phatiques.
3° La nature de la dégénération des tubes nerveux, analogue à celle qui
s'observe dans le bout central d'un nerf sectionné, au voisinage de la sec-
tion, la persistance d'un grand nombre de cylindres-axes dénudés, l'in-
tensité des altérations des parois vasculaires, la disparition souvent
complète de la myéline au centre des ilots de sclérose, constituent au
(') M. J. Babinski a consacré sa thèse inaugurale (t885) à la sclérose en plaques : Etude anatomique
et clinique sur la sclérose en plaques (i vol., 15o pages, chez Masson, à Paris). (N. D. L. R.)
Voici les conclusions de cette thèse qui marqua une époque dans l'histoire alors récente de la
sclérose en plaques, et posait des problèmes dont plusieurs restent d'actualité.
311 fI PIRaIPLÉG1ES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
point de vue histologique les traits essentiels de la sclérose en plaques.
La nature de la dégénération des tubes nerveux, analogue à celle
qui s'observe dans le bout périphérique d'un nerf sectionné, l'absence de
cylindres-axes dénudés, le peu d'intensité des lésions vasculaires, la per-
sistance au milieu du tissu de sclérose d'un grand nombre de tubes à
myéline, donnent à la sclérose systématique secondaire des caractères
distinctifs.
S" Par la persistance possible d'un certain nombre de cylindres-axes
dénudés, par l'intensité des altérations vasculaires, par la disparition
parfois complète de la myéline dans les faisceaux sclérosés, la sclérose
tabétique se rapproche davantage, au point de vue de ses caractères
histologiques, de la sclérose en plaques que de la sclérose secondaire.
6° La régénération des tubes nerveux de la moelle chez l'homme avec
retour des fonctions, si tant est est qu'elle soit possible, n'est que tout à
fait exceptionnelle.
Il résulte que la disparition de phénomènes paralytiques, chez un
sujet atteint de myélite, indique d'une façon presque certaine qu'il s'agit
d'une myélite non destructive et peut conduire au diagnostic de sclérose
en plaques.
7° L'hémiplégie dans la sclérose en plaques n'est pas toujours consé-
cutive à une attaque apoplectiforme ; elle peut se développer progressive-
ment. L'hémiplégie constitue parfois dans la sclérose en plaques pendant
un temps plus ou. moins long le trait le plus saillant du tableau sympto-
matique et peut donner l'idée d'une lésion cérébrale en foyer.
8" Des plaques de sclérose disséminées dans la moelle peuvent, lorsque
les cylindres-axes sont détruits, se manifester cliniquement par les symp-
tômes qu'on observe dans la myélite circonscrite destructive (paralysie et
anesthésie des membres inférieurs, troubles dans les fonctions de la ves-
sie et du rectum, eschares), Il y a peut-être lieu de désigner une pareille
affection sous le nom de sclérose en plaques à forme destructive.
9° La sclérose en plaques dont la marche est d'habitude éminemment
chronique peut présenter une évolution aiguë. On peut dire dans ces cas
qu'on a affaire à une forme aiguë de la sclérose en plaques.
10° Il existe une affection dont la symptomatologie est exactement celle
de la sclérose en plaques et dont les lésions échappent complètement à
nos moyens d'investigation. On peut la dénommer : pseudo-sclérose en
plaques. ' ,
II
SUR UNE FORME DE PARAPLÉGIE SPASMODIQUE CONSÉ-
CUTIVE A UNE LÉSION ORGANIQUE ET SANS DÉGÉNÉRA-
TION DU SYSTÈME PYRAMIDAL.
[J. Babinski.]
Publié dans les Bulletins et Mémoires de la Société médicale des Hôpitaux de Paris.
Séance du 24 mars 18qq.
E viens faire part à la Société médicale de quelques observations
contracture des membres inférieurs, de paraplégie spasmodique,
qui se distingue par son aspect clinique et ses caractères anatomiques.
Voici d'abord l'exposé des faits que j'ai observés :
Observation I. L. Michel, âgée de cinquante ans, entre le 18 juillet 18q5 dans
mon service à l'hôpital de la Pitié.
Rien d'intéressant à noter au point de vue des antécédents héréditaires. La malade
n'a pas eu la syphilis.
Elle souffre depuis deux ans de douleurs de tête qui seraient survenues à la suite
d'un chagrin, qui se sont progressivement accentuées et se sont accompagnées d'une
diminution de l'aptitude au travail et des facultés intellectuelles, de troubles de la
vision, de vertiges, de nausées, ainsi que d'un affaiblissement de la motilité.
L. Michel donne elle-même, à son entrée à l'hôpital, les renseignements qui pré-
cèdent et parait avoir sa lucidité d'esprit; toutefois une conversation prolongée la
fatigue et les diverses réponses qu'elle fait alors aux questions qu'on lui pose ne
sont pas en tous points concordantes. L'examen du fond de l'oeil décèle l'existence
d'une névrite optique double ; le réflexe des pupilles à la lumière est faible. La
malade est en état de circuler dans la salle, mais elle ne peut le faire qu'avec beau-
coup de modération et ne tarde pas, après avoir marché, à éprouver le besoin de se
reposer. Les réflexes des tendons rotuliens et des tendons d'Achille sont forts, sans
être manifestement exagérés ; on ne peut provoquer de trépidation épileptoïde du
pied. Le chatouillement de la plante des pieds donne lieu à de la flexion des orteils
sur le métatarse. ' .
L'état de L. Michel s'aggrave rapidement. La céphalée devient très forte ; elle occupe
316 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
le front ainsi que la région occipitale et rend le sommeil difficile. L'intelligence se
trouble; la malade devient sujette à des accès d'agitation et présente par moments de
l'incohérence dans les idées. Mon ami, le Dr Parinaud, qui l'a examinée le 12 août au
point de vue oculaire, me remet la note suivante :
« Réflexes pupillaires faibles à la lumière ; névrite oedémateuse double ; champ visuel
impossible à examiner en raison des réponses incohérentes de la malade ; acuité
visuelle OD = 5 OG = 35· »
15 35
Pendant une période de deux mois, la situation ne se modifie pas d'une manière
très notable, mais continue toutefois à s'aggraver.
Voici le résultat d'un nouvel examen pratiqué par le Dr Parinaud le 7 octobre.
« Pupilles dilatées, réactions pupillaires nulles ; la névrite persiste avec peu
d'étranglement des vaisseaux ; la vision s'est fortement affaiblie depuis le premier
examen. »
A la fin de novembre 1895, la cécité devient complète; la céphalée et les autres
symptômes sus-énumérés persistent, les troubles mentaux augmentent encore d'in-
tensité, et la faculté de marcher, après s'être progressivement affaiblie, finit par
disparaître. Néanmoins, au lit, la malade est en mesure de mouvoir ses membres
qui ne sont ni contractures ni atrophiés , les muscles réagissent normalement aux
excitations électriques et les réflexes tendineux ainsi que le réflexe cutané plantaire
sont normaux.
Au commencement de janvier 1896, on constate que la malade a une tendance à
maintenir les cuisses fléchies sur le bassin et les jambes fléchies sur les cuisses,
que les membres inférieurs présentent un peu de raideur et que de temps en temps
apparaissent des mouvements spasmodiques accompagnés de douleurs qui accentuent
la flexion des cuisses et des jambes. Les réflexes tendineux et le réflexe cutané
plantaire présentent toujours les mêmes caractères et on ne peut pas provoquer
d'épilepsie spinale.
Dans les premiers jours de février, la raideur des membres inférieurs devient
beaucoup plus forte. Des deux côtés la cuisse est en état de flexion, d'adduction et de
rotation en dedans et la jambe est fléchie au point que le talon est en contact avec
la cuisse ; le pied est fléchi sur la jambe et les orteils sont étendus sur le pied. La
Fig. 22. (Obs. I). Contracture des membres inférieurs, du membre supérieur droit et du cou.
(Mars 18gô, d'après une photographie.)
SUR UNE FORME DE PARAPLÉGIE SPASMODIQUE 317
malade maintient toujours les membres dans cette position. On peut arriver par des
tractions énergiques à modifier dans une certaine mesure cette attitude vicieuse ;
toutefois, on ne parvient pas à étendre d'une façon complète la jambe sur la cuisse ni
à porter la cuisse en rotation en dehors. De plus, ces tractions font pousser des cris
à la malade, et les membres, dès qu'on les abandonne à eux-mêmes, exécutent des
mouvements spasmodiques qui les ramènent, et au delà, à la position primitive ; en
même temps, les pieds sont pris d'un tremblement à oscillations très fréquentes bien
distinct de la trépidation épileptoïde et consistant en une série de mouvements de
flexion et d'extension ; les réflexes tendineux, difficiles à explorer, à la vérité,
paraissent normaux. La sensibilité au tact des membres semble un peu diminuée, la
sensibilité à la piqûre et au froid est normale. La contractilité électrique des muscles
des membres inférieurs est aussi normale. La malade délire et ne répond pas aux
questions qu'on lui pose.
A la fin de février, l'attitude des membres inférieurs étant restée la même, la sen-
sibilité au tact s'est affaiblie, surtout à droite, et des phlyctènes se sont développées
Fig. 23 (Obs. I). - La place de la tumeur est indiquée en pointillé.
Compression de la protubérance :
Fig. 24 (Obs. I). Compression du bulbe et refoulement des lamelles cérébelleuses.
P. Ch. extrémité du plexus choroïde.
318
PARAPLÉGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
au sacrum, aux cuisses, aux jambes et aux pieds. Il y a de l'incontinence d'urine et
des matières fécales.
Au commencement de mars, on note de nouveaux troubles. Il y a de la raideur des
membres supérieurs, plus prononcée à droite qu'à gauche; la main gauche est agitée
par moments d'un tremblement à oscillations rapides ; les réflexes tendineux et osseux
des membres supérieurs sont normaux. Parfois la malade soulève un bras et le main-
tient pendant dix minutes, plus longtemps même, dans cette position, sorte d'attitude
cataleptoïde. Il y a aussi de la raideur du cou avec inclinaison à gauche de la tête
qu'on a beaucoup de peine à redresser. Les muscles sont dans un état d'hyperexcita-
bilité remarquable ; à la face, le moindre choc avec un marteau à percussion provoque
une contraction analogue à celle qui résulterait d'une excitation électrique ; on
observe les mômes phénomènes, mais un peu moins prononcés, aux membres infé-
rieurs ; parfois la percussion
des muscles de la jambe
donne lieu, en même temps
qu'à une contraction de ces
muscles, à des secousses
dans les muscles de la par-
tie supérieure du corps, des
pectoraux en particulier. La
percussion des tendons ro-
tuliens ne provoque aucun
mouvement réflexe, ce qui
paraît dû à l'intensité de la
contracture. Il se développe
de nouvelles phlyctènes.
Dans le courant de mars,
des eschares se forment au
sacrum et au niveau des
trochanters. La contracture
des membres supérieurs
s'accentue, surtout à droite;
de ce côté les doigts sont en flexion forcée, il faut exercer une forte traction pour
ouvrir la main.
Ces divers troubles persistent et s'aggravent encore dans la suite ; la malade se
cachectise et succombe le 15 avril 1896.
. Examen anatomique ? ). - Il existe sur le côté droit de la région bulbo-protubéran-
tielle une tumeur grosse comme une petite noix, qui a refoulé et déformé les tissus
nerveux à son voisinage, sans toutefois produire de destructions notables. Cette
tumeur est kystique, elle est constituée par un sarcome angiolithique et parait s'être
développée aux dépens de l'extrémité du plexus choroïde du 4e ventricule ; on sait
qu'il existe un diverticule qui part de l'angle externe du 4c ventricule, contourne la
partie supérieure du corps restiforme et vient toucher les nerfs mixtes à leur émer-
gence ; dans ce diverticule se trouve un plexus choroïde qui paraît avoir été l'origine
de la tumeur. Par son développement, cette tumeur s'est creusé une loge en refoulant
(1) L'examen hislologique a été pratiqué chez ce sujet ainsi que chez les deux autres par mon
collègue et ami, le Dr Nageotle. Les coupes du cervelet ont été faites avec un microtome construit
sur ses conseils par M. Dumaige, et les dessins ci-joints sont aussi l'oeuvre de M. Nageotte que je
tiens à remercier de sa précieuse collaboration.
. Fig. 25 (Obs. I). La tumeur pénètre dans le grand sillon cir-
conférentiel du cervelet en refoulant les lamelles. Le bulbe
refoulé a subi un mouvement de torsion sur son axe.
SUR UNE FORME DE PARAPLÉGIE SPASMODIQUE 319
progressivement en dedans le bulbe, en dehors le cervelet, en haut la partie droite
de la protubérance et le pédoncule cérébelleux moyen. Sur la protubérance, la
dépression qu'elle a creusée s'étend jusque vers l'émergence du trijumeau. Du côté
du cervelet, elle a refoulé en dehors et en arrière le lobule du pneumogastrique, a
pénétré dans le grand sillon circonférentiel du cervelet, en écartant les lamelles céré-
belleuses et en les déplissant sans les détruire, au moins dans des proportions
notables ; de cette façon, elle s'est creusé dans le cervelet une loge dont le fond est
constitué par la substance blanche et paraît continuer la surface du pédoncule céré-
belleux moyen.
Les différents nerfs de la région ont été écartés et déviés sans subir dans leur
structure d'altérations notables. Il en est de môme des organes nerveux, bulbe, protu-
bérance, cervelet ; l'examen histologique a montré qu'il n'existe aucune dégénérescence
dans les différents faisceaux, môme dans les points qui sont directement en contact
avec la tumeur, malgré les déformations considérables que montrent les figures
ci-jointes. La moelle, qui a été examinée attentivement sur des coupes dans toute sa
hauteur, ne présente aucune trace d'altération.
Observation II. Pillot, âgée de soixante-dix-sept ans, est admise le 15 décembre
1898 dans mon service à l'hôpital de la Pitié.
Rien d'intéressant à noter au point de vue des antécédents héréditaires et des anté-
cédents personnels. Jusqu'à l'âge de soixante-seize ans, santé parfaite.
Il y a un an environ, Pillot a commencé à ressentir de la lourdeur des membres
inférieurs, qui s'est accentuée progressivement. Elle serait tombée brusquement il y a
six mois, n'aurait pu depuis ce jour se tenir debout et les membres inférieurs auraient
présenté dès ce moment l'attitude dans laquelle ils se trouvent à son entrée à l'hôpital,
mais, en raison de la dépression mentale de la malade, il est impossible d'ajouter
complètement foi à cette déclaration.
Les mouvements volitionnels des membres inférieurs sont totalement abolis. Les
cuisses sont fortement fléchies sur le bassin et les jambes sont en état de flexion
forcée sur les cuisses. Il y a une contracture telle des membres inférieurs qu'on ne
peut parvenir à les étendre, même avec des tractions énergiques ; on arrive simple-
ment à atténuer un peu la flexion, mais ces tractions semblent provoquer de vives
douleurs et sont suivies de spasmes qui ramènent immédiatement les membres à
leur attitude première. Les réflexes rotuliens ainsi que les réflexes des tendons
d'Achille sont exagérés et l'on provoque aisément de la trépidation épileptoïde
du pied.
L'excitation de la plante du pied donne lieu au phénomène des orteils ('). La malade
se plaint de ressentir des douleurs très vives dans les membres inférieurs. La sensi-
bilité au tact, à la piqûre et au froid semble normale. Il y a de l'incontinence d'urine
et des matières fécales ; il existe des eschares profondes à la région sacrée, à la face
interne des genoux qui sont pressés l'un contre l'autre et aux talons.
La malade meurt, profondément cachectisée, quelques jours après son entrée à
l'hôpital.
Examen anatomique. Le cadavre est couché en chien de fusil, les jambes sont
rétractées. A l'ouverture du canal rachidien, on trouve dans la région dorsale supé-
rieure une tumeur ovoïde, grosse comme un oeuf de moineau, qui distend le sac de la
dure-mère et comprime la moelle. Les muscles des membres inférieurs sont plus
(') Voir : Du phénomène des orteils et de sa valeur sémiologique, par J. Babinski. Semaine
médicale, 27 juillet 1898.
320
PARAPLÉGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
grêles, plus flasques et moins rouges que ceux des membres supérieurs; le triceps
crural droit est le plus altéré.
La tumeur est régulièrement ovoïde, sans bosselures ; son tissu est friable ; elle est
constituée par un sarcome fasciculé à cellules fusiformes qui est né dans l'intérieur du
sac de la dure-mère à laquelle il adhère sur une partie de sa phériphérie. La moelle
est comprimée de droite à gauche, au niveau
de l'émergence de la 7e paire dorsale. La com-
pression est considérable et la moelle a pris à
ce niveau la forme d'un croissant; elle n'a
d'ailleurs pas subi une réduction de volume
bien notable ; elle est surtout déformée. En ce
point, il existe une sclérose considérable ca-
ractérisée par la disparition de la grande majo-
rité des tubes de myéline, par l'épaississement
des travées névrogliques et par les altérations
hyalines des vaisseaux. Mais on voit une
grande quantité de cylindres-axes qui sont
conservés malgré leur dénudation et leur tumé-
faction. Il reste même un certain nombre de
tubes encore pourvus de leur myéline.
Au-dessus et au-dessous du point comprimé
la sclérose s'arrête très vite et, par le carmin,
l'on ne voit pas de dégénérescence secondaire
appréciable des faisceaux à long trajet. Par la
méthode de Marchi, la place de ces faisceaux n'est indiquée que par un nombre très
restreint de boules noires. On peut en conclure que les éléments nerveux ont résisté
à la compression d'une manière remarquable; ce n'est que dans les phases ultimes de
la maladie qu'un certain nombre d'entre eux ont com-
mencé à céder.
Cette résistance est d'autant plus intéressante que la
malade était vieille et que sa moelle présente, indépen-
damment des lésions décrites, des marques incontestables
de sénilité. En effet, sur toute l'étendue de la moelle et
dans tous les cordons, les vaisseaux sont épaissis, hyalins
et entourés de cette mince collerette de fibres névrogli-
ques qui témoigne d'une sclérose diffuse légère telle qu'on
l'observe fréquemment chez les vieillards.
Observation III. E. Pradine, âgée de cinquante-six
ans, est admise dans mon service à l'hôpital de la Pitié,
le 8 janvier 18g5.
La mère de la malade est morte à la suite d'une attaque
d'apoplexie. Sauf la rougeole à l'âge de quatre ans, la variole à l'âge de dix-huit ans,
Pradine n'aurait été atteinte d'aucune malade infectieuse. Elle a été menstruée à onze
ans et a cessé de l'être à trente-trois ans.
De l'âge de dix ans à celui de vingt-trois ans, elle aurait été sujette à des accès de
noctambulisme. A vingt-deux aus, trois semaines après une couche, à la suite d'une
terreur violente, elle a été prise d'un tremblement de la tète, qui, léger pendant dix
années, est devenu, après la ménopause, très marqué, semblable à ce qu'il est au
moment de l'entrée de la malade à l'hôpital.
Fig. 26 (Obs. II). - Coupe au niveau de la
7e paire dorsale. La moelle refoulée et
comprimée par la tumeur, présente un
aspect scléreux.
Fig. 27 (Ohs. II)). Coupe au
niveau de la il, paire lom-
baire, colorée au picrocar-
min. Il n'existe pas de dé-
générescence visible des
faisceaux pyramidaux.
SUR UNE FORME DE PARAPLÉGIE SPASMODIQUE 321
A l'âge de quarante-huit ans, elle est restée alitée pendant huit jours pour des dou-
leurs vives, continues, occupant la région lombo-sacrée et s'irradiant en avant; depuis
cette époque, elle a toujours' ressenti une légère douleur dans cette région. En même
temps, le membre inférieur droit a été atteint d'une certaine raideur et d'un affaiblisse-
ment qui a augmenté progressivement.
A cinquante-trois ans, les mêmes troubles apparaissent au membre inférieur
gauche. Elle aurait eu alors pendant toute une année sur les diverses parties du corps
une série de taches ecchymotiques. ,
A cinquante-quatre ans, le membre supérieur droit devient faible.
Ces phénomènes auraient présenté des alternatives d'aggravation et d'améliora-
tion jusque vers le milieu de 1894. A cette époque l'affaiblissement des membres
inférieurs devint tel que la malade fut obligée de garder le lit d'une manière
permanente.
En janvier t8g5, c'est-à-dire au moment de l'entrée de la malade à l'hôpital, les
membres inférieurs sont presque complètement paralysés ; c'est à peine si elle peut
imprimer quelques mouvements de latéralité à la jambe gauche; mais on peut facile-
ment et sans provoquer de douleurs faire mouvoir les uns sur les autres les divers
segments des membres inférieurs, qui, sans avoir la souplesse normale, ne présentent
que très peu de raideur; les réflexes tendineux sont exagérés et l'on provoque très
facilement l'épilepsie spinale des deux côtés; le chatouillement de la plante du pied
donne lieu à des mouvements réflexes de tout le membre; l'excitabilité idio-musculaire
est sensiblement exagérée aux cuisses et aux mollets ; le membre inférieur droit est
un peu plus grêle que le gauche ; la sensibilité au tact, à la piqûre, à la température
est conservée, mais la malade ressent, quand elle cherche à se mouvoir, des douleurs
dans la région dorso-lombaire ; elle est sujette aussi à des crises de douleurs d'un
quart d'heure de durée dans, le pied droit et à des crises de douleurs fulgurantes
dans tout le membre inférieur droit, s'accompagnant de secousses involontaires du
membre. Les deux membres supérieurs, mais surtout le droit, sont affaiblis ; elle
peut toutefois écrire ; l'éminence thénar droite est aplatie et la contractilité élec-
trique est diminuée de ce côté ; pas de troubles de la sensibilité aux membres
supérieurs. La malade urine parfois avec difficulté, mais il n'est pas nécessaire de la
sonder et elle ne laisse jamais échapper son urine. Pas de troubles rectaux. Trem-
blement de la tête, ayant les caractères du tremblement dit sénile. Pas de troubles
sensoriels. '
La malade quitte l'hôpital après y être restée plusieurs mois, sans que son état se
soit modifié. ' ' -
Elle revient dans le milieu de l'année 18g6.
13Am,sli.¡, 21
Fig. 28 (Obs. III). Coupe au
niveau de la 2e paire dorsale.
Plaque de sclérose intense. 1
Fig. ag (Obs. III). Coupe au
niveau de la GB paire lombaire.
Plaque de sclérose légère.
322 p9RAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
La situation n'a pas notablement changé, si ce n'est que les membres inférieurs sont
complètement paralysés, se sont contractures ; des deux côtés la cuisse est fléchie sur
le bassin, et la jambe, en flexion sur la cuisse, forme avec celle-ci un angle droit ; les
tractions exercées pour redresser la jambe sont douloureuses et sont suivies de mou-
vements spasmodiques ; il y a de l'exagération des réflexes tendineux et. de la
trépidation épileptoïde. Le chatouillement de la plante du pied provoque des mou-
vements très étendus de flexion du pied sur la jambe et d'extension des orteils sur
le métatarse.
Pendant plusieurs mois, état stationnaire.
Au commencement de 1897, la contracture des membres inférieurs s'accentue.
Elle devient encore plus marquée dans la suite, et les tentatives de redressement
des membres provoquent des douleurs et des mouvements spasmodiques ; la jambe
fait avec la cuisse un angle aigu, mais le talon n'arrive pas au contact de la cuisse.
Au mois d'avril 1897, il se forme une eschare à la région sacrée.
Le 20 mai, la malade est frappée d'une attaque d'apoplexie.
Elle succombe le 22 mai 1897.
Examen anatomique. A l'oeil nu on ne voit nettement sur la moelle qu'une large
plaque de sclérose siégeant à droite dans le faisceau antéro-latéral, au niveau des
émergences des racines antérieures ; cette plaque occupe toute l'épaisseur du manteau
blanc et envahit un peu la corne antérieure. Dans le reste de la moelle on n'aperçoit
que des traces douteuses de sclérose en divers points. Rien n'est visible dans le méso-
céphale ni dans le cerveau, sauf une hémorragie capsulaire droite récente, grosse
comme un oeuf; à gauche, on trouve la trace d'un ancien foyer sous la forme d'une
fente un peu pigmentée à la face externe du noyau lenticulaire.
On a noté de plus l'existence de granulations caséeuses au sommet droit du
poumon.
Au microscope les coupes des régions cervicale inférieure et dorsale supérieure
montrent dans le point indiqué, une plaque de sclérose multiloculaire parfaitement
typique ; les limites de cette plaque sont nettes et la sclérose est absolue en ce sens
qu'il n'existe plus aucune trace de myéline dans toute son étendue, mais les cylindres-
axes sont conservés, quoique tuméfiés ; la plaque n'est pas destructive ; les racines
antérieures qui émergent en ce point sont parfaitement intactes.
Dans le reste de la moelle, on trouve un certain nombre de plaques qui siègent
toutes dans les cordons antéro-latéraux ; de ces plaques, les unes montrent une
sclérose très intense, mais elles sont très petites ; les autres sont plus étendues, elles
peuvent même occuper le faisceau latéral tout entier, mais la sclérose y est plus légère
et laisse intactes un grand nombre de gaines de myéline, sauf en des points très
limités. Mais nulle part il n'y a destruction des cylindres-axes et au-dessous de ces
plaques il n'existe pas la plus petite sclérose systématisée.
Les vaisseaux sont épaissis et sclérosés dans l'intérieur des plaques ; ils ne
portent pas les traces d'un processus inflammatoire récent. La pie-mère n'est nulle
part épaissie.
Après avoir exposé les faits que j'ai observés, je dois chercher à faire
ressortir les notions qui me paraissent s'en dégager.
Considérons d'abord le premier de ces trois cas. Je me bornerai il
attirer l'attention, sans m'occuper spécialement de ces points, sur
l'hyperexcitabilité musculaire et sur l'état cataleptoïde des membres
supérieurs, mais j'insisterai davantage sur le contraste qu'il y avait
SUR UNE FORME DE PARAPLÉGIE SPASMODIQUE 323
dans ce cas entre l'intensité de la contracture et l'état des réflexes ten-
dineux qui n'ont jamais paru exagérés, quelle que soit la période de la
maladie à laquelle l'examen a été fait, ainsi que sur l'absence de trépi-
dation épileptoïde ; cette observation montre donc qu'une contracture
très forte, d'origine organique il n'est pas question ici, bien entendu,
de contracture hystérique n'est pas nécessairement accompagnée
d'exagération des réflexes tendineux (').
L'examen anatomique ayant fait voir que l'affection consistait en un
néoplasme intra-crânien et que les faisceaux pyramidaux de la moelle
n'étaient aucunement altérés, ce cas confirme cette donnée, qui repose
sur quelques faits publiés jusqu'à présent en petit nombre (2), à savoir
qu'une lésion intra-crânienne peut provoquer, non seulement chez
l'enfant, mais même chez l'adulte, une paraplégie spasmodique perma-
nente, sans que les faisceaux pyramidaux aient subi de dégénérescence
secondaire ; il prouve de plus qu'en pareil cas, la contracture peut
même atteindre un degré exceptionnel d'intensité.
Si maintenant on rapproche ces observations les unes des autres, on
doit remarquer que les trois malades, au point de vue clinique, à côté
de quelques particularités individuelles, présentaient, comme trait com-
mun, une forme de paralysie crurale caractérisée à sa période d'état
par une contracture très intense amenant une flexion permanente et
très marquée de la cuisse sur le bassin ainsi que de la jambe sur la
cuisse, accompagnée de douleurs qui se manifestaient principalement
quand on cherchait à corriger par des tractions l'attitude vicieuse des
membres, et de mouvements spasmodiques apparaissant surtout à la
suite de ces tractions et augmentant encore la déformation.
Il y a lieu de rechercher si cette forme clinique de paralysie spasmo-
dique correspond à un état anatomique particulier.
Mon éminent maître Charcot, qui avait été frappé par l'intensité de la
contracture permanente et la contracture avec flexion dans certains
cas de paraplégie, s'est exprimé à ce sujet, dans une leçon sur la compres-
sion lente de la moelle, de la manière suivante :
« Enfin survient la contracture permanente des membres, qui ne manque
à peu près jamais d'exister à une certaine époque de la maladie, qui
parait devoir être rattachée, elle aussi. à la lésion scléreuse que pré-
sentent les cordons latéraux dans le segment inférieur de la moelle. Il
est de règle que cette contracture impose d'abord pendant quelque
temps aux membres paralysés l'attitude de l'extension, mais tôt ou
(') Voir à ce sujet le très intéressant travail du pr van Gehuchten sur : « L'état des réflexes et la
contracture de l'hémiplégie organique ». Semaine médicale, 21 décembre 18go : .
(2) Voir ce sujet :
1" Giehl, es eine primare Sklcrose der Seitenslriige des Rùckenmarks ? Von Dr med. Richard
Sclulz, Deulsches Archiv f. Illin. nlect., XXIII Band, p. 343.
2° Etal du faisceau pyramidal dans quatre cas de contracture spasmodique infantile, par MM. Cl.
Philippe et li. Cestan. Société de Biologie, an. 97, p. 1080.
3° Tumeur cérébrale, comprimant la zone rolandique gauche; hémiplégie permanente ; intégrité
du faisceau pyramidal, par Cestan. Société anatomique, février Ü : ! 99.
324 PARAPLÉGIES - A1;'FECTIO1VS DE LA MOELLE
tard, en général, survient, au contraire, l'attitude de la flexion forcée
« Je n'insiste pas sur ces troubles de motilité qui sont aujourd'hui
de connaissance vulgaire. Je me bornerai à vous faire remarquer que
l'intensité de la contracture permanente des membres, et surtout de la
contraction avec flexion, est, en général, plus prononcée dans la myélite
par compression lente qu'elle ne l'est dans la myélite spontanée.
«Il en est de même de l'exaltation des propriétés réflexes de la
moelle. Il ne faudrait pas néanmoins chercher dans cette différence,
dont la raison, d'ailleurs, nous échappe entièrement, un caractère dis-
tinctif absolu ('). »
Ces remarques sont, en partie, corroborées par les faits que je rap-
porte : sur trois cas, en effet, il y en a deux où il s'agit de compression
lente de la moelle, mais comme on le voit par cet extrait, Charcot
déclare qu'il ignore la raison pour laquelle la contracture est très intense
et provoque l'attitude de la flexion forcée. ,
A. FroenkelQ rapporte l'observation d'un malade atteint de tumeurs
des méninges rachidiennes, dont les membres inférieurs avaient pré-
senté une contracture en flexion et en adduction poussée au maximum
d'intensité : les genoux étaient en contact avec la paroi abdominale et
les talons avec les cuisses. Pour Frzenhel, ces troubles sont dus, selon
toute vraisemblance, à une compression des racines du renflement lom-
baire de la moelle par le néoplasme.
Si l'on considère que, dans mes trois observations, le renflement lom-
baire ainsi que ses racines ne présentaient aucune altération, l'opinion de
Frænkel n'est pas acceptable, du moins si on voulait l'appliquer à tous
les cas de paraplégie spasmodique de la forme dont il est ici question.
Il est difficile de ne pas être frappé par ce caractère anatomique com-
mun à mes trois observations, à savoir que la dégénération secondaire
des faisceaux pyramidaux fait défaut; dans les observations I et III elle
manque complètement ; dans l'observation II : elle n'existe qu'à l'état
de traces et n'a commencé à se produire que dans les phases ultimes de la
maladie.
Je suis ainsi conduit à émettre l'hypothèse que la forme de para-
plégie spasmodique qui nous occupe est liée à une irritation du sys-
tème pyramidal n'aboutissant pas à la destruction des faisceaux qui
le constituent Q.
A l'appui de cette idée, j'ajouterai que les caractères de cette forme
de paraplégie avaient été poussés au maximum d'intensité dans l'obser-
vation I, où, au niveau même de la lésion, il n'existait aucune altéra-
tion histologique des éléments nerveux, et qu'ils étaient encore plus
marqués dans ce cas que dans les autres.
(') Leçons sur les maladies du système nerveux, 1886, t. II, p. 126.
(Z) Zur Lehre von den Geschwülsten der Rückenmarkslnute. Deutsche medicinische Wochenschrifl,
n8g8, nOS 28, 29 et 3o.
(3) Je dois faire remarquer que je n'ai en vue ici que la paraplégie qui se développe chez l'adulte.
SUR UNE FORME DE PARAPLÉGIE SPASMODIQUE 325
Je rapprocherai de ces faits une observation de pseudo-sclérose en
plaques que j'ai rapportée dans ma thèse (') ; il s'agit d'un malade
atteint de paraplégie spasmodique avec flexion de la jambe sur la cuisse
portée à un tel degré d'intensité que les téguments sont ulcérés dans
les points de contact ; or, l'autopsie a montré que le système nerveux
ne présentait pas d'altérations organiques.
Enfin, l'observation même de Fraenkel corrobore ma manière de
voir, puisque, dans le compte rendu de l'examen anatomique, l'absence
de dégénérescence des faisceaux latéraux au-dessous de la g" dorsale
est notée d'une manière incidente, il est vrai, mais catégorique.
Ce qui vient d'être dit au sujet de la contracture des membres infé-
rieurs doit s'appliquer aussi à la contracture des membres supérieurs ;
dans l'observation I, la contracture de la main droite était extrême-
ment forte.
Je crois donc pouvoir conclure que la forme de paraplégie spasmo-
dique dont j'ai donné la description, non seulement peut être indépen-
dante de toute dégénération secondaire des faisceaux pyramidaux,
mais semble même dénoter que ces faisceaux sont normaux ou ne sont
tout au plus que partiellement altérés (2).
(1) Etude anatomique et clinique sur la sclérose en plaques, par J. Babinski. Thèse de Paris, 1885,
p. 107 et suiv.
e) Il est il remarquer qu'une compression de la moelle peut, sans produire de lésions appréciables
de cet organe, donner lieu aussi à une paraplégie flasque.
Voir Paraplégie flasque par compression de la moelle, par J. Babinski. Archives de médecine expé-
rimentale, 18gi.
III
DE LA PARALYSIE PAR COMPRESSION
DU FAISCEAU PYRAMIDAL
SANS DÉGÉNÉRATION SECONDAIRE
(Contribution au diagnostic précoce des néoplasmes INTRA-CRANIENS.
[J. Babinski.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
' séance du 5 juillet igo6.
Ai observé et suivi pendant deux ans, depuis le début de sa maladie
jusqu'à sa mort, un malade dont l'histoire me paraît fort instruc-
J tive au point de vue de la symptomatologie des paralysies par com-
pression du système pyramidal et du diagnostic précoce des néoplasmes
intra-crâniens.
Un homme âgé de 52 ans me consulte pour la première fois en mai igo4, se plaignant
d'éprouver depuis plusieurs mois des troubles de la parole, d'articuler avec difficulté,
mais surtout de chercher souvent en vain les mots correspondant à sa pensée. Il me
dit que d'ailleurs il a conservé toute sa lucidité d'esprit. La conversation que j'ai
avec lui me montre l'exactitude de ses déclarations; il me paraît, en effet, doué d'une
intelligence normale, mais il lui arrive fréquemment de s'arrêter au milieu d'une
phrase pour chercher un mot, ou de dire des mots les uns pour les autres, ou encore
de les estropier ; il s'aperçoit, du reste, des fautes qu'il commet et, si on lui souffle le
terme exact dont il est en quête, il le prononce aussitôt et achève sa phrase ; j'ajoute
que le sens des mots et des phrases prononcés, écrits ou imprimés est perçu par lui
d'une manière parfaite.
Il y a deux semaines, il a été pris, à la suite d'un effort, d'une parésie de tout le
côté droit du corps qui ne s'est pas modifiée depuis. Les réflexes tendineux et les
réflexes cutanés sont normaux et égaux des deux côtés. La sensibilité générale et les
sensibilités spéciales sont normales. Le malade ne souffre pas, n'a pas de douleurs de
tête, son urine ne contient ni sucre ni albumine.
Le diagnostic le plus probable me paraît être le suivant : artérite céré-
PARALYSIE PAR COMPRESSION DU FAISCEAU PYRAMIDAL 327
brale avec thrombose; ramollissement de la zone psycho-motrice dé
l'écorce de l'hémisphère gauche et de la circonvolution de Broca.
Trois mois après, je revois le malade avec le médecin traitant, mon collègue le
Dr Le Noir. J'apprends qu'il a eu plusieurs accès d'épilepsie jacksonienne du côté
droit commençant par les muscles de la face, gagnant ensuite le membre supérieur,
puis le membre inférieur. Je le trouve abattu, s'exprimant plus difficilement que la
première fois où je l'avais vu; la marche est possible, mais elle est hésitante et les
mouvements du membre inférieur droit s'effectuent avec lenteur ; les fonctions du
membre supérieur peuvent être accomplies, mais non sans difficulté ; le malade soulève
le bras droit moins bien que le gauche, il écrit lentement ; à table il est gêné pour
couper la viande et porter les aliments à la bouche. Les membres du côté parésié pré-
sentent un peu de raideur, ils sont comme légèrement contractures. Mais pour le
reste sa situation n'est pas modifiée. Les réflexes tendineux et les réflexes cutanés
sont toujours normaux ; l'intelligence est conservée; il n'y a pas de céphalée, pas de
troubles sensitifs ni sensoriels.
Les crises épileptiformes confirment le diagnostic de lésion corticale
porté dès le début, mais elles me conduisent à modifier l'idée que je
m'étais faite sur la cause du mal. Il y a tout lieu d'admettre qu'il s'agit
d'une lésion irritative, dont il reste à déterminer la nature. S'agit-il d'une
affection inflammatoire ou néoplasique siégeant dans l'intérieur même des
circonvolutions ? Je me crois en droit de rejeter cette hypothèse parce
que s'il en était ainsi, pendant la période de trois mois qu'a duré l'hémi-
plégie, une dégénération secondaire du faisceau pyramidal aurait dû se
produire et que cette dégénération devrait, ce qui n'est pas, se manifester
par des modifications dans l'état des réflexes et en particulier par une
exagération des réflexes tendineux. Je me demande alors si cette paraly-
sie ne serait pas de nature hystérique et si je n'aurais pas affaire à une
association hystéro-organique, mais cette hypothèse me parait peu vrai-
semblable, car le malade n'a jamais eu de sa vie de manifestations hysté-
riques, qu'il ne me semble pas suggestionnable et que de plus, étant
donné qu'il ignore complètement les choses de la médecine, il serait sin-
gulier que l'aphasie eût éveillé en son esprit l'idée d'une paralysie loca-
lisée précisément du côté où elle siège en pareil cas. Je suis amené ainsi
à admettre, malgré l'absence de céphalée et de névrite oedémateuse, que
le mal consiste en une tumeur qui comprime les circonvolutions sans les
altérer profondément ; des faits antérieurs et en particulier une observa-
tion rapportée dans un travail publié il y a sept ans(') m'avaient en effet
appris que les tumeurs cérébrales étaient capables de produire des para-
lysies avec contracture intense ayant pour caractère particulier de n'être
accompagnée d'aucune perturbation des réflexes ; songeant alors à la
possibilité d'une tumeur de nature syphilitique, nous prescrivons, le mé-
decin traitant et moi, outre la médication bromurée employée depuis la
(1) Voir : Sur une forme de paraplégie spasmodique consécutive à une lésion organique et sans
dégénération du système pyramidal. Observation. I. Société médicale des Hôpitaux de Paris, séance
du 24 mars 189g. .
328 . PARl'lPLÉÇ1ES -. AFFECTIONS DE LA MOELLE
première crise, une cure hydrargyrique, nous proposant de conseiller
ultérieurement une opération, si ce traitement venait à échouer.
Pendant une période de plusieurs mois le malade est soumis à l'usage du mercure,
que l'on interrompt seulement lorsque se manifestent des signes d'intolérance. Son
état présente des alternatives en bien et en mal et nous avons à plusieurs reprises
l'impression que le médicament est efficace. ,
En décembre igo4, la situation s'est manifestement aggravée, l'abattement est plus
prononcé, l'anarthrie et l'aphasie ont augmenté, l'hémiparésie est plus marquée, tout
en conservant les mêmes caractères qu'auparavant ; les réflexes en particulier sont
absolument normaux; la céphalée et les nausées font défaut, la percussion de diffé-
rentes parties du crâne ne provoque aucune douleur ; rien au fond de l'oeil, dont
l'examen est fait par le regretté Dr Parinaud.
Nous estimons alors, le médecin traitant et moi, qu'une intervention
chirurgicale serait légitime. Mais deux de nos collègues, appelés en
consultation, sont d'avis que le diagnostic de néoplasme cérébral est peu
vraisemblable, en raison de l'absence de nausées, de céphalée et de
névrite optique ; ils déconseillent en conséquence l'opération et pensent
qu'il y a lieu de continuer encore le traitement hydrargyrique sous une
forme aussi intensive que possible.
Du mois de décembre 1904 au mois d'octobre igo5, la situation du malade s'amé-
liore et s'aggrave alternativement plusieurs fois ; il lui arrive de tomber dans des
états d'aplatissement, de dépression, d'indifférence qui durent plusieurs semaines,
puis de revenir à un état plus satisfaisant dans lequel il se lamente sur son sort.
Mais dans ces différentes phases on note l'absence complète de délire ; il est toujours
possible de le faire sortir, même dans les plus mauvais moments, de sa torpeur et
de se faire comprendre de lui. L'aphasie et l'hémiplégie persistent toujours, mais
sont plus ou moins intenses suivant les périodes. Les réflexes tendineux et les
réflexes cutanés explorés plusieurs fois chaque mois se sont toujours montrés nor-
maux. Absence complète de céphalée et de nausées. Le traitement mercuriel est tour
à tour interrompu et repris et je dois dire que les améliorations coïncident générale-
ment avec les reprises de la médication. Dans cette période deux crises épileptiformes.
En octobre, le Dr J. Chaillous, sur notre demande, pratique un examen du fond
de l'oeil et constate une névrite oedémateuse double, coïncidant avec une diminution de
'acuité visuelle.
Le diagnostic de tumeur cérébrale me paraissant devoir s'imposer, après
la constatation de l'oedème papillaire, je propose de nouveau une opéra-
tion qui est différée pour des raisons indépendantes de ma volonté.
Plusieurs ponctions lombaires sont successivement pratiquées ; elles semblent
atténuer les troubles et en particulier l'oedème papillaire. L'examen cytologique du
liquide céphalo-rachidien, fait après trois ou quatre de ces ponctions, donne un
résultat absolument négatif.
D'octobre 1905 en mai igo6, l'état du malade subit les mêmes alternatives que
par le passé et les symptômes restent les mêmes dans leurs traits essentiels, mais la
faiblesse générale s'accentue ; la parole est lente et, outre la difficulté que le malade
PARALYSIE PAR COMPRESSION DU FAISCEAU PYRAMIDAL 329
éprouve à trouver ses mots, il présente un mode d'articulation rappelant l'embarras
de la paralysie générale ; les réflexes sont toujours normaux, l'hémiparésie avec
raideur musculaire persiste et la marche, très difficile, est pourtant possible ; le
malade peut, en s'aidant de sa canne, faire quelques pas ; pas de céphalée, pas
de nausées.
En mai, le D'' Chaillous constate d'une manière manifeste une augmentation de
l'oedème pupillaire et la diminution de l'acuité visuelle.
Cette fois tous les médecins consultés sont d'accord avec moi pour
conseiller l'opération, qui est acceptée par le malade et sa famille. Il est
convenu avec le chirurgien qu'il fera un large volet pour mettre à nu les
circonvolutions du côté gauche particulièrement au niveau des centres
psycho-moteurs de la face et du membre supérieur et que l'opération sera
faite en deux temps, à plusieurs jours de distance.
L'intervention a lieu en juin. Pendant l'opération, très habilement conduite d'ail-
leurs, le coeur fléchit plusieurs fois et le pouls devient imperceptible.
La dure-mère mise à nu, on constate que dans la région visée elle a un autre aspect
que dans les parties périphériques et à la palpation l'opérateur a l'impression qu'il y a
une tumeur dans cette région.
Pour éviter une nouvelle chloroformisation à laquelle il attribue pour une part les
syncopes susmentionnées, et en raison des conditions qui lui paraissent rendre facile
l'extraction de la tumeur, le chirurgien procède à cette deuxième phase de l'opération.
La dure-mère étant incisée autour de la partie qui semble malade, il constate qu'il
existe effectivement un gros néoplasme adhérent à la dure-mère, et il en pratique
l'énucléation avec la plus grande facilité, car cette tumeur n'adhère nullement à la
substance cérébrale. La tumeur pèse 31o grammes(').
Immédiatement après l'opération, il y a une nouvelle syncope, et, malgré tous les
moyens employés, le malade succombe.
Comme on le voit, le diagnostic porté peu de temps après le début de
la maladie s'est vérifié dans tous ses détails ; il s'agit bien d'une tumeur
comprimant la région psycho-motrice sans pénétrer dans la substance
cérébrale.
Au point de vue thérapeutique nous avons subi un échec, mais on ne
peut contester la légitimité de l'intervention qui était la seule possibilité
de guérison et sans laquelle la mort était inévitable ; elle était d'autant
plus justifiée qu'il existe dans la science un assez grand nombre de cas
analogues opérés avec succès. Je ne serai pas contredit non plus en
disant que si l'opération avait été pratiquée au début de la maladie, alors
que je la proposais, les chances de réussite eussent été plus grandes et
que, toutes choses égales d'ailleurs, dans les néoplasmes intra-crâniens,
la guérison est d'autant plus il espérer que l'intervention est moins tar-
dive. Il est donc essentiel de porter un diagnostic précoce et il est par
conséquent important d'analyser chaque fait pour déterminer la valeur des
signes classiques et trouver, si possible, des caractères distinctifs nou-
veaux.
(1) L'examen histologique de la tumeur a montré qu'il s'agissait d'un myxosarcomc.
33o P1R : 11LL;GICS - AFFECTIONS DE LA MOELLE
Mon diagnostic de tumeur cérébrale avait été mis en doute au début à
cause de l'absence de névrite oedémateuse, de nausées et de céphalée.
Cette observation montre que ces arguments sont loin d'être décisifs ; elle
confirme cette notion que l'oedème papillaire n'est pas nécessairement,
tant s'en faut, un des symptômes initiaux de la maladie ; de plus elle
prouve qu'un néoplasme intra-crânien peut durer pendant deux ans,
atteindre un poids de plus de 3oo grammes, donner lieu à un oedème
cérébral et à une névrite optique intense sans provoquer de nausées, ni
de douleurs de tête à une période quelconque de son évolution et que,
par conséquent, l'absence de céphalée ne permet pas d'écarter l'idée de
tumeur cérébrale.
J'avais fondé en partie mon diagnostic sur les caractères de l'hémiplé-
gie. On sait, en effet, qu'une lésion destructive du faisceau pyramidal a
pour conséquence habituelle une modification immédiate des réflexes
cutanés et pour conséquence à peu près inévitable, au bout de quelques
semaines, une exagération des réflexes tendineux. Or, ici, l'hémiplégie,
après une durée de deux à trois mois, n'était associée à aucune modifi-
cation dans les réflexes ; j'estimais donc que l'hypothèse d'une lésion
occupant l'épaisseur même des circonvolutions était peu vraisemblable,
car une pareille affection est généralement destructive, et j'avais été ainsi
amené à admettre l'existence d'une simple compression cérébrale par
tumeur. J'avais d'ailleurs observé déjà des faits analogues et je savais
qu'une lésion de ce genre peut produire des paralysies s'accompagnant
d'une sorte de contracture susceptible même d'atteindre un degré très
élevé, sans que les réflexes subissent la moindre perturbation.
Mais comme les paralysies et les contractures hystériques ont aussi
pour caractère de laisser les réflexes intacts, il y avait encore lieu de se
demander si dans l'espèce, l'hystérie n'aurait pas été en cause et s'il ne se
serait pas agi d'hystérie ou d'une association hystéro-organique. J'avoue
que je ne connais pas de signe intrinsèque permettant de différencier ces
deux espèces de paralysies et, pour mettre ce trait en évidence, il me
paraîtrait juste de dénommer, jusqu'à nouvel ordre, la paralysie qui nous
occupe ici « paralysie organique, pseudo-hystérique ». C'est à l'aide de
signes extrinsèques que le diagnostic peut être établi, sinon avec certi-
tude, au moins avec de grandes probabilités. Dans ce cas particulier, ce
qui m'a surtout paru un argument capital contre l'hypothèse de paralysie
hystérique, c'est-à-dire d'un trouble reconnaissant pour cause l'auto-
suggestion, c'est que cette paralysie occupait le territoire correspondant
exactement à la région de l'écorce cérébrale dont la perturbation était
décelée par l'aphasie et les crises épileptiformes.
La conclusion principale qui se dégage de ce qui précède c'est qu'une
compression du faisceau pyramidal peut engendrer une paralysie avec
contracture plus ou moins prononcée, durant fort longtemps, sans que
les réflexes des membres atteints soient modifiés.
Quand elle est associée à d'autres signes rendant l'hypothèse de tumeur
PARALYSIE PAR COMPRESSION DU FAISCEAU PYRAMIDAL 3 ?
cérébrale acceptable, cette forme de paralysie constitue un argument de
grande valeur à l'appui de cette idée.
Pouvant ainsi conduire à un diagnostic précoce de néoplasme intra-
crânien et dénotant l'existence d'une tumeur qui comprime simplement
l'encéphale, sans provoquer de dégénération secondaire, elle fournit des
données fort précieuses au point de vue de l'opportunité d'une interven-
tion chirurgicale.
IV
PARAPLÉGIE SPASMODIQUE ORGANIQUE
AVEC CONTRACTURE EN FLEXION
ET CONTRACTIONS MUSCULAIRES INVOLONTAIRES
[J. BABINSKI.]
Publié dans le Bulletin médical, 25 janvier 1911".
Dans un travail publié il y a déjà plus de dix ans ('), j'ai cherché à éta-
blir qu'il existe une forme spéciale de paraplégie spasmodique se
- L caractérisant cliniquement par quelques traits distinctifs, entre
autres par une contracture en flexion et par des mouvements involontaires
qui apparaissent surtout quand on exerce des tractions sur les membres.
D'après ce que m'avaient montré les examens anatomiques, j'avais émis
l'hypothèse que cette forme de paraplégie était causée par des lésions du
système nerveux central (sclérose spinale, néoplasme comprimant la
moelle ou le bulbe) n'aboutissant pas à une dégénération secondaire des
faisceaux pyramidaux. ..
L'observation de faits nouveaux me conduit à préciser davantage ce
qui est relatif à ce sujet.
Je me propose donc de dégager une forme de paraplégie spasmodique
organique qui n'a pas été suffisamment mise en lumière. Pour en faire
ressortir les qualités, je la mettrai en parallèle avec le type clinique décrit
par Erb sous la dénomination de paraplégie spastique spinale et sous
celle de tabes dorsal spasmodique par Charcot.
Sans me préoccuper ici de la place exacte que ce syndrome doit avoir
en nosologie, ce qui constitue une question controversée (2), je rappel-
lerai seulement qu'il se distingue par les signes suivants : contracture en
(') Sur une forme de paraplégie spasmodique consécutive il une lésion organique et sans dégéné-
ration du système pyramidal (Bulletins et Mémoires de la Société médicale des Hôpitaux de Paris, année
189g, p. 342).
(2) Voir Erb. Uber die spastischc und die syphilitischc Spinalparalysic une ihre Exislenzhercch-
tigung (Deutsche Zeitschrift sur Nervenheuillwndc, Band XXIII).
PARAPLEGIE SPASMODIQUE ORGANIQUE 333
extension des membres inférieurs, parésie, c'est-à-dire affaiblissement peu
prononcé de la motricité volontaire, exagération notable des réflexes ten
dineux avec trépidation épileptoïde du pied, phénomène des orteils. Ajou-
tons à cela que ce syndrome peut s'accompagner, d'une manière inter-
mittente, de secousses involontaires des muscles des membres inférieurs,
se répétant avec rapidité, mais n'ayant pas pour effet de fléchir les seg-
ments des membres les uns sur les autres. De plus, je ferai remarquer que
l'excitation des téguments des cuisses ou des jambes par le pincement,
l'application de corps froids ou l'électrisation, ne provoque pas de mou-
vements réflexes exagérés, du..moins dans un grand nombre de cas.
Considérons maintenant la forme de paraplégie spasmodique que nous
visons.
L'attitude des membres inférieurs est bien différente de celle qu'on
observe dans le tabes dorsal spasmodique. Les cuisses sont fléchies sur
le bassin, et les jambes fléchies sur les cuisses; cette flexion est plus ou
moins prononcée, suivant les cas, et n'est pas nécessairement symétrique.
La contracture en flexion, il est vrai, a été signalée depuis longtemps ('),
mais ce qui, dans l'espèce, lui donne un cachet spécial, c'est qu'elle est
sujette à des variations fréquentes qui résultent de contractions intermit-
tentes, involontaires, souvent douloureuses, des membres inférieurs. Ces
contractions donnent lieu à des mouvements alternatifs de flexion et
d'extension, mais ce sont les fléchisseurs dont l'action prédomine, et il y
a, du reste, tout lieu d'admettre que c'est pour ce motif que l'attitude en
flexion s'accentue progressivement et tend à . devenir permanente. Si
j'ajoute que ces contractions sont lentes, on reconnaîtra qu'elles diffèrent
totalement des secousses qui peuvent agiter les muscles dans le tabes
dorsal spasmodique.
Contrairement à ce qui a lieu dans la paraplégie spastique spinale, la
motricité volontaire est profondément troublée quand le syndrome est bien
constitué, et chez beaucoup de malades elle est complètement ou presque
complètement abolie.
Dans la plupart des cas que j'ai suivis, j'ai constaté, au moins à une cer-
taine période, de l'exagération des réflexes tendineux, mais cette exagé-
ration n'est pas constante. Elle peut faire défaut depuis le début jusqu'à
la fin; il en était ainsi, par exemple, chez la malade qui fait le sujet de
l'observation I de mon premier travail, précédemment cité ; elle avait été
examinée, à maintes reprises, à partir du premier jour de son entrée à
l'hôpital, époque où elle était capable de marcher et n'était pas encore
contracturée, jusqu'à la période terminale où la contracture en flexion
avait atteint le maximum d'intensité possible. Parfois même les réflexes
tendineux semblent très affaiblis ou abolis, sans que la contractilité élec-
trique des muscles ait subi de perturbation ; c'est ce qui a lieu chez la
malade que je soumets aujourd'hui à l'examen de la SociétéQ et qui est,
(') Voir à ce sujet le travail de l. Noïca, ayant pour titre : « Sur la contracture des membres
inférieurs en flexion » (Revue Neurologique, igog, p. 228)..... "
(2) Communication faite à la Société de Neurologie, le 12 janvier inn. 24V-.
33Q P,lllAPL1 : CIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
vraisemblablement, atteinte de sclérose multiloculaire. Il est vrai que les
muscles de cette femme, qui présente à un degré très marqué la forme de
paraplégie en question, sont dans un état de raideur qui rend l'explora-
tion des réflexes tendineux très difficile et il serait, à la rigueur, permis de
soutenir que ces réflexes sont simplement masqués. Je dois dire cependant
que cette raideur cède en partie par instants et que j'ai pu examiner la
malade à de pareils moments, que j'ai eu même l'occasion d'explorer les
réflexes pendant le sommeil chloroformique, en les recherchant de minute
en minute, depuis les premières inhalations jusqu'à la période de relâche-
ment musculaire complet ; j'ai pu simplement obtenir, d'un côté, par la
percussion du tendon achilléen, un léger mouvement d'extension du pied.
Je suis donc convaincu que ce trouble est bien réel, et cela est d'autant
plus remarquable, que cette quasi-abolition des réflexes tendineux a suc-
cédé à une exagération accompagnée de clonus du pied, la transformation
s'étant opérée petit à petit. Quoi qu'il en soit, ce qui est incontestable, et
c'est là un point essentiel, cette contracture n'est pas, comme celle de la
paralysie spastique spinale, nécessairement associée à une exagération
des réflexes tendineux.
On constate généralement le phénomène des orteils ; il en est même
ainsi chez la malade que je viens de présenter et dont les réflexes tendi-
neux paraissent presque abolis. Mais cela n'est pas constant; dans l'obser-
vation I de mon premier travail, où les réflexes tendineux n'ont jamais
été exagérés, le réflexe cutané plantaire a toujours été normal. Je n'ose-
rais pas affirmer que ce soit là un caractère distinctif d'avec le tabès dor-
sal spasmodique.
Le réflexe crémastérien et le réflexe abdominal sont parfois abolis.
Quant aux réflexes cutanés que l'on peut provoquer chez certains sujets
par le pincement de la peau des jambes, des cuisses et même du tronc,
par l'application d'un corps froid sur ces régions ou encore par l'excita-
tion électrique des téguments, ils sont toujours notablement exagérés.
Les réflexes en question peuvent varier dans leur forme suivant le point
sur lequel porte l'excitation et suivant la position du membre ('), mais ce
sont les mouvements de flexion de la cuisse sur le bassin, de la jambe
sur la cuisse et du pied sur la jambe qui le plus généralement prédomi-
nent. Ils se produisent aussi quand on cherche par des tractions à corri-
ger l'attitude vicieuse des membres. Ils sont semblables aux mouvements
involontaires, en apparence spontanés, dont j'ai parlé précédemment.
L'exagération de ces réflexes cutanés constitue peut-être le caractère qui
différencie le mieux les deux formes de paraplégie spasmodique que nous
mettons en parallèle.
Le lien qui unit l'exagération de ces réflexes cutanés à la forme de
contracture que je considère est comparable à celui qui rattache l'exagé-
ration des réflexes tendineux à la contracture du tabes dorsal spasmodi-
(') Voir à ce sujet un travail que j'ai publié en collaboration avec 11. Jarkowski : « Sur la possi-
bilité de déterminer la hauteur de la lésion dans des paraplégies d'origine spinale par certaines
perturbations des réflexes » (Revue Neurologique, igio, p. 6fi6).
PARAPLÉGIE SPASMODIQUE ORGANIQUE 335
que : de part et d'autre, pas de contracture sans exagération des réflexes,
mais les réflexes soit tendineux soit cutanés peuvent être exagérés, sans
qu'il y ait de contracture.
Dans la paraplégie spasmodique dont je viens de décrire les signes les
plus saillants, l'anesthésie peut faire complètement défaut ; elle existe
chez certains sujets à un degré plus ou moins élevé et occupe les membres
inférieurs ainsi qu'une partie plus ou moins étendue du tronc, suivant la
hauteur de la lésion. D'après les faits que j'ai observés jusqu'à présent,
c'est dans le cas où l'anesthésie manque que la contracture en flexion
parait atteindre l'intensité la plus grande.
Cette forme de contracture se complique presque inévitablement de
rétractions fibro-tendineuses.
Des troubles sphinctériens et des ulcérations sacrées se produisent dans
la généralité des cas, du moins à une période avancée de l'évolution de
l'affection.
Dans quelles circonstances se développe la forme de paraplégie spas-
modique dont je m'occupe ? Elle peut succéder à une paraplégie flasque
liée à une myélite aiguë; elle est alors fruste,' la contracture en flexion
n'étant pas très prononcée. Le plus souvent elle apparaît dans le cours
d'affections à évolution lente. Ordinairement, elle est précédée par des
signes réalisant d'une manière plus ou moins parfaite le syndrome du
tabès dorsal spasmodique qu'elle tend petit à petit à défigurer et à trans-
former. Mais, dans certains cas, qui semblent rares, il est vrai, les signes
essentiels de la paraplégie spinale spastique font défaut du commence-
ment jusqu'à la fin ; je rappelle à ce propos que dans l'observation déjà
citée deux fois, où la contracture en flexion avec contractions involontaires
avait atteint le summum d'intensité, le réflexe plantaire était toujours
resté normal et les réflexes tendineux n'avaient jamais présenté d'exagé-
ration manifeste.
Quelles sont les lésions capables de déterminer le syndrome qui fait
l'objet de cette étude ? P
J'ai déjà dit qu'il peut résulter d'une myélite aiguë, mais en pareil cas
ses traits sont peu accentués.
Habituellement, on l'observe chez des sujets atteints soit d'une sclérose
spinale diffuse, soit d'une compression de la moelle ou du bulbe par un
néoplasme.
Des lésions bilatérales de l'encéphale semblent pouvoir donner nais-
sance à un syndrome analogue.
Les dégénérations secondaires des cordons latéraux peuvent manquer
ou être très légères, ainsi que je l'ai fait ressortir dans mon premier tra-
vail. C'est même ce que j'ai toujours constaté jusqu'à présent dans les cas
où la contracture en flexion avait été très prononcée. Ces dégénérations
existent parfois, les sujets chez lesquels je les ai trouvées n'avaient pré-
senté qu'une contracture relativement modérée.
En résumé, la forme de paraplégie spasmodique que je viens de
décrire, sans représenter, tant s'en faut, une espèce nosologique, puis-
336 PARAPLÉGIES AFFECTIONS DE LA MOELLE
qu'elle peut être liée à des processus anatomiques variés, constitue un
type clinique qu'il est permis d'opposer, à certains égards, au syndrome
« tabes dorsal spasmodique ».
Il y a tout lieu d'admettre que ces deux formes de contracture, qui sou-
vent s'associent partiellement, ont chacune un mécanisme différent : tan-
dis que la contracture en extension du tabes dorsal spasmodique ne peut
se réaliser sans que les réflexes tendineux soient exagérés, la contracture
en flexion, avec contractions involontaires prédominant dans les fléchis-
seurs, nécessite l'exagération des réflexes cutanés (') (réflexes cutanés de
défense).
1 Avant de terminer, je répète que quand cette forme de contracture en
flexion est très intense, ce qui a lieu seulement lorsque l'anesthésie fait
défaut ou est très minime, les faisceaux pyramidaux ne sont pas dégé-
nérés ou ne le sont que très légèrement. Si ce n'est pas là une loi, c'est
du moins une règle qui ne doit souffrir que peu d'exceptions. : PARAPLÉGIE ORGANIQUE. ? TROUBLES VASO-MOTEURS AU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT,
AVEC MÉIOPRIIGIE ET SANS MODIFICATION LOCALE
DES RÉFLEXES OSSO-TENDINEUX(")
Nous présentons à la Société une malade atteinte, depuis huit ans envi-
ron, de troubles de la marche liés à une lésion de la moelle dorsale. En
1912, l'un de nous eut déjà l'occasion de l'examiner, et constata l'exis-
tence aux membres inférieurs d'une exagération notable des réflexes ten-
dineux et des réflexes de défense, avec clonus du pied et signe de l'orteil
bilatéral. Un traitement spécifique fut institué, et détermina une certaine
amélioration.
Il y a un an, la malade s'aperçut pour la première fois que son pied se
refroidissait, devenait violacé et enflé. Elle constatait aussi des troubles
du même ordre à la main droite, qui s'affaiblissait, au point que la
malade s'en trouvait gênée pour écrire ou pour travailler.
L'ayant revue ces temps derniers, nous avons constaté que les modifi-
cations des réflexes précédemment observées aux membres inférieurs sont
toujours présentes ; qu'il s'y ajoute de l'oedème, de la cyanose et une
hypothermie prononcée du pied et de la jambe du côté droit, avec surex-
- (') 11 est bien entendu que je n'ai pas en vue tous les réflexes cutanés de la partie inférieure du
corps. Sans cette restriction, ma proposition serait inexacte ; car, ainsi que je l'ai dit précédemment,
dans la forme de paraplégie dont je m'occupe, le réflexe abdominal, le réflexe crémastérien et la
flexion réflexe des orteils peuvent être abolis. Les réflexes que j'envisage sont ceux qui ont pour
caractère de pouvoir être indistinctement produits par des excitations portant sur divers points de la
surface cutanée et de se manifester par des mouvements combinés des divers segments des membres
inférieurs. Ce sont les réflexes de défense, suivant le sens que les physiologistes donnent à cette
expression.
(2) J. Babinski et G. Hoitz, Société de Neurologie de Paris, séance du 3 mai 1917.
PARAPLÉGIE SPASMODIQUE ORGANIQUE 337
citabilité mécanique des muscles. Les mêmes signes se montrent, plus
discrets, au membre inférieur gauche.
A la main et à l'avant-bras du côté droit, l'hypothermie est également
très appréciable, surtout par les journées froides. Le dos et la paume de
la main sont rouges, à certains jours même violacés, et on y voit des cica-
trices d'engelures. Au contraire, la main gauche a gardé la coloration et
la température normales. La force que la malade peut déployer de la main
droite est très inférieure à celle de la main gauche : il est aisé de vérifier
l'affaiblissement de la flexion des doigts, de l'abduction des doigts, de
l'extension de la main sur l'avant-bras. Ajoutons que les réflexes osso-
tendineux sont normaux, de même intensité exactement qu'au membre
supérieur gauche.
La pression artérielle est sensiblement la même des deux côtés : nom,5
à droite et 12 centimètres à gauche pour la pression systolique (méthode
de Riva-Rocci-Vaquez) ; elle est de 8 pour la pression diastolique des deux
côtés (appareil de Pachon). Quant aux oscillations, elles sont nettement
réduites à droite : 6° à l'humérale droite contre 8" à gauche ; i" à la radiale
droite contre 4",5 à gauche ; elles deviennent égales des deux côtés après
un bain chaud.
Ces dernières constatations, nous l'avons montré, permettent d'écarter
l'hypothèse d'une oblitération artérielle : elles nous conduisent à rappro-
cher les troubles observés, dans le membre supérieur droit de cette
malade, des troubles pltysiopathiques (hypothermie, cyanose, parésie), que
l'on note chez certains blessés des membres. En pareil cas nous avons
relevé également une notable diminution de l'amplitude des oscillations
avec maintien de la pression artérielle.
Mais dans le travail où nous avons exposé ces faits, nous avons signalé
aussi que ces mêmes troubles pouvaient se voir, et non exceptionnelle-
ment, dans certaines hémiplégies ou paraplégies organiques, sur les
membres paralysés. Nous en avons conclu que la pathogénie « réflexe »
des troubles physiopathiques, qu'on observe chez les blessés des membres,
n'excluait pas une pathogénie « centrale » de ces mômes troubles, l'exci-
tation des centres médullaires et ganglionnaires du sympathique pouvant
dépendre d'une lésion cérébrale ou médullaire, comme d'une irritation
périphérique.
A la dernière séance de la Société, l'un de nous présentait, en collabo-
ration avec R. Dubois, un malade atteint d'hémiplégie gauche, qui parais-
sait dépendre d'une association hystéro-organique. Bien que de très
grands progrès eussent été faits rapidement sous l'influence de la psycho-
thérapie, il subsistait un certain degré d'affaiblissement, et une hypother-
mie assez prononcée du membre inférieur accompagnée de quelques
troubles voso-moteurs. Ce malade avait enfin une hémianopsie gauche.
Au même titre que ce dernier symptôme, l'hypothermie et la parésie du
membre inférieur paraissaient dépendre d'une lésion encéphalique.
Une explication analogue peut être donnée des troubles physiopathiques
que notre malade présente au membre supérieur droit.
BAmasst. 2 a
338 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
L'hypothermie, la cyanose et l'oedème ont été assez souvent constatés
aux membres inférieurs en cas de paraplégie spasmodique, et en général
rattachés à l'immobilisation. Mais cette malade n'est pas immobilisée ;
elle se déplace aisément en s'appuyant sur le bras d'une autre personne.
Quant à son membre supérieur droit, elle s'en sert continuellement, dans
la pensée, nous dit-elle spontanément, de le réchauffer et de l'empêcher
de s'engourdir. C'est dire qu'il ne peut être question ici d'un syndrome
provoqué par une immobilisation plus ou moins volontaire.
Comme il n'existe, nous l'avons vu, aucun signe d'oblitération artérielle,
il nous semble rationnel de rattacher les troubles circulatoires et l'hypo-
thermie, notamment pour ce qui concerne le membre supérieur, à une
altération de la moelle et plus particulièrement des fibres sympathiques
qui y prennent naissance. Quant à la parésie du membre supérieur, en
l'absence de tout signe objectif de lésion des cornes antérieures ou de la
voie pyramidale, elle paraît liée, au moins pour une grande part, à la
vaso-constriction et à l'abaissement de la température, qui, étant très mar-
quées, doivent un état de méiopragie plus ou moins prononcé.
V
HÉYIISII%DRO111L' SYMPATHIQUE ET MÉDULLAIRE
A TYPE IRRITA TIF, A ÉVOLUTION INTERMITTENTE
ET RYTHMÉE
[J. BABINSKI ET J. Jumentié.]
Publié dans la Revue Neurologique, n° 12, décembre 1921.
L'observation clinique que nous rapportons est celle d'une malade de
dier comme nous l'aurions désiré, qui toutefois bien qu'incomplète
comporte des faits sortant de la banalité et nous paraissant dignes d'être
mis en lumière.
En résumé, nous nous trouvons en présence :
1" D'un syndrome sympathique unilatéral caractérisé par des troubles des
réactions sudorales, pilomotrices, vasomotrices et thermiques occupant la
moitié gauche du corps au-dessous d'une ligne séparant les 10. et 11e ter-
ritoires cutanés radiculaires dorsaux et présentant son maximum d'inten-
sité en Du, D 12 et L i.
2° De phénomènes médullaires concomitants : exagération des réflexes
tendineux et périostés du membre inférieur correspondant, avec exagé-
ration des réflexes de défense ; contractions toniques rythmées de la moi-
tié sous-ombilicale du muscle grand droit, des deux dernières digitations
costales du grand oblique, du psoas-iliaque, du quadriceps fémoral et du
jambier antérieur traduisant une irritation des filets radiculaires de D 10,
1) 11, D 12 et Lui, L 2, L 3, L 4 et L 5 ou de leurs cellules d'origine ; trou-
bles sphinctériens.
Ces phénomènes sympathiques et médullaires à topographie commune
marchent de pair, apparaissant en même temps et s'épuisant de même.
Dans la période de douze heures qui sépare les crises ils semblent faire
défaut ; il subsiste seulement un peu de relâchement hypotonique de la
moitié sous-ombilicale gauche de la paroi de l'abdomen. Durant la crise,
il existe un synchronisme parfait des contractions des muscles lisses de
34o .UMPLHCS AFFECTIONS DE LA MOELLE
la peau (innervation sympathique) et des muscles striés de l'abdomen et
du membre inférieur (innervation médullaire).
Le rythme de ces phénomènes est un point sur lequel nous tenons à
insister, car à notre connaissance des faits analogues n'ont pas été
publiés. Si II11C Dejerine et André Thomas ont eu l'occasion de constater
chez les grands blessés de la moelle des crises sympathiques plus ou moins
durables, permanentes même comme chez le malade dont l'histoire ana-
tomo-clinique a été rapportée récemment par Mme Dejerine et l'un de
nous ('), jamais ces auteurs n'ont observé les poussées rythmées que nous
décrivons dans cette observation.
Ce rythme a les caractères suivants :
i" Crises sympathiques de 6 à 7 heures de durée ; séparées par des
périodes de calme de 12 heures.
2" Chaque crise elle-même est discontinue, les contractions toniques des
muscles lisses et striés, la sudation, la réaction pilomotrice, les spasmes
vasculaires ont une durée de 3o secondes environ avec une légère et très
courte rémission vers la 15e seconde, puis survient une période de relâ-
chement de 15 à 20 secondes.
Un pareil syndrome traduit indubitablement une lésion sympathique
gauche ; il dénote en outre une participation de la moelle.
Est-il possible de situer exactement cette lésion qui intéresse à la fois
le sympathique et la moelle ? La limite supérieure de la zone de produc-
tion de tous les phénomènes spontanés sympathiques et spinaux (ligne
séparant les 10e et 1 ie territoires cutanés radiculaires dorsaux) indique une
atteinte des voies sympathiques gauches à cette hauteur, mais il est dif-
ficile de préciser si ces voies ont été intéressées dans leur trajet intra ou
extra médullaire.
Une interruption de la chaîne sympathique gauche entre les 9e et
10" ganglions thoraciques pourrait en effet expliquer d'une part l'appari-
tion spontanée des phénomènes sympathiques dans la portion du corps
en relations avec le segment de la chaîne sous-jacente à la lésion, de
l'autre l'arrêt à ce même niveau du réflexe pilomoteur encéphalique abso-
lument normal dans les régions sus-jacentes (cervico-brachiale et thora-
cique gauches).
Les phénomènes médullaires qui accompagnent la crise devraient être
mis alors sur le compte d'un retentissement de l'excitation sympathique
sur les segments médullaires dorsaux inférieurs et lombaires par l'inter-
médiaire des rami-communicantes.
On peut aussi, et c'est l'hypothèse qui nous paraît la plus vraisemblable,
admettre que la lésion porte non plus sur la chaîne mais sur la colonne
sympathique infra-médullaire, au niveau des i ie et 12e segments dorsaux
et du il'* segment lombaire, dans la partie postéro-externe de la corne
latérale gauche et qu'elle s'étend dans la corne antérieure jusqu'aux cel-
(') Tumeur illlrall1<;,JuIJaire de nature complexe : prolifération epitheliale et glieusc avec bémalo-
myélie et cavités médullaires ; syndrome de compression lente de la moelle et réaction pilomotrice
permanente. Mmc J. Dejerine et J. Jumentié, Société de Neurologie, novembre ig21.
IIÉMISYNDROME SYMPATHIQUE ET MÉDULLAIRE 3. 1
Iules radiculaires des muscles intéressés. Cette lésion devrait être toute-
fois de dimensions extrêmement réduites, puisque nous ne constatons
chez cette malade aucune atrophie musculaire, et qu'il existe une inté-
grité parfaite de toutes les sensibilités et une absence de tout phénomène
d'irritation pyramidale entre les crises. '
Il nous paraît impossible de ne pas tenir compte dans l'étiologie de ces
troubles, du traumatisme violent qu'a reçu cette malade. La radiographie
ne nous a toutefois révélé aucune lésion osseuse.
En terminant, nous ferons remarquer que cette observation clinique
met en évidence l'indépendance de la sécrétion par rapport à la circula-
tion, puisque la sueur perlait des orifices glandulaires au moment où la
peau de la paroi abdominale présentait son maximum de pâleur par suite
de la contraction tonique vasomotrice. C'est d'ailleurs là une notion éta-
blie depuis longtemps par les physiologistes.
CONTRACTURE LIÉE A UNE IRRITATION
DES CORNES ANTÉRIEURES DE LA MOELLE
DANS UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE ? )
Il y a tout lieu d'admettre qu'il s'agit d'une syringomyélie occupant une
grande étendue de la région cervicale : l'abolition de tous les réflexes
des membres supérieurs, l'amyotrophie, les secousses fibrillaires, la topo-
graphie de l'anesthésie et la dissociation spéciale des divers modes de la
sensibilité, les lésions de l'articulation de l'épaule constituent un ensem-
ble symptomatique cadrant avec ce diagnostic.
Ce serait même un cas assez banal ne méritant pas d'être relaté, n'était
la contracture du membre supérieur gauche sur laquelle je désire appeler
l'attention et dont il me parait intéressant de chercher à déterminer le
mécanisme. Abstraction faite de la raideur mécanique causée par des
lésions articulaires ou péri-articulaires, il y a incontestablement une rigi-
dité due à une contracture vraie ; cela ressort nettement des détails de
l'observation.
La contracture, à la vérité, est un phénomène très commun dans la
syringomyélie et provient d'habitude d'une perturbation subie par les fais-
ceaux pyramidaux. Mais est-il possible, dans ce cas, de lui attribuer une
pareille origine ? Il me parait difficile de l'admettre.
S'il en était ainsi, si les fibres des faisceaux pyramidaux correspondant
au membre supérieur étaient atteintes dans la région cervicale, celles qui
se rendent à la région lombaire seraient presque inévitablement touchées,
et l'on observerait aux membres inférieurs des signes décelant l'existence
d'une altération de la voie pyramidale. Or, les réflexes rotuliens, les
réflexes achilléens, le réflexe cutané plantaire sont normaux et il n'existe
aucun trouble de la marche.
(') J. Babinski,. Société de Neurologie de Paris, séance du G février igio.
34a PARAPLÉGIES AFFECTIONS DE LA MOELLE
De plus, tandis que la contracture liée à une irritation des faisceaux
pyramidaux s'accompagne ordinairement d'une exagération de réflexes
tendineux, chez le malade que je présente, les réflexes tendineux et osseux
du membre supérieur gauche contracturé, non seulement ne sont pas
exagérés, mais sont même abolis.
Il existe, sans doute, une forme de contracture sur laquelle j'ai appelé
l'attention, qui dépend aussi des lésions du système nerveux central inté-
ressant la voie pyramidale et dans laquelle les réflexes tendineux peuvent
être affaiblis ou abolis ; mais alors les réflexes cutanés de défense sont
exagérés (contracture cutanéo-réflexe). Ici les réflexes de défense font
défaut.
Je suppose que, dans l'espèce, la contracture est la conséquence d'une
irritation des cellules des cornes antérieures de la moelle, produite par la
néoformation gliomateuse. Cette idée me paraît concorder fort bien avec
les données que nous possédons sur l'anatomie pathologique de la syrin-
gomyélie. Je dois reconnaître cependant que ce n'est encore qu'une hypo-
thèse nécessitant une vérification anatomique.
On peut rapprocher cette contracture des spasmes que déterminent
parfois des lésions du nerf facial. 11 s'agirait de part et d'autre de raideurs
provenant d'un mode pathologique de l'activité musculaire, différentes il
est vrai dans leur forme, mais conditionnées toutes deux par une irritation
du neurone moteur périphérique.
IL TABES ET PSEUDO-TABES
VI
SUR LE RÉFLEXE DU TENDON D'ACHILLE DANS LE TABES
JJ. BABINSKI.]
Publié dans les Bulletins et Mémoires de la Société médicale des Hôpitaux de Paris,
séance du 21 octobre 1898.
Il y a deux ans, j'ai attiré l'attention de la Société médicale (') sur l'affai-
blissement ou l'abolition du réflexe du tendon d'Achille dans la scia-
- tique, phénomène qui, jusqu'alors, n'avait été mentionné par aucun
auteur, sauf par Sternberg, qui l'a signalé dans sa monographie sur les
réflexes tendineux.
Il est logique d'admettre à priori que ce phénomène dénote seulement
l'altération des fibres du sciatique faisant partie de l'arc réflexe dont le
tendon d'Achille est le point de départ et qui aboutit aux muscles exten-
seurs du pied sur la jambe, mais qu'il n'indique ni la nature de cette
altération ni la hauteur à laquelle elle siège, qu'elle est, par conséquent
susceptible d'apparaître dans toutes les variétés de névrite, quelle qu'en
soit la cause, que la lésion se trouve située à la périphérie du nerf ou à son
origine. Il y avait donc tout lieu de supposer que le tabes, quand il atteint
les racines du sciatique, provoque l'affaiblissement ou l'abolition du
réflexe du tendon d'Achille. Mais l'observation seule pouvait renseigner
sur la fréquence de ce trouble dans le tabes, sur son importance au point
de vue du diagnostic de cette affection et permettre d'établir, à cet égard,
un parallèle entre ce phénomène et le signe de Westphal. Ce sont les
(') Abolition du réflexe du tendon d'Achille dans la sciatique, par .1 . Babinski, Bulletins el Mémoires
de la Société médicale des Hôpitaux de Paris, séance du 18 décembre 1896.
3â ! , PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
résultats des recherches que je poursuis déjà depuis longtemps sur ce
sujet que je viens faire connaître aujourd'hui à la Société.
Mes observations me conduisent à cette opinion que l'affaiblissement ou
l'abolition du réflexe du tendon d'Achille a une aussi grande importance
pour le diagnostic du tabès que le signe de Westphal. Chez la plupart des
tabétiques, il y a une perturbation dans les deux réflexes, et les cas, assez
rares du reste, dans lesquels le réflexe du tendon d'Achille est seul affai-
bli ou aboli, me paraissent aussi nombreux que ceux où la perturbation
dans les réflexes tendineux ne porte que sur le réflexe rotulien. Il est vrai-
semblable que ce signe aurait été constaté s'il avait été recherché, au
moins dans quelques-uns des cas de tabès avec conservation du réflexe
rotulien qui ont été publiés jusqu'à présent, en particulier dans l'obser-
vation de liZ. llchard et Lévy(').
De ce qui précède, il ressort qu'il y a intérêt à rechercher systématique-
ment dans la clinique des maladies nerveuses le réflexe du tendon
d'Achille.
UN CAS DE CRISES GASTRIQUES TABÉTIFORMES
LIÉES A L'EXISTENCE D'UN PETIT ULCUS JUXTA-PYLORIQUEe)
Les auteurs formulent les conclusions suivantes :
i" Il existe des crises gastriques ayant absolument la physionomie des
crises gastriques tabétiques, en dehors de tout signe clinique et biologi-
que de tabes ;
2° Les caractères distinctifs qu'on a coutume d'invoquer pour opposer
les crises gastriques tabétiques aux paroxysmes douloureux des gastro-
pathies organiques n'ont pas la valeur sémiologique qu'on leur prête
d'habitude. Dans notre cas, les crises étaient, depuis six ans environ,
séparées par des intervalles de santé parfaite (pas de douleurs, pas de
troubles dyspeptiques) et, à aucun moment, le malade n'avait présenté de
symptômes pathognomoniques d'un ulcus : hématémèse ou m,déna.
3° Il peut donc être indiqué, dans certains cas, en face de crises gastri-
ques invétérées, quand on a éliminé par un examen méthodique et com-
plet du système nerveux l'hypothèse d'un tabes, d'intervenir chirurgicale-
ment, alors même qu'il n'existe pas de signes suffisamment convaincants
pour affirmer une gastropathie organique.
duo Il est possible que de pareilles crises, reconnaissant la même cause,
surviennent chez des tabétiques avérés. L'idée d'une pareille coïncidence
ne doit pas être perdue de vue, en raison des conséquences thérapeutiques
qui peuvent en découler.
(') Achard et Lévy, Iconographie de la Salpêtrière, 1898.
(2) J. Babinski, Stcphen, Chauvct et Gaston Durand, Société de Neurologie de Paris, séance du
6 mars igi3.
TABES ET PSEUDO-TABES 345
OSTÉOPATHIES ET IRTIIROPATIIIES DU TABES
« J'avoue que j'ai quelque peine à admettre que l'arthropathie de ce ma-
lade, qui pourtant présente tous les caractères appartenant aux lésions
articulaires de l'ataxie, soit un trouble trophique dépendant des altérations
nerveuses du tabes. N'est-elle pas le résultat d'une action directe du
virus syphilitique sur les extrémités osseuses ? L'arthropathie de
mon malade est-elle due à des lésions nerveuses du tabes, d'ailleurs
hypothétique en l'espèce, et tout au moins extrêmement discrètes ? Ne
s'agit-il pas plutôt d'une forme d'arthropathie syphilitique (') ? »
TABES HÉRÉDO-SYPHI LITIQUE(2) (TABES HÉRÉDITAIRE)
Je suis porté à croire que le tabes hérédo-syphilitique est plus commun
qu'on ne le pense généralement, mais que, comme le tabes conjugal, il
demande à être cherché parce qu'il se manifeste dans bien des cas sous
une forme fruste et ne s'impose pas alors à l'attention du médecin. J'ai
observé déjà autrefois des faits de cet ordre et j'ai actuellement deux exem-
plaires de cette affection, recueillis dans ces derniers quinze jours; je les
présente à la Société. Il s'agit de deux cas de tabès hérédo-syphilitique
d'autant plus intéressants que le père de chacun de ces deux sujets est
lui-même atteint de tabès.
Le diagnostic de tabès me paraît certain chez ces deux jeunes filles ;
elles présentent, en effet, des signes caractéristiques de cette affection.
La première est sujette à des douleurs lancinantes, ses réflexes rotuliens
sont inégaux, le droit est normal, le gauche est presque aboli ; ses pupilles
ne se contractent pas à la lumière, et à l'examen du liquide céphalo-
rachidien on trouve de la lymphocytose. Chez la deuxième on constate les
mêmes troubles pupillaires, de la lymphocytose, des troubles urinaires et
une abolition des réflexes tendineux des membres inférieurs ; de plus,
cette deuxième malade est atteinte de démence précoce ou de méningo-
encéphalite diffuse. On pourrait, il est vrai, contester ce diagnostic et,
comme l'a fait Gumpertz (3) dans un cas analogue, soutenir qu'il s'agit
(') Publié dans les comptes-rendus de la S. W. 6 mai 1909. A. propos de la communication de
MM. Achard et Foix intitulé Tabes fruste avec arthropathie. Discussion. M. Babinski. Cf. Thèse de
Barré. Paris, ign.
(2) J. Babinski, Société Médicale des Hôpitaux de Paris, séance du 24 octobre 1902.
(3) Gumpertz. Was beweisen tabische Symptome bei hereditar syphilitischen Kindern sur die
/Etiologie des Tabes. Ncurologisches Centralblall, igoo, p. 8o3.
3/|fi PARAPLÉGIES AFFECTIONS DE LA MOELLE
plutôt de syphilis cérébro-spinale que de tabès ; sans discuter à fond cette
question, je me contenterai de faire remarquer que le tabès est lié à la
syphilis et que, quand la syphilis du système nerveux frappe les racines
postérieures et donne lieu à une association de plusieurs symptômes tels
que l'abolition du réflexe à la lumière des pupilles, l'abolition des réflexes
tendineux, des douleurs lancinantes ou de l'incontinence d'urine, on est
en droit de dire que le tabès est constitué.
L'hérédo-syphilis se manifeste encore chez la première malade par la
kératite interstitielle ainsi que par l'altération des dents ; de plus elle est
confirmée par les aveux du père. La deuxième est manifestement syphili-
tique, mais, en se fondant sur les déclarations du père, qui affirme n'avoir
jamais été contaminé, on pourrait supposer qu'il s'agit d'une syphilis
acquise. Toutefois, si l'on prend en considération les antécédents de la
mère, qui, avant de donner naissance à cette enfant, avait accouché avant
terme d'un foetus macéré, la coexistence du tabes chez le père et la fille,
l'idée de syphilis transmise héréditairement me semble s'imposer à l'es-
prit, et les dénégations du père, qui, du reste, me paraît sincère, mon-
trent seulement une fois de plus que les accidents initiaux de la syphilis
peuvent être méconnus.
Il est à remarquer que la malade de l'Observation I, sauf les ulcérations
anales probablement syphilitiques qu'elle a présentées à sa naissance et
les altérations dentaires, n'a eu aucune manifestation de syphilis jusqu'à
l'âge de dix-huit ans ; c'est donc un cas d'hérédo-syphilis tardive.
La coexistence du tabes chez le père et la fille dans ces deux observa-
tions en augmente l'intérêt et l'on serait en droit de dire qu'il s'agit là de
tabes héréditaire, en ayant soin, pour éviter une confusion, de rappeler
que cette dénomination a déjà été donnée à une affection distincte du
tabes, la maladie de Friedreich. Cette coexistence a, du reste, été déjà
notée dans plusieurs des observations antérieurement publiées. Le lien
principal qui unit le tabes du père ou de la mère au tabès de l'enfant est
évidemment la syphilis, mais il y a lieu de rechercher la cause pour
laquelle l'agent morbide frappe dans ce cas de part et d'autre le système
nerveux. S'agirait-il d'une simple coïncidence fortuite ? cela me paraît peu
probable. Serait-ce, comme l'a supposé Iorel-Lavallée, pour la paralysie
générale conjugale, parce que certains virus syphilitiques auraient plus
d'action que d'autres sur le système nerveux, ou bien parce que l'enfant
hérite de son père et de sa mère d'une prédisposition au développement
de troubles nerveux ? Ce ne sont là, que des hypothèses, sur lesquelles je
n'insiste pas.
Je tiens surtout à faire observer, comme je l'ai fait autrefois pour le
tabès conjugal ('), que le tabès hérédo-syphilitidue risque d'être souvent
méconnu s'il n'est pas systématiquement recherché. Dans l'observation II,
il n'était pas venu à l'esprit du père, ni à celui des médecins qui l'avaient
soigné, qu'il pût avoir une affection du système nerveux ; si, après avoir
(') J. Babinski, Revue Neurologique, 1900, p. 34o.
TABES ET PSEUDO-TABES 34f 7 ï
vu sa fille, je n'avais pas demandé qu'il vint se soumettre à mon examen,
je n'aurais pas été en droit de dire qu'il s'agissait de tabes hérédo-syphi-
litique. Dans l'observation I, le père ne se doutait pas que sa fille fut
atteinte d'une affection grave du système nerveux, et ce n'est que sur
mon conseil qu'il me l'a conduite. '
Il est pourtant essentiel de dépister le tabes hérédo-syphilitique, car il
y a tout lieu de penser que le traitement hydrargyrique prolongé, inten-
sif, institué à temps, peut exercer sur cette affection une influence aussi
grande que sur le tabes ordinaire, qu'il est au moins capable d'en enrayer,
dans une certaine mesure, l'évolution.
TABES CONJUGAL ? )
DISCUSSION après la communication DE M. Souques. - C
M. J. Babinski. Depuis plusieurs années, toutes les fois que je suis
en présence d'un malade atteint de tabes, je m'informe, s'il est marié, de
l'état de son conjoint, je demande à l'examiner si cela est possible et je
suis arrivé ainsi à observer une quinzaine de cas de tabes conjugal.
Je n'ai pas de statistique à offrir et je ne suis pas en mesure de déter-
miner avec précision le degré de fréquence du tabes conjugal chez les
tabétiques mariés. Je crois cependant pouvoir affirmer que les cas de ce
genre sont trop communs pour qu'il soit permis de n'y voir qu'une simple
coïncidence. Ces faits ne peuvent guère être compris que si, après avoir
admis l'importance du rôle de la syphilis dans la genèse du tabes, on
suppose que l'un des conjoints a été contaminé par l'autre.
Mes observations m'ont appris que le plus ordinairement le tabes n'a
pas la même intensité et ne débute pas à la même époque chez les deux
conjoints, que parfois il est bien moins intense et plus tardif chez celui
qui a été le premier infecté.
Le tabès peut être très marqué chez l'un et fruste chez l'autre, d'où la
nécessité, si l'on veut se faire une idée de la fréquence de ces faits, de
soumettre à un examen minutieux des personnes qui ne vous y invitent
pas et qui se montrent même parfois fort surprises des questions qu'on
leur pose à cet égard. Tel individu, par exemple, qui présente le signe
de Robertson, l'abolition du réflexe rotulien et du réflexe du tendon
d'Achille, qui est sujet à des crises de douleurs fulgurantes, et qui, par
conséquent, a des manifestations caractéristiques du tabes, pourra se
croire simplement en proie à des douleurs rhumatismales, et il ne lui
viendra pas à l'esprit qu'il souffre de la même maladie que son conjoint
atteint d'atrophie papillaire ou d'incoordination motrice.
J'ai noté dans plusieurs de ces cas que le mariage avait eu lieu fort
longtemps, 11 ans, 13 ans, après que l'un des conjoints avait été conta-
(') Société de Neurologie de Paris, séance du 5 avril igoo.
348 PARAPLÉGIES AFFECTIONS DE LA MOELLE
miné ; dans les faits de ce genre, c'est le mari qui avait le premier subi
l'infection et la syphilis n'avait paru manifester son action chez la femme
que par des fausses couches, des accouchements d'enfants mort-nés et
par le tabès.
J'ai observé aussi deux fois des conjoints atteints l'un de tabes, l'autre
de paralysie générale ; j'ai vu enfin, récemment, une femme atteinte de
paralysie spasmodique associée à de l'atrophie papillaire, dont le mari
présentait des signes de tabes fruste.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA SYPHILIS FAMILIALE ? )
En principe, lorsque, dans un ménage, un des conjoints reconnaît avoir
eu la syphilis ou en présente des stigmates, l'autre conjoint et les enfants
issus de leur union devraient être soumis à l'épreuve du séro-diagnostic.
Il serait intéressant aussi dans les cas de syphilis familiale de savoir
quel était, au moment du mariage, l'âge exact de la syphilis chez le
conjoint qui a apporté la maladie. A notre regret, sauf dans une observa-
tion que nous venons de rapporter, nous n'avons pas pu obtenir de ren-
seignements sur ce point.
Une vaste enquête, pratiquée conformément aux indications que nous
venons d'énoncer, donnerait des résultats qui, au point de vue pratique,
auraient sans doute de l'importance. Ils permettraient peut-être en parti-
culier de déterminer, d'une manière encore plus rigoureuse qu'on ne l'a
fait jusqu'à présent, le délai au delà duquel la syphilis ne risque plus
d'être transmissible. '
(1) J. Babinski et IL Barré, La Tribune médicale, 28 mai igio.
VII
SUR UNE FORME DE PSEUDO-TABES
(NÉVRITE OPTIQUE RE'TRO-BULBAIRE INFECTIEUSE
ET TROUBLES DANS LES RÉFLEXES TENDINEUX)
1 J. BABINSKI.
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 5 juillet igoo.
La malade que je présente à la Société est atteinte de troubles oculaires
qui se manifestent en partie par une décoloration des papilles sem-
- blable à celle qu'on observe dans le tabès et par une perturbation
dans les réflexes pupillaires ; de plus, les réflexes rotuliens des deux côtés
et le réflexe du tendon d'Achille d'un côté sont abolis. Il en résulte un
ensemble symptomatique qui parait, à premier examen, dépendre du tabes,
qui doit être pourtant distingué de cette affection, ainsi que je vais cher-
cher à le démontrer, et qui peut être considéré comme appartenant à une
forme particulière de pseudo-tabes différant du pseudo-tabes vulgaire,
d'origine alcoolique.
Voici l'observation de celte malade :
Femme de 28 ans, mariée depuis quatre ans, n'ayant jamais eu d'enfants ni de
fausse couche. Peu de temps après son mariage, exanthème et ulcérations buccales,
sur la nature desquels nous n'avons pu nous faire une opinion précise. Il y a près de
trois ans, douleurs qualifiées de rhumatismales dans le tronc et dans les membres.
Depuis, quelques indispositions passagères, des rhumes, auxquels la malade n'a
attaché aucune importance, qui ne l'ont jamais obligée à garder le lit. Elle est sobre
et l'a toujours été.
Il y a un peu plus de deux mois, elle constata un matin, au réveil, que la vue du
côté gauche était affaiblie ; les jours suivants, ce trouble s'accentua et au bout de deux
semaines aboutit à une cécité complète. Puis l'oeil droit fut atteint à son tour, mais en
môme temps la vision reparaissait dans l'oeil gauche.
Dans une troisième phase, la vision de l'oeil droit qui, du reste, n'avait jamais été
totalement abolie, s'améliora et de nouveau la fonction visuelle fut abolie du côté
gauche. Pendant quinze jours, il y eut des douleurs de tète très fortes.
35o A/PLA'G/BS AFFECTIONS DE LA MOELLE
Mon ami, le Dr Dehenne, que la malade avait consulté, eut la complaisance, dont je
le remercie, de me l'adresser.
Le 27 juin, elle se trouve dans l'état suivant. Du côté gauche, cécité presque
complète ; la malade ne perçoit aucun des objets que l'on place devant l'oeil ; elle ne
distingue guère que le jour de la nuit. Du côté droit, l'acuité visuelle est normale et
il n'y a pas de dyschromatopsie. L'examen ophtalmoscopique décèle l'existence d'une
décoloration papillaire bilatérale, plus prononcée à gauche, qui a le même aspect que
l'atrophie tabétique ; le Dr Dehenne, qui est très compétent en celte matière, m'a
déclaré nettement qu'il est impossible, selon lui, de distinguer objectivement cette
lésion de la sclérose du tabes. L'excitation lumineuse de l'oeil gauche ne provoque de
contraction pupillaire ni à gauche, ni à droite ; au contraire en éclairant l'oeil droit
on obtient, comme à l'état normal, une contraction bilatérale des pupilles. Sous
l'influence de la convergence les deux pupilles se contractent. Les réflexes rotuliens
sont abolis ; le réflexe du tendon d'Achille est aboli à gauche, conservé à droite.
Aucun autre trouble à signaler.
La malade fait usage d'iodure de potassium depuis deux semaines ; le 27 juin, je lui
prescris de la liqueur de Van Swieten.
En l'espace d'une semaine il s'opère une notable amélioration dans les fonctions
de l'oeil gauche. Le 4 juillet, la perception des objets est possible dans une faible
partie, il est vrai, du champ visuel qui est très notablement rétréci ; l'acuité visuelle
est inférieure à 1/10. L'éclairage de l'oeil gauche donne lieu à une contraction bila-
térale des pupilles; mais cette excitabilité s'épuise après deux ou trois excitations
successives et ne reparait que si on laisse l'oeil se reposer quelques instants. Pour le
reste, même étal.
Les troubles observés chez cette femme, sauf la décoloration des papilles, diffèrent
de ceux qui appartiennent au tabes. En effet, contrairement à ce qui a lieu dans cette
affection, on note ici, du côté droit, une acuité visuelle normale et une absence de
dyschromatopsie qui contrastent avec l'existence de la sclérose papillaire. De plus,
lorsque le tabes abolit d'un seul côté le réflexe pupillaire (signe de Robertson uni-
latéral), ce qui est rare, il est vrai, l'excitation lumineuse de l'oeil atteint provoque,
comme à l'état normal, la contraction de la pupille de l'autre oeil et la pupille insen-
sible à l'éclairage direct reste également insensible à l'éclairage de l'oeil sain; c'est,
du moins, ce que j'ai constaté plusieurs fois et cela paraît montrer que le signe de
Robertson est sous la dépendance d'une lésion de la voie réflexe centrifuge. Or, c'est
l'inverse que l'on observe ici.
Enfin l'évolution de la maladie, l'amélioration notable qui a été obtenue, font écarter
de l'esprit l'idée d'une sclérose de nature tabétique.
La névrite optique alcoolique qui, semblable en ceci à la névrite optique de notre
malade, est susceptible, après avoir produit des troubles fonctionnels très prononcés,
de s'atténuer et de disparaître, en diffère essentiellement. En effet, dans la névrite
alcoolique on ne voit guère une décoloration papillaire coïncider avec une acuité nor-
male et l'altération de la vision n'aboutit jamais à la cécité transitoire ; de plus, cette
névrite donne lieu à une dyschromatopsie semblable à celle du tabès : elle atteint la
partie centrale et respecte la périphérie du champ visuel et elle est, dès le début,
bilatérale et symétrique.
La névrite observée dans ce cas a les caractères de celte forme spéciale de névrite
optique que Parinaud a bien décrite le premier, qu'il a fait connaître dans plusieurs
publications et que Hock a dénommée la névrite rétro-bulbaire.
Parinaud estime qu'il serait bon, pour distinguer cette forme de névrite de celle
qui est causée par l'alcool, d'ajouter à la dénomination précédente l'épithète d'infec-
TABES ET PSEUDO-TABES 351
tieuse (névrite rétro-bulbaire infectieuse), qui la caractériserait au point de vue étiolo-
gique, car elle est, selon Parinaud, sons la dépendance de l'infection, des infections
de diverses espèces, érysipèle, rhumatisme, grippe, etc., pouvant du reste l'engendrer.
Dans le cas présent il nous est impossible d'affirmer que l'infection soit en cause.
S'agirait-il de syphilis ? On serait en droit de le supposer en se fondant sur l'exanthème
et les ulcérations buccales que la malade a présentés peu de temps après son
mariage, ainsi que sur l'action apparente du traitement hydrargyrique ; mais je ne
suis pas en droit, tant s'en faut, d'être affirmatif à cet égard. J'ai cru cependant devoir
me servir, dans le titre de ce travail, de l'expression de névrite rétro-bulbaire infec-
tieuse, parce que les troubles oculaires présentent les caractères cliniques appartenant
à cette névrite.
Parinaud a observé l'association de phénomènes cérébraux ou de phénomènes
bulbaires (hémiplégie, paralysie faciale, paralysie de la langue, troubles mentaux) à
la névrite rétro-bulbaire.
Ce qui rend ce cas particulièrement intéressant, c'est qu'à la névrite optique s'asso-
cient des troubles dans les réflexes tendineux qui, selon toute probabilité, dépendent
de la même cause.
Ce fait appartient donc à une forme de pseudo-tabes bien différente, au point de
vue du pronostic, de la maladie de Duchenne, et qui, malgré des analogies pouvant
induire en erreur, se distingue par des caractères cliniques bien tranchés du tabes,
ainsi que du pseudo-tabes alcoolique.
PSEUDO-TABES SPONDYLOSI()UE(1)
J'ai observé plusieurs faits paraissant montrer que la spondylose peut
provoquer des douleurs lancinantes, abolir les réflexes tendineux et réali-
ser ainsi un tableau symptomatique ayant des ressemblances avec celui du
tabès. Il est vraisemblable que ces troubles sont sous la dépendance d'une
lésion des nerfs causée par l'inflammation vertébrale au niveau des trous
de conjugaison. Il m'a paru légitime d'appliquer aux faits de ce genre la
dénomination de « pseudo-tabes spondylosique ».
J'ai déjà eu l'occasion de dire que, dans un cas de spondylose accom-
pagnée de douleurs névralgiques, j'ai constaté une très notable atténua-
tion de tous les symptômes à la suite de pratiques radiothérapiques.
ASSOCIATION DE TABES ET DE LÉSIONS SYPHILITIQUES ? )
Les deux malades que je soumets à l'examen de la Société sont atteints
de tabes bien caractérisé, associé à des troubles qui dépendent manifeste-
ment de la syphilis. Voici les observations de ces deux malades :
Observation I. Femme âgée de 58 ans, ayant eu d'un premier mariage g enfants,
tous morts en bas âge de méningite; remariée ensuite, elle a eu plusieurs fausses
couches. Son premier mari est mort d'une maladie de la moelle qui l'a, paraît-il, fait
(1) J. Babinski, Exposé des travaux scientifiques, page ioi. z
(2) J. Babinski, Société de Neurologie de Paris, séance du 5 juillet 1 go 1.
352 1>,11 ? AI)LÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
beaucoup souffrir. Elle est sujette depuis plusieurs années à des accès de douleurs
fulgurantes dans les jambes. Il y a quelques semaines, elle a été prise d'une douleur
de tête qui a été en s'accentuant et qui est toujours beaucoup plus forte le soir et la
nuit que dans la journée ; de plus, à cette céphalée sont venus se joindre des nausées
et des vomissements. Le 3o mai, jour où je l'ai vue pour la première fois, elle était
en proie à des douleurs de tête de la plus grande violence qui avaient, m'a-t-elle dit,
cette intensité depuis plusieurs jours, la privaient complètement de tout sommeil,
lui enlevaient tout appétit, la rendaient inapte à tout travail et lui paraissaient abso-
lument intolérables ; sa figure exprimait, du reste, les souffrances qu'elle éprouvait.
Elle se tenait à peine debout et les efforts qu'elle faisait pour me décrire son mal
l'augmentaient encore. L'examen objectif donna les résultats suivants : abolition bila-
térale du réflexe rotulien ainsi que du réflexe du tendon d'Achille ; la pupille gauche
ne se contracte ni sous l'influence de la lumière, ni sous celle de l'accommodation ; la
pupille droite se contracte, mais bien moins qu'une pupille normale ; l'examen ophtal-
moscopique n'a pu être pratiqué ce jour.
La malade fut soumise au traitement mixte (frictions mercurielles et iodure de
potassium). Je l'ai revue pour la deuxième fois hier ; son état s'est transformé ; à la
suite du traitement la céphalée ainsi que les vomissements se sont rapidement
atténués et au bout de quinze jours ont complètement disparu ; elle déclare qu'elle
est revenue à la situation dans laquelle elle se trouvait avant l'apparition des
douleurs de tète. L'examen objectif montre que les réflexes tendineux et les réflexes
pupillaires sont semblables à ce qu'ils étaient le 3o mai. A l'ophtalmoscope on ne
trouve aucune lésion du nerf optique, mais des lésions de choroïdite myopique très
prononcées.
Les douleurs fulgurantes, l'abolition des réflexes rotuliens ainsi que des
tendons d'Achille et les troubles pupillaires permettent de porter le
diagnostic de tabès. Les vomissements et la céphalée, en raison des carac-
tères qu'ils avaient et de leur disparition rapide sous l'influence du traite-
ment mixte, doivent être considérés comme liés à une lésion intra-
crânienne de nature syphilitique. Je ferai remarquer, en outre, qu'il est
fort possible que le mari ait été également atteint de tabes et qu'il s'agisse
là d'un cas de tabes conjugal.
Observation II. - Homme âgé de 4 ! , ans, ayant eu un chancre syphilitique il y a
dix-sept ans. Il est atteint depuis plusieurs années de troubles visuels, de quelques
troubles vésicaux et souffre parfois de douleurs fulgurantes. Les réflexes rotuliens et
les réflexes des tendons d'Achille sont abolis ; la pupille droite est plus petite que la
gauche ; signe d'Argyll Robertson, des deux côtés ; la vision est très affaiblie du côté
droit; du côté gauche l'acuité visuelle est de 5/1; du côté droit, le malade ne
distingue aucune couleur; à gauche il n'y a pas de dyschromatopsie. A l'examen
ophtalmoscopique le D Parinaud a constaté, du côté droit, l'existence d'une chorio-
rétinite certainement spécifique ; à gauche, de la pâleur de la papille.
Le diagnostic de tabès est incontestable et il en est de même de la choriorétinite
syphilitique.
Voilà donc deux exemples d'une association de tabès et de lésions
syphilitiques. La coïncidence, qui n'est pas très rare, de ces deux ordres
de lésions est un des arguments qu'on peut faire valoir en faveur de l'opi-
nion d'après laquelle le tabès relève de la syphilis.
vin .
D7 CiP F ? E'Z. ? à F ? C'A C/A 77M
DU CHAMP VISUEL ET DE LA VISION CENTRALE
DANS L'ATROPHIE TABÉTIQUE DES NERFS OPTIQUES
[J. Babinski et J. Chaillous.]
Publié dans les comptes rendus de la Société d'Ophtalmologie de Paris,
séance du 7 février 1907.
M. Morax nous ayant envoyé, à l'hôpital de la Pitié, un tabétique atteint
d'une atrophie des deux nerfs optiques, dont les symptômes lui parais-
saient anormaux, nous avons pu, pendant un an, observer ce malade,
prendre de nombreux tracés de son champ visuel, et suivre jusqu'au bout
l'évolution fatale de son atrophie. Il nous a semblé qu'à cette observation,
il serait intéressant de joindre une étude des champs visuels et de la
vision centrale des atrophies tabétiques que nous avons examinées, soit
à la Pitié, soit parmi nos malades particuliers. M. Morax a eu l'obligeance
de nous autoriser à puiser dans les observations de son service de l'hôpi-
tal Lariboisière. Nous l'en remercions bien vivement.
L'étude du champ visuel de l'atrophie tabétique semble à priori banale.
Nous espérons montrer que la recherche du champ visuel et l'étude de la
vision centrale dans l'atrophie tabétique peuvent être parfois de la plus
grande utilité au point de vue du diagnostic et surtout au point de vue du
pronostic de cette affection. Disons de suite que notre étude porte exclu-
sivement sur le champ visuel pour le blanc, et qu'il ne sera parlé qu'inci-
demment de la vision des couleurs.
Un fait seul suffirait à prouver qu'il y a intérêt à essayer de fixer, en
réunissant de nombreuses observations, le type ou les types cliniques que
peut revêtir le rétrécissement du champ visuel dans l'atrophie tabétique.
Ce fait, c'est l'extrême variété avec laquelle les différents auteurs ont
décrit jusqu'à présent ce symptôme.
Il est donc tout naturel de voir, dans ses Leçons sur les maladies de la
moelle, M. P. Marie constater de la façon suivante que les auteurs sont
BAli ? 33
354 PARAPLÉGIES - affections de La moelle
loin d'être d'accord sur la forme du rétrécissement du champ visuel dans
l'atrophie tabétique :
« Leber parle d'un rétrécissement concentrique ; Galezowski d'un
rétrécissement périphérique ; von Groefe, d'un rétrécissement nasal ;
Schweiger, d'un rétrécissement temporal. Il ne me convient pas,
ajoute M. Marie, d'émettre une opinion à cet égard ; mais, en présence
de pareilles divergences, j'avoue que je me sens assez porté à pen-
ser, avec M. Berger, qu'il n'y a pas de forme de rétrécissement du
champ visuel caractéristique du tabes ; pour ce dernier auteur, ce rétré-
cissement se montrerait du côté temporal. M. Charcot l'a vu, dans la ma-
jorité des cas, prendre la forme de rétrécissement concentrique inégal.
Les scotomes hémiopiques ou en secteur s'observent aussi dans certains
cas, et peuvent même présenter une distribution telle que l'on croirait
tout d'abord à une hémianopsie de cause centrale. »
Voyons maintenant ce que nous pouvons conclure d'après les observa-
tions recueillies, comme nous l'avons déjà dit, à l'hôpital Lariboisière,
dans le service de M. Morax, à l'hôpital La Pitié, dans le service de l'un
de nous, et parmi nos malades de clientèle.
1° Le champ visuel est irrégulièrement rétréci; l'acuité visuelle diminue en
même temps que se rétrécit le champ visuel.
Dans la quarantaine d'observations qui forment notre matériel clinique,
nous constatons que dans la grande majorité des cas le champ visuel est
dans le tabes irrégulièrement rétréci, et que ce rétrécissement irrégulier
va de pair avec un affaiblissement de l'acuité visuelle.
Nous vous faisons passer un premier groupe de vingt-quatre observa-
tions, ou plutôt de vingt-quatre champs visuels d'atrophie tabétique. Pour
ne pas allonger inutilement ce travail, nous joignons simplement aux
champs visuels l'état de l'acuité visuelle.
Il suffit de parcourir ces schémas pour constater l'irrégularité, la varia-
bilité des contours des champs visuels de l'atrophie tabétique. Chez deux
malades, on constate un rétrécissement rappelant un champ visuel d'hémia-
nopsique. Nous disons seulement « rappelant », car l'aspect suffit pour
différencier cette pseudo-hémianopsie du rétrécissement d'origine cen-
trale. Il existe parfois des encoches siégeant aussi bien dans la région
nasale que dans la région temporale, et aussi indifféremment dans la moi-
tié supérieure que dans la moitié inférieure. L'irrégularité des contours
du champ visuel peut être si peu marquée que le rétrécissement prend
parfois une forme concentrique. Dans toutes nos observations, il s'agissait
de tabétiques avérés, présentant d'autres symptômes que l'atrophie des
nerfs optiques.
Sauf exception, le champ visuel a été pris à l'éclairage diurne, avec un
index blanc de i centimètre carré.
2° Le champ visuel peut se rétrécir concentriquement, et d'une façon consi-
dérable ; l'acuité visuelle reste bonne, parfois normale.
TABES ET PSEUbO-l'ABES 355
Les faits qui nous restent à exposer sont plus intéressants, parce que
plus rares et moins connus. Nous avons vu que, d'après l'opinion des
auteurs cités au commencement de notre travail, il y a presque toujours en
même temps que rétrécissement du champ visuel, diminution de l'acuité
visuelle. Nos observations personnelles confirment cette donnée depuis
longtemps acquise. Toutefois on a signalé les cas où la vision centrale
reste indemne, malgré un rétrécissement concentrique considérable. '
D'après nos recherches, ces faits auraient été signalés, comme exception-
nels, dès 1890 par Rouflinet et par Kahler. Plus récemment, ils ont été
rappelés par Uhthoff, par Jacobson, par Morax. Nous en rapportons
aujourd'hui quatre observations inédites, ce qui tendrait à prouver que
cette forme n'est pas exceptionnelle. '
Il existe donc des cas d'atrophie tabétique des nerfs optiques où l'on
constate, avec un rétrécissement concentrique, parfois très marqué du
champ visuel, une bonne conservation de l'acuité visuelle et du sens
chromatique. Cet état persiste des années.
On peut, tout au moins, supposer que, dans deux des observations, le
traitement hydrargyrique a contribué à maintenir l'acuité visuelle telle
qu'elle était au moment où les malades ont été soumis au traitement, qui
n'a pas été cessé depuis.
, Il n'est pas besoin d'insister sur l'importance, au point de vue du pro-
nostic, de la constatation d'une atrophie tabétique des nerfs optiques
évoluant d'une façon aussi différente de la forme habituellement fatale de
cette affection.
3" Du scotome central dans l'atrophie tabétique.
Si de Wecker, Parinaud, Rouffinet, Kahler donnaient du champ visuel
dans l'atrophie tabétique une description différente, ils étaient toutefois
d'avis que le scotome central n'existait jamais ou ne s'observait que d'une
façon exceptionnelle. Et le scotome central était le symptôme dontla pré-
sence, dans les cas douteux, signifiait névrite rétrobulbaire, le plus sou-
vent névrite toxique. Récemment, Uhthoff émit l'opinion qu'on peut obser-
ver le scotome central dans 2 pour 100 des cas d'atrophie tabétique.
D'après M. J. Galezowski, ce pourcentage atteindrait 4,3 pour 100 des cas.
On cite partout les cas de Bunge, de Panas, de Von Grosz ; -I1 : I. J. Gale-
zowski et A. Lobel en ont rapporté récemment six observations. On doit
regretter que la grande majorité de ces cas de scotome central dans
l'atrophie tabétique ait été simplement énoncée sans schéma du champ
visuel, ou que les schémas ne soient pas accompagnés d'observations.
D'après ces observations, la plupart des cas de scotome central consta-
tés chez les tabétiques ne sont qu'une complication due à une amblyopie
toxique. Le fait est d'importance au point de vue du diagnostic et surtout
du pronostic de l'affection. Et cette distinction augmente encore de valeur
quand un malade tabétique fait une amblyopie toxique, sans avoir de
lésions tabétiques de ses nerfs optiques.
1.' Il y a d'autres cas où le scotome central n'est qu'un scotome central
z
356 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
apparent. L'observation du malade que M. Morax nous envoya à l'hôpital
La Pitié montre en effet que le rétrécissement périphérique du champ
visuel peut prendre la forme d'un secteur se rapprochant peu à peu,
comme le disait Forster, du centre du champ visuel. La vision centrale,
quand le secteur est complété, peut être complètement abolie, tandis que
persistent, indemnes ou presque, les trois quarts du champ visuel.
En résumé : On peut observer un scotome central : i° chez un tabétique
atteint d'amblyopie toxique sans atrophie tabétique ; 2° chez un tabétique
atteint d'amblyopie toxique avec atrophie tabétique. On peut aussi obser-
ver un pseudo-scotome central, par suite des progrès constants du rétré-
cissement du champ visuel, rétrécissement ayant la forme d'un secteur
dont le sommet aboutit au point de fixation. Il est possible, comme l'ont
avancé quelques auteurs, que, dans certains cas, il s'ajoute à l'atrophie
tabétique une névrite rétrobulbaire d'origine syphilitique. Le scotome
central dans l'atrophie tabétique sans lésion surajoutée semble excessive-
ment rare. Cette rareté semble encore plus significative si l'on songe à la
fréquence de l'atrophie tabétique des nerfs optiques.
Conclusions.
i° Il n'existe pas, dans l'atrophie tabétique du nerf optique, une forme
de rétrécissement du champ visuel particulière à cette affection ;
2° Dans la grande majorité des cas, le champ visuel pour le blanc est
irrégulièrement rétréci et l'affaiblissement de la vision va de pair avec la
limitation du champ visuel ;
3° On observe aussi des cas où le rétrécissement concentrique s'accom-
pagne d'une bonne acuité visuelle, et parfois de la conservation de la
vision centrale intacte :
4° Le scotome central est très rare dans l'atrophie tabétique. Quand il
existe, il est le plus souvent dû à une lésion surajoutée. Dans la majorité
des cas, il s'agit d'une névrite rétrobulbaire consécutive à l'intoxication
alcoolico-nicotinique. Par suite de la disparition progressive d'un secteur
du champ visuel, la vision centrale peut être abolie, tandis que persiste
une grande partie du champ visuel périphérique. Il s'agit là d'un pseudo-
scotome central qu'il ne faut pas confondre avec un vrai scotome central.
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III. COMPRESSIONS MÉDULLAIRES
IX
SYNDROME DE 13ROLVIY SLiQUARD PAR COUP DE COUTEAU
[J. BABINSKI, J. JARKOWSKI et J. Jumentié. |
Publié dans la Revue Neurologique, n" r, 15 septembre r9rr.
Les lésions médullaires par coup de couteau ont, comme on le sait,
une importance toute particulière pour l'étude de la sensibilité :
elles se rapprochent, en effet, beaucoup des lésions expérimentales,
leur netteté et leur régularité les distinguant des autres affections de la
moelle. Il est donc important d'enregistrer avec grand soin les cas que
l'on peut rencontrer et c'est pourquoi nous publions avec détails l'obser-
vation suivante : ,
Le cas que nous rapportons est donc une observation typique de syn-
drome de Brown-Séquard ayant succédé à une lésion traumatique de la
moelle dorsale. L'intérêt tout particulier de cette observation tient à ce
que nous avons pu l'observer à une époque très éloignée de l'accident
(sept ans et demi après), alors qu'une partie des troubles du début a
régressé. Nous avons donc pu connaitre toute l'évolution de cette affection.
Il nous a paru intéressant de rapprocher notre observation de celles
déjà publiées et rapportées dans le travail de M. Petren : Ueber die Bah-
nen der Sensibilitât im Ruckenmarke besonders nach den Fallen von
Stichverletzungen Stu diert (Aclt. f. Psrclt. Band., 47, IL 2).
Cet auteur classe les lésions médullaires par coup de couteau en trois
groupes :
le Dès le début, les troubles de la motilité sont unilatéraux ; les trou-
bles de la sensibilité présentent une dissociation syringomyélique.
a" Dès le début, les troubles de la motilité sont unilatéraux, mais les
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 35y
troubles de la sensibilité superficielle ne sont plus dissociés, il y a anes-
thésie complète (y compris la sensibilité tactile).
3° Les troubles de la motilité sont bilatéraux, au moins au début ; les
troubles de la sensibilité cutanée prennent tous les modes.
Petren insiste sur le fait que dans les cas de coups de couteau ayant
amené des troubles bilatéraux de la motilité, les troubles de la sensibilité
du côté opposé ne présentent jamais de dissociation de la sensibilité
cutanée, c'est-à-dire que la sensibilité tactile est toujours prise.
D'autre part, dans les cas compris dans ses deuxième et troisième
groupes, c'est-à-dire ceux où la sensibilité tactile se trouve prise, il existe
toujours des troubles de la sensibilité profonde du côté opposé, c'est-à-
dire du côté de la lésion ; dans les cas du troisième groupe la sensibilité
profonde peut même être atteinte du côté où siègent lès troubles de la
sensibilité cutanée (').
Sans faire la critique des hypothèses que cet auteur avance pour expli-
quer ces faits et qui n'ontjusqu'ici aucune preuve anatomique, nous note-
rons simplement que notre cas rentre dans le troisième groupe de la
classification de Petren et qu'il cadre bien avec les faits qu'il a établis.
Notre observation présente encore certaines particularités sur lesquelles
nous croyons devoir insister, car elles ne nous ont pas paru avoir été
signalées jusqu'ici :
Nous avons étudié chez ce malade à plusieurs reprises et avec le plus
grand soin les mouvements réflexes de défense et nous avons pu consta-
ter que c'est du côté opposé à la lésion qu'ils se produisaient le plus faci-
lement ; le malade avait du reste remarqué que les excitations du côté
anesthésié provoquaient ces mouvements involontaires, on se rappelle que
ce furent les premiers phénomènes moteurs qui apparurent après le stade
de paraplégie complète.
Il nous a paru net que l'excitabilité réflexe cutanée prédominait du côté
opposé à la lésion, contrairement à l'excitabilité réflexe tendineuse.
Depuis la présentation de notre malade, nous avons eu l'occasion d'exa-
miner un second cas de syndrome de Brown-Séquard, très net (dû à une
syphilis médullaire), où nous avons constaté le même phénomène ; il ne
s'agit donc pas d'un fait isolé.
Il est pourtant à noter que dans les deux cas ces mouvements réflexes
étaient également exagérés de l'autre côté, fait d'autant plus intéressant
que chez le second malade les troubles étaient nettement unilatéraux.
Nous avons essayé d'établir la limite supérieure d'apparition de ces
mouvements réflexes : comme on le voit sur le schéma, elle se présente
sous forme d'une ligne nettement horizontale. Si nous la comparons à la
limite supérieure de l'anesthésie, nous voyons que ces deux lignes, qui se
(') L'autour, pour expliquer ces faits, suppose que la sensibilité tactile dispose de deux voies, une
bomolatérale (cordon postérieur), l'autre croisée (cordon latéral), cette dernière desservant également
la sensibilité thermique et douloureuse : la sensibilité profonde, tout particulièrement le sens mus-
culaire, passe par deux voies, toutes les deux homolatérales, une dans le cordon postérieur, l'autre
dans le faisceau cérébelleux direct.
36o PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
croisent presque sur la ligne ombilico-xyphoïdienne, s'écartent en gagnant
la région postérieure du thorax en délimitant entre elles un angle.
Nous tenons à souligner ces faits qui, s'ils étaient constatés sur d'autres
observations, tendraient à faire penser que sur le tronc, à côté de la dis-
tribution habituellement un peu oblique de la sensibilité (distribution
radiculaire) il paraît y avoir, du moins pour d'autres fonctions, une
distribution horizontale.
En nous basant sur ces limites supérieures de la sensibilité des mouve-
ments réflexes nous avons essayé de localiser la lésion médullaire. La
limite supérieure des mouvements réflexes, arrivant en arrière un peu
au-dessus de la IXe apophyse épineuse dorsale correspond à la limite du
territoire de IXe segment dorsal, ce qui nous permet de conclure que la
lésion siège au-dessus de ce segment.
La limite des troubles de la sensibilité est plus élevée, surtout si nous
tenons compte de la zone d'hypoesthésie nette : elle se trouve reportée à
la VIIIe apophyse épineuse dorsale, soit au territoire de la VIIe racine.
Nous pouvons donc penser que la lésion n'est pas très limitée, mais
s'étend un peu en hauteur : on se rappelle, du reste, l'importance si grande
des troubles du début.
Nous croyons donc que le couteau glissant entre les lames des VI" et
VIIe vertèbres dorsales a atteint la moelle au niveau du VIII" segment
dorsal. La VII" racine droite a dû être atteinte, ce qui expliquerait la
bande d'hypoesthésie du côté droit.
Nous tenons encore à attirer l'attention sur plusieurs faits :
i° La conservation relative de la sensibilité dans le domaine des racines
sacrées.
2" La dissociation des sensations produites par la pression ; du côté où
siègent les troubles de la sensibilité profonde, la pression ne détermine
que la douleur ; du côté des troubles de la sensibilité superficielle, la
sensation de pression est nettement perçue, mais la sensation doulou-
reuse est presque absente, faits qui cadrent bien avec la théorie de Head
sur la « transmutation des impressions sensitives dans la moelle ».
3" Enfin la conservation complète de la capacité de localisation du côté
de la lésion, malgré l'atteinte très nette de la sensibilité profonde, ce qui
est en désaccord avec les affirmations de Foerster (Monatschrift für Psy-
chiatrie und Neurologie, IgOI).
x «
REMARQUES SUR LA PERSISTANCE DE ZONES SENSIBLES
A TOPOGRAPHIE RADICULAIRE
DANS LES PARAPLÉGIES MÉDULLAIRES AVEC ANESTHÉSIE
(Première note.)
IDIM..T. Babinski, A. BARBÉ ET J. JARKOWSKI.
Publié dans les comptes rendus de la Société de neurologie de Paris,
séances du 10 février et du r¢ avril igio.
Au cours d'une série de recherches que nous poursuivons actuelle-
ment sur la sensibilité, il nous a été donné d'observer certaines
jL particularités qui nous semblent dignes d'être rapportées.
Chez un premier malade (Observation I), atteint de paraplégie avec
anesthésie remontant jusqu'à la région mamelonnaire, nous avons vu
que la sensibilité subsistait pourtant, à des degrés divers, sur une partie
assez étendue du territoire des racines sacrées.
Nous avons alors recherché, chez deux autres malades atteints égale-
ment de paraplégie avec anesthésie, s'il existait une semblable disposi-
tion, et nous l'avons observée.
Ce fait, qui n'a pas été, à notre connaissance au moins, signalé dans
des cas analogues aux nôtres, nous paraît digne de fixer l'attention, et
nous en supputerons plus loin la valeur ; mais, auparavant, nous donne-
rons le résumé rapide des observations, avec, pour chacune, le schéma
des troubles de la sensibilité.
Nous tenons aussi à insister sur ce fait que les examens de la sensibi-
lité ont été pratiqués avec toutes sortes de précautions en vue d'éviter les
modifications d'ordre suggestif, et que les schémas représentés ont été
trouvés tels dès le premier examen.
Observation I. D..., LI3 ans.
Vers le milieu de février igog, une semaine environ après une grippe qui avait duré
5 jours, le malade s'étant baissé pour prendre un objet, ressentit à la région lombaire
une douleur vive irradiant vers l'abdomen et les membres inférieurs. Cette douleur se
reproduisit sept ou huit fois pendant les 4 jours qui suivirent ; la marche devint rapi-
dement difficile, et, le 20 mars, l'impotence était presque absolue.
362
PARAPLEGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
Il entre à cette époque à l'hôpital et l'on constate une paraplégie spasmodique. Les
réflexes rotuliens et achilléens sont très forts, le clonus du pied facile à produire. Le
signe du gros orteil est très net à droite (la jambe gauche a été amputée). Les réflexes
crémastériens, abdominaux inférieurs et supérieurs sont abolis. Les troubles du
sphincter vésical sont légers : on note seulement, quelques jours après l'entrée à
l'hôpital, de la rétention d'urine pendant 24 heures. Les fonctions génitales sont
complètement abolies. La sensibilité est très diminuée sous tous les modes, au-
dessous d'une horizontale passant à deux travers de doigt au-dessus du mamelon.
En août et septembre, d'importantes modifications se produisent dans le domaine
de la sensibilité : elle reparaît aux fesses, aux organes génitaux externes, à la face
postérieure des cuisses et de la jambe droite, et à la région plantaire. En même temps.
le niveau supérieur de l'anesthésie s'abaisse jusqu'à une horizontale passant à quatre
travers de doigt au-dessous des mamelons. -
Actuellement, cette disposition existe encore, et le schéma ci-contre montre que les
territoires cutanés des racines sacrées : S5, SI-, S3, S'=, SI, sont sensibles, et que le
tact (fig. 3o), la piqûre, la température (le froid surtout) (fig. 3 1 sont perçus sur des
zones à topographie presque identiques. La sensibilité profonde est fortement
diminuée au membre inférieur, au pied surtout : le malade ne se rend aucun compte
des attitudes données au pied, tandis qu'il indique à peu près le sens (flexion ou
extension) des attitudes données. à la cuisse.
La sensibilité examinée avec le diapason est aussi fortement diminuée à la face
postérieure de la cuisse, où la sensibilité superficielle est en partie conservée, qu'à la
face antérieure où cette sensibilité est abolie.
Fig. 3o. Obs. I. Tact.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES
363
L'état des réflexes tendineux et cutanés est le même qu'à l'entrée du malade à
l'hôpital. Les grands mouvements involontaires des membres sont plus violents, et
presque continus. '
Observation IL Mme B..., 4g ans.
Il y a ro ans des douleurs apparaissent dans le membre inférieur droit en même
temps que ce membre s'affaiblit : « Je traînais la jambe », dit la malade.
Ces phénomènes s'accentuent, et se montrent au membre inférieur gauche. La
marche est alors très gênée, la malade ne peut plus que se traîner péniblement entre'
deux chaises; on la conduit à l'hôpital au mois de juin rgog. . , j
Depuis cette époque, l'impotence des membres inférieurs est absolue. Il existe des
mouvements involontaires spasmodiques de ces membres. Les réflexes tendineux sont
très forts à droite, faibles à gauche. Les réflexes cutanés abdominaux supérieurs et
inférieurs sont abolis. L'excitation de la plante du pied provoque l'extension du gros
orteil, faible à droite, forte à gauche.
Les troubles de la sensibilité sont les suivants : La sensibilité superficielle (fig. 32)
est abolie au-dessous d'une horizontale passant par les mamelons; mais, l'anesthésie
épargne un territoire, restreint pour le tact (SI, SI en partie), beaucoup plus étendu
pour le froid (S', S4, S3, SI, SI), dont la topographie exacte est dessinée sur le
schéma ci-contre (fig. 33). La sensibilité profonde est abolie aux membres inférieurs,
aussi bien à la périphérie des membres qu'à leur racine, aussi bien aux régions où
la sensibilité superficielle est peu troublée qu'à celles où cette sensibilité est abolie.
Dans ces deux cas, il existe donc une anesthésie étendue qui intéresse
, Fig. 31. - Obs. I. Température. : .
364 P ¡1H11P LÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
presque également les différents modes. Cette anesthésie, à type nettement
radiculaire, peut être, à l'heure actuelle, expliquée de deux façons : ou
bien par une lésion d'un grand nombre de racines postérieures ou des
segments médullaires correspondants, ou bien par une lésion des voies
longues du système sensitif intra-médullaire.
Mais la première hypothèse est très peu vraisemblable puisque les
réflexes tendineux existent ; la seconde a, au contraire, pour elle,
l'existence de troubles manifestement médullaires : extension de l'orteil,
troubles sphinctériens ou génitaux, etc.
A. Sensibilité au tact normale ou presque normale; B. Sensibilité persistante, moins nette qu'il droite; i
C. Réflexe achilléen faible ; D. Extension de l'orteil parfaite ; E. Réflexe achilléen fort ; F. Hypoesthésie au
tact; G. Extension de l'orteil faible.
Il existe donc très probablement une lésion de la moelle dorsale à sa
partie supérieure, et, chez les deux malades qui la portent, la sensibilité
est conservée sur une grande partie du territoire cutané des racines sacrées.
Cette constatation peut nous servir à interpréter le cas de la troisième
malade.
Observation III. M"e F..., 32 ans.
Cette malade est atteinte de paraplégie spasmodique avec troubles de la sensibilité
des membres inférieurs, du membre droit surtout. L'impotence est presque absolue :
la malade peut seulement faire quelques mouvements très limités quand on a vaincu
pour elle la spasmodicité très accentuée de ses membres inférieurs.
Les réflexes tendineux sont exagérés ; la trépidation épileptoïde est forte et en
Fig. 32. - Obs. IL Tact.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES
365
même temps que le pied où on la recherche, le membre inférieur correspondant et
l'autre même sont agités par de grandes secousses.
Le signe du gros orteil existe à droite et à gauche ; il est très net.
Les réflexes cutanés abdominaux inférieurs sont abolis. Il n'existe pas de troubles
sphinctériens.
La sensibilité (fig. 34) présente les troubles suivants : hypoesthésie simple dans le
domaine des XIe et XIIe dorsales. Hypoesthésie avec sensations douloureuses pour tous
les modes sur le membre inférieur gauche. Au membre inférieur droit, il existe de
l'anesthésie sur une grande étendue, mais, à la face postérieure de la fesse et de la
cuisse, on observe une conservation relative de la sensibilité. Sur cette zone, la
malade perçoit, mais d'une façon inconstante et variable (quelquefois très nette et
quelquefois obscure), le tact, la piqûre et le froid.ÎLes sensations sont d'autant plus
nettes qu'on excite le territoire d'une racine plus inférieure.
' Cette disposition particulière existait déjà en igo6, puisqu'il est noté dans l'obser-
vation de la malade : « L'anesthésie semble intéresser le domaine des cinq racines
lombaires ; il y a une zone sensible en selle. »
On pourrait penser qu'il existe chez cette malade une lésion portant sur
quelques racines dorsales et lombaires ou leurs segments médullaires
correspondants.
Mais, en rapprochant ce cas des deux précédents, et considérant qu'il
existe des signes d'affection médullaire, nous pensons que l'hypothèse
d'une lésion incomplète d'un seul segment de la moelle explique mieux
tous les phénomènes observés. La conservation des réflexes tendineux est
Fig. 33. - Obs. Il. Froid.
366
PARAPLÉGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
encore un signe important qui infirme l'hypothèse de lésions radiculaires
et confirme celle de lésion médullaire.
De l'ensemble des faits dont l'exposé précède, il nous paraît légitime de
tirer les conclusions suivantes :
i° Il existe dans certaines paraplégies d'origine médullaire, au-dessous
de zones complètement ou presque complètement anesthésiées, des zones
où la sensibilité est conservée ;
. 2° L'existence de cette disposition est probablement fréquente, puisque,
chez les trois malades atteints de troubles profonds de la sensibilité, que
nous avons examinés à cet égard, nous l'avons observée ; ,
3" Les domaines où la sensibilité subsiste sont ceux des.racines les plus
inférieures : les racines sacrées; et la sensibilité est d'autant plus parfaite
que l'on considère une racine plus bas située ;
4" Ces phénomènes d'abolition et de conservation de la sensibilité sui-
vant des zones radiculaires existent chez des malades atteints de lésion
médullaire et semblent devoir être rapportés à cette lésion ; nous appor-
tons donc ainsi un nouvel argument en faveur de cette idée que les troubles
de la sensibilité dus à des lésions médullaires se présentent sous la forme
radiculaire ; ,
5° Les données anatomo-pathologiques nous manquent encore pour
interpréter sainement ces faits. Elles montreront sans doute, si la conser-
vation, au sein d'un segment médullaire lésé, de fibres des voies sensi-
tives est due à leur résistance plus grande ou à leur situation spéciale ;
Fig. 311. - Obs. III.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 367
6° Mais nous pouvons déjà dire que dans la pratique on devra toujours
examiner d'une façon minutieuse les zones des racines sacrées chez les
malades atteints de paralysie avec troubles de la sensibilité, et ne pas
admettre implicitement, en face d'une anesthésie étendue (thoracique,
dorsale et des racines lombaires), l'anesthésie des racines sacrées ;
7° Enfin, l'existence de cette zone sacrée sensible permet d'affirmer que
la lésion médullaire n'intéresse pas la moelle dans toute son étendue
transversale et l'on pourra peut-être apprécier, d'après l'étendue de cette
zone sacrée intacte, le degré de profondeur de la lésion.
(DEUXIÈME NOTE.)
Nous avons montré récemment(') que, dans certaines paraplégies médul-
laires avec troubles de la sensibilité, l'anesthésie respectait parfois un
certain nombre de territoires radiculaires inférieurs (sacrés, sacrés et lom-
baires) et nous rapportions en même temps l'observation des trois malades
chez qui nous avions observé cette particularité.
M. André Thomas a publié depuis(=) l'observation de 3 malades atteints
de lésion transverse de la moelle, chez lesquels il a observé « une inéga-
lité de répartition des paraplégies sensitives » et qui se rapprochent en
effet des nôtres.
Depuis lors, nous avons eu l'occasion de trouver là même distribution
des troubles sensitifs chez deux autres malades. Le premier, atteint de
paraplégie spasmodique, est absolument comparable à ceux dont nous
avons déjà publié l'observation ; le second, syringomyélique, est à beau-
coup d'égards nettement différent des autres, mais la répartition des
troubles de la sensibilité qu'il présente nous parait digne d'être rappro-
chée du type sur lequel nous avons attiré l'attention.
Voici l'exposé de ces nouvelles observations :
Premier malade (quatrième cas). - NI. E..., négociant, se portait bien jusqu'en 1891,
époque où il eut une « phlébite » de la jambe gauche puis de la jambe droite, et resta
de ce fait 8 mois alité. Il recouvra plus tard toute sa force et put reprendre ses
occupations antérieures, qu'il continua jusqu'en janvier igio. A ce moment, il est
pris brusquement, au lever, de gêne de la marche, il a des crampes quand il étend
les jambes et ressent des fourmillements dans les genoux et les pieds ; il marche
pourtant, mais se fatigue vite et la raideur s'accentue à tel point que vers la
mi-février il doit se servir d'une canne pour marcher et, qu'à partir du 20 février, on
doit le soutenir. "
Dès le début de février, il urine difficilement et avec lenteur et perd parfois ses
matières.
Quand nous l'examinons, le 25 février, nous lui trouvons une démarche fortement'
spasmodique ; bien qu'il ait de volumineuses masses musculaires, il ne peut effectuer
qu'avec peine et grande raideur les mouvements de flexion de la cuisse sur le tronc et
de la jambe sur la cuisse ; il étend au contraire facilement la cuisse sur l'abdomen, la
jambe sur la cuisse et le pied sur la jambe ; dans tous les mouvements, le membre
(') Société de Neurologie, 10 février 19 10.
(2) Société de Neurologie, 10 mars 1910.
368
PARAPLÉGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
inférieur gauche est plus faible que le droit. La sangle abdominale se contracte bien
sous l'influence de la volonté. Les membres supérieurs sont normaux.
Les réflexes achilléens existent, ainsi que les rotuliens qui sont forts. A droite et à
gauche l'excitation de la plante du pied provoque l'extension franche du gros orteil et
parfois l'abduction des autres. Les réflexes crémastériens sont conservés; les réflexes
abdominaux manquent, mais leur recherche détermine souvent une contraction du
quadriceps fémoral du côté correspondant. Les réflexes abdominaux supérieurs sont
faibles. Le réflexe anal est conservé. La recherche des réflexes fessiers montre la par-
ticularité suivante : quand l'excitation porte au-dessous du pli fessier ou à la fesse à
plus de 6 ou 7 centimètres de la ligne médiane, on n'obtient aucune contraction ; mais
cette contraction existe très nettement si l'on excite une région plus rapprochée de la
rainure interfessière (territoire des IVe et Ve sacrées). Les réflexes des membres supé-
rieurs sont normaux.
Examen de la sensibilité. Les sensibilités tactile et douloureuse, présentent des
troubles à répartition presque identique (v. fig. 35, 36). Ces sensibilités sont normales
au-dessus du territoire des onzièmes racines dorsales (D" n'est cependant pas absolu-
ment épargné ; voir le schéma). L'anesthésie est presque totale sur le territoire des
D'2, LI, L2, L3, L·; légère sur le territoire de Le, SI, S2; la sensibilité est normale
sur tout le territoire des S ? S4, de la IIIe sacrée droite et sur la plus grande partie
du domaine de la III" sacrée gauche.
Fig.35. - F..., 6 ans. Paralvsie médul-
laire. Troubles de la sensibilité tactile
et douloureuse.
Fig. 36. E..., 62 ans. Paralysie médul-
laire. Troubles de la sensibilité tactile
et douloureuse.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES
36g
La sensibilité thermique (v. fig. 37 et 38) est troublée sur le territoire de ])Il, D12, L',
L2 et sur une partie de L3, In', L3, S' ; elle est normale dans le domaine de toutes les
autres sacrées (S2, Si', S4, S3).
Le sens des attitudes segmentaires est légèrement troublé aux orteils ; la notion de
position est conservée pour la jambe et la cuisse. 1
Deuxième malade (cinquième cas). S... Henri, 44 ans, charretier, entre le 3o mars,
salle Jenner, et raconte qu'il y a go mois, ayant les bras levés pour passer le collier à
son cheval, il ressentit un craquement dans la colonne vertébrale entre les épaules, et,
immédiatement, une douleur légère qui dura quelque temps. Il remarqua, en outre,
qu'à partir de ce moment, il éprouvait quelque gêne dans les mouvements d'élévation
des bras et cette gène s'accentua progressivement. Bientôt on dut garnir ses chevaux
pour lui ; il y a 6 mois enfin, il dut s'arrêter ne pouvant même pas tenir le fouet ou
les guides. De plus, sa marche est devenue pénible depuis quatre mois; ses membres
inférieurs sont raides, et s'il peut encore effectuer d'assez longues courses, il franchit
les premiers kilomètres avec difficulté.
Au moment où nous examinons ce malade, il existe au membre supérieur droit une
atrophie et une faiblesse très marquée des muscles de l'épaule (du deltoïde surtout),
du biceps, du brachial antérieur, du long supinateur. Les autres muscles de l'avant-
Badinski.
a5 -fi
Fig. 07. - E..., 62 ans. Parai vsio médul-
]air(,. Troubles de la sensibilité lher-
mique.
Fiv. 38. -)J... , 6z ans Paraplégie médul-
laire. Troubles de la sensibilité lhcr-
nuque.
37o
PARAPLEGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
bras (les fléchisseurs surtout), ceux de la main, sont contractures à des degrés divers.
Les mêmes troubles : atrophie et contracture, existent aussi au membre supérieur
gauche, mais beaucoup moins accentués.
Les réflexes tendineux sont aholis aux membres supérieurs.
Aux membres inférieurs, il existe une parésie spasmodique (raideur musculaire,
démarche spasmodique, exagération des réflexes rotuliens, conservation des achilléens,
clonus du pied, extension de l'orteil par excitation de la plante du pied).
Examen de la sensibilité. La sensibilité tactile et la sensibilité à la douleur sont
conservées partout ; le sens des attitudes segmentaires est également intact ; la sensi-
bilité osseuse présente quelques troubles ; la sensibilité thermique est fortement t
diminuée sur une très grande étendue, comme on le voit sur la figure 3g.
La thermohypoesthésie s'étend du domaine de CI C2 à celui de ])12 LI. Sur le terri-
toire des quatre dernières lombaires et celui de toutes les sacrées, la sensibilité
thermique est presque absolument conservée : le malade répond vite, avec assurance
et justesse (').
(') Nos recherches bibliographiques viennent de nous faire découvrir quelques observations
semblables aux nôtres dans un travail de IL Head et Th. Thompson (The grouping of afférent impulses
within the spinal cord ; Brain, igo6 ; vol. XXIX, p. 6t8-6cg). Nous nous empressons de les signaler.
Fig. 3). S..., Syringomyélie.
Troubles de la sensibilité thermique.
Fig. (o. S..., Syringomyélie.
Troubles de la sensibilité thermique.
XI
SUR LA LOCALISATION DES LÉSIONS
COMPRIMANT LA MOELLE
DE LA POSSIBILITÉ D'EN PRÉCISER LE SIÈGE
ET D'EN DÉTERMINER LA LIMITE INFÉRIEURE
AU MOYEN DES RÉFLEXES DE DÉFENSE
B.W311VSKI et ,T..TaRICOWSKI.
Communication faite il l'Académie de médecine le 1 6 janvier 1911.
Etant donné que les tumeurs comprimant la moelle sont, dans bien
des cas, susceptibles d'être extraites par une opération chirurgicale,
il est essentiel que le neurologiste soit en mesure d'en déterminer
le siège.
On atteint généralement ce but en explorant la sensibilité et en délimi-
tant l'anesthésie. Cependant, ce signe n'a pas une valeur absolue ; il a
conduit parfois à localiser la néoplasie soit trop bas, particulièrement
lorsque la compression de la moelle n'est pas très intense, soit trop haut,
à cause de l'oedème qui se développe au-dessus de la tumeur.
De plus, l'anesthésie permet seulement de reconnaître la place occupée
par l'extrémité supérieure du néoplasme et ne renseigne pas sur la situa-
tion de son extrémité inférieure. Or, de cette dernière notion jointe à la
première il serait évidemment facile de déduire la longueur delà tumeur,
ce qui, comme on le verra, présente de l'importance.
Pour ces motifs, il est bon de rechercher, en dehors de l'anesthésie,
des éléments de localisation.
L'état des réflexes tendineux donne parfois à cet égard des indications
intéressantes, comme par exemple l'inversion du réflexe du radius, décrite
par l'un de nous('). Mais dans les cas les plus communs, où la lésion
siège à la région dorsale, les réflexes tendineux ne sont d'aucun secours
au point de vue que nous visons.
(') Inversion du réflexe du radius, par J. Babinski (Société médicale des Hôpitaux de Paris,
14 octobre 1910).
372 2 P : 1R.tPLlGIR8 - AFFECTIONS DE LA MOELLE
Il en est autrement des réflexes cutanés de défense (') qui fournissent
des données précieuses, ainsi que nous avons déjà cherché à l'établir
dans un travail antérieur C) et comme nous allons essayer de le prouver
d'une manière plus décisive à l'aide de nouveaux matériaux.
Les réflexes de défense s'observent assez souvent dans les paraplégies
spasmodiques organiques, notamment dans celles qui sont liées à des
plaques de sclérose ou à des compressions de la moelle. Voici comment
on les provoque et en quoi ils consistent. '
En excitant les téguments des membres inférieurs ou du tronc par
l'application d'un corps froid ou d'un corps chaud, par le pincement, la
piqûre, le grattage ou l'électrisation, on détermine des mouvements
involontaires plus ou moins variés de l'un ou des deux membres infé-
rieurs ; ce sont, d'habitude, des mouvements de flexion des divers seg-
ments du membre; mais en plaçant les malades dans certaines positions,
on obtient parfois d'autres mouvements (').
Le territoire cutané dont l'excitation peut provoquer ces réflexes a une
hauteur qui varie, suivant les cas. Or, la hauteur jusqu'à laquelle s'élève
sur le tronc ce territoire permet de reconnaitre la limite inférieure d'une
compression de la moelle. Tel est le résultat auquel nous ont conduit nos
observations.
Mais nous devons ajouter immédiatement que dans l'appréciation du
signe que nous étudions, il y a plusieurs causes d'erreur qu'il faut
apprendre à éviter. Un examen superficiel exposerait à localiser trop haut
ou trop bas la limite supérieure du territoire des réflexes de défense.
Voici un exemple du premier genre d'erreur : une excitation de la peau
au-dessus de la zone en question peut, surtout si elle est douloureuse,
donner lieu à des mouvements volontaires de la partie supérieure du
corps amenant un déplacement passif des membres inférieurs, un frotte-
ment de leurs téguments sur le lit, qui a pour conséquence l'apparition
des réflexes de défense. Si l'on n'y prend pas garde, on attribuera ces
réflexes à l'excitation que l'on a pratiquée et on leur fixera une limite trop
élevée. L'erreur inverse peut résulter de ce fait que l'excitabilité cutanée
n'a pas toujours la même intensité, qu'elle peut s'épuiser sous l'influence
de causes diverses, particulièrement au voisinage de la frontière des
réflexes de défense.
Pour ces motifs, il est important de renouveler ces investigations à des
intervalles divers et en variant les conditions de l'expérience. D'habitude,
nous cherchons à délimiter le domaine des réflexes de défense en prati-
quant des excitations successives d'abord de bas en haut, puis de haut
en bas, et en guettant le moment où les réflexes de défense disparaissent
(') Voir à ce sujet : Paraplégie spasmodique organique avec contracture en flexion et contractions
musculaires involontaires, par J. Babinski (Société de Neurologie de Paris, 12 janvier 191 1). ? ) Sur la possibilité de déterminer la hauteur de la lésion dans les paraplégies d'origine spinale
par certaines perturbations des réllexes, par J. Babinski et J. Jarkowski (Société de Neurologie de
Paris, 12 mai r 9 r o).
(3) Nous faisons ici abstractioe des réllexes de défense obtenus par l'excitation des membres supé-
rieurs, qui s'observent plus rarement.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 3ï3
ou apparaissent. Il est capital que ces recherches soient faites clans le
calme le plus complet et que le malade soit à l'abri de toute cause capable
d'engendrer des mouvements automatiques.
En procédant de cette manière, en prenant les précautions déjà indi-
quées dans notre premier travail, en rapprochant les résultats obtenus à
plusieurs jours d'intervalle, on parvient à écarter les erreurs d'interpré-
tation, à tracer, comme nous l'avons dit, la limite supérieure des réflexes
de défense et à déterminer ainsi l'endroit où se trouve l'extrémité infé-
rieure de la compression.
Ces données nouvelles ont des conséquences qui ont un intérêt pratique.
Nous avons vu que dans certains cas, rares il est vrai, l'anesthésie
donnait, au point de vue de la localisation de la limite supérieure, des
indications infidèles. En pareil cas, le chirurgien ne trouvant pas la tumeur
dans l'endroit où on la croyait située est désorienté, s'il n'a pas quelque
autre point de repère à sa disposition. Il est évident que la connaissance
de la limite inférieure de la lésion peut constituer pour lui un guide
précieux.
La notion de la longueur de la lésion qui se dégage des faits que nous
avons relatés autrefois et que de nouvelles observations ont confirmée
pourrait permettre au chirurgien de pratiquer, dès le début de l'opération,
une incision des parties molles et une ouverture du rachis conformes aux
besoins. Cela est particulièrement important quand il s'agit d'une tumeur
intra-dure-mérienne, car il est utile, en pareil cas, d'abréger autant que
possible le temps opératoire pendant lequel la dure-mère est ouverte et,
en conséquence d'avoir au préalable réséqué un nombre suffisant de lames
vertébrales.
Cette notion de longueur peutencore servir au diagnostic différentiel des
compressions intra et extra-dure-méricnnes. En effet, les statistiques ana-
tomo-cliniques montrent que, dans la grande majorité des cas, les tumeurs
intra-dure-mériennes, développées aux dépens des méninges molles, sont
relativement courtes, ne compriment qu'un ou deux segments médul-
laires ; que les tumeurs extra-dure-mériennes, au contraire, quand elles
se manifestent par des troubles fonctionnels, ont acquis une grande lon-
gueur, ce qui est vrai aussi pour la pachyméningite hypertrophique et la
pachyméningite pottique.
De ce qui précède il résulte que quand on se trouve devant un malade
présentant des signes de compression de la moelle, il y a tout lieu d'ad-
mettre qu'il s'agit d'une tumeur intra-rachidienne si la lésion est courte.
Dans cinq cas de ce genre que nous avons observés et où il y a eu une
intervention chirurgicale, le diagnostic a été pleinement confirmé.
Par contre, la longueur de la lésion, quand elle est grande, sans per-
mettre d'exclure absolument l'hypothèse d'une tumeur intra-dure-
mérienne, doit faire supposer plutôt une compression par néoplasme extra-
dure-mérien ou par pachyméningite. Nous avons récemment observé un
374 PAIIj1PLlGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
fait de cet ordre. Il s'agissait d'une malade ayant des manifestations carac-
téristiques d'une compression de la moelle. La limite supérieure de l'anes-
thésie se trouvait au niveau du cinquième segment dorsal ; celle des
réflexes de défense atteignait seulement la hauteur du neuvième segment
dorsal. Pour les raisons sus-indiquées, nous conseillâmes une laminecto-
mie des quatrième, cinquième, sixième et septième vertèbres dorsales.
L'opération, pratiquée conformément à ces indications par M. Lecène, fit
découvrir une tumeur extra-dure-mérienne qui put être aisément extraite
et dont la longueur était de onze centimètres.
De nos recherches nous croyons pouvoir tirer les conclusions suivantes :
i" Tandis que la topographie de l'anesthésie donne ordinairement le
moyen de reconnaitre la limite supérieure d'une compression spinale, la
limite inférieure de cette compression peut être généralement fixée par la
hauteur à laquelle s'élève le territoire des réflexes de défense.
2° Ces deux données se complètent. Elles permettent le plus souvent en
s'associant de déterminer la longueur de la lésion qui comprime la moelle,
elles constituent l'une pour l'autre un mutuel contrôle et par leur union
rendent la localisation plus certaine et plus précise.
3° Dans un syndrome de compression, lorsque l'écart entre la frontière
de l'anesthésie et celle des réflexes de défense est considérable, l'hypo-
thèse d'une compression par tumeur extra-dure-mérienne ou par pachy-
méningite est la plus vraisemblable ; quand, au contraire, les deux
frontières se confondent ou sont très rapprochées, il est extrêmement
probable qu'il s'agit d'une tumeur intra-dure-mérienne ('),
(1) N. D. L. H. Nous croyons devoir ajouter, pour respecter le désir intime de notre maître,
que Duchenne de Boulogne avait déjà indiqué qu'il était possible de déterminer le niveau inférieur
d'une compression en se basant sur la limite la plus élevée où il était possible de déclencher les réflexes
de défense.
« C'est une question que nous avons cherché à résoudre, Jarkowski el moi. Mais il est de mon
devoir de signaler un passage relatif il ce sujet que j'extrais de l'ouvrage de Duchenne de Boulogne :
De l'électrisation localisée, et qui nous avait échappé autrefois : « Le point où le chatouillement de la
« peau cesse de provoquer des contractions réflexes indique le niveau où existe la compression de la
« moelle. » Il est à noter que ce moyen de localisation n'avait jamais été utilisé jusqu'à nous par
aucun des neurologistes qui s'étaient occupés de repérer les tumeurs comprimant la moelle en vue de
l'intervention chirurgicale » (Réflexes de défense, par J. Babinski. Revue neurologique, n° 8, août
1922).
XII
TUMEUR MÉNINGÉE
PARAPLÉGIE CRURALE PAR COMPRESSION DE LA MOELLE
EXTRACTION DE LA TUMEUR, GUÉRISON
(J. Babinski, P. Lecène et F. BOUl\LOT.)
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance de novembre J 9 JI.
Observation. Mme T..., âgée de 62 ans, d'une bonne santé jusqu'à 60 ans, si ce
n'est qu'elle a eu une broncho-pneumonie en 18qq, commence à éprouver, vers le
milieu de igog, des douleurs à l'hypochondre droit qui, d'ailleurs, ne sont pas très
violentes et ne l'empêchent pas de vaquer à ses occupations habituelles.
Au mois d'août igio, aux douleurs vient s'associer un affaiblissement des membres
inférieurs qui, d'abord très léger, s'accentue progressivement. En septembre, la
malade a besoin d'un appui pour marcher ; c'est avec une grande difficulté qu'elle
monte et descend un escalier. Vers le milieu de décembre, elle n'est plus en mesure
de quitter son appartement et en janvier 19l1 la faiblesse de ses membres inférieurs
est telle qu'elle ne peut plus se tenir debout et se trouve dans la nécessité de garder
le repos au lit. Les douleurs, autrefois légères, deviennent très violentes, particulière-
ment la nuit ; elles occupent non seulement l'hypochondre droit; mais aussi la région
lombaire et irradient sur le trajet des abdomirio-bénitaus droits. Vers le 3 mars la
miction devient difficile.
Le 5 mars, date à laquelle nous l'examinons pour la première fois, nous constatons
les phénomènes suivants : t
La paralysie des membres inférieurs qui sont contracturés est presque complète,
surtout à droite.
Si les mouvements volitionnels sont à peu près abolis, on observe, par contre, des
mouvements spasmodiques involontaires de flexion de la cuisse sur le bassin, de la
jambe sur la cuisse et du pied sur la jambe ; ces mouvements, qui sont bilatéraux, se
produisent le jour et la nuit.
Les réflexes rotuliens et les réllexes achilléens sont exagérés et l'on peut provoquer
de la trépidation épileptoïde du pied.
Le chatouillement de la plante du pied détermine des deux côtés une extension réflexe
du gros orteil.
376
PARAPLÉGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
des fausses côtes, un point douloureux fixe qui constitua, ainsi que cela a déjà été
dit, la première manifestation de l'affection ; de plus, par moments, surviennent les
douleurs lombaires avec irradiations.
On constate une anesthésie des membres inférieurs et de la portion du tronc
correspondant au territoire des XIIe. racines dorsales. La sensibilité superficielle
dans tous ses modes (température, douleur, tact) y est extrêmement affaiblie ; toute-
fois la limite supérieure de l'anesthésie thermique remonte un peu moins .haut et le
territoire des XIIes racines dorsales est libre. Dans toute la région anesthésiée, le
pincement finit par être perçu au bout de plusieurs secondes, mais, quel que soit
l'endroit excité, la malade localise'la sensation douloureuse qu'elle éprouve à la limite
supérieure de cette région. A noter que certaines régions sont presque complètement
respectées : dans le territoire des deux dernières sacrées, il y a seulement un peu
d'hypoesthésie au tact et à la piqûre, la sensibilité thermique est normale; il en est
de même à la région plantaire et au bord externe du pied des deux côtés ('). Lorsque
(') Voir à ce sujet : Remarques sur la persistance des zones sensibles à topographie radiculaire dans
les paraplégies médullaires avec anesthésie, par J. Babinski, A. Barré et J. Jarkowski (Société de
Neurologie de Paris, 10 février et 14 avril 19 to, in Revue Neurologique, 1910).
Fig. 4 t. Topographie de l'anesthésie.
a) Anesthésie complète, tact, douleur, tem-
pérature. ·
b) Zone où la sensibilité thermique est nor-
male. ' ,
c) Bande d'hypoesthésie.
d) Point douloureux.
« Fig. (¡2.
a) Anesthésie complète. ,
e) Régions où la sensibilité ost conservée.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 377
l'examen se prolonge, on voit apparaître un peu d'hypoesthésie sur la paroi abdomi-
nale dans le domaine de la XIe dorsale.
Il existe des mouvements réflexes de défense obtenus par le pincement ou par le
froid et le chaud sur les jambes et les cuisses ; ces réflexes de défense s'observent
également sur la paroi abdominale inférieure, dans le territoire des XIIe, racines
dorsales.
La miction est extrêmement difficile.
En présence de cet ensemble de signes, on porte le diagnostic de compression
des XIe et XIIe segments de la moelle, probablement par tumeur, et l'intervention
chirurgicale est décidée.
Opération, le 17 mars 19 II. - Anesthésie générale au chloroforme. La malade est
placée sur le ventre, en position proclive, de façon à diminuer autant que possible la
perte du liquide céphalo-rachidien, lors de l'ouverture de la dure-mère. Une longue
incision est tracée sur la ligne médiane dorsale correspondant aux apophyses épineuses
des VII", \'III°, IX° et X° dorsales ; rapidement les masses musculaires des gouttières
vertébrales sont détachées de chaque côté au bistouri ; l'hémostase est facilement
obtenue par l'application, sur les tranches musculaires, de compresses maintenues
par de larges écarteurs. Les apophyses épineuses des Vile, VIIIe, IXe et Xe dorsales
sont enlevées à la pince coupante ; les lames des vertèbres correspondantes sont
réséquées progressivement à la pince gouge. La dure-mère étant largement mise à nu,
on l'ouvre sur la ligne médiane et l'on aperçoit de suite une tumeur bien circonscrite,
ayant le volume et la forme d'une grosse olive, de couleur rouge violacée, située à
droite de la ligne médiane et comprimant la moelle qui présente sur son flanc droit
une dépression ; elle adhère au bouquet des racines postérieures émergeant de la moelle
au niveau du corps de la Xe vertèbre dorsale ces racines sont coupées avec de fins
ciseaux et la tumeur est soigneusement enlevée avec une curette mousse.
L'hémostase est facilement assurée par un peu de compression du lit de la
tumeur. Pendant tout ce temps opératoire, l'écoulement du liquide céphalo-rachidien
a été peu abondant ; pour éviter les lésions qui peuvent résulter de l'exposition à
l'air de la moelle, on a fait sans arrêt l'irrigation de la plaie avec un courant de sérum
salé tiède.
La dure-mère est ensuite suturée hermétiquement par un surjet au fil de lin fin ;
les masses musculaires sont rapprochées par un surjet de catgut et la peau est réunie
sans drainage.
L'opération a duré 45 minutes.
Il n'y eut dans les jours suivants aucun phénomène de choc ; la température rectale
ne dépassa pas 3 ? 8 et le pouls 84.
La plaie opératoire guérit par première intention.
Le soir même de l'opération, la malade, que l'on devait sonder depuis huit jours,
urina seule et sans difficulté.
Les mouvements involontaires et les contractions brusques qui survenaient souvent
dans les membres inférieurs ne se reproduisirent plus après l'opération.
Le troisième jour, la malade peut exécuter quelques mouvements volontaires de
flexion et d'extension du pied et le surlendemain elle peut fléchir les jambes sur
les cuisses.
Le 24 mars, le chaud et le froid commencent à être nettement perçus au niveau des
pieds et des jambes.
Le 6 avril, tous les mouvements des orteils, des pieds et des jambes sont revenus.
378 P21RAPLICIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
Depuis, l'amélioration a été continue; au bout de trois semaines la malade a pu
rentrer chez elle et, actuellement (5 novembre), les troubles de la sensibilité ont
complètement disparu ; le réflexe plantaire se fait en flexion des deux côtés et la
malade a retrouvé suffisamment de force pour marcher seule et franchir ainsi
plusieurs centaines de mètres ; elle peut monter sans appui les escaliers plusieurs
fois par jour.
L'examen anatomique a montré que cette tumeur, développée aux dépens des
méninges molles, avait la constitution d'un fibro-sarcome.
Comme on le voit, il a été possible de déterminer avec une précision
suffisante le siège de la tumeur comprimant la moelle pour intervenir chi-
rurgicalement avec succès. Les troubles de motilité, malgré leur inten-
sité, ont régressé dans un court délai à la suite de l'extraction du néo-
plasme et aujourd'hui, six mois environ après l'opération, la guérison est
à peu près complète.
XIII
MÉNINGITE CERVICALE HYPERTROPHIQUE
[J. Br3msrw, J. Jumentié, J. Jarkowski. |
Publié dans les comptes rendus de la Société de neurologie de Paris,
séance du 25 janvier igi2.
Les lésions hypertrophiques des méninges de la région cervicale de
la moelle, malgré leur fréquence, ne nous semblent pas avoir été
JL suffisamment étudiées. Nous pensons que les notions classiques sur
ce sujet méritent d'être revisées et à l'appui de cette allégation nous rela-
tons l'observation complète d'un cas de méningite cervicale hypertro-
phique dont la vérification anatomique vient augmenter l'importance. Les
pièces et coupes de cette observation ont du reste fait l'objet d'une com-
munication à la Société de neurologie (').
Il s'agit d'une malade qui fut examinée pour la première fois par l'un
de nous en i gog à la Salpêtrière (2) : et qui ensuite fut remise à la Pitié.
observation (1re période).
12 août 790 ? La nommée L ? âgée de 48 ans, est entrée à l'hôpital se plaignant
de douleurs vives dans la tête, le cou et les épaules et de faiblesse progressive dans
les jambes.
Rien à relever dans ses antécédents héréditaires. Bien portante dans l'enfance ;
mariée à 16 ans, elle ne fit jamais de fausses couches et eut trois enfants dont deux
sont morts de méningite en bas âge ; à 28 ans à la suite de sa dernière couche elle eut
une métrite ; à 35 ans elle souffrit durant quatre mois et demi de douleurs dans les
articulations des épaules et quelques mois plus tard d'une crise d'entérite. En igos,
à 4 ans, elle présenta des troubles de la marche se manifestant delà façon suivante :
elle se fatiguait au bout de quelques minutes, sentait ses jambes comme coupées
et était obligée de s'arrêter ; après quelques instants de repos elle était en mesure
de repartir. A la même époque elle était sujette à de fréquentes migraines. Ces divers
(') Séance du 25 janvier 1912. Revue Neurologique, 1912, p. 221.
(2) Service du Pr Dejerine.
38o PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
troubles après avoir duré quelques mois disparurent ; elle resta pendant cinq années
bien portante.
Il y a un an elle atteignit la ménopause et c'est d'après elle à ce moment qu'aurait
débuté sa maladie actuelle ; elle fut prise de vomissements incoercibles avec intolé-
rance gastrique absolue; ces vomissements d'abord alimentaires puis muqueux et
bilieux survenaient après des efforts douloureux, sans être toutefois précédés ni
accompagnés de douleurs épigastriques. Le malade tomba rapidement dans un état
de faiblesse profonde se sentant sans cesse étourdie et vertigineuse. Les vomisse,
ments, incessants pendant un mois environ, devinrent ensuite intermittents mais ne
cédèrent complètement qu'au bout de six mois ; son état général s'améliora alors
toutefois, les vertiges et les étourdissements subsistèrent et les jambes commencèrent
à s'affaiblir, ce qui rendit rapidement la station difficile. En même temps survinrent
des douleurs dans les membres et la ceinture et la malade fut prise de rétention d'urine
qui nécessita le cathétérisme.
Examen. La marche est pénible, la malade avance à petits pas, elle ne titube pas au
départ, mais après avoir franchi une petite distance elle éprouve de la fatigue, se sent
étourdie, festonne puis perd l'équilibre et se trouve dans la nécessité de s'appuyer
pour ne pas tomber; se repose-t-elle quelques minutes elle peut repartir.
Elle maintient assez bien l'équilibre les yeux fermés et les talons rapprochés quand
l'expérience est faite après qu'elle s'est reposée, mais dans le cas contraire elle ne
peut y parvenir et son corps oscille. On ne trouve aucune trace d'ataxie ni dynamique
ni statique ; tous les mouvements sont coordonnés. On constate aux membres supé-
rieurs un léger tremblement à l'occasion des mouvements intentionnels.
La force musculaire est assez bien conservée. Il n'y a ni hypotonie ni atrophie
musculaire.
Les réflexes tendineux des membres supérieurs et inférieurs sont très forts surtout
du côté gauche. Il existe de l'extension du gros orteil bilatérale, mais plus marquée
à gauche.
Nous avons signalé déjà les troubles subjectifs de la sensibilité, les douleurs dont
se plaint la malade dans les membres et le tronc ; elles varient d'intensité et de
caractère suivant les moments; tantôt il s'agit de simples engourdissements, tantôt
ce sont des douleurs lancinantes constrictives, véritables douleurs en ceinture.
l'examen de la sensibilité objective nous montre l'existence d'une légère hypoesthésie
à la douleur au niveau de la partie supérieure du tronc dans la région mammaire et
à la face interne des bras ; leur bord externe est par contre hyperesthésique dans le
domaine de C5C'.
La malade attire l'attention sur quelques troubles de la vue qui semblent devoir
être mis sur le compte d'une accommodation défectueuse; elle voit mieux les objets
éloignés, ceux qui sont près manquent de netteté et lui semblent « couverts de
brouillard ». Il n'existe pas de paralysies de la musculature externe des yeux, tous
les mouvements des globes oculaires sont bien conservés, toutefois à différentes
reprises, surtout le matin, la malade a vu double. Les pupilles sont inégales, mais
régulières, il existe un signe d'Argyll très net. Le fond de l'oeil est normal.
L'ouïe est diminuée ; L... se plaint de bourdonnements d'oreilles accompagnés de
sifflements et de vertiges. Le goût et l'odorat sont conservés.
Il y a de la céphalée qui se manifeste sous forme d'accès fréquents et violents s'accom-
pagnant de sensation de battements et de douleurs dans la nuque, le cou et les épaules.
Il existe enfin des troubles de miction, la malade n'urine qu'avec effort et on doit
avoir recours fréquemment au cathétérisme.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 38t 1
L'état de cette malade malgré un traitement hydrargyrique énergique reste station-
naire. Elle quitte l'hôpital après y avoir séjourné deux mois.
2e période.
Le 13 juin 1 9 10 neuf mois après sa sortie de la Salpêtrière la malade est trans-
portée à la Pitié, son état s'étant considérablement aggravé.
On a dû la porter jusqu'à son lit car elle ne peut ni marcher, ni se tenir debout ;
assise sur une chaise elle doit être soutenue, car autrement son corps s'affaisse.
Ses membres inférieurs sont étendus complètement inertes et présentent un
certain degré de contracture qui augmente durant les jours qui suivent l'entrée à
l'hôpital. La peau est cyanosée et froide ; au niveau de la région sacrée elle est macérée
par le contact des urines et il existe de profondes escarres; il n'y a pas d'atrophie
musculaire.
Les membres supérieurs sont allongés le long du corps, les mains sont ouvertes
et les doigts étendus ; la peau à leur niveau est blanche et lisse ; il existe un léger
degré d'oedème au niveau de la paume. On est frappé de suite par une atrophie
marquée localisée aux muscles de la ceinture scapulaire : deltoïde, sus et sous-
épineux et du groupe Erb-Duchêne : biceps, brachial antérieur, long supinateur. La
motilité volontaire est extrêmement affaiblie ; la malade est simplement capable de
soulever un peu les épaules, d'imprimer quelques mouvements aux doigts et d'étendre
bien qu'imparfaitement l'avant-bras sur le bras. Il existe à l'avant-bras et à la main
un peu de raideur.
Les réflexes tendineux des membres inférieurs sont forts, les réflexes tendineux
des membres supérieurs sont en partie exagérés en partie affaiblis. Le réflexe de
flexion de l'avant-bras sur le bras est très faible, surtout à droite où il semble parfois
faire défaut ; la percussion de l'omoplate ne paraît pas provoquer de contraction du
deltoïde mais elle est suivie d'une réaction du grand pectoral, du triceps et peut-être
du biceps.
Par contre les réflexes tendineux et osseux ayant une localisation plus basse sont
nettement exagérés ; le réflexe d'extension de l'avant-bras est très vif, on le provoque
non seulement par la percussion du tendon du triceps et de l'extrémité inférieure du
cubitus, mais encore par la percussion de l'omoplate, des os du coude et de la partie
supérieure du cubitus qui, à l'état normal, donne lieu à une flexion de l'avant-bras.
De même les réflexes des doigts et de la main sont exaltés et si on percute l'extrémité
inférieure du radius, la flexion des doigts prédomine sur la flexion de l'avant-bras,
il y a donc tendance à l'inversion du réflexe du radius surtout du côté droit. La
flexion des doigts peut du reste être provoquée par percussion de toute la moitié
inférieure du radius. On obtient également avec facilité les réflexes de flexion,
extension, abduction et adduction de la main. En outre on peut provoquer parfois de
la trépidation épileptoïde de la main droite.
Les réflexes abdominaux et anal sont abolis ; le réflexe plantaire se fait en extension
des deux côtés. '
L'excitabilité faradique et l'excitabilité galvanique des muscles atrophiés est très
affaiblie mais on ne constate pas de réaction de dégénérescence.
La sensibilité objective est très peu troublée : toutes les excitations tactiles, dou-
loureuses et thermiques sont perçues, il semble pourtant que le chaud et le froid
soient sentis moins nettement dans le territoire des 2e et 3e dorsales, les excitations
déterminent plutôt une impression douloureuse. La sensibilité profonde paraît
intacte. La malade se plaint de douleurs dans les épaules et la région cervicale de la
382 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS' DE LA MOELLE
colonne vertébrale, douleurs qu'exagèrent les moindres mouvements des membres ;
les douleurs lancinantes des membres inférieurs et les douleurs constrictives du début
ont disparu.
On peut provoquer par l'application des différents excitants sur les membres
inférieurs et le tronc des réflexes de défense qui consistent comme d'habitude en une
flexion de la cuisse, de la jambe et du pied. Ces mouvements relativement faibles au
moment de l'entrée à l'hôpital se sont exagérés ultérieurement et il est possible de
les faire apparaître par l'excitation des téguments du tronc jusqu'au-dessus de la
ligne mamelonnaire. En excitant la face interne des deux bras et la région thoracique
correspondant aux 2'' et 3e dorsales (voir schéma) on obtient des mouvements réflexes
de défense aux membres supérieurs : ils consistent en une extension de l'avant-bras
avec pronation de la main, adduction et rotation interne de tout le membre.
Il existe des troubles des sphincters : la malade urine par regorgement et ses urines
sont troubles et purulentes; elle a de la rétention des matières fécales.
Une ponction lombaire est pratiquée et on constate une lymphocytose nette; la
réaction de Wassermann est positive dans le liquide céphalo-rachidien.
L'état général de cette malade est très précaire du fait de ses escarres sacrées et de
ses émissions involontaires d'urine. Au bout d'un mois environ l'infection urinaire
augmente, la température s'élève, la malade tombe dans un demi-coma et meurt au
bout de trois jours.
L'analyse seule des troubles observés chez cette malade nous avait per-
mis de préciser la nature et le siège des lésions qui les avait déterminés.
Le rapprochement des deux observations prises à une année d'intervalle
nous avait montré qu'il s'agissait d'une affection à marche progressive, à
évolution relativement lente, d'un processus chronique dont nous avions
pu suivre les différents stades : irritation radiculaire au début, quadriplé-
gie progressive par la suite,
Le début de cette affection par des troubles radiculaires précédant
les symptômes médullaires nous avait autorisés à affirmer que le proces-
sus pathologique avait pris naissance en dehors de la moelle.
Plus tard l'exagération des réflexes tendineux, l'exaltation des réflexes
de défense nous conduisirent à reconnaître l'existence d'une lésion spinale.
Enfin la lenteur de l'évolution, l'intensité des réflexes de défense, les
phénomènes douloureux cadraient avec l'hypothèse d'une compression de
la moelle.
Si contrairement à ce qui a lieu d'habitude dans les compressions de la
moelle il n'y avait pas dans ce cas de troubles objectifs de la sensibilité
permettant de localiser la lésion, l'examen comparatif des divers réflexes
tendineux et le siège de la limite supérieure des mouvements réflexes de
défense autorisait à supposer que la limite inférieure de cette compression
siégeait entre les 6e et 7e segments cervicaux. En effet alors que le réflexe
du triceps (C-) était nettement exagéré, le réflexe de flexion de l'avant-
bras (C") était considérablement affaibli, en outre on pouvait provoquer
des mouvements réflexes de défense non seulement sur les membres
inférieurs et le tronc, mais encore au niveau des membres supérieurs dans
leur partie interne (C', C8, D'). De plus, certains signes nous montraient
que la lésion devait s'étendre en haut ; l'atrophie des deltoïdes et celle
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES
383
des muscles de l'épaule traduisaient la participation, si ce n'est des 5e, 4e
et 3e segments cervicaux tout au moins de leurs racines antérieures.
D'autres symptômes faisaient même supposer une extension du processus
aux nerfs crâniens et à la base du cerveau (diplopie, diminution de l'ouïe
et des troubles vertigineux).
Enfin en raison de l'absence de troubles de la sensibilité sur les mem-
Schéma montrant les territoires dans lesquels on peut provoquer les mouvements réflexes de défense
Rd. i. aux membres inférieurs, dont la limite supérieure est en et aux membres supérieurs
Rd. s. dont la limite supérieure est en X'.
bres inférieurs et le tronc, il y avait lieu d'admettre que la compression de
'la moelle ne devait pas étre très profonde.
Il nous restait à savoir à quelle cause nous devions attribuer cette
compression cervicale ; la lymphocytose du liquide céphalo-rachidien avec
réaction de Wassermann positive, la constatation du signe d'Argyll
Robertson et l'étendue de la lésion nous conduisaient au diagnostic de
méningite syphilitique hypertrophique.
Nous avons pu avoir la vérification anatomique de ce cas et elle vient
compléter cette observation ; aussi la rapportons-nous en détail ainsi que
nos examens anatomo-pathologiques.
Fis. 43.
384 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
AUTOPSIE.
Examen macroscopique. A l'ouverture du canal rachidien la moelle encore
comprise dans ses enveloppes apparaît renflée à sa partie supérieure; à l'incision de
la dure-mère on constate en approchant de la région cervicale des adhérences surtout
marquées à la face postérieure. En ce point les méninges forment dans leur ensemble
un véritable manchon fibreux enserrant la partie supérieure de la moelle. Cette fusion
des enveloppes médullaires est, nous venons de le dire, beaucoup plus étendue sur
la face postérieure que sur l'antérieure, elle se prolonge en effet en bas jusqu'à l'émer-
gence des filets radiculaires postérieurs de la 7e racine cervicale alors qu'en avant
elle ne descend que jusqu'à la partie inférieure du 4e segment cervical ; on peut facile-
ment se rendre compte de cet aspect sur les photographies. Au-dessous de ces limites
la dure-mère est libre mais il subsiste sur les deux faces de la moelle une irritation
très accentuée des méninges molles, l'arachnoïde épaissie, d'un blanc laiteux a perdu
sa transparence sur toute sa hauteur. L'anneau fibreux se prolonge en haut sur la
région cervicale supérieure et, entre les 2e et 3'' segments, la face antérieure de la
moelle dans sa moitié droite est déprimée par une petite tumeur arrondie un peu
lobulée incluse dans la gaîne méningée, ayant l'aspect d'une gomme (fig. 44, G). Les
lésions des méninges molles se poursuivent sur le bulbe, la protubérance, le cervelet
et les pédoncules cérébraux, formant une couche blanchâtre qui englobe les vaisseaux
et les nerfs crâniens à leur émergence (fig. 44).
Examen microscopique. Nous avons fait de ces pièces un examen microscopique
en coupes sériées qui nous a permis d'étudier non seulement les lésions méningées
et vasculaires, mais encore les lésions médullaires et radiculaires résultant de la
compression produite par l'anneau fibreux.
1° Lésions méningées. L'anneau fibreux est constitué par la coalescence des trois
méninges.
La dure-mère est nettement épaissie, mais son volume est beaucoup moins impor-
tant que celui de l'arachnoïde ; elle est composée de nombreuses couches concentriques
de tissu conjonctif. Les éléments cellulaires y sont presque absents; par place seule-
ment on aperçoit un noyau allongé accolé à une fibre. En certains points les différentes
couches de cet anneau fibreux s'écartent et font place à des capillaires dont les parois
sont fortement épaissies et dont quelques-uns sont thromboses. Il est à remarquer
que la face externe de la dure-mère est absolument libre, ne présentant aucune trace
de lésions et qu'il y a là par conséquent quelque chose de très différent de la pachymé-
ningite tuberculeuse.
L'arachnoïde est certainement celle des trois méninges qui a le plus participé à
l'infection, et sur une coupe transversale de la moelle au niveau de l'anneau, sans
aucune préparation, on était déjà très frappé de l'aspect de cette couche moyenne
formée de deux feuillets également volumineux. L'examen microscopique de coupes
colorées à l'hématoxyline éosine et au Van Gieson révèle une infiltration cellulaire
considérable formée de noyaux ronds s'insinuant entre des mailles conjonctives clair-
semées. Dans son ensemble ce tissu est beaucoup plus lâche que celui de la dure-
mère et on y trouve une quantité considérable de vaisseaux aux parois altérées forte-
ment épaisses : toutes ces lésions ont le caractère des lésions syphilitiques. C'est du
reste à l'intérieur de cette couche, qu'existait la tumeur gommeuse que nous avons
signalée plus haut (fig. li4 et 51 G) autour de laquelle s'était faite une hémorragie
Fig. 44.
Fig. 45.
Fig. 46.
1 ifi. 114. Méningite de la base englobant le bulbe B., la protubérance Po., les pédoncules cérébraux
P., le cervelet, les origines des nerfs crâniens : 111. moteur oculaire commun, V. trijumeau,
VIII. acoustique, G. gomme encastrée dans l'anneau méningé qui enserre la partie supérieure de
la moelle cervicale.
Fig. 45. - Moelle cervicale (face antérieure) la dure-mère n'a pu être incisée à partir du 4e segment;
l'arachnoïde A. est épaissie et blanchâtre; C. 5. 5e racine antérieure; D. l. ? e racine dorsale.
Fig. 116. Moelle cervicale (face postérieure) ; la fusion des méninges P. descend jusqu'à l'origine de
la 7e racine cervicale C. 7, on voit également une importante arachnitis A.
Babinski. a5
386 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
enkystée dont on retrouve des traces sous forme de pigments dans l'intérieur des
leucocytes accumulés autour de cette gomme.
La pie-mère est également épaissie, mais à un degré moindre que l'arachnoïde.
En examinant les coupes de la région cervicale de bas en haut (fig. ll7, 48, 49, 50) on se
rend compte de la façon dont s'opère la coalescence de ces différentes couches, d'abord
sur la face postérieure de la moelle, puis latéralement sur le pourtour des racines
jusqu'aux ganglions et enfin sur la face antérieure. L'arachnoïde et la pie-mère sont
complètement soudées alors que la dure-mère est encore libre sur la face antérieure
(fig. 4g). La fusion complète des trois méninges ne se fait qu'au niveau du 4e segment
cervical (fig. 5o).
En somme il ne s'agit pas à proprement parler d'une pachyméningite, dénomination
par laquelle on a coutume de désigner ces lésions, puisque les altérations de la dure-
mère ne sont pas isolées, qu'elles ne prédominent même pas, il existe en réalité des
lésions irritatives des trois méninges : pachyméningite, arachnitis, et leptoméningite,
les lésions de l'arachnoïde étant les plus accentuées. Il nous semble donc préférable
d'appliquer à ces altérations l'étiquette de méningite hypertrophique.
2° Lésions radiculaires. Les racines qui traversent cette gaine fibreuse pour gagner
la moelle ou en sortir présentent des lésions, surtout prononcées à la partie posté-
rieure comme on pouvait s'y attendre ; mais malgré l'intensité du processus de
compression elles sont relativement peu atteintes, leur dégénérescence n'est que
partielle, il s'agit plutôt de démyélinisation segmentaire et le nombre des fibres saines
est encore très grand. La coloration de Marchi permet de voir un certain nombre
de grains noirs et la méthode de Van Gieson et du carmin révèlent un infiltration
conjonctive interstitielle des racines malades. Les lésions radiculaires n'existent du
reste qu'au niveau où la fusion des trois méninges est complète.
3° Lésions médullaires. L'examen des coupes sériées de la moelle cervicale nous
a permis de suivre les dégénérescences des racines postérieures dans leur trajet intra-
médullaire. Elles se traduisent sur les coupes colorées au Pal (fig. 48) par une bande
claire au niveau du cordon de Burdach ; la zone radiculaire externe correspondant
à ces racines est considérablement éclaircie et les cylindraxes manquent en bien des
points. Sur les coupes colorées au Marchi on peut les suivre également grâce à
l'existence des grains noirs qui sont localisés presque exclusivement dans les
cordons de Burdach. Ceci est surtout net au niveau de C4-Cs. Cette dégénérescence
s'atténue du reste rapidement et déjà au niveau du 3e segment les grains ont en
partie disparu.
Comme cela est fréquent malgré une compression aussi étendue la moelle présente
très peu de lésions. Il n'existe d'abord aucune lésion infectieuse en foyer coïncidant
avec cette méningite, comme cela a déjà été signalé dans quelques cas; il n'y a pas
Fig. 4. - 7e segment cervical : coupe colorée à la méthode de Pal; épaississement des méninges
postérieures qui commencent à se fusionner; la pie-mère irritée pénètre en coins dans les cordons
postérieurs : A. arachnoïde; D. dure-mère; P. pie-mère.
Fig. 48. 6e segment cervical ; la coalescence des méninges est complète sur la face postérieure de
la moelle. On voit sur cette coupe qui est également colorée au Pal une dégénérescence notable des
zones radiculaires externes dans les cordons postérieurs au niveau des faisceaux de Burdach :
A. arachnoïde; CB. faisceau de Burdach; D. dure-mère; P. pie-mère; Zm. zone marginale de
démyélinisation.
Fig. 4g. 5e segment cervical, coloration au Marchi : l'anneau méningé tend à se fermer en avant
par soudure des différentes enveloppes médullaires A. D. ; elles englobent latéralement les racines
antérieures R. A. et postérieures R. P. ; on voit sur cette coupe avec netteté la zone de démyélini-
sation marginale Zm ; et des grains noirs abondants dans les deux faisceaux pyramidaux croisés
Py. c. et dans le faisceau de Burdach C. B. le faisceau de Goll étant intact.
: COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 387
388 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
davantage de cavité médullaire comme dans certaines observations. Les lésions
médullaires semblent dues beaucoup plus à l'irritation méningée qu'à la compression ;
elles se traduisent : 1° par une zone marginale de dégénérescence et d'oedème qui se
poursuit sur toute la hauteur de la moelle et que l'on retrouve même dans les coupes
les plus inférieures; 2° par une dégénérescence des voies pyramidales légères portant
sur une très faible hauteur ; on constate en effet au niveau des 4e et 5" segments
cervicaux (fig. 5o et 4g) une assez grande quantité de grains noirs dans les faisceaux
pyramidaux croisés, mais on n'en retrouve déjà plus dans le 6e segment. La voie
motrice est du reste dans ce cas lésée sur un autre point, à la partie moyenne du
bulbe (fig. 52) la pyramide droite est en effet envahie par du tissu de sclérose (S) et
semble en partie détruite, mais il ne s'agit là encore que d'une démyélinisation locale
des fibres parce qu'il n'existe aucune dégénérescence sous-jacente.
Les résultats de cet examen anatomique viennent confirmer les données
de la clinique et en vérifier tous points de notre diagnostic. Il s'agissait
en effet d'une compression de la région cervicale de la moelle par un
anneau méningé fibreux d'origine syphilitique (infiltration cellulaire,
gomme, endartérite).
Il est certains côtés de cette observation qui nous ont paru particulière-
ment intéressants et sur lesquels nous tenons à insister en terminant.
i° Les lésions méningées observées rentrent dans ce que l'on a décrit
sous le nom de pachyméningite cervicale hypertrophique, mais nous ferons
remarquer que dans ce cas ce terme est impropre, les lésions de la pachy-
méninge passent en effet au second plan et celles de l'arachnoïde prédo-
minent au point que l'on pourrait dire qu'il s'agit surtout d'arachnitis; il
nous parait préférable de les désigner sous le nom de méningite cervicale
hypertrophique.
2° La compression qui macroscopiquement semblait très grande (défor-
mation de C3C4) n'a cependant pas amené de lésions profondes de la
moelle. Il n'existe pas en effet de dégénérescences de ses faisceaux longs
et cliniquement la sensibilité était conservée.
3° Les racines, quoique plus altérées que la moelle (état clair, dégéné-
rescence ascendante du faisceau de Burdach), ont fait preuve d'une tolé-
rance très grande puisque la sensibilité objective était presque intacte et
que dans les groupes musculaires atrophiés il n'y avait ni abolition
complète des réflexes, ni réaction de dégénérescence.
4° Enfin nous avons constaté des mouvements réflexes de défense aux
membres supérieurs que nous avons pu utiliser pour la localisation de la
lésion.
Fig. 50. 40 segment cervical : anneau méningé complet formé surtout par l'arachnoïde A. et dou-
blé sur ses faces par la dure-mère D. et la pie-mère P. ; les dégénérescences des cordons postérieurs
s'atténuent ainsi que celles des faisceaux pyramidaux ; la zone de démyélinisation marginale ZM,
est intense.
Fig. 51. - Exubérance des méninges qui englobent une gomme G. à ce niveau la partie antérieure
de la moelle est fortement déprimée. ,
Fig. 52. Coupe du bulbe passant par la partie inférieure des olives O. i. ; S. taches de sclérose dans
la pyramide. Py. droite au voisinage de la pie-mère fortement irritée; Cio, couche interolivaire;
XII. noyau de l'hypoglosse.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 31g
XIV
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'ANESTHÉSIE
DANS LES COMPRESSIONS DE LA MOELLE DORSALE
[J. BABINSKI et J. JA.RKOWSKI.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
/t° 9, séance d'arvil ig.2o.
L'examen et l'interprétation des troubles de la sensibilité dans les cas
j de compression médullaire sont souvent difficiles et comportent
des causes d'erreurs. Celles-ci, nous semble-t-il, proviennent en
partie de ce que l'on n'a pas établi jusqu'à présent une distinction suffi-
sante entre l'anesthésie qui dépend d'une compression spinale et celle
qui est liée à une lésion destructive de la moelle.
Nous nous proposons dans cette note d'étudier quelques-uns des carac-
tères de l'anesthésie par compression qui, probablement entrevus par la
plupart des neurologistes, n'ont pas, à notre connaissance, été mis en
lumière.
Et tout d'abord, pour établir un terme de comparaison, voyons com-
ment se présente l'anesthésie dans les lésions transversales destructives
de la moelle. '
Voici un cas de ce genre (fig. 53), les signes constatés (paraplégie totale,
avec abolition des réflexes tendineux, troubles sphinctériens, apparition
rapide des escarres, anesthésie complète dans une grande partie du tronc
sous-jacente à la lésion) permettent de supposer l'existence d'une lésion
transversale destructive très profonde de la moelle dorsale.
L'examen de l'anesthésie nous montre la disposition suivante de ces
troubles :
Les membres inférieurs (sauf la plante des pieds) et la partie inférieure
du tronc, jusqu'à une limite passant à IOlt centimètres au-dessus de
l'ombilic, sont le siège d'une anesthésie totale pour tous les modes ;
aucune excitation n'est perçue dans ce territoire. On a beau répéter l'exa-
men, l'anesthésie reste toujours absolue. Cette zone d'anesthésie totale
est nettement séparée du territoire sus-jacent ; pourtant la sensibilité ne
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES
3g r
redevient pas tout de suite normale : le domaine de l'anesthésie totale est
surmonté d'une zone d'hypoesthésie qui se laisse subdiviser en deux
bandes, dont chacune occupe le territoire d'un segment environ. La pre-
mière zone d'hypoesthésie marquée, d'une hauteur de trois à quatre cen-
timètres, présente encore des troubles sensitifs nettement appréciables :
il ne distingue pas la pointe d'une épingle de sa tête, un corps rugueux
d'un corps lisse, il sent le froid comme une piqûre parfois insupportable.
Dans la seconde zone d'hypoesthésie légère, présentant la même étendue
que la précédente, le trouble n'est guère que d'ordre quantitatif, et, à un
examen rapide, ce trouble peut passer inaperçu ; le malade reconnait ici
toutes les excitations, mais il les perçoit moins bien qu'en territoire nor-
mal : toutes les excitations sont comme émoussées.
Nous avons pu, avec Jumentié, grâce à l'obligeance de Mme I)éjerine,
dans son service aux Invalides, vérifier cette disposition dans quelques
cas de section de la moelle par un projectile de guerre.
Si l'on s'en tient aux descriptions classiques, c'est une disposition ana-
logue que l'on doit s'attendre à trouver dans les cas de compression médul-
laire à la phase avancée, considérée comme une équivalence à une section
complète de la moelle ; et, en fait, cette forme peut se rencontrer. En-
Fig. 53. Myélite transverse
Fig. 511. Tumeur cWra-duremé-
rienne comprimant la moelle du
ge au lIe segment dorsal.
392 l'IRtPLI'GIE.S - I FH'EG1'ION.S DE LA MOELLE
voici un exemple (fig. 54) : à côté d'une paraplégie complète, nous consta-
tons ici des troubles sensitifs, en tous points comparables à ceux que
nous venons de décrire. Remarquons, en passant, qu'il s'agissait là d'une
compression récente ; les troubles de la sensibilité ne dataient que de
quelques semaines; ils ont rétrocédé quelques jours après l'extraction de
la tumeur.
Mais dans la plupart des cas de compression y compris ceux où
l'anesthésie est déjà très ancienne il n'en est pas ainsi ; on retrouve, il
est vrai, la zone d'hypoesthésie légère à peu près semblable à celle des
lésions destructives ; mais dans le reste du territoire atteint, l'anesthésie
présente d'habitude les caractères qui paraissent appartenir plus particu-
lièrement aux compressions médullaires.
L'anesthésie, à proprement parler, c'est-à-dire l'abolition complète per-
manente de toute sensibilité, n'occupe qu'une zone relativement restreinte,
ou n'existe même pas du tout et voici ce qu'on observe : un territoire qui
paraissait atteint d'anesthésie complète peut, si l'on prolonge l'examen,
recouvrer temporairement, à un degré plus ou moins marqué, la sensibi-
lité. Une excitation nullement perçue à un moment donné le sera quel-
ques instants plus tard, soit d'une manière vague et confuse, soit même
avec netteté. Ainsi, à la place de l'anesthésie complète, durable, on trouve
ici une modalité particulière des troubles sensitifs caractérisés par leur
inconstance, leur variabilité, et que nous appellerons « anesthésie ins-
table ».
A quoi tient ce phénomène ? On serait porté à l'expliquer par un effort
variable d'attention du sujet. Mais ces « réveils de la sensibilité » sont
d'habitude particulièrement marqués vers la fin de l'examen, à un moment
où le malade est manifestement fatigué, moins attentif et plus disposé à
commettre des erreurs.
Il nous semble qu'il nous serait permis de rapprocher cette variabilité
de l'anesthésie de la variabilité que présentent certains phénomènes mo-
teurs dans les compressions médullaires : nous avons déjà signalé autre-
fois l'action dynamogène qui peut être exercée transitoirement sur la
motilité volitionnelle, dans les paraplégies dues aux lésions non destruc-
tives (') ; nous avons aussi insisté à maintes reprises sur la variabilité des
réflexes de défense, en particulier dans les cas de tumeur de la moelle.
L'anesthésie instable occupe souvent dans les compressions spinales,
la plus grande partie ou même la totalité du territoire intéressé ; elle peut
présenter toute une série de degrés quant à l'intensité, suivant les ni-
veaux ; mais le maximum des troubles sensitifs ne se trouve pas, comme
on pourrait le croire, à la hauteur correspondant à la compression, mais
souvent bien loin au-dessous de celle-ci (voir les fig. 55, 56, 57 et 58).
Ainsi la zone intermédiaire entre l'hypoesthésie légère et l'anesthésie
maxima (zone d'hypoesthésie marquée) est parfois très étendue en com-
paraison avec celle des lésions transversales destructives ; elle peut occu-
(') J. Babinski et J. Jarkowski, Revue Neurologique, 19 Il, 15 septembre.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES
393
per le domaine de plusieurs segments et, souvent, les troubles sensitifs
s'accentuant d'une matière progressive de haut en bas, elle se fond avec
le territoire de l'anesthésie maxima (voir fig. 56).
Si, en plus, il y a une conservation relative de la sensibilité dans la
région des racines sacrées lombaires, disposition que nous avons ob-
servée parfois avec A. Barré (') et que nous retrouvons dans certains sché-
mas de M. Head antérieurs à nos recherches, la zone relativement
réduite de l'anesthésie maxima, située vers le milieu du territoire atteint,
se trouve encadrée, en bas et en haut, par deux larges zones d'hypoes-
thésie (voir fig. 55, 56 et 58).
Nous voyons parfois dans ces cas le phénomène suivant : les excita-
tions appliquées sur le territoire de l'anesthésie maxima, s'il ne s'agit pas
d'anesthésie complète, perçues vaguement, ne sont pas localisées par le
malade d'une manière précise, mais sont rapportées soit en bas, soit en
haut, dans un territoire moins atteint.
Notons que la même disposition des troubles sensitifs peut s'observer,
que l'anesthésie atteigne tous les modes de la sensibilité ou qu'il existe
. (') Babinski, Barré, Jarkowski, Société de Neurologie, 10 février et 4 avril 1910.
Fig. 55. Tumeur intra-duremé-
rienne au niveau du 4 et 5e seg-
ment dorsal.
Fig. 56. Tumeur intra-duremé-
rienne 5e segment dorsal. '
394
PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
une dissociation syringomyélique, ainsi que cela avait lieu dans le cas
correspondant à la figure 58.
L'éloignement de l'anesthésie maxima rappelle ce que Head, dont les
études sur la sensibilité font époque, a signalé dans le syndrome de
Brown Séquard où l'anesthésie croisée s'arrête souvent bien loin au-
dessous du siège de la. lésion. , .-
Par contre, cette particularité contraste. avec ce qu'on voit dans le cas
de lésion intra-spinale, telles que la syringomyélie où les troubles sensi-
tifs prédominent au niveau de la lésion. N'y a-t-il pas là une donnée pou-
vant être utilisée pour un diagnostic différentiel entre une lésion intra-
médullaire et une compression extra-médullaire ? Cela nous paraît
vraisemblable; quoique nous ne soyons pas encore en mesure de nous
prononcer d'une manière ferme.
Quoi qu'il en soit, il semble permis de conclure de ces constatations
que si les compressions extra-spinales troublent notablement les fonctions
des fibres sensitives, elles épargnent la substance grise, malgré leur lon-
Fig. 57. Tumeur extra-duremé-
rienne comprimant la moelle du
5e au ge segment dorsal (cas pu-
blié par J. Babinski, Lecène et
Jarkowski, Revue Neurologique,
agi4, n° 12.
Fig. 58. Tumeur intra-duremé-
rienne au niveau de la 2-4 apo-
physe épineuse; anesthésie ther-
mique et douloureuse (cas publié
par MM. Babinski, de Martel et
Jumentier, Société de Neurologie,
25 avril igi2.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 3g5
gueur parfois très grande et les déformations considérables qu'elles peu-
vent déterminer.
De ce que nous venons de dire, il résulte que la distribution des trou-
bles sensitifs dans les compressions médullaires peut être très variée ;
les figures ci-jointes en donnent la preuve.
Parfois identique (fig. 54) à celle des lésions destructives et les rappelant
dans une certaine mesure (fig. 55) elle en diffère dans la plupart des cas
par l'éloignement de l'anesthésie maxima et par l'étendue considérable de
la zone intermédiaire (zone d'hypoesthésie marquée).
On peut, croyons-nous, tirer des données précédentes des déductions
intéressantes en ce qui concerne la localisation des compressions médul-
laires. Sans doute, les notions classiques ont permis bien souvent de
résoudre le problème ; du reste, s'il en avait été autrement, l'intervention
chirurgicale dans les tumeurs comprimant la moelle serait depuis long-
temps tombée en discrédit.
Mais on a, nombre de fois, signalé des cas où l'on avait fait fausse
route.
Les erreurs commises peuvent provenir de ce qu'on a assigné comme
limites supérieures des troubles de la sensibilité celles de l'hypoesthésie
légère ; d'autant plus que cette limite est difficile à tracer et qu'on peut
être conduit à la dépasser, en attachant aux nuances de l'hypoesthésie
une valeur démesurée.
Par contre, si l'on ne veut tenir compte que des troubles de la sensibi-
lité très marquée et de ceux dont la fixité est établie par des réponses du
malade toujours concordantes, on risque de fixer trop bas la limite supé-
rieure de l'anesthésie. C'est là peut-être l'erreur commise le plus ordinai-
rement.
Nous pensons que, dans les cas de ce genre, on a dû prendre pour
repère la limite supérieure de l'anesthésie complète ou maxima située
parfois, comme nous l'avons vu, bien au-dessous de la compression, et
que l'on n'a pas tenu compte de la zone d'hypoesthésie marquée, à cause
de l'instabilité des troubles, les attribuant à des altérations accessoires,
telles que l'oedème dans la portion de la moelle sus-jacente à la lésion.
D'ailleurs la limite de l'anesthésie maxima ne peut même pas toujours être
déterminée avec précision.
Nous croyons qu'au milieu de ces données la plupart sujettes à des
variations il en est une qui a une stabilité suffisante pour servir de
repère. Nous avons constaté en effet dans nos observations, que la zone
d'hypoesthésie marquée est nettement séparée de celle de l'hypoesthésie
légère par une ligne relativement fixe. Or, cette ligne correspond, d'après
nous, avec une grande approximation, au niveau supérieur de la
compression spinale.
Cette proposition pourrait sembler, à priori, contraire à l'opinion cou-
rante, d'après laquelle en raison du principe de l'innervation pluriradicu-
laire, établi par Scherrington, il faut fixer le siège de la compression à un
ou deux segments au-dessus de la limite supérieure de l'anesthésie. Mais
3g6 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
nous venons précisément de faire ressortir que la limite de l'anesthésie
est souvent tracée d'une manière arbitraire à un niveau inférieur à celui
que nous nous proposons de choisir.
Nos conclusions, nullement en opposition du reste avec les notions
dues aux travaux de Scherrington, sont fondées sur nos observations
anatomo-cliniques. Nous pouvons dire qu'en nous basant sur cette règle,
nous sommes toujours arrivés jusqu'à présent à repérer avec exactitude
les tumeurs comprimant la moelle.
XV
QUELQUES DOCUMENTS RELATIFS AUX COMPRESSIONS
DE LA MOELLE
[J. BABINSKI ET .T..TARKOVSKI.
Publié dans la Revue neurologique, n" 6, décembre 1924.
Si nos connaissances sur les compressions de la moelle sont déjà très
étendues, et si, grâce aux données cliniques anciennes jointes à
celles qui ont été récemment fournies par l'épreuve du lipiodol de
Sicard-Forestier, il est possible aujourd'hui de localiser avec précision le
siège d'une compression, ce qui est capital quand il s'agit d'une tumeur
énucléable, il est encore bien des points relatifs à ce sujet, entre autres
le diagnostic différentiel, qui ont besoin d'être approfondis.
Dans certaines espèces de compressions de la moelle, telles que le mal
de Pott, où la guérison s'obtient très souvent sans intervention opératoire,
celle-ci est généralement sans profit et fait courir de gros dangers ; au
contraire, les compressions par tumeur juxta-médullaire ne semblent guère
curables que par l'acte chirurgical ; il serait donc fort important de savoir
reconnaître avec certitude les compressions de ce genre, et voilà une
première question qu'il faut tâcher de résoudre.
C'est bien moins par des vues de l'esprit que par des observations cli-
niques soigneusement recueillies qu'on peut espérer trouver la solution
des divers problèmes qui se posent.
Nous allons relater quelques faits qui constituent une contribution à
cette étude.
Observation I. Mme B..., 62 ans. Elle dit que l'affection dont elle est atteinte
a débuté dans l'hiver 191 8- 1 consécutivement à une grippe et s'est manifestée par
une sensation de lourdeur aux membres inférieurs. Les troubles moteurs se sont
accrus ensuite très lentement et dans l'été de tuât la marche devint tout à fait
impossible.
Nous examinons la malade pour la première fois au commencement de l'année g2,
et voici ce que nous constatons : paraplégie spasmodique en flexion avec signe des
3g8
PARAPLÉGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
orteils, exagération des réflexes tendineux et des réflexes de défense. La limite supé-
rieure de ces derniers est située un peu au-dessus de l'ombilic; mais, très marqués
aux membres inférieurs, ils sont peu prononcés au-dessus du pli de l'aine. Il existe
une anesthésie presque totale aux membres inférieurs et sur une partie du tronc; elle
s'atténue à la partie supérieure et l'hypoesthésie marquée atteint le niveau de D 7 ;
au-dessus de D 7 on ne trouve qu'un peu d'hypoesthésie légère. Incontinence d'urine
et des matières.
Une radiographie ne montre pas d'al-
tération manifeste de la colonne verté-
brale, mais décèle à droite du rachis, au
niveau des 6e et 7e côtes dorsales, une
masse opaque nettement délimitée ayant
les dimensions d'une mandarine.
Nous revoyons Mme B... au commen-
cement de rg24. Son état général est
excellent, mais la plupart des troubles
précédemment mentionnés ne se sont pas
atténués, malgré le repos forcé auquel
elle a été soumise. La paraplégie spas-
modique en flexion s'est même accen-
tuée ; les talons arrivent presque au
contact des fesses ; les spasmes sponta-
nés tourmentent la malade jour et nuit;
les réflexes de défense sont devenus
plus forts et leur limite supérieure se
trouve nettement en D 8/g. Les troubles
sphinctériens sont permanents et néces-
sitent des soins continuels fort gênants
pour la malade et le personnel. Quant à
l'anesthésie, elle présente les mêmes
limites qu'au premier examen, mais
d'absolument fixe qu'elle était autrefois,
elle est devenue un peu moins stable.
Deux nouvelles radiographies sont
faites, l'une après injection intradurale
de lipiodol à la région cervicale, 1 autre
après injection à la région lombaire. Voici ce qu'on observe sur les épreuves :
l'ombre constatée autrefois à droite de la colonne vertébrale, si elle a augmenté un
peu d'étendue, n'a subi ni dans sa forme ni dans sa situation de modification appré-
ciable. Le lipiodol injecté par en haut s'arrête à son niveau supérieur tandis que sa
partie inférieure est en rapport avec l'huile iodée injectée par en bas. Plusieurs
ponctions de la masse para-vertébrale, pratiquées sous écran, par notre collègue le
Dr l3ailleul, donne un résultat négatif ; pas une goutte de liquide ne s'écoule par le
trocart.
Une intervention chirurgicale est pratiquée sur notre conseil par le Dr de Martel
le 15 mars 1924. En voici le compte rendu : incision, dont le milieu répond à l'apo-
physe épineuse de la 6e vertèbre dorsale ; mise à découvert à l'aide de la rugine des
lames et des côtes du côté droit. On voit alors entre deux côtes et paraissant s'étendre
sous celles-ci une masse arrondie, mamelonnée, résistante et d'un aspect nacré, qui
donne l'impression d'une tumeur. Un prolongement semble pénétrer dans le canal
Fig. 5g. Obs. I. Mme B. Troubles sensitifs
à tous les modes.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 3og
vertébral sous une lame qui est en partie rongée. On pratique la laminectomie en
évitant soigneusement cette masse ; les lames étant réséquées, on trouve une tumeur
du volume d'une petite noix qui refoule fortement le sac dure-mérien sur le côté
gauche du canal. Au cours des manoeuvres d'ablation, cette tumeur s'effrite en grande
partie. La dure-mère étant débarrassée de la néoformation qui la recouvrait, on
essaie d'énucléer la partie extra-vertébrale de la tumeur; facile au début, cet acte opé-
ratoire amène une forte hémorragie lorsqu'on arrive à la face profonde de la
néoplasie. Pour l'extraire plus aisément, on la morcelle. On constate alors qu'elle est
constituée à la périphérie par une coque épaisse, dense, et dans ses parties profondes
par un tissu ayant une consistance molle et par endroits désagrégé. On enlève la
tumeur à la curette dans la mesure du possible, et pour éviter que la poche ne
devienne le siège d'un hématome on fait un plombage de la cavité à la cire de Horsley
préalablement fondue.
Le Dr Géraudel, chef du laboratoire de la clinique du Pr Vaquez, a bien voulu
examiner la pièce. Voici la note qu'il nous a remise : « On distingue dans la prépara-
tion : 10 une partie fibreuse, dense, peu riche en cellules, sorte de coque envelop-
pante ; 2° une partie d'aspect grossièrement lobulé contenant plus de cellules. Les
lobules sont disposés autour de vaisseaux à paroi ayant subi par places une dégéné-
rescence hyaline. Les cellules sont vacuolisées et pourvues d'un noyau volumineux. »
Le 1) Géraudel estime qu'il s'agit d'un chordome, néoformation que l'on considère
comme se développant aux dépens des vestiges de la notocorde.
Le Dr Herrenschmidt, chef du laboratoire de la clinique du Par Delbet, après avoir
examiné les préparations, porte le même diagnostic de chordome.
Quelques jours après l'opération les troubles sensitifs s'étaient déjà un peu atté-
nués ; au bout d'une quinzaine la malade disait qu'elle était capable d'effectuer par
moments quelques mouvements volontaires. Aujourd'hui, si mois après l'opération, la
motilité volontaire est encore très limitée, et ce n'est que de temps en temps que la
malade est en état de mouvoir un peu son pied ; il existe toujours des spasmes spon-
tanés intenses qui apparaissent dès qu'elle fait un effort, et qui doivent entraver les
mouvements qu'elle voudrait exécuter.
Mais la malade nous dit que, si les spasmes des membres inférieurs ne se sont pas
atténués, elle est débarrassée d'une sensation de raideur, de constriction à la partie
inférieure du tronc, qui était fort pénible, et que de ce fait l'opération lui a déjà rendu
service. En outre, l'anesthésie a presque complètement rétrocédé et enfin l'inconti-
nence d'urine et des matières fécales a disparu, ce qu'elle considère pour le moment
comme le plus grand bénéfice de l'opération.
L'ensemble des symptômes que nous avons constatés dès notre premier
examen et l'évolution de l'affection conduisirent au diagnostic extrême-
ment probable de compression de la moelle. Nous avons été aussi à même
de déterminer le siège de la lésion en nous fondant sur le niveau de
l'anesthésie et des réflexes de défense, localisation qui fut confirmée par
les résultats des épreuves radiologiques. Ce sont là des données aujourd'hui
banales.
Mais ce qui faisait la difficulté et l'intérêt de ce cas, c'était le diagnostic
de la nature de la lésion déterminant la compression spinale. La première
radiographie, faite en '022, avait décelé, comme on l'a vu, l'existence
d'une masse intra-thoracique paravertébrale, se projetant sur les 6e et
7e côtes, c'est-à-dire au niveau des segments médullaires comprimés. Il
4oo PARAPLÉGIES - AFFETIONS DE LA MOELLE
était donc légitime d'établir une relation entre cette masse et l'agent de
la compression. Deux hypothèses devaient se présenter à l'esprit : tumeur
en bissac ou lésion pottique avec abcès par congestion. C'est cette der-
nière idée qui nous paraissait la plus probable, malgré l'absence d'alté-
rations tuberculeuses manifestes des corps vertébraux.
Plus d'un an après notre premier examen, l'état de la malade n'ayant
subi aucune amélioration, la paraplégie en flexion s'étant même accen-
tuée, nous crûmes nécessaire de procéder à une nouvelle radiographie,
dans la pensée qu'elle nous conduirait peut-être à modifier le diagnostic
posé, et nous fûmes alors frappés par ce fait que l'ombre paravertébrale
avait conservé la même apparence et que sa partie inférieure ne s'était pas
du tout abaissée, comme cela aurait dû avoir lieu, pensions-nous, s'il se
fût agi d'un abcès par congestion. Dès lors l'autre hypothèse prenait le
dessus, celle de tumeur en bissac, une des parties occupant le canal
rachidien et l'autre la cavité thoracique. Une ponction exploratrice nous
semblait pouvoir donner quelques renseignements utiles au point de vue
diagnostic. Nous priâmes notre collègue, le I)' Bailleul, dont on connaît
la compétence en pathologie des os, d'examiner la malade, et nous le
remercions d'avoir bien voulu se rendre à notre appel. En se fondant sur
l'étude comparative de deux radiographies et sur les résultats négatifs de
plusieurs ponctions de la masse para-vertébrale qu'il pratiqua sous l'écran,
il arriva, comme nous, à cette conclusion que le diagnostic de mal de Pott
semblait devoir être exclu. A l'appui de cette opinion il fit valoir encore
cet autre caractère, à savoir qu'en introduisant le trocart dans la masse,
il n'avait pas eu la sensation spéciale d'une membrane tendue qu'on per-
fore, sensation qu'on éprouve d'habitude, dit-il, en ponctionnant un abcès
par congestion.
Le diagnostic de tumeur est ainsi devenu extrêmement probable et il a
été confirmé, comme on l'a vu, par l'intervention chirurgicale et l'examen
histologique.
Il est fort vraisemblable que des faits analogues à celui-ci ne sont pas
exceptionnels ; nous croyons donc utile d'attirer l'attention sur les tumeurs
de cet ordre qui, peut-être, plus que toutes autres, risquent d'être prises
pour des lésions pottiques. Or, c'est une erreur qu'il est essentiel d'éviter
au point de vue de la thérapeutique à instituer.
Il y a un autre point qui mérite aussi d'être mis en évidence. Il est rela-
tif à la lenteur de la régression des troubles de motilité. Nous rappelle-
rons que nous avons publié deux cas où l'amélioration a été encore plus
tardive. Dans un de ces cas(') où il s'agissait d'une tumeur intra-dure-
mérienne ayant déterminé une paraplégie spasmodique en flexion des
plus caractérisées, ce n'est que 7 mois après l'intervention que la malade
commença à exécuter quelques mouvements volontaires. Dans un autre
cas où l'on avait affaire à une paraplégie type extension-flexion, liée à une
(') Voir : Revue Neurologique. Sur le traitement des tumeurs juxta-meduUaires, par J. Babinski
(Réunion neurologique internationale annuelle, 8 et 9 juin p23).
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 4ot
tumeur extra-dure-mérienne le premier mouvement volontaire n'apparut
que 10 mois après l'opération ('). Or, actuellement, depuis 8 ans, la malade
est complètement guérie.
Observation II. Mlle B..., 23 ans, nous est adressée par le Pr Orzechowski, de
Varsovie, avec le diagnostic de syndrome de Brown-Séquard dû probablement à une
compression médullaire par tumeur. La malade rapporte le début des troubles
qu'elle présente au mois de juin rgaa ; elle aurait eu à ce moment un abcès périanal
accompagné pendant 4 jours de forte fièvre ; c'est à la suite de cette affection qu'elle
a commencé à ressentir des douleurs à la région sous-ombilicale droite, et que serait
apparue une certaine gêne de la marche. Toutefois, d'après quelques observations
faites par les siens, il semble que ces troubles sont de date plus ancienne.
La faiblesse des membres inférieurs s'accentue progressivement jusqu'en mars tcz3 ;
puis, pendant plusieurs mois, une amélioration se produit, et depuis l'été de ig23
l'état de la malade reste stationnaire. '
Nous l'examinons pour la première fois en janvier 1924. Nous constatons un
syndrome fruste de Brown-Séquard gauche; des deux côtés on trouve le signe des
orteils, une exagération des réflexes de défense et une exagération des réflexes
tendineux avec clonus du pied. Les troubles parétiques et la contracture prédominent
nettement à gauche ; de temps en temps, le jour ou la nuit, il y a des secousses
spasmodiques spontanées déterminant une flexion transitoire des divers segments des
membres inférieurs. Les troubles de la sensibilité sont très légers à gauche, bien plus
prononcés à droite; l'anesthésie porte sur la sensibilité à la température et à la
douleur; elle n'atteint guère la sensibilité tactile ni la sensibilité profonde; elle
occupe le membre inférieur et une partie du tronc jusqu'à la frontière entre les
8e et ge segments dorsaux; son intensité varie, il est vrai, d'un instant à l'autre, mais,
on arrive toujours à déterminer la limite que nous venons d'indiquer ; si, par
exemple, on promène la pointe d'une épingle sur la partie anesthésiée de bas en haut.
la malade, lorsqu'on arrive au-dessus de la frontière, dit spontanément qu'elle sent
plus vivement que précédemment et que c'est là qu'elle éprouve une sensation tout à
fait naturelle. Les réflexes de défense présentent des variations considérables quant
à leur forme et leur intensité : tantôt c'est la triple flexion classique, tantôt c'est un
mouvement de flexion des orteils (réflexe de préhension). Mais à tous les examens
on arrive à délimiter leur territoire à la hauteur de D 8/g ; leur limite atteint celle
des troubles sensitifs ou semble même la dépasser quelque peu.
La malade se plaint de douleurs qui s'accentuent sous l'influence des déplacements,
de la toux. Elles siègent surtout au-dessus du pli de l'aine droit, mais ne se laissent
pas localiser avec précision.
Le liquide céphalo-rachidien n'est pas xantochromique ; la réaction de Bordet-
Wassermann est négative; il n'y a pas de lymphocytose, mais il y a une légère
hyperalbuminose : o,4o.
Voici les résultats de l'épreuve du lipiodol : injecté à la région cervicale il descend
sans entrave jusqu'au milieu du corps de la VU" vertèbre dorsale et s'arrête là en
prenant la forme d'une coupole, d'une voûte. Vingt jours plus tard une autre injection
est pratiquée, celte fois par la voie lombaire ; la radiographie, faite après que la
malade est restée quelques minutes la tête en bas, montre que l'huile nouvellement
injectée a presque rejoint les parties latérales de la voûte supérieure qui n'a pas
(') Voir : Revue Neurologique. Paraplégie crurale par néoplasme etra-dure-méricn. Opération.
Guérison, par Babinski, P. Lecène, J. Jarkowski, 1914, n° 12.
Babinski. 26
402
Í'AlItiPLÉCIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
bougé de place ; sur la radiographie on voit le lipiodol encadrer une figure ovoïde
qui semble représenter la masse faisant obstacle au passage du lipiodol et qui, par sa
forme, rappelle bien une tumeur intra-dure-mérienne.
L'intervention chirurgicale, décidée à la suite de tous ces examens, a été retardée
pour des raisons de famille; ce n'est que le 10 avril, un mois environ après la dernière
injection, que la laminectomie fut pratiquée par le Dr de Martel.
En voici le compte rendu : anesthésie à l'éther. La malade est placée en décubitus
latéral gauche. Incision cutanée en prenant pour centre les apophyses de D 6-D 7.
Cette incision s'étend environ de D 4 à
D D. Hémostase des vaisseaux aux agrafes
Michel. Décollement des muscles à la ru-
gine. Ablation des apophyses D 5 à D g.
Ouverture du canal à la petite pince gouge;
on fait sauter les lames de D 6, D 7, D 8.
Le canal rachidien ouvert, la tumeur appa-
rait par transparence sous la dure-mère.
La ponction au-dessus et au-dessous donne
issue à du liquide céphalo-rachidien mé-
langé avec du lipiodol. La dure-mère n'est
ouverte que lorsque l'hémostase a été
parfaitement obtenue. La tumeur apparaît
fixée par des tractus arachnoïdiens beau-
coup plus denses que cela n'a lieu d'habi-
tude dans les cas de ce genre. La libéra-
tion de la tumeur est faite de proche en
proche avec la plus grande douceur, et
malgré cela, chaque tentative faite pour la
soulever un peu s'accompagne de trou-
bles de la respiration qui devient plus
profonde, parfois presque stertoreuse.
L'énucléation de la tumeur, qui tient très
fort par sa face profonde à la face posté-
rieure de la moelle, est presque achevée
lorsque le pédicule se rompt, et pour
enlever le fragment restant il faut section-
ner une racine avec laquelle il fait corps.
Il y a lieu de remarquer que jusqu'à ce
...... ? ...... ? ......f. ? nç............ 1............. n.t- ;............ ? 1,...... ? r> ,... ? .... "
moment, baul eu lias ci a snuullu, un il il
jamais vu nettement l'axe médullaire qui reste masqué par l'arachnoïdite.
Suture de la dure-mère au catgut ooo. A ce moment, chute de la tension jusqu'à Il à
l'oscillomètre de Pachon. Durée totale de l'intervention : 3 h. 1/9,.
Pendant plusieurs heures après l'opération la pression artérielle reste très basse
malgré les moyens thérapeutiques d'usage.
Examen histologique : neurogliome.
Après disparition des phénomènes de choc on constate une aggravation notable
de tous les troubles; et, contrairement à ce qu'on avait observé avant l'opéra-
tion, la paralysie prédomine à droite, où elle est complète, tandis que du côté
gauche où les troubles sensitifs étaient très légers, on trouve une anesthésie à tous
les modes.
Pendant quelques jours l'état de la malade ne fait que s'aggraver : la paraplégie
Fig. 60. Obs. II. Mlle B. Schéma des troubles
de la sensibilité thermique et douloureuse.
COMPRESSIONS MEDULLAIRES 103
devient presque complète ; les réflexes tendineux et cutanés sont abolis. De plus, il
se produit de la rétention d'urine nécessitant le cathétérisme.
Ce n'est qu'au bout d'une huitaine de jours qu'apparaissent les premiers signes de
régression de ces troubles : les réflexes reparaissent; la motilité volontaire revient
progressivement au membre inférieur gauche d'abord, au membre droit ensuite. En
ce qui concerne la miction spontanée, son retour se fait attendre un mois.
Deux mois après l'opération la malade peut se lever et marcher, mais avec peine,
et au point de vue fonctionnel elle est encore dans un état inférieur à celui où elle se
trouvait avant l'intervention ; il y a un syndrome de Brown-Séquard droit net ; du
côté gauche l'anesthésie n'est plus complète, la sensibilité tactile a reparu, mais il
existe une hypoesthésie à la douleur et à la température bien caractérisée. En outre,
on trouve au niveau de D g, D 10, D 11 à droite une bande d'hypoesthésie à tous les
modes, qui n'existait pas avant l'opération.
Depuis, l'amélioration se poursuit de semaine en semaine, et à la fin de juillet les
troubles de sensibilité se sont effacés en grande partie ; la surréflectivité tendineuse,
le signe des orteils et le signe de la flexion réflexe du pied existent encore et sont sur-
tout nets à droite ; néanmoins la motilité s'est rétablie à tel point qu'il est manifeste
pour nous, pour la malade et les siens qu'elle marche bien plus facilement qu'avant
l'opération.
Dans cette observation il y a plusieurs points qui nous paraissent parti-
culièrement dignes d'attention.
1° D'après les renseignements qui nous ont été donnés, les troubles,
après s'être accentués d'une manière progressive, auraient rétrocédé
ensuite dans une mesure appréciable ; du moins la malade et son entou-
rage sont affirmatifs à cet égard. Nous savions fort bien que les troubles
sensitifs et paralytiques produits par des tumeurs vasculaires sont sujets
à de grandes variations, qu'ils peuvent même disparaitre temporairement.
L'un de nous, dans un travail en collaboration avec Enriquez et Jumen-
tié, a rapporté un cas de ce genre ('). Mais l'observation que nous venons
de relater semble établir que les troubles dépendant d'une compression
par tumeur non vasculaire, par un neurogliome, peuvent aussi s'atténuer
au moins pendant quelque temps.
2° Nous n'insisterons pas sur la concordance entre les données fournies
par l'exploration clinique (niveau de l'anesthésie, niveau de la zone des
réflexes de défense) et l'épreuve de Sicard-Forestier. Les données séméio-
logiques en question conduisaient déjà au diagnostic probable de compres-
sion par tumeur intra-dure-mérienne. Nous renvoyons le lecteur à ce que
nous avons écrit à ce sujet dans un travail antérieur (2). Mais nous nous
plaisons à reconnaitre que, dans l'espèce, l'épreuve du lipiodol a fortifié
singulièrement notre hypothèse et a fourni à son appui un argument pres-
que décisif. L'image de la bille de lipiodol obtenue après injection à la
région cervicale se présentait à la partie inférieure sous forme de dôme,
comme dans quelques faits relatés par MM. Sicard, Forestier et Laplane.
(1) J. Babinski, E. Enriquez et J. Jumentié. Compression de la moelle par tumeur extra-dure-
méricnne : paraplégie intermittente. Revue Neurologique, 15 février igi4, n° 3.
('-) J. Babinski et J..larkowski. Sur la localisation des lésions comprimant la moelle, etc. Comm. à
l'Académie de Médecine le 16 janvier igi2, Bulletin médical, 17 janvier igi2.
4o4 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
Mais, de plus, une autre injection faite à la région lombaire avait fourni,
de son côté, une figure qui, jointe à la précédente, paraissait représenter
comme la photographie d'une tumeur intra-dure-mérienne. Nos prévi-
sions, exprimées avant l'opération, dans notre première communication
du 6 mars('), ont été, comme on l'a vu, entièrement confirmées, et la pho-
tographie de la tumeur extraite se superpose rigoureusement à l'image
radiographique.
3° Comme cela a été indiqué dans le protocole de l'opération, de Mar-
tel a été frappé par les adhérences qui unissaient la tumeur à la moelle
et qui ont rendu l'extraction notablement plus laborieuse que dans les
autres cas de tumeurs intra-dure-mériennes, pour lesquelles il était inter-
venu jusqu'alors. Dans les tentatives faites à plusieurs reprises afin de
détacher le néoplasme, les tractions, qui étaient inévitables, détermi-
naient un trouble de la respiration qui devenait à chaque tiraillement
plus profonde, parfois presque stertoreuse. Il est permis de se demander
si les troubles constatés chez la malade dès son réveil, et qui faisaient
défaut avant l'opération (paralysie du côté droit et anesthésie du côté
gauche), ne sont pas liés au moins en partie à une lésion occasionnée par
ces tiraillements exercés sur une moelle rendue fragile non seulement par
l'action mécanique de la compression, mais aussi par l'arachnoïdite. Il y
a tout lieu de penser que cette lésion consiste en une hématomyétie à
laquelle a été peut-être due, soit dit en passant, la chute brusque de la
pression artérielle, expressément notée dans l'observation.
L'intervention chirurgicale avait donc eu d'abord un résultat pouvant
sembler désastreux. Mais l'aggravation, comme on l'a vu, n'a été que tran-
sitoire. A la fin de juillet, au moment où nous vîmes la malade pour la
dernière fois, son état s'était très notablement amélioré et le bénéfice de
l'opération n'était plus douteux.
Il n'en est pas moins vrai que cette complication a été très inquiétante
et aurait pu avoir des conséquences graves.
Y a-t-il un enseignement à tirer de ce fait ?
Sans doute, une opération de ce genre comporte des aléas ; elle
s'attaque à un organe dont les réactions sont souvent très vives et elle est
pratiquée dans des cas où il existe des altérations dont il est impossible
d'appréciera prioril'importance. Le chirurgien, quelque habile qu'il soit,
ne peut avoir la prétention de mettre le malade à l'abri de tout danger.
Mais il y a lieu de se demander si parmi les causes susceptibles de pro-
voquer les complications en question et dont la plupart paraissent impos-
sibles à éviter, il n'en est pas d'autres qu'on serait à même d'écarter. Le
lipiodol injecté ne pourrait-il pas être dans une certaine mesure incriminé ?
Il semble bien qu'il peut exercer une irritation sur les méninges avec les-
quelles il est resté en contact quelque temps, par suite de la présence
d'un obstacle pathologique. Dans notre cas nous avons des raisons de
croire qu'il en était ainsi ; en effet lorsque vingt jours environ après l'in-
(') Voir Presse médicale, 26 avril 1924, p. 374.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 4o5
jection faite à la région cervicale nous avons pratiqué une seconde injec-
tion à la région lombaire, nous avons constaté sur la radiographie, laquelle
a été faite la malade étant placée la tête en bas, qu'une grosse partie de
la bille supérieure de lipiodol restait fixée dans sa position primitive, ce
qui, selon toute vraisemblance, était le fait d'adhérences consécutives à la
première injection. Si notre interprétation se confirme par d'autres obser-
vations, on sera en droit de conclure que l'injection de lipiodol n'est pas
toujours absolument inoffensive ('). Mais ces adhérences ne doivent pas se
produire immédiatement ; leur formation exige sans doute un certain laps
de temps et voici les conséquences pratiques que nous serions tentés de
déduire des considérations précédentes :
Il serait sage, dans les cas où une compression par tumeur semble
probable, de ne soumettre le malade à l'épreuve du lipiodol par voie
cervicale que lorsque médecin et patient sont en principe disposés à une
intervention à bref délai.
Dans un cas où l'on croirait avoir intérêt à soumettre le malade à cette
épreuve sans être cependant certain qu'une intervention chirurgicale
puisse être pratiquée aussitôt après, il y aurait avantage à faire précéder
l'injection cervicale par l'injection lombaire ; la bille de lipiodol ne res-
tera pas en contact avec la partie atteinte ; dès que le malade reprendra
la position normale, elle descendra dans le cul-de-sac dure-mérien où,
d'après les nombreuses observations recueillies par M. Sicard, la présence
de l'huile iodée paraît n'avoir aucune action nocive.
(1) M. de Martel avait déjà noté des réactions inflammatoires de la dure-mère à la suite d'injection
épidurales de lipiodol (Voir : Revue Neurologique, 1923, ne 6, p. 702). Dans une communication
orale, il nous fait savoir que depuis il a également observé des adhérences dans quelques cas d'injec-
tions intra-durales de lipiodol. '
XVI
PARAPLÉGIE CRURALE
PAR NÉOPLASME IXTlI-DUI>'Is-11L,'IIGN
OPÉRATION. GUÉRISONÇ)
IJ. Babinski, P. Lecène, J. Jarkowski. |
Publié dans la Revue Neurologique, n" 6, juin l {J / q.
Observation. Mme BI. M..., âgée de 53 ans, sage-femme. C'est en igoi qu'appa-
raissent les premières manifestations de l'affection dont elle est atteinte. Elle s'aper-
çoit à cette époque qu'elle n'a plus la même vigueur qu'autrefois, qu'elle se fatigue
plus rapidement, et elle éprouve des sensations anormales dans les membres infé-
rieurs : « des énervements dans les jambes, et le soir, comme un agacement se tra-
duisant par un besoin de remuer ».
Ces phénomènes augmentent progressivement, et, à partir de igo3, elle se trouve
dans l'impossibilité de continuer à exercer sa profession.
Cependant pendant plusieurs années encore, elle est en mesure d'aller et venir et
de marcher sans appui. ,
Vers le milieu de igo8, les troubles de motilité s'accentuent d'une manière appré-
ciable, surtout du côté gauche : elle n'est plus absolument maîtresse de ses jambes,
qui « ne lui obéissent pas toujours et se plient parfois brusquement ».
A cette parésie s'associent des troubles de la miction, de la dysurie, une diminution
de la sensibilité aux membres inférieurs et des douleurs.
Ces douleurs occupent : 1° la région lombaire, irradiant vers la partie supérieure
de la colonne vertébrale ; 2° l'angle inférieur de l'omoplate à droite. Elles ne sont
jamais très violentes ; toutefois survenant principalement la nuit, elles empêchent la
malade de dormir.
De temps à autre, étant assise, elle ressent comme un spasme dans la région lom-
baire et son tronc se renverse en arrière.
Ces divers troubles continuent à augmenter el, vers le milieu de février tgto, la
malade devient incapable de marcher ou de se tenir debout. Cependant au lit, elle peul
encore remuer un peu les jambes.
(1) Nous avons eu l'occasion de signaler cette observation dans une communication 1. l'Académie de
médecine (J. Babinski et J. Jarkowski. Sur la localisation des lésions comprimant la moelle, etc...
Bulletin médical, 17 janvier igi2); elle a été aussi relatée en partie dans la thèse de 1\1. Gendron, igi3.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES (¡ni
Quelques semaines plus tard, la paralysie des membres inférieurs est complète, et
la sensibilité est à peu près totalement abolie.
La malade est tourmentée par des mouvements spasmodiques involontaires des
membres inférieurs. Elle laisse échapper ses urines sans s'en apercevoir.
A partir de ce moment jusqu'à son entrée à l'hôpital son état, dit-elle, ne subit pas
de modification appréciable.
9 décembre 1911. Premier examen. La malade présente une paraplégie spasmodique
en extension, avec troubles de la sensibilité, remontant jusqu'à la ligne mamelonnaire.
La paralysie des membres inférieurs est complète et ne cède pas, même sous l'in-
fluence de divers procédés dynamogénisants (') (faradisation, application de la bande
d'Esmarch).
Cette contracture ne peut être vaincue que par un très grand effort; pourtant elle
n'est pas toujours égale à elle-même et peut être diminuée par des mouvements passifs.
De plus, la contracture en extension est entrecoupée de temps à autre par des mou-
vements spasmodiques involontaires, qui déplacent brusquement les membres infé-
rieurs, fléchissent la cuisse, la jambe et le pied, les allongent ensuite avec une grande
force, en détachant le membre du plan du lit, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le
membre retrouve sa position primitive de repos.
Ces spasmes se produisent soit dans un seul des membres inférieurs, soit dans les
deux, et alors, tantôt ils revêtent la même forme des deux côtés, tantôt ils donnent
lieu à une flexion à droite et une extension à gauche, ou vice versa.
Les réflexes tendineux des membres inférieurs sont nettement exagérés ; il y a de la
trépidation épileptoïde du pied des deux côtés.
On constate le signe des orteils des deux côtés.
Tous les réflexes abdominaux sont abolis.
Le réflexe anal est conservé.
Les réflexes de défense sont fortement exagérés et peuvent être provoqués même
par des excitations très légères. Leur forme varie suivant la position des membres et
l'endroit de l'excitation, mais elle est sensiblement pareille à celle des spasmes invo-
lontaires spontanés.
Le territoire dont l'excitation est capable d'engendrer ces réflexes de défense, ne se
limite pas aux membres inférieurs ; ces réflexes peuvent encore être provoqués au
tronc jusqu'à une frontière constituée par une ligne à peu près horizontale, située à
deux ou trois travers de doigt au-dessus de l'ombilic.
Au-dessus de cette limite, les excitations, même très fortes, ne donnent naissance
à aucune réaction de ce genre.
Les troubles de la sensibilité cutanée remontent à gauche jusqu'au mamelon, à
droite à un travers de doigt au-dessous du mamelon ; à la face postérieure, ces troubles
se délimitent par une ligne allant de la Ve apophyse épineuse en dehors et un peu en
bas de chaque côté.
Au-dessus de cette région, la sensibilité est tout à fait normale.
Quant à leur intensité, les troubles de la sensibilité ne sont pas répartis d'une ma-
nière égale dans les diverses régions et pour tous les modes.
Aux membres inférieurs, sauf à la région péri-anale et la plante des pieds, l'anes-
thésie est, pour ainsi dire, complète ; pourtant, à certains examens (qui furent très
(') J. Babinski et J. Jarkowski, Réapparition provoquée et transitoire delà motilité volitionnelle
dans la paraplégie. Société de Neurologie de Paris, 9 novembre 1\11 I.
L'élément spasmodique est très marqué. Une contracture extrêmement forte fixe les deux membres
inférieurs dans la position d'extension et d'adduction. Les muscles du ventre et de la région lombaire
sont également contracturés.
4o8 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
nombreux), la malade perçoit une sensation désagréable lorsqu'on lui applique sur les
cuisses un tube rempli de glace.
L'anesthésie devient un peu moins profonde au-dessus des plis de l'aine; la malade
commence à percevoir, quoique encore très rarement, le chaud, le froid et la piqûre.
Cette anesthésie incomplète a des limites différentes pour les différents modes de la
sensibilité ; pour la chaleur, la limite se confond à peu près avec la ligne ombilicale ;
pour la piqûre elle forme une ligne courbe, à concavité tournée en bas, située au-des-
sus de la précédente, à une distance de Il à 7 travers de doigts ; un peu plus haut se
trouve la limite de l'anesthésie au froid. Au-dessus de cette ligne, qui passa à peu
près à égale distance entre l'apophyse xyphoïde et l'ombilic, les excitations (surtout
après un examen quelque peu prolongé) sont généralement perçues, quoique d'une
manière incomplète. C'est ici qu'apparaît également la sensibilité tactile. Enfin, sur
les seins, les troubles sensitifs deviennent très légers et ne peuvent être constatés que
par comparaison avec les parties normales situées plus haut.
Les limites supérieures de cette hypoesthésie ne sont pas les mêmes pour tous les
modes de sensibilité : ce sont les troubles de la sensibilité tactile qui atteignent le
niveau le plus élevé.
Au dos, la sensibilité est conservée beaucoup mieux; au-dessus d'une ligne horizon-
Fig 61.
1. Limite de l'hypoesthésie.
Limite de l'anesthésie au froid.
3. Limite de l'anesthésie à la piqûre.
4. Limite de l'anesthésie au chaud.
Entre 3 et 4, on aperçoit une bande grise qui correspond à la limite des réflexes de défense.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES gong
tale passant à peu près à la hauteur de la IVe vertèbre lombaire, on ne constate qu'une
hypoesthésie relativement légère.
La sensibilité profonde, musculaire et osseuse est complètement abolie aux membres
inférieurs et sur une partie du ventre.
La malade perd ses urines et ses matières.
Ajoutons qu'on ne constate aucun trouble ni aux membres supérieurs, ni à la
tête.
Étant donné les troubles observés chez cette malade, leurs caractères,
leur mode d'évolution, le diagnostic de compression de la moelle, proba-
blement par néoplasie atteignant la partie supérieure de la moelle dor-
sale, s'imposait.
Il y avait tout lieu d'admettre que la limite supérieure de cette compres-
sion correspondait au IVe ou Ve segment dorsal ; c'est là une conclusion
qui se dégage des notions classiques sur lesquelles il est inutile que nous
insistions.
Mais n'était-il pas possible encore de déterminer la limite inférieure de
la compression et de préciser ainsi la longueur de la tumeur et son siège
exact.
Nous avons cru pouvoir le faire en mettant à profit les données que nous
avons établies dans un travail antérieur, relatives aux réflexes de défense (').
Nous avons été conduits ainsi à penser que la compression descendait
approximativement jusqu'au IXe segment dorsal, qu'elle portait environ
sur 4 ou 5 segments et qu'elle était par conséquent très longue. Or, l'on
sait que ce ne sont guère que les tumeurs extra-dure-mériennes qui
atteignent une pareille longueur, et nous avons été ainsi amenés à
conclure que, dans l'espèce, nous avions affaire à une tumeur de ce genre.
Nous décidâmes de pratiquer une laminectomie, qui, comme on va le
voir, justifia nos prévisions.
Opération le 3 janvier igi 2. Laminectomie portant sur les III°, IVe, Ve, VIe et
VIIe vertèbres dorsales (2). Après résection des apophyses épineuses et des lames,
on découvre une production brun, rougeâtre, qui cache le fourreau durai. Cette
tumeur, qui ressemble absolument à une limace comme couleur, volume et longueur,
est facilement énucléée dans toute son étendue; aussitôt que la tumeur est enlevée, on
sent le fourreau durai intact, qui reprend sa place et se met à battre. On juge inutile
d'ouvrir la dure-mère et l'on referme la plaie en trois plans sans drainage. La tumeur
enlevée est un angiolipome développé dans le tissu cellulo-adipeux vasculaire extra-
dural ; elle a i 1 centimètres de longueur.
Suites opératoires. Deux jours après l'opération, on constate déjà une légère atté-
nuation des troubles sensitifs : la malade sent une piqûre d'huile camphrée qu'on lui
fait à la cuisse droite ; la régression des troubles de la sensibilité se poursuit réguliè-
rement, mais très lentement pendant les jours suivants ; bientôt la malade commence
à sentir le passage des urines pendant la miction.
(') J. Babinski et J. Jarkowski. Sur la possibilité de déterminer la hauteur de la lésion dans les
paraplégies d'origine spinale, etc. Société de Neurologie, Paris, 12 mai igio.
(2) Voir les détails de la technique opératoire dans l'article : « remarques sur la technique de la
laminectomie », par P. Lecène, Journal de Chirurgie, n° 5, novembre agi 3.
QIO P L1Rl1 PLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
La raideur diminue légèrement, quoique les spasmes et les réflexes de défense
subsistent avec la même intensité.
Le 25 janvier, c'est-à-dire trois semaines après l'opération, la malade est pour la
première fois en état d'esquisser, sous l'action du courant faradique, un très léger
mouvement de flexion et d'extension de la cuisse et de la jambe gauches.
Après une nouvelle période de trois semaines, la malade exécute ces mouvements
sans faradisation, mais à condition qu'on lui soutienne le membre inférieur dans une
position favorable.
Vers le 27 février, ces mouvements deviennent plus nets à la jambe gauche, mais
restent extrêmement faibles à droite.
Le membre inférieur droit est plus raide que le gauche, mais a moins de spasmes.
La sensibilité devient de plus en plus nette ; la limite supérieure de l'hypoesthésie
descend de deux ou trois travers de doigts.
Du côté droit, le froid, le chaud, la piqûre sont partout sentis ; à gauche, la malade
reconnaît moins bien ces excitations.
La pression n'est pas sentie aux membres inférieurs, mais commence à être perçue
au-dessus du pli de l'aine.
La sensibilité articulaire et musculaire est encore nulle aux pieds et aux orteils, très
diminuée pour les grandes articulations.
Pendant les quelques semaines où la malade reste encore' à l'hôpital, la sensibilité
s'améliore de plus en plus ; par contre, la motilité volontaire ne fait pour ainsi dire
aucun progrès appréciable.
La raideur reste toujours forte, surtout à droite ; les spasmes subsistent plus forts
à gauche.
Les réflexes tendineux sont très exagérés : on constate du clonus des deux côtés ;
les réflexes abdominaux sont abolis ; il y a de l'extension des orteils avec tendance à
l'abduction des deux côtés.
La limite des réflexes de défense est à peu près la même qu'avant l'opération.
La malade part chez elle, en province, le z3 mars 1912.
Voici comment elle relate l'évolution ultérieure de son état.
Le premier mouvement volontaire qu'elle ait pu faire, sans aide, est apparu vers le
mois de novembre igi2, c'est-à-dire plus de dix mois après l'opération : elle a
commencé à remuer le gros orteil du côté droit.
Au mois de décembre de la même année elle arrive à étendre les deux jambes.
Au mois de février 1913 elle se met, pour la première fois, debout et peut se tenir
avec l'aide de béquilles.
En avril igi3, la malade commence à marcher avec une canne.
En février igi4, elle est capable d'abandonner la canne.
Ultérieurement son état s'améliore encore d'une manière progressive.
Depuis son départ elle n'aurait plus perdu ses urines, la sensibilité serait, petit à
petit, redevenue complètement normale, les spasmes auraient disparu définitivement
vers le mois d'avril igi3.
Le la juin 1[)14 : la malade vient nous voir.
Elle marche toute seule, sans canne, pas très vite, il est vrai, mais d'une manière à
peu près normale : elle ne traîne pas ses jambes, elle ne fauche pas, la pointe du pied
ne butte pas contre le sol.
Un examen objectif minutieux ne décèle, comme reliquat- des troubles d'autrefois,
qu'une tendance à l'extension des orteils et une légère exagération des réflexes de
défense ; toutefois, on ne retrouve plus la limite d'autrefois.
Les réflexes abdominaux ont reparu des deux côtés
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 4n 1
Les réflexes rotuliens et achilléens sont forts, mais ne dépassent pas la normale ; il
n'y a aucune trace d'épilepsie spinale. Tous les mouvements volitionnels s'exécutent
avec facilité ; pourtant leur force n'est pas encore complètement normale.
Enfin, on ne constate aucun trouble ni de la sensibilité cutanée, ni de la sensibilité
profonde.
Voici les conclusions que l'on peut tirer de cette observation :
1° Une tumeur extra-dure-mérienne peut évoluer très lentement et ne
se manifester pendant plusieurs années que par des troubles légers ;
2° Une compression de la moelle peut déterminer une paralysie complète,
avec contracture, d'une très longue durée, sans que les éléments nerveux
aient subi des désordres profonds, puisque les troubles fonctionnels sont
en pareil cas susceptibles de rétrocéder et de disparaître totalement ;
3° La régression d'une paralysie avec contracture après extraction de la
néoplasie peut être très tardive, même quand elle doit aboutir à la gué-
rison ;
4° Enfin, nous attirons encore l'attention sur le parti qu'on peut tirer
des réflexes de défense en ce qui concerne la délimitation du niveau infé-
rieur d'une compression spinale. Ce fait, que nous avons fait connaître
en 1910, a d'ailleurs été déjà vérifié plusieurs fois. Il nous a permis, dans
le cas particulier, de localiser la lésion en dehors de la dure-mère et c'est
la première fois, croyons-nous, qu'un pareil diagnostic a été établi clini-
quement.
XVII
PARAPLÉGIE CRURALE
PAR TUMEUR EXTRA-DURE-fr/ÉRIENNE
A LA RÉGION DORSALE. OPÉRATION. GUÉRISON
(SUR L'ÉPREUVE DU LIPIODOL)
[J. Babinski, Alb. Charpentier ET .J..TARKOWSKI.
Publié dans la Revue neurologique, n° 12, décembre 1926.
L'observation que nous allons relater est banale à certains égards ;
j elle se rapporte à une tumeur extra-dure-mérienne comprimant la
- i moelle dorsale, opérée avec succès. Mais ce cas mérite, croyons-
nous, d'attirer l'attention et d'être soumis à la discussion à raison des
constatations fournies par l'épreuve du lipiodol. Voici d'abord l'exposé
des faits.
Mme G..., âgée de 53 ans, aurait joui d'une santé parfaite jusqu'au printemps de
iga5. Les premiers symptômes morbides qui apparaissent alors sont des troubles de
la sensibilité consistant en hypoesthésie de la face antérieure des cuisses. La malade
d'ailleurs n'en est pas incommodée et ne s'en inquiète en aucune façon. Peu de temps
après, son attention est attirée par une certaine faiblesse des membres inférieurs, et
en juin 1925 elle se rend compte nettement de la difficulté de sa marche. « Je ne
pouvais pas m'élancer », dit-elle.
Elle n'éprouva jamais de douleurs radiculaires, et les sphincters fonctionnèrent
toujours normalement.
L'affection évolue lentement, progressivement.
En décembre, la malade marche avec une grande difficulté ; les troubles de la sen-
sibilité, d'après ce qu'elle nous a dit, occupaient les membres inférieurs, le tronc et
remontaient jusqu'au-dessus de la ligne mamelonnaire. M. Foix, consulté à cette
époque, croyant à l'existence d'une tumeur comprimant la moelle, pratique l'épreuve du
lipiodol. En voici les résultats, qu'avec l'assentiment de notre collègue nous commu-
niquons à la Société (voir radio). Une demi-heure après l'injection dans l'espace sous-
occipital on trouve, échelonnés tout le long de la colonne vertébrale, des gouttelettes
ou des amas de lipiodol dont le plus important se trouve au niveau de la 7e cervicale.
Notons aussi l'existence de deux petites gouttes à la région médiane inférieure de la
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES
43
5e cervicale. Trois heures après, le lipiodol est descendu dans le cul-de-sac sacré où
il présente l'aspect de' deux billes superposées. Tous les autres amas, y compris celui-
de la 7e cervicale, ont disparu. Il ne reste que les deux petites gouttes signalées pré-
cédemment au niveau de la 5e cervicale.
Du point de vue de l'épreuve lipiodolée, le diagnostic restait en suspens et c'est là
un fait sur lequel nous aurons à revenir.
Les mois passent, l'affection s'aggrave rapidement. Vers la fin de mai iga6, la
malade se traîne péniblement, et quand nous la voyons pour la première fois, nous la
trouvons alitée depuis une quinzaine de jours.
Nous constatons l'existence d'une paraplégie spasmodique en extension, avec
contracture extrêmement accentuée. Pour fléchir la jambe sur la cuisse, il nous faut
déployer une force considérable ; la motilité volontaire est pour ainsi dire réduite à
néant dans les membres inférieurs. On met facilement en évidence des deux côtés
l'exagération des réflexes tendineux avec trépidation épileptoïde du pied, le signe des
orteils et des réflexes de défense très forts (signe de la flexion réflexe du pied). Les
réflexes cutanés abdominaux sont abolis. Rien à signaler du côté de la tête et des
yeux, pas d'Arc, 11-Robertson ; rien non plus aux membres supérieurs si ce n'est des
réflexes osso-tendineux égaux et vifs à droite et à gauche.
Il existe des troubles de la sensibilité mais, tandis que la sensibilité au tact est peu
amoindrie, celle à la température et à la douleur est, au contraire, fortement atteinte.
La limite supérieure de l'anesthésie « instable » passe à 3 centimètres et demi au-des-
Fig. 62. Mme G... Radiographie faite le 3o mars 1926, 1/2 heure après injection de lipiodol
par la voie sous-occipitale. (Cliché de M. Foix.)
4d¡
PARAPLEGIES S
AFFECTIONS DE LA MOELLE
sus de la ligne mamelonnaire. Au-dessus de ce vaste territoire presque anesthésique
s'étend, sur une hauteur de 2 centimètres environ, une zone d'hypoesthésie légère
(v. schéma). La sensibilité est un peu moins diminuée dans le territoire des racines
sacrées que dans celui des racines lombaires. Les réflexes de défense, très nets lors-
qu'on excite les téguments des membres inférieurs, sont plus difficiles à provoquer
par l'excitation de la peau au-dessus du pli de l'aine. Toutefois, nous avons pu les
faire apparaître dans une zone dont la limite supérieure dépassait légèrement la ligne
mamelonnaire et se trouvait distante de 1 centimètre et demi à 2 centimètres de la
limite supérieure de l'anesthésie (').
Epreuve du lipiodol, pratiquée en utilisant l'huile iodée qui se trouvait déjà dans
le cul-de-sac sacré : la malade est placée en position presque verticale, tête en bas.
L'une des deux billes, l'inférieure, reste adhérente au cul-de-sac sacré ; l'autre, la
supérieure, se mobilise et se divise en plusieurs parties d'inégal volume. La plus
grosse vient s'arrêter au niveau du disque qui sépare la 3e de la 4e vertèbre dorsale.
Une autre, en forme de fuseau vertical, s'arrête à la hauteur des 5e et 6e vertèbres
dorsales (voir radio), enfin plusieurs billes, moins importantes, s'échelonnent sur le
bas de la colonne dorsale et sur la colonne lombaire.
Ajoutons que la masse lipiodolée, arrêtée à la 3e vertèbre dorsale, présente une
forme d'ovoïde allongé dont l'extrémité inférieure (côté céphalique) est convexe.
(1) Pour la recherche des réflexes de défense nous avons employé la technique suivante : un
membre inférieur était soutenu à demi fléchi au-dessus du plan du lit ; un tampon de l'appareil
faradique était fixé en un point du thorax, le bout métallique de l'autre fil, servant d'excitant, était
promené sur les différentes parties du tronc préalablement mouillées. On pouvait obtenir ainsi une
réaction très nette consistant en une extension de la jambe et de la cuisse et provoquée par l'excitation
du tronc jusqu'à la limite indiquée dans le texte.
Fig. 63. Mme G... Radiographie faite le 3o mars 1926, 3 heurss après l'injection du lipiodol.
(Cliché de 1\1. Foix.)
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES
415
Tels sont les résultats de la nouvelle épreuve du lipiodol.
Pour les raisons que nous exposerons plus loin, le diagnostic probable de tumeur
extra-dure-mérienne comprimant la moelle au niveau des IIe et IIIe segments dorsaux
fuit porlé et une laminectomie décidée.
Voici rédigé par M. de Martel, le compte rendu de l'opération :
« 22 juillet ig26. Laminectomie sous anesthésie locale entre 7e cervicale et 4e dor-
sale. Tumeur extra-dure-mérienne adhérente à la dure-mère à gauche et en avant et
formant à l'étui dure-mérien un demi-manchon de trois centimètres environ.
« Section d'une racine à gauche.
« Libération de la tumeur. Ablation à la curette en 3 morceaux. -
« Très peu de la tumeur reste adhérent au surtout vertébral et à la dure-mère.
« Fermeture par quatre fils de bronze perdus, recouverts par l'aponévrose superfi-
cielle fermée par des points séparés au catgut.
« Crins sur la peau. Cicatrisation de la plaie sans incidents. »
Fig. 64 M ? G... Radiographie faite le 3 mars L926, 3 heures après l'injection du lipiodol.
(Cliché de M. Foix.)
416
PARAPLÉGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
Déjà quelques heures après l'opération, la malade éprouve un soulagement; les
membres inférieurs deviennent moins raides ; la jambe droite peut exécuter de petits
mouvements de flexion et d'extension ; la sensibilité se réveille dans le territoire
auparavant anesthésique.
Sauf une rétention des urines qui a duré plusieurs jours et quelques troubles pas-
sagers du côté du membre supérieur droit, la période post-opératoire s'est déroulée
sans incidents sérieux.
Les troubles moteurs et sensitifs s'atténuent de jour en jour. Vers la fin du mois
d'août, la malade est capable de faire quelques pas avec le soutien d'une autre per-
sonne. Le 28 octobre, nous l'examinons à nouveau ; elle marche lentement mais cor-
rectement, appuyée sur le bras d un aide ; elle
est même en mesure de faire, seule, quelques
pas ; sa démarche n'a plus le caractère spasmo-
dique, elle est très légèrement incoordonnée à
droite. La force musculaire des membres infé-
rieurs se montre presque normale, sauf dans les
abducteurs des pieds, légèrement parésiés. On
constate encore l'existence de tous les signes
d'une perturbation de la voie pyramidale à droite
et à gauche : exagération des réflexes tendineux
avec clonus, signe des orteils, réflexes de défense.
Les troubles de la sensibilité ont presque
entièrement disparu. Il existe toutefois : in une
plaque d'hypoesthésie tactile sous le sein droit;
2° une hyperalgésie du membre inférieur droit
et d'une grande partie de l'hémi-thorax du même
côté ; 3° enfin, des troubles de la sensibilité
profonde à droite qui sont probablement la cause
de la légère incoordination que nous signalons
plus haut.
Depuis la fin d'octobre, l'état de la malade
s'est encore notablement amélioré. Nous l'avons
revue le oo novembre ; 1 incoordination de la
jambe droite a totalement disparu. La malade marche presque normalement.
Voici la note concernant 1 examen histologique de la tumeur : après fixation au
liquide de Bouin, inclusion à la paraffine et coloration des coupes à l'hématéine-éosine,
l'examen a montré un méningioblaslome à forme épithéliale avec nombreux corpus-
cules calcaires (psammome). Aucun caractère de malignité. Une partie de la tumeur
a subi une importante dégénérescence fibreuse.
Dès notre premier examen, l'hypothèse d'une compression de la moelle
par tumeur devait inévitablement se présenter à l'esprit. Les douleurs
radiculaires qui constituent généralement un symptôme initial faisaient
défaut, il est vrai, mais l'absence de douleurs de ce genre ne permettait
pas d'exclure ce diagnostic, puisque des faits analogues ont été assez sou-
vent signalés.
Cette hypothèse s'appuyait sur les caractères de la paraplégie joints
aux troubles de la sensibilité objective, à l'état des réflexes de défense et
à l'évolution de l'affection.
Fig. 65. Vlme G... Schéma des troubles
de la sensibilité en juin ig26.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 417
A l'époque où la malade avait été vue par M. Foix, c'est-à-dire trois
mois auparavant, les troubles étaient sans doute moins prononcés ; toute-
fois, la marche était déjà très difficile, et les troubles de la sensibilité pré-
sentaient à peu près les mêmes caractères et atteignaient approximative-
ment le même niveau qu'à l'époque de notre premier examen. C'est, du
moins, ce que nous avait dit la malade et ce que M. Foix a confirmé dans
Babinski. 27
Fig. 66. Mme G... Radiographie faite le 1er juillet 1926, la malade étant placée tête en bas.
418 .t ? G/ËS AFFECTIONS DE LA MOELLE
une communication orale. Du reste, c'est pour ce motif que notre col-
lègue avait cru bon d'avoir recours à l'épreuve du lipiodol ; mais l'image
qui avait été obtenue dans cette première radiographie n'avait rien de
caractéristique. Dans la thèse de M. Laplane où sont exposées les idées de
M. Sicard, on trouve en effet à la page n3, le passage suivant : « Un arrêt
momentané du lipiodol (celui-ci ayant repris sa course et opéré sa des-
cente lors des radiographies ultérieures) n'a pas de valeur localisatrice. »
Comme nous l'avons dit dans la relation de l'observation même, du point
de vue de l'épreuve de l'huile iodée, le diagnostic devait donc rester en
suspens. Nous rappellerons à ce sujet que l'un de nous, à la séance de la
Société de neurologie du 7 février 192, avait posé la question de savoir
si l'épreuve du lipiodol donnant un résultat négatif permettait, oui ou
non, d'exclure le diagnostic de compression. Depuis M. Guillain avait
rapporté un fait établissant que l'arrêt pouvait faire défaut en cas de néo-
plasie ; mais, dans son observation, les signes de compression étaient
encore très peu marqués. Or, chez notre malade, les troubles étaient déjà
très accentués. Notre cas montre donc et c'est là une donnée pratique
à retenir- qu'un résultat négatif de l'épreuve en question n'est pas en oppo-
sition avec le diagnostic de compression, même lorsque les troubles
moteurs et sensitifs, par lesquels se traduit cette affection, sont déjà très
caractérisés. Si l'on ne tenait pas compte de cette notion, la très intéres-
sante épreuve de Sicard Forestier, qui donne parfois le moyen de faire
un diagnostic précoce de compression médullaire, ferait par contre courir
le risque de méconnaître l'existence d'une pareille lésion et, pour le
moins, de retarder une intervention nécessaire.
L'expérience que nous avions acquise sur les tumeurs de la moelle,
notamment sur celles de la région dorsale, avant que l'épreuve du lipio-
dol fut introduite en neurologie, nous avait tout naturellement conduits à
proposer une laminectomie à notre malade. Toutefois, il nous avait paru
rationnel d'avoir encore recours à l'épreuve de l'huile iodée parce que, à
trois mois d'intervalle, elle était susceptible de donner des renseigne-
ments qu'elle n'avait pas fournis précédemment, et que, du reste nous
étions à même d'utiliser ponr cette exploration le lipiodol déjà injecté.
Nous avons indiqué plus haut les résultats de cette nouvelle épreuve.
Voici quels sont les points sur lesquels nous croyons devoir insister :
Et d'abord la bille de lipiodol mobilisable vint s'arrêter à la hauteur du
disque qui sépare la 3e de la lie vertèbre dorsale. La malade n'ayant été
laissée, bien entendu, qu'un temps très court dans la position verticale,
tête en bas, nous ne savons pas si l'obstacle était infranchissable ; il n'en
est pas moins vrai que notre diagnostic de compression s'est trouvé encore
fortifié par ce fait que le niveau de l'arrêt du lipiodol cadrait avec celui
de l'anesthésie et des réflexes de défense.
Un autre point digne d'être souligné est le suivant : l'image de la bille
arrêtée à la 3e vertèbre dorsale présentait une forme, qui, à première vue,
pouvait surprendre. En effet, dans des observations antérieurement
publiées, il avait été noté que dans les tumeurs comprimant la moelle, la
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 4 19
bille de lipiodol injectée dans l'espace sous-occipital formait, au point
d'arrêt, une voûte à concavité inférieure. Nous-mêmes avions rapporté un
fait de cet ordre ; mais, de plus dans ce cas, un examen radiographique
pratiqué à la suite d'une injection de lipiodol par la voie lombaire, nous
avait montré que la bille inférieure dessinait une légère courbe à conca-
vité tournée vers l'extrémité céphalique. Or, dans le cas qui fait l'objet de
notre communication actuelle, la masse lipiodolée, arrêtée à la 3e vertèbre
dorsale, présente, comme on l'a vu, une forme d'ovoïde allongé dont l'ex-
trémité inférieure (côté céphalique) est convexe.
Comment expliquer cette différence ? Nous avions pensé et cela avant
l'opération, qu'elle était due peut-être à une différence de siège. La pre-
mière figure, celle du cas antérieur, se rapportait, en effet, à une tumeur
intra-dure-mérienne, l'autre, celle qui nous occupe aujourd'hui, à une
tumeur extra-dure-mérienne. On conçoit fort bien que l'huile iodée intro-
duite dans l'espace sous-arachnoïdien se moule sur une tumeur intra-dure-
mérienne et que la radiographie donne l'image de la tumeur, ayant dans
l'espace une forme ovoïde, tandis que l'huile iodée n'ayant pas de contact
avec une tumeur dont elle est séparée par la dure-mère, ne peut en
dessiner pareillement la forme. Notre diagnostic a été confirmé à l'opéra-
tion. Possédons-nous là un caractère permettant de diagnostiquer des
tumeurs intra-dure-mériennes d'avec celles qui siègent en dehors des mé-
ninges ? C'est là une question que de nouvelles observations pourront
seules résoudre.
XVIII .
MONOPLÉGIE CRURALE HYPERTONIQUE
SANS SIGNES PYRAMIDAUX HOMOIA 7l ? liA UX
ET A t,'L7C ANIS'l'IIGSlls' H01110LA%'lslPALls'.
TUMEUR lNTllAiJ1ÉDULLAIllE DE LA RÉGION LOiJIBO-SAC1Ui'E
[J. BABINSKI et J. Jarkowski. |
Publié dans la Revue neurologique , 20 mai ? 9.
Nous avons suivi, pendant près de deux ans, une malade présentant
un syndrome neurologique qui, à notre connaissance, n'a pas
JL encore été décrit. Le malade ayant succombé, la nécropsie a été
faite et l'examen anatomique du système nerveux a été pratiqué par notre
regretté collègue et ami Jumentié qui a relaté les résultats de son étude
à la séance du 15 décembre ig2 (').
Nous rapportons aujourd'hui l'observation clinique de cette malade et
nous chercherons à interpréter les faits en apparence paradoxaux qu'elle
contient en les rapprochant des constatations anatomiques.
Mme D..., bien portante jusqu'à l'âge de 4o ans, commence à ressentir à cette
époque, en rg2r, des douleurs sous forme de crampes siégeant au mollet droit :
quatre jours plus tard, ces sensations douloureuses gagnent la région postérieure de
la cuisse des deux côtés ; elles apparaissent généralement dans la soirée et durant par-
fois toute la nuit. Environ 18 mois après le début de la maladie, aux crampes se
joignent des douleurs en ceinture. En outre se manifestent des troubles delà marche,
des dérobements des jambes provoquant des chutes. Ces troubles s'accentuent pro-
gressivement et, depuis décembre 1924, la marche est tout à fait impossible, tandis
que les douleurs, après avoir duré plus de trois ans, s'atténuent petit à petit et
finissent par disparaître. C'est dans cet état que la malade entre à l'hôpital le
9 février 1925.
Au premier examen (9 février ig25), la malade'se plaint uniquement d'une impo-
(') Voir Revue Neurologique, 1(J27, t. II, p. 741. « Tumeur do la moelle lombosacrée et forma-
tions glieuses du type syringomyélique », par J. Jumentié. Travail du Laboratoire de la fondation
Déjerine.
COMPRESSIONS MEDULLAIRES
421
tence du membre inférieur droit, considérant le gauche comme indemne. On constate,
à droite, une diminution notable de la motilité volitionnelle avec contracture en
extension, très marquée. La contracture est telle qu'elle rend impossible tout mouve-
ment de la jambe ; toutefois la malade arrive à la fléchir après qu'on a obtenu un
certain assouplissement de l'articulation du genou par des mouvements passifs. Mais
la jambe ne tarde pas à reprendre sa position primitive en extension; les mouvements
volontaires du pied et des orteils sont en partie conservés.
On trouve du côté droit, une abolition du réflexe rotulien, un affaiblissement du
réflexe achilléen; le réflexe plantaire se
fait en flexion ; les excitations diverses
du membre inférieur droit, pratiquées
pour la recherche des réflexes de dé-
fense, ne déterminent ni mouvement de
la cuisse, ni mouvement de la jambe, ni
flexion réflexe du pied (criterium de
l'exagération des réflexes de défense) ;
mais lorsqu'on excite la face postérieure
du membre inférieur droit, la malade
étant couchée sur le ventre, on voit se
produire une extension du pied.
Au membre inférieur gauche, qui est
souple et ne présente pas de troubles
appréciables de la motilité volontaire,
on trouve le signe des orteils et des
réflexes de défense bien caractérisés,
qui se laissent provoquer jusqu'au pli
de l'aine. Les réflexes tendineux sont ici
d'une intensité moyenne.
Il existe des troubles de la sensibilité
qui, sans être très forts, sont nets; ils
atteignent tous les modes, mais surtout
la sensiuiiuc a la température et a la
douleur; ces troubles s'étendent jusqu'au pli de l'aine ; ils sont bien plus prononcés
à droite, où des erreurs fréquentes sont commises, tandis qu'à gauche il n'y a qu'une
hypoesthésie légère.
Pendant le séjour à l'hôpital, les troubles s'aggravent petit à petit, et, en parti-
culier, le membre inférieur gauche est envahi à son tour. A la fin de décembre 1925
on note, de ce côté, une contracture très forte ayant les caractères d'une contracture
en flexion et liée manifestement à l'exagération des réflexes de défense ; la malade
accuse des mouvements spasmodiques spontanés accentuant l'attitude en flexion. La
motilité volontaire est très réduite. Le réflexe rotulien est vif, l'achilléen existe plus
fort que celui du côté droit. Le réflexe plantaire se fait tantôt en extension, tantôt en
flexion. Les réflexes abdominaux inférieurs sont abolis. Les troubles moteurs du
membre inférieur droit n'ont pas subi de changement appréciable. Les troubles de la
sensibilité dite objective se sont notablement accentués : ils remontent jusqu'en D 10 ;
à l'abdomen on trouve une dissociation syringomyélique ; aux membres inférieurs
tous les modes sont touchés ; mais, comme précédemment, les troubles sont beau-
coup plus prononcés à droite ; c'est-à-dire du côté où les troubles moteurs sont plus
forts (voir schéma). Le territoire des racines sacrées est moins atteint. De plus, des
troubles sudoraux s'étendant jusqu'à la ligne mamelonnaire ont apparu.
Fig. 67.
422, PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
Le 28 décembre 1925 on pratique l'épreuve du lipiodol par voie lombaire. Après
que la malade est restée pendant cinq minutes en position renversée, la radiographie
donne l'image d'un arrêt du lipiodol au niveau de la première vertèbre lombaire.
Six semaines plus tard, une nouvelle épreuve est faite par voie sous-occipitale : le
lipiodol ne s'arrête pas et ne présente qu'un ralentissement du passage au niveau des
vertèbres dorsales inférieures.
L'épreuve de Queckenstedt est pratiquée encore quelques mois plus tard ; elle
donne un résultat négatif : la pression du liquide céphalo-rachidien s'élève nettement
sous l'influence de la compression des jugulaires.
Notons enfin que, sauf à la période terminale, il n'y a eu ni troubles sphinctériens,
ni escarre.
La malade succombe en novembre 1926 à un état infectieux, hyperthermique, consé-
cutif à une lymphangite des membre inférieurs.
En ce qui concerne les constatations anatomo-pathologiques, nous ren-
voyons le lecteur à la remarquable étude de M. Jumentié. Nous rappellerons
seulement les faits qui nous paraissent essentiels au point de vue de l'in-
terprétation des troubles présentés par notre malade.
i° Il s'agissait d'une tumeur intra-médullaire s'étendant de L III et S II
et prédominante à droite ; .
2° Le tissu médullaire était, sur une grande étendue, réduit à un mince
anneau coiffant la tumeur ; .
3° Néanmoins on y trouvait de nombreuses cellules nerveuses aplaties,
mais non détruites ; dans les racines antérieures, il y avait des fibres ner-
veuses non dégénérées ;
4° Enfin, retenons que, au-dessus de la tumeur, et sur une grande hau-
teur, on trouvait de petites cavités dans la substance grise de la moelle.
A la lumière des constatations anatomiques, cherchons à interpréter
les faits cliniques observés. Ces faits peuvent être divisés en deux groupes :
d'une part ceux qui sont en rapport avec les lésions néoplasiques occu-
pant le renflement lombaire ; d'autre part ceux qui semblent sous la
dépendance de la myélomalacie et des cavités qui occupent la moelle
dorsale.
C'est à ces dernières lésions que paraissent liés les troubles sensitifs au
niveau de l'abdomen, l'abolition des réflexes abdominaux inférieurs et
les troubles sudoraux s'étendant jusqu'au niveau des mamelons.
Ce sont les premières auxquelles il faut attribuer les symptômes les
plus importants : les troubles moteurs et sensitifs, les troubles de la
réflectivité cutanée et tendineuse des membres inférieurs. Ces divers
troubles considérés chacun en particulier sont assez banaux, mais si on
les envisage dans leur mode d'association, notamment à la première
période du séjour de la malade à l'hôpital, ils sortent de l'ordinaire et ils
réalisent un syndrome qui mérite de fixer l'attention. On remarque
d'abord, que les troubles de la motilité et de la sensibilité sont homolaté-
raux, alors que d'habitude ces deux ordres de manifestations sont croisés
(syndrome de Brown-Séquard). Ce fait toutefois n'a rien de paradoxal, et
quand on tient compte du siège de la néoplasie dans le renflement lom-
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES a3 3
baire, on peut l'expliquer de deux manières : il pourrait tenir à ce que,
conformément à l'opinion de plusieurs auteurs, de Head, d'Oppenheim
entre autres, l'entrecroisement des fibres sensitives dans la portion lombo-
sacrée ne se produit pas immédiatement après l'entrée de ces fibres dans
la moelle ; il pourrait résulter aussi de ce que l'anesthésie serait due ici
à une lésion de la corne postérieure, constatée anatomiquement, et que,
par conséquent, pareillement à ce que l'on voit dans la syringomyélie
cervicale, l'anesthésie doit siéger du même côté que la lésion.
Autre singularité : à droite, contracture qui ne s'accompagne pas des
modifications qu'on observe habituellement en pareil cas dans l'état de
la réflectivité tendineuse et de la réflectivité cutanée ; à gauche, au
contraire, exagération des réflexes de défense, sans troubles nets de la
motilité volontaire, sans contracture. Mais, si au lieu de rapprocher les
phénomènes du côté droit de ceux du côté gauche, on les étudie séparé-
ment, on s'aperçoit sans peine qu'il n'y a pas là d'antinomie véritable. En
ce qui concerne le côté gauche, rien de contraire aux notions établies ;
on sait, en effet, que l'exagération des réflexes de défense, à moins d'at-
teindre un degré élevé, n'entraîne pas nécessairement une hypertonie
musculaire troublant la fonction motrice. D'ailleurs, l'intégrité de cette
fonction ne s'est pas indéfiniment maintenue, puisque, dans une période
plus avancée de l'évolution de la maladie, la contracture a apparu, réali-
sant du côté gauche le tableau classique de la paraplégie spasmodique en
flexion. Pour ce qui regarde le côté droit, la situation est un peu plus
complexe, sans être, croyons-nous, inextricable. Deux questions se posent.
Première question : Pourquoi, malgré l'existence incontestable d'une
altération de la voie pyramidale, les réflexes tendineux, au lieu d'être
exagérés, sont-ils, l'un le réflexe rotulien aboli, l'autre le réflexe achilléen
affaibli ? Pourquoi aussi les réflexes de défense diffèrent-ils de ce qu'on
voit d'habitude en pareil cas ? L'état des réflexes tendineux peut s'expli-
quer par la compression, par les altérations que le néoplasme a pu faire
subir aux cellules constituant le centre de ces réflexes, altérations dont les
effets, en l'espèce, l'emportent sur ceux de la lésion pyramidale. D'autre
part, lorsque l'on se rappelle que le noyau du jambier antérieur se trouve
au niveau du quatrième segment lombaire, tandis que celui des muscles
du mollet a son siège dans le premier et deuxième segment sacrés, on
conçoit aisément qu'une lésion prédominant à la région lombaire ait pour
conséquence, dans la recherche des réflexes de défense, la substitution du
mouvement d'extension du pied à celui de flexion.
Deuxième question : Mais, et nous arrivons ainsi au point le plus déli-
cat, comment interpréter la contracture, quel en est le mécanisme ? La
contracture, au moins celle du quadriceps crural, ne peut être qualifiée
de tendino-réflexe, puisque le réflexe rotulien, loin d'être exagéré, est
aboli ; elle ne se semble pas non plus pouvoir être rattachée à une exagé-
ration des réflexes de défense, car contrairement à ce qu'on observe dans
la contracture cutanéo-réflexe, la triple flexion spontanée ou provoquée
par les excitations périphériques fait défaut. Il y a lieu de penser, selon
4al, PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
nous, que cette contracture dépend de l'irritation des cellules des cornes
antérieures delà moelle. L'un de nous a publié déjà (') un fait de cet ordre
dans un cas où il s'agissait, très vraisemblablement, de syringomyélie et
dans lequel, bien que les réflexes tendineux et les réflexes de défense
fissent défaut, il y avait de la contracture, accompagnée de quelques se-
cousses fibrillaires. On pourrait appliquer à ce mode de contracture l'épi-
thète de « nucléaire ».
Quelle que soit l'opinion que l'on se forme sur ce dernier point ce qui
résulte incontestablement de cette observation, c'est qu'une lésion spinale
lombo-sacrée peut, au cours de son évolution, donner lieu à un syndrome
spécial dont les principaux traits seaaient mis en évidence par la dénomi-
nation de « monoplégie crurale hypertonique, sans signes pyramidaux
homolatéraux et avec anesthésie homolatérale ». Il est très vraisemblable
que ce syndrome appartient uniquement aux lésions intramédullaires.
,
(1) Voir J. Babinski. Contracture liée à une irritation des cornes antérieures de la moelle dans un
cas de syringomyélie. Société de Neurologie, 6 février igi3.
XIX
SUR LE DIAGNOSTIC DES COMPRESSIONS SPINALES
[J. Babinski et J. Jarkowski. J
Publié dans la Revue neurologique, n° 6, juin 1923.
Nous vous proposons d'attirer l'attention sur quelques-uns des
caractères par lesquels se manifestent les compressions de la
L moelle et qui, par leur réunion ou par les traits qui leur sont
propres, réalisent un tableau clinique spécial.
Lorsqu'elles sont arrivées à un terme avancé de leur évolution, les
compressions de la moelle donnent lieu à la paraplégie spasmodique en
flexion permanente que l'un de nous a décrite et dont voici les éléments :
contracture permanente en flexion avec exagération très forte des réflexes
de défense et mouvements spasmodiques « spontanés » très niarqués
contrastant avec l'abolition ou le très grand affaiblissement de la motri-
cité volontaire. A une phase moins avancée de leur développement, les
compressions déterminent un ensemble symptomatique analogue, mais en
partie atténué et différant surtout du précédent par ce fait que les mem-
bres inférieurs restent d'habitude en extension, la flexion de leurs divers
segments ne se produisant que d'une manière intermittente sous l'in-
fluence des mouvements spasmodiques. On pourrait appeler cette variété
clinique : paraplégie spasmodique, type « extension-flexion » (').
Mais ces deux formes de paraplégie spasmodique n'appartiennent pas
exclusivement aux compressions spinales ; elles peuvent être réalisées
également par des lésions scléreuses (sclérose multiloculaire). Ce qui per-
met de distinguer ces affections les unes des autres, c'est que dans les
dernières les troubles de la sensibilité font défaut ou sont très peu pro-
noncés, tandis que dans les premières, ils viennent tôt ou tard s'associer
aux troubles moteurs.
La paraplégie spasmodique en flexion permanente ou en flexion passa-
(1) Voir : J. Babinski. Réflexes de défense. Revue Neurologique, 1922, n" 8.
426 PARAPLÉGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
gère (type extension-flexion) avec anesthésie nous semble presque patho-
gnomonique d'une compression spinale.
En outre, l'anesthésie liée à une compression, parfois semblable à celle
qui dépend d'une lésion destructive, s'en distingue généralement, ainsi
que nous avons cherché à le montrer dans un travail antérieure), par
quelques traits qui lui donnent un cachet spécial.
Son instabilité constitue une de ces particularités : un territoire qui
paraissait atteint d'anesthésie complète peut, si l'on prolonge l'examen,
recouvrer partiellement la sensibilité d'une manière transitoire ; une
excitation nullement perçue à un moment donné le sera quelques instants
plus tard, soit d'une façon vague et confuse, soit même avec assez de net-
teté, toutefois sans que la perception redevienne normale. Dans les
compressions, l'anesthésie complète, permanente, n'occupe d'habitude
qu'une zone relativement restreinte ou n'existe pas du tout ; elle est rem-
placée sur une grande étendue par « l'anesthésie instable ». La persis-
tance des cylindraxes, qui est la règle dans les compressions médullaires,
permet de comprendre cette fluctuation de l'anesthésie.
Un autre caractère qui donne sa marque à cette anesthésie, c'est que
le maximum de ce trouble ne se trouve pas au niveau de la lésion, mais en
est d'habitude assez éloigné.
En se fondant sur ce qui précède, on pourrait définir ainsi le syndrome
de compression spinale bien caractérisé : paraplégie spasmodique en
flexion permanente ou en flexion passagère, avec troubles sensitifs sous-
lésionnels dont le maximum est généralement éloigné du siège de la
lésion et dont l'intensité est sujette à des variations. Il est entendu que
certains cas de compression de la moelle échappent à cette définition ;
mais là où ce tableau clinique se trouve réalisé la compression ne sau-
rait guère être mise en doute.
Il faut tenir grand compte des particularités de l'anesthésie que nous
venons de signaler lorsqu'on veut utiliser la topographie des troubles
sensitifs pour déterminer le niveau supérieur de la compression. C'est
probablement pour ne pas avoir attribué à l'anesthésie instable sa valeur
et pour avoir pris comme repère la limite supérieure de l'anesthésie
maxima que, dans un certain nombre de cas, on a cru devoir localiser la
tumeur bien au-dessous de la région qu'elle occupait réellement. Nos
observations nous ont amené à adopter la règle suivante : il faut prendre
comme repère la limite entre l'hypoesthésie légère et l'hypoesthésie mar-
quée. C'est là une limite qui est d'habitude fixe et qui correspond assez
exactement au niveau de la lésion. Nous ferons remarquer à cette occasion
que certains malades, tout en percevant et en localisant même assez bien les
excitations, telles que le pincement, la piqûre dans une partie plus ou moins
étendue du territoire cutané correspondant aux segments de la moelle sous-
jacents à la lésion, éprouvent là une sensation différente de la normale.
(') J. Babinski et J. Jarkowski. Contribution à l'étude de l'anesthésie dans les compressions de la
moelle dorsale (Revue Neurologique, 1920, n° 9).
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES
1127
Ils se servent, par exemple, des expressions suivantes : « La sensation
n'est pas naturelle » ou « c'est comme si ma peau n'était pas vivante »,
etc... Un trouble de ce genre ne doit pas être considéré comme une
hypoesthésie légère ; c'est un trouble qualificatif dont il faut tenir compte
dans l'appréciation du niveau de la compression.
En ce qui concerne le parti qu'on peut tirer des réflexes de défense
pour fixer la limite inférieure de la compression, nous renvoyons à nos
travaux antérieurs ('). Les conclusions auxquelles nous étions arrivés ont
été confirmées depuis, par plusieurs observateurs.
Il s'agit enfin de reconnaitre la nature de la compression et notamment
de distinguer une tumeur juxta-médullaire énucléable, où l'indication
d'une intervention chirurgicale est indiscutable, d'avec les autres compres-
sions.
En dehors des données classiques fournies par l'évolution de l'affection,
par la radiographie, et qui peuvent déjà conduire à exclure le diagnostic
d'une tumeur juxta-médullaire nous tenons à attirer l'attention sur un
caractère qui pourrait peut-être faciliter la distinction : dans des cas de
compression liée soit à une tumeur intra-médullaire, soit à une pachymé-
ningite limitée, où le tableau clinique paraissait semblable à celui des
(') J. Babinski et J. Jarkowski. Sur la possibilité do déterminer la hauteur de la lésion dans les
paraplégies, etc. Société de Neurologie, 12 mai igio. J. Babinski. Réflexe de défense. Revue
Neurologique, yuQ-y5 et 1922.
Fig. 68.
428
PARAPLÉGIES
AFFECTIONS DE LA MOELLE
tumeurs en question, il nous est arrivé de constater au niveau de la lésion
une bande d'anesthésie ou d'hypoesthésie nette, tranchant par sa moda-
lité ou son intensité sur les troubles sensitifs sous-lésionnels. Nous
n'avons pas vu cette disposition dans les faits de tumeur énucléable
comprimant la moelle dorsale, que nous avons eu l'occasion d'observer
jusqu'à présent.
Voici deux observations de cet ordre, avec contrôle anatomique.
Observation I. Femme de 49 ans. Après une phase de douleurs radiculaires sous
les mamelons, se développe progressivement en quelques mois un syndrome de
compression avec tendance à la paraplégie en flexion. La limite des réflexes de défense
dépasse le 6" segment dorsal. Les troubles sensitifs portent surtout sur la sensibilité
au froid ; le maximum de l'anesthésie se cantonne à la partie inférieure de l'abdomen
et à la face antérieure des cuisses ; au-dessus, l'anesthésie instable au froid s'étend
jusqu'à D 5. La sensibilité tactile est partout conservée, sauf dans une bande au
niveau de D 5 à gauche, où les attouchements légers ne sont pas perçus (voir fig. 67).
Il s'agissait d'un anneau fibreux englobant et comprimant la moelle entre la 5e et
la 6e racine dorsale.
Observation Il. Homme de 66 ans. Mal de Pott. Paraplégie presque complète.
Troubles sensitifs (voir fig. 68). L'anesthésie est presque complète et à tous les modes
aux membres inférieurs, surtout à droite ; elle s'atténue progressivement vers le haut,
Fig. (3o.
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 4g
notamment à gauche où les sensations thermiques sont souvent perçues. Or, du côté
gauche, en D5 D6, on trouve une bande d'anesthésie complète à la température et
à la douleur, avec conservation de la sensibilité tactile.
Les troubles de sensibilité cantonnés dans cette zone semblent bien
sous la dépendance de lésions radiculaires (Obs. I) ou médullaires
(Obs. II) au niveau même de la compression. Si elles paraissent faire
défaut dans les tumeurs juxta-médullaires énucléables, c'est peut-être
parce que celles-ci produisent des altérations moins profondes que d'au-
tres processus morbides. Mais nous nous hâtons d'ajouter que nos obser-
vations ne sont pas assez nombreuses pour nous permettre d'en tirer des
^déductions fermes et, pour conclure, il faut attendre de nouveaux faits.
XX
MÉNINGITE HÉMORRAGIQUE FIBRINEUSE ;
PARAPLÉGIE SPASMODIQUE.
PONCTIONS LOMBAIRES; TRAITEMENT MERCURIEL.
GUÉRISON
[J. Babinski.]
Publié dans les Bulletins et Mémoires de la Société médicale des Hôpitaux de Paris,
séance du 23 octobre igo3.
E présente à la Société une femme, dont l'histoire pathologique,
) d'ailleurs assez complexe, me paraît digne d'être rapportée.
i Il y a dans cette observation quelques faits qui sont rigoureuse-
ment établis et qui nous ont paru assez intéressants pour être relatés,
quoiqu'il soit impossible de les expliquer,tous, sans avoir recours à quel-
ques hypothèses.
L'examen du liquide céphalo-rachidien a décelé la présence d'une
méningite fibrineuse lymphocytaire. De plus la coloration en jaune verdâtre
de ce liquide, qui contient des globules rouges à divers degrés d'altéra-
tion pigmentaire permet de donner encore à cette méningite l'épithète
d'hémorragique. Mais comment cette hémorragie s'est-elle produite ? est-
elle le résultat d'une congestion inflammatoire intense avec transsudation
de sang au niveau des capillaires ou d'une hémorragie par rupture d'un
vaisseau de gros calibre altéré par le processus inflammatoire ? je ne sau-
rais le dire.
La paralysie crurale était manifestement, ainsi que le prouvent les
troubles vésicaux et le phénomène des orteils, sous la dépendance d'une
affection organique spinale qui devait siéger dans la région dorsale ou
la région dorso-lombaire. Mais quelle est la nature de cette lésion ? Il est
permis de faire à ce sujet deux hypothèses qui nous semblent également
acceptables. On peut supposer que la méningite a donné naissance à un
exsudat membraneux comprimant la moelle, ou bien qu'une inflammation
COMPRESSIONS MÉDULLAIRES 1131
spinale s'est associée à l'inflammation méningée et qu'on a eu affaire à
une méningo-myélite.
Quel était le degré d'intensité des lésions spinales ? L'évolution de la
maladie, la guérison, aujourd'hui presque complète, semblent indiquer
que les altérations n'étaient pas très profondes, que les éléments nerveux
essentiels étaient plutôt irrités que détruits. Mais déjà dès le début, mal-
gré l'intensité des troubles fonctionnels, et je dirai même en raison de
l'intensité de certains de ces troubles, on pouvait supposer qu'il en était
ainsi ; c'était l'opinion que j'avais émise en me fondant sur des observa-
tions faites autrefois et que j'ai relatées ici(') en en tirant cette conclusion
que la paraplégie crurale qui se caractérise par une contracture très
intense des membres inférieurs, accompagnée de douleurs et de mouve-
ments spasmodiques, est liée généralement à une irritation non destruc-
tive des faisceaux pyramidaux, sans dégénération descendante secondaire.
C'est donc là un nouveau fait à l'appui de l'idée que j'ai soutenue.
Je ferai remarquer aussi que la présence du signe des orteils, qui
actuellement constitue la seule manifestation objective d'une perturbation
du système pyramidal, montre une fois de plus la valeur séméiologique
de ce phénomène.
Quelle est l'origine de cette méningite fibrineuse ? C'est une question
qui ne peut être pour le moment résolue d'une manière rigoureuse. On
pourrait supposer que la méningite fibrineuse est sous la dépendance
d'un agent pathogène spécial et que l'inflammation, suivant qu'elle reste
limitée aux méninges ou qu'elle se propage à la moelle, suivant qu'elle se
localise plus particulièrement dans telle ou telle région et qu'elle s'accom-
pagne ou non d'un exsudat membraneux, se manifeste par des symptômes
divers (-). Mais ce n'est qu'une hypothèse et je rappelle que le résultat de
l'examen bactériologique a été négatif. J'ajoute que si l'on voulait attri-
buer à cet agent spécial hypothétique la genèse de tous les troubles obser-
vés chez cette malade, il faudrait supposer qu'il est capable de donner
naissance au signe d'Argyll Robertson, ce qui, il est vrai, est admissible
théoriquement. Mais les faits que nous avons relatés, M. Charpentier et
moi, et qui ont été confirmés par un grand nombre de médecins, établis-
sant que le signe d'Argyll est pathognomonique ou tout au moins pres-
que pathognomonique d'une méningite syphilitique, il y a plutôt lieu
de penser que chez cette malade, malgré ses dénégations, la syphilis
est en cause et qu'elle a provoqué des lésions méningées chroniques qui
existent maintenant encore et se manifestent par les troubles pupil-
laires et la lymphocytose toujours présente. On peut ajouter en faveur
de cette opinion que cette femme a eu deux grossesses terminées
(') Sur une forme de paraplégie spasmodique consécutive à une lésion organique et sans dégéné-
ration du système pyramidal, par J. Babinski (Bulletins de la Société médicale des Hôpitaux, séance du
24 mars 18qq).
(2) Voir à ce sujet le travail de M. Froin, interne de M. Widal : « Inflammations méningées
avec réactions chromatique fibrineuse et cytologique du liquide céphalo-rachidien ». Gazette des
Hôpitaux, igo3, p. 1005.
432 P : 1R : 11'LGGIES - AFFECTIONS DE LA MOELLE
l'une par la naissance d'un enfant de sept mois mort-né et l'autre
par la naissance d'un enfant né à terme et viable, il est vrai, mais mort
de convulsions à l'âge de vingt-deux mois. Il est de plus permis de
se demander si les lésions méningées aiguës, si la méningite hémor-
ragique fibrineuse qui paraît aujourd'hui guérie n'étaient pas aussi sous
la dépendance de la syphilis. Cette idée n'a rien de révolutionnaire
quand on considère que dans la paralysie générale progressive et dans le
tabes, affections dont les liens intimes avec la syphilis ne sont plus guère
contestés, les inflammations hémorragiques des méninges ne sont pas
rares. Si cette hypothèse était exacte, on pourrait conclure de cette
observation que la thérapeutique a une action bien plus grande sur la
méningite syphilitique hémorragique fibrineuse aiguë que sur la méningite
syphilitique vulgaire chronique. Enfin, on serait aussi en droit de supposer
que l'on a eu affaire à une association de deux infections de nature diffé-
rente, l'une syphilitique, ayant déterminé des lésions chroniques qui per-
sistent encore, l'autre de nature indéterminée et ayant provoqué les phé-
nomènes aigus qui ont disparu. Ce sont là diverses hypothèses qui
demandent à être vérifiées à l'aide de nouvelles observations.
SEP TIÈME PARTIE
AFFECTIONS DES NERFS
13ADI,"U. 28
I
DES NÉVRITES
[J. Babinski.]
Publié dans le Traité de médecine de Charcot-Bouchard, t. X, igoo (p. i ci zga.
'EST la première fois que ce sujet a été exposé d'une manière
méthodique et détaillée dans un ouvrage de pathologie. J'ai dû
compulser de nombreux documents, les soumettre à la critique,
les coordonner et constituer un ensemble avec ces matériaux épars.
Je ne fais que signaler ce travail qui n'est pas, à proprement parler,
une oeuvre originale. Toutefois, je citerai les conclusions du chapitre
« Introduction à l'étude des névrites d'origine interne ». Il contient, sur
les relations entre les lésions de la périphérie et des centres, des idées qui
étaient en partie nouvelles à l'époque où elles furent émises.
« Ce terme, névrite périphérique, ne doit pas impliquer l'idée que les
lésions des nerfs sont primitives, qu'elles sont l'origine de tous les
troubles symptomatiques observés et que le système nerveux central ne
présente aucune modification. Il signifie simplement que les altérations
anatomiques du système nerveux, perceptibles par nos moyens d'investi-
gation, sont exclusivement localisées dans les nerfs ou y sont bien plus
accusées que dans le système nerveux central. Il y a tout lieu d'admettre,
et ce n'est pas là du reste une simple hypothèse, que bien des agents qui
déterminent des névrites provoquent à la fois une perturbation du sys-
tème nerveux central et du système nerveux périphérique : que parfois
même ils exercent en même temps, d'une façon directe, leur action patho-
gène sur d'autres systèmes anatomiques ; que les troubles fonctionnels
qu'ils occasionnent sont causés non seulement par des lésions histologi-
quement perceptibles mais aussi par des modifications de nature dyna-
mique : et qu'en définitive les lésions des nerfs ne peuvent être considé-
rées comme constituant tout le substratum anatomique de l'affection,
dont elles représentent seulement les altérations les plus apparentes. »
436 AFFECTIONS DES NERFS S
NÉVRITE SCIATIQUE
J'ai fait paraitre, dans les Archives de Neurologie en 1888 un travail
inspiré par mon maitre Charcot sur la scoliose sciatique. J'en ai relaté cinq
observations ; le caractère essentiel de la déformation décrite consiste en
une inclinaison du tronc du côté opposé à la sciatique, sans soulève-
ment du pied du côté malade; de là, une attitude toute spéciale qui dis-
tingue cette scoliose des diverses déformations provoquées par d'autres
affections, la coxalgie, par exemple, et qui peut servir, dans un cas dou-
teux, à établir le diagnostic de sciatique.
Cette donnée est devenue classique. Brissaud a appelé ce mode de
déformation « scoliose croisée » par opposition à un. autre mode de défor-
mation qu'il a observé aussi dans la sciatique, « scoliose homologue », où
le tronc est incliné du côté malade.
L'abolition du réflexe achilléen dans la sciatique, objet d'un travail
publié à la Société médicale des hôpitaux en 1896, avait été, il est vrai,
mentionnée déjà par Sternberg dans deux observations mais il n'avait pas
retenu l'attention des cliniciens qui considéraient le réflexe achilléen
comme inconstant à l'état normal ; il n'était pas signalé dans les traités
classiques.
Je l'ai constaté non seulement dans des cas de sciatique intense, avec
amyotrophie notable, correspondant à la forme que l'on désigne sous la
dénomination de sciatique névrite, mais aussi chez des malades atteints de
la forme légère de cette affection, que l'on appelle sciatique névralgie, épi-
thète qui n'implique pas, du reste, l'idée que, dans les cas de ce genre,
il n'y ait pas lésion du nerf.
« Ce signe, comme en général tous les signes objectifs, me parait avoir
une grande valeur diagnostique ; sa présence indique l'existence d'une
altération organique du nerf, et elle suffit pour écarter l'hypothèse de
simulation ; elle peut aider à distinguer la sciatique vraie de la sciatique
hystérique qui n'est pas une véritable névralgie, qui n'a pas le nerf pour
siège, mais qui consiste en une douleur de nature psychique, et dans
laquelle, si j'en juge d'après les faits que j'ai observés jusqu'à présent,
le signe en question fait défaut. »
Cette notion, confirmée d'abord par Janot (Contribution à l'étude de
la sciatique et en particulier des modifications du réflexe du tendon
d'Achille. Thèse, Toulouse, 1897), puis par Forestier (Le réflexe du ten-
don d'Achille dans la sciatique. Soc. m édico-cltirll1'gica le, séance du
27 février 1899) est aujourd'hui admise par tous les neurologistes.
En 1908, j'ai rapporté l'histoire d'un malade, atteint de spondylose et
de douleurs très vives particulièrement sur le trajet des deux sciatiques,
et dont l'état s'est très notablement amélioré à la suite de la l'adiothé-
rapie.
DES NÉVRITES 437
NÉVRITE RADIALE
J'ai décrit à la Société de Neurologie en 1903 une forme spéciale de
névrite radiale caractérisée par les symptômes suivants : douleurs, qui
sans être exclusivement localisées à la partie postérieure du bras, prédo-
minent dans cette région ; légère atrophie et diminution de la contracti-
lité électrique du triceps brachial ; abolition du réflexe du tendon de ce
muscle.
Cette affection a été souvent méconnue, sans doute parce qu'ordinai-
rement on néglige de rechercher l'état du réflexe du triceps brachial, et
qu'en présence d'un malade qui se plaint de douleurs au bras on se
contente du diagnostic vague de rhumatisme.
Cette variété de lésion du nerf radial peut être mise en opposition avec
la paralysie radiale par compression qui est. très commune et bien
connue. Tandis que dans celle-ci la paralysie siège à l'avant-bras et se
manifeste par une impotence musculaire ne s'accompagnant pas de dou-
leurs, dans celle-là les troubles occupent le bras, se manifestent par
des douleurs et n'atteignent pas la motilité d'une manière bien appré-
ciable.
PARALYSIE CUBITALE (')
En tenant compte seulement de certaines particularités morphologiques
du membre malade, observé au repos et dans les gestes divers, on peut
reconnaitre, presque sans cause d'erreur, une paralysie périphérique.
Lorsque le pouce est placé en adduction et accolé le long du bord
externe de l'index, il dessine à l'état normal deux angles, tous deux
obtus, de 160" environ : l'angle supérieur est ouvert en dehors, ses
côtés correspondent au bord externe de l'avant-bras et au premier méta-
carpien ; l'angle inférieur est ouvert en dedans et regarde le creux de
la main ; il est formé par le premier métacarpien et par la première pha-
lange du pouce dans le prolongement de laquelle se trouve la deuxième
phalange qui est étendue.
Cette silhouette du pouce se modifie dans les paralysies du cubital :
quand le pouce se porte en adduction, le métacarpien se fléchit et la pre-
mière phalange s'étend, d'où effacement des deux angles (l'angle inférieur
tend même parfois à se renverser en surextension) ; par contre la flexion
de la deuxième phalange, qui accompagne toujours alors ce mode d'ad-
duction, a pour conséquence la formation d'un autre angle. Cette attitude
particulière s'explique par l'intervention, en cas de paralysie de l'adduc-
teur du pouce, d'une adduction de suppléance que réalise le long exten-
seur et qui parait impliquer la contraction synergique du long fléchisseur.
(1) Les signes objectifs de la paralysie de l'adducteur du pouce (en collaboration avec J. Froment,
Société de Neurologie. 6 juin 1918.
II
HÉMISPASME FACIAL PÉRIPHÉRIQUE
[J. Babinski.] 1
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 6 avril igo5.
'm observé des faits dont les uns confirment en grande partie les
j idées soutenues depuis longtemps par M. Brissaud et par M. Meige
J sur le spasme de la face et dont les autres apportent, si je ne
m'abuse, des notions nouvelles sur cette affection.
Voici un malade atteint d'un hémispasme de la face occupant le côté
gauche. La figure ne reste que rarement au repos complet. A tout instant
on voit apparaître des contractions musculaires qui, d'abord limitées soit
au menton, soit à l'oeil, soit à une autre partie de la figure, se généra-
lisent ensuite à tout son côté gauche, donnent lieu à un mouvement de
la commissure labiale en haut et un arrière, à une occlusion de l'oeil, et
provoquent une déformation spéciale de la figure qui, déjà à première vue,
donne l'impression d'une perturbation indépendante de la volonté, bien
différente des grimaces qu'on peut exécuter volontairement. Analysons
de plus près ce spasme et étudions-en les caractères intrinsèques, sans
nous occuper, pour commencer, des troubles concomitants.
a) Les contractions consistent en des secousses brusques, de très courte durée,
se succédant rapidement et aboutissant à un état spasmodique qui persiste plusieurs
secondes ; c'est comme si ces contractions étaient dues à l'excitation électrique du
nerf facial par un courant induit, d'abord non tétanisant, puis tétanisant. On peut dire
que ces mouvements anormaux de la figure se composent de convulsions cloniques
suivies d'une convulsion tonique et que cet ensemble de convulsions constitue une
crise. Ces crises sont plus ou moins fortes suivant les divers moments et se répètent
plus ou moins souvent; elles empiètent parfois les unes sur les autres et se suivent
sans interruption en donnant lieu ainsi à une sorte d'état de mal qui, d'ailleurs, ne
s'accompagne d'aucun trouble psychique.
b) Il est généralement difficile de déterminer les causes qui exagèrent ou atténuent
HÉMISPASME FACIAL PÉRIPHÉRIQUE 43g
l'intensité des crises ; on peut dire cependant que la fatigue générale et les mouve-
ments volontaires des muscles de la face accentuent ordinairement le mal; d'autre part
une électrisation énergique du nerf facial semble l'atténuer pour quelque temps; enfin'
le malade déclare qu'il n'est nullement maître de ces convulsions et qu'un effort de
volonté ne saurait ni retarder leur apparition ni les abréger d'une seconde.
c) Ces contractions sont rigoureusement unilatérales.
d) Elles sont, au début de la crise, parcellaires ou fasciculaires, ce qui veut dire
qu'elles sont d'abord limitées à quelques muscles, à quelques portions de muscles dans
lesquels les mouvements convulsifs restent parfois cantonnés.
e) Ces contractions sont déformantes. Pour bien faire comprendre ma pensée il
faut que je précise le sens que, dans l'espèce, j'attribue à ce mot ; il est évident, en
effet, que toute contraction musculaire modifie dans une certaine mesure la forme de
la région où elle se produit et, si l'on veut, la déforme ; mais les déformations pro-
duites par des contractions volontaires sont normales, ce sont des changements de
forme plutôt que des déformations; il me semble naturel de réserver ce mot à des
modifications de forme anormales. Or c'est ce qu'on constate ici; on observe une
déformation du nez dont la pointe se porte du côté malade et dont le bord antérieur
forme une courbure à concavité tournée du même côté ; outre cette incurvation du nez,
on note encore une autre déformation se produisant pendant le spasme; c'est une
fossette irrégulière qui apparaît au menton du côté malade.
f) Ces contractions s'associent les unes aux autres d'une manière contradictoire.
On voit, par exemple, le muscle peaucier se contracter en même temps que la commis-
sure labiale se porte en haut et en arrière, ou encore on observe une association de ce
dernier mouvement à un mouvement du pavillon de l'oreille en haut et en arrière ;
mais l'association la plus singulière est la suivante : en même temps que le muscle
orbiculaire de l'oeil se contracte et que l'oeil se ferme, la partie interne du muscle
frontal se contracte et la peau de cette région se porte de bas en haut ; c'est là une
variété de synergie que l'on peut qualifier de paradoxale.
MM. Brissaud etMeige ont cherché à établir qu'il y a lieu de distinguer
les tics des spasmes, que l'hémispasme facial présente des caractères cli-
niques qui lui sont spéciaux, qui sont étrangers à la symptomatologie des
tics, affection psychique, et que la volonté ne peut reproduire. Or, parmi
les signes que j'ai passés en revue se trouvent les caractères en question :
ce sont l'unilatéralité des mouvements anormaux, leur aspect fasciculaire
ou parcellaire, leur brusquerie, la ressemblance qu'ils présentent avec
les contractions provoquées par l'excitation électrique du nerf facial.
M. Meige a noté aussi ce fait intéressant que le spasme persiste pendant
le sommeil; je n'ai pas été en mesure de vérifier ce point chez le malade
dont je viens d'entretenir la Société, mais chez un autre sujet, atteint de
la même affection, que j'ai pu soumettre à une observation de nuit, la
réalité de ce phénomène a été nettement reconnue.
Outre ces caractères déjà connus, j'en ai noté d'autres, comme on a pu
le voir, qui n'ont pas encore été décrits. Ce sont d'abord les déformations
produites par les contractions, en particulier l'incurvation du nez et la fos-
sette mentonnière ; ils ont, je crois, de l'importance parce que, si j'en juge
par mes observations, ils semblent constants dans cette affection, et parce
qu'il est impossible de les reproduire sous l'influence exclusive de la
440 AFFECTIONS DES NERFS
volonté ; on peut à la rigueur simuler l'incurvation du nez, mais il faut
alors mettre enjeu les muscles des deux côtés de la face, tandis que dans
l'hémispasme cette déformation est obtenue par la contraction unilaté-
rale des muscles faciaux. C'est ensuite la synergie paradoxale. M. Brissaud
avait déjà dit ceci : « Et l'on voit aussi des associations de contractions
musculaires qui correspondent très exactement aux muscles innervés par
le nerf irrité, mais qui ne répondent à aucun autre acte fonctionnel
connu. » Cela est vrai, mais ne dépeint pas encore suffisamment la moda-
lité de ces associations, qui non seulement ne répondent à aucun acte
fonctionnel connu, mais sont en opposition avec de pareils actes : quand,
par exemple, l'oeil se ferme sous l'influence de la volonté, le sourcil
s'abaisse en même temps; or ici, au contraire, le sourcil, du moins sa
partie interne, se relève pendant l'occlusion de l'oeil. J'ajoute que l'incur-
vation du nez, la fossette mentonnière, la synergie paradoxale peuvent
être reproduites avec rigueur chez les sujets normaux par l'électrisation
de certains filets du nerf facial.
Ainsi donc mon malade est bien atteint d'un hémispasme ayant des
caractères permettant d'affirmer qu'il n'est pas sous la dépendance d'un
trouble mental, psychique.
Quelle en est la cause ? Il est facile de la déterminer, en complétant
l'examen de ce sujet chez qui on trouve un ensemble de signes qui condui-
sent inévitablement au diagnostic de lésion bulbaire, probablement bila-
térale, mais prédominant notablement à gauche du côté de l'hémi-
spasme : ce sont des vertiges, de la latéropulsion à gauche, le signe de
l'éventail des deux côtés, mais plus marqué à droite, le mouvement
combiné de flexion de la cuisse et du bassin à droite, une parésie de la
corde vocale droite, une hémiatrophie linguale à gauche, des troubles
auriculaires et un rétrécissement de la pupille également à gauche. Ces
troubles ont apparu il y a cinq ans environ et l'hémispasme facial aurait
été précédé par une hémiparésie du même côté. En conséquence il y a
tout lieu d'admettre que l'hémispasme est dû dans ce cas à une irritation
du noyau du facial ou du nerf dans son trajet bulbaire.
Une question doit être maintenant posée. L'hémispasme avec les carac-
tères cliniques particuliers que je viens de passer en revue reconnait-il
nécessairement pour cause une perturbation directe du nerf facial ou de
son noyau, ou bien ne peut-il pas avoir une autre origine Cette dernière
opinion semble admise à l'heure actuelle. M. Brissaud, en effet, dont j'ai
rappelé les intéressants travaux par le sujet qui m'occupe, s'exprime à cet
égard de la manière suivante :
« Or quelle est la cause des spasmes cloniques en général ? C'est l'irri-
[(ilion suinte et passagère des points d'un arc réflexe. Prenons la face comme
exemple et d'abord en considération de l'étiologie permettez-moi de reve-
nir au rudiment.
« Le spasme facial chez le plus grand nombre des malades a un point de
départ oculaire. La contraction débute par l'orbiculaire des paupières,
IIH'dIISPASJIG' FACIAL PÉRIPHÉRIQUE ft4r
phénomène purement réflexe : la cornée, la sclérotique, la muqueuse pal-
pébrale reçoivent des fibres sensitives du trijumeau qui transmettent au
noyau de ce nerf les impressions reçues ; celui-ci les communique à son
tour au noyau de la VII" paire, qui envoie la décharge aux muscles orbi-
culaires qu'il commande. Voilà donc l'arc réflexe établi. On peut admettre
en principe que toute irritation portant sur un point quelconque de la
voie centripète de cet arc pourra produire un spasme oculaire ('). »
Dans l'affection dénommée « tic douloureux de la face » les mouve-
ments spasmodiques seraient consécutifs à l'irritation du nerf trijumeau
et résulteraient par conséquent d'une excitation de la voie centripète de
cet arc.
J'avoue n'être pas convaincu, tant s'en faut, de la réalité de ce méca-
nisme. Il est bien entendu que j'ai ici en vue exclusivement l'hémispasme
facial caractérisé cliniquement par les divers signes que j'ai cherché à
mettre en relief et qui est marqué par ce trait essentiel de pouvoir être
reproduit rigoureusement par l'électrisation des branches du nerf facial.
Or, déjà a priori, en théorie, il me parait difficile d'admettre qu'une exci-
tation d'un nerf sensitif puisse produire un effet identique à celui qui
résulte de l'électrisation d'un nerf moteur ; je ne sache pas qu'expéri-
mentalement chez l'animal on soit en mesure d'obtenir un fait de ce genre.
De plus il ne me semble pas prouvé qu'en pathologie humaine il y ait
des observations rigoureuses établissant ce fait ; en effet les neurologistes
ne se sont guère attachés à analyser avec précision les caractères du
spasme facial et il est bien possible que les mouvements convulsifs ne
soient pas identiques dans l'hémispasme et dans le tic douloureux; il
s'agit peut-être, au moins dans bien des cas de cette dernière affection,
de mouvements d'un tout autre ordre. Mon ami M. Meige, il est vrai, m'a
affirmé que chez un homme atteint de tic douloureux il a observé des
phénomènes spasmodiques exactement semblables à ceux de l'hémi-
spasme facial non douloureux : mais, quoique persuadé de l'exactitude de
cette observation, je ne crois pas devoir m'incliner devant elle, car,
d'après les renseignements que m'a fournis M. Meige, rien ne prouve que
dans ce cas l'affection n'ait eu pour siège le bulbe même ; or, dans cette
hypothèse, il serait permis de penser que l'agent perturbateur a agi sur
le facial en même temps que sur le trijumeau, de même que chez mon
malade la lésion a porté à la fois sur le facial et l'hypoglosse, et alors il
n'y aurait plus entre la névralgie et le spasme de relation de cause à effet,
mais il se serait agi simplement d'une coexistence de deux phénomènes,
l'un d'ordre moteur, l'autre d'ordre sensitif. La réalité d'un hémispasme
facial lié à une névralgie du trijumeau ne devra être acceptée que si l'on
vient à constater des faits de spasme consécutif à une névralgie faciale
reconnaissant pour cause une lésion siégeant dans la partie intra-bulbaire
du trijumeau et limitée à ce nerf.
Je ne crois pas non plus qu'une lésion du système nerveux siégeant au-
(') Brissaud, Leçons sur les maladies nerveuses, r8g5, p. 200.
442 AFFECTIONS DES NERFS
dessus du noyau facial, telle qu'une lésion corticale, puisse produire un
hémispasme facial identique à celui dont je m'occupe. J'ai eu récemment
l'occasion d'examiner une femme qui était sujette à des crises d'épilepsie
jacksonienne limitées à la face et se répétant toutes les cinq ou dix
minutes ; or, l'analyse des mouvements convulsifs m'a montré qu'ils dif-
féraient essentiellement de l'hémispasme facial ; l'incurvation du nez, la
fossette mentonnière, la synergie paradoxale faisaient défaut.
Si les idées que j'expose se confirment, cette notion nouvelle sera éta-
blie que l'hémispasme facial marqué par les caractères intrinsèques que
j'ai énumérés et analysés ne peut être engendré que par une perturbation
directe du nerf facial ou de son noyau d'origine. Il serait alors rationnel
d'appliquer à cette modalité d'hémispasme facial l'épithète « périphé-
rique » dont on se sert pour désigner la variété d'hémiparalysie de la face
liée à une lésion de ces mêmes organes. D'ailleurs je suis porté à croire
qu'il y a une certaine parenté entre la paralysie faciale périphérique et
l'hémispasme facial périphérique et qu'une même cause peut, suivant son
degré d'intensité, donner naissance à l'une ou à l'autre de ces affections ;
j'ajoute, à l'appui de cette manière de voir, qu'on peut voir, dans la para-
lysie faciale périphérique, à la paralysie musculaire succéder un état spas-
modique ayant une grande analogie avec l'hémispasme primitif.
HUITI/ti1lE PARTIE
AFFECTIONS DES MUSCLES
1
MYOPATHIE PROGRESSIVE PRIMITIVE :
- SUR LA CORRÉLATION QUI EXISTE
ENTRE LA PRÉDISPOSITION DE CERTAINS MUSCLES
A LA MYOPATHIE ET LA RAPIDITÉ
DE LEUR DÉVELOPPEMENT
f.J. BABINSKI ET M. Onanoff.]
Publié dans les comptes rendus des séances de la Société de biologie,
séance du 1 1 février 1888.
Il existe, comme on le sait, une classe d'amyotrophies progressives,
j qui prend chaque jour une importance de plus en plus grande, dans
JL laquelle l'atrophie musculaire est indépendante de toute lésion des
centres nerveux ou des nerfs périphériques, et qui est connue sous le
nom de myopathie progressive primitive.
Cette myopathie se présente sous différentes formes que nous ne décri-
rons pas avec détails ('), dont nous nous contenterons de faire ressortir
quelques points particuliers relatifs aux recherches que nous avons faites
et qui ont trait à la localisation de l'affection dans telle ou telle région,
dans tel ou tel muscle ou groupe musculaire.
Mais auparavant, nous rappellerons que, dans certaines variétés de la
myopathie, les muscles sont augmentés de volume (pseudo-hypertrophie),
et que, dans d'autres, le volume des masses musculaires est normal ou
très diminué. Cette différence est-elle suffisante ou non pour faire de ces
variétés de myopathies des affections indépendantes ? Nous ne discuterons
pas ici cette question, qui est traitée dans les ouvrages que nous avons
cités, car nous ne nous occupons ici que de la localisation de l'affection,
(') Pour l'historique de la question et la description complète de la myopathie, voir en particulier :
i° Ouares complètes de M. Charcot, t. III, p. igo.
2° L'important mémoire de MM. Landouzy et Déjerine dans la Revue de médecine (février et
avril 1885).
446 AFFECTIONS DES MUSCLES
et, à ce point de vue, ce que nous dirons s'applique à toutes les variétés.
Dans une forme de la myopathie, la paralysie pseudo-hypertrophique
avec ou sans hypertrophie, dont la nature myopathique a été démontrée
par les recherches de MM. Eulenburg et Cohnheim et de M. Charcot, le
début se fait par les membres inférieurs, et les muscles qui sont atteints
primitivement et avec le plus d'intensité sont, à la cuisse : le triceps ; à la
jambe : les muscles de la région antéro-externe. L'affection peut envahir
ensuite les autres muscles des membres inférieurs, mais il en est quel-
ques-uns, particulièrement le triceps sural, qui sont généralement res-
pectés. Les membres supérieurs et la face, cela est démontré par un
certain nombre de cas('), peuvent se prendre aussi dans la suite.
La forme héréditaire de Leyden-Mobius, au point de vue de la localisa-
tion, ressemble beaucoup à la précédente.
Dans une autre forme, la forme infantile de l'atrophie musculaire progres-
sive de Duchenne, dont la nature myopathique a été démontrée par
MM. Déjerine et Landouzy, le début se fait par la face, par l'orbiculaire
des lèvres et l'orbiculaire des yeux ; d'autres muscles de la face peuvent
se prendre, mais les masticateurs et les muscles moteurs du pavillon de
l'oreille ne sont jamais affectés ; les membres supérieurs se prennent
ensuite, et les muscles qui sont primitivement et le plus profondément
atteints sont, à l'épaule : parmi les muscles intrinsèques de la région, le
deltoïde; parmi les muscles extrinsèques, les pectoraux, le grand dorsal,
la portion adductrice du trapèze, le grand dentelé, le rhomboïde ; au
bras : le biceps et le brachial antérieur, mais l'atrophie du triceps suit de
près celle des muscles précédents ; à l'avant-bras : le long supinateur; les
autres muscles du membre supérieur sont souvent envahis dans la suite,
en particulier les radiaux et le rond pronateur, mais il y en a qui résistent
plus énergiquement que les autres et, parmi ceux-ci, il faut placer au
premier rang les fléchisseurs des doigts.
Les membres inférieurs peuvent être atteints avec les progrès de la
maladie.
La forme dite juvénile d'Erb est presque identique à la précédente. La
différence essentielle consisterait en ce que la face serait ici indemne, tan-
dis qu'elle est prise dans la forme précédente.
Il y a enfin des formes de transition, dans lesquelles l'affection débute à
la fois par les membres inférieurs et les membres supérieurs ; la face peut
être prise aussi en même temps que les membres.
Nous avons indiqué, à propos de la forme infantile de Duchenne, la
participation de certains muscles du tronc qui sont en même temps des
muscles extrinsèques de l'épaule. Mais quelle que soit la forme à laquelle
on ait affaire, ces muscles se prennent avec rapidité, et le grand dorsal
est peut-être le muscle de l'économie qui est le plus souvent atteint. Par
contre, il y a certaines régions qui ne sont envahies que très rarement.
(') Il y a actuellement, à la Salpêtrière, dans le service de M. Charcot, deux malades qui sont
dans ce cas.
MYOPATHIE PROGRESSIVE PRIMITIVE 441
Signalons spécialement à ce sujet la main, où les muscles interosseux, en
particulier, sont presque toujours respectés.
Il nous paraît essentiel de faire remarquer que, en ce qui concerne la
localisation de l'affection, ce qui différencie les formes les unes des autres,
c'est la prédominance et le début de l'amyotrophie dans telle ou telle
région ; mais quelle que soit la forme que l'on considère, lorsqu'une
région est envahie, que l'invasion soit initiale ou terminale, ce sont tou-
jours les mêmes muscles qui sont atteints ; ainsi, par exemple, lorsque
dans la forme infantile de Duchenne, les membres inférieurs viennent à
être pris, la localisation de l'amyotrophie est la même que dans la para-
lyrie pseudo-hypertrophique, et inversement.
Ainsi donc, dans chaque région et dans chaque segment de membre, il
y a entre les divers muscles des différences considérables au point de vue
de leur inégale participation à la maladie, et l'on peut à cet égard les
diviser en trois catégories à chacune desquelles nous donnerons un qua-
lificatif pour fixer les idées, la catégorie des muscles prédisposés, celle
des muscles réfractaires, celle enfin des muscles intermédiaires.
Nous avons pu examiner avec détails dans le service de notre maître
M. Charcot, qui a bien voulu mettre tous ses malades à notre disposition,
dix sujets atteints de diverses formes de la myopathie.
Nous avons constaté que la répartition de l'amyotrophie correspond à
la description que nous venons de donner. Chez quelques malades, il est
vrai, la localisation de la myopathie n'est pas rigoureusement conforme
aux règles précédemment données ; c'est ainsi, par exemple, que chez le
nommé Gai., le long supinateur est en bon état, alors que les radiaux
et les extenseurs des doigs sont faibles; mais c'est là une disposition
exceptionnelle, et du reste l'anomalie n'est pas très accentuée, car, dans
les cas auxquels nous faisons allusion, ce sont des muscles intermé-
diaires qui sont pris, alors que les muscles prédisposés sont intacts ; mais
chez aucun malade on ne peut constater dans une région quelconque
l'altération d'un muscle réfractaire coïncidant avec l'intégrité d'un muscle
prédisposé.
Nous allons aborder maintenant le point qui a été particulièrement le
sujet de nos recherches.
Quelle peut être la cause de la prédisposition de certains muscles à la myo-
pathie ? ' ?
Pourquoi, au contraire, certains muscles sont-ils réfractaires à V affection ? }
Ce sont là des questions qui doivent être posées. -
La myopathie étant une maladie systématique et héréditaire (hérédité
souvent directe), il semble a priori assez légitime d'admettre qu'elle doit
exister déjà en germe dans la vie foetale. C'est là un point de vue que
M. Charcot n'a pas manqué de signaler dans ses leçons. Or, s'il en est
ainsi, il paraît vraisemblable que l'inégale participation des muscles à
l'atrophie est en relation avec les différences dans le développement de
ces muscles. Partant de cette hypothèse, nous avons fait des investigations
448 AFFECTIONS DES MUSCLES
dans cette voie, et nous sommes arrivés, comme on va le voir, à constater
que les différents muscles qui composent les différents segments du corps
présentent dans leur développement des inégalités nettement appréciables.
Un foetus de cinq mois environ nous paraît être, au point de vue qui
nous occupe, un objet d'étude favorable.
Nous devons dire immédiatement que les muscles ne nous ont pas sem-
blé présenter de différences macroscopiques appréciables. Ce n'est que
sur des coupes microscopiques que nous avons pu établir entre eux des
distinctions.
Nous avons employé dans cette étude histologique une technique bien
connue (liqueur de Muller, gomme, alcool, picrocarmin, glycérine).
Nous allons passer en revue les divers segments du corps,
Commençons par l'avant-bras, qui est particulièrement intéressant au
point de vue des différences histologiques qui existent entre les divers
muscles.
Le long supinateur est le muscle dont le développement est le plus
avancé. Les fibres musculaires sont très rapprochées les unes des autres,
la substance striée est très abondante dans chaque fibre, les champs de
Cohnheim sont peu apparents et les noyaux situés, dans la plupart des
fibres, à la périphérie, sous le sarcolemme.
Les fléchisseurs des doigts sont, au contraire, les muscles dont le déve-
loppement est le moins avancé ; les fibres sont plus espacées que dans le
supinateur, la substance striée est bien moins abondante, les champs de
Cohnheim sont bien plus apparents ('), les noyaux plus nombreux et ils
occupent dans beaucoup de fibres leur partie centrale.
Nous devons faire remarquer qu'il ne faut pas se contenter, pour soute-
nir qu'il y a une différence entre deux muscles au point de vue de leur
degré de développement, d'examiner dans ces muscles quelques fibres en
particulier. En effet, Grützner a montré que les muscles de l'homme sont
mixtes, c'est-à-dire qu'ils se composent de fibres blanches et de fibres
rouges, ou, en d'autres termes, de fibres inégalement développées Q. Il
faut donc examiner chaque muscle dans une grande étendue.
Les radiaux et le rond pronateur sont, au point de vue qui nous occupe,
intermédiaires entre le long supinateur et les fléchisseurs des doigts.
Nous pouvons, pour plus de commodité, indiquer par des chiffres le degré
de développement de chaque muscle. Si, par exemple, nous fixons au
(') Dans les fibres en voie de développement, comme dans celles qu'on peut observer il la suite de
la section des nerfs, entre autres particularités, on remarque que les champs de Cohnheim sont plus
apparents que dans les fibres adultes ou les fibres normales. Voir à ce sujet :
Des modifications que présentent les muscles il la suite de la section des nerfs qui s'y rendent, par
J. Babinski (Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, 7 février 1884).
(2) Voir, au sujet des muscles rouges et des muscles blancs :
i° Le Traité technique d'histologie de M. Hanvier, p. 466, et Archives de physiologie, 18711, p. 5.
2° Le Recueil zoologique suisse (20 septembre 1881t) zur Anatomie und Physiologie der Querge-
streiften Muskeln, von P. Grützncr.
MYOPATHIE PROGRESSIVE PRIMITIVE 44g
supinateur le chiffre 5, nous donnerons aux fléchisseurs des doigts le
chiffre 2, et aux radiaux, ainsi qu'au rond pronateur, le chiffre 3.
Passons maintenant en revue les autres régions, en employant aussi les
chiffres pour donner une idée de leur degré de développement.
Main : Muscles de l'éminence thénar, 2 ; muscles de l'éminence hypo-
thénar, 2.
Bras : Biceps, 3 ; triceps, 3.
Épaule : Muscles extrinsèques : deltoïde, 4 ; sous-épineux, 3 ; sous-
scapulaire, 3.
Muscles extrinsèques : Grand dentelé, 5 ; grand dorsal, 5 ; rhomboïde, 5 ;
portion adductrice du trapèze, 5; portion claviculaire du trapèze, 2.
Face : Orbiculaire des lèvres, 5 ; masséter, 2 ; muscles moteurs du
pavillon de l'oreille, i.
Membres inférieurs : Triceps crural, 5; triceps sural, 3; tibial anté-
rieur, 5.
Si l'on compare dans chaque segment du corps les divers muscles au
double point de vue auquel nous nous sommes placés dans ce travail, on
constate que, pour la plupart d'entre eux, il y a une corrélation intime
entre le degré de rapidité de leur développement et leur degré de prédispo-
sition à la myopathie. Aux muscles prédisposés correspondent des muscles
dont le développement est rapide, et réciproquement. C'est ainsi, par
exemple, qu'à l'avant-bras, le supinateur est un muscle à la fois prédis-
posé et à développement rapide, que les fléchisseurs des doigts sont des
muscles réfractaires et qui se développent lentement ; enfin, que les
radiaux et le rond pronateur sont intermédiaires à ces deux points de vue.
Au membre inférieur on peut faire les mêmes remarques en ce qui
concerne le triceps crural et le triceps sural. Le trapèze présente un inté-
rêt tout particulier ; la portion claviculaire de ce muscle est réfractaire,
la portion adductrice est prédisposée ; or, comme on peut le voir plus
haut, le degré de développement de la première portion est indiqué par
le chiffre 2, celui de la deuxième par le chiffre 5.
Il y a bien quelques exceptions à cette loi de corrélation, mais il est
légitime d'admettre que chez tous les sujets le développement n'est pas
toujours identique, et qu'un muscle dont le développement est générale-
ment rapide se développe parfois un peu plus tardivement, ce qui expli-
querait très bien les anomalies.
Voici maintenant deux autres questions qui peuvent être posées au
sujet des myopathies :
i° Pourquoi la myopathie débute-t-elle et prédomine-t-elle chez les divers
malades tantôt dans une région, tantôt dans une autre ?
Il est possible que le développement du système musculaire soit plus
rapide parfois dans tel segment du corps, parfois dans tel autre. Une loi,
analogue à celle qui préside à la localisation de la myopathie dans certains
BAui.NsKi. 29 9
450 '. AFFECTIONS DES MUSCLES
muscles, tiendrait ainsi sous sa dépendance la localisation de la myopa-
thie dans certaines régions. Mais ce n'est là qu'une hypothèse.
2° Quelle est la cause du développement de la myopathie ? En quoi consiste
la prédisposition de certains sujets, de certaines familles à cette affection ?
Nous venons de voir que chez les myopathiques les muscles prédisposés
sont ceux dont le développement est rapide, que les muscles réfractaires
sont ceux qui se développent tardivement. En se fondant sur cette obser-
vation, on peut supposer, croyons-nous, que la prédisposition à la myo-
pathie tient à ce que chez certains sujets le développement du système
musculaire en général est plus rapide que chez les autres. Mais ce n'est
là aussi qu'une hypothèse, etquelque séduisante qu'elle puisse être, nous
ne l'émettons que sous toutes réserves, car nous n'avons pas actuelle-
ment, pour l'étayer, de faits précis.'
En résumé, en dehors des hypothèses qu'elles peuvent suggérer, les
recherches que nous avons faites conduisent à établir une loi de corrélation
entre le degré de prédisposition des muscles à la myopathie et le degré de
rapidité de leur développement ; elles montrent ainsi qu'il existe, dans cer-
tains cas, pour le système musculaire, comme pour le système nerveux central,
un lien entre l'anatomie pathologique et l'anatomie de développement (').
(') C'est, en particulier pour les centres nerveux, le cas de la sclérose latérale amyotrophique.
II
SUR L'EXCITABILITÉ IDJO-¡JJUSCULAIRE
ET SUR LES
RÉFLEXES TENDINEUX DANS LA MYOPATHIE
PROGRESSIVE PRIMITIVE
(J. Babinski et J. Jarkowski.)
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du i" juin 1911.
On admet que dans la myopathie progressive primitive les divers
O modes de l'excitabilité musculaire s'affaiblissent en général ? simultanément et que l'état des réflexes tendineux et de l'exci-
tabilité idio-musculaire est subordonné au nombre et au volume des
fibres musculaires.
Cependant, il a déjà été noté (Landouzy et Dejerine, Erb, Marie, Guinon,
Léri) que le réflexe patellaire peut disparaître avant que le triceps crural
se soit sensiblement atrophié et que la contractilité volitionnelle se soit
manifestement affaiblie. Dejerine et Landouzy déclarent que le fait leur
parait inexplicable.
Des observations faites sur plusieurs malades atteints de dystrophie
musculaire progressive nous permettent de fournir sur ces questions quel-
ques données nouvelles.
Nous présentons un sujet chez qui on peut constatertrès nettementles
faits que nous désirons mettre en évidence.
Laissant de côté ce qui nous paraît accessoire dans son histoire clini-
que, nous nous contenterons d'énumérer les caractères que nous consi-
dérons comme essentiels.
Homme âgé de 41 ans. Le début de l'affection remonterait seulement à la vingtième
année de sa vie, d'après les renseignements qui nous sont donnés ; c'est vers cette
époque, étant soldat, qu'il aurait commencé à éprouver aux membres supérieurs
452 AFFECTIONS DES MUSCLES
et aux membres inférieurs une faiblesse qui se serait ensuite progressivement
accentuée.
Il présente actuellement l'aspect caractéristique de la myopathie à type facio-
scapulo-huméral : il a le « masque myopathique » et il marche en se dandinant.
On constate de l'amyotrophie qui, du reste, n'est pas très marquée et une diminu-
tion de la contractilité volitionnelle ; ces troubles atteignent principalement les
muscles de la racine des membres. Le malade ne peut soulever le bras au-dessus de
l'horizontale et quand il exécute ce mouvement les omoplates se détachent du tronc;
il y a de l'atrophie des deltoïdes. Les muscles du bras et les longs supinateurs sont
diminués de volume surtout à gauche. Le mouvement de flexion de l'avant-bras sur
le bras est faible surtout à gauche, mais même de ce côté le malade peut résister avec
une certaine énergie aux tractions que l'on exerce en sens inverse. L'extension de
l'avant bras sur le bras s'effectue avec un peu plus de vigueur que la flexion, et elle
est plus forte à droite qu'à gauche. La flexion et l'extension de la main et des doigts
sont à peu près normales. La flexion de la cuisse sur le bassin est faible. Les muscles
de la cuisse sont un peu atrophiés ; cependant l'extension et la flexion de la jambe sur
la cuisse, du côté droit, sans être normales, s'exécutent avec assez de force; du côté
gauche ces mouvements sont plus faibles. L'extension du pied est assez forte; la
flexion du pied au contraire est affaiblie.
L'excitabilité idio-musculaire est notablement amoindrie ou abolie dans un grand
nombre de muscles. Elle est complètement abolie, des deux côtés, dans les muscles
de l'épaule, dans le biceps brachial, le triceps crural, et du côté gauche dans le triceps
brachial. Elle est simplement amoindrie dans le triceps brachial droit, les fléchisseurs
et les extenseurs de la main et des doigts, dans les muscles du mollet et de la région
antérieure de la jambe.
Tous les muscles dont la contractilité volitionnelle est amoindrie sont plus ou
moins hypoexcitables électriquement, mais la réaction de dégénérescence fait complète-
ment défaut.
Les réflexes tendineux des biceps brachiaux et du triceps brachial gauche sont
complètement abolis; le réflexe du triceps brachial droit existe. La percussion de
l'extrémité inférieure du radius ne provoque pas de flexion à l'avant-bras, mais donne
lieu à une flexion des doigts (inversion du réflexe du radius)('). Les réflexes rotuliens
sont abolis. Les réflexes achilléens sont normaux des deux côtés.
Les réflexes cutanés, abdominaux et plantaires sont normaux.
11 n'y a pas de secousses fibrillaires.
Il n'y a pas de troubles de sensibilité.
Les viscères sont en parfait état.
Quelles sont les notions qui se dégagent de l'étude de ce malade ?
i" On est frappé d'abord par la diminution ou l'abolition de la contrac-
tilité idio-musculaire. Ce phénomène qui s'observe ici dans un grand nom-
bre de muscles a été d'ailleurs expressément signalé par Erb, Bechterew,
mais on ne lui accorde pas dans les traités classiques l'importance qu'il
nous paraît mériter. C'est un symptôme cardinal de la myopathie pro-
gressive primitive pouvant servir à différencier cette affection de l'amyo-
(') li. Thomas a observe déjà (Revue 11'euroloigue, décembre pno, p. 602), dans un cas de
myopathie à type facio-scapulo-huméral le phénomène que l'un de nous a fait connaître sous la
dénomination d'inversion du réflexe du radius (J. Babinski, Bulletins de la Société médicale des
Hôpitaux, octobre 1910, p. t85).
SUR L'EXCITABILITÉ D/0-.USCUL.t ? ? 53 ?
trophie des névrites et des poliomyélites où l'excitabilité idio-musculaire
est conservée ou même exagérée.
2° Un simple rapprochement montre ensuite que le trouble précédent
coïncide avec une perturbation des réflexes tendineux : dans les muscles
du bras et de la cuisse qui ont perdu leur excitabilité idio-musculaire,
l'excitabilité tendino-réflexe fait également défaut ; en effet, des deux
côtés, le réflexe de flexion de l'avant-bras sur le bras, le réflexe du genou
font défaut ; il en est de même du réflexe du triceps brachial gauche ; au
contraire, on peut obtenir des deux côtés une extension du pied sur la
jambe en percutant le tendon achilléen ainsi qu'une flexion de la main et
des doigts en percutant les tendons des fléchisseurs ; le réflexe du triceps
brachial droit existe également or, l'excitabilité idio-musculaire des mus-
cles des mollets, de ceux de la région antérieure des avant-bras et du tri-
ceps brachial droit est conservée.
3° En raison du lien qui semble unir la perturbation des réflexes tendi-
neux et celle de l'excitabilité idio-musculaire, nous sommes portés à pen-
ser que ces deux phénomènes ont la même origine et à admettre que l'abo-
lition des réflexes tendineux dépend dans l'espèce d'une altération propre
de la fibre musculaire ; cela nous paraît d'autant plus probable qu'il n'existe
aucun signe pouvant faire supposer la concomitance d'une lésion nerveuse.
4° Enfin, il est à remarquer que l'abolition des réflexes tendineux et de
l'excitabilité idio-musculaire s'observe dans des groupes musculaires qui
ont conservé l'excitabilité volitionnelle et l'excitabilité électrique : on voit,
en effet, que les muscles du bras et de la cuisse qui sont inexcitables par
la percussion et privés de l'excitabilité tendino-réflexe se contractent
encore assez bien sous l'influence de la volonté et de l'électricité.
On peut donc dire qu'il y a là une dissociation des divers modes de
l'excitabilité musculaire.
NEUVIÈME PARTIE
HYSTERIE-PITHIATISME
I. HYSTÉRIE-PITHIATISME.
I
DÉFINITION DE L'HYSTÉRIE
(J. BABI1VSKI.)
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 7 novembre 19 0 I .
Malgré le grand nombre des travaux dont l'hystérie a été l'objet, les
médecins ne semblent pas se faire tous une conception identique
, V de cette névrose. Dans notre Société même, composée cependant
de membres élevés pour la plupart à la même École, il y a eu plusieurs
fois des discussions tendant à montrer qu'il y a de notables différences
dans la manière dont, les uns et les autres, nous comprenons l'hystérie.
Le désaccord tient sans doute à ce que les auteurs qui ont traité de
l'hystérie n'en ont pas donné une définition suffisamment nette, que même
beaucoup d'entre eux n'ont pas cherché à la définir, semblant ainsi don-
ner raison à Lasègue, qui a déclaré que « la définition de l'hystérie n'a
jamais été donnée et ne le sera jamais ».
Or une définition étant « une énonciation des attributs qui distinguent
une chose, qui lui appartiennent à l'exclusion de toute autre » (Diction-
naire de la langue française, par Littré), soutenir que l'hystérie n'est pas
définissable équivaudrait à dire que l'hystérie ne se distingue par aucun
caractère d'autres affections nerveuses et qu'il y a lieu de rayer cette pré-
tendue névrose spéciale des cadres nosologiques. Tout médecin qui a
porté, ne serait-ce qu'une fois, le diagnostic d'hystérie, à moins d'employer
des mots qui soient pour lui dépourvus de sens, doit s'être formé au préa-
lable une idée plus ou moins nette de ce qui distingue cet état névropa-
! i58 HYSTÉRIE-PITHIATISilfE
thique, ce qui revient à dire qu'il doit au moins l'avoir définie, dans son
esprit, à sa façon.
Mais pour s'entendre sur les questions relatives à l'hystérie, qui sont
encore l'objet de discussions, il serait indispensable de posséder une
définition de cette névrose unanimement admise et qui de plus fût claire
et précise. Ces dernières conditions seront remplies si l'on arrive à déter-
miner des caractères faciles à observer, communs à toutes les manifesta-
tions de l'hystérie et qui leur soient exclusivement propres.
Pour atteindre ce but, il faut passer en revue les divers syndromes que
tous les médecins s'accordent à appeler hystériques, les analyser et les
rapprocher des divers troubles nerveux que l'on est unanime à séparer de
l'hystérie.
Considérons les grandes manifestations de l'hystérie, les crises ner-
veuses, les paralysies, les contractures, les anesthésies. Quels en sont les
attributs communs ? On peut dire que ces divers troubles sont purement
fonctionnels, mentaux, qu'ils sont susceptibles d'être provoqués par des
causes psychiques, de se succédersous différentes formes chez les mêmes
sujets, qu'ils ne retentissent pas gravement sur la nutrition générale et
sur l'état mental des malades qui en sont atteints.
Mais est-on en droit, comme certains auteurs l'ont pensé, de se servir
de ces caractères pour définir l'hystérie ?
Tel n'est pas mon avis, car aucun d'eux n'appartient exclusivement à
cette névrose. Il existe, en effet, bien d'autres affections qui sont fonction-
nelles, mentales. L'hystérie n'est pas seule susceptible d'être provoquée
par des causes psychiques ; les commotions morales peuvent exercer une
influence sur la genèse de troubles mentaux indépendants de l'hystérie,
elles sont même capables de faire apparaître chez les diabétiques des acci-
dents nerveux et de déterminer des troubles circulatoires graves chez les
sujets atteints de lésions vasculaires ; c'est ainsi que l'hémorragie céré-
brale peut être consécutive à une vive émotion. De même que l'hystérie,
la goutte peut se manifester par des accidents variés qui se succèdent et
se substituent les uns aux autres ; c'est là une notion si bien établie qu'il
est inutile d'insister sur ce point. Enfin il y a d'autres affections nerveuses
qui ne retentissent pas gravement sur la nutrition générale et sur l'état
mental des malades ; la neurasthénie peut durer des années sans amener
aucun trouble de la nutrition ; il en est de même de la maladie du doute,
qui n'apporte aucune perturbation dans l'état général et n'affaiblit pas les
facultés intellectuelles.
Il faut donc poursuivre l'examen et rechercher d'autres caractères, à la
fois communs à toutes les manifestations hystériques et spéciaux à l'hys-
térie.
La possibilité d'être reproduits par suggestion avec une exactitude
rigoureuse chez certains sujets et de disparaître sous l'influence exclu-
sive de la persuasion me paraissent être des caractères de ce genre. Mais
avant de chercher à le prouver, je crois indispensable d'indiquer le sens
qu'il faut, selon moi, donner à ce mot « suggestion », qui, comme le mot
DÉFINITION DE L'HYSTÉRIE 45g
« hystérie », ne me semble pas avoir été défini avec une précision suffi-
sante.
Le mot « suggestion » signifie généralement, dans le langage courant,
« insinuation mauvaise » (Dictionnaire de la langue française, par Littré).
Dans le sens médical, ce mot me paraît exprimer l'action par laquelle on
cherche à faire accepter à autrui ou à lui faire réaliser une idée manifes-
tement déraisonnable. Par exemple, dire à quelqu'un qui se trouve dans
un endroit obscur qu'il est entouré de flammes éblouissantes constitue
de la suggestion, car cette idée est en désaccord flagrant avec l'observa-
tion ; soutenir à un individu dont les muscles fonctionnent d'une manière
normale qu'il est paralysé d'un bras, que désormais il ne pourra plus le
remuer est encore de la suggestion, car cette affirmation est contraire au
bon sens. Si ces idées sont acceptées, si l'hallucination visuelle ou si la
monopolégie brachiale est réalisée, on peut dire que le sujet en expé-
rience a subi la suggestion, qu'il a été suggestionné. Le mot « sugges-
tion » doit donc impliquer que l'idée qu'on cherche à insinuer est dérai-
sonnable. En effet, si on ne donnait pas à ce terme ce sens spécial, il serait
synonyme de persuasion ; c'est cette confusion, du reste, que l'on commet
quand on prétend obtenir des guérisons par suggestion. Déclarer à un
malade atteint d'une paralysie psychique que ce trouble est purement
imaginaire, qu'il peut disparaitre instantanément par un effort de volonté,
et obtenir ainsi la guérison n'est pas une suggestion, bien au contraire,
car l'idée émise, loin d'être déraisonnable est éminemment sensée; le
médecin en agissant ainsi, loin de chercher à suggestionner le malade,
tend à annihiler la suggestion où l'autosuggestion cause de la maladie.
Il n'agit pas par suggestion, mais par persuasion.
Ainsi donc, comme je le disais plus haut, je soutiens que tous les grands
accidents hystériques, toutes les variétés de paralysies, de contractures,
d'anesthésies, toutes les formes d'attaques peuvent être reproduits par
suggestion chez certains sujets, en particulier chez les grands hypnoti-
ques ; cette reproduction est rigoureusement exacte et il est impossible de
distinguer les troubles hystériques de ceux qui sont créés par la sugges-
tion expérimentale, ce qui conduit à admettre qu'ils résultent d'une auto-
suggestion. Au contraire, aucune des affections actuellement bien classées
hors du cadre de l'hystérie ne peut être reproduite par suggestion ; il est
tout au plus possible d'en obtenir par ce moyen une imitation très impar-
faite, qu'il est facile de distinguer de l'original f ). Que l'on essaie par
exemple de reproduire chez un grand hypnotique l'hémiplégie faciale
périphérique, la paralysie radiale vulgaire, le sujet en expérience, quelle
que soit sa suggestibilité et quelle que soit la patience de l'expérimenta-
teur, ne parviendra jamais au but qu'on se propose de lui taire atteindre ;
il ne sera pas en son pouvoir de réaliser l'hypotonicité musculaire d'où
dérive la déformation caractéristique de la face dans la paralysie du nerf
(') J'ai déjà développé cette idée dans mon travail sur la migraine ophtalmique hystérique, paru
en 1891 dans les Archives de Neurologie.
46o HYSTÉRIE-PITIIIATISME
facial ; il sera incapable aussi de dissocier dans le mouvement de flexion
de l'avant-bras sur le bras l'action du long supinateur de celle du biceps,
comme le fait la paralysie radiale.
De même que tous les grands accidents hystériques peuvent être repro-
duits par suggestion, ils sont tous susceptibles de disparaître sous l'in-
fluence exclusive de la persuasion ; il n'y a pas un seul de ces accidents qu'on
n'ait vu parfois s'éclipser en quelques instants après la mise en oeuvre d'un
moyen propre à inspirer au malade l'espoir de la guérison ('). Aucune
autre affection ne se comporté de cette manière et, si l'on n'a pas l'expé-
rience de ce mode de traitement, on est même surpris des échecs que l'on
essuie quand on cherche à guérir par persuasion certains malades sur les-
quels ce moyen semble a pri01'idevoir agir efficacement. Voici, par exem-
ple, un sujet atteint de la maladie du doute bien caractérisée et tour-
menté par des phobies diverses ; c'est, du reste, un homme intelligent,
n'ayant aucune idée délirante, se rendant parfaitement compte de l'absur-
dité des pensées qui l'obsèdent, sachant bien que ses craintes ne se réa-
liseront pas et animé d'un ardent désir de se débarrasser d'un trouble
qui rend sa -vie intolérable ; admettons de plus que ce malade soit hypno-
tisable. Il semble vraiment qu'un cas de ce genre réunisse les meilleures
conditions pour guérir sous l'influence de la persuasion. Or l'observation
vient donner un démenti à ces vues préconçues ; la persuasion pourra
procurer à ce malade un peu de calme, mais elle est incapable de le gué-
rir. Il n'y a pas une seule affection nerveuse bien définie et située hors
des limites de l'hystérie que la psychothérapie seule soit en mesure de
faire disparaître ; si son intervention est utile, ce que je reconnais volon-
tiers, elle n'est pas suffisante : ce qui le prouve bien, c'est que jamais,
dans les cas de cet ordre, la persuasion n'est suivie d'une guérison immé-
diate. On a affaire, par exemple, à un neurasthénique, qui, alarmé de son
affaiblissement cérébral, est tourmenté par de sombres pensées, des idées
hypocondriaques qu'il ne peut pas chasser ; il se voit menacé de folie et
cette obsession, qui constitue un véritable travail de l'esprit, aggrave les
phénomènes neurasthéniques. Si l'on arrive à persuader au malade que
ses craintes ne sont pas fondées et qu'il doit nécessairement guérir, on
procure à son esprit le repos qui lui est indispensable et on accélère ainsi
le retour à l'état normal. En réalité, la psychothérapie a rendu service,
elle a eu pour résultat d'empêcher la neurasthénie de s'accentuer, mais
elle n'a pas été le seul agent, la guérison a nécessité l'adjonction d'autres
moyens, en particulier d'un repos cérébral plus ou moins prolongé.
Tout ce qui précède s'applique aux accidents que j'appelle primitifs, de
beaucoup les plus importants, du reste, les anesthésies, les paralysies,
les contractures, les crises, etc., qui sont susceptibles d'apparaître sans
avoir été précédés d'autres manifestations de l'hystérie. Je crois qu'il est
légitime d'appeler encore hystériques des troubles qui, sans présenter les
(') Voir : Hypnotisme et Hystérie. Du rôle de l'hypnotisme en thérapeutique. Leçon faite à la
Salpêtrière, par J. Babinski, et publiée en 8gi dans la Gazette hebdomadaire.
DÉFINITION DE L'HYSTÉRIE G6
caractères des accidents primitifs, sont liés d'une façon très étroite à un
de ces accidents et lui sont subordonnés ; mais il faut ajouter à ces trou-
bles l'épithète de secondaires. L'atrophie musculaire dans l'hystérie (') est
le type du genre : elle n'apparrait jamais primitivement ; la suggestion ne
peut la faire naître ; elle est liée à la paralysie ou à la contracture hysté-
rique qu'elle ne précède jamais, dont elle est la conséquence et elle ne
tarde pas à disparaître quand la fonction musculaire est redevenue nor-
male. Ce sont là les caractères dont la réunion peut servir à définir les
troubles secondaires ; c'est parce qu'ils sont intimement liés à des phé-
nomènes hystériques primitifs qu'on doit les rattacher à l'hystérie.
Mais, me dira-t-on peut-être, jusqu'à présent vous avez cherché à défi-
nir les accidents hystériques ; comment définissez-vous l'hystérie elle-
même ? Je répondrai que l'hystérie sans manifestations hystériques est en
quelque sorte une abstraction ; on peut dire que c'est un état d'esprit en
vertu duquel on est apte à présenter des manifestations hystériques.
En résumé, voici la définition que je propose :
L'hystérie est un état psychique rendant le sujet (qui s'y trouve capable de
s'auto-suggestionner.
Elle se manifeste principalement par des troubles primitifs et accessoire-
ment par quelques troubles secondaires.
Ce qui caractérise les troubles primitifs, c'est qu'il est possible de les repro-
duire par suggestion avec une exactitude rigoureuse chez certains sujets et
de les faire disparaître sous l'influence exclusive de la persuasion.
Ce qui caractérise les troubles secondaires, c'est qu'ils sont étroitement
subordonnés à des troubles primitifs(').
Comme on vient de le voir, j'ai été conduit à déterminer les attributs
qui sont propres à l'hystérie et qui, par conséquent, la définissent par une
analyse comparative des divers troubles sur la nature desquels il n'y a
plus de discussion, que l'on s'accorde à classer les uns dans le cadre de
l'hystérie, les autres en dehors de ce cadre.
Pour ce qui concerne les troubles qui sont l'objet de discussions, j'es-
(') Voir à ce sujet : De l'atrophie musculaire dans les paralysies hystériques, par J. Babinski.
Travail publié en 1886 dans les Archives de Neurologie.
(i) Dans mon travail intitulé « Hypnotisme et Hystérie », que j'ai mentionné plus haut, j'ai déve-
loppé la thèse que lés phénomènes hypnotiques sont de même essence que les phénomènes hysté-
riques ; cette idée ressort aussi de ma définition de l'hystérie. Mais je voudrais être plus précis et
déterminer avec exactitude le lien qui unit l'hystérie à l'hypnotisme. On peut définir l'hypnotisme de
la manière suivante :
L'hypnotisme est un état psychique rendant le sujet qui s'y trouve susceptible de subir la suggestion
d'autrui.
Il se manifeste par des phénomènes que la suggestion fait naître, que la persuasion fait disparaître et
qui sont identiques aux accidents hystériques.
Les manifestations de l'hystérie sont donc exactement semblables à celles de l'hypnotisme. Ce qui
distingue ces deux états c'est que dans le premier les troubles sont le résultat de l'autosuggestion,
qu'ils sont dus, dans le second, a la suggestion d'autrui et cèdent plus facilement à la persuasion ;
l'hystérique est en quelque sorte actif, l'hypnotique est passif. Mais, à la vérité, cette distinction est
quelque peu artificielle, car généralement un sujet qui est susceptible de subir la suggestion d'autrui
est capable de s'autosuggestionner à l'occasion, et réciproquement.
462 IIYSTI : IiIE ? ITlllatl'IS91E
time qu'il y a simplement lieu de rechercher s'ils possèdent ou non les
caractères de la définition proposée; c'est tout bonnement une question
d'observation et d'expérimentation cliniques.
Je prévois une objection que l'on pourrait me faire. Il n'est pas rare
d'observer des cas d'hystérie incontestable se manifestant par des crises
ou quelque autre accident bien caractérisé qui sont réfractaires à la per-
suasion, au moins en apparence, soutiendra-t-on pour ce motif que
l'hystérie n'est pas en cause ? Je ne prétends pas, répondrai-je, qu'on soit
toujours sûr de guérir par persuasion les manifestations hystériques, je
dis seulement qu'elles sont toutes susceptibles de guérir par ce moyen et
si, dans un cas donné, malgré l'échec essuyé par la psychothérapie, j'affirme
qu'il s'agit d'hystérie, c'est que j'ai observé au préalable d'autres cas ayant
un aspect clinique identique et tout à fait spécial, que j'ai pu reproduire
par suggestion et faire disparaître par persuasion. Pour préciser ma pen-
sée, je prendrai un exemple. Soit un malade atteint d'une monoplégie
brachiale flasque et complète, de plusieurs mois de durée ; les réflexes
tendineux et osseux du membre paralysé sont normaux et les muscles ne
présentent pas la D R ; nous pouvons affirmer, même si les tentatives
psychothérapiques ont échoué, que la monoplégie est hystérique ; en
effet, si elle dépendait d'une lésion cérébrale, le membre devrait être
contracturé et les réflexes tendineux exagérés ; si elle était due à une
névrite, les réflexes tendineux seraient affaiblis ou abolis et il y aurait de
la D R ; aucune autre cause que l'hystérie ne peut produire une paralysie
de ce genre ; mais si nous sommes arrivés à cette notion, c'est que nous
avons auparavant observé des cas de monoplégie ayant les mêmes carac-
tères cliniques, qu'il nous a été possible de guérir exclusivement à l'aide
de la persuasion et que nous avons été en mesure de reproduire par sug-
gestion la même forme de monoplégie. Je demande qu'on procède de la
même manière en présence d'un trouble encore non classé qu'on veut
faire entrer dans le cadre de l'hystérie ; qu'on le reproduise d'abord par
suggestion, qu'on le guérisse, au moins dans un cas, par persuasion, et
que l'on démontre qu'il a des caractères cliniques spéciaux, distinctifs ;
on sera ensuite, mais alors seulement, en droit, en présence d'un nou-
veau cas identique, de diagnostiquer l'hystérie, même si le traitement
psychique reste sans effet. Du reste, j'ajouterai que, dans les cas d'hysté-
rie où la psychothérapie ne semble pas donner de résultats, l'échec est
toujours dû à ce que l'autosuggestion ou la suggestion plus ou moins
consciente de l'entourage vient contre-balancer ou annihiler la persua-
sion du médecin ; s'il est possible de placer le malade dans des condi-
tions qui entravent cette action pernicieuse, on arrive généralement à le
guérir.
Ce que je viens de dire s'applique aux accidents primitifs. La défini-
tion que j'ai donnée des accidents hystériques secondaires suffit pour
connaître les conditions qu'un trouble doit remplir afin d'être admis dans
ce groupe. Je le répète, pour éviter tout malentendu. il est nécessaire que
la relation de cause à effet entre les troubles en question et une manifes-
DÉFINITION DE L'HYSTÉRIE 463
tation hystérique primitive s'impose ; il est indispensable que le lien
entre l'accident primitif et l'accident secondaire soit intime et il faut bien
se garder de se laisser tromper par de simples coïncidences. Si, par
exemple, on n'avait observé qu'une seule fois l'amyotrophie liée à la para-
lysie hystérique, malgré l'apparition de l'atrophie musculaire très peu de
temps après le début de la paralysie et la disparrition rapide de l'atro-
phie suivant de très près la guérison de la paralysie, il eût été impossible
d'affirmer l'existence d'une amyotrophie hystérique ; ce n'est qu'à la
suite de nombreuses observations identiques que l'affirmation a été per-
mise.
C'est en m'appuyant sur ces idées que je soutiens depuis longtemps,
contrairement à la plupart de mes collègues, que l'exagération des réflexes
tendineux ne peut être provoquée par l'hystérie ('). Je dis qu'il est impos-
sible d'exagérer par suggestion les réflexes tendineux et de ramener à
l'état normal par la persuasion des réflexes tendineux exagérés ; donc ce
phénomène ne peut être rangé dans le groupe des manifestations hysté-
riques primitives. Je dis de plus qu'il n'existe pas de faits bien nets où
une exagération des réflexes tendineux aurait accompagné une paralysie
hystérique et aurait disparu après la guérison, que, par conséquent, on
n'est pas autorisé à considérer ce phénomène comme un accident hysté-
rique secondaire. J'en dirai autant du phénomène des orteils, de l'immo-
bilité pupillaire, de la paralysie limitée au territoire d'un nerf, comme,
par exemple, la paralysie du moteur oculaire commun ou la paralysie du
moteur oculaire externe. Les observations de ce genre qu'on a publiées
et qui ont été rangées dans l'hystérie sont loin d'être démonstratives
selon moi, car elles ne remplissent pas les conditions exigées.
La définition que je viens de donner me parait tout à fait satisfaisante
au point de vue nosographique, car, parmi les affections névropathiques
et mentales, il n'y en a pas une autre de laquelle on puisse tracer des
traits distinctifs aussi spéciaux. Elle me semble aussi inattaquable au
point de vue pratique ; n'est-il pas essentiel, en effet, de réunir dans un
même groupe tous les troubles sur lesquels la persuasion peut avoir
une pareille action et d'en éliminer tous ceux qui sont privés de cette
propriété ? z
On est même en droit de dire que l'hystérie ainsi définie est l'affection
mentale qu'il importe le plus au point de vue du traitement de savoir
reconnaître, car un trouble hystérique peut guérir rapidement, instanta-
nément, sous l'influence des pratiques de la persuasion mises en oeuvre
avec habileté, ou durer des années, la vie entière, suivant que sa nature
est reconnue ou méconnue.
Si l'on m'objectait que ma délimitation de l'hystérie est arbitraire, voici
ce que je répondrais. Il est, comme je l'ai déjà dit, légitime et même utile
de faire avec les troubles présentant les caractères sur lesquels je viens
(') Voir : Contracture organique cl hystérique, par J. Babinski, Société médicale, 5 mai 8g3, et
aussi Diagnostic différentiel de l'hémiplégie organique et de l'hémiplégie hystérique, parJ. Babinski.
Leçon publiée dans la Gazelle des Hôpitaux, 5 et 8 mai igoo.
464 ' IlYSTf;RIE-PITII1.1TISME
d'insister un groupe nosologique spécial, quelle que soit l'étiquette qu'on
y applique. On pourrait, en se servant d'un néologisme, leur donner la
dénomination de troubles pithiatiques('), qui exprimerait au moins l'un
de leurs caractères distinctifs et dissiperait tout malentendu ; il serait en
effet impossible de confondre dans une classification des phénomènes
dénommés « pithiatiques », c'est-à-dire guérissables par la persuasion, avec
des accidents que la persuasion ne peut faire disparaître. Si je me sers
du mot hystérie, quoiqu'il fût plus raisonnable d'abandonner l'usage d'un
terme qui n'a plus pour personne son sens primitif et étymologique, c'est
pour ne pas rompre trop brusquement avec la tradition. Mais si l'on conti-
nue à appeler hystériques ces troubles dont la propriété essentielle est leur
dépendance intime de la suggestion et de la persuasion, il est logique de
refuser cette épithète à des manifestations qui n'ont pas cet attribut; il
est logique, en effet, de ne pas désigner par un même mot deux choses
profondément différentes.
J'espère avoir bien fait comprendre ma pensée et, comme il me parait
essentiel de s'entendre une fois pour toutes sur la définition de l'hystérie,
j'invite mes collègues, s'ils n'acceptent pas celle que je propose, à nous
faire connaître leur manière de concevoir l'hystérie et à indiquer le sens
qu'ils attachent à ce mot, c'est-à-dire à la définir à leur tour.
z) Les mots grecs « ? Où' » et « iixto; » signifiant le premier « persuasion », le second « guéris-
sable », le néologisme « pithiatisme » pourrait fort bien désigner l'état psychique qui se manifeste
par des troubles guérissables parla persuasion et remplacerait avantageusement le mot « hvstérie ».
L'adjectif « pithiatique » serait substitué à « hystérique ».
II
MA CONCEPTION DE L'HYSTÉRIE ET DE L'hypnotisé
(PITHIATISME)
(J. Babinski).
Conférence faite à la Société de l'internat des Hôpitaux de Paris
séance du 28 juin igo6.
Ainsi que l'indique le titre de cette conférence, ma manière de conce-
voir l'hystérie et l'hypnotisme diffère de la doctrine classique. Si mes
- i. idées sur ce sujet sont connues de la plupart des neurologistes et ac-
ceptées déjà par quelques-uns d'entre eux, comme MM. Dutil etLaubry, au-
teurs de l'article « Hystérie », paru dans la deuxième édition du Traité
de Médecine de Charcot-Bouchard-Brissaud, elles sont ignorées générale-
ment des médecins qui ne se sont pas spécialisés dans l'étude des mala-
dies nerveuses. C'est pour m'aider à les propager que notre président,
M. Vaquez, en qui j'ai un ami sincère et dévoué, m'a invité à venir les
exposer devant vous ; je tiens d'abord à lui en exprimer toute ma reconnais-
sance.
Anciennement, les médecins avaient cru remarquer qu'il existait un
groupe de manifestations nerveuses intimement liées à une perturbation
dans le fonctionnement de l'appareil génésique de la femme et provenant,
soit de l'abus des plaisirs vénériens, soit d'une continence excessive. Ils
avaient cherché à mettre ce caractère en évidence en appelant « Hystérie »
de j7 ? e utérus, ce groupe nosologique, et il est incontestable que si la
relation énoncée par eux était réelle, la névrose dontnous nous occupons
serait ainsi définie convenablement et dénommée d'une manière très
expressive. Mais une observation plus rigoureuse des faits conduisit plus
tard à reconnaitre que les divers troubles dits « hystériques » apparais-
saient aussi chez des femmes fort bien pondérées au point de vue sexuel
et que, par conséquent, la notion primitive était inexacte ; néanmoins, on
conserva le terme « hystérie » parce que cette affection semblait tout au
3AllIS9Sl. Où
466 Il YS TÉRIË-PITIIIA TIS21[Ë
moins l'apanage du sexe féminin. Enfin, mon illustre maître Charcot prouva
la fausseté de la conception transmise par ses prédécesseurs en montrant
que les phénomènes névropathiques en question étaient communs chez
l'homme, chez l'enfant, avant la puberté, et même chez le vieillard, après
l'extinction de la vie génésique.
Il aurait été logique d'éliminer alors du vocabulaire médical un terme
propre à entretenir' la confusion, mais l'habitude était prise et malgré les
erreurs d'interprétation commises autrefois, il n'en restait d'ailleurs pas
moins établi que les troubles nerveux appelés hystériques avaient un
cachet particulier et qu'ils devaient être rangés dans une classe spéciale
à laquelle on pouvait, à la rigueur, conserver la même dénomination, à
condition de prévenir qu'elle avait perdu son sens étymologique.
S'il n'est pas absolument nécessaire de supprimer le mot hystérie, il
est indispensable de le définir à nouveau, puisqu'on est obligé d'aban-
donner la définition primitive fondée sur une idée erronée.
Mais, il est facile de constater, en lisant les ouvrages consacrés à l'étude
de cette névrose, l'embarras des auteurs à cet égard. Un médecin émi-
nent Lasègue, frappé par l'imperfection des définitions qui avaient été
proposées, et se jugeant, sans doute, incapable d'en donner une qui le
satisfit, déclara que « la définition de l'hystérie n'avait jamais été donnée
et qu'elle ne le serait jamais ». Je suis surpris qu'un esprit aussi distin-
gué, un observateur aussi fin, un Maître qui, avant de se livrer aux étu-
des biologiques, avait professé la philosophie, ait commis une pareille
faute de logique. Dire que des mots, qu'on a, du reste, la prétention de
conserver, ne peuvent être définis, c'est soutenir que les mots précèdent
les idées Que penserait-on d'un naturaliste qui s'avouerait incapable de
définir une espèce zoologique dont il admettrait la réalité ? Qu'on y réflé-
chisse un peu. C'est seulement quand on a cru découvrir un objet se dis-
tinguant par quelque caractère des objets déjà connus que l'on songe à
le désigner d'un mot nouveau et la définition de ce mot consiste simple-
ment dans l'énonciation des attributs qui semblent appartenir en propre
à cet objet. Si l'hystérie ne pouvait être définie, c'est qu'elle se confon-
drait avec d'autres névroses et il n'y aurait qu'à la rayer des cadres noso-
logiques. Si, au contraire, on estime que l'hystérie a des attributs spé-
ciaux, on peut et on doit la définir. Telle est l'alternative à laquelle on est
nécessairement amené et je crois qu'aucun neurologiste n'hésitera à
opter pour la deuxième de ces deux propositions.
Aussi, la plupart des médecins qui ont écrit sur l'hystérie n'ont pas
contesté la possibilité d'une définition, mais ils ne se sont pas estimés en
mesure de l'énoncer avec précision.
L'hystérie, suivant l'opinion la plus répandue, devrait surtout son cachet
à un assemblage particulier de symptômes dont aucun ne serait absolu-
ment caractéristique, et il ne serait possible de la définir qu'en la décri-
vant au moins succinctement et en montrant comme s'unissent les uns
aux autres les éléments qui la composent.
On dit généralement que l'hystérie se manifeste par deux ordres de
CONCEPTION DE L'HYSTÉRIE ET DE L'HYPNOTISME 467
troubles, les uns permanents, les stigmates, les autres transitoires.
Les stigmates, auxquels on attache une grande importance, auraient
pour caractère, outre leur fixité, de se développer d'habitude à
l'insu du malade ; ce sont l'anesthésie du fond de la gorge, l'hémia-
nesthésie sensitivo-sensorielle consistant, quand elle est bien déve-
loppée, en une abolition des divers modes de la sensibilité générale,
une diminution unilatérale de l'acuité des sens spéciaux, en parti-
culier de la vision, avec rétrécissement concentrique du champ visuel,
diplopie ou polyopie monoculaire, et une dyschromatopsie qui, contraire-
ment à celle qu'on observe dans le tabès et dans l'alcoolisme, porterait
sur le bleu et sur le violet, tandis que la perception du rouge resterait
normale ; mentionnons encore parmi les stigmates les divers points dou-
loureux, tels que le clou hystérique de la tête et l'hyperesthésie ovarienne.
Les crises ou attaques, les paralysies, les contractures, l'aphonie, le
mutisme, etc., constitueraient les manifestations transitoires, mobiles,
apparaissant d'habitude brusquement sous l'influence d'une émotion, dis-
paraissant, après avoir duré quelque temps, d'une manière soudaine ou
rapide, susceptibles de se substituer les unes aux autres et n'exerçant
ordinairement aucune action notable sur l'état général.
Telle est la conception classique de l'hystérie, la manière dont on la
définit. Il en résulte que, lorsqu'on a constaté chez un malade un trouble
présentant un des caractères attribués aux manifestations hystériques
transitoires, on s'empresse de rechercher les stigmates ; si on les trouve,
on n'hésite plus; le trouble est considéré comme hystérique. Beaucoup de
médecins ne sont même pas si exigeants ; quand un symptôme leur paraît
difficile à interpréter et ne peut être rangé, à leur avis, dans aucun autre
groupe nosologique, il leur suffit, pour l'appeler hystérique, que le malade
chez qui ils l'observent présente les stigmates de la névrose.
En procédant ainsi, on a été amené à classer dans l'hystérie les phéno-
mènes les plus variés. Vous aurez une idée de l'étendue du domaine qu'on
lui assigne lorsque je vous aurai mentionné les divers troubles qu'on lui
attribue ; en voici l'énumération succincte.
Ce sont d'abord, sans compter les attaques et les anesthésies dont il a
été déjà question, les paralysies qui pourraient revêtir toutes sortes
d'aspects, reproduire les traits de l'hémiplégie et des monoplégies céré-
brales, ainsi que ceux des paraplégies spinales, qui seraient aussi suscep-
tibles de se localiser sur les nerfs et de présenter les caractères des para-
lysies périphériques, par exemple ceux de la paralysie radiale, de la
paralysie de la 3e paire ou de la 6e paire. On a décrit aussi des névralgies
hystériques, en particulier des névralgies sciatiques.
L'hystérie serait capable de donner lieu à des troubles mentaux qui
deviendraient parfois des plus graves et constitueraient ce qu'on a appelé
la « folie hystérique » décrite en détail dans le Traité, si justement appré-
cié, des maladies mentales de Morel.
L'appareil de la vision est considéré comme payant un large tribut à
l'hystérie ; outre la diminution de l'acuité visuelle, le rétrécissement du
468 HYSTËRIE-PITHIATIS;11Ê
champ visuel, les paralysies oculaires, déjà signalés, on observerait aussi
parfois de l'immobité pupillaire pendant les attaques et, en dehors même
des attaques, l'hystérie pourrait provoquer de l'inégalité des pupilles et
de la mydriase avec abolition des réflexes.
Des troubles cutanés et vaso-moteurs seraient fréquemment engendrés
par la névrose qui nous occupe, si l'on s'en rapporte aux données clas-
siques ; elle donnerait lieu à des érythèmes, des hémorragies, des phlyc-
tènes, des bulles, des ulcérations et même des gangrènes; on a publié de
nombreuses observations d'oedème hystérique et en particulier d'oedème
bleu.
Du côté de l'appareil respiratoire on a décrit l'aphonie, le mutisme, le
spasme glottique, l'oedème de la glotte, les congestions pulmonaires, les
hémoptysies.
Du côté de l'appareil cardiaque, on a rapporté des faits d'angine de
poitrine, de tachycardie et de pouls lent.
L'hystérie se manifesterait à l'estomac par des gastralgies, des vomis-
sements et des hématémèses.
La polyurie, l'anurie, les hématuries, l'albuminurie, l'incontinence et la
rétention d'urine pourraient être aussi des manifestations de cette
névrose.
Enfin, la fièvre hystérique a été décrite depuis longtemps et récem-
ment encore on en a relaté des cas qui ont été considérés comme indiscu-
tables.
Vous voyez que cette liste, qui, d'ailleurs, n'est pas absolument
complète, est fort longue et que, d'après l'opinion généralement admise,
l'hystérie serait en mesure de se manifester de toutes les façons. Charcot
avait dit que l'hystérie est « la grande simulatrice » ; on a renchéri sur
cette proposition et on en a altéré le sens en soutenant que « l'hystérie
peut tout faire ». Du reste, cette idée, que beaucoup de médecins énoncent
volontiers leur parait conforme à leur conception un peu nuageuse de
l'hystérie, suivant laquelle cette affection serait causée par un agent
d'une essence inconnue, mais capable d'atteindre chacune des diverses
parties du système nerveux et de produire ainsi des désordres variant avec
le siège du mal. ' .
Messieurs, je vais maintenant soumettre à la critique les notions dont
je viens de faire l'exposé.
Envisageons d'abord les stigmates qui, d'après la doctrine classique,
auraient une importance fondamentale. La fixité en constituerait l'un des
deux caractères essentiels. Eh bien, je me crois en droit de m'inscrire en
faux contre cette assertion ; depuis de nombreuses années, chaque fois
que je me trouve en présence d'un malade atteint d'hémianesthésie, de
rétrécissement du champ visuel, je m'applique à faire disparaître ces trou-
bles et je puis dire que, sauf dans quelques cas exceptionnels où j'ai été
en face de « professionnels » de l'hystérie, pour lesquels cet état est un
gagne-pain, et qui sont plutôt des simulateurs que des malades, je suis
CONCEPTION DE ? yS7'E/E ET DE L'HYPNOTISME 469
toujours arrivé au but que je visais. Lorsque j'ai devant moi un hystérique
atteint d'anesthésie générale ou d'hémianesthésie, quelque complète
qu'elle soit à première inspection, chez qui l'expérience habituelle consis-
tant à lui traverser les téguments avec des aiguilles semble avoir démon-
tré une abolition des perceptions douloureuses, je procède de la manière
suivante : j'applique à l'improviste sur la pulpe des doigts, région parti-
culièrement sensible, les deux électrodes d'un petit appareil volta-faradi-
que fonctionnant au maximum; je constate alors, dix-neuf fois sur vingt,
que l'individu en expérience fait une grimace dénotant la perception dou-
loureuse et qu'il retire sa main. Parmi ces sujets, les uns refusent de se
laisser électriser à nouveau et vont chercher asile dans quelque autre ser-
vice, dont les appareils électriques soient en réparation ; les autres, et
c'est, je dois le dire, le plus grand nombre, reconnaissent qu'ils ont senti
l'excitation pratiquée ; je renouvelle alors l'expérience en leur affirmant
que mon procédé est infaillible pour guérir l'anesthésie et, comme je l'ai
dit, j'arrive presque toujours au résultat cherché, en très peu de temps,
bien souvent séance tenante. Par des procédés analogues, j'obtiens tout
aussi aisément la disparition du rétrécissement du champ visuel, de la
dyschromatopsie et de l'insensibilité de la gorge, qui, soit dit en passant,
est appelée à tort « abolition du réflexe pharyngé », car l'excitabilité-
réflexe n'est jamais abolie dans ce cas.
Les stigmates se développeraient à l'insu du malade et ce serait là leur
second caractère cardinal. Je suis d'avis que ces phénomènes sont le pro-
duit de l'autosuggestion, ou plutôt de la suggestion inconsciente du
médecin, ainsi, du reste, que cela a déjà été soutenu par le D" Bernheim,
de Nancy. L'interrogatoire du malade, les questions qu'on lui pose ordi-
nairement, quand on explore l'état de la sensibilité, peuvent suffire pour
éveiller dans son esprit l'idée d'une hémianesthésie ou d'un trouble
visuel ; il est donc essentiel de prendre toutes les précautions pour évi-
ter cet écueil.
Voici comment je me comporte pour me mettre, autant que possible, à
l'abri de cette cause d'erreur. Je me garde d'examiner ces malades les uns
devant les autres et d'entretenir, en leur présence, mes élèves, des symp-
tômes que l'on peut observer dans l'hystérie ; j'agis avec la même cir-
conspection, même si le sujet est en crise et en apparence inconscient.
sachant fort bien qu'en pareil cas son inconscience n'est pas réelle, que
l'on a affaire plutôt à un état de subconscience et que ce qui se dit alors
devant lui peut être parfaitement enregistré par son intelligence. Avant
d'explorer la sensibilité, je me contente de recommander au malade de me
prévenir dès qu'il aura perçu une sensation de contact, de piqûre, ou
toute autre impression ; puis, après lui avoir fait fermer les yeux, j'ap-
plique sur diverses parties des téguments, tantôt à gauche, tantôt à
droite un pinceau de blaireau, la pointe d'une épingle, des corps chauds
et des corps froids, ensuite je fais exécuter des mouvements passifs aux
segments des membres supérieurs et des membres inférieurs, et enfin, je
fais palper par le malade des objets ayant des formes diverses. Si je n'en
470 ' ? II YS T l Il 1 E - P 1 T Il LI TI S JI E
obtiens pas une réponse immédiate, je me contente de lui dire : « Que
sentez-vous, qu'est-ce que je viens de faire ? », et jamais je ne lui pose
ces questions : « Sentez-vous ce que je fais ? » ou encore : « Sentez-vous
aussi bien d'un côté que de l'autre ? », car ce dernier mode d'interroga-
toire peut déjà être le point de départ d'une suggestion. Depuis de nom-
breuses années que j'ai adopté cette méthode, je n'ai pas constaté un
seul cas d'hémianesthésie chez les sujets qui, avant de me consulter,
n'avaient jamais été soumis à un examen neurologique et il va sans dire
que j'ai exclusivement en vue des malades ayant des manifestations
incontestables d'hystérie, telles que des attaques caractéristiques ; j'ajoute
que mon expérience porte sur plus de cent individus des deux sexes.
Le rétrécissement du champ visuel, pas plus que l'hémianesthésie, ne se
développe spontanément, sans l'intervention de la suggestion. Vous savez,
Messieurs, quelle est la technique employée dans la recherche de ce symp-
tôme : on se sert d'un appareil appelé campimètre, que je fais placer devant
vous ; le sujet met son menton sur l'échancrure du support spécial situé
vis-à-vis du milieu de l'arc métallique gradué; on lui fait fermer un oeil,
il doit fixer constamment le bouton de cuivre placé au milieu de l'arc ;
cela fait, on déplace du milieu à la périphérie ou de la périphérie au
milieu du campimètre un index de papier fixé à une tige, en se servant
successivement de papiers de différentes couleurs ; a,i préalable, on a
pris soin de dire au malade de prévenir dès qu'il cessera de voir l'index,
ou bien dès qu'il commencera à le voir. Cette manière de procéder est
insuffisante et défectueuse ; en effet, comme à l'état normal, dans les
conditions spécifiées, la vision à la périphérie est moins nette qu'au
milieu, certains sujets, d'ailleurs absolument normaux au point de vue
visuel, se figurant, ainsi que je m'en suis maintes fois assuré, qu'ils ne
doivent prévenir qu'au moment où leur perception sera précise, donnent
des renseignements qui induisent l'observateur en erreur : de plus, il y a
là une source de suggestion et d'auto-suggestion. Il faut donc avoir soin
de dire explicitement à la personne qu'on examine qu'elle devra faire
signe dès qu'elle commencera à distinguer l'index, avant même qu'il ne
soit perçu d'une manière précise, J'ai l'habitude de placer d'abord l'in-
dex à la périphérie du campimètre, mais sur la face postérieure, de
manière qu'il ne puisse être vu et, afin d'être certain que le sujet ne
répond pas au hasard, je lui demande s'il le voit ; puis, après quelques
instants, laissant toujours l'index à la périphérie, je le place sur la face
antérieure de l'appareil et je le fais ainsi voyager plusieurs fois de suite
d'arrière en avant et d'avant en arrière. J'ai étudié de cette manière en
collaboration avec mon ami, M. J. Chaillous, un grand nombre d'hysté-
riques et le champ visuel nous a toujours paru sensiblement normal chez
ceux d'entre eux qui, jusque-là, n'avaient pas encore été soumis à des exa-
mens oculaires. Nous n'avons jamais non plus observé chez eux soit la
polyopie monoculaire, soit cette dyschromatopsie prétendue spéciale.
Après ce que je viens de vous dire sur l'hémianesthésie et les troubles
visuels, je n'insisterai pas sur les autres stigmates, tels que l'hyperesthé-
CONCEPTION DE Vn'S7 ? Ë ET DE L'HYPNOTISME 4Í(
sie ovarienne ; ils sont, comme les précédents, le produit de la sugges-
tion et les hystériques de mon service n'en ont pas.
Ainsi, Messieurs, les symptômes appelés stigmates ne sont pas des
phénomènes permanents, ils ne se développent pas à l'insu du malade,
ils font défaut, tout au moins dans la grande majorité des cas, quand
l'examen est pratiqué avec la méthode que j'ai indiquée ; ils n'ont donc
point, tant s'en faut, l'importance fondamentale qu'on leur attribue et la
conception classique ainsi que la définition de l'hystérie fondées sur leur
existence se trouvent ébranlées dans leur base.
Je passe aux manifestations hystériques appelées transitoires ; je cher-
cherai à vous prouver que, parmi les caractères énoncés plus haut et
devant servir à définir l'hystérie, il n'y en a pas un qui, à ce point de
vue, mérite d'être retenu. Le rôle des commotions morales, de l'émotion
dans la genèse des troubles hystériques est incontestable, mais ces mêmes
causes sont capables d'engendrer des accidents nerveux chez les diabé-
tiques et de déterminer même des troubles circulatoires graves chez les
sujets atteints de lésions vasculaires : ce caractère n'est donc pas distinc-
tif de l'hystérie et ne peut faire partie d'une définition. La rapidité dans
la disparition d'un trouble n'est pas non plus une propriété spéciale aux
phénomènes hystériques ; est-ce que la douleur de la colique néphrétique,
est-ce que la crise gastrique tabétique ne cèdent pas souvent d'une ma-
nière brusque, soudaine ? De même que l'hystérie, la goutte peut se mani-
fester par des accidents variés qui se succèdent et se substituent les uns
aux autres. Enfin, l'hystérie n'est pas la seule maladie qui, d'habitude,
n'amène aucune perturbation dans l'état général ; les individus atteints de
la maladie du doute sont logés à la même enseigne.
Comme vous le voyez, la définition classique ne résiste à la critique ni
dans ses détails, ni dans son ensemble.
Avant d'aller plus loin, je crois devoir vous rappeler certaines défini-
nitions plus théoriques que cliniques qui ont été proposées.
Selon Moëbius, on peut ranger dans l'hystérie toutes les modifications
corporelles provoquées par des représentations mentales. On n'a pas là les
éléments d'une définition, car le caractère précédent ne s'applique pas à
toutes les manifestations de l'hystérie et il s'applique à des troubles
incontestablement étrangers à l'hystérie ; une hallucination hystérique
n'est pas une modification corporelle et, d'autre part, certaines formes de
vésanie accompagnées de troubles corporels ne sont-elles pas dues à des
représentations mentales ?
P. Janet a écrit : « L'hystérie est une psychose appartenant au groupe
des maladies mentales par insuffisance cérébrale ; elle est surtout carac-
térisée par des symptômes moraux ; le principal est un affaiblissement de la
faculté de synthèse psychologique. » En admettant même, ce qui pourrait
se discuter, que ces caractères appartiennent bien à l'hystérie, il est évident
qu'ils n'en constituent pas les attributs et ne peuvent servir à la définir.
Nous voilà donc arrêtés en route et il n'y a pas lieu, pour le moment, de
4-,2 " /7rsr&'7E-Pf7'77y/t7'7S ? ?
discuter la valeur des autres données sur l'hystérie admises dans la doc-
trine classique. Y a-t-il, par exemple, ou n'y a-il pas de fièvre hystérique ?
Il est impossible, il serait absurde de disserter sur ce sujet avant d'avoir
au préalable déterminé le sens du mot « hystérie », c'est-à-dire de l'avoir
défini. C'est ce que je me propose de faire devant vous, je n'aurai pour
cela qu'à vous rappeler la définition que j'en ai donnée il y a près de
cinq ans(') et qui est fondée sans doute sur des arguments solides, puis-
que, jusqu'à présent, aucun neurologiste n'est venu en contester la
valeur.
Que s'agit-il de faire pour définir l'hystérie ? Je l'ai dit plusieurs fois :
il n'y a qu'à déterminer et à énoncer les caractères qui lui appartiennent
en propre. Pour y arriver, il faut analyser les manifestations nerveuses
telles que les grandes attaques, certaines paralysies, certaines contrac-
tures, l'hémianesthésie sensitivo-sensorielle dont il a été question plus
haut, que les médecins sont unanimes à considérer comme hystériques,
il faut ensuite les comparer aux troubles nerveux qui, de l'avis de tout le
monde, sont étrangers à l'hystérie, et faire ainsi ressortir les caractères
distinctifs de cette névrose.
Ce rapprochement m'a conduit à cette conclusion que les manifesta-
tations hystériques possèdent deux attributs qui sont, d'une part, la pos-
sibilité d'être reproduites par suggestion avec une exactitude rigoureuse
chez certains sujets, et, d'autre part, celle de disparaître sous l'influence
exclusive de la persuasion. '
Avant de chercher à vous prouver l'exactitude de mon opinion, je crois
bon de vous rappeler aussi le sens précis qu'il y a lieu, selon moi, d'atta-
cher à chacun de ces deux mots « suggestion » et « persuasion ». Le mot
« suggestion » signifie généralement, dans le langage courant, « insi-
nuation mauvaise » (Dictionnaire de la langue française de Littré). Dans le
sens médical, ce mot me parait devoir exprimer l'action par laquelle on
tâche de faire accepter à autrui, ou de lui faire réaliser, une idée mani-
festement déraisonnable. Par exemple, dire à quelqu'un, par un temps
clair et sec, que le ciel est couvert de nuages et qu'il pleut à verse consti-
tue de la suggestion, car cette allégation est en désaccord flagrant avec
l'observation ; soutenir à un individu dont les muscles fonctionnent d'une
manière normale qu'il est hémiplégique ou paraplégique est encore de la
suggestion, car cela est en contradiction avec le bon sens. Si ces affir-
mations sont acceptées, si l'hallucination visuelle ou si la paralysie est
réalisée, on peut dire que le sujet en expérience a été suggestionné. Au
contraire, déclarer à un malade atteint d'une paralysie psychique que le
trouble dont il est atteint doit guérir, soit par un simple effort de volonté,
soit à l'aide de l'électrothérapie ou de quelque autre traitement, n'est pas
de la suggestion, car l'idée émise est raisonnable, ou tout au moins ne
choque pas la raison ; c'est de la persuasion.
z) Définition do l'hystérie, par J. Babinski (Société de Neurologie, séance du 7 novembre 1901)
CONCEPTION DE L'HYSTÉRIE ET DE L'HYPNOTISME ! I ï 3
Reprenons notre argumentation. Les troubles incontestablement hysté-
riques que j'ai mentionnés plus haut, les attaques, l'hémianesthésie, etc.,
peuvent être reproduits par suggestion chez certains sujets et la repro-
duction est tellement fidèle qu'il est impossible de distinguer la copie du
modèle ; il me semble inutile d'insister sur ce point, car je ne trouverais
certainement pas, à cet égard, un seul contradicteur. Or, aucune des
affections classées aujourd'hui en dehors de l'hystérie ne peut être repro-
duite rigoureusement par suggestion : il est tout au plus possible d'obtenir,
par ce moyen, une imitation très imparfaite, facile à distinguer de l'ori-
ginal ; je défie par exemple de faire reproduire exactement à un individu
quelque suggestionnable, quelque hynoptisable qu'il soit, les traits de la
paralysie faciale périphérique, de la paralysie radiale, de la paralysie de la
3e paire, de l'hémiplégie organique ou de la paralysie organique ; il serait
même impossible d'obtenir une reproduction fidèle des autres névroses.
Assurément l'on pourrait, par suggestion, développer une phobie, une
obsession, une douleur de tête en forme de casque, etc., et l'on créerait
ainsi des états névropathiques qui pourraient être pris, par un observa-
teur superficiel, pour « la maladie du doute », ou pour « la neurasthé-
nie » ; mais, un médecin versé dans l'étude de ces affections ne s'y lais-
serait pas prendre : il lui suffirait d'interroger attentivement les sujets
ainsi suggestionnés et, au besoin, de les suivre pendant quelque temps
pour éviter la confusion.
De même que tous les grands accidents hystériques peuvent être repro-
duits par suggestion, ils sont tous susceptibles de disparaître sous l'in-
fluence exclusive de la persuasion, et il n'y a pas un seul de ces accidents
qu'on n'ait vu parfois s'éclipser en quelques instants après la mise en
oeuvre d'un moyen propre à inspirer au malade l'espoir de la guérison(').
Aucune autre affection ne se comporte de la même manière et, si l'on
n'a pas l'expérience de ce mode de traitement, on est même surpris des
éehecs que l'on essuie quand on cherche à guérir par persuasion certains
malades sur lesquels ce moyen semble a priori devoir agir efficacement.
Voici, par exemple, un sujet atteint de la maladie du doute bien caracté-
risée et tourmenté par des phobies diverses ; c'est un homme intelligent,
n'ayant aucune idée délirante, se rendant parfaitement compte de l'absur-
dité des pensées qui l'obsèdent, sachant bien que ses craintes ne se réa-
liseront pas et animé d'un ardent désir de se débarrasser d'un trouble qui
rend sa vie intolérable; admettons, de plus, que ce malade soit hynopti-
sable. Il semble vraiment qu'un cas de ce genre réunisse les meilleures
conditions pour guérir sous l'influence de la persuasion. Or, l'observa-
tion vient donner un démenti à ces vues préconçues ; la persuasion
pourra procurer à ce malade un peu de calme, et lui être utile, mais elle
est incapable de le guérir. Admettons maintenant qu'on ait affaire à un
neurasthénique qui, alarmé de son affaiblissement cérébral, est tour-
() Voir : Hypnotisme cl hystérie. Du rôle de l'hypnotisme en thérapeutique. Leçon faite à la
Salpêtrière, par J. Babinski et publiée, en 18gi,dans la Gazette hebdomadaire..
474 Il IfYSTI;RIE-l'ITIIIITIS : lll3
menté par de sombre pensées, des idées hypocondriaques qu'il ne peut
chasser ; il se voit menacé de folie et cette obsession, qui constitue un
véritable travail de l'esprit, aggrave les phénomènes neurasthéniques.
Si l'on arrive à persuader au malade que ses craintes ne sont pas fondées
et qu'il doit nécessairement guérir, on procure à son esprit le repos qui
lui estindispensable et l'on accélère ainsi le retour à l'état normal. En réa-
lité, la psychothérapie a rendu service, elle a eu pour résultat d'empê-
cher la neurasthénie de s'accentuer, mais elle n'a pas été le seul agent de
la guérison qui a nécessité l'adjonction d'autres moyens, en particulier
d'un repos cérébral pins ou moins prolongé.
Ce qui précède s'applique aux accidents que j'appelle primitifs, de beau-
coup les plus importants, les anesthésies, les paralysies, les contractures,
les crises, le mutisme, etc., qui sont susceptibles d'apparaître sans avoir
été précédés d'autres manifestations de l'hystérie. J'estime qu'il serait
légitime d'appeler encore hystériques des troubles qui, sans présenter
les caractères des accidents primitifs, seraient liés d'une façon très
étroite à un de ces accidents et lui seraient subordonnés ; mais il faut
alors ajouter à ces troubles l'épithète de secondaires. L'atrophie mus-
culaire, dans l'hystérie ('), serait le type du genre; elle n'apparaît jamais
primitivement ; la suggestion ne peut la faire naître ; elle est liée à la
paralysie ou à la contracture hystérique qu'elle ne précède jamais, dont
elle est la conséquence et elle ne tarde pas à disparaître quand la fonc-
tion musculaire est redevenue normale ; il est donc permis de rattacher
cette atrophie à l'hystérie. Toutefois, je reconnais qu'on pourrait discuter
cette opinion et soutenir qu'en pareil cas l'amyotrophie n'est que le résul-
tat du repos auquel sont soumis les muscles paralysés ; c'est d'ailleurs
ce que je pense actuellement moi-même de la nature de cette atrophie
que nous avons été les premiers à décrire, mon maître Charcot et moi.
Quoi qu'il en soit, il y a lieu de conserver, au moins jusqu'à nouvel
ordre, le casier des accidents secondaires dans lequel on rangerait des
troubles, qui seraient incontestablement liés d'une manière intime à
des phénomènes hystériques primitifs et indépendants de tout autre état
pathologique.
Vous me direz peut-être que, jusqu'à présent, je n'ai défini que les
accidents hystériques et vous me demanderez de définir l'hystérie elle-
même.
Je pourrais vous répondre que c'est un état psychique rendant le sujet
qui s'y trouve susceptible d'être suggestionné et capable de s'autosugges-
tionner ; nous avons vu, en effet, que certains troubles, tels que l'hémi-
anesthésie et le rétrécissement du champ visuel sont la conséquence de la
suggestion médicale et, dans les cas où la suggestion n'est pas apparente,
il est naturel d'admettre qu'elle existe sans que nous ayons pu la mettre
en lumière, ou qu'il s'est agi d'une autosuggestion. Mais vous auriez
(1) Voir ce sujet : De l'atrophie musculaire dans les paralysies hystériques, par J. Babinski
(Archives de Neurologie, 1886).
CONCEPTION DE L'HYSTÉRIE ET DE G'lIY ? \'OTIS.IIE 475
peut-être le droit de m'objecter que certains troubles absolument étran-
gers à l'hystérie sont aussi la conséquence de l'autosuggestion ; n'est-ce
pas par une sorte d'autosuggestion que le nosomane arrive à la convic-
tion qu'il est atteint d'une affection incurable, ou que le persécuté s'ima-
gine qu'une coalition est formée contre lui ? A la vérité, il est certain que
le processus mental est, de part et d'autre, bien différent; en voici la
preuve : les troubles que l'hystérique s'autosuggère sont susceptibles,
comme je viens de l'exposer, d'être reproduits par suggestion et de dis-
paraître par persuasion ; il n'en est pas de même des idées formées par
le cerveau du nosomane ou celui du persécuté. Néanmoins, il y a là une
cause de malentendu qu'il est préférable d'éviter. Remarquez bien, d'ail-
leurs, que séparer l'hystérie de ces manifestations, c'est réaliser une abs-
traction et que si l'on veut rester dans le domaine des faits, sur le terrain
de la clinique, ce sont les manifestations hystériques seules qu'il importe
de définir. Pour ces motifs je fais subir une légère modification au texte
de la définition que j'ai donnée antérieurement. '
En résumé, voici la définition que je vous soumets :
L'hystérie est un état psychique spécial qui se manifeste principalement
par des troubles qu'on peut appeler primitifs et accessoirement par des
troubles secondaires.
Ce qui caractérise les troubles primitifs, c'est qu'il est possible de les repro-
duire par suggestion chez certains sujets, avec une exactitude rigoureuse, et
de les faire disparaître sous l'influence exclusive de la persuasion.
Ce qui caractérise les troubles secondaires, c'est qu'ils sont étroitement
subordonnés à des troubles primitifs.
J'ai déjà eu l'occasion de vous dire que, jusqu'à présent, aucun neuro-
logiste n'est venu combattre publiquement mes idées, ni proposer une
nouvelle définition des manifestations hystériques. Cependant, dans des
entretiens particuliers, quelques collègues m'ont fait certaines objections
qui peuvent se présenter à l'esprit de quelques-uns d'entre vous et aux-
quelles je crois bon de répondre ; je vais les passer successivement en
revue.
i° La distinction que j'ai faite entre la suggestion qui engendre les
troubles et la persuasion qui les guérit a été critiquée ; ce n'est pas par le rai-
sonnement pur, m'a-t-on dit, que l'on fait disparaître d'habitude les mani-
festations hystériques ; généralement la guérison est obtenue grâce à une
émotion, à la confiance inspirée par le médecin, à la croyance dans quel-
que puissance mystérieuse, telle que la vertu curative d'une pilule « ful-
minante » ou l'influence occulte d'un sorcier. Je n'en disconviens pas et,
du reste, je n'ai jamais soutenu que la cure soit toujours la conséquence
directe d'un raisonnement serré ; il n'en est pas moins vrai que, contrai-
rement à la suggestion, le processus mental qui aboutit au retour à l'état
normal est raisonnable, sinon rationnel, ou, tout au moins, n'est pas en
opposition avec le bon sens, Avoir confiance dans un médecin qui pro-
117n JlYST1nIE-p[THJ.tT[SJ[E
met la guérison est chose toute naturelle ; ajouter foi à la parole d'un sor-
cier affirmant l'action infaillible de quelque remède secret n'a même rien
d'absurde de la part d'un esprit sans culture intellectuelle ; le guérisseur
agit par persuasion. D'ailleurs, ce n'est là qu'une question secondaire au
point de vue de la délimitation de l'hystérie.
2° On m'a fait cette autre objection : il y a des cas d'hystérie franche
qui sont rebelles à la persuasion, qui s'éternisent malgré les efforts des
médecins, ou qui disparaissent un beau jour sous l'influence d'une émo-
tion après avoir résisté avec opiniâtreté à la psychothérapie. Vous ne pou-
vez donc, me dit-on, considérer comme un caractère spécifique des
troubles hystériques la possibilité d'être guéris par persuasion. Je ne pré-
tends pas, assurément, qu'on soit toujours sûr de guérir par persuasion
les manifestations hystériques, je dis seulement qu'elles sont toutes sus-
ceptibles de guérir par ce moyen, mais cela suffit pour légitimer mon opi-
nion. Je pense qu'une comparaison vous en montrera la justesse. Parmi
les affections organiques de l'encéphale chez l'homme, la syphilis céré-
brale est la seule qui puisse guérir complètement sous l'influence du mer-
cure et je suis convaincu que tout le monde sera d'accord avec moi pour
déclarer que cette propriété constitue un caractère qui distingue la syphi-
lis cérébrale des autres maladies organiques de l'encéphale ; or, personne
n'ignore que, dans bien des cas, le traitement hydrargyrique, quelque
intensif qu'il soit, ne parvient pas à arrêter l'évolution de cette affection.
3° On m'a encore objecté que la psychothérapie n'était pas efficace seu-
lement dans l'hystérie et que, par conséquent, la curabilité par persua-
sion n'en constituait pas un caractère distinctif. J'ai déjà répondu plus
haut à cette critique, mais afin de ne laisser subsister aucune obscurité,
je crois bon de vous donner encore à ce sujet quelques éclaircissements
complémentaires. Je répéterai d'abord que je ne conteste pas l'utilité de
la psychothérapie en dehors de l'hystérie ; je soutiens seulement que les
accidents hystériques sont les seuls qui soient susceptibles de disparaître
sous cette unique influence, sans le concours d'aucun autre agent. Si
vous voulez vous faire, à cet égard, une idée personnelle fondée sur l'ex-
périmentation, ayez soin de choisir comme objets d'étude des cas bien
nets au point de vue du diagnostic et écartez systématiquement ceux qui
sont frustes. Dans le domaine des névroses, se manifestant presque exclu-
sivement par des symptômes subjectifs, on est exposé à l'erreur plus
qu'ailleurs et il faut être très circonspect dans l'interprétation des faits;
la suggestion, peut, par exemple, fort bien engendrer quelques phobies
passagères que la persuasion fera ensuite disparaître, mais il ne s'agit pas
là, à proprement parler, de « la maladie du doute ». Désirez-vous être
fixé sur l'action de la psychothérapie dans cette affection ? Choisissez un
sujet type chez qui la maladie remonte à l'enfance, s'est manifestée au
début par des scrupules, des manies, et qui, tout en présentant des alter-
natives en bien et en mal, n'a jamais disparu depuis, a donné lieu à des
troubles tels que l'arythmomanie, le délire du toucher, la nécessité de
consacrer plusieurs heures aux soins de la toilette, etc., et essayez de
CONCEPTION DE L'HYSTÉRIE ET DE L'HYPNOTISME 477
guérir par la persuasion un pareil malade. Sans doute, vous pourrez lui
rendre service, corriger quelques uns de ses défauts et le résultat que
vous obtiendrez vous semblera surtout appréciable si, par bonheur, votre
traitement coïncide avec le début d'une accalmie, mais, même si vous
avez affaire à un cas des plus favorables, vous constaterez sans peine que
votre influence est singulièrement limitée. Pour apprécier le rôle de la
psychothérapie dans la neurasthénie, adressez-vous à un cas de neuras-
thénie bien franche, à la forme dite constitutionnelle ; là encore vous ne
tarderez pas à reconnaître que votre puissance est très restreinte et ne
peut être comparée à celle que vous avez dans certains cas d'hystérie,
où, en quelques instants, vous guérissez complètement des accidents de
plusieurs années de durée.
4° On m'a fait encore cette autre critique : « Pourquoi limitez-vous
ainsi le domaine de l'hystérie ? » Je répondrai que les classifications ne
peuvent être arbitraires, que ma délimitation n'est pas le résultat d'un
caprice, qu'il est indispensable, afin d'éviter la confusion, de séparer les
uns des autres des troubles n'ayant pas les mêmes qualités. '
En possession d'une définition précise, nous sommes en mesure, main-
tenant, de faire une revision utile des nombreux troubles attribués à
l'hystérie, que nous avons énumérés plus haut et de voir s'ils en font
réellement partie.
L'hystérie peut donner naissance à des crises nerveuses sous des for-
mes variées, à des paralysies qui occupent un membre, un segment de
membre, un côté du corps, les deux membres inférieurs, et qui sont tan-
tôt flasques, tantôt accompagnées de contractures ; elle peut engendrer
des anesthésies généralisées à toute l'étendue du corps, limitées à un
côté seulement, à un membre ou à un segment de membre, des hyperes-
thésies, du rétrécissement du champ visuel, de la diminution de l'acuité
visuelle, de la cécité, de l'aphonie, du mutisme, des vomissements, de la
rétention d'urine, de l'émission en apparence involontaire de l'urine. Tout
cela est incontestable, car on observe des malades chez lesquels il est
parfois possible de faire disparaître en très peu de temps, uniquement
par la persuasion, des phénomènes de ce genre, et parce qu'on est en
mesure de reproduire avec rigueur, des phénomènes identiques chez cer-
tains sujets, parla suggestion. Mais faut-il en conclure que toutes les for-
mes d'attaques nerveuses, de paralysies, d'anesthésies, d'hyperesthésies,
d'aphonie, d'incontinence d'urine puissent être causées par l'hystérie ?
Assurément non, car elles ne possèdent pas toutes les caractères distinc-
tifs des manifestations hystériques (').
Il est impossible de reproduire par suggestion des crises nerveuses
accompagnées de lividité des lèvres et suivies de petites ecchymoses cuta-
nées ; des attaques de nerfs offrant ces particularités ne peuvent donc être
hystériques.
(') Voir : « Introduction à la séméiologie des maladies du système nerveux. Des symptômes
objectifs que la volonté est incapable de reproduire. De leur importance en médecine légale », par
J. Bakinski (Gazette des Hôpitaux, r octobre igo4). Ce travail se rapporte au sujet qui nous occupe.
&78 llYSTÉl1.IE-PITHI,tTISME
Je soutiens depuis longtemps que l'hémiplégie organique par lésion
cérébrale et la paraplégie par lésion spinale se manifestent par certains
signes qui manquent toujours dans l'hémiplégie et la paraplégie hystéri-
ques pures. Les limites de cette conférence m'empêchent de discuter
cette question dans ses détails (') et je me contenterai d'attirer votre atten-
tion sur l'un de ces signes que je considère comme tout à fait distinctif,
c'est l'exagération des réflexes tendineux et l'épilepsie spinale parfaite (2)
qui n'est qu'une forme de cette exagération. Mes idées sur ce sujet sont
déjà admises en grande partie par certains neurologistes ; pour s'en
convaincre, il n'y a qu'à parcourir les bulletins de la Société de Neuro-
logie de Paris, où cette question a été discutée plusieurs fois ; néanmoins,
il y a encore beaucoup de médecins qui considèrent comme un fait
incontestable la possibilité de l'exagération des réflexes tendineux dans
l'hystérie, ce qui tient, sans doute, à ce qu'ils ne sont pas suffisamment
familiarisés avec la recherche des réflexes tendineux chez l'homme sain
et qu'ils prennent souvent pour un état pathologique ce qui est physiolo-
gique. Si l'exagération des réflexes tendineux et l'épilepsie spinale par-
faite étaient susceptibles de constituer des troubles hystériques primitifs,
on devrait être en mesure de les reproduire par suggestion avec une exac-
titude rigoureuse chez certains sujets et de les faire disparaître dans cer-
tains cas sous l'influence unique de la persuasion ; or, cela n'est pas ;
pour ma part, j'ai tenté l'expérience en vain sur bien des sujets très sug-
gestionnables, hypnotisables, et, à ma connaissance, personne jusqu'à
présent n'y est parvenu. D'autre part, pour établir que ces phénomènes
peuvent être rangés dans la classe des manifestations hystériques
secondaires, il faudrait prouver qu'ils sont parfois étroitement subordon-
nés à des accidents hystériques primitifs. Qu'on me montre, par exemple,
un malade atteint d'hémiplégie hystérique avec des réflexes tendineux
manifestement exagérés au membre supérieur et au membre inférieur,
avec de l'épilepsie spinale parfaite du côté paralysé, qu'on le guérisse de
son hémiplégie et qu'on le présente de nouveau peu de temps après,
débarrassé de son épilepsie spinale, avec des réflexes tendineux égaux
des deux côtés ; la preuve sera faite alors. Mais je me hâte d'ajouter que
cette preuve, que je demande depuis six ans à ceux de mes collègues qui
conservent l'opinion ancienne, n'a pu être apportée.
Vous voyez donc déjà que l'hystérie ne peut pas tout faire ; elle est
incapable de reproduire un des traits essentiels des paralysies liées à
une lésion du système pyramidal.
Pour les mêmes raisons, je soutiens que l'hystérie ne donne jamais
naissance à des paralysies limitées au territoire d'un nerf périphérique.
Les observations sur lesquelles on s'est appuyé pour admettre ces don-
nées sont loin d'être démonstratives. On a, par exemple, publié des faits
(') Voir à ce sujet : Diagnostic différentiel de l'hémiplégie organique et de l'hémiplégie hystérique.
Leçon clinique faite par J. Babinski à la Pitié (Gazette des Hôpitaux, 5 et 8 mai ]()0o).
(2) Voir à ce sujet : De l'épilepsie spinale fruste, par J. Babinski (Société de Neurologie de Paris,
séance du 1er mars goli).
CONCEPTION DE L'HYSTÉRIE ET DE L'HYPNOTISME 479 9
de paralysie de la 3e paire qu'on a qualifiée d'hystérique, parce que les
sujets qui en étaient atteints étaient hystériques et que la paralysie, après
avoir duré quelque temps, a disparu rapidement ; ces arguments sont
sans valeur ; ne savons-nous pas, en effet, que dans la période préataxi-
que du tabes il se développe souvent des paralysies oculaires ayant préci-
sément pour caractère de disparaître avec rapidité ; et, d'autre part, rien
n'empêche d'admettre que ces malades, tout en étant atteints d'une para-
lysie périphérique organique étaient des hystériques, les associations
hvstéro-organiques étant chose très commune.
Si l'atrophie musculaire simple, sans D. R. peut dépendre de l'hystérie
en qualité de manifestation secondaire, il n'en est pas de même de l'atro-
phie dégénérative qui est absolument étrangère à cette névrose.
Je ne m'attarderai pas à discuter la question de la folie hystérique ; je
suis d'avis que cette espèce de vésanie n'existe pas; d'ailleurs, les alié-
nistes s'accordentgénéralement aujourd'hui pour ranger dans « la démence
précoce » la plupart des faits que l'on classait autrefois dans la folie hys-
térique. La persuasion est sans action sur les troubles de ce genre et on
ne peut pas les reproduire par suggestion.
On a l'habitude de dire que l'hystérie provoque souvent une anesthésie
complète de la cornée et des conjonctives ; c'est encore un point que je
conteste. Essayez de faire disparaitre complètement, par suggestion, la
sensibilité de l'oeil de façon à amener, comme dans l'anesthésie cocaïni-
que, ou dans celle qui est due à la section du trijumeau, une abolition
du réflexe palpébral ; je puis vous déclarer que vous n'y arriverez pas.
Les hyperesthésies sont communes dans l'hystérie, mais elles ne sont
pas cantonnées rigoureusement dans le territoire d'un nerf périphérique. z
En réalité, l'hystérie n'est pas plus capable d'atteindre un nerf sensitif
qu'un nerf moteur, et le terme de névralgie, dont on se sert pour dési-
gner certaines douleurs dépendant de l'hystérie, est impropre ; il est im-
possible de faire naître par suggestion certains symptômes objectifs
comme, par exemple, l'abolition des réflexes tendineux qu'on observe si
souvent dans les névralgies-névrites ; jamais, dans la sciatique dite hysté-
rique, le réflexe achilléen ne subit de perturbation et, d'autre part, on n'a
jamais guéri uniquement par persuasion une sciatique accompagnée d'une
abolition de ce réflexe.
J'affirme qu'il est impossible d'obtenir par suggestion une abolition
des réflexes pupillaires, ou une inégalité des pupilles, qu'il est également
impossible de guérir ces troubles par persuasion et qu'on ne les observe
jamais, contrairement à ce qui a été soutenu par bien des auteurs, pen-
dant l'attaque hystérique. Mon opinion est fondée sur des centaines de
faits étudiés avec rigueur, sans aucun parti pris, et je soutiens, avec la
plus entière conviction, que la notion de la « mydriase hystérique » repose
sur des erreurs d'observation ou d'interprétation.
Je prétends aussi que la réalité des troubles cutanés et vaso-moteurs
dans l'hystérie est loin d'être démontrée. Pour ce qui me concerne, je n'ai
jamais observé de fait probant d'hémorragie cutanée, de phlyctènes, de
48o 11 YS TÉ RIE - P 1 T 11 1 il Tl S M E
bulles, d'ulcération, de gangrène, ou d'oedème hystérique, et je crois que
ceux qui ont rapporté des cas de cet ordre ont été induits en erreur par
des simulateurs, ou ont attribué à l'hystérie ce qui appartenait à quelque
affection concomitante. J'ai cherché à reproduire par suggestion des trou-
bles cutanés, ce qui serait très simple, si l'on en croit certains hypnoti-
seurs, et je n'y suis jamais arrivé. J'ai relaté, en 1903, à la Société médi-
cale des Hôpitaux, une expérience de ce genre, que je vais vous rappeler.
J'avais, dans mon service à la Pitié, une grande hystérique très sugges-
tionnable, présentant les phénomènes du « grand hypnotisme ». L'ayant
plongée dans le sommeil hypnotique, je me suis efforcé de lui suggérer
qu'elle avait été brûlée au bras et qu'il se développerait infailliblement,
sur la région où la brûlure s'était produite, de la rougeur et des ampou-
les. Je me trouvais dans les conditions les meilleures pour faire accepter
ma suggestion, car je connais cette femme depuis fort longtemps, je suis
en mesure de développer chez elle toutes les manifestations hystériques
classiques, et je crois pouvoir dire que j'ai sur elle une très grande
influence. J'ai eu soin d'emprisonner le membre dans un appareil silicaté
et cela dans un double but, d'abord pour renforcer dans l'esprit de la
malade l'idée qu'elle avait été victime d'un accident, et, ensuite, pour
me mettre plus facilement à l'abri de toute tentativs de fraude consciente
ou inconsciente ; de plus, car on ne saurait trop prendre de précautions
en cette matière, j'ai fait surveiller le sujet de très près. Eh bien, qua-
rante-huit heures après, ayant défait l'appareil, je n'ai constaté sur la
région en expérience ni le moindre soulèvement épidermique, ni même la
moindre rougeur. J'invite les médecins qui sont d'un avis contraire au
mien à venir apporter de nouveaux faits ; si, en se plaçant dans des condi-
tions aussi rigoureuses que celles qui viennent d'être indiquées, ils
obtiennent chez certains sujets des phlyctènes, des hémorragies, ou un
oedème bleu, il ne me coûtera rien de changer d'avis à cet égard et je serai
obligé de reconnaître que ces troubles, présentant les attributs des mani-
festations hystériques primitives, appartiennent à l'hystérie, mais je doute
fort que cela arrive; je ne crois pas non plus que ces phénomènes soient
appelés à faire partie de la classe des accidents hystériques secondaires.
L'hystérie peut produire de l'aphonie et des troubles respiratoires,
qui, du reste, ne s'accompagnent pas des signes objectifs dénotant une
perturbation dans l'hématose, mais elle est incapable de donner nais-
sance à une paralysie vraie des cordes vocales, à de l'oedème de la glotte,
ou à de la congestion pulmonaire. Via dénégation est fondée sur les argu-
ments que j'ai déjà donnés ; les faits sur lesquels on s'est appuyé ne réa-
lisent pas les conditions requises.
J'en dirai autant des hémorragies viscérales ; rien n'autorise à admet-
tre que les hémoptysies, les hématémèses, les hématuries puissent dépen-
dre de l'hystérie ; ce sont probablement des cas d'association hystéro-
organique mal interprétés qui ont trompé certains médecins, dont les
observations ont été acceptées sans contrôle suffisant, Je me rappelle plu-
sieurs malades, longtemps considérés comme atteints d'hémoptysie ou
CONCEPTION DE L'HYSTÉRIE ET DE L'HYPNOTISME 481
d'hématurie hystérique et chez lesquels ont apparu plus tard les signes
caractéristiques de la tuberculose pulmonaire ou de la tuberculose rénale.
Il est à remarquer, d'ailleurs, que les cas de prétendue hémorragie hys-
térique sont devenus de plus en plus rares, au sur et à mesure que se sont
perfectionnés les procédés permettant de déceler l'existence des affections
organiques viscérales.
L'hystérie peut provoquer des douleurs dans la région du coeur, mais
il est difficile de les confondre avec l'angor pectoris. Je n'ai jamais vu de
faits de tachycardie ou de pouls lent pouvant être attribués à l'hystérie.
On observe parfois dans l'hystérie, une émission d'urine qui semble in-
dépendante de la volition, mais ce n'est qu'une apparence et l'inconti-
nence vraie, légitime, dans laquelle l'urine sort sans jet, goutte à goutte,
en quelque sorte en suintant, n'est pas hystérique; on ne constate jamais,
dans les cas de ce genre, les caractères qui appartiennent aux manifesta-
tions primitives ou secondaires.
La polyurie dite hystérique, dont j'ai moi-même publié une observation
autrefois, me parait être simplement une émission abondante d'urine consé-
cutive d'une polydipsie. Je considère comme une fiction l'anurie hystéri-
que, admise sans conteste par la plupart des médecins; c'est un phéno-
mène simulé par cette variété de déséquilibrés que mon ami, M. Dupré, a
appelés « les mythomanes » et qu'on voit toujours s'éclipser dès que les
sujets qui en sont atteints sont soumis à une surveillance déjouant la
supercherie. Quant à l'albuminurie hystérique, son existence n'est rien
moins qu'établie.
On a publié de nombreuses observations de fièvre hystérique, on en a
relaté de nouvelles tout récemment encore, mais aucune d'elles me parait
convaincante ; ou bien il s'agit de sujets chez lesquels la température n'a
pas été prise avec toutes les précautions permettant d'écarter la super-
cherie, ou bien les malades n'ont pas été suffisamment suivis pour qu'il
soit permis d'exclure l'idée d'une maladie infectieuse associée. Généra-
lement, les auteurs de ces observations s'appuient dans leur diagnostic sur
ces deux arguments : présence de stigmates hystériques et absence appa-
rente de toute maladie donnant lieu à de la fièvre ; ce sont là des raisons
tout à fait insuffisantes, car, d'une part, l'hystérie ne confère pas l'immu-
nité contre les autres maladies et, d'autre part, un diagnostic par exclu-
sion est toujours sujet à caution. Pour démontrer que la fièvre puisse
être un produit de l'hystérie, il faudrait présenter des faits où la fièvre se
comporterait comme les autres manifestations hystériques. La considère-
t-on comme un accident hystérique primitif ? Il faut alors la reproduire par
suggestion et la faire disparaître par persuasion. Mais il serait indispen-
sable d'obtenir des résultats immédiats pour établir une relation de cause
à effet entre la fièvre d'une part, la suggestion et la persuasion, de l'au-
tre, car un accès de fièvre très intense peut céder spontanément après
quelques heures de durée. Veut-on soutenir que c'est un accident
secondaire ? Dans ce cas, qu'on montre la fièvre étroitement subordonnée
à un accident primitif, il une attaque hystérique, par exemple. Mais, là
iAltl\SSK
1,lh . J1 YSTÚRlE-PITIilATISME
encore, il y a un écueil à éviter et il faut avant tout être sur que le malade
observé n'est pas sujet, dans d'autres circonstances, à des accès de fiè-
vre; nous savons, en effet, que, dans la tuberculose, une fatigue quel-
conque, une marche d'une demi-heure peut provoquer une élévation de
température ; chez un pareil malade, la fatigue due à une grande attaque
hystérique pourrait avoir le même effet et il ne saurait, en pareil cas, être
question de fièvre hystérique.
L'hystérie. malgré l'élimination de troubles nombreux qui lui ont été
attribués à tort, conserve pourtant un champ très étendu. Si, trop souvent,
on croit la voir là où elle n'existe pas, on la méconnaît plus souvent encore
dans bien des cas où elle existe, non pas à l'état de pureté, mais associée
à d'autres affections, que ce soient des névroses, des maladies organi-
ques du système nerveux, ou des maladies viscérales. J'ai insisté sur la
fréquence de ces associations (') que Charcot avait été le premier à signa-
ler, qu'il est parfois difficile, toujours très important de reconnaitre et
qui expliquent les succès en apparence extraordinaires que l'on obtient
chez certains malades porteurs de lésions incontestables, par les divers
modes de la psychothérapie.
Voyant que l'analyse des faits conduit à éliminer de l'hystérie tous les
phénomènes objectifs que la suggestion est incapable d'engendrer, quel-
ques-uns d'entre vous sont peut-être amenés à se demander si l'hystérie
est réellement un état pathologique et si les manifestations dites hysté-
riques ne seraient pas tout simplement des accidents simulés. Voici mon
opinion sur cette question, qui mérite d'être posée et discutée. De
l'observation de très nombreux hystériques que j'ai suivis s'est dégagée
pour moi cette conviction, qui est aussi celle de tous les neurologistes,
que beaucoup de ces sujets sont sincères et ne peuvent être considérés
comme des simulateurs, mais je dois avouer que cette idée est fondée
sur des arguments d'ordre moral et ne saurait être démontrée avec la
rigueur scientifique qu'on peut apporter dans l'étude des affections orga-
niques. Un simulateur habile et éduqué à bonne école pourrait arriver à
reproduire avec précision tous les accidents hystériques, ce qui est une
source de difficultés pour ainsi dire insurmontables dans les expertises
médico-légales relatives à des cas d'hystéro-traumatisme. Il y a aussi tout
lieu de croire que bien des hystériques deviennent des simulateurs et
arrivent à reproduire à volonté, suivant leur caprice ou leur intérêt, des
troubles qui, au début, étaient le résultat de la suggestion ou de l'auto-
suggestion. J'ajoute enfin que l'hystérique vrai, sincère, n'est jamais
absolument inconscient de son état; a-t-il, par exemple, pendant une
attaque, une hallucination où il se voit entouré de flammes, il se gardera
bien, comme le font d'autres hallucinés, de fuir le danger imaginaire en
('.) Voir : Association de l'hystérie avec les maladies organiques du système nerveux, les
névroses et diverses autres affections, par J. Babinski (Société médicale des Hôpitaux de Paris,
1 1 novembre 1892).
CONCEPTION DE L'HYSTÉRIE ET DE L'HYPNOTISME 483
s'exposant à un danger réel. Selon moi, l'hystérique n'est pas inconscient,
il n'est pas non plus complètement conscient, il se trouve dans un état
de subconscience. -
Après cet exposé, Messieurs, je n'aurai pas besoin de développer
longuement ma manière de concevoir l'hypnotisme. On a donné de cet
état diverses définitions fondées, la plupart, sur les idées qu'on s'est
faites de sa nature intime, de son mécanisme. Voici celle qu'a proposée
autrefois M. Bernheim : « Etat psychique particulier, susceptible d'être
provoqué, qui met en activité ou exalte à des degrés divers la suggesti-
bilité, c'est-à-dire l'aptitude à être influencé par une idée acceptée par le
cerveau et à la réaliser (Psychothérapie, p. 76).
J'estime qu'il faut procéder avec l'hypnotisme comme avec l'hystérie et,
faisant d'abord abstraction de toute idée théorique, se placer sur le terrain
clinique. Quand disons-nous qu'un individu est hypnotisé ? C'est lorsque,
après avoir pratiqué certaines manoeuvres telles que la fixation du regard,
la pression sur les globes oculaires, l'injonction verbale de dormir, on a
développé certains troubles nerveux, des paralysies, des contractures,
des anesthésies que l'on peut ensuite, au commandement, faire disparaître
et reparaître. Or, ces manifestations de l'hypnotisme sont absolument
identiques à celles de l'hystérie, et si l'on ignorait les circonstances dans
lesquelles elles ont pris naissance il serait impossible de les distinguer
les unes des autres ; nous avons vu d'ailleurs, que la possibilité d'être
reproduits avec rigueur par la suggestion constitue un des deux carac-
tères des accidents hystériques primitifs.
La seule différence qui sépare les manifestations hypnotiques des
manifestations hystériques, c'est que les unes demandent pour se déve-
lopper l'intervention d'autrui et que le rôle de la suggestion dans leur
genèse est patent, tandis que les autres semblent apparaître sponta-
nément sous l'influence de l'autosuggestion, mais ce n'est qu'une question
de nuances et nous avons vu, du reste, que les symptômes de l'hystérie
auxquels on a attaché le plus d'importance, les prétendus stigmates, sont
le plus généralement le résultat de la suggestion.
J'ajoute que ce n'est pas l'hypnotisme qui crée ou exalte la suggesti-
bilité ; il en est la conséquence ou la manifestation.
Voici comment je définis l'hypnotisme :
« L'hypnotisme est un état psychique rendant le sujet qui s'y trouve
susceptible de subir la suggestion d'autrui.
« // se manifeste par des phénomènes que la suggestion fait naître, que la
persuasion fait disparaître et qui sont identiques aux accidents hystériques. »
Comme on le voit l'hystérie et l'hypnotisme sont faits de la même
pâte, se confondent l'un avec l'autre, ainsi que je l'ai soutenu, il y a
déjà 15 ans('), et contrairement à ce que déclarait alors M. Bernheim
(') Voir : Hypnotisme et hystérie, par J. Babinski. Leçon faite à la Salpêtrière, le 23 juin 1891 , in
484 HYSTÉRIE-PITHIATISME
qui actuellement, il est vrai, tend à accepter cette manière de voir.
Je prévois une question que vous serez tenté de me faire : si hypnotiser,
c'est, comme je le soutiens, développer des manifestations hystériques, hyp-
notiser c'est rendre malade et comment est-il permis alors d'employer l'hyp-
notisme au point de vue thérapeutique ? Je vais m'expliquer à ce sujet.
Je suis d'avis, en effet, conformément à cette manière de voir, que les
pratiques de l'hypnotisme peuvent être nuisibles ; elles sont de nature à
faire naître dans l'esprit de l'hypnotisé cette idée qu'il est déséquilibré,
incapable de résister à la volonté d'autrui, et je trouve qu'il est préférable
de s'en abstenir d'habitude. Si j'ai affaire à un malade ayant une culture
intellectuelle le rendant apte à suivre un raisonnement scientifique,
j'emploie d'abord chez lui, comme moyen de traitement, la psychothé-
rapie dite rationnelle ; je lui déclare qu'il ne présente aucun des signes
qui dénotent l'existence d'une affection grave, je lui affirme qu'il est
victime d'une illusion, qu'il doit être son propre médecin et guérir par
un effort de volonté ; j'ai obtenu ainsi bien souvent, en particulier chez
des étudiants en médecine, la disparition rapide et définitive de manifes-
tations hystériques. S'agit-il d'un esprit plus simple, n'ayant pas l'habitude
des raisonnements rigoureux, mais confiant dans la médecine, je me
contente de lui affirmer, sans chercher à le lui démontrer, que les moyens
dont je dispose amèneront la guérison, et là encore je ne fais aucune
tentative d'hypnotisation, c'est-à-dire de suggestion ; je fais intervenir un
mode de persuasion. Mais, lorsque je suis en présence d'un malade
atteint d'une manifestation hystérique de longue durée, tenace, ayant
résisté aux divers moyens que d'habitude on met en oeuvre (hydrothérapie,
électrothérapie, isolement, etc.), et que le malade, après mûr examen,
me parait sceptique, en ce qui concerne la thérapeutique, j'ai recours
volontiers à l'hypnotisme qui m'a donné, comme à bien d'autres médecins,
des résultats remarquables dont je vais vous proposer une interprétation.
Un sujet atteint, par exemple, d'une monoplégie brachiale hystérique,
jusque-là rebelle aux moyens curatifs habituels, s'est buté à l'idée que sa
paralysie est incurable et la persuasion, à ce point de vue, n'a aucune
action sur lui ; mais ce malade est suggestionnable et les manoeuvres
d'hypnotisme, c'est-à-dire de suggestion dont il est l'objet, sorte d'exer-
cices d'assouplissement cérébral, lui montrent que son médecin est
capable de paralyser ses autres membres et de les ramener ensuite à leur
état normal ; il se tient sans doute, consciemment ou subconsciemment,
le raisonnement suivant : « Puisque le médecin a une pareille action sur
moi, que les paralysies apparaissent et disparaissent à son injonction, il
sera probablement aussi en mesure de me débarrasser de la monoplégie
brachiale que je croyais définitive » ; le malade est devenu ainsi acces-
sible à la persuasion et, en l'espèce, cet avantage compense largement les
inconvénients de la suggestion, c'est-à-dire de l'hypnotisme.
Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, juillet 1801. Voici la conclusion de cette leçon : « Je
me crois autorisé à conclure de toute cette discussion que les phénomènes hypnotiques sont de même
essence que les phénomènes hystériques et que des liens intimes unissent l'hypnotisme à l'hystérie. »
CONCEPTION DE L'HYSTÉRIE ET DE L'HYPNOTISME 485
On peut dire d'une manière générale que pour traiter les hystériques
comme il sied, il est essentiel de chercher, au préalable, à pénétrer leur
état d'esprit auquel on doit adapter les moyens de persuasion qui lui
sont le plus conformes ; suivant que le malade est intelligent ou borné,
très désireux de guérir ou indifférent à cet égard, d'un caractère gai ou
porté à la mélancolie, ses réactions seront différentes vis-à-vis de la
persuasion. Il y a dans le mode d'application de ce moyen des difficultés
qui permettent de comprendre que tous les médecins ne l'emploient pas
avec le même succès. Si maintenant l'on songe que les accidents hysté-
riques, suivant qu'ils sont soumis ou non au traitement qui leur convient,
peuvent disparaître en quelques instants ou s'éterniser, on arrive à cette
conclusion qu'il est essentiel de connaître à fond l'hystérie et de bien
manier la psychothérapie.
Messieurs, avant de terminer, je recommanderai particulièrement à
votre réflexion le côté pratique de ma définition de l'hystérie ; suivant ma
conception, cette névrose est constituée par tous les troubles qui sont
susceptibles de guérir uniquement par la persuasion d'une manière
directe ou indirecte. C'est pour mettre ce trait en lumière que j'ai
proposé de la dénommer « pithiatisme », néologisme qui dérive de deux
mots grecs -ei9cÔ et mctoç signifiant, le premier « persuasion », le second
« guérissable » ; ce terme aurait l'avantage de dissiper tout malentendu,
car il serait impossible de confondre dans une classification des phéno-
mènes dénommés « pithiatiques », c'est-à-dire guérissables par la
persuasion, avec des accidents sur lesquels la persuasion est sans action
ou n'a qu'une influence restreinte.
Ma conception peut ainsi se réclamer d'un principe nosologique qui a
subi l'épreuve du temps, car elle est en conformité avec le vieil adage :
naturam morborum curationes ostendunt.
III
DÉMEMBREMENT DE L'HYSTÉRIE TRADITIONNELLE
PITHIATISME
[J. BABINSKI.
Publié dans la Semaine Médicale, 6 janvier I[JOr;.
Ayant fait mes premiers pas, dans la carrière neurologique, à l'École
/\ de la Salpêtrière, où j'eus l'honneur d'être de 1885 à 1887 le chef
de clinique de Charcot, je fus, à mes débuts, imprégné des idées
sur l'hystérie qu'on y enseignait à cette époque et qui, jusque dans ces
derniers temps, ont été presque unanimement admises.
Je les avais d'abord acceptées sans réserve ; mais ultérieurement, frappé
par certaines constatations avec lesquelles elle me parurent difficiles à
concilier, je fus amené à douter de leur exactitude et je me proposai de
soumettre dorénavant, sans opinion préconçue, à une analyse rigoureuse
tous les faits pouvant me permettre d'en contrôler la valeur. Si les résul-
tats de mes recherches m'ont conduit à abandonner la doctrine de mon
illustre maître, je n'en conserve pas moins je tiens à le dire une
admiration profonde pour le grand neurologiste dont les travaux sur
l'hystérie, fort importants d'ailleurs malgré les erreurs qui s'y sont glis-
sées, ne constituent qu'une faible partie d'une oeuvre imposante.
Tous les médecins reconnaissent actuellement que le domaine de l'hysté-
rie traditionnelle a été démesurément étendu et que l'on a, tout au moins,
singulièrement exagéré cette faculté attribuée à l'hystérie de reproduire
les maladies les plus diverses, « de tout faire », comme on le disait jadis.
C'est un point désormais acquis ; mais il me semble intéressant de recher-
cher les motifs qui avaient conduit à l'ancienne conception et de mettre
en évidence les raisons qui l'ont fait abandonner. Selon moi, l'extension
excessive que l'hystérie a subie tient à trois causes principales : 1" on a
commis des erreurs de diagnostic, en considérant comme hystériques des
affections organiques ; 2" on a méconnu l'importance de la supercherie,
DÉMEMBREMENT DE L'HYSTÉRIE TRADITIONNELLE Il 8 -J
et, faute d'une surveillance suffisante, on a rattaché à l'hystérie des phéno-
mènes qui relevaient de la simulation ; 3" on a confondu des états nerveux
qui doivent être distingués les uns des autres. Je vais tâcher de montrer
l'exactitude de mon opinion par une analyse minutieuse des faits, en exa-
minant successivement les trois causes d'erreur que je viens d'énumérer.
il' Pour prouver que des affections organiques ont été souvent consi-
dérées comme hystériques, il me suffirait de prendre pour exemple l'hémi-
plégie. Non seulement j'affirme, sans crainte d'être contredit, que l'on a
fréquemment rapporté à l'hystérie des cas d'hémiplégie organique, mais
je soutiens que des erreurs de ce genre étaient autrefois inévitables, car
l'on n'avait à sa disposition aucun moyen sûr de distinguer ces deux espè-
ces de paralysie. On admettait, en effet, que l'hémiplégie hystérique pou-
vait reproduire trait pour trait le facies de l'hémiplégie organique et que
les caractères extrinsèques, tels que l'âge du sujet, la présence ou l'absence
d'une affection cardiaque concomitante, d'antécédents syphilitiques, des
prétendus stigmates de l'hystérie, les circonstances dans lesquelles la
paralysie avait pris naissance étaient les seules données permettant d'éta-
blir le diagnostic. Or, c'est le contraire qui est la vérité. Je ne serais pas
embarrassé pour présenter des sujets atteints d'hémiplégie manifestement
organique qui, cependant, sont jeunes, n'ont aucun signe d'affection car-
diaque, ne paraissent pas syphilitiques, ont, du côté paralysé, de l'anes-
thésie ainsi que du rétrécissement du champ visuel et chez lesquels
l'hémiplégie a été consécutive à une émotion ; inversement, j'ai vu des cas
d'hémiplégie hystérique chez des individus âgés, atteints d'affection car-
diaque, n'ayant aucun trouble de la sensibilité et dont la paralysie n'avait
pas été précédée de quelque émotion. Incontestablement, d'une part, le
rôle de l'émotion dans la genèse des accidents hystériques a été au moins
exagéré et, d'autre part, on n'a pas tenu suffisamment compte de l'influence
de cet agent sur le développement des affections organiques. On aurait
pu cependant dire, a priori, que la perturbation de la circulation san-
guine produite par l'émotion doit être capable d'occasionner la rupture
d'une paroi vasculaire dans un point préalablement détérioré, et c'est ce que
montre l'observation. Quant à l'hémianesthésie, M. Bernheim a eu, il y a
longtemps, le mérite de soutenir qu'elle était le plus souvent d'origine
suggestive, et je crois avoir fourni de nouveaux arguments à l'appui de
cette thèse ; j'ai montré que, suivant la manière dont on procédait dans
l'interrogatoire et l'examen des sujets, on obtenait des résultats tout dif-
férents, en ce qui concerne les prétendus stigmates, et je puis dire que
depuis des années je n'en trouve plus chez les hystériques qui n'ont pas
été préalablement en contact avec des personnes capables de les avoir
suggestionnés. Il est vrai qu'on peut objecter à cela que l'hémianesthésie
sensitivo-sensorielle, qu'elle soit liée ou non à la suggestion, dénote
néanmoins l'existence de l'hystérie. Cela est exact, mais il est certain
aussi qu'on peut aisément faire naitre ces phénomènes chez un très grand
nombre de sujets ; qu'il est même particulièrement facile de les développer
488 HYSTÉRIE-PITIIIATISME
chez des malades, ce qui se comprend d'ailleurs très bien ; que l'on peut,
dans beaucoup de cas, associer artificiellement une hémianesthésie sug-
gestive à une hémiplégie organique ; que cette hémianesthésie a ordinai-
rement pour source un interrogatoire médical défectueusement pratiqué
et qu'en définitive, en raison de la fréquence des associations hystéro-
organiques, la présence d'une hémianesthésie dans un cas d'hémiplégie
n'en décèle nullement la nature.
Contrairement à ce qu'on pensait autrefois, les caractères intrinsèques
de l'hémiplégie peuvent seuls conduire à un diagnostic précis. Si on
l'ignorait jadis c'est que, aiguillés sur une fausse voie, les neurologistes
n'avaient pas su tirer parti de l'état des réflexes tendineux qui étaient
pourtant l'objet d'une exploration systématique et qu'ils n'avaient pas à
leur disposition certains signes objectifs que j'ai découverts depuis. Dans
un premier travail sur ce sujet paru en 18c3, et ensuite à maintes reprises,
dans des communications et discussions à la Société de neurologie, j'ai
soutenu que l'hystérie était incapable de modifier les réflexes tendineux
et que, par conséquent, l'hémiplégie hystérique pure ne s'accompagnait
jamais d'une exagération de ces réflexes. Cette opinion a été d'abord vive-
ment combattue, mais petit à petit ses adversaires sont devenus de moins
en moins nombreux et il ressort de la dernière discussion à la Société
de neurologie qu'aujourd'hui tous mes collègues sont d'accord avec moi.
Ainsi donc, dans un cas d'hémiplégie, l'exagération unilatérale des
réflexes tendineux, symptôme autrefois connu déjà, mais méconnu dans
sa valeur, permet d'affirmer que l'on a affaire à une affection organique
du système nerveux central. Je n'ai pas besoin d'insister sur les signes
objectifs nouveaux, le phénomène des orteils (extension du gros orteil et
signe de l'éventail), le mouvement combiné de flexion du tronc et du
bassin, le signe du peaucier, l'hypotonicité musculaire, le phénomène de
la pronation qui conduisent aussi à un diagnostic certain. Ce sont actuel-
lement des notions universellement admises. Je suis donc bien autorisé à
affirmer, et c'est là le point essentiel pour l'objet qui m'occupe, que, dans
un passé encore peu éloigné, on ne possédait aucun des moyens dont
nous disposons actuellement pour distinguer l'hémiplégie organique de
l'hémipligie hystérique et que de nombreuses erreurs de diagnostic ont
été commises.
Si maintenant l'on réfléchit tant soit peu à ce qui précède, on saisira
sans peine les conséquences de ces erreurs, les autres erreurs qu'elles
ont engendrées, leur portée, l'action qu'elles ont exercée sur la concep-
tion traditionnelle de l'hystérie. Nous touchons ainsi à l'un des côtés les
plus intéressants de l'histoire de cette névrose. Que l'on veuille bien se
reporter par la pensée à l'époque où l'on était privé des notions que tous
les médecins utilisent maintenant pour reconnaître la nature d'une hémi-
plégie. Il y avait alors, pour les raisons que je viens d'indiquer, des
sujets atteints d'hémiplégie organique, que l'on considérait comme de
simples hystériques ; il suffira à ceux de mes lecteurs, qui ont déjà quel-
que expérience, de rappeler leurs souvenirs pour se remémorer des faits
DÉMEMBREMENT DE L'HYSTÉRIE TRADITIONNELLE 489
de ce genre. Voulait-on guérir de pareils malades par des pratiques
d'hypnotisme, méthode que l'on employait beaucoup alors, on subissait
des échecs complets, quelque persévérance que l'on eut apportée, et l'on
était conduit à en conclure que les manifestations hystériques sont sou-
vent réfractaires à la psychothérapie, ce qui me paraît inexact. De plus,
parmi ces hémiplégiques il devait y en avoir qui présentaient, ce qui n'est
pas rare dans l'hémiplégie organique, des troubles vosomoteurs, de l'hypo-
thermie du côté de la paralysie ; l'on était amené fatalement à en déduire que
l'hystérie était en mesure de produire des phénomènes de cet ordre, et de
là à conclure qu'elle peut aussi donner naissance à des érythèmes, des
phlyctènes, des oedèmes, des hémorragies et même des gangrènes cuta-
nées, il n'y a qu'un pas que l'on n'avait pas manqué de franchir. Cela
n'est pas encore tout : si l'hystérie est capable d'engendrer de pareils
troubles à la peau, pourquoi n'en produirait-elle pas aussi dans les vis-
cères ; pourquoi n'y aurait-il pas des hémoptysies, des hématémèses, du
meloena, des hématuries et même des hémorragies cérébrales hystéri-
ques ? On se trouvait, par exemple,. en présence d'une jeune fille ayant
une hémoptysie, dans la famille de laquelle il n'y avait pas d'antécédents
bacillaires, dont l'état général était satisfaisant et chez qui on ne consta-
tait aucun signe stéthoscopique net de lésion pulmonaire, ce qu'on observe
parfois au début de la tuberculose ; si cette malade avait eu des crises
hystériques, si, de plus, il existait chez elle une hémianesthésie sensitivo-
sensorielle, on était presque infailliblement conduit à attribuer l'hémo-
ptysie à l'hystérie. La fièvre même, s'il y en avait, ne faisait pas repousser
un pareil diagnostic, car il était tout naturel, après avoir admis que
l'hystérie fût apte à exercer une action perturbatrice sur les centres des
réflexes tendineux et sur les centres vasomoteurs, de penser aussi qu'elle
pût amener une perturbation dans les centres régulateurs de la tempéra-
ture. Toutes ces déductions étant logiques ont été faites et acceptées par
les meilleurs esprits ; leur seul tort était d'avoir une erreur à leur point
de départ, et elles sont pour ce motif entachées de nullité. Mais, dira-
t-on, l'idée directrice, quoique fausse, a pu conduire à la découverte de
vérités, car comment supposer que tant de cliniciens, parmi lesquels il
en fut d'éminents, se soient laissé ainsi égarer ? Quelque surprise que
cela doive causer, on est pourtant obligé de s'incliner devant la réalité et
de reconnaître que, dans cet ordre de faits, les meilleurs observateurs se
sont trompés. Pour s'en convaincre il suffit de solliciter sa mémoire ainsi
que celle de ses confrères. Il n'est peut-être pas un médecin qui ne se
rappelle avoir commis ou avoir vu commettre par ses maîtres de pareilles
erreurs et beaucoup de mes collègues m'en ont relaté des exemples
depuis qu'ils m'ont vu entreprendre ma campagne contre l'hystérie tra-
ditionnelle ; ce sont des hémoptysies, des hématémèses, des hématuries,
de la fièvre, etc., prises pendant longtemps pour hystériques par les clini-
ciens les plus réputés et dont la nature organique est venue un jour se
révéler. Ces erreurs, comme je viens de le dire, s'expliquent en partie
par les idées théoriques fausses qui étaient ancrées dans l'esprit; elles
4go HYSTÉRIE-PITHL1TISME
s'expliquent encore parce que les faits sur lesquels elles portent ont par-
fois besoin d'être observés pendant plusieurs mois avant d'être rangés
avec certitude dans la classe qui leur appartient et qu'on les perd de vue
avant que la rectification du diagnostic se soit imposée ; elles s'expliquent,
enfin, par l'influence de la tradition à laquelle il est difficile de se sous-
traire. Un confrère qui croyait avoir observé un cas intéressant de fièvre
hystérique m'avait demandé d'intervenir auprès du directeur d'un journal
neurologique pour obtenir que son observation fut publiée ; lui ayant
fait remarquer qu'elle n'était pas probante, je lui entendis me faire cette
réponse : je reconnais bien que mes arguments ne sont pas péremptoires,
mais je pensais que la réalité de la fièvre hystérique, admise dans les trai-
tés classiques, n'était pas mise en doute, et il m'avait semblé que mon
observation n'avait pas besoin d'être approfondie davantage. C'est ainsi
que les erreurs sont d'autant plus difficiles à déraciner qu'elles sont plus
anciennes et qu'elles se sont transmises par la tradition.
2° On trouve sans cesse la simulation dans l'histoire de l'hystérie. C'est
là d'ailleurs une vérité qui n'est pas nouvelle et sur laquelle Charcot a
déjà tout particulièrement insisté. Mais si personne ne le nie, d'une
manière générale, il y a beaucoup de médecins qui, dans des cas parti-
culiers, se laissent prendre à des mensonges plus ou moins habiles et
attribuent à l'hystérie des phénomènes résultant de la supercherie. Ces
phénomènes doivent être divisés en plusieurs groupes.
A l'un d'eux appartiennent les manifestations qui sont l'imitation de trou-
bles que la suggestion réalise, que la persuasion guérit, pithiatiques (j'in-
diquerai plus loin la signification exacte de ce terme). Ce sont des
accidents tels que certaines espèces de paralysies, de contractures,
d'anesthésies, etc., rangés, de l'avis unanime, dans l'hystérie. Il est
impossible de distinguer objectivement ces deux ordres de faits les uns
des autres, ce qui se comprend d'ailleurs aisément, car ils sont produits
par le môme mécanisme et leur différence réside seulement dans les états
d'âme de ceux qui mettent ce mécanisme en jeu : .le simulateur a
conscience de la nature de ses plaintes et de ses actes, tandis que le
sujet suggestionné en est inconscient ou plutôt subconscient ; c'est en
quelque sorte un demi-simulateur. Aussi la question de la simulation
doit-elle se poser toutes les fois qu'on se trouve en présence d'un phéno-
mène ayant les caractères des manifestations pithiatiques ; elle ne peut t
pas être toujours résolue d'une manière absolument rigoureuse et il est
certain qu'un grand nombre de sujets, considérés comme des hystériques,
se sont simplement joués de leur entourage et de leur médecin. Parfois
une surveillance permet de reconnaitre la fraude ; elle est, par exemple,
patente si l'on s'aperçoit qu'un soi-disant paraplégique se tient sur ses
jambes et marche quand il croit ne pas être observé ; mais les simulateurs
sont ordinairement sur leurs gardes et ne se laissent pas prendre au
piège si facilement. Sur quoi donc peut-on se fonder pour admettre, dans
un cas donné, que la simulation est en cause plutôt que la suggestion ?
DÉMEMBREMENT DE L'HYSTÉRIE TRADITIONNELLE 49r
Sur des raisons d'ordre moral. De plus, ce qui peut paraître paradoxal,
j'estime que l'échec de la psychothérapie pratiquée dans de bonnes condi-
tions et avec persévérance doit faire incliner du côté de l'hypothèse de
la simulation. Voici sur quoi je fonde cette opinion : parmi les cas nom-
breux que j'ai observés, cette méthode ne s'est montrée inefficace que
chez des sujets dont on avait de bonnes raisons de mettre la sincérité en
doute, soit qu'il se fut agi de prétendues victimes d'accidents, réclamant
des indemnités, soit que j'eusse affaire à des misérables sans profession
et sans asile, manifestement intéressés à éterniser leur séjour dans les
hôpitaux, ou encore à des personnes prises, dans d'autres circonstances,
en flagrant délit de mensonge et dont les assertions étaient sans valeur.
Qnoi qu'il en soit, chaque cas de ce genre peut fournir matière à discus-
sion, mais ce qui d'une manière générale est indiscutable, c'est que le
domaine de l'hystérie a été singulièrement grossi par l'immixtion d'innom-
brables faits de simulation semblables à ceux que je viens d'envisager.
Dans le second groupe, se rangent des phénomènes qui sont également
des troubles fictifs, mais qui se distinguent des précédents parce qu'ils
ne peuvent résulter de la suggestion. La fièvre et l'anurie en sont des
exemples. On connaît les procédés divers dont on se sert pour faire
monter artificiellement la colonne de mercure du thermomètre et il n'est
pas douteux que beaucoup de cas de fièvre, dite hystérique, qui ont été
publiés, se rapportent à des faits de cet ordre. Il est facile de découvrir
la fraude ; il suffit de prendre soi-même la température avec un thermo-
mètre ordinaire étalonné, et de surveiller attentivement le sujet en obser-
vation au lieu de se contenter, comme le font beaucoup de médecins, des
indications, aisément faussées par l'intéressé, d'un thermomètre à maxima.
La preuve qu'autrefois on s'était souvent laissé tromper c'est que mainte-
nant, depuis que l'attention a été particulièrement attirée sur ce point,
la fièvre prétendue hystérique a disparu des hôpitaux de Paris. On peut
en dire autant de l'anurie dite hystérique.
Le troisième groupe est constitué par des phénomènes qui ne sont pas
fictifs, comme les précédents, mais bien réels. Ce sont des érythèmes, des
ecchymoses, des ulcérations, des sphacèles, des oedèmes. La fraude
consiste en ce que les sujets atteints de ces troubles prétendent qu'ils se
sont développés spontanément, tandis qu'ils résultent de l'application
d'une substance irritante, de l'introduction sous les téguments d'un corps
étranger, de la constriction d'un membre par un lien ou de quelque autre
artifice. Il est bon de savoir que, outre le cas où la fraude est intéressée,
il en est beaucoup où elle n'a aucun motif apparent, si ce n'est proba-
blement de la part de ceux qui la commettent, de ces mythomanes, comme
les appelle M. Dupré, un désir pathologique d'inspirer la curiosité,
l'étonnement ou la commisération, bref, de se distinguer d'une manière
quelconque. Un très grand nombre de pareils faits ont été rapportés à
l'hystérie uniquement sur la constatation des prétendus stigmates hysté-
riques et parce qu'on ne trouvait aucune autre étiquette à leur appliquer.
Je rappellerai à ce propos, la spirituelle boutade inédite de Lasègue :
4ga HYSTÉRIE-PITHIATISME
« L'hystérie est une corbeille dans laquelle on jette les papiers qu'on ne
sait où classer ». M. Vaquez a exprimé de son côté une idée semblable.
Aujourd'hui qu'à ce point de vue l'esprit est en éveil, on décèle ces frau-
des bien mieux que par le passé et M. le professeur Dieulafoy en a relaté
récemment à l'Académie de médecine un cas remarquable.
Mais, me diront sans doute mes contradicteurs, nous voulons bien
reconnaître que le champ de l'hystérie a été démesurément agrandi par
les erreurs de diagnostic qui ont été commises et parce qu'on ne s'est
pas suffisamment mis en garde contre la duperie ; nous reconnaissons
aussi que, contrairement à ce qu'on pensait autrefois, les troubles vaso-
moteurs, sécrétoires, trophiques, les hémorragies, la fièvre, l'anurie ne
peuvent être reproduits par la suggestion, tout cela ne prouve pas encore
que de pareils faits ne dépendent pas dans certains cas de l'hystérie.
Effectivement, je n'ai pas encore achevé ma démonstration ; je vais cher-
cher à le faire à présent.
3° Reconnaître que parmi les troubles que l'on a rattachés à l'hystérie
il en est qui peuvent être reproduits par suggestion et d'autres qui ne
le peuvent pas, c'est dire que les troubles qu'on appelle hystériques ne
sont pas tous semblables les uns aux autres, quant à leur mécanisme et
qu'il faut les subdiviser ; c'est déjà sortir de la confusion ancienne.
a) Il y a donc un groupe de phénomènes qui ont pour caractère de pou-
voir être reproduits par suggestion. Mais je tiens à faire observer, car
c'est l'essentiel, qu'il ne suffit pas qu'un phénomène soit consécutif à une
perturbation psychique occasionnée par la volonté pour l'attribuer à la
suggestion. Il faut pour cela que cette volonté soit en mesure de faire
cesser le phénomène qu'elle a déterminé : je suis, par exemple, en droit
de dire qu'une attaque convulsive est le résultat d'une suggestion quand,
après l'avoir provoquée expérimentalement, conformément à ma fantaisie,
je suis en état de l'arrêter lorsque je le désire. La suggestion, ainsi
comprise, implique l'idée que la volonté est maîtresse des troubles
qu'elle a produits et qu'elle est capable de faire disparaître, en quelque
sorte par réversibilité, ce qu'elle a fait apparaître. Ces deux propriétés
sont connexes et si, par suite de certaines circonstances, il n'est pas
possible, dans tous les cas particuliers, d'établir leur union, on peut dire,
en général, que c'est en s'associant l'une à l'autre que chacune d'elles
prouve sa réalité ('). ,
(') Le sens que l'on prête à un mot étant affaire de convention, on serait libre de donner au
vocable suggestion une acception plus large que celle que je propose. Voici, par exemple, un pho-
bique qui, après avoir assisté à une conférence sur la syphilis, est pris de cette espèce de phobie du
toucher que la psychothérapie ne peut guérir. Dira-t-on que celle phobie a été suggérée par le
conférencier ? Soit. Mais, s'il s'agit là d'une suggestion, il faut reconnaître qu'elle diffère essentiel-
lement de celle dont les effets sont susceptibles de disparaître par persuasion, et que ce terme est
appliqué à deux processus différents pour chacun desquels il serait bon d'avoir un nom spécial.
A propos de définition, je rappelle que, d'autre part, pour les uns le mot suggestion doit exprimer
l'action par laquelle on tâche de faire accepter à autrui une idée quelconque, qu'elle soit déraison-
DÉMEMBREMENT DE L'HYSTÉRIE TRADITIONNELLE 4g3
Comment délimiter le domaine des troubles que la suggestion peut
produire ? En observant attentivement les gens suggestionables et en
expérimentant sur eux. Les médecins qui voudront se faire à cet égard
une opinion personnelle choisiront de préférence des sujets pareils à ceux
qu'on appelait autrefois de grands hypnotiques, dont la caractéristique
consiste en une suggestibilité poussée au plus haut degré. On arrivera
encore au même résultat en cherchant à déterminer sur soi-même ou sur
des personnes normales se prêtant à ces investigations les phénomènes
en apparence pathologiques que la volonté seule est capable d'engendrer
et de faire cesser ensuite. Il faut ajouter qu'il est nécessaire de pratiquer
des expériences de ce genre sur un grand nombre de sujets, car à ce
point de vue, le champ d'action de la volonté présente de nombreuses
variétés individuelles ; il faudra, par conséquent, se garder d'exclure tel
ou tel phénomène du domaine de la suggestion pour le motif qu'on n'aura
pas trouvé immédiatement dans son entourage quelqu'un qui fut en état
de le reproduire dans les conditions spécifiées ; c'est seulement après des
recherches maintes fois répétées qu'on est autorisé à légiférer et encore
avec la restriction que des observations nouvelles pourraient conduire à
la revision des idées ainsi acquises. Je ne ferai pas une description détail-
lée des troubles qui sont tributaires de la suggestion, car cela m'entraîne-
rait trop loin ; je me contenterai de mentionner les principaux d'entre
eux ; ce sont des crises convulsives, des paralysies, des contractures
très variées quant à leur mode de localisation et à leur intensité, des
tremblements, des mouvements choréiques parfois irréguliers, mais géné-
ralement rythmés, des troubles de la phonation, de la respiration, des
troubles de la sensibilité se manifestant par de l'anesthésie ou de l'hyperes-
thésie, des troubles sensoriels, des troubles vésicaux. Par contre, ainsi
que j'ai déjà eu l'occasion de le dire, la suggestion est incapable d'exa-
gérer ou d'abolir les réflexes tendineux, d'amener une perturbation dans
les réflexes pupillaires ou dans les réflexes cutanés ; elle peut rendre
plus difficile l'observation de ces phénomènes et l'entraver plus ou moins
par des obstacles propres à dérouter un novice, mais qu'un neurologiste
expérimenté doit surmonter ; elle ne peut produire de troubles vasomo-
teurs, sécrétoires, trophiques, pas plus qu'elle ne peut créer, par ses pro-
pres forces, des hémorragies, de l'anurie, de l'albuminurie, de la fièvre.
Sur ces divers points, lors de la récente discussion à la Société de neu-
rologie, il n'y a eu pour ainsi dire aucune contestation, ce qui, à cet
égard, montre d'une manière éclatante le revirement d'opinion de ceux-là
mêmes qui semblent le plus attachés à la conception traditionnelle.
Une question importante qui est un complément de celle que nous
nable ou sensée, que d'autres, au contraire, estiment, comme moi, qu'il serait préférable de donner
à ce mot un sens péjoratif. C'est encore une question de convention. Mais ce qui est inconteslable,
c'est que l'état psychique de l'homme qui admet, serait-ce sans un contrôle rigoureux, une idée sensée
ou acceptable qu'on lui soumet, ne peut être assimilé à la mentalité du sujet à qui l'on fait prendre
« des vessies pour des lanternes ». Si l'on dit qu'il s'agit de suggestion dans le premier cas,
il faut dire au moins que dans le second c'est de l'hypersuggestion, mot que le préfixe rend
ici péjoratif.
4g4 llYSTÉRIE-PfTHfATISJ1lE
venons d'étudier doit être maintenant posée. L'aspect symptomatique
des phénomènes que la suggestion fait naître est-il spécifique ou bien
peut-il appartenir aussi à des troubles liés soit à une affection organique,
soit à une maladie fonctionnelle ayant un mécanisme différent de la
suggestion ? Il est encore impossible de résoudre cette question d'une
façon définitive. Je suis arrivé, par exemple, à faire reproduire, par imi-
tation, les mouvements de la chorée de Sydenham de telle manière que
je n'aurais pas été en mesure de distinguer la copie de l'original, mais
cette impuissance tient peut-être à ce que nos investigations cliniques
n'ont pas été encore assez pénétrantes, et il est permis d'espérer qu'on
arrivera un jour à discerner infailliblement, par leur facies symptomati-
que seul, les manifestations de la suggestion d'avec les troubles qui
dépendent des autres affections. Il faut reconnaître, du reste, qu'aujour-
d'hui déjà nous disposons de nombreux signes qui nous permettent, au
moins dans beaucoup de cas, d'atteindre presque la certitude. Parmi ces
signes, les uns sont d'ordre positif; c'est ainsi qu'on ne risque guère de
se tromper quand on affirme qu'une crise de nerfs avec grands mouve-
ments convulsifs et arc de cercle, ou qu'une chorée rythmée est un phé-
nomène dû à la suggestion ou à la simulation, car, à notre connaissance,
il n'existe pas d'autre cause pouvant déterminer de pareils troubles. Les
autres signes sont d'ordre négatif ; je dis, par exemple, qu'une paralysie
est très vraisemblablement le résultat d'une suggestion quand je ne
constate aucun des symptômes, qui, sauf exception, accompagnent, en
nombre plus ou moins grand, les paralysies ayant une autre origine.
J'ajoute, par parenthèse, que le diagnostic des accidents de nature sugges-
tive se fonde sur les signes négatifs bien plus souvent que sur les signes
positifs.
La symptomatologie des phénomènes dont nous nous occupons fournit
donc des indications très précieuses pour le diagnostic, toutefois c'est
surtout leur évolution qui leur donne une marque spéciale ; elle leur
imprime un cachet qui n'est pas toujours également apparent, mais qu'un
observateur attentif, doublé d'un expérimentateur, doit généralement
découvrir, et qui dissipera définitivement tous les doutes. Supposons que
nous ayons affaire à une monoplégie brachiale complète. Si nous arrivons
à la guérir, puis à la reproduire et à la faire disparaître tour à tour, à
volonté, nous lui aurons fait subir une évolution qui manifestement est
caractéristique. Il est vrai qu'on a rarement l'occasion d'apporter une
preuve qui s'impose à l'esprit avec une pareille puissance, mais la démons-
tration, sans être aussi éclatante, peut être, cependant, suffisamment
rigoureuse. Voici une expérience que j'ai pratiquée le plus souvent avec
succès dans le cas de paralysie brachiale d'origine suggestive : je soulève
le bras paralysé et je l'abandonne ensuite à lui-même ; je répète la
manoeuvre un grand nombre de fois, et, en même temps, par des questions
et des ordres de toute sorte, je cherche à détourner l'attention du malade
de ce qui fait l'objet principal de la mienne ; je constate généralement que,
d'une manière intermittente, pendant un laps de temps plus ou moins
DÉMEMBREMENT DE L'HYSTÉRIE TRADITIONNELLE ! ,g5
long, le bras privé de soutien, au lieu de tomber comme un corps inerte,
ainsi que cela a lieu infailliblement à chaque essai dans les paralysies
organiques, se maintient dans l'espace, à l'instar du bras d'un homme
normal qui ferait un effort pour le tenir dans cette attitude. L'expérience
est absolument concluante, et il me parait facile d'interpréter ce fait :
cette paralysie d'origine suggestive, qui, comme je l'ai fait remarquer,
est une sorte de simulation insconsciente ou subconsciente, a besoin,
pour subsister, de l'attention du malade concentrée sur ce point ; celle-ci
vient-elle à être mise en défaut, la paralysie disparaît ; en réalité, mon
expérience est un procédé psychothérapique conduisant à une guérison
momentanée de la paralysie et donnant à son évolution une marque toute
particulière qui me permet d'affirmer que ma volonté est devenue déjà,
dans une certaine mesure, maîtresse de ce trouble. Or, comme je l'ai dit,
c'est là précisément, ce qui donne aux phénomènes dont je m'occupe
leur caractéristique, qu'on parvient à déceler, dans la plupart des cas de
cette espèce, lorsqu'on ne se contente pas d'un examen superficiel et
qu'on apporte dans ses investigations un peu de sagacité.
Il est nécessaire de donner une dénomination spéciale à ce groupe de
phénomènes, comme à tout objet qui se distingue, ne serait-ce que par un
seul attribut. J'ai proposé de l'appeler « pithiatisme », de ; : Stf¡W persuasion
et txzcç guérissable, et de désigner par l'adjectif « pithiatique » chacun
des troubles qui constitue ce groupe. Sans doute, ce n'est pas toujours, à
proprement parler, par le raisonnement, comme le mot persuasion pour-
rait le faire croire, que l'on guérit ces troubles, et le vocable pithiatisme
n'évoque pas non plus par son sens étymologique la pensée que ces trou-
bles sont d'origine suggestive, mais il est impossible de trouver un terme
capable de traduire, avec les nuances qu'elles comportent, les deux idées
principales qui s'attachent à l'objet que nous avons en vue. Le mot que
j'ai choisi exprime au moins celle d'entre elles qui est la plus intéressante
pour le médecin, l'idée que les accidents en question peuvent, sous l'in-
fluence de la persuasion seule, disparaître d'une manière complète.
D'ailleurs, je le répète, le choix d'un mot n'est qu'une affaire de conven-
tion, et si l'on en proposait un qui fût plus compréhensif, je l'accepterais
volontiers, mais cela ne changerait rien au fond des choses.
b) On a attribué à l'émotion un rôle très important dans l'hystérie et
l'on a généralement admis que les phénomènes dont il vient d'être ques-
tion et auxquels je donne l'épithète de pithiatiques se développent et dis-
paraissent le plus souvent sous l'influence de chocs moraux ; on a été
conduit ainsi à confondre deux groupes de manifestations qui doivent être
distinguées les unes des autres
On peut d'abord se demander si réellement l'émotion a sur la genèse
des troubles pithiatiques l'action qu'on lui prête. S'il en était ainsi, la
fréquence et la forme de ces troubles devraient être, contrairement à ce
que l'on observe, à peu près pareilles dans les conditions ordinaires de
la vie, car l'humanité est toujours agitée par les mêmes passions et l'émo-
tivité humaine n'a pas dû changer. Selon moi, l'émotion, en admettant
496 HYSTÉRIE-PITHIATISME
qu'elle intervienne, joue un rôle infiniment moins important que la conta-
gion, l'imitation dont l'influence sur les crises convulsives, en particulier,
se manifeste d'une manière éclatante. Mais, dira-t-on, si l'imitation peut
être incriminée dans une salle d'hôpital, il est plus difficile de l'invoquer
quand on a affaire à des sujets qui vivent dans leur famille, ne sont pas
en contact avec d'autres malades et dont la première crise, immédiate-
ment consécutive à une émotion, a présenté les caractères d'un phéno-
mène spontané. Je répondrai à cela qu'une enquête approfondie montre
souvent que cette spontanéité n'est qu'apparente, qu'il s'agit bien de la
reproduction d'une crise observée chez autrui, et que parfois aussi, ce
qu'on appelle crise hystérique n'est qu'une association de cris, de
gesticulations, de contorsions volontaires, conscientes, ayant pour ori-
gine, chez celui qui en est l'auteur, non pas l'émotion, mais le désir
d'émouvoir l'entourage. Il faut remarquer d'ailleurs qu'un mythomane
qui voudrait feindre des convulsions, sans même avoir jamais assisté à
une crise hystérique, pourrait être spontanément conduit à exécuter des
mouvements analogues à ceux par lesquels l'attaque légitime se manifeste.
Il ne me parait pas non plus démontré que la guérison des accidents
pithiatiques, même quand elle survient dans des circonstances propres à
émouvoir, soit due directement à l'émotion que le malade a pu ressentir.
Voici une jeune fille atteinte de paraplégie hystérique, qui, après avoir été
plongée dans une piscine miraculeuse, en sort complètement guérie. Je
veux bien admettre qu'elle a été vivement émue par la pieuse cérémonie
à laquelle elle a pris part, mais il est incontestable aussi qu'ayant été
instruite des cures qui avaient déjà obtenues en ce lieu, elle a été ainsi
l'objet de pratiques persuasives ou suggestives dont il est permis de faire
dépendre le retour à l'état normal. Prenons un autre exemple, celui d'un
malade atteint de paraplégie ou d'hémiplégie rebelle à toute tentative
psychothépapique, qui, apprenant que le feu est chez lui, se lève de son
lit, se sauve et se rétablit ainsi d'une manière subite. Ici l'émotion semble
bien être la cause de la guérison et pourtant, après réflexion, cela est dis-
cutable. Il ne faut pas oublier, en effet, qu'on a l'habitude d'affirmer à de
pareils sujets qu'ils guériront, un jour ou l'autre, brusquement, sous l'in-
fluence d'une joie, d'une terreur ou de quelque autre choc moral ; il est
permis de supposer que cette prédiction étant revenue au moment du
sinistre à l'esprit du paralytique a exercé sur lui une action psychothéra-
pique. Il y a encore une autre interprétation à proposer. On peut soute-
nir qu'un sujet atteint d'un trouble pithiatique joue en quelque sorte un
rôle, d'une manière inconsciente ou subsconciente, il est vrai, car autre-
ment il ne serait qu'un vulgaire simulateur ; il a besoin d'y prêter toute son
attention et c'est sans doute pour ce motif que, lorsqu'on détourne son
esprit de l'idée qui l'obsède, on arrive parfois, ainsi que je l'ai fait remar-
quer précédemment, à faire disparaître transitoirement son mal. N'est-il
pas logique de croire que l'imminence d'un grand danger soit particuliè-
rement apte à produire, en pareil cas, un changement dans le cours des
idées ? Le malade, cessant de penser à sa paralysie, recouvre tout natu-
DÉMEMBREMENT DE L'HYSTÉRIE TRADITIONNELLE 497
rellement l'usage de ses membres ; lorsque l'idée de l'impotence revient
à son cerveau, il constate, en même temps, qu'il en a été débarrassé
complètement pendant quelques instants et il y a bien là tout ce qui
est nécessaire pour lui permettre de se persuader que son état était
curable.
Il ne me semble donc pas prouvé que les accidents pithiatiques aient
des liens étroits avec l'émotion. Mais en admettant même qu'il en soit ainsi,
ils ne doivent pas être confondus avec d'autres phénomènes dont l'émo-
tion est incontestablement la source directe et auxquels, afin d'éviter
toute confusion, je réserverai l'épithète d' « émotifs ». Il y a, en effet, des
caractères qui distinguent nettement ces deux espèces de manifestations
les unes des autres : tandis que la volonté est maîtresse ou est capable
de devenir maîtresse des troubles pithiatiques, d'en déterminer la forme,
d'en doser, en quelque sorte, l'intensité et la durée, elle n'est pas en me-
sure de soumettre à son joug les phénomènes émotifs parmi lesquels nous
mentionnerons la tachycardie, les perturbations vaso-motrices, l'érythème,
les sécrétions sudorales et intestinales. Il y a cependant une cause
d'erreur d'interprétation souvent commise et que je dois signaler. On peut
provoquer, presque à volonté, chez beaucoup de personnes, une accéléra--
tion des battements cardiaques, ainsi que des réactions vasomotrices et,
quand on n'analyse pas ces faits avec un soin suffisant, on est porté à pen-
ser qu'ils sont le produit de la suggestion ; mais ce n'est qu'une illusion,
du moins si, conformément à la convention que j'ai proposée, le mot sug-
gestion implique l'idée que la volonté est maîtresse des troubles qu'elle a
produits ; ce n'est que par l'intermédiaire d'une émotion créée par les ten-
tatives de suggestion que les manifestations en question se développent,
et celles-ci, une fois qu'elles ont apparu, échappent à l'influence de la
volonté qui est incapable d'en fixer la forme, l'intensité et la durée.
Expérimentalement, je puis, chez des sujets suggestionnables, produire,
par exemple, suivant mon désir, une paralysie limitée au bras ou occu-
pant tout un côté du corps, légère ou intense, d'une durée de quelques
secondes ou de plusieurs heures, mais je ne suis nullement en mesure de
régler, à ma fantaisie, une tachycardie émotive, d'en accélérer ou d'en
retarder la fin, dans des limites que j'aurais tracées à mon gré. Il y a,
comme on le voit, des différences capitales entre les phénomènes pithia-
tiques et les phénomènes émotifs qui, par parenthèse, existent à l'état
normal et ne peuvent être considérés comme pathologiques que quand
ils ont une intensité excessive.
c) On trouve enfin dans la littérature médicale un troisième groupe de
faits consistant en une exagération généralisée soit des réflexes tendi-
neux, soit des réflexes vasomoteurs cutanés (dermographisme), qui ont
été rangés dans l'hystérie. Nous verrons bientôt ce qu'il faut penser de
cette opinion, mais ce qu'on peut dire dès maintenant c'est que ce groupe
se distingue des deux précédents plus nettement encore que ceux-ci se
distinguent l'un de l'autre ; en effet, les phénomènes émotifs et les phé-
13ADI.Nski . 3
4g8 lJYSTÉRlE-PlTHI,lTlS.1lE
nomènes pithiatiques apparaissent et se développent sous une influence
purement psychique, tandis qu'une excitation des tendons ou des tégu-
ments est nécessaire à la production des phénomènes réflexes qui, en
outre, ainsi que je l'ai dit plus haut, ne sont pas des troubles soumis,
comme les troubles pithiatiques, à l'action de la suggestion et de la per-
suasion.
On est donc bien forcé de reconnaître qu'il y a là trois groupes de
phénomènes qui ne peuvent être assimilés les uns aux autres et qu'il faut
se garder de confondre.
Ces trois groupes, tout en ayant chacun des propriétés qui les distin-
guent, pourraient cependant être rattachés par quelque lien, et il serait
alors légitime, nécessaire même d'avoir, outre les dénominations s'appli-
quant spécialement à chacun d'eux, un terme qui leur fitt commun et qui
désignerait cette association nosologique. Mais ce lien existe-t-il et dans
ce cas quel est- il ? On a cru le trouver dans ce fait qu'il n'est pas rare de
voir les phénomènes, soit du deuxième groupe (émotifs), soit du troisième
(réflexes), associés à ceux du premier (pithiatiques), en particulier à l'hémi-
anesthésie sensitivo-sensorielle. De pareilles observations sont loin d'être
démonstratives pour ceux qui savent combien sont nombreux les gens
suggestionnables, avec quelle facilité la suggestibilité est mise en jeu,
surtout dans les salles d'hôpital, et combien sont communes les associa-
tions des troubles pithiatiques avec les afl'ections les plus variées, qu'elles
soient fonctionnelles ou organiques, dyscrasiques, toxiques ou infec-
tieuses. Il n'y a aucune statistique qui autorise à admettre que les phéno-
mènes du deuxième et du troisième groupe prédisposent d'une manière
spéciale aux accidents pithiatiques. Si maintenant on recherche systéma-
tiquement les phénomènes du deuxième et du troisième groupe, d'une
part chez tous les individus présentant des troubles pithiatiques et, d'autre
part, chez un nombre égal d'individus n'en ayant jamais présenté, on
constate qu'ils ne sont pas plus marqués ou plus communs chez les uns
que chez les autres et on est conduit à en conclure que le pithiatisme
n'est pas une cause provocatrice de ces phénomènes. Il va sans dire que
ces recherches comparatives doivent être faites sur des sujets qui, sauf la
présence ou l'absence de troubles pithiatiques, soient, de part et d'autre,
dans des conditions aussi semblables que possible. Ces deux ordres d'ob-
servations se complètent et montrent qu'il n'y a aucune relation entre les
phénomènes pithiatiques et ceux des deux autres groupes (').
Nous venons de voir, après avoir écarté de l'hystérie, telle que la tra-
dition nous l'a transmise, tout ce qui y avait été incorporé indûment par
(') J'ai eu, jusqu'à présent, l'habitude d'appeler accidents hystériques primitifs les troubles pithia-
tiques et j'ai déclaré qu'il serait légitime d'appeler encore hystériques des troubles qui, sans présenter
les caractères des accidents primitifs, seraient liés d'une façon étroite à un de ces accidents, lui
seraient subordonnés et pourraient être considérés comme des phénomènes hystériques secondaires.
Mais ce n'est qu'à titre provisoire que j'ai créé une case spéciale pour ces phénomènes, dont la réalité
n'est pas encore démontrée.
DÉMEMBREMENT DE L'HYSTÉRIE TRADITIONNELLE 499
suite d'erreurs de diagnostic commises, faute d'une séméiologie suffisante
et à cause d'une connaissance imparfaite de la simulation, de la mytho-
manie, qu'il restait trois groupes de phénomènes que nous avons appelés
pithiatiques, émotifs et réflexes, se distinguant les uns des autres par
des caractères différentiels et qui ne sont réunis par aucun lien. Il est
donc impossible de leur appliquer un terme qui leur soit commun ; la
logique s'y oppose.
Cela établi, il faut se demander si l'on continuera à faire usage du mot
hystérie. Ce n'est plus une question de logique, mais encore simple
affaire de convention. Il serait préférable, je crois, de renoncer à un
vocable propre à erltrenir les malentendus : cependant il est permis aussi
de le conserver, à condition d'en préciser le sens et d'indiquer nettement
ce qu'il désignera, le premier, le deuxième ou le troisième groupe des
phénomènes que nous avons passés en revue. Il me semble qu'il ne peut
guère y avoir d'hésitation à cet égard ; si l'on veut faire usage du mot
hystérie, il est naturel de le réserver aux phénomènes pithiatiques qui
comprennent les troubles que l'on a toujours considérés comme les plus
caractéristiques, les plus importants de l'hystérie et auxquels cette névrose
doit surtout la curiosité, l'intérêt, je dirai même la passion qui se sont
attachés à son étude.
Pour ma part, je me servirai de ces deux termes hystérie et pithiatisme
comme synonymes, laissant au temps le soin de décider, ce qui, du reste,
est d'importance secondaire, si l'on devra les conserver tous les deux,
ou l'un d'entre eux seulement.
L'hystérie ainsi définie constitue un état névropathique bien délimité, se
distinguant nettement de toutes les autres névroses. On peut déjà théori-
quement déduire de ma définition que les phénomènes hystériques ou
pithiatiques doivent avoir pour propriété de dépendre essentiellement,
dans leur apparition, leur durée, leur forme, leur disparition, du milieu
psychique où vivent les sujets suggestionnables dont la prédisposition
maladive est susceptible d'être mise en jeu par tel ou tel spectacle, tel ou
tel propos. Les faits qui confirment cette idée abondent. En voici un
exemple banal : une hystérique sujette à des attaques est admise dans
une salle d'hôpital ; quelques jours après, une de ses compagnes qui, jus-
qu'alors, n'avait jamais présenté d'accidents semblables, est prise d'une
crise hystérique identique, dans sa forme, à celles qu'elle a eues devant
les yeux, puis c'est une troisième, une quatrième malade qui sont atteintes
de la même manière, et il se produit ainsi parfois une véritable épidémie ;
cela s'observe surtout si le chef de service ou ses élèves ont paru s'inté-
resser à ces phénomènes et y ont donné de l'importance, aux yeux des
autres malades, par leur attitude et les paroles qu'ils ont échangées.
Chez les hystériques qui sont soignées dans leur famille, la durée parfois
très longue des troubles qu'elles présentent est due, dans bien des cas, à
l'Impression fâcheuse qu'exercent sur leur esprit la sollicitude excessive dont
on les entoure et l'inquiétude que manifestent leurs proches. C'est pour ces
5oo HYSTERIE-PITHIATISME
motifs que le changement de milieu, l'isolement, la persuasion, la psycho-
thérapie sont des moyens qui, appliqués à de pareils malades, font mer-
veille. L'influence des circonstances de nature psychique sur les manifes-
tations hystériques explique aussi très bien qu'elles changent d'aspect,
qu'elles subissent des transformations dans le temps, et c'est là une par-
ticularité digne de retenir l'attention. Si, comme je viens de le rappeler,
on peut observer encore, à l'hôpital, des épidémies d'hystérie, on ne voit
plus, de nos jours, de faits semblables aux épidémies de danse du moyen
âge frappant toute une contrée, déterminées par le fanatisme religieux et
que l'on ne peut guère rapprocher, dans le présent, que de l'équipée des
« Douchoboris » (Combattants pour l'âme, Russes appartenant à une
secte religieuse, émigrés au Canada) qui, vers la fin de 1902, en bande de
2 00o environ, quittèrent leur village et parcoururent des lieues, en mar-
chant tout nus, dans la neige, à la recherche du royaume de Dieu ! Mais,
sans chercher les exemples si loin, il suffit, pour se convaincre de l'exac-
titude du fait que je tâche de faire ressortir, de comparer l'hystérie telle
qu'on l'observe actuellement dans les hôpitaux de Paris à l'hystérie d'il y
a vingt à vingt-cinq ans. Les grands accidents, ces paralysies, ces contrac-
tures qui duraient des années et qui étaient des troubles très communs
autrefois, sont devenus fort rares. On ne voit plus de ces grandes attaques
avec les quatre fameuses périodes, ces grands états hypnotiques carac-
térisés par la léthargie, la catalepsie et le somnambulisme. Les élèves ou
les jeunes médecins qui lisent, dans les ouvrages de l'époque, la des-
cription de ces troubles, ont l'impression qu'il s'agit là de paléopatho-
logie.
Il faut encore ajouter que les phénomènes hystériques, pithiatiques,
qui sont l'oeuvre de la suggestion ou de l'autosuggestion ont aussi pour
propriété d'être en grande partie subordonnés à la volonté, à la fantaisie
plus ou moins consciente des malades qui deviennent parfois capables de
se guérir grâce à leur propre énergie. Je connais des sujets, depuis long-
temps en parfaite-santé, qui, après avoir été hospitalisés pendant plusieurs
années et avoir présenté les accidents hystériques les plus intenses et les
plus variés, pris un jour du désir de rentrer dans la société et de vivre
d'une existence normale, sont très rapidement parvenus à se débarras-
ser complètement de leurs troubles par des efforts de volonté, en quelque
sorte par « autopersuasion ».
Si maintenant l'on compare, aux divers points de vue que je viens de
considérer, les autres névroses à l'hystérie, on ne peut manquer d'être
frappé par les différences qui séparent ces états. Envisageons la maladie
du doute, et, si je choisis cet exemple, c'est que tout récemment un neu-
rologiste autorisé a soutenu, à ma grande stupéfaction, qu'il y avait « de
grandes analogies entre la psychasthénie et l'hystérie » ('). Que certaines
phobies puissent être le résultat d'une suggestion, soient susceptibles de
(') Voir Revue Neurologique, 3o mai 1908, p. 5oi.
La maladie du doute est comprise dans ce que M. Janet appelle la psychasthénie.
DÉMEMBREMENT DE L'I-IYSTÉIIIE TRADITIONNELLE 5oi
disparaître par persuasion et constituent des phénomènes pithiatiques, je
ne le conteste certes pas, mais je crois pouvoir affirmer que jamais sujet
atteint de la maladie du doute bien caractérisée n'est arrivé à se guérir
par autopersuasion, et cela est d'autant plus remarquable que beaucoup
de ces malades sont capables de déployer, dans des circonstances graves
et difficiles de la vie, de l'intelligence et de l'énergie, qu'ils sont les pre-
miers à qualifier leurs obsessions d'absurdes et qu'ils ont le plus vif désir
de guérir ; mais l'observation montre que leur volonté n'a sur ces troubles
que très peu de prise ; contrairement aux hystériques qui sont, pour ainsi
dire, des acteurs dans leurs manifestations maladives, les vrais douteurs
se comportent plutôt comme de simples spectateurs, capables seule-
ment de contempler et d'analyser, parfois très finement, leurs obses-
sions.
L'influence psychique du milieu dans lequel vivent ces douteurs, ces
phobiques, ces psychasthéniques sur l'intensité, la modalité de leurs
troubles, sans être nulle, n'est vraiment que bien faible. Ces phénomènes
sont sujets à des alternatives en bien et en mal et se manifestent parfois
sous forme de crises de phobies, d'obsessions qui peuvent durer plusieurs
mois et dans l'intervalle desquelles il y a un calme relatif, ce qui expose,
quand l'accalmie coïncide avec un changement de milieu, à des erreurs
d'interprétation. Mais, en réalité, lorsqu'on considère ces faits d'une ma-
nière globale, on arrive à cette conviction c'est là, du moins, mon
opinion que les circonstances de ce genre n'exercent sur cette affection
qu'une action très limitée. Ce qui le prouve d'une façon péremptoire et
contribue à établir une ligne de démarcation tranchée entre les deux états
nerveux que nous comparons, c'est que, contrairement à ce qu'on observe
dans l'hystérie, la maladie du doute avec ses diverses modalités se pré-
sente et s'est toujours présentée, à peu près, sous le même aspect dans
tous les pays où elle a été étudiée, et dans toutes les conditions sociales ;
les descriptions qu'en ont données les médecins de la génération précé-
dant la nôtre s'appliquent rigoureusement aux malades que nous obser-
vons actuellement. On peut dire, pour ne pas préjuger de l'avenir, que
jusqu'à présent cette maladie n'a pas changé, et cette immutabilité dans
le temps contraste avec l'extrême mutabilité des troubles qui constituent
l'hystérie, le pithiatisme.
Je ne prétends pas que la nature humaine soit maintenant moins sug-
gestionnahle qu'autrefois, mais je dis que, connaissant les circonstances
propres à mettre en jeu la suggestibilité, nous sommes en mesuré d'agir
sur ses manifestations, d'en entraver le développement et, quand elles ont
apparu, de les faire disparaître par le raisonnement, la persuasion ; la
confiance qu'inspirent aux malades les moyens thérapeutiques employés
et celui qui les prescrit peut donner le même résultat. Il y a là un
contraste avec ce qu'on observe dans les autres névroses et maladies
mentales. -
Ne ressort-il pas clairement de toute cette discussion que les phéno-
mènes pithiatiques doivent nécessairement être classés dans un cadre
5o2 Il YSTÉR11 ? I TIII : 1TIS31E
spécial et séparés de tous les autres phénomènes avec lesquels ils ont été
mélangés ?
Il est aisé de comprendre que les phénomènes pithiatiques puissent
exister à l'état de pureté ou s'associer à d'autres affections qu'ils sont
capables de masquer ou par lesquels ils sont susceptibles d'être masqués.
La méconnaissance de ces associations a conduit à une interprétation
erronée de beaucoup de faits qui peuvent s'expliquer très facilement ;
elle est l'origine de cette idée fausse, très répandue autrefois, encore
admise maintenant par quelques-uns, que des affections indépendantes
de l'hystérie peuvent être guéries par la suggestion ou par la persuasion.
Or, je défie d'en citer une seule que l'on puisse faire disparaitre ainsi.
Parfois, il est vrai, chez des sujets atteints de neurasthénie, de maladie du
doute ou de quelque maladie organique, on obtient par la psychothérapie
la guérison de certains troubles occupant dans l'ensemble symptomatique
une place plus ou moins importante. Mais est-il rationnel de soutenir, en
se fondant sur de pareils faits, que les états nosologiques en question se
composent de deux ordres de manifestations, les unes curables, les autres
incurables par la persuasion ou la suggestion ? Assurément non. Il est
bien plus logique de dire que dans de pareils cas il s'agit d'associations
de l'hystérie avec d'autres affections et que les troubles guéris par la psy-
chothérapie sont ceux qui dépendent de l'hystérie. Il est de toute évidence
que les phénomènes pithiatiques purs ou associés sont tous de même
nature et je ne vois aucune raison de les séparer les uns des autres.
Et maintenant si l'on considère que les phénomènes pithiatiques peu-
vent imiter plus ou moins les troubles fonctionnels des maladies les plus
diverses, qu'ils peuvent s'associer, non seulement aux affections nerveuses,
mais à toutes les affections viscérales, thoraciques et abdominales, qu'ils
sont susceptibles de guérir rapidement, instantanément même, ou de
durer indéfiniment, suivant qu'on en reconnaît ou non la nature et qu'on
se comporte ou non en bon psychothérapeute, on est amené à soutenir
qu'il n'est permis à aucun clinicien de se désintéresser de leur étude.
Cela me parait d'autant plus juste qu'un médecin en contact avec un sujet
suggestionnable exercera inévitablement sur lui, par ses paroles ou par
son silence, par son zèle ou par son insouciance, une influence qui, si
elle n'est pas bonne, sera mauvaise ; que la présence de ce médecin sera
nuisible ou utile et qu'elle ne pourra guère rester indifférente.
Les idées que je viens d'exposer me paraissent dignes d'être méditées,
non seulement parce que, étant vraies, elles méritent, comme toute vérité
scientifique, qu'on s'y arrête, mais aussi parce qu'il en découle plu-
sieurs conséquences pratiques importantes que je vais successivement
indiquer.
i° Connaissant l'action qu'il exerce sur les sujets suggestionnables et le
rôle qu'il est volontairement exposé à jouer, s'il n'y prend pas garde,
DÉMEMBREMENT DE L'HYSTÉRIE TRADITIONNELLE 503
dans la genèse des phénomènes pithiatiques, le médecin, tout en obser-
vant ses malades, doit s'observer lui-même ; il surveillera attentivement
ses paroles, se rappelant toujours qu'une question mal posée ou une ré-
flexion inopportune peut être la cause d'une suggestion. Il y a là un dan-
ger qu'il ne doit pas perdre de vue, qu'il évitera en se conformant dans
son interrogatoire et son examen à des règles que j'ai déjà indiquées autre
part, dans leurs grandes lignes.
2° Sachant qu'un sujet suggestionnable subit très facilement l'influence
de son entourage, il ne se contentera pas d'agir en personne, par des
pratiques psychothérapiques, sur les malades atteints de troubles pithia-
tiques ; il s'ingéniera encore pour leur créer, par tous les moyens possi-
bles, un milieu psychique qui leur soit salutaire.
3° Convaincu que les troubles pithiatiques vrais doivent céder rapide-
ment à une psychothérapie habilement pratiquée, le médecin qui, dans
un cas de ce genre, aura vu échouer ses tentatives thérapeutiques, sera
conduit à penser que le succès a été entravé par quelque action contre-
psychothérapique ; il cherchera à la découvrir pour la faire disparaitre et
réaliser ainsi les conditions qui assureront la guérison.
4° Connaissant les limites du pithiatisme, il saura distinguer les troubles
qui ne font, pas partie de ce domaine, et ne se fera pas fort de les guérir
par la psychothérapie. S'abstenant de promesses qu'il n'est pas en mesure
de tenir, il évitera de se discréditer. En outre, et cela est encore plus
important, n'ayant pas d'illusions sur les effets à attendre d'un pareil
traitement, il sera moins exposé à négliger les moyens thérapeutiques que
peuvent réclamer les affections non pithiatiques.
5° Possédant des notions plus exactes et plus précises qu'autrefois sur
le pithiatisme et la simulation, il sera plus apte, en tant qu'expert, à
donner un avis fondé dans les procès relatifs aux « accidents du tra-
vail ».
A. D'une part, il ne commettra pas l'erreur d'attribuer à l'hystérie des
états se manifestant par des caractères que la volonté est incapable de
faire naître et qui ne sont pas pithiatiques. Il sera ainsi, moins que par
le passé, sujet à méconnaître l'importance de préjudices causés par des
accidents et à priver ceux qui en ont été victimes d'un dédommagement
légitime.
B. D'autre, part, il sera plus en mesure qu'autrefois de faire obstacle
aux abus que la loi sur les accidents du travail a engendrés et dont la
conception ancienne de l'hystérie est une des causes principales.
a) Sachant que tous les phénomènes pithiatiques peuvent être rigou-
reusement reproduits par la simulation, il devra être sur ses gardes lors-
qu'il aura affaire à un sujet présentant des troubles ayant les caractères
qui appartiennent à ce genre de phénomènes. Il le soumettra à une obser-
vation très attentive qui parfois permettra de déceler la fraude ; mais,
même dans le cas contraire, il ne se portera jamais garant de sa sincérité.
D'ailleurs, lorsqu'il n'aura constaté aucun fait l'autorisant à suspecter la
bonne foi de l'intéressé, il devra déclarer que le préjudice causé est mi-
501, HYS T lRI E-P 1 Tlll,1 TISM E
nime, car, je le répète, les troubles hystériques cèdent à une psychothé
rapie pratiquée dans de bonnes conditions et, en ce qui concerne parti-
culièrement les manifestations hystériques post-traumatiques, l'expérience
montre qu'elles disparaissent, pour ainsi dire toujours, après l'arrêt du
tribunal qui, réglant définitivement la situation du plaignant, le débar-
rasse de la préoccupation occasionnée par l'attente du jugement et sup-
prime sans doute la principale entrave à la guérison.
b) Bien pénétré de cette idée que « les troubles vaso-moteurs et les
troubles trophiques hystériques » ne sont que des fictions dont ont béné-
ficié injustement, au détriment d'autrui, de soi-disant victimes d'accidents
du travail, que la notion de ces prétendus troubles hystériques repose
sur des erreurs de diagnostic et sur la méconnaissance de la superche-
rie, l'expert saura mieux orienter ses recherches, quand il aura affaire à
un sujet se déclarant atteint, consécutivement à un accident, soit d'hé-
morragies viscérales, soit de phlyctènes, d'ulcérations, de gangrènes,
d'hémorragies cutanées, soit d'oedème d'un membre. S'il lui semble
impossible d'établir une relation directe entre le trouble observé et
l'accident subi, si le trouble ne lui parait pas dépendre de quelque affec-
tion bien déterminée qui, tout en ayant précédé l'accident, aurait pu être
influencée par lui, il doit songer à la possibilité d'une tromperie et em-
ployer tous les moyens nécessaires pour vérifier cette hypothèse.
Je me crois en droit de conclure de cette étude que la conception
ancienne de l'hystérie fondée sur des observations les unes insuffisantes,
les autres erronées, ne résiste pas à la critique ; que le démembrement
de l'hystérie traditionnelle est une conséquence inévitable d'une série de
faits ignorés autrefois et solidement établis aujourd'hui ; que de cette
désagrégation résulte la mise en liberté d'un groupe autonome de phé-
nomènes occupant en pathologie une place fort importante, auquel on
peut réserver la dénomination d'hystérie, mais qui est désigné d'une
manière plus expressive par le mot pithiatisme.
IV
DE L'HYPNOTISME EN THÉRAPEUTIQUE
ET EN MÉDECINE LÉGALE
. B : 1BINSICI.
Publié dans la Semaine Médicale, 2-j juillet /,9/0.
L'hypnotisme a été de tout temps l'objet de controverses. Sans faire
t l'historique complet de ce sujet et sans discuter les diverses ques-
tions qu'il renferme, je rappellerai que les neurologistes et les légis-
tes se trouvaient autrefois divisés sur deux points fondamentaux : les uns
prétendaient que l'hypnotisme pouvait être employé avec succès contre la
plupart des maladies fonctionnelles, mais que c'était un agent dangereux
à manier, susceptible de devenir, entre des mains criminelles, une arme
redoutable ; les autres soutenaient que le sommeil provoqué guérissait
uniquement les manifestations hystériques et que ses dangers avaient été
exagérés.
Cependant, si les avis différaient jadis sur l'importance de l'hypnotisme,
tous les médecins s'accordaient à déclarer qu'on disposait là d'une force
capable d'être utile ou nuisible. Son utilité, en particulier, n'était pas
contestée et, de fait, lesguérisons obtenues à la suite de pratiques hypno-
tiques ont été très nombreuses.
Or, aujourd'hui, on n'hypnotise presque plus. Voilà un fait. Peut-on en
découvrir les raisons ? La thérapeutique ne serait-elle qu'une affaire de
mode ; ou bien cette méthode présenterait-elle des inconvénients plus
grands qu'on ne l'avait pensé ; ou encore se serait-on illusionné sur son
utilité ?
Il y aurait intérêt à interroger sur les motifs de leur revirement les mé-
decins qui ayant beaucoup pratiqué autrefois l'hypnotisme ne l'emploient
plus aujourd'hui qu'à titre exceptionnel. Il serait bon aussi, à cette occa-
sion, de reprendre la question fondamentale en médecine légale, des rap-
ports de l'hypnotisme avec ce qu'on appelle « le libre arbitre », « la res-
ponsabilité ».. , . i -
5o(i H YS T ÉR 1 E-P IT HIA TISM E
Et d'abord, qu'est-ce que l'hypnotisme ?
Ne cherchons pas à en pénétrer la nature. Procédons en cliniciens :
énonçons les caractères assignés à l'état ou aux états que l'on dénomme
« sommeil hypnotique ».
Lorsque, après avoir fait fixer à un sujet un point brillant, ou après
l'avoir regardé avec persistance, ou encore après lui avoir affirmé qu'on
allait l'endormir, on constate qu'il ferme les yeux et semble ne plus pou-
voir les ouvrir, que ses membres paraissent inertes et insensibles, etc.,
on a l'habitude de dire qu'il est hypnotisé.
L'hypnotisme, d'ailleurs, se présente sous des formes très variées, plus
ou moins parfaites, plus ou moins frustes. Tantôt le sujet semble étran-
ger à ce qui se passe autour de lui ; il serait comme inconscient, inerte
(léthargie) ; tantôt on entre facilement en communication avec lui, mais sa
volonté deviendrait esclave de l'hypnotiseur qui la suggestionnerait à sa
fantaisie (somnambulisme). Dans la salle où a lieu l'hypnotisation, on
montre par exemple au sujet, sur le parquet, une corbeille de fleurs ima-
ginaires, aux couleurs vives ; on lui demande d'en cueillir quelques-unes,
de les réunir en bouquet et d'en respirer le parfum. On le voit bientôt se
baisser vers le mirage des fleurs, faire plusieurs fois le geste de briser
une tige et revenir à sa place en humant avec délices la gerbe illusoire.
Se trouve-t-on dans un amphithéâtre dont les gradins regorgent d'assis-
tants ? On affirme au sujet endormi qu'il n'y a personne dans la salle et
qu'il doit aller s'asseoir confortablement au premier rang. On le voit se
mettre sur les genoux de la personne qui occupe la place indiquée comme
si, en apparence, il prenait possession d'un siège vide.
L'hypnotisé serait contraint, suivant le désir de l'hypnotiseur, d'exécu-
ter ses injonctions soit immédiatement, soit après le réveil.
Il accomplirait en automate les actes suggérés, ne se souviendrait pas
d'avoir été endormi et ne se rendrait pas compte qu'il agit à l'instigation
d'autrui (amnésie au réveil). '
Enfin, certains individus n'auraient pas le pouvoir, malgré tous leurs
efforts, de résister à l'hypnotisation et seraient ainsi susceptibles de s'en-
dormir contre leur gré.
Pour éviter toute ambiguïté, je ferai remarquer qu'en employant les
termes « léthargie » et « somnambulisme » je n'entends nullement
reconstituer le « Grand Hypnotisme » avec ses trois périodes. Par ces
mots je désigne non pas deux phases mais deux aspects du sommeil hyp-
notique, l'un qui, d'après son sens étymologique, rappellerait de bien
loin l'état de mort, l'autre dans lequel le sujet endormi ou plutôt
plongé, les yeux ouverts, dans un « état second », conserverait la faculté
de déambuler et de parler. Ces deux états hypnotiques sont, au fond, ana-
logues, mais ils revêtent une apparence tellement différente que, pour ce
motif, j'ai cru devoir les envisager séparément. D'ailleurs, les conclusions
auxquelles j'arriverai dans la suite s'appliquent à tous les aspects du som-
meil hypnotique, entre autres à cette forme très commune où le sujet, les
yeux fermés, parle et répond aux questions qu'on lui pose.
DE L'HYPNOTISME EN THÉRAPEUTIQUE 507
Mais avant de poursuivre, il est nécessaire de se demander si l'hypno-
tisme constitue bien une réalité. Ne faut-il pas y voir, comme quelques-
uns de ceux qui assistèrent aux premières expériences, une simple fiction ?
On peut, en effet, simuler l'hypnose, fermer les yeux, se donner volontai-
rement l'attitude d'une personne quasi étrangère au monde extérieur, ou
bien feindre une obéissance passive aux commandements de l'hypnoti-
seur, prendre un air terrifié quand on vous suggère qu'un chien enragé
vous poursuit ou que les flammes d'un incendie vous menacent ; il est
facile aussi d'affirmer qu'on a été endormi contre sa volonté et qu'au
réveil on ne se rappelle aucun des actes commis, aucune des paroles pro-
noncées pendant le prétendu sommeil hypnotique.
Charcot, dès ses premières investigations sur les états dits hypnotiques,
avait été frappé par la valeur d'une pareille objection et son souci pri-
mordial consista dans la recherche de signes permettant de distinguer
l'hypnotisme vrai, s'il en existe un, de l'hypnotisme simulé. Il crut en
trouver ; il décrivit ce qu'il appela les phénomènes somatiques du grand
hypnotisme : l'hyperexcitabilité neuro-musçulaire, la plasticité catalepti-
que. Lorsque, suivant lui, chez un sujet en léthargie on excite par la pres-
sion un muscle quelconque (le fléchisseur commun superficiel des doigts
par exemple), celui-ci se contracture. Les doigts se fléchissent et, pour
les ouvrir directement, il faut déployer une grande force. Mais l'hypnoti-
seur n'a qu'à produire une excitation sur le muscle antagoniste (l'exten-
seur commun en l'espèce) pour faire disparaître la contracture. De même,
l'excitation mécanique d'un nerf moteur (facial, radial, cubital, etc.)
devait développer la contracture des muscles innervés par ce nerf et de
ceux-là seuls. On pouvait produire ainsi des attitudes régies par l'anato-
mie, telles que la griffe cubitale, médiane, etc. Voilà en quoi consistait le
phénomène somatique de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire. Quant à
la plasticité des muscles, elle caractérisait l'état cataleptique. Il suffit de
provoquer un bruit violent auprès d'un sujet en léthargie ou bien d'ouvrir
brusquement à la lumière ses paupières closes pour créer en lui la
faculté de conserver sans efforts les attitudes diverses où l'on place ses
membres. Le sujet donne alors l'impression d'une poupée articulée.
Charcot estimait qu'il est impossible de simuler ces caractères. La
volonté lui paraissait impuissante à reproduire la griffe cubitale ou la
contraction des muscles de la face, surtout si le sujet en expérience est
dépourvu de toute notion anatomo-physiologique. De plus, les tracés
graphiques permettraient de faire le départ de la vraie catalepsie et de la
fausse. Ces caractères somatiques propres au grand hypnotisme avaient
réussi à doter cette variété d'hypnose d'un cachet de sincérité, de vérité.
Dès lors, puisque chez les sujets qui se présentent sous cet aspect on
peut mettre en évidence des attributs objectifs, inimitables parla volonté,
il n'existe plus de bonne raison pour douter de la réalité des phénomènes
subjectifs, psychiques, malgré leur apparente bizarrerie.
On arrive ainsi à cette conception de l'hypnotisme : par des procédés
divers on provoque chez certains sujets une perturbation physique du sys-
5o8 Il YS Tl'RIE-1)1'F Il
tème nerveux, dont une des conséquences est l'exaltation de la suggesti-
bilité. Or, comme certains troubles fonctionnels, certains états morbides
peuvent céder sous l'influence de la suggestion, quand la suggestibilité
est exagérée, il devient indiqué d'hypnotiser les malades atteints de ces ma-
nifestations pathologiques. Cette conception paraît absolument rationnelle,
une fois admises les bases sur lesquelles elle repose.
Mais aujourd'hui on est bien obligé de reconnaître l'inexactitude des
faits qui servaient de fondement à cette doctrine. Envisageons l'hyperexci-
tabilité neuro-musculaire. Il ne s'agit pas là d'une hyperexcitabilité
réelle des muscles ou des nerfs : s'il en était ainsi, la pression du
doigt sur le nerf facial, par exemple, devrait développer dans le côté cor-
respondant de la face une contraction semblable à celle qui résulte de
l'électrisation du nerf et qui est caractérisée par des phénomènes indé-
pendants de la volonté (synergie paradoxale, fossette mentonnière, etc.).
Or, que provoque-t-on par ces manoeuvres ? Une simple grimace, identi-
que à celle que tout individu peut faire au moyen d'une contraction
volontaire de ses muscles. Quant aux prétendus caractères spécifiques
des tracés obtenus dans la Catalepsie vraie, ils constituent une des illu-
sions des premiers expérimentateurs, trompés sans doute par des idées a
priori. La méthode des graphiques, très précieuse quand ses résultats
sont interprétés avec circonspection, risque autrement d'induire en erreur.
J'ai examiné de ces grands sujets, je les ai comparés à des individus qui,
sur ma. demande, simulaient la catalepsie : les tracés ont été identiques*
Les états hypnotiques ne possèdent donc pas de caractères somatiques
objectifs que la volonté soit impuissante à reproduire.
La notion des phénomènes somatiques appartenait, d'ailleurs, en pro-
pre à l'Ecole de la Salpêtrière. Celle de Nancy ne l'acceptait pas. Elle
admettait cependant la réalité de l'hypnotisme, mais sans fournir aucune
preuve à l'appui de cette opinion.
Il est vrai que des phénomènes subjectifs, nerveux, psychiques peuvent
être pathologiques, nullement simulés, sans qu'ils s'associent nécessaire-
ment à des signes objectifs. Soutenir une idée contraire équivaudrait à
contester l'existence d'une partie de la psychiatrie. Assurément, dans cer-
tains cas particuliers, on pourrait se trouver très embarrassé ou même
dans l'impossibilité d'affirmer l'authenticité de la folie du doute, d'un
délire de persécution, d'un accès de mélanéolie : des sujets instruits,
habiles, ayant des raisons majeures d'induire le médecin en erreur, par-
viendraient à simuler de pareils états, au moins temporairement. Mais il
serait évidemment insensé d'en contester, d'une manière générale, la réa-
lité. On en a la preuve dans ce fait que, dans tous les pays, dans tous les
milieux, dans tous les temps, ils revêtent leurs traits principaux d'une
même apparence, et que leurs particularités les plus fines, dont la connais-
sance nécessite une étude approfondie, se trouvent reproduites spontané-
ment par des sujets dépourvus de toute notion médicale.
Peut-on en dire autant de l'hypnotisme ? Y " , .
Son existence effective, certes, ne s'impose pas à l'esprit avec la même
DE L'HYPNOTISME EN THÉRAPEUTIQUE 5og
évidence que celle des troubles mentaux cités plus haut. En effet, il varie
notablement suivant les circonstances; il n'apparait pas spontanément,
mais exige l'intervention d'un tiers. L'aspect sous lequel se présente un
individu hypnotisé est essentiellement subordonné aux spectacles qu'il a
vus et aux propos qu'il a entendus. A beaucoup d'égards l'hypnotisé se
comporte comme un comédien et l'hypothèse que tout l'hypnotisme
constitue une farce n'est pas absurde.
Le problème ne me paraît pas comporter une solution catégorique.
Mais il est permis de chercher à se former sur ce point l'opinion la plus
probable. Celle des médecins qui se sont occupés d'hypnotisme doit varier
suivant les sujets auxquels ils ont eu affaire et leur propre tournure
d'esprit, plus ou moins porté à la défiance. Cependant, toutes conditions
égales d'ailleurs, cette opinion comporte d'autant plus de chances d'exac-
titude qu'elle repose sur des observations plus nombreuses et plus lon-
gues.
Aussi, n'y a-t-il peut-être pas prétention de ma part à penser qu'ayant
vécu pendant plusieurs années, aux débuts de ma carrière de neurologue,
à la Salpêtrière, dans un milieu où l'on cultivait particulièrement l'hypno-
tisme, qu'ayant eu l'occasion de suivre pendant plus de vingt ans un
certain nombre des sujets qui présentaient les caractères les plus parfaits
de l'hypnotisme, et qu'ayant observé dans d'autres milieux que la
Salpêtrière des phénomènes analogues, je suis en mesure d'émettre un
avis de quelque valeur.
Je ferai donc ma profession de foi. Je déclare que l'existence effective
d'un état qu'on peut appeler « sommeil hypnotique » différant d'ailleurs
notablement de toutes les autres espèces de sommeil, et susceptible d'être
aisément simulé, me parait très vraisemblable. Voici mes raisons à l'appui
de cette manière de voir. A l'époque où l'hypnotisme s'épanouissait à la
Salpêtrière, il y avait presque en permanence, réunis dans un même ser-
vice, une dizaine de sujets sur lesquels on expérimentait. L'hypothèse
d'une vulgaire simulation entraîne celle d'une sorte de complot nécessi-
tant la connivence des malades en contact journalier avec les mystifica-
teurs. On imagine difficilement que le secret de cette mystification ait été
indéfiniment gardé, sans donner naissance à des fuites. Nous entendions
bien dire, de temps en temps, par les compagnes de ces grands sujets-
lemmes qu'elles manquaient parfois de sincérité, mais jamais aucune
accusation précise n'a été portée contre elles. Bien souvent des malades
atteintes d'affections organiques, vivant dans les mômes salles, venaient
demander au médecin de chercher à les hypnotiser pour les guérir, ce
qui semble prouver que l'hypnotisme, en ce milieu, était pris au sérieux.
J'ai cherché à confesser d'anciens sujets, à différentes reprises, longtemps
après leur sortie de l'hospice, alors qu'ils n'avaient plus aucun intérêt
apparent à me tromper; je crois avoir employé tous les moyens propres
obtenir des aveux : le résultat fut toujours négatif.
Est-ce à dire que l'hypnotisme soit exactement ce que l'on pensait autre-
fois ? Nous allons discuter cette question point par point.
5m HYST £ RIE-PITHlJ1TfSME
Rappelons les principaux caractères attribués à l'hypnotisme :
a) L'hypnotisation pourrait être opérée parfois contre le gré du sujet.
b) Le sujet hypnotisé ne se rappellerait plus, au réveil, ce qui aurait
eu lieu pendant le sommeil.
c) Dans l'état léthargique, il serait inconscient.
d) Dans l'état somnambulique, sa propre volonté n'existerait plus et
il accomplirait par contrainte, pendant l'hypnose ou après son réveil, les
actes suggérés.
Soumettons à la critique ces diverses notions dont la réalité, si elle
était établie, entraînerait des conséquences sociales considérables,
terrifiantes.
a) Peut-on endormir une personne contre son gré ? Je suis persuadé du
contraire et je citerai, à l'appui de mon opinion, un seul fait : ces grands
sujets que nous maniions autrefois à la Salpêtrière avec une si grande
facilité apparente, que nous endormions d'un geste, d'un regard, que
nous avions l'air de dominer, opposaient parfois à nos tentatives d'hypno-
tisation une résistance invincible. Il suffisait d'un mot qui avait froissé
leur amour-propre ou de tout autre motif insignifiant. Je demeure
convaincu qu'on ne peut pas hypnotiser un sujet sans son consentement.
b) L'hypnotisé est-il susceptible de perdre au réveil le souvenir des
événements accomplis pendant le sommeil ? Toutes mes observations
infirment cette idée.
Après une séance d'hypnotisation pendant laquelle vous aurez suggéré
au sujet de tout oublier au réveil, vos interrogations pourront rester
sans réponse et le masque d'ignorance qu'il revêtira vous incitera à croire
à la réussite de votre suggestion. Mais, si vous procédez d'une manière
détournée, comme un juge d'instruction habile, vous parviendrez sans
peine à faire prononcer des paroles qui vous prouveront l'intégrité
ininterrompue de la mémoire. Cela est surtout aisé si vous pratiquez
votre enquête quelques heures ou quelques jours après la séance. J'ai eu
bien souvent l'occasion de constater par les propos de ces sujets-femmes,
par leur altitude à l'état de veille, qu'elles se souviennent parfaitement de
tout ce qu'on dit en leur présence pendant leur sommeil.
Je me suis livré aussi à maintes expériences dont les résultats
concordent tous avec cette manière de voir. En voici une, entre autres :
je dis, devant un sujet hypnotisé, que tel mot français se traduit de telle
manière dans une langue inconnue de lui. Lorsque au réveil, je veux
lui faire donner la traduction du mot choisi, il commence par rire, par
affirmer qu'ignorant l'idiome en question, il ne peut me satisfaire.
J'insiste, je lui répète qu'il connaît l'équivalent de ce mot français, qu'il
l'a entendu, etc., etc., et je finis presque toujours par obtenir une réponse
parfaite.
c) Dans l'état dit léthargique, le sujet est-il inconscient ? A cette question
je répondrai encore par la négative. Les considérations précédentes
montrent déjà l'esprit de l'hypnotisé en éveil, enregistrant les paroles
prononcées. Il y a plus : pendant la durée même de la léthargie on peut,
DE L'HYPNOTISME EN THÉRAPEUTIQUE J11
de diverses manières, entrer en communication avec lui, bien qu'il
semble dormir profondément. Vous dites, par exemple : « Je soulèverai
son bras 10 fois ; à la dixième fois le bras, qui est flasque, se raidira ».
L'expérience réussit le plus souvent. Le sujet a donc entendu vos paroles,
suivi attentivement vos opérations et vous a obéi. Ajoutons qu'une sensa-
tion quelque peu vive et inopinée réveille l'hypnotisé qui, d'ailleurs, est en
mesure de sortir spontanément de son sommeil.
d) Dans 1 état somnambulique le sujet perd-il tout contrôle volontaire
et se trouve-t-il contraint d'accomplir pendant l'hypnose ou après son
réveil les actes qui lui ont été suggérés ?
Là encore, la volonté de l'hypnotisé somnambule ne fait défaut qu'en
apparence. Vous pouvez, il est vrai, faire exécuter à un individu placé
dans cet état des actes singuliers qui paraissent déraisonnables et qu'il
n'a pas l'habitude d'accomplir dans la vie normale : vous lui faites ouvrir
un parapluie en lui suggérant qu'il pleut, alors que le ciel est sans
nuages; vous lui ordonnez de caresser un chien imaginaire censément
étendu dans la pièce, de bercer un enfant fictif, etc. ; mais remarquez
que ces faits-là n'offrent aucune importance et ne peuvent porter aucun
préjudice ni à lui ni à personne. Essayez de suggérer une action, je ne
dirai pas nuisible à l'intéressé, mais quelque peu désagréable ; vous vous
heurterez ordinairement à une opposition irréductible. Cherchez simple-
ment, par suggestion, à faire adopter par une femme, en état de somnam-
bulisme, une toilette ou une coiffure qu'elle trouve désavantageuse pour
sa beauté et vous verrez quels obstacles rencontrera votre prétendue toute-
puissance 1 A fortiori, en serait-il de même si on voulait suggérer à quel-
qu'un un acte que sa conscience réprouverait.
L'esprit critique n'est pas aboli pendant le sommeil hypnotique ; le
sujet ne devient pas passif et il fait le choix entre les diverses suggestions.
La volonté est si peu annihilée que le sujet hypnotisé a la faculté de
garder des secrets, même sans importance, qu'on cherche à lui taire
dévoiler.
Des considérations précédentes il découle que l'hypnotisme, tout en
semblant une réalité, a aussi les apparences d'un produit de la simula-
tion. L'impression qui s'en dégage dépend de l'angle sous lequel on
l'envisage. L'hypnotisme a tout à fait les mêmes allures que l'hystérie
avec laquelle il se confond (').
Les sujets hypnotisables et les hystériques sont susceptibles de pré-
senter des troubles (phénomènes hypnotiques, phénomènes hystériques)
à la réalité desquels ils croient, mais seulement dans une certaine
mesure ; leur sincérité connaît des limites. J'ai eu l'occasion d'écrire sur
l'hystérie les lignes suivantes :
Dans toutes sortes de circonstances l'hystérique se comporte comme s'il
était en partie maître de sa maladie et si sa sincérité n'était pas absolue : .'
(') Voir J. Babinski. Ma conception de l'hystérie et de l'hypnotisme (pithiatisme), Chartres, igo6.
512 HYSTÉRIE- PITHIATISME
contrairement à (épileptique , il n'a guère d'attaques que dans des lieux déter-
minés; il sort presque toujours, sans s'être contusionné, des crises clowniques
qui ont épouvanté l'entourage; en proie à des hallucinations terrifiantes, il ne
commet pas, à la manière d'un alcoolique halluciné, des actes dangereux
pour lui; atteint d'une anesthésie thermique en apparence très profonde, il
ne sera pas, comme un syringomyélique, exposé il se brûler; un rétrécisse-
ment du champ visuel, quelque prononcé fût-il, ne l'empêchera pas, ainsi
que cela a lieu dans les rétrécissements organiques, de circuler et d'éviter tous
les obstacles. Tout cela rapproche l'hystérie de la simulation et j'ai l'habitude
de dire que l'hystérique est en quelque sorte un demi-simulateur (').
L'hypnotisme se prête à des réflexions analogues; suggère-ton, par
exemple, à un somnambule que la pièce où il se trouve et l'escalier de
sa maison sont la proie des flammes, il manifestera bien de l'épouvante,
mais il se gardera de sauter par la fenêtre, fut-elle à deux mètres au-
dessus du sol.
Les phénomènes hypnotiques, comme les phénomènes hystériques,
résultent de la suggestion et disparaissent sous l'influence de la contre-
suggestion, de la persuasion.
On comprend aisément que l'hypnotisme étant un produit de l'imagina-
tion, de la suggestion, se présente sous des aspects très divers.
Le sommeil hypnotique ne crée pas la suggestibilité ; il n'est même pas
démontré qu'il l'accroisse ; il en constitue simplement une manifestation.
A cet exposé, il me sera facile de faire saisir le motif pour lequel je
n'emploie plus guère l'hypnotisme en thérapeutique. Si l'hypnotisme ne
crée ni n'augmente la suggestibilité, il paraît sans objet. Autrefois, il est
vrai, on a guéri un grand nombre d'hystériques après les avoir hypno-
tisés ; mais la guérison n'était pas la conséquence de l'hypnotisme, elle
provenait du fait que les malades étaient suggestionnables ou susceptibles
de subir l'influence de la persuasion. Des pratiques de psychothérapie à
l'état de veille les auraient tout aussi bien débarrassés de leur mal.
Telle est maintenant ma manière de procéder et je ne suis pas le seul
médecin à agir ainsi. Non seulement l'hypnotisme est, en général,
inutile, mais, de plus, les tentatives d'hypnotisation peuvent vous faire
manquer le but que vous visez ; en effet, si après avoir annoncé à votre
malade que vous l'endormirez, vous subissez un échec, vous perdez
l'influence salutaire qui aurait peut-être suffi pour le guérir : il est plus
facile de faire disparaître par persuasion à l'état de veille une paralysie
ou une contracture hystérique que d'hypnotiser un individu présentant
un de ces troubles. Pourtant, quelques hystériques, après avoir en vain
essayé la plupart des modes de traitement, se suggèrent que seul
l'hypnotisme pourra leur rendre la santé, et ne sont pas accessibles à la
psychothérapie pendant l'état de veille. Le médecin ne prendra de
l'ascendant sur eux qu'après avoir donné satisfaction à leur idée ; il
(') Voir : L'année psychologique, publiée par A. Binet. Année 191°, p. 911.
DE L'HYPNOTISME EN THÉRAPEUTIQUE 513
n'arrivera au but qu'en suivant un chemin détourné. En pareil cas, l'hyp-
notisme devient tout à fait légitime et je le mets volontiers en oeuvre.
Abordons enfin le problème de l'hypnotisme en médecine légale. Des
sujets qui, à l'état de veille, auraient repoussé des suggestions criminelles,
peuvent-ils commettre des délits ou des crimes sous l'influence d'un ordre
donné pendant le sommeil hypnotique ? L'hypnotiseur serait-il en mesure
de faire violence à son sujet ? Aurait-il le pouvoir d'abuser d'une femme
endormie soit en lui suggérant pendant le sommeil somnambulique de se
donner à lui, soit en la violant pendant le sommeil léthargique ! Ces
questions ont été posées déjà devant les tribunaux et elles se poseront
peut-être encore.
Si je me suis fait comprendre précédemment, on doit prévoir mes
réponses. Je serais presque en droit de soutenir qu'une expertise médicale
en cette matière n'apporterait aucune lumière, étant donnée l'impossibilité
de distinguer le sommeil hypnotique légitime d'un sommeil simulé.
L'expert, en effet, ne sera jamais en état d'affirmer la réalité de l'hypno-
tisme chez le sujet soumis à son examen.
Toutefois, comme je crois à l'existence effective de l'hypnotisme, j'ac-
corde volontiers que dans tel cas particulier la réalité du sommeil hypno-
tique puisse être admise pour des raisons d'ordre moral. Il s'agirait, par
exemple, d'un individu qui se serait prêté depuis longtemps à des expé-
riences d'hypnotisme et semblerait, d'après des témoignages dignes de
foi, avoir été endormi à une époque où il n'aurait eu aucun intérêt à
simuler le sommeil. Supposons qu'il soit inculpé d'un délit ou d'un
crime paraissant avoir été commis à l'instigation de quelqu'un qui l'aurait
hypnotisé. Pour les motifs énoncés plus haut, je considérerais même un
pareil sujet comme responsable de son acte. Pourtant, en invoquant son
hypersuggestibilité, mise en évidence par son aptitude à subir l'hypno-
tisation, il serait peut-être permis de limiter quelque peu sa responsabilité.
Mais, je le répète, ce n'est pas l'hypnotisation qui rend suggestionnable,
et dans les circonstances sérieuses les sujets hypnotisés redeviennent
maîtres de leurs actions dans la mesure où ils le sont à l'état de veille.
Je rappellerai à ce propos que l'École de la Salpêtrière soutenait déjà
autrefois que la suggestion ne faisait commettre que des crimes fictifs,
des « crimes de laboratoire ».
Quant à la responsabilité d'un hypnotiseur ayant cherché à suggérer un
acte coupable, je la considère comme égale à celle de tout individu qui pous-
serait autrui, sans hypnotisation préalable, à accomplir un acte interdit
parle Code. Ce n'est pas, en effet, la tentative d'hypnotisation ou sa réussite
qui lui aurait donné le pouvoir d'atteindre un but inaccessible autrement.
Enfin, selon moi, une femme qui se serait donnée à un homme pendant
ou après l'hypnotisation, se serait livrée à lui tout aussi bien en dehors
des expériences d'hypnotisme; l'hypnose n'a pas paralysé sa volonté, ni
procuré à son hypnotiseur le pouvoir de la violenter. Le sommeil hypno-
tique ne saurait être considéré comme un moyen de commettre un viol.
lABINSKI. 33
V
HYSTÉRIE ET PITHIATISME
[J. BÀBINSKI.
Publié dans l'exposé des travaux scientifiques de J. Babinski (ici3).
Ce fait que la suggestion a le pouvoir de reproduire expérimenta-
C lement d'une manière parfaite tous les troubles hystériques ne
prouve sans doute pas, à priori, que ceux-ci soient eux-mêmes
dus à la suggestion. Cependant, je l'ai déjà dit précédemment, la possi-
bilité de sa participation à la production des accidents hystériques en
apparence spontanés n'a jamais été niée; l'observation clinique l'établit
avec une telle évidence qu'une pareille vérité n'aurait pu passer
inaperçue. Mais dans quelle mesure la suggestion intervient-elle alors ?
On ne le savait pas autrefois et l'on était loin de se rendre un compte
exact de ses divers modes d'action. Il en est un en particulier, la sug-
gestion médicale, longtemps méconnue, sur laquelle Bernheim a attiré
l'attention et dont j'ai montré toute l'importance. On peut bien l'apprécier
dans l'étude des prétendus stigmates hystériques qui se développaient,
disait-on, à l'insu des malades, à la manière d'un trouble organique, sans
représentation mentale préalable ; Bernheim lui-même admettait la possi-
bilité d'une hémianesthésie et d'une amblyopie hystériques n'ayant pas la
suggestion pour cause. Jadis, on constatait chez la plupart des hystériques
les dits stigmates «permanents» qui, suivant la croyance ancienne, don-
naient aux accidents transitoires un cachet d'authenticité. C'était une
erreur; elle tenait à ce qu'on ignorait l'action inconsciente que, par ses
questions et par son attitude, le médecin peut avoir sur la genèse de ces
désordres. Je m'en suis assuré par l'étude systématique d'une série de
malades atteints d'accidents hystériques et qui jusque-là n'avaient été
soumis à aucun examen médical ; j'ai exploré l'état de leur sensibilité et
de leur vision, avec la préoccupation constante d'éviter pendant mon
interrogatoire les réflexions, les gestes inopportuns qui auraient pu
HYSTÉRIE ET PITHIATISME 515
troubler la spontanéité de leurs réponses ; or, chez aucun de ces sujets,
dont le nombre s'élevait à plus de cent, je n'ai constaté ni hémianesthésie,
ni rétrécissement du champ visuel, ni dyschromatopsie. Tout commentaire
serait superflu.
C'est la suggestion se manifestant par un besoin d'imitation qui explique
la contagiosité des phénomènes hystériques, en particulier des attaques
nerveuses; elles se propageaient autrefois dans les salles de malades sous
forme d'épidémie, lorsqu'on n'en connaissait pas bien le mécanisme.
La suggestion peut intervenir sous une forme différente dans les asso-
ciations hystéro-organiques : l'auto-suggestion remplace l'hétéro-sug-
gestion ou s'y ajoute. On conçoit bien que des symptômes produits par
une maladie tant soit peu tenace, sur lesquels se concentrent l'attention
et l'inquiétude de l'intéressé, fassent éclore des troubles qui sont du
domaine de la suggestibilité.
Parfois, cette épine organique peut être minime ; c'est un trouble pas-
sager, une légère douleur, un petit traumatisme, un froissement mus-
culaire qui, rencontrant un terrain favorable, sera le point de départ d'un
complexe travail d'auto-suggestion dans lequel l'analyse psychologique
aura bien de la peine à démêler le rôle joué par les diverses causes qui
ont pu y prendre part : les méditations du sujet; toute son expérience
antérieure et ses croyances, la sollicitude maladroite de son entourage,
enfin les examens médicaux avec leur appareil impressionnant bien propre
à éveiller l'attention du malade et à diriger son imagination dans des
voies souvent imprévues. Tous ces éléments se mêlent, s'enchevêtrent, et
de leur action combinée résulte l'accident hystérique qui désormais
subsiste seul tandis que risque de passer inaperçu tout le travail d'auto-
et d'hétéro-suggestion qui l'a précédé et préparé.
Il est inutile d'insister davantage sur l'importance de la suggestion dans
la genèse des accidents hystériques. Mais je n'ai pas encore prouvé qu'elle
en soit la condition sine quà non. D'autres agents, l'émotion en parti-
culier, ne peuvent-ils pas les engendrer, conformément à l'opinion unani-
mement admise autrefois !
Avant d'aborder cette question, il importe de la poser en termes précis.
Sans doute, il y a lieu de penser, à priori, que les ébranlements phy-
siques et surtout les secousses morales peuvent amoindrir la person-
nalité, affaiblir le sens critique, augmenter la suggestibilité et jouer ainsi
un rôle indirect dans le développement des troubles pithiatiques ; mais
ces agents ne feraient alors que préparer le terrain à la suggestion. Sont-
ils- capables, comme on l'a soutenu, de créer par leurs propres forces,
toute suggestion étant écartée, des phénomènes hystériques ? En d'autres
termes, une paraplégie, une monoplégie hystériques, par exemple, pour-
raient-elles apparaître sous l'influence d'une émotion (') sans aucune
(') Dans un travail fait en collaboration avec J. Dagnan-Bouverel, ayant pour litre « Emotion et
Hystérie (r9r), nous avons insisté sur la distinction qu'il y a lieu de faire entre l'émotion choc et
516 HYSTÉRIE-PITHIATISME
représentation mentale préalable, automatiquement, à la manière d'une
sécrétion sudorale, d'un flux intestinal, d'un érythème ? Tel est le pro-
blème, capital pour qui veut pénétrer la nature et le mécanisme de l'hys-
térie, qu'il fallait, selon moi; soumettre de nouveau à l'étude, car la
méthode dont on s'était servi pour la résoudre est défectueuse. Voici en
quoi elle consiste : étant donné un malade atteint d'un accident hystérique,
on tâche d'établir par son interrogatoire et par celui de son entourage
les circonstances dans lesquelles cet accident a pris naissance; si parmi
ces circonstances on relève une émotion, on la considère comme une cause
de l'accident produit. Ce sont des observations de cet ordre qui ont conduit
à l'opinion classique sur le rôle de l'émotion dans l'hystérie.
J'ai montré qu'en suivant une pareille voie, on ne saurait atteindre la
vérité ; en cette matière il faut tenir pour suspects les renseignements
fournis par les malades, enclins, même quand ils sont atteints d'une
affection organique, à faire dépendre de quelque émotion, ancienne ou
récente, les troubles dont ils souffrent; de la meilleure foi ils peuvent
induire en erreur. D'ailleurs, étant donné le problème posé, il ne suf-
firait pas d'établir que l'éclosion d'un de ces accidents a été précédée
d'un choc psychique; il faudrait encore prouver que la suggestion est
restée étrangère à son développement. Or, celle-ci implique l'idée d'une
perturbation de la conscience, et tant qu'on la subit on n'en a pas une
notion nette.
La méthode dont on s'est servi, où les recherches se font au moyen
d'une rétrospection, ne peut conduire au but visé.
J'en ai adopté une autre qui procède d'une manière inverse : étant
donnée la présence ou l'absence de certaines conditions qui sont ou
semblent être propres au développement d'accidents nerveux, on se met
en quête de troubles hystériques ; on peut dire que c'est une recherche
par prospection. Il n'est pas fait appel au témoignage des malades et à
leurs interprétations. Cette méthode permet, si l'on varie les observa-
tions, de discerner les causes supposées de l'hystérie, de les dissocier et
d'apprécier la valeur de chacune d'elles. Déjà je l'ai appliquée à la cri-
tique des « stigmates », comparant, comme on l'a vu, deux groupes d'hys-
tériques, dont l'un avait été exposé et l'autre soustrait à l'action de la
suggestion médicale ; ce rapprochement a montré que sans son interven-
tion ces stigmates ne se développaient pas ; la suggestion semble donc
constituer pour leur genèse une condition indispensable.
l'émotion lente. A la première nous avons réservé le nom d'émotion et nous avons appelé la seconde
état affectif.
Nous avons défini l'émotion de la façon suivante : « Une modification brusque de l'affectivité se
produisant sous l'influence d'une représentation soudaine et qui rompt, pour un temps généralement
assez court, l'équilibre physiologique et l'équilibre psychique.
Nous avons montré qu'il fallait opposer dans la vie affective les phénomènes diffus à ceux qui sont
systématisés. Le premier groupe comprend toutes les émotions proprement dites et certains états
affectifs comme la tristesse vague non motivée. Au second appartiennent les états affectifs organisés
dont les types principaux sont les sentiments d'espérance et de crainte, ces états possédant le pouvoir
d'entrer dans des complexus représentatifs et de leur donner de la vie.
HYSTÉRIE ET PITHIATISME 517
L'étude comparative de milieux hospitaliers, dans le passé et le présent,
ressortit aussi à cette méthode : autrefois, il n'était pas rare d'observer
dans une salle plusieurs malades à la fois en proie à des contorsions, à
des crises avec arc de cercle ; cela ne se voit plus jamais maintenant. Et
cependant le coeur humain n'est pas de nos jours plus préservé des chocs
moraux qu'il ne l'était jadis.
Pourquoi donc ce changement ? C'est qu'autrefois le médecin « culti-
vait » inconsciemment l'hystérie ou du moins, n'en connaissant pas bien
le mécanisme, ne prenait pas, comme il le fait actuellement, les mesures
propres à en faire disparaître les manifestations dès leur apparition et à
préserver les voisins de la contagion.
De ce qui précède ne semble-t-il pas se dégager que l'émotion, du moins
l'émotion seule, ne crée pas de crises hystériques ?
On pourrait faire des remarques analogues à propos des épidémies
de chorée rythmée hystérique qui depuis longtemps ne se sont plus re-
produites.
La méthode par prospection trouve une application directe et fournit
des données plus démonstratives sur le point qui nous occupe dans les
enquêtes faites auprès de personnes qui, fortuitement ou en raison de
leur profession, ont été en contact avec un grand nombre d'individus
placés dans des conjonctures ou l'émotion semble immanquable, et ont
été à même de les observer au moment du choc, avant la phase dite « de
méditation » pendant laquelle la suggestion entre en jeu si souvent.
Voici, brièvement résumés, les résultats de diverses recherches de ce
genre dont les premières se rapportent à des catastrophes frappant à la
fois un grand nombre de personnes.
Plusieurs médecins, ayant assisté à de grands accidents de chemin de
fer et soigné immédiatement les blessés, m'ont fait part de leurs observa-
tions qui toutes étaient concordantes : aucun d'eux n'avait constaté de
troubles hystériques.
Les renseignements communiqués par Neri sur le tremblement de terre
de Messine sont également très instructifs. Quoique ses investigations
aient porté sur plus de deux mille sujets, il ne lui a pas été donné, aussi-
tôt après la catastrophe, d'en voir un seul atteint de paralysie, de contrac-
ture ou de crises convulsives. Les études qu'il fit ultérieurement, dans
les quelques semaines qui suivirent le désastre, à un moment où cepen-
dant la suggestion aurait déjà pu entrer en jeu et accentuer des phéno-
mènes produits par la secousse psychique, lui donnèrent les mêmes ré-
sultats. Il est à noter en particulier que Neri examina soigneusement
l'état de la sensibilité et mesura au périmètre le champ visuel de plus de
(ioo « rescapés » dont quelques-uns souffraient de troubles nerveux divers
constituant un véritable état morbide, une « névrose émotive » ; il ne
trouva pas un seul cas d'hémianesthésie ou de rétrécissement du champ
visuel. Pourtant on est bien en droit de penser que l'émotion, dans de
pareilles circonstances, a dû atteindre son summum d'intensité et mani-
fester son action d'une manière éclatante.
5t8 HYSTÉRIE-PITHIATISME
J'ai eu l'idée de procéder à une information auprès des garçons d'am-
phithéâtre des divers hôpitaux de Paris. Il est incontestable, en effet, que
la reconnaissance des morts par les parents est de nature- à déterminer
chez ceux-ci une émotion profonde que le milieu où elle s'effectue doit
accentuer encore. Parmi ces enquêtes, qui toutes d'ailleurs ont donné les
mêmes résultats, je mentionnerai spécialement celle que j'ai faite, en
compagnie de mon collègue Richardière, à l'hôpital des Enfants Malades.
Pendant une période de dix-huit ans où près de 20000 décès y furent
enregistrés, le garçon d'amphithéâtre a vu environ 10000 femmes venir
reconnaître le corps de leur enfant et assister à sa mise en bière ; on
peut certes affirmer qu'il a été le témoin d'émotions sincères. Or, cet
homme, d'après les renseignements très circonstanciés qu'il nous a four-
nis en réponse aux questions que nous lui avons posées, n'a pas vu se
développer devant lui un seul trouble dont la nature hystérique fût avérée ;
il se rappelle que cinq ou six fois seulement, dans sa longue carrière, des
femmes tombèrent comme en syncope et restèrent quelques instants sans
connaissance, mais jamais il n'a assisté à une crise convulsive; il affirme
n'avoir pas constaté un seul cas de paralysie ou de contracture.
Des enquêtes du même ordre ont été faites auprès de confrères, de
surveillantes, de garde-malades ayant eu maintes fois l'occasion d'obser-
ver les effets des secousses morales les plus vives ; elles ont abouti au
même résultat.
Ainsi, les recherches par prospection nous présentent sous un aspect
tout nouveau les relations de l'hystérie avec l'émotion; elles montrent
que l'émotion seule, quelle que soit son intensité, n'engendre pas de
troubles hystériques. On peut même dire que si les émotions, en affai-
blissant le sens critique, peuvent préparer l'esprit à subir la suggestion,
elles l'excluent sur le moment et empêchent, lorsqu'elles sont intenses, le
développement des phénomènes pithiatiques ; c'est pour ce motif que les
émotions violentes les font même disparaître. Quand une émotion sincère,
profonde, secoue l'âme humaine, il n'y a plus de place pour l'hystérie.
Ce qui précède permet de comprendre la variabilité des manifestations
hystériques quant à leur forme et à leur fréquence suivant les époques et
les lieux, variabilité qu'on peut opposer à la fixité, à l'invariabilité des
autres maladies mentales. Cette mutabilité s'explique quand on sait que
les phénomènes hystériques sont un produit de la suggestion. Si l'émo-
tion, comme on le pensait autrefois, pouvait les engendrer, elles devraient
être de nos jours à peu près aussi communes que par le passé, car les
tristesses de la vie n'ont pas cessé de provoquer des commotions morales.
Une nouvelle question se pose. Les états affectifs, que nous avons dis-
tingués de l'émotion, peuvent-ils être assimilés à celle-ci, en ce qui
concerne leurs relations avec l'hystérie, ou en diffèrent-ils ?
Comme l'émotion, ils sont incapables à eux seuls de créer des mani-
festations pithiatiques, mais, contrairement à l'émotion qui est incompa-
tible avec de pareils accidents, ils jouent dans la genèse de certains
HYSTÉRIE ET PITHIATISME 51g
d'entre eux un rôle accessoire, ainsi que nous allons chercher à l'établir.
A ce propos, je dois dire qu'à mon interprétation des accidents hysté-
riques on a opposé l'argument suivant : des idées, de simples idées ne
peuvent avoir sur la conduite, sur la santé morale une influence assez
grande pour produire de pareils troubles.
Cette objection, d'ordre spéculatif, ne saurait prévaloir contre les faits
que j'ai rapportés, mais, même au point de vue théorique, elle ne me
paraît pas fondée ; j'ai cherché à la réfuter dans mon travail en collabo-
ration avec Dagnan-Bouveret.
. Elle aurait quelque portée s'il s'agissait, par suggestion, d'entendre
l'influence d'une idée pure, abstraite, si tant est même que de pareilles
idées répondent psychologiquement à une réalité quelconque. De nom-
breux travaux, entre autres ceux de Ribot, ont montré que toutes les idées,
même les plus abstraites, possèdent un certain coefficient affectif, si
faible soit-il. De plus, dans les faits considérés ici, il n'est pas question
d'idées de ce genre ; il s'agit d'idées qui enveloppent un contenu affectif
extrêmement riche dont la part n'est certes pas à négliger. Souvent j'ai
insisté sur ce point que le processus psychique de suggestion participe de
la simulation, dans une mesure d'ailleurs variable avec les sujets, et sui-
vant les circonstances au milieu desquelles apparaissent les phénomènes
hystériques. Ceux-ci, peut-on dire, sont dus à une simulation inconsciente
ou s'ubconsciente, ou encore à une sorte de demi-simulation. Tous ces
termes, qui marquent bien le mécanisme sur lequel repose la pathogénie
de l'accident pithiatique, permettent de le rapprocher, au moins par l'un
de ses aspects, de l'acte volontaire. Cette comparaison me permettra de
faire comprendre ma pensée. Si l'on considère un acte volontaire, on voit
qu'il est la réalisation d'une idée, d'un projet formé à l'avance et, en partie
tout au moins, le résultat d'une opération intellectuelle. Mais si l'on re-
cherche les causes qui ont fait adopter, pour la mettre à exécution, telle
idée de préférence à telle autre, on constate que ce choix a été déterminé
par les sentiments qu'elle a suscités. Semblablement, l'hystérique saisit
l'idée d'un état pathologique et le réalise lorsque cette idée s'impose à lui
par ses éléments affectifs systématisés (voir la note de la p. (GS3), c'est-
à-dire lorsqu'elle éveille chez le malade le désir de certains avantages, ou i
des inquiétudes obsédantes, ou un besoin anormal d'étonner, d'attirer
l'attention, en un mot, les mobiles infiniment variés qui peuvent solliciter
la volonté facile à influencer de ces sujets. Le rôle des éléments affectifs
systématisés apparaît dès lors clairement ; ils fixent l'idée et lui donnent
la puissance de réalisation plastique,
En résumé, l'émotion (émotion-choc) ne peut par elle-même provoquer
l'apparition d'accidents hystériques, contrairement à ce qui était autrefois
admis sans conteste ; elle s'oppose môme à leur développement et n'est
pas compatible avec eux. Ces accidents, pour apparaître, ont besoin de
l'intervention d'une idée suggérée, soutenue, il est vrai, par des états
all'ectifs systématisés, idée dont ils ne sont que l'expression.
VI
llYSTÉRIE-PITlIlA TISJ1lE 1 .
[J. Babinski.]
Publié dans les bulletins et mémoires de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris,
Séance du 16 novembre Tg28.
MM. Tinel, Baruk et Lamache, dans un travail ayant pour titre :
« Crises de catalepsie hystérique et rigidité décérébrée », ont relaté, avec
grands détails, l'observation d'une malade sujette à des crises de cata-
lepsie auxquelles s'associaient parfois « les mouvements désordonnés des
crises convulsives hystériques ». Toutefois, s'appuyant sur certains carac-
tères cliniques et sur l'étude « des moyens de provoquer et de faire cesser
les crises », ces auteurs déclarent que, si la suggestion intervient dans
leur production, elle ne joue là qu'un rôle relativement peu important.
« Elles (ces crises) supposent nécessairement, disent-ils, l'intervention
de processus physiologiques réels qui réalisent un terrain spécial parti-
culièrement sensible à l'action de causes occasionnelles suggestives ou
émotives. Si en effet la suggestion peut réaliser de telles réactions, il est
bien évident qu'elle ne peut le faire que par l'intermédiaire de certains
processus physiologiques qu'elle déclenche mais qui la dépassent. Il ne
s'agit pas du reste, dans tous ces faits, d'une suggestion simple, consi-
dérée comme un pur phénomène psychologique, mais d'une suggestion
toute chargée de violentes réactions affectives, d'attente, d'inquiétude ou
d'émotion. Et ce qui nous parait efficace dans ces cas, ce n'est pas tant la
suggestion que le processus affectif émotionnel qui l'accompagne avec
toutes ses répercussions physiologiques. »
N'ayant pas eu à examiner la malade, que sa mythomanie rend a priori
suspecte et qui a besoin d'être surveillée de près, je ne puis avoir d'opi-
nion ferme sur les faits exposés par les présentateurs, sur la valeur des
(') A propos de la communication de MM. Tinel, Baruk et Lamache, intitulée : « Crises de cata-
lepsie hystérique et rigidité décérébrée ».
HYSTÉRIE ET PITHIATISME 5ai
diverses épreuves auxquelles ils ont soumis leur malade et, pour ce motif,
je me garderai d'en faire l'objet d'une discussion.
Mais M. Tinel et ses collaborateurs, ne se bornant pas à publier ce cas
comme simple document, semblent en tirer des déductions générales sur
la nature de l'hystérie, la façon de la concevoir, qui, si elles étaient légi-
times, entraîneraient un changement profond dans les idées que j'ai sou-
tenues, idées acceptées par un grand nombre de neurologistes, et que je
crois solidement fondées sur la clinique et la logique. Pour ce motif, j'ai
cru devoir prendre la parole.
L'opinion que les crises hystériques en général sont, au moins pour la
plus grande part, indépendantes de la volonté du sujet, subies par lui,
qu'elles résultent principalement d'une perturbation physique, voire même
d'une lésion du système nerveux, ce qui, par parenthèse, aurait des consé-
quences graves au point de vue médico-légal, cette opinion, dis-je, appa-
raît dès le début de cet article dont voici le premier paragraphe :
« Nous assistons certainement, à l'heure actuelle, à un remaniement
profond de la conception des névroses et psychonévroses. Il nous est aussi
complètement impossible de nous contenter dans la plupart des cas des
simples interprétations psychologiques, ou même de l'étude du fond
mental de ces malades. Les moyens plus précis d'investigation neurolo-
giques ou biologiques, les enseignements inattendus de l'encéphalite
léthargique, les recherches physiologiques et expérimentales, tout
concourt en somme à nous montrer que, sous les apparences bizarres et
capricieuses des névroses, existent presque toujours des perturbations
physiologiques réelles, des altérations du dynamisme nerveux, des réac-
tions vaso-motrices anormales et dans quelques cas même de véritables
lésions organiques. »
MM, Tinel, Baruk et Lamache ne sont pas seuls à soutenir ces idées.
Notre collègue René Bénard, qui a fait quelques remarques à la suite de
la communication de M. Tinel et de ses collaborateurs, s'exprime ainsi :
« J'ai entendu avec la plus grande satisfaction la très intéressante
communication de mon collègue et ami Tinel. Elle me montre à l'évi-
dence que le fossé n'est pas aussi profond qu'on le prétend généralement
entre les manifestations pithiatiques les plus indiscutables et les troubles
d'origine lésionnelle. »
D'autre part, dans un travail paru dans le n° 3, 2 septembre 1928, de la
Revue neurologique, ayant pour titre : « Les tumeurs du 4° ventricule»,
MM. Ludo von Bogaert et Paul Martin, allant peut-être encore plus loin
que MM. Tinel, Baruk et Lamache, écrivent :
« Cette combinaison d'attaques toniques de torsion, de crises opistho-
toniques, avec des crises d'hyperémotivité ou des bouffées confusionnel-
les, ont fait poser, dans le cas 12, à des neurologistes avertis, le diagnostic
d'hystérie. Chez cette malade, en particulier, les crises toniques se trou-
vaient déclenchées par la colère, l'effroi, l'angoisse, un bruit inattendu,
absolument comme les crises vertigineuses de certains hystériques. Nous
touchons ici aux confins de la névrose et des affections organiques et
522 11 YS TÉ[ ? Il-PITI-11,I TI SilIE
l'intrication des phénomènes psycho-somatiques explique bien des erreurs.
« La question nous paraît d'ailleurs moins insoluble qu'on ne le pense ;
il est probable que, dans quelques années, la crise hystérique aura fait
sa preuve organique, qu'elle sera différenciée du pithiatisme et qu'elle ne
représentera plus pour le neurologiste qu'une modalité d'irritation méso-
céphalique ayant la même valeur localisatrice qu'une crise jacksonienne. »
Je sais fort bien, et j'ai insisté moi-même sur ce point depuis longtemps,
que les troubles hystériques peuvent être associés à des troubles physi-
ques, organiques, mais cela ne veut pas dire que ceux-ci tiennent ceux-
là sous leur dépendance.
Je connais aussi les faits de kinésie paradoxale décrits par Souques,
ces formes de polypnée, de mutisme liées au syndrome parkinsonien, que
j'ai étudiées avec Charpentier, Jarkowski et Plichet, et qui, par certains
côtés cliniques, éveillent l'idée de phénomènes hystériques, dont on peut
les distinguer cependant.
Je n'ignore pas non plus qu'il peut être difficile ou même impossible de
déterminer, dans un cas particulier, s'il entre ou non dans le groupe des
accidents pithiatiques.
Mais tout cela n'empêche en rien d'admettre qu'il existe un groupe
d'accidents pouvant être indépendants de toute perturbation physique,
organique, accidents susceptibles d'être reproduits par suggestion chez
certains sujets avec une exactitude parfaite et de disparaître sous
l'influence de la persuasion (contre-suggestion) seule. L'observation long-
temps poursuivie sur un grand nombre de sujets permet d'affirmer que
des faits de ce genre existent et sont même ou, du moins, ont été très
communs. :
Envisageons, par exemple, l'hémianesthésie sensitivo-sensoriclle de
l'hystérie, qui fait partie de cette catégorie de troubles qu'il est permis
d'appeler hystériques primitifs ou pithiatiques (peu importe le nom qu'on
leur donne pourvu qu'on sache par quels caractères cliniques ils se dis-
tinguent). Il ne me paraît pas nécessaire de faire la description de l'hémi-
anesthésie hystérique qui a été donnée dans les Traités de médecine
anciens et à laquelle on attachait autrefois une si grande valeur. On
comparait cette hémianesthésie à celle qui se produit quelquefois en
conséquence de lésions occupant certaines parties des hémisphères céré-
braux, comme on rapproche aujourd'hui les crises hystériques de celles
que réalisent parfois des lésions cérébrales authentiques. Ces troubles
sensitifs étaient considérés comme des stigmates pouvant être « perma-
nents » et donnant aux accidents hystériques transitoires un cachet
d'authenticité. Dans la majorité des observations relatives à des sujets
considérés comme hystériques et publiés à cette époque, on trouve signa-
lée la présence de cette hémianesthésie. Pour bien montrer l'idée qu'on
se faisait de son importance, de sa ténacité, je ne puis mieux faire que
d'extraire d'une leçon de Charcot (OEuvres complètes, vol. III, p. 5,5. et
suiv.) le passage suivant :
HYSTÉRIE ET PITHIATISME z3
«Mais avant d'en venir à l'homme, je voudrais vour rappeler sommai-
rement, par deux exemples, jusqu'à quel point, chez la femme, les symp-
tômes permanents de l'hystérie, les stigmates hystériques, comme nous
avons l'habitude de les appeler, pour plus de commodité, peuvent se
montrer fixes, tenaces et exempts, par conséquent, de cette mobilité pro-
verbiale qu'on leur prête et dont on prétend faire la caractéristique de la
maladie. Je ne vous parlerai pas des six ou huit grandes hystériques
actuellement rassemblées dans notre service. Quelques-unes d'entre elles
présentent depuis des mois ou des années même une hémianesthésie
simple ou double que les modificateurs thérapeutiques les mieux appro-
priés ne peuvent influencer que pour quelques heures. Je me bornerai à
vous présenter deux femmes, véritables vétérans de l'hystéro-épilepsie,
qui délivrées depuis quelques années de leurs grandes attaques, et sor-
ties depuis ce temps du service spécial, exercent dans l'hospice les fonc-
tions de domestiques.
La première, la nommée L..., bien connue dans l'histoire de l'hystéro-épilepsie et
célèbre en raison du caractère « démoniaque » que présentaient ses crises convulsives.
est aujourd'hui âgée de soixante-trois ans. Elle est entrée à la Salpêtrière en 1840 et
nous n'avons pas cessé de l'observer depuis 1871. A cette époque, elle était atteinte,
comme elle l'est encore aujourd'hui même, d'une hémianesthésie droite complète, abso-
lue, sensorielle et sensitive, avec ovarie du môme côté qui, pendant cette longue période
de quinze ans, n'a pas été modifiée, même temporairement, soit par l'action maintes
fois essayée des agents oesthésiogènes, soit par les progrès de l'Age, soit par la méno-
pause. Il y a cinq ou six ans, à l'époque où notre attention a été plus particulièrement
attirée sur les modifications que subit le champ visuel chez les hystériques, nous avons
reconnu chez elle l'existence très accusée du rétrécissement classique du champ visuel,
marqué des deux côtés, mais plus prononcé du côté droit. L'examen, répété chaque
année une ou deux fois depuis cette époque, n'a jamais manqué de faire reconnaître la
permanence de ce rétrécissement.
L'autre malade, la nommée Aurel..., actuellement âgée de soixante-deux ans, et
chez laquelle les grandes attaques, remplacées parfois par des symptômes d'angine de
poitrine, n'ont cessé d'exister que depuis une dizaine d'années, présentait déjà en
W5 r, ainsi que le constate une note très précieuse datant de cette époque, l'hémianes-
thésie gauche complète, absolue, sensorielle et sensitive, que, ainsi que vous pouvez
le constater, nous retrouvons chez elle encore aujourd'hui, c'est-à-dire après une
longue période de trente-quatre ans ! Cette malade est soumise à notre observation
depuis quinze ans, et jamais l'hémianesthésie en question n'a cessé, lors de nos exa-
mens souvent répétés, d'être présente. Le rétrécissement du champ visuel, très net
des deux côtés, mais plus prononcé à gauche, que l'examen campimétrique nous a fait
retrouver ces jours-ci, existait déjà chez elle il y a cinq ans.
« C'en est assez, je pense, pour vous montrer comment, chez ces femmes,
les stigmates, dont personne ne songerait à contester la nature hystéri-
que, se sont montrés stables, permanents, et combien peu cela répond
à l'idée, fausse par trop de généralité, qu'on se fait en général de l'évolu-
tion des symptômes de la maladie. »
Or, actuellement, ces prétendus stigmates font complètement défaut ;
524 HYSTÉRIE-PITHIATISME
je n'en constate plus jamais, et je suis persuadé que ceux de mes collè-
gues auxquels il est arrivé de les rechercher, en prenant dans leur examen
les précautions nécessaires, ne les ont pas trouvés non plus. MM. Tinel,
Baruk et Lamache semblent en faire bien peu de cas puisque, dans leur
observation qu'ils intitulent eux-mêmes « Catalepsie hystérique», pour-
tant si fouillée, la présence ou l'absence desdits stigmates n'est pas signa-
lée. Je serais tenté d'en conclure que sur ce point, au moins, leurs idées
sur l'hystérie ne s'éloignent pas des miennes. Depuis des années, n'ayant
pas rencontré de sujets présentant les stigmates en question, je n'ai pas
eu l'occasion de faire disparaître ces phénomènes par contre-suggestion ;
mais autrefois, j'ai maintes fois obtenu par ce procédé leur disparition
immédiate ou très rapide et définitive. Il me semble impossible d'admet-
tre que, se comportant de pareille façon, ils aient un substratum organi-
que, si minime fitt-il ; on ne peut pas supposer non plus que l'émotion soit
en cause dans leur genèse. Il y a tout lieu d'admettre que c'est la sugges-
tion, sur laquelle Bernheim a attiré l'attention, et notamment la sugges-
tion médicale qui engendre cette hémianesthésie. Ce qu'il y a de certain
c'est qu'on ne trouve pas d'hémianesthésie hystérique, ni de rétrécisse-
ment du champ visuel lorsqu'on explore l'état de la sensibilité et de la
vision d'un sujet avec la préoccupation constante de s'abstenir, pendant
l'examen, de réflexions, de gestes inopportuns capables d'entraver la spon-
tanéité des réponses du sujet, de l'influencer d'une manière fâcheuse, de
le suggestionner. Le moins qu'on puisse dire c'est que la suggestion et
la contre-suggestion sont les agents les plus importants de la création et
de la guérison de l'hémianesthésie hystérique.
J'extrais d'une note qui m'a été communiquée il y a quelque douze ans
par le Dr Morax, sur les troubles visuels dans l'hystérie, les passages sui-
vants qui vous montreront que son opinion est tout à fait conforme à la
mienne : '
J'ai relevé autrefois bien des rétrécissements du champ visuel sur des hystériques
de la Salpêtrière ; mais après avoir acquis une plus grande expérience de cet examen
je ne crains pas de dire qu'ancun de mes relevés anciens ne me paraît aujourd'hui
échapper à la critique et, depuis fort longtemps, pas plus dans la pratique civile que
dans la pratique militaire de ces dernières années, je n'ai retrouvé de ces rétrécisse-
ments concentriques du champ visuel par anesthésie rétinienne, relevant d'un état
névropathique.
J'en dirai autant de la dischromatopsie, si particulière, attribuée à l'hystérie.
Pour résumer mon impression actuelle sur la nature des troubles visuels, décrits
comme stigmates de l'hystérie, je dirai qu'un médecin interrogeant ses malades, en
évitant de les suggestionner, n'aura aucune chance de les noter.
Le rôle de la suggestion qui, bien entendu, peut entrer en jeu pour
donner naissance à d'autres phénomènes que l'hémianesthésie sensitivo-
sensorielle doit être toujours présent à l'esprit dans l'examen des malades.
C'est là, soit dit en passant, un enseignement à tirer de ces observa-
tions qui, d'autre part, établissent d'une manière irréfutable, croyons-
HYSTÉRIE ET PITHIATISME 525
nous, qu'il y a des phénomènes, considérés autrefois comme cardinaux
dans l'hystérie et qui répondent exactement à la définition que j'ai don-
née des accidents pithiatiques.
Prenons un autre exemple, celui des crises hystériques, et envisageons
en particulier la grande attaque de la Salpêtrière, à phases distinctes et
ordonnées. Dans la leçon de Charcot, dont j'ai extrait un passage relatif
aux stigmates hystériques, il est dit qu'à l'époque où cette leçon avait été
rédigée il y avait, rassemblées dans le service, 6 ou 8 grandes hystériques.
Les crises se renouvelaient à tout moment ; il se passait rarement plu-
sieurs jours sans qu'il y en eût et souvent on voyait plusieurs malades
atteintes à la fois ou successivement, dans une même journée, de crises
semblables. Et ce n'est pas seulement à la Salpêtrière, mais aussi dans
d'autres hôpitaux que l'on pouvait assister à des spectacles analogues.
C'est ce que savent les médecins de ma génération et ce qui échappe peut-
être à certains de nos jeunes collègues. Or, aujourd'hui, la grande atta-
que a, pour ainsi dire, disparu ; on n'en voit plus et les autres attaques
sont devenues beaucoup plus, rares. Pourquoi ce changement ? Si dans la
production de la grande attaque hystérique il y avait à faire jouer le rôle
principal à des réactions vaso-motrices anormales, on ne concevrait pas
leur disparition depuis des années. Il n'est guère vraisemblable non plus
que les émotions, auxquelles je ne dénie pas toute action, contrairement
à ce qu'on m'a fait dire à tort, soient le véritable promoteur de l'attaque,
car l'émotivité des humains n'a pas dû se modifier d'une manière appré-
ciable. Je rappelle à ce propos que, comme je l'ai fait remarquer, les
grandes émotions semblent même exclure les accidents hystériques. La
notion de la suggestion, de l'imitation, forme de la suggestion, explique
au contraire ce changement de tableau. Je crois qu'on peut affirmer que
quelqu'un n'ayant jamais assisté à la grande attaque hystérique classique
avec ses diverses phases, considérée autrefois comme le type de la mani-
festation hystérique, ou qui n'en a pas lu la description, sera dans l'impos-
sibilité de la reproduire : le rôle de la représentation mentale est donc
capital.
Pour ce qui regarde les autres crises hystériques, notamment celles qui
consistent en contorsions banales, plus ou moins intenses, variables, sans
règle, qu'on peut aisément imaginer sans avoir eu de modèle devant les
yeux, le rôle de la suggestion qui, en pareil cas, a généralement une
source extra-médicale, peut être très difficile ou même impossible à met-
tre en évidence. Mais la diminution considérable de la fréquence de ces
crises, sous l'influence des moyens préventifs employés et des pratiques
de contre-suggestion, conduit à penser que, pour le moins, un très grand
nombre d'entre elles sont de même nature que les précédentes.
J'ajoute que la guérison des troubles hystériques, en apparence les plus
tenaces, est souvent définitive, comme je l'ai constaté en particulier sur
des sujets de ce genre, grandes hystériques que j'ai connues il la Salpê-
trière alors que j'étais chef de clinique, et que j'ai pu suivre durant des
années.
52(\ If YS l' l l ! l B - P l TIll lt l' 1 S M E
Il y a beaucoup d'autres questions relatives à l'hystérie qui pourraient
être discutées, notamment celles qui ont trait au rôle joué par la volonté
du sujet dans l'hétéro-suggestion, aux rapports entre la suggestion et la
simulation, mais leur examen nous entraînerait trop loin et je dois me
limiter.
Quelle que soit d'ailleurs l'opinion qu'on puisse se former sur ces
divers points, on ne peut contester que la conception du pithiatisme a eu
pratiquement des conséquences heureuses.
Les idées que j'ai exposées ont été confirmées par un grand nombre de
cliniciens, entre autres par le professeur Chauffard qui, dans sa leçon
inaugurale ayant pour sujet : « Stabilité et conditions de variation des
espèces morbides (La Presse médicale, 17 janvier 1912), s'exprime sur
l'hystérie en ces termes :
Ici encore, Sydenham va nous servir de témoin, quand, dans sa dissertation sur
l'affection hystérique, il nous déclare que celle-ci « est la plus fréquente de toutes les
maladies chroniques » et que « les affections hystériques font la moitié du troisième
tiers des maladies, c'est-à-dire la moitié des maladies chroniques ». Ainsi un sixième
des cas de maladies lui paraissait imputable à l'hystérie ! Et pour voir à quel point
Sydenham connaissait bien l'hystérie, il suffit de lire cet admirable chapitre qui lui est
consacré.
Nous aussi, nous avons, sous l'influence d'un autre maître, de Charcot, connu une
grande époque de l'hystérie, et pendant des années nos services nous ont montré
chaque jour les plus beaux types de l'hystérie telle qu'on la décrivait à la Salpêtrière.
Prenons l'exemple de l'hystérie mâle, En la seule année de 1889, dans mon service
de Broussais, mon interne d'alors, mon collègue d'aujourd'hui, M. Souques, relevait
« dans une salle de 32 malades, 26 cas d'une authenticité indiscutable », avec anes-
thésie sensitivo- sensorielle partielle ou généralisée, anesthésie pharyngée, rétrécisse-
ment concentrique du champ visuel ; et à ces stigmates classiques s'ajoutaient tous les
accidents possibles de tremblement, d'hémiplégie, monoplégie, hémispasme glosso
labié, attaques apoplectiformes, etc.
Et Broussais n'était pas, croyez-le bien, un hôpital privilégié en matière d'hystérie
masculine. A la même époque, dans le service de M. Raymond, à Saint-Antoine, 8 cas
étaient observés dans les deux seuls mois de février et mars 1890; à Bordeaux, dans
le service du professeur Pitres, en quatre années, dans une salle de clinique générale
de 38 lits, passaient 22 cas d'hystérie mâle indiscutable.
El maintenant ? Par un singulier changement à vue, il n'y a presque plus d'hystérie dans
nos services, pas plus chez les femmes que chez les hommes, et, pour ma part, je crois
bien qu'il y a plus de dix ans que je n'en ai observé un cas sérieux dans mes salles.
C'est que, depuis Charcot, nos idées se sont profondément modifiées, en grande
partie par le fait de la critique objective à laquelle M. Babinski a soumis la doctrine
de l'hystérie. Ces hystériques si nombreux, si démonstratifs, si typiques, c'est nous,
médecins, qui, par nos méthodes imprudentes d'examen, en faisions la culture artifi-
cielle et intensive. Aujourd'hui que nous sommes avertis, l'hystérie a à peu près
disparu de notre clinique hospitalière, pour se réduire à un substratum mental sur
lequel l'avis des plus compétents que moi est encore très partagé.
Il me semble résulter nettement de tout ce qui précède qu'il existe une
catégorie de troubles ayant pour attributs de pouvoir être produits par
HYSTÉRIE ET PITHIATISME 527
suggestion et d'être susceptibles de disparaître sous l'influence de la per-
suasion (contre-suggestion) seule.
Si cela est exact, et c'est là pure affaire d'observation, la définition que
j'ai donnée du pithiatisme est inattaquable : définir une chose c'est déter-
miner les attributs qui lui appartiennent.
Les troubles ne présentant pas les attributs en question ne peuvent
être rangés dans ce groupe. Doivent au contraire en faire partie tous ceux
qui les possèdent. C'est simple affaire de logique.
Encore un mot, M. René Bénard a déclaré « que le fossé n'est pas aussi
profond qu'on le prétend généralement entre les manifestations pithiati-
ques les plus indiscutables et les troubles d'origine lésionnelle ».
A mon avis, ces deux ordres de troubles sont séparés, en ce qui
concerne leur nature, non par un fossé, mais par un abîme.
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HYSTÉRIE-P1THIATISME EN NEUROLOGIE DE GUERRE
[J. BABINSKI et J. Froment.]
Extrait du livre Ilystérie-Pithiatisme et Troubles nerveux d'ordre réflexe.
Masson et C", Paris, 1917.
Depuis que l'on connait toute la portée de la suggestion dans la
genèse des désordres hystériques, suggestion exercée soit par le
- L milieu familial, soit par le milieu hospitalier, soit par le médecin
lui-même, et que l'on en préserve ceux qui seraient susceptibles d'en
subir les effets, les manifestations de l'hystérie sont devenues, parti-
culièrement dans les hôpitaux, beaucoup moins fréquentes qu'elles ne
l'étaient jadis. Nos observations, celles de Chauffard, Brissaud, Chaslin
et de bien d'autres en témoignent. Mais la nature humaine n'ayant pas
changé, il y avait tout lieu d'admettre que les accidents hystériques se
multiplieraient de nouveau si les conditions favorables à leur développe-
ment se reproduisaient.
La guerre a-t-elle réalisé de pareilles conditions et les troubles pithia-
tiques se rencontrent-ils souvent dans les circonstances actuelles ?
GENÈSE DES ACCIDENTS HYSTÉRIQUES
rôle de l'émotion.
Quelques neurologistes, appartenant aux formations sanitaires de l'ar-
rière, ont cru pouvoir établir par leurs observations que l'émotion seule,
jL ? y.S7'M/Ë' PENDANT LA GUERRE . 52g
à l'exclusion de tout facteur « suggestion 11, pouvait déterminer des acci-
dents hystériques. Mais, pour le démontrer, ils faisaient appel au témoi-
gnage des blessés et à leur interprétation. Ces recherches par rétrospec-
tion ne peuvent pas, ainsi que nous l'avons montré, avoir une valeur
décisive ; elles sont exposées en effet à de multiples causes d'erreur. Il
est essentiel de s'en tenir uniquement aux recherches par prospection
telles qu'ont pu les faire nos collègues de l'avant, qui ont été à même
d'apprécier sur place les effets des violentes émotions. Que nous appren-
nent-ils à cet égard ?
Clovis Vincent, qui est resté longtemps sur la ligne de feu où il s'est
fait remarquer par son courage et son sang-froid, a fait d'intéressantes
observations sur les effets de l'émotion. '
Nous extrayons des notes qu'il a prises sur ce sujet et qu'il nous a com-
muniquées le passage suivant :
Là où les projectiles arrivent nombreux, font des morts et des blessés, je n'ai
jamais vu de phénomènes hystériques tels que crises, contractures, paralysie d'un ou
plusieurs membres..le n'ai vu que des phénomènes émotifs, dont les plus fréquents
sont : les larmes, le tremblement, un état d'hébétude dans lequel l'homme ne remue
pas, ne répond pas aux questions, la tachycardie, la tachypnée, la miction.
A ces témoignages il faut joindre la série d'observations saisissantes
que Jean Clunet, héros d'une énergie et d'un calme admirables, tombé
depuis au champ d'honneur, a pu faire lors du naufrage du paquebot la
Provence II sur lequel il se trouvait, Voici un extrait de la note qu'il avait
bien voulu nous remettre.
Lors du torpillage de la Provence II, le 26 février 1916, nous avons pu étudier de
près les manifestations de l'émotion, immédiatement après l'accident et en dehors de
tout état comrnotionnel. Nous avons vu les phénomènes pithiatiques n'apparaître que plus
tard, au moment où les « rescapés » étaient en sécurité. Ces phénomènes ont cédé à
une thérapeutique énergique immédiatement appliquée ; ils n'ont pas reparu pendant
les huit jours qui ont suivi l'accident.
Pour la clarté de l'exposition, nous distinguerons quatre périodes dans les faits
observés :
i. à bord, immédiatement après le torpillage, pendant les 17 minutes qui ont séparé
l'explosion de la torpille de la disparition complète du navire (période d'émotion
pure); .
2° immersion de 18 heures, dont une nuit entière, accrochés à un radeau (période
d'émotion et de souffrance physique : froid) ; -
3° il bord du torpilleur qui est venu nous secourir le lendemain (période de phéno-
mènes pithiatiques et de thérapeutique); , ' ,
4° en rade de Milo, à bord des divers navires stir lesquels nous étions répartis,
pendant les huit jours qui ont précédé noire mise en route (période de retour à la vie
normale)
Comme le remarque Clunet, les observations faites à bord de la Pro-
vence II, dans la première phase de la catastrophe, sont' particulière-
Babinski. 3a
53o . HYSTÉRIE-PITHIATISME
ment intéressantes pour qui veut apprécier le rôle de l'émotion dans la
genèse des troubles nerveux. L'émotion-choc devait atteindre là son
maximum d'intensité et elle entrait en jeu sans qu'à la secousse psychique
vînt s'ajouter aucune commotion physique ; son champ d'action était ainsi
plus facile à délimiter. Or, au milieu des désordres mentaux qui ont
surgi dans ces circonstances, aucun trouble pithiatique ne s'est alors
manifesté.
Ajoutons encore que l'un de nous fit partie, pendant les huit premiers
mois de la campagne, d'une ambulance divisionnaire. Tous les blessés et
tous les soldats malades du secteur correspondant passaient par cette
ambulance, dite de triage, qui fonctionna dans une zone comprise entre
3 et 6 kilomètres de la ligne de feu, en Alsace d'abord, aux environs de
Saint-Dié ensuite, dans la Somme enfin. Il ne constata, ni dans l'élément
militaire, ni dans l'élément civil, de cas d'hystérie pas plus pendant la
période de recul, qu'au moment de l'exode de la population qui, effrayée
des premiers effets du bombardement de Saint-Dié, s'éloignait en toute
hâte, et qui défila pendant plusieurs heures devant l'ambulance. Il n'en
vit pas non plus lorsque l'ambulance fut bombardée à son tour. Les effets
de ce bombardement avaient fortement frappé l'esprit des survivants,
d'autant plus qu'il s'agissait non de combattants mais d'infirmiers pour
qui ce douloureux épisode était inattendu et constituait le baptême du
feu. Et cependant, ni ce jour-là, ni pendant les semaines consécutives
aucun d'eux ne présenta de manifestation hystérique.
Il est important de noter qu'aucun fait n'a été opposé aux témoignages
sus-mentionnés. Ainsi donc, à l'avant, dans les conditions susceptibles de
déterminer les émotions les plus violentes, on constate des troubles émo-
tifs divers, mais on ne voit pas se développer d'accidents hystériques à
l'occasion de l'émotion.
Les résultats des observations sont tout différents dès qu'on s'éloigne
de la ligne de feu. A 15 ou 20 kilomètres des premières lignes, dans les
formations sanitaires de la zone des étapes, les accidents pithiatiques
sont par contre fréquents. C'est ce qui a motivé la création de Centres de
neurologie de l'avant, spécialement destinés à retenir les sujets atteints
de désordres de cette nature afin de les soumettre immédiatement à la
psychothérapie dont les effets sont d'autant plus rapides qu'elle est moins
tardive.
Les accidents pithiatiques sont plus fréquents encore dans les Centres
de neurologie de l'arrière, chez les soldats qui ont séjourné pendant de
longs mois dans des formations hospitalières diverses, mais d'un Centre à
l'autre leur nombre varie dans de notables proportions.
Étant donné le moment où apparaissent ces accidents, on n'est pas en
droit d'éliminer la suggestion dont l'intervention est d'autant plus vrai-
L'HYSTÉRIE PENDANT LA GUERRE 531 1
semblable que, chez les hommes secoués par de grandes émotions, on
trouve souvent un état de suggestibilité anormale liée à un syndrome
confusionnel léger. C'est ce qu'a fait ressortir Georges Dumas, expert psy-
chiatrique à la ire armée, dans une très remarquable analyse de l'état
mental de l'émotionné.
Il y aurait ainsi à tenir compte, dans les complications pithiatiques dont les accidents
nerveux de nos malades peuvent être l'objet, d'un moyen terme qui s'intercale entre
le shock initial et les accidents, et ce moyen terme serait la confusion mentale légère
qui permet au malade l'exercice d'une activité fonctionnelle où il court le risque de
s'auto suggestionner facilement. On peut soupçonner ou même constater cet état confu-
sionnel intercalaire dans beaucoup d'observations publiées il y a longtemps et dans
lesquelles les auteurs n'attachaient d'importance qu'à l'émotion, au shock nerveux et
aux accidents hystériques qui suivaient. Il y a des chances pour que, dans certains
cas, l'état confusionnel ait passé inaperçu.
Les violentes émotions, on le voit, préparent le terrain et prédispo-
sent aux accidents hystériques. Elles exaltent la suggestibilité en affaiblis-
sant le sens critique et en développant parfois de véritables états de
confusion mentale légère. Les faits de guerre ont confirmé à cet égard
l'opinion formulée par l'un de nous : « J'admets très volontiers, disait-il
au cours de la discussion sur l'émotion, qu'une secousse morale, en affai-
blissant le sens critique, puisse augmenter chez celui qui l'a subie la
suggestibilité. » Et Dupré disait de même au cours de cette discussion :
« L'émotion, étant un élément de dislocation de la personnalité, favorise
la suggestion. »
Mais les manifestations hystériques qui sont la conséquence de ce nou-
vel état d'esprit n'apparaissent pas au moment du choc émotif. Les obser-
vations saisissantes que nous venons de relater viennent confirmer ce fait
qui résultait déjà des observations recueillies avant la guerre. Entre le
choc émotif et l'apparition des accidents pithiatiques il y a une phase
intervallaire parfois assez longue, que Charcot dénommait phase de médi-
tation, pendant laquelle l'auto-suggestion et l'hétéro-suggestion ont tout
le loisir d'intervenir.
A l'appui de l'idée contraire, d'après laquelle des accidents hystériques
pourraient être déterminés uniquement par l'émotion, on ne saurait rete-
nir que les faits où le trouble aurait succédé, sans solution de continuité,
au choc moral. L'étude des accidents hystériques observés en neurolo-
gie de guerre n'a permis de constater aucun cas de cet ordre qui fût pro-
bant.
Quant à l'opinion de Déjerine qui attribuait autrefois l'absence d'acci-
dents névropathiques, chez les soldats qui ont affronté la mort de près et
vu tomber à côté d'eux leurs camarades, à la nature de l'émotion qui est
pour ainsi dire prévue d'avance, elle nous parait bien difficilement sou-
tenable. Étant donné la portée de l'artillerie lourde, la puissance des
obus de gros calibre qui viennent on ne sait d'où, éclatent inopinément
parfois en plein cantonnement de repos et dont les effets sont compa-
53a 11 YS TERIE-PITIII-ITIS II E -
rables à ceux d'une explosion de grisou, comment serait-il possible d'ad-
mettre que les émotions qui en résultent ne constituent pas des émotions-
choc dans la plus forte acception du mot ?
L'émotion seule, on le voit, n'est pas capable de déterminer des acci-
dents hystériques.
Nous avons même soutenu autrefois que ces accidents disparaissent
infailliblement, sous l'influence d'une émotion profonde.
Dans les publications de ces deux dernières années nous n'avons trouvé
qu'une observation, recueillie par Chartier qui put sembler en opposition
avec cette manière de voir. Il s'agit d'un cas de paralysie de la main, sans
aucun signe dénotant l'existence d'une lésion des centres nerveux ou des
nerfs périphériques, et que l'auteur rattache à l'hystérie. Dans des cir-
constances dramatiques, au moment où le blessé, qui avait tenté de se
suicider en se jetant à l'eau, était en danger de mort, Chartier put consta-
ter que la main paralysée n'exécutait aucun mouvement. Cette observa-
tion serait démonstrative si le diagnostic d'hystérie était incontestable;
mais rien n'est moins certain. Il est à remarquer, en effet, que cette para-
lysie s'était développée consécutivement à une plaie par balle, qu'elle
s'associait à un léger état de contracture et que les résultats de la psycho-
thérapie furent très incomplets. Pour toutes ces raisons on est autorisé à
penser que les troubles moteurs étaient au moins en partie d'ordre réflexe.
Or, les troubles de ce genre ne subissent guère plus les influences psy-
chiques que ceux qui sont liés aux lésions des centres ou des troncs
nerveux. Aucun des caractères signalés dans l'observation ne permet d'écar-
ter ce diagnostic qui n'a même pas été envisagé.
Ainsi donc, aucun fait ne vient contredire jusqu'ici ce que nous disions,
à savoir que les accidents hystériques et les émotions violentes sont
incompatibles.
Rôle du traumatisme et concept de L'IIY9'fEItO-'rII : IU\fATLS\IE. C'est en
1886 que Charcot attira l'attention sur le rôle du traumatisme dans la
genèse des accidents d'hystérie locale ; cette conception fut défendue et
développée par ses élèves. en particulier par Bouveret et par Blum. Jus-
qu'à cette époque les troubles nerveux de cet ordre (railway-spine, rail-
way-brain) étaient considérés, sans discussion, comme des accidents
organiques, conformément à l'opinion exprimée par Erichsen en 1866.
L'idée d'hystéro-traumatisme était très féconde et les événements récents
ont bien montré la fréquence avec laquelle un traumatisme provoque
l'éclosion de manifestations pithiatiques. Il n'en est pas moins vrai que
l'on a souvent rattaché à l'hystéro-traumatisme des accidents nerveux de
toute autre nature. C'est ainsi qu'au début de la guerre on paraissait
avoir oublié complètement l'existence de ces paralysies amyotrophiques
et de ces contractures dites réflexes qui avaient été si bien décrites par
Charcot et par Vulpian. Toute paralysie ou toute contracture ne présen-
tant aucun des signes des affections organiques classées était, sans hési-
L'HYSTÉRIE PENDANT LA GUERRE 533
tation, portée à l'actif de l'hystéro-traumatisme. On ne saurait donc accep-
ter sans réserves tous les faits qui ont été publiés sous ce nom. C'est un
point sur lequel il nous faudra revenir à plusieurs reprises.
Recherchons maintenant par quel mécanisme les traumatismes et notam-
ment les traumatismes de guerre peuvent déterminer des accidents hysté-
riques.
S'agit-il d'un traumatisme local (plaie par balle, plaie par éclat d'obus,
contusion), la question est relativement simple : les douleurs, les troubles
de motilité plus ou moins durables qui en résultent sont le point de départ
d'un travail d'auto-suggestion. Si minime soit-elle, cette épine organique
vient amorcer pour ainsi dire les manifestations hystériques qui se can-
tonnent dans la région traumatisée et qui survivent le plus souvent à leur
cause occasionnelle.
S'agit-il de cette autre variété de traumatisme que constituent les com-
motions par éclatement d'obus de gros calibre, de minenwerfer et de
mines souterraines, la question est plus complexe.
Les associations hystéro-organiques nous paraissent en effet communes
à la suite de traumatismes de ce genre. La réalité d'une lésion organi-
que est parfois indiscutable, même dans des cas où l'efficacité remar-
quable de la contre-suggestion vient apporter la preuve de la nature
pithiatique des troubles nerveux constatés. Le fait est nettement mis en
évidence par l'observation suivante (Leriche et Froment) :
Sous l'influence de la commotion produite par l'éclatement d'une tor-
pille aérienne, un soldat tombe et perd connaissance. Il est transposé à
l'ambulance, puis à l'hôpital d'évacuation, dans le coma. Le coma cesse
48 heures après le début des accidents, mais le blessé est atteint de
mutisme complet et de contracture des membres inférieurs. La ponction
lombaire donne issue à un liquide franchement hémorragique. Cependant,
à un examen attentil, la contracture se présente avec tous les caractères
d'une contracture d'ordre psychique ; on parvient à la faire disparaitre en
quelques instants par contre-suggestion et à faire marcher le malade. Au
cours d'une deuxième rachicenthèse le sujet est pris d'un spasme du
membre supérieur dont on obtient aussi la disparition immédiate par la
seule persuasion. I)ans la nuit qui suit cet examen, le malade, au cours
d'un rêve se met à parler et à partir de ce moment il est guéri de son
mutisme. Enfin un mois après il est évacué sur un Centre neurologique
où il est de nouveau examiné par l'un de nous pour des troubles de
motilité, rappelant la chorée rythmique, qui cèdent rapidement lorsqu'on
lui a assuré que ces accidents sont bénins. Au bout de quelques jours, le
sujet se montre impatient de quitter l'hôpital ; il se déclare complètement
guéri et demande à retourner au front. Il est intéressant de noter qu'il
s'agissait d'un sujet vigoureux, bien équilibré, exempt de toute tare névro-
pathique et qui n'était pas alcoolique. La nature pithiatique des accidents
était tellement évidente, tellement indiscutable que l'on n'aurait pas hésité,
semble-t-il, si l'on n'avait pas pratiqué une ponction lombaire, à admettre
534 HYSTÉRIE-PITHIATISME E
que l'on était en présence d'un cas d'hystérie pure. Et cependant, les
conditions dans lesquelles s'est fait cet examen permettent d'affirmer la
réalité d'une hémorragie centrale.
Que la commotion physique produite par éclatement d'obus ait déter-
miné ou non des lésions du système nerveux, il y a tout lieu d'admettre
qu'elle peut, aussi bien que la commotion psychique, que l'émotion,
augmenter la suggestibilité et être ainsi l'origine de troubles hystériques.
Ceux-ci varieront quant à leur forme, leur intensité, leur localisation,
suivant les sensations causées par le choc et les circonstances diverses
dans lesquelles les malades seront placés.
Mais il est essentiel, nous le répétons, et l'on se rendra mieux compte
du bien-fondé de cette remarque après avoir lu les chapitres que nous
consacrons aux phénomènes nerveux d'ordre réflexe, de ne pas attribuer
à l'hystérie tous les troubles consécutifs au traumatisme et indépendants
de toute lésion des centres ou des troncs nerveux. Si exacte que soit la
notion de l'hystéro-traumatisme, on en fait parfois abus en neurologie de
guerre.
Rôle de la SUGGESTION. - Nous rappellerons que, dans notre concep-
tion, la suggestion joue le rôle essentiel dans la genèse des manifesta-
tions hystériques : celles-ci font défaut ou sont très rares dans les
circonstances qui ne sont pas favorables à la suggestion ; elles sont très
communes dans les conjonctures contraires ; leur fréquence, leur inten-
sité et leur durée sont subordonnées aux conditions qui sont propres
à faire naître et à entretenir la suggestion.
Quelques neurologistes se sont crus cependant en droit d'affirmer que,
dans certains cas d'hystérie observés pendant la guerre, la suggestion
n'avait pu intervenir. Pour le démontrer, ils se contentaient de mention-
ner l'absence de tout examen médical antérieur et d'indiquer qu'ils
avaient pris toutes les précautions requises pour éviter la suggestion
médicale. Mais une pareille argumentation a pour défaut de ne tenir
aucun compte des autres modes d'hétéro-suggestion et de l'auto-sugges-
tion. On nous accordera que dans les circonstances présentes, étant
donné ce qu'ils voient, ce qu'ils ont entendu dire ou ce qu'ils croient
savoir de l'effet des diverses blessures de guerre, les sujets auxquels on
a affaire ont été presque inévitablement exposés à des suggestions de
tous ordres, dont ils peuvent ne pas être conscients, mais qui, pour être
méconnues, n'en sont pas moins efficaces.
Il résulte de tous les faits exposés que la neurologie de guerre n'a
fourni aucun argument contre l'opinion que nous avons soutenue. Elle
tend même à confirmer l'idée du rôle indispensable de la suggestion :
celle-ci détermine l'apparition des accidents hystériques, les façonne et,
ainsi que nous le verrons encore, règle leur évolution. L'émotion et le
traumatisme ne font que prédisposer aux accidents de cet ordre : ils
augmentent la suggestibilité et apportent parfois les éléments d'une auto-
suggestion.
L'HYSTÉRIE PENDANT LA GUERRE 535
SYMPTOMATOLOGIE
Si les manifestations hystériques sont fréquentes en neurologie de
guerre, il n'en est pas moins vrai que l'on a continué à décrire sous ce
nom, outre des phénomènes pithiatiques, des accidents nerveux qui
n'ont pas la suggestion pour origine et que la contre-suggestion est inca-
capable de faire disparaître. Cette confusion est très regrettable car il
s'agit de deux ordres de troubles différents quant à leur mode d'évolution,
leur pronostic, le traitement qu'il convient de leur appliquer et les déci-
sions médico-militaires qu'ils comportent.
Nous nous efforcerons donc, par un examen critique des faits publiés
pendant ces trois années de guerre, de dégager ce qui appartient en pro-
pre à l'hystérie et ce qui lui a été indûment rattaché.
Les manifestations hystériques sont essentiellement polymorphes.
Étant le produit de la suggestion, elles se modifient avec les idées en
cours et se modèlent sur les conceptions individuelles des malades. Une
description complète et détaillée des accidents hystériques observés en
neurologie de guerre serait dès lors sans intérêt. Nous les passerons
simplement en revue en insistant sur ceux qui sont les plus fréquents, en
donnant, chemin faisant, quelques indications pratiques et en nous
arrêtant tout particulièrement aux questions qui, étant encore l'objet de
controverses, méritent d'être soumises à la discussion. ,
stigmates hystériques.
Les constatations faites pendant la guerre sont-elles de nature à nous
inciter à reprendre la conception ancienne des stigmates permanents de
l'hystérie ? '
Les troubles nerveux qui ont été décrits sous le nom de stigmates
apparaissent donc avec une fréquence très variable suivant l'observateur,
les sujets observés et les conditions mêmes de l'observation. Il est
incontestable en tout cas qu'à l'heure actuelle ces stigmates sont infini-
ment plus rares qu'autrefois, car les médecins, plus avertis, les créent
moins souvent. Mais il est tout naturel qu'ils reparaissent dès que l'on
se départit des précautions qu'il convient de prendre dans leur recherche.
Il ne se suffit pas d'ailleurs, pour établir que des stigmates n'ont pas la
suggestion pour cause, de se borner à éliminer la suggestion médicale.
D'autres formes d'hétéro-suggestion ou l'auto-suggestion peuvent encore
intervenir, il ne faut pas l'oublier. Nous nous sommes déjà suffisamment
expliqués à cet égard. '
Quelle signification clinique convient-il de leur attribuer ? Ils ont exacte-
ment le même sens et la même valeur que tous les autres symptômes que
la suggestion peut produire et que la contre-suggestion est capable de
faire disparaître. Ils constituent bien en eux-mêmes des accidents hysté-
536 HYSTÉRIE-PITHIATISME
riques (nous ne l'avons jamais contesté) mais, et c'est là le point essen-
tiel sur lequel il convient d'insister, ils ne sauraient en aucun cas nous
autoriser à rattacher à l'hystérie les troubles nerveux qui les accompa-
gnent,
CRISES HYSTÉRIQUES.
Les crises hystériques ont été fréquemment observées dans certains
Centres. Elle se distinguent déjà des crises épileptiques par l'absence
constante des signes objectifs qui impriment leur sceau aux accès épilep-
tiques : cyanose du visage avec lividité des lèvres, hémorragies sous-
conjonctivales et piqueté hémorragique sous-cutané, réflexe cutané plan-
taire et extension. Les autres caractères de la crise comitiale : cri initial,
chute brusque, perte complète de connaissance, morsure de la langue,
présence d'une écume sanguinolente aux lèvres, émission d'urine, abatte-
ment consécutif, tout en étant des éléments précieux de diagnostic, ne
sont pas concluants, car ils pourraient être imités consciemment ou
inconsciemment. Les attaques hystériques se distinguent encore par la
forme qu'elles revêtent, grands mouvements, gesticulations, arc de cercle,
et par cet autre caractère qui est décisif : la possibilité de les reproduire
exactement par suggestion et de les faire disparaître immédiatement par
contre-suggestion.
Cette épreuve rend de grands services en pratique lorsqu'on n'a pas
pu assister à une crise spontanée. Nous y avons recouru très souvent avec
succès.
Il ne faut cependant pas oublier qu'un même individu peut être sujet
tantôt à des crises d'hystérie, tantôt à des crises épileptiques ; aussi, con-
vient-il d'interroger les infirmiers ou les personnes de l'entourage pour
s'assurer que les crises spontanées étaient bien semblables à l'attaque
provoquée. S'il en est ainsi, aucun doute ne subsiste plus sur la nature
hystérique des crises.
Enfin, il est une dernière remarque que nous croyons devoir faire : le
sujet, en pleine attaque d'hystérie et en apparence absolument étranger
à tout ce qui se passe autour de lui, entend tout ce qui se dit, comme à
l'état normal. Il est donc essentiel d'éviter tout propos susceptible d'être
l'origine d'une suggestion.
TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ.
Anesthésies hystériques. Les anesthésies hystériques se présentent
sous des aspects variés et n'obéissent pas à des règles bien précises. Elles
prennent tantôt la forme dimidiée - nous en avons déjà parlé à propos
des stigmates tantôt la forme en îlots irréguliers : assez souvent elles
imitent les anesthésies du type périphérique que l'on observe si fréquem-
ment à l'heure actuelle. Cette dernière disposition ne reproduit du reste
que d'une manière approximative celle des anesthésies liées aux lésions
des troncs nerveux. , ". , ' .. 1 ? ?
L'HYSTÉRIE PENDANT LA GUERRE 537
Ces troubles de sensibilité ne provoquent aucune gêne : on ne voit jamais
un sujet qui les présente se brûler comme le fait un blessé atteint d'anes-
thésie par lésion du cubital ou du médian.
Ils varient souvent d'un instant à l'autre, se modifient suivant ce que
suggère consciemment ou inconsciemment l'observateur ; ils s'effacent et
tendent à disparaître dès qu'on ne semble plus y prêter attention.
C'est certainement grâce aux précautions prises que nous n'avons pas
rencontré en neurologie de guerre d'anesthésie hystérique nettement
caractérisé et stable, pas plus que nous n'avons trouvé de stigmates.
Quelques-uns nous avaient prêté à tort, en effet, l'idée que nous consi-
dérions ces troubles comme une fiction ou comme l'oeuvre de la simulation.
Nous avons dit, ce qui est bien différent, qu'ils sont le résultat de la
suggestion.
Ilfaut ajouter encore que certaines hémianesthésies organiques peuvent
en imposer pour des hémianesthésies de nature hystérique. Des anesthé-
sies reproduisant plus ou moins le type segmentaire peuvent aussi être
observées dans le syndrome de Wolkmann, dans les paralysies et contrac- 1
tures d'ordre réflexe (Gougerot et Charpentier, Sicard et nous-mêmes).
Elles ont été signalées autrefois dans les hémorragies médullaires, les
syringomyélies et retrouvées récemment à la période de début des héma-
tomyélies consécutives aux éclatements d'obus (Froment). Si l'on considé-
rait les anesthésies répondant à ces types comme étant toujours de nature
hystérique, on courrait au-devant de graves erreurs de diagnostic. Ce sont
des erreurs de ce genre qui ont sans doute amené quelques neurologistes
à attribuer à l'anesthésie hystérique le pouvoir de modifier ou d'abolir
la réflectivité cutanée.
TROUBLES DE LA FUTILITÉ.
Paralysies hystériques. Les paralysies hystériques répondent aux
types les plus variés : hémiplégies, paraplégies, monoplégies brachiales ou
crurales.
La plus fréquente de toutes ces formes de paralysie semble être la para-
plégie. Elle se développe le plus souvent à la suite d'une commotion par
éclatement d'obus, accompagnée parfois de chute ou d'ensevelissement..
Si les causes sus-mentionnées peuvent provoquer une . hématomyélie
(Jumentié, Ravaut, Heitz, Froment, Jean Lépine), les communications de
Pierre Marie et de Mmo Athanassio Bénisty, d'A. Léri, de Roussy et Bois-
seau, en France, de Bonhoeffer, de Karplus, en Allemagne, dont nous
trouvons l'analyse dans la Revue neurologique, ont établi la nature pure-
ment névropathique d'un nombre important de paraplégies survenues
dans ces conditions. Laurent avait déjà observé pendant la guerre des
Balkans des faits de même ordre ; il y a tout lieu de penser que plusieurs
de ces cas, dans lesquels la guérison a été obtenue rapidement, se rappor-
taient à l'hystérie. Mais celle-ci n'est pas toujours alors seule en cause :
538 II Y ST É R I E-P 1 T II I AT I S M E
l'existence de troubles sphinctériens, d'ailleurs passagers, certaines
modifications du liquide céphalo-rachidien permettent parfois, alors
même que la contresuggestion est nettement efficace, de reconnaître
qu'il y a eu, à l'origine, de véritables désordres organiques sur lequels se
sont greffés des accidents pithiatiques qui survivent à ceux-ci.
On observe aussi des monoplégies brachiales ou crurales totales et assez
souvent encore des troubles moteurs simulant plus ou moins grossière-
ment des paralysies du plexus brachial ou des paralysies radiales.
L'astasie-abasie, simple ou trépidante, avec les caractères classiques, ou
d'autres formes de paralysies systématiques ne sont pas rares en neurologie
de guerre.
Contractures HYSTÉRIQUES. - On admettait, il est vrai, autrefois que
les contractures hystériques et les contractures hypnotiques, ce qui est
tout un, se distinguaient nettement des pseudo-contractures volontaires.
Cherchait-on à corriger l'attitude vicieuse, on ne constatait pas, préten-
dait-on, les reprises et les saccades qui existent toujours dans ce dernier
cas. Quelques auteurs ont même soutenu que les contractures hystériques
pouvaient se maintenir dans le sommeil naturel. Mais aucune des obser-
vations qui avaient été apportées autrefois à l'appui de cette conception
n'avait réuni les caractères d'authenticité désirables.
Que nous apprend à cet égard la neurologie de guerre ? Dans tous les
cas de contracture hystérique qu'il nous a été donné d'observer et qui
ont fait leurs preuves, il s'agissait d'états rappelant en tous points des
contractions volontaires. Cherchait-on à les vaincre, on notait l'existence
de reprises, de saccades, d'intermittences, de variations dans l'attitude,
d'autant plus fréquentes et plus accentuées que la fatigue du malade aug-
mentait sous l'influence des exercices auxquels il était soumis. En outre,
si après avoir soigneusement détourné l'attention du sujet, on saisissait à
l'improviste le membre contracture, on parvenait souvent, sans aucun
effort, à vaincre une contracture qui un instant auparavant résistait aux
plus vigoureuses tractions.
D'autres observateurs ont été frappés par ces mêmes particularités.
Voici en effet l'opinion qu'exprimait A. Souques : « La contracture ou
pseudo-contracture névropathique n'est accompagnée d'aucun trouble ni
de la sensibilité superficielle ou profonde, ni de la réflectivité, ni de la
vaso-motricité. Aucun signe clinique ne permet de les distinguer des
contractions voulues. Leur localisation est bien en rapport grossier avec
le siège de la blessure, mais l'attitude vicieuse est le plus souvent en rap-
port non avec la physiologie, mais bien avec les conceptions personnelles
du blessé. » Dans une thèse faite sous l'inspiration de Roussy, Mme Grut-
zhaenler-Judelson écrivait à propos des contractures hystériques : « On
peut rencontrer toutes sortes de griffés, aussi bien celles qui rappellent
une griffe par lésion périphérique nerveuse que d'autres tout à fait illo-
giques. Un de leurs caractères est de disparaître pendant le sommeil,
tandis qu'une griffe organique persiste. »
L'HYSTÉRIE PENDANT LA il GUERRE 539
Sur ce dernier point l'accord n'est pas encore établi. G. Ballet a ima-
giné un dispositif dont l'emploi lui aurait permis pensait-il de résoudre la
question en litige. Voici comment il procéda dans un cas où il avait porté
le diagnostic de contracture hystérique : « J'ai placé, dit-il, le long de la
face interne de la jambe et du pied une bande de papier à timbres-poste.
Grâce au pointillé qui sépare les différents rectangles constitutifs de la
bande, celle-ci est incapable de résister à une traction même légère. Il
était donc évident que si, au cours de la nuit, le pied placé en adduction
forcée revenait, même d'une façon très incomplète, à une attitude nor-
male ou voisine de la normale, la bande se romprait. D'autre part, il est
invraisemblable qu'un malade, qui d'ailleurs ne se plaint pas d'insomnie,
reste toute la nuit sans sommeil, surtout si, comme nous l'avons fait, on
facilite celui-ci en administrant offre, lio de véronal. On peut donc admettre
que l'intégrité de la bande de papier au matin est la démonstration de la
persistance de la contracture pendant le sommeil : or, dans notre cas, la
bande ne s'est pas rompue... Le fait que je viens de rapporter, conclut-il,
concourt donc à démontrer que certaines contractures hystériques au
moins persistent durant le sommeil normal. » D'autres observations du
même ordre ont été rapportées par Sollier.
Ces faits sont-ils vraiment démonstratifs ? Ainsi que nous l'avions net-
tement spécifié autrefois, il est essentiel d'éliminer du débat tous les cas
dans lesquels des rétractions fibro-tendineuses s'associent à la contrac-
ture. Seul, l'examen pendant la narcose permet d'en reconnaître l'absence
sans discussion possible. Ce mode d'investigation a aussi l'avantage,
comme nous l'avons montré, de déceler parfois certaines particularités
dans l'état des réflexes tendineux et de la tonicité musculaire permettant
d'affirmer que pour le moins l'hystérie n'est pas seule en cause. Dans
aucun des cas sus-mentionnés l'examen pendant la narcose n'a été fait. La
preuve décisive, la disparition par contre-suggestion manque également.
Remarquons enfin que l'on à eu affaire là, à des sujets traumatisés ; dans
l'observation de G. Ballet, la contracture s'est développée consécutive-
ment à une opération ayant porté sur le premier métacarpien. Il est pos-
sible dès lors qu'il se soit agi de contracture d'ordre réflexe. De telles
contractures peuvent ne pas se modifier pendant le sommeil naturel, ainsi
que l'ont noté Duvernay, Sicard et comme nous l'avons observé nous-
mêmes ; elles se maintiennent parfois, nous l'avons montré, jusqu'à une
phase avancée du sommeil chloroformique ; elles peuvent être, du moins
à une certaine période de leur évolution, aussi fixes que les contractures
liées aux lésions des 'centres nervenx. Or, le diagnostic de contracture
réflexe n'a même pas été envisagé dans les travaux dont nous venons de
nous occuper.
Les faits dont il vient d'être question n'autorisent donc pas à admettre
que la contracture hystérique proprement dite se comporte autrement que
ne le ferait une pseudo-contracture volontaire,
54o ~ IIYSTIsRlE-PIT1111TIS : lIE
DE L ETAT DES RÉFLEXES DANS L HYSTERIE.
Aucun fait nouveau n'a conduit à remettre en question la loi que nous
formulions précédemment à savoir que l'hystérie ne modifie jamais l'état
des réflexes tendineux et des réflexes pupillaires.
En est-il de même pour les réflexes cutanés ? Aucun des nombreux cas
d'hystérie que nous avons observés n'est venu jusqu'à présent changer
notre manière de voir. Dans un travail publié à la Société de Neurologie
de Paris le 4 février IgI5, Déjerine présentait pourtant trois observations,
empruntées à la neurologie de guerre, à l'appui de l'opinion contraire.
« Les faits que je rapporte aujourd'hui, disait-il en concluant, me parais-
sent démontrer d'une manière absolue que l'anesthésie fonctionnelle de
cause hystéro-traumatique ou autre peut, dans certains cas, produire une
abolition complète ou une très grande diminution de la réaction cutanée
plantaire (réflexe cutané plantaire et mouvement de défense). » D'autres
faits furent invoqués à l'appui de la même thèse par Paulian, Jeanselme
et Huet, Sollier. Ces faits sont-ils vraiment démonstratifs ? Dans la discus-
sion qui suivit la communication de Déjerine, l'un de nous fit déjà les
remarques suivantes : « Si des mouvements volontaires peuvent donner le
change et être pris pour des mouvements réflexes, par contre un réflexe
peut être masqué par une contraciion musculaire volontaire ; cela est vrai
pour les réflexes cutanés aussi bien que pour les réflexes tendineux. Beau-
coup d'individus normaux sont capables d'arriver par un effort de volonté
à maintenir le membre inférieur immobile quand on leur excite la plante
du pied. Il n'est pas rare, du reste qu'un sujet qui a réagi à la première ou
aux quelques premières excitations cutanées ne présente plus de réaction
si l'on renouvelle ces excitations et s'il est, en quelque sorte, sur ses gar-
des. Dans l'exploration de ces réflexes, on doit donc s'assurer que la jambe,
le pied et en particulier les orteils ne se raidissent pas sous l'influence
d'une contraction volontaire des muscles. Or, chez les deux premiers
malades de M. Déjerine, cette condition fondamentale n'est pas réalisée,
tant s'en faut, puisqu'ils sont atteints de contracture, sur l'intensité de
laquelle M. Déjerine insiste même. Chez le troisième malade, il est vrai,
M. I)éjerine fait ressortir que, si le pied est contracturé, les orteils ne le
sont pas : mais précisément chez ce troisième malade, que je viens d'exa-
miner, il m'a été possible, en excitant la plante du pied, d'obtenir une
flexion nette des petits orteils. Dans les deux faits que rappelle M. I)éje-
rine et qui ont été relatés dans son livre, avec figures, où le réflexe
cutané plantaire paraissait aboli, les muscles étaient également en état de
contracture. En résumé, sur les cinq cas relatés par M. Déjerine où le
réflexe serait aboli, il y en a quatre où il y a de la contracture ; dans le
cinquième, où la contracture des orteils fait défaut et qui s'accompagne
cependant d'anesthésie hystérique, le mouvement réflexe peut être pro-
voqué.
« Ces faits ne peuvent donc servir à démontrer que l'anesthésie hysté-
L'HYSTÉRIE PENDANT LA 11 GUERRE o 1 1
rique soit capable d'abolir le réflexe cutané plantaire. Ils conduisent plu-
tôt à établir le contraire et à montrer qu'il y a là seulement une apparence
due à la contracture hystérique, capable, comme la contracture musculaire
volontaire, de masquer les mouvements réflexes ».
A ces critiques on peut en joindre une autre qui est fondamentale. Dans
la presque totalité des faits sus-mentionnés, autant que l'on peut s'en
rendre compte par les renseignements succincts qui nous sont parfois
donnés, il s'agit de sujets ayant subi des traumatismes variés ; plaie du
membre par projectile, contusion, chute, commotion par éclatement d'obus.
Il est fort possible dès lors que les troubles nerveux incriminés ne soient
pas de nature hystérique, mais d'ordre réflexe. Les faits de ce genre
n'ayant pas encore attiré l'attention au moment de la communication de
Déjerine, ce diagnostic n'a même pas été discuté. Or, dans les parésies et
dans les contractures dites réflexes, nous l'avons souvent noté, la réflec-
tivité plantaire peut être abolie. Cette irréflectivité semble alors liée aux
troubles vaso-moteurs et à l'hypothermie. Il suffit de réchauffer artificiel-
lement le pied et parfois seulement de laisser séjourner le malade dans
une chambre chaude pour voir le réflexe reparaître. L'instabilité de ce
trouble est importante â souligner et nous saisissons cette occasion pour
faire ressortir une fois de plus que la disparition rapide d'un phénomène
n'implique pas du tout, comme certains le pensent, l'idée d'hystérie. Elle
n'a cette signification que si le trouble a cédé sous l'influence seule de la
contre-suggestion.
En résumé, les faits nouveaux dont on s'est servi pour soutenir que
l'hystérie est en état d'abolir les réflexes cutanés ne sont rien moins que
probants. Nos idées ont été depuis lors confirmées par plusieurs neurolo-
gistes.
OEDÈMES, TROUBLES VASO-MOTEURS ET TROPHIQUES ,.
PRÉTENDUS HYSTÉRIQUES.
Aucun neurologiste ne put faire état, au cours de la discussion de 1908,
d'un seul cas bien établi d'oedème hystérique. La conception ancienne
paraissait donc bien avoir pour origine des erreurs de diagnostic : des
oedèmes simulés, artificiellement réalisés par une constriction volontaire,
et des oedèmes liés à des affections organiques avaient été mis sur le
compte de l'hystérie.
Nous n'avons pas observé, non plus, depuis le début de la guerre
d'oedème que l'on put légitimement rattacher à l'hystérie. Un certain nombre
d'oedèmes traumatiques, que l'on aurait sans doute autrefois considérés
comme hystériques. avaient pour cause, ainsi que dans les cas de A. Lévi
et Roger, une constriction volontaire ou une constriction d'origine chi-
rurgicale. Sicard et Cantaloube étudiaient récemment encore ces « oedèmes
de striction » et distinguaient deux phases dans leur évolution : si, pen-
dant une première période, ils disparaissent dès que la constriction cesse,
dans la deuxième période, ils s'organisent et leur régression est alors
lente ; ils pourraient même devenir irréductibles. ' .
5 2 II YSTI`RIE-PITIII : 1TIS.lIL
Quelques observations d'oedème hystérique ont été cependant publiées
par G. Ballet, Lebar, Raynaud. L'une d'elles a provoqué une discussion
au cours de laquelle Roger fit les remarques suivantes : « La question des
oedèmes hystériques me parait actuellement jugée. Tout le monde admet,
depuis les travaux de Babinski, que ces oedèmes n'existent pas. Dans les
cas de ce genre, il s'agit toujours d'une simple supercherie des malades
ou, au contraire, d'une lésion organique de nature vasculaire ou nerveuse.
Le malade de M. Raynaud, présentant une blessure à la face interne du
bras, juste au niveau du paquet vasculo-nerveux, l'existence d'une lésion
organique sans doute vasculaire semble tout au moins probable et ren-
drait compte de l'oedème observé. »
A ces hypothèses on peut encore en joindre une autre : celle de troubles
vaso-moteurs d'ordre réflexe qui toutefois ne s'accompagnent pas d'habi-
tude d'oedème bien marqué. Dans trois sur quatre des cas d'oedème pré-
tendu hystérique qui ont été publiés, l'oedème était associé à une contrac-
ture et s'était développé dans un membre traumatisé ; nous avons déjà
formulé cette objection pour l'un de ces faits à propos de la question de
la persistance des contractures pendant le sommeil. Ajoutons que, dans
aucun de ces cas, l'épreuve thérapeutique n'a donné de résultat positif.
Si, dans l'observation de Lebar, l'oedème et la contracture s'atténuèrent
après l'application de mouchetures, elles ne cédèrent pas complètement.
Ce mode de traitement du reste, est-il besoin de le faire remarquer, ne
peut être considéré comme ayant une action uniquement psychique.
Les troubles vaso-moteurs étaient considérés autrefois comme très com-
muns dans l'hystérie. Nous avons contesté cette opinion et un grand
nombre de neurologistes s'étaient ralliés à notre manière de voir. Mais
l'accord définitif ne s'était pas établi. On put croire tout d'abord que les
faits observés au début de cette guerre venaient sur ce point donner raison
aux partisans de la doctrine ancienne ; chez de nombreux sujets atteints
d'accidents qualifiés d'hystéro-traumatiques, on avait en effet constaté des
troubles vaso moteurs marqués. Quelques observateurs ont supposé que ces
troubles, sans constituer il est vrai des accidents hystériques proprement
dits, étaient le résultat de l'immobilisation produite par la paralysie ou la
contracture et rentraient dans ce groupe d'attente que l'un de nous avait
réservé pour les phénomènes subordonnés aux troubles hystériques pri-
mitifs et qu'il avait appelés troubles hystériques secondaires. Mais l'ana-
lyse de ces faits nous a permis d'établir que ces troubles circulatoires et
thermiques devaient être détachés de l'hystérie et elle nous a conduit à
les considérer comme des phénomènes d'ordre réflexe dépendant d'une
perturbation du système sympathique. Cette question, d'importance pri-
mordiale tant au point de vue pratique qu'au point de vue doctrinal, sera
discutée ultérieurement avec détails. Nous nous contenterons de dire, et
la suite le montrera, que si une paralysie hystérique peut provoquer une
légère thermo-asymétrie, elle ne détermine jamais de troubles vaso-moteurs
et thermiques nettement caractérisés; lorsqu'elle s'accompagne de pareils
troubles c'est qu'elle s'associe à des phénomènes d'une autre nature.
L'HYSTÉRIE PENDANT LA GUERRE 543
Malgré la fréquence des phénomènes hystériques qui ont été observés
de tous côtés, on n'a pas noté un seul fait d'érythème, de phlyctène, d'ul-
cération, de gangrène de la peau, d'hémorragie, d'hématémèse, de mé-
lama, d'hématurie, d'anurie, ni aucun de ces accidents dont la réalité
était admise autrefois sans conteste. ,
Sollier a signalé, il est vrai, l'existence des troubles trophiques osseux
dans six cas de contractures dites névropathiques qui s'étaient dévelop-
pées consécutivement à des blessures. Mais de tels troubles ont été très
souvent observés à la suite de fractures et de plaies des membres en l'ab-
sence de toute manifestation hystérique. On peut se demander si. là
encore, il ne s'agit pas de troubles trophiques liés à des perturbations
du système sympathique, d'ordre réflexe.
En dehors de ces observations très sujettes à caution, aucun cas de trou-
ble trophique hystérique n'a été publié depuis le début de la guerre.
Notons à ce sujet que d'après Cestan, Descomps et Euzière les altéra-
tions des empreintes digitales sont exceptionnelles dans les paralysies
névrosiques. « On ne les constate jamais, ajoutait-il, que dans le cas où
les phénomènes névrosiques ont été provoqués par une épine organique. »
Villaret remarquait de même que les troubles trophiques des phanères
(hyper ou hypotrychose) font défaut dans les paralysies dites fonction-
nelles, exception faite pour les faits correspondant à ceux que nous
avons réunis sous la dénomination de parésie et de contracture d'ordre
réflexe.
De ce qui précède nous nous croyons en droit de conclure que la
conception moderne de l'hystérie n'a été ébranlée en aucun point. Bien
plus elle a été confirmée par de nombreux faits constatés pendant ces
trois dernières années ; le terme même de pithiatisme a été généralement
adopté, il est actuellement d'un usage courant.
Si l'opinion contraire a été soutenue par quelques neurologistes, cela
tient sans doute à ce queles traumatismes de guerre ontfait surgir une série
d'accidents nerveux qui ont été d'abord mal interprétés et rattachés, faute
d'une sémiologie précise, à l'hystérie bien qu'ils en fussent absolument
distincts. Il s'est fait là une confusion analogue à celle qui avait consisté,
jadis, à considérer comme hystériques des accidents liés à des lésions du
système nerveux central, lorsque les signes caractéristiques de ces affec-
tions étaient encore mal déterminés.
TRAITEMENT ET DÉCISIONS MEDICO-MILITAIRES
Au début de la guerre, les neurologistes n'étaient pas tous d'accord sur
les résultats que l'on peut obtenir, surtout pour ce qui concerne les acci-
dents hystériques de date ancienne. Certains les considéraient alors
comme stabilisés et généralement réfractaires à toute tentative thérapeu-
544 111-STL'RIE-P1TIII : ITISdI
tique. Il en était même qui ne repoussaient pas l'idée d'une réforme.
Cette manière de voir a été discutée mais, fort heureusement, elle n'a pas
prévalu. La grande majorité des neurologistes a estimé avec raison qu'une
pareille manière de faire serait fâcheuse à tous égards et, dès la séance
du 21 octobre igi5, la Société de Neurologie transmit à M. le sous-secré-
taire d'Etat du service de santé le voeu « qu'Une soit plus présenté dans la
période actuelle, en aucune circonstance, aucun militaire atteint de psyclto-
névrose devant les commissions de réforme en vue d'une réforme quelconque . »
Pour notre part, nous avons insisté depuis longtemps sur la possibilité
de guérir presque à coup sur les manifestations hystériques pures et ce
que nous avons vu pendant le cours de ces trois dernières années n'a fait
que fortifier cette opinion, Quand il s'agit de désordres de date récente,
la tâche est ordinairement facile. S'ils sont anciens, ils opposent parfois
une assez grande résistance au traitement : cependant, même alors, ils
finissent généralement par céder, si les conditions que nous avons spéci-
fiées se trouvent réalisées. C'est ce qui résulte des observations de plu-
sieurs de nos collègues, en particulier de celles de Souques, de Meige,
d'Albert Charpentier, de Clovis Vincent, de Roussy('), de Léri ainsi que
des faits nombreux observés par nous depuis le début de la guerre. Cl.
Vincent, qui a eu l'occasion de traiter un très grand nombre de sujets
atteints de troubles pithiatiques, nous a déclaré les avoir guéris presque
tousQ. '
Dans le domaine des troubles oculaires hystériques, qui sont relative-
ment rares, on a constaté aussi l'efficacité remarquable de la contre-sug-
gestion. C'est ainsi que dans un travail tout récent ayant pour titre « Des
troubles visuels par commotion crânienne » (Aoc7a. d'ophtalm., mai-juin
1917) Coutela rapporte trois faits de cécité pithiatique qu'il a pu guérir
instantanément. « Quelques phases ont suffi, dit-il, et ces trois militaires ont
rejoint presque immédiatement leur cantonnement >>. Et il ajoute : « C'est
en instituant un traitement destiné à les suggestionner et à rééduquer
leur fonction visuelle que Crouzon a guéri les trois commotionnés dont
il donne l'observation. Tous nous avons obtenu semblables résultats de
cette thérapeutique persuasive. »
Est-il besoin d'ajouter qu'en cas d'association, les troubles hystériques
seuls disparaissent sous l'influence des moyens que nous venons d'indi-
quer. Les désordres associés aux précédents, de nature organique ou
physiopathique, subsistent et ne sont susceptibles de se modifier que sous
(') Roussy, Boisseau et d'Oclsnilz ont obtenu également dans la station neurologique de Salins
d'excellents résultats. Le séjour des malades dans des services spéciaux où ils peuvent être réellement
isolés et où ils sont l'abri de toutes les influences susceptibles d'entraver la thérapeutique persuasive,
constitue une condition éminemment favorable à la contre-suggestion.
(2) Les récidives ne sont-elles pas à redouter ? L'avenir des soldats ainsi guéris, quand il s'agit des
troubles hystériques purs, dépend principalement du milieu dans lequel ils se trouveront, de l'ascen-
dant moral de leurs supérieurs et pour une très grande part de la manière dont se comportera le
médecin régimentaire qui pourra être appelé à les examiner au dépôt ou sur le front. Si ce médecin
bien convaincu de cette vérité que les manifestations pithiatiques sont rapidement et définitivement
curables, s'applique à combattre tout trouble hystérique à l'étal naissant, il aura bien des chances
d'enrayer les rechutes.
L'HYSTÉRIE PENDANT LA GUERRE 545
l'influence d'autres modes de traitement. En neurologie de guerre, ces
associations sont particulièrement fréquentes, ce qui explique sans doute
pourquoi il n'est pas rare d'observer, après une atténuation très notable
des troubles soumis à des pratiques psychothérapiques, la persistance de
séquelles plus ou moins tenaces et d'importance variable.
Il est encore une remarque que nous croyons devoir faire. Nous avons
déjà dit que les manifestations hystériques peuvent être réfractaires au
traitement chez un sujet atteint d'affection mentale telle que l'hébéphré-
nie. Il n'est pas rare d'observer des accidents hystériques, des paralysies,
des contractures, diverses formes d'astasie-abasie, des convulsions chez
des individus atteints de délibité mentale. En pareil cas, la psychothéra-
pie est beaucoup moins efficace. Si les troubles hystériques sont même
alors susceptibles de disparaître très rapidement sous l'influence de la
contre-suggestion, ils sont habituellement plus tenaces que lorsqu'il
s'agit d'hystérie pure et ils sont plus sujets à la récidive. Il est évident que
là c'est le facteur mental qui occupe la première place, qui règle le pro-
nostic et qui doit dicter les mesures médico-militaires. Tout ce que nous
avons dit précédemment, nous le répétons, s'applique aux cas dans
lesquels l'hystérie se présente à l'état de pureté ou constitue l'élément
prédominant.
Dans une réunion des représentants des Centres neurologiques (i5
décembre 1916) ayant pour ordre du jour : « Réformes, Incapacités, Gra-
tifications dans les Névroses » les questions dont nous nous sommes
occupés dans ce livre ont été de nouveau envisagées au point de vue
médico-militaire et les conclusions du rapport rédigé par l'un de nous ont
été adoptées pour servir de base à l'établissement de la prochaine édition
du Guide-Barème des Invalidités. Elles intéressent tous les médecins mili-
taires et, à ce titre, nous croyons utile de les rapporter ; les voici :
i° Pour les accidents hystériques, pithiatiques purs : ni» réforme, ni grati(i ?
cation.
2° Pour les cas où les accidents pithiatiques sont associés à des désordres
organiques, physiopathiques ou mentaux, ne pas tenir compte des manifesta-
tions hystériques dans l'évaluation du degré de l'incapacité.
3° Pour les troubles physiopathiques (troubles nerveux dits réflexes) consé-
cutifs aux traumatismes de guerre et réfractaires à un traitement prolongé :
service auxiliaire ou réforme temporaire avec gratification de taux propor-
tionné à la gêne fonctionnelle (').
Il résulte de ces voeux et des discussions qui ont eu lieu au cours de la
réunion que la distinction entre les troubles hystériques-pithiatiques et
les troubles dits réflexes a été généralement admise.
La possibilité d'accorder la réforme temporaire et une gratification aux
(1) L'avis du médecin spécialiste doit être formulé il l'insu de l'intéressé et transmis sous pli cacheté
pour qu'il ne puisse pas être le point de départ de contestations ou de réclamations. Si le médecin-
expert doit en tenir le plus grand compte, il est seul qualifié légalement, il ne faut pas l'oublier,
pour fixer le taux de la gratification.
Bauiksri. 35
546 HYSTÉRIE-PITHIATISME
malades présentant des désordres qui appartiennent à cette dernière
catégorie constitue une mesure équitable. Il eût été injuste et nuisible à
l'intérêt général de maintenir indéfiniment dans les services d'isolement,
comme suspects d'aboulie et même de simulation, des malades atteints
de troubles physiopathiques sur lesquels la volonté est sans action ou du
moins n'a pas d'action directe.
En déclarant que, pour les accidents hystériques purs, il ne doit être
question ni de réforme, ni de gratification, les représentants des Centres
neurologiques ont témoigné qu'ils partageaient les idées sur l'hystérie
développées dans ce livre et soutenues depuis longtemps par l'un de nous.
C'est que la plupart des neurologistes ne met plus en doute aujourd'hui
que les accidents hystériques, auxquels convient bien la dénomination de
pithiatiques, doivent guérir presque immanquablement par persuasion,
par contre-suggestion, lorsque les conditions requises pour le traitement
sont réalisées. Il serait difficile, du reste, de le contester étant donné les
résultats thérapeutiques remarquables obtenus dans les Centres neurolo-
giques de l'avant et dans ceux de l'arrière : on n'en est plus à compter,
en effet, les très nombreux sujets atteints d'accidents hystériques-pithia-
tiques qui ont été récupérés.
On peut affirmer sans exagération qu'une oeuvre éminemment utile a été
ainsi accomplie. Il faut en savoir gré : à la Société de Neurologie qui,
depuis la première année de la guerre, a bien spécifié quelle était la ligne
de conduite à suivre en présence de manifestations hystériques et qui a
demandé la création de services spéciaux ; aux chefs des divers Centres et
leurs collaborateurs, dont les efforts ont été incessants ; enfin à M. le sous-
secrétaire d'Etat du service de santé militaire qui a secondé tous ces
efforts, encouragé les initiatives et complété l'organisation des Centres
neurologiques.
Est-ce à dire que dans cette voie il n'y ait plus de progrès à réaliser ? Nous
ne le pensons pas. Une enquête faite récemment dans les différentes
régions a montré qu'il y a encore dans les hôpitaux et dans les dépôts
régimentaires un grand nombre de sujets atteints de troubles pithiati-
ques purs ou associés. La psychothérapie ou la psycho-physiothérapie
serait, on peut l'affirmer, efficace chez de tels sujets, si elle était pratiquée
dans des services d'isolement, éloignés des grandes agglomérations, où
les malades pourraient être soumis à une règle médicale et soustraits aux
diverses influences qui leur sont préjudiciables. Dans la séance du 7 juin
1917, la Société de Neurologie a émis à cet égard le voeu suivant formulé
par l'un de nous ;
« Etant donné l'intérêt yM'<7 y a, dans les cas de troubles pithiatiques rebelles
soit purs, soit associés (le ? phénomènes organiques ou physiopathiques, à
changer les malades de milieu et à les soustraire à toute action contre-psy-
cleallhérapique, il est à souhaiter que l'on crée de nOlWelf1(;r services neill'ologi-
ques d'isolement, organisés avec le plus grand soin, dans lesquels la psycho-
thérapie associée aux exercices d'entraînement el à la rééducation intensive
puisse cire mise en oeuvre avec le maximum d'efficacité. »
DIXIÈME PARTIE
TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
1
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE
Syndrome physiopathique ('). '
[J. Babinski ET J. Froment.]
Extrait du livre Hystérie-pithiatisme et troubles nerveux d'ordre réflexe,
Masson, igi8.
Parmi les accidents nerveux constatés en neurologie de guerre, il
convient de mettre à part un groupe de faits assez nombreux qui
. se présentent sous des aspects cliniques particuliers, et qui ont
une véritable autonomie. Il s'agit de contractures ou d'hypertonies, de
paralysies ou plutôt d'états parétiques qui se développent consécutivement
à des traumatismes. Ces troubles de motilité ne s'accompagnent d'aucun
des signes qui appartiennent en propre aux affections organiques classées,
aux lésions du système nerveux central ou périphérique et aux lésions des
gros troncs vasculaires. Ils se rapprochent par certains traits des mani-
festations hystériques : la lésion qui les a causés paraît parfois minime,
hors de proportion avec les désordres fonctionnels qui en résultent; ils
la débordent, s'étendent en amont, ne répondent à aucun territoire ana-
tomique connu ; et cependant, ces accidents sont parfois d'une assez
grande ténacité et, contrairement aux phénomènes pithiatiques, ils
résistent à la contre-suggestion.
Ces accidents se distinguent des manifestations hystériques par divers
caractères sémiologiques qui, il est vrai, ne sont pas toujours réunis.
Outre la contracture et la parésie, qui peuvent s'associer, tout en se
localisant parfois dans des segments différents du membre, on constate,
lorsque le syndrome est complet : de l'atrophie musculaire; de l'exagé-
ration des réflexes tendineux; des modifications des réflexes cutanés pou-
(') Hystérie-pithiatisme et troubles nerveux d'ordre réflexe (en collaboration avec J. Froment.
Collection Horizon, Paris (Masson). ire édition, a3 février '\117' - : Je édition, 4 janvier 191S. z
Edition anglaise, Londres, ig 16 (University of London Presse Lid, traduit par J. D. Rolleston -NI. D.).
55o TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
vant aller jusqu'à l'irréflectivité; de l'hypotonie; de la surexcitabilité
mécanique des muscles avec lenteur de la secousse musculaire ; des
modifications quantitatives de l'excitabilité électrique des muscles (sur-
excitabilité ou subexcitabilité sans réaction de dégénérescence, fusion
anticipée des secousses faradiques); de la surexcitabilité mécanique et
parfois électrique des nerfs ; des troubles de la sensibilité objective et
subjective (anesthésie et douleurs) ; des troubles de la régulation ther-
mique (surtout de l'hypothermie) et de la régulation vaso-motrice (cyanose,
teinte rouge saumon, diminution de l'amplitude des oscillations à la péri-
- phérie du membre, lorsque la température ambiante est basse); des
troubles sécrétoires et enfin des troubles trophiques divers du système
osseux, des ligaments, de la peau et des phanères.
Ces différents symptômes forment des combinaisons qui varient suivant
le nombre, le mode d'association et l'importance même de chacun des
éléments constituants. Il en résulte des types cliniques divers qui, malgré
leurs dissemblances, paraissent constituer une même famille et repré-
senter une espèce nosologique.
Nous exposerons plus loin les raisons pour lesquelles il nous semble
permis de considérer ces accidents comme étant d'ordre réflexe et nous
dirons ce que l'on doit entendre par cette expression. Mais, en admettant
même que cette pathogénie soit encore contestable, les troubles en
question, quelle que soit la dénomination qu'on leur donne, forment, et
c'est là l'essentiel, un groupe à part, intermédiaire en quelque sorte
entre les affections organiques à proprement parler et les désordres hys-
tériques.
Ce sont des phénomènes qu'il serait permis d'appeler physiopathiques,
terme devant exprimer l'idée que, d'une part, ni l'hystérie, ni aucun autre
état psychopathique ne peuvent les produire ; que, d'autre part, tout en
traduisant une perturbation physique, matérielle du système nerveux, ils
ne semblent pas correspondre à une lésion nerveuse susceptible d'être
décelée par les moyens d'investigation dont nous disposons.
HISTORIQUE
NOTIONS ANCIENNES
Comment ce groupe nosologique s'est-il constitué ? Son origine est déjà
lointaine et remonte aux travaux de Hunter, de Charcot et de Vulpian.
John Hunter (') appela le premier l'attention sur l'affaiblissement et
l'atrophie des muscles qui se produisent à la suite des lésions des arti-
culations. « Il est digne de remarquer, dit-il, que les lésions des tendons,
des ligaments, des aponévroses, surtout celles qui sont l'effet d'une
entorse, troublent plus les fonctions des muscles que celles qui s'adressent
directement aux muscles eux-mêmes. » Ces premières constatations furent
(') John Hunter, OEuvres complètes, traduction de Bichclot. Paris, 83y, t. I, 1). 5111.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 55
confirmées et complétées par toute une série de travaux. Nous retiendrons
seulement parmi ceux-ci le mémoire où Gosselin (') décrivit l'atrophie
musculaire consécutive aux fractures des os longs ; la thèse d'agrégation
d'Ollivier (') consacrée aux atrophies musculaires ; les communications
de Le Fort à la Société de Chirurgie en 1872 et 1876, et les discussions
intéressantes qui les suivirent; la thèse inaugurale de Valtat C) qui
comprend une étude clinique, une étude expérimentale et un historique
détaillé; la thèse de Moussous contenant aussi des documents précieux
d'ordre expérimental. Dans les leçons de Vulpian et celles de Charcot,
on trouve enfin de remarquables descriptions des accidents de cette
espèce. '
Charcot('), étudiant les atrophies consécutives aux lésions articulaires,
montre que les muscles atrophiés présentent une simple diminution de
l'excitabilité électrique ou, en d'autres termes, des modifications purement
quantitatives et non qualitatives des réactions électriques (tels étaient
aussi les résultats des recherches d'Erb et de Rümpf); cette amyotrophie
se distingue de l'atrophie dégénérative. Elle est généralement localisée
aux extenseurs et s'accompagne d'un état parétique d'intensité variable.
Les troubles de motilité ne sont pas toujours aussi étroitement localisés
et à la suite de traumatismes du genou se développent parfois des états
parétiques du pied. On peut observer en pareil cas des contractures
associées ou non à l'amyotrophie ou à la paralysie amyotrophique. L'exal-
tation des réflexes paraît un symptôme commun à ces divers modes de
troubles de motilité. Ceux-ci, ajoute Charcot, sont susceptibles de se déve-
lopper à la suite de toutes les affections articulaires quels qu'en soient
la nature, l'intensité et le mode d'évolution. « Il n'y a aucune relation
nécessaire entre l'intensité de l'affection articulaire et celle des phéno-
mènes paralytiques et atrophiques... Pour ce qui est de la persistance des
accidents deuthéropathiques (paralysie et atrophie) après la cessation de
l'affection protopathique (arthrite) c'est en quelque sorte la règle..., des
mois peuvent s'écouler laissant encore le membre hors de service, alors
que depuis longtemps l'arthrite n'est plus représentée que par un peu
d'empâtement ou même ne laisse plus aucune trace. »
Vulpian (") complète sur quelques points la description précédente. Il
fait remarquer que « la sensibilité des téguments et des parties profondes
peut être modifiée. M. Descosse, dans des cas d'arthrite du genou,
ajoute-t-il, a constaté des phénomènes de névralgie du nerf crural cor-
respondant. Le nerf était le siège de douleurs spontanées; en outre,
la pression exercée sur tout le trajet du nerf déterminait une sorte d'en-
(') Gosselin, Mémoire sur l'irréductibilité et les déformations consécutives dans les fractures des os
longs. Gazette hebdomadaire, 185g, nos g et t i.
(2) A. Ollivier, Des atrophies musculaires, Thèse d'agrégation, 1869.
(3) Valtat, De l'atrophie musculaire consécutive aux maladies des articulations (Etude clinique et
expérimentale), Thèse, Paris, 1872.
(1) J.-M. Charcot, Leçons sur les maladies du système nerveux, faites à la Salpêtrière, t. III, 1885.
(ô) Vulpian, Des atrophies musculaires dites réllexes, in Maladies du système nerveux (moelle
épinière), 1886, t. II, pp. 541-592.
552 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
gourdissement plutôt qu'une douleur dans la région. » Vulpian insiste sur
les troubles trophiques de la peau et des phanères, les troubles sécré-
toires, le refroidissement du membre, la teinte cyanique ou rose sombre
de la peau. Il montre que les plaies qui se forment accidentellement sur
le membre atteint d'atrophie musculaire peuvent ne se cicatriser qu'avec
une extrême lenteur et offrir même le caractère ulcéreux. Il ajoute enfin
que toutes les lésions périphériques, gelures, brûlures, plaies plus ou
moins profondes des membres peuvent devenir le point de départ de tels
accidents.
Nous retrouvons très explicitement indiqués dans ces descriptions plu-
sieurs des éléments fondamentaux du syndrome clinique que nous
étudions : l'atrophie musculaire avec l'absence de R. D., la parésie et la
contracture à l'état isolé ou à l'état associé, les modifications de la réflec-
tivité tendineuse, les troubles de la sensibilité (anesthésie, névralgies,
douleurs à la pression des troncs nerveux), les troubles vaso-moteurs et
thermiques, les troubles trophiques, les troubles sudoraux. De plus, il est
spécifié que ces phénomènes peuvent avoir une origine articulaire ou
ab-articulaire suivant l'expression de Dutil, qu'ils paraissent souvent hors
de proportion avec la lésion qui les a provoqués, qu'ils se développent
parfois tardivement après cicatrisation complète et, enfin, qu'ils sont
généralement d'une grande ténacité.
Si l'on en juge pourtant par la place qui leur est réservée dans les
Traités de Neurologie les plus modernes, il ne semble plus que, dans
ces derniers temps, on y ait attaché la même importance. On dirait presque
qu'ils sont discrédités.
A quoi faut-il attribuer cette évolution des doctrines médicales ? Elle
nous parait due aux deux causes suivantes : d'une part, à l'abus que cer-
tains auteurs ont fait du terme « réflexe » et, d'autre part, à l'extraordinaire
fortune du concept hystérie.
On avait décrit, autrefois, sous le nom de paralysies sympathiques tout
un groupe assez hétéroclite de paralysies provoquées dans certaines
régions du corps par l'affection d'un organe qui en est plus ou moins
éloigné. Ce sont ces mêmes paralysies que Graves et Brown-Séquard
dénommèrent ultérieurement paralysies réflexes, et que Jaccoud et Weir-
Mitchell proposèrent d'appeler paralysies d'origine périphérique ou para-
lysies par irritation périphérique. Il est indispensable de bien spécifier
qu'il s'agit là, de faits dont la nature et la pathogénie sont essentiel-
lement discutables. Ce sont, par exemple, les paraplégies observées à la
suite des affections inflammatoires du rein (Rayer, Stokes, Leudet), à la
suite des lésions de l'utérus ou de l'intestin (Brown-Séquard); l'hémi-
plégie observée au cours de la pneumonie ; l'amaurose -consécutive aux
contusions du nerf frontal; les paralysies du bras observées à la suite de
plaies par arme à feu de la cuisse (Weir-Mitchell, Morehouse et Keen);
les cas d'inflammation dite réflexe (Brown-Séquard), etc.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 553
Le discrédit dans lequel étaient tombées les observations anciennes de
contracture et de paralysies amyotrophiques, dites réflexes, d'origine arti-
culaire ou ab-articulaire, s'explique encore par une autre cause : le déve-
loppement démesuré du concept de l'hystéro-traumatisme.
On avait été conduit à attribuer à l'hystérie, presque sans exception,
tous les troubles nerveux consécutifs aux traumatismes et ne relevant
pas d'une lésion avérée du système nerveux.
Voici ce que A. Pitres écrivait en 1891, dans ses Leçons cliniques sur
l'hystérie à propos d'un malade atteint d'atrophie musculaire consécutive
à un traumatisme. « Ces mots d'atrophie réflexe ne correspondent à
aucune conception nosographique précise. On décrit aujourd'hui sous ce
nom un certain nombre d'atrophies musculaires qui succèdent à des trau-
matismes. Mais on appelait également, il y a quelques années, contrac-
tures réflexes, paralysies réflexes, tremblement réflexes, une foule d'ac-
cidents qui appartiennent absolument à l'hystérie et qui sont entrés tout
naturellement dans le groupe des accidents hystérotraumatiques le jour
où ce groupe a été créé par le génie de M. Charcot. Il en sera sans doute
de même pour une grande partie des observations d'atrophie. »
Cette manière de voir était la conséquence de la donnée, classique
autrefois, suivant laquelle l'hystérie était capable de tout faire sans en
excepter même l'exagération des réflexes tendineux, les troubles vaso-
moteurs, thermiques et trophiques.
Avec la conception ancienne de l'hystérie, il faut bien le reconnaître,
la distinction entre les troubles nerveux d'ordre réflexe et les accidents
hystériques était pour ainsi dire impossible et la confusion était inévitable.
Les notions inhérentes à la conception moderne de l'hystérie condui-
saient déjà, par contre, à séparer ces deux catégories de faits et donnaient
dans certains cas, les moyens de les différencier.
Sur quels symptômes était-il possible alors de se fonder pour établir ce
diagnostic ? °
L'amyotrophie d'origine réflexe, quand elle était très marquée, comme
elle l'est souvent, ne pouvait être confondue avec l'atrophie musculaire
hystérique qui est discrète et légère, mais elle ne constitue pas toujours
un symptôme assez nettement caractérisé pour qu'il soit décisif.
La surréflectivité tendineuse permettait bien lorsqu'elle était nette
d'écarter l'hystérie, mais elle est parfois peu prononcée, discutable; elle
peut même faire complètement défaut.
On pouvait encore faire état des troubles vaso-moteurs et thermiques.
Dès 1904, dans une leçon consacrée aux symptômes objectifs que la volonté
est incapable de reproduire, l'un de nous s'exprimait déjà ainsi qu'il suit :
«Les troubles trophiques, les troubles circulatoires, les troubles sécré-
toires apportent aussi au diagnostic des éléments d'appréciation d'ordre
majeur... Si, par exemple, dans un cas de monoplégie, de monoparésie
ou de névralgie occupant le domaine d'un des membres inférieurs vous
constatez que la jambe qui est le siège du mal est plus froide que l'autre,
que la sécrétion sudorale y est plus abondante et que la peau a une colo-
5 5 ! 1 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
ration rouge violacée, vous pouvez affirmer que vous avez affaire à une
affection organique. »
Dès nos premières communications sur les contractures et les paralysies
réflexes, nous insistions à nouveau sur l'importance de ce caractère fon-
damentale et nous écrivions (') : «Nous devons reconnaitre que, même
dans les cas où l'exagération de la réflectivité était contestable, nous
avions l'impression qu'il s'agissait d'états organiques, impression qui
était fondée sur la présence d'hypothermie locale. » Au cours d'une dis-
cussion à la Société de Neurologie, le 7 octobre ! ai5, l'un de nous faisait
encore les remarques suivantes (2) : « Je ne conteste pas qu'une paralysie
pithiatique puisse déterminer, sous l'influence de l'inactivité ou de la
subactivité fonctionnelle, de l'hypothermie, de la thermoasymétrie quand
la paralysie est unilatérale, mais en pareil cas le trouble n'est que léger.
Je suis d'avis qu'une hypothermie très caractérisée et tenace est l'indice
d'une perturbation plus profonde.
« On sait qu'elle est fréquente dans l'hémiplégie organique,la poliomyélite
et les névrites, mais il semble que l'attention n'a pas été suffisamment
attirée sur la fréquence et l'intensité des troubles vaso-moteurs, de l'hy-
pothermie qui se développent souvent à la suite des lésions traumatiques
et qui font partie du groupe des phénomènes dits réflexes. Ces troubles
sont communs dans les cas de lésions dues à des blessures par projectiles,
alors même que ces lésions ne semblent pas avoir causé de dégâts
notables, que les troncs nerveux et les artères n'ont pas été atteints. »
Toutefois il faut remarquer que la plupart des neurologistes ne par-
tageaient pas alors cette façon de voir.
C'est ainsi que Gilbert Ballet C) présentait à la Société de Neurologie,
le icr juillet 1916, dans une communication à laquelle nous nous sommes
déjà reportés, un malade atteint de contracture du pied droit immobilisé
en varus équin et disait : « L'adduction forcée du pied est survenue dans
les conditions suivantes : le 6 août, Lad... a été opéré d'un hallux valgus
par résection de la tète du 1 cl métatarsien. Trois semaines après, alors
que la plaie opératoire était cicatrisée, le malade a vu son pied se mettre
en adduction et assez rapidement la contracture s'est établie au degré que
vous la voyez. On a chloroformé le malade et immobilisé le pied dans un
appareil plâtré. Au bout de quelques jours, l'appareil ayant été enlevé, le
membre a repris son attitude vicieuse ; il y a sur le dos du pied un oedème
très accusé avec refroidissement du pied droit par rapport au pied
gauche. » Il existe d'autre part une large zone anesthésique sur la face
dorsale du pied et à la jambe. «Il s'agit bien ici, concluait Ballet, d'une
contracture d'origine psychique n'ayant que des rapports lointains et
(') J. Babinski et .T. Froment. Les modifications des réflexes tendineux pendant le sommeil chlo-
roformique et leur valeur en sémiologie, Académie de médecine, 19 octobre Ig15.
(") .1. Babinski, Société de Neurologie, 7 octobre y5, Revue de Neurologie, igi5, pp. 1225-1226.
(vj) G. Ballet, OEdème blanc associé aux contractures d'origine psychique. Société de Neurologie,
Ier juillet 1915.
TROUBLES NERVEUX. D'ORDRE RÉFLEXE 555
indirects avec l'opération : celle-ci a porté, je le rappelle, sur le 11r méta-
tarsien et la contracture est une contracture qui intéresse les muscles
moteurs de l'articulation tibio-tarsienne... Voilà donc une contracture
d'origine psychique avec oedème et troubles vaso-moteurs associés. »
Il est à remarquer que bien qu'il se fut agi là d'une contracture consé-
cutive à un traumatisme s'accompagnant de troubles vaso-moteurs,
d'oedème et d'hypothermie, G. Ballet ne discutait pas et n'envisageait
même pas l'hypothèse d'une contracture d'ordre réflexe.
Ce n'était pas là un fait isolé ; nous l'avons choisi à dessein, car il a été
relaté par un neurologiste éminent à la mémoire duquel nous nous plai-
sons à rendre hommage. On voit combien s'étaient effacées dans certains
esprits les données établies par Charcot et Vulpian.
NOTIONS NOUVELLES
ACQUISES PAR L'ÉTUDE DES FAITS DE GUERRE
Voici comment nous avons été conduits à reprendre l'étude des troubles
dits réflexes et comment nous avons été appelés à faire des constatations
nouvelles.
Notre attention a tout d'abord été retenue par le fait suivant : au mois
d'août 1915 se présente à la consultation de la Pitié un soldat atteint,
consécutivement à une blessure de la partie supéro-externe de la cuisse
droite, d'une claudication des plus marquées avec rotation du pied en
dehors. Nous constatons de l'atrophie musculaire de la cuisse, sans
trouble appréciable des réactions électriques. L'examen de la hanche
montre une légère limitation des mouvements de flexion et de rotation
interne de la cuisse sur le bassin qui ne semble pas en proportion avec
les troubles de motilité. La radiographie ne décèle aucune lésion arti-
culaire. Le réflexe rotulien droit paraît un peu plus fort que le gauche ;
mais l'asymétrie est discutable. Les réflexes achilléens sont normaux et
égaux. Il n'y a ni trépidation épileptoïde du pied, ni clonus de la rotule.
Il existe, par contre, au membre malade, des troubles vaso-moteurs
marqués et tenaces, et une hypothermie locale très nette.
En nous fondant sur l'intensité des troubles vaso-moteurs, nous nous
étions crus en droit d'affirmer qu'il y avait là des phénomènes qui ne
dépendaient pas de l'hystérie et qui se rattachaient vraisemblablement
aux accidents dits réflexes. Mais la réflectivité tendineuse du membre
malade n'était pas notablement exagérée et nous manquions, dès lors,
du signe le plus caractéristique. Enfin il y avait lieu de se demander si
l'attitude vicieuse et la raideur musculaire n'étaient pas liées à de simples
rétractions tendineuses.
Pour résoudre cette dernière question, il nous parut bon de soumettre
ce malade à la chloroformisation. Il était d'autant plus légitime, en
556 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
l'espèce, d'avoir recours à tous les moyens permettant d'établir un
diagnostic précis, que l'on avait affaire à un sujet qui avait été considéré
par quelques médecins comme un exagérateur ou même comme un
simulateur.
Or, l'examen pendant la narcose chloroformique nous conduisit,
d'abord, à constater l'existence d'une légère rétraction fibro-tendineuse,
mais elle nous montra aussi que l'attitude vicieuse et la raideur étaient,
pour la plus grande part au moins, sous la dépendance d'une
contracture.
De plus, en pleine phase de résolution musculaire, après extinction
de tous les autres réflexes tendineux et des réflexes cutanés, on observait,
du côté malade, de la surréflectivité tendineuse et même un clonus de la
rotule, des plus nets, qui subsista pendant l'heure qui suivit le réveil (').
Depuis cette époque, nous avons examiné, dans les mêmes conditions,
un certain nombre de blessés présentant des accidents analogues et nous
avons plusieurs fois noté pendant la narcose cette exagération élective des
réflexes tendineux du membre malade. Nous étions ainsi en possession,
sinon d'un caractère nouveau, tout au moins d'un moyen permettant de
rendre évidente la surréflectivité tendineuse dans des cas où elle était
douteuse à l'état de veille.
Chez quelques-uns de ces malades le caractère que nous venons d'indi-
quer faisait défaut, mais on en constatait d'autres non moins significatifs :
La contracture ne cédait que dans le sommeil jirofond ; elle subsistait
encore à une période où le réflexe conjonctival était aboli et où les excita-
tions par piqûres des membres sains ne provoquaient aucune réaction ; le
retour de la contracture, contemporain de celui des réflexes tendineux,
précéda parfois de vingt à vingt-cinq minutes les premières manifestations
de la conscience. De plus, chez certains sujets, l'effort de réduction en
pleine anesthésie et après disparition de toute réaction consciente provoquait
un mouvement spasmodique qui exagérait l'attitude vicieuse ; il en était
ainsi, en particulier, dans plusieurs cas de contracture de la jambe en
flexion. ,
Ces recherches, avec notation précise des modifications de la réflecti-
vité et de la tonicité musculaire, aux différentes périodes de la narcose
chloroformique, nous ont conduits ainsi à rappeler l'attention sur ces
troubles nerveux d'ordre réflexe consécutifs aux traumatismes des
membres et qui étaient, au début de la guerre, si souvent méconnus (2).
Elles ont montré qu'il fallait y regarder de près avant de rattacher des
accidents nerveux à l'hystéro-traumatisme et que l'absence, à l'état de
veille, de surréflectivité tendineuse bien caractérisée ne suffisait pas à
justifier un pareil diagnostic.
(1) J. Babinski et J. Froment, Les modifications des réflexes tendineux pendant le sommeil chlo-
roformique et leur valeur en sémiologie, Académie de médecine, 19 octobre igi5.
(2) J. Babinski et J. Froment, Contribution à l'étude des troubles nerveux d'origine réflexe. Examen
pendant l'anesthésie chloroformique. Société de Neurologie, 4 novembre po5 et Revue Neurologique,
novembre-décembre igi5, pp. j25-933.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 55;
Au moment où nous poursuivions ces recherches surgirent de tous
côtés des cas d'interprétation difficile qui suscitèrent toute une série de
publications.
H. Meige, Mme Ath. Bénisty et Mule Lévy(') décrivent sous le nom de
« main figée » certaines impotences fonctionnelles dont la nature leur
parait encore énigmatique ; ils attirent l'attention sur l'existence dans ces
cas d'un état psychopathique spécial qui serait venu se greffer sur une
épine organique initiale. Claude décrit, à côté des accidents hystériques,
« certaines manifestations similaires qu'il est très difficile de classer » ;
ce sont des contractures douloureuses assez localisées et très tenaces.
S'agit-il de contractures hystériques ou de contractures réflexes ? « Nous
pensons, écrit-il, qu'à l'origine la contracture est réflexe, provoquée par
une lésion nerveuse ou par une sorte d'attitude de défense et que cette
attitude est fixée, stabilisée par la suite par un mécanisme psychologique
de l'ordre des manifestations hystériques. » Sicard désigne, sous le nom
d'acro-contractures ou d'acromyotonies du membre supérieur, des
contractures de la main en attitudes variées rebelles à la thérapeutique,
que le massage et l'électricité peuvent aggraver, qui ne cèdent que lente-
ment et partiellement à la suite de manoeuvres très douces. « Le méca-
nisme pathogénique de telles contractures, ajoute-t-il, reste obscur...
L'hystérie n'est pas en cause. » Mentionnons encore les publications de
Duvernay relatives à des « contractures psychopathiques ou réflexes »
post-traumatiques, se présentant avec les mêmes caractères ; de Léri et
Roger ; de Ducosté sur les contractures consécutives aux lésions des nerfs
périphériques.
Il se dégage de tous ces travaux l'impression que, dans un grand
nombre de Centres de neurologie militaire, on a été frappé par la fré-
quence de certains états, attitudes figées ou contractures, différant des
faits habituellement observés et qu'on n'a su où classer.
S'agit-il de manifestations hystériques ? S'agit-il de phénomènes d'un
autre ordre ? C'est la question qui a préoccupé tous ces auteurs. Ils la
résolvent tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. De toute évidence ils
manquent de critères leur permettant d'étayer leur impression avec des
arguments décisifs. La plupart ont été surpris par la ténacité de ces acci-
dents et par leur grande résistance aux tentatives psychothérapiques. Si
quelques-uns écartent pour cette raison l'hypothèse d'hystérie, aucun
d'entre eux ne rapproche ces faits des descriptions anciennes.
L'observation attentive d'un malade présentant un type de paralysie
(') H. Meige, Mm° Ath. Bénisty et Mule G. Lévy, Impotence de tous les mouvements de la
main et des doigts avec intégrité dos réactions électriques (main figée), Société de Neurologie,
4 novembre ig 15.
558 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
encore non décrit donna alors à nos recherches une orientation nouvelle
Il s'agissait d'un blessé atteint d'une paralysie flasque de la main et des
doigts consécutive à une plaie par balle du 2° espace interosseux dorsal.
On constatait des troubles vaso-moteurs et une hypothermie locale très
manifeste. Il existait un peu d'atrophie diffuse et non systématisée des
masses musculaires de la main, de l'avant-bras et du bras, sans réaction
de dégénérescence. Les réflexes tendineux du membre malade étaient
conservés.
L'hypothèse d'une affection organique des centres ou des nerfs péri-
phériques devait être écartée en l'absence de tout signe caractérisant de
telles lésions. S'agissait-il donc de phénomènes hystériques ou simulés,
comme certains l'avaient pensé ?
Soumettant le malade à un examen méthodique, à la recherche de
quelque indice nous permettant de résoudre le problème, nous fûmes
frappés par les symptômes suivants : une hypotonie d'une remarquable
intensité (surtout appréciable au poignet) qui égalait, si elle ne la
dépassait, l'hypotonie observée dans les paralysies consécutives aux
lésions des nerfs les plus profondes ; de la sur excitabilité mécanique très
prononcée des muscles de la main et de l'avant-bras, avec lenteur de la
secousse musculaire ; et enfin de la surexcitabilité électrique des muscles
avec fusion anticipée des secousses faradiques (').
Des signes objectifs sur lesquels la volonté ne peut avoir aucune action
avaient ainsi apparu à nos yeux et, conséquemment, s'imposait à nous
l'idée que ces désordres ne dérivaient pas de l'hystérie ou du moins que,
si elle intervenait dans la genèse des troubles moteurs, elle n'était pas
seule en cause.
Examinant de nouveau les malades dont il a été question précédem-
ment et chez lesquels l'observation pendant la narcose avait mis hors de
doute l'existence d'une perturbation des centres médullaires, nous retrou-
vâmes les signes sur lesquels nous venons d'attirer l'attention et, en par-
ticulier, la surexcitabilité mécanique avec lenteur de la secousse. On les
retrouvait de même chez plusieurs malades présentant ces types de
contractures, si particuliers, qui avaient un peu partout retenu l'attention
des neurologistes (main figée, acro-contracture, main d'accoucheur).
L'existence de la surexcitabilité mécanique des muscles, décrite par
nous dans ce groupe de faits, a été confirmée par les observations ulté-
rieures de P. Marie et Foix et de Sicard.
Le rapprochement de ces diverses catégories de paralysies et de
contractures, ayant toutes pour caractères communs d'être d'origine trau-
matique, de ne pouvoir être attribuées ni à une affection organique du
système nerveux, ni à l'hystérie, nous conduisait à établir entre elles une
connexion étroite. Or, les unes, paraissant incontestablement sous la
dépendance d'une perturbation des centres médullaires, il y avait des
raisons de penser que les autres étaient de même nature.
(') J. Babinski et J. Froment, Paralysie et hypolbonic réflexes avec surexcitabilité mécanique,
galvanique cl faradique. Académie de médecine, i i janvier igi6.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 55g
Nous remarquions enfin que, dans la symptomatologie de tous ces
faits, les troubles vaso-moteurs et thermiques occupaient généralement
une place importante : qu'ils étaient pour ainsi dire constants, bien qu'il
y eut, d'un cas à l'autre, des différences dans leur degré d'intensité. Nous
montrions que le membre malade subit d'une manière anormale
l'influence de la température du milieu ambiant, ce qui implique une
perturbation locale dans le mécanisme de la régulation vaso-motrice et
thermique (').
Les recherches sphygmométriques et oscillométriques, que nous avons
faites (2), nous amenèrent à reconnaître l'existence d'un spasme vasculaire
d'autant plus accusé qu'on s'approche de la périphérie. Ce sont là des
faits qui jusqu'alors avaient passé inaperçus.
Nous fûmes frappés aussi par les liens qui unissent aux troubles L'aso-
moteurs et thermiques les troubles de l'excitabilité mécanique des muscles :
surexcitabilité musculaire et lenteur de la secousse musculaire. Ces
dernières modifications furent de notre part l'objet d'une étude minu-
tieuse faite à l'aide de la méthode graphique (3).
Il résulte de ce qui précède que ces formes diverses de contractures
et de paralysies observées pendant la guerre, sur la nature desquelles on
avait d'abord hésité à se prononcer, s'accompagnent de signes objectifs
que nous avons fait connaître et dont nous avons cherché à déterminer
la valeur. Nous les avons décrites sous la dénomination de contractures
et de paralysies ou de parésies d'ordre réflexe, parce qu'elles se
rapprochent des paralysies amyotrophiques et des contractures, dites
réflexes, si bien étudiées par Charcot et par Vulpian. En outre, certains
des phénomènes que nous avons mis en évidence (observations pendant
la narcose, caractères des troubles vaso-moteurs) apportent des argu-
ments nouveaux à l'appui de la pathogénie « réflexe ». Quoi qu'il en soit,
nos recherches ont contribué à établir l'existence d'une catégorie de
troubles de motilité de nature physiopathique que l'on doit distinguer à la
fois des phénomènes organiques, à proprement parler, et des phénomènes
hystériques, pithiatiques.
Le chapitre de pathologie que nous étudions a été l'objet d'une discus-
sion générale au cours d'une séance spéciale de la Société de Neurologie,
le 9 avril '916, à la suite du rapport présenté par l'un de nous et
consacré aux caractères des troubles moteurs dits fonctionnels. Les
(') .J. Babinski et J. Froment, Contractures et paralysies traumatiques d'ordre réflexe. Presse
Médicale, il\ février i g t 6, p. 83.
(2) J. Babinski, J. Froment et ,1. Heitz, Des troubles vaso-moteurs et thermiques dans les paralysies
et les contractures d'ordre réflexe. Annales de Médecine, octobre-novembre 1916.
(3) J. Babinski, Hallion et J. Froment, La lenteur de la secousse musculaire obtenue par
percussion et sa signification clinique (étude par la méthode graphique), Société de Neurologie,
29 juin 1916.
56o TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
neurologistes présents ont accepté notre opinion dans ce qu'elle a de fon-
damental ainsi qu'en témoignent les conclusions qui ont été adoptées, à
l'unanimité, pour clôturer cette discussion (').
En se plaçant exclusivement au point de vue des décisions médico-milital1'es
(que l'on peut être appelé el prendre, il y a lieu de distinguer, parmi les
troubles de motilité, dits fonctionnels (c'est-à-dire les troubles de motilité qui
ne présentent aucun des signes objectifs par lesquels se manifestent les
affections organiques du cerveau, de la moelle et des nerfs, ainsi rice les
lésions des vaisseaux) :
i° Les accidents hystériques, pithiatiques proprement dits;
2" Les accidents nerveux, nettement distincts des précédents, qui sont liés
à des troubles physiologiques réels, dont le mécanisme est encore discutable,
mais que l'on peut rapprocher des troubles d'ordre réflexe observés à la suite
des lésions articulaires.
SYMPTOMATOLOGIE
Les troubles nerveux d'ordre réflexe se développent à la suite de bles-
sures ou de divers traumatismes des membres et, parfois encore, à la
suite de gelures. Dans les cas de plaie par projectile, la lésion peut
n'intéresser que les parties molles, en laissant intacts le squelette et les
articulations. Il s'agit souvent de transfixions de l'avant-bras, de la
main, de la jambe, du pied et, particularité intéressante, les troubles
nerveux s'étendent habituellement au-dessus de la région traumatisée.
Ajoutons que l'intensité des troubles ne semble pas être en raison de la
durée de l'infection, de l'étendue de la lésion et des cicatrices, ni de l'acuité
des douleurs que celles-ci peuvent provoquer, ou du moins on n'est pas
encore fixé à cet égard.
Les troubles de motilité d'ordre réflexe se présentent sous des aspects
divers : contractures ou hypertonies, états paralytiques et hypotoniques,
états parétiques ou simples méiopragies et, fréquemment, mélange de
parésies et de contractures. Mais, quelle qu'en soit la forme, le trouble
moteur est le plus souvent incomplet, partiel, limité ; il prédomine volontiers
dans un segment du membre, notamment à son extrémité; il diffère par
ces caractères de la paralysie ('-) ou de la contracture pithiatique qui est
généralement moins discrète, plus étendue, souvent totale et à laquelle
tous les segments du membre participent fréquemment.
Le trouble moteur réflexe peut-il entrainer une impotence complète ou
(') Discussion générale sur les caractères des troubles moteurs (paralysies et contractures) dits
« fonctionnels et la conduite à tenir à leur égard ». Société de Neurologie, 6 et 7 avril 1916. Revue
Neurologique. igi6. pp. 521 à 52, et p. 966 (conclusions).
(2) Nous tenons à faire remarquer que le terme de paralysie qui dérive du mot grec 7tOtPC,),ÚElV
(délier, relâcher) n'implique pas l'idée d'une impotence complète. Tout affaiblissement de la motilité
quel qu'en soit le degré d'inlensité rentre dans le cadre de la paralysie. Cette observation a pour but
de mettre le lecteur en garde contre certains malentendus qui ont pu se produire.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 561
presque complète d'un segment de membre. Cela n'est pas impossible
mais nous semble au moins tout à fait exceptionnel. Il faut reconnaître
qu'il est malaisé de se prononcer à cet égard, en raison de la fréquence
des associations hystéro-réflexes sur lesquelles nous aurons à nous
étendre ultérieurement. Nous ne sommes pas en mesure de déterminer
avec précision le degré d'intensité que peut atteindre le trouble moteur
réflexe. Ce que nous sommes en droit d'affirmer c'est que ce trouble,
même si l'on fait abstraction des rétractions fibro-tendineuses qu'il peut
entraîner, est souvent suffisant pour provoquer une gêne fonctionnelle
susceptible de rendre plus ou moins longtemps inapte au service mili-
taire les sujets qui en sont atteints.
Si l'on prend en considération à la fois les troubles de motilité et les
autres troubles physiopathiques, il est possible de dégager au milieu
des diversités symptomatiques quelques types cliniques qui s'imposent à
l'attention : la paralysie amyotrophique du quadriceps, la contracture des
muscles pelvi-trochantériens associée à la parésie du pied, la contracture
en flexion de la jambe, les pieds bots et les greffes des orteils ; la main
d'accoucheur, les contractures et les parésies hypotoniques de la main et
des doigts, la contracture de l'avant-bras avec parésie des extenseurs
et contracture des fléchisseurs.
TROUBLES VASO-MOTEURS ET THERMIQUES.
Dans la majorité des cas, comme on vient de le voir, les troubles vaso-
moteurs et thermiques sont très nets : ils constituent un des éléments
cardinaux du syndrome physiopathique. C'est dans la saison froide qu'ils
atteignent le plus haut degré d'intensité et qu'on peut le mieux les
étudier (').
Nous faisons abstraction dans cette étude des cas où les troubles vaso-
moteurs sont bilatéraux et semblent en rapport avec une disposition
constitutionnelle. Leurs conséquences ne paraissent pas les mêmes que
lorsqu'il s'agit de troubles vaso-moteurs unilatéraux et acquis.
Ces troubles ne correspondent pas à un territoire nerveux bien défini.
Ils peuvent occuper la totalité du membre malade mais ils prédominent
aux extrémités et s'y cantonnent souvent. La main ou le pied atteint de
troubles de motilité est cyanosé, marbré ou encore d'une teinte uniforme
rouge saumon. La plus légère pression provoque une ischémie locale et
la tache blanche ainsi produite ne s'efface que lentement. Ce trouble dans
la coloration de la peau apparaît nettement par la comparaison du côté
(') Cette étude des troubles vaso-moteurs et thermiques d'ordre réflexe est extraite du travail
suivant : Des troubles vaso-moteurs et thermiques dans les paralysies ou contractures d'ordre réflexe.
Babinski, Froment et Heitz, Annales de médecine, octobre 19111. On trouvera dans cette élude une
série de tableaux mettant en regard les constatations sphygmométriques et oscillometriques concernant
des troubles nerveux purs ou associés à des lésions des troncs nerveux ou à des lésions artérielles
ainsi que la notation des modifications obtenues après bain chaud ou froid. N. D. L. IL
Bauinsm. 30
562 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
sain avec le côté malade. Au membre inférieur, cette asymétrie dans la
coloration est plus prononcée quand le malade est debout que lorsqu'il
est couché, elle peut même s'accentuer sous l'influence de la marche.
Outre le changement de teinte des téguments, la peau présente assez
souvent un aspect légèrement infiltré, surtout à la face dorsale de la main
qui paraît « succulente ».
Parfois même, c'est un oedème véritable, se déprimant en godet sous la
pression du doigt, surtout au membre inférieur. Cet oedème peut être loca-
lisé au dos du pied, ou s'étendre exceptionnellement jusqu'au voisinage
du genou. Ajoutons que sa consistance est généralement dure et que le
godet déterminé par la pression est peu profond.
Aux troubles vaso-moteurs s'associe une hypothermie nettement percep-
tible au toucher et qui peut être très accentuée. L'écart de température
observé entre le membre malade et le membre sain (température locale
et superficielle prise avec le pyromètre thermo-éleetriq ue de M"" Grunspan)
atteint, dans les cas où les désordres sont le plus marqués, 8" à 8°,5. En
général, l'hypothermie est surtout prononcée à l'extrémité (doigts, orteils,
main ou pied), et elle s'atténue progressivement de l'extrémité à la racine
du membre. On constate, le plus souvent, qu'elle est encore nette à un
niveau où la peau a repris sa coloration normale. L'hypothermie dépasse
toujours sensiblement le niveau de la blessure, elle peut être perceptible
au genou, et même à la cuisse pour une blessure du pied, au coude et à
l'épaule pour une transfixion du poignet. Elle peut varier dans de cer-
taines limites d'un jour à l'autre, d'un instant à l'autre, suivant la tempé-
rature extérieure, suivant que le malade à séjourné ou non dans une
pièce chauffée. Après une immersion de courte durée dans de l'eau à 38°
ou 4o", le membre malade devient dans certains cas aussi chaud et même
plus chaud que le membre sain ; la tache blanche produite par la pres-
sion du doigt sur le dos de la main ou du pied malade, au lieu de dispa-
raître plus lentement que du côté sain, s'efl'ace aussi rapidement et quel-
quefois plus vite. Le retour à la température antérieure est généralement
plus rapide au membre sain.
La température locale peut encore subir des modifications notables
sous d'autres influences, par exemple sous celle des exercices et de l'élec-
trisation. Ces modifications rapides ont induit quelques observateurs en
erreur en leur faisant croire, dans certains cas, à une guérison, alors qu'il
ne s'agissait que d'un changement temporaire. En effet, lorsque le sujet
est soustrait à l'action de la chaleur, la thermo-asymétrie ne tarde géné-
ralement pas à se reproduire et l'hypothermie reparaît au membre malade
qui est en quelque sorte hé térotherme .
Nous avons cherché à déterminer, chez nos malades, au bras, à la cuisse,
au poignet et au cou-de-pied, l'amplitude des plus grandes oscillations. (En
comparant les chiffres indiqués par l'aiguille du manomètre et par celle
de l'oscillomètre, on voit que les plus grandes oscillations correspondent
à une pression supérieure de i à 2 centimètres de mercure à la pression
diastolique.)
; TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 563
Voici quelques chiffres constatés chez des sujets normaux ('). A l'humé-
rale et à la fémorale : 14° pour Ifi°, 16° pour 14°, 26" pour 23°, 9,60 pour 26",
18' pour 17°, 20" pour 16o. A la radiale et aux tibiales chez les mêmes
sujets 5" pour I", cy° pour 3", 8" pour 10", 8" pour 12°,5" pour 5", 8" pour 6°.
Chez les blessés atteints de troubles nerveux d'ordre réflexe, la vaso-
asymétrie est souvent beaucoup plus prononcée, du moins à l'extrémité
du membre. C'est ainsi que : à {humérale et a la fémorale nous avons
noté : 7° (côté malade) pour Il,° (côté normal) ; 11" pour I/¡o : 12" pour 1/¡° ;
14° pour 16" ; 14° pour 170 ; 16" pour 18" ; io" pour 18" ; 18" pour 20" ; 18"
pour 21° : 14° pour 20" ; 20° pour 22° ; 14° pour 26° ; tandis que nous
trouvions à la radiale et aux tibiales : o",5 (côté malade) pour 6° (côté
sain) ; 1° pour 5° ; 1° pour 7" ; 1° pour 8" ; 1" pour 12" ; 2° pour 6° ; 20 pour
9" ; 2°,5 pour 10°; 4" pour, 8° ; 6" pour 12" ; 7° pour 14°. Nous choisissons là,
à dessein, des exemples dans lesquels les troubles étaient très mar-
qués (1).
Les oscillations observées au membre malade sont fréquemment, par
rapport à celles du membre sain, dans le rapport de 1 à 2 ou de 1 à 4 ;
elles peuvent être exceptionnellement dans le rapport de 1 à 8 ou même
de 1 à 12.
Comme on le voit, il y a en général, dans les troubles vaso-moteurs
réflexes une diminution de l'amplitude des oscillations du côté malade ;
souvent cette diminution est considérable. Si le degré d'asymétrie ne
dépasse pas celui que l'on peut observer à l'état normal, c'est toujours du
côté malade que. le chiffre est le moins élevé et l'écart est d'autant plus
accentué que l'on se rapproche davantage de l'extrémité.
Il est aisé de constater que la réduction des oscillations marche de pair
avec le refroidissement cutané ; aussi est-elle, comme ce dernier, beau-
coup plus accentuée pendant les mois d'hiver. C'est à ce moment de l'an-
née que nous avons vu les oscillations radiales ou tibiales du côté malade
se réduire à o",5 ou 1", alors que du côté sain elles étaient de 4°, 6" et
môme de 8° ; la réduction des oscillations peut alors devenir très sensible,
même sur l'humérale ou la fémorale.
Par une journée chaude, au contraire, on pourra constater souvent
l'absence de toute hypothermie locale et noter que les oscillations ont la
même amplitude des deux côtés.
SUREXCITABILITÉ MÉCANIQUE ET ÉLECTRIQUE DES MUSCLES. LENTEUR DE LA
secousse musculaire. Un des premiers caractères qui nous a frappés au
cours de nos investigations et qui nous semble important, est la surexci-
tabilité mécanique des muscles. Elle est surtout marquée dans les formes
(') Tous ces examens ont été pratiqués avec le même appareil de Pachon qui, déjà, avait été
utilisé pour étudier l'amplitude des oscillations chez le sujet normal. C'est un détail qui mérite d'être
souligné, car les différents appareils ne donnent pas toujours des oscillations d'égale amplitude chez
un môme sujet et les spécimens actuellement mis en vento ont des oscillations moins amples que les
anciens oscillomètres à la série desquels appartient celui qui nous a servi.
56f, TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
paralytiques ou parétiques, mais on la constate aussi dans les formes
hypertoniques. C'est dans les petits muscles des extrémités que le phé-
nomène est le plus commun et le plus net, toutefois on l'observe égale-
ment dans les muscles de la jambe, dans ceux de l'avant-bras et dans
le quadriceps. La percussion, même légère, des masses musculaires
détermine un mouvement de grande amplitude qui est souvent lent et
soutenu.
Grâce à cette surexcitabilité mécanique, on peut agir électivement et
isolément, avec autant de précision qu'on le ferait par une excitation élec-
trique, sur les différents muscles et obtenir, à l'état de pureté pour ainsi
dire, le mouvement qui correspond à l'action de chacun d'eux. Lorsque
ce phénomène est aussi marqué, il est des plus caractéristiques, car d'ha-
bitude, à l'état normal, on obtient seulement un mouvement ébauché,
rapide, de faible amplitude. Il est à noter du reste qu'en raison des diver-
sités individuelles la surexcitabilité mécanique a surtout de la valeur lors-
qu'elle est unilatérale.
La contraction, ainsi obtenue, doit être distinguée d'un mouvement
réflexe ; elle se produit lorsqu'on percute le corps musculaire et n'a pas
lieu quand la percussion porte sur les tendons ou les surfaces osseuses.
L'expression de réflexe musculaire, qui a parfois été employée, prête à
ambiguïté : rien n'autorise à supposer ici la mise en jeu d'un arc réflexe.
Il y a tout lieu, au contraire, de rapprocher ce phénomène de la contrac-
tion idio-musculaire ; dans les cas où elle est peu accusée, la surexcita-
bilité mécanique se manifeste par une sorte de contraction vermiculaire
sans déplacement du segment correspondant.
La surexcitabilité mécanique des muscles est assez étroitement liée à
l'hypothermie. Quand elle est peu marquée ou discutable, il suffit souvent
pour la rendre manifeste d'immerger pendant quelques instants les deux
membres symétriques dans de l'eau très froide. L'excitabilité augmente
alors, notablement, du côté malade dans les muscles des extrémités tan-
dis qu'elle ne se modifie généralement pas d'une manière sensible du côté
sain ; quelquefois cependant il nous a semblé que, chez de tels sujets, la
réfrigération du membre non traumatisé augmentait l'excitabilité méca-
nique plus que chez l'individu normal ; mais les différences entre les deux
côtés sont toujours très appréciables. La réfrigération peut donc être uti-
lisée pour le diagnostic.
Il est à remarquer que les modifications de la contractilité musculaire
produites par refroidissement sont en tous points comparables à celles
qu'on détermine chez la grenouille immergée dans l'eau glacée. Sans
doute le procédé est ici plus brutal, la réfrigération provoquée beaucoup
plus intense, mais l'effet obtenu est analogue. La percussion légère du
gastrocnémien qui, à l'état normal, ne détermine pas de contraction nette,
provoque un mouvement d'extension de la patte, lent, soutenu et très
ample qui disparait rapidement après immersion dans l'eau tiède. Cette
surexcitabilité mécanique correspond souvent à un état paréticlue des plus
manifestes, qui est transitoire.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 565
Chez les blessés atteints de troubles nerveux d'ordre réflexe, après
immersion du membre malade dans l'eau chaude, ou après diathermie, la
contraction musculaire déterminée par la percussion change de carac-
tère. Elle cesse d'être lente et prolongée ; elle devient rapide et peu sou-
tenue. Souvent encore elle s'atténue dans de très notables proportions ;
l'asymétrie peut même, dans quelques cas, après réchauffement artificiel,
devenir à peine appréciable. Il est à remarquer que cette atténuation de
l'excitabilité musculaire ne correspond qu'aux élévations de température
modérées. Par contre un réchauffement excessif peut provoquer une exa-
gération de l'excitabilité des masses musculaires qui répondent alors aux
excitations mécaniques par des contractions étendues mais très brèves.
Certains auteurs ont pensé que, dans les cas de blessure des membres,
la lenteur de la secousse provoquée par la percussion révélait l'existence
d'une lésion nerveuse et qu'elle équivalait à la réaction de dégénéres-
cence : « Les praticiens n'ayant pas sous la main les appareils électriques
qui ne se trouvent que dans les cabinets des électriciens ou les labora-
toires électriques, écrivait Pitres, dans un récent rapport, peuvent rempla-
cer dans une certaine mesure l'électro-diagnostic par le mécano-diagnostic.
Tant que la secousse à la percussion est brève, ils peuvent être certains
que le muscle est un peu altéré : quand elle devient lente, ils peuvent être
sûrs qu'il y a de la D. R. »
Nous ne partageons pas cette opinion. Lorsqu'il existe des troubles
profonds de la régulation vaso-motrice et thermique et lorsque la tempé-
rature extérieure est basse, la contraction est souvent, chez les sujets dont
nous nous occupons, d'une remarquable lenteur; elle est aussi lente que
dans bien des cas de réaction de dégénérescence caractérisée. Afin d'éta-
blir un parallèle plus précis et plus objectif entre ces deux ordres de
faits, nous avons eu recours à la méthode graphique (').
L'étude, parla méthode graphique, vient confirmer le résultat de nom-
breuses investigations cliniques, elle montre que la lenteur de la secousse
musculaire provoquée par la percussion peut être tout aussi marquée
dans les contractures et parésies d'ordre réflexe que dans bien des cas
de paralysie avec réaction de dégénérescence. La surexcitabilité muscu-
laire et la lenteur de la secousse sont proportionnées dans leur intensité
aux troubles vaso-moteurs et thermiques ; lorsque l'hypothermie est
considérable, on peut presque affirmer, a priori, que l'excitabilité méca-
nique des muscles est exagérée et que la secousse musculaire est lente.
A la surexcitabilité mécanique des muscles correspondent souvent
quelques modifications quantitatives de la contractilité électrique : SIll'exci-
tabilité faradique et voltaïque des muscles ou, au contraire, légère subexci-
(') .1. Babinski, Ilallion et J. Froment, La lenteur de la secousse musculaire obtenue par per-
cussion et sa signification clinique (élude par la méthode graphique). Société de Neurologie, 2g juin
igi6. Le lecteur est prié de se reporter pour les traces au livre suivant : J. Babinski et J. Froment,
Hystérie et troubles nerveux d'ordre réflexe. Collection Horizon, Paris, Masson, 1918, pp. 128 à 33.
N. D. L. fi.
566 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
tabilité. Mais on peut observer de la lenteur de la secousse voltaïque (Bour-
guignon, Bordier, Cluzet) qui, comme la lenteur de la secousse mécanique
est liée à l'hypothermie locale et qui disparait par le réchauffement. Il
n'y a jamais de réaction de dégénérescence.
Il y a parfois fusion anticipée des secousses.
On peut observer encore une surexcitabilité mécanique des troncs ne ?
veux('). La percussion du nerf cubital dans la gouttière épitrochléo-olé-
crânienne détermine un mouvement bien caractérisé d'adduction du pouce
avec flexion de la première phalange (adducteur) combiné à un mouve-
ment de flexion des 4e et 5e doigts au niveau de la première phalange
(interosseux). La percussion du nerf tibial postérieur détermine un mou-
vement de flexion des orteils.
La surexcitabilité mécanique des nerfs, tout comme la surexcitabilité
musculaire, paraît assez étroitement liée aux troubles vaso-moteurs et à
l'hypothermie ; elle s'atténue ou disparaît, transitoirement, sous l'influence
du réchauffement.
Hypotonie musculaire. L'hypotonie est quelquefois très prononcée,
aussi accusée que dans les cas d'altérations nerveuses les plus profondes,
mais son domaine est généralement assez limité. Elle peut être très mar-
quée dans certains groupes musculaires du membre malade et faire
complètement défaut dans les autres. Suivant les cas on obtient, par des
mouvements passifs, une surflexion de la main qui forme avec l'avant-bras
un angle très aigu, une surextension des doigts que l'on recourbe en arc
de cercle une surflexion de la cuisse (jambe étendue) qui dépasse de
beaucoup l'angle droit, une surflexion de la jambe combinée à de la sur-
flexion de la cuisse, mouvement complexe dans lequel la cuisse s'accole
à la paroi abdominale et le talon à la région fessière. Étant donné les
variations individuelles de la tonicité, il n'y a lieu de tenir compte de cette
hypotonie que dans les cas où elle est très nettement asymétrique.
Lorsqu'elle est très accusée, elle se manifeste encore dans les mouve-
ments. Le blessé lève-t-il brusquement les bras ou marche-t-il, la main
malade pend et oscille comme un corps inerte, elle se déplace passive-
ment en tous sens, semble obéir uniquement aux lois de la physique.
Enfin, lorsque l'hypotonie de certaines masses masculaires s'associe à
la contracture de leurs antagonistes, ce qui est fréquent, elle peut provo-
quer de véritables subluxations. La laxité articulaire est sans doute due
aussi pour une part à une altération des tissus périarticulaires d'origine
trophique, comparable à la décalcification osseuse si souvent observée en
pareil cas.
Il est à remarquer que dans certaines affections organiques du sys-
tème nerveux central comme l'hémiplégie infantile on peut observer une
hypotonie semblable accompagnée de laxité articulaire.
(') J. Babinski et J. Froment, Contractures et paralysies traumatiques d'ordre réflexe. Presse
Médicale, 24 février ici6, p. 83.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 56 ?
Amyotrophie. L'amyotrophie est pour ainsi dire constante. Elle consti-
que parfois le phénomène le plus saillant, c'est ainsi que, à la suite de
traumatismes portant sur le genou ou à la suite d'arthrite, l'atrophie peut
être accentuée sans que les troubles parétiques soient très prononcés. Par
contre, les troubles parétiques et la contracture peuvent être relativement
marqués et l'amyotrophie n'occuper que le second plan, tout en étant
encore très appréciable.
Voici quelques chiffres qui montrent le degré de diminution de volume
des masses musculaires :
à la jambe du côté malade le périmètre est par exemple de 3 à 6 centi-
mètres plus petit que du côté sain ;
à la cuisse, les différences sont fréquemment de 3 à 5 centimètres et
atteignent parfois 7 et 8 centimètres ;
à la partie supérieure de l'avant-bras, elles sont de 2 à 3 centimètres;
au bras, elles sont de 3 à 4 centimètres.
Malgré la localisation ou la prédominance habituelle des troubles
moteurs à l'extrémité, surtout quand il s'agit du membre supérieur,
l'amyotrophie atteint généralement tout le membre jusqu'à sa racine.
SURRÉFLECTIVITÉ et SUBREFLECTIVITE tendineuses. La surréflectivité
tendineuse, lorsqu'elle est indiscutable, est un signe de grande valeur.
Elle peut être d'une appréciation difficile, car les réflexes tendineux du
membre sain sont parfois, eux aussi, un peu forts. On ne peut en tenir
compte que dans les cas où l'asymétrie est nette. Rappelons à ce propos
que, dans l'appréciation de l'état d'un réflexe tendineux, il y a à considérer
non seulement l'amplitude du mouvement mais aussi ses autres caractè-
res (brusquerie, polycinésie).
Les réflexes tendineux semblent plus souvent exagérés dans les contrac-
tures du membre inférieur que dans les formes hypertoniques observées
au membre supérieur. Cette différence est à rapprocher de celle que nous
avons déjà signalée et qui concerne les qualités de la raideur musculaire.
Toutefois, même dans les contractures réflexes du membre inférieur, la
surréflectivité tendineuse est souvent discutable et peut faire défaut. Quel-
quefois elle n'est que latente et l'on peut la mettre en évidence par la
narcose chloroformique.
On peut observer au contraire un affaiblissement plus ou moins marqué
du réflexe achilléen avec lenteur du mouvement comme l'a montré Clovis
Vincent('). Dans ces cas les troubles physiopathiques, en particulier la
cyanose et l'hypothermie, sont très prononcés. Le réchauffement du mem-
bre rend au réflexe son amplitude normale.
Irréflectivité cutanée. L'abolition de la réflectivité cutanée plan-
taire est assez fréquente ; elle est toujours associée à une hypothermie
(') Cl. Vincent, Variations du réflexe achilléen chez certains hommes atteints de troubles physio-
spathiques des membres inférieurs, Société de Neurologie, 5 avril 1917.
568 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES S
marquée. Après immersion du membre atteint dans l'eau chaude le réflexe
cutané reparait transitoirement : il est alors identique au réflexe du côté
sain. Cette dernière expérience a été répétée à plusieurs reprises chez de
nombreux malades et elle a toujours donné les mêmes résultats (').
Ces troubles doivent être rapprochés de la surexcitabilité mécanique
neuro-musculaire et de la diminution de l'amplitude des oscillations dont
les modifications sous l'action de la chaleur sont si remarquables (2).
L'abolition du réflexe cutané plantaire, observée dans les paralysies
consécutives au traumatisme, était considérée récemment encore comme
pouvant dépendre d'une anesthésie hystérique. Notre opinion, confirmée
déjà par Souques, vient de l'être à nouveau par G. Roussy (Rev. lieur.,
avril-mai 1917, p. 255), à propos d'une observation sur l'interprétation de
laquelle nous faisons d'ailleurs des réserves. « On sait, écrit-il, que la
question de l'abolition des réflexes cutanés et notamment des réflexes cuta-
nés plantaires dans l'hystérie est encore discutée. Certains auteurs avec
Déjerine, Sollier, Paulhian, Lhermitte l'expliquent par l'anesthésie hys-
térique troublant la voie réflexe ; d'autres avec Babinski et Froment font
relever l'aréflexie cutanée de troubles secondaires tels que l'hypothermie.
Nous acceptons pour notre part entièrement cette dernière manière de
voir que notre observation actuelle vient confirmer. Le réchauffement
des pieds faisait chez notre malade réapparaître les réflexes cutanés plan-
taires sans modifier en rien l'anesthésie psychique. »
Troubles de la sensibilité. Les malades atteints de contractures
réflexes se plaignent parfois de sensations douloureuses ; les douleurs
sont soit spontanées soit provoquées par la pression sur le trajet des
troncs nerveux. Vulpian les avait déjà signalées, elles ont été mentionnées
à nouveau par Gougerot et Charpentier (''), par Guillain et Barré (') et par
Tinel(''). Chez les sujets atteints de contracture ou d'hypertonie réflexe de
la main, la compression de la région métacarpienne ou des doigts, ou
encore les essais de mobilisation paraissent souvent provoquer des dou-
leurs assez vives. Nous avons eu l'occasion de faire la même constatation
durant la narcose chloroformique à une phase pendant laquelle le malade
est très obnubilé et la sensibilité générale des autres parties du corps
très émoussée, ce qui donnait à ces réactions douloureuses un cachet de
sincérité.
(') J. Babinski et.). Froment, Abolition du réflexe cutané plantaire. Annslhésie associée a des
troubles vaso-moteurs et à de l'hypothermie d'ordre réflexe. Société de Neurologie, 4 mai i 16.
(2) J. Babinski, Modification des réflexes cutanés de défense sous l'influence de la compression par
la bande d'Esmarch. Société de Neurologie, If. octobre 1910.
(3) Souques, Megevand, Miles : \ardileb et Balba1ls, Troubles de la température locale 1\ propos
d'un cas de paralysie, dite réflexe, du membre inférieur, Société de Neurologie. rz oclohre Igdi.
) IL Gougerot et A. Charpentier, Troubles réflexes et paralysies réflexes consécutifs aux bles-
sures des extrémités. Société de Neurologie, 2 mars Ig 1 G.
C) G. Guillain et J.-A. Barré, Forme clinique de la névrite ascendante. Presse Médicale, 3 avril
1916, p. r5o.
('') J. Tinel, Les blessures des nerfs. Sémiologie îles lésions nerveuses périphériques par blessures de
guerre, Masson, J 9 ¡fi, pp. 84-y5.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 56g
Dans plusieurs cas de parésies réflexes atteignant le membre inférieur,
nous avons observé de l'hypoesthésie à disposition plus ou moins segmen-
taire. Elle était surtout nette à la plante du pied, moins accusée à la face
dorsale et moins encore à la jambe dont elle occupait les deux tiers
inférieurs. Ces troubles de la sensibilité existaient pour tous les modes
d'excitation : tact, piqûre, chaleur. On notait aussi des troubles du sens
des attitudes. Après immersion dans l'eau chaude, les troubles de sensi-
bilité s'atténuaient.
Dans quelques cas d'acro-myotonie, Sicard a observé une anesthésie
très profonde à la main et à l'avant-bras. Il a été frappé par l'absence de
réactions vis-à-vis d'excitants violents portant sur les régions qui étaient
le siège de troubles de sensibilité : la faradisation au moyen d'une
bobine à fils fins, l'injection d'alcool à 95" dans le tissu cellulaire sous-
cutané ou dans les masses musculaires, voire même une intervention
opératoire sans aucune anesthésie, locale ou générale ne provo-
quaient aucune manifestation douloureuse, aucun trouble vasomoteur
du visage, aucune accélération du pouls.
Que conclure de ces faits, écrit Sicard ?
Ou il faut supposer une dose de volonté tout à fait surprenante chez des sujets
décidés à ne pas se trahir au cours de ces différentes épreuves et, pour ma part, je
me refuse à croire à une telle énergie morale devant de telles douleurs physiques.
Ou bien il faudrait admettre que nous sommes en présence de phénomènes hys-
tériques et que l'hystérie à elle seule est capable de provoquer une anesthésie super-
ficielle et profonde réelle, ce qui ne cadre pas avec l'enseignement de M. Babinski, et
avec ce que nous avions vu nous-même à la Salpêtrière. Nos hystériques de la Clinique
Charcot qui présentaient une hémi-anesthésie classique, ou une anesthésie du type
segmentaire, n'ont jamais pu endurer, sans le secours de la narcose locale ou générale,
une opération sanglante sur leur membre insensible.
Ou, enfin, il faut accepter cette hypothèse, et nous nous rangeons à celte
conception, que, dans les cas soumis aux épreuves précédentes, l'anesthésie est
bien réelle, indépendante de la volonté du sujet, n'obéissant pas aux règles du pithia-
tisme, qu'il s'agit là de phénomènes possédant une autonomie vraie, troubles sensitifs
superficiels et profonds qui bénéficieraient de la même pathogénie réflexe invoquée par
MM. Babinski et Froment.
Enfin Lortat-Jacob, Oppenheim et Tournay dans un travail ayant pour
titre Topographie des modifications de la sensibilité au cours des troubles
physiopathiques. Constitution d'un syndrome radiculo-symphatique réflexe (')
écrivent :
En examinant avec soin des blessés porteurs de troubles physiopathiques typiques,
nous avons pu constater que, dans un certain nombre de cas, la répartition topogra-
phique des modifications de la sensibilité non seulement ne pouvait être rapportée à
(') Lnrtat-Jacob, Oppenheim et Tournay, Topographie des modifications de la sensibilité au cours
des troubles physiopathiques. Constitution d'un syndrome radicnlo-sympathique réflexe. Progrès
médical, 10 mars 1917. .
57o TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
un territoire de nerf périphérique ni être assimilée aux configurations classiques de
l'anesthésie hystérique, mais affectait, ainsi que le montrent les schémas annexés à nos
observations, un type nettement radiculaire.
Nous avons éliminé, bien entendu, les cas où des troubles physiopathiques se trou-
vaient associés à une lésion d'un tronc nerveux et ceux où pouvait être soupçonné
quelque retentissement mécanique d'un traumatisme concomitant soit directement sur
les racines par contusion ou compression, soit indirectement par tiraillement ou élon-
gation.
Est-il besoin de rappeler qu'une anesthésie hystérique peut s'associer à
des phénomènes physiopathiques ? --
TROUBLES sécrétoires et trophiques. Il n'est pas rare de constater
que les téguments, surtout à l'extrémité du membre malade, sont moites ;
quelquefois même la peau est comme légèrement macérée.
Nous avons vu chez un capitaine, présentant à la suite d'une transfixion
de la partie inférieure de l'avant-bras des troubles réflexes bien caracté-
risés, une supersécrétion de sueur très accentuée. De plus cet officier nous
a fait remarquer que les troubles sécrétoires, qui étaient apparus du
côté malade peu de temps après la blesssure, avaient gagné, quatre
mois après, la main saine. A maintes reprises, sous l'influence de causes
variées, nous avons pu voir les gouttes de sueur perler à la surface des
deux mains (').
On observe, tout particulièrement lorsque la lésion siège à la main, une
atrophie globale nettement appréciable aux doigts qui, alors, sont effilés.
La radiographie comparative des deux mains met en évidence cette
décalcification du squelette qui a été observée par un grand nombre d'au-
teurs à la suite des traumatismes des membres. Elle est surtout mani-
feste aux extrémités. Sur l'épreuve positive, le squelette de la main
malade apparait plus clair, le dessin des travées osseuses plus net et plus
délicat : par contre, les épiphyses et les surfaces articulaires sont plus
floues que du côté sain. Ces particularités se retrouvent, mais à un
moindre degré, sur les os de l'avant-bras.
Il existe presque toujours un certain degré de rétractions fibreuses, fibre-
tendineuses ou musculaires déterminées par des mécanismes divers. Suivant
le siège de la contracture ou de l'hypertonie, on les observe aux articula-
tions des doigts, au poignet, au coude, à l'articulation tibio-tarsienne, au
pied, à la hanche. C'est aux jointures des doigts, dont les déformations
rappellent assez souvent celles du rhumatisme chronique, que les rétrac-
tions fibreuses sont le plus marquées. Elles se développent rapide-
ment et expliquent pour une part la limitation et la gène des mouvements ;
elles peuvent être très rebelles à la thérapeutique et dans certains cas
incurables. Elles ne font presque jamais complètement défaut dans les
(') J. Babinski et J. Froment, Parésie réflexe do la main gauche. Troubles vaso-moteurs et sécré-
toires bilatéraux. Société de Neurologie, novembre 19 16.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 5Í[ 1
contractures et parésies d'ordre réflexe, mais elles sont d'intensités
diverses. Les rétractions sont exceptionnelles, au contraire, dans les cas
de paralysie ou de contracture pithiatique et encore leur réalité dans les
cas d'hystérie pure ne nous paraît-elle pas prouvée. Si l'opinion contraire
a été soutenue, c'est, sans doute, à cause des confusions qui ont été si
fréquemment commises ou, encore, à cause de la méconnaissance d'asso-
ciations hystéro-organiques ou hystéro-réflexes.
L'leyperlriclaose, qui a été de la part de Gley et Loewy, de Villaret l'objet
de recherches intéressantes, peut être observée non seulement dans les
névrites, mais aussi dans les cas de contractures ou de parésies d'ordre
réflexe. Elle fait défaut dans les contractures et paralysies hystériques
pures.
Les ongles aussi présentent habituellement quelques altérations ; chez
les sujets atteints de troubles nerveux d'ordre réflexe, leur croissance est
moins rapide que du côté sain. . '
Examen pendant la narcose chloroformique. Nous avons indiqué
les particularités que l'examen des contractures d'ordre réflexe pendant
la narcose permettait de mettre en évidence : exagération élective de la
réflectivité tendineuse du membre malade ; spasme provoqué partout effort de
correction de l'attitude vicieuse, persistance de la contracture jusqu'à une
phase avancée du sommeil chloroformique ('). La plupart de ces faits concer-
nent des contractures du membre inférieur. Dans quelques cas de contrac-
tures du membre supérieur (main d'accoucheur), examinés dans les mêmes
conditions, la contracture ne se maintint pas jusqu'à une phase avancée
de la narcose, elle disparut au début ; mais le réflexe cubito-pronateur, à
peu près normal à l'état de veille, subit parfois une exagération élective.
Nous avons constaté quelquefois une accentuation de l'attitude vicieuse
pendant la phase d'excitation de la narcose chloroformique ; chez deux
sujets atteints de contracture en flexion du coude ce phénomène était
d'autant plus frappant que la flexion excessive de l'avant-bras du côté
malade contrastait avee l'extension forcée de l'avant-bras du côté sain.
Enfin, chez quelques malades nous avons été frappés, durant cette phase
d'excitation, par le phénomène suivant : tandis que du côté sain le poing
se serrait avec énergie, du côté atteint, malgré le peu d'intensité des
rétractions fibreuses, les doigts restaient immobiles.
Ces diverses observations établissent entre les contractures dites réflexes
et les contractures hystériques une distinction qui nous semble fonda-
mentale.
(1) J. Babinski et J. Froment, Les modifications des réflexes tendineux pendant le sommeil chlo-
roformique et leur valeur en sémiologie, Académie de Médecine, 19 octobre igi5. Contribution à
l'étude des troubles nerveux d'origine réflexe. Examen pendant l'anesthésie chloroformique. Société
de Neurologie, 4 novembre igi5 et Revue Neurologique, novembre-décemére igi5, pp. ga5-g33.
Ces faits (sur lesquels nous avions attiré l'attention dès octobre et novemhre 1 gi5) ont été confirmés
en France par IL Claude et J. Lhermitte (Presse Médicale, 3 janvier H)i8), en Allemagne par
Toby Cohn (Neurol. Centralblatt, 16 mars 1916, p. 246), - Goldscheidcr, Oppenheim (Die Nearosen
nach Kriegsverletzungen, verlag Karger. Berlin, t5 avril igi6, pp. 2o3-24o).
572 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
Nous avons montré, autant que nous avons été en mesure de le faire,
comment apparaissent et s'installent les troubles nerveux d'ordre réflexe
auxquels nous venons de consacrer cette longue étude sémiologique.
Quel est leur mode d'évolution ultérieure ? On ne saurait encore donner,
à cet égard, de' grandes précisions.
Mais on peut dire avec certitude que les troubles physiopathiques quand
ils sont très caractérisés peuvent rester longtemps stationnaires ou ne se
modifier que lentement. Il convient de rappeler à ce propos que Charcot
et Vulpian avaient déjà été frappés par la ténacité des amyotrophies
réflexes, eussent-elles pour origine des lésions légères paraissant avoir
rétrocédé depuis longtemps.
Cependant, nous avons observé maintes fois une atténuation progres-
sive et même considérable des contractures et des parésies à la suite de
divers modes de traitement que nous indiquerons ultérieurement. Quel-
ques neurologistes déclarent avoir obtenu des résultats thérapeutiques
très satisfaisants dans la majorité des cas. Mais abstraction faite bien
entendu de l'élément hystérique qui peut s'y associer pour une part plus
ou moins importante, les troubles de motilité d'ordre réflexe, nous le répé-
tons, ne se modifient qu'avec lenteur. Dans les cas où l'amélioration a
été le plus nette, dans ceux mêmes où il y avait apparence de guérison,
nous avons vu subsister généralement, lorsque les phénomènes physiopa-
thiques objectifs tels que les troubles vaso-moteurs, l'amyotrophie avaient
été très accentués, un état de méiopragie caractérisé par une réduction
de la force musculaire et par l'impossibilité de prolonger les efforts
physiques. C'est un point dont il y a lieu de tenir grand compte dans les
décisions médico-militaires que l'on aura à prendre. Il n'y a d'ailleurs
aucune raison de penser que les troubles physiopathiques les plus marqués
ne puissent guérir complètement à la longue et qu'un retour à l'état nor-
mal ne puisse être obtenu si ces troubles n'ont pas entraîné de rétractions
fibreuses irrémédiables.
. ASSOCIATIONS lIYSTÉRO-RÉFLEXES ET 013G : 1 ? '0-ILI'LEXES
Les paralysies et les contractures liées à des lésions du système ner-
veux se distinguent par des caractères objectifs qui leur appartiennent
en propre ; c'est encore, grâce à des caractères objectifs, dont les mani-
festations hystériques sont dépourvues, que les troubles de motilité d'ordre
réflexe peuvent être reconnus. Si les diverses affections qui produisent
des paralysies et des contractures se présentaient toujours à l'état de
pureté, le diagnostic serait relativement simple, mais il est loin d'en
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 573
être ainsi. Les associations morbides sont, en effet, très communes et
viennent singulièrement compliquer le problème.
Comment reconnaître qu'il y a association et, celle-ci étant établie, com-
ment déterminer la part qui revient à chacun des éléments constituants ?
Il nous parait impossible d'indiquer une formule qui permette de résoudre
toujours d'une manière précise la question posée. Nous devons nous bor-
ner à donner quelques indications générales qui pourront servir de fil
conducteur aux médecins non spécialisés.
Chez un malade, blessé à la partie supérieure de l'avant-bras, voici ce
qu'on observe : d'une part, dans le domaine du cubital, une paralysie
avec réaction de dégénérescence des muscles hypothénar, adducteur du
pouce et interosseux ; d'autre part, une paralysie incomplète des muscles
de la main innervés par le médian et d'une parésie des extenseurs et des
fléchisseurs des doigts. Ces derniers muscles ne présentent pas de R. D.
mais leur excitabilité mécanique est exagérée et la secousse provoquée
par la percussion est très lente, surtout si la température du milieu
ambiant est basse. La main dans toute son étendue, quel que soit le terri-
toire nerveux considéré, est cyanosée et froide. Il s'agit là d'une associa-
tion organo-ré flexe.
Ce mode d'association n'est pas rare. Dans bien des cas de lésion limi-
tée au nerf radial, ayant déterminé une paralysie des extenseurs, on
observe, outre une forte hypothermie de la main et de l'avant-bras, de la
parésie des fléchisseurs qui subsiste même lorsque la main est tenue en ex-
tension. Les troubles réflexes nous paraissent aussi s'associerfréquemment
aux formes douloureuses des névrites. La plupart des neurologistes qui
ont étudié la causalgie depuis Weir Mitchell ont été frappés par la diffu-
sion des troubles trophiques et vaso-moteurs. P. Marie et I"'e Ath. Benisty,
décrivant la forme douloureuse des lésions du nerf médian, font remar-
quer que la main est émaciée dans son ensemble, que l'amyotrophie
atteint des muscles situés au-dessus du niveau de la lésion et n'apparte-
nant pas au territoire du médian, que les réflexes ostéo-périostés et ten-
dineux du membre supérieur sont ordinairement plus vifs du côté malade
que du côté sain. Ce dernier caractère implique une irritation centrale et
il y a tout lieu selon nous de faire rentrer dans le groupe des phénomènes
d'ordre réflexe ces troubles qui débordent le domaine du nerf irrité. L'in-
tervention d'un facteur « réflexe » semble encore plus évidente dans ces
cas de causalgie du sciatique que nous avons observés et dans lesquels
nous avons constaté : une amyotrophie très marquée du quadriceps avec
surexcitabilité mécanique, de l'exagération du réflexe rotulien et une
contracture en flexion du genou persistant jusqu'à une phase avancée de
la narcose chloroformique.
Nous allons maintenant prendre quelques exemples relatifs à l'asso-
ciation de troubles de motilité d'ordre réflexe avec des manifestations
hystériques, pithiatiques (association IzJstéuo-oéfïexe).
Un soldat présentait, à la suite d'une blessure de la jambe gauche, un
mode de déambulation singulier constituant une forme de chorée ryth-
57fi TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
mée : à chaque pas il fléchissait les genoux comme pour s'accroupir, puis
il se relevait. Mais il existait chez cet homme des troubles vaso-moteurs et
thermiques du membre inférieur gauche, de la surexcitabilité mécanique
des petits muscles du pied et de la lenteur de la secousse, une abolition
du réflexe cutané plantaire avec réapparition transitoire sous l'influence
de la chaleur. De pareils accidents ne pouvaient s'expliquer que par l'as-
sociation de manifestations pithiatiques à des troubles nerveux d'ordre
réflexe. Et, en effet, la contre-suggestion permit de faire disparaître
rapidement ces troubles de la marche qui portaient la signature de l'hys-
térie, mais elle fut sans action sur les troubles de la régulation vaso-mo-
trice et thermique et sur les autres symptômes de même ordre qui avaient
été constatés au membre blessé.
Dans le cas que nous venons de relater le problème clinique était
extrêmement simple ; il était très facile de faire la part de ce qui revenait
dans cette association à chacun des deux ordres d'accidents.
Un autre soldat, à la suite d'une transfixion de la partie inférieure de
l'avant-bras par projectile qui n'a, d'ailleurs, déterminé aucune lésion des
troncs nerveux et vasculaires, est atteint d'une monoplégie brachiale
complète. Tous les mouvements des différents segments du membre sont
abolis. La main et l'avant-bras légèrement atrophiés présentent une colo-
ration rouge saumon. La température de ces régions est de 3° à 4° plus
basse du côté malade que du côté sain. Les oscillations mesurées à l'avant-
bras avec le sphygmomanomètre de Pachon sont deux fois plus petites au
membre paralysé qu'au membre sain, mais la pression systolique (méthode
de Riva-Rocci-Vaquez) est normale. Il y a de la surexcitabilité mécanique
des muscles avec lenteur de la secousse, et une légère exagération des
réflexes osso-tendineux. Il est incontestable que cette paralysie est pour
une part d'ordre réflexe ; toutefois, en se basant sur l'expérience que
l'on a acquise, sur cette donnée que dans les faits bien avérés de
troubles réflexes purs on n'a jamais constaté jusqu'à présent de mono-
plégie complète mais seulement des paralysies discrètes n'atteignant
d'une manière notable que l'extrémité du membre, on est fondé à
soutenir que l'hystérie intervient ici pour une part importante et que l'on
a affaire à une association hystéro-réflexe.
Nous en dirons autant de ce malade qui est atteint, à la suite de gelures,
d'une paraplégie crurale complète. Il présente aux deux pieds des trou-
bles vaso-moteurs, de l'hypothermie, de la surexcitabilité mécanique, carac-
tères qui appartiennent aux accidents d'ordre réflexe. Mais ces désordres,
quelle qu'en soit l'intensité, sont incapables de produire une paraplégie
crurale. Les troubles moteurs en question, ne s'accompagnant du reste
d'aucun des signes objectifs pathognomoniques des lésions du système
nerveux, doivent être mis, pour la plus grande part, sur le compte de
l'hystérie.
On ne saurait trop insister sur la fréquence avec laquelle les troubles
hystériques s'associent et se combinent avec les troubles réflexes, la par-
ticipation de l'hystérie pouvant être tantôt légère, tantôt prépondérante.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE REFLEXE 55
Il faut toujours avoir cette donnée présente à l'esprit, afin de se mettre
en garde contre deux sortes d'erreurs consistant l'une à méconnaître la
part de l'élément physiopathique et l'autre à lui accorder une importance
excessive.
Considérons un des cas d'association hystéro-réflexe précédemment
signalés. La contre-suggestion fait disparaître, séance tenante, la plus
grande partie des troubles paralytiques, et les exercices auxquels le malade
a été soumis réchauffent le membre auparavant en état d'hypothermie.
Frappé par un pareil résultat, on se hâte de conclure que les troubles
vaso-moteurs et thermiques étaient d'origine hystérique. Mais, si l'on suit
le malade, on s'aperçoit que les déductions tirées de l'épreuve thérapeu-
tique étaient prématurées et illégitimes. La perturbation vaso-motrice
subsiste, l'hypothermie se reproduit ; la régression des troubles de moti-
lité n'est pas complète et le reliquat, plus ou moins important, qui est
souvent, du reste, fort gênant et qui peut déterminer une inaptitude assez
longue au service militaire ou tout au moins au service armé, est réfrac-
taire à la contre-suggestion ; il n'est susceptible de s'atténuer que lente-
ment, progressivement, sous l'influence de la physiothérapie et non de la
psychothérapie.
De même qu'à une parésie, à une méiopragie réflexe tenace on voit se
joindre une paralysie hystérique intense mais pouvant rétrocéder promp-
tement, une contracture hystérique forte mais rapidement curable peut
s'associer à une hypertonie réflexe légère mais rebelle.
L'observation que rapporte Clovis Vincent et dont nous faisons quelques
extraits semble rentrer dans ce cadre. Il s'agit d'un sujet atteint, à la
suite d'une blessure à la région du genou, d'une contracture en exten-
sion de la jambe avec contracture du pied en varus équin et atrophie
du mollet. Cet homme était incapable de marcher sans béquilles.
Dès l'entrée, dit Vincent, tous ces troubles sont attaqués avec énergie. Immédiate-
ment les béquilles sont supprimées, le genou est amené en flexion normale, le pied
est redressé. B... arrive même à sauter à cloche-pied sur le membre malade. Il se
félicite du résultat obtenu et ne sait comment dire sa reconnaissance. Il met de côté
son soulier orthopédique et porte un soulier ordinaire ou même une sandale. A partir
de ce moment, pendant six semaines à deux mois, il vient tous les matins sauter à
cloche-pied dans un coin de ma salle de consultation, faire des exercices d'assouplis-
sement du pied, en particulier des mouvements de flexion dorsale forcée. Puis il passe
à la section d'entraînement. Il marche, court, saute 3 à 4 heures par jour pendant
plusieurs mois ; il met tant de bonne volonté à se rééduquer, il est tellement persuadé
de la valeur de la méthode qu'il demande à être moniteur. Il se charge des hommes
qu'on commence à réentraîner. Il se charge de les faire courir en les trainant par le
bras. Malgré cet entraînement intensif, son pied n'arrive pas à se tenir redressé
complètement. Sans doute, il n'est pas tordu, face plantaire en dedans, face dorsale
en partie en bas, mais la pointe du pied a toujours tendance à se porter en dedans et
le bord externe à se renverser. Quand je l'observe à son insu, je le vois courir la
pointe du pied tournée en dedans. Si on l'examine et qu'on lui demande de redresser
complètement son pied, il le fait volontairement, même sans grand effort apparent,
576 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
mais le pied « ne tient pas » en position normale ; il tend toujours à être ramené en
position vicieuse. Il faudrait que l'action de la volonté s'exerçât perpétuellement. Cet
homme est sorti fin 1916, au bout de 7 mois de traitement, dans le service auxiliaire,
sans béquilles, guéri de son impotence du genou, partiellement mais non complètement
guéri de son pied-bot. Il est donc sorti avec un reliquat.
Je pourrais, ajoute C. Vincent, multiplier les observations analogues. Elles se sché-
matisent toutes de la même façon. Chez les hommes auxquels elles se rapportent, il
existe deux ordres de phénomènes, des phénomènes qui disparaissent par rééducation
intensive et restent disparus et des phénomènes qui persistent dans les mêmes condi-
tions malgré des mois et des mois de traitement. ,
Nous ferons remarquer en terminant que les modes d'association
peuvent être plus complexes que dans les cas que nous avons cités. Les
troubles nerveux constatés chez un malade peuvent dériver de ces trois
sources : la lésion des nerfs, l'action réflexe et l'hystérie (cssociation hystéro-
e/7< ? .ro-o ? MyMe), et cela n'est pas encore tout. Aux troubles précé-
dents peuvent se joindre des perturbations dans les fonctions du membre
blessé résultant d'altérations musculaires, tendineuses, osseuses, vas-
culaires, des lésions inflammatoires ainsi que des adhérences cicatri-
cielles et des rétractions qui sont si communes à la suite des blessures
de guerre.
A vrai dire, les cas où les troubles dans le fonctionnement d'un mem-
bre blessé sont uniquement imputables à un seul des facteurs susceptibles
d'entrer en jeu sont relativement rares. Plus souvent ces troubles sont le
résultat de plusieurs facteurs qui peuvent s'associer de diverses manières
et réaliser ainsi des modes variés de combinaisons.
S'il est nécessaire, en pathologie, de dissocier ces divers éléments et
de les étudier à l'état d'isolement, il ne faut pas oublier qu'en clinique les
faits sont ordinairement moins simples et l'on ne concevrait guère qu'il
en fût autrement. Le neurologiste doit analyser avec soin, dans chaque
cas particulier, les désordres que le traumatisme a produits et se deman-
der d'abord si les notions anatomo-physiologiques permettent de les rat-
tacher directement, en totalité ou en partie, aux lésions constatées. Lors-
que celles-ci ne donnent pas l'explication ou ne rendent pas suffisamment
compte du déficit dans les fonctions, il reste à voir s'il y a lieu de le faire
dépendre et dans quelle mesure d'une perturbation soit psychopathique,
soit physiopathique.
Les faits observés sont loin de s'adapter toujours à l'un des cadres de
la neurologie et il ne faut pas se croire tenu à formuler un diagnostic
simple. Le problème clinique consiste ordinairement à discerner les
divers éléments qui interviennent dans la genèse des désordres fonction-
nels et à déterminer, autant que cela est possible, dans quelle proportion
chacun d'eux y participe.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 577
PATHOGÉNIE
C'est à l'hypothèse de troubles nerveux d'origine réflexe que se ratta-
chent Charcot et Vulpian. Mais quel sens exact convient-il d'attribuer à
ce terme ? « Une action réflexe musculo-motrice, dit Vulpian, exige néces-
sairement la mise en jeu de trois facteurs au moins (en dehors du point
de départ de l'excitation et de l'effet produit) : 1° d'un nerf centripète qui
transporte l'excitation à un centre nerveux ; 20 d'un centre nerveux qui
reçoit cette excitation et la transforme en indication motrice ; 3° d'un nerf
centrifuge qui transmet à la périphérie cette indication motrice ».
Retrouve-t-on ces trois facteurs dans les cas d'atrophie musculaire, dite
réflexe ? L'excitation produite par la lésion périphérique est bien transmise
à la substance grise et paraît impressionner, d'une certaine façon, les
éléments de cette substance. Mais Vulpian, envisageant uniquement
les cas d'amyotrophie simple et ceux de paralysie amyotrophique, et
considérant l'exagération de la réflectivité tendineuse comme un fait
exceptionnel, se croit en droit d'admettre que l'incitation centrifuge fait
défaut. On se trouverait donc en présence d'une sorte d'action d'arrêt due
à l'excitation périphérique portant sur les fonctions motrice et trophique
ou exclusivement sur la fonction trophique.
Charcot ('), prenant en considération non seulement l'amyotrophie et
la parésie, mais encore la contracture et l'exagération des réflexes tendi-
neux, d'après lui habituelle, montre que l'assimilation avec un phénomène
réflexe est complète.
« Les affections articulaires, lorsqu'elles retentissent sur le centre spi-
nal, écrit-il, déterminent tantôt une exaltation des propriétés des cellules
nerveuses d'où dérive la contracture musculaire, tantôt au contraire une
dépression de ces mêmes propriétés à laquelle se rattache la paralysie
amyotrophique. » Il faut ajouter que ces deux modes de perturbation des
centres médullaires peuvent se trouver combinés chez un même sujet.
« Même dans les cas de paralysie amyotrophique, ajoute encore Charcot,
du moins à en juger par les quelques observations que je vous ai présen-
tées, les conditions qui préparent la contracture musculaire et y prédis-
posent, à savoir l'exagération des réflexes, se trouvent en quelque sorte
combinées à l'amyotrophie... Ces deux ordres de phénomènes représen-
tent en quelque sorte les deux phases extrêmes d'un même processus
morbide. »
L'exagération des réflexes tendineux et la contracture témoignent, en
effet, de l'existence de cette incitation centrifuge que réclamait Vulpian
pour identifier les troubles dits réflexes avec les phénomènes réflexes à
proprement parler.
Quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse de paralysie flasque avec amyotrophie
(') J.-M. Charcot, Leçons sur les maladies du système nerueu.c, faites à la Salpêtrière, t. III, 883.
l3numsm. i .
37
578 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
ou de contracture avec surréflectivité tendineuse, l'existence d'une pertur-
bation des centres spinaux consécutive à une irritation périphérique était
admise sans conteste par Charcot et par Vulpian.
Les résultats de nos recherches confirment les idées de ces auteurs et
fournissent des arguments nouveaux à l'appui de la thèse qu'ils ont sou-
tenue.
La surréflectivité tendineuse, dont Charcot avait déjà montré la fré-
quence dans la paralysie amyotrophique réflexe, est encore plus commune
qu'on aurait pu le penser, puisque l'examen pendant la narcose la décèle
dans certains cas où elle est latente à l'état de veille.
Parfois, alors même que la surréflectivité fait défaut, l'excitation des
centres médullaires et l'incitation centrifuge sont mises en lumière par les
spasmes qu'on provoque pendant le sommeil chloroformique (').
Mais peut-on expliquer par une action réflexe tous les phénomènes qui
font partie du syndrome que nous envisageons et, en particulier, les trou-
bles vaso-moteurs et thermiques ? C'est ce que nous allons étudier main-
tenant.
L'importance des troubles vaso-moteurs et thermiques, qui nous a
depuis longtemps frappés et dont nous avons cherché à faire une analyse
clinique précise, dénote, d'une manière évidente, l'entrée en jeu d'une
perturbation du système sympathique.
Quelle est la nature de ce trouble : s'agit-il d'une paralysie ? C'est une
hypothèse qui ne paraît pas conciliable avec les faits observés. On sait,
depuis la mémorable expérience de Cl. Bernard, que la section du sym-
pathique cervical est suivie de vaso-dilatation avec élévation de la tem-
pérature locale et de la pression intra-artérielle. Il y a tout lieu d'admettre
qu'une lésion destructive portant sur les voies sympathiques des membres
doit déterminer des phénomènes du même ordre. Notons à ce propos
que la dilacération du plexus sympathique qui entoure l'artère numérale,
pratiquée plusieurs fois dans un but thérapeutique (opération de Leriche)
chez des sujets atteints de causalgie et de troubles nerveux d'ordre réflexe,
a été suivie de vaso-dilatation prononcée, avec augmentation de 2 à
A centimètres de la pression artérielle et élévation de la température des
téguments ; ces phénomènes restent très nets pendant une période de 8
à 15 jours, et quelquefois plus longtemps encore (Leriche et Heitz)(2).
Or, dans les faits que nous avons en vue, on a affaire à de la vaso-
constriction, comme le prouvent d'une manière incontestable les résultats
(') Il y a lieu de rapprocher de ces faits les intéressantes observations faites par Monier-Vinard sur
des sujets qui avaient été atteints de tétanos. Dans certains cas, plusieurs semaines après la guérison
apparente de l'affection, des phénomènes spasmodiques reproduisant le tableau symptomatique de
l'accès de tétanos se manifestèrent pendant la narcose chloroformique (Revue Neurologique, igi7,
n° 6, p. 568).
(2) R. Leriche et J. IIeitz, De l'action de la sympathectomie périartérielle sur la circulation péri-
phérique. Archives des maladies du coeur, des vaisseaux el du sang, février 1917.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 5 (à
de nos observations oscillométriques. Il s'agit donc d'une excitation du
sympathique. Mais comment cette excitation se produit-elle ? Deux hypo-
thèses peuvent être émises : l'hypothèse d'une névrite du sympathique ou
celle d'un trouble réflexe empruntant la voie du sympathique.
On pourrait supposer, d'abord, que la blessure a déterminé un proces-
sus inflammatoire irritatif soit dans les filets sympathiques qui accompa-
gnent les nerfs du système cérébro-spinal, soit dans les plexus périarté-
riels qui constituent les voies sympathiques centrifuges les plus
importantes. Il est possible qu'il en soit ainsi dans certains cas, mais ce
mécanisme doit être au moins exceptionnel. En effet, dans les paralysies
et contractures que nous étudions, mis à part les cas d'association réllexo-
organique, rien n'autorise à admettre une lésion des troncs nerveux.
Quant aux artères, les examens sphygmométriques témoignent de leur
intégrité et l'on conçoit mal une lésion périartérielle dans de pareilles
conditions. En outre, il y a un argument d'une importance peut-être
encore plus grande, c'est que les troubles vaso-moteurs et thermiques
peuvent s'étendre bien au-dessus du point lésé et atteindre, par exemple,
le bras au-dessus du coude et jusqu'à l'épaule dans un cas de lésion de
la main. Quelquefois même l'autre bras présente quelques troubles vaso-
moteurs et sudoraux (').
Tous ces phénomènes sont difficilement conciliables avec l'hypothèse
que nous venons de discuter et s'adaptent au contraire avec celle d'un
mécanisme d'ordre réflexe. Il est permis d'invoquer encore à l'appui de
cette idée la mutabilité de ces troubles, susceptibles de se transformer
transitoirement d'un moment à l'autre, l'hyperthermie succédant à l'hypo-
thermie et l'amplitude des oscillations mesurées au sphygmomètre deve-
nant plus grande du côté lésé, alors qu'elle était bien plus faible quelques
instants auparavant.
Le point de départ de cette excitation réflexe ne peut être cherché que
dans l'irritation des filets centripètes provenant du foyer traumatisé. 11 est
difficile de savoir si ces fibres centripètes appartiennent au système céré-
bro-spinal ou au système sympathique, et la question est de peu d'impor-
tance étant donné les relations intimes qui unissent ces deux systèmes.
Par contre la voie centrifuge du réflexe, pour ce qui concerne les phéno-
(') Cette répercussion sur le membre symétrique de troubles nerveux qui avaient d'abord été
localisés au membre blessé était particulièrement manifeste chez un officier que nous avons présenté
et dont, plus haut, nous mentionnons brièvement l'observation. Au cours de la discussion qui suivit
cette présentation, Jean Camus fit les remarques suivantes : « Dans la dernière séance de la Sociéte
de Neurologie, j'ai fait observer que les phénomènes décrits sous le nom de paralysies et contractures
réflexes ne répondaient pas dans la grande majorité des cas aux lois des réflexes : loi de symétrie,
d'irradiation, de généralisation... Le cas que présentent aujourd'hui MM. Babinski et Froment répond
à mon objection : les phénomènes, d'une part, ont été d'abord unilatéraux puis bilatéraux (loi de
symétrie); d'autre part ces phénomènes sont plus prononcés du côté excité que du côté symétrique,
conformément à ce qu'on voit en expérimentation. Il est nécessaire cependant de faire des réserves
sur l'assimilation de ce tableau clinique à ce que l'on observe en expérimentation : dans ce dernier
cas, en effet, les phénomènes observés se produisent immédiatement sous l'influence des variations
d'intensité de l'excitation. Ici au contraire le passage des phénomènes dans les membres du côté
opposé a demandé deux ou trois mois, pour se produire, ce qui indique un processus assurément
beaucoup plus complexe que celui qui intervient par exemple chez la grenouille décapitée. »
58o TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
mènes vaso-moteurs et thermiques, est certainement constituée par le
sympathique.
Il reste à examiner les conséquences de cette diminution de l'activité cir-
culato ? 're sur le fonctionnement de l'appareil musculaire. L'étude clinique
nous a montré que les perturbations vaso-motrices et thermiques parais-
saient tenir sous leur dépendance, au moins pour une grande part, la
surexcitabilité mécanique des muscles et la lenteur de la secousse mus-
culaire ('). Ces données cadrent-elles avec celles qui sont fournies par la
physiologie ?
Marey a montré que la secousse musculaire diminue de longueur et
augmente d'amplitude sous l'action de la chaleur, et qu'au contraire elle
augmente de longueur et diminue d'amplitude sous l'influence de la réfri-
gération et de l'anémie.
Il semble, à première vue, y avoir une certaine contradiction entre les
faits cliniques que nous observons et les faits expérimentaux puisque,
avec une hypothermie se traduisant au pyromètre par un écart qui
n'excède pas 8" entre la température du côté malade et celle du côté sain,
toute excitation mécanique, fut-elle légère, provoque une contraction du
muscle, non seulement lente et prolongée, mais encore de très grande
amplitude.
En réalité, le muscle se comporte alors comme au premier stade de
l'intoxication par la vératrine, l'un des poisons du muscle le mieux étudié
par les physiologistes qui établissent certains rapprochements entre son
mode d'action et celui des poisons autogènes. « Avec les petites doses de
vératrine ou bien au commencement de l'action des fortes doses, écrit
il"eJoteylo, on s'aperçoit que le premier effet de la vératrine est d'augmen-
ter l'excitabilité du muscle suivant la remarque de Carvallo et Weiss : les
contractions peuvent devenir six fois plus hautes que normalement. »
A la suite de la fatigue se retrouve cette « phase préliminaire pendant
laquelle les contractions augmentent en étendue et en durée ». Puis, elles
continuent à augmenter en durée alors qu'elles diminuent progressive-
ment d'étendue.
Ainsi donc, dans les faits cliniques étudiés par nous, l'amplitude de la
secousse musculaire n'est pas physiologiquement paradoxale. Seules,
l'intensité de ce phénomène et sa durée surprennent un peu, mais elles
peuvent s'expliquer par la persistance des troubles vaso-moteurs et
thermiques.
Étant donné le mode de régulation thermique très complexe des orga-
nismes homéothermes ou «fortement exothermiques», pour employer
l'expression de Ch. Richet, les troubles de l'excitabilité musculaire
(1) Les faits expérimentaux rapportés récemment par Sicard, Roger et Simoni viennent à l'appui de
cette opinion. Voici les conclusions de ce travail (Société médicale des Hôpitaux, 29 juin 1917) :
« Ainsi l'adrénaline, grâce à ses propriétés vaso-constricüves, est susceptible de reproduire les mêmes
troubles musculaires mécaniques et surtout électriques d'byperexcitabilité que ceux observés au cours
des acro-contracturcs. Il apparaît donc bien, suivant l'hypothèse émise par MM. Babinski, Froment
et Heilz, par M. Meige, par MM. Marie et Foix, etc., que les troubles circulatoires ont une grande
importance dans l'évolution de tels symptômes hypertoniques, »
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE REFLEXE 5tif 1
doivent avoir une tendance non seulement à subsister mais encore à s'ac-
centuer, sous l'influence d'une série d'actions qui s'ajoutent les unes
aux autres lorsque la température du milieu ambiant n'est pas favorable
à ces organismes.
« La perfection du mouvement, écrit Ch. Richet('), est liée sans doute
à une certaine élévation thermique nécessaire pour déterminer des actions
chimiques rapides et complètes. En outre, par une sorte de cycle admi-
rable, cette même intensité dans la réaction chimique entraine une plus
active production de chaleur. Il y a une sorte de régulation automatique
qui assure la rapidité et la précision des mouvements (liée à une haute
température) par ce mouvement lui-même qui élève la température. »
Cette supériorité des organismes homéothermes qui les rend indépen-
dants du milieu thermique ambiant a pour contre-partie inévitable leur
fragilité même. « Assurément, ajoute Ch. Richet, la vie des êtres très for-
tement exothermiques est plus fragile, plus exposée à des offenses de
toutes sortes que la vie des êtres à sang froid. Les tissus sont plus avides
d'oxygène et de matériaux de réparation, partant sujets à périr plus faci-
lement.... La robustesse et la perfection d'un appareil sont des qualités
contradictoires et nous devons peut-être considérer comme les plus mer-
veilleux organes ceux qui, par leur complication progressive, sont deve-
nus accessibles aux plus légères causes de perturbation. »
A la lumière de ces données physiologiques, les faits cliniques sur les-
quels nous avons attiré l'attention s'éclairent : on conçoit mieux la téna-
cité de ces parésies et de ces contractures ou hypertonies réflexes, on
comprend mieux leurs caractères sémiologiques.
En résumé, la pathogénie «réflexe» nous semble rendre compte de
toutes les particularités du syndrome physiopathique. Parmi les symptô-
mes qui le constituent, les uns, tels que la surréflectivité tendineuse et le
spasme vasculaire, sont le résultat direct de l'action réflexe; les autres,
tels que la surexcitabilité mécanique des muscles et la lenteur de la
secousse, ne paraissent en être qu'une conséquence indirecte. Enfin, il
est possible que les troubles de motilité puissent dépendre tantôt d'un
état d'excitation ou de stupeur des centres moteurs spinaux, comme
Charcot l'avait supposé, tantôt des perturbations qu'entraînent les phéno-
mènes vaso-moteurs sympathiques, eux-mêmes d'origine réflexe.
Au premier mécanisme répondent, sans doute, les contractures qui ne
cèdent que dans le sommeil chloroformique profond, les contractures avec
surréflectivité tendineuse manifeste ou latente et sans troubles vaso-
moteurs notables, par exemple certaines contractures en flexion de la
jambe sur la cuisse. Au deuxième mécanisme semblent répondre particu-
lièrement ces états parétiques ou hypertoniques si communs qui prédo-
minent aux extrémités et qui s'accompagnent de troubles vaso-moteurs
très caractérisés. Les deux mécanismes, du reste, paraissent souvent
(') Ch. Richet, Chaleur, lu Dictionnaire de Physiologie, t. Il, p. ig3.
582 TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
entrer en jeu simultanément, ce qui explique l'association fréquente des
troubles qui appartiennent à ces deux catégories de faits, association que
nous avons observée par exemple dans des cas de contracture des mus-
cles pelvi-trochantériens avec état parétique du pied.
Une dernière remarque avant de terminer cette étude de pathogénie.
Quelques-unes des formes cliniques : main figée, main d'accoucheur, acro-
contracture, présentent, nous l'avons vu, une très grande analogie avec
les types de contracture observés dans les accès de tétanie.
De plus, comme dans les contractures et dans les paralysies réflexes,
on a observé dans la tétanie l'exaltation de l'excitabilité mécanique des
nerfs moteurs (phénomène de Chvostek), l'exaltation de l'excitabilité élec-
trique des nerfs moteurs (phénomène d'Erb), des modifications de la
réflectivité tendineuse qui est tantôt affaiblie, tantôt exagérée, des trou-
bles vaso-moteurs et de l'atrophie musculaire.
Ces analogies entre les contractures dites réflexes et les contractures de
la tétanie qui, de l'avis unanime, dépendent d'une excitation des centres
nerveux par un poison qui les imprègne, constituent un nouvel argument
contre la conception suivant laquelle les troubles dits réflexes pourraient
résulter d'une simple immobilisation. Elles tendent aussi à montrer que
ces contractures ne sont pas la conséquence directe de lésions périphéri-
ques produites par le traumatisme, mais qu'elles impliquent une pertur-
bation des centres nerveux, et c'est là l'idée principale que renferme la
pathogénie «réflexe».
Notons enfin qu'il n'y a pas lieu d'opposer, comme quelques-uns l'ont
fait, la pathogénie «réflexe» à la pathogénie «sympathique». Elles se
concilient au contraire fort bien, la vaso-constriction résultant d'une action
réflexe qui emprunte la voie du sympathique.
Du reste, il n'est pas surprenant que des accidents d'ordre réflexe puissent
être la conséquence d'une lésion périphérique déterminant une pertur-
bation à la fois dans les centres spinaux et dans le système sympa-
thique (').
TRAITEMENT ET DÉCISIONS MÉDICO-MILITAIRES
La fréquence des associations hystéro-réflexes et la difficulté de faire
la part exacte de chacun des deux éléments constituants, incitent à essayer
presque systématiquement l'emploi de la psychothérapie même dans les
cas où les troubles nerveux d'origine réflexe sont très marqués. Il y a,
(1) Le lecteur est prié de se reporter, pour réponse aux objections qui ont été faites, au livre
suivant : .1. Babinski et J. Froment, Hystérie-pithiatisme et troubles nerveux d'ordre- réflexe,
Collection Horizon, Paris (Masson), édition. Voir en particulier, Pathogénic, p. 151 et Notes
complémentaires, p. 9,3r. '\. D. L. R.
TROUBLES NERVEUX D'ORDRE RÉFLEXE 583 3
d'ailleurs, tout avantage à le faire, à condition de se conformer aux règles
que nous avons énoncées afin de ne pas discréditer la méthode. Cette
manière de procéder est particulièrement indiquée lorsque les troubles
de motilité semblent hors de proportion avec les phénomènes dont la
nature physiopathique est avérée. Mais il ne faudrait pas se fonder sur
l'intensité de ces phénomènes pour considérer les troubles de motilité
comme étant de nature purement réflexe, sans lien avec l'hystérie et
contre-indiquant dans l'espèce l'emploi de la psychothérapie. Nous avons
déjà fait remarquer que des désordres vaso-moteurs bien caractérisés
s'accompagnent pour le moins d'un état de méiopragie, mais n'entraînent
pas nécessairement une perturbation très marquée des fonctions motrices,
ce qui équivaut à dire que, si ces fonctions sont notablement troublées,
l'association d'un élément hystérique est toujours possible et la contre-
suggestion susceptible d'être efficace.
L'entraînement méthodique réglé par le médecin, comme il a été ins-
titué à Tours par Clovis Vincent ('), comme il est pratiqué à Salins par
Roussy, Boisseau et d'Oelsnitz(2) constitue un mode de rééducation, de
physiothérapie active bien adapté aux circonstances actuelles et sur lequel
nous attirons particulièrement l'attention.
Sous l'influence des mouvements exécutés et de leur répétition, les
troubles physiopathiques rétrocèdent souvent d'une manière progressive
mais lente.
Pour ce qui a trait aux décisions médico-militaires qu'il y a lieu de
prendre à l'égard des blessés présentant des troubles nerveux de cet
ordre, nous nous contenterons de rappeler les conclusions formulées par
l'un de nous et adoptées, à l'unanimité, par la Société de Neurologie le
7 avril 1916, pour clôturer la discussion consacrée à l'étude des troubles
moteurs dits fonctionnels (3).
«En se plaçant exclusivement au point de vue des décisions médico-
militaires que l'on peut être appelé à prendre, il y a lieu de distinguer,
parmi les troubles de motilité dits fonctionnels (c'est-à-dire les troubles
de motilité qui ne présentent aucun des signes objectifs par lesquels se
manifestent les affections organiques du cerveau, de la moelle et des nerfs,
ainsi que les lésions des vaisseaux) :
« 1" Les accidents hystériques pithiatiques proprement dits ;
« " Les accidents nerveux, nettement distincts des précédents, qui sont
liés à des troubles physiologiques réels, dont le mécanisme est encore
discutable, mais que l'on peut rapprocher des troubles d'ordre réflexe
observés à la suite des lésions ostéo-articulaires.
.
(') Clovis Vincent, La rééducation définitive des hystériques invétérés. Société médicale des Hôpitaux,
21 juillet 19 16.
e) Hcussv, Boisseau et d'Oelsnitz, La station neurologique de Salins (Jura) (centre de psycho-
névroses) après trois mois de fonctionnement. Conférence interalliée pour la rééducation professionnelle,
Paris, iS mai 1917 et Bulletin de la réunion médico-chirurgicale de la VIIe région, juin 1917.
(3) Discussion générale sur les caractères des troubles moteurs (paralysies et contractures) dits
fonctionnels et sur la conduite à tenir à leur égard, Société de Neurologie, 6 et 7 avril 1916. Revue
Neurologique, 1 g 16, pp. 521 à 572 et p. 966 (conclusions).
SRf TROUBLES PHYSIOPATHIQUES S
« Les accidents nerveux répondant à cette deuxième catégorie se pré-
sentent sous l'aspect de paralysies ou de contractures, plus ou moins
complètes, de types variés. Ils s'accompagnent des signes objectifs sui-
vants qui permettent de les distinguer des accidents nerveux de la pre-
mière catégorie : troubles vaso-moteurs et thermiques accentués et tena-
ces modifications de la tonicité. musculaire (hypotonie, hypertonie,
association d'hypertonie et d'hypotonie) exaltation de l'excitabilité
mécanique des muscles et parfois même des nerfs modifications quan-
titatives de l'excitabilité électrique des muscles sans D. R. atrophies
musculaires troubles trophiques ostéo-articulaires et parfois cutanés.
Les contractures appartenant à ce groupe se caractérisent encore par leur
résistance prolongée à l'action de la bande d'Esmarch et à celle des anes-
thésiques généraux. Sans qu'il y ait lieu de contester la curabilité des
accidents nerveux de cette catégorie, il faut reconnaitre que, même traités
dans les meilleures conditions, ils sont parfois très tenaces.
« Il est indiqué, avant toute décision médico-militaire, de soumettre
les blessés atteints de cette variété de troubles de motilité à un examen
prolongé dans un Centre neurologique et de mettre en oeuvre simultané-
ment tous les moyens psychothérapiques et physiothérapiques appropriés.
Mais, après l'échec avéré de toutes tentatives thérapeutiques, il n'y a pas
lieu, semble-t-il, dans tous les cas où, la réalité des troubles physiologi-
ques susmentionnés a été bien établie et parait indiscutable, de prolonger
indéfiniment l'hospitalisation. Des congés de convalescence pourront être
accordés, mais à condition que les malades, à l'expiration de ces congés,
soient renvoyés aux fins d'examens ou de nouveaux traitements dans le
même Centre neurologique. Dans les cas tenaces on pourra proposer une
réforme, mais celle-ci devra toujours être temporaire ('). » ,
(') Dans un article récent nous avons cherché à prémunir les médecins chargés du soin des blessés
nerveux contre la tendance au pessimisme dans les cas de ce genre. Nous avons fait observer que si la
faculté d'accorder un congé ou même une réforme temporaire est légitime dans les cas où les troubles
physiopathiques sont très intenses, particulièrement rebelles à la thérapeutique, notamment s'ils
s'accompagnent de troubles trophiques et de rétractions fibre-tendineuses, comme nous l'avons
souvent observé dans les faits que nous avons eus en vue, il faut être ménager de pareilles mesures et
soumettre toujours le blessé au terme de son congé ou de sa réforme temporaire à un nouvel examen
suivi d'un nouvel essai de traitement, en se plaçant dans les meilleures conditions pour que cette
cure soit efficace (J. Babinski et J. Froment, Troubles physiopathiques d'ordre réflexe. Association
avec l'hystérie. Evolution. Mesures médico-militaires. Presse médicale, (J juillelI\JI7, p. 385).
ONZIÈME PARTIE
THERAPEUTIQUE
1
DU TRAITEMENT MERCURIEL
DANS LA SCLÉROSE TABÉTIQUE DES NERFS OPTIQUES
[J. Babinski.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie,
séance du : juillet rgoo.
Les avis des médecins sont encore partagés au point de vue de l'action
que le mercure exerce sur le tabes. Tandis que les uns soutien-
- nent que les effets de ce médicament sont nuls, que d'autres décla-
rent qu'ils sont même nuisibles, il en est, et je suis de ceux-là, qui sont
persuadés que le mercure exerce, au moins sur un certain nombre de cas
de tabès, une influence favorable. Il faut reconnaître toutefois que pour
se former une opinion à cet égard il est nécessaire d'avoir observé un
grand nombre de cas de la maladie de Duchenne ; sinon, l'on est exposé
à être induit en erreur; le tabès peut en effet se manifester sous une
forme bénigne restant telle sans aucun traitement : il peut aussi devenir
très grave et évoluer d'une manière progressive malgré la mise en oeuvre
des cures les plus énergiques. Ce qui rend encore difficile l'appréciation
de l'efficacité d'un traitement, quel qu'il soit, c'est que certaines manifes-
tations du tabes, telles que les douleurs fulgurantes, les troubles de la
marche, sont susceptibles d'être exagérées par l'intervention de l'auto-
suggestion du malade et qu'il n'est pas toujours aisé, quand on a obtenu
un résultat, d'affirmer que l'on a modifié les troubles qui relèvent direc-
tement de la lésion radiculaire. '
De toutes les modifications du tabes la sclérose des nerfs optiques est
peut-être celle qui se prête le mieux à un jugement sur l'efficacité du
traitement ; en effet on peut déterminer d'une façon précise par l'examen
ophtalmoscopique etparla mesure de l'acuité visuelle le degré de la lésion ; -,
on sait, d'autre part, que cette sclérose évolue d'une manière presque
fatalement progressive si l'on n'intervient pas, qu'elle ne rétrograde pas et
qu'elle constitue une des manifestations les plus graves du tabès. C'est
588 THERAPEUTIQUE
pourquoi, entre autres faits nombreux, où le traitement hydrargyrique m'a
paru donner des résultats satisfaisants, je crois devoir signaler deux cas
d'atrophie papillaire tabétique.
Ol3SErtVA1'r0\ I. Homme de 35 ans, ayant contracté la syphilis à l'age de 23 ans.
Il y a cinq ans le malade a commencé à éprouver des douleurs et une sensation de
fourmillements dans les mains, qui n'ont jamais disparu. Un peu plus tard il remarqua
de l'incertitude dans la marche. Au mois d'avril de l'année dernière ont apparu des
troubles visuels qui ont été en s'accentuant très rapidement et qui ont abouti au bout
de cinq à six semaines à un affaiblissement très marqué de la vision du côté gauche,
beaucoup moins prononcé à droite. Du côté gauche, il y a un rétrécissement très
notable du champ visuel et de la dyschromatopsie, le malade ne percevant que très
mal le rouge et le vert ; à droite, légère dyschromatopsie. A l'examen ophtalmosco-
pique on constate une double atrophie papillaire bien plus marquée à gauche qu'à
droite. Le réflexe à la lumière des pupilles est aboli. Le réflexe rotulien ainsi que le
réflexe du tendon d'Achille sont abolis des deux côtés. Le chatouillement de la plante
des pieds donne lieu à de l'extension des orteils. La marche est légèrement incoor-
donnée ; on note le signe de Romberg. Il y a quelques troubles génésiques. La vessie
fonctionne d'une façon normale. Le malade n'a jamais eu de douleurs fulgurantes. Ses
mains sont engourdies, il éprouve la sensation d'un vernis qui les recouvrirait ; il se
boutonne difficilement les yeux fermés.
Traitement : injections de calomel à la dose de 5 centigrammes par injection et d'une
injection par semaine. Pendant les dix premiers jours les troubles oculaires continuent
à s'accentuer, mais au bout de ce laps de temps le malade constate un arrêt dans l'évo-
lution des symptômes visuels. Du mois de mai au mois de décembre, 22 injections
furent faites et la lésion oculaire ne fit plus aucun progrès. Les troubles de la marche
se sont aussi atténués.
Il est incontestable qu'il s'agit là d'un cas de tabes un peu anormal, il est vrai, parce
que le malade n'a jamais eu de douleurs fulgurantes : de plus, le phénomène des
orteils que j'ai constaté chez lui paraît montrer qu'aux lésions radiculaires était adjointe
une altération du système pyramidal. Je regrette de ne pouvoir donner les mesures de
l'acuité visuelle qui n'ont pas été conservées, mais je puis affirmer que les troubles
oculaires ont cessé d'évoluer à partir du moment où le traitement par les injections
de calomel a été institué.
Observation II. Homme âgé de ll6 ans au moment où je le vois pour la première
fois, à la fin de février 1898. Il a eu un chancre syphilitique à l'âge de 28 ans.
Il est sujet depuis quatre ans à des douleurs lancinantes. Il a des troubles vésicaux
et des troubles génésiques. Le réflexe rotulien est normal à gauche, faible à droite ;
le réflexe du tendon d'Achille est nul à gauche, faible à droite. Des deux côtés, signe
de Robertson.
Depuis deux mois environ sa vue s'affaiblit à gauche d'une manière progressive. Le
Dr Parinaud constate l'existence d'une atrophie de la papille du côté gauche ; l'acuité
visuelle de ce côté = 5/a5 et il y a de la dischromatopsie pour le rouge et le vert.
Dès les premiers jours de mars on pratique une injection de calomel à la dose de
5 centigrammes ; les injections sont répétées une fois par semaine pendant une période
de cinq semaines ; elles sont interrompues alors en raison de l'apparition d'une
gingivite assez intense. Depuis, le malade a fait de nouveau plusieurs fois usage de
mercure sous forme de frictions avec l'onguent napolitain et il a pris de l'iodure de
potassium.
TRAITEMENT MERCURIEL DANS LA SCLÉROSE TABÉTIQUE 58y
Le 2 juillet de cette année, le Dr Parinaud et moi revoyons le malade. Les réflexes
tendineux n'ont subi aucune modification ; les douleurs fulgurantes sont très rares,
les troubles vésicaux très peu marqués ; les troubles oculaires sont exactement au
même point qu'en février 1898 ; l'oeil droit est normal, l'acuité visuelle, à gauche, est
de 5/2 5.
On peut, il est vrai, soutenir qu'il s'agit de deux cas particulièrement
heureux et que l'arrêt dans l'évolution de l'atrophie papillaire a simple-
ment coïncidé avec la mise en oeuvre du traitement mercuriel ; je ne suis
pas en mesure de démontrer rigoureusement qu'il y a relation de cause
à effet entre l'usage du mercure et l'arrêt dans la marche de la sclé-
rose, mais cela me paraît bien vraisemblable, et ces deux faits, particuliè-
rement le dernier, m'ont semblé dignes d'être rapportés.
II
RÉSULTATS THÉRAPEUTIQUES DE LA PONCTION LOMBAIRE
DANS LES NÉVRITES OPTIQUES
D'0/IIGINL' .INT'IA-CRANIEaYNl :
| Babinski et J. Chaillous.]
Publié dans les Bulletins et Mémoires de la Société française d'ophtalmologie,
Mai 1907.
Si l'utilité de la ponction lombaire, comme procédé de diagnostic
des affections du système nerveux, n'est plus à démontrer, l'impor-
tance de cette intervention dans le diagnostic des maladies de l'ap-
pareil de la vision n'a pas été assez mise en relief, si l'on excepte les
observations publiées par l'un de nous en 1901 à la Société médicale des
hôpitaux, et les faits rapportés par M. deLapersonne au Congrès d'ophtal-
mologie de igo3. Le rôle thérapeutique de la ponction lombaire, en patho-
logie oculaire, a été, lui aussi, insuffisamment étudié. C'est à peine si
quelques auteurs, comme nous le verrons au cours de cette étude, ont
incidemment remarqué l'heureux effet de la ponction lombaire dans cer-
tains cas d'affection du nerf optique. Nous voudrions montrer, par nos
observations, tous les bénéfices que l'on peut retirer de la ponction lom-
baire dans les cas de névrite optique d'origine intra-crânienne, pourvu
que cette ponction soit faite prudemment, selon les règles d'une technique
bien établie.
Nos huit observations seront suivies de quelques réflexions qu'a fait
naître la constatation d'améliorations rapides de l'acuité visuelle chez
quelques-uns de nos malades, de quelques conseils sur la technique à
suivre, et sur les précautions à prendre dans les cas d'hypertension du
liquide céphalo-rachidien, et enfin des indications et des contre-indica-
tions de la ponction lombaire.
Bien que nous ayons surtout en vue, dans cette étude, les résultats thé-
rapeutiques de la ponction lombaire, nous devons insister sur l'impor-
tance de cette ponction dans certains cas, au point de vue du diagnostic.
PONCTION LOMBAIRE DANS LES NÉVRITES OPTIQUES .'xj. 1
Il n'est pas extrêmement rare de voir survenir, après les traumatismes
crâniens, des néoplasmes des centres nerveux. Et chez notre malade,
souffrant longtemps encore après le trauma de symptômes de compres-
sion : vertiges, céphalées intenses, névrite optique, on pouvait se deman-
der s'il ne s'agissait pas d'une complication néoplasique. Les résultats de
la ponction lombaire qui fit disparaître les maux de tête, la stase de la
papille, furent contraires à ce diagnostic.
Les cas que nous venons de rapporter peuvent être classés approxima-
tivement d'après l'étiologie que nous leur supposons. Dans l'observation I,
il s'agit nettement de troubles de compression consécutifs à un trauma-
tisme, troubles de compression vraisemblablement dus à un épanche-
ment intra-crânien. Dans les cinq observations suivantes, on retrouve des
symptômes de méningites. Chez un seul malade, la syphilis aurait été en
cause. Chez trois de ces malades, les symptômes oculaires furent la
névrite oedémateuse et une paralysie du moteur oculaire externe (2 fois
la VIe paire gauche, 1 fois la VIe paire droite). Le quatrième de ces mala-
des n'offrit aucun trouble des nerfs crâniens, en dehors de la névrite opti-
que. Dans l'observation VI, l'étiologie est douteuse. Il est vraisemblable
cependant qu'il s'agissait d'un cas de méningite.
C'est surtout l'étude clinique des malades des observations I, II, III, IV,
V, qui nous a permis de suivre les heureux effets de la ponction lombaire,
sur la névrite optique d'origine intra-crânienne. Amélioration rapide des
troubles subjectifs dans certains cas, diminution parfois considérable des
symptômes objectifs, telles sont, en résumé, les modifications que l'on
observe chez nos malades. Si l'acuité visuelle et le champ visuel ne sont
pas toujours modifiés par l'évacuation du liquide céphalo-rachidien, c'est
qu'ils ne présentent pas toujours une diminution bien notable, c'est qu'en
général la compression intra-crânienne produit, au début, une névrite
optique qui se manifeste à l'oculiste par la stase de la papille sans qu'elle
se révèle au malade par des troubles de la vision. Plus tard, la continuité
de la compression des éléments percepteurs ou conducteurs du nerf opti-
que s'accompagne de diminution de l'acuité et du champ visuel, comme
on peut le constater dans les observations V et VI. Dans ces conditions,
les troubles subjectifs peuvent être immédiatement améliorés par la ponc-
tion lombaire. L'amélioration des troubles objectifs de l'appareil de la
yision, coïncidant avec la diminution ou la disparition des autres troubles
dus à la compression intra-crânienne, suffirait à prouver que la guérison
partielle ou totale de la névrite optique est une guérison pour laquelle la
suggestion ne peut être invoquée.
Il est intéressant de constater que dans presque tous nos cas, la pre-
mière évacuation du liquide céphalo-rachidien fut suivie, dans le délai
d'une huitaine ou d'une dizaine de jours, d'une diminution très notable
ou d'une disparition de l'oedème de la papille. Le flou qui persistait, le
voile léger qui couvrait les bords de la papille mit en général un temps
plus long à disparaître.
Signalons un point intéressant que font ressortir les résultats de la
59q THÉRAPEUTIQUE
ponction lombaire dans les cas de stase de la papille. L'amélioration des
troubles de la vision parfois si rapide plaiderait en faveur des théories de
Deyl et Dupuy-Dutemps, qui admettent que la stase de la papille est due
à la compression de la veine centrale dans la gaine durale. C'est, du reste,
ce que fait observer M. Dupuy-Dutemps dans sa thèse inaugurale.
L'étiologie des troubles nerveux constatés chez nos malades des obser-
vations II, III, V, VI, est restée obscure. Il s'agissait probablement de
méningites dont l'étude clinique aidée par l'examen cytologique n'a pas
permis de préciser la cause. Aussi avons-nous cru nécessaire, malgré
l'absence de symptômes suffisamment nets dans les antécédents de nos
malades, de joindre le traitement anti-syphilitique à l'évacuation du
liquide céphalo-rachien. La rapidité des résultats que nous avons obtenus,
l'irrégularité avec laquelle les malades se soumettent aux injections
hydrargyriques, la persistance des guérisons observées longtemps après
l'abandon de toute thérapeutique spécifique, contrastent trop avec la
lenteur habituelle de l'évolution clinique des névrites dues à une ménin-
gite syphilitique, et avec la fréquence de leurs rechutes ou de leurs réci-
dives pour que l'on attribue au traitement hydrargyrique les résultats
consécutifs à la ponction lombaire.
Chez l'enfant atteint d'hydrocéphalie, la ponction lombaire sera souvent
la seule ressource thérapeutique qu'on aura pour diminuer la compres-
sion intra-crânienne (Obs. VII). Dans le cas de tumeur cérébrale, les
résultats de la ponction lombaire ne peuvent être que palliatifs. La méthode
de Quincke ne doit être employée dans ce cas, que si une opération plus
radicale, telle que la crâniectomie, est ajournée ou relusée, pour un motif
quelconque (Obs. VIII).
Chez plusieurs malades atteints de tumeur cérébrale, que nous avons
observés à l'hôpital dela Pitié, la ponction lombaire n'a pas amené de modi-
fications appréciables, même momentanées, dans les symptômes oculai-
res de compression intra-crânienne qu'ils présentaient. Dans le cas où le
diagnostic est douteux, cette persistance de la névrite optique plaide en
faveur de l'existence d'une tumeur intra-crânienne.
Nous ne décrirons pas la technique de la ponction lombaire. On trou-
vera, au besoin, tous les détails nécessaires dans les ouvrages de
MM. Milian et Sicard. Il est toutefois quelques précautions à prendre, sur
lesquelles nous devons insister. En ne les négligeant pas, on aura toutes
chances d'éviter les accidents qu'on a pu observer après la ponction lom-
baire. i" Le patient devra être placé dans la position horizontale ; 2" le
liquide céphalo-rachidien sera évacué très lentement, goutte à goutte, et
en petite quantité (8 à 10 cm3 au maximum); 3" on recommandera
au malade de garder le repos au lit pendant plusieurs jours.
Conclusions. La ponction lombaire doit être considérée comme une
méthode de traitement curatif des névrites optiques dues à un épanche-
ment intra-crânien(épanchement post-traumatique et d'origine inflamma-
toire). .
PONCTION LOMBAIRE DANS LES NÉVRITES OPTIQUES 5g
Dans les cas de névrites optiques consécutives à une tumeur intra-
crânienne, la ponction lombaire ne peut être que palliative.
Dans tous les cas, où elle est indiquée, la ponction lombaire devra être
pratiquée avec prudence, et la quantité de liquide évacué devra être d'au-
tant moins élevée que les symptômes de compression seront plus mar-
qués. Il sera utile dans ce cas, de renouveler la ponction, autant de fois
que l'intervention sera jugée nécessaire, pour éviter les troubles dus à la
compression, et en particulier l'atrophie des nerfs optiques qui peut être
la suite des névrites optiques d'origine intra-crânienne.
l3em ssi. 38
III
TRAITEMENT DES AFFECTIONS DE L'OREILLE
ET EN PARTICULIER
DU VERTIGE AURICULAIRE PAR LA RACHICENTÈSE
[J. Ï3ABINShI.
Extrait de l'exposé des travaux scientifiques de J. Babinski, Paris, ig rg.
Voici comment j'ai été conduit à concevoir ce mode de traitement.
V La recherche du vertige voltaïque pratiquée sur des malades
nullement atteints, d'ailleurs, d'affections auriculaires, et que je
soumettais à la rachicentèse dans un but thérapeutique ou en vue du cyto-
diagnostic, m'avait montré que d'ordinaire la résistance à l'excitation
électrique diminuait après l'opération.
Il y avait lieu d'en conclure que la ponction lombaire exerce une action
sur le labyrinthe. Du reste cette action ne paraissait pas surprenante, la
pression du liquide labyrinthique devant être subordonnée en partie à
celle du liquide céphalo-rachidien. Dès lors, il était tout naturel de se
demander si la ponction lombaire ne serait pas capable d'agir favorable-
ment sur des troubles ayant des lésions labyrinthiques pour cause. J'es-
timai qu'ily avait là une application thérapeutique à tenter. Je m'y suis
cru d'autant plus autorisé que les moyens employés d'ordinaire contre les
troubles en question sont généralement inefficaces et que, faite avec
précaution, la rachicentèse n'est nullement dangereuse.
J'ai traité ainsi un grand nombre de sujets atteints de vertiges, d'affai-
blissement de l'ouïe ou de bourdonnements d'oreille. Chez beaucoup d'en
tre eux, une seule ponction a été pratiquée, mais plusieurs en ont subi
deux, trois et même davantage, à des intervalles plus ou moins longs. La
quantité du liquide extraite chaque fois a été de 5 à 20 centimètres cubes.
L'influence de cette intervention sur les troubles qui sont liés aux per-
turbations de l'appareil vestibulaire est généralement manifeste. 11 n'est
pas rare que les caractères objectifs du vertige voltaïque changent immé-
diatement après l'opération : la résistance diminue souvent d'une manière
TRAITEMENT DES AFFECTIONS DE L'OREILLE 595
encore plus marquée que chez les sujets dont le labyrinthe est sain ; l'in-
tensité du courant nécessaire pour déterminer de l'inclination peut tom-
ber par exemple de 10 m. A. à 5 ou 4 ; j'ajoute que chez d'autres mala-
des, dont les altérations labyrinthiques sont, sans doute, très intenses,
la résistance ne se modifie en rien. De plus on peut voir le retour à l'état
normal ou à un état voisin de la normale d'un vertige voltaïque caracté-
risé par une inclination ou une rotation unilatérale. Ce phénomène qui
s'observe sans qu'il soit fait appel au témoignage du malade, ce qui exclut
l'idée de suggestion, est particulièrement instructif; outre qu'il montre
jusqu'à l'évidence l'action de la ponction sur les troubles labyrinthiques, il
prouve que l'inclination et la rotation unilatérales peuvent être liées à des
altérations labyrinthiques superficielles et, ce qui est un corollaire de la
proposition précédente, que pour l'exploration du labyrinthe, l'électrisa-
tion est une méthode d'une grande finesse.
Quant aux troubles fonctionnels, ils peuvent également s'atténuer aus-
sitôt ; quelques sujets m'ont déclaré séance tenante qu'ils se sentaient
plus à l'aise et que leur tête était plus libre. Bien qu'on soit, à priori,
tenté de voir là l'effet d'une suggestion, il est admissible que les troubles
subjectifs s'atténuent immédiatement à l'instar des troubles objectifs.
D'ordinaire, ces effets salutaires se font sentir seulement après quel-
ques jours, quelques semaines ou plus tardivement encore. Ils ne sont pas
constants, mais il est exceptionnel que les sensations vertigineuses ne
diminuent pas, au moins quelque peu, ne serait-ce que d'une manière
transitoire. Parfois, et ceci n'est pas rare, l'amélioration, pouvant aller
jusqu'à la disparition complète du vertige, dure fort longtemps et même
indéfiniment ; jeconnais nombre de malades qui après avoir été atteints,
durant des mois, de vertiges auriculaires, en ont été débarrassés à la suite
d'une ou de plusieurs ponctions lombaires, et dont la guérion date actuel-
lement (191 3) de plus de 5 ans. La rachicentèse a une action bien moindre
sur les troubles dépendant des lésions du labyrinthe antérieur : bourdon-
nements, diminution de l'ouïe, surdité ; les cas où une amélioration a
été obtenue sont exceptionnels.
L'analyse des observations que j'ai rapportées montre que les cas où le
bienfait de la ponction lombaire est surtout appréciable, sont ceux où a
été diagnostiquée une altération labyrinthique pure ou associée àdes lésions
cicatricielles de l'oreille moyenne ('). '
(1) Lumincau, Thèse de Paris, igo3. " ' ' '
IV
SUR LE TRAITEMENT DÈS TUMEURS ./M71 /WZZ ? S'
[J. BABINSKI.]
Publié dans les comptes rendus de la Société de neurologie.
Séance du 8 juin rg ? 3.
Il y a, comme on le sait, un groupe de néoplasies siégeant dans le
j canal rachidien, bénignes quant à leur nature, ne se généralisant pas,
et dont la malignité ne réside que dans l'action perturbatrice qu'elles
excercent sur la moelle en la comprimant.
Non traitées, elles déterminent inévitablement la mort. La guérison
peut être au contraire obtenue par la thérapeutique.
Mais, pour arriver à ce résultat, il faut au préalable être en mesure
de diagnostiquer ces néoplasies et de reconnaitre le niveau qu'elles
occupent.
Je ne m'occuperai pas ici de cette première question. Je me contenterai
de faire remarquer que, si le procédé des injections de lipiodol imaginé
récemment par Sicard semble plein de promesses et permettra sans doute
de faire parfois des diagnostics plus précis et plus précoces, la localisa-
tion des compressions de la moelle, au moins à une certaine période de
leur évolution, peut être généralement établie grâce à des données clini-
ques depuis longtemps mises en valeur (troubles dans les réflexes tendi-
neux, douleurs radiculaires, limites de l'anesthésie, limites du territoire
cutané dont l'excitation provoque des réflexes de défense, etc.. C'est ainsi
que, dans les 13 cas de tumeurs juxta-médullaires que j'ai fait opérer, le
diagnostic de localisation posé par moi ou par mes élèves Jarkowski,
Jumentié, a été sans exception vérifié.
Avant d'aborder l'exposé des résultats obtenus à la suite de l'interven-
tion chirurgicale, exposé qui est le but principal de ce travail, je veux dire
quelques mots de la radiothérapie à laquelle j'ai eu recours dans plusieurs
cas. Chez une malade (tumeur à la région dorsale) opérée ultérieure-
ment, le traitement a été suivi d'une atténuation très notable mais transi-
TRAITEMENT DES TUMEURS J(i.lTl- : 111 : DULL. : ll1 ? ES 5c1
toire des troubles moteurs ; chez un autre malade (tumeur à la région
dorsale) opéré aussi plus tard, il y a eu sédation passagère des douleurs ;
dans un troisième cas de tumeur à la région dorsale, où il est vrai, il
s'agissait probablement d'une métastase d'un épithélioma du sein, et où
il n'y a pas eu de vérification anatomique, cas qui diffère par conséquent
de tous les autres que j'ai en vue, consécutivement à quelques séances
de radiothérapie, les troubles moteurs et sensitifs se sont très notable-
ment atténués ; plus tard, la radiothérapie « profonde » fut mise en oeuvre
et fut suivie très rapidement d'une aggravation considérable de tous les
troubles. I)ans un cas de tumeur à la région cervicale que je rapporterai
plus loin, la radiothérapie ne parait avoir amené aucune modification dans
l'évolution de l'affection. Ces observations sont trop peu nombreuses pour
qu'il soit permis d'en tirer des déductions ; mais elles pourront servir de
documents pour une étude ultérieure.
C'est sur la thérapeutique chirurgicale et ses effets que je désire
insister, bien qu'il ne s'agisse pas là d'une nouveauté et, sans faire
l'historique de cette question, je rappellerai que c'est à Gowers que
revient l'honneur d'avoir le premier conseillé en 1887, dans un cas de
tumeur qu'il avait diagnostiquée, l'intervention, laquelle fut pratiquée sur
ses indications par Horsley.
Les cas de tumeurs juxta-médullaires que j'ai fait opérer sont, ai-je
dit, au nombre de 13. Quelles ont été les suites de l'extraction de la
tumeur ?
Dans 5 cas, les malades ont succombé au shock très peu de temps après
l'intervention. Le pourcentage des cas de mort est élevé dans cette sta-
tistique ; mais afin de ne pas s'exagérer les dangers auxquels expose
actuellement l'opération, il y a lieu de tenir compte de ce que la plupart
de ces sujets étaient dans un mauvais état général et qu'à l'époque où
l'opération a été pratiquée, la technique chirurgicale était moins bien
réglée qu'à l'heure présente. Il ne faut pas se dissimuler toutefois que,
même dans les meilleures conditions, il y a des risques à courir.
Dans un cas, le malade, malgré l'énucléation de la tumeur, est resté
dans le même état que précédemment.
Dans un autre cas, il y a eu une amélioration rapide, mais le malade a
succombé à une broncho-pneumonie grippale pendant une épidémie de
grippe, trois semaines après l'intervention qui ne semble pas pouvoir être
incriminée.
Dans les 6 autres cas, l'opération a été couronnée de succès.
Dans un de ces cas, il s'agissait d'une tumeur intra-dure-mérienne de
la grosseur d'un grain de raisin, située à la face antérieure de la moelle
cervicale entre les 5e et 6" racines. Les premières manifestations de cette
affection dataient de juillet 1916 et avaient consisté en douleurs à la région
sus-épineuse droite auxquelles s'étaient associées ensuite une faiblesse,
intermittente d'abord, puis durable et progressive du membre supérieur
droit, de l'amyotrophie des muscles de l'épaule et du bras et, six mois
plus tard, une faiblesse du membre inférieur droit. Vers le milieu de 1917,
: g8 THÉRAPEUTIQUE
Jumentié et moi constatons une hémiplégie droite accentuée avec exagé-
ration des réflexes tendineux du côté droit à partir du réflexe olécrânien,
une inversion du réflexe du radius à droite, le signe des orteils du même
côté, une anesthésie de la moitié gauche du corps à partir de DI. Après
l'opération, pratiquée par de Martel, il y eut une paralysie des deux bras,
mais rapidement la motilité du côté gauche redevint normale ; quant au
syndrome de Brown-Séquard, il s'atténua notablement d'une manière
progressive. C'est donc là un succès incontestable, mais je ne puis dire
s'il a été complet, car depuis longtemps le malade a quitté Paris et ne
nous a pas donné de ses nouvelles.
Les 5 autres cas se rapportent à des tumeurs de la région dorsale.
Dans un de ces 5 cas, on avait affaire à une paralégie spasmodique en
flexion des plus caractérisées. Cette observation n'ayant pas encore été
publiée et présentant, je crois, un assez grand intérêt, surtout à cause
de certaines différences entre elle et les autres, je la relaterai assez
longuement :
Femme que j'ai vue pour la première fois en juin 1919 avec le Dr Séjourner. Vers
le milieu de 191 5, à l'âge de 60 ans, elle eut à droite des douleurs intercostales très
violentes, qui furent considérées par elle et par le médecin qu'elle consulta alors (elle
habitait dans les pays envahis) comme la conséquence d'une congestion pulmonaire
dont elle avait été atteinte en 1907. Ces douleurs durèrent deux mois, puis disparurent
complètement. Dix-huit mois plus tard environ, elle commença à éprouver une sen-
sation de fatigue aux membres inférieurs et un engourdissement à la cuisse gauche.
Ces troubles, assez longtemps stationnaires, se mirent à évoluer progressivement à
partir de la fin de 19 1 7. La marche devint petit à petit de plus en plus difficile ; en
juillet 1918 la malade s'alita et, à partir d'octobre suivant, la motilité volontaire des
membres inférieurs fut complètement abolie. Avant même qu'elle fut alitée, appa-
rurent des mouvements spasmodiques involontaires des membres inférieurs qui
augmentèrent en raison de la progression de la paralysie ; ils s'étendirent aux muscles
de la paroi abdominale en provoquant une sensation extrêmement pénible de serre-
ment comme par une ceinture de fer. En même temps, apparition de troubles sphinc-
tériens.
Voici le résumé des constatations faites par moi et Jarkowski, dans une série d'exa-
mens auxquels la malade fut soumise pendant une quinzaine de jours : abolition
complète de tous les mouvements volitionnels aux memhres inférieurs ; contracture en
flexion des membres inférieurs, plus prononcée à gauche qu'à droite ; mouvements
spasmodiques involontaires très amples et pénibles, se renouvelant presque sans
interruption jour et nuit ; contracture et mouvements spasmodiques des muscles
de la paroi abdominale ; réflexes tendineux difficiles à explorer à cause de la contrac-
ture, mais ne paraissant pas exagérés ; signe des orteils des deux côtés. Troubles de la
sensibilité cutanée : dans la partie du tronc située au-dessous de l'ombilic et aux
membres inférieurs sauf à la région sacrée, il y a une anesthésie presque complète et
permanente pour les divers modes de la sensibilité. Au-dessus de l'ombilic, jusqu'à la
ligne mamelonnaire, il existe des troubles de la sensibilité atteignant aussi les divers
modes, mais très variables quant à leur intensité, tantôt se rapprochant d'une anesthésie
complète, tantôt beaucoup moins marqués. Au-dessus de la ligne mamelonnaire il y a
une bande d'hypoesthésie légère sur laquelle tous les modes de la sensibilité sont
conservés. Cette bande est séparée de la précédente par une ligne de démarcation
TRAITEMENT DES TUMEURS JGTt-DIGDULL11RES 599
bien franche ; par contre, il n'y a pas de transition brusque entre cette zone d'hypoes-
thésie légère et la région située au-dessus, où la sensibilité est tout à fait normale. Exa-
gération très notable des réflexes de défense qui se manifeste sous l'influence d'excita-
tions des téguments des membres inférieurs et de la partie sous-ombilicale de l'abdomen.
Des excitations semblables portant sur les téguments au-dessus de la région précé-
dente ne sont pas toujours suivies de mouvements réflexes ; mais, à maintes reprises,
il a été possible d'en provoquer par l'excitation du territoire cutané s'étendant jusqu'à
la sixième racine dorsale. Incontinence d'urine et de matières fécales. Légère excoria-
tion à la fesse.
Nous portons le diagnostic de compression par tumeur au niveau des cinquième et
sixième segments et nous proposons une laminectomie qui fut pratiquée par de Martel,
le 10 juillet.
Après l'ouverture du canal rachidien de la deuxième à la cinquième vertèbre dorsale,
on trouve la dure-mère tendue ; on l'incise et l'on constate la présence d'une tumeur
allongée, siégeant à droite, comprimant fortement la moelle sur une étendue de 2 à
3 centimètres avec des prolongements qui flottent librement dans l'espace sous-dural
en haut et en bas. Après l'extraction de la tumeur, on constate à droite une forte
dépression de la moelle.
Pendant les quatre semaines consécutives à l'intervention, l'état de la malade ne
s'améliora pas du tout ; il y eut au contraire une aggravation, consistant en une aug-
mentation de l'ulcération du sacrum, qui devint le siège de douleurs très vives. Vers la
fin de cette période, l'anesthésie toutefois subit une légère atténuation. La malade
repartit alors chez elle en province. D'après les nouvelles que nous donne le médecin
de la famille au commencement de décembre, nous apprenons que les mouvements
volontaires restent complètement abolis, que la contracture est toujours très forte, et
qu'il y a encore des spasmes involontaires ; mais ces spasmes seraient moins doulou-
reux ; l'ulcération de la région sacrée est cicatrisée et cette région n'est plus endolorie ;
la sensibilité cutanée a en partie reparu, surtout du côté gauche ; l'état général est bien
meilleur qu'avant l'opération ; il y a une augmentation de poids très appréciable. En
février 1920, la malade commence à exécuter quelques mouvements volontaires des
pieds. Puis, son état resta très longtemps stationnaire. D'une lettre -récente que m'a
adressée le Dr Séjournet, j'extrais le passage suivant : « L'état de la malade s'est consi-
dérablement amélioré depuis l'opération. La contracture a disparu sauf dans les adduc-
teurs où il y en a encore un peu. La motilité volontaire fait des progrès, très lents
à vrai dire, mais incontestables puisque aujourd'hui, étant assise, la malade peut
mettre sans aide ses jambes dans l'extension complète et les élever à 4o centimètres
du sol ; elle arrive aussi à les croiser l'une sur l'autre. Il ne faut pas oublier qu'il y
avait des rétractions périarticulaires qui ont été longtemps un obstacle à la mobilisa-
tion. Quanta la station et à la marche, elles sont encore impossibles sans aide et la
démarche est comparable à celle de certains asynergiques. Il se produit encore quelques
contractions spasmodiques et douloureuses dans les cuisses pendant les mouvements
provoqués ou spontanés. Somme toute, quand on a vu la malade il y a 4 ans, contrac-
turée en position foetale et souffrant au moindre attouchement, et qu'on la revoit
aujourd'hui assise dans un fauteuil et avec un état général parfait, on ne peut qu'ad-
mirer le résultat de l'opération. »
La lenteur de la régression et ce fait qu'elle n'est que partielle paraissent
dus à la longue durée et à l'intensité de la compression que traduisait
sans doute l'intensité de la paralysie spasmodique en flexion permanente.
600 THÉRAPEUTIQUE
Dans les autres cas, il s'agissait de paraplégies présentant les prin-
cipaux caractères de la paraplégie en flexion (motricité volontaire abolie
ou très affaiblie, réflexes de défense très forts, spasmes déterminant sou-
vent la triple flexion), mais ordinairement attitude en extension. Cette
forme qui, d'ailleurs sauf cette attitude, se distingue radicalement du tabes
dorsal spasmodique de Charcot et Erb, pourrait être appelée paraplégie
spasmodique, type extension-flexion. Elle paraît comporter un pronostic
moins sévère que la paraplégie en flexion permanente, laquelle correspond
à un stade plus avancé de l'affection. En effet, chez ces quatre malades,
la guérison complète et définitive a été obtenue.
Les observations de trois de ces malades, les plus anciens, ont déjà été
publiées. Il suffira donc de les résumer brièvement et de donner quelques
renseignements complémentaires, ce que je puis faire, n'ayant perdu de
vue aucun de ces sujets.
Dans un de ces trois cas (femme de 60 ans) qui, en France, a été le premier cas(')
que l'on ait publié de guérison de paraplégie par néoplasme comprimant la moelle,
l'opération a été faite par Lecène et a permis d'extraire une tumeur intra-dure-mérienne
siégeant à l'endroit'indiqué, au niveau des onzième et douzième segments dorsaux.
Elle a été suivie très rapidement de régression des troubles : 10 heures après l'inter-
vention la rétention d'urine avait cédé et les mouvements spasmodiques avaient cessé ;
le 3e jour, la malade pouvait déjà exécuter quelques mouvements, tandis que jusque-là
la paralysie avait été totale. Après plusieurs mois, la guérison des troubles, dont le
début remontait à 2 ans environ, a été complète. Elle s'est maintenue définitivement
et la mort survenue 10 ans après l'opération, en igar, a été la conséquence d'une
bronchopneumonie.
Dans un autre cas (2), observé et traité à peu près au même moment que le précé-
dent, on a eu affaire à un confrère de province, âgé de 58 ans, chez lequel on diagnos-
tiqua une tumeur siégeant au niveau des quatrième et cinquième segments dorsaux.
L'opération, faite par de Martel, décèle une tumeur siégeant à l'endroit indiqué et
qui est intra-dure-mérienne. Aggravation des accidents pendant quelque temps. Puis,
amélioration progressive et, environ 10 mois après l'intervention, le malade est
complètement rétabli. Cette guérison se maintient depuis près de 12 ans et, malgré
ses 7o ans, ce confrère se dit en mesure de monter dans les tramways en marche et
d'en descendre.
Une autre malade (3), chez laquelle le début des accidents semble très ancien, pré-
sente à la fin de 191 à l'époque où elle me consulte pour la première fois, une para-
plégie complète accompagnée des divers caractères de la paraplégie spasmodique, type
extension-flexion. A cause du grand écart entre le niveau de l'anesthésie et la limite
des réflexes de défense, nous portons le diagnostic probable de tumeur extra-dure-
mérienne. Lecène, qui opère la malade, trouve effectivement un néoplasme extra-dure-
mérien s'étendant, comme cela avait été supposé, de la troisième à la septième vertèbre
(') Tumeur méningée. Paraplégie crurale par compression de la moelle. Extraction de la tumeur.
Guérison, par J. Babinski, Lecène et Bourlot (Revue Neurologique, pr2, vol. XXIII, p. 1).
(2) Tumeur méningée de la région dorsale supérieure. Paraplégie crurale par compression do la
moelle. Extraction de la tumeur. Guérison, par J. Babinski, Th. de Martel et Jumentié (Revue Neuro-
logique, i g z, vol. ? X111, p. 64o).
(3) Paraplégie crurale par néoplasme extra-dure-mérien. Opération. Guérison, par J. Babinski,
P. Lecène, J. Jarkowski (Revue Neurologique, 1914, vol. XXVII, p. 801).
TRAITEMENT DES TUMEURS .Ill\1't-III : DULLaIRES Ho 1
dorsale. Au bout de quelques jours, il y a une légère amélioration portant surtout sur
l'état de la sensibilité, mais le premier mouvement volontaire sans aide n'apparaît que
10 mois après l'opération, et la guérison s'est fait attendre plus de a ans. Depuis 8 ans,
elle est complète. (Cette femme est présentée aux membres du Congrès.)
C'est probablement à cause de l'ancienneté de l'affection que la régres-
sion des troubles a été si lente.
Quant au 4e cas de paraplégie spasmodique, type extension-flexion,
lequel n'a pas été encore publié, en voici l'histoire :
Femme âgée de 3r ans qui, jusqu'en février 1918, a joui d'une bonne santé. A cette
époque apparaissent des douleurs en ceinture au-dessus de l'ombilic, à caractère lan-
cinant, parfois très violentes ; elles sont exagérées par la marche, les mouvements du
tronc. Un médecin, consulté à cette époque, attribua à une affection gastrique ces
douleurs, qui auraient constitué le seul trouble pendant plusieurs mois. Elles s'atté-
nuent alors et, en même temps, la malade commence à éprouver une sensation de
fatigue aux membres inférieurs après une marche un peu prolongée ; puis ce trouble
s'accentue. La faiblesse devient progressivement plus marquée et, à partir d'octobre,
la malade n'est plus en état de marcher sans aide.
A son entrée à la Pitié, en mars 19 19, voici ce que je constate : soutenue des deux
côtés, elle peut se déplacer, mais sa démarche est spasmodique ; notable exagération
des réflexes tendineux des deux côtés avec clonus du pied et danse de la rotule ; signe
des orteils bilatéral ; exagération des réflexes de défense, mais pas très forte ; la limite
de ces réflexes ne dépasse guère le pli de l'aine ; raideur musculaire peu prononcée.
La sensibilité à la température semble à certains moments un peu affaiblie aux membres
inférieurs et à la partie inférieure du tronc ; mais, à d'autres moments, elle paraît nor-
male et, en définitive, le trouble sensitif n'est pas nettement caractérisé. Les troubles
de la motilité continuent à s'accentuer, les troubles de la sensibilité deviennent mani-
festes ; et voici l'état que je constate vers la fin de juin :
Abolition complète de la motilité volontaire des membres inférieurs. Contracture
en extension. De temps en temps, pendant la nuit, mouvements spasmodiques invo-
lontaires déterminant une flexion modérée des divers segments des membres inférieurs.
Surréflectivité tendineuse et signe des orteils, comme précédemment. Exagération, d'in-
tensité modérée, des réflexes de défense, ayant pour limite supérieure le neuvième
segment dorsal. Troubles de sensibilité : aux membres inférieurs, sauf dans le terri-
toire des dernières racines sacrées, anesthésie aux différents modes à peu près complète.
Cette anesthésie occupe aussi le tronc jusqu'à Dg. Dans le territoire de D8, hypo-
esthésie se manifestant par des erreurs fréquentes commises par la malade dans l'ap-
préciation des divers excitants (froid pris pour du chaud, etc.). Dans le territoire de
D hypoesthésie légère sans erreur d'appréciation. Incontinence d'urine et des matières
fécales. Pas trace d'excoriation des téguments.
Je conseille une laminectomie qui est pratiquée le 15 juillet par de Martel. On trouve
une tumeur extra-durale bilobée, d'une longueur de 7 centimètres ('), s'étendant de la
cinquième apophyse dorsale jusqu'à la huitième ou à la neuvième. Cette tumeur, qui
recouvre une dure-mère paraissant tout à fait normale, est extraite aisément.
Le lendemain du jour de l'opération, la sensibilité a déjà reparu sur une grande
(') Il est à noter que la tumeur, épaisse au niveau du 8e segment qui était surtout comprimé, était
relativement mince dans le reste de sa longueur. C'est sans doute pour cela que le niveau des réflexes
de défense n'était séparé que d'un segment du niveau de l'anesthésie.
6o2 THÉRAPEUTIQUE
partie du territoire anesthésié ; le surlendemain, la malade est en mesure d'exécuter
quelques mouvements des orteils. La régression des troubles est très rapide ; avant
même la guérison de la plaie opératoire, l'anesthésie et les troubles vésicaux ont
disparu ; la malade peut exécuter tous les mouvements élémentaires des membres infé-
rieurs et il n'y a plus de mouvements spasmodiques involontaires. Quatre semaines
après l'intervention, on autorise la malade à se lever et on constate qu'elle peut se tenir
debout et faire quelques pas. Quelques semaines après, elle sort de l'hôpital ; elle
marche alors d'une manière normale et ne tarde pas à guérir complètement.
Chez cette malade, les troubles ont rétrocédé avec une rapidité tout à
fait remarquable ; cela tient sans doute à ce que l'opération a été prati-
quée à un moment particulièrement opportun, aussitôt que les troubles
de la sensibilité ont permis de faire une localisation précise et à un
moment où la moelle n'avait pas encore longtemps souffert de la compres-
sion exercée par la tumeur.
La guérison se maintient depuis cette époque, comme peuvent le consta-
ter les congressistes auxquels la malade est aussi présentée.
Ces cures sont d'autant plus intéressantes que les malades chez lesquels
elles ont été obtenues étaient atteints d'une affection qui, abandonnée à
elle-même, ne guérit jamais et amène la mort après des mois, des années
de souffrances. Il doit exister de tous côtés des malades de ce genre sus-
ceptibles d'être guéris ; il suffirait pour cela que leur bonne fortune les
mît en contact avec des médecins avertis. Il est donc important que l'atten-
tion des praticiens soit attirée sur ce point de neuropathologie.
V
SUR LE TRAITEMENT DE LA NÉVRALGIE FACIALE
PAR LES COURANTS VOLTAIQUES A INTENSITÉ ÉLEVÉE
fJ. Babinski ET I)ELIIER711.I |
(Présentation du malade.)
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du 7 juin 1906.
Le malade que nous présentons souffre depuis plusieurs années d'une
névralgie à forme grave, siégeant du côté droit du visage, pour
laquelle il a subi cinq interventions chirurgicales.
Ces opérations ont toutes été suivies de récidive, soit immédiatement,
soit au bout de quelques mois, et comme après l'ablation du ganglion de
Gasser et la sympathectomie, les chirurgiens avaient déclaré au malade
qu'il était impossible d'intervenir de nouveau, il est venu nous demander
conseil. Nous l'avons soumis à l'action des courants voltaïques à hautes
intensités, selon la méthode de Bergonié, et nous avons obtenu ainsi un
résultat remarquable.
Observation. - 1-1. C...., âgé de 52 ans, souffre depuis dix ans d'une névralgie
faciale droite.
La douleur, localisée au niveau d'une dent cariée du maxillaire inférieur, devint
rapidement très intense, et le malade se fit arracher la dent.
Cette avulsion ne donna aucun résultat, et quatre mois après, on réséqua le nerf den-
taire, ce qui soulagea le patient pendant environ trois mois.
La névralgie réapparut ensuite avec une intensité aussi grande qu'auparavant, et on
fut conduit à pratiquer à l'arrière de la branche montante du maxillaire inférieur une
troisième opération qui fut suivie d'une période de bien-être, dont la durée ne fut pas
supérieure à quatre mois.
Pendant l'année igo2-rgo3, C... fut électrisé sans succès, à l'Hôpital Lariboisière.
On fit usage de courants voltaïques de faible intensité ; le passage du courant était à
peine senti par le malade.
En igo4, on extirpa le ganglion de Gasser; cette opération fut suivie d'une année
6o4 THÉRAPEUTIQUE
de tranquillité, mais la douleur se réveilla ensuite ; elle fut perçue non seulement au
niveau du maxillaire inférieur, mais encore dans la région mallaire, avec maximum à
l'émergence du nerf sous-orbitaire.
On fit alors la sympathectomie, opération qui ne fut du reste suivie d'aucun soula-
gement.
Plusieurs chirurgiens furent encore successivement consultés par le malade dont
les douleurs n'étaient calmées par aucune médication ; tous conclurent qu'il était inutile
d'intervenir de nouveau.
C... se soumit alors à la Radiothérapie au début de rgo5, mais après six séances
qui, du reste, le calmèrent sensiblement, une radio-dermite survint qui obligea de
suspendre le traitement, une reprise des douleurs suivit immédiatement la cessation
des séances.
En avril igo5, C... vint nous demander conseil. Ses crises, caractérisées par une
violente sensation de déchirement, étaient presque subintrantes et provoquées par la
moindre tentative faite pour avaler la salive, pour parler ou pour manger. Le sommeil
était devenu impossible, et ce malade avait des idées de suicide.
Nous décidons de soumettre C... à l'action du courant continu à intensité élevée,
avec la technique suivante. Une large électrode de 18 centimètres carrés sur 24 fut
appliquée sur le dos, maintenue solidement et reliée au pôle négatif d'une source vol-
taïque. Le pôle positif, constitué par une plaquette de 10 centimètres carrés sur 12
recouverte d'une épaisse couche de peau de chamois et d'ouate, fut placée sur la région
malade et solidement fixée par des courroies, de telle manière que le contact avec les
téguments fût aussi intime que possible. Le coin de la lèvre et l'oeil étaient isolés de la
plaque par un morceau de carton. Au moyen d'un rhéostat, l'intensité fut lentement et
progressivement portée à 50 milli-ampères, maintenue à ce chiffre pendant trente minutes
environ et ramenée ensuite au zéro, progressivement et avec les mêmes précautions.
Tous les deux jours, on effectua un traitement analogue ; l'intensité, suivant les cir-
constances et la tolérance, du patient, varia entre 40 et 70 milli-ampères.
Dès la deuxième séance, C... fut un peu soulagé; à la sixième, les grandes crises
disparurent complètement. Après la neuvième, le malade, qui n'avait pu prononcer
son nom le premier jour du traitement, articulait les mots avec netteté et pouvait
prendre part à une conversation. La mastication et la déglutition ne provoquaient plus
de grandes crises et C... avait repris son travail.
On fit en tout cinquante séances jusqu'au mois d'août.
Les douleurs, très atténuées, n'avaient pourtant pas complètement disparu et se
manifestaient sous forme de petites crises ; aussi, en novembre, fit-on quelques appli-
cations de courant continu en plaçant le pôle positif directement sur la gencive infé-
rieure droite avec une intensité de quelques milli-ampères, et on ajouta à ce traitement
des bains statiques pour agir sur l'état général.
En janvier 1906, les petites crises étaient très espacées, mais le malade, absolument
hanté par le souvenir de ses grandes crises et par la crainte de les voir se reproduire,
alla à la Salpêtrière, pour se soumettre au traitement par l'injection de l'alcool, suivant
la méthode de Schloesser. L'opération fut faite par M. Lévy, qui nous a dit qu'il lui
avait été impossible de faire pénétrer profondément l'aiguille, à cause des modifications
anatomiques consécutives aux opérations antérieures, et que sa tentative avait échoué.
Depuis cette époque jusqu'à présent, l'état du malade ne s'est guère modifié.
En résumé, C... depuis le début du traitement électrique, c'est-à-dire
depuis plus d'un an, n'a pas eu de ces grandes crises qui lui rendaient
l'existence intolérable et l'avaient décidé à subir cinq opérations.
TRAITEMENT DE LA NÉVRALGIE FACIALE 6o5
Les petites crises tolérables qui se sont atténuées plus lentement ne se
produisent plus que tous les dix ou quinze jours. Comme conséquence
de cet état de bien-être, C... a engraissé de quatre kilogrammes, son état
général et son moral sont très satisfaisants ; il a repris son travail depuis
plus de neuf mois. Or, nous devons signaler que la profession qu'il exerce
est des plus fatigantes, car il est garçon de restaurant.
Le traitement par les courants voltaïques à hautes intensités nous a
donc donné dans ce cas un résultat au moins égal à celui qui a été obtenu
par l'ablation du ganglion de Gasser et de beaucoup supérieur à l'effet
de toutes les autres opérations.
Nous concluons de l'observation de ce fait que, même dans les cas les
plus graves de névralgie faciale ayant résisté à l'action des divers moyens
médicaux classiques dont on dispose, il est encore sage, avant d'inter-
venir chirurgicalement, d'essayer l'électrothérapie à haute intensité,
méthode inoffensive et parfois remarquablement efficace.
VI
CONTRACTURE GÉNÉRALISÉE
DUE A UNE COMPRESSION DE LA MOELLE CERVICALE
TRÈS AMÉLIORÉE A LA SUITE DE L'USAGE DES RAYONS X
if ., BABI1VSKI. .
Publié dans les bulletins et mémoires de la Société médicale des hôpitaux de Paris,
3o novembre igo6.
Le malade, D. H., âgé de quinze ans, que je présente à la société, a été, le 26 mars
t de cette année, tamponné et jeté à terre par une automobile. Il resta quelque
temps sans connaissance, revint bientôt à lui, en possession complète de ses
facultés intellectuelles, et constata alors qu'il lui était difficile de mouvoir la tête et
qu'il lui était impossible de remuer le membre supérieur et le membre inférieur
gauches ; le côté droit était normal au point de vue de la motilité, il était simplement
le siège de quelques fourmillements ; la face était également normale ; au cuir chevelu,
il y avait une petite plaie qui ne tarda pas il se cicatriser.
L'état de l'enfant, jusqu'à son entrée à l'hôpital de la Pitié, ne subit pas de modi-
fications appréciables, d'après les renseignements qui me furent donnés. Il me fut
adressé par mon ami le 1)' Hepp et fut admis dans mon service le 26 juin. Voici ce
que je constate alors :
Je suis frappé d'abord par l'attitude anormale de la tête qui est fortement fléchie
et que le petit malade ne peut redresser, de telle sorte qu'il est obligé, pour regarder
devant lui, de lever les yeux, ou plutôt l'oeil droit, car il est devenu borgne à gauche,
à la suite d'un autre accident survenu il y a plus d'un an ; la tête, outre qu'elle est
fléchie en avant, est inclinée sur l'épaule gauche ; la colonne cervicale est comme
ankylosée, et, de même que l'extension, les mouvements de rotation de la tète sont
impossibles.
La face ne présente pas de troubles de motilité, et l'intelligence parait tout à fait
normale.
Le membre inférieur gauche est contracture en extension et en adduction ; les mou-
vements volontaires des divers segments du membre sont très limités ; les mouve-
ments passifs sont un peu plus étendus, mais il est à remarquer que la force musculaire
est encore assez grande, car le malade peut, en faisant des efforts, s'opposer aux
mouvements passifs ; les réflexes tendineux sont très forts ; il y a de la trépidation
CONTRACTURE GÉNÉRALISÉE 607
épileptoïde parfaite, le signe du gros orteil, le signe de l'éventail et une tendance aux
mouvements athétosiques des orteils.
Le membre supérieur gauche présente aussi des troubles de motilité très pro-
noncés ; les mouvements volontaires sont aussi très limités, mais les mouvements
passifs sont, au contraire, assez étendus, et l'on note une association d'amyotrophie
et de légère rigidité ; plusieurs muscles, le deltoïde en particulier, présentent les
caractères de la D. R. partielle (la feuille sur laquelle ont été consignés les résultats
de l'examen électrique ayant été égarée, je ne suis pas en mesure de donner à cet
égard des renseignements plus précis) ; le réflexe du triceps brachial est aboli ; la
percussion de l'extrémité inférieure du radius ne provoque pas, comme à l'état normal,
et ainsi que cela a lieu du côté opposé, la flexion de l'avant-bras sur le bras ; la per-
cussion des tendons fléchisseurs du poignet est suivie d'une flexion assez vive de la
main sur l'avant-bras.
Il n'y a pas de troubles de sensibilité à gauche.
A droite, il n'y a pas de troubles de motilité, mais, au membre supérieur et au
membre inférieur, la sensibilité thermique, particulièrement la sensibilité au froid,
est un peu moins vive qu'à gauche ; les autres modes de sensibilité ne sont pas
atteints. '
La main droite est manifestement moins chaude que la main gauche.
Il n'y a pas de troubles sphinctériens, pas de troubles trophiques à la peau, pas
de fièvre.
Dans le courant du mois de juin apparaissent des troubles de motilité dans le
membre inférieur droit, qui se raidit un peu et que le malade ne peut plus faire fonc-
tionner avec aisance, mais l'épilepsie spinale fait défaut et le réflexe cutané plantaire
est normal.
Pendant les mois de vacances (août et septembre) je perds de vue le malade.
J'apprends à la rentrée, au commencement d'octobre, que petit à petit le membre
inférieur droit s'est complètement contracturé, que la rigidité a atteint ensuite le
membre supérieur droit, que le côté gauche est resté à peu près dans le môme état,
que des troubles sphinctériens sont venus s'associer aux phénomènes précédents et
que les troubles de sensibité seuls ont disparu.
Voici ce que je constate :
L'enfant est obligé de garder le lit; il est, pour ainsi dire, complètement impotent ;
en permanence dans la position horizontale, incapable de se mettre sur son séant, de
mouvoir la tête, les membres inférieurs et les membres supérieurs, ou du moins les
mouvements qu'il peut exécuter sont excessivement limités et inutilisables ; il est
obligé de demander l'assistance des voisins pour les moindres actes de la vie ; ne
pouvant porter ses mains à sa bouche, il a besoin, à ses repas, d'un infirmier qui lui
donne à manger. Les membres inférieurs sont étendus, en adduction, serrés l'un
contre l'autre, fortement contractures. Il arrive spontanément à fléchir un peu la
jambe sur la cuisse, mais ce mouvement se fait très lentement. Il est possible de
faire exécuter aux divers segments des membres inférieurs quelques mouvements
passifs, mais ceux-ci sont très limités. D'autre part le malade qui paraît bien plus
contracturé que paralysé, est en mesure de s'opposer aux mouvements passifs, de
temps en temps, les jambes se fléchissent involontaires sur les cuisses. Des deux
côtés, trépidation épileptoïde parfaite, extension réflexe du gros orteil et signe de
l'éventail. Les réflexes tendineux et les réflexes osseux du membre supérieur droit
sont exagérés. Au membre supérieur gauche, l'état des réflexes est semblable à ce
qu'il était il y a trois mois ; il en est à peu près de môme de l'amyotrophie et de
la raideur.
6o8 THÉRAPEUTIQUE
Les troubles de la sensibilité font défaut.
La thermoasymétrie précédemment signalée persiste.
L'enfant laisse de temps en temps échapper involontairement son urine et ses
matières fécales.
En raison de la possibilité d'une fracture ou d'une luxation vertébrale et en vue
d'une intervention chirurgicale pouvant être indiquée, je fais faire par le Dr Delherm,
dans mon laboratoire radiographique, un examen de la colonne cervicale.
Une première radiographie pratiquée le 9 octobre donne un résultat très imparfait
à cause des difficultés opératoires provenant de l'attitude vicieuse de la tête ; quelques
jours après, on fait une deuxième radiographie qui n'est, du reste, pas plus nette que
la première. Mais une semaine environ après la première radiographie, je m'aperçois
en examinant de nouveau l'enfant que son état s'est sensiblement amélioré ; son cou
est beaucoup moins raide, il est en mesure d'étendre et de faire tourner un peu la
tête, les mouvements de son membre supérieur droit sont améliorés au point qu'il
peut manger sans aide. Je me demande alors si les rayons X n'ont pas exercé une
action thérapeutique et je fais soumettre le malade d'une manière systématique à cet
agent. Voici le résumé des opérations pratiquées par M. Delherm, du 9 octobre au
20 novembre. On a fait 8 radiographies de la région cervicale, dont 3 ont été prises
le patient étant couché sur le dos, 3 dans la position latérale et 2 dans la position
intermédiaire aux deux précédentes ; la durée moyenne des poses a été quatre
minutes ; la distance de l'ampoule à la plaque, 45 centimètres ; celle de l'ampoule aux
téguments, 32 centimètres ; l'ampoule était actionnée avec 4 ampères 1/2 ; étincelle
équivalente au spintermètre de Béclère, 6 à 8 centimètres. On a pratiqué un examen
radioscopique pendant lequel la région cervicale a été irradiée sur toutes ses faces ;
les téguments ont été placés à quelques centimètres seulement de l'ampoule ; l'examen
a duré de dix à quinze minutes, l'ampoule fonctionnant d'après les constantes données
plus haut. Enfin, il y a eu deux séances de radiothérapie pure ; dans l'une, la face
postérieure du cou a été irradiée pendant cinq minutes, dans l'autre, pendant dix
minutes ; l'ampoule était placée de telle sorte que les téguments étaient à 15 centi-
mètres environ de l'anticathode. En résumé, la région cervicale a été exposée du
9 octobre au 20 novembre à onze séances de rayons X, dont la durée totale est d'en-
viron une heure, avec des rayons moyennement pénétrants ; environ dix 1-1 ont été
absorbés. Ajoutons que les derniers clichés radiographiques, bien réussis, n'ont décelé
aucune lésion appréciable des vertèbres.
Depuis le jour où l'amélioration a été constatée pour la première fois, les troubles
ont continué sans cesse à s'atténuer et ils ont rétrogradé avec une rapidité remar-
quable. Avant la fin d'octobre, le malade peut déjà se mettre sur son séant, il remue
assez facilement les membres inférieurs dans son lit, et les fonctions de la vessie ainsi
due celles du rectum s'effectuent normalement.
Le 14 novembre, le membre supérieur droit est revenu à peu près à la normale, le
malade peut se tenir debout avec l'aide de quelqu'un, mais les deux jambes sont
croisées l'une sur l'autre.
Le 20 novembre, il peut, soutenu par un infirmier, faire quelques pas, mais les
jambes se croisent l'une l'autre pendant la marche.
Le 25 novembre, il fait quelques pas sans appui et les jambes ne se croisent plus.
Enfin, aujourd'hui, 3o novembre, le malade peut franchir une distance de plus de
vingt mètres, il est même capable de changer de direction, de tourner sur lui-même,
sans le secours de personne; la marche est encore chancelante et maladroite. Le
membre inférieur droit fonctionne mieux que le gauche; le membre supérieur droit
est tout à fait normal; le membre supérieur gauche est celui où l'amélioration a été le
CONTRACTURE GÉNÉRALISÉE 6og
moins marquée ; elle est pourtant incontestable. Les réflexes tendineux des membres
inférieurs sont forts ; il y a encore de la trépidation épileptoïde, de l'extension et de
l'adduction réflexes des orteils. Les réflexes tendineux du membre supérieur droit
sont forts ; la percussion du radius ne provoque pas de flexion de l'avant-bras sur
le bras; il n'y a pas de D. R., mais le deltoïde, le biceps et les extenseurs du
membre supérieur gauche présentent un léger degré d'hypoexcital)ilité voltaïque et
faradique ; il en est de même du groupe antéro-externe de la jambe gauche. L'asymétrie
thermique persiste.
En résumé, un sujet, après un grand traumatisme, est atteint de
troubles de motilité qui atteignent d'abord exclusivement les membres
supérieurs et inférieurs du côté gauche, ainsi que le cou, en s'associant
à un peu de thermoanesthésie du côté opposé et à de la thermoasymétrie;
les troubles de motilité envahissent ensuite tout le tronc, ainsi que le
côté droit du corps et s'accompagnent d'une perturbation sphinctérienne.
Les troubles de sensibilité disparaissent spontanément, mais les troubles
de motilité s'accentuent progressivement, et six mois après leur début,
on constate une contracture généralisée au cou, au tronc et aux quatre
membres, rendant le malade absolument impotent, incapable de mouvoir
ses jambes, de se mettre sur son séant, de tourner la tête, de porter ses
aliments à la bouche.
L'état des réflexes tendineux et des réflexes cutanés, l'amyotrophie du
membre supérieur gauche, la thermoasymétrie et la thermoanesthésie
permettent d'affirmer l'existence d'une affection organique de la moelle
cervicale. D'autre part, les conditions dans lesquelles les symptômes se
sont développés et leur mode d'évolution semblent montrer que les
troubles sont sous la dépendance d'une compression de la moelle par un
épanchement sanguin associé peut-être à de la pachyméningite. Vraisem-
blablement l'hémiplégie du début est liée à un épanchement sanguin et
il est permis de supposer que les phénomènes qui se sont développés à
partir du troisième mois sont sous la dépendance d'un nouvel épan-
chement ou d'une pachyméningite ; mais à cet égard, on ne peut pas
porter de pronostic. Il est impossible aussi de dire si les faisceaux pyra-
midaux sont dégénérés ou simplement comprimés, le signe des orteils
décelant seulement une perturbation et non pas nécessairement une
dégénération de ces faisceaux. En ce qui concerne l'amyotrophie, elle
a été causée probablement par une altération des racines motrices.
Les troubles de motilité, qui pendant six mois n'ont fait que s'accentuer,
s'atténuent sensiblement quelques jours après que l'on a commencé à
faire agir les rayons X sur la région cervicale. Huit jours environ après
la première séance radiographique, le membre supérieur droit peut se
mouvoir suffisamment pour que le malade soit en mesure de porter les
aliments à sa bouche. Le malade est soumis alors systématiquement à
des pratiques de radiothérapie.
Son état continue à s'améliorer rapidement : la contraction cède pro-
gressivement dans les diverses parties du corps, et aujourd'hui quarante-
cinq jours après que les rayons ont été employés pour la première fois,
131ltiNsri. 3g
60 THÉRAPEUTIQUE
le malade a recouvré intégralement l'usage du membre supérieur droit et
en partie celui du membre supérieur gauche; il remue la tête et le tronc
avec assez d'aisance, il est capable de franchir sans se reposer une distance
d'une vingtaine de mètres; la marche, il est vrai, est lente, pénible, et
l'état des réflexes dénote la persistance d'une perturbation du système
pyramidal.
Y a-t-il uniquement coïncidence fortuite de l'usage des rayons X et de
l'amélioration, ou bien existe-t-il entre ces deux termes une relation de
cause à effet ? C'est là que gît tout l'intérêt de cette observation, simple-
ment curieuse dans la première hypothèse, d'une grande importance pra-
tique si la deuxième hypothèse se vérifiait. La question ne peut être
résolue pour le moment, mais en faveur de l'idée que les rayons X ont
ont joué un rôle thérapeutique, on peut faire valoir que l'état du malade
qui, jusqu'alors n'avait fait qu'empirer, a commencé à s'améliorer après
les deux premières radiographies, et que cette amélioration a été insolite
par sa rapidité. Je ne me rappelle pas avoir vu des troubles de motilité
liés à une compression spinale et ayant atteint un semblable degré d'in-
tensité se modifier d'une pareille façon. Je suis porté à penser que les
rayons X ont exercé sur l'épanchement hémorragique ou sur la pachymé-
ningite présumée une action résolutive.
J'ai observé, il y a quatre ans, une malade dont l'histoire, rapprochée
de celle que je viens de relater, a une certaine valeur. Il s'agit d'une
personne d'une soixantaine d'années, atteinte selon toute vraisemblance
de pachyméningite pottique, se manifestant par des douleurs en ceinture,
de la parésie des membres inférieurs avec épilepsie spinale, signe des
orteils et une légère déformation de la colonne vertébrale dans la région
dorsale. Les troubles très tenaces jusque-là ont commencé à s'améliorer
quelques temps après que la malade eut été soumise à deux séances de
radiographie. J'ai appris qu'examinée plus tard par un médecin étranger,
elle ne présentait plus aucune trace d'affection spinale et je sais qu'au-
jourd'hui elle est en parfaite santé. N'y aurait-il pas eu, là aussi, une
action thérapeutique ?
Il me semble que ces observations méritent au moins d'être le point de
départ de recherches systématiques destinées à vérifier l'hypothèque que
j'émets.
SPONDYLOSE ET DOULEURS NÉVRALGIQUES TRÈS ATTÉNUÉES
A LA SUITE DE PRATIQUES /}D/07'E ? ES(')
Le malade que je présente est atteint depuis sept ans de douleurs articulaires et de
douleurs névralgiques. De tgot à igo5, il a souffert, dit-il, principalement d'une
douleur sciatique gauche qui a disparu pendant quelque temps, consécutivement à
deux cures hydro-minérales à Bourhon-Lancy.
(') J. Babinski, Société de Neurologie du 5 mars igo8.
SPONDYLOSE ET DOULEURS NÉVRALGIQUES 611
Depuis plus de deux ans, ces troubles se sont reproduits en devenant plus étendus
et plus intenses qu'autrefois. Quand le malade est venu me consulter pour la première
fois il se plaignait de souffrir des chevilles, des genoux, des hanches, de la colonne
vertébrale et d'éprouver de très vives douleurs sur le trajet des deux sciatiques, son
tronc était fléchi et sa colonne vertébrale rigide, les mouvements actifs et passifs de
flexion, d'abduction et de rotation de la cuisse sur le bassin s'opéraient des deux
côtés beaucoup moins bien qu'à l'état normal. Les réflexes tendineux étaient normaux.
Il y avait deux ans que le malade ne pouvait plus marcher qu'en s'aidant de deux
cannes ; ce n'était d'ailleurs qu'à grand peine et au prix de vives souffrances qu'il
était en mesure de faire quelques pas. Il avait été soumis à l'usage de médicaments
divers, du salicylate de soude, en particulier, sans aucun résultat.
Sur ma demande, le Dr Delherm soumit le malade à la radiothérapie. Le traitement
commencé le 7 octobre 1907 fut achevé le 24 février igo8. Durant cette période on
effectua 22 séances d'une durée moyenne de 10 minutes chacune sur la région verté-
brale qui a été divisée en deux zones.
L'ampoule était réglée de telle sorte que chaque zone a reçu environ 15 unités H.
Les rayons étaient très pénétrants.
Dès la deuxième séance les douleurs s'atténuèrent ; après la huitième, le malade
pouvait marcher sans cannes et sa taille s'était redressée.
A partir de ce moment, les progrès ne cessèrent pas de s'affirmer et à chaque série
de séances correspondait une amélioration nette.
Actuellement la rigidité de la colonne vertébrale et les troubles observés aux arti-
culations coxo-fémorales subsistent, mais la flexion du tronc est beaucoup moins
prononcée ; les douleurs sur le trajet des nerfs sciatiques ont disparu ; le malade
marche sans se servir de cannes et il est en mesure de franchir une distance d'un
kilomètre sans difficulté et sans souffrance.
Y a-t-il entre la radiothérapie d'une part, la spondylose et les douleurs névralgiques
liées vraisemblablement à cette spondylose une relation de cause à effet ? Je ne suis
pas en droit de l'affirmer mais je suis porté à le croire, et j'ai pensé que ce fait
méritait d'être rapporté.
VII
DE LA RADIOTHÉRAPIE DANS LES PARALYSIES
SPASMODIQUES SPINALES
IJ. Babinski.]
Publié dans les Bulletins et Mémoires de la Société des Hôpitaux,
. séance du 1 el' mars igoy.
Ai rapporté, en novembre dernier('), l'observation d'un enfant de
t quinze ans atteint, consécutivement à un accident d'automobile,
d'une contracture généralisée au cou, au tronc, ainsi qu'aux quatre
membres, et due vraisemblablement à une compression de la moelle cer-
vicale par un épanchement ou une pachyméningite.
La radiothérapie mise en oeuvre six mois après le début de l'affection
et appliquée sur la région cervicale avait été suivie rapidement d'une
amélioration notable. Le malade, lorsque je l'ai présenté à la Société six
semaines après le début du traitement, était déjà en mesure de faire
quelques pas. L'affection a continué à s'atténuer et les progrès ont été
rapides. Depuis deux mois, la contracture du cou, du tronc et du côté
droit du corps a complètement disparu ; de ce côté l'épilepsie spinale
n'existe plus, et au phénomène des orteils a succédé un réflexe plantaire
normal ; à gauche, il y a eu de l'amélioration, mais la guérison n'a pas
été obtenue ; on constate encore un peu de rigidité, de l'amyotrophie au
membre supérieur, des réflexes tendineux exagérés et de l'extension
réflexe du gros orteil. Il est vraisemblable que la différence entre les deux
côtés tient à ce qu'à gauche, ou les troubles de motilité ont été exclusive-
ment localisés pendant les deux premiers mois de la maladie, il y a une
lésion destructive et que le faisceau pyramidal a subi une altération suivie
de dégénérescence secondaire, tandis qu'à droite, l'apparition de la
contracture n'a été que tardive, il n'y a eu que de la compression et
(') Voir : Contracture généralisée duc à une compression de la moelle cervicale, très améliorée à
la suite de l'usage des rayons X, par J. Babinski (Société médicale des Hôpitaux de Paris, séance du
3o novembre igo6).
RADIOTHÉRAPIE DANS LES PARALYSIES SPASMODIQUES S Giâ
le faisceau pyramidal n'est pas dégénéré. Quoi qu'il en soit, cet enfant, que
je soumets de nouveau à l'examen de la Société, marche aujourd'hui
d'une façon presque normale ; il est même en mesure de courir. Tout en fai-
sant des réserves sur l'interprétation de ce fait, j'avais émis l'hypothèse
que les rayons X avaient joué là un rôle thérapeutique.
J'avais relaté encore un cas de mal de Pott sur lequel les rayons X
avaient paru exercer une influence heureuse, et je disais que ces obser-
vations méritaient d'être le point de départ de recherches systématiques.
Avant d'aller plus loin, je dois dire, pour réparer une omission involon-
taire, que M. Raymond, d'une part, M. Gramegna, de l'autre, ont rapporté
chacun, quelque temps avant la date de ma communication, une observa-
tion de syringomyélie avec atrophie traitée par la radiothérapie ; chez ces
deux malades l'atrophie s'est atténuée à la suite du traitement (').
Ces faits, dont je n'ai eu connaissance que récemment, ne sont d'ail-
leurs pas semblables aux miens.
Je présente maintenant un autre sujet atteint de paralysie spasmodique
d'origine spinale, que j'ai soumis à la radiothérapie. Voici son his-
toire :
Femme âgée actuellement de trente-deux ans, exerçant la profession de modiste.
Affirme n'avoir pas eu la syphilis. Parait bien pondérée au point de vue mental et
n'aurait jamais eu de troubles névropathiques. En 19°2, en raison de l'existence d'un
corps fibreux et d'une salpingite, elle subit une laparatomie suivie de l'ablation de
l'utérus, des trompes et des ovaires. Il semble bien, d'après les renseignements qui
nous ont été fournis, qu'il n'y avait pas, dans la cavité pelvienne, de néoplasme
susceptible de généralisation.
De 1902 à la fin de ego5, santé excellente.
En janvier 1906, sans cause apparente, la malade commence à éprouver des four-
millements dans le pied droit d'abord, puis dans le pied gauche et de la faiblesse des
membres inférieurs, plus prononcée à droite qu'à gauche. Ces troubles, d'abord très
légers, vont en s'accentuant progressivement.
La malade consulte un médecin qui pratique sur elle trente injections quotidiennes
de biiodure d'hydrargyre. L'état continue sans cesse à s'aggraver et dans le courant
du mois de mars la paralysie des membres inférieurs devient complète.
Elle est admise dans mon service à l'hôpital de la Pitié à la fin de mars et voici ce
que je constate alors.
Les membres inférieurs sont absolument privés de tout mouvement volontaire. Ils
sont contracturés, en adduction, les jambes en extension sur la cuisse, les pieds en
extension sur les jambes et il est difficile de modifier mécaniquement cette attitude,
en raison de l'intensité habituelle de la raideur musculaire. Par l'électrisation fara-
dique des membres inférieurs, principalement à la face interne de la cuisse et de la
jambe ganches, on détermine des mouvements spasmodiques réflexes ; la cuisse se
fléchit sur le bassin et le talon se détache du lit. Ces mouvements involontaires
peuvent aussi se développer spontanément et entravent parfois le sommeil. La malade
reste constamment étendue sur le dos, incapable qu'elle est de tourner le tronc d'un
côté ou de l'autre, ou de se mettre sur son séant. La partie supérieure du tronc, les
(') Voir : Rivista critica di clinica medica, anno VII, n° 45, igo6, Firenze.
6r4 THÉRAPEUTIQUE
membres supérieurs, le cou et la face sont, en ce qui concerne la motilité, comme
d'ailleurs à tous les autres points de vue, dans un état normal. L'examen des réflexes
rotuliens n'est pas aisé, à cause du degré élevé de la contracture, mais à certains
moments quand, ainsi que cela arrive, la rigidité diminue un peu, on constate que la
percussion du tendon du triceps crural provoque une réaction extrêmement forte
suivie d'une augmentation de la contracture.
Des deux côtés épilepsie spinale parfaite, extension réflexe du gros orteil très
accentuée et signe de l'éventail. Le réflexe cutané abdominal est conservé ; il en est
de même du réflexe anal. Il n'y a pas et il n'y a jamais eu de douleurs, mais il y a des
troubles anesthésiques qui occupent les membres inférieurs, remontent un peu au-
dessus du pli de l'aine, sont surtout prononcés à l'extrémité des membres inférieurs,
s'atténuent de bas en haut, sont plus marqués à gauche qu'à droite, c'est-à-dire du
côté où les troubles de motilité ont été les moins marqués au début et, à la cuisse,
sont plus accentués en avant qu'en arrière. Cette anesthésie n'est, du reste, complète
en aucun point ; elle atteint les divers modes de sensibilité, mais surtout la sensibi-
lité à la température ; le froid et le chaud sont très mal perçus, particulièrement à
l'extrémité inférieure de la jambe gauche. Il n'y a pas de troubles trophiques cutanés.
Pas de troubles rectaux. La vessie fonctionne à peu près bien ; toutefois la malade
est obligée de satisfaire immédiatement ses besoins d'uriner. La colonne vertébrale a
un aspect normal, ne présente aucune gibbosité et n'est douloureuse à la pression en
aucun point. On pratique une ponction lombaire qui donne issue à un liquide clair ;
l'examen cytologique décèle une légère lymphocytose.
La malade est soumise de nouveau à un traitement hydrargyrique consistant en
frictions quotidiennes à l'onguent napolitain à la dose de 4 grammes par jour. Cette
cure est continuée pendant une période de six semaines, c'est-à-dire jusque vers le
milieu du mois de mai. L'état de la malade ne se modifie pas. Il faut noter seulement
que les troubles vésicaux, qui d'ailleurs étaient très légers, n'ont duré que huit à
dix jours.
A partir de la fin de juin on prescrit de l'iodure de potassium à la dose de
6 grammes par jour, que la malade n'a cessé de prendre depuis.
Jusqu'au commencement d'octobre il n'y a aucun changement : la paralysie reste
complète.
Le 2 octobre on observe quelques mouvements volontaires des orteils du côté
gauche. D'autre part on constate sur une étendue notable de la jambe gauche une ulcé-
ration produite par une brûlure que la malade affirme n'avoir pas sentie.
Du 2 octobre au g octobre aucune modification nouvelle ; à cette dernière date les
orteils du côté gauche exécutent seuls quelques mouvements volontaires qui ne sont
pas plus accentués jusqu'au 2 octobre.
A partir du g octobre la malade est soumise, dans mon laboratoire radiologique('),
à l'action des rayons X sous la direction du 1)' Charpentier qui opère de la manière
suivante. La malade est couchée sur le ventre ; une plaque de plomb mince protège
les cheveux et la région cervicale. L'ampoule Millier, réglable, donnant des rayons
assez pénétrants, est située à 20 centimètres de la peau (distance prise de l'anti-
cathode). Au préalable une pastille Sabouraud-Noiré a fixé pour l'ampoule le temps
d'exposition maximum correspondant à une dose de 5 unités H. Dans le cas particulier,
la pastille virait en trente-cinq minutes. Le cône des rayons X actifs venait frapper
la malade suivant un cercle coupant en haut la 3e vertèbre dorsale environ et en bas
(') Le laboratoire radiologique de mon service à la Pitié a pu être fondé grâce à la libéralité de
D1"e Meynard, qui consacre sa fortune à des oeuvres philanthropiques.
RADIOTHÉRAPIE DANS. LES PARALYSIES SPASMODIQUES (il;)
la 2e lombaire. D'ailleurs à chaque nouvelle série l'opérateur plaçait l'ampoule plus
haut ou plus bas de manière à inonder de rayons, non seulement la plus grande partie
des tissus déjà traités, mais encore une région nouvelle pour que toute la moelle
dorsale et lombaire puisse être atteinte par des rayons pénétrants. Une première
dose de 3 H a été répartie en trois séances pour tâter la susceptibilité de la peau.
Dix-sept jours après, une deuxième série comprit cinq séances représentant une dose
de 4 Il. La troisième série fit absorber 3 H en trois séances et une quatrième série,
commencée le 22 janvier, se composa de quatre séances pour une dose de 4 H
environ. En tenant compte de la déperdition sur le chiffre théorique on est en droit
d'admettre que cette malade a reçu une dose de 12 H environ sur la région dorso-
lombaire.
Le 27 novembre, c'est-à-dire un peu moins d'un mois après que la radiothérapie
a été commencée, on constate une amélioration très nette dans l'état de la malade qui
est devenue capable de fléchir légèrement la cuisse gauche, de détacher ainsi le talon
du lit et d'exécuter un petit mouvement de flexion de la jambe sur la cuisse ; les troubles
de sensibilité se sont aussi atténnés, surtout à droite.
A partir de ce moment l'amélioration se poursuit d'une manière progressive.
Au commencement de décembre la raideur du membre inférieur gauche a diminué
au point qu'on peut faire exécuter facilement aux divers segments du membre infé-
rieur gauche des mouvements passifs ; la malade peut se déplacer dans son lit et
tourne son corps à gauche et à droite ; le membre inférieur droit est toujours très
contracture.
Au commencement de janvier 1907, du côté gauche, les mouvements volontaires
de la cuisse sur le bassin, de la jambe sur la cuisse et du pied sur la jambe sont très
étendus, quoique encore laborieux. A droite la malade peut fléchir un peu la cuisse
sur le bassin, mais elle est encore incapable de fléchir la jambe sur la cuisse ; la
raideur a beaucoup diminué.
A la fin de janvier, les progrès sont encore beaucoup plus marqués des deux côtés.
Dans les premiers jours de février la malade se lève de son lit et, un peu soutenue
par deux personnes, elle peut se tenir debout, mais elle est incapable de marcher.
Quelques jours après, maintenue, comme nous venons de le dire, elle fait
quelques pas.
Actuellement elle peut rester debout quelques instants sans aucune aide ; elle est
de plus capable de franchir une distance de 20 à 3o mètres, en se plaçant entre deux
chaises qu'elle tient par le dossier et qui lui servent d'appui. Le membre inférieur
droit est encore bien plus faible que la gauche. J'ajoute que la démarche n'est pas celle
de la paralysie spasmodique commune, car la pointe du pied se soulève bien à chaque
pas et ne frotte pas contre le sol.
Les troubles de sensibilité se sont très notablement atténués, ils n'existent plus
qu'à gauche et sont peu prononcés. L'exagération des réflexes rotuliens, l'épilepsie
spinale et le signe des orteils sont toujours présents.
Il est incontestable qu'il s'agit d'une affection organique de la moelle
atteignant particulièrement le système pyramidal ; ce diagnostic est fondé
sur l'exagération des réflexes rotuliens, l'épilepsie spinale parfaite, le
signe des orteils. La lymphocytose, quoique légère, dénote une irritation
méningée. La prédominance des troubles paralytiques à droite et des
troubles de sensibilité à gauche (syndrome de Brown-Séquard) semble
montrer que la lésion spinale est plus marquée du côté droit.
616 THÉRAPEUTIQUE
Il est permis de se demander si les troubles fonctionnels sont exclusi-
vement sous la dépendance de l'affection organique, ou s'ils ne sont pas
dus, pour une part plus ou moins grande, à de l'hystérie associée. A la
vérité rien n'autorise à rejeter catégoriquement cette dernière hypothèse
qui d'ailleurs peut être émise dans la plupart des affections organiques,
mais elle me paraît peu probable ; en effet, la malade n'a jamais présenté
aucune manifestation hystérique, elle semble tout à fait normale au point
de vue psychique et il n'y a eu dans l'évolution de l'affection aucune de
ces bizarreries propres à l'hystérie.
A quelle affection organique avons-nous affaire ?
Il n'y a aucune raison de songer à un mal de Pott, car la colonne ver-
tébrale est en parfait état.
Je ne crois pas non plus que la syphilis soit en cause. Outre les décla-
rations de la malade, nous pouvons invoquer en faveur de notre opinion
l'inefficacité d'un traitement mercuriel intensif, et ce fait que la lympho-
cytose, d'habitude très intense dans la syphilis du système central en voie
d'évolution, n'était dans ce cas que légère.
Il est probable que les lésions ne sont ici que peu destructives ou
qu'elles ne le sont pas ; à l'appui de cette idée, je rappellerai qu'il n'y a
pas eu de troubles trophiques cutanés, que les fonctions vésicales n'ont
subi qu'une perturbation très légère et de très courte durée, et que la
contracture a été extrêmement intense.
Plaque de sclérose ou tumeur comprimant la moelle, telles sont les
hypothèses les plus acceptables selon moi.
A quoi faut-il attribuer l'amélioration ? S'est-elle opérée en quelque
sorte spontanément, sous l'influence du repos et indépendamment du
traitement institué ?
Dans le mal de Pott les choses se passent parfois ainsi, mais comme je
l'ai dit, il ne peut être question ici de mal de Pott.
En réalité, en dehors du mal de Pott et de la syphilis, on n'observe
guère de paralysie spasmodique qui, après avoir atteint un pareil degré
d'intensité et après avoir duré si longtemps sans se modifier, s'améliore
ainsi avec une pareille rapidité.
Sans être en mesure de l'affirmer, j'ai une grande tendance à penser
que les rayons X ont exercé une action curative.
Cette idée, qui s'appuie en partie sur les faits précédemment relatés où
la radiothérapie a semblé aussi être très efficace, me semble surtout
facile à admettre si l'on accepte, au moins à titre d'hypothèse vraisem-
blable, le diagnostic de tumeur, de sarcome intrarachidien.
VI 11
RADIOTHÉRAPIE DE LA SCIATIQUE
IB1111NSKf. Charpentier, Delherm. |
Publié dans les comptes rendus de la Société de Neurologie de Paris,
séance du G avril r 1 1 -
En igo8, l'un de nous publia un cas de « spondylose et douleurs
névralgiques très atténuées à la suite de pratiques radiothéra-
piques » ('). Il s'agissait d'un homme qui souffrait des chevilles,
des genoux, des hanches, de la colonne vertébrale et éprouvait de très
vives douleurs sur le trajet des deux nerfs sciatiques. Son tronc était flé-
chi et sa colonne vertébrale rigide ; ce malade pouvait à peine marcher
en s'aidant de deux cannes. Après quelques séances de radiothérapie, les
douleurs disparurent et le malade put franchir, sans canne, une distance
d'un kilomètre, sans difficultés ni douleurs.
Nous apportons aujourd'hui la relation de 4 cas de sciatique-névrite qui,
d'abord traités sans succès par les méthodes habituelles, ont définitivement
guéri à la suite de quelques séances de radiothérapie. Nous sommes portés
à croire qu'entre la disparition des symptômes et l'exposition de la région
lombo-sacrée aux rayons X, il y a mieux qu'une coïncidence, un rapport
de cause à effet.
Observation I. - inti. Bl... exerce à Versailles la profession de laitier.
En fin septembre 1904, la maladie débute du côté droit, par des douleurs vives
sur le trajet du nerf sciatique. Le malade est mis au repos absolu pendant 2 mois et
on lui fait prendre des cachets de salicylate de soude. Après deux mois, une sensible
amélioration se produit, mais la guérison ne fut pas complète et la moindre fatigue
ramenait des douleurs assez violentes.
En juillet igo6, le malade, qui n'était jamais revenu à l'état normal, se trouva pris
d'une crise aiguë.
La fesse, la cuisse, le mollet droits, sont le siège de douleurs très vives. Le
(') Babinski, in Revue Neurologique, 1908, p. 262.
618 . THÉRAPEUTIQUE
malade est encore obligé de garder le lit pendant deux mois. Le traitement consiste
en pointes de feu sur le trajet du sciatique, siphonages et frictions alcoolisées.
Une amélioration se produisit; mais quand le malade recommença à travailler, la
colonne vertébrale présentait une scoliose très marquée de la région lombaire.
En fin janvier 1907, nouvelle crise aiguë. Le malade souffrait tellement que la
marche était impossible.
La scoliose existait, toujours fortement accentuée, et le malade, debout, se pré-
sentait plié en deux et incliné sur le côté opposé à la sciatique, sur le côté gauche. Le
médecin habituel conseilla le repos au lit, prescrivit des cachets d'aspirine et une
dizaine de séances d'électricité galvanique. Malgré cette médication énergique, on
n'obtint guère d'amélioration. En mars, le malade fut adressé à l'un de nous; il
souffrait encore beaucoup spontanément, la pression sur les points classiques était
encore très douloureuse, la colonne vertébrale extrêmement déviée, et on constatait
l'abolition du réflexe achilléen du côté droit. Il fut décidé que le malade serait soumis
à la radiothérapie.
La première séance eut lieu le 18 mars 1907. La région lombo-sacrée de la colonne
vertébrale fut exposée à l'irradiation des rayons pénétrants d'une ampoule Chabaud
grand modèle, pendant 10 minutes, puis ce fut le tour de la partie médiane de la
cuisse et, enfin celle du mollet. C'est ainsi que chaque segment particulièrement dou-
loureux et la région lombo-sacrée reçurent, en trois séances, environ 5 H (on fit virer
les pastilles Noiré-Sabouraud de la teinte jaune clair à la teinte ocre foncée, en ayant
soin, après chaque séance, de les soustraire à l'action de la lumière du soleil). Les
applications eurent lieu tous les deux jours. Dès la deuxième séance, le malade accusa
un mieux sensible, une diminution considérable des douleurs spontanées et à la pres-
sion. L'amélioration continua pendant les 20 jours qui séparèrent la troisième séance
de la deuxième série de trois séances sur chaque région.
Le traitement par les rayons fut terminé le 18 avril 1907, juste un mois après le
début. Déjà, à ce moment le malade ne souffrait pour ainsi dire plus et était tout à fait
redressé. La scoliose avait complètement disparu. Le malade reprit ses occupations
fatigantes et, à un examen pratiqué quelque temps après, on constatait chez lui le
retour du réflexe achilléen. Un an plus tard, la guérison complète s'était maintenue.
Observation II. Mme C..., caissière, 36 ans.
La maladie débute en juillet 1906, par de vives douleurs dans la région postérieure
du genou, douleurs qui s'irradient et occupent bientôt les points d'élection sur le
trajet du nerf sciatique.
Le médecin traitant applique des pointes de feu et ordonne ensuite une douzaine
de séances d'électricité galvanique.
L'électricité calmait les douleurs sur le moment, mais le temps d'aller de chez le
médecin à son domicile, dit la malade, elle était reprise de douleurs aiguës.
En septembre, treize siphonages n'apportèrent pas une grande amélioration, et
depuis le début de l'affection la malade absorbait des médicaments analgésiques
habituels : aspirine, antipyrine, pyramidon, quinine, etc.
En août, la scoliose fit son apparition et s'accentua beaucoup pendant le mois de
septembre, si bien que lorsqu'en octobre la malade vint consulter l'un de nous, elle
était courbée en avant et très inclinée sur le côté gauche, le côté sain. On constata
l'abolition du réflexe achilléen du côté droit. Un traitement mercuriel et ioduré, joint à
de grands bains sédatifs, fut d'abord essayé, bien qu'il n'y eut aucune bonne raison
de penser à la syphilis ; puis, comme les douleurs étaient encore vives en décembre,
on conseilla d'essayer la radiothérapie.
RADIOTHÉRAPIE DE LA SCIATIQUE 61f)
Celle-ci fut pratiquée de même manière que dans l'observation I. On fit tomber sur
chaque région douloureuse, et aussi sur la région des racines du sciatique, une
quantité de rayons pénétrants équivalente à 5 I-I environ, en quatre séances. Après
un intervalle de 20 jours, on fit une nouvelle série de quatre séances de rayons X,
dans les mêmes conditions. Dès la deuxième séance de radiothérapie, la malade cessa
de souffrir et, après les huit séances, la scoliose avait disparu ; la malade, complète-
ment guérie, reprenait ses occupations.
Il serait difficile de dire à quel moment précis eut lieu la réapparition du réflexe
achilléen. Toujours est-il que le sujet revu ces jours-ci, 4 ans après cette crise violente
de sciatique-névrite, a un réflexe achilléen normal à droite et à gauche.
Observation III. M. T..., âgé de 35 ans, a eu, au mois de janvier 1910, un
lumbago ; en avril, les douleurs sur le trajet du sciatique se sont accusées du côté
gauche. Depuis, elles n'ont pas cessé de s'accentuer et le sujet a été obligé d'aban-
donner ses occupations.
Le traitement a consisté d'abord en siphonages, bains sulfureux, cachets d'aspirine.
On fit ensuite au malade quatre injections épidurales de cocaïne. La première injection
l'a calmé pendant une demi-heure ; les autres, qui furent effectuées à deux ou trois
jours d'intervalle, vers la fin d'octobre, n'apportèrent aucun soulagement.
Au début de novembre, le malade fut soumis au traitement par les injections d'air,
sans résultat.
Il entre à l'hôpital, dans le service de l'un de nous, au commencement de décembre
1910. Il accuse des douleurs très vives dans la jambe gauche; la démarche est lente
et défectueuse : le sujet porte le poids du corps sur la jambe saine. On constate la
rigidité de la colonne vertébrale et un certain degré de scoliose. L'articulation de la
hanche est normale à droite et à gauche. Du côté malade, le réflexe achilléen est aboli.
L'épreuve de Wassermann est négative. Les douleurs sont tellement considérables
que l'on est obligé de faire au malade des piqûres de morphine.
La radiothérapie est commencée le g décembre, uniquement sur la région lombo-
sacrée. En trois séances ayant duré chacune 10 minutes on fit absorber en tout
environ 4 H de rayons pénétrants. -
Une deuxième série de trois séances eut lieu en janvier 1911 dans les mêmes
conditions.
Le traitement se termina en février par une troisième série de trois nouvelles
séances analogues.
Après la troisième séance de rayons X, le malade éprouva une légère améliora-
tion ; celle-ci s'accentue chaque jour et devient très nette après la deuxième série
de séances.
Le 20 janvier, le malade souffre très peu, mais on constate que la rigidité de la
colonne vertébrale et la scoliose n'ont pas disparu. Le t2 février, après la sixième
séance de rayons, la scoliose, qui était très marquée à gauche et qui obligeait le
malade à marcher dans une attitude penchée, a disparu complètement ; le malade se
tient droit.
Le malade est revu le 3o mars : il marche sans canne pendant 3 ou ft heures. Le
réflexe est toujours aboli.
Observation IV. M. M..., âgé de 4o ans, souffrait depuis longtemps dans la
région lombaire. Le début de la sciatiqne remonte au mois de mars 1910. La douleur,
à ce moment, est localisée à la fesse gauche et, malgré le traitement classique, ne
disparait pas. En juillet, elle s'étend au mollet. Le malade prend un mois de repos, se
traite avec de l'aspirine mais n'obtient aucune amélioration.
620 THÉRAPEUTIQUE
En octobre, il continue à boiter et est obligé de s'appuyer sur une canne. On
pratique cinq injections d'air chaud dans la cuisse : chacune de ces injections procure
le calme pendant une demi-heure environ, mais la douleur reparaît ensuite, aussi forte
qu'auparavant.
Le 25 octobre, le malade est obligé de suspendre son travail. Il ne peut marcher
qu'avec l'aide de deux cannes. Cinq ou six siphonages sur le trajet nerveux, des
cachets de pyramidon, n'amènent aucun résultat. Le 22 novembre, il entre à l'hôpital,
dans le service de l'un de nous.
Le sujet se plaint de douleurs dans les reins, dans les deux jambes et plus spéciale-
ment dans le membre inférieur gauche. Les troubles de la marche sont très accentués.
Le malade porte le poids du corps sur le côté droit et se présente courbé en avant :
la colonne vertébrale est rigide. Les réflexes rotuliens sont normaux : le réflexe
achilléen, normal à droite, est aboli à gauche. La cuisse gauche présente une amyo-
trophie. Il existe un centimètre et demi de différence en faveur de la cuisse droite.
Les articulations coxo-féinorales sont normales. On met facilement en évidence
l'existence de points douloureux sur tout le trajet du sciatique et on constate le signe
de Lasègue. Le malade n'accuse aucun antécédent syphilitique. L'épreuve de
Wassermann est négative. Le malade est soumis à la radiothérapie, uniquement sur
la région lombo-sacrée, à partir du 5 décembre 19 10. La manière de procéder est la
même que celle de l'observation III.
La troisième série de séances se termine le 28 février.
Vers le 21 décembre, le malade se trouve mieux. Après la troisième séance, il se
tient moins courbé. Le 15 février, après 7 séances, le sujet se tient tout à fait droit,
sans se forcer : il peut marcher deux ou trois heures sans fatigue. Il garde une canne
uniquement par mesure de précaution, mais il déclare qu'il pourrait faire plusieurs
kilomètres sans en avoir besoin.
Le 2 avril, le malade, complètement guéri, marche sans canne et très délibérément.
De l'ensemble de ces observations, il résulte que les rayons X paraissent
avoir une action curative sur la sciatique accompagnée ou non de sco-
liose ; et nous croyons intéressant de lormuler en manière de conclusion,
qu'après avoir essayé quelque temps, dans des cas analogues, les médi-
cations habituelles : repos, analgésiques, courant galvanique, etc., il y
aurait lieu de soumettre les malades à l'action d'un agent physique qui
semble susceptible de procurer une amélioration appréciable et même
une guérison définitive.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
i. Observations de rechutes pendant la convalescence de la fièvre typhoïde (Journal
des connaissances médicales, ig et 26 octobre 1882).
2. Ramollissement cérébral (Bulletins de la Société anatomique, 2 mars 1883).
3. Kyste hydatique du cerveau (Id.).
Lt. Epithélioma tubulé de la peau de la région fessière développé aux dépens du corps
muqueux de Malpighi (Société anatomique, 4 mai 1883).
5. Deux cas d'épithélioma pavimenteux ayant vraisemblablement pour point de
départ un kyste dermoïde de l'ovaire (Id.).
6. Epilepsie survenue chez un syphilitique et suivie de mort, reconnaissant pour
cause une hémorragie méningée (Revue de Médecine, rSS3).
7. Sur un cas de pseudo-pellagre (Gazette médicale de Paris, 1884, p. 4a).
8. Des modifications que présentent les muscles à la suite de la section des nerfs
qui s'y rendent (Comptes rendus de l'Académie des Sciences, janvier 1884).
g. Sur un cas de myélite chronique diffuse avec prédominance des lésions dans les
cornes antérieures de la moelle (Revue de Médecine, 1884). - .
10. Note sur un cas de pneumonie tuberculeuse pseudo-lobaire avec absence de
bacille dans les crachats (en collaboration avec Dejerine. Revue de Médecine, r 8S4).
I I. Sur les lésions des tubes nerveux de la moelle épinière dans la sclérose en
plaques (Académie des Sciences, 8 juin 1884).
12. Recherches sur l'anatomie pathologique de la sclérose en plaques et étude compa-
rative des diverses variétés de sclérose de la moelle (Archives de Physiologie
normale et pathologique, 15 février 1885).
13. Ktude anatomique et clinique sur la sclérose en plaques (Thèse, Paris, 1885, chez
Masson).
14. Atrophie musculaire d'origine cérébrale avec intégrité des cornes antérieures de
la moelle et des nerfs moteurs (Société de Biologie, 20 février 1886).
ib. De l'atrophie musculaire dans les paralysies hystériques (Archives de Neurologie,
1886, nos 34 et 35).
16. Sclérose médullaire systématique combinée (en collaboration avec Charrin. Revue
de Médecine, 1886).
17. Sur la présence dans les muscles striés de l'homme d'un système spécial consti-
tué par des groupes de petites fibres musculaires entourées d'une gaine lamel-
leuse (Société de Biologie, 18 décembre 1886).
18. Tabès bénins (Id., 28 mai 1S87).
622 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
19. Ataxie locomotrice. Arthropathie tabétique. Rhumatisme chronique (Société ana-
tomique, 1887).
20. Sur une déformation particulière du tronc causée par la sciatique (Archives de
Neurologie, 1888, n° 43).
21 t Myopathie progressive primitive. Sur la corrélation qui existe entre la prédispo-
sition de certains muscles à la myopathie et la rapidité de leur développement
(en collaboration avec Onanoff. Société de Biologie, r février 1888).
22. De la paralysie pyocyanique. Etude anatomique et clinique (en collaboration
avec Charrin. Id., io mars 1888).
a3. Grand et petit hypnotisme (Archives de Neurologie, 1889, ne, 49 et 5o).
24. Faisceaux neuro-musculaires (Archives de Médecine expérimentales, Ier mai 1889).
25. Arthropathies expérimentales (en collaboration avec Charrin. Société de Biologie,
27 juillet 188g).
26. Anatomie pathologique des névrites périphériques (Leçon faite à la Salpêtrière
le 3o mai 1890. Gazette hebdomadaire, août 1890).
27. Migraine ophtalmique hystérique (Archives de Neurologie, 18go, n° lit).
28. Dissociation syringomyélique des divers modes de la sensibilité dans la lèpre
(Société médicale des Hôpitaux, 27 février 1891).
29. Paraplégie flasque par compression de la moelle (Archives de Médecine expérirnen-
tale et d'Anatomie pathologique, ,or mars 1891).
30. Hypnotisme et hystérie. Du rôle de l'hypnotisme en thérapeutique (Leçon faite à
la Salpêtrière le. 23 juin 18gi. Gazette hebdomadaire, juillet 1891).
3 t . Polyurie hystérique (Société médicale des Hôpitaux, t 3 novembre 1891).
32. Notice sur les travaux scientifiques du Dr Babinski (Janvier 1892, chez Masson).
33. Sur un fait de syringomyélie (en collaboration avec Desnos. Société médicale des
Hôpitaux, 8 juillet 1892).
34. Paralysie hystérique systématique. Paralysie partielle ou systématique des fonc-
tions motrices du membre inférieur gauche (Id.).
35. Paralysie hystérique systématique. Paralysie faciale hystérique (Id., 4 novembre
1892).
36. Association de l'hystérie avec les maladies du système nerveux, les névroses et
diverses autres affections (Id., 11 novembre 1892).
3. Des crampes musculaires dans le choléra et dans d'autres états pathologiques (Id.,
2 décembre 1892).
38. Paralysie faciale hystérique (Id., 16 décembre 1892).
39. Les névrites (Traité de médecine Charcot- Bouchard, chez Masson).
40. Contractures organique et hystérique (Société médicale des Hôpitaux, 5 mai t8g3).
41. Sur les scléroses systématiques dites primitives de la moelle(Id., 19 janvier 1894).
112. Paraplégie crurale par mal de Pott dorsal. Névrites périphériques des membres
inférieurs (en collaboration avec Zachariades. Société de Biologie, 9 novembre
t 8g5).
43. Sur le réflexe cutané plantaire dans certaines affections organiques du système
nerveux (Société de Biologie, 22 février 1896).
44. Relâchement des muscles dans l'hémiplégie organique (Id., g mai 1896).
45. Hémiatrophie de la langue (Société médicale des Hôpitaux, 31 juillet et 26 novembre
t 8gG).
46. Abolition du réflexe du tendon d'Achille dans la sciatique (Id., 18 décembre 1896).
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 6a3
47- De l'action du chlorhydrate de morphine sur le tétanos (Société de Biologie, 10 juin
1897)-
48. Du phénomène des orteils et de sa valeur sémiologique (Leçon faite à la Pitié
Semaine médicale, 27 juillet 1898).
49. De quelques mouvements associés du membre inférieur paralysé dans l'hémiplé-
gie organique (Société médicale des Hôpitaux, 3o juillet 1897).
5o. Sur le réflexe du tendon d'Achille dans le tabes (Id., 26 octobre 1898).
51. Sur une forme de paraplégie spasmodique consécutive à une lésion organique et
sans dégénération du système pyramidal (Id., il\ mars 1899)'
52. De la contractilité des muscles striés après la mort (Société de Biologie, 6 mai
r 8gg)
53. Du phénomène des orteils dans l'épilepsie (Société de Neurologie, 6 juillet 18qq).
54. De l'abolition des réflexes pupillaires dans ses relations avec la syphilis (en col-
laboration avec Charpentier. Société de Dermatologie, 13 juillet 189g).
55. De l'asynergie cérébelleuse (Société de Neurologie, 9 novembre 1899).
56. Sur le prétendu réflexe antagoniste de Schaefer (Id., 13 janvier igoo).
57. Sur un cas d'hémispasme. Contribution à l'étude de la pathogénie du torticolis
spasmodique (Id., re février igoo).
58. Tabes conjugal (Id., 5 avril igoo).
5g. Diagnostic différentiel entre l'hémiplégie organique et l'hémiplégie hystérique
(Leçon faite à la Pitié. Gazette des Hôpitaux, numéros des 5 et 8 mai igoo).
60. Sur la paralysie du mouvement associé de l'abaissement des yeux (Société de Nell-
rologie, 7 juin 1900).
61. Tumeur du corps pituitaire sans acromégalie et avec arrêt du développement des
organes génitaux (Id.).
62. Sur une forme de pseudo-tabes. Névrite optique rétrobullaire infectieuse et
troubles dans les réflexes tendineux (Id., 5 juillet 1900).
63. Association de tabes et de lésions syphilitiques (Id.).
64. Du traitement mercuriel dans la sclérose tabétique des nerfs optiques (Id.).
65. Tabes avec cécité (XIIIe Congrès international de Médecine, Paris, igoo. Section de
Neurologie).
66. Scléroses combinées (Id.).
67. De l'influence des lésions de l'appareil auditif sur le vertige voltaïque (Société de
Biologie, 26 janvier 1901).
68. Stase papillaire guérie par la trépanation crânienne (Société de Neurologie, 7 fé-
vrier 1901).
69. A propos de la communication de M. Ballet sur trois cas de gliomatose cérébrale
(Id.).
7o. Hémiasynergie avec hémitremblement d'origine cérébello-protubérantielle (Id.).
71. Du traitement de la maladie de Basedow par le salicylate de soude (Id.).
72. Hémiasynergie et hémitremblement d'origine cérébello-protubérantielle (2e com-
munication. Société de Neurologie, 18 avril 9° 1)..
73. Sur le réflexe du tendon d'Achille (Id., 2 mai igoi).
74. De l'abolition des réflexes pupillaires dans ses relations avec la syphilis (en col-
laboration avec Charpentier. Société médicale des Hôpitaux, J mai 1 gOI).
75. Contribution à l'étude du cytodiagnostic du liquide céphalo-rachidien dans les
affections nerveuses (en collaboration avec Nageotte. Id., 24 mai 1901).
624 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
76. Sur le spasme du cou (Société de Neurologie, 4 juillet 1901).
77. Définition de l'hystérie (Id., 7 novembre '901).
78. Des troubles pupillaires dans les anévrismes de l'aorte (Société médicale des Hôpi-
taux, 8 novembre 1901).
79. Variations de la gravité du tabes (Société de Neurologie, 9 janvier 1902).
80. Hémiasynergie, latéropulsion et myosis bulbaires avec hémianesthésie et hémi-
plégie croisées (en collaboration avec Nageotte. Id., 17 avril 1902).
81. De l'équilibre volitionnel statique et de l'équilibre volitionnel cinétique. Dissocia-
tion de ces deux modes de l'équilibre volitionnel. Asynergie et catalepsie (Société
de Neurologie, 15 mai 1902).
82. Sur la valeur sémiologique des perturbations dans le vertige voltaïque (Id.).
83. Tabes hérédo-syphilitique. Tabès héréditaire (Société médicale des Hôpitaux,
24 octobre 1902).
811. Méningite cérébro-spinale subaiguë à polynucléaires. Ponction lombaire. Guéri-
son (Id., 31 octobre 1902).
85. Sur le rôle du cervelet dans les actes volitionnels nécessitant une succession
rapide de mouvements. Diadococinésie (Société de Neurologie, 6 novembre Ig02).
86. De l'influence de la ponction lombaire sur le vertige voltaïque et sur certains
troubles auriculaires (Société médicale des Hôpitaux, 7 novembre 1902).
87. Lésions syphilitiques des centres nerveux. Foyers de ramollissement dans le
bulbe. Hémiasynergie, latéropulsion et myosis bulbaires avec hémianesthésie
et hémiplégie croisées (en collaboration avec Nageotte. Nouvelle iconographie de
la Salpêtrière, numéros de novembre et décembre 1902).
88. De l'épilepsie spinale. Procédé pour la faire apparaître quand elle est latente
(Société de Neurologie, 15 janvier tgo3).
89. Sur l'état des réflexes tendineux dans l'hystérie (Société de Neurologie, 5 février
19o3).
go. Projet de création d'asiles spéciaux pour demi-inGrmes (Société médicale des Hôpi-
taux, 21 février rgo3).
9 I. Lymphocytose dans le tabes et paralysie générale (Société de Neurologie, 5 mars
1903. 1 .
92. Sur le mécanisme du vertige voltaïque (Société de Biologie, III mars igo3).
g3. Du traitement des affections auriculaires par la ponction lombaire (Société médi-
cale des Hôpitaux, 24 avril igo3).
94. Sur le mouvement d inclination et de rotation de la tète dans le vertige voltaïque
(Société de Biologie, 25 avril 1903).
go. Sur un cas de mélancolie guéri à la suite immédiate d'un accès provoqué de
vertige voltaïque (Société de Neurologie, 7 mai igo3).
QG. Pseudo-tabes spondylosique (Id., 4 juin igo3).
97. De l'abduction des orteils (Id., 2 juillet igo.3).
98. Névrite radiale (ld.).
99. Méningite hémorragique fibrineuse, paraplégie spasmodique. l'onctions lom-
baires ; traitement mercuriel. Guérison (Société médicale des Hôpitaux, 23 oc-
tobre igo3).
100. Sur la prétendue albuminurie hystérique (Id., 27 novembre igo3).
101. Sur le prétendu pemphigus hystérique (Id.).
102. De l'abduction des orteils. Signe de l'éventail (Société de Neurologie, 3 décembre
igo3).
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 625
xo3., Troubles pupillaires dans les crises gastriques (M.), 1..
104. Sur la prétendue albuminurie hystérique (2° communication. Société médicale des
Hôpitaux, t décembre igo3).
io5. Sur le traitement des affections de l'oreille et en particulier du vertige auri-
. culaire par la rachicentèse (Académie de Médecine, 28 décembre igo3. Annales
des maladies de l'oreille et du larynx, tome XXX, numéro du 2 février tao4).
106. Sur la transformation du régime des réflexes cutanés dans les affections du sys-
tème pyramidal (Société de Neurologie, 7 janvier igo4).
107. Traitement de l'incontinence d'urine par la ponction lombaire (en collaboration
avec Boisseau. Société médicale des Hôpitaux, 2g avril igo4).
108. Introduction à la sémiologie des maladies du système nerveux. Des symptômes
, objectifs que la volonté est incapable de reproduire. De leur importance en
médecine légale (Leçon faite à la Pitié. Gazette des Hôpitaux, t octobre igo4).
iog. Maladie bleue. Cyanose de la papille. Hémiplégie consécutive à une coqueluche
(en collaboration avec M"e Toufesco. Société de Neurologie, 3 novembre igo4).
110. Myopathie hypertrophique comsécutive à la fièvre typhoïde. Dissociation de
diverses propriétés des muscles (ld., Ier décembre tgo4).
1 l 1. Hémiplégie spasmodique infantile. Paralysie post-spasmodique (Id.).
112. Cyanose des rétines avec rétrécissement pulmonaire, sans cyanose généralisée
(Société d'Ophtalmloogie, 6 décembre 1904).
1 13. Sur un cas de névrite dù peut-être à l'usage d'engrais artificiels. D'une particula-
rité de la réaction de dégénérescence (Société de Neurologie, 12 janvier igo5).
114. Formes latentes des affections du système pyramidal (Id.).
n5. De la flexion combinée de la cuisse et du tronc dans la chorée de Sydenham
(Id.).
116. De la cyanose des rétines dans le rétrécissement de l'artère pulmonaire (en col-
laboration avec M"e Toufesco. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, n° 2,
igo5).
1 q. Hémispasme facial périphérique (Société de Neurologie, 6 avril tgo5, et. Nouvelle
Iconographie de la Salpêtrière, n° 4, igo5).
118. Thermo-asymétrie d'origine bulbaire (Société de Neurologie, 6 avril 19o5).
119. Spasme du trapèze droit et tic de la face (Id., 6 juillet tgo5).
120. Sur un cas de tabes à systématisation exceptionnelle (en collaboration avec
Nageotte. Société de Biologie, t4 octobre igo5).
121. Hyperexcitabilité électrique du nerf facial dans la paralysie faciale (Société de
Neurologie, g novembre igo5).
122. De l'influence de l'obscuration sur le réflexe des pupilles à la lumière et de la
pseudo-abolition de ce réflexe (Id., 7 décembre igo5).
t23. De l'épilepsie spinale fruste (Id., ter mars ]go6).
124. Traitement de la névralgie faciale par les courants voltaïques à intensité élevée
(en collaboration avec Delherm. Id., 7 juin igo6).
125. Ma conception de l'hystérie et de l'hypnotisme (Société de l'Internat des Hôpitaux
de Paris, 28 juin igo6).
126. Asynergie et inertie cérébelleuse (Société de Neurologie, 5 juillet igo6).
127. De la paralysie par compression du faisceau pyramidal, sans dégénération
secondaire (Id.).
13ADlSKl. 40
626 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
128. Contracture généralisée due à une compression de la moelle cervicale, très
améliorée à la suite de l'usage des rayons X (Société médicale des Hôpitaux,
3onovembre igo6).
r 2g. Sur les injections de sels mercuriels insolubles (Id.).
13o. Lésion bulbaire unilatérale : thermo-asymétrie et vaso-asymétrie; hémianesthé-
sie alterne à forme syringomyélique. Hypothèse nouvelle sur la conduction
des divers modes de la sensibilité (Société de Neurologie, 5 décembre igo6).
131. De l'action de la scopolamine sur la chorée de Sydenham (Id., janvier 1907).
t3z. Du champ visuel et de la vision centrale dans l'atrophie tabétique des nerfs
. optiques (en collaboration avec Chaillous. Comptes rendus de la Société d'Ophtal-
mologie de Paris, 7 février 1907).
133. De la radiothérapie dans les paralysies spasmodiques spinales (Société médicale
des Hôpitaux, 1 er mars 1907).
134. Suggestion et hystérie. A propos de l'article de M. Bernheim intitulé : « Comment
je comprends le mot Hystérie » (Bulletin médicel, 3o mars 1907).
135. Quelques remarques sur l'article de M. Sollier intitulé : « La définition et la
nature de l'Hystérie » (Archives générales de Médecine, mars 1907).
136. Sur la rachicentèse dans les tumeurs cérébrales (Société de Neurologie, 2 mai
190'7).
137. Résultats thérapeutiques de la ponction lombaire dans les névrites optiques
d'origine intra-crânienne (en collaboration avec Chaillous. Société d'Ophtalmo-
logie, mai igo7).
138. De l'abduction des doigts dans l'hémiplégie organique (Société de Neurologie,
4 juillet 1907).
139. De la pronation de la main dans l'hémiplégie organique (Id.).
t4o. Sur le réflexe cutané plantaire. Différences dans les réactions correspondant à
des différences dans le siège d'excitation (Id.).
1 4 1 Emotion, suggestion et hystérie (Id.).
y2. Sur la définition de l'hystérie (Congrès de Lausanne, août 1907).
r(t3. Section de la branche externe du spinal dans le torticolis dit mental (Société de
Neurologie, 7 novembre 1907).
t44. A propos du pemphigus hystérique (Id., 5 décembre Ig07).
t45. Sur les prétendus troubles trophiques de la peau dans l'hystérie (Société médi-
cale des Hôpitaux, 6 décembre 1gaz).
Il15. Quelques remarques sur l'article de M. Cruchet intitulé : « Définition de l'Hys-
térie en général et Hystérie infantile » (Presse médicale, 21 décembre 1907).
1 llj, Sur le prétendu pemphigus hystérique (Société de Neurologie, 9 janvier igo8).
rLt8. Instabilité hystérique (pithiatique) des membres et du tronc (Id., 5 mai 1908).
1119. Spondylose et douleurs névralgiques atténuées à la suite de pratiques radio-
thérapiques (Id.).
t5o. Traitement du vertige de Ménière pour la ponction lombaire (Leçon faite à la
Pitié. Journal de médecine el de chirurgie pratiques, 10 juin 1908).
t5r. Tumeur méningée unilatérale. Hémiplégie siégeant du même côté que la tumeur
(en collaboration avec Clunet. Société de Neurologie, 2 juillet 1908).
t52. Section du cubital et du médian à la partie inférieure de l'avant-bras. Causes
d'erreur dans l'exploration de la sensibilité (en collaboration avec Tournay.
Société de Neurologie, Id.).
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 627
153. Quelques remarques sur le mémoire de M. Gordon intitulé : « Troubles vaso-
. moteurs et trophiques de l'Hystérie » (Revue neurologique, 3o octobre 1908).
i 5(r. Quelques remarques sur le mémoire de M. Valobra intitulé : « Contribution à
l'étude des gangrènes cutanées spontanées chez les sujets hystériques » (Nou-
velle Iconographie de la Salpêtrière, novembre et décembre I go8).
155. Démembrement de l'hystérie traditionnelle. Pithiatisme (Semaine médicale,
6 janvier 190g).
156. Quelques remarques sur le mémoire de M. Ettore Levi intitulé : « Nouvelles
recherches graphiques sur le phénomène de la trépidation du pied » (Encé-
phale, janvier 909).
157. Monoplégie brachiale organique. Mouvements actifs et mouvements passifs
(Société de Neurologie, 5 février 1 gog).
158. Sur la fièvre et les troubles trophiques attribués à l'hystérie (Id.).
15g. Deux cas de tumeur cérébrale (Id., 4 mars igog).
t6o. Deux cas de tumeur cérébrale du lobe frontal (Id., 6 mai 1909).
161. Quelques documents relatifs à l'histoire des fonctions de l'appareil cérébelleux
et de leurs perturbations (Revue de médecine interne et de thérapeutique, mai
1909), .
162. A propos d'un travail de M. Ettore Levy intitulé : « Quelques nouveaux faits
relatifs à un cas d'Hystérie avec exagération des réflexes tendineux. Réponse
aux critiques de M. Babinski » (Encéphale, 7 juillet 190g).
163. Quelques remarques sur la ponction lombaire et la ponction céphalique compa-
rées entre elles (Société médicale des Hôpitaux, 3o juillet igog). ,
IG4. Trépanation pour tumeur cérébrale. Ablation de la tumeur. Grande amélioration
(en collaboration avec de Martel. Société de Neurologie, 2 décembre 1 g09).
165. Sur la localisation des lésions comprimant la moelle. De la possibilité d'en
déterminer le siège au moyen des réflexes de défense (en collaboration avec
Jarkowski. Académie de Médecine. Bulletin médical, 17 janvier 1910).
166. Hypotonicité musculaire et réaction de dégénérescence (Société de Neurologie,
10 février 19 10).
167. Vertige voltaïque et lésions auriculaires (Bulletins et Mémoires de la Société de
Laryngologie, d'Otologie et de Rhinologie de Paris, 12 février 1910).
168. Remarques sur la persistance de zones sensibles à topograpgie radiculaire dans
les paralysies médullaires avec anesthésie (en collaboration avec Barré et Jar-
kowski. Société de Neurologie, 10 février et 4 avril 1910).
169. Craniectomie décompressive (Société de Neurologie, 14 avril 1910).
170. De la craniectomie décompressive (Académie de Médecine, Bulletin médical, 20 avril
1910).
171. Sur la possibilité de déterminer la hauteur de la lésion dans les paraplégies
d'origine spinale par certaines perturbations des réflexes (en collaboration
avec Jarkowski. Société de Neurologie, 12 mai 1910).
172. Contribution à l'étude de la syphilis familiale. Recherches à l'aide de la réaction
de Wassermann (en collaboration avec Barré. Id.).
170. Utilité de la craniectomie décompressive dans les tumeurs cérébrales (Leçon
faite à la Pitié. Jouanal de Médecine el de Chirurgie pratiques, Iojuin 1910).
r4. De la dégénération et delà régénération du sterno-mastoïdien et du trapèze à la
suite de la section de la branche externe du spinal (Société de Neurologie^
7 juillet 1910).
628 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
175. De l'hypnotisme en thérapeutique et en médecine légale (Société médicale,
27 juillet 1910).
176. Inversion du réflexe du radius (Société médicale des Hôpitaux, iti octobre (910).
177. Paraplégie spasmodique organique avec contracture en flexion et contractions
musculaires involontaires (Société de Neurologie, 12 janvier 1911).
178. Syndrome cérébelleux (en collaboration avec Jumentié. Id.).
179. Radiothérapie de la sciatique (en collaboration avec Charpentier et Delherm. Id.,
6 avril 191 1).
180. Syndrome de Brown-Séquard (en collaboration avec Jarkowski et Jumentié, Id.,
4 mai 1911). ,
181. Sur l'excitabilité idiomusculaire et sur les réflexes tendineux dans les myopathies
progressives primitives (en collaboration avec Jarkowski. Id., ) ? juin 19 ! t).
182. Du vertige voltaïque dans les affections de l'appareil vestibulaire (Société de Neu-
rologie, ter,juin 1911).
t83. Syndrome de Brown-Séquard par coup de couteau (en collaboration avec Jar-
kowski et Jumentié. Revue neurologique, 15 septembre 1911),
184. Réapparition provoquée et transitoire de la motilité volitionnelle dans la paraplé-
gie (en collaboration avec Jarkowski. Société de Neurologie, 9 novembre '91l).
t85. Modification des réflexes cutanés de défense sous l'influence de la compression
par la bande d'Esmarch (Société de Neurologie, id.).
186. Tumeur méningée. Paraplégie crurale par compression de la moelle. Extraction
de la tumeur. Guérison (en collaboration avec Lecène et Bourlot. Société de
Neurologie, ld.).
187. Pachyméningite cervicale hypertrophique (en collaboration avec Jarkowski et
Jumentié. Id., 20 janvier 1912).
188. Des réflexes cutanés de défense dans la maladie de Friedreich (en collaboration
avec Vincent et Jarkowski. la., 7 mars igi2).
189. Leucocytose du liquide céphalo-rachidien au cours du ramollissement del'écorce
cérébrale (en collaboration avec Gendron. Société médicale des Hôpitaux,
22 mars r g r 2).
igo. Contribution à l'étude de la réaction de dégénérescence. Excitabilité faradique
latente. Possibilité de la faire apparaître au moyen de la voltaïsation (en colla-
boration avec Delherm et Jarkowski. Société française d'Electrothérapie, mars
1912).
191. Émotion et hystérie (en collaboration avec Jean Dagnan-Bouveret. Journal de
Psychologie normale et pathologique, mars-avril 19 12).
192. Tumeur méningée de la région dorsale supérieure. Paraplégie crurale par
compression de la moelle. Extraction de la tumeur. Guérison (en collaboration
avec de Martel et Jumentié. Société de Neurologie, 25 avril i (j 12).
tg3. Stase. papillaire bilatérale. Cécité presque complète. Craniectomie décompres-
sive avec incision de la dure-mère. Guérison (en collaboration avec Chaillous
et de Martel. Ici).
194. Contracture tendino-réflexe et contracture cutanéo-réflexe (Id., 9 mai 1912).
195. Contribution à l'étude de l'hémorragie méningée (en collaboration avec Jumen-
tié. Société médicale des Hôpitaux, 3 mai 1912).
196. Étude comparative des limites de l'anesthésie organique et de l'anesthésie psy-
chique (eu collaboration avec Jarkoswski. Société de Neurologie, 11 juillet
1912).
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 629
197. Réflexes tendineux et réflexes osseux (Leçons faites à la Pitié. Bulletin médical,
numéros des ig et 26 octobre, 6 et 23 novembre 19'2).
198. Méningite cervicale hypertrophique (en collaboration avec Jarkoswki et Jumen-
tié. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, janvier-février rgr3).
199. Contracture liée à une irritation des cornes antérieures de la moelle dans un cas
de syringomyélie (Société de Neurologie, 6 février r g r 3).
200. Vertige voltaïque. Perturbation dans les mouvements des globes oculaires à la
suite de lésions labyrinthiques expérimentales (en collaboration avec Vincent
et Barré. Id.).
201. Vertige voltaïque. Nouvelles recherches expérimentales sur le labyrinthe des
cobayes (en collaboration avec Vincent et Barré. Id., 6 mars igi3).
202. Un cas de crises gastriques tabétiformes liées à l'existence d'un petit ulcus juxta-
pylorique (en collaboration avec St. Chauvet et G. Durand. Id.).
203. Désorientation et déséquilibration spontanées et provoquées. La déviation angu-
laire (en collaboration avec G.-A. Weill. Société de Biologie, 26 avril igi3).
2o4. Sur un syndrome de Brow-Séquard par coup de couteau (en collaboration avec
Chauvet et Jarkowski. Id., 8 mai igi3).
205. Pseudo-coxalgie et appendicite (en collaboration avec Enriquez et Gaston
Durand. Société médicale des Hôpitaux, 16 juillet igi3).
206. Mouvements réactionnels d'origine vestibulaire et mouvements contre-réaction-
nels (en collaboration avec G.-A. Weill. Société de Biologie, ig juillet rgr3).
207. Les symptômes des maladies du cervelet et leur signification (en collaboration
avec Tournay. Congrès de Londres, août igi3).
208. Exposé des Travaux scientifiques (Librairie Masson, rgr3).
209. Désorientation et déséquilibration provoquées par le courant voltaïque (Bulletin
médical, 5 novembre ig 13).
210. Sur les mouvements conjugués (en collaboration avec Jarkowski. Société de Neu-
rologie, 6 novembre 1913).
211. Désorientation et déséquilibration spontanées et provoquées par le courant vol-
taïque (Archives d'électricité médicale, 10 décembre r g i 3).
212. Compression de la moelle par tumeur extra-dure-mérienne : paraplégie intermit-
tente, opération extractive (en collaboration avec Enriquez et Jumentié. Société
de Neurologie, 15 février 1(14).
z 3. Contribution à l'étude des troubles mentaux dans l'hémiplégie organique céré-
brale (anosognosie) (Société de Neurologie, 1 juin 1(14).
zr4. Sur les lésions des nerfs par blessures de guerre (Société de Neurologie, 7 janvier
rgr5).
21 : 1. De la paralysie radiale due à la compression du nerf par les béquilles. Asso-
ciation organo-hystérique (Société de Neurologie, 4 février 1(15).
216. Lenteur de la secousse faradique Lenteur de la secousse tendino-réflexe. Fusion
anticipée des secousses faradiques (Société de Neurologie, 4 mars 1915).
217. Réflexes de défense. Etude clinique (Revue neurologique, 15 mars 1 9 1 5).
218. Névrite crurale paraissant due à une compression du nerf par bandage herniaire
(Société de Neurologie, 18 mars i g r 5).
219. Quelques observations sur les lésions des nerfs (Société de Neurologie, 18 mars
I g I 5).
220. Lésions du nerf crural. Abolition de l'excitabilité faradique et voltaïque du qua-
driceps crural. Guérison rapide (Sociélé de Neurologie, 6 mai igi5).
63o INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
221. Excitation faradique bilatérale de la plante du pied (Société de Neurologie, 6 mai
r g r 5).
222. Lésion spinale par éclatement d'obus à proximité sans blessure, ni contusion
(Syndrome de Brown-Séquard) (Société de Neurologie, 3 juin rgr5.
223. De l'extension paradoxale de la main provoquée par la faradisation unipolaire de
la partie antéro-inférieure de l'avant-bras (Société [de Neurrlogie, 1er juillet
1915).
224. Troubles physiopathiques d'ordre réflexe. Association avec l'hystérie (en colla-
boration avec Froment. Presse médicale, 9 juillet igi5).
225. Troubles nerveux consécutifs aux lésions des nerfs. Troubles nerveux consé-
cutifs aux lésions des centres nerveux. Accidents hystériques. Troubles ner-
veux d'origine réflexe (Travaux des centres de neurologie) (en collaboration
avec Froment. Revue de Neurologie, juillet 19) 5).
226. Les modifications des réflexes tendineux pendant le sommeil chloroformique et
leur valeur en sémiologie (en collaboration avec Froment. Académie de Méde-
cine, 19 octobre 1915).
227. Sur une forme de contracture organique d'origine périphérique, sans exagé-
ration des réflexes (Société de Neurologie, 4 novembre 1915).
228. Contribution à l'étude des troubles nerveux d'origine réflexe. Examen pendant
l'anesthésie chloroformique (en collaboration avec Froment. Société de Neuro-
logie, 4 novembre 1915).
229. Paraplégie et Hypotonie réflexes avec surexcitabilité mécanique, galvanique et
faradique (en collaboration avec Froment. Académie de Médecine, 11 janvier
1916).
93o. Contractures et paraplégies traumatiques d'ordre réflexe (en collaboration avec
Froment. Presse médicale, 24 février 1916).
231. Des troubles vaso-moleurs et thermiques d'ordre réflexe (en collaboration avec
Froment. Société médicale des Hôpitaux, 2 mars 1916).
23a. Oblitérations artérielles et troubles vaso-moteurs d'origine réflexe ou centrale.
Leur diagnostic différentiel par l'oscillométrie et l'épreuve du bain chaud (en
collaboration avec Heitz. Société médicale des Hôpitaux, 14 avril 1916).
233. Troubles nerveux d'ordre réflexe ou syndrome d'immobilisation (en collaboration
avec Froment. Société de Neurologie, Il mai 1916).
234. Abolition du réflexe cutané plantaire et anesthésie associée à des troubles vaso-
moteurs et à de l'Hypothermie d'ordre réflexe (Sociélé de Neurologie, li mai
1916).
235. Névrites irradiantes ou contracture d'ordre réflexe (en collaboration avec Froment,
Société médicale des Hôpitaux, 5 mai 1916).
236. Contractures et paralysies d'ordre réflexe (en collaboration avec Froment. Revue
neurologique, juillet 1016).
237. Hystérie et Pithiatisme (en collaboration avec Froment. Revue neurologique,
juillet 19 ! 6).
238. Des paraplégies organiques (en collaboration avec Froment. Revue neurologique,
juillet 1916).
z3g. Réformes. Incapacité et gratifications dans les névroses. Travaux des centres de
neurologie (Revue neurologique, juillet igi6).
z4o. Lenteur de la secousse musculaire obtenue par percussion et sa signification cli-
nique (Etude par la méthode graphique) (en collaboration avec llallion et
Froment. Société de Neurologie, 29 juin 1916).
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 63t 1
24 1 Des troubles moteurs et thermiques dans les paralysies et la contracture d'ordre
réflexe (en collaboration avec Froment et Heitz. Annales de Médecine, septembre,
octobre 1916).
a4a. Parésie réflexe de la main gauche. Troubles vaso-moteurs et sudoraux bilatéraux
(en collaboration avec Froment. Société de Neurologie, 9 novembre 1916).
243. Hyperthermie du membre supérieur après résection d'un anévrisme axillaire chez
un blessé, présentant une paralysie complète du plexus brachial du même
côté (en collaboration avec Heitz. Société médicale des Hôpitaux, 22 décembre
1916).
2/)/(. Fusion anticipée des secousses faradiques dans les muscles de la plante des pieds
(Société de Neurologie, il janvier 1917).
245. A propos de la communication du Dr Bordier sur les réactions électriques
d'hypothermie locale (Bulletin de l'Académie de Médecine, 13 février 1917).
246. A propos d'un cas de claudication intermittente par endartérite (en collaboration
avec Heitz. Société de Neurologie, 3 mai J917)'
247. Paraplégie organique. Troubles vaso-moteurs au membre supérieur droit avec
meiopragie et sans modification locale des réflexes osso-tendineux (en colla-
boration avec Heitz. Société de Neurologie. 3 mai 19 17).
z48. Troubles physiopathiques d'ordre réflexe. Association avec l'hystérie. Évolu-
, tion. Mesures médico-militaires (en collaboration avec Froment. Presse médi-
cale, 9 juillet 1917)'
249. Hypotonie et laxité articulaire dans les affections organiques et physiopathiques
du système nerveux (en collaboration avec Froment. Société de Neurologie,
9 novembre 1917).
250. Le syndrome physiopathique (Revue de Neurologie, page 3l¡7, 1917).
251. Hystérie-Pithiatisme et troubles nerveux d'ordre réflexe (en collaboration
avec Froment. 1 volume chez Masson. ire édition, 1917, 2e édition, 1918).
252. Sur les troubles physiopathiques et réflexes (en collaboration avec Froment.
Annales de la Faculté de Médecine de Montevideo, 1917).
253. De la claudication intermittente après ligature de l'artère principale du membre
inférieur (en collaboration avec Heitz. Société de Neurologie, 7 mars 1918).
a54. Un cas de réflexe achilléen contro-latéral homogène (en collaboration avec
Moricand. Société de Neurologie, 11 avril 1918).
255. Nouveau cas de réflexe achilléen contro-latéral chez un homme porteur d'un
spina bifida occulta (en collaboration avec Moricand. Société de Neurologie
1 1 juillet 1918).
256. Les oblitérations artérielles traumatiques. Du rétablissement de la circulation
après oblitération de l'artère principale d'un membre (en collaboration avec
Heitz. Archives des maladies du coeur, des vaisseaux et du sang, novembre tg 1 8).
257. Anosognosie (Société de Neurologie, 5 décembre 1918).
258. Les altérations artérielles traumatiques. Des troubles que détermine la lésion de
l'artère dans les fonctions du membre blessé (en collaboration avec Heitz.
Archives des maladies du coeur, des vaisseaux et du sang, décembre 19 19).
259. Contribution à l'étude de l'anesthésie dans les compressions de la moelle dor-
sale (en collaboration avec Jarkowski. Sociélé de Neurologie, 4 aoùt 1920).
260. Raideur musculaire dans un cas de syndrome parkinsonien consécutif à une
encéphalite léthargique (en collaboration avec Jarkowski. Société de Neurologie,
3 juin 1920).
261. Sur une forme de syncinésies dans l'hémiplégie organique (en collaboration
avec Jarkowski. Société de Neurologie, 1er juillet 1920).
63a INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
262. Etude des troubles moteurs dans un cas de choréo-athétose (en collaboration
avec Jarkowski. Société de Neurologie, [ ? juillet 1920).
263. De la surréflectivité cutanée hyperalgésique (en collaboration avec Jarkowski
Société de Neurologie, 3 février 1921).
264. Kinésie paradoxale. Mutisme parkinsonien (en collaboration avec Jarkowski et
Plichet. Société de Neurologie, 7 avril ig21). '
265. Sur la section de la branche externe du spinal dans le torticolis spasmodique
(Société de Neurologie, 7 avril 1921).
266. Syndrome parkinsonien. Traitement. Spasme facial post-encéphalitique (Société
de Neurologie, 5 mai 192 1).
267. Hémisyndrome sympathique et médullaire à type irritatif, à évolution intermit-
tente et rythmée (en collaboration avec Jumentié. Revue neurologique, rer dé-
cembre 192 1). '
268. Sarcome mélanique du cerveau à foyers multiples consécutifs à une néoplasie de
la choroïde de même nature (en collaboration avec Jarkowski et Béthoux.
Société de Neurologie, 12 janvier 1922).
269. Hyperalgésie et réactions hyperalgésiques dans l'hémiplégie cérébrale (en colla-
boration avec Jarkowski. Société de Neurologie, 2 février 1922).
270. Automatisme et Hyperalgésie dans l'hémiplégie cérébrale (en collaboration avec
Jarl;owsl;i. Société de Neurologie, 9 mars 1922).
2 j r. Torticolis spasmodique (en collaboration avec Krebs et Plichet. Société de Neu-
rologie, 9 mars 1922).
272. Réflexes de défense. Conférence faite le 3r mai 1922 à la Société Royale de
Médecine de Londres, avec présentation de malades et projections de films
cinématographiques (Revue neurologique, août 1922).
273. Syndrome parkinsonien fruste post-encéphalitique. Troubles respiratoires (en
collaboration avec A. Charpentier. Société de Neurologie, 9 novembre 1922).
274. Sur le traitement des tumeurs juxta-médullaires (Réunion neurologique interna-
tior2ale annuelle, 8 juin 1993).
275. Sup le traitement hydrargyrique du labes (Réunion neurologique internationale
annuelle, 8 juin 1923).
276. Sur le diagnostic des compressions spinales (en collaboration avec Jarkowski.
Réunion neurologique internationale annuelle, 8 juin i ! p3).
277. Sur l'épreuve du lipiodol comme moyen de diagnostic des compressions de la
moelle (Société de Neurologie, 7 février 1924).
278. De la section du spinal externe dans le torticolis spasmodique (Société de Neuro-
logie, 3 avril 1924).
279. Sur la valeur du phénomène des orteils dans la sclérose en plaques (Réunion neu-
rologique internationale annuelle, 3o mai 1924).
280. Quelques documents relatifs aux compressions de la moelle (en collaboration
avec Jarkowski. Revue neurologique, G décembre 192/1).
28r. Quelques considérations sur l'interrogatoire en clinique et les symptômes sub-
jectifs (Reunion neurologique de Strasbourg, r 1 janvier 1925).
282. Tumeur de l'angle ponto-cérébetleux. Amélioration rapide à la suite d'une extir-
pation intra-capsulaire par morcellement (en collaboration avec de Martel.
Société de Neurologie, 5 mars 1925). ' ,
283. Syndrome cérébelleux (Bulletin de l'Académie de Médecine, 23 avril 1925). " ,
284. Eloge de J. M. Charcot (I)iscours prononcé à la Sorbonne. 26 mai 1925).
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 633
285. Paraplégie crurale par tumeur extra-dure-mérienne à la région dorsale. Opéra-
tion. Guérison (Sur l'épreuve du lipiodol) (en collaboration avec A. Charpen-
tier et Jarkowski. Société de Neurologie, 2 décembre 1926).
286. Hystérie. Pithiatisme. A propos de la communication de MM. Tinel, Baruk et
Lamache intitulée : Crise de catalepsie hystérique et rigidité décérébrée (Société
médicale des Hôpitaux de Paris, 16 novembre 1928).
287. Monoplégie crurale hypertonique, sans signes pyramidaux homo-latéraux avec
anesthésie homolatérale. Tumeur intramédullaire lombo-sacrée (en collabora-
tion avec Jarkowski. Société de Neurologie, 2 mai 1929).
288. Réponse à Radovici. Sur l'Hystérie (Société de Neurologie, 5 juin ig3o).
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
Introduction v
PREMIÈRE PARTIE
LA MÉTHODE EN SÉMIOLOGIE
I. Introduction à la sémiologie des maladies du système nerveux. Des symptômes
objectifs que la volonté est incapable de reproduire ; de leur importance en
médecine légale 3
Il. Quelques considérations sur l'interrogatoire en clinique et les symptômes
subjectifs 15
DEUXIÈME PARTIE '.
SÉMIOLOGIE
Éléments fondamentaux de la sémiologie organique.
I. Sur le réflexe cutané plantaire dans certaines affections organiques du système
nerveux central 27
II. - Du phénomène des orteils et de sa valeur sémiologique 29
111. - De l'abduction des orteils 37
IV. Réflexes tendineux et réflexes osseux 39
V. Monoplégie brachiale organique. Mouvements actifs et mouvements passifs... 88
VI. Diagnostic différentiel de l'hémiplégie organique et de l'hémiplégie hystérique.. gi
VII. - Contribution à l'étude des troubles mentaux dans l'hémiplégie organique cérébrale
(Anosognosie) .... , ................ 112 2
VIII. Réflexes de défense. Etude clinique 115
IX. - Réflexes de défense 126
w X. - Sur les mouvements conjugués 15g
XI. Modifications des réflexes cutanés sous l'influence de la compression par la bande
d'Esmarch....................... 163
XII. - De la surréflectivité hyperalgésique................ 167
XIII. - Réapparition provoquée et transitoire de la motilité volitionnelle dans la
paraplégie 173
Sémiologie oculaire. ,
XIV. - De l'influence de l'obscuration sur le réflexe des pupilles à la lumière et de la
pseudo-abolition de ce réflexe. 175
XV. Les troubles pupillaires dans les anévrismes de l'aorte. 180
636 7' il 13 1, 1,' J) ES /t7V/ ? .S s
Sémiologie cérébelleuse.
XVI. - Asynergie cérébelleuse 185
XVII. Les symptômes des maladies du cervelet et leur signification 188
XVIII. - Sémiologie vestibulaire 210
Eleclrologie.
XIX. De la contractilité électrique des muscles striés après la mort 218
XX. Lenteur de la secousse faradique. Lenteur de la secousse tendino-réflexe. Fusion
anticipée des secousses faradiques 224
TROISIÈME PARTIE
- TUMEURS CÉRÉBRALES ET COMPRESSIONS CÉRÉBRALES .
Tumeurs cérébrales.
I. Tumeur du corps pituitaire sans acromégalie et avec arrêt de développement des
organes génitaux 233
IL Stase papillaire guérie par la trépanation crânienne 236
III. Deux cas de tumeur cérébrale du lobe frontal 23g
IV. - De la craniectomie décompressive. 246
` . , , QUATRIÈME PARTIE
AFFECTIONS NON PYRAMIDALES
1. - Sur un cas d'hémispasme.. 255
II. - Sur le spasme du cor 258
III. Torticolis spasmodique avec lésions du système nerveux central 262
IV. De la dégénération et de la régénération du sterno-mastoïdien et du trapèze à la
suite de la section de la branche externe du spinal 267
V. De la section du spinal externe dans le torticolis spasmodique 270
VI. De la flexion combinée de la cuisse et du tronc dans la chorée de Sydenham... 274
VU. Kinésie paradoxale. Mutisme parkinsonien 275
VIII. - Syndrome parkinsonien fruste post-encéphalitique. Troubles respiratoires... 279
' CINQUIÈME PARTIE .
AFFECTIONS DU CERVELET, DU BULBE ET DU LABYRINTHE -
Affections du cervelet.
I. - Observation princeps 285
IL - Syndrome cérébelleux 293
, III. Hémiasynergie, latéropulsion et myosis bulbaires avec hémianesthésie et hémi-
1' . plégie croisées z95
` Affections du bulbe.
IV. - Thermo-asymétrie d'origine bulbaire 302
; Affections du labyrinthe. y : '
. . V. Affections de l'appareil vestibulaire ,...... ? 307
TABLE DES MATIERES 63
SIXIÈME PARTIE
X PARAPLÉGIES AFFECTIONS DE LA MOELLE
Sclérose en plaques. Paraplégies.
1. - Sclérose en plaques ... 313
IL Sur une forme de paraplégie spasmodique consécutive à une lésion organique et
sans dégénération du système pyramidal 315
III. De la paralysie par compression du faisceau pyramidal sans dégénération
secondaire 326
IV. Paraplégie spasmodique organique avec contracture en flexion et contractions
musculaires involontaires 332
V. Hémisyndrome sympathique et médullaire à type irritatif, à évolution intermit-
tente et rythmée 33g
Tabès et pse
VI. Sur le réflexe du tendon d'Achille dans le tabes............ 343
VII. - Sur une forme de pseudo-tabes 349
VIII. Du champ visuel et de la vision centrale dans l'atrophie labétiquc des nerfs
optiques 353
Compressions médullaires.
IX. Syndrome de Brown-Séquard par coup de couteau 358
X. Remarques sur la persistance de zones sensibles à topographie radiculaire dans
les paraplégies médullaires avec anesthésie 3G1 1
XI. Sur la localisation des lésions comprimant la moelle. De la possibilité d'en pré-
ciser le siège et d'en déterminer la limite inférieure au moyen des réflexes
de défense . 371 I
XII. Tumeur méningée. Paraplégie crurale par compression de la moelle, extraction de
la tumeur, guérison 35
XIII. - Méningite cervicale hypertrophique 3g
XIV. Contribution à l'étude de l'anesthésie dans les compressions de la moelle dorsale. 3go
XV. Quelques documents relatifs aux compressions de la moelle....... 097
XVI. Paraplégie crurale par néoplasme extra-dure-mérien. Opération. Guérison.... 4o6
XVII. - Paraplégie crurale par tumeur extra-dure-mérienne à la région dorsale 41a
XVIII. Monoplégie crurale hypertonique sans signes pyramidaux homolatéraux et avec
anesthésie homolatérale. Tumeur intramédullaire de la région lombo-sacrée.. 420
XIX. Sur le diagnostic des compressions spinales 4a5
XX. Méningite hémorragique fibrineuse. Paraplégie spasmodique. l'onctions lombaires.
Traitement mercuriel, guérison 43o
SEPTIÈME PARTIR
AFFECTIONS DES NERFS
1. - Des névrites.. 435
IL - Hémispasme facial périphérique 438
HUITIÈME PARTIE
AFFECTIONS DES MUSCLES
L Myopathie progressive primitive sur la corrélation qui exisle entre la prédisposition
de ceriains muscles à la myopathie et la rapidité de leur développement... 1145
II. Sur l'excitabilité idio-musculaire et sur les réllexes tendineux dans la myopathie
progressive primitive 45 1
638 TABLE DES MATIÈRES
NEUVIÈME PARTIE
HYSTÉRIE-PITHIATISME
I. Hystérie-pithiatisme.
1. - Définition de l'hystérie (i5
IL Ma conception de l'hystérie et de l'hypnotisme 465
III. Démembrement de l'hystérie traditionnelle. Pithiatisme 486
IV. De l'hypnotisme en thérapeutique et en médecine légale 5o5
V. - Hystérie et pithiatisme 51l¡
VI. - Hystérie-pithiatisme 520
II. L'hystérie pendant la guerre.
VII. - Hystérie-pithiatisme en neurologie de guerre 5a8
DIXIÈME PARTIE
TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
I. Troubles nerveux d'ordre réflexe r 54g
ONZIÈME PARTIE
THÉRAPEUTIQUE
1. Du traitement mercuriel dans la sclérose tabétique des nerfs optiques 587
IL Résultats thérapeutiques de la ponction lombaire dans les névrites optiques
d'origine intra-cranienne.................. 5go
III. Traitement des affections de l'oreille et en particulier du vertige auriculaire par la
rachicentèsc...................... 5g4
IV. Sur le traitement des tumeurs juxta-médullaires 5g6
V. Sur le traitement de la névralgie faciale par les courants voltaïques à inten-
sité élevée 6o3
VI. Contracture généralisée due à une compression de la moelle cervicale très améliorée
à la suite de l'usage des rayons T............... 606
VII. De la radiothérapie dans les paralysies spasmodiques spinales 612
viii. - Radiothérapie de la sciatique 617
Index bibliographique 621
OHARTRES. - IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT t-I3y.