(1898) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 11]
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(1898) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 11]

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

TOME XI

1898

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

Fondée par J. M. CHARCOT ,

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE

F. RAYMOND A. JOFFROY A. FOURNIER

PROFESSEUR DE CLINIQUE PROFESSEUR DE CLINIQUE PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES DES .MALADIES MENTALES DES MALADIES CUTANÉES ET

DU SYSTÈME NERVEUX SYPHILITIQUES

PAR

PAUL RICHER GILLES DE la TOURETTE

MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ DE MÉDECINE

DIRECTEUR HONre DU LABORATOIRE DE DE PARIS

LA CLINIQUE MÉDECIN DES HÔPITAUX

. ALBERT LONDE

DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE

AVEC LA COLLABORATION DE MM.

ACHARD, BOGROFF (Odessa), BOIX, BOTTEY, BRISSAUD, CABANNES (Bordeaux), CATHELI-

NEAU, CESTAN, J.-B. CHARCOT, CHIPAULT, DELPRAT (Amsterdam),DENY,DUFOUR, DURET,

DUTIL, EM 1 RZÉ (Smyrne),ESTEVES (Buenos-Ayres),ÉTIENNE (Nancy), FEINDEL,FÉRÉ, E. FOUR-

NIER, GASNE, GRASSET (Montpellier), G. GUINON, HALLION, HUET, P. JANET, KATICHEFF

(St-Pétersbourg), H. LAMY, LANNELONGUE, LANNOIS (Lyon), LAUFENAUER (Buda-Pesth), LAU-

NOIS, LE DENTU, M. LEMOS(Porto), L. LÉVI, P. LONDE, LUCO ORREGO (Santiago, Chili), p. MA-

RIE, MARINESCO (Bucharest), DE MASSARY, H. MEUNIER, MICHAILOWSKI (Sofia), MOCZUT-

KOVSKY (St-Pétersbourg), PARIN AU D,P PARM ENTIER, PITRES(Bordeaux), RAMADIER, RÉVILLIOD

(Genève), A. ROBIN, SABRAZÈS (Bordeaux), T. D. SAVILL (Londres), SCHAFFER (Buda-Pesth), SÉ-

GLAS, SÉRIEUX, SIKORSKY (Kiew), SOCA (Montevideo), SOUQUES, SURMONT, TARGOWLA,

TUFFIER, WEIL,etc.

Secrétaire de la Rédaction : HENRY MEIGE '

TOME ONZIÈME

Avec 100 figures intercalées dans le texte et 60 planches hors texte

PARIS

MASSON ET Cie, Éditeurs S

libraires DE l'académie DE médecine

120, Boulevard Saint-Germain

1898

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

SYNDROME TEMPORAIRE DE WEBER

AVEC HÉMIOPIE PERMANENTE

PAR

A. JOFFROY

Professeur de la Clinique des Maladies Mentales.

Leçon recueillie par MM. Roonmomrcu et DuFoun en Janvier 1897.

L'hémiplégie par lésion cérébrale revêt des formes plus ou moins com-

pliquées et l'on peut considérer comme la forme la plus simple l'hémiplégie

purement motrice dans laquelle il y a paralysie des membres, de la langue

et de la partie inférieure de la face, dans le côté du corps opposé à la lésion

cérébrale. Dans ces cas cette lésion siège soit sur les circonvolutions ro-

landiques, soit sur le faisceau moteur qui partant de ces centres se dirige

vers le pédoncule cérébral. Le point important à noter ici c'est que la lésion

hémisphérique est toujours du côté opposé à l'hémiplégie, parce que le

faisceau moteur cérébral s'entrecroise au niveau du bulbe avec celui du côté

opposé.

A côté de cette première forme purement motrice on peut placer une

forme plus complexe dans laquelle des troubles sensitifs ou sensoriels se

joignent aux phénomènes paralytiques, revêtant comme eux la forme hé-

miplégique, et comme eux siégeant du côté opposé à la lésion de l'hémi-

sphère cérébral.

Parmi les' troubles sensoriels produits par une lésion cérébrale il en est

un fort intéressant, se rattachant à la lésion du lobe occipital, c'est l'hé-

miopie homonyme dont nous aurons à nous occuper dans un instant. Cette

hémiopie est droite si c'est le lobe occipital gauche qui est lésé ; elle est

gauche si c'est le lobe occipital droit, de sorte qu'au premier abord il sem-

ble qu'ici, comme dans les cas précédents, l'hémiplégie de la vision soit

xi i

2 A. JOFFROY

croisée et siège du côté opposé à la lésion cérébrale. Ce n'est là qu'une

apparence, car si le malade ne voit pas la moitié droite des objets, c'est

parce que la moitié gauche de la rétine est paralysée, et inversement quand

l'hémiopie estgauche. Dans ces cas la lésion du lobe occipital détermine

donc dans chacune des deux rétines une véritable hémiplégie sensorielle

non croisée, c'est-à-dire qu'il y a une paralysie de la moitié gauche des

rétines quand la lésion occipitale est gauche, et de leur moitié droite

quand la lésion occipitale est à droite. Mais je ne fais ici que signaler cette

sorte d'anomalie à la loi générale qui semble régir en pathologie cérébrale

la distribution des troubles moteurs et sensitifs, d'après laquelle les troubles

moteurs, sensitifs ou sensoriels qui constituent l'hémiplégie, siègent du

côté opposé à la lésion cérébrale.

Je veux encore attirer votre attention sur une autre combinaison, c'est

celle dans laquelle, à l'hémiplégie plus ou moins accusée se joignent les

symptômes de l'aphasie. Dans ces cas il s'agit toujours d'une hémiplégie

droite, avec ou sans troubles de la sensibilité, et la lésion siège alors dans

l'hémisphère cérébral gauche, atteignant, suivant la variété d'aphasie

observée, la troisième circonvolution frontale, le pli courbe ou la pre-

mière temporale. Toutefois, si l'observation est faite chez un gaucher, et

c'est ce qui va se présenter chez notre malade, l'aphasie se combine avec

une hémiplégie gauche et la lésion cérébrale siège dans l'hémisphère cé-

rébral droit.

Voilà brièvement résumées les principales formes d'hémiplégie obser-

vées à la suite d'une lésion cérébrale ; voyons maintenant quelles sont les

modifications que subissent ces formes quand la lésion siège au-dessous

du cerveau, dans les pédoncules cérébraux, la protubérance ou le

bulbe.

Tantôt on aura simplement, comme dans les cas précédents, une hémi-

plégie croisée, c'est-à-dire siégeant du côté opposé à la lésion, d'autres

fois, et c'est presque la règle, on aura une hémiplégie alterne supérieure

ou inférieure.

Que faut-il entendre par cette dénomination et à quoi répond-elle ana-

tomiquement ? Quelques notions d'anatomie vous permettront de le com-

prendre facilement.

Si l'on examine un cerveau on voit émerger successivement d'avant en

arrière les douze paires de nerfs crâniens (Fig. 1).

D'abord le nerf olfactif ; puis le chiasma des nerfs optiques faisant

suite aux bandelettes optiques qui sont en connexion intime avec les pé-

doncules cérébraux qu'ils contournent.

Plus en arrière, le nerf de la 3e paire ou moteur oculaire commun qui

SYNDROME TEMPORAIRE DE WEBER AVEC HÉMIOPIE PERMANENTE 3

prend naissance par une série de dix à douze filets qui se réunissent et

viennent émerger sur le côté interne des pédoncules cérébraux, séparé du

chiasma optique par la lige pituitaire et les tubercules mamillaires.

Plus en arrière encore, sur le bord externe du pédoncule cérébral et le

contournant, le nerf de la 4e paire ou pathétique. Puis le plus volumineux

des nerfs crâniens, le trijumeau, émergeant de la face inférieure de la pro-

tubérance.

Ch 0. Chiasma optique. B 0. Bandelettes optiques. - C P. Corps pituitaire. -

T M. Tubercules mamillaires. - Ped. Pédoncules cérébraux. - C G. Corps ge-

nouillés. - P A. Protubérance annulaire. - Amygdale cérébelleuse. -Tr. Nerf

trijumeau. FI. Flocculus. - Fac. Nerf facial. - W. Intermédiaire de Wris-

berg. - Ac. Acoustique. - r a Ac. Sa racine antérieure. r p Ac. Sa racine pos-

térieure. - M 0 E. Moteur oculaire externe. F S 0. Fossette sus-olivaire. -

P. Pyramides antérieures. 0. Olives. - C B. Corps restiformes. - C. Cervelet.

- E P. Entrecroisement des pyramides.

Ensuite se trouve dans le sillon qui sépare la protubérance du bulbe,

près de la ligne médiane,le nerf de la Ge paire ou moteur oculaire externe.

Plus en dehors, dans la fossette latérale du bulbe, sont les nerfs facial

et auditif, en arrière desquels on voit successivement sortir du sillon

latéral du bulbe les filets neneux qui constituent les 9e, joe et Il,,

paires.

rie. 1. Face antéro-inférieure de la région bulbo-protubérantielle.

4 A. JOFFROY

Le nerf grand hypoglosse ou 12e paire émerge de la partie antérieure

du bulbe entre l'olive et la pyramide antérieure.

Envisagés dans leur ensemble les noyaux d'origine des filets moteurs

des nerfs crâniens sont échelonnés, d'avant en arrière, dans le voisinage

de l'aqueduc de Sylvius, dans la protubérance et dans le bulbe, et ces

noyaux qui sont en rapport avec des centres supérieurs cérébraux, en-'

voient des nerfs aux muscles de l'oeil, de la face, de la langue, etc. situés

du même côté qu'eux (exception faite pour le pathétique). Or, au niveau

des noyaux de ces nerfs se trouve le faisceau moteur cérébral, ou faisceau

pyramidal qui n'a pas encore effectué son entrecroisement avec son con-

génère, et qui ne l'effectuera qu'à la partie inférieure du bulbe, au-des-

sous des olives. Une seule et même lésion siégeant dans l'un des pédon-

cules cérébraux, dans l'une des moitiés de la protubérance ou du bulbe,

peut donc tout à la fois intéresser et le faisceau pyramidal non encore en-

trecroisé, et l'un des noyaux d'origine des nerfs crâniens situés à son voi-

sinage, ou même le tronc nerveux qui part de ce noyau d'origine. C'est

ainsi qu'en allant de bas en haut, et pour ne citer que les combinaisons

les plus importantes, on pourra rencontrer, soit : dans le bulbe, une lé-

sion du faisceau pyramidal non encore entrecroisé, et du nerf hypoglosse

dans son trajet intra-bulbaire ; dans la protubérance, une lésion intéres-

sant le faisceau pyramidal et le noyau ou le nerf du facial, ou encore le

nerf moteur oculaire externe ; dans le pédoncule, une lésion atteignant

simultanément le faisceau pyramidal (le pied) et le nerf moteur oculaire

commun ou même son noyau d'origine. Examinons successivement ces

trois cas. '

Que se passe-t-il si la lésion siège dans le bulbe, au niveau des olives,

et intéresse le faisceau pyramidal et l'hypoglosse ? L'observation d'un

malade du service du professeur Revilliocl (de Genève), publiée par

Mme Goukowsky (1), va nous le faire voir d'une manière véritablement

schématique. La lésion siégeait dans ce cas, au niveau de la région oli-

vaire gauche qui était affaissée, et- notablement diminuée de volume. Sur

une coupe transversale, on voyait un foyer de ramollissement, ne laissant

subsister que quelques vestiges de l'olive, intéressant le faisceau pyrami-

dal et coupant dans leur trajet intra-bulbaire les faisceaux de l'hypo-

glosse. (Fig. 2, 3, Il..)

L'examen microscopique montra en effet que du côté droit les filets de

l'hypoglosse étaient intacts, tandis qu'à gauche ils étaient interrompus

(1) Mme Anna Goukowsky (Clinique du professeur llevilliod). Un nouveau type d'hé-

miplégie alterne (hypoglosse gauche et membres tlrots). Iconographie de la Salpêtrière,

1895, p. 178.

SYNDROME TEMPORAIRE DE WEBER AVEC HÉMIOPIE PERMANENTE 5

par foyer nécrohiotique, comme aurait pu le faire une section expéri-

mentale.

Le malade présenta une hémiplégie des membres du côté opposé à la

lésion, c'est-à-dire une hémiplégie droite, puisque c'était le faisceau pyra-

midal gauche qui était lésé au-dessus de son entrecroisement.

Il présenta simultanément une paralysie de la moitié gauche de la lan-

gue, c'est-à-dire du côté de la lésion, ce qui se comprend facilement puis-

que c'est le nerf hypoglosse gauche lui-même, dans son trajet intra-bul-

baire, qui a été atteint.

Cette paralysie de la langue s'accompagna d'atrophie musculaire, ce qui

se comprend aussi très aisément, puisqu'ainsi que je vous l'ai dit, on peut

assimiler la lésion de l'hypoglosse à une section expérimentale et que vous

Foyer de ramollissement dans la région olivaire gauche, intéressant le faisceau

pyramidal et les fibres de ^hypoglosse (cas de Anna Goukowski).

savez qu'à la suite de la section d'un nerf il se fait dans le bout périphé-

rique une dégénérescence Wallérienne, avec atrophie musculaire. Il en

serait de même au lieu de la section du nerf hypoglosse lui-même il se fut

produit une destruction du noyau bulbaire de l'hypoglosse; tandis qu'au

. contraire l'atrophie musculaire aurait fait défaut ou du moins n'aurait été

que peu marquée, si seuls les prolongements cérébraux de l'hypoglosse,

c'est-à-dire ses neurones moteurs cérébraux eussent été détruits ou lésés.

Voilà une première variété du groupe des hémiplégies alternes ; c'est

une hémiplégie alterne inférieure, hémiplégie alterne de l'hypoglosse. On

ne l'observe que très rarement, mais le cas que je viens de rappeler m'a

paru, par sa simplicité d'une grande utilité pour la démonstration.

Supposons maintenant que la lésion, au lieu de siéger à la région oli-

vaire du bulbe rachidien. soit placée plus haut de manière à intéresser

simultanément la partie supérieure, du bulbe et la partie inférieure de la

protubérance, nous aurons alors une deuxième variété, celle dont la dé-

couverte a ouvert le chapitre des hémiplégies alternes et qu'ont fait con-

naître dès 1855-1856 les travaux de Millard etde Gubler.

1 Ce qui caractérise l'hémiplégie alterne de Millard et Gubler, qu'on pour-

Fit. 2

Fig. 3

Fiv. 4

6 A. JOFFHOY

rait appeler hémiplégie alterne faciale, c'est que la lésion siégeant dans la

partie inférieure de la protubérance atteint simultanément le faisceau py-

ramidal (qui s'entrecroise à la partie inférieure du bulbe) et les filets ner-

veux intra-protubérantiels du nerf facial, parfois môme son noyau d'ori-

gine.

Très souvent, la lésion protubérantielle intéresse simultanément les

filets du nerf facial et ceux du moteur oculaire externe, ou bien le noyau

du facial et celui du moteur oculaire externe, et l'on se rend compte de

cette coïncidence pathologique en se rappelant les rapports anatomiques de

ces deux nerfs, ou de leurs noyaux. (Fig. 5.)

Dans cette variété d hémiplégie alterne les

membres, supérieur et inférieur, sont paralysés

du côté opposé à la lésion, puisque le faisceau

pyramidal ne s'entrecroise qu'au-dessous de cette

lésion qui donne lieu à l'hémiplégie. -

Au contraire tous les muscles innervés par le

nerf facial, aussi bien les muscles innervés par

le facial supérieur que ceux innervés par le facial

inférieur, sont paralysés du côté même de la lé-

sion, puisque c'est le nerf lui-même ou son noyau

qui sont atteints.

Et comme la lésion du nerf ou du noyau en-

traîne fatalement à sa suite une dégénéra lion

Wallérienne, il s'en suivra une atrophie dégé-

nérative des muscles paralysés.

La lésion concomitante du nerf moteur ocu-

laire externe ou de son noyau, amènera égale-

ment une paralysie avec atropine uegeneraLive uu muscie urom externe

du côté de la lésion, notion fort importante il noter au point de vue du

traitement du strabisme symptomatique de cette lésion.

En résumé, dans cette seconde variété d'hémiplégie alterne, les choses

se passent absolument comme dans la première, la description anatomique

reste la même, il suffit de remplacer le mot hypoglosse par celui de facial,

ou de moteur oculaire externe, et si au point de vue clinique les différen-

ces sont plus accusées, c'est simplement parce que les muscles animés par

les nerfs hypoglosse, facial et moteur oculaire externe s'adaptent à des

fonctions différentes.

*

. *

J'en arrive maintenant à la troisième variété, plus rare que la précé-

dente, plus commune que la première, c'est l'hémiplégie alterne supé-

rieure, hémiplégie alterne de la troisième paire, du moteur oculaire com-

Fig. 5. P, protubérance ;

B, bulbe ; G, genou du nerf

facial; F, noyau du nerf

facial; f, nerf facial ; E,

noyau du moteur oculaire

externe ; e, nerf moteur

oculaire externe ;

SYNDROME TEMPORAIRE DE WEBER AVEC HÉMIOPIE PERMANENTE 7

mun, celle que Charcot désigna sous le nom de syndrome de Weber. C'est

cette variété d'hémiplégie alterne que présente noire malade et vous

pourrez aisément en constater chez elle toutes les particularités; mais

auparavant résumons-en les caractères principaux :

Je vous rappellerai d'abord que l'émergence de la troisième paire se

fait sur le côté interne du pédoncule cérébral, que le moteur oculaire

commun tient sous sa dépendance la plus grande partie de la musculature

externe de l'oeil par les filets qu'il envoie aux muscles droit interne, droit

inférieur, petit oblique, droit supérieur et releveur de la paupière supé-

rieure, qu'il tient également sous sa dépendance une partie de la muscu-

lature interne de l'oeil par les filets qui vont au muscle ciliaire et au mus-

cle constricteur de l'iris.

Imaginez maintenant que ce nerf vienne à être comprimé à sa sortie du

pédoncule ou coupé dans son trajet intra-pédonculaire, et que simultané-

ment la cause compressive ou destructive atteigne dans le pied du pédon-

cule le faisceau pyramidal, il vous sera très facile de concevoir toute la

symptomatologie à laquelle donnera lieu cette lésion. Il existera en effet,

une hémiplégie croisée intéressant les membres supérieur, inférieur, et

la partie inférieure de la face, et en même temps il y aura une paralysie

directe du moteur oculaire commun, véritable paralysie périphérique avec

atrophie dégénérative des muscles qu'il innerve. C'est cette modalité d'hé-

miplégie alterne qu'on décrit sous le nom de Syndrome de Weber, depuis

que Charcot a proposé cette appellation en 1891, non parce que l'obser-

vation de Weber (1863) est la première en date, mais parce que, comme

en un schéma, elle montre le complexus symptomatique dans toute sa

simplicité, ce qui est loin d'exister dans tous les cas.

Et tout d'abord, je tiens il vous mettre en garde contre cette conjecture

qu'une lésion pédonculaire donne toujours lieu à un syndrome de We-

ber.

Sans parler des cas où la lésion peut n'intéresser aucune fibre motrice,

vous trouverez pour le pédoncule, comme du reste pour la protubérance

et pour le bulbe toute une série d'observations où les symptômes consta-

tés pendant la vie n'ont été que ceux d'une hémiplégie banale, le bras et

la jambe étant paralysés du côté opposé a la lésion sans qu'il existe aucun

symptôme d'hémiplégie alterne. Dans ces cas les nerfs des 3°, 6°, 7e ou 12e

paires ont été respectés par la lésion et leur fonclionnement ne se trouve

entravé en quoi que ce soit. Andral, Charcot et Bouchard, moi-même. etc.

avons publié des cas de ce genre.

Voyons maintenant ce qui s'est passé chez notre malade.

8 A. JOFFROY

Il s'agit d'une femme de 58 ans, qui, il y a trois ans, fut atteinte d'une

agitation maniaque si accusée qu'on fut sur le point de l'amener dans cet

asile, et j'ai même dans son dossier le certificat médical qui fut établi à

cet effet.

C'est au mois de septembre dernier, il y a trois mois environ, que l'on

peut placer le début de l'affection actuelle, qui fut caractérisé par des ver-

tiges répétés et une lourdeur de tête particulière. Toutefois aucun symp-

tôme grave n'existait, lorsque le 3 novembre z1896, subitement, elle eut

une grande attaque d'apoplexie avec perte de connaissance prolongée et

complète. Je vous ferai remarquer que c'est là un fait assez rare dans la

symptomatologie des lésions pédonculaires, mais vous verrez par la suite

que la lésion qui a donné naissance à cette attaque d'apoplexie dépasse de

beaucoup les limites de la région du pédoncule cérébral.

J'attirerai aussi votre attention, d'après les renseignements qui m'ont

été fournis, sur un véritable état d'agitation avec verbiage incohérent,

peut-être même délirant, qui avait duré une dizaine de jours. Pendant

toute cette période la malade proféra des phrases incompréhensibles et

l'on pensa alors qu'il s'agissait de délire ; peut-être n'y avait-il là qu'une

apparence et ne s'agissait-il tout simplement que de troubles paraphasi-

ques ainsi que portent à le croire les symptômes que j'ai observés plus

tard et que vous pourrez observer vous-même.

Lors donc que cette femme est entrée dans le service, elle avait de la

paraphasie et non de l'aphasie motrice, et je tiens à bien établir cette dif-

férence, car il s'agit là d'un fait qui a plusieurs fois été interprété d'une

manière erronée. L'aphasie a été en effet signalée dans certains cas de lé-

sions pédonculaires gauches et quelques auteurs ont revendiqué ces faits

pour prouver l'existence d'un faisceau spécial, qu'ils dénommaient faisceau

de l'aphasie, et dont les fibres partant de la troisième circonvolution fron-

tale gauche porteraient les images motrices d'articulation aux organes

phonateurs. Pour ma part je mets en doute l'existence de l'aphasie mo-

trice dans ces cas, de même que je n'admets pas ce faisceau spécial de l'a-

phasie ; je pense que lorsqu'il y a des troubles du langage consécutifs à la

lésion du pédoncule cérébral gauche il s'agit, ou bien simplement de

troubles de la prononciation, ou bien, comme chez notre malade, d'apha-

sie sensorielle. On verra plus loin par quel mécanisme, ou plutôt par

quelle extension de la lésion, se produit cette aphasie sensorielle, et on

comprendra alors facilement que l'aphasie motrice n'a rien il voir avec la

symptomatologie qui traduit l'existence d'une lésion du pédoncule céré-

bral. Mais laissons là pour le moment cette question de l'aphasie sur la-

quelle nous reviendrons plus loin, et reprenons l'examen de notre malade.

Vous pouvez constater que l'oeil droit est entièrement recouvert par la

Nouv. ICONOGRAPHIE DE LA SArPÉrRIERE.

T. XI. PI.

A

B

SYNDROME DE WEBER TEMPORAIRE AVEC HEMIOPIE PERMANENTE

(Cis de ]ofrroy )

A. Au cours de 1.\ l1l.d.tdi ? - 11. Après guérisoll.

MASSON N 8. : Cic, Editeurs.

SYNDROME TEMPORAIRE DE WEBER AVEC HÉMIOPIE PERMANENTE 9

paupière supérieure tombante et paralysée, alors que l'oeil gauche est

grand ouvert, et que de ce côté vous ne notez aucun phénomène paraly-

tique ni dans le facial supérieur, ni dans les muscles animés par le mo-

teur oculaire commun, le moteur oculaire externe, ou le pathétique.

(Pl. I. A.)

Vous pouvez voir que la malade soulève avec facilité les membres du

côté droit, lesquels ne sont du reste nullement paralysés, tandis que cela

lui est absolument impossible pour les membres du côté gauche ; il existe

en effet une hémiplégie gauche très accusée.

Enfin yous noterez que le sillon naso-labial droit' est plus accusé que

celui du côté gauche, de sorte que l'hémiplégie affecte non seulement le

membre supérieur et le membre inférieur, mais encore la partie infé-

rieure de la face du côté gauche. Et à cette hémiplégie gauche se joint une

paralysie du releveur de la paupière supérieure droite, c'est-à-dire du côté

opposé à l'hémiplégie.

A cause de l'amélioration qui s'est produite dans ces derniers jours,

l'examen actuel de la malade vous^montre tous ces symptômes fort atté-

nués ; c'est ainsi qu'aujourd'hui la paupière supérieure droite se relève

suffisamment pour laisser apercevoir une partie de la cornée, et par un

examen attentif vous observerez, d'une manière intermittente, un certain

degré de strabisme. Il y a quelques jours seulement, ce strabisme était

permanent et caractérisé par l'impossibilité absolue de porter le globe de

l'oeil droit dans l'angle interne.

Voici d'ailleurs le résultat de l'examen des yeux pratiqué par leD" Sau-

vineau, chef des travaux ophtalmologiques à la clinique de St-Anne.

« Paralysie du releveur de la paupière supérieure droite, parésie des

muscles droit interne, droit supérieur, droit inférieur, petit oblique,

c'est-à-dire de tous les muscles de l'oeil droit innervés par les branches

extrinsèques de la troisième paire. »

« Les réflexes lumineux et accommodateur sont conservés. Les filets de

la musculature intérieure sont indemnes et fonctionnent bien. »

Nous sommes donc bien en présence du syndrome de Weber caractérisé

ici par une hémiplégie gauche et une paralysie du moteur oculaire com-

mun droit.

Si, poursuivant l'examen, de l'appareil oculaire on recherche quel est

le fonctionnement de la rétine, on constate que la malade ne perçoit que les

objets situés à sa droite. C'est ainsi que si elle fixe son regard directement

en avant pendant qu'on fait mouvoir un objet de gauche à droite devant

l'un ou l'autre de ses yeux, elle ne le perçoit qu'au moment précis où il

arrive sur le plan vertical médian de l'oeil pour venir se placer en face de

la moitié droite du globe oculaire, de sorte qu'on constate une hémiopie

10 A. JOFFROY

temporale pour l'oeil gauche, et une hémiopie nasale pour l'oeil droit,

c'est-à-dire, ce que l'on désigne sous le nom d'hémiopie gauche. En d'au-

tres termes, et nous rappelant que les rayons lumineux s'entrecroisent au

niveau de la lentille cristallinienne, il résulte de notre examen qu'il y a

absence complète de la perception des rayons lumineux qui viennent

frapper les moitiés droites des deux rétines.

Nous ajouterons que, contrairement à ce que l'on constate fréquemment,

la verticale qui sépare le champ de perception du champ de non-percep-

tion est absolument rectiligne et ne présente pas d'encoche centrale cor-

respondant à la macula.

Mais ce n'est pas encore tout ce que l'examen de notre malade nous a

révélé. Outre l'ensemble symptomatique qui constitue le syndrome de

Weber, outre cette hémiopie gauche dont nous venons de fixer les parti-

cularités, la malade présente encore, comme je vous l'ai dit, un autre

symptôme important : la paraphasie.

Si je demande à cette femme comment s'appelle ce que je liens à la main

et qui me sert à écrire sur ce tableau noir, vous la voyez faire des efforts

visibles pour trouver le moi précis et vous l'entendez me répondre succes-

sivement : « C'est une plume un crayon non, un canif, un porte-

plume une règle une règle pour écrire..... un crayon..... je sais

bien ce que c'est..... ah ! mon Dieu. » Elle s'impatiente de mon insis-

tance à lui faire chercher le terme exact, et elle a conscience qu'elle ne le

trouve pas. Je lui dis alors : « C'est de la craie » et elle répète immédiate-

ment sans hésitation, sans difficulté et plusieurs reprises le mot « craie »,

heureuse cette fois d'avoir à sa disposition le mot cherché. Je n'insiste

pas, vous avez reconnu l'existence bien qu'atténuée de la paraphasie dont

je vous parlais il y a un instant et que l'on a pu prendre, dans les pre-

miers temps pour du délire à cause de l'allure incohérente que ce trouble

de la parole apportait dans son langage. J'ajouterai que la malade, qui

est aujourd'hui, au point de vue de ces troubles du langage, en voie d'a-

mélioration, semble avoir toujours, sauf dans les premiers jours après

l'attaque, compris ce qu'on lui disait, et qu'elle n'a présenté, du moins à

notre examen, ni agraphie, ni aléxie d'une façon bien accusée.

Maintenant que nous avons énuméré les symptômes que présente celle

maladie, nous allons chercher à déterminer les lésions qui leur ont donné

naissance.

Nous savons déjà que l'hémiplégie gauche avec paralysie du moteur

oculaire commun droit se rapporte habituellement à une seule et môme

lésion atteignant le pédoncule cérébral droit.

SYNDROME TEMPORAIRE DE WEBER AVEC HÉMIOPIE PERMANENTE 11

Nous savons aussi, d'après les notions admises actuellement sur les ori-

gines des nerfs optiques et sur leur semi-décussalion au niveau du chiasma,

que pour expliquer une hémiopie on est obligé d'invoquer une lésion

siégeant en arrière du chiasma des nerfs optiques, soit sur la bandelette

optique, soit dans les centres mêmes de la vision, c'est-à-dire dans le lobe

occipital.

Nous savons également que les troubles paraphasiques, tels que ceux que

nous avons relevés chez notre malade, se rattachent à des lésions siégeant

soit dans le lobe temporal, soit au niveau du pli courbe (du côté gauche

chez les droitiers, du côté droit chez les gauchers), c'est-à-dire tout à fait

sur la limite du lobe occipital.

Cela étant établi, et en nous reportant à la disposition des artères de la

base de l'encéphale, il nous sera facile de comprendre comment l'inter-

ruption thrombosique de la circulation dans un seul point a pu donner

naissance à tout l'ensemble symptomatique que je vous ai fait constater

tout à l'heure.

Mais tout d'abord il importe d'établir que ce n'est probablement pas à

une hémorrhagie que nous avons affaire, non pas que leshémorrhagies ne e

puissent être la cause du syndrome de Weber, mais parce qu'on ne saurait

expliquer de la sorte ni l'hémiopie, ni la paraphasie qui coexistent dans

ce cas avec le syndrome de Weber.

Pour expliquer l'hémiopie on pourrait à la rigueur imaginer une hémor-

rhagie considérable du pédoncule déterminant une compression de la ban-

delette optique, mais alors on aurait d'autres phénomènes de compression

et la malade serait morte rapidement comme cela arrive dès que l'hémor-

rhagie du pédoncule cérébral atteint certaines dimensions ; et même de

cette façon on n'expliquerait pas ces troubles aphasiques caractérisés es-

sentiellement par une atteinte de la mémoire verbale.

Il y a encore un autre motif, pour nous faire rejeter l'hypothèse d'un

large foyer d'hémorrhagie pédonculaire : c'est qu'à mesure qu'on s'éloigne

du début de l'affection, le symptôme de Weber va pour ainsi dire en s'effa-

çant, il y a trois semaines l'hémiplégie des membres était complète, ainsi

que la paralysie du releveur de la paupière supérieure et des muscles ani-

més par le moteur commun ; aujourd'hui la marche est possible, la para-

lysiedu releveur de la paupière a presque complètement disparu, ainsi

que celle des muscles animés par le moteur commun et pour peu que l'a-

mélioration fasse encore des progrès, les symptômes oculaires auront en-

tièrement disparu et avec eux le syndrome de Weber. De là, on peut con-

clure qu'il n'y a pas eu destruction des noyaux du moteur oculaire com-

mun ou des fibres nerveuses qui en émanent, mais simplement suspension

temporaire de ces fonctions physiologiques.

12 A. JOFFROY

Ces considérations nous confirment dans l'opinion d'une lésion très limi-

tée du pédoncule cérébral qui suffit pour expliquer le syndrome de Weber

et son évolution vers la guérison, mais nous oblige en même temps à

chercher un complément d'explication pour les troubles aphasiques et les

troubles hémiopiques.

Si l'hémorrhagie du pédoncule cérébral ne peut, dans ce cas, expliquer

les phénomènes observés, nous allons voir, comme nous le disions tout à

l'heure, qu'une thrombose artérielle,peut à elle seule fournir l'explication

de l'existence et aussi de l'évolution de ces divers symptômes.

Mais pour bien comprendre les motifs qui vont nous guider dans la re-

cherche du diagnostic, il convient de rappeler brièvement quelques notions

d'anatomie relatives à la circulation de la base du cerveau.

La partie postérieure de l'hexagone do Willis est formée par la bifurca-

tion de l'artère basilaire qui donne ainsi naissance aux artères cérébrales

postérieures.

vA 1 centimètre environ de leur origine, les artères cérébrales postérieu-

res reçoivent la communicante postérieure, contournent le pédoncule

cérébral correspondant jusqu'au voisinage des tubercules quadrijumeaux

et se divisent en branches terminales qui vont irriguer la cinquième et la

quatrième temporales, parfois même la troisième et la seconde, toute la

partie postéro-inférieure du lobe temporal, tout le lobe occipital, ainsi que

l'ergot de Morand.

En outre, entre la bifurcation delà basilaire et le point d'anastomose

de la communicante postérieure, c'est-à-dire dans la partie directe ou as-

cendante de la cérébrale postérieure sur une longueur de 5 à 12 millimé-

tres, l'artère postérieure donne naissance à 10 collatérales d'après Duret.

Parmi elles, il convient de mentionner spécialement les artères des racines

et des noyaux d'origine des fibres du moteur oculaire commun destinés aux

muscles extrinsèques, ainsi que les artères pédonculaires internes qui se

rendent plus particulièrement à l'étage inférieur du pédoncule céré-

bral (1).

Les artères qui se rendent aux noyaux d'origine des muscles accommo-

dateurs et iriens ont une origine différente et viennent habituellement de

la communicante postérieure, qui envoie également des collatérales dans

la partie antérieure de la bandelette optique.

Si maintenant nous supposons une thrombose de la cérébrale postérieure

après qu'elle a reçu la communicante postérieure, la circulation dans

1'liexac,o»eile Willis sera respectée, il n'y aura pas de symptômes pédon-

(1) Pour ne pas compliquer la question nous ne parlons pas ici des autres collatéra-

les, et nous renvoyons le lecteur au remarquable travail de L. o'AsTnos, Pathologie du

pédoncule cérébral, in Revue de Médecine, 189'r, p. 125.

SYNDROME TEMPORAIRE DE WEBER AVEC IIÉMIOPIE PERMANENTE 13

culaires, et la nécrobiose qui s'ensuivra portera uniquement sur tout le

lobe occipital et une grande partie du lobe temporal, L'hémiopie en sera

la conséquence et l'on conçoit même que les territoires les plus voisins du

foyer de ramollissement puissent se trouver troublés dans leur circulation,

dans leur nutrition et dans leur fonctionnement (par la destruction des

fibres d'association qui réunissent le lobe occipital et les centres sensoriels

du langage) et qu'il en résulte un certain degré d'aphasie sensorielle. C'est

qu'en effet le pli courbe à coup sûr, la première temporale peut-être aussi,

se trouveront sur la limite de la lésion, et à cause de ce voisinage et de

leurs connexions avec le lobe occipital, subiront certains troubles qui,

quoique pouvant n'être que temporaires, n'en produiront pas moins pen-

dant un certain temps une suspension ou au moins une modification de la

fonction.

On trouverait donc dans l'hypothèse d'une thromhose de la cérébrale pos-

térieure après qu'elle a reçu la communicante postérieure l'explication de

l'hémiopie persistante et de l'aphasie sensorielle passagère, mais non pas

de l'hémiplégie et du syndrome de Weber.

Sans doute il serait facile d'expliquer du même coup tous ces symptô-

mes : hémiplégie gauche, paralysie du moteur oculaire commun droit,

hémiopie gauche et paraphasie en admettant une thrombose de la cérébrale

postérieure droite sur la plus grande partie de son tronc, depuis son ori-

gine jusqu'au delà du point où elle reçoit la communicante postérieure,

mais on n'expliquerait pas delà sorte l'évolution des symptômes, et en

particulier on ne saurait comprendre, dans cette hypothèse, la disparition

des phénomènes paralytiques observés sur les muscles animés par le mo-

teur oculaire commun.

Pour arriver à tout expliquer, l'hémiplégie gauche, l'hémiopie gauche,

l'aphasie temporaire, et la paralysie temporaire du moteur oculaire com-

mun, nous pensons qu'on peut supposer une thromhose siégeant dans la

cérébrale postérieure au niveau même de son union avec la communicante

postérieure, de telle façon que la circulation soit complètement suspendue

dans les branches terminales de cette artère, et très ralentie, mais non

interrompue, dans la première partie de la cérébrale postérieure qui donne

naissance aux 10 collatérales de Duret, parmi lesquelles se trouvent les

artères des noyaux du moteur oculaire commun. La circulation ralentie

dans ces noyaux ne permettra plus leur fonctionnement, mais permettra

encore une nutrition suffisante pour éviter la mort des tissus et attendre

le rétablissement d'une circulation plus active, soit par la disparition du

thrombus, soit par l'élargissement des vaisseaux non oblitérés.

Cette hypothèse d'une thrombosedelacérébralepostérieure, auniveau de

l'anastomose avec la communicante postérieure, donnerait aussi l'expli-

14 A. JOFFROY

cation d'une particularité assez intéressante que nous ont révélée les exa-

mens successifs du champ visuel faits par M. Sauvineau.

Dans un premier examen, et contrairement à ce que l'on observe habi-

tuellement dans les cas d'hémiopie par lésion du lobe occipital, le champ

visuel était très nettement divisé en deux moitiés par une verticale, sans

qu'on puisse constater cette encoche centrale qui indique l'intégrité fonc-

tionnellè de la macula ; mais aujourd'hui cette encoche réapparaît en

même temps que se rétablissent les mouvements des muscles animés par

le moteur oculaire commun.

Or, il nous semble logique de penser que l'obstruction thrombosique

de la cérébrale postérieure, au niveau de l'embouchure de la communi-

cante postérieure, a produit dans la partie directe ou ascendante de cette

dernière artère un ralentissement considérable de la circulation, et comme

cette artère envoie des collatérales dans la partie antérieure des bande-

lettes optiques, le faisceau spécial de

niveau, a pu avoir ses fonctions suspendues jusqu'au moment où la circu-

lation s'est rétablie.

De sorte que, dans l'hypothèse que nous formulons, celle d'une throm-

bose de l'artère cérébrale postérieure droite au niveau de l'embouchure

de la communicante postérieure, il se serait produit :

1° Une suspension complète de la circulation dans les branches termi-

nales de la cérébrale postérieure donnant lieu à un ramollissement de

tout le lobe occipital, de toute la partie postéro-inférieure du lobe tempo-

ral, les cinquième, quatrième, et peut-être même les troisième et deuxiè-

me circonvolutions temporales. A ce ramollissement correspondraient les

symptômes permanents d'hémiopie et les symptômes temporaires d'apha-

sie sensorielle (l'aphasie dans ce cas de lésion de l'hémisphère droit

s'expliquant par cette particularité que la malade est gauchère).

2° Un ralentissement considérable de la circulation dans cette partie

de la cérébrale postérieure droite, s'étendant de son origine jusqu'au voi-

sinage de l'embouchure de la communicante postérieure, ainsi que dans

les collatérales qui en partent et qui en particulier assurent la nutrition

des noyaux du moteur oculaire commun, ainsi que de la partie motrice

du pédoncule cérébral. Ce trouble circulatoire aurait donné lieu aux

symptômes très accusés, mais néanmoins temporaires, de paralysie du

moteur oculaire commun, ainsi qu'aux symptômes d'hémiplégie, qui se

sont bien dissipés en grande partie, mais qui néanmoins persistent dans

une légère mesure, s'accompagnant déjà d'une contracture bien évidente.

3° Un ralentissement considérable dans la circulation de la communi-

cante postérieure et de ses collatérales, en particulier de celle qui se rend

à la partie antérieure de la bandelette optique, ce qui a pu produire une

SYNDROME TEMPORAIRE DE WEBER AVEC lIÉnLIOPIE PERMANENTE 15

suspension de la fonction du faisceau de la macula et donner lieu à l'ab-

sence temporaire de l'encoche centrale constatée habituellement dans

l'hémiopie de cause cérébrale.

En définitive nous arrivons à cette conclusion, que la thrombose de la

cérébrale postérieure peut, suivant son étendue et sa localisation dans

telle ou telle partie du tronc artériel, déterminer des symptômes très dif-

férents.

1° Si la thrombose siège dans la première partie, partie directe ou as-

cendante de la cérébrale postérieure, qui forme un des côtés de l'hexagone

de Willis et si elle est limitée à ce tronçon, la communicante postérieure

assurera la circulation dans les branches terminales, il n'y aura en con-

séquence aucune lésion des lobes occipital et temporal ; mais par contre

les collatérales de Duret se trouvant oblitérées on aura un ensemble

symptomatique essentiellement caractérisé par le syndrome de We-

ber (1).

2° Si la thrombose siège au delà de l'anastomose de la cérébrale pos-

térieure avec la communicante postérieure, c'est-à-dire dans la partie ré-

fléchie de la cérébrale postérieure, la circulation de l'hexagone de Willis

continuera à se faire normalement, et contrairement à ce qui se passait

dans l'hypothèse précédente, il n'y aura aucune lésion, aucun trouble cir-

culatoire dans le pédoncule cérébral, tandis qu'il se produira un ramol-

lissement étendu du lobe occipital et d'une grande partie du lobe tempo-

ral donnant lieu à l'hémiopie persistante et peut-être aussi à quelques

troubles transitoires du langage.

3° Si, comme nous supposons que cela s'est passé chez notre malade,

l'oblitération, respectant la première partie de l'artère (celle qui donne

naissance aux collatérales de Duret) siège au niveau de l'embouchure de

la communicante postérieure, on aura des symptômes permanents liés à la

suppression de la circulation dans les branches terminales de l'artère céré-

brale postérieure, et en particulier l'hémiopie, parfois aussi des troubles

aphasiques, et en outre on aura d'autres symptômes liés au ralentisse-

ment de la circulation dans la communicante postérieure et dans la pre-

mière partie de la cérébrale postérieure et en particulier le syndrome de

Weber ; mais la circulation pourra se rétablir et amener la disparition de

cet ensemble symptomatique réalisant de la sorte le syndrome de Weber

temporaire.

4° L'oblitération de la cérébrale postérieure pourrait être assez étendue

pour oblitérer simultanément les collatérales de Dure[, et les branches

terminales et donner ainsi naissance aux lésions simultanées du pédoncule

(1) C'est ce que confirment les faits de cahier et de Pick, de Mnyor, d'Oyon, de Ley-

den.

1C A. JOFFROY .

cérébral, de la couche optique, du lobe occipital et de la plus grande par-

tie du lobe temporal.

On aurait alors le syndrome de Weber permanent avec hémiopie per-

manente et quelques troubles aphasiques transitoires lorsque la lésion sié-

gerait à gauche.

5° Enfin la thrombose oblitérante peut siéger non plus sur le tronc,

mais sur lès collatérales ou sur les artères terminales, et même détermi-

ner de la sorte plusieurs foyers, comme dans le cas de Luton (1).

Nous ajouterons que le plus souvent dans ces cas compliqués (et en réa-

lité c'est à un cas de ce genre que nous avons affaire) il serait téméraire

d'affirmer que l'on se trouve en présence d'une thrombose unique ayant

à elle seule produit tous les symptômes, ou bien qu'au contraire il s'agit,

comme cela existait dans le cas de Luton, d'oblitérations multiples ayant

chacun donné naissance à un foyer distinct de ramollissement. L'étude

clinique peut établir la probabilité d'un tel diagnostic, l'étude nécrosco-

pique permet seule de l'affirmer.

Il y a maintenant lieu de se demander, puisque nous avons accepté l'i-

dée d'une thrombose artérielle, sous quelle influence s'est faite cette obli-

tération de la cérébrale postérieure ? S'agit-il d'une artérite vulgaire, de

cause banale, se rattachant à une localisation plus accusée de l'athérome

dans un point de ce vaisseau, ou bien ne s'agirait-il pas d'une artérite

syphilitique ? L'interrogatoire et l'examen de la malade ne nous donnent

aucun motif d'admettre la syphilis; cependant l'un de mes chefs de clini-

que a cru pouvoir étayer la possibilité de la syphilis cérébrale sur les

faits suivants : le mari de la malade aurait eu la syphilis et serait mort

de paralysie générale; de sorte qu'on peut supposer que la syphilis trans-

mise à la malade par le mari aurait passé inaperçue. C'est dans ces condi-

tions que fut institué chez notre malade un traitement consistant en in-

jections hydrargiriques sous-cutanées et dans l'administration de l'iodure

de potassium à hautes doses.

' Est-ce sous l'influence de cette thérapeutique que survint l'améliora-

tion présentée par la malade, ou bien cette amélioration en est-elle tota-

lement indépendante ? C'est une question difficile à résoudre. C'est qu'en

effet il ne faut pas oublier que les phénomènes produits par une lésion

cérébrale en foyer (qu'il s'agisse d'une hémorrhagie ou d'un ramollisse-

ment) s'améliorent progressivement dans la plupart des cas par suite

d'une évolution naturelle et en dehors de toute intervention thérapeu-

ti que.

(1) Mémoire de GUBLER, Paralysies alternes. Gazette hebdomadaire, 1859, p. 87.

SYNDROME TEMPORAIRE DE WEBER AVEC HÉMIOPIE PERMANENTE il

Il se produit là une amélioration spontanée, pour ainsi dire naturelle,

qu'il faut bien avoir présente à l'esprit pour ne pas attribuer à une inter-

vention thérapeutique quelle qu'elle soit, ce qui est dû à la résorption du

sang épanché dans le cas d'une hémorrhagie, ou au rétablissement, à un

certain degré, de la circulation dans le cas d'oblitération vasculaire.

D'autre part, on ne doit pas oublier que si l'on peut concevoir facile-

ment, qu'un traitement aiiti-sypliilitique institué dès le début des troubles

cérébraux donne très rapidement des effets salutaires, il serait plus dif-

ficile de se rendre compte de l'amélioration qui surviendrait plusieurs se-

maines et même plusieurs mois après la production d'un foyer d'hémor-

rhagie ou de ramollissement. De sorte que je ne suis nullement convaincu

que chez notre malade, l'amélioration soit imputable à la thérapeutique à

laquelle on a eu recours, et je ne suis pas plus certain qu'avant qu'il s'a-

gisse d'accidents syphilitiques. Cela ne m'empêchera pas de répéter, à cette

occasion, et pour terminer cette leçon ce que vous m'avez souvent entendu

dire, que dans ces cas douteux, par cela seul que la syphilis peut être en

jeu, il y a lieu de recourir pendant quelque temps au moins, à litre d'essai,

à la médication iodo-hydrargirique.

Cette leçon a été faite il y a 14 mois, en décembre 1896.

Déjà à cette époque, comme on l'a vu précédemment, il s'était produit une amélio-

ration considérable, les troubles paraphasiques n'étaient plus que peu accusés, l'hémi-

plégie légère et la paralysie des muscles de l'oeil en voie d'amélioration, tandis que

l'hémiopie persistait entière.

Depuis lors l'état s'est encore amélioré, l'hémiplégie n'est plus représentée que par

un peu de raideur des : nembres, la paraphasie a complètement disparu, et c'est à peine

si les muscles de l'oeil révèlent à un examen systématique un peu d'affaiblissement,

mais l'hémiopie est toujours complète avec une petite encoche centrale. On ne cons-

tate aucun trouble intellectuel.

Une photographie récente reproduite Pl. I, B rend bien compte des modifications

survenues dans le facies de la malade.

xi 2

LE TRAITEMENT DE L'ATAXIE LOCOMOTRICE

PAR

L'ÉLONGATION VRAIE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE.

PAR

GILLES DE LA TOURETTE ET GEORGES GASNE

Professeur agrégé, Chef de clinique

Médecin des hôpitaux. à la Salpêtrière.

Dans la séance du 26 avril 1897 (1) nous avons présenté à l'Académie

de Médecine, en collaboration avec M. Chipault, une note sur le traite-

ment de l'ataxie locomotrice par l'élongation vraie de la moelle épinière.

La méthode que nous proposions était basée sur des recherches anato-

miques qui nous avaient montré qu'on pouvait obtenir par la flexion

forcée du rachis un allongement de la moelle pouvant aller jusqu'à deux

centimètres. Nous rappellerons que nos observations cliniques faites à

l'aide d'un appareil spécial, poursuivies pendant 4 années, avaient porté

sur 47 ataxiques, 39 hommes et 28 femmes et que 22 malades, soit près

de la moitié, avaient été améliorés suivant la presque totalité des symptô-

mes ; 15 suivant quelques-uns seulement ; 10 sujets n'avaient retiré aucun

bénéfice de l'élongation. Les phénomènes douloureux, les troubles génito-

urinaires, l'incoordination motrice avaient été surtout améliorés. Nous rap-

portons aujourd'hui une nouvelle série d'observations faites dans le service

de la Clinique des maladies du système nerveux la Salpêtrière du 15 juil-

let au 15 novembre 1897. 21 malades (18 hommes et 3 femmes) ont suivi le

traitement d'une façon suffisamment prolongée et régulière (15 à 40 séan-

ces) pour nous permettre à nouveau d'apprécier les résultais que les tabé-

tiques peuvent retirer de cette méthode. Or 17 sur 21 en ont obtenu des

bénéfices considérables portant principalement sur les divers phénomènes

douloureux, les troubles génito-urinaires, l'incoordination motrice; l'in-

continence d'urine par contre a paru peu influencée.

Ce pourcentage par rapport aux résultais précédemment énoncés pa-

(1) Comm. à l'Académie de médecine, 7 déc. 1897. Voy. aussi Nouvelle Iconographie

de la Salpêtrière, 1897, p. 145.

LE TRAITEMENT DE L'ATAXIE LOCOMOTRICE 19

raîtra peut-être très considérable. On s'en étonnera moins lorsqu'on saura

que tous les ataxiques qui se sont présentés n'ont pas été indistinctement

soumis à l'appareil. Guidés par l'expérience, nous avons établi une sélec-

tion encore plus rigoureuse que celle à laquelle nous avaient conduits nos

premières recherches. C'est ainsi que l'élongation doit être refusée aux

tabétiques cachectiques comme à ceux dont la maladie revêt une très

lente évolution ; dans les cas d'arthropathies, de crises laryngées, lorsque

les manifestations sont limitées à l'appareil oculaire sous forme de para-

lysies des muscles ou d'atrophie de la papille. Ces malades doivent être

éliminés d'emblée.

Par contre, l'appréciation est un peu plus difficile et ne peut se baser

que sur l'expérience directe lorsqu'il s'agit de savoir si, indépendamment

des phénomènes observés, l'état du rachis permet d'obtenir l'élongation et

les bénéfices qu'on est en droit d'en attendre. Dans notre première com-

munication nous disions que certains malades, lors de la première séance

se pliaient comme une charnière : étant donnés les résultats fournis par

les recherches anatomiques l'élongation dans ces cas ne saurait avoir lieu.

Pendant la flexion, pour ainsi dire, normale chez ces sujets, la longueur

de la moelle ne varie pas ou varie dans des limites insuffisantes pour pro-

duire un effet thérapeutique. Chez d'autres par contre la flexion, au lieu

d'être illimitée pour ainsi dire s'effectue dans des limites trop restreintes.

Il est des sujets en effet chez lesquels elle ne saurait avoir lieu par suite

d'une adipose très marquée des parois abdominales limitant la flexion.

Dans un autre ordre d'idées, chez certains tabétiques d'un âge généralement

assez avancé (adipose), la colonne vertébrale offre une rigidité très marquée

et comme l'élongation de la moelle et des racines est intimement liée à la

flexion de la paroi antérieure du rachis la traction qu'ils peuvent supporter

reste insuffisante pour le produire. On se basera dans ces derniers cas, pour

repousser l'intervention, sur ce fait que les sujets de celte catégorie n'éprou-

vent pas dans les extrémités inférieures, pendant la séance, la sensation

passagère d'engourdissement qui est la meilleure preuve de la réalité de

l'élongation et d'une bonne application de l'appareil.

Disons en terminant que nous avons uniquement compris dans notre

statistique les malades venus du dehors, le déplacement qu'ils étaient

obligés d'effectuer dans des conditions souvent difficiles pour se rendre

trois fois par semaine à la Salpêtrière étant une véritable garantie de leur

sincérité. Dans cet ordre d'idées nous avons éliminé les sujets déjà hospi-

talisés, ceux-ci pouvant avoir intérêt à exagérer les bénéfices de l'élonga-

tion dans le but de satisfaire l'expérimentateur sous la direction médicale

duquel ils se trouvent placés, ou au contraire accuser un état stationnaire

afin de prolonger leur séjour à l'hôpital.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE

DE L'ÉPILEPSIE SYMPTOMATIQUE

DES NÉOPLASIES CORTICALES

PAR

MAGALHAÈS LEMOS

Médecin de l'Hôpital du Conde de Ferreira (Porto).

L'étude de l'épilepsie a été reprise et remaniée dans tous les sens, et

bien des aperçus nouveaux sont sortis des mémorables recherches anatomo-

cliniques et expérimentales faites dans ce domaine.

En premier lieu, l'épilepsie, qui depuis longtemps fut considérée

comme le prototype des maladies essentielles, comme une nécrose autonome,

ne compte plus guère que pour un syndrome qui peut éclater dans le

cours et par le fait de nombreux états pathologiques très divers. A côté de

cela son tableau s'est énormément agrandi par la découverte de ses équi-

valents cliniques et des épilepsies aiguës.

En ce qui concerne la pathogénie des attaques le « centre convulsif »

a perdu beaucoup de son importance. En effet, si nous ne pouvons pas

refuser entièrement un rôle secondaire à la moelle allongée, aux centres

inférieurs et aux ganglions du cerveau, et s'il est, peut-être, permis de se

placer au point de vue très général pour affirmer avec Gowers que l'épi-

lepsie est une « maladie » de la substance grise de l'encéphale ; il n'est pas

douteux qu'il s'agit là surtout et avant tout d'une affection irritative du

cortex cérébral, capable de troubler, directement ou indirectement, sous

forme de paroxysmes, les fonctions de centres psycho-moteurs.

L'observation que nous allons présenter apprend que les lésions très

limitées de la substance grise corticale peuvent produire non seulement

l'épilepsie partielle, comme tout le monde l'admet, mais aussi des atta-

ques typiques de grand mal; elle éclaircit, si nous ne nous trompons, la

palhogénèsedes accès convulsisset et donne des indications sur

la localisation du sens musculaire.

DE l'épilepsie symptomatique DES NÉOPLASIES corticales 21

Observation

Aura de la sensibilité musculaire dans la jambe gauche. Convulsions

épileptiques généralisées d'emblée. Phénomènes post-épileptiqtes. Délire.

Autopsie : tubercule solitaire du lobule pariétal supérieur droit.

Andrade, âgé de 24. ans, célibataire, employé de commerce, fils de

cultivateurs.

Antécédents héréditaires. Un grand-oncle maternel est mort à l'asile de

Rilhafolles, il y a une trentaine d'années. Le grand-père maternel, rhu-

matisant, est mort d'une hémorrhagie cérébrale, et son père d'une phtlli-

sie laryngée. Tant du côté paternel que du côté maternel, la famille est très

nerveuse et s'emporte facilement.

Le malade a eu sept frères et une soeur. Deux frères sont morts à Rio

de Janeiro de tuberculose, à ce qu'il parait : les autres sont vivants; ils

sont scrofuleux et ils ont de l'eczéma.

Antécédents personnels. -- Pas d'excès alcooliques. Pas de syphilis. Il

n'a jamais eu de convulsions, ni fait aucune maladie.

Etat actuel. - Le malade est entré dans mon service en 1884 avec un cer-

tificat médical constatant qu'il avait, depuis deux ans, des attaques épilep-

tiques suivies de délire. Le développement physique et intellectuel était

régulier. La pression dynamométrique était de 35 pour la main gauche et de

40 pour la droite. Pas d'asymétrie faciale ou crânienne. La luette était

bifurquée. Les fonctions des appareils de circulation, de respiration, de

la digestion et les fonctions urinaires étaient normales. Les réflexes rotu-

liens étaient égaux des deux côtés. Il n'a jamais présenté aucun trouble

permanent de la motilité ni de la sensibilité.

L'attaque était annoncée, parfois quelques heures ou quelques jours

auparavant,par une douleur de tête, par de l'irritabilité et de la tristesse;

elle commençait toujours par une aura localisée dans la jambe gauche.

Ce n'était pas une sensation de fourmillement ni d'engourdissement, c'était

plutôt une sensation motrice de raideur ou de contraction, une crainte

(receio) comme il l'appelait, qui montait dans la jambe. En même temps

le malade portait ses mains sur le membre gauche et le serrait fortement

au-dessus du genou, arrivant parfois de cette façon à conjurer l'attaque.

Mais on connaissait dans le service un autre moyen bien plus efficace pour

arrêter l'attaque : c'était de prendre le malade par les épaules et de le

secouer.

Lorsque l'attaque n'était pas enrayée, après avoir poussé un cri, le

malade, tout pâle, perdait connaissance et tombait en arrière comme fou-

droyé. Alors tous les muscles étaient pris d'un spasme tonique qui durait

22 11AGALIiAIsS LEMOS

une vingtaine de secondes, la face devenait vultueuse et cyanique ; puis

commençaient les convulsions cloniques qui se développaient très régu-

lièrement pendant deux ou trois minutes, et qui étaient assez souvent

suivies d'un lourd sommeil.

L'urine s'écoulait presque toujours pendant l'accès et la langue était

mordue, ou d'un côté ou de l'autre. L'attaque convulsive touchant à sa

fin, le malade, tantôt reprenait connaissance et revenait à lui se plaignant

pendant quelque temps de douleurs de tête, de courbature, el présentant

une confusion dans les idées, tantôt il tombait tout à coup dans un délire

post-épileptique vulgaire. Pour toute réponse aux questions qu'on lui

posait dans cet état, il jetait un regard vague et marmottait des paroles

dénuées de sens, ou tombait dans une stupeur profonde et restait abso-

lument muet et immobile.

C'est ainsi que les choses se sont passées pendant longtemps. Je ne veux

pas m'appesantir sur ce délire épileptique, très connu, pour insister sur

des accès délirants de nature hypochondriaque, bien autrement impor-

tants.

Le 3 décembre 1890, lorsque je passais la visite, le malade, qui errait

dans le corridor, vient droit à ma rencontre ayant la physionomie tout à

fait changée. Il avait retroussé la jambe gauche de son pantalon, montrait

cette jambe toute nue, et disait, dans un état d'angoisse : « Il m'est arrivé

un grand malheur cette nuit : on m'a tordu cette jambe, et il me semble

que je né peux pas aller passer la Noël chez ma mère. »

Je cherche à le dissuader, mais il insiste de plus belle : « Ne me dites

pas ça. Oui, vous voyez bien que ma jambe est tordue et bien tordue et

je vous prie de me la redresser. » En môme temps que le malade tenait ce

langage il pleurnichait, et, tout étonné, tâtonnait fiévreusement sa

jambe.

Cet état s'est prolongé pendant cinq jours sans aucun changement dans

les idées délirantes. Seulement dans les deux derniers jours « il entendait

un coq qui lui chantait dans la poitrine ». Le 7 décembre, le malade se ré-

veilla sans délire. Il ne gardait aucun souvenir de ce qui s'était passé, et

accusait simplement une douleur dans le front, qui a disparu au bout

de deux jours.

Je liens à ajouter que cet accès de folie ne fut pas précédé d'attaque

convulsive ; mais, la nuit du 15 décembre, il eut une attaque convulsive,

qui a été immédiatement suivie d'un accès de délire hypochondriaque,

absolument calqué sur le précédent. .

Le malade se présenta très inquiet, les yeux égarés et la physionomie

angoissée. Il montrait son pied gauche sans chaussette et sa jambe avec

le pantalon retroussé.

DE L'ÉPILEPSIE SYMPTOMATIQUE DES NÉOPLASIES CORTICALES 23

Je tiens à ce que vous m'examiniez ce pied et celle jambe, disait-il ;

ils sont tordus, je n'ai jamais eu un pied comme ça, il est tout à fait déplacé.

Est-ce que tu as mal au pied ?

Non. Çà ne me fait pas de mal, mais on me l'a tordu tout de même.

Crois-tu qu'on puisse tordre une jambe ou un pied sans produire

de douleur ?

Il a l'air de réfléchir pendant un instant mais il ne répond pas.

Qui te l'a tordu ?

- Je n'en sais rien.

Le 19, il a criépendant toute la nuit : « Ahi ! Ahi ! ... »

Il voulait se promener dans l'infirmerie, frappait les employés, brisait et

déchirait tous les objets qui tombaient sous ses mains, de façon qu'on a été

obligé de l'isoler dans une cellule.

Cet accès de violence aveugle a été de courte durée : le malade était

déjà devenu calme dans le moment de ma visite, mais restait dominé par l'

son délire hypochondriaque. Après le dîner, il s'est endormi d'un profond

sommeil pour se réveiller absolument remis.

- Après les accès convulsifs, notre malade a présenté quelquefois deux

phénomènes transitoires que je tiens à signaler :

C'était une lourdeur dans la jambe gauche, sans impotence, sans la

moindre faiblesse.

Il marchait très bien, ne traînait pas la jambe, n'avait aucune parésie;

mais il se plaignait que cette jambe était devenue « bien plus lourde que

l'autre ». La sensibilité cutanée et les réflexes étaient normaux.

Une fois, en examinant la jambe lourde pour bien m'assurer qu'il n'y

avait aucune parésie, j'ai pu remarquer que le malade, les yeux fermés,

ne se rendait pas compte de la position dans laquelle je la mettais : il avait

perdu le sens musculaire dans cette jambe.

Notre malade a eu une série d'attaques, et en est mort, dans l'état de mal

épileptique, le 28 mars 1871.

*

.. ï

Autopsie (1) :

L'encéphale pesait 1493 grammes qui étaient ainsi distribués : cervelet,

protubérance et bulbe : 198 grammes ; hémisphère gauche : 640 grammes ;

hémisphère droit : G55 grammes. Toutes ces parties étaient absolument in-

tactes, excepté un point de l'hémisphère droit; coloration, consistance, : vascularisation, tout était normal. Il est vrai que les circonvolutions pré-

sentaient quelques anomalies morphologiques, surtout dans les lobes

(1) J'adresse mes plus vifs remercîments à M. le Dr Brissaud pour l'examen qu'il a

fait de mes préparations, et pour la description qu'il a eu l'obligeance de m'en donner.

24 11AGALQAS LEMOS

frontaux qui possédaient quatre circonvolutions longitudinales, mais ces

particularités anatomiques n'ont rien de spécifique.

L'hémisphère droit, ainsi que le gauche, offrait partout un aspect nor-

mal ; mais en détachant les méninges, j'ai constaté qu'elles adhéraient au

cortex du lobule pariétal supérieur dans une région très limitée. En pro-

menant le doigt sur cette région j'ai rencontré un changement de consis-

tance qui dénonçait la présence d'un corps dur, tout à fait caché dans

l'épaisseur du cerveau, et qui, d'après la sensation du toucher, devait avoir

les dimensions d'un petit pois . Cette induration siégeait dans la par-

tie antérieure du lobule, tout près de la circonvolution pariétale ascen-

dante, comme le montre la photographie. (PI. II.)

Les méninges coupées autour de cette région furent conservées adhé-

rentes au cerveau.

Après avoir durci l'encéphale dans le liquide de Mutter, je fis une

coupe au niveau de la tumeur qui fut sur le point d'être énucléée à cause

de sa dureté. La tumeur tranchait sur le tissu nerveux par sa couleur d'un

blanc jaunâtre et par sa consistance : elle était très dure, et criait sous

les aiguilles. Elle était entourée par une capsule consistante, présentait

une forme elliptique, mesurait cinq millimètres dans le sens de son petit

diamètre et six dans le sens du plus grand. Elle était recouverte d'une

couche de cortex épaisse d'un millimètre.

- L'examen microscopique, qui a été fait après la décalcification par

l'acide chromique, montra que ce corps dur siégeait dans la profondeur de

la substance corticale, au voisinage de la substance blanche. Il a refoulé

légèrement la partie superficielle de l'écorce de façon à faire une saillie, à

peine appréciable, sous les méninges ; vers sa partie profonde, il a égale-

ment comprimé la substance blanche, dont les faisceaux étaient aplatis,

mais non détruits. Ce corps dur est formé par un bloc central de subs-

tance caséeuse, enveloppé par une zone circulaire d'un tissu de sclérose,

formé de lames conjonctives anastomosées, dans l'intervalle desquelles

on voit des noyaux et un petit lacis capillaire. Tout le pourtour de cette

sorte de coque fibreuse est représenté par une nouvelle zone de noyaux

accumulés en nodules circulaires fusiformes. Ces agglomérations de

noyaux franchement inflammatoires, et dépourvus manifestement de tous

les caractères des noyaux névrogliques, sont groupés autour des vaisseaux

capillaires. Tous ces nodules et en général toute cette zone nucléaire ré-

pondent à un processus d'irritation produit par la petite tumeur kystique.

Enfin, encore plus en dehors de cette zone d'irritation, on remarque,sur-

tout vers la partie profonde attenante à la substance blanche, une pullu-

latitin des noyaux de la névroglie.

Pour conclure, la lésion kystique dont la description précède semble

Nouv. IcOtOGKAl'HIE DE LA SALi'DMtLkL

T. XI. 1'1. Il

Pholocoli. l3cr llmrui

TUBERCULE SOLITAIRE DU LOBULE PARIETAL SUPÉRIEUR DROIT

(C.is de Nlagilliaes LCl11o.,) 1

Le tubercule se trouvait au point de jonction des deux flèches sur la figtiie.

MASSON & crie, éditeurs.

DE L'ÉPILEPSIE SYMPTOMATIQUE DES NÉOPLASIES CORTICALES 25

consister en un petit tubercule enkysté : sa localisation dans la substance

grise, son isolement, la réaction inflammatoire qui en résulte, semblent le

démontrer.

Le malade qui fait l'objet de cette observation a toujours attiré mon

attention avec un intérêt tout spécial qui fut augmenté par cette trou-

vaille microscopique, car je pense que la confrontation de la lésion avec

les symptômes peut jeter de la lumière sur des questions qui sont encore

à l'ordre du jour. Néanmoins, pour qu'on prête il cette observation toute

la portée qu'à mon avis on doit lui accorder, il faut dire que, tout en

s'agissant d'une néoplasie, c'est-à-dire d'une lésion qui, d'habitude, n'a

point de valeur pour l'étude des localisations cérébrales à cause des phéno-

mènes de voisinage qu'elle produit, et qu'en conséquence il faut rejeter

de cette étude, ce cas clinique mérite d'être relaie, parce que la tumeur,

de formation ancienne, n'agissait sur les régions voisines ni par compres-

sion, grâce à son petit volume, ni par des troubles circulatoires, ni par

des altérations inflammatoires qui étaient nettement limitées. Commen-

çons, donc, par analyser ce cas au point de vue des localisations corticales.

Nous avons devant nous deux faits bien avérés et de la plus grande

importance, qui constitueront la base de notre discussion : l'un, sympto-

matique début de l'attaque par une aura localisée à la jambe gauche ;

l'autre, anatomique - existence d'une tumeur dans la partie antérieure du

lobule pariétal supérieur de l'hémisphère droit.

Quels troubles fonctionnels pouvait produire cette tumeur, son siège

étant donné ? Nous connaissons suffisamment les attributs physiologiques

de certaines zones corticales pour pouvoir en déduire à priori les troubles

fonctionnels que sa destruction ou son'irritation doit produire ; mais ce

n'est pas le cas pour le cortex de ce lobule.

Les auteurs sont divisés en ce qui concerne les fonctions qu'ils leur

attribuent plus ou moins timidement : Charcot et Pitres admettaient en

1879, dans leurs travaux sur ce sujet, que la région motrice s'étendait

peut-être aux parties immédiatement contiguës aux circonvolutions ascen-

dantes et au lobule paracenlral, y compris le pied du lobule pariétal supé-

rieur, où le tubercule se trouvait implanté chez notre malade. Nous avions,

dans cette hypothèse, des attaques d'épilepsie provoquées par l'irritation

de la substance grise de la zone motrice : et nous serions en règle avec

la physiologie, si ces attaques revêtaient le masque de l'épilepsie partielle,

type crural. C'est ce que l'on observe « 99 fois sur 100 » (1). Mais les

(t) Bmssaon, Leçons sur les maladies nerveuses, p. 545.

26 MAGALHAÈS LEMOS

attaques de notre malade étaient généralisées d'emblée et cette parti-

cularité, que nous examinerons plus tard, mérite déjà d'être notée, -

de plus la nature de l'aura et les phénomènes post-épilepliques, qui ont

une grande valeur dans celle discussion, ne s'accordent guère avec les

fonctions motrices de cette région de l'écorce. Aussi Charcot limite-t-il

dans sa publication posthume, en collaboration avec M. Pitres, la région

motrice à la zone rolandique (1) ; et Nothnagel arrive, de son^côté, à la

même conclusion,après avoir contesté la valeur des quelques observations

isolées qui semblaient enseigner le contraire (2).

Il n'y a donc pas de raison sérieuse pour que le point de l'écorce atteint t

chez notre malade soit considéré comme moteur.

Est-ce un centre sensitif ? .

Nous touchons ici à l'un des points les plus obscurs et les plus discutés

de la physiologie du cerveau, la détermination des centres corticaux de la

sensibilité cutanée et musculaire de l'homme. La localisation capsulaire

'delà sensibilité, due à Fiürck et Charcot, est connue depuis longtemps,

mais sa localisation corticale en est aujourd'hui, pour ainsi dire, au point

où elle était en 1879, malgré les polémiques qu'elle a soulevées depuis

lors, à cause de l'intérêt psychologique qui s'y attache. Le désaccord qui

existe à cet égard entre les physiologistes et les médecins, et jusque parmi

les cliniciens, est tel qu'il devient impossible de fixer la topographie des

centres corticaux de la sensibilité générale et musculaire. Quelques phy-

siologistes, comme IIitzig, Schiffet Munk, nient l'existence de centres

moteurs corticaux ; ils pensent que la zone rolandique est tout simple-

ment constituée par des centres sensitifs, qui gardent et associent les ima-

ges provenant des sensations cutanées et musculaires, et qui mettent en

action les centres moteurs placés dans la protubérance, le bulbe et la

moelle. Ils affirment aussi que la destruction de cette région donne tou-

jours lieu à des anesthésies, qui, à leur tour, sont l'origine des troubles

moteurs qui doivent plutôt être appelés des ataxies que des paralysies

proprement dites. Bref, tous ces savants rapportent les altérations du

mouvement à des troubles, soit de la sensibilité générale, soit de la cons-

cience musculaire.

Luciani, s'appuyant sur les résultats de ses belles expériences, soutient

que la zone excitable de notre cerveau est constituée, à la fois, par des

éléments essentiellement moteurs et par des éléments sensitifs, confondus

entre eux. Il admet que ces deux ordres d'éléments forment des centres

sensitivo-moteurs, si intimement liés et « engrenés entre eux qu'il est

(1) Charcot et Pitres, Les centres- moteurs corticaux chez l'homme.

(2) NOT11riAGEL, Traité clinique du diagnostic des maladies de l'encéphale, p. 404-

434.

DE L'ÉPILEPSIE SYMPTOMATIQUE DES NÉOPLASIES CORTICALES 27

impossible d'en détruire un sans en léser fatalement plusieurs autres (1) ».

Aussi, pour ce physiologiste et pour ses élèves les lésions de la région

« motrice » affectent non seulement la motilité volontaire, mais encore la

sensibilité cutanée et musculaire, donnent lieu à des paralysies sensitivo-

motrices diffuses.

Malgré tous ces travaux, et. sans vouloir mettre en doute la grande im-

portance de la physiologie comparée, il convient de rappeler avec Charcot

que « les résultats d'expériences pratiquées sur les animaux, quel que

soit l'intérêt qu'ils présentent dans l'espèce, ne sauraient être appliqués

sans contrôle la pathologie humaine ». « Seuls les faits cliniques, dit à

son tour Nolhnagel, ont une importance prépondérante en matière de

pathologie humaine. »

Que nous dit donc la pathologie humaine ?

Pour ce qui est de l'hypothèse exagérée de Schiff et de Munck, et si on

ne s'arrête pas à des subtilités psychologiques, la réponse à celte question

me semble péremptoire. D'abord, la confusion des paralysies corticales

avec les ataxies a bien l'air d'une méprise clinique. Mais, vouloir attribuer

ces paralysies à t'anesthésie cutanée ou musculaire, c'est en donner une

explication vraiment nuisible, vu que, même dans le cas où elle s'observe,

elle ne suffit pas à justifier l'impuissance motrice. En effet, si c'était là

la cause de celte impuissance, nous aurions des paralysies dans les mem-

bres anesthésiés des hystériques, dans quelques cas de veille somnambu-

lique qui s'accompagnent d'anesthésies cutanées, nous en observons dans

ce moment un magnifique exemple, - et dans les hémianesLhésies produi-

tes par la destruction de la partie postérieure de la capsule interne ; ce qui

n'est point, comme chacun le sait.

Comme réponse aux conclusions de Luciani, on peut opposer les ensei-

gnemenls de la clinique, qui nous apprend que les lésions des circonvo-

lutions ascendantes peuvent produire des paralysies pures, non accompa-

gnées de troubles sensitifs. Et ce fait incontestable, sur lequel Charcot

insistait si souvent, prouve, contrairement au physiologiste italien, que

les centres moteurs corticaux sont anatomiquement et physiologiquement

séparés des centres sensitifs. La clinique nous apprend encoreque les per-

turbations de la sensibilité générale et musculaire peuvent apparaître in-

dépendamment des troubles moteurs, bien qu'ils se trouvent souvent asso-

ciés. Mais, même quand cette association existe, leur indépendance est

jusqu'à un certain point affirmée, puisque l'intensité des anesthésies ne

répond pas à celle des paralysies, et la marche des premières n'est pas

nécessairement suivie, du même pas, par celle des dernières.

(1) Jules Soonr, Les fondions du cerveau, p. 211.

28 11AGALIIAS LEMOS

Tous ces faits sont défavorables à l'hypothèse de la fusion intime des

éléments moteurs de l'écorce rolandique avec les éléments sensitifs.

Mais, n'y aurait-il pas dans l'écorce des circonvolutions ascendantes

quelques éléments sensitifs, non confondus avec les éléments moteurs, et

' constituant des centres distincts et séparés ? Je ne connais pas un faisceau

d'observations anatomo-cliniques bien démonstratives, qui répondent à

cette question ; telle est l'origine des discordes qui divisent les cliniciens :

les uns, se laissant impressionner par la fréquence toujours croissante des

faits, dans lesquels les paralysies corticales se compliquent de perturba-

lions sensitives les anesthésiés sont rares - admettent avec M. Bris-

saud que « les centres de la sensibilité corticale ont les mêmes localisa-

tions anatomiques que les centres de la motiiité, topographiquement

parlant, c'est-à-dire que la sensibilité, pour un membre ou pour un

segment de membre, a la même représentation corticale que la motilité

pour ce membre ou ce segment de membre. La seule différence consiste

en ce que celle-ci et celle-là ne correspondent pas à la même couche de

l'écorce » (1).

Suivant Lino, la sensibilité générale occuperait les cellules les plus

superficielles, la sensibilité musculaire les cellules des' couches moyennes,

et la motilité les grandes cellules profondes.

D'autres, tenant compte de ce que les paralysies corticales, la plupart

du temps dans les 2/3 des cas, suivant les statistiques de Ferrier et de

Charcot - ne sont point accompagnées de troubles de la sensibilité gé-

nérale et musculaire, nient la superposition de la surface sensitive à la

surface motrice. Ils admettent cependant que « les localités de la surface

du cerveau dont la lésion produit d'une part la paralysie motrice, d'autre

part le trouble du sens musculaire, occupent évidemment des territoires

proches l'un de l'autre, mais qu'elles ne sont pas identiques » (2). C'est

la conclusion à laquelle Nothnagel arriva en 1879, et qui, telle qu'elle

est exposée dans sa forme vague, me semble encore être la plus juste.

Mais, dans quels territoires proches de la région psycho-motrice siègent

ces centres sensitifs ?

Le grand clinicien d'Iéna indiquait timidement vers la même époque

les lobules pariétaux et cette localisation a été acceptée par Flechsig,

Bechterew, etc. ; mais simplement commme probable, attendu que les

cas qui avaient servi à l'établir étaient en petit nomhre et prêtaient le flanc

à de graves critiques.

Aujourd'hui encore les observations qui constatent des altérations cir-

(1) Brissaud, Leçons sur les maladies nerveuses, p. 5.i2,

(2) Nothnagel, Traité clinique du diagnostic des maladies de l'encéphale, p. 438.

DE L'ÉPILEPSIE SYMPTOMATIQUE DES NÉOPLASIES CORTICALES 29

conseilles du lobule pariétal supérieur ne sont point nombreuses, et rien

qu'à ce point de vue notre cas clinique a déjà une certaine valeur ; mais

les conditions de précision véritablement exceptionnelles dans lesquelles

la lésion se présente - je ne me lasserai jamais de le répéter - viennent

en augmenter encore son intérêt. En effet, comme il a été relevé, la

lésion se trouvait absolument limitée à ce lobule et toutes les autres par-

ties du cerveau étaient intactes.

Excepté le cas de M. Landouzy où il y avait « une tumeur du volume

d'un pois, siégeant sous la pie-mère, qui occupait la partie moyenne du

lobule pariétal supérieur droit », je ne connais aucune lésion de ce lobule

dans ces conditions de précision anatomique.

Presque toujours les lésions du lobule pariétal supérieur étaient très

étendues et empiétaient plus ou moins sur les régions voisines comme dans

la remarquable observation de Velter.

Quelquefois cependant, la lésion, bien localisée dans ce lobule, agissait t

par son volume sur le voisinage,comme dans le cas de Gowers, par exem-

ple, où il y avait un gliome dans le lobule pariétal supérieur gauche, qui

ne s'étendait pas au loin, mais l'extrémité supérieure de la pariétale ascen-

dante était « comprimée, resserrée par le néoplasme (1) ».

D'autres fois enfin, les lésions étaient multiples : en outre de la lésion

de ce lobule plusieurs néoplasmes ou plusieurs foyers scléreux étaient dis-

séminés dans l'écorce du cerveau.

Ces cas sont de ceux qu'une critique rigoureuse ne saurait admettre

sans réserve en matière de localisation, étant donnée leur complexité ana-

tomique, mais avec lesquels le nôtre contraste par sa simplicité extrême,

presque schématique.

Rappelons pourtant les symptômes présentés par notre malade.

Les différents examens que nous avons faits dans l'intervalle des accès ont

été constamment négatifs ; mais nous avons dans l'accès un fait capital :

c'est son début constant par une aura de sensation motrice localisée dans

la jambe gauche.

Eh bien, après l'étude magistrale que IIughlings Jackson a faite des

modes de début des accès, l'aura, considérée comme l'écho extérieur d'un

processus central, comme la première expression phénoménale du chan-

gement-dynamico-moléculaire paroxystique qui s'opère dans le cerveau,

a pris une importance considérable sous le point de vue des localisations

cérébrales. Il me semble donc, d'après ces travaux, et sans avoir besoin

d'insister davantage, que le lieu où était implanté le tubercule, quoique

voisin du centre moteur cortical du membre inférieur, est plutôt le centre

du sens musculaire de ce membre.

(1) Brain, vol. ier, p. G7.

30 11L1GALIIAÈS LEMOS

Les convulsions, qui étaient d'emblée généralisées, ne peuvent pas nous

éclairer à ce sujet; mais en revanche, nous avons pu observer, après les

accès convulsifs, deux symptômes qui plaident dans le même sens. C'était,

en premier lieu, la sensation de lourdeur que le malade accusait plusieurs

fois dans la jambe gauche, immédiatement après les convulsions, et qui

peut être comparée à la sensation de fatigue ou de courbature que l'on

expérimente dans les muscles soumis à un travail prolongé, et dont la

cause doit être cherchée dans le centre perceptif de la sensibilité muscu-

laire. C'était, ensuite, la perte de la notion de position, et une certaine

indécision dans les mouvements volontaires du même membre, observés

une seule fois.

Ces deux symptômes post-épileptiques, de caractère transitoire, possè-

dent évidemment la même genèse que les paralysies passagères qu'on

observe dans les mêmes conditions : ce sont, d'après une hypothèse géné-

ralement admise, des symptômes d'épuisement nerveux local. Lorsque la

perte de force, « l'épuisement nerveux », se fait dans un centre moteur

nous avons les paralysies, comme dans les cas étudiés par Tood, Jakson,

Pitres, Dutil et autres; mais, pour que cet épuisement s'annonce par les

phénomènes présentés par notre malade, il faut admettre, ce me semble,

que l'explosion se fasse dans le centre cortical du sens musculaire du

membre inférieur.

En somme : aussi bien l'aura que les phénomènes post-épileptiques observés

chez notre malade semblent démontrer que le centre de la sensibilité muscu-

laire du membre inférieur est placé dans le lieu atteint par la lésion, c'est-

à-dire, à la partie antérieure du lobule pariétal supérieur, à côté de son cen-

tre moteur et peut-être engrené avec lui.

. Ceci s'accorde avec les vues de Seppilli quand il dit que « l'on peut du

moins admettre comme vraisemblable que le lobe pariétal est surtout en

connexion avec les faisceaux du sens musculaire» (1).

Notre observation est muette en ce qui concerne les localisations de la

sensibilité cutanée.

Quels rapports existent entre la lésion de notre malade et les convul-

sions ? 2

Nos connaissances sur les fonctions du cerveau rendent inadmissible

l'hypothèse d'une coïncidence purement fortuite. En effet, le siège que le

tubercule occupait dans l'hémisphère droit et la localisation invariable de

l'aura dans la jambe gauche montrent bien qu'il s'agit d'une lésioii épi-

(i) Jules SouRy, Les fonctions du cerveau, p. 294.

DE L'ÉPILEPSIE SYMPTOMATIQUE DES NÉOPLASIES CORTICALES 31

leptogène (discarging lésions) ; c'est-à-dire, d'une lésion qui était la cause

et le point de départ de la décharge épileptique.

Ceci, relevons-le en passant, ne détruit d'aucune façon notre conclu-

sion, à savoir : que la partie antérieure du lobule pariétal supérieur est

le centre du sens musculaire de la jambe, conclusion à laquelle nous fûmes

amenés, sans parti pris, par une argumentation basée sur l'interprétation

la plus logique des faits. Car, bien que l'épilepsie jacksonnienne soit tou-

jours le résultat de décharges des éléments moteurs de l'écorce cérébrale,

les lésions corticales qui provoquent ces décharges peuvent se trouver

situées, soit dans la zone motrice, comme c'est la règle, soit « en dehors

de cette zone, à une distance plus ou moins grande de ses limites extrê-

mes » (1).

On comprend aisément comment les choses se passent dans ce dernier

cas.

En effet, puisqu'une lésion irritative de la partie supérieure des circon-

volutions ascendantes, centre moteur du membre inférieur - peut

donner lieu, dans le moment de la décharge, à des irradiations telles que

l'onde nerveuse s'étend aux centres moteurs de la face, placés dans la

partie inférieure, de ces circonvolutions, il n'est pas étonnant que le tu-

bercule de notre malade atteignit par irradiation la région rolandique,

déterminant les décharges de la substance grise de cette région, dont le

résultat est la convulsion épileptique.

Il s'agit donc d'une êp\\e^s\e symptomatique d'une lésion corticale. Mais

toutes les attaques, autant celles dont j'ai eu connaissance par la famille

ou par les infirmiers que celles que j'ai observées moi-même, pendant

huit ans, étaient tellement caractéristiques du grand mal convulsions

d'emblée généralisées et perte de connaissance - que, malgré la locali-

sation de l'aura et l'existence des phénomènes post-épileptiques, je ne

'songeais nullement à une lésion corticale. Ceci prouve que, contrairement

à l'opinion classique qui rapporte aux lésions grossières de l'écorce exclusi-

vement l'épilepsie partielle, ces lésions peuvent produire aussi des attaques

typiques de grand mal. Notre observation est absolument démonstrative à

cet égard.

Si d'un autre côté nous nous rappelons qu'on connaît des cas d'épilepsie

partielle sans aucune lésion macroscopique de l'écorce, ainsi que Seppill i

l'a montré en 1888, on s'aperçoit que sous le point de vue de la patho-

génie il n'y a pas une distinction fondamentale entre les deux grandes

formes d'épilepsie. Et cette distinction n'existe pas davantage dans le do-

(1) Charcot et Pitres, Centres moteurs corticaux chez l'homme, p. 166 ; Pitres,

Revue de médecine, 1888, p. 623.

32 " MAGALHAÈS LEMOS

maine de la symptomatologie, parce que, comme l'a si justement fait re-

marquer M. le professeur il y a entre l'épilepsie parcellaire,

limitée à quelques muscles, et le grand mal toute une gamme de cas in-

termédiaires, qui rattachent les formes extrêmes.

Mieux encore : tout le monde connaît des malades dont les convulsions

étaient d'abord localisées dans un groupe de muscles, mais qui se sont en-

suite généralisées progressivement de façon à donner lieu, au bout de

quelque temps, à des attaques de grand mal.

La physiologie expérimentale est d'accord avec la clinique en démon-

trant que l'excitation électrique de l'écorce cérébrale chez les animaux

peut produire des convulsions partielles ou générales : « Prova évidente,

dit M. le professeur Silvestrini, che l'accesso e sempre uno e che la sua

différente localizzazione depende puramente dal mezzo grade di eccita-

mento, o da condizioni individuali lutte particolari, che in un animale

fanno generalizzare il potere di eccitamento, in un altro lo localizzano ai

irritati » (1).

Le degré d'excitation anormale et de tension de l'écorce, l'intensité de

la décharge et les conditions qui président à sa diffusion, conditions aux-

quelles assurément les fibres commissurales et d'association ne sont pas

étrangères, donneront un jour la clef de ces différences individuelles : elles

permettront d'expliquer comment les convulsions produites par une pe-

tite lésion en foyer restent quelquefois toujours limitées à un groupe mus-

culaire, comment d'autres fois elles se généralisent d'emblée ; comment

enfin, chez quelques sujets, après avoir été partielles au début, elles se gé-

néralisent à la longue.

Outre l'attaque convulsive, notre malade a eu aussi un délire hypo-

chondriaque, franchement épileptique, qu'il rapportait à sa jambe gauche :

il se plaignait de ce qu'on la lui avait tordue et me suppliait de la lui re-

dresser.

Y aurait-il un rapport quelconque entre ce trouble psychique et le pro-

cessus local ?

La décharge épileptique dansle centre de transformation des sensations

musculaires du membre inférieur en perceptions et en images mentales

peut-elle évoquer là de fausses sensations, des hallucinations et créer le

délire ?

Je l'admets. J'éprouve la tentation de voir dans la localisation de la

(1) GIUSEPPE Silyestiuni, Contribuzione allo studio della patologia cérébrale, dans la

Riv. sperimentale di freniatra, 1880, p. 17.

DE L'ÉPILEPSIE SYMPTOMATIQUE DES NÉOPLASIES CORTICALES 33

lésion la cause directe de ce délire, et à généraliser ainsi l'explication qui

a été proposée pour l'aura et pour les phénomènes post-épileptiques.

Celte explication, si simple, ne se heurte à aucun fait psychologique

connu, et a pour elle l'appui de la physiologie.

Je sais bien, et je me hâte de l'avouer, qu'un néoplasme cortical ne

saurait produire des accès de délire chez le premier venu, et je pense que

dans le cas présent il y avait derrière le tubercule, que j'envisage volon-

tiers comme la cause grossière et occasionnelle du délire, une prédisposi-

tion spéciale d'origine héréditaire, qui doit résulter de troubles molécu-

laires et dynamiques qui nous échappent. C'est cette prédisposition latente

au délire que la lésion a mise en éveil en lui donnant en même temps une

localisation périphérique en rapport avec son siège et une couleur empruntée

aux attributions physiologiques du cortex lésé.

EN résumé :

I. Le centre de la sensibilité musculaire du membre inférieur semble

être placé dans la partie antérieure du lobule pariétal supérieur.

II. - Les lésions corticales siégeant dans la zone psycho-motrice ou en

dehors, surtout celles-là - peuvent produire non seulement l'épilepsie

jacksonnienne, comme tout le monde l'admet, mais des accès typiques de

grand mal.

">"'III. La différence entre l'épilepsie partielle et le grand mal, bien

qu'importante au point de vue du traitement, est au fond purement théo-

rique.

IV. - Les lésions très limitées du cortex sont capables de faire éclater

un délire, et de lui communiquer une couleur en rapport avec leur loca-

lisation.

- APPLICATIONS DE LA RADIOGRAPHIE

A L'ÉTUDE DES ANOMALIES DIGITALES

PAR

ALBERT LONDE et ' HENRY MEIGE.

Nous avons déjà eu l'occasion d'insister, l'an dernier, sur l'utilité de la

radiographie pour l'étude des anomalies digitales (1). Ce procédé d'inves-

tigation clinique, permet d'élucider aujourd'hui, rapidement et exacte-

ment, le rôle que les pièces squelettiques jouent dans les déformations des

extrémités. Grâce il lui, en effet, on arrive à connaître d'une façon pré-

cise le nombre, le siège, la forme et la structure des segments osseux

normaux ou anormaux.

C'est déjà un premier avantage que de pouvoir donner une description

complète de la difformité, portant non seulement sur sa morphologie

extérieure, mais encore sur la disposition de ses parties profondes.

La radiographie révèle ainsi nombre de particularités que les procédés

d'examen usités d'ordinaire ne permettent guère de prévoir. L'inspection

et la palpation dont il fallait se contenter jusqu'alors ne fournissaient que

des renseignements vagues, parfois même erronés, sur la charpente des

extrémités anormales. Les seuls exemples qui aient été convenablement et

complètement décrits sont ceux dont on a pu faire une dissection post

mortem. Ils sont en petit nombre et cela se conçoit, les anomalies digitales

ne constituant pas une maladie capable de conduire à l'amphithéâtre ceux

qui en sont porteurs.

Cependant le nombre des sujets atteints de malformations des extré-

mités est relativement élevé, et il y aurait un réel intérêt à grouper en-

semble tous les cas analogues : peut-être arriverait-on quelque jour, en

compulsant tous ces documents, à entrevoir les lois qui régissent ces ano-

malies évolutives.

(1) ALBERT LONDE et Henry Meioe, Applications médicales de la méthode de Ramt-

gen. Radiographies des extrémités d'un sexdigilaire . Nouv. Iconographie de la Salpê-

trière. T. X, n°l, janvier-février 1897 (5 radiographies).

APPLICATIONS DE LA RADIOGRAPHIE A L'ÉTUDE DES ANOMALIES DIGITALES 35

Mais la radiographie des anomalies digitales a surtout des conséquences

pratiques importantes au point de vue chirurgical.

Le temps n'est plus où les interventions dirigées contre les malforma-

tions étaient considérées comme des opérations de complaisance. Si des

chirurgiens, comme Boyer et Nélaton, ont pu conseiller de s'abstenir dans

les cas de ce genre, c'est qu'ils avaient à redouter des dangers que les pré-

cautions antiseptiques actuelles ont considérablement amoindris. Mieux

valait en effet respecter une difformité gênante ou simplement disgracieuse

que d'exposer le porteur de cette infirmité à tous les risques d'une infec-

tion.

Cette prudence, très légitime autrefois, n'est plus de mise aujourd'hui

et l'on n'hésite plus à opérer les doigts surnuméraires ou soudés. On a

même prétendu, trop hâtivement peut-être, que de- telles opérations, non

seulement amélioraient l'état du sujet, mais qu'elles pouvaient préserver

sa descendance de malformations similaires ? C'est admettre un peu trop

catégoriquement la transmission héréditaire des caractères acquis. Or,

cette grave question est encore trop litigieuse pour qu'on puisse y trouver

un argument valable en faveur de l'intervention.

Sans escompter ces bienfaits hypothétiques, on est cependant autorisé

aujourd'hui à proposer une opération qui, pratiquée avec toutes les pré-

cautions nécessaires, aura généralement pour résultat un perfectionne-

ment pratique doublé d'un avantage esthétique.

Mais auparavant, le chirurgien devra toujours demander des rensei-

gnements à la radiographie.

Donnant des indications certaines sur la disposition squelettique, celle-

ci lui permettra de se diriger en toute assurance ; c'est elle surtout qui

devra décider de l'opportunité de l'opération.

Dans un cas de syndactylie par exemple, il importe, avant de chercher

à libérer un doigt de son voisin, d'être fixé sur l'indépendance et sur le

nombre des phalanges accolées sous les téguments. Les épreuves radiogra-

phiques en pareille occurrence réservent souvent bien des surprises. Telle

pièce osseuse sur laquelle on croyait pouvoir compter n'existe pas, ou

bien se trouve intimement confondue avec un os voisin.

La technique de l'opération apparaît alors toute différente de celle

qu'on avait imaginée; au lieu d'une simple incision, il faudra, selon la

circonstance, entreprendre une désarticulation, une résection, etc. Le pro-

nostic opératoire, difficile à donner en s'appuyant sur les procédés d'in-

vestigation ordinaires, se trouve singulièrement facilité par l'examen d'une

radiographie.

Le chirurgien assurément ne doit pas limiter son examen à celui du

squelette. Dans le cas de la syndactylie que nous avons choisi, il est clair

36 ALBERT LONDE ET HENRY MEIGE

qu'il ne suffit pas de s'assurer de l'indépendance des pièces osseuses. Une

intervention, ayant pour but de séparer les doigts accolés, n'aura'de valeur

que si chacun des doigts, pris isolément, est, après l'opération, capable de

mouvements; autrement dit, s'il existe pour chaque doigt des tendons

correspondant aux muscles fléchisseurs et extenseurs.

La radiographie n'est pas parvenue jusqu'à ce jour à donner des ren-

seignements précis à cet égard. On peut espérer cependant arriver, par

des perfectionnements successifs, ci rendre visibles sur les épreuves les

détails des parties molles dont la connaissance ne sera pas moins utile

que celle des pièces squelettiques.

Mais, dès à présent, la possibilité de connaître exactement la disposi-

tion de la charpente osseuse, constitue un élément de diagnostic de réelle

importance et facilite singulièrement la tâche de l'opérateur.

Le double intérêt, à la fois scientifique et pratique, que présentent les

radiographies de malformations digitales, nous a engagé à soumettre aux

radiations de Roentgen tous les cas que nous avons pu rencontrer jus-

qu'à ce jour. 1

Outre le sexdigitaire dont nous avons rapporté l'histoire (1), nous rappel-

lerons le cas de syndactylie publié par MM. F. Raymond et P. Janet sous

le titre : Déformation des mains en pinces de homard chez une épilepti-

que (2). (Fig. 1.)

(1) Voy. plus haut Loc. cit.

(2) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. T. X. Ne 6, 1897.

Fig. 1. - Ectrodactylie et Syndactylie affectant la disposition de la main « en pince

de homard ». (Obs. de F. RAYMOND et P. J.NEl'.)

\oc;v. ICOOGItAI'illC JE LA SLICINIÎ-ItF T. : \1. 1'1. III

IvItlUltlJrllt ? 1.

'Pb"¡"r ? I, 'JI ? l111/.I

ANOMALIES DIGITALES

(A. Lomle et II. blcigc.)

Polyd(1{tylie.

Auriculaire surnuméraire ¡/ 111 mniu droite. (.\[, Lnr...)

APPLICATIONS DE LA RADIOGRAPHIE A L'ÉTUDE DES ANOMALIES DIGITALES 37

De même, une observation d'Hypertrophie congénitale des doigts médius

et index de la main gauche par M. R. Cestan (1).

On trouvera dans le lovez de la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière

les reproductions en photoLypie des radiographies qui ont été faites en ces

occasions.

Les exemples nouveaux que nous allons rapporter sont au nombre de

quatre :

I. Un cas de polydactylie : sexdigitaire complet ; auriculaire supplé-

,mentaire aux deux mains et aux deux pieds ; orteils « en coup de vent »

au pied gauche.

II. - Un autre cas de polydactylie : annulaire supplémentaire aux deux

mains et aux deux pieds; auriculaire supplémentaire dénué de squelette

à la main gauche.

III. Un cas de syndactylie des doigts index, médius et annulaire, ac-

compagné d'arrêts de développement et de changements de direction des

doigts. '

IV. Un cas d'ectrodactylie de la variété dite « en pince homard ».

Didactylie incomplète.

I

Le premier cas est celui d'un sexdigitaire complet (six doigts à chaque

extrémité) offrant de grandes analogies avec l'exemple que nous avons

rapporté antérieuement.

Le sujet, L., âgé de 23 ans, a eu deux frères, morts aujourd'hui, et qui

étaient porteurs de la même malformation. Il a deux soeurs qui, ni l'une

ni l'autre, ne présentent rien d'anormal, ainsi que ses parents et ses

grands-parents.

Dans sa jeunesse, il fut opéré de son doigt supplémentaire de la main

gauche.

Actuellement, il est encore porteur d'un sixième doigt à la main droite et

aux deux pieds.

A la main droite, ce doigt surnuméraire se détache du bord cubital, en

dehors et un peu au-dessus de l'auriculaire. Ce dernier, recourbé en demi-

flexion, ne peut que très difficilement être étendu. Il est moins long que

l'auriculaire, il ne peut se rapprocher de lui et reste écarté latéralement.

(PI. m.) "

Les quatre premiers métacarpiens et le squelette des doigts normaux

ne présente aucune déformation importante. L'anomalie porte unique-

ment sur le cinquième métacarpien, au niveau de son extrémité inférieure.

.

(i) Ibid..

38 ALBERT LONDE ET HENRY MEIGE

Celle-ci se termine en effet par une tête bifide sur laquelle on distingue

deux surfaces articulaires : l'une destinée à l'auriculaire normal, l'autre

au doigt surnuméraire; cette dernière est plus saillante et dépasse notable-

ment la précédente en se dirigeant obliquement vers le bord cubital de la

main ; chez notre premier sujet, c'est l'inverse que l'on pouvait noter, la

tête métacarpienne correspondant-à l'auriculaire normal descendant plus

bas que l'apophyse où s'articulait le doigt surnuméraire. (Fig. 2.)

Dans le cas actuel, on peut se ren-

dre compte, en examinant la struc-

ture du 5e métacarpien,que la moitié

inférieure de sa diaphyse semble for-

mée par l'accolement et la fusion de

deux os ; une différence de teinte

bien visible sur la radiographie est

l'indice de cette soudure osseuse.

Elle n'est plus visible dans la moitié

supérieure de l'os qui est seulement

plus volumineux qu'à l'ordinaire.

Le doigt surnuméraire est pourvu

de deux pièces squelettiques bien

conformées, mais de moindres di-

mensions que les os correspondants

de l'auriculaire normal.

' Il n'est pas rare que les doigts surnuméraires ne soient pas pourvus de

toutes leurs pièces squelettiques. Les observations anciennes signalent

des cas où il n'existait que deux phalanges ou même une seule. Cependant

il a pu arriver qu'on ait méconnu le nombre des articles. Il convient

d'ajouter pour la décharge des observateurs, que les segments osseux pré-

sentent souvent entre eux des soudures; il était donc presque impossible

de préciser leur nombre par la simple palpation. Aujourd'hui, la radio-

graphie permet de faire sur le vivant une constatation qui ne pouvait être

établie qu'à l'examen post mortem ou au cours d'une opération chirurgi-

cale.

Les deux pieds de ce même sujet sont pourvus des six doigts ; mais les

doigts surnuméraires affectent une disposition différente à l'un et à l'au-

tre pied.

Du côté droit, la tête du cinquième métatarsien est considérablement t

agrandie ; elle est pourvue de deux surfaces articulaires distinctes où

viennent s'adapter,en dedans, le cinquième orteil normal, en dehors, l'or-

teil supplémentaire. Ce dernier présente trois segments osseux ; la pha-

lange est bien conformée, à peine plus grosse que la phalange du doigt

Pipa. 2. Polydactylie : Auriculaire sur-

numéraire chezun sexdigitaire auxquatre

extrémités. (Ohs. de A. Loaoe et II. Mr.IC;E,

janvier 1891.)

APPLICATIONS DE LA RADIOGRAPHIE A L'ÉTUDE DES ANOMALIES DIGITALES 39

voisin ; il en est de même de la phalangette ; mais, ici encore, la phalan-

gine est notablement atrophiée et déformée ; elle semble faire corps avec

la tête de la phalange. Le doigt surnuméraire tout entier a cependant le

volume du cinquième orteil normal ; il chevauche sur ce dernier par son

extrémité. (Pl. y. C.)

Au pied gauche, la radiographie permet d'abord de constater une dé-

viation de tous les orteils en dehors, partant principalement sur leurs

phalanges. (Pl.y. B.). II y a là un aspect comparable à celui que Brissaud,

puis Feindel, ont décrit pour la main sous le nom de « déviation des

doigts en coup de vent » et dont un bel exemple, accompagné d'une radio-

graphie, a été publié par Boix dans ce recueil (1).

Nous n'avons pas à rappeler ici les hypothèses pathogéniques proposées

pour expliquer cette anomalie ; nous retiendrons seulement qu'elle sem-

ble reliée à un trouble du développement ou de la nutrition. Sa coexis-

tence avec un doigt surnuméraire n'aurait donc rien de surprenant. Quoi

qu'il en soit, le fait objectif qui se dégage de celte constatation, c'est

l'existence d'une déformation en masse des orteils méritant le nom d' « or-

teils en coup de vent ». Voilà encore une acquisilion nouvelle dont nous

sommes redevables à la radiographie.

Sur ce pied gauche, le petit orteil surnuméraire part, non de l'extré-

milé inférieure, mais du bord externe du cinquième métatarsien. Celui-ci

est pourvu, à l'union de son tiers inférieur avec ses deux tiers supérieurs,

d'une tubérosité saillante qui constitue la surface articulaire supplémen-

taire.

C'est là que vient s'adapter la phalange du doigt anormal, laquelle se

dirige presque verticalement en bas et se continue par une phalangine et

une phalangette soudées entre elles, et incurvées en avant.

La tubérosité métacarpienne ne paraît d'ailleurs pas être une surface

articulaire libre : la phalange doit s'y trower plus ou moins intimement

soudée.

Remarquons enfin que le doigt surnuméraire participe à la déviation

générale des orteils « en coup de vent ».

Ce mode d'articulation sur une tubérosité située sur la diaphyse d'un

métatarsien est à rapprocher de celle de l'auriculaire surnuméraire que

nous avons constatée sur la main gauche du sujet dont nous avons publié

les radiographies l'an dernier.

(1) E. Boix, Déviation des doigts « en coup de vent » et insuffisance de l'aponévrose

palmaire. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, t. X, p. 183.

40 ALBERT LONDE ET HENRY MEIGE

II

La planche IV (A et B) représente les mains d'une femme qui porte à

droite et à gauche deux anomalies différentes.

Il s'agit encore de polydactylie. Mais ici, le doigt surnuméraire ne part

pas du bord cubital, il prend naissance entre les deux derniers doigts de

la main : c'est vraisemblablement un annulaire supplémentaire.

A la main droite, la déformation est particulièrement intéressante. Les

deux annulaires, le normal et l'anormal, affectent une disposition qui

rappelle, en apparence tout au moins, celle qu'on décrit sous le nom de

« pince de homard ». Mais ce n'est qu'une ressemblance, car tous les

autres doigts de la main sont normaux et dans la « pince de homard »

véritable, ceux-ci font généralement défaut en totalité ou en partie. En

outre, les deux mors de la « pince de homard » sont mobiles, tandis

qu'ici il n'en est rien.

La radiographie rend bien compte du squelette de cette anomalie. Les

deux phalanges, intimement soudées par leurs extrémités supérieures,

s'écartent en formant entre elles un angle obtus ; à leurs extrémités infé-

rieures s'articulent les phalangines prolongées par les phalangettes qui

se rapprochent de façon à former avec les phalanges un quadrilatère os-

seux ouvert en bas.

Il est presque impossible de dire lequel de ces deux doigts correspond

à l'annulaire réglementaire, car le doigt qui touche au médius n'est pas

moins déformé que son satellite ; ses deux derniers segments osseux sont

cependant un peu plus gros. Quant à la fourche formée par les deux

phalanges, elle est composée de deux branches égales en longueur et

en volume. Leur base d'implantation présente du côté du métacarpien

une double surface articulaire concave séparée par une crête. Le qua-

trième métacarpien s'articule sur la cavité articulaire située du côté de

l'auriculaire, l'autre cavité ne correspond pas au métacarpien, mais à un

petit tubercule osseux, isolé, qui s'articule lui-même, sans y adhérer, à

la tête métacarpienne.

Le quatrième métacarpien est aussi anormal ; sa diaphyse est amincie ;

elle est bordée d'une ligne sombre qui indique un épaisissement du tissu

compact de l'os plus accentué que dans les autres métacarpiens ; en outre

l'extrémité inférieure présente du côté du médius une saillie destinée à

l'articulation du tubercule osseux isolé que nous avons signalé. Ce der-

nier représente, à n'en pas douter le vestige d'une tête de quatrième mé-

tacarpien supplémentaire.

A la main gauche, l'anomalie digitale est tout autre. Il s'agit bien en-

core d'un annulaire surnuméraire; mais ce doigt n'est pas intimement

Nous. ICONOGRAPHIE DE LA S.1LI'I.TIilLltfi T. XI. Pl. IV

Radiog. A. Lourle 'Pbotocol/, l3crtbnurl

A. Maiu gallebe, (NI", Esii ...) B Main dioite. (IUO Esn...)

Annulaire et rudiment de 4c metic.irpieii supplémentaires. Annulaire supplémentaire formant pince de homard avec l'annulaire normal.

ANOMALIES DIGITALES

Polydactylie.

(A. Londe et II. Neige.)

Nouy, ICONOGRAPHIE DE LA SALFETKLLRE T. XI. Pl. V

RadlOg..1. Londe `PGnlaroll. `I3rUbaurl

A. `l'ierl guutbe. (111. Esn...) B. 'l'rtrlgnrrrl.`e. ( : '1. Lac ? ) C. `l'rrvl drnrl. (M. Lare...)

l orteil et rudiment de 4c métatarsien supplémentaires. 5 orteil supplémentaire. SI. orteil supplémentaire.

ANOMALIES DIGITALES

Polydactylie des pieds.

(A. Londe et II. Aleige.)

MASSON & çiC1 Editeurs

APPLICATIONS DE LA RADIOGRAPHIE A L'ÉTUDE DES ANOMALIES DIGITALES 41

soudé à son congénère ; il semble plutôt se rapprocher de l'auriculaire,

et à ne considérer que les apparences extérieures, on est tenté de croire

qu'il s'agit du petit doigt. ·

La radiographie permet de trancher la question. En effet, si l'on consi-

dère le squelette du métacarpe, on voit qu'il est régulièrement constitué;

en particulier, le cinquième métacarpien se continue sur le bord cubital

de la main par une phalange, une phalangine et une phalangette, l'en-

semble formant l'auriculaire normal. Mais entre le lui" et le 5° métacar-

pien, on distingue nettement une tête métacarpienne adventice qui se

prolonge par un rudiment de corps dirigé vers le 4° métacarpien. Cette

masse osseuse est peu compacte, comme l'indique sa plus grande trans-

parence. Sur cet os rudimentaire s'articule une phalange, et à celle-ci

vient se souder une phalangine ; une phalangette est articulée à cette der-

nière.

Ainsi se trouve constitué le doigt surnuméraire où nous remarquons

encore la soudure des deux premiers segments osseux, phalange et pha-

langine.

Les os qui le constituent sont de volume moindre et de transparence

plus grande que ceux des autres doigts.

La direction et la forme du métacarpien rudimentaire sur lequel ce

doigt anormal s'articule permet de considérer ce dernier comme un an-

nulaire supplémentaire. La radiographie montre clairement que le corps

ébauché de ce métacarpien est dirigé dans l'espace qui sépare le 5e du

4e métacarpien, du côté de ce dernier os.

Cette hypothèse est encore confirmée par l'examen des pieds. La radio-

graphie reproduite PI. V. A. représente le pied gauche de la même femme,

et, en vertu d'une loi de symétrie presque constante dans les anomalies

digitales, on y retrouve un quatrième orteil supplémentaire affectant une

semblable disposition.

Dans l'intervalle qui sépare le 4e du 51j métatarsien, on aperçoit un ru-

diment de métatarsien supplémentaire dont la tète, située à la hauteur

de la tète du 5e métatarsien, se prolonge par un corps effilé qui se perd

dans les parties molles. Sur cet os rudimentaire s'articule une phalange,

puis viennent une phalangine et une phalangette soudées en une masse

confuse, le tout constituant un orteil adventice qui chevauche entre le

4," et le 5e orteil. Orteil et métatarsien supplémentaires sont encore de

plus petit volume et de densité moindre que les autres os du pied.

La Fig. 3 montre la configuration extérieure du pied gauche et, à che-

val sur le 4° et le 5" doigt, l'orteil surnuméraire dont l'extrémité libre,

pourvue d'un ongle bien formé ne dépasse guère la racine des deux pré-

cédents. .

42 ALBERT LONDE ET HENRY MEIGE

L'examen de la radiographie ne révèle l'existence que d'un doigt sur-

Z) - .. ?

numéraire a la main gaucne. uepen-

danl l'inspection de la main du sujel

montre qu'il existe encore un autre

doigt supplémentaire. Ce dernier à

la vérité est complètement dépourvu

de squelette et n'est représenté que

par une excroissance charnue accolée

au bord cubital du petit doigt, et

terminée par un rudiment d'ongle.

La photographie ordinaire repro-

duite Fig. permet d'apprécier la

configuration extérieure de ces cu-

rieuses anomalies digitales : Ú la

main droite, un annulaire bifurqué

en Y ; à la main gauche, un bouquet

digital formé de deux doigts char-

pente osseuse et d'un appendice

charnu pauvrement ongulé.

On voit, par cet exemple, qu'il

Fig. 3.

4 orteil supplémentaire et rudimentaire.

(Obs. 11. A. Londe et IIe.niiy l\I¡;IGE,)

Fig. 1.

Annulaire supplémentaire à la main droite ; annulaire et auriculaire charnu surnu-

méraires à la main gauche. (Obs. II. A. Lom et Henry Meige.)

NOLV. ICOOGRAIJHIE DE LA SAf 1 ? TRIÈRE

T. XI. Pl. \'1

A

B

C

Rrdn;rnr61nc A. Londe

9'lmlnrnll. `l3cr llml

ANOMALIES DIGITALES

(A. Londe et H. Meige )

A et B. Syndactylie ci vices de développement multiples des doigts. (lI. Tip...).

C. Eilrnrlrrrtlie : Malformation eu «pince de homard u.

NOUV. IC01\OGRAl'IlIE DE LA S.1L1'I.fItILRL

T. XI. Pl. VII

'Phototype ue· ? 1. Londe

'Pba/olOll. l3crthnurl '

ANOMALIES DIGITALES

Syndactylie et vices de développement des doigts.

MAISON rie Fditl"'111<;

APPLICATIONS DE LA RADIOGRAPHIE A L'ÉTUDE DES ANOMALIES DIGITALES 43

est utile, dans la description des anomalies digitales, de mettre en paral-

lèle les renseignements fournis par la photographie ordinaire et ceux que

donne la radiographie.

III

A ces exemples de polydactylie nous ajoutons un cas de syndactylie.

Il s'agit d'une Bretonne, idiote, présentant plusieurs anomalies de

développement de la face et des extrémités. Nous n'insistons pas sur les

premières dont la photographie reproduite Pl. VII peut donner une idée.

Les anomalies des mains sont multiples. Outre la syndactylie qui porte

sur les doigts index, médius et annulaire, des deux côtés, il existe des mal-

formations considérables dans le nombre, le volume el la direction des

pièces squelettiques des doigts. (Pl. VI. A. B.)

Les métacarpiens sont, eux aussi, très déformés ; leur longueur, leur

courbure diffèrent notablement de la normale. Nous ferons remarquer

surtout le petit volume et la brièveté du quatrième métacarpien, à droite

comme à gauche ; cet os est formé d'un tissu moins compact que celui de

ses voisins ; du côté droit, il chevauche au-dessus du troisième métacar-

pien ; toutes les tètes métacarpiennes sont déformées et offrent des surfaces

d'articulation irrégulières.

A la main gauche, les premières phalanges sont bizarrement conformées.

Les deuxièmes phalanges semblent faire complètement défaut ou sont

intimement confondues avec les dernières, celles-ci sont réduites à des tu-

bercules rudimentaires. Les ongles existent cependant.

Il est presque impossible de décrire la charpente osseuse des doigts de

la main droite, l'arrêt de développement ayant complètement bouleversé

sa texture et sa forme.

La même difficulté se présente pour l'examen des deux pouces dont les

deux segments phalangiens sont à la fois atrophiés et déviés.

IV

Un dernier exemple se rapporte à un cas d'ectrodactylie observé chez

un autre idiot de Bretagne. (Pl. VI. C.).

L'anomalie porte ici, non seulement sur les doigts, mais sur la main et

même sur le squelette du poignet. C'est une « pince de homard » véritable.

Le massif osseux du carpe, d'une lecture déjà malaisée sur les radiogra-

phies d'individus sains, ne peut guère se prêter à une description rigou-

reuse.

Sur le bord radial s'articule une courte pièce osseuse, ébauche d'un

premier métacarpien qui se prolonge par une seconde pièce plus petite

dirigée en dedans et constituant l'une des dents de la pince.

44 ALBERT LONDE ET HENRY MEIGE

Sur le bord cubital, un cinquième métacarpien informe se détache, et,

après lui, un segment osseux recourbé en sens inverse du précédent forme

la dent opposée de la pince.

Ces deux appendices peuvent être considérés comme les vestiges d'un

pouce et d'un auriculaire; ils sont pourvus d'ongles, d'ailleurs très atro-

phiés. Enfin, la masse osseuse du carpe présente trois saillies mamelon-

nées entre les deux mors de la pince : ce sont les seuls vestiges des trois

métacarpiens intermédiaires.

« Des anomalies de ce genre ont été signalées par les auteurs. Polaillon

en rappelle plusieurs cas d'après Morel-Lavallée, Menière, Annaudale

(Fig. 5), Gueniot (-1).

On peut y ajouter pour mémoire, l'observation publiée par A. Sou-

ques et H. Leclerc (2) dans ce recueil, à laquelle se rapporte la Fig. G.

Le présent travail était déjà sous presse lorsque nous avons eu connaissance d'un

cas récent d'anomalie digitale opéré par le Dr Phocas (de Lille), après examen radio-

graphique de la difformité (3).

Il s'agit d'un enfant âgé de 5 mois, bien portant, porteur d'un pouce bifide du côté

droit.

Le diagnostic de la malformation a été facilité par la radiographie. L'enfant présen-

(1) Dict. encycl. des sc. méd., art. Doigt, p. 131.

(2) A. Souques et HENRI LECI.EliC, Un cas de bidaclylie de la main droite. Nouv.

Iconogr. de la Salpêtrière, 1894, p. 244.

(3) Phocas, Difformités congénitales des doigts el pouce bifide. Nord médical, le, fé-

vrier 1898.

Fig. 5. - « Pince de homard », d'après

Temperly, in traité (I'Annaudaie. (ex Die[.

enc. des se. méd., art. Doigt.)

Fig. 6. - Un cas de bidaclylie de la main

droite (cas de A. Souques et II. Leclerc.)

APPLICATIONS DE LA RADIOGRAPHIE A L'ÉTUDE DES ANOMALIES DIGITALES 45

tait une division de la seconde phalange du pouce. Le métacarpien, la première pha-

lange et les articulations correspondantes étaient normales, de la même longueur que

celles du côté opposé. La seconde phalange était bifurquée régulièrement, de manière

à représenter deux secondes phalanges placées l'une à côté de l'autre. Chacune de ces

phalanges était pourvue d'une articulation spéciale et d'un ongle bien conformé ; entre

les deux petites phalanges existait un sillon. Ces deux petites phalanges beaucoup plus

petites que la seconde phalange de la main gauche ne remuaient pas séparément. Les

tendons se divisaient probablement pour s'attacher par une bifurcation aux deux pha-

langes.

Cette difformité congénitale rentre dans la classe des pouces bifides, dont la division

porte sur la seconde phalange sans intéresser la première.

Cette déformation n'était pas héréditaire. Aucun des antécédents de l'enfant n'avait

présenté un vice de conformation quelconque, au moins d'après le dire des parents.

Mais, la mère, au 3- mois de la grossesse, eut peur, paraît-il, d'un lapin écorché vif

qui se débattait. Son attention a été attirée sur les pattes de ce lapin et depuis cette

époque elle a pressenti un vice de conformation sur son enfant. « Sans admettre tous

les racontars, dit M. Phocas, il nous semble qu'il n'y a pas lieu de rejeter toujours la

notion de l'influence morale de la mère retentissant sur la conformation du foetus. »

M. Phocas croit d'ailleurs qu'on ne doit pas repousser l'idée de la transmission des

difformités acquises.

Au point de vue de l'intervention chirurgicale, cet auteur se déclare partisan de

l'intervention, d'une façon générale.

Dans le cas actuel, l'opération a eu pour but d'accoler les deux doigts contigus et de

reconstituer un doigt normal ; elle a parfaitement réussi.

En ce qui regarde l'utilité de la radiographie dans les interventions de ce genre,

M. Phocas dit formellement :

« A l'aide de ce moyen d'investigation, il est facile de préciser la connexion des

doigts supplémentaires avec le squelette de la main et d'acquérir des notions que le

simple palper ne démontre pas toujours. »

Au moment où parait ce fascicule, une autre observation d'anomalies digitales vient

d'être publiée, par F. JAYLE et C. Jarvis (Presse médicale, 26 février 1898).

Il s'agit d'un cas d'ecti-odactylie des deux pieds accompagnée d'ecl1'odactylie avec

syndactylie de la main droite. Cette observation est accompagnée de photographies et

de radiographies des extrémités malformées, très intéressantes à consulter.

Une radiographie de doigts syndactyles (cliché Radiguet) est reproduite dans le

journal La Radiographie (10 janvier 1898).

SENS STÉRÉOGNOSTIQUE-ET CENTRES D'ASSOCIATION

PAR

GEORGES GASNE,

Chef de clinique à la Salpêtrière.

L'hystérie réalise parfois des dissociations de symptômes que ne sau-

raient obtenir les plus habiles expérimentateurs. Or quel que soit le mé-

canisme des phénomènes hystériques, il est difficile de ne pas les rapporter

au moins au fonctionnement défectueux de territoires anatomiques ner-

veux ayant une certaine autonomie. Sans vouloir donner plus de valeur

f qu'il ne faut à un argument de cet ordre, il semble que l'existence d'un

symptôme isolé, pur, ne puisse guère s'expliquer, même s'il n'a été cons-

taté que chez des hystériques, autrement que par l'existence d'un centre,

d'un territoire limité tenant sous sa dépendance le symptôme en ques-

1 tion.

Dans les deux observations qui suivent nous avons trouvé une dispari-

tion complète du sens stéréognostique et du sens stéréognostique seul,

toutes les autres sensibilités cutanée, musculaire, articulaire étant conser-

vées. Evidemment la notion du relief, l'appréciation par le toucher de la

forme des objets ne sont pas le faitd'une sensation simple primitive, elles

ne peuvent se former que par un rapprochement entre les sensations

éprouvées et celles de divers ordres perçues déjà autrefois au contact d'ob-

jets semblables. Ce sens stéréognostique suppose donc la mise en jeu non

pas d'un centre de sensibilité mais d'un centre de mémoire et d'associa-

'. tion. Or la réalité de ces centres en tant que territoires anatomiques dis-

, tincts localisables à la surface des hémisphères est encore en question.

Observation I. - Aron..., de 36 ans, employé d'octroi, sans antécé-

dents héréditaires et personnels dignes d'être relevés, vient nous consulter

parce qu'il ne peut plus se servir de sa main gauche. Il y a un mois et demi

en voulant retenir un paquet qui tombait, il fit un mouvement brusque et il

ressentit aussitôt « quelque chose de bizarre » dans tout le membre supérieur

gauche ; depuis ce moment il reste inhabile, laisse échapper tout ce qu'il tient

dans la main de ce côté, sans ressentir du reste de douleur, bien que les 3e, 4° et

5e doigts lui paraissent légèrement engourdis.

SENS STÉRÉOGNOSTIQUE ET CENTRES D'ASSOCIATION 47

Nous étudions la force musculaire, elfe parait conservée dans tous les seg-"

ments du membre malade ; toutes les phalanges se fléchissent et s'étendent

normalement, avec assez d'énergie. Le dynamomètre donne 29 de ce côté con-

tre 35 à droite, mais notre malade exerce surtout sa main droite.

La sensibilité au premier abord ne paraît pas troublée davantage, le tact est

parfaitement conservé ainsi que la sensation douloureuse développée par la

piqûre, et la sensation thermique; la localisation des points explorés est par-

faite. Nous avons recherché l'état de la sensibilité articulaire en imprimant des

mouvements aux diverses phalanges, les muscles étant dans le relâchement;

ces mouvements sont très bien perçus ; la moindre résistance aux mouvements

volontaires est également accusée par le malade (sensibilité musculaire con-

servée).

Le sens stéréognostique est par contre absolument absent ; qu'on mette dans

la main des objets très usuels, une montre, une clef, une pièce de monnaie, un

crayon, du bois, de l'étoffe, du papier que la main droite reconnaît instantané-

ment, le malade ne peut dire ce que tient sa main gauche; il dit c'est chaud,

c'est froid, c'est lisse, mais je ne saispas ce que c'est.

En face d'un tel symptôme isolé l'idée de l'hystérie s'imposait; ce malade

n'en a aucun des stigmates ordinaires, mais il présente un trouble des mou-

vements oculaires sur lequel M. Raymond a déjà attiré l'attention comme carac-

téristique de la grande névrose, c'est l'abolition des mouvements volontaires

des yeux absolue pour l'élévation et la convergence, et marquée pour les autres

mouvements ; tant que son attention n'est pas attirée la musculature oculaire

fonctionne parfaitement ; dès qu'on le prie de fixer un objet déterminé, surtout

s'il est placé au-dessus du plan horizontal passant par ses yeux, ceux-ci res-

tent immobiles. <

Une maladie inflammatoire antérieure explique l'inégalité pupillaire et la dé-

formation de l'iris; les réactions à la lumière et à la distance sont normales ainsi

que le fond de l'oeil et l'acuité visuelle.

Observation II. - Pic... âgée de 41 ans, sans antécédents personnels ou

héréditaires notables. Le 23 juin dernier, après quelque fatigue, la malade qui

avait déjà ressenti quelques engourdissements dans le bras gauche est prise

dans la journée de contracture du côté gauche (la face, le bras et la jambe).

Elle était raide « comme un morceau de bois » et insensible à la piqûre. Le len-

demain, elle peut marcher n'éprouvant plus qu'une certaine raideur de la jambe

et une hyperesthésie des membres et du tronc rendant tout contact, même des

vêtements, douloureux du côté primitivement contracture et insensible. Depuis

ce moment elle a toujours « comme l'onglée » la main gauche et tout ce qu'elle

veut saisir de cette main lui échappe.

Nous constatons d'abord que les deux membres inférieurs se comportent éga-

lement bien, même motilité, même absence de troubles- de sensibilité, mêmes

réflexes rotuliens un peu forts. La main gaucho n'amène que 22 au dynamomètre

tandis que la droite amène 3, mais toutes les articulations se meuvent nor-

malement.

9

48 G. GASNE

. La sensibilité au tact est parfaitement normale, la piqûre est douloureuse,

et bien localisée ; il y a à gauche sur l'avant-bras et la main une certaine hy-

peresthésie au froid et au chaud dont les sensations restent persistantes. La sen-

sibilité articulaire et musculaire est très bien conservée, de même que la notion

de position dans l'espace, la main gauche est toujours immédiatement saisie par

la main droite dans quelque direction qu'on la mette. Le compas de Weber

marque un écart plus' considérable au niveau de la main et de l'avant-bras

gauche avant que la malade perçoive les deux piqûres.

. Le sens stéréognostique est complètement aboli. La main gauche ne reconnaît

ni une allumette, ni un crayon, ni une pièce de monnaie, ni une bille d'ivoire,

'elle ne distingue pas la soie du coton ou de la laine. La malade ne peut que

dire : c'est chaud, c'est froid.

Nous avons noté déjà les sensations subjectives de froid perçues dans le

membre supérieur gauche, que la malade est obligée de couvrir plus que

l'autre ; il y a en même temps une certaine hyperesthésie, le gant gauche doit

être très large, ce gant trop juste est horriblement pénible.

Aucun trouble de réflectivité. Aucun trouble trophique.

On ne relève chez cette malade aucun autre trouble de la santé qu'une certaine

diminutionde la mémoire coïncidant avec des cauchemars troublantconstamment

son sommeil, et des colères fréquentes. Il y a un léger tremblement des doigts,

un état d'obésité assez accentué. Négation de tout excès alcoolique.

De ces observations il résulte qu'il existe, isolable, une sensibilité spé-

ciale qu'on peut appeler sens stéréognostique, et qui consiste dans l'ap-

préciation de la forme des objets; mais c'est là une sensation complexe et il

n'est pas inutile d'insister sur ce fait dans l'élude des diverses anesthésiés

que, dans une sensation même simple, il est aisé de distinguer deux élé-

.ments au moins, d'une part l'impression apportée par les filets nerveux

périphériques, d'autre part l'élaboration de cette sensation, sa synthèse avec

les images des autres sensations données par le même objet et avec celles

des sensations antérieures plus ou moins semblables. C'est ainsi que la

notion de tact, de douleur, de température, que la localisation de ces sensa-

tions à tel ou tel point de la peau peuvent être troublées par des mécanismes

différents ; encore faut-il remarquer que la peau n'a pas le privilège de ces

sensations dites simples, les surfaces articulaires ou les ligaments qui les

unissent, les muscles sont sensibles. Si cette sensibilité a élé niée, c'est

qu'on l'a confondue avec les sensations complexes que les auteurs ont

réunies sous le nom de sens musculaire, et la notion d'une contraction des

muscles et de la mesure même de celle contraction me paraît indéniable.

Il suffit d'avoir recherché la sensibilité articulaire (chez les ataxiques par

exemple) pour savoir qu'il faut à chaque instant se mettre en garde contre

l'artifice dont ils usent pour reconnaître les mouvements imprimés à leurs

SENS STÉRÉOGNOSTIQUE ET CENTRES D'ASSOCIATION 49

articulations et qui consiste justement à mettre en état de tension les

muscles moteurs de celles-ci, de sorte que de la notion acquise du fait de

cette tension plus ou moins forte ils déduisent la position de l'article.

Mais à l'aide de ces sensations en quelque sorte élémentaires : sensibi-

lité cutanée avec ses modes délicatement différenciés : tact, pression,

douleur, température, sensibilité articulaire, sensibilité musculaire,l'esprit

élabore une sensation plus complexe, il les réunit, les associe aux sensi-

bilités de même ordre ou d'ordre différent, visuel, olfactif,moteur, etc., dont

il a gardé le souvenir ; il apprécie le relief, la forme, la nature de l'objet, 1 Il

il le reconnaît, il a une nouvelle sensibilité, la sensibilité stéréognostique.

C'est cette sensibilité stéréognostique dont nous voudrions chercher la

localisation. Pour cela il faudrait d'abord l'isoler des sensations élémen-

taires à l'aide desquelles elle est formée. Que les ataxiques aient perdu

l'appréciation de la forme des objets il n'y a rien là de surprenant, leur

peau sent mal ou pas du tout, leurs articulations se meuvent sans qu'ils

se doutent de leur position, ils n'ont donc plus aucun élément pour con-

naître l'objet qu'on a mis dans leur main ; joignez à cela que souvent leur

sensibilité musculaire n'est pas intacte, et que, surtout pour les petits

objets : aiguilles, pièces de 0 fr. 50, elle est mise en jeu de façon trop dé-

... licate, ce qui explique justement qu'ils reconnaissent plus facilement les

objets volumineux comme un porle-monnaie ou un couteau, tandis qu'ils

\ ne peuvent boutonner le bouton de leur chemise ou épingler leur cravate.

- Et ces mêmes signes nous les rencontrons chez la plupart des hémi-

plégiques organiques, chez qui la précision des mouvements plus quel-

quefois que la force de ces mouvements est troublée surtout lorsqu'on

soustrait les membres au contrôle de la vue. Nous soignons en ce moment

un syphilitique qui a été frappé d'hémiplégie droite il y a cinq mois

environ : il fait mouvoir aujourd'hui, grâce à une rééducation attentive,

C : 1acun des segments de son membre supérieur droit, il peut saisir des

objets de faible dimension comme un porte-plume, une allumette, une

épingle, mais il lui est impossible de se boulonner parce qu'il ne voit pas

le.boulon' qu'il doit manoeuvrer. Si on étudie sa sensibilité, on trouve à

côté d'une hypoesthésie cutanée assez notable l'insensibilité absolue des

articulations et même des muscles qui les mobilisent.

Il ne faut pas s'appuyer sur de tels faits où les sensations élémentaires X

ayant disparu la sensation complexe ne saurait exister, pour localiser le

sens stéréognostique et nous serons obligés de nous souvenir de cette re-

marque en étudiant les récents travaux sur ce sujet. Tout concourt cepen-

dant à nous faire placer ce centre nouveau dans le manteau cortical des

hémisphères.

xi 4

50 G. GASNE

*

* *

A l'ancienne conception du^cerveau, centre confus de la pensée et

de la motilité volontaire, s'est substituée la doctrine des localisations céré-

brales. S'il est difficile, comme lefait remarquer Van Gehucliten,de recon-

naître dans la structure de l'écorce grise des différences sensibles d'une

région à une autre, les observations anatomo-cliniques, les expériences

physiologiques nous permettent de donner aux territoires corticaux une

'valeur fonctionnelle bien différente. Un point du moins est acquis défini-

tivement, nous savons que la destruction de certaines parties de l'écorce

cérébrale est suivie de la paralysie des muscles du côté opposé du corps.

Cette « zone motrice » occupe à peu près la partie moyenne de la surface

corticale.

En arrière d'elle, Meynert localisa les centres de sensibilité, l'on fil de

la zone frontale le siège de l'intelligence et pendant quelque temps on

vécut sur le schéma très simple du cerveau intellectuel, moteur et sen-

sitif.

Mais de toutes parts on interrogea avec plus de soin la sensibilité des

hémiplégiques, des anciens opérés, des animaux en expérience et pendant

que Ferrier, Betcherew, Horsley maintenaient la séparation des centres

sensitifs et des centres moteurs, Schiff et Munk nièrent l'existence de

ces derniers ; ils rapportèrent aux seuls troubles de la sensibilité les phé-

nomènes paralytiques des hémiplégiques : ceux-ci doivent à leur lésion la

perte de leur sens musculaire et les troubles de la motilité ne sont qu'une

conséquence de cette anesthésie spéciale. Entre ces théories extrêmes se

place la conception de Tripier généralement acceptée aujourd'hui, les

centres moteurs et les centres sensitifs sont superposés, un même élément

nerveux reçoit l'impression de la périphérie et la réfléchit sous forme de

mouvement.

Il est impossible de nier l'existence de troubles de la sensibilité dans

les lésions corticales suivies de phénomènes moteurs; la rapide dispari-

tion de ces troubles, leur peu d'intensité, leur modalité particulière

expliquent qu'ils aient longtemps passé inaperçus. Il résulte en effet des

thèses récentes de Aba, de Bourdicault-Dumay, de Verger, que ces trou-

bles existent au moins transitoirement dans l'immense majorité des cas

sinon dans tous les cas où la zone corticale dite motrice est lésée.

Mais cette étude ne laisse pas que d'être encore peu avancée à cause de

la difficulté où l'on est de s'entendre sur la nature des diverses sensibilités.

En particulier le mot de sens musculaire, synonyme pour certains de sens

stéréognostique, a été pris dans les acceptions les plus diverses; on l'a

employé pour désigner la perception de différence entre divers poids,

autrement dit la notion de l'effort dépensé, ce qui est pour nous la vraie

SENS STÉItÉOGNOS1'IQC ET CENTRES D'ASSOCIATION 51

sensibilité musculaire. Mais on l'a employé aussi pour désigner la force

musculaire' caractérisée par la résistance aux mouvements passifs et qui

p11'a rien à voir avec la sensibilité ; on l'a employé pour désigner la per-

ception des mouvements passifs, perception qui n'est autre que le résul-

tat de la sensibilité articulaire; on l'a employé pour désigner la notion

de position des membres et de leurs segments, dite encore le sens de

l'espace, ou la sensation de pression, et M. Aba admet que ces six

facteurs réunis concourent à former le sens musculaire ; aussi dans

les 2 observations où il noie les troubles du sens musculaire et du sens

stéréognostique comme existant à l'exclusion de tout autre trouble de

sensibilité, nous savons que la sensibilité articulaire, que la sensibilité

musculaire étaient altérées ; que, par contre, elles étaient indemnes dans

les 4 observations caractérisées pour lui par l'absence de troubles stéréo-

gnostiques et musculaires malgré la présence des troubles de la sensibi-

lité douloureuse, thermique et du sens de localisation (indication du point

où a porté la piqûre ou l'attouchement). Il n'y a donc pas à proprement

parler dans toutes ses observations de perte isolée du sens stéréognosti-

que ; il faut ajouter du reste que loin de localiser les troubles de sensibi-

lité dans les régions atteintes par le processus destructeur, l'auteur consi-

dérant'que ces troubles ont disparu rapidement a de la tendance à les mettre

sur le compte d'un « acte inhibitoire exercé par ce qui reste de la partie

lésée et par les éléments nerveux avoisinant celle-ci )J. C'est peut-être faire

la part un peu belle à l'inhibition en face d'un malade qui peul compren-

dre un interrogatoire aussi délicat que celui de la recherche des troubles

de la sensibilité. ' -

Verger qui a fait sa thèse sous l'inspiration de M. le Doyen Pitres, étudie

les anesthésiés consécutives aux lésions de la zone motrice. Sans nous arrê-

ter aux très intéressants résultats des nombreuses expériences de l'auteur

qui lui ont permis de conclure que, après l'abolition de la zone motrice, il

y a dans tous les cas des symptômes d'anesthésie ou du moins d'hypoes-

tbésie, que cette anesthésie porte sur les sensations tactiles proprement

dites, les sensations douloureuses qui sont surtout des sensations de dé-

fense n'étant pas atteintes, que la topographie en est plus diffuse que celle

des troubles moteurs, que la durée en est éphémère et parait être en rap-

port' avec l'étendue de la lésion, nous relèverons surtout cette autre con-

clusion à savoir que ce sont principalement les sensations associées qui

font défaut dans les lésions corticales, que la perte de ces notions com-

plexes, ce que l'auleur appelle t'akinesthésie, en est le caractère domi-

nant : l'akinesthésie pouvant être complète, absolue mémo si la diminu-

tion dos modes élémentaires de la sensibilité générale est peu marquée et

seule elle est localisée dans les circonvolutions cérébrales. C'est qu'en

52 G. GASNE

effet les centres rolandiques ne sont pas des centres de perception des sen-

sations brûles cutanéo-musculaires, ce sont déjà (tes centres ( association ;1

.-......... . ?

et de mémoire musculo-tactile, comme les centres rolandiques moteurs"

sont des psycho-moteurs. Il faut concevoir une série d'étapes entre les

centres de perception de chaque sensation élémentaire et les centres mo-

teurs volontaires rolandiques. Il y a donc, comme le soutient M. Pitres,,

confusion dans l'écorce cérébrale des territoires d'association et des terri-

toires de projection ; encore l'auteur est-il très prudent et s'abstient dit-

il de discuter la question de savoir si les troubles sensitifs qu'il a cons-

tatés sont un effet direct de la lésion en elle-même ou d'une répercussion

lointaine du traumatisme sur les centres si tués autre part, par voie inhibi-

trice ou par l'intermédiaire de troubles circulatoires. Rappelons qu'il a en

effet toujours constaté à côté de la perte du sens stéréognostique des trou-

bles de la sensibilité tactile et musculaire, et il est seulement en droit de

dire que la destruction de la zone rolandique n'abolit pas la perception de

la sensation brute il n'y a pas anesthésie, il y a hypoesthésie - mais

seulement la perception des variations qualitatives de cette sensation; que

c'est un centre de sensibilité perfectionnée, ce qui ne veut pas dire pour

cela un centre d'association.

M. Bourdicault-Dumay sépare nettement au contraire le sens sléréognos-

tique des sensibilités tactiles, douloureuses et thermiques de la peau et même

de la sensibilité musculaire proprement dite, uniquement mise en éveil par

la contraction des muscles, facilement perçue quand on s'oppose auxmou-

vements et différente également des sensibilités articulaires, capsulaires,

etc. Il a constaté que l'évolution des désordres de ces sensibilités élé-

mentaires pouvait être indépendante de l'évolution des troubles du sens

stéréognostique et pour expliquer ce phénomène étrange de gens pouvant

toucher un objet, le sentir, apprécier même parfois s'il est grand, petit,

mou, rond, etc., et cependant incapables de le reconnaître, il les compare

aux malades atteints de cécité, de surdité psychique.

Il y aurait dans ces cas abolition des images commémoratives tactiles

et par suite impossibilité de rapprocher les sensations éprouvées de celles

déjà produites par les objets semblables. N'y a-t-il point là la nécessité

d'une localisation corticale spéciale pour le sens stéréognostique ? Ce cen-

- tre nouveau, centre de représentations acquises, fonction d'éducation, il

faut bien admettre avec Wernike qu'il est double puisqu'avec la main saine

les objets sont immédiatement reconnus. Mais M. Bourdicault-Dumay ne

''Se contente pas d'en supposer l'existence, s'appuyant sur 2 observations

de Wernike et sur une 3e de Dubbers il en précise le siège à l'union du

tiers moyen et du tiers inférieur de la circonvolution pariétale ascendante

de l'un et de l'autre côté.

SENS STÉRÉOGNOSTIQUE ET CENTRES D'ASSOCIATION S3

Cette conclusion est-elle exacte ? Elle contredit la plupart des anato-

mistes pour qui les neurones d'association qui servent aux fonctions psy-

chiques ne seraient pas groupés en ilots séparés, mais au contraire sillon-

neraient en tous sens la substance grise des circonvolutions. La synthèse, -\

le rapprochement des sensations actuelles et des sensations passées ne

peuvent évidemment se faire que par l'intermédiaire de filets nerveux dits

d'association qui mettront en rapport les centres sensitifs divers entre eux

et avec les centres des souvenirs anciens. Les fibres d'association seront

ainsi opposées aux fibres de projection qui mettent en rapport les organes

récepteurs périphériques et les centres corticaux. Histologiquement rien

ne distingue les fibres d'association des fibres de projection, elles se con-

fondent dans la substance blanche inséparable, seule l'étude des dégéné-

rescences et l'étude du développement permettent peut-être de saisir leur

disposition.

Or M. Pitres, au congrès de Nancy en août 1896, disait de ces neurones

d'association qu'ils échappaient à la méthode anatomo-clinique, que les

fonctions qui leur sont attribuées n'étaient pas localisables, il concluait

ainsi : c'est vraisemblablement courir après une chimère que de rechercher

le siège de l'intelligence, de la mémoire, du jugement, de la volonté. Et

en février 1897 à la Société de biologie,lYl. Déjerine, se basant sur les dégé-

nérescences secondaires consécutives aux lésions de la corticatité, montre

que si seul le secteur moyen de l'hémisphère envoie des fibres de projec-

tion dans le pied du pédoncule cérébral, les secteurs antérieur et posté-

rieur sont reliés au thalamus par de très nombreuses fibres de projection;

la même année au mois de juin, avecMme Déjerine, il constate que les fais-

ceaux différenciés du centre ovale des hémisphères ne sont pas exclusive-

ment formés par une seule variété de fibres (de projection, d'association

ou commissurales), mais qu'ils constituent des faisceaux mixtes.

En face de l'aulorité incontestée qui s'attache aux noms de MM. Pitres et

Déjerine, s'élèvent la conception de Flechsig et les résultats de vingt années

de recherches sur lesquelles il s'appuie. Cet auteur montre que ce sont

les centres de perception qui se développent les premiers bientôt complétés

par. des fibres à direction centrifuge, fibres de projection. Mais ces centres

n'occupent qu'un tiers de l'écorce, un tiers de l'écorce seulement est en

rapport direct avec la conduction des impressions sensitives et avec les

mécanismes moteurs, les deux autres tiers reçoivent de ces centres sensi-

tifs des fibres myélinées, ils sont destinés à la pensée, ils ne se dévelop-

pent qu'un mois après la naissance et pour un même point reçoivent des

filets nerveux issus de cenlres de projection différents, preuve de leur

b4 G. GASNE

rôle coordinateur et élaborateur. Du reste ces centres d'association n'ac-

quièrent leur développement que chez l'homme ; chez l'animal, même le

plus élevé, ils sont beaucoup moins considérables; chez le foetus ils sont

à l'état rudimentaire, alors que déjà les sphères sellsilivo-motrices sont

constituées; ils restent stationnaires chez les arriérés, les idiots, les imbé-

ciles, ils prennent une singulière extension chez les individus dont l'in-

telligence est supérieure.

Les centres sensoriels étant les premiers à se couvrir de myéline for-

ment dans le cerveau du foetus ou du nouveau-né des ilôts distincts. Mais ces

centres sont subordonnés les uns aux autres et « non d'égale condition » :

la sphère tactile commande dès le début et garde la direction générale

pendant toute la vie, elle est la plus étendue, elle est au centre, les sphères

visuelle et auditive sont excentriques et par conséquent en rapport moins

direct avec les autres circonvolutions.

La sphère tactile qui reçoit non seulement les impressions des téguments

externes, mais aussi les impressions organiques liées à la respiration, à la

circulation, etc., comprend les circonvolutions centrales, lelobuleparacen-

tral, la partie voisine de la circonvolution du corps calleux et de la partie

postérieure des trois circonvolutions frontales, là les fibres sensitives se

mettent en connexion avec les cellules d'origine des fibres motrices.

La sphère auditive la dernière développée, n'apparaissant qu'après la

naissance, comprend la partie moyenne de la première temporale et l'oper-

cule inférieur de la scissure de Sylvius ; les fibres du nerf cochléairese ter-

minent là autour des cellules d'origine des fibres qui vont aux masses grises

du pont et au delà à l'écorce cérébelleuse et aux noyaux d'origine des nerfs

moteurs périphériques.

La sphère visuelle est sur la face interne de l'hémisphère autour de la

scissure calcarine, de là des neurones centrifuges vont à la couche optique

correspondante puis aux masses grises inférieures ou à la sphère tactile.

Flechsig explique comment la destruction de cetle zone n'amène pas de

paralysie des muscles oculo-moLeurs dont le centre serait plus loin bien

que l'excitation de cetle même zone provoque comme Munk l'a montré des

mouvements des globes oculaires.

La sphère olfactive, qui a perdu chez l'homme la prééminence qu'elle

conserve encore chez beaucoup d'animaux où elle se développe la première,

est formée du trigone olfactif, de la partie voisine de la circonvolution du

corps calleux, de la substance perforée antérieure, du repli cunéiforme et

de la partie voisine de la circonvolution de l'hippocampe.

Ces centres sont- la fois sensitifs et moteurs, les impressions recueil-

lies à la périphérie arrivent jusqu'à eux par une série de neurones cen-

tripètes superposés et de là sont réfléchies a travers les neurones centri-

SENS STÉRÉOGNOSTIQUE ET CENTRES D'ASSOCIATION 55

fuges successifs jusqu'aux muscles périphériques. Ce sont les centres ner-

veux pour les réflexes d'origine corticale (Van Gehuchten).

Tout le reste de l'écorce, les deux tiers chez l'homme de la surface hé-

misphérique, est occupé par les centres d'association ou centres psychi-

ques qui ne se recouvrent que très tard de myéline. Il y en a trois :

C'est d'abord le grand centre d'association postérieur, comprenant une

grande partie du lobe occipital, du lobe pariétal el du lobe temporal ; il

serait spécialement le siège de l'intelligence proprement dite ; ses lésions

provoqueraient des troubles de la mémoire et de l'association des idées,

l'incohérence, la démence.

Le centre d'association moyen est localisé dans l'insula de Reil, il est

surtout en rapport avec les fonctions du langage.

Le centre d'association antérieur comprenant la partie antérieure du

lobe frontal intéresserait surtout la personnalité de l'individu, ses lésions

supprimant l'attention active et modifiant le caractère.

Ces trois centres sont absolument indépendants des masses grises infé-

rieures, ils n'ont pas de fibres de projection, ils reçoivent des filets centri-

pètes venant des sphères sensibles et envoient des filets centrifuges qui y

retournent, les maintenant ainsi en dépendance immédiate.

C'est dans les centres d'association que les sensations tactiles, visuelles,

olfactives, acoustiques se réunissent, se fusionnent, sont comparées entre

elles et avec les sensations passées, ce sont les instruments de la pensée et

de la volonté. On conçoit combien ils doivent varier dans l'échelle des

êtres depuis les animaux les plus inintelligents jusqu'à l'homme, et chez

l'homme même d'un individu à un autre.

Ainsi les neurones d'association comme les neurones de projection sont

groupés en ilots séparés et par conséquent accessibles aux recherches ana-

tomo-cliniques sinon à l'expérimentation puisqu'ils sont le propre de l'hom-

me. Pendant le premier mois de l'existence les impressions diverses arri-

vent au cerveau de l'enfant et sont réfléchies ne pouvant être conservées

ni comparées, il n'y a aucun mouvement volontaire : peu à peu les fibres

d'association vont unir ces sphères sensitivo-motrices aux centres psychi-

ques permettant d'abord le souvenir puis la comparaison des diverses ima-

ges ; de nouvelles fibres partant des centres psychiques vont aux sphères

sensitivo-motrices et celles-là permettent de maîtriser le mouvement

réflexe et de provoquer le mouvement volontaire.

C'est l'étude du développement, l'apparition successive d'ilots myélines

dans le cerveau du foetus et de l'enfant qui a permis de faire la localisation

de ces centres.

Histologiquemenl on trouve quelque différence entre les centres d'asso-

ciation et les centres de projection : cellules fusiformes géantes, surabon-

56 G. G.15G ,

dance des fibres intracorticales d'association déjà signalée sous les noms de

ruban de Vicq d'Azir, de substance réticulaire d'Arnold.

Enfin si l'on peut imaginer ce que serait un individu dont les sphères

de sensibilité seraient seules détruites avec conservation des centres d'asso-

ciation ou vice versa, il faut avouer que les cas sont rares où les hasards

des destructions pathologiques ont permis de constater la réalité de la des-

cription de Flechsig. Cet auteur en relate deux : l'un dû à Heubner dans

lequel la sphère auditive gauche intacte était séparée de toutes les parties

voisines supérieures, postérieures et inférieures par un foyer de ramollis-

sement : le malade entendait et répétait les mots prononcés devant lui mais

sans en comprendre le sens et sans en garder le souvenir. L'autre dû à

Nothnagel se rapportait à un homme qui devint aveugle par ramollissement

des deux sphères visuelles et cependant conserva le souvenir de l'aspect

extérieur, des formes et des couleurs des objets vus autrefois.

Mais ce que le physiologiste ne peut faire par expérimentation, ce que

la pathologie ne peut réaliser que rarement par des destructions anatomi-

ques, l'hystérie va le réaliser et les cas que nous avons rapportés sont

des exemples frappants de la dissociation de ces centres cérébraux, les uns

centres de projection servant à la sensation simple et au mouvement ré-

flexe plus ou moins compliqué et coordonné mais involontaire, les autres

centres d'association servant à la sensation complexe formée de la compa-

raison des images présentes et passées et à la motilité volontaire.

Certes il est difficile de tirer d'un fait d'ordre purement clinique un

argument en faveur d'une thèse anatomique. Il faut avouer cependant que

l'esprit est naturellement porté à supposer qu'une fonction qui peut si

nettement s'isoler cliniquement doit pouvoir aussi s'isoler anatomique-

ment. Quoi qu'il en soit, nos observations prouvent que le sens stéréo-

gnostique résultat complexe de l'association de sensations simples actuel-

les et d'images antérieures conservées par le souvenir, peut disparaître

sans que les parties élémentaires dont il est formé aient elles-mêmes dis-

paru. Elles affirment de nouveau la nécessité de spécifier dans l'élude des

anesthésiés et principalement des anesthésies d'origine corticale ce qui ap-

partient à l'impression proprement dite des centres sensitifs et ce qui ap-

partient à l'élaboration des phénomènes perçus.

ANIYOTBOPII1E DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT,

CONSÉCUTIVE A LA VARIOLE, CHEZ UN FELLAH

PAR

J. B. CHARCOT.

Ancien chef de clinique de la Faculté.

Assouan, 17 janvier 1898.

Etant donnée l'absence totale d'observation accompagnant la photogra-

phie, l'intérêt du cas résidera presque uniquement dans son côté pittores-

que. Toutefois, si nous avions eu plus de temps à notre disposition et un

interprète sérieux, il nous aurai tété possible de faire quelques remarques

intéressantes, car les cas semblables à celui-ci paraissent assez nombreux

en Egypte.

En effet, traversant rapidement l'Egypte, et ne nous arrêtant que

quelques instants de temps à autre, nous avons vu, sans les chercher,

trois cas absolument semblables et dus à la même cause, la variole,

maladie dont la fréquence dans ce pays était si grande avant l'occupation

des Anglais qui ont rendu la vaccine obligatoire depuis quelques années.

La photographie malheureusement nous a trahi et des trois clichés un

seul mérite les honneurs de l'Iconographie. (l'l. VIII.)

Les seuls renseignements que nous avons pu obtenir, nos connaissances

en arabe étant des plus insuffisantes,sont les suivants :

Le vieillard en question est âgé de 64 ans, c'est un Fellah, natif d'As-

souan, autrefois cultivateur,mais qui,depuis l'apparition de son amyotro-

phie, se contente pendant les mois d'hiver de se joindre a la cohorte qui

harcèle de demandes de backchiche les heureux touristes qui voyagent sur

le Nil.

A 24 ans il fut atteint de variole : ceci semble absolument certain,et il

porte d'ailleurs de nombreuses traces de celte affection. A cette époque,

pendant ou après ( ? ) survint une paralysie de son membre supérieur droit

à laquelle succéda l'amyotrophie qui persiste encore et que l'on voit bien

nettement sur notre photographie. A cela se bornent nos renseignements

bien péniblement recueillis, la piastre à la main.

58 ? 13 CHARCOT

L'amyotrophie porte sur la totalité du membre et est très prononcée,

la sensibilité parait intacte dans tous ses modes. Le squelette est normal

comparé pour ses dimensions il celui du membre opposé. Les seuls mou-

vements possibles du bras sont des mouvements de rotation en dedans et

en dehors, et du côté de l'avant-bras sur le bras de très faibles mouvements

de flexion et d'extension.

L'aspect et l'observation ( ? ) des deux autres malades dont les clichés

n'ont malheureusement rien donné étaient identiques, sauf que l'un était

âgé de 26 ans (il avait eu la variole à 18 ans) et l'autre de 32 ans avec la

variole à 17 ans.

S'agit-il dans ces cas d'une de ces névrites post-varioliques décrites par

Joffroy, ou au contraire d'une poliomyélite spinale antérieure aiguë de

l'adulte. L'insuffisance d'examen et d'observation ne nous permet pas de

trancher la question; toutefois, il nous semble peut-être plus vraisembla-

ble qu'il s'agit de névrite post-variolique. 11 est presque inutile d'ajouter

qu'aucun traitement électrique n'avait été appliqué, les hôpitaux de Th.

Cook et C°, petites merveilles d'installation et qui rendent actuellement

tant de services, n'exislant pas encore quand nos malades ont été atteints

de variole.

Cette photographie a été prise sur la rive gauche dela première cataracte :

l'individu qui se trouve sur le même cliché, les bras croisés, a persisté, peu

respectueux des lois du Coran, et malgré nos prières, à se placer devant

l'objectif; nous ne le regrettons pas, car ses bras musculeux ne font que

mieux ressortir l'amyotrophie du vieillard; il fait partie des Soudanais

superbes gaillards qui pour quelques sous se jettent de 13 mètres de haut

dans les rapides vertigineux de la première cataracte.

LES PEINTRES DE LA MÉDECINE

UNE OPÉRATION SUR L'OEIL

PAR

HENRY MEIGE.

Une peinture de la galerie de Schwerin représente un chirurgien de vit

lage pratiquant une opération sur l'oeil d'un paysan.

C'est, à notre connaisssance, le seul document pictural se rapportant à

ce genre d'opération. Il est de la main d'un peintre allemand du

1VIIIe siècle, Dietrich, qui acquit en son temps une grande célébrité.

CIIIHSTIAN WimELM ERNST Dietrich ou DIETRICr (il signait Dietuicu)

naquit à Weimar, le 30 octobre 1712, et mourut à Dresde, le 23 ou 24 avril 1

1774. Il eut pour premiers maîtres : son père Johann Georg Dietrich et le

paysagiste Alexander Thiele.

De bonne heure, il acquit un certain renom qui lui valut le patronage

du comte de Buhl. Grâce à la libéralité de ce dernier, il put faire un

voyage en Hollande où il ne tarda pas à se laisser séduire par les maîtres

des Pays-Bas. Peintres de genre et peintres de paysage lui parurent dignes

d'être à imiter. Aussi le nombre des oeuvres de Dietrich qui se ressenlent

de l'influence hollandaise ou flamande est-il considérable. Il s'inspira de

Rembrandt, de van Ostade, de Brouwer, d'Everdingen, Berghem, Poelem-

burg, etc. elc.

Plus tard, vers 1742, Dietrich voyagea en Italie où il se fil remarquer

par la facilité avec laquelle il sut s'approprier la manière des maîtres

italiens, des paysagistes principalement. Puis, il revint à Dresde où il fut

bientôt nommé professeur à l'Académie et peintre de la cour.

De son vivant, Dietrich a joui d'une grande réputation en Allemagne,

et jusque dans les pays voisins. C'est lui que Winckelmann appela le

c< Ra171aë1 du paysage», ce qui est peut-être excessif. A coup sûr, ses ta-

bleaux de genre sont loin de valoir ceux des maîtres qu'il s'efforça d'imi-

60 HENRY MEIGE

ter.Cependant, il est juste de reconnaître que Dietrich possède des qualités*1

dont les peintres allemands, ses contemporains, n'ont laissé que de très

rares exemples.

Durant son séjour en Hollande, cet artiste dut prendre le goût des scènes

réalistes; il y apprit a puiser ses inspirations dans la nature et il s'est efforcé

de rester fidèle aux sages enseignements des Flamands et des Hollandais.

A vrai dire, 'dans ce genre de peinture, il ne témoigne pas d'une bien

grande originalité : c'est un imitateur consciencieux, qui s'assimile aisé-

ment la manière de ses modèles préférés, mais auquel il manque l'entrain

et la virtuosité dont ont fait preuve les maîtres de l'art des Pays-Bas.

Outre ses paysages qui constituent la partie la plus importante de son

oeuvre, Dietrich a peint un grand nombre de scènes d'intérieur (1). Parmi

ces dernières nous en connaissons deux qui ont traita des opérations chi-

rurgicales pratiquées par des barbiers rustiques :

Un Dentiste qui se trouve dans la galerie de Schwerin, etqui forme pen-

dant à l'Opération sur l'oeil dont nous allons parler (2).

Ce tableau est intitulé : Dans la chambre d'un chirurgien (PI. IX).

Le décor est conforme aux traditions de l'école des Pays-Bas : intérieur

sombre où pénètre, par une fenêtre à vitraux, un jet de lumière, qui vient

poser çà et In un reflet brillant, sur un cuivre, sur un verre, sur le bord

d'un plat, sur le coin d'une table. Mobilier des plus simples : escabeau

grossier, chaise boiteuse, vieux tonneau servant de guéridon, et, pour or-

ner les murs, quelques rayons branlants chargés d'écuelles, de fioles et de

cruches ébréchées.

Les ustensiles professionnels se réduisent à bien peu de chose : quel-

ques emplâtres, des pots d'onguent, un ou deux instruments bons à tout

faire. C'est encore la chaise, où s'assoit le patient pour se faire panser,

saigner, gratter un cor, ouvrir un furoncle ou simplement raser la barbe,

c'est encore cette clcclièoe, apte à tous les besoins du barbier chirurgien, qui

constitue l'accessoire le plus symbolique de son modeste cabinet de con-

sultation.

C'est là que le client a pris place, tournant le dos à la fenêtre.

A n'en juger que par sa mine, il serait aventureux de compter sur de

gros honoraires. Le pauvre diable est vêtu d'habits usés jusqu'à la

corde ; une mauvaise pièce dissimule malle trou que son coude a dû per-

cer depuis longtemps déjà dans sa manche. Sous les coups de soleil et sous

Il) Dietrich a aussi laissé un assez grand nombre de gravures parmi lesquelles un

Arracheur de dents et un Charlatan sont au musée d'Aix-la-Chapellc.

(2) N° 271 dn Catal. Schlie 1882. T3. Il, 31, I,. 25,

! \ouv. IcOOGHAPIIIE DE LA SALPÊI1Ul,RE T. XI. Pl. IX

LES PEINTRES DE LA MÉDECINE

Dietrich (1 ï 12-1 ïï4)

École allemande.

Une opération sur l'oeil.

(Galerie de Schwerin.)

UNE OPÉRATION SUR L'OEIL 61

les giboulées, son feutre a pris une forme et une couleur indescriptibles

avec des bords frangés qui pendent par lambeaux.

L'opérateur est d'ailleurs assorti à son client ; sa mise n'a rien de re-

cherché ;' il est évidemment du même acabit, que ce dernier : c'est un

villageois peu fortuné auquel le métier d'oculiste n'a guère profité jusqu'à

ce jour. Il n'est plus jeune : son crâne se dénude, cependant quelques mè-

ches grises passent encore sous le béret déformé qui lui sert de couvre-

chef.

L'opération qu'il fait ne doit pas être bien compliquée ; mais elle néces-

sité avant tout une immobilité absolue du patient. Cela n'est pas sans doute

aisé à obtenir, 'car, pour refréner les mouvements intempestifs, le vieux

chirurgien emploie des procédés énergiques.

A pleine main, il empoigne son malade par les cheveux et lui maintient

la tète en bonne position afin d'éclairer son champ opératoire. Impossible

de bouger pour esquiver l'instrument, sous peine de subir le supplice plus

atroce d'un douloureux tiraillement des cheveux.

Ce n'est pas tout. Comme les agitations des jambes peuvent, elles aussi,

faire dévier la main de l'opérateur, ce dernier a jugé bon de paralyser

leurs mouvements en posant tout bonnement son pied sur le genou de sa

victime. Dame ! quand on est seul, sans aide, - sans même le concours

de la vieille commère qui remplit si utilement le rôle de contention dans

les officines de Teniers et de Brouwer, il faut bien user de subterfuges.

Au surplus, pour le louable but que poursuit le chirurgien, excusables

sont les procédés de rigueur dont il fait usage.

Que veut-il tenter ? Très probablement, retirer de l'oeil de son client

un corps étranger insupportable, quelques grains de poussière sans doute.

Rien de plus. L'instrument dont il se sert est une sorte de stylet très

fin maintenu entre le pouce et l'index, la lige passant entre le médius el

ce dernier doigt, à la façon dont certaines personnes tiennent une plume

à écrire. La pointe arrive au contact de la cornée et l'on a lieu d'être sur-

pris que l'opérateur ne songe pas à écarter les paupières, car il est bien

probable qu'un clignement défensif va le gêner dans son opération.

Ce n'est pas que la chirurgie oculaire fût ignorée au XVIII0 siècle ; elle

atteignait même un degré de perfection tel qu'on a pu dire de cette épo-

qué qu'elle était la Renaissance de l'ophtalmologie. En France, les noms

et les oeuvres de Jacques Daviel, de Pellier de Quengsy, de Janin, etc.,

témoignent des progrès faits dans celle 'lie de la chirurgie. L'opéra-

témoignent des progrès faits dans cette branche de la chirurgie. L'opéra-

tion de la cataracte devenait de pratique courante, et l'arsenal des ocu-

listes était fort bien monté (1).

(1) Consulter la Chirurgie oculaire française au XVII' siècle. Pellier de Quengsy, par

A. TEnsoN. Paris, Steinheil, 1895,

62 HENRY MEIGE

Mais il est bien certain que les procédés opératoires délicats n'étaient

pas la portée des barbiers de village. Les soins qu'ils donnaient aux yeux

se limitaient à de grossiers pansements pour les inflammations des pau-

pières ou à l'extraction de corps étrangers facilement accessibles.

C'est une intervention de ce genre que Dietrich a voulu représenter.

Si simple soi t-el le, celle-ci est certainement douloureuse, car le patient

pousse des cris déchirants. Selon la tradition, l'opérateur n'en est nul-

lement ému ; tout au contraire, il semble y prendre un malin plaisir et

sa vieille figure s'anime d'un rire qui ne semble guère compatissant.

Mais bah ! pense-t-il, ce n'est qu'un mauvais moment à passer, et s'il

souffre, ce pauvre diable, après tout, c'est pour son bien...

De cette scène de chirurgie rustique, se dégagent les mêmes impressions

que nous avons déjà eu l'occasion de signaler à propos des peintures ana-

logues de Teniers et de Brouwer. Mais ici, comme dans toutes ses oeuvres,

Dietrich se montre notablement inférieur à ses inspirateurs. Non seulement

dans sa facture plus lourde, dans son coloris plus éteint, mais dans l'agen-

cement de ses personnages et dans la disposition du décor et des acces-

soires, il fait preuve d'un art moins consommé, d'une compréhension moins

élevée des scènes naturalistes.

La grimace du malade est médiocrement expressive.

A ne considérer que sa bouche, on devine bien qu'il pousse un cri de

douleur ou d'effroi. Mais la mimique des yeux n'accompagne pas celle du

reste du visage. L'ensemble constitue un masque peu significatif, moins

naturel, moins vivant, dont Brouwer eût désavoué l'exactitude.

Et ces crispations des poings, ces contractions des bras, ces mouvements

brusques des jambes, que le maître hollandais n'a jamais omis d'indiquer,

tous ces détails empreints de vérité pittoresque qui donnent à ses malades

tant de saveur réaliste, tout cela fait défaut dans la peinture de Dietrich.

Son paysan semble mieux éduqué, plus résigné à son sort, mais il est

moins comique et aussi moins émouvant.

Il faut cependant rendre justice au peintre allemand et reconnaître

qu'il asu trouver une note d'un amusant réalisme en nous montrant la

façon cavalière dont le vieil opérateur impose l'immobilité à son malade.

Nous doutons fort que ce procédé simpliste soit aujourd'hui à la portée

des oculistes, et plus encore qu'il soit du goût de leurs clients.

Le gérant : P. Bouchez

Imp. G. SauO-Au61n et 1'lievenot. - J. 1'heuenul, successcur, Siint-bfzler.

NOL'V. ICOVOGRAPIIIE DE LA SAI.Pf.'rRIÈRE.

T. XI. PI. VIII

'I'bott'h'pi, J.-B. Cbil -01

'Pb"I ? IJ, 'B,'llb,II,,1

ATROPHIE MUSCULAIRE CONSECUTIVE A LA VARIOLE

Chez un Fcll.th.

(1.-13. Charcot.)

MASSONS & C'* Editeurs

118 Année N° 2 Mars-Avril 1898

ÉTUDES DE PHYSIOLOGIE MORPHOLOGIQUE

DE QUELQUES VARIÉTÉS DE LA MARCHE ET DE LA cor ?

PAR

Le D, PAUL RICHER.

Avant d'entreprendre cette étude, je devrais régulièrement commencer

par décrire le type ordinaire de la marche et de la course. Je ne le ferai

point cependant, pour ne pas allonger cet article et aussi pour ne point

trop me répéter, ayant déjà fait cette description en trois endroits diffé-

rents dans l'un des numéros de ce journal même. Je prie donc le lecteur

de se reporter à l'une de ces trois publications (1).

Je me contenterai de donner ici les trois ligures ci-contre (Fig. z ? , 3).

- - . - & 0

1'10us n avons pas la prétention a etuaier

toutes les variétés de la marche et de la

course, car elles sont fort nombreuses. Il

nous suffira d'indiquer les principales, en

insistant sur une variété dont il a été beau-

coup parlé dans ces derniers temps, la

marche et la course dites « en flexion. »

Il importe de faire remarquer au préa-

lable que toutes les variétés de la marche

ou de la course se rattachent au type de

la marche ordinaire sur terrain horizontal,

et que l'on pourrait les classer, en prenant

la marche type comme schéma, suivant

qu'elles en exagèrent, en atténuent, ou

en suppriment même certains éléments

constitutifs.

Il faut compter d'abord avec les variétés individuelles. Nous savons

(I) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, année 1894, p. 136. Revue générale des

sciences pures et appliquées, année 1895, p. 33;i. Physiologie artistique. Doin, éditeur,

1895, p. 241.

>1 5

Fig. 1. - Ux double pas. - La

jambe portante est figurée par

des traits pleins, la jambe os-

cillante par des traits poin-

tillés.

60 LAUL RIClIrR

combien la démarche de chacun de nous diffère, au point de devenir un

signe caractéristique de notre physionomie. Bien mieux, le bruit de notre

pas seul suffit a nous faire reconnaître. Comme l'attitude et le maintien,

la démarche a son expression physiognomonique, dont la raison se trouve

dans notre constitution physique et morale. Les conditions toutes mécani-

ques de la conformation du squelette et

de la disposition des masses muscu-

laires qui le font mouvoir amèneront

nécessairement des modifications va-

riées dans les mouvements si complexes

dont se compose la marche ; de même

le moral s'y reflétera, donnant à chacun

de nos mouvements une accentuation

particulière, et c'est de toutes ces mo-

difications minimes en soi, mais dont le

groupement forme un ensemble très ca-

ractéristique, que se compose la démar-

che de chacun de nous.

On comprend également que la pro-

fession imprime un caractère tout spé-

cial à la démarche, surtout si cette pro-

fession oblige l'individu à marcher dans

des conditions particulières, soit avec

une charge, soit sur un terrain inégal

et broussailleux. C'est ainsi que les

fadeurs, les paysans, les manouvriers,

les côltineurs, les soldats, les cavaliers,

1"ig. 2. - Différents temps DE la marche.

Plg. 3. - Marche suit plan horizontal.

Moment du double appui. Les

orteils du pied gauche n'ont pas en-

core pris entièrement contact du sol

(d'après une phot. inst. de h1. Londe).

QUELQUES VARIÉTÉS DE LA MAnGUE ET DE LA COURSE Gï

ont une marche spéciale. Les vêtements et la forme des chaussures influent

également sur la marche : on ne marche pas de même façon avec une robe,

une soutane, ou avec une culotte, avec des souliers, longs ou courts, avec

ou sans talons, nu-pieds ou chaussé des socques de certains pays, avec des

sabots ou avec des escarpins, etc...

La nature du terrain, uni ou inégal, montant ou descendant, en pente

uniforme ou à marches d'escalier, influe également sur la marche.

La présence d'obstacles à vaincre, tels qu'il s'en rencontre dans la mar-

che contre le vent, dans la marche en tirant ou en poussant, modifie aussi

le type. Enfin, les passions qui agitent l'âme du marcheur ont également

une influence plus ou moins considérable.

Nous nous arrêterons sur quelques-unes des variétés que nous venons

de citer. Mais auparavant nous dirons quelques mots d'une démarche,

qui, pour ne point compter parmi les modes de locomotion, n'en est pas

moins intéressante au point de vue expérimental, nous voulons parler

de la marche à reculons. "

A. Marche A reculons.

Nous avons relevé là, par contraste, la confirmation des observations

faites sur la marche en avant. Dans la marche à reculons (Fig. 4), au mo-

ment où le pied se porte en arrière, le torse se

penche en avant pour faire équilibre au mem-

bre ainsi déplacé. On constate en effet, sur

la série des images chronophotograpliiques

d'un homme qui marche à reculons, que le

torse est en général plus penché en avant que

dans la marche ordinaire.

Les oscillations du torse dans le sens an-

téro-postérieur sont beaucoup plus marquées.

Elles se produisent très nettement de la façon

suivante ; dans lé pas antérieur, le corps in-

cline en avant, dans le pas postérieur il in-

cline en arrière. Elles sont en somme de même

sens que dans la marche ordinaire, mais plus

accentuées. J'ajouterai que, de prime abord,

il est peut-être difficile, en présence de la

série chronophotographique de la marche à

reculons, de reconnaître le sens de la marche,

mais, en y regardant de près et surtout en la

comparant avec les séries de la marche en

avant, il est aisé de relever des différences.

Fig. t. - Marche a reculons

(d'après une phot. inst. de

M. Londe).

68 PAUL RICUER

qui, en outre de celles déjà signalées à propos de l'inclinaison du torse,

sont très nettes.

Le pied qui se porte en arrière arrive au contact avec le sol par les or-

teils (Fig. 4) et ce n'est que lorsqu'il est tout entier appuyé sur le sol

que les orteils de l'autre pied commencent à se détacher. Puis ce pied quitte

le sol tout d'une pièce, à la manière de ce qui se passe dans la marche sur

place, et non en roulant pour ainsi dire de la pointe vers le talon en sens

inverse de ce qui lieu dans la marche en avant.

Il en résulte que la phase de double appui est plus longue que dans la

marche ordinaire et qu'on n'observe jamais,comme dans cette dernière, le

moment du double appui pendant lequel le corps se trouve soutenu par le

talon d'un côté et les orteils de l'autre.

On peut remarquer encore qu'au moment de la verticale, l'extension du

membre portant est bien plus complète dans la marche à reculons que

dans la marche en avant.

En outre de ces différences dans la position des membres inférieurs, on

constate dans leur morphologie des oppositions dignes d'être relevées et

dues à des différences de l'action musculaire.

La plus saillante de ces oppositions peut se constater sur la cuisse oscil-

lante vers le milieu du pas antérieur. Nous savons qu'à ce moment, dans la

marche ordinaire, il se produisait une saillie énorme au devant de la cuisse

due à la contraction du quadriceps suivie de relâchement brusque et dont

l'effet est de projeter la jambe en avant. Ici rien de semblable : en effet

la jambe au lieu d'être étendue se fléchit et se porte en arrière. Aussi la

face antérieure de la cuisse est-elle aussi plate ici qu'elle est bombée dans

l'autre cas.

Je n'insiste pas sur les autres différences morphologiques.

Je terminerai par une remarque assez curieuse. C'est qu'il résulte des

deux circonstances énumérées plus haut : prolongation de la période du

double appui d'une part, accentuation de l'inclinaison du torse en avant

d'autre part, que plusieurs des attitudes de la marche à reculons ressem-

blent peut-être plus à l'attitude généralement adoptée par les artistes

pour figurer la marche que les attitudes correspondantes de la marche

en avant.

B. Marche avec un fardeau sur l'épaule.

Il n'y a pas de différences capitales dans la marche d'un homme, qu'il

soit chargé d'un poids assez lourd sur l'épaule ou qu'il n'ait aucune

charge.

Cependant on peut relever les détails suivants :

Le pas est en général plus court.

QUELQUES VARIÉTÉS DE LA MARCHE ET DE LA COURSE 69

La période de double appui est plus prolongée. Il s'en suit que les deux

pieds sont appliqués ensemble sur le sol dans une plus grande partie de

leur étendue, c'est ainsi que tandis que, dans la marche ordinaire, les orteils

de la jambe qui devient portante, ou antérieure, ne s'appliquent sur le

sol que presqu'au moment où les orteils de la jambe postérieure quittent

le sol, ici le pied de la jambe antérieure est bien appliqué sur le sol,

alors que le pied postérieur ne fait que commencer à détacher le talon

(Fig. 15).

Quant aux mouvements des membres

inférieurs, ils sont à peu près les mêmes

que dans la marche ordinaire. Il en est

de même des contractions musculaires qui

ne diffèrent que par.une plus grande ac-

centuation sur le membre portant.

Si la charge était portée sur les deux

épaules, en même temps qu'elle prend un

pointd'appui sur la tète, comme chez les col-

tineurs, les charbonniers, les modifications

apportées à la marche, à part une assez

forte inclinaison de la tète et du haut corps

en avant, ne semblent pas différer sensible-

ment de celles que nous venons de signaler.

Il n'en est pas de même si la charge est

exclusivement portée sur la tête. La né-

cessité où se trouve alors le marcheur de

maintenir la rectitude du cou et d'éviter

les oscillations de la tête dans le sens

vertical et dans le sens transversal, l'oblige

à un certain nombre de mouvements de

compensation qui ont lieu au torse et aux

membres inférieurs.

Les oscillations transversales de la tête sont compensées par des oscil-

lations de même sens et très accentuées qui se passent dans le bassin. Le

fait est saisissant et facile à observer à l'oeil nu.

Quant aux oscillations dans le sens de la hauteur, elles peuvent être

presque complètement supprimées par l'attitude spéciale que prennent les

membres inférieurs dans la marche dite « en flexion » et dont nous parle-

rons plus loin. Nous sommes cependant loin d'affirmer que la chose ait vé-

ritablement lieu dans la nature, car nousn'en avons la preuve ni par l'exa-

.men direct ni par l'examen à l'aide de la chronophotographie, et nous

verrons plus loin que, si la marche en flexion diminue les oscillations

Fin-. 5. - MARCHE AVEC UK FARDEAU

SUR L'u'AULE. avec du dou-

sur l'épaule. Moment du dou-

ble appui (d'après une phot. inst.

de M. Londe).

10 PAUL RICIIER

verticales, elle entraine nécessairement une dépense musculaire plus con-

sidérabie.

C. Marche EN poussant OU EN tirant.

Si l'homme marche en poussant devant lui un corps pesant ou en le

tirant derrière lui, les mouvements qu'il exécute sont bien différents de

ceux de la marche ordinaire (Fig. 6).

Il ne s'agit plus seulement d'impri-

mer au corps tout seul un mouvement

de translation, mais le corps doit en-

traîner avec lui une masse plus ou

moins considérable ou surmonter une

résistance plus ou moins grande. Dans

ce but, non seulement l'homme use de

toute son énergie musculaire, mais il

cherche à mettre à profit autant que

possible sa propre masse en en dépla-

çant le centre de gravité de manière à

aider au déplacement du centre de gravité de la masse à entraîner. Ces

nouvelles conditions d'équilibre changent complètement l'attitude d'un

homme qui tire ou pousse en marchant.

Nous remarquons, en effet, que le corps est fortement incliné en avant.

Il l'est plus ou moins suivant le poids de la masse à déplacer.

La phase de double appui est prolongée. Les deux pieds portent à la

fois dans toute leur étendue sur le sol. La jambe oscillante arrive fléchie

sur le sol, le genou en avant. Le pied prend contact avec le sol bien rare-

ment par le talon, le plus souvent par la plante, d'autres fois par la pointe.

Une fois que le pied a bien pris son appui sur le sol, le membre se

redresse progressivement et avec effort pour n'arriver en extension que

bien après avoir passé le moment de la verticale. Ce même membre de-

meure en extension complète pendant tout le temps du double appui,

alors que le talon se soulève, la pointe du pied faisant effort sur le sol pour

aider à la propulsion (Fig. 7). Puis la pointe elle-même se détache et le

membre devenu oscillant s'avance en état de flexion plus ou moins mar-

quée pour reprendre à nouveau contact avec le sol, ainsi que nous avons

déjà dit, toujours en flexion et sans avoir été en extension, fût-ce un seul

instant. En résumé, l'extension ne s'observe que sur le membre portant

et lors dupas antérieur seulement.

Au point de vue de l'action musculaire, elle se révèle avec énergie tout

particulièrement sur le quadriceps de la jambe portante, pendant tout le-

cours du pas postérieur. Ce muscle devient alors l'agent de propulsion le

Fig. 6. - Un double pas de la mar-

che en poussant.

QUELQUES VARIÉTÉS DE LA MARCHE ET DE LA COURSE 11 1

plus énergique. Lors du pas antérieur, l'action musculaire se déplace et

passe au triceps sural qui soulève le talon et devient à son tour l'agent de

propulsion.

Le modelé de la cuisse du membre portant est tout à fait caractéris-

tique. .

Un homme qui marche à l'encontre d'un vent violent est tout à fait

comparable à celui qui pousse une charge quelconque. Il y aura donc la

plus grande ressemblance, dans les deux cas; entre les caractères de la

marche.

D. Marche en poussant une brouette chargée.

La charge est ici supportée par les bras et elle ne se déplace qu'à la con-

dition d'être poussée en avant. Cette forme de marche tient donc à la fois

et de la marche avec fardeau et de la marche en poussant (Fig. 8).

C'est ce que démontrent d'ailleurs les photographies instantanées sur

lesquelles nous relevons les caractères suivants :

Inclinaison de tout le corps en avant ;

Augmentation de durée de la phase de double appui ;

Le membre oscillant arrive en flexion à l'appui, mais la flexion est

moins prononcée que dans la marche en poussant et le pied touche le sol

d'abord par le talon, jamais par la pointe.

Fig. 7.- lIJAHCIlE en poussant. Moment du

double appui (d'après une phot. inst. de

111. Londe).

Fig. 8. - MARCHE EX POUSSAIT wr MOUETTE

cu.wcris.Iomentdu double appui (d'après

une phot. inst. de ;\1. Londe).

12 PAUL RICllEH

La jambe portante ne se redresse que bien après avoir passé la verticale.

La jambe oscillante d'abord fléchie, comme dans la marche ordinaire, ne so

redresse jamais complètement.

L'effort musculaire le plus violent existe au quadriceps de la jambe

portante pendant le pas postérieur, puis, au mollet de la même jambe, lors

du pas antérieur et pendant la phase du double appui.

E. Marche sur un plan ascendant.

Il y a plus d'une analogie entre la marche sur plan ascendant et la mar-

che en poussant que nous avons étudiée tout à l'heure.

La phase du double appui est également prolongée, le membre oscillant

arrive en flexion à l'appui, le pied prend contact avec le sol par la plante,

le membre ne se redresse qu'après le moment de la verticale (Fig. 9).

L'effort musculaire se voit surtout

à la cuisse du membre portant pen-

dant le pas postérieur et le quadri-

ceps de ce côté est le principal agent

du soulèvement du torse, on constate

en même temps que les muscles pos-

térieurs de la cuisse sont contractés.

Leur action doit avoir pour but d'é-

tendre l'articulation de la hanche et

de seconder l'action du grand fes-

sier.

Lors du pas antérieur, l'effort

musculaire se déplace et, se produit sur le même membre au mollet dont

le muscle soulevant le talon sert également d'agent de propulsion en

haut ou en avant.

J'insiste sur la prolongation de la phase du double appui. Ce qui fait que

Fig. 9. - Un double pas de

la marche sur plan ascen-

dant.

Fig. 10. - Marche sur PLAX ascendants

Moment du double appui (d'après une

phot. inst. de M. Londe).

quelques variétés DE la marche ET DE LA COURSE 13

dans ce cas, il existe un moment relativement assez long pendant lequel,

un pied portant à pleine plante sur le sol, l'autre pied se soulève sur la

pointe progressivement (Fig. 10), tandis que, dans la marche sur plan ho-

rizontal, un semblable moment est fort court et ne se montre que tout à

fait à la fin de la période de double appui (Fig. 3).

Le torse ne subit point l'inclinaison en avant que l'on observe dans la

marche en poussant, mais il éprouve dans le sens antéro-postérieur des

oscillations bien plus marquées que dans la marche sur un plan horizon-

tal et dont le maximum d'amplitude est en avant.

F. Marche SUR plan descendant.

Nous ne trouvons guère ici crue des contrastes avec les diverses mar-

ches que nous venons d'étudier (Fig. -11).

En effet, le membre oscillant arrive

à l'appui en extension complète et le

pied rencontre le sol par le talon. A

peine le pied a-t-il pris contact avec

le sol dans toute son étendue que l'autre

pied s'en détache par la pointe. En

résumé, le mouvement des pieds ne

diffère guère de ce qu'il est dans la

marche sur un plan horizontal. Ils rou-

lent sur le sol du talon à la pointe.

Le membre portant se fléchit légè-

rement aussitôt que le contact avec le

sol est bien assuré et la contraction du quadriceps se montre alors comme

dans le pas sur plan horizontal, mais avec plus d'énergie (Fig. 12). Il est

vrai qu'à ce moment le membre portant soutient non seulement le poids

du corps, mais ce même poids animé d'une certaine vitesse de chute,

Fig.11.- Un double pas de la marche

sur plan descendant.

Fig. 12.-nLmc : uE sur plan descendant.

- Moment du double appui (d'après

une phot. inst. de M. Londe).

74 PAUL RICUER

conséquence de l'inclinaison du plan de marche. Pendant tout le pas

postérieur le membre portant reste légèrement fléchi, il ne se redresse et

encore pas complètement qu'à la fin du pas antérieur. Sa flexion augmente

au moment du double appui.

Le membre oscillant est fléchi à des degrés divers tout le temps que

dure sa translation dans l'espace. Il s'étend tout à la fin avant de revenir

à l'appui.

Il résulte de ce qui précède que, dans la montée comme dans la des-

cente, c'est le quadriceps qui accomplit une bonne part au travail. Tra-

vail d'ascension comparable à celui d'un moteur mécanique dans la mon-

tée, travail de retenue comparable à celui d'un frein dans la descente.

G. MONTEE D'UN ESCALIER.

Cette variété de marche ascendante présente naturellement d'assez

grandes analogies avec la marche sur plan

ascendant. Là aussi l'agent principal de

l'ascension est le quadriceps du membre

portant qui travaille tout le temps du pas

postérieur. Le pied arrive par la plante sur

la marche. La phase de double appui est

prolongée et pendant un temps fort appré-

ciable les deux pieds reposent en entier

sur deux degrés successifs. Je n'insisterai

pas sur les mouvements des deux membres

inférieurs, ilsuffira au lecteur de jeter un

coup d'oeil sur les figures 1 : 3 et 14 pour

être complètement édifié.

Fig. 13.

Un double pas de la montée d'un escalier.

1 iD. 1 ! E. - Vlow n;r n'uv Lsc.v.mi. -

Moment du double appui (d'après

une phot. inst. de M. Londe).

QUELQUES VARIÉTÉS DE LA MARCHE ET DE LA COURSE 15

H. DESCENTE D'UN escalier.

Je pense inutile de décrire en détails les mouvements des membres in-

férieurs lors de la descente d'un escalier, ce que représentent les dessins

des figures 15 et 16 qui valent mieux qu'une

longue description. Ils offrent de grandes

analogies avec ce qui se passe dans la des-

cente d'un plan incliné et le lecteur qui vou-

dra comparer les ligures 'il et 12 avec les

figures 15 et 16 saisira de suite les analogies

et les différences intéressantes à noter.

Telles sont les principales variétés de la

marche en tant que simple moyen de trans-

port d'un lieu à un autre, mais il est d'autres

variétés d'un tout autre genre et qui consistent

en des phénomènes expressifs surajoutés au

procédé de locomotion. En un mot, il y a des

marches expressives, ou autrement dit des démarches, dont nous allons

dire maintenant quelques mots. .

I. Marche expressive.

» t-

Il est maintes circonstances dans 'lesquelles un homme qui marche

poursuit en même temps un autre but que celui de la simple translation. Il

marche tout en exécutant un acte quelconque. Il cause, il rit, il se

penche de côté ou d'autre pour voir ou écouter, ou bien encore, si ses pas

le conduisent à la chasse ou au combat, il se livre aux mouvements plus

violents de l'attaque ou de la défense, etc.. Et naturellement toutes ces

actions surajoutées imprimeront à la démarche un caractère particulier.

Au surplus la marche reflétera toujours les passions du marcheur, et sui-

Fig, 15.

Un double pas de la descente d'un escalier.

Fig. 16. Descente d'un ESC : 1-

LIER. - \Ioment du double

appui (d'après une phot. inst.

de M. Londe).

76 PEUL RICANER

vaut qu'il est pris de lassitude, d'enthousiasme, de tristesse ou de joie,

d'humilité ou d'orgueil, etc, etc.. elle se revêt de signes distinctifs.

Je n'ai pas ici à entrer dans l'exposé de toutes ces sortes de marches

expressives dont l'étude d'ailleurs ne pourrait être faite avec fruit qu'après

celles des passions elles-mêmes qu'elles reflètent et de leurs moyens d'ex-

pression.

Je me contenterai d'en citer un ou deux exemples pour montrer com-

bien le type normal de la marche peut en être altéré.

Prenons d'abord un type de

démarche guerrière, une démar-

che d'enthousiasme (Fig. 17).

C'est un guerrier antique au re-

tour d'une victoire, ou bien plus

simplement, c'est un homme

du peuple chantant la marseil-

laise.

Notre modèle a exécuté devant

notre objectif cette dernière dé-

marche et, sur la série des pho-

tographies, nous relevons des ca-

ractères fort intéressants. Le corps

se penche en avant, les bras s'a-

gitent de diverses manières et la

tête revêt une expression de cir-

constance, mais le plus curieux il

considérer, ce sont les mouve-

ments des jambes. La longueur

du pas est exagérée. Et la jambe

oscillante projetée en avant arrive

en flexion sur le sol, au lieu de

se trouver à ce moment dans l'ex-

tension complète comme dans

la marche ordinaire. En résumé dans le pas postérieur, les deux membres

sont en flexion. Dans le pas anérieui le membre portant seul est en ex-

tension.

La figure que nous donnons ici représente la fin du double appui, au

moment où va commencer le pas postérieur. Il suffit dé le comparer à la

figure 3 pour saisir les différences qui existent avec la marche ordinaire.

Prenons maintenant un autre exemple, ladémarchesoul'l1oise,cauteleusc,

C'est un traître qui s'avance le poignard à la main pour surprendre sa

victime (Fig. 18).

Fig. 17. Démarche enthousiaste. Mo-

ment du double appui (diaprés une phot.

inst. de M. Londe).

QUELQUES variétés de la marche ET de la COURSE il

Dans cette démarche, le corps est incliné en avant et les deux membres

inférieurs se montrent dans une flexion encore plus prononcée que tout à

l'heure. L'extension ne survient que sur la jambe portante seulement et

tout à la fin du pas antérieur. Le membre oscillant arrive fléchi sur le sol

(Voyez Fig. 18). 1

On trouvera dans ces démarches quelques analogies avec les marches en

poussant et en tirant que nous avons étudiées, sauf bien entendu l'incli-

naison de tout le corps hors d'aplomb.

J.MARCHE EN flexion. '

Un caractère commun à un bon nombre des démarches que nous venons

d'étudier (marche contre le vent, en tirant ou en poussant, marche en

montant, marche en tapinois, etc., marche sur un sol inégal, dans les

labours, dans les broussailles) est le caractère dit « de flexion ».

Il consiste en ce que le membre oscillant, au lieu d'aborder le sol en

extension, et par le talon, prend contact avec lui par toute la plante, en

même temps que la flexion du genou est plus ou moins prononcée. Le

haut du corps est plus penché en avant, les pas sont plus longs.

Indépendamment de l'effet qui résulle du travail surajouté à la marche,

comme résistance à vaincre, ascension à opérer, charges à porter, le travail

musculaire est plus considérable dans la marche en flexion que dans la

marche ordinaire. La démonstration en est facile à faire.

Nous savons, en effet, que, dans la marche ordinaire, la jambe oscil-

lante arrive au contact du sol en extension complète et l'aborde par le ta-

lon. Ce mouvement d'extension est déterminé par une contraction brus-

Fig. 18. Démarche sournoise. - Moment du double appui

(d'après une phot. inst. de M. Londe).

78 PAUL RICHER

que du muscle quadriceps, contraction dite balistique, et qui se produit

explosivement, pour ainsi dire, au moment de la verticale, alors que la

flexion du membre place le muscle en état de distension, pour cesser pres-

que aussitôt bien avant que l'extension du membre soit achevée et que le

talon touche le sol. Il en résulte que, dans l'intervalle d'un pas, ce muscle

de la jambe oscillante est tour tour dans un état de contraction de courte

durée et de complet relâchement. Une semblable alternative de contraction

et de relâchement se produit sur le même muscle de la jambe portante ;

au début du pas, la contraction se manifeste, mais plus soutenue et pro-

longée, pour cesser complètement à la fin, avant que le pied quitte le

sol.

Nous trouvons,dans ce mécanisme, une des conditions les plus favorables

a un travail musculaire longtemps prolongé, et qui consiste dans des alter-

natives de contraction et de relâchement, d'activité et de repos.

Voyons maintenant ce qui se passe dans le même muscle lors de la mar-

che en flexion. .. -,

Pendant toute la durée de l'oscillation, le quadriceps maintient sa con-

traction, jusqu'au moment où le pied prend contact avec le sol, la jambe

en flexion. A ce moment le même muscle, au lieu d'être comme précédem-

ment dans un état de relâchement complet accentue encore sa contraction

pour soutenir le poids du corps qui tendrait à accentuer la flexion du

membre qui lui sert alors de soutien. Cette contraction est celle que nous

avons appelée contraction frénatrice, elle dure tout le temps du soutien ;

de telle sorte qu'au lieu de ces alternatives de travail et de repos, nous

voyons ici un muscle en travail continuel pendant toute la durée du pas,

bien que le genrede travail varie (contraction dynamique pendant l'oscil-

lation, contraction frénatrice pendant le soutien).

'Certains caractères de tibias humains fossiles, tels que la rétroversion

de la tête tibiale et la platycnémie, ont conduit M. Manouvrier (1) à pen-

ser que telle devait être la démarche de nos ancêtres de l'époque quater-

naire. Chez eux, la marche en flexion était nécessitée par leur genre de

vie spéciale et par les conditions du milieu. Ils marchaient sur un sol iné-

gal et broussailleux. Ils vivaient des produits de leur pêche et de leur

chasse, obligés souvent de fournir des longues courses avec de lourds far-

deaux. M. Manouvrier fait remarquer que ceux, parmi les hommes actuels,

qui ont à exécuter de longues marches dans des terrains accidentés ou

avec des fardeaux, tels que les soldats chargés du sac, les paysans, les

montagnards, les fadeurs ruraux, les chasseurs de profession, marchent

(1) L. Manouvrier, Élude sur la rétroversion de la tête du tibia et l'altitude humaine

à l'époque quaternaire (Extrait des Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris,

2" série, t. IV),

QUELQUES VARIÉTÉS DE LA MARCnE ET DE LA COURSE 19

également en flexion, non pas parce que ce genre démarche, fait-il jus-

tement remarquer, occasionne une dépense musculaire moindre, mais

parce que, dans les conditions où ils se trouvent, ils ne sauraient mar-

cher autrement.

De nos jours, M. le commandant de Raoul, qui s'est occupé avec beau-

coup d'ardeur de la marche du soldat, a préconisé toute une méthode

d'entraînement pour augmenter la rapidité du déplacement de l'infanterie.

Il est arrivé par expérience à former une allure spéciale qui n'est autre

chose que la « marche en flexion » (1).

Cette méthode consiste à maintenir les jambes fléchies tant qu'elles sup-

portent le poids du corps, à ne les étendre qu'au moment de la propul-

sion, à ne fléchir la jambe pendant son oscillation que juste assez pour

que le pied ne heurte pas les aspérités du sol. Le corps doit être penché

en avant et son inclinaison doit augmenter ci mesure que le pas s'allonge.

L'instruction des hommes doit se faire progressivement et suivant une

règle qui gradue les exercices chaque jour, et indique avec soin la durée,

les distances à parcourir, la vitesse, et la nature du terrain.

Au bout de trois mois d'entraînement un conscrit, dit M. de Raoul,

peut faire 20 kilomètres avec ses armes sur une route accidentée en

1 heure 50 minutes.

MM. Ch. Comte et Félix Regnault (2) ont appliqué les méthodes de

M. Marey à l'étude des allures en flexion, et ont cherché à donner une

explication scientifique des résultats obtenus par le commandant de Raoul.

Ils ont constaté, par l'étude des séries chronophotographiques, que les al-

lures en flexion s'acccompa5naient d'une diminution des oscillations ver-

ticales, et d'une atténuation des chocs produits par la pression du pied

sur le sol. Or, on sait, disent-ils, que les a-coups et les oscillations verti-

cales sont les deux facteurs de la perte du travail dans la progression.

Ces résultats sont extrêmement intéressants, mais il est un point que

les auteurs ont négligé, c'est l'étude de la contraction musculaire; or il

est facile de démontrer, ainsi que nous l'avons fait plus haut, que le

muscle quadriceps travaille plus énergiquement dans la marche en flexion

que dans la marche ordinaire. De ce chef, il nous parait impossible de

ne pas admettre avec M. Manouvrier que la marche en flexion est plus

fatigante que la marche ordinaire.

On peut faire remarquer, d'ailleurs, que si la pression sur le sol est

(1) Méthode du commandant de Raoul, in Revue de l'Infanterie, 15 août 1896.

(2) Etude comparative entre la méthode de marche et de course dite en flexion et

les allures ordinaires, par MAI. Cil. Comte et Félix Regnault (Archives de physiologie,

n°2, avril 1R9G).

80 PAUL RICHER

moindre, ainsi que Font. montre les recherches de MM. Comte et Regnault,

elle est plus prolongée.

De plus, le travail musculaire ne se mesure pas seulement par le tra-

vail mécanique produit; élévation d'un poids à une certaine hauteur. La

question, ainsi que l'a fait. remarquer M. le professeur Marey, est beau-

coup plus complexe. Un muscle en contraction statique ou frénatrice ne

produit pas de travail mécanique et n'est pas moins l'objet d'une dépense

de force en rapport avec le degré et la durée delà contraction, C'est le cas

du muscle quadriceps dans la marche en flexion. Il y a donc lieu de se

demander si les résultats auxquels arrive le commandant de Raoul ne sont

pas dus aux conditions spéciales de la marche du fantassin. La charge

qu'il porte sur les épaules l'oblige en effet à se pencher en avant, et

cette obliquité du corps entraîne pour ainsi dire forcément la marche en

flexion, et en même temps aux conditions spéciales d'entraînement

auxquelles il soumet ses sujets. D'ailleurs, l'expérience n'a pas confirmé

les espérances qu'avaient fait naître les premières expériences. Je tiens de

M. le D Laveran que, d'après les essais les plus récents, la méthode du

commandant de Raout amène la fatigue des hommes, parfois même des

complications cardiaques,et qu'elle est actuellement abandonnée.

K. Marche sportive.

La marche sportive, c'est-à-dire exécutée dans le but de parcourir un

certain espace dans le moins de temps possible, offre des caractères très

différents de la marche ordinaire. La seule règle imposée dans les concours

démarche et dont l'inobservation entraîne aussitôt la disqualification

est de ne point soulever le pied qui produit la propulsion avant que l'au-

tre touche terre ; en un mot, la période de double appui qui caractérise à

elle seule la marche, doit être rigoureusement observée, et la chose va

de soi, car s'il existait un moment de suspension, si court soit-il, tout

signe distinctif entre la marche et la course aurait disparu. Mais toute

autre modification des mouvements ordinaires de la marche est autorisée.

Nous avons connaissance dé deux formes de marche sportive entièrement

différentes : l'une que nous avons observée par nous-mème, l'autre que

nous ne connaissons que par ouï dire. Il nous semble intéressant d'en dire

quelques mots. -

Le champion' des concours de marché du Rccciag club, que nous avons

vu tout récemment, a adopté une façon de marche qui porte à l'exagéra-

tion tous les caractères de la marche vulgaire. Les membres inférieurs

sont le plus possible en extension complète, la flexion n'intervient que

sur la jambe oscillante ; et c'est en extension exagérée que celle-ci aborde

le sol par le talon. Le torse est droit, nullement penché en avant. Les

QUELQUES variétés DE la marche ET DE la COURSE 81

bras accentuent violemment leur balancement ; et ce balancement alterne

avec le mouvement des membres inférieurs comme cela a lieu dans la

marche ordinaire.

Par contre, les pédestrians anglais ont adopté un genre de marche tout

différent qui rappelle l'amble des quadrupèdes et que le Dr IiJlchandy dé-

crit ainsi : « Dans cette marche « toe-ancl-heel » le corps doit être droit;

la tête bien en arrière, les coudes au côté, les avant-bras horizontalement t

en avant, les mains fermées. Pour marcher, on lance la jambe en avant,

presque en extension, le pied va se placer devant celui qui est encore posé,

le talon touchant le sol le premier et le pied légèrement tourné en dehors.

Il ne faut pas écarter démesurément les jambes sous peine de perdre en

vitesse. En même temps que la jambe gauche, le bras gauche est poussé

en avant et s'allonge comme pour donner un coup de poing, et de même

le bras droit doit être projeté en avant avec le pied droit pour être ramené

ensuite en flexion au pas suivant.

« Le rôle des bras est très important, à leur avis, et doit être étudié

avec grand soin. Il est curieux de noter qu'ils ont trouvé utile de rempla-

cer le balancement asymétrique des bras par un balancement symétrique,

et c'est d'autant plus curieux que les Arabes trouvent de même un avan-

tage à contrarier la marche naturelle et en diagonale de leurs chevaux et

des ânes, et ils apprennent à ces bêles, au moyen d'entraves, à transpor-

ter en avant à la fois les deux membres du même côté et à marcher l'am-

ble plutôt que leur pas naturel. Or, à cette allure, les animaux vont plus

vite qu'au pas sans se fatiguer davantage » (1).

Dans les courses de vitesse que nous avons pu récemment observer et

photographier auRacing club, grâce à la grande obligeance de son aimable

secrétaire général M. Raymond, nous avons relevé les caractères suivants :

La phase de suspension augmente de durée pendant que la phase d'ap-

pui devient plus courte. Il en résulte qu'au début de la phase d'appui, au

moment où le pied prend contact avec le sol, le membre au levé est beau-

coup moins en arrière qu'il ne l'est pas dans la course ordinaire, et, par

suite, se trouve plus rapproché du membre portant. Nous savons que d'or-

dinaire la retombée du pied sur le sol, après sa phase de suspension, se

fait habituellement par le talon ou par la plante tout entière, rarement

par la pointe. Ici, c'est le contraire, et, le plus souvent, c'est la pointe du

pied qui touche le sol tout d'abord.

L. Marche pathologique.

L'on comprend, d'après ce qui précède, que la marche est un phéno-

(1) Le Monde médical, 1er octobre 1896.

xi 6

82 PAUL RICUER

mène extrêmement complexe, et qu'elle exige l'intégrité absolue de tout

l'appareil locomoteur, os, articulations et muscles, avec accessoirement

celle des vaisseaux, artères et veines, qui assure sa nutrition et, par suite,

son bon fonctionnement. Mais il y a plus; cet appareil n'entre en jeu que

sous l'influence des nerfs ; il faut donc également que le système nerveux,

depuis le centre le plus élevé jusqu'à la dernière ramification nerveuse,

soit également parfaitement sain. Toute lésion qui entravera en un point L

quelconque ce mécanisme compliqué aura son retentissement sur le ré-

sultat final, qui est la locomotion. Nous n'avons pas à faire ici la psycho-

physiologie de la marche. Il nous suffit de rappeler que les maladies du

système nerveux interviennent dans les troubles de la marche pour une

part considérable, non moins grande que celle qu'on peut attribuer aux

maladies primitives des os, des articulations et des muscles.

La méthode des empreintes a donné, entre les mains de M. Gilles de la

Tourette, d'excellents résultats pour l'examen de la marche pathologique.

MM. Quenuet Démeny ont appliqué à l'étude de quelques malades les

procédés de la chronophotographie géométrique sur plaque fixe de M. Ma-

rey, de manière à étudier les modifications de la trajectoire que décrivent,

dans la marche pathologique, les différents points du corps et des membres.

Il y aurait aujourd'hui mieux a faire encore, en combinant la méthode des

empreintes avec la chronophotographie à images isolées. Nous avons déjà

réuni dans ce but, au laboratoire de la Salpêtrière (service de M. le pro-

fesseur Raymond), un certain nombre de documents, avec le concours

de notre excellent ami, M. A. Londe. Mais c'est là un travail de longue

haleine, que le temps seul peut nous permettre de conduire à bonne fin.

CONSERVATION DES RÉFLEXES PATELLAIRES

DANS LE TABES DORSALIS

UN CAS AVEC AUTOPSIE.

PAR

Ch. ACHARD et LÉOPOLD-LÉVI.

L'abolition des réflexes rotuliens, signalée par Westphal en 187, est

la règle dans le tabes dorsalis et constitue souvent un symptôme précoce.

Cependant les cas cliniques, où ce signe a fait défaut, sont loin d'être rares,

au moins dans la période préataxique. Déjà Erb (1) en signalait un cas

dans son Traité des maladies dit système nerveux. L'abolition des réflexes,

qui manquait d'abord, apparut en même temps que l'incoordination. Plus

tard, sur 59 cas d'ataxie locomotrice confirmée, il signale deux fois la

conservation des réflexes patellaires. Hamilton (2) cite quatre cas de tabes

où les réflexes rotuliens étaient présents, deux fois même ils étaient exa-

gérés. Gowers (3) a observé 3 exemples de tabès avec persistance des

réflexes du genou. Dans une des observations, il vit se produire la dispa-

rition graduelle des réflexes. Berger (4) a constaté l'existence des réflexes

dans une proportion de 2,4 0/0. Dans 4 cas arrivés à la période d'état, le

réflexe patellaire n'était aboli que d'un seul côté. Une fois, il eut l'occa-

sion de voir réapparaître le réflexe rotulien d'un côté où il avait constaté

sa disparition antérieure. Thième (5), dans sa thèse faite sous l'inspiration

de Charcot, a rapporté 13 faits de conservation des réflexes tendineux dans

l'ataxie locomotrice, dont six lui sont personnels.

En dehors des observations remontant déjà il quelques années, les excep-

(1) ERD, Krankh. d. Rückenmarks, in Ziemssen's spec. Path. u Therap., 11" vol.

p. 1TS ; Zur Pathol. der Tabes dorsalis (Deutsches Archiv f. klin. Med , vol. 28, 4S î9).

(2) Hamilton, Valeur de l'absence du réflexe tendineux comme signe diagnostique de

l'ataxie locomotrice (The Boston médical and surg. Journal, vol. XCIX, no 25).

(3) GowEns, 46" Congrès de l'Association médicale de l'Angleterre (British medic.

Journal, 31 août 1878).

(4) Berger, Ueber Sehnenreflexe (Centralbltztt f. Psych. u. Nervenheil., 1879, no 4).

(5) Thième, Conservation des réflexes tendineux dans l'alaxie locomotrice (thèse de

Paris, 1881).

Si CQ. ACHARD ET L. LÉVI

tions cliniques à la loi do Westphal sont fréquentes. On peut dire qu'il 1

n'est point de neurologiste qui n'en ait observé.

Nous-mêmes en avons recueilli six exemples personnels dont nous don-

nons le résumé :

OBs. I. Malade de 37 ans, cuisinière, exempte de syphilis, prise ci l'âge

de 32 ans, il la suite do l'inluenza, de phénomènes oculaires : diplopie et stra-

bisme, puis deux ans après, de troubles gastriques sous forme de crises. Aux

symptômes précédents s'ajoutèrent des fourmillements dans les membres infé-

rieurs, surtout accusés à droite, une sensation d'engourdissement dans la zone

du cubital. Depuis plusieurs mois, existent des douleurs vagues dans la région

cervicale de la colonne vertébrale. Enfin, il y a trois mois, ont apparu des

troubles urinaires caractérisés par de faux besoins d'uriner, sans incontinence

ni rétention d'urine. A l'examen oculaire on constate une ophtalmoplégie il

prédominance unilatérale, par paralysie de tous les mouvements de l'oeil gau-

che. Le signe d'A. Robertson existe des deux côtés. Il n'y a pas de lésion du

fond de l'oeil. La sensibilité objective est conservée à tous les modes sur toutes

les régions du corps, sauf une légère hypoesthésie au niveau des deux der-

niers doigts de la main droite. Les réflexes patellaires sont conservés : normal à

droite, diminué à gauche. Il n'existe ni signe de Romberg, ni incoordination

motrice.

OBS. IL - Malade de 52 ans, couturière. Le début de l'affection remonte à

3 ans 1/2. Il existe des troubles oculaires ; la pupille droite est plus large que

la gauche, le signe d'A. Robertson est présent des deux côtés. Atrophie blanche

de la papille. En plus, scotome scintillant devant l'oeil gauche. La malade

souffre de crises rectales avec constipation opiniâtre et de crises clitoridiennes.

Elle présente des douleurs lancinantes au niveau des membres supérieurs, de

l'anesthésie suivant le trajet du nerf cubital, de l'incoordination des membres

supérieurs. Pas d'incoordination motrice des membres inférieurs, pas désigne

de Romberg à aucun exercice. Les réflexes 1'oluliens sont conservés.

Il faut noter en outre l'augmentation du corps thyroïde et la fréquence du

pouls (120 p. à la minute).

Ons. III. Femme de 45 ans, présentant les symptômes de goitre exoph-

talmique fruste. Pouls 116. Hypertrophie du corps thyroïde. Tabès légitime avec

amaurose par atrophie papi Maire bilatérale. Douleurs fulgurantes. Pas d'incoor-

dination des membres inférieurs. Les réflexes rolulims sont conservés, même

exagérés, sans trépidation épileptoïde.. »

Ons. IV. -Malade de 33 ans, bijoutier, ayant contracté la syphilis à 18 ans,

présente de la diplopie par parésie du droit externe gauche, le signe d'A. Ro-

bertson, des douleurs fulgurantes dans les membres inférieurs, la démarche

tabétique. Les réflexes sont conservés ; le gauche est exagéré.

Oss. V. -Malade de 37 ans, employé. Les phénomènes prédominent dans

la sphère oculaire. La vision est complètement abolie à gauche; à droite : 5/10.

Les nerfs optiques sont atrophiés. L'atrophie est complète il gauche. Les pu-

pilles sont inégales, la gauche plus large. Elles ne réagissent ni à la lumière,

CONSERVATION DES RÉFLEXES PATELLAIRES DANS LE TABES DORSALIS 85

ni à l'accommodation. Le malade n'a pas présenté de diplopie antérieure. Les ré-

flexes patellaires sont normaux.

Ons. VI. Malade de 53 ans, se plaint de douleurs au niveau de la région

céphalique et de troubles vésicaux. Il offre des pupilles punctiformes. Amau-

rose complète à droite, incomplète à gauche. Atrophie des deux papilles. Ré-

flexes patellaires normaux.

On voit, en résumé, dans ces observations, le diagnostic de tabes établi

cliniquement. Il est fondé en particulier sur les symptômes oculaires qui

figurent dans tous les cas, et qui se traduisent dans quatre cas par l'atro-

phie papillaire, une fois par de l'oplitalmoplécrie. Les phénomènes vési-

caux existent dans deux observations. Quant aux réflexes, toujours pré-

sents, ils sont exagérés dans un cas, inégaux deux fois, soit que l'un des

réflexes ait diminué et tende à disparaître, soit qu'au contraire un des

réflexes soit exagéré.

Quant aux cas où l'autopsie a été pratiquée, ils sont moins nombreux

et peuvent se répartir en 2 catégories : Les uns, tels que ceux de Gold-

flam (1), de IIuhlings Jackson (2) et Taylor, ont trait à la réapparition

d'un réflexe patellaire dans le tabes à la suite d'une complication céré-

brale. Les autres, plus importants, concernent des observations au cours

desquelles les réflexes rotuliens sont restés conservés ou ont disparu seu-

lement quelques semaines avant la mort. Westphal (3) a eu le mérite de

préciser la région de la moelle par où passe le réflexe rotulien.

Nous avons eu l'occasion d'examiner la moelle d'un sujet atteint de

tuberculose, d'insuffisance aortique, de pyélo-néphri Le suppurée et de

tabes dorsalis. Le diagnostic de tabes avait été porté pendant la vie. La

persistance des réflexes, constatée à maintes reprises, avait cependant fait

faire quelques réserves. L'étude microscopique a montré qu'il s'agissait

d'un tabes légitime absolument authentique et, vérifiant l'opinion de

Westphal, a donné la raison anatomique de la conservation du réflexe ro-

tulien.

Ous. VII. -Em... Louis, âgé de 56 ans, tailleur de pierres, entre le 16 juil-

let 1897 au n° 22 de la salle Parrot, dans le service du Dr Achard, à l'hôpital

Tenon, et meurt le 2 août 1897.

Le malade ne fournit pas de renseignements précis sur ses antécédents : il

(1) GoLDFLAM, Sur la réapparition du réflexe tendineux dans le tabès dorsalis (Ber-

liner klin. Wochensch., 1891).

(2) IluGiii.i ? Gs Jackson et TAYLOR, Un cas de retour des réflexes patellaires après hé-

miplégie chez un tabélique (British med. Journal, 1891).

(3) Westphal, Ueber die Fortdatter des Kniephanom. (Archiv. f. Psych.. XVIII, 2,

p. 5 il).

86 CH. ACHARD ET L. LÉVI

est vite fatigué des questions qu'on lui pose, et présente parfois du délire. Les

antécédents héréditaires sont peu importants. -

On ne relève pas de maladie dans son enfance. Il fut soldat, fit un long sé-

jour en Algérie et aurait été en proie pendant 4 ans à la fièvre intermittente.

Il aurait contracté un chancre qui'siégea sur la verge, dont on ne trouve pas

de cicatrice appréciable, et qui ne fut suivi ni de plaques muqueuses ni d'au-

cune autre manifestation syphilitique.

On peut faire remonter le début de son tabes à une dizaine d'années environ.

Car à ce moment il fut pris d'accidents multiples. Il présenta au niveau du gros

orteil du pied gauche un mal perforant, dont la trace persiste, et qui fut soigné

par des pansements dans le service du Dr Polaillon. Vers la même époque, il

aurait ressenti dans les membres inférieurs des douleurs fulgurantes survenant

par crises, l'empêchant de dormir la nuit, et qui depuis ce temps sont revenues

à maintes reprises. Enfin, il aurait souffert alors d'une diplopie passagère.

Depuis ce temps il a dû s'aliter à différentes époques et faire de fréquents

séjours à l'hôpital. '

II fut pris ultérieurement, sans qu'il puisse en préciser la date d'apparition,

de douleurs constrictives et de douleurs dans les membres supérieurs.

Dès le début, des phénomènes vésicaux sont apparus, très accentués, caracté-

risés par de la dysurie, de la rétention d'urine, mais aussi, d'après le malade,

de l'incontinence d'urine.

D'autres crises viscérales se sont produites : crises rectales très douloureuses

accompagnées de poussées hémorrhoïdaires, crises gastriques pour lesquelles il

entra en 1896 dans un service de l'hôpital Tenon. L'attention fut surtout alors

attirée sur les troubles de l'estomac.

Le 16 juillet 1897, il entra dans le service du Dr Achard. Le malade est âgé

de 56 ans. Il parait de beaucoup plus Il présente un arc sénile de la cornée

très prononcé. Ses cheveux sont blancs. D'autre part il offre très nettement des

nodosités au niveau des deuxièmes phalanges. Les pommettes sont variqueu-

ses. La face a une teinte jaunâtre, le facies est cachectique et rappelle celui

de la cachexie cancéreuse.

Ce dont il se plaint surtout, c'est des troubles vésicaux. Il est obligé de pren-

dre d'habitude les attitudes les plus diverses pour uriner, et souffre en urinant.

Actuellement il est en période de rétention. La vessie apparaît distendue, mais

elle n'a pas sa forme habituelle. Elle ne forme pas un globe arrondi, étalé, mais

- est principalement développée dans le sens vertical. Le cathétérisme difficile

ramène une urine trouble et sanguinolente. L'examen histologique y révèle les

globules rouges et blancs en grande abondance.

La langue est très sale, un peu sèche. L'appétit est très diminué. Il n'existe

pour le moment ni vomissements, ni crise douloureuse de l'estomac. Le malade

se plaint par contre de ses hémorrhoïdes qui forment un paquet volumineux

non réductible. Il existe une diarrhée très fréquente.

Le foie est volumineux. Il déborde de six travers de doigt le rebord des faus-

ses côtes. Sa consistance est égale.

La rate est volumineuse, mais ne déborde pas les côtes gauches.

CONSERVATION DES RÉFLEXES PATELHIRES DANS LE TABES DORSALIS 87

Le malade tousse et crache, il existe des bacilles tuberculeux dans ses cra-

chats.

A l'auscultation du coeur, on constate un bruit de souffle au deuxième temps

à l'aorte, mais le malade n'accuse pas de palpitations.

L'attention est attirée par suite des troubles vésicaux sur le système nerveux.

On constate le signe d'A. Robertson, mais les pupilles s'accommodent mal à la

distance.

Le malade se lève avec peine. Quand on le fait marclier, ou constate une

démarche tabétique ; il talonne fortement des deux pieds. Il a le signe de Rom-

berg. L'incoordination des membres inférieurs est peu marquée dans le lit.

On trouve à la face interne du gros orteil gauche la trace du mal perforant,

non complètement cicatrisé.

Aux membres supérieurs, on note une incoordination motrice indubitable,

quand on fait faire au malade certains exercices les yeux fermés.

L'exploration de la-sensibilitéest difficile, étant donné le peu d'attention du

malade. Souvent le matin on le trouve endormi. La nuit surtout, il a un délire

presque continuel, mais peu agité.

Les réflexes l'outiens, examinés à différentes reprises, et dans les conditions

normales, se sont toujours montrés conservés, sans diminution ni exagération.

Il n'existe pas de trépidation épileptoïde.

Pendant les quelques jours que le malade a passés dans le service, on ne

note aucun phénomène nouveau. Le délire persiste la nuit. La cachexie va en

augmentant. L'épreuve du bleu de méthylène montre une imperméabilité ré-

nale très prononcée : le chromogène apparaît 4 heures et le bleu en nature

G heures après l'injection ; le bleu disparaît à la 12e heure et le chromogène il

la 46°. Les difficultés du cathétérisme qui ramène toujours une urine sanglante

et purulente s'accentuent de telle façon que le malade est adressé en chirurgie

dans le service du Dr Bazy le 2 août 1897. Il meurt le jour même.

L'autopsie est pratiquée S4 heures après la mort.

Les poumons sont adhérents. Il existe de la pleurésie sèche bilatérale. Des

deux côtés, on trouve des lésions de tuberculose pulmonaire, allant jusqu'à

l'excavation du côté droit ; tubercules caséifiés du côté gauche. Le coeur est

très volumineux (560 gr.). Il est le siège d'une insuffisance aortique par lésion

de l'aorte (maladie de lIogdson). L'aorte est très athéromateuse sur toute son

étendue. '

Le foie est très volumineux. Il déborde de 10 centimètres le rebord des faus-

ses côtes sur la ligne mamelounaire. Il est très congestionné, rougeàtre par

places, légèrement gras en quelques endroits. La vésicule biliaire ne renferme

pas de calculs. La bile est colorée. On note de la sclérose de l'artère hépa-

tique. --

La rate est très volumineuse, sa capsule est épaissie.

Les reins sont très gros et mous. La capsule se décortique bien. A l'ouverture

des reins, le bassinet distendu laisse écouler du pus. On constate les caractères

d'une pyélo-néphrite double.

88 en. ACnARD ET L. LÉVI

Il existe trois uretères. L'uretère gauche est dédoublé. Les deux uretères

gauches qui partent du rein se rejoignent à 3 centimètres de la vessie. -

Cet organe a ses parois épaissies, volumineuses. Son contenu est purulent.

La muqueuse, très injectée, est épaissie également. -

Le cerveau n'est le siège d'aucune lésion en foyer, ni au niveau de l'écorce,

ni au niveau des noyaux gris centraux. On' note en l'enlevant un oedème sous-

pie-mérien appréciable, diffus.

La moelle est diminuée de volume. On constate à l'oeil nu une sclérose des

cordons postérieurs dans toute leur étendue et une atrophie des racines posté-

rieures qui sont grêles et grisâtres.

Examen histologique. - Les dissociations extemporanées de la moelle fraî-

che au niveau des cordons postérieurs n'ont pas révélé de corps granuleux.

Une racine postérieure qui représente environ le 1/li du volume d'une racine

antérieure est dissociée après passage à l'acide osmique. Chaque fibre considé-

rée isolément ne présente ni boules, ni altération dégénérative d'aucune sorte :

il s'agit d'une sorte d'atrophie simple.

Une branche musculaire du tibial postérieur a montré au contraire les alté-

rations de la névrite segmentaire périaxile.

La moelle tout entière a été fixée et durcie dans le formol à 10 0/0 ainsi que

des fragments du cerveau, et des différents organes. Nous insisterons peu sur

les lésions du foie, qui montre une légère sclérose périportale, non plus que

sur celles des reins, qui sont le siège de petits abcès périvasculaires disséminés

dans le labyrinthe et dans les pyramides.

Sur. les coupes du cerveau on note de l'épaississement de la pie-mère, de la

congestion de la substance grise, des corpuscules amyloïdes, enfin des lésions

assez accentuées des vaisseaux (péri-artérite embryonnaire, caillots dans leur

intérieur). '

La moelle a fait l'objet d'une étude systématique. Après le formol à 10 p. 100,

des rondelles d'un centimètre au niveau de chaque racine ont été placées pen-

dant trois jours dans le mélange : alun de chrome 2 grammes, bichromate de

potasse 5 grammes, eau distillée 100 grammes, incluses au collodion et colorées

par la méthode de Pal. Des coupes ont été colorées au picrocarmin.

D'une façon générale on peut dire que toute l'étendue de la moelle, les raci-

nes antérieures, les cordons antéro-latéraux, les cornes antérieures sont abso-

lument intacts. La pie-mère est légèrement épaissie sur toute son étendue,

mais sans méningite véritable.

Les lésions essentielles portent sur les racines postérieures et sur les cor-

dons postérieurs. Elles varient suivant les régions, plus marquées au niveau

de la région sacrée, de la région lombaire inférieure, elles diminuent dans la

région lombaire supérieure, pour devenir accentuées à la partie supérieure de

la région dorsale et à la région cervicale.

4 Région sacrée inférieure (6°, 5e, 4e sacrées). Les lésions sont très accen-

tuées dans les cordons postérieurs. Les altérations portent sur les zones de

Lissauer qui sont entièrement sclérosées. Le triangle médian postérieur de

Gombault et Philippe est conservé, ainsi que la zone qui limite la corne posté-

Nouv. Iconographie DE la S,LPÉrRIÈRE, T. XI. PI. X

C

. A

B

' TABES AVEC CONSERVATION DES REFLEXES

(Achard et Léopold-Lévy)

.l. (Méthode de P.il.) z 6° sacrée. Sclérose des zones de Lissauer, et d'un triangle correspondant à la ban-

delette externe. Conservation du triangle médian postérieur de Gombault et Philippe.

B. (Méthode de Pal.) 4' sacrée. Mêmes lésions.

C. (Méthode de Pal.) - 1'" sncn4·. Sclérose un peu moins marquée des zones de Lissaucr, et d'un tctritorre

situé il la partie interne du cordon de Burdach qui n'atteint ni la périphérie de la moelle, ni le sillon médian

postérieur. Le champ cornu-commissural, le champ postéro-externe, la zone limitante de la corne postérieure

sont conservés.

MASSON & Cie, Editeurs.

N OU". ICO\OGRAI'111E DE LA SAIPÈ17RIÉRE.

T. XI. Pl. XI

A

B

C

' TABES AVEC CONSERVATION DES REFLEXES

(Achard et Léopold-Lévy)

A. (Méthode de Pal.) - si ;' lombaire. Sclérose moyenne des zones de Lissauer, triangle de sclérose atteignant

le sillon médian postél ieur limité par les champs postérieurs conservés : zone cornu-commissurale, zone limitante

corne postérieure, champ postéro-externe.

B. (Méthode de Pal.) 10mb ? Sclérose des zones de Lissauer, triangle de sclérose comme sur la figure

précédente, un peu plus postérieure. Mêmes zones conservées.

C. (Méthode de Pal.) il* lombaire Les zones de Lissauer, la zone radiculaire moyenne et les colonnes de

Clarke sont le siège d'une sclérose peu intense. On remarque l'intégrité de la zone d'entrée des racines (Westphal)

comptise entre la substance gélatineuse de la corne postérieure, la périphérie de la moelle, et une ligne virtuelle

parallèle au sillon médian postérieur et passant par le point où la substance gélatineuse fait un ressaut en dedans.

MASSON & Ue, Editeurs.

CONSERVATION DES RÉFLEXES PATELLAIRES DANS LE TABES DORSALIS 89

rieure. Entre ces deux territoires, on note un triangle de sclérose, correspon-

dant à la bandelette externe. Des racines postérieures il ne reste plus que quel-

ques fibres, mais une coupe légèrement oblique entre la 5e et la 6e sacrées

montre la pénétration de racines postérieures conservées au niveau des cordons

postérieurs. Peu de fibres sillonnent les cornes postérieures. (Pl. X, A.)

2° Région sacrée supérieure (1'0 sacrée). Les lésions existent mais sont re-

lativement moins marquées dans les zones de Lissauer. Un plus grand nombre

de racines postérieures pénètrent dans les cordons postérieurs. La coupe des

cornes postérieures montre également plus de fibres dans leur intérieur. Trois

régions sont essentiellement intactes ou peu touchées : le champ cornu-commis-

sural (endogène ascendant) qui conserve au Pal sa coloration habituelle, le champ

postéro-externe, la zone limitante de la corne postérieure. Entre ces différentes

. zones, à la partie interne du cordon de Burdach, limité en arrière par la péri-

phérie de la moelle qu'il' n'atteint pas , en dedans par le sillon médian pos-

térieur qu'il respecte, se trouve un territoire de sclérose de moyenne inten-

sité. (Pl. X, B.)

3 Région lombaire (5e, 4e lombaires). La description ci-dessus s'applique à ces

régions : pénétration en quantité moyenne de fibres postérieures au niveau des

zones de Lissauer, moyennement dégénérées, triangles de sclérose atteignant le

sillon médian postérieur, s'écartant un peu davantage de la périphérie de la

moelle, et limitée par les champs postérieurs conservés : zone cornu-commis-

surale,zone limitante de la corne postérieure, champ postéro-externe. Le ter-

ritoire sclérosé a la forme d'un triangle à sommet inférieur. (Pl. X, C.)

4° Région lombaire moyenne (3° lombaire). Les racines postérieures pénè-

trent encore en plus grande quantité. Sur la préparation on les voit se conti-

nuer manifestement sur la zone qui limite la corne postérieure. Les mêmes

champs sont conservés. Le triangle de sclérose déjà indiqué persiste, mais est

un" plus postérieur et affecte une forme plutôt quadrangulaire. (PI. XI, A.)

5° Au niveau de la 2e lombaire, on aperçoit les colonnes de Clarke dont les

fibres blanches ont diminué légèrement de quantité. Les racines postérieures

pénètrent en assez grand nombre. La zone de Lissauer est faiblement touchée.

(PI. XI, B.)

6° ire lombaire. La moelle à ce niveau est moins sclérosée que dans les ré-

gions situées au-dessus et au-dessous. On est réellement frappé du peu d'inten-

sité des altérations des cordons postérieurs. La zone de Lissauer est légèrement

sclérosée; des fibres assez nombreuses pénètrent dans la moelle, appartenant

surtout au groupe interne des fibres radiculaires postérieures.

La zone de sclérose qui correspond à la bandelette externe mentionnée jus-

que-là est à la fois plus discrète et plus éloignée des cornes. Restent conservés :

la zone cornu-commissurale, la zone limitante de la corne postérieure qu'on

voit encore se continuer avec les fibres postérieures, une zone en forme d'L

qui borde le sillon postérieur et la périphérie de la moelle (bandelette périphé-

rique), enfin un champ postéro-externe comprenant la zone d'entrée des raci-

nes de Westphal. Les colonnes de Clarke sont faiblement sclérosées. Dans la

90 o CE. ACIIARD ET L. LÉ VI

corne postérieure, les fibres du faisceau réfléxo-moteur, ainsi que les collaté-

rales du centre de la corne sont à peu près intactes. (Pl. XI, C.)

7° Région dorsale inférieure. On note un léger aplatissement au niveau des

cordons postérieurs. Ce sont toujours les mêmes lésions : sclérose des zones

de Lissauer, dans lesquelles pénètrent un assez grand nombre de fibres. Les

lésions sont en outre disséminées dans la partie moyenne du faisceau de Bur-

dach et dans le cinquième du champ postéro-interne. Légère sclérose des co-

lonnes de Clarke. On trouve intacts : la zone cornu-commissurale, la zone

limitante de la corne postérieure, le champ postéro-interne. (PI. XII, A.)

g° ° dorsale. L'aplatissement des cordons postérieurs est notable. La zone

de pénétration des racines est atteinte, ses filets radiculaires pénètrent en petit

nombre. Il existe des lésions manifestes dans le 5e inférieur du champ postéro-

interne.

La zone cornu-commissurale devenue plus externe est bien conservée. Il en

est de même d'une partie de la zone radiculaire moyenne. D'uue façon générale,

il ce niveau, les lésions sont assez peu accentuées. (Pl. XII, B.)

9° Région cervicale inférieure. Les lésions plus manifestes portent sur la

zone de Lissauer, le 1/5 postérieur du cordon de Goll, la bandelette externe,

mais la lésion n'atteint pas la périphérie de la moelle ; elle en est séparée par

la zone limitante de la corne postérieure. Restent intactes encore la zone cornu-

commissurale devenue plus externe, la partie moyenne et interne du faisceau

de Burdach, enfin une couche de fibres limitant la périphérie de la moelle,

juxtaposée à la région de Goll sclérosée.

On voit nettement certaines fibres des racines postérieures pénétrer d'emblée

dans les, cordons postérieurs et se continuer avec la zone limitante de la corne

postérieure. (Pl. XII, C.) ,

En. résumé, il s'agit d'un tabes dorsalis remontant à 10 ans environ,'

caractérisé par un mal perforant plantaire, des troubles oculaires, des cri-

ses gastriques, des phénomènes vésicaux, la démarche caractéristique, de

l'incoordination des membres supérieurs, mais au cours duquel les ré-

flexes rotuliens sont restés conservés.

L'examen histologique montre une sclérose des cordons postérieurs gé-

néralisée à tout l'axe médullaire, mais répartie d'une façon inégale. Les

lésions du tabes se rencontrent dans toute la hauteur de la moelle, mais

elles ont une prédominance au niveau de la région sacrée et de la région

cervicale. Elles sont particulièrement discrètes au niveau de l'union de la

moelle lombaire supérieure avec la moelle dorsale.

Le tabès est, par conséquent, légitime, mais il est, en général, atténué.

En particulier, les zones endogènes, tant ascendante (zone cornu-commis-

surale) que descendante (virgule de Schultze ( ? ), bandelette périphérique,

triangle médian postérieur) sont conservés. Il faut remarquer, en outre,

que les racines postérieures extra-médullaires présentent, elles aussi, des

lésions inégales, le plus souvent assez discrètes.

Nouv. ICO : <OGR.l.PIIlE DE LA SALFÉTRItRE.

T. XI. PI. XII

A

B

C

. ' TABES AVEC CONSERVATION DES REFLEXES

(Achard et Léopold-Lévi)

.-1. (Méthode de Pal.) Région dorsale inféi ieiue. Sclérose des zones de Lissauer, de la partie moyenne du

faisceau de Burdach, et du 5* du champ postéro-interue. Légère sclérose des colonnes de Clarke. Sont conservées :

la zone cornu-commissurale, la zone limitante de la corne postérieure, le champ postéro-externe.

li. (Méthode de Pal.) z° doisiile. Sclérose moins marquée des zones de Lissauer, du \< postérieur du champ

postéto-interne. Sont conservées : la zone cornu-commissurale, la partie interne et moyenne du faisceau de

Burdach.

C. (Méthode de Pal.) Région cervicale iiifèrieuie. Sclérose des zones de Lissauer, du 5' postérieur du cordon de

Goll, des bandelettes externes. Mêmes régions conservées que sur la figure précédente.

MASSON & Cie, Editeurs.

CONSERVATION DES RÉFLEXES PATELLAIRES DANS LE TABES DORSALIS 91

Comment interpréter la conservation des réflexes rotuliens dans notre

cas ? z

A l'état normal, la voie réflexe sensitivo-motrice (protoneurone centri-

pète, neurone moteur périphérique) est nécessairement étroite, en ce qui

concerne le réflexe patellaire ; et si cette voie est interrompue en un point

quelconque de son trajet, le signe de Westphal apparaît. Dans le tabes

dorsalis. Son existence est la règle. Et, dans cette maladie, les lésions des

nerfs périphériques et de leurs terminaisons, des racines postérieures, et

aussi des racines antérieures, peuvent être incriminées vraisembablement,

dans une certaine mesure, sans parler même de la moelle. En réalité, c'est

aux racines postérieures et à la moelle, siège pour ainsi dire constant des

lésions, qu'on s'attache surtout dans le tabes, pour expliquer l'abolition du

réflexe. A ce point de vue, il est bon de tenir compte de cas, comme celui

de Westphal, où les réflexes rotuliens étaient abolis, et où les racines pos-

térieures étaient intactes : ce qui permet de conclure que la lésion radicu-

laire n'est pas au moins la seule cause de la perte du réflexe. Il est possi-

ble, d'autre part, que, dans les racines sensitives, certaines fibres soient

plus directement affectées à l'acte réflexe. Cette hypothèse s'appuie d'ail-

leurs sur une base histologique.

On sait en effet, que Ramon y Cajal (1) a divisé les fibres radiculaires

postérieures en deux groupes : groupe externe, groupe interne. De ce der-

nier groupe, qui donne lieu à des bifurcations, émanent les collatérales du

faisceau réflexo-moteur de cet auteur.

Nous venons de voir pourquoi le réflexe rotulien est habituellement

absent dans le tabes, voyons maintenant comment on peut interpréter sa

présence exceptionnelle.

Dans certains cas de tabes, le réflexe rotulien, d'abord aboli, a reparu

du fait d'une complication cérébrale. Il n'en est pas toujours ainsi [De-

bove (2), Buzzard (3), Fournier (4), etc.]. Pour expliquer cette réappari-

tion, Goldflam (5) admet que l'abolition du réflexe rotulien dans le tabes

est d'origine médullaire. Et il suppose que la lésion de la moelle a une

influence inhibitrice sur la réflectivité de cet organe. Lorsque survient

un processus cérébral qui, annihilant les centres d'arrêt, exalte la réflec-

tivité médullaire, l'action inhibitrice devient insuffisante ; le réflexe réap-

paraît.

(1) Rnuox Y Canal, Aiiatoinie fine de la moelle épinière (Atlas der patliol. IIisl. des

Nerversyst. de Babes, Berlin, 1895, IV, p. 29).

(2) I)EBOVR, Progrès médical , 1881, nos 52 et 53.

(3) Buzzard, The Lancet, 1881, VU, p. 541.

(4) Fournie ? Revue de méd., 1SS2, p. 492.

(5) Goldflam, lac. cil.

92 CII. ACHAIID ET L. LÉVI

Les cas où le réflexe est conservé sans avoir jamais disparu s'appuient

sur des données anatomiques qui permettent une interprétation plus pré-

cise. Westphal (1) a démontré, en effet, qu'il existe dans la moelle une

zone dont la lésion détermine l'abolition du réflexe. Placée à l'union des

régions lombaire et dorsale, celte zone est limitée : en dedans par une ligne

virtuelle, parallèle au sillon médian postérieur et passant par le point où

la substance gélatineuse fait un ressaut en dedans ; en arrière, par la subs-

tance gélatineuse et le point de pénétration des racines postérieures. Cette

zone, dite par Westphal zone d'entrée des racines, est, d'après cet auteur,

toujours intéressée dans tous les cas de tabes où le réflexe rotulien a dis-

paru. Elle est d'autant plus intéressée que le réflexe rotulien a disparu

depuis plus longtemps.

Inversement, lorsque les réflexes ont été conservés jusqu'à la mort, la

zone d'entrée des racines reste intacte. Il en était ainsi dans l'observation

de Lehmann (2).

Outre ce fait rapporté par Westphal, cet auteur appuie son opinion

sur trois autres cas. Dans l'un dû à Schmidt, les réflexes disparurent t

quelques jours seulement avant la mort, 22 jours du côté droit, la veille

à gauche. Les lésions dépassaient peine la limite de la zone.Westplial vit,

dans un cas personnel, l'abolition des réflexes survenir il droite 2 mois, à

gauche H jours avant la mort. La lésion était déjà plus accentuée. Enfin

dans l'observation de Kreisiger, le signe de Westphal fut constaté 3 mois

avant la mort. L'étendue de la zone atteinte était plus considérable. «

Kraus (3) confirma la localisation déterminée par Westphal. Lui-même

fournit ultérieurement une nouvelle observation démonstrative (4). Le

réflexe rotulien était conservé d'un seul côté. La comparaison histologique

était par conséquent facile. La lésion n'existai que d'un seul côté. La même

localisation unilatérale se retrouva chez un malade de Pick (5), âgé de

60 ans, dont le réflexe rotulien était aboli à gauche. On le déterminait

à droite par le procédé de Jendrassik.

De même, Nonne (6) constata chez un sujet de 42 ans, tuberculeux, syphi-

litique, la perte du réflexe patellaire d'un côté, la diminution de l'autre.

La zone de Westphal était plus sclérosée du côté correspondant. Un second

malade de 46 ans, buveur, avait comme unique symptôme l'abolition uni-

latérale du réflexe rotulien : La zone de Westphal était atteinte de ce seul

(1) Westphal, IDe. Cil.

(2) Archiv,. f. Psych., XVI 2 et 3, p. 496 et 778, cité par Westphal.

(3) KRAus, Neurolog. Centralblatt, n 10, 1887.

(4) WESTPIIAL, Archiv. f. Psych., XVIII, 1887, p. 628.

(5) Pack, Archiv. f. Psych., XX, 3, 1888.

(6) Nonne, Deutsche med. Wochenschrift, XV, 1889.

CONSERVATION DES RÉFLEXES PATELLAIRES DANS LE TABES DORSALIS 93

côté. Et de même, dans le cas de Minor (1) relatif à un homme de 48 ans,

syphilitique, tuberculeux, alcoolique. L'abolition des réflexes, seul symp-

tôme nerveux, était en rapport avec une lésion de la zone de Westphal.

Dans notre cas, on constate que la zone d'entrée des racines est conser-

vée. C'est donc un nouvel exemple qui appuie l'opinion de Westphal.

Reste à expliquer la rareté de cette conservation ?

En réalité, les cas de tabes avec conservation des réflexes ne sont pas

exceptionnels. Mais il mesure que la maladie progresse, les réflexes dispa-

raissent. Chez notre malade, le tabes était assez ancien, cependant la mort

est survenue avant que la maladie eût achevé son évolution complète. Il

est certain, d'ailleurs, qu'en général le tabès est surtout dorso-lombaire,

parfois primitivement lombaire, fait qui, à vrai dire, ne comporte pas d'ex-

plication facile. Quant à propos de la localisation souvent primitive

au niveau de la zone de Westphal, que la dégénération du tabes atteint

d'une façon prédominante les fibres courtes des racines postérieures,

comme le fait Minor, c'est énoncer une simple constatation histologique,

qui ne résout pas la question.

(1) Minoh, \'curol. Centralblatt, n 10, 1887.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'ÉTIOLOGIE

DU

LICHEN RUBER

PAR

A. LINDETREM

Prat. agrégé à l'Université St-Wladimir

de la Clinique dermatologique du Pr Stoukovensloff (Kiew).

L'étude des causes des maladies cutanées est un des chapitres les moins

connus de la dermatologie. Cela s'explique par le peu de matériaux posi-

tifs qui puissent servir de fondement à l'étiologie de ces maladies. D'au-

tre part, les faits positifs qu'on possède ne suffisent pas entièrement à

toutes les exigences. Dans l'énorme majorité des cas, les observations des

maladies n'ont pas été faites dans toutes les directions, c'est-à-dire qu'en

décrivant certaines manifestations cutanées on avait dirigé l'attention

presque exclusivement sur le côté morphologique de la maladie : les

signes extérieurs étaient étudiés avec les soins les plus minutieux, tandis

que les autres côtés de l'exploration du malade lui-même étaient tantôt

ignorés tout à fait, tantôt étaient incomplets.

Ce n'est que tout récemment, en amassant les faits cliniques dont on

puisse faire des déductions sur l'étiologie des différentes maladies de la

peau, qu'on a commencé à donner plus d'attention à l'exploration plus

détaillée des malades eux-mêmes.

Nous pouvons déclarer que beaucoup a été fait dans cette direction par

le plus ancien dermatologiste russe, M. le professeur A. Polotebnoff, qui

durant toute sa pratique comme professeur de la clinique, cherchait à re-

cueillir un matériel précieux d'observations travaillées dans toutes les

directions sur de nombreux malades souffrant de maladies de la peau, un

matériel qui puisse servir à généraliser les maladies et à résoudre quel-

ques problèmes concernant principalement l'étiologie de ces maladies.

Les Etudes dermatologiques de M. le professeur A. Polotebnoff sont l'ou-

vrage dans lequel sont réunies toutes les observations et les déductions

de l'auteur.

DE L'ÉTIOLOGIE DU LICHEN RUBER 95

L'étiologie du lichen ruber est très peu connue. C'est une maladie

qu'on rencontre assez rarement, bien plus rarement que la psoriasis. Le

lichen ruber est justement une des maladies cutanées qu'on a étudiée en

consacrant trop d'attention au côté morphologique, tandis qu'on a peu

fait pour expliquer son éliologie.

Le lichen ruber a d'abord été décrit par F. Hebra en 1860 ; en 1866

E. Wilson a décrit une maladie de la peau sous le nom de lichen planus

qui, après une étude plus détaillée, a été déclarée une modification du

lichen ruber de Hebra, etE. Wilson lui-même dut en convenir. Les nom-

breuses observations cliniques parlent en faveur de cette opinion car on

trouve souvent des éléments éruptifs de ces deux différentes formes chez

les mêmes personnes (Kaposi, Lassar, Neumann, Lehwimmer et autres).

En parlant du lichen ruber nous aurons en vue seulement ces deux for-

mes de la maladie et leurs modifications, qui ont été solidement établies

par ces observations cliniques.

Dans tous les traités des maladies de la peau les plus connus, on ne fait

presque pas mention de l'étiologie du lichen ruber. Ainsi, F. Hebra dit

catégoriquement que malgré qu'il ait vu près de 50 cas de cette maladie

il ne peut presque rien dire de son étiologie ; il se prononce avec convic-

lion contre la contagiosité de celte affection. E. Wilson, qui avait vu

bien des cas de lichen ruber, ne dit rien de positif sur l'étiologie de cette

maladie et se contente de démontrer que la haute température, agissant

sur la peau nue, y prédispose. Kaposi dit de même que nous ne savons rien

des causes du lichen ruber ; d'après ses observations, il constate qu'il l'a

trouvé chez des personnes, qui, outre ce mal, se portaient tout à fait bien.

Quelques auteurs, comme Unna et Lassar, sont disposés à reconnaître

l'étiologie microbienne de cette maladie; Lassar décrit des bacilles très

menus dans les petits espaces lymphatiques de la peau des malades;

mais ces explorations jusqu'à présent n'ont pas été confirmées par d'autres

observations. Lehwimmer tient le lichen ruber pour une trophonévrose en

se basant sur le fait que la maladie est toujours accompagnée de démangeai-

sons et que dans les dernières phases de celle maladie on observe l'atrophie

de la couche papillaire de la peau.

Plusieurs dermatologisles anglais et français se sont aussi déclarés en

faveur deTétiologie nerveuse du lichen ruber (Fox, C. Foix, IIutchinson,

Morris, Hardy, Ilyllairet, Lavergne, Vidal). M. le professeur A. Paspeloff

trouve aussi dans beaucoup de cas de lichen ruber qu'il avait observés des

altérations bien prononcées du côté du système nerveux. M. le professeur

Polotebnoff conclut que cette maladie apparaît seulement comme un symp-

tôme constant de quoique désordre du système nerveux de nature orga-

96 A. LINDETREM

nique ou fonctionnelle de la forme de névroses fonctionnelles et vaso-

motrices.

Dans ces dernières années, nous avons relevé plusieurs observations sur

le lichen ruber, dans lesquelles les auteurs tâchaient de reconnaître un lien

entre cetle maladie et lesaffections du système nerveux central. Ainsi Kobner,

qui a fait des observations dans 52 cas de lichen ruber, compte celte ma-

ladie au nombre des maladies nerveuses, en faveur de quoi, selon lui, parle

ce fait que le lichen ruber frappe toujours des personnes nerveuses et que

la démangeaison dont se plaignent la plupart des malades précède pres-

que toujours les éruptions cutanées. L'auteur cite les deux cas suivants,

qui sont très instructifs ; dans l'un d'eux, le lichen ruber de tout le corps

s'est développé chez une femme de 45 ans, atteinte de paralysie bulbaire ;

dans le second cas, c'est un homme, médecin, chez lequel le lichen ruber

unilatéral, comme le décrit Kobner, s'est développé dans la direction des

nerfs.

Vidal nous cite un cas de lichen ruber où l'éruption s'est montrée

bientôt après une opération chirurgicale extrêmement pénible et doulou-

reuse. Besnier nous fait part d'un cas de lichen ruber qui s'est développé

chez une malade de 58 ans, très nerveuse, qui avait souffert du diabète. Ni-

contowsky décrit deux cas de lichen ruber où la localisation des éruptions

était très symétrique, ce qui donne il l'auteur l'occasion de se déclarer

pour l'étiologie nerveuse de la maladie. Jacquet cite toute une série de cas

de lichen ruber, dans lesquels on employa avec succès l'hydrothérapie.

Cet auteur, de même que Brocq, insiste sur le lien intime entre le lichen

ruber et les affections du système nerveux central. Materne et Dubois-

Klarenitli se sont convaincus du succès qu'avait le traitement hydrothéra-

pique d'après la méthode de Jacquet. Remesolf décrit en détails un cas de

lichen ruber de la clinique du professeur A. Polotebnoff qui est instructif

en ce que le lien entre la lésion cutanée et la maladie du système ner-

veux central était très en relief, le malade observé avait des signes très

marqués de dégénérescence et de sclérose en plaques.

Le travail de Fagge est plein d'intérêt; il nous raconte l'histoire de sa

propre maladie. Le malade, qui souffrait du lichen ruber, était tourmenté

par des insomnies, par une forte démangeaison ; après quoi il commença à

souffrir de la mélancolie accompagnée d'idées de suicide; malgré les nar-

cotiques et l'arsenic il ne sentait pas de soulagement. Après un traitement

par les douches chaudes d'après la méthode de Jacquet, la guérison est

venue rapidement. Welander a observé l'éruption du lichen ruber et du

vitiligo après une forte émotion consécutive à un naufrage. Lerrede a

observé l'éruption du lichen ruber et pemphigus chez une femme hysté-

rique. Ledermann a observé l'éruption du lichen ruber qui s'était montrée

DE L'ÉTIOLOGIE DU LICHEN RUBER 91

en stries sur la peau le long des nerfs sur les membres inférieurs; un cas

semblable est décrit par Galloway. Les observations de Dreywel sont très

intéressantes; il décrit le lichen ruber des paumes des mains et des

plantes des pieds chez une malade qui souffrait du pseudo-tabes alcoo-

lique. Dietz nous communique des observations sur les éruptions du lichen

ruber, qui se sont montrées après de fortes émotions (colère).

Donc, dans la série des cas de lichen ruber que nous avons cités, on

voit distinctement des indications précises sur le lien très intime entre

celle maladie et l'état du système nerveux des malades. En faveur de ceci

parle le fait que le lichen ruber a été observé dans la majorité des cas chez

des personnes nerveuses, par exemple chez les hystériques, et quelquefois,

après de fortes secousses morales ou après de fortes commotions physi-

ques agissant sur le système nerveux du malade. Tel était le cas de Vidal

quand les éruptions du lichen se sont développées après une opération

chirurgicale, longue et douloureuse.

Dans quelques cas, l'éruption se borne strictement à un côté du corps

dans la direction d'un nerf quelconque de la peau; on a aussi observé des

cas où pendant l'apparition du lichen ruber on avait en même temps des

altérations organiques dans le système nerveux central, comme nous le

voyons clairement dans les observations de Koebner Dreynel, de même que

dans le cas cité par H. Hebra et Fleischmann, qui ont vu dans un cas de

lichen ruber le développement de tubercules dans le cervelet. Enfin le

succès du traitement du lichen ruber par les douches chaudes, qui a été

constaté par Jacquet et autres, nous persuade également de l'étiologie ner-

veuse de cette maladie ; ce dernier fait est d'autan( plus clair dans les ob-

servations que Tagge a faites sur lui-même que les éruptions du lichen

ruber et la maladie mentale qui les accompagnait ont rapidement cédé au

traitement par les douches chaudes.

Si nous n'avons pas trouvé dans d'autres nombreux travaux concernant

le lichen ruber des indications sur les symptômes nerveux chez les ma-

lades, cela s'explique, non pas par l'absence de troubles du système

nerveux, mais plutôt parce qu'on ne les cherchait pas chez ces malades,

les considérant comme bien portants en tout (excepté la peau) et ne s'inlé-

ressant qu'au côté morphologique du lichen ruber.

Dans la clinique de feu le professeur M. Stoukovenkoff nous avons

toujours pu remarquer dans les cas du lichen ruber qui y étaient observés,

telles ou telles altérations dans l'état du système nerveux. Je cite briève-

ment les cas les plus typiques de ce genre.

1. - Lichen ruber planus sur les membres inférieurs. - Les éruptions

sont disposées très symétriquement chez un sujet de 56 ans et accompagnées

xi 7

98 A. LINDETREM

d'une sorte de démangeaison, ainsi que d'une diminution de la sensibilité

à la douleur de toute la peau.

IL- Un )lOmme de 48 ans,j ni f. - Lichen ruber planus sous la forme

de stries composées de petites papules planes agglomérées dans la direction

desbranches cutanées du nerssciatique. L'éruption se bornait strictement

au côté droit du corps. Le traitement par les injections sous-cutanées de

grandes doses d'arsenic a amené une guérison complète.

III. Un officier de 22 ans. Le lichen ruber sur les mains, les pieds

et la nuque. La distribution de l'éruption est partout excessivement symé-

trique : la maladie a commencé vers les 12 ans. Le père du malade est un

homme bien portant, la mère est une femme anémique et très nerveuse

(hystérique). Les deux frères épileptiques, la soeur du malade est aussi

nerveuse (hystérique). Les réflexes cutanés et tendineux sont très faibles,

les réflexes vasculaires sont exagérés. On observe sur les deux extrémités

supérieures dans la région de l'avant-bras, dans les endroits non couverts

d'éruption des parties symétriques de la peau de près de 6 centimètres de

diamètre où toutes les espèces de sensibilité sont abolies.

IV. - Lichen ruber acuminé chez un homme de 75 ans, allemand.

La maladie a commencé, il y a 10 ans, sur les membres inférieurs, s'est

étendue peu à pen sur toute la surface de la peau et fut accompagnée

d'une forte démangeaison. Les éruptions sont partout uniformes, com-

posées de petites papules acuminées très serrées qui s'écaillent. En explo-

rant le système nerveux nous avons constaté que tous les réflexes cutanés,

tendineux et vasculaires, sont considérablement exagérés ; la sensibilité

pour la douleur est un peu diminuée, la sensibilité tactile est partout bien

conservée. La sensibilité pour la température est parfont considérablement

diminuée. Ainsi dans les explorations des différentes parties du corps du

malade ce dernier ne pouvait pas discerner de différence entre 18°C et h0°C.

La faradisalion et les bains chauds ont produit une amélioration considé-

rable.

V. Un homme de 59 ans, juif. - Le lichen planus sur les membres

inférieurs et principalement dans les régions surales. L'éruption est distri-

buée symétriquement. La maladie a commencé il y a 17 ans, et simultané-

ment se montrèrent le lichen sur les extrémités inférieures et des taches de

vililigo placées très symétriquement presque sur toute la surface du tronc.

Les muscles des deux jambes sont distinctement atrophiés en comparaison

des muscles du corps. Le commencement de la maladie est en rapport avec

une forte secousse nerveuse que le malade recul, en apprenant que toute

sa famille avait contracté la syphilis d'un domestique de la maison.

VI. Jeune fille de 24 ans, paysanne. Les éruptions du lichen

planus ont débuté il y a 5 ans sous forme de petites papules planes

DE L'ÉTIOLOGIE DU LICHEN RUBER 99

serrées et groupées formant des stries cornées qui traversent les paumes

dos mains du côté radial jusqu'à l'hypothenar. Outre cela la malade a des

éruptions sur la muqueuse du vestibulum oris, peliles papules isolées et

continentes en forme de stries blanchâtres, qui composent, en se croisant

des espèces de filets sur la muqueuse des joues. La malade est une jeune

fille anémique, hystérique, souffre presque continuellement de douleurs

dans le bas-ventre, elle a des règles irrégulières qui retardent souvent, il

y a eu plusieurs fois des intervalles d'une demi-année. Les réflexes ten-

dineux cutanés et vasculaires sont considérablement exagérés; la malade

perd l'équilibre en fermant les yeux.

Ainsi dans tous les cas du lichen ruber que nous avons observés nous

pouvions constater des altérations, plus ou moins prononcées dans le sys-

tème nerveux des malades. Dans certains cas, cela s'exprimait par la dispo-

sition des éruptions; on remarquait alors tantôt une extrême symétrie dans

la disposition des éruptions, tantôt on observait qu'elles suivaient la di-

rection des nerfs comme dans noire second cas.

Dans le troisième cas nous pouvons constater que la maladie s'est dé-

veloppée chez un sujet dont la prédisposition héréditaire aux maladies

nerveuses était distinctement exprimée. Dans le quatrième cas nous pou-

vons remarquer que l'exagération considérable des réflexes cutanés tendi-

neux et vasculaires était accompagnée d'altérations de la sensibilité avec

une perte partielle de la sensibilité thermique et douloureuse, c'est-à-dire

avec la dissociation syrinomvéliclue. Dans le cinquième cas, l'éruption

des papules du lichen, précédée d'une forte commotion nerveuse, était

accompagnée des phénomènes purement trophiques, comme : taches de

vitiligo et atrophie des muscles des jambes.

Les altérations de la sensibilité et les troubles trophiques dans ces der-

niers cas nous permettent d'y reconnaître la gliomatose, qui a produit en

même temps les altérations cutanées en question.

Dans les deux cas suivants cette dépendance du lichen ruber de

, désordres dans le système nerveux central est encore plus prononcée.

VU. - Un homme de 20 ans, tarare, malade dès l'âge de 10 ans;

l'éruption envahit exclusivement le côté gauche du corps, savoir : la sur-

face interne de l'extrémité supérieure, la région pectorale, le côté, la fesse,

et la plante du pied. On remarque sur la paume de la main des petites

papules planes, isolées el conlluentes, couertesd'épaissescouclescornées

de couleur rouge brun, de la grandeur d'un grain de pavot jusqu'à la gran-

deur d'un grain de millet avec des cavités centrales. Les éruptions remon-

100 A. LINDETREM

tent le long du bord interne de l'avant-bras et du bras gauche jusqu'à la

région pectorale et s'enchaînent en une série de stries étroites longitudi-

nales. En passant dans la région du creux de l'aisselle, les dimensions des

papules deviennent distinctement plus grandes; dans la région pectorale

elles se rapetissent et pâlissent. Ici, on peut remarquer des stries blan-

châtres de la peau atrophiée et luisante à la place des éruptions qui avaient

subi le développement régressif. Sur le côté gauche et la fesse gauche

l'éruption a le même caractère, mais les éléments éruplifs ne se disposent

pas ici en stries, mais en plaques variées de dessin irrégulier; sur la

fesse les papules isolées atteignent d'assez grandes dimensions. Du côté ex-

terne de la plante du pied celles-ci se disposent en forme de stries rappelant

celles qu'on avait observées sur la peau de la paume. Le père du malade est

un vieillard fort et bien portant ; la mère est morte jeune de phtisie ; son

frère et sa soeur, probablement phtisiques aussi, sont très faibles et ont sou-

vent mal à la poitrine. Le frère avait des glandes lymphatiques agrandies

qui s'enflaient et suppuraient presque continuellement : outre cela il a

eu de la carie des os. Notre malade ne fut jamais en état de faire un travail

pénible parce que sa main gauche est affaiblie. De même il se fatigue

vite en marchant. Le côté gauche du corps se couvre rapidement de

sueur, quand on l'examine, tandis que le côté droit reste sec. La force

musculaire de la main gauche, mesurée par le dynamomètre Mathieu, se

montre sensiblement diminuée en comparaison de la force musculaire de

la main droite; ainsi, pour la main gauche, elle égale 30, pour la main

droite, 120. L'électro-excitabilité des muscles et des nerfs, du côté gauche

est aussi diminuée. Le réflexe pharyngien est conservé et même exagéré. Les

réflexes cutanés, vasculaires et tendineux sont considérablement exagérés,

surtout du côté gauche du corps. Les yeux fermés le malade ne peut pas

garder l'équilibre. Sur tout le côté gauche du corps on remarque une

diminution considérable de tous les modes delà sensibilité. L'exploration

de la sensibilité tactile et douloureuse par l'algésimètre de Coulbine nous

présente les données suivantes :

DE L'ÉTIOLOGIE DU LICHEN HUilER 101

Outre tout ce qui a été décrit ci-dessus, on a trouvé chez le malade les

signes de dégénérescence suivants : l'ossification prématurée de la suture

sagittale; les lobes inférieurs des oreilles manquent, les oreilles sont gran-

des et se replient en avant, la voûte palatine ogivale, une dent en forme

de défense à la place de la dent gauche incisive.

Ainsi, dans ce cas, le lichen ruber, qui s'est développé chez un sujet hé-

réditairement prédisposé aux maladies du système nerveux, ayant des

signes marqués de dégénérescence, se borne distinctement au côté gauche

du corps. L'étude du système nerveux de ce malade nous montre claire-

ment, que nous avons devant nous une maladie nerveuse centrale, qui se

localise dans la moelle épinière. ,

VIII.-Un homme de 20 ans, paysan petit-russien. La maladie date

de l'enfance ; l'éruption se limite exclusivement au côté gauche du corps

sur les parties suivantes : le côté ulnaire du médius, le côté radial de l'an-

nulaire, sur les deux phalanges inférieures du petit doigt el sur l'éminence

hypothénar; sur la surface intérieure de l'avant-bras et du bras gauche,

d'où l'éruption s'étend sur la région pectorale ; elle poursuit le bord de sa

partie inférieure en forme de taches blanches, luisantes et atrophiées avec

des marges rouge-brun quelque peu élevées qui s'écaillent ; plus loin on

voit l'éruption sur le côté gauche, dans la région de l'épigastre, sur le

111011S ueueris et sur la surface antérieure interne et externe de la cuisse

gauche. L'éruption est partout uniforme et se compose de petites papules

planes très serrées de la grosseur d'un grain de pavot et formant des pla-

ques de diverses dimensions avec des contours ronds, festonnés; on re-

marque partout que les parties centrales des plaques sont plutôt plates,

tandis que leurs parties marginales sont comparativement plus relevées;

toutes les plaques s'étendent pour la plupart le long de l'axe du tronc.

L'éruption disposée sur la paume de la main présente sur ses parties pé-

riphériques une couche abondante de masses cornées, tandis que leurs

régions centrales ont une surface rouge asséz lisse. Sur la cuisse et le

naous veneris,lacouleur des plaques est d'un rouge plus foncé et l'écaille-

ment sur leur surface se fait voir plus clairement que dans les autres

régions du corps. La grandeur des plaques est variée : depuis la grandeur

d'une lentille jusqu'à un cercle d'un centimètre de diamètre. Plusieurs de

ces plaques élémentaires en se confondant forment des figures de contours

différents, qui rappellent le psoriasis girita ou geographica.

En explorant le système nerveux du malade on a trouvé les altérations

suivantes : la force musculaire de la main gauche sensiblement diminuée

en comparaison à la force de la main droite; ainsi, d'après le dynamomè-

tre Mathieu, pour la main gauche elle égale 50, pour la main droite 150.

Les réflexes tendineux, cutanés et vasculaires sont très exagérés, surtout au

102 A. LINDETREM

côté gauche du corps. Le réflexe du gosier est conservé. L'excitabilité des

nerfs et des muscles au courant faradique est sensiblement diminuée du

côté gauche du corps. Ayant les yeux fermés le malade ne peut pas garder

l'équilibre. La sensibilité douloureuse, tactileeL thermique du côté gau-

che est considérablement diminuée. Les explorations de la sensibilité avec

l'algésimètre de Coulbine nous présentent les données suivantes :

DE L'ÉTIOLOGIE DU LICHEN RUBER 103

la peau qui doivent être considérées comme les plus primitifs dans cette

maladie.

Malheureusement nous n'avons pas jusqu'à aujourd'hui d'autopsies

complètes avec la description détaillée des lésions histologiques des organes

intérieurs et du système nerveux.

Grâce aux explorations expérimentales de Gaule, nous avons la possi-

bilité de nous expliquer beaucoup de phénomènes qu'on observe dans tout,

un groupe de maladies nerveuses de la peau au nombre desquelles il faut

certainement compter le lichen ruber. Gaule, par toute une série d'expéri-

mentations sur les ganglions inter-vertébraux et sympathiques, ainsi que

sur la moelle épinière des amphibies et des mammifères, a provoqué

divers troubles trophiques de la peau, en variant la force d'excitation qu'il

a employée. Ainsi il provoquait l'atrophie et l'hypertrophie du pigment,

l'hypertrophie de l'épithélium, l'atrophie de la peau, la formation de plaies

et autres troubles trophiques de la peau.

On doit croire que tout le tableau des altérations maladives de la peau

qui s'expriment principalement par l'altération du processus de kératini-

sation est provoqué par tel ou tel. autre désordre dans les centres de

la moelle épinière, ou dans les ganglions qui s'y rattachent. Ces désordres

se transmettent pour la plupart par la prédisposition héréditaire; dans

d'autres cas, ils peuvent être acquis.

De quelque manière que commencent les altérations de la peau que

nous observons cliniquement comme éléments éruptifs du lichen ruber,

soit par les altérations des vaisseaux dont parlent quelques auteurs, soit

peut-être par l'anomalie du processus de kératinisation sans altération

précédente des vaisseaux, ce sont là des problèmes, qui, comme la ques-

tion de la nature des lésions histologiques survenues dans le système ner-

veux chez les malades atteints de lichen ruber, attendent leur solution

des explorations ultérieures.

En nous basant sur les faits cliniques, nous sommes bien persuadés

que dans un avenir prochain, les recherches anatomo-pathotogiques con-

firmeront les idées ci-dessus énoncées sur l'étiologie nerveuse du lichen

ruber.

, BIBLIOGRAPHIE

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DEUX INFANTILES :

INFANTILE MYXOEDÉMATEUX ET INFANTILE DE LORAIN

par R

HENRY MEIGE et FÉLIX ALLARD.

L'infantilisme a pris désormais droit de cité dans les études nosogra-

phiques. Durant ces dernières années, la description du syndrome mor-

phologique qui le caractérise s'est peu à peu précisée ; ses conditions étio-

logiques et pathogéniques ont été successivement mises en lumière.

Enfin, la thérapeutique est aujourd'hui en mesure d'agir efficacement

dans certains cas contre cet état d'enfance permanente auquel toute une

catégorie d'infantiles semblaient irrémédiablement condamnés.

Lasègue, puis Lorain (1), avaient entrevu une modalité de l'infanti-

lisme, à laquelle M. Brouardel a également fait allusion. Mais cet aperçu

n'avait pas suffisamment retenu l'attention. L'étude toute moderne du

myxoedème est venue jeter un jour nouveau sur la question. L'étroite pa-

renté qui unit jusqu'à les confondre les cas frustes de celte affection à cer-

tains types d'infantiles fut établie par M. Brissaud (2). On apprit alors à

distinguer l'Infantilisme myxccdémateu.x.

Mais à côté des infantiles myxoedémateux, doit prendre place un autre

groupe d'infantiles, ceux-là précisément dont, Lorain avait esquissé la des-

cription. Dans un travail ultérieur, M. Brissaud a nettement séparé les

deux types qui se distinguent entre eux non seulement par un habitus

corporel aisément reconnaissable, mais encore par des éléments étiologi-

ques et pathogéniques tous différents.

Ce- sont deux exemples nouveaux de l'une et de l'autre variété de l'in-

fantilisme que nous voulons rapporter aujourd'hui.

(1) Lettre préface à la thèse de Faneau de la Cour.

(2) Brissaud, Myxoedème, crélinisme et infantilisme. Leçons sur les maladies ner-

veuses. Salpêtrière (1893-94), p. 625 et sq. ; E. Brissaud, L'infantilisme myxoedéma-

leur. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1897, p. 210 et sq. La thèse récente de

Vivier est inspirée par cette conception. Il. Vivirr, Sur l'infantilisme. Th. Paris, 1898.

106 HENRY MEIGE ET FÉLIX ALLARD

Le premier de ces infantiles appartient incontestablement au type

myxoedémateux. A première vue, il a toutes les apparences d'un enfant

de 5 à G ans. -

Nous l'avons photographié, dans sa blouse noire d'écolier, à côté d'un

gamin de six ans,de santé et de croissance normales (Fig.1) : ils ont même

taille et même allure. Ne semblent-ils pas deux condisciples de la même

classe ? Et cependant notre infantile a dépassé sa dix-neuvième année !

Sa figure pouponne, avec ses grosses joues et son petit nez épaté, semble

encore faite pour la première fonction nutritive. On dirait d'un nourris-

son flétri. Or, avant deux ans, ce nourrisson devra tirer au sort. Assuré-

ment il sera ajourné, peut-être indéfiniment, car il ne mesure que 1 m. 14

sous la toise, et ne peut espérer grandir de 40 centimètres en deux ans.

Mis à nu, son infantilisme est plus évident encore (Pl. XIII). Le ventre

est gros, le torse est rond, les reliefs des os et des muscles s'accusent à

peine; un soupçon de pénis et deux haricocèles sont les seuls indices

d'un embryon de virilité qu'aucune pilosité n'ombrage. D'ailleurs, sur la

figure, ainsi que sur le corps, nulle trace de duvet ne semble devoir s'es-

tomper.

Bref, de par son corps, il apparaît tel qu'est son compagnon de G ans;

Fig. 1. Infantile myxoedémateux âge de 19 ans (à droite) à côté d'un enfant normal

âgé de 6 ans.

¡"¡O1;\". ICO\OGR.11'lIIE DE LA SAtt'hIRIÈttE.

T. XI. PI. XIII

'Mt)/M/)Mty.7 ? t'c Pbotctoll. 13crllaurl

INFANTILE MYXOEDÉMATEUX

(Henry Meige et F. Allard)

INFANTILE MYXOEDÉMATEUX ET INFANTILE DE LORAIN 107

mais celui-ci est l'enfant qu'il doit être à son âge ; celui-là, de treize an-

nées plus vieux, est demeuré figé dans un moule infantile.

'En peu de mots tient son histoire :

II est né le 28 février 1879. Ses parents étaient de bonne santé, pari-

siens de naissance et de souche normande. Toute la famille semble avoir

été assez prolifique. La grand'mère paternelle du jeune malade a eu

z. enfants de deux lits différents (7 pour chaque lit). La grand'mère ma-

ternelle en a eu 4, tous bien portants. La mère, de taille peu élevée, est

morte depuis 18 ans, ayant donné naissance à 7 enfants dont celui-là seul

survit. Tous les autres sont morts en bas âge : deux en venant au monde,

troisde méningite, un dernier accidentellement; le plus âgé qui atteignit

l'âge de 9 ans était fort et bien constitué.

Le père, encore vivant, s'est toujours très bien porté ; il n'a jamais eu

la syphilis ; mais il avoue avoir fait quelques excès de boisson.

Nous l'avons vu : il est de taille moyenne et rien clans son facies n'évo-

que l'image d'un myxoedémateux, si fruste soit-il.

Mais, détail ;i noter, père et mère étaient cousins germains.

Aussitôt né, le jeune V... fut envoyé en nourrice dans la Sarthe ; il

il s'éleva bien, marcha et parla en temps utile. On disait seulement de

lui, sans d'ailleurs y attacher d'importance, qu'il était de « petite na-

ture ». Cependant, lorsqu'il revint auprès de ses parents, à l'âge de

4 ans, il était extrêmement chétif et très difficile à nourrir. On pensa alors

qu'il avait été mal soigné par sa nourrice, laquelle, dit le père, lui aurait

laissé prendre des habitudes vicieuses.

Quoi qu'il en soit de ces misères du premier âge, l'enfant resta mala-

dif et ne grandit pas.

A six ans, il eut une première « bronchite » et, depuis lors, ne cessa

de tousser. Il fit successivement plusieurs séjours dans les hôpitaux de

Paris, puis quelques cures d'air en province, ayant toujours une santé

assez précaire et n'arrivant pas à se développer physiquement.

Il y a deux mois, la toux a reparu plus fort, et avec elle des palpita-

lions qui décidèrent le père à le conduire à l'Hôtel-Dieu, dans le service

de M. le Professeur Dieulafoy (1).

ATheure actuelle, les lésions pulmonaires sont assez sérieuses : respi-

ration soufflante, râles disséminés dans tout le poumon droit et signes

cavitaires aux deux sommets. La voix est un peu voilée et, par moments,

surviennent des quintes de toux coqnelucllo'ide. Le coeur ]),il vile, avec

(1) C'est là que le petit malade fut remarqué par M. le D Pierre Bonnier. Sur la

demande de ce dernier, M. le professeur Dieulafoy eut l'obligeance de l'adresser à

M. Brissaud, dans le service duquel nous avons pu l'examiner à loisir.

108 IIENHY MEIGE ET FÉLIX ALLAHD

quelques irrégularités. Ses mouvements s'accélèrent surtout il l'occasion

des fortes inspirations.

L'existence de la tuberculose chez ce myxoedémateux infantile rend

compte d'un certain nombre de particularités morphologiques qui le font

dévier un peu du type ordinaire. `

D'abord, il a maigri, et même, nous dit le père, dans des proportions très

notables. Aussi semble-t-il moins potelé que ne le sont ses congénères.

Ses membres sont cependant des membres d'enfant, d'enfant chétif il est

vrai ; mais leurs reliefs demeurent « enveloppés » par une peau fine, sum-

samment rembourrée de graisse. S'il n'est pas précisément joufllu, ayant

aussi beaucoup maigri de visage, sa face garde néanmoins une apparence

« lunaire », bien myxoedémateuse. Enfin, malgré l'amaigrissement, le

ventre est resté gros.

La principale anomalie se voit dans la configuration des épaules et du

cou. Celui-ci est d'une extrême brièveté et celles-là sont par contre sur-

élevées et élargies. Comme il existe en outre une légère voussure de la

colonne cervico-dorsale avec élévation du sternum et des côtes en avant,

le petit malade offre de singulières ressemblances avec un bossu. Aucun

détail de son histoire ne permet d'attribuer ces déformations il la tuber-

culose vertébrale ; mais, sans invoquer le mal de l'ott, il faut se rappeler

que de semblables déformations tboraciques s'observent à des degrés di-

vers chez les individus atteints de tuberculose (1). ,

Une autre anomalie corporelle qui relève, à n'en pas douter, de la tu-

berculose, est aisément. reconnaissable chez cet infantile : c'est la défor-

mation des doigts « en baguette de tambour » qu'il présente au plus haut

degré, aussi bien aux mains qu'aux pieds.

On peut se rendre compte par la radiographie (PI. XV), mieux encore

que sur les photographies ordinaires, du développement inusité de la der-

nière phalange de tous les doigts, tant en largeur qu'en épaisseur; l'hyper-

trophie porte surtout sur les parties molles; les ongles notamment sont très

élargis et incurvés suivant le type hippocratique.

Malgré ces anomalies, notre petit malade doit être rangé dans la caté-

gorie des infantiles myxaedémateua. Infantile, il ne saurait l'être davan-

tage ; myxoedématenx, il l'est assurément, bien qu'il lui manque la bouf-

fissure luxuriante que réalise au plus haut point l'idiotie myxoedémateuse.

On dirait plutôt, suivant l'heureuse expression employée par M. Thi-

bierge (2), à propos d'un cas analogue, « un myxoedémateux démyxoedé-

matisé ».

(1) Notons à ce propos que chez notre petit malade la grande envergure mesure

1 m. 21 et le périmètre thoracique 12 centimètres, tandis que la taille atteint seule-

ment 1 ni. 14.

(2) Soc. méd. des hôp , 26 mars 1897.

INFANTILE H4YROÉDÉ\IATI'sUX ET INFANTILE DE LORAIN 109

L'impossibilité de percevoir le corps thyroïde à la palpation vient en-

core confirmer ce diagnostic, toules réserves faites sur la difficulté d'appré-

cier sur le vivant le volume de cette glande. C'est bien en effet de l'insuf-

fisance thyroïdienne que procède l'infantilisme myxoedémateux. Ici, celte

insuffisance est-elle congénitale, ou bien, sous l'influence de la tuhercu-

lose, la fonction du corps thyroïde a-t-elle été troublée ? Nous ne nous

aventurerons pas à discuter ce problème pathogénique.

Ce que l'on peut affirmer en tout état de cause, c'est que cet infantile

présente trop de stigmates myxoedémateux pour que sa glande thyroïde soit

restée indemne.

Encore faut-il préciser davantage. On sait que le corps thyroïde de

l'homme se compose de deux tissus, l'un 'thyroïdien, l'autre parathyroïdien

correspondant aux glandules distinctes des animaux, les thyroïdes et les

para thyroïdes.

« Or il semble, dit M. Brissaud, d'après les indications cliniques et

physiologiques qu'on peut dès à présent mettre à profil, que la suppres-

sion du tissu thyroïdien détermine les dystrophies du tégument et du sque-

lette, tandis que l'abolition de la fonction parathyroïdienne provoque les

accidents nerveux et en particulier les troubles intellectuels associés au

myxoedème » (1).

S'il en est ainsi, notre petit malade aurait subi une grave altération de

sa fonction thyroïdienne, mais sa fonction parathyroïdienne aurait con-

servé son intégrité.

En effet, si par sa taille et ses formes plastiques il est resté un enfant

de six ans, son intelligence n'est pas demeurée stationnaire. Il s'est tou-

jours maintenu à l'école au niveau des enfants de son âge réel, et sncces-

sivement il a obtenu ses certificats d'étude primaire et secondaire. Actuel-

lement, il parle et raisonne avec à propos, non sans vivacité et sans

intelligence : pour le corps, il a six ans, mais pour l'esprit, il a vingt ans

d'âge. Bien différent en cela des myxoedémateux complets que rien ne

peut tirer de leur torpeur psychique. Il serait donc un a)/ ? 'o7f7/t'H, mais

non un aparalhyroïdien, si l'on peut se permettre ces néologismes.

A vrai dire, il lui reste encore plus d'un indice de cet état mental des

infantiles qui semble concorder avec t'age consené par leurs corps : une

certaine naïveté, une timidité craintive, ctsurtoutuneémotivité facile qui

se traduit par des pleurs ou des rires à l'occasion de futilités. Mais là se

bornent les stigmates psychiques de l'enfance, car pour la mémoire, la

réflexion et le jugement, cet enfant de corps en remontrerait à bien des

adultes ayant dépassé son âge. '

(1) E. 1lI\ISS.ILII, De l'infantilisme mya·coedémaleua·. Nouv. Icon. de la Salpêtrière.

110 HENRY MEIGE ET FÉLIX ALLARD

En résumé, il s'agit d'un infantile myxoedémateux devenu tel, selon

toute vraisemblance, pour avoir, de bonne heure, perdu sa fonction thy-

roïdienne, mais ayant conservé sa fonction parathyroïdienne, et partant

ses facultés intellectuelles. Il est atteint en outre d'une tuberculose pul-

monaire déjà ancienne d'où relèvent les déformations de son thorax et de

ses extrémités.

Nous rappellerons, à litre documentaire, que les parents étaient cousins

germains et le père alcoolique, que cet infantile myxoedémateux est le

seul survivant de sept enfants dont deux morts-nés et trois morts de mé-

ningite, enfin qu'il se serait trouvé pendant sa première enfance dans de

mauvaises conditions de nourriture et d'hygiène.

La consanguinité des parents, l'alcoolisme du père, l'alimentation

vicieuse dans le jeune âge et aussi la tuberculose précoce de l'enfant, cha-

cune de ces causes dyslrophiantes ou toutes en même temps, n'ont-elles

pas retenti sur le fonctionnement de la glande thyroïde et ne seraient-elles

pas capables de donner naissance à l'infantilisme myxoedémateux ? La

question mérite d'être posée en attendant que des faits nouveaux puissent

autoriser à la résoudre.

Noire second infantile est un garçon de 17 ans et demi. A le voir tout

habillé, on dirait un enfant âgé de dix douze ans ;'1 peine. Il mesure

1 m. u0 de hauteur et n'a pas 70 centimètres de tour de poitrine.

Cependant, dévêtu, ses formes plastiques ne sont plus colles d'un en-

fant ; on dirait plutôt d'un adulte, mais d'un adulte vu par le gros bout

d'une lorgnette : ses épaules sont larges, son bassin étroit, les saillies os-

seuses bien marquées; ses muscles, sans être forts, sont bien « écrits »,

débarrassés de la gangue graisseuse de l'enfance; on lit aisément sous la

peau leurs insertions, leurs faisceaux, leurs reliefs el les méplats qui les

séparent. (l'l. XLV.)

L'ensemble de ce petit homme représente plutôt une réduction à l'é :

chelle de l'individu qu'il' devrait être normalement à l'approche de sa

dix-huitième année.

Toutes les,parties de son corps ont subi les transformations qui font

passer de l'habitus extérieur de l'enfance, à la morphologie de l'adulte, à

cela près qu'elles n'ont pas obéi aux lois générales de la croissance. La

métamorphose s'est opérée in situ : tout a cessé de croître ; et cependant

ce corps exigu est devenu un homme en miniature.

S'il lui manque la pilosité du mâle, car il n'adepoilsni sur le visage

ni au pubis, ni dans les aisselles, - il en a pourtant les atlrilmts primor-

diaux : des organes sexuels bien conformés, pou volumineux assurément,

mais proportionnés au reste de l'organisme.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE,

T. XI, PL. XIV.

JEUNE HOMME INFANTILE INFANTILE

DE CROISSANCE NORMALE DU TYPE LORAIN MYXOEDÉMATEUX

19 ans. Taille : I ? S 17 ans. Taille : IID,40 19 ans. Taille : im,14

WASSOV ET C ? éditeurs.

INFANTILE MYXOEDÉMATEUX ET INFANTILE DE LORAIN 111

Diminutif masculin où ne sont qu'ébauchés les stigmates de la virilité,

on ne saurait y voir un être demeuré enfant passé l'âge. Car sa tète est

petite, son tronc presque proportionné ; plus déboule de Bichat arrondis-

sant ses joues, plus d'enveloppement adipeux masquant les reliefs des

membres; le thorax est dessiné, le ventre ne proémine pas. Cinq pouces

de plus avec des poils où il en faut, et cet avorton pourrait être soldat.

Mais il lui manque, encore ils centimètres pour atteindre la toise du

conseil de revision et cependant il touche à sa dix-huitième année. Un tel

arrêt de la croissance ne donne que peu d'espoir pour l'avenir. Quelques

centimètres en hauteur, un léger duvet axillaire et pubien, pourront lui

pousser avec il il n'en restera pas moins toute sa vie un « gringatet »

suivant le terme populaire, un infantile de ceux que 1\1. Brissaud a proposé

d'appeler les Infantiles du type Lorain.

« DébiliLé, gracilité etpetitesse du corps, sorte d'arrêt de développement

qui porte plutôt sur la masse de l'individu que sur un appareil spécial »,

telle est la formule par laquelle Lorain caractérisait l'infantilisme dans sa

lettre préface à la thèse de Faneau de la Cour. On voit qu'elle s'applique

en tous points à notre sujet, et il suffit de comparer sa photographie à celles

qui accompagnent le travail de M. Brissaud pour se rendre compte de leur

complète similitude.

Par contre, les différences sont incontestables avec le type morpholo-

gique de l'infantilisme myxoedémateux. (Voy. PI. XIII et XIV.) D'ailleurs les

raisons pathogéniques de l'un et de l'autre infantilisme sont entièrement

dissemblables : la lésion thyroïdienne fait généralement défaut dans l'in-

fantilisme du type Lorain.

Celui-ci relève de conditions étiologiques multiples; la principale parait

être un trouble trophique vasculaire congénital, l'anangioplasie; l'alcoo-

lisme, la syphilis, la tuberculose, la cachexie palustre, les mauvaises con-

ditions de nourriture et d'hygiène, contribuent, isolément ou simultané-

ment, à cet arrêt de la croissance qui porte sur toutes les parties de l'orga-

nisme.

Dans notre exemple, c'est la tuberculose qui semble seule coupable :

L'enfant est né d'un père tuberculeux, mort de tuberculose, et il est tu-

berculeux lui-même. On lui a dit que, dès l'âge de 18 mois, il n'avait plus

qu'un poumon. Ce qui est certain, c'est qu'il a toujours été tousseur, s'en-

rhumant tous les hivers; depuis deux ans surtout, il a eu bronchites sur

bronchites, et actuellement la matité de ses sommets, les craquements

qu'on y entend (il droite en particulier), ue laissent aucun doute sur la

réalité de ses lésions.

D'ailleurs la syphilis ne semble pas en cause. La mère est bien portante

112 HENRY MEIGE ET FEUX ALLARD

et a mis au monde sept enfants, quatre filles et trois garçons, tous bien

portants et bien constitués, à l'exception de notre malade.

Il n'est pas le dernier venu, car son plus jeune frère âgé de 10 ans est,

parait-il, aussi grand et aussi fort que lui. Un autre frère cependant serait

resté chétif jusqu'à Page de 19 ans, puis se serait alors développé rapide-

ment pour atteindre la taille et la corpulence normale.

Tous ont été élevés et ont vécu à la campagne, sobrement, dans de

bonnes conditions hygiéniques et n'ont jamais pâli.

Faute de trouver une condition écologique plus certaine, c'est donc la

tuberculose qu'il faut incriminer ; encore ne peut-on pas accuser celle du

père, puisqu'après la naissance du petit malade, ont été procréés des en-

fants bien constitués.

Mais, quelle que soit la cause efficiente, il s'agit bien ici d'un Infantile

du type Lorain, être « débile, grêle et petit » arrêté dans sa croissance à

partir de la dixième année, et rappelant par ses formes un adulte, tout en

restant de taille exiguë et de mesquine corpulence.

Dans tout examen d'infantile, l'étude radiographique du squelette est

de rigueur aujourd'hui. Les beaux travaux de M. Mertoghe ont fait con-

naître que, dans le myxoedème infantile, le développement et la soudure

des cartilages épiphysaires étaient singulièrement retardés.

D'autre part, les recherches de MM. Springeret Serbanesco ont montré

que dans les cas d'arrêts de développement imputables au rachitisme, à

la syphilis héréditaire, etc., on observait presque toujours une ossification

précoce des cartilages.

La radiographie ne doit donc pas être négligée dans les deux variétés

de l'infantilisme. Appliquée à nos deux malades, elle nous a donné des

résultats qui confirment notre diagnostic.

Chez le premier infantile, myxoedémateux qui entre dans sa vingtième

année, on peut voir que les rondelles épiphysaires des phalanges sont

encore très minces, séparées des corps osseux, et non renflées sur leurs

bords. (PI. XV, C). Nous avons radiographié, par comparaison, la main de

l'enfant de 6 ans qui accompagne sur la photographie noire petit malade

(PI. XV, B); les deux épreuves placées côte il côte montrent clairement

que, malgré les 13 années qui les séparent, l'infantile et l'enfant en sont

à peu près au même stade d'ossification.

Pour les phalanges et les métacarpiens la différence est à peine sensi-

ble. Le massif osseux du carpe est cependanl plus développé chez l'infan-

tile, quoique encore très en retard sur le développement qu'il devrait

avoir à cet âge. '

Nous. ICONOGRAMIIL DE LA SA ! .PÊfRILI ! E. T. XI. PI. XV

Radiographies l ? 411a;-d Pbolcroll. 'Bo/balld

ABC c

INFANTILE DU TYPE LORAIN

âge de 17 ans.

ENFANT NORMAL

âgé de 6 .\I1S,

INFANTILE MYXOEDÉMATEUX

âge de 19 ans.

MASSON & cite, Editeurs.

INFANTILE MYXOEDÉMATEUX ET INFANTILE DE LORAIN 113

Notons en outre sur la radiographie la déformation des doigs en « ba-

guettes de tambour » (le pouce en particulier) ; on se rend compte que

dans cette anomalie l'hypertrophie de la 3e phalange porte surtout sur les

parties molles.

Au contraire, la main de l'autre infantile, du type Lorain, âgé de 17 ans,

présente un développement squelettique presque achevé. (PI. XV. A.)

Les cartilages épiphysaires sont larges, renflés sur leurs bords et la plu-

part sont déjà adhérents aux phalanges ou aux métacarpiens. Les os du

carpe sont au complet.

Si les soudures ne semblent pas notablement plus avancées qu'elles ne

le sont à pareil âge, on n'en est pas moins surpris de trouver une char-

pente osseuse à ce point constituée chez un sujet qui a la taille d'un enfant

de huit à dix ans, sans un poil sur tout le corps.

Et la différence essentielle qui sépare les deux malades apparaît dans

toute son évidence, quand on compare la main presque achevée de cet

enfant de 17 ans, à celle encore en' ébauche du myxoedémateux, cepen-

dant son aîné de deux ans.

Ceci permet d'entrevoir un procédé de diagnostic entre les deux variétés

de l'infantilisme par le moyen de la radiographie. Dans l'infantilisme

myxoedémateux, l'ossification est retardée; dans l'infantilisme de Lorain,

elle paraît au contraire être prématurée. 1

Il .% 8

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE

PAR

A. WEIL. ET J. NISSIM.

Médecin en chef à l'hôpital Ancien interne à l'hôpital

de Rothschild. de Rothschild.

HISTORIQUE

On désigne sous le nom de Myosite ossifiante progressive une affection

de l'appareil locomoteur caractérisée par la formation de masses osseuses

dans les muscles, les aponévroses, les ligaments, les os et aboutissant fina-

lement à l'ankylose de la plupart des articulations.

Il faut arriver au siècle dernier pour trouver les premières observations

publiées sur cette singulière maladie. Elles sont toutes de souche anglaise,

écourtées, incomplètes, et appartiennent à John Frecke (1740), John Cop-

pin (-liu.1).. ".

Le cas d'Henry appartient également au milieu du XVIII. siècle; il a

été publié dans les Philosophical Transactions pour l'année 1759, t. LI,

p. 33o et c'est tort que Munchmeyer, Gerber, Pinterle reproduisent parmi

les observations du XIX". L'auteur qui en a donné la bibliographie

exacte, c'est Bulhak, dans sa thèse sur l'ossification des muscles et du tissu

teudineux (1860). Il concerne le nommé Carey et offre au point de vue

du résultat du traitement un intérêt supérieur ; il reste, en effet, le

seul encore aujourd'hui où celui-ci ait été souverain : « Grâce à une

préparation hydrargyrique, dit Henry, et l'emploi de bains salés, les tu-

meurs osseuses rétrocédèrent manifestement; finalement le malade pou-

vait faire vingt milles anglaises dans une journée.

D. Rogers, en 1833, donne la description de son cas avec relation

d'autopsie, mais son observation est tout à fait incomplète.

En 1839, Testelin et Dambressi, ont eu l'occasion d'étudier à l'hôpital

St-Sauveur, de Lille, un cas remarquable de myosite ossifiante progres-

sive, et, sous le titre de rhumatisme terminé par l'ossification des mus-

cles », ils en ont donné une description très soignée et très complète. Ils

ont fait faire également par Poggiale, l'étude chimique d'un fragment

d'os enlevé à leur malade.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE lia

Depuis, Hawkins 184.h., Vilhinson 18G, Viliam Skinner 1861, pu-

blièrent chacun un cas. *

En 1864-65, Virchow, dans son Traité sur les tumeurs pathologiques,

consacre un long chapitre à ces ossifications ; il les décrit comme des os-

téomes multiples, ou comme des multiples exostoses et rapporte leur ori-

gine à une sorte de diathèse ossifiante, qui peut être héréditaire ou con-

génitale, mais peut également s'acquérir, surtout à un âge avancé.

Ivan Minkewitsch (1867) relate son fait sous le litre « un cas d'ossifi-

cation extraordinairement développé », il y revient en 18î4. et en donne

le résultat de l'autopsie. Il constitue avec celui d'Hawkins, le 2e où le

microscope soit intervenu dans l'étude de la maladie qui nous occupe.

Deux ans après, Zollinger soutient une thèse sur « un cas d'ossification

pathologique très étendue », bientôt reproduit par Billroth (1869) dans ses

Cleil°2crgisclae Erfahrungen sous la dénomination « d'ossification des apo-

névroses dorsales ».

Dans la clinique de son maître de Dusch, Munchmeyer observa, pen-

dant de longues années, un cas analogue. Ce fut pour lui le point de dé-

part d'un travail d'ensemble très soigné sur la question (1869). Le pre-

mier, il eut le mérite de séparer du groupe des ostéomes multiples de

Virchow, les faits, déjà nombreux, dans lesquels il s'était développé des

ossifications nombreuses, celles-ci principalement marquées dans le.sys-

tème musculaire ; et, se basant sur une série de traits typiques anatomo-

pathologiques et cliniques qu'offrent tous ces faits et qu'il a retrouvés

dans celui qui lui est personnel, il les a réunis tous sous un nom, déjà

admis par de Dusch : La myosite ossifiante progressive. Il créa ainsi une

forme morbide, confondue, jusque-là, avec d'autres ossifications de l'orga-

nisme.

Munchmeyer s'est attaché à déduire, de l'examen des observations, des

données étiologiques et pathogéniques ; il rejette la nature rhumatismale

de l'affection et considère la myosite comme une myopathie particulière

qui, pour se déclarer, a besoin d'une prédisposition congénitale et d'un

agent provocateur immédiat spécial.

Par la clinique, il arrive à des données iiia Loiiio-pi [Ilo 1 oc,i (lues recon-

nues depuis exactes ; il admet trois périodes dans l'élude des lésions : .

stade d'infiltration embryonnaire, stade d'induration conjonctive et stade

d'ossification.

Munchmeyer a réuni dans son travail 12 observations : celles de Lieu-

taud, Portai, 2 de Lohstein, de Testelin et Dambressi, Hawkins, Rogers,

Wilkinson, Henry, Skinner, Minkewitsch, et enfin le cas qu'il a observé

lui-même. -

Les idées de Munchmeyer ne furent pas admises sans constestation. Dès

116 A. WEIL ET J. NISSIM

l'apparition de son mémoirejlattenhoff, dans la revue critique qu'il faisait

la même année sur Munchmeyer et Zollinger, n'admettait qu'avec certai-

nes réserves les conclusions du premier ; il faisait ressortir les nombreu-

ses analogies qui existent entre le rhumatisme chronique et la myosite

ossifiante progressive, il insistait sur les types de transition que l'on oit-

serve entre cette dernière et les différentes formes de la diathèse ossifiante,

et il en rapportait des exemples ; il plaidait cependant pour la conserva-

tion du nom adopté par de Dusch « ne fnt-ce, dit-il, que pour faciliter la

classification des cas, le groupement de ceux dans lesquels l'altération des

muscles joue un rôle prépondérant ».

Un peu plus tard (en 1875), Gerbert écrit une thèse sur la question.

Aux douze observations de Munchmeyer, il en ajoute sept autres : celles

de John Frecke, Copping, Zollinger, trois faits qui avaient échappé à Mun-

chmeyer. Il relate encore une observation de Byers (1871), une de

Dittmeyer, tirée-de sa pratique privée, une autre,due Podraski (1873) et

enfin le malade qu'il a étudié lui-même avec Florschuetz.

Comme Munchmeyer, il admet les cas de Lieutaud, Portai et Lobstein

comme ressortissant à la myosite ossifiante progressive, or en réalité ils

n'offrent aucun des caractères de cette affection, et l'on s'étonne qu'un ob-

servateur sagace, tel que Munchmeyer, soit tombé dans une erreur de ce

genre (1).

L'observation de Podraski est relative à des ossifications traumatiques,il

en est de même de celle de Mosetig-Moorhof (1879), Schwartz (1884), Vito

(1) Voici ces observations empruntées à Lobstein, on se rendra ainsi compte qu'elles

n'entrent pas dans le cadre si tranché, si typique de la myosite ossifiante progressive

que nous aurons à décrire plus tard : Il Lieutaud en disséquant le corps d'un individu

qui avait été longtemps tourmenté par un rhumatisme et dont les membres avaient

perdu tout mouvement, trouva les muscles secs et comme tendineux, ayant dans di-

vers endroits des concrétions osseuses ; quelques-uns de ces muscles n'étaient pas

dans leur situation naturelle (Lieutaud, m,51. 71(il. méd., t. 11, p. 346). Portai a fait la

même observation chez quelques sujets qui avaient prodigieusement souffert de dou-

leurs rhumatismales (POIITH, Anal, méd., t. Il, p. 411). Lobstein ajoute : « Je connais

deux exemples dans lesquels les muscles étaient devenus si denses qu'ils paraissaient

. avoir été chargés en substance osseuse ; changement qui du reste ne fut pas constaté

à la dissection. Le premier de ces faits consigné dans l'ouvrage d'Isenflamm (Isex-

FLAMM, Versuchung liber die Mltsloeln, 1G`) est celui d'un homme dont le métier con-

sistait à former avec ses pieds des mottes de ton. La jambe droite, ankylosée dans

toutes ses articulations, donnait au malade une sensation de pesanteur et de poids,

en même temps qu'elle offrait au toucher la dureté du marbre. »

« Le second exemple m'est fourni par un individu, encore vivant, qui habile le dé-

partement du Doubs. Cet homme, impotent des membres inférieurs, a les chairs de

ces parties d'une dureté extraordinaire et semblable à celle de la pierre » (Lonsmx,

Traité d'anatomie rallwl., t. Il, p. 3 : i`).

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 117

(1885), qui toutes appartiennent aux formes localisées de la myosite ossi-

fiante (1).

En 1878,Nicoladoni décrit un nouveau cas de myosite ossifiante et, dans

les judicieuses remarques dont il le fait accompagner, il se demande si la

cause première de cette affection ne serait pas tout autre que celle admise,

à la suite de Virchow, par la plupart des auteurs ; si au lieu d'admettre

(1) Comme nous l'avons fait pour les cas de Lieulaud, Portai et Lobstein, nous allons

donner succinctement les observations de Podraski, de Mosetig-Moorhof, Schwartz et

Vito.

Podraski, OEsterr. Ztsch. f. pract. Ileilk., 1813, ne 19.

Le cas de Podrasky est relatif il. des ossifications traumatiques localisées dans les

brachiaux antérieurs. Nous ne pouvons pas rapporter d'autres détails n'ayant pas pu

nous procurer le texte original.

DE MOSFTIG ? 1001tilOF, Wiener med. Presse, 1819, ne 39.

W... M., 43 ans, ancien journalier, malade depuis trois ans. Il présente une lame

osseuse comme la paume de la main dans le grand dorsal droit, une deuxième lame

fusiforme dans le biceps brachial droit, dure, mais non osseuse. Dureté des fléchis-

seurs des avant-bras sans tumeur proprement dite. Raideur de l'articulation du coude

Le bras droit s'éloigne fort peu du tronc. De Iosetig-Jloorlof attribue la cause , de l'af-

fection à l'excès de travail. '

Le même malade offre donc les trois stades de la myosite : Ossification, au grand

dorsal ; formation de tissu fibreux, au biceps droit ; prolifération du tissu conjonctif,

dans les fléchisseurs des avant-bras. '

SCII\\'.\1\11. (Deutsch. med.\\'hich., 1884) raconte l'histoire d'un malade. âgé de 41 ans,

suisse, atteint de tabes dorsalis avec myosite ossifiante. Il tombe en 1883 et il se for-

me alors un gonflement du membre inférieur droit. En automne 1883, il constate une

masse dure dans la profondeur de la cuisse.

En 1881, crises gastriques tabétiques. Léger diabète insipide. 3,900 grammes d'urine

en 24 heures. Troubles oculaires d'origine syphilitique, pour Horn.

Démarche ataxique, troubles sensitifs. Exostose à 5 centimètres au-dessus de l'épi-

trochlée de l'humérus droit; au-dessus, une protubérance plane. Tumeur osseuse près

du petit trochanter ; hyperostose sur l'extrémité supérieure du péroné droit.

Entre les adducteurs et la longue portion du biceps, lame osseuse de 22 centimètres

correspondant au demi-membraneux ; en dedans et en haut une proéminence appar-

tenant à l'insertion du demi-membraneux.

Le malade est mort des suites d'un mal perforant plantaire, d'après EICIIIl011ST,

Traité dit pathologie inl., p. 718, t. III. ,

Vire, Gaz. degli ospit., 1885.

G. Terranova, 21 ans. Un an auparavant, à la suite de rapports sexuels, ulcérations

à la couronne du gland, guéries par l'iodoforme. Pas de signes de syphilis,

Le malade s'aperçoit par hasard qu'il était porteur d'une tumeur osseuse à la partie

interne du tiers supérieur de la cuisse gauche : masse ovoïde, longue de Il centimè-

tres, large de 1. Rien d'anormal ailleurs.

L'auteur croit avoir affaire à la myosite ossifiante progressive et ajoute quelques

mots sur cette affection ; il rejette l'hypothèse d'un ostéome à cause du siège ? Jus-

tement le tiers supérieur de la cuisse n'est-il pas le siège de prédilection des ostéomes

des cavaliers ? Son malade n'aurait jamais fait d'équitation.il n'aurait subi aucun trau-

matisme ; peut-on jamais être tout à fait affirmatif sur ce dernier point ? Le crac

tère unique de la tumeur, son siège, son indolence, son mode d'apparition, nous fon-

plutôt supposer qu'il s'agit d'un simple ostéome, et ce que nous disons du cas de Vito

s'applique également aux autres observations que nous venons de citer.

118 A. WEIL ET ,t. NISSIM

une prédisposition congénitale, il n'y aurait pas plutôt lieu de considérer

cette maladie comme le résultat d'une lésion primitive de la moelle.

Nous verrons, dans la suite, que la manière de voir de Nicoladoni fut

partagée' par plusieurs auteurs, notamment par Hayem, Eichhorst,

Schwartz. -

Cependant tandis que Munchmeyer et Nicoladoni tiraient leurs conclu-

sions des observations cliniques et des autopsies de Testelin et Dambressi

et de Wilkinson; Mays (1878) avait la bonne fortune d'étudier avec le

scalpel et le microscope, les cas de Munchmeyer et de Florschuetz-Gerber et

il arrivait à la conceptionque la myosite ossifiante progressive ne constitue

pas une myopathie proprement dite, qu'elle consiste plutôt en une prédis-

position à l'ossification des éléments conjonctifs en général, qu'ils appar-

tiennent aux os, aux tendons, aux aponévroses ou au tissu conjonctif in-

termusculaire.

' Pour lui l'atrophie, la dégénérescence fibreuse et lipomateuse des mus-

cles surviendraient secondairement par suite des modifications survenues

dans leur nutrition et consécutivement il des phénomènes de compression ;

il intitule son mémoire « La prétendue myosite ossifiante r.. En terminant,

Mays revient aux idées de Virchow : l'étude de la myosite ossifiante ren-

tre dans le domaine des tumeurs dépendantes d'une prédisposition congé-

nitale.

A propos de la localisation de la lésion, ajoutons que déjà longtemps

avant Mays, Hamilton, en 1872, faisant l'examen du squeletle du musée

de l'hôpital de Stewens, à Dublin, au point de vue chimique et microsco-

pique, s'exprime ainsi : « Dans le dos siègent d'énormes masses osseuses

dans les membranes aponévrotiques, entre les muscles du dos, s'élevant

en haut jusqu'à l'occiput, s'étendant latéralement jusqu'à l'angle inférieur

de l'omoplate et l'humérus, en lias jusqu'à la crête iliaque où les masses

osseuses atteignent un développement remarquable et fixent l'articulation

coxo-fémorale. » Hamilton place donc nettement la lésion dans le tissu

conjonctif des aponévroses ; Hawkins se demande également pourquoi la

lésion se localise dans le tissu conjonctif.

En 1879, Ilelferich, à propos d'un autre cas, adopte la manière de voir

de Mays, pour lui aussi l'affection qui nous occupe n'est pas une myosite

proprement dite, ladiathèse ossifiante s'attaque principalement au tissu

conjonctif que celui-ci appartienne aux muscles ou à d'autres systèmes,

peu importe.

Le premier, il insiste sur une malformation des pouces et des gros or-

teils, déjà signalée par Gerber, mais qui avait passé inaperçue.

Sous l'inspiration du professeur Gcrbardt, alors à Wurzbourg, Pifiter

(1882) traite de nouveau cette affection, dans sa thèse. Il y réunit 22 ob-

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 119

servations. A celles citées par Gerber, moins les cas de Portal, Lobstein,

Lieutaud, Podraski, il ajoute, celles de Hulh, Nicoladoni, Iïelferich,

Partsch, Kuëmmel, 5 cas déjà publiés et trois autres nouveaux dont deux

inédits et un personnel. Ces trois derniers, il les fit réinsérer dans le

Zeitschrift f. Klinisch. med. de 1881-, t. VIII, p. U¡Û-174.

Pinter admet également une prédisposition congénitale pour l'éclosion

de l'affection et dénie toute influence aux traumatismes.

Depuis ce dernier-auteur, un nombre assez considérable de mémoires

ont paru sur la question : Kohts 1884, Reidhaar, Godlée, Sympson 1886,

Lendon 1887, Bokaï 1889, Macdonald, Sivensson 1891, SLonham, Pollard,

Brensohn, Rabeckl8992, Carter et Gybney 1894 ont-publié des exemples

remarquables de myosite ossifiante progressive. Celui de Lendon a été

l'objet de recherches microscopiques dans la moelle cervicale, restées

malheureusement sans résultats.

Stonham a fait une étude succincte de l'état de la question à son épo-

que ; c'est à lui que nous sommes redevables d'avoir reconstitué l'ôbser-

vation de Lendon.

Le cas de Pollard est intéressant au point de vue du traitement chirur-

gical ; il montre ce que l'on est en droit d'attendre de lui.

En 1895 paraissent trois travaux importants qui jettent une clarté nou-

velle sur l'anatomie pathologique de la myosite ossifiante : Kissel et

Fuërstner font des coupes de tumeurs à la première période et constatent

l'infiltration embryonnaire admise par Munchmeyer sans contrôle nécrop-

sique; Lexer qui intitule son mémoire «L'induration conjonctive dans la

myosite ossifiante progressive », étudie en détails les lésions du deuxième

stade.

S. Paget 1895, 0. Paget, Villette, de Zeuge-Manteufel, Bruck 1896 et

Boks 1897, nous ont fait connaître depuis les observations des malades

qu'ils ont pu suivre.

De Zeuge-Manteufel a présenté, au congrès de chirurgie allemand de

1896, le squelette d'un sujet atteint de la maladie de Munchmeyer. Dans

le cas de Bruck il y avait association de cette dernière avec l'ostéomalacie

et d'arthropathies, il nous a été impossible de consulter le mémoire ori-

ginal de l'auteur.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE

Enfin, en 1897, Pincus a fait paraître un long travail où il insiste sur

l'influence du traumatisme obstétrical, qui, pour lui, jouerait un rôle

prépondérant dans l'éclosion de la maladie.

On décrit depuis Munchmeyer trois périodes dans l'évolution des lé-

e

120 A. WEIL ET J. NISSIM . -

sions de la myosite ossifiante progressive : stade d'infiltration embryon-

naire, stade d'induration fibreuse et enfin stade d'ossification. .

Le processus s'observe à la fois dans les masses charnues, dans les ten-

dons, les aponévroses, et très probablement aussi dans le système osseux.

Nous le décrirons surtout dans le système musculaire, parce que c'est là

qu'il a- été le mieux étudié et parce que c'est là qu'il est le plus fréquent.

Les lésions débutent par le tissu conjonctif intermusculaire ; cette loca-

lisation admise d'abord par Munchmeyer en s'appuyant sur la marche cli-

nique de la maladie et sur quelques rares autopsies incomplètes, futensuite

péremptoirement démontrée par Mays, Lexer, Furstner, Kissel ; aussi,

Stonham se crut-il autorisé à baptiser l'affection qui nous occupe du nom

de : myosite ossifiante interstitielle.

Une infiltration plus ou moins riche du tissu intermusculaire constitue

le commencement des troubles dans les muscles ; l'infiltration débute par

la partie charnue et envahit bientôt l'appareil tendineux qui l'accompagne ;

le muscle s'épaissit ainsi, augmente de volume, et ses différents faisceaux

sont comme submergés dans un tissu embryonnaire mou, oedémaLié, c'est

ce qui donne, à la tumeur,à cette période, une consistance pâteuse, pseudo-

fluctuante.

Kissel a eu l'occasion d'étudier une tumeur de ce genre : « Une incision

au niveau de la tùmeur, dit-il, fait voir que la peau et le tissu cellulaire

sont normaux.Le muscle est très tuméfié,proéminent sous forme de tumeur,

il ressemble, par son épaisseur, au fromage de Gruyère, jaune rosé ; la

surface en est polie, brillante, oedématiée. »

L'examen microscopique donne un tissu embryonnaire jeune, il n'offre

pas en effet de grandes cellules étoilées avec des prolongements de diffé-

rentes formes; beaucoup plus rarement on rencontre des fibres muscu-

laires striées, très peu modifiées.

A propos d'un autre cas, Furstner s'exprime ainsi : « Après durcisse-

ment et double coloration (éosine, hématoxyline), le microscope ne fait

constater la moindre lésion dans le.tissu musculaire même, mais une lésion

très intense et tout à fait récente- du tissu conjonctif interlihrillaire. Dans

les points où il entoure un grand nombre de coupes transverses de fibres,

aussi bien que là où il sépare isolément les fibres les unes des autres, le

tissu conjonctif est proliféré, prolifération qui est surtout marquée dans le

voisinage des vaisseaux. Les muscles sont repoussés les uns contre les au-

tres, leur substance contractile est tout à fait intacte, on ne constate pas

trace de prolifération nucléaire. »

Au deuxième stade, stade d'induration fibreuse, le tissu embryonnaire

s'organise en tissu conjonctif adulte ; celui-ci prolifère de plus en plus et 1

finalement se rétracte et forme une tumeur fibreuse dure et consistante.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 121

La substance librillaire est secondairement détruite. Au milieu de la por-

tion musculaire envahie, on voit çà et là quelques faisceaux restés intacts ;

d'autres fois le muscle est atteint dans toute son épaisseur.

Lexer'a pu faire des coupes d'une tumeur fibreuse de ce genre, il en a

donné les détails suivants :

Sur une coupe longitudinale, la tumeur donne l'aspect et la consistance

du fibrome; sa surface est couverte par une couche musculaire plus ou

moins épaisse suivant que le néoplasme a envahi une partie plus ou moins

grande du muscle. Les fibres musculaires qui subsistent se montrent, dans

la masse claire de la tumeur, comme des stries rouges ; elles sont plus

nombreuses et plus épaisses à la périphérie qu'au centre.

Une coupe dans la zone de transition, entre la tumeur et le segment du

muscle resté sain, montre la continuation de la première dans le tissu

intermusculaire ; celui-ci apparaît d'abord élargi entre les faisceaux dis-

joints, plus loin il perd de plus en plus de son épaisseur et finalement il

se résout en fines ramifications entre les faisceaux musculaires devenus,

eux, de plus en-plus épais. Les portions charnues qui couvrent superfi-

ciellement la tumeur, apparaissent normales sur le champ du microscope ;

mais, nous éloignons-nous d'elles pour nous rapprocher du centre de la

tumeur, nous constatons dans la zone transitoire, un périmysium externe

élargi aux dépens des faisceaux musculaires ; les fibres musculaires elles-

mêmes sont altérées, elles sont atrophiées, ou épaissies, avec ou sans pro-

lifération nucléaire.

Plus près de la tumeur, le périmysium interne se montre plus cellu-

]eux et plus large avec des lésions concomitantes des fibres musculaires

consistant dans la perte de la striation transversale, la dissociation ,longi-

tudinale et l'atrophie" des'disques transversaux. Mays a trouvé une prolifé-

ration remarquable des noyaux; ils étaient rangés par séries jusqu'au

nombre de 6 ; dans le droit antérieur de l'abdomen, les séries étaient plus

longues, dans une seule fibre, on en pouvait compter jusqu'à 15 placés

les uns après les autres et entourés par une membrane hyaline qui rappe-

lait le sarcolemme.

Les fibres atrophiées sont souvent entourées d'amas leucocytiques, et la

prolifération des noyaux musculaires forment, çà et là, de pareils amas de

cellules géantes.

Une étude plus complète de ce tissu de nouvelle formation, fait voir

que les traînées larges du périmysium externe de la zone transitoire sont

très riches en vaisseaux, que l'adventice de ces derniers semble participer

partout à la prolifération du tissu conjonctif, et qu'autour des capillaires

enfin on voit une infiltration modérée de leucocytes.

Le tissu conjonctif également est très riche en cellules de différentes

122 A. WEIL ET J. NISSIM

formes, depuis les cellules fusiformes jusqu'aux grosses cellules poly-

morphes contenant des nombreuses figures kariokinéliques. Au milieu de

la tumeur, là où ces grosses cellules se trouvent plus libres dans un tissu

conjonctif plus spongieux, l'étiforiiie, elles sont plus rondes et ressemblent

à des cellules cartilagineuses-sans capsule; un peu en dehors, dans le

tissu conjonctif plus dense, au contraire, elles sont tantôt fusiformes,

tantôt aplaties ; celles-ci se montrent souvent dans le périmysium interne,

tout autour des fibres atrophiées, dont les noyaux et le sarcolemme se

serrent contre la substance contractile.

Les fibres musculaires sont-elles complètement détruites, il se forme

de petites brèches ou des fentes, alors même que les noyaux musculaires,

encore visibles par place, s'atrophient avec le sarcolemme dans une masse

granuleuse; ces brèches et ces fentes donnent, çà et au centre de la

tumeur, un aspect spongieux avec des pores très fins ; là dans l'ancien

périmysium interne, la tumeur est uniquement formée par du tissu con-

jonctif fin, muni de grosses cellules et de nombreux vaisseaux.

Ce tissu celluleux et les différents aspects qu'il revêt implique l'idée

qu'il s'agit là d'un tissu embryonnaire muni de nombreuses cellules con-

jonctives. Celles-ci proviennent de la prolifération des cellules du tissu

conjonctif, et, dans les larges traînées conjonctives où elles siègent dans

des fentes allongées, peuvent être décrites comme des fibroblastes ; tandis

qu'ailleurs, sur d'autres points du'centre de la tumeur, on les voit passer

à l'état de cellules cartilagineuses avec formation de substance hyaline.

D'autres coupes nous monlrent, dans un tissu extraordinairement riche

en cellules et en vaisseaux, de larges traînées conjonctives se prolongeant

et se ramifiant irrégulièrement entre elles ; par leur disposition, ces traî-

nées offrent déjà de grandes analogies avec des bandelettes osseuses : La

substance fondamentale est condensée, mais non calcifiée; les anciennes

cellules conjonctives sont reléguées dans de petites fentes anguleuses, et

les cellules embryonnaires, dans un ordre presque régulier, s'adaptent au

tissu condensé, formant ainsi des trabécules ostéoïdes.

Au niveau des tendons apparaît une multiplication du tissu interstitiel,

des cellules embryonnaires nombreuses par la prolifération desquelles les

faisceaux tendineux semblent pressés les uns contre les autres. Une coupe

longitudinale au point où les fibres musculaires s'insèrent sur le tendon

fait voir comment le tissu embryonnaire néol'ormé, se continue sans tran-

sition du périmysium interne sur le périténonium ; plus loin des traînées

conjonctives vont épaissir le périoste et s'insérer finalement sur l'os. On

conçoit qu'il soit alors impossible de dire si le tissu néoplasique, ayant

débuté d'abord dans le muscle, est allé se joindre à l'os secondairement'

ou si, parti de l'os, il a envahi ensuite le muscle.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 123

Formation d'un tissu conjonctif adulte avec atrophie des fibres muscu-

laires, telles sont en un mot les lésions du deuxième stade de la myosite

ossifiante. Nous avons vu combien ce tissu est riche en éléments cellu-

laires de formes variables, il représente lui-même un étal transitoire dans

l'évolution de la maladie, il constitue comme le premier degré des modi-

fications à venir. En effet nous avons trouvé, au sein de la tumeur, une

ébauche de cellules cartilagineuses et de trabécules osseuses, elle indique

le sens dans lequel vont évoluer les manifestations pathologiques futures.

Tenant compte des lésions survenues dans le tissu conjonctif du pour-

tour des masses osseuses, Munchmeyer en conclut que le processus d'ossi-

fication se formait toujours sur un fond conjonctif et appela ce stade,

stade d'induration fibreuse; Nicoladini alla plus loin, il admit la forma-

tion d'un tissu d'abord indifférent mais pouvant aboutir plus tard au tissu

conjonctif dense des cicatrices ou au tissu osseux.

Dans maints faits la tumeur s'arrête au stade d'induration conjonctive ;

mais ordinairement le troisième stade, le stade d'ossification, ne tarde pas

il apparaître. Celui-ci ne débute jamais par toutes les parties du muscle il

la fois, il commence par le centre de la partie atteinte et y reste confiné le

plus souvent, de telle sorte que si l'on y fait alors une coupe, on trouve :

1° Au centre un noyau osseux ; 2° Plus en dehors se voit une couche plus

ou moins épaisse de tissu fibreux dense, qui s'infiltre dans les interstices

musculaires, particulièrement dans le sens de la longueur des fibres ; ce

dernier est souvent traversé, par des travées de fibres musculaires, quel-

ques-unes indemnes, d'autres altérées, fibreuses, atrophiées, granuleuses,

etc., etc. ; 3° Enfin tout à fait à la périphérie de la coupe, le tissu mus-

culaire normal se montre avec tousses attributs.

Pour Munchmeyer, la couche de tissu conjonctif qui avoisine ce noyau

se transforme en périoste normal ; l'ossification progresse toujours sur du-

tissu fibreux, et les dépôts osseux ne se rencontrent nulle part ailleurs que

dans son épaisseur ; le périoste n'existe pas en réalité.

Les lésions musculaires, la dégénérescence graisseuse, l'atrophie et la

dégénérescence fibreuse, sont secondaires comme nous l'avons vu plus haut,

elles sont dues à l'étranglement des faisceaux musculaires par le tissu con-

jonctif rétractile, à un trouble de la nutrition et de l'innervation des mus-

cles déterminé par la pression que les masses osseuses peuvent exercer

sur les nerfs et les vaisseaux, à une action irritative directe, se propageant

de la tumeur sur les muscles et les vaisseaux, et enfin à l'impotence fonc-

tionnelle à laquelle conduit le développement de ces tumeurs osseuses qui

bridant les articulations, immobilisent tous les segments du corps.

Les trois stades que nous venons de décrire, sont surtout distincts au

point de vue clinique; anatomiquement, ils n'ont pas de limites aussi

Il-) i ? WEIL ET J. NISSIM

bien tranchées, ils se confondent successivement l'un dans l'autre.

Dans quelques cas, la tumeur s'arrête à la période fibreuse de l'évolu-

tion de ses lésions ; presque toujours au tissu fibreux, fait suite l'ossifica-

tion ; enfin très rarement, l'ossification n'apparaît pas et c'est du cartilage

qui se montre (fourche cartilagineuse du bras gauche de notre malade,

cartilage de l'aponévrose superficielle du bras, obs. Florschuetz-Gerber-

Mays) : « Ceci n'a rien qui doive nous surprendre étant donné que le

tissu fibreux constitue le terrain commun sur lequel peut se développer

indistinctement du tissu cartilagineux ou du tissu osseux (Munchme.) er).

Plus souvent une petite partie de la tumeur (Hawkins, notre cas) offre

une structure cartilagineuse, tandis que la masse presque tout entière

.est formée par du tissu osseux solide (tumeurs de la région fessière dans

notre cas). ,

Du reste en tenant compte exclusivement de la présence du cartilage

dans les tumeurs, on peut diviser celles-ci en trois groupes : 1° La tumeur

est entièrement formée par du cartilage; 2° Dans une'môme masse néo-

plasique, on trouve dans un point du tissu conjonctif avec des nombreuses

cellules embryonnaires, ailleurs du tissu osseux, plus loin du cartilage

(Lexer) ; 3° Un grand nombre de tumeurs subissent successivement les

phases suivantes : infiltration embryonnaire, dégénérescence fibreuse, car-

tilagineuse et osseuse : « Sur un fragment ossifié, enlevé au biceps, on

pouvait voir au mieux la série des tissus musculaire, conjonctif, cartila-

gineux,étagés de la périphérie au centre de la tumeur osseuse » (liuemmel).

La myosite ossifiante progressive s'attaque de préférence au système

musculaire, mais on le voit envahir également les aponévroses, les liga-

ments, les tendons et le squelette, c'est plutôt une affection de l'appareil

locomoteur. .

. Sur le squelette, le processus ossifiant affecte généralement la forme de

petites saillies pointues, ou arrondies et aplaties, de véritables exosloses

peu développées ; il se présente sous cet aspect, là où les os longs affleu-

rent la peau, à la partie interne du bras, à la face antérieure du tibia, à

la partie supérieure du péroné, sur les côtes. D'autres fois ce sont des je-

tées osseuses, allant d'un segment du squelette à un autre de façon à les

transformer en un os unique; les arcs de la colonne vertébrale, par exem-

ple, sont réunis par deux couches de tissu compact qui recouvrent leurs

surfaces (Gerber-Mays).

Dans notre cas, le fémur et le tibia gauches sont solidement réunis par

un pont de substance osseuse, siégeant il la région poplitée, en dedans du

paquet vasculo-nerveux et ne correspondant aucun muscle. Il est probable

que cette volumineuse masse osseuse a suivi le trajet de la gaine conjonc-

tive du paquet vasculo-nerveux en ossifiant seulement son côté interne.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 425

Indépendamment des exostoses que nous venons de décrire, les os

offrent d'autres lésions. Ils sont en général très volumineux, certaines

parties osseuses sont même extraordinairement développées ; c'est ainsi

que la portion verticale du frontal n'offre pas moins de 8 millimètres

d'épaisseur (Florschuetz-Gerber-Mays).

Ils présentent en outre une consistance très variable : « Tandis que la

diaphyse des os longs, les clavicules, les omoplates, les os du bassin, les

côtes, les os de la tète présentent une dureté normale ; les épiphyses des

os longs, les os du pubis et les ischions, les rotules offrent un tissu telle-

ment tendre qu'une épingle les pénètre facilement. »

Dans le cas de Munchmeyer, Mays a constaté une raréfaction notable

de la substance osseuse des côtes avec des fractures multiples de ces der-

nières. De Zeuge-Manteufel a trouvé également une ostéoporose de tout le

squelette, sauf des masses osseuses néoformées. Cette constatation semble-

rait donner un certain poids à cette vue de l'esprit qui admet dans la

myosite ossifiante progressive un déplacement de la substance osseuse.

Le tissu conjonctif est en général très développé dans tous les cas de

myosite progressive avancée; là où normalement on ne trouve que de

simples lamelles conjonctives intermusculaires, on constate alors la for-

mation de véritables membranes, d'épais feuillets aponévrotiques.

Les aponévroses elles-mêmes offrent des lésions de deux ordres : 1° dé-

veloppement anormal ; 2° ossification.

Le développement anormal se montre partout dans l'économie ; mais il

semble avoir une prédilection marquée pour les aponévroses du cou, du

bras et de l'avant-bras. C'est encore au cou que Mays a constaté une

formation osseuse large de 3 centimètres, longue de 6, développée dans

l'aponévrose, sous le splénius droit; la fourche cartilagineuse du bras

gauche de notre malade siégeait réellement dans l'aponévrose brachiale,

et Munchmeyer a trouvé une lame arciforme dans l'aponévrose superfi-

cielle, épaissie, du bras gauche.

Les lésions des ligaments sont de même nature, ils présentent l'épais-

sissement, l'ossification et la formation de nouvelles bandes ligamen-

teuses. Dans le cas de Munchmeyer-Mays, la capsule de l'articulation

scapulo-liumérale était épaissie et il y avait ossification du ligament

coraco-claviculaire, ossification du ligament inter-osseux de l'avant-bras

gauche. L'ossification du ligament cervical postérieur se trouve notée dans

presque tous les cas. Un nouveau ligament très puissant s'était développé

dans la région sous-clavière gauche, il s'étendait du tendon du grand

pectoral ossifié, à la première pièce du sternum. Il estprobable également

que la bande osseuse, qui va de l'épine iliaque antérieure et supérieure

126 A. WEIL ET J. NISS1M

jusqu'au petit trochanter,a suivi la partie externe épaissie de l'aponévrose

qui recouvre le psoas iliaque (Florschuelz-Mays).

Abstraction faite de l'épaississement de quelques capsules articulaires,

de celles surtout qui avoisinent des ossifications volumineuses, les (t1,ti-

culations restent indemnes de toute altération ; les surfaces articulaires

immobilisées par les ossifications qui les entourent et leur forment parfois

un manchon osseux complet, ne présentent rien d'anormal, tout au plus

y a-t-on constaté un léger aplatissement, une diminution dans l'épaisseur

du cartilage d'encroûtement (1). Une seule fois on a vu une légère luxa-

tion de l'extrémité interne de la clavicule (Florschuetz-Mays) due à la

rétraction des masses fibreuses s'insérant sur les os. Les cas dans lesquels

on trouve la synostose des surfaces articulaires, comme dans celui de

Testelin et Dambressi, constituent plutôt une rareté.

Si la myosite ossifiante progressive atteint tout l'appareil locomoteur,

c'est dans les -muscles qu'elle exerce ses plus grands ravages, c'est là

qu'elle forme des grosses masses monstrueuses, tandis que partout ailleurs

elle est discrète. Toutefois l'ossification respecte constamment les muscles

delà vie végétative, l'ensemble des muscles lisses.

Il est probable qu'elle peut atteindre tout le système à fibres striées ;

cependant les sphincters, le diaphragme, les muscles internes de l'oreille,

les muscles du larynx, les releveurs de l'anus et les muscles de l'appareil

génital, le coeur, les muscles de la langue n'ont pas encore été notés

parmi les muscles malades ; cette anomalie reste inexpliquée. Les muscles

peauciers de la face, le pharynx ont été rarement touchés. Dans un cas de

Bockaï (Stonham) il y a eu ossification des muscles oculaires.

Le processus ossifiant des muscles envahis s'est-il avancé jusqu'au voi-

sinage immédiat du squelette, comme c'est le cas le plus fréquent, la

masse osseuse néoformée se joint intimement à ce dernier de façon à offrir

l'aspect d'une exostose ou d'une parostose. Du reste les connexions que

les ossifications prennent avec le squelette sont telles, que dans quelques

cas, on voit bien que le squelette prend part à leur formation ; dans d'au-

tres, au contraire, leur disposition montre clairement qu'elles sont venues

secondairement s'y ajouter.

11a première catégorie des tumeurs, appartiennent celles qui s'insèrent

sur les os avec une base large : exostose de la clavicule gauche en rapport

avec la petite partie du grand pectoral ; ossification parlant du pubis droit

et allant dans les adducteurs; ossification s'insérant sur le cubitus et se

prolongeant loin dans le ligament inter-osseux (Gerbcr-Mays).

Les nouvelles formations émettent elles-mêmes parfois des lames secon-

(1) Lendon note également, dans son cas, une légère altération des surfaces articu-

laires.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 121

daires, témoins, les jetées osseuses qui vont de l'ossification de la partie

externe de la cuisse dans la musculature de cette dernière, la protubé-

rance qui part de la masse dorsale et pénètre dans le grand oblique (Ger-

ber-Mays).

La plupart des ossifications, surtout celles qui se développent dans l'é-

paisseur des masses charnues, semblent, au contraire, s'être réunies aux

os secondairement.

Si une tumeur s'insère sur l'os au niveau d'une insertion musculaire

et si elle s'étend loin dans le muscle, il est difficile de faire la part de

l'exostose périostique et de l'ossification musculaire proprement dite (ossi-

fication des extenseurs du carpe, Munchmeyer-Mays). Si deux os sont réu-

nis par un muscle ossifié, il est impossible d'affirmer si deux exostoses se'

sont réunies dans un muscle, ou si un muscle ossifié a réuni deux os (os-

sification du pectiné droit allant du pubis au fémur, Gerber-Mays).

Mais il n'est plus possible aujourd'hui de considérer les ossifications

néoformées comme des multiples exostoses (Munchmeyer-Mays, Stonham,

Lexer, etc., etc..

On peut cependant, au point de vue qui nous occupe, diviser les faits

en deux grandes classes. Un premier groupe embrasse les cas où les ossi-

fications se montrent surtout dans le système musculaire : observations de

Tesielin et Dambressi, Wilkinson, Lexer, etc., etc. Au deuxième groupe,

où les manifestations pathologiques ont pour siège surtout le squelette,

appartiennent le cas de Munchmeyer et le nôtre.

Les masses osseuses intra-musculaires sont le plus souvent plates,

d'autres fois elles sont arrondies, anguleuses, irrégulières, dentelées,'

pointues ; au niveau des tendons et des aponévroses, elles conservent en

général la forme de ces derniers.

« Les tumeurs osseuses sont blanches, moins dures et moins denses

qu'un os ordinaire, plus légères que l'eau ; elles sont composées d'une

lame externe que le couteau attaque aisément, et percées de plusieurs

trous qui donnent passage aux vaisseaux nourriciers (Testelin et Dam-

bressi). D'autres auteurs, au contraire, ont rencontré des ossifications

plus dures et plus denses que l'os normal, avec une surface plus propre

et plus lisse (Wilkinson). » Minkewitsch a comparé la structure de ces

masses celle d'une vertèbre dont la substance médullaire très dure est

limitée par une écorce de tissu compact. Les rapports de la substance

spongieuse et corticale sont différents par place.

Au microscope, elles offrent la structure du tissu osseux compact; on

y constate des trous nourriciers, des vaisseaux néoformés, des canalicules

de Havers, des ostéoblastes et des ostéoplastes (Vlays, Hawkins, etc.). L'os-

128 A. ET J. NISSIM

sification se fait d'après les types fibreux, enchondral et périostique (Cahen,

Salman, Lexer, Mayas). 1 Il

.. " 1

COMPOSITION CHIMIQUE. i -

Composition normale des-os,

d'après Berzélius.

Substances organiques :

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 129

de la malade de Munchmeyer. Lendon n'a pas trouvé, non plus des

lésions, dans la moelle cervicale de son malade.

SYMPTOMES .

La myosite ossifiante progressive débute souvent insidieusement, uni-

quement par des symptômes locaux très peu marqués. Il se forme en un

point du système musculaire une tumeur indolore, de consistance pâ-

teuse d'abord, plus ferme et fibreuse plus tard et enfin osseuse, et, ce

n'est que le hasard, qui fait constater sur un jeune sujet une ou plusieurs

tumeurs. Ce début insidieux passe .d'autant plus facilement inaperçu,

même chez l'adulte, qu'il se montre de préférence sur des parties inacces-

sibles à la vue, le plus souvent au dos.

.Dans d'autres cas, il y a un léger état fébrile, la température atteint

38°, 38° et quelques dixièmes (Munchmeyer) ; elle dure un ou deux jours,

une semaine, voire plus, suivant l'intensité du processus et l'étendue de

la lésion. La région envahie est sensible, d'autres fois très douloureuse ;

elle est plus chaude que partout ailleurs et sillonnée de larges vaisseaux

veineux ; le tissu cellulaire sous-cutané est lui-même atteint, très oedéma-

tié ; il se forme ainsi une tumeur diffuse, sans limites bien précises, pâ-

teuse, pseudo-fluctuante, elle correspond au stade anatomique d'infiltra-

tion embryonnaire.

Si ces phénomènes se produisent dans le voisinage d'une articulation,

celle-ci est rendue ordinairement immobile par la douleur qu'exaspèrent

les mouvements actifs ou passifs, par l'infiltration inflammatoire de l'ap-

pareil ligamenteux et par l'oedème dur du tissu cellulaire sous-cutané ;

jamais l'inflammation ne s'étendrait à l'articulation elle-même, exception

faite sans doute des cas où la myosite ossifiante s'ajoute au rhumatisme

articulaire, comme dans le cas d'Henry, d'après Munchmeyer.

Les ganglions correspondants à la région malade sont gros, tuméfiés,

douloureux ; cet engorgement disparaît après la période inflammatoire de

telle sorte qu'une fois celle-ci passée, on ne les retrouve plus.

Si on suit de près la formation de la tumeur, on la voit d'abord aug-

menter lentement de volume dans les deux ou trois premiers jours, en

même .temps que les douleurs s'exaspèrent et que l'oedème cutané s'étend

de plus en plus et devient plus ferme ; quatre à six jours après, eu égard

à l'intensité des phénomènes locaux, les douleurs cessent d'ordinaire, l'oe-

dème perd en tension et en- étendue et la tumeur musculaire proprement

dite offre des contours plus nets ; elle est devenue plus ferme et se laisse

facilement détacher de l'os sous-jacent. Naturellement on ne constate ce

changement que lorsque les modifications anatomiques du deuxième stade

xi - 9

Ci30 A. WEIL ET J. NISSIM

sont déjà assez avancées, et cela, parce qu'en clinique les différentes pério-

des deviennent plus obtuses, plus indistinctes ; parce que souvent plu-

sieurs muscles voisins, plusieurs régions voisines sont envahies successi-

vement et il arrive que la fièvre, la douleur et l'oedème persistent encore

alors que la partie envahie-la première est déjà depuis longtemps entrée

dans la deuxième phase, ou l'a même complètement dépassée ; c'est ainsi

que dans le cas de Munchmeyer, la fièvre a duré 54 jours.

Une fois l'oedème disparu,la tumeur peut subir plusieurs sorts ; ou bien

elle diminue progressivement en étendue et en consistance et on a alors

devant soi une masse molle, caoutchoutée, correspondant à peu près

quant à sa forme et à son siège au muscle atteint. Celui-ci montre que

toute vie n'est pas éteinte en-lui, par les contractions fibrillaires que

détermine un courant induit. Dans ce cas donc, la dégénérescence simple

constitue la terminaison du processus. Certains muscles ont même le pri-

vilège de ne subir que la dégénérescence fibreuse, les sterno-mastoïdiens,

par exemple, s'arrêtent souvent à ce stade.

Il peut se faire, lorsque les phénomènes aigus ont été peu étendus et

de courte durée que le muscle récupère toutes ses fonctions, que la resti-

tution ad itategr2ca soit pleine et entière.

Cependant, cette disparition franche des tumeurs est loin d'être aussi

fréquente qu'on serait tenté de l'admettre après un examen superficiel

des observations. Ainsi, dans le cas de Hawkins, on a constaté « le 14 juin

1843 une tumeur osseuse,à droite, au niveau des deux ou trois vertèbres

lombaires et une autre plus grande, dans la région dorsale gauche, moins

dure, douloureuse et paraissant être recouverte par le rhomboïde ».

« Au mois de juillet,la tumeur supérieure avait disparu et l'inférieure

en partie en même temps qu'une troisième proéminence avait apparu

dans le grand dentelé gauche.

« Le 17, formation d'une tumeur au même point droite et sur le

grand pectoral droit; le 21, les scalènes se tuméfient et deviennent doulou-

reux ; le 31, les tumeurs du côté gauche avaient presque complètement

disparu ; mais la tuméfaction sur les vertèbres dorsales était devenue plus

proéminente et élastique et l'on trouve une autre tumeur sur le côté

gauche des vertèbres lombaires ; mais à partir du 23 août toutes les

tumeurs avaient presque entièrement disparu. Le malade quitte l'hôpital

le 6 septembre en bonne santé,se tenant seulement très raide et incapable

de fléchir la colonne vertébrale en se penchant. » ,

On croirait, en lisant cette première partie de l'observation, que les

tumeurs de la première et de la deuxième période ont disparu presque

sans laisser de trace, il n'en estrien ; car le malade, examiné le 25 octobre,

offrait « une tumeur osseuse aux lombes gauches, un grand nombre de

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 131

tumeurs entre l'omoplate gauche et les apophyses épineuses des vertèbres

avec, au centre, une petite masse osseuse, dans le rhomboïde et une autre

tumeur osseuse sur le grand dentelé ». Il y eut donc, dans ce cas, un in-

tervalle de trois à quatre mois entre l'apparition de la tumeur molle et

son ossification.

Généralement lorsque l'oedème a disparu, au sur et à mesure que la

tumeur fibreuse devient distincte, sa consistance augmente de plus en plus

jusqu'à ce que finalement la palpation donne la sensation d'une tumeur

dure, incapable d'être différenciée de l'os. Le temps que met une tumeur

pour traverser toutes ses étapes, varie en moyenne de deux mois, à deux

mois et demi ; plus rarement elle met plus longtemps : trois mois et demi

à quatre mois dans le cas de Hawkins ; huit, dans celui de Kohts.

Souvent,on remarque qu'une partie seulement du territoire musculaire

envahi,est atteint par l'ossification, le centre de la tumeur, le reste s'arrête

au deuxième stade ; ailleurs, le centre de la tumeur est osseux, sa péri-

phérie donne absolument la sensation du cartilage (Hawkins, notre cas).

Lorsque la tumeur est assez superficielle, la peau qui la recouvre y

adhère intimement, on ne peut ni la soulever, ni la pincer; elle est en

outre moins riche en pannicule adipeux.

Un réseau veineux superficiel s'est parfois développé sur la peau qui

recouvrait la tumeur osseuse; plus rarement l'oedème et la dilatation

variqueuse étaient très étendus, ils envahissaient toute une région, tout

un segment de membre; dans le cas de Pincus il y avait une stase vei-

neuse très prononcée au nez, aux mains et aux extrémités inférreures, à

partir du genou. Ces cas rares ne peuvent évidemment être rapportés à

l'engorgement inflammatoire, oedème étendu et réseau veineux sont dus à

la même cause, à l'oblitération ou à la compression par la tumeur d'un

gros tronc veineux profond, compression ou oblitération déterminant la

formation d'une circulation collatérale, la stase veineuse et l'oedème des

régions sous-jacentes.

Les nouvelles ossifications sont indolores en général ; plus rarement

elles sont très sensibles au point que le moindre mouvement y détermine

des violentes douleurs (Rogers, Minkewitch). La bandelette du grand dorsal

qui s'étend sur la 10e côte, dit Lexer, est particulièrement douloureuse et

de là s'irradient des douleurs violentes.

Les muscles épargnés par l'ossification, eux-mêmes, sont fibreux, atro-

phiés. Senator a trouvé dans notre cas une exagération de la contraction

idio-musculaire; Pincus a noté, au contact des masses osseuses, des con-

tractions fibrillaires intenses qu'il attribue à une irritation mécanique.

Le courant faradique indique l'état du muscle; en. effet la contraction

132 A. WEIL ET J. NISSIM

musculaire est d'autant moins énergique que le muscle se trouve à une

période plus avancée du processus ossifiant. Normale dans les muscles

sains, faible dans les muscles en partie atteints, la contraction faradique

est nulle dans les muscles fibreux ou envahis par de vastes ossifications.

Il y a également une diminution de la sensibilité électrique, les cou-

rants forts n'occasionnent aucune douleur.

Le courant galvanique a donné à Pinter les résultats suivants : C. F. P.

avec le moins d'éléments possible ; en augmentant l'intensité du courant :

C. F. N ; en augmentant encore : C. 0. N, et finalement tétanisation

en F. N ; mais Pinter n'a jamais constaté C. 0. P.

Les séances électriques furent très courtes, il se produisait bientôt des

crampes qui obscurcissaient le résultat ; l'électricité a déterminé,entre les

mains de Munchmeyer, la cyanose et des accidents d'une asphyxie émi-

nente.

Si maintenant nous cherchons à nous rendre compte du siège de la

tumeur relativement au muscle, nous trouvons que souvent tout le muscle

est transformé en tissu osseux ou fibreux; d'autres fois seule la portion

charnue est atteinte et les deux tendons restent libres,revêtant ainsi l'as-

pect d'un os sesamoïde, mobile ; enfin, exceptionnellement, les tendons

seuls subissent cette dégénérescence et la portion contractile reste in-

demne. Cette atteinte des tendons s'observe surtout sur le grand pectoral

et le grand dorsal dont les tendons sont transformés en un morceau d'os

ayant les mêmes dimensions et la même forme.

Ultérieurement il survient quelques particularités : ou bien la tumeur

osseuse disparaît complètement (ossification du sterno-mastoïdien, Rogers ;

bandelette abdominale, IIelférich) ou bien, la tumeur osseuse néoformée

se réunit au squelette sous-jacent; ou bien,elle reste mobile au milieu des

parties molles. Dans le premier cas, elle offre la forme d'une exostose

puissante, d'une saillie arrondie ou irrégulière, d'un stalactite, qui suit

parallèlement la direction longitudinale du squelette ; dans le deuxième,

au contraire, la forme de la tumeur n'a rien de particulier.

Nous venons de décrire comment débute la myosite au milieu de symp-

tômes généraux fébriles et de signes locaux parfois assez marqués, com-

ment se forme la tumeur d'abord pâteuse, presque molle, plus tard fibreuse

et dure et finalement tout à fait osseuse, nous avons résumé les différentes

modifications dont elle peut être le siège. Esquissons maintenant un ta-

bleau succinct de l'affection.

Chez un enfant de quelques mois, d'un ou deux ans, plus rarement à

la puberté, à 18 ou 19 ans, exceptionnellement plus tard, sans cause

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 133

connue ou bien à la suite d'une chute, d'un traumatisme, d'une localisa-

tion rhumatismale, d'une affection fébrile, il se développe la tumeur dé-

crite plus haut.

La musculature du dos, et, particulièrement celle de la nuque, se mon-

tre la première atteinte. Avec les muscles de la nuque, l'ossification gagne

régulièrement le ligament cervical postérieur. Les muscles longs du dos

forment une masse osseuse unique. Plus tard les muscles de l'épaule, le

deltoïde, les grand et petit ronds, le grand pectoral et le muscle grand

dorsal se prennent à leur tour, il en résulte une fixation de la tête, qui

ordinairement se penche en avant et un peu sur le côté, l'ankylose des

articulations de l'épaule en adduction avec fixation de l'omoplate et celle

de la colonne vertébrale.

Plus tard, arrive l'atteinte des muscles du bras et de l'avant-bras con-

duisant le plus souvent à l'ankylose du coude. Dans d'autres cas l'affec-

tion continue ses ravages, elle attaque les muscles du bassin, principale-

ment ceux de la région fessière, les muscles antérieurs et postérieurs de la

cuisse, les muscles de la jambe, surtout les postérieurs, et ankylose les

hanches et les genoux; elle détruit ainsi les muscles par étapes successives

et en dernier lieu, ordinairement, ossifie les masséters, les ptérygoïdes et

immobilise les mâchoires.

L'aspect du malade est alors saisissant : par l'ankylose des grandes arti-

culations, il est transformé en un bloc unique, aussi, peut-on le soulever

comme une planche en le prenant par une de ses extrémités podalique ou

céphalique ; la tête est penchée en avant, la nuque fait une grosse saillie

grâce à l'ossification du ligament cervical et des muscles postérieurs et

latéraux du cou ; le dos, par l'ossification des rhomboïdes, des trapèzes,

des masses vertébrales et des grands dorsaux, se trouve transformé en une

carapace osseuse, garnie de bosselures et de dépressions profondes, vérita-

ble charnier osseux couvert par une peau pâle, épaissie, ayant perdu toute

mobilité par suite de son adhérence aux masses sous-jacentes. Le tronc est

penché légèrement en avant par suite de l'ankylose des cuisses en flexion

légère, les bras sont croisés sur la poitrine, de telle sorte que l'ensemble

de l'individu rappelle la statue de la Désolation en prière; il est obligé

d'avoir recours à un tiers pour changer de position dans le lit,ou depasser

son existence sur une chaise.

Au milieu de cet anéantissement de tout l'appareil locomoteur, les fonc-

tions végétatives s'exécutent bien et l'intelligence reste intacte ; celle-ci se

manifeste par la vivacité du regard et la mobilité du visage dont les mus-

cles sont épargnés. 1

Telle est la myosite ossifiante progressive dans ses traits essentiels, re-

venons maintenant sur quelques particularités L'affection débute le plus

134 A. WEIL ET J. NISSIM

souvent' au dos ; 13 fois sur 40 cas, où le siège initial des tumeurs est net-

tement spécifié, elle s'est localisée à cette région ; dans 6 autres la nuque

seule a été atteinte primitivement; dans 5 autres les épaules; mais elle

peut débuter sur n'importe quelle région de l'organisme.

A la nuque elle s'attaque tantôt à droite, tantôt à gauche, quelquefois

elle envahit d'emblée le ligament cervical.

Lorsque le dos est atteint le premier, le gonflement pâteux peut se mon-

trer soit à la partie supérieure, à l'angle supérieur de l'omoplate (Ston-

ham), à l'angle inférieur (Pollard), aux deux rhomboïdes (Uhde), au grand

dorsal; soit à la partie inférieure, à la région lombo-sacrée (Hawkins).

Sympson l'a vu débuter à l'épaule droite. Krause à l'épaule gauche. Tes-

telin et Dambressi, Rogers, Zollinger aux deux épaules à la fois. Dans le

cas d'Henry, l'avant-bras droit a été le siège des premières manifestations

morbides ; dans celui de Fuerstner, les membres inférieurs. Macdonald

signale le bord postérieur du sterno-mastoïdien gauche comme première

atteinte du mal. '

Dans quelques cas la tumeur primitive s'est montrée dans plusieurs ré-

gions à la fois et assez éloignées les unes des autres, à la nuque et il l'épaule

droite (Boks, Dittmeyer), au dos et à l'épaule (Lendon), à la nuque et au

dos (Swensson), à l'articulation droite de la mâchoire, à l'épaule et au bras

droits (notre cas).

Plusieurs observateurs ont constaté au début la formation de noyaux

indurés à la tête qui ont disparu sans laisser de trace (Uhde, Krause). Et

ces bosses furent prises pour de multiples céphalhoematomes ; le malade de

Rabek a présenté trois noyaux de ce genre : à la partie supérieure de la

tête, à l'occiput et un autre sous la mâchoire, à droite, qui a suppuré ; tous

les trois ont disparu sans laisser de trace.

Ces noyaux primitifs peuvent se montrer dans l'enfance,. bien longtemps

avant ceux qui laissent à leur suite des masses osseuses comme vestiges de

leur passage ; ainsi, le malade de Helferich a présenté des tumeurs pareilles

à l'âge de 6 ans, alors que les véritables ossifications sont survenues à

12 ans.

Relativement à Ja fréquence des muscles atteints, faisons remarquer que

ceux du dos et de la nuque sont presque toujours ossifiés ; d'autres sont

rarement atteints : les droits antérieurs, les obliques et les transverses de

l'abdomen, les muscles oculaires ; enfin il en est qui le plus souvent su-

bissent la dégénérescence fibreuse comme le sterno-cleïda-mastoïdien.

Lorsque ce muscle offre des ossifications, celles-ci forment souvent des

noyaux séparés donnant au muscle un aspect moniliforme.

Certains muscles possèdent presque une absolue immunité, il en est

ainsi des sphincters, des muscles de la mimique, du diaphragme, du

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 135

coeur, des muscles épicrâniens, des peauciers du cou (une seule fois on

a constaté leur dégénérescence fibreuse, sous forme de tractus), du rele-

veur de l'anus et des muscles génitaux, des muscles du larynx. De ce fait

Munchmeyer croit pouvoir tirer une loi,qu'il ne peut du reste pas expliquer,

loi d'après laquelle les muscles dont les deux extrémités ne s'insèrent pas

sur le squelette, seraient épargnés par le processus ossifiant.

Cette formule n'est plus exacte aujourd'hui. Munchmeyer lui-même,

dans son cas, a décrit l'ossification du triangulaire du menton, Bokaï celle

des muscles extrinsèques de l'oeil. Munchmeyer croyait également que les

muscles de l'abdomen étaient exempts d'ossification, mais celle-ci y a été

décrite par IIuth, Helferich, Koths, Kuemmel ; elle reste cependant assez

rare.

(A suivre.)

SUR UNE STATUETTE

REPRÉSENTANT

L'INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX

PAR

HENRY MEIGE.

Nous avons déjà eu l'occasion d'attirer l'attention clans ce recueil sur les

oeuvres d'art que M. le Dr Paul Richer a consacrées à la reproduction des

anomalies morphologiques réalisées par la maladie. Une première fois, il

s'agissait du masque de la Myopathie primitive, une autre fois d'un buste

représentant une malade atteinte de Paralysie labio-glosso-laryagée; on a

pu voir aussi dans un des volumes précédents la photographie d'une

remarquable statuette synthétisant les formes extérieures et les attitudes

dans la Maladie de Parkinson (1).

Le double mérite, à la fois scientifique et artistique, des figurations de

ce genre, les rend intéressantes aussi bien pour les statuaires que pour

les cliniciens. Les premiers, en effet, ont rarement l'occasion de contempler

le nu pathologique, dont la révélation est souventpour eux une surprise,

et comporte plus d'un enseignement ; les seconds, auxquels la connais-

sance des anomalies du corps humain est chose familière, ont maintes fois

le désir de pouvoir conserver la représentation fidèle des types morbides

vivants qui passent sous leurs yeux. Bien mieux qu'un dessin, et même

qu'une photographie, une oeuvre plastique est capable de satisfaire les

uns et les autres. A ces litres, la série d'études sculpturales appliquées à

la pathologie humaine par M. le Dr Paul Richer constitue un précieux

recueil de documents figurés. Et nous sommes en outre convaincus que

la vulgarisation de ces oeuvres d'art scientifiques, dans l'espèce il

(1) Henby MEME, Les Amyot7'ophiques dans l'drt. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,

n° 3, 1894. Le faciès dans la Paralysie glosso-labio-laryngée. Ibid., ne 6, 1894.

II. Meige et Paul Richer, Etude morphologique sur la Maladie de Parkinson. IbiLl.,

ne 9, 1895.

STATUETTE REPRÉSENTANT L'INFANTILISME MYXOEDÉMATËUX 137

convient d'accoupler ainsi les mots, présente un vif intérêt et une

réelle utilité.

La dernière sculpture pathologique de M. le Dr Paul Richer est consa-

crée à l'Infantilisme 11l ! fxoedé1nateux. Elle est, comme les précédentes, une

copie fidèle d'un modèle vivant pris dans le service de la Clinique des Ma-

ladies du Système Nerveux, à la Salpêtrière.

L'histoire de cet infantile a été rapportée tout au long par M. le Pr Ray-

mond dans une de ses leçons cliniques de la Salpêtrière (1). Nous la ré-

sumerons très brièvement : : '

Le jeune 0..., actuellement âgé de 19 ans, est né un peu avant terme,

à 8 mois et demi, à la suite d'une violente émotion ressentie par sa mère.

Celle-ci est de bonne santé, nullement nerveuse; son père, très émotif, est

alcoolique.

0... a deux frères, plus jeunes que lui, bien constitués et de bonne

santé.

A de 3 semaines, il eut une coqueluche, dont les quintes firent

apparaître la hernie qu'on lui voit actuellement.

A 14 mois, survint une entérite ; mais il en guérit bien. La dentition,

la marche et la parole commencèrent vers le 17e mois.

C'est seulement vers la 4e année qu'on s'aperçut d'un arrêt dans le dé-

veloppement physique et intellectuel du petit malade. Il cessa de gran-

dir, sa peau s'épaissit ; il souffrit de douleurs dans les membres et l'abdo-

men, ayant parfois des crises de vomissements et des attaques de nerfs

mal définies.

A cela se réduit son passé pathologique. Voici maintenant dans quel

état s'est présenté le petit malade, au moment où fut reçu à la Salpê-

trière :

« Il était âgé de 19 ans, ne mesurait pas plus de 1 m. 03 en hauteur

et pesait peine 23 kilogrammes. Sa face, aux téguments épaissis, aux

traits effacés, noyés en quelque sorte dans la bouffissure générale, ne tra-

hissait aucune lueur d'intelligence. Le nez était épaté, les lèvres étaient

épaissies et les paupières bouffies. Le front était très bas et le crâne al-

longé d'avant en arrière, la mâchoire supérieure en prognathisme. Avec

cela les oreilles étaient bien ourlées, les lobules n'étaient pas adhérents.

Les sourcils étaient régulièrement plantés et drus. Les cheveux, assez

abondants, avaient une épaisseur et une rudesse insolites; ils donnaient

l'impression de crins rigides. A l'exploration de la voûte palatine, on sen-

(1) F. Raymond, Du myxoedème infantile et des autres formes de myxoedème. Revue

internat. de thérapeut, et pharmacologie, nus 1 et 2, 1898.

138 nENRY 11rE1GE

tait l'arêle médiane très saillante. Les dents très fortement altérées, étaient,

au dire des parents, les produits de la première dentition.

. « Quand on faisait marcher le jeune 0..., il s'avançait péniblement, le

torse fortement cambré. Les jambes élaient cagneuses, les pieds diffor-

mes, le ventre saillant, volumineux, équilibré par le développement anor-

mal des fesses. - '

« Les articulations coxo-fémorales manoeuvraient bien. Il en était de

même des articulations des genoux, malgré qu'elles fussent déviées en

valgus. Cette déformation était accusée surtout à droite, d'où raccourcis-

sement du membre. Lorsque les genoux étaient en contact, l'écartement

des malléoles internes atteignait une longueur de quatre travers de doigt.

« Les pieds étaient fortement deviés en varus, avec les premières pha-

langes des orteils en extension. Ils étaient raccourcis dans le sens antéro-

postérieur; leur bord externe était épaissi et leur bord interne excavé.

Ils étaient ballants dans l'articulation tibio-tarsienne. Au surplus, 0... ne

pouvait, pour ainsi dire, leur imprimer aucun mouvement dans cette

jointure. Par contre, la motilité volontaire des orteils était conservée. A

noter l'existence d'une subluxation en avant de la tête de l'astragale.

« Au thorax et aux membres supérieurs, les manifestations pathologi-

ques se réduisaient à l'infiltration des téguments. Une légère courbure la-

térale du rachis compensait le raccourcissement du membre inférieur droit.

« La palpation du cou s'effectuait sans difficulté; on pouvait ainsi se

convaincre qu'il n'existait aucune trace de corps thyroïde.

« Les organes génitaux présentaient une conformation normale. Les

deux testicules, de la grosseur d'une petite noix chacun, étaient descen-

dus dans les bourses. Quelques poils très clairsemés occupaient la racine

de la verge ; le pubis était glabre.

« Les troubles trophiques cutanés se réduisaientà l'illfilLration myxoedé-

mateuse.

«La température corporelle a été trouvée sub-normale; elle oscillait

entre 35°5 et 3Sa9.

« L'examen des viscères thoraciques et abdominaux n'a donné que des

résultats normaux. » 4

Dès son entrée à la Salpêtrière, le jeune 0... a été soumis à la médi-

cation thyroïdienne, et il en a subi rapidement les heureux effets. D'abord

sa température et son pouls se sont élevés rapidement; puis il a maigri

beaucoup; sa peau s'est amincie, est devenue plus souple; ses cheveux

ont poussé ; les dents de lait sont tombées en grand nombre ; d'autres ont i

apparu pour les remplacer.

Enfin, en moins de cinq mois, la taille s'est accrue de 4 centimètres

et l'état psychique a subi un notable perfectionnement.

STATUETTE REPRÉSENTANT L'INFANTILISME MYXCEDÉMATEUX 139

Non moins sensibles ont été les modifications squelettiques que la radio-

graphie a permis de contrôler. A l'arrivée du petit malade, le développe-

ment osseux n'était guère plus avancé que celui d'un enfant de trois ans.

Depuis lors les progrès de l'ossification se sont faits avec une rapidité

surprenante. On peut dire qu'en quelques mois son squelette a vieilli de

nll1 ! '\ip.l1r ! '\ années (1).

Ainsi, ce curieux petit bonhomme réalisait à souhait le syndrome mor-

phologique de cette variété d'infantilisme que M. Brissaud ap roposé d'ap-

peler l'Infantilisme myxoedémateux.

Il suffit de jeter les yeux sur la reproduction de la statuette (PI. XVI)

pour se convaincre qu'elle correspond exactement - et non moins typi-

que était le modèle au signalement de l'infantile, lorsque celui-ci est

myxoedémateux.

C'est un être demeuré enfant, passé l'âge de l'enfance. Il a près de

20 ans, et cependant rien dans sa taille, ni dans ses traits, ni dans ses for-

mes corporelles ne permet de prévoir qu'il touche à sa majorité. Il ne me-

sure guère plus d'un mètre de hauteur ; ses jambes sont courtes, son torse

est long, sa tête est grosse, sa face lunaire.

N'a-t-il pas le visage d'un nourrisson encore à la mamelle, avec ses

grosses joues qu'une épaisse boule de Bichat rembourre, son petit nez

camard et ses lèvres charnues qui semblent encore faites pour la succion ?

Tout son corps dodu est enveloppé d'une couche graisseuse qui masque

les reliefs des muscles et des os. Un torse rond, un gros ventre qui proé-

mine et des fesses amplement garnies, complètent la ressemblance avec

l'habitus extérieur de l'enfance.

A voir un tel-modèle, nul ne songerait à donnera ce conscrit de demain

plus de 4. ou 5 ans d'àge, d'autant que sur son corps, non plus que sur

sa figure, on n'entrevoit pas l'ombre d'un duvet. C'est bien là le syndrome

morphologique de l'infantilisme. Et c'est aussi celui du myxoedème con-

génital : tout'le corps semble infiltré d'une graisse molle qui forme des

bourrelets au niveau des plis cutanés ; 'autour du cou, sur la région pré-

pubienne, au-dessus des fesses et sur les flancs ; la face elle-même par-

ticipe à la boursouflure générale et rappelle, sous une forme plus fruste,

l'aspect des idiots myxoedémateux de Bicêtre.

Par un détail seulement, le petit malade diffère du type ordinaire de

l'infantilisme myxoedémateux, c'est par le développement de ses attributs

sexuels. Ceux-ci, qui, dans la majorité des cas, se réduisent à des proportions

(1) Consulter à ce sujet l'intéressante note de MM. G. GASNE et A. LONDE, Applica-

tion de la radiographie à l'étude d'un cas de 1nyxoedème. Acad. des sciences, 21 mars

189S. .

140 HENRY MEIGE . .

minuscules, sont ici de volume presque normal, eu égard à l'âge réel du

sujet : leur importance paraît donc discordante sur ce corps enfantin ; il

est bon de remarquer cependant qu'une ancienne hernie inguinale exagère

sensiblement les dimensions apparentes des organes génitaux.

M. Paul Richer, désireux de rester avant tout scrupuleusement fidèle à

la réalité naturelle, n'a pas omis de rendre cette anomalie. Pour la même

raison, il. figuré le genu valgum de la jambe droite el le pied bot varus

gauche que présentait son modèle. Ces déformations squelettiques ne

sont pas rares d'ailleurs chez les infantiles. Nous avons eu l'occasion d'en

signaler des exemples (1).

Malgré ces anomalies, et peut-être même à cause d'elles, cetle image

parfaitement réelle d'un infantile myxoedémateux évoque le souvenir de

personnages réputés légendaires dont l'Art nous a transmis de nombreuses

figurations.

L'analogie est rendue plus saisissante encore par l'attitude que M. le

Dr Paul Richer a fait prendre à son modèle. On y retrouve certainement

une réminiscence d'une formule artistique chère à l'antiquité, car le petit

infantile est représenté dans une posture de pugiliste. Or, on sait que les

anciens avaient coutume de figurer les Pygmées se livrant à des exercices

athlétiques, luttant, boxant, combattant entre eux ou contre les grues,

leurs classiques ennemies. Et ces nains belliqueux nous apparaissent sur

les sculptures antiques, avec leurs grosses télés, leurs ventres saillants,

et leurs jambes contrefaites, comme les portraits des ancêtres de ce nain

infantile et myxoedémateux. '

Si'l'on' veut hien se reporter aux documents figurés reproduits autre-

fois par Charcot et Paul Richer dans les Di/formes et malades dans l'Art,

ainsi qu'à l'étude que nous avons nous-même publiée dans ce recueil sur

les Nains et les Bossus dans l'Art, on se convaincra aisément de l'étroite

parenté qui relie les figurations artistiques représentant des Pygmées ou

des- Nains au portrait du petit malade de'la Salpêtrière exécuté par M. Je

Dr Paul Richer, avec toute l'exactitude que pourrait donner une photogra-

phie à trois dimensions. .

(1) HENRY MEME, L'Infanlilisme, le Féminisme et les Hermaphrodites antiques. L'An-

thropologie, 1895. T. VI.

Le gérant : P. Bouchez

Imp. G. Saint-Aubin et Thevenot. J. TUevenot, successeur, Saint-Dizier (luaulc-llurne)

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

T. XI, PL, XVI

INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX

Statuette d'après nature,

Par le Dr PAUL RICHER

Masson et CI-, Éditeurs.

lie Année N° 3 Mai-Juin 1898

SCLÉRODERMIE LARDACÉE EN COUP DE SABRE

DE LA RÉGION FRONTALE

CRISES ÉPILEPTIFORMES CONCOMITANTES

PAR

M. LOUIS SPILLMANN

Aide de clinique à la Faculté de Médecine de Nancy.

L'histoire des sclérodermies localisées, en plaques (kéloïde d'Addison,

sclérémie lardacée, morphée des Anglais), s'est enrichie dans ces dernières

années de nombreuses observations.

Alibert le premier (Nosologie naturelle, t. I. Paris, 1817) décrivit la

sclérémie partielle avec l'histoire d'un malade « qui portai tau côté gauche

de l'abdomen une plaque qui s'étendait de jour en jour..... Lorsqu'on

touchait le milieu de la plaque avec le doigt, le malade n'éprouvait aucune

sensation ». En 1354, Addison et Bazin décrivirent la chéloïde vraie et la

chéloïde blanche. En 18G7,ni)ton Fagge sépara nettement la morphée,

dont il fit un type distinct, de la sclérodermie, et à la même époque, Eras-

mus Wilson (1) la rangea dans le groupe des sclérodémies partielles. La

morphée fut alors nettement interprétée par l'Ecole Anglaise et notamment t

par Tilbury Fox (2). En 1880, M. Besnier publiait dans les Annales de

Dermatologie (3) une série d'observations de sclérodermie généralisée et

un cas de morphée scléreuse, avec plaques lardacées, de la région dorsale

chez un homme de 32 ans, atteint de rhumatisme chronique osseux.

Nous trouvons également dans les Annales de Dermatologie de 1881 (4 ),

une observation de dermato-sclérose partielle de la région dorsale et des

membres supérieurs et inférieurs, recueillie par I. l3artMélemy, dans le

service de M. le professeur Fournier à l'hôpital Saint-Louis.

(1) Euasmus Wilson, On diseases of the Skin, London, 1861.

(2) Tir.nunY Fox, Skin diseases, London, 1813.

(3) E. Bcs'¡LEI1, Observations pour servir à l'histoire des a ! e)'t)t0[<o-ee;'ose ? Annales

de Dermatologie, tome I, 1880.

() nAI1'l'Il;LE)IY, Note sur un cas de sclérodermie en plaques.

xi ' 10

..

142 "-) LOUIS SPILLMANN .

Dans sa thèse sur la sclérodermie, Collin (1) rapporte une observation

inédite communiquée par M. Besnier. Elle se rapproche de la nôtre par

certains points.

« Il s'agit d'une jeune fille de 16 ans, observée le 5 avril 1884 à la poli-

clinique. C'est une nerveuse, présentant, ainsi que sa mère et ses soeurs,

un léger nystagmus, du strabisme convergent et un peu de chromidrose

de la paupière inférieure. En septembre 1881, sans cause connue, il s'est

développé sur le front, verticalement, depuis la tête du sourcil gauche

jusqu'à la lisière du cuir chevelu, une plaque dont l'aspect est le suivant :

1° Elle est entourée d'une bordure rose, qui occupe la partie saine de

la peau sur les limites de la plaque, et au niveau de laquelle on constate

du plissement, de la dilatation des orifices folliculaires, quelques légères

varicosités; tous ces phénomènes, d'ailleurs frustes, échapperaient à un

oeil non prévenu.

En dedans de cette bordure, se voit un léger sillon linéaire, pâle,

bleuâtre, de 1 à 2 2 millimètres de largeur, séparant sans transition la par-

tie malade des parties saines.

3° Le centre est occupé par la plaque proprement dite; d'un jaune pâle

un peu rougeâtre au centre, lardacée, résistant à la pression, elle mesure

6 centimètres verticalement, et un centimètre 1/2 dans sa partie la plus

large. Rien autre en aucun point du corps. »

Dernièrement encore, Bronson présentait à la New-York dermalological

Society (2) un cas de Morphée. Il s'agissait d'un homme de 31 ans ayant

eu la syphilis il l'âge de 21 ans. En novembre l8cJG il aperçut sur son front

une traînée rouge et une ulcération siégeant à l'union du frontal et du

pariétal. Au mois de février 1897, deux bandes verticales, rougeatres, un

peu alrophiques existaient sur le côté gauche du front; « l'une partant de

la tête au sourcil gauche, mesurant 7 cm. 5 de long et 2 cm. 5 de large :

elle ne dépassait pas la ligne médiane. L'autre parlait de la queue du sour-

cil ; elle était très nette sur une longueur de 7 cm. 5, mais se prolongeait

par une traînée rouge, visible seulemenl par moments, jusqu'à la suture

fronto-pariétale, au point où l'ulcération avait débuté. Ces bandes offraient

une coloration générale rouge, due à un fin lacis vasculaire, avec un semis

de petites taches blanches atrophiques et une sensibilité normale. Au point

où se rencontraient les axes prolongés des deux bandes frontales, se trou-

vait un ulcère de 7 cm. 5 de long, sur 1 de large ».

Citons enfin dans le traité de Kaposi (3) les notes de MM. Besnier et

(1) Ccllln, Contribution à l'élude de la sclérodermie. Thèse Paris, 188C.

(2) BRo-,sox, New-York dermatological Society, Annales de Dermatologie, février 1898.

(3) Kaposi, Traité des maladies de peau, Traduction de MM. Besnier et Doyon, p. 112.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÉ'INI1 : R1. T. XI. Pl. XVII

SCLÉRODERMIE LARDACÉE EN COUP DE SABRE

(Louis Spilmann)

MASSON & cie, Editeurs.

SCLERODERMIE LARDACEE EN COUP DE SABRE DE LA RÉGION FRONTALE 143

Doyon sur la morphée, une thèse récente de Drouin (1), et une très

intéressante leçon de M. le Professeur Raymond (2).

Nous avons en l'occasion d'observer dernièrement dans le service de

M. le Professeur Spillmann, un cas de sclérodermie en coup de sabre, re-

marquable par son siège, sa configuration spéciale et des complications

nerveuses (crises épileptiformes) qui n'ont pas été signalées jusqu'à ce

jour. Ce fait nous a semblé présenter un réel intérêt, étant donné surtout

l'origine nerveuse probable de la sclérodermie.

Voici cette observation.

Il s'agit d'un cordonnier K... âgé de 32 ans. Il nous a été impossible

d'avoir aucun renseignement sur ses antécédents héréditaires.

K... n'aurait jamais été malade dans son enfance. Marié à l'âge de

27 ans, il a deux enfants bien portants. Sa femme a fait deux fausses cou-

ches, l'une il cinq et l'autre à six mois. Le malade nie tout antécédent

spécifique. Il ne porte du reste aucune lare syphilitique. Il n'est pas

alcoolique ni absinthique. En mai 1897, il s'aperçut qu'il portait une raie

blanche au milieu du front. A celte époque, il se plaignait de vives dou-

leurs névralgiques. Deux mois après une seconde raie apparaissait, pa-

rallèle à la première. (PI. XVII.)

Ces deux bandes se développèrent spontanément, sans traumatisme, ni

brûlure.

Le 15 octobre 1897, le malade est pris brusquement, dans la nuit, d'une

crise épileptiforme; elle dura environ trois heures, avec convulsions et

perte de connaissance. Lorsqu'il révint à lui, K... avait la parole légère-

ment embarrassée. Il reprend son travail. Au bout de8jours, nouvel accès

nocturne. Les phénomènes convulsifs durèrent une demi-heure, mais le

malade ne recouvra sa connaissance qu'au bout de 4 heures. Ces crises fu-

rent suivies d'une céphalée intense.

Etat actuel (29 oct. 97). C'est un homme de petite taille, au facies

hébété. Son intelligence est bien au-dessous de la moyenne. La mémoire

semble conservée. La parole est hésitante. Tremblement fibrillaire de la

langue. Les réflexes sont normaux ainsi que la sensibilité. L'examen des

divers appareils ne fait découvrir rien d'anormal.

Lésions cutanées. -- La région frontale droite présente deux bandes

claires s'étendant de la région sourcilière au sommet du crâne. Une pre-

mière bande part de la racine du nez et remonte verticalement vers la

(1) DnoUOE, Quelques cas de sclérodermie localisée. Thèse Paris, 1898.

(2) De la sclérodermie, Semaine médicale, 23 février 1898.

144 LOUIS SPILLMANN

suture fronto-pariétale. La deuxième, parallèle à la première, commence

au niveau de l'échancrure sus-orbitaire, et va se terminer à quelques mil-

limètres de la précédente. A l'angle de réunion de ces deux bandes, on

trouve une saillie irrégulièrement ovalaire, à grand axe dirigé oblique-

ment d'arrière en avant, et de devant en dehors, mesurant 3 centimètres

dans son plus grand diamètre et 1 cm. 25 dans son plus peLit. Cette pla-

que chéloïdienne, donnant au doigt une sensation-de carton, présente à la

partie supérieure deux petites excoriations. Elle est dépourvuede cheveux

ainsi que les deux plaques blanches. Au niveau de ces plaques, la peau est

décolorée, lisse. Il semble exister, par places, de la raréfaction osseuse

entraînant une dépression nettement sensible il la palpation. Ces bandes

ont des bords irréguliers. La limite entre la peau saine et la surface malade

est formée par une zone violacée (lilac ring). En dedans de ce liseré,

on trouve une surface blanche, brillante, rappelant l'éclat et le reflet de

la nacre. La palpation permet de percevoir les mêmes sensations que celles

fourniespar la plaque chéloïdienne du sommet du crâne. Il semble que

l'on touche une portion de peau gelée par un jet de chlorure de méthyle.

Ces bandes ont une largeur de 1 cm. 2'i à 2 centimètres. Elles répondent

assez exactement aux trajets du nerf frontal externe et du nerf frontal

interne (Voy. Fig. 1).

La peau avoisinante est intacte. La sensibilité est normale sur toute l'é-

tendue des téguments. Le malade ne ressent aucune douleur. Pendant le

Schéma de la distribution des trois brandies du trijumeau

(D'agrès Frôhje).

SCLÉRODERMIE LARDACÉE EN COUP DE SABRE DE LA RÉGION' FRONTALE 145

premier mois de séjour de ce malade à l'hôpital, son état général fut aussi

satisfaisant que possible. Les plaques lardacées devinrent plus brillantes

et la bande interne s'accentua légèrement. A cette époque un léger sillon

violacé apparut sur le bord libre des paupières supérieures.

Le 22 novembre, le malade qui avait eu des ennuis dans la journée,

est pris brusquement, vers 7 heures du soir, de mouvements convulsifs

dans les membres supérieurs et inférieurs. Les globes oculaires sont con-

vulsés. Cette crise dure environ cinq minutes, puis K... s'endort. Au

réveil, il accuse une céphalée frontale intense, des vertiges, des nausées,

une sensation douloureuse au creux épigastrique et dans la région lom-

baire. Il ne se souvient pas de son accès de la veille.

1er décembre. Le même état persiste. La céphalée continue mais les

crises ne se reproduisent pas. On allait recourir au traitement des plaques

sclérodermiques et de la chéloïde par l'électrolyse et la galvanopuncture,

quand le malade dut quitter le service pour secourir sa femme et ses

enfants, qui se trouvaient dans le dénûment le plus complet. Le massage

el la médication bromurée avaient modifié légèrement l'état local.

Nous avons pu obtenir dans la suite les quelques renseignements sui-

vants, sur l'état du malade depuis sa sortie de l'hôpital.

26 janvier 1898 ? Pendant la nuit K... a deux crises d'une durée de

deux heures et demie, avec convulsions, vomissements, écume aux lèvres.

Les jours suivants, le malade reste hébété, incapable de se livrer il aucun

travail. Depuis ce moment, le caractère de K... a notablement changé. Il

reste parfois pendant plusieurs heures sans proférer une seule parole. Il

répond d'une façon évasive aux questions qu'on lui pose. -

Cette observation nous a. paru intéressante à plus d'un litre : c'est un

beau cas de sclérodermie en coup de sabre, accompagnée d'une plaque

chéloïdienne, survenue chez un dégénéré nerveux.

Ce qui semble bien prouver chez notre malade l'origine nerveuse de la

lésion, c'est le siège des plaques.

Elles suivent exactement, en effet, le trajet des filets de la branche

ophtalmique du trijumeau, comme le montre la planche que nous avons

jointe à l'observa lion.

Reste la question des crises épilelOoïdes.

M. Besnier insistait déjà en 1880, à propos de l'observation de sclé-

rodermie localisée, signalée précédemment, sur les symptômes nerveux

rencontrés chez la plupart des sujets atteints de cette affection. Dernière-

ment encore, M. Brissaud, exposant la pathogénie du processus scléro-

clcrmidue en général, rapportait ces lésions a une origine métamériquc.

146 LOUIS SPILLMANN

Enfin dans une leçon récente sur la sclérodermie, M. le Professeur Ray-

mond insiste sur la part très importante et peut-être même prépondérante,

du système nerveux, dans la genèse de cette curieuse dystrophie.

Les analorno-pathologistes ont signalé dans la sclérodermie des lésions

nerveuses diverses scléroses des circonvolutions, de la moelle, des nerfs

périphériques. Sans songer une lésion des circonvolutions chez notre

malade, ne pourrait-on pas admettre une lésion périostée de t'autre côté du

diploé, analogue à celle de la plaque chéloïdienne, et ayant produit, soit

une compression passagère, soit une irritation momentanée vers la zone

rolandique.

En tous cas le malade n'est pas un syphilitique, ce n'est pas un absin-

thique et il a dépassé t'age de l'épilepsie vulgaire; nous n'avons pas trouvé

de fait analogue signalé clans les observations publiées jusqu'à ce jour.

Il aurait été intéressant de vérifier chez ce malade l'action de l'électro-

lyse ; il nous a été malheureusement impossible d'instituer ce traitement.

- NOTE

SUR

LA PARALYSIE DU FACIAL SUPÉRIEUR

DANS L'HÉMIPLÉGIE PAR LÉSION CÉRÉBRALE

PAR

CH. FÉRÉ

Médecin de Bicêtre.

La participation de la face à l'hémiplégie a donné lieu à de longuesdis-

cussions.

On a longtemps contesté l'existence de la paralysie faciale dans l'hémi-

plégie hystérique. Tandis que Todd, liasse, Altliaus, Charcot la considé-

raient comme rare, et même la mettaient en doute, Briquet, Le Breton,

Hélot en admettaient la réalité sinon la fréquence. Les observations de

Brissaud et Marie, de Gilles de la Tourette montrèrent que dans l'hémiplégie

hystérique il peut exister un état de contracture spasmodique, quelque-

fois avec secousses des muscles de la face du côté opposé, avec anesthésie

ou dysesthésie superposée. Ces faits ont paru contredire l'existence de la

paralysie faciale ; mais des observations de Chantemesse et de Ballet ont

mis depuis sa réalité hors de doute. J'avais montré déjà'à l'aide de mesu-

res que, même en l'absence de paralysie grossière, dans l'amyosthénie

hystérique, il existe une parésie de la langue du côté de l'hémiplégie et

une parésie analogue des muscles des lèvres et des muscles de la face et

aussi des masséters (1). On peut d'ailleurs constater que, chez les hysté-

riques amyosthéniques, les mouvements de la face et de la mâchoire qui

sont affaiblis présentent en même temps un retard de la réaction volon-

taire (2). J'ai fait remarquer que la contracture glosso-labiée du côté op-

(1) Cii. Féré, Noie sur l'exploration des mouvements de la langue (C. R. Soc. de

biologie, 1889, p. 2 18). Note sur l'exploration des mouvements de quelques muscles de la

face (ibid., 1890, p. 619). Noie sur l'exploration des mouvements des lèvres (ibid.,

1891, p. 611).

(2) CI ! . PÉRI; et P. Ouvity, Note sur l'énergie et la vitesse des mouvements voloizlai-

Tes considérés dans l'hémiplégie par lésion cérébrale, dans l'amyosthénie hystérique et

en particulier dans la sui-di-7)zulité (Journ. de l'anat. et de la phys., 1892, p. 434).

148 Con. séné

posé à la paralysie des membres, peut être la conséquence de la paralysie

de la face du côté hémiplégique (1). Hcldenberg a rapporté même un cas

d'hémiparésie isolée de la langue dans l'hystérie (2). On a admis aussi

l'existence d'une paralysie systématique des mouvements d'articulation ;

mais la preuve indispensable, la mesure des mouvements étrangers à l'ar-

ticulation et soi-disant conservés dans leur intégrité manque il l'appui de

cette systématisation.

Dans les paralysies par lésions cérébrales, on a admis aussi des restric-

tions relativement à la généralisation aux muscles de la face. Plusieurs

auteurs pensent que la paralysie des mouvements d'articulation peuvent

exister sans que les mouvements de la langue adaptés aux autres fonctions

soient atteints.

La réalité de la systématisation de la paralysie ne peut s'appuyer que

sur des mesures démontrant l'intégrité des autres mouvements (3).

Or, chez les aphasiques, l'observation directe monlre que les mouve-

ments généraux de la langue sont affectés : et il en est de même dans

d'autres conditions où l'articulation est défectueuse comme chez lesmuetset

chez les bègues (4). La preuve de ces connexions des troubles des mouve-

ments non adaptés et des mouvements adaptés il l'articula Lion chez les

aphasiques, se trouve dans les bons effets des exercices des mouvements

non adaptés dans la rééducation, bons effets qu'on retrouve aussi dans

l'éducation des bègues et des sourds-muets ().

L'accord n'est pas encore fait non plus sur plusieurs autres faits rela-

tifs à l'étendue de la paralysie faciale dans l'hémiplégie par lésions céré-

brales. Non seulement on a mis en doute la participation des muscles

animés par le trijumeau, participation que l'on peut mettre en évidence

il la fois par la pesée du mouvement et par la mesure du temps de réac-

(1) Bull. et mém. de la Soc. méd. des hôpitaux, 1890, p. 802. Contrib. il la patholo-

gie des spasmes fonctionnels du cou (Rev. de médecine, 1891, p. 161).

(2) C. IIELUE\l3EIiG, Un cas d'hémi-parésie partielle gauche de la langue d'origine

hystérique (La Belgique médicale, 1891, II, p. 481).

(3) Ch. FUIE, Elude physiologique de quelques troubles d'articulation, Nouv. Icon.

de la Salpêtrière, 1890, p. 168. Note sur les paralysies systématiques (C. R. Soc. de

biol., 1893, p. 311.

(4) Cil. Féhé, Note sur les troubles de la motilité des organes de la voix el de l'arli-

culalion chez les sourds-muets (Revue neurologique, 1893, p. 208).

(5) Cil. In : ni : , Note sur l'influence de l'exercice musculaire sur l'énergie, la rapidité el

l'habileté des mouvements volontaires de la langue chez un bègue (C. B. Soc. de biol.,

1890, p. 616). - A. Boyer, De la préparation des organes de la parole chez le jeune

sourd-muet (rez, intern. de l'enseignement des sourds-muets, 189t, t. IX, p. su

Cu. Féré, Remarques sur le traitement pédagogique de l'aphasie motrice (C. B. Soc.

de biol., 1895, p. 735. -- L. DAVaou, Essai de traitement pédagogique de l'aphasie

motrice (Rev. intern. de l'enseignement des sourds-muels, ]89G, p. 19). - Cn. Féré,

La rééducation des aphasiques (Itev. gén. de clin, et de Lliét-ai)., 1896, p. 18j).

NOTE SUR L1 PARALYSIE DU FACIAL SUPÉRIEUR 149

tion volontaire (1), mais on a contesté absolument l'existence de toute

paralysie dans le domaine du facial supérieur. Landouzy, par exemple,

admet qu'il n'existe aucun fait l'appui de la réalité de cette paralysie

dans les méningo-encéphaiites : « Parmi le grand nombre d'observations

des paralysies faciales relevées ici, pas une ne s'est étendue au facial tout

entier ; jamais l'orbiculaire des paupières n'a été paralysé, et cela, que la

face fût prise isolément ou d'une façon associée (2). »

Cependant Potain (3) avait noté l'impossibilité de fermer l'oeil du côté

hémiplégique si ce n'est en associant ce mouvement à celui de l'oeil sain.

Coingt, tout en admettant que, dans l'hémiplégie faciale cérébrale, la pa-

ralysie de l'orbiculaire n'est jamais complète, c'est-à-dire jamais caracté-

risée par cet ensemble de signes qu'on rencontre dans les paralysies fa-

ciales périphériques : impossibilité de clore complètement les paupières,

renversement du point lacrymal en bas et en dehors, épiphora, etc., il

peut exister une certaine parésie de l'orbiculaire en même temps que du

sourcil lier et du frontal (4). 0. Berger, de son côté, affirmait que la par-

ticipation du facial supérieur est la règle (5). Il n'est pas douteux que, dans

un grand nombre d'hémiplégies récentes, la constatation soit facile ; mais

la parais sie de l'orbiculaire des paupières et des muscles frontaux s'atténue

souvent rapidement an point qu'elle passe facilement iuaperçue, si l'on ne

la recherche avec soin.

Legendre (6) avait donné un procédé d'observation qui parait avoir été

négligé ; quand les deux yeux sont fermés, si on relève la paupière avec

le doigt pendant que le malade résiste, on peut apprécier la résistance,

et par conséquent, les différences de résistance.

La remarque de Potain n'avait guère laissé de trace non plus, et on ne

croyait guère à la participation du facial supérieur à l'hémiplégie faciale,

si bien que le fait de Hevilliod (7) parut tout à fait exceptionnel ; dans la

fermeture des deux eux, celui du côté paralysé se fermait incomplètement,

(1) Cu. Féhé, Note sur un dynamomètre maxillaire (C. n. Soc. de biol., 1891, p. 619.

Note sur la dynamoméli'ie comparée des muscles fléchisseurs des doigts et des élé-

valeurs de la mâchoire (ibid . , p. 663).

(2) L. Landouzy, Cotit. il l'él. des convulsions et paralysies liées aux méningo-en-

céphaliles front o-pariétales, th. 1816, p. 7L

(3) Putain, art. CEtnEAr, Dict. encycl. des se. nzétl., 1S73, t. ,Tl\', p. 261.

(4) M. COINGT, Conlrib. à l'él. des symptômes oculaires dans les maladies du système

nerveux central, th. 18îS, p. 131, 135.

(5) 0. Berger, Zur Semiotik der cerebralen hémiplégie (Centratbl. f. Nervenheilli..

1879, p. 266).

(6) LEGENDHr, Rech. anal, et clin, sur quelques maladies de l'enfance, 1846, pp. 58,

72, 78.

(1) L. Revilliod, Hémiplégie gauche chez une gauchère. Embolie du tronc Grachio-

céphalique. Signe de l'orbiculaire (Rev. médicale de la Suisse romande. 1889. p. 595).

150 cu. rcal;

et cet oeil ne se fermait pas isolément, le froncement du sourcillier était'

en défaut.

Byrom Bramwell (1) est revenu en somme il l'opinion de Berger :

suivant lui, la paralysie de l'orbiculaire n'a de valeur au point de vue du

diagnostic entre la paralysie supra-nucléaire et la paralysie nucléaire on

infra-nucléaire que lorsque le malade est complètement incapable de fer-

mer l'oeil. L'orbiculaire des paupières est intéressé dans la paralysie fa-

ciale qui accompagne l'hémiplégie, mais la paralysie est incomplète et z

moins marquée que celle des muscles innervés parle facial inférieur. Au

début de l'hémiplégie intense, la paralysie de l'orbiculaire peut être com-

plète, mais au bout de peu de temps, quelquefois de quelques heures, elle

disparaît comme fait la déviation conjuguée des yeux. On peut s'expliquer

cette restauration rapide par l'association habituelle des orbiculaires des

deux côtés. En général, les hémiplégiques dont le facial inférieur est pris,

ne peuvent pas fermer isolément zist du côté paralysé. 1

Ce qui est rare chez les hémiplégiques, c'est la persistance des signes

grossiers de la paralysie du facial supérieur ; aussi ai-je pensé que l'ob-

servation suivante pourrait présenter quelque intérêt.

Oss. - Convulsions de l'enfance; hémiplégie transitoire consécutives Pa-

résie faciale persistante. - A la suite d'émotions, spasmes du côté hémiplégique.

Mme R..., 36 ans, se présente il la consultation le 25 janvier 1898, se plai-

gnant de secousses dans le membre supérieur et d'engourdissements dans le

membre inférieur du côté droit.

Elle ne connaît pas d'accidents névropathiques dans ses ascendants. Son

père est mort d'une affection aiguë, il était sobre et habituellement bien por-

tant. Sa mère a 67 ans, elleest bien portante, vigoureuse; elle n'a jamais souf-

fert de troubles nerveux ; mais elle présente une légère parésie faciale du

côté droit qui paraît avoit été congénitale. Elle a eu 10 enfants bien conformés

mais qui, pour la plupart, ont succombé jeunes. Elle n'en a eu que deux qui

aient atteint l'âge adulte ; le second, un fils qui est mort d'accident à 42 ans,

et notre malade qui est la cinquième. Les cinq derniers sont morts tout jeu-

nes ; elle ne signale pourtant aucun,accident de la grossesse. Vers la fin de la

grossesse qui s'est terminée par la naissance de notre malade, elle a perdu une

petite fille de 8 ans et a été particulièrement affectée.

Quelques mois après sa naissance, l'enfant qui était bien conformée et ve-

nait bien fut prise de convulsions avec fièvre et qui lui laissèrent une paraly-

sie du côté droit. Cette paralysie parait avoir été totale, les membres étaient

balants et mous comme des-chiffons, dit la mère, la face était atteinte ; l'oeil ne se

fermait pas. Les mouvements des membres revinrent graduellement, l'asy-

métrie de la face avait disparu ; au bout de quelques semaines la restauration

paraissait complète ; mais depuis cette époque l'enfant a toujours dormi, l'oeil

(1) Byrom Bramwell, Stitdies in clinical medicine, 1890, p. Il.

Nouv. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRT. T. XI. PI. XVIII

PARALYSIE DU FACIAL SUPÉRIEUR

dans l'Hemip)cgic par lésion cérébrale

(Ch. Iiré)

MASSON & Cie, Editeurs

NOTE SUR LA PARALYSIE DU FACIAL SUPÉRIEUR 151

droit incomplètement fermé, particularité qui a persisté. La fonction du lan-

gage à évolué t'age ordinaire sans aucune particularité. La santé était néan-

moins parfaite, la malade s'est mariée, a eu plusieurs enfants qu'elle a nourris ;

sauf quelques lassitudes vagues, elle n'a jamais rien éprouvé dans son côté droit ;

elle a rarement souffert de douleurs de tête auxquelles on ne reconnaît aucun

caractère particulier. Elle présente du reste encore actuellement l'aspect d'une

femme vigoureuse et pleine de santé. Il y a deux ans, à la suite de tourments

domestiques, elle a commencé à éprouver des éblouissements, des secousses

dans le bras droit,des battements dans les paupières du même côté,de la faiblesse

et de l'engourdissement dans la jambe et dans le pied qui se refroidissait faci-

lement. Dans ces derniers temps les secousses et les battements dans l'oeil sont

devenus plus fréquents, et plus intenses et c'est. ce qui l'a déterminée à con-

sulter. Quand les secousses se répètent, elle éprouve une sensation de suffo-

cation et quelquefois des sueurs profuses et diffuses, sans localisation spé-

ciale.

On n'observe aucun trouble de la marche ni de l'équilibre quand l'épreuve

est faite après le repos. Ce n'est qu'après un certain temps que la malade

commence à éprouver de la pesanteur et de la gêne dans les mouvements du

pied et de la jambe droite. Quelquefois même au repos, les orteils s'engour-

dissent et le pied se refroidit; la sensation de refroidissement remonte jusque

vers la jarretière. La sensibilité au contact, il la douleur, à la température

paraît normale dans tout le membre inférieur. Le réflexe patellaire ne diffère

pas de celui du côté gauche sain. Aucune trace d'atrophie.

C'est le membre supérieur seulement qui a été le siège de secousses. Il est

aussi volumineux que son congénère et ne présente aucune malformation, ni

atrophie. Les proportions des doigts sont normales et les mêmes que du côté

gauche. Toutefois la pression dynamométrique n'est que de 32 à droite tandis

qu'elle est de 35 à gauche. Tous les mouvements des doigts de la main et du

bras sont libres. Les réflexes tendineux ne sont pas exagérés, ni absolument,

ni relativement. En engageant la malade à.serrer la main d'une façon continue,

on voit au bout de quelques minutes se produire un tremblement du bras.

C'est ainsi que lorsqu'elle porte un objet un peu lourd, la trémulation se pro-

duit, précédant la secousse qui consiste en un mouvement de flexion de l'avant-

bras sur le bras qui se porte en abduction. Quelquefois même au repos, les

doigts se raidissent tout à coup. Ces mouvements s'accompagnent généralement

d'une sensation d'engourdissement il l'extrémité des doigts. Dans l'intervalle

des accès, on ne constate aucun trouble de la sensibilité. On a pris seulement

le temps de réaction des deux index : le droit réagit en 0,"2),te gauche, en 0,"1S.

A la face la parésie est très peu marquée : la commissure labiale droite est lé-

gèrement abaissée, le pli naso-génien est plus effacé ; mais les deux'narines sont

il peu près également ouvertes, et les rides du front ne présentent pas non plus

des différences latérales notables. C'est l'oeil, comme on peut s'en assurer sur

les photographies, qui présente les caractères les plus marqués de paralysie.

Lorsque les deux yeux sont ouverts, l'oeil droit paraît plus béant : on voit bien

que les deux angles do l'oeil sont plus ouverts (Pl. XVIII), et on remarque

152 CII . I ÉHÉ

qu'il existe il droite un léger renversement de la paupière inférieure dont le

bord muqueux brillant est plus large. La paupière inférieure est légèrement

bouffée à droite. La malade est incapable de fermer l'oeil droit séparément,

mais elle ne ferme pas davantage l'oeil gauche. Quand elle ferme volontaire-

ment les deux yeux, la paupière supérieure droite est animée des mouve-

ments de battements qui manquent. presque complètement de l'autre côté. On

voit d'ailleurs sur la photographie que l'occlusion de l'ceil droit est moins com-

plète, l'abaissement est incomplet en dedans et on peut apercevoir la scléro-

tique ; le renversement de la paupière inférieure persiste. La mère, qui a assisté

il l'exploration et à l'opération photographique, a fait remarquer que, pendant le

sommeil, la différence entre les deux yeux est beaucoup plus grande, et « qu'on

voit du blanc tout à travers », c'est-à-dire d'une commissure à l'autre de ce

côté.

11 n'existe aucun trouble de la sensibilité de la peau ni des muqueuses de la

face, et en particulier des paupières. L'examen de la vision avec les tableaux

de Parinaud ne montre pas de différences latérales. Il n'y a pas de rétrécisse-

ment du champ visuel droite.

Sous l'influence d'un traitement par le bromure de potassium à doses crois-

santes, les secousses du membre supérieur qui se reproduisaient presque huit

et dix fois par jour eu janvier, se sont éloignées et devenaient moins intenses ;

il ne s'en était pas produit dans la dernière semaine de mars. La fatigue du

membre inférieur semblait aussi s'ètre atténuée. Quant aux battements des

paupières de l'oeil droit ils se produisent encore de temps en temps par accès

que nous avons pu constater de visu (17 mai).

Cette observation présente un double intérêt : 1° Une lésion cérébrale

datant de l'enfance et laissé ces cas de troubles fonctionnels en

quelque sorte négligeables, semble se réveiller après plus de trente ans

de silence pour faire entendre la menace de l'épilepsie partielle. Ce réveil

paraît s'être produit sous l'influence d'émotions morales. Ce n'est pas

d'ailleurs un fait exceptionnel clans l'histoire de l'épilepsie partielle qui

peut être provoquée aussi bien par un choc inoral que par un traumatisme,

par un excès alcoolique, par une infection (1). Les secousses ont cons-

titué un avertissement qui a permis de combattre et peut-être d'empêcher

des décharges plus étendues.

2 Les vertiges de l'hémiplégie de l'enfance s'étendent à la face et en

particulier il la région supérieure de la face, à l'orbiculaire des paupières,

qui passe pour être toujours indemne dans l'hémiplégie ancienne par

lésion cérébrale. Celle participation de l'orbiculaire à la paralysie est

remarquable non seulement par sa persistance, mais aussi par sa prédo-

minance : la paralysie de l'orbiculaire est en effet ce qui frappe le plus

dans ce qui reste de l'hémiplégie de l'enfance.

(t) Cn. Féré, Les épilepsies et les épileptiques. 1890.

p.

NOTE SUR LA PARALYSIE DU FACIAL SUPÉRIEUR 153

J'ai voulu m'assurer si la persistance de la participation du facial supé-

rieur à l'hémiplégie cérébrale n'est pas plus fréquente qu'on ne le pense,

en explorant, chez d'anciens hémiplégiques, le temps de réaction des or-

biculaires.

On ne peut pas comparer le temps de réaction aux deux yeux, parce

que les mouvements isolés des deux orbiculaires ne sont pas également

soumis à la volonté chez tous'les individus. Un bon nombre sont incapa-

bles de fermer isolément un oeil ou l'autre : aussi le signe basé sur la

comparaison n'a-l-il aucune valeur chez un individu dont les aptitudes

antérieures ne sont pas connues : notre malade est incapable de fermer

l'oeil du côté sain isolément. Mais l'étude du temps de réaction des deux

orbiculaires agissant simultanément permet quelquefois de saisir des dif-

férences qui passent inaperçues par tout autre mode d'examen : quand

un orbiculaire réagit constamment de 1 à 2 centièmes de secondes en

retard, on est en droit de penser qu'il y a un défaut de la motilité volon-

taire en ce qui le concerne. J'ai trouvé plusieurs fois ce retard chez êtes

hémiplégiques infantiles qui paraissaient avoir le domaine du facial tout à

fait intact au simple examen des mouvements des paupières. Cette cons-

tatation ne comporte pas la conclusion que dans l'hémiplégie cérébrale

comprenant le facial tout le domaine du facial est atteint : j'ai observé un

aphasique avec paralysie faciale et hémiplégie chez lequel les mouvements

volontaires des orhiculaires ont été rigoureusement synchrones dans un

nombre considérable d'expériences. La seule conclusion qui s'impose, c'est

qu'on ne peut affirmer l'intégrité d'un mouvement que quand on l'a me-

suré : elle peut servir de guide dans l'étude d'un grand nombre de para-

lysies et en particulier dans celle des paralysies soi-disant systématiques.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE

(Suite.)

PAR n

A. WEILL ET J. NISSIM

Médecin en chef il l'hôpital Ancien interne à l'hôpital

de Rotschild. de Rotschild.

Le tableau que nous venons de tracer de la myosite ossifiante n'est pas

toujours aussi complet ; souvent l'affection n'atteint pas une si grande ex-

tension. Un des caractères de celle singulière maladie, c'est d'étendre pé-

riodiquement son domaine par poussées successives. Ces poussées nous

expliquent que chez le même individu, on trouve des tumeurs il lous les

stades. Lexer n'a-t-il pas noté, dans son observation, une tumeur fibreuse

au deltoïde gauche, une autre cartilagineuse à la partie inférieure du grand

pectoral droit, et des tumeurs osseuses occupant la place du brachial anté-

rieur des deux côtés, etc. ; l'affection peut également rester silencieuse pen-

dant de longues années.

Les recrudescences se déclarent soit spontanément, sans causes provo-

catrices, soit sous une influence banale, un traumatisme, le froid, l'éclo-

sion d'une affection fébrile. Comme celle des pauses, la durée des nou-

velles attaques est très variable ; ordinairement plusieurs petites poussées

de quelques jours ou de quelques semaines se succèdent à un court inter-

valle, de façon il constituer une longue période pendant laquelle l'affection

reste à l'état aigu avec son cortège symptomatique de lièvre, de douleur et

de gonflement dans une partie du corps.

Parfois l'attaque se fait à époque fixe; notre malade pendant cinq

années consécutives a présenté, toujours au printemps, une attaque qui

durait trois mois. Celui qui fait le sujet de l'observation de Lexer, a éprouvé

une attaque tous les étés pendant cinq années consécutives.

Si les phénomènes aigus s'amendent pendant les pauses, la myosite

ossifiante ne désarme pas complètement pour cela. C'est surtout pendant

les temps d'accalmie que plusieurs noyaux s'unissent les uns aux autres,

que se développent ces grosses masses qui déforment monstrueusement le

sujet, ces saillies volumineuses, irrégulières du cou, du dos, de la colonne

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE IM z

vertébrale et de la région lombaire (ossifications qui suivent presque tou-

jours le trajet des fibres musculaires, et marquent la place des muscles

malades), l'ossification du grand dorsal transformé en une lame osseuse

allant s'insérer sur l'humérus, du grand pectoral transformant la paroi

antérieure de l'aisselle en un mur rigide, du trapèze fixant l'omoplate.

C'est pendant ces pauses apparentes que les articula lions se raidissent

et se fixent de plus en plus, que la colonne vertébrale s'incurve.

Ordinairement la télé est penchée en avant, et elle est telle, en certains

cas que le menton touche le sternum ; tantôt elle est penchée à gauche ou

à droite suivant que la musculature gauche ou droite de la nuque a été

atteinte la première, ou a été frappée avec plus de véhémence, alors que

la tète n'était pas encore définitivement fixée; enfin lorsque le sterno-

mastoïdien est ossifié, il peut exister un torticolis avec déviation du men-

ton du côté opposé au muscle atteint.

Fréquemment une des épaules est plus haute que l'autre par suite de

l'ossification d'un des muscles qui élèvent l'omoplate, le trapèze ou l'an-

gulaire, surtout le premier (Krause, Nicoladini, Munchmeyer, etc.).

Les bras sont attirés vers le tronc et fixés dans cette position par l'ossifica-

tion des muscles qui, partis du tronc, viennent s'insérer sur l'humérus :

deltoïde, coraco-brachial, grand et petit ronds. L'ossification du tendon

du grand pectoral et du grand dorsal constitue des parois rigides au creux

axillaire qui représente alors une cavité profonde où s'accumulent des

sécrétions sébacées fétides.

Les coudes sont ordinairement fléchis par l'ossification du biceps et du

brachial antérieur ; plus rarement l'un des coudes est dans l'extension par

la rigidité du triceps tandis que l'autre est fléchi.

L'aranl-bras est habituellement exempt d'ossifications, quand elles

existent, elles siègent principalement à la partie postérieure et externe ;

toutefois llays et Lexer les ont trouvées dans les muscles anconé et deuxiè-

me radial; Munchmeyer, dans l'extenseur commun des doigts et le fléchis-

seur superficiel ; Pinter, dans le rond pronateur, le palmaire grêle, le

cubital et le grand palmaire; Pollard, dans le long supinateur.

En général, tous les mouvements de l'avant-bras s'exécutent bien, il en

est de même de la main et des doigts qui sont, exceptionnellement atteints

par le processus; dans notre cas et dans celui de Pinter, il y avait des

noyaux cartilagineux sur le tendon du long extenseur propre du pouce,

au niveau de la tabatière anatomique; dans celui de Nicoladini, la main

droite était dans l'extension forcée. Munchmeyer a constaté des noyaux

indurés dans les espaces inter-osseux, inter-métacarpiens.

La physionomie du clos est très variable, tantôt il y a une ou deux

tumeurs discrètes, situées sur les régions lombaire ou dorsale, près des

156 A. WEILL ET J. NISSIM

apophyses épineuses des vertèbres ; tantôt tout le dos est recouvert par des

ossifications multiples et irrégulières revêtant. l'aspect des ramifications de

corail (Copping) ou de la carte géographique d'une région montagneuse

(Brensohn) ; enfin plus rarement on observe une symétrie quasi-parfaite.

Ainsi chez notre malade on distingue nettement l'ossification des grands

dorsaux sous forme de grosses-masses ascendantes et plus haut celle des

trapèzes ménageant avec les bords internes des omoplates un espace

déprimé en forme de coeur de cartes à jouer. Cette différence d'aspect du

clos tient à ce que dans les premiers cas (Copping, Brensohn) l'ossification

indépendamment des muscles, a suivi des tractus fibreux irrégulters,

dans ceux, au contraire, qui, comme le nôtre, offrent une certaine symétrie,

le processus ossifiant a uniquement envahi les muscles.

L'articulation co.ro-fémol'ltllJ est immobilisée par des jetées osseuses

qui, parties des masses lombaires, vont se fixer sur le fémur (obs. Minke-

witch) par des bandes s'insérant sur le pubis et sur l'os de la cuisse,

offrant ainsi l'aspect d'une clavicule abdominale, et, le plus souvent, par

l'ossification des fessiers. Les cuisses restent légèrement fléchies sur le

bassin. Cette flexion des cuisses jointe à celle du tronc, à la région lom-

haire et à celle de la tète en avant, fait que le centre de gravité se déplace

donnant au malade quelquefois une démarche précipitée (obs. de {jade).

La position des genoux est variable ; le plus souvent ils sont fixés dans

l'extension par transformation d'un des puissants faisceaux qui entre dans

la composition du quadriceps : l'une des rotules attirée en haut peut être

alors plus élevée que l'autre (obs. Pinter) ; plus rarement le genou est en

légère flexipn par l'ossification du tenseur du fascia lata, d'un des muscles

postérieurs ou de la région interne de la cuisse, par l'ossification de la

patte d'oie.

Les jambes et les pieds, comme les avant-bras et les mains, sont rare-

ment touchés ; Minkewitsch a noté l'ossification du tihial antérieur et de

l'extenseur commun des orteils adroite, l'ossification du soléaire à gauche.

Aux pieds, Munchmeyer signale l'ossification de tous les muscles inter-

osseux dorsaux à droite, indépendamment des tubérosités osseuses que

l'on rencontre dans maintes observations. Notre malade avait les mouve-

ments de l'articulation tihio-tarsienne assez limités, ils atteignaient seu-

lement l'angle droit ; celle de gauche était ankylosée.

La colonne vertébrale offre des déformations notables ; le plus souvent

elle présente une scoliose très variable relativement il son siège et à son

étendue, elle est tantôt à droite, tantôt à gauche. Kuemmel constate une

scoliose à droite de la colonne dorsale et une à gauche de la colonne lom-

baire. Pinter signale, chez son malade, une scoliose cervicale gauche, une

autre droite de la colonne dorsale et enfin une troisième gauche, de nou-

DE LA MYOSITE OSSICL1\TC PROGRESSIVE G ` 151

veau de la colonne lombaire. La déviation de la colonne a été telle, chez le

malade de Godlée que les côtes inférieures gauches louchaient la crête ilia-

que. Cette obliquité du corps se rencontre encore dans plusieurs observa-

lions. Parfois il y a cyphose lombaire ou cervicale, indépendante évidem-

ment des pseudo-cyphoses causées par les tumeurs osseuses si fréquentes

dans ces régions.

Une question se pose maintenant. Quelle est la loi qui régit la position

des membres et de la tête ? Pourquoi dans tel cas, il y a une espèce de tor-

licolis gauche alors que dans d'autres, et cela lorsque les lésions osseuses

sont aussi prononcées d'un côté que de l'autre, il est droit ? et, lorsque la

colonne vertébrale est déviée, pourquoi la scoliose est tantôt droite, tantôt

gauche ? En règle générale, ces différentes déformations sont déterminées

par les muscles envahis les premiers. Au bras, lorsque les masses osseuses

sont aussi volumineuses sur le biceps que sur le triceps, si c'est celui-ci

qui a été atteint le premier, le coude sera ankylosé dans l'extension (obs.

Minkewitsch), l'ankylose au contraire se fera ci angle droit, si le processus

ossifiant a débuté par le biceps (obs. llelferich où le bras gauche est dans

la flexion et le droit dans l'extension).

Il en est de même du torticolis et de la position des membres inférieurs,

des déformations de la colonne vertébrale.

Lorsque la myosite s'attaque à un muscle, le tissu interstitiel de ce der-

nier s'infiltre d'abord de cellules embryonnaires ; à celles-ci succède bien-

tôt du tissu conjonctif, adulte qui subissant la rétraction inodulaire fixe

les articulations que le muscle est destiné à mouvoir ; l'ossification gagne-

t-elle la tumeur fibreuse, l'ankylose se trouve constituée.

Une autre cause qui intervient dans la fixation des articulations et les

déviations de la colonne vertébrate, c'est la tendance involontaire du su-

jet il relâcher le muscle malade, à s'incliner du côté douloureux. C'est là

un phénomène commun à toutes les affections douloureuses locales ; plus

tard l'ossification survient et immobilise alors irrévocablement les articu-

lations. Tant que l'ossification n'existe pas, la tumeur fibreuse du début L

et la rétractation qu'elle détermine peuvent disparaître. Quelque chose

d'analogue est arrivé dans l'observation la dernière citée : la tète, d'abord

en torticolis gauche, a présenté plus tard un torticolis droit.

1.'ccccollenaent des mâchoires, qui s'observe ci une période tardive, ré-

duit le malade à se nourrir de substances liquides, et, lorsqu'il est très

prononcé, à se pratiquer une brèche en se faisant sauter une ou plusieurs

dents. Cet accollement estproduit en général par l'ossification des masséters;

plus rarement ce sont les temporaux ou les ptérygoïdiens qui le détermi-

XI il

15S A. WEILL ET J. NISSIM

nent, enfin il pourrait être dû à une raideur de l'articulation temporo-

maxillaire ? (Menkewitsch).

Gerber avait décrit dans l'observation de Florschuetz une ankylose des

pouces, la petitesse du gros orleil et leur rejet en dehors, en hallux valgus,

lésions toutes deux d'origine congénitale. Mais cette remarque passa ina-

perçue jusqu'au moment où Ilelferich y allira particulièrement l'atten-

tion.

Ces anomalies qu'I-Ielfericll croyait toujours les mêmes, ont été rencon-

trées depuis par maints observateurs, mais elles sont loin d'être univoques,

on s'en rendra compte par le court exposé suivant.

Aux mains, Godlée a signalé une déviation des deux pouces vers le bord

cubital ; Hetfencb et Carter, une microdaclylie de ces doigts par absence

de la première phalange; Ilelferich, Kuemmel et Uhde, l'ankylose de l'ar-

liculation interpllalangienne; Pincus, lamicrodactyliedu pouce droit avec

raideur du doigt dès l'enfance par ankylose de l'articulation trapézo-mé-

tacarpienne. Fuestmer a vu une petitesse du pouce et des annulaires des

deux côtés et Partsch l'absence congénitale des mouvements actifs dans

l'articulation phalangienne des pouces, sans ankylose, par défaut du l1é-

chisseur profond ( ? ), ce qui se traduit encore par un aplatissement de l'é-

minence thénar.

Aux pieds, nous relevons les anomalies suivantes :

L'extrémité antérieure du premier métatarsien est hypertrophiée et dé-

jetée un peu en dedans tandis que les gros orteils sont déjetés en dehors

constituant ainsi l'hallux valgus congénitale (Godlée, Sympson, Stomham,

notre cas). Les gros orteils du malade de Munchmeyer sont recourbés

vers la plante du pied. Brensohn, Kuemmel, Uhde, Pagel, signalent l'ali-

sence de la première phalange des gros orteils, la phalange unguéale s'ar-

ticulant directement avec le premier métatarsien. Fuerstner dit avoir

trouvé dans son cas toutes les phalanges des gros orteils, mais légèrement

déformées ; De Zenge-Manlenfel a constaté sur le squelette la synostose

des articulations du premier orteil. Partsch et Habeck parlent de l'ankylose

des gros orteils avec hallux valgus ; même constatation dans notre cas du

côté gauche. Pincus a trouvé une microdactylie des gros orteils paratrophie

de la première phalange et de l'articulation interphalangienne avec hallux

valgus. Carter a noté le raccourcissement des '1°r, 4e et 5° orteils, des deux

côtés.

Indépendamment des anomalies congénitales insistons sur l'arrêt de

développement dont sont frappés les sujets, atteints jeunes, par la myosite

ossifiante. Le malade de Byers cessa de grandira l'âge de 10 anus ; dans

d'autres observations nous trouvons une taille de 138 centimètres 1-1 ans

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 139

(Krause) de 149 cenlimèlres a 20 ans (Pinter) et souvent la mention « taille

moyenne », « arrêt de développement ». La formation de manchons os-

seux autour des articulations, s'étendant assez loin sur les diaphyses, ex-

plique cette petitesse de la taille.

Lorsque l'affection a un début précoce, les fonctions sexuelles en souf-

frent ; les règles ne se montrent pas ou se montrent lard et les signes de vi-

rilité font défaut (Vlenlcewitscli, Ryers).Margaretha B. de Pinter, dont

les mamelles aussi étaient peu développées, a été réglée à 20 ans, la ma-

lade de Munchmeyer ne l'était pas encore ci 22 ans.

Les fonctions végétatives s'exécutent assez bien.

La respiration perd son type ordinaire. Si les espaces intercostaux in-

férieurs sont ossifiés, immobilisées, on peut observer, chez un homme,

une respiration costale supérieure; inversement, chez une femme, lorsque

les espaces intercostaux supérieurs sont pris, on voit s'établir la respira-

tion abdominale. D'habitude la rigidité du thorax fait que la respiration

prend le type abdominal et on trouve alors une expansion thoracique ne

dépassant pas 1 cm. à 1 cm. 1/2 dans les plus grandes inspirations. Zol-

linger trouvé de l'emphysème se traduisant par un peu d'enhélation

pendant la marche ; pour nous, nous croyons que cette dyspnée était due

plutôt aux ossifications qui ne permettaient pas au thorax de se dilater

convenablement. Au repos, les poumons emmagasinaient une quantité

d'air suffisante, mais dès que le malade produisait un travail, les be-

soins de l'hématose augmentant, l'air devenait insuffisant, d'où dyspnée.

Notre malade présentait 20 respirations à la minute et au repos, Pinter

a également complé 24 à 28 respirations à la minute avec accélération

du coeur (11(i à la minute ; il ne croit pas à l'existence de la maladie de

Basedow malgré l'existence d'une exophthalmie unilatérale, il n'admet

pas non plus une lésion du vague, car les autres organes fonclionnaient

bien.

Les digestions sont bonnes ; de temps en temps on constate de légers

(roubles gastro-intestinaux passagers dus à l'ingestion d'une trop grande

quantité de nourriture forcément grossièrement triturée par la mastication

ou n'ayant subi aucune modification dans la bouche.

Les échanges nutritifs sont parfois normaux (Skinner, Kohis, Godlée).

Assez souvent on a relevé des modifications dans les urines.

Dans la période aiguë, Munchmeyer a trouvé une diminution notable

des phosphates, les urines au lieu de 3 grammes n'en contenaient que

1 gr. z19 ; pendant la phase aiguë la plus petite quantité observée a été

de 0 gr. 96j, la plus grande de 1 gr. 80'1,.

Pendant les pauses, Pinter a noté une diminution de tous les éléments

qui entrent dans la composition de l'urine sauf pour l'urée et le chlorure

160 A. WEILL ET J. NISSIM ' 1

de sodium. Notre malade nous a donné : chlorure de sodium 8 gr. 70,

phosphates 2 gr. 70, urée 29 gr. 2, A. uriqueOgr. 52 par litre. Dans les

cas de Partsch de Pincus, il y avait une diminution des carbonates et des s

phosphates de 1/10.

Rosentlial explique cette diminution des éléments extractifs de l'urine, t

en tenant compte de la différence nutritive entre les muscles, qui ont une

nutrition très active, et le tissu osseux dont les échanges sont si restreints.

Hawkins a constaté une sécrétion séborrhéique abondante.

Gerhardt et Pinter signalent dans leur cas de /«/c/7 ? o de la moi-

tié de la tète avec rougeur et chaleur de la joue sans mydriase; ces phé-

nomènes ayant duré un seul jour, il n'est pas permis d'admettre une para-

lysie du sympathique.

La température locale et générale du corps reste dans les limites nor-

males pendant les pauses. Munchmeyer seul parle d'un refroidissement

objectif et subjectif des membres inférieurs dû probablement à l'oedème.

La sensibilité cutanée est intacte ; pas de troubles de la sensibilité Lher-

mique, pas d'anesthésie ou d'hyperesthésie.

Les organes des sens ne sont pas touchés. Cependant Zollinger a trouvé

une plaque osseuse dans la choroïde avec amaurose, Pinter et Kohols une

inégalité pupillaire. Fiistner signale du nystagmus à la vue externe extrê-

me. Ces troubles oculaires ressortissent-ils à la myosite ossifiante ? Il est

possible qu'un des nombreux nerfs oculaires puisse être irrité ou compri-

mé par une exostose ou par une ossification, mais les autopsies, peu nom-

breuses jusqu'à maintenant, ne le prouvent pas péremptoirement.

Florschuetz a observé des attaques d'épilepsie passagère. On conçoit que

l'épilepsie Jaksonnienne puisse éclater par la formation d'exostoses sur la

table interne des os du crâne au niveau de la zone motrice; que ces exos-

toses s'établissent dans le canal rachidien et des myélites transverses par

compression pourraient en être la conséquence.

Lorsque les phénomènes inflammatoires du début de la tumeur s'éta-

hlissent près des organes importants, tels que le pharynx et le larynx des

désordres graves peuvent en résulter : ainsi, la région sous-maxillaire est-

elle prise, l'induration et l'oedème peuvent s'étendre assez loin pour dé-

terminer une dysphagie intense avec sensation très pénible de déchirure

et de tension à la mastication et des troubles de la phonation (Munchmeyer)

1'(i,,(lèîîie de la glotte pourrait également survenir.

Parmi les complications nous devons encore citer les abcès : Ils peuvent

survenir soit il la suite d'une irritation causée par les ossifications sur les

tissus avoisinants, comme Rogers en a constaté deux, à l'autopsie, derrière

les masses osseuses des grands pectoraux et contenant chacun 150 et

180 grammes; soit consécutivement aux phénomènes inflammatoires du

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 161

début, dont l'intensité est telle, que la suppuration peut s'établir. C'est

ainsi que Kottts ouvre a la partie supérieure de l'avant-bras un abcès qui

donne issue à une assez grande quantité du pus; 8 mois après, l'auteur

trouve à son niveau une formation osseuse; l'observation d'Helferich est

absolument analogue. à

Les théories microbiennes expliquent parfaitement la formation

de ces abcès : A la période aiguë, sous l'influence de la formation de nou-

veaux vaisseaux au niveau de la tumeur et de la dilatation vasculaire il

sa périphérie, le courant sanguin se ralentit, les microbes s'y arrêtent

comme s'arrêtent dans les lacs les immondices charriées par les courants

d'eaux, l'inflammation peut s'établir dès lors, et conduire à la formation

de collections purulentes ; dans d'autres cas, au contraire, lorsque l'abcès

se forme pendant les pauses, il y a des déchirures vasculaires par les

masses osseuses, épanchement de micro-organismes au sein des tissus et

formation consécutive de pus.

Étiologie, Pathogénie, Nomenclature

AGE.- La myosite ossifiante progressive est trèsprécoce dans ses mani fes-

tations. Sur 42 cas, où la date du début est nettement spécifiée, nous en

trouvons 15 dont les premières traces morbides remontent à la première

enfance, aux deux premières années de la vie.

Sur ce nombre, 12 fois la maladie s'est attaquée à des nourrissons de

moins d'un an, chez quelques-uns d'entre eux de 6, de 7 et mois. Kuem-

mel raconte même que la gouvernante de son malade, s'est aperçue d'une

raideur des membres supérieurs ainsi que d'une difformité de la colonne

vertébrale et du dos, 14 jours après la naissance de l'enfant. 'ilette parle

également de lésions congénitales.

Dans 12 autres observations, l'affection a débuté entre 2 et 5 ans, dans

10 autres, entre 5 et 15 ans. L'enfance constitue donc l'âge de prédilec-

tion pour le début de la myosite progressive.

Dans les 6 cas restants, on l'a vue commencer deux fois à 19 ans, une

fois à 21, 2,26 et 35 ans. Aussi, sommes-nous étonnés de voir Pinter affir--

mer que myosite ossifiante débute au plus tard à la puberté, et cela, lors-

qu'il avait sous les yeux l'histoire du malade de Testelin et Dambressi dont

les premières difficultés dans les mouvements des membres se manifestè-

rent à 26 ans, et l'observation de Braum, publiée par Hawkins, dont la

première atteinte est survenue ci 22 ans.

L'affection semble commencer plutôt chez la femme que chez l'homme.

La plus âgée des filles atteintes par le processus ossifiant progressif, n'a-

162 A., WEILL ET J. NISSIM

vait pas plus de 8 ans, alors que chez les hommes, nous trouvons 19, 22,

20 et 35 ans, lors des premières attaques.

Nous enregistrons ce fait sans y attacher une grande importance, il dé-

pend sans doute de ce que le nombre d'observations qui se rapportent aux

femmes, est trop faible relativement à celui qui concerne les hommes et il

est probable, lorsque les faits se seront multipliés, que nous verrons, chez

la femme également, un début aussi tardif.

Sexe. - Les enfants mâles ont le triste privilège d'être plus fréquem-

ment atteints.

Gerber avait établi, d'après s'a statistique, que les hommes étaient frap-

pés relativement quatre fois plus que les femmes.; mais ce rapport est for-

cément erroné puisqu'il est basé sur des faits qui ne ressortissent pas tous

à la maladie qui nous occupe.

Pincus, sur 38 cas, trouve 29 hommes et 9 femmes, les hommes sont

donc frappés trois fois plus que la femme (32 1/9 : 1).

Nous arrivons au même résultat que Pincus. Les 50 observations que

nous avons pu réunir se répartissent ainsi : 38 sont relatives à des garçons

et 12 seulement à des filles, soit le rapport (32 1/12 : 1).

Pays. Au point de vue ethnographique, sur les ai0 cas que nous avons

recueillis, 20 appartiennent à l'Allemagne et 19 ont été observés en Angle-

terre ; les races germanique et saxonne d'une charpente osseuse puissante,

revendiquent ainsi les quatre cinquièmes des faits. Trois autres ont été

publiés en Russie, deux en Amérique, deux en Suisse et un seulement en

Suède, en Hongrie et en France, celui de Testelin et Dambressi. Notre

malade était originaire de Roumanie.

Hérédité. L'hérédité homoeomorphe ne joue aucun rôle dans l'éclo-

sion de la myosite ossifiante progressive ; nulle part on ne constate d'affec-

tion semblable chez les ascendants directs ou collatéraux des malades dont

nous publions les observations.

Sympson a noté chez le père et le fils ( ! ) une anomalie identique,

l'hallux valgus. Y a-t-il là une relation de cause à effet ? Nous ne le

croyons pas, l'hallux valgus étant une lésion si répandue.

Quant à l'hérédité hétéromorphe, nous ne savons pas au juste en quoi

elle consiste ; dans bon nombre d'observation, il est vrai, il est fait men-

tion de rhumatisme ou de goutte chez les ascendants (Lendon, Pagel,

Hawkins) c'est-à-dire d'affections relevant de la diathèse arthritique. Or

aujourd'hui nous n'admettons plus que deux diathèses, ! 'arthritisme et la

scrofule et encore celle-ci se restreint-elle de plus en plus au profit de ma-

nifestations morbides de causes bien définies, la tuberculose par exemple ;

il est donc logique que les procréateurs des ossifiés appartiennent à la

diathèse la plus répandue, à la diathèse arthritique.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE - 163

Pathogéme. Virchow, pour expliquer la formation d'ostéomes mul-

tiples, a créé la diathèse ossifiante, qui consiste dans une prédisposition de

l'organisme à fabriquer de l'os dans l'appareil locomoteur, prédisposition

souvent congénitale, mais qui peut également être acquise.

Celle diathèse hypothétique fut admise par Munchmeyer ? Mays, Kuem-

mel, Kohts.

« L'anomalie constitutionnelle, dit Munchmeyer, existe déjà dès la nais-

sance, ou bien elle peut être acquise bientôt après ; mais il faut une cause

immédiate pour faire éclater les premiers symptômes. »

Pour Pinter notre maladie est constitutionnelle :

1° Parce que dans certains cas, bien observés par des praticiens exercés

(Uhde, Krause, Gerber, Pinter), on ne trouve aucune autre cause qui puisse

expliquer l'éclosion des accidents ;

2° Parce que, dans la plupart des cas, l'affection a commencé de très

bonne heure;

3° Parce que, dans quelques faits où la maladie a débuté un peu plus

tardivement, on a remarqué, après la naissance, une série de phénomènes

analogues : apparition de noyaux, tumeurs à la tète, qui disparurent sans

laisser de trace quelques mois après ;

4° Parce qu'enfin, dans un grand nombre d'observations, on constate des

anomalies congénitales, et il est inadmissible qu'il y ait simplement coïn-

cidence dans la présence d'anomalies aussi rares dans une affection non

moins rare elle-même.

Pour nous cette diathèse ossifiante, cette prédisposition congénitale de

l'organisme ne nous satisfait guère, elle n'explique rien ; quelle est sa na-

ture, quelles en sont les causes ?

Testelin et Dambressi, Hawkins, considèrent l'affection de nature rhu-

1/ Ut lis male.

Le début de la maladie après le froid, après le séjour, dans une cave

humide (Testelin et Dambressi) par des manifestations articulaires (Henry,

Minkewitsch), l'hyperplasie inflammatoire du tissufi breux, l'ossification de

ce tissu aux abords des articulations, rapprochent incontestablement la

myosite ossifiante et le rhumatisme articulaire, mais malgré ces analogies

il est impossible de ranger les deux maladies dans le même cadre nosolo-

gique.

Volkmann, ayant opéré un malade porteur d'ostéomes multiples, a cons-

taté qu'une partie de ces ossifications étaient pourvues à leurs extrémités

d'une épiphyse, c'est-à-dire, d'une mince couche de cartilage hyalin, gar-

nie d'une zone d'ossification et constituée comme dans une extrémité ar-

ticulaire, et Volkmann se demande si notre affection ne relève pas d'un

trouble osseux île la croissance. S'il en était ainsi d'où vient la rareté de

164 A. WEILL ET J. NISSInI

ces troubles de la croissance en général et leur fréquence relative dans

certains pays comme l'Allemagne et l'Angleterre, de plus nous avons vu

que la myosite ossifiante peut débuter à un âge avancé, alors que toute

croissance est déjà depuis longtemps terminée, à 35 ans. .

Kohts, Friedreich, croient avoir affaire à une myopathie primitive, mais

nous savons aujourd'hui qu'il ne-peut pas s'agir d'une myopathie, puis-

que les ossifications se montrent dans tout l'appareil locomoteur.

' Ziégler pour expliquer la localisation des masses osseuses dans le tissu

conjonctif de l'appareil locomoteur attribue à ce dernier un défaut parti-

ciïlicr, défaut que le microscope ne peut pas déceler, mais qui n'en existe-

rait pas moins.

Nous arrivons maintenant à l'hypothèse qui nous semble la plus ration-

nelle, la plus en rapport avec nos connaissances actuelles : la myosite

ossifiante progressive est une trophonévrose.

Nicoladoni, le premier, a émis l'opinion que cette affection pourrait t

bien être le résultat d'une lésion nerveuse. Hayem dans le dictionnaire de

Decbambre, Eichliorst à propos d'un cas de myosite ossifiante localisée,

ont tous les deux adopté cette manière de voir. Klemm émet la môme opi-

nion en s'appuyant sur trois cas de tabes qu'il aurait découvert dans les 22

observations de Pinter ; nous les avons vainement cherché ces cas de tabès.

Schwartz, il propos d'un cas analogue à celui de son maître Eichlorst,

dont nous parlons d'autre part, faitconstater la concomitance du tabès avec

les ostéomes dans son cas, la concomitance de la myosite ossifiante pro-

gressive avec d'autres lésions nerveuses, telles que épilepsie, atrophie du

nerf optique, dans d'autres cas, et croit devoir attribuer les ossifications il

un trouble trophique.

Le début de la maladie se localisant fréquemment aux mêmes points; sa

tendance il envahir presque toujours les mêmes groupes musculaires, alors

qu'elle respecte constamment certains autres, animés par d'autres centres

trophiques; la multiplicité des systèmes atteints, os, muscles aponévroses,

tissu conjonctif et cela toujours dans l'appareil locomoteur; la symétrie des

groupes musculaires atteints dans bien des cas ; l'existence fréquente d'une

anomalie congénitale (microdactylie, ankylose, absence de phalanges etc.,

etc.), anomalie qui bien que n'étant pas toujours identique à elle-même,

se localise cependant dans les mêmes segments du corps toutes ces consi-

dérations plaident, à notre avis, vigoureusement en faveur de l'existence

d'une lésion centrale, cérébrale ou médullaire, peut être d'un simple trou-

ble fonctionnel des noyaux trophiques centraux. De plus on ne conçoit

pas bien que lorsque tant de symptômes sont frappés avec une telle véhé-

mence, seul le névraxe, le régutarisateur de tous ces systèmes, reste in-

demne.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 105 p

Certes, les recherches négatives de Schultze et de London sur la moelle z

épinière, ne cadrent pas avec l'hypothèse à laquelle nous nous rallions ; 1

mais ces recherches sont jusqu'à maintenant tout à fait insuffisantes, seu- 1

les des autopsies futures, nombreuses, pourraient établir jusqu'à quel 1

point nous sommes dans le vrai. Un point qui nous semble hors de con-

testation, c'est la présence de lésions dans les nerfs périphériques ; com- 1

ment comprendre en effet que les symptômes de phlogose du début

l'hyperplasie conjonctive, et la formation de masses osseuses au seii

muscles, ne retentissent pas sur les terminaisons et les troncs nerveu

S'agit-il d'une tumeur ou d'une simple inflammation aiguë ?

Les mouvements fébriles et les douleurs plus ou moins violentes qui

accompagnent les nouvelles localisations du mal, l'infiltration séreuse de

la couche sous-cutanée, qui s'étend même à la périphérie de la partie lésée,

la dilatation des veines superficielles, due certainement à une stase locale

aussi bien qu'à la compression des veines profondes du membre, l'engor-

gement aigu et passager des ganglions situés au-dessus du groupe muscu-

laire affecté, tous ces symptômes, s'expliquent d'une façon naturelle dans

une affection de nature inflammatoire. Les soubresauts fibrillaires des

muscles, une agitation particulière qu'on observe dans le membre pendant

la période de progression, sont dus évidemment à l'irritation de la subs-

tance contractile et de ses filets nerveux (llallenhoff). L'hyperplasie con-

jonctive, constatée dans les deux stades anatomo-pathologiques, plaide éga-

lement en faveur de la nature inflammatoire de l'affection.

Munchmeyer, en s'appuyanl sur la clinique, admit qu'il s'agissait d'une

inflammation chronique des muscles avec participation du tissu conjonctif

inter et intra-musculaire et du sarcolemme.

Nous avons vu que Friedreich, Kohts, considèrent la myosite ossifiante

comme une myopathie primitive.

Friedberg admet pour le cas de Wilkinson une myopathie simple, une

myosite parenchymateuse primitive avec participation secondaire du tissu

conjonctif intermusculaire. Les muscles disparaissant par atrophie dégéné-

rative et se paralysant, devaient subir une ossification étendue.

Pour Nicoladoni l'affection qui nous occupe consiste dans une myosite

interstitielle avec trouble trophique.

Les hypothèses de Munchmeyer, de Friedberg, de Friedreich, de Kohts

et Nicoladoni n'étaient plausibles qu'à l'époque où elles ont été émises,

les données anatomo-pathologiques que nous possédons actuellement sur

la question faisant alors complètement défaut.

Duems croit à une irritation du tissu conjonctif par les traumatismes et

16C C) A. \\' BILL ET J. NISSIM

les extravasats sanguins, qui agiraient à la façon des séquestres dans les

nécroses, en excitant et entretenant le processus néoplasique.

Pour que cette hypothèse fût admissible il aurait fallu qu'il y eut ossi-

fication toutes les l'ois qu'il se produit un épanchement sanguin ; il n'en

est rien ;-dans deux cas de fracture. on a remarqué une fois une consolida-

tion avec un petit cal (Uhde) et une autre fois avec un gros cal (Munch-

mener).

Malgré l'autorité des noms cités, aujourd'hui on tend à ranger la myosite

ossifiante progressive dans la catégorie des tumeurs.

Virchow, Mays, Ziegler, Cahen partagent celte opinion.

Pour Pincus c'est, qu'on nous pardonne'ce néologisme, du périoslisme

latent. Sous l'influence des traumatismes iiiti»a-pii,[Liiii, chez le prédisposé,

des germes se détacheraient, du périoste et chemineraient le long des apo-

névroses et des tendons; ils arriveraient dans les muscles, peut-être par

\ oie lymphatique. Ces germes périostiquesy resteraient silencieux jusqu'à

ce qu'une cause insignifiante, un traumatisme, réveille leur activité. On ne

conçoit pas bien des métastases ayant une prédilection exclusive pour le

tissu conjonctif de l'appareil locomoteur et ne se laissant pas entraîner par

les torrents lymphatiques jusque dans les ganglions et les viscères.

S'agit-il d'une tumeur ou d'un simple processus irrilalif chronique ? Les

données que nous possédons actuellement sur la myosite ne nous permet-

tent pas de conclure; du reste, comme l'a dit Virchow, il est des cas où

les deux processus sé montrent tellement voisins qu'il est impossible de

dire auquel des deux appartient la question à l'élude.

Nous serons très brefs dans ce chapitre, ce qui précède

nous dispensant d'entrer dans le détail et de discuter longuement les dif-

férents noms qui ont été proposés.

De Dusch, le premier, a désigné l'affection qui nous occupe du nom

de myosite ossifiante progressive, nom adopté par Munchmeyer et en

France.

Moys, se basant sur ses autopsies, l'a baptisée « Pseudomyosite ossi-

fiante progressive ».

En Angleterre, au contraire, elle est désignée « Myosite ossifiante» »

tout court.

. Pinens propre de l'appeler : Exostoses luxuriantes et OSL8071LLS in-

lerntic.scrclrciues rt2cl61ples; cetle appellation, malgré sa prétentieuse lon-

- gueur, n'embrasse qu'une partie des symptômes; mieux vaut, croyons-

nous, l'appeler maladie de Muncll1neyel' : c'est rendre hommage à celui

qui l'a le premier étudiée, sans préjuger sur le siège des lésions, sur son

éliologie et sur sa 1)tilio(séiiie.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE iG7

Brensohn et d'autres auteurs avec lui, la nomment « myosite ossifiante

multiple, progressive ».

Durée, Terminaison, Pronostic, Diagnostic et Traitement.

La durée de la myosite ossifiante progressive est très variable. La

maladie peut aller parfois avec une étonnante rapidité, et, en quelques

années, immobiliser toutes les articulations; ailleurs elle met 15 et

20 années à évoluer. Nous ne connaissons pas la raison pour laquelle dans

tel cas l'affection brûle pour ainsi dire ses étapes et dans tel autre, au

contraire, elle progresse très lentement.

Les traumatismes nous ont semblé jouer un certain rôle et activer la

marche de la myosite « chaque fois que je tombe, dit le malade de Skin-

ner, il se forme une tumeur » ; « plus je vieillis plus je tombe, et plus je

tombe, plus mon état s'aggrave, ajoute un autre » (Pincus).

La durée totale de l'affection est intimement liée aux conditions hygié-

niques au milieu desquelles se trouve le sujet. La mort est survenue dans

le cas de Munchmeyer, 27 ans après les premières manifesta Lions, 21 ans

après dans celui de Wilkinson, t5 dans celui de et 13 dans

celui de Testellil el Dambressi.

Terminaison. La myosite ossifiante n'occasionne pas la mort par

elle-même puisqu'elle respecte constamment les organes dont le fonction-

nement est indispensable il la vie : coeur, diaphragme ; mais elle y conduit

parfois par une complication grave. Les muscles du voile du palais et du

pharynx une fois atteints, l'oedème peut se propager au larynx, gagner la

glotte et asphyxier le patient. Munchmeyer eut d'autant plus à redouter

cette éventualité « qu'un fort torticolis aurait empêcher de pratiquer la

trachéotomie et qu'en même temps l'accollement des mâchoires aurait

mis un obstacle aux scarifications directes » et au tubage du larynx. ,

Elle détermine en général la mort par l'aggravation de maladies chro-

niques et d'affections intercurrentes dont elle favorise le développement.

Dans la plupart des autopsies pratiquées, on a pu constater que l'issue

fatale était due à une affection de l'appareil respiratoire. Les patients de

'1'esteliu et Dambressi, de Minkewitsch ont succombé ù la tuberculose

aiguë, Mays a trouvé dans le cas de Florsclmlz-Gerher une pleurésie

purulente enkystée; une affection infectieuse semble avoir entraîné la

mort de Lisette Kaïser, de Munchmeyer, dont l'autopsie fil constater un

épanchement séro-sa¡iguino]ent dans la plèvre et le péritoine.

De larges ulcérations peuvent se montrer au niveau de la peau qui

couvre les tumeurs osseuses; elles peuvent être l'origine d'abcès multi-

pies. qui affaiblissent les malades et les cachectisent.

168 A. WEILL ET J. NISSIM

Pronostic. Le pronostic de la myosite ossifiante progressive est très

sombre. Si elle ne met pas immédiatement la vie des malades en danger,

en ankylosant toutes leurs articulations, en anéantissant tout leur appa-

reil locomoteur, elle les soustrait, dans un avenir plus ou moins prochain,

au monde extérieur et les oblige il passer leurs malheureux jours sur une

chaise longue. - -

Diagnostic. A une période assez avancée la myosite ossifiante progres-

sive est facile il diagnostiqueur. La présence de masses osseuses multiples

sur tout l'appareil locomoteur, muscles, os et aponévroses ; le siège de

prédilection de ces ostéomes qui font une saillie notable â la nuque en

penchant la tête en avant, au dos qu'ils défigurent monstrueusement, mais

où l'on reconnaît cependant souvent la direction de quelques muscles;

l'ossification des tendons qui contribuent à former les parois du creux

axillaire; la formation d'exostoses multiples sur les os ; l'immobilisation

des articulations par un manchon osseux périarticulaire, les articles eux-

mêmes restant indemnes ; la marche de la maladie envahissant par étapes

successives tous les segments du corps; son début, en général chez un très

jeune sujet, par la formation de gonflements douloureux, pâteux, pseudo-

fluctuants d'abord, plus tard plus fermes et finalement revêtant l'aspect et

la consistance de l'os ; tous ces caractères, feront immédiatement reconnaî-

tre l'affection.

De Noorden a indiqué un procédé pour établir le diagnostic de la pé-

riode de la maladie : Les sels qui entrent dans la composition des ossifica-

tions, il conseille de les doser à la fois dans les aliments, les matières

et les urines. Si l'on trouve, par exemple, qu'il y a beaucoup moins de

chaux dans les selles et les urines que dans les ingestats, on peut en con-

clure que le processus ossifiant fait encore des progrès. Mais si la chaux, la

magnésie, l'acide phosphorique, etc., etc., se montrent dans les urines el

les excréments dans les mêmes proportions que dans les aliments, on en

déduira que le processus s'arrête; enfin on pourra conjecturer qu'il rétro-

cède si ces mêmes sels se trouvent dans les urines et dans les selles en

plus grande quantité que dans la nourriture prise.

Tout à fait au début le diagnostic de la myosite ossifiante est très déli-

cat. On l'a confondue avec les multiples ceplullaematome. Outre que la

multiplicité de ces derniers constitue une rareté (céplii 1 lioeiiia tome double

9 fois sur 70, triple 3 fois sur 70, Tarnier, in Dict. Jacco2cd) on se basera

sur les caractères différentiels suivants : Le cépllalhoematome ne se voit

jamais à cheval sur une suture, il reste confiné sur un os, sur le pariétal,

le frontal ou l'occipital, tandis que le noyau primitif de myosite ossifiante

progressive peut siéger sur la suture elle-même ; le céphalhoematome est

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 169

nettement fluctuant, le noyau de myosite est pâteux, pseudo-fluctuant;

enfin le céphalllaemalome offre un bord bien net, sous forme de bourrelet

osseux, alors que la myosite ossifiante forme des tumeurs diffuses, sans

limites bien précises.

La localisation des masses osseuses primitives à la nuque pourrait faire

songer au mal sous-occipital ou à la polyarthrite rhumatismale du cou.

Le début lent, insidieux du mal sous-occipital, la localisation de la

douleur au niveau de l'apophyse épineuse de l'axis, ou, sur les apophyses

transverses des premières vertèbres cervicales, l'absence de déformation

de la région, ou une déformation légère particulière, suffiront à dilféren-

cier le mal sous-occipital de la myosite ossifiante qui offre un début brus-

que avec formation d'une véritable tumeur.

Le rhumatisme de la colonne cervicale a été précédé en général d'autres

manifestations de la maladie, dans d'autres régions de l'économie; il s'ins-

tale avec son cortège habituel de fièvre, de douleurs aiguës et de trans-

pirations, avec peu ou pas de modifications du côté de la peau. Tout autre

est le début de la myosite ossifiante : fièvre modérée, douleurs peu mar-

quées, et formation d'une tumeur ayant ses caractères propres.

A la phase d'ossification la myosite ossifiante pourrait en imposer pour

les exostoses de croissance. Le début de ces dernières à l'époque de la plus

grande activité ostéogénique, entre 10 et 20 ans, et leur arrêt de dévelop-

pement passé cet leur siège sur les extrémités des diaphyses ou sur

les épiphyses, formant ainsi en général des ostéomes abarticulaires on

périarticulaires, leur caractère osseux dès l'instant de leur apparition,

leur peu de sensibilité, leur bénignité relative, en ce sens qu'elles n'arri-

vent jamais jusqu'à immobiliser complètement les sujets qui en sont por-

teur, l'absence de reproduction une fois leur ablation opérée, constituent

un faisceau de traits propres aux exostoses ostéogénidues, qui permettent

de les différencier facilement de la maladie de Munchmeyer, où le début

est en général beaucoup plus précoce, le caractère progressif nettement

accusé, où les localisations sont plus multiples : dans les muscles, les apo-

névroses et sur les os, et où la reproduction, après une intervention, est

presque fatale.

La polyarthrite rhumatismale déformante progressive des adultes, le

rhumatisme noueux infantile, bien décrit par le J)r DiamanLberger, se dis-

lingue à première vue de la maladie qui nous occupe. Dans la première les

lésions siègent surtout au niveau désarticulations ; les premières atteintes

du mal se montrent aux membres ; déplus il y a une symétrie parfaite en-

tre les déformations des deux côles du corps.

Dans la myosite ossifiante, au contraire, les articulations restent indem-

1. Diamantberger, Du rhumatisme noueux chez les enfants, thèse de Paris, 1891.

1 10 A. WEILL ET J. NISSIM

nés de toute altération, les extrémités sont envahies en dernier lieu elles

premières manifestations se mollirent au tronc, au dos ou à la nuque ; en

outre la symétrie parfaite des déformations causées par les masses osseu-

ses est plutôt rare.

Un 'autre caractère sur lequel on pourrait insister, c'est la déformation

des gros orteils et des pouces : hallux valgus, rejet des pouces vers le bord

cubital, ankylose ; mais ces lésions, congénitales dans la myosite, se mon-

trent encore uniquement aux pouces et aux gros orteils, alors que dans le

rhumatisme noueux, elles sont communes il tous les doigts ou à tous les

orteils ; en outre, l'on assiste ici à leur évolution.

Quelques cliniciens ont insisté sur le diagnostic différentiel de la myo-

site ossifiante et de la paralysie pseudo-hypertrophique. A une phase assez

avancée, les analogies ne sont qu'apparentes ; la musculature des pseudo-

hyperlrophiques, surtout celle des membres inférieurs, est monstrueuse-

ment développée; les régions conservent cependant leur modèle habituel ;

la consistance des muscles est dure, parfois ligneuse, elle n'est jamais os-

seuse. Dans la myosite ossifiante au contraire les muscles sont atrophiés,

cà et là on constate des masses osseuses qui détruisent l'harmonie des

formes. Le pseudo-hypertrophique est un athlète, l'ossifié est maigre, ché-

tif, pourvu des travées, des bosselures et des excavations.

Traitement. Le traitement médical de la myosite ossifiante progressive

est presque toujours resté sans résultats. Une seule fois il aurait été d'une

efficacité extraordinaire : « Grâce à l'emploi de bains de mer et à la médi-

cation hydrargyrique intensive, dit Henry, non seulement les tumeurs

fluctuantes du coude et du poignet disparurent, mais les ossifications

musculaires, elles-mêmes, relrocidèrent manifestement. »

Hawkins a employé successivement les vésicatoires, le mercure, sous

forme de calomel associé à l'opium, et il croit avoir tiré quelque profit de

cette médication ; la maladie lui a semblé même conjurée par le lil. Celle

jugulation de l'affection n'est autre chose, en réalité, qu'une pause natu-

relle, survenue pendant le traitement; une nouvelle attaque n'a pas en

effet tardé à apparaître deux mois après.

La teinture de gaïac, le séjour à Baden-Baden, auraient donné une

amélioration à Munchmeyer.

Kissel croit également avoir obtenu quelques bons effets du traitement

ioduré ; les noyaux, dit-il, disparaissaient en quelques mois, et la tête, qui

se trouvait appuyée sur le sternum d'abord, offrait plus tard une mobilité

plus grande. Cette même préparation, l'iodure de potassium, a donné des

résultats douteux entre les mains de Skinner et de plusieurs autres ob-

servateurs. -

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE ni

Afin de rendre les dépôts osseux solubles, Hawkins a employé l'acide

phosphorique, Gybney l'acide lactique avec un égal insuccès ; il en serait

probablement de même avec l'acide chlorhydrique, préconisé par Weyl.

pour favoriser l'élimination des sels de chaux.

Hawkins a le premier employé le traitement chirugical dans la maladie

qui nous occupe.

L'intervention n'est justifiée que sur les points où les tumeurs sont

discrètes, mobiles, sans connexions avec le squelette sous-jacent, sans

quoi l'opération devient inutile. Pollard, ayant enlevé une tumeur osseuse

de la nuque, n'a obtenu aucune amélioration. « La tête resta toujours fixée

comme antérieurement, sans doute par suite de la présence de multiples

ossifications plus profondes. »

L'ablation de la tumeur n'est encore admissible que dans les phases

d'accalmie de la maladie, car les raideurs que l'on observe à la période

aiguë sont dues à plusieurs causes : à la douleur, à l'oedème collatéral qui

parfois s'étend assez loin, à l'atteinte des ligaments articulaires.

Le bénéfice de l'intervention se perd encore assez vite, les tumeurs

ne tardent pas à réapparaître. Pollard extirpe une masse osseuse libre du

tendon du grand dorsal gauche et obtient ainsi une certaine mobilité pour

le bras, mais l'ampleur des mouvements ne tarde pas à se restreindre, la

tumeur s'étant reproduite cinq mois après.

Gybney est intervenu, en 1894, dans les mêmes conditions et avec le

même résultat.

Cetle reproduction des tumeurs n'a rien qui doive nous surprendre ;

c'est là du reste un fait qui s'observe dans d'autres ossifications.

Dans la myosite, nous savons que l'ossification progresse en général du

centre à la périphérie, que la zone fibreuse qui entoure la tumeur et qui

est destinée elle-même à s'ossifier plus tard, envoie des traînées conjonc-

tives assez loin dans le tissu intermusculaire, de telle sorte qu'on n'est

jamais sûr d'avoir tout enlevé; en outre, en admettant même qu'on soit

assez heureux pour extirper complètement les masses néoformées, la ten-

dance à la reproduction n'en existe pas moins, et, la même cause qui

produit l'ossification en un point plutôt qu'en un autre, continue sans

doute son action et la perpétue.

Cependant il peut se faire, mais le cas est exceptionnel, que les avan-

tages obtenus par l'ablation des tumeurs persistent indéfiniment ou du

moins pendant très longtemps : Gybney, ayant en effet opéré un petit noyau

osseux du tendon d'Achille, ne le vit plus se reproduire.

L'extension continue a été employée par Kummel dans le traitement

de l'ankylose vicieuse du genou et de la hanche; elle a donné à son auteur

un succès complet après cinq mois d'application.

i 12 A. WEILL ET ,1. NISSIM

Observations.

Observation I (personnelle).

Albert Schwartz est le 9e de dix enfants dont trois sont morts de la variole ;

lus six autres sont bien portants. Ses père et mère sont morts très âgés ; aucun

membre de la famille ne présente une affection semblable.

Il est originaire de la petite ville de Toultcha dans la Dabroudja roumaine,

où il exerçait la profession d'épicier; il est actuellement âgé de 32 ans.

Il a joui d'une excellente santé jusqu'à l'ye de 11 ans, époque à laquelle il

eut, pendant une année, des fièvres intermittentes graves, à type tierco, qui i

l'ont beaucoup affaibli.

Marié à l'âge de 17 ans, il eut un enfant, aujourd'hui bien portant.

, Le début de la maladie remonte à -12 ans. Au mois d'avril 1884, subitement

l'articulation temporo-maxillaire, l'épaule et le bras droits, furent pris de gon-

flement avec rougeur presque érysipélateuse, douleur très intense, surtout mar-

quée à l'épaule et au liras, de la fièvre allant jusqu'à 37° et 38°, au dire du

malade ; le gonflement de la région temporo-maxillaire, s'étendait assez loin, il

était tellement accusé que le malade ne pouvait pas ouvrir l'oeil. Ces accidents

aigus, gonflement, douleur et fièvre,Font obligé il garder le lit pendant trois mois;

il put alors se lever et varluer à ses occupations, mais il est resté impotent du

bras droit et ankylose de la mâchoire. Le malade et son entourage purent re-

marquer, après l'orage, la présence sur les régions envahies, de masses osseu-

ses de nouvelle formation.

L'année suivante, vers la même époque, en avril, la fièvre a réapparu ; le

gonflement, la rougeur et la douleur se sont localisés, cette fois, à la nuque et

à la moitié supérieure du thorax, du côté droit, en arrière. Ces phénomènes

ont duré également environ trois mois et ils se sont amendés progressivement

laissant à leur suite la raideur de la nuque et la saillie du muscle grand dorsal

droit ossifié tel qu'on le constate aujourd'hui.

En 1886, pour la 3e fois, les mêmes troubles réapparurent, ils s'attaquèrent

à l'articulation coxo-fémorale droite et aux régions environnantes laissant,

comme vestiges de leur passage, l'ankylose de l'article et les formations osseu-

ses qui l'entourent.

Il eut la région fessière droite atteinte en. 1887; la partie moyenne du tho-

rax, à gauche, au niveau des muscles grand, dorsal, petit et grand ronds, en

1888; enfin en 1889, l'épaule, le bras, la région poplitée, le mollet, le cou-de-

pied et la face dorsale du pied, du côté gauche, furent simultanément envahis.

Cette 6e attaque a été la dernière, elle a fini par ossifier la majorité des mus-

cles de notre malade ; elle a été très vive car l'épuisement du malade était tel

qu'il dut garder le lit pendant huit mois. Tant qu'il a joui de la liberté de son

bras gauche, Albert Schwartz, en explorant souvent les régions malades, a pu

se rendre compte que les masses osseuses néoformées augmentaient de volume

avec le temps d'une façon continue mais insidieuse, sans provoquer, comme

Nous. ICOVOGHAPH1E DE LA SALPÉTRIÈRF. T. XI. PI. XIX

MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE

(Weill 1\isim)

MASSON & Cu : , Editeurs

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 173

dans les poussées antérieures, des accidents aigus. Toutes les poussées se sont

montrées à la même époque, en avril, et chacune d'elle a duré trois mois, les

quatre premières ont envahi le côté droit, les deux dernières, au contraire, le

côté gauche.

Délivré des attaques qui l'ont cloué au lit durant le printemps de 6 années

consécutives, notre malade commença alors un voyage à travers l'Europe et il

se fit successivement voir à Assaky et Billroth qui lui enlevèrent chacun une

languette osseuse pour en faire l'examen microscopique.

Il a été ensuite à Berlin où Virchow l'a présenté à la Société de médecine, à

Vienne (vu par Linsmeyer), à Fribourg (vu par Kraske), à Lyon. A son arrivée

à Paris, il vint à la consultation de l'hôpital de Rothschild et notre maître M. le

DrWeill, l'a présenté à l'académie de médecine dans la séance du 26 mai 1896.

L'état du malade était alors le suivant :

Intelligence intacte; la parole est facile malgré une ankylose de la mâchoire

dont nous allons parler bientôt.

La tète est dans la rectitude, légèrement penchée du côté gauche, le malade

ne peut lui faire exécuter aucun mouvement. Dans la station debout le malade

s'appuie sur une canne; il est penché en avant et un peu sur la droite. (PI. XIX.) .)

Les articulations temporo-maxillaires sont extrêmement bridées ; on y dis-

lingue pourtant quelques légers mouvements ; les masséters ne semblent pas

présenter des ossifications dans leur épaisseur, ils sont fibreux ; il en est de

même des temporaux dont les fibres antérieures cependant font une saillie sen-

sihle sur le bord antérieur de la fosse temporale, il chacune de leur contraction.

11 est impossible de décrire l'état des ptérygoïdes par suite de l'ankylose de la

mâchoire. L'ankylose presque complète de la mâchoire inférieur a réduit le

malade à se faire sauter quatre dents pour s'alimenter, une canine et la pre-

mière molaire de chaque mâchoire. C'est par cette brèche qu'il introduit dans

sa bouche ses aliments solides et liquides.

Les solides il ne les mâche pas, il les enduit seulement de salive et les

avale, ce qui détermine, de temps en temps, des troubles gastriques. Pour

prendre des liquides, il se sert d'un long tube eu verre. Les muscles orbiculai-

res des lèvres étant restés indemnes, la succion lui est très facile. Du reste tous

les petits muscles de la face ont été respectés : la mimique est expressive ; les

muscles qui meuvent le globe oculaire sont indemnes et il peut porter la pupille

dans tous les sens.

Les muscles sterno-mastoïdieus durs, rigides, dépourvus d'ossifications se

dessinent sous la peau comme chez les individus âgés et amaigris.

A la nuque, de chaque côté de la ligne médiane, on constate une masse os-

seuse semblant provenir des apophyses transverses des vertèbres et ayant en-

vahi en partie les puissants paquets musculaires de cette région.

Les régions antérieures du cou ont été au contraire complètement respectées ;

c'est là du reste un fait que nous allons noter en passant pour les autres par-

ties du corps également; les plans musculaires antérieurs des membres supé-

rieurs, du tronc, des jambes, oatété partout à peine touchés pir l'oîsificition,

tandis que les plans musculaires postérieurs ont été violemment atteints.

xi 12

174 A. WEILL ET J. NISSIM

Au thorax les pectoraux sont atrophiés et tendus, fibreux ; leur bord infé-

rieur se montre saillant comme une corde tendue.

De l'apophyse coracoïde droite on voit partir une jetée osseuse qui se pro-

longe obliquement en bas et en dehors le long du tendon commun du coraco-

huméral et de la courte portion du biceps, dans l'étendue de 5 centimètres ;

cette lamelle, existe du. côté oposé, mais elle est moins marquée.

Les articulations sterno-claviculaires et chondro-sternales supérieures sont

mobiles ; les muscles intercostaux inférieurs sont durs, résistants et cette

consistance se différencie nettement de celle des' espaces intercostaux supé-

rieurs, les premiers semblent atteints par le processus néoplasique. A chaque

respiration on voit les côtes supérieures et la clavicule se soulever légèrement

tandis quejes espaces intercostaux inférieurs, à partir du sixième, restent im-

mobiles ; le diaphragme fonctionne 6ner-i(itieiii'eiit : la respiration est en som-

me costale supérieure et surtout diaphragmatique. (PI. XX.)

Au bras droit le biceps et le brachial antérieur sont restés indemnes, le del-

toïde est extrêmement atrophié. Le triceps brachial est complètement ossifié

et cette ossification, qui atteint 3 centimètres et demi d'épaisseur est beaucoup

plus volumineuse. sa partie inférieure où elle se montre bosselée, irrégulière,

à fleur de peau. (Fig.1.) Elle se continue en haut avec celle des muscles ronds et

grand dorsal, tous les trois confondus en un seul os et adhérant lui-même au

bord externe de l'omoplate. L'articulation s(,,a pu lo- li uni 6ral e, bridée parles masses

osseuses, se trouve ankylosée ; l'épaule se soulève, mais difficilement et très

légèrement, en masse, humérus, clavicule et omoplate à la fois.

L'avant-bras est intact; les quelques tubéro-

sités osseuses de nouvelle formation que l'on

remarque, existaient à la partie supérieure de

sa face dorsale, un peu au-dessous et en dehors

de au niveau du muscle anconé,

musclé dépendant lui-même au point de vue

anatomique pur, de la portion interne en triceps

qu'il semble continuer. ; .

L'extension et la flexion complètes de l'avant-

bras sur le bras sont impossibles.

La pronation est parfaite, la supination se fait

it moitié, l'avant-bras restant dans une position

intermédiaire entre la supination et la pronation.

Les mouvements du poignet et des doigts

s'exécutent tous bien.

Au niveau de la tabatière anatomique, les ten-

dons, du long abducteur et un court extenseur

du pouce, présentent un petit nodule gros comme

un petit pois, de consistance cartilagineuse, rou-

lant sous le doigt et suivant les mouvements

des tendons.

A quelques détails près, le membre supérieur gauche présente les mêmes

Fil. 1 - Itadiographie du brAs

droit ; on voit l'ossification du

triceps faisant corps avec l'hu-

mérus et envoyant des exos-

toses en arrière.

Noua-. Iconographie DE la SA[.PLIRII : nI : . T. XI. PI. XX

MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE

(Weill et Nissim)

MASSON & C'1 ? Editeurs

DE L\ MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 175

particularités que le droit. Mêmes modifications dans la musculature et l'articu-

lation de l'épaule ; comme à droite, le triceps est également envahi ici, mais

la masse néoplasique est moins épaisse et moins bosselée ; elle s'arrête aussi à

une distance plus grande du coude. De sorte que les mouvements de cet arti-

cle sont beaucoup plus étendus : l'extension est presque complète,, la llexion

arrive à angle droit seulement.

A l'union des trois quarts supérieurs du bras avec l'inférieur, se voit une

fourche cartilagineuse obliquement dirigée en bas et en dehors, longue de

10 centimètres environ, large de 1, flexible et très mobile ; elle est située

immédiatement sous la peau, à cheval sur le biceps et le brachial antérieur.

Les deux bras restent écartés du tronc, comme dans la luxation intra-cora-

coïdienne double.

A l'extrémité supérieure de l'avant-bras, au niveau des insertions du mus-

cle anconé, on trouve les mêmes tubérosités qu'à droite, mais moins accu-

sées.

Le reste de l'avant-bras, le poignet, les doigts n'offrent rien il signaler.

Le dos d'Albert Schwartz est extraordinairement accidenté ; néanmoins en

l'examinant de près on y distingue une symétrie, qu'on pourrait qualifier de

parfaite, dans la répartition des masses osseuses et l'envahissement des mus-

cles par les travées néoplasiques.

Le bord supérieur des muscles grands dorsaux ossifiés fait une saillie consi-

dérable qui se continue avec l'angle inférieur de l'omoplate et les muscles ronds

transformés. Pour être plus précis, disons qu'à droite, le grand dorsal passe en

dehors de l'angle de l'omoplate, et qu'à gauche au contraire le muscle ossifié

recouvre cet angle. '

Au-dessus se voit une profonde vallée, bordée latéralement par le bord in-

terne des omoplates écartés de la ligne médiane, et limitée, en haut, par les

faisceaux inférieurs du trapèze, également ossifiés, de sorte que la dépression

centrale offre, dans son ensemble, la forme d'un coeur de carte il jouer légè-

rement irrégulier.

Au delà de la 2e vertèbre dorsale, on ne retrouve plus sur le dos la saillie

des apophyses épineuses. Les mouvements de la colonne vertébrale sont entiè-

rement abolis, sauf au niveau des 6e et 7° vertèbres cervicales où ils existent,

mais sont très limités. Les muscles sus et sous-épineux sont atrophiés, et les

fosses qu'ils comblent sont assez accusées. '

Deux jetées osseuses partent des angles supérieurs et internes des omopla-

tes ; elles vont en haut et en dedans et se confondent avec le trapèze cervical ;

ces travées osseuses semblent indiquer la transformation des muscles angu-

laires de l'omoplate.

Plus bas, au niveau de la cambrure lombaire, on remarque une grosse masse

transversale, d'où partent deux colonnes osseuses, obliquement dirigées en

bas et en dehors ; elles se perdent la droite après un trajet de 13 centimètres

environ sur l'articulation sacro-iliaque droite ; l'autre plus volumineuse, sur

les tubérosités siégeant au niveau de la fosse illiaque externe. Elles réapparais-

sent bientôt et se prolongent en bas jusqu'aux articulations coxo-fémorales

176 A. WEILL ET J. NISSIM

qu'elles immobilisent et se confondent bientôt avec les grands trochanters et les

insertions musculaires qui vont jusqu'à la bifurcation de la ligne âpre. Cette

disposition est surtout marquée à gauche.

L'ischion droit offre une grosse masse osseuse au niveau de laquelle il s'est

développé une large bourse séreuse.

Sauf l'ankylose de l'articulation coxo-fémorale, le naembre inférieur droit a

été peu touché : -.

L'articulation du genou est indemne ; au-dessous d'elle on remarque un

épaississement notable de la tubérosité interne du tibia, et une hyperostose

grosse comme une noix au devant de la tête de l'astragale ; celle-ci limite les

mouvements du pied dont la flexion ne peut pas dépasser l'angle droit.

Les extrémités antérieures des métatarsiens sont épaissies comme dans le

rhumatisme déformant. Hallux valgus du gros orteil.

Le membre inférieur gauche au contraire a été fortement éprouvé.

L'articulation coxo-fémorale est ankylosée.

La région poplitée présente une grosse travée s'élevant en haut jusqu'au

tiers inférieur de la cuisse et descendant en bas jusqu'au tiers supérieur de la

face postérieure de la jambe en s'épaississant et s'élargissant de plus en plus ;

à sa partie inférieure, elle atteint en effet les deux tiers de l'épaisseur de la

jambe. Elle constitue une espèce de pont très solide, jeté entre les deux seg-

ments du membre et immobilisant l'article. Les battements de l'artère poplitée

se perçoivent sur son côté exerne. (Fig. 2.)

Autour du genou, il n'existe pas d'autres formations osseuses, la rotule est

libre.

L'ankylose du genou a eu pour effet une atrophie marquée des muscles de

Fig. 2. - Radiographie du genou gauche; elle montre dans le creux poplité une

masse osseuse solidement réunie au fémur et au tibia et jetée comme un pont entre

les deux segments du membre inférieur.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE q77

la cuisse : sa circonférence à quatre travers de doigt de la rotule, est de

35 centimètres à gauche, de 40 à droite.

Même épaississement au niveau de la tubérosité du côté interne du tibia que

du côté opposé.

Le tendon d'Achille est tendu comme une corde.

Les os de la jambe sont gros à leur partie inférieure, immédiatement au-

dessus de l'articulation tibio-tarsienne ankylosée; leur circonférence à ce ni-

veau est de 24 centimètres, elle est de 22 seulement à droite.

Le pied tout entier est gros, massif, avec un dos proéminent, rappelant, de

loin, le pied des tabétiques. Par suite de l'ankylose du genou à angle obtus, le

talon reste distant du sol de 10 centimètres. Le séjour du malade à l'hôpital de

Rothschild nous a permis d'assister au développement de deux pointes osseu-

ses nouvelles sur la face dorsale du pied.

- Le gros orteil est ankylose. De la partie externe de son extrémité libre, part

un appendice osseux, du volume d'une noix et donnant l'apparence d'un vé-

ritable orteil supplémentaire.

Là où les mouvements sont libres, les muscles sont assez développés ; ils

offrent une diminution quantitative de l'excitabilité électrique mais pas des

changements qualitatifs. Ils sont très excitables mécaniquement. Si l'on frappe

sur un point, on voit se contracter tout un groupe musculaire siégeant dans le

voisinage et montrer des contractions fasciculaires et cela bien que l'amaigris-

sement ne soit pas bien prononcé.

Réflexes rotulien et plantaire droits légèrement exagérés.

Nous nous sommes longuement étendus sur les transformations survenues

dans les systèmes osseux et musculaires, nous serons beaucoup plus brefs sur

les autres appareils.

Les fonctions végétatives s'exécutent hien, à part, comme nous l'avons vu

plus haut, quelques symptômes d'intolérance gastrique, se montrant, de temps

en temps, par suite de la façon défectueuse dont s'alimente le malade.

Foie et rate normaux.

La respiration est très obscure dans les régions supérieures duhorax, très

exagérée au contraire aux bases, modifications tenant sans doute à l'immobilité

des côtes et au fonctionnement presque exclusif du diaphragme. Même au repos

le malade présente une certaine dyspnée. Il fait intervenir les muscles de la

ceinture omo-claviculaire et soulève la partie supérieure du thorax; il offre 20

à 24 respirations à la minute.

Les bruits du coeur sont sourds, pas de souffle anormal.

La puissance génitale est conservée.

Voici une des analyses d'urine : chlorure de sodium, 8 gr. 70 ; phosphates,

2 gr. 70 ; urée, 29 gr. 2 ; acide urique, 0.52 par litre.

Sensibilité et organes des sens normaux. (A suivre.)

UN CAS

DE

MALADIE DE FRIEDREICH A DÉBUT TARDIF.

AUTOPSIE

PAR R

LÉON BONNUS

Ancien interne des hôpitaux.

L'époque de l'apparition des premiers phénomènes de la Maladie de

Friedreich est sujette à de grandes variations ; tandis que certains sujets

sont atteints à l'àge de cinq et huit ans, d'autres, au contraire, voient les

premiers phénomènes cliniques se manifester il )'age de quinze, seize et

dix-huit ans. Il existe même des cas où ce début clinique se fait à une

époque beaucoup plus tardive, à vingt ans, vingt-trois ans et même vingt-

cinq ans. L'examen anatomo-patllologique, quand il a pu être pratiqué, a

confirmé le diagnostic de Maladie de Friedreich. Le fait que nous allons

rapporter en est un exemple.

Observation.

Jules G..., 39 ans, corroyeur, entré il l'hôpital Cochin, salle Woillez, dans

le service du Dr Chauffard.

Père mort hémiplégique à 68 ans, très alcoolique, d'après les dires du ma-

lade. Employé chez un marchand de produits chimiques, il buvait autant d'nl-

cool qu'il pouvait en dérober.

i Mère âgée de 63 ans, encore bien portante, et pouvant s'occuper des soins

du ménage.

Le malade a deux soeurs et un frère.

Les deux soeurs, âgées de 30 ans et de 25 ans, sont bien portantes.

Le frère est atteint de maladie de Friedreich.

Dans les antécédents personnels, nous ne trouvons à signaler- que plusieurs

attaques de rhumatisme articulaire aigu. Pas d'éthylisme. Pas de syphilis.

La maladie semble avoir débuté en 1883 ; il y a donc 13 ans. G... avait

25 ans et venait de terminer son service militaire. A ce moment, il remarque

qu'il ne marche plus d'aplomb, qu'il trébuche facilement, qu'il oscille en mar-

chant, qu'il festonne, tous phénomènes s'accentuantdans l'obscurité. Jusqu'ici

il est seul à s'en apercevoir, ce n'est que plus tard qu'on lui dit qu'il marche

comme un homme ivre.

UN CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH A DÉBUT TARDIF 179

Il a aussi souvent des migraines ophtalmiques du côté gauche.

Vers le milieu de 1884, apparition de douleurs fulgurantes dans les mem-

bres inférieurs ; douleurs extrêmement vives dans la région fessière, s'irra-

diant jusqu'aux orteils et plus marquées droite. Plus tard, douleurs en cein-

ture et dans les membres supérieurs (sphère du cubital).

En 1890. Troubles moteurs du côté des membres supérieurs; les mou-

vements deviennent brusques, saccadés.

Vers 1891, apparition des troubles de la parole.

En 1892, il entre la la Salpêtrière, en même temps que son frère Louis. On

constate alors une démarche surtout titubante dépassant droite et il gauche

la ligne de marche, avec quelques mouvements de projection comme chez les

ataxiques. Les yeux fermés, la marche est impossible, l'incoordination aug-

mente. Vacillation de la tête. Réflexe rotulien aboli.

Les membres supérieurs, pendant l'occlusion des yeux, présentent de l'in-

coordination ; la parole est lente et saccadée. Pas de nystagmus. Pas de trou-

bles trophiques, pas de pied-bot. Légère scoliose.

Diagnostic porté par Charcot : Maladie de Friedreich.

Agénésie complète depuis deux ans.

G... ne pouvait se livrer il aucun travail ; il ne pouvait plus sortir, en

raison de l'incertitude de sa marche, qu'en donnant le bras à une autre per-

sonne, quand, en août 1895, il est atteint d'une pneumonie droite. A la suite

se montre une pleurésie séro-fibrineuse qui devient plus tard pleurésie puru-

lente et pour laquelle on lui fait, chez lui, de septembre 1895 à janvier 1896,

cinq thoracentèses.

Il entre dans le service, le 17 février, dans un état de cachexie très avancé,

le corps très amaigri, les joues creuses, le faciès plombé.

On constate une pleurésie droite; le lendemain de son entrée, il a une vo-

mique d'un pus très fétide, et il meurt au bout de 13 jours, le 25 février.

L'examen du malade, en tant que Maladie de Friedreich, a été fait aussi

complètement que le rendait possible sou état de faiblesse, qui l'empêchait de

se tenir debout et ne lui permettait de se mouvoir que difficilement dans son

lit.

Troubles moteurs. - Du côté des membres inférieurs, il y a abolition com-

plète du réflexe rotulien ; l'incoordination est extrême, semblable à l'incoordi-

nation tabétique avancée ; quand on lui dit de croiser les jambes, il hésite un

instant, puis lève brusquement la jambe à'une grande bailleur au-dessus du lit.

Autant qu'on peut en juger, la force musculaire paraît conservée.

Du côté des membres supérieurs, l'incoordination est aussi très marquée :

avec l'index, il n'atteint qu'en tâtonnant le bout de sou nez. Si on lui dit de

prendre un verre, il le saisit facilement, mais son bras présente une série de

mouvements successifs, qui diminuent d'amplitude en approchant du but. La

main ne plane pas ; de plus, l'objet une fois saisi est bien en main. Plusieurs

fois, en voulant prendre sur sa table une bouteille ou en verre, il lui est arrivé

de renverser les objets voisins.

La sensibilité générale paraît intacte. Le malade a toujours bien senti le sol

180 LÉON BONNUS

sous ses pieds, sauf vers les derniers temps, où il lui semblait qu'il marchait

sur de l'ouate. Sur toutes les parties du corps, le contact, la piqûre, le froid et

le chaud sont également bien sentis ; il n'y a pas de retard dans les perceptions,

les localisations sont exactes.

Le sens musculaire est un peu diminué, le sens articulaire conservé. La no-

tion de position est conservée sans être abolie ; il lui arrive quelquefois de per-

dre ses jambes dans le lit.

Douleurs en ceinture légères et siégeant sur le trajet des derniers nerfs lom-

baires. Pas de crises gastriques. Douleurs légères sur le trajet du sciatique,

surtout il gauche. Dans les membres supérieurs le malade sent des fourmille-

ments. '

La parole est lente, monotone, traînante ; on a quelquefois de la peine a

comprendre.

Pas d'atrophie linguale.

Du côté des yeux, il n'y a ni paralysie, ni nystagmus, ni rétrécissement du

champ visuel. Les pupilles sont égales, paresseuses, réagissant il l'accommoda-

tion, elles paraissent réagir mal à la lumière ; mais cet examen a été imparfaite

en raison des conditions dans lesquelles il a été pratiqué.

Rien du côté des organes génito-urinaires, sauf le réflexe crémastérien aboli

et la pression testiculaire non douloureuse.

11 existe une légère scoliose à convexité droite.

G... n'a jamais eu de vertiges ; il a un caractère vif et emporté et a con-

servé toute son intelligence.

Autopsie faite 28 heures après la mort. A l'ouverture du thorax, on cons-

tate une pleurésie droite avec très gros épaississement de la plèvre; il existe

quelques rares tubercules au sommet des deux poumons. Il n'y a rien à signa-

ler du côté des autres organes.

La scoliose, une fois le canal rachidien ouvert, est très peu marquée.

Cerveau. Configuration extérieure et aspect normaux. Pas d'athérome.

Poids : 1,200 grammes. '

Cervelet. La surface extérieure est de configuration normale : elle pré-

sente cependant sur la face supérieure et surtout au niveau de la grande cir-

conférence, des granulations analogues aux granulations de Pacchioni. Il r'y

a pas d'atrophie. - Poids : 155 grammes.

Le bulbe et la protubérance paraissent normaux.

Moelle. - Les méninges paraissent saines ; une fois celles-ci incisées, la

moelle apparaît grêle dans son ensemble ; mais cette gracilité est plus marquée

à la région dorsale inférieure. Les racines antérieures sont normales comme

volume et comme coloration. Les racines postérieures, au contraire, sont gro-

les et surtout nettement grisâtres, formant avec les premières un contraste

très marqué.

A la coupe, on voit à l'oeil nu avant tout durcissement : à la région cervi-

cale, une teinte grise de sclérose dans les cordons postérieurs surtout au ni-

veau du cordon de Goll et dans les cordons antérieurs, au niveau du faisceau

de Turck. '

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE T. XI, PL. XXI

A

B

MALADIE DE FRIEDREICH

A DÉBUT TARDIF

IL. Boiiiiiis)

A. Coupe du bulbe : t sa partie inférieure.

B. Coupe de la moelle au niveau de la V ! Ie cervicale.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE

T. XI, PL. XXII

C

E

D

F

MALADIE DE FRIEDREICH

A DÉBUT TARDIF

(L. Bonnus)

C. Coupe de la moelle au niveau de la IXe dorsale.

D. Coupe de la moelle au niveau de la IIc lombaire.

E. Coupe de la moelle au niveau de la IIIe sacrée.

F. Coupe du nerf musculo-cutané.

UN CAS DE MALADIE DE FRIEDREICn A DÉBUT TARDIF 181

A la région dorsale, la même teinte grisâtre se montre dans les cordons pos-

térieurs qui paraissent plus atteints.

A la région lombaire, la teinte grise translucide occupe tout le cordon pos-

térieur d'une façon à peu près symétrique ; la zone cornu-commissurale et le

centre ovale de Flechsig ont conservé leur coloration normale.

Examen histologique. Le système nerveux central (cervelet, bulbe et

moelle) a été durci et fixé par les sels de chrome et le formol. Les fragments

après inclusion à la celloidine ont été colorés par les méthodes ordinaires (pi-

crocarmin, picrocarmin et hématoxyline de Weigert-Pal, procédé d'Azoulay),

d'autres fragments ont été colorés- par les procédés de Nissl et de Marcbi.

Le côpe terminal est sain.

Région sacrée. Il y a une sclérose assez marquée des cordons postérieurs ;

la lésion est plus accusée au niveau des zones radiculaires postérieure et

moyenne, la zone antérieure n'est pas très touchée. La zone de Lissauer est

altérée. (PI. XXII, E.)

Dans les cordons latéraux existe une légère sclérose au niveau de la région

qu'occuperait le faisceau pyramidal croisé, mais là la sclérose est moins accen-

tuée que dans les régions plus élevées et l'on rencontre encore une assez

grande quantité de fibres saines.

Région lombaire. Sclérose des cordons postérieurs, symétrique, prenant

la totalité des zones radiculaires postérieure et moyenne respectant presque

entièrement la zone radiculaire antérieure, surtout la zone cornu-commissu-

rale. La zone de Lissauer est altérée. Le centre ovale de Flechsig paraît con-

servé. Même dans les parties les plus altérées (zones radiculaires postérieure et

moyenne) il y a un semis de fibres saines. Dans les cordons latéraux il existe

une sclérose du faisceau pyramidal croisé. (PI. XXII, D.)

Région dorsale. - La dégénérescence occupe la topographie précédente, bien

que plus accusée au niveau des cordons postérieurs où les zones radiculaires

antérieure et cornu-commissurale sont sclérosées. Au contraire, la zone de

Lissauer est relativement peu atteinte. (PI. XXII, C.)

Dans les cordons latéraux, la lésion est plus diffuse ; elle occupe le terri-

toire du faisceau pyramidal croisé, celui du faisceau cérébelleux direct, mais

moins marquée dans ce dernier. ' -

Dans les cordons antérieurs, on constate une sclérose nette du faisceau py-

ramidal direct.

Les cellules de la corne antérieure sont normales.

Les cellules de la colonne de Clarke sont altérées ; elles sont en moins grand

nombre et paraissent plus petite que sur une moelle normale. Les fibres pa-

raissent aussi atrophiées. '

Région cervicale. - Même topographie des lésions. Dans les cordons posté-

rieurs, la zone radiculaire antérieure possède beaucoup de fibres saines. Le

faisceau pyramidal direct est très altéré et la sclérose paraît se prolonger sur

le territoire du faisceau de Gowers. (PI. XXI, B.)

Bulbe. Sclérose des noyaux de Goll et de Burdach, au niveau du collet du

bulbe (PI. XXI, A) au-dessus, nous n'avons rien trouvé ; le bulbe est normal.

182 LÉON BONNUS

Cervelet. Les morceaux examinés ont été pris dans les deux hémisphères,

et dans le vermis superior. En aucun point il n'existe d'altération ; les cellules

de Purkinje, en particulier, sont normales comme nombre et comme dimen-

sions.

Les méninges rachidiennes sont absolument normales. Les artères extra-

médullaires sont intactes, les artères intra-médullaires dans les parties scléro-

sées paraissent un peu épaissies, en tous cas, la lésion est très peu marquée.

Les racines rachidiennes antérieures sont normales. Les racines postérieures

présentent de très grosses lésions de dégénérescence ; les fibres à myéline sont

très nombreuses ; d'en existe au contraire un très grand nombre où la myéline

adisparu.

Les nerfs médians, sciatiques, tibial antérieur et musculo-cutanés ont été

examinés. Tous présentent des lésions de dégénérescence très manifeste. Les

fibres à myéline sont en très petit nombre.

Dans un nerf musculaire, le nerf du biceps crural, les fibres saines sont en

plus grand nombre.

Des fragments des muscles biceps crural et jambier antérieur, nous ont paru

normaux.

En résumé, il règne sur toute la hauteur des cordons postérieurs une sclérose

très accentuée qui semble commencer au niveau de la troisième sacrée et se ter-

miner aux noyaux bulbaires des cordons. On peut dire que, d'une manière gé-

nérale, le centre ovale de Flechsig et la zone cornu-commissurale sont relati-

vement, sinon complètement respectés.

Dans les cordons latéraux, la sclérose s'étend de la région sacrée la région

cervicale supérieure, occupant les territoires des faisceaux pyramidal croisé,

cérébelleux direct et faisceau pyramidal direct : peut-être même, à la région

cervicale, atteint-elle le faisceau de Gowers ? " !

C'est là un cas de Maladie de Friedreich, dont quelques points, outre

l'âge du début, nous paraissent intéressants à relever.

Au point de vue clinique, nous avons noté des douleurs fulgurantes.

Cela parait anormal. On a fait des douleurs fulgurantes un symptôme

différentiel entre le tabes et la Maladie de Friedreich, mais celte opinion

est trop exclusive, les douleurs fulgurantes se rencontrant aussi, mais

beaucoup moins fréquemment dans la maladie de Friedreich ; elles sont,

en effet, signalées dans un certain nombre d'observations. D'ailleurs Char-

cot (Cliniques 1888) les admettait hien que rares, et depuis, d'autres au-

teurs pensent de même.

M. Déjerine (1) en a présenté deux cas très nets. Chez l'un de ses ma-

lades en particulier, les « douleurs fulgurantes duraient depuis onze ans.

(1) DÉJERINE, Sur une forme particulière de maladie de Friedreich avec atrophie

musculaire et troubles de la sensibilité. Soc. de biologie, 1890, p. 43.

UN CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH A DÉBUT TAIDIF 183

Ces douleurs sont quelquefois tellement aiguës, qu'elles l'arrêtent brus-

quement dans sa marche ; parfois même, elles sont si fortes qu'il sent

ses jambes s'affaisser sous lui et qu'il tombe à terre. Au lit, elles se ma-

nifestent également ».

Au point de vue anatomo-pathologique, le fait que nous rapportons

ne s'éloigne pas de la description habituelle, du moins en ce qui concerne

la moelle ; les lésions que nous avons trouvées sont celles que l'on ren-

contre ordinairement, bien que la sclérose du faisceau de Turck ne soit

pas signalée dans tous les cas. Nous avons signalé aussi l'intégrité des

vaisseaux de la moelle.

Un autre fait à relever, c'est l'altération très grande des nerfs périphé-

riques. Pareille constatation est assez rare. Faut-il mettre cette névrite

sur le compte de la pleurésie purulente, qui a causé la mort de notre ma-

lade ? Nous né le pensons pas, les douleurs fulgurantes étant d'une date

beaucoup plus ancienne, puisqu'elles ont apparu en 1884, c'est-à-dire

onze ans auparavant. D'ailleurs, dans un certain nombre de cas (Fried-

reich le' cas; Rülimeyer 2e cas), les nerfs ont été trouvés atteints, beau-

coup moins profondément, il est vrai.

Guizetti (1) dans un cas personnel, a fait une étude complète des ra-

cines rachidiennes et d'un certain nombre de nerfs. Membre inférieur :

collatéral interne du pouce, pédieux, tibial antérieur, tibial postérieur :

sciatique (tronc), saphène interne et nerf du quadriceps crural. Membre

supérieur : collatéral externe du pouce, radial, médian, brachial cutané,

musculo-cutané après sa sortie du coraco-brachial, etc.

Les nerfs sont très altérés. Les racines antérieures sont saines, les pos-

térieures très malades. Il en était de même dans notre cas.

« Au commencemenl du nerf (là où commence le nerf mixte, formé par

la réunion de deux racines) sur une section transversale, on distingue un

ou deux faisceaux constitués entièrement par des fibres grosses qui doi-

vent représenter uniquement les prolongements de la racine antérieure;

à côté, d'autres faisceaux composés de fibres grosses et petites et provenant

de la racine postérieure, etc.

De tout cela, nous pouvons retenir que les fibres fines qu'on observait 1

dans les nerfs mixtes, doivent provenir uniquement des racines posté-

rieures et être par conséquent fibres sensitives, el que d'une même pro-

venance et d'une même nature devaient être les fibres fines trouvées dans

les nerfs musculaires.

Il en vient la conclusion que, dans ce cas actuel de Maladie de Fried-

(1) Guizetti, Le alterazioni dei nervi periferici e dei ganglii spinali in un casi caso

di malaltia di Friedreich e loro rapporto con le alterazioni delle radici spinali poste-

riori. Riforma medica, 1893, 17-20 juin.

184 LÉON BONNUS

reich, il existait dans les nerfs mixtes une atrophie systématique des fibres

sensitives tant cutanées que musculaires. »

Le dernier point à considérer, c'est l'état du cervelet. Le cervelet a été

trouvé normal macroscopiquement et microscopiquement, il n'y avait pas

d'atrophie, il n'y avait aucune lésion des cellules de Purkinje. Un pareil

fait ne vient pas confirmer l'hypothèse de IIammond, Senator ; attribuant

la Maladie de Friedreich à l'atrophie primitive du cervelet; il vient au

contraire à l'appui de l'opinion qui fait dépendre la Maladie de Fried- .

reich d'une sclérose systématisée combinée de la moelle, opinion soutenue

par presque tous les auteurs.

Il existe d'autres cas de Maladie de Friedreich à début tardif. Le frère

de ce malade a vu les premiers phénomènes apparaître à 1'tige de 21 ans (1);

un malade de M. le professeur Raymond a été atteint à l'âge de 23 ans (2).

Bezold (3) donne l'observation de deux malades pris respectivement à 20

et 21 ans.

Une malade de Carré (4) a été atteinte à 22 ans ; un de Gowers (5) à

21 ans ; ceux de Dreschfeld (6) à 21, 20, 20, 23 ans ; celui deBrousse (7)

à 25 ans ; celui d'Auscher (8) à 25 ans ; celui de Musso (9) à 25 ans.

Il semblequ'il y ait des degrés dans la débilité congénitale des systèmes

médullaires atteints. Si la débilité est grande, on verra se développer des

cas de Maladie de Friedreich à début précoce ; si, au contraire, la débilité

est peu accentuée, on assistera à l'évolution d'une maladie de Friedreich

à début tardif.

(1) Bowos, Contribution u l'étude de la maladie de Friedreich à début tardif. Th. de

Paris, 1898.

(2) Id.

(3) BE7.oLD, Elude clinique sur la Maladie de Friedreich. Th. Elangen, 1894.

(4) .'1. Cahré, De l'ataxie locomotrice progressive. Th. Paris, 1862.

(0) Gowers, On family affecled wilh locomotel' ataxy. Transactions of the clinical

Society. London, 1881, vol. XIV.

(6) Dreschfeld, On family prédisposition in locomotor ataxy. Manchester and Liver-

pool medical and surgical Reports, 18î6, p. 93.

(i) Brousse, Th. Montpellier, 1882.

(8) Auscher, Un cas de maladie de Friedreich suivi d'autopsie. Bulletin de la Société

de biologie, 1890, p. 413.

(91 Musso, Ma/allia de Friedreich. Rivista clinica de Bologne, 1884.

SUR LES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU CERVEAU

DANS LEURS RAPPORTS AVEC

L'ÉTAT DES CELLULES NERVEUSES DE LA MOELLE (I)

PAR

N. SOLOVTZOFF

Prosecteur de la Maison des Enfants Trouvés

à Moscou.

Les difformités congénitales du cerveau sont très variées. Sous l'in-

fluence des causes qui peuvent troubler le développement du foetus, soit t

au moment de la conception, soit pendant sa vie embryonnaire, le déve-

loppement du cerveau peut être vicié. Alors apparaissent des anomalies

cérébrales qui se traduisent cliniquement par des phénomènes de déve-

loppement incomplet de fonctions psychiques. Quelquefois ces difformités

se manifestent déjà à un âge très précoce. Chez les idiots, par exemple,

les symptômes morbides se remarquent déjà un an ou deux ans après leur

naissance, et de même que chez les microcéphales, on peut déjà en faire

le diagnostic pendant les premiers mois de leur apparition au monde.

Outre les difformités de l'aspect extérieur de la tète, qui se manifestent

plus ou moins vite après la naissance, il existe encore des anomalies de

cerveau, qui ne sont pas accompagnées de difformités extérieures et .qui

apparaissent à un âge plus avancé, vers 10 ou 12 ans ; dans ces cas l'arrêt

du développement du cerveau, et par conséquent de l'activité psychique,

présente beaucoup de variations, et selon le degré de ce retard apparais-

sent des idiots eu des déments. Enfin, en dehors des difformités du cer-

veau, qui excluent la vie psychique de l'individu, il en existe d'autres,

plus fortes encore, par suite desquelles l'enfant ne peut presque pas vivre.

Il s'agit ici des modifications du cerveau, si profondes qu'il est souvent

impossible de reconnaître pour un cerveau la masse informe que renferme

le crâne.

Les difformités de cette catégorie proviennent le plus souvent de ce que

la voûte crânienne manque totalement, ou en partie ; c'est alors que

(1) Communication faite à la Société des Neurologistes et des Aliénistes de Moscou le

19 décembre 1897.

186. '" N. SOLOVTZOFF

viennent au monde des .héljtÏcép ! wle8,.c'est-à,dire, des êtres à demi-tête,

qui pour la plupart naissent morts, mais qui, dans des cas exceptionnels,

peuvent cependant vivre 2 ou 3 jours; ils n'ont pas de cerveau, c'est

pourquoi on leur donne aussi le nom de anencéphales.

Dans d'autres cas, non seulement les os de la voûte crânienne sont fen-

dus, mais la scission se propage aussi à la colonne vertébrale : alors le

cerveau manque et la moelle épinière de même.

Une cause tout à fait opposée peut encore provoquer des difformités

très accusées du cerveau, c'est lorsque les os crâniens se sont soudés pen-

dant la vie embryonnaire. On observe une très petite tête où les fonta-

nielles manquent et où les os crâniens sont soudés. Ce sont là les micro-

céphales.

Dans les trois cas, que nous allons présenter, il s'agit d'anencéphalie,

suivant l'ancienne dénomination ; mais il serait plus juste d'employer le

terme de microcéhkalie. En effet la cause qui a provoqué cette difformité

est toute particulière. Il n'y avait point ici d'anomalie de la voûte crâ-

nienne, ni d'ossification prématurée des os crâniens ; au contraire, malgré

un fort degré de inicrocéphalie, les enfants en question avaient des têtes

très grandes. La microcéphaHe dans ces. cas s'explique par l'accumulation

d'un liquide dans un sac complètement fermé situé au-dessous du cerveau,

dans la base du crâne, ce qui fit expliquer cette altération par l'lydro-

pysie de la dure-mère; mais il semble que ce soit plutôt, comme nous

le verrons, dans la suite, une simple hydrocéphalie interne- :

Oi3s. I. - D. J..., âgé de 1 mois et 20 jours, était nourri au biberon..

Pendant sa vie il ne faisait pas de mouvements volontaires avec ses extré-

mités et les tenait constamment contractées. L'enfant était pâle, anémi-

que par suite d'une mauvaise nutrition, de sorte que pendant son séjour

à la Maison des enfants trouvés, son poids tomba à 2900 grammes au

lieu de 3040 grammes qu'il était le jour de son admission. Il est probable

que la nutrition artificielle qui provoquait des diarrhées chez l'enfanl,

fut la cause de sa mort.

AUTOPSIE.- Ce qui frappe avant tout, c'est la grandeur de la tête dont la

circonférence est de 44 centimètres, la taille de l'enfant étanl de 53 cen-

timètres à la palpation. La tète était fluctuante. Après ablation des en-

veloppes communes, la tète apparut demi-transparente et avait l'aspect

d'une lanterne rosée.

Tous les os crâniens sont séparés, de sorte que, par exemple, entre

les os pariétaux il y a une distance de 4 centimètres entre les os frontaux,

de 5 centimètres entre l'os pariétal et l'os frontal, 3 cm. 1/2 entre l'os

Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière. T. XI. PI. XXIII

B

c

D

A

E

DIFFORMITES CONGENITALES DU CERVEAU

(N. Solovtzoff)

A. Cas 1. Cavité crânienne, vide antérieurement. Dans la fosse médiane on voit une portion de substance

cérébrale recouverte d'une membrane qui se continue en arrière avec la tente du cervelet.

(Ph. 13crestilefï.)

B. - Cas I. Encéphale vu de face, réduit au cervelet, aux couches optiques et a une faible portion des hémi-

sphères. (Ph. l3ereatnefl.)

C. Cis 1. Le même vu de piofil. (Ph. l3crcstmtF.)

D. Ou Il. Encéphale réduit au cervelet et aux couches optiques avec plexus vasculaires. (Ph. Wlaciewsky.)

E. - Cat III. Encéphale réduit an cervelet et à deux portions d'hémisphères. (Ph. \Vlaciewsky )

SUR LES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU CERVEAU 187

pariétal et l'os occipital, 4 centimètres, et entre l'os pariétal et l'os tem-

poral, 3 centimètres. '

A la section de la voûte crânienne il s'écoula 1100 centimètres cubes

d'un liquide transparent jaune pâle. Ce liquide contenait beaucoup d'al-

lamine. La surface interne de la voûte crânienne était recouverte d'une

membrane d'un blanc bleuâtre ; en plusieurs endroits, elle était couverte

d'hémorrllagies pointillées..1 l'examen plus détaillé, on remarquera qu'elle

était composée de deux feuilles, que l'on pouvait facilement séparer l'une

de l'autre. Toute la cavité du crâne, était partagée en deux moitiés par

un prolongement falciforme de la dure-mère. Dans la région de la fosse

postérieure du crâne le prolongement falciforme se fusionne avec la

tente du cervelet. Dans la fosse médiane, il recouvre du côté droit un reste

de substance cérébrale et du côté gauche ce prolongement s'amincit et

devient si transparent qu'on voit il travers lui une masse cérébrale de la

grosseur d'une noix. Dans la fosse crânienne antérieure on ne voit que

des os et le long de la ligne médiane courent des faisceaux qui commen-

cent entre les os frontaux et s'attachent à la membrane qui recouvre la

masse cérébrale disposée dans la fosse crânienne médiane. (PL XXIII, A.)

Lorsque le cerveau fut enlevé on vit la moelle allongée, le cervelet,

plus loin un reste des hémisphères, et sur la base inférieure se trouvaient

deux couches de la grosseur d'un oeuf de pigeon, la couche gauche plus

saillante que la couche droite. (Pl. XXIII, B.) Dans l'enfoncement, entre

les couches optiques se trouvait un plexus choroïdien. Derrière les cou-

ches, on voyait un reste des hémisphères; du côté gauche ce reste est

plus grand, il a 4 centimètres de longueur et est situé directement der-

rière les couches optiques; du côté droit il est moins grand, sa lon-

geur est de 3 centimètres. Derrière les hémisphères on voit une fosse

à forme rhomboïde dont le fond est recouvert d'une substance cérébrale

provenant de l'hémisphère droit. Les tubercules quadrijumeaux anté-

rieurs sont très difformes comprimés qu'ils sont par l'hémisphère droit

qui est reporté en arrière; c'est par cela aussi que s'explique l'apparition

d'une grande fissure antérieure entre les deux hémisphères du cervelet.

(PI. XXIII, C.)

Les autres lésions observées à l'autopsie sont une bronchite disséminée

capillaire et une entérite folliculaire.

Oiis. II. 0. E...., âgée de six jours. Poids, 3,700 grammes. Pendant

sa vie elle n'a pas crié, ses extrémités étaient contractées. Elle était nourrie

au sein, mais comme elle ne tétait point, on lui injectait directement le

lait clans la bouche. Deux fois par jour elle avait des excréments noirs.

L'enfant avait une bonne nulrition.

188 N. SOLOVTZOFF

Autopsie. On constata ce qui suit : une coloration cyanosée de la peau

avéc nuance ictérique. La conjonctive était jaune. Le cordon ombilical

n'était pas encore tombé, était sec et avait 2 centimètres de longueur. La

muqueuse du vagin était hémorrhagique. De l'urèthre s'écoulait un liquide

purulent. Les glandes mammaires étaient gonflées et à la pression il en

sortait du colostrum. Le poids de l'enfant pendant sou séjour à la Maison

des Enfants-Trouvés tomba à 3500 grammes.

La circonférence de la tête était de 42 cm. 5. La distance entre les os

pariétaux était de 4 centimètres, entre les os frontaux ),5, entre l'os pa-

riétal et l'os occipital de 2 centimètres. La tète était fluctuante. Quand on

ôta les enveloppes du crâne, il se produisit une hémorrhagie dans la région

de l'os occipital. A la section de la tète il s'écoula 830 centimètres cubes

d'un liquide jaune foncé. L'épaisseur des os était normale, toute la cavité

du crâne était partagée par le prolongement falciforme en deux moitiés :

droite et gauche. Le prolongement falciforme était épaissi et sa surface

parsemée d'hémorrhagies pointillées ; les os de la voûte crânienne étaient

recouverts d'une membrane luisante également parsemée d'hémorrhagies;

cette membrane recouvrait dans la fosse crânienne médiane un reste de

cerveau et, dans la fosse postérieure, elle adhérait à la tente du cervelet,

cachant sous elle le cervelet.

À l'examen plus détaillé du cerveau on constata ce qui suit : la moelle

allongée, le cervelet en dessous, un reste du tronc cérébral et un reste des

hémisphères long de 5 centimètres et large de 4 centimètres. (Pl. XX)1J,

D.) Il consistait en une couche de la grandeur d'une noisette, située près de

l'extrémité ventrale. Derrière cette couche se trouvait un reste de subs-

tance cérébrale, recouvert d'une grosse et luisante membrane ; cette der-

nière était enfoncée en dedans présentant l'aspect d'un enfoncement in-

fundibuliforme, d'où sortait un plexus vasculairc. Cette substance céré-

brale pénétrait dans l'intérieur du cervelet el y formait une fissure.

OBS. III. M. A..., âgé de six jours. La même hydrocéphalie, la même

grandeur de tête. Toute la cavité du crâne est partagée en deux moitiés

à l'aide du prolongement falciforme; ces deux moitiés n'ont pas de com-

munication entre elles, car le prolongement falciforme descend jusqu'à la

base du crâne et recouvre ici un reste de substance cérébrale, situé dans

la fosse médiane du crâne; postérieurement, le prolongement falciforme

se fusionne avec la tente du cervelet. Au-dessous du cervelet se trouvent

deux couches : la longueur de la couche droite est de li. centimètres et de

la gauche de 3 centimètres. La couche droite a la forme d'un fer à cheval, l,

sa partie horizontale ressemble à une fève et sa partie verticale descend

jusqu'au corps mamillairc. Du côté gauche on observe aussi un reste de

SUR LES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU CERVEAU 1S9

substance cérébrale, mais il est plus petit. Derrière le reste du cer-

veau se trouvent les tubercules quadrijumeaux dont les postérieurs res-

sortent assez nettement; quant aux tubercules antérieurs, ils manquent

en partie, à cause du reste de l'hémisphère droit qui se développa trop en

arrière et par cela même défigura non seulement les quadrijumeaux, mais

encore forma une fissure dans le cervelet.

En comparant les trois cas en question, nous voyons qu'il existe une

grande ressemblance entre eux. Dans tous les trois le tronc cérébral seul

était conservé, la moelle allongée, le pont de Varole, les tubercules qua-

drijumeaux défigurés, il est vrai, dans les trois cas et les couches optiques

également défigurées. Il n'est presque rien resté des hémisphères ; seule-

ment, dans le le'' cas, le cerveau était un peu plus développé que dans les

deux autres. Au-dessus de ce cerveau peu développé s'accumula un liquide

dans un sac complètement fermé, car les membranes qui recouvraient les

os de la voûte crânienne et une partie de la base, passaient immédiate-

ment dans le cerveau : c'est dans ce sac que s'amassa le liquide. Une telle

accumulation du liquide au-dessus d'un cerveau peu développé fit con-

sidérer ces cas comme une hydropisie de la dure-mère, le cerveau n'eut

pas de place pour son développement et ainsi survint ujie anencéphalie.

On sait que la dure-mère est composée de deux feuillets et si nous admet-

tons que le liquide s'amassa entre ces deux feuillets, nous voyons que cela

a provoqué l'hydropisie de la dure-mère. Donc lorsque le liquide s'accu-

muleentre ces deux feuillets delà dure-mère, les feuillets se sépareraient

'l'un de l'autre, l'un d'eux irait recouvrir la voûte crânienne, et l'autre

le reste du cerveau situé'sur la base du crâne; mais alors on n'aurait dû

observer sur les os de la voûte crânienne qu'un seul feuillet de la dure-

mère, tandis que dans nos cas la membrane de la dure-mère consistait,

comme nous l'avons mentionné plus haut, en deux feuillets, qu'on pou-

vait librement séparer l'un de l'autre; ce fait a été confirmé aussi par

l'examen microscopique. Par conséquent la division de la dure-mère en

deux feuillets n'a pas eu lieu dans nos cas et le liquide s'accumula sous

la dure-mère au-dessous du cerveau, et non entre les deux feuillets de la

dure-mère.

Nous avons donc affaire ici, non à une hydropisie de la dure-mère

mais plutôt à une hydrocéphalie interne.

II y a longtemps que de semblables monstruosités du cerveau ont été

publiées dans la littérature médicale. Dans les comptes rendus delà Mai-

xi 13

190 N. SOLOVTZOFF

son des Enfants trouvés, presque tous les ans, on rencontre un ou deux

cas d'anencéphalie et d'hydrocéphalie interne. En outre, il y a plusieurs

cas avec examen microscopique décrits par différents auteurs. Parmi les

ouvrages concernant cette question nous pouvons indiquer ceux de Flech-

sig, Pick, Dova, de Mme Léonoff (1) et du professeur 1. Arnold (2) et

d'autres. -

Arrêtons-nous sur le cas du professeur Arnold, car ce cas est inté-

ressant par ce fait qu'il s'agit d'un héinicéphale ayant vécu trois jours, ce

qui a permis de faire certaines investigations durant sa vie. La voûte crâ-

nienne manquait chez l'enfant et la masse cérébrale était disposée sur la

base crânienne présentant l'aspect de plusieurs tubercules qui à la section

offraient des cavités. La respiration et le pouls de l'enfant ne présen-

taient pas d'anomalies. Lorsqu'on lui introduisait le doigt dans la bouche,

il faisait des mouvements de succion. Il avalait l'eau et le lait, mais parfois

il avait des. régurgitations.

Les pupilles ne réagissaient pas à la lumière. L'enfant criait rarement,

mais les derniers jours de sa vie il gémissait. Les réflexes rotuliens et

tendineux étaient augmentés et l'excitabilité réflexe générale était fort

exagérée : lorsqu'on provoquait des mouvements réflexes d'un seul mem-

bre (avec une piqûre ou avec une égratignure de la peau) ces mouve-

ments ne restaient pas localisés et se propageaient aux autres membres.

A l'examen microscopique du cerveau, on constata un manque pres-

que complet de faisceaux pyramidaux. C'est Flechsig, qui le premier

signala ce fait en 1870, il en nota l'absence complète dans un cas. Dana

aussi démontra un fait semblable chez un anencéphale qui avait vécu

deux jours et demi. Vllle Léonoff décrit dans un cas d'anencéphalie un*

arrêt de développement des faisceaux antéro-latéraux et aussi de la grande

cérébelleuse latérale.

En ce qui concerne l'examen de nos cas, nous nous sommes servi dans

nos expériences des méthodes Weigert-Pal, Marchi, Golgi et Nissl. Nous

avons trouvé les particularités suivantes dans la moelle épinière ; toute

la moelle épinière était beaucoup plus mince qu'elle ne l'aurait dû être

eu égard à de l'enfant ; puis, dans le faisceau pyramidal croisé nous

avons observé une fissure (découpure) qui entrait dans la profondeur de

la moelle (Fig. 1), celte fissure était plus accusée dans la région cervicale;

(1) Mme LÉOVOr, Cas d'anencéphalie. Le Moniteur (russe) de neuropathologie et de

psychiatrie judiciaire, 1890, n° 1, p. S4.

(2) Arnold, Gehirn, Bûchenmark und Schtidel eines Ilenticephalus von dreitclgiger

Lebensdauer. Bet. z. Pat. anat. u. z. AI. I'at. Liegler, 1892, 11, 407.

Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XI. PI. XXIV

DIFFORMITES CONGENITALES DU CERVEAU

Coupes du méscncéphalc

(N. Solovtzoff)

A Cas il. Coupe du bulbe au niveau des olives. Absence complète de pyramides.

(Ph. S.tlachnikoff )

13 - Cas IL Coupe de la protubérance au niveau de l'entrecroisement du nerf pathétique.

Absence complète de pyramides, (Ph. Salachnikoff.)

C. - Cnc 1 Coupe faite au niveau du cerveau rudimentaire. 3me ventricule. Couches

optiques défigurées ; capsule interne. (Ph. Salachnikoff.)

SUR LES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU CERVEAU 191

quelquefois on pouvait voir d'un côté une seule découpure et de l'autre

deux et même plus. Les cordons de Turk étaient plus fins que chez l'en-

fant normal.

Dans la moelle allongée on a noté les particularités suivantes : les py-

ramides manquent (Fig. 2) et comme les fibres qui d'ordinaire viennent

du cordon latéral, à travers la corne antérieure manquent, le canal cen-

tral n'est plus placé dorsalement, mais se trouve plus prés de la partie

ventrale. En s'approchant du cerveau, le seul changement* qu'on obsene

encore dans la moelle allongée est le suivant : les olives se sont associées

et au-dessous de celles-ci passent les fibres arciformes externes. Les py-

ramides qui auraient dû se trouver entre les olives et les libres arcifor-

mes externes, manquent totalement (Pl. XXIV. A). La partie dorsale s'est

développée régulièrement, mais dans la direction dorso-venlralc le bulbe

est diminué en dimension à cause de l'absence des pyramides. Le pont

de Varole présente la même particularité de sorte qu'au niveau où se fait

l'entrecroisement, le pathétique, cette partie est amincie des deux côtés et

la voie pyramide manque (Pi. XXIV. B).

Plus haut dans la région de l'aqueduc de S)lvius et dans le troisième

ventricule la difformité du ceneau est très considérable. L'aqueduc de

Sylvius a une forme très singulière, il est formé de plusieurs canaux et

lobes situés l'un près de l'autre.

Comment peut-on expliquer les anomalies en question, à savoir la fissure

dans les cordons latéraux de la moelle épinière et plus haut dans le tronc

cérébral le manque de la voie pyramidale ? L'unique explication que

nous puissions donner est celle-ci : puisque les hémisphères se sont arrê-

tés dans leur développement ; le développement de toutes les voies qui

Fio. 1. Coupe de la moelle épinière

(région cervicale) (cas III).

Fie 2. - Coupe du bulbe au niveau

de l'entrecroisement des pyramides.

Absence des pyramides (cas III).

192 N. SOLOVTZOFF

viennent de l'écorce s'est arrêté aussi ; de là l'absence de pyramides dans

le tronc cérébral et l'existence de la fissure dans la moelle épinière, à

l'endroit du faisceau croisé (PI. XXIV. C).

Un fait très intéressant s'observe aussi lorsqu'on examine la moelle

épinière par les méthodes de Golgi et de Nissl. Avant tout il existe une

différence très marquée entre les cellules de la corne antérieure et entre

les cellules des cordons de Clarke et des ganglions intervertébraux. Ces

dernières sont d'une grandeur normale et à contours réguliers. Quant aux

cellules de la corne antérieure, elle diffèrent de beaucoup des celulles

ordinaires d'un adulte. Leur principale différence consiste dans leur for-

me tout à fait extraordinaire ; ces cellules ont une masse de vacuoles,

peu de chromatine qui ne se présente pas sous l'aspect de blocs, ceux-ci

se sont plutôt dissous ou bien encore se sont réduits à des grains menus ;

quant au spongioplasme il est au contraire très accusé. Ce sont surtout

les anomalies des cellules du cas II et du cas III qui sont les plus remar-

quables, car c'est dans ces cas qu'il y avait le moins de cerveau ; dans le

1er cas le fait est moins marqué, mais toujours assez pour qu'on puisse

voir la différence avec l'aspect des cellules motrices normales. Ici d'ail-

leurs le reste des hémisphères était plus grand que dans les deux autres

cas.

En traitant par la méthode de Golgi on voit très nettement les anoma-

lies dans les cellules motrices. La cellule n'apparaît pas toute noire et

Fie. 3 et 4. Cellules de la corne antérieure (cas 111). Le noyau est entouré d'un

réticulum protoplasmique très peu développé.

SUR LES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DB CERVEAU 193

dans son milieu évidemment manque le protoplasma, car son milieu est

transparent.

En traitant par la méthode de Nissl nous observons ce qui suit : la plu-

part des cellules n'ont qu'un noyau avec une quantité insignifiante de

protoplasma d'un aspect réticulaire très net ; le protoplasma entoure le

noyau sur un espace très petit, ou bien présente l'aspect de filaments

très fins s'étendant en différentes directions; ces filaments s'unissent

quelquefois, et il en résulte alors des cellules avec grandes vacuoles

(Fig. 3 et 4).

L'aspect des cellules est très varié, tantôt elles ont la forme de demi-

lunes, avec plusieurs prolongements, tantôt elles sont fusiformes ; d'au-

tres fois encore elles ont une forme plus ou moins ronde et parfois leur

aspect est si bizarre qu'on ne peut les décrire.

Mais la principale particularité propre à toutes les cellules consiste en

ceci : elles sont presque toutes privées de chromatine et ont des grandes

vacuoles (Fig. 5).

Comment expliquer cet aspect extraordinaire des cellules ? pourquoi

diffèrent- elles tant de l'aspect normal qu'affectent les cellules nerveuses et

pourquoi ne sont-ce que les cellules motrices qui ont un aspect si sin-

gulier, tandis que les cellules des cordons de Clarke et des ganglions in-

tervertébraux se sont développées normalement ? Dans nos trois cas les

hémisphères cérébraux manquent presque totalement, c'est pourquoi sont

absentes aussi les voies motrices de la moelle épinière qui vontdu cerveau

vers les cellules motrices delà moelle épinière. Ces dernières, privées du

stimulus principal de développement que leur donnait le cerveau,se sont

FiG. 5. - Cellule de la corne antérieure (cas II). Grandes vacuoles sur la périphérie

avec quelques grains de chromatine.

194 N. SOLOVTZOFF

arrêtées à un degré de développement embryonnaire. Et s'il en est ainsi,

si en vérité nos cellules ne sont pas développées parce qu'elles ne rece-

vaient pas de stimulation correspondante des cellules pyramidales, alors

elles doivent ressembler par leur aspect extérieur aux cellules embryon-

naires peu développées. Il est vrai que le prolongement cylindre axile de

la cellule pyramidale ne s'anastomose pas avec les prolongements des cel-

lules motrices de la moelle épinière; il n'influe sur elles, d'après l'opinion

contemporaine, que par le contact ; pourtant, dans nos cas, ce contact n'a

pas eu lieu, car tout le neurone supérieur avait péri ; de sorte que les

cellules motrices de la moelle épinière dans nos cas étaient privées de

cette influence indispensable pour elles qui leur vient des hémisphères ;

c'est pourquoi elles ont dû s'arrêter dans leur développement et leur as-

pect si étrange doit être considéré, d'après nous, comme étant celui de

cellules incomplètement développées, c'est-à-dire embryonnaires.

Pour prouver le bien fondé de ce qui précède, nous allons porter nos

investigations concernant les cellules de la moelle épinière sur des em-

bryons de l'homme et des animaux (du hoeuf et du porc). Pour fixer nous

nous sommes servi d'une dissolution de formol à 5 0/0 dans laquelle

nous avons laissé la moelle épinière pendant une journée, le lendemain

la moelle était placée dans l'alcool à 95o que l'on devait changer une seule

fois ; après trois jours la moelle était transportée dans l'aniline où les

morceaux devaient rester jusqu'à ce qu'ils fussent devenus transparents ;

2 ou 3 heures suffisaient ; ensuite on les mettait pendant une heure dans le

xylol et puis pendant une heure dans la paraffine, dans lexylol à 36°, en-

fin on les mettait dans de la paraffine pure à lui.00, dans laquelle on les en-

robait, le troisième jour on pouvait déjà obtenir toute une série de coupes

de la moelle. Il faut encore mentionner le fait suivant ; en examinant la

moelle épinière d'embryons qui était conservée depuis plusieurs années s

dans une solution de formaline, nous n'avons pu noter aucune influence

pernicieuse sur la moelle par suite d'un si long séjour dans le formol.

Les cellules se coloraient tout aussi bien que les cellules des embryons

dont la moelle venait d'être placée dans la formaline.

En examinant le développement des cellules chez les embryons en com-

mençant par ceux qui n'avaient que z à 16 cent. de longueur, pour finir

par ceux qui étaient à terme, nous avons remarqué que chez les embryons

de 2 à 3 mois la plupart des cellules consistaient seulement en noyaux

(Fig. 6). Le grand noyau avait une forme ronde. Il n'y avait pas depro-

toplasme autour de lui ou bien il n'y en avait que très peu ; plus tard

nous voyons apparaître le protoplasme d'un côté du noyau (Fig. 7), puis

SUR LES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU CERVEAU 195

d'un autre, enfin toute la cellule apparaît entourée de protoplasme

(Fig. 8). Le protoplasme a un aspect réticulaire. Le réseau est disposé

inégalement autour des noyaux ; les contours de la cellule ne sont pas en-

core nets. Mais au sur et à mesure que l'embryon se développe, la cellule

aussi commence à prendre une forme plus définie, ses contours devien-

nent plus achevés ; ainsi, déjà au cinquième mois de la vie embryonnaire

nous voyons autour du noyau une accumulation considérable du proto-

plasme (Fig. 9), mais la cellule est encore loin d'être formée complè-

tement, sa forme est encore très bizarre (Fig. 10). La cellule est compo-

sée d'un noyau entouré d'un réseau achromatique très lâche de sorte que

les cellules ont un aspect spongieux (poreux) (Fig. 11). La chromatine

manque presque totalement ou bien elle est disposée d'une manière dif-

fuse (Fig. 1`). Pourtant dans celle période, c'est-à-dire au cinquième mois

de la vie intra-utérine, les cellules des ganglions inler-verlébraux sont

déjà tout à fait bien développées ; elles ont une forme régulière, riches en

chromatine qui a l'aspect de points menus disposés autour du noyau.

Dans une période plus avancée la substance chromatique commence aussi

Fig. 6. - Cellule de la corne antérieure d'un

embryon de 12 centimètres de longueur.

La cellule est réduite à un noyau de forme

ronde autour duquel on ne distingue pas de

protoplasma.

Fia. 7. Cellule de la corne antérieure d'un

embryon de 16 centimètres de longueur. -

On aperçoit le protoplasma qui se développe

d'un seul côté du noyau.

FiG. 8. - Cellule de la corne antérieure d'un

embryon de 16 centimètres delongueur.-

Le protoplasma est visible des deux côtés

du noyau et l'entoure presque complète-

ment.

196 N. SOLOVTZOFF

à paraître dans les cellules sous l'aspect de blocs informes, qui se colo-

rent intensément (Fig. 13) ; ces masses sont disposées en désordre sur

les trabéculesetlespoints nodauxdu spongioplasme ; quant à la seconde

moitié de la cellule, elle ne contient pas de chromatine et n'est composée

que du spongioplasma. Enfin les grains de chromatine apparaissent dans

toute la cellule. Cela a lieu il la fin de la vie intra-utérine, approximati-

vement au huitième mois. Il faut remarquer, que la chromatine n'appa-

raît pas à la fois dans toutes les cellules et partout le long de la moelle

épinière ; l'on peut souvent rencontrer des cellules avec chromatine et

des cellules sans chromatine l'une près de l'autre. Pourtant vers la fin de

Fio. 9, 10 et 11. Cellules de la corne antérieure d'un embryon de 4 à 5 mois ;

grandes vacuoles, aspect spongieux.

Fm. 12 et 13. - Cellules de la corne antérieure d'un embryon de 6 mois, avec

grandes vacuoles et grains de chromatine.

SUR LES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU CERVEAU 197

la vie intra-utérine toutes les cellules deviennent régulières, contiennent

de la chromatine, et quand l'enfant est à terme les cellules sont totale-

ment formées, elles ont une forme polygonale et contiennent beaucoup

de chromatine disposée autour du noyau, comme cela doit être dans une

cellule.

Un fait analogue s'observe il l'examen des cellules nerveuses de la moelle

épinière chez les animaux. Ainsi la cellule embryonnaire d'un boeuf et

d'un porc à une certaine période de son développement rappelle les cel-

lulesd'un embryon humain. Il n'y a point de grains chromatiques ici, et

la cellule ne consiste qu'en une substance chromatique avec vacuoles.

Ainsi notre supposition s'est confirmée complètement : l'aspect sin-

gulier des cellules motrices de la moelle épinière chez nos monstres dé-

pend de ce que ces cellules ne reçoivent pas des cellules pyramidales de

l'écorce cérébrale le stimulus nécessaire pour leur développement. En un

mot nous avons le droit de considérer les cellules de nos cas, comme des

cellules embryonnaires incomplètement développées. Les cellules de nos

monstres ainsi que celles des embryons dans la première moitié de la vie

intra-utérine ne contiennent point de grains de chromatine, leur proto-

plasme consiste seulement en un spongioplasme, où se rencontrent de

grandes vacuoles. L'identité est presque complète.

Mais à présent le fait suivant est loin d'être clair : Nous disions, que

chez nos monstres les cellules motrices de la moelle épinière ne s'étaient

pas développées parce qu'elles ne recevaient pas l'impulsion indispensable

de la part du cerveau (puisque ce dernier manquait presque totalement),

mais comment alors expliquer ce même aspect des cellules chez les em-

bryons même à la deuxième moitié de leur vi'e intra-utérine. À cette

époque le cerveau est cependant déjà assez bien développé. Mais ici quoi-

que le cerveau soit déjà assez bien développé, les cellules motrices de la

moelle épinière ne reçoivent pas encore le stimulus nécessaire pour leur

développement. En effet à cette époque la cellule pyramidale de l'écorce

cérébrale ne s'est pas encore mise en connexion avec la cellule motrice de

la moelle épinière.

D'après les investigations de M. Van Gehuchten (1) sur un embryon

humain âgé de 7 à 8 mois, les prolongements cylindre-axiles de la cellule

pyramidale s'observent seulement dans la moelle allongée ; dans la moelle

épinière ils manquent encore. Ce n'est que lorsqu'ils paraîtront dans

cette dernière, lorsque la connexion entre la cellule pyramidale de l'é-

(1) Van GEIIUCIITEY, Faisceau pyramidal et maladie de Little. Journal ne Neurologie

etd'fIypnologie, 1896, Ne 13. .

198 N. SOLOVTZOFF

corce et la cellule motrice de la moelle épinière se sera établie que les

cellules commenceront à prendre leur forme régulière. La chromatine

s'accumule alors sous l'aspect de grains et se dispose sur le spongio-

plasma qui prend un aspect régulier ; les vacuoles disparaissent. La cel-

lule n'est tout à fait formée et capable de vitalité que lorsque l'enfant est

terme.

Ainsi la même cause a provoqué l'aspect si singulier des cellules mo-

trices de la moelle épinière dans nos cas et celui des cellules dans les

embryons durant la première moitié de leur vie intra-utérine, l'absence

du cerveau priva les cellules motrices de la moelle épinière du stimulus

indispensable pour leur développement; de même chez l'embryon de7mois,

quoique le cerveau soit déjà assez bien développé, il n'a pas encore influé

sur les cellules des cornes antérieures; le contact n'a pas encore eu lieu

entre les cellules motrices de la moelle épinière et les cellules pyrami-

dales de l'écorce cérébrale, de sorte que pour les cellules motrices de la

moelle épinière de l'embryon, c'est comme s'il n'y avait pas d'hémi-

sphères.

CONCLUSIONS.

1° Le développement de la cellule nerveuse de la moelle épinière est très

étroitement lié avec celui du prolongement cylindre-axile de la cellule

pyramidale de l'écorce cérébrale.

Tant qu'il n'y a pas eu de contact entre la cellule motrice de la moelle

épinière et le prolongement cylindre-axile de la cellule pyramidale de

l'écorce cérébrale, la cellule motrice de la moelle épinière ne possède que

très peu de grains de chromatine, et le protoplasme consiste principale-

ment en une substance achromatique ayant l'aspect d'un réseau (spongio-

plasme).

2° Les difformités du cerveau sont accompagnées d'une absence des

hémisphères, telle est la cause de l'arrêt du développement des cellules

motrices de la moelle épinière. Ces dernières restent dans un état de

développement embryonnaire (1).

(1) En terminant, je trouve de mon devoir d'exprimer ma profonde reconnaissance à

M. le professeur S. Korsakoff dans le laboratoire duquel j'ai fait une partie de mes

recherches et aussi à M. le Dr S. Soukhanoff qui m'a aidé de ses conseils. (N. S.)

LES PEINTRES DE LA MÉDECINE

(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE).

DOCUMENTS NOUVEAUX

SUR

LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE

PAR

HENRY MEIGE.

Une étude publiée, il y a trois ans, a fait connaître une série de docu-

ments figurés, peintures, dessins ou gravures, des écoles flamande et hol-

landaise, représentant des Opérations sur la Tête (1).

Parmi ces oeuvres artistiques, les unes reproduisaient une supercherie

chirurgicale qui semble avoir joui d'une certaine vogue dans les milieux

populaires des Pays-Bas, au ŸV° et au XVIIe siècle : l'extraction « des

pierres de tète ». ,

L'opération fictive avait pour but de débarrasser les malades d'une pierre

qu'ils croyaient ou qu'on leur disait - enfermée dans leur crâne, et

ci laquelle on rapportait tous leurs maux. Une incision légère de la peau

était suivie d'un tour de passe-passe à l'aide duquel le chirurgien faisait

tomber sous les yeux du patient une pierre qu'il dissimulait dans une de

ses mains et qu'il affirmait être sortie de la tête. La farce jouée, le crédule

opéré se retirait satisfait, sinon guéri.

Tous les documents relatifs à la supercherie des « pierres de tête », té-

moignent d'une intention satirique évidente, à la fois contre l'aveugle con-

fiance des malades et contre l'audacieuse fourberie des opérateurs.

Voici, pour mémoire, la liste de ceux qui ont été commentés et repro-

duits :

(1) IIENIIY MEIGE, Les Peintres de la Médecine (Ecoles Flamande et Hollandaise) . Les

Opérations sur la Tête. Nouv. Iconog. de la Salpêtrière, nos 4 et 5, 1895.

200 HENRY MEIGE

JÉROIIE VAN AEKFN, dit JIR031E Boscii, peintre hollandais (1450-1516).

Les Pierres dans la tête. Rijks-Museum, Amsterdam.

Opération chirurgicale burlesque. Musée du Prado, Madrid.

Jean Sanders dit van Hemessen, peintre flamand (2° moitié du XVIe siècle).

Le Chirurgien de village. Musée du Prado, Madrid..

Pierre BRUEGEL LE Vieux, peintre et graveur flamand (H>30-1.t>69).

Une gravure. Cabinet des Estampes. Rijks-Museum, Amsterdam.

Une gravure. Collection du Dr Brissaud, Paris.

NICOL1S WEYInl.\.NS, graveur hollandais ('1 ? moitié du XVIIe siècle).

Une gravure. Cabinet des Estampes. Rijks-Museum, Amsterdam.

David Teniers le Jeune, peintre flamand (HHO-1ü90),

Deux gravures par Jan' van der Bruggen. Cabinet des Estampes. Rijks-

Museum, Amsterdam.

Andries Borrl, peintre hollandais (1610-1650).

Un tableau de la collection de M. D. A. Koenen, à Amsterdam.

FRANCS Hals LE Jeune, peintre hollandais ('1617-1669).

Le Charlatan. Musée Boijmans, Rotterdam.

JAIN S'rEF, peintre hollandais (1626-1679).

L'Opérateur. MuséeBoijmans, Rotterdam.

L'Opérateur. Musée de Bruxelles.

Le Charlatan. Rijks-Museum, Amsterdam.

A ces figurations il fiulajouter encore une gravure de Théodore de Bry,

dessinateur et graveur flamand (1528-1598), reproduite et interprétée

dans le « Janus » (1).

Enfin, on trouve encore les « Pierres de Tète », figurées parmi les ac-

cessoires des Charlatans populaires, exposées sur des tables ou accrochées

aux enseignes en plein vent. Tels sont : Un Charlatan d'après A. VAN Os-

TADE (galerie de Mannbeim) ; un autre dans une grande kermesse de

P. BRUEGEL LE Jeune (galerie d'Augsburg) ; de même, le Charlatan, de

J. S1'I : RN au Rijks-Museum d'Amsterdam (N° 1372), el celui de 1"1\. UN

MIERIs dans la Galerie des Offices, à Florence, etc.

A côté de ces oeuvres d'art consacrées à la représentation satirique

d'une jonglerie qui ne faisait qu'un petit nombre de dupes, il existe une

autre catégorie de documents figurés relatifs aux Opérations sur la Têle.

Pour ceux-ci, il s'agit d'interventions chirurgicales réellement motivées

et couramment pratiquées par les barbiers-chirurgiens de village : sai-

gnées, ouvertures de furoncles, d'abcès, pansements de plaies, extractions

(1) Henry Meige, Les Arracheurs de « pierres de têle ? Janus, 50 livraison, mars-

avril 1897.

LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 201

de corps étrangers, etc., etc., bref, toute la petite chirurgie qui se trouvait t

à la portée des opérateurs populaires.

Ici, le caractère et les détails de la mise en scène excluent l'idée de

toute supercherie. L'intention satirique n'est plus aussi apparente. L'ar-

tiste se borne à reproduire une scène de la vie courante, en introduisant

parfois dans sa peinture réaliste une note comique dont le patient fait tous

les frais.

La plupart des spécimens artistiques de cette catégorie n'ayant pas été dé-

crits ni reproduits antérieurement, on en trouvera plus loin la description.

En voici la liste qui d'ailleurs est loin d'être close : *

DAVID Teniers LE Jeune, peintre flamand (1610-1690).

Une Opération chirurgicale. Musée du Prado, à Madrid (1).

Adriaen Brouwer, peintre hollandais (1608-1641).

Un vieux Chirurgien. Musée Wallraf-Richaatz, à Cologne.

ABHAlIA31 DIEPIlAEM, peintre hollandais (XVll' siècle).

La chambre du chirurgien. Galerie de Schwerin.

Jan VAN MOEIUs, peintre hollandais (1660-1690).

- La boutique du barbier. Musée de l'Ermitage, à St-Pétersbourg.

MALO ( ? ), peintre flamand (XVIIe siècle [ ? ]).

Opération sur la tête. Galerie de Mannheim.

Inconnu, de l'école flamande ( ? ) (Carlsruhe).

Un dessin à la sanguine, par D. Teniers LE Jeune. Collect. du Dr Liétard

(de Plombières).

Une gravure attribuée à de WAEL (H. M.).

Voici d'abord Le Vieux Chirurgien d'ADnIAEN BROUWER qui se trouve au

musée Wallraf-Richartz, de Cologne (2). Ce n'est pas un des meilleurs

morceaux du maître hollandais ; le tableau d'ailleurs, autant qu'il m'en

souvienne, est assez mal conservé; mais il est bien dans la manière de

Brouwer, et le sujet même est de ceux qu'il a pris plaisir à traiter. Je ne

parle pas de l'opération représentée, car c'est, à ma connaissance, la seule

fois que l'artiste ait peint un chirurgien rustique opérant sur la tête d'un

client plus rustique encore. Brouwer a montré, au contraire, une prédi-

lection toute spéciale pour les Pédicures de bas étage et les principales

éludes qu'il en a faites, plus d'une demi-douzaine, ont déjà été passées en

revue dans ce recueil (3).

(i) Ce tableau a été décrit et reproduit dans notre précédente étude. Il en existe

une réplique signée, provenant de la vente Van den 1'iele, à Malines, 1896.

(2) N° 651 du Cat. Niessen, 1888. B. IL, 27, L. 29. Je dois la photographie de cette

peinture à l'obligeance de M. le Directeur Risa (Anselme Schmitz, photographe).

(3) Henry Les Pédicures au X¡'Ile siècle. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1897.

202 UENRY MEIGE

Il a également figuré des Opérations sur le Dos (Frankfort-sur-Main),

sur l'Epaule (Louvre, Coll. Lacaze), sur le Bras (Munich). Il n'a d'ailleurs

pas oublié les Arracheurs de Dents : on en trouve des exemplaires à Vienne,

à Cassel, à Carlsriihe, et l'un des plus pittoresques, qui faisait partie de

la collection Kums, il Anvers, vient d'être vendu récemment pour un prix

relativement peu élevé.

Une Opération sur la tête manquait celle série chirurgicale. Le Vieux

Chirurgien du musée de Cologne comhle cette lacune (PI. XXV. A).

Ce vieux chirurgien est surtout un chirurgien fort laid, doté d'une tro-

gne comme il en faut pour plaire à Brouwer : gros nez crochu, menton de

galoche, visage osseux et labouré de rides, que l'on dirait sculpté dans un

marron, et cependant, figure étrangement expressive, où se reflète, sous

le rayon de lumière qui l'éclairé obliquement, un indéfinissable mélange de

rudesse et de compassion, de malice et de grossièreté.

Inutile d'insister sur son habillement qui ne diffère guère de celui de

son entourage. Dans les officines de Brouwer, les chirurgiens ont une

clientèle trop peu huppée pour pouvoir s'offrir le luxe d'un coslume doc-

toral. Un bonnet informe, une veste rapiécée et des chausses en loques ne

sont pas faits pour effaroucher les miséreux en quête d'une opération de

minime importance.

Devant le vieux chirurgien est assis le patient, tendant son front au fer

curateur. Il est vraiment malaisé de dire it quel genre d'opération s'expose

ce pauvre diable. Brouwer lui-même n'a probablement pas eu l'intention

de préciser la nature de l'intervention. L'instrument figuré représente aussi

bien un bistouri qu'un stylet ou une sonde. Et l'on peut admettre ad libi-

t1l1n qu'il s'agit d'une incision, d'une exploration ou même d'un simple

pansement. t.

Ce qui est certain, en tout état de cause, c'est qu'il ne s'agit pas d'une

supercherie opératoire comme celles que pratiquaient les arracheurs de

« pierres de tête ». Le mal, quel qu'il soit, est bien réel, et le viéux chi-

rurgien fait ce qu'il peut pour y remédier.

Comme toujours, la figure de l'opéré exprime une cruelle souffrance.

11 n'en pouvait guère être autrement avec les procédés expéditifs usités par

les barbiers de village. Ce client-là, d'ailleurs, est de l'espèce dolente; il

geint pitoyablement et doit même verser quelques larmes, - étant de ceux

qui ne réagissent contre la douleur qu'en laissant échapper une monotone

lamentation, bien différent en cela de la plupart des opérés de Brouwer

qui hurlent à plein gosier, trépignent et se débattent au point qu'ils sem-

blent parfois livrer bataille à leurs bourreaux.

Les autres personnages n'ont qu'un intérêt accessoire. Nous retrouvons

là cependant celte vieille figure de sorcière qui jette un regard oblique

? OU\', Icovocammne DE LA Sn«i : rmcut. T. XI. PI. XXV

A. Un vieux chirurgien, pat ADDIAEN BROUWER

, (Musée de Cologne)

B. La chambre du chirurgien, p.lr A. Diepraem

(Galerie de Schwerin)

LES OPERATIONS SUR LA TETE

(Henry Meige)

MASSON & (It : , Editeurs.

LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 203

sur l'opéré, comparse obligatoire de toutes les scènes de chirurgie popu-

laire, toujours reléguée au second plan, un bâton à la main, un fichu sur

la tête, rébarbative et rechignante, sans qu'on puisse en savoir au juste la

raison.

Au fond, à droite,se tient encore un quatrième personnage dont il n'est

guère possible de parler, tant il est perdu dans l'ombre. Le catalogue de

J. Niessin explique qu'il s'agit d'un paysan qui attend avec une grande

anxiété (in spannungsvoller Ervartung). Il m'a paru que ce soi-disant

client de réserve tournait le dos au groupe principal et semblait occupé à

quelque préparation dans le fond de la pièce. Il rappelle beaucoup le per-

sonnage d'arrière-plan que Brouwer a figuré dans son Pédicure d'Aix-la-

Chapelle, triturant des drogues dans un mortier.

Rien à dire du décor et des accessoires. Brouwer, à l'inverse de Teniers,

est toujours très sobre de détails mobiliers. Les murs sont d'une nudité

voulue qui fait ressortir plus vivement les figures expressives des person-

nages. On distingue cependant, il gauche,sur le rebord de la fenêtre, un ou

deux vases à médicaments.

C'est là tout l'arsenal du Vieux Chirurgien.

Parmi les imitateurs de Brouwer qui se sont efforcés de rendre le pitto-

resque des officines populaires, se trouve un contemporain du maître hol-

landais, A>3naaant Diepraem ou DIEPHAAM. Peintre de valeur très secon-

daire, il a laissé un certain nombre de scènes d intérieur qui n'ont guère

d'intérêt qu'au, point de vue documentaire. Outre leur absence complète

d'originalité, les oeuvres de Diepraem sont d'une facture lourde et d'un

coloris éteint qui suffit à les différencier des peintures de Brouwer, si ha-

biles et si chaudes,avec lesquelles elles n'ont de parenté que par le choix des

sujets. 1

Dans la galerie de Schwerin se trouve un tableau de Diepraem intitulé

La chambre du chirurgien (1), qui, malgré ses imperfections, mérite d'être

signaléici (Pl.XXV. B). Il représente, en effet, une intervention sur la tète;

plus exactement, il s'agit d'un pansement à l'aide d'un emplâtre étalé sur

un carré d'étoffe.

Un paysan, le bras droit et l'épaule droite mis à nu, est assis sur un

escabeau, 'le corps tourné à droite, la tête de face. A ses pieds, son large

chapeau de feutre traîne sur le sol. Derrière lui, se tient debout le chirur-

gien, le pied droit posé sur l'escabeau, coiffé d'un bonnet qu'orne un

noeud de rubans, vêtu d'une casaque à larges crevés, appuyant sa main

(1) N' 244 du Catal. F. Schlie, 1882. B. H. 27, L. 32. Je dois la photographie.de

cette peinture à l'obligeance de M. le directeur F. Schlie du musée de Schwerin.

204 HENRY MEIGE

gauche sur la tête du patient et de la droite soulevant les bords d'un em-

plâtre appliqué au niveau de l'oreille.

A gauche, derrière une table et près de la fenêtre, un aide fait chauffer

un nouvel emplâtre au-dessus d'un réchaud.

En arrière et à droite du groupe principal, une vieille femme, coiffée

d'un bonnet blanc, son tablier relevé, se tient debout et regarde l'opéra-

tion. '

A droite, au premier plan, un baquet renversé et un balai fortement

usé. -

Dans le fond, un malade tenant un bâton de la main gauche et portant

son bras droit en écharpe.

Sur le mur, une étagère avec quelques fioles et pots de pharmacie. Une

énorme paire de ciseaux brille sur l'escabeau où est assis le patient.

En somme, décor, personnages et accessoires, sont conformes à la tra-

dition des Teniers et de Brouwer.

L'opération en elle-même se réduit à un simple changement d'emplâtre

pour quelque plaie ou abcès survenus au voisinage de l'oreille.

Les chirurgiens de village n'étaient pas ménagers de ce mode de 'trai-

tement.

Ici encore, cette anodine opération n'a rien de commun avec la jonglerie

des « pierres de tète ».

Sans insister sur la valeur artistique de cette peinture, on ne peut s'em-

pêcher de remarquer combien elle reste inférieure aux scènes du même

genre que Brouwer nous a laissées. Les figures sont épaisses et inexpres-

sives, les attitudes empruntées, les éclairages sans vigueur. On cherche-

rail en vain sur le visage de l'opérateur cette mimique équivoque, à la fois

narquoise et compatissante, qui retient forcément l'attention dans les la-

Uleaux du maître hollandais. Le patient reste inerte, sans un geste de dé-

fense, esquissant à peine un rictus douloureux. La vieille ne s'effraye ni

ne s'apitoie. L'aide est vraiment trop attentif a la cuisson de son emplâtre.

Enfin, le nouvel arrivant est trop visiblement destiné à remplir un coin

vide sur la droite du panneau.

Avec la même donnée et les mêmes personnages, Brouwer a su, par des

chefs-d'oeuvre de réalisme, mettre en valeur sa verve malicieuse et son

inimitable talent d'observation. Ses chirurgiens, à la fois grossiers et sub-

tils, inspirent l'appréhension et la confiance en même temps. Ses opérés,

dont la douleur est toujours comique, commandent le rire et la compassion.

Ses vieilles commères sont des énigmes. Et, par un adroit effet d'antithèse,

au fond de ces soupentes enfumées où s'étouffent les gémissements, ne

voit-on pas soudain une porte qui s'ouvre par où quelque joyeux drille,

Nouv. Iconographie DF la SALP1 : CRICRF. T. XI. PI. XXVI

- 1

Pbotocoll. Betbnnd.

LES OPÉRATIONS SUR LA TETE

La 'Boutique du 'Barbier

Tableau de JAN VA\ MIERIS (1660-1690)

(Musée de l'Ermitage, i St-Ptersbourg)

MASSON & r-ie, Editeurs.

LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 205

débordant de santé, jette, dans un rayon de lumière, un gros éclat de rire

d'un irrésistible effet ?

Le nom de VAN MOERIS est attaché, dans les annales de la peinturelol-

landaise, à toute une dynastie d'artistes qui s'efforça d'imiter, de généra-

tion en génération, la manière de Gérard Dow, éclose elle-même à l'école

de Rembrandt.

Frans van Mieris le Vieux (1635-1681), l'ancêtre de la famille, celui

que Gérard Dow lui-même nomma « le prince de ses élèves », eut un fils

Willem van .MOERIS LE Vieux (1GG` ? -1 îh ? ). De ce fils, lui naquirent deux

petits-fils, JAN VAN Mieris (1660-1690) et FRIANS van l\1rERIS LE Jeune

1689-1763). Enfin, ce dernier eut un fils, arrière-petit-fils du vieux Frans,

qui porta le nom de Willem van Mieris le Jeune.

De cette généalogie artistique où le talent va diminuant au sur et il me-

sure qu'on s'éloigne du patriarche Frans le Vieux, nous ne retiendrons

ici qu'un seul nom, le moins connu, JAN UN Vlirms, né à Leyde, et mort

à Rome à l'âge de 30 ans.

Une des plus belles peintures consacrées aux opérations sur la lète, est.

due t son pinceau délicat. Elle se trouve au musée de l'Ermitage à St-

Pétersbourg, et s'intitule : La boutique du Barbier (Pl. XXVI) (1).

Un jeune gentilhomme vient d'être blessé au front; accident ou esto-

cade, peu importe ; le mal est fait. C'est une large entaille qui a beaucoup

saigné, rougissant le blanc du col et le jaune du justaucorps, sans parler

du mouchoir qui a servi à tamponner la plaie et qui gît encore sur le sol.

Blessure grave, mais non mortelle, car le blessé a eu la force de venir ré-

clamer les soins d'un homme de l'art. Précipitamment, il a jeté par terre

son manteau écarlate, son chapeau et ses gants. Puis, très pâle, et un peu

défaillant, il s'est laissé tomber dans le fauteuil doctoral.

Maintenant, le chirurgien peul examiner la plaie. Elle est béante, enta-

mant la peau du front sur une assez grande longueur, mais la peau seule

probablement, car le blessé conserve toute sa connaissance, el, pendant cet

examen, semble faire le récit de sa m'ésaventure avec gestes à l'appui.

Malgré le désarroi causé par un tel accident il garde fière mine et nobles

manières. Gracieux profil, fine moustache, longs cheveux bouclés, mains

délicates, doigts effilés : c'est un gentilhomme de race, bien fait pour plaire

à Van Mieris.

Il) N° 12H du catal. Somof. 1895, ici. 66, L. Si. La photographie m'a été obligeam-

ment envoyée par M. le directeur Somof que je suis heureux de remercier en ce'.le

occasion.

11 1 11

206 HENRY MEIGE ,

Il est mis avec élégance, sans recherche ni prétention : le col uni, mais

bien taillé, des aiguillettes où il en faut, les crevés qu'il convient d'avoir

* aux manches, une longue rapière au côté, de hautes bottes à revers : c'est

la tenue d'un homme de qualité ayant pris service dans quelque régiment;

sa blessure est peut-être une blessure de guerre. '

Jeune aussi et de mise soignée, avec des cheveux en bon ordre, le chi-

rurgien, tout de noir vêtu, palpe de la main gauche les bords de la plaie

béante, tandis que de la droite il fait un gesle pour recommander le repos

à son belliqueux client. Calme et attentif, il réfléchit au parti qu'il va

prendre.

Ce groupe, sous la pleine lumière qui tombe d'une large fenêtre à vi-

traux, est admirablement mis en valeur. Il démontre une fois de plus que

l'on peut être réaliste sans cesser d'être distingué.

La blessure et le sang qui en a coulé n'ont rien de choquant, mais suf-

fisent à émouvoir. Le blessé, dans cet instant critique, garde la retenue

qui sied à un gentilhomme, maîtrisant sa douleur, évitant les grimaces et

les contorsions qui sont, comme chacun sait, le propre des petites gens.

Il n'a eu qu'une seule minute d'oubli, lorsqu'il a jeté par terre son

chapeau et ses gants ; encore était-ce avec un geste de colère plutôt que

de souffrance. En ce moment même, feignant d'oublier l'entaille de son

front, ne semble-t-il pas être préoccupé davantage des épisodes de la ba-

taille que des fâcheuses conséquences qu'elle a eues pour lui ?

Que nous sommes loin des scènes tragi-comiques représentées à foison

par Teniers ou Brouwer dans leurs officines de barbiers villageois ! Là,

le réalisme populaire éclatait dans toute sa grossière naïveté. Les patients

ne songeaient guère à mettre une sourdine à leurs cris de souffrance, à

modérer leurs grimaces et leurs gesticulations. Loqueteux, débraillés, cras-

seux, communs de gestes et de visage, ils faisaient éclaler bruyamment leur

douleur, sans souci du respect humain, et ne craignaient pas de hurler il

tue tête, quand le remède leur semblait plus cruel à supporter que le

mal.

Là aussi, l'opérateur, moins discret et moins grave, au courant des fa-

çons de sa clientèle de miséreux, faisait aisément si du décorum, en usait t

avec une brusquerie familière, se gaussait ouvertement des excessives la-

mentations et n'hésitait pas à employer la force pour refréner les écarts de

ses opérés turbulents.

Là enfin, la pénurie et le désordre de l'intérieur trahissaient la misérable

condition du chirurgien : plafonds bas, fenêtres étroites, portes mal clo-

ses, instruments jetés pêle-mêle sur les tables ou sur le sol dans un

fouillis de meubles boiteux et de vases ébréchés où piétinaient à l'aveu-

LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 207

galette les bêtes de passage, et la mégère bougonne qui servait d'épouse et

d'aide au barbier.

Ici au contraire, chez le chirurgien de Van Mieris, on pénètre dans un

appartement confortable et soigneusement tenu. Le propriétaire, ordonné

dans sa mise, l'est aussi pour les meubles et les ustensiles de sa profession.

C'est un savant ; il a dès livres et il les lit. On en voit un, ouvert sur une

table, où sont imprimées des figures d'instruments de chirurgie ; un autre,

sur un banc, devant la fenêtre, est marqué d'un signet blanc.

Il possède aussi une mappemonde et plusieurs cartes de géographie.

Enfin, il s'intéresse à toutes les choses naturelles, car sur les murs est

appendue une véritable collection de curiosités : des crânes d'animaux,- un

fémur d'homme, une carapace de tortue, un crocodile empaillé, des armes

exotiques, des oeufs, des graines bizarres, et une foule d'autres menus

objets. Même, au plafond, dans une cage de cuivre, est enfermé un per-

roquet.

Mais le chirurgien est surtout richement monté en accessoires profes-

sionnels, car dans une armoire haut perchée dont la porte est entrouverte

et où, par parenthèse, il doit être malaisé d'atteindre sans échelle,

on aperçoit une file imposante d'instruments chirurgicaux, proprement

astiqués et rangés avec soin.

Au-dessous, sur des rayons, s'alignent des fioles avec des étiquettes et

des pots de pharmacie en faïence de Delft ornée de dessins bleus.

On y voit encore un plat à barbe et une paire de ciseaux, preuve que,

selon la règle, le maître de céans est autant barbier que chirurgien.

Ce savant, ce chirurgien, ce barbier, féru sur l'anatomie et la mappe-

monde, grand collectionneur de carapaces et de (lèches empoisonnées,

n'a-t-il pas tout pour être heureux ?

Dans sa fenêtre, il gauche, s'encadre un paysage verdoyant, avec la flèche

ajourée du clocher de la ville, et s'il vient à se retourner, il aperçoit, au

fond de la pièce voisine, la silhouette paisible d'une jeune femme la

sienne sans doute, -- qui travaille à quelque ouvrage de couture, une pe-

tite fille jouant à ses pieds.

Sans abandonner sa lâche, la travailleuse jette un regard du côté de

l'officine où entre l'aide du barbier apportant du feu sur un réchaud.

On se complaît à savourer le charme de cet intérieur tranquille et or-

donné dont la douce quiétude est à peine troublée par l'opération qui se

prépare au premier plan de l'officine.

Il existe, dans la Galerie de Peinture de Mannheim, un assez joli tableau

représentant une Opération sur la tête . Il est attribué à un peintre fia-

208 HENRY MEIGE

mand, nommé MALO, élève ou imitateur de Teniers, qui aurait vécu il

Cambray vers 1650 (1). Je laisse à de plus compétents le soin de justifier

cette attribution, ayant rencontré là pour la première fois le nom de ce

peintre, dont je n'ai pu retrouver la trace dans les ouvrages que j'ai con-

sultés. C'est sur une fiole de pharmacie déposée sur une table qu'on lit le

mot MALO..... ou Mats Est-ce la signature de l'artiste ? Est-ce une

étiquette pharmaceutique comme on en rencontre souvent dans les pein-

tures du même genre En l'absence de renseignements et de termes

de comparaison, il n'est pas permis de se prononcer.

Mais ce qu'on peut dire en toute assurance, c'est que la peinture n'est

pas sans mérite et que le sujet offre un réel intérêt.

Cette fois, l'opérée est une femme, une vieille vêtue d'une robe rouge,

avec un tablier bleu et une coiffe blanche sur sa tête. Elle est assise de pro-

fil à gauche, sur un fauteuil auquel elle se cramponne d'une main, levant

son autre bras en l'air, le poing fermé.

Le chirurgien, homme élégant, porteur d'une belle barbe, est habillé

d'un justaucorps il crevés rouges et coiffé d'un béret noir.

Il a passé son bras gauche derrière le cou de la femme afin de refréner

ses agitations, et, de la main droite, il s'apprête à opérer sur le front au

moyen d'un court bistouri ou d'une pince très fine. On ne distingue pas

très bien l'instrument et il est difficile de préciser la nature de l'opération.

Mais, à coup sûr, il ne s'agit pas d'une extraction de « pierre de tète ».

Si la figure de la vieille exprime la douleur, celle du barbier n'a rien de

comique : il regarde au contraire sa cliente avec une expression de douceur

compatissante qu'on est tout surpris de rencontrer dans une scène de chi-

rurgie rustique. En cela, comme aussi par la recherche de son costume et

le soin de son physique, ce chirurgien ressemble bien plus aux opérateurs

de Gérard Dow qu'à ceux de Teniers.

Peut-être l'opération a-t-elle pour but une saignée de la veine frontale,

usitée contre les migraines, ou bien une intervention pour une plaie légère

du front.

Le local est conforme aux intérieurs des barbiers-chirurgiens. A gauche,

devant une fenêtre à vitraux, une table avec un plat à barbe et un pot.

Sur le mur, des rayons chargés de fioles. Au plafond, un crocodile em-

paillé.

A droite, devant la vieille femme, un panier et deux cannes-béquilles.

Dans le haut du tableau, une draperie verle rappelle encore un procédé

de composition, fréquemment usité par Gérard Dow.

S'il est vrai que l'auteur de cette peinture ait été inspiré par Teniers,

(1) Cette attribution et ces renseignements proviennent du Catalogue de la Galerie

de 1\lannheirn, par C. Roux, 1891. Le tableau porte le n°286. - B. II., 51, L. 39.

IiOUV ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T, XI, PL. XXV11.

UNE OPÉRATION SUR LA TÊTE

Dessin à la sanguine sur vélin, par DAVID TENIERS le Jeune (1634).

(Collection du Dr Liétard, de Plombières)

. (Figure extraite du " Janus " 1898).

MASSON ET C10, Éditeurs.

LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE 209

il faut convenir qu'il s'est notablement éloigné de la manière un peu trop

uniforme dont le maître flamand a traité tous ses sujets médicaux.

Il a réduit à deux le nombre des personnages et c'est une femme qui

joue le rôle de patiente. Enfin, il a modifié la facture du maître de façon

à rendre difficilement reconnaissable son influence, et à obtenir un effet

nouveau qui n'a rien de déplaisant.

J'ai aperçu, par hasard, un tableau représentant une opération sur la

tête dans le cabinet de M. Richard, directeur de la galerie de peinture de

Garlsrtihe. C'était une peinture de l'école flamande ou hollandaise, de va-

leur secondaire, appartenant il un habitant de la ville, et dont le nom

d'auteur était encore à déchiffrer. Je ne signale ce document que pour mé-

moire.

Dans un intérieur rustique, un homme à favoris noirs est assis de profil,

tourné à gauche

L'opérateur, debout, coiffé d'un turban de couleur, et portant à la cein

ture une trousse de chirurgien, homme grave, attentif à son opération,

fait avec la main droite une incision sanglante sur le front de son client.

Derrière ce dernier, adroite, se tient une vieille femme, la tète couverte

d'un mouchoir blanc, figure manifestement imitée de Teniers ou de

Brouwer.

La scène ne prête nullement à la plaisanterie. C'est une peinture froide

et sans verve d'un épisode banal de chirurgien populaire.

Un très intéressant document, relatif aux opérations sur la tête, a été

récemment communiqué au « Janus », par le Dr Liétard, de Plom-

biéres(1) (PI. 11VII).

Nous ne pouvons mieux faire que de rapporter textuellement la descrip-

tion et l'interprétation qu'en donne notre érudit confrère qui est en même

temps le possesseur de cette pièce artistique dont l'authenticité ne semble

pas douteuse.

« Il s'agit d'un dessin original, à la sanguine, sur velin, signé du mono-

gramme bien connu de David Teniers le Jeune et daté de 1634 ; il a été

exécuté par conséquent lorsque l'auteur était âgé de 24 ans.

« Contrairement à ce qui se voit dans la plupart des reproductions de

dessins ou de tableaux publiés dans ces derniers temps, la scène n'a pas

de témoins et le nombre des personnages est réduit à deux, l'opérateur et

l'opéré.

(1) Un arracheur de pierres de tête. Janus, 1898, janvier et février, p. 3T5. '

210 HENRY MEIGE

« Le mobilier ne comporte que le strict nécessaire, et une fioledephar-

macie, inconnaissable à la banderolle, destinée sans doute à l'inscription

du contenu, placée sous un escabeau, indique seule que l'opération sera sui-

vie d'un pansement.

« Il se pourrait que ce dessin ne fût qu'une étude partielle, un des grou-

pements de personnages à insérer dans une oeuvre plus importante et plus

complexe.

« La composition éloigne toute intention satirique ou même ironique ;

ce qui frappe au contraire, c'est le sérieux, au moins apparent de l'opé-

rateur, et la confiante placidité de l'opéré. Sous ce rapport, ce dessin est

à rapprocher de la gravure de Jean van der Bruggen, d'après David Te-

niers (1).

« S'agit-il ici réellement d'une extraction de pierre de tête, ou d'une

opération banale quelconque ? Il est à remarquer qu'aucune saillie ne ré-

vèle la présence ni d'un abcès ni d'une loupe, et que l'attention de l'opé-

rateur indique ou simule une précision de mouvements comme ceux que

nécessite la recherche d'un corps étranger caché sous la peau. »

Comme le fait judicieusement observer le Dr Liétard, il s'agit vraisem-

Llablement d'une étude de Teniers pour l'une de ses nombreuses scènes

de chirurgie populaire. Un tableau a-t-il été fait d'après celle esquisse ?

Je n'en connais pas l'existence. Celui dont le dessin se rapproche le plus

est l'Opération chirurgicale du musée du Prado, à Madrid, dont nous avons

donné antérieurement la description et la reproduction. Les deux person-

nages principaux, l'opérateur et l'opéré, ont de grandes analogies d'alti-

tude : le patient assis sur un escabeau très bas, le chirurgien debout der-

rière lui, une jambe posée sur le siège, fait sur le crâne une incision avec

un bistouri. Mais, dans le tableau de Madrid, le malade est tourné il

droite ; il joint les mains au lieu de croiser les bras, il grimace horrible-

ment au lieu de se mordre les lèvres, enfin les détails de costume diffèrent

notablement.

On peut encore remarquer que l'opérateur, sur le dessin il la sanguine,

porte, au lieu de la petite gaine professionnelle pour mettre les instru-

ments, une véritable épée qu'on est tout surpris de \oirpendre à la cein-

ture d'un barbier. Mais, c'est peut-être un de ces chirurgiens ambulants

dont les descendants, nos charlatans des places publiques, affectionnent

encore aujourd'hui les costumes militaires et les allures guerrières.

On est plus surpris encore devoir ce chirurgien armé pour la bataille

opérer de la main gauche. Assurément l'on peut être gaucher et manier

fort habilement le bistouri. C'est là cependant une anomalie curieuse à

(1) Voy. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1895, p. 312, et Janus,1891, p. 396.

LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 211

signaler, car elle n'existe chez aucun autre opérateur de Teniers (1).

On peut, il est vrai, supposer encore, selon l'avis du Dr Liétard, que

les deux mains du chirurgien concourent à l'opération, « la main droite,

qui paraît simplement posée sur la tète prenant part il un acte complexe,

comme celui de faire sortir un liquide d'un kyste, opération dans laquelle

la main non armée aurait fait le principal ».

Voici enfin une gravure, sans nom d'auteur, que j'ai trouvée avec une

attribution il de WAEL, dont je n'ai pu vérifier l'exactitude. Ce qui est

certain c'est que le nom de de WAEL fut porté au XVII, siècle par deux

peintres Anversois, deux frères, LucAs DE Wael (1591-1661), paysagiste,

et Corneille nr.«T.ia. (1392-1662), peintre de batailles, contemporain

et émule de Pierre Snayers. L'un et l'autre firent un long séjour en Italie.

C'est assurément en Italie que l'auteur de la gravure - ou du tableau Il

original, s'il existe a pris ses modèles, dans un milieu de bergers et

de villageois.

L'un d'eux est sur la sellette, abandonnant sa tête, non sans en pâlir,

au barbier-chirurgien de l'endroit (Fig. 1).

Ce dernier, homme mûr, coiffé d'une calotte, une fraise au cou, atla-

(1) Bien entendu, je ne parle pas des gravures où les originaux sont retournés ;

là, la main droite devient la main gauche et réciproquement .

Uae 01'(;1\ ITlO : 'i SLII LA Tirr.

Gravure attribuée il De W.EL (XVII= siècle).

212 . HENRY MEIGE

que délibérément le cuir chevelu de son client el, avec un fort couteau,

lui fait une large entaille.

L'opération est délicate aulant que douloureuse, car le chirurgien pince

les lèvres, fronce les sourcils, tandis que sa victime rugit de douleur, puis,

en manière de représailles, pétrit rageusement entre ses doigts l'étoffe de

ses chausses et aplatit son feutre sur son genou.

A droite, deux paysans, debout, vêtus comme l'opéré, d'étoffes rapié-

cées et de peaux de mouton, regardent et commentent l'opération. Un

chien, à côté d'eux, n'est pas moins attentif.

A gauche, deux femmes et deux enfants. L'une d'elles, jeune, un capu-

chon sur la tète, tient entre ses hras l'un des deux bambins qui, sérieuse-

ment, tête son pouce. L'autre gamin, plus âgé, accroché aux jupes de sa

mère, montre du doigt le patient et s'amuse de ses grimaces.

La seconde femme est une vieille commère coiffée il la napolitaine, dont

les yeux affaiblis ont besoin poursuivre les péripéties de l'opération du se-

cours de larges bésicles rondes. Pour mieux voir, elle se penche en avant

avec un geste de surprise et d'effroi, peut-être feint ou peut-être sincère.

De l'officine on ne voit pas grand'chose, si ce n'est un mur orné de plats

à barbe, d'une flûte, d'une guitare et d'un tableau; au milieu une table de-

vant une fenêtre; à gauche, une porte, ouvertes l'une et l'autre sur la cam-

pagne ; une cage pendue au plafond emprisonne un oiseau.

Le groupement et les attitudes des personnages diffèrent, comme leurs

costumes, de ceux qu'on voit dans les scènes de chirurgie flamandes et hol-

landaises. Les physionomies ne sont pas sans expression, en particulier

celles de l'opéré, du chirurgien, et de la vieille commère à lunettes.

L'essentiel serait de savoir à quelle opération se livre cet inciseur de

crâne.

D'une main, il entaille largement; de l'autre, appuyée sur la tète du pa-

tient, il saisit un objet, malheureusement difficile à reconnaître. Est-ce un

lambeau de la peau du crâne ? Est-ce un morceau d'emplàtre à moitié dé-

collé ? Est-ce une éponge pour étancher le sang ? Ou ne serait-ce pas une

« pierre de tète » ?

Le simple examen de la gravure ne permet pas de se prononcer. Cepen-

dant le sérieux de l'opérateur el celui des assistants ne sont guère d'ac-

cord avec l'hypothèse d'une supercherie chirurgicale.

Le gérant : P. Bouchez

Imp. G. Saint-Aubin et Thevcnot. J. Thevenot, successeur, Saint-Dizier (Haute-Maine)

il° Année N° 4 Juillet-Août 1898

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX,

(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE).

SUR UN CAS DE TUMEUR DU CERVELET

PAR R

F. RAYMOND

Professeur de Clinique des Maladies du Système Nerveux.

Messieurs,

Je vais consacrer la leçon de ce jour au cas d'une jeune m

soulève une intéressante question de diagnostic topographique

selon toute vraisemblance, d'un cas de tumeur de l'encéphale

exactement, d'un cas de tumeur du cervelet. Le cas en question va me

servir de point de départ d'une série de leçons que je compte faire dans le

courant de cette année, sur d'autres exemples de tumeurs cérébrales. Ce

sera pour moi l'occasion d'entreprendre une étude clinique des localisa-

tions cérébrales. Cette étude doit vous intéresser à deux points de vue

surtout : au point de vue du diagnostic; au point de vue du traitement

qui, sauf de rares exceptions (j'ai en vue les néoplasmes syphilitiques),

ressortit presque exclusivement à l'intervention opératoire, en tant qu'il

s'agit des tumeurs dites cérébrales, des tumeurs inlra-cràniennes.

La malade dont il s'agit, une nommée X..., est actuellement âgée de

22 ans. Deux faits qui ont, à mes yeux, une grosse importance sont à

relever dans ses antécédents héréditaires : le père de X... esl mort à t'age

do 1.2 ans, emporté par une tuberculose chronique. La mère, qui vit

encore, est une « grande nerveuse » ; il plusieurs reprises. elle a présenté

des accidents dont l'origine hystérique et neurasthénique est manifeste.

Au surplus, deux ou trois de ses enfants sont morts d'une méningite.

(1) [Celte leçon, faite il la Salpêtrière le 4 décembre 189G,doit figurer dans le IIIe vo-

lume, actuellement sous presse, des Cliniques des maladies du système nerveux du

Pr RAMOxn. Paris, Doin,édteur, 1S98. Nos remerciements à M. Doin qui nous a obli-

geamment communiqué les figures de cette leçon.] (X. D. L. IL)

xi 1J

214 F. RAYMOND

X... est née à terme, à la suite d'un accouchement facile. Bien portante

jusqu'à l'âge de 20 mois, elle a eu ensuite une poussée fébrile accompa-

gnée de somnolence, de vomissements, de maux de tète, en présence des-

quels le médecin traitant a prononcé le mot de méningite. Il est difficile

de savoir, d'après les quelques renseignements que nous avons pu recueil-

lir, ce qu'a été au jusle celle première atteinte. Incidemment, je crois

devoir vous rappeler combien il faut tenir pour suspect le diagnostic de

méningite, toutes les fois qu'il s'applique à une maladie lerminée par

guérison. Aussi bien, nous pouvons admettre, sans une grande chance

d'erreur, que chez X... il s'est agi d'une atteinte de méningisme. Nous sa-

vons aujourd'hui que les atteintes de ce genre sont fréquentes chez les tout

jeunes enfants. C'est un point sur lequel MM. Comby et Dupré ont attiré

l'attention des médecins. II n'y a pas très longtemps, M. IIutinel, dans une

récente communication à la Société Médicale des Hôpitaux, est revenu sur

le même sujet. A M. Gilles de la Tourette, qui soulignait ce que le mot de

méningisme a de vague, M. Mutine) a répondu qu'il s'agissait d'accidents

qui simulent à s'y méprendre la méningite tuberculeuse, mais qui n'ont

d'elle que les apparences, accidents qui surviennent chez les jeunes en-

fants, dans le cours des infections et des intoxications : streptococcie, in-

fections graves de l'intestin, grippe, etc. Tantôt ils se dissipent sans laisser

de traces, tantôt ils aboutissent à un dénouement fatal ; mais alors l'au-

topsie ne laissant rien découvrir du côté des méninges, qui puisse les

expliquer, il est donc vraisemblable que ces désordres pseudo-méningiti-

ques sont occasionnés par des toxines.

Toujours esl-il que notre malade s'est complètement rétablie de sa pré-

tendue méningite. A S ans, elle a eu la rougeole et la coqueJ uclie ; ces deux

atteintes n'ont pas davantage laissé de traces apparentes.-

A partir de Page de sept ans, X..., d'après ce que raconte sa mère,

s'est révélée comme une enfant extrêmement émotive, dormant mal la

nuit, fréquemment réveillée par des cauchemars, sujette aux terreurs noc-

turnes.

Vers l'àge de 10 ans, à la suite d'une légère contrariété, X... a eu

une série d'attaques de nerfs, pendant la durée desquelles elle s'est plainte

de fortes douleurs à 1'(,pigasti-e. Ces attaques, qui étaient pour ainsi dire

subintrantes, ont duré plusieurs jours et plusieurs nuits de suite; elles ne

se sont pas accompagnées de perle de connaissance.

A la même époque, X... est devenue sujette à des tics multiples du

visage; ces tics ont persisté pendant plusieurs années. J'ai déjà eu l'occa-

sion de vous signaler la signification de ces lies en tant que stigmates de

dégénérescence.

X... avait 15 ans lorsqu'elle perdit son père qu'elle aimait énorme-

SUR UN cas DE TUMEUR DU CERVELET 215

ment. Elle en éprouva un vif chagrin et son caractère changea du tout au

tout. Jusque-là elle avait la gaité habituelle à son âge : elle devint taci-

turne, concentrée en elle-même. Elle ne parlait de rien moins que de se

tuer sur la tombe de son père. En même temps elle devint d'une extrême

jalousie ; elle accusait sa mère d'avoir des préférences pour un de ses

frères.Je vous donne tous ces détails, afin de bien vous édifier sur l'étal

psychique de la malade, à l'époque dont je vous parle.

X... a été réglée, lard, à l'âge de 18 ans ; ses époques ont toujours été

très irrégulières.

J'en arrive au début de la maladie actuelle. Il y a deux ans et demi, X...

qui est couturière de son état, remarqua que sa démarche devenait titu-

bante et que ses jambes se fatiguaient vite ; en même temps, elle perdit

l'appétit et elle se mit à éprouver un sentiment de malaise général. La

faiblesse des jambes alla en s'accentuant, ainsi que les allures chancelantes

de la démarche; X... marchait comme une femme ivre. Elle n'en con-

tinua pas moins son métier de couturière pendant l'année qni suivit.

Au mois de juillet 1895, un matin, X..., pendant qu'elle s'occupait

aux travaux de son ménage, fut prise subitement d'un grand malaise et

d'une défaillance. Elle n'eut que le temps de frapper au plafond pour

réclamer du secours, puis elle tomba inerte. D'après ce que lui ont

raconté les personnes accourues auprès d'elle, elle était d'une extrême

pâleur ; elle avait les yeux clos ; sa respiration était à peine perceptible,

ses membres étaient en résolution complète. Elle n'a pas eu d'écume à la

bouche, elle n'a pas eu non plus d'incontinence des sphincters. Au bout

de quelques minutes, elle revint à elle, ne se rappelant rien de ce qui

s'était passé à partir du moment où elle avait frappé au plafond. Plus que

jamais elle était faible sur ses jambes, et elle trébuchait en marchant.

L'anorexie devint complète : X... avait de la fièvre.

Au bout de deux jours, la fièv re redoubla ; il s'y associa u e céphalalgie

tellement violente qu't... se serrait les régions pariétale ? ire lesmains,

en criant : « ma tèle, mi tète ». Puis régions diiis lltlléïéll.itible mains,

en criant : « ma tête, ma tète o. Puis elle tomba dans un éritable accès

de délire maniaque, pendant lequel elle proférait des paroles incohérentes.

Cette situation dura environ une huitaine de jours, avec des alternatives

d'aggravation et d'amélioration. C'est surtout entre 10 heures du soir et

minuit que l'agitation parvenait à son comble. En dernier lieu, elle dégé-

néra en une violente attaque de concision.

Le médecin traitant, peu fixé sur la nature de ces accidents, et très

inquiet de la situation, fit transporter X... à l'hôpital Necker.Il faut croire

que, dans le service où elle fut hospitalisée, on méconnut la gravité de la

situation, car au bout de huit jours on renvova la malade chez elle. Dans

216 ' F. RAYMOND

la rue, elle fut prise pour une femme ivre, tant sa démarche était titubante.

Pendant trois semaines, elle resta chez elle, passant la plus grande par-

tie de ses journées au lit. Elle se plaignait sans cesse de sa tête ; parfois

elle déraisonnait. Ses nuits étaient troublées par des cauchemars; il lui

arrivait de crier : « au feu, à l'assassin, etc. »

Pendant un séjour de trois semaines que X... fil ensuite à la campagne

chez une de ses tantes, la céphalalgie se calma ; l'appétit revint ainsi que

le sommeil ; la démarche conservait son caractère titubant. cette époque,

deux symptômes très importants firent leur apparition : la malade perdit

peu à peu l'acHe-et la vue. Au dire de X... c'est l'ouïe qui a été atteinte

en premier lieu. Toujours est-il que la surdité se développa plus rapide-

ment que la cécité. En quelques mois du reste, l'abolition de l'ouïe et de

la vue était complète.

C'est dans cet état que la malade revint à Paris, au mois de septembre

de l'année dernière (1895). J'ajoute qu'elle ne souffrait plus de la tète et

qu'elle était plus gaie. Mais celle accalmie dura une quinzaine tout au

plus. Le 22 décembre, la malade nous fut amenée à la Salpêtrière.

En somme, du récit relativement long que je viens de vous faire, vous

devez retenir que cette jeune fille, fortement entachée par l'hérédité

névropathique, a présenté successivement les accidents que voici :

Une certaine difficulté de la démarche qui est devenue titubante; des

maux.de tête extrêmement violents ; des attaques, les unes syncopales, les

autres,épileptiformes; des accès de vertige; de l'excitation maniaque; de

l'agitation nocturne. Après une phase d'accalmie, de très courte durée* la

céphalalgie et les phénomènes -d'excitation sont rentrés en scène; en

même temps que la démarche devenait de plus en plus difficile, l'ouïe et

la vue se sont mises il baisser progressivement; au bout de quelques mois,

la surdité et la cécité étaient complètes.

C'est dans cet étal que la malade s'est présentée à nous. Grande et d'ap-

parence robuste, d'un embonpoint presque excessif pour son âge, elle

portait sur la figure l'empreinte des souffrances physiques qu'elle avait

endurées. Son visage était blême, ses traits tirés ; son regard avait une

expression d'indéfinissable tritessc (Pl. XXVIII).

En parlant très fort, on parvenait encore à se faire entendre de X... et

à entrer en conversation avec elle ; mais ces entretiens étaient rendus très

pénibles par les efforts qu'ils nécessitaient de part et d'autre.

L'examen de l'ouïe, pratiqué à l'aide d'une montre, révélait l'existence

d'une surdité à peu près complète, des deux côtés, et cela aussi hien quand

la montre était tenue à une faible dislance de l'oreille que lorsqu'elle était

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE, T. XI. PL. XXVIII,

UN CAS DE TUMEUR DU CERVELET

(F. Raymond.)

l3Wr,ut du IIl° volume des Cliniques des Maladies du Système nerveux.

SUR UN CAS DE TUMEUR DU CERVELET 217

appliquée sur le crâne, sur les apophyses mastoïdes, sur la racine du nez.

Avec l'audiphone on n'obtenait presque aucune perception. De plus, la

pression centripète du nerf auditif ne déterminait pas de vertige, preuve

que les tympans étaient scléreux.

A l'inspection de la face, nous avons été frappés de ce que la malade

tenait ses paupières un peu plus abaissées que normalement; elle avait

d'ailleurs une certaine difficulté à les relever. Il n'y avait aucune trace

de paralysie des muscles de l'oeil. Les pupilles réagissaient bien aux

impressions lumineuses et aux efforts d'accommodation. La malade se

plaignait de ne presque plus voir clair. Cependant, lorsqu'elle approchait

un livre une faible distance de ses yeux, elle parvenait encore à lire;

la lecture, qui était son unique distraction, l'occupait des heures entières.

L'examen oplJtllalmoscopique fait constater ce qui suit : Les deux pu-

pilles étaient plus larges qu'à l'étal normal, d'une teinte grisâtre; leurs

bords étaient le siège d'une suffusion séreuse très nette; les artères étaient

rétrécies ; les veines dilatées, tortueuses.

Les mouvements des lèvres, de la langue, des mâchoires s'effectuaient

d'une façon absolument normale. La malade répondait avec netteté aux

questions qu'on lui adressait d'une voix suffisamment forte. Ses réponses

ne trahissaient pas le moindre trouble psychique, mais une sorte d'apa-

thie, bien justifiée d'ailleurs.

X... n'avait plus de maux de tète; elle ne se plaignait plus que de l'é-

tat de sa vue et de son ouïe. L'appétit lui était revenu en partie ; ses di-

gestions se faisaient à peu, près normalement. Je crois devoir insister sur

l'absence de vomissements. -

La force musculaire des membres, explorée tandis que la malade était

assise sur une chaise ou couchée sur un lit, a été trouvée intacte. Dans

ces mêmes altitudes, tous les mouvements physiologiques s'exécutaient

avec précision et sans le moindre défaut de coordination. Par contre, aussi-

tôt que la malade, levée sur son séant, essayait de faire quelques pas, elle

se mettait il marcher comme t'eût fait une personne en état d'ivresse; elle**

oscillait tantôt à droite, tantôt à gauche, el malgré qu'elle écartât les

deux pieds, elle était toujours en imminence de tomber. Du reste, il lui

suffisait de précipiter un peu son allure pour choir sur le sol.

A cela se réduisaient les désordres du mouvement. J'ajoute que les ré-

llexes tendineux étaient manifestement exagérés,aux quatre membres,sans

qu'il fut possible de provoquer le phénomène de la trépidation spinale ; les

réflexes cutanés étaient normaux.

Il n'existait pas de troubles de la sensibilité objective. Les sphinc-

ters fonctionnaient régulièrement. Les urines avaient, une composition

normale.

218 F. RAYMOND

Dans la suite, le trouble de la vue et de l'ouïe est allé en s'aggravant.

X... est devenue complètement sourde et aveugle ; depuis environ six mois,

elle ne peut plus se mettre en communication avec le monde extérieur

quepar le sens du loucher. On conçoit que, dans ces conditions, l'intel-

ligence de la malade ail baissé, pour devenir lourde et torpide. En même

temps, la mémoire s'est affaiblie. Cependant X..., avec le seul secours du

toucher, parvient encore à reconnaître certaines personnes avec lesquelles

elle est en relation depuis longtemps.

Actuellement (4 décembre 189G), l'état de X... n'a pas subi de change-

ment bien notable. On ne peut plus semettre en communication avec la ma-

lade que parle procédé suivant : On saisit la main droite, on allonge l'index

de celte main, et on lui fait décrire les lettres des mots dont on se propose

de lui faire comprendre le sens. Par l'image motrice qu'on développe

ainsi, on réussit il réveiller l'image auditive dans les cenlres du langage

intérieur.

Enfin, la démarche est devenue de plus en plus défectueuse ; la tituba-

lion est plus accusée que jamais. Lorsque la malade essaie démarcher,

ses jambes s'embarrassent l'une dans l'autre, et elle tombe tantôt d'un

côté, tantôt de l'autre. '

Les réflexes tendineux sont peut-être un peu affaiblis.

Récapitulons maintenant, dans ses principaux traits, le récit que vous

venez d'entendre.

Tout compte fait, trois grands symptômes dominent la situation, ce

sont :

La perte totale de la vue;

La perte totale de l'ouie ;

Le caractère titubant de la démarche.

Autour de ces trois manifestations capitales, d'autres se groupent, qui

sont de moindre importance, eu égard à leur valeur séméiotogique ; je

veux parler de l'apathie, de l'affaiblissement de l'intelligence, delà diminu-

tion de la mémoire.

Voilà pour l'état actuel. Or nous avons à tenir compte de l'évolution

morbide, qui a été progressive et qui a embrassé une durée de deux années

et demie. Nous avons à tenir compte du terrain sur lequel a évolué la

maladie, et qui est entaché par la prédisposition morbide. Nous avons à

tenir compte surtout de certaines manifestations anlécédenles : les vertiges,

les crises nerveuses, les maux de tète si violents, les accès de délire mania-

que, les attaques épileptiformes et syncopales..

SUR UN CAS DE TUMEUR DU CERVELET 2t9

.

..

Diagnostic. - En présence d'un pareil ensemble symptomatique, qui

a mis quelques années ai se dérouler pour aboutir à l'état actuel, le dia-

gnostic ne saurait prêter à de grandes hésitations. Il faut qu'il rende

compte d'abord des trois manifestations cardinales : de la disparition pro-

gressive de l'ouïe, de la disparition progressive de la vue et du caractère

titubant de la démarche, tout en se conciliant avec les épisodes accessoires,

vertiges, délire, etc.

On pourrait, à la rigueur, soupçonner l'urémie chronique d'être en

cause, étant donné que dans la symptomatologie de cette forme d'auto-in-

loxication figurent précisément la perle de l'ouïe, la perte de la vue, une

céphalée opiniâtre et violente, les accès de délire, etc. Mais d'abord, notre

malade n'est pas en état d'urémie ; elle ne présente aucun signe d'une lé-

sion rénale. En second lieu, dans les cas d'urémie chronique, les troubles

en question ne se présentent pas avec la netteté, avec la fixité, avec la pro-

gressivité que nous leur trouvons chez notre malade.

Une fois écartée l'hypothèse de l'urémie, le champ des suppositions se'

restreint singulièrement. Seule, une affection de l'encéphale pourra nous'

rendre compte de l'ensemble des accidents présentés par celte jeune

femme. Or, elles ne sont pas nombreuses les affections de l'encéphale qui,

évoluant avec la progressivité que vous savez, se traduisent à la fois par

des désordres de la locomotion d'un caractère si net, par la perte de l'ouïe

et de la vue, sans compter les manifestations accessoires sur lesquelles je

ne reviens pas en détail. Je ne vois guère que la sclérose en plaques et les

tumeurs cérébrales qui puissent entrer en ligne de compte. Il ne saurait

être question, dans le cas présent, d'une de ces lésions (le déficit, causée

par une hémorrhagie, par un ramollissement ; en effet, pour rendre

compte de l'ensemble des accidents présentés par notre malade, des lésions

de cet ordre devraient occuper des points de l'encéphale trop éloignés et

trop multiples pour qu'une pareille hypothèse soit acceptable, et encore se

concilierait-elle mal avec l'évolution morbide.

Examinons donc les deux hypothèses que je viens de formuler.

Se péut-il que, chez noire malade, nous ayons affaire à un cas de

sclérose en plaques ?

Certes, rien dans son cas ne rappelle la sclérose en plaques classique,

avec son appareil symptomatique bien connu. Mais à côté de cette forme

commune, intégrale, il en existe d'autres : formes frustes, irrégulières;

j'ai eu plusieurs fois l'occasion de vous en montrer des exemples. Parmi

ces formes frustes, il en est qui peuvent simuler la symptomatologie des

220 F. RAYMOND

lésions circonscrites de l'encéphale, el en particulier du cervelet. Témoin

le cas si intéressant, publié par le professeur Pierre[ (1) de Lyon et celui

publié plus récemment par MM. II. Royer et J. Collet (2).

Pour en revenir au cas de notre malade, nous pourrions supposer, chez

elle, l'existence des plaques de sclérose peu nombreuses, siège exclusive-

ment encéphalique, qui auraient détruit à la fois les nerfs acoustiques,

les nerfs optiques, et certaines parties du cervelet. Il y aurait là de quoi

expliquer les trois manifestations cardinales, présentées par A... , l'abo-

lition de l'ouïe, l'abolition de la vue, et le caractère titubant de la démar-

che. Mais outre ce que l'hypothèse de localisations aussi exclusives a de

forcé, il y a lieu de tenir compte de l'évolution essentiellement progressive

du cas; il y a lieu de tenir compte des manifestations accessoires, délire,

excitation maniaque, maux de tête aussi tenaces que violents. Tout cela

ne se concilie pas davantage avec l'hypothèse en question.

N'empêche que je tiens il faire des réserves qui me sont dictées par des

erreurs de diagnostic commises dans des cas analogues à celui de notre

malade. Il se pourrait, à la rigueur, que nous ayons affaire, chez elle, il

une de ces formes irrégulières de sclérose en plaques, mais tel n'est pas

mon avis.

Reste l'hypothèse d'une tumeur cérébrale. A plusieurs reprises, j'ai déjà ri

eu l'occasion de vous dire que cette dénomination est appliquée indistinc-

tement aux tumeurs qui siègent dans la boite crânienne en n'importe quel

point de l'encéphale, dans la profondeur de celui-ci, à sa surface, ou

dans les méninges. J'ai eu l'occasion de vous dire comment on a été amené

à donner à cette dénomination un sens aussi étendu. On a pris en consi-

dération ce fait, que les tumeurs encéphaliques de n'importe quel siège

ont, dans leur expression symptomatique, des traits communs : une cépha-

lalgie plus ou moins violente, du vertige, des attaques épileptiformes ou

syncopales, des vomissements, etc. Abstraction faite du dernier, ces symp-

tômes se* rencontrent précisément chez notre malade.

Or, indépendamment de ces manifestations qui, par elles-mêmes, seraien

déjà de nature à nous orienter dans la voie de celle hypothèse un peu vague

de tumeur cérébrale, il en est trois autres, dont la siginfication est à la

fois plus concluante et plus précise : je veux parler de la perte de t'oll'ie, de

la yerte cle la vue, de la Ululation.

(1) C. PIERRES, Note sur un cas d'atrophie périphérique du cervelet. Archives de Phy-

siologie, 1873.

(2) II. ltoreo, et .1. Collet. Sur une lésion systématisée du cervelet, etc. Archives

de Neurologie, novembre 1893, p. 353.

SUR UN CAS DE TUMEUR DU CERVELET 221

Non seulement ces trois symptômes sont de nature accentuer nos

présomptions en faveur de l'existence d'une tumeur cérébrale ; ils sont

propres à nous éclairer sur le siège présumé de la tumeur. -

Pour mieux vous édifier sur ces deux points, laissez-moi vous rappeler

quelques, notions classiques, relatives au mécanisme pathogénique des

accidents causés par les tumeurs cérébrales.

Je suppose le cas où une néoplasie susceptible d'accroissement, telle

qu'une tumeur, s'est formée à la surface du cerveau. Quel que soit le siège

de cette tumeur, il en résultera une diminution de capacité delà boite intra-

crinienne et une augmentation de la pression qui règne dans cette cavité.

Pour peu que la tumeur continue de s'accroître, elle agira par compres-

sion sur la région encéphalique adjacente, d'abord en l'irritant et plus

lard en la désorganisant. Tous les éléments de la symptomatologie des

tumeurs cérébrales découlent de là. Tous, ils se ramènent, soità à desphéno-

mènes de compression générale, soit a des phénomènes d'irritation ou de des-

truction locale, ces derniers traduisant la souffrance de la région encépha-

lique qui doit subir les atteintes directes du néoplasme.

Voilà le programme général des accidents qui traduisent le retentisse-

ment des tumeurs intra-craniennes sur l'encéphale. Mais ce programme

comporte des exceptions. Il arrivera par exemple qu'une tumeur se déve-

loppe très lentement, et progressivement, de telle sorte que l'encéphale

trouve à s'adapter à la compression progressive qu'il subit, sans mani-

fester de souffrance bien nette. Soit dit en passant, c'est tout le contraire

qui est arrivé chez notre malade. Chez elle les symptômes ontété bruyants,

tapageurs pendant une première période, et les manifestations qui sub-

sistent, pour n'avoir plus rien de bruyant, n'en sont pas moins-des plus

accentuées. Il est donc entendu que les phénomènes en rapport avec une

tumeur cérébrale sont de deux ordres : phénomènes de compression géné-

rale, phénomènes de compression locale. La céphalée figure en tête des

premiers. Elle a été d'une violence et d'une ténacité exceptionnelles, chez

noire malade. De plus, elle s'est accompagnée d'un véritable état d'exci-

tation maniaque. De pareils désordres démentiels figurent au nombre des

conséquences possibles de la compression générale exercée par les tumeurs

intra-crunieunes. Le vertige, les attaques syncopales, la torpeur intellec-

tuelle, qui ont été notés chez notre malade, comptent parmi les symptômes

du même ordre. Enfin la névrite oedémateuse, qui a été constatée chez X...

peut être indifféremment, selon les cas, un phénomène de compression

générale ou un phénomène de compression locale. L'intéressant est de

savoir que, presque toujours, la névrite oedémateuse est la conséquence

d'une tumeur cérébrale. Chez notre malade, elle parait être en rapport

avec une compression locale; nous aurons donc à en tenir compte dans la

222 ' F. RAYMOND

détermination du diagnostic topographique, dont je vais m'occuper main-

tenant. t.

Du moment que toutes les présomptions parlent dans le sens d'une tu-

meur cérébrale, il nous reste à préciser le siège de celte tumeur. Trois

symptômes doivent entrer en ligne de compte pour la détermination

de ce siège; ce sont eux que j'ai qualifiés de symptômes cardinaux. Le

premier en date est la titubation. Ce désordre de la marche s'est développé

d'une façon lente et progressive. Actuellement, il se manifeste aussi bien

pendant le stationnement que pendant la marche. La titubation est telle-

ment prononcée qu'a différentes reprises elle a valu à la malade l'accusa-

tion d'ivresse. Elle détermine des chutes fréquentes, qui se font indiffé-

remment dans un sens ou dans un autre. Enfin elle coïncide avec un

certain degré d'asthénie musculaire. Or un pareil désordre de la marche et

de l'équilibration doit éveiller de prime abord l'idée d'une lésion du cer-

velet. L'exagération des réflexes tendineux, sans trépidation spinale, dé-

pose dans le même sens, ainsi qu'il résulte des récents travaux de

Russel et de IIorsley, sur les symptômes des lésions destructrices du cer-

velet.

Non pas que le caractère titubant de la démarche entraîne fatalement le

diagnostic de lésion du cervelet, et dans notre cas, il s'agirait d'une tumeur.

La vérité est celle-ci : la titubation ne manque presque jamais dans les cas

de lésion du cervelet ; par contre on l'a observée, mais à titre tout à fait

exceptionnel, dans des cas de lésions encéphaliques qui n'avaient aucun

rapport direct avec le cervelet. C'est ainsi que Bruns (1) a publié quatre

observations de tumeurs des lobes frontaux, qui se sont accompagnées de

troubles de l'équilibration. z

Demandons-nous maintenant si cette hypothèse relative au siège de la

tumeur présumée cadre avec les deux autres symptômes cardinaux, cons-

tatés chez notre malade. En d'autres termes : une tumeur agissant sur le

cervelet, peut-elle du même coup agir sur la vue et sur l'ouïe, et amener

une suppression progressive de ces deux fonctions ?

Oui, Messieurs, la chose est possible. Localisée d'une certaine façon,

une tumeur peut à la fois nous rendre compte des désordres de l'équili-

bration, de la perte de l'ouïe et de la perte de la vue. Pour vous en con-

vaincre, si vous ne l'êtes. déjà, il me suffira de faire appel à vos connais-

sances d'anatomie. ·

(1) Bruns, Ueber Slcerungen des Gleichgewichls bei Slirnlirelmnoren, Deutsche me-

dicinische `1'ochenschrift, 1892, no 1),

. SUR UN CAS DE TUMEUR DU CERVELET 223

Vous savez la position qu'occupe le cervelet, au-dessus du bulbe et

de la protubérance; sa face inférieure constitue la paroi supérieure du

quatrième ventricule, vous voyez que la paroi inférieure de ce ventricule

est formée par une portion delà face postérieure de la région bulbo-pro-

tubérantiette. Rappelez-vous aussi que les trois pédoncules cérébelleux,

le supérieur, le moyen et l'inférieur, qui relient le cervelet aux autres

parties de l'encéphale, se détachent d'un point d'origine commun. Ce

point d'origine correspond, de chaque côté, à l'angle latéral du quatrième

ventricule.

Rappelez-vous, d'autre part, que le nerf acoustique, en sa qualité de

nerf exclusivement sensitif, a son noyau d'origine réelle en dehors de

l'axe cérébro-spinal, dans le ganglion de Corti et dans le ganglion de

Scarpa. Du fond du conduit auditif interne le nerf acoustique se porte

vers la partie la plus reculée du sillon horizontal qui sépare la protubé-

rance du bulbe; là il se termine par deux racines (Fig. 1).

Une racine externe appelée encore postérieure ou cochléaire qui con-

tourne le pédoncule cérébelleux inférieur, et qui va se terminer dans

un amas de substance grise, qu'elle divise en deux noyaux : le noyau dit

accessoire de l'acouslique, et le tubercule acoustique latéral ;

Une racine interne, appelée encore antérieure ou vestibulaire, qui passe

entre le pédoncule cérébelleux inférieur et la racine descendante ou bul-

Fm, 1. - Coupe de la région hulbo-protubérautielle au niveau de l'émergence

des racines du nerf acoustique.

1, racine externe ou postérieure. 2, noyau antérieur de l'auditif, et 3, tubercule

acoustique. 4, racine externe ou antérieure. S, noyau dorsal interne. - 6, noyau

dorsal externe ou de Deilers. 7, noyau de Bechterew. 8, ruban de Reil. - 9,

racines inférieures des trijumeaux.- 10, faisceaux pyramidaux (Raymond, Cliniques

des maladies du système nerveux, t. 111) -

224 F. RAYMOND

baire du trijumeau ; puis elle va se répandre dans trois amas gris, situés

sous le plancher du quatrième ventricule et désignés sous les noms de

'noyau dorsal externe, noyau dorsal interne et noyau de J3ec ! iferelO. Mais là

n'est pas sa terminaison définitive; au sortir de cette masse grise, la racine

interne se bifurque en deux branches ascendante et descendante, sur le

trajet desquelles les anatomisles ne sont pas encore bien fixés. Peu im-

porte ; l'essentiel est que vous ayez présents à l'esprit les rapports du nerf

acoustique avec le pédoncule cérébelleux inférieur. Dans ces conditions,

il vous est facile de concevoir qu'une tumeur puisse agir à la fois, en les

comprimant, sur le pédoncule et sur le nerf auditif.

Mais nous pouvons pousser plus loin ce travail d'analyse; nous pou-

vons préciser davantage le siège de la tumeur présumée.

Remarquez, en effet, Messieurs, que pour expliquer la perte de l'ouïe

des deux côtés, il nous faut admettre que les racines ou les deux branches

constituantes du nerf acoustique ont été détruites à droite et gauche, ou

que la destruction a porté sur les noyaux gris situés sur le plancher du

quatrième ventricule. Cetle dernière éventualité me paraît inadmissible,

car dans l'éventualité d'une tumeur en rapport avec le plancher du qua-

trième ventricule, nous de\ rions avoir une symptomatologie autrement

complexe que celle que nous avons relevée chez notre malade. Il serait

étonnant qu'il n'existât ni albuminurie, ni glycosurie, ni polyurie ; il

serait étonnant que ni la voie sensitive, qui est au service de la sensibilité

générale, ni la voie motrice ne fussent comprimées dans une certaine me-

sure. Bref, nous devrions nous trouver en présence des troubles sensitifs

et moteurs qui ne manquent jamais dans les cas où une tumeur faisant her-

nie dans le quatrième ventricule remplit plus ou moins complètement

cette cavité.

Il ne me parait pas non plus admissible que la tumeur soit située à la

base du crâne, à la face antérieure ou ventrale de la région protubéran-

tielle. S'il en était ainsi, il faudrait lui supposer un volume assez considé-

rahle pour qu'elle pût comprimer de chaque côté les deux nerfs acousti-

ques et les deux pédoncules cérébelleux inférieurs et moyens. Mais alors,

comment concevoir que d'autres nerfs crâniens, qui émergent au voisina-

ge des nerfs acoustiques, en. particulier la branche motrice du trijumeau,

la septième et la sixième paires ne fussent englobés dans cette néoplasie

sans compter les voies sensitive et motrice. Ne perdez pas de vue, Mes-

sieurs, que, dans la supposition où je me place, la tumeur devrait avoir

un prolongement antérieur suffisamment long pour pouvoir atteindre les

deux nerfs optiques ou le chiasma.

SUR UN CAS DE TUMEUR DU CERVELET 225

Reste une dernière hypothèse, qui se concilie avec toutes les circons-

tances du cas; elle consiste à localiser la tumeur à la face supérieure du

bulbe, en dehors du plancher du quatrième ventricule, au point où les

pédoncules cérébelleux émergent du cervelet. Une tumeur enserrant cette

région doit détruire une parlie ou la totalité des deux pédoncules cérébel-

leux inférieurs, et la totalité des deux nerfs acoustiques. Sans doute deux

tumeurs symétriques, siégeant l'une à droite, l'autre à gauche, aux points

où le nerf acoustique croise le pédoncule cérébelleux inférieur, ex-

plaqueraient tout aussi bien les choses : mais celle supposition, que je ne

rejette pas absolument, a quelque chose de forcé, vous le concevez sans

peine.

Qu'il y ait deux tumeurs ou qu'il n'y en ait qu'une, il reste à nous de-

mander si une lésion, située comme je viens de vous le dire, est suscepti-

ble d'entraîner la perte totale de la vision par voie d'atrophie des deux

papilles. Oui, Messieurs, il en est ainsi ; j'ai déjà eu occasion de m'expli-

quer là dessus, dans le courant de l'année dernière, à propos d'un cas de

tumeur du cervelet, qui s'était accompagnée de perte totale de la vision.

Je ne puis que vous répéter les explications que je vous ai données à ce

propos :

Une tumeur située à la base du cervelet peut, disais-je, entraîner une

double atrophie papillaire par le mécanisme suivant : elle comprimera la

grande veine ou ampoule de Galien ; cette compression amènera une abon-

dante hydrocéphalie ventriculaire. Le troisième ventricule, distendu,

comprimera à son tour le chiasma du nerf optique. Au surplus, les

tumeurs du cervelet, bridées qu'elles sont, à leur face supérieure, par la

lente du cervelet, se développent surtout de bas en haut. Elle compriment

ainsi les parties avoisinantes et principalement les veines émissaires des

parties centrales; d'où l'hydrocéphalie qui entraîne à son tour l'oedéme

de la papille, par le mécanisme que je vous ai déjà indiqué. On s'expli-

que ainsi qu'à une période peu avancée de l'évolution d'une tumeur, à

une époque où les altérations du nerf optique se réduisent à l'oedème de la

papille, toute intervention qui a pour effet de diminuer l'hydrocéphalie et,

partant, de décomprimer le cerveau, puisse procurer une atténuation

considérable des troubles visuels déjà existants. Les faits publiés par IIors-

ley, von Berck, Mac Ewen, Starr, etc., sont là pour en témoigner.

Vous voilà fixés sur le siège probable de la tumeur présumée. Il nous

reste à rechercher quelle peut être la nature de celle tumeur.

Rien dans les antécédents héréditaires et dans le passé de notre malade

226 F. li,YMO'\D

ne nous autorise à supposer que le néoplasme s'est développé sous l'in-

fluence de la syphilis héréditaire ou acquise. Aussi bien, le traitement

spécifique intensif, institué avec persévérance, pendant des mois, ne nous

donne aucun résultai durable. Après une accalmie passagère, la maladie

a poursuivi sa marche relativement lente, mais progressive.

D'autre part de fortes présomptions plaident en faveur de l'origine tu-

berculeuse du néoplasme. Rappelez-vous, Messieurs, que le père de notre

malade a été emporté par la tuberculose chronique, à t'age de 42 ans.

Rappelez-vous que la malade elle-même a eu, à l'âge de vingt mois, des

accidents de méningisme. Dans ces conditions, l'hypothèse de la nature

tuberculeuse de sa tumeur se présente à nous comme très vraisemblable.

Il s'agirait donc d'un tubercule du cervelet. Incidemment, je vous ferai

remarquer que très souvent les tubercules de cet organe sont multiples.

Aussi, en considération des accès délirants d'une nature si particulière,

qu'a présentés la malade, je me demande si, indépendamment de sa tu-

meur du cervelet, elle n'a pas un ou plusieurs tubercules dans la région

frontale. Ainsi s'expliqueraient, de la façon la plus simple, les manifesta-

tions délirantes dont je vous ai longuement parlé.

Pronostic et traitement. -En l'étal des choses, c'est-à-dire en présence

du diagnostic que je viens de porter, la question de pronostic se pose en

termes très simples; elle peut se résumer dans ces quelques mots : la

malade est dans une situation grave ; l'affection dont elle souffre est in-

curable ; il n'y a pas grand'chose à attendre de la thérapeutique in-

terne.

Seules, les tumeurs cérébrales d'origine syphilitique sont justiciables,

dans une certaine mesure, des ressources de la médication interne, du trai-

tement mercuriel. Je ne puis que vous redire l'échec subi chez notre ma-

lade, par le traitement spécique intensif, institué avec une persévérance

peu commune.

Contre les tumeurs de toute autre nature, et en particulier contre les

tumeurs tuberculeuses, la thérapeutique interne nous laisse absolument

désarmés.

Reste l'intervention chirurgicale, qui dans les circonstances que nous

envisageons peut viser deux buts différents, à savoir : des effets purement

palliatifs; la guérison radicale.

Dans une leçon de l'année dernière (1), relative à un cas de tumeur de

môme siège, je me suis longuement étendu sur les opérations palliatives

(I) F. Raymond, Clinique des maladies du système nerveux. Deuxième série, p. 709 et

suivantes, Paris, Doin, 1897.

SUR UN CAS DE TUMEUR DU CERVELET 227

qui ont été tentées, ou qui peuvent l'être, dans les cas de tumeurs céré-

brales. Je vous rappelle qu'en recourant il ce genre d'opération, on sepro-

pose surtout de diminuer la tension inlra-crànienne, par la soustraction

d'une quantité plus ou moins grande de liquide céphalo-rachidien. Ce

résultat, on a cherché à l'atteindre au moyen de la ponction dorso-lombaire,

de la trépanation simple, de la ponction des ventricules.

Chez le malade dont le cas a fait l'objet d'une leçon, l'année dernière,

je m'étais décidé pour une ponction des ventricules. L'opération a été

pratiquée avec une grande babilelépar le D l'oth.erat.Quelques-uns d'entre

vous se rappellent peut-être le résultat déplorable qui s'en est suivi : au

bout de quelques heures, le malade est mort brusquement. J'ai cru devoir

attribuer ce dénouement inattendu à ce que la tumeur, n'étant plus sup-

portée par la même quantité de liquide céphalo-raT5Tîïclien, avait compri-

mé le bulbe au niveau des ventricules.

Instruit par ce précédent, j'ai jugé préférable, dans le cas actuel,

de recourir il une simple trépanation. L'opération a été pratiquée le

10 octobre 189G, par M. Chipault, noire assistant de chirurgie. Voici la

note qui m'a été remise, au sujet de la technique opératoire employée :

M. Chipaull, a commencé par tailler un lambeau en ellipse, à convexité

supérieure, dans la région temporo-pariélale droite (fig. 2) ; puis il a ra-

ric. 2.

228 F. RAYMOND

battu ce lambeau. L'hémorragie qui s'en est suivie a été peu abondante.

Une couronne de trépan a été appliquée en arrière des vaisseaux méningés,

l'ouverture circulaire, obtenue de la sorte, a été agrandie à la pince et au

mors plat, au point d'atteindre 8 centimètres sur 10. Par suite, les vais-

seaux méningés sont devenus visibles sur une grande étendue. La dure-

mère avait l'aspect, la consistance et le degré de tension qu'on lui trouve

dans les circonstances normales.

Le lambeau, taillé dans le cuir chevelu, a été ensuite remis en place et

suturé sur drain. Il ne s'est produit aucun accident opératoire ou post-

opératoire. Au surplus, la malade n'a retiré aucune amélioration de cette

opération palliative. 1

Étant donnée la gravité.de la situation, la question se pose de savoir s'il

n'y aurait pas lieu de tenter une opération radicale, plutôt que d'aban-

donner cette jeune femme à une mort inévitable et prochaine, sans pouvoir

atténuer ce que sa situation a de triste et de pénible.

Eh bien ! Messieurs, je ne crois pas qu'il y ait lieu de s'arrêter il ce parti.

Je crois qu'avec la localisation que nous supposons à la tumeur, une opé-

ration dont le but serait l'extirpation du néoplasme aboutirait à un échec

et ne ferait que précipiter le dénouement fatal (1).

Autopsie. - L'examen de l'encéphale, pratiqué à l'état frais, montre une

tumeur développée au niveau de la portion antéro-inférieure des deux hé-

misphères cérébelleux. Le dessin ci-joint (Fig. 3), fait par M. Vincent sur

la pièce fraîche, permet de se rendre un compte très exact de la topographie

du néoplasme et des déformations considérables, secondaires, qu'il a déter-

minées du côté des organes voisins. Chaque hémisphère cérébelleux est

coiffé dans son segment antérieur, d'une masse grosse comme une petite

mandarine, irrégulièrement bosselée, dure, un peu jaunâtre par places. Ces

masses se sont creusées, à droite et à gauche,une logelte dans la partie la-

térale, correspondante, de la protubérance annulaire. Cette portion de

l'isthme apparaît comme étirée, très allongée dans le sens vertical, par

suite de la pression énorme exercée sur ses parties latérales. Les pédoncules

cérébelleux, moyen, supérieur ou inférieur, sont certainement atteints ;

le pédoncule moyen, notamment, se reconnaît difficilement; la tumeur

parait s'être développée surtout au niveau de la région des pédoncules.

Les nerfs crâniens bulbaires sont atrophiés, en masse, des deux côtés. La

IIIe paire et la IVe présentent de petites nodosités dures, fibreuses, appen-

dues à leurs filets émergents. Les deux nerfs optiques sont grisâtres et

(1) La malade en question est morte en ell'et peu de temps après.L'autopsie fut pra-

tiquée et permît de faire les constatations suivantes.

SUR UN CAS DE TUMEUR DU CERVELET 229

atrophiés. Tous les ventricules sont dilatés, même le IIIP ventricule, dont

le volume atteint celui d'une noix. L'évolution de la tumeur cérébelleuse

a déterminé, au niveau de la base de l'isthme de l'encéphale et de ses nerfs,

une méningite scléreuse, très nette, caractérisée par des néo-membranes

qui recouvrent tous les organes de la région (protubérance, bulbe, filets

nerveux et vaisseaux). Cet examen, tait a 1 oe)t nu, et le dessin qui l'ac-

compagne, sont simplement destinés à donner la topographie de la tu-

meur cérébelleuse. L'étude histologique, pratiquée ultérieurement, ren-

seignera sur la nature-du néoplasme et sur les masses, blanches ou grises,

détruites au cours de son évolution.

XI 16

1,'iG. 3 (D'après nature). - Face inférieure de l'encéphale.

La tumeur (T) est bilatérale, développée aux dépens du segment antérieur de chaque

hémisphère cérébelleux. Ecrasement de la protubérance qui s'est allongée dans le

sens vertical (P), nodosités fibreuses (a.a) sur les filets émergents de quelques

nerfs.

DE LA SENSIBILITÉ DOULOUREUSE DE LA PEAU.

ALGÉSIMÉTRIE

PAR

MOCZUTKOWSKY,

Professeur à l'Institut Clinique de Saint-Pétersbourg.

En septembre 1894, dans le n°37 du journal Vratch, j'ai publié la des-

cription d'un algésimètre, en promettant de présenter un dessin topogra-

phique de la sensibilité douloureuse de toute la superficie de la peau. Bien-

tôt, j'ai fait exécuter un dessin d'après les observations que j'avais recueil-

lies sur des hommes.

Ce dessin fut Lire à G exemplaires et remis à mes collaborateurs pour le

vérifier. Nous avons fait plusieurs centaines d'observations et maintenant

je présente aux lecteurs la moyenne de ces mensurations.

Je dirai d'abord quelques mots à propos de la nature des sensations

douloureuses.

La question du trouble de chaque espèce particulière de la sensibilité de

la peau s'éclaircira quand nous saurons employer des irritateurs spéciaux

pour chaque terminaison nerveuse de la peau, sans irriter les autres ter-

minaisons voisines destinées aux autres espèces de la sensibilité de la

peau. Notre ignorance actuelle au sujet de savoir à quel genre de sensibi-

lité de la peau est destinée l'une ou l'aulre terminaison nerveuse prouve

que nous sommes encore loin de pouvoir répondre à cette question.

Dans ce domaine infiniment complexe les physiologistes admettent qu'il

existe des terminaisons nerveuses spéciales destinées à la sensation de

douleur. Mais on sent la douleur non seulement par irritation des termi-

naisons nerveuses de la peau, mais encore on peut la provoquer en irri-

tant n'importe quel nerf sensitif à n'importe quel endroit de son trajet.

On ne peut pas dire que la douleur soit un phénomène physiologique,

parce que c'est tout à fait contraire à la notion « de la santé », excluant

complètement la sensation de la douleur. Pourtant dans les manuels, même

dans les plus récents, on parle « du sens de la douleur » de la peau. Ad-

mettant la douleur comme un phénomène pathologique, on peut se deman-

der, si l'organisme a besoin d'appareils spéciaux pour se défendre contre ses

DE LA SENSIBILITÉ DOULOUREUSE DE LA PEAU. ALGÉSIMÉTRIE 231

nombreux ennemis. Au contraire nous voyons partout que tel ou tel organe

ou tissu ci côté de son rôle défensif a une fonction plus importante purement

physiologique.

Si chaque fibre nerveuse sensitive est capable de recevoir et de trans-

mettre une sensation douloureuse et si en outre on accepte que chaque

terminaison de la peau est capable de recevoir la douleur indépendamment

de sa fonction physiologique, alors on peut nier la nécessité d'avoir dans

la peau des appareils spéciaux destinés exclusivement il la perception.de la

douleur. '

Nous savons que la température haute ou basse au delà des limites dé-

finies cesse de provoquer la sensation de chaleur et produit la douleur.

Si l'on accepte la supposition de Goldscheider et de Blix qu'il y a dans la

peau des terminaisons spéciales pour deux espèces du sens calorique, on

peut admettre qu'un excitant calorique, dépassant ce que l'homme peut

supporter, provoque une sensation plus aiguè, la douleur.

Par conséquent, il existe une différence quantitative entre la sensation

calorique et la douleur provoquée parle même irritateur, mais d'une in-

tensité différente. On peut admettre que le même appareil périphérique

sous l'influence d'un même irritateur, mais d'une force différente, provo-

que des sensations tout à fait différentes.

On observe la même similitude dans un autre genre de phénomènes.

Les physiologistes voient seulement une différence quantitative entre les

sens de toucher, dépression et la sensation de la douleur. Le même corps,

à une température constante et sans influence sur la peau, faiblement

louché, donne seulement une sensation de toucher; touché plus fortement,

il donne une sensation de pression, et touché encore plus fortement la

douleur. Ici on peut accepter que les mêmes appareils de toucher provo-

quent le sens de loucher ou le sens de pression, et au delà de ces limites

la douleur. De sorte qu'on peut se passer d'admettre, qu'il existe dans la

peau des fonctions spéciales, exclusivement destinées aux sensations dou-

loureuses. A ce sujet on ne peut pas accepter la définition : « sens de la

douleur » ; ce n'est pas un « sens », mais une « sensation de la douleur ».

Les données anatomiques et physiologiques ne contredisent pas cette

explication. Les tissus, privés des sensations tactiles et thermiques, sont

peu sensibles aux irritations douloureuses (les muqueuses de l'estomac,

des intestins, de la vessie, de la vésicule biliaire, etc.).

Les douleurs apparaissant dans ces organes s'expliquent par une irrita-

tion immédiate des terminaisons nerveuses d'un autre type, qui sont aussi

capables, comme plusieurs autres fibres, de transmettre la sensation de la

douleur (nerf sympathique).

Les moyens cliniques et physiologiques usités pour examiner les sensa-

232 MOCZUTKOWSKY

tions douloureuses sont encore trop grossiers pour que je puisse entrer

dans des développements plus larges sur ces sensations. Je ne dis rien des

courants électriques, comme provocateurs de la douleur, parce que la na-

ture de ces provocateurs et les changements produits par eux dans les

tissus sont très peu connus. Je m'en tiens à l'un des provocateurs de la

douleur le plus ordinaire - le traumatisme. De quelque manière que cette

dernière se soit faite, au moyen de la piqûre ou de coupure ou de pres-

sion,.tout de même la cause de la douleur sera toujours le traumatisme,

suivi des lésions du tissu nerveux ou d'autres changements anatomiques.

Pour l'examen de la douleur on provoque un des traumatismes le plus

inoffensifs, la piqûre. Mais cette piqûre inoffensive détruit quand même,

déchire, presse et irrite des centaines de terminaisons nerveuses d'une des-

tination physiologique tout à fait différente. Par conséquent la douleur ne

peut pas être acceptée comme une conséquence de l'irritation des organes

nerveux d'une fonction définie ; au contraire, c'est un mélange grossier de

l'irritation des formations nerveuses destinées aux fonctions physiologiques

les plus différentes. Peut-être, en rapport avec leurs relations quantitatives

dans une région donnée de la peau, se trouve le caractère de la douleur.

Tantôt elle est brûlante, obtuse, aiguë, térébrante etc. Probablement le

degré de la lésion (piqûre, pression, écorchure, broyement), le nombre des

éléments nerveux lésés, leur qualité (une fibre nerveuse calorique ou ter-

minaison tactile) ont aussi une influence sur le degré, la qualité et la durée

delà douleur. Enfin l'épaisseur de la couche indolore et son rapport avec

la profondeur de la lésion ont une grande importance.

Le fait clinique que quelques degrés de la sensibilité calorique ou tactile

ne sont pas perçus et ne sont pas transmis par l'endroit où on a fait la pi-

qûre et provoqué la douleur s'explique tout à fait par un fait physiologique

établissant,que l'irritation et la capacité de transmission au nerf est anéan-

tie par une action violente et mécanique, au moins dans la région sur

laquelle agit l'irritation. Quel que soit le point de vue physiologique au-

quel on se place, le clinicien a besoin journellement d'examiner les sensa-

tions douloureuses de la peau. Les cliniciens et les physiologistes dans leurs

examens se sont arrêtés au traumatisme le plus inoffensif, la piqûre; ils la

produisent par une aiguille. Personne jusqu'à présent n'a dit de quelle

épaisseur doit être une aiguille, faut-il l'enfoncer profondément on superfi-

ciellement, lentement ou vite, etc. En procédant d'une façon si arbitraire,

on ne peut obtenir quelques données numériques. On a noté seulement ce

qu'on a trouvé par les mots : augmentation, abaissement ou état normal dés

sensations douloureuses. La comparaison pour juger l'abaissement graduel

ou retour graduel des sensations douloureuses était presque impossible et,

en tout cas, restait tout à fait subjective, quelquefois même doublement

DE LA SENSIBILITÉ DOULOUREUSE DE LA PEAU. ALGÉSIMÉTRIE 233

subjective parce qu'elle dépendait d'une appréciation non contrôlée du sujet

examiné et de l'examinateur. z

Tous les essais, faits jusqu'à présent, pour obtenir des expressions numé-

riques, étaient abandonnés par les cliniciens parce que ces tentatives parais-

saient fatigantes pour les malades, et les indications ainsi obtenues étaient

d'une qualité douteuse.

Dans ces derniers temps,M. Cliazal, à Paris, aintroduit dans mon algési-

mètre, sur mes indications, des perfectionnements essentiels. 1° Le stylet

a une pointe conique sur ses deux bouts pour les piqûres. De sorte que

l'observateur a un cône pointu en réserve. 2° Le stylet, par une vis spéciale

sur l'épaississement supérieur, peut être fixé à n'importe quel niveau. Ceci

donne la possibilité de vérifier chaque fois l'instrument, condition impor-

tante pour l'exactitude des chiffres relevés. La vérification se fait de la

manière suivante. On dévisse l'épaississement supérieur jusqu'à ce que l'ai-

guille montre zéro. On dévisse aussi la petite vis qui se trouve dans l'épais-

sissement supérieur, et le cône du stylet tombe facilement de l'orifice du

disque. Dans ce moment on met tout l'appareil sur une surface lisse, par

exemple sur une glace et on serre la vis dans l'épaississement. De cette

manière on fixe la pointe du cône du stylet au niveau de la surface du disque.

3° Dans les nouveaux appareils, on peut faire sortir le stylet à 2 millimè-

tres, ce qui est bien suffisant pour examiner les plus profondes lésions

pathologiques de la sensibilité cutanée. La périphérie de l'épaississement

supérieur est divisée en 20 parties égales, de sorte que chaque division

correspond à 0, 1 millimètre de la hauteur du stylet.

Mes travaux ultérieurs et ceux de mes aides ont donné avec ce dispositif

en particulier quelques autres chiffres, mais en général le résultat des

recherches s'accordait avec le précédent et a donné des données numéri-

ques très proches. Le dessin ci-joint (Fig. 1 et 2) donne seulement quel-

ques indications indispensables pour la clinique. Pour mes déductions

j'utilisais un autre dessin (si détaillé que chaque doigt a de 80 à 100 men-

surations) n'ayant pas une signification pratique particulière.

Voici les déductions auxquelles je suis arrivé d'après mes mensurations :

Les variations de la sensibilité douloureuse de la peau chez les per-

sonnes tout à fait bien portantes se font dans les limites de 0,15 à 1,5 miel-

limètres.

Le centre de la moindre sensibilité douloureuse de la peau c'est la

région du bassin ; de là vers la tète et vers les doigts des extrémités la

sensibilité douloureuse augmente graduellement.

La peau la plus sensible aux piqûres se trouve sur la limite du cuir

chevelu du front et dans les plis entre les phalanges sur la surface pal-

maire des doigts.

234 MOCZUTKOWSKY

La moins sensible est la région du siège et les plantes des pieds, surtout

les talons.

Le cuir chevelu de la tête est très sensible aux irritations douloureu-

ses : sur la tête chauve de 0,15 à 0,2 millimètres.

Le% endroits de passage entre la peau et la muqueuse (les lèvres) ont

une plus grande sensibilité douloureuse que dans les régions voisines.

La sensibilité douloureuse des muqueuses est de beaucoup inférieure

à la sensibilité douloureuse de la peau.

Le degré de sensibilité des différentes muqueuses est différent :

Fig. 1 et 2.

DE LA SENSIBILITÉ DOULOUREUSE DE LA PEAU. ALGÉSIMÉTRIE 235

La surface intérieure de la lèvre inférieure à 1/2 hau-

236 MOCZUTKOWSKY

la sensation des irritations de la peau. Comme preuve il donne l'observa-

tion qu'avec la langue on ne peut pas sentir le pouls de l'artère radiale.

Ce n'est pas juste : je sens très bien le pouls de l'artère radiale avec la lan-

gue, si je presse suffisamment fort la langue. Avec un simple toucher de la

langue de même qu'avec un doigt, sans la pression nécessaire, on n'a pas

la sensation du pouls. -

Dans les plis normaux de la peau la sensibilité douloureuse est toujours

plus grande que dans les régions voisines.

Autour des articulations et au-dessus des sutures osseuses la sensibilité

douloureuse est toujours plus grande.

Sur les articulations fléchies, quand la peau qui les recouvre est tendue,

la sensibilité est toujours plus grande que quand les articulations sont en

extension, avec la peau en plis (les doigts).

La sensibilité douloureuse des surfaces palmaires des phalangettes des

doigts et des orteils augmente graduellement du pouce et du gros orteil vers

le petit doigt et le petit orteil. Au contraire sur le dos des mains la sensi-

bilité augmente du bord cubital vers le bord radial. En général la sensibi-

lité douloureuse des surfaces dorsales des doigls est supérieure à celle

des surfaces palmaire et plantaire.

Les surfaces dorsales des pieds sont plus sensibles que le dos des mains.

Autour du 1 /3 moyen de la cuisse, de la jambe, de l'épaule et de l'avant-

bras la sensibilité douloureuse est plus basse.

Le degré des sensations tactiles n'est pas parallèle au degré des sensa-

tions douloureuses : avec le sommet du pouce on sent très bien la pointe

du cône, saillante (le 0,,t millimètre, tandis qu'on ne définit pas cette pointe

quand on la promène sur la peau du front, place la plus sensible aux pi-

qûres.

Les petites parties de la peau, qui sont à côté l'une de l'autre, ne possè-

dent pas au même degré des sensations douloureuses ; peut-être cela dé-

pend de ce que la pointe du cône atteint quelquefois une formation ner-

veuse, l'irritant directement ; dans d'autres cas elle s'enfonce dans l'orifice

d'une glande, sans provoquer une sensation douloureuse. Cette question

attend encore des explications ultérieures.

Plus la peau est mince, plus la sensibilité douloureuse est grande (les

plis de la région palmaire des mains qui recouvrent les articulations des

doigts).

La force des sensations douloureuses n'est pas toujours en raison inverse

de l'épaisseur de la peau : derrière l'oreille où la peau est plus mince, on a

des sensations douloureuses seulement de 0,5 millimètres ; sur la limite du

cuir chevelu du front où la peau est plus épaisse, de 0,2 millimètres.

L'épaisseur de l'épidémie a aussi une grande influence sur la sensibi-

DE LA SENSIBILITÉ DOULOUREUSE DE LA PEAU. ALGÉSIMÉTR1E 237

lité douloureuse de la peau : leurs grandeurs sont en raison inverse. Entre

l'épaisseur de la peau d'un côté et la sensibilité douloureuse et tactile de

l'autre côté il n'y a pas de relation directe : sur la plante du pied, où la

peau est très épaisse, la sensibilité tactile est très grande, et la sensibilité

douloureuse est basse.

On observe souvent des particularités personnelles : j'ai vu un homme in-

telligent tout ci fait bien portant ayant sur les fesses la sensibilité doulou-

reuse 1,5 mm.

La sensibilité chez les hommes change(moins que chez les femmes.

La sensibilité douloureuse change plus ou moins sous l'influence du

sommeil, de la fatigue physique ou intellectuelle, de la digestion, de l'usage

de l'alcool et d'autres causes. Mes matériaux ne sont pas suffisants pour

que je traite cette question plus en détail.

Sous l'influence du froid, à 10° R, quand on l'examine à l'air, la sensi-

bilité douloureuse est moindre sur les parties découvertes du corps (le vi-

sage, la tête).

Mes observations sur les changements des sensations douloureuses sous

l'influence de l'accumulation des vaisseaux sanguins de la peau, des cou-

rants électriques et des narcotiques ne sont pas encore terminées.

Quelques métiers, par exemple comme la couture, la serrurerie, la cor-

donnerie, abaissent les sensations douloureuses, surtout sur les faces pal-

maires des mains.

Les indications de l'algésimètre donnent non seulement des grandeurs

relatives, mais aussi des grandeurs non relatives de la sensation doulou-

reuse de la peau.

L'exercice a une bonne influence, parce que les sujets examinés appren-

nent à définir avec plus de précision'les moindres sensations douloureuses.

On ne réussit à saisir aucune relation entre le degré des sensations

douloureuses traumatiques et le degré des sens calorique, de l'espace, de

la sensation tactile ainsi que la sensation de la pression. 11 y a une con-

tradiction fondamentale entre les chiffres des sensations douloureuses

traumatiques recueillis par moi et les chiffres des sensations douloureuses,

électriques recueillis par Bernhard.

Pourvoir jusqu'à quel point les différents moyens d'examen influen-

cent sur les données, on remarquera que Leyden, Munck, Bernhard et

Drosdof ont observé des changements importants de la sensibilité doulou-

reuse dans les différentes régions de la peau en même temps que A. de

Wattewitte et le professeur Fchirief en introduisant des énormes résis-

tances (jusqu'à 3.000.000 ohm) ont trouvé la sensibilité douloureuse égale

sur-toute la surface de la peau.

LES MALFORMATIONS CRANIENNES

CHEZ LES IIL`R1;D0-S7 PIIILITI[1UES il

t PAR

EDMOND FOURNIER

Chef de Clinique à l'tlùpital Saint-Louis.

Les dystrophies crâniennes que l'on rencontre chez les hérédo-syphi-

litiqnes consistent en déformations, soit natives, congénitales, soit se ma-

nifestant dans les premières semaines ou les premiers mois de la vie,

mais toujours liées en ce cas à une dystrophie primitive, originelle.

On les rencontre soit sur le front, soit sur les parties latérales et pos-

térieures du crâne.

I. Le plus souvent elles affectent le front, où elles peuvent se pré-

senter sous trois formes très distinctes :

ie Front proéminent en masse, bombant en avant, anormalement dé-

veloppé comme hauteur et comme largeur, constituant ce qu'on a coutume

d'appeler le front olympien (front « ventru » des Anglais) (Pl. XXIX).

2° Front à bosselures latérales, présentant de chaque côté de la ligne

médiane un soulèvement, une bosselure comparable à ce que serait la bosse

frontale normale, très amplifiée. - Ces bosselures sont presque toujours

bilatérales ; mais elles peuvent être plus accusées d'un côté et constituer

alors une asymétrie plus ou moins prononcée.

3° Front en carène, présentant sur la ligne médiane une saillie qui

suit le trajet de la suture médio-frontale.

IL Sur les parties latérales et postéro-latérales du crâne, on ob-

serve des malformations analogues, moins apparentes en raison de la che-

velure qui les masque, et qui consistent :

Soit en bosselures latérales, bosselures constituées surtout par l'exagé-

ration des bosses normales du pariétal ;

(1) [Le présent travail que la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a la bonne

fortune de faire connaitre des à présent à ses lecteurs avec les figures qui l'illus-

trent, est un des plus intéressants chapitres de l'importante thèse de doctorat de

M. Euoovo Fournie», Stigmates dyslrophiques de l' hé1'édo-syphillS, un vol. de 370 pages,

avec 20 figures et 3 planclies, en publication chez Itueff et Cie, édit.] (N. D. L. IL)

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE,

T. XI PL. XXIX.

MALFORMATION CRANIENNE HÉRÉDO-SYPHILITIQUE

FRONT OLYMPIEN

(Edmond Fournier.)

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE z

T. XI. PL. XXX.

'A. CRANE XATrrORME.

B. Crâne SC : PHOCLI'IIAII : (de Duvcrney.)

MALFORMATIONS CRANIENNES DANS L'HÉRÉDO-SYPHILIS

(E. Fournier.)

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES H1 : RI;DO-SYPHILITIQUES 239

Soit en un élargissement transverse du crâne, résultant de la déviation

des pariétaux déjetés en dehors ;

Soit, sous une forme plus accentuée, mais plus rare aussi, en ce qu'on

appelle le crâne natiforme (Pl. XXX, A).

Cette déformation « natiforme », si bien décrite par le professeur Par-

rot, a une importance capitale de par ce fait qu'elle n'a été signalée, que

je sache, dans aucune autre affection que l'hérédo-syphilis, et qu'elle

devient dès lors un signe presquepathognomonique de l'hérédité spécifique.

Pour décrire rapidement cette malformation, j'userai de la comparaison

classique que légitime l'étymologie de son nom, en disant : c'est un

crâne qui représente assez exactement la forme des fesses (nates), et cela

à deux points de vue :

1° C'est un crâne renflé à sa partie supéro-postérieure en deux moitiés

globuleuses par une amplification sphéroïde de la région occipito-parié-

tale ;

2° C'est un crâne parcouru sur la ligne médiane et dans le sens antéro-

postérieur par une rigole intermédiaire aux deux renflements latéraux.

Pour continuer la comparaison, cette rigole représente le pli interfessier

par rapport aux deux tubérosités latérales figurant les fesses (Pl. XXX,À).

I. Asymétrie crânienne.

L'asymétrie crânienne s'observe assez fréquemment dans l'hérédo-

syphilis.

Pour l'énorme majorité des cas, elle n'y est que peu accentuée, peu ap-

parente, et peut échapper facilemenl à l'attention, d'autant qu'elle est

masquée par les cheveux et seulement appréciable par le palper de la

tête. Mais parfois, lorsqu'elle est très accentuée (ce qui est rare) elle ne

peut passer inaperçue, et c'est alors que l'on observe ces crânes bizarres,

irréguliers, malformés, dont une moitié ne fait pas le pendant de l'autre

moitié, dont un segment diffère du segment homologue par la prédomi-

nance de tel ou tel de ses diamètres.

C'est ainsi, par exemple, que l'on voit une moitié du crâne être relati-

vement aplatie et l'autre, au contraire, dessiner une saillie anormale. Un

bel exemple' du genre se trouve reproduit par la photographie ci-jointe.

que j'ai pu recueillir dans le service de mon père (Fig. 1).

On remarquera sur cette photographie que le crâne et la face sont loin

d'être divisés en deux moitiés égales par la ligne médiane représentée ici

par un trait. Le segment droit et le segment gauche ne se correspondent

pas; ils sont disparates, disproportionnés, inharmoniques, asymétriques

240 EDMOND FOURNIER

en un mot, voire d'une façon réellement choquante. Le crâne est vicieu-

sement conformé d'une moitié à l'autre, et semble refoulé en masse vers

le côté gauche, comme si, sur un crâne en terre glaise, on avait exercé

latéralement une forte pression pour rejeter de droite à gauche une portion

du globe crânien.

Mieux.que la clinique, l'anatomie pathologique rend parfois compte de

cette asymétrie, comme dans l'observation du professeur Lannelongue.

Observation (M. le professeur LANNELONGUE). Fillette de quatre ans, née

d'un père syphilitique. - L'autopsie révèle sur elle une série de malforma-

tions crâniennes consistant surtout en des asymétries. Ces asymétries portent

principalement :

1° Sur la voûte, où les deux fosses pariétales sont dissemblables comme con-

formation ;

2° Sur la base du crâne, où l'asymétrie est générale et intéresse les trois

fosses ;

3° Sur le trou occipital, tout à fait irrégulier de forme ;

4° Enfin jusque sur les vaisseaux : ainsi, dans les fosses occipitales, le sinus

latéral gauche offre des dimensions moitié moindres que celles du sinus latéral

droit.

Fig. 1. - Asymétrie crânienne et faciale dans un cas d'hérédo-syphilis

(E. Fournier).

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES 11PItÉDO-SYPIIILITIQUES 241

Il. - SYNOSTOSES CRANIENNES.

Les synostoses crâniennes ne sont jamais, bien entendu, qu'une décou-

verte d'autopsie. Elles consistent en la disparition d'une ou de plusieurs

sutures normales.

Plusieurs cas de ce genre ont été relevés. Je citerai seulement comme

exemples les observations suivantes, que j'ai recueillies dans les comptes

rendus de la Société pathologique de Londres. Dans l'une d'elles, il exis-

tait une synostose si complète entre le frontal et le pariétal droit que c'est

à peine si l'on distinguait une légère rainure indiquant le trajet de la su-

ture de ces deux os.

Voici ces deux observations.

OBSERVATION (M. le Dr Thomas BARLOW). - Le Dr Barlow présente le crâne

d'un enfant qu'il a traité et qui, sans aucun doute possible, était un hérédo-

spécifique (naissance prématurée; à deux mois, coryza ; puis tuméfaction splé-

nique ; à trois mois, affaissement total des os propres du nez ; finalement,

cachexie, marasme et mort, à dix mois).

Le crâne offre un aspect natiforme si typique que le Dr Barlow (qui jusque-

là avait mis en doute le caractère spécifique attribué à cette forme crânienne)

se déclare convaincu ; les quatre bosses frontales et pariétales sont de couleur

marron foncé et contrastent étrangement avec le reste du crâne. Les frontaux

et les pariétaux, au moins en partie, sont très épaissis, et la surface de section

des frontaux mesure 8 millimètres. Il existe sur les pariétaux, et aussi sur

l'occipital, plusieurs points peu étendus, il est vrai, de craniotabes.

Mais. ce qui est surtout remarquable sur ce crâne, c'est la soudure complète

qui s'est faite entre le frontal et le pariétal droit, soudure si complète que c'est

à peine si l'on voit une légère rainure indiquant le trajet de la suture fronto-

pariétale.

Observation (M. le Dr TuoMAs-BARLow). Le Dr Barlow présente le crâne

d'un enfant mort à l'âge de huit mois. Cet enfant était pour lui, sans aucune

hésitation, un hérédo-syphilitique. L'épaississement des os du crâne, la forme

même de ce crâne, la spléno-mégalie, la mort survenue' sans cause connue,

l'aspect du petit malade, tout militait en faveur du diagnostic posé.

Crâne natiforme. Au niveau des bosses frontales, proéminence constituée

par une matière osseuse spongieuse et granulée de couleur marron ; parois

épaissies, mesurant à peu près 8 millimètres au niveau du frontal ; le long de

la suture sagittale, bande de substance osseuse granulée comme celle des bosses

frontales ; et surtout synoslose complète et très prématurée des deux frontaux ;

disparition totale de la suture métopique, qui, normalement, ne disparait

que vers la fin de la dixième année (1).

(1) Transactions of lhe Palhological Sociely of London, 1879, XXX, p. 333.

242 EDMOND FOURNIER

III. Anomalies DE forme DU crâne.

Le crâne peut, d'ensemble, être malformé chez les hérédo-syphiiitiques,

Les variétés ici sont infinies.

Il en est une qui, sans être commune (loin de là), se trouve relevée

dans un certain nombre d'observations : c'est la variété dite crâne acrocé-

phale ou crâne à voûte notablement élevée.

De cette variété, je dois à M. le Dr Legrain un fort bel exemple que je

reproduis ici (Fig. 2).

Observation (communiquée par M. 1<.\ Dr Legrain). - Kabyle de seize ans,

ayant présenté depuis l'enfance des manifestations de syphilis héréditaire.

Actuellement affecté d'une otite suppurée et de syphilides papulo-hypertrophi-

ques de la région anale et du scrotum.

Malformation thoracique : « thorax en entonnoir, dont la dépression mesure

à son centre 3 centimètres ».

Malformation du crâne qui présente une conformation tout à fait spéciale :

« Tête très longue, très aplatie latéralement et présentant un énorme dévelop-

pement de la région occipitale ».

Erosions dentaires.

Une seconde variété, dite crâne dolicocéphale, a été également signalée

dans l'hérédo-syphilis.

Est-ce au type exagéré de celle forme, dit scaphocéphalie, que doit être

rattaché un crâne que j'ai eu l'occasion d'observer dans les collections

du Muséum, qui m'ont été si. libéralement ouvertes par M. le professeur

Hamy (1)" ?

(1) J'ai trouvé dans ces collections quantité de crânes étrangement malformés ou

présentant de très curieuses anomalies de divers genres ou, pour mieux dire, de tous

Fil-. 2. - Crâne acrocéphale (cas de Legrain).

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES HËRÉDO-SYPHIUTIOUES 243

En tout cas, j'ai trouvé là un crâne d'enfant semblant bien porter des

vestiges peu douteux de lésions syphilitiques et affectant à un très haut

degré ce type scaphocéphale. Je donnerai ici mais avec les plus expres-

.ses réserves sur les origines de cette malformation - la description du

crâne en question pour appeler l'attention sur cette forme si particulière

et poser le premier jalon de recherches ultérieures dans cette direction.

Ce crâne provient du « cabinet de M. Duverney, chirurgien de Paris,

démonstrateur en anatomie et en chirurgie au Jardin du roi. A la mort de

celui-ci, il fut placé, par les soins de M. Buffon, dans le cabinet du roi »,

et j'en ai retrouvé la relation dans « la Description du cabinet du roi »

(volume III, p. 66, n° CXVI), partie de l'édition des oeuvres complètes

de M. de Ballon, publiées en 1749 par les soins de MM. Daubenton et La-

cépède.

Je reproduis d'abord la description de ce crâne, d'après le texte ori-

ginal. Têle allo ? îflée.

Tête allongée.

Quoique cette tête ait été prise sur un sujet qui ne devait avoir qu'environ

cinq ans, comme on peut le reconnaître par la grosseur des os, elle a cepen-

dant plus de sept pouces de longueur, en la mesurant sur un diamètre qui la

traverserait depuis le front jusqu'à l'occiput; mais la largeur n'est que de qua-

tre pouces entre l'angle antérieur inférieur de l'os pariétal d'un côté et le même

angle du pariétal de l'autre côté, ces deux mesures prises de dehors en dehors ;

la partie des pariétaux qui est voisine de la suture coronale paraît enfoncée

sur la largeur de deux ou trois doigts, principalement du côté gauche, où la

dépression est d'environ une ligne dans quelques endroits ; ces mômes os sont

plus longs à proportion que les autres ; il y a près de cinq pouces et demi de

distance entre l'os frontal et l'occipital à l'endroit de la suture sagittale dont on

ne voit presque aucuns vestiges.

Voici, d'autre part, les malformations et les lésions que j'ai relevées sur

ce crâne, connu dans la collection sous le nom de « Scaphocéphale de

Duvernev » (PI. XXX, B).

Ce crâne offre l'aspect général des crânes dits scaphocéphales, à diamètre

antéro-postérieur exagéré. En outre, il présente :

1° Des bosselures frontales très accentuées, mais inégales ; la droite est beau-

coup plus accusée que la gauche, ce qui constitue une véritable asymétrie ;

2° En arrière de la suture fronto-pariétale, un aplatissement, une dépres-

sion notable, formant une sorte de rigole;

3° Des bosselures pariétales très accentuées, mais là encore inégales, la droite

les genres. Très certainement, nombre de ces malformations ressortissent à l'hérédo-

syphilis. Mais j'ai dû m'abstenir de les citer, en l'absence de tout renseignement sur

les antécédents morbides.

244 EDMOND FOURNIER

étant beaucoup plus accentuée que la gauche. Cette double saillie des bosses

frontales et surtout des bosses pariétales rappelle fort bien le crème natiforme

de Parrot;

4° Une bosselure occipitale assez accentuée, surtout dans sa portion horizon-

tale ; et, en avant de cette dernière bosselure, une dépression très notable en

forme de rigole ; -

5° Une bosselure temporale gauche très accentuée. En arrière de cette bos-

selure, on remarque que la suture lemporo-parièlale est absolument effacée dans

son tiers postérieur ; tandis qu'elle est très accentuée du côté droit ;

6° La disparition absolue delà srclmenélopique, disparition très prématurée

sur ce crâne qui appartient, selon Duverney, à un enfant de cinq ans, évalua-

tion que l'état de la dentition permet de considérer comme exacte ;

7° La disparition absolue de la suture sagittale dans toute son étendue. Cette

suture n'existe plus ; on en voit quelques traces perme appréciables à ses ex-

trémités antérieure et postérieure ; et dans toute son étendue, l'os est aussi

lisse et régulier qu'au niveau de la suture médio-coronale sur un crâne d'a-

dulte ; ,

8° Plusieurs lésions qui appellent notre attention au point de vue de l'hérédo-

syphilis. A savoir :

L'angle postérieur du pariétal gauche est occupé par une lésion de forme

ovalaire, grande comme une pièce de cinq francs en argent, faisant une certaine

saillie très appréciable à la vue et au toucher et qui se présente sous l'aspect

général du « bois rongé par les vers ». ·

On y distingue une série considérable, confluente, de dépressions pénétrant

dans le tissu osseux et y faisant de véritables lacunes, les unes punctiformes,

d'autres plus étendues, mais en général petites. Cet aspect est tout à fait celui

de l'os affecté d'ostéotome gommeux lorsqu'on l'a débarrassé par macération de

ses produits mous ; il rappelle absolument l'aspect décrit par le professeur

Wirchow sous le nom de « carie sèche ».

Une lésion de même ordre, mais encore moins importante, siège près de

l'angle postérieur du pariétal droit ; celle-ci est irrégulière, de forme large

comme un noyau d'abricot, et présente le même aspect criblé de petites lacu-

nes pénétrant dans l'intimité de l'os. Quelques-unes de ces dépressions présen-

tent même un aspect vermiforme de 3 à 4 millimètres de longueur.

Une autre lésion semblable, mais plus petite, existe à peu près au centre du

pariétal gauche. Celle-ci fait une saillie notable (ce qui détruirait toute hypo-

thèse d'une simple action corrosive, d'une lésion artificielle due aux agents

physiques et provenant du sol). Elle se compose également de toute une

série de lacunes très fines et de tractus vermiformes pénétrant dans l'intérieur

de l'os.

9° Quelques particularités relatives au maxillaire supérieur, qui est petit par

rapport au crâne et dont la plupart des dents sont tombées.

Plusieurs dents de seconde dentition sont encore dans leurs alvéoles. A

gauche, une canine aurait, de par sa situation et sa direction, poussé hors

rang.

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES 11flIÉDO-SYPIIILITIQUES 245

Deux molaires sont remarquables par l'irrégularité qu'elles présentent. Elles

ont très exactement six cuspides; les deux cuspides internes, qui semblent

surajoutées à la dent, sont même plus accentuées comme volume et font un

relief plus accusé que les autres cuspides.

Quatre stigmates, au total, semblent bien dénoncer ce crâne comme celui

d'un hérédo-syphilitique, à savoir : malformation générale; anomalies sutura-

les ; lésions dites « de carie sèche » ; et dystrophies dentaires. Mais ce ne sont

ta que des présomptions, je le répète à dessein.

IV. -- IfIICROCI3PII : 1LIE.

Je n'ai pas à m'occuper ici de question de pathogénie ; je n'ai pas à dis-

cuter si la microcéphalie procède ou non de synostoses prématurées du

crâne, si l'atrophie du cerveau chez le microcéphale est primitive ou secon-

daire, etc. Je n'étudie la microcéphalie qu'au seul titre de stigmate, et il

m'incombe seulement de rechercher si elle s'observe ou non en relation

éliologique avec l'hérédo-syphilis, si elle doit être considérée comme une

dyslrophie passible d'hérédo-syphilis.

Or, celle question, d'essence exclusivement clinique, me parait devoir

être résolue par l'affirmative. Nombre de fois, en effet, on a constaté la

microcéphalie sur des sujets issus de parents syphilitiques, et cela dans

des conditions telles qu'il était véritablement difficile de méconnaître une

relation de cause à effet entre l'hérédité spécifique et celle malformation

crânienne.

De cela témoigneront les observations suivantes.

Obseuvation (M. le professeur A. Fournier) (résumée). Enfant micro-

céphale, sourd et aveugle, issu d'un père syphilitique. - X..., sujet bien portant,

vigoureux, mais névropathe et ayant un frère affecté de neurasthénie, contracte

la syphilis a t'age de trente-deux ans. Cette syphilis se traduit par divers ac-

cidents, à savoir : chancre induré de la rainure glando-préputiale, avec double

pléiade inguinale, puis syphilide érytltémato-papuleuse, syphilides linguales et

épididymite secondaire. Traitement mercuriel : 160 pilules de protoiodure en-

viron ; puis frictions mercurielles à diverses reprises, et iodure de potassium.

Quatre ans plus lard, exostose tibiale.' Mariage au moment même où se dé-

veloppait celte exostose. Sirop de Gibert, iodure de potassium. ,

Quatre ans plus tard, accidents nerveux multiples rapportés d'abord à une

neurasthénie, puis, plus certainement, à l'invasion d'une syphilis cérébrale.

Guérison d'une rapidité significative par la médication spécifique.

Femme restée indemne, assure-t-on.

Trois grossesses, au cours des troisième, quatrième et cinquième années de

mariage. La première donne naissance à un enfant que je n'ai pas vu, mais sur

lequel j'ai obtenu des renseignements du médecin de la famille. Cet enfant était

microcéphale à un très haut degré, aveugle et sourd; il n'avait pas la force de

xi n

246 EDMOND FOUnNIER

soutenir sa tète qui, n'obéissant qu'aux lois de la pesanteur, retombait inces-

samment d'un côté ou d'un autre. Il remuait ses membres, mais n'avait aucune

force. Jamais il n'a pu se soutenir sur les jambes, même un instant. Il semblait

dépourvu de toute connaissance, de tout instinct. Il a peu grandi. D'une ché-

tivité extrême, il a été sujet il de continuels accès de diarrhée. Devenu athrep-

sique, émacié, il s'est éteint à treize-mois.

La seconde grossesse a abouti à un avortement.

Le troisième enfant (conçu il la suite d'nn nouveau traitement du père) offre

un développement moyen. Il est resté indemne de tout accident spécifique. Des

quelques dents que je constate sur lui, à l'âge d'un an, en 1890, l'une (incisive

médiane supérieure droite) présente sur son bord libre une échancrure semi-

circulaire qui rappelle la dent d'[ ! utcbinson. Non revu depuis lors.

Une autre observation, que je dois à l'obligeance de M. le professeur l'

Lannelongue, est du plus haut enseignement. Elle nous montre un micro-

céphale issu de parents en apparence bien portants et indemnes de toute

autre tare manifeste, mais dont l'un d'eux (la mère) était de souche syphi-

litique.

Cette observation constitue donc (qu'il me soit permis de le noter au

passage) un exemple de ces cas si curieux d'hérédo-sphilis de seconde

génération, cas encore entachés de doute pour certains médecins, mais

dont le nombre et l'authenticité vont croissant de jour en jour. Il est hien

vraisemblable, soit dit incidemment, que cette hérédo-syphilis de seconde

génération, alors qu'elle se sera dûment et irrécusablement affirmée,

élucidera l'étiologie encore indéterminée de nombre de dystrophies na-

tives.

Observation (M. le professeur Lannelongue) (Inédite). I. - Grand-

père maternel âgé de soixante-neuf ans. A eu, il y a deux ans, deux gommes

ostéo-périostiques du tibia, tout fait caractéristiques et qui, après avoir duré

plusieurs mois, ont disparu très rapidement sous l'influence d'un traitement

spécifique.

Syphilis ancienne, contractée à l'âge de vingt et un ans, et soignée pendant

longtemps par le D1' Ricord.

L'an dernier, il a présenté au niveau du dixième espace intercostal droit

une tumeur gommeuse, qui s'est résorbée sous l'influence du traitement spéci-

fique, mais qui a détruit la paroi musculaire, ce qui permet, en refoulant la

peau, de pénétrer dans la cavité abdominale et de palper le foie.

Il. Père et mère sains, bien portants ; pas de stigmates apparents sur la

mère.

La mère a eu trois grossesses : .

Première grossesse : fausse couche.

Deuxième grossesse : fausse couche, à la suite de laquelle phlegmon et sal-

pingo-ovarite, avec abcès ouvert daus le rectum.

Troisième grossesse : fille vivante, aujourd'hui âgée de dix-sept ans.

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES UÉRÉ1)0-;>\PUILITIQUES 247

A eu une enfance très chétive; dans la première année, convulsions fré-

quentes, qui ont donné de grandes inquiétudes pour la vie. - Elle s'est mal

développée ; elle est restée toute petite.

Elle présente 11l1e micl'océphalie très prononcée. Crâne scaphoïdien. -Pres-

que idiote.

Malformations dentaires nombreuses : dents érodées ; incisives présentant

les caractères de la dent d'Hutchinson. Implantation vicieuse. Absence d'une

canine, qui n'a jamais poussé.

En outre, inégalité de développement d'un côté il l'autre du corps; moitié

droite notablement plus développée que la gauche, surtout au niveau du bras

et de la jambe.

Autre observation très curieuse du Dl Gnéiiiot, dans laquelle on voit

un enfant de deux mois présenter un crâne d'une petitesse si dispropor-

tionnée qu'au premier aspect on avait pu croire il une anencéphalie.

Observation (M. le Dr GuéNIO'r).- Enfant microcéphale; ayant présentera l'âge

dedeux mois, une éruption pustuleuse et des lésions labiales, nettement syphili-

tiques, qui obligèrent à le séparer de sa nourrice. Ces accidents guérirent com-

plètement sous l'influence du traitement spécifique. Néanmoins développement

très lent. A dix-huit mois, poids de 5.530 grammes et taille de 69 centimètres

(16 centimètres à la naissance).

La tête est d'une petitesse disproportionnée ; le crâne a un développement

si restreint qu'au premier aspect on croirait à une anencéphalie ; la voûte crâ-

nienne aplatie se dirige brusquement en bas du sinciput à la pointe de l'occi-

pital.

Aucun signe d'intelligence; aucune ébauche de parole; quelques spasmes

gutturaux.

Sensibilité générale obtuse ; vision et audition paraissant nulles.

Contractilité volontaire nulle; immobilité absolue ; membres contractures ;

opisthotonos permanent, sans rémission, depuis la naissance. '

C'est « un enfant de bois », chez lequel seul semble exister le sentiment de

la faim.

Meurt, à dix-neuf mois, de complications pulmonaires.

Ouverture du crâne. Entre la voûte crânienne et la masse encéphalique,

grand espace vide cloisonné par des hrides fibreuses; écoulement d'environ

120 grammes d'un liquide séreux, limpide.

Encéphale minime, flétri, ratatiné. Les circonvolutions n'existent pas ; quel-

ques-unes seulement sont à l'état d'ébauche. Cerveau lisse. Seuls, les couches

optiques et les corps striés présentent un certain développement.

Au contraire, le ce, \ ciel, la protubérance et le bulbe sont presque normaux.

Dans son ensemble, l'encéphale pèse 124 grammes (au lieu du poids nor-

mal, 547 grammes) ; le cerveau proprement dit ne pèse que 47 grammes, au

lieu de >70; le cervelet, la protubérance et le bulbe pèsent 77 grammes (poids

normal).

248 EDMOND FOURNIE] !

La calotte crânienne est surossifiée ; pas de fontanelle ; pas de suture mem-

braneuse. Entre le frontal et les pariétaux, il existe un reste de liséré blanchâ-

tre, comme cartilagineux.

La paroi osseuse est très épaisse et dure; hyperostose de la table externe,

très accusée il la pointe de l'occipital.

L'autopsie révèle, en outre : abcès enkysté de la plèvre gauche ; adhérences

pleurales bilatérales ; pneumonie droite. Rien aux autres viscères.

Diamètres de la têle.

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES 11ÉRI¡DO-SYPHILITIQUES 249

Observation (M. le Dr ANGEL l10';EY). - Le Dr A.Money présente le cerveau

d'un enfant microcéphale, hérédo-syphilitique sans nul doute, et mort il seize

mois à la suite d'accidents convulsifs.

Pas de lésions des membranes ni des vaisseaux.

Tout l'hémisphère gauche est atrophié et sclérosé; excès de liquide dans le

ventricule droit et sous la pie-mère de l'hémisphère gauche. Le cerveau pesait

quatre onces (= 113 grammes).

La tête de l'enfant mesurait 38 centimètres de circonférence. L'enfant, idiot,

ne pouvait ni marcher, ni se tenir debout, ni s'asseoir. H ne parlait pas. ne

reconnaissait personne. Paralysie spasmodique des deux jambes et du hras

droit. Réflexes des genoux et du poignet exagérés.

Trépidation spinale. Réflexes cutanés conservés (1).

HYDROCÉPHALIE

Me voici 'conduit maintenant a parler d'une malformation crânienne

bien autrement importante et par sa fréquence et par les considérations

étiologiques ou pathogéniques auxquelles elle pourrait donner lieu ; je

veux parler de l'hydrocéphalie.

Je n'ai point à traiter ici de l'hydrocéphalie d'une façon générale. Je

n'entends pas davantage (même en me limitant à l'hydrocéphalie d'origine e

liérédo-syphilitique) aborder l'étude pathogénique de cette espècespéciale,

pour en différencier les variétés naturelles suivant son siège, son appari-

tion antérieure ou postérieure à la naissance, suivant qu'elle dérive de

lésions dûment syphilitiques, ou qu'elle procède de simples dystrophies

parasyphilitiques, etc. Toutes ces questions sortent du cadre que je me

suis tracé. Je ne veux envisager l'hydrocéphalie qu'au titre de stigmate,

je ne veux voir en elle qu'un symptôme, à savoir l'exagération dispropor-

tionnée de la tête, en m'attachant à étudier ce qui seulement ressortit

il mon sujet, c'est-à-dire la relation de ce symptôme avec l'influence

hérédo-sypltilitidue.

Le temps n'est pas encore très éloigné, de nous où Trousseau, dans ses

Leçons sur la syphilis des nouveau-nés, parlait de l'hydrocéphalie sans faire

allusion à la possibilité de son origine syphilitique ; où l3ouchut (2),

où d'Espine et Picot (3) gardaient la même science ; où Roger (4)

disait « n'avoir jamais constaté de relation de causalité entre les h)dro-

(1) Patliol. Society of London, 20 janvier 1889.

(2) Traité des maladies des nouveau-nés, 1813.

(3) Manuel pratique des maladies de l'enfance, 1880.

(i) Recherches cliniques sur les maladies de l'enfance, 1883, t. II, p. 63.

250 EDMOND FOURNIER .

céphalies ou autres idioties congénitales et la syphilis » ; où Parrot

lui-même mettait fortement en doute l'origine syphilitique de l'hydrocé-

phalie ; où le Dr Baginsky (1) parlait avec une réserve pleine de doute

de cette action de la syphilis que, d'après lui, le Dr Sandoz seul semblait

avoir indiquée.

Ce stigmate est pourtant d'observation assez commune dans l'hérédo-

syphilis ; beaucoup plus commune en tout cas qu'on ne veut encore

actuellement l'admettre, si j'en juge d'après les ouvrages médicaux les

plus autorisés qui ont paru ces derniers temps.

Et cependant, dès 1880, mon père avait, dans son enseignement et

dans son livre Syphilis et mariage, affirmé sa croyance à l'origine syphili-

tique de certaines hydrocéphalies.

Dans une revue du professeur Négrié (2), je relève le passage suivant :

« Seul de tous les auteurs modernes, le professeur A. 1 ou ri ier a proclamé

hautement l'origine syphilitique de certaines hydrocéphalies... Dans Sy-

philis et mariage (Paris, 1880), l'éminent professeur écrit : « Il n'est pas

moins avéré pour moi que l'influence syphilitique héréditaire (voire limi-

tée au père seul) constitue une prédisposition à l'hydrocéphalie. C'est ce

dont témoignent un certain nombre de faits que j'ai eu l'occasion de re-

cueillir dans ma pratique. Je pourrais citer entre autres l'observation d'un

de mes malades qui, ayant eu l'imprudence de contracter mariage malgré

une syphilis non traitée, a eu coup sur coup trois enfants hydrocéphales ».

Plus tard, mon père écrivait encore ceci dans son livre sur la Syphilis

héréditaire tardive : « Il m'est vraiment impossible de ne pas considérer

l'hérédité syphilitique comme une des causes les mieux avérées de l'hydro-

céphalie ».

Je puis me servir, sans encourir, je crois, aucune protestation, do cette

date de 1880, date à laquelle mon père indiquait si formellement le rôle

de la syphilis dans l'étiologie de l'hydrocéphalie, pour diviser l'histoire

étiologique de cette dernière affection en deux périodes :

Une première période, dans laquelle l'hydrocéphalie est simplement

signalée comme une coïncidence fortuite chez 1'liéi-é(lo-sypliil 1 tique (réser-

ves faites toutefois pour quelques rares observateurs comme ? Hutchin-

son, Boerenspl'llllg et de Méric, qui signalent déjà la fréquence de l'hy-

drocéphalie dans l'liérédo-syplilis);

Et une seconde période postérieure à 1880, dans laquelle les observa-

tions deviennent beaucoup plus nombreuses et dans laquelle l'hydrocé-

phalie commence à être l'attachée à la syphilis comme un effet à sa cause.

(1) Traité des maladies des enfants, 1889 et 1892 (traduction française sur la oie édi-

tion). -

(2) Journal de médecine de Bordeaux, 23 décembre 1888.

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES llÉRÉDO-SYPIlILITIQGES 251

Depuis cette époque, nombre de travaux ont surgi sur cette question,

elles plus récents, notamment ceux des Drs Moncorvo, Haushalter et

Thiry, d'Astros, ont démontré de la façon la plus nette et la plus claire, la

vérité que mon père avait énoncée il y a maintenant dix-huit ans.

Je pourrais presque dire qu'une troisième période s'inaugure actuelle-

ment, dans laquelle on commence à catégoriser les diverses hydrocéphalies

d'origine spécifique en plusieurs groupes suivant leurs causes anatomi-

ques, leur siège, leur échéance d'apparition, etc. ; mais ce sont là toutes

choses dont je n'ai pas à m'occuper ici.

J'ai dit plus haut que l'hydrocéphalie constitue un phénomène d'obser-

vation assez commune dans l'hérédo-syphilis, au point depouvoirlui ser-

vir de stigmate. J'ai pu, en effet, dans les recherches que j'ai instituées sur

lesujet,la noter 170 fois, et, certes, je n'ai pas la prétention d'avoir décou-

vert tous les cas qu'on a pn citer.

Je me bornerai ici à rapporter certain nombre d'observations inédi-

tes (1).

Observation (M. le professeur A. Fourrier) (inédite). - Père syphilitique et

mère saine. - Trois grossesses. - Seconde grossesse donnant un enfant

hdro-céplalc-

X... contracte la syphilis en 1879 (chancre induré de la verge, roséole, pla-

ques buccales il diverses reprises, adénopathies, etc.). Traitement mercuriel

de six à huit mois, et, ultérieurement, iodure de potassium pendant plusieurs

mois. Mariage prématuré en 1881. Femme restant indemne, assure-t-on. Trois

grossesses.

Première grossesse suivant immédiatement le mariage. Enfant sain.

Deuxième grossesse l'année suivante. Enfant devenu hydrocéphale vers l'âge

de treize mois (tout au moins l'ampliation de la tête n'a-t-elle été remarquée

qu'à ce terme). Mort il deux ans.

Troisième grossesse trois ans plus tard. Enfant né sain ; mort dans sa

deuxième année à la suite d'accidents « de méningite ».

Sur aucun do ces enfants, on n'a observé d'accidents propres de syphilis.

Deux ans après la mort de son dernier enfant, le père a présenté une arthrite

temporo-maxillaire de nature vraisemblablement syphilitique, laquelle a guéri

rapidement sous l'influence de l'iodure de potassium.

Observation (M. le professeur A. Fournier) (inédite). - Père syphilitique et

mère saine. Premier enfant hydrocéphale. - Second enfant affecté d'épi-

lepsie, puis d'hémiplégie.

X..., âgé de trente et un ans, a contractée la syphilis il y a huit ans, et ne

s'en est traité que fort peu do temps. Marié dès la première année de sa

(1) Le relevé des autres cas recueillis figure dans notre thèse Stigmates dystrophiques

de l'hérédo-syphilis, p. 40 et sq. -

252 EDMOND FOURNIER

die, il a eu la chance de ne pas contagionner sa femme ; mais, en revanche,

ses deux enfants sont tristement éprouvés par l'hérédité paternelle.

L'aîné, actuellement de six ans, est un hydrocéphale il tête énorme ;

inintelligent ; affecté, en outre, de strabisme depuis l'âge de huit mois ; il est

toujours resté exempt de tout symptôme propre de syphilis.

Le jeune est né sain et bel enfant. Jusqu'à ces dernières six semaines, il a

été bien portant ; puis il a été pris de crises épileptiques qui n'ont fait que

s'accroître de fréquence (jusqu'à 20, 30 et 35 accès par jour).

L'iodure de potassium, presque immédiatement conseillé par un médecin,

malheureusement à faibles doses, a eu pour résultai de diminuer considérable-

ment le nombre des accès, qui sont tombés à trois, deux et un par jour. Mais,

depuis quelques jours, ces accès ont redoublé de fréquence, et, de plus, il vient

de s'y adjoindre une hémiplégie gauche, h propos de laquelle j'ai été consulté.

J'ai prescrit un traitement mercuriel et ioduré il doses énergiques ; mais je

ne saurais dire, n'ayant plus eu l'occasion de revoir cette famille, quel a été le

résultat de cette médication.

Nul antécédent nerveux chez le"père et la mère, qui sont tous deux de cons-

titution moyenne et jouissent d'une bonne santé. *

Observation (M. le professeur A. FOURNIEU) (inédile). Trois enfants hydrocé-

phales issus d'un père syphilitique. M. X..., homme de constitution robuste,

a contracté la syphilis en 1844 et en a été traité par M. le Dr Ricord, dont une

ordonnance (conservée par le malade) porte en tête le diagnostic suivant :

« Chancre induré de la lèvre inférieure, à droite ; roséole ; plaques muqueuses

amygdaliennes, engorgement des ganglions cervicaux ». Il a suivi deux mois

un traitement énergique au protoiodure, et se souvient d'en avoir éprouvé

une salivation intense. Au delà, il a pris quelque peu d'iodure de potassium ;

puis, il ne s'est plus astreint il aucun traitement. Nulle manifestation spécifi-

que jusqu'à fin de 1872. A ce moment, accidents osseux des fosses nasales.

Coryza chronique, souvent strié de sang. Troubles de l'ouïe il droite. Perte de

l'odorat; puis symptômes multiples d'ostéites naso-crhniennes. rnvasion de

troubles cérébraux symptomatiques, et mort en 1878 (1).

Marié en 1850. Mère restée saine. Quatre enfants.

Les deux premiers ont été hydrocéphales in utero et n'ont pu être extraits

qu'après « perforation du crâne ».

Le troisième est né bien portant et s'est développé d'une façon normale au

double point de vue physique et intellectuel ; mais sa tête était très volumineuse,

comme en témoigne un portrait qu'on a conservé de lui. Mort à douze ans,

d'une fièvre typhoïde.

Une quatrième grossesse a donné naissance à une fille qui, née en bon élat,

est devenue hydrocéphale. Sa tête, dit-on, a commencé à grossir vers le troi-

sième mois, puis a pris bientôt des proportions considérables. Quand j'ai vu

(1) « C'est le malade dont j'ai raconté 1 histoire dans une leçon clinique (Des ostéites

tMMO-c;'att : 6 ? : Ke d'origine syphilitique) publiée dans les Annales*des maladies de l'o-

reille et du larynx, 18 ? Prof. A. Fournier.

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES IIÉRI3D0·SYPllILITIQUES 253

l'enfant pour la première fois, elle avait une dizaine d'années et était affectée

à ce moment d'une coxalgie grave. Sa lète était colossale et je ne me souviens

pas d'en avoir jamais rencontré (si ce n'est dans les musées d'anatomie patho-

logique) qui lui soient comparables. L'enfant, cependant, était assez intelli-

gente. Elle avait appris à lire, à écrire, à compter. Au delà, grâce à des soins

assidus, elle parvint à acquérir une éducation moyenne et il jouer du piano

avec un certain talent. Mais elle resta toujours enfantine de goûts et d'allures.

Comme le disait sa mère, c'était encore « un bébé à vingt ans ». Vers trente

ans, elle fut prise d'accidents cérébraux, devint maniaque, puis démente, et

succomba.

Observation (M. le professeur A.FounNIER) (inédite).- Hérédo-syphilis avec

hydrocéphalie. - M. X... a contracté la syphilis dans les derniers mois de

1869. Sa maladie, à l'origine, a été méconnue et non traitée pendant quatre

mois et demi. Puis elle est devenue évidente, et elle a été alors soumise à une

médication régulière. Elle s'est toujours bornée, au reste, à des accidents no-

tablement bénins, il savoir : érosion chancreuse au début; puis sypliilides la-

biales et amygdaliennes, qui se sont répétées quatre fois ; quelques croûtes

disséminées dans le cuir chevelu, trois papules sèches au niveau du gland, et

adénopathies cervicales. Dernier accident, sous forme d'une minime érosion

labiale, en mai 1870.

Comme traitement : sept cures mercurielles, de six semaines chacune, avec

le protoindure pour les six premières, et le sirop de Gibert pour la dernière :

quatre cures à l'iodure de potassium (2 il 3 grammes par jour).

Mariage en 1875 : nul accident' sur madame qui a été surveillée par l'un de

mes collègues au point de vue spécial. Première grossesse, donnant naissance

en 1876 il un enfant quelque peu cbétif, qui, dés l'âge de trois semaines, com-

mence à présenter des lésions cutanées suspectes au pourtour des parties gé-

nitales et de l'anus. Quelques jours plus tard, ces lésions, examinées par deux

de mes collègues et par moi sont unanimement considérées comme syphiliti-

ques. Hydrocéphalie, soupçonnée dès la naissance, mais devenant de jour en

jour plus manifeste. Dépérissement. Puis, symptômes de péritonisme et mort.

Le traitement du mari est repris avec vigueur au cours des années 1876,

1877 et 1878 (traitement intermittent et alterne par protoiodure d'hydrargyre

et iodure de potassium).

Nouvelle grossesse : accouchement en 1879. Enfant sain, vigoureux, resté

indemne de tout accident, et jouissant aujourd'hui d'une excellente santé. De-

puis lors, autre grossesse ; enfant sain. ·

Observation (M. le professeur A. Fournier) (inédite). - Hydrocéphalie sur

un enfant issu d'un père syphilitique. - Jeune homme contractant la syphilis à

l'âge de vingt-trois ans. Chancre induré. Traitement mercuriel immédiat, pro-

longé cinq mois. Pas d'accidents secondaires remarqués. Mariage à vingt-six

ans. Première grossesse donnant naissance à un enfant chétif, malingre, à

grosse tête. Hydrocéphalie se confirmant les mois suivants. Mort rapide.

254 EDMOND FOURNIER

Observation (lLle professeur A. Fournier) (inédite). MmeX...,sage-femme,

s'est mariée deux fois. D'un premier mariage elle a eu un enfant sain, actuel-

lement âgé de dix-sept ans. Du second mariage, sont issues quatre grossesses

qui se sont terminées de la façon suivante : les trois premières par des fausses

couches et la dernière par la naissance d'un enfant hydrocéphale.

Elle est affectée aujourd'hui de deux tumeurs volumineuses qui sont incon-

testablement des gommes. Cependant elle n'a jamais constaté sur elle le moin-

dre phénomène qui ait trait à la syphilis. Elle est donc très vraisemblablement

affectée de ce qu'on appella la syphilis conceptionnelle à manifestations tar-

dives ».

Observation (M. le professeur A. Fournier) (inédite).- Père affecté de syphi-

lis en 1869 : deux chancres indurés de la verge, avec adénopathie spécifique ;

syphilides banales à diverses reprises en 1870 ; quelques papules frontales.

Traitement mercuriel, puis ioduré.

Pas de renseignements sur la mère. --

Enfant né vers la fin de 1871. Dès la naissance il présentait « une grosse

tête » qui a continué se développer, en sorte que, vers le troisième mois, on

l'a déclaré décidément hydrocéphale.

« Je suis appelé seulement à examiner l'enfant trois ans plus tard. Je lui

trouve une tète très volumineuse. Cependant cette indéniable hydrocéphalie

ne s'accompagne d'aucun trouble. Marche facile; parole normale. Le père dit

même que son fils est intelligent ( ? ). Nul antécédent et nul stigmate de mani-

festations syphilitiques ; nul symptôme actuel de même ordre. »

Observation (M. le professeur A. Fournie») (inédite). M. X... a contracté, il

y a vingt ans, une syphilis qui a été originairement des plus bénignes : chan-

cre induré; roséole; quelques plaques muqueuses buccales et rien autre.

Traitement mercuriel très court (deux à trois mois). Il y a dix ans environ,

début d'un tabes dorsalis (douleurs fulgurantes, accès de diplopie, puis trou-

bles de la vue, amblyopie et quasi-cécité, etc. Cependant érections conservées

et pas de troubles vésicaux. Marche correcte). Marié depuis quinze mois.

Mme X... n'a jamais présenté d'accidents spécifiques. Devenue enceinte il y

a un an, elle est accouchée d'un enfant hydrocéphale, qui n'a vécu que deux a

trois heures.

Observation (M. le professeur A. Fournier) (inédite). Père syphilitique :

chancre induré, roséole, plaques muqueuses gutturales il diverses reprises.

Traitement irrégulier, insuffisant. « Se marie malgré moi au cours de la troi-

sième année de l'infection. »

Mère devenue très vraisemblablement syphilitique au cours de la première

grossesse, en tout cas traitée comme telle par son médecin pour « des taches

roses à la peau ».

Trois grossesses :

Première grossesse : enfant mort en naissant.

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CnI ? 7, LES nÉRÉDO-SYPlIlLITIQUES 255

Seconde grossesse : enfant mort deux ans et demi, avec des symptômes de

« méningite ».

Troisième grossesse : enfant hydrocéphale. Je le vois seulement il l'âge de

sept ans et demi. Tête volumineuse. Marche très défectueuse, vacillante. Vi-

sion nulle de l'oeil droit. Intelligence très médiocre. L'enfant connaît à peine

ses lettres : « on ne peut rien lui apprendre ».

Jamais aucun accident de syphilis n'a été relevé sur lui, non plus que sur

les deux enfants qui l'ont précédé.

OBSERVATION (M. le professeur A. Fournier) (inédite). M. X... contracte la

syphilis en 1880. Chancre induré, roséole, alopécie, plaques buccales à diver-

ses reprises. Traitement : pilules de protoiodure pendant cinq mois; puis

100 pilules de Sédillot ; iodure de potassium à diverses reprises.

Mariage cinq ans après l'infection.

Grossesse immédiate. Mme X... reste saine.

Accouchement à terme d'un enfant hydrocéphale, qui meurt en naissant.

Quelques semaines plus lard, M. X... présente sur le thorax une éruption

discrète de taches érythémateuses qui semblent bien devoir être rapportées à

ce qu'on appelle actuellement l'érythème tertiaire.

Traitement par pilules de Dupuytren. Disparition des taches en quelques

jours.

Observation (communiquée par M. le Dr Parisot [de Nancy]). - Père et mère

syphilitiques.

Enfant né le 4 juin 1896 et présentant quatre jours après sa naissance des

ulcérations syphilitiques sur tout le corps. Chétif, malingre. Traitement spé-

cifique. Amélioration de l'état général.

En octobre, c'est-à-dire quatre mois après la naissance, la tête de l'enfant

commença a augmenter de volume, et une circulation veineuse crânienne très

apparente se manifesta. L'enfant, qui se plaignait beaucoup, ne pouvait main-

tenir sa tête droite ; il la laissait toujours tomber en arrière.

Le diagnostic d'hydrocéphalie fut porté, et de nouveau un traitement spéci-

fique fut institué.

Pendant un mois encore, la tète continua à grossir ; l'enfant se plaignait

toujours, restait hébété ; avait des spasmes laryngés ; l'état général restait fort

inquiétant.

Néanmoins, trois mois plus tard, l'état de l'enfant s'était considérablement

amélioré.

Le spasme laryngé avait complètement disparu ; l'enfant ne se plaignait plus,

maintenant bien sa tête, et l'intelligence se développait. Depuis cette époque,

l'amélioration s'est accentuée de jour en jour ; actuellement, le petit malade est

âgé de huit mois ; sa tète, encore un peu volumineuse, mesure 50 centimètres

de circonférence, mais c'est un bel enfant, bien éveillé, qui commence à mar-

cher et qui, en somme, présente un état aussi satisfaisant que possible.

236 6 EDMOND FOURNIER

Observation (communiquée par M. le professeur Spillmann). Père âge de

trente-deux ans, syphilitique.

Mère âgée de vingt-six ans, syphilitique; contaminée par son mari à l'âge

de vingt ans. A eu trois grossesses.

Première grossesse : avortement à trois mois.

Deuxième grossesse : avortement à six mois.

Troisième grossesse : naissance d'un enfant, qui mourut à vingt et un mois,

hydrocéphale.

La déformation de la tète n'apparut, au dire des parents, que deux mois

après la naissance, mais elle prit rapidement des proportions énormes ; ce

point qu'à dix-huit mois, la tète mesurait 1 m. 20 de circonférence ( ! )

Les régions frontales étaient surtout très développées, et il existait un écar-

tement considérable des os de la voûte ; on notait en outre : une saillie assez

considérable des globes oculaires, du nystagmus, un léger oedème des paupiè-

res, un regard incertain et une hébétude complète ; des contractures passagè-

res dans les membres inférieurs, et un écoulement constant de la salive par

les lèvres entr'ouvertes. A cette époque, le Dr Spillmann institua un traite-

ment mixte ; il put constater, an bout de peu de temps, une diminution de

3 centimètres sur la circonférence du crâne et un semblant de réveil des sen-

timents affectifs ; mais une rougeole survint, et le petit malade succomba il

une complication broncho-pulmonaire.

Observation (communiquée par M. le Dr Jacquet). Père syphilitique ; a

encore récemment présenté des accidents cutanés.

Mère indemne ; a eu deux grossesses.

Première grossesse : fille venue à terme, bien portante.

Vers la quatrième semaine, symptômes multiples et non équivoques d'hé-

rédo-syphilis (syphilide cutanée polymorphe, fissures labiales, plaques mu-

queuses, coryza sanieux et sanguinolent, teint légèrement sub-ictérique, foie

gros).

Tous ces symptômes disparaissentsous l'influence d'un traitement spécifique.

Mais, deux mois et demi au delà, la tête commence il grossir, et l'enfant de-

vient hydrocéphale.

Tète volumineuse, fontanelle antérieure anormalement élargie, etc.

Actuellement âgée de vingt-huit mois ; bien portante. Sous l'influence du

traitement, tous les accidents ont disparu et la tète a sensiblement diminué

de volume ; la fontanelle antérieure est soudée ; l'intelligence est très vive.

En outre, légères érosions sur les incisives médianes supérieures ; léger de-

gré de rachitisme (chapelet costal et genoux en valgus) ; crête palatine très

marquée.

Deuxième grossesse : enfant venu Ù terme, syphilitique ; mort à dix mois

d'accidents cérébraux.

Observation (communiquée par M. le Dr 13AnTnr : r.EUY). - Père ayant con-

tracté la syphilis en 1879, et n'ayant subi de traitement qu'en 188G, durant six

mois, si propos de syphilides serpigineuses péri buccales. Se marie eu 1894.

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES HÉRÉDO SYPHILITIQUES 257

Mère indemne ; n'a jamais présenté qu'une petite lésion érosive sèche du

corps de l'ongle, survenue pendant le septième mois de sa première grossesse

et sur la nature de laquelle il est impossible de se prononcer. Deux gros-

sesses.

Première grossesse. Enfant venu à terme, bien constitué, ayant la tête un

peu forte. A trois semaines, des convulsions se manifestent, et la tète de l'en-

fant commence ;i se développer anormalement. Sous l'influence d'un traite-

ment spécifique, institué en raison de renseignements d'anamnèse, les convul-

sions disparaissent au bout de cinq semaines de traitement ; mais l'hydrocé-

phalie continue à se développer, et, vers six mois, la circonférence crânienne

atteint 58 centimètres.

Sous l'influence du traitement toujours continué, l'état général de l'enfant

devient prospère ; les dents poussent en leur temps : les membres se dévelop-

pent et se meuvent bien ; la croissance se fait même d'une façon exagérée et

l'enfant prend un développement de beaucoup supérieur à celui des enfants de

même âge. Mais la tête reste volumineuse, ne peut être maintenue en équili-

bre, et cela même en dépit de cinq ponctions lombaires qui furent pratiquées

sans complication, mais n'amenèrent aucune amélioration de l'hydrocéphalie.

Actuellement cet enfant, âgé de dix-huit mois, est complètement dépourvu

d'intelligence ; il a une tète vraiment monstrueuse, au point qu'on n'a pas

encore osé le sortir.

Deuxième grossesse : dès le début, la mère a subi un traitement spécifique.

Naissance d'un bel enfant, actuellement âgé de deux mois et paraissant in-

demne.

Observation (communiquée par le Dr RIUE\t0lT-DECS : 11GNES. - En 1891, le

D'' Ribemont-Dessaignes fut appelé auprès d'une femme primipare à terme et

en travail. Le développement anormal de l'abdomen semblait de prime abord

indiquer une grossesse multiple ; mais un examen approfondi fit éliminer cette

idée pour conclure a une hydramnios et, par suite, à la possibilité d'une mal-

formation foetale.

A la rupture des membranes, une quantité considérable de liquide (trois à

quatre litres) s'écoula, et il fut dès lors possible de constater le développement

excessif de la tète foetale : après une première application infructueuse du for-

ceps, il fallut recourir au basiotribe ; la perforation du crâne donna issue ', une

notable quantité de liquide céphato-racbidien, et il devint alors facile d'extraire

un foetus, hydrocéphale, dont on put remplir la tête de 540 grammes d'eau.

Le mari, questionné, avoua la syphilis, dont il présentait encore d'ailleurs

des manifestations sous forme de psoriasis palmaire. Il se soumit ci un traite-

ment spécifique énergique.

Depuis cette époque, sa femme est devenue grosse une seconde fois et a

donné naissance un enfant bieu constitué qui est resté sain et bien portant

jusqu'à ce jour.. , w

Observation (communiquée par M. le Dr l'OCfIICn). - Enfant de cinq mois

nettement hydrocéphale. En dépit des dénégations des parents, un traitement

258 EDMOND FOURNIER

spécifique est institué (frictions mercurielles et iodure) ; il produit les meilleurs

résultats : rétrocession complète de l'hydrocéphalie.

Plus tard, kératite interstitielle.

Observation (communiquée par M. KEIM, interne des hôpitaux de Paris).

Père syphilitique ; ayant contaminé sa femme six mois environ avant le début

delà première grossesse. La mère" a eu un chancre des parties génitales, de

la roséole, des plaques muqueuses, etc. Elle n'a subi un traitement que vers

la fin de sa grossesse (septième mois environ).

Accouchement terme d'un enfant sain d'apparence, qui est envoyé en nour-

rice.

A l'âge de trois semaines, bulles de pemphigus aux mains et aux pieds ; puis

coryza ; puis augmenta lion progressive du volume de la tête.

Lorsque cet enfant est amené à l'hôpital Trousseau, en mai 1897, il est âgé

de deux ans. On relève sur lui des cicatrices fessières, un nez aplati la base,

des érosions dentaires, des dents atrophiées, une paralysie faciale du côté droit,

et une hydrocéphalie volumineuse ; les fontanelles sont largement béantes ; les

sutures sagittale et lambdoïde sont libres; le front est proéminent; le crâne

est asymétrique.

Quelques jours après son entrée à l'hôpital, cet enfant présente des accidents

de conjonctivite phlycténulaire, puis des accidents de broncho-pneumonie aux-

quels il succombe. A l'autopsie, on trouve les ventricules latéraux très dilatés

et une abondante hydrocéphalie interne. ·

Foyers de broncho-pneumonie. Rien aux autres viscères.

Observation (communiquée par M. le professeur GEam). - lui. X... contracte

la syphilis à dix-huit ans (chancre, plaques muqueuses, syphilides papuleuses,

etc.); il se. soigne régulièrement pendant deux ans, puis d'une façon irrégu-

lière (il propos de quelques légers accidents) pendant les quatre années suivan-

tes. A vingt-huit ans, en prévision d'un mariage, il fait il Cauterets une cure

d'épreuve qui reste négative, et il se marie une année plus tard, c'est à-dire à

vingt-neuf ans. 1

11 a d'abord deux enfants bien portants. Puis, il subit une poussée nouvelle

de son ancienne infection : amaigrissement extrême, perte rapide des facultés

génésiques, syphilides papulo-tuberculeuses de la voûte palatine et glossite

scléro-gommeuse. Ce retour offensif se traduit sur un second enfant qui, conçu

il cette époque, est expulsé à sept mois et demi. présentant une énorme hydro-

céphalie.

Le père recommence alors un traitement énergique, qu'il continue pendant

plus d'une année. A cette époque, sa femme devient enceinte pour la quatrième

fois et accouche normalement d'un enfant bien portant, bien conformé, qui est

âgé aujourd'hui de vingt mois et présente toutes les apparences d'une santé

parfaite. x "* .

¥ *

La longue énuméra Lion qui précède a dû paraître sans aucun doute

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES HÉRÉDO-SYPllILITIQUES 259

monotone et fastidieuse. Mais elle trouvera, je l'espère, son excuse dans

l'intérêt de la démonstration poursuivie.

Il s'agit ici d'un gros fait, la relation pathogénique de l'hydrocéphalie

avec 1'liéréilo-sypliilis. J'ai pensé que, pour un fait de ce genre, il pouvait

n'être pas exagéré d'accumuler les témoignages et j'ai tablé sur la puis-

sances du nombre.

En définitive, j'ai relevé dans la littérature médicale française et étran-

gère, que j'ai pu consulter, 147 cas d'enfants entachés d'hérédo-syphilis

et hydrocéphales.

A ce chiffre j'ai ajouté, d'une part, 12 observations empruntées aux

notes de mon père ; - et, d'autre part, 11 observations que je dois à de

très obligeantes communications.

Au total donc, j'ai réuni 170 cas dûment authentiques d'hydrocéphalie

s'étant produite sur des sujets hérédosyphilitiques. Et j'aurais pu en pro-

duire bien davantage, si je ne m'étais astreint à ne citer que les cas offrant,

soit par l'autorité de leurs auteurs, soit par leurs détails propres, toute

garantie de certitude.

Ce chiffre, coup sûr, est assez considérable pour être significatif, et je

crois être autorisé à en tirer la conclusion suivante : L'influence hérédo-

syphilitique peut se traduire par l'hydrocéphalie et constitue même un

affluent important ci l'étiologie de cette affection.

Conséquemment : l'hydrocéphalie peut être considérée comme un stig-

mate d'hérédo-syphilis.

A coup sûr, ajouterai-je une fois de plus, ce stigmate n'implique pas la

syphilis pour cause, et bien loin de moi l'intention de dire que toute

hydrocéphalie relève d'une cause spécifique ; mais la constatation de l'hy-

drocépltalie sur un enfant doit toujours attirer l'attention du côté de l'hé-

rédo-syphilis, éveiller un soupçon et diriger en ce sens les investigations

diagnostiques.

Tel est surtout l'intérêt pratique qui se rattache à la question des rap-

ports pathogéniques de l'hydrocéphalie avec l'hérédo-syphilis.

CIRCULATION CRANIENNE SUPPLEMENTAIRE.

Je placerai ici, hien artificiellement, je l'avoue, la description d'un

tout autre stigmate qui s'observe souvent avec l'hydrocéphalie, mais qui

peut également se rencontrer indépendamment de l'hydrocéphalie, à sa-

voir : la circulation crânienne supplémentaire.

Ce stigmate, dont l'intérêt est surtout diagnostique, consiste en une

exagération de la circulation veineuse crânienne que l'on aperçoit sous

260 EDMOND FOURNIER-

les téguments du front et le cuir chevelu. Le réseau veineux gorgé de sang

se dessine là à la façon des circulations dites supplémentaires.

Le symptôme en question a été signalé ci décrit par mon père dans

les termes suivants :

« Il m'est arrivé bien des fois, en examinant des enfants hérédo-syphi-

litiques, d'avoir l'attention attirée vers un détail spécial, à savoir la dilata-

tion de certains troncs veineux crâniens exagérés de volume et paraissant

gorgés de sang, à la façon des vaisseaux qui constituent une circulation

supplémentaire.

« Ce développement exagéré du système veineux s'observe surtout dans

les trois points suivants, que je citerai par ordre de fréquence :

« 1° Sur le trajet de la veine temporale superficielle, et de ses racines

constituées..par les veines pariétales ;

« 2°-Sur le trajet de la veine angulaire, au niveau de l'angle interne

de l'aeil ;

« : 3° Sur le trajet des reines frontales.

« Il est variable d'importance suivant les sujets, mais toujours très ap-

parent. Alors qu'il est fortement accentué, il s'accuse non pas seulement

par de gros cordons veineux de coloration bleuâtre ou d'un bleu rosé,

'mais par la formation de véritables arborescences veineuses que consti-

tuent les anastomoses réciproques des veinules servant de racines aux

troncs principaux.

« C'est ainsi, par exemple, que, sur un petit malade hérédo-syphili-

tique du service de mon cher collègue et ami, le professeur Budin, on

observait ceci : d'une part, la veine temporale formant au-devant et au-

dessus de l'oreille un gros tronc d'une largeur de deux à trois millimè-

tres ; - d'autre part, lés veines frontales très dilatées; et, finalement,

les radicules de ces deux ordres déveines s'entrelaçant, s'anastomosant,

et constituant un lacis veineux des plus riches au niveau des (feux tiers

antérieurs du crâne. Si bien que les régions frontale, sincipilale et tem-

porale se trouvaient sillonnées en tous sens par des traînées bleuâtres,

que dissimulait à peine la chevelure, d'ailleurs raréfiée (PI. XXXI).

« Sur un autre bébé, observé par un de mes anciens internes, M. Sal-

mon, les deux veines temporales superficielles, très dilatées, se réunis-

saient à plein canal au niveau du sinciput, tandis que leurs veines radi-

culaires, également développées, couvraient de leurs anastomoses les

régions antérieure et postérieure du crâne (pli. XXXII).

« Point curieux à noter : Celle circulation veineuse supplémentaire ne

s'observe pas seulement chez les sujets à, grosse tète, à tète hydrocéphali-

que ; elle se rencontre aussi ci non moins souvent sur des enfants à tète

normale, ne présentant rien d'exagéré.

NOUV- ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XI. PL. XXXI.

.CIRCULATION CRANIENNE SUPPLEMENTAIRE

CHEZ UN ENFANT IICRliDO-SYPHILITIQUE

(Edmond Fournier.)

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE. T. XI. PL. XXXII.

CIRCULATION CRANIENNE SUPPLEMENTAIRE

CHEZ UN ENFANT HRÉDO-S1PHILITIQUC

(Edmond Fournier.)

LES MALFORMATIONS CRANIENNES CHEZ LES HÉRÉDO-SYPHILITIQUES 2G1

« Elle est, je le répète, assez commune. Je la trouve signalée dans mes

notes plus d'une trentaine de fois, et déjà plusieurs spécimens en ont été

publiés par un de mes élèves, notamment, par le Dr Barasch (1). Si bien

qu'il m'est arrivé déjà plusieurs fois de suspecter l'hérédo-syphilis à pre-

mière vue, rien que par cette curieuse particularité d'une circulation vei-

neuse exagérée. '

« Il n'est là, certes, rien de spécial à la syphilis, rien qui lui appar-

tienne en propre, et je suis à cent lieues de prétendre vous donner ce signe

comme un symptôme syphilitique. Mais je dis ceci : le signe en question

s'observe avec une notable fréquence chez les petits hérédo-syphilitiques,

et peut-être même plus fréquemment là que dans n'importe quelle autre

maladie (ce qui reste à déterminer d'une façon plus précise, mais n'im-

porte) ; donc il est excellent pour constituer un indice, pour éveiller un

soupçon, pour ouvrir une piste et diriger le diagnostic vers la recherche de

1 'hérédo-syphi 1 is.

« Resterait à savoir le pourquoi de ce phénomène en question. Qu'est-

ce que celte circulation supplémentaire extra-crânienne ? Il se présente à

l'esprit de tout le monde de la considérer comme le résultat d'une diffi-

culté survenue dans la circulation veineuse intra-cranienne. Mais comment

expliquer, avec cette interprétation, qu'elle s'observe fréquemment en

dehors de tout symptôme permettant d'admettre un excès dépression intra-

crânienne, une hydrocéphalie, une tumeur cérébrale, un état de souffrance

cérébrale quelconque ? Ne serait-elle donc qu'un phénomène propre, essen-

tiel, tel qu'une anomalie de circulation locale ? Cela serait bien extraor-

dinaire. J'ai entendu, cependant, un anatomiste éminent émettre cette

opinion qu'elle pourrait bien dériver de quelque malformation osseusede

la base du crâne, ayant pour effet d'atrésier les défilés de la circulation en

retour, notamment au niveau du trou déchiré postérieur. C'est.là une

hypothèse à vérifier par de nouvelles recherches anatomo-pathologiques.

De sorte qu'en définitive l'explication de ce curieux symptôme nous fait

encore défaut (2). »

(1) Influence dyslrophique de l'hérédité syphilitique. Thèse de Paris, 1896. V. Obs.

V, X, XVII, etc.

(2) Leçon clinique de l'Hôpital Saint-Louis.

ATROPHIE DES CENTRES NERVEUX,

DANS UN CAS D'ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE

D'ORIGINE ARTICULAIRE

PAR

CH. ACHARD et LÉOPOLD-LÉVI

Agrégé, médecin de Ancien interne-lauréat des

l'Hôpital Tenon. Hôpitaux.

L'atrophie de tout un membre, y compris les os, est bien connue au

cours de la paralysie infantile. Elle est en rapport avec une lésion pri-

mitive de la moelle, qui a entraîné l'atrophie des cellules trophiques de

la corne correspondant au membre frappé.

D'autre part, l'atrophie d'un membre se rencontre encore au cours de

lésions périphériques. Il s'agit alors, en général, d'atrophie musculaire.

Mais il est possible d'observer aussi l'aplasie osseuse, consécutivement à

une affection purement périphérique, telle qu'une arthrite du genou, si

cetle affection s'est produite dans l'enfance, pendant la période de déve-

loppement. Dans ce cas, et nous allons en fournir un exemple, on

peut rencontrer aussi une lésion de la moelle. Mais, comme il est facile

de leprévoir, cette lésion médullaire est différente de celle de la paralysie

infantile : c'est, en effet, une atrophie simple avec diminution correspon-

dante du nombre des cellules.

Observation.

Affection articulaire ancienne avec ankylose du -genou droit. Atrophie du

membre inférieur droit et aplasie osseuse. Atrophie médullaire et cérébrale.

liourl... François, âgé de 41 ans, musicien, entre le octobre 1897 salle

Lorain, lit n° 2, service du Dr Achard, à l'hôpital Tenon.

Antécédents héréditaires. - Sa mère est morte de suites de couches. Son père

de maladie inconnue. Sur 9 enfants qu'ils ont eus, six sont morts en bas âge,

deux sont bien portants. Lui-même est marié. Sa femme est bien portante ; il

a deux enfants en bonne santé.

Antécédents personnels. - Le malade raconte qu'à la suite d'une chute qu'il

ATROPHIE DES CENTRES NERVEUX 263

fit en sautant, l'âge de 7 ans, il fut soigné pour une affection du genou droit.

Il se rappelle avoir été mis dans un appareil et maintenu plusieurs mois au

lit. Il éprouva de vives douleurs pendant la durée de cette immobilisation, et

à la suite, l'articulation resta ankylosée.

Consécutivement il cette maladie articulaire, il se produisit progressivement

une atrophie du membre inférieur droit.

Hormis une rougeole bénigne contractée il t'age de 13 ans, il n'eut point de

maladie infectieuse.

Au mois de décembre 1896, il fut mis en traitement il la consultation de

l'hôpital St-Louis pour une localisation tuberculeuse au niveau du testicule

droit. L'orcbite fut suivie de cystite, avec douleurs, mictions fréquentes, impé-

rieuses, de quelques gouttes d'urine le plus souvent. Depuis deux mois, il s'est

mis à tousser et à cracher sans avoir jamais d'hémoptysie. Son appétit a dimi-

nué. Il a maigri.

A l'examen du malade, on constate des symptômes de tuberculose pulmo-

naire bilatérale, avec prédominance à droite. Le foie est atrophié. L'urine ren-

ferme de l'urobiline. Il existe de l'ascite en petite quantité. L'épididyme, les

vésicules séminales, la vessie présentent des signes de localisation tubercu-

leuse.

On note la date du 18 octobre de l'oedème bilatéral des membres inférieurs

avec prédominance à gauche, qui gagne ultérieurement les lombes et les parties

génitales. L'abdomen est ballonné, douloureux. L'urine renferme du sang, de

l'albumine ; quelques cylindres hyalins, à l'examen microscopique.

Le malade meurt le 4 décembre, sans phénomène nerveux.

Pendant la vie, l'attention avait été attirée sur le membre inférieur droit,

qui, avec son atrophie tant en longueur qu'en largeur,aurait donné l'apparence

d'un membre de paralysie infantile, n'eùt été l'ankylose du genou. L'atrophie

porte sur les différents segments du membre. Elle intéresse les masses mus-

culaires de la cuisse, du mollet et de la jambe, et les os.

La différence de circonférence d'un côté à l'autre est de 8 centimètres à la

jambe, à 95 centimètres au-dessus de la pointe de la malléole externe.

Le tibia droit est diminué de volume. A 8 centimètres de la pointe de la

rotule, on note pour la face interne 3 cm. 5, au lieu de 7 centimètres du côté

opposé.

Les mouvements de la hanche sont conservés, ainsi que ceux du cou-de-pied.

Le pied a le ballottement du pied du polichinelle. L'articulation du genou est

ankylosée il angle droit. L'extension est impossible.

La sensibilité objective au niveau du membre atrophié est intacte à tous les

modes. Il n'existe aucune douleur au niveau du membre inférieur.

Pas d'hyperesthésie des masses musculaires à la pression.

Le membre est constamment froid. Il est le siège de troubles vaso-moteurs

accentués surtout au niveau de l'extrémité. Le pied est atteint d'engelure tous

les hivers.

264 ACHARD ET LI;OPOLD-LBVI

Les radiographies des membres inférieurs ont été faites pendant la vie (1)

(PI. XXXIII). Les conditions de pose et de distance de l'appareil étaient iden-

tiques pour chaque membre.

La diminution de volume des os dans le sens transversal est très apprécia-

ble. Il est à remarquer, en outre, que l'épaisseur moins grande du tissu com-

pact du côté atrophié laisse apercevoir le tissu spongieux

Il semble, en outre, que le condyle interne du fémur, le plateau interne du

- tibia et la rotule sont soudés. Il y a ankylose. Le condyle interne se montre ma-

nifestement irrégulier et aplati. 1

Du côté sain au contraire, le condyle interne a sa forme arrondie, sa dispo-

sition régulière. La rotule, dans l'attitude qui correspond à la position natu-

relle du membre atrophié, affecte des rapports seulement avec la partie supéro-

interne du condyle interne.

L'autopsie révèle une tuberculose pleuro-pumouaire bilatérale, prédomi-

nante à droite, une atrophie hépatiqueavec cirrhose et adénomes. La rate pèse

250 grammes.

On trouve des foyers tuberculeux au niveau de l'épididyme, de la vessie ;

des altérations du rein gauche qui est dur, pèse 190 grammes. Le rein droit

est hypertrophié, pèse 400 grammes, est le siège de pyélonéphrite. Tubercu-

lose caséeuse de la capsule surrénale droite.

Au niveau du membre inférieur droit, on constate de l'oedème du tissu

cellulaire sous-cutané, beaucoup moins marqué que du côté opposé. Il n'existe

pas d'adipose luxuriante. Les groupes musculaires, plus maigres que du côté

opposé, sont pâles, en particulier le quadriceps fémoral et les muscles du mollet.

Les nerfs, en particulier les gros troncs (sciatique et branches de division)

paraissent diminués, d'un 1/6''environ par rapport à ceux du côté gauche.

Examen macroscopique du système osseux et nerveux. - Il existe des diffé-

rences considérables entre les os des deux membres inférieurs. Ils ne parais-

sent pas appartenir : 1 un même sujet.

Après la séparation d'avec les parties molles, des mensurations sont prati-

quées sur les os de la jambe de chaque côté.

Le péroné sain mesure 39 centimètres de long, le péroné atrophié 33 centi-

mètres, soit 6 centimètres de différence. La circonférence est de 4 cm. 1/2

pour le péroné sain contre 3 centimètres, soit 1/3 en moins pour ce dernier.

Les extrémités supérieures mesurent 7 cm. 2 de circonférence contre

6 cm. 5 ; les extrémités inférieures 9 contre 8.

On note des différences analogues pour le tibia. Longueur du tibia gauche,

38 centimètres, du tibia droit 35 centimètres.

(1) Nous tenons à remercier M. A. Londe, directeur du service photographique de la

Salpêtrière, pour l'obligeance avec laquelle il a fait ces photographies, ainsi que d'au-

tres, pour ce mémoire et pour des mémoires antérieurs.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T XI. PL, XXXIII

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE D'ORIGINE ARTICULAIRE

(Radiographies des membres inférieurs)

A. CÔTÉ DROIT ATROPHIÉ. B. CÔTÉ GAUCHE NORMAL.

On voit en A l'atrophie des fémur, tibia, péroné. L'épaisseur du tissu compact est diminuée de ce

côté. On se rend compte de l'ankylose de l'articulation du genou, de la soudure de condyle du fémur, du

plateau du tibia, de la rotule. Le condyle interne du fémur est irrégulier et aplati.

Nouv. Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.

T. XI. 1'1. XXXIV

A

B

rhototyple rtbl.ud Paris.

ATROPHIE DES CENTRES NERVEUX

(ACHARD et LËOPOLD-LÉVi)

Hémisphères cérébraux vus par leur face interne.

(Photographies dues 4 M. V. Delamare, interne des hôpitaux).

A. Hémisphère gauche. B. Hémisphère droit.

On voit que le lobule paracentral est plus développé du côté droit. Les circonvolutions PA et FA

qui le constituent sont plus volumineuses et plus renflées et ne laissent entre elles qu'un sillon

plus étroit et moins long que du côté opposé.

MASSON & Cu : . Editeur :

ATROPHIE DES CENTRES NERVEUX 265

Extrémité supérieure, 22 centimètres (tibia sain), 19 (tibia atrophié). Extré-

mité inférieure 15-12.

Le poids du tibia sain est de 330 grammes, celui du tibia atrophié de

140 grammes.

Les saillies, telles que le tubercule antérieur du tibia, sont beaucoup plus

marquées sur l'os sain que sur son congénère. Il en est de même de la crête

de la face postérieure (ligne oblique du tibia).

La forme de l'os est d'ailleurs très différente, ainsi qu'on peut s'en rendre

compte sur la coupe de l'os pratiquée après durcissement (fig. 1). Alors que le

tibia sain offre, si l'on veut, une forme en brioche,

déterminée en partie par la saillie du bord antérieur

et qu'on note 31 millimètres dans le sens antéro-

postérieur, 23 millimètres transversalement, que le

canal médullaire a une forme piriforme, le tibia

atrophié presque arrondi sur la coupe mesure 12 mil-

limètres dans les deux sens avec un canal médul-

laire régulièrement arrondi. 1

Le péroné droit offre sur la coupe une tendance

la forme quadrangulaire, par émoussement de ses

ai-eles. ie péroné gaucne a une tonne neuemem quauraiiguuiue. oes memura-

tions donnent 9 millimètres dans le sens antéro-postérieur pour le côté sain,

8 dans le sens transversal, contre 7 millimètres et 4 millimètres.

Ce ? ,veau.- Le cerveau, durci dans le formol à 10 0/0, est étudié macrosco-

piquement, en comparant les deux hémisphères. On est frappé de la différence

que présente de part et d'autre le lobule paracentral (Pl. XXXIV).

Du côté droit il est représenté par un triangle isocèle il base supérieure. Il

se montre formé de deux circonvolutions épaissies et renflées, ne laissant entre

elles qu'un sillon incomplet d'où partent quatre branches limitant les parties

les plus renflées.

A gauche, le sillon entre Fa et Pa est si la fois complet, large, dirigé plus

obliquement. Il se continue directement avec le sillon de Rolando sans être

interrompu comme du côté opposé par des plis de passage. Enfin il s'étend pour

ainsi dire jusqu'à l'extrémité des deux circonvolutions qui sont grêles, moins

étendues et réunies à ce niveau par un pli. La forme générale est celle d'un U

ouvert en haut.

Vu par la face externe, l'hémisphère droit montre au niveau du 1/6 centi-

mètre supérieur une même différence. Le sillon est moins marqué, les circon-

volutions plus épaisses du côté droit. Elles sont plus grêles, il ce même ni-

veau, à gauche.

· Examen iiistologique.

Il a porté sur les nerfs, les muscles, la moelle, le cerveau.

Des dissociations sont faites après séjour de 24 heures dans l'acide osmique,

sur une branche musculaire du nerf tibial postérieur, sur une branche cuta-

née du nerf couturier.

Fig. 1. - Coupe

macroscopique des tibias.

Réduction d'un demi.

A. Tibia atrophié.

B. Tibia normal.

266 ACHARD ET D30POLD-LÉVI

On ne constate pas de lésion manifeste sur la branche musculaire ou sensi-

tive du côté atrophié ; au contraire, il existe quelques altérations (fragmenta-

tion de la myéline en boules) sur la branche musculaire du côté sain.

Il est à noter que l'oedème était plus marqué de ce côté. Il existait en outre

des coagulations au niveau des veines intra-musculaires (1).

Les coupes transversales de ces branches nerveuses ne montrent ni altéra-

tion ni atrophie manifeste il gauche.

Les nerfs plus volumineux, tels que le sciatique poplité interne et le tronc

même du sciatique, présentent du côté atrophié, sur des coupes colorées au pi-

crocarmin et à l'héll1atoxy[ine-¿osine, un épaississement considérable et ancien

du tissu conjonctif inter-fasciculairo, sans sclérose intra-fasciculaire, sans for-

mations embryonnaires au niveau du tissu interfasciculaire. Il semble donc qu'il

s'agisse d'une sclérose conjonctive par atrophie simple. Les artères volumineu-

ses des nerfs présentent un degré moyen d'endartérite limitée à quelques-unes.

Sur les coupes colorées par la méthode de Pal, on constate un certain état d'a-

trophie des fibres nerveuses, surtout par comparaison avec les coupes prove-

nant des nerfs du côté gauche.

Les muscles montrent en général, mais d'une façon inégale, une myosite in-

terstitielle très marquée, manifeste surtout sur les coupes transversales. Il existe

des travées épaisses de tissu conjonctif entre les faisceaux secondaires et ter-

tiaires. En outre, par places, chaque cylindre primitif est comme dissocié des

voisins, encerclé par des cellules embryonnaires ou plus anciennes, à noyau

volumineux et fixant vivement le colorant. Quant au volume des cylindres

primitifs il est assez variable. Les colonnes musculaires semblent en général

diminuées de volume.

Sur les coupes longitudinales, on voit des traînées embryonnaires dirigées

dans le sens des fibres musculaires.

La striation des libres est très nette, surtout dans le sens transversal. Les

nerfs intra-musculaires, colorés par la méthode de Pal, ne laissent percevoir

aucune lésion accentuée.

La moelle a été étudiée d'une façon systématique, racine par racine, au niveau

de la région lombaire et sacrée.

Des coupes ont été faites après fixation el durcissement il l'alcool absolu, sans

inclusion, et colorées au bleu polychrome d'Unna. La décoloration a eu lieu à

l'huile d'aniline alunée, et il la fuchsine de Ziehl, avec emploi d'acide acétique

au 1/1000. D'autres coupes portant, en outre, sur les différentes régions de la

moelle, après inclusion au collodion, ont été colorées par la méthode de Pal,

le procédé d'Azoulay. Enfin la méthode de Fore ! (picrocarmin en masse) et la

méthode de Mardi ont été mises en usage.

(1) Remarquons en passant que la tuberculose généralisée chez notre malade n'a

pas produit de lésions de névrite.

Nous avons eu l'occasion de faire cette remarque, dans de nombreux cas, où systé-

matiquement, ou à propos de cas intéressants observés chez des tuberculeux, les dis-

sociations des nerfs périphériques ont été faites.

NOUV. Iconographie de la Salpêtrière. T. XI. PI. XXXV

1

2

3

ATROPHIE DES CENTRES NERVEUX

(ACHARD Ct LÉOPOLD-LÉVI)

Photographies de coupes do moelle (méthode de Pal, faible grossissement)

1. Moelle de paralysie infantile (région cervic.ile). Foyer de sclérose au niveau de la corne gauche.

2. Moelle dans le cas J'atrophie simple, saite d'atrophie du genou, qui fait l'objet de ce mémoire

(région lombaire). Diminution notable de la corne droite par rapport à sa congénère. L'apparence

plus claire de la . : 01 nc gauche est artificielle et n'est pas visible sur la préparation.

3. Moelle de paralysie iiifititile (région lombaire inférieure). On voit un loyer de sclérose très

étendu dans la corne gauche, plus discret d-uu la corne droite.

MASSON & C'e, Editeurs.

ATROPHIE DES CENTRES NERVEUX 267

La méthode de Ma rchi n'a point montré de lésion systématisée sur un groupe

de fibres. Par ci par là on note sur quelques tubes à myéline de la substance

blanche et grise, d'une façon diffuse et sans prédominance, les altérations que

décèle la méthode. -

Les méthodes de coloration de la myéline ont donné les résultats suivants,

en ce qui concerne la substance blanche de la moelle. 1

Nous avons noté en général une légère différence de volume entre les cor-

dons blancs pris en masse d'un côté à l'autre. En aucune région (postérieure,

antéro-latérale), nous n'avons constaté trace de sclérose. Les différents groupes

de fibres il myéline de la substance grise ne nous ont pas paru modifiés il

droite.

En outre la- méthode de Pal manifeste, comme les autres méthodes, la di-

minution de volume de la corne antérieure du côté correspondant au membre

atrophié (PI. XXXV,2).

Cette atrophie devient facile à étudier sur les préparations colorées par la

méthode de Nissl et le picro-carmin en masse. La différence entre le nombre

des cellules d'une corne à l'autre est suffisamment marquée pour qu'elle frappe

déjà sur une seule coupe. Elle est d'ailleurs concordante sur une grande éten-

duede la moelle. Elle a rendu pour ainsi dire inutile le point de repère que nous

avions pris pour plus de certitude, en enfonçant une aiguille il la partie laté-

rale et postérieure du côté sain (Ci-. 2).

C'est surtout à partir de la 3e racine lombaire, à son émergence de . la

moelle, que les différences entre le nombre des cellules d'un côté à l'autre

sont visibles.

3° lombaire. - La corne gauche est plus étalée et plus renflée surtout dans

sa partie externe. Au lieu que du côté droit la limite antérieure de la corne

se traduit par une ligne sensiblement horizontale, du côté opposé, elle se

Fig. 2. - Dessin à la chambre claire à un très faible grossissement (oc. 0, obj. 00 Nachet)

d'une préparation de la moelle, colorée par la méthode de Nissl. On note une

atrophie considérable de tout le côté droit de la moelle, mais surtout de la corne

antérieure. Il y a, à ce niveau, une différence de 24 cellules entre les cornes.

Réduction de 1/2.

268 ACHARD ET LÉOPOLD-LÉVI

manifeste par une ligne courbe présentant deux renflements dont l'un plus

marqué ir sa partie externe.

La numération des cellules faite il un très faible grossissement (objectif 0,

Nachet, oculaire 1), de telle façon que les petites cellules ne sont pas aperçues,

fait¡compter 23 cellules à gauche, 14 à droite.

4° lombaire. Les cornes ont subi un accroissement considérable, sont de-

venues très volumineuses. On note une différence très accentuée entre la corne

droite et la corne gauche.

On compte 41 cellules du côté sain contre 26 du côté atrophié.

5e lombaire. La corne gauche est plus renflée, absolument arrondie.

Les cellules sont disposées par groupes, le plus important est le groupe antéro-

externe. La forme arrondie est conservée il droite, mais les dimensions de la

corne sont moindres. On peut d'une façon approximative apprécier à un quart

la différence entre les deux cornes. La corne gauche renferme 89 cellules, la

corne droite 75.

9e sacrée. Diminution de tous les groupes de cellules à droite, surtout

peut-être au niveau du groupe interne.

A gauche 92 cellules, 72 cellules à droite.

2° sacrée. La corne gauche est arrondie, la corne droite est quadrilatère,

aplatie. La limite antérieure, au lieu d'être convexe, d'être représentée par

une ligne courbe, se traduit par une ligne rectiligne. On compte 101 cellules il

gauche, 93 à droite.

38 sacrée. - La moelle est beaucoup moins volumineuse. La corne saine est

renflée, globuleuse. La corne atrophiée est moins développée, surtout dans sa

partie externe.

La corne gauche renferme 83 cellules, la corne droite 52. Pour le groupe

antéro-externe, on compte à gauche 38; à droite 21.

5e sacrée. Il devient difficile de faire une numération concluante, étant

donné surtout le grand nombre de petites cellules. ,

Mais il est il remarquer que, du côté droit, la limite externe de la corne est

représentée par une ligne droite qui unit la corne antérieure la postérieure.

Il y a donc aplatissement manifeste. Du côté opposé, la corne antérieure limitée

par une ligne courbe fait saillie.

Quant aux cellules elles-mêmes, elles ne montrent point de différence

appréciable au niveau de la corne atrophiée et de la corne saine, ni dans le vo-

lume, ni dans la forme de la cellule, ni dans le développement des prolonge-

ments.

La méthode de Nissl nous a montré quelques altérations : désintégration de

la chromatine avec fragmentation - sans déplacement de noyaux mais nous

les avons retrouvées il peu près analogues de part et d'autre.

Les racines postérieures qui, étudiées macroscopiquement, ne se distin-

guaient pas d'une façon nette d'un côté il l'autre, ne manifestent point non plus

de différence notable sur les coupes de la moelle colorées au picro-carmin en

masse où on les retrouve. Elles ont été coupées isolément, après repérage, colo-

ATROPHIE DES CENTRES NERVEUX 269

rées par la méthode de Pal. Leur diminution au niveau du côté droit est trop

faible pour être prise en considération.

Nous avons fait encore des coupes sur des fragments pris symétriquement

au niveau du lobule paracentral sur la pariétale ascendante. Les grandes cel-

lnles pyramidales sont plus nombreuses et plus volumineuses du coté macros-

copiquement normal (côté gauche).

Celte observation peut se résumer ainsi. A la suite d'une affection chro-

nique du genou, développée à l'âge de 7 ans, survient une atrophie du

membre inférieur correspondant. Le malade meurt de tuberculose géné-

ralisée (pulmonaire, hépatique, génitale) à l'âge de 41 ans. On constate

une atrophie simple de la moelle et de l'atrophie cérébrale.

Quant à la cause de l'arthrite, elle reste un peu incertaine. Il est vrai-

semblable, d'après le dire du malade, qu'il s'est agi d'un traumatisme du

genou. Mais, comme la déformation augulaire est très commune dans

l'arthrite tuberculeuse, et comme, d'autre part, B... a été atteint par la

suite de tuberculose à localisations multiples, il est bon de faire quelques

réserves et de songer à la possibilité d'une tumeur blanche guérie par

ankylose.

Il y a lieu d'insister sur quelques points.

L'aplasie osseuse a été consécutive à une arthrite chronique (traumati-

que ou tuberculeuse) ayant entraîné l'ankylose articulaire. L'existence

d'atrophie du squelette dans ces conditions, est une notion connue.

M. Heydenreich (1) parle de l'aplasie osseuse par inaction qu'on observe,

par exemple, à la suite des arthrites chroniques des membres inférieurs

chez les enfants. M. Lannelongue (2), dans son beau livre sur la coxo-

tuberculose, signale l'atrophie spéciale de tout le squelette du membre.

M. Klippel (3) a publié trois cas dans lesquels, à la suite d'un trauma-

tisme survenu dans l'enfance, il s'est produit à la fois de l'atrophie mus-

culaire et un arrêt de développement du membre correspondant. L'un de

ces cas, suivi d'ailleurs d'autopsie, se rapproche beaucoup du nôtre. Il

s'agissait d'un homme de trente et un ans, qui, vers l'âge de trois ans,

eut un traumatisme du genou gauche. A la suite, il se fit un arrêt de dé-

veloppement du membre inférieur gauche. L'aspect extérieur du membre

était celui de la paralysie infantile. Il existait, en outre, une légère dé-

(1) IILroeanr.cu, Dict. Dechanxbre, art. Os, p. 191.

(2) Lannelongue, Coxotuberculose, Paris, 1S86, p. 3S.

(3) Klippel, De l'arrêt du développement à la suite de lésions des membres dans

l'enfance, Revue de médecine, 1893.

270 ACHARD ET LÉOPOLD-LÉVI

formation du genou. L'extension complète du membre était impossible.

Le fait de l'aplasie osseuse est donc bien établi. Notre cas en fournit un

nouvel exemple Ci).

En second lieu, l'existence d'atrophie médullaire mérite de fixer l'at-

tention. Une fois démontrée son existence, il faut l'interpréter, puis voir

les relations qui unissent l'atrophie médullaire et l'arrêt du développe-

ment des membres.

En ce qui concerne la constatation d'altérations médullaires au cours

des atrophies musculaires ou osseuses d'origine périphérique, deux ob-

servations de Klippel (2) doivent être discutées.

Dans un cas d'arthrite du genou, suivie d'atrophie musculaire, cet

auteur étudia la moelle. Il constata une atrophie pigmentaire des cellules

de la moelle lombaire avec modification du nombre des cellules, sans

modification de la névroglie. Mais les lésions étaient aussi marquées d'un

côté que de l'autre ; elles existaient aussi au niveau de la région cervicale

moyenne, et ce n'est que par comparaison avec les coupes d'une moelle

supposée normale, prise chez un malade de même âge et cachectique, que

Klippel avait conclu. En raison même de celle ahsence de localisation de

la lésion, il est difficile d'établir un rapport entre l'atrophie musculaire

unilatérale et les altérations médullaires diffuses et généralisées.

Le second cas a trait à l'autopsie et à l'examen histologique pratiqués

chez le malade dont nous avons résumé l'histoire précédemment.

Klippel constata, en ce qui concerne les muscles, une diminution de

nombre plutôt que de volume, des fibres musculaires et des nerfs et pro-

posa pour cette atrophie la dénomination d'atrophie numérique.

Quant à la moelle, il pratiqua des coupes histologiques du renflement

lombaire, ne constata pas de diminution de l'une des cornes antérieures,

pas-de sclérose : Il faut, dit-il, une attentive recherche, pour arriver à

établir que, du côté droit, les cellules sont un peu plus développées qu'à

gauche.

(1) Nous venons d'observer tout récemment une jeune femme de 21 ans qui fut at-

teinte à l'ùge de 4 ans d'une atrectioll portant sur l'eUrémité inférieure du fémur droit

(probablement ostéomyélite) et pour laquelle elle fil un séjour de Il mois au lit. Elle

se mit à marcher ensuite, et actuellernenl marche, danse, fait même de la bicyclette,

se tient à cloche-pied sur son pied droit. A l'examen, on note un raccourcissement de

10 centimètres environ du membre inférieur droit. Il existe une atrophie musculaire

très accentuée et une atrophie osseuse portant sur les divers segments du membre :

le pied droit chausse 36, le pied gauche 3 : i. L'atrophie parait surtout marquée sur les

os dans leurs dimensions transversales. Le tibia droit parait moitié moins développé

dans le sens transversal que celui du cote opposé. Le fémur est le siège d'une incurva-

tion au niveau de son extrémité inférieure.

(2) Klippel, Bull, de la Soc. auat., janv. 1888, p. 37; Revue de médecine, 1893.

ATROPHIE DES CENTRES NERVEUX 271

Cette observation est précieuse. Elle montre l'existence d'une atrophie

des cellules médullaires, mais très peu marquée, d'après l'avis môme de

l'auteur.

Notre cas est plus favorable, car l'atrophie n'est pas discutable. Elle se

laisse constater déjà à l'oeil nu sur les coupes, elle est unilatérale, elle est

limitée à la région lombo-sacrée. Par la numéralion des cellules, on note

une différence considérable (jusqu'à 29 cellules en moins du côté droit).

L'atrophie est en outre très étendue, manifeste depuis la 3e racine lombaire

jusqu'à la on sacrée.

L'atrophie médullaire avait d'ailleurs été reconnue dans un cas plus

ancien de Leyden (1), concernant une ankylose du genou avec légère

atrophie du membre. Il s'était produit une diminution de volume peu

marquée, mais très nette, du renflement lombaire du côté ankylosé. Il y

avait diminution de la substance grise avec atrophie des cellules, et en

outre diminution de la substance blanche.

Comment interpréter cette atrophie médullaire ?

On sait que, pour expliquer les atrophies musculaires, suite d'affections

articulaires, la théorie réflexe est communément invoquée. Cette théorie

fait intervenir l'irritation des extrémités des nerfs articulaires, avec re-

tentissement par voie centripète sur les centres spinaux au niveau du foyer

d'origine des nerfs se rendant aux muscles frappés d'atrophie. C'est un cas

particulier de la formule de Marinesco (2) : L'équilibre trophique est dû à

un acte réflexe. Brissaud (3) dit de même, à propos des arthropathies tabéti-

ques liées aux altérations des nerfs sensitifs : A une stimulation périphéri-

que insuffisante transmise par les conducteurs centripètes de la sensibilité

commune, la moelle répondra par un mode d'activité plus faible des centres

organiques. Les mutations chimiques s'arrêteront. Le plus souvent cette

action des centres nerveux est dite dynamique, elle ne se manifeste par

aucune lésion médullaire. Un cas, qui, comme le nôtre, met en évidence

l'atrophie médullaire, donne un caractère d'authenticité indiscutable à

l'intervention de la moelle dans l'acte trophique (4).

(1) LnDE11, hlinilz dei- Huckenmarkskrankheiten, Berlin, 1898.

(2) Maiunesco, Un cas de lésion traumatique du trijumeau el du facial avec troubles

trophiques consécutifs. Arch. de pUys , 1895, p. lk61.

(3) l3mssAUn, Leçons sur les maladies nerveuses, p. 315.

(1) A la théorie réflexe, Durante cherche à substituer la théorie de la dégénéres-

cence rétrograde (thèse Paris, 1895). On sait actuellement, que, contrairement il la loi

de Waller, la lésion d'un nerf détermine des lésions à distance dans le centre d'origine

de ce nerf. Pour donner un exemple, Darlachewitscli et Tichonow (89 : 3) ont montré,

dans des cas de paralysie faciale non spécifique, la dégénérescence du bout central

avec atrophie du noyau, secondairement aux lésions périphériques. Il est admis d'ail-

leurs que le neurone tout entier souffi-c, quand une de ses parties est lésée.

272 ACHARD ET LÉOPOLD-LÉVI

Pour comprendre pourquoi, si l'atrophie est exceptionnelle, elle existe

dans notre cas, il suffit de se reporter aux expériences de Vanlair (1). Cet

auteur a observé, après amputation sur des chiens, une atrophie du mem-

bre inférieur. Il a fait cette remarque que la lésion est d'autantplus pronon-

cée que l'opération remonte à une époque plus éloignée et que le sujet est

plus jeune. Chez l'adulte, la mélectomie, à moins qu'elle ne soit bilatérale,

ne laisse pas de trace dans les centres nerveux. Les deux conditions invo-

quées par Vanlair se relrouvent chez notre malade. L'ankylose articulaire

seproduisit il l'àge de 7 ans. Elle remontait à 34 années.

La lésion médullaire une l'ois interprétée, reste à invoquer sa relation

avec l'aplasie osseuse.

Klippel (2) a insisté sur ce fait que les centres spinaux, qui exercent une

action sur la nutrition des membres, en ont également sur leur développe-

ment, pendant la période de croissance. On peut rapprocher des cas d'atro-

phie d'un membre, consécutive aux arthrites, les exemples inverses, mais

encore favorables à la théorie, où, au cours d'une affection articulaire

chronique ou subaiguë, le membre du côté malade s'accroit en longueur

d'une façon plus rapide que du côté sain. L'hypertrophie serait due à une

irritation réflexe du centre trophique, l'atrophie à une diminution d'acti-

vité médullaire, ou, comme dans notre observation, à une atrophie des

cellulles.

Apropos de l'atrophie médullaire, une dernière question se pose. Quelle

place doit-elle occuper parmi les autres atrophies de la moelle ? Elle est très

voisine de l'atrophie secondaire liée à l'amputation des membres, très diffé-

rente de celle de la paralysie infantile, myélopatliie primitive.

Les altérations de la moelle, lors d'amputation acquise ou congénitale

des membres, sont complexes en général et variées.

Sans insister sur les différentes lésions observées,nous pouvons rappeler

que l'atrophie peut porter essentiellement sur la corne antérieure, comme

dans les cas d'IIayem et Gilbert (3), Déjerine et Mayor (4). Le plus souvent,

il y a à la fois atrophie de la substance grise et de la substance blanche. On

se souvient d'ailleurs que, dans lecasdel.eyden cité plus haut, l'atrophie

médullaire en rapport avec une ankylose du genou intéressait aussi les

faisceaux blancs.

(1) Vaslaib, Altérations nerveuses complètes consécutives ic la névrotomie. Bull. de

l'Ac. roy. de méd. de Belgique, 1891.

(2) Klippel, loc. cit.

(3) Havem et Grt,ur.nT, Modification du système nerveux chez un amputé. Arch. de

physiol., 1884.

(4) DEJEKHE et Mayen, Altérations de la moelle et des nerfs chez les amputés de

vieille date. Soc. de biol., et Gaz. rnéd. de Paris, 1871.

ATROPHIE DES CENTRES NERVEUX 273

Dans la paralysie infantile, la lésion médullaire est tout à fait différente.

Nous pouvons à ce point de vue rappeler deux cas personnels.

.Le premier se rapporte à une paralysie infantile développée à l'âge de

G mois. Le malade mourut à 53 ans. '

Sur une coupe de la moelle colorée parla méthode de Pal (l'l. 1V,1)

portant au niveau du renflement cervical, on voit qu'il existe un foyerdesclé-

rose comprenant toute la partie externe de la corne antérieure. La corne

antérieure, considérée en totalité, est plus grêle que celle du côté opposé.

Dans un deuxième cas relatif à un malade de GO ans, atteint dans

l'enfance de paralysie infantile des deux membres inférieurs avec prédomi-

nance à gauche, on reconnaît au niveau de la région lombaire (méthode de

Pal) un foyer arrondi de sclérose comprenant toute la parlie externe de la

corne antérieure. Du côté opposé existe un foyer de sclérose circonscrit et

plus central (Pl. XXXV,3).

On voit donc que l'examen histologique permettrait de séparer, dans un

cas douteux, l'atrophie d'un membre par lésion périphérique ou par para-

lysie infantile. Atrophie simple de la corne antérieure d'un côté, foyer de

sclérose de l'autre. Le diagnostic peut d'autant mieux se poser que l'anam-

nèse est souvent incertaine ; que l'apparence du membre est comparable

dans les deux cas. Ce qui déjà facilitera la distinction clinique, c'est l'exis-

tence, dans l'aplasie d'origine périphérique, d'une anl3 lose articulaire,

tandis que dans la paralysie infantile l'articulation jouit, au contraire, d'une

laxité exagérée.

Il nous faut maintenant revenir sur l'atrophie cérébrale. Elle est loca-

lisée ici au lobule paracentral du côté droit et à la partie supérieure des

circonvolutions frontale et pariétale ascendantes. Nous l'admettons avec

réserve, car l'asymétrie est constante dans le cerveau humain. Cependant

l'examen histologique des circonvolutions montre une diminution du

nombre et du volume des grandes cellules pyramidales.

L'atrophie de l'écorce cérébrale, répondant comme siège au centre mo-

teur du membre atteint, a été signalée à la suite de l'amputation du mem-

bre inférieur par Luys (1), Bourdon (2), Mossé (3), Battarel (4), Le Double

(1) Luys, Soc. de Biol., isi5, p. 2H. Bull. de la Soc. méd. des hop. de Paris, 13 juil-

let 1877.

(2) l3ut,nnoa, Bull. de l'tlcad. de méd., 9877. î.

(3) Mossé, Bull, delà Soc. anat., février 1878.

(S) BATTAItEL, lger médical, 9898.

274 ACllAItD r'r LÉOPOLD-LÉVI

et Viol] et (1), Aies (2), IVIills (3), De Varigny (4), Mathieu (5), Dudley (6),

Desmartin (7), Faguet et Mongour (8), Schaw (9). Bourdon a conclu

que l'ablation d'un membre ou son impotence amène à la longue l'atro-

phie de la portion de substance corticale dévolue à ses mouvements.

M. Landouzy (10) a rapporté Inobservation d'un homme qui avait subi un

traumatisme quarante ans auparavant, à l'âge d'un an et demi. Il avait été

renversé par une voiture qui lui avait passé sur la main droite et sur le

membre inférieur droit. Ce membre était resté moins gros et moins long

que le membre inférieur gauche. Le raccourcissement résultait et d'une

demi-flexion avec rétraction de la jambe sur la cuisse et d'un arrêt dedé-

veloppement. Le pied formait un varus équin. La différence de longueur

entre le membre inférieur droit et le membre inférieur gauche était de

23 centimètres. La marche s'effectuait avec nne béquille. A l'autopsie,

M. Landouzy nota un hémisphère gauche moins volumineux, que le droit

(le malade était droitier). La circonvolution pariétale ascendante gauche

était plus effilée et plus étroite que celle de l'hémisphère droit. Il existait

en outre une asymétrie de la protubérance, moins bombée et plus volu-

mineuse à gauche, et une asymétrie du bulbe ; la diminution de volume

portait à gauche et sur l'olive et sur le faisceau sous-olivaire.

Pour expliquer les atrophies de l'écorce de cause périphérique, la théo-

rie qui s'applique aux cas d'amputation de membre convient à ceux

d'impotence fonctionnelle liée à l'arthrite d'une grosse articulation.

Or, pour les atrophies.cérébrales liées aux amputations, elles résultent

vraisemblablement, disent MM. Charcot et Pitres ('11), de l'inertie fonc-

tionnelle d'une partie des éléments anatomiques contenus dans les centres

moteurs corticaux et rendus inutiles par le fait de la suppression des

membres dont ils étaient destinés à stimuler et à diriger l'activité motrice.

Remarquons que l'atrophie de l'écorce, accompagnant l'atrophie médul-

laire, s'interprète fort bien par la théorie actuelle des neurones. Elle con-

firme même l'idée de la solidarité étroite qui unit les différents membres

(1) LE DOuBLE ET VlOLL1;T, Tribune médicale, 1879, p. 245 et p. 572.

(2) Auia,'l'h. doct., Montpellier. 1879.

(3) 111,LS, Anier. Joui,n. of med. se, 1879.

(4) De VARIGXY, Bull. de la Soc. anal., 1879, p. 492.

( : i) MATHIEU, Bull. de la Soc anat., juillet 1882.

(6) DCDLEY, Brain, vol. IX, 1887, p. 87.

(7) Desmartin-, Bull. de la Soc. d'anat. et physiol. do Bordeaux, avril 1887, t. IX.

(8) FAGLET et l\IOE'1(.OUII, Bull. de la Soc. d'anat. et de phys. de Bordeaux, décembre

1890, p. 241.

(9) Schaw, Brit. med. Journ., 1891, p. 946.

(10) Lwoooir, Bull. de la Soc. anat., 1877, p. 331.

(11) Charcot et Pitres, Centres moteurs corticaux de l'homme, 1893.

ATROPHIE DES CENTRES NERVEUX 275

de la chaîne neurale. L'absence d'un neurone produisant des modifications

fonctionnelles des neurones sus et sous-jacents, l'atteinte du neurone mo-

teur périphérique entraîne la perturbation fonctionnelle puis l'atrophie

du neurone moteur cérébral (1).

(1) M. Apert a présenté tout récemment à la Société médicale des hôpitaux (séance

du 22 juillet 189S) des pièces provenant d'un cas de paralysie traumatique inférieure

du plexus brachial. L'autopsie fut faite 33 ans après l'accident. L'auteur signale' une

atrophie de la corne antérieure de la moelle et du centre cérébral correspondant au

membre paralysé.

A l'occasion de cette présentation, M. Achard attira l'attention sur l'atrophie osseuse

bien manifeste sur la pièce et qui permet de rapprocher le cas de f. Apert du cas pu-

blié ici.

-DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE

(Suite)

PAR

A. WEILL ET J. NISSIM

Médecin en chef à l'hôpital Ancien interne à l'hôpital

de Rothschild. de Rothschild.

Ons. II. - John FnECKE, Philosoph. transact., n° 455, 1740.

Pringle raconte l'histoire d'un jeune homme de 14 ans, sain en apparence;

il portait sur le dos de grosses tumeurs, lesquelles ayant commencé à se for-

mer depuis 3 ans, étaient devenues grosses comme un pain d'un sou, s'éten-

daient des vertèbres du cou au sacrum, et, après s'être propagées latéralement,

s'étaient réunies sur toutes les parties du dos comme une ramification de co-

rail, de sorte qu'elles formaient une espèce de juste-au-corps osseux et fixe.

0ns. III. John Copping, Philosoph. t1'aI1Sact., n" 461, 1741. Tirée de BEn-

trandi, <3E'Mu;'M anatomiques et chi¡'U7'gicafes, Turin, 4787, t. V, Maladies

des os, p. 301.

Clarch., homme pauvre, a commencé à se plaindre à 8 ans, d'une raideur

de toutes les articulations qui a augmenté petit petit jusqu'à l'ankylose com-

plète de tous les os ; les humeurs de cet homme étaient tellement disposées

à l'ossification qu'aucun os n'avait conservé sa forme habituelle; ils avaient

envoyé de tous côtés des ramifications et des tubérosités osseuses irréguhères,

semblables aux rameaux et aux noeuds du corail blanc; toute la colonne ver-

tébrale formait un os continu, d'où s'élançait une épine qui ressemblait à un

manche appliqué sur le squelette. Tous les ans, il lui venait aux talons des

cornes comme les éperons du coq ; les incrustations et les productions osseuses

étaient telles, dit Copping, qu'il serait très difficile de les décrire.

Ons. IV. Henry, Philosoph. t1'aI1Sact., vol. LI, p. 3 ? 1759.

W. Carey, ouvrier, 99 ans, a remarqué d'abord, à 17 ans, une tuméfaction

douloureuse de l'articulation du poignet droit; celle-ci s'étendit, peu à peu, à

tous les muscles de l'avant-bras jusqu'au coude et les transforma en une masse

osseuse. Le membre supérieur gauche, depuis le poignet jusqu'au coude, se

prit une semaine après ; plus tard, atteinte des épaules et des mains. Au ni-

veau des deux coudes, tuméfaction avec suppuration et écoulement du pus.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 217

En mars 1758, douleur et tuméfaction au cou-de-pied droit avec formation

de substance osseuse s'élevant jusqu'à la partie moyenne de la jambe. Marche

très difficile.

Grâce l'emploi prolongé d'une préparation hydrargyrique, alternant avec

des bains salés et des lavages du corps avec le suc du Quercus marina, non

seulement les tumeurs fluctuantes du coude et du poignet disparurent, mais

encore les ossifications musculaires, elles-mêmes, rétrocédèrent manifestement;

finalement le malade pouvait faire 20 milles anglais dans une journée.

OBS. V. - A]3EIlNETIIY, Surg. lectures, 1830, p. 169;

VmcfIow, Les tumeurs et in Munchmeyer.

Garçon de 14 ans, ayant le dos recouvert de saillies formant une masse

osseuse qui s'insère sur les apophyses épineuses et va se confondre avec le

ligament de la nuque ; celui-ci fixe complètement la tête.

Exostoses multiples sur les bras indépendantes de l'ossification des ligaments

tendineux de l'aisselle qui fixent les bras en adduction ; une autre exostose

sur le bassin; d'autres apparaissent et disparaissent iL différentes époques.

Plus tard, toute manifestation morbide, maux dentaires, par exemple, a pour

résultat un dépôt passager de substance terreuse. Pas d'autopsie.

Réflexions. - Nulle part dans cette observation, il est vrai, il n'est

question d'affection musculaire. Mais si nous tenons compte du siège des

tumeurs osseuses, principalement au dos et à la nuque, localisations cons-

tantes de la myosite ossifiante progressive; de l'ossification des tendons qui

viennent s'insérer sur l'humérus et contribuent à former les parois de

l'aisselle, ainsi qu'il semble résulter de l'examen du cas, sans que cela y

soit dit clairement; si nous tenons compte de l'apparition et de la dispa-

rition rapide des tumeurs, comme cela s'observe si fréquemment dans la

myosite ossifiante, il nous semble légitime de considérer le cas d'Aber-

nethy comme appartenant à l'affection qui nous occupe.

Oss. VI. - D. Rogers, Am.jùUI'11. of the med. se, 1833, t. XIII, p. 386.

J. M..., garçon, 13 ans. Depuis 6 mois sa santé commença à faiblir sans

cause connue. On remarqua d'abord la perte des mouvements des membres

supérieurs : il était incapable de les lever, les porter à la tête et d'éloigner les

coudes il une grande distance du corps. Diminution graduelle des mouvements

du bras droit jusqu'à sa complète fixation au corps. Peu de temps après, la tête

s'inclina en bas, vers le sternum.

L'examen montre le grand pectoral ossifié il sa partie supérieure, de la cla-

vicule au bras. Les dépôts osseux forment une masse surélevée et irrégulière.

Le sLel'l1o-cléido-mastoïdien est ossifié jusqu'à sa partie moyenne, il offre plu-

sieurs noyaux. Plusieurs ossifications au dos ayant une apparence tubéreuse.

Fixation de l'omoplate aux côtes par des ossifications. Tous les muscles s'insé-

rant à l'omoplate (le trapèze, le rhomboïde et le sous-scapulaire, etc.), sont

xi 19

278 A. WEILL ET J. NISSIM

plus ou moins atteints. Le grand dorsal forme une grande plaque osseuse, de-

puis son origine jusqu'à l'angle de l'omoplate. Eu cet endroit, il est soudé aux

côtes en formant une grosse tubérosité. Le long dorsal ressemble il une lame

osseuse déterminant l'immobilité de la colonne lombaire.

Traitement : Il,, et salspareille, sans résultat ; on a également employé les

acides nitrique, chlorhydrique, sulfurique, le carbonate et le phosphate de fer,

l'iode.

En 1833 changement notable dans ! a santé : facultés intellectuelles affai-

blies, diarrhée, amaigrissement. Les ossifications avaient changé de place en

certains endroits. Le sterno-mastoïdien était libre et la tète revenue à sa posi-

tion rectiligne ; quelques-unes des tubérosités du dos avaient disparu et d'au-

tres nouvelles s'y étaient développées dans différents endroits. Ossifications

nouvelles dans les muscles qui entourent le grand trochanter particulièrement

à droite. Il était obligé de rester couché le moindre mouvement produisant

de violentes douleurs. Une large collection purulente s'était formée dans la

cuisse droite près de l'articulation ; l'évacuation le soulagea.

Mort au bout de 3 semaines ; autopsie partielle 12 heures après la mort :

Hypertrophie des ganglions mésentériques ; pas d'athérome dans les vaisseaux.

Le processus semblait s'être confiné entièrement dans le tissu musculaire ;

les organes thoraciques et abdominaux étaient intacts. Le grand et le petit

pectoraux ne formaient qu'une seule niasse soudée aux côtes. A l'autopsie, il

s'ouvrit un grand abcès aux deux régions pectorales contenant 150 à 180 gr.

de pus. Les parties tendineuses des muscles n'étaient pas affectées. Les mus-

cles du dos étaient plus ou moins dans les mêmes conditions. En plusieurs

endroits, on voyait des pointes osseuses, longues de 5 ;') 10 cent. et il n'est pas

douteux que l'irritation qu'elles causaient déterminait des abcès.

Ons. VII. TESTEDN et Dambressi, Gaz. méd. de Paris, 1839.

lVilmart, brossier. Mère rhumatisante.

Il a toujours habité une des rues les plus malsaines de la ville et a toujours

travaillé dans une cave humide. 11

A 18 ans chute sur la cuisse droite et claudication consécutive persistante

par suite de luxation d'après le diagnostic posé. Huit ans après, douleurs dans

tous les membres accompagnées de mouvement fébrile intense. Les mouve-

ments commencèrent dès lors à s'embarrasser, surtout ceux des articulations

scapulo-humérales. Pendant sept ans il put continuer encore à travailler et à

pouvoir marcher; les mouvements s'embarrassèrent alors de plus en plus et

seuls les avant-bras continuèrent à se mouvoir librement. Enfin les bras et les

cuisses devinrent absolument immobiles, ainsi que la mâchoire inférieure dont

les mouvements n'avaient commencé il être gênés que longtemps après ceux

des membres thoraciques et abdominaux.

En 1834 mouvement fébrile intense qu'il conserva pendant longtemps.

Etat du malade en 1836. - Mâchoires accolées l'une à l'autre. Mouvements

des lèvres libres. 11 se nourrissait avec des aliments de peu de cohésion par

DE la myosite OSSIFIANTE PROGRESSIVE ' 279

une brèche due à la perte de deux dents. Les mouvements d'extension et de

flexion du cou sont impossibles ; il peut porter seulement la tête un peu à droite.

Les sterno-mastoïdiens sont tendus et saillants sous la peau. Ankylose des

articulations scapulo-humérales. Les muscles pectoraux sont tendus, saillants

et ossifiés dans la plus grande partie de leur étendue sous forme de travées

transversales séparées par du tissu sain. Même état du bord interne du del-

toïde gauche et du biceps droit. L'avant-bras droit peut se rapprocher du tronc,

l'extension se fait à demi seulement. Mouvements du tronc et des articulations

coxo-fémorales abolis. On sent autour de ces articulations des ossifications

analogues à celles des pectoraux. Quelques mouvements dans les articulations

du genou.

Le malade ne souffre pas, ne se plaint de rien, il est très maigre seulement.

La sensibilité cutanée au niveau des régions : ossifiées est normale.

Il mourut à l'âge de 39 ans, le 23 septembre 1838, avec les symptômes de

congestion pulmonaire et d'entérite.

Autopsie. - Poumons farcis de tubercules.

Le tube digestif offre les traces d'une entérite chronique.

Les muscles que l'on avait cru ossifiés pendant la vie, le sont réellement

ainsi qu'un grand nombre d'autres moins accessibles :

1° Une portion du temporal droit, longue d'un pouce et large de 2 lignes,

soudée à la fois à l'apophyse coronoide du maxillaire inférieur et à la face ex-

terne de la grande aile du sphénoïde; une portion du ptérygoïdien gauche

unissant l'apophyse ptérygoïde à l'angle de la mâchoire : elles rendent fort bien

compte de l'immobilité de la mâchoire.

2° Une portion du grand complexus gauche. Le sterno-mastoïdien gauche

est transformé en tissu fibreux.

3° Le tiers antérieur du deltoïde se continuant en haut avec la clavicule,

en bas avec l'humérus.

4° Une portion notable du grand pectoral et presque tout le petit du côté

gauche.

5° La plus grande partie du grand pectoral droit. Les portions ossifiées se

présentent sous forme de 3 bandes, qui, se portant en dehors, vont se réunir

avec le coraco-brachial et la courte portion du biceps également ossifiés dans

toute leur étendue.

6° La longue portion du biceps droit, à son attache supérieure, dans l'éten-

due de 2 pouces.

7° L'extrémité inférieure du triceps gauche et du biceps du même côté.

8° Des.portions assez étendues du grand dorsal droit; elles représentent

assez bien des côtes en sens inverse des côtes naturelles.

9° Les muscles des gouttières vertébrales dans presque toute leur longueur,

plus cependant à droite qu'à gauche.

10° Le moyen fessier droit ; il offre de larges et longues aiguilles stalacti-

formes.

1 10 Les adducteurs droits jusqu'au milieu de la cuisse, sont transformés en

280 ' ,\. WEILL ET J. NISS1M

une masse irrégulière, unissant le fémur au pubis et représentant une espèce

de clavicule abdominale.

12° La partie supérieure du droit antérieur de la cuisse droite.

130 Toute la partie inférieure et interne du triceps crural droit..

1 ! »° Les petit et moyen fessiers gauches et le bord postérieur du grand.

15° La plus grande partie du tenseur du fascia-lata gauche.

16° Une masse osseuse qui s'unit au précédent et qu'où ne sait pas il quel

muscle rapporter.

17o La portion inférieure et interne du triceps du même côté.

L'aspect de ce tissu de nouvelle formation n'est pas le même partout. La por-

tion du deltoïde soudée iL la clavicule, par exemple, ne diffère en rien de cet os :

même couleur, même dureté, même direction des fibres, et le périoste se con-

tinuant avec celui de la clavicule, tout est semblable. On y voit un trou nour-

ricier par lequel pénètre un vaisseau d'un volume notable.

C'est dans cet état que se trouve la plus grande partie de ce tissu, il en est

de même dans les membres supérieurs ; mais aux membres inférieurs, certaines

portions sont d'une texture moins serrée et moins dense, d'une couleur plus

claire et le scalpel traverse d'abord une couche dense, puis pénètre avec une

grande facilité. Aucun muscle n'est entièrement ossifié; tous conservent encore

un certain nombre de fibres charnues, et surtout chez aucun les tendons n'ont

subi aucune transformation ; cela est surtout remarquable sur le biceps du côté

droit dont le tendon terminal seul et quelques fibres charnues, en bas, et le ten-

don de la longue portion, en haut, sont sains.

Les fibres charnues s'insèrent sur les portions ossifiées de la même manière

qu'elles le font sur les autres os par de petites fibres aponévrotiques qui vien-

nent s'unir et se confondre avec le périoste ; car, comme nous l'avons déjà dit,

il y en a presque partout un qui semble naître de celui des os avec lequel les ossi-

fications nouvelles se trouvent en contact. De chaque côté, la tête de l'humérus

gonfiée et présentant une sorte de ramollissement, est entièrement soudée avec

la cavité glénoïde ; il en est de même de la tête du fémur. Pas la moindre trace

de luxation ancienne.

Examen d'une portion ossifiée du biceps crural. Portion blanche, moins

dure et moins dense qu'un os ordinaire, plus légère que l'eau. Examinée la

loupe, elle est composée d'une lame externe, que le couteau attaque aisément ;

elle est percée de plusieurs trous qui donnent passage aux vaisseaux nourri-

ciers. Dans l'espèce de canal qu'elle forme on trouve un tissu spongieux com-

posé de cellules hexagonales. '

Testelin et Dambressi rapportent ici l'examen chimique d'un fragment

d'ossification que nous avons placé ailleurs.

Oiis. VIII. - Hawkins, Un cas de formation osseuse dans les muscles,

London med. gaz., 1844, p. 274.

G. Braun, 22 ans, groom, admis le 14 juin 1843. A la suite de refroi-

dissement, gonflement dans les régions mouillées lombaires et dorsale qui a

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 281

débuté une semaine auparavant par de violenles douleurs. On constate une

tumeur solide, dure , indolore, située à droite au niveau des apophyses

transverses des deux ou trois vertèbres lombaires, longue de 10 centimètres,

large de 4 et repoussant les masses sacro-lombaires en dehors. Une autre,

plus grande, se montre dans la région dorsale gauche, moins dure, légère-

ment douloureuse à la pression ; elle couvre les trois premières côtes et

va jusqu'au milieu du dos ; elle semble être recouverte par le rhomboïde. Au

mois de juillet la tumeur supérieure avait disparu et l'inférieure en partie, en

même temps, une troisième proéminence avait apparu sur le bord antérieur

du grand dorsal, près de l'aisselle gauche et très manifestement située dans le

grand dentelé. Le 17, apparition d'une tumeur semblable sur le même point,

à droite, et, près d'elle, un gonflement dur et douloureux apparemment situé

dans le grand pectoral droit, vers son bord inférieur. Le 21, les scalènes gauches

sont durs et légèrement tuméfiés. Le 31, les tumeurs du côté gauche avaient

presque complètement disparu, mais la tuméfaction sur les vertèbres dorsales

était de nouveau plus proéminente et élastique et l'on trouve une autre tumeur

sur le côté gauche des vertèbres lombaires, exactement en face de celle qui

existait au moment de son entrée ; mais, à partir du 23 août, toutes les tumeurs

avaient presque entièrement disparu. Le malade quitte l'hôpital le 6 septembre

en bonne santé, et, ainsi que nous l'avions prédit, guéri, mais se tenant très

raide et incapable de fléchir la colonne.

Rentré le 25 octobre pour une recrudescence des symptômes, nous trouvons

des tumeurs plus nombreuses et plus proéminentes. La douleur est revenue.

La partie inférieure du sterno-mastoïdien est très dure el inflexible dans l'éten-

due de 3 à 4 pouces. La première tumeur du côté gauche des lombes est os-

sifiée ; il y a un grand nombre de tumeurs entre l'omoplate gaucho et les apo-

physes épineuses des vertèbres, un peu plus bas que la plupart des tumeurs

existantes à l'épaule gauche au moment de sa première admission, et, au milieu,

une petite masse osseuse s'étendant sur les côtes, comme si elle était dans le

rhomboïde. Sous l'angle de l'omoplate droit et s'étendant en dehors, une tumeur

dont une partie se trouve dans le grand dentelé (elle existait déjà à sa première

admission) et sur une côte à laquelle elle est fixée ; en même temps une petite

exostose sur la côle. Les scalènes sont durs. Toutes ces tumeurs sont doulou-

reuses et quelque peu molles.

État général excellent, il est plutôt gras.

Un mois plus tard, 30 novembre, les gonflements des sterno-mastoïdiens,

scalènes, dentelés et rhomboïdes ont diminué ; les mouvements sont très limi-

tés ; l'épine dorsale est très raide et le bras droit ne peut être ni levé, ni remué ;

le gauche se déplace facilement, mais les masses osseuses qui remplissent en

arrière un espace de 5 centimètres environ, sont entraînées en dehors par l'o-

moplate quand le bras est levé. A la base de l'omoplate on sent des craque-

ments. Cette masse osseuse augmentant très vite et se fixant à l'épine, je l'ai

enlevée le 23 novembre : elle était située entre le trapèze et le rhomboïde et

tenait intimement aux deux comme s'ils s'inséraient sur le périoste d'un os

naturel. L'un des bords était uni, l'autre, en partie ossifié et fixé aux apophyses

282 A. WEILL ET J. NISSIM

transverses des 6° et 7° vertèbres dorsales, avait une étendue de 8 centimètres.

La plus grande partie est formée par de l'os, une petite portion est cartilagi-

neuse, plusieurs vaisseaux assez gros furent coupés et il y eut consécutivement

une hémorrhagie ; la plaie guérit.

Le 18 décembre, les dépôts ont beaucoup diminué, à l'exception des saillies

des côtes dans le scalène gauche et de chaque côté des vertèbres lombaires.

Le 2 lévrier 1844, une tumeur commence à se former sur le pectoral droit,

attachée aux côtes, ayant 8 centimètres de longueur sur 6 centimètres de large,

molle, mais non mobile. Cette tumeur, comme d'autres plus récentes, se dé-

veloppe rapidement, elle est d'abord molle, les jours suivants plus étendue et

plus dure, le live jour ayant 10 centimètres de longueur ; le petit pectoral n'est

pas atteint. Le 18 elle s'étend jusqu'à l'insertion des pectoraux, le 19 la tu-

meur diminue, devient très dure et irrégulière, le 2fi la peau et le tissu cellu-

laire redeviennent mobiles sur le muscle' ossifié, le le, mars la tumeur dispa-

rait.

Cependant le 4 mars nous trouvons une tumeur, grosse comme un oeuf d'oie,

juste au-dessous de l'angle inférieur de l'omoplate gauche. La tumeur est fixée

en connexion avec le grand dentelé, élastique et ferme, elle n'est pas osseuse

et crépite à la pression. Cette tumeur s'est développée autour d'une exostose

formée en juillet dernier. Le même jour on observe une tumeur au niveau du

ligament cervical, longue de 10 à 12 centimètres, très dure, et comprenant tous

les muscles s'insérant à l'occiput à côté du trapèze, épaisse de 5 centimètres

environ.

La tumeur, sous l'omoplate, a augmenté du double des dimensions qu'elle

avait le 4 ; elle est actuellement aussi grande qu'une saucière ; pas de crépita-

tion, elle est très dure et non mobile. Le 21 mai, la tumeur existe toujours

quoiqu'elle ait commencé à diminuer le 13 mars. Le 29 mars, nouvelle tumeur

sur le pectoral gauche, elle diminue à partir du 2 avril ; le 12 avril tumeur

considérable sur le grand dorsal droit, elle diminue vers le 15. Ce jour-là le

pectoral gauche contient une tumeur osseuse et semble commencera se ramol-

lir légèrement. Depuis, pas de nouvelles tumeurs.

Etat actuel. Le malade est très raide par suite de la raideur de la colonne

lombaire et de la dureté des muscles de la nuque; il ne peut pas remuer les

épaules, surtout la gauche-, par suite d'un gonflement sous l'angle de l'omo-

plate, dans le grand dentelé et d'une grande ossification du tendon du grand

pectoral ; exostose sur une côte de chaque côté.

La maladie est d'origine rhumatismale et constitutionnelle. Pas de rhuma-

tisme chez le malade, pas de dépôt calcaire dans les urines, pas de sécrétion

acide de la peau. Les ossifications ne sont pas composées par des carbonates

calcaires, mais par des phosphates et des carbonates, avec des canalicules, du

périoste, du cartilage, et tous les éléments d'un véritable os à l'examen micros-

copique. Peau crasseuse, sécrétion sébacée abondante. L'affection est évidem-

ment inflammatoire à cause de la douleur, du gonflement et de sa consistance

molle. Pouquoi l'inflammation survient-elle, pourquoi l'ossification se produit-

elle dans le tissu conjonctif du muscle, je ne saurais le dire.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 283

Traitement. - Vésicatoire qui a réduit la tumeur et le gonflement ; solution

de KI ioduré avec quelques légers succès, mais pas autant qu'avec le vésica-

toire ; le froid a une action sur les tumeurs. A sa première admission, il prend

du colchique, du 19 au 30, par suite de l'aspect rhumatoïde des gonflements

douloureux et cela avec quelque succès ; puis Kl 0,30 centigrammes et allant

jusqu'à 0,40, trois fois par jour, avec légère diète; la maladie semble être con-

jurée. Plus tard de lasalspareille et II; mais la maladie réapparut malgré ce trai-

tement. Le 25 octobre à sa réadmission, il prend du mercure, 0,12 centigram-

mes de calomel avec 0,15 d'opium, deux fois par jour, jusqu'au 17 novembre ;

disparition des tumeurs pendant le traitement. Le 2 février, 2 vésicatoires,

consécutivement érysipèle et abcès de l'aisselle. Le 6 avril, acide phosphorique

dilué; l'auteur a institué cette dernière médication afin de rendre solubles les

phosphates des ossifications.

OBS. IX. - WILKINSON, London med. gaz. New Séries,

vol. III, 1846, p. 993-993.

Squelette d'une jeune femme dont quelques muscles sont ossifiés. Sternum

voûté en avant. Union de la première pièce du sternum avec la deuxième par

du cartilage. La réunion des différentes pièces du sternum n'est pas encore

osseuse. Le côté droit de la cage thoracique est diminué dans ses dimensions,

aplati d'avant en arrière. L'extrémité antérieure de la première côte est à une

distance d'un travers-de doigt de la colonne vertébrale et celle de la 66 à deux

pouces de la colonne.

Nombreuses plaques osseuses dans les muscles, particulièrement dans les

pectoraux, grands dorsaux et masses sacro-lombaires. L'une d'elles, longue

de 10 pouces 1/2, large de 8/10 à 2 pouces, épaisse de 2 à 4 lignes, s'attache

par des fibres tendineuses à la crête iliaque gauche, à 1 pouce 1/2 de l'épine

iliaque postérieure et supérieure ; elle chemine le long de la colonne vertébrale,

attachée aux apophyses épineuses des vertèbres dorsales, depuis la 7" jusqu'à

la 2", par de courtes fibres tendineuses.

De la partie supérieure et externe de cette bande partent deux bandelettes,

situées dans le rhomboïde; elles vont vers la base de l'omoplate gauche et dans

le muscle sous-épineux.

A droite de la colonne se trouve une bande située comme celle de gauche,

large de 1/4 à 1/2 pouce et de 2 il 3 lignes d'épaisseur. Elle s'insère,

par des fibres tendineuses, à la partie postérieure de la crête iliaque à l'apo-

physe épineuse de la 7e vertèbre dorsale, aux apophyses transverses des 3e,

4°, 5° et 6° dorsales, aux extrémités postérieures des côtes droites.

Une bande très irrégulière s'étend de la 11° vertèbre dorsale au milieu du

sacrum adhérent par des fibres tendineuses aux apophyses épineuses des deux

dernières dorsales, des cinq lombaires, et à une petite étendue du sacrum. De

chaque côté de cette bande, deux autres bandes vont rejoindre les bandes lon-

gitudinales siégeant de chaque côté de la colonne; la supérieure des deux

bandes, du côté gauche, se prolonge en haut et en dehors derrière la bande

284 A. WEILL ET J. NISSIM

longitudinale dans les fibres du grand dorsal et se termine en s'épaississant

sur les 9e et 10e côtes gauches.

Une autre bande commence ta où cette dernière finit, adhère aux 7e et Se

côtes et se dirige vers l'angle inférieur de l'omoplate où elle se réunit à un

fragment osseux de 2 pouces adhérant par des fibres tendineuses il l'angle

de l'omoplate, et siégeant dans le grand rond. L'omoplate gauche est solide-

ment fixée par ces différentes plaques.

Petite exostose vers le milieu de la 6e côte droite ; une autre sur la 9°. Des

bandes osseuses, longues de 3 à si pouces, siégeant au milieu des fibres des

pectoraux, s'insèrent parleur extrémité antérieure au sternum, aux cartilages

costaux supérieurs, et à l'extrémité antérieure des clavicules.

Deux de ces bandes sont soudées à la clavicule gauche. Ossification partielle

du pectoral droit, sa portion claviculaire est entièrement ossifiée sauf ses deux

extrémités; la portion sternale offre seulement des bandelettes, dont l'une siège

à la partie moyenne du musclé, près du sternum, une autre sa partie infé-

rieure formant le bord de l'aisselle.

Portion claviculaire du grand pectoral gauche entièrement ossifiée, le tendon

de la portion sternale est également ossifié et adhère à l'humérus.

Ossification du sterno-mastoidien droit, sauf les deux extrémités sternale et

mastoïdienne ; l'insertion claviculaire est ossifiée en avant, légèrement tendi-

neuse en arrière ; une intervention en avait enlevé un fragment qui s'est repro-

duit bientôt après.

Seule l'extrémité inférieure du sterno-mastoïdien gauche est ossifiée; le reste

du muscle est pâle, atrophié.

Des bandes et des plaques osseuses se voient dans les muscles abaisseurs de

la mâchoire inférieure.

Un fragment osseux, d'un pouce de circonférence, s'insère à la pointe de

l'apopliyse coracoïde droite, occupant le point d'insertion du petit pectoral, du

coraco-brachial et la courte portion du biceps. Il se bifurque en deux branches

dont l'une suit le tendon commun au coraco-brachial et à la cuurte portion du

biceps.

Dans l'épaisseur du biceps gauche, une masse de 2 pouces 1/2. Deux apo-

physes s'insèrent sur l'extrémité inférieure de l'humérus gauche ; l'une d'elles,

partie du condyle interne, se prolonge dans les muscles rond pronateur et

fléchisseurs de l'avant-bras ; l'autre s'insère sur l'humérus, il 3 pouces de son

extrémité inférieure, et se prolongé dans les muscles triceps et les deux ra-

diaux.

Rien dans les articulations.

Les nouvelles formations osseuses sont plus denses et plus dures que l'os

naturel, elles offrent une surface plus propre et plus lisse.

Le bassin a plutôt la configuration de celui de l'homme.

A. l'âge de 8 mois raideur des membres supérieurs, on constata alors des

saillies dans le dos.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 285

A 11 ans la malade marchait et remplissait quelques fonctions domestiques.

Peu après impossibilité de plier les coudes, et la maladie s'aggrava.

A 19 ans, catarrhe qui passe à l'état chronique ; mort à 21 ans par pneu-

monie.

Pas de tubercules dans les poumons.

Mère morte bacillaire, à 44 ans, de même un frère, âgé de 19 ans.

Père robuste, bien portant.

OBs. X. - Skinner, Tlae med. Times and Gaz., 1861, p. 413.

Garçon, 13 ans.

Parents bien portants, aucune tare héréditaire ou constitutionnel ; pas de

rhumatisme ou de rachitisme. Depuis 6 ans apparition de gonflement à la nu-

que, sans cause. Ce gonflement disparaît au bout d'jine semaine et un autre

apparaît derrière l'épaule droite. Trois semaines après, les membres supérieurs

commencent à devenir raides, et, dans l'espace de trois mois, ils se fixent

complètement ; on est obligé de nourrir le malade. Plus tard légère améliora-

tion qui lui permet de se nourrir lui-même avec difficulté. Depuis, développe-

ment de différentes masses dans différentes parties du corps, principalement à

l'épine dorsale et à la cage thoracique,et, chaque fois que l'enfant reçoit un coup,

invariablement il se forme un- gonflement semblable, accompagné de douleur

et d'un léger mouvement fébrile.

Etat actuel. L'enfant peut se tenir debout, épaules raides, pas de mouve-

ments dans l'articulation droite et très peu dans la gauche. L'extensiondes avant-

bras est impossible, ils sont en demi-flexion, croisant l'abdomen. Cage thora-

cique étroite, très aplatie des deux côtés, au niveau des articulations chondro-

costales et quelque peu noueuse. Pas de mouvements thoraciques dans la

respiration. Pas de mouvements dans la colonne vertébrale, et les omoplates

sont fixées. Fesses et extrémités inférieures normales. La palpation donne

quelques petites tumeurs sous les côtes. Les grands pectoraux sont entièrement

fixés et convertis en os. Le bord inférieur du grand pectoral droit ossifié part

d'un nodule situé sous le mamelon, traverse l'aisselle et forme une crête dure

qui se continue dans le biceps jusqu'à son insertion au radius. Un certain

nombre de petits nodules osseux peuvent être sentis dans ce trajet et une pla-

que longue, irrégulière, derrière le muscle.

Les muscles de l'avant bras ne semblent pas affectés.

Du côté gauche même état qu'à droite, sauf les muscles de l'avant-bras qui

commencent à devenir plus ou moins fixes et l'existence d'une longue crête

osseuse allant de l'épicondyle jusqu'au tiers inférieur de l'avant-bras.

Au côté gauche du cou, dans le trapèze, immédiatement au niveau de son

insertion, masse osseuse, dure, comme un oeuf de pigeon ; plus bas, entre l'an-

gle de l'omoplate et la colonne vertébrale, grande masse irrégulière ; entre la

10" et la 11° côte, là où s'insère le trapèze, une autre masse mobile, semblant

appartenir à l'angle inférieur du trapèze gauche et se dirigeant en haut vers

l'épine de l'omoplate. Tout le bord du muscle, jusqu'à son insertion à l'épine est

dur et offre, çà et là, des nodules osseux.

286 A. WEILL ET .1. NISSIM

A droite, à 5 centimètres au-dessous de l'angle inférieur de l'omoplate, masse

dure, irrégulière, comme un gros oeuf ; la dernière en date, elle semble faire

partie au bord inférieur du grand dorsal.

Dans la région loinbiîre, des deux côtés, des masses osseuses. Un petit

noyau d'une noix sur le calcanéum droit, à l'insertion da tendon d'Adulte.

Rien dans les urines. Toutes les fonctions s'exécutent bien. Le XI resta sans

résultats.

Obs. XI. IVAN 111NKE\'ITSCFI, Arch. de Virchow, vol. XLI, p. 13, 1867 ;

vol. LXI, p. 524, 1874.

Jeune fille de 14 ans.

Père buveur, succomba pendant une attaque d'épilepsie; celle-ci avait débuté

un an avant la naissance de la malade.

Début de l'affection à t'age de 5 ans par la partie inférieure de la nuque.

Plus tard le dos et les extrémités supérieures, les extrémités inférieures furent

successivement pris.

Chaque nouvelle attaque s'accompagnait de symptômes fébriles et d'un gon-

flement inflammatoire.

L'enfant, examinée dans la 1 Ue année de son affection, présente l'ossilication

des temporaux et des deux ptérygoïdes ; sur le dos une grosse masse en fer-à-

cheval, réunie au squelette, à concavité supérieure. La porlion transverse siège

il l'union de la 5° vertèbre lombaire avec le sacrum ; de là partent deux bran-

ches obliquement dirigées allant jusqu'à l'omoplate. Elles représentent l'ossifi-

cation des muscles grands dorsaux, trapèzes, rhomboïdes, et celle des fascia

sacro-lombaires. De la partie inférieure de la portion médiane partent, à gauche,

des branches osseuses qui vont en partie sur le sacrum, en partie sur les mus-

cles fessiers.

En outre quelques petites excroissances sur les côtes.

A l'épaule, des deux côtés, ossification des sus et sous-épineux; des ronds,

des grands dorsaux et grands pectoraux il l'aisselle.

Qnelques tubérosités sur l'épitrochlée humérale droite.

Ossification des semi-tendineux et semi-membraneux droits.

Tumeur à deux pouces au-dessus de la rotule droite appartenant au droit

antérieur. Sur la jambe droite, à trois pouces au-dessous de l'articulation tibio-

tarsienne, se voit une masse stalactiforme douloureuse appartenant au tibial

antérieur et l'extenseur commun des orteils.

Toute la jambe est enllée, ses veines sous-cutanées sont très développées;

çà et là, quelques taches rouges, douloureuses (péliose rhumatismale). Sur le

bord antérieur du tibia, à trois pouces de la rotule, se fixe une tubérosité

comme un oeuf de pigeon. A la même hauteur, sur la face postérieure de la

jambe, il en existe une autre, comme un oeuf de poule, dans le soléaire.

Sur l'astragale et la malléole externe gauche se voit une saillie osseuse. L'ex-

trémité inférieure des couturier, semi-tendineux et semi-membraneux forme

une tumeur douloureuse.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 287

La malade n'est pas réglée.

Elle meurt à 19 ans de tuberculose aigué.

1874. Autopsie. Toutes les tumeurs osseuses signalées plus haut sont

augmentées de volume. Les membres inférieurs sont dans l'extension forcée et

oedématiés. Pieds en varus équin, surtout le gauche. De nouvelles tumeurs se

sont développées dans l'extrémité supérieure droite, en extension presque com-

plète et très en pronation. Elles siègent au tiers supérieur et postérieur et à

la partie inférieure et interne du bras. Ossification du bord antérieur des tra-

pèzes. Tuméfaction ganglionnaire dans le voisinage des muscles ossifiés.

Exsudat dans les plèvres, oedème pulmonaire. Au sommet du poumon droit

des foyers caséeux ramollis.

Ganglions bronchiques caséifiés ; il en est de même des ganglions mésenté-

riques. La paroi antérieure du ventricule droit du coeur contient un petit kyste

contenant, de la bouillie. Le foie offre un kyste hydatique avec des vésicules

filles. Les reins sont congestionnés.

A la section, les tumeurs présentent de grandes analogies avec la structure

d'une vertèbre : substance médullaire très rouge, limitée par une écorce de

tissu compact. Les rapports de la substance corticale et médullaire sont diffé-

rents par place. Le microscope montre des ostéoblastes et des canaux de Ha-

vers.

Ons. XII. Zollinger, Un cas d'ossifications pathologiques étendues, thèse

de Zurich, 1867 ; Billroth, Ossification des fascia dorsales. Archives de

Langenbeck, 1869, p. 459-46G.

Ulrich C..., 24 ans. Pas d'affection semblable dans la famille. Bien portant

jusqu'à l'âge de 3 ans. A la suite d'une chute, douleurs aux épaules ; depuis

les mouvements devinrent de plus en plus difficiles ; ils restent stationnaires

depuis quelques années.

En 1864, pneumonie grave avec délire; dans sa convalescence perte de la

vue du côté gauche.

Juin 1867. Malade de 24 ans, peu développé, d'intelligence retardée.

Debout et lorsqu'il marche, il se tient penché en avant au niveau de la co-

lonne lombaire. Bras un peu en abduction et légèrement fléchis aux coudes.

Des saillies et des dépressions au dos. On sent, sous la peau, des tubérosités et

des bandelettes osseuses irrégulières autour de la colonne lombaire, d'où partent

des ramifications dans toutes les directions. Cette masse émet de chaque côté,

en bas et en dehors,une bande osseuse qui va dans le grand fessier. Les bandes

donnent naissance à des apophyses se terminant librement comme la bande

elle-même. Les extrémités libres sont élastiques. Des deux côtés de la colonne

lombaire, dans le domaine des masses sacro-lombaires, on trouve en outre des

saillies et des travées très irrégulières plus prononcées à gauche qu'à droite ;

elles sont sans symétrie et ne correspondent à aucune direction musculaire

(ri. 1).

Ossification des deux grands dorsaux ; l'angle inférieur de l'omoplate semble

288 A. WEILL ET J. NISSIM

s'être confondu avec les muscles, qui, après avoir transformé la paroi posté-

rieure de l'aisselle, se termine brusquement avant d'atteindre l'humérus. Les

deltoïdes et les pectoraux sont tendus comme une corde, atrophiés.

Mouvements des bras très diminués, mais pas complètement abolis. L'humé-

rus est en abduction ; il peut se rapprocher du tronc, mais pas complètement.

Dans l'abduction forcée, il fait un .angle de 60°. La projection en avant et en

arrière fait un angle presque droit. Rotation de l'humérus presque normale. A

chaque rotation, le deltoïde et la capsule glissent en déterminant une trépida-

tion et un craquement comme s'ils glissaient sur une tête humérale inégale.

L'atrophie du deltoïde et l'hypertrophie de son tissu conjonctif réuni à la cap-

sule, pourvue elle-même d'inégalités conjonctives à sa face interne,produisent

probablement ce craquement à la rotation.

La raideur des tendons du biceps empêche l'extension complète des coudes.

Exostose de la 2° phalange de l'index gauche.

Les mouvements de l'articulation de la Il" avec la 2° phalange du médius

gauche, sont empêchés par des dépôts osseux ou cartilagineux.

Exostose à la partie interne du tibia gauche au-dessous de sa tubérosité; une

autre sur le condyle externe du fémur droit.

Le malade peut du reste faire plusieurs heures de marche par jour.

Mouvements de la mâchoire très diminués. L'écartement des mâchoires peut

à peine permettre l'introduction du petit doigt.

Fig. 1. Myosite ossifiante progressive (Cas de Zollinger).

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 289

Pas d'ossification dans les muscles masticateurs, cette absence de mouve-

ments doit être attribuée à une raideur des ligaments articulaires.

Mouvements de la colonne vertébrale très limités. Le malade ne peut pas se

redresser. Peu de mouvements latéraux et de rotation dans la colonne dorsale.

La colonne cervicale est plus libre, mais ses mouvements ne sont pas normaux :

L'extension de la tête est empêchée par manque d'élasticité des sterno-mastoï-

diens qui sont tendus comme une corde. De l'articulation sterno-clavicnlaire

partent des travées, elles proviennent, sans doute, de l'épaississement du tissu

interstitiel du muscle peaucier du cou.

Thorax rétréci. Base du thorax rétrécie ; l'espace qui s'étend des fausses côtes

au bassin est amoindri. La respiration se fait 'à l'aide des muscles auxiliaires.

Le thorax est attiré en haut à chaque inspiration profonde bien que le dia-

phragme fonctionne bien, et cela, par suite de la raideur des fausses côtes.

Il y a là une différence avec le cas de Skinner où le thorax restait immobile

parce qu'il était empêché dans ses mouvements par la réunion osseuse des côtes

avec les muscles de la poitrine. Un peu d'emphysème qui se traduit par un peu

d'anhélation pendant la marche. Les autres fonctions s'exécutent bien.

Examen des yeux par H orner. - A gauche, amaurose complète, atrophie

complète du nerf optique, rétrécissement des vaisseaux. La lamina cribrosa est

très transparente sur toute la surface du nerf; au bord interne du nerf optique

et dans la région de la macula lutea on constate des apoplexies en voie de ré-

sorption. Sur les veines se dirigeant en haut, des traces d'extravasats résor-

bés et sur les vaisseaux ou dans leur intérieur de petits globules libres, bril-

lants, qui semblent appartenir à une lésion de la paroi vasculaire. Au-dessous,

peut-être à l'équateur de l'oeil, se voit une tache ronde comme la moitié de la

papille, sur laquelle passe un vaisseau intact.

OEil droit. Moitié externe de la papille aplatie, la lamina cribrosa est très

apparente jusqu'aux bords; les vaisseaux sont repoussés en dedans un peu

plus qu'à gauche. La partie interne du nerf optique est rouge ; champ

visuel normal. Un an après, même état des yeux. La tache blanche de l'oeil

gauche provient, d'après l'auteur, d'un dépôt de sel calcaire dans le tissu cho-

roïdien. On ne peut pas admettre qu'elle provienne d'une atrophie pigmentaire

simple à cause du réflexe lumineux inaccoutumé et de la couleur crayeuse de

la tache.

OBS. XIII. Munchmeyer, Zeitschrift /«)' ration. 1)Iedicia, t. XXXIV, 1869.

Autopsie par Mays in Arch.de Virchow, vol. LXXIV, p. 159, 1878(1).

Lisette K..., 22 ans. Père, soeur et mère morts de tuberculose. Début de la

maladie à 4, 5 ans. Chute sur le dos alors, plaie qui donna ultérieurement des

nodosités lesquelles disparurent pour se montrer dans d'autres endroits.

La malade n'est pas réglée. En 1861 douleurs la moitié droite du thorax

et dans l'articulation du coude gauche avec gonflement allant de l'épaule jus-

(1) Cette observation a été également publiée par Yurasz.

290 ' A. M EILL ET J. NISSIM

qu'aux doigts. Traitement : Electricité avec exaspération des douleurs, à cha-

que application, comme résultat.

Février 1862. - Légère flexion de l'avant-bras gauche; supination incom-

plète, pronation complète. Sensibilité de l'articulation, tubérosité osseuse entre

l'épitrochlée et l'olécrane adhérant au cubitus et appartenant à l'anconé et il

l'origine de l'extenseur commun des doigts (Fig. 2).

Le biceps brachial gauche forme une masse dure comme de la gutta-percha ;

de sa partie charnue part une pointe indépendante de l'humérus, douloureuse,

allant jusqu'au creux axillaire. Noyau ossifié dans le deltoïde gauche, La plus

grande partie des muscles du dos : grands dorsaux, grands et petits ronds,

ossifiés, surtout au niveau de leurs tendons. Grand ligament de la nuque trans-

formé en une masse osseuse énorme. Une bande osseuse suit le bord externe

du grand dorsal de chaque côté. Absence de mobilité de la colonne cervicale et

de la tète; torticolis du côté droit. Scoliose dorsale a droite. Ossification des ten-

dons des grands pectoraux et grands dorsaux fixant les bras au tronc. Deltoïde

droit contient des noyaux, gros comme des pois. Articulations du coude et du poi-

gnet droits libres. Extrémités inférieures normales. Le courant induit déter-

mine en quelques endroits la contraction de quelques fibres dans les muscles

atteints. La teinture d'iode détermina la disparition des tumeurs dans la par-

tie inférieure du biceps brachial, mais la consistance du muscle resta fibreuse.

Le courant induit,a ce niveau, donne une contraction fibrillairc seulement. For-

mation de noyaux dans le deuxième radial ; il diminue d'étendue dans l'espace

Fig. 2. Myosite ossifiante progressive (Cas de Munchmeyer).

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 291

de deux mois, mais reste dur comme du cartilage ; dans les espaces interosseux

du métacarpe des noyaux indurés.

Août 1864. Gonflement de tout le membre inférieur gauche jusqu'à la

hanche sans cause. Ankylose consécutive du genou et de la hanche.

Eu 1868. - Dos transformé en une masse dure, recouverte de saillies, de

noyaux, d'angles, de dentelures, de vallées, et, çà et là, une partie molle en

partie contractile. Trapèzes durs comme la pierre ; dans le gauche une lame

osseuse allant de la colonne vertébrale à l'omoplate et fixant celle-ci. Quelques

ossifications profondes à la nuque. Dans la fosse sus-claviculaire on sent un

tissu dur et résistant, à l'exception du muscle homo-hyoïdien dont les contrac-

tions persistent.

Couche profonde de la fesse droite ossifiée de façon à immobiliser le grand

trochanter et le sacrum. Masses osseuses sur la face antérieure du fémur droit

s'étendant de la hanche au genou; elles suivent le tenseur du fascia lata, le

couturier, le droit antérieur et le vaste externe. Refroidissement objectif et

subjectif de la jambe droite. Ossification de tous les muscles interosseux dor-

saux du pied. Le 14 mai, scarlatine légère durant 3 jours. Huit jours après

au milieu de douleurs et de fièvre, formation brusque dans le droit antérieur

gauche et le vaste interne d'une tumeur pâteuse accompagnée d'oedème cutané;

puis envahissement de la partie libre du droit antérieur, du couturier et du

vaste externe. L'articulation de la hanche est respectée ; le genou devient

raide.

21 juin. - Ganglions poplités et cruraux sensibles. Infiltration de la région

inguinale, du biceps, du demi-tendineux et du demi-membraneux.

16 juillet. L'infiltration diminue, la fièvre cesse, les muscles de la cuisse

deviennent pâteux, la tumeur du vaste interne et du droit antérieur se déli-

mite nettement ; elle est très dure. Pendant ce processus la température de la

jambe gauche était tombée tandis que l'oedème continuait.

Urines : diminution notable de l'acide phosphorique ; au lieu de 3 grammes

à 3,50 on n'en trouve que 1 gr. 319.

Le 4 août. La région des adducteurs et la moitié inférieure de la cuisse gau-

che sont transformées en une. tumeur pâteuse, accompagnée de fièvre, doulou-

reuse.Plus tard, dysphagie, sensation très pénible de déchirement et de tension

à la mastication et formation de noyaux indurés, avec de l'oedème, à la région

sus-hyoïdienne..

Le J. Transformation de toute la région sus-hyoïdienne en une tumeur pâ-

teuse, accompagnée d'oedème cutané ; la tumeur semble intéresser le mylo-

hyoïdien-et les deux génio-hyoïdiens. Epaississement et durcissement de l'in-

sertion supérieure du sterno-mastoïdien, dans l'étendue de 3 centimètres. La

tumeur du droit antérieur de la cuisse et du vaste interne est maintenant dure

comme l'os ; elle est longue, de 8 centimètres, large de 3.

Le 12.- Le gonflement de la région sous maxillaire a gagné en fermeté; gon-

flement des deux masséters qui sont devenus douloureux ; avec beaucoup d'ef-

forts, les mâchoires peuvent s'éloigner d'un centimètre. T. constante 38°.

Le 14. L'oedème s'étend à la plus grande partie du visage, oedème du tissu

292 .1. WEILL ET J. N1SSIM

musculaire du plancher buccal ; la tuméfaction indurée s'étend aux masséters

tout entiers et en avant jusqu'au voisinage du menton et la commissure

labiale. Le 15, parole et déglutition très empêchée (est-ce par oedème ou par

inflammation de la gorge et des muscles du palais ? ), plus tard la dysphagie

était telle, que les liquides seuls passaient. En même temps durcissement des

masséters, de la région sous-maxillaire et des triangulaires du menton.

Les tumeurs et indurations des adducteurs gauches ont disparu et la malade

va beaucoup mieux.

28 septembre. La recherche de la réaction électrique faradique amène la

cyanose, la perte de connaissance, la cessation de la respiratiou et des con-

vulsions violentes sans que le vague et le phrénique aient été directement

excités.

Les résultats obtenus étaient en rapport avec le degré de la lésion muscu-

laire.

Morte le 22 mars 1877, à 32 ans.

Autopsie, le 24 à 9 heures du matin, pratiquée par Mays. Arch. de Virchow,

1878, t. LXXJV.

Cicatrice sur le front, légère dépression du frontal à son niveau.

OEdème du bras gauche à partir du milieu. Idem à la jambe et à la cuisse

gauches, mais moins. Absence de mouvements de la mâchoire, tête fixée. Bras

droit lléchi, ankylose de l'épaule, peu de mobilité au coude, assez de liberté au

poignet. Idem au bras gauche, sauf une raideur plus grande dans l'articulation

du coude.

Attitude du tronc oblique, épaule droite plus haute. Rebord costal gauche

plus profond que du côté opposé. Bassin déplacé vers la droite. Crête iliaque

droite plus haute et plus déjetée en dehors que la gauche. Ankylose des hanches.

Les genoux sont mobiles, idem des articulations des pieds.

Orteils recourbés vers la plante du pied. Ligament cervical ossifié. Bande-

lettes osseuses au-dessus des omoplates. Perte de substance de la peau du dos

en plusieurs endroits.

Atrophie considérable des muscles antérieurs du cou. Dégénérescence fibreuse

de la portion sternale du sterno-mastoidien. Épaississement considérable des

aponévroses superficielles et profondes du cou.

Caillots sanguins, ramollis au centre, adhérant aux parois des veines ju-

gulaires internes et externes.

Le tendon d'insertion à l'humérus du grand pectoral gaucho est ossifié : il il

émet en dedans deux prolongements, l'inférieur allant s'insérer sur la 3° côte,

le supérieur, sur l'apophyse coracoide. Atrophie du deltoïde, l'acromion émet

sous lui quelques lamelles osseuses. Epaississement notable de la capsule arti-

culaire de l'épaule, atrophie du revêtement cartilagineux. Épaississement de la

tête de l'humérus et de ses tubérosités. Sur l'épicondyle s'insère une lame os-

seuse qui se bifurque en bas et suit le trajet des deux radiaux. Épaississement t

considérable des aponévroses antibrachiales. Des noyaux osseux dans le flé-

chisseur commun superficiel des doigts ; tension des fléchisseurs.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 293

Même état du pectoral droit que le gauche, mêmes prolongements en dedans

vers la 3e côte, vers l'apophyse coracoïde et une 3e vers le sternum. Noyau

osseux au niveau de l'insertion du deltoïde. Noyau osseux sur le segment du

deltoïde qui s'insère à l'humérus. Clavicule gauche fixée par un pont osseux

parti de l'apophyse coracoïde ; la droite est mobile. Tète numérale et apophyse

coracoïde gauches épaissies ; humérus plus court et plus épais ; celui-ci semble

être constitué par deux os : résultat d'une fracture mal réduite et consolidée

avec un gros cal. Masse osseuse sur le segment inférieur qui suit le trajet des

extenseurs du carpe. Épaississement du radius et du cubitus ; élevures osseu-

ses multiples sur le 2e. Musculature de l'avant-bras bien développée.

Fractures multiples des côtes et raréfaction de la substance osseuse.

Déviations de la colonne : à gauche et en arrière de la portion dorsale, en

avant et à droite de la portion lombaire.

Atrophie de la musculature de la cuisse droite ; une masse osseuse s'insérant

sur l'épine iliaque antérieure et supérieure, suit la direction du tenseur du fas-

cia lata assez loin ; une autre, partie de la branche horizontale du pubis, suit la

direction du droit antérieur de la cuisse. Fémur épaissi et volumineux. Épais-

sissement de la rotule munie de multiples élevures aux bords.

A gauche : Des aiguilles osseuses partent de la crête iliaque ; une bandelette

suit toute la longueur du grand adducteur, depuis son origine jusqu'à sa ter-

minaison. Plaque osseuse dans la partie inférieure du vaste externe. Même étal

du fémur et de la rotule que du côté opposé. Thromboses dans les veines des

extrémités inférieures.

Une bande osseuse, partie de l'occiput, se dirige directement en bas ; elle

émet deux bandelettes au niveau de la première vertèbre dorsale, qui se diri-

gent transversalement en dehors et s'insèrent à l'épine de l'omoplate. Les côtes

proéminent des deux côtés entre le bord postérieur de l'omoplate et la colonne.

L'angle inférieur de l'omoplate émet une bande osseuse qui va s'insérer sur

l'os iliaque ; une autre masse, située sur l'iliaque gauche, va s'insérer sur le

sacrum. Un pont osseux va du rebord costal gauche à l'iliaque gauche. Atro-

phie des muscles grand dentelé et grand dorsal.

Les cavités pleurales contiennent une quantité importante d'un liquide séro-

sanguinolent; les feuillets pleuraux sont infiltrés d'héinorrhagic, altérés.

La cavité péricardique contient du sang noir et de la fibrine épaisse sur les

deux feuillets de la séreuse.

Liquide séro-s3nguinolent dans le péritoine.

Ous. XIV. - BYERS, il'. Orl. J. of ned., 1870, p. 122.

B..., 17 ans. Byers constata sur le malade une ossification étendue du système

musculaire qui a continué à progresser jusqu'à sa mort. A l'âge de 8 mois, on

constata sur différentes parties du corps de l'enfant des tumeurs grosses comme

une petite bille à jouer, dures, indolores. Douze à dix-huit mois après, les tu-

meurs commencèrent à disparaître laissant à leur suite une raideur des arti-

culatious avec ankylose graduelle. A 10 ans, les articulations des bras et des

hanches étaient complètement ankylosées, en même temps apparition de l'os .

294 A. WEILL ET J. NISSIM

sification dans le système musculaire ; le thorax est entouré par une carapace

osseuse complète ue laissant pas voir le contour des côtes.

Ossification des sterno-mastoidiens fixant la tête. Mains et poignets libres ;

ankylose des coudes à angle droit. Mis debout, il pouvait se déplacer sur une

surface unie, mais une fois tombé, il était incapable de se relever. Arrêt de

développement à partir de t'age de 10 ans, il n'a jamais donné des signes de

virilité. La peau adhère intimement aux muscles ossifiés. Etat général bon

dans le cours de la maladie.

OBs. XV. FLORSCHUETZ, Allgemeine Medicin. Central. Zeitung, 1873,

nos 98 et 99.

Berthold H...., 12 ans, dur d'oreille.

A. H.- Un frère légèrement rachitique, pas de myosite ossifiante dans la fa-

mille.

A. P. -A t'age de 5 ans formation subite d'une tumeur sur grand dorsal

qui s'est bientôt transformée en une pointe osseuse. Bientôt après apparition

des mêmes phénomènes sur l'épaule droite, et, en peu de temps, tout le creux

axillaire a présenté une masse osseuse ; ces phénomènes furent précédés de

chutes fréquentes.

Après une longue pause,. apparition des phénomènes sur l'épaule gauche

et atteinte du grand dorsal de ce côté.

La tête, le cou et le bassin étaient encore indemnes; extension des ossifica-

tions aux muscles des avant-bras, surtout sur le biceps, et difficulté dans les

mouvements des extrémités supérieures.

Il y a deux ans, apparition d'ossifications successivement au ligament de la

nuque, aux muscles droits de la nuque et fixation du menton au sternum. Plus

tard atteinte du côté gauche ; la suite d'une chute formation d'un gonflement

sur le grand trochanter, il gagna bientôt les muscles qui l'entourent et fixa

l'extrémité inférieure.

Dans l'intervalle d'un an, atteinte des muscles de la tête. Les masséters fu-

rent pris d'abord et limitèrent de plus en plus les mouvements de la mâchoire

jusqu'à l'immobilisation complète.

Il y a quelques semaines atteinte des muscles de la cuisse qui partent du

bassin ; il s'y est formé une tumeur rouge, chaude et déjà dure à sa partie infé-

rieure, peu sensible à la palpation, très douloureuse pendant les mouvements

parce que le malade l'a irritée en voulant marcher continuellement.

Etat général mauvais.

Depuis quatre ans attaques épileptiformes ; elles étaient d'abord espacées;

maintenant elles arrivent irrégulièrement. On les observe seulement pendant

la nuit, ce sont des attaques rapides violentes et de courte durée.

Intelligence normale.

Actuellement tête et tronc penchés en avant et : c droite, immobiles. Les deux

bras sont très rapprochés et fixés au tronc; main droite et avant-bras gauche

sont mobiles. Fixation de l'extrémité inférieure gauche au bassin par des ossi-

fications. La droite commence aussi à se prendre.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 295

Torticolis droit et un peu antérieur. Les muscles frontaux, de la mimique,

les oculaires sont lihres. Atrophie du triangulaire par ossification. Ossification

des masséters et des temporaux, ossification partielle des buccinateurs.

Langue et pharynx normaux. Impossibilité d'ouvrir la bouche. Léger mou-

vement de diduction. L'alimentation se fait a travers une brèche dentaire et

une fente résultant de ce que la mâchoire supérieure est un peu plus en

avant que l'inférieure. Ossification des muscles du cou et de la nuque, surtout

du côté droit. Ossification du ligament de la nuque se confondant adroite avec

le trapèze et le splénius. La musculature antérieure du cou est moins atteinte,

on y trouve des ossifications moniliformes. Sterno-mastoïdiens traversés par

des noyaux osseux. Il en est de même des muscles qui s'insèrent au menton,

à l'os hyoïde, au larynx et au sternum. Thorax aplati. On y voit en avant

une série de bandelettes et d'épines qui correspondent en partie aux origines

des muscles, en partie au tissu cellulaire lui-même. Ossification des grands et

petits pectoraux et des sous-claviers sous forme de bandelettes côté d'exos-

toses, dont deux à gauche, une à droite, marquent l'origine de la portion cos-

tale du grand pectoral. Une lame osseuse, réunie à la clavicule, et une autre

sous forme d'arcade, allant se perdre en bas et en arrière vers les insertions du

grand dentelé, représentent les portions costale et claviculaire. Les ossifications

sont moins marquées à gauche : on y voit une épine à l'origine de la 3e côte,

une autre plus petite sur la 6e et l'ossification arciforme de la portion d'inser-

tion du grand pectoral. Sur le dos, on voit l'ossification des tendons d'insertion

du grand dorsal et du grand dentelé sous forme de bandes, la gauche allant

moins loin et se mêlant avec la 4e vertèbre lombaire; elle se prolonge jusqu'à

l'os iliaque gauche. Les côtes droites sont libres, tandis que les gauches sont

fixées directement avec l'iliaque. Grands fessiers libres. Les moyens et petits

se trouvent dans le stade moyen de l'ossification.

Peu d'ossifications dans les bras. Le biceps se réunit avec le grand pectoral

ossifié et l'ossification du deltoïde. Immobilité des bras et des avant-bras, le

gauche fléchit jusqu'à 45° seulement.

Ossification du brachial antérieur; le coraco-brachial se confond à droite

avec le biceps dans une masse osseuse, à gauche il contient deux noyaux

osseux.

Bassin poussé vers la droite ; la hanche droite est rentrée, la gauche très

saillante. Ossification de tous les muscles qui vont au fémur gauche ; l'ossifica-

tion des muscles droit antérieur et biceps ne dépasse pas la moitié supérieure de

la cuisse, la cuisse est cependant d'une immobilité absolue. Ossification com-

plète du tenseur du fascia lata.

Depuis deux ou trois semaines, le processus s'est étendu à la hanche droite et

à la cuisse, principalement aux adducteurs ; la tumeur est encore à la première

période, elle détermine l'immobilité par les douleurs qu'elle occasionne. Jambes

et pieds normaux.

Cypho-scoliose droite près du torticolis.

Pénis bien développé relativement à l'âge, les testicules au contraire sont

petits.

296 A. WEILL ET J. NISSIM

Le malade ne peut ni se coucher, ni se tenir debout ; couché, son attitude

n'est pas naturelle, elle est contrainte; il ne peut pas changer de position sans le

secours d'un tiers.

Pas de trouble de la digestion.

Traitement : KI, diète sévère et ferrugineux.

Traitement de l'épilepsie : chloral.

Autopsie faite 24 heures après la mort par Karl Mays, Archives de Vircliou,

1878, t. LXXIV, p. 145.

Cadavre dur, immobilité de la colonne vertébrale et du cou, très grande

adduction des bras, avant-bras gauche fixé à angle droit, l'avant-bras et la

main gauches offrent une certaine mobilité. Cuisses fixées dans une légère

flexion, la gauche dans une légère adduction aussi ; le bassin est saillant il gau-

che. Aux jambes et aux pieds, une mobilité limitée.

Les os du squelette possèdent un volume très considérable et une consistance

très différente : les diaphyses des os longs, les clavicules, les omoplates, les os

du bassin, les côtes, les os de la tète présentent une dureté normale ; les épi-

physes des os longs, les os du pubis et les ischions, les rotules, offrent un tissu

tellement tendre qu'une épingle les pénètre facilement.

Réunion des arcs des vertèbres les uns aux autres par un tissu osseux. La

masse osseuse, formée par la fusion des arcs vertébraux, est formée extérieu-

rement par une lamelle épaisse, très compacte, et intérieurement par une

couche de tissu osseux friable et cassant. Friabilité semblable des corps verté-

braux. Les fascia sont en général durs et épaissis. Atrophie des muscles très

prononcée, quelques-uns sont fibreux, d'autres graisseux.

Des masses osseuses se voient dans les parties molles ; celles-ci tantôt sont t

réunies aux os, tantôt elles restent libres.

Muscles de la mimique normaux, masséters fibreux, noyaux osseux dans

les temporaux. Mobilité abolie dans la mâchoire inférieure.

Un pont osseux unit le corps de l'os hyoïde à la partie moyenne de la moitié

droite du maxillaire inférieur. Atrophie des muscles antéro-latéraux droits du

cou. Sterno-mastoïdiens fibreux; atrophie des omo-hyoïdiens. Dégénérescence

fibreuse moindre du sterno-mastoïdien gauche ; le reste des muscles est dans le

même état.

Ecchymoses nombreuses dans les deux feuillets du péricarde, dans la plèvre

pulmonaire gauche, et infiltration hémorrhagique par place; adhérence du

poumon ; en bas et en dehors, se voit un abcès contenant un liquide sanguino-

lent et purulent.

Pariétaux et écaille des temporaux épaissis ; épaississement du frontal, 8 mil-

limètres ; épaississement des arcades sourcilières, surtout de la droite.

A la base du crâne, les lames horizontales du frontal sont très épaissies et

bosselées; épaississement des rochers.

Léger rétrécissement du trou grand rond, et de l'ouverture supérieure du

canal vertébral par suite de l'épaississement de l'apophyse odontoïde de

l'axis. Os de la face très développés, l'épaisseur des os du nez est particulière-

ment choquante ; ils sont également garnis de petites élevures.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 297

.. Masses osseuses dans les muscles postérieurs du cou. La portion du trapèze

qui recouvre l'épine de l'omoplate est transformée en une membrane aponévro-

tique réunie aux parties sous-jacentes, surtout il gauche. La tête est fixée par

une masse osseuse qui commence il l'apophyse mastoïde gauche et suit la di-

rection des fibres du trapèze en se dirigeant en bas.

Le trapèze se sépare cependant facilement de cette masse. Un peu au-dessous

de la clavicule, la masse excuse se divise en forme de fourche dont l'une des

branches se lixe au tiers externe de la clavicule, l'autre il l'angle supérieur de

l'omoplate; elle envoie encore un prolongement qui suit la direction du splé-

nius, celui-ci restant indépendant. Ce prolongement envoie une apophyse

qui se termine lihrement il 6 centimètres de l'occiput. Les rapports du splénius

avec la tumeur sont les mêmes que ceux que l'on constate pour le trapèze.

Sur le bord antérieur de l'angulaire de l'omoplate, on voit une pointe osseuse

tellement mobile sur l'angle supérieur de l'os qu'on la dirait réunie il l'omoplate

par une articulation. Sous le splénius du côté droit, dans un fascia, existe une

lame osseuse libre. Sous le grand pectoral droit aminci, siège une grosse masse

osseuse qui se met en rapport avec plusieurs muscles et plusieurs ossifications.

De la partie la plus épaisse qui siège sur le bord inférieur du muscle, partent

des expansions osseuses ; l'une d'elles, arciforme, va vers l'angle inférieur de

l'omoplate et se réunit un peu au-dessous de celui-ci avec une autre bande que

nous verrons bientôt sur le dos ; en dedans vers le sternum, elle envoie des

bandelettes sur les 3e, fixe et 5° côtes. Une dépression au niveau de l'articulation

chondro-costale de la 56 côte ; en bas, elle envoie une bandelette qui court la

partie interne du bras pour se terminer librement près de l'insertion du mus-

cle biceps à son tendon ; en haut,elle envoie également une lamelle, qui bientôt

se bifurque, l'une des branches va sous la portion claviculaire du grand pecto-

ral, et se réunit à la clavicule, sa partie moyenne, l'autre suit le tendon du petit

pectoral ; elle envoie également, en dedans, un ligament épais, se réunissant à

la première portion du sternum. Le deltoïde, le triceps, le coraco-brachial et

le biceps sont très atrophiés ; la courte portion du biceps, très atrophiée, t

peine reconnaissable, offre un noyau osseux,qui se réunit avec la portion bra-

chiale de la masse osseuse décrite plus haut et avec l'ossification du brachial

antérieur; celle-ci est très étendue, elle va jusqu'au cubitus et immobilise le

coude il angle droit. A l'avant-bras, on constate un développement considérable

des fascia ; la musculature non ossifiée est légèrement atrophiée.

Luxation de la clavicule gauche en avant ; l'extrémité sternale est poussée

vers la ligue médiane. Apophyse coracoïde réunie il la clavicule par un puis-

sant pont osseux. Exostose sur le bord antérieur de la clavicule, au point d'in-

sertion du grand pectoral.

A droite également, masse osseuse sur le bord inférieur du grand pectoral,

au creux axillaire ; cette masse envoie, en dedans une plaque osseuse qui se ra-

mifie et couvre les 2% 3c et fil, côtes; la branche inférieure envoie une apo-

physe arrondie, qui se termine libre au niveau du 4° espace intercostal. Dépres-

sion au niveau de l'articulation chondro-costale des 4e et 5° côtes. La masse

centrale envoie également en dehors, une masse bifurquée dont la branche

298 A. WEILL ET J. NISSIM

supérieure va directement en dehors s'insérer sur l'humérus correspondant

ainsi qu'au tendon du grand pectoral, l'inférieure va obliquement eu bas vers

l'humérus et couvre le biceps; en bas, elle envoie encore une apophyse poin-

tue qui repose sur le biceps ; du centre décrit part encore une bandelette qui

suit le bord inférieur de la portion claviculaire du grand pectoral et va jusqu'à

l'apophyse coracoïde sans s'y insérer.

Sur le chef externe du triceps un noyau osseux. v1Sur l'aponévrose du bras

une lame osseuse au-dessus de l'olécrane ;.elle est libre.

Le cubitus fait un angle vers le ligament interosseux et envoie, il ce niveau,

une pointe osseuse dans le même ligament.

Epaississement de la 4e côte, qui offre une crête faisant saillie dans la cage

thoracique. Exostose sur la 6e côte s'avançant dans le 5e espace intercostal.

3e et 10° côtes épaissies par une masse osseuse faisant saillie dans la cage tho-

racique.

Sur la face postérieure de l'iliaque gauche, en avant des fibres du grand

fessier, masse osseuse comme un neuf de poule. Tumeur semblable sur la crête

iliaque droite. De ces deux tumeurs s'étend sur tout le dos une masse osseuse,

très irrégulièrement conformée. Elle offre en bas une lame quadrilatère dont

le bord supérieur se continue en haut et en dehors en une bande, qui, dans un

trajet arciforme, va se réunir avec la lame arciforme qui part de la tumeur du

grand pectoral ; la bande envoie encore un prolongement qui va se réunir il

une tumeur située dans le grand rond. De l'angle formé par le bord supérieur

de la lame quadrilatère et la bande qui va en haut et en dehors et que nous

venons de décrire, part également une crête verticale. Enfin une autre bande-

lette se détache de la lame quadrilatère, au niveau de l'angle formé par les

bords supérieur et gauche ; elle se dirige en haut et en dehors, vers la gauche,

jusqu'à la il° côte, où elle envoie une aiguille dans l'épaisseur du grand obli-

que et une 2e vers la cavité abdominale ; puis, continue son trajet ascendant,

mais plus verticalement, jusqu'à la 8e côte, où elle se confond avec la formation

osseuse du grand rond qui se prolonge jusqu'à l'humérus. Cette masse de la

moitié gauche du dos se réunit à la 10e côte seulement par du tissu osseux,

elle surplombe les autres côtes.

Cordon osseux sur le bord inférieur de la 9° côte, il se réunit à d'autres

formations osseuses ; sur la paroi latérale gauche du thorax, on voit une tubé-

rosité qui s'insère sur la 7e côte, et, formant un pont osseux perpendiculaire

aux côtes, s'insère sur la 6e. De cette tubérosité part une corde osseuse qui se

dirige en bas et en arrière en couvrant les 8e et 9° côtes. Un centimètre 1/2 en

arrière du point où cette formation osseuse se réunit à la 60 côte, on voit une

ossification en forme de C dont la concavité regarde le creux axillaire; elle

s'étend de la live à la 6° côte; il son extrémité supérieure, elle émet une apo-

physe qui s'insère sur la 3° côte. En arrière, elle se réunit avec la masse os-

seuse du trapèze.

Grand dorsal très atrophié. Les muscles profonds du dos passent à droite

sous les bandes osseuses ; à gauche,ils entrent en rapport avec elles. Atrophie

considérable de la musculature de la cuisse droite.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 299

Une tubérosité sur la branche horizontale du pubis. Un peu au-dessous de

l'épine iliaque antérieure et supérieure naît une bande osseuse qui se prolonge

jusqu'au-dessous du petit trochanter ; le couturier en est indépendant. De la

partie interne de la branche horizontale du pubis partent des aiguilles osseuses

qui se prolongent dans les adducteurs et le droit interne ; l'une d'elles, très

volumineuse, suit le trajet du pectiné et s'insère au fémur; de son point d'in-

sertion au fémur part un cordon osseux, qui suit la direction du psoas iliaque.

Lamelles osseuses très minces dans le tissu conjonctif qui s'insère sur le petit

adducteur. Sur l'obturateur externe une membrane épaisse traversée par des

noyaux osseux. Ossification complète du muscle crural.

Atrophie de la musculature de la jambe; hypertrophie considérable des

aponévroses.

Masse osseuse considérable sur la cuisse gauche allant de la moitié anté-

rieure de la crête iliaque à mi-cuisse. Les muscles qui entrent dans le domaine

de la tumeur sont le tenseur du fascia lata, la partie antérieure du moyen

fessier et la moitié supérieure du vaste externe. Cette masse s'insère au grand

trochanter. La partie supérieure de la tumeur est bifurquée. La masse princi-

pale émet une expansion antérieure allant jusqu'à mi-cuisse et recouverte par

le droit antérieur, dont elle se trouve séparée par une épaisse aponévrose. La

partie inférieure de l'expansion émet un tendon aponévrotique qui s'insère sur

le tendon commun du quadriceps; le tendon contient également un noyau

osseux.

Atrophie des muscles de la jambe ; sur l'extrémité supérieure de la diaphyse

du tibia et de son bord interne, se voit une exostose comme une^ noisette.

Ons. XVI. DITTtEYER, Thèse de Gerber, 1875.

Jeune fille, 8 ans. Rien dans les antécédents héréditaires. L'affection a dé-

buté à l'âge de 6 ans par des douleurs à la nuque, à droite,et à l'épaule droite.

Plus tard, les muscles trapèzes, le sus-épineux et le petit rond furent pris éga-

lement. Dans la deuxième année de son affection, on constate l'ossification des.

trapèze, sus-épineux, petit rond et petit dentelé supérieur.

Ons. XVII. - HuTn, Algemeine med. centr. Zeit., 1876, n° 41.

Paul Simon, lié le 14 mai 1872 de parents bien portants : a présenté à

18 mois, sous le meuton, quelques indurations qui se multiplièrent derrière

les angles de la mâchoire. Plus tard, après disparition sur le sternum d'une

tumeur grosse comme un oeuf de poule, des indurations se sont montrées sur

les épaules et sur les bras. De temps en temps apparition de taches framboi-

sées, qui disparaissent sans laisser de trace. Au printemps 1874, développe-

ment sur l'épaule et les paupières d'une large tuméfaction, qui aurait disparu

dans l'espace de huit jours. Eu même temps les articulations des épaules se-

raient devenues raides.

En été 1874, apparition sur le dos d'exostoses qui bientôt augmentèrent ou

diminuèrent d'étendue. En automne de la même année, chute sur le front et

apparition à ce niveau d'une tuméfaction et d'une induration.

300 A. WEILL ET J. NISSIM

Huth trouve à 2 ans et demi les bras presque appuyés contre le tronc, les

avant-bras normaux ; les muscles de la tête, du cou, du thorax, les muscles

fessiers sont durs et raides ; ceux de la cuisse sont en grande partie ossifiés.

Les muscles de la cuisse droite, des jambes et des avant-bras, les muscles de

la paroi abdominale sont intacts.

A 4 ans. Organes internes sains, intelligence particulièrement remarrluable.

Front et parties molles de la tête durs ; la peau y est peu mobile. Une petite

exostose sur le pariétal gauche. Masséters en partie ossifiés : la bouche s'ou-

vre de 3 centimètres seulement. Les muscles de la nuque et latéraux du cou,

particulièrement les sterno-mastoïdiens, se montrent tendus comme une corde

et indurés d'une façon irrégulière, moniliforme. Mouvements de la tête dans

le sens antéro-postérieur de 2 à 3 centimètres, moins latéralement. La mus-

culature thoracique est dure comme une cuirasse faisant le tour du corps. Sur

le dos 5 à 6 exostoses grosses comme des noix. Muscles lombaires durs des deux

côtés. Dans la musculature abdominale droite, un cordon osseux gros comme

le doigt s'étendant du rebord costal jusqu'à l'os pubien ; à gauche quelques

noyaux durs, isolés. Ankylose des épaules, les bras sont presque serrés con-

tre le tronc. Avant-bras normaux. Dureté et raideur des muscles de la cuisse

gauche et de la région ischiatique ; les muscles ischiatiques, de la cuisse et de

la jambe droites sont intacts. La jambe droite peut arriver jusqu'à l'angle droit

avec le corps. La cuisse gauche fait un angle droit avec le tronc ; il en est de

même de la jambe avec la cuisse. Le malade peut se promener dans la cham-

bre, grâce à sa jambe saine et attaché à une chaise. Il prend les aliments soli-

des avec une longue fourchette ; on est obligé de lui faire prendre les

liquides.

En 1883, ajoute Henning, rien de changé dans les extrémités supérieures,

depuis 1876 : humérus à angle droit sur le cubitus ; les extrémités supé-

rieures restent attachées au thorax; on y voit des noyaux osseux dans leurs

muscles. Pas de changement dans la cuisse gauche qui reste à angle droit sur

I.i jambe. Dans l'extrémité inférieure droite, au contraire, l'affection a fait des

'progrès. Dans les fessiers on trouve actuellement des noyaux cartilagineux

appréciables, il en est de même dans les adducteurs; cependant ce membre

fonctionne encore assez bien.

Ons. XVIII. C. NICOLADONI, Wiener metl. Bloelle ? ', 1878, nO' 20-2.

Léopoldine Beck, 7 ans, a présenté à la fin de sa première année une diffi-

culté dans les mouvements du cou ; cette difficulté alla en augmentant de plus

en plus en même temps que le menton se rapprochait de la poitrine. A com-

mencé à 2 ans à marcher ; la démarche avait quelque chose de maladroit, mais

les bras et les jambes étaient entièrement libres. Ultérieurement des gibbosités

dures se sont montrées sur son cou de plus en plus cyphotique; les coudes et

le genou droit se sont ankylosés.

Pas de renseignements sur les antécédents héréditaires et personnels.

Mai 1878. - Enfant pâle, mal nourri, tête penchée directement en bas avec

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 301

démarche boiteuse et maintien maladroit. Fonctions intellectuelles et organes

des sens normaux.

La partie supérieure de la colonne dorsale semble fortement cyphotique par

suite des formations osseuses au niveau des apophyses épineuses des 3e, 4e et

58 vertèbres dorsales. Mouvements de la colonne cervicale très limités. On

peut lui porter légèrement la tête il droite et il gauche, très peu, en avant et

presque pas du tout, en arrière. Côtes immobiles. Le thorax semble immobile

dans sa partie supérieure ; la respiration est diaphragmatique. La colonne

lombaire- est raide, d'où l'invariabilité du maintien dans la station assise, le

manque de sûreté dans la marche et des chutes fréquentes. Des deux côtés de

la colonne vertébrale, surtout à la colonne lombaire, se voient des masses

saillantes qui prennent naissance aux épines iliaques antérieures et supérieures

et se dirigeait jusqu'aux omoplates en suivant le trajet des grands dorsaux. Des

nombreuses travées transversales unissent ces deux masses. Leur disposition

est d'une symétrie remarquable (Fig. 3).

Epaule droite plus haute que la gauche. L'humérus droit reste éloigné du

tronc. Les coudes sont fléchis. La main droite est dans l'extension forcée. Les

deux omoplates, presque entièrement immobiles, sont fixées au tronc. Seuls

Fig. 3. - Myosite ossifiante progressive (Cas de Nicoladoni).

302 , A. WEILL ET J. NISSIM

de légers mouvements d'abduction, d'adduction et de projection en avant et

en arrière sout possibles. Les creux axillaires sont limités par des parois

osseuses. Des ossifications dans les grands pectoraux, les grands dorsaux et

les biceps, principalement à gauche. Les deltoïdes sont atrophiés, incapables

de se contracter. Musculature de l'avant-bras et de la main normale. Motilité

abolie dans l'articulation du coude gauche, très limitée, à droite.

Cou très penché en avant; stel'l1o-c\l\ido-masLoïdiens saillants et tendus. Les

autres muscles du cou sont également exempts d'ossification. Sur le bord infé-

rieur du maxillaire inférieur quelques bandelettes osseuses se dirigent vers le

plancher buccal. Ecartement possible entre les mâchoires d'un centimètre seu-

lement. Mouvements dediduction très peu marqués. Les masséters se contrac-

tent. Pas de dysphagie. Muscles de la mimique normaux.

Membre inférieur gauche normal ; le droit ne peut être étendu au delà de

160°. Dans la portion charnue du semi-tendineux et semi-membraneux, tumeur

fusiforme, pâteuse, mal circonscrite, douloureuse à la pression. Rien ailleurs

dans la cuisse et les os du bassin. Deux mois après, la tumeur est attirée vers

la tubérosité ischiatique, elle est moins grosse, plus nettement circonscrite et

plus dure. La raideur de l'articulation du genou est sensiblement augmentée.

La claudication est plus grande. Une infiltration diffuse, de consistance assez

considérable, s'est développée dans les muscles adducteurs de la jambe droite,

près de leur insertion au fémur.

Obus. XIX. Helferich, Apr.=<<; intellig. 13lcelter, 1879, n° 115.

Soc. allemande de chirurgie, 14 avril 1887.

Wilhelm Rupp, 16 ans.

Ankylose de la deuxième articulation des pouces et absence de la première

phalange des gros orteils d'origine congénitale.

Père bien portant, mère morte de tuberculose ; 3 frères et soeurs, plus jeu-

nes, scrofuleux comme notre malade.

Pas d'affection semblable dans la famille.

A 6 ans, formation de noyaux durs et indolores a ta tête, ils persistent

3 mois et disparaissent sans laisser de traces.

A 12 ans, des tubercules indurés se montrent au dos, ils disparaissent rapi-

dement, mais laissent à leur suite une raideur du dos. L'immobilité du dos

augmente de plus en plus par suite du développement des tubercules, qui en

partie disparaissent, en partie s'ossifient; il en est de même en général de la

raideur de la marche et des troubles de la motilité des membres supérieurs et

inférieurs.

La disparition des mouvements des bras coïncidait avec le développement

de nombreux petits tubercules dans les creux axillaires, et, pendant l'apparition

des troubles de la marche, il se développe à la hanche droite des tuber-

cules, qui plus tard se confondent en une grosse masse; une autre, grosse

comme un oeuf de cane, douloureuse ;i la pression, apparaît à la région ingui-

nale droite, et disparaît de nouveau spontanément.

Mai 1879. Enfant de taille moyenne, intelligent.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 303

Bouche fermée par l'ossification des masséters ; l'articulation temporo-

maxillaire est libre. Les rangées dentaires se touchent.

Très léger mouvement de diduction. L'alimentation se fait par une brèche

dentaire. L'ossification des pectoraux empêche la respiration costale. Dans

l'inspiration, le thorax augmente de 1 il 3 centimètres. La respiration est sur-

tout abdominale. Dans la paroi abdominale, il 7 centimètres de la ligne blanche,

sous la peau, se voient des bandelettes osseuses, grosses comme des plumes à

écrire et allant de haut en bas. Dans les trapèzes, des masses osseuses. Légère

diminution dans l'étendue de la flexion et de la rotation de la tête. Dans le dos

existent des tumeurs qui débutent en bas dans le bassin et vont en haut et en

dehors en s'élargissant et se ramifiant ; elles suivent d'une façon générale le

trajet des grands dorsaux et vont jusqu'au creux axillaire par dessus l'angle

inférieur de l'omoplate (Fig. 4).

La direction de la colonne vertébrale est bonne, mais sa motilité est tout à

fait incomplète, une flexion et une extension minimes sont seules possibles. Les

ossifications des pectoraux sont peu réunies aux côtes, elles s'attachent aux

bras. Les insertions des grands pectoraux et grands dorsaux sont ossifiées,

d'où un épaississement sensible de l'humérus. Les parois antérieures et posté-

rieure gauches des aisselles sont constituées par des travées osseuses. Le bras

gauche est fixé, une légère adduction et une légère extension sont seules possi-

bles. L'avant-bras est fléchi par l'ossification du biceps jusqu'à 70°, la flexion

extrême peut aller jusqu'à 50°. L'avant-bras et la main, sauf la malformation

Fig. 4. Myosite ossifiante progressive (Cas d'Helferich).

304 1. WEILL ET 1. NISSIM

congénitale, sont normaux. Le bras droit reste parallèle a l'axe du corps, il

peut être porté en avant, en arrière et en dehors dans l'étendue de 10°.

Biceps et articulation du coude normaux. L'avant-bras et la main, sauf l'an-

kylose congénitale de l'articulation phalangienne du pouce, sont normaux.

Membre inférieur gauche. - A l'aine li à 5 ganglions indolores, gros comme

une amande. Résistance osseuse dans la moitié inférieure de la région fessière

ci épaississement du fémur à largeur de main au-dessous du grand trochanter.

La hanche est libre. Léger épaississement de la crête iliaque Anomalie de la

première phalange du gros orteil. -

Membre inférieur droit. Mêmes anomalies dans la région fessière, le

fémur et le gros orteil, mais la hanche est fixée dans la flexion, l'abduction et

la rotation externe; à l'épine iliaque antérieure et supérieure et au pli de l'aine,

on trouve une tumeur diffuse, résistante à la périphérie, molle au centre, nue-

tuante ; elle n'offre nulle part d'ossification. Cet abcès, incisé le 7 mai, était

guéri le 14 juin. z

On sent alors a la région inguinale, immédiatement sous la peau saine, une

tumeur osseuse, indolore it la pression, composée de petits tubercules et de

travées, fixée à l'épine iliaque antérieure et supérieure et au fémur.

Réactions électriques. - Contractions faradiques normales dans les por-

tions musculaires non ossifiées ; l'excitation galvanique donne une contraction

dans laquelle An F. C. commence plus tôt que d'habitude et cela soit en même

temps que K F C soit même un peu plus tôt, rarement un peu plus tard.

Le malade fut présenté au congrès des naturalistes et médecins en 1881 : il

offrait les modifications suivantes (Cenlr. BI. sur Chirurgie, 1881).

Les travées osseuses du dos se sont étendues et épaissies. Les bandelettes de

la paroi antérieure de l'abdomen ont disparu complètement. Le bras droit qui,

en 1879, était presque entièrement normal, est fixé dans l'extension depuis le

printemps 1880 par l'ossification partielle de son triceps. Le biceps s'est aussi

pris tout dernièrement, il se trouve peut-être à la fin de la période dite inflam-

matoire ; il représente un cylindre longitudinal, fibreux, solide, dont les inser-

tions sont restées intactes. L'alimentation n'est possible qu'au moyen d'un

manche à cuiller recourbé, particulier. Au printemps 1881, en haut et en

avant du fémur droit, formation d'une tubérosité de la grosseur d'une noix, là

où l'enfant avait été frappé par une vache. Etat général bon. Réactions électri-

ques les mêmes. En 1883, aggravation légère de l'état du malade. Mêmes dif-

ficultés dans les mouvements des membres. Rien d'anormal dans les urines.

Le 14 avril 1887 (Soc. allemande de chirurgie). Le malade ne présente

aucun changement notable.

Ons. XX. PAMSCH, Breslauer Aertzl. ZNi(sclc., 1882, n° 6.

P. H..., 18 ans et demi, apprenti typographe. Pas d'antécédents héréditaires

précis. Il a appris larda marcher; il aurait eu des abcès il la tête étant jeune.

A 10 ans chute sur l'épaule droite et formation à ce niveau, trois jours après,

d'un gonflement douloureux, qui disparaît bientôt, mais laisse il sa place une

consistance plus grande de la région droite du cou. En môme temps que le

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 305

gonflement, il s'est développé une raideur et une impotence des muscles de

l'épaule et du bras ; depuis, l'articulation de l'épaule n'a pas recouvré tous ses

usages. Plus tard le bras gauche se prit également. Trois ans auparavant, à la

suite d'une plaie du front, il s'était développé à ce niveau un gonllement in- \

Ilammaroire. Un an après, formation d'une induration dans les muscles du

cou ; elle fixa la tête vers la gauche. Vers la même époque avec les symp-

tômes d'un abcès dentaire, apparition d'une ossification dans le masséter gau-

cbe ; la bouche ne s'ouvrait plus que d'un centimètre.

Novembre 1881. - Le malade est arrêté dans son développement. Tète pen-

chée à gauche et en avant, la flexion et la rotation sont très limitées, l'exten-

sion est entièrement abolie. Epaississement de l'os frontal au niveau d'une

cicatrice. Muscles de la mimique et masséter droit normaux. Dans le masséter

gauche, on sent une arcade qui va du tubercule zygomatique à la mâchoire in-

férieure. Les arcades dentaires n'arrivent pas au contact. Colonne cervicale

raide par la réunion probable de 3 ou 4 vertèbres. Mobilité des articulations

sterno-claviculaires et des omoplates ; l'omoplate gauche est moins mobile que

la droite. Le sterno-mastoïdien gauche représente une corde fibreuse, sans ossi-

fications ; celles-ci se voient dans les scalènes, réunies au squelette. Rigidité

de la région hyoïdienne. Le larynx se déplace normalement. Exostoses sur le

bord postérieur de la clavicule gauche tout près des insertions du trapèze in-

tact. Tumeur osseuse derrière l'angle inférieur de l'omoplate gauche attenante

aux côtes ; tout près d'elle , dans l'épaisseur du muscle grand dorsal, se voit

une arcade osseuse indépendante. Le bord inférieur du grand pectoral est très

fibreux et dur. L'abduction du bras gauche peut se faire jusqu'à 35°, la rotation

en dehors est très limitée et celle en dedans l'est moins ; l'adduction est nor-

male. A l'origine du brachial antérieur gauche s'insère une grosse tubérosité.

La flexion de l'articulation du coude atteint seulement 65°, l'extension L32° ;

pronation et supination de l'avant-bras normales. Au pouce absence congénitale

des mouvements actifs dans l'articulation phalangienne, sans ankylose, vrai-

semblablement par suite de l'absence du fléchisseur profond ( ? ). Dégénéres-

cence fibreuse des muscles profonds droits du cou. Une tubérosité osseuse re-

pose près de l'angle inférieur de l'omoplate sur une lame correspondant à l'é-

tendue du muscle grand dorsal ; cette lame se recourbe sur le bras droit et se

termine sur une bandelette qui suit le bord externe du triceps. Dans le triceps

noyau osseux mobile, gros comme une noisette. L'ankylose de l'articulation sca-

pulo-humérale est complète ; le bras se remue en masse avec l'omoplate.

Avant-bras et main droite normaux sauf la difformité congénitale du pouce

analogue à celle du côté opposé. Lame osseuse dans la région lombaire, plus

large à gauche qu'à droite ; elle suit le fascia lombo-dorsal, se réunit en haut a

la tubérosité avoisinant l'angle inférieur de l'omoplate et se termine en bas,

tout près de l'os iliaque, en un appendice bifurqué. Muscles de la région lom-

baire, muscles fessiers et abdominaux intacts. Sur le prolongement de la ligue

axillaire antérieure, sur la 9" côte droite, existe une exostose pointue. La res-

piration est en grande partie abdominale. L'agrandissement du thorax dans

l'inspiration est de 1 cent. 1/2 à 2 1/2. Plusieurs exostoses dans l'os iliaque droit t

306 A. WEILL ET a. NISSIM

une bandelette osseuse large dans le muscle tenseur du fascia lata ; au bord

interne du muscle couturier une plus petite. Rotation et abduction de la cuisse

droite normales ; la flexion sur le tronc arrive jusqu'à 80°. La jambe droite

se fléchit sur la cuisse de 50°. La motilité de l'articulation de la hanche est

manifestement entravée par une arcade osseuse du muscle couturier venaut se

terminer par une pointe arrondie un peu au-dessous de la mi-cuisse ; celle

arcade abolit l'extension et limite l'abduction. Les jambes et les pieds sont nor-

maux, sauf une difformité du gros orteil semblable il celle du pouce. Les gros

orteils,déjetés en dehors,semblent raccourcis,et sans mouvements au niveau de

l'articulation phalangienne. On ne sait pas si c'est par ankylose ou par absence

d'une phalange.

Organes internes normaux ; digestion bonne. L'urine ne contient aucun

principe anormal ; il y a une diminution des phosphates et des carbonates d'un

dixième.

Oris. XXI. - Kuemmel, XI ! " congrès allemand de chirurgie. - Présentation

d'un cas de myosite ossifiante progressive. Archives de Langenbeck, 1883,

t. XXIX, 613-629.

Hugo Rudolph, 13 ans, né le 24 avril 1870 à Hambourg. Dans la famille

pas de cas semblable. 14 jours après la naissance, sa gouvernante avait déjà

remarqué une difformité de la colonne vertébrale et du dos ainsi qu'une dimi-

nution dans la motilité des deux bras, de sorte que leur abduction était très

diminuée. Dans la 2e année, apparition, sans cause connue, sur le dos, de

tuméfactions plus ou moins grosses, fluctuantes, semblant contenir du pus ;

elles diminuèrent de plus en plus d'épaisseur et finalement apparurent sous

forme d'exostoses osseuses (Fig. 5 et 6).

A 6 ans, scarlatine.

A 12 ans, à la fin de juillet 1882, apparition d'une ankylose du genou gau-

che, sans douleur et sans empêcher le malade de marcher.

En 1882, le malade est dans un état excellent au point de vue des fonctions

végétatives.

Végétations adénoïdes dans le pharynx nasal, bouche normale, organes

abdominaux et thoraciques normaux. Urine normale.

Tête penchée en avant et un peu à droite ; la partie supérieure du corps est

voûtée ; les bras s'éloignent très peu du thorax. Cicatrice sur le front due a une

chute.

Exostose sur le côté gauche de l'occipital émettant, à sa droite, une bande-

lette osseuse de cinq centimètres qui va se perdre dans le pariétal.

Les mouvements de la tète, l'extension et la rotation sont très limités. Les

muscles de la mimique et l'articulation des maxillaires sont absolument libres.

L'écartement des mâchoires, la mastication et la déglutition sont normaux. Le

plancher buccal est transformé en une masse dure, calleuse dans laquelle se

trouvent enfermés l'os hyoïde et le cartilage thyroïde, de telle sorte que la

partie antérieure du cricoïde et les trois anneaux de la trachée sous-jacents

seuls restent accessibles. Transformation en travées fibreuses des sterno-

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 301

mastoïdiens ; le droit offre une tension moyenne dans sa portion sternale ; le

gauche une forte tension dans ses deux portions. Tension et transformation

fibreuse également des sterno-hyoïdiens. Incurvation de la colonne cervicale en

avant, elle semble transformée en une seule masse. A côté de l'apophyse épi-

neuse de la 5e vertèbre cervicale gauche se trouve une petite saillie osseuse

d'apparence mobile. Epaississement notable du ligament de la nuque. Défor-

mation notable du thorax dans son ensemble. Dépression du sternum par suite

de l'incurvation des cartilages costaux près de leur insertion aux côtes. La

moitié droite du thorax proémine sur le sternum plus que la gauche. Les grands

pectoraux offrent des bandelettes osseuses, qui, parties de la deuxième côte,

vont au bras; elles croisent la direction des fibres musculaires. Au-dessous, le

bord inférieur du grand pectoral se montre tendu comme une corde. Atrophie

de la portion sternale dn grand pectoral sans ossifications ou épaississements.

Respiration surtout abdominale. Elargissement du thorax dans les plus grandes

inspirations au niveau des mamelons de 2 centimètres et demi; à la hauteur

de l'appendice xiphoïde, 3 centimètres. Abductiou des hras possible jusqu'à

Fig. 5. - Myosite ossifiante progressive (Cas de Kuemmel)

308 A. WEILL ET J. NISSIM

40°. Rotation libre. Projection en avant et en arrière minime par suite de

l'ossification des parois antérieure et postérieure de l'aisselle. Relâchement du

biceps et du triceps brachiaux. Bandelette osseuse correspondant au coraco-

brachial droit ; elle semble s'être réunie avec celle qui va du grand pectoral au

bras. A la hauteur de la petite tubérosité se voit une protubérance comme un

oeuf de poule. La portion acromiale du deltoïde est un peu raide. Les articula-

tions du coude, des avant-bras et des mains sont normales. Ankylose de l'arti-

culation phalangienne des deux pouces. On constate une bandelette fibreuse

sur la partie inférieure du droit antérieur de l'abdomen droit et une bandelette

osseuse va de l'épine iliaque antérieure et supérieure à l'ombilic. La narcose

fait constater la transformation du psoas en deux masses dures. Scoliose droite

de la colonne dorsale et gauche de la colonne lombaire. A partir de la 7e ver-

tèbre dorsale, les apophyses épineuses et les ligaments susépineux sont trans-

formés en une masse osseuse. L'apophyse épineuse de la 7" dorsale, épaisse

Fig. 6.- Myosite ossifiante progressive (Cas de Kuemmel).

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 309

comme un oeuf de poule, réapparaît en forme de sablier; plus bas, au niveau

des apophyses des 11° et 12e dorsales, elle envoie deux branches osseuses ;

plus bas encore, au niveau des 3e et 4e lombaires, ces deux branches vont en

bas et en dehors jusqu'à la crête iliaque. Des bandes osseuses suivent la direc-

tion des fibres du trapèze dans la paroi postérieure du thorax, elles se prolon-

gent jusqu'à l'humérus gauche. Mobilité de l'omoplate diminuée, tubérosité

comme une noisette sur le bord externe de l'omoplate droite. Le bassin osseux

et sa musculature externe sont normaux. Flexion des cuisses dans un angle de

140" environ. Les grands trochanters, très élargis, proéminent beaucoup,

surtout le gauche. Le tenseur du fascia lata droit est plus raide que le gauche.

Les muscles de la région externe et postérieure de la cuisse gauche, avant

tout la longue portion du biceps, sont transformés en une tumeur dure,

fibreuse, contenant uue bandelette osseuse. Les tendons de la partie interne du

genou, surtout les demi-tendineux et demi-membraneux, sont transformés en

une masse fibreuse ; à côté des tendons,nn noyau osseux comme une noisette.

Flexion de la jambe d'environ 150°. Le genou droit est libre. Rien dans les

deux jambes. Absence de la première phalange des gros orteils des deux côtés ;

leur phalange unguéale atteint la première phalange du 2e orteil.

Traitement de l'ankylose du genou et de la hanche par l'extension , résul-

tat : 5 mois après, extension complète de là jambe gauche et disparition de la

flexion de la hanche. Depuis le malade marche facilement.

Le 18 décembre,- Opération des végétations adénoïdes. Le 15 mars, on en-

lève une lame osseuse de sept centimètres et demi insérée un peu -en dedans

de la ligne axillaire, sur la 4e côte. Elle était réunie à la portion acromiale de

la clavicule et permit une abduction plus grande. Depuis 8 jours, tendance à

la flexion de la jambe gauche ; on y trouve une infiltration plus grande du

creux poplité et un oedème très modéré de la jambe gauche. Le malade n'a

jamais éprouvé de douleurs.

Diminution de l'excitation faradique dans les muscles atrophiés, fibreux

ou ossifiés. Réaction normale des muscles des membres supérieurs et inférieurs

avec de légères exceptions. L'excitation faradique sur la branche frontale du

facial et sur les nerfs cubitaux donne des résultats normaux. Diminution ma-

nifeste sur les deux nerfs accessoires. Un fort courant donne des contractions

énergiques sur le nerf cubital; les muscles trapèzes et les cléido-mastoïdiens

ne dounent rien. Un courant très fort donne des contractions plus fortes à droite

qu'à gauche. L'excitation faradique directe du sterno-mastoïdien gauche et du

trapèze semble diminuée ; à droite les muscles réagissent mieux à l'excitation

directe. Le deltoïde gauche se contracte difficilement ; la contraction se mon-

tre avec un courant très fort. A peine une diminution faradique dans le del-

toïde droit. Diminution notable dans les grands dentelés, les grands pectoraux

à l'excitation faradique directe. Les muscles accessibles du dos, rhomboï-

des et grand dorsaux, donnent une très petite contraction faradique. Le sacro-

lombaire réagit bien. Les muscles de la région interne et postérieure de la

uisse gauche montrent une diminution notable de l'excitation faradique. Les

xi 21

310 A. WEILL ET J. NISSIM

troncs nerveux des sciatiques poplités interne et externe donnent une excitation

normale. Idem pour la musculature des jambes avec une excitation di-

recte.

Ons. XXII.- Cas de UIIDE, in thèse de Pinter, 1883 (1).

N. de B.... 1G ans. Rien dans les antécédents héréditaires. A toujours vécu

dans de bonnes conditions. Dans son enfance, il a eu quelques noyaux il la tête

qui disparurent sans laisser de trace. Vers 1872, tuméfactions aux deux côtés

des vertèbres 7e cervicale et 1° dorsale,dans les parties molles; elles ont laissé,

à lour suite, une ossification au niveau de l'insertion des rhomboïdes. Bientôt

après, ossification du grand ligament vertical. En 1874, des ossifications se sont

montrées à la partie inférieure des muscles sterno-mastoïdiens, dans les rhom-

boïdes ; en 1875, dans les muscles de l'épaule, et, particulièrement, dans les

muscles sous-épineux.

Fracture de l'avant-bras droit en tombant d'une hauteur de deux pieds,

guérison sans déplacement et avec un cal très petit. Ultérieurement, petit à

petit, tantôt il la partie supérieure du dos, tantôt il la partie inférieure, apparu-

rent des tubercules osseux dans tous les muscles de la poitrine, aux dentelés,

aux trapèzes, aux muscles extenseurs larges du dos en général, aux deltoïdes,

aux sus-épineux ; en 1882, dans les masséters ; en 1883, dans les muscles de

la cuisse.

Les noyaux osseux sont ronds, coniques, pointus, tranchants, recouverts de

peau saine, au début un peu mobiles dans les parties molles, plus tard immo-

biles s'ils se réunissent aux os. Ils sont presque symétriquement situés et

réunis l'un à l'autre dans deux endroits du dos par des bandelettes transver-

sales. Le ligament de la nuque s'est transformé, avec le temps, en une saillie

bosselée, épaisse de plusieurs millimètres, large de 7 centimètres. L'ossifica-

tion débute dans le muscle par une tuméfaction pâteuse dans les tissus mous

sus-jacents sans modification de la peau à son niveau ; la tuméfaction est un

peu sensible et laisse après elle un noyau osseux dans les muscles. Ainsi, dans

l'ossification des masséters, il s'est montré d'abord une tuméfaction qui fut

considérée comme des oreillons par le vulgaire, elle a laissé il sa suite des

noyaux petits et ronds.

Le malade est bien développé, intelligent,avec des organes des sens parfaits.

Tête et épaules penchées en avant, aussi la démarche est-elle rapide ; ankylose

des épaules, Mouvements de l'avant-bras limités. Atrophie des muscles char-

gés de noyaux osseux. A peine peut-on découvrir trace du cal dans la fracture

de l'avant-bras droit.

N. de B... est né avec un raccourcissement des deux gros orteils dépendant

de l'absence de la première phalange ; il offre en outre une ankylose de l'arti-

(1) Nous devons la thèse de Pinter il l'obligeance de M. le pr Gerhardt, de Berlin et

nous le prions d'agréer nos remerciements ; tous nos remerciements également b -

M. le doyen de la faculté de Baie, au professeur Rosenstein,de Leyde, aux D" Iligier,de

Warsovie et Burgerhout, de Rotterdam.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 311

culation phalangienne des deux pouces. Aucun élément anormal dans les sé-

crétions. Traitement : médication iodée intus et extra.

OBS. XXIII.- KRAUSE, in thèse de Pinter, 1883.

Marie B..., née en 1872. Père graveleux. Bientôt après la naissance,on re-

marqua sur le cuir chevelu des tuméfactions à base large qui furent prises

pour des multiples céphaloematomes. Elles disparurent sans laisser de trace

après quelques mois. A 4 ans, apparition avec uu léger mouvement fébrile,

d'une tuméfaction correspondant à la région du muscle trapèze et aux muscles

sous-jacents ; elle gagna en surface, puis diminua d'étendue en quelques se-

maines ; il resta il sa suite une induration des parties atteintes qui fixa l'omo-

plate gauche au tronc. Peu de temps après, le même processus se montra à la

région correspondante du côté droit; les sus et sous-épineux et la partie posté-

rieure du deltoïde furent atteints. A 7 ans, scarlatine avec oedème,sans albu-

minurie. Plus tard, même processus dans le grand dorsal gauche, le biceps

brachial gauche, les intercostaux, dans toute leur étendue,et quelques languet-

tes du grand dentelé. En 1881, atteinte des mylo-hyoïdiens, génio-hyoïdiens

et ventre antérieur du digastrique ; partout, le processus laissa à sa suite la

dureté du bois,et au thorax, une exostose pointue à base large. Depuis un an,

la rotation en dehors de la cuisse gauche est gênée sans que l'on puisse sentir

une induration des muscles accessibles, seul, le tenseur du fascia lata est un

peu induré.

A 11 ans, M. B... a une taille de 138 centimètres; tour de taille, au niveau

des mamelles, 62 centimètres. Teint pâle. La peau qui recouvre les ossifications

semble moins riche en pannicule adipeux. Rien dans les organes internes.

Maintien affaissé, épaule gauche un peu plus haute que la droite, légère cy-

phose de la colonne lombaire, légère scoliose à droite. Raideur absolue de l'é-

paule gauche, atrophie complète du deltoïde ; le biceps gauche est transformé

en une corde osseuse qui fixe l'articulation du coude dans une légère flexion.

Sur l'angle supérieur et interne de l'omoplate,se voit une pointe osseuse à base

large ; deux autres semblables, mais plus grosses, existent sous l'angle infé-

rieur de l'omoplate droite; à gauche, deux exostoses pointues, sur le côté et

un peu au-dessous de l'angle inférieur de l'omoplate ; les côtes, depuis la 5°

jusqu'à la 8°, sont recourbées, comme aplaties d'avant en arrière. Sur la face

antérieure du thorax, quelques exostoses aplaties. La musculature des régions

citées a la consistance de l'os, le grand dorsal gauche notamment, se montre

comme une lame osseuse colossale. Tandis que les côtes supérieures offrent une

assez ample excursion respiratoire, comme on le voit par la voussure du creux

sous-claviculaire ; les inférieures, au contraire, représentent une paroi rigide;

malgré cela, la malade n'a jamais été dyspnéique.

Les battements du coeur ne sont pas accélérés. Les réactions électriques

n'ont pas été recherchées.

Malgré le traitement, l'affection continua son cours.

312 A. WEILL ET J. NISSIM

Ous. XXIV. - PINTER, in thèse de Wurzburg, 1883.

AbertMargaretha, 20 ans, facteur des postes.

Pas d'affection semblable dans la famille.

A 4 ans, abcès à la nuque. Bientôt après apparition d'indurations au dos et

une gêne notable dans les mouvements des épaules. A l'école, elle était obligée

de se tenir debout pour écrire.

A 12 ans, abcès de la jambe droite qui suppura pendant 3 mois. Pendant ce

temps toutes les articulations avaient perdu de leur motilité : ankylose des

articulations du coude dans un angle de 130°, raideur de la nuque et du dos,

gêne notable dans les mouvements de la mâchoire, d'où troubles de la parole.

Plus tard raideur du genou droit ; la jambe droite semblait aussi plus courte

que la gauche.

En 1881, abcès à la jambe gauche. En 1882, aggravation de l'état de la ma-

lade : la jamhe gauche devenait extrêmement raide, les avant-bras étaient fixés

dans la position qu'ils occupent actuellement.

Première apparition des règles en 1882 ; maux de tête depuis quatre ans.

Le 14 janvier 1882. - Taille 149 centimètres de hauteur, 36 kilogr., très

pâle. Tète fixée à droite, en bas et en dehors. Muscles de la mimique nor-

maux. Pupilles inégales, la gauche plus étroite que la droite, légère exophtal-

mie à droite. Ecartement des mâchoires, un demi-centimètre. L'os zygomatique

et l'apophyse zygomatique des mâchoires supérieures sont saillants, épaissis.

Exostose comme une noix sur l'angle de la mâchoire inférieure. Nul mouve-

mentdans la mâchoire inférieure par suite de l'ossification des temporaux et

des masséters. Les sterno-mastoïdiens font une saillie comme une corde

fibreuse. Les muscles profonds du cou et de la région hyoïdienne sont durs,

mais sans noyaux osseux. Le côté gauche du thorax semble bosselé, le droit

est aplati, creux ; le sternum est enfoncé. Circonférence du thorax à la hau-

teur de la 3e côte, 64 centimètres (30 il droite, 34 à gauche). Arrêt de déve-

loppement des mamelles. Le thorax est immobile dans les grandes inspirations

par suite de l'ossification des grands pectoraux, on constate seulement une très

légère expansion dans la moitié droite du thorax. Dilatation du thorax dans les

grandes inspirations, au niveau de la 3° côte,un demi-centimètre; au niveau de

l'appendice xiphoïde, 1 centimètre. Respiration presque entièrement abdomi-

nale, légèrement accélérée, 24 respirations à la minute. Les parois des creux

axillaires sont ossifiées.

Exostose comme une cerise sur le bord supérieur de la 10e côte gauche.

Ossification des trapèzes au cou. Ossification du ligament cervical se divisant

au niveau de la 7° cervicale en deux branches, l'une allant horizontalement

en dehors, l'autre en bas et en dehors. On voit deux saillies osseuses des

deux côtes des 9" et 10° vertèbres dorsales ; la gauche envoie une ramification

vers l'angle inférieur de l'omoplate, une autre en bas, vers l'os iliaque et la

colonne lombaire; elle-même va se jeter sur la lame qui correspond au trapèze

grand dorsal et grand dentelé. La branche inférieure envoie à la hauteur de la

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 313

3° lombaire, en dedans, une ramification qui se subdivise en rameaux allant

sur l'os iliaque droit, le sacrum et les saillies osseuses indiquées.

Scoliose dorsale à convexité gauche : immobilité absolue de la colonne ver-

tébrale. Epaules attirées en haut et en avant, épaule droite plus haute que la

gauche. Immobilité absolue des omoplates.

Ossification des sus et sous-épineux. Les bras, fléchis à 130°, 140°, sont

fixés dans une légère abduction. Bras gauche attiré un peu en arrière et dans

une adduction plus grande que le droit. Différence d'un centimètre dans la cir-

conférence des deux bras. Des stalactites osseuses, parties de l'humérus, suivent

le trajet du biceps, coraco-brachial, brachial antérieur, triceps et les inser-

tions des muscles grands dorsaux, grands ronds et grands pectoraux.

Atrophie du deltoïde. Avant-bras en flexion et en pronation, mains croisées ;

mouvements des avant-bras très limités ; l'extension de l'avant-bras droit at-

teint 130", 1800. Au niveau de l'articulation métacarpo-phalangiennedu pouce,

il existe un noyau osseux sur le tendon du long extenseur propre du pouce.

Mouvements de l'avant-bras gauche plus limités dans les articulations humé-

raie et radio-carpienne. L'extension atteint 140°, 170°. Une expansion osseuse,

partie de l'épitrochlée, suit le trajet du rond pronateur et du palmaire grêle.

Dans le grand palmaire et le cubital antérieur on voit une lame osseuse,mobile.

Mouvements de la main gauche plus limités que ceux de la droite. Muscles des

mains et mouvements des doigts normaux. Lame de 3 centimètres, mobile, sur

le bord externe de la crête iliaque, près de l'épine iliaque antérieure et supé-

rieure est suivant l'insertion du transverse de l'abdomen. Ossification des mus-

cles de. la-région fessière, sauf les grands fessiers qui sont atrophiés.

Ankylose de la cuisse droite en adduction et rotation interne très accusée.

Rotule droite plus élevée que la gauche. Ossification des insertions muscu-

laires à la tubérosité ischiatique, à la branche montante de l'ischion et au grand

trochanter. Ossification du quadriceps crural, tenseur du fascia lata, coutu-

rier, psoas iliaque pectine, adducteurs ; bandelettes osseuses, mobiles avec

les muscles, dans la moitié inférieure du biceps, semi-tendineux et semi-

membraneux. Les tendons des droit antérieur et couturier sont durs. Longueur

du membre inférieure droit 73 centimètres.

Ankylose de la cuisse gauche, elle est plus épaisse par suite de formations

osseuses plus abondantes- Mêmes transformations qu'il la cuisse droite. Les

lames des semi-tendineux, semi-membraneux et biceps sont entièrement réu-

nies au fémur. Une lame osseuse, large comme la main, appartenant au droit

antérieur de la cuisse, s'élève au-dessus des muscles de la cuisse. Longueur

du membre inférieur gauche 75 centimètres.

Ankylose du genou droit dans une légère flexion, épaississement de l'extré-

mité supérieure du péroné. Pied en valgus équin.

Le gros orteil est plus petit que d'habitude, il atteint la 2e phalange du

2e orteil seulement ; il n'est mobile que dans son articulation avec le métatarse.

Même ankylose du genou gauche, même difformité du gros orteil.

Pouls 116 à la minute, plein et fort. Les autres fonctions se font bien. La

tachycardie sans autres phénomènes subjectifs reste inexpliquée, Pinter ne croit

314 A. WEILL ET J. NISSIM

pas l'existence de la maladie de Basedow malgré l'exophlal mie unilatérale. La

tachycardie ne tient pas à une lésion du vague car les autres organes fonction-

nent bien.

Sensibilité intacte.

Réactions électriques. Le courant faradique faible donne une contrac-

tion dans toutes les parties musculaires, aussi bien dans les muscles respectés

que dans les portions des muscles non ossifiées complètement, ce que l'on cons-

tate manifestement dans le grand pectoral : celui-ci, quoique ossifié, donne e

cependant des contractions fibrillaires au contact.

Diminution de la sensibilité électrique ; les courants forts n'occasionnent

aucune douleur.

Courant galvanique. C.F.P. avec le moins d'éléments possible ; en augmen-

tant on a C.F.N. ; en augmentant encore on obtient C.O.N et finalement télani-

sation en F.N. ; mais on n'a jamais obtenu C.O.P.

Les séances électriques furent très courtes ; il se produisait bientôt des

crampes qui obscurcissaient le résultat, ce qui nous légitimait à croire à une

altération marquée de la substance musculaire.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 315

Pneumonie et scarlatine avec néphrite à 14 ans.

En 1882, la tête et le corps sont penchés en avant et un peu vers la droite.

Contracture des sterno- mastoïdiens et des muscles de la nuque adroite. Aboli-

tion presque complète des mouvements de la tête. Ankylose de la colonne ver-

tébrale et raideur des extrémités inférieures ; on peut soulever le malade

comme une planche.

Le front est proéminent à droite. Muscles de la mimique normaux. Mouve-

ments des lèvres, des yeux et de la langue normaux. Ankylose de la mâchoire

inférieure des deux côtés, il peut ouvrir la bouche de 2 à 3 millimètres ; mou-

vements de diduction de 1 à 2 millimètres Ossification des masséters et proba-

blement des ptérygoïdiens. Sur la mâchoire inférieure, au niveau du bord

externe du mylo-hyoïdien, se voit une exostose de 2 centimètres qui suit le

trajet des fibres musculaires. Epaississement probable du maxillaire inférieur.

Le ligament dj la nuque, les splénius et les trapèzes, renferment des noyaux

osseux.

Le thorax est immobile dans la respiration, celle-ci est ahdominale; anky-

lose complète des deux épaules. Apophyses coracoïdes en forme d'aile d'oiseau.

Les clavicules offrent des exostoses de leur face inférieure. Sous les pectoraux

atrophiés, on constate des exostoses qui semblent partir des côtes et de l'hu-

mérus. Des lames osseuses suivent le trajet de ces muscles. Le bord inférieur

des pectoraux est ossifié jusqu'à son insertion à l'humérus. Le grand pectoral

gauche présente une exostose au niveau de la 2° côte, le droit au niveau de la 3e.

Les espaces intercostaux, surtout les 5e, 6° et 7e, sont durs.

Les bras sont serrés contre le tronc, atrophiés. Atrophie également des del-

toides. Ossification des coraco-brachiaux. Le brachial antérieur gauche possède,

dans sa partie supérieure, une pointe osseuse qui se perd dans le muscle. Masse

osseuse sur l'articulation du coude qui descend jusqu'à l'avant-bras. Ankylose

des coudes il angle aigu. Sur le troue, là où le bras appuie, on voit une exos-

tose de 2 centimètres sur 1 in de hauteur. Ossification des muscles qui par-

tent de l'épitrochlée droite se terminant en pointe au milieu de l'avant-bras.

Immédiatement au-dessous de l'épicondyle, on trouve une saillie plus grande

à contours mal limités, de consistance pâteuse, douloureuse au moindre attou-

chement et recouverte d'une peau saine, légèrement chaude. Kohts ajoute que

dans l'observation prise en juin 1883, un an auparavant, des ossifications se

trouvaient à cette place.

Bassin penché vers la gauche ; ankylose des hanches. La jambe gauche est

dans l'extension, l'adduction et la rotation interne. Légère flexion de la jambe

droite subluxée avec ankylose complète du genou. Pied en varus équin. Pointe

osseuse à la partie supérieure du tenseur du fascia lata gauche. A la partie

postérieure de la cuisse droite, dans le tendon du biceps, ou trouve un noyau

de 3 cent. 1/2. Tubérosités osseuses sur la face postérieure du tibia.

Scoliose de la colonne vertébrale, épaississement des apophyses épineuses

et transverses ; ankylose des articulations vertébrales ; ossification des mus-

cles des gouttières vertébrales. Large expansion osseuse allant vers l'angle de

l'omoplate droite. De la 11° côte part une bandelette osseuse dans l'épaisseur

316 A. WEILL ET J. NISSIM

du grand oblique, elle se prolonge jusqu'à l'épine iliaque antérieure et supé-

rieure. Ossification des fessiers et de la surface d'insertion du carré crural.

En 1882, le malade se plaint de douleurs à la nuque, au bras et à l'avant-

bras ; en examinant ces régions, on y trouve des gonflements diffus, rouges,

douloureux, oedémateux. Ces tumeurs disparaissent par l'incision, en 3 ou

5 jours, sans laisser de trace. Une seule fois,on constata, huit mois après l'ap-

parition des premières douleurs, un noyau osseux à la partie supérieure et

externe de l'avant-bras gauche.

. 08s. XXVI. - REIDHAaR, Thèse de Bâle, 1885.

Gouttfried Schneebeli, Suisse, 18 ans et demi, comptable. Bien portant

jusqu'à l'âge de 3 ans.

Père âgé de 69 ans, bien portant.

- Mère âgée de 51 ans, atteinte de carcinome gastrique.

Grand-père paternel rhumatisant, mort à 79 ans; grand'mère à 78 ans d'une

affection pulmonaire.

' Grand-père maternel rhumatisant avec raideurs digitales, mort d'apoplexie,

à 60 ans.

Un neveu mort à 40 ans d'épilepsie.

Grand'mère morte à 61 ans de pneumonie.

Un frère a eu des attaques épileptiformes pendant un an, à l'âge de 6 ans, à

la suite d'une grande frayeur.

Un autre est resté aveugle de l'oeil gauche à la suite d'une ophtalmie.

Notre malade, lui-même, aurait eu, à Page de trois ans, une méningite qui

aurait duré trois mois. Depuis, n'a jamais repris toutes ses forces, il tombait

en sautant plus souvent que tous ses camarades.

A l'âge de 5 ans, on remarqua des excroissances à la partie interne des

genoux ; à 6, tension des sterno-mastoidiens. Bientôt après apparition à la

nuque d'une tumeur molle, douloureuse, qui laissa à sa suite une place indurée

et la raideur du cou. Petit à petit des tumeurs semblables se sont montrées au

dos et au bras droit sans retentissement sur l'état général ; à 7 ans, atteinte du

bras gauche. A 12, le malade eut des attaques épileptiformes qui ont duré

8 jours et furent suivies par des hallucinations de la vue. En hiver z.-85,

tuméfaction très douloureuse du genou droit, elle disparut en laissant une rai-

deur de l'articulation. Presrlu'en même temps que la tumeur du genou, se dé-

veloppa une tuméfaction sur la moitié ganche du thorax avec des douleurs

intenses et de la dyspnée. Depuis 4 semaines, les adducteurs de la cuisse droite

aussi étaient douloureux, de telle sorte que le malade ne pouvait pas marcher.

Tous ces phénomènes inflammatoires ont évolué sans fièvre.

Le malade est concentré et timide. Dès sa jeunesse, il avait peu de relations

avec les enfants de son âge ; aujourd'hui il est très méfiant. '

Etat actuel, 22 avril 1885. -Notre malade offre l'aspect d'un individu dont

tout le corps est raide et ossifié. Il donne l'impression de la résignation, de la

timidité et de la stupidité PI. XXXVI).

Musculature atrophiée en général, et réduite à 0 sur plusieurs points. De

NOUV. ICOVOGitAP111C DE LA SALPLtRIRG.

T. XI. ri. XXXVI

MYOSSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE

(CasdcRcidha.u').

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 317

nombreuses saillies irrégulières, bosselées, se voient sur la poitrine et surtout

sur le dos. Le corps se tient penché, la marche est très difficile.

La tête est légèrement penchée en avant : la rotation des deux côtés,surtout

à droite, est très diminuée. L'inclinaison en avant et sur les côtés est presque

entièrement abolie. Tête ronde, 55 centimètres de circonférence, de structure

osseuse normale, sans ossifications. Séborrhée assez abondante. Pupilles de

dimensions et de réaction normales. Acuité visuelle normale. L'ouverture de

la bouche arrive à 2 centimètres ; la diduction est réduite au minimum. Les

muscles masticateurs étant normaux, on doit rapporter ces modifications en

partie à l'ankylose des articulations temporo-maxillaires.

Les muscles sterno-mastoïdiens sont comme des cordes tendues ; le droit est

légèrement plus long que le gauche. Ossification du ligament de la nuque ;

ankylose de la colonne cervicale. Transformation du splénius et du grand com-

plexus en cordes fibreuses.

Atrophie du muscle grand pectoral droit. A droite de la papille ( ? ) une

masse osseuse comme une noisette ; les cartilages costaux sont garnis de peti-

tes exostoses. A la hauteur de la 5e côte, un peu à droite du sternum, on cons-

tate un point d'une dureté osseuse, large comme un franc. Atrophie du grand

pectoral gauche dans ses parties supérieures, pas d'ossifications encore. Les

creux axillaires sont très prononcés, limités en avant par la travée fibreuse du

grand pectoral, en arrière par les parties ossifiées du trapèze (1). Circonfé-

rence du thorax au niveau de la ligne mamelonnaire, 68 centimètres, la plus

grande expansion à l'inspiration est de 1/2 centimètre ; respiration presque

entièrement abdominale.

Au dos, de la 8° vertèbre dorsale part verticalement en haut jusqu'à la 4e cer-

vicale, une masse osseuse fixe, avec une large base, et pourvue de plusieurs

bosselures. A la hauteur de la 5e vertèbre dorsale, apparaît une lamelle os-

seuse, qui, sous forme de chapelet, se dirige, arciforme, en haut et en dehors

jusqu'à l'épine de l'omoplate gauche. Ankylose de la colonne dorsale légère-

ment en cypho-scoliose. Les omoplates sont fixées ; atrophie des muscles sus

et sous-épineux. Sacrum et coccyx munis de petites exostoses comme des petits

pois ; plusieurs saillies comme des noisettes dans les muscles sacro-lombaires.

Le bras droit est fléchi à angle droit ; le coude est éloigné du tronc de 15 cen-

timètres, il peut être placé contre ce dernier ; l'humérus peut être porté en

arrière, nullement en avant. La rotation est impossible. Ankylose du coude.

Pronation et supination de l'avant-bras normales. Articulation radio-carpienne

normale, sauf la flexion limitée à un angle de 45°. Doigts longs et effilés en-

tièrement libres. Sur la grosse tubérosité de l'humérus, se voient trois ossifi -

cations comme des pois. Dans le tiers supérieur du bras existe une masse de

consistance cartilagineuse superficiellement, tégèrementmobite, obliquement t

dirigée en bas et en avant, large de 1 centimètre et longue de 4, incluse dans

la musculature du triceps avec une base large et solide. Atrophie du triceps.

(1) L'auteur veut sans doute parler du grand dorsal, le trapèze ne contribuant pas

à former la paroi axillaire postérieure.

318 A. WEILL ET J. NISSIM

Sur le condyle interne de l'humérus, une exostose conique de 1/2 centimètre.

Ossification du grand palmaire dans ses parties supérieures ; il donne la sen-

sation en avant d'une corde fibreuse. Circonférence du bras à l'origine du

deltoide 18 cm. 5, au milieu 17 centimètres ; l'avant-bras, au milieu, 18 cen-

timètres.

Bras gauche. - Coude éloigné du tronc de 10 centimètres, fléchi à angle

obtus. Mouvements de la main et des doigts normaux. Atrophie des muscles

du bras et de la main.Dans le brachial antérieur une masse osseuse sous forme

de stylet, longue de 8 centimètres, attirée en haut daus la flexion du coude.

Cuisse droite. Ankylose de la hanche et du genou en flexion légère. Le

talon droit est à la hauteur du gros orteil gauche, ne touche pas complètement

le sol. La cuisse droite semble plus grosse que la gauche. Partie de l'épine

iliaque supérieure, une tumeur, douloureuse à la pression, se dirige en bas et

en avant, elle est longue de 22 centimètres, large de 6; une lame de consis-

tance osseuse, indolore, longue de 17 centimètres, large de 9, se dirige

directement en bas. A ces ossifications participent le couturier et le quadriceps.

Une exostose pointue,de 1 centimètre sur 3 centimètres de base,à l'union des

tiers supérieur et moyen. Muscles plantaires droits gonflés, douloureux et

tendus. Mobilité du pied droit moindre que celle de gauche. Circonférence de

la cuisse, droite,44 centimètres,à gauche,34 ; au-dessous de la rotule, à droite,

38 centimètres ; à gauche, 34. Rotules mobiles.

Sensibilité normale ; contractilité faradique dans les muscles les moins

atteints (face, abdomen, jambes), existe même avec un courant faible; elle est

abolie dans les muscles ossifiés et dégénérés.

T = 37° ; pouls = 90,.normal.

Respiration affaiblie.

Urines. - Ni sucre, ni albumine.

Moyenne de 4 examens d'urine relativement au phosphate de chaux 5 gram-

mes par 24 heures ( ? ).

OBs. XXVII. - Sympson, Trans. of clin. Soc., t. XII, p. 315.

Présentation du 8 janvier 1886.

Alfred Ch., 7 ans. Rougeole à 2 ans.

Père rhumatisant. Grands-parents paternels rhumatisants. Grand-père ma-

ternel mort de cancer de la poitrine.

Il y a 15 mois, chute ayant déterminé un gonflement douloureux de l'épaule

droite, gonflement qui diminua graduellement ; trois mois après nouveau gon-

flement sur l'épaule gauche. Vu le 2 mai 1885, les saillies étaient plus gran-

des, plus élastiques, avec plus de nodosités qu'aujourd'hui. Un mois après,

tumeur sur l'ilion droit et sur la 11° côte gauche.

Le 8 janvier 1886, on trouve une série de nodosités apparemment situées

le long des bords du grand dorsal : une dans le trapèze gauche, un peu au-des-

sous de l'occiput, une autre dans le trapèze droit, au niveau de la partie

moyenne du dos et une troisième dans la fosse sus-épineuse droite.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 319

Dans l'épaisseur du triceps droit, on voit une masse allant du bord posté-

rieur de l'aisselle jusqu'à l'insertion du deltoïde. Une lame osseuse recouvre

les muscles élévateurs de la colonne vertébrale, de chaque côté des apophyses

épineuses, et rend la station debout impossible.

Ankylose de l'épaule droite ; peu de mouvements dans la gauche. Rien à la

partie antérieure du tronc.

Difformité congénitale consistant en un hallux valgus double.

Le 2fi janvier 1889. - Deux bosses de la grosseur d'une aveline se trouvent

maintenant sur l'épine iliaque postérieure et supérieure droite.

7 août. - Chute, fracture des deux os de l'avant-bras gauche à l'union des

tiers moyen et inférieur.

24. - Formation d'une bosselure de la grosseur d'une noix à l'insertion

des grands pectoraux; le bord antérieur des splénius est tendu et induré.

Pas de douleurs.

il janvier 1891. - La fracture est consolidée. Pendant 3 semaines, sen-

sation de tension dans le côté droit de la nuque et douleurs au niveau d'une

tumeur de l'aisselle droite. Nouvelle bosse comme une noix à la partie supé-

rieure du sterno-mastoïdien droit. Six nodules dans le grand dorsal gauche,

entre l'omoplate et l'épine dorsale.

12 novembre 1892. Il y a huit mois, chute sur la rotule droite et appari-

tion immédiate d'une tuméfaction à sa surface. Depuis 4, mois, raideur et gon-

flement au-dessus du genou gauche. A ce niveau, on voit une masse dure

ayant envahi le droit antérieur et les deux vastes et s'élevant à 4 pouces au-

dessous- de la rotule. A gauche, tuméfaction semblable au-dessus du creux

poplité dans le biceps et le semi-tendineux. Diminution considérable dans les

mouvements du genou. Dans l'épaisseur du couturier, un nodule de la gros-

seur d'une aveline.

Etat général toujours bon, douleurs au niveau des différentes tuméfactions.

(A suivre)

LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE

(Suite)

par HENRY MEIGE.

Nous donnons ci-dessous la reproduction d'une gravure ancienne, relative aux

« Pierres de tête », qui a déjà fait l'objet d'une étude parue dans le Janus (mars-avril

1897).

La scène représente une de ces officines charlatanesques où d'audacieux opérateurs

pratiquaient l'extraction de pierres imaginaires, incluses, croyait-on, dans le crâne des

individus au cerveau plus ou moins déséquilibré. L'interprétation ne diffère en rien

de celle que nous avons donnée autrefois pour les compositions similaires de Van

Bosch, P. Brueghel, Van Hemessen, Jan Steen, etc. Tous ces documents artistiques

sont des représentations, à la fois réalistes et satiriques, d'une jonglerie chirurgicale

qui semble avoir joui d'une grande vogue, du XVe au XVIle siècle, dans les Pays-Bas.

Un Arracheur de « pierres de tête ». Gravure d'après TH. de BRY (XIVe siècle).

La gravure en question est attribuée à un artiste Liégeois, Théodore DE BRY (Hi28-

1598), qui illustra habilement plusieurs ouvrages célèbres en son temps : le Livre des

Emblèmes, le Théâtre de la vie humaine, etc. La légende, à défaut d'autres renseigne-

ments, suffirait à expliquer le sens du dessin : « Inutile, dit-elle, d'aller à Anticyre :

c'est ici qu'on enlève les taons. » Or, on sait qu'un dicton ancien conseillait d'envoyer

les fous à Anticyre. ville de Phocide, où poussait en abondance l'Ellébore, panacée

légendaire de la folie. Quant au taon (oeslrum) c'était l'image de la folie furieuse. Au

XVIe siècle, le taon était devenu pierre; aujourd'hui, nous disons : araignée.

[Dans le précédent fascicule nous avons reproduit un document figuré signalé par le

D' Liétard (de Plombières) représentant une Opération sur la tête, dessin à la san-

guine sur vélin, attribué à D. Teniers le Jeune. Cette attribution ne semble pas exacte,

ainsi que l'a fait observer judicieusement M. le chevalier de Stuers. Le monogramme

dont est signé le dessin est celui de PIETER QuAsT, peintre hollandais, contemporain

de Teniers, et imitateur de A. Van Ostade et de Brouwer (Il. 1\1.)1 )

Le gérant : P. Bouchez

IL OPVS ANTICYRAS ABEAS H(C TOLUTVR"ÆSTRVM !

118 Année N° 5 Septembre-Octobre 1898

UN CAS DE

SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE

PAR R

E. FEINDEL et P. FROUSSARD.

M. P. Marie (1) a décrit sous le nom de Spondylose Rhizomélique une

affection caractérisée objectivement par la soudure de toutes les pièces du

rachis, accompagnée d'une ankylose plus ou moins complète des articula-

lions de la racine des membres.

Le mémoire de M. P. Marie est basé sur six observations : trois person-

nelles et trois autres appartenant à Koehlel', Béer, Strumpell. Nous appor-

tons, comme contribution à l'étude de cette affection, l'histoire d'un ma-

lade déjà présenté par M. Brissaud dans une leçon faite à l'Hôpital St-An-

toitie (mars 1898); M. P. Marie, nui a vu le malade, a confirmé le

diagnostic de Spondylose ltliizoméliyue.

Observation

Dur.. , 27 ans, présente la soudure de toutes les pièces qui cc~ .

rachis, une ankylose complète de la hanche gauche, une limitation plus ou

moins accusée des mouvements qui s'effectuent dans les autres articulations de

la racine des membres.

Antécédents. Père et mère bien portants, non rhumatisants. Duf... n'est t

pas alcoolique ni syphilitique. Jusqu'en 1894 il n'a eu aucune maladie sérieuse.

Début. A cette époque, après la période de marches et de manoeuvres qui

marquèrent la fin de son service militaire, Duf... commença à éprouver des dou-

leurs dans le membre inférieur droit et plus rarement dans le gauche à chaque

fois qu'il se mettait en marche. La douleur survenait régulièrement lorsque,

après un repos Duf... commençait à marcher ; elle s'accentuait il chaque pas,

quand le pied frappait le sol ; puis la marche continuant, la douleur s'atté-

nuait sans toutefois disparaître ; elle cessait complètement au repos. Son siège

était la région externe de la cuisse, depuis la partie moyenne jusqu'au trochan-

ter pour le membre inférieur droit; même localisation à gauche, où les dou-

leurs apparaissaient moins souvent.

(1) Pierre Marie, Sur la spondylose ihizo ? ? iéliqt4c. Soc. méd. des Hôpitaux, Il févr.

1898 et Revue de méd., 10 avril 1S98, p. 28S.

xi 22

322 E. FEINDEL ET P. FROUSSARD

Ankylose du rachis. - Un an plus tard (1895) les douleurs des cuisses dis-

parurent ; mais tout mouvement provoquait de vives douleurs dans les régions

coccygienne, sacrée et lombaire. La flexion du tronc était très pénible. Le coc-

cyx était douloureux au point d'empêcher la position assise sur un siège dur.

Toutes les pièces du rachis (sauf celles du cou) se soudèrent les unes aux au-

tres.

Immobilisation du cou et de la cuisse gauche. - En août 1897, en plus des

douleurs lombo-sacro-coccygiennes, survinrent des douleurs dans les hanches.

Les mouvements du cou, du bras droit, do la cuisse gauche surtout étaient

pénibles et^s'accompagnaient de craquements. Duf... qui depuis l'apparition de

ses « douleurs de reins » avait abandonné le métier de maçon pour une occu-

pation moins fatigante, dut définitivement cesser tout travail. Bientôt les mou-

vements de la tête devinrent presque impossibles, et ceux de la cuisse gauche

extrêmement limités. Les petites jointures restaient saines, sauf l'articulation

temporo-maxillaire droite qui devint douloureuse ; l'ouverture de la bouche

était limitée ; il y eut, on outre, quelques difficultés de la déglutition. Tous

ces phénomènes sont survenus sans fièvre et sans gonflement des articulations.

A la même époque, tandis que le cou s'immobilisait, se montra un torticolis,

d'abord. intermittent. Il se produisait dans les tentatives de rotation de la tête

et s'accompagnait d'un gros craquement. Duf... pouvait remettre sa tête en place

en s'aidant des mains; la correction se faisait brusquement, de même que le

torticolis s'était.produit, par une sorte de déclanchement et s'accompagnait du

même bruit de gros craquement unique. Dans la position du torticolis la tête

s'inclinait sur l'épaule droite, la face regardant il gauche. Depuis, la tète s'est

immobilisée dans ce léger degré de torticolis.

Toujours il la même époque, tandis que le cou et la cuisse gauche se sou-

daient, les mouvements des deux bras et de la cuisse droite devenaient un peu

limités.

Etat actuel (juin 1898). Altitude debout (PI. XXXVII). L'ankylose du

rachis et de la hanche gauche donnent il Duf... un aspect très particulier et

ont entraîné des modifications diverses. La taille de Duf... était il l'époque du

tirage au sort de 1 ni. 59.; actuellement elle est de 1,5G quand il se tient de-

bout sur la jambe droite, de 1,53 quand il repose sur la jambe gauche. Ces -

différences de stature tiennent : l°à l'ankylose en flexion du rachis, ce qui em-

pêche Duf... de développer toute sa taille; 2° à l'ankylose en flexion de la cuisse

gauche; la station sur la jambe gauche accentue la flexion du corps eu avant ;

3° l'inclinaison à droite et en bas du bassin, ce qui augmente le raccourcis-

sement apparent de- la jambe gauche. Le malade semble donc plus petit qu'au-

trefois et. plus petit encore lorsqu'il se repose sur le pied gauche.

La station debout est facile. Dans son ensemble le tronc est penché en avant 't

et incliné il gauche (PI. XXXVII et XXXVJII, 2). La face regarde en avant et en

bas ; les coudes sont un peu écartés du corps. Jamais les pieds ne reposent éga-

lement sur le sol. Out... « hanche » toujours d'un côté ou de l'autre. Il se

porte ordinairement sur la jambe droite; dans cette position, le membre infé-

rieur droit est dans la rectitude, la cuisse gauche est maintenue en flexion par

Nouv. Iconographie DE la SALP61'RIGRF.

T. XI. PI. XXXVII

Pholo1)'lllo Part.

SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE

(E. Pcin.lcl et P. Froussard)

MASSON & Cie, Editeurs.

NOUY. ICONOGRAPHIE DE LA SALPl.IItI6HE. T. XI. PI. XXXVIII

1

2

3

z1

5

6

7

8

9

'PGotot1'y' ""go `l'. Froussard. Pbototol. 'EN/bailli.

SPONDYLOSE RHIZOMELIQUE

(L. 1-'eiiidel ct 1'. Froussard)

^Altitudes du malade dam différents mouvements.

UN CAS DE SPONDYLOSE RüIZ0111LIQUE 323

l'ankylose, la jambe gauche est légèrement fléchie, le pied gauche touche le sol

par la tête des métacarpiens, le talon est en l'air à une hauteur de 0 m. 04

(PI. XXXVIII, 1). Si le poids du corps repose il gauche (position dou-

loureuse au bout de peu de temps), le membre gauche, vertical, est dans la

rectitude, la jambe est étendue sur la cuisse ankylosée, le corps est davantage

penché en avant, et pour empêcher la chute, Duf... met le pied droit en avant

du pied gauche (PI. XXXVIII, 3).

Modifications de l'attitude. - Toute la partie supérieure du corps est penchée

en avant. La tête est fléchie légèrement, la face regarde en avant et en bas ; elle

est un peu inclinée à droite et tournée vers la gauche.

Lorsque le malade repose sur la jambe droite, l'antitragus se trouve sur une

verticale passant à 15 millimètres en avant de l'angle de la mâchoire infé-

rieure ; une verticale tangente au front tombe à 28 centimètres en avant du ta-

lon droit. Si Duf... repose sur le pied gauche, la verticale passant par l'antitra-

gus tombe à 15 millimètres en arrière de la symphyse mentonnière, et la

verticale tangente au front touche le sol à 40 centimètres en avant du talon

gauche.

La tête est immobilisée sur le cou : il persiste seulement de légers mouve-

ments de flexion et d'extension (le déplacement du nez ou du menton est de

1 centimètre à peine). Les axes orbitaires se dirigent en avant et en bas. Pour

regarder les objets situés à la hauteur de ses yeux, Duf... porte en haut ses

globes oculaires. Si le point à voir est plus élevé, Duf... fléchit ses genoux, ren-

verse en arrière son corps tout d'une pièce, et pour argumenter encore l'éten-

due de sa vision en hauteur, il relève autant que possible ses paupières en

contractant ses muscles frontaux. Pour la vision latérale étendue, le corps

tourne tout d'une pièce pour venir en aide la déviation horizontale du globe

oculaire.

Le cou est fléchi en avant à 45" ; il est en la totalité dirigé de bas en haut

et un peu de droite à gauche. Il ne jouit d'aucun mouvement.

Les courbures de la colonne vertébrale sont modifiées et dans le plan antéro-

postérieur et dans le plan transversal. Dans le plan antéro-postéricur, la tête

et le cou sont fléchis sur la partie supérieure de la colonne dorsale ; celle-ci

est fléchie sur sa portion inférieure. Vertèbres dorsales inférieures, lombaires

et sacrées sont situées dans un même plan vertical. Donc, en allant de bas en

haut on a une ligne droite allant jusqu'à la partie moyenne du dos ; la colonne

dorsale supérieure forme un segment de circonférence à concavité antérieure ;

enfin la colonne cervicale fait une petite courbure à concavité dirigée en haut

et en arrière. La courbure lombaire normale a disparu ; en haut ne se détache

plus la saillie de la proéminente. En somme cyphose supérieure à grand rayon,

surmontant le redressement de toute la partie moyenne et inférieure du rachis,

et surmontée de la petite courbure du cou (Fig. 1).

Décubitus dorsal. Pour mieux apprécier les déformations antéro-posté-

rieures du rachis, nous faisons coucher le malade sur une table. Dans ces

conditions, un homme normal prend contact avec le plan par la partie posté-

rieure des cuisses, des fesses, des épaules et de la tête. Mais Duf... est formé

324 E. FEINDEL ET P. FROUSSARD

de trois segments inflexibles soudés bout à bout ; deux seulement de ces seg-

1 t 1

111ellL, cuisse ou coionne UUlU"IUlIl1JU-

sacrée redressée, peuvent prendre il

un moment donné contact avec le plan,

puisque l'un et l'autre sont des lignes

droites ; ils ne pourront loucher la table

simultanément; le segment supérieur,

courbe, ne peut coïncider avec le plan

de la table. Nous laissons Duf... se

coucher à sa guise : il repose sur la

table par son bassin, les portions lom-

baireetdorsaleiuférieuresdeson rachis

(segment moyen) ; la tète est maintenue

fixe il 16 centimètres au-dessus du plan;

la cuisse ankylosée élève le genou de

telle sorte que la tête du péroné gauche

est il 21 centimètres au-dessus du plan

tandisquela tête du péroné droitn'enest

distante que de 5 centimètres (Fig. 2).

On invite Duf... à faire reposer sa

cuisse gauche sur le plan ; il exécute

un mouvement de sonnette autour de

ses ischions ; la cuisse gauche (segment

inférieur) repose sur la table, mais tout

le rachis est soulevé ; l'épaule droite

est à 27 centimètres au-dessus du plan,

la gauche à 26 centimètres, l'extrémité

de la face postérieure de la tête est il une hauteur de 36 centimètres. En

somme le malade est assis mais non couché sur la table (Fig. 3).

Si maintenant il vent se coucher sur son ventre, il n'arrive a toucher la

table que par les deux extrémités seulement de la colonne osseuse soudée,

par le front et le genou ; le corps forme un arc dont le profil de la table est la

corde (Fig. 4).

Déformation du rachis dans le sens transversal. - De plus, dans son ensem-

ble, le tronc est incliné à gauche, et il existe un léger degré de scoliose. La co-

lonne lombaire montre une première courbure latérale il concavité gauche ;

Fig. 1. - A droite, courbures du rachis

d'un individu normal dans la station

droite. A gauche, courbures du rachis

ankylosé de Duf...; les colonnes lombaire

et dorsale infërieuressonten ligne droite;

la partie supérieure du rachis est inclinée

en avant.

Fig. 2. - Duf... repose sur un plan par son sacrum, ses lombes, et la partie inférieure

de son dos. La tête est maintenue à 16 centimètres au-dessus du plan. L'extrémité

supérieure du péroné gauche est i 21 centimètres au-dessus du plan. ·

UN CAS DE SPONDYLOSE RnIZ011ÉLIQUE 325

au-dessus vient une ligne droite qui s'étend jusqu'à la partie moyenne de la

région dorsale ; le rachis dorsal supérieur et cervical fait une deuxième cour-

bure à concavité droite (Pl. XXXVIII, 2).

Les apophyses épineuses des vertèbres dorsales inférieures et lombaires,

ainsi que les épines iliaques postérieures, sont plus saillantes que d'ordinaire.

On n'a pas reconnu d'exustoses, sur les points accessibles des différentes

régions du rachis.

Le thorax est aplati d'avant en arrière. LE

sternum a perdu sa forme et sa position nor-

males : la ligue médio-sternale est inclinée en

bas et il droite : il y translation du sternum

en entier droite, de sorte que le cote gauche

du thorax est plus étendu que le droit. Dans sa

partie supérieure et moyenne le sternum pré-

sente une courbure à concavité antérieure; dans

sa partie inférieure au contraire, il est légère-

ment convexe en avant (Fig. 5).

Les côtes sont peu saillantes ; elles demeurent

à peu près immobiles pendant la respiration qui

est presque exclusivement diaptiragmatique. Si,

dans les grandes inspirations il semble que les

côtes s'élèvent, il est facile de se rendre compte,

par le palper, que cette apparence est due, en

grande partie, aux mouvements des muscles ins-

pirateurs accessoires. La mensuration de la cir-

Fig. 3. - Duf... fait reposer sa cuisse gauche sur un plan. Le rachis tout entier est

soulevé et la tête est portée à 36 centimètres au-dessus du plan.

Fig. 4. Duf... ne peut se coucher sur le ventre; il ne peut toucher le plan hori-

zontal que par les deux extrémités, tête et genou gauche, de la colonne osseuse

constituée par l'ankylose.

5. - A gauche, le sternum

convexe en avant d'un indi-

vidu normal. A droite, le ster-

num de Dur... concaveen avant

dans sa partie supérieure,

convexe en avant dans sa par-

tie inférieure.

326 E. FEINDEL ET P. FROUSSARD

conférence thoracique ne donne que 1 centimètre d'augmentation pour l'inspi-

ration normale, et 2 centimètres pour l'inspiration forcée.

L'abdomen est divisé en deux parties par un sillon horizontal passant à

1 centimètre au-dessus de l'ombilic. La partie supérieure est plane. La por-

tion inférieure, globuleuse, fait saillie au-devant du pubis.

Les organes génito-urinaires sont normalement conformés.

Le bassin n'a pas sa position normale : il est redressé d'avant en arrière, son

bord gauche est relevé, il y a en outre rotation de gauche à droite. Il en ré-

sulte que l'épine iliaque antérieure et supérieure gauche est plus élevée et plus

en avant que l'épine iliaque antérieure et supérieure droite. La mensuration

donne : 225 millimètres pour le diamètre bi-épineux antérieur et supérieur ;

293 millimètres pour le diamètre bi-crète maximum : 180 millimètres pour le

diamètre antéro-postérieur (du pubis à l'épine de la première sacrée) ; 74 mil-

limètres pour le diamètre bi-épineux postérieur. Les rapports de ces différents

chiffres se rapprochent beaucoup de la normale ; le bassin n'est pas vicié quant

à sa forme générale ; il n'y a en particulier pas d'aplatissement d'avant en

arrière.

L'exploration du sacrum et du coccyx par la face postérieure et par la face

antérieure (toucher rectal) montre une exagération de la courbure normale du

sacrum dans sa partie inférieure. Sa partie supérieure parait redressée, et sa

crête épineuse se continue en ligne droite avec les apophyses épineuses des

vertèbres lombaires redressées. Le coccyx est sensiblement plus gros que

normalement. Sa rétroflexion est impossible.

Membres inférieurs . Lorsque le malade est couché, la jambe gauche est

plus courte que la droite (élévation du bassin à gauche, ankylose en flexion

de la cuisse gauche) ; la distance en ligne droite de l'épine iliaque antérieure

et supérieure à la malléole externe est de 0 m. 85 à gauche, de 0 ni : 88 à

droite.

A la palpation, le grand trochanter gauche est plus volumineux que le droit.

La cuisse gauche forme avec le bassin un angle de 150° environ. Tous les

mouvements spontanés ou provoqués de la cuisse gauche sont impossibles et

toute tentative pour les produire est douloureuse. Les mouvements de l'ar-

ticulation coxo-fémorale droite sont tous possibles, quoique un peu limités ;

près de la limite normale, ils deviennent douloureux. - Des craquements

apparaissent quelquefois dans la flexion des genoux. Pas de mouvements de

latéralité au niveau des genoux. Les articulations tibio-tarsiennes, du tarse,

du métatarse et des orteils sont normales.

Membres supérieurs. - Les deux épaules sont portées en avant avec incli-

naison en avant de leur bord supérieur. La face supérieure des saillies acro-

miales regarde presque directement en avant. La clavicule droite est plus

élevée que la gauche. Le bord supéro-externe du trapèze a plus d'étendue a

droite qu'à gauche. En arrière, les deux omoplates sont ailées, la droite plus

que la gauche (PI. XXXVIII, 2). Les mouvements des articulations des épaules

sont assez étendus, Duf... peut porter ses bras dans toutes les directions, mettre

les mains sur sa tête, etc. Mais tandis que le bras gauche peut être élevé

UN CAS DE SPONDYLOSE RIIIZO\IÉLIQUE 321

presque verticalement, le bras droit ne peut s'élever au-dessus d'un angle

de 40° avec l'horizontale (PI. XXXVIII, 4). Le bras droit peut être porté

directement en avant, mais, si ce mouvement est très accentué « ça tire un

peu dit le malade. Le bras droit est amené plus facilement en arrière.

Les mouvements du bras gauche ne sont que très peu limités. Les mouve-

ments des deux bras s'accompagnent de craquements dans les épaules. Le

geste de hausser les épaules plusieurs fois de suite donne lieu à des craque-

ments que l'on perçoit en posant la main entre les deux omoplates. Les

mouvements des bras ne causent que peu ou pas de douleur dans les articu-

lations des épaules, mais plutôt une sensation de tiraillement.

Les mouvements des autres articulations du membre supérieur sont abso-

lument normaux. Des nodosités de Mouchard existent au médius et à l'annu-

laire des deux mains. En outre, sur la partie moyenne de la face dorsale des

phalangines des deux mêmes doigts, on constate des exostoses peu élevées,

circulaires, assez larges. Celle qui se trouve sur l'annulaire gauche, la plus

grosse des quatre, est douloureuse à la pression.

Atrophie musculaire. Vitiligo. Avec les déformations du squelette coexis-

tent des particularités diverses consistant surtout en l'atrophie de différents

muscles. '

Il y a un léger' degré d'aplatissement des muscles de la face, et une très

légère asymétrie du visage, le sillon naso-jugal est un peu moins marqué à

gauche qu'à droite. Sur chaque joue, au-dessous de la pommette on voit du

vitiligo irrégulièrement bordé par de la pigmentation brune.

Au cou les sterno-cléido-mastoïdiens sont réduits au chef sternal, lui-

même diminué de volume ; le muscle du côté droit est plus petit que celui du

côté gauche. Ces muscles se tendent comme des ficelles lorsque le malade

s'ell'orce de tenter la flexion ou la rotation de la tête.

L'atrophie musculaire accentue les déformations du côté du </<0)'a;ï;.nes deux

côtés le grand pectoral est diminué de volume en totalité ; de plus, l'atrophie

de sa partie moyenne est complète; il ne reste de chaque muscle que deux

faisceaux : l'un costal supérieur et claviculaire, horizontal, l'autre costal infé-

rieur, ascendant (PI. XXXVIII, 5).

En arrière le trapèze supérieur est un peu atrophié des deux côtés ; l'éteu-

due du bord supérieur du trapèze du côté droit est plus considérable que celle

du borùVcorrespondaut du muscle de l'autre côté. Le rhomboïde est atrophié,

de même que le grand dentelé qui l'est davantage du côté droit ; les deux an-

gles inférieurs des omoplates sont détachés du thorax, surtout celui de droite.

Les deux scapulums, et surtout celui de droite, sont plus mobiles que norma-

lement, et suivent les mouvements du bras. Les sus-épineux et sous-épineux

sont normaux.

Membres supérieurs. - La force musculaire, est bien conservée dans les

membres supérieurs. A gauche le malade porte facilement à bras tendu une

chaise tenue horizontalement par le barreau supérieur du dossier. A droite, où

les mouvements sont plus limités qu'à gauche, la force est aussi moins bien

conservée ; nous avons déjà vu que l'omoplate était davantage ailée et plus mo-

328 E. FEINDEL ET P. FROUSSARD

bile dans les mouvements du bras ; en outre le deltoïde droit est plus petit que

le gauche ; le biceps droit est plus petit et plus mou que celui de gauche, il se

contracte moins énergiquement. -

Nous avons déjà noté la forme globuleuse de la partie inférieure de l'abdomen.

Cette partie inférieure du ventre est très dure, la paroi en est très tendue. Il

y a comme une contracture permanente des muscles de la paroi.

La masse sacro-lombaire est diminuée de volume, ce qui rend plus saillantes

les apophyses épineuses des vertèbres lombaires, et les épines iliaques supé-

rieures et postérieures proéminentes.

Du côté des membres inférieurs, les fessiers surtout moyens et petits sont

diminués de volume, la fesse gauche est plus petite que la droite. A gauche

également la cuisse, et un peu le mollet, paraissent plus petites qu'à droite.

Par moments, on voit des mouvements fibrillaires ; ils peuvent siéger sur

presque toute la surface du corps.

Etat des réflexes. Le réflexe pharyngien est très fort, si bien que l'on a

dû faire usage de la cocaïne pour la recherche des exostoses par le toucher

pharyngien. Le réflexe rotulien est fort des deux côtés. Le réflexe abdominal

existe à gauche, n'existe pas à droite. Le réflexe crémastérien est faible des

deux côtés. Le réflexe du fascia lata,le réflexe de Babinski n'existent pas.

Pas de clonus du pied.

Douleurs. Lorsque le malade ne fait pas de mouvement, il ne se produit

pas de douleur. Ainsi lorsqu'il garde l'immobilité étant couché, assis, ou debout

sur la jambe droite il ne souffre pas; et même s'il marche lentement, à son aise,

il ne survient pas de douleur.

Ainsi, pas de douleurs spontanées. Mais, la fatigue est douloureuse. Celle-ci

se produit : si la station debout sur la jambe droite est très prolongée ; au bout

de quelques minutes la station debout sur la jambe gauche devient pénible ; la

marche ordinaire peut être poursuivie longtemps ; la marche un peu rapide

produit vite de la fatigue. La douleur, dans ces différents cas, est la même;

c'est ce que Duf... nomme sa douleurde reins, qui envoie des irradiations fulgu-

rantes dans le membre inférieur gauche.

De même tout ébranlement général du corps est douloureux. Ainsi Duf... s'il 1

fait un faux pas, s'il vient, sur son chemin, à heurter une pierre, s'il écrase

brusquement sous son pied quelque objet dur (noyau de fruit), s'il marche sur

un petit caillou qui fait incliner semelle de sa galoche (ce qui nécessite quel-

que effort pour que rien ne soit perdu de l'équilibre), il se produit instantané-

ment la « douleurde reins », qui est très étendue; elle est lombo-sacro-coc-

cygienne, englobe la hanche gauche, l'aine gauche, et régulièrement irradie

le long de la face externe de la cuisse et de la jambe gauche, jusqu'au-dessous

du genou. Cette douleur n'est pas superficielle, elle est dans la profondeur,

« dans les nerfs », dit Duf... Si la secousse est forte, en môme temps se produit

une douleur dans la tête.

Si au lieu de venir d'en bas, l'ébranlement vient d'en haut, il y a quelque

chose de plus, une douleur du sternum. Ainsi, lorsque Duf.. éternue, un point

UN CAS DE SPONDYLOSE RHtZOMÉLIQUE 329

limité du sternum, situé au milieu de cet os, est douloureux ; en même temps

se produit la « douleur de reins».

Pour les tentatives de mouvements volontaires ou passives portant sur les

parties ankylosées de la moitié inférieure du corps, la réaction douloureuse

est toujours la même : « la douleur de reins ». Il en est ainsi par exemple, si

le malade étant couché, on le soulève quelque peu en portant en haut sa cuisse

gauche ankylosée, pour toute tentative de flexion du tronc, etc.

11 n'a pas de douleurs au niveau du rachis dorsal. Dans les grandes inspira-

tions, Duf... ressent une douleur des deux côtés du -thorax, sur la partie

moyenne des côtes inférieures.

Si l'on tente d'imprimer quelque mouvement à sa tête, ou si Duf... fait agir

ses muscles du cou, il se produit une douleur, toujours la même siégeant des

deux côtés de l'articulation occipito-atloïdienne et s'irradiant à droite sur une

étendue du crâne d'une surface large comme la main.

Les mouvements actifs ou passifs se passant dans les articulations encore

mobiles de la racine des membres sont douloureux à leur limite.

Ainsi, la cuisse droite est assez mobile; le malade la fléchit de telle sorte

que le pied soulevé peut être mis sur une chaise (c'est là le maximum pos-

sible de la flexion, le pied est plutôt glissé que posé sur le siège) ; mais, il sa

période terminale, ce mouvement est douloureux (douleur de l'aine droite).

Les mouvements d'élévation forcée, d'abduction forcée du bras droit, sont

peu douloureux ; il y a plutôt une sensation de tiraillement ; pour le bras

gauche, à peu près rien.

Les mouvements de ces trois articulations s'accompagnent de craquements.

Le mouvement de hausser les épaules s'accompagne de craquements des deux

côtés de la racine du cou. Les mouvements des genoux, s'accompagnent quel-

quefois de craquements. La flexion des genoux, qui semble à première vue

entièrement conservée, est cependant un peu limitée : les talons ne peuvent

être amenés au contact des fesses.

L'articulation temporo-maxillaire droite n'est pas douloureuse (elle l'a été) ;

ses mouvements sont accompagnés de craquements intenses. Actuellement il

n'y a plus de douleur de la déglutition.

Les mouvements qui se passent dans les autres articulations ne sont ni

gênés, ni douloureux, ni accompagnés de craquements.

Enfin il convient d'ajouter que la fatigue ne survient pas assez rapidement,

que les douleurs ne sont ni assez violentes ni assez intenses, pour faire recher-

cher au malade l'immobilité. Duf... va, vient, toute la journée dans la salle.

Il est bien plus gêné par sa raideur que par ses douleurs.

En somme les douleurs ont des caractères bien tranchés : elles ne sont ja-

mais spontanées, ne se produisent qu'à l'occasion de mouvements, elles siègent

au voisinage de l'articulation correspondante pour les mouvements des seg-

ments de la racine des membres non complètement ankylosés.

Tout ébranlement de la partie inférieure du corps produit la « douleur de

reins » ; tout ébranlement de la tête produit la douleur occipito-atloïdienne. Il

y a donc pour la localisation de la douleur, des sièges d'élection.

330 E. FEINDEL ET P. FROUSSARD

La douleur est profonde. Elle se produit instantanément et disparaît instan-

tanément si l'on cesse de forcer le déplacement. Elle a des irradiations.

Au début des « douleurs des reins », alors qu'elles étaient plus vives qu'ac-

tuellement, elles avaient les mêmes caractères et en particulier le principal

elles ne se produisaient qu'à l'occasion de mouvements.

Les douleurs à la pression sont différentes des précédentes par leur locali-

sation, la précision de leurs limites.

- Le coccyx, le sacrum, les lombes, le grand trochanter gauche, l'épine iliaque

antérieure et supérieure gauche sont sensibles il la pression ondes points limi-

tés et fixes. La douleur il la pression est surtout vive à l'union du sacrum et

des lombes, et un peu au-dessus, de chaque côté, sur une surface large comme

la main, allant des dernières côtes il l'os iliaque. De plus, il existe au milieu

du sternum un point très douloureux la pression ; c'est ce même point qui

est douloureux lorsque Duf... éternue.

Duf... a encore une sensation particulière, spontanée celle-ci et constante,

de constriction. Cette ceinture à limites peu précises, fait le tour de son corps

en serrant ses côtes inférieures.

En dehors des douleurs il n'existe pas d'autres troubles de la sensibilité.

Marche de la maladie. - L'affection a eu trois étapes douloureuses. D'a-

bord la douleur de la jambe droite se portant quelquefois dans la jambe gauche.

Aucune ankylose n'a marqué ce début.

Puis vint la « douleur des reins » qui s'accompagna de la soudure de toutes les

pièces du bassin et du rachis, jusqu'au cou exclusivement. A ce moment les

mouvements de la cuisse gauche provoquaient la « douleur des reins » et pour

éviter cette douleur, Duf... immobilisait volontairement sa cuisse gauche dans

le degré de flexion qu'elle présente actuellement. Duf... qui ne peut dire si sa

colonne vertébrale s'est ankylosée de bas en haut, se rappelle très bien que sa

cuisse gauche est devenuecomplètement immobile seulementalorsqu'il était déjà

très raide et que son cou devint douloureux, c'est-à-dire dans la troisième

étape ; mais de la 2' à la 3', les mouvements de la cuisse gauche avaient déjà

commencé à se limiter.

La troisième étape a été marquée par : les douleurs du cou, les douleurs de

l'articulation temporo-maxillaire, la douleur des épaules, quelque douleur à la

déglutition ; consécutivement par : l'immobilisation du cou et de la tête, de la

cuisse gauche, la limitation des mouvements du bras droit et à un degré plus

faible du bras gauche, et par la limitation des mouvements du maxillaire in-

férieur.

Enfin, la marche de la maladie n'a pas été continuellement progressive.

Les douleurs de la déglutition n'ont duré que peu de temps; la bouche qui

à un moment donné s'ouvrait mal, et avec de la douleur de l'articulation tem-

poro-maxillaire droite, s'ouvre actuellement bien et l'articulation n'est plus

douloureuse. -

De plus les mouvements du bras droit sont moins limités et bien moins dou-

loureux qu'il y a 3 mois.

UN CAS DE SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 331

Mouvements. - Cette observation peut être complétée par l'étude de quel-

ques mouvements du malade.

Marche. - Duf... peut marcher sans canne ; son pas ordinaire est de 25 cen-

timètres. Avant de décrire sa marche, remarquons encore une fois, que lorsque

Duf... repose sur la jambe droite en extension, son genou gauche est toujours

en avant du droit; par suite de l'ankylose en flexion de la cuisse sur le bassin.

Lorsqu'au contraire, il repose sur le membre gauche, le membre inférieur droit,

plus long que le gauche, se porte en arrière, ou en avant, ou se ploie au genou

si les deux pieds restent sur la même ligne (position très instable, qui ne peut

guère être prise que si les mains ont un appui). Si nous examinons Duf...

commençant à marcher en avançant le pied droit, nous voyons que le poids du

corps repose à gauche, la jambe droite est portée en avant, Duf... s'appuie sur

elle et redresse son corps (Fig. 6, A) ; au mouvement de redressement du corps

fait suite la projection de celui-ci en avant. Duf... porte de plus en plus sur la

jambe droite, le corps est légèrement soulevé (B) (la hanche gauche n'est pas

portée en avant par un mouvement de rotation qui se passerait dans la hanche

droite encore mobile; du moins la brieveté du pas ne rend pas cette rotation

nécessaire ni visible). Duf... s'appuie tout a fait sur la jambe droite et le mem-

bre inférieur gauche plus court est détaché du sol. La cuisse de ce côté, en

flexion immuable sur le bassin, en suit la translation en avant. Tout naturel-

lement, sans aucun autre mouvement, le genou gauche se trouve en avant du

genou droit. Ultérieurement (C) la jambe gauche s'étend sur la cuisse et le pied

vient reposer à terre grâce à la flexion du membre droit qui s'exécute

alors.

Puis Uuf... se porte sur la jambe gauche qui se met verticalement en extension,

Fig. 6. - Dans la marche, la partie supérieure du corps est redressée lorsque Duf...

se porte sur la jambe droite (A, B, C) ; le corps penche fortement en avant lorsque

Duf... se porte sur le membre inférieur gauche vertical, la jambe étant en exten-

sion sur la cuisse (D, E, F).

332 E. FEINDEL ET P. FROUSSARD

ce qui implique la chute en avant du corps soudé Il cuisse (D). La fin du pas

s'accomplit avec des mouvements normaux d'extension et de flexion de la

cuisse et de la jambe droites (E, F).

Suivant que la longueur du pas et la rapidité de la marche sont plus ou

moins forcés, les deux faits principaux de cette marche sont plus ou moins

accentués ; ces deux faits sont : le redressement et l'élévation du corps lorsque

Duf... repose sur le pied droit, et la chute en avant du corps lorsqu'il se re-

porte sur le pied gauche. ,

Dans son pas, de promenade, le malade atténue quelque peu l'élévation et la

chute en avant du corps en maintenant son genou droit fléchi dans une cer-

taine mesure, mais ces deux mouvements restent néanmoins bien appréciables.

Par contre, le mouvement de rotation du bassin dans le pas (qui serait pos-

sible du côté droit, où la hanche n'est pas ankylosée) n'est jamais appréciable.

Cetle absence de rotation du bassin constitue la 3e particularité de la marche

de Duf...

Cependant si on fait faire à Duf... un très grand pas il gauche, la rotation

s'effectue dans la hanche droite; mais comme la rotation est impossible il

gauche, ce grand pas ne peut être suivi d'un second.

En somme la progression du membre gauche est simplifiée par la flexion

permanente de la cuisse, et n'a besoin de s'accompagner d'aucun mouvement

de rotation ; le malade marche avec 2 pieds, 2 genoux et une hanche. La com-

paraison de M. P. Marie, qui fait remarquer que ses malades marchent avec

leurs genoux, absolument comme si ces derniers étaient traversés par un pivot

horizontal ne peut s'appliquer notre malade.

Pour la marche en arrière, Duf... ne peut pas tirer un aussi bon parti de

l'ankylose en flexion de sa cuisse. Il est obligé de faire un mouvement de ro-

tation de droite à gauche de tout le corps, pour porter son pied gauche assez

en arrière du droit. Ce mouvement ne peut s'effectuer dans l'articulation sacro-

vertébrale ankylosée, il se fait tout d'une pièce autour du membre droit étendu.

Porter le pied droit en arrière est encore plus difficile, attendu que Duf... ne

peut exécuter aucun mouvement de rotation sur sa hanche gauche.

Si, étant debout Duf... veut croiser une jambe sur l'autre, il exécute facile-

ment de la jambe droite les mouvements de flexion et d'adduction nécessaires

pour la porter en avant et en dehors de la jambe gauche. De la jambe gauche, ce

mouvement ne peut s'effectuer que grâce à la rotation de tout le corps y com-

pris la jambe gauche. Cette torsion autour de la jambe droite porte la cuisse

gauche en avant et en dehors de la droite. Il est a remarquer que dans cette

position le pied droit repose sur son côté externe, et que ce mouvement ne peut

guère s'exécuter que si Duf... a un point d'appui. Le malade s'en rend compte,

et suivant son expression, il faut qu'il « s'enroule » autour de la jambe droite.

Le malade ne peut guère écarter les jambes, malgré que la droite puisse

encore exécuter des mouvements d'abduction (limités, il est vrai).

Duf... peut mettre son pied droit sur une chaise, mais la fin de ce mouve-

ment est difficile et provoque des douleurs dans l'aine, et des craquements

dans la hanche. ,

UN CAS DE SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 333

Pour ramasser un objet à terre, Duf... se met en génuflexion gauche, prend

un point d'appui avec une de ses mains, incline tout le corps du côté où se

trouve cet objet qu'il ramasse avec sa main libre (PI. XXXVIII, 8).

Pour ôter son pantalon, il laisse glisser celui-ci à mi-jambe, retire la jambe

droite (la cuisse de ce côté a conservé la plus grande partie de ses mouve-

ments). Son pantalon glisse par son propre poids au-dessous du genou gauche;

en fléchissant alors la jambe sur la cuisse, le pantalon est soulevé à la portée de

la main, et Duf... n'a plus qu'à le faire glisser au delà du pied (PI. XXXVIII, 6).

Quand il veut s'asseoir sur une chaise. Duf... fléchit la jambe gauche, porte

son corps en avant, ce qui (par suite de l'ankylose) porte sa cuisse gauche en

arrière ; il exécute la fin du mouvement en fléchissant la jambe droite, et en se

laissant tomber sur le siège. Il repose sur le bord et sur le dossier de la chaise,

le dos rigide est tendu de l'un l'autre. L'ischion droit et la partie supérieure

de la cuisse gauche reposent seuls sur le bord de la chaise. La main peut être

glissée sous l'ischion gauche (PI. XXXVIII, 9).

Pour pencher le corps en avant, Duf... se pousse sur l'extrémité gauche du

bord de la chaise afin de permettre à sa cuisse gauche de se placer presque

verticalement ; la jambe gauche est très fléchie, à peu près horizontale (PI.

XXXVIII, 7).

Pour se coucher, après avoir disposé un plan incliné convenable à l'aide de

scs'oreillers, Duf... s'assied sur le bord du lit. Il place sa main droite sous

sa cuisse droite, puis raidissant ses deux jambes, il se laisse tomber à droite et

en arrière tout en pivotant sur son poignet droit. Il est ainsi couché sur le

dos ; il n'a plus qu'à rectifier la position qu'il occupe en se soulevant et en se

déplaçant tout d'une pièce sur ses quatre extrémités fortes et mobiles.

Le décubitus est complet ; aux courbures de son rachis et de son cou, rigi-

des, est bien adapté le plan incliné des oreillers. La partie inférieure de son

rachis, ligne droite, repose sur le lit. La cuisse gauche reste soulevée au-

dessus du plan du lit. C'est dans cette position que le malade dort.

Il peut se coucher sur le côté droit, mais il ne peut se maintenir longtemps,

ni dormir dans cette position. Il ne peut se coucher sur le côté gauche.

Lorsque D... est couché sur le dos, si l'on soulève le genou gauche, on l'en-

lève d'abord sans difficulté de 10 centimètres environ (par rotation du corps

entier sur le côté droit),puis c'est tout le corps que l'on soulève comme on ferait

d'une pièce de bois. Par cette manoeuvre, on éveille une vive douleur, la « dou-

leur de reins » du malade avec ses irradiations dans la jambe gauche.

En résumé : Ankylose de la colonne vertébrale dans toute sa hauteur,,

ankylose de l'articulation coxo-fémorale gauche; limitation des mouve-

ments pour les trois autres articulations de la racine des membres, les

autres articulations restant libres.

Ici comme chez les malades de M. P. Marie, l'ankylose s'est faite en

334 A. FEINDEL ET P. FROUSSARD

flexion, flexion du rachis supérieur sur le rachis inférieur, flexion de la

cuisse soudée sur le bassin. Dans l'observation de Baumler au contraire,

l' ankylose 's'est faite en extension.

Dans une note annexée à son travail, M. P. Marie signale cette obser-

vation de Baumler (1) comme rentrant dans le cadre de la Spondylose

rhizomélique.

Voici cette observation :

. - Observation (Baumier).

Lorsque je vis pour la première fois H. L..., en septembre 1873, il avait

25 ans. Il me dit avoir fait, à l'âge de 17 ans, une maladie qui se termina par

l'ankylose des deux hanches avec les cuisses en complète extension.

Avant ma visite, IL L... était employé de bureau, et il travaillait sur un pu-

pitre, plutôt accroché par les ischions au bord d'une haute chaise qu'assis sur

elle. La colonne vertébrale aussi était soudée dans la rectitude complète, la tête

seule était encore mobile; ce n'est qu'en inclinant fortement la tête en avaut

que H. L... arrivait à pouvoir écrire. Peu il peu, il la la suite de ce surmenage

des articulations de la colonne cervicale, apparurent des douleurs de la nuque

qui ne cessaient même pas dans le repos au lit.

A ma première visite, même dans le décubitus dorsal, la tête était portée

en avant, le menton rapproché du sternum. Les mouvements actifs et passifs,

très limités, se passaient seulement dans l'articulation occipito-atloïdienne ; ils

s'accompagnaient de douleur, surtout pour l'extension de la tête en arrière. Des

autres articulations, la sterno-claviculaire gauche seule était douloureuse et

quelque peu augmentée de volume. Il y avait un peu d'élévation de tempéra-

ture. Coeur normal. Pas de tuberculose ni de syphilis.

Je conseillai le décubitus horizontal complet avec un petit coussin rond

sous la nuque. Prescription : iodure de potassium et bicarbonate de soude.

Cette position, d'abord pénible et douloureuse, ne tarda pas il produire des

effets favorables : la douleur devint moins vive, l'épaississement de la colonne

cervicale diminua ; entraînée par son propre poids, la tète tomba de plus eu

plus en arrière, si bien qu'au commencement de novembre, elle avait une si-

tuation tout à fait normale; cependant elle n'était que. très peu mobile sur la

colonne vertébrale.

Sous l'influence d'un traitement par l'huile de foie de morue, la quinine et

le fer, l'état général s'améliora, les phénomènes douloureux de la colonne cer-

vicale disparurent. Toutefois la raideur, ainsi que la limitation extrême des

mouvements de la nuque persistèrent.

Actuellement H. L... se trouve tout fait bien. Il s'est marié en 1891 et a

un enfant bien portant. D'après une communication par lettre, la colonne cer-

vicale demeure immobile : il ne saurait être question de mouvements de flexion

ou de rotation de la tête ; les déplacements du corps ne sont possibles qu'en

(1) Ch. Baumler, Ueber cl ! 1'onishe an7closireade Enlzilndungder Wirbel saille.

Deutsche Zeitsch. f. Nervenheilk. Bd 12, H. 2, mars 1898, p. 177.

UN CAS DE SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 335

masse par les mouvements des'articulations des genoux et des pieds. Pour les

bras les mouvements d'élévation semblent s'être un peu limités dans l'épaule

droite. Toutes les autres articulations sont toujours restées libres.

Des cas rapportés dans le travail de M. Marie, de l'observation de Banni-

ler et de la nôtre nous rapprocherons encore la description de la «goutte

vertébrale » que donnent Leyden et Goldscheider (1). Quoique ces auteurs

ne fassent pas expressément mention de l'ankylose des articulations de la

racine des membres il semble bien que le malade dont ils reproduisent la

photographie a les deux hanches soudées.

Enfin, signalons les cas d'ankylose de rachis de Lancereaux, de Bechte-

rew (2), dont l'un avec autopsie ; nous n'avons pu prendre connaissance

des mémoires de 13ecllterew.

Nous ne saurions guère ajouter à la description d'ensemble que M. P.

Marie donne de la spondylose rhizomélique. Aussi nous bornerons-nous

à relever les particularités que présente notre malade relativement aux

différents points de cette description.

Symptômes.

La caractéristique symptomatique de l'affection et la soudure complète du

rachis avec une ankylose plus ou moins prononcée des articulations de la

racine des membres, les petites articulations des extrémités demeurant in-

tactes (Marie).

Chez Duf..., la soudure du rachis est complète ; mais pendant quelque

, ,

temps, alors que le rachis inférieur était déjà immobilisé, les mouvements

du cou étaient encore possibles ; c'est d'ailleurs ce qui se produit d'ordi-

naire, l'ankylose des vertèbres a une marche ascendante. Et ce sont les

articulations de la tête avec la colonne qui sont prises les dernières : le

premier malade de M. P. Marie, plus ankylose que le nôtre, si l'on peut ainsi

s'exprimer, possède encore de petits mouvements de flexion et de rotation

de la tôle. Chez Duf..., il n'y a plus de rotation possible, mais seulement

quelque peu de flexion, hien minime il est vrai. Son torticolis n'est pas un

fait exceptionnel ; chez un malade de M. Marie, le torticolis est très

accentué.

Comme dans les observations de VI.1\larie, le rachis de Duf... est redressé

dans sa partie inférieure, courbé en avant et incliné de côté dans sa par-

tie supérieure. Le cas de Baumler est assez différent des aulres au point

(1) Specielle pathologie' und thérapie de Nolhnagel, B. X : Die E-1.)-(tiiiiiiigeii des

flüclen»7arhcs und dei' ,1Tet/ulla oblonllula, AViea, lS9î, chez llolder, p. 219.

(2) BCCIITEIIEW, Autopsie d'un cas d'ankylose du rachis. Conf. de la clin. neuro-psych.

de St-Péterbourg, 2- novembre 1897. De V Ankylose du Hachis ; id. : 15 avril 1S96. Ana-

lyse in Hevue ncurol., 1898, p. 383 et 1896, p. 727.

336 E. FEINDEL ET P. FROUSSARD

de vue de la déformation rachidienne ; toute la colonne vertébrale (sauf

le cou) forme une tige droite.

Ankylose des articulations des membres . - D'ordinaire, les articulations

coxo-fémoraies sont les premières à s'ankyloser, et toutes deux sont pri-

ses la fois. Chez Duf..., la cuisse gauche seule est immobilisée; adroite,

les mouvements sont encore possibles dans une assez large mesure. Celte

cuisse gauche est fixée en flexion légère, comme il arrive dans la majorité

des cas; le malade de Baumler avait au contraire les cuisses soudées en

l'extension complète, dans le prolongement de la ligne droite de son rachis.

Les articulations des épaules de Duf... ont la plus grande partie de

l'amplitude de leurs mouvements conservée, en partie grâce à la mobilité

des omoplates, c'est ce qui arrive d'ordinaire.

Les mouvements des genoux sont un peu limités et s'accompagnent de

craquements. Les petites articulations des membres sont intactes.

A côté de la soudure du rachis et de l'ankylose des grosses articulations

de la racine des membres, on peut constater dans la spondylose rhizomé-

lique l'aplatissement du thorax et du bassin, l'immobilité des côtes pendant

la respiralion, des atrophies musculaires. Nous n'avons pas trouvé chez

Duf...,l'aplatissement du bassin; parcontre le thorax est visiblement aplati,

le sternum décrit une courbe anormale, les atrophies musculaires sont bien

marquées, et il existe un autre trouble trophique, le vitiligo du visage.

Les malades de Marie se tiennent debout grâce à un artifice particulier ;

ils compensent par la flexion des genoux la projection du corps en avant

sur les fémurs soudés et conservent ainsi l'équilibre. Duf... n'a qu'un fé-

mur soudé, il ne fléchit que très peu ses genoux ; il fient plutôt son équi-

libre en reposant seulement sur sa jambe droite plus longue, et sur la

pointe de son pied gauche.

Les malades de M. Marie marchent comme si leurs deux genoux étaient

un pivot; Duf...marcheavecune hanche, deux genoux et deux

pieds. L'ankylose coxo-fémorale bilatérale ou unilatérale entraîne dans

les deux cas des modifications très particulières de la statique et de la ci-

nématique.

Duf...ne peut dormir que dans le décubitus dorsal ; le sacrum, les lom-

bes, la partie inférieure du dos reposent sur le plan du lit ; les oreillers

s'adaptent à la courbure cervico-dorsale, le genou et la cuisse gauche sont

soulevés au-dessus du plan du lit.

Pour pouvoir dormir, les malades de M. Marie ont, plus que le nôtre,

recours à des artifices en vue d'adapter leur rigidité au plan de leur lit.

Le second symptôme cardinal de la spondylose rhizomélique est la dou-

leur. Les phénomènes douloureux ne manquent dans aucun des cas que

nous connaissons. Ils sont de deux sortes : la douleur à la pression en

UN CAS DE SPONDYLOSE RHIZOMÉLIQUE 337

certains points constants chez un malade donné, et souvent les mêmes pour

tous les malades (coccyx par exemple); et la douleur à l'occasion d'un

ébranlement, d'un mouvement brusque ou forcé. Il est à noter que dans

le cas de Baumler les douleurs auraient complètement disparu.

Evolution.

Le début se fait souvent par des douleurs qui siègent dans les mem-

bres inférieurs (genoux, cuisses). Puis les douleurs se portent dans la

région loiiil)o7-,acro-coccygieniie. Elles sont surtout intenses au niveau

du coccyx, au point que le malade ne peut guère demeurer assis. La

soudure rachidienne s'effectue en suivant une marche ascendante. L'anky-

lose du rachis dorsal ne semble pas s'accompagner de douleurs com-

parables à celles qui- siègent dans les régions inférieures de la colonne

vertébrale.

L'ankylose des hanches peut se produire en même temps que se soude

la portion inférieure du rachis. Elle peut aussi ne se produire que plus

lard, en même temps que s'achève, en provoquant des douleurs intenses,

la soudure de la colonne cervicale, et que les articulations des épaules sont

atteintes à un degré variable.

Il est à remarquer que la progression de la maladie n'est pas régulière ;

,l'ankylose se fait par étapes ; et ces étapes sont nettement séparées dans le

cas de Baumler, moins dans le nôtre.

Malgré la présence de douleurs quelquefois d'une intensité extrême, les

articulations ne sont ordinairement pas le siège de gonflement ni de rou-

geur. Il n'y a pas de fièvre. Le cas de Baumler fait un peu exception à

cette règle.

Enfin la maladie est susceptibled'amélioration (cas deBeer) ; et, comme

le signale M. P. Marie, les poussées dont sont atteintes les articulations

peuvent s'éteindre, et l'articulation peul regagner partie des mouvemenls

perdus. Chef Duf..., la temporo-maxillaire droite a été douloureuse et ne

permettait alors que très peu l'ouverture de la bouche ; elle n'est plus dou-

loureuse, ne présente plus que des craquements, et la bouche peut être

bien ouverte, quoique un peu moins qu'autrefois. L'épaule droite a été

prise, mais maintenant elle est moins douloureuse et plus mobile qu'il y

a trois mois.

La spondylose rhizomélique aboutit à i'ank))ose du rachis et de la ra-

cine de membres ; mais ne peut-il arriver que le processus d'ankylose

poursuive sa marche envahissante en gagnant peu à peu les petites arti-

culations des membres ? Le fait due, dans les cas de M. Marie comme chez

Duf..., les articulations du genou étaient quelque peu prises permet cette

supposition, d'autant plus que chez Duf... une autre articulation que celles

M 23

338 E. FEINDEL ET P. FROUSSARD

de la racine des membres, la temporo-maxillaire droite-, est atteinte, et

qu'on voit chez lui de singulières exostoses des phalangines.

L'ankylose, immobilisant d'abord les articulations du rachis et celles de

la racine des membres pourrait-elle donc gagner les autres articulations

dans une marche acrotropique ? Il semble que l'on peul répondre affir-

mativement. En effet, M. Brissaud a vu avec M. Aluarran un cas où au-

cune articulation n'était épargnée. Le malade auprès duquel ils avaient

été appelés ne pouvait plus faire aucun mouvement. Toutes lès articula-

tions étaient ankylosées, l'alimentation se faisait il la sonde à travers une

brèche dentaire, le moindre ébranlement provoquait des douleurs terri-

bles, au point que depuis des mois, les draps du lit n'avaientpu etrecimn-

gés.

ËTIULOGIE.

L'étiologie est fort obscure. Bornons-nous à remarquer que l'hérédité,

les antécédents rhumatismaux font défaut dans notre cas, que l'alcoo-

lisme, la syphilis manquent souvent, M. P. Marie fait remarquer que ses

six cas concernent des hommes, et cinq des hommes jeunes. Le malade de

Baumier et le-nôtre sont également des hommes jeunes.

Diagnostic.

Le diagnostic est à faire avec le mal de Poil, le rhumatisme chronique

déformant, la cyphose /léi,étlo-1 i-aziiii(i liq îie, la duplicalure champêtre, les

ankyloses vertébrales parfois fort étendues, qui peuvent suivre une ar-

thrite infectieuse (voir Marie), avec la myosite ossifiante (cas de Béer).

ANATOMIE PATHOLOGIQUE.

On peut se faire une idée des lésions delà spond5lose rhizomélique

d'abord par l'examen des malades. En effet on relève : des exosloses sur

les parties antérieures des corps vertébraux (toucher pharyngien), des exos-

toses sur les phalangines (Duf...), l'épaissement du sacrum et du coccyx,

l'empâtement du rachis lombaire (Béer) et cervical (Baumler).

Aucun des cas signalés par M. Marie n'a été suivi d'autopsie, mais

M. Lancereaux (1) a donné le dessin de la colonne vertébrale d'un homme

de gaz ans affecté d'arthrites sèches multiples. «Cette colonne vertébrale est

le siège d'une déviation prononcée; toutes les pièces qui la composent sont

soudées entre elles et cette soudure parait résulter, du moins en partie, de

l'ossification des disques intervertébraux. Des points osseux relient les ver-

lèbres aux côtés ; ils sont de nouvelle formation.

La plupart des articulations sont lésées ; elles ne contiennent pas de

liquide mais les synoviales sont injectées parplaces, et les cartilages diar-

(I) Anatomie pathologique, vol. III, p. 206, 1889.

UN CAS DE SPONDYLOSE RIIIZOMÉLIQUE 339

llirodiaux usés, érodés ou ulcérés. Les articulations tibio-fémorales et

coxo-fémorales sont particulièrement affectées et présentent des bourrelets

osseux manifestes à la limite du périoste et du cartilage. Le ligament ro-

tulien, incrusté de sels de chaux à sa partie supérieure, ne présente pas

plus que les surfaces articulaires des dépôts d'urate de soude. »

Le sujet dont provenait la pièce avait eu depuis sa jeunesse des accidents

herpétiques variés, et M. Lancereaux donne le cas comme un exemple

d'arthrite chronique herpétique.

De plus M. Lancereaux donne dans la bibliographie du même volume

(p. 213) et dans son Traité de l'IcpéLzsae (p. 117), l'indication de plu-

sieurs cas que l'on pourrait rapprocher de la forme étudiée ici.

Les faits d'anatomie pathologique pouvant encore fournir quelque

éclaircissement sont : le cas du « chat barre de fer » de Bricon (1), l'an-

kylose cerclée des vétérinaires, le premier malade de M. P. Marie, chez

qui fut faite la résection des deux hanches, le fait de Launay (2), et une

pièce du musée Dupuytren. '

La pièce sèche du musée Dupuytren est décrite en détail par M. Marie.

Elle est constituée par les os iliaques, le rachis et les côtes d'un individu

du sexe masculin.

« Le rachis est le siège d'une soudure très accentuée ; cette soudure qui

n'a déterminé qu'une légère cyphose s'est effectuée conjoinlement sur dif-

.férents points des vertèbres. Les corps vertébraux sont intimement réunis

les uns aux autres depuis le sacrum jusqu'à la première dorsale ; dans la

région lombaire se montrent des tubérosités osseuses très saillantes sur les

parties latérales des corps vertébraux et qui se continuent d'une vertèbre

à la vertèbre voisine; plus haut, dans la région dorsale, les tubérosités

font défaut, mais la réunion des vertèbres n'en est pas moins solidement

réalisée par des couches de tractus osseux qui, très nettement, sont le ré-

sultat de l'ossification du grand surtout ligamenteux antérieur. Sur les

parties latérales les lames vertébrales sont réunies entre elles (non pas

sur toutes les vertèbres), par des tractus osseux d'aspect analogue aux

précédents et ayant également fout l'aspect de plans fibreux ossifiés. Enfin

les apophyses épineuses, depuis le sacrum jusqu'à la 7e cervicale, sont

soudées ensemble par un large filament osseux dont l'origine n'est autre

chose que le ligament surépineux ossifié. En outre le sacrum est réuni à

l'os iliaque par des jetées osseuses ; un grand nombre de côtes sont sou-

dées aux apophyses transverses par leur col et aux parties latérales des

corps vertébraux par leurs tètes. »

« Les deux cavités cotyloïdes sonl en môme temps notablement modifiées

(1) 1l1\ICON, Exostoses, hyperosloses el synostoses multiples chez un chat. Bull, de la

Soc. anal , juillet 1SS1, p. 4vis.

(2) Launay, Ankylose^le la hanche. Soc. anat., 8 avril 1898.

340 E. FEINDEL ET P. FROUSSARD

dans leur aspecl ; elles présentent en effet une dilatation assez considé-

rable et une exagération du bourrelet cotyloïdien ; la coïncidence d'altéra-

tions de l'articulation coxo-fémorale avec la soudure rachidienne est donc

ici évidente. »

« D'après l'aspect de celle pièce on peut conclure que le processus mor-

bide a surtout consisté dans une transformation osseuse des différentes

couches fibreuses péri-vertébrales ; les articulations des corps vertébraux

entre eux ne semblent pas avoir été profondément atteintes ; il s'agirait

donc ici surtout d'un processus d'ossification des tissus fibreux péri-arti-

culaires beaucoup plus que d'artliropathies véritables. »

La comparaison de l'opinion de M. P. Marie, d'une pari, avec ce que di-

sent Lancereaux, Leyden et Goldscheider et avec le peu que nous savons

du cas autopsié par Bechterew, nous conduit à penser qu'en définitive les

lésions anatomiques de la spondylose rhizomélique sont de deux ordres :

Une production de tissu osseux sur l'os (exostoses, liyperostoses, synos-

toses), une ossification ou une calcification des ligaments.

pATHOGÉNIE DE LA CYPHOSE ET DE LA SOUDURE DES CUISSES EN FLEXION.

On ne saurait être que très réservé quant à l'interprétation des phéno-

mènes de la spondylose rhizomélique. Cependant il existe un fait frappant ;

aucun des malades présentant de la cyphose n'a été immobilisé au lit. De

plus, notre malade nous a raconté que, alors que sa cuisse gauche était

encore bien mobile, il la tenait plus volontiers fléchie au degré où elle est

actuellement fixée ; l'extension de cette cuisse provoquait rapidement une

fatigue douloureuse que Duf... évitait en immobilisant volontairement sa

cuisse, degré de flexion qu'elle présente actuellement ; l'ankylose l'a pour

ainsi dire surprise en cette attitude.

La cyphosedu rachis supérieur pourrait de même dépendre d'attitudes en

flexion prises instinctivement dans le but d'éviter ou de diminuer la dou-

leur. La ligne droite dorso-coccygienne est le complément de cette llexion

étant donné que l'individu qui se courbe en avant redresse sa lordose lom-

baire normale.

Ce qui donne beaucoup de vraisemblance à cette supposition, c'est que,

dansée cas de Baumler (ler temps) l'ankylose dorso-lombo-sacrée s'est

produite chez un malade alité. Elle s'est faite en ligne droite et en môme

temps l'ankylose des hanches s'est faite avec les cuisses dans le prolonge-

ment du corps immobilisé. Au deuxième temps (cervical) du processus

d'ankylose du cas de Baumler, le cou s'était immobilisé en flexion, alors

que le malade était obligé par sa profession de maintenir son cou fléchi.

Lorsque cet homme'fut maintenu au lit, on vit peu à peu son cou se dé-

fléchir, et le processus de soudure continuant, le cou fut définitivement t

fixé dans une position il peu'près normale.

UN CAS DE SPONDYLOSE RTIIZO)ITLIQUE 341

Il est permis de penser que peut-être l'attitude prise volontairement

par les malades, alors que les douleurs commencent à sél ir et que le pro-

cessus d'ossification péri-articulaire est seulement à son début, n'est pas

étrangère à la position qui plus tard devient définitive.

P1'l'IIOGÉ\IE DES DOULEURS.

Les douleurs sont de deux ordres ; celles qui sont produites par la pres-

sion exercée sur des points déterminés, celles qui surviennent à l'occa-

sion d'un mouvement, d'un ébranlement.

Les premières siègent surdes points où l'on constate souvent des hyper-

ostoses (coccyx, grand trochanter gauche de Duf...), ou des exostoses (dou-

leur à la déglutition, phalangine de l'annulaire gauche de Duf...).Ces dou-

leurs semblent donc tenir a la sensibilité propre des végétations osseuses.

Les douleurs qui se produisent a l'occasion de mouvements sont remar-

quables par leur instantanéité, par leurs irradiations, par le siège à peu

près fixe de ces irradiations. Chez Duf... la topographie de l'irradiation

sur la face externe de sa cuisse et de sa jambe gauche fait penser à un terri-

toire radiculaire, on est conduit à considérer comme probable la relation

de telles douleurs avec la compression ou l'excitation par contact des ra-

cines postérieures par quelque végétation osseuse au voisinage du trou de

conjugaison des vertèbres, ou même à l'intérieur du canal rachidien.

Il est à remarquer que les douleurs pouvant être rapportées à l'excitation

des nerfs thoraciques sont nulles le plus souvent. Ce fait est à mettre en

comparaison avec la constatation que M. Marie a faite de la rareté des

exostoses dans la région dorsale de la pièce du musée Dupuytren.

Patiiogénie de l'atrophie musculaire.

Chez notre malade, l'atrophie musculaire de quelques muscles est bien

évidente. La diminution de volume du deltoïde et du biceps droit, des

muscles de la cuisse et du mollet gauche, semblent bien en relation avec

la limitation des mouvements du bras et de la jambe. Mais en ce qui con-

cerne le grand pectoral, privé de part et d'autre symétriquement dosa

partie moyenne, pareille interprétation ne serait plus de mise ; il semble

qu'on soit encore ici en droit d'invoquer quelque phénomène de compres-

sion radiculaire. ,

PATHOGÉNIE DE la contracture DES MUSCLES DE la paroi abdominale.

A côté de l'atrophie musculaire nous avons mentionné chez Duf... la

forme globuleuse du ventre au-dessous de l'ombilic et l'état permanent de

tension des muscles de la paroi en cette région. Cette contracture est peut-

être réflexe et provoquée par les douleurs qui sans cesse se reproduisent

au niveau des reins.

3t2 E. FEINDEL ET P. FROUSSARD

Il est possible aussi qu'elle soit due à quelque excitation de racines

antérieures par des ostéophytes, de même que les douleurs à caractère

fulgurant qui se propagent dans les deux jambes, surtout à gauche, à

l'occasion d'un ébranlement, ont peut-être pour cause le contact de raci-

nes postérieures avec des ostéophytes en des points situés plus bas.

La végétation osseuse a d'ailleurs très probablement dans la région in-

férieure de la colonne vertébrale une exubérance toute particulière ; du

moins, l'intensité et la persistance des.douleurs en cette région, la « dou-

leur de reins » de Duf... permet de le supposer.

En somme, aux deux grands faits anatomiques, la calcification des li-

gaments et la végétation osseuse, semblent devoir être rapportés les deux

grands phénomènes cliniques de la spondylose rhizomélique : la soudure,

et les symptômes de compression radiculaire.

Nature de la maladie.

Si la cause intime de ce double processus ossifiant nous échappe abso-

lument, du moins est-il permis de chercher le rapprochement de la spon-

dylose rhizomélique avec le rhumatisme chronique et d'autres maladies

ossifiantes.

Or, tandis que la spondylose rhizomélique semble être assez éloignée

des maladies articulaires en général y compris les différentes modalités du

rhumatisme chronique, elle semble assez voisine de la myosite ossifiante,

d'autant plus que, dans cette dernière, il peut y avoir soudure des pièces

du rachis et ankylose de grosses articulations, comme dans le fait rapporté

récemment par M. Nissim (1).

Traitement.

Leyden et Goldscheider énumèrent une foule de moyens qui pourraient

donner des résultats dans ce qu'ils appellent la goutte vertébrale.

KI et teinture d'iode, bains chauds, bains minéraux, bains sulfureux,

bains de vapeur, bains de boue, bains de sable, médicaments contre la

douleur, massage.

Il nous semble que des exercices quotidiens portant sur les muscles et

les articulations encore mobiles, au besoin la mobilisation sous le chlo-

roforme, l'intervention sanglante suivie au bout de peu de jours de la

mobilisation de l'articulation libérée,sont des moyens sur lesquels on peut

fonder quelque espoir.

Après deux mois de massage et d'électrisation des muscles dorsaux et

lombaires, le malade de Béer avait recouvré en partie les mouvements de

la colonne vertébrale, et les phénomènes douloureux avaient beaucoup di-

minué d'intensité.

(1) Nissim, Un cas de myosite ossifiante progressive. Soc. anatomique, 4 mars 1898,

et Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, t. XI, 1898, nos 2, 3, 4, 5, etc.

HIiJMiIYPIJR'CI30PHII : FACIALE

PAR

J. SABRAZÈS et C. CABANNES

(de Bordeaux).

L'hémihypertrophie de la face, il l'encontre de l'hémiatrophie, est le

plus souvent congénitale. Les stigmates anatomiques qui la caractérisent

ne permettent pas de la méconnaître ; on peut dire que tous les cas se res-

semblent et sont presque superposables au point de vue symptomatique,

ainsi qu'il ressort de l'examen comparatif des reproductions photographi-

ques qui en ont été publiées.

La forme acquise est en revanche plus rare et beaucoup moins identi-

que à elle-même ; elle survient à une époque plus ou moins éloignée do

la naissance, sous l'influence de causes diverses encore mal déterminées.

C'est l'étude(le ces deux groupesde faits, les uns relativement homogènes,

les autresdisparates,que nous avons particulièrement en vue dans ce travail.

I

Hémihypertrophie faciale congénitale.

Historique.

En 1836, Boeck signale, pour la première fois, un cas d'hémihypertro-

phie congénitale.

M. Ollier, en 1862, montre que cette malformation faciale peut coexis-

ter avec une augmentation de volume des membres du même côté.

Friedreich (1863) indique la participation des rebords alvéolaires, des

dents, de la langue. Il fait la première nécropsie et il ne constate aucune

différence entre les hémisphères cérébraux et les nerfs crâniens de droite

et de gauche : le rocher du côté de la malformation est cependant augmenté

de volume et déprime in situ la substance cérébrale.

IIeumann attire l'attention sur la rudesse spéciale des cheveux du côté

hypertrophié.

On trouve ensuite les observations dePassauer (1866), de MM. Trélat et

Monod (1869). Ces derniers remarquent sur les parties atteintes des ta-

ches nfcviformes et notent une augmentation de la température locale.

Les travaux de Lewin, de Fischer (1879), de Ziehl (1883), de Finlay-

314 J. SABRAXÈS ET C. CABANNES

son (1884), de Truc et Masméjean (1887-88) enrichissent encore la litté-

rature sur ce point.

Un mémoire de Kiwull (1890) apporte une observation très documen-

tée avec examen histologique des tissus mous de la joue : l'hypertrophie

dépendait de l'augmentation de volume des glandes sébacées et sudoripa-

res et de l'épaississement des tissus conjonctif et adipeux. D'autres faits

ont récemment été publiés par Mac Gregor, Steffen (1894), Zhukovski

(189ai), Stembo (1896). En 1895 Arnheim communique un nouveau cas

à la Société de médecine de Berlin suivi d'autopsie en 1897.

Nous avons nous-mêmes étudié un de ces malades dont nous rapportons

longuement l'histoire. z

Voici la relation succincte des faits qui appartiennent à ce premier

groupe :

(lus. Il (BoECK Med. Annalen voz Puchelt, Chelius vnd Noegele, 1836, cité par

Ziehl, Virchow's Archiv., vol. : XCI.)

Une fillette de 3 ans est atteinte d'une hémi-hypertrophie faciale droite con-

génitale à marche progressive. La joue droite tombe comme un pli jusqu'au re-

bord du maxillaire inférieur et la commissure labiale du même côté est

abaissée vers la droite. Il n'est pas question d'hypertrophie osseuse.

« Oas. IL (aLLIER, Gazette médicale de Lyon, 1862.)

Une femme présente, depuis sa naissance, une augmentation du volume de

la face à droite; la vue et l'ouïe sont plus développées de ce coté ; la tempéra-

ture est aussi plus élevée.

A droite, le membre supérieur est plus long, l'inférieur plus gros que les

membres similaires du côté opposé ; la force y est également plus grande.

OBs. 111. - (Friedreich, Virchow's Archiv., 1863, cité par Ziehl, loc. cit.)

Une jeune fille de 16 ans porte une hémihypertrophie faciale droite congé-

nitale intéressant surtout les régions placées au-dessous du rebord inférieur de

l'orbite. L'oreille droite est plus développée que la gauche et la distance qui

sépare la commissure buccale du tragus est de 3 pouces 8 lignes il gauche, de

4 pouces 2 lignes et demie à droite. La malade éprouve une sensation subjec-

tive de chaleur sur la peau du côté droit de la face qui, plus colorée qu'il

gauche, est le siège d'une hypertrophie avec hyperpigmentation et développe-

ment exagéré de l'appareil pilo-sébacé (enduit sébacé abondant sur le tégu-

ment).

Le rebord alvéolaire du maxillaire supérieur droit, deux fois plus gros que

le gauche, présente aussi des dents plus épaisses, plus longues et plus larges

qui sont le siège fréquent d'odontalgie. Le maxillaire inférieur est moins nota-

blement augmenté de volume.

UÉMII1YPERTR0PHIE FACIALE 3 ?

La moitié droite de la langue est hypertrophiée et possède une sensibilité

gustative plus obtuse qu'à gauche.

L'écoulement de la salive est exagéré à droite.

Il n'y a rien de particulier au sujet des sens de l'ouïe et de l'odorat.

La malade meurt de fièvre typhoïde. L'autopsie est faite, mais incomplète-

ment. Elle permet de constater que le rocher droit est plus volumineux que

le gauche et qu'à son niveau la substance cérébrale est déprimée. Il n'y a an-

cune différence dans le volume respectif des nerfs crâniens et des deux moi-

tiés du cerveau et du cervelet. La peau du visage n'a pas été examinée.

OBS. IV. (IIeumann. cité par Friedreich, loc. cit.)

Un jeune garçon de 5 ans est atteint d'une hémihypertrophie faciale gauche

congénitale portant sur la joue, les maxillaires supérieur et inférieur et les

dents. Les 'cheveux sont plus rudes à gauche au devant de l'oreille.

Cas. V. (PASSAUER, Virehow's Archiv., 1866.)

Passauer cite l'observation d'un enfant de 11 ans atteint d'une hémihyper-

trophie faciale gauche congénitale. De la cloison nasale au lobule de l'oreille la

distance est de 17 cent. 1/2 à gauche, de 11 centimètres à droite. Le visage est

hyperémié du côté gauche. Les bords alvéolaires des mâchoires, plus épais à

gauche, donnent insertion à des dents plus grandes et plus larges qu'à

droite.

Obs. VI. - (Trélat et MoNOD, De l'hypertrophie unilatérale partielle

ou totale. Archives générales de médecine, 1869.)

Une observation de Trélat et Monod est relative à un jeune homme de 19 ans

dont la face et les membres sont hypertrophiés du côté droit ; ces régions sont

couvertes de taches naeviformes et le température y est plus élevée qu'à

gauche.

Obs. VIL - (LE\VIN, Studien über die bei halbseitigen A tropltien und Hy-

pertrophien namentlich des Gesichts, vorkommenden Eirscheinungen, mit be-

sOllllerer Beriicksichtigung der Pigmentation. Charité-Annalen, IX, S. 619.)

Dans un cas de Lewin, l'hypertrophie est croisée.

Tout le côté gauche est atteint, face et membres. Le bras gauche est plus

long que le droit de 2 cent. 1/2. Enfin toute cette région du corps est atteinte

d'hyperémie et d'hyperhydrose, avec des naevi mélanoïdes sur le côté corres-

pondant du cou.

Du côté droit, l'épaule est plus élevée, la jambe est plus grosse et plus lon-

gue, la sensibilité est moindre, principalement sur la langue. On note en outre

une scoliose peu marquée.

Obs. VIII. - (H. Fischer, De), Riesemozcclas. Deutsche Zeitschrift sur Chi-

rurgie. Bd XII, S. 1, 1879.)

Un graçon de sept mois, fils d'un restaurateur, a une hypertrophie congéni-

346 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

taie de la moitié gauche de la face intéressant tous les tissus, la peau qui a

conservé son aspect normal, les os qui sont lisses au toucher. Le maxillaire

supérieur et le frontal augmentés de volume ont une direction oblique. Voici le

résultat des mensurations comparatives à droite et à gauche :

Circonférence de la tête suivant le plan frontal :

a) Circonférence mento-occipitale : 56 centimètres, dont 31 centimètres pour

la moitié gauche, 25 centimètres pour la moitié droite ;

b) Circonférence fronto occipitale ; 43 centimètres, dont 24 centimètres pour

la moitié gauche, 19 centimètres pour-la moitié droite.

La distance du milieu de la lèvre inférieure au lobule de l'oreille est de 13

centimètres à gauche, de 9 centimètres à droite.

Le bout du nez est dévié vers la droite, de un demi-centimètre au delà de la

ligne médiane. La déviation de la lèvre supérieure dans cette direction est éva-

luée à 1 centimètre.

La motilité, la sensibilité, la température, la coloration du visage sont égales

des deux côtés. Les poils (cheveux, cils, sourcils) sont partout également déve-

loppés. Il n'y a rien d'anormal dans l'état des yeux et de la sécrétion des lar-

mes. La mobilité de la langue est intacte. La luette est déviée vers la droite. Le

pouls carotidien est égal des deux côtés.

Ces. IX. (Ziehl, Virchow's Archiv., 1883, vol xci.)

Un jeune garçon de 4 ans, hydrocéphale, avec convulsions fréquentes, très

retardé au point de vue du langage (la parole étant chez lui un vrai bredouil-

lement), présente, en outre d'une inclinaison de la tête à gauche, une hémihy-

pertrophie faciale droite congénitale, portant spécialement suf les tissus mous

de la moitié inférieure du visage qui est parsemée de taches pigmentaires. Le

pavillon de l'oreille droite est plus épais, plus long et plus large que celui de

l'oreille gauche ; le lobule de l'oreille droite est également plus volumineux.

Derrière l'oreille droite les poils égaux partout paraissent plus secs au toucher.

L'hypertrophie respecte la moitié droite des lèvres ainsi que les os de la

face, l'orbite, les maxillaires supérieur et inférieur droits, les os de la moitié

droite du crâne. Les rebords alvéolaires sont plus développés à droite, surtout

en arrière; les dents, en partie absentes, sont de volume normal.

La moitié droite de la langue est trois fois plus volumineuse que la moitié

gauche qui paraît déviée. La motilité de la langue est conservée. Le palais, le

pharynx ne présentent rien de particulier. L'amygdale droite volumineuse a la

grosseur d'une noix. La salivation très considérable semble tenir à une exagé-

ration de la sécrétion des glandes salivaires du côté droit dont le volume ne

dépasse cependant pas celui des glandes salivaires gauches. 11 n'y a rien de

spécial dans l'état des ganglions du cou ni des carotides.

L'oeil droit présente un strabisme convergent et une myopie assez élevée

qu'on ne retrouve pas à gauche. Les pupilles sont égales et cependant l'iris

droit paraît avoir des dimensions plus grandes que l'iris gauche. La motilité

des muscles de la face ainsi que la sensibilité sont normales.

La main droite paraît un peu plus développée que la gauche.

IIÉMill1'l'I;IiTftOPTIIG FACIALE 347

OBS. X. - (Finlayson, On the case of tlze child affectetl /Vit/¡ congénital unila-

nov. 1884.)

Une fillette de 18 mois, née de parents sains, non consanguins, est la plus

jeune d'une famille de neuf enfants tous bien conformés à l'exception du cin-

quième lequel, atteint d'une anomalie des extrémités, mourut peu après sa

naissance.

Dans les antécédents de cette fillette on ne relève qu'une otorrhée, survenue

à l'âge de neuf mois, d'abord à gauche puis à droite.

Sa malformation est congénitale ; elle occupe tout le côté droit du corps, les

membres et la face avec participation des os en quelques points. La peau nor-

male présente par places des plaques qui deviennent d'un rouge sombre ou

bleuâtres lorsque l'enfant crie ou fait un effort ; ces placards, qui se montrent

aussi à gauche, s'elfacent au bout de 2 il 3 minutes.

La malade possède actuellement 17 dents, 4 de chaque côté iL la mâchoire

inférieure et 9 à la mâchoire supérieure, dont 5 à droite et à à gauche. L'évo-

lution des dents a été plus rapide du côté droit que du côté gauche ; à 3 mois,

la première dent poussait à droite : c'était l'incisive latérale, et avant qu'il n'y

eût une seule dent à,gauche il y en avait 8 à droite.

L'hypertrophie atteint même l'index, le médius et l'annulaire gauches ; la

température locale est plus élevée à gauche qu'à droite.

Ons. XL (In thèse de Masméjean, Montpellier, 1887-88.)

Dans un cas de Truc et Masméjean, concernant un enfant de 13 mois, il

existe une hémihypertrophie faciale droite congénitale avec une hypertrophie

des membres du même côté, portant non sur la longueur mais sur l'épais-

seur de ceux-ci. Dans les régions augmentées de volume le tissu adipeux est

très développé.

UNS. XII. (Kiwull, Ein l3eitoag ? 1/1' Casuistilc der congenitalen halbsoitigen

Gesichtshype1'tl'ophie. Fortschritte der Medicin, 1890, Bd 8.)

L'observation de Kiwull est relative à une jeune fille de 18 ans qui est la

5c enfant de parents bien portants. Les quatre autres, venus tous au monde

sans malformations, sont morts de maladies infantiles. La jeune malade,

réglée régulièrement depuis l'âge de 17 ans, n'a eu qu'une angine avec légère

poussée fébrile.

Elle porte une hémihypertrophie faciale droite congénitale et progressive.

Le rebord sus-orbitaire droit est saillant; la joue droite volumineuse sur-

plombe l'oeil et attire en bas l'aile correspondante du nez ainsi que la commis-

sure buccale droite d'où s'écoule constamment de la salive qui érode la peau

en un sillon vertical.

Les lèvres sont trois fois plus épaisses à droite. La malformation de la face,

qui va s'atténuant insensiblement vers le cou, entraine un peu avec elle le

lobule de l'oreille droite; celle-ci est elle-même un peu hypertrophiée. Du

31S J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

conduit auditif externe à la commissure buccale on compte 19 centimètres à

droite et 11 centimètres il gauche. La coloration de la peau du visage est nor-

male, sauf au niveau d'une zone hyperémiée, qui, longue de 2 centimètres,

s'étend obliquement de la cloison nasale vers la droite.

Les cheveux - dont la limite et l'apparence sont normales - sont moins

soyeux au devant de l'oreille droite.

L'hémihypertrophie faciale tient à l'augmentation de volume des parties

molles et à celle de la bosse frontale droite ainsi que des maxillaires supérieur

et inférieur droits dont la surface est irrégulière et rugueuse.

Les rebords alvéolaires sont deux fois plus épais du côté droit, et les dents

aussi bien conformées à droite qu'à gauche, sont espacées, mal implantées dans

les gencives droites exubérantes.

L'amygdale droite, plus volumineuse que la gauche, est végétante et creusée de

cavités. Le voile du palais, le pharynx, l'épiglotte et le larynx sont normaux.

La langue, triplée de volume dans sa moitié droite, est déviée à gauche et sort

de la bouche quand celle-ci s'ouvre.

Les papilles linguales sont augmentées de volume, en particulier les filifor-

mes et les fongiformes, ces dernières ayant 3 millimètres de hauteur et autant

de largeur. Les papilles caliciformes sont égales partout. Le goût est plus obtus

à droite.

La face, dont la mimique est paresseuse, ne présente pas de troubles de la

sensibilité.

Tout le reste du corps est normal. L'intelligence est bonne.

De grands lambeaux de peau ayant été enlevés dans un but esthétique,

l'examen histologique a pu être pratiqué sur un fragment cunéiforme de la

lèvre supérieure. Les diverses couches de l'épiderme et du derme sont nor-

males comme épaisseur. Les glandes sébacées et sudoripares sont hypertro-

phiées ; les follicules pileux sont normaux. L'hypertrophie tient surtout au

développement considérable des tissus adipeux et conjonctif; le premier, pré-

dominant sous la peau, a sa structure habituelle ; le second, surtout abondant

sous la muqueuse génienne, est constitué par des fibres fines, pauvres en cel-

lules et traversé par des artères et des veines très dilatées. Les éléments adi-

peux et conjonctif dissocient et étreignent de ci de là les fibres musculaires

qui ne prennent qu'une faible part à l'hypertrophie.

En aucun point on ne découvre de traces de réaction inflammatoire : pas

d'infiltration cellulaire, de tissu conjonctif néo-formé, d'amas de cellules fusi-

formes, etc.

CES. XIII. (Mac Grégor (A. N.), A 1'ema1'kabZe case of mailat. hypertroplty

in a child. Glasgow M. J., 189t, XLI, 189 à 19G.)

En 1894, Mac Grégor publie un cas d'hypertrophie unilatérale chez un en-

fant.

OBS. XLV.- (Steffen, Angeborene llypertro. der einen /0)';Mr/M ?

Jahrb. f. Kinderh. Leipzig, 199t, XXXVIII, 379-384.)

Steffen relate, la même année, un fait semblable.

liÉIIIIYPFRT110PIIIE FACIALE 349

OBS. XV. - (ZIIDKOVSKI (Y. P.), ? <t/<ype)'<)'0/t : '( ! sinist1'a,

(in a boy 11 years old). Arch. psychiat.,Varshava, 1895, xxvi, 1-20.)

En 1895 Zhukovski en observe un de même ordre.

OBS. XVI. (Stembo (L.), Ein fait von hypertrophia laterctlis superior.

St-Petersb. med. Woch., 1896, n. F. XIII, 2fi5.)

Stembo, l'année suivante, rapporte un cas d'bémihypertrophie de la partie

supérieure du corps.

OBS. XYII. - (AFtNIIEI,1, Hypertrophie congénitale de la moitié droite de la face

et du bras correspondant. Société de méd. de Berlin, 18 décembre 1895 ;

id. décembre 1897, Analyse in Sem. med., 1895, 1897.)

Le 8 décembre 1897,Arnbeim expose il la Société de médecine de Berlin, les

résultats de l'autopsie d'une fillette de aus, dont il avait retracé l'histoire

clinique à la même Société en 1895. C'était alors une enfant âgée de 4 mois,

dont les parents ainsi que les frères et les soeurs jouissaient tous d'une bonne

santé. Chez cette malade la moitié droite de la face faisait une saillie notable,

la moitié gauche de la lèvre était relevée, la moitié droite de la langue énormé-

ment hypertrophiée au point que la moitié gauche se présentait presque com-

me un appendice de la moitié droite. L'oreille droite avait un centimètre de

plus que l'autre. De même le bras droit était plus long que le gauche. Il exis-

tait de plus une dyspnée intense.

Cette enfant succomba à une broncho-pneumonie. A l'autopsie Arnheim a

pu constater que les viscères du côté droit étaient plus développés que ceux du

côté gauche ; l'oreillette et le ventricule droits participaient à cette hypertro-

phie ; les bronches droites étaient plus.volumineuses que les bronches gauches.

Ons. XVIII (inédite).

SABIIAÛS et Cabannes.

Sommaire. Enfant de 3 ans ; hypertrophie congénitale de la moi.tié

droite de la face.

Antécédents héréditaires. - Aucune malformation semblable dans les

ascendants. Pas de consanguinité. Une soeur bien conformée.

Antécédents personnels. -Né à terme sans forceps ni version. Pendant

la vie foetale, au 4° mois, chute de la mère sur le ventre sans conséquen-

ces appréciables; au 7e mois, choc émotionnel.

Enfant nourri au sein jusqu'à 4 mois. A celle date, écoulement puru-

lent de l'oreille droite pendant 2 mois; l'ouïe, affaiblie de ce côté. est

redevenue normale. L'enfant marche à 11 mois, parle à 15 mois. Denti-

tion plus précoce du côté droit (4 mois). L'hémihypertrophie faciale a

conservé ses proportions initiales par rapport à l'autre côlé. -

350 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

État actuel (juin 1897). L'hyperlrophle intéresse les parties molles

de la moitié droite de la face, la langue du môme côté, le maxillaire su-

périeur et inférieur, la bosse frontale. Asymétrie crânienne. Examen ra-

dioscopique. Dilatations veineuses de la face interne de la joue droite;

sensation de lobules adipeux en ce point. Traînée pigmentaire avec poils

frisottés (de nègre) sur la ligne médiane antéro-postérieure, dans la ré-

gion occipitale. Salivation. Pas de troubles moteurs. Sensibilité légère-

ment émoussée sur la joue considérablement épaissie. Légère diminution

de l'excitabilité électrique ; augmentation de la résistance électrique. Joue

droite plus rouge que la gauche; pas de différence thermique notable. En

hiver, joue droite plus froide, siège d'engelures. Main droite un peu plus

développée que la gauche. Pas d'autres troubles ni d'autres malforma-

tions, sauf une petite hernie ombilicale. Intelligence moyenne.

Un enfant de 3 ans, natif des Landes (Ponteux-les-For-es),se présente à nous

lé 10 juin 1897 avec une asymétrie faciale des plus marquées. Le côté droit de

sa figure est tellement volumineux, par rapport au côté opposé, qu'il paraît

atteint d'une grosse fluxion.

Jamais il n'y a eu rien de semblable dans sa famille, du côté de ses grands-

parents, de son père et de sa mère. Pas de consanguinité. La mère, dont la

voûte palatine est un peu creuse, a eu comme premier enfant une fille parfai-

tement conformée, âgée actuellement de six ans (PI. XXXIX). Le second en-

fant (le sujet de notre observation) est un garçon né à terme, sans version ni

forceps. Pendant que sa mère le portait elle fit au 4° mois une chute sur le

ventre sans conséquences graves appréciables ; vers le 7 mois de sa grossesse

elle fut un soir réveillée en sursaut pour assister à une crise de nerfs de son

beau-père, ce qui lui causa une émotion très vive. Malgré tout, l'accouche-

ment fut normal ; l'enfant naquit avec sa malformation, la joue droite très

bombée, pendante. Nourri au sein jusqu'à l'âge de 4 mois, il eut, à 6 mois,

dans l'oreille droite, un abcès très douloureux qui s'ouvrit par le conduit

auditif externe et fournit pendant deux mois du pus en quantité ; à la suite,

l'ouïe resta longtemps affaiblie et progressivement redevint normale. L'enfant

marchait à Il mois, parlait à 15 mois. Il mit ses dents d'une façon très pré-

coce, plus tard du côté gauche que du côté droit où, dès le ! »° mois, il avait des

grosses molaires.

L'hémihypertrophie faciale s'est développée en conservant ses propor-

tions initiales par rapport à l'autre côté de la face-et au reste du corps.

Ce qui frappe à l'examen de cet enfant c'est le développement énorme de la

joue droite (Pl. XXXIX). Tout le côté droit de la face, depuis la fosse tempo-

rale, le rebord orbitaire inférieur et le dos du nez jusqu'au rebord inférieur du

maxillaire inférieur, est comme soulevé. Le pli naso-génien est effacé, la hosse

frontale saillante. La saillie anormale de la face s'arrête à la ligne médiane dé-

viée du côté gauche : un trait passant par le milieu du front, le dos du nez et le

milieu du menton est concave à gauche et son extrémité inférieure est 2 2

NOUV. IcONOGRAPHIL DL LA SALl'Ê1R1ÈRE. T, XI. ]Il. XXXIX

A

13

HÉMIHYPERTROPHIE FACIALE CONGÉNITALE

( J. Sabrazès et C. Cabannes)

A. Moulage des mâchoires. B. Aspect du petit malade a côte de sa soeur.

MASSON & cie, Editeurs.

IIÉ\IIIIYPERTROPnIE FACIALE 31

centimètres à gauche de la ligne médiane. Les tissus mous ainsi que les os

sont augmentés de volume. La joue dans sa totalité est hypertrophiée, en-

tratnée par son poids, elle est pendante, sans rougeur ni pigmentation anorma-

les ; elle est rosée, duveteuse. Extérieurement, elle ne présente ni varices

lymphatiques apparentes, ni sinuosités veineuses ; sa consistance assez ferme

rappelle celle du lipome. Son épaisseur est bien plus considérable que celle du

côté opposé. '

Profondément sous elle, l'apophyse malaire droite plus volumineuse, plus

étalée, descend à un centimètre au-dessous du niveau de l'apophyse gau-

che. Le maxillaire supérieur droit, tout entier anormalement augmenté de

volume,est comme projeté en avant; l'examen radioscopique rend bien compte

de ce fait. Les os propres du nez sont hypertrophiés à droite. La branche

droite de l'arc du maxillaire inférieur, est également plus développée ; la moi-

tié droite du menton proémine en avant et en bas beaucoup plus que la gau-

che qui semble en retrait. Quelques chiffres vont nous prouver cette hyper-

trophie des os : de l'angle de la mâchoire inférieure, plus mousse à droite,

jusqu'au condyle, 4 centimètres de hauteur à droite et 3 à gauche. Le corps du

maxillaire inférieur, à droite, a une hauteur de 25 millimètres ; a gauche,

de 15 millimètres, sur les parties latérales, et une hauteur de 25 millimètres

à droite et de 20 à gauche, en avant.

L'empreinte et le moulage des dents et des gencives de notre malade sont dus

à M. Louis Seigle, professeur à l'école dentaire de Bordeaux ; voici une pho-

tographie de ces moulages mis en place, la bouche étant en position ouverte

(PI. XXXIX).

Moulage du maxillaire inférieur. Epaisseur au niveau des nencives.

352 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

niveau de la dernière grosse molaire, a une étendue de 2 cent. 4 ; la moitié

gauche de 1 cent. 9.

La voûte palatine est creuse, la moitié droite est. évasée, plus étalée; les

dents sont reportées en avant et en bas. Voici les résultats des mensurations

pour la partie supérieure du visage :

De l'aile du nez à la pointe de la pommette la distance en de 1 centimètre

plus grande à droite qu'à gauche. De l'angle interne de l'oeil à la pommette,

il y a à droite 0 m.06 millimètres, a-gauche 0 ni. 050 millimètres. La circon-

férence orbitaire mesure 0 m.135 à droite et 0 m. 125 millimètres à gauche. Du

lobule de l'oreille à l'aile du nez, en passant par la partie la plus saillante de la

joue, on trouve 0 m. 12 centimètres à droite et 0 m. 08 centimètres à gauche.

La bouche est toujours ouverte ; la salive s'écoule d'une façon continue par la

commissure labiale droite, si bien qu'il faut chaque jour 2 à 3 mouchoirs pour

la tarir; l'écoulement est constant la nuit, car le petit malade dort la bouche

ouverte.

La bouche fermée, la fente labiale est oblique de haut en bas et de gauche à

droite ; la lèvre inférieure, surtout dans sa moitié droite, est en ectropion léger ;

elle est aussi de ce côté plus épaisse qu'à gauche. L'hypertrophie atteint égale-

ment le côté droit de la lèvre supérieure qui se continue sans dénivellement

avec les parties latérales du nez, particularité qui explique la disparition du

sillon naso-génien droit. En saisissant entre les doigts la moitié droite des

lèvres, on a la sensation d'un pli deux fois plus épais qu'a gauche. Le nez est

incurvé à gauche. Lorsqu'on fait rire le malade, le pli naso-génien gauche se

dessine nettement ; à droite, il est peine soulevé. A l'examen de la cavité buc-

cale, dont l'ouverture est oblique ovalaire, on se rend compte que la langue est

déviée à gauche ; sa moitié droite est plus volumineuse, plus bombée. Sa con-

sistance est uniforme, ses mouvements sont conservés. Lorsque le malade veut

boire, il place sa langue sous le rebord du verre, tout en avançant les lèvres

plus qu'à l'ordinaire, et'il boit par aspiration, inclinant en même temps la tête

vers le récipient. Il laisse d'ailleurs souvent tomber du liquide. Il existe du

prognathisme ; le rebord alvéolaire du maxillaire inférieur est asymétrique-

Le côté droit forme une courbe dont le rayon est plus court qu'à gauche; le

rebord alvéolaire des mâchoires inférieure et supérieure est beaucoup plus

développé à droite qu'à gauche, et les dents qui s'implantent à ce niveau ont

une longueur et une largeur, plus grandes de 1 à 2 millimètres que celles du

côté opposé. Les espaces interdentaires, à la mâchoire inférieure, ont près

d'un demi-millimètre ; il existe en outre quelques vices d'implantation à la mâ-

choire supérieure, dont le rebord descend plas bas à droite d'au moins 1 centi-

mètre. Les canines sont de champ et les petites molaires sont aiguës et coni-

ques. Les dents sont au complet ; la première grosse molaire droite est atteinte

d'une carie au second degré. Toutes les autres dents sont en bon état. La face

interne de la joue droite, lisse, rosée, est parcourue par des veines abondan-

tes ; on n'y distingue pas de vésicules transparentes, de varices lymphatiques

appréciables. Au palper, on a l'impression d'une série d'inégalités qui sont sans

doute des pelotons adipeux. La voûte palatine est très creuse, surtout à droite ;

LIÉ1111111PER'l'ROPIIIE FACIALE 353

le voile du palais est normal ; la luette non déviée; les amygdales ont leurs

dimensions habituelles. La mastication se fait des deux côtés ; l'enfant mord

avec une force égale il droite et à gauche. La bosse frontale droite est très mar-

quée ; il ne semble pas exister à première vue d'asymétrie crânienne, mais si

on prend des empreintes il l'aide de lames de plomb, on obtient le tracé repro-

duit dans la figure ci-dessous :

En examinant le cuir chevelu, on voit, dans la région occipitale, une petite

bande en forme de fer à cheval à concavité tournée à droite, s'étendant de la

nuque jusqu'à 4 travers de doigts au-dessus du sommet du vertex : sur l'éten-

due de cette bande large d'un centimètre, les cheveux, relativement rares, sont

frisottés et recouvrent un cuir chevelu pigmenté de couleur café au lait clair.

Examen électrique des muscles de la face, pratiqué par M. le Dr Debédat : à

gauche, réaction absolument normale ; à droite, l'excitabilité est diminuée peut-

être parce que les fibres sont dissociées et parce que la résistance est augmentée.

Sensibilité. La piqûre sur la joue gauche provoque une réaction plus vive

qu'a droite ; sur le front la sensation est la même à droite qu'à gauche. La

sensibilité électrique est normale des deux côtés.

Le réflexe pharyngien est normal ainsi que le réflexe palpébral. Les réflexes

au chatouillement nasal et auriculaire existent des deux côtés. A l'examen

des yeux et des oreilles, rien de particulier. Le malade goûte et reconnaît

bien les aliments. -

Troubles vaso-moteurs. La joue droite, plus rouge que la gauche d'une

façon générale, devient écarlate quand on l'approche du feu. On ne sait si les

sueurs sont exagérées à droite. En hiver, les gerçures sont nombreuses sur le

coté droit de la face; la température s'abaisse alors davantage sur la joue

droite ; actuellement, il n'est pas possible de déceler de différence sensible.

La fosse sous-maxillaire droite, comblée par le développement de la joue,

XI 1 24

Circonférence frouto-pariélo-occipitale maxima. '

A, côté du front ; P, côté de l'occiput ; D, côté droit ; G, côté gauche.

3 : it J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

contient un ganglion du volume d'nne olive ; malgré la salivation abondante,

ni la glande sous-maxillaire, ni la parotide, ne présentent d'hypertrophie.

Du côté des épaules rien à noter.

Il semble, à première vue, que la région du coude et de l'avant-bras soit

plus développée à droite qu'à gauche, mais, à la mensuration, on trouve des

chiffres sensiblement égaux :

Mensuration circulaire, au-dessus du pli du coude, 0 m. 145 mill. à droite ;

0 m. 145 mill. à gauche.

Mensuration de l'avant-bras, à 5 centimètres au-dessus du pli du coude,

0 m. 14 cent. à droite ; 0 m. 135 mill. à gauche.

Mensuration du poignet, à 5 cent. au-dessus du pli de l'articulation.

0 m. 11 cent. à droite, 0 m. 11 cent. à gauche.

Dans les dimensions des mains il y a une très légère différence à peine ap-

préciable en faveur du côté droit; l'enfant est droitier. Pas de différence dans

les membres inférieurs (l'enfant, bon marcheur, fait 2 kilomètres pour aller à

l'école). Pas de contractures. Les réflexes plantaires et rotuliens sont normaux.

Pas d'inégalité dans le volume des fesses, des masses sacro-lombaires, du

tronc. Il existe une petite hernie ombilicale. Les testicules sont bien descendus.

Pas de torticolis. Pas de déviation de la colonne vertébrale.

Le coeur bat normalement dans le 4e espace, un peu en dedans et au-dessous

du mamelon. Pas d'inégalité dans les battements des carotides et des faciales

droites et gauches. Les appareils digestif, respiratoire, génito-urinaire) le foie,

la rate sont normaux.

Pas de troubles intellectuels ni d'altération de la santé générale.

ETUDE CLINIQUE ET PATHOGENIQUE DES CAS CONGENITAUX. CONCLUSIONS.

Le nombre des cas congénitaux que nous avons recueillis s'élève à l8 :

6 relatifs à des malades du sexe féminin, 7 à des malades du sexe mascu-

lin. L'indication du sexe nous manque dans 4 observations. Le côté droit

est plus souvent affecté que le gauche (10 fois le siège esl à droite, 5 fois

à gauche). Les enfants naissent à terme et, dès la naissance, leur malfor-

mation saute aux jeux de l'entourage. La grossesse de leur mère a été

normale, sauf deux fois où elle fut traversée par de grandes frayeurs (au

7" mois dans notre observation, au 8° mois dans celle de Ziehl). Dans un

cas (Sabrazès et Cabannes), la mère fait au 4° mois une chute sans gravité

sur le ventre.

On ne trouve pas dans les antécédents héréditaires de malformation

analogue. Les frères et les soeurs des malades sont également indemnes de

cette difformité. Finlayson relate cependant un cas d'anomalie des extré-

mités chez un frère. Les antécédents personnels ne laissent non plus rien à

désirer; dans notre observation, il y avait eu un écoulement purulent de

l'oreille droite à G mois.

IIG1111TIPERIROPÛIE FACIALE 355

L'hypertrophie atteint ordinairement les tissus -mous et les os sous-ja-

cents (11 cas). La joue est augmentée de volume dans sa totalité ; elle est

soulevée et son aspect rappelle de loin, à s'y méprendre, la déformation

produite par une grosse fluxion dentaire. Le nez est dévié par sa pointe

du côté opposé (Fischer, Sabrazès et Ca bannes) ; toute la physionomie

semble participer à cette déviation et la ligne médiane du visage forme

une courbe à concavité tournée du côté opposé à la malformation (Sa-

brazès et Cabannes). Le sillon naso-génien est soulevé, comme comblé.

L'aile du nez, au lieu d'être repoussée, peut être attirée du côté déformé

(Kiwull). La commissure buccale est déviée vers le bas, par le poids des

tissus hypertrophiés (I3aecl.,hischer, Sabrazès et Cahannes) ; la fente labiale

est oblique (Sabrazès et Cahannes).La moitié correspondante des lèvres est

ordinairement hypertrophiée, surtout la lèvre supérieure qui pend comme

un voile épais au-dessus de l'inférieure indemne ou ectropionnée et hy-

pertrophiée (Sabrazès et Cabannes). Les lèvres peuvent être normales

(Ziehl).

L'oreille correspondante est elle-même vol umineuseen total i L6(Ariiiieim)

ou en partie, et alors c'est le lobule qui est très gros (Ziehl, Kiwull) ; il

est attiré vers le bas (Kiwull).

La joue hypertrophiée est livpei-éjiiiée (Friedreich, Passauer, Lewin,

Sabrazès et Cabannes) ; les sueurs y sont plus abondantes (Lewin, Sabra-

zès et Cabannes). L'hyperémie peut être localisée à une bande (sous le nez,

Kiwull), à des placards asphyxiques qui bleuissent par l'effort, pour dis-

paraître très vite (Finlayson), il existe parfois des taches pigmentaires

(Friedreich, Ziehl, Trélat et Monod, Lewin).

La face est le siège, danssamoitié hypertrophiée, d'un épais enduit sébacé

(Friedreich). Les cheveux et les poils n'offrent ordinairement aucune mal-

formation ; on les a trouvés modifiés par places, devant l'oreille du côté

malformé où ils étaient plus rudes, plus secs, moins souples (Heumann,

Ziehl, Kiwull). Dans notre cas, ils sont frisottés en une traînée avec hy-

perchromie du cuir chevelu dans la région occipitale.

Dans 7 cas, les os participent complètement à l'hypertrophie : tout le

maxillaire supérieur, l'os malaire, le maxillaire inférieur qui peut être

prognathe (Sabrazès et Cabannes), les rebords alvéolaires, les os propres

du nez, l'os frontal dont la bosse est volumineuse. Leur surface est ordi-

nairement régulière, exceptionnellement irrégulière et rugueuse (cas de

Kiwull). Les os peuvent être saillants en quelques points, sans être le

siège d'une malformation totale (Finlayson).

Le maxillaire supérieur et le frontal sont seuls notablement hypertro-

phiés, leur direction est oblique (Fischer). Le rebord sus-orbitaire participe

au processus (Kiwull). Les rebords alvéolaires sont plus volumineux que

35G J. SABRAZÈS ET CABANNES

ceux du côté opposé concurremment avec l'hypertrophie des maxillaires

(Sabrazès et Cabannes), ou indépendamment d'elle, de telle sorte que les

maxillaires peuvent être normaux alors que les rebords alvéolaires sont

très augmentés de volume (Friedreich, Passauer, Ziehl). Enfin, les os

peuvent être tout à fait normaux, l'hypertrophie ne portant que sur les

parties molles (Boeck).

Les dents correspondant à la région hypertrophiée sont souvent plus

volumineuses, plus longues, plus larges (Boeck, IIeumann, Passauer, Sa-

brazés et Cabannes), ou bien elles sont égales, mais ont évolué plus vite

du côté hypertrophié (Finlayson, Sabrazès et Cabannes). Parfois elles

sont encore égales, mais mal implantées (Kiwull, Sabrazès et Cabannes) ;

dans ce cas, les gencives peuvent être exubérantes (Kiwull) ; l'odonlalgie

était fréquente chez la malade de Friedreich. Enfin, l'appareil dentaire

peut être indemne (Ziehl).

La face interne des joues, ordinairement saine, est quelquefois sillonnée

par des veinules. On a trouvé la langue hypertrophiée dans la moitié cor-

respondante à la malformation au point d'être doublée, triplée de volume

(Friedreich, Ziehl, Kiwull, Sabrazès et Cabannes). Les papilles fongifor-

mes et filiformes sont démesurément allongées (Kiwull). La langue est dé-

viée du côté opposé à la malformation (Kiwull, Sabrazès et Cabannes).

Il est des cas où la langue est normale (Finlayson, Fischer, etc.). La luette

était déviée du côté opposé à l'hypertrophie dans l'observation de Fis-

cher. L'amygdale correspondante est plus grosse (Ziehl, Kiwull) et végé-

tante (Kiwull). La voûte palatine est creuse (Sabrazès et Cabannes).

La salivation est plus abondante du côté malade (Friedreich, Ziehl,

Kiwull, Sabrazès et Cabannes), bien que rien d'anormal ne soit observé

dans le volume des glandes salivaires (Ziehl, Sabrazès et Cabannes). La

succion est quelquefois gênée et certains malades boivent par aspiration

(Sabrazès et Cabannes).

La motilité des muscles faciaux est toutefois le plus souvent intacte

(Ziehl, Kiwull, Sabrazès et Cabannes), ou simplement paresseuses, au-

quel cas la mimique est légèrement contrariée dans son jeu; leur excita-

bilité électrique peut être diminuée et leur résistance électrique augmen-

tée (Sabrazès et Cabannes).

Dans le cas de Friedreich, la malade se plaint de sensations subjectives

de chaleur. La température de la face est plus élevée du côté hypertrophié

(Ollier, Trélat et Monod) ou plus basse en hiver particulièrement (Finlay-

son, Sabrazès et Cabannes) ; la joue est alors le siège de nombreuses ger-

çures.

Les organes des sens sont habituellement intacts. Le goût est conservé

même dans les cas d'hémihypertrophie linguale, sauf dans l'observation

IIÉMIÜYPERTROPIIIE FACIALE 35

deFriedreich où la sensibilité gustative était plus obtuse du côté hyper-

trophié.

L'ouïe est ordinairement normale. Dans le cas dû à Ollier l'acuité au-

ditive était plus marquée du côté malformé.

L'organe de la vision ne présente pas non plus de modifications notables.

L'oeil est myope et en strabisme convergent dans l'observation de Ziehl ;

ou bien son acuité est supérieure du côté malade (Ollier).

L'odorat reste toujours intact.

Les membres peuvent participer en partie ou en totalité à l'hypertro-

phie. Tantôt tout le côté droit du corps (face et membres) est intéressé

(Ollier, Trélat et Monod, Truc et Masméjean, Mac Gregor, Steffen, Zhu-

kovski) ; tantôt c'est le membre supérieur correspondant (Arnheim,

Stembo) ou la main du môme côté qui sont seuls hypertrophiés (Ziehl)

ou bien c'est l'index, le médius et l'annulaire du côté opposé (Finlayson).

Dans le cas de Lewin l'hypertrophie est croisée, le bras correspondant

au côté gauche hypertrophié est plus gros et plus long que le droit, la

jambe droite étant plus volumineuse que la gauche.

L'intelligence est ordinairement normale (Sabrazès et Cabannes) ; dans

la relation de Ziehl le malade hydrocéphale était inintelligent.

Dans deux cas (Boeck, Kiwull) la maladie était manifestement progres-

sire.

La plupart des observateurs ont remarqué que 1'liéiiiiliyperti-ol)liie fa-

ciale congénitale conserve ses proportions initiales par rapport au côté

sain, pendant la période de croissance, et n'a aucune tendance à rétro-

céder.

Friedreich, le premier, a fait une nécropsie, son malade étant mort

d'une affection intercurrente; il ne trouva aucune anomalie dans le vo-

lume de l'encéphale ni des nerfs crâniens. Le rocher correspondant au

côté hypertrophié était augmenté de volume. Arnheim, à l'autopsie de sa

malade qui succomba à une broncho-pneumonie, constata que les viscères

du côté droit étaient plus développés que ceux du côté gauche; l'oreil-

lette et le ventricule droits participaient à cette hypertrophie; de même

les bronches droites étaient plus volumineuses que les gauches. »

L'examen histologique des parties molles figure dans l'observation de

Kiwull : des lambeaux furent extirpés dans un but esthétique. Les tissus

adipeux et conneclif notablement épaissis, les glandes sébacées et sudo-

ripares augmentées de volume sont les agents actifs de l'hypertrophie. On

ne trouve pasde traces de processus inflammatoire récent ou ancien.

35S J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

L'hémihypertrophie de la face n'est qu'un cas particulier du groupe des

hypertrophies congénitales qui ont fait l'objet d'un important travail de

H. Fischer (1).

Ces hypertrophies intéressent soit une moitié du corps, soit un membre,

un segment de membre ou de la face. Rarement elles sont alternes. Elles

n'ont généralement aucune tendance à devenir progressives. Elles peuvent

coïncider avec d'autres troubles de l'évolution, implantation de parties foe-

tales, monstres doubles, malformations encéphaliques et anides, arrêts de

développement partiels, amputations congénitales. Miram (2) a vu des

sillons congénitaux s'accompagner d'hypertrophie du membre correspon-

dant ; ils agissaient à l'instar d'une cicatrice circulaire consécutive à un

ulcère variqueux, par exemple : on sait qu'il se produit dans ces condi-

tions une stase sanguine et lymphatique avec état éléphantiasique consé- .

cutif.

Dans ces hypertrophies congénitales, les troubles de la circulation vei-

neuse et lymphatique sont prédominants et la coexistence de véritables

angiomes caverneux et de lymphangiectasies n'est pas rare. « Selon que t

le processus morbide, dit II. Fischer, se développe Lôt ou tard pendant la

vie intra-utérine, le résultat final variera; si le revêtement cellulo-adi-

peux est déjà constitué, on observera surtout de la polysarcie, s'il est

encore à l'état muqueux, il persistera un tissu mou, lâche, parfois gélati-

neux et comme oedémateux; dans ce tissu on note une hypertrophie des

veines, des lymphatiques, parfois des muscles et des os, plus rarement des

nerfs, et cela à un degré qui n'est jamais atteint dans l'éléphantiasis

acquis. »

Ce mécanisme pathogénique ne saurait être invoqué lorsqu'il n'existe

pas, il l'origine, de sillon congénital. H. Fischer se demande alors si une

position vicieuse du foetus, dans la cavité utérine, ne crée pas un obstacle il

la circulation veineuse dans les parties de l'organisme intéressées plus tard

par l'hypertrophie.

Cette interprétation de IL Fischer est à rapprocher de celle qui ratta-

che l'augmentation des os et des parties molles à la présence de noevi an-

giomateux (3) en vertu d'un trouble circulatoire du même ordre que ceux

qui surviennent au cours des anévrysmes artério-veineux, influant sur la

nutrition des régions hypertrophiées.

On a également cherché la clé de ces hypertrophies dans une déviation

du processus d'ossification épiphysaire(4) : au voisinage des extrémités os

(1) Loc. cit.

(2) Miram. Thèse de Dorpat, 1817, p. 17.

(3) Dorén, Sur quelques troubles du développement du squelette dus des angiomes

superficiels, Th. Lyon, 1886.

(4) Massonxaud, Thèse Paris, 4874.

IlÉiMI11YPERTROP111E FACIALE 359

seuses, jouant le rôle d'épine irritative, il y aurait hypernutrition des par-

ties molles et consécutivement leur croissance serait accrue.

Mais toutesces déductions ne satisfont pas l'esprit. La théorie nerveuse

mérite-t-elle plus de crédit ? TrélaletMonod(l) rappelant les expériences

de Cl. Bernard et de Schiff, qui après section des filets nerveux vaso-mo-

teurs,ont noté dans le territoire de distribution des nerfs sectionnés, de la

rougeur, une élévation de la température et ultérieurement une augmen-

tation de volume-voient dans ces hypertrophies l'aboutissant d'une para-

lysie vaso-motrice.

D'autres auteurs professent aussi cette opinion [Ziehl (2), M. Duplay (3),

M. Ely Leblanc (4)] qu'ils appuient sur l'unilatéralité de la malformation

et sur la constatation de troubles, fonctionnels tels que sialorrhée, modi-

fications de la température locale, etc.

Les cas d'hémihypertrophie faciale congénitale ne sauraient, pensons-

nous, être justiciables d'une semblable explication pathogénique applicable

peut-être, ainsi que nous le verrons plus loin, à certaines observations

d'hémihypertrophie faciale acquise. La sensibilité et la motricité sont nor-

males ; les troubles sécrétoires ou calorifiques sont dus à la macroglossie(qui

entretient la salivation comme le ferait un corps étranger quelconque), au

développement anormal des glandes sébacées et aux ectasies vasculaires

sans qu'interviennent, à proprement parler, des phénomènes de vaso-dila-

tation paralytique.

Pour nous, l'hémihypertrophie congénitale a la valeur d'une anomalie

par excès dans le développement de la face et, plus exactement, des bour-

geons frontal, maxillaire supérieur et inférieur, pouvant coïncider avec

l'hypergénèse d'autres parties du corps, le plus souvent du même côté.

L'hypothèse émise par Fischer d'un vice de position du foetus, gênant la

circulation de retour, suscitant l'apparition d'ectasies vasculaires et d'une

hypernutrition avec hypergénèse locale nous paraît très vraisemblable.

Peut-être d'autres facteurs interviennent-ils, comme le calibre plus grand

de l'artère nourricière. Le fait suivant mérite, à ce point devue, d'être cité

par analogie : dans un cas communiqué par M. Martin Saint-Ange à Isid.

Geoffroy St-Ililaire (5) il existait, réunies chez un même sujet, deuxanoma-

liés : du côté gauche le rein et la capsule surrénale avaient leur grandeur

(1) Thélat ET Monod, De l'hypertrophie unilatérale partielle ou totale. Arch. gén. de

médecine, 1869.

(2) Loc. cit.

(3) DuPLAy, Gaz. hebd. de méd. et de cliir., 11 juin 1892.

(4) Ely LEBLANC, Contribution ci l'étude de l'hypertrophie congénitale unilatérale

partielle ou complète, Thèse Paris, 1897. ,

(5) ISID. GfiOFFIt01 Si-Hilaihe, Ilist. génér. et partie, des anomalies de l'organisation

chez l'homme et les animaux. Des monstruosités, etc., tome 1 ? 1832.

360 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

ordinaire ; du côté droit, le rein était extrêmement petit et la capsule très

volumineuse. Celte dernière avait pour artériole une branche de la rénale.

L'atrophie de l'un de ces organes et l'hypertrophie de l'autre étaient ainsi

manifestement en rapport et s'expliquaient l'une par l'autre. » En géné-

ral, lorsqu'un organe est augmenté ou diminué de volume, ses vaisseaux

présentent une augmentation ou une diminution proportionnelle. « C'est

ainsi que dans le cas que je viens de citer, dit Isid. Geoffroy St-Ifilaire,

l'artère rénale droite et l'artère capsulaire du même côté étaient, comme

les organes auxquels elles se rendaient, l'une beaucoup plus petite, l'autre

sensiblement plus grosse que danl'état ordinaire, les vaisseaux du côté

gauche ayant au contraire conservé leur diamètre normal. »

D'autres causes entrent-elles en ligne.de compte, telles que traumatis-

mes, émotions, infections, intoxications, hérédité, consanguinité ? L'en-

quête clinique ne relève qu'une seule fois une chute sans gravité pendant

la gestation, au 4e mois. Une vive frayeur au cours de la grossesse (7%

8 mois) n'est signalée que dans deux cas.

Si on interroge la tératologie expérimentale qui a éclairé d'un jour nou-

veau l'étude des agénésies, on ne tarde pas à se convaincre de sa quasi-

impuissance à réaliser de telles hypertrophies localisées. Au problème

ainsi posé : l'anomalie n'est-elle pas dans certaines circonstances un

excès et non un arrêt de développement ? M. Dareste (1) répond que les

expériences ne lui ont rien appris à ce sujet. Toutefois M. Féré (2) a, sur

ce point, fait quelques observations intéressantes. « Lorsqu'on expose,

dit-il, un oeuf de poule à des vapeurs susceptibles de pénétrer à travers la

coquille, ou lorsqu'on introduit par injection des substances solubles dans

l'albumine, ou bien lorsqu'on exerce sur l'oeuf une action mécanique en

le maintenant par exemple pendant un certain temps sur une table mise

en vibration par un diapason, on produit en général un trouble d'évolu-

tion, le plus souvent une malformation ou un retard de développement.

Parfois l'embryon est non seulement normal au point de vue morphologi-

que, mais encore plus avancé que ne le comporte le temps de l'incubation.

D'autres fois, dans les mêmes conditions encore, on trouve un embryon qui

présente une malformation plus ou moins importante d'une partie quel-

conque et dont l'ensemble cependant présente un développement plus

avancé que les embryons normaux, qui n'ontsubi aucune inlluence trou-

blante.

... Les faits d'exaltation générale ou partielle du développement, bien

(1) C. DAMSTE, Rech. sur la production artificielle des monstruosités ou essais de

tératogénie expérimentale, ` ? e édit., Paris, 1891.

(2) Cn. Fftm,, Faits relatifs à la tendance ci la variation sous l'influence des change-

ments du milieu. Bulletins et mémoires Soc. de biologie, 1896, p. 790.

IIÉNII11'PfiRTROPIIIE FACIALE 361

qu'exceptionnels, suffisent à montrer que les agents capables d'influencer

le développement de l'embryon ne manifestent pas seulement leur action

par des retards ou par des malformations. Considérée en général, leur

action se manifeste par une tendance à la variation, qui, suivant la dose

de l'agent et suivant l'équation trophique individuelle du germe, peut

s'exercer dans le sens de l'exaltation on dans le sens de la dépression.

Dans le cas de l'exaltation aussi bien que dans le cas de la dépression le

défaut de synergie trophique des éléments peut aboutir une malforma-

tion locale. »

L'hémihypertrophie congénitale de la face a donc, à notre avis, la signi-

fication d'une anomalie par excès dans le développement des bourgeons

faciaux, quelle que soit du reste la cause déterminante de cette anomalie.

II

Hémihypertrophie faciale acquise.

Historique.

L'histoire des hémihypertrophies faciales acquises date du mémoire de

Stilling sur la « Spinal Irritation )) (1840) dans lequel l'auteur fait men-

tion d'un cas survenu chez une femme de 38 ans, comme conséquence

probable d'une lésion traumatique du nerf sous-orbitaire.

Berger (0.) de son côté (1872) rapporte un cas semblable consécutif

à tille névralgie tenace du trijumeau.

Chez le malade de Schieck(1883) l'affection aurait apparu vers la fin

de la 2e année.

Dans le cas de Montgomery (1893) le premier signe du mal date de

l'âge de 10 ans. Un à deux ans avant, la malade avait eu un abcès à la

mâchoire supérieure correspondante.

Enfin, en 1893, Ch. Dana signalait l'hémihypertrophie faciale chez un

acromégale. le. +

OBS. I. - (STILLING, Untersuchungen über die Spinal Irritation, 18'O.)

Stilling signale très succinctement le cas d'une femme de 38 ans qui a vu

tout le côté droit de la face s'hypertrophier d'une façon marquée à la suite

d'un coup de pierre reçu à )'age de 9 ans. L'auteur suppose que le traumatisme

a provoqué une lésion du nerf sous-orbitaire avec paralysie consécutive des

hanches nerveuses destinées aux vaisseaux.

Ons. II. - (Berger (0.), Zur fEliologie und Pathologie der sogeuatantett

Muskelhgpertrophie. Deutsches Archiv fiir klinische Medicin, 1872, p. 393).

Berger (0.) a observé un cas d'hémihypertrophie faciale acquise survenue,

362 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

chez une femme de 58 ans, à la suite d'une névralgie trigémellaire tenace,

invétérée, ayant persisté plusieurs années. Cette hypertrophie n'intéressait que

les parties molles et particulièrement le tissu conjonctif sous-cutané.

Obs. 1 Il. - (SCHIECK, Eiz Fal von einseitige1' Gesichts Il ! Jpel't1'ophie.

Berlin klin. Wochensch., p. 700, 1883.)

Le cas de Schieck concerne une fillette de 9 ans venue au monde sans

malformation. »

Ce n'est que vers la fin de la seconde année que, sans cause connue, la

joue gauche et la partie gauche de la lèvre inférieure ont augmenté progressi-

vement de volume, pendant que se ralentissait la marche de la dentition à la

mâchoire supérieure du même côté.

Actuellement, l'hypertrophie atteint les tissus mous de la joue, la lèvre su-

périeure et la paupière inférieure gauches à un moindre degré ; ces régions

sont molles, oedémateuses ; la pommette gauche est plus rouge que la droite.

Le nez, dont l'aile gauche est hypertrophiée, est camard et dévié vers la droite

par son bout. La lèvre supérieure gauche, augmentée de volume et tombante,

recouvre la partie correspondante de la lèvre inférieure. Le duvet de la lèvre

supérieure est moins marqué à gauche qu'à droite.

Les os de la face, le corps du maxillaire supérieur, la région alvéolaire

participent à l'hypertrophie. Le maxillaire inférieur est normal. Il n'existe à

droite, à la mâchoire supérieure, que t dents : deux incisives, une canine, une

première prémolaire.

Il n'y a rien d'anormal dans l'aspect de la langue, des amygdales, des

oreilles et du front.

La sensibilité, la motilité, la sécrétion des sueurs et du sébum sont normales

et identiques des deux côtés. Les cheveux sont également développés. Les

pupilles sont égales. L'enfant est peu intelligente.

Cas. IV. - (M. Montgomery, Médical News,

1893, t. 2, p. 61.)

M. Montgomery signale un cas d'hémihypertrophie faciale non congénitale

survenue chez un homme actuellement âgé de 31 ans. Cet homme, d'origine

allemande, est l'aîné d'une famille de onze enfants dont cinq sont encore vi-

vants ; il est le seul qui soit atteint de malformation. Aucun incident n'a trou-

blé la grossesse de sa mère et sa naissance s'est faite à terme sans le secours

des fers. A deux ans, il a eu une maladie qualifiée du nom de « lièvre céré-

brale ». Dans ses antécédents il n'est pas question d'autres maladies graves,

pas plus que de traumatisme ou de névralgie de la face.

A l'âge de 8 à 9 ans, un abcès se forma au niveau du maxillaire inférieur

gauche ; des douleurs vives précédèrent son ouverture puis disparurent com-

plètement. A la suite, une cicatrice déprimée est survenue ; elle occupe le bas

de la joue gauche. ·

Les dents ont poussé régulièrement.

Une première photographie prise à l'âge de 5 ans ne montre aucune asymé-

IIÉIIIQYPERTROPfIIP FACIALE 363

trie faciale. Dans une seconde, faite alors que le malade avait tin ans, le côté

gauche de la face est déformé et légèrement dévié. Cette déformation, dont le

premier signe appréciable aurait été une augmentation de volume des gencives

survenue à l'âge de 10 ans, avait été manifeste dès l'âge de 12 ans ; depuis,

elle s'était accentuée notablement.

Actuellement, la déformation occupe le côté gauche du visage et lui donne

une apparence irrégulièrement quadrilatère; elle peut être délimitée au moyen

d'une ligne qui, commençant au sommet de la tête et à l'extrémité antérieure

du la suture sagittale et descendant suivant la ligne médiane du front, du nez

et du menton, irait gagner l'apophyse mastoïde gauche le long dn bord infé-

rieur de la branche du maxillaire inférieur, pour rejoindre de là son point de

départ. L'hypertrophie porte spécialement sur les régions supra-orbitaire, ma-

laire et mentonnière intéressant non seulement les tissus mous, mais encore

les os.

L'augmentation de volume de la lèvre inférieure et de la gencive n'empiète

que légèrement sur le côté droit. La distance de la commissure labiale au tra-

gus est de six pouces et un huitième à gauche et de 4 pouces sept huitièmes

à droite. La peau qui recouvre le côté gauche de la face est partout, sauf dans

la région massétérine, irrégulière, épaissie, un peu plus brune qu'à droite. Les

poils y sont rudes, grossiers, en particulier sur le côté gauche du nez et au-

dessus de l'oreille gauche. Elle est par points le siège de nodosités,appréciables

à la vue et au toucher, prédominant dans la joue (nodosités au sujet desquel-

les nous reviendrons à propos de l'examen microscopique). L'épaississement

cutané tient encore à l'hypertrophie des follicules sébacés dont les orifices

élargis donnent au tégument l'aspect d'une selle de cuir, ainsi qu'à la présence

de nombreux comédons dans l'intérieur de la peau.

L'oreille gauche est hypertrophiée dans sa moitié supérieure et cette hyper-

trophie tient au cartilage épaissi et non à la peau qui est normale.

Le cuir chevelu et les cheveux qui le recouvrent n'offrent rien de spé-

cial. 1.

Le maxillaire inférieur est augmenté de volume depuis la partie médiane de

la symphyse jusqu'au milieu du corps de l'os. Dans sa partie gauche, en arrière,

il semble normal.

A gauche, le frontal hypertrophié est le siège de deux saillies plus marquées;

l'une d'elles occupe la région de l'apophyse orbitaire externe ; elle est ronde et a

l'aspect d'une corne émoussée; l'autre continue en haut l'apophyse orbitaire

interne jusqu'au voisinage de la suture sagittale. Le rebord orbitaire supérieur

saillant et l'os malaire très proéminent surplombent le globe oculaire qui est

comme enfoncé dans une excavation profonde. Cette disposition donne au côté

gauche du visage une expression de mauvaise humeur qui contraste avec le

masque de satisfaction de la partie droite. L'ouverture palpébrale gauche est ré-

trécie et l'angle externe est plus élevé que l'interne. L'hypertrophie atteint le

bord libre des paupières, sous forme de petits nodules espacés d'où naissent

des cils épais sous divers angles. Le bord libre est surtout épaissi à la partie

interne de la paupière supérieure qui paraît, de ce fait, plus déformée. Les mou-

364 J. SABRAZÈS ET C. CABANNES

vements des globes sont normaux, ainsi que les réactions pupillaires à la lu-

mière et à l'accommodation. L'examen du fond de l'oeil, pratiqué par le Dr Wa-

gner, a permis de constater une double excavation du nerf optique, pins

marquée à gauche, sans engorgement des papilles ni modification dans le vo-

lume des vaisseaux rétiniens.

L'augmentation de volume de l'os propre du nez et de son cartilage fait que

le sillon qui unit le nez à la joue est plus obtus ; ce sillon est cependant assez

marqué et à son extrémité inférieure la peau est verruqueuse, comme dans

certains cas d'éléphantiasis. La salive ne s'écoule pas par la commissure la-

biale gauche qui est toutefois plus humide.

Les muscles de la mimique, nécessairement gênés par l'épaississement des

parties molles, ne sont cependant pas paralysés, et le jeu de la physionomie est

conservé.

Les dents sont très bonnes et de volume normal ; cependant, 3 molaires

étaient encore entièrement recouvertes par les gencives à gauche, il y a 2 ans

et demi, et le malade prétend ne les jamais avoir vues. Les rebords alvéolaires

et les gencives à gauche sont très développés. Sur la face externe de la mâ-

choire, l'hypertrophie gingivale commence au bord droit de l'incisive droite

médiane et se continue en arrière sons la lèvre supérieure qui se tend forte-

ment au-dessus d'elle, quand le patient rit.

Cette portion externe des gencives est recouverte de placards blancs, leuco-

plasiques. L'épaississement et la saillie des gencives sont marqués pour la

mâchoire inférieure et pour la supérieure autant à la face externe qu'à la face

interne ou buccale, où la proéminence gingivale simule une tumeur. La

voûte palatine est plus sillonnée à gauche qu'à droite.

La langue et les amygdales sont normales.

Le goût, l'odorat et l'ouïe sont également intacts.

Le malade prétend que le côté gauche de sa figure sue plus facilement que

le droit. ,

La sensibilité est conservée sous tous ses modes.

Au dire de l'entourage du malade, la déformation, particulièrement celle du

frontal et de l'os malaire, est lentement mais manifestement progressive.

L'examen microscopique de la peau a été fait sur des lambeaux cutanés en-

levés par le Dr Hund, à la région malaire, à la lèvre supérieure et au menton.

Au cours de l'opération on avait déjà pu remarquer que la compression des

téguments en faisait sourdre une grande quantité de matière sébacée, et que la

peau du menton, où les glandes sébacées sont plus développées, se laissait plus

facilement traverser par l'aiguille à sutures. Les coupes très friables se déchi-

raient le long des glandes sébacées.

Les petites nodosités intra-dermiques qui soulevaient la peau de la joue

étaient dues à de grands amas de cellules épithéliales disposées concentrique-

ment, en dégénérescence hyaline, gonflant les glandes sébacées. Ces amas épi-

théliaux, agissant comme de vrais corps étrangers, avaient provoqué dans lo

tissu conjonctif voisin une abondante prolifération de cellules rondes; il en

était de même le long et au pourtour des vaisseaux. L'épithélium de la peau

nÉDIInIPI;liTR01'IiIE FACIALE 365

n'était pas épaissi, si ce n'est au niveau de la portion éléphantiasique du sil-

lon naso-labial. En somme, l'hypertrophie des parties molles doit être rap-

portée à une augmentation de volume des poils, des glandes sébacées disten-

dues par le sébum et des cellules dégénérées, et aussi à l'hypertrophie du pan-

nicule cellulo-adipeux.

Ons. V. (Cu. Dana, On acromegaly 6 ! ) giganlismus oitlc unilatéral facial

hypertrophy. The Journal of nervous and mental diseases, novembre 1893,

n° 11, p. 725, Analyse par P. Blocq dans la Revue neurologique du 28 fé-

vrier 189, 114.)

Ch... Dana cite le cas d'un jeune homme de 19 ans dont les parents,

ainsi que six frères ou soeurs, sont sains. Cet homme, qui a considérable-

ment grandi, présente une taille de sept pieds quatre pouces et un poids de

325 livres. Relativement au reste du corps qui est bien proportionné les

mains et les pieds sont énormes; la bosse frontale ainsi que les deux maxil- 1-

laires du côté gauche sont aussi très augmentés de volume; l'hypertrophie

atteint même le côté gauche de la voûte palatine. Il n'y a, en fait, d'autre mal-

formation, qu'une légère courbure latérale dorso-lombaire de la colonne ver-

tébrale.

« Il n'existe chez le malade ni éruptions ni pigmentation anormale de la

peau. Le système musculaire est modérément développé. Il n'y a pas d'in-

coordination motrice; les réflexes du genou sont faibles. Les pupilles et la vi-

sion sont normales. L'intelligence est moyenne; l'appétit formidable. Il y a

dés céphalées de temps à autre. L'intérêt de ce cas réside dans l'association

du gigantisme, de l'acromégalie et de l'hérnihypertrophie faciale. »

ÉTUDE CLINIQUE ET 1'.\TI ! OGl ? iIQUE DES CAS ACQUIS.

CONCLUSIONS.

Les cas acquis sont au nombre de 5 ; ils se répartissent entre 3 indi-

vidus du sexe féminin, 2 du sexe masculin. Le côté gauche est intéressé

trois fois, le droit une fois. 0. Berger ne donne pas l'indication du côté

malade.

Au point de vue descriptif, les cas acquis se rapprochent des cas con-

génitaux ; cependant l'évolution et la physionomie en sont moins typiques,

moins régulières. Nous nous attacherons surtout ici à signaler leurs ca-

ractères distinctifs.

La maladie survient après un traumatisme (Stilling), une névralgie tri-

gémellaire invétérée (Berger), comme manifestation exceptionnelle de l'a-

cromégalie (lana), comme conséquence tardive d'un abcès de la mâchoire

(Montgomery) ou sans cause connue (Schieck).

Le point de départ est la fin de la 2° année (Schieck) ou t'age de 10 ans

35G J. SABRAZÈS ET C. CA131NE5

(Montgomery). Dans les 3 autres cas, le début n'est pas nettement pré-

cisé.

Ordinairement, la face commence à s'hypertrophier tant dans ses par-

ties molles que dans ses parties osseuses ; d'autres fois, les tissus mous

sont pris exclusivement (0. Berger) ; le début peut se faire par une hyper-

trophie des gencives (Montgomery).

L'évolution dentaire, au lieu d'être plus rapide du côté hypertrophié,

comme dans les cas congénitaux, semble être plus lente (Schieck, Mont-

gomery). L'hypertrophie des gencives était manifeste du côté de la défor-

mation, dans l'observation de Montgomery.

La langue est ici toujours intacte.

L'affection est nettement progressive dans deux cas (Schieck, Montgo-

mery). Un examen microscopique. (Montgomery) montre que l'augmenta-

tion de volume tient à l'hypertrophie des parties molles et surtout des

glandes sébacées et du revêtement cellulo-graisseux. On trouve cependant

des traces de processus inflammatoire (accumulation de cellules rondes dans

le tissu conjonctif et autour des vaisseaux).

La pathogénie des cas acquis, encore peu nombreux, que nous venons de

passer en revue n'est certainement pas univoque. Un trouble persistant

dans l'innervation du trijumeau a présidé à la genèse de l'hypertrophie

dans l'observation de Berger et probablement dans celle de Stilling.

Malheureusement la relation trop sommaire de ces faits rend impos-

sible toute discussion relative aux conditions de leur développement.

Quand les commémoratifs cliniques autorisent à mettre en cause le tri-

jumeau, l'hypertrophie des tissus s'explique peut-être par une exaltation

des fonctions vaso-dilatatrices du nerf, subordonnée aune affection irrita-

tive des fibres nerveuses.

Expérimentalement (en '18M)M. Schiff (1) a vu chez le chien, surtout

si l'animal est jeune, la section du nerf maxillaire inférieur déterminer,

au bout de quelques semaines, une hypertrophie parfois monstrueuse du Li

maxillaire du même côté. Par contre, une solution de continuité des nerfs

dans un membre s'accompagne plutôt d'une atrophie des os et cela dans

un bref délai. Schiff pense que ces résultats, en apparence contradictoires,

tiennent à l'impotence absolue des membres dont il a coupé les nerfs, tan-

dis que les mouvements des mâchoires persistent intégralement après sec-

tion nerveuse unilatérale.

(1) M. Schiff, Recherches sur l'influence des nerfs sur la nutrition des os. Comptes

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nÉMIHYPERTIlOPIIIE FACIALE 367

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DES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES

DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL (1).

a

l'AR

NICOLAS SOLOVTZOFF,

Prosecteur de la Maison des enfants trouvés et de la Maternité à Moscou.

Nous avons déjà eu l'occasion de rapporter antérieurement trois cas de

difformités congénitales du cerveau (2). Dans ces trois cas, le tableau ana-

tomo-pathologique était analogue. Malgré une monstruosité très considé-

rable du cerveau, ou plus exactement malgré l'absence totale des hémis-

phères cérébraux, les enfants en question sont venus au monde, non seu-

lement vivants, mais la vie de l'un d'eux a même duré un mois et vingt

jours, et si une maladie accidentelle n'avait pas causé sa mort, il aurait

sans doute pu vivre encore plus longtemps. La tête de ces enfants était

augmentée de volume; les fontanelles étant considérablement étendues,

les os de la voûte crânienne étaient écartés et s'enfonçaient facilement à

la pression sous le doigt; au toucher, la tète paraissait molle.

A l'autopsie, on constata, que toute la cavité crânienne était remplie

d'un liquide transparent et qu'au centre seulement de la fosse crânienne

médiane, existait une parcelle de cerveau, comparable par sa forme et sa

grosseur à un oeuf de pigeon. Dans la fesse crânienne antérieure et

dans les parties latérales de la fosse médiane il n'y avait que des os re-

couverts de périoste ; dans la fosse crânienne postérieure, sous la tente

du cervelet se cachait ce dernier. Au sujet de la cause qui avait provoqué

une telle anomalie de cerveau nous avons déjà dit qu'il s'agissait assuré-

ment d'une hydrocéphalie congénitale interne.

Nous voudrions maintenant nous arrêter davantage sur cette question

et la traiter d'une manièreplus détaillée. En nous basant sur de nouveaux

cas que nous avons observés récemment, nous désirons indiquer de quelle

manière l'hydrocéphalie interne, dans le plus haut degré de son dévelop-

(1) Communication faite à la Société des Neurologistes et des Aliénistes de Moscou le

8 mai 1898.

(2) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, t. IX, nu 3, mai-juin 1898.

DES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL 369

pement, peut amener à une atrophie complète des hémisphères cérébraux

et peut même conduire à l'anencéphalie.

Dans les slades élémentaires de l'hydrocéphalie interne, voici ce qu'on

observe (Fig. '1).

Les ventricules latéraux sont très étendus, et par suite le seplum lucidum

se trouve atrophié ; le corps calleux est aussi atrophié et dévié assez c

dérabiemeut vers le haut, de sorte que l'on peut facilement passer d'un

tricule latéral dans l'autre.Une accumulation aussi considérable de li(

dans les ventricules- doit, sans doute, influer sur les parties avoisinant

cerveau, et c'est l'écorce cérébrale qui s'atrophie d'abord sous l'inflt

de la compression, de sorte que l'épaisseur des substances grise et bl;

n'atteint plus guère en beaucoup d'endroits que 3 ou 4 millimètres. Un

observe également des modifications intéressantes dans les ganglions céré-

braux centraux. La partie du cerveau attenante à ces derniers est déviée

sur le côté; la couche optique, recouverte du plexus choroïdien, et le

noyau lenticulaire y font saillie librement dans les ventricules latéraux

élargis. Si l'accumulation du liquide est de plus longue durée, ou si l'hy-

drocéphalie débute à une période très précoce de la vie intra-utérine, les

modifications qu'elle entraine sont encore plus marquées, les ventricules

latérauxse distendent encore davantage, en sorte qu'ils occupent à eux seuls

presque toute la cavité crânienne. L'écorce cérébrale devient alors si

mince qu'elle se transforme en une fine membrane, qui se soude avec la

pie-mère el prend l'aspect d'une v ésicule recouvrant la cavité crânienne à

l'intérieur. Quanta la couclie optique et au noyau lenticulaire ils sont

xi 1 25

Fig. 1. - Coupe transversale au niveau de l'aqueduc de Sylvius dans un cas d'hydro-

céphalie congénitale. Dilatation des ventricules latéraux, atrophie de l'écorce du

corps calleux et du septum lucidum. Les couches optiques apparaissent très net-

tement.

370 NICOLAS SOLOVTZOFF

encore plus isolés et apparaissent dans la fosse crânienne médiane, sous

l'aspect de deux formations sphériques.

Comme exemple d'une hydrocéphalie interne très accentuée, nous pou-

vons citer le cas suivant :

Cas Il Il s'agit d'un enfant, âge presque de deux ans. A l'autopsie il s'é-

coula du crâne une quantité énorme d'un liquide transparent, qui occupait t

toute la cavitécrânienne. Cellqiiides'él;iitacetimiilé sous 1,1 illeiill)i-a lie fine,

attenante immédiatement à la dure-mère. Sur la base du crâne on observe

ce qui suit (l'1.1L,r1 et B) : lesfosses crâniennes antérieure et médiane sont

recouvertes d'une membrane très fine, il travers laquelle transparaissent

les os sous-jacents, et c'est seulement dans le centre de la fosse crânienne

médiane qu'on aperçoit un restant de substance cérébrale, formant deux

couches et ressemblant à des oeufs de pigeon ; elles sont recouvertes d'un

plexus vasculaire ; derrière elles, on voit un petit résidu de l'écorce céré-

brale ; cette dernière s'amincit au bord et se transforme en une membrane,

qui recouvre la table interne de tous les os crâniens.

Ainsi, dans ce cas, on voit que dans les ventricules latéraux, il y a une

telle accumulation de liquide, que sous l'influence de sa pression, presque

toute l'écorce cérébrale s'est transformée en une membrane très fine, l'en-

semble ayant l'aspect d'une vésicule remplie de liquide, où il n'est resté

qu'une faible portion de cerveau.

En ce qui concerne le cervelet on- peut voir qu'il s'est développé com-

plètement sous la protection de la tente du cervelet, et qu'à l'examen

macroscopique de la surface et des coupes du cervelet, il ne présente au-

cune modification ni quant à ses dimensions, ni quant à son aspect exté-

rieur.

Lorsqu'on enleva le cerveau, on trouva deux couches, desquelles par-

tait une membrane très fine; on peut distinguer dans cette dernière deux

lobes, temporal et frontal ; dans le lobe frontal, on distingue des bulbes

olfactifs au travers de la membrane. La préparation est surtout intéres-

sante lorsqu'on l'examine dans l'eau du côté de la base. Alors la membrane

se redresse, montrant les contours du cerveau ; on reconnaît (Pl. XL,C) la

moelle allongée et le cervelet ; mais à la place des autres parties du cer-

veau, on ne retrouve que la membrane, qui n'est autre chose que l'écorce

cérébrale amincie sous l'influence de l'accumulation du liquide dans les

ventricules latéraux. Cependant on peut encore y distinguer les lobes tem-

poraux et frontaux et en particulier dans ces derniers, les bulbes olfactifs,

qui prennent leur origine dans cette membrane elle-même. Ce dernier fait

démontre bien que la membrane en question est un reste de l'écorce céré-

brale.

Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière. T. XI. P]. XL

A

13

c

D

DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

(N. Soloctio(P)

A et B. - Cas I. Base du crâne recouverte d'une fine membrane transparente (reste du cerveau). Dans la

fosse médiane on voit les couches optiques ; dans la fosse postérieure, un reste de l'écorce cérébrale

attenant au repli falciforme.

C. Cas I. Base de l'encéphale examinée dans l'eau. La membrane prend exactement les contours du

cerveau.

D. - Cas IL Encéphale : moelle allongée, cervelet, et un reste d'écorce cérébrale soulevé.

MASSONS & Cie, Editeurs

DES DIFFORMITÉS CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL -371

Il est à remarquer aussi que l'hydrocéphalie interne agit sur les bulbes

olfactifs ; leur cavité centrale est élargie, ce qui se comprend aisément si

l'on se rappelle que les bulbes olfactifs, chez les embryons ^humains, ne

sont autre chose qu'un prolongement du cerveau : l'hydrocéphalie des ven-

tricules a dû envahir également les ventricules olfactifs; toutefois, elle,

n'a pas empêché le développement dos fibres olfactives, qui partent des bul-

bes en grande quantité. Bien que le cerveau manquait chez l'enfant en

question, ce dernier put vivre jusqu'à l'âge de deux ans environ, il était

même assez bien développé pour son âge. Nous voyons sur la photographie

PI. XL, A), que sa face est conformée régulièrement.

Sur la base crânienne (la voûte étant retirée) on observe deux couches,

derrière lesquelles on voit la face du cerveau coupée en deux, auprès

d'elle est situé un petit reste de l'écorce cérébrale qui dans d'autres en-

droits s'est transformé en membrane très fine.

Ainsi,ce cas permet de comprendre nettement comment sous l'influence

d'une accumulation considérable de liquide dans les ventricules latéraux,

se produit la disparition totale des hémisphères cérébraux. Mais quelque-

fois ce phénomène est plus complexe ; alors le mécanisme qui a provo-

qué une semblable difformité est moins facile à saisir ; cela tient à ce que

les parois-de la vésicule, qui s'est formée aux dépens de l'écorce cérébrale,

peuvent se rapprocher, lorsque dans certaines conditions, la quantité du

liquide diminue ; ou bien, cette vésicule peut, dans quelques endroits, su-

bir une atrophie complète, à la suite de laquelle le liquide, accumulé déjà

par-dessus la membrane, refoule cette dernière vers les couches optiques;

ceci peul encore provenir de ce fait, que sous l'influence d'une inflamma-

tion les.faisceaux fibreux attirent la membrane vers le bas; elle se fusionne

alors avec le reste des couches optiques. Et quand on enlève le cerveau on

ne trouve plus que le tronc cérébral recouvert de membranes fibreuses

assez épaisses; celles-ci sont cependant encore un vestige de l'écorce céré-

brale. '

Comme exemples d'une semblable hydrocéphalie nous rappellerons les

trois cas décrits par nous antérieurement. Nous voyons la base du crâne,

réduite simplement à des os, recouverts de périoste, et ce n'est que dans la

fosse crânienne médiane que l'on découvre un reste de cerveau ayant l'as-

pect de deux couches, recouverles de grosses membranes fibreuses d'où

partent des faisceuxdu tissu conjonctif, se dirigeant vers la surface interne

delà voûte crânienne et au-dessus desquels se trouve un liquide transparent.

Dans ces cas, sous l'influence de l'hydrocéphalie survient une distension

considérable des ventricules, mais l'écorce cérébrale amincie ne prend pas

372 NICOLAS SOLOVTZOFF

la forme d'une vésicule à parois fines, tapissant les os du crâne. Elle est

au contraire aplatie et fortement soudée au reste du cerveau ; on en voit la

preuve dans ces faisceaux fibreux épais qui recouvrent les couches optiques.

En somme, dans les cas où l'écorce cérébrale amincie ne prend pas l'as-

pect d'un globe recouvrant la surface interne des os, quand même, il

faut considérer que cette disposition est la conséquence de l'hydrocéphalie

interne . Par un examen attentif, on peut retrouver ici , avec les fais-

ceaux fibreux, des restes de l'écorce cérébrale amincie, en forme de mem-

brane.

Ainsi donc, l'une des causes les plus fréquentes des monstruosi tés congé-

nitales du cerveau, c'est l'hydrocéphalie congénitale interne. Les modifica-

tions, provoquées par celte lésion sont caractérisées parce fait que, de

tout le cerveau, il ne reste que le tronc cérébral, et le cervelet. Quant à

l'écorce cérébrale, elle manque quelquefois totalement; d'autres fois,il n'en

reste qu'une parcelle presque insignifiante.

Au sujet de la cause qui a pu provoquer l'hydrocéphalie dans ces cas,

on devra considérer que les faisceaux fibreux qui vont du tronc cérébral

vers la surface interne des os, permettent de penser à l'origine inflamma-

toire de l'hydrocéphalie. L'épendymite chronique est ici assurément la

cause de cette lésion. On ne peul d'ailleurs rien dire de positif concernant

l'étiologie de ces cas ; aussi est-il difficile de savoir si la syphilis joue un

rôle dans cette maladie. On peut seulement noter que, ni du vivant de ces

enfants, ni à l'autopsie, il n'a pu être constaté d'accidents ou de lésions

syphilitiques visibles. Ajoutons enfin que nous n'avons aucuns renseigne-

ments sur les parents de ces enfants.

Une cause tout à fait différente peut également produire une anomalie

cérébrale d'apparence analogue. Nous voulons parler du cas où le cer-

veau n'arrive pas à se développer par suite de la soudure prématurée des

os du crâne. Alors on est en présence d'une tète très petite, où les fonta-

nelles manquent. Dans les cas de ce genre, comme on peul le voir dans

la collection des crânes qui se trouvent dans notre musée, les os frontaux et

les os nasaux ne sont pas soudés entre eux. Ainsi se produit une tumeur de

forme irrégulière.

Comme exemple de ce genre de monstruosité, nous rapporterons l'ob-

servation suivante :

.

Cas II. Enfant âgé de jours. Les sutures sont soudées ; les fonta-

nelles manquent et à la place de la racine nasale se trouve une tumeur de

la grosseur d'une noix, lorsque les os crâniens furent enlevés, ou décou-

Nouv. ICO\OORAI'1116 DL LA SAI.I',11 Rli.RE. T. ? 1. PI. XLI

F

E

G

I

il

J

DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

(N. Sotovt/on')

1 : . - Cas III. Absence totale de voûte crânienne ; vue de face. P, le même, de profil. G, le même, de dos.

H. - Cas Il'. Absence de la voûte crânienne.

I. - Cas V. Absence de la voûte crânienne ; vue de face J, le même, vue postérieure, le canal vertébral complètement fendu.

MASSON & crie, Editeurs.

DES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL 373

vrit un cerveau d'un aspect tout à fait anormal (PI.Xú,D). La moelle allon-

gée et le cervelet, à l'examen macroscopique, étaient d'un aspect et d'une

dimension tout il fait normaux; mais, au lieu des hémisphères, apparais-

sait une formation aplatie et arrondie ; veiitraleiiient se voyait une tumeur

de forme irrégulière, qui faisait saillie à l'extérieur par trou fronto-

nasal. En examinant la pièce de profil (Pl. tL,l)), on distingue le bulbe, le

pont de Varole, et plus loin les couches optiques défigurées. Au-dessus se

trouve le cervelet tout à fait normal. Des couches optiques part un fais-

ceau du tissu conjonctif, qui se transforme à l'extrémité opposée en une

tumeur sortant par trou fronto-nasal. Il est intéressant de remarquer

que le reste des hémisphères cérébraux est tout à fait isolé, et n'est lié

avec les autres parties du cerveau que par l'intermédiaire des vaisseaux

seulement.

La difformité du cerveau la plus marquée comprend les cas où l'on cons-

tate l'absence totale de ce dernier. Celle-ci résulte du développement in-

complet des os de la voûte crânienne. Dans de pareils cas, on ne trouve

plus que la base du crâne, recouverte d'une membrane ; cette dernière se

continue inférieurement avec la moelle épinière. Ce qu'on observe alors se

trouve représenté sur la photographie (PI. XLI, E, F, G).

Cas III. La partie faciale de la tête, excepté le front qui manque,est

développée régulièrement. Point de voûte crânienne. La peau, qui entoure

la base du crâne, apparaît comme coupée et derrière elle se trouvent les

os. Il n'y a point de cerveau; à sa place est une membrane, qui recouvre

les os ; plus bas, cette membrane forme un repli infundibuliforme et ga-

gne la moelle épinière. En arrière, on voit que la cavité crânienne est ou-

verte ; le processus infundibuliforme ne se continue pas avec le canal cen-

tral vertébral, ce dernier est fermé au niveau de la partie cervicale supé-

rieure. '

L'observation suivante peut servir d'exemple de ce cas d'ouverture in-

complète de la cavilé crânienne avec manque partiel des os de la voûte.

Cas IV. Fillette, née à terme, ayant vécu quelques heures. Son corps

était développé tout à fait régulièrement; la tôle présentait les particula-

rités suivantes (l'l.1LI, Il). La partie supérieure de la tôle paraissait tran-

chée,de sorte qu'il ne restait que la base du crâne, entourée en arrière et sur

les côtés d'une bordure chevelue. En comparant ce cas avec le cas précé-

dent, nous voyons qu'ici, dans la partie supérieure de la tète, les os

crâniens et la peau qui les entoure sont conservés et occupent un espace

plus étendu que précédemment. Vue d'en haut, la partie déformée a la

forme d'un ovale, limité sur les côtés par ce qui reste des os et par la peau

3' ! t lê NICOLAS SOLOVTZOFF

retournée en dedans, et rempli par une formation vasculaire spongieuse

d'aspect piriforme. Si l'on enlève cette formation, ainsi que les parties

avoisinantes et la partie postérieure des os occipitaux, on voit que,dans ce

cas, la partie inférieure du bulbe seule est conservée. Quant à la moelle

épinière, cette dernière ne présente rien de particulier à l'extérieur.

Mais sur des coupes transversales, on remarque que le canal central, dans

les parties dorsale et cervicale, est très élargi, de sorte que la moelle épi-

nière présente dans ces endroits la forme d'un tube aux parois très amin-

cies ; il est à remarquer que la paroi antérieure est plus épaisse que la

paroi postérieure qui est réduite à presque rien.

Dans ce cas, la cavité crânienne est ouverte seulement dans sa partie

supérieure et elle est conservée latéralement, mais il arrive souvent qu'ou-

tre l'absence totale des os de la voûte crânienne, le canal rachidien est

ouvert sur une longueur plus ou moins grande. Nous le voyons dans le

cas suivant :

Cas V. Filletle, née un mois avant terme ; son corps est conformé

normalement; mais elle n'a que la moitié de la tête (PI. XLI,I), la calotte

crânienne et le cerveau manquent ; il ne reste plus que les os de la base

du crâne, qui font saillie l'extérieur. Vu par derrière (Pl.1LI,J), le canal

vertébral apparaît fendu sur toute sa longueur. Ce canal est recouvert en

arrière par une membrane, à la surface antérieure de laquelle sont atta-

chés des nerfs offrant l'aspect de filaments fins; à la partie supérieure on

voit des ganglions intervertébraux bien développés.

Comme exemple d'un canal vertébral incomplètement fendu, mais avec

absence totale de cerveau, nous citerons le cas suivant :

Cas VI. Ici, la monstruosité est énorme, car outre l'absence de calotte

crânienne et de cerveau, le monstre en question ne possède qu'un seul oeil

situé au-dessus de la lèvre, au milieu du front (PI. XLII, K, L, ). Point

de nez. Le corps est développé régulièrement. En examinant ce monstre du

côté postérieur, nous voyons que les os de la voûte crânienne manquent

aussi ; la partie supérieure du canal vertébral est ouverte et la moelle épi-

nière n'existe que dans les régions dorsale et lombaire (PI. XLII, M). L'oeil

surtoutprésente beaucoup d'intérêt (P. XLII, N). Il esl entouré d'une pau-

pière ayant l'aspect d'un cercle partagé en quatre parties. A la coupe, on

constata qu'il y avait non seulement deux cornées, mais aussi deux iris et

deux cristallins, et que tout l'oeil était partagé par une cloison en deux

moitiés, gauche et droite. En somme cet oeil est formé de l'union de deux

yeux. Parmi les anomalies des viscères observés chez ce monstre, il faut

noter l'absence de diaphragme, en sorte que les deux cavités pleurétiques

étaient occupées par les intestins, les poumons étant très aplatis.

Nouv. ICOYOGI<<11'IIIE DE LA SALIÈIRIÈRF T, XI. 1'l. XLII

N

K

1.

M

DIFFORMITÉS CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

(N, Solo\ tlolt') .

Cas 11. Cyclope. L, vue de f.tte ; K, de profil ; M, de dos, le causal vertébral fendu dans la région

cervicale supérieure ; N, face du cyclope avec un oeil formé par l'union de deux yeux

MASSON & Cle, Editeurs.

DES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL 375

Quel mécanisme peut-on invoquer pour expliquer les difformités de la

tête dans ces quatre derniers cas (Cas III- VI), accompagnées d'absence

de la voûte crânienne et du cerveau avec fissure de la colonne vertébrale

sur une longueur plus ou moins grande ? A notre avis, c'est l'hydrocé-

phalie interne qui est la cause principale de ces énormes difformités

du système nerveux central, prenant l'aspect de l'anencéphalie et de l'a-

myélie. En tout cas, puisque chez nos quatre monstres les yeux étaient

conformés régulièrement et puisque la vésicule ophtalmique n'est autre

chose qu'une portion de la vésicule cérébrale primitive prolongée en

avant, il faut penser que le tube médullaire s'est formé primitivement et

qu'il a subi ensuite une régression clans son développement après que

la vésicule ophtalmique se fut détachée de lui. En ce qui concerne notre

cyclope, le synophtalmus observé chez lui s'explique par l'union sous

l'influence de l'hydrocéphalie de deux vésicules ophtalmiques.

L'accumulation considérable du liquide dans la vésicule cérébrale pro-

voqua un élargissement non seulement de cette vésicule cérébrale primi-

tive, mais aussi de toutes les enveloppes dont elle était recouverte. Evidem-

ment,elles n'ont pas pu résistera la force de la pression et se sont atrophiées

complètement à l'endroit où il y avait le moins de résistance, comme au ni-

veau. de la voûte crânienne et des arcs postérieurs de la colonne vertébrale ;

la base crânienne seule resta recouverte d'une membrane, reste de la vé-

sicule cérébrale qui ne pouvai plus se développer parce qu'elle se trouvai t

soumise à la pression du liquide de l'amnios. C'est ainsi que viennent

au monde les enfants privés de voûte crânienne et même de cerveau.

Si ce processus morbide s'étend aussi au canal central de la moelle épinière

à une distance plus ou moins grande, alors il se produit aussi une accu-

mulation extrême du liquide dans le canal central qui peut provoquer un

développement incomplet des arcs postérieurs de la colonne vertébrale.

La moelle épinière sous l'influence de la pression du liquide de l'amnios

se transforme bientôt en une simple membrane, ainsi que nous l'avons

déjà observé précédemment.

Ainsi, la cause, qui a provoqué l'anencéphalie et même l'amyélie par-

tielle cliez nos quatre derniers monstres est là même que celle que nous

avons invoquée pour l'enfant de 2 ans dont nous avons parlé plus haut.

La différence consiste seulement dans l'intensité du processus et dans l'é-

poque de début de l'hydrocéphalie interne. Il est certain, que chez l'en-

fant de 2 ans dont le tronc cérébral était conservé et dont l'écorce cérébrale

seule était transformée en membrane, le processus morbide commence

beaucoup plus tard que chez les quatre monstres dont nous venons de

376 NICOLAS SOLOVTZOFF

parler ; chez ces derniers le cerveau tout entier, et même chez l'un d'eux

toute la moelle épinière, étaient réduits à une membrane.

Nous allons maintenant étudier la structure fine du système nerveux

central chez nos monstres. Commençons par l'examen des deux premiers

cas.

1° Enfant-âgé de 2 ans environ, chez lequel sous l'iiinence d'une hy-

drocéphalie interne, l'écorce cérébrale s'est transformée en membrane très

fine, revêtant la surface interne du crâne (PI. XI, A, IL C). Le cerveau se

réduit au tronc cérébral.

2° Enfant âgé de 4 jours seulement, on ne retrouve encore que le tronc

cérébral ; ici la difformité a été provoquée par la soudure prématurée de

fontanelles (PI. XL, D).

Dans ces deux cas, il n'existe pas d'anomalie dans la topographie des

substances blanche et grise des parties lombaire et dorsale de la moelle

cérébrale,mais dans la région cervicale les particularités pathologiques sui-

vantes sautent'aux yeux (P).XLIII,0).Les cordons antérieurs sont diminués

dans leurs dimensions transversales ; le fait est surtout apparent par com-

paraison avec la moelle épinière des enfants normaux âgés de quelques

jours ou même de quelques semaines ; chez ces -derniers les fibres du fais-

ceau pyramidal ne sont pas encore recouvertes de myéline. Ce faisceau offre

l'aspect d'une bande claire située au milieu des cordons antérieurs. Dans

notre cas, chez l'enfant qui a vécu 4 jours, le faisceau pyramidal qui

aurait dû apparaître nettement, manquait complètement. A la place du

faisceau pyramidal du cordon latéral, nous trouvons de deux côtés une

grande fissure allant de la périphérie vers la profondeur et limitée exté-

rieurementpar le faisceau cérébelleux du cordon latéral.

Nous reviendrons plus tard sur la cause de la diminution des cordons

antérieurs et de l'apparition de cette fissure dans les cordons latéraux.

Si l'on examine la moelle allongée au niveau de l'entrecroisement du

ruban de Reil, - on ne trouve pas de traces des voies pyramidales, elles

manquent totalement dans les deux cas. Quant au ruban de Reii, il existe

chez les deux enfants (PI. XLIII,P). Au-dessus, l'aspect reste le même : Le

cerveau est développé régulièrement, mais les pyramides manquent tout à

fait; à leur place apparaissent seulement les noyaux du faisceau de Burdach,

la racine spinale du trijumeau, la voie cérébelleuse du cordon latéral, le

nerf hypo5losse,leruhandeReil; les pyramides n 'exisLenL pas (PI.XLIII,Q),

Plus haut, au niveau des olives qui soutirés bien développées, on observe

ce qui suit : d'abord les olives inférieures, puis les olives accessoires : l'o-

live interne et l'olive externe qui sont aussi bien développées, le noyau de

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XI. PI. XLIII

0

P

Q

s

DIFFORMITÉS CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

(N. Solovtzoff)

O. - Cas ? Coupe de la moelle ; région cervicale ; atrophie des cordons latéraux des deux côtés.

P. - Cas II. Coupe de la moelle allongée, au niveau de l'entrecroisement du ruban de Reil ; absence des

pyramides.

Q. - Cas 1. Coupe de la moelle allongée, un peu plus haut. Absence de pyramides.

R. - Cils ll. Coupe au niveau des olives. Absence de pyramides. Diminution de la couche interolivaire.

S. Cas 1. Même coupe, un peu plus haut. Absence de pyramides. Couche interolivaire normale.

MASSON & cie, Editeurs

DES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL 377

Goll, celui de Burdach, la voie cérébelleuse du cordon latéral, la racine

spinale du trijumeau, le nerf hypoglosse, le faisceau longitudinal posté-

rieur, le noyau central inférieur, le ruban deReil, qui est très diminué et

en général toutes les parties du tronc cérébral à ce niveau, à l'exception

des pyramides, qui manquent totalement (PI. XLIII, R). (La coupe appar-

tient au cas II, où les couches optiques manquaient presque tout à fait.

L'enfant était âgé de 4 jours.)

Plus haut encore, au niveau de l'ouverture du quatrième ventricule,

nous trouvons le corps restiforme, la racine spinale de trijumeau, le nerf

glosso-pharyngien, tenerspneumo-gastrique, le nerf hypoglosse, le noyau

olivaire, les olives accessoires, les faisceaux longitudinaux postérieurs, le

noyau central inférieur, le ruhan de Reil, qui est bien développé ; mais il

n'y a point de pyramides; à cela près le tronc cérébral ne présente rien

d'anormal à ce niveau (PI. XLIII, S). (La coupe du cas où les couches opti-

ques sont bien développées. L'enfant était âgé de 2 ans.)

Nous devons nous arrêter quelque peu ici pour parler de la technique

concernant le procédé de 'coloration dont nous nous sommes servi pour

nos préparations. Dans les deux cas les coupes du système nerveux cen-

tral ont été fixées dans le formol. En ce qui concerne l'enfant âgé de

..

2 ans, sa tête entière a été conservée pendant 5 ans dans une solution de

formol ; malgré cela, la coloration des préparations par la méthode de Pal

réussit parfaitement, toutes les libres myéliniques, même les plus fines, se

sont colorées très vivement en noir. Cette coloration intensive est due à

ce que les préparations ont été incluses dans la paraffine. L'inclusion des

préparations dans la paraffine non seulement n'empêche pas le traitement

des préparations par le procédé de Pal, au contraire, on obtient des résul-

tats très nets ; ce qui est compréhensible, puisque, après la dissolution

de la paraffine, nous n'avons affaire qu'aux seuls tissus; il n'y a point de

substance étrangère, qui vienne empêcher la coloration. Si nous ajoutons

encore à ce procédé l'économie du temps que l'on emploie pour faire les

préparations et que ces dernières peuvent être conservées dans une boite

et non dans une solution d'alcool, l'avantage des préparations incluses,

dans la paraffine sur celles qui sont incluses dans le collodion apparaît

très nettement.

Passant de nouveau à l'examen du cerveau, nous noterons que, outre

l'absence des pyramides sur toute la longueur du tronc cérébral, on re-

marque les particularités suivantes ; lorsque l'on examine les coupes, fai-

tes au niveau du pont de Varole, où le ruban de Reil divise le tronc céré-

3-j 8 NICOLAS SOLOVTZOFF

bral en deux étages la calotte et la base, on n'y trouve point de faisceaux

accessoires disséminés (PI. XLIV, T) ; en outre le ruban de Reil principal

n'est pas également développé dans nos deux cas; ainsi dans le cas Il,

chez l'enfant qui a vécu 4 jours, et chez lequel les couches optiques

étaient très peu développées, outre qu'il ne possédait pas de faisceaux

accessoires disséminés, le ruban de Reil principal et la couche inter-

olivaire étaient mal développés, comme nous l'avons vu plus haut. Chez

lenfant qui a vécu 2 ans et chez qui les couches optiques étaient plus dé-

veloppées (Cas I), le ruban de Reil principal était bien développé, mais

les faisceaux disséminés manquaient; le faisceau interne de la couche

du ruban de Reil, manquait aussi totalement (l'1.1LIV,T) ; quant au ruban

de Reil latéral il était bien développé. Nous avons la même chose

au niveau du nerf pathétique (PI. XLIV, U).

Plus loin, au niveau de la naissance du pédoncule cérébral il l'endroit où

l'entrecroisement des pédoncules cérébelleux antérieurs a déjà eu lieu,

non seulement les fibres de la voie pyramidale sont absentes, mais encore

les fibres ponto-protubérantielles et les libres occipito-protubérantielles

manquent ; au-dessous des noyaux rouges est disposée la substance noire

de Soemmerin; cette dernière est entourée à certaine distance d'une bande

claire, privée de myéline(l'I.1LIV,V) ; tous les systèmes qui auraient dû

être retrouvés dans la base du pédoncule, comme nous l'avons déjà men-

tionné, manquent aussi.Le faisceau accessoire du ruban de Reil et les fais-

ceaux disséminés, passant dansle pédoncule, manquent encore. Plus liant,

au niveau des noyaux rouge à l'endroit du tronc cérébral où, du côté laté-

ral, sont situés les pédoncules du quadrijumeau postérieur, le corps gé-

nouillé et le pulvinar sont absents et le pédoncule du tubercule quadriju-

meau postérieur est peu déyeloppé(PI. 1LV,\').1,e méme aspect s'observe

au niveau du troisiémeventricule. Ainsi, au niveau des tubercules qua-

drijumeaux antérieurs, il n'y a pas de pulvinar, en outre à la base du pé-

doncule cérébral, les fibres à myéline manquenl totalement (PI. XLV, X).

Enfin, en examinant les coupes qui passent par les couches qui sont v isi-

bles dans la cavité crânienne, on voit le troisième ventricule dont la paroi

externe est formée de la couche optique : en outre on distingue la lamina

medullaris medialis divisant la couche optique en deux noyaux : le noyau

médian et le noyau latéral ; dans le premier se trouve le ganglion de l'Irabi-

nula d'où part le ténia du : 3e ventricule ; sur cette pièce le noyau antérieur

de la couche optique est mal développé, la capsule interne ne contient

pas de voies pyramidales, ni cortico-protuhérantielles ; le noyau lenticu-

laire, le corps sous-thalamique, les fibres de la couche optique qui vont

vers le corps lenticulaire sont conservés (pli. XLV, Y). Voilà tout ce qui

reste des hémisphères et du tronc cérébral. Quant il l'écorce cérébrale,elle

or.;\'. ICO'OGI(,%IIIIL ni' la SILi'F1RILHL.

T. XI. PI. XLIV

T

u

V

DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

(N. Solovtzofr)

Cas I. - T. Coupe au niveau de l'entrecroisement des neifs pathétiques. Absence de pyramides, des faisceaux disséminés et accessoires,

du faisceau interne accessoire de la couche du ruban de Keil.

U. Coupe faite un peu plus haut ; mêmes constatations

V. Coupe au niveau de la formation des noyaux rouges. Absence de toutes les voies de l'étage infeueur du pédoncule.

MASSON & cie, Editeurs.

Nouv. I(.O\OOKAl'IIIL UC LA SaI-I'ÈIRILKE.

T. XI. PI. XLV

x

Y

DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTEME NERVEUX CENTRAL

(N. 5010\'tl.oO")

Cas I. - W. Coupe faite au niveau des nerfs oculo-moteurs. Absence de pulvinar, des corps genouillés, des tubercules quadrijumeaux postérieurs.

Toutes les voies passant par la base des pédoncules sont absentes.

X. Coupe a la naissance du 30 ventricule ; mêmes constatations.

Y. Coupe passant par la couche optique. Absence des voies pyramidales et protubérantielles dans la capsule interne.

MASSON & cie, Editeurs.

DES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL 379

est soudée avec la pie-mère, comme nous l'avons déjà dit, et se trouve

Iransformée en membrane, dans laquelle pour-

tant on ne rencontre point les cellules spéciales

de l'écorce cérébrale ; cependant dans la partie

des hémisphères qui est conservée, il existe des

cellules nerveuses (Fig. 2).

En résumé, quelles sont les particularités que

nous trouvons dans ces deux cas, principalement t

dans le premier cas, celui de l'enfant de 2 ans ?

Ce sont : 1° l'absence presque complète des lié-

misphéres ; 2° l'absence de voies pyramidales ;

3° l'absence de fibres unissant la substance grise

du pont de Varole avec le cerveau ; 4° l'absence

de système frontal du pont de Varole et du sys-

tème temporal du pont de Varole ; 5° le ruban de

Reil peu développé, ouplus exactement, l'absence

du faisceau interne de la couche du ruban de Reil et de ses faisceaux acces-

soires (le ruban de Reil principal et latéral chez l'enfant âgé de ans était

bien développé, et chez celui qui n'avait presque pas de couches optiques,

le ruban de Reil était très peu développé) ; GO développement incomplet

des noyaux de la couche optique; 7° le pulvinar et le corps genouillé

manquent ; les pédoncules des tubercules quadrijumeaux postérieurs sont

peu développés.

La cause de toutes ces modifications est double. Certaines d'entre elles

(l'absence de l'écorce cérébrale, du pulvinar, du corps genouillé, etc.),

s'expliquent par l'hydrocéphalie interne du cerveau; d'autres modifica-

tions secondaires résultent de l'absence de l'écorce cérébrale : telles sont

l'absence des pyramides (c'est-à-dire de la voie motrice allant de l'écorce

cérébrale vers les cellules des cornes antérieures), l'absence du système

frontal et temporal du pont de Varole (c'est-à-dire des fibres qui unissent

le pont de Varole au cerveau) et l'absence des faisceaux disséminés de la

couche du ruban de Reil et des faisceaux internes accessoires.

Passant maintenant à l'examen des autres cas, nous allons nous arrêter

à celui de la fillette chez qui la moelle épinière existait seule, le cerveau

manquant totalement (Cas III). La voûte crânienne n'existait pas et la base

du crâne était recouverte d'une membrane très fine se prolongeant vers la

moelle épinière. A l'examen microscopique de la région lombaire par le

procédé de Pal, nous avons trouvé les cordons postérieurs bien dévelop-

Fig. 2. Cellule pyramidale

de l'écorce cérébrale (Cas I).

380 NICOLAS SOLOVTZOFF

pés; quant aux cordons antérieurs et latéraux, ils n'avaient de myéline

que sur leurs bords ; le faisceau pyramidal du cordon latéral n'était pas

développé. Dans la région cervicale supérieure, l'aspect est presque le

même que dans la région lombaire ; seulement, les cordons postérieurs

sont plus accusés, on voit ici les faisceaux de Goll et le faisceau de Bur-

dach. Les faisceaux pyramidaux latéraux et antérieurs manquent, ainsi

que la voie cérébelleuse directe et la racine du trijumeau, le faisceau fon-

damental du cordon antérieur et du cordon latéral, qui entourent la moelle

épinière par la périphérie existent seuls (I'l.1LVI, a). Plus haut,au niveau

de l'union de la moelle épinière au bulbe, existe une membrane, dans

laquelle on distingue des fibres de myéline.

Dans le cas du cyclope (Cas VI), chez qui la colonne vertébrale était L

fendue dans la région cervicale supérieure, la moelle épinière existait L

seulement dans les régions dorsale et lombaire; elle était encore plus

mince et n'avait que 1 millimètre de diamètre dans l'endroit le plus large.

Après avoir traité la moelle par le procédé de Pal, on pouvait voir nette-

ment, comme dans le cas précédent, les cordons postérieurs; quant aux

cordons antérieurs et latéraux, ils étaient, il la périphérie, enveloppés

d'une couche très fine des fibres myéliniques. Plus haut, dans la région

où la colonne vertébrale était fendue, il l'examen microscopique par la

méthode de Pal, on voyait la membrane recouvrant les corps vertébraux

sur leurs faces postérieures : à la périphérie cette membrane était recou-

verte de myéline. En outre les faisceaux antérieurs pénétraient des deux

côtés dans la membrane, et se terminaient dans les cellules nerveuses.

Passons maintenant à l'examen du cas où la colonne vertébrale était

totalement fendue (Cas V) ; comme nous l'avons déjà mentionné plus

haut, le canal vertébral était recouvert sur toute sa longueur d'une mem-

brane sur la surface antérieure de laquelle étaient situés les nerfs. A l'exa-

men par la méthode de Pal, cette membrane se montre couverte de l11)é-

line des deux côtés; vers sa face ventrale se dirigent des racines nerveuses

qui se terminent dans la membrane elle-même (PL XLVI, b). Un aspect si

bizarre de la moelle épinière s'explique, comme nous l'avons déjà dit,

par une accumulation excessive de liquide dans le canal central ; cette

accumulation de liquide s'est produite il une période très précoce de la vie

inter-utérine. La moelle épinière, ainsi que les tissus qui l'entourent, ne

pouvant pas supporter une telle pression, le canal cérébro-spinal s'ouvrit

suivant toute sa longueur, et il n'est' resté de la moelle épinière que sa

partie antérieure transformée en membrane sous l'influence de la pression

exagérée du liquide d'amnios.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SAI.pLrRIÈIOE.

T. XI. 1'1. XLVI

a

b

c

d

DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

(N. SoloYtzoff)

a. - Cas III. Coupe de la moelle, région cervicale. Absence des voies pyramidales, cérébelleuses,

et de la racine spinale du trijumeau.

b. Cas 1', Moelle épinière et membrane recouverte de fibres myéliniques, racines postérieures.

c. - Cas Il'. Moelle épinière; par suite de l'hydromyélie la région ventrale est réduite l une

membrane ; la région postérieure est e ? ti ornement atrophiée.

d. Cas 1-. Moelle allongée. Absence des faisceaux de Goll, des pyramides, des olives, de la

voie cClébcllcllSC direetc ; on voit les ncrfs hy poâlossc et pneumogastrique.

DES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL 38t

En examinant cette membrane par la méthode de Nissl à l'endroit d'où

parlent les racines antérieures, nous trouvons de deux côtés un groupe

de cellules nerveuses multipolaires. La structure de ces cellules ner-

veuses présente les particularités suivantes : le noyau et le nucléole se

voient très nettement, mais le protoplasma qui les entoure a un aspect

irrégulier ; il contient peu de grains de chromatine, qui sont disposés

irrégulièrement; la forme des cellules est irrégulière; on voit aussi un ré-

seau achromatique très net, parfois des vacuoles (Fig. 3). En un mot ces

cellules rappellent tout à fait celles d'un embryon il la première moitié de

sa vie intra-ulérine.

Dans tous les cas précédents, à l'exception du premier, les cellules de

la corne antérieure examinées par la méthode de Nissl, présentent un as-

pect tout particulier. La plupart sont constituées par un seul noyau, en-

touré d'une petite quantité de protaplasma avec des contours peu visibles

(Fig. 4). Mais avec ces cellules, il y a aussi des cellules plus développées ;

elles contiennent des grains de chromatine; ces derniers sont d'une forme

irrégulièrc et ne sont pas nombreux; l'aspect extérieur de ces cellules est

aussi irrégulier ; tantôt elles sont très petites, tantôt très grandes et allon-

gées (Fig. 3).

Comme nous l'avons déjà indiqué ces cellules ressemblent aux cel-

lules embryonnaires. Nos recherches récentes sur les cellules des em-

bryons ont parfaitement confirmé les résultais obtenus auparavant. Les

cellules nerveuses chez le foetus humain passent par certains stades de

Fig. 3. - Cellule de la corne antérieure de forme irrégulière

contenant des vacuoles (Cas V).

382 NICOLAS SOLOVTZOFF

développement pendant la vie intra-utérine. C'est ainsi que chez un foetus

de-'2 mois les cellules de la corne antérieure sont constituées presque uui-

quement par un noyau ; les contours du protoplasma qui l'entoure ne sont

pas nets; le protoplasma est formé seulement d'un réseau achromatique ;

mais à mesure que la cellule se développe, les contours deviennent plus

accentués. Ainsi, chez un embryon de 5 mois le protoplasma a déjà l'as-

pect d'un réseau très net. Si pendant cette période on fixe le cerveau dans

le formol, on trouve déjà une masse de vacuoles ; mais si le cerveau est fixé

Py. 4. - Cellule de la corne antérieure (Cas V, le cyclope).

Fig. 5.- Cellule de la corne antérieure (Cas IL).

DES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL 383

dans le sublimé ou dans l'alcool pur, alors on observe que le nombre des

vacuoles est moins grand ; à la place de ces dernières, apparaît un réseau

achromatique très ténu s'unissant à un réseau bien plus grossier ; c'est seu-

lement vers la fin de la vie embr onnaire, aux environs du 7e mois, que les

cellules présentent leur aspect ordinaire.

Selon nous, un tel aspect des cellules de la corne antérieure résulte de

l'absence des cellules pyramidales de l'écorce cérébrale. Dans la première

moitié de la vie intra-utérine les prolongements cylindre-axiles des cellules

pyramidales de l'écorce ne s'observent pas encore dans la moelle épinière.

La même cause, c'est-à-dire l'absence du cerveau et des voies pyramidales

ont arrêté le développement des cellules des cornes antérieures. Selon l'é-

poque à laquelle commence le processus pathologique qui sépare le cer-

veau de la moelle épinière, l'aspect des cellules apparaît différent. Ainsi

dans le cas de l'enfant âgé de deux ans, l'hydrocéphalie interne débuta

indubitablement pendant la seconde moitié de la vie intra-utérine, après

que se fut établi le contact entre les prolongements cylindres-axiles des

cellules pyramidales 'de l'écorce cérébrale et les dendrites des cellules

motrices de la corne antérieure. Voilà pourquoi, dans- ce cas, on ne peut

noter qu'une diminution de la quantité des cellules des cornes antérieures

sans modification de leur aspect extérieur. Il esterai que d'un autre côté,

puisque cet enfant a vécu presque 2 ans, on peut supposer que pendant

ce temps il a pu s'établir différentes communications qui ont pu remplacer

l'absence d'impulsions venant de l'écorce cérébrale. '

Quant aux autres monstres leurs cellules présentent un degré de déve-

loppement embryonnaire ; mais chez eux aussi le degré de l'anomalie dé-

pend de la quantité de substance cérébrale qui persiste. Moins était

gros le reste de la substance cérébrale, plus l'aspect des cellules était bi-

zarre : mais pour ce qui est des cellules des ganglions inter-vertébraux,

qui se développent tout à fait indépendamment du système nerveux central

et reçoivent leur stimulus principalement de la périphérie, ces cellules-ci

se sont développées très bien chez tous nos monstres. Ainsi donc l'hypo-

thèse que nous avons faite antérieurement, à savoir que le développe-

ment des cellules nerveuses de la corne antérieure de la moelle épinière

dépend de l'intégrité des voies pyramidales se confirme encore une fois, et

non seulement par les recherchés qui ont porté sur ces cinq cas patholo-

giques, mais encore par la suite de nos recherches sur les embryons.

Revenons encore au cas de cette fillette dont le canal vertébral était

fendu (Cas V) ; nous avons trouvé dans la membrane qui recouvrait en

arrière la gouttière du canal vertébral ouvert, tous les éléments de la

384 NICOLAS SOLOVTZOFF

moelle épinière, il savoir : des cellules nerveuses, des fibres myéliniques

et même des racines antérieures parlant indubitablement des cellules.

C'était réellement la moelle épinière, qui se présentait sous un tel aspect

à la suite d'une hydrocéphalie interne du cerveau, propagée vers le canal

central. Le processus ayant débuté à une période très précoce de la vie

embryonnaire, la vésicule cérébrale se distendit tellement qu'elle fut sou-

mise à une atrophie dans les endroits où la résistance était la moindre,

comme la voûte crânienne et les arcs vertébraux postérieurs. En somme,

c'est à la suite d'une hydrocéphalie et d'une hydromyélie que la moelle

prit un aspect aussi bizarre. Pour mieux s'expliquer le mécanisme qui a

provoqué un aspect si extraordinaire de la moelle épinière examinons

d'une manière plus détaillée le système nerveux central de la fillette, chez

laquelle était seulement atrophiée la partie supérieure de la voûte crâ-

nienne, grâce à quoi une partie du bulbe s'était aussi conservée (Cas IV).

L'hydrocéphalie interne s'était aussi propagée vers la moelle épinière,

mais ici le processus morbide n'était pas aussi accentué que dans le cer-

veau. Dans le cerveau, sous l'influence de l'hydrocéphalie interne, il y

avait une atrophie complète de ce dernier ; il ne restait que le bulbe qui

n'était pourtant pas entier. La moelle épinière sous l'influence de l'hydro-

céphalie prit l'aspect d'un tube ainsi que nous l'avons dit plus haut. En

utilisant la méthode de Pal on voit dans la partie antérieure de ce tube à

la périphérie une bande étroite consistant en fibres myéliniques, il travers

lesquelles passent les racines antérieures, qui louchent les cellules motri-

ces ; du côté postérieur la paroi de ce tube s'amincit et progressivement

devient presque nulle (PI. XLVII, C). Dans ce cas le canal vertébral est

élargi, mais pourtant il est clos sur toute sa longueur ; le canal central de la

moelle est aussi tellement élargi qu'en certains endroits il atteint 2 milli-

mètres de diamètre et même plus ; et si le processus s'était propagé plus

loin, sous l'influence de l'hydromyélie la partie postérieure de la moelle

épinière qui actuellement est presque nulle, serait totalement atrophiée

de même que les arcs postérieurs des vertèbres et il ne serait resté que

la partie antérieure de la moelle ; nous aurions vu alors un aspect analo-

gue à celui qu'on observe dans les cas ou la colonne vertébrale est com-

plètement fendue et où la moelle épinière est réduite à une simple mem-

brane (l'l. XLVI, 13). Dans le dernier cas (Cas IV) l'hydrocéphalie céré-

hro-spinale n'atteignit pas à un degré suffisant pour provoquer une

ouverture complète du canal cérébro-spinal; il existe encore une petite

portion delà moelle dans sa partie postérieure (PI. XLVI, C). En un mot

l'hydromyélie dans ce dernier cas n'étaitpas assez marquée pourprovoquer

une ouverture complète du canal central et fendre la colonne vertébrale.

CI,

DES DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL 38

Pourtant il est indiscutable, que si le processus s'était propagé plus loin,

nous aurions vu chez cette fillette aussi un tableau analogue à ceux des

cas précédents c'est-à-dire que les coupes transversales de la moelle épi-

nière n'auraient pas eu la forme d'un anneau, mais simplement 'd'une

membrane.

En ce qui concerne la moelle allongée, nous trouvons dans cette der-

nières les particularités suivantes : les voies longues manquent totalement

(voies pyramidales et ruban de Reil). Les olives manquent aussi, de

même que la couche inter-olivaire, le nerf trijumeau, les voies cérébel-

leuses des cordons latéraux. Le faisceau de Burdach et le faisceau fonda-

mental du cordon latéral et antérieur persistent ainsi que les libres arcifor-

mes internes qui partent du cordon de Burdach, s'entrecroisent et se

terminent dans la substance réticulaire grise et blanche (PI. XLVI, d). On

voit aussi les nerfs hypoglosse et pneumo-gastrique. L'absence des pyra-

mides et de la couche du ruban de Reil s'explique par l'absence presque

complète de tronc cérébral ; l'absence des olives et des voies cérébelleuses

directes s'expliquepar l'absence du cervelet. Le cordon de Goll a été détruit L

par l'hydrocéphalie interne cérébro-spinale. Ainsi, ici encore l'hydrocé-

phalie peut être regardée comme la cause de la monstruosité; elle a fait

disparaître le cerveau presque complètement et, dans la moelle épinière

elle a déterminé un degré très marqué d'hydromyélie.

CONCLUSIONS.

I. L'hydrocéphalie interne provoque différentes difformités du système

nerveux central : absence de l'écorce, du pulvinar et des corps genouillés.

On ne retrouve pas davantage de traces de voies pyramidales, du système

frontal et du système temporal du pont de Varole, des faisceaux dissémi-

nés de la couche du ruhan de Reil et des faisceaux internes accessoires.

II. Si le processus morbide est plus accentué, alors non seulement

l'écorce cérébrale manque, mais encore toute la voûte crânienne; il ne

reste que la moelle épinière et parfois une partie du bulbe (on observe

encore ici l'absence de la voie pyramidale, du ruban de Reil, de la voie

cérébelleuse directe, de la racine spinale du nerf trijumeau), ou bien il ne

reste que la moelle épinière seulement et nous ne trouvons dans celle

dernière que le faisceau fondamental du cordon antéro-latéral et les cor-

dons postérieurs.

TU. Si ce processus se propage vers le canal spinal, alors outre l'ah-

sence du cerveau, on observe encore : ou hien une hydromyélie très pro-

noncée (alors la parlie postérieure de la molle épinière est très peu déve-

... x, 1 26

386 NICOLAS SOLOVTZOFF

loppée) ou bien une ouverture complète de la colonne vertébrale, alors il

ne reste de la moelle épinière qu'une partie antérieure révélant l'aspect

d'une membrane.

IV. Celle même cause jointe a l'anencéphalie engendre parfois la

cyclopie.

V. Dans toutes ces difformités les cellules des cornes antérieures restent

à un stade de développement embryonnaire.

VI. Toutes les difformités que nous avons observées (12 cas), sont rela-

tives à des monstres du sexe féminin (1).

(1) Avant de terminer ce travail nous tenons à remercier M. le professeur S. Korsa-

koff pour l'accueil sympathique et cordial que nous avons rencontré dans sa clinique

et 111JI. V. Weidengallllller et S. SavkpanoIT qui nous ont aidé de leurs conseils.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE

[Suite)

PAR

A. WEIL ET J. NISSIM

Médecin en chef h l'hôpital Ancien interne à l'hôpital

de Itothschild. de Rothschild.

Ons. XXVI11. GODHH, Tran. of. clin. soc., t. XIX, p. 333.

' Présentation du 28 mai 1886.

T. D..., 3 ans, en 188 déjà l'enfant présentait des plaques osseuses dans le

grand dorsal droit et un noyau induré à la partie externe du genou droit.

En 1886, eczéma de la tête ayant occasionné probablement le gonflement

des ganglions du cou ; un gonflement du côté gauche du dos a apparu quel-

ques jours auparavant. '

25 mai 1886. - Sur le bord externe du grand dorsal (ou du petit rond)

se voit une plaque osseuse de 4 pouces, dans la paroi postérieure de l'aisselle.

L'abduction du bras peut atteindre 60° ; l'adduction est complète. La projec-

tion du bras en avant est très limitée ; celle en arrière l'est beaucoup moins ;

la rotation en dedans est beaucoup plus limitée que la rotation en dehors. Lé-

gers mouvements entre l'omoplate et l'humérus : les plaques osseuses ne sem-

blent pas être réunies aux os sous-jacents. Pas de nodosités semblables dans le

grand dorsal du côté gauche.

A gauche, sur(le dos, une grande masse élastique, constituant apparemment

une nouvelle poussée. Elle s'étend en dedans jusqu'à une faible distance de la

ligne médiane ; en bas bien au-dessous de l'angle inférieur de l'omoplate ; en

haut par-dessus l'épaule jusqu'à la clavicule : l'omoplate se trouve prise daus

l'intérieur de cette masse. A son niveau la peau est épaissie par place ; elle

offre des veines superficielles dilatées et ne peut pas être pincée. Les ganglions

de l'aisselle gauche sont beaucoup plus gros droite ; ceux du cou sont

gros des deux côtés, plus cependant à gauche (sans doute par suite de l'eczéma

de la tête).

Les pouces sont déviés en dehors avec des mouvements limités.

La tête est un peu fléchie, fixée et déviée vers la droite ; le cou est raide ; il

offre des masses osseuses ; les steruo-mastoïdiens et les trapèzes sont libres. La

colonne dorsale est raide et tient constamment le corps penché vers la gauche,

de sorte que les côtes les plus inférieures touchent la crête iliaque. En avant

on constate un épaississement de la paroi antérieure des aisselles.

3$$A. 4\'1's1L ET J. ISS1DI

Un noyau osseux mobile devant la tubérosité externe du tibia.

Hallux valgus congénital.

Un mois auparavant, Godlée avait noté au-dessous de l'angle inférieur de

l'omoplate gauche, une masse osseuse fixée aux tissus sous-jacents. La tête

était fixée et déviée vers la gauche. Scoliose de la colonne vertébrale à con-

vexité droite.

Le 20 mai éruption de la peau avec T. 38° à 38e.

Le bras gauche ne peut être éloigné du tronc au delà de 45e. L'omoplate est

tout à fait fixe. Au-dessous de la paroi postérieure du creux axillaire il existe

une grande masse dure et bosselée. De l'angle inférieur de l'omoplate part une

crête osseuse qui se dirige vers la première vertèbre lombaire et une deuxième

qui suit la ligne axillaire jusqu'à la crête iliaque.

Godlée a assisté aune attaque de l'affection dans les muscles rhomboïdes des

deux côtés successivement. Au niveau de l'angle supérieur et postérieur des

omoplates, il a constaté une tumeur diffuse s'accompagnant du gonflement des

ganglions cervicaux. En quelques semaines, la tuméfaction se tassa laissant à

sa suite des nouvelles plaques osseuses et une difficulté dans les mouvements

de l'épaule.

OBS. XXIX. - VOLKMANN, Discussion de la Société allemande de chirurgie,

1'1 avril 1887.

Volkmann a observé un malade avec des ostéomes tellement diffus et multi-

ples du'il a essayé de lui rendre une certaine mobilité par l'extirpation de cer-

taines masses osseuses sur quelques points du squelette. Il a trouvé qu'une

partie de ces os néoformés qui faisaient saillie dans la musculature et qui

semblaient se substituer aux muscles, étaient pourvus à leur extrémité d'une

épiphyse, c'est-à-dire d'une couche mince de cartilage hyalin. Cette couche

présentait une zone d'ossification et était constituée comme dans une extrémité

articulaire : ainsi l'analogie avec une exostose articulaire de Virchow était

complète.

OBs. XXX. - LRNDON, Tran. Intercolon. JJled. Cong. Australas, 1887,

Adélaïde. 1888, I, 109-121, 6 pl.

Garçon. Les muscles du dos et de l'épaule sont atteints ; le bras est atteint

très violemment, les muscles de la cuisse aussi. Exostoses surtout au fémur.

Microdactylie des gros orteils et hallux valgus. Légère altération des surfaces

articulaires.

Recherches dans la portion cervicale de la moelle : rien d'anormal (1). Cas

observé en Angleterre ou en Australie.

Nous avons reproduit cette observation d'après ce que rapportent

Sonham et Pincus et d'après les figures qu'en donne le premier de ces

auteurs.

(1) Revealed nothing unusual, excepta spunkling of corpora amilacea.

UE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 389

I

OBS. XXXI. - BOKAI, Wiener med. Wochensch., 1889, n° 14, p. 521.

L'auteur présente il la Société de médecine de Budapest, le 23 février 1889,

un cas de myosite ossifiante progressive. Il s'agit bien d'un enfant hongrois,

rachitique de 5 ans, dont les muscles de la nuque, le dos et les muscles grand

dentelé, grands pectoraux, grands dorsaux, trapèzes, les masses sacro-lombai-

res sont ossifiés.

Rien dans les antécédents héréditaires ; les lésions ont été remarquées pour

la première fois à 4 ans et'demi.

Fig. 9. - Myosite ossifiante progressive (Cas de Lendon, d'après The Laacet).

390 A. WEIL ET J. NISSIM

Ons XXXII. S\\'ENSON, Un cas de myosite ossifiante multiplex.

Hygiea, Stockholm, 1891, L. 111, 285-290.

Garçon, 14 ans.

Antécédents héréditaires. Rien à signaler.

A l'àge de 2 à 4 ans, le malade reçut plusieurs trauma nu dos et aux épaules.

La maladie fut remarquée également à cette époque. Au début, on observa un

gonllement à l'occiput et de la raideur de la nuque ; les muscles de la nuque et

du dos furent donc atteints les premiers ; les muscles atteints en dernier lieu

ce furent ceux des épaules et des parois de l'aisselle. Les traumatismes pro-

voquaient des attaques espacées par des pauses de plusieurs mois. Les attaques

elles-mêmes étaient indolores.

Dans la 12° année, la nuque, le pourtour des épaules, la paroi postérieure

de l'aisselle, le dos (grand dorsal 1) étaient atteints fréquemment, symétrique-

ment ; un peu de scoliose. Traces d'albumine dans les urines ; la mastication

est normale.

Ons. XXXIII. - Macdonald, The British. med. Journ., 1891,

t. Il, 29 August., p. "'78.

M. W ? 4 ans, amené par sa mère pour le faire opérer afin de libérer les

bras qui étaient presque fixés aux côtés.

A l'examen : Coudes très peu mobiles, par suite de la rigidité, de la semi-

ossification des muscles de la ceinture scapulaire, spécialement des tendons du

grand rond et du grand dorsal. Les muscles de la nuque et du dos sont ossifiés ;

on constate des nodosités sur la tête,-les omoplates, la colonne vertébrale, les

côtes et le sacrum.

12 novembre. Admis il l'hôpital, enfant intelligent, bien développé, pesant

94 ibs, hauteur 38 pouces 1/2. Tête fléchie en avant, ne peut étendre, ni tourner

la tête par suite de l'ossification des muscles sterno-mastoïdiens, trapèzes,

stylo-hyoïdiens, omo-Uyoidiens et sterno-hyoïdiens. Sterno-mastoidien gauche

dur comme du fer d'où tête, déviée à gauche.

Large pièce sur l'éminence frontale gauche ; une plus petite sur le temporal

gauche près la suture pariétale, une autre plus petite sur l'occipital.

Coudes ne peuvent être éloignés au delà de 8 pouces. Muscles de l'épaule

ossifiés ; à gauche : le grand rond, le grand dorsal en partie, le grand pectoral ;

l'omoplate est fixé aux côtes. Adroite, il y a moins de lésions, les mouvements

sont plus libres.

Masses volumineuses à l'angle inférieur des omoplates; l'angle supérieur de

l'omoplate gauche est pris; le droit ne l'est pas. L'omoplate gauche est fixe, le

droit est mobile.

Nodosités de volume variable Sur la colonne vertébrale ; sur les apophyses

épineuses, le sacrum, les côtes et la crête iliaque, les muscles sont également

atteints d'où difficulté pour le malade de ramasser un objet par terre, de faire

de grandes inspirations.

Rien dans les jambes.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 391

Histoire de la maladie. - Antécédents personnels. Rien jusqu'à 2 ans. A

cette époque apparition d'une grosseur vers le milieu du bord postérieur du

sterno-mastoïdien gauche, elle fut incisée comme un abcès, n'a pas donné du

pus ; elle a disparu dans deux mois par l'huile de foie de morue. Une 2' gros-

seur a apparu sur le front et disparu de même ; une 3e sur la colonne dorsale

qui a disparu également.

Coqueluche à un an.

Malgré l'huile de foie de morue, KI,Hg la maladie a progressé.

Antécédents héréditaires. - Pas de syphilis chez le père.

2 février 1891. - Tentative de libérer le bras en réséquant le grand rond

depuis l'humérus jusqu'à l'angle inférieur de l'omoplate : c'était un morceau

d'os à double insertion fibreuse. Cette tentative ne fut pas suivie de succès, car

le petit rond, le grand dorsal, les pectoraux et une partie du deltoïde étaient

ossifiés. '

Cas. XXXIV. J. 13RErrNSORrr, Berlin, ! clin. Wocllensch., 1892, p. 1163.

Paysan, 20 ans. Pas d'antécédents héréditaires ni personnels. Jamais ni

coups, ni blessures.

Peu de vivacité dans les mouvements dès l'enfance ; épaule gauche plus

basse que la droite, puis légère scoliose de la colonne vertébrale. A 17 ans, il

devient tisserand ; le bras droit devient raide, puis le bras gauche et tout le

tronc de même que les membres inférieurs, subissent la même raideur, et le

malade est forcé de cesser son travail. Rien dans les organes.

Expression du visage stupide. Maintient incertain, marche difficile. Thorax

immobile, respiration abdominale. Mouvements de la tête très réduits. La tête

peut être penchée, mais la rotation n'existe plus. Ankylose de l'épaule ; an-

kylose du coude gauche, le droit offre encore quelques mouvements incom-

plets. Mains et doigts libres. Aux membres inférieurs tous les mouvements

sont possibles, mais difficiles.

Presque toute la musculature est ossifiée. Scoliose et rugosité du tronc. Le

dos présente des points surelevés et d'autres enfoncés qui lui donnent l'aspect

de la carte géographique d'une région montagneuse. A la palpation, on sent

partout une masse dure, osseuse. Nombreuses exostoses sur les parties infé-

rieures du dos vers le sacrum et la crête iliaque gauche.

Grand dorsal et grand pectoral ossifiés à l'épaule (ce dernier offre cependant

quelques portions molles) de même les deltoïdes ; les parties inférieures du

biceps et du brachial antérieur sont dures.

Muscles de la nuque complètement ankylosés. Scalènes et sterno-mastoï-

dien droit très rigides. Sous le muscle mylo-hyoïdien, on sent une sorte de

stalactite osseuse. Muscles abdominaux durs. Rigidité des muscles de la cuisse.

Tous les autres muscles non cités ici sont plus fermes qu'à l'état normal. Mus-

cles de la face des avant-bras et des mains complètement libres. Le gros orteil,

des deux côtés est singulièrement raccourci par suite de l'absence de la

2° phalange.

392 A. WEIL ET J. NISSIM

Dans ce cas l'ossification a commencé sans douleurs, sans rougeur ni cha-

leur.

Ons. XXXV. L. RABEC1\ : , médecin de l'hôpital des Enfants ci Varsovie.

Archives de Virchow, 1892, t. CXXVIII, p. 537-51f.

Machalina Sienkowska, 3 ans et demi. Pas d'affection semblable dans la fa-

mille ; deux frères l'un de 5 ans 1/2, et l'autre de 1 an 1/2 bien portants. A

l'âge de quelques mois, elle eut il la tête des tuméfactions comme des noisettes

situées l'une à l'occiput, d'autres à la partie supérieure de la tête, une autre

beaucoup plus grosse au cou, immédiatement au-dessous de la mâchoire, à

droite. Ces petites tumeurs disparurent dans l'espace d'un mois ; la plusgrosse,

celle du cou, plusieurs semaines plus tard après suppuration. A l'âge de G mois

on s'aperçut pour la première fois que l'enfant avait des noyaux indurés au dos,

dans les régions scapulaires, et que les mouvements des bras étaient un peu *

limités. Les tumeurs du dos ont été en grossissant avec le temps. Depuis une

année, les mouvements de la mâchoire inférieure sont limités et il existe une

ankylose au coude droit. La malade est toujours pâle, très colère, elle dort

ordinairement mal.

Etat actuel. - Enfant amaigrie. Tête grosse, thorax rachitique. Pas de fiè-

vre : pouls et respiration normaux. Mouvements limités au maxillaire infé-

rieur et aux deux bras ; l'écartement des dents arrive à 5 millimètres (1). Les

bras n'atteignent pas l'horizontale. Ankylose du coude droit à angle droit ;

l'extension complète, même forcée, est impossible ; la flexion est normale. Les

omoplates sont très peu mobiles. Ankylose congénitale des gros orteils en hal-

lux valgus de telle sorte qu'ils se placent sous le 2e orteil. 1.

Des tumeurs de consistance osseuse se trouvent dans différents endroits du

corps, indolores à la pression ; la peau est mobile à leur niveau. Les mieux

développées siègent au dos. L'une d'elle commence dans la profondeur de l'ais-

selle droite et se dirige en bas et en arrière dans la direction du muscle grand

dorsal ; son extrémité inférieure correspond à la 10" côte, sur la ligne scapu-

laire. L'autre se trouve sur le côté gauche ; elle offre la même forme et s'étend

de l'aisselle à la ligne scapulaire de la 8e côte ; toutes les deux sont mobiles,

pectiniformes. En outre, on voit d'autres tumeurs ; deux entre les omoplates,

deux autres sur la moitié inférieure de l'omoplate gauche, et une sur la région

lombaire gauche. Toutes ces tumeurs siègent dans les muscles. Les muscles

des régions sus et sous-épineuses, ceux des régions inter-scapulaire et lombaire

sont durs, mais pas ossifiés. Tumeur dure à la région du biceps brachial droit,

allongée, très large en haut, plus étroite plus bas ; la moitié supérieure est en-

tièrement fixe, et forme une masse compacte avec les muscles qui entourent

l'épaule, lesquels sont eux-mêmes très durs ; la moitié inférieure est très peu

mobile. De petits noyaux ronds, gros comme des pois, se rencontrent dissé-

minés dans le grand pectoral droit, depuis l'aisselle jusqu'au sternum. Le mas-

séter droit est dur et épaissi presque dans sa totalité. Sur le côté postérieur du

(1) Les troubles des mouvements de la mâchoire apparurent à 2 ans 1/2.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 393

cou, sur le bord externe, du trapèze gauche, se voit une petite masse ovale de

5 centimètres. La partie supérieure du muscle sterno-mastoïdien droit est

épaissie et dure, mais pas ossifiée. '

Sortie de l'hôpital le 14 décembre 1888, elle mourut quelques mois après.

Ons. XXXVI. - Stonham, The Lancet, 1892, t. II, p. 1485-1491.

Thomas D..., 4 ans, entré à St-Bartbolemeos bospital le 30 août 1886.

Au commencement de l'année 1886 rougeole.

Oncle maternel et grand'mère bacillaires ; pas de rhumatisme dans la fa-

mille.

En janvier 1883 on découvre, par hasard, une tuméfaction au niveau de l'an-

gle supérieur de l'omoplate droite, à l'insertion de l'angulaire ; six mois plus

tard, il existait une tuméfaction sur le bord interne de l'omoplate empiétant

sur l'angle inférieur ; en même temps on constate que l'enfant ne peut porter

la cuiller à la bouche ni lever suffisamment les bras. A la suite d'une chute qui

porte on ne sait sur quelle région la tête de l'enfant se penche à droite.

En janvier 188' nouvelle tumeur dans la masse sacro-lombaire gauche ; et

à l'angle inférieur de l'omoplate gauche limitant les mouvements du bras. La

tête est inclinée alors du côté gauche.

A son entrée, on constate une excroissance dure sur les 4e et 5e apophyses

transverses des vertèbres cervicales gauches ; au-dessus d'elle une petite tu-

meur mobile. Tête inclinée à gauche, sterno-mastoïdien tendu au-dessus de la

tumeur mentionnée. -

Scoliose dorsale droite, légère courbure de compensation lombaire gauche ;

cyphose dorsale supérieure penchant la tête an avant.

Respiration presque entièrement abdominale ; omoplates presque fixées ;

une grosse masse sur le bord interne de l'omoplate droite, plus large sur l'an-

gle inférieur.

La partie du grand dorsal qui recouvre l'angle inférieur de l'omoplate pa-

rait ossifiée, et la portion tendineuse qui va de ce point à l'humérus est égale-

ment ossifiée.

Le bras droit n'atteint pas l'horizontale, les doigts arrivent jusqu'à la région

temporale. Mêmes modifications à gauche, mais moins accusées ; mêmes lésions

sur le grand dorsal. Le bras droit s'éloigne du tronc de 4raz, les doigts atteignent

la bouche, mais non la tête. Les deux bras sont petits et minces.

Sur la 8° côte droite, au niveau de l'angle, un nodule osseux; un autre sur

la 8e côte gauche au même niveau et sur l'apophyse transverse. Ossification

des masses sacro-lombaires, à gauche plus prononcée.

Sur le côté externe du genou droit, au-dessus du péroné, une masse osseuse,

plate, d'un pouce de diamètre, et un nodule comme un petit pois, immédiatement

au-dessous de la peau. Epaississement de la tubérosité interne du tibia droit.

Les gros orteils sont en hallux valgus.

Urines acides, densité 1025, rien d'anormal.

391 t A. WEIL ET J. NISSIM

On.. XXXVIf. B. Pollard, The Lancet, 1892, p. 1MI.

Garçon, 9 ans, vu en juillet 1891.

A t'age de 6 mois, on constate une masse il l'angle inférieure de l'omoplate

droite ; à un an plusieurs nodules sur les côtes. 2P année : fixité du bras et

augmentation de la masse de l'omoplate, rigidité de la nuque sans qu'on y

trouve des masses osseuses. 3e année : masse dure entre la crête iliaque droite

et la 12° côte. 49 année : chute sur le genou, plaie, qui guérit, mais laisse à sa

suite une masse au-dessous et à droite de la rotule droite. Nuque très raide,

tête penchée en avant. Un ou deux nodules au-dessous de l'angle inférieur

de l'omoplate gauche et un au-dessus de la crête iliaque gauche. 5° année :

difficulté des mouvements du bras gauche et de plier le dos. 6e année : nuque

très raide, pour la première fois on y trouve des masses osseuses ; plusieurs

autres sur les côtes. 7° année : raideur de plus en plus accusée, raideur dans

la marche. Variole, rougeole et coqueluche ; pas de douleurs aux région»

maldes.

Antécédents héréditaires. - Rien de spécial.

Etat de l'enfant le 8 juillet 1891 : raideur de la marche. Il peut se tenir

debout, mais le moindre choc peut le faire tomber. Mouvements de la tête très

limités, nuque très raide. Masse osseuse entre le menton et le sternum; elle

se fixe sur le bord inférieur du maxillaire, tout près de la symphyse et s'étend

à droite du cartilage cricoïde sous forme d'une corde arrondie et dure. Des

angles de cette masse partent deux cordes osseuses, l'une il droite et l'autre

à gauche ; elles se terminent au-dessous, de l'articulation sterno-claviculaire.

Saillie des sterno-mastoïdiens sl4ns noyaux osseux ; les muscles latéraux de

la nuque sont exempts d'ossifications.

Le bras droit s'éloigne du tronc jusqu'à 45°, mais à cette limite l'omoplate se

déplace aussi. Il peut être porté sur le côté, mais non en arrière de la ligne

axillaire postérieure, en avant de 45°. Cette diminution dans l'étendue des

mouvements paraît tenir à l'état de contracture des muscles du creux axillaire.

Dans la paroi postérieure de l'aisselle masse osseuse allant en bas jusqu'à

l'angle inférieur de l'omoplate, en haut vers la coulisse bicipitale ; elle est

légèrement mobile et semble appartenir au grand dorsal. La peau offre à-son

niveau une cicatrice, résultat d'une opération pratiquée dans le but d'enlever

un morceau d'os, à l'âge de 3 ans.

Le bord inférieur du grand pectoral raccourci est tendu comme une corde

fibreuse ; tuméfaction dure au niveau de son insertion aux cartilages costaux.

Coude libre. A l'avant-bras quelques nodosités le long du bord radial, un peu

au-dessus de l'apophyse styloïde. Dans le long supinateur probablement masse

ovale d'un pouce de long sur 1/2 de large, mobile.

Le bras gauche peut être levé jusqu'à 45°, l'adduction complète est impossi-

ble. Dans le grand dorsal masse osseuse étendue de l'angle inférieur de l'omo-

plate à l'humérus, ne s'insérant pas sur les deux os.

Au coude gauche, saillie formée par un nodule irrégulier paraissant en con-

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 39o

nexion avec le tendon du biceps. Plus profondément une masse semblant ap-

partenir à la partie inférieure du brachial antérieur.

Colonne vertébrale rigide, plus mobile à la région lombaire. A gauche des

5e et 6e vertèbres dorsales, dans les fibres les plus inférieures du trapèze,

masse arrondie, mesurant 3/4 de pouce de long, sur 1/2 de large.

Sur le côté gauche plusieurs petits nodules dans le grand dorsal, dont trois

fixés aux côtes, paraissent occuper les insertions musculaires qui en partent.

A droite de la colonne, dans la région lombaire, une masse plate très mobile.

Elle s'étend de la ligne médiane à deux pouces en dehors, et verticalement de

la crête iliaque à la 18 côte. Le bord antérieur du grand dorsal est saillant et

transformé en une masse irrégulière, étendue de la crête iliaque aux côtes. Un

peu au-dessus et en arrière un noyau osseux plus petit, mobile.

Pas d'ossifications «dans les muscles de la région abdominale antérieure.

Mouvements de la hanche droite conservés.

Juste au-dessous du grand trochanter, une masse de 3 pouces de long sur 1

de large, paraissant occuper le fascia lata.

Même disposition à gauche.

Une pointe osseuse étendue du tubercule du 3° adducteur dans le tendon du

moyen adducteur : les deux sont fixes à leur extrémité inférieure.

Une masse mobile, irrégulière entre l'extrémité inférieure du condyle interne

et la rotule; une masse plus petite, mobile, juste au-dessus de la tubérosité

externe du tibia droit. Ces deux saillies semblent occuper l'expansion fibreuse

des muscles extenseurs.

Genoux. - Extension, limitée ; flexion, libre. Les deux tibias offrent des

excroissances osseuses juste au-dessous des tubérosités.

21 juillet 1891. - On enlève l'ossification de la paroi postérieure de l'ais-

selle gauche; la tumeur comprenait toute l'épaisseur du grand dorsal ; elle ne

s'insérait sur aucun os. La mobilité du bras augmente un peu, mais ce bénéfice

se perd bientôt. On enlève également la tumeur du haut de la nuque, on

n'obtient rien, sans doute par suite de l'ossification des muscles profonds.

Les os enlevés avaient l'apparence du tissu osseux normal.

24 décembre. Reproduction des tumeurs opérées.

Bras droit. Abduction et flexion de 15°, extension jusqu'à la ligne axil-

laire médiane. '

Bras gauche. Abduction mis, flexion 15° et extension 45°.

Muscles de la paroi antérieure de l'aisselle raccourcis et fermes ; pas de for-

mation osseuse à leur niveau ; la paroi postérieure est occupée par une masse

attachée à l'angle inférieure de l'omoplate et s'étendant jusqu'à l'humérus,

mais ne s'y insérant pas.

Ons. XY : YVIII. - 111SSEL de Moscou, Vrafch, 1893, 32, p. 882 ;

BALADAN, Arch. génér. de ttécl., 1891, p. 627.

Enfant de 19 mois. D'après la mère la maladie aurait débuté à 7 mois par

une tuméfaction dure à la nuque-de la grosseur d'une petite noix. Bientôt appa-

rition insidieuse, sans douleurs ni rougeur, d'autres tumeurs, un peu plus

396 .\. WEIL ET J. NISSIM

grosses qu'une petite noix, à la poitrine, il la face postérieure du cou et au dos.

Disparition des tumeurs au bout de 3 il 4 semaines, sans laisser de traces;

d'autres se sont ramollies et ont donné issue à un liquide puriforme, sans pro-

voquer des phénomènes inflammatoires localement.

Etat général toujours parfait. Depuis quelque temps, la tête est penchée

constamment en avant, et la partie postérieure du cou est rigide ; impossibilité

de tourner la tête en arrière. Pas d'antécédents pathologiques héréditaires ni

personnels.

8 avril 93. Bonne constitution. Pas de rachitisme ; pas d'engorgement

ganglionnaire. Rien dans les organes internes. Tète fortement inclinée en

avant : le menton touche le sternum. Mouvements de la tête très limités, sur-

tout en arrière. Tuméfaction dure comme du bois il la nuque ; les bords des

muscles sont très épaissis. Mêmes indurations et épaississement des muscles

cléido-mastoïdiens et pectoraux. Mouvements de l'épaule droite très limités

surtout l'abduction et l'élévation. Peau et tissu cellulaire sous-cutané nor-

maux. Les ponctions exploratrices, faites dans le but de s'assurer de la nature

osseuse ou cartilagineuse des tumeurs, sont restées sans résultat positif.

25 avril 93. Apparition dans le liane droit d'une tumeur ayant les mê-

mes caractères que les précédentes, dans l'espace de quelques jours elle atteint

les dimensions d'une noix. '

27 avril. - Une incision au niveau de la tumeur donne : peau et tissu cel-

lulaire normaux ; le muscle est très tuméfié, proéminent sous forme de tu-

meur, il ressemble par son épaisseur au fromage de Gruyère, jaune rosé ; la

surface est polie, brillante, oedématiée, anémiée. Pas de contractions fibril-

laires sur la coupe. ..

Examen microscopique. - Tissu embryonnaire très jeune, à savoir pas de

grandes cellules étoilées avec des prolongements de différentes formes, beau-

coup plus rarement on rencontre des fibres musculaires striées, très modifiées.

Au bout de huit jours, la tumeur en question disparaît presque complète-

ment.

Pendant le séjour de l'enfant à l'hôpital, des tumeurs apparaissent dans

différentes parties du tronc seulement pour disparaître en peu de temps sous

l'influence exclusive de la médication iodurée interne.

Seule la tumeur du grand pectoral est restée stationnaire rappelant le tissu

osseux par sa consistance. Amélioration appréciable surtout dans les muscles

du con; la tête est moins inclinée en avant et beaucoup plus mobile.

Ces. XXXIX. - `ŸEr.DON Carter, The Lance, 1894, t. I, p. 327-328.

Garçon, 9 ans. Vu pour la première fois en avril 1892 pour tumeurs du dos

ayant débuté 4 ans auparavant et ayant augmenté en volume et en nombre sans

douleurs.

Rien dans les antécédents personnels ou héréditaires.

En 1892 l'état général est bon. Tête un peu raide et légèrement penchée en

avant ; il est incapable d'étendre complètement les portions dorsale et lombaire

de la colonne vertébrale ; colonne cervicale légèrement raide. Transformation

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 397

de la masse sacro-lombaire aux lombes en une masse osseuse large de 4 pou-

ces 1/2 dont deux pouces à droite et deux pouces et demi à gauche de la

ligne médiane. Les vertèbres sacrées sont à peine un peu plus proéminentes

qu'à l'état normal. Dans la paroi postérieure de l'aisselle des noyaux osseux

irréguliers, mobiles plus développés à gauche et occupant une grande partie

de la portion axillaire du grand dorsal. '

D'autres masses dans le grand rond, le long du bord interne de l'omoplate

droite, dans le trapèze gauche tout près de son insertion occipitale.

Les gros orteils en hallux valgus, raccourcissement des le,, 4e et 5e orteils

des deux pieds.

Avril 1893. Pas d'augmentation de la raideur du dos ; les masses osseuses,

surtout celles du grand dorsal, sont augmentées de volume. Nouvelles masses

osseuses il gauche de la colonne commençant vers la 8° vertèbre dorsale et se

dirigeant en dehors et en haut vers l'omoplate gauche. Plusieurs autres noyaux

dans différentes parties du dos.

ans. XL. GIl3NEY, Boston med. journal, 1891, p. 3.

La malade qui fait l'objet de cette observation a été vue par l'auteur en

1874 ; son observation a été publiée dans le New-York naed. Record de l'année

1875, viol. Xi p. 747.

Nous reproduisons ce que Gibuey en dit en 18 ?

Fillette de 10 ans. Diplitérie en 1874 avec paralysie des cordes vocales. Les

muscles atteints sont : le grand dorsal, les scalènes, la masse sacro-lombaire.

Bras droit fixé par le tendon ossifié du grand dorsal ; elle souffrait dans le

dos, scoliose légère.

Sur le conseil de la Société de médecine, on lui donne de l'acide lactique;

un an après, on ne constatait aucun changement.

Depuis 1884, la maladie n'a pas fait de progrès.

uns. XLI. - GIIINEY, Boston med. journ., 1894, p. 43. Un cas de Ill. 0.

avec exostoses multiples.

Garçon, 10 ans, atteint depuis Cage de 5 ans. A ce moment on diagnostique

M. 0. ayant atteint l'angulaire de l'omoplate.

En 1893, tête inclinée à droite ; membres supérieurs recourbés ; les

coudes séparés des parties latérales du tronc. Tumeur osseuse à la partie

moyenne de la mâchoire comme un petit pois. Il peut redresser sa tète qui

retombe sitôt après dans l'attitude indiquée plus haut; la rotation de la tête est

minime, environ 10°. Clavicule droite très incurvée à sa moitié externe, la

convexité la plus forte tournée du côté de la colonne vertébrale. L'extrémité

externe présente un épaississement appréciable, tandis que la partie interne

est subluxée en avant et paraît ankylosée.

Clavicule gauche très incurvée dans toute son étendue, la convexité dirigée

vers la nuque. A sa première moitié il existe une masse irrégulière, osseuse

mesurant un demi-pouce. La base de cette tumeur commence dans la portion

398 A. WEIL ET J. NISSIM

claviculaire du grand pectoral, se continue dans sa partie pectorale, arrive à

la paroi antérieure du creux axillaire où elle s'enfonce profondément.

Une petite exostose à l'articulation de la 2° côte avec le sternum, exostoses

semblables sur les articulations sterno-costales des 3e et 5° côtes.

Mouvements respiratoires limités.

A la partie moyenne de la 5° côte une masse osseuse, triangulaire, se pro-

, longeant en arrière et en bas dans l'épaisseur du grand dorsal et grand den-

telé.

9 mars 1893. - Pour relâcher l'épaule, on sectionne le tendon du grand

dorsal il droite, on excise une masse osseuse très dense et très dure, mais une

nouvelle masse, plus dense, ne tarda pas il réapparaître.

i Une masse plus petite située sur le tendon d'Achille à droite fut également

enlevée; elle ne revint pas.

(A suivre.)

UN LÉPREUX DE J. CORNELISZ

PAR

HENRY MEIGE.

JACOB CORNELISZ, dit Cornelisz d'Amsterdam ou Cornelisz van Oostsamen,

du nom de sa ville natale, est un des bons peintres hollandais du début du

1VI° siécle.

Un triptyque qui lui est attribué se trouve au musée de Berlin (1). Le

panneau central représente la Vierge avec l'enfant Jésus, entourés d'anges ;

le volet de droite Saint Augustin avec un donateur, le volet de gauche

Sainte Barbara et une donatrice. Sur les revers des deux volets, on voit, à

gauche Sainte Anne, à droite, Sainte Elisabeth de Hongrie.

Cette dernière, royalement vêtue, capuchonnée de blanc, une couronne

sur la tête, tient de la main gauche un livre entr'ouvert, et de la droite une

seconde couronne. Elle est debout dans une pièce nue dont une fenêtre, au

fond, s'ouvre sur un paysage.

A ses pieds, se traîne un pauvre être tout contrefait, à demi-caché par

le long manteau de la Sainte.

Vraisemblablement, il s'agit d'un Lépreux, selon la tradition picturale

de l'époque.

Nous avons déjà eu l'occasion de noter la fréquence des figurations de

Lépreux dansles cortèges d'infirmes etde malades quiaccompagnentpresque

toujours la charitable reine de Hongrie (2). Ainsi les artistes prétendaient-

ils affirmer l'abnégation infinie de la souveraine qui ne répugnait pas à

fréquenter des malheureux dont nul n'osait approcher sans frémir.

. Vêtu de liaillons, le Lépreux figuré par Cornelisz, rampe à genoux,

s'appuyant de son bras droit sur le sol, et tenant une sébille dans la main

gauche. Il lève vers la Sainte un regard éploré et son hideux visage ex-

prime une pitoyable misère.

Les méfaits de la Lèpre peuvent s'y reconnaître dans la boursouflure

des lèvres et une sorte de mutilation du nez, ainsi que par des tubercules

(1) N 007. B. provient de la Coll. Solly, 1821.

(2) Voy. La lèpre dans l'Art, Nouv. Icoiiogr. do la Salpêtrière, no 6, 1817.

400 HENRY MEIGE

visibles sur les doigts des deux mains. Mais ce qui attire surtout l'atten-

tion, c'est l'asymétrie considérable de ce visage. On ne saurait vraiment

la mettre sur le compte d'une erreur de dessin ou d'une faute de pers-

pective. Il suffit, pour écarter cette idée, de considérer la parfaite exécu-

tion des autres figures dans le même tableau. Une telle déformation est

certainement voulue. Reste à savoir si elle répond à une réalité patholo-

gique. '

Or, cet aplatissement de la face et du front d'un seul côté rappelle,

avec exagération il est vrai, ce qu'on observe chez les sujets atteints

d'liénaiatroplaie crânio- faciale. L'oeil est en retrait, la joue est creuse, le

front fuyant ; toute une moitié du visage semble s'effacer et les ombres

de la peinture n'en sont pas la seule cause.

Est-ce là une malformation congénitale, ou bien faut- il en rendre la Lè-

pre responsable ? De pareilles asymétries existent dès la naissance et la vie

n'est pas incompatible avec ces difformités. D'autre pari, l'hémiatrophie

faciale est un trouble trophique qui peut avoir un lien de parenté palfo-

génique avec certains accidents causés par la Lèpre (ceux de la forme sclé-

rodermique principalement).

Cliniquement, ce diagnostic prêterait à d'intéressantes considérations ;

mais il ne s'agit ici que d'une antique image. Bornons-nous à de simples

constatations.

Le gérant : l'. Bouchez

Iwp. G. Saint-Aubin et Thevenot. - J. 'lnwevor, Successeur, aint- izier(llautc-Alarne).

Nouv. Iconographie DE la SALPÈIRILRF. T. XI. PI. \LVII

SAINTE ELISABETH DE HONGRIE AVEC UN LEPREUX

J. Coknclisz, peintre hollandais (il, moitié du \\'1° Siècle).

Revers du volet d'un triptyque Musée de Berlin.

MASSON & Cie, Editeurs.

MIE DE LA S.\LI'GIItILItF. T, \f. l'1. LI

J.-M. CHnRCOT

Statue en bronre, oeuvre du sculpteur Fguicrc, inaugurée : t P.uis le 4 décembre 1898,

près de la porte d'entrée de la Salpêtrière.

MASSON & C'c. Editeurs.

11e Année N° 6 NOVEMBRE-DÉCEMBRE 1898

INAUGURATION

DU MONUMENT ÉLEVÉ A LA MÉMOIRE DU PROFESSEUR

J.-M. CHARCOT

L'Inauguration du monument dédié à la mémoire du Professeur J.-M.

Cli.),IICOTP,11 ses El èvesel ses Amis, a eu lieu le 4 décembre 1898, à 10 heu-

res du matin, devant l'Hospice de la Salpêtrière.

La statue destinée à rappeler à la postérité les traits de l'illustre Maître,

est l'oeuvre du sculpteur Falguière. Nous en donnons dans ce numéro la

reproduction photographique (Pl. LII).

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a déjà consacré à la mémoire

de son regretté fondateur un article, écrit en 1893 sous le coup du deuil

irréparable qui venait de frapper le monde savant. En des pages vibrantes

d'émotion, et avec la compétence que l'on sait, Gilles de la Tourette a fait

revivre pour nos lecteurs cette grande figure de Charcot, dont Paul Richer

a gravé à l'eau forte l'image la plus respectueusement véridique (1).

D'autres ont célébré ailleurs le créateur de la neurologie française. Mais,

tandis que tout semble avoir étédit, dès ce temps-là, sur l'aeuvre colossale

édifiée par Charcot, on s'aperçoit aujourd'hui que tout est encore bon à

redire. Il est des gloires dont la splendeur s'accroît par le recul des ans.

Celle de Charcot est de ce nombre. La cérémonie du 4 décembre 1898 en

a donné d'éclatants témoignages.

Aussi, la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière ne saurait-elle rendre un

plus grand hommage au souvenir de celui qui fut le promoteur de son crois-

sant succès qu'en reproduisant les principaux passages des discours pro-

noncés en cette occasion.

M. le Professeur Bnouallnl,, Doyen de la Faculté de Médecine, M. le

(1) Voyez ./M)t-.1<a) ? )t Charcot par Gilles nE la 'l'OVRETTE. Xouv.'tconographie de la

Saipetricre, t. VI, 1893, p. 241 et sq. avec une gravure à l'eau forte de PAUL

Richer.

v 27

402 INAUGURATION DU MONUMENT

Professeur RAYMOND, successeur de Charcot dans la chaire de Clinique des

Maladies du Système Nerveux à la Salpèlrière, M. le professeur Cornu.,

au nom de l'Académie de Médecine et de la Société Anatomique dont Char-

col fut longtemps Président, ont glorifié par leur éloquente parole le haut

caractère de l'homme et l'oeuvre impérissable du médecin. M. IÆYGUEs,

Ministre de l'Instruction publique, et le Dr NAVAIUOE, au nom de la Ville de

Paris, ont ajouté l'hommage de la reconnaissance de Paris et de la France

entière au grand savant et au grand citoyen.

A ces éloges portés par tant de bouches autorisées, la Nouvelle Iconogra-

phie de la Salpêtrière a voulu joindre encore un témoignage de sa respec-

tueuse vénération.

Elle a demandé la permission ai l'héritier du nom de Charcot de faire

connaître les qualités artistiques de premier ordre qui embellissent encore

l'auréole du savant. Leur mise en oeuvre fut plus d'une fois profitable à

l'épanouissement de son talent scientifique.

En laissant à d'autres le soin de publier quelques-uns des souvenirs in-

times de son père, Jean Charcota donné l'exemple d'une modestie enviable.

Il s'est aussi montré respectueux des usages paternels en accordant le

soin de celte publication à la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière.

Qu'il reçoive ici l'expression de nos plus sincères remerciements.

Car, à ce recueil fondé sous l'inspiration de Charcot, rien de ce qui

louche il Charcot ne saurait rester étranger.

Discours de M. le Professeur BROUARDEL, Doyen de la Faculté de

Médecine, remettant la statue de Charcot ci la Ville de Paris, au

nom des élèves et amis du Maure.

Monsieur LE Ministre,

Votre présence à cette cérémonie lui donne son véritable caractère. Le Gou-

vernement a voulu témoigner que celui dont nous célébrons la mémoire est une

de nos gloires nationales. Si beaucoup d'hommes éminents concourent au

rayonnement intellectuel de la France, le professeur Charcot mérite d'être placé

au premier rang. Il a révélé aux médecins du monde entier la nature des ma-

ladies du système nerveux. Quand un homme a rendu un tel service, il n'est

plus seulement l'honneur de sa profession, il est celui de la nation tout entière.

M. LE Président DU Conseil municipal, M. le Préfet DE la Seine,

Les élèves, les collègues, les amis du professeur Charcot ont voulu qu'un

monument perpétuât leur reconnaissance pour celui qui leur avait dévoilé de

nouveaux horizons scientifiques. Tous les peuples, qui ont le culte de la science,

ÉLEVÉ A LA MÉMOIRE DU PROFESSEUR J.-M. CHARCOT 40H

ont répondu à leur appel avec un empressement qui prouve que leur admira-

tion pour le maître ne s'était pas égarée.

Comme président du Comité, j'ai l'honneur de remettre en vos mains l'oeu-

vre que M. Falguière et M. Samson ont élevée au fondateur de l'Ecole de la Sal-

pêtrière. C'est ici qu'il a vécu de sa vie scientifique, c'est ici que nous avons

voulu placer-son souvenir. ,

Nous savons, Monsieur le Président, que la Ville de Paris veillera avec un

soin jaloux sur le monument qui consacre la mémoire d'un de ses enfants les

plus chers, le Conseil municipal de Paris n'a pas attendu que la mort ait clos

l'oeuvre de Charcot pour lui rendre justice, nous ne l'avons pas oublié. C'est

grâce au Conseil, grâce à un concours qui s'est continué pendant de longues

années que ce savant a eu l'outillage nécessaire à ses travaux.

Mesdames, Messieurs,

Des élèves personnels du professeur Charcot vous diront pourquoi sou nom

est à jamais gravé dans l'histoire de la médecine, pourquoi il vivra à travers

les âges. Comme doyen, j'apporte aujourd'hui l'expression de la profonde re-

connaissance des professeurs de la Faculté de Médecine de Paris. Nous avons

été ses collègues, ses amis, je devrais dire ses élèves, car pour lequel d'entre

nous n'a-t-il pas été un initiateur ?

La vie scientifique de Charcot est facile il résumer, elle se développe dans

une unité parfaite. En 1852, il était interne à la Salpêtrière. Dès cette époque,

il a eu la conception de l'oeuvre qu'il voulait accomplir, il s'y consacra tout en-

tier et lorsque 40 ans plus tard la mort mit uu terme à ses travaux, il ne con-

sidérait pas comme terminée la tâche qu'il s'était imposée.

Médecin de la Salpêtrière en 1862, il consacra les premières années à recueil-

lir les matériaux qui devaient servir à édifier la pathologie du système nerveux,

il observa dans le silence avec un sens clinique merveilleux. Puis par la parole,

par des démonstrations, il initia ses élèves à ses découvertes. D'autres ont eu

une éloquence plus imagée, plus entraînante, nul u'a possédé plus que lui

l'art de professer avec clarté, avec précision. Il ne livrait rien au hasard; avant

d'être parlée chaque leçon était faite dans le recueillement du cabinet.

Ce penseur était un timide, il craignait de s'aventurer, de risquer une pro-

position insuffisamment établie. Il portait la même réserve dans ses rapports

journaliers.

Mais s'il ne se prodiguait pas, en banales démonstrations, il aimait avec pas-

sion ceux à qui il avait donné son coeur, ceux qui étaient ses compagnons de

travail.

N'est-ce pas là, Messieurs, la marque de ceux qui ont été des chefs d'Ecole,

de ceux qui furent des maîtres dans les arts ? ` ?

Charcot n'était-il pas lui-même un artiste ? lia reconstitué par les oeuvres des

peintres italiens et espagnols l'histoire des maladies qui passaient sous ses yeux,

il les a retrouvées dans l'antiquité et le moyen âge. Ceux dont il a évoqué les

tableaux n'avaient-ils pas aussi leurs élèves, n'avaient-ils pour eux aucune pré-

férence ? Eu faire un reproche, serait faire l'éloge de l'indifférence des maîtres

404 INAUGURATION DU MONUMENT

pour ceux dont l'intelligence scientifique éclotà leur souffle, et en qui revivent

leurs pensées.

Que ses élèves continuent l'oeuvre de leur maître, qu'ils s'inspirent de son

amour pour la science et pour ceux qui la cultivent, que son fils, en qui il

il avait placé avec raison tant d'espérances, écrive les pages que la mort ne lui

a pas permis de remplir.

Que ce monument leur rappelle les ambitions de Charcot : Elargir le domaine

de la science, en livrer la culture à des mains françaises.

Je leur confie l'exécution de ce vau, sais qu'ils l'accompliront et qu'en

mémoire de leur Maître ils soutiendront, au grand profit de la Faculté et de la

science française, la glorieuse réputation de l'Ecole de la Salpêtrière.

Discours de M. le DI' NA VARRE, au nom du Conseil Municipal de

la Ville de Paris, recevant le monument de Charcot.

Messieurs,

Je remercie M. le Président du Comité de la remise qu'il vient de faire, la la

Ville de Paris, du monument élevé la mémoire de Charcot. Le Conseil mu-.

nicipal a voulu s'associer à t'hommage rendu au savant illustre par ses disci-

ples et par les représentants les plus éminents de la science française.

Il ne m'appartient pas de vous exposer l'oeuvre scientifique de Charcot ; des

voix plus autorisées que la mienne vous rappelleront tout l'heure, mais je ne

puis dissimuler un sentiment de légitime satisfaction en songeant que le Con-

seil municipal de Paris multiplia ses efforts pour ouvrir Charcot le vaste

champ d'observation où, tout en prodiguant ses soins à tant de malheureuses

victimes, il contribua puissamment il dégager les maladies nerveuses de l'obs-

curité profonde qui les enveloppait naguère. Charcot eut raison lorsqu'il pensa

que la Salpêtrière, où se trouvaient réunies en grand nombre, et dans des con-

ditions particulièrement favorables aux recherches, les affections du système

nerveux, pouvait devenir un jour le siège d'un enseignement théorique et cli-

nique incomparable. Il y jeta les bases de cette école sans rivale, qui exerça

sur le mouvement scientifique contemporain une si prestigieuse influence et

dont il devint le chef incontesté.

Elever un monument à Charcot, c'est célébrer le triomphe de la science et

de la philosophie sur la superstition, de la science qui seule peut satisfaire le

plus impérieux besoin de notre nature : la noble curiosité du vrai 1

Et combien ce besoin de savoir n'était-il pas plus vivement excité encore par

les leçons de Charcot, qui touchaient aux questions les plus intéressantes de la

pathologie du système nerveux, aux troublants problèmes de la personnalité

mentale, et qui soumettaient à la rigoureuse épreuve de l'observation scienti-

fique des affections dont les symptômes étaient encore considérés au siècle der-

nier comme des manifestations surnaturelles 1

N'est-ce pas il quelques pas d'ici, au cimetière Saint-Médard, qu'éclatèrent,

ELEVE A LA MEMOIRE DU PROFESSEUR J.-M. CUARCOT 405

il propos de la bulle Unigeaitus, les exploits étranges des convulsionnaires ? 2

Ces phénomènes, qu'on ne pouvait alors expliquer par des causes naturelles,

passaient pour des faits miraculeux.

Un prélat janséniste, le chef des appelants, le célèbre cardinal de Nouilles,

tenait gravement registre de ces prétendus miracles. Le Parlement discutait

avec solennité ces événements mystérieux, et un bon nombre de faits parurent

si bien attestés qu'en désespoir de cause on prit le parti de les attribuer au dia-

ble et de considérer les convulsionnaires comme les instruments du démon.

Nous savons aujourd'hui que tous les phénomènes qui se produisaient sur

le tombeau du diacre Pâris relèvent de l'hystérie, cette étrange affection'si ma-

gistralement décrite, dans toutes ses manifestations, par Charcot.

Si la science ne' nous a pas encore, sur ce point, donné la vérité tout entière,

du moins elle nous préserve de l'erreur et nous empêche d'être dupes des thau-

maturges qui, sous des étiquettes diverses, exploitent encore la crédulité aveu-

gle de la foule ignorante. L'oeuvre ne sera accomplie que quand la croyance au

surnaturel, sous quelque forme que ce soit, aura disparu comme la croyance à

la magie et à la sorcellerie.

La science positive et expérimentale, en donnant à l'homme le sentiment de

la vie réelle, peut seule détruire le supernaturalisme. - Ce n'est pas d'un rai-

sonnement, mais de tout l'ensemble des sciences modernes, que sortira cet

immense résultat.

Il est impossible de réfuter par des arguments directs ceux qui s'obstinent à

croire au surnaturel. Le fétichisme est inconvertissable; le moyen de l'amener

à une conception plus exacte de la vérité, c'est de le civiliser, de l'éclairer, de

l'instruire. La culture scientifique peut seule guérir de cette étrange maladie

qui, la honte de la civilisation, sévit encore sur l'humanité. Quand les esprits

seront élevés et nourris dans la méthode rationnelle et expérimentale, nous

verrons tomber sans lutte, sans discussion, les superstitions surannées.

Charcot a apporté sa pierre dans le grand édifice; son oeuvre entrera comme

un élément capital dans la science de l'avenir. Il eût pu aller plus loin, s'il

s'était laissé entraîner dans la voie de l'hypothèse. Certes, il est plus doux et

plus flatteur pour la vanité de cueillir de prime abord le fruit qui ne sera mûr

peut-être que dans un avenir lointain. Mais il faut une vertu scientifique bien

profonde pour s'arrêter sur cette pente fatale et s'interdire la précipitation,

quand la nature humaine tout entière réclame la solution définitive. Charcot

eut cette vertu. Les héros de la science sont ceux qui, capables des vues les

plus élevées, ont pu se défendre de toute pensée philosophique anticipée, quand -

tout les poussait à escalader d'emblée les hauts sommets. Ils nous évitent ainsi

des déceptions ; ils font, sans à-coups, la révolution scientifique et philosophique

qui prépare à l'humanité un avenir meilleur.

Chacune des grandes périodes de l'histoire est marquée par une préoccupa-

tion dominante. Au sortir du moyen la formation des grands États moder-

nes donne la prédominance à la politique. Puis, avec la Renaissance ce sont

les manifestations artistiques qui jouent un rôle principal pour faire place, au

XVII0 siècle, à l'épanouissement littéraire de presque toutes les nations euro-

406 INAUGURATION DU MONUMENT

péennes. Avec le XVIlle siècle, ce sont les philosophes qui prennent la direction

du mouvement intellectuel, préparant la grande poussée révolutionnaire de

1789.

Le siècle qui maintenant s'achève aura été celui de la science, dont l'essor

prodigieux déconcerte ceux qui ont encore la prétention de nous faire rétrogra-

der vers le passé. Savants, écrivains, penseurs, tous ceux que les défenseurs

de l'obscurantisme qualifient d'intellectuels, parce qu'ils revendiquent le droit

au bon sens contre les absurdités, contre les folies sectaires et religieuses, tous

ceux-là exercent sur les jeunes générations l'action la plus salutaire, la plus

vivifiante ; ils les façonnent pour la grandeur de la France.

Charcot fut au premier rang parmi ces grands éducateurs. Aujourd'hui,

comme au temps de Voltaire, à côté de l'élite intrépide et hère qui vient se ran-

ger sous la bannière de la science, il y a le sel'VU1n peclls de la tradition su-

bissant encore le joug avilissant de l'ignorance.

Mais l'oeuvre des penseurs se poursuit, la lumière se fait dans les esprits et,

à mesure que l'instruction se répand dans les masses, nous sentons grandir

l'espoir que notre génération verra le triomphe complet de la raison humaine

et de la justice sociale.

Je salue en Charcot un des ouvriers de cette grande oeuvre d'émancipation

intellectuelle, qui sera un des titres les plus glorieux de la patrie française à la

reconnaissance du monde civilisé.

Discours de M. le professeur RAYMOND, successeur de Charcot

dans la chaire de Clinique des Maladies du Système Nerveux, el

la Salpêtrière.

Monsieur LE Ministre, Mesdames, Messieurs,

Cinq ans se sont écoulés depuis la mort de Charcot. Que d'hommes s'étaient

acquis, leur vie durant, une réputation retentissante auprès des foules, dont le

nom a mis moins de temps a se perdre dans l'oubli !

Rien n'a terni le lustre dont brillait le nom de Charcot aux yeux de l'élite

de ses contemporains, aux yeux de tous ceux qui pensent, de tous ceux qui s'in-

téressent, de près ou de loin, il la science biologique et à l'art de guérir. L'aeu-

vre de Charcot bravera les outrages du temps ; l'artiste qui a fait revivre dans

J'airain les traits du Maître a travaillé une matière moins durable !

Retracer cette oeuvre dans ses grandes lignes fut ma première préoccupation,

lorsque m'échut la lourde tâche de succéder a Charcot dans son enseignement

de la Salpêtrière. Ce fut pour moi l'accomplissement d'un devoir de piété filiale

envers l'homme qui avait guidé mes premiers pas dans la carrière médicale.

Il me serait impossible de m'acquittera nouveau de cette lâche, dans le court

espace de temps qui m'est mesuré ; ce serait, du reste, soumettre à une véri-

table épreuve ceux d'entre vous qui ne sont pas familiarisés avec la termino-

logie médicale. Aussi bien, mon seul désir est-il de mettre en lumière le rôle

ÉLEVÉ A LA MÉMOIRE DU PROFESSEUR J.-M. CHARCOT 407

de créateur, joué par Charcot dans l'édification d'un ordre de connaissances

qui louche aux sommets les plus élevés que puisse atteindre l'esprit humain.

C'est aujourd'hui une notion devenue banale, que l'application du grand prin-

cipe de la division du travail a été, et est encore, une source de progrès, aussi

bien en matière d'organisation sociale que pour ce qui concerne les produits du

travail de l'homme. D'ailleurs, ce principe domine en quelque sorte l'oeuvre de

la création. La série animale nous montre une superposition d'espèces qui vont

en se perfectionnant; or, au sur et il mesure qu'on s'élève dans la série, on voit

se multiplier les appareils et les organes aux fonctions distinctes. Chez les es-

pèces, tant peu haut placées dans la hiérarchie du monde animal, nous retrou-

vons l'application du même principe à l'organisation anatomique et fonctionnelle

du système qui régit tous les autres, du système nerveux.

Cette notion a passé inaperçue jusqu'à l'époque contemporaine. Il y a seule-

ment un demi-siècle, la moelle était considérée comme un simple conducteur,

comme un nerf, plus gros que les autres, reliant le cerveau aux différents or-

ganes du corps de l'animal. Quant au cerveau, siège des facultés supérieures,

on se le représentait comme une masse homogène au point de vue fonctionnel,

quelque chose comme une fédération de territoires qui avaient tous les mêmes

attributions.

Comhien nous sommes loin de ces erreurs, qui ont été enseignées aux hommes

de ma génération 1 Aujourd'hui le cerveau nous apparaît comme un assemblage

d'organes dont chacun remplit une fonction distincte et définie. Dans ce qu'on

est convenu d'appeler l'écorce des hémisphères cérébraux, il y a un territoire

chargé spécialement de commander aux muscles l'exécution des mouvements

volontaires; il se subdivise en ilots et chacun d'eux régit un groupe distinct

de muscles. Il y a des zones chargées de percevoir les impressions que les agents

extérieurs font naître à la surface de notre corps, ou les modifications qui se

passent dans la profondeur de nos organes. Il y a une zone distincte pour per-

cevoir les impressions lumineuses ; il y en a une autre chargée de percevoir

les sons, et ainsi du reste. Ces différentes zones, véritables centres, sont reliées

et associées entre elles ; leur fonctionnement synergique embrasse l'ensemble

des actes et des phénomènes que nous attribuons il l'ânae, et qui sont du ressort

de la vie intérieure et de la vie de relation.

Voilà ce que nous enseigne la doctrine des localisations cérébrales, entrevue

par quelques esprits éminents, dès la première moitié de ce siècle, mais'dont

l'avènement définitif date d'une vingtaine d'années il peine; doctrine qui a ré-

volutionné et qui domine actuellement la psychologie. Eh bien ! Messieurs,

Charcot a pris une part prépondérante à l'édification de cette doctrine. Au

service de l3ouillaud, de Dax, de 13roca, la clinique, c'est-a-dire la simple observa-

tion des malades, avait planté le premier jalon de la voie nouvelle, en démon-

trant qu'il existe dans l'hémisphère gauche, un centre spécial du langage arti-

culé. Lorsque plus tard les expériences de Fritsch et Hitzig, sur un singe, nous

408 INAUGURATION DU MONUMENT

eurent révélé que le cerveau est excitable par les courants électriques dans une

certaine étendue de surface, et que l'électrisation de cette zone excitable pro-

voque des contractions musculaires, suivant un ordre déterminé, Charcot reprit

la méthode qui avait guidé les tâtonnements de Bouillaud, de Dax, de Broca.

Il fit mieux, il érigea en système l'application de cette méthode appelée ana-

tomo- clinique, parce qu'elle consiste essentiellement à rechercher si, il des trou-

bles dénotant la suppression d'une certaine fonction, ne correspond pas la des-

truction d'un certain territoire du cerveau ou des autres portions des centres

nerveux. Dans la lutte qu'il eut à soutenir, à ce sujet, contre des physiologis-

tes et des médecins, il fit preuve il la fois d'une indomptable ténacité et d'une

intuition géniale ; c'est ainsi qu'il sauva des attaques combinées des uns et des

autres la doctrine naissante des localisations cérébrales.

Messieurs, l'avènement de cette doctrine a été plus qu'un platonique triom-

phe de la vérité sur l'erreur; il a eu des conséquences multiples, qu'il serait

trop long d'examiner en détail ; ce serait abuser de votre patience. Laissez-moi

seulement vous en signaler une.

Elle est relative aux applications thérapeutiques de la nouvelle doctrine. Il

est tout à fait exceptionnel que nous réussissions à guérir, avec les ressources

de la médecine proprement dite, avec des « remèdes », les maladies organiques

qui ont leur siège dans le crâne. Mais nous pouvons faire appel, avec des chan-

ces de succès, au concours des chirurgiens, pour remédier à des désordres

entretenus par des lésions situées à la surface ou une faible profondeur du cer-

veau. Grâce aux connaissances que nous avons acquises, touchant les locali-

sations cérébrales, il nous est devenu possible de déterminer, dans un grand

nombre de cas, le siège vraisemblable ou certain d'une lésion intra-cranienne.

Conséquemment, lorsqu'il s'agit d'ouvrir le crâne et de mettre il nu le cerveau,

pour supprimer une lésion superficielle, l'étendue des délabrements que né-

cessite ce genre d'opération s'est trouvée réduite à un strict minimum. Aussi

ces opérations sont-elles entrées dans le domaine de la pratique courante, pour

le plus grand bien des malades. On ne compte plus les cas où une épilepsie par-

tielle, une paralysie, un trouble du langage ou de la mémoire, des crises dou-

loureuses ont été guéris ou atténués, au prix d'une opération de cette nature.

Messieurs, Charcot a pris une part tout aussi considérable à la révolution

qui s'est accomplie, depuis une trentaine d'années, dans notre manière de con-

cevoir la structure, les fonctions et la pathologie de la moelle. Je voudrais vous

faire saisir, en quelques mots, la portée de cette révolution.

Au lieu d'un simple nerf, plus volumineux que les autres, la moelle s'est

révélée il nous, comme un enchevêtrement de centres et de conducteurs, ayant,

eux aussi, des attributions distinctes et définies : centres de relai, placés entre

ÉLEVÉ A LA MÉMOIRE DU PROFESSEUR J.-M. CHARCOT 409

ceux qui siègent dans le cerveau et les appareils chargés de recueillir les im-

pressions les plus diverses ou de produire le mouvement ; conducteurs chargés

de relier ces mêmes appareils aux centres situés, les uns dans la moelle, les

autres dans l'encéphale. Ces connaissances ont découlé en partie de l'applica.

tion de la méthode anatomo-clinique. (l'est vous dire que, conjointement, nous

avons été initiés aux rapports qui existent entre certains troubles nerveux et

les lésions dés divers centres ou faisceaux dont se compose la moelle. Jusque-

là, on se bornait à considérer ces troubles en eux-mêmes. Mais voici que, peu

à peu, à la pathologie vague des symptômes s'est substituée une pathologie ra-

tionnelle, édifiée sur la connaissance de ces rapports de filiation entre la nature

des troubles morbides et le siège des lésions spinales : pour vous en citer un

exemple, un amaigrissement, rapide ou progressif, qui envahit une masse plus

ou moins considérable de muscles du squelette, dans des circonstances déter-

minées, nous apparaît maintenant comme la manifestation capitale d'une mala-

die qui a son siège dans un territoire de la moelle, chargé de veiller la nutri-

tiun des muscles. Je pourrais multiplier -les exemples de ce genre ; mais déjà

vous êtes à même de comprendre comme quoi les pathologistes de notre époque

ne considèrent plus les grands symptômes nerveux, tels que la fonte ou atro-

phie des muscles, les paralysies du mouvement et du sentiment, les spasmes,

les douleurs, etc., en eux-mêmes ; ils les considèrent dans leurs rapports avec

les lésions de tel ou tel système anatomique ou fonctionnel. L'étude de ces rap-

ports a fourni les éléments d'une pathologie de la moelle qui envisage surtout t

des espèces morbides. Je vous répète que c'est ta encore un fruit de l'application

de la méthode anatomo-clinique.

D'autres résultats en ont découlé, qu'on ne pouvait prévoir au début, tant ils

sont en contradiction apparente avec ceux qu'on se promettait d'obtenir, et leur

portée est incalculable.

A force de contrôler les premières notions issues de l'application de la mé-

thode anatomo-clinique, à force de rechercher si, à une catégorie déterminée

de troubles nerveux, correspond bien la lésion de tel ou tel système de la

moelle ou de l'encéphale, on toucha à cette révélation curieuse : les diverses

variétés de troubles nerveux, qu'ils se montrent isolément ou en tant que ma-

nifestations partielles d'une maladie nerveuse, peuvent exister indépendamment

de toute lésion appréciable du cerveau, de la moelle et des nerfs. Voilà une ré-

vélation dont, je vous le répète, la portée est incalculable. Sans doute, nous

savions déjà qu'il existe des affections du système nerveux, sans lésions'appa-

rentes ou connues, des névroses ; mais nous ignorions que tous les symptômes

et toutes les maladies, dont nous localisons le siège dans le système nerveux,

peuvent se présenter à l'état de névroses. C'est encore à Charcot et à son Ecole,

que nous sommes redevables de cette notion. C'est à lui surtout que nous de-

vons de savoir que la grande névrose, la névrose par excellence, l'hystérie,

pour l'appeler par son nom, peut se présenter sous les dehors des manifesta-

tions et des maladies les plus diverses. En outre, plus que tout autre, Charcot

a contribué à nous faire connaître les signes latents, plus ou moins fixes, les

410 INAUGURATION DU MONUMENT

stigmates de l'hystérie, dont la constatation nous permet de démasquer celle-ci,

alors qu'elle se cache sous les dehors les plus déconcertants.

Qu'est-il arrivé depuis, Messieurs ?

D'abord, il nous a été donné d'apprécier il son véritable taux l'extrême fré-

quence de l'hystérie. Nous avons été arrachés à l'erreur qui consistait croire

que, presque seules, les femmes sont victimes de la grande névrose ; nous

savons aujourd'hui que les deux sexes lui paient un tribut sensiblement égal.

En second lieu, la recherche des stigmates nous a fourni le moyen de dévoi-

ler l'hystérie, là où elle simule les symptômes et les maladies que nous nous

étions habitués a mettre sur le compte de lésions incurables des centres ner-

veux. Voilà qui est intéressant pour les médecins et les malades, car nous

sommes il même de guérir les manifestations de l'hystérie, lorsque nous les

traitons il temps et par les moyens qui conviennent. Grâce aux découvertes et

aux enseignements de Charcot, nous avons appris il guérir des paralysies, des

tremblements, des convulsions, des douleurs, des désordres du langage, des

perversions de l'intelligence et du caractère, et bien d'autres manifestations

morbides, qu'il n'y a pas très longtemps nous eussions jugés réfractaires à la

thérapeutique, et dans beaucoup de cas, ces guérisons revêtent les apparences

d'un miracle ! 1

Enfin, une connaissance plus exacte de la manière dont se développe l'hys-

térie nous a mis à même d'attaquer ce fléau car c'en est un à sa racine :

l'hystérie est le plus souvent un fruit de l'hérédité ; n'empêche que chez ceux

qui naissent avec la prédisposition à l'hystérie, les manifestations de la névrose

éclatent habituellement à l'instigation de certaines causes occasionnelles. Les

plus communs, parmi ces agents provocateurs de l'hystérie, sont : la frayeur,

les émotions violentes; les accidents, toutes sortes d'empoisonnement et, en

première ligne, l'alcoolisme.

Pour déraciner le mal, il faut donc combattre la prédisposition chez les en-

fants et les adolescents entachés de cette tare et, dans ce but, les soumettre à

une hygiène physique, intellectuelle et morale, susceptible de ramener et de

maintenir le fonctionnement du système nerveux dans les voies normales. Il

faut aussi soustraire aux causes occasionnelles, aux agents provocateurs, les

hystériques ou ceux qui sont menacés de le devenir. Bref, le traitement causal

de l'hystérie est devenu une question d'hygiène individuelle et sociale, dont on

ne saurait trop faire ressortir la portée.

En dehors du traitement causal, qu'il n'est pas toujours facile, ni même pos-

sible d'instituer, il y a le traitement symptomatique, le traitement des mani-

festations de l'hystérie telles que les paralysies, les convulsions, les contractu-

res, les perversions du sentiment, de l'intelligence, du caractère, les troubles

des viscères, etc. Ce sont ces manifestations, plus ou moins persistantes, sou-

vent très tenaces, pour lesquelles les malades et surtout leur entourage récla-

ment une guérison rapide ;nous la leur procurons souvent immédiate, grâce

ÉLEVÉ A LA MÉMOIRE DU PROFESSEUR J.-\I. CllARCOT 411

il ce que nous avons appris à connaître le mécanisme des manifestations hys-

tériques, et c'est encore à Charcot que nous en sommes redevables pour la

majeure partie. Je m'en voudrais de ne pas entrer dans quelques explications

sur ce sujet.

A l'état de veille, notre activité cérébrale s'exerce de deux façons distinctes :

Tantôt, nous avons la pleine conscience de ce qui se passe en nous et autour

de nous, et la volonté, éclairée par la conscience, règle nos actes dans les li-

mites du pouvoir qu'elle exerce sur les organes du mouvement.

Tantôt, nous n'avons qu'une vague perception des impressions du dehors et

de ce qui se passe en nous, et nos actes sont régis par des habitudes acquises,

bien plus que par la volonté. Notre machine animale s'est habituée à réagir à

certaines impressions par certains mouvements, par certains actes ; il un mo-

ment donné, la réaction, si compliquée qu'elle soit, va se produire d'une façon

automatique, sans que nous ayons la conscience bien nette de l'impression qui

la provoque, sans que notre volonté intervienne autrement que pour donner

l'impulsion première à des muscles habitués 1 se contracter d'une certaine

façon. Ce second mode de fonctionnement des centres nerveux est le propre de

l'automatisme cérébral; lui seul subsiste, pendant le sommeil naturel ou pro-

voqné.

Or, que se passe-t-il dans l'hystérie ? Qui n'a entendu prononcer cette

phrase, devenue banale ? L'hystérique est un être éminemment suggestible.

Qu'est-ce à dire, Messieurs ?

L'hystérique est suggestible, cela veut dire qu'il se laisse imposer des sen-

sations qu'il s'imagine percevoir et qu'il n'a pas perçues réellement, des actes

qu'il semble vouloir et qu'il exécute à l'instigation d'une volonté étrangère.

Son activité psychique est dominée par l'automatisme cérébral ; il suffira, pour

le mettre en mouvement d'une violente impression du dehors, ou d'un simple

regard, d'un son inarticulé, d'une sensation intérieure, d'un souvenir, lorsque

la névrose est parvenue à son plein épanouissement. Laissez-moi vous citer uu

exemple concret de ce qui peut se passer dans ces conditions :

Un coup violent, porté sur un membre, peut en déterminer la paralysie.

Obsédé par cette idée, un hystérique qui vient de faire une chute sur l'é-

paule, et qui a eu, comme l'on dit, plus de frayeur que de mal, se suggère que

la partie contuse de son corps est paralysée, et il se comporte comme uu para-

lytique. Il lui est impossible de concevoir, de lui-même, que cette paralysie est

de pure imagination, quelque chose comme le produit d'une perversion de la

conscience et de la volonté. Il est incapable de faire mouvoir, sous l'impulsion

de sa seule volonté, le membre qu'il se figure paralysé. Mais qu'une personne

qu'il croit apte le guérir, qu'un médecin lui suggère qu'il n'est plus para-

lysé, qu'il peut de nouveau faire mouvoir son épaule, et presque toujours cette

paralysie, quand elle est assez récente, se dissipera instantanément. Voilà bien

une de ces guérisons dont je disais, il y a un instant, qu'elles revêtent les appa-

rences du miracle. Elles ne sont pourtant pas autre chose que la mise en mou-

412 INAUGURATION DU MONUMENT

vement de l'automatisme cérébral, chez un être humain infériorisé, dont la vo-

lonté et la conscience se laissent dominer par les impressions du milieu ambiant

et, à plus forte raison, par une volonté qui s'exerce du dehors.

Remarquez bien qu'à l'état de veille, cette volonté étrangère, qui intervient

dans un but de guérison, peut être contrariée par ce qui reste encore de vo-

lonté et de conscience propres au pouvoir du cerveau de l'hystérique. Il faut,

en ce cas, supprimer ce reste de pouvoir et de conscience propres, pour ne

laisser subsister que l'automatisme cérébral : il faut endormir le sujet, avant

de le soumettre à la suggestion curative. Tout à l'heure, la suggestion s'exer-

çait à l'état de veille ; maintenant, elle va s'exercer pendant le sommeil pro-

voqué, ce sera la suggestion hypnotique.

Messieurs, il y a longtemps que dans le but de guérir, on endormait des

malades ; il y a longtemps qu'on avait recours à la fascination par le regard,

on à d'autres pratiques analogues, avant que Charcot fit servir la suggestion

au traitement des manifestations de l'hystérie. Mais jusque-là, cela se passait

il peu près exclusivement dans un domaine, que les empiétements de la mys-

tification et du charlatanisme avaient rendu inaccessible à la science. A de rares

exceptions près, ceux qui prétendaient guérir en endormant leurs malades par

la fascination, par les passes dites magnétiques, agissaient en imposteurs, dans

un but d'exploitation. Quant aux dilettantes du magnétisme animal, qui avaient

la prétention ou l'espoir de soulever le voile du surnaturel, ils cultivaient la

supercherie, quand ils n'en étaient pas des victimes. Faut-il s'étonner, dès lors,

qu'aux yeux des représentants de la science officielle, s'intéresser il ce qui tou-

chait, de près ou de loin, à ces sortes de choses, c'était courir au devant d'un

discrédit certain ?

J'ai déjà eu l'occasion de dire que Charcot fit preuve d'une sorte de courage

civique, lorsqu'il prit la résolution d'englober l'hypnotisme dans le cercle de ses

recherches. Je crois avoir montré, dans une précédente occasion, comment il

y fut conduit : on ne réussit pas à hypnotiser la première personne venue ; il

y a longtemps que cette remarque avait été faite par des expérimentateurs sin-

cères, d'aucuns avaient même reconnu que seuls les hystériques sont hypnoli-

sables. On savait aussi, depuis assez longtemps, que les phénomènes et les

états, qu'on voit se développer chez les sujets soumis aux pratiques de l'hyp-

notisme, éclatent spontanément chez certaines catégories d'hystériques. Char-

cot fut donc amené à s'occuper de l'hypnotisme, en raison des affinités étroites

que cet état entretient avec l'hystérie. L'hypnotisme lui apparut comme une

névrose expérimentale, étant donné que les étals nerveux provoqués au moyen

des pratiques de l'hypnotisme se développent spontanément chez des hysté-

riques.

Quel fut le but que se proposa Charcot, quand il dirigea ses études dans cette

nouvelle voie ? Il se proposa de dégager la réalité objective de ce qui, dans les

manifestations de l'hypnotisme, revêt les apparences du surnaturel, et d'en

,>

ÉLEVÉ A LA MÉMOIRE DU PROFESSEUR J.-M. CHARCOT 413

fournir une explication qui ne répugnât pas à la raison. Voilà le programme

que s'imposa Charcot. Il ne s'en est pas écarté un seul instant. N'empêche que

les résultats qu'il a recueillis dans cette voie de recherches, si aventureuse,

ont dépassé tout ce que l'on pouvait attendre de prime abord. Laissez-moi vous

les résumer en quelques phrases.

Ainsi que je vous le disais il l'instant, Charcot nous a révélé que les simples

agents physiques : la lumière, le son, l'application d'un métal, peuvent provo-

quer les phénomènes de l'hypnotisme. Du même coup, le fascinateur, le ma-

gnétiseur, l'hypnotiseur se trouvaient réduits à un rôle tout à fait secondaire

et dépouillés de leur pouvoir occulte.

Charcot nous a initiés aux caractères objectifs fondamentaux des trois états

- léthargie, catalepsie, s01llnambulisme prot'oqué - qui résument toute la symp-

tomatologie de l'hypnotisme. Il nous a fait connaître des signes qui échappent

à la connaissance et la volonté des personnes hypnotisées ; leur recherche

nous fournit le moyen de nous mettre en garde contre la simulation et la su-

percherie.

Enfin il nous a montré que si l'intervention de l'hypnotiseur n'a rien de

mystérieux, puisqu'elle ne fait ni plus ni moins que les agents physiques, les

phénomènes de l'hypnotisme ne tiennent pas non plus du surnaturel : ce sont

essentiellement des produits de l'automatisme cérébral, au même titre que les

autres manifestations de l'hystérie : au cours de son activité, le cerveau em-

magasine, à l'état de souvenirs, tout ce qui se passe en nous et autour de nous,

en particulier les représentations des mouvements que nous exécutons avec les

apparences de la spontanéité, ou que nous nous habituons à exécuter sous

l'influence de certaines impulsions. Une grande partie des phénomènes qui

ressortissent à l'Jypnotisme ne sont pas autre chose que le réveil et la mise en

mouvement de ces souvenirs, chez un être dont la volonté propre se trouve

asservie par une volonté étrangère qui domine et dirige son automatisme cé-

rébral.

Nous retrouvons ainsi, pour rendre compte des phénomènes de l'hypno-

tisme, la pathogénie invoquée pour rendre compte des autres manifestations

de l'hystérie. Là, comme ici, nous avons affaire à des désordres psychiques,

qui relèvent d'un trouble de la personnalité, d'une obnubilation du moi.

Voilà comment, à travers les chemins frayés par un investigateur génial,

la science a pris possession d'un domaine où, depuis si longtemps, des mysti-

ficateurs, des charlatans, des convulsionnaires et des simples d'esprit se com-

plaisaient en des exploits qui défiaient la morale et la raison. Sans doute, l'ex-

ploitation des pratiques de l'hypnotisme donne encore lieu à des abus fréquents.

On ne saurait en rendre responsable celui qui, en définissant l'hypnotisme une

névrose expérimentale, a suffisamment laissé entrevoir les dangers auxquels

expose l'emploi irrationnel de ces pratiques. Quant à lui, il s'appliqua surtout

à rechercher dans quelles circonstances on peut légitimement recourir à ces

pratiques pour obtenir la guérison de certaines manifestations graves de l'hys-

térie. Jamais, du reste, il ne perdit de vue que l'art de guérir est et doit être

le but final des diverses branches de la médecine.

414 INAUGURATION DU MONUMENT

Messieurs, je viens de promener vos esprits à travers les parties les plus

saillantes de l'oeuvre de Charcot. Je vous ai montré Charcot, concourant pour

la plus grosse part, il l'édification de la doctrine des localisations cérébrales,

qui est devenue quelque chose comme la préface d'une psychologie nouvelle.

Je vous l'ai montré, traçant la première ébauche d'une physiologie pathologique

de la moelle, dont les grandes lignes se retrouvent dans notre conception na-

turelle de la physiologie et de la pathologie de cette portion des centres ner-

veux.

Je vous l'ai montré ensuite, superposant, en pathologie nerveuse, le dyna-

misme à l'organicisme, c'est-à-dire nous révélant que toutes les maladies du

système nerveux, qui sont la conséquence d'une lésion grossière, ont par-

donnez-moi le mot leurs « doublures », qui se présentent à l'état de simples

névroses, manifestations fragmentaires de la névrose par excellence, de l'hys-

térie. Je vous l'ai montré, dégageant du chaos des innombrables manifestations

de l'hystérie, les lois qui les régissent, déchiffrant le mécanisme intime de ces

manifestations, en nous dévoilant, dans l'hystérie, une maladie psychique, une

maladie de la personnalité.

Je vous l'ai montré, précisant les relations de l'hypnotisme et de l'hystérie,

englobant l'hypnotisme dans la grande névrose, dépouillant des apparences du

surnaturel les phénomènes et les états qui s'y rapportent, pour les ramener

aux proportions plus modestes de manifestations de l'automatisme cérébral chez

des sujets hystériques.

Je vous ai laissé entrevoir Charcot le thérapeute au sens élevé du mot dé-

daignant les panacées, tout ce qui rappelle les exploits imaginaires de l'orviétan

et de la thériaque ; je vous l'ai montré, nous révélant le rôle considérable,

effrayant, que l'hérédité joue dans le développement des maladies du système

nerveux et principalement des névroses ; le rôle, non moins considérable, non

moins effrayant, de certains poisons et en particulier de l'alcool ; le rôle des

excès de tout genre, des influences physiques et morales qui détournent les

centres nerveux de leur activité régulière ; on peut dire que pour ce qui con-

cerne les maladies du système nerveux, il a préparé les voies à une thérapeu-

tique de l'avenir, qui, si jamais elle voit le jour, visera il la fois les individus et

les collectivités et se résumera dans la pratique de tous nos devoirs envers

nous-mêmes et envers l'espèce.

Mais je m'aperçois qu'après vous avoir parlé de l'oeuvre, j'ai négligé de vous

parler de l'homme. Bien que le temps presse, laissez-moi raviver quelques

souvenirs qui sont présents à la mémoire de tous ceux qui ont connu Charcot.

Sa vie peut se résumer en deux phrases ; elle s'est partagée entre les joies du

foyer domestique et les obligations professionnelles. Charcot mettait au-dessus

de tout ce qui peut flatter et passionner l'homme, le bonheur qu'il goûtait au

sein d'une famille dont il fut l'orgueil et l'idole, le bonheur qu'il eut de voir

son fils unique s'associer à ses travaux et se montrer digne de marcher sur ses

ÉLEVÉ A LA MÉMOIRE DU PROFESSEUR J.-M. CHARCOT 415

traces. Mais il ne resta pas un jour, sans consacrer une large part de son temps

à ses recherches, à son enseignement et à ses malades. Son endurance au tra-

vail fut à la hauteur de ses brillantes facultés et lui valut une merveilleuse

érudition. A toutes les époques de sa vie, il fit preuve d'une inébranlable per-

sévérance ; elle s'est revélée, entre autres, dans la fidélité qu'il a gardée à cet

hospice de la Salpêtrière, où s'est déroulée toute sa carrière médicale, dans la

ténacité et l'apreté avec lesquelles il défendit les doctrines dont il a assuré le

triomphe, dans l'infatigable ardeur qu'il mit à créer et à développer l'enseigne-

ment des maladies du système nerveux.

Le succès de cet enseignement fut sans égal ; il s'est maintenu dans son

éclat jusqu'aux derniers jours du Maître, qui groupa autour de lui des auditeurs

venus de tous les coins du monde. Charcot encouragea toutes les bonnes vo-

lontés qui se révélaient à lui ; il associa à ses recherches, tous ceux auxquels

échut l'honneur de compter au nombre de ses disciples. Il les arma de sa mé-

thode ; il favorisa leur avancement dans la carrière, en les appuyant, sans dé-

faillance et sans compromission, de tout le poids de l'autorité qu'il avait su

acquérir. Il créa ainsi cette École de la Salpêtrière, dont le retentissement fut

et resle si considérable. Elle se confond avec son oeuvre : soutenue et inspirée

par lui, elle suivra docilement la route qu'il lui a ouverte, et fille reconnaissante

elle veillera à jamais sur sa mémoire, car il est impérissable le nom de celui

que nous honorons aujourd'hui et qui, parmi les médecins de notre siècle, fut,

de tons, le plus grand ! 1 .

Discours de M. le Professeur CORNIL, au nom de l'Académie de

Médecine et de la Société Anatomique de Paris.

Messieurs,

Les hommes de la valeur de Charcot jouissent de ce privilège qu'ils parais-

sent d'autant plus grands que l'on considère leurs oeuvres plus longtemps après

leur disparition.

C'est dans cet hospice de la Salpêtrière, en 1863, que me fut donnée la fa-

veur insigne de recevoir de lui renseignement quotidien et d'être associé il ses

travaux. Il avait alors 38 ans. On travaillait d'arrache-pied, non seulement

toute la matinée, mais souvent aussi tout le jour.où Charcot revenait avec Vul-

pian, pour prendre les observations des administrées constituant ainsi le dos-

sier pathologique de milliers de malades.

. Admirablement armé des connaissances alors dans toute leur nouveauté, de

la thermométrie, de la physiologie, il était l'un des premiers à les appliquer

à la clinique. Il était mû par la passion obstinée et ardente de débrouiller ce

chaos des maladies chroniques et des maladies nerveuses, qui font, de certai-

nes malades de cet hospice arrivées au terme de la vie, un véritable musée pa-

thologique. Pendant vingt ans, il a pris à coeur cette noble mission avec celle

intelligence hors de pair qui lui faisait saisir d'un coup d'oeil les phénomènes

morbides et leur enchaînement. t.

416 INAUGURATION DU MONUMENT

Mon cher collègue, M. Raymond, a dit, Messieurs quelle avait été l'oeuvre

considérable de Charcot dans les maladies du cerveau, de la moelle et des

nerfs ; je voudrais vous exposer à mon tour quels ont été ses titres à notre

admiration dans le domaine de l'anatomie pathologique.

Charcot entrait en 1872 à la Faculté de Médecine comme professeur de cette

science et il a illustré pendant dix ans la chaire d'anatomie pathologique par

un enseignement aussi brillant que solide et original. Il y apportait, en effet,

toutes les données fournies par les observations et autopsies de la Salpêtrière.

Dans ses leçons, il restait toujours et avant tout clinicien, c'est-à-dire qu'il

rapprochait constamment les troubles matériels constatés sur les cadavres des

symptômes observés pendant la vie, éclairant les uns par les autres et formu-

lant une synthèse pathologique aussi élevée qu'elle était* utile à ses audi-

teurs.

Assurément, les faits tirés de l'anatomie ou de la clinique doivent être étu-

diés séparément, par des méthodes spéciales et ils constituent deux séries dis-

tinctes ; mais celles-ci doivent être comparées et superposées pour expliquer les

signes et la marche des maladies.

Conçues dans cet esprit, les leçons que Charcot a publiées sur le foie, le rein

et le poumon restent de véritables modèles. Sans perdre de vue la clinique,

il n'en développait pas moins avec tous leurs détails, les données tirées de la

microscopie, de l'expérimentation et de la chimie biologique. C'est ainsi qu'il

a donné une description magistrale de la lithiase biliaire, de la fièvre intermit-

tente due à l'angiocholite, des cirrhoses hépatique et rénale. Ses expériences

de ligature des canaux biliaires et celles sur l'empoisonnement par le plomb,

faites en commun avec M. le Dr Fr. Gombault, ont marqué un grand progrès

dans la conception de la cirrhose biliaire pour les premières, de la néphrite

goutteuse et saturnine pour les secondes.

Dans ses recherches sur la broncho-pneumonie, il a insisté sur les nodules

de péribronchite fibrineuse et établi les rapports anatomiques de cette maladie

avec la pneumonie aiguë lobaire. Les pneumonies chroniques qu'il prenait pour

sujet de sa thèse d'agrégation ont été étudiées il nouveau par lui dans ses leçons

ainsi que la topographie des tubercules pulmonaires.

Les affections articulaires, le rhumatisme noueux, si commun à la Salpê-

trière,. avaient été l'objet de sa thèse de doctorat. Plus tard, il a ajouté le cha-

pitre si curieux des arthrites déformantes et atrophiques des tabétiques.

Vous pouvez voir, Messieurs, par ce court exposé, que Charcot était un maî-

tre de premier ordre en anatomie pathologique et que son oeuvre dans la pa-

thologie nerveuse tire pour une grande part sa valeur des constatations ana-

tomiques.

En même temps qu'il était professeur d'anatomie pathologique, Charcot suc-

cédait à Cruveilhier dans la présidence de la Société Anatomique ; il exerçait

là sa précieuse influence sur la direction scientifique des internes et des jeunes

docteurs qui la composent.

En 1882, le Gouvernement et les Chambres créaient pour lui la chaire des

maladies nerveuses, sanctionnant ainsi son succès de clinicien pour ainsi dire

ÉLEVÉ A LA MÉMOIRE DU PROFESSEUR J.-M. CUARCOT 417

sans égal et dotant l'Université de Paris d'un organisme qui fonctionnait déjà

avec une rare perfection.

Charcot était activé alors à l'apogée de son talent de professeur; non qu'il

possédât le don de l'éloquence native ; mais avec son intelligence supérieure,

avec une puissance de travail exceptionnelle et une érudition des plus étendues,

il était devenu un professeur admirable. Il captivait son auditoire par la clarté

de l'exposition, l'enchaînement, la critique raisonnée des faits, les déductions

logiques et la synthèse qu'il en tirait.

La création de la clinique de la Salpêtrière laissait vacante la chaire qu'il

occupait à la Faculté où j'avais l'honneur de lui succéder. Son successeur est

resté son élève respectueux et toujours fidèle.

Aussi puis-je, Messieurs après avoir aimé et admiré le Maître pendant sa vie

déposer au pied de sa statue le juste tribut de ma reconnaissance.

Il était grand pendant sa vie ; il devient plus illustre encore dans la mort.

L'une de nos gloires nationales les plus pures, il restera l'un des grands clini-

ciens de notre siècle dont le nom se transmettra d'âge en âge.

Discours de M. LEYGUES, Ministre de l'Instruction publique.

Mesdames, Messieurs,

Quand on regarde cette grande et belle image qu'un maître sculptent- a mo-

delée dans le bronze, on se demande si l'on a devant les yeux l'image d'un

professeur ou celle d'un prêtre. On devine que c'est celle d'un apôtre.

Charcot fut, en effet, un apôtre par l'enthousiasme, la foi et la hardiesse des

horizons qu'il entr'ouvrit. Vous avez bien fait, Messieurs, de placer la statue

de Charcot à l'entrée de la Salpêtrière. Cette maison, c'est le champ de bataille.

Cette statue, c'est celle du vainqueur.

Des voix éloquentes viennent de retracer l'oeuvre admirable de l'homme dont

nous célébrons aujourd'hui la mémoire. Cette oeuvre est une des plus surpre-

nantes du siècle. Charcot aborda d'un coeur haut et d'un pied ferme cette ré-

gion incertaine et troublante où se confondent les frontières du monde physio-

logique et du monde psychique. Il fixa l'insaissisable. Pour la première fois il

débrouilla le fils mystérieux qui relie les phénomènes d'une mentalité défail-

lante à des causes purement physiques.

Voilà bien la caractéristique de sa doctrine. Et c'est par là qu'il fit franchir

la science médicale une étape décisive. Lorsque des hommes s'élèvent à de

tels sommets, ils ne sont pas seulement l'honneur de leur corporation et de la

cité où ils virent le jour ; mais leur gloire illumine la uatiou tout entière.

C'est pourquoi je viens au nom du gouvernement de la République apporter

mon tribut d'admiration et déposer mon témoignage de pieuse reconnaissance

devant l'image de Charcot qui fut à la fois un grand savant et un grand ci-

toyen ! .

xi 28

418 INAUGURATION DU MONUMENT T

A l'issue de la cérémonie, la croix de Chevalier de la Légion d'Hon-

neur a été remise à M. le Dr Gombault.

Nul choix ne pouvait étreplus judicieux que ce'lui du savant laborieux

et modeste qui perpétue, avec une conscience au-dessus de tout éloge, cet

enseignement de l'anatomie pathologique où Charcot inaugura l'ère de sa

célébrité. -

La Rédaction

SUR UNE VARIÉTÉ DE PARALYSIE ASSOCIÉE

DU MUSCLE GRAND DENTELÉ

(grand DENTELÉ ET trapèze SCAPULAIRE).

PAR R 1

A. SOUQUES et r Pierre DUVAL

.Médecin des Hôpitaux Interne des Hôpitaux.

La paralysie du muscle grand dentelé se présente sous des aspects dif-

férents. Tantôt elle est constituée à l'étal de pureté : c'est la paralysie

isolée. Tantôt elle est compliquée de la paralysie d'un muscle ou de plu-

sieurs muscles : c'est la paralysie associée.

Le cadre des paralysies associées est très vaste. Au cours des amyo-

trophies plus ou moins généralisées, d'origine myélopalhique ou myo-

spathique, le grand dentelé est souvent inléressé. D'autre part, dans

les paralysies radiculaires du plexus brachial, il n'est pas rare que ce

muscle soit touché. Nous n'avons pas l'intention de nous occuper ici de

l'une ou de l'autre de ces variétés. Le grand dentelé n'y joue qu'un rôle

secondaire; sa paralysie, perdue dans l'ensemble morbide, n'y revêt point

une physionomie suffisamment distincte.

A côté de ces deux groupes, il faut placer les faits de paralysie du grand

denlelé, associée à celle d'un muscle de la région scapulo-lmmérale : du

deltoïde par exemple, du rhomboïde, du grand pectoral, etc. Dans cette

catégorie, plus étroite et mieux délimitée, il importe, à notre avis, d'in-

dividualiser une variété spéciale qui. par sa fréquence, son mécanisme et

ses caractères, mérite une place à part : c'est la paralysie du grand den-

Gelé, associée il celle du trapèze scapulaire (portion moyenne et inférieure

du trapèze).

Nous essayerons de montrer que celle association paralytique n'est pas

fortuite, et que son mécanisme et ses symptômes lui créent une véritable

personnalité. Mais avant d'insister sur les traits qui lui donnent une phy-

sionomio propre et sur les raisons qui militent en faveur de son autono-

mie, il nous parait indispensable d'exposer les détails du cas que nous

av ons observé.

420 0 A. SOUQUES ET P. DUVAL

. Observation

Alphonse B..., chaudronnier, âgé de r5 ans, entre le 22 août 1898, : ') ! 'hôpi-

tal Cochin.

Il n'y a rien à signaler d'intéressant clans ses antécédents héréditaires. Rien

dans ses antécédents personnels : pas de maladies vénériennes, pas d'éthylisme.

Il a appris son métier à t'age de 13 ans, et toujours travaillé dans la grosse

chaudronnerie. Il maniait un marteau-boule, pesant 5 iL 6 kilogrammes, durant

toute la journée ; il exerçait par conséquent un métier pénible, nécessitant une

grande force musculaire, aussi ce malade est-il très vigoureusement musclé.

Le 3 août 1898, il soulevait avec six camarades des fonds de chaudière qui

pèsent 500 à 600 kilogrammes chacun. Pour soulever ces fonds, les ouvriers se

placent d'un seul côté, sur une même ligne, puis dans un premier temps élèvent

la pièce jusqu'à mi-cuisse, il peu près, enfin dans un second temps ils sont obli-

gés de déplacer les mains, de les retourner pour mettre le fond de chaudière

complètement debout, c'est-à-dire pour pousser, dans ce second temps, l'objet

de bas en haut et d'arrière en avant, jusqu'à ce qu'il soit droit et puisse rou-

ler. Les deux actes de l'opération exigent un développement de force muscu-

laire considérable; le second temps en particulier nécessite une contraction

synergique forte et prolongée des muscles grand dentelé, trapèze et grand pec-

toral : nous reviendrons d'ailleurs sur ce point. C'est pendant ce second temps,

c'est-à-dire au moment où notre homme avait changé ses mains d'attitude, et

poussait devant lui un objet lourd et résistant, c'est à ce moment précis,

disons-nous, qu'il a éprouvé brusquement une douleur assez vive, qu'il lo-

calise exactement dans les régions suivantes : espace inter pectoro-deltoïdien et

fosse sous-épineuse du côté droit. Cette douleur n'irradiait point dans le bras

correspondant. En même temps notre homme s'est aperçu, qu'il ne pouvait éle-

ver son bras droit au delà de la ligne horizontale. Il a pourtant continué son

travail pendant deux jours, et pu manier tant bien que mal son lourd marteau

boule en l'élevant avec l'avant-bras. La gêne était cependant très appréciable,

si bien qu'il a dû cesser tout travail le 5 août. Un médecin consulté s'est borné

il lui appliquer un appareil de contention et quelques jours après lui a conseillé

du massage et un traitement électrique. Bientôt le malade n'éprouvant aucune

amélioration entre à l'hôpital Cochin.

Etat actuel (fin août 18J8). Il s'agit d'un homme de 45 ans, très bien

portant, très vigoureux et extraordinairement musclé. Tout se borne chez lui

il une paralysie du muscle grand dentelé et des deux tiers inférieurs du tra-

pèze, du côté droit. Voici d'abord les détails des déformations de la région sca-

pulo-humérale.

PARALYSIE ASSOCIÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 421 1

A) Station ASSISE.- 1° Le tronc étant droit, les bras en avant, les mains sur

les genoux. Il y a une déformation appréciable de la région scapulo-humérale

droite, caractérisée dans son ensemble par au léger abaissement du moignon de

l'épaule, par une élévation in loto du scapulum telle que l'angle supéro-interne

se trouve a 1 centimètre 1/2 environ au-dessus de son homologue du côté

gauche.

L'angle inférieur présente la même élévation relative. Le bord spinal de

l'omoplate est plus éloigné du rachis que du côté sain : ainsi,au niveau de l'épine

scapulaire, il est distant de la ligne médiane de 9 centimètres tandis que au

même niveau du côté gauche cette même distance n'est que de 6 centimètres.

En outre ce même bord spinal de l'omoplate droite est parallèle à la ligne ra-

chidienne, tandis que la gauche est nettement oblique en bas et en dehors.

Nous ajouterons que le bord spinal droit est légèrement écarté de la paroi

thoracique, l'épine de l'omoplate fait un relief très appréciable et les fosses sus

et sous-épineuses présentent un méplat très visible. Nous verrons plus loin la

raison de ces diverses déformations.

2° Le tronc est incliné en avant, les mains sur les genoux. La déformation est

à peu près identique, mais moins accusée. *

B) Station debout. 1° Les bras tombant naturellement le long du tronc.

Déformation très nette de la région scapulo-humérale, qui rappelle celle de la

station assise, le tronc droit, et qui en diffère cependant par certains points.

Il y a toujours un abaissement du moignon de l'épaule mais plus accentué.

L'élévation en masse du scapulum est par contre moins accusée. Le bord

spinal de l'omoplate est toujours plus éloigné de la ligne médiane que du côté

sain (7 1/2 à droite, 5 1/2 à gauche). Par contre le bord spinal n'est plus pa-

rallèle à la ligue rachidienne ; il est nettement oblique en bas et en dedans,

tandis que à gauche le bord de l'omoplate est parallèle au rachis. L'écartement

du bord spinal par rapport à la paroi persiste, mais l'angle inférieur est beau-

coup plus détaché du thorax que dans la position assise. Le relief de l'épine

scapulaire est tout aussi accusé ainsi que les méplats sus et sous-épineux. On

voit en outre le relief appréciable du bord inférieur du rhomboïde (PI. XLIII,

C).

2° Les bras élevés directement en avant jusqu'à la ligne horizontale .

La déformation a changé complètement de caractère; elle est extrême et se

voit très nettement sur les photographies : ce qui frappe c'est le scapulum ala-

l2t))t.

Le scapulum paraît élevé en masse, mais nous tenons à dire, une fois pour

toutes, que cette élévation est déterminée par le mouvement de bascule de

l'omoplate, mouvement qui élève les angles supéro-interue et inférieur et le

bord spinal, tandis que l'angle acromial reste fixé au niveau normal et sert

de pivot.

L'angle supéro-inlerne est si élevé que sa saillie est visible par devant, der-

rière la corde formée par la portion claviculaire du trapèze, autrement dit

derrière la ligne du cou il l'épaule.

422 A. SOUQUES ET P. DUVAL

L'élévation de l'angle supéro-interne est de 3 centimètres au-dessus de son

homonyme, du côté sain. Il est évident que cette élévation se retrouve au ni-

veau de l'angle inférieur. En outre, l'obliquité du bord spinal est bien accen-

tuée : l'angle inférieur est à 4 centimètres environ de la ligne médiane, l'angle

supéro-interne à 10 centimètres (Pl. XLVIII, E. F.)

Quant à la gouttière scapulo-thoracique, elle a une profondeur de 6 à 7 cen-

timètres, on y voit deux ou trois brides allant du rachis au bord spinal du sca-

pulum, vestiges de quelques faisceaux musculaires trapéziens (PI.XL VIII,E. F.),

A noter également un relief très accentué de la portion claviculaire du trapèze.

Entre le relief de cette portion claviculaire et l'angle supéro-interne on voit

un sillon profond, large d'un travers de doigt environ, parallèle au faisceau

claviculaire et allant du rachis à l'acromion ; il est dù à l'atrophie des faisceaux

acromiaux du trapèze. - (Dans l'élévation du bras en deliors, cette gouttière

disparaît, comblée par le déplacement du scapulum en dedans et en arrière.)

De plus on voit dessinés très vigoureusement, et plus à droite qu'à gauche, non

seulement les reliefs du deltoide mais encore des sus et sous-épineux, éléva-

teurs du bras dans ce cas.

3° Elévation en dehors du bras, jusqu' l'horizontale. ,

La déformation scapulo-humérale est encore considérable mais moins mar- .

quée que dans l'élévation directement en avant (PI. XLVIII, D. G.).

Le scapulum est toujours très élévé en totalité, l'obliquité du bord spinal est

plus accentuée que dans l'attitude précédente ; en effet l'angle inférieur vient

sur la ligne médiane, tandis que l'angle supéro-interne en reste distant de

9 centimètres environ (PI. XLVIII, D. G.).

La gouttière scapuio-thoracique existe mais beaucoup moins accusée, parce

que le bord spinal du scapulum est moins détaché du thorax.

Pas de scoliose.

Nous ferons remarquer en passant que, à force de faire répéter les mouve-

ments d'élévation du bras soit en dehors soit en avant, la situation de l'omo-

plate n'est pas toujours la même ; à la longue, cet os reste pendant quelques

instants plus élevé et plus oblique.

4° Elévation du bras au delà de la ligne horizontale. - L'élévation volon-

taire du bras, soit en avant, soit en dehors, atteint la ligne horizontale mais ne

la dépasse pas. Si on a soin de fixer artificiellement l'omoplate sur le thorax,

en reportant en avant et en dehors son angle inférieur, l'élévation du bras

jusqu'à la verticale est par contre très facile et très énergique.

o° Elévation volontaire des épaules. - Lorsqu'on commande au sujet

d'élever les épaules, il le fait avec la plus grande facilité, et cette élévation

atteint son maximum aussi bien à droite qu'à gauche. Si on essaie, en pesant

aussi fortement que possible, d'abaisser les épaules ou de s'opposer il leur élé-

vation, on ne peut y parvenir : c'est dire que l'élévation volontaire de l'épaule

est absolument normale du côté malade. ,

L'acte de porter vigoureusement les épaules en avant se fait avec une éner-

gie tout à fait parfaite. Le dos s'arrondit, à droite comme à gauche, et toute

difformité apparente s'efface, sauf les méplats sus et sous-épineux. Mais le

Nom. ICOI;OGIeAl'ilil DE la S,HI'[IJ<ILJ<r.. 1'. XI. PI. XI. VIII

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PARALYSIE DU GRAND DENTELÉ

(A Souques ct Dmal.)

MASSON rie F ? it(,\1rc :

PARALYSIE ASSOCIÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 423

bord spinal du scapulum reste toujours plus éloigné de la ligne médiane à droite

qu'à gauche, et l'os in loto plus élevé.

De même, l'acte de porter les épaules en arrière et en dedans, l'acte du

« Brust heraus » se fait avec une énergie normale, quoique avec une déforma-

tion manifeste, caractérisée à droite par la disparition du faisceau inférieur du

trapèze et la saillie nette du rhomboïde, si bien qu'il existe au-dessous et en de-

dans de l'angle inférieur de l'omoplate droite, une dépression très accentuée,

qui contraste avec le côté opposé. En effet, du côté sain,le relief du trapèze in-

férieur se dessine nettement sous la peau (PI. XLVIII, A).

Dans cette attitude, l'omoplate reste notablement plus éloignée de la ligne

médiane que du côté sain, eu même temps qu'un peu surelevée. L'obliquité du

bord spinal persiste d'ailleurs, quoique moins marquée.

Telles sont les déformations de la région scapulo-humérale dans les diverses

attitudes et des membres supérieurs, nous ferons remarquer en passant

qu'il n'y a pas de troubles de la sensibilité objective dans cette région. Les

douleurs spontanées ont disparu ; notre malade ne se plaint que de quelques

tiraillements dans les fosses sus et sous-épineuses, se produisant surtout dans

l'élévation maintenue du bras ; la fatigue, dans cette attitude, survient très vite

et au bout de quelques minutes les tiraillements sont tellement pénibles et

l'épuisement si grand que le malade laisse tomber son bras.

Il nous faut examiner maintenant les déformations du thorax.

Déformations du thorax ET du COU. - Thorax. 10 Malade vu de dos (Pl.

XLVIII, D. E. F. G.)

a) Station debout les bras tombant naturellement.

Il n'y a rien à noter, en dehors des troubles morphologiques de la région

scapulo-humérale déjà signalés. Le thorax proprement dit ne présente pas d'a-

symétrie manifeste.

b) Bras élevés en avant jusqu'à l'horizontale. Sans parler du scapulum alatuiii,

il faut noter une étroitesse très considérable de la moitié droite du thorax et

une altération de la ligne latérale du thorax. Cette ligne, au lieu d'être oblique,

comme du côté sain, en bas et en dedans, présente l'aspect d'une S très allongée.

La face postérieure du thorax est presque aussi rétrécie au niveau de i'omo-

plate qu'au niveau de la région lombaire.

Au niveau du cou, on voit une saillie du faisceau claviculaire du trapèze

qui se contracte énergiquement, ainsi que le sterno-mastoïdien qui saille for-

tement en dehors.

c) Bras levés en dehors jusqu'à l'horizontale. Le rétrécissement thoracique

disparaît dans la partie inférieure de la paroi.

- La ligne latérale du thorax en S allongée est aussi accentuée que précédem z

ment.

AU niveau du cou, même saillie du trapèze et du sterno-mastoïdien.

2° Malade vu de face (PI. XVLIII, I. K. L). - «.; station debout, les bras

tombant. Pas de déformation cervicale ou thoracique' visible.

- ) Bras levés en avant jusqu'à l'horizontale. - Déformation thoracique très

424 A. SOUQUES ET P. DUVAL

nette : la moitié droite du thorax est plus large et plus bombée que la moitié

gauche. La ligne latérale décrit une courbe identique il celle que l'on voit de

dos. -

A côté de ces déformations, de la paroi antérieure du thorax, on voit, sur la

paroi latérale proprement dite,une difformité très frappante : le creux de l'aisselle

droite est très diminué : sa paroi postérieure a disparu, son sommet à peine

marqué est moins profond que du côté sain, sa paroi antérieure est moins vi-

goureusement dessinée par le grand pectoral, sa paroi interne agrandie d'avant

en arrière se trouve sur le même plan que la postérieure, avec laquelle elle se

confond. Nous ferons seulement remarquer ici en passant que ces déformations

axillaires dépendent avant tout du scapulll1n alat1l97t.

Au-dessous du prolongement de la ligne bi-mamelonnaire se voit, sur la

paroi latérale thoracique, une voussure considérable, convexe en dehors et

en avant, d'autant plus marquée que le malade fait plus d'efforts pour étendre

son bras.

Au niveau du cou, saillie très considérable du sterno-mastoïdien et du tra-

pèze qui inclinent la tête à droite en portant le menton à gauche. On voit, en

outre, le bord supéro-interne du scapulum pointer derrière la ligne qui va du

cou à l'épaule. -

y) Bras en élévation en dehors jusqu'à l'horizontale. L'élargissement de la

paroi antérieure du thorax n'existe plus, mais la voussure est tout aussi

accusée, de même que la ligne en S allongée. Le creux de l'aisselle est tout à

fait effacé.

Au niveau du cou la déformation est plus accusée, les saillies musculaires et

la déviation de la face plus prononcées que dans l'attitude précédente.

3° Malade vu de côté (PI. XLIX, M.R.). - u) Bras pendant ; rien d'appré-

ciable sauf une saillie légère du bord spinal de l'omoplate.

(3) Bras élevés en avant : scapulum alatll1n simulant une gibbosité cervico-

dorsale. La paroi latérale du thorax, dans sa moitié inférieure fait voussure ;

elle est convexe d'avant en arrière et de haut en bas ; les-digitations du grand

dentelé ont disparu, si bien que le thorax est lisse et uni et que les huit der-

niers espaces intercostaux saillent fortement en dehors.

Le creux de l'aisselle présente la déformation décrite. Au cou, mêmes re-

liefs musculaires que précédemment.

-/) Bras en élévation en dehors. - La pseudo-gibbosité scapulaire est moins

accusée ; le thorax et le cou présentent les déformations déjà signalées.

Examen électrique :

Voici les résultats de l'examen électrique, obligeamment pratiqué par notre

ami, M. Huet : l'excitabilité faradique directe et indirecte est très diminuée

dans le muscle grand dentelé droit. Les courants aussi forts que le malade les

peut supporter ne provoquent pas l'excitabilité de ce muscle il droite, tandis

qu'ils font contracter énergiquement le muscle it gauche, quand ils sont appli-

qués de ce côté sur le nerf du grand dentelé ou sur le muscle lui-même. L'exci-

NOUV. ÎCONOGHAPHIE DI- LA SALI'LIHll.lth. T. XI. PI. 1fI\

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PARALYSIE DU GRAND DENTELÉ

(A. Souqucs et Ducal.)

PARALYSIE ASSOCIÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 425

tabilité galvanique du muscle grand dentelé droit est, au contraire, conservée,

mais sensiblement diminuée ; de plus les contractions obtenues sont lentes avec

N F C P F C. Donc il y a de la réaction de dégénérescence dans ce muscle.

Dans les portions moyenne et inférieure du trapèze, les réactions électriques

sont fortement diminuées sans modifications qualitatives, c'est-à-dire sans réac-

tion dégénérative.

Dans le rhomboïde, l'excitabilité faradique et l'excitabilité galvanique parais-

sent plutôt augmentées sans modifications qualitatives. Peut-être cette hyperex-

citabilité est-elle plus apparente que réelle, par suite de la paralysie de son an-

tagoniste (grand dentelé).

Enfin, dans les autres muscles de la région scapulo-humérale : angulaire de

l'omoplate omobyoïdien, grand dorsal, grand rond, grand pectoral, deltoïde,

etc., les réactions électriques sont normales en quantité et en qualité.

Tels sont les détails de l'observation. 11 s'agit, en résumé, d'une paralysie du

grand dentelé, associée à la paralysie des portions moyenne et inférieure du

trapèze. Cette association paralytique présente des caractères pathogéniques et

symptomatiques qui méritent une étude particulière.

Étude patiiogénique.

S'agit-il là d'une association fortuite ? On serait autorisé à incriminer le

hasard, si une pareille association était exceptionnelle ou du moins rare.

Or il n'en est rien.

Il suffit, pour s'en convaincre, de parcourir les principaux travaux pu-

bliés sur la paralysie du muscle grand dentelé. On y voit que la paralysie

du trapèze complique souvent celle du grand dentelé. Il est vrai que les

observations sont souvent incomplètes. Mais, encore que les observations

soient défectueuses à beaucoup d'égards, que cette complication soit signa-

lée de manière incidente, il n'en ressort pas moins que cette paralysie as-

sociée du grand dentelé est fréquente, plus fréquente, semble-t-il, que la

forme pure et isolée.

Dans la discussion qui suivit la présentation de L. Bruns, à la Société

de Psychiatrie de Berlin (1), Remak déclara qu'il n'avait observé que trois

cas de paralysie isolée du muscle grand dentelé, tandis qu'il avait vu six

cas de paralysie du même muscle, associée 1 celle des portions moyenne

ou inférieure du trapèze.

Bruns (2), revenant, l'année suivante, sur l'observation du même ma-

(1) Remak, Berl. Gesells. sur Psych. und Nerven., 12 décembre 1892.

(2) Bruns, Neurol. Central ! )., 1893.

426 A. SOUQUES ET P. DUVAL

lade, mentionne également en passant la fréquence de cette association pa-

ralytique.

Plus récemment, Barreïro (1) avance aussi que la paralysie concomitante

du trapèze est la complication la plus fréquente de la paralysie du grand

dentelé. « Les parties du trapèze frappées surtout en même temps que le

grand dentelé, ajoute-t-il, sont le plus souvent la portion moyenne et la

portion inférieure de ce muscle. »

Cette complication n'avait du reste pas échappé à la sagacité deDuchenne,

qui en parle à diverses reprises. Il écrit qu'il n'a pas vu de paralysie ou

d'atrophie étroitement localisée au grand dentelé, « ce qui prouve, ajoute-

« t-il (2), que cette localisation doit être rare, puisque sur une vingtaine de

« cas d'atrophie ou de paralysie du grand dentelé que j'ai explorés, je ne

« l'ai pas rencontrée une seule fois. » En effet, parmi les dix observations

qu'il rapporte sommairement, sept ressortissent à l'atrophie d'origine spi-

nale ou myopathique. Des trois autres, l'une concerne un homme qui, à la

suite d'une chute d'un lieu élevé, fut frappé d'une paralysie généralisée.

Au bout d'un an, il restait encore quelques muscles atrophiés, en particu-

lier le grand dentelé. « C'est la seule fois, dit Duchenne (3), que j'ai eu

« l'occasion d'observer l'atrophie du grand den telé,ivec iii légi,1 té pa l'laite (les

« autres muscles qui meuvent l'épaule sur le tronc et le bras sur l'épaule.

« Dans ce cas,les signes pathognomoniques de la paralysie du grand dentelé

« étaient aussi prononcés pendant l'élévation du bras que lorsque le trapèze

« est en même temps lésé. » On pourrait, il nous semble, en raison de l'in-

tégrité des autres muscles de la région scapulo-humérale, considérer dans

l'espèce ce fait comme un cas de paralysie isolée du grand dentelé. Une des

deux dernières observations est ainsi relatée : « Atrophie du grand dentelé,

de la moitié inférieure du trapèze et du rhomboïde du côté droit. Cause in-

connue. » Et enfin la dernière,tout fait identique à notre observation per-

sonnelle, est ainsi conçue : « V... brossier, 34 ans ; atrophie dit grand den-

« telé, du tiers inférieur et d'une grande partie du tiers moyen du trapèze

« droit, par abus de travail. - L'atrophie n'avait pas encore envahi les

« muscles des autres régions. » Les figures 2, 5, 11, 12 et 13 de la « Phy-

« siologie des mouvements » concernent ce malade.

Duchenne,qui rédigeait les observations précédentes en 1855, ajoute en

note : « Depuis lors j'ai observé bien d'autres cas de paralysie ou d'alro-

« phie du grand dentelé, dont j'aurais pu exposer le sommaire à la suite

« des cas précédents. » Nous ne pouvons que regretter, au point de vue

(1) Banmuno, Conlrib. à l'étude de la paralysie du muscle grand dentelé. Th. Pa-

ris, 1895, p. 50.

(2) DOCIIE\nE, Physiol. des mouoem. Paris, 1867, p. 40.

(3) DocuEwa, eod. loc., p. 14.

PARALYSIE ASSOCIÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 427 7

documentaire, et au point de vue de la fréquence relative de la paralysie

isolée du grand dentelé et de sa paralysie associée à celle du trapèze, que

cette exposition sommaire n'ait pas été faite. Nous savons, au demeurant,

que Duchenne regardait comme des cas de paralysie complexe tous les cas

de paralysie isolée du grand dentelé, publiés avant lui.

Lewinski (1), dans une étude critique intéressante, adopte la manière

de voir de Duchenne. Pour lui, comme pour Duchenne. sont des faits de

paralysie complexe tous les faits où on a noté un trouble de l'attitude de

l'épaule, lorsque le bras pend normalement le long du corps. Il est vrai de

dire que ce signe différentiel a été contesté par Berger (2) en particulier,

et qu'il parait contestable, et que Lewinski lui-même est revenu sur l'ab-

solutisme de sa première opinion (3).

Il est du reste difficile de faire un choix dans la plupart de ces diverses

observations, de savoir par exemple si tel cas se rapporte il une paralysie

associée, car ces faits sont pour la plupart incomplets : on ne peut pas sa-

voir si les muscles de l'épaule autres que le grand dentelé étaient indem-

nes ou intéressés.

On pourrait d'ailleurs tenir le même raisonnement critique à propos de

certains cas publiés depuis Duchenne.

Pour ce motif, il est impossible d'établir une statistique exacte, tou-

chant la fréquence comparée des diverses formes de paralysie du grand

dentelé. Il n'en reste pas moins démontré que la forme isolée est rare, et

que les formes associées sont fréquentes. Et parmi les formes associées,

celle que nous avons en vue est la plus commune ; elle nous parait, au

point de vue comparatif, plus commune que la forme isolée.

Etant donnée la fréquence de la paralysie du muscle grand dentelé, as-

sociée à celle des parties moyenne et inférieure du trapèze, il est illogi-

que, pour expliquer cette coïncidence, d'invoquer un hasard, un accident

fortuit. Il y a nécessairement une raison qu'il faut découvrir.

Posé en d'autres termes, le problème est le suivant :

1° Pourquoi le tiers supérieur du trapèze est-il respecté, alors que les

deux tiers inférieurs sont paralysés ?

2° Pourquoi la paralysie de ces deux tiers inférieurs coexiste-t-elle fré-

quemment avec la paralysie du grand dentelé' ?

Nous allons essayer de trouver la solution du problème, en répondant

à ces deux questions.

La réponse à la première question nous parait relativement facile. Le

tiers supérieur du trapèze est respecté, parce qu'il constitue à lui seul un

(1) Lewinski, Archiv. sur path. Anat. und Phys., t. LXXIV, p. 473.

(2) Berger, Mémoire paru à Iireslau, 1813 et 1815.

(3) LEwiNsKi, Virchow Archiv., t. LXXIV, p. 7.

428 SOUQUES ET P. DUVAL

muscle entier, indépendant des deux tiers moyen et inférieur, qui de leur

côté peuvent être considérés comme un muscle autonome. Mais ceci né-

cessiteqlielques éclaircissements.

Chez les animaux domestiques (1); la musculature du cou se compose

de trois muscles :

Le stcrno ? aastoïcliea;

Le tlastoïllo-la2caércll, qui se divise en deux portions, l'une antérieure

el l'autre postérieure ; -

Le trapèze, qui présente également deux portions bien délimitées, à

savoir, le trapèze supérieur ou descendant et le trapèze inférieur ou trans-

versal.

, Chez l'homme, la présence de la clavicule modifie complètement celle

répartition topographique.

La portion antérieure du mastoïdo-huméral se fusionne avec le sterno-

mastoïdien, et ainsi se trouve formé le sterno-cléido-mastoïdien. La por-

tion postérieure du mastoïdo-huméral s'unit au trapèze supérieur dont

il forme le faisceau occipito-claviculaire. Quant au trapèze inférieur, il se

fusionne complètement avec le trapèze supérieur.

Le trapèze supérieur fait alors partie de la musculature du cou : c'est

un muscle cervical; son évolution montre qu'il appartient au môme groupe

que le sterno-mastoïdien et que le mastoïdo-huméral.

Le trapèze inférieur est au contraire un muscle dorsal.

Ainsi chez l'homme, le muscle trapèze se trouve constitué par l'union

de deux muscles primitivement différents, dont la fusion a été déterminée

par l'apparition de la clavicule. .

Chez les animaux domestiques, la branche externe du spinal innerve

le sterno-mastoïdien, le mastoïdo-huméral et le trapèze cervical, en don-

nant quelques rares filets au trapèze dorsal. Le plexus cervical donne bien

quelques filets en trapèze cervical, mais il innerve surtout le trapèze dor-

sal.

Chez l'homme, le muscle trapèze est innervé par la branche externe du

spinal d'une part, et d'autre part par des rameaux nés du plexus cervical.

Une anastomose importante réunit le plexus cervical à la branche externe

du spinal. Le trapèze reçoitdoncson innervation de deux sources distinctes.

C'est là un fait bien connu. Mais ce qui est moins bien connu, c'est la dis-

tribution respective de ces deux sources dans le muscle : leur territoire

musculaire n'est pas anatomiquement délimité de façon exacte. Cependant

les recherches récentes tendent à prouver que le spinal est destiné avant

tout à la portion claviculaire ou supérieure du trapèze, et les rameaux tra-

(1) G'11.1U\'E.\U, Anatomie comparée des animaux domestiques, Paris, 1H57.

PARALYSIE ASSOCIÉ DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 429

péziens du plexus cervical aux portions moyenne et inférieure de ce muscle.

Remak (1), se basant sur son observation personnelle et sur les observa-

tions de Langenbeck et deBardeleben, conclut que le spinal n'innerve que

la portion supérieure du trapèze, et que les portions moyenne et inférieure

reçoivent leur innervation du plexus cervical. Dans les paralysies centra-

les du spinal, dans ses paralysies périphériques (depuis son segment ini-

tial jusqu'à la fosse jugulaire), les deux tiers inférieurs du trapèze ne sont

pa5 paralysés. Il est vrai que l'opinion de Remak est contraire à l'avis de

Martins (2). Pour ce dernier auteur, les portions inférieure et moyenne

du muscle trapèze sont innervées non seulement par le plexus cervical mais

par le spinal, car dans la section de ce nerf, alors que la portion supérieure

est complètement paralysée, les portions moyenne et inférieure, ayant en-

core leurs nerfs cervicaux, sont seulement parésiées : tout récemment \Val-

ther Schlottmanu (3), étudiant quatre cas de paralysie périphérique du nerf

spinal, conclut de leur examen clinique que la partie de la branche externe

du spinal, qui innerve le faisceau acromial du trapèze provient des bran-

ches du plexus cervical. Quand le spinal est paralysé, ce faisceau reste in-

tact, ce qui suffit, ajoute-t il, à empêcher le mouvement de bascule de Du-

chenne.

Donc les portions moyenne et inférieure du trapèze sont innen ées exclu-

sivement ou presque exclusivement par le plexus cervical. Le spinal est

réservé au sterno-mastoïdien et à la portion supérieure du trapèze. A cet

égard, on peut donc séparer le tiers supérieur des deux tiers moyen et

inférieur de ce muscle. On devrait même, pour plus de commodité, les

désigner sous les deux termes de trapèze claviculaire ou cervical et de ira-

pèze scapulaire ou dorsal, le premier s'appliquant à la portion supérieure

qui s'insère à la clavicule, et le second répondant aux portions moyenne

et inférieure qui s'insèrent au scapulum.

Du reste, la physiologie et la pathologie apportent, croyons-nous, des

arguments en faveur de cette manière de voir. Le trapèze claviculaire lève

directement en haut l'extrémité externe de la clavicule. Le trapèze scapu-

laire rapproche le bord spinal de l'omoplate de la ligne médiane, fixe ce

bord contre le thorax et lui imprime un mouvement de rotation autour

de l'angle supéro-interne, mouvement qui chez l'acromion porte en

dehors et en avant l'angle inférieur. Le trapèze claviculaire agit, somme

toute, sur la clavicule, et le trapèze scapulaire sur le scapulum. Ils ont

donc une fonction distincte : à une innervation différente correspond une

physiologie différente.

(1) Remak, Pragt. med. Wochenschrift, 1893.

(2) \fnrsTins, Berl. kl. Wochon., 1887, ne 8.

(3) Sf'11L01'T\flNV, Dent. Zcit. [,il', Nervenh., 12 décembre 1894.

430 A. SOUQUES ET P. DUVAL

Cette distinction se poursuit, en outre, sur le terrain de la pathologie

expérimentale et de la clinique. Nous avons relaté, en effet, les travaux

de Remak et de Schlollmann qui plaident dans le même sens. L'observa-

tion personnelle que nous avons rapportée, celle de Duchenne, et les faits

analogues nous serviront de témoignage.

En somme, au triple point de vue anatomique, physiologique et patho-

logique, il y a lieu de distinguer deux muscles trapèzes : le trapèze clavi-

culaire et le trapèze scapulaire. -

Rien n'est maintenant plus facile que de répondre à la première de nos

questions : le tiers supérieur du trapèze est respecté, alors que les deux

tiers inférieurs sont paralysés, parce que le trapèze claviculaire et le tra-

pèze scapulaire constituent deux muscles distincts, indépendants, auto-

nomes.

Reste à répondre maintenant à la seconde question : pourquoi la para-

lysie des deux tiers inférieurs du trapèze coexiste-t-elle fréquemment avec

celle du grand dentelé ? Le terrain est ici moins solide et nous allons entrer

dans le domaine de l'hypothèse pure.

Pour expliquer cette coexistence fréquente, la première idée qui vient

à l'esprit, c'est qu'il doit exister des rapports d'innervation périphérique

entre le grand dentelé et le trapèze scapulaire.

Or nous avons vu que le trapèze scapulaire était avant tout innervé par

des rameaux venus du plexus cervical. D'autre part, le grand dentelé est

innervé par le nerf thoracique postérieur, ou nerf du grand dentelé, qui

naît des cinquième et sixième paires, c'est-à-dire du plexus brachial. Peut-

on supposer que le nerf du grand dentelé et ceux du trapèze scapulaire

ont, dans quelques cas exceptionnels, une origine commune. On peut évi-

demment faire cette supposition, mais elle est tout à fait gratuite, car elle

n'est basée sur aucune notion anatomique. De plus, une exception de ce

genre ne saurait expliquer la fréquence de l'association paralytique en

question. Est-il plus logique de soupçonner une anastomose rare entre le

nerf du grand dentelé elles rameaux trapéziens du plexus cervical ? Nul-

lement, car cette anastomose rare n'expliquerait point la fréquence de la

paralysie associée. Et d'ailleurs les traités d'anatomie ne font aucune men-

tion d'une pareille anastomose.

Ce n'est donc pas dans une communauté ou dans des rapports étroits

d'innervation périphérique qu'il faut chercher la raison de la coexistence

de la paralysie du grand dentelé avec celle du trapèze scapulaire.

Serait-ce dans des rapports radiculaires ou médullaires ? La distance, re-

lativement grande, qui sépare le plexus cervical du plexus brachial semble

contraire à cette opinion. La localisation très étroite de la paralysie au mns-

cle grand dentelé et au trapèze scapulaire, alors que tous les musclesvoi-

PARALYSIE ASSOCIÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 431

sins sont indemnes, semble s'opposer à cette conception. D'ailleurs cette for-

me de paralysie associée présente tous les caractères d'une lésion périphé-

rique.

Une autre hypothèse nous paraîtrait plus rationnelle : ce serait celle qui

se baserait sur la synergie fonctionnelle du muscle grand dentelé et du

trapèze scapulaire. Cette synergie nous parait incontestable. Le grand

dentelé fixe et maintient contre la paroi thoracique le bord spinal de l'o-

moplaté. Le trapèze scapulaire exerce une action pareille. Le grand den-

telé élève l'acromion, et porte en dehors et en avant l'angle inférieur de

l'omoplate, en imprimant à cet os un mouvement de rotation autour de son

angle supéro-interne. Le trapèze scapulaire a même action. Ces deux mus-

cles sont donc congénères. D'autre part, ils sont antagonistes : le premier

rapproche de la ligne médiane le bord spinal du scapulum, le second l'en

éloigne. Mais on sait que, d'ordinaire, les muscles antagonistes se contrac-

tent en même temps que leurs congénères.

A notre avis, le point capital réside dans cette contraction simultanée du

grand dentelé et du trapèze scapulaire. Et cette contraction simultanée,

synergique, se manifeste, en particulier, dans l'acte de pousser devant soi

un objet lourd ou résistant, autrement dit, pour parler physiologie muscu-

laire, dans l'acte de porter l'épaule en avant et en haut. « Si le mouvement

volontaire de l'épaule en avant et en haut, déclare Duchenne (1), éprouve

delà résistance, le grand dentelé se contracte synergiquement avec le tiers

supérieur du grand pectoral et avec le trapèze scapulaire, ajouterons-

nous-et alors on voit le bord spinal de l'omoplate sollicité par ce dernier

muscle, n'appliquant solidement contre les parois thoraciques, en (rainer

l'omoplate en dehors et en haut, pendant que l'angle externe de cet os

est attiré en avant et en haut par le tiers supérieur du grand pectoral

La puissance de ce mouvement est des plus grandes ; c'est lui qui fixe

l'épaule en haut et en avant, quand on veut s'en servir pour pousser devant

soi un corps très lourd ou très résistant. »

Or notre malade poussait devant lui, après l'avoir soulevé, un corps très

lourd et très résistant. C'est en faisant un violent effort, dans cette illi-

tude, qu'il a subitement et simultanément paralysé son muscle grand den-

telé et son trapèze scapulaire.

Que s'est-il donc passé ? Il y a eu contraction violente et brusque de ces

deux muscles. Cette contraction musculaire a pu produire un tiraillement,

une distension simultanée du nerf du grand dentelé et des rameaux tra-

péziens et consécutivement une paralysie des muscles qu'ils innervent. Le

tiraillement des nerfs été le fait de la contraction forcée du muscle

(1) Duchenne, Physiol. des mouvem., p. 47.

- 133 A. SOUQUES ET P. DUVAL

grand dentelé et du trapèze scapulaire, ou le lait de la contraction de tout

autre muscle. On peut se poser la question, notamment pour le nerf du

grand dentelé. En effet les anatomistes allemands, Luschka et Ilenle par-

ticulièrement, admettent que les deux rameaux constitutifs du nerf du

grand dentelé, qui viennent des cinquième et sixième paires, traversent

avant de s'unir les fibres du muscle scalène postérieur. 11 arriverait même

parfois que le tronc du nerf traverserait ces fibres musculaires. Cette dis-

position favorise-t-elle le traumatisme du nerf au cours de la contraction

musculaire ? Il est simplement permis de le supposer.

On a vu en effet des contractions musculaires violentes et brusques

tirailler, comprimer les troncs nerveux et produire ainsi la paralysie des

muscles innervés par ces nerfs.

Gowers a observé trois cas de paralysie radiale, consécutifs à une vio-

lente contraclion du muscle triceps brachial. Oppenheim a vu un fait sem-

blable. Et tout récemment, Gerulanos (1) vient d'attirer l'attention sur les

faits dece genre. 11 a fait de nombreuses recherches sur le cadavre, afin

d'élucider les conditions qui permettent la compression du nerf radial par

le triceps. Il conclut de son observation et de ses recherches que la paraly-

sie radiale par contraction violente et soudaine doit ètre beaucoup plus

fréquente qu'on ne pense. %

Plus l'effort musculaire est brusque, plus le tiraillement et la rupture

d'un tronc nerveux est facile. C'est là un point dont Weir Mitchell a, de-

puis longtemps, montré l'importance.

Quelle serait donc l'attitude du membre supérieur et de l'épaule qui

favoriserait particulièrement les tiraillements du nerf du grand dentelé et

des rameaux trapéziens ? Ces nerfs présentent-ils des conditions anato-

miques, dans leur origine, leur trajet ou leurs rapports, qui prédisposent 1

à des lésions de cette nature ? Nous n'avons pas eu jusqu'ici le loisir

de faire les recherches anatomiques et expérimentales nécessaires pour

répondre à ces questions.

Quoi qu'il en soit, admettre une pareille hypothèse c'est presque affir-

mer l'existence d'une lésion périphérique, tronculaire du nerf du grand

dentelé et des rameaux trapéziens, ayant interrompu le courant nerveux à

un niveau qu'il nous est impossible de préciser.

Il s'agit là, nous tenons a le répéter, d'une pure hypothèse, qui ne

peut convenir qu'au cas de notre malade et aux cas sinon identiques du

moins analogues étioiogiquement. Il est certain que d'autres conditions

étiologiques sont capables de réaliser l'association paralytique que nous

(1) GERULANOS, Deut. Zeit. für Chirurg., XLVII, 1. Analyse in Semaine médicale,

1898, p. 271.

PARALYSIE ASSOCIÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 433

étudions ici. Mais nous les avons négligées à dessein et réservé les con-

sidérations précédentes à une catégorie spéciale de faits.

En faveur du mécanisme que nous avons supposé, il nous semble inu-

tile de souligner la fréquence plus grande de cette variété de paralysie

chez l'homme, de sa fréquence plus grande du côté droit. Ce sont là deux

notions qui n'ont pas besoin d'être commentées, étant donné la pathogé-

nie par effort musculaire que nous venons d'exposer.

En résumé : synergie fonctionnelle du muscle grand dentelé et du tra-

pèze scapulaire, particulièrement dans l'acte de pousser devant soi un

corps très lourd outrés résistant; contraction musculaire simultanée,

violente et brusque, produisant un tiraillement ou une compression de

leurs nerfs respectifs, et, en dernière analyse, paralysie associée de ces

deux muscles.

La solidarité pathologique de ces deux muscles est basée sur cette soli-

darité physiologique. Leur sympathie nous paraîtrait péremptoirement

prouvée, s'il en était encore besoin, par quelques lignes de Duchenne,

qui nous ont frappés. Duchenne (1) étudiant la paralysie de la portion

adductrice du trapèze, qui est la première atteinte dans l'atrophie mus-

culaire progressive, écrit : Cette portion du trapèze est toujours paralysée

ou atrophiée dans la paralysie ou l'atrophie du grand dentelé. C'est du moins

ce qui ressort d'une cinquantaine de faits que j'ai recueillis. Tout commen-

taire serait ici superflu.

Etude symptomatique.

Après avoir étudié la fréquence et le mécanisme de la paralysie associée

du grand dentelé et des portions moyenne et inférieure du trapèze, il est

nécessaire d'analyser et d'interpréter les caractères cliniques de cette para-

lysie. Ces caractères se tirent des déformations de l'épaule et du thorax ;

ils varient suivant que le bras tombe le long du corps, ou suivant qu'il

est en élévation. On peul les résumer ainsi :

A. - Au repos, le bras tombant le long du corps.

10 Abaissement du moignon de T épaule.

2° Elévation en masse de l'omoplate.

3° Eloignement du bord spinal par rapport à la ligne médiane.

4° Obliquité du bord spinal.

5° Ecartement de ce bord spinal par rapport il la paroi thoracique.

(1) Duchenne, De l'élecl1'îs. locale, 2e édit., p. 675.

xi 29

431, A. SOUQUES ET P. DUVAL

B. - Pendant l'élévation volontaire du bras.

1° Impossibilité d'élever le bras au-dessus de la ligne horizontale.

2° Déformation en aile du scapulum.

3° Déformation du thorax.

Un certain nombre de ces caractères appartiennent en propre à cette

paralysie associée et la distinguent à première vue, avant tout examen

électrique, 'de la paralysie isolée du grand dentelé. Celle-ci se présente, en

effet, sous les traits suivants :

A. - Au repos, le bras tombant le long du corps.

,1- Elévation en masse du scapulum.

2° Rapprochement du bord spinal par rapport à la ligne médiane.

31, Parallélisme de ce bord par rapport au rachis.

B. - Pendant l'élévation volontaire du bras.

1° Possibilité (dans quelques cas) d'élever le bras au-dessus de la ligne

horizontale.

2° Déformation en aile de scapulum.

3° Déformation du thorax.

Un coup d'oeil jeté sur ces deux tableaux symptomatiques permet d'en

saisir les traits communs et les traits différentiels. On voit qu'il est

facile de distinguer la paralysie associée de la paralysie isolée du muscle

grand dentelé.

*

....

Il nous faut maintenant analyser les principaux signes de la paralysie

associée, que nous avons en vue, et discuter la physiologie pathologique

de ces signes. Cela fait, il ne nous restera qu'à formuler quelques brèves

conclusions.

1. - Déformation de l'épaule.

A. - Au repos du bras.

L'abaissement du moignon de l'épaule dépend de la paralysie de la por-

tion moyenne du trapèze. cc Lorsqu'à l'atrophie du faisceau inférieur du

trapèze, di t Duchenne (1), et des faisceaux qui s'attachen à il la moi Lié in telï1e

de l'épine de l'omoplate, s'ajoute celle de la portion de ce muscle qui s'at-

tache à la moitié externe de cette épine et à l'acromion, on voit le moignon

de l'épaule s'abaisser el l'omoplale basculer de telle façon que son angle

(i) Duchenne, Physiologie des mouvements, p. 10.

PARALYSIE associée DU muscle grand DENTELÉ 435

externe se trouve à deux, trois et quatre centimètres au-dessous de son

angle interne. Il en résulte que l'angle inférieur s'élève en proportion de

l'abaissement de l'angle externe et se rapproche de la ligne médiane, en

faisant une saillie sous la peau. » '

C'est exactement ce qui a lieu dans notre cas. Et Duchenne ajoute : « ce

mouvement de rotation de l'angle externe et de l'angle inférieur de l'o-

moplate sur son angle interne est d'autant plus étendu que l'atrophie du

tiers moyen et de la portion inférieure du trapèze estplus complète ». On

peut avec cet auteur comparer l'omoplate, ainsi privée des portions moyenne

et inférieure du trapèze, à un triangle suspendu par son sommet, repré-

senté par l'angle interne, auquel s'attache l'angulaire. Le poids du mem-

bre supérieur abaisse l'angle externe, qui n'est plus retenu par le tiers

moyen du trapèze, et fait en conséquence remonter l'angle inférieur. Ce

mécanisme de l'abaissement du moignon de l'épaule est tellement vrai

« qu'il suffit de la conservation d'une portion du faisceau acromial du tra-

pèze pour empêcher ce mouvement de bascule dé l'omoplate ».

La portion supérieure ou claviculaire du trapèze est incapable, à elle

seule par sa force tonique, de maintenir le moignon de l'épaule à son ni-

veau normal. En effet, lorsque l'atrophie de cette portion claviculaire s'as-

socie à l'atrophie de la portion moyenne, le moignon de l'épaule n'est pas

plus abaissé, affirme Duchenne, que quand l'atrophie a détruit seulement

la portion moyenne du muscle trapèze.

Un second facteur, qui facilite l'abaissement de l'épaule, est la para-

lysie du grand dentelé. « Le mouvement de bascule de l'omoplate sur son

angle externe est encore plus exagéré, quand à l'atrophie des deux tiers

inférieurs du trapèze s'ajoute celle du grand dentelé » (1). En effet, le

rôle normal du grand dentelé consiste, non seulement à fixer contre le

thorax le bord spinal du scapulum, mais encore à élever son angle externe

et par suite à porter en avant et en dehors son angle inférieur. La paraly-

sie de ce muscle, supprimant cette action, doit faciliter l'abaissement du

moignon de l'épaule. Mais si elle facilite cet abaissement, elle ne ledéter-

mine point.

Le grand dentelé, à l'état normal, n'a pas pour fonction de maintenir

par sa force tonique le moignon de l'épaule à son niveau physiologique.

« Qu'un malade, dit Duchenne (2), soit privé de son grand dentelé, le

moignon de l'épaule est maintenu dans son attitude normale, pourvu qu'il

ait conservé la portion moyenne de son trapèze. »

En somme, c'est la paralysie seule de la portion moyenne du trapèze

qui permet l'abaissement du moignon de l'épaule. Cet abaissement est di-

(1) Duchenne, Physiol. des mouv., p. 12.

(2) Duchenne, eod. loc., p. 40.

43G A. SOUQUES ET P. DUVAL

rectement déterminé, dans ces conditions, par le poids dumembresupé- z

rieur et par la force tonique des pectoraux et du grand dorsal.

Quel est le mécanisme de l'élévation en masse de l'omoplate ? Cette élé-

vation est occasionnée par la force tonique du rhomboïde et de l'angu-

laire de l'omoplate, dont l'action n'est plus contrebalancée. Le rôle prin-

cipal de ces deux muscles consiste, d'après Duchenne, à faire tourner le

scapulum sur son angle externe, de façon à élever les autres deux angles,

l'angle inférieur se rapproçhant en même temps du rachis et venant sail-

lir sous la peau. L'élévation in tolo de l'omoplate relève plus de ce mou-

vement de rotation que de l'action directement élévative du rhomboïde et

de l'angulaire. « Tous les muscles, déclare Duchenne, qui par leur con-

traction isolée, impriment à l'omoplate un mouvement de rotation pro-

duisent en même temps l'élévation en masse de cet os (1). » Ce mouvement

de rotation est permis par la paralysie associée des deux tiers inférieurs

du trapèze et du grand dentelé, qui à l'état normal, s'opposent à ce mou-

vement, et tendent même à imprimer au scapulum une rotation en sens

inverse. -

Rien n'est plus aisé que de concevoir la raison de l'éloignement du bord

spinal de l'omoplate par rapport à la ligne médiane. Cet éloignement relève

évidemment de la paralysie des portions inférieure et moyenne du tra-

pèze, qui ont pour rôle normal de rapprocher ce bord spinal du rachis, et

dont la force tonique suffit à le maintenir à cinq ou six centimètres de la

ligne médiane. Il est vrai que le rhomboïde et l'angulaire sembleraient de-

voir, ci priori, empêcher cet éloignement. Mais, en réalité, ces deux mus-

cles rapprochent très faiblement de la ligne médiane le bord spinal du

scapulum. Ils ont surtout pour fonction, ainsi que nous venons de le voir,

de faire tourner l'omoplate autour de son angle externe. Quoi qu'il en soit,

lorsque les portions moyenne et inférieure du trapèze sont paralysées, le

scapulum s'éloigne du rachis « et cela, écrit Duchenne (2), malgré l'in-

tégrité des autres portions de ce muscle, malgré la conservation du rhom-

boïde et de l'angulaire de l'omoplate ».

'Comment convient-il d'interpréter l'obliquité de bas en haut et de dedans

en dehors du, bord spinal du scapulum ? On saitque dans l'attitude du repos,

à l'état normal, ce bord spinal est à peu près parallèle il la ligne médiane,

dont il reste distant de six centimètres environ. Or, dans notre cas, ce pa-

rallélisme fait défaut. L'obliquité résulte, avant tout, de la paralysie des

portions inférieure et surtout moyenne du trapèze, paralysie qui permet

au rhomboïde et à l'angulaire de déterminer la rotation du scapulum au-

(1) Duchenne, eod. loc., p. 33.

(2) Duchenne, eod. loc., p. 7.

PARALYSIE associée DU muscle grand DENTELÉ 437

tour de son angle externe. En vertu de ce mouvementde rotation, les deux

angles inférieur et interne se trouvent élevés, en même temps que l'infé-

rieur est porté en dedans et l'interne en dehors.

La paralysie du grand dentelé contribue-t-elle à la production de celte

obliquité du bord spinal ? Ce muscle a pour fonction normale de mainte-

nir l'angle inférieur de l'omoplate en dehors et en avant. Lorsqu'il estpa-

ralysé, le bord spinal ne devrait plus rester parallèle au rachis, sous l'in-

fluence de la force tonique du rhomboïde et de l'angulaire qui tendent à

élever l'angle inférieur du scapulum et à le rapprocher de la ligne rachi-

dienne. Mais la « pathologie ne confirme pas ce raisonnement. C'est à

peine si alors son angle inférieur est attiré en haut et en dedans de un cen-

timètre, et encore faut-il que, dans ce cas, l'angulaire et le rhomboïde

jouissent de toute leur force tonique (1) ».

En somme l'obliquité en question dépend principalement de la paraly-

sie du trapèze et accessoirement de celle du grand dentelé. C'est ce que

Duchenne (2) expose exactement en ces termes : « L'angle externe de l'o-

moplate n'étant plus suffisamment soutenu, consécutivement à la perte du

trapèze s'abaisse pendant que son angle inférieur s'élève et se rapproche

de la ligne médiane. On doit donc prévoir que, si le grand dentelé vient à

manquer à son tour, le scapulum a perdu la dernière des forces qui neu-

oralisaient l'action de la pesanleur du membre sur son angle externe, et

que celui-ci, en conséquence, s'abaissera davantage tandis que son angle

inférieur s'élèvera dans les mêmes proportions. C'est ce qui a lieu en effet,

car l'angle inférieur s'écartant considérablement des parois thoraciques

s'élève jusqu'au niveau de l'angle externe et le bord axillaire devient pres-

que horizontal. »

Il ne nous reste plus qu'à signaler le léger écartement du bord spinal par

rapport à la paroi thoracique et le méplat de la fosse sus-épineuse. C'est

encore la paralysie et l'atrophie des deux tiers inférieurs du trapèze qui

est surtout en cause. En effet le grand dentelé a bien pour rôle de fixer

contre le thorax le bord spinal du scapulum, mais Duchenne affirme que

sa paralysie isolée n'entraîne pas, au repos, de déformation appréciable.

Peut-être pourrait-on faire quelques réserves sur ce point. En tout cas, le

trapèze a aussi pour rôle de fixer le bord spinal de l'omoplate contre la pa-

roi thoracique. On peul donc mettre sur le compte de sa paralysie l'écar-

tement de ce bord spinal. .

Quant au méplat de la fosse sus-épineuse, il relève incontestablement

de l'atrophie des portions moyenne et inférieure du trapèze.

En résumé, la paralysie des deux tiers inférieurs du trapèze est la cause

(1) Duchenne, eod. loc., p. 41.

(2) Duchenne, eod. loc., p. 42.

438 A. SOUQUES ET P. DUVAL

principale, pour ne pas dire exclusive, des déformations de la région sca-

pulaire que l'on constate à l'état de repos, dans la paralysie associée du

grand dentelé et des portions inférieure et moyenne du muscle trapèze.

Elle tient sous sa dépendance l'abaissement du moignon de l'épaule, la

rotation du scapulum autour de son angle externe et l'obliquité de son

bord spinal, son éloignement du rachis et de la paroi thoracique, l'éléva-

tion in toto de l'omoplate, et le méplat de la fosse sus-épineuse.

- B. Pendant l'élévation volontaire du bras.

Un premier fait qui frappe, pendant l'exécution de ce mouvement, c'est

l'impossibilité d'élever le bras au-dessus de la ligne horizontale.

L'élévation volontaire ou physiologique du bras est déterminée, à l'état

normal, par l'action combinée du deltoïde et du grand dentelé. Or l'action

du grand dentelé n'est pas indispensable pour l'élévation jusqu'à 1'liori-

zontale. En effet, dans la paralysie de ce muscle, le bras peut être élevé

jusqu'à la ligne horizontale par la contraction isolée du deltoïde. Notre

malade exécute ce mouvement sans difficulté, malgré la paralysie complète

de son grand dentelé. Dans l'exécution de ce mouvement d'élévation, le

deltoïde qui est normal se contracte énergiquement. On voit également se

contracter avec force le sus-épineux et môme le sous-épineux qui font sous

la peau des reliefs très accusés. Chez cet homme, le deltoïde est donc aidé

par le sus-épineux qui est du reste un muscle élévateur du bras, et même

semble-t-il par le sous-épineux dont le rôle élévateur est moins bien

établi.

Mais l'action élévatrice s'arrête là, et le bras ne dépasse point la ligne

horizontale, quelque effort que fasse le malade.

Cette impossibilité est très facile à expliquer, si on veut bien se rappe-

ler le mécanisme de l'élévation du bras au-dessus de la ligne horizontale.

Pour que le bras dépasse l'horizontale, la condition nécessaire est que le

scapulum décrive autour de son angle interne un mouvement de rotation,

par lequel l'angle externe se trouve élevé, et l'angle inférieur par suite

porté en haut en dehors et en avant. Or deux muscles sont seuls capables

d'imprimer un pareil mouvement de rotation ou de bascule au scapulum.

C'est d'une part le grand dentelé et d'autre part la portion moyenne du

trapèze. Dans l'état normal ces deux muscles agissent simultanément. Peu-

vent-ils se suppléer dans l'état pathologique ? Lorsque le trapèze est para-

lysé, le grand dentelé suffit : la rotation précédente se produit et l'élé-

vation verticale du bras se fait dans des conditions a peu près normales.

« L'atrophie du trapèze, dit Duchenne (1), ne dérange en rien les mouve-

(i) Duchenne. Electrisat. local., 3 édit., p. 939.

PARALYSIE ASSOCIÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 430

ments du bras, si l'on en excepte toutefois l'élévation verticale de ce der-

nier, mouvement qui paraît seulement un peu affaibli par la perte de la

portion moyenne de ce muscle. » Si le grand dentelé est complètement pa-

ralysé, la portion moyenne du trapèze va-t-elle suffire à élever le bras jus-

qu'à la verticale ? C'est là une question qui a été récemment discutée en

Allemagne et résolue de manière différente. Nous avons l'intention de l'a-

border dans un prochain travail. ,

Dans le cas présent, la réponse importe peu. Notre malade est privé à la

fois de son grand dentelé et de la portion moyenne de son trapèze. Il a

donc double raison pour ne pas élever le bras au-dessus de la ligne ho-

rizontale, le mouvement de rotation nécessaire étant doublement impos-

sible. Le deltoïde, chez cet homme, est obligé de borner son mouvement

d'élévation à la ligne horizontale, faute d'adjuvant, c'est-à-dire faute de

rotation du scapulum autour de l'angle interne. Que l'on remplace artifi-

ciellement, chez lui, l'action du grand dentelé ou de la portion moyenne

du trapèze, c'est-à-dire que l'on fasse exécuter, à l'aide d'un artifice, au

scapulum, son mouvement de rotation : aussitôt il élève son bras jusqu'à la

verticale avec une grande énergie. -

Le second fait, qui frappe l'observateur, dans l'élévation volontaire du

bras, est l'ensemble des déformations de l'omoplate qu'on désigne sous le

nom de scapulum olat2cn.

Tout d'abord l'omoplate est élevée en masse, beaucoup plus élevée que

lorsque le bras pend le long du corps. Cette élévation en masse est facile

à concevoir. Nous savons, en effet, que tout muscle qui, par sa contrac-

tion isolée, imprime au scapulum un mouvement de rotation élève en

même temps cet os. Lorsque le grand dentelé est paralysé et que le sujet

élève le bras jusqu'à la ligne horizontale, c'est le muscle deltoïde qui se

contracte seul. Or le deltoïde, par sa contraction isolée, imprime à l'omo-

plate un mouvement de rotation autour de son angle externe. Il s'ensuit t

logiquement une élévation en masse de l'omoplate.

D'autre part, dans l'élévation volontaire du bras jusqu'à l'horizontale,

on voit l'omoplate subir un mouvement de rotation sur son axe vertical,

de telle sorte que son bord spinal s'éloigne considérablement de la paroi

thoracique. Il en résulte cette déformation en aile d'ange, caractérisée par

une gouttière verticale, plus ou moins profonde. En même temps, le bord

spinal devient légèrement oblique de bas en haut et de dedans en dehors.

Quelle est la raison de cette altitude singulière ? Il est impossible d'in-

voquer ici la paralysie du trapèze, puisque le trapèze n'intervient pas dans

l'élévation du bras jusqu'à la ligne horizontale. La paralysie du grand

dentelé en serait-elle responsable ? Oui, incontestablement, mais par un

mécanisme indirect qu'il convient d'élucider. On sait que, dans l'élévation

4M A. SOUQUES ET P. DU VAL

physiologique du bras, le grand dentelé est, à l'état normal, synergique

du deltoïde. Il a surtout pour rôle d'éloigner lebord spinal du scapulumde

la ligne médiane, tout en le maintenant contre le thorax, et de faire tourner

l'omoplate autour de son angle externe, de telle sorte que l'angle inférieur

se porte en avant et en dehors et que l'angle externe s'élève. En d'autres

termes, le grand dentelé, dans l'élévation volontaire et normale du bras,

fixe le bord spinal du scapulum contre le thorax, imprime à l'omoplate un

mouvement de rotation, l'élève en masse et lui communique un mouve-

ment de totalité en avant et en dehors. Il s'ensuit que le bord spinal de-

vient oblique de haut en bas et de dedans en dehors. Que doit-il se pas-

ser, lorsque le grand dentelé est paralysé ? A priori, le bord spinal doit

se détacher et s'écarter de la paroi thoracique et décrire une obliquité en

sens inverse, c'est-à-dire de haut en bas et de dehors en dedans. C'est en

effet ce qui a lieu ici. Et cette altitude pathologique relève de la contrac-

tion isolée du deltoïde, comme l'a montré Duchenne qui en explique ainsi

le mécanisme :

1° Le faisceau du deltoïde, qui va de l'empreinte deltoïdienne l'épine

du scapulum est oblique de dehors en dedans et d'avant en carrière. En se

contractant ce faisceau fera donc tourner l'omoplate sur un axe vertical

passantpar l'angle externe, et écarter son bord spinal du thorax.

2° Le faisceau du deltoïde qui va de l'empreinte delloïdienne à l'acro-

mion abaisse l'angle externe du scapulum et fait par suite tourner cet os,

de telle sorte que les angles interne et inférieur s'élèvent, et que l'angle

inférieur en s'élevant se rapproche de la ligne médiane. Le bord spinal du

scapulum devient ainsi oblique de bas en haut et de dedans en dehors.

Autrement dit, le faisceau deltoïdien qui s'insère à l'épine du scapulum

tend normalement, clans l'élévation horizontale du bras, à écarter du tho-

rax le bord spinal de l'omoplate. Si le grand dentelé, qui a pour rôle de

maintenir ce bord spinal fixé contre la paroi thoracique, se trouve para-

lysé, le faisceau deltoïdien en question, privé de son antagoniste, produit

l'écartement du bord spinal. De même le grand dentelé, ainsi que nous

l'avons vu, agit normalement, sur l'angle inférieur du scapulum, en sens

inverse du faisceau acromial du deltoïde. Si le muscle grand dentelé

est paralysé, l'angle inférieur de l'omoplate se rapproche de la ligne mé-

diane et l'obliquité du bord spinal, de has en haut et de dedans en de-

hors, se trouve réalisée.

Ainsi s'explique la déformation de l'omoplate, dite scapulum alatum,

« le grand dentelé étant le seul muscle qui, par son association avec le

deltoïde, empêche cette attitude vicieuse de l'omoplate de se produire pen-

dant l'élévation du bras (1) ». Cette attitude du scapulum alatum, dans la

(1) Duchenne, Physiol. des mouvem., p. 6u.

PARALYSIE ASSOCIÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ li 41

paralysie du grand dentelé, est en effet identique il celle que Duchenne

produisait par la contraction électro-physiologique isolée du deltoïde.

« Dans l'atropliie du grand dentelé, l'omoplale éprouve, pendant l'éléva-

tion du bras, un mouvement pathologique semblable à celui qui est pro-

duit par la contraction du deltoïde. Il ne pourrait en être autrement car,

dans l'atrophie du grand dentelé, le deltoïde se contracte isolément (1).

En somme, la paralysie du muscle grand dentelé permet au deltoïde,

lors de l'élévation horizontale du bras, d'écarter du thorax le bord spinal

du scapulum et d'imprimer à ce bord spinal une direction oblique en haut

et en dehors.

Si le mécanisme de l'écartement du bord spinal, par rapport au tho-

rax n'a pas été contesté, il n'en est pas de même du mécanisme de

son obliquité, c'est-à-dire du mouvement de bascule qui élève l'angle infé-

rieur et le rapproche de la ligne médiane. Tandis que Duchenne incrimi-

nait la paralysie du grand dentelé, on tend aujourd'hui à mettre cette obli-

quité sur le compte de la paralysie du trapèze. Ce mouvement de bascule

manquerait dans la paralysie isolée du grand dentelé ; il ne se verrait que

dans les faits où le trapèze est simultanément paralysé. Le cas que nous

rapportons ici ne nous permet pas de trancher le différend, puisque le tra-

pèze et le grand dentelé sont tous les deux touchés. Nous verrons ce qu'on

peut en penser, dans un travail ultérieur sur la paralysie isolée du muscle

grand dentelé.

Quoi qu'il en soit, c'est la contraction isolée du deltoïde qui détermine

directement, dans notre cas, l'obliquité du bord spinal du scapulum, dans

l'élévation du bras.

Dans ce mouvement d'élévation, la difformité en aile du scapulum

est plus ou moins accusée, suivant le degré de paralysie du grand

dentelé. Il est à remarquer qu'elle est beaucoup plus accusée dans l'élé-

vation en avant que dans l'élévation en dehors. Dans l'élévation en avant,

la gouttière scapulo-thoracique est très profonde et l'obliquité du bord

spinal du scapulumpeu accusée. Au contraire, dans l'élévation du bras en

dehors, cette gouttière est peu profonde et l'obliquité du bord spinal très

accentuée. La raison de cette différence est facile à comprendre. D'une

part, le faisceau deltoïdien qui s'insère à l'épine de l'omoplate se contracte

plus énergiquement dans l'élévation en avant que dans l'élévation en de-

hors, Or ce faisceau a pour fonction de faire tourner le scapulum sur un

axe vertical, passant au niveau de l'angle extérieur, c'est-à-dire d'écarter

du thorax le bord spinal. Puisque son action s'exerce avec plus de force

dans l'élévation en avant que dans l'élévation en dehors, il s'ensuit natu-

(t) Duchenne, De l'électris. loc., 3" édit., p. 963.

4H A. SOUQUES ET P. DUVAL

Tellement que la gouttière scapulo-thoracique sera plus profonde dans le

premier cas. D'autre part, dans l'élévation du bras en dehors, le faisceau

acromial du deltoïde agit avec plus de force que dans l'élévation en avant.

Il abaisse donc davantage l'angle externe du scapulum, dans l'élévation en

dehors, autrement dit, il élève davantage l'angle inférieur et le rappro-

che plus de la ligne médiane. Il s'ensuit évidemment une obliquité plus

marquée du bord spinal.

- II. - DEFORMATION DU THORAX.

Après avoir esquissé le mécanisme de la déformation de l'épaule pro-

prement dite, il nous faut tenter d'interpréter la difformité de la paroi tho-

racique.

Cette difformité n'existe pas au repos, que l'on regarde le malade de dos,

de face ou de profil. Elle n'apparaît que dans l'élévation du bras.

Elle est essentiellement caractérisée par une asymétrie considérable en-

tre les deux moitiés droite et gauche du thorax. Cette asymétrie porte :

1° Sur le creux de l'aisselle.

2° Sur la paroi thoracique proprement dite.

Le creux de l'aisselle, du côté paralysé, est diminué de profondeur et de

volume. Sa paroi postérieure n'existe pour ainsi dire plus, elle se trouve

sur le même plan antéro-postérieur que la paroi interne, avec laquelle elle

se confond et qu'elle prolonge. Cette disparition de la paroi postérieure

est la cause principale des modifications du creux de l'aisselle, que nous

avons décrites plus haut. La disparition de cette paroi postérieure dépend

du scapulum alatum. Or qu'est-ce que le scapulum en aile, sinon l'éléva-

tion en masse de cet os, le rapprochement de son bord spinal par rapport

à la ligne médiane, le détachement de ce bord spinal par rapport au tho-

rax, dû à la rotation de l'omoplate sur son axe vertical, telle que la face

antérieure de l'os devient interne ? C'est, en d'autres termes, la projection

en masse de l'omoplate en arrière, en dedans et en haut. C'est, par con-

séquent, le rejet, dans même direction, des muscles sous-scapulaire,

grand rond, petit rond et grand dorsal, c'est-à-dire de la'paroi postérieure

de l'aisselle. Ce rejet en arrière et en dedans est tellement prononcé que la

paroi postérieure du creux de l'aisselle n'existe plus, dans l'élévation du

bras en dehors, par exemple, mouvement qui, comme nous l'avons mon-

tré, rapproche plus l'omoplate de la ligne médiane que l'élévation du bras

en avant. Dans l'élévation en avant, cette paroi postérieure, formée ici par

le bord antérieur du grand dorsal, reste encore visible, mais considérable-

ment diminuée d'étendue.

L'asymétrie de la paroi thoracique proprement dite est caractérisée par

les traits que nous avons décrits ailleurs et qui sont, en résumé : -.

PARALYSIE ASSOCIÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 443

1° L'élargissement de la paroi antérieure du thorax, élargissement plus

marqué dans l'élévation directe du bras en avant que dans l'élévation en

dehors ;

2° La modification de la ligne latérale du thorax;

3° La voussure de la paroi latérale, au-dessous du prolongement de la

lèvre bimamelonnaire ;

4° Le rétrécissement de la paroi postérieure du thorax ; '

5° L'élévation de la moitié correspondante de la cage thoracique.

Cette asymétrie thoracique, qui est marquée au point de constituer une

véritable difformité, nous paraît relever de plusieurs facteurs.

D'abord, il est certain que le scapulum alatmn rend compte, en grande

partie de l'aspect de la ligne latérale du thorax. D'autre pari, la paraly-

sie atrophique du grand dentelé explique évidemment la disparition des

digitations du grand dentelé et l'aspect plat et uni de la paroi latérale à

ce niveau. La paroi latérale du thorax, ainsi privée de son enveloppe

musculaire, apparaît sous la morphologie générale du squelette costal,

c'est-à-dire doublement convexe de haut en bas et d'avant en arrière. 11 y

a une différence cependant, c'est que cette convexité est ici notablement

exagérée et qu'elle constitue une voussure démesurée. Cette voussure doit

vraisemblablement dépendre en partie de la paralysie du grand dentelé.

Ce muscle, en effet, dans l'élévation volontaire du bras, à l'état normal,

se contracte synergiquement avec le deltoïde. En se contractant, il s'ap-

plique à la façon d'un arc de cercle, contre la paroi latérale du thorax

qu'il bride étroitement et dont il gêne l'expansion en dehors. Lorsque ce

muscle est paralysé, cette expansion en dehors a libre cours et la cage tho-

racique doit présenter, au niveau du muscle paralysé, une voussure plus

ou moins accusée. D'un autre côté, dans l'élévation horizontale du bras,

du fait de l'omoplate ailée, l'insertion scapulaire des fibres du grand den-

telé se trouve reportée très en arrière; il peut en résulter un tiraillement,

qui se fera sentir sur l'insertion costale de ces fibres, et amènera un cer-

tain degré de voussure et de dilatation de la cage osseuse.

Enfin l'action exagérée des inspirateurs accessoires doit également entrer

en compte, pour expliquer la dilatation antéro-lalérale du thorax et son

élévation.

Il est certain que, chez notre malade, les inspirateurs accessoires : tra-

pèze claviculaire, sterno-mastoïdien, etc. se contractent plus fortement à

droite qu'à gauche. Nous n'en voulons pour témoignage que les reliefs

exagérés que ces muscles font sous la peau, et l'attitude vicieuse qu'ils im-

priment à la tète. Cette dilatation et celte élévation de la moitié droite du

thorax semble proportionnelle au degré de la contraction des inspirateurs

accessoires : plus leur contraction est énergique, plus la difformité est accu-

444 A. SOUQUES ET P. DUVAL

sée. Cette contraction exagérée est déterminée par le besoin de lutter contre

la pesanteur du membre supérieur qui se trouve maintenu à l'horizontale

dans des conditions anormales. Le mnscle grand dentelé, en effet, est

paralysé; il ne prèle plus son puissant concours au deltoïde. Aussi les

inspirateurs accessoires entrent-ils enjeu et déploient-ils une énergie plus

grande afin de suppléer le grand dentelé. En conséquence, la moitié cor-

respondante du thorax s'élève et se dilate, en exagérant sa convexité na-

turelle. Elle se dilate surtout ta où la dilatation est facile, c'est-à-dire au

niveau de la paroi antéro-tatérate, au-dessous et en dehors de la région

bimammaire.

Faut-il faire une part, dans le mécanisme de cette difformité thoraci-

que, à la tendance qu'a le thorax à s'incliner légèrement du côté sain et

à tourner un peu autour de son axe vertical de manière à reporter un peu

en avant le côté paralysé ? C'est fort possible. Nous n'avons cependant noté

aucune scoliose appréciable.

Conclusions.

1° Il existe une variété particulière de paralysie associée du muscle

grand dentelé et du trapèze scapulaire (portion moyenne et inférieure du

trapèze) qui, par sa fréquence, son mécanisme et ses caractères cliniques,

mérite une place spéciale dans le cadre des paralysies du grand dentelé.

` ? ° Le trapèze scapulaire forme un muscle distinct anatomiquement,

physiologiquement et pathotogiquement du trapèze claviculaire.

3° Le trapèze scapulaire est synergique du grand dentelé. La synergie

fonclionnelle de ces deux muscles explique probablement leur solidarité

pathologique.

4° Leur association paralytique semble en effet déterminée, dans cer-

tains cas, par leur contraction simultanée, capable de produire un tirail-

lement de leurs nerfs respectifs.

50 Les caractères de cette paralysie associée varient suivant l'altitude

du bras.

Si le bras est au repos, on constate des déformations seipuld-lin-

mérales peu accusées, qui sont :

a) l'abaissement du moignon de l'épaule,

b) l'élévation en masse de l'omoplate,

c) l'obliquité de son bord spinal,

d) l'éloignement de ce bord spinal par rapport à ligne médiane,

e) l'écartement de ce même bord par rapport au thorax.

Si le bras s'élève volontairement, les principaux troubles de la région

scapulo-humérale sont très accusés et consistent dans :

PARALYSIE ASSOCIÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 445

a) l'impossibilité d'élever le bras au delà de la ligne horizontale,

b) l'élévation en masse de l'omoplate,

c) l'obliquité de son bord spinal,

d) le rapprochement de ce bord spinal par rapport il la ligne médiane,

e) la situation en aile du scapulum.

6° A côté de ces déformations scapulo-lmmérales, il existe des déforma-

tions de la paroi thoracique, qui surviennent dans l'élévation du bras et

consistent essentiellement en une asymétrie du thorax (modifications du

creux de l'aisselle et voussure de la paroi thoracique proprement dite, du

côté paralysé).

ÉNORME N/EVUS ANGIOMATEUX DE LA FACE

AVEC

HÉMIPLÉGIE SPASMODTQUE ET ÉPILEPSIE

PAR

LANNOIS et BERNOUD

de Lyon.

Observation.

R... Matlrilde, 20 ans, entre le 14 juin 1898 à l'Antiquaille, salle Ste-

Clotilde, service des maladies nerveuses.

Père vivant et en bonne santé ; mais il est alcoolique. Mère morte après

8 jours de maladie d'une congestion cérébrale. Pas de consanguinité entre

le père et la mère; pas de différence d'âge appréciable; mais la mère

accoucha de la malade sur le tard, à l'âge de lui5 ans. Sa grossesse fut

normale ; un seul incident se produisit : étant enceinte d'environ 3 mois,

elle aurait eu « une violente révolution » à la suite d'une scène de son

mari qui sous l'influence de l'alcoolisme quitta plusieurs jours le domicile

conjugal emportant avec lui les économies du ménage.

Une soeur morte à 28 ans de la poitrine après avoir eu quatre enfants

dont trois sont morts en bas âge d'affections indéterminées.

La malade est la plus jeune de la famille ; elle est venue au monde à

terme facilement et sans l'emploi des fers.

Au dire de sa famille elle n'aurait jamais eu de convulsions; mais il

trois mois sa soeur aînée la laissa tomber sur son berceau, chute insigni-

fiante puisqu'elle se fit sur les parties molles du berceau et d'une hau-

teur très peu considérable. En tout cas, on remarqua presque immédia-

tement après que l'enfant avait de la faiblesse de tout le côté gauche,

laquelle persista. -,

Dès sa naissance elle possédait à un degré proportionnellement aussi

accusé la difformité qu'elle présente actuellement à la face.

Elle était affectueuse comme les autres enfants, intelligente même, dit

sa famille ; mais on ne l'envoya jamais à l'école.

A l'âge de neuf ans elle entra à l'asile Ste-Elisabeth à Vaise. On la

'N'ou ? ICO40GItAP[lir. DE LA SALPLIItILiti .

T, XI. PI. L

\' ! ¡'IloIYI'le (t rtll1uol. r.uis

NOEVUS ANGIOMATEUX DE LA FACE

(L.u11lois et J3ernoud,)

MASSON & C'e, Editeurs.

ÉNORME NÆVUS ANGIOMATEUX DE LA FACE M7

renvoie de cet établissement parce qu'elle prend des crises épileptiques. Il

est très difficile d'être fixé sur le début de ces crises. Sa famille feint de

les ignorer ; la malade dit au contraire les avoir toujours eues; en tout

cas elle en prend depuis la date de son hospitalisation, c'est-à-dire depuis

l'âge de neuf ans. Elles sont très irrégulières : au début elles étaient assez

éloignées les unes des autres. Depuis quatre ou cinq ans qu'elle est réglée,

elles ont une tendance à revenir tous les mois. Elles sont nettement comi-

tiales : la malade ne les sent pas venir : elle tombe à terre en poussant un

cri, avec perte de connaissance complète; elle a des mouvements cloni-

ques et toniques, de l'écume à la bouche, se mord parfois la langue, et

se réveille au bout d'un temps variable avec de la céphalée, de l'abatte-

ment ; on n'a jamais remarqué d'émission involontaire des urines.

La malade est peu intelligente ; elle répond aux questions qu'on lui pose

mais d'une façon toujours évasive, quelquefois contradictoire. On ne l'a

jamais envoyée à l'école. A l'orphelinat Ste-Elisabeth, on n'a pas pu lui

apprendre à lire d'une façon convenable, on lui a seulement appris quel-

ques éléments de catéchisme. Elle était du reste docile et bonne compa-

gne.

Son corps est normalement développé, mais d'une taille au-dessous de

la moyenne (1 m. z); poids : 37 kilog. 1/2. Mais ce qui attire immédiate-

ment l'attention quand on l'examine, c'est cette énorme difformité de la

face, facile à constater sur la photographie, et due à un noevus de dimen-

sions colossales (PI. L).

Toute la moitié gauche de la face, d'apparence bestiale, est le siège

d'une hypertrophie monstrueuse portant sur la joue, la lèvre supérieure,

la lèvre inférieure et la partie supérieure du cou. Cette moitié de la

figure descend, pendante et immobile, toujours sans expression, ci quatre

centimètres au moins au-dessous du côté droit. Le menton est effacé,

caché derrière les saillies formées soit par la lèvre supérieure, soit par

la lèvre inférieure. La lèvre supérieure est augmentée de volume dans toute

son étendue et vient, saillante, mesurant 5 centimètres du nez à son extré-

mité libre, recouvrir la bouche et même en partie la lèvre inférieure. Cette

dernière est elle aussi partout hypertrophiée, mais d'autant moins qu'on se

rapproche davantage du côté droit ; elle est séparée du menton qui parait

déjeté à droite, par un sillon assez profond; elle est comme ramassée au

niveau de la commissure labiale droite où cesse l'augmentation de volume,

offrant comme la lèvre supérieure une direction fortement oblique à droite.

Le nez est fortement dévié du côté droit. Tout le dos du nez, au niveau

des os propres, est atteint d'une tuméfaction considérable, molle et dépres-

sible, perpendiculaire à la direction de l'organe qu'elle croise en pont se

prolongeant du côté gauche. L'extrémité inférieure et les ailes du nez,

448 LAIVnOIS ET BERNOUD

à peu près indemnes de toute augmentation de volume contrastent par leurs

dimensions minimes avec le reste. L'orifice des fosses nasales est plutôt un

peu rétréci, annulé en partie par le prolongement de la lèvre supérieure.

Il existe un peu d'hypertrophie et de rougeur de la muqueuse pituitaire

surtout au niveau des cornets inférieurs qui arrivent presque au contact de

la cloison ; néanmoins il n'y a aucun phénomène d'obstruction nasale. La

rhinoscopie postérieure est impossible il faire il cause de l'état du voile du

palais sur lequel nous aurons à revenir.

Le côté droit de la face est lui aussi hypertrophié, mais d'une façon

beaucoup moins considérable et seulement au niveau de la joue, c'est-à-

dire dans la région occupée par le naevus. Ce défaut de symétrie contribue

pour sa pari à donner au visage de la malade cette laideur presque re-

poussante.

Les yeux sont normaux, mais les vaisseaux de la conjonctive sont injec-

tés ; les paupières ferment bien, mais dans l'occlusion, l'oeil gauche parait

saillant à cause de l'épaisseur plus considérable de la paupière qui le re-

couvre.

Toutes les parties de la face qui sur la photographie paraissent

saillantes sont molles au toucher, en partie réductibles par une pression

prolongée. Ces caractères de mollesse et de réductibilité sont surtout ma-

nifestes au niveau du nez. Elles sont d'une teinte vineuse, laquelle occupe

même un certain nombre de points de volume normal. Cette teinte

occupe tout le côté gauche même l'oreille, une partie du côté droit (joue

surtout); elle se prolonge sur le front qu'elle recouvre en partie et jusque

dans les cheveux où elle tourne progressivement au brun foncé pour dis-

paraître à quatre ou cinq centimètres plus loin ; elle apparait aussi der-

rière l'oreille droite où elle forme une traînée assez considérable allongée

dans le sens de la hauteur ; elle descend sur le côté gauche du cou sans en

atteindre la limite inférieure ; elle n'existe sur aucun autre point du corps.

On remarque en outre près de l'aile gauche du nez, un petit point sail-

lant d'aspect verruqueux, ayant la coloration vineuse de la peau sous-

jacente ; un autre semblable existe sur le côté gauche du front à la nais-

sance des cheveux.

Les cheveux d'une coloration brune peu intense ne présentent rien ci

signaler, sinon qu'ils descendent en avant un peu plus bas que normale-

ment, recouvrant en partie les côtés du front.

Mais l'hypertrophie n'est pas seulement extérieure : la lèvre supérieure

surtout et même la lèvre inférieure sont considérablement épaissies. La

joue gauche elle aussi présente une épaisseur énorme; sa face interne est

creusée de sillons profonds dirigés en divers sens et séparés les uns des

autres par des surélevures de dimensions variables; il semble qu'on ait ici

ÉNORME NjEVUS ANGIOMATEUX DE LA FACE 449

l'aspect d'une masse molle qui a poussé dans les points laissés libres de-

vant elle (espace inter-maxillaire, dents cariées et tombées) et qui s'est au

contraire laissé déprimer par les dents ou les' parties des gencives qui lui

ont opposé une résistance. '

Les maxillaires paraissent épaissis, mais il est impossible de dire si cet

épaississement n'est pas dû tout entier à la tuméfaction des gencives qu'on

voit, à la face externe surtout, faire des saillies qui semblent se détacher

par places de leur surface d'implantation pour venir buter contre la face

interne de la joue.

Au dire de la malade les dents n'auraient jamais poussé du côté gauche,

soit au maxillaire supérieur, soit au maxillaire inférieur. Au maxillaire

supérieur il ne reste qu'une grosse molaire apparente; tout le reste du

bord libre de cet os est surplombé par une muqueuse épaisse et inégale,

creusée par place de cavités au fond desquelles on peut à l'aide du stylet

déceler la présence de dents plus ou moins cariées. Au maxillaire inférieur

la muqueuse est moins épaisse sur le bord libre : les incisives et les cani-

nes existent, il manque seulement quelques molaires. 1

Dans le fond de la bouche on remarque du côté gauche une saillie rouge

de la grosseur d'un oeuf de poule et paraissant développée aux dépens du

pilier antérieur du voile du palais, naissant à sa partie inférieure et se

prolongeant arquée jusqu'à la luette qui est à peu près respectée. L'amyg-

dale qu'on aperçoit avec difficulté cachée derrière est de coloration rou-

genre, mais peu augmentée de volume.

La langue apparaît déviée considérablement du côté droit. Elle est atro-

phiée dans son ensemble, mais de plus, la moitié droite est d'un volume

bien inférieur à la moitié gauche. L'hypertrophie apparente de la moitié

gauche tient vraisemblablement à l'envahissement de cette moitié par le

naevus, car elle est de coloration plus intense, plus vascularisée dans son

ensemble et parsemée de petites taches vineuses.

Celte énorme difformité ne parait pas s'accroître avec fage de la malade :

les renseignements fournis par sa famille sont formels à ce sujet; c'est

aussi la conviction que nous avons acquise depuis plusieurs mois que nous

observons la malade.

Les parties ne sont animées d'aucun battement, sont d'un volume tou-

jours égal ; on ne perçoit aucun souffle à leur surface. Les vaisseaux voi-

sins ne paraissent présenter aucune anomalie.

Les troubles fonctionnels sont peu intenses : la malade parle convena-

blement, elle mange et boit bien, déglutit d'une façon normale, elle avale

sa salive, mais ne peut cracher.

A l'examen du reste du corps on remarque une hémiparésie du côté

gauche, atteignant le membre supérieur et le membre inférieur.

xi 30

450 0 LANNOIS ET BERNOUD

Le membre supérieur gauche ne présente pas d'atrophie en longueur,

mais les masses musculaires sont flasques et la mensuration circonféren-

tielle donne : '

A la partie moyenne du bras gauche 10 centimètres.* '

A la partie moyenne du bras droit 20 centimètres.

Il n'y a pas de raideur apparenle et tous les mouvements sont possibles,

mais la force musculaire y est considérablement diminuée.

On note en effet au dynamomètre, à gauche, 4 ; à droite, 17.

Au membre inférieur gauche il n'y a pas non plus d'atrophie en lou-

gueur, mais une diminution appréciable de la circonférence; on a en effet,

à la partie moyenne de la jambe :

A gauche 26 1/2, à droite 27 1/2,

et à la partie moyenne de la cuisse,

A gauche 42, à droite 43 1/2.

La marche est possible et presque normale; la malade ne fauche pas,

mais marche en équerre déviant en dehors la pointe du pied gauche.

Il y a une exagération considérable de tous les réflexes tendineux du

côté gauche, soit au bras, soit à la jambe. A la jambe on produit avec une

grande facilité le phénomène de la trépidation épileptoïde souvent par un

simple choc sur le tendon rotulien. La trépidation épileptoïde existe aussi

au membre supérieur.

Mais si le côté droit est plus fort et mieux développé que le côté gauche

il n'est cependant pas indemne ; lui aussi présente une exagération nota-

ble des réflexes et de la trépidation épileptoïde au membre supérieur

comme au membre inférieur.

La sensibilité parait égale des deux côtés soit à la face, soit sur lé reste

du corps, mais elle est obtuse : la malade se laisse partout piquer,

même fortement, presque sans réagir. Les réflexes conjonctival et palpé-

brale existent très manifestes, ainsi que le réflexe pharyngien. Pas d'ovarie.

Le réflexe abdominal paraît plus marqué à droite qu'à gauche.

Rien aux poumons. Rien du côté de la cage thoracique, sauf une légère

scoliose dorso-lombaire à concavité gauche. Les seins sont également dé-

veloppés. '

Rien au coeur.

Ni sucre ni albumine dans les urines.

Cette observation nous a paru intéressante il publier. En effet, si l'on a

dans la science un assez grand nombre d'observations dans lesquellesun n,c-

vus atteignait une parlie étendue du corps, tel le cas de J. W. Ilulke (1)

(1) Patiiogénie des angiomes des lèvres.

ÉNORME N/EVUS ANGIOMATEUX DE LA FACE 451

dans lequel il occupait toule la moitié du corps, tel aussi lecasd'Audry (1)

où tout un bras avait pris un aspect éléphantiasique, il est tout à fait

exceplionnel de trouver ci la face des angiomes aussi considérables, défor-

mant la figure au même point que chez notre malade et lui donnant cet

aspect bestial et monstrueux.

Ce n'est pas à dire que les angiomes de la face soient rares : l'observa-

tion journalière et les statistiques de Heine, Porta, Barker, Boeckel, Lebert,

concourent toutes à montrer que la tête et le cou sont lieu d'élection pour

les angiomes. Virchow nous en a donné la raison en attirant l'attention sur

leur distribution topographique et en montrant qu'on les trouve de pré-

férence au niveau des anciennes fissures branchiales. Mais ilssont le plus

souvent limités : tels les angiomes naso-frontaux, les angiomes auriculai-

res, parotidiens, et surtout ceux des lèvres. Ces derniers ont comme signes

particuliers d'être très envahissants, très érectiles et par suite très diffor-

mes. Ils ont frappé depuis longtemps les observateurs : Marc-Aurèle Séve-

rin (2) les décrivait sous le nom d'atrum cruentum labii tuberculum. De

Groefe les a particulièrement étudiés, et a fait rentrer dans leur cadre les

malformations autrefois connues sous le nom de léopoldine : l'empereur

Léopold était né avec une très grosse lèvre pendante, qui lui tombait sur

le menton toutes les fois qu'il se mettait en colère.

Nous n'avons trouvé dans les publications antérieures aucun cas compa-

rable au nôtre soit comme intensité, soit comme concomitance pathologi-

que. Cependant Duzéa (3) a trouvé chez un enfant idiot un naevus vascu-

laire hypertrophique énorme de la face, du cou et de la poitrine du côté

droit et ce malade, comme la nôtre, était épileptique. Israël a publié

deux observations de noevi se rapportant à deux névropathes issus de

parents épileptiques. Ces faits, comme le font remarquer Mauclaire et de

Bovis (4), sont très instructifs, et l'on ne peut s'empêcher de voir dans

certains états pathologiques tels que l'idiotie ou l'épilepsie des types d'af-

fections monstrueuses, plutôt que des désordres acquis. Ce serait peut-

être pour celte raison qu'on rencontre si souvent chez les malades por-

teurs d'angiomes d'autres lésions d'une congénitatité non douteuse comme

Lannelongue et Achard (5), Quénu (6), Reboul (7), en ont donné des

exemples.

(1) Arch. prov. de chirurgie, 1892.

(2) Cité par Cnovsuintr.n, II, p. 833.

(3) Thèse de Lyon, 1888.

(4) Les angiomes. Bibl. Ctarcot-Debove.

(5) Traité des kystes congénitaux.

(6) Société de chirurgie, 1890.

(7) Archives générales de Médecine, 1893.

452 LANNOIS ET BERNOUD

Le rapprochement est intéressant à faire chez notre malade entre sa

monstrueuse hypertrophie des tissus extérieurs au crâne et les lésions cé-

rébrales qui ont donné naissance à l'hémiplégie gauche;- la diplégie des

membres inférieurs, à la demi-idiotie et à l'épilepsie. D'une part, on sait

que les lésions cérébrales (scléroses, porencéphalie, etc.) qui donnent les

affections spasmo-paralytiques sont primitivement d'origine vasculaire. De

l'autre, les angiomes intra-ciâniens ont étésignalés par différents auteurs.

Mauclaireet de Bo is en ont réuni quelques observations dues à Lebert (1),

d'Arcy Power (2), Reeve (3), Péan (4), Pollosson (5), Poirier (6). Brissaud

les considère comme assez fréquents, mais passant le plus souvent inaper-

çus en raison de leur symplomatologie douteuse, parfois nulle.

Il est donc très probable que chez notre malade, les lésions cérébrales et

celles de la face sont anatomiquement de même nature et relèvent d'un

même vice de développement datant de la vie intra-utérine. Cette manière

de voir, pour hypothétique qu'elle doive rester chez notre malade jusqu'à

la constatation morgagnique, est cependant corroborée, par certains faits.

Dans la plupart des cas d'angiome intra-crânien que nous venons de citer,

c'est l'épilepsie qui avait fait intervenir le chirurgien. Dans le cas de Péan,

il s'agissait d'une épilepsie partielle chez un garçon de 15 ans et l'opéra-

tion, heureuse dans ses résultats, montra que celle épilepsie était sympto-

matique d'un angiome des méninges en communication avec le sinus lon-

gitudinal supérieur. Le malade de Poirier, âgé de 34 ans, présentait des

crises épileptiques en rapport avec une tumeur vasculaire de la zone ro-

landique que l'examen histologique montra être un angiome. Il en était

encore de même dans le cas de Pollosson : l'angiome avait donné de l'épi-

lepsie partielle chez une fillette de sept ans.

D'autre part, nous avons déjà dit que le petit malade de Duzéa était

épileptique : son énorme naevus hypertrophique de la face le rendait très

comparable à notre petite malade. Nous pourrions citer d'autres malades

où la relation entre le naevus et l'épilepsie peut être soupçonnée, c'est

ainsi qu'une de nos pensionnaires épileptiques des Chazeaux porte un

énorme noevus de tout le membre supérieur et de l'épaule gauches : elle a

en même temps de l'hémiatrophie faciale, d'ailleurs peu marquée. Une

autre de nos malades de Sititite-Clotilde est encore plus suggestive au point t

(1) Traité d'anatomie pathologique.

(2) Trans. of the pathol. Soc., Londres, 1888.

(3) Amer. Journ. of med. se, 1890.

(4) Académie de médecine, 1891.

(5) Congrès français de chirurgie, 1892.

(6) Eod. loc., 1892.

ÉNORME NJEVUS ANGIOMATEUX DE LA FACE 453

de vue qui nous occupe, car elle est très comparable, moins l'intensité de

la lésion, à notre premier sujet. Voici son histoire résumée :

Virginie G..., âgée de 20 ans, sans antécédents héréditaires importants,

est prise de convulsions à l'âge de 5 ans. Huit jours après, une deuxième

crise de convulsions la laisse hémiplégique du côté droit. A partir de ce

moment, crises d'épilepsie, de description très nette, revenant tous les

mois environ, mais ayant complètement cessé depuis ! 'age de 15 ans au

moment de la menstruation. La malade a une hémiplégie spasmodique du

côté droit avec atrophie très marquée nette du membre inférieur (au

niveau du mollet, il a 4 4 centimètres de différence avec le côté sain)

exagération des réflexes, etc. Or cette malade porte depuis sa naissance un

nmvus très étendu de la face : ce nmvus, sans hypertrophie des tissus,

commence sur la lèvre supérieure, occupe le nez tout entier, toute la

partie moyenne du front et s'étend à gauche presque jusqu'à la tempe.

Il y a donc, nous le répétons, un ensemble de faits suffisamment con-

cordants pour permettre d'établir un rapport entre les nfcvi étendus, sur-

tout ceux de la face, et les lésions cérébrales se traduisant par l'idiotie,

les affections spasmo-paralytiques et l'épilepsie. Aux observations nou-

velles à démontrer la fréquence de ce rapport.

La malade qui fait le sujet de cette note a été présentée à la Société des Scil'1l-

ces Médicales de Lyon. Sa photographie .stéréoscopique en couleur, obtenue par

llIlL.Lumière frères, a été présentée au Congrès des Aliénistes et Neurologistes

d'Angers dan Congrès pour l'avancement des Sciences de Nantes au mois d'août

dernier. Théoriquement ces photographies en couleur, dont M. le professeur

Poncet a présenté récemment un nouvel exemple à l'Académie de Médecine, et

dont l'apparence est i saisissante, peuvent être reproduites sur le papier.

Des difficultés de pratique retardent encore cette application de la photogra-

phie en couleur il l'iconographie médicale, mais il y a lieu d'espérer qu'elles

seront bientôt surmontées.

NOTE

SUR

- UN CAS DE CHORÉE VARIABLE .

AVEC CONTRACTIONS FASCICULAIRES DES DELTOÏDES

ET CRAQUEMENTS ARTICULAIRES.

PAR tt

CH. FÉRÉ,

Médecin de Bicftre.

C'est un fait d'observation pour ainsi dire banale que dans la chorée

souvent les muscles homologues se relâchent d'un côté pendant qu'ils se

contractent de l'autre (1). Un fait qui me paraît moins connu, c'est la

contraction indépendante des divers faisceaux d'un même muscle. Ces

contractions dissociées peuvent provoquer dans les articulations des phé-

nomènes qui ne sont pas non plus sans intérêt.

L'observation qui nous fournit un exemple de ces contractions mérite

d'ailleurs l'attention à d'autres points de vue.

OBSERVATION.- Polype papillaire de la narine gauche.- Chorée d'habitude, trou-

bles mentaux, idées de suicide. - Alcoolisme aigu. - Chorée généralisée :

t spasmes des muscles de l'oeil. - Guérison apparente. Rechutes. Chorée

partielle avec contractions (asciculaires des deltoïdes.

E. B., 14 ans, s'est présentée il la consultation pour la première fois le 4 jan-

vier 1898. Elle est la fille aînée d'un ouvrier laborieux et sobre, bien portant,

sur les antécédents héréditaires duquel on n'a que des renseignements obscurs,

et d'une mère nerveuse,emportée, mais sans état morbide caractérisé, et dont

une soeur a des attaques hystériques. Elle a eu une soeur qui est morte à

16 mois de convulsions, et une plus tard qui a actuellement 8 ans et est aussi

nerveuse.

Elle-même a toujours été bien portante, facile à élever et d'un caractère tran-

(1) Cn. Féré, The spasmodic neurosea. Twentieth century practice of medicine, t. X,

1897, p. 664.

NOTE SUR UN CAS DE CHORÉE VARIABLE 455

quille ; elle a eu la rougeole il 4 ans, une angine l'année suivante. Elle a été

réglée à 13 ans. Elle est de haute taille, maigre, la face et le crâne asymétri-

ques aux dépens du côté gauche, voûte palatine ogivale, dents irrégulièrement

plantées et crénelées, oreilles en anse; doigts mal proportionnés : oligodactylie

cubitale surtout marquée à gauche ; thorax aplati du même côté, plusieurs

taches pigmentaires sur le tronc et les membres inférieurs.

Vers la fin d'octobre, elle a commencé à se plaindre d'un « mal » dans la

narine gauche, qu'elle grattait souvent jusqu'au sang. Au bout de peu de temps,

on s'est aperçu qu'elle avait une sorte de tic : elle relevait l'aile du nez du côté

gauche en même temps que l'oeil clignait. L'intensité de ce spasme était très

variable, de temps en temps il s'accompagnait de froncement du sourcil. Quand

elle s'est présentée à la consultation le 4 janvier 1898, on a constaté il l'entrée

de la narine la présence d'un petit papillome qui fut enlevé d'un coup de ci-

seaux et dont la section fut touchée avec le thermo-cautère. Au bout de 8 jours

la croûte était tombée, et la cicatrice n'était le siège d'aucune irritation, cepen-

dant le spasme persistait. La semaine suivante la malade prit un léger mal de

gorge qui ne la retint pas à la maison et disparut spontanément. Elle n'avait

pas eu de phénomènes très évidents d'infection générale, cependant elle avait

perdu l'appétit et subi un amaigrissement très rapide qui parut hors de pro-

portion avec l'abstinence relative. En même temps elle présentait un change-

ment frappant de caractère, elle était irritable, s'emportant à la moindre con-

tradiction, puis tombant dans un état de torpeur ; elle était triste surtout vers

le soir et exprimait des idées de suicide ; elle aurait même fait une tentative de

précipitation. Dans les moments de calme apparent, sa mémoire paraissait con-

sidérablement affaiblie. Le 30 janvier un ami de la famille eut l'idée de lui of-

frir un divertissement pour la sortir de cette tristesse. Il offrit de la conduire

au théâtre avec sa propre fille. Il tint à la mettre en train par un repas co-

pieux et bien arrosé ; il fit si bien que l'heure du théâtre arrivée,il dut ramener

l'enfant à sa famille dans uu état d'ivresse manifeste. On dut la déshabiller et

la coucher et elle tomba dans un sommeil profond dont elle ne sortit le lende-

main que tard dans la matinée. Dès le réveil, on constata qu'elle était agitée de

mouvements généralisés. Qnand elle essaya de se mettre debout, ses jambes , 1

fléchissaient alternativement et se jetaient de côté, les bras, les épaules, la face,

la langue étaient agités de mouvements incoercibles et discordants. Au bout de

quelques heures elle devint plus calme, put se lever, se tenir debout et marcher,

mais agitée de mouvements désordonnés prédominant du côté gauche. Elle se

plaignait de temps en temps de voir double tout d'un coup et on constata que

son oeil gauche se déviait 15olément en différents sens.

- On la ramena à la consultation le le,* février. Les membres, la face, le tronc,

- a langue sont affectés de mouvements constants, prédominant du côté gauche;

mais ce qui frappe surtout dans sa physionomie,ce sont les mouvements de l'oeil 1

gauche qui se dévie isolément, soit en haut, soit en dehors, mais plus souvent

en dehors ; en même temps on remarque que les deux pupilles présentent des

dilatations et des rétrécissements brusques sans rapport avec des efforts d'ac-

commodation ou des variations d'éclairage.

456 CU. FÉH1

Les réflexes tendineux sont exagérés. Il existe un certain degré d'anesthésie

généralisée s'étendant aux sens spéciaux, sans prédominance latérale mar-

quée ; mais du côté gauche, la peau de la région naso-orbitaire est d'une sensi-

bilité exquise bien que l'ancien spasme ait disparu et que cette région ne soit

pas le siège de mouvements particulièrement fréquents. Il existe de la sensibi-

lité il la pression entre la neuvième et la onzième apophyses épineuses dorsales,

sans trouble de la sensibilité de la peau. Pas de points douloureux dans les

régions mammaires ou ovariennes.

La malade a été traitée par des doses croissantes d'antipyrine qu'elle a prises

pendant 22 jours jusque 8 grammes par jour. Après la première semaine, les mou-

vements ont commencé à diminuer et à se localiser du côté gauche où ils ont

persisté jusque vers le 15 mars. Ce jour-là, quand elle s'est présentée à la consul-

tation, elle ne faisait plus aucun mouvement, la face aussi bien que les membres

était immobile ; l'ancien spasme facial ne laissait aucune trace. n'y,vait plus ni

anesthésie, ni dysesthésie,ni douleurs à la pression dans les régions désignées.

Mais les troubles du sommeil qui existaient depuis le début n'avaient pas dis-

paru. Elle était réveillée plusieurs fois chaque nuit par des rêves effrayants

qui persistaient un certain temps après le réveil. Elle était restée irritable,

incapable de s'occuper d'une manière continue.

Le dimanche 20 mars, en partant en promenade, on avait remarqué quelques

clignements d'yeux. Pendant un parcours en tramway, elle crut qu'une per-

sonne qui se trouvait en face d'elle faisait des réflexions sur ces clignements,

elle l'interpella brusquement ; au cours de la querelle, les membres et la

face commencèrent à s'agiter de nouveau, principalement du côté droit, on la

fit descendre ; à ce moment elle était incapable de parler tant les mouvements

de la langue étaient intenses. Elle paraît avoir eu une phase d'excitation ma-

niaque, voulant se précipiter sous les voitures qui passaient. On la ramena à

grand'peine au domicile paternel. La nuit suivante fut agitée de cauchemars

presque continuels. Le lendemain les mouvements incoordonnés étaient il peu

près constants même quand elle restait en repos, surtout marqués du côté droit.

Elle vint à la consultation le 22. Les mouvements étaient beaucoup atté-

nués. Il ne s'en reproduisait pas dans les yeux comme à la précédente atta-

que ; les mouvements du thorax n'étaient pas troublés, mais il existait de

l'arythmie bien marquée qui faisait défaut la première fois ; l'arythmie

était relative à la fois il la fréquence et à l'énergie, toutes les 15 à 18 pulsa-

tions, il en manquait une. Il n'existait aucun bruit anormal, ni signe de

dilatation. Cette nouvelle attaque, traitée encore par l'antipyrine, a duré avec

les mêmes caractères à peu près un mois. A la consultation du 26 avril, on ne

.note plus que quelques rares mouvements de la main droite, l'arythmie a dis-

paru, la malade a repris de l'embonpoint. Le 3 mai, elle paraissait complète-

ment guérie : néanmoins on lui conseilla un traitement bydrotimrapiquo qu'elle

suivait régulièrement il l'hospice. On la revit le 24 mai ; à la suite d'une dis-

eussion avec sa mère, elle avait été reprise du côté gauche exclusivement de

petits mouvements très légers et limités à la face et au membre supérieur. Ce

nouvel accès n'a duré qu'une quinzaine de jours.

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Fio. 1. Contractions fasciculaires des Deltoïdes dans un cas de chorée variable.

A. Courbes des contractions du faisceau antérieur du deltoïde droit. - B. Courbes des contractions du faisceau postérieur du même muscle

C. Métronome battant la seconde.

43S cil.

Le 21 juin,elle revient, se plaignant de secousses et de craquements dans les

deux épaules, mais surtout dans la gauche. Le moignon de l'épaule ne se sou-

lève pas.Le bras s'élève tantôt en avant, tantôt en arrière,tantôt directement en

dehors. Quand il est élevé dans une direction, on l'en voit changer brusque-

ment ; c'est alors qu'on entend un craquement dans l'articulation de l'épaule.

Le tronc étant découvert pour un examen direct, on peut se rendre compte que

ce sont les deltoïdes qui seuls sont agités de mouvements spasmodiques. Pen-

dant l'élévation du bras, l'omoplate bascule, l'acromion est déprimé, tandis que

l'angle inférieur s'élève et se rapproche de la ligne médiane ; en même temps

le bord spinal de l'omoplate s'éloigne de la paroi thoracique et fait saillie sous

la peau.

En appliquant sur les faisceaux antérieurs et sur les faisceaux postérieurs du

deltoïde un tambour myographique, on peut se rendre compte de l'alternance

des contractions de ces deux faisceaux (Fig. 1), qui provoquent des déplace-

ments anormaux des surfaces articulaires et des craquements plus ou moins

bruyants.

Ces mouvements choréiformes isolés ne s'accompagnaient pas de troubles lo-

caux de la sensibilité ; ils ont disparu au bout d'une quinzaine de jours et la ma-

lade n'a plus reparu depuis : on peut la supposer guérie.

Cette observation présente un certain nombre de particularités qui mé-

ritent d'être relevées. Au point de vue de l'étiologie nous voyons que la

première manifestation est provoquée par une irritation locale ayant son

siège dans une lésion nasale : cette cause n'est pas inconnue, quelquefois

il s'agit d'une simple affection catarrhale (1).

La généralisation des spasmes s'est produite il la suite d'une intoxica-

tion alcoolique aiguë ; c'est encore une circonstance qui n'est pas igno-

rée (2), mais qui montre bien la valeur des intoxications dans l'étiologie de

la chorée.

Au point de vue symptomatique, nous voyons l'affection se manifester

d'abord par un spasme localisé à la région de l'irritation provocatrice;

spasme qui survit à l'irritation. Ce spasme localisé répond assez bien à ce

queWeir Mitchell a décrit en 1881 sous le nom cl' Habit chorea (3), chorée

d'habitude, caractérisé par son apparition dans l'enfance, chez des sujets

nerveux et souvent par sa transformation en chorée vulgaire, comme on

peut le voir dans le cas actuel.

(1) CELLE, Chorée consécutive à une affection nasale (C. B. Soc. de biologie, 1883,

p. en).

(2) W. poser, Alcoholic chorea (bled. Record, N.-Y. 1891, LI, p. 2G8).

(3) WnART01 ! SI1 ! KLER, llabit chorea (The Amer. Journ. of med. se, May, 1897).

NOTE SUR UN CAS DE CIIORÉE VARIABLE 4.5()

L'apparition du délire mélancolique avant la généralisation de la chorée

est un fait à remarquer, bien que les troubles mentaux puissent précéder

la chorée quelquefois même de plusieurs semaines (1). Les idées de sui-

cide au cours de la mélancolie choréique se montrent surtout chez les

sujets plus âgés, qui ont par exemple dépassé la trentaine (Krafft-Ebing).

Au cours de la première attaque généralisée, il est bon de relever les

mouvements, spasmodiques du globe de l'oeil et de l'iris.Sheffield a déjà ob-

servé une fille de 10 ans chez laquelle les muscles ciliaires participaient au

spasme et les pupilles se rétrécissaient et se dilataient au maximum. On

observe d'ailleurs quelquefois dans la chorée des troubles auditifs qui pa-,

raissent dus à des mouvements incoordonnés des muscles intrinsèques de.

l'oreille : Ilaug a signalé des contractions cloniques des muscles du mar-

teau du côté gauche, et Urbantschitsch a décrit une chorée des muscles tu-

baires.

Dans la deuxième attaque généralisée nous.relevons l'arythmie, en de-

hors de tout antécédent approprié, de tout bruit morbide, et disparaissant

avec les autres troubles. Cette évolution indique bien la nature névropa-

thique encore contestée (2) du trouble.

Notons encore que la prédominance des mouvements se montre d'un

côté différent dans les deux attaques successives, tandis qu'ordinairement

c'est le même côté qui est atteint. Ce balancement qui n'est pas sans exem-

ples·d'ailleurs (3), pourrait avec d'autres caractères, la multiplicité et la

variabilité des accès, faire classer ce fait dans le cadre des chorées récidi-

vantes de Ziellen et des chorées variables de Brissaud (4).

Le phénomène le plus original de cette observation c'est la localisation

stricte des spasmes, dans un dernier accès aux deux deltoïdes, et la discor-

dance des contractions des faisceaux de ces muscles.

On peut trouver la preuve de l'action isolée des del toïdes dans la position

de l'omoplate dont l'acromion s'abaisse et dont le bord postérieur s'écarte

du thorax en formant avec lui une gouttière. Cette position de l'omoplate re-

(1) T. P. CowEX, blaniacal chorea in a maie adolescent (The Journ. of mental se,

1897, XLIII, p. 321).

(2) J. OousE, Etude clinique du eceter dans la chorée, th. Paris, 189 î Favier, Le

ctvur dans la chorée, étude particulière des troubles choréiques cardiaques d'origine

nerveuse, th. Lille, 1897.

(3) 101'PAT FLDI, Hemichorea in pregaaac;/ (the med. times and hosp. gaz., 1896,

p. 465).

(4) E. Brissaud, La chorée variable des dégénérés (Rev. neurologique, 1896, p.417);

G. hATIIT, Delà chorée variable ou polymorphe, th. 1897.

460 CU. FERE

produit celle que Duchenne provoquait par l'excitation isolée du del toïde(-1 )

et celle qu'on observe dans l'élévation volontaire du bras dans le cas de

paralysie du grand dentelé.

La contraction, indépendante des différents faisceaux des muscles, n'est

qu'un cas particulier, en somme, de l'incoordination générale, mais elle

est intéressante en raison de la production des craquements articulaires

qui l'accompagnent et qui paraissent être sous sa dépendance.

Ces craquements, qui ne se produisent que dans les mouvements provo-

qués par une contraction partielle, montrent bien qu'une déviation de la

direction physiologique delà traction suffit à provoquer les bruits articu-

laires ; c'est ce qu'on voit d'ailleurs dans d'autres circonstances (2).

(1) Duchenne DE BOlLOG : >.E, Physiologie des mouvements, 186 7, p. Sa.

(2) Cu. FÉRÉ et L. Quermonne, Contribution à l'histoire des phénomènes simulés ou

provoqués chez les hystériques ; craquements articulaires el synoviaux (Progrès mé-

dical, 1882, p. 629) ; Ch. FÉHÉ, Contribution il l'élude des doigts il ressort (Revue de

chirurgie, 1898).

SUR UN^CAS DE

TACHYPNÉE HYSTÉRIQUE SECONDAIRE.

PAR

LE D J. SOCA,

Professeur à la Faculté de Médecine

de Montevideo.

On doit à quelques observations de Charcot et Weir-Mitchell de connaître

cette forme primitive de dyspnée, qui, parmi celles qui sont expression

clinique de l'hystérie, la caractérise plus particulièrement et à laquelle

l'illustre professeur de la Salpêtrière a donné le nom de tachypnée hystéri-

que. Mais il n'existe pas, à ma connaissance du moins, des cas publiés, et

bien étudiés de tachypnée hystérique secondaire. Aussi ai-je pensé qu'on ne

trouverait pas dénuée d'intérêt la relation d'un cas de cette nature aussi

curieuse que complexe que nous avons pu observer dans notre clinique

de La Caridad et qui a fait le sujet d'une leçon résumée ci-après.

Observation.

Pétrone B... est entrée le 2 mai de cette année (1897) à la salle San José où

elle occupa le lit n° 19. Elle appartient à la race nègre. Elle est âgée de 27 ans

et veuve d'un mari sur la maladie et la mort duquel elle ne fournit que de va-

gues renseignements. Il aurait eu une pneumonie et aurait succombé au bout

d'un mois. Elle ne présente d'autre part aucune tache d'hérédité morbide

ascendante ou collatérale. Personnellement aucune tare sérieuse; elle n'a fait

d'autre maladie que l'influenza; il y a quelques années, à part les attaques de

nerfs auxquelles elle est sujette. De ces attaques elle ne sait d'ailleurs absolu-

ment rien, sauf quelques rares détails qu'elle tient des personnes qui en ont été

témoins. Elle se rappelle pourtant très exactement et décrit avec vivacité les

prodromes éloignés qui pendant un ou deux jours préludent à sa crise. Ceux-ci

se résument en un état de mélancolie profonde et invincible. Elle s'enferme,

pleure, se désole ; elle ne parle que de malheurs et misères, repousse ses pa-

rents, ses enfants jusqu'à ce qu'enfin éclate l'attaque qui dure des heures, par-

fois un ou deux jours et qui la laisse épuisée.

Vers le 20 avril, elle fut admise dans le service de gynécologie en raison d'un

46 J. SOC

avortement tout récent, où leur Poney pratiqua le curettage de l'utérus. Cinq

jours après avoir été opérée elle se lève, et curieuse de voir l'arrivée d'un con-

voi de blessés, elle ouvre toute grande une fenêtre de la salle, recevant en

pleine poitrine une douche d'air froid qui la saisit violemment et l'oblige à re-

gagner son lit en proie aux frissons. Bientôt la fièvre se déclare et elle éprouve

au côté droit du thorax des douleurs devenues rapidement très intenses. Pen-

dant quatre à cinq jours elle est soignée dans le service de gynécologie et passe

alors à notre salle.

Ce qui nous fraplm de prime abord, en l'examinant, c'est son aspect de pro-

fonde souffranceen même temps que sa respiration accélérée, courte et pénible.

A nos questions elle répond uniquement en se plaignant d'une douleur au côté

droit de la poitrine en un point qu'elle détermine très précisément, sur la ligne

axillaire postérieure au niveau de la dixième côte. Cette douleur très aiguë en

elle-même s'exagérait par la parole, la respiration, la toux (provoquée). La ma-

lade ne tousse pas ou seulement une fois par ci par là et sauf la douleur tout

ce qu'elle accuse, en fait de phénomènes subjectifs c'est un essoufllement exces-

cif qui doit être bien réel puisque l'examen montre 77 respirations à la mi-

nute, courtes, superficielles, de type nettement costal. L'excursion du diaphrag-

me est altérée : la descente inspiratoire est bien moins accentuée du côté droit

que du côté gauche. Les vibrations vocales sont conservées partout sauf à l'ex-

trême base, à gauche comme à droite, surtout à droite. Du côté droit la pression

est extrêmement douloureuse à l'endroit signalé par la malade, sur le bord in-

férieur de la cage thoracique au niveau des insertions du diaphragme, dans

tous les espaces intercostaux immédiatement en dehors du sternum ; en un

point limité sur le prolongement de la dixième côte, un peu en dehors de la

ligne blanche (bouton diaphragmatique.) : entre les deux chefs du sterno-mas-

toïdien. A gauche ces points douloureux font absolument défaut. Le long de la

colonne vertébrale au niveau des dernières vertèbres cervicales la pression,

même légère, est très douloureuse.

A la percussion on n'obtient qu'un peu de submatité à l'extrême base des

deux côtés, et plus à droite.

L'auscultation laisse entendre une respiration très voisine de la normale (un

peu rude tout au plus) sur toute l'étendue du thorax avec un affaiblissement

marqué vers. les bases, la droite surtout. A part cela aucun hruit anormal

(râles, frottements ou sibilances).

Coeur normal, pouls 120, urines normales, température 38.,

Tous ces symptômes étaient manifestement ceux d'une pleurésie diaphragma-

tique et tel fut le diagnostic posé en présence des élèves. Pour tout traitement

nous prescrivons quelques ventouses scarifiées.

Le lendemain la malade va beaucoup mieux. Les douleurs avaient cédé en

grande partie et ne se montraient qu'à la suite d'une provocation (toux, respira-

tion forcée, pressions). La respiration était absolument normale. La projection

inspiratoire du diaphragme égale des deux côtés. Fièvre, pouls, phénomènes

physiques, les mêmes à peu près que la veille. '

SUR UN CAS DE 'I'ACIlYI'NI3 HYSTÉRIQUE SECONDAIRE 4G3

Dux jours après, une nouvelle et minutieuse exploration nous permet de

constater de grandes modifications dans les signes physiques, l'état général et

les phénomènes respiratoires fonctionnels demeurant dans le même état, c'est-

à-dire calmes. La matité à droite est absolue et atteint l'angle inférieur de l'o-

moplate, avec absence complète de vibrations vocales dans la même étendue.

A la limite inférieure de la matité on entend un souffle aigre et lointain ; l'é-

gophonie et la pectoriloquie aphone sont très nettes. Nous avions là tous les

signes d'un épanchement pleural, épanchement exclusivement postérieur at-

tendu que dans la région antérieure la sonorité tout au moins relative se re-

trouve facilement. Cet épanchement justifiait le diagnostic porté quelques jours

auparavant avec cette circonstance que la pleurésie gagnait la grande cavité

pleurale et de diaphragmatique devenait costopulmonaire. Le poumon plongé

dans le liquide n'était pas tout à fait sain. Au-dessus du niveau de l'épanche-

ment il existait une légère submatité jusqu'au sommet, submatité qui devenait

bien sensible par comparaison avec le côté opposé. La respiration est faible par

rapport au côté gauche; les vibrations vocales sont exagérées. En avant les

signes sont exactement semblables. Nous avions donc un syndrome de conges-

tion. Le diagnostic physique actuel était par conséquent : Poumon légèrement

congestionné plongeant dans un épanchement liquide apparemment peu abon-

dant. t. '

Comme le malade se plaignait incessamment d'une douleur fort vive dans

la région de l'ovaire droit on procéda alors à un examen minutieux de son

système nerveux. Nous constatons bientôt une hémianesthésie droite senso-

rielle et sensitive. La sensibilité est complètement abolie quant à la douleur

et au tact, le sens musculaire fait également défaut; la sensibilité à la pres-

sion est seule conservée dans une certaine mesure. L'acuité et le champ visuels

sont très diminués du côté malade ; il en est de même de l'ouïe, de l'odorat

et du goût. Si l'on vient à comprimer la région de l'ovaire droit on y dé-

termine une douleur intense en même temps que se déclare une subite réaction

manifestement hystérique (sensation de houle, bourdonnements d'oreilles, etc.).

Au niveau de l'ovaire gauche il existe aussi une zone hystérogène ; on en trouve

d'autres au vertex, sous les reins, celle du côté droit très marquée, et encore

au niveau de la 7° vertèbre cervicale la pression provoque les mêmes réac-

tions hystériques.

Le lendemain les signes physiques étaient exactement les mêmes, tandis que

les phénomènes fonctionnels s'étaient complètement modifiés.Les douleurs spon-

tanées étaient à peu prés nulles, mais la dyspnée était considérable : 160 respira-

tions par minute. La respiration est régulière. La malade au point de vue pure-

ment respiratoire présente l'aspect d'un chien haletant sous l'action d'un

ardent soleil d'été. Ce qu'il y a de curieux c'est qu'avec cette dyspnée extraor-

dinaire la malade montre une physionomie tranquille, indifférente en appa-

rence il une souffrance qui devrait être extrême. Son état mental est parfait,

sans le moindre soupçon de délire; elle répond avec une entière lucidité, mais

d'une voix entrecoupée, à toutes les questions. Aucune trace de cyanose pas

plus aux lèvres qu'aux ongles ; aucun des phénomènes qui dénoncent l'as-

464 J. SOCA

phyxie. Température 380, pouls plein et régulier avec 100 pulsations. Cette

attaque dure plusieurs heures et cesse comme par enchantement à la suite d'une

thoracentèse qui permet l'évacuation de 600 grammes d'un liquide hémorrha-

gique ou plutôt sanguinolent. En dépit de l'énorme dyspnée qui eût pu faire

croire à un épanchement considérable la plèvre ne contenait pas une- goutte

de plus de liquide, attendu que nous eûmes bien soin de l'épuiser entièrement.

Pendant les deux premiers jours qui suivirent la ponction la malade se trouva

bien, sans douleurs ni dyspnée. Le troisième jour nous la rencontrons dans

l'état suivant : d'après le rapport de la soeur et de l'interne Pétrone est en

attaque de convulsions depuis déjà quelques heures. Cette attaque qui se rie-

produit devant nous à chaque instant offre ces caractères : spasme laryngé si

formidable qu'on dirait que la pauvre négresse va asphyxier ; l'air pénètre

dans la poitrine avec un sifflement aigu, le visage et le cou s'enflent, les veines

du cou sont dilatées à éclater, il y a un fort tirage sus-claviculaire. La bouche

se couvre d'écume blanche et les membres deviennent rigides. Aussitôt com-

mencent des grands mouvements qui paraissent obéir à une idée fixe ; elle fait t

de violents efforts pour sauter à, bas de son lit à droite et vers la tête du lit,

efforts dont on ne vient pas à bout sans quelque peine ; ensuite, au milieu de

spasmes lubriques, elle esquisse deux ou trois fois l'arc de cercle et la scène

finit par quelques sanglots. Après cela la malade retombe dans l'immobilité,

mais le spasme laryngé continue. Pendant toute la durée de la crise (environ

5 minutes), elle semble inconsciente. Elle reste sans mouvements quelques

minutes et l'attaque reprend de nouveau, reproduisant imperturbablement les

mêmes périodes avec les mêmes caractères ; nouveau repos suivi d'une nou-

velle attaque et ainsi de suite pendant tout le temps de la visite. En partant

nous la laissons en pleine attaque. Au cours d'une de ces attaques nous lui

comprimons l'ovaire droit et la négresse ouvre les yeux, subitement délivrée

de ses convulsions.

Le lendemain, l'interne nous raconte que la crise s'était prolongée jusqu'au

soir pour être remplacée sans solution de continuité par la dyspnée, laquelle

ne l'a pas quittée encore à l'heure de notre visite. Nous comptons à ce mo-

ment de 140 à 160 respirations par minute. Comme auparavant elle se tenait

sur son séant dans son lit, mais tranquille, sereine, lucide, avec un pouls de

80 et 37° de température ; pas de torpeur, pas de délire, pas de cyanose, aucun

symptôme d'asphyxie et comme auparavant la même indifférence à son éton-

nante oppression. La dyspnée à part, pour ce qui est des phénomènes respira-

toires, ou physiques ou fonctionnels, ce sont les mêmes que les jours antérieurs

(après la ponction). Pour être encore plus sûrs de l'absence de liquide nous

lui faisons plusieurs ponctions exploratrices qui donnent toutes un résultat

négatif. Les douleurs sont pour ainsi dire nulles ; la descente inspiratoire du

diaphragme à droite parfaitement normale comme à gauche du reste. Nous

ordonnons quelques ventouses scarifiées qui mettent fin sur le champ à la

dyspnée.

A la suite de cette grande crise son état a été bon pendant quelques jours

au bout desquels nous la trouvons à notre visite du matin au milieu d'une

SUR UN CAS DE TACHYPNÉE HYSTÉRIQUE SECONDAIRE 465

formidable crise de nerfs qui d'après ce qu'on nous dit dans le service durait

depuis le petit jour. Cette attaque était très différente de la précédente. Il n'y

avait pas de spasme laryngé et la malade quiltait l'état de résolution par une

convulsion tonique suivie d'un léger tremblement particulièrement sensible à

la jambe et au bras droits. Bientôt survenaient des mouvements très étendus et

d'une extrême violence qui h jetaient hors de son lit avec tant de force qu'il

ne fallait pas moins de cinq ou six personnes pour en avoir raison. Ces mou-

vements cessant elle exécutait des arcs de cercle véritablement gigantesques

pendant lesquels elle se soutenait littéralement sur le vertex et la pointe

des pieds. Tout de suite après elle prend des attitudes qui paraissent com-

mandées par des hallucinations et tout finit par des sanglots. Survient alors

une courte pause sans qu'elle récupère nettement la connaissance et puis tout

recommence de nouveau et ainsi pendant des heures pour terminer par une

attaque de dyspnée où nous la trouvons encore le lendemain matin, cette fois

encore elle est tranquillement assise dans son lit, et, malgré ses 144 respi-

rations par minute, l'intelligence est parfaite, le pouls calme, la température

normale, sans ombre de cyanose. Elle n'a même pas l'air de faire attention à

son oppression et il saute aux yeux que son état général ne se ressent guère

de cette extraordinaire anomalie dans une fonction aussi essentielle qu'est la

fonction respiratoire.

Au surplus l'état local s'est peu modifié et est demeuré le même (à l'atté-

nuation des signes physiques) qu'au lendemain de la ponction évacuante. A la

base droite : matité non absolue, affaiblissement des vibrations vocales, silence

respiratoire relatif. Dans le reste du poumon droit : légère diminution de so-

norité, vibrations renforcées, respiration quelque peu plus faible que du côté

gauche. En somme, réelle amélioration de l'état local. Les douleurs n'existent

plus et ne se montrent qu'a la suite d'une violente provocation. Soupçonnant /

déjà que l'action des ventouses était dû, plutôt qu'à la saignée et au trauma-

tisme, à une influence purement psychique, nous ordonnons une unique ven-

t01lse scarifiée et la dyspnée disparut subitement comme toujours.

A notre visite suivante nous trouvons la malade parfaitement bien; elle est

tranquille, gaie, et demande à retourner chez elle. Le mieux ayant continué

quelques jours, elle voulut à toute force s'en aller, quoique nous pûmes faire

pour l'en dissuader. "

Au bout de quatre jours elle revenait dans le service. Elle raconte qu'elle a

eu une crise de vomissement dont un sanglant. Elle serait d'ailleurs sujette

à ces crises bien que jamais à vrai dire elle n'ait eu d'hématémèse. Elle souffre

aussi de. gastralgies passagères qui surviennent à intervalles éloignés et sans

aucun rapport avec les repas. L'exploration de l'estomac ne révèle rien d'im-

portant : appétit, digestion normale ; estomac très tolérant.

L'examen physique révèle seulement une hyperesthésie diffuse dans toute

la région épigastrique.

Le poumon et la plèvre se sont beaucoup améliorés depuis sa sortie. Mais

xi 31

466 J. SOCA

on retrouve encore quelques vestiges de la maladie récente. Les douleurs dia-

phragmatiques sont nulles. Les stigmates hystériques sont les mêmes ; elle se

plaint d'une vive douleur spontanée ai l'ovaire droit.

Deux jours après son entrée, nous la trouvons lasse, abattue, déprimée. L'in-

terne du service nous dit qu'elle est en attaque permanente depuis la veille.

L'attaque a été des plus complexes et a présenté diverses phases. La première

partie qui a duré plusieurs heures est la fidèle reproduction, paraît-il, de la se-

conde crise que nous avons décrite (convulsions épileptoïdes, grands mouve-

ments, arc de cercle, attitudes passionnelles, sanglots). La seconde partie se

caractérise par une violente crise de dyspnée absolument pareille à celle dont

nous avons déjà exposé le tableau (160 à 170 respirations par minute, pouls

et température normale ; pas de cyanose, état général satisfaisant). La crise de

dyspnée dure quatre heures et s'achève brusquement en la quatrième et der-

nière phase de l'attaque. Cette phase est constituée par un délire très particu-

- lier qui dure jusqu'à l'heure de notre visite. Le fond et, si l'on peut ainsi dire,

la substance même de ce délire, sont faits par une chaîne sans fin d'hallucina-

tions en apparence fort vives ; la malade cause avec des personnages chimé-

riques auxquels elle donne le nom de ses amis ou de ses amants ; tantôt elle

les insulte, tantôt elle les flatte, leur dit tantôt des sottises, tantôt des gracieu-

setés, leur adresse des remerciements ou des reproches ; elle parle de ses ama-

bilités ou de ses malhonnêtetés, et tant qu'elle parle sa physionomie et toute

sa personne prennent l'expression et l'attitude de la passion qui l'anime et

qui se traduit dans ses paroles. Et cela continue indéfiniment, pendant des

heures, en présence des élèves. Depuis ce moment la malade va de mieux en

mieux et sort une quinzaine de jours après complètement guérie sauf de légers

vestiges de sa maladie pleuro-pulmonaire.

Tel est le cas. Pour classer tant de symptômes divers et en saisir les

rapports intimes il convient de diviser la question.

La malade offre à considérer trois grands syndromes : I. Syndrome

pleuro-pulmonaire ; II. Syndrome nerveux ; III. Syndrome gastrique.

I

. Le syndrome pulmonaire répond à une affection bien définie : nous

avons déjà dit qu'il s'agissait d'une pleurésie, diaphragmatique d'abord,

puis costo-pulmonaire,avec un léger épanchement sanguinolent et un cer-

tain degré de congestion dans le poumon correspendant.Quelle est la nature

decettep)enrésie ? On pourrait penser à une pl eurésie tuberculeuse; mais il

SUR UN CAS DE TACHYPNÉE HYSTÉRIQUE SECONDAIRE 467

s'agirait aolrs d'une forme très bénigne et évoluant tout à fait comme une

pleurésie simple. On pourrait aussi songer à l'infection utérine, la pleurésie

ayant été d'abord diaphragmatique, et ayant été précédée d'un avortement

mais c'est bien peu probable. Quoi qu'il en soit le point capital est celui-ci :

la congestion pleuro-pulmonaire dont notre malade a été atteinte explique-

t-elle suffisamment les autres symptômes, du moins les symptômes respi-

ratoires et surtout cette dyspnée paroxystique et extraordinaire qui figure

entre les plus saillants ? Ce qui frappe d'abord dans cette affection pleuro-

pulmonaire c'est le contraste entre les signes physiques insignifiants et

les symptômes fonctionnels extrêmement violents. L'exploration la plus

minutieuse, la plus scrupuleuse n'a jamais révélé autre chose qu'un faible

épanchement (lequel ne s'est même pas reproduit après la fonction) et une

légère congestion du poumon qui ne s'opposait pas à rentrée de l'air.

L'auscultation en effet permettait d'entendre le murmure vésiculaire dans

toute l'étendue du poumon droit, étonne se rendait bien compte qu'il

était malade qu'en le composant très attentivement avec le gauche tout au

moins en dehors de la zone du petit épanchement surtout avant qu'eût été

pratiquée la thoracentèse.

Quant aux phénomènes fonctionnels, le plus frappant est la dyspnée (jus-

qu'à 170 respirations par minute).Est-ce que des lésions aussi superficielles

que celles qui correspondent aux signes indiqués sont capables de déter-

miner une oppression aussi considérable ? Cette oppression est telle que je

mets en doute qu'on ait jamais observé l'aisance extrême dans aucune

affection purement pulmonaire (sans intervention de toute autre cause, com-

me maladie nerveuse normale, etc.) fût-elle très grave. Il n'y a donc au-

cun rapport rationnel entre les lésions relevées par les signes physiques

et les symptômes fonctionnels : une dyspnée aussi énorme fait supposer

des phénomènes physiques extraordinaires. Il est vrai que le rapport entre

les signes physiques et les phénomènes fonctionnels n'est pas toujours

très précis même dans les affections purement pulmonaires (il est de vérité

franche qu'il manque souvent et tout à fait dans les affections rénales car-

diaques). Mais pour un contraste aussi choquant il ne pourrait s'agir que

des cas très spéciaux (tuberculose suffocante, maladies centrales, bronco-

plégie) auxquels est certainement étranger le nôtre comme le prouve bien

l'évolution de la maladie. Nous ne prétendons pas d'ailleurs tirer du con-

traste entre les signes physiques et fonctionnels qu'un argument de pré-

somption et à cet effet il suffit que la disproportion sorte de l'ordinaire.

Je dois ajouter que ce contraste qui nous frappe est précisément propre

à la pleurésie diaphragmatique que nous avons reconnuechez notre malade.

Mais la fréquence respiratoire n'atteint pas dans cette maladie le chiffre

468 J. SOCA

de noire malade. J'ai parcouru la plupart des observations publiées en

France et le plus fort chiffre que j'y ai relevé est de 96 respirations. Mais

surtout, et ceci est décisif, je rappellerai que les symptômes diaphragma-

tiques ont atteint le sommum d'acuité et de violence le premier jour de

notre observation, qu'ils ont été dès lors s'atténuant graduellement jus-

qu'à disparaître absolument dans les dernières crises de dyspnée. Et juste-

ment le premier jour la respiration de notre malade ne présentait'rien

d'extraordinaire. Nous comptions en effet 77 respirations, ce qui est assez

commun dans cette variété de pleurésie.

Il n'y a non plus aucun parallélisme entre l'évolution' delà dyspnée

et l'évolutiond es signes physiques. Le jour où nous avons constaté pour la

première fois l'épanchement, la malade était très calme. Malgré que les si-

gnes physiques restent exactement les mêmes dans les jours suivants,

éclate une violente attaque de dyspnée qui force notre intervention.

Après l'opération les signes physiques, et certainement les lésions, ont

été s'atténuant sensiblement, ce dont nous pouvons nous rendre compte

lors de sa seconde rentrée à l'hôpital. Alors les signes étaient réduits aux

vestiges qui restent toujours plus ou moins longtemps après une maladie

pleuro-pulmouaire. Eh bien ! malgré l'atténuation, la disparition même

des signes physiques, éclatent d'autres attaques de dyspnée dont la der-

nière après sa seconde entrée, c'est-à-dire quand déjà l'affection pleuro-

pulmonaire était à peu près guérie.

Ainsi donc : des signes physiques restant stationnaires la dyspnée se

montre ou s'en va au gré du caprice, les lésions s'atténuant, disparaissant

même, la dyspnée se présente toujours, à plusieurs reprises avec son inva-

riable violence. D'où nous déduisons que la dyspnée n'est pas sous la dé-

pendance tout au moins exclusive de la lésion pleuro-pulmonaire mais

bien à l'intervention d'une tout autre cause fonctionnelle ou physique.

Il n'y a pas non 'plus équation entre la dyspnée et l'étal général. La

dyspnée est très violente et l'état général excellent. Et c'est encore un fait

qui corrobore notre opinion que la dyspnée n'est pas fonction des lésions

pulmonaires. Si la dyspnée dépendait des lésions pulmonaires celles-ci

seraient extrêmement graves et l'état général serait tellement mauvais que

la malade serait mourante. Une lésion pulmonaire capable à elle seule

'd'occasionner 160 respirations par minute (à supposer que cela se soit ja-

mais vu) doit se traduire par des phénomènes d'asphyxie bien marquée

(somnolence ou état semi-comateux,cyanose,refroidissement etc.). Ici rien

de tout cela,la malade est tranquille et assez gaie ; le pouls,la température

sont normaux, pas môme la moindre trace de cyanose. L'état général n'est

donc pas celui d'une affection pulmonaire grave. El puisque une affection

SUR UN CAS DE TACHYPNÉE HYSTÉRIQUE SECONDAIRE 469

pulmonaire grave est seule capable de donner lieu à 170 respirations par

minute, il en résulte encore une fois qu'il faut chercher ailleurs la cause

fonctionnelle ou physique de ces singulières crises de suffocation.

Il n'y a pas non plus équation entre les moyens thérapeutiques mis en

oeuvre et les résultats obtenus. Dans'la première attaque trois ou quatre

ventouses scarifiées font disparaître les accidents comme par enchantement.

La respiration tombe de 160 à 25. Quelques ventouses peuvent atténuer

les symptômes d'une affection légère. Mais ici l'effet a été instantané et

total et l'affection (si elle était la cause de la dyspnée) serait assurément

grave.

A la deuxième attaque nous lui extrayons 600 grammes de liquide et

au bout de quelques minutes la formidable dyspnée avait disparu. Eh bien 1

est-il permis de croire que l'extraction de 600 grammes de liquide puisse

soulager le poumon au point que la respiration tombe de la dyspnée la

plus extraordinaire au calme le plus parfait par un véritable coup de

théâtre ? Tous ceux qui ont vu des pleurésies savent qu'un épanchement

de 600 grammes ne peut absolument pas donner lieu par lui-même à des

accidents de suffocation. Il n'est par conséquent pas douteux qu'il y a

une autre cause à cette miraculeuse amélioration. Il y a plus : à l'avant-

dernière attaque nous lui avons fait appliquer une unique ventouse sca-

rifiée et l'effet n'a été ni moins prompt ni moins complet que les autres

fois. Que signifie cette thérapeutique si étrangement agissante ? Cela si-

gnifie que les humbles ventouses ont une action bien plus transcendentale

que celle d'un faible traumatisme et d'une petite saignée.

Devant ces considérations il est difficile d'admettre que la lésion pleuro-

pulmonaire est la cause unique de cette oppression inouïe et il faut bien

chercher ailleurs l'explication de ces apparents paradoxes cliniques.

Quelle est donc l'origine de cette déconcertante dyspnée ? Avant de ré-

pondre à cette question, il nous faut étudier le syndrome nerveux présenté

par notre malade.

II

Par ses antécédents et par les stigmates que décèle la plus superficielle

exploration notre malade est incontestablement hystérique. Qu'est-ce que

.c'est que ces attaques précédées pendant un ou deux jours d'une période

de malancolie sinon des attaques d'hystérie ? Pourquoi pas d'épilepsie

dira-t-on ? Mais ceci est en désaccord avec tous les renseignements que peut

fournir la malade louchant ses crises et surtout avec ce que nous avons

.observé dans notre service. La première attaque dont nous avons été té-

470 J. SOCA

moin, c'était une attaque d'hystérie. Le spasme laryngé, les grands mou-

vements comme pour se jeter de son lit, l'arc de cercle, les sanglots,ce sont

des phénomènes qui représentent d'une manière plus ou moins fruste

toutes les grandes phases de l'attaque d'hystéro-épilepsie conformément

à l'admirable description de la Salpêtrière. L'action phrénatrice de la com-

pression de l'ovaire confirmerait, s'il était besoin, le diagnostic.

Le deuxième crise à laquelle nous avons assisté était une énorme atta-

que de grande hystérie avec toutes ses phases parfaitement représentées

au milieu desquelles se détache le gigantesque arc de cercle dont nous

avons parlé.

La troisième crise se compose d'éléments divers. La première phase est

une attaque d'hystéro-épilepsie absolument classique; la deuxième une

attaque de vomissements dont la filiation hystérique se verra par suite,

la troisième une attaque de dyspnée ; la quatrième une attaque de délire.

Ce délire est entièrement fait d'illusions et hallucinations. La malade vit

dans un monde fantastique où se meuvent de nombreux personnages avec

leurs idées, leurs passions, leurs actes, tous les incidents delà vie réelle.

Il est manifeste que ce délire qui sur sa fin se fait extrêmement mélancoli-

que et se résout en sanglots n'est autre chose qu'un fragment d'attaque

d'hystérie. C'est la troisième période et une partie de la quatrième déta-

chées de la grande attaque et la représentant à eux seuls, ainsi que cela

arrive si souvent dans l'hystérie.

Ainsi donc le syndrome nerveux correspond à l'hystérie, en ce qu'elle

a de plus profond, à l'hystérie de la Salpêtrière, à cette hystérie dont

M. Bernheim disait par une singulière aberration que c'est une hystérie de

culture, l'hystéro-épilepsie à crises réunies,suivant le langage de Charcot

et de ses élèves, en particulier de M. Gilles de la Tourette.

Or donc, si la dyspnée extraordinaire que présente notre malade ne s'ex-

plique pas suffisamment par son affection pulmonaire, ne s'expliquerait-

elle pas par l'hystérie ?

A première vue l'idée est séduisante. En effet, lors de sa première atta-

que nous avons été frappés de l'insistance avec laquelle la malade signale

une douleur à l'ovaire droit (côté de l'hémi-anesthésie). Les autres atta-

ques ont toutes succédé à une attaque d'hystérie. Les symptômes physiques

et fonctionnels de son affection pleuro-pulmonaire s'étaient amendés quand

se sont produites la plupart des crises et, à la fin, avaient presque disparu.

Tout à coup se déclare une attaque d'hystérie qui dure des heures et qui

se termine en une attaque de dyspnée très spéciale, attaque qui apparaît

ainsi comme la continuation, comme la floraison d'une crise d'hystérie.

A la troisième attaque les choses se sont passées d'une manière réelle-

SUR UN CAS DE TACHYPNÉE HYSTÉRIQUE SECONDAIRE 471

ment suggestive. Sa première phase est une attaque d'hystéro-épilepsie ; la

seconde une crise de vomissements hystériques; la troisième une attaque

de dyspnée, et la quatrième un accès de délire marqué au coin du sceau de

la grande névrose.

La dyspnée se montre donc ici comme un anneau dans une chaîne de

phénomènes hystériques, comme un épisode d'une vaste et complexe atta-

que d'hystérie. En la dyspnée se résolvent, si on peut ainsi parler,des phé-

nomènes éminemment hystériques et, à son tour, la dyspnée se résout et se

continue en des phénomènes de nature indubitablement hystérique. En

présence de ces données, il serait difficile de ne pas songer à l'origine hys-

térique de cette étrange crise d'oppression. Et cette présomption est con-

firmée pleinement par l'étude approfondie de la dyspnée en elle-même.

- Comment a-t-on décrit la dyspnée hystérique ? -

Il existe une description de Briquet qui, si elle est exacte, doit compren-

dre des faits exceptionnels attendu qu'il n'en a pas été observé depuis, au

moins d'une manière précise et indiscutable. Pour M. Briquet la dyspnée

hystérique est une espèce d'asthme accompagné d'un degré plus ou moins

grand de bronchite. Nous ne contesterons pas ces faits, mais à coup sûr,

notre cas n'entre pas dans une semblable description. Je laisse également

de côté les dyspnées hystériques laryngées dans le cadre desquelles n'en-

tre pas non plus notre cas, du moins sous l'aspect que nous considérons

ici puisqu'il faut dire que dans la première attaque d'hystérie une dyspnée

laryngée très intense a joué aussi son rôle.

En dehors de ces cas, il y a une dyspnée hystérique très spéciale, très

caractéristique qui a été décrite par Weir Mitchell et Charcot. Moi-même

j'eus l'occasion de l'étudier personnellement dans le cas qui appartient à

M. Charcot. Cette dyspnée se caractérise par une fréquence extraordinaire

des mouvements respiratoires lesquels sont alors naturellement très super-

ficiels. Ils peuvent atteindre, comme dans le cas de M. Charcot, à plu-

sieurs reprises un chiffre de 180 par minute. La respiration est en outre

parfaitement régulière sans que l'auscultation dénote aucune altération

dans la durée respective des deux phases respiratoires, encore que la dif-

férence soit très peu sensible à cause de l'extrême fréquence des mouve-

ments.

Le second caractère fondamental est l'indifférence relative de l'organisme

vis-à-vis de celle extraordinaire dyspnée. Le pouls est normal, la tempéra-

ture normale, la malade est tranquille, sereine, s'intéresse comme si elle

était bien portante à tout ce qui se passe autour d'elle; pas le moindre

symptôme d'asphyxie, aucune trace de cyanose. Cette dyspnée, qui si elle

472 1 1 J.soc\

tenait à une affection organique serait probablement mortelle, dure des

heures, des jours, des semaines, des mois, des années sans que. l'état gé-

néral s'en ressente en quoi que ce soit. Il faut bien dire qu'elle n'est pas

absolument permanente, qu'elle se manifeste par accès qui durent plusieurs

heures avec des intervalles de calme complet. En d'autres termes, la dyspnée

hystérique se caractérise par l'extraordinaire accélération des mouvements

respiratoires sans trouble bien sensible de la fonction respiratoire vraie,

c'est-à-dire l'hématose. C'est ce qui a fait que Charcot l'ait dénommée ta-

chypnée, nom qui rappelle et exprime le premier de ces deux caractères

fondamentaux. La dyspnée hystérique ainsi comprise est à ce point carac-

téristique que M. Charcot n'a pas hésité un instant dans son diagnostic en

des cas où la dyspnée était la seule expression de la maladie (hystérie

monosymptomatique).

Et maintenant quels sont les traits essentiels de la dyspnée chez notre

malade ?

Syndrome paroxystique, fréquence extrême des mouvements respira-

toires, indifférence relative de l'organisme devant une si énorme dyspnée.

Et comme ces trois caractères réunis sont typiques et que,1 en juger par

les faits jusqu'ici connus, ils spécifient la dyspnée hystérique, je pense que

la dyspnée de notre malade est bien une dyspnée de nature hystérique.

Et cette conclusion trouve unecorroboration indéniable dans ce fait que

nulle autre cause organique ou fonctionnelle ne saurait donner raison de

phénomènes aussi singuliers. Nous avons dit déjà que les lésions pulmo-

naires n'expliquaient pas suffisamment la dyspnée. Nous ajouterons que

le coeur, les reins,, le tube digestif avec ses annexes sont intacts ainsi que

nous nous en sommes rendu compte par une exploration répétée et très

minutieuse. Quant au système nerveux, il n'y a pas d'autres désordres que

ceux qui tiennent à l'hystérie.

. Avec cette interprétation du cas plusieurs faits, de prime abord singu-

lièrement embarrassants, se comprennent sans effort : le défaut d'harmonie

entre les lésions pulmonaires et la dyspnée, l'action par trop merveilleuse

de l'insignifiante thérapeutique mise en oeuvre. Nous avons vu une seule

ventouse scarifiée, une ponction avec extraction d'une infime quantité de

liquide faire tomber la respiration de 160 à 20. C'est là une thérapeu-

tique purement suggestive que nous avons faite un peu sans le savoir.

Mais l'appareil respiratoire est-il complètement étranger à cette dys-

pnée née en apparence de la pleurésie diaphragmatique, comme expres-

sion clinique de la congestion pleuro-pulmonaire ? Cela serait pour nous

surprendre surtout si on veut bien se rappeler que cette femme n'a jamais

eu auparavant d'attaque de dyspnée en dépit des attaques sans nombre.

SUR UN CAS DE TACHYPNÉE HYSTÉRIQUE SECONDAIRE 473

d'hystérie qu'elle compté dans son existence. Pour moi, je crois que les lé-

sions de l'appareil respiratoire ne sont pas entièrement étrangères à la la-

chypnée, et telle est précisément l'originalité du cas. '

La dyspnée est bien de nature hystérique ; mais elle a été provoquée par

la lésion pleuro-pulmonaire, celle-ci ayant réveillé les aptitudes hystéri-

ques de la malade en ce qui concerne l'appareil respiratoire. Un individu

reçoit au bras un choc insignifiant, et le bras de rester paralysé en plus

ou moins de temps. Il n'y a pas équation entre le coup et la paralysie, en-

tre la cause et l'effet, mais le coup a réveillé, a rappelé les aptitudes hys-

tériques du malade qui a répondu en faisant une paralysie avec ses forces

et ses moyens propres et personnels. Le coup n'est pas la cause efficiente;

il n'est que l'agent provocateur, et c'est quelque chose ; sans lui il n'y au-

rait pas eu de paralysie. Il se passe la même chose avec notre malade : la

pleurésie n'est pas la cause efficiente de la dyspnée ; mais c'est elle qui

l'a provoquée; sans la pleurésie il n'y aurait pas eu de dyspnée. Ainsi la

tachypnée est de nature hystérique et d'origine pleuro-pulmonaire.

Et cette imbrication de causalités, ces énergies morbides selon l'expres-

sion du professeur Potain, trop' fréquentes pour les autres organes ne sont

pas rares non plus pour ce qui est de l'appareil respiratoire,et en s'en sou-

venant on évite de singulières erreurs aussi bien de diagnostic que de pro-

nostic.Parmi les cas dont j'ai mémoire.j'en rapporterai un vraiment curieux

que M. IIanot, ce maître aussi savant que sincère, aimait à raconter à ses

élèves. Alarmé par l'extrême dyspnée que présentait une de ses malades

il court chercher son maître Lasègue et le presse si instamment que l'il-

lustre professeur est obligé d'interrompre son cours pour se porter au se-

cours de la cliente de son chef de clinique . A peine a-t-il examiné la

malade que Lasègue se retourne vers son élève et lui dit amicalement :

« Vous mériteriez que je vous tire les oreilles, votre malade n'a rien pour

vous épouvanter. Tout ce qu'elle a, est une bronchite aiguë et cette énorme

oppression n'est que feu de paille ; elle a de la dyspnée parce qu'elle est

hystérique, parce que la bronchite a réveillé les aptitudes hystériques de

son appareil respiratoire. » D'où peut-être on pourrait déduire que Lasè-

gue connaissait déjà la tachypnée hystérique de Charcot et Weir Mitchell.

III

Il nous reste à considérer le syndrome gastrique où les vomissements

et l'hématémèse constituent les éléments saillants. Je dirai seulement

pour en finir qu'une consciencieuse analyse a démontré avec toute évidence

474 J. SOCA

qu'il s'agit là d'un syndrome foncièrement hystérique. Et on voit combien

le sceau de l'hystérie est profondément gravé dans tous les organes et fonc-

tions de notre malade. Ce qui ajoute, si c'est possible, à la démonstration

poursuivie dans ce petit travail : savoir que la dyspnée de notre malade est

de nature hystérique et que, à côté de la tachypnée primitive de Charcot et

Weir Milchell, il y a lieu d'inscrire la tachypnée hystérique secondaire.

N. B. La malade a été revue 10 mois après sa sortie de l'hôpital. Elle

se porte très bien, garde seulement un peu de faiblesse respiratoire à la

base droite pour toute trace de son ancienne maladie pleuro-pulmonaire.

Elle a bien eu quelques attaques de nerfs, mais jamais le moindre soup

çon de dyspnée, ce qui paraît bien corroborer l'idée que celle-là est liée,

dans une certaine mesure, à la maladie pleuro-pulmonaire.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE

(Suite et fin)

A. WEIL et J. NISSIM

Médecin en chef à l'hôpital Ancien interne à l'hôpital

de Rothschild. de Rothschild.

Cas. XLII. Stephen PAGET, Un cas de myosite ossifiante.

The Lancet, 9 février 1893, p. 339.

Garçon de 7 ans 1/2, petit, mais fort, actif et intelligent. Santé générale

bonne.

Père âgé de 40 ans, toujours bien portant et n'ayant jamais eu aucune ma-

nifestation rhumatismale.

Le grand-père et la grand'mère du malade ont eu tous les deux à deux re-

prises différentes la fièvre rhumatismale.

Mère âgée de 35 ans bien portante, n'a jamais eu de rhumatismes mais sa

mère à elle en a eu; une de ses soeurs est morte de cancer du sein, et une

autre à 38 ans d'ulcération des intestins,

Le malade est l'aîné de trois enfants ; les deux autres sont en bonne santé

et n'ont pas de déformation du gros orteil. -

Le malade a été bien portant pendant les premières années de sa viej il a

eu la rougeole il 6 ans 1/2. ,

Une semaine après sa naissance, on remarque une déformation du gros

orteil des deux côtés.

Pas de traumatisme avant le début de la maladie actuelle. Celle-ci débuta

par un gonflement derrière l'oreille gauche à l'âge de 4 ans 1/2. La formation

d'os dans les pectoraux et à la partie inférieure de la colonne vertébrale se

montra au commencement de la maladie. La mère affirme d'une façon certaine

que l'ossification avait l'habitude de changer de place, disparaissant d'un en-

droit et apparaissant il un autre ; l'apparition de cette ossification ne semble

pas avoir été précédée de douleur ni de gonflement.

Etal actuel (1892). L'enfant est âgé de 5 ans et 9 mois. Il tient sa tête

en torticolis, pas de contraction du sterno-cléido-mastoïdien gauche.

Dans les muscles pectoraux, au niveau de la paroi antérieure de l'aisselle,

se trouvent des noyaux osseux irréguliers se déplaçant légèrement avec les

476 A. WEIL ET J. NISSIM

muscles. Du côté droit ces noyaux sont placés sous le muscle et surtout au

niveau de son insertion. Là ils se continuent avec des plaques osseuses se

trouvant sous le deltoïde et le grand dorsal.

On trouve aussi des noyaux à l'origine du grand dentelé. Le grand dorsal

présente un bord tranchant à l'aisselle, il est dur mais non proéminent; au-

dessous de l'angle de l'onioplatê, il y a deux masses proéminentes, mais non

fixées à l'os. Les muscles de l'omoplate même ne paraissent pas atteints.

Du côté gauche. Infiltration osseuse aussi dans le pectoral, il y a plus de

noyaux que du côté droit, ils sont plus proéminents au niveau de l'insertion ;

ils se continuent ainsi que du côté opposé avec des plaques osseuses sous le

deltoïde et aussi avec le grand dorsal (quoique cela ne soit pas tout à fait cer-

tain). La maladie dans le grand dorsal gauche est plus apparente au-dessous

de l'angle inférieur de l'omoplate, mais c'est moins marqué que du côté droit.

Le biceps gauche est atteint; quand on meut ces ossifications, on perçoit de la

crépitation.

De chaque côté de la colonne vertébrale, à sa partie inférieure, se trouve

nue crête dure. plus marquée à gauche qu'à droite ; elle semble faire partie du

grand dorsal. '

Le trapèze est sain.

Dans les triangles postérieurs du cou, il y a une dureté mal définie. Le

sterno-mastoïdien droit est sain, le gauche est très raccourci, mais on ne cons-

tate pas d'os dans ses fibres, excepté un tout petit noyau sur son bord anté-

rieur, à un pouce de la clavicule,

De la paroi antérieure des aisselles, entre une ligne qui passerait au

niveau du mamelon et la ligne axillaire, part un véritable cordon dur, de l'é-

paisseur d'un cathéter anglais n° 4 ou 5, et se dirige directement en bas sur les

côtes et sur la paroi abdominale et va rejoindre la crête iliaque avec laquelle il

se nivelle.

Ce cordon est plus marqué à droite. Ils sont peu mobiles et durs, mais non

aussi rigides que l'os ; ils donnent au loucher la sensation des lymphatiques

cancéreux, ou d'artères très athéromateuses.

; Pas d'ossification sur la tête, ni dans les muscles abdominaux, ni dans les

membres inférieurs.

L'enfant est resté à l'hôpital plusieurs semaines; il a pris de l'acide phos-

phorique dilué, mais sans résultat.

Etat actuel (189). - Le malade a eu la scarlatine.

La maladie a très peu progressé. Les deux cordons latéraux ont disparu.

Les masses osseuses paraissent plus fixes et semblent unies intimement au

squelette. La respiration est presque entièrement abdominale; dans les grandes

respirations les cotes se meuvent très peu.

Le malade aune déformation des gros-orteils ; ils sont raccourcis et repliés

vers la ligne médiane du pied de sorte que leur extrémité est au-dessous du

deuxième orteil. Les phalanges semblent petites et mal développées. La tête

des premiers métatarsiens est grosse.

O¡;\'. Iconographie Dr la SA ! .PÊTRIÈIIF. T. XI. PI. LI

MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE

(C.1'i d Burgcrhollt )

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 477

Pas de déformation des pouces. L'enfant a pris de l'extrait thyroïdien sans

résultat.

OBs. XLIII. - FUERSTrrER, Archiv. f. Psychiat. und. lVe7,venk., 1895,

t. XXVII, p. 611. ,

Felicitas lui..., 15 ans. Père et mère bien portants. Accouchement naturel.

A 8 ans, difficulté de la marche par suite de la formation de noyaux indolo-

res qui disparurent après cinq à six semaines. Réglée à 13 ans 1/2 et depuis

régulièrement; migraines aux époques. Depuis 5 à 10 mois difficulté dans les

mouvements du cou et des bras par suite de la formation de noyaux à leur

niveau. Etat général bon.

Actuellement. Enfant bien développé ; les organes internes fonctionnent

bien. Ni sucre, ni albumine dans les urines.

Anomalies congénitales. Absence de lobule de l'oreille, absence de deux

incisives supérieures ; les dents existantes sont dentelées. Les deux gros

orteils sont très courts, mais toutes les phalanges sont légèrement déformées.

Les pouces et les annulaires sont très petits. Nystagmus dans la vue externe

extrême. -

Mouvements de la face normaux. Raideur de la tête et de la colonne verté-

brale ; démarche gauche. Rotation de la tête à droite et à gauche limitée par

suite de la tension des sterno-mastoïdiens ; flexion et extension également

limitée par opposition des muscles de la nuque. Les muscles cités sont durs,

mais ne contiennent pas de noyaux. Epaississement osseux dans les muscles

longs du dos ; on constate des protubérances sur le bord interne des omoplates,

des plaques osseuses dans le grand dorsal. Les bras, le plus souvent fléchis, ne

peuvent pas s'écarter. Travées dans les tendons des grands pectoraux. Le bras

droit est très peu mobile. Le biceps et ses tendons sont très durs dans toute

leur étendue. La partie inférieure du triceps semble ossifiée ; de même à gau-

che, mais moins prononcé. La consistance des miisclesodes bras est variable,

plus on se rapproche du tendon, plus elle est dure. La pression sur les mus-

cles est légèrement douloureuse. Peu de changements dans les muscles de l'ab-

domen et du bassin; rien dans les membres inférieurs. Pendant que la malade

était en observation, on a constate les modifications suivantes dans le biceps

gauche. Formation eu quelques jours d'un gonflement presque pâteux, avec

légère rougeur de la peau et douleur très vive à la pression ; pas de fièvre.

- Le 13 juin excision d'un petit morceau de muscle au niveau du gonflement ;

guérison de la plaie en 14 jours sans accidents ; eu même temps, la tumeur et

sa sensibilité ont considérablement diminué. Plus tard formation d'un gonfle-

ment semblable dans le bif" droit avec. les mêmes phénomènes ; les noyaux

se sont formés lentement; on a constaté toujours à cette place une augmenta-

tion de volume ; dans le voisinage du biceps gauche, on a constaté une consis-

tance plus grande.

Examen microscopique après durcissement et double coloration (éosine, hé-

matoxyline). Pas la moindre lésion dans le tissu musculaire même, mais lésion

très intense et tout à fait récente dans le tissu conjonctif interfibrittaire.' Aussi

478 A. WEIL ET J. n115S1111

bien dans les points où il entoure un plus grand nombre dû coupes transverses

de fibres, que là où il sépare les fibres les unes des autres, il y a une prolifé-

ration du tissu conjonctif, qui est surtout marquée dans le voisinage des vais-

seaux. Les muscles sont pressés les uns contre les autres, leur substance est

. tout à fait intacte, on ne constate pas trace de prolifération nucléaire. Il n'est

pas douteux qu'une infiltration oedémateuse s'était ajoutée à cette prolifération

du périmysium interne dans l'épaisseur des noyaux.

Ons. XLIV. - LEXER, Arch. f.lllin. Chir., 1895, p. 1-13.

Homme, 50 ans. Rien dans les antécédents.

En 1879, douleurs au côté gauche du thorax pendant 3 semaines avec un

léger état fébrile ; le malade remarqua sur les endroits douloureux des noyaux

mous, mobiles; comme des noisettes, qui disparurent bientôt après.

En 1884, fièvre, douleurs sur tout le côté gauche du thorax pendant 2 se-

maines. Il remarqua alors un gonflement mou, comme la paume de la main,

très douloureux à la pression au début, puis plus petit, plus dur et moins sen-

sible. De 1884 à 1886 tous les étés manifestation de pareils phénomènes autour

de la tumeur lombaire et finalement celle-ci s'étendit jusqu'à la ligne axillaire.

Dernière attaque en 1890. Depuis, formation entre temps, sans fatigue, de

noyaux dans différents endroits, à côté de la tumeur du côté gauche et au-des-

sous du creux axillaire.

En juin 1894 léger état fébrile, doule.urs aux deux épaules et aux muscles

des bras. Gonflement dans les parties molles de l'épaule gauche qui en quel-

ques semaines a beaucoup durci et diminué de volume. Traitement arsenié

et KI.

Malade amaigri, musculature peu développée. Les bras ne peuvent s'élever

au-dessus de l'horizontale, omoplate gauche peu mobile, projection en arrière

du bras gauche très limitée. Tumeur bosselée, grosse comme un oeuf de poule,

cartilagineuse, à la partie inférieure du grand pectoral, mobile avec le bord

inférieur du muscle, sans limites précises ; le muscle est souple sauf au niveau

des fibres de la 3° côte qui forment une corde mince. Tumeur semblable plus

petite, au niveau de la 6° vertèbre cervicale, sur le bord du trapèze. Les mus-

cles des bras et des avant-bras sont particulièrement peu développés. Tumeur

de consistance fibreuse, grosse comme le point, occupant la partie moyenne du

deltoïde gauche, tumeur sur laquelle les fibres musculaires se contractent en

levant le bras, légèrement mobile sur l'os. Sur la moitié inférieure de l'humé-

rus, des deux côtés, sous le biceps atrophié, tumeur osseuse occupant la place

du brachial antérieur. Sous le long supinateur droit, tumeur osseuse de 5 cen-

timètres de longueur et de largeur, elle va jusqu'à l'articulation de la main,

sans limites précises, dans la portion tendineuse du premier radial. L'anconé

est transformé en une pointe osseuse; les autres muscles sont durs, il en est

ainsi du splenius gauche et du sterno-hyoïdien droit.

Le domaine du grand dorsal est envahi par une tumeur saillante, de con-

sistance cartilagineuse, immobile; seules, les portions latérales, en avant et

en bas, qui correspondent au grand dentelé et aux faisceaux du grand dorsal

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 479

qui se terminent sur les côtes, sont mobiles sur celles-ci. La bandelette qui se

termine sur la 10e côte est très sensible à la pression, et de là, de violentes

douleurs s'irradient le soir. Dans la région du fascia lombo-dorsal, saillie ver-

ticale, dure, se réunissant à la grande tumeur. La moitié droite du dos est

libre. Dans le sous-épineux gauche, tumeur très dure, superficielle, commen-

çant à l'épine, se terminant à pic sur le tiers inférieur de l'omoplate et s'éten-

dant en dehors jusqu'à l'acromion. Sur les 'il' et les 6e côtes droites, bande-

lettes saillantes commençant sur le bord du grand dorsal et s'insérant par

leurs deux extrémités sur les côtes (grand dentelé). Rien sur le système os-

seux, pas de déformations congénitales (main, pied).

Le 16 novembre 1894. Incision de la tumeur du deltoïde gauche à cause de

son volume ; on en enlève une portion. 10 jours après, on enlève le faisceau

musculaire très douloureux du grand dorsal gauche, correspondent à la 10e

côte, sur une longueur de 10 centimètres, là où les fibres pouvaient se déta-

cher le plus de la côte.

18 mai 1894. D'après une lettre du malade, d'autres muscles ne seraient

pris au cou et aux extrémités inférieures.

Nous résumons les recherches microscopiques de Lexer l'anatomie

pathologique de notre travail.

Osas. XLV. - BRUCK, Société de méd.Berlin, séance du 6 mai 1896. -

Myosite ossifiante progressive, Semaine méd., 1896.

Présentation d'un malade venant de Pest, âgé de 31 ans.

Bien que chétif et maigre, il a joui d'une bonne santé jusqu'à l'âge de 14 ans.

Peu à peu, il a perdu ses forces, surtout celles des membres inférieurs dont

les muscles s'atrophièrent à un tel point qu'il fut obligé de marcher avec des

béquilles. Depuis 10 ans, il ne peut ni marcher, ni se coucher, il est obligé de

vivre sur une chaise. Le malade présente en outre des arthropathies, une os-

téomalacie généralisée et des ossifications musculaires ; il pèse 32 kilogr. seu-

lement.

L'ostéomalacie a été sans doute ici la maladie primitive, plus tard il s'y.est

joint le processus d'ossification généralisé.

Obs. XLVI. - O. PAGET, Trans. clin. Soc. London, 1896,

t. XXIX, page 221.

A..., fille, 5 ans, vue pour la 1 ra fois le 21 juillet 1895 pour masses lom-

baires et raideur de la muque.

Trois semaines auparavant la mère s'était aperçue de l'existence de plusieurs

tumeurs sur le dos ; elles augmentèrent depuis. La raideur commença à peu

près à la même époque.

Antécédents héréditaires. - Père, mère, 3 frères et soeurs bien portants.

Grand'mère paternelle goutteuse.

Antécédents personnels. - Rachitisme à 2 ans, coqueluche. -

480 ' C A. WEIL ET J. NISSIM

é.) ¡

Actuellement. Regard indifférent dû à la tension du sterno-mastoïdien.

Intelligence et dentition normales. Les lésions peuvent se rapporter à quatre

classas. i ,, ).

1° Lésions en connexion avec les os. Deux grosseurs ovales, fermes de cha-

que côté de la colonne vertébrale, au niveau des côtes et il la hauteur de l'an-

gle inférieur des omoplates. Une plus petite à l'angle de l'omoplate, des 2 cô-

tés ; une nodosité ossifiée sur la lèvre externe de la gouttière bicipitale droite ;

une autre sur le front, due aux chutes.

Absence bilatérale de la l'e phalange du gros orteil ; la phalange unguéale

s'articule directement avec le métatarse.

20 Lésions en connexion avec les muscles. - Tête fixée par la tension des

sterno-masloïdiens, ossifiés, indurés, et élargis, il est difficile de trouver les

limites des muscles. La flexion de la tête est possible, l'extension impossible.

Bras fixés aux côtés ; on ne peut les éloigner, même avec force, au delà d'un

angle de 30°. Pectoral droit ossifié dans ses parties moyenne et supérieure.

Pectoral et grand dorsal gauches ossifiés. Deltoïdes et biceps d'apparence nor-

male.

3° Lésions en connexion avec les ligaments. Pas de lésions daus les liga-

ments de la colonne vertébrale, mais le dos est raide.

Ligaments de l'épaule épaissis et fixés. Les autres articulations sont norma-

les sauf un léger craquement. '

4° Lésions en connexion avec les glandes. - On sent une corde dure, un con-

duit lymphatique ossifié ( ? ). Dans l'aisselle gauche, 3 ganglions tuméfiés, mais

petits.

22 novembre 1895. Les nodosités disparaissent pour la plupart quoiqu'on

trouve encore des traces. Les sterno-mastoïdiens sont moins indurés, les mou-

vements de la tête sont plus libres. Ossification plus avancée dans le grand

dorsal gauche.

Ons. XLV11. Willette, Arch. of. Surgery, 1896,

t. VII, p. 133-141.

Homme, 35 ans. Lésions congénitales et ayant progressé, localisées aux

membres supérieurs.

Dans certains endroits des plaques osseuses se sont développées dans le fas-

cia et les muscles, spécialement dans le bras et l'avant-bras droits et l'avant

bras gauche ainsi que le long des bords des aisselles ; ankylose de quelques ar-

ticulations et malformation congénitale des membres supérieurs.

En outre quelques os sont eux-mêmes augmentés de volume, l'omoplate et

l'humérus gauche; ce dernier est plein de nodosités et adhèrent à la peau. En

outre une exostose existe sur la première côte.

OBS. XLVIII. DE ZOEGE Manteufel, Congrès de la Société de chirurgie

de Berlin, 1896, séance du 28 mai.

Présentation du squelette d'un malade atteint de myosite ossifiante progrès-

' DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 481

sive, préparé par macération. Le malade est mort à l'âge de 16 ans ; le début

de la maladie remonte à 4, 5 ans. En examinant le malade, pendant la vie, on

croyait qu'il s'agissait d'exostoses multiples nombreuses surtout au dos ; mais

si on examine bien le squelette on voit les ossifications occuper la place des

muscles, suivre si bien le trajet de ces derniers, par exemple dans la masse

sacro-lombaire gauche, qu'il faut admettre qu'elles se rattachent aux masses

musculaires. Ailleurs les ossifications se sont réunies secondairement aux os

comme dans le grand fessier à droite. A gauche une bandelette osseuse se

trouve dans les muscles abdominaux et offre une sorte d'articulation avec les

côtes ; à droite on constate une bandelette absolument libre au milieu des mus-

cles ; il s'agit donc d'une ossification primitivement intra-musculaire et qui

secondairement s'est réunie au squelette. La colonne vertébrale est ossifiée

jusqu'à la 7e vertèbre dorsale. Les disques intervertébraux étant conservés, il

peut se faire qu'il y ait synostose par ossification des ligaments interépineux.

Synostose des articulations du gros orteil et du pouce sans absence de pha-

lange. La synostose est moins nette à gauche et cette petite tubérosité qui s'est

réunie à la première phalange, me semble présenter la phalangette elle-même.

Ostéoporose de tout le squelette ; les néoformations osseuses n'en offrent pas.

Epaississement des mâchoires dû à des saillies qui en imposent pour des

exostoses, mais elles suivent les muscles et peuvent être considérées comme

des ossifications musculaires.

Ossifications libres dans le couturier,le rhomboïde gauches et le trapèze droit.

L'ossification du dos touche la colonne dans peu d'endroits, elle s'est réunie

secondairement au squelette. Bien qu'il y ait une atrophie considérable de la

musculature, on voit que les ossifications se sont développées dans l'intervalle

des muscles, qu'elles se sont réunies au travers des muscles par des pouts

osseux, qu'elles se montrent daus le tissu conjonctif intramusculaire.

OBS. XLIX. Pinces, Deutsch. Zeitsch sur Chirurgie, XLIV,

p. 179-240, 1897.

A... S..., homme de 25 ans, pas d'affection semblable chez les ascendants ni

rhumatisme, ni paralysie, ni goutte.

Ce malade n'a pas eu de rachitisme, a marché de bonne heure ; rougeole et

scarlatine bénigne. Raideur du pouce droit dès l'enfance.

A 13 ans chute sur le dos et consécutivement raideur, « il était tout autre »,

dit le malade, il croit avoir senti quelques endroits enflés et douloureux à la

partie supérieure du dos ; à 14 ans, 9 mois après l'accident, formation de deux

noyaux comme des glandes à la nuque : ils devinrent bientôt plus petits. A

cette époque raideur du cou, tête attirée vers la gauche ; quelques mois après

raideur tïlz grande à la région sacrée, il trébuchait souvent ; la raideur augmen-

tait après chaque chute. A 20 ans gonflement et raideur à l'épaule gauche

consécutive à plusieurs chutes. Le gonflement douloureux disparut bientôt

mais la raideur alla en augmentant s'accompagnant, de formation de noyaux

qui envahirent également le bras gauche. En même temps ou un peu plus tard,

xi 32

r2 A. WEIL ET J. NISSIM

atteinte de l'épaule droite avec les mêmes phénomènes et plus tard du bras

droit. Dès lors il tombait très souvent et plus il tombait, plus son affection s'ag-

gravait.

Extension de l'affection au dos et la région sacrée avec les mêmes phéno-

mènes de douleur et de gonflement. Tête attirée sur le côté. Après des pauses

plus ou moins longues, l'affection s'étendait toujours après un traumatisme,

chute ou coup. En juin 1892, douleurs aiguës au coude gauche et raideur consé-

cutive de ce dernier.

En 1894 chute sur le côté droit du visage ; consécutivement difficulté

dans les mouvements de la mâchoire, douleurs dans les muscles masticateurs

droits et, six mois après, la mastication devient très difficile. Des chutes fré-

quentes sur le visage entraînent l'obliquité, l'épaississement et la couleur vio-

lacée du visage.

En 1895 le malade se couchait et se levait assez facilement ; marchait diffici-

lement par suite de la raideur des hanches ; il ne pouvait pas s'asseoir sur une

chaise et montait l'escalier difficilement. Le bras et la jambe gauches n'étaient

presque pas mobiles, le bras et la jambe droits n'arrivaient pas a 90° au genou

et au coude.

Etat actuel 1897. Malade de taille moyenne, expression anxieuse, se

tient debout vacillant, penché en avant et sur le côté. La tête est attirée en avant

et sur le côté par la contracture du faisceau claviculaire du trapèze et par une

cyphose de la colonne cervicale il en résulte un torticolis gauche qui n'est pas

3xclusivement musculaire comme celui dû à la contracture du sterno-mastoï-

dien, car le menton n'est pas porté en haut et à droite.

Cicatrice sur le front sans ossifications à sa périphérie. Yeux normaux. Nez

oblique et épaissi ; au niveau de la fracture des os du nez on voit des pointes

osseuses. Stase veineuse très prononcée au nez, aux mains et aux extrémités

inférieures à partir du genou. Le malade ouvre légèrement la bouche ; la mâ-

choire inférieure est latéralement presque pas mobile. La mastication des pe-

tites bouchées se fait bien, la déglutition est normale. Contractions fibrillaires

du masséter droit à la mastication. A la partie supérieure du masséter droit se

voient quelques noyaux durs, arrondis ou anguleux de la grosseur d'une len-

tille a celle d'une noisette, au contact desquels on sent des contractions

fibrillaires intenses dues sans doute à une irritation mécanique. Le masséter

gauche est dur.

Flexion, extension et rotation de la tête presque impossibles ; l'empêchement

ne tient pas à la contracture musculaire, mais à des synostoses du squelette

cervical.

Toute la musculature du cou semble ne former qu'une seule masse garnie

de bandelettes osseuses. Saillie notable de la 7° vertèbre cervicale, tandis que

la Il' dorsale est située profondément. Des deux côtés de la colonne vertébrale,

surtout à gauche, on sent un épaississement périostique sans noyaux séparés.

La portion acromiale du trapèze est dure, fibreuse. Les muscles du cou, les

sterno-mastoïdiens, surtout la portion claviculaire du droit, sont fibreux. Exos-

tose comme une noisette sur l'extrémité externe de la clavicule droite. Tout

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 483

près d'elle quelques tubercules sur la face supérieure et le bord postérieur de

l'os. Omoplates fixées et pourvues de noyaux sur leurs bords. Les muscles sous

et sus-épineux semblent à droite atrophiés, à gauche traversés par des parties

dures. Deltoïdes en partie fibreux, en partie atrophiés, on trouve des pointes

osseuses dans le droit.

Bras dans l'adduction. On voit des masses osseuses tout autour de la région

axillaire, surtout dans le grand dorsal. L'abduction est possible jusqu'à 35°.

Diminution notable de la rotation dans l'articulation scapulo-humérale. La pro-

jection du bras en avant et en arrière est minime. La tension du biceps limite

les mouvements de l'articulation du coude. Flexion possible jusqu'à 130°. Doigts

et pouces normaux.

Le bras droit s'éloigne du thorax de 45° ; motilité diminuée dans les mou-

vements du coude : l'extension est possible, la flexion jusqu'à 100°. L'articula-

tion trapézo-métacarpienne est ankylosée, le pouce est un peu plus petit que la

normale ; ossifications à la partie postérieure du hras gauche, en partie fixées

à l'humérus qui est épaissi au niveau des insertions des muscles long dorsal et

grand pectoral. Ossifications dans quelques fléchisseurs et extenseurs de l'avant-

bras gauche.

L'ossification du grand dorsal empêche les mouvements du bras droit, les

autres muscles du bras sont normaux. L'épiphyse de l'humérus est hypertro-

phiée par ossification périostique.

Au thorax, le côté droit est plus proéminent que le gauche.

Le sternum est légèrement déprimé. Les parties latérales du thorax sont en

partie aplaties, en partie saillantes ; les parties saillantes sont dues à des dé-

pots osseux. Scoliose à gauche de la colonne cervicale, à droite de la dorsale, à

gauche derechef de la lombaire. Ni cyphose, ni lordose.

La respiration est abdominale, 20 respirations à la minute ; le type costal

n'est pas complètement détruit. La respiration fait voir quels sont les muscles

atteints et dans quel degré : le sterno-mastoidien gauche est libre, un peu moins

le droit. Les pectoraux des deux côtés sont pris.

Transformation osseuse des muscles du dos, ça et là quelques parties fibreu-

ses. La musculature du côté gauche est plus atteinte que celle de droite. L'os-

sification est marquée dans les muscles latéraux du thorax, surtout le grand

dorsal. Les ligaments de la colonne vertébrale et les apophyses épineuses sonl

transformés en une masse osseuse. L'ossification des muscles du dos va sans

interruption jusqu'au sacrum. Le fascia lombo-dorsal avec les muscles sous-

jacents sont transformés en une masse s'étendant jusqu'à la moitié de la crête

iliaque. Cette ossification va probablement jusqu'au carré lombaire. '^Partout à

la limite des masses osseuses on constate des contractions fibrillaires. Celles-ci

sont surtout marquées dans les fessiers qui, au niveau de la crête iliaque,o(Trent

des bandelettes osseuses, partout ailleurs ces muscles sont atrophiés.

Le bassin est dévié vers la gauche ; il y a épaississement du grand trochan-

ter. Saillie de la symphyse sacro-iliaqne des deux côtés. Dans le fascia lata droit

se voit une masse osseuse. De même à gauche. Mouvements du genou limités.

Genu valgum à droite de 160°. Par suite du genu valgum et de l'ankylose des

484 A. WEIL ET J. NISSIM

hanches en légère abduction, les pieds restent éloignés de 25 centimètres.

Flexion de la cuisse sur le tronc de 170°.

Une légère flexion est possible dans le genou droit.

Articulations Libio-tarsiennes normales. Microdactylie des gros orteils. La

pointe du gros orteil s'arrête au niveau de la première articulation du 2° ; il y

a vraisemblablement atrophie de la première phalange; atrophie vraisemblable

de l'articulation interphatangienne.hattux'valgus congénital. Ossification puis-

sante de la cuisse droite, on a la sensation d'une tumeur périostique réunie

plus tard à une ossification musculaire. Partie du grand trochanter, la tumeur

suit en partie la direction des fibres, en partie elle les croise; elle soulève les

muscles de la partie supérieure et externe de la cuisse. Circonférence à ce

niveau 44 centimètres, 36 seulement à gauche. Les muscles sémi-membraneux

et semi-tendineux sont ossifiés jusqu'à mi-cuisse.Les adducteurs sont contractu-

rés et dégénérés. Résistance des gastro-cnémiens droits. La tête et la face ex-

terne du péroné sont hypertrophiées dans différents endroits. Le trochanter

gauche est raboteux. Au-dessus et au-dessous des exostoses de 2, 3 centimè-

tres. La jambe gauche est libre indépendamment des hyperostoses des tibias,

des péronés et d'une dureté des muscles extenseurs.

L'électricité faradique donne une contraction à peine sensible dans les mus-

cles dégénérés. Les muscles peu atteints et ceux qui semblent sains réagissent

plus paresseusement qu'il l'état normal, particulièrement s'ils se trouvent dans

le voisinage des masses osseuses. La réaction est bonne dans les muscles de

la mimique, de l'avant-bras et de la cuisse.

Analyse des urines en 1892 : Diminution des sels calcaires.

Un morceau d'os enlevé au semi-membraneux a donné du tissu osseux à

l'examen microscopique.

Ons. L. D. BoKS, Berl. klin. Wochensch., 1897, nos 41, 42, 43.

Fille de 2 ans et demi ; né en 1892 par le sommet normalement ; ni syphi-

lis, ni alcoolisme dans les antécédents héréditaires.

A 6 mois, la tète était penchée vers la gauche, et deux noyaux se montrèrent :

à la nuque et au bras droit, ils disparurent sans laisser de traces,

En juillet 1893, chute et formation consécutive de deux tumeurs il l'occiput

à droite et au bras droit. Cette dernière disparut spontanément, l'autre après

application de teinture d'iode. Plus tard formation de trois autres, à l'occiput

il gauche et au dos, à droite et il gauche ; elles disparurent spontanément.

Au printemps 1894, chute sur le bras droit, gonflement de ce dernier et

consécutivement raideur plus grande. En novembre, chute sur le bras gauche,

gonflement de ce dernier, fièvre, douleurs, application d'un bandage plâtré et

raideur consécutive du bras, plus grande qu'à droite. Pas de fracture.

Depuis 1895, plusieurs noyaux, dont deux consécutifs à des chutes sur le

dos et à la nuque.

Etat de l'enfant le 13 juin l8J,i. Tête penchée il gauche, en rotation à droite ;

flexion et rotation très diminuées ; muscles de la mimique, et masticateurs

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 4>J5

normaux. Muscles sterno-mastoïdiens tendus. Un petit noyau sur la portion

sternale du gauche et un autre sur la portion claviculaire du droit.

On constate 7 petits corpuscules dans le muscle grand oblique abdominal

droit. Cyphoscoliose gauche, lordose de la colonne lombaire. Résistance plus

considérable des masses sacro-lombaires. Une grande partie des muscles de la

nuque et du dos sont plus durs que normalement; d'autres muscles du tho-

rax sont très atrophiés.

Sur l'épine de l'omoplate droite tumeur grosse comme un oeuf de poule. La

musculature de la partie moyenne de la fosse sus-épineuse est dure ; fosse

sous-épineuse également dure.

Mouvements des bras à l'épaule droite diminués : le bras s'éloigne du tronc

de 39° ; il ne peut pas être porté en arrière ; rotation très diminuée.

Deux lames osseuses dans la paroi antérieure de l'aisselle, l'interne libre,

l'externe réunie à l'humérus ; adduction et abduction du bras très diminuées.

Ossification de la paroi antérieure de l'aisselle gauche, s'étendant jusqu'au

thorax et envoyant dans le bras une bande osseuse jusqu'au pli cubital, immo-

bilité sur l'épaule gauche.

A droite, au-dessus du mamelon droit se voit une petite tumeur qui se réu-

nit par une bandelette avec la plaque interne. Une bande mince, dure, occupe

la région bicipitale et se prolonge dans le creux axillaire. Un petit noyau os-

seux dans le grand palmaire.

A gauche, mouvements du coude limités ; extension possible 135°, flexion

35°. La main peut être portée à 3-4 centimètres au-dessus du mamelon droit ;

le bras ne peut être porté en arrière. Une petite tumeur osseuse située au-

dessous du mamelon gauche se réunit à la lame axillaire. La résistance des

muscles de la paroi antérieure du thorax est augmentée, idem de la longue

portion du triceps brachial.

Résistance très grande du fléchisseur superficiel des doigts. Le pisiforme

semble plus gros qu'à l'ordinaire; un petit noyau semblable dans le tendon du

grand palmaire. Atrophie des éminences théuar et hypothénar. Le coude flé-

chisseur du pouce contient un petit noyau dans son tendon.

Mouvements des extrémités inférieures normaux. Exostose sur la face in-

terne du tibia droit; idem à gauche; exostose un peu au-dessus de la tête du

péroné droit ; malformation congénitale des gros orteils. Ils sont petits, en

valgus. Le droit est encore plus petit que le gauche. La première phalange

semble manquer.

Le tronc est raide. '

Les autres organes sont normaux ; rien dans les urines.

Le %0juin. Résection partielle du grand pectoral gauche. A l'aisselle, le

muscle se montre ossifié à sa partie profonde, normal superficiellement ; ré-

sultat : uu peu de mobilité à l'épaule gauche.

Le 21 janvier 1896. -- Fièvre 38°2 C le matin, perte de l'appétit, gonfle-

ment à. la région inférieure du sterno-mastoïdien droit, extension du gonfle-

ment à tout le muscle les jours suivants, oedème dans toute la région du ster-

num à la mâchoire. Rougeur de la peau.

4$6 A. 'WEIL ET J. NISSIM

La température revient à la normale le 1er février. Le 3 février élévation

nouvelle de la température et formation d'une tumeur somhlablo au côté gauche

du cou.

La consistance de la tumeur augmente avec le temps ; on sent maintenant

une tumeur dans chaque sterno-mastoïdien. Depuis, chute, fracture de l'humé-

rus gauche rapidement guérie.

Mort le 18 mars 1897 de scarlatine. - '

Dans ses derniers jours, ankylose du genou droit et des douleurs à la région

fessière du même côté. -

Examen microscopique de la pièce enlevée : tissu osseux normal. Quelques

préparations montrent le passage du tissu fibreux au tissu osseux et la trans-

formation des cellules conjonctives en corpuscules osseux.

Observation Lf. - 13URGGnfIOUT, Thèse de Leyde, 1898.

Le malade est âgé de 40 ans, issu de parents bien portants, né à terme nor-

malement. Aussitôt après la naissance les parents ont déjà observé que l'épaule

gauche de l'enfant était immobile et que son gros orteil était plus court que

les autres orteils. Pas d'anomalie semblable chez les ascendants. L'enfant a

appris tard à marcher. A six ans, il fréquentait l'école, mais il boitait par suite

d'un raccourcissement de la jambe droite avec pied-bot varus équin.

A 14 ans raideur des genoux et des hanches, raideur du dos ; il marchait

courbé. Il essaya plusieurs métiers : laboureur, berger, et, plus tard, quand il

ne pouvait plus marcher : cordonnier et tailleur, métiers qu'il dut abandonner

également. La raideur augmentait de plus en plus ; de temps en temps on cons-

tatait des accès de douleurs avec ou sans tuméfaction locale et consécutivement

une accentuation de la raideur. Un soir il fumait sa pipe lorsqu'il sentit une

violente douleur au niveau de la mâchoire inférieure, sous les oreilles. Ces

régions étaient tuméfiées, le malade croyait avoir les oreillons-; mais depuis il

n'a jamais pu ouvrir la bouche (PI. LI).

Depuis plusieurs années, il est dans le même état, passant son temps au lit

on sur une chaise et se faisant aider daus tous ses besoins. En 1897, le malade

offre le tableau typique d'un ossifié. Presque toute la musculature de la nuque,

de la poitrine, du dos et des bras est ossifiée on dégénérée. Les muscles des

jambes sont plus ou moins atteints ; les fessiers, le quadriceps, les adducteurs

offrent des masses osseuses. Autant que l'état des muscles le permet, les arti-

culations sont mobiles. Muscles de la face normaux.

Gros orteils et pouces plus courts que la normale.

L'excitabilité faradique et galvanique des nerfs normale, celle des muscles

est diminué et un rapport avec l'étendue de l'ossification.

Glycosurie alimentaire.

[ Le cas de M. l3uncnIIOUT est, avec celui de BOCKS, le deuxième observé en

Hollande.

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 487

M. Burgerhout a bien voulu nous remettre une note sur ses recherches per-

sonnelles publiées en hollandais.

Il établit une fois de plus que les tissus atteints par l'ossification (muscles

striés, tissu conjonctif inter et intra-musculaire, squelette) sont ceux qui déri-

vent du feuillet externe du mésoderme, de la somatoplèvre.

En effet, les muscles striés se développent aux dépens de la partie interne des

segments primordiaux dont les cellules s'allongent sous forme de lamelles char-

gées de fibrilles musculaires ; les lamelles musculaires se segmentent, elles-

mêmes, plus tard, pour former les lIw1nèl'es.

Le système osseux, atteint lui-même dans la myosite ossifiante, dérive de la

partie inférieure et antéro-interne des segments primordiaux, du sclérotome ;

quant au tissu inter et intra-musculaire, il se développe aux dépens des cellules

migratrices de la somatoplèvre. Au contraire, la musculature lisse du tube di-

gestif et son tissu conjonctif qui dérivent sont tous les deux des cellules migra-

trices de la splanclinopièvre, respectés par l'ossification.

En un mot, seul le tissu conjonctif,développé aux dépens de la somatoplèvre

s'ossifie, que ce tissu conjonctif forme la charpente de la musculature striéeou

se calcifié pour former le squelette, peu importe.

En outre, chez les ossifiés, le sclérotome a un peu perdu de sa propriété à

produire des métaméries, d'où les anomalies congénitales que ces malades

offrent presque constamment.

M. Burgerhout a fait de consciencieuses recherches sur la nutrition des ossi-

fiés et il n'y a constaté aucune déviation du type normal. 11 a soumis son ma-

lade à un régime alimentaire spécial pendant deux périodes de six jours,séparées

par une troisième de trois jours de jeun durant lesquels le malade n'a pris que

de l'eau. Pendant ces quinze jours, il a analysé les fèces et les urines au point

de vue des CaO, Pln'03, MgOCl, etc., ctc. et il est arrivé aux résultats sui-

vants : Pendant la période de jeun, les frais d'entretien du malade sont fournis

par le tissu le plus répandu dans son organisme, par le tissu osseux, aussi

durant la dernière période de six jours, ou période de reconstitution, il absorbe

surtout les éléments nécessaires à la reconstitution de son tissu osseux. Il est

arrivé ainsi aux conclusions de Munck d'après lesquelles l'augmentation de la

sécrétion des phosphates est en rapport avec la destruction du tissu osseux et

contrairement à l'opinion plus anciennede Zuelzer qui rend le système nerveux

responsable de cette augmentation.]

CONCLUSIONS

M La myosite ossifiante progressive est une affection de tout l'appareil

locomoteur ; elle se caractérise par le dépôt de masses osseuses dans le tissu

conjonclif des muscles, dans les tendons, les aponévroses, les ligaments et

les os ;

'.488 ' A. \VI',lL E'r J. NISSIlIi , ,

- 2° Anatomiquement,la maladie de Munchmeyer offre trois stades : stade

d'infiltration embryonnaire, stade d'induration fibreuse et stade d'ossifica-

tion ; cliniquement, ces trois périodes sont moins distinctes, elles se confon-

- dent successivement l'une dans l'autre ; : f ." .1 "

3u La myosite ossifiante peut se montrer à un âge avancé, mais elle est

'surtout fréquente dans l'enfance ;

4° Elle est plus fréquente chez les garçons que chez les filles, dans la pro-

portion de trois pour une;

5° Les races germanique et saxonne sont plus prédisposées que les au-

,tres ;

6° La myosite ossifiante progressive semble provenir d'une lésion des

centres nerveux; le processus ossifiant constitue un trouble trophique par-

ticulier ;

7° Le début de la maladie se présente sous deux formes distinctes, il -1

est aigu avec léger mouvement fébrile ou chronique d'emblée;

" 8° La maladie débute en général par la nuque ou la partie supérieure du

clos :

- 9° Elledétermine secondairement l'atrophie des muscles ; elle ankylose

les articulations dont la position est régie par l'action des muscles les pre-

miers atteints;

- 10° Il est des muscles qui sont très fréquemment envahis par les ossifi-

cations (dos, nuque, poitrine, etc.), d'autres le sont rarement (paroi abdo-

minale), quelques-uns le sont exceptionnellement (muscles de la mimique,

du pharynx, etc.),enfin il en est qui ne le sonl jamais (coeur, diaphragme,

sphincters) ;

lie L'affection offre un épaississement de tout le système conjonctif de

l'appareil locomoteur ; .

12° Elle progresse par poussées aigués entrecoupées de pauses apparen-

tes plus ou moins longues. Les traumatismes jouent un certain rôle dans

l'éclosion des poussées, de même qu'ils déterminent parfois la localisation

des premiers phénomènes de la maladie ;

DE LA MYOSITE OSSIFIANTE PROGRESSIVE 489

13° La myosite ossifiante progressive s'accompagne très souvent d'une

anomalie congénitale (microdactylie, absence de phalanges, ankylose des

doigts ;

1) ,

14° Le traitement médical est nul ; le traitement chirurgical au début

reste sans résultats éloignés, la récidive de la tumeur est la règle.

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CHARCOT ARTISTE

Charcol a sa statue de\ant la Salpèll'ii'l'e.

Cette oeuvre a des qualités : elle est majestueuse : ou y reconnaît le

talent (l'un sculpteur de liait[ -

à à la postérité un souvenir exact de Charcot ?

()lli, )10111' ceux qui n'onreu de sa personne qu'une impression fugi-

tive. Leur critique ne portera guère que sur des détails accessoires : la

position bizarrement contournée du cadavre donl Charcot montre le

cerveau, l'exiguïté du socle, la disproportion entre le monument Cl

la porte voisine, etc ? crreu ! 'sregrettuotcsevi< ! e)niucut. et qui nui-

sent à la valeur de l'oeuvre. Mais, dira-t-on.'la statue du Maître, revêtu

de ses insignes, perpétuera sa mémoire. Elle remplit SOIL hut. Elle

ne manque, après tout, ni de dignité, ni de grandeur.

Ceux qui ollllllielix COll1l11 Cltal'col, ceux surtout qui l'ont fréquenté

dans son intimité, expriment cependant une inquiétude : devant celle

image de bronze, beaucoup ne se méprendront-ils pas Mir la ligure el le

caractère du personnage ? ...

[',il masque aux traits durs, aux contours anguleux, étrangement

asymétrique : est-ce bien là Cbarcol. tel qu'on peul encore se le rap-

p('II'I' ? ,1\"a-l-oll pas exagéré les ligues du visage sans en faire ressortir

l'expression imposante ? Pourquoi faut-it aussi déplorer que des doigts

trop grossiers d(\nallll'c1l1 le souvenir d'une main il l'élégance vrai-

ment patricienne ? . -

On se demande enlin si la pompe surannée de la robe professorale ne

fera pas oublier la grande simplicité de l'homme. Charcot. en effet, il

53

490

l'hôpital commc à la ville, se montra toujours ennemi des dehors

apprêtés. Aurait-il approuvé ce costume officiel ? ,

Celle ligure, plus symbolique que réelle, conduit, par un juste retour,

à évoquer des souvenirs moins grandioses, mais certainement plus pré-

cis. On se rappelle Charcot intime, très simple, cependant très grand,

ct combien le même homme qui dédaignait l'apparat était profondé-

ment épris du décor, dans le sens le plus esthétique de ce mot.

Alors aussi on revoit Charcot artiste. -

C'est justice que l'on connaisse les dons merveilleux qu'il avait pour

toutes les choses de l'art. Il ne se montra pas seulement fin connais-

seur, critique candit et avisé; il mania lui-même le crayon et le pin-

ceau avec une réelle habileté. Plusieurs albums sont remplis de ses

dessins personnels. Ils ont aujourd'hui une saveur inattendue.

Son fils, sou élève, Jean Charcot,. pieux héritier de ces souvenirs,

a judicieusement compris qu'ils ne pouvaient rester-ignorés. Il a permis

d'en faire revivre ici quelques-uns. Tous ceux qui ont été admis dans

l'intimité de son père lui sauront gré d'un témoignage si naturel de

vénération filiale.

Comme son oeuvre de science, l'oeuvre iconographique de Charcot ne

doit-elle pas être mise en lul1lil'l'c ? Assurément oui, car ce n'est pas

une des moindres raisons de sa fortune scientifique que d'avoir su

mettre au service de ses études médicales le tempérament d'artiste don

il était naturellement doué.

Charcot, semble-l-il. tenait ses aptitudes artistiques de son père,

qui, dans son métier de carrossier, savait trouver de très ingénieux

motifs d'art décoratif.

Un souvenir de famille rappelle la précocité doses dispositions pour

le dessin.

11 y a soixante ans environ, le père de Charcot, comme le labou-

reur de la fable, réunit ses enfants : -

Il Vous yoilù, leur dit-il, en âge de choisir une profession. Mes rcs-

sources ne mc permettent pas de vous faire continuer vos études clas-

siques. Je peux faire ce sacrifice pour un seul, mais non pour tous. Et

voici ce que j'ai résolu : 1

, « Toi, Martin, tu seras carrossier comme mui. et tu prendras plus

lard la suite de mes affaircs. -

« « Toi, tmilc, III l'engageras dans l'armée : [il peux y espérer un

Vrillant avenir. Ton frère Eugène sera marin, puisqu'il aime la \ic

'aventures.

- - 101

« Quant à Lui, Jean, comme tu as de grandes facilités pour le dessin,

si lu le veux, Lu seras peintre; mais, comme aussi tu es bon travailleur,

si tu le préfères, lu termineras les études, et tu seras médecin. »

Les trois premiers enfants n'eurent qu'à s'incliner devant la décision

paternelle..Mais, au sujet du dernier, la discussion s'engagea : devait-il

oplcr pour la médecine ou pour la peinture ? '

11 apparaissait également doué pour l'une on l'antre carrière. La-

borieux et réfléchi, il ne pouvait manquer de mener il bonne fin des

études scientifiques. D'autre part, il avait déjà donné des preuves mani-

festes de vocation artistique. Longtemps, sur celle alternative, la fa-

mille discuta. Finalement, t'intéresse deciffa qu'il préférait la médecine.

L'avenir devait justifier ce choix, au delà de toute prévision.

A dix-sept ans, Charcot dessinait donc. Il reste de'lui quelques cru-

quis au crayon, datant de cette époque, où l'on devine, malgré d'inévi-

tables impérities de facture, une tendance évidente à saisir vite et bien

les grandes lignes d'un ensemble. Paysages naïfs, mais témoignant déjà

d'une sûreté de main peu commune et d'une rare justesse d'observation.

Ces qualités devaient trouver leur application à la médecine. Elles

allaient être directement utilisées pour la reproduction des pièces anato-

miques, pour fixer le souvenir d'une préparation microscopique, enfin,

en clinique, pour faire ressortir telle ou telle anomalie morbide de

l'habitus humain.

Envisagé d'une façon générale, le dessin de Charcot est toujours

synthétique. C'est même, le plus souvent, un véritable schéma; mais ce

schéma n'a rien d'artificiel, chaque ligne y résumant un faisceau de

lignes naturelles. De ta l'impression de la vérité, souvent même de la vie.

La faculté de discerner dans un paysage ou sur le corps humain les

contours essentiels, de percevoir instantanément un ensemble, d'isoler

dans cet ensemble les éléments nécessaires Ü son expression. et ceux-

ci seulement, au mépris de Ions les accessoires, celte faculté, Char-

cot la possédait au plus haut degré.

Médecin, il en a donné d'éclatants témoignages.

Dans son oeuvre, l'cr ? de synthèse est partout : En anatomie pa-

thologique, il voit les grandes divisions, les larges groupements, toute

l'harmonie d'un organisme. D'un seul regard, il embrasse l'architec-

ture du lobule hépatique ou pulmonaire. Avec le microscope, il em-

ploie toujours les faibles grossissements : trop de détails nuiraient à

la saine perception de l'ensemble.

- - HJ2 ?

Svuthèse aussi sa ronceplion physiologique du fouctiouuemcutcerc-

Imal, wnllusc surtout sa syslémalisalion de la lllOCllc, s\lIthl'C" ('111111

toutes ses créations cliniques. Les cas particuliers se fusionnent à ses

CIlX. Cil 1111 Iypc \llIiqllC, CXPI'CSSiOll \ i\alltc d'lIllc eillilé lIosogl'aphi'l"e.

I;el-oc pa)'prH)ci[)cqnittaissedcct')t61cs anomalies du type ainsi

()[c.pu) ! t'h)n( ! rcpIns('tai ! '0)im))tc)tvat<')))',<HtLcar<)))pC ? h)s

lard autour de ce dernier toute une série de formes el de variétés se-

(,olldaircs ? Ce procédé lui est il seulement* inspiré par les exigences de

l'cnscibucmcnl ? ( : crlcs, lumr inslmnirc il n'en existe pas de meilleur.

\lais Clarcul, un la w, csl, lar naUrc, cmlin a lt s\IllllcsC. II lail : -llrlOlit Ü 1111 pellchanl illll(". pl OIl\CIII. dall sc nlcs d'clIell¡]¡[e, In'il-

lent encore des éclairs de génie.

A)'ai(11 ! 'c. certains de ses dessins ne sonl pas d'une exécution im-

peccable. r/le critiqllc de leurs incorrections paraîtrait aujourd'hui

aussi injuste ync léllamec : (;IarcU n'ulail pas un dessinateur « pro-

fessionnel ». En outre, ses croquis ne devaient être revus (pie par lui-

même ou par son plus proche entourage. Vouloir y relever telle ou

telle défectuosité de facture serait aussi absurde que de reprocher il

Charcot telle ou telle irrégularité dans les caractères graphiques de son

écriture. '

Pour lui. « visuel » incomparable, le dessin 11('lail qll'llii 1l1OYCli de

traduire sa pensée. De même qu'au cours de ses leçons cliniques on

le voyait parfois remplacer la parole par la mimique pour exprimer plus

clairement une idée, de mèmc il utilisait indifféremment le dessin ou

l'écriture pour mieux graver les souvenirs, aussi bien dans son esprit

pie dans celui de ses auditeurs.

Admirable diversité d'aptitudes a tirer parti de Ions les modes d'exte-

riorisation de la pensée !

HcpodollS-ll0llS au temps où la Salpêtrière l'('plelldi ? ail de l'en soi

ncmcul lc Cliaroul.-

Sa parole était sobre el précise. Jamais, dans sou discours, il ne lais

sait échapper un ternie superflu. Les mots arrivaient à leur 'place

posément, nettement, avec sécurité. Il écrivait de même, en une langue

puissante, sévère, châtiée, riche en images, niais surtout d'une ('1011

lia Il le darlé.

' Au verbe, il ajolilaiL pad'ois le gc"lc, ('11('01'(' 1]11(' d(' 111011\'CIIICIiLs ola-

loircs il se montrai fort ménager. Cependanl. comme rien ne lui pa-

raissait négligeable de tout ce qui pouvait pénétrer dans l'esprit par les

yeux, il ne parlait jamais (1*11 il malade sans le présenter it son auditoire,

m -- 1

il ne décrivait jamais un symptôme sans le faire, en même temps, -

constater de visu.

(Jetait, une innovation. Il n'en fallait pas davantage pour qu'on traitât

d'exhibitions théâtrales les séances qu'il consacra a l'élude des manifes-

tations convulsives de la grande hystérie. Insinuation erronée, pour ne

pas dire malveillante, qui ne trouve d'excuse que dans l'ignorance de

ceux qui ont lancée. Cbarcot faisait comparaître à ses leçons cliniques

toits les malades qui en étaient l'objet. Paralytiques,

Vertigineux, JI yopat hiq lies, iiascdowiens..Myxoe<tcn)aLen\, Trembleurs

ou Neurasthéniques, apparaissaient a tour de rôle pour les besoins de

la démonstration. Fallait-il créer une loi d'exception concernant les

Hystériques ? ' !

L'importance (pie Charcot attachait à l'élude visuelle était telle, que,

parfois, il if hésilail pas à se se départir de son habituelle réserve, pour

donner lui-même le spectacle de la maladie.

Ceux qui l'ont vu alors se souviennent de ces démonstrations animées

où le professeur eu personne simulait les anomalies corporelles des

malades qu'il ne pouvait montrer à l'auditoire : l'asymétrie du visage

dans la paralysie faciale, les différentes démarches de l'hémiplégie, la

fcstillaliol et la raideur figée des Parkinsoniens, les grimaces des Cho-

reitptcs. les gesticulations des 'liqueurs et toutes les variétés du trem-

flement. Quiconque ..hait assisté a t'nne de ces séances de pathologie

en action conservai ! 1111 souvenir ineffaçable du fait. clinilll1e scrllpuleu-

senieutmime.

Mais, aux x cnseigllcmenls du geste et de la parole. Charcot préférait

encore ceux que l'image peut ajouter d'elle-même. El c'est là surtout

que l'artiste en lui se révèle. '

Qu'il s'agisse d'analoinicpure, d'histologie normale ou pathologique,

d'observation clinique" ou d'un chapitre de nosographie, toujours une

page imagée vient illustrer la démonstration de Charcot.

Il ne lui suffit pas de décrire la structure du foie, des poumons, des

reins, il faut qu'il en donne aussi le dessin. Aborde-l-il l'élude du cer-

veau et ses localisations corticales, il n'a de trêve que le jour où il par-

vient il traduire ses idées sous la forme d'un schéma, ce fameux

schéma qu'ont reproduit tous les ouvrages didactiques.

On conserve le pieux souvenir des longues nuits qu'il consacra il des-

siner les ligures relatives aux dilférenles variétés de l'aphasie. Un

soir, absorbé par uu laborieux effort, il avail machinalement tortillé

autour de son index une mèche de ses cheveux, de si inextricable ma-

nière qu'il fallut couper toute la mèche pour libérer le doigt. Petite

mésaventure qui, sur le moment, le contraria fort, car elle inlcrrom-

. - AV't

paille travail, mais qui, plus tard, le faisait sourire, quand on la lui

rappelait. ,

Les cours de la Salpêtrière fournirent il ClIal'cul l'occasion d'utiliser

de façon magistrale son goût pour les repré-

sentations figurées ? Le tableau noir et les

craies de couleur étaient les accessoires in-

dispensables de ses démonstrations. En quel-

ques traits, en quelques hachures, il objccli-

vail l'idée : et regarder, c'était comprendre.

.\\ait-il besoin de recourir aux notions

fondamentales d'analoniie, il faisait dessiner

par ses élèves des planches murales aux traits

ucenLnés, aux couleurs vives et. frappantes.

Voulait-il exposer, dans- une de ces des-

criptions panoramiques dont il avail le secret,

les liens de parenté et. les caractères dif1'p-

rcntietsdes maladies systématiques, toutes

ces relations devenaient apparentes sur un

vaste tableau synoptique que le spectateur

cnlhl'assaiL d'lIll cuup d'oeil.

Pour son (envie, tonte d'(J\¡scl'\'31 iOIl vi-

suei ! c. comme pour son enseignement, qui

s'adressait de préférence aux yeux, Charcot

si 1 1 utiliser à merveille les aptitudes de ceux

qui l'entouraient.

Ayant remarque que 1 un de ses élevés possédait un tempérament

artistique plein de promesses, allié à de rares qualités de travail el de

méthode, employa souvent son concours.

Paul Richer mil ainsi son talent au service de la neuropalhologie.

Par son crayon, par sa plume, par son burin, il se fil l'illustrateur de

la grande névrose, le dessinateur de toutes les difformités corporelles

d'origine névropalliique. Pour mieux faire saisir les anomalies du corps

humain, il entreprit, tâche considérable. de décrire et, de repré-

senter l'aiialomie des formes extérieures de l'homme sain. Mais Nicher

est aussi sculpteur : et voilà que, pétris de sa main, des masques, des

statuettes, reproduisant d'après nature les malformations de la patho-

logie, sont venus opposer leurs véridiques horreurs à ce canon de la

Beauté huniaine dont l'Art et la Science étaient déjà dotés.

La ne se bornent pas les bienfaits de cette collaboration fructueuse.

Charcuta a ln la Salpèliïèrc.

19 j

Un jour, Charcot se trouve en face d'un tableau de Rubens, repré-

sentant la CMe)'<soH d'une Possédée. Une ressemblance le frappe* :

celle malheureuse aux cheveux épars, renversée sur le dos, les reins

cambrés, le cou saillant, la bouche grimaçante, les yeux convulsés et, la

langue Urée de travers, n'est-ce pas le portrait- réaliste d'une de ses

malades de la Salpêtrière ? Si vraiment. Et il semble que Rubens

aiL peint, d'après nature, une des phases les plus dramatiques de

la grande attaque d'hystérie. Mais ce tableau de nuhens n'est pas seul

eu son genre. N'y aurait-il pas à moissonner de curieuses observations

rétrospectives parmi les monuments figurés du passé ? Quelle intéres-

sante collection de documents cliniques en images !

Ainsi pensa Charcot, et. de concert avec Paul Richer. il commença

à rassembler ce mémorable dossier dûs figurations artistiques inspi-

rées par la pathologie qui s'appelle les Démoniaques, les Malades

cl les Difformes dans (.11'1.

Il faudrait des pages et des pages pour dresser le bilan de toutes les

innovations que Charcot introduisit Ü la Salpêtrière. et qui témoignent

de sa prédilection pour tout ce qui est capable de parler aux yeux.

- C'cst la photographie qui, sous l'habile direction d'Albert Londc,

devint un précieux adjuvant des recherches et des démonstrations cli-

niques : photographies de malades, de -préparations microscopiques,

« instantanés », projections lumineuses, dont la nouveauté et l'heureuse

application attirèrent tant de visiteurs, français ou étrangers.

C'est la « Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière », destinée Ü répan-

dre dans le monde médical toutes les 'curiosités neuro-pathologiques

passées en revue dans l'année, et au service de laquelle Gilles de la Tou-

relle el Paul Richer ont consacré tant d'efforts scientifiques et artisti-

ques.

C'est le Musée de la Salpêtrière, -chaque jour enrichi d'une pièce

anatomique. d'un moulage, d'une peinture, d'un dessin....

C'est ce cabinet même où Charcot, entouré d'un service laborieux et

discipliné, examinait les malades venus de tous les coins de l'univers.

Sur les murs, tristes et nus avant son arrivée, peu à peu avaient pris

place les reproductions de toutes les trouvailles artistiques relatives à

l'hystérie. la ces documents esthétiques accrochés à la muraille réjouis-

saient l'oeil du maître, adoucissaient peut-être les inquiétudes des

patients, mais il coup sur donnaicnl a ce local exigu et modeste une

ampleur surprenante, d'où, nécessairement, découlait le respect.

C'est là que. pendant près de vingt ans. défilèrent tant de lamenta-

bles victimes des infirmités humaines. Charcol en passait lui-même la

revue.

- - -'t'J<)

Alors, on pouvait apprendre rad d'observer. Il recommandait de

chercher d'abord à saisir les « grandes lignes », les « gros SYIIIP-

tômes n. Foill des menus détails, du moins pour le début. Regarder,

regarder encore, regarder toujours ; c'est ainsi seulement que l'on ai--

rive à voir.

Aussi proclamail-il très haut l'importance qu'il y a pour le médecin

il connaître la forme corporelle el la nécessité d'éludier le au vivant,

aussi bien le nu normal que le nu pathologique.

Un grand nombre de malades étaiellt examinés dans le plus simple

appareil. Le regard pénétrant de Charcol s'arrêtait sur les moindres

anomalies corporelles; il en prenait note, réfléchissait, faisait venir

un autre sujet, le comparait au précédent, en appelait un troisième,

l'l'CUIl1111(,II>ail le lendemain, au besoin les jours suivants, et, de celle,

observation minutieuse,visue))e surtout, - résultait souvent une

découverte précieuse, parfois même la révélation (l'une maladie in-

connue jusqu'ici. '

L'artiste, qui, chez allait de pair avec le li'élait pas

étranger ces trouvailles heureuses.

Ainsi, sous son inspiration, vit-on alors à la Salpèll'ii'l'c une el11ol'l\-

cence artistique qui jetait sur la science un lustre inusité.

Si l'influence qu'oui exercée les qualités artistiques de Charcot sur

ses éludes et-sur son enseigneineiiL est digne de remarque, intérêt

est plus grand encore de voir l'UlillneliL jl mil eu pratique ses disposi-

tions natives pour le dessin.

Eu plus d'une circonstance, il montra qu'il élail eu mesure d'em-

ployer indifféremment, pour

traduire sa pensée, ou bien

l'écriture littérale, un bien

une sorte de langage hiérogly-

phique. '

Dans les lettres qu'il écri-

vait à sa famille, ou à quel-

ques intimes amis, il inlcn-

calait souvent des croquis à la

'plume, destinés à remplacer

une trop longue description.

ce « jeune utminiois et sa peine SCCII ! ' », si piteusement mnscraum,

en leurs loques frangées, sont arrivés d'Irlande il la fin d'une lettre

Croquis extrait d'une lclliv de Charcnt.

(Voyage eu Irlande.)

z Wi - -

ematftec de noinlireux dessins. Mieux qu'une page écrite, ils évoquent

la vision des détresses errantes dans les rues populeuses.

Quelquefois même le dessin de Charcol n'était qu'une sorte de

calembourg iconographique.

Témoin IUle \ igllellc quïl répéta plusieurs Ibis en tête de ses lettres,

pour indiquer l'adresse de son premier appartement. Un y voit un coq

qui vient de pondre six oeufs marqués d'un A. Tradlliscz : 0. Avellue

du Coq. Plaisanterie graphique à la manière des rébus qui montre une

vive tendresse pour l'écriture en images.

A l'époque désastreuse que traversa la France, en 1870-1871, les let-

tres de Charcot vibrent d'un patriotisme ardent. Alors aussi ses dessins

révèlent ses secrètes aspirations. Sur l'un d'eux, on \oit le coq d'un

clocher de village, la crête couverte d'un bonnet phrygien. « Je pense,

)iL-on au-dessous, que le cor/ gaulois est définitivement cuillë d'un petit

bonnet significatif. »

El ¡'Cill aulrcs e : oelllplcs, remontant à des époques diverses, mais qui.

tous, sont des témoignages d'une aptitude singulière à fixer les impres-

sions visuelles par le dessin.

Celle « mémoire des -yeux ». que Charcot avait excellente, lui était

d'un grand secours pour composer, à l'occasion, certaines fantaisies

artistiques. Ce fut un de ses délassemclils favoris, une façon pour lui

d'extérioriser ses rêveries, bien qua vrai dire il s'abandonnât rare-

ment aux rêves. Son travail absorbait tout son temps, et son imagination

contenue par uue discipline méthodique uc sc lrcrmcltait que de timides

('caris, aussitôt refrénés par un vouloir opiniâtre.

Cependant, l0111 en poursuivant le cours de ses réflexions, il lui arri-

vail parfois d'abandonner sa plume aux impulsions graphiques qui

lui étaient naturelles. Alors apparaissaient, presque à son insu, des

compositions faites de souvenirs inconsciemment évoqués et qui, SpOI1-

tanément, se matérialisaient sous forme d'images plus ou moins précises.

Les plus nombreuses et les plus curieuses datent du temps des cxa-

mens d'agrégation, où, tout en écoutant d'une oreille attentive les le-

çons des candidats, Charcot couvrait le papier posé devant lui de rapides

esquisses, l'une dans l'autre enchevêtrées. Tantôt un paysage, tantôt

un personnage, tantôt un dessin d'ornement.

La fantaisie de ces dessins n'en exclut pas les qualités artistiques.

Les paysages sont d'une habileté surprenante. Les lointains surtout y

sont adroitement traités. Le ciel, les nuages, les arbres, les champs et

les villes se profilant sur l'horizon, ne seraient pas reniés par les 111c11-

leurs aquafortistes. Les premiers [dans sont rarement assez poussés. Et

la raison, on la devine : Charcot avait, par excellence, la vision de

498

l'ensemble; peu lui importait -de figurer exacte-

ment un caillou, une fleur, un brin d'herbe.

pourvu que l'impression générale lut harmonieuse.

Les personnages qu'il dessinait forment une

collection extrèmemenl curieuse de types anciens

ou modernes, dans les plus divers accoutrements :

figurations mythologiques, historiques, théâtrales,

réalistes; grands seigneurs, moines ou magis-

trats : et des militaires surtout, de toutes époques

et de tous pays, dont, il rehaussait les silhouettes

a-coups de crayons bleu et rouge. Beaucoup de

ces soldats sont (l'line 11ère pliure, la plupart cos-

tumés colimc au temps du premier-Empire. Cer-

lains'unt élétltssinés lmnr-alityçct'`sutt tils ,lcan.

« Pincé ! » est le litre qu'il écrivit; au-dessous

d'une amusante scène de pantomime, dessin

à l'encre rehaussé de hachures en couleur, où

l'on voit Pierrot éclairant avec sa lanterne quel-

que amoureux de Coloinbine, découvert en flagrant L

délit (I'l. l.lll. e' ' ' t

Il serait aisé d'en ciler d'autres, car les dessins

de Chal'cuC" l'cI i<¡ues inestimables, forment plu-

sieurs volumes d'un inépuisable intérêt.

La rénovation artistique introduite par Charcol

dans son milieu hospitalier, et adaptée aux besoins de sou couvre scien-

ti6tlue, témoigne déjà d'un goût singulier pour l'esthétique.

Ce goût. se manifesta, plus JJI'i1la11;J 111('11 L cIF : ol'c, dans sa vie privée, où

il put donner libre essor à ses aspirations naturelles.

Par le choix des oeuvres d'art dont il lui plut de s'entourer, parle

souci qu'il eut de diriger lni-mcmcl'urucmculaliou de son intérieur, par

la part personnelle qu'il prit il celle décoration, Charcot n'apparaît pas

seulement comme u ! t connaisseur instruit et cxperiutoue. mais comme

un fervent adorateur des plus pures manifestations du beau.

On a, non sans raison, vanté l'aménagement de cet hôtel du boule-

vard Saiut-Gcrmaiu qui vit l'apogée de sa gloire. Nul cadre n'était plus

apte il s'harmoniser avec la personnalité de Charcot. Ce cadre était aussi

son oeuvre.

Vastes pièces d'une somptuosité sombre, étoffes séculaires aux cou-

lic",¡ 11 d,> Charcol.

Nouv. Icovoci<.ruts De DE SALPÊlItILItE. 1. \I. l'1. 1.\'I C L\'11 I.VII

Paysage Irl.\I\c1.\Ís,

Le Jeu de Li « Mou ». à RW uria, en Espagne.

DESSINS DE CHARCOT

Kstt.nt de .......il de voyage.

MASSONS C"'Et)ite"rs.

NOUV. ! COSOGI<APIIIE DE LA SALP1 : 7RI1.ItI : . T. XI. 1'1. ¡XIII

UN JUIF DE TÉTOUAN, ATTEINT DE MALADIE DE PARKINSON

Croquis fait par Charcot,

au cours d'un voyage au Maroc, en 1889.

MASSON & cie, Editeurs.

Nous. Iconographie DE la Salplirilre. T. XI. PI. LUI

Dessin a la plume rehaussé de cravons de couleurs,

par Charcot

MASSON & çle, Editeurs.

- 1'¡¡S,lg(' fdlllaisi'll' llc"illé ? si ? i l3li.

. - - ? 00--

leurs atténuées par les ails. meubles d'un luxe sobre, aux ors élcillls,

aux lignes irréprochables, peintures, sculptures et bibelots : tout

était disposé pour la plus parfaite harmonie de l'ensemble el la plus z

complète satisfaction des yeux. Pas une faute, pas un anachronisme :

rien ne choquait : aucune tache disgracieuse dans ce tableau.

La note dominante était, eelle-de art' ! c la Renaissance. Les murs

tendus de tapisseries aux tons vieillis, les boiseries répétant des panneaux

ou des colonnades aux feuillages élégamment entrelacés, les lustres

profilant leurs arabesques de fer rehaussées d'or discrètement 1111111-

neux, les vitraux ornés de JH)rSOllllagc'i aIThaï<¡ucs, 011 d'anliqlles al'-

Iluirius, par où filtrait un jour 1res pâle, uu éclairage d'église,

qlle ! (flle pcu IlIyslt"ricux. tlléllagcalll des 1'L'll'ailes d'ollll)l'(' propi('es llil

silence el à la méditation.

Dans cet illlll'iclll' qlli l'éalisai[ CIl('Ol'e Ù desscill 1111(' sYlllhi.'sp,

celle de toutes les élégances décoratives. Charcol se complaisait.

I : c(1 (pi rcstcul cUall;crs all plai,irs clluUillllc, II'ulll pas collyl'i, i'( :

gotll : Ics L'1l\ iellx lIIèlllc l'l'Il 0111 hlÙlIlé. 1' : I'I'elll' cI lIIédisall(,c. La \'él'i[¡ ?

la voici : le luxe, ni le faste, ni le confort moderne, ne louchaient

Charcol. Chez lui, aucun désir d'ostentation. Il appréciai ! 10111 silllplt-

le charme d'une demeure harmonieusement parée, sans même songer

il sa richesse. Sagesse enviable, dilellanlisme très élevé, qualités rares,

qui trop souvent sont interprétées à mal.

Son délassement favori était de havailler lui-même il de nouveaux

embellissements. Désireux de rester fidèle à sa formule artistique, il

observait soigneusement, au cours de ses voyages ou dans ses visites

aux musées, les reliques décoratives du passé. Parfois, il en prenait un

croquis rapide; le plus souvent, il s'en rapportait à la fidélité de sa

mémoire visuelle..Mais son choix élail toujours dicté par un sûr juge-

ment.

Il coopéra plus directement encore à l'urllclllclltation (1( : son intérieur,

Tels carreaux de faïence appliqués aux parois d'une cheminée et

qu'on croirait issus d'une des anciennes fabriques de Dcift oui été des-

sillés de sa propre main (PI. LIV).

Tel émail qui semble avoir élé conservé, par miracle, depuis le

\v ! "siec)c, n'est qu'une copie d'un original de l'époque. Charcot lui-

même en a fait la reproduction, avec uu sens si précis de l'archaïsme

des lignes qu'il l'aul y regarder de bien [très pour découvrir l'iinilaliou.

Souvent, il adaptait les souvenirs personnels qu'il avait rapportés de

l'étranger à la décoration dés objets mobiliers. Que de plats, que d'as-

siettes ont été transformés par sa main en petits tableaux connueuiora-

til's ! (l'1. LV)..

Nouv. Iconographie DE la S : 1L1LIKIGItI'. T. XI. PI. 1.IV

CARREAU DE FAÏENCE DÉCORÉ PAR CHARCOT

MASSON & cie. Editeurs.

Nouv. Iconographie de la S.Upt, HIËI<E. T. XI. PI. LV

ASSIETTES DÉCORÉES PAR CHARCOT,

d'après des croquis pris par lui en Espagne (1880).

MASSON & cie, Editeurs.

? )0) I -

Il excella surtout dans l'art d'approprier les oeuvres dos, meilleurs

maîtres aux motifs d' ol'l1elllCllla 1 iOIl. '

La façade (le son hôtel était décorée de plaques de faïence

aux personnages renouvelés 11 ? 11)Ct'I Durer. 11 avait fait encastrer dans

un cabinet du plus pur suc de la Renaissance douze émaux'sur cuivre

dessinés par lui. d'après les célèbres Apôtres du Limousin. ? \'a-L-i) pas

enfin (racé lui-même le plan de sou jardin, s'iuspiraiil des souvenirs

IInirlicnllnre rétrospective que les artistes nous o ! d laissés dans leurs

tableaux ? -

Pour colle oell\J'C ornementale, qui n'est pas une des moindres gal'all-

tes des qualités artistiques (le il rencontra dans son Clito11-

rage des auxiliaires affeetuenx el adroits, qu'il ? 111 façonner lui-même

au culte des belles choses. Les siens d'abord, puis quelques familiers,

artistes ou dilettantes, dont trois des plus experts venaient chaque

année d'outre-Manche partager quoique temps sa bienveillante hospi-

lalilu- ,

Sous son inspiration, chacun remplissait sa tâche cL apportait sa

part il t (jenvrc de décoration, sans cesse accrue et améliorée. Charcol

donnait l'idée, y ajoutait quelques conseils : l'exécutant navail.rpa les

suivre. Le travail une fois commencé, il en surveillait la marche, pré-

cisait une indication, corrigeait une erreur, et ne se déclarait satis-

fait (pie si les moindres détails se trouvaient conformes à son désir

esthétique.

Ainsi fnl-il le maître d'un véritable atelier (ral'l décoratif, institué

par ses soins dans sa propre maison, avec les siens pour praticiens et

pour élèves. Toutes les matières y furent travaillées : la terre, le métal,

le verre, le bois, le cuir, l'étoffe.... -

Il en naissait des sculptures en ronde bosse ou des bas-reliefs, des

ornements ciselés ou repoussés, des services de table dorés ou peints,

des vitraux, des émaux, des meubles aux panneaux sculptés, gravés et

coloriés, des reliures de livres, des coffrets, des sièges, des tables, cl

toute une profusion de bibelots fantaisistes, imités de l'ancien, cirés,

patines, ,icillis il dessein, dont le fouillis étrangement composite s't)ar-

monisait encore avec une profusion d'oeuvres d art parfaitement au-

thentiques, curieux musée de famille où Charcot goûtait ses meil-

joies et qui réalisait son ideats))aksnearicn « Un peu de

trop » ,

Au milieu de celle magnificence. Charcol gardait sa froide simplicité.

Il apparaissait un peu connue une de ces grandes figures de la Renais-

sance. également éprises du Vrai el du beau. C'était comme )mc évoca-

lion spontanée : dans son profil, on retrouvait le galbe. sévère du Danl¡'

JÛ2

Et. comme les maîtres du xvic siècle, qui souvent délaissaient leurs pin-

ceaux pour s'occuper de sciences abstraites, Charcol trouvait dans l'Art

une diversion au labeur quotidien du savant.

.Malgré le charme de son intérieur, Charcot n'hésitait pas a s'en éloi-

gner lorsque l'exigeaient ses devoirs professionnels..Mais il profitai !

toujours de ses déplacements pour compléter ses connaissances artis-

tiques.

Il fit ainsi de nombreux voyages, et, les fit en artiste autant qu'en me-

dccin. De chacun d'eux, il rapportait toujours des souvenirs figurés,

beaucoup de photographies, mais surtout des croquis personnels, ci

ceux-ci sont particulièrement édifiants.

Tout voyage qu'il méditait d'entreprendre était, à l'avance, mûrement

étudié. '

A la vérité, il ne se préoccupait guère de l'organisation matérielle :

d'autres, affectueusement, prenaient ce soin pour lui; et leur lâche

devait être bien faite, encore qu'elle ne lut pas toujours aisée, car il

jugeait sévèrement les imprévoyances.

Ennemi des surprises et desimpediments, il aimait il se libérer de

tout souci futile. Ainsi débarrassé des vains accessoires, capables de

distraire sa contemplation, il s'apprêtait à recueillir des impressions

nouvelles. '

Cependant, quelque confiance qu'il fut en droit d'avoir eu son propre

jugement, Charcot ne s'embarquait jamais à la légère. Sur ce qu'il

comptait voir, il aimait à s'instruire par des lectures préalables. Et de

même qu'il n'abordait une leçon clinique qu'après une longue docu-

mentation, de même, en pénétrant dans un pays nouveau, tenait-il il

n'y point pérégriner l'aventure. Aussi la préparation d'un voyage lui

coûtait-elle souvent plusieurs journées de travail.

Tels étaient ses « devoirs de vacances ».

C'est ainsi qu'avant de consentir il faire celle excursion en Morvan

qui devait lui être si tristement fatale, Charcol, fidèle à sa méthode.

ne voulut partir qu'après s'être savamment renseigné sur les curio-

sités régionales. Un de ses futurs compagnons se montra désireux de

lui épargner cette peine. Sur l'antique monastère de Vézelay, sur ses

fondateurs, sur ses bienfaiteurs, sur l'histoire de la basilique, sur les

styles de son architecture, ctc, et tout spécialement sur son narlhex,

l'élève ami laissa volontiers transparaître son érudition. Ceci ne suf-

- - ;)05 - -

lisait point à Charcol. 11 n'en mit que plus de soin à recueillir lui-

même sur ce sujet tous les renseignements désirables. Se rappelant

qu'au musée du Trocadero il existe un moulage d'une des porles de la

nef de Vézelay, il tint à connaître cetle reproduction. El. la veille du

départ, l'cyoyanl son l'ollèguc, Charcot. non sans quelque malice, lui

fit redire tout ce que celui-ci avait appris du Morvau.

Puis, à son tour, prenant la parole, il fil voir qu'il pouvait se passer

du concours d'un cicerouc pour visiter celle province, cl en particulier

la basilique de Vexday. Il savait là-dessus tout ce que l'on pouvait

savoir. Quant au fameux narlhex, il n'ignorait rien de son histoire

et connaissait les moindres détails de son architecture, jusqu'à l'exis-

tence d'un minuscule diablotin intercalé dans une guirlande de feuilles

autour du portail intérieur. ce qui d'ailleurs est parfaitement au-

thentique. - la l'érudil compagnon comprit. que, sur ce chapitre-là.

Charcot était encore son maître.

Dans chacun de ses voyages, Charcot emportait un album cL des

crayons de couleur. Au retour, il avait généralement rempli cet album

de croquis prestement silhouettés cl coloriés à larges louches. Puis.

quand il se permettait, une soirée de loisir, il revoyait ses dessins,

rehaussait il l'encre noire les contours esquissés au'crayon. et écrivait

les légendes. Il existe ainsi, de sa main, plusieurs volumes d'impres-

sions en images.

On peut le suivre à travers l'Europe : en Italie, en Espagne, en

Irlandc, en Hollande, en Russie, el jusque sur la terre d'Afrique, où il a

plusieurs l'ois mis le pied. De chaque pays, on est certain d'entrevoir un

coin de paysage^ de chaque ville, une rucllc curieuse, une maison, un

Environs de llaricuLurg. Paysaâe dessiné par Charcot en 1881.

. 50'( - -

jardin, ou quelque détail de meurs. ou quelque type local : homme,

femme, enfants, esquissés eu quelques lignes, mais toujours pris sur

le vif cl d'un réalisme saisissant.

Voyez celte steppe hibernale des environs de Marieiiburg, avec son

moulin à venl solitaire, quelques bouleaux dénudés et un rideau de

forêt sombre se pm11lalll sur l'horizon, 'foule la mélancolie de celle

contrée endormie el déserte est' traduite eu Iruis coups de crayon.

Chaque élément du' paysage l'('sle, ? IIsoi : lllèIIlC insignifiant, mais l'ini-

. llrCSSlul1 (llll s(' (I( ? il;('. (Ic I élls(.'lll-

~ble esl à la Ibis pleine d'ampleur e)

.'de vérité ? Combien,, traversant ce

I)a \11 ilitjto['ollc, passeraient' 'près

mlcl"cc,llallal`ilïû ilill s;lls clllrvwil'

i')arn)unic solllisalllcnll;s;i 5(Ili- i-

Kflude au ]ui[iout<run décor terne

et- plat ! 1 -<A rendre la tristesse el

la y llrul'oll(lcllr. olc ces paysages

.tih(''ah'cs.)c)f(tHan()ais\an'<..('\t'n

excellait en son temps. Charcol le

comptait1 au' nombre' de ses Illai-

Il-es . v ."

V('\cXtaussi,cc moujik barbu,

C) ! i ! nito) ! t; de. fourrures, rustre

au liez il demi figé par le

froid : il fait parlie d'une série de

types nationaux dessinés par Char-

('11l IUI', de son premier voyage en

fiu.ssic. )ja('('ttccti)t0)t est

ment curieuse. Tous son I d'une iu-

conlestable vérité.

Une autre fois, c'est au pays de

(allcs. Ilar llllc II'ISIC1118111c(l'aulll.

I)c la l'cllllc (Ic sul llùlel, I : Ilarc(11

ul'avulllln Illle wc (lc la \illc (lil il

s'est arrèlé : une rue bordée de maisons irrégulières, aux rez-de-

chaussée abrités par des auvents, un clocher qui dresse sa flèche aiguë

vers le ciel maussade; au premier plan, uu square funèbre; au fond, de

hautes collines où quelques villages sonl perchés. Tout cela en quel-

ques lignes, nelles, fermes, décidées, sans hachures/ sans épaisseurs,

presque sans ombres. El cependant. la perspective esl profonde, la rue

s'enfonce dans le lointain vers les monlagnes encore plus loinlaines,

el l'on devine, a l'abandon de celle place publique, au coup de veut qui

Vu moujik.

Crotpii- fait par ;]Il cours d'un \o\agi

cu Isu··i·.

-

cingle les arbustes, quel temps morose il faisail ce matin-là (PI. 1,\'11).

Cill./[ ails pl1ls lar(1. Clwl'l : ol t'sI cn Espagn( : , Ü ItclIleria, Cil ]Jleil ! par- . ·

basque : c'est jour de pelota, sur la place de la ])cLit'cit)e.t.es joueurs

s'escriment a'tance ! 'contre un mur des balles guidées par uu long

gant d'osier. Elle public, entassé sur des gradins improvisés, se pas-

iolille pOlit' Ics (,()llpS difl1ci ! es ,Pl. LVII). ()lIe <lc (;olllellt' locale dalls

celte esquisse si simplement indiquée ! Le costume des joueurs esl pré-

rise en quatre ou cinq traits minuscules. Cl la masse des spectateurs

rendue avec un procédé schématique qui donne cependant l'illusion

de la vie.

El, toujours, ce qui prédomine dans les dessins faits par Charcot.

c'esl l'immédiate perception de l'ensemble, l'adroit agencement des dé-

faits pour la composition d'un tout sincère cl harmonieux.

-Mais le médecin est inséparable de l'artiste. L'un guide l'autre : ils

s"('nlr'aideIlL 11111LllellcIIlcnt. EII voici un exemple topique :

C'( ? I 1111 <'l'OIl',is 'I"C Cllal'('oL rapporta de soir voyage an Maroc II

représente un marchand jllil' de '1\"lollall, aLLeiliL de paralysie agitante.

Le pittoresque dn costume et de l'intérieur attira l'attention de l'ar-

lisle : mais. du même coup cl'mil, le clinicien diagnostiqua la maladie.

Et l'on ne sait ce qu'il faut louer davantage, du réalisme de l'accoutre-

ment ou de l'exactitude pathologique mis en valeur sur celle image.

Ce sordide vieillard en robe misérable, coiffé d'un fez informe et

chaussé de babouches dépareillées, n'est pas seulement un type oriental,

authentique el reconnaissable, c'esl un type morbide aussi (PL I ? lll.

Assis sur sa chaise branlante, sans pouvoir s'appuyer au dossier, les

genoux rapprochés, les pieds joints, de ses talons ballant la charge sur

le sol. avec ses doigts raidis roulant sans trêve une imaginaire boulets

de pain, avec son masque figé dans une expression attentive el inquiète,

l'mil fixe, le 1'1'0111 plissé de rides, indifférent en apparence à tous les

événements d'ici-bas. n'est-ce pas en vérité le symbole vivant de celle

mulaclimlcl'arlcinsun, dont Charcol a laissé une inoubliable description ?

Nombreux aussi sont, les dessins (pie Charcol fit au cours de ses

visites dans les monuments ou les musées de l'Europe. On a vu qu'il

recueillait souvent des indications décoratives. Mais, surfont, il fil ainsi

tui-mc ! ne une ample moisson de figurations pathologiques'. Tel le la-

meux niascaron de t'egtise Sauta Maria l'orinosa. à Venise, qui devait

être le point de départ de l'ouvrage sur les Difformes et Malades dans

7\ 1/7. Tel un croquis delà Transfiguration r rlc Uoclat Ilulmuol, an musée

d'Anvers, où se trouve représenté un jeune possédé. El combien

d'exemples analogues ! /

- 500

Cet evënnc putréfié, couché sur un sarcophage de pourpre, est une

esquisse exécutée, pendant, un voyage en Espagne, d'après un tableau

de l'hôpital de la* Charité, 11 Séville. Rien n'est plus lugubrement

expressif que cette image funèlye. Cliarcot en fut frappé, car il ne

dédaignait pas le macabre, lorsqu'il s'y ajoutait nue symbole philoso-

phique, comme dans les Danses des J11OI'f. des maîtres allemands,

comme dans les peintures de Ilolbein le vieux ou de Hans Baldllng.

Le tableau de l'Espagnol Vatdes Leal attira donc son attention. Il eu

nota les moindres détails sur la page qu'il lui consacra dans son album.

L'horrible représentation des chairs décomposées, où le peintre semble

avoir pris plaisir il reproduire toutes les phases de la putréfaction,

étonna l'analomo-palhologisle par son brutal réalisme. Les parasites

cadavériques qui viennent festoyer sur la pourriture humaine lui ses-

btercnt mériter une mention. « Quelles sont ces bêtes ? ... » écrivit-il à

côté de son croquis, en désignant par des traits de rappel les noirs

coléoptères qui montent il l'assaut du cadavre mitre. Il et'il été satisfait

de connaître leur nom, qui s'harmonise avec ce sujet funèbre : car ce

sont des Blaps, très exactement figurés, - Blaps morlisaga : présage

de la mort....

Quel intéressant souvenir que ce croquis fait dans un coin obscur

de l'hôpital de Séville, tandis qu'au dehors brillait un éclatant soleil 1

- : .07 -

d'août ! Et quel sujet de méditation : Charcol s'attardant, devant ce

symbole macabre pour copier la divise : Finis gloria ))LZl72C11 ! ...

Qui veut, non pas seulement juger, mais comprendre un artiste, doit

étudier ses goûts, ses préférences, ct même jusqu'aux détails de sa

vie. Pour comprendre Charcot artiste, il faut avoir connu Charcot intime.

Et quand longtemps on l'a vu de très près, on ne saurait mieux honorer

sa mémoire qu'en le montrant tel qu'il fut réellement.

Quelques biographes l'ont représenté comme une sorte défigure hiéra-

tique, inaccessible aux frivolités terrestres- D'aucuns même ont laissé

entendre que celle manière d'être avait pour but d'impressionner le

vulgaire. A leur avis, Charcot se serait volontairement entouré d'une

auréole pour se poser en thaumaturge ct rehausser d'un mystérieux

preslige tous les actes de sa profession.

Sans doute, par son genre de vie. par son éloignement voulu des

promiscuités mondaines, par sa gravité contumierc. par la réserve où

il se complaisait, par la froideur de son accueil et la sobriété de ses

propos, comme aussi par l'impression inoubliable que laissait la

vision, fut-elle instantanée, de cet oeil pénétrant creusé dans un masque

impénétrable, Charcot. aux yeux d'un observateur superficiel, pou-

vait h la rigueur passer pour le personnage factice que la malignité

publique jugeait ainsi, sans le connaître.

Assurément, il vivait a l'écart : son labeur continuel ne lui permet-

tant que de rarissimes instants de répit. Il n'aimait guère à se mêler

an monde.il faisait si des conversations oiseuses. Il préférait, pour se

distraire, lire, tranquillement, une page d'histoire ou de philosophie.

l'empus et llom : il aimait cette devise, accompagnée d'un ours symbo-

lique tenant entre ses pattes un sablier.

Il était grave : son esprit, entraîné de bonne heure vers de stu-

dieuses méditations, restait toujours absorbé par la recherche d'un

nouveau problème. Il parlait peu : la discipline scientifique lui avait

appris à peser l'exacte valeur des mots.

Son abord était froid, son bonjour imperceptible, sa main n'avançait

qu'a demi et ne répondait guère à l'étreinte : il n'attachait aucun prix

aux manifestations de politesse banale. D'ailleurs, Charcot. même 1

l'apogée de sa gloire, conserva toujours un restant de timidité.

Quant 11 ce visage où l'on a voulu voir comme un masque de théâtre,

volontairement adapté au rôle d'un guérisseur miraculeux, n'est-il pas

superflu de rappeler que la nature seule en avait créé tous les traits ?

Ce masque était lt vingt ans ce qu'il fut'a soixante, avec des cheveux

? 08 -

i

noirs en plus cl quelques rides en moins, mais toujours modelé il

l'antique, impassible, un peu ('lllâlllall(1111 : , impressionnant. Le jour-

nalier coup de rasoir qui niellait en valeur son profil césarion. tel ru 1

le seul artifice ajouté à la nature. Encore cetle hahitudc. donl tant

d'autres sonl coulumicrs saus (pie l'on songe même à en faire la re-

marquc. remontait-elle il une époque où rien ne 'pouvait faire présa-

ger le rôle futur de Charcol.

Ainsi doit-on faire justice d'une conception fantaisiste, née d'une

impression trop hâtive, sinon d'un sentiment malintentionné.

i le phr.;Ï(llIC dcChal'cul a 1111 pn\tcl' il la I ! ll"pl'isc, el si, de le \oi,' Cil

[lassant, on pouvait avoir l'impression d'une physionomie de commande.

Ions ceux qui Ion), connu dans son

intimité savent bien qu'il fallait en-

juger autrement. Il faut le dire,

car telle est la vérité. '

Sans jamais se (le sa )'(-

serve naturelle, Charcol n'élail ce-

pendant ni trop sévère, ni trop al-

lier.

Ses moments de loisir, au mi-

lieu d'un entourage affectueux ('1

dévoué, il goûtait volontiers les

choses plaisantes et ne répugnai !

pas il y participer. Les facéties des

jeunes le déridaient aisément; parfois même, il y prenait plus d'intérêt

qu'il ti'eut. voulu le laisser paraître, cl rien n'était plus comique alors

que sa grimace lorsqu'il se sentait envahi parmi rire impossible il niai-

trtser.

Aux représentations de famille qui se donnaient annuellement pour sa

fêle, la Saint-Martin, il riait d'excellent coeur. Il acceptait de même toutes

les plaisanteries que lui faisaicnllcs siens. Avec les amis de sa jeunesse

ou avec quelques familiers, il exerçait 1 son ironie : ses traits frappaient dur.

mais juste. Il ne craignait pas de les renouveler..Mais it ne se plaisail

guère au jeux de l'esprit faits de grâces précieuses. Par contre, il aimait

la grosse farce. Il citait volontiers de mémoire des passages' de Habelais.

En cela, Charcot restait conforme à lui-même. ll allécliunllail eu

toutes choses la simplicité de la nature.

De là, certaines de ses préférences en littérature ou en art.

On saiL de quel culte il honorait Shakspeare, qu'il avait lu, relu cl

annoté de sa main. La philosophie du dramaturge anglais lui étail par-

liciilièremenl. chère, par cela même qu'elle est basée sur une élude

alkllli\c dc la nature. Dans l'oeuvre de Shakspearc, Charcot voyait un

modèle d'analyse des sentiments et des passions. Il yrelrouvail celle

rigoureuse observation de. l'espèce humaine qu'il appliquait, lui, a la

clinique. El, chez le comédien, il goûtait le naturalisme sincère «les

saillies eL des bons mots.

Aussi la plaisanterie de Charcot. était-elle éminemment « shakspea-

liellltc ». -

Pareillement, il s'était senti de bonne heure attiré par les chefs-

d'oeuvre des écoles flamande et hollandaise. Les indéniables qualités

d'observation dont firent preuve les artistes des Pays-lias, comme aussi

leur souci scrupuleux de représenter exactement la nature, ne pou-

\ a ienllllaJH1"er dc séduire Charcot. Ce furent ses maîtres de prédilection.

Possédant UIIC mm re de Jan Steen. justement réputée, les Noces de

(;(111(/. il l'avait fait placer dans son cabinet, pour qu'elle lui toujours

préseule il son regard. Il uc se lassait pas d'admirer la vérité des alti-

ludes el des expressions, l'heureux groupement des personnages, la

siucerite naïve des accessoires et la justesse du coloris. Il y reconnais- : -ailles familiers du peintre, figurants inattendus dans ce tableau d'his-

toire religieuse. Puis. il faisait ressortir les qualités maîtresses de l'ar-

tiste hollandais : sa franchise. Son réalisme, sa bonne humeur, sa fine

raillerie, sa verve foute rabelaisienne, et combien Jan Slecn excellait,

avec, des modèles vulgaires, il donner aux hommes des leçons de la plus

haute moralité.

El, en vérité, bien des' couvres de Jan Slqeo semblent être du Sheak-

speare en images.

Avec son goût de la simplicilé Í1aturali ? If', Charcol n'appréciait pas

volontiers les innovations de Fart. moderne. Le compliqué, le recherché,

l'apprêté, le laissaient froid, de même que le nuageux, l' « imprécis », le

« flou ».

Il se montrait fort sévère à l'égard de la peinture des symbolistes

ou des impressionnistes..Même, il trouvait excessifs les éloges adressés

11 Corot; et. ayant eu l'occasion de se dessaisir d'un tableau de ce maître,

il le fil sans regret. aucun prix il n'eût consenti à se séparer de

sou Jan Steen.

Il n'était pourtant pas insensible au charme de la couleur. Il alla-

l'lwiL le plus gral1d prix un cadeau que lui fît son ami liurty : un

album contenant les croquis et les notes de voyage pris au Maroc par

le peintre Delacroix. ' ,

Si Charcot. avait surtout l'oeil exercé au diagnoslic visuel. la musique

ne le laissait pas indifférent. ^ ,

- al0 -

Il s'était fait lui-même une éducation musicale assez complète, en

suivant assidûment les grands concerts parisiens. Bien longtemps avant

que la mode n'ait remis en honneur les oeuvres des maîtres anciens,

Charcol avait affirmé pour ceux-ci une prédilection inattendue. Gluck

surtout l'enchantait, par une simplicité qui n'exclut pas la grandeur, et

il aimait il se faire jouer des passages d'Orphée.

Sans réserve, il admirait HcctllO\'CII; il connaissait les Lhemes de toutes

ses symphonies, avec toutes leurs variations. Il défendit energiqucment

ni/et, alors qu'on le sifflait encore.

.Mais il fut longtemps sans apprécier la musique waguéricmnc. dont

l'harmonie lui paraissait inutilement compliquée et empreinte d'une

obscurité toute germanique. 11 n'en avait entendu que des fragments.

Puis, lorsqu'il ,it représenter au théâtre un opéra de Wagner, il en sai-

sit l'ampleur cl revint sur son premier jugement. Une vue d'ensemble

lui avait permis d'entrevoir la beauté de l'anvre.

Charcot ne goûtait guère la poésie : le langage rythmé lui paraissait

trop artificiel. Hors Shcakspcarc. qu'il lisait dans le texte anglais et donl

il citait souvent des vers, il négligeait les oeuvres des poètes : cepen-

dant, il accueillit ceux-ci avec bienveillance : Théodore de l3allille, Mis-

tral, Paul Arène, etc. furent ses commensaux pendant longtemps.

Ainsi, d'une façon générale, l'idéal artistique* de Charcol était fait de

clarté el de simplicité. Et cependant, ce fervent adepte du naturalisme

prenait plaisir aux grandes fantaisies Imaginatives. Il aimait il lire les

Mille el une Nuits. Il s'intéressait vivement aux scènes de sorcellerie de

llacbctll. llais il n'admettait pas de compromis entre le rêve ct la réalité.

Sorti du domaine de la fiction absolue, rien ne lui semblait louable qui

ne fut. inspiré par une scrupuleuse observation de la nature.

Ce sincère regard jeté sur Charcol intime, sur ses goûts et ses predi-

sections, eu faisant mieux connaître l'homme, permettra sans doute de

comprendre el d'apprécier plus exactement l'artiste.

Il reste à montrer encore Charcot caricaturiste.

Clrarcot caricaturiste ! ...

Charcot, le savant que l'on imaginait à tort grave Ü l'excès, par-

cimonieux de son sourire, \'olouticl's indif1ërcnt aux gailés d'ici-has,

- oui, vraiment ! Charcot ne dédaigna point l'art humoristique, el

même il s'y montra plein de verve el d'ingéniosité.

Si, dans ses écrits, il n'ont pas l'occasion d'exercer sa raillerie, du

- ;)11 -

moins voit-on par ses caricatures combien

son sens critique était, aiguisé. En cela, son

aptitude supérieure à saisir du premier

coup d'oeil les caractères saillants ct il les

mettre en évidence se manifeste avec éclal.

Son goût pour la satirc en images se révéla

précocement.

Ses premières tentatives ne sont pas les

moins intéressantes; elles font entrevoir un

don d'observation vraiment singulier. Les

plus curieuses sont assurément celles qui

rappellent une isi tc que Charcot, alors âge de

dix-sept ans, fit au quartier Latin. Plusieurs

pages d'album, datées de 1843, semblent

avoir élé inspirées par la rencontre de ces

types d'étudiants immortalisés par les cari-

caturistes de l'époque. Spontanément, jl en a

saisi tous les ridicules, ct quelques touchés

d'aquarelle lui ont suffi pour en composer

une pittoresque collection.

On y voit le bohème invétéré, à la cheve-

ture opulente, armé de sa pipe toujours en

l'eu et coiffé d'un béret monumental auquel

pend un gland vagabond; le « dandy » sanglé dans un babil de

rameur excessive, cxnibanl un gilet uormolue, cravate jusquaux yeux

et porteur d'un éblouissant « tromblon ». Et le « novice » ébahi, ar-

rivant de sa province, avec son parapluie de colon, engoncé dans un pa-

letot de coupe ancestrale, culotté comme un paysan, mais resplendissant

de santé, avec sa face rubiconde el ses cheveux taillés courts et droits.

On le revoit, d'ailleurs, dégrossi par la capitale, étriqué dans un vête-

ment trop étroit, essayant d'harmoniser avec les houcles d'une coif-

fure savante son teint blêmi et ses joues excavées.

A ne considérer que ces souvenirs de jeunesse d'un réalisme si vif,

d'une si piquante finesse d'observation, on entrevoit quelles facultés

critiques se trouvaient en réserve dans l'esprit de Charcot.

Une fantaisie caricaturale particulièrement édifiante remonte à l'an-

née 1855, alors que Charcot, âgé de vingt-huit ans, venait de ter-

miner son internat et d'être nommé chef de clinique.

Un soir, assisté d'un de ses collègues, docteur frais émoulu comme

lui, il résolut d'expérimenter sur lui-même les effets de haschisch et de

L'étudiant en droit il son arri-

vée au quartier latin. Aquarelle

de Charcot (l3tu).

- - : ) ,

noter ses impressions par écrit. Bientôt, sous l'influence du narcotique,

un tumulte de Visions fantasmagoriques traversent son esprit. 11 se

met à écrire en caraclères de plus en plus élrauges el difficiles à démê-

ICI'. t( On el déol'dl'c d'idécs ! eL ccpcndanL qll ! '1 agl'l'ahlc l'csLollllagc....

Impulsion involontaire el fantasque qui 10llLcl'uis Il'cL pas <'olllpli'le-

111l'IIL "ullsll'aiLc Ü la \'ololllé.... TOIlL ('C qlle jc Louche csl environné

d'une atmosphère électrique... et, cependant... cependant.... » Puis

les mots deviennent illisibles, les jambages des lettres s'allongent dé-

, inesui'émcnl. se tortillent, en zigzags, eu 'volutes, en arabesques, se

transforment en dentelures de feuilles, en pétales de llcurs, en motifs ar-

uliilccluraw.....llous, lilns il'écriUrc. I,a page entière se couvre de

dessins : dragons monstrueux, chimères grimaçantes, personnages

incohérents qui se superposent et s'enchevêtrent dans un tourbillon

fabuleux rappelant les compositions apocalyptiques de van Bnsdl ou

de Jacques Callot.

Dans cette fantaisie oulrancièrc que Charcol aimait Ü revoir, après

bien des années'écoulées, altparaisscul. lyhcrlruphiécs par une \01011-

taire expérience d'intoxication, toutes les aptitudes caricaturales dont il

élait naturellement doué. 011 y l'clrOIlYe aussi l'indice du goût qu'il a\ait

pour le fantastique. '

Mais ces). la une page exceptionnelle.

- ' " ' ? Chai'colcédailvolontiei's

roquer ", en quelques

une figure qui l'avait

se souvient du portrait

111 pClldaliL 1111C séall(,()

oins de temps qu'il n'en

il availschéinatiséraii- ! dalll's f[lIi l'ayoliliaiL HII-

lu savant séculaire. El

élail lelle ;IIIC 11111 ne

..... '-A 1 \. 1 ? 1 ? "l' ? 1 .... 1 ......

pouvait s'y tromper.

Onconnailaiissi l'his-

toire de ce croquis de

Cornélius ttcrx qu'il

dessina à l'Académie.

Sou collègue, le baron

Larroy, reconnut an

pf'clIIiel' CUIIJ ! d'oeil le

fameux financier.

« Avec un tel docu-

Cal'kallll'C faitc par Charcot d'uil (le 'cs ? li'lc>.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, T. XI. PL. L1X.

CHARCOT

A l'amphithéâtre DE la salpêtrière

Croquis à la plume, fait en 1875, par E. BRISSAUD, alors externe de la Clinique.

Masson et Ce, Éditeurs.

nient, s'écria-l-il, qui

donc osera douter dé-

sortnais de l'identité

du malade de liuoruc-

)HO))Ut ? ...)' »

LOliguc / sérail la liste

des personnages ccic-

lll'es rlonl Chal'lol s'csl

plu à reproduire les

I rails,, mais toujours en

y ajoutant une note de

fine critique, en niellant

mn év illencc Ilnclync sin-

gl¡]al'il( dll ({Ol'pS 011 d ! '

l'esprit. Parmi scs cul-

lègues, les professeurs

Bali el lIal'dy, p01l1' lie

parler que des morts,

ont élé l'occasion des

pius innocentes drôle-

ries. '

Il fil aussi des carica-

tures de ses élèves.

Celui qu'on voit ici,

dle\'clll et l1al'llll. allcn-

ti ! ' Ü SOli lahem, l'Ill 1111

des premiers collaborateurs du Maître : mieux qu'un élève, un compa-

gnon de voyage, un anii, aujourd'hui professeur soit tour.... C'est

Pierrot. Lu voyant .le portrait que Charcol avait l'ait de lui, il voulut

riposter de semblable manière, et renvoya la page avec la mention :

,< 'funrlcz. ,. v. l. »..1« vc : rsu, sc trouvait en elle[ un profil du « pa-

11'011 », ». avec un front énorme, un nez démesuré et un menton a l'avc-

liait[.

Charcot s'en amusa beaucoup. Car il admettait volontiers la réplique

eu matière de caricature.

EII 1 Ri ? un externe du service, Brissaud. s'étant permis de

faire le portrait de Cliarcol en cachette, l'interne, - HaYll1ond, --

confisqua le dessin cI le remit au Maître, uni le fit encadrer (Pl. L1X).

Bien n'est eu effet plus sincèrement exact (pie ce- croquis en quel-

11-ails de plume sur papier d'hôpital. Il évoque le souvenir d'un

Caricature laite par Charcol.

14

spectacle journalier que n'ont pas oublié ceux qui fréquentaient alors 'la

Salnèlrière : Charcol1, à l'amphithéâtre, son chapeau sur la tète, un ta-

hticr ceint autour de suyarztçâsus=-lcs pieds chaussés de grosses galo-

ches, examinant mu cel'\'call ? ¡nJlI10hile.l<;ihl('icllX, au milieu de la

Veille salle d'autopsie.... Simplicité, qui ne manque pas de grandeur.

\1 .. 'l' r .. 1 .. 'V7 1 CI

Voici encore 1 autres antaISICS humoristiques de Cftarcot.

Il y avait, au nombre de ses fa\niliè\ : 5\lIil'rl(iclI compagnon de jeu-

liesse. figure falote de Vieux naturaliste, papillonnant autour des fleurs,

eu laissant échapper sur-un Lo}}.J)Q.1'Lol'âl quelques termes barbares de

grec ou de latin. Cuarcot ne lui ménageait ni les pointes ni les épi-

gl'ammcs; plus d'une fois, il se' donna le malin' plaisir de le cari-

caturer. ' ' .-^ -~"J^K' : }~ ? 3

C'est lui qu'on voit, sous le sobriquet tl' I'111tI11)l'111rIlIC », excur-

sionnant dans les Auiollfanles'cle¢Sûissé; avec un encombrant bagage

d'outils, de sacoches, de boites et de cartons, un véritable chargement

« . w ,I· ? ·`

« 1 ? l-éopao : e D. ( : l1li-icittli,e faite, par Cliarcot'Pemlan4 un CMI]Ilflll

a z. 1a11'aculiv ae lliUcoinc :

1 ? ? ? ·.

Non. Iconographie DE la SA¡PÎ : 1RltRE. T. XI. PI. LX

LA FACULTÉ DE MÉDECINE

)

Caricature humoristique, par Charcot

MASSON & CI-, Editeurs

? )- ,

de mulet. Il avait la douce illusion de se croire il la Ibis compétent dans

toutes les branches de l'histoire naturelle : géologie, botanique, ento-

IIII)101C..1 t'entendre, il savait tout, sans oublier la médecine. VA Char-

cot, qui n'était pas tendre à l'égard des faux savants, le traitait volon-

tiers de singe. Il fil ainsi son portrait. C'est une de ses meilleures

caricatures.

Charcot professait d'ailleurs un meprissinguticrpour toutes les singe-

ries humaines.

Cependant, il se montrait pour les bêles d'une tendresse et d'une in-

dulgence extrêmes. Il fulminait contre les chasseurs, mais il tolérait

toutes les fantaisies d'un chien.

A l'exemple de Teuiers, qui maintes fois exerça sa satire en peignant

des singes occupés i, mimer les travaux des hommes. Charcot composa

de semblables parodies, et même ne craignit pas de les appliquer il ses

propres collègues.

Car il (''tait déjà professeur à la l'acuité lorsqu'il dessina cet Aréo-

page simiesque. d'une si railleuse drôlerie, et dont peut-être plus d'un

figurant naurait pas eu le bon esprit de rire. Quelle verve piquante

dans ce tribunal de magots ! quelle diversité et quelle sincérité dans les

altitudes ! quelle habileté à saisir la noie comique et il la traduire avec

une mordante ironie ! . Bien sot qui s'en lui fâché. D'ailleurs, Charcol

n'en avait cure : ces fantaisies étaient ses délassements : elles ne devaient

amuser que lui-même. Mais elles méritent d'être connues aujourd'hui.

le 1111-ce que pour faire entrevoir une des formes les plus curieuses

de l'esprit d'observation dont était doué Charcot.

La plus fameuse assurément de ses compositions satiriques est une

caricature d'un cortège de la Faculté.

Kn tète s'avance le massier ployant sous le faix de son lourd ca-

ducée d'argent. Le corps des professeurs le suit, de tailles et de mines

diverses : les grands et les petits, les gros et les maigres, les chauves,

les rasés, les chevelus, les barbus, ceux qui voient clair et ceux qui

portent des lunettes, ceux qui, fièrement, vont en dressant la tète et

ceux qui marchent en penchant leur liez vers leur rabat.

Les nommer ? A quoi bon ? Pour qui les a connus, tous sont

reconnaissables. Chacun, d'un trait de plume, est caractérisé. Et rien

ne saurait mettre mieux en valeur la faculté critique de Charcot que

cette théorie professorale où lui-même s'est caricaturé.

Un pourrait multiplier les exemples. Les albums des dessins de

Charcot en sont remplis. ,

Que conclure, sinon que, du premier coup d'oeil, il était apte à recon-

naître telle ou telle singularité de l'habitus humain ?

Or, découvrir une anomalie comique cl mettre celle-ci en relief, Ici

(1-;( le principe même de (le la ! 'l.u.icallll'e. Mais, au comique près,

[';Il-( du clinicien Il'a-t-il pas pour objet de dépister les anomalies cor-

[)01.elles et. de les rendre perceptibles Ü autrui ? z

C'est pourquoi il n'est pas trop audacieux de prétendre que les apti-

tolus caricaturales de Charcol lui ont élé quelquefois profitables dans

son métier de clinicien. -

1 lâiuc revivr· lc laau, les wmènins ;iim wmmnir, s'em;liaucW....

Il faut se limiter. , '

Ce rapide coup d'n'il jeté slir l'artisle el sur l'homme ne saurait ajou-

ter à une gloire désormais incontestée. S'il a permis de faire entrevoir

El qui sait ? ... Si, d'aventure, en ce lointain conseil de famille qui

décida de sa destinée, Charcol eût préféré l'ad à la médecine, peut-être

eùl-il réussi encore à illustrer son nom ? ... z

IIEI\Y IEI(1;

TABLE DES MATIÈRES

Amyotrophie du membre supérieur gauche

chez un Fellah consécutive à la variole,

par J.-B. ClIAliCOT (1 phot.), 57.

Anomalies digitales (Applications de la

radiographie à l'étude des),par A. Londe

et Henry MEME (15 phot, 2 fig.), 34.

Atrophie des cent/'es nerveux, dans un cas

d'atrophie musculaire el osseuse d'origine

articulaire, par Achard et Ltol'OL1> Lévi

(2 fig. et 3 pl.), 2G2.

Charcot artiste, par Henry Meige (22 pliot.,

2 planches en couleur), 492.

Chorée variable avec contractions fascicu-

laires des deltoïdes (note sur un cas de)

et craquements articulaires. par Cn. rrns.

(1 fig.), 454.

Conservation des réflexes dans le tabès

dorsalis. Un cas avec autopsie, par

Achard et Léopold Lévi (9 phot.), 83.

Difformités congénitales du système ner-

veux central, par N.SOLOVTZOFF (28 phot.,

5 fig.), 368.

Difformités congénitales du cerveau dans

leurs rapports avec l'état des cellules

nerveuses de la moelle, par N. SOLOVT-

zoff (13 fig., 6 phot.), 185.

Epilepsie symptomatique des néoplasies

corticales (Contribution ci l'élude de f),

par Magalhaes LEMOS (2 phot.), 20.

Hémihypertrophie faciale, par J. Sabrazès

et C. Cabannes (2 phot., 1 fig.), 343.

Inauguration du monument élevé il la

mémoire du professeur J.-M. Charcot

(1 phot.), 401.

Infantiles (Deux) : Infantilisme Moec/e-

mateux et infantilisme de Lorain, par

Henry MEME et FEUX Allard (7 phot.et

3 radiographies), 105.

Infantilisme my : t'oedémateux (statuette re-

présentant l'), par Henry MEIGE (2 phot.),

136.

Lépreux (Un) de J. Cornelisz, par Henry

Meige (1 phot.), 399.

Lichen ruber (Contribution à l'élude de

l'éliologie du), par A. Lindetrem, 94.

Maladie de Friedreich (Un cas de) à début

tardif, par L. Boaws (6 lig.), li8.

Malformations crâniennes chez les hérédo-

syphilitiques,pal' EDMOND Fournier (2 fig.,

4 pl.), 238. 0-1

Marche et course (de quelques variétés delà),

par PAUL Richer (18 fig.), 65.

Myosite ossifiante progressive, par A. Weil

et J. Nissim (4 phot., 9 fig., 1 pl.), 114,

154, 216, 3S7, 475.

Nævus tzngionzale2tx de la face avec hémi-

plégie spasmodique et épilepsie , par

L INNOIS et Berncmjd (1 phot.), 446.

Paralysie associée du muscle grand den-

lelé (sur une variété de), par.\. SouQuEs

et Pierre DuvAL (15 phot.), 419.

Paralysie du facial supérieur dans l'hémi-

plégie par lésion cérébrale, par Cil. Flré £

(2 phot.), 147.

Peintres de la médecine (Ecole flamande

et hollandaise). documents nouveaux sur

les opérations sur la tête, par Henry

Meige (1 grav., 4 phot.), 199, 3 ? D.

Peintres de la médecine. Dietrich. Une

opération sur l'oeil, par Henry MEIGE

(1 phot.), 59.

Sclérodermie lardacée en coup de sabre

de la région frontale, crises épilepti-

formes concomitantes, par Louis SPILL-

I.\ : 'i : ; (1 fib., 1 phot.), 142.

Sens stéréognostique et centres d'associa-

tion, par G. GASNE, 46.

Sensibilité douloureuse de la peau : algé-

simétrie, par MocxHTKOVSKY (2 fig.), 230.

Spondylose rhizomélique (Un cas de), par

E. FEINDEL et Il. Froussard (11 phot.,

6 fig.), 324.

Syndrome temporaire de Weber avec hé-

miopie permanente, par A. JOFFROY

(2 phot., 5 fig.), 1.

Tachypnée hystérique secondaire (Sur un

cas de), par J. Soc, 461.

Traitement de l'ataxie locomotrice par l'é-

longatiozz vraie de la moelle épinière,

par Gilles DE la TOURETTE et G. GASKE.

18.

Tumeur du cervelet (Un cas de), par F.

RAYMOND (3 fig. et 1 pl.), 213.

TABLE DES AUTEURS

Actlann et Léopold Lévi. Conservation des

réflexes dans le tabes dorsalis..Un.cas

avec autopsie (9 phot.), 83.

Achard et Léopold Lévi. Atrophie des cen-

tres nerveux dans un cas d'atrophie

musculaire et osseuse d'origine articu-

laire (2 fig. et 3 pl.), 262.

ALLAED (FÉLIX) et Henry Meige. Deux

infantiles : infantilisme myxoedémateux

et infantilisme de Lorain (1 phot. et

3 rad.), 105.

Bernoud et Lannois. Enorme naevus an-

giomateux de la face avec hémiplégie

spasmodique et épilepsie (1 phot.), 446.

Bossus (L.). Un cas de maladie de Fried-

reich à début tardif (6 fig.), 178.

Cabannes (C.) et J. SABRAxÈs. Ilémihyper-

trophie faciale (2 phot., 1 fig.), 343.

Charcot (J.-B.). Amyotrophie du membre

supérieur gauche chez un fellah consé-

cutive à la variole (1 phot.), 57.

DuvAL (Pierre) et A. Souques. Sur une va-

riété de paralysie associée du muscle

grand dentelé (15 phot.), 419.

FEINDEL (E.) et P. Froussard. Un cas de

spondylose rhizomélique (11 phot., 6 fi-

gures), 321.

Féré (Cu.). Note sur un cas de chorée

variable avec contractions fasciculaires

des deltoïdes et craquements articulai-

res, 452.

Féré (Cu.). Note sur la paralysie du facial

supérieur dans l'hémiplégie par lésion

cérébrale (2 phot.), 147.

Fournier (Edmond). Les malformations

crâniennes chez les hérédo-syphilitiques

(2 fig. et 4 pl.), 238.

Froussard (P.) et E. FEINDEL. Un cas de

spondylose rhizomélique (11 phot., 6

fig.), 321.

GASNE (G.) et GILLES DE la TOUIiETTE. Le

traitement de l'ataxie locomotrice par

l'élongation vraie de la moelle épinière,

18.

GASxE (G.). Sens stéréognostique et centre

d'association, 46.

GILLES DE la TOURETTE et G. Gasne. Le

traitement de l'ataxie locomotrice par

l'élongation vraie de la moelle épinière, 1

18.

Jorroox (A.). Syndrome temporaire de We-

ber avec hémiopie permanente (2 phot.,

5 fig.), 1.

Lannois et BERNouD. Enorme naevus an-

giomatcux de la face avec hémiplégie

spasmodique et épilepsie (1 phot.), 446.

Léopold Lévi et A. Achard. Conservation

des réflexes dans le tabes dorsalis. Un

cas avec autopsie (9 phot.), 83.

LÉoroLD Lévi et Achard. Atrophie des

centres nerveux dans un cas d'atrophie

musculaire et osseuse d'origine articu-

laire (2 fig. et 3 pl.), 262.

Lindetrem (A.). Contribution à l'étude de

l'étiologie du Lichen ruber, 94.

LoNDE (A.) et Henry Meige. Applications de

la radiographie à l'étude des anomalies

digitales (15 phot., 2 fig.), 34.

Magaliiaes Lemos. Contribution à l'étude

de l'épilepsie symptomatique des néo-

plasies corticales (1 phot.), 20.

Meige (HENRY). Les peintres de la méde-

cine. Dietrich, une opération sur l'oeil

(1 phot.), 59.

Meige (Henry). Un lépreux de J. Cornelisz

(1 phot.), 399.

Meige (Henry) et A. LONDE. Applications

de la radiographie à l'étude des anoma-

lies digitales (15 phot., 2 fig.), 34.

MEIGE (IIENRY) et FÉLIX ALL,RD. Deux in-

fantiles : Infantilisme myxoedémateux in-

et infantilisme de Lorain (7 phot. et

et infantilisme de Lorain (7 phot. et

3 rad.), 105.

Meige (Henry). Sur une statuette représen,

tant l'infantilisme myxoedémateux (2

phot.), 136.

Meige (Henry). Les peintres de la méde-

cine (Ecoles flamande et hollandaise).

Documents nouveaux sur les opérations

sur la tête (1 gravure et 4 phot.), 199,

320.

Meige (Henry). Charcot artiste (22 phot ,,

2 pl. en couleur), 492.

1`IOC%U1'IiovSliY. De la sensibilité doulou-

reuse de la peau : algésimétrie (2 fig.),

230.

TABLE DES AUTEURS

Nissim (J.) et A. WEIL. De lamyosite ossi-

fiante progressive (2 phot., 9 fig. et 1 pl.),

114, 154, 276, 387, 475.

Raymond (F.). Sur un cas de tumeur du

cervelet (3 fig. et 1 pl.), 213.

Richer (PAUL). De quelques variétés de la

marche et de la course (18 lig.), 65.

Sabrazès (J.) et C. CABANNES. IIémihyper-

trophie faciale (2 phot., 1 fig.), 343.

Socs (J.). Sur un cas de tachypnée hysté-

rique secondaire, 461.

SoLOVrroFe (1.). Sur les difformités congé-

nitales du cerveau dans leurs rapports

avec l'état des cellules nerveuses de la

moelle (13 fig. et 6 phot.), 185.

SOLOVT70FF (N.). Des difformités congéni-

tales du système nerveux central (28 .

phot., 5 fig.), 368.

Souques (A.) et Pierre DuvAL. Sur une

variété de paralysie associée du muscle

grand dentelé (15 phot.), 419.

Spillmann (Louis). Sclérodermie lardacée

en coup de sabre de la région frontale ;

crises épileptiformes concomitantes (1 fig.

et 1 phot.), 142. -

WEtL (A.) et J. Nissim. De la myosite os-

sifiante progressive (2 phot., 9 fig. et

1 pl.), 114, 154, 216, 387, 415.

TABLE DES PLANCHES

Anomalies digitales (A. Londe et Il. MeiGE),

III, IV, V, VI, VII.

Atrophie musculaire consécutive il la va-

riole (.L-B. Charcot), VIII.

Atrophie des centres nerveux (Achard et

Lsoron Lévi), XXXIV, XXXV.

Atrophie musculaire et osseuse d'origine

articulaire (Achard et Léopold Lévi),

11111 I.

Charcot (statue de), l.lt.

Charcot artiste (Henry MEicE), LUI il LX.

Circulation crânienne supplémentaire chez

un enfant hérédo-syphilitique (Edmond

Fournier), XXXI, XXXII.

Difformités congénitales du système ner-

veux central (N. Solovtzoit), XL, XLI,

XLlI, XLIII, 1LIV, XLV, XLVI.

Difformités congénitales du cerveau (N.

SOLOVTZOFF), XXIII. XXIV.

Hémihypertrophie faciale congénitale (J.

Sabrazès et C. Cabannes), XXXIX.

Infantile myxoedémateux (Henry .11ercs et

r..ltr.nn), XIII, XIV, XV.

Infantilisme myxoedémateux (Statuette par

Paul Richer), XVI.

Les peintres de la médecine. Une opération

sur l'oeil (Henry Meige), IX.

Maladie de Friedreich à début tardif (L.

Bonnus), XXI, XXII.

Malformations crâniennes héré<lo-s3hhili-

tiques (Edmond Fournier), XXIX, XXX.

Myosite ossifianle progressive (Weil et

Nissim), XIX, XX, Ll.

Myosite ossifiante progressive (Cas de

Ht : tM)AAn1, XXXVI.

Naevus angiomateux de la face (LANNOIS et

Bernoud), L.

Opérations sur la tête (Henry Meige), XXV,

XXVI, XXVII.

Paralysie du facial supérieur dans l'hémi-

plégie par lésion cérébrale (Cn. Féré),

XVIII.

Paralysie du grand dentelé (Souques et

DUVAL), XLVIII, XLIX.

Sainte Elisabeth de Hongrie avec un Lé-

preux (J. Cornelisz), XLVIL.

Sclérodermie lardacée en coup de sabre

(Paul Spillmann), XVII.

Spondylose rhizomélique (Feindel et P,

Froussard), XXXVII, XXXVIII.

Syndrome de Weber temporaire avec hé-

miopie permanente (.1. JOFFROY), I.

Tabès avec conservation des réflexes

(Achard ct Léopold Ltsw), 1, XI, XII.

Tubercule solitaire du lobule pariétal droit t

(IGALIL1E5 LEMOS), Il.

Un cas de tumeur du cervelet (F. Raymond),

XXVIII.

Le Gérant : Î'. Bouchez

Imp. G. Saint-Aubin et Tieveaot. - .1. Thevenot, successeur, Saint- Dizier (Hlo-lal'f1e)