NOUVELLE
ICONOGRAPHIE
DE LA
SALPÊTRIERE
TOME XVIII
Avec de nombreuses figures intercalées dans le texte et 1,XXIX planches hors texte
1905
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA
SALPÊTRIÈRE
J. M. CHARCOT
GILLES DE la TOURETTE, PAUL RICHER, ALBERT LOKDE
Fondateurs
RECUEIL CONSACRÉ A
L'ICONOGRAPHIE
MÉDICALE ET ARTISTIQUE
Patronage scientifique :
F. RAYMOND, A. JOFFROY, A. FOURNIER
et
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE
DE PARIS
Direction : Rédaction
PAUL RICHER HENRY MEIGE
w
TOME DIX-HUITIÈME
M A S S O I E T C" Editeurs S
LIBRAIRES DE E L'ACADÉMIE DE 1, : MÉDECINE E
120, Boulevard Saint-Germain, Paris Vi-
. 1905 '
NOUVELLE
ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
AVERTISSEMENT
La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière entre dans sa dix-
huitième année.
Si ses premiers pas ont été rapides, elle n'a garde d'oublier
qu'elle en fut redevable à la haute autorité de Charcot, et elle
conservera toujours un culte fidèle au fondateur de l'Ecole de la
Salpêtrière.
Parmi ceux qui se sont consacrés dès la première heure à la
publication de ce recueil, la mort a frappé l'an dernier l'un des
plus actifs : on a vu dans un article-récent quelle large part de
collaboration fut celle du regretté Gilles de la Tourette.
Placée, peu de temps après la mort de Charcot, sous le patro-
nage des Professeurs F. Raymond, A. Joffroy etA. Fournier, la
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a pris, grâce à ces nou-
veaux appuis scientifiques, une impulsion nouvelle; on a vu s'é-
tendre progressivement le champ de ses publications.
Le Professeur RAYMOND a tenu à perpétuer la tradition de la
Clinique des maladies du système nerveux en continuant à offrir
la primeur de ses travaux et de ceux de ses élèves, avec toutes les
richesses iconographiques de son service. En leur donnant tou-
jours la première place, la Nouvelle Iconographie de la Salpê-
xviii 1
2 AVERTISSEMENT
trière ne se montre pas moins respectueuse du passé que dési-
reuse de témoigner son attachement permanent à la Clinique.
Grâce au Professeur JOFFROY, qui a si largement contribué à
l'union des Neurologistes et des Psychiatres, aux travaux consa-
crés aux maladies nerveuses sont venus s'ajouter les études de
pathologie mentale. De son côté, le Professeur Fournier a ma-
gistralement opéré la fusion entre la neuropathologie et les
maladies cutanées et syphilitiques. Cette triple alliance a été pour
là Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière un précieux soutien.
Elle demeurera pour l'avenir, une ferme garantie de prospérité.
A dater de cette année, la Société DE NEUROLOGIE DE Paris a
bien voulu accorder à la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière
son patronage scientifique. En faisant à cette Revue un hon-
neur dont elle saura se rendre digne, la Société de Neurologie de
Paris s'est souvenue sans doute qu'elle était issue, elle aussi, de
la Salpêtrière. La notoriété et l'activité laborieuse de ses mem-
bres ont déjà contribué, et contribueront davantage encore par
l'avenir, à accroître l'étendue et la valeur de ce Recueil. Il s'ef-
forcera de son côté de les faire bénéficier de sa publicité et de
ses ressources iconographiques.
Loin de marcher sur les brisées de la Revue Neurologique, qui
fut dès le début, et qui doit demeurer, l'organe officiel de la So-
ciété de Neurologie de Paris, la Nouvelle Iconographie de la Sal-
pêtrière croit pouvoir au contraire lui venir en aide, en publiant
des travaux qui, par leur extension et la nature de leurs illustra-
tions, ne peuvent figurer en entier dans les comptes rendus.
Cette « entente cordiale » ne peut manquer de rendre service
à la Neurologie ; c'est le but que poursuit la Nouvelle Iconogra-
phie de la Salpêtrière depuis son origine.
Tout en se consacrant plus spécialement à la publication des
travaux de neurologie illustrés d'images cliniques ou analomi-
ques, cette Revue fait aussi bon accueil à toutes les études mé-
dicales offrant un intérêt iconographique. Nombre d'anomalies
corporelles, nombre de déviations morphologiques ne sont-elles
AVERTISSEMENT 3
pas la conséquence de processus dystrophiques liés à des pertur-
bations de l'appareil nerveux ? Il est d'ailleurs d'usage constant t
de décrire dans les « Traités de maladies nerveuses » des affec-
tions telles que l'acromégalie, le myxoedème, l'infantilisme, etc.
La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière est donc ouverte à
tous les travaux dans lesquels l'image a une importance parti-
culière. La direction 'photographique éclairée de M. Albert Londe
au mis en pleine valeur dans les premières années cette docu-
mentation imagée, qui conservera indéfiniment son intérêt et
son utilité, en dépit des fluctuations doctrinales. Avec la colla-
boration expérimentée de M. Infroit, la figuration photogra-
phique et radiographique ne peut que se perfectionner. Par la
vulgarisation de ces procédés d'examen dans tous les services
hospitaliers, on verra s'accroître encore cette partie iconogra-
phique. ,
Fidèle à une innovation de la première heure, la Nouvelle Ico-
nographie de la Salpêtrière a consacré encore une alliance : celle
de la Médecine et de l'Art. Son oeuvre médico-artistique, récapi-
tulé à la fin de l'année 1903, témoigne de l'originalité et de l'im-
portance d'un genre d'études où les textes et les images permet-
tent d'opérer d'utiles rapprochements entre la pathologie du
passé et celle d'aujourd'hui.
Chaque année de nouveaux collaborateurs apportent de France
et de l'étranger leurs contributions scientifiques; la liste de leurs
noms est devenue si longue que la place qui leur était réservée
se trouve aujourd'hui insuffisante; il a fallu, en trouver une
autre, plus extensible.
A tous ses collaborateurs qui lui donnent généreusement le
fruit de leurs recherches et l'autorité de leurs noms la Nouvelle
Iconographie de la Salpêtrière tient à exprimer sa reconnaissance.
Elle croit ne pas pouvoir leur en donner de meilleur témoi-
gnage qu'en développant et améliorant sans cesse sa partie scien-
tifique et sa partie artistique. Déjà on a pu voir en quelques an-
4 AVERTISSEMENT
nées; doubler le nombre de ses pages et le nombre de ses plan-
chers. Cette extension croissante ne doit pas s'arrêter.
La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a le ferme espoir
que tous ses lecteurs viendront seconder ses efforts pour favori-
ser son développement et rendre ainsi plus de services à un plus
grand nombre de travailleurs.
HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX.
MALADIE DE FRIEDREICH
et
HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE \1)
PAR
F. RAYMOND,
Professeur de Clinique des Maladies du Système Nerveux.
Messieurs,
Personne de vous n'est étonné en constatant] que les traits particuliers
de ce que l'on est convenu d'appeler le caractère, l'intelligence, la mé-
moire, etc... se transmettent intégralement parfois à travers plusieurs gé-
nérations d'une même famille. Or, il'en est de même des manifestations
intellectuelles anormales, les ! psychopalhies : diverses. Cette notion de l'hé-
rédité, dans les maladies mentales, a été acceptée par les médecins et les
pliilosoplies de tous les temps, et)Jsquirol, médecin de ce même hospice,
constatait le fait, à son maximum, dans les;familles régnantes. Mais ce n'est
guère]que dans la seconde moitié du siècle dernier que cette conception s'est
élargie et s'est étendue aux manifestations somatiques ^des maladies ner-
veuses. C'est depuis peu que s'es(affirmée la notion d'une prédisposition
générale à toutes les maladies nerveuses transmises héréditairement; je
vous rappelle les leçons que j'ai'consacrées à cette question dans cet am-
phithéâtre, il y a déjà dix années (2). Vous le savez, l'hérédité nerveuse
peut être définie : l'aptitude à faire éclore des maladies nerveuses, conférée
à un organisme] vicié dans ses-caractéres anatomiques apparents ou dans
son fonctionnement psychique, ou dans les deux à la. fois.
Suivant l'intensité de la fixation de l'hérédité ou suivant les facteurs
personnels favorisant, cette hérédité peut être dissemblable ou hétéro-
logue, similaire ou homologue.
C'est parmi ces faits d'hérédité similaire que doivent être rangées les
(1) Leçon recueillie et publiée par M. CHARTIER, interne des Hôpitaux.
(2) Professeur RAYMOND, Clinique des maladies du système nerveux, ! r série, p. Õ20.
6 RAYMOND
maladies familiales. Mais pour être vraiment familiales, elles doivent en-
core se soumettre aux deux lois fondamentales de l'ontogénie, formulées
par Darwin : la loi d'hérédité homochronique et la loi d'hérédité homoto-
pique. A vrai dire, et ceci ne saurait vous surprendre, en pathologie, nous
ne devons pas nous attendre à renconlrer, ainsi qu'en histoire naturelle
générale, les lois de l'hérédité aussi fidèlement respectées.
Avec cette restriction, on peut dire de la maladie familiale, suivant les
termes de P. Londe, quelle n'a pas seulement : « pour caractère distinc-
tif de se rencontrer parmi plusieurs membres d'une même famille. C'est
une maladie qui tend à créer, à côté du type normal de l'espèce, un type
anormal et presque une variété dégénérée ». « Elle doit encore, ajoute-
[-il, se manifester comme un trouble de développement, c'est-à-dire être
indépendante d'une infection acquise ou d'un accident de la vie intra-uté-
rine, c'est une maladie du germe ou tout au moins de l'union des germes. »
Il faut cependant, messieurs, corriger celle dernière proposition en ce
qu'elle a d'absolu. Ce qui distingue l'hérédité progressive, celle des ca-
ractères acquis,de l'hérédité conservatrice, celle des caractères légués, c'est
sa fixité moindre ; les propriétés acquises par un organisme durant sa vie
individuelle ne seront sûrement transmises que si les générations suivan-
tes subissent l'influence de causes modificatrices analogues. Cela revient à
dire qu'il faut attribuer aux infections et aux intoxications une influence
. considérable dans l'éclosion de la névropathie latente. L'absence ou l'ap-
parition tardive de la cause provocatrice explique l'immunité de certains
membres d'une même famille et les exceptions à la loi de l'hérédité « aux
âges correspondants »..
Parmi les affections familiales, il en est une particulièrement intéres-
sante, la maladie de Friedreich, du nom du premier médecin qui l'a dé-
crite et qui la considérait, bien à tort, comme une forme héréditaire de
l'ataxie locomotrice.
Depuis la première description qui en fut faite, de nombreux types sont t
venus s'ajouter au tableau primordial, réunis ou séparés, suivant les au-
teurs, du type primitif, et je vous rappellerai que déjà, en 1896, je décri-
vais des formes frustes, fragmentaires, et d'autre part des formes hybrides,
où la maladie emprunte de nouveaux symptômes à des affections qui lui
sont voisines dans le cadre nosologique.
Le but de cette leçon sera d'essayer, avec les éléments analytiques que
nous pouvons puiser dans la littérature récente et dans les cas du service,
d'établir les rapports existant entre les diverses ataxies familiales et de
les réunir en un groupement synthétique et raisonné. De quel intérêt,
en effet, serait pour le zoologiste ou le botaniste de connaître les particu-
larités et le signalement d'une plante ou d'un animal s'il ne peut les ran-
MALADIE DE FRIEDREICH ET HÉRÉD0-ATAX1E CÉRÉBELLEUSE Il
ger exactement dans un genre, définir l'espèce et en classer les individus
différents en races et en variétés ?
Je sais bien que cette notion d'espèce est, au point de vue philosophique,
artificielle jusqu'à un certain point. Elle est néanmoins nécessaire pour
faire oeuvre de science et de classification, et relativement juste si, ne la
concevant plus sous le jour de l'immuabilité de Linné, on l'accepte comme
un stade évolutif.
En médecine, comme dans toute autre branche des sciences biologiques,
si l'on veut établir une bonne classification, il ne faut pas se contenter de
la constatation pure et simple de tel symptôme et de telle lésion, créer des
syndromes vagues au lieu d'espèces morbides, décrire autant de maladies
qu'il y a de malades.
Dans mon enseignement, j'ai toujours cherché, à l'aide de faits
épars dans la littérature médicale et de ceux que j'observais en suivant la
méthode analomo-clinique, à dégager une conception générale et syn-
thétique. Pour les affections familiales et héréditaires du système ner-
veux, une nouvelle classification s'impose; c'est une partie de celle-ci
que je vais tenter de réaliser devant vous aujourd'hui. J'ai justement,
messieurs, la bonne fortune de pouvoir vous présenter quelques malades
atteints de diverses modalités de l'ataxie familiale ou héréditaire (J'em-
ploierai, pour le moment, de préférence, ces deux termes pour ne rien
préjuger de la question et pour les appliquer à tous les types que nous
aurons à considérer).
La première est une forme classique de maladie de Friedreich.
Louise V... est âgée de vingt ans. De l'étude de ses antécédents, nous
ne pouvons extraire aucun renseignement positif. Le père est âgé de
78 ans et se porte bien ; la mère est morte à 53 ans d'une affection car-
diaque sans avoir présenté de phénomènes nerveux.
Elle a six frères et soeurs, tous vivants, et aucun d'eux n'a jamais été
atteint d'une maladie quelconque du système nerveux. Les deux soeurs
sont mariées et de ses quatre neveux ou nièces, tous sont bien portants.
Dans les lignes collatérales, aucun fait n'est à relater se rapprochant, de
près ou de loin, de la maladie qu'elle présente. Bref, en apparence ni
hérédité similaire, ni hérédité hétérologue, tel semble être tout son patri-
moine pathologique.
Venue au monde normalement, aucune maladie de l'enfance, ni con-
vulsions, ni méningite, ne sont venues troubler son développement. Elle
a marché et parlé à l'âge ordinaire ; son enfance s'est passée sans inci-
dent, et elle était à l'égal de ses camarades dans les jeux de son âge.
8 RAYMOND
A douze ans, elle contracte une fièvre typhoïde, Irés grave, selon elle,
mais qui n'a pas exigé plus d'un mois d'alitement, et dont la convales-
cence n'a été, immédiatement tout au moins, suivie d'aucun trouble de la
marche pouvant faire soupçonner une myélite ou une polynévrite.
A 18 ans, elle aurait eu une pleurésie droite, dont la durée n'aurait
pas dépassé huit jours et sur laquelle il faut, peut-être, faire des réserves.
Elle habitait la Corrèze, quand, trois ou quatre mois après la terminai-
son de sa fièvre typhoïde, sans fièvre nouvelle, sans douleur aucune, sans
troubles cérébraux ou sphinctériens, la démarche devint, peu à peu,
ébrieuse. Elle se mit à marcher comme une femme ivre, titubant, bras et
jambes écartées. Une certaine ataxie des membres supérieurs et des mo-
difications dans l'écriture, un léger tremblement statique de la tête appa-
rurent peu après ; beaucoup plus tard seulement, les troubles de la pa-
role.
Sans l'adjonction d'aucun autre symptôme, sans phénomènes oculaires,
sans changement dans l'état général, la maladie va sans cesse en progres-
sant ; l'ataxie s'accentue et depuis trois mois la malade est alitée.
Louise V... est entrée à la Salpêtrière en janvier 1901. Actuellement
son état général n'est pas mauvais, malgré son médiocre appétit ; elle ne
présente rien au coeur ni aux poumons ; le pouls est normal et régulier.
Fille d'intelligence moyenne, sa mémoire est restée satisfaisante ; ja-
mais elle n'a éprouvé d'hallucinations. Son sommeil est calme et sans
cauchemars. Je pourrais donc dire : psychisme normal, s'il n'existait une
certaine lenteur dans les réponses, une certaine paresse dans l'effort intel-
lectuel et la facilité du rire et du pleurer, impulsifs un peu comme dans
la sclérose en plaques.
Elle n'éprouve ni céphalées, ni vertiges, ni vomissements, ni aucun
trouble des organes de l'ouïe, de l'odorat ou du goût.
Aujourd'hui, il lui est impossible de se lever de son lit ; d'ailleurs
elle n'éprouve ni douleurs, ni crampes dans les membres inférieurs et elle
garde la notion de la position de ses jambes qui ne se perdent pas dans
son lit. La force musculaire est diminuée dans les membres inférieurs,
en rapport avec un amaigrissementgénèrat, sans atrophie musculairepro-
prement dite. Vous voyez qu'elle oppose une certaine force à la flexion
de la jambe sur la cuisse, qu'elle relève bien la pointe de ses pieds et que
ceux-ci ne sont pas ballants. D'ailleurs les réactions électriques sont
bonnes.
Mais ce que vous constatez surtout, messieurs, c'est un tremblement
statique des deux jambes, une grosse incoordination motrice apparaissant
dès qu'elle soulève ses membres, l'abolition du réflexe tendineux du ge-
nou et du tendon d'Achille; c'est encore le réflexe cutané plantaire en
MALADIE DE FRIEDREICH ET llÉIlÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 9
extension et un commencement de pied creux de Friedreich (le gros
orteil cependant est relevé dans sa totalité, la 2e phalange n'étant pas flé-
chie, comme dans le type classique).
Remarquez encore l'hypotonicité très marquée de la cuisse et de la
jambe. Notez enfin que ni les masses musculaires, ni les nerfs ne sont
douloureux, que la sensibilité objective est intacte à tous les modes et
que la perception du sens articulaire est normale.
La malade est très faible ; si l'on essaye de la soulever, ses jambes plient
sous elle et l'on est obligé de la soutenir entièrement; cependant elle
sent fort, bien le sol sur lequel elle repose.
Soutenue, elle lance ses jambes en avant ; elle talonne fortement. Evi-
demment, nous ne pouvons nous rendre compte, ni de la ligne de sa mar-
che, ni de la régularité de ses pas, ni de l'influence de l'occlusion des
paupières. Seul l'interrogatoire nous apprend qu'il y a six mois, elle
titubait, avançant à pas inégaux, jambes écartées, ni mieux, ni plus mal
à la lumière ou dans l'obscurité.
Couchée sur le plancher, Louise V... ne peut se relever et du fait de
la faiblesse générale, et plus encore de celui de la grosse incoordination.
Essaye-t-elle de fléchir ou d'étendre la jambe sur la cuisse ? Ces mouve-
ments se font mal, la jambe étant envoyée brusquement à droite ou à
gauche.
Aux membres inférieurs, c'est en somme une sorte de paraplégie ataxi-
que, flasque, sans atrophie musculaire, et où l'incoordination motrice
domine avec une hypotonicité générale de tous les muscles.
Aux membres supérieurs, les phénomènes observés sont de même ordre :
force segmentaire relativement conservée, hypotonicité très nette des
divers muscles, pas d'atrophie musculaire, réflexes osseux et tendineux
abolis. Un tremblement statique bien marqué rend l'écriture impossible,
et une grosse incoordination motrice que ne paraît pas exagérer l'occlu-
sion des paupières, rend difficiles les divers mouvements.
Comme aux membres inférieurs, la sensibilité objective et subjective,
la perception du sens articulaire et du sens stéréognostique sont absolu-
ment normales. Pas de troubles trophiques; rien à noter au sujet des
troncs nerveux.
Le thorax ne présente rien de particulier à signaler ; existe-t-il une lé-
gère scoliose ? Il ne me paraît pas, mais il est vrai que l'on ne peut appré-
cier très exactement l'état de la colonne vertébrale que dans la station
debout, qui lui est impossible.
La tête est agitée d'un léger tremblement statique et la parole est lente
et saccadée. Il n'y a aucun tremblement de la langue, ni des lèvres, et pas
de troubles de la déglutition*
10 RAYMOND
Dans les regards de latéralité droite ou gauche existe un gros nystagmus
qui ne s'observe pas dans le regard vers le haut.
Tel est le tableau clinique de Louise V... Vous avez pu remarquer
qu'elle ne présentait, aucune trace d'hérédo-syphilis, et nous caractérise-
rons sa maladie par ces symptômes : grosse ataxie, abolition des réflexes,
parole scandée, nystagmus, psychisme légèrement troublé, sensibilité et
sphincters intacts.
Messieurs.dans cet ensemble symptomatique la plupart d'entre vous ont
déjà reconnu la maladie de Friedreich. Si la scoliose semblemanquer pour
parachever le schéma classique, rappelez-vous seulement que ce symptôme
peut n'exister qu'à l'état d'ébauche et d'une façon tardive.Si l'absence d'an-
técédents héréditaires ou familiaux vous cause de l'hésitation, souvenez-
vous qu'il en est de même pour des cas nombreux dont l'évolution et l'étude
anatomo-pathologique ont vérifié l'identité. Ce fait ne vient que cor-
roborer l'opinion que j'émettais tout à l'heure sur l'importance des infec-
tions bactériennes dans le développement de la maladie de Friedreich et
dont on trouverait d'autres preuves dans les cas étudiés à mon laboratoire
publiés par MM. Philippe et OberthÜr (1).
D'ailleurs, l'étude du diagnostic différentiel de la maladie de Friedreich
nous conduit, par exclusion, àaffirmerplus nettement la nature de l'affec-
tion de Louise V... Je me suis suffisamment étendu sur cette étude dans
mes leçons de 1896-1897 pour qu'il me soit permis d'y revenir aujourd'hui
d'une façon plus succincte.
Vous avez vu de suite, messieurs, qu'il ne s'agissait chez notre malade
ni de phénomènes ressortissant d'une névrose, hystérie ou astasie-abasie,
ni de phénomènes polynévritidues.
C'est plutôt pour mémoire que je rappellerai le diagnostic avec le tabes
dorsalis. L'âge de Louise V..., l'absence de syphilis dans ses antécédents
personnels, l'absence de période préataxique, la non-existence de troubles
de la sensibilité objective ou subjective, de crises viscérales douloureuses
suffiraient amplement à éliminer le tabes, si la malade ne présentait en
outre des symptômes sortant du cadre de cette affection : le nystagmus,
l'embarras de la parole, l'ataxie statique, la démarche cérébelleuse, le
début d'une déformation typique du pied.
L'idée d'une sclérose en plaques ne s'est pas présentée davantage à votre
esprit. Cette affection plus fréquente à l'âge adulte, débutant souvent par
des accidents cérébraux, ne présente jamais l'incoordination motrice que
vous venez d'observer,mais un tremblement provoqué par les mouvements
intentionnels. Tandis que chez Louise V..., l'impossibilité de la marche et
(1) Deux autopsies de maladie de Friedreich, par A. Philippe et 013ERTIIUR, Revue
Neurologique (1901).
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XVIII, PL. I.
FiG. i. - Commencement de la l ? paire cervicale. Collet du bulbe.
Sclérose marginale du faisceau antérolatéral, plus marquée au niveau du sillon antérieur. Sclérose
marquée des faisceaux de Goll et do Burdach.
' Fig. 2. - VIe paire cervicale.
Grosse dégénération du faisceau de Goll et de la bandelette externe du cordon postérieur. Dégé-
nération peu accusée des racines postérieures. Les faisceaux de Gowers et cérébelleux direct
sont très pris. A remarquer également l'atteinte très nette des faisceaux p) ranuclau"\. directs et
croisés.
FIG. ,. - VIlle paire cervicale.
Lésions plus étendues que plus haut dans les cordons postérieurs.
MALADIE DE FRIEDREICH
(F. Raymond.)
Cas D... PHILIPPE et OüERTIIÜR, in Revue Neurologique, 1901).
BASSON ET Ch, Éditeurs.
MALADIE DE FRIEDREICH ET HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 11
de la station est dépendante d'une ataxie progressivement croissante, avec
abolition des réflexes tendineux; dans la sclérose en plaques, elle est au
contraire en rapport avec une paraplégie spasmodique, avec exagération
des réflexes, procédant suivant une marche irrégulière, interrompue par
des temps d'arrêt.
S'il est des formes de maladie de Friedreich, rares d'ailleurs, que les
douleurs fulgurantes et les troubles de la sensibilité peuvent rapprocher
de la névrite interstitielle, décrite en 1893 par Dejerineet Sottas, ce n'est
pas le cas chez cette malade. D'ailleurs, et j'ai pris soin de le noter, elle
ne présente ni l'atrophie musculaire, ni l'hypertrophie douloureuse des
troncs nerveux, ni le signe d'Argyll-Robertson, communément observés
dans cette dernière affection.
Enfin cette sorte de paraplégie ataxique que nous avons observée chez
Louise V..., reflétant le trouble de la coordination qui est la manifestation
prédominante de la maladie, se distingue encore du syndrome général des
lésions purement cérébelleuses. L'asynergie cérébelleuse a comme carac-
téristique de se traduire par une perte de l'équilibre cynétique, constaté
dans les divers mouvements. mais avec conservation de l'équilibre stati-
que ce dernier est au contraire fortement altéré dans les affections médul-
laires, et c'estle cas chez Louise V... D'autre part, l'abolition des réflexes
n'a rien à voir avec les lésions du cervelet qui se traduisent surtout par
des céphalées, des vomissements, des troubles de la vue, des vertiges.
Il est bien une affection cérébelleuse qui se rapproche davantage de la
maladie de Friedreich, principalement par son caractère familial. Mais je
réserve ce diagnostic pour la discussion qui fera l'objet d'une prochaine
leçon. Ne vous ai-je pas dit que pour ne pas préjuger de la question, je
vous présenterais cette malade sous la dénomination générique d'ataxie
familiale ?
Tel est, messieurs, bien établi, le diagnostic de la maladie de Louise
V...
Le moment est venu de nous demander quelle place revient au juste il
cette affection dans les cadres de la nosologie ; en d'autres termes, quel
est le substratum anatomo-pathologique de la maladie de Friedreich ? 2
Friedreich, en 1861, au Congrès de Spire, fit connaître les traits es-
sentiels de cette nouvelle affection des centres nerveux. En 1863, il affir-
ma son existence, dans un mémoire publié sous le titre de « Dégénéres-
cence atrophique des cordons postérieurs de la moelle », et où sont rela-
tées les trois premières autopsies.
L'illustre médecin crut voir dans cette maladie la forme héréditaire du
12 RAYMOND
tabès dorsal is, non seulement en raison d'une certaine, mais grossière
analogie symptomatique qu'il avait relevée entre les deux affections, mais
encore parce que l'autopsie lui avait démontré l'existence d'une sclérose
qu'il crut être strictement limitée aux cordons postérieurs. Reportez-vous,
messieurs, à cette époque, quelques années après la mémorable publica-
tion de Duchenne de Boulogne sur l'ataxie locomotrice progressive, et vous
vous expliquerez comment sclérose des cordons postérieurs et tabès dor-
salis étaient devenus, pour ainsi dire, des expressions synonymes dans
l'esprit de la plupart des neuropathologisles. Tout était erreur dans cette
manière d'envisager les choses, tant pour la maladie de Friedreich que
pour le tabes dorsalis.Ai-je besoin de vous rappeler que les lésions du tabès
sont loin d'intéresser seulement les cordons postérieurs de la moelle, mais
qu'elles s'étendent encore aux nerfs périphériques et aux racines posté-
rieures ? Or, il en est de môme pour la maladie de Friedreich ; le fait a
été constaté par Schultze de Bonn sur les pièces durcies provenant d'un
des malades ayant servi pour la mémorable description de Friedreich ; les
lésions débordent en hauteur le névraxe rachidien et, dans la moelle même,
ne sont nullement circonscrites aux cordons postérieurs. Sclmltze avait en
effet, remarqué la participation des cordons latéraux et des cornes posté-
rieures au processus de dégénération.
Force fut bien d'accepter la nouvelle entité morbide, dont mon collègue
Erb cl'IIeidelberg avait contesté l'autonomie. La symptomatologie ett'ana-
tomie pathologique en avaient été suffisamment fixées dans leurs grandes
lignes par ces nouvelles observations.
En France, vers cetle époque, on voyait dans la maladie de Friedreich
une combinaison de la sclérose en plaques, bien décrite déjà par Charcot
et Vulpian et du tabes dorsalis de Duchenne de Boulogne. Bientôt, de
1880 à 1883, les leçons de Charcot, les travaux faits de tous côtés en
France et à l'étranger nous firent mieux connaître l'ataxie héréditaire.
J'écrivais moi-même sur la question dans un article du dictionnaire ency-
clopédique paru en 988u ; plus tard, en 1893, je l'éludiais dans mes
conférences de Lariboisière, et, il y a quelques années à peine, dans des
leçons professées dans ce môme amphithéâtre.
La publication des deux cas de Butimeyer, en 1887, font époque dans
l'histoire de l'anatomie pathologique de l'affection et jusqu'en ces derniè-
res années, on vécut sur la description, d'ailleurs très complète, qu'il
donna des lésions médullaires. À l'autopsie de deux malades qui, de leur
vivant, avaient réalisé, avec une fidélité presque parfaite, la symptomalo-
logie de la maladie de Friedreich, Butimeyer constata et décrivit un en-1
semble très complexe d'altérations médullaires ;
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.
T. XVIII. PL. II.
tc. 4. - XI paire dorsale.
Point où les lésions sont au maximum. Grosse atteinte du faisceau pyramidal croisé. Grosse
tléin3élinis.ition des colonnes de Clarke. Sclérose très intense des cordons postérieurs.
FIG. i. - IV- paire lombaire.
Aspect tabétiquo des lésions des cordons postérieurs. Atrophie des racines. Sclérose très nette
de la région pyramidale croisée.
FIG. 6. - 111° paire sacrée.
Conservation nette dans les cordons postérieurs des libres endogènes.
MALADIE DE FRIEDREICH
(F. Raymond.)
Cas D... (Philippe et Of3HI2TIlÜR, in Revue Neurologique, 1901). : \IAsso ? ET CIC, Editeurs.
MALADIE DE FRIEDRE1CU ET llÉnÉDO-ATAXTE CÉRÉBELLEUSE 13
1° Une dégénération très prononcée des cordons postérieurs, intéressant
surtout les faisceaux de Goll.
2° Une dégénération systématique des faisceaux cérébelleux directs et
des faisceaux pyramidaux croisés, avec intégrité complète des faisceaux
pyramidaux directs.
3° Une dégénération des colonnes de Clarke.
4° Une dégénération des racines postérieures.
Et sa conclusion était la suivante : « L'ataxie héréditaire constitue un
groupe morbide spécial, ayant une existence autonome ; il s'agit d'une
sclérose systématique combinée, primitive, parenchymateuse et intersli-
tielle, développée sur une base héréditaire. »
Les constatations de Rutimeyer furent confirmées dans la suite par une
série d'autres auteurs, notamment par MM. Blocq et Marinesco à l'autopsie
d'un malade mort dans cet hospice ; et cette définition de la nature histo-
logique de la maladie de Friedreich « sclérose.combinée primitive » lui
reste encore acquise pour la plupart des neuro-patholoaistes.
Tout en admettant, d'une façon générale, l'exactitude de la description
de Rutimeyer, en 1890, MM. Dejerine, Letulle et Vaquez proposèrent une
interprétation différente de la nature des lésions des cordons postérieurs.
Ils interprétèrent d'une façon toute spéciale la disposition fréquente en
« tourbillons » du tissu de sclérose et crurent à l'intégrité, dans les ré-
gions envahies, des vaisseaux, des septa et seplula conjonctifs périvascu-
laires, au moins pour ce qui concerne les cordons postérieurs. Ils crurent
à la possibilité d'une sclérose névroglique pure de la moelle, la seule sclé-
rose de ce genre jusqu'alors connue, maladie à point de départ ectoder-
mique.
Pour eux, dans les lésions de l'ataxie héréditaire, il existait deux pro-
cessus différents : l'un primitif, véritable gliose, restant localisé dans les
cordons postérieurs ; l'autre secondaire, sclérose d'origine conjonctivo-
vasculaire s'étendant aux faisceaux pyramidaux croisés et aux faisceaux
cérébelleux directs.
Cette théorie, qui faisait de l'ataxie héréditaire et familiale une vérita-
ble anomalie de développement, parut séduire au début, mais elle ne put
tenir tête aux objections que lui firent bientôt Blocq et lllarinesco,Achard,
Weigert.
« La disposition en tourbillons semble être tout simplement, dit P. Ma-
rie, l'indice des scléroses des centres nerveux réunissant les deux condi-
tions suivantes : 9 être très anciennes ; 2° être survenues dans l'enfance
pendant la période de développement des centres nerveux. »
C'est ainsi qu'elle a pu être constatée dans certaines scléroses cérébra-
les atrophiles. On peut même aller plus loin : depuis que l'on emploie
14 RAYMOND
communément la méthode de Weigert pour la coloration de la névroglie,
une prolifération au moins aussi dense a été notée dans un grand nombre
de scléroses médullaires, principalement dans la sclérose en plaques, qui,
au même litre que la maladie de Friedreich, pourraient être alors consi-
dérées comme des scléroses névrogliqués.
Contrairement, d'ailleurs, à ce que prétendaient MM. Dejerine et Le-
tulle, les altérations d'origine conjonctivo-vasculaire ne font jamais com-
plètement défaut. Elles peuvent même être assez prononcées pour que
Pitt ait voulu faire de la maladie de Friedreich, une sclérose vasculaire.
Je vous rappelle que cette dernière hypothèse vient d'être reprise par
Switalski ; il considère, en effet, que c'est à la suite de lésions vasculaires
d'ordre dystroplllque qu'il se produit d'abord une atrophie, plus tard une
dégénérescence dans les parties les moins résistantes de l'axe nerveux.
Le dernier mot de la question, du moins avec la technique actuelle,
semble être dans les conclusions que MM. Philippe et Oberthùr ont tirées
de deux cas étudiés dans mon laboratoire. Dans la névrose des deux
sujets la sclérose leur a paru bien différente de celle qu'on a l'habitude de
rencontrer au cours du tabes dorsalis, même à la phase la plus avancée ;
très végétante au point de former fréquemment, surtout autour des vais-
seaux, des masses épaisses, des cl tourbillons-» ; elle ne rappelle guère le
reticulum faiblement développé et d'aspect plutôt cicatriciel qui se montre
sur les coupes d'une moelle de tabétique.Envisagée plus spécialementdans
sa nature, cette sclérose est surtout de nature névroglique, mais le tissu
conjonctif et les vaisseaux y prennent part également, quelle que soit la
région examinée (Pl. I, II et III).
Unpointencore controversé dans l'histoire de l'anatomie pathologique
de la maladie de Friedreich est celui de savoir s'il y a vraiment sclérose des
faisceaux pyramidaux croisés. Friedreich ne l'avai pas signalée ; mais Ru-
timeyer l'a décrite,et depuis lui on la constata dans un grand nombre d'au-
topsies. Cependant Marie, tout en convenant qu'il existe des lésions dans le
territoire des faisceaux pyramidaux croisés, hésite à admettre que les fibres
altérées soient bien celles du faisceau pyramidal. 11 pense au contraire que
les fibres du faisceau pyramidal sont intactes, et que l'altération porte sur
des fibres dépendant du système des faisceaux cérébelleux direct et antéro-
latéral de Gowers et reliant ceux-ci.
Mais des cas de Friedreich et Schultze, de Burr, de Bonnus et Mackay
signalent une sclérose du faisceau pyramidal direct, sclérose la plupart du
temps très limitée et peu accentuée, il est vrai, et à laquelle il était porté
jusqu'alors très peu d'attention. Les deux cas de Philippe et Obertlnr,
plus catégoriques, méritent qu'on s'y arrête un instant. Dans les deux, il
existe une dégénération accusée des deux faisceaux pyramidaux, y compris
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XVIII, PL. III.
FlG. 1. - VIle racine cervicale.
Lésions très accusées dans les cordons postérieurs, les racines postérieures et les cordons antéru
latéraux. A remarquer la dégénérescence très nette du l.usccau de Tiirck.
FIG. 2. Xe racine dorsale.
Comparable en tous points et la XII'' paire dorsale du cas précédent, mais avec plus d intensité.
W c. 3. - IVe racine lombaire.
De même que pour la figure 2, similitude de lésions avec celles du cas précédent.
MALADIE DE FRIEDREICH
(F. Raymond.)
Cas R... (Philippe et OBERTHÜR, in Revue Neurologique, 1901).
Masson et Cie, Éditeurs.
MALADIE DE FRIEDREICH ET UÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 15
le faisceau deïurck. Etant donnés le degré et la topographie de la dégéné-
ration, l'altération des fibres pyramidales elles-mêmes ne saurait être mise
en doute, car jamais les fibres cordonales, même détruites en totalité, ne
peuvent donner naissance à une zone scléreuse aussi étendue, et dont vous
pouvez vous rendre compte sur les dessins.
Comparée à celles des cordons postérieurs, la sclérose des cordons an-
téro-latéraux leur a paru plus jeune, moins accusée dans son évolution,et
ces auleurs auraient tendance à penser que la maladie de Friedreich évo-
lue d'abord sur le cordon postérieur pour atteindre, plus tardivement, et
d'une façon variable, le cordon antéro-latéral et ses divers faisceaux.
En 1896, je décrivais déjà des formes frustes et des formes hybrides de
la maladie. C'est ainsi que je présentais un malade remarquable par
l'absence de nystagmus et de pied-bot et par l'existence d'une diplopie et
d'une hyperesthésie cutanée ; chez un autre s'adjoignait l'existence du
signe d'ryll-Robertson. Il est avéré d'autre part que les phénomènes
sensitifs, les douleurs fulgurantes, par exemple, et plus encore les phé-
nomènes parétiques sont d'une intensité absolument variable.
Ces différentes modalités cliniques pourront sans doute trouver leur
explication dans l'extrême variabilité des lésions, en particulier dans l'at-
teinte plus ou moins grave portée aux cordons antéro-latéraux, aux cellu-
les des cornes antérieures, aux racines rachidiennes et aux nerfs.
Enfin, depuis 1893, des idées nouvelles ont été émises sur la patho-
génie et la nature de la maladie de Friedreich. A cette époque, le profes-
seur Senator, de Berlin, se plaçant à un point de vue purement clinique,
soutenait que la maladie de Friedreich devait être considérée comme
l'expression d'une lésion cérébelleuse.
L'instabilité statique, la démarche titubante, le vertige, l'embarras de
la parole, le nystagmus, en un mot un grand nombre d'éléments du tableau
symptomatique pouvaient être invoqués en faveur de celte interprétation.
A l'idée de Senator, il devait s'agir d'une atrophie congénitale du cervelet
développée sur un fonds de prédisposition familiale et avec laquelle de-
vait coïncider une atrophie de la moelle et du bulbe. Les observations de
Nonne et de Nlenzel, dans lesquelles les autopsies relatent à la fois une
atrophie du cervelet et de la moelle, apportaient un appoint à cette théo-
rie.
Les objections n'y ont pas manqué : pour Schul tze comme pour Frie
dreich, l'ataxie héréditaire est liée réellement à une affection primitive du
névraxe rachidien et des racines médullaires ; à côté d'elle, mais il existe-
rait, sur le même plan, mais séparée nettement par des différences essen-
16 Ô RAYMOND
tielles anatomiques et cliniques, une affection dont P. Marie a donné la
première description : l'hérédo-ataxie cérébelleuse.
Nous arrivons là au coeur de la discussion, et sans préjuger aucune-
ment de la solution du problème, qu'il me soit permis, messieurs, de vous
rappeler que les premières autopsies ont été certainement insuffisantes,
tant en raison de la moindre perfection des procédés techniques, qu'en
raison du courant même des idées.
La voie est ouverte aujourd'hui à la recherche de lésions considérées
comme l'exception dansja maladie de Friedreich; nous voulons parler des
lésions cérébelleuses.
C'est la découverte d'altérations microscopiques ou macroscopiques du
cervelet dans deux cas récemment étudiés dans cette clinique, qui nous
amènera, dans notre prochaine leçon, à discuter, preuves à 1 appui, les
rapports qui existent entre les deux formes de l'ataxie héréditaire, la
forme spinale et la forme cérébelleuse.
UNIVERSITÉ DE GENÈVE
SCLÉROSE MÉDULLAIRE, TRANSVERSE, SEGMENTAIRE,
DORSOLOMBAIRE GAUCHE, MÉTATIfAUIIIATIQUE.
FORME CLINIQUE CURABLE.
Fracture DU PIED DROIT. Quatorze MOIS PLUS tard, HÉMI-PA-
RAPLÉGIE GAUCHE. HÉMI-ANESTHÉSIE SENSITIVE ET SENSO-
RIELLE DU MEMBRE INFÉRIEUR DROIT.- THERMO-ANESTHÉSlE CROI-
SÉE DU FROID A DROITE, DU CHAUD A GAUCHE. - SIX MOIS PLUS
TARD, HÉMATORACHIS. - GUÉRISON.
par LE PROFESSEUR
Léon RÉVILLIOD
(de Genève). t
En mars 1902, Mme X... me fait remarquer qu'elle a de la peine à
marcher. Elle vacille un peu sur ses jambes, le pied se tord, se met de côté.
En même temps elle a de drôles de sensations. C'est comme si elle avait sous
la plante des pieds des boules, des pelottes sur lesquelles elle roule ou glisse,
prête à tomber. Elle tombe en effet si un point d'appui ne se trouve pas à portée
et, une fois à terre, il lui est difficile de se relever. La jambe gauche en parti-
culier se refuse au service. Elle se demande si ces sensations ne sont pas dues
à des bottines trop étroites, ou trop larges, ou mal faites et en a changé plu-
sieurs fois sans résultat. Elle se plaint en outre de raideurs, contractions,
constrictions, soubresauts, de pressions dans un étau de bois, de marbre, de
coton, sensations déterminées par un mouvement ou seulement l'idée d'un
mouvement. L'effort pour chercher à se soulever dans son fauteuil provoque
des crampes qui mettent les jambes, les pieds, les orteils en extension forcée.
Les pieds*sont tantôt▶ trop froids ou trop chauds. Elle cherche alors naturelle-
ment le contact d'objets froids lorsqu'elle a trop chaud, d'objets chauds, lors-
qu'elle a trop froid, sans pouvoir corriger ces erreurs de sensations. Lorsqu'elle
prend un bain de pieds chaud, la sensation est inégalement ressentie par les
deux pieds, de même pour le froid. La sensation thermique est retardée, puis
augmentée et prolongée. Le tiède chaud devient brûlant, le%tiède frais devient
glacial, impressions qui persistent et s'accentuent après la sortie du bain. Le
contact, d'un objet quelconque à la température ambiante donne la sensation
de brûlure.
( L'examen dénote que ces perversions de sensations existent surtout dans le
mu 2
18 RÉVILL10D
membre inférieur droit, depuis la ceinture du bassin à la plante du pied. Elles
intéressent toutes les sensibilités générale et spéciales, douleur, tact superficiel
et profond, piqûres, chatouillements, etc., qui sont senties assez normalement
à gauche.
La motilité, mouvements de flexion, d'extension, d'adduction, d'abduction,
ainsi que la force musculaire sont conservées à droite, mais à gauche, la para-
lysie motrice est complète, paralysie flasque. Le membre soulevé retombe
lourdement. Le talon posé sur le lit, genou fléchi, glisse de suite inerte. Le
pied abandonné à lui-même penche en varus équin.
Il y a perte de la notion de la position des membres inférieurs. Assise,
Mme X... ignore où sont ses pieds qu'on trouve comme perdus sur le sol, en
attitude indifférente, vicieuse.
La locomotion est donc devenue impossible par paralysie motrice de la
jambe gauche qui traîneetpar l'incoordination par dysesthésie delà jambe droite.
Il n'y a pas de douleurs le long des membres ni en ceinture.
Les réflexes patellaires sont exagérés des deux côtés, plus forts à droite qu'à
gauche. Il n'y a pas de trépidation spinale. Le réflexe Babinski existe. Les
gros orteils ont une tendance spontanée à se mettre en extension; si on touche
la face interne de la plante, cette attitude augmente et se propage aux autres
orteils. Il faut employer une certaine force pour les mettre en flexion.
Les réflexes cutanés sont nuls ou indécis.
Il n'y a pas d'atrophie musculaire, pas de mouvements fibrillaires. Pas de
lésions trophiques. Sphincters intacts. Rachis normal. Pas de troubles d'inner-
vation des membres supérieurs, du bulbe, de l'encéphale, des fonctions
respiratoire, circulatoire. Pas d'Argyll Robertson. Myopie familiale très pro-
noncée.
J'avoue les lacunes de cet examen, ayant omis à dessein de parler des explo-
rations indécises, douteuses, inconstantes, à propos des réactions électriques,
des réflexes cutanés de la zone hyperesthésique de la limite supérieure de la
région anesthésiqup, etc. ; mais nous tenonscomme certains ces deux signes im-
portants et suflisants pour esquisser un commencement de diagnostic topogra-
phique, savoir :
1° L'hémiparaplégie gauche.
2° L'hémidysesthésie droite, beaucoup plus prononcée qu'à gauche.
Insistons en outre sur un aspect particulier de ce syndrome Brown-Séquard.
C'est une dissociation thermique qui consiste en ceci : que le membre inférieur
droit sent le chaud, mais ne sent pas le froid, tandis que le membre inférieur
gauche sent le froid et ne sent pas le chaud (Fig. 1).
Un fait accidentel est venu confirmer le résultat de notre expertise. Ce sont
de grosses phlyctènes qui se sont produites à la face externe de la cuisse et aux
malléoles gauches par le contact de sacs de caoutchouc pleins d'eau chaude
sans que la malade ait eu conscience ni du contact ni de la température de ces
sacs. Notons encore que ces brûlures au second degré ont été produites par une
chaleur très supportable pour nne peau saine.
SCLÉROSE MÉDULLAIRE
19
Traduisant anatomiquement ces troubles sensitivo-moteurs, nous devons
admettre une lésion intéressant la moitié gauche d'un segment de la moelle
dorso-lombaire dans laquelle se trouve compris :
1° Le tractus moteur du membre inférieur gauche (faisceau pyramidal) ;
2° Le tractus thermique du chaud de ce même membre inférieur gauche(subs-
tance grise centrale) ;
3° Le tractus sensitivo-sensoriel et thermique du froid du membre inférieur
droit qui doit donc s'entrecroiser pour aller rejoindre la lésion du côté gauche,
ceci dit, malgré les opinions actuelles, sur les voies de conduction de la sensibi-
lité dans la moelle si bien exposées par le Dr Long(l).
La partie saine de ce segment comprendrait la corne antérieure gauche
(absence d'atrophie musculaire) et toute la demi-moelle droite(corne postérieure
exceptée).
Toute la partie sous-jacente à ce segment serait également intacte, vu la
persistance et l'exagération des réflexes patellaires et le fonctionnement normal
des sphincters.
(i) Long, Les voies centrales de la sensibilité générale, Thèse de Paris, 1899.
Fig. 1 (ire Périodes Le chaud (pointillé) est senti à droite, pas à gauche.
Le froid (hachures) est senti à gauche, pas a droite.
La fesse gauche et la partie supérieure interne de la cuisse gauche ne sentent ni le
froid, ni le chaud.
20 RÉVILLIOD
Intacte aussi est la région cervico-dorsale qui n'a donné lieu à aucun trouble
fonctionnel.
Les examens maintes fois renouvelés de ces troubles sensitivo-moteurs
donnent à peu près les mêmes résultats jusqu'en mars 1903, époque où nous
constatons les modifications suivantes.
La jambe gauche a recouvré depuis quelque temps déjà un peu de force et '
de motilité. Le talon ne glisse plus sur le lit. Il y a quelques mouvements
voulus, amélioration qui va toujours s'accentuant.
Le tact et le froid sont'ressentis au pied droit.
Le chaud est ressenti par le pied gauche (Fig. 2).
Les dysesthésies primitivement localisées à droite diminuent dans ce
membre inférieur droit, mais se diffusent, se propagent au côté gauche, puis
tendent à disparaître, d'abord à la face postérieure des membres, sauf la fesse
gauche qui reste plus longtemps insensible au chaud et perd même la notion du
froid qu'elle avait gardée précédemment. La face interne de la cuisse garde
longtemps une sensation de pression, comme par un corps étranger appliqué
contre elle. Il semble qu'a mesure que ce membre inférieur gauche recouvre sa
motilité, il perde la notion de ses sensations, tandis que celles-ci reparaissent
Fig'. 2 (2" Période). - La sensation du chaud revient au pied gauche.
La sensation du froid revient au pied droit.
Ces sensations reviennent aussi plus tard à la face postérieure des deux membres.
SCLÉROSE MÉDULLAIRE 21
à droite. Cette jambe droite, longtemps insensible au froid, retrouve cette sen-
sation à sa face postérieure.
En somme la systématisation hémilatérale droite des troubles des sensations
générale et spéciales se désystématise, passe d'un côté à l'autre, tandis que
la motilité toujours intacte à droite, un peu ataxique, revient à gauche.
Il y avait lieu de redouter que la lésion transverse primitivement limitée à
gauche eût franchi la ligne médiane, gagné la face postérieure de la moelle, la
substance grise médiane, à mesure qu'elle libérait le faisceau moteur gauche,
tout en respectant toujours le faisceau moteur droit, ainsi que les racines, les
méninges, toutes douleurs rachidiennes étant toujours absentes.
Nous constatons cependant que l'amélioration ne discontinue pas. La face
antérieure des membres inférieurs, recouvre à son tour la sensibilité thermique
normale qui était revenue déjà depuis quelque temps à la face postérieure.
Le fait du retour des mouvements à gauche et de la diminution des perver-
tions sensorielles à droite permit peu à peu à la malade de se tenir debout, de
faire quelques pas un peu incoordonnés, étant toujours soutenue des deux côtés.
De cet exposé résulte que nous pouvons exclure toute affection purement
fonctionnelle, hystérie, paraplégies réflexes, etc.
Ce n'est pas un tabes, malgré l'ataxie et les troubles sensoriels, du fait de
la monoplégie, de l'absence de douleurs fulgurantes et de l'exagération des ré-
flexes patellaires.
Si les dissociations thermiques parlent pour une syringomyélie, il ne man-
que pas de raisons contre ; en particulier l'intégrité des membres supérieurs,
de la nutrition musculaire, cutanée, de la forme du rachis, etc.
L'absence de tremblement intentionnel, de nystagmus, de scansion exclut la
sclérose en plaques, sclérose qui serait du reste uni et non multiloculaire.
Il ne s'agit pas non plus d'une polynévrite, ni d'une paralysie spinale ascen-
dante, affections qui n'ont rien à faire avec le syndrome Brown-Séquard. Dans
notre cas, les membres inférieurs ont été pris en masse dès le début, à gauche
pour la motilité, à droite pour la sensibilité, sans remonter plus haut que la
région dorso-lombaire. L'intégrité des sphincters, l'exagération des réflexes
patellaires indiquent l'état normal de la partie inférieure de la moelle, de
même que l'absence des troubles fonctionnels des membres supérieurs, de la
respiration, déglutition, etc. indique aussi l'état normal de la région cervico-
dorsale.
En résumé, les éléments du diagnostic topographique convergent, comme
nous le faisions déjà pressentir,vers l'existence d'une myélite transverse dorso-
lombaire primitivement unilatérale gauche, puis diffusée dans la région pos-
térieure.
Une lésion transverse unilatérale évoque de suite l'idée d'une tumeur extra-
médullaire agissant par compression (mal vertébral, tuberculose, cancer,
pachY1éllingite), ou née dans le tissu médullaire (gomme, gliome, sarcome,
etc.). C'était en effet l'opinion de nos excellents collègues MM. Prévost et
Long que j'avais priés de voir Mme X..., comme experts en neurologie.
22 HÉVILLIOD
Mais rien dans les antécédents ne plaidait en faveur d'aucune de ces supposi-
tions. D'ailleurs,il est de bonne règle, lorsqu'un diagnostic comporte un mauvais
pronostic, de chercher autre chose, et lorsque deux ou plusieurs diagnostics
d'égale valeur sont en présence, de choisir d'abord celui dont le pronostic est
le meilleur D'autre part, c'est par la recherche des circonstances écologiques
et pathogéniques qu'on arrive le plus sûrement à comprendre la nature d'une
lésion, disons dans le cas donné, d'une myélite transverse.
C'est donc le moment de remonter dans le passé de notre malade et de
chercher dans les conditions de son existence celles qui ont pu déterminer
son statut actuel. -
Mme X... est âgée de 53 ans, corpulente, pléthorique, obèse, constipée, ayant
fait des cures à Brides et Marienbad. Son père est mort à 77 ans,d'une affection
du cervelet, son oncle à 66 ans d'une hémorragie cérébrale, inondation ventri-
culaire. Il y a quelques troubles nerveux chez les collatéraux.
Douée elle-même d'un tempérament nervoso-sanguin, elle présente une
certaine nervosité psychique et physique. Impressionnable, émotive, sujette
à un tremblement oscillatoire, rhythmique, latéral de la tête à propos d'une
fatigue, d'une émotion. La face se colore, se congestionne facilement après le
repas. Elle fuit la chaleur, le soleil qui provoquent des maux de tête et arrivent
parfois à la berlue, à la migraine.
Du reste, à part cette dernière maladie, elle n'a jamais été alitée que pour
quatre couches qui se sont passées sans incident. Ses règles étaient toujours
abondantes. A. la ménopause elle eut des métrorrhagies suivies d'anémie tran-
sitoire qui contrastait avec son teint habituel.
Elle mène une vie assez active; elle marche, se promène volontiers, bien
que ses petits pieds paraissent mal proportionnés avec le volume du corps
et de l'abdomen en particulier.
Le 17 janvier 1901 survient un accident sur lequel nous allons insister.
En descendant un escalier, elle fit une chute violente qui produisit une frac-
ture des deux malléoles du pied droit et une demi-luxation de l'astragale. La
réduction fut facile, mais l'alitement fut long, pénible, engourdissant, consti-
pant, contribuant à développer l'obésité naturelle. Les premiers pas avec
béquilles furent incertains, réclamant une rééducation de la marche, bien que
la coaptation des fragments fut parfaite.
Nous avons dit que les débuts des troubles de la locomotion dataient de
mars 1902, soit 14 mois après l'accident qui semblait n'avoir pas eu de suites.
Cependant en fouillant ses souvenirs, Mme X... croit bien se rappeler que
pendant cette période de temps les sensations des plantes de pieds étaient bien
quelque peu amorties ou perverties.
Y a-t-il un rapport à établir entre cette chute, cette fracture et la myélopa-
thie actuelle ?
Telle est l'importante question qui se pose.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de ces traumatismes qui ont intéressé direc-
tement la colonne vertébrale, fractures, contusions, commotions,dont les symp-
SCLÉROSE MÉDULLAIRE 23
tômes ont leur summum aussitôt après l'accident, ni même de ces symptômes
tardifs, consécutifs à un trauma direct du rachis, signalés par Déjeune et
Thomas (1). Dans notre cas, le choc de la chute n'a pas porté sur le rachis.
Mais nous avons à discuter si nous n'avons pas à faire à ces affections méta-
traumatiques, cunséquence lointaine des traumatismes périphériques sur l'axe
cérébro-spinal, action à distance dans l'espace et dans le temps, répercussion
d'une lésion des extrémités sur le centre, sur un centre spécial, par progres-
sion lente de la partie blessée sur la moelle.
L'histoire des myélopa Lit ies, suites lointaines d'un traumatisme périphérique,
a déjà - au point de vue anatomique, du moins --une littérature assez riche,
qui ne fait que s'enrichir encore à mesure que les lois sur les accidents se mul
tiplient dans les Codes.
A elle se rattachent la longue liste des travaux sur les névrites ascendantes,
l'étude clinique et expérimentale de la moelle des amputés et des divers trau-
matismes des extrémités, les dégénérescences rétrogrades de Durante (2).
Citons en particulier sa thèse très documentée et pourvue d'un index biblio-
graphique qui donne toutes les sources auxquelles on peut puiser sur ce sujet
jusqu'en 1895. Le tabes métatraumatique a donné lieu encore à nombre de pu-
blications, entr'autres une conférence de Leyden (3), un mémoire d'Arthur
Rosenfeld (4), etc.
De l'ensemble de ces travaux résulte que si la moelle est un point de départ,
elle est aussi un point d'arrivée, que si elle préside à la nutrition, elle souf-
fre aussi des lésions périphériques, comine Sano vient encore de le démontrer
au Congrès des neurologistes dans son rapport sur les localisations motrices de
la moelle. Il résulte enfin que les lésions traumatiques ou expérimentales d'un
nerf mixte peuvent donner lieu à des lésions très variées de la moelle, lésions
scléreuses (Marie, Switalski) (5), lésions cantonnées dans un segment, segment
dorso-lombaire, lorsque la lésion, point de départ, siège aux extrémités inférieu-
res, segment dans lequel la sclérose envahit ◀tantôt▶ la substance grise ou les
faisceaux blancs, ◀tantôt▶ se dissémine des deux côtés ou se localise d'un seul
côté, donnant lieu naturellement des symptômes en rapport avec la région
intéressée.
C'est ainsi que lorsque les faisceaux postérieurs sont atteints, on observera
les symptômes du tabes, fait sur lequel s'appuient les auteurs qui ont donné le
traumatisme comme pouvant créer la sclérose des cordons postérieurs. Dans
ce cas, la lésion se propage de bas en haut (cordons de Goll et de Burdach).
Mais d'autres fois elle reste limitée forme transverse segmentaire - à son
point d'arrivée, sans se propager sous forme d'altérations secondaires ascen-
(1) Traité de médecine et de thérapeutique de Brouardel et Gilbert, 1903,t. IX, p. E08.
() G. Durante, Revue de médecine, 1893 et Thèse de Paris, 1895.
(3) Berliner klinische \'ochenschrift, 18 mai 1903.
(4) Uber lraumatische Syringoniyelie und Tabès, in Volkmann's Samlung Klinische
Vortrage, n° 380, 1904.
(5) Revue neurologique. 1901, p. 62, 85.
24 RÉVILLIOD
dantes on descendantes. Unilatérale, elle se manifestera par le syndrome Brown-
Séquard plus ou moins pur, forme qui n'est pas très rare. Déjà mentionnée
par Vulpian ('1), nous en retrouvons un exemple donné par le professeur
Raymond (2) ; le surjet observé présentait le syndrome Brown-Séquard consé-
cutif à un ancien traumatisme complété quatre ans plus tard par un choc psy-
chique. Il s'agirait dans ce cas d'une hématomyélie ou d'une syringomyélie.
Enfin nous pouvons encore rapprocher de notre cas, remarquable par son en-
trecroisement médullaire (trauma du pied droit, plégie de la jambe gauche),ce-
lui cité par Charcot (3). Il s'agit d'un homme de 40 ans,amputé de cuisse, chez
lequel « le membre inférieur du côté opposé à celui de l'amputation commence
à se mouvoir difficilement ; il devient habituellement raide ; le réflexe rotulien
s'y montre exagéré ». « La moelle, en conséquence, dit M. Charcot, a été occu-
pée à un certain niveau par un foyer de myélite transverse dont les symptô-
mes spinaux sont en quelque sorte la traduction clinique ».
Si l'on s'est beaucoup occupé du tabès métatraumatiqne, on a peut-être trop
négligé les autres myélopathies attribuables à la même cause, ces affections spi-
nales combinées, diffuses, plus ou moins classées, qui peuvent avoir eu dans
leur passé un traumatisme, agent générateur peut-être méconnu, formes clini-
ques variées mais unifiées, dans le cadre de ces transverses tributaires d'une
irritation'périphérique. C'est en quelque sorte un métamérisme à rebours, le
segment médullaire qui préside aux fonctions du cou-de-pied recevant récipro-
quement les impressions reçues par celui-ci. C'est le trauma en chaussette
qui aurait dans notre cas déterminé la lésion segmentaire et ses conséquences.
Nous avons donc posé les deux diagnostics successifs suivants :
1° Diagnostic anatomique ; myélite transverse ;
2° Diagnostic pathogénique : myélite segmentaire métatraumatique.
Ce dernier est le plus important en ce qu'il donne au cas que nous décrivons
son cachet spécial. Si en effet il rentre anatomiquement dans la famille des
scléroses de la moelle, de la transverse classique en particulier, nous avons vu
qne cliniquement, il s'en distingue en effet :
le Par sa cause, par le rôle qu'un trauma antérieur périphérique peut avoir
joué dans la genèse.
2° Par sa longue incubation. Entre l'accident etles premiers symptômes médul-
laires, s'écoule une période de temps plus ou moins longue, période silencieuse
qui peut durer de quelques semaines à plusieurs années (V. pour le tabes le
tableau de Spillmann et Parisot (4), durée qui n'est pas en rapport, comme on
aurait pu le croire, avec la distance parcourue de la partie blessée à son seg-
ment médullaire.
3° Par sa marche. Elle a un commencement et une fin, une période de
(1) VuLpiAN, Maladies du système nerveux, 1819-1886, t. I. p. 658
(2) Bulletin médical, 13 juin 1903, p. 555 ; analysé in Revue neurologique, 1903,
p. 105.
(3) Charcot, Leçons du mardi, 1881-1888, p 459.
(4) SPIf.LMANN et PARISOT, Revue de médecine, 1888.
SCLÉROSE MÉDULLAIRE 25
croissance et de décroissance. Elle suit en un mot une évolution qui,chez notre
malade, a demandé dix-huit mois. Lente à venir, à gagner son segment où elle
va s'installer pour, de là, se manifester par ses symptômes sensitivo-moteurs
puis rétrocéder après avoir accompli sa tâche, terminé sa carrière, voilà certes
un tableau qu'on n'est guère habitué à observer dans les scléroses en général
et les affections chroniques de la moelle en particulier.
C'est donc là une forme clinique bien réelle,bien spéciale sur laquelle cepen-
dant l'attention des cliniciens ne me semble pas, que je sache, avoir été éveillée
et qui n'en mérite pas moins sa place dans le cadre nosographique.
Il est vrai qu'un traumatisme du pied est un fait trop banal pour être rendu
seul responsable d'une paraplégie à longue échéance. Il faut autre chose. Pour
que nos myélites scléreuses transverses métatraumatiques puissent se réaliser
avec leurs différents aspects, il faut en effet qu'elles rencontrent un organis-
me névropathe et réceptif. Un traumatisme n'a jamais fait à lui seul une mala-
die. Il se borne à réveiller les diathèses (Verneuil) et à mettre en activité un
processus latent in potentia. Mais il n'en est pas moins une condition néces-
saire pour l'accomplissement de l'acte morbide. Tel 1'liystéro-traumatisme chez
l'hystérique ; tel le délirium tremens qui demande chez l'alcoolique à être pro-
voqué par un choc physique ou psychique. De même l'irritation périphérique
est nécessaire chez le prédisposé pour déterminer la localisation spinale, la for-
me transverse en particulier.
Si, après longue réflexion, le trauma vient échouer sur la moelle et y créer
une lésion, celle-ci pourra être plus ou moins superficielle ou profonde,
passagère ou durable, plus ou moins capable de se révéler par des altérations
appréciables en rapport avec la vulnérabilité du tissu médullaire et par des
symptômes en rapport avec l'impressionnabilité du sujet. Ainsi présentée, nous
arrivons, je crois, sans peine, à comprendre la pathogénie du cas.
Revenons maintenant à notre malade qui, en mai 1903,était arrivée à la secon-
de période de la maladie.
La première avait été caractérisée par le syndrome Brown-Séquard, trou-
bles sensoriels à droite (côté blessé), paralysie motrice à gauche.
La seconde par une diminution de ces troubles sensoriels à droite qui se ma-
nifestent à gauche et par le retour graduel de la motilité à gauche.
Il en résulte que l'ataxie diminuant à droite, la force revenant à gauche, la
malade est plus mobilisable ; soulevée de son fauteuil, elle peut faire quelques
pas, à condition d'être encore bien soutenue sous les aisselles, ce qui permet,
en mai 1903, de mettre à exécution le projet d'aller consulter à Heidelberg le
professeur Erb, lequel se prononça, ainsi que le professeur Brauer, pour une
« beginnende circumscripte Myelitis im unteren Brustmark ». Et à ma deman-
de s'il estimait que le trauma peut être mis en cause, j'eus la faveur de recevoir
du professeur Brauer la réponse suivante : « Dass das Trauma die Ursache des
Erkrankung von M. X... sein kann, ist je kaum zù bezweifeln und haben wir
ùns je auch wolil in diesem Sinne verstandigt. Es trifft die Ursache Trauma sur
26 RÉVILLIOD
die vorliegende Erkrankung viel elier zu als wie für Tabes, wie dieses von
Leyden will.
Voilà donc notre modeste opinion appuyée par des autorités de premier
ordre.
Outre les prescriptions sur lesquelles nous reviendrons, le professeur Erb
conseilla une cure à Nauheim qui fut faite en juillet et août 1903 sous la direc-
tion du Dr Schuster.
L'amélioration continuait progressivement, mais lentement, la malade étant
toujours condamnée au fauteuil roulant, et ne pouvant qu'à grand'peine faire
quelques pas étant bien soutenue.
Nous en étions là, lorsque le 14 septembre 1903, après une journée fatigante,
déménagement à surveiller, promenades en voiture, compliquée par une réten-
tion fécale, disposition habituelle entretenue par la grande difficulté de se faire
mettre sur la selle, MmeX... se sent prise d'un grand malaise, de vives
douleurs dans les ! ombes, les flancs, le ventre, les jambes qui réclament impé-
rieusement le lit. Je constate qu'elle est incapable de faire le moindre mouve-
ment ; elle est paralysée des deux membres inférieurs, même de la jambe
droite qui avait été indemne jusque-là. L'essai d'un mouvement quelconque
exaspère ces douleurs et réveille ces sensations de brûlure qui avaient presque
disparu. Les sensations de contact sont nulles ou perverties ou douloureuses
asssi bien à gauche qu'à droite, du bassin jusqu'aux pieds. Le ventre est très
ballonné, encombré. La face est rouge, vultueuse, angoissée, les lèvres sèches.
Cependant il n'y a pas de fièvre. T. 36° 2.
Cet incident rapide, sinon subit, disons cet ictus avec abolition absolue de la
motilité et des sensibilités objectives, avec ces phénomènes douloureux très
angoissants, nous fit de suite penser à un raptus hémorragique, favorisé par la
constitution pléthorique, provoqué par les circonstances susdites, pouvant même
être en corrélation avec l'état de la moelle et avoir été déterminé par la rupture
de quelques vaisseaux de nouvelle formation entourant le segment sclérosé.
En faveur de cette idée vient aussi l'expérimentation qui démontre qu'une hé-
morragie peut faire partie des lésions spinales consécutives à la section ou à l'ar-
rachement du sciatique (Hayem, Soc. de Biologie, 1873). Enfin le professeur
Erb informé de cet incident, voulut bien répondre ; « Der acute zwischenfall in
September mag, we sie vermütUen, durch eine Meningeate Blutung herbei-
gefuhrt sein. » Heureusement l'examen clinique démontre qu'il s'agissait plu-
tôt d'un hématorachis agissant par compression que d'une hématomyélie qui
aurait détruit la substance médullaire. En effet les sphincters quoique pares-
seux pendant quelques jours, ainsi que les trophiques ont tenu bon. Les
réflexes patellaires, un instant troublés, amoindris, ont vite repris, sans arriver
à l'exagération qu'ils présentaient antérieurement,
Enfin de jour en jour la motilité reparut à la jambe gauche la première, celle
qui avait été plégiée, puis en second lieu à la droite, celle qui, avant cet inci-
dent, l'avait toujours conservée. Les troubles dysesthésiques se dissipent aussi
peu à peu et se bornent à ces sensations de brûlure que provoquent les mou-
vements un peu étendus.
SCLÉROSE MEDULLAIRE
27
Remarquons la rapidité de la résorption de l'épanchement sanguin, ce qui
est encore confirmé par l'expérimentation (Ilayem, Soc. de Biologie, 1873) et
par la clinique (Chauffard, Froin et Boidin, Formes curables des hémorragies
méningées sous-arachnoidiennes. Presse médicale, 2t juin 1903).
Nous revenons donc à la période de réintégration lente qui avait précédé cet
incident et qui - phénomène intéressant à noter prit dès lors une allure
plus rapide et plus stable.
Tirons la morale de cet épisode. C'est que cet ictus hémorragique qui est
venu comme un coup de foudre pendant le décours de la maladie, qui a donné
le tableau d'une paraplégie flasque complète, a finalement eu un résultat favo-
rable par la restitution rapide des fonctions sensitivo-motrices. Il aurait joué
le rôle d'une bonne saignée locale venant juste à propos pour dégorger ce foyer
en activité depuis dix-huit mois.
Déjà en octobre 1893, Mme X... peut être mise debout,se tenir en équilibre,
puis se lever seule de son fauteuil et faire quelques pas avec deux cannes.
En novembre elle marche seule à petits pas sans canne. Les sensations spé-
ciales, tact, température, etc. sont revenues à la normale :
1° A la face postérieure des membres inférieurs (Fig. 3). -
2° A leur face antérieure. Les phénomènes spasmodiqnes ne reparaissent
que de loin en loin et seulement s'il y a provocation.
Fig. 3 (3° Période).- Les sensations de chaud et froid reviennent aussi plus tard
à la face antérieure des membres (Retour à l'état normal).
28 RÉVILLIOD
L'amélioration continue ses progrès constants et réguliers, malgré quelques
migraines et une forte attaque de grippe en février 1 ! )O, si bien que Mme X...
monte et descend les escaliers sans appui.
Nous suivons aussi, comme un indice dans la marche des événements, les
progrès d'un sillon unguéal des gros orteils.
Le4 février 1904 le droit est 111 11 millimètres, le gauche à 7 millimètres de
sa base.
Le 19 mars 1904 le droit est à 15 millimètres, le gauche à 12 millimètres de
sa base.
Le 3 mai 1904 le droit est à 17 millimètres, le gauche à 16 millimètres de
sa base.
C'est donc le droit qui s'est développé le premier, mais, poussant plus lente-
ment, le gauche a fini par le rattraper.
En resumé, l'évolution de cette maladie peut être divisée en cinq pérodes :
1° Incubation de quatorze mois ;
2o Impotence des extrémités inférieures, dysesthésies, anesthésie du froid,
ataxie à droite (côté blessé), paralysie motrice et anesthésie du chaud Ù gauche;
3° Retour progressif de la motilité du côté gauche qui participe alors à son
tour aux troubles sensoriels du côté droit ;
4° Retour progressif des sensibilités thermiques normales commençant : a)par
les pieds ; continuant : b) par la face postérieure, c) par la face antérieure des
membres inférieurs. Amélioration générale, interrompue par un hématorachis
lequel, après avoir produit une paraplégie flasque, complète mais passagère,
active ;
5° La marche à la guérison.
Nous disons la guérison. C'est encore là un caractère important de cette lé-
sion-maladie, bon à enregistrer dans son pronostic.
Si, en effet, la myélite transverse, telle que la décrivent les auteurs,est une
des maladies de la moelle « qui résistent à tous les moyens de traitement con-
nus actuellement » (Vulpian, Maladies du système nerveux, t. I, p. 672), nous
demandons une heureuse exception pour cette forme qui, accidentelle dans ses
causes et ses effets, ne saurait comporter une évolution absolument fatale et
incurable. Lorsque, d'une manière générale, le médecin aura pu dégager son
esprit de l'idée de tumeur, néoplasme, dégénérescence et le reporter sur l'élé-
ment étiologique, pathogénique, dynamique, il sera plutôt' optimiste, précieuse
condition pour manier avec confiance et succès les divers procédés de l'art de
guérir.
Cette guérison doit-elle être comprise dans le sens anatomique, impliquant
l'idée du retour à l'état normal de la substance médullaire ? C'est possible, nous
savons que le cylindraxe a souvent la vie dure, mais peu nous importe, du.
moment que les voies de la sensibilité et de la motilité sont rétablies, eussent-
elles même dû traverser un tissu scléreux ou faire un détour pour rétablir leurs
fonctions, ce qui est du reste conforme aux données de la physiologie. Rappe-
lons le chien présenté par le professeur Prévost à la Société médicale de Genève,
SCLÉROSE MÉDULLAIRE 29
le 7 octobre 1903 (1), qui paraplégie par une section transversale de la
moelle, retrouvait déjà quelques mouvements au bout de huit jours et mar-
chait quatre mois et demi après cette opération.
Mais la guérison est-elle la règle dans cette classe de myélopathies métatrau-
matiques ? La réponse n'est pas facile. Notre cas est unique et nous n'osons
dire « ab uno disce omnes ». Puis les expérimentateurs ne nous parlent guère
de l'avenir des animaux traumatisés, énervés en vue de leurs recherches sur
les lésions consécutives de la moelle.
Les anciens amputés ont pu vivre longtemps avec leur 'jambe de bois sans
se douter des troubles périphériques que leur moelle aurait pu leur faire éprou-
ver. Enfin les cliniciens qui ignoraient cette forme de myélite, n'ont guère
songé à se demander si elle était curable. Les privilégiés qui n'ont pas été
voués à la mort ou à la chronicité, qui après des mois ou des années d'infirmi-
tés, ont retrouvé leurs jambes et leur santé, méritent cependant qu'on s'en
occupe et qu'on cherche dans leur passé et leur présent le déterminisme de leur
guérison à rapprocher du déterminisme qui a donné naissance à la maladie.
Que cette tendance au retour à l'état normal soit un phénomène spontané
lié à l'évolution morbide, c'est possible, car dans tout cela il n'y a rien de
fatal, mais en attendant que cette proposition soit devenue un article de foi,
nous croyons que le traitement peut, dans une bonne mesure, revendiquer les
honneurs du succès, soit comme ayant enrayé une marche progressive, soit
comme ayant été un adjuvant énergique et nécessaire de l'effort curateur natu-
rel, ce qui est du reste le principe fondamental de la thérapeutique.
Disons de suite que ce traitement, s'il a été très varié dans le cours de ces
deux années, n'a pas la prétention d'avoir révélé quelque nouvelle merveille
médicamenteuse.
Dès le début,Mme X... fut soumise aux iodures qu'elle avait déjà subis à plu-
sieurs reprises à propos de son obésité.
Aussitôt les troubles fonctionnels des membres inférieurs constatés, on fit
la faradisation ascendante à droite, descendante à gauche, puis des massages,
des lotions alternativement chaudes et froides sur tout le corps, des badigeon-
nages iodés sur le rachis, des frictions de collargol.
En juin 1902, une cure à Ragatz.
Notons en outre des piqûres d'ovariue Maragliano contre les troubles de la
ménopause.
Enfin, encouragée par la lecture très suggestive du professeur Grasset (2) qui
emploie la médication hydrargyrique dans des cas qui, comme le nôtre, n'ont
pas d'origine spécifique, nous avons depuis janvier 1903 donné la solution de
Gibert alternée avec des pilules de protoiodure d'Hg. C'est encore à l'exemple
-de Grasset que nous avons donné avec succès la solanine contre les spasmes,
crampes, soubresauts.
(1) Revue médicile de la Suisse Romande, 1903, p. 759.
(2) Grasset (de Montpellier), Revue neurologique, novembre 1902. Clinique médicale,
Leçon XIV.
30 RÉVILLIOD
A Heidelberg , le professeur Erb fit les prescriptions suivantes :
1° Courant galvanique le long des membres inférieurs, avec large électrode
appliqué au milieu du dos, produisant une rubéfaction intense. Ces séances
furent faites avec beaucoup de soin par le professeur Brauer.
2° Nitrate d'argent en pilules de 0 gr. 01, prises une matin et soir pendant
150 jours.
3° Cure à Bad-Nauheim en juin et juillet 1903 dirigée par le docteur
Schuster.
Enfin reprendre plus tard le traitement hydrargyrique et ioduré.
En août 1903, nous fîmes à sept jours d'intervalle trois injections de 0,05 de
calomel dans un gramme de vaseline liquide dans les masses musculaires sacro-
lombaires, injections bien supportées, quoique l'une d'elles ait donné lieu à un
petit durillon phlegmoneux, du reste analgésique.
Le résultat de ces diverses médications était satisfaisant, l'amélioration con-
tinuait lente, mais régulière, lorsque survint l'hématorachis pour lequel il fal-
lut suspendre le traitement susdit et donner une série de purgatifs qui amenè-
rent de copieuses débâcles fécales pendant trois jours. Puis le salicylate de sou-
de, l'antipyrine, l'hamamelis comme hémostatique ou plutôt régulateur de la
circulation, le chlorhydrate d'ammoniaque comme résorbant du sang épanché.
Nous continuons les lotions générales chaudes et froides, des frictions de baume
fioraventi. Puis nous reprenons 1K associé au biiodure d'Hg, traitement suivi
chaque jour pendant les mois d'octobre, novembre, décembre 1903.
C'est depuis fin décembre que Mme X... peut marcher sans canne, monter,
descendre les escaliers.
Dès le 1er janvier 1904, la potion IK n'est prise que de deux jours l'un,
puis deux fois par semaine, enfin cessé tout à fait fin mai.
Du 17 juin au 17 juillet, seconde cure à Nauheim.
Enfin sur le conseil du professeur Erb, Mme X... reprendra en automne
quelques demi-bains carbo-gazeux.
Si nous avons pu prononcer le mot de guérison, la prudence demande en
effet de surveiller encore longtemps cette moelle, d'éviter les fatigues, les
refroidissements, les chutes, les chocs physiques et moraux qui ramèneraient
facilement des retours dysesthésiques dans la jambe droite, de combattre l'obé-
sité, le ralentissement de la dénutrition, de la défécation, de diminuer la charge
un peu lourde pour la base de sustentation, de reprendre de temps en temps
les traitements antérieurs. Instruit par le spectacle de cette évolution mor-
bide, nous savons nous armer pour l'avenir, les yeux fixés non seulement sur
une lésion inaccessible au meilleur rachitome, mais sur les différences condi-
tions étiologiques et pathogéniques qui ont pu réaliser cette lésion et qui,
comme nous l'avons vu, sont accessibles à une thérapeutique médicale ration-
nelle.
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
SLCEROSE EN PLAQUES FRUSTE
ou
SYNDROME CÉRÉBELLEUX DE BABINSKI (1)
PAR
G. SCHERB,
Professeur-suppléant à l'Ecole de médecine d'Alger,
Médecin des hôpitaux.
On trouvera ci-joint les photographies d'un malade, chez qui, il y a
cinq ans, j'avais, sans grande conviction d'ailleurs, établi le diagnostic de
sclérose en plaques de forme fruste, d'une de ces formes, qu'après Char-
cot, M. Jaccoud a décrite et étudiée, il y a quelque vingt ans (2). Ce ma-
lade présente le parler scandé el la démarche ataxo-spaslllodique de la
sclérose en plaques, mais n'a pas trace de tremblement volitionnel, pas
d'exaltation des réflexes, pas de nystagmus.
La neurologie a évolué depuis 1885. Le diagnostic de M. Jaccoud ne
reçut pas, à ma connaissance, de confirmation a morgani, et l'étude criti-
que, dont il fait suivre son observation, concernant les formes frustes
ou anomales de la sclérose en plaques, post ou intra-infectieuses, contient
des arguments qui peuvent servir ébranler fortement le diagnostic de ces
formes. En 1885, le syndrome du déficit cérébelleux était encore mal connu,
et comme la sclérose en plaques lui emprunte nombre de signes, comme
d'autre part, certaines lésions scléreuses portant sur les voies cérébel-
leuses et sur le cervelet peuvent arriver à simuler la sclérose en plaques
classique, on comprendra tout l'intérêt que comporte l'étude du cas que
je vais présenter et quel intérêt rétrospectif j'ai pu trouver à reprendre
une observation, qui par ses données pathogéniques, par son évolution
et ses symptômes se rapproche de la mienne.
J'ai revu, il y a cinq mois, mon malade et je lui ai trouvé les signes
capitaux que depuis Thomas (1897) nous attribuons en France, aux lésions
de déficit du cervelet, aux agénésies comme aux scléroses, presque tous
(1) Leçon faite à l'hôpital de Mustapha le 3 mars 1904. Communication faite à la
Société de Neurologie de Paris. Séance du 3 novembre 1904.
(2) Clinique de la Pitié, 6 janvier 1885.
32 SCHERB
les signes aussi que M. Babinski reconnaît à l'asynergie cérébelleuse et
qu'il a étudiés et établis avec tant de méthode qu'il n'y a, je crois, aucun
inconvénient à les grouper sous la dénomination syndrome cérébelleux de
Babinski.
Ce syndrome est relativement rare; car des phénomènes d'excitation
(vertiges, entraînement) ou de compression de voisinage (amaurose, pa-
ralysies bulbaires) viennent trop souvent compromettre la pureté des si-
gnes de déficit cérébelleux, dans les tumeurs de ce gros ganglion.
Je résumerai d'abord l'observation du malade de M. Jaccoud.
Un homme de 45 ans, convalescent d'une pneumonie, est pris, quarante
jours environ après la défervescence d'un désordre de la parole, qui par sa len-
teur monotonique, sa scansion, son émission brusque et « comme en décharge »,
la prononciation défectueuse des consonnes, rappelle absolument « la dys-
phasie » de la sclérose en plaques. Il n'a pas de troubles intellectuels, pas de
vertiges, pas de mouvements incoercibles, pas de tremblement céphalique, pas
de trouble de la vue, pas de troubles pupillaires, une ébauche de nystagmus,
aucun déficit sensoriel, pas de tremblement volontaire des membres supérieurs,
mais seulement de la maladresse et de la lenteur mêlée à des mouvements
brusques de détente, une écriture brisée et troublée. « Quand l'individu est
au lit, les mouvements volontaires sont absolument normaux, il n'y a pas de
vestige de tremblement. Quand cet homme est immobile dans la station debout,
on ne constate aucune anomalie immédiate, mais au bout de quelques instants
survient une fatigue précoce; dès que cette sensation est accusée, on peut
voir de légères oscillations agiter les membres inférieurs, et par suite le ma-
lade se plaint de ne plus se sentir en équilibre ». Il y a ébauche aussi de la
démarche spasmodique. Aucun trouble sphinctérien. Diminution de la force
musculaire.
Tels sont résumés les traits sous lesquels se présentait le malade de
M. Jaccoud. Je vais maintenant étudier les symptômes de mon malade, et
vous verrez combien son observation dans ses grandes lignes, dans ses si-
gnes capitaux, parole scandée, troubles de l'équilibre dans la marche,
mouvements en détente brusque, asthénie précoce, rappelle celle de
M. Jaccoud.
Observation.
Agé de 40 ans aujourd'hui, D.... fut un grand buveur (10 à 20 verres d'ab-
sinthe par jour,4 ou 5 verres de rhum, ! à 2 litres de vin). Il n'a pas contracté la
syphilis, je n'ai pu en trouver de stigmate. Il fut pris, le 22 février 1898, d'une
pneumonie gauche, et, dans le cours, d'une faiblesse particulière de tous les
membres, avec délire. Quand la pneumonie fut guérie, les troubles moteurs
persistèrent, caractérisés par ce fait qu'il ne pouvait se tenir debout, ni marcher,
sans tomber en avant,alors qu'il remuait fort bien ses jambes dans son lit et qu'il
semblait avoir conservé toute sa force. Cette incertitude, cette faiblesse dans
les mouvemeuts des membres inférieurs, il les ressentait aussi dans les supé-
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. PI. IV
SCLEROSE EN PLAQUES FRUSTE
SCLÉROSE EN PLAQUES FRUSTE 33
rieurs, au point qu'il ne pouvait manger seul, il cause de sa maladresse (1).
Donc, dès ce moment, les grands signes du syndrome cérébelleux, asthénie
et ataxie. Le le' juin suivant, il y avait quelque amélioration et D.... put se
livrer pendant quelques semaines à de petits travaux (emballer des primeurs,
empiler des caissettes), mais à raison de sa maladresse, on ne put plus l'em-
ployer. Les symptômes sont dès lors restés ce qu'ils sont aujourd'hui.
Etat actuel : Etat général parfait, aucun stigmate hystérique, aucun trouble
sphinctérien, ni trophique, ni sensilif, aucun trouble pupillaire mais des per-
turbations profondes dans la marche, la station, l'écriture et la parole. D.... a
grande difficulté à marcher sans se tenir après les murs. Il tombe fréquem-
ment et uniquement en avant. Il ne peut se tenir debout ni marcher sans écar-
ter les jambes, à cause des oscillations du tronc dont il corrige les écarts avec
ses bras en guise de balancier. Il n'a pu reprendre la marche après l'ictus du
début que lorsqu'il eut fait une éducation volitionnelle suffisante de ses bras,
lorsqu'il eut appris à en faire des balanciers. Je ne crois user d'une trop vive
métaphore en disant qu'il marche avec ses bras. L'occlusion des yeux n'aug-
mente pas ses troubles. Il n'a jamais eu de sensation vertigineuse (PI. IV).
Quand il marche, les jambes se détendent comme un ressort, cependant il
n'y a pas de spasmodicité véritable. D... marche plutôt comme un ataxique.
Les réflexes sont diminués, le signe de Babinski est douteux, je n'ai pu arri-
ver à déterminer, malgré de patientes recherches, dans quel sens se faisait le
réflexe plantaire, ◀tantôt▶ en flexion, ◀tantôt▶ en extension. Il n'y a pas de clonus
du pied, il n'y a pas la moindre raideur dans les mouvements passifs, du
moins quand le malade est couché et que son cerveau n'a plus besoin, par une
attention constante, de suppléer les fonctions d'équilibration si gravement
compromises. Il exécute parfaitement tous les mouvements, quand il est couché.
Les mouvements de préhension des membres supérieurs sont imparfaits,
irréguliers, brusques, saccadés quand le malade est debout. Il plane au-des-
sus de l'épingle qu'il doit saisir ; l'écriture dont je présente un spécimen, res-
semble à celle de la sclérose en plaques, irrégulière, hachée. La parole est
scandée, explosive, spasmodique, nasouuante, très mal articulée quant aux
consonnes.
Si l'on reprend les caractères que M. Babinski a assignés à l'asynergie cé-
rébelleuse, on les retrouve en majeure partie chez D...
1° Dans la marche, le tronc, en arrière, ne suit pas ou suit mal les mouve-
ments des membres inférieurs. Il faut souvent attirer le malade en avant. D...
n'a pas de tendance à l'opisthotonos, mais j'ai relevé qu'il marchait plus faci-
lement si on le tirait en avant, et que, malgré sa tendance à tomber sur les
mains, il n'en faisait rien lorsqu'on l'attirait en avant, pendant la marche.
2° Dans la station, si on fait porter le tronc en arrière, les membres infé-
rieurs restent fixes, rigides et ne fléchissent pas, comme chez l'homme nor-
mal, pour rétablir l'équilibre. '
(1) Fouché a rapporté un cas où le vermis fut trouvé en voie d'atrophie et où l'in-
coordination des membres supérieurs était telle qu'on devait aider le malade à man-
ger (Soc. anatomique, 1900).
xvm 3
34 SCIIERB
Ce signe m'a paru vrai dans toutes les directions, en avant et latéralement.
D... ne se tient debout que par la volonté qui tétanise tous les muscles de la
station. Une brusque et légère secousse suflit à le faire tomber. Il ne sait pas
corriger immédiatement par son cerveau, le trouble apporté ainsi à son équi-
libre, et il tombe.
3° Couché, pour se mettre sur le séant, les cuisses fléchissent et les talons
s'élèvent. Il a perdu le sens de la stabilisation (Grasset) de ses membres infé-
rieurs, qui permet de se lever en les appliquant sur le sol.
4° Assis, pour toucher un objet du pied, la jambe et la cuisse se détendent
en deux temps. -
Ce dernier signe n'est pas évident chez D... Ce qui paraît dominer chez lui,
c'est l'impossibilité, étant debout, de faire un autre mouvement associé. Toute
son attention est concentrée sur le maintien de l'équilibre. Ne lui demandez
pas autre chose. Il est incapable, en marchant, d'exécuter, sans s'arrêter
d'abord, un mouvement de rotation de la tête. Il est obligé de s'arrêter pour
le faire, et une fois exécuté, il peut reprendre sa marche. J'ai multiplié ces
épreuves, ces exercices, et je suis arrivé à cette opinion que son cerveau, sa
représentation motrice et volitionnelle est dans la station et surtout dans la
marche entièrement accaparée et occupée par les images de l'équilibre. Ses
bras lui sont d'un tel secours que si on les attache, il peut encore se tenir
debout, mais il ne saurait marcher. Il n'a plus ses balanciers.
M. Babinski, sous le nom de diadococynésie a décrit chez les cérébelleux
un trouble particulier du mouvement, qui consiste dans l'impossibilité de faire
successivement le même mouvement avec rapidité. Ce trouble est, par com-
paraison avec le côté sain, plus manifeste chez un hémi-cérébelleux. Chez D...
il est très apparent. On le recherche en faisant par exemple exécuter au sujet
une série de mouvements rapides de pronation et de supination. D... les fait
très imparfaitement, lentement et se fatigue très vite. Ce dernier caractère est
d'ailleurs un fait constant chez D... pour quelque mouvement que ce soit. Il
a une asthénie rapide et Luciani, expérimentalement, a bien mis en relief ce
symptôme chez les animaux privés de cervelet.
Enfin, en regard de tous ces troubles qui trahissent un déficit considérable
dans les centres réflexes dont les incitations normales assurent les fonctions de
l'équilibre volitionnel cynétique, D... présente une conservation parfaite de
l'équilibre volitionnel statique : si on le fait coucher sur le dos et qu'on lui
tienne les membres inférieurs fléchis, en l'air, on est surpris de voir qu'ils
présentent moins d'oscillations qu'un individu normal.
J'ai recherché d'autres signes qui mettent en relief ce déficit de l'appareil cé-
rébelleux du tonus, et je signale que, si dans la station verticale, les oscillations
du corps sont antéro-postérieures, dans la station assise, les cuisses relevées,
les pieds reposant par le talon sur le barreau de la chaise, le corps posé sur les
ischions, les oscillations sont latérales.
J'ai fait remarquer que D... entend très bien, n'accuse pas de vertige. Mais il
présente un signe curieux qui, pour moi, montre bien cette asynergie et cette
asthénie générales ; dès qu'on lui demande un effort de ses membres supérieurs,
SCLÉROSE EN PLAQUES FRUSTE 35
il contracte sa glotte, pour immobiliser son thorax sur sa glotte fermée et sta-
biliser sur celui-là les muscles péri-scapulaires. Mais ce mouvement de contrac
tion ne peut durer ; rapidement un bruit glottique s'exhale, spasmodiquement,
comme si les cordes ne pouvaient réaliser une tension synergique même éphé-
mère, et le thorax s'affaissant, l'effort demandé ne peut s'achever. Le dyna-
momètre trahit un déficit considérable dans les mains, de plus de moitié en
comparaison, avec un individu normal de même taille (entre 18 et 20 kgr.).
Asynergique, asthènique, atonique, ayant tendance à tomber en avant,
cet homme réalise bien le syndrome cérébelleux de déficit, et entre dans
le cadre tracé par M. Babinski en 1899 et ultérieurement. Les symptômes
n'ont pas varié depuis cinq ans.
Où localiser la lésion de déficit ? «Nothnagel, nous dit Duret (4), s'ap-
puyant sur des notions d'anatomie comparée, et sur quelques expériences
et faits cliniques, a émis l'opinion que le vermis et les hémisphères céré-
belleux, sont des organes à fonctions différentes, et que les lésions du ver-
mis seul entraînent des troubles de l'équilibre ». Duret, d'après les nom-
breusesobservations qu'il a colligées, ne parait pas éloigné decette opinion.
L'opisthotonos (parésie des fléchisseurs spinaux) et des troubles de l'équi-
libre des deux côtés du corps, parfois des troubles respiratoires (Jackson
et Russel, Arch. Neurologie, 1884, p. 481), l'émission de cris inconscients
(Pasquale de Michèle, Rev. Neurologique, 1875, p. 474) sont les signes des
tumeurs du lobe médian et du vermis. Mais les tumeurs mêlent aux trou-
bles de déficit des phénomènes hypersthéniques de voisinage et ne don-
nent jamais les symptômes nettement isolés que laissent les ischémies et
les raptus vasculaires ou les scléroses limitées, et ce que la symptoma-
tologie relève de plus positif dans les lésions destructives du vermis, c'est
un trouble profond de l'équilibre cyiiétiqite {station debout et marche) égale-
ment 'réparti aux deux moitiés du corps.
Je pense qu'à la faveur de la pneumonie, dans un système nerveux vas-
culairement adultéré par l'alcool et les essences, un processus d'artérite a
suspendu la circulation dans le vermis. Celui-ci est irrigué par les cérébel-
leuses supérieures, qui après avoir contourné les pédoncules (Duret), sont
reliées sous les tubercules quadrijumeaux par une communicante qui émet
des artérioles nourricières du vermis supérieur. Rien n'est, à la vérité, plus
variable et capricieux que l'irrigation artérielle du cervelet, et la commu-
nicante n'est pas constante. Mais une thrombose de ce tronc a pu ample-
ment suffire pour réaliser un ramollissement limité du vermis supérieur.
Ce diagnostic de localisation ne saurait évidemment être définitif. Rétros-
pectivement il aura certes plus d'intérêt s'il m'est échu la bonne fortune
de pouvoir quelque jour le vérifier ou l'infirmer.
(1) Revue Neurologique, 15 octobre 1903.
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
APHASIE AMNÉSIQUE cu
Par
A. HALIPRÉ
(de Rouen).
Ancien interne des hôpitaux de Paris.
Depuis les travaux de Kussmaul,«ernicke, Charcot, on rattache les trou-
bles du langage à quatre grands syndromes, qui groupés deux à deux,corres-
pondent les uns aux aphasies d'émission (aphémie, agraphie), les autres aux
aphasies de réception ou aphasies sensorielles (cécité verbale, surdité ver-
bale).A chacun des quatre syndromes correspond un centre cortical spécial.
Celle division un peu schématique a le grand avantage de faciliter l'étude
et le classement des formes plus ou moins complexes. En clinique il est rare
en effet de se trouver en présence d'un syndrome absolument pur. Le plus
souvent on observe des formes mixtes réunissant dans les proportions
variables différents éléments appartenant à des syndromes distincts. Ces
associations des différents syndromes sont faciles à comprendre quand on
se rappelle que les centres du langage sont unis les uns aux autres par
des faisceaux d'association et que cette union anatomique entraîne une
solidarité fonctionnelle mise en lumière par les recherches anatomo-
cliniques. De plus les lésions peuvent intéresser soit les centres eux-mê-
mes, soit leur fibre d'association, à long ou à court trajet, soit les fibres
de projection. De là ces nombreuses formes cliniques observées chaque
jour, de là l'existence de variétés qui ne répondent à aucun des quatre
grands syndromes classiques et dont la localisation prête à discussion.
Dans cet ordre d'idées M. le professeur Pitres a repris il y a quelques
années l'étude des aphasies amnésiques. Les travaux publiés dans le Pro-
grès médical posent la question d'une façon absolument précise.
« Tout malade qui comprend ce qu'on lui dit, qui peut lire à haute
voix, qui prononce et écrit facilement les mots dont il se souvient et n'est
empêché de prononcer ou d'écrire les autres que parce qu'il est impuis-
sant à en évoquer le souvenir au moment opportun, est atteint d'aphasie
amnésique pure. » Ce malade n'a en effet ni surdité verbale puisqu'il 1
(1) Communication faite à la Société de Neurologie de Paris. Séance du 1er déc. 1904.
(2) Pitres, Progrès médical, 1898, nds 21, 22, 24, 26, 28, 31. L'Aphasie amnésique et
ses variétés cliniques.
APHASIE AMNÉSIQUE 37
comprend ce qu'on dit; ni cécité verbale puisqu'il peut lire; ni aphémie
puisqu'il parle ; ni agraphie puisqu'il écrit. Il est cependant atteint d'un
trouble du langage, il présente une variété d'aphasie puisqu'il a perdu
une partie du vocabulaire qui lui est nécessaire pour exprimer sa pensée.
Cette variété d'aphasie c'est l'aphasie amnésique. Elle est rarement pure,
mais on peut la découvrir au milieu'd'autres formes d'aphasie qui l'ac-
compagnent.
Poursuivant cette étude, M. Pitres décrit à l'aphasie amnésique plusieurs
variétés.
Dans la 11" variété, l'oubli des mots porte plus spécialement sur les
substantifs, c'est l'aztozzomasie (Luys). Le malade emploie des périphra-
ses pour remplacer le mot qui lui manque.
Dans la 2" variété, le malade nesait plus construire lesphrases. Il parle
nègre. C'est l'agrammatisme.
Dans la 3e variété se rangent les polyglottes qui perdent une partie
des langues qu'ils ont apprises et continuent d'employer couramment les
autres langues.
Nous avons recueilli une observation d'aphasie amnésique correspon-
dant à la lie variété et s'accompagnant de cécité verbale. Ce cas peut
prendre place, comme nous le verrons,à côté des dix observations résumées
par Pitres dans ses leçons. Elle présente également de grandes analogies
avec l'observation publiée plus récemment par Trenel.
Observation.
Aphasie amnésique (antGoztomasie). - Paraphémie. Cécité verbale ;
cécité littérale incomplète. - Paragraphe pour l'écriture spontanée
et sous-dictée. - Autopsie : Ramollissement siégeant sur la face externe
de l'hémisphère gauche, partant de la pointe du lobe occipital gauche
s'étendant en avant à la partie supérieure du pli courbe, au premier pli
pariéto-temporal à la partie tout à fait postérieure du lobule du pli
courbe (2" pariétale) . - Destruction des faisceaux blancs sous-jacents
(faisceau longitudinal supérieur, faisceau occipital vertical de Wer-
nicke). - Sont respectés : la tre et la 2. temporale, lecunem, lobule lin-
gual et fusi forme, les radiations optiques de Gratiolet.
Il y a en outre un petit foyer très limité dans le lobnle paracent1'al gauche
et un foyer sous-cortical correspondant au pied de la 3° frontale droite.
Mme L..., âgée de 67 ans, depuis quelques années a souffert de plusieurs
(1) TRENEL, Aphasie amnésique. Aphasie de conductibilité. Nouvelle Iconographie
de la Salpêtrière, 1899.
38 HALIPRÉ
affections pulmonaires qui ont laissé subsister de l'oppression au moindre
effort et une toux fréquente accompagnée souvent de palpitations.
Le 9 décembre 1900 elle fut atteinte d'une hémiplégie droite qui s'installa
lentement et ne devint complète qu'après le 3e jour. La main aurait été d'abord
frappée, puis la paralysie aurait ensuite gagné la face et en dernier lieu le
membre inférieur.
Le 11 décembre, la malade entre à l'Hospice général de Rouen (salle Blan-
che). Elle est atteinte d'hémiparésie droite avec hypoesthésie légère. Pas d'hé-
mianopsie. Elle est très oppressée. Elle tousse. Les bruits du coeur sont sourds.
Les artères sont dures et flexiieuses. Pas d'albumine.
Le 17 décembre, frissons, malaise général. A l'auscultation on constate les
signes d'une broncho-pneumonie pseudo-lobaire.
Après quelques jours, l'état s'améliore et la malade guérit. Nous ne nous
occupions plus de la malade depuis plusieurs semaines lorsque les autres ma-
lades de la salle constatèrent que Mme L... était bizarre. On ne s'en inquiéta
pas tout d'abord. On pensa qu'il s'agissait d'un léger degré de démence et on
mit les accidents sur le compte de l'âge. Toutefois, un jour en passant la soeur
surveillante nous signala le fait. Ayant adressé la parole à la malade, nous
avons obtenu cette réponse significative.
« Je voudrais dire mais je ne peux pas dire ; je serais heureuse de pouvoir
parler ce qu'on dit. »
Troubles DE la parole. - Ainsi, spontanément, la malade au .moment où
nous approchons de son lit nous déclare :
« Je voudrais dire et je ne peux pas dire.
« Je serais heureuse de pouvoir parler ce qu'on dit.
« Je suis bête. »
Dans ces courtes phrases les intonations sont justes, l'articulation est irré-
prochable, les mots sont prononcés sans hésitation.
Dénomination des objets. - Elle ne peut nommer les objets qu'on lui pré-
sente ou bien elle emploie des mots qui n'ont aucun sens. Elle s'aperçoit qu'elle
' s'est trompée, modifie peu à peu le mot, trouve les consonnances plus ou moins
approchantes et parvient dans quelques cas à trouver le terme juste.
Comment vous appelez-vous ? - Levendre puis Legendre (son nom est
Legendre).
Quel est votre nom de famille ? Elle cherche, puis après un peu d'hésita-
tion elle retrouve le nom et dit : Leroy.
Quel est votre prénom ? Elle ne répond pas.
On prononce devant elle les noms de Hortense, Jacqueline puis Anne. Dès
que son nom est prononcé, elle le reconnaît et le répète.
On lui montre une cuiller ? - Je le pourrais bien dire.
A quoi cela sert-il ? Je ne sais pas.
Est-ce pour écrire ? - Non.
Est-ce pour manger ? - Non.
On lui montre des ciseaux ? - Cela sert à couper.
aphasie AMNÉSIQUE 39
On lui présente des clefs ? - Je voudrais bien dire et je ne peux pas dire.
Est-ce une clef ? - Oui c'est cela que je voudrais dire, mais je ne pourrai
pas le dire.
On lui montre d'autres clefs ? C'est une « roupe ».
Combien y en a-t-il ? Deux.
On lui montre un chandelier ; qu'est-ce que c'est ? -Je sais bien ce que c'est,
mais je ne peux pas le nommer. Ce sont les mots qui me manquent, sans cela
j'irais bien.
La malade paraissant fatiguée, on préfère remettre à plus tard la suite de
l'examen. Un autre jour on recommence l'examen.
On présente un couteau. - C'est un « cougeau ».
Une orange. Cest une oroga.
Après beaucoup d'hésitation elle nomme, le pain, les ciseaux.
Sur une gravure on lui montre un chien. C'est un « sien », un « toutou ».
Elle paraît très heureuse d'avoir trouvé et répète plusieurs fois un « toutou ».
Un crayon ? - Un veyon.
On lui montre une galette sèche. - C'est un gâteau.
Un verre. C'est un berre.
Un parapluie. - C'est un berre. Non, c'est un coffi.
On lui présente une petite boîte de couleurs.
Prenez le jaune ? Elle prend le violet.
Le rouge ? Elle montre le rouge.
Le vert ? - Elle prend le brun.
Le jaune ? - Elle montre le vert.
On prend alors la couleur jaune et on lui demande. Quelle est cette couleur ? -
C'est du petit jaune
On prend le vert. - Est-ce rouge ? - Oui.
Est-ce vert ? - Non.
Est-ce vert ? Oui, je crois que c'est du « lert ».
Il faut pour ces réponses défectueuses tenir compte du défaut d'attention.
Parole RÉPÉTÉE. - La parole répétée est tout à fait défectueuse. Il semble
qu'il n'y ait pas moyen de fixer l'attention de la malade, car il n'y a pas de
surdité verbale et la malade comprend bien ce qu'on lui dit.
On lui présente un parapluie. - C'est un Rouffi.
Non, dites parapluie. Oui, bouffi.
Mais elle répète bien son nom quand on le lui a rappelé.
Lecture. - La cécite verbale est complète. La cécité littérale est incomplète.
On lui fait lire le mot Rouen en caractères imprimés. Elle lit l'R, puis pro-
nonce Rou. Roussin.
Ou lui montre le titre du journal de Rouen. Elle dit : Roussin, l'oussin.
Est-ce le mot journal ? - Non, c'est Toussin.
On lui montre le mot Bouton écrit en écriture cursive. - C'est Leroy.
Le mot Pipe. - C'est Leroy.
On lui montre les lettres de l'alphabet sur des cubes de bois. Qu'est-ce que
c'est ? N'est-ce pas des dains ?
40 HALIPRÉ
Sont-ce des chiffres ? - Non.
Des lettres ? - Oui.
Ou lui présente un Z. Ne peut le nommer.
Un 0. Cest un 0.
Un A. - Elle hésite.
Est-ce un B ou un A. ? Ce serait plutôt un A.
On lui montre les chiffres 2 et 4 ? - Ça fait l'oussin.
Est-ce 2 et 4 ? - Non ce n'est pas cela.
Ecriture. On lui demande d'écrire son nom. Elle fait trois essais succes-
sifs, s'arrête et ne reprend que lorsqu'on insiste en répétant son nom. Après
avoir écrit-Tradol, elle relit ce mot puis écrit Lerat. On demande d'écrire le
mot Bonbon.
Elle écrit Bom. 3 fois de suite à distance.
Interrogatoire du 15 avril.
TROUBLES DE LA PAROLE.
Votre nom de jeune fille ? Cerna Leroy.
Votre nom de femme ? - Levendre.
C'est Legendre ? Levendre.
Quel âge avez-vous ? Je ne sais plus
Où êtes vous née ? Je ne sais plus.
Avez vous vos lunettes ? - File les cherche.
On lui montre un crayon, les lunettes, un chapeau, un parapluie. Elle mon-
tre bien les 3 premiers.
Pour le parapluie elle dit : c'est un Arifi et elle ajoute « ce n'est pas tout à
fait cà ». - On lui présente une montre et on lui demande pourquoi est-ce
faire ? Pour l'heure. C'est une montre.
Ecriture sous dictée. - On lui dit d'écrire son nom. Elle écrit Legendre
On lui dit d'écrire bonbon. Elle écrit Bonnon après avoir été répété le mot
bonbon.
APHASIE amnésique 41
Vous avez 67 ans. écrivez-le. - Elle répète 67 ans, puis elle cherche à
l'écrire en lettres.
Ecrivez 1, 4, 12, 60. - Elle écrit correctement après avoir chaque fois ré-
pété le nombre qu'on lui demande d'écrire.
Ecrivez 67. - Bien monsieur, 64. Elle répète plusieurs fois 64, mais finit
par dire et écrire 67.
Ecriture copiée. - On lui fait copier le mot mardi écrit en cursive ; le mot
Baton.
Elle écrit : A Cardi Bato.
Dessin. On dessine un poisson et on demande ce que c'est. - C'est un
poisson.
Recopiez le dessin. Elle ne peut le faire.
Ecrivez le mot poisson. - Elle écrit Vaisseaux.
Lecture. - On lui présente les mots qu'elle a écrits.
Lisez ce que vous venez d'écrire. - Je ne pourrais pas. Elle essaye cepen-
dant et dit ne pas voir.
On lui montre le nombre 15. Elle dit 1 puis 5.
Eh bien combien cela fait-il. - 5 et 1 ça fait 6.
Elle lit bien un 9.
On lui montre le mot Nouvelles. Elle déclare bien voir le mot mais, ne pou-
vait le dire.
On lui fait lire les lettres séparément en cachant les autres lettres.
N ? - C'est un C.
0 ? C'est ou.
Le même mot est écrit en écriture cursive. Elle le lit incorrectement.
On lui montre le mot jeudi en écriture cursive. - Elle ne peut le lire.
On lui demande de lire la feuille d'hôpital. - Elle parcourt du doigt qui
s'arrête à son nom « Leroy qu'elle prononce bien. A l'endroit où est écrit
Legendre, elle lit : « Levendre » et ajoute « c'est le nom de mon mari.
On lui montre un sou. C'est un sou.
Une pastille de chlorate. - C'est une pastille.
Il y a une amélioration sensible dans l'état de notre malade. Cette améliora-
tion ira d'ailleurs s'accentuant dans la suite.
Au mois de septembre (16), ictus. La malade ne perd pas connaissance. Elle
s'écrie qu'elle n'y voit plus. L'hémiplégie droite s'est accentuée. Aucun mou-
vement n'est possible.
Hémi-hypoesthésie droite. Dysarthrie. Pas de dysphagie. Pas d'hémianop-
sie.
Le lendemain, la motilité est revenue dans les membres supérieur et infé-
rieur droits. Seule l'hémi-hypoesthésie persiste.
Aucun incident nouveau ne survient jusqu'au jour où la malade quitte le
service. "
A ce moment les troubles de la parole ont à peu près disparu. Elle désigne
facilement les objets qu'on lui présente et se trompe très rarement.
42 halipré -
La malade avait été placée aux incurables.
Nous avons été prévenus de son décès survenu au cours d'accidents cardio-
pulmonaires et nous avons pu, grâce à l'obligeance de notre collègue leD'Mai-
ret, médecin des hôpitaux, faire l'autopsie.
Autopsie
Hémisphère gauche. - Lésion corticale ancienne constituée par un foyer
celluleux siégeant dans la région pariéto-occipitale (PI. V, A) (1). Le foyer
partant de la corne occipitale à deux centimètres environ en avant de l'extrémité
du pôle occipital, s'étend en avant vers la deuxième pariétale, intéressant la
deuxième occipitale, le pli courbe, la partie tout à fait postérieure de la deuxième
pariétale, le premier pli de passage pariéto-temporal qui ferme normalement
en arrière la scissure de Sylvius. En haut la lésion gagne le bord interne de
l'hémisphère sur une très petite étendue.
La face interne du lobe occipital est absolument respectée ainsi que la face
inférieure.
Cotipes verlico-transversales (faites après durcissement au formol). Dans les
descriptions qui suivent, les coupes sont vues par leur face postérieure.
Les coupes portant :
4° Sur le cap de la circonvolution de Broca,
2° Sur le pied de la frontale ascendante,
3° Sur le pied de la pariétale ascendante,
4° Sur la partie moyenne de la pariétale ascendante,
Ne présentent aucune lésion corticale ou sous-corticale.
Il faut seulement signaler un petit foyer très superficiel, n'intéressant que
la moitié de l'épaisseur de la substance grise et situé sur le lobule paracen-
tral gauche au niveau de la jonction du lobule paracentral avec la frontale as-
cendante.
5° Coupe sectionnant la partie postérieure de la 28 pariétale immédiatement
en avant du foyer de ramollissement et passant en avant de la partie terminale
du prolongement postérieur de la scissure de Sylvius (PI. VI et VII, C).
La lésion comprend la circonvolution bordant la lèvre inférieure de la scissure
de Sylvius (T.).Cette circonvolution est atrophiée, sclérosée, réduite à une mince
lame transversale limitant en bas le foyer. Sur cette coupe la 2° pariétale est lé-
gèrement touchée. Dans la profondeur le ramollissement intéresse la substance
blanche située au-dessous de la lr8 temporale et de la 2° pariétale,mais sans sec-
tionner complètement la substance blanche sous-jacente à la 2" pariétale. Au-des-
sous du foyer proprement dit la substance blanche est légèrement teintée en
jaune,mais sans désagrégation apparente. Cette teinte jaune respecte dans une
étendue de 2 millimètres 1/2 environ les parties blanches bordant le ventricule
(Tapeum et Radiations optiques de Gratiolet).
6°. Coupe correspondant à la partie moyenne du pli courbe (PI. VI et VII D).
(1) Je dois à l'obligeance d'un de mes internes, M. Chevalier, les photographies qui
accompagnent cet article. Je tiens à l'en remercier vivement A. H.
NOUVELLE ICO';OCIZAPIIIE : DE LA SALP ! 1TRILnt :
T. XVIII. Pl. V
APHASIE AMNESIQUE
/7 ? );'t''J
A. Les deux lobes occipitaux. On voit les lésions des lobes occipital et pariétal
gauches.
B. Coupe horizontale de l'hémisphère droit, montrant le ramollissement dans
la région de la 3c frontale.
Masson et Cie, Editeurs
Ph.L.1)1 ? flerlh : J.uJ, Pa. L;
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE T. XVIII. PL. VI
A
Coupe passant par la partie postérieure
de la 2° Pariétale immédiatement en
avant du pli courbe.
B '
Coupe passant par la partie moyenne du pli
courbe.
C
Coupe passant par la partie postérieure du pli
courbe à 2 cm. 1/2 environ en avant du pôle
occipital.
C, Cunéus. - Cc, Corps calleux. - CO, Centre ovale.- Fus, Lobule fusiforme.- Hip, Circonvolution des hippocampes. K, Scissure calca-
rine.- Li, ire circonvolution limbique. - Lg, Lobule lingual.-Lg,Sillon du lobule lingual.- 02, 2. circonvolution occipitale.- Pa, Pariétale
ascendante.- Parc, Lobule paracentral.- Pi, Ira Pariétale.- Pa, 2° Pariétale.- Pc, Pli courbe.- PrC, Précunéus. - pCL, Pli cunéo-limbi-
que. po-j-K,Point de fusion des scissures perpendiculaire,interne et calcarine.- po, Scissure perpendiculaire interne.- Tt,T2,T2, 1re, 2e, 3
circonvolutions temporales.- V, Ventricule latéral.- Voc, corne occipitale du ventricule latéral.
APHASIE AMNÉSIQUE
(Halipl'é) .
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVIII. PI. VII
Coupe passant par la partie postérieure de
la 2e pariétale immédiatement en avant du
pli courbe.
Coupe passant par la partit
moyenne du pli courbe.
aphasie amnésique
(Halipw.)
Coupe passant par la partie postérieure
du pli courbe à 2 centimètres 1/2 environ
en avant du pli courbe.
Masson & Clr, Editeurs
APHASIE amnésique 45
Le ramollissement comprend le pli courbe, mais respecte l'extrémité posté-
rieure de la 2° temporale. Profondément la lésion dessine une vaste perte de
substance approchant de la corne occipitale du ventricule latéral, mais sans l'at-
teindre tout à fait. Sur la coupe la lésion est limitée en bas par le sillon séparant
la 1° pariétale de la 2° temporale.En haut le foyer se prolonge sous la Ire parié-
tale (section du faisceau longitudinal supérieur).
7° Coupe portant sur la corne occipitale à 2 centimètres 1/2 en avant du pôle
occipital (PI.VI et VII,E). La lésion porte sur la Ire et le 2e occipitale. La 3e oc-
cipitale est respectée. Le cuneus est indemne ainsi que le lobule lingual et fu-
siforme. Profondément la substance blanche sous-jacente à la 2e occipitale est
détruite ainsi que celle correspondant au pli courbe (Destruction du faisceau
longitudinal supérieur etd'unepartiedu faisceau occipital vertical deWernieke).
La substance blanche du cuneus, du lobule lingual et du lobule fusiforme est
respectée.
Hémisphère droit. - Aucune lésion de l'écorce.
Coupe de Brissaud.
Ramollisement sous-cortical dans la région postérieure de la 3e frontale. Le
foyer se trouve immédiatement en avant du pied de la 3° frontale. Il est placé
sous F 3 et respecte l'insula, la capsule externe, l'avant-mur (PI. V, B).
Au point de vue clinique nous relevons dans l'observation les points sui-
vantes : .
Notre malade comprenait parfaitement ce qu'on lui disait. Elle n'avait
donc pas de surdité verbale. Elle répondait aux questions, mais dans ses
réponses il y avait une lacune et cette lacune était toujours la même,
elle portait sur les substantifs. L'ensemble de la phrase était souvent
d'une correction parfaite ; les mots étaient bien prononcés avec une
intonation normale. Il n'y avait pas d'aphasie au sens propre du terme,
mais seulement une amnésie des substantifs (antonomasie). Parfois il arri-
vait à la malade de faire de grands efforts pour nommer les objets qu'on
lui présentait. Elle forgeait alors un mot qui offrait un rapport de conso-
nance plus ou moins vague avec le mot propre (paraphémie). Ainsi elle
disait : orega pour orange, mais le plus souvent elle avouait son impuis-
sance à trouver le mot juste et cette phrase absolument typique revenait
sans cesse : « Je voudrais dire, mais je ne peux pas dire. » L'agrammatisme
était peu prononcé.
Notre malade se souvenait des chiffres. Elle comptait jusqu'à 10 sans
difficulté. 11 lui était impossible de lire les caractères imprimés ou l'écriture
cursive. Cependant elle reconnaissait quelques lettres et même quelques
syllabes isolées (Cécité verbale. Cécité littérale incomplète).
L'écriture sous dictée étai tirés imparfaite. Notre malade, assurément très
46 HALIPRÉ
peu instruite, oubliait les lettres à mesure qu'elle les traçait et comme elle
ne pouvait les reconnaître en tant que lettres, puisqu'elle était atteinte de
cécité verbale, elle ne parvenait à écrire que 2 ou 3 lettres de suite. Il faut
toutefois faire une exception au sujet de son propre nom, qu'elle écrivait t
d'ailleurs incorrectement (Leveiidie au lieu de Legendre).La cécité n'existait
pas pour les chiffres ; mais elle ne pouvait lire que les chiffres isolés. En
présence d'un nombre de deux chiffres, elle lisait les 2 chiffres isolément
et additionnait (Exemple : pour 15. Elle disait 1 et 5 ça fait 6).
Au point de vue anatomo-pathologiq2ta nous nous trouvons en présence
de 3 lésions :
1) Une lésion du pli courbe et des faisceaux sous-jacents (faisceau longi-
tudinal supérieur), lésions s'étendant vers les points du globe occipital
(intéressant la substance blanche faisceau vertical occipital de Wernicke).
2) Une lésion superficielle du lobule paracentral gauche.
3) Une lésion de l'hémisphère droit (lésion sous corticale de la 3e fron-
tale). Les deux dernières lésions, celle du lobe paracentral et celle de
l'hémisphère droit semblent devoir être mises hors de cause. La destruc-
tion d'une partie toute superficielle de l'écorce du lobule paracentral ne
doit pas intervenir dans les phénomènes d'aphasie. Quant à la lésion de la
3e frontale droite, il faudrait pour lui attribuer un rôle, supposer que
la malade était gauchère. Or elle n'éiait pas gauchère ; elle écrivait, man-
geait, etc.. de la main droite. Déplus la lésion du centre de la cécité
verbale, dans l'hémisphère gauche, a bien provoqué la cécité verbale. La
localisation dans l'hémisphère gauche de l'un des centres de l'aphasie est
donc certaine. On serait donc obligé d'admettre que certains centres du
langage étaient bien situés dans l'hémisphère gauche, alors que d'autres
étaient localisés à droite. Cela paraît peu admissible. Aussi, croyons-
nous, quelque troublante que soit cette localisation dans la région de la
3e frontale droite, qu'il n'y a pas lieu de la prendre en considération.
Nous retenons donc exclusivement la lésion du pli courbe et des fais-
ceaux sous-jacents. Notre observation se trouve ainsi très comparable
aux cas rapportés par Pitres dans ses leçons, et en particulier aux observa-
tions IV, IX et X qu'il est bon de rappeler.
OBS. IV. - Guido Banti (Afasia sue forme sperimentale). - Aphasie am-
nésique très nette. Intelligence conservée : la malade comprend ce qu'on lui
dit. Elle parle sans gêne de l'articulation, mais a perdu le souvenir d'un grand
nombre de mots. Elle répète tout correctement. Phénomènes de cécité verbale.
AUTOPSIE - Ramollissement jaune partant de la pointe du lobe occipital gau-
che et gagnant de là le lobule pariétal inférieur, en détruisant la partie posté-
rieure du gyrus angulaire (pli courbe) et une grande partie du lobule supra-
marginal pour se terminer à la scissure interpariétale.
aphasie amnésique 47
OBS. IX. - Paul Sérieux (Bull. Soc. Biol., 16 janvier 1892). - Femme, 73
ans, entend et comprend les questions qu'on lui pose, ne peut ni lire ni écrire ;
cependant la vision est intacte. Elle articule nettement, mais cherche long- z
temps et parfois inutilement ses mots. « Voyons, ça va-t-il venir », dit-elle
quand elle cherche un mot qui lui échappe. Elle a un peu de paraphasie. Morte
à la suite d'une hémorragie cérébrale de la région capsulo-striée du côté
droit. Du côté gauche on trouve la lésion ancienne qui a dû causer les symp-
tômes précités. C'est un foyer de ramollissement plus large qu'une pièce de
cinq francs en argent, occupant le lobule pariétal inférieur et le pli courbe.
OBs. X. Bianchi (Berl. klin. Woch., 2 août 1894). - Homme, 71 ans,
comprend tout ce qu'on lui dit; répète les mots prononcés, parle, mais oublie
beaucoup de mots, surtout les noms propres et,communs. Lecture impossi-
ble. Paragraphe dans l'écriture spontanée.
Autopsie. Plaque de ramollissement ancien sur le gyrus angulaire (pli
courbe) empiétant sur la substance grise de la portion postérieure de la première
temporale et s'enfonçant profondément dans la substance blanche jusqu'à la
corne postérieure du ventricule latéral.
Rappelons aussi l'observation publiée par Trenel (1) en 1899 et qui est
ainsi résumée :
Hémiplégie droite avec hémianesthésie, aphasie amnésique avec paraphasie ;
l'amnésie portant presque exclusivement sur les substantifs. Cécité verbale et
littérale probable, mais non complète. Pas de cécité psychique. Agraphie
incomplète. Pas de surdité verbale. A l'autopsie : hémorragie ancienne à gau-
che au niveau de la substance blanche du pli courbe et de l'insula avec par-
ticipation du segment postérieur de la capsule interne.
Ainsi les lésions relevées dans notre observation montrent bien qu'il
s'agit d'un cas tout à fait analogue à ceux publiés antérieurement. Comme
le fait remarquer Pitres à propos des dix cas réunis par lui (2), « les lésions
provocatrices de l'aphasie amnésique n'atteignent pas invariablement un
même point du cerveau. Elles siègent sur l'écorce de l'hémisphère gauche,
au niveau des régions pariétale ou temporale,dans l'aire ou sur les confins
immédiats des centres de la vision ou de l'audition des mots. Le plus sou-
vent elles portaient (8 fois sur 10) sur lé lobule pariétal inférieur, y com-
pris le pli courbe, mais quelquefois elles ne s'étendaient pas jusque-là. Il
ne semble donc pas que ce lobule puisse être considéré comme le centre
unique et exclusif de l'évocation mnésique des mots, puisqu'il n'est pas
toujours altéré quand cette évocation est compromise ».
(il Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. Nov.-déc. 1899, t. XII, p. 433. Apha-
sie amnésique ; aphasie de conductibilité, par TnEtVEL, médecin adjoint de l'Asile
St-Yon.
(2) Progrès médical, 9 juillet t898, p. 23. L'aphasie amnésique et ses variétés clini-
ques, loc. cit.
48 HALIPRÉ
Dans l'observation de Trénel, la lésion exclusivement sous- corticale
venait confirmer l'hypothèse de Pitres sur l'aphasie amnésique considérée
comme aphasie de conductibilité.
Dans notre observation la lésion est à la fois corticale (pli courbe, cir-
convolution occipitale) et sous-corticale (faisceau longitudinal supérieur,
faisceau occipital vertical de Wernicke). Peut-être est-ce à cette lésion sous-
corticale qu'il faut rattacher les troubles du langage. Quoi qu'il en soit, il
est un point intéressant à relever dans l'observation clinique, c'est la di-
minution progressive et la disposition presque complète des troubles du
langage. C'est là un point sur lequel Pitres a insisté dans ses leçons sur les
paraphasies(l). Il y aurait de ce fait un intérêt,réel à établir le diagnostic
exact des aphasies amnésiques, puisqu'on pourrait formuler en leur faveur
un pronostic bénin.
(1) Elude sur les paraphasies. Revue de médecine, 1899, n° S, 10 mai.
ROLE DES MUSCLES SPINAUX
DANS LA MARCHE NORMALE CHEZ L'HOMME (1)
PAR
HENRI LAMY
Médecin des Hôpitaux.
La marche de l'homme a été étudiée d'une façon très minutieuse, tant
au point de vue de l'équilibre et de la mécanique qu'au point de vue de
l'action musculaire. Cette dernière partie est du domaine des artistes au-
tant que des physiologistes; la photographie instantanée y a apporté un
précieux concours. A cet acte d'une coordination si merveilleuse et si com-
plexe qu'est la marche, bien peu de muscles sans doute ne prennent pas
part ; mais nous ne pouvons guère connaître directement le moment pré-
cis de leur action que par le changement des formes extérieures qu'en-
traine leur contraction. L'inscription directe des mouvements musculaires
à l'aide de tambours appliqués à la surface des muscles est un procédé
d'un emploi peu pratique ici et d'ailleurs passible d'objections. Nous de-
vons en particulier à M. P. Richer d'avoir montré quel parti on pouvait
tirer de l'étude des changements de forme du corps dans leurs rapports
avec l'état de contraction ou de relâchement des muscles.
Les muscles des membres inférieurs sont loin d'être les seuls à pren-
dre part à la marche ; ceux du tronc y concourent activement, et en par-
ticulier les muscles du dos. La masse sacro-lombaire se contracte à chaque
pas d'une façon très énergique. Ce phénomène est signalé par quelques
auteurs ; mais il m'a semblé qu'il méritait mieux que la courte descrip-
tion ou la simple mention qu'on en a faite. Je me suis efforcé : 1° d'établir
d'une façon exacte le moment précis où les muscles spinaux entrent en
contraction dans le pas ; 2° d'indiquer le changement d'aspect dans le re-
lief de la musculature du dos qui correspond à ce phénomène ; 3° enfin
de déterminer sa signification et son utilité dans l'acte de la marche. J'ai
fait part à mon maître et ami M. P. Richer des quelques observations que
(1) Une courte note sur ce travail a été présentée au Congrès des aliénistes et neu-
rologistes (Pau, août 1904).
\.\.111 4
50 LAMY
j'avais réunies à ce sujet (1). Il a pensé qu'elles avaient quelque intérêt
c'est ce qui m'a décidé à publier cette note.
Anatomie. Historique. - Les muscles qui nous intéressent ici sont
réunis par les anatomistes sous le nom de muscles spinaux : ils occupent,
à la partie postérieure du rachis,les gouttières longitudinales qui s'étendent
de chaque côté de la crête épineuse. Ils sont au nombre de trois de chaque
côté : un profond, le transversaire épineux, qui est aussi le plus médian ;
il s'étend du sacrum à l'axis, composé de faisceaux obliquement ascen-
dants, qui vont de l'apophyse transverse d'une vertèbre aux apophyses
épineuses des 3 ou 4 vertèbres sus-jacentes - deux superficiels, le long
dorsal et le sacro-lombaire, réunis inférieurement en une masse com-
mune, la masse sacro-lombaire, qui s'étend de l'os iliaque et du sacrum
à la 126 côte, au niveau de laquelle les deux muscles se séparent.
Le sacro-lombaire, le plus externe des deux, se porte de bas en haut,
par des faisceaux séparés, sur toutes les côtes, au niveau de leur angle.
Sappey le fail remonter jusqu'aux 4 dernières vertèbres cervicales, il l'apo-
physe transverse desquelles, dit-il, il s'insère par quatre languettes entre-
croisées avec celles du petit complexus.
Le long dorsal, plus interne, composé de longs faisceaux ascendants,
dont l'aspect l'a fait comparer à une feuille de palmier, a sa limite su-
périeure à une hauteur variable suivant les sujets (de la 6° à la 2' côte) ;
il donne naissance à des faisceaux externes ou costaux, qui s'insèrent
entre l'angle et la tubérosité des côtes, et à des faisceaux internes ou trans-
versccires, qui sont les plus importants.
Ces deux derniers muscles vont en diminuant de volume vers le haut.
Bien que réunis en une masse commune dans leur partie lombaire, ils
n'en sont pas moins distincts et forment deux reliefs séparés chez cer-
tains sujets. Superficiels dans leur partie lombaire et dorsale inférieure,
ils sont recouverts plus haut par le grand dorsal puis le trapèze; mais
leur relief, sur le vivant, peut s'accuser encore très nettement à travers la
couche musculaire mince et étalée que représente le grand dorsal.
On peut considérer les deux sacro-lombaires et longs dorsaux de cha-
que côté comme un vaste muscle pair et symétrique, extenseur du tronc
quand il se contracte dans sa totalité (erector trauci).
Duchenne de Boulogne ne s'est point occupé de l'action de ces muscles
dans la marche; il les désigne seulement comme extenseurs et fléchis-
(1) Je dois remercier aussi M. P. Richer d'avoir mis très obligeamment à ma disposi-
tion tous ses documents, et en particulier sa belle collection de photographies instan-
tanées de la marche qui ont été recueillies en collaboration avec M. Londe.
ROLE DES MUSCLES SPINAUX DANS LA MARCHE NORMALE CHEZ L'UOMME SI
seurs latéraux des vertèbres lombaires et dorsales inférieures ; il envisage
les attitudes qui résultent de leur contracture, de leur paralysie, de leur
atrophie.
Gerdy (1) cependant avait signalé le phénomène qui nous intéresse; et
sa description mérite d'être reproduite, car elle est très explicite. « Il se
passe dans le tronc, dit-il, et particulièrement dans les gouttières verté-
brales, de continuels efforts, sensibles à la main chez un homme recouvert
de ses vêtements, sensibles à l'oeil chez un homme nu. Mais ils me parais-
sent de deux sortes : le premier de ces efforts produit un gonflement ou
uneaugmen ta tion manifeste deconsistance dans les muscles vertébraux cor-
respondant au côté dont le pied se détache du sol, s'élève et reste suspendu ;
l'autre gonfle aussi, mais beaucoup moins, les muscles du côté correspon-
dant au pied immobile. Ces deux efforts se succèdent immédiatement
l'un à l'autre comme les pas des membres. Je nomme le premier « effort
d'élévatiort.»,parceqn'il est dû à la contraction des muscles sacro-spinaux
qui font effort pour élever et fixer le bassin, et par suite, pour détacher
le membre du sol et le maintenir suspendu en l'air. Le second agit pour
modérer l'impulsion communiquée au tronc par le pied qui se trouve en
arrière et prévenir la chute du corps en avant. Je le nomme « effort de
station », parce que c'est le même qui, dans la station, s'oppose au
mouvement du tronc en avant, et qu'il est le principal agent de l'équilibre
dans la marche. »
On voit que Gerdy ne s'est pas borné à signaler le fait ; il en indique la
signification. Nous aurons à discuter si sa façon de voir est acceptable sur
ce point. Mais en tout cas Gerdy a le mérite d'avoir aperçu le premier et
décrit le phénomène qui fait l'objet de cette note, savoir : la contraction
énergique et très évidente de la masse sacro-lombaire du côté correspon-
dant il la jambe oscillante.
Carlel (2) ,élè\'ede Marey ,auquel nous devons une très remarquable étude
sur la marche, exécutée au moyen de la méthode graphique, et qui a dé-
terminé avec grand soin la trajectoire des principaux points du corps pen-
dant la marche, reproduit dans son travail l'opinion de Gerdy que nous
venons de rapporter. Il a inscrit les mouvements des muscles sacro-lom-
baires en se servant d'un tambour explorateur de Marey appliqué sur la
région spinale et maintenu par une ceinture de gymnase, pendant qu'il
inscrivait simultanément les foulées du pied et les oscillations du tronc.
Cartel confirme les faits observés par Gerdy, et admet la distinction entre
l'effort d'élévation et l'effort de station.
(1) Gerdy, Physiologie médicale didactique et critique.
(2) CABLER, Essai expérimental sur la locomotion, Ann. des sciences naturelles, 1872j
t. 51 série.
52 LAMY
P. Richer, à ce sujet, dit, après avoir décrit les contractions musculai-
res des membres inférieurs : « D'autres actions musculaires se montrent
sur le reste du corps. Je signalerai seulement les spinaux qui entrent en
contraction dit côté de la jambe oscillante, et le deltoïde..... (1). »
Contraction des muscles sacro-lombaires pendant le pas. -
Comme l'a très nettement indiqué Gerdy dans la citation que j'en ai faite
plus haut, la masse sacro-lombaire se contracte énergiquement à chaque
pas du côté du membre oscillant. A quel moment précis se produit cette
contraction ? Combien de temps dure-t-elle ? Quand cesse-t-elle ? J'ai
cherché d'abord à compléter sur ces différents points la description de
Gerdy.
A l'instant précis où le talon frappe lesol,la masse sacro-lombaire entre
en contraction du côté opposé ; c'est donc au début du double appui dans
le pas, au moment où le poids du corps se porte d'un pied sur l'autre, que
se produit cette contraction du côté qui, déportant, va devenir oscillant. Il
s'agit d'une contraction soudaine et violente, qui fait saillir à ce moment
les faisceaux musculaires sous la peau, à la façon d'une corde qui se ten-
drait brusquement. Il est facile d'apprécier sur soi-même ce phénomène
en appliquant pendant la marche les deux poings sur la région lombaire
au-dessus de la crête iliaque. A chaque pas, on perçoit ainsi le durcis-
sement du muscle se produisant alternativement à droite et il gauche, du
côté opposé à celui où le talon tombe sur le sol ; et à ce moment même,
comme le dit Gerdy, la tension du muscle est assez forte pour qu'on la
sente à travers les vêtements. En faisant cette exploration à nu, on peut
sentir la contraction musculaire au niveau des gouttières vertébrales, jus-
qu'à la partie supérieure du rachis, avec une intensité décroissante, cela
va de soi.
La contraction des spinaux se maintient tout le temps de l'oscillation dit
membre inférieur correspondant ; et elle cesse brusquement au moment t
où celui-ci devient portant il son tour, pour passer au côté opposé. C'est
là lephénomène que Gerdy désigne sous le nom d'effort d'élévation,
parce qu'il supposait que cette contraction avait pour effet d'élever le
bassin du même côté.
Nous avons vu que Gerdy parlait d'une nouvelle contraction se produi-
sant dans les mêmes muscles du côté portant, mais moins énergique
(effort de station). Dans la marche normale en attitude droite, la masse
sacro-lombaire reste décontractée du côté portant. Ni la palpalion de la
(I) P. Riciipti, Physiologie artistique, Paris, Doin. 189;i.
ROLE DES MUSCLES SPINAUX DANS LA MARCHE NORMALE CHEZ L'HOMME 53
région à ce moment, ni l'inspection du nu sur les sujets maigres n'y révè-
lent de contraction. Quant à la méthode graphique, appliquée ici par Carlet,
je ne suis pas convaincu qu'elle ne puisse donner des résultats trompeurs
dans le cas particulier. Il est vrai toutefois que, dans la marche penchée
en avant, dans l'ascension d'un plan incliné, cet effort « de station » de-
vient appréciable ; mais il s'agit alors d'une démarche particulière. La
contraction du côté portant est relativement faible, appréciable seulement
à la palpation et ne donne pas lieu à un changement évident des formes
extérieures, à moins que l'inclinaison du corps en avant ne soit très pro-
noncée. Il ne semble pas que la masse sacro-lombaire y prenne une part
active, et peut-être se passe-t-elle seulement dans les transversales épi-
neux situés au-dessous d'elle.
Quoi qu'il en soit, dans la marche normale sur un plan horizontal, ce
dernier phénomène est négligeable ou nul, et je ne m'en occuperai pas.
A ce propos, il est nécessaire, lorsqu'on veut étudier un phénomène quel-
conque de la marche normale, de bien s'assurer qu'il est constant et qu'il
ne constitue pas un caractère particulier à la démarche de tel ou tel indi-
vidu. Les types de démarche, même ne s'écartant pas beaucoup de la nor-
male, sont très nombreux ; et il faut tenir compte de ce fait dans le choix
d'un sujet d'expérience.
En ce qui concerne la contraction croisée de la masse sacro-lombaire
par rapport au pied portant dans la marche, celte remarque a moins d'im-
portance à la vérité ; car c'est un phénomène constant dans toutes les va-
riétés de la marche ; démarche cambrée, balancée, marche en arrière, en
montant, en descendant, etc. Je ne l'ai jamais vu faire défaut, sauf peut-
être dans la marche en arrière, en attitude très cambrée, avec ensellure
profonde de la région lombaire, où il m'a semblé qu'elle était suppléée
par la contraction des muscles grands droits de l'abdomen.
Configuration des reliefs musculaires du dos dans la station
droite et pendant la marche. - Il est évident que la configuration des
saillies musculaires du dos ne peut nous renseigner d'une façon com-
plète sur l'état des muscles spinaux, puisque l'un d'entre eux est profon-
dément situé dans toute son étendue (transversaire épineux), et,que les
deux autres (sacro-lombaire et long dorsal) ne sont superficiels que dans
leur partie inférieure. Elle est cependant assez caractéristique chez les
sujets maigres pour nous renseigner sur l'état de la masse sacro-lombaire.
On trouvera dans le livre de M. P. Richer des détails à ce sujet (1).
(1) P. I;ICII6a, loc. cil., p. Ill. On trouvera des indications bibliographiques très
54 LAMY Y
a) Chez les individus maigres el musclés, dans la région dorso-lombaire,
les renetsmuscuiafresuessment. un losange médian (li. 1),
dont les deux côtés inférieurs répondent au bord externe de
la masse à a droite et à gauche,et. dont les
deux côtés supérieurs répondent au bord inférieur des grands
dorsaux, ou plus exactement à la ligne d'insertion des fibres
du grand dorsal sur l'aponévrose dorso-lombaire superfi-
cielle. C'est dans ce losange qu'est inscrite, en quelque
sorle, la masse charnue puissante qui représente le sacro-
lombaire et le long dorsal réunis, sous forme d'une saillie
étendue 10llgitudiualement de chaque côté de la ligne mé-
diane du rachis. Parfois les deux muscles sont séparés par
un sillon vertical très appréciable sur le nu.
Dans la station droitesymétriquedu tronc, le quadrilatère
est un losange parfait, ses deux moitiés sont symétriques,
sa forme varie seulement un peu suivant les sujets. Chez les
individus peu muscles ou gras, les deux cotes supérieurs, répondant au
sillon du grand dorsal sont à peine marqués, ou même.pas du tout.
Dans l'attitude droite normale, la masse sacro-lombaire, bien que sail-
lante, est relâchée, comme on peut s'en assurer par la palpation. P. Ri-
cher fait remarquer la présence, à sa surface, de plis transversaux cuta-
nés, qui, selon lui, indiquent le relâchement du muscle sous-jacent. Le
sujet vient-il a cambrer le tronc en arrière, la masse mus-
culaire devient plus flasque, et les plis transversaux s'exa-
gèrent. Vient-il à fléchir le tronc en avant, au contraire,
les plis s'effacent, le muscle devient dur et s11llant comme
une corde : notre losange dorso-lombaire s'allonge et de-
vient plus étroit ; mais ses deux moitiés restent toujours
symétriques. Semblable changement se produit dans la
forme du losange dorso-lombaire, même dans l'attitude
droite, lorsque les spinaux se contractent énergiquement
pour résister à la flexion du tronc, sollicitée par exemple
par le soulèvement d'haltères à bras tendus en avant (lig. 2).
ons maintenant ce qui se passe dans le pas, en faisant marcher
noire sujet « une laçon un peu blil. un pian Horizontal . rreuous
par exemple la jambe oscillante au milieu de son oscillation, à l'instant
qu'on appelle « moment de la verticale » : la contraction de la masse
complétées sur la marche, à la lin du livre récent de Il. UUU015-ItE'nlovD, Specielle
maskelphysiologia oclu BeVftgll1lgs1eh,.e, Berlin, Ilirschwald 1903). N'ayant envisagé
ici qu'un point particulier de la question, nous n'avons signalé, parmi les travaux
antérieurs, que ceux qui s'y rapportaient spécialement.
Fig. 1.
Station droite
avec relâche-
ment des spi-
aux (schéma
du losange
dorso-lombal-
re).
Fig. 2.
Station droite
avec tension
des spinaux.
b) Considéi
Nouvelle ICONOGRAYFIIF Df la Salpêtrière.
T. XVIII. Pl. VIII
ROLE DES MUSCLES SPINAUX DANS LA MARCHE
(H Lamy.)
A. Moment de la verticale (jambe droite oscillante) Contraction des muscles spinaux du
côté droit.
B. Pas antérieur (jambe droite oscillante) à l'instant qui précède immédiatement le dou-
ble appui. La contraction des spinaux siège toujours à droite ; le talon droit n'a pas encore
touché le sol, et le poids du corps porte toujours sur le membre inférieur gauche.
C. 'Début du pas postérieur (jambe gauche oscillante). Li contraction des spinaux a passé
au côté gauche.
Remarquer, dans ces trois ligures, la présence de plis cutanés transversaux à la surface des
spinaux du côté relâché.
{Figures empruntées ri la collection de pbologi apbies inslautane'et de la maicbe, de MM. P. Richer et A. Lomle.)
ROLE DES MUSCLES SPINAUX DANS LA MARCHE NORMALE CHEZ L'HOMME 55
sacro-lombaire se traduit, du côté des saillies musculaires du dos, par un
changement de forme de notre losange dorso-lombaire, évident à première
vue. Il devient asymétrique ; ou mieux le quadrilatère cesse d'être un lo-
sange : sa moitié correspondant au côté oscillant devient plus étroite et
prend une forme plus allongée ; son angle externe de ce côté devient plus
ouvert, tout en se rapprochant de la ligne médiane du dos (lig. 3 et 4).
En même temps les plis cutanés s'effacent du même côté, tandis qu'ils
persistent du côté opposé (voir Pl. VIII, A). En un mot, le changement
d'aspect que nous constations tout à l'heure dans la contraction bilatérale
de la masse sacro-lombaire (rig. 2) se produit seulement du côté oscillant,
le côté portant conservant la configuration qui caractérise le relâchement
du muscle.
c) Suivons l'oscillation delà jambe dans le pas antérieur; le même aspect
de la région lombaire se maintient jusqu'à la chute du talon sur le sol. A ce
moment exact, la contraction passe au coté opposé, et l'aspect du quadrila-
tère dorso-lombaire devient suhitement l'inverse de celui que je viens de
décrire (fig. 5 et 6). Ainsi, durant tout le temps de l'oscillation de la
jambe, le quadrilatère dorso-lombaire est asymétrique : sa moitié répon-
dantau côté oscillant est plus allongée et plus étroite, elle est en même
temps plus saillante, et il n'y a pas de plis cutanés à sa surface.
Cet aspect est tellement caractéristique que l'on peut très facilement,
à l'inspection d'une série de photographies instantanées du pas, juger, d'a-
près la seule configuration des reliefs musculaires du dos, quel est le côté
oscillant, quel est le côté portant, à condition que le sujet d'expérience
soit maigre et bien musclé, el que la région dorsale soit favorablement
éclairée (vuir PI. VIII, B et C).
Fig. 3.
Moment de la
verticale dans
le pas (jambe
gauche oscil-
lante).
Fig. 4.
Moment de la
verticale (jam-
be droite os-
cillante).
Fig. 5.
Pas antérieur
(jambe droite
oscillante).
Fig. 6.
Début du pas
postérieur ou
fin du double
appui (jambe
gauche oscil-
lante).
56 LAMY
On peut ainsi, par celte simple inspection, déterminer rigoureusement
dans la série de photographies instantanées du pas, quelle est celle qui
correspond au moment précis de la prise de contact du talon de la jambe
oscillante avec le sol, autrement dit au début du double appui : ce qu'il
n'est pas toujours aisé de déterminer par la seule inspection du membre
inférieur. Le passage d'un côté il l'autre se fait avec la rapidité de l'éclair,
et il a le temps de s'effectuer d'une pose à l'autre, même quand celles-ci sont t
très rapprochées.
Rôle des muscles spinaux dans l'équilibration du tronc pen-
dant le pas. -Nous devons nous demander maintenant quelle est l'utili-
té, dans l'économie de la marche, de cette contraction répétée à chaque
pas, de la masse sacro-lombaire. Le fait qu'elle est constante dans n'im-
porte quelle variété de démarche nous indique qu'elle joue ici un rôle
très important. Le fait qu'elle se produit exclusivement d'un côté du
corps, du côté qui reste suspendu en l'air pendant la marche, nous
suggère de rechercher qu'elle peut bien être, à ce moment, son utilité.
Nous avons vu ce qu'en pensait Gerdy. Pour lui c'est un « effort d'éléw-
lion» » du bassin pendant l'oscillation du membre inférieur du même côté.
A priori cette opinion n'est guère admissible. Le muscle sacro-lombaire
qui s'insère tout au plus au 1/5 ou au 1jeu interne de la crête iliaque pa-
raît bien mal disposé pour élever le bassin de son côté : l'élévation du
bassin du côté oscillant ne saurait se produire que par un mouvement de
rotation autour d'un axe antéro-postérieur passant par l'articulation coxo-
fémorale de la jambe portante. Ce serait au moyen fessier (P. Richer) du
côté portant, et non en tout cas au sacro-lombaire du côté oscillant, que ce
rôle serait dévolu.
Et puis, pour le dire en passant, l'élévation du'bassin du côté oscillant
dans la marche n'est rien moins qu'un fait démontré. Les auteurs à cet
égard, ne s'entendent d'ailleurs nullement sur les oscillations du bassin dans
le pas. Si singulier que cela paraisse, l'accord n'est pas fait sur la question
de savoir si le bassin s'élève ou s'abaisse du côté du membre inférieur
oscillant.
Pour Gerdy, « chacun des côtés s'abaisse et s'élève alternativement
dans la marche, et c'est toujours du côté correspondant au pied sur lequel
se décharge et s'appuie le poids du corps que s'observe l'élévation ».
Notons en passant que Gerdy se contredit d'une façon flagrante, puis-
qu'il décrit ailleurs un « effort d'élévation » du bassin, du côté sus-
pendu.
ROLE DES MUSCLES SPINAUX DANS LA MARCHE NORMALE CHEZ L'HOMME 57
Giraud-Teulon fi) exprime l'opinion contraire : « Le côté le plus élevé
du bassin est toujours celui qui correspond à la jambe suspendue, au
moins dans les trois premiers quarts de son mouvement. C'est une
nécessité pour que la jambe oscille sans heurter le sol....» On pourrait
objecter à Giraud-Teulon que si le bassin s'élevait, comme il le prétend,
du côté oscillant, le membre inférieur pourrait osciller dans l'extension
complète, et n'aurait pas besoin de se fléchir dans l'articulation du genou
pour ne pas heurter le sol. Chez les individus atteints d'ankylose du genou,
le bassin s'élève en effet très visiblement du côté ankylosé quand le mem-
bre inférieur de ce côté vient osciller ; mais c'est une démarche anormale,
que chacun d'ailleurs peut adopter à volonté.
Car ! et (2), qui a enregistré la trajectoire du grand trochanter, et cons-
truit l'épure schématique de cette trajectoire, déclare que le grand trochan-
ter s'élève du côté de la jambe oscillante, et qu'il atteint son maximum
d'élévation au milieu de l'oscillation de la jambe correspondante. Inverse-
ment il s'abaisse du côté portant, et le point déclive de sa course est atteint
pendant la période d'appui de ce côté, à la fin de cette période.
Ces données sont tout à fait en contradiction avec les conclusions de
P. Richer (3). « Jamais le côté oscillant (dit-il à propos du bassin) ne
s'élève au-dessus du côté portant. \\ ne fait que baisser très nettement dans
le pas postérieur, un peu moins dans le pas antérieur.. » P. Richer se base,
à cet égard, non sur l'emploi d'appareils inscripteurs, qu'il rejette comme
susceptibles de donner des indications fausses, mais sur l'examen du nu,
sur la comparaison de photographies instantanées en série d'un sujet mar-
chant, vu de face.
C'est évidemment la méthode de P. Richer qui doit avoir le dernier mot
dans la discussion ; et le résultat auquel elle aboutit est un argument pé-
remptoire contre l'opinion de Gerdy au sujet du rôle de la masse sacro-
lombaire pendant la marche. Ainsi,' non seulement le muscle en question
n'élève pas le bassin pendant l'oscillation de la jambe du même côté;
mais, loin de s'élever, le bassin s'abaisse du côté oscillant.
Reste à décider, entre les deux actions des muscles spinaux sur la colonne
vertébrale, extension et flexion latérale (Duchenne),laquelle est mise en jeu
ici. Nous avons fait allusion plus haut à l'intervention possible, dans la
marche, des muscles spinaux à litre d'extenseurs du tronc (marche inclinée
en avant, ascension d'un plan incliné). Il s'agit alors d'une contraction
(1) Giraud-Teulon, Traité de mécanique animale.
(2) CARLET, Ann. des sciences naturelles, 1872, loc. cit., p. 64.
(3) P. Richer, loc. cil., p. 253. Voir le schéma très explicite qu'il donne à ce sujet,
p. 251.
58 LAMY
bilatérale, qui parait avoir pour siège bien plus les muscles profonds (trans-
versaires épineux) que tesacro-tombaire et le long dosai.
Quant à la contraction de la masse sacro-lombaire croisée par rapport
au côté portant, celle qui nous intéresse ici, doit-on la considérer comme
un effort d'extension de la colonne vertébrale ? Cela n'est point vraisem-
Celte contraction unilatérale n'aurait qu'un effet très peu marqué
d'extension du tronc directement en arrière, la flexion latérale l'empor-
tant de beaucoup. On n'aperçoit d'ailleurs nullement l'utilité d'un sem-
blable effort d'extension de la colonne vertébrale au début de l'oscillation
du pas. L'axe du tronc est déjà légèrement incliné en arrière à ce moment
(P. Bicher) ; et ce n'est que plus tard, dans la moitié antérieure du pas
oscillant, qu'il tend à se porter légèrement en avant. Ce serait donc seule-
ment à ce moment qu'une contraction frénatrice des extenseurs serait utile
en tout cas.
Enfin, et ceci me parait péremptoire pour démontrer que le phénomène
de contraction musculaire que j'étudie ici ne se rapporte ni aux mouve-
ments du bassin, ni à l'extension de la colonne vertébrale, la contraction
unilatérale de la masse sacro-lombaire dans la marche n'est nullement
liée à la progression, mais se rattache à l'oscillation du corps d'un pied sur
l'autre.
Elle a lieu en effet sous la même forme, aussi bien dans
l'oscillation sur place, dans la station sur un pied, que dans
la marche. Il n'est même pas nécessaire que le pied se dé-
tache du sol, dans cette oscillation sur place, pour qu'elle
se produise ; il suffit que le poids du corps se porte alterna-
livement d'un pied sur l'autre. Dans ces conditions, on voit
la contraction de la masse sacro-lombaire passer d'un côté
à l'autre, absolument comme dans la marche en avant ; et
elle se produit là aussi toujours du côlé opposé au pied qui
supporte le poids du corps (fig. 7). C'est également ce qui a
lieu dans certaines altitudes banchées.
Il ne me paraît pas douteux que ce qui se passe dans l'os-
cillation sur place ne doive nous renseigner sur le rôle que
la masse sacro-lombaire est appelée à jouer dans la marche.
Quand tout le poids du corps se porle sur un seul pied,
la verticale passant par le centre de gravité tombe, cela
va desoi, sur la surlace couverte par le piect portant ; i axe ou tronc
s'incline plus ou moins de ce côté, l'épaule est abaissée, la colonne ver-
tébrale tend à s'incurver du même côté. Quelle est la puissance muscu-
laire qui l'empêche de s'infléchir tout à fail et de s'affaisser latéralement,
si ce n'est la masse sacro-lombaire et le long dorsal du côté opposé. Ainsi
rig. 7.
Oscillation sur
place. Le
poids du corps
porte sur le
membre infé-
rieur droit,
contraction
des spinaux à
gauche,
ROLE DES MUSCLES SPINAUX DANS LA MARCHE NORMALE CLIE7 L'HOMME 59
ces muscles on ! pour effet en se contractant, non point d'infléchir le ra-
chis de leur côté, mais d'en empêcher la llpxion passive du côté opposé :
c'est aussi une véritable contraction « frénatrice ».
Ainsi en est-il dans la marche. Elle n'est autre chose qu'une série
d'oscillations alternatives d'un pied sur l'autre, à cela près que ces oscil-
lations se poursuivent le long de l'axe du chemin parcouru. La verticale
passant par le centre de gravité du corps se rapproche à chaque pas du
pied portant (tout en restant généralement un peu en dedans de celui-ci) ;
l'épaule du côté portant est abaissée. Il faut que la ligne du centre de
gravité ne tombe point en dehors du pied portant ; et pour cela, il faut
que la colonne vertébrale ne s'infléchisse pas de ce côté, sans quoi l'équi-
libre du corps serait perdu.
C'est à ce rôle d'équilibration du corps dans le sens latéral pendant
la marche que je crois la masse sacro-lombaire préposée : ce qu'il y a de
remarquable ici, c'est l'apparition brusque et soudaine de sa contraction
d'un côté, à l'instant précis où le poids du corps se porte du côté opposé.
Dans la marche, on dirait d'un véritable réflexe croisé, provoqué par le
contact du pied opposé avec le sol. Et de fait ne peut-on admettre qu'il
s'agit là d'un de ces réflexes locomoteurs, liés à la coordination de la
marche, qui ont été récemment étudiés par Philippson (1) ?
Il eût été intéressant de rechercher comment se comportent les muscles
spinaux dans la marche dans un certain nombre d'états pathologiques.
Nul doute par exemple que l'insuffisance de ces muscles ne contribue,
pour une part au moins, à la démarche cambrée et balancée si caracté-
ristique de certaines myopathies. Il est possible aussi que, chez les grands
ataxiques, l'incoordination de ces muscles joue un rôle dans les troubles
de la marche.
Je n'ai point encore à cet égard d'expérience suffisante pour me pro-
noncer. Je crois cependant, d'après les quelques observations que j'ai pu
faire incidemment chez les malades, que, tant que la marche est possible
sans appui, les fonctions des muscles spinaux sont au moins relativement
conservées. J'ai constaté le fait chez plusieurs myopathiques assez avancés,
chez un ataxique très incoordonné.
En terminant cette étude, je signalerai les contractions des muscles de
la nuque pendant la marche. On peut en faire aisément aussi l'observation
sur soi-même, en appliquant la pulpe des doigts réunis sur les muscles de
la nuque pendant la marche. On sent nettement ces muscles se gonfler et
se durcir à chaque pas, surtout dans la marche un peu active, la tête in-
clinée en avant. Ici la dissociation de l'action musculaire est beaucoup plus
(1) PIIILIPI'SON, Contribution à l'étude des réflexes locomoteurs. Acad. des sciences,
5 janvier 1903.
60 LAMY
difficile qu'à la région lombaire, en raison de la multiplicité des muscles
de la région. Mais il semble bien que les contractions musculaires aient
pour effet de relever la tôle à chaque pas, comme si elle se laissait tomber
par son propre poids entre chaque pas. Il y a là un phénomène compara-
ble à ce qui va se passer dans la marche des quadrupèdes, et qu'il est bien
facile d'observer chez le cheval par exemple.
Conclusions
1° Les muscles spinaux (sacro-lombaires et long dorsal) se contractent
énergiquement à chaque pas dans la marche normale sur un plan horizon-
tal ;
2° Cette contraction est unilatérale et se produit du côté du membre
inférieur oscillant ; elle passe alternativement d'un côté à l'autre comme
l'oscillation elle-même.
3° Elle débute à l'instant précis où le talon du membre portant vient
rencontrer le sol. C'est une contraction soudaine, brusque, se produisant
à la façon d'un réflexe qui serait provoqué par le contact du pied opposé
avec le sol. Elle dure tout le temps de l'oscillation de la jambe.
4° Cette contraction, dans la marche, est liée, non à la progression, mais
à la translation du poids du corps d'un pied sur l'autre ; elle se produit
sous la même forme aussi bien dans l'oscillation sur place que dans la
marche en avant.
5° Son rôle, dans la marche, est d'assurer l'équilibration latérale du
tronc; elle s'oppose à l'inflexion latérale de la colonne vertébrale du côté
où porte le poids du corps, et au déplacement de la verticale passant
par le centre de gravité du corps en dehors du pied portant sur le sol.
6° La contraction unilatérale de la masse sacro-lombaire s'accuse par un
changement d'aspect caractéristique dans la configuration des reliefs mus-
culaires du dos : à tel point qu'à la simple inspection de cette région, chez
les individus maigres et musclés, on peut reconnaître quel est le côté sur
lequel porte le poids du corps, soit dans la marche, soit dans l'oscillation
sur place.
HOSPICE DE l31( : I : TRE
LABORATOIRE DE SI. LE ])r PIERRE MARIE
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT
LA MALADIE DE PAGET.
PAR
PIERRE MOCQUOT ET FRANÇOIS MOUTIER.
Internes des hôpitaux,
Parmi les déformations séniles, les unes relèvent de traumatismes, les autres
d'attitudes professionnelles, d'autres sont d'origine pathologique. En 1877, sir
James Paget a placé dans un cadre nosoiogique spécial certains vieillards qui
se présentent avec un ensemble de symptômes définis et constants : ils marchent
voûtés, le tronc penché en avant lorsqu'ils sont debout (et le symptôme s'exa-
gère par le rapprochement des talons), les condyles fémoraux demeurent écar-
tés l'un de l'autre, les membres inférieurs sont arques ; les tibias très épaissis
dessinent une courbure à convexité externe. Le tronc semble affaissé, le thorax
tassé sur l'abdomen, l'abdomen aplati sur le bassin trop étroit pour le recevoir.
Des plis transversaux profonds barrent la région ombilicale, traduisant le tas
sèment général du tronc.
Exagérant encore cet aspect si particulier, le crâne èst augmenté de volume,
la région frontale plus haute que normalement ; l'architecture générale du corps
a quelque chose de disproportionné qui rappelle étrangement l'allure générale
des grands anthropoïdes. Or, en faisant l'autopsie de'certains vieillards chez
lesquels on avait porté le diagnostic de maladie de Paget en évolution, notre
maître, M. le Dr Pierre Marie, fut frappé de voir que les os avaient dans cer-
tains cas un volume normal, et que dans d'autres même, loin d'être épaissis, ils
présentaient une fragilité notable. Un examen approfondi des faits montra qu'à
côté des vrais malades de Paget, il y avait des vieillards dont l'aspect général est
analogue, mais qui en diffèrent complètement par un très grand nombre de ca-
ractères, et en premier lieu par l'absence d'épaississement des os : ce sont ces
malades que M. Pierre Marie depuis longtemps déjà a coutume d'appeler des
« pseudo-Paget »
On peut se demander quelle est la fréquence de ce syndrome particulier :
nos recherches ont été faites parmi les malades de l31cêtre et de la Salpêtrière.
Un certain nombre de cas ont pu nous échapper, en sorte qu'il nous est impos-
sible de dire quelle est la proportion des vieillards ainsi atteints.
Cependant, si l'on tient à avoir une idée, si vague fût-elle, de la fréquence
6 MOCQUOT HT moutier
du syndrome, nous estimerons d'une façon très approximative qu'elle peut
atteindre de 1 à 3 0/0, du moins dans la population sénile de nos asiles publics.
Nos recherches ont porté sur une vingtaine d'individus ; mais en tout cas,
il nous semble que cette déformation est beaucoup plus fréquente que la vraie
maladie de Paget.
Il s'agit de sujets dont l'âge varie de 70 à 80 ans au plus. Ce qui frappe tout
d'abord est leur attitude générale ; elle les faisait prendre pour des cas de mala-
die de Paget en évolution. Debout, les vieillards présentent une voussure mar-
quée du dos ; la tête est portée en avant, mais le malade redresse le cou pour
regarder devant lui ; le tronc est tassé, l'abdomen présente des plis transver-
saux, les-genoux sont légèrement fléchis, un écartement plus ou moins considé-
rable existe entre les condyles fémoraux, les bras sont maintenus un peu éloi-
gnés du tronc. Assis, le malade se tient assez fortement penché en avant, les
mains habituellement appuyées sur les genoux qui sont très écartés, et la
voussure dorsale s'accuse : voilà en somme ce que l'on constatait seulement,
avant qu'un examen attentif n'ait amené, en révélant d'autres symptômes, à
isoler ces vieillards en. un groupe à part.
Les déformations portent surtout sur le tronc et les membres inférieurs ; ce
sont elles que nous allons maintenant étudier en détail, en envisageant succes-
sivement chacune des parties du corps.
Lorsque le syndrome est bien caractérisé, les altérations du thorax sont con-
sidérables ; elles sont si multiples et en apparence au moins si irrégulières,
qu'il est difficile d'apprécier leur valeur réciproque et l'ordre dans lequel il con-
vient de les décrire.
Le thorax est tourmenté, le sternum, convexe en avant à sa partie supé-
rieure, se creuse au-dessous en cuvette ; le rebord cartilagineux des fausses
côtes se déjette en dehors ; au-dessus se dessine une dépression à peu près
symétrique. Le thorax par sa partie inférieure semble rentrer dans l'abdomen ;
la poitrine est bombée en haut : il la partie supérieure il existe en effet une sail-
lie transversale formée par l'angle des deux premières pièces sternales qui se
projette en avant. De chaque côté, cette saillie est prolongée par le relief des
deuxièmes cartilagescostaux et de l'extrémité interne des deuxièmes côtes.
Elle est souvent plus accusée d'un côté que de l'autre ; à cause de l'inégale
déformation des cartilages. Quoi qu'il en soit, elle ne fait jamais défaut; nous
l'avons trouvée chez tous nos malades, même dans les cas les plus frustes.
Quelquefois, au-dessus et au-dessous de cette saillie, deux autres reliefs paral-
lèles se dessinent toujours beaucoup moins accusés ; ils correspondent aux
cartilages des première et troisième paires de côtes (Voir PI. IX, A et C et
PI. X, H).
Immédiatement au-dessous de l'angle sternal, la face antérieure du thorax
se déprime en cuvette (V. Fig. 1). Cette cuvette s'étend en hauteur de l'an-
gle sternal à l'angle xyphoïdien, en largeur d'une ligne parasternale à l'au-
tre. Le fond correspond à la face antérieure du sternum, dont la partie
inférieure est quelquefois profondément déprimée. Limitée en haut par la
saillie de l'angle sternal et des deuxièmes cartilages costaux, la cuvette est
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. PI. IX
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE
SIMULANT LA MALADIE DE PAGET
('P. Mocquot et F. Moutier)
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 63
bordée de chaque côté par un relief que dessinent les articulations chondro-cos-
tales. Il y a en effet un soulèvement général des cartilages costaux au voisinage
du sternum, soulèvement qui commence à l'articulation chondro-sternale mais
va en s'accusant à mesure qu'on s'éloigne du sternum, et se trouve surtout
marqué au niveau des articulations chondro-costales. De cette façon on s'expli-
que que tout en faisant au contact même du sternum une saillie exagérée, les
cartilages costaux contribuent à former le fond de la cuvette. Les cartilages
inférieurs dessinent un relief qui continue celui des cartilages supérieurs,
mais n'a plus de rapports avec la cuvette.
En bas en effet, celle-ci est fermée par une voussure épigastrique transver-
sale au niveau de la pointe de l'appendice xyphoïde.
Cette dépression en cuvette est toujours peu profonde, évasée ; il ne s'agit
que de qnelques millimètres, elle se différencie nettement du Trichterbrust.
Mais le thorax ne présente pas toujours la forme typique que nous venons
de lui décrire. Parfois les articulations chondro-costales font une saillie moindre
et dans ce cas on a une dépression longitudinale peu profonde, en vallée ; par-
fois la voussure épigastrique manque, et la dépression s'élargissant en bas
entre les deux côtés de l'angle xyphoïdien prend un aspect triangulaire, sa
limite inférieure est indécise. La courbe dessinée par le bord inférieur du tho-
rax présente les altérations suivantes : à l'extrémité interne des 6e, 71, 80 espaces
intercostaux, il y a un déjettement du rebord des fausses côtes, déjettement
qui continue la saillie des bords de la dépression en cuvette déci ite plus haut.
Les cartilages des fausses côtes semblent augmentés de volume et sont sou-
levés en avant et en dehors comme si avec les mains on avait voulu arracher la
paroi antérieure du thorax. Au-dessous de cette saillie l'hypochondre se dé-
prime profondément comme aspiré dans le thorax et cette dépression accuse
encore le relief du rebord costal.
L'éversion des cartilages costaux n'est pas toujours régulière; ils sont par-
fois déprimés au sommet même de leur courbe, en quelque sorte gondolés.
La saillie de la courbe inférieure du thorax s'étend en dehors et en bas jus-
qu'à l'extrémité interne de la dixième côte, Ce sont en somme les cartilages des
7", 8e et 9° côtes qui la constituent. La voussure est le plus souvent asymé-
trique, le rebord est plus élevé et plus retroussé d'un côté que de l'autre.
Il y a un aplatissement latéral très marqué du thorax, lié à l'amoindrisse-
ment de ses dimensions transversales.
La courbure des côtes suivant leurs faces est fréquemment diminuée ; ces
os sont d'ailleurs très obliques en bas et en avant. Il en résulte qu'au lieu de
trouver une surface convexe, on voit de la ligne para-axillaire postérieure à
la ligne mamelonnaire en avant une surface plane, un véritable méplat occu-
pant toute la face latérale du thorax : il est limité en avant par une ligne ohH-
que nettement dessinée du bord inférieur du grand pectoral à l'extrémité an-
térieure de la 7e côte. Par rapport au bassin, l'obliquité des côtes est exagérée,
mais il est difficile d'apprécier si l'angle costo-vertébral est réellement diminuée
ou s'il n'y a qu'un changement de direction des côtes en rapport avec les dé-
formations rachidiennes.
64 MOCQUOT ET MOUTIER
Les deux reliefs dessinés par les cartilages costaux supérieurs et inférieurs
se continuent au niveau de la partie inférieure du sternum en formant un an-
gle ouvert en dehors et en haut. A ce niveau se creuse une dépression en verre
de montre qui termine en avant le méplat des faces latérales du thorax ; ses
dimensions sont en moyenne celles de la paume de la main ; elle s'étend de la
4e à la 8e côte environ, limitée souvent en bas par le relief plus [accusé de la
7" côte (V. Fig. 1).
En bas le thorax semble rentrer dans le bassin; mais nous devons attirer
l'attention sur deux points distincts ; c'est d'une part le plongement des derniè-
res côtes dans le bassin, et d'autre part leur involution à l'intérieur du thorax.
Dans les cas les plus accusés, le doigt enfoncé horizontalement au-dessus de
la crête iliaque à sa partie moyenne heurte le bord inférieur de la dixième
côte ; à ce niveau on ne peut plus sentir la onzième côte, lorsqu'on la suit
d'arrière en avant, le doigt la perd dans la ligne scapulaire.
Malgré cet affaissement du thorax, les dernières côtes ne semblent pas se
mettre au contact de la crête iliaque ; s'enroulant vers l'axe médian, elles s'im-
briquent les unes dans les autres. En arrière la onzième disparaît sous la
dixième ; dans le flanc, celle-ci à son tour glisse sous la neuvième pour, en
avant, se cacher sous cette dernière par son extrémité. La disposition est
symétrique des deux côtés.
, FIG. 1
DÉ'OIl/l1ATlONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 65
Il se produit là en somme une déformation qui nous semble toutà fait com-
parable à celle du thorax en lorgnette décrit par DI.Dieulafoy et de ce tassement
général du tronc résulte un aspect de l'abdomen tout à fait spécial et fort
analogue il celui des vrais malades de Paget.
Ce qui frappe tout d'abord, c'est la diminution de hauteur de la région
abdominale ; elle paraît se produire surtout aux dépens de la partie supérieure;
à ce niveau existent en effet deux ou trois plis transversaux plus ou moins
profonds allant d'un hypochondre à l'autre. Le plus accusé est habituellement
situé au niveau de l'ombilic et se perd latéralement dans la région du flanc ;
les autres, moins marqués, séparés par des bourrelets, sont situés au-dessus de
lui ; le plus élevé se termine de chaqne côté dans la région de l'hypochondre
an-dessus du rebord inférieur de la cage thoracique, étant donné l'abaissement
des dernières côtes.
A la partie supérieure de l'abdomen, la région épigastrique forme une vous-
sure transversale limitée en bas par le plus élevé des plis, se continuant sur
les côtés avec la saillie dessinée par les cartilages costaux, formant enfin le
bord inférieur de la cuvette décrite sur la face antérieure du thorax (PI. IX,
B et D).
Celte voussure épigastrique n'est d'ailleurs pas constante. Ainsi que nous
l'avons déjà dit, la face antérieure du thorax prend quelquefois l'aspect d'une
vallée ouverte en bas vers la région épigastrique plane. Dans ces cas, les plis
transversaux sont moins nombreux et moins accentués ; quelquefois il y a une
simple dépression sans plis véritables.
De chaque côté de l'abdomen, l'hypochondre s'enfonce profondément au-
dessous de la saillie formée par les cartilages costaux déjetés en avant et en '
dehors, et dans la dépression ainsi formée viennent se perdre les plis trans-
versaux.
La région du flanc n'existe pour ainsi dire plus puisque, sur les côtés, le
bord inférieur du thorax est au niveau ou même au-dessous des crêtes iliaques ;
l'espace ilio-costal a disparu. Cette diminution considérable de la hauteur du
flanc se traduit par la formation de plis latéraux et postérieurs plus nombreux
et moins marqués qu'en avant. Les plis inférieurs horizontaux commencent
en arrière à quelque distance de la colonne vertébrale et se perdent sur le côté
au niveau du flanc ; ils sont à peu près à la hauteur de la crête iliaque. Au-
dessus, l'extrémité postérieure des plis se relève et leur direction devient paral-
lèle à celle des côtes. Souvent enfin, la région hypogastrique est projetée en
avant.
En résumé, voussure de l'épigastre et de l'hypogastre, plis transversaux
profonds au niveau et au-dessus de l'ombilic se terminant de chaque côté
dans la dépression des hypochondres, diminution et même disparition de l'es-
pace ilio-costal, telles sont les déformations de la région abdominale, déforma-
tions qui nous semblent traduire l'affaissement général du tronc, et résultent de
celles que l'on observe du côté du rachis et du bassin.
La colonne vertébrale présente dans la région dorso-lombaire une courbure
unique à convexité postérieure. La lordose lombaire normale a complètement
xviu 5
66 MOCQUOT ET MOUTIER -
disparu et la seule trace qui en reste est un léger aplatissement de la courbure
cyphotiqnp générale au niveau des dernières vertèbres lombaires.
La cyphose est surtout marquée au niveau des vertèbres dorsales supérieures
(PI. X,E, F et H)et la déformation rachidienne est quelquefois si accusée que la
partie supérieure du dos prend une direction presque horizontale. A la région
inférieure de la colonne vertébrale, le sacrum a subi un véritable renversement,
un mouvement de bascule tel que sa convexité, au lieu d'être dirigée en haut
et en arrière comme à l'état normal, regarde directement en arrière, et même
un peu en bas : le coccyx est porté en avant. On se rend bien compte du ren-
versement du sacrum par ce fait que la crête sacrée est facilement appré-
ciable dans toute son étendue, même sa partie supérieure.
Elle ne dépasse pas en arrière le plan des apophyses épineuses lombaires
lorsque la déformation est très accusée, et, dans tous les cas, le plan vertical
qui passerait par la première apophyse épineuse sacrée.
La courbure cervicale reste le plus souvent à peu près normale ; et, lorsque
la voussure du dos est très accusée, la face postérieure du cou comme la région
dorsale supérieure se rapproche de l'horizontale. Parfois, surtout pendant la
marche, lorsque le malade veut redresser la tête, la concavité postérieure de
la région cervicale s'exagère.
La mobilité des différents segments du rachis est habituellement diminuée,
les mouvements de flexion se font assez bien surtout dans la région cervicale et
lombaire, la région dorsale reste presque immobile. Mais l'extension complète
est impossible ; le malade peut bien se redresser légèrement, mais il se fatigue
très rapidement et reprend bientôt son attitude habituelle.
Pour maintenir son équilibre, il est obligé de porter le bassin en avant et
d'amener la région lombaire en retrait sur la région dorsale.
Le rachis, sauf dans la colonne cervicale, forme une courbure unique à con-
vexité postérieure surtout marquée au niveau des vertèbres dorsales, un peu
aplatie au niveau des vertèbres lombaires ; la compensation de la cyphose
dorsale ne se fait pas par une exagération de la lordose lombaire, mais par
l'extension de la cuisse sur le bassin. Cette attitude est maintenue par la con-
traction permanente des muscles des gouttières vertébrales d'une part, du ten-
seur du fascia lata et du droit antérieur d'autre part. Il y a donc là un mode
de compensation tout à fait spécial de la déformation rachidienne. En effet,
« l'exagération de la courbure dorsale entraîne l'exagération des deux autres
ainsi qu'on le voit dans les gibbosités dorsales, et aussi dans les voussures ré-
sultant de l'inclinaison prolongée vers la table on vers le sol ».
Toutefois de nombreuses variétés peuvent s'observer dans ces cas selon les
points d'appui. La compensation peut se faire sur tous les segments inférieurs
mobiles. C'est ainsi que le vieux vigneron courbé rétablit comme le gorille son
centre de gravité en fléchissant les hanches et les genoux, c'est-à-dire en re-
portant en arrière une quantité proportionnelle du bassin (1). Lane (2) insiste
(1) DALLY, Dictionnaire Dechambre, 1" série, t. XXVI, Paris, 1882, art. Déformations,
pp. 187-188.
(2) 1,A.\E, A uery important /af<0)')tt the Cn.71UUIO/1 n/some of the curres irhich de-
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. Pl. X
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE
SIMULANT LA MALADIE DE PAGET
(P. Mocquot et F. Moutier)
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE P.\GE1' 67
également sur ce fait que les voussures séniles très accusées d'origine profes-
sionnelle sont compensées uniquement par des mouvements qui se passent
dans les articulations coxo-fémorales.
Chez nos malades, le bassin n'est pas porté en arrière et c'est par l'extension
de la cuisse que se rétablit l'équilibre. Entraîné par le sacrum, le bassin est
renversé en arrière et en haut ; il a subi autour d'un axe horizontal un mou-
vement de bascule tel que sa partie supérieure est portée en arrière ; cette
déformation s'accuse par l'effacement du pli inguinal en avant, par la diminu-
tion de la saillie des fesses en arrière. Tout cela concorde avec le déplacement
en avant des ischions qui sont très difficiles à palper travers les masses mus-
culaires. Aussi dans l'ensemble, les dimensions autéro-postérieures du tronc à
sa partie inférieure semblent diminuées ; le bassin est aplati d'avant en arrière.
L'élargissement des hanches vient encore augmenter cette déformation. Les
trochanters sont en effet très saillants en dehors ; la cuisse à sa partie supérieure
présente une largeur exagérée, sa face antérieure au niveau du triangle de
Scarpa est aplatie, et se continne souvent en haut, sans ligne de démarcation
appréciable, avec la face antérieure de l'abdomen.
Mais ce qui frappe surtout lorsque l'on examine les membres inférieurs, c'est
l'écartement des condyles fémoraux internes lorsqu'on a fait joindre les talons.
(Voir PI. IX et X, spécialement A et B, E et F) (1). Chez un sujet bien con-
formé, lorsque les talons et les malléoles internes sont au contact, les condyles
internes des fémurs y sont également et il y a un petit espace ovalaire très
allongé entre les deux jambes. Chez nos malades au contraire, dans la même
attitude les condyles fémoraux sont éloignés de 4 à 5 centimètres, les membres
inférieurs légèrement arqués laissent entre eux un espace ovalaire allant de
la partie supérieure des cuisses anormalement écartées aux malléoles internes.
Cette courbure à concavité interne porte sur l'ensemble du membre et non
spécialement sur un de ses segments.
Nous n'avons jamais observé de déformations des membres supérieurs.
Par contre, nous avons été plusieurs fois frappés, en faisant des mensurations
de la tête, de voir que le diamètre transverse maximum au lieu de tomber
comme normalement sur les pariétaux, se trouvait au niveau des écailles
temporales.
Les deux temporaux font en effet une saillie anormale appréciable à l'oeil
au-dessus du pavillon de l'oreille ; la déformation est symétrique. Plusieurs
fois aussi nous avons remarqué le relief exagéré que fait en arrière et au-dessus
du conduit auditif externe la racine postérieure de l'arcade zygomatique ou
crête sus-mastoïdienne. Ajoutons comme symptômes négatifs sur lesquels nous
velop in mollilies ossium, tickets, and osteitis deformaus. J. Anat. and Physiol. Lon-
dres, 1887, XXII, pp. 15-27 ; The causation and patlaolog of the so-called rliti-
matoïd aatlaritis and of senile changes. Trans.path. Soc. Londres, 1886, pp. 3S7
et 447. ,
(1) Les figures A et E représentent le même vieillard ; de même pour C et G, et pour
B, F et Il.
68 uocQour ET MOUTIER
reviendrons plus loin à propos du diagnostic, l'absence de douleur à la pression
des os, d'altérations des extrémités, de contractures musculaires, d'hyperos-
toses.
Nous avons jusqu'ici décrit le type le plus complet et le plus parfait du
« pseudo-Paget » que nous ayons pu observer : mais à côté de lui, il faut
faire place à diverses variétés.
Notons tout d'abord que le syndrome existe chez la femme comme chez
l'homme. Il est cependant moins frappant parce que la conformation normale
du corps en atténue et en masque certains détails. Le syndrôme pseudo-Paget
est pourtant des plus nets ; on retrouve la cyphose dorsale supérieure souvent
plus accusée que chez l'homme, l'écartement des condyles fémoraux parfois
digne d'une vraie maladie de Paget (8 centimètres dans un cas), l'affaissement du
tronc, le renversement du sacrum et du bassin. Les déformations thoraciques
existent également.
Mais si la cyphose et l'écartement des condyles dépassent ce que nous avons
observé chez l'homme, le redressement lombaire est moins complet, sans doute
parce que la lordose est normalement plus accusée.
Les rapports des côtes avec les crêtes iliaques sont plus éloignés parce que
le bassin est plus large.
La présence des seins vient masquer une partie des déformations thoraciques.
La saillie de l'angle des deux pièces du sternum est toujours bien accusée;
l'oeil n'apprécie pas la déformation en cuvette, mais on peut à la palpation
retrouver les saillies des cartilages costaux. Le déjettement du rebord inférieur
du thorax est en général bien marqué, mais ce rebord est cependant moins
tourmenté que chez l'homme. Nous avons plusieurs fois observé l'aplatisse-
ment des faces latérales du thorax et la dépression en verre de montre.
Le développement et la chute de l'abdomen, choses banales chez la femme,
expliquent la modification des plis transversaux qui chez l'homme contribuent
tant à donner l'aspect du vrai Paget. Le pli ombilical n'existe pas ; il y a un
ou deux plis sus-ombilicaux, peu accusés du reste, quelquefois latéralement
une légère dépression des hypochondres. L'aplatissement de la région épigastri-
que contribue à rendre difficile apercevoir pour l'oeil la dépression thoracique.
Nous avons trouvé, chez les femmes que nous avons pu examiner, 7 cas de
pseudo-Paget plus ou moins nettement caractérisés.
Certains malades présentent toutes les déformations que nous avons décrites,
mais moins accentuées ; elles correspondent sans doute à des formes encore en
évolution, capables de s'accentuer plus tard.
D'autres présentent seulement quelques-unes des déformations des pseudo-
Paget ; nous les décrirons comme des formes incomplètes.
Dans les formes légères on retrouve à l'état d'ébauche les déformations
tbor¡¡ciqnes; la saillie du sternum à l'union du manubrium et du corps est
cependant presque toujours bien marquée, ainsi que le relief des cartilages de
la deuxième paire de côtes. '
La cuvette n'est que faiblement indiquée, et c'est surtout dans ces formes
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 69
légères qu'elle est mal limitée à sa partie inférieure. Le peu d'aplatissement des
faces latérales du thorax, le léger degré de déjettement du rebord cartilagineux
expliquent que la dépression en verre de montre soit à peine visible.On la trouve
quelquefois cependant nettement par la palpation.
L'affaissement général du thorax est moins marqué ; la dixième côte reste
au-dessus de la crête iliaque et la onzième disparaît derrière la partie moyenne
de celle-ci ; quelquefois même la onzième côte arrive seulement au niveau de
la crête iliaque.
Le tassement moins marqué du tronc explique la diminution des plis transver-
saux de l'abdomen ; souvent il n'en existe qu'un au niveau de l'ombilic. Parfois
même il n'y a qu'une simple dépression transversale, qui se perd de chaque
côté au niveau des hypochondres, dont le relief est souvent presque normal.
Néanmoins, la diminution de la hauteur des flancs est toujours très appréciable
et se traduit par la présence des plis postérieurs qui se retrouvent presque cons-
tamment.
Il en est de même des déformations rachidiennes. Avec un degré quelque-
fois très léger de cyphose dorsale, on trouve toujours un aplatissement de la
courbure lombaire normale qui peut n'avoir pas tout à fait disparu.
Le redressement du sacrum est appréciable même dans les cas légers. L'an-
gle que fait ce sacrum avec la colonne lombaire est toujours plus ouvert que
normalement : et de ce fait, résulte un degré plus ou moins accusé de renver-
sement du bassin. Dans ces cas, on ne trouve entre les condyles fémoraux
qu'un écartement de trois centimètres environ.
Chez d'autres malades, le syndrôme est incomplet avec des déformations tho-
raciques très accusées. Il nous est arrivé de trouver le rachis, le bassin et les
membres inférieurs presque normaux. D'autres fois au contraire le thorax est
peu altéré, mais on trouve une déviation nette du rachis : souvent même lors-
qu'il n'y a que peu de cyphose dorsale on apprécie nettement le redressement
de la courbure lombaire, le renversement du sacrum, et par conséquent du
bassin. Ces faits sembleraient indiquer que les altérations du rachis débutent
parles vertèbres inférieures pour s'étendre ensuite aux vertèbres supérieu-
res. Avec ces déformations rachidiennes, on retrouve presque toujours l'écar-
tement des condyles fémoraux que nous avons vu manquer dans un cas seule-
ment.
Enfin il nous faut signaler un certain nombre de déformations inconstantes
trouvées chez des malades présentant nettement l'aspect des pseudo-Paget, et
pouvant s'expliquer par le même processus anatomique.
Il arrive assez fréquemment que les cartilages costaux présentent une aug-
mentation de volume manifeste, surtout appréciable au point où viennent se
fusionner les cartilages des fausses côtes. Quelquefois même, il semble que ce
soit à elle plus qu'à une déformation véritable des cartilages que l'on doive at-
tribuer le relief observé de chaque côté du sternum et la saillie du rebord tho-
racique, puisque parfois le soulèvement semble se produire non pas au niveau
du bord libre de la cage thoracique mais un peu au-dessus. Dans quelques cas
70 MOCQUOT ET MOUTIER
ces cartilages se terminent par un bord net, abrupt, qui surplombe la face an-
térieure du sternum.
Certaines côtes, en particulier la 7-, peuvent présenter une augmentation de
volume notable, une voussure assez localisée qui viennent modifier l'aspect
général du thorax.
La déformation du plastron sterno-costal se rapproche quelquefois du thorax
en entonnoir par suite de l'enfoncement de la partie inférieure du sternum et
du relief de l'appendice xyphoïde.
Enfin, rappelons que les déformations peuvent être asymétriques, moins accu-
sées d'un côté que de l'autre.
La courbure générale à convexité postérieure du rachis peut atteindre la ré-
gion cervicale. Quelquefois avec une cyphose dorsale supérieure bien nette, il
y a peu ou pas de redressement de la courbure lombaire et de renversement du
sacrum.
Une fois seulement chez l'homme, nous avons observé une déviation latérale
du rachis qui était en totalité incliné en haut et il droite : il en résultait une
asymétrie des flancs, des plis postérieurs, des dépressions des hypochondres,
une obliquité des plis antérieurs de l'abdomen en bas et à droite.
Mais chez les femmes nous avons pu observer deux cas de scoliose, l'une dor-
sale gauche, l'autre dorsale droite, la première très marquée avec voussure
costale, la deuxième légère.
. Quelquefois enfin l'un des trochanters fait une saillie plus prononcée que
l'autre.
Les sujets observés étaient tous des vieillards de 70 à 80 ans au plus.
Bien qu'il nous ait été difficile de préciser l'âge auquel apparaissent les défor-
mations qui nous occupent, sans doute parce qu'elles se produisent très pro-
gressivement, il nous semble qu'elles ne débutent guère avant ! 'age de 65 ans.
D'ailleurs parmi nos vieillards, les plus âgés n'étaient pas toujours les plus dé-
formés, et nous avons pu observer un malade de 63 ans qui présentait dans
toute sa netteté le syndrôme du pseudo-Paget.
Ces déformations progressent sans doute très lentement, et elles ne parais-
sent pas s'accompaguer d'altérations de l'état général.
Nous avons cependant bien des fois été frappés de l'amaigrissement de ces
vieillards.
Ils ne présentent d'ailleurs que des troubles d'ordre très banal, imputables
à leur âge avancé, à la raideur sénile de leurs articulations, et au défaut de vi-
gueur de leurs muscles. Quelques-uns cependant se plaignent d'éprouver dans
les flancs des douleurs assez vives qui pourraient être en rapport avec la péné-
tration des côtes dans le bassin.
Mais ces déformations du squelette n'ont aucune influence sur la durée de la
vie, et la mort est due à une affection intercurrente sans rapport avec le syn-
drôme qui nous occupe.
Nous avons cherché, par l'examen complet des malades, par l'étude de leurs
antécédents, à déterminer la cause de ces déformations : mais en dehors de la
sénilité, nous n'avons relevé aucune circonstance étiologique constante.
DÉFORMATIONS SÉNILES UU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 71
Beaucoup de ces vieillards ont déclaré avoir toujours eu une excellente santé,
d'autres ont eu des affections banales dont ils ont d'ailleurs guéri.
Quelques-uns ont eu la syphilis ou la blennorrhagie, ou ont avoué quelques
habitudes alcooliques. L'hérédité semble n'avoir aucune influence.
Rien dans l'état des viscères ne peut se rattacher aux déformations du sque-
lette. La plupart de ces vieillards sont bien portants, l'examen des urines ne
nous apprend rien, nous n'avons jamais trouvé ni sucre ni albumine. Le foie
est normal, le coeur est également sain, et l'on ne trouve aucune affection pul-
monaire. Nous avons quelquefois noté un peu d'emphysème, mais qui ne pré-
sentait certainement aucun rapport avec les déformations thoraciques. Le
système nerveux ne semble pas altéré : les réflexes sont normaux.
Peut-être cependant, le syndrome du pseudo-Paget se présente-t-il plus sou-
vent chez des hommes ayant exercé un métier pénible, mais nous n'oserions
généraliser cette donnée d'après l'ensemble de nos observations.
En somme, semble-t-il ressortir autant de l'étude étiologique que de l'examen
clinique, ce sont des déformations relevant uniquement d'un processus sénile.
Nous verrons en quoi l'anatomie pathologique nous permettra de préciser cette
idée et de définir la place du syudrôme parmi les altérations osseuses que l'on
peut rencontrer chez le vieillard.
Après avoir procédé à la description clinique des malades dont nous nous
occupons ici, il convient de chercher à fixer d'une façon plus précise, objective
en quelque sorte, leurs déformations. Dans ce but nous avons procédé sur une
dizaine de sujets aux mensurations habituelles en anthropométrie. Nous devons
dire d'emblée que ces mesures prises complètes et en détail ne nous ont pas
donné tous les résultats espérés et toute la précision désirable : un certain nom-
bre de données intéressantes ont pu être mises en valeur, mais un très grand
nombre de chiffres, le calcul de nombre d'indices n'ont rien fait connaître qui
vaille la peine d'être rapporté. Ce que nous avons obtenu est néanmoins inté-
ressant, et dans leurs grandes lignes les mensurations sont conformes aux
données cliniques, et d'accord avec ce que nous donnera plus loin l'examen de
certaines pièces détachées du squelette.
Nous avons vu plus haut que ces malades se présentaient à nous la taille
diminuée, rapetissée. La hauteur totale de la taille ne peut d'ailleurs nous
fournir aucune donnée, tous les sujets étant plus ou moins cyphotiques. Pour
la même raison aucune mesure ne pourra être comparée aux chiffres expri-
mant les dimensions verticales des individus examinés. Disons simplement que
la diminution de la taille liée à la cyphose n'atteint jamais les proportions con-
sidérables que l'on note dans d'autres syndromes : déformations liées aux rhu-
matismes ou à l'affaiblissement musculaire par exemple.
Nous avons pu établir ces comparaisons, grâce aux souvenirs (parfois si
vivaces chez les gens âgés) des malades ayant encore présente à l'esprit avec
exactitude leur taille à l'époque du service militaire.
D'un autre côté nous avons mentionné comme un des symptômes les plus .
saillants de l'ensemble morbide décrit l'écartement des condyles internes du
72 ") MOCQUOT ET MOUTIER
lémur, les talons étant joints. Dans ces conditions il était facile de déduire, en
raisonnant sur ces faits, qu'il y aurait un mouvement de bascule général du
bassin, se traduisant du côté du fémur par une apparence de raccourcissement.
Voyons ce que nous donnera l'examen des chiffres.
Nous pouvons comparer le tibia au fémur, le fémur à l'humérus, le membre
supérieur au membre inférieur, enfin nous comparerons le diamètre bitro-
cbantérien au diamètre minimum des épaules, c'est-à-dire au bi-acromial et le
bi-iliaque au bi-trochantérien.
Occupons-nous d'abord de l'indice tibio-fémora. (Fémur = 100). L'indice
moyen d'après Topinard (1) est de 83 chez l'homme ; or voici les chiffres que
nous avons obtenus :
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALAL1E DE PAGET ï3
augmentation de ce dernier, ◀tantôt▶ donne dos chiffres indifférents. On notera
d'un autre côté que les indices bi-iliaques bi-trochantériens (lii-tr. 100) les
plus faibles correspondent aux indices tibio-fémoraux les plus faibles.
Les déformations paraissent donc inverses étant donné la valeur de ces
indices.
De plus, les cliiffres ne traduisent plus le relief exagéré des hanches si net
le plus souvent sur le vivant.
74 MOCQUOT ET MOUTIER
Pour en revenir à nos déformations des membres inférieurs, terminons en
disant que l'angle du fémur sur le tibia tend à s'effacer en dehors. Peut-être
d'ailleurs ce phénomène s'obtient-il par un autre mécanisme, l'affaissement du
condyle interne du fémur dont nous avons plusieurs fois, ainsi qu'on le verra
plus loin, remarqué la texture friable.
Enfin, l'indice bi-trochantérien bi-acromial (bi-acromial = 100) montre éga-
lement une valeur supérieure il la moyenne pour le diamètre bi-trochantérien.
Il va de soi que les chiffres les plus élevés de chaque série d'indices dont l'en-
semble traduit cependant en moyenne une même chose : élargissement du dia-
mètre bi-trocbantérien, augmentation du rapport du tibia au fémur, ne se trou-
vent pas forcément avoir été rencontrés chez le même individu. En effet dans
tout indice le dividende peut varier comme le diviseur ; le diamètre bi-acromial
par exemple diffère considérablement d'un individu à l'autre et par suite modifie
la moyenne des indices d'une série donnée.
Abandonnant maintenant les membres inférieurs, nous allons aborder l'étude
du thorax.
Les modifications considérables des parois rendent les mensurations diffici-
les, et les points de repère sont parfois délicats à apprécier. Les diamètres en-
visagés correspondent tous à des dimensions maxima. Il convient d'ajouter du
reste que l'antéro-postérieur maximum tombe généralement au niveau du cin-
quième cartilage costal, le transverse maximum dans le septième espace.
On peut faire le calcul de l'indice thoraciqne de deux façons, soit en posant
le transverse = 100, soit en rapportant les chiffres à l'antéro-postérieur.
Occupons-nous d'abord de l'indice thoracique : transverse = 100. Les diffé-
rents auteurs : Maurel, Chomel, Fourmentin, Sappey, Weisgerber, Cbarpy
s'accordent il donner 140 comme chiffre moyen. La plupart de nos chiffres,
comme nous le verrons ci-dessous, sont inférieurs à cette moyenne.
Si maintenant nous faisons le diamètre antéro-postérieur = 100 (l'indice est
en général de 78), nos résultats se trouvent donner des quotients en majorité
plus élevés que ce chiffre (1).
Indice thoracique.
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 75
souvent, les cas où le transverse l'emporte sur le dernier sont infiniment plus
rares (1).
Les résultats sont d'accord avec l'examen clinique, on a bien affaire à un tho-
rax tourmenté, irrégulier, mais le plus souvent aplati transversalement.
En terminant l'examen du squelette sur le vivant, notons qu'en dehors du
rachis, du thorax, des fémurs et du bassin (les altérations de ce dernier nous
semblent simplement des déformations de compensation vis-à-vis de la cypho-
se) il n'y a pas d'os anormal : tibias, clavicules, omoplates, humérus, etc., ne
présentent de viciations ni dans leurs courbures, ni dans leur épaisseur. Les
os que nous avons pu examiner à l'état sec sont malheureusement assez limités ;
c'est que bien qu'il s'agisse de vieillards, les autopsies sont rares ; l'évolution
du pseudo-Paget n'ayant rien à voir avec la terminaison fatale.
Nous avons pu étudier : fémurs et tibias, clavicules, omoplates, os des mem-
bres supérieurs. Nous espérons pouvoir compléter un jour dans une étude sup-
plémentaire, tout ce que ce chapitre présentera d'incomplet touchant thorax et
bassin.
Disons pour n'y plus revenir que les fémurs seuls ont présenté des altéra-
tions.
Un certain nombre de fémurs examinés (sept furent à notre disposition) nous
ont paru normaux, d'autres ont présenté entre leur longueur maximum totale
et leur longueur maximum oblique, entre leur longueur maximum totale et
leur longueur maximum oblique trochantérienne des différences inférieures
aux moyennes, celles-ci étant de 4 millimètres pour la première dimension, de
25 millim. 5 pour la seconde (Topinard).
Les fémurs aux déformations les plus accusées nous ont donné :
76 MOCQUOT ET MOUTIER
que les os fémoraux présentent leur maximum d'altération, l'angle du col se
ferme en même temps que le col diminue dans sa longueur et la hauteur du
condyle interne est réduite. Ceci encore une fois confirme et explique ensemble
ce que la clinique et les mensurations nous avaient fait entrevoir (1).
Nous reviendrons plus loin sur les altérations de structure que présentent
ces os.
Pôur en finir avec le fémur, nous n'avons plus qu'un point à noter, intéres-
sant il est vrai.
Les os à la déformation la plus accusée présentent tous un indice de sec-
tion inférieur à la moyenne. Cet indice de section du fémur (rapport du diamè-
tre antéro-postérieur maximum au transverse = 100) est d'après Broca de ·10 ?
d'après Topinard de 109.
En consultant le tableau suivant :
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 77
d'affections mal précisées encore en certains points, il convient de citer toutes
les anomalies rencontrées : l'avenir fera le départ de ce qui n'est qu'épiphé-
nomène et de ce qui tient essentiellement à l'anatomie pathologique du syn-
drome. décrit. D'ailleurs il nous a semblé observer sur le vivant cette saillie
exagérée de la racine antéro-postérieure zygomatique.
Mais il est une chose à peu près constante que nous avons observée chez
presque tous les individus vivants ainsi que sur le crâne : le diamètre trans-
verse maximum s'est trouvé non sur les pariétaux mais sur l'écaille temporale.
Celle-ci présente en effet une voussure absolument typique, perceptible non
seulement par le palper mais encore à la vue sur le vivant.
Il n'est donc nullement surprenant de constater dans ces conditions un in-
dice céphalique élevé le plus souvent. Dans la liste ci-dessous les indices cal-
culés sur le vivant sont diminués des deux unités conventionnelles.
78 MOCQUOT ET MOUTIER
nées de l'examen clinique et en général le maximum des altérations indiquées
par les différents indices se rencontre chez le même individu.
Il n'en est cependant ni toujours ni forcément ainsi : tel individu peut avoir
un indice thoracique des plus anormaux avec un indice tibio-fémoral voisin de
la moyenne par exemple.
L'examen radioscopique a révélé une diminution de l'opacité des os un peu
supérieure à ce qu'elle est normalement chez le vieillard. En outre, l'augmen-
tation de la hauteur des côtes, perçue plusieurs fois sur le vivant, a été véri-
fiée sur certaines radiographies ; on y voit une zone semi-opaque prolongeant
le bord inférieur de la côte dans la partie supérieure de l'espace intercostal
(Fig. 2).
Nous allons maintenant envisager les rapports de la maladie de Paget et du
syndrome que nous avons décrit, et dire pourquoi parmi les vieillards présen-
tant des déformations analogues il y a lieu de classer part un certain nombre
d'entre eux. Après avoir traité ce côté du diagnostic, nous nous efforcerons de
déterminer la place que doit occuper le pseudo-Paget parmi toutes les défor-
mations osseuses séniles.
Fixe. 2
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 79
Nous résumons d'abord les symptômes de la maladie de Paget, insistant sur
ceux qui rapprochent d'elle le syndrome décrit, expliquant la confusion possi-
ble et justifiant par la même le titre de cette étude.
Dans la maladie décrite par sir James Paget, ainsi qu'il résulte d'ailleurs des
observations ultérieures, le début se fait vers l'âge de 50 ans. Les altérations
évoluent lentement ; lorsque les symptômes font songer à l'ostéite déformante,
voici quelle est l'attitude du malade : «...; la tête est penchée en avant, le
menton arrivant presque au niveau du sternum ; le cou semble raccourci. Le
malade s'avance lentement et maladroitement,. souvent appuyé sur une canne,
les membres inférieurs écartés' et décrivant une large courbe à concavité in-
terne ; cette incurvation et celle du rachis contribuent à diminuer sa taille.
Les bras conservant leur longueur normale semblent trop longs pour les autres
segments du corps, et par suite de la projection des épaules en avant, ils vien-
nent se placer au devant des genoux et donnent au malade un aspect qui n'est
pas sans ressemblance avec celui des grands singes anthropomorphes »
(Pozzi)........ Le rachis est immobile, la région dorsale présente une courbure
à convexité postérieure, exceptionnellement une déviation latérale, la région
lombaire est rectiligne.
«.... Le thorax est aplati latéralement.
«.... l'inclinaison des côtes est modifiée, elles se rapprochent quelquefois des
« épines iliaques » (1).
Si l'on ajoute encore que le thorax est quelquefois bombé en haut, que des
plis transversaux barrent l'abdomen, on comprend qu'il soit facile de prendre
pour de vrais malades de Paget les vieillards qui présentent ces déformations.
Cependant même en dehors de toute considération anatomo-pathologique, il est
très aisé par le seul examen clinique de distinguer de l'ostéite déformante le
syndrome isolé par M. Pierre Marie. Il n'y a même pas besoin de connaître
l'évolution de la maladie, qui d'ailleurs est toute différente dans les deux cas.
Tandis que la vraie maladie de Paget débute à un âge encore peu avancé et
qu'avant toute déformation, il existe une assez longue période de douleurs, le
syndrome pseudo-Paget n'apparaît guère que vers 60 ans au plus tôt, et ne pré-
sente pas de période douloureuse prodromique. Les seuls phénomènes doulou-
reux que nous ayons constatés chez nos malades étaient survenus longtemps
après la constitution du syndrome et semblaient dus aux rapports anormaux
des côtes et du bassin. Il ne pourrait s'établir de confusion qu'au début de la
maladie de Paget ou dans des formes atténuées de cette affection. Plus tard en
effet, en plus des caractères communs énumérés plus haut, on peut constater
toute une série de symptômes dont la valeur diagnostique est évidente : c'est
tout d'abord l'augmentation de volume des os qui frappe l'observateur; les
tibias sont considérablement épaissis et incurvés.
Le ramollissement puis l'hypertrophie ont d'ailleurs frappé d'autres os : fé-
(1) THiBOE'nGE, De l'ostéite déformante de Paget. Archives générales de médecine, 1890,
1er volume, p. 52-82. - Voir aussi Pozzi, Sur l'ostéite déformante on Pseudo-rachitisme
sénile. Contes français de chirurgie, 1885. Paris, 1886, 1, p. 631-642.
80 \IOVQUV'1 ET MOUTIER
mur, clavicules, radius, etc. En outre le crâne est énorme, disproportionné,
hideux (Paget), et contraste par ses dimensions avec celles de la face restée
normale, sans parler de l'écartement des condyles fémoraux toujours moins
considérable. Nos malades ne présentent jamais d'liyperostose des tibias, de
déformations des clavicules, d'altérations des membres supérieurs ni d'épaissis-
sementdu crâne. L'attitude générale est celle d'un vrai malade de Paget;
l'exploration des os évite la confusion : l'illusion est due à la vue, le palper fait
faire le diagnostic.
Après avoir étudié les signes communs aux deux affections, après avoir vu
les caractères différentiels spéciaux la vraie maladie de Paget, il faut encore
rappeler un certain nombre de déformations particulières, constamment retrou-
vées chez nos malades et acquérant ainsi au point de vue du diagnostic une
valeur positive. Le thorax est tout différent de ce qu'il est dans l'ostéite défor-
mante ; nous avons insisté et nous insistons encore ici sur sa conformation, non
qu'il soit pseudo-Paget, mais parce que nous avons rencontré plus ou moins
accusées chez tous les malades ces altérations accompagnant la partie vraiment
pseudo-Paget du syndrome. Rappelons en effet qu'en dehors de l'aplatissement
latéral commun aux deux affections, l'on trouve chez nos malades une dépression
médiane, un chapelet chondro-costal, un déjettement du rebord thoracique (1).
Le crâne des pseudo-Paget présente peu d'altérations : nous avons mentionné
cependant la voussure des temporaux : chez les vrais malades de Paget au con-
traire, les fosses temporales sont bombées, mais les pariétaux le sont également
(Richard) (2).
Enfin les vrais malades de Paget finissent toujours par se cacliecVser, et leur
mort sinon due à leur maladie semble du moins hâtée par elle. Les pseudo-
Paget au contraire succombent à des affections indépendantes des déformations
de leur squelette.
Il convient d'ailleurs de noter que bien des fois à propos de malades considé-
rés tout d'abord comme atteints d'ostéite déformante, le/ doute a pu naître dans
l'esprit des observateurs. C'est ainsi que Négellen rapporte l'histoire d'un ma-
lade dont les déformations simulaient l'ostéite de Paget. Mais « si l'habitus, la
conformation de la poitrine, la déviation en dehors des membres inférieurs, la
douleur même plaident en faveur du Paget, le crâne, les clavicules, l'omoplate,
les membres supérieurs sont indemnes ; et l'hypertrophie des membres infé-
rieurs au lieu d'envahir toute la diaphyse reste localisée aux trochanters, aux
deux condyles, aux plateaux tibiaux » (3t.
(1) Cependant il semble que dans quelques cas de maladie de Paget, on puisse re-
trouver une déformation thoracique analogue à la dépression en cuvette.
Voir les figures 1, 2 et 3 in Osteitis defnrmans, par Frederick A. hochnnn, J.DurrnrN,
STESLE et Thomas S. Kirkbride (de Philadelphie). Amer. Journ.of med. Se, novembre
1901, p. 552-569.
(2) Richard, Contribution à l'étude de la maladie osseuse de Paget. Thèse de Paris,
1886-87.
(3) NÉGELLEN, Ostéite rddformanle de Paget. Thèse de Paris, 1903. Obs. V, p. 47,
prise par Négellen et Ramond dans le service de de Beurmann.
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 81
Il est même curieux de voir que sir James Paget lui-même rédigeant son pre-
mier mémoire remarquait la ressemblance existant entre certains malades qu'il
écartait de sa description et ceux qu'il prenait pour type : voici en effet ce
qu'il écrivait : « Une attitude quelque peu semblable est présentée par une
forme de ce que je suppose être une arthrite chronique généralisée, d'origine
rhumatismale, englobant avec l'épine dorsale, les articulations de cette der-
nière et les côtes. La colonne vertébrale tombe en avant et devient raide, le
thorax est étroit ; les côtes se meuvent à peine, l'abdomen est abaissé mais
élargi ; par contre, il n'y a de déformations ni à la tête ni aux membres (1). »
Nous avons rapporté ces deux citations, non que les faits signalés rentrent
dans le cadre du pseudo-Paget (il n'en est certainement rien pour le premier
cas du moins), mais parce que nous avons voulu montrer simplement la facilité
avec laquelle des confusions ont pu et peuvent s'établir encore entre l'affection
nettement définie par Paget et d'autres déformations du squelette. Cependant
nous croyons inutile d'insister sur les différences trop considérables qui sépa-
rent l'acromégalie et l'ostéopathie hypertrophiante pneumique du syndrôme que
nous avons décrit.
Nous venons de montrer comment l'ensemble des déformations présenté
par nos malades justifie le nom de pseudo-Paget choisi par M. Pierre Marie
et sur quelles bases s'établit la distinction. Mais certaines de ces déformations
peuvent se retrouver isolées; ces éventualités sont fréquentes. Dans ces cas
évidemment on ne saurait parler de pseudo-Paget. Une des déformations qui
contribuent le plus à donner au malade son aspect spécial est certainement
la déformation rachidienne. Or c'est là chose banale chez le vieillard. Nous
sommes ainsi conduits à exposer brièvement les influences qui entrent en jeu
pour amener les cyphoses constatées à un âge avancé. Ce n'est pas là-une digres-
sion mais un complément indispensable à la discussion de l'étiologie des mo-
difications signalées, et aux distinctions à faire entre les différents facteurs
que l'on peut invoquer dans de telles anomalies du squelette : sous le terme
de voussure sénile, on englobe en effet des altérations de nature très diverse.
Notons encore qu'en dehors de ce cadre se placent les cyphoses du type dé-
crit par Brissaud et Grenet, débutant chez l'adulte sans hérédité ni traumatis-
me et semblant dépendre « d'une action musculaire autant que de lésions arti-
culaires » (2) et les cyphoses survenant à un âge encore peu avancé, plusieurs
années après un traumatisme qui n'avait occasionné ni fracture ni luxation.
Ce sont d'ailleurs des cas ambigus dont la pathogénie est fort indécise.
En mettant à part les déformations liées à un processus morbide actuelle-
ment classé comme le rhumatisme chronique progressif, la spondylose rhizo-
mélique, la cyphose hérédo-traumatique et celles qui apparaissent comme phé-
nomène secondaire au cours d'une affection bien déterminée comme la paraly-
sie agitante, il reste celles que l'on désigne simplement du nom de cyphoses
(1) PAGET (Sir James), On et fOl'1n of chronic inflammation of bones (osteitis de/or-
mans). Medico-chiurgical transactions, t. LX, 1877, p. 40 (note au bas de la page).
(2) BRISSAUD ET GRENET. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1904, n° 2.
XVIII 6
82 1110CQUOT ET MOUTIER
séniles ou que, avec une apparence de plus grande précision, on appelle cy-
phoses professionnelles.
Mais avant d'exposer les divisions que nous croyons pouvoir faire dans ce
groupe, nous sommes amenés à dire que pour nous le terme de cyphose pro-
fessionnelle est trop compréhensif et trop facilement employé.
Dans le groupe des cyphoses séniles dites professionnelles, nous isolerons
des cas où le principal facteur nous semble être une attitude habituelle, et des
cas où un affaiblissement musculaire sénile parait jouer le principal rôle, en-
fin des cas où la déformation relève avant tout d'altérations osseuses.
C'est à la première classe seule'que nous réservons le nom de cyphoses pro-
fessionnelles. Le type en est la duplicature champêtre. Elles sont caractérisées
par leur début à un âge moins avancé, le degré beaucoup plus considérable de
la déformation, compensée par la flexion des cuisses sur le bassin et même
dans les formes les plus accusées par la flexion des jambes sur les cuisses, l'an-
kylose faible n'existant guère qne dans la région lombaire, et permettant au
malade de se redresser dans une certaine mesure. On voit quelque chose d'a-
nalogue chez les vignerons, chez les mineurs, chez les portefaix, etc
Nous considérons ces cyphoses comme le résultat d'habitudes musculaires et
ligamentaires parce qu'elles surviennent chez des individus exerçant encore
leur métier et qu'elles peuvent être corrigées, au moins au début. Plus tard en
effet elles peuvent se compliquer d'altérations osseuses et se rapprocher des
autres cyphoses séniles.
Dans un deuxième groupe, nous rangeons les cyphoses dues à l'affaiblisse-
ment musculaire portant surtout sur les muscles extenseurs du tronc, sans
doute parce que leur travail est très considérable et très prolongé.
Elles se caractérisent par leur début à un âge avancé, par la possibilité du
redressement, sinon spontané, au moins provoqué.
Enfin dans un troisième groupe nous classerons les vieillards chez lesquels
une raréfaction osseuse nous semble être à la base de tous les phénomènes. Le
poids du corps suffit chez les gens âgés à jouer le rôle des fardeaux. Lorsque le
système osseux s'affaiblit, point n'est besoin d'avoir été porteur de sacs de farine
ou de charbon pour que le col du fémur perde son obliquité, pour que la colonne
vertébrale s'incurve, pour que le thorax se déforme. Le type de cette cyphose
est celle que nous avons décrite dans le syndrôme « pseudo-Paget », cyphose
apparaissant à un âge avancé, peu considérable, surtout dorsale supérieure,
impossible à corriger complètement, et s'accompagnant d'autres déformations
liées au trouble général du système osseux. Ce sont là les vraies cyphoses sé-
niles, celles où le squelette perd de sa résistance, celles où les muscles perdent
de leur tonicité.
Survenant à un âge avancé, elles peuvent se combiner aux cyphoses pro-
fessionnelles qui sont avant tout d'origine musculaire et ligamentaire et qui i
surviennent chez des individus encore sous l'influence de leur métier.
Ce qui nous a amenés à restreindre l'acception du terme de cyphoses profes-
sionnelles, c'est que, examinant un certain nombre de vieillards voûtés, nous
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 83
avons constaté que très souvent la profession n'avait pu jouer aucun rôle dans
la production de la déformation. Peut-être a-t-qn été souvent abusé par la
connaissance de la profession que le vieillard est le premier à mettre en avant
pour expliquer ses déformations. D'ailleurs, répétons-le, beaucoup de ces cy-
phoses sont apparues longtemps après que le sujet eût cessé tout travail fati-
gant.
-Nous pouvons dire déjà que le syndrôme pseudo-Paget nous apparaît comme
formé d'un ensemble de déformations relevant d'altérations séniles banales du
squelette, mais nous ne voyons aucune difficulté à concéder aux métiers fati-
gants une influence prédisposante à longue échéance sur des déformations dont
l'atrophie osseuse sénile est la seule vraie cause.
Le rhumatisme chronique progressif provoque des déformations sans analo-
gie avec celles qui nous occupent ; c'est aux épiphyses et spécialement aux os
des extrémités que prédominent les lésions. Il y a des hyperostoses et il se
produit du tissu osseux éburné.
Quant à la spondylose rhizomélique, c'est une affection tout à fait éloignée,
tant de la maladie de Paget que du syndrome qui simule celle-ci. Il suffit de
rappeler qu'il s'agit d'une soudure complète du rachis avec ankylose plus ou
moins prononcée des membres.
Nous n'aurions pas songé à discuter le diagnostic de certains détails du syn-
drôme que nous avons étudié si nous n'avions à signaler une ressemblance
intéressante avec d'autres déformations thoraciques. En effet dans un travail de
MM. Ramadier et Sérieux sur le thorax en entonnoir, figure une planche repré-
sentant le thorax d'un vieillard de 85 ans (l).Sur cette photographie, on trouve
nettement le déjettement du rebord des fausses côtes, la dépression lenticulaire
sus-jacente, l'aplatissement latéral du thorax.
Là s'arrête d'ailleurs toute la ressemblance ; il y a loin en effet de l'enfonce-
ment du Trichterbrust à la dépression que nous avons signalée. D'ailleurs le
thorax en entonnoir est une affection qui semble ordinairement congénitale et
ne s'accompagne pas de déformations vertébrales.
Certaines déformations rachitiques du squelette peuvent donner au malade
un aspect qui se rapproche un peu de celui que nous avons décrit; mais le
rachitisme est une maladie d'évolution ; les malformations constatées remontent
au jeune âge, elles sont généralement multiples, on peut de plus constater l'aug-
mentation de volume des épiphyses.
Il nous reste à fixer les rapports existant entre le processus anatomique qui
crée les déformations du pseudo-Paget et les autres altérations séniles du
squelette comme l'ostéomalacie et l'ostéoporose.
Nous exposerons d'abord la structure du squelette de nos malades.
Parmi les os que nous avons examinés, les uns ne présentent pas d'altérations
appréciables à l'oeil nu, les autres (fémurs) attirent l'attention parce qu'ils sont
(1) RAMAnn : net Sérieux. D'une malformation spéciale à la poitrine (Thorax en enton-
noir). Contribution à l'élude des stigmates physiques de dégénérescence.Nouvelle Icono
graphie de la Salpêtrière, 1891, p. 329.
84 MOCQUOT ET MOUTIER
fragiles et friables. La fragilité est parfois telle qu'en enlevant l'os, il est arrivé
de le fracturer.
La couche compacte de la diaphyse est parfois nettement diminuée d'épais-
seur. Dans les cas bien accusés, le col, la tête, le grand trochanter, en un mot
toute l'extrémité supérieure du fémur, et à l'extrémité inférieure principalement
le condyle interne sont friables. Dans un cas même, la coque compacte de l'ex-
trémité inférieure du fémur était réduite à une mince lame presque parchemi-
née que l'instrument brisait avec la plus grande facilité. Les côtes présentent la
même friabilité et sur le cadavre on peut avec le doigt enfoncer la lame osseuse
externe en produisant une crépitation spéciale. Dans un cas où nous avons
enlevé la colonne vertébrale, les ligaments n'étaient nullement ossifiés.
Sur des coupes pratiquées dans différentes régions du fémur (trochanter, col,
tête, diaphyse, condyle interne) nous avons trouvé chez trois individus les
mêmes altérations à des degrés divers, le microscope révélant d'ailleurs le maxi-
mum de lésions là où l'examen macroscopique les avait fait pressentir. Nous
avons constaté l'élargissement parfois très accusé des canaux de Havers, la di-
minution de la couche compacte de l'os, et la raréfaction du tissu spongieux. Il
semble y avoir dans ces os plus de graisse qu'à l'état normal. Enfin, et cela se
voit surtout sur les os qui ne présentent pas une raréfaction poussée trop loin,
on note autour des canaux de Havers en voie d'élargissement une zone qui
renferme de petits ostéoblastes aplatis, presque méconnaissables, au voisinage
immédiat du canal central du système. Cette zone demeure toujours étroite. En
somme, ce sont là des lésions d'ostéoporose sénile d'atrophie osseuse simple.
L'analyse chimique du fémur d'un de nos malades, que M. le Dr Louïse, pro-
fesseur à la Faculté des sciences de Caen, a bien voulu nous communiquer,
vient d'ailleurs corroborer ces laits. -
DÉFORMATIONS SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 85
progressent pas d'une façon continue mais par poussées durant plusieurs mois.
Ces poussées s'accompagnent de douleurs vives ne suivant pas spécialement
le trajet des nerfs et nous croyons pouvoir les attribuer à la distorsion des
parties. La marche est chronique, progressive et les malades succombent à
des accidents thoraciques fréquemment observés chez les bossus, quelles que
soient d'ailleurs les causes de leurs difformités. » A l'examen histologique,
il n'y a que de l'ostéoporose simple, c'est-à-dire que les canaux et les espaces
médullaires et les canaux de Havers sont plus larges qu'à l'état normal (1).
Ces faits sont évidemment très différents de ceux que nous avons envisagés.
L'histoire clinique de l'ostéoporose sénile se résumait en un seul symptôme,
la fragilité osseuse. « L'ostéoporose sénile, dit Poncet, n'a pas de symptômes.
Arrivée à nn certain degré de développement, elle peut donner lieu à tous les
accidents qui relèvent de la fragilité des os » (2).
En ce qui concerne l'ostéomalacie sénile, Meslay (3), qui en fait une forme
spéciale d'ostéomalacie, résume les différentes opinions sur sa nature en disant
que certains auteurs (Weber, Moers et Mûck, Demange, Bouley) en font
de l'ostéomalacie vraie, d'autres (Recklinghausen, Cornil et Ranvier) la con-
sidèrent comme différente de l'ostéomalacie et analogue à l'ostéoporose. Enfin
Ribbert admet qu'il peut y avoir coexistence d'ostéoporose et d'ostéomalacie
chez le vieillard.
En réalité, nous croyons pouvoir admettre avec Demange que l'ostéomalacie
dite sénile est tout simplement de l'ostéomalacie développée chez les vieillards
et qu'elle est complètement distincte de l'ostéoporose sénile.
Cliniquement on retrouve c dans tous les cas de ramollissement osseux chez
les vieillards, le tableau symptomatique de l'ostéomalacie des adultes : dou-
leurs osseuses multiples, surtout provoquées par la pression sur les os et ren-
dant la marche difficile ou impossible, flexibilité et déformations du squelette,
fractures multiples,excitabilité nerveuse particulière, contractures musculaires
douloureuses, affaiblissement progressif, diarrhée colliquative fréquente et
mort dans le marasme ; il peut y avoir des phases d'arrêt équivalant, aux dé-
formations près, à une guérison » (4).
Histologiquement, il y a production d'un tissu ostéoïde sous forme de zones
de décalcification sous-périostique et péri-canaliculaire. La moelle est altérée,
pulpeuse, présente des foyers hémorrhagiques, du pigment sanguin. Il y a pro-
duction de tissu conjonctif avec cellules embryonnaires (5).
En somme, il est bien évident que tant au point de vue clinique qu'au point
(1) DEBOVE, De l'ostéoporose progressive. Bull. Acad. de méd., 1897, pp. 81-85.
(2) PONCET, Atrophie des os. Traité de chirurgie de Duplay-Reclus, 2e édition, t. II,
1897, p. 863.
(3) MESLH, Contribution à l'étude anat. clin. de l'ostéomalacie. Thèse de Paris,
1896, no 70.
(4) Démange, De l'ostéomalacie sénile. Revue de mu., 1881, p. 715.
(5) Henocque, Dit. Dechambre. Art. Osléomalacie, 2e série, t. XVIII, pp. 530-531.
Paris, 1882.
86 MOCQUOT ET MOUTIER
de vue anatomique l'ostéomalacie sénile est tout à lait diflérente de ce que
nous avons décrit chez nos malades (1).
Nous avons dit plus haut que l'ostéoporose sénile n'avait pas d'histoire cli-
nique, c'est là une assertion trop absolue.
En revanche on a toujours sur le squelette sec de vieillard constaté certai-
nes déformations que l'on a attribuées à l'atrophie osseuse. La fréquence des
fractures du col du fémur, due à la médullisation du col, fut de notion banale.
Notons d'ailleurs que deux de nos malades ont eu des fractures du col. C'est
surtout au point de vue clinique que Durand Fardel étudie certaines déforma-
tions thoraciques séniles (2). Mais il faut arriver à la thèse de Richard pour
trouver une conception nette de cette question. « L'ostéomalacie existe chez les
vieillards Mais il est bien évident qu'à côté de cette forme on rencontre
plus fréquemment une déformation tardive du thorax survenant sans douleur
et correspondant non plus à l'ostéomalacie mais à l'ostéoporose. Il semble donc
qu'il faille distinguer dans le groupe artificiel de l'ostéomalacie dite sénile deux
ordres de faits : l'ostéornalacie des vieillards et l'ostéoporose sénile..... La se-
conde de ces affections est une hypoplasie qui paraît nettement liée à l'involu-
tion sénile régressive (3). » Des déformations thoraciques analogues à celles
de l'ostéomalacie vraie des vieillards peuvent se produire du fait seu de l'os-
téoporose. Cette raréfaction sénile des os étudiée par Durand Fardel cause des
gibbosités tardives qui s'établissent insidieusement et sans provoquer de souf-
frances. Ce dernier caractère suffit à différencier l'ostéoporose de l'ostéomalacie
des vieillards (4).
A l'appui de cette opinion Richard rapporte une observation prise dans le
service de Proust. Il s'agit d'une femme de 71 ans qui présentait une déviation
du rachis et une déformation du thorax. Elle n'avait rien an bassin, aux mem-
bres ni au crâne, elle n'avait pas de douleurs (5). Richard la considère comme
atteinte d'ostéoporose sénile. En somme il ne s'agit pas là d'un cas de pseudo-
Paget, mais de déformations fort analogues à celles que nous avons décrites
chez nos malades. Avant de terminer, signalons que, pour nous, dans l'ana-
(1) Nous avons consulté également : RIBBERT, Ueber senile osteomalacie und Kno-
chenresorption in allgemeinen. Arch. f. path. Anat., Berlin, 1880, pp. 436-448 ; Het
denreicii. Art. Os, in Dict. Deehambre, 2. série, t. XVIII, Paris, 1882, pp. 193 et sui-
vantes ; CHARi,y, Des variétés chirurgicalés du tissu osseux . Revue de chirurgie,
Paris, 1884, pp. 689-709 ; Pommer (Gust.). Untersicclaungen ilber Osteomalacie und
Raclntis nebst Bet/roeett zur Kentniss der hnochenresorplion und Apposition in
verschiedenen Allersperioden und der durchborenden Gefâsse. Leipzig, 1888, Vogel,
p. 514 ; CHARCOT et Vulpian, OEuvres complètes de J ? 11. Charcot, t. VII. Maladies des
vieillards, p. 575. Note sur l'ostéomalacie sénile; CORNIL et RANVIER, Manuel d'his-
tologie pathologique. Art. de Maurice CAZIN, Lésions des os, pp. 780-797. Paris, 3e édit.,
1901.
(2) Durand Fardel, Traité des maladies des vieillards. Introd., p. XVI. Paris, 1856.
(3) Richard, Contribution à l'étude de la maladie osseuse de Paget. Thèse de Paris,
1887, p. 76 et 77.
(4) Richard, toc. cit., p. 62.
(5) Richard, loc. cit., p. 63, obs. VIII.
DÉFORMATION^ SÉNILES DU SQUELETTE SIMULANT LA MALADIE DE PAGET 87
tomie pathologique du pseudo-Paget, il convient de réserver une place à d'au-
tres processus que l'ostéoporose, à l'ossification des cartilages et notamment
des cartilages costaux (1).
En résumé, nous avons décrit non une maladie nouvelle, mais un syndrome
complexe qui n'avait pas dans son ensemble attiré l'attention des auteurs bien
que ce syndrome soit constitué de déformations qui prises une à une ont déjà
été pour la plupart signalées par différents observateurs. Les altérations anato-
miques dont elles relèvent ne dépendent pas non plus d'un processus nouveau.
Les modifications séniles du squelette sont en cause. Il s'agit d'ostéoporose,
d'atrophie osseuse banales. Mais lorsque certains détails du syndrome se re-
trouvent l'état isolé chez un vieillard, dirons-nous qu'il s'agit d'un pseudo-
Paget ? Non, et voici pourquoi : c'est que ce que nous avons décrit n'a de va-
leur que comme syndrôme. Le nom choisi l'indique d'ailleurs clairement ; et,
si nous avons été amenés à parler des déformations professionnelles, et de l'os-
téomalacie, c'est qu'il fallait éclaircir autant que possible les points obscurs de
l'étiologie et de l'anatomie pathologique.
En dernière conclusion, voici ce que nous avons voulu mettre en lumière
dans ce travail : il y a des déformations du squelette dépendant uniquement
de l'involution sénile, dont le groupement donne une altitude rappelant la
maladie de Paget.
Nous sommes heureux de pouvoir en terminant ce travail remercier tous
ceux qui nous ont permis de le mener à bonne fin. Notre maître, M. Pierre Ma-
rie, en fut l'inspirateur et voulut bien nous aider de ses conseils toutes les fois
que nous avons rencontré des difficultés dans l'interprétation des faits clini-
ques. M. le professeur Hamy et M. Verneau, assistant à la chaire d'anthropo-
logie du Muséum d'histoire naturelle de Paris, nous ont ouvert le laboratoire
du Muséum, où nous avons toujours trouvé des renseignements précieux. Nous
tenons à témoigner ici à ces maîtres notre gratitude pour les facilités qu'ils ont
apportées à nos études.
M. le docteur Delisle nous donna, avec la plus grande bienveillance, et une
patience qui ne se démentit point les notions d'anthropométrie indispensables
aux examens pratiqués, c'est grâce à M. Guillain que nous avons pu compléter
notre travail et rechercher le pseudo-Paget chez la femme.
(i) Schiffmacher (Munch. med. Wochenschr., 29 mars 1904) distingue soigneusement
aussi l'ostéomalacie chez le vieillard de l'ostéoporose sénile. Dans l'ostéomalacie seule
se trouvent la période de douleurs précédant les déformations, l'impotence absolue, les
grosses déformations, la cachexie, la mort, le développement considérable de tissu
ostéoide non calcifié.
LE PUÉRILiSME DEMENTIEL SENILE
PAR
ERNEST DUPRÉ
Professeur agrégé, médecin des hôpitaux.
Ah ! comme les vieux airs qu'on chantait à douze ans
Frappent droit dans le coeur aux heures de souffrance,
Comme ils savent rouvrir les fleurs des temps passés
Et nous ensevelir, eux qui nous ont bercés !
(A. de V1USSHT, 110 lia .)
J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion d'étudier en détail un étatpsycho-
pathique spécial, que j'ai proposé de dénommer Puérilisme, et qui, sem-
blant indiquer une sorte de régression de la mentalité vers l'enfance, est
caractérisé par une modification singulière des sentiments, des goûts, des
tendances, des appétits, du langage, des gestes, etc., modification telle
que le sujet semble transformé, pour un temps plus ou moins long, en
un petit enfant. Cette altération de la personnalité, dont nous ignorons
d'ailleurs complètement le mécanisme pathogénique, peut s'observer dans
les états pathologiques les plus différents : affections organiques de l'encé-
phale, intoxications, hystérie (1).
Le syndrome avait déjà été signalé par les anciens auteurs, chez les-
quels on retrouve notés des faits cliniques absolument semblables à ceux
dont j'ai entrepris l'étude détaillée.
Ces observations historiques (2) sont intéressantes à rapprocher des
observations modernes, parce qu'on peut ainsi se convaincre de l'identité
(1) ERNEST Dupké, Congrès des aliénistes et neurologistes de Bruxelles (1903) et de
Paul (1904). Observations de puérilisme mental, en collaboration avec P. Garnier,
P. Camus, A. Devaux. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1901. Revue neurolo-
gique, 1903. Presse médicale, 1902.
(2) Histoire admirable et véritable des choses advenues à l'endroit de Jeanne Féry,
religieuse professe du couvent des Soeurs noires de la ville de Mons (Hainaut), âgée
de 25 ans, possédée du maling esprit et depuis délivrée (1584). Collection BOURNEVILLE,
1886, p. 25. Carré de hiON'rGERON. Cité par CALniBIL (De la folie, 1845, t. II, p. 390).
La vérité des miracles, 1737, t. II, p. 88. Jules Voisin. Un cas de grande hystérie chez
l'homme, avec dédoublement de la personnalité. Archives de neurologie, 1885. Pitres,
Des attaques de délire amnésique. Leçons sur l'hystérie. 1891.
LE PUÉRILISME DÉMENTIEL SÉNILE 89
absolue des documents relatés avec autant de précision que de sincérité
par les anciens auteurs, et des faits qui s'offrent aujourd'hui à l'étude des
cliniciens. Par ce rapprochement s'affirme la permanence des faits et s'é-
claire la continuité des lois de la psychologie normale et morbide.
Le témoignage des anciens auteurs et l'observation clinique s'accordent
donc pour démontrer l'existence, parmi les innombrables formes des alté-
rations de la Personnalité, d'un syndrome spécial, qui mérite d'être indi-
vidualisé en lui-môme sous le terme de Puérilisme, et d'être étudié dans
son évolution, ses variétés et ses rapports avec les affections au cours des-
quelles il apparaît. Un de mes élèves, M. Soullard, vient de tenter ce
travail dans une thèse qui résume l'état de la question (1).
La multiplicité et la disparité des causes occasionnelles du puérilisme
sont telles, qu'on ne peut guère saisir le lien commun qui rattache entre
eux des moments étiologiques si différents.
L'observation des faits permet cependant de distinguer deux grandes
catégories d'observations. Dans une première série de faits, le syndrome,
ordinairement suscité par une cause aigué ou subaiguë (choc moral, intoxi-
cation, surmenage, etc.) apparaît brusquement, dure peu et s'évanouit
après une évolution passagère ; dans une seconde série d'observations, le
syndrome se dessine en une évolution lente, progressive et plus ou moins
durable, sans étiologie occasionnelle saisissable, dans le tableau clinique
des démences organiques. Ces deux séries de cas permettent de distinguer
un puérilisme aigu et un puérilisme chronique.
A cette dernière classe correspondent les nombreux cas de puérilisme
chronique qu'offre à l'observation des aliénistes, dans les asiles, la popu-
lation des déments et surtout des démentes. J'ai déjà cité plusieurs obser-
vations de puérilisme démentiel, survenu au cours d'encéphalopathies
organiques par abcès ou tumeurs. Je rapporte ici un cas, aussi résumé
que possible, de puérilisme chronique, lié à la démence sénile (2).
Il s'agit d'une femme de 80 ans,démente sénile depuis plusieurs années,
gâteuse depuis six mois, qui, après un ictus suivi d'hémiparésie gauche
transitoire, présenta brusquement le syndrome le plus net du puérilisme
mental. Elle se mit affecter les manières, le ton et le langage d'une
petite fille, demanda des poupées et se comporta, pendant plusieurs mois,
comme une enfant.
Je n'ai observé cette vieille démente que dans la dernière période des ma-
(t) R. SouLLARD, Le puérilisme mental . Contribution à l'élude des altérations de la
Personnalité. Thèse Paris, 1904.
(2) J'adresse ici mes plus vifs remerciements au professeur Brissaud, pour l'amabi-
lité avec laquelle il m'a signalé l'intérêt et abandonné l'observation de cette malade,
que j'ai étudiée dans son service de l'Hôtel-Dieu.
90 DUPRÉ
nifestations du syndrome ; c'est à ce moment que j'ai prié 11. Bessin de fixer
avec son crayon l'aspect de la malade. L'artiste, qui a déjà donné au monde
médical tant de preuves de son-talent, m'a livré de son modèle un por-
trait si exact et si vivant, que je le considère comme l'étude la plus pitto-
resque et la plus démonstrative du puérilisme démentiel sénile. Je remer-
cie mon ami M. Meige de l'avoir jugée digne de figurer dans cette Revue
d'art et de médecine, où l'observation clinique trouve dans le document
plastique la vérité et l'animation de la vie.
On aperçoit, sur ce croquis, outre les signes de la décrépitude sénile,
et l'expression mimique de la démence, les marques de l'hémiparésie gau-
che, et le reflet, sur le visage, de la satisfaction béate qu'éveillent chez la
vieille démente, la vue et le maniement de sa poupée.
Les progrès assez rapides de la démence diminuèrent de plus en plus,
chez la malade, les manifestations de l'activité psychique : si bien que
s'effacèrent chez elle progressivement les trails du tableau clinique.
Aujourd'hui, la malade, absolument démente, est incapable de répondre
à aucune question, et joue automatiquement avec ce qui reste de ses pou-
pées. Mais, pendant quelques semaines, dans la période qui suivit l'ictus,
on vit cette octogénaire manifester les allures, les goûts et le langage
d'une petite fillette, dont elle avait adopté également l'intonation et la mi-
mique, et mériter ainsi par sa conduite et la nature de ses jeux, le sur-
nom de la Vieille aux poupées. Les vieilles aux poupées ne sont pas excep-
tionnelles dans les asiles d'aliénés et les hospices de vieillards, et, à
l'occasion de ma communication au Congrès de Bruxelles, le docteur
A. Marie insistait sur la fréquence et l'intérêt de cette modalité clinique
de la démence sénile.
J'ai indiqué ailleurs (1) les différents aspects que confère au tableau
clinique des démences en général, la combinaison, dans le processus
démentiel, du puérilisme et des diverses modalités pathologiques du ton
affectif, avec les états d'excitation et de dépression, ou avec cette altération
particulière de l'humeur, désignée sous les termes de moria, de Witzel-
sucht ou d'euphorie joviale.
Le diagnostic du puérilisme démentiel sénile s'impose par le caractère
même des manifestations du syndrome. On dit communément des déments
séniles qu'ils retournent à l'état d'enfance. Mais entre le retour à l'enfance
des vieillards affaiblis et le puérilisme sénile n'existe qu'une analogie de
mots. Le dément sénile ne ressemble en effet aucunement à l'enfant : il
lui est seulement assimilable par bien des côtés de la vie pratique, et c'est
(1) E. DUPRÉ, Psychopathies organiques, in Pathologie mentale de Ballet. Article
Tumeurs cérébrales.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPTRIÈRE.
T. XVI11, PL. XI.
PUÉRILISME DÉMENTIEL SÉNILE
(Ernesi Dupr·.)
LA. VIEILLE AUX l'OUl'1 ? l : ç (Pfrvir itn l" Isnsc,von. Hbtel-T)icu).
MASSON ET rit v. >.« ? »
LE PUÉRILISME DÉMENTIEL SÉNILE 91
cette assimilation que prétend seulement proclamer la langue populaire,
en confondant dans le terme d'enfance la mentalité des deux âges extrê-
mes de la vie. Le vieillard affaibli rappelle l'enfant par la versatilité capri-
cieuse de l'humeur, la futilité et l'illogisme de ses joies et de ses colères,
les manifestations instinctives et cyniques de son égoïsme, la matérialité
de ses appétits, etc. ; il le rappelle surtout parce que, comme lui, il est
incapable de se diriger seul, de se conduire par lui-même ; de s'habiller,
de se nourrir, sans le secours et l'assistance d'autrui ; la décadence pro-
gressive et globale des facultés psychiques réalise alors chez le vieillard
un état d'infirmité sociale, assimilable à l'état de minorité physiologique
de l'enfance. Chez les vieillards atteints de puérilisme démentiel, on
retrouve; plus ou moins accusés, ces caractères propres au syndrome
démence, mais on observe, en outre et'en dehors d'eux, les symptômes
psychopathologiquespropres au syndrome puérilisme, qui se résumentdans
une régression de la personnalité psychique à son stade infantile.
Le secret pathogénique d'une si curieuse altération de la personnalité
nous échappe complètement. Un rapprochement s'impose cependant, à
propos des modalités démentielles du puérilisme, entre celui-ci et la loi
de l'involution sénile de la mémoire, formulée par Ribot. Lorsque l'on
réfléchit au rôle primordial joué par la mémoire dans l'édification de la
personnalité, on peut imaginer que le syndrome du puérilisme trouve des
conditions particulièrement favorables à son apparition dans ce double fait
qui domine la psychologie sénile : disparition des souvenirs récents et des
dernières acquisitions de la vie, d'un côté, et de l'autre, réapparition des
souvenirs anciens et résurrection singulièrement vivace et tyrannique,
devant la conscience appauvrie, de la vie enfantine, dans toute la sponta-
néité ingénue et primitive de ses manifestations.,
Le puérilisme mental nous apparaîtrait ainsi comme l'expression cli-
nique du fonds primitif de la Personnalité, mis au jour par le bouleverse-
ment des couches supérieures de notre stratification psychique.
CONFÉRENCE FAITE A LA SORBONNE (SOCIÉTÉ DES AMIS DE L'UNIVERSITÉ)
LE 12 JANVIER 1905
AMBROISE PARÉ
PAR LE PROFESSEUR
DEBOVE,
Doyen de la Faculté de Médecine.
mbroiseParé est un célèbre chirurgien
français du xvie siècle qui a simplifié le
traitement des fractures et luxations,
imaginé plusieurs opérations nouvelles,
modifié le traitement des plaies par
armes à feu, inventé la ligature des artè-
res après les amputations, etc., etc...
Ces travaux sont-ils suffisants pour lui
méri ter les titres de « père » et restaura-
teur de la chirurgie française qu'on lui
a décernés ? N'étant pas chirurgien, je
n'ai pas qualité pour le décider. J'ai lu
ses oeuvres à un autre point de vue, je me suis surtout intéressé à leur
côté anecdotique, cherchant à connaître ce que nous appellerions aujour-
d'hui l' « état d'âme » d'un bourgeois du xvie siècle, appartenant à notre
profession, sorti du peuple, arrivé par son travail à une situation émi-
nente qui le mit en rapport avec les classes les plus diverses de la Société(l).
(1) J'ai fait de nombreux emprunts au remarquable livre du Dr LE PAULMtER
(Ambroise Paré, Charavay frères, éd., Paris, 1884). Ce savant confrère a publié in
extenso le mémoire de Paré adressé au Parlement à l'occasion de son procès,diverses
pièces des archives nationales, divers extraits du 3' volume de l'Ilisloire de la clairur-
gie de Peyrelhe, dont les deux premiers volumes ont seuls paru, le 3° est un manus-
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T, XVIII, PL. XII.
PORTRAIT D'AMBROISE PARÉ
^Extrait de la première édition des ouvres complètes (yy5).
Masson et Cie, Éditeurs.
AMBROISE PARÉ 93
Notre chirurgien naquit vers 1510, à Bourg-Hersent, petit village alors
situé aux portes de Laval et qui en fait aujourd'hui partie. Il semble avoir
plusieurs fois varié d'opinion sur son âge (Ceci était fréquent alors qu'il
n'y avait pas de registre de l'état civil. Heureuse époque ! On pouvait se
rajeunir sans qu'un document officiel vint rappeler la réalité....)
Il appartenait à une famille pauvre, ou tout au moins de condition
modeste ; son père était coffretier. Il commença son apprentissage chez les
barbiers de province, puis vint à Paris vers 1532, probablement comme
apprenti barbier, passa ensuite trois ans à l'Hôtel-Dieu. On s'est ingénié
à savoir à quel titre il y fut attaché ; ce n'est pas comme barbier, il ne
le fut qu'en 1540 ; ce n'est pas comme chirurgien, il ne le fut qu'en 1554.
Il est probable que ce fut simplement comme infirmier ou apprenti
barbier. En raison probablement de son intelligence et de ses aptitudes,
on lui confia le soin de faire les pansements et les autopsies. C'est ainsi
qu'il fit son éducation pratique.
« Faut savoir, dit-il, que par l'espace de trois ans j'ai résidé en l'Hôtel-
Dieu de Paris où j'ai eu le moyen de voir et connaître, eu égard à la
grande diversité de malades y gisant ordinairement, tout ce qui peut être
d'altération et maladie du corps humain ; et, ensemble y apprendre sur
une infinité de corps morts, tout ce que se peut dire et considérer sur
l'anatomie, ainsi que souvent j'en ai fait preuve très suffisante, et cela
publiquement à Paris aux écoles de médecine. » Et il a très bien cons-
cience de l'utilité de cet enseignement pratique, car lorsqu'il raconte qu'un
médecin de Milan s'étonnait de trouver tant d'expérience chez un homme
de son âge, il ajoute : « Le bonhomme ne savait pas que j'avais demeuré
trois ans à l'Hôtel-Dieu de Paris pour y traiter les malades. » Il fallait
bien qu'il y eut des barbiers pour mettre, excusez la vulgarité de l'ex-
pression, la main à la pâte. Un médecin consentait à disserter en latin
sur l'anatomie, mais il fallait qu'un barbier fit la démonstration et la dis-
section ; un médecin prescrivait une saignée, mais se fut cru déshonoré
s'il l'eût pratiquée lui-même. Si un chirurgien devenait médecin, il
fallait qu'il s'engageât par acte notarié à renoncer à l'art de la chirurgie
et à tout autre art manuel, afin de conserver, disait-on, pure et intacte la
dignité médicale. Quand, un siècle plus tard, Félix, l'heureux opérateur de
crit appartenant iL la-bibliothèque de l'Académie de médecine. Tous ces documents
étaient ignorés de hialgaigne. - Les lettres ornées, les figures et les planches ici
reproduites sont extraites des Ol;uares complètes d'A. Paré, éditions de 1515 (1re) et
de 1614, ainsi que du Traité de la Dlumie, de la Licorne, etc. édit. 1582, d'après les
exemplaires conservés à la bibliothèque de la Faculté de Médecine de Paris.
94 DEBOVE
la fistule, fut annobli par Louis XIV, il est spécifié dans ses lettres pa-
tentes qu'il pourra continuer à être chirurgien, « sans que ce lui puisse
être imputé à dérogeance ». Ne vous étonnez pas de ces moeurs, sans vous
être assurés qu'il n'en reste pas aujourd'hui quelque chose. Etes-vous
certains que les rentiers qui ne travaillent point, issus de rentiers qui
n'ont point travaillé, ne sont pas fiers d'avoir été entretenus, eux et leurs
ascendants, par le travail des autres ?
En 1536, Paré quitta l'Hôtel-Dieu, suivit en Italie comme chirurgien
le comte de Monte Jan, colonel général de l'infanterie française. A cette
époque, il n'y avait point de chirurgie d'armée régulièrement organisée.
Les grands seigneurs s'attachaient des chirurgiens afin d'être soignés
et de faire soigner leurs soldats. Remarquez que Paré n'était pourvu de
rien de ce que nous appellerions aujourd'hui un diplôme. Il n'y avait
pas à cette époque d'exercice illégal de la médecine. Les rois avaient
concédé des privilèges aux corporations des médecins, chirurgiens, bar-
biers, elles poursuivaient devant la justice ceux qui exerçaient leur art
sans appartenir à la corporation, ou ceux qui empiétaient sur les privi-
lèges de la corporation voisine. Au fond, il s'agissait d'intérêt d'argent, de
clientèle, et personne n'avait le souci, que nous avons aujourd'hui, de
protéger nos concitoyens contre les dangers que leur font courir des char-
latans ignorants et cupides. Au xvie siècle, les corporations médicales ne
s'inquiétaient guère de savoir quels chirurgiens accompagnaient les armées,
et n'avaient du reste aucun droit d'intervenir.
En 1540, Paré fut reçu barbier à la suite de deux examens, et les com-
mentaires de notre Faculté (ce sont les registres où les doyens consi-
gnaient les événements de leur décanat et exposaient leurs comptes : nous
les possédons de 1395 à 1792) portent qu'il dut payer, à cet effet, 72 sols
6 deniers parisis, prix habituel de ce genre d'examen.
Le jury qui recevait les barbiers les déclarait « être idoines et suffisants
pour guérir les clous, anthrax, bosses et charbons ». Ils étaient aussi aptes
à saigner, et, vu la fréquences des phlébotomies, comme on disait alors,
cette petite opération devait être assez lucrative et notablement mieux ré-
munérée qu'une simple taille de barbe. C'est seulement eu décembre 1637
que Louis XIII autorisa l'établissement d'une nouvelle corporation, celle
des barbiers-barbants, à laquelle toute pratique chirurgicale était interdite.
Les barbiers-chirurgiens trouvant leur domaine trop limité ne se fai-
saient pas faute d'empiéter sur celui des voisins : d'où le proverbe « le mal
est que le barbier ne se contente pas du poil ». Ce fut le cas de Paré, qui
ne se contentait pas d'exercer la chirurgie sur les champs de bataille, mais
avait une nombreuse clientèle en ville. Cependant il n'était pas membre
de la corporation des chirurgiens, c'est-à-dire du Collège Sl-Côme. Il
AMBR01SE PARE
95
fallait faire cesser ce scandale. Le procédé le plus simple, en apparence,
était de citer Paré devant le Parlement; mais depuis 1552 il était chirur-
gien du roi et les rois, pas plus que les grands, ne toléraient qu'on touchât
aux gens de leur maison : il était imprudent de s'y frotter, on risquait
de s'y piquer.
Restait un autre moyen, celui de recevoir Paré chirurgien. Il semble
que son ami Etienne de la Rivière se soit entremis et ait arrangé les choses ;
mais il fallait passer les examens en latin. Paré l'ignorait, il dut en ap-
prendre quelques bribes. En pensant à cet examen, on se reporte involon-
tairement au latin du Malade imaginaire, qui est peut-être cicéronien,
comparé à celui dont notre chirurgien dut se servir devant ses juges.
Nous n'avons pas les registres du Collège de Chirurgie ; ils ont disparu.
Mais Peyrilhe, dans le troisième volume de son Histoire de la Chirurgie^
reproduit ce qui concerne Paré. Remarquons que les deux premiers volu-
mes de cette histoire ont seuls été publiés ; le troisième est manuscrit, il
appartient à la bibliothèque de l'Académie de médecine. C'est à cette cir-
constance que nous devons de posséder les procès-verbaux des examens
de Paré. Ce qui prouve le vif désir du Collège de St-Côme d'accueillir Paré,
c'est que, pour lui, on abrégea les délais et qu'il fut reçu gratuitement. Le
récit de ces examens a été conservé, il mérite d'être relaté, il est
singulièrement édifiant.
aré demande à subir son premier examen le
18 août 1554. Il est examiné le 24 août, non
dans le local habituel des séances, mais au do-
micile du plus âgé de ses examinateurs. Nous
savons qu'il fut reçu; respectons ce huis clos.
Quatre jours plus tard, il passe son examen
de baccalauréat. Mais avec quels considérants !
Ceci rappelle les jugements dans lesquels cer-
tams accuses sont acquittés, avec un expose ae motifs qui rena i acquit-
tement aussi infamant qu'une condamnation. Le procès-verbal du jury
constate que le candidat est faible en chirurgie, que son latin est barbare
et corrompu, on déclare le recevoir par égard pour Etienne de la Rivière,
sous la condition qu'il apprendra le latin et la chirurgie et qu'il passera
désormais ses examens dans le local habituel. Les chirurgiens qui avaient
pris l'engagement de recevoir Paré, tinrent parole, mais se vengèrent de
la dure pilule qu'on leur faisait avaler en accompagnant sa réception de
commentaires peu flatteurs.
96 DEBOVE
Le 8 octobre, Paré fut reçu à l'examen de licence. Là, le jury déchira
tous les voiles et déclara qu'il était reçu grâce à la faveur du roi.
Ceci n'empêcha pas le 5 novembre les maîtres en chirurgie de décider
à l'unanimité que le bonnet de docteur en chirurgie lui serait conféré.
La cérémonie se fit le 17 décembre. Il dut à ce moment soutenir une
thèse latine ; nous n'avons aucun renseignement à cet égard. S'il l'avait
écrite lui-même, ce serait certainement un document fort intéressant pour
les philologues, qui permettrait de comparer le latin des barbiers à celui
dit « de cuisine ».
Ces examens avaient fait du bruit, et c'est à eux que Itiolan plus
tard fait allusion dans des termes qu'il est intéressant de reproduire :
«Entre les chirurgiens, écrit-il, qui excellent aux oeuvres de l'art, il
en est (chacun sait de qui je veux parler, sans qu'il soit besoin que je les
nomme), il en est qui ne savent pas décliner leur propre nom. Nous les
avons vu appelés de la boutique du barbier à la maîtrise chirurgicale et
reçus gratis contre coutume, de peur que les barbiers reconnus plus ha-
biles que les chirurgiens ne fissent honte à leur collège ; nous les avons
entendu débitant de la façon la plus plaisante du monde le latin qu'on
leur avait soufflé, et ne comprenant pas plus ce qu'ils disaient que les
enfants à qui dans les collèges les professeurs font répéter des harangues
grecques. »
lus tard Paré eut de]nouvelles difficul-
tés avec les chirurgiens, voici en quelle
occasion
En 1556, le premier barbier du roi
s'était fait donner un droit de juridic-
tion sur tous les chirurgiens et barbiers.
En 1569, Paré essaya en qualité de pre-
mier chirurgien, de se le faire attribuer
sur les chirurgiens. Il échoua dans sa
tentative, ? et ce¡ne futqu'unsiecte plus
tard, en1l668, que Félix, ayant acheté
de Jean de Réty la 'charge de premier
barbier et tous les droits qui en dépendent, le premier chirurgien eu), de-
sormaissous sa dépendance les chirurgiens et les barbiers. Le seul résul-
tat que Paré obtint fut de soulever contre lui la haine jalouse du collège
St-Côme et de la Faculté ; elle eut l'occasion de se manifester à l'occasion
d'un procès.
AMBROISIE PARÉ 97
Il avait publié divers ouvrages sans provoquer aucune protestation ;
mais lorsqu'il réunit ses oeuvres, en 1575, la Faculté s'associant aux chi-
rurgiens et au prévôt des marchands qui l'accusait d'outrage aux bonnes
moeurs, demanda au Parlement que les oeuvres d'Ambroise Paré, « homme
très impudent et sans aucun savoir », disait- elle, ne pussent être mises en
vente sans avoir été approuvées par elle. Nous lisons dans les commen-
taires de la Faculté que les assignations nécessitées par ce procès coû-
tèrent 40 livres 17 sols.
Le Parlement commença, dans un arrêt du 14 juillet 1575, par maintenir
ses décisions antérieures : « Que inhibitions et défenses soient faites et
réitérées à tous libraires et imprimeurs de cette ville et de ce ressort
d'imprimer aucuns livres en médecine ou chirurgie, sinon qu'ils aient été
vus au préalable et approuvés par la Faculté. »
Nous ne savons pas comment finit le procès, mais il est permis de le
soupçonner. Le roi, qui avait fait passer les examens de son chirurgien,
empêcha probablement qu'on l'inquiétât, car le livre continua à se
vendre et de nouvelles éditions furent publiées. Il est vraisemblable qu'il
y eût avec la Faculté une transaction qui nécessita des changements dans
les éditions ultérieures. Paré consentit notamment à supprimer son Éloge
de l'antimoine et son Traité des fièvres.
Il avait vanté l'antimoine dans son Traité de la peste, de la petite 1'é-
role et de la rougeole ; il fit disparaître ce passage dans l'édition com-
plète de ses oeuvres et il le remplaça par cette phrase : « Quelques-uns
approuvent et recommandent fort l'antimoine; alléguant plusieurs expé-
riences qu'ils ont vues. Toutefois, parce que l'usage d'icelui est réprouvé
par Messieurs de la Faculté de Médecine, je me départirai d'en rien écrire
en ce lieu ». Comme vous le voyez, la « guerre de l'antimoine », si acharnée
au temps de Guy Patin, fut une guerre de plus de cent ans.
Paré avait eu aussi l'audace, n'étant que simple chirurgien, d'écrire
un chapitre Des fièvres. Il dut le supprimer dans les éditions postérieu-
res à 1575, et voici ce que nous lisons dans la huitième édition de ses
OEuvres, publiée en 1628. Ce passage est la reproduction d'un manuscrit
que ses enfants ont trouvé dans les papiers de l'auteur : « Ami lecteur,
écrit-il, j'avais bien prévu que le Traité des fièvres dont j'avais autre-
fois fait voir quelques échantillons, donnerait occasion à plusieurs de re-
prendre et blâmer mon dessein en ce que je tâchais d'instruire les chirur-
giens en une maladie qui n'est point de leur gibier, qui ne touche en
aucune façon l'objet de la Chirurgie, qui est hors l'étendue d'icelle, et qui
appartient proprement au Médecin. On sait assez ce qui est arrivé sur ce
sujet, sans que je m'étende davantage ou à répondre à leurs raisons ou à
m'excuser de mon dessein. J'ai trouvé bonne la censure de l'Ecole de
"\YII[ 7
98 'DEBOVE
Médecine de Paris, comme étant celle qui nourrit et élève les plus beaux
esprits qui soient en la médecine, qui distribue la pure et vraie doctrine
d'Hippocrate et de Galien, et pour mon'particulier qui m'a enseigné et
donné ce peu de savoir que je désire communiquer aux autres. » La
Faculté eût été bien intolérante si elle eût continué à persécuter un péni-
tent qui faisait amende honorable en termes aussi humbles et proclamait
aussi haut son infaillibilité.
Un des griefs allégués par la Faculté contre A. Paré, c'est qu'il écrivait L
en langue vulgaire, alors que le latin était la langue sacrée des médecins.
Dans son mémoire à Messeigneurs de la Cour, l'accusé dit que depuis trente
ans on l'a laissé imprimer plusieurs Traités de chirurgie, que la véritable
raison est la crainte que les malades instruits par ses livres ne veuillent se
traiter eux-mêmes ou que les barbiers devenus trop instruits n'empiètent
sur les privilèges des chirurgiens, et pardessus tout la « haine volontaire,
écrit-il, envie et jalousie de voir Ambroise Paré en quelque réputation
d'homme bien entendu en son état ». D'ailleurs, ajoute-t-il, le divin
Hippocrate a-t-il écrit dans une autre langue que celle connue et entendue
par les femmes et filles de son temps ? ....
Ainsi, la Faculté proteste contre la publication en langue vulgaire, c'est-
à-dire en français des oeuvres de Paré. Plus tard, on les traduit en latin :
elle proteste contre cette traduction faite par le chirurgien Guillemeau,
sous prétexte qu'étant chirurgien, il ne peut savoir le latin. Elle déclare
dans sa séance du 15 décembre 1581, que « c'était véritablement trop
d'arrogance de la part des chirurgiens qui n'étaient pas même capables d'en
écrire la première page en latin ». Elle décida que le titre porterait : tra-
duction par un savant anonyme publiée par les soins de Guillemeau
(Ambrosii Parmi primarii Régis chirurgi opera latinitate donata a docto
quodam vero : cura et diligentia Jacobi Guillemeau, chirurgi Parisiensis).
Dans le procès intenté devant le Parlement, vous avez peut-être remar-
qué que le prévôt des marchands s'associe à la plainte de la Faculté sous
prétexte d'outrage aux bonnes moeurs. Ceci vous a peut-être étonné, car
notre chirurgien passe plutôt pour un bourgeois sévère. C'est que dans son
chapitre sur la manière de « faire génération » il s'étend complaisamment
sur les caresses échangées en pareille circonstance. Sur l'amour, il a
des opinions analogues à celles d'un critique dramatique célèbre sur le
théâtre, lorsqu'il disait que le théâtre est surtout l'art des préparations.
II faut croire que les recettes données étaient bonnes, car les gens du
xvi" siècle réussissaient mieux que nous dans l'art de multiplier leur espèce.
C'est ainsi que Paré dit avoir vu au cimetière des Innocents le tombeau
d'une dame Yolande morte à 88 ans, qui a pu voir, avant son trépas, 295
enfants issus d'elle.
AMBROISE PARÉ 99
Après avoir parlé dans le chapitre de la génération de la formation du
corps, Paré parle de l'âme : il en donne quatre définitions. Je suis incom-
pétent en la matière et incapable de vous dire quelle est la bonne, mais
peut-être serez-vous heureux d'apprendre que l'âme est infusée au
40° jour de la vie intra-utérine chez le mâle, au 50e chez le foetus
femelle. Ne demandons pas la cause de cette différence, n'essayons pas de
connaître ces choses : « l'ignorance en est docte, dit Paré, et l'appétit de les
savoir est une espèce de rage ». Pour y avoir touché plusieurs s'y sont
brûlé les doigts, et même à certaines époques, à pareil jeu, on s'exposait
au bûcher.
ans le procès de Paré, ou essaya d'influencer
les jurés en insinuant qu'il était huguenot, ce
que son biographe Malgaigne a nié. Cependant
la chose est affirmée par Sully et par Brantôme.
Ce dernier raconte même que le roi garda son
chirurgien dans sa propre chambre pendant le
massacre de la Saint-Barthélemy.
Sans attacher grande importance à cette légende, nous croyons pouvoir
assurer que Paré appartenait à la Religion. Il s'exhale de son livre une
sorte d'odeur de réforme. Il est religieux, mais il ne cite guère le Nouveau
Testament ; par contre, il cite fréquemment la Bible, suivant l'usage des
protestants d'alors. Il ne fait aucune allusion à ces cérémonies auxquelles
les catholiques attachent une si grande importance. Il parle du clergé
d'une façon peu bienveillante. Ainsi, à Perpignan, il conseille, il est vrai,
d'envoyer chercher un prêtre pour un blessé, mais il a soin d'ajouter que
ce prêtre l'accompagna jusqu'à la mort, se saisit de sa bourse, de ses har-
des et de tout le reste, de peur qu'un autre ne les prit, ajoutant qu'il dirait
des messes pour sa pauvre âme.
Peu de temps avant le siège de Paris par Henri IV, notre chirurgien
interpella un des plus fougueux Ligueurs l'archevêque de Lyon, dans
des termes rapportés par le chroniqueur Pierre l'Estate. Sa harangue fai t
le plus grand honneur à ses sentiments d'humanité, mais elle paraît bien
hardie dans la bouche d'un catholique s'adressant à un archevêque.
Le fait suivant est plus démonstratif. Paré raconte dans sa première
édition qu'on a voulu l'empoisonner parce que : « quelques-uns, dit-il,
me hayaient à mort pour la Religion. » Il est vrai que cette anecdote dis-
paraît. dans les éditions suivantes ; il nous en donne la raison dans son
mémoire adressé aux conseillers du Parlement : c'est qu'on en avait inféré
qu'il accusait les catholiques d'être des empoisonneurs. « Alors, dit-il,
100 DEBOVE
que l'homme qui l'a voulu empoisonner n'appartient ni à l'une, ni il l'autre
religion, mais était un libertin sans crainte de Dieu. » Si Paré eût été ca-
tholique, il eût simplement affirmé sa religion et eût probablement profilé
de la circonstance pour dénigrer la religion concurrente.
En apparence, le fort argument contre le protestantisme de Paré est
que, lui, ses femmes et ses enfants, furent mariés et enterrés à l'église. Il
fut inhumé à l'église Saint-André-des-Arts, le 22 décembre 1590, mais il
n'y avait alors ni registres de l'état civil, ni cimetières spéciaux pour les
protestants. Il fallait cependant bien être marié et enterré quelque part.
Peut-être aussi, Paré appartenait-il à cette catégorie de sages protestants
écoeurés des tueries et des crimes dont la religion était le prétexte, qui
avaient le bon sens de penser, avec le roi Henri IV, que Paris valait bien
une messe.
J'ai parlé des femmes de Paré. Il en eut en effet deux. Il semble même
avoir eu le veuvage en horreur, car ayant perdu la première le 4 novembre
1573, il se remaria le 18 janvier 1574.
e principal appui de Paré dans son procès, était
certainement la faveur du roi, aussi essaya-t-on
de la lui faire perdre en disant qu'il avait, dans
ses ouvrages, passé sous silence la guérison des
écrouelles par la main royale. Il se défend en ces
termes de cette accusation : « Quant aux écrouel-
les, écrit-il dans son mémoire au Parlement, cela
est connu et avéré de tous que les rois de France ont puissance de les
guérir ; ce que j'ai vu une infinité de fois, et pour ce que c'est chose toute
notoire, ne l'ai voulu insérer dans mon livre » ; et il ajoute qu'il a souvent
facilité l'accès de ces malades près du roi, sachant bien que les remèdes
humains ne pouvaient avoir raison de leur maladie.
Il est probable que vous n'ignorez pas qu'autrefois les rois de France
avaient le pouvoir de guérir les écrouelles. Il leur suffisait de toucher le
malade en disant : « Le roi te touche, Dieu te guérit. » Le jour du sacre,
Louis XV toucha deux mille malades, Louis XVI deux mille quatre cents.
Charles X n'en toucha plus que cent vingt. Evidemment le pouvoir gué-
risseur des rois allait s'affaiblissant, parallèlement à leur pouvoir politi-
que. Ne rions pas de la crédulité populaire, mais constatons tristement
que les malades présentés à Charles X le furent par Aiibert et Dupuytren,
Il est d'ailleurs aujourd'hui des guérisons miraculeuses qui paraîtront à
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPLTRIFRE,
T. XVIII, FL, XIII, i
PORTRAIT D'AMBROISE PARÉ
A L'AGE DE 72 ANS
Extrait du D''ïM ! <r delà Mumie, de la Licorne, etc. (Edit. de 1582).
Masson LT C,a, Editeurs.
AMBROISE PARÉ 101
nos descendants tout aussi difficiles à accepter que la guérison des écrouel-
les par un pèlerinage près du roi.
Peu nous importe que Paré ait cru au pouvoir guérisseur des rois, qu'il
ait été huguenot ou mécréant, ce qui nous intéresse c'est qu'il fut bon,
qu'il compatit aux souffrances des pauvres gens au milieu desquels il a
vécu. J'en citerai un exemple parmi beaucoup de semblables. Dans la
campagne d'Allemagne de 1552, le malheureux serviteur d'un enseigne
reçut sept coups d'épée sur la tête, quatre sur les bras, un sur l'épaule
droite. Son maître fit creuser une fosse et voulait l'y jeter. Paré ému
de pitié le mit sur une charrette, et lui fit office de médecin, d'apo-
thicaire, de chirurgien et de cuisinier. Les hommes de la compagnie
de M. de Rohan admirèrent tellement cette cure qu'ils se cotisèrent pour
faire un cadeau à Paré ; les hommes d'armes donnèrent chacun un écu
et les archers un demi-écu. Qu'il ait soigné les nobles et les puissants,
c'était son métier : il était payé pour cela ; mais qu'il ait été compatissant
pour les humbles, et qu'il ait pansé les petits en même temps que les
grands, les ennemis en même temps que les nôtres, c'est d'une vertu peu
commune au xvil siècle. Cependant, si bon que fut Paré, il n'avait pas,
et en cela il est bien de son temps, le respect que nous avons de la vie
et humaine, ainsi que le prouve la célèbre anecdote du bézoard.
e bezoard, de l'arabe bézaha/'d qui veut
dire contre-poison, était une concrétion
intestinale recueillie sur divers ani-
maux. Les plus estimés étaient ceux
de la chèvre sauvage et du porc-épic.
On les croyait contre-poisons de tous
les poisons et on les prenait à l'inté-
rieur sous forme^de poudre ou bien
on les portait en guise de talisman,
comme de nos jours les Orientaux
portent encore des amulettes. Ils
étaient vendus fort cher, et pour les
mettre à la portée d'un plus grand nomore, on les louait a la journée,
quelquefois pour une valeur dépassant 12 francs de notre monnaie.
Un seigneur avait apporté d'Espagne au roi Charles IX unej pierre
bézoard dont il vantait les vertus. Paré soutint l'opinion contraire, et in-
sinua qu'on pourrait en faire l'expérience sur quelque coquin. Un mal-
102 DEBOVE
heureux cuisinier avait été condamné à la potence pour vol de deux plats
d'argent, on lui proposa d'ingérer un poison, puis un contre-poison, lui
promettant sa grâce s'il en revenait; il accepta. Un apothicaire lui fit
prendre du sublimé et ensuite de la pierre de bézoard. Une heure plus
tard, A. Paré alla le visiter : « Je trouvai, dit-il, le pauvre cuisinier, à
quatre pieds, cheminant comme une bête, la langue hors de la bouche,
les yeux et toute la face flamboyante, désirant toujours vomir, avec gran-
des sueurs froides ; et jetant le sang par les oreilles, nez, bouche, par le
siège. Il mourut misérablement, criant qu'il eut mieux valu être mort
à la potence. Il vécut sept heures ou environ. » Quelle réflexion ce spec-
tacle horrible fit-il naître dans l'esprit de Paré ? - Simplement que la
pierre d'Espagne n'eut aucune vertu.
Nous n'avons d'ailleurs le droit de lui rien reprocher. Il serait ridi-
cule de s'étonner qu'un homme du xvi° siècle n'eut pas les idées d'un
homme du xxe. Tous nos contemporains n'ont d'ailleurs pas eu le res-
pect, je ne dirai pas de la vie humaine, mais ce qui est la même chose
de la santé humaine. Il serait facile de rappeler de coupables expé-
riences faites sur l'inoculation de la syphilis, de la lèpre, du cancer...
Nous ne saurions trop protester contre ces crimes. S'il est un homme
pour qui la vie et la santé de ses semblables doivent être sacrées, c'est le
médecin. Néanmoins dans ces derniers temps nous avons entendu parler
d' « assassinat médical » (l'association de ces mots n'a rien de flatteur pour
nous). Voici ce dont il s'agit. Ce serait le droit donné aux médecins de
hâter la mort des incurables. D'autres pensent qu'il faut rendre exempte
de douleur la mort de ceux qui veulent se suicider : ce serait l'euthanasie
Tout ceci est déraisonnable et criminel, en tout cas ce n'est pas nouveau.
Ainsi, à Turin, Paré entrant dans une étable pour loger son cheval, y
trouva quatre soldats morts et trois appuyés contre la muraille et sans
connaissance. « Les regardant en pitié, dit Paré, il survint un vieux
soldat qui me demanda s'il y avait moyen de les pouvoir guérir, je dis
que non ; subit il s'approcha d'eux et leur coupa la gorge doucement et
sans colère. Voyant cette grande cruauté, je lui dis qu'il était un mauvais
homme. Il me fut répondu qu'il priait Dieu que lorsqu'il serait accoutré
de telle façon, il se trouvât quelqu'un qui lui en fit autant, afin de ne
languir misérablement. »
Du reste les soldats de l'époque étaient des sortes de bandits. Charles
Quint, d'après notre chirurgien, les comparait aux chenilles, sauterelles
et hannetons, qui mangent les bourgeons et autres biens de la terre. « S'ils
étaient, ! disait-il, gens de biens, ils ne seraient en son camp pour six
livres par mois. » Il n'y avait point d'excès qu'ils ne commissent. Je cite
au hasard : Au château de Villasnes, en Piémont, toute la garnison est
AMBROISE PARÉ 103
égorgée, excepté ditParé, « une fort belle, jeune et gaillarde piémontaise,
qu'un grand seigneur voulut avoir pour lui tenir compagnie de nuit, de
peur du loup-garou ». La croyance au loup-garou étant à cette époque
fort répandue, les faits de ce genre devaient être fréquents.
En dehors du pillage, les soldats avaient une source considérable de
bénéfice, la rançon de leurs prisonniers, mais malheur à celui qui était
incapable de la payer ! Lisez le récit de la prise de Hesdin et vous verrez à
quels supplices affreux on soumettait les prisonniers pour leur faire dire
de quelle maison ils étaient, et comme on faisait mourir cruellement ceux
qu'on croyait incapables de se racheter.
A ce même siège, pour échapper à la rançon, A. Paré se déguise en mi-
sérable, et se couvre de suie; mais il est reconnu aux soins qu'il donne à
M. de Martigues, grièvement blessé. L'ouvrier est si bien reconnu à son
oeuvre que le chirurgien de l'empereur lui proposa de rester avec lui, lui
promettant de le bien traiter, de l'habiller à neuf et de le faire aller à
cheval. Il répondit qu'il ne consentirait pas à servir les ennemis de sa
patrie. Ce qui fit dire au chirurgien allemand qu'il était fou, que s'il était
prisonnier il servirait un diable pour recouvrer la liberté.
Paré refusa aussi d'entrer au service du duc de Savoie qui, irrité, dit
qu'il fallait l'envoyer aux galères. Il fut cependant donné à M. de Vande-
ville qui lui promit de le laisser partir sans rançon s'il le guérissait d'un
vieil ulcère de jambe. Mais la guérison devant être longue, un marché
fut fait portant que la liberté serait accordée dès que l'ulcère aurait dimi-
nué de moitié, on en prit la mesure avec un morceau de papier etdès que
la plaie fut cicatrisée dans l'étendue convenue, on mit en liberté notre
chirurgien. Ajoutons qu'après la prise de Hesdin, le roi averti qu'il était
prisonnier, fit écrire à sa femme qu'il se chargeait de payer sa rançon.
Grâce à ce système de rançon, le métier de soldat pouvait êlre très
lucratif. L'histoire de M. de Beaugé, à cette même prise de Hesdin, le
montre assez. Il est pris par des soldats espagnols. Malgré son déguisement
misérable, ils le reconnaissent à sa bonne mine pour un gentilhomme, ils
confirment ce diagnostic en le faisant déchausser, en constatant qu'il porte
des chaussettes et que ses pieds sont propres. Plutôt que dé découvrir sa
qualité, le prisonnier subit une dure prison. Il se trahit par le chagrin
qu'il laissa voir en apprenant la mort de son frère, et c'est ainsi que le
duc de Savoye gagna quarante mille écus. Aujourd'hui les moeurs sont
bien changées : on ne rançonne plus les individus, on rançonne les
nations et, grâce à cette façon plus scientifique d'opérer, la guerre est
devenue plus lucrative pour le vainqueur.
104 DEBOVE
n cette époque où l'on était constamment en guerre,
Paré, étant chirurgien, passa une partie de son
temps aux armées, l'autre à la cour, parce que les
rois, soucieux de leur santé, ne voulaient pas qu'un
homme aussi habile s'éloignât de leur personne.
En 1552, il fut, sur la recommandation de M. de
Vendôme qui l'avait vu à l'oeuvre sur les champs
de bataille, nommé chirurgien ordinaire du roi Henri II. Il occupa le
même poste près de François II et de Charles IX. Ce dernier le nomma
premier chirurgien en 1563 ; il conserva cette fonction près de Henri III.
Les appointements de chirurgien ordinaire étaient de deux cent qua-
rante livres, ceux de premier chirurgien de 800 livres tournois. Un état
de la maison de Charles IX, en l'année 1572, montre qu'elle comprenait
dix-sept médecins, le même nombre de chirurgiens, six barbiers et trois
apothicaires. Outre ces appointements, ce personnel devait recevoir de
petits cadeaux ; c'est ainsi que les comptes du roi pour l'année 1559 nous
indiquent que Paré reçut pour porter le deuil aux funérailles de Henri Il
sept aulnes et demie de drap au prix de six livres tournois l'aulne.
Cette faveur de plusieurs rois de France n'alla pas sans éveiller des
jalousies. C'est ainsi que François II étant mort d'une méningite consé-
cutive à une otite, on répandit le bruit que Paré lui avait versé du poison
dans l'oreille. Je ne répéterais pas cette calomnie stupide, si ce n'était une
occasion de rappeler que cette croyance aux empoisonnements par l'oreille
devait être assez répandue au xvie siècle, car c'est ainsi que Shakespeare,
dans son drame d ? yam(, fait périr le roi Gonzague.
On croyait d'ailleurs à cette époque à bien d'autres choses plus diffici-
les à croire. C'est ainsi que Paré croit aux sorciers ; s'il n'y eût pas cru,
il aurait certainement fait exception. Il établit leur existence par un syllo-
gisme. 11 ne faut pas douter de leur existence, dit-il, puisqu'on a établi des
lois contre eux et jamais on n'a fait de loi contre des gens qui n'existent pas.
A cette preuve philosophique il joint une preuve religieuse bien]autrement
convaincante, c'est que leur existence est à diverses reprises affirmée par
l'Ancien et le Nouveau Testament. On les divise en plusieurs sortes : né-
cromanciens, ceux qui interrogent les morts, chiromanciens, ceux qui
interrogent les lignes de la main, hydromanciens, ceux qui devinent par
l'eau, pyromanciens, ceux qui devinent par le feu, aéromanciens,
ceux qui devinent par l'air. Leurs pouvoirs sont considérables, ils peuvent
faire trembler la terre, tonner, éclairer, venter, déplacer une montagne,
AMBROISE PARÉ
105
soulever en l'air un château. Ils peuvent donner des maladies, d'où la
nécessité pour les médecins de connaître les choses surnaturelles : telles
sont les rétentions d'urine, les possessions du démon, le nouement d'ai-
guillette qui rend l'acte conjugal impossible. « Il est certain, dit Paré, que
les sorciers ne peuvent guérir les maladies naturelles, ni les médecins les
maladies venues par sortilège. » Aussi n'y a-t-ii pas de peine trop cruelle
pour punir les sorciers, et il ne faut pas oublier l'ordre donné par Moïse :
« Tu ne laisseras pas vivre la magicienne. » '
Quand l'homme est mu par des passions politiques ou religieuses, et
je ne sais pourquoi je distingue des passions qui dans la pratique sont
confondues, il devient singuièrement cruel et ne recule devant aucune
injustice, aucune violence.
ependant Paré n'a point partagé toutes
les erreurs de son temps, il a combattu
certains préjugés; je les rappellerai
moins pour lui en faire gloire que pour
indiquer l'état mental des malades et
des médecins de son temps.
Un seigneur, Christophe des Ursins,
avait fait une grave chute de cheval.
Une fois guéri, il s'étonna que con-
trairement à l'usage on ne lui eût pas
donné de « poudre de momie ». C'est à
cette occasion que Paré écrivit son mémoire sur ce sujet. La poudre en ques-
tion était administrée aux malades qui avaient reçu une viol en Le commotion.
Comment se la procurait-on ? Paré raconte l'histoire d'un juif d'Alexan-
drie qui embaumait des cadavres sans s'occuper de quoi ils étaient morts et
les vendait comme momies anciennes. A Paris, des apothicaires avides de
gain fabriquaient des momies avec des cadavres pris de nuit au gibet et les
vendaient très chers. « Voilà, ajoute Paré, comme on nous fait avaler indis-
crètement et brutalement la charogne puante et infecte des pendus et de la
plus vile canaille de la populace d'E3pte, ou de pestiférés,ou de vérolés ou
ladres : comme s'il n'y avait pas moyen de sauver un homme tombé de haut
etcontus. » Paré ajoute que cette sale drogue n'était pas seulement inutile,
elle donnait lieu à de sérieux troubles digestifs.
C'est, également pour satisfaire la curiosité du même seigneur des Ursins
que Paré écrivit son mémoire Sur la licorne. Il reconnaît qu'on n'est pas
d'accord sur la forme de cet animal, sur le pays qu'il habite, mais il
106 DEBOVE
existe néanmoins, car il y a cinq passages de l'Ecriture qui en parlent.
« Aussi, ajoute Paré, je crois qu'il y a toujours eu et qu'il y a encore des
licornes o (Pl. XIV et XV). Fort heureusement l'Ecriture ne parle pas
de leur vertu curative, c'est ce qui lui permet de la nier. Leur corne passait
pour un excellent contre-poison, aussi en trempait-on un morceau dans
la coupe où le roi buvait. On ne sait où les marchands se procu-
raient cette denrée, mais ils la vendaient beaucoup plus chèrement que
l'or. On gardait une de ces cornes à Saint-Denis et le roi en avait refusé
cent mille écus. Les médecins ne croyaient plus à sa vertu et la prescri-
vaient néanmoins pour des raisons analogues à celles qui leur font aujour-
d'hui prescrire certaines drogues que personnellement ils ne prendraient
pas. « C'est que le monde veut être trompé, écritParé, et sont contraints les
dits médecins bien souvent d'en ordonner, ou pour mieux dire permettre
aux patients d'en user parce qu'ils en veulent. Que s'il advenait, que les
patients qui en demandent mourussent sans en avoir pris, les parents don-
neraient tous la chasse aux dits médecins et les décriraient comme vieille
monnaie. »
Mais si Paré combat ces préjugés sur la momie et la licorne, il donne à
beaucoup d'autres l'appui de son autorité.
ci, j'éprouve un véritable scrupule. Paré est un
grand chirurgien, et je vais vous exposer son oeuvre
médicale qui est étrange, pour ne pas dire plus. Je
prie les chirurgiens de m'excuser et pour mériter
leur indulgence, j'accepterai l'explication fournie
par Malgaigne : « Ce qui fatigue, écrit-il, dans la
lecture de l'ouvrage de Paré, c'est exclusivement
l'exposition des théories nauséabondes qu'il avait puisées aux cours de
la Faculté de Paris. » Ayant donné cette explication toute naturelle, j'es-
père qu'on m'excusera d'énumérer quelques-unes des formules thérapeu-
tiques auxquelles Paré donne l'appui de son autorité.
Il y avait à Turin un chirurgien qui avait la réputation de guérir les
plaies d'arquebuses. Pendant deux années Paré le combla de prévenances
et de présents ; enfin, il eut la joie de posséder son secret. Il consistait à
faire bouillir dans de l'huile de lys des petits chiens nouvellement nés et
des vers de terre préparés avec de la térébenthine de Venise. C'est ce
que Paré appelle de l'huile de petits chiens. Il avait promis de ne pas
divulguer cette méthode. Il se crut moins répréhensible de manquer à
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE .
T. XVIII, PL, XIV,
FIGURE DU PIRASSOIPI, ESPÈCE DE LICORNE D'ARABIE
Extrait du Discours de la Mumie, de la Licorne, etc., par A. Paré (Edit. 1582).
..).IASONFTCt(lif.rl1r ?
AMBROISE PARÉ 107
sa parole que de garder une recette d'où dépendait le salut d'un grand
nombre de gens.
A plusieurs reprises Paré recommande les excréments comme agent
thérapeutique. La fiente de pigeons, écrasée avec des noyaux de pêches,
employée en cataplasme guérissait la migraine. L'excrément du boeuf con-
viendrait au traitement de la goutte. La fiente de pigeon est aussi très
utile dans le traitement de la calvitie. Je pourrais par d'autres exemples
montrer le rôle considérable joué à cette époque, en thérapeutique, par
les excréments, mais je ne crois pas vous être désagréable en n'insistant
pas davantage sur ce sujet.
Le traitement des bubons est supérieur à tout ceci. « On pourra pren-
dre, écrit Paré, une poule commune qui ponde afin qu'elle ait le cul plus
ouvert, et leur faudra plumer et mettre dedans deux ou trois grains de sel
profondément, afin que l'acrimonie du sel irritant le boyau culier le leur
tienne toujours ouvert : et leur tenir le cul dessus la bosse ou charbon...
leur serrant parfois le bec afin qu'elles attirent plus vivement le venin.
Cette attraction faite par le cul des poulailles attire plus ledit venin que
ne fait la ventouse. »
aintenantje vais vous exposer une série
de faits invraisemblables que Paré a em-
pruntés aux auteurs de toutes les épo-
ques et qui ont trouvé asile dans son
Livre des animaux, ou dans celui des
Monstres. Ils vous montreront jusqu'où
pouvait aller la crédulité d'un homme au
xvie siècle, même quand son intelligence
le mettait au-dessus de la moyenne.
Les images qu'on trouve dans les OEu-
vres d'Ambroise Paré sont, à cet égard,
bien ! significatives. Voyez le Succarath
(Fig. 1), le Pirassoipi (Pl. XIV), le Vlétif (PI. XV), le Poisson volant fort
monstrueux (Fig. 2), etc., etc.
Les animaux, d'après Paré, nous donnent des exemples de religion, de
morale et ont même inventé certaines opérations chirurgicales.
Les éléphants adorent le soleil en élevant leur trompe vers lui et ren-
trent dans les bois, leur prière finie. Leur pudeur est telle qu'ils ne sau-
raient prendre leurs ébats amoureux dans le voisinage de l'homme. Ils ne
consentent pas à s'embarquer pour les pays étrangers à moins que leur
gouverneur n'ait juré de les ramener dans leur pays.
108 DEBOVE
Les cigognes nourrissent leur père et leur mère dans leur vieillesse.
Ces animaux sont humains entre eux.
Il y a quelquefois d'une espèce à l'autre une désharmonie que la mort
n'éteint pas. C'est ainsi que certains affirment qu'un luth monté avec des
cordes faites de boyaux de brebis et de loup ne saurait être accordé. C'est
le comble du désaccord.....
Jo Certains animaux auraient précédé l'homme dans la voie des décou-
vertes médicales. L'hippopotame aurait l'habitude de la saignée et nous
aurait appris la phlébotomie. Le traitement de la cataracte par abaissement
auraitété trouvé par une chèvre qui se frottant contre des épines aurait
abaissé son cristallin opaque.
L'ibis a l'habitude d'emplir son bec d'eau de mer et de se l'injecter de
façon à évacuer ses excréments. Il aurait ainsi inventé le lavement.
Parmi les prodiges, j'en citerai un seul ; il est intéressant, parce que
Paré dit l'avoir personnellement constaté :
« Etant en une mienne vigne près le village de Meudon, oùje faisais rom-
pre de bien grandes et grosses pierres solides, on trouva au milieu de l'une
d'icelles un gros crapaud vif, il n'y avait aucune apparence d'ouverture
et m'émerveillais comme cet animal avait pu naître, croître et avoir vie.
Lors le carrier me dit qu'il ne fallait s'en émerveiller, parce que plusieurs
fois il avait trouvé de tels et autres animaux au profond des pierres, sans
apparence d'aucune ouverture. On peut donner raison de la naissance
Fi. 1. - « Fourlraicl du Succaralh, beste qui se trouve en la FI01'ide, »
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XVIII. PL. XV.
LA FIGURE DU POISSON NOMMÉ VLËTIF, ESPÈCE DE LICORNE DE MER
Extrait du Discours de la Mumie, de la Licorne, etc., par A. Paré (Edit. 1582).
, Masson et CI-, Éditeurs.
A111BROISR PARÉ 109
et vie de ces animaux : c'est qu'ils sont engendrés de quelque substance
humide des pierres, laquelle-humidité putréfiée produit de telles bêtes. »
Ce prodige vous paraît aujourd'hui difficile à admettre. Et cependant
les gens de mon âge, qui ont assisté aux premiers travaux de Pasteur, sa-
vent qu'alors, des savants distingués soutenaient la doctrine de la géné-
ration spontanée : leur opinion sur les microbes est très comparable à
celle que notre chirurgie a donnée sur l'origine des crapauds de Meudon.
Les Monstres; selon Paré, sont ordinairement le signe de quelque
malheur à venir. Ils ont différentes causes, la colère de Dieu, la cohabita-
tion avec les animaux... ? mais la cohabitation avec le diable est stérile.
Paré emprunte à divers autenrs les histoires de monstres les plus in-
Fig. 2. - « Poisson volant fort monstrueux. »
110 DEBOVE
vraisemblables, et il en reproduit souvent le dessin. Nous citerons quel-
ques types : .
« Monstre semblable à sa mère dans la partie sus-ombilicale, chien dans
la partie sous-ombilicale. Il fut envoyé au pape. »
«Monstre ayant le nez crochu, le col long, les yeux étincelants, une
queue aiguë, des pieds fort agiles. Il remplit la chambre de fumée. Les
femmes durent se jeter sur lui et le suffoquer avec des oreillers.'»
« Monstre ressemblant à une anguille, excepté qu'il avait la queue fort
velue. Si vous êtes désireux de vous représenter exactement cette singu-
lière bêle, je vous renvoie au dessin que Paré joint à sa description » (Voy.
aussi Fig. 3.)
C'est encore aujourd'hui une croyance répandue dans le peuple que les
femmes peuvent accoucher de monstres tués par les médecins Vous l'en-
Fig. 3. « Figure d'un vert jette par vomissement. »
Fig. 4.
Fig. 5.
AMBROISE PARÉ 111
tendrez affirmer ; on vous dira avoir connu des accouchées auxquelles cet
accident était arrivé, que la chose n'est pas niable, mais que les méde-
cins croient devoir la laisser ignorer au public.
Paré, outre les monstres humains, cite quelques monstres marins ; j'en
rappellerai quelques types :
« Monstre marin ayant la tête d'un ours et les bras d'un singe » ;
« Monstre marin ayant la tête d'un moine et couvert d'écaillés de pois-
son » (Fig. 4) ;
« Monstre marin ressemblant à un évoque vêtu de ses habits pontifi-
caux » (Fig. 5).
En terminant, je voudrais faire un peu de morale, car si elle termine
bien une fable, elle n'est pas déplacée à la fin d'une conférence.
Il ne faut pas reprocher à Paré ses erreurs : ce sont celles de son temps,
ce sont celles du milieu où il a vécu, et c'est parce qu'elles ne lui sont pas
personnelles qu'elles nous intéressent et que nous les relevons si soigneu-
sement, cherchant à savoir quels sentiments, quels préjugés, quelles er-
reurs, régnaient au xvie siècle dans une classe que l'on devait supposer
particulièrement éclairée.
Il faut être modestes. Nous vivons au milieu de conventions mo-
rales, religieuses, politiques, sociales. Beaucoup d'entre elles disparaîtront
ou seront profondément modifiées, et beaucoup de nos façons de voir pa-
raîtront à nos descendants aussi étranges que plusieurs de celles rappor-
tées dans le cours de cette conférence.
DEUX SAINTS GUÉRISSEURS DES FOUS
(saint MENOUX ET SANT DIZIER)
PAR a
- HENRY MEIGE et FERNAND RUDLER.
Dans les Flandres, autrefois,Sainte Dymphne fut la patronne des fous.
Son culte a certainement favorisé l'installation et la prospérité de la colo-
nie familiale d'aliénés de Gheel. 1
La France possède aussi des Saints guérisseurs de fous, dont les sanc-
tuaires ont eu jadis leur célébrité, mais qui tendent à disparaître dans
l'oubli. Bien qu'ils appartiennent aux âges préscientifiques de la psy-
chiatrie, leur histoire, même légendaire, ne doit pas être oubliée.
Voici quelques renseignements sur deux d'entre eux.
Le premier a nom Saint Menoux ou 1VIÉNUraE.
Il naquit en Irlande au vue siècle (1). Très jeune, il abandonna sa patrie
pour évangéliser l'Armorique. Ordonné prêtre à Quimper, élu évêque de
celle ville, il se rendit à Rome. Là il fil son premier miracle en guéris-
sant un paralytique. Le pape, informé de ce prodige, voulut le garder
près de lui. Mais le futur Saint refusa cet honneur : son apostolat l'appe-
lait en Gaule. Pauvre, il allait prêchant la pauvreté, la pratique des ma-
cérations et des austérités les plus sévères, quand la maladie le contraignit
à s'arrêter dans un village du Bourbonnais, à Mailly-sur-Rose. Il y vécut
de la charité publique et ne tarda pas à y mourir.
Mais là encore il avait accompli des miracles.
Un matin, entrant dans une métairie où l'on s'apprêtait à enfourner
le pain, le Saint implora la part du pauvre; on ajouta pour lui la ribotte
traditionnelle. Or, au sortir du four, la ménagère comptait avec surprise
un pain de plus qu'elle 'n'en avait enfourné. Le donner au mendiant,
c'était trop de générosité ; la femme se mit donc en devoir de tailler dans
(1) Saint Menoux, sa vie et son culte, par M. l'abbé J. J. Morbt, chez A. Ducroux
et Gourjon-Dulac, Moulins, 1893.
DEUX SAINTS GUÉRISSEURS DÈS FOUS 113
la miche la valeur d'une simple ribotte; mais soudain du sang jaillit
jusqu'au plafond ! ... « 0 femme avaricieuse, dit Menoux simplement,
les eaux de la Rose ne sauraient laver cette souillure. »
Une autre fois, dans une fête villageoise, Menoux s'éleva contre des
danses impies. « Malheur dit-il, malheur à ceux par qui le scandale
arrive ! » On lui répondit, par des éclats de rire. Or, dans l'année, tous les
rieurs périrent, « et l'on vit longtemps, à l'endroit où l'on avait dansé,
des ombres tournoyer la nuit sur la lande déserte, autour d'un spectre
aux yeux pleins de flamme, qui activait la danse en ricanant » (1).
Après sa mort, Saint Menoux se signala par de nouveaux miracles.
Ayant en grande pitié les infirmes, il les secourait de mille façons. Grâce
à lui un homme « perclus de tous ses membres » en recouvra l'usage ; une
pauvre femme « atteinte de contractures musculaires et abandonnée de
son mari », retrouva, du même coup, la santé et l'époux infidèle.
Saint Menoux se montra surtout secourable pour les pauvres d'es-
prit et les insensés. Il rendit la raison au curé de Neuvy. Un noble breton,
aliéné très dangereux, lui dut une guérison inespérée. Le fait est relaté
dans les registres de l'état civil de la mairie de Saint-Menoux : « Aujour-
d'hui, 17 may 1700, est venu icy en dévotion M. de Beauchemin, breton,
qui a esté aliéné de son esprit et tout à fait fol, battant tout le monde qu'il
rencontrait, jetant des pierres aux fenestres et les mettant en mille pièces,
de sorte qu'on fut contraint de le prendre et de le mettre aux petites mai-
sons à Paris, où il a demeuré dix-sept ans... Il fit sa neuviesme, et après
sa neuviesme, il fut capable et digne de se confesser et communier; et
auparavant il courait les rues, preschant à Bourbon,et s'en est allé bien
sain » (2).
C'est ainsi que Saint Menoux mérita de prendre place parmi les Saints
guérisseurs des désordres mentaux. Bien entendu, selon la règle, il dé-
barrassait les possédés du démon. Un assez mauvais tableau, conservé
dans l'église de Saint-Menoux, représente le Saint exorcisant un malade,
possédé ou « lunatique », qui porte aux bras les fers avec lesquels on
avait coutume d'immobiliser les sujets à grands paroxysmes (3).
Ceux qui avaient « l'esprit dérangé », ceux qui souffraient de « va-
peurs », de « migraines », venaient à Saint-Menoux en pèlerinage. On
y voit encore les restes d'une maison de refuge, où les pauvres « in-
sensés » pouvaient suivre un traitement à la fois médical et religieux,
(1) Abbé MORET, loc. cit.
(2) Registre des actes de l'état civil 1690-1789, à la mairie de St-Menoux, in abbé
MORET, loc. cit.
(31 Voy. Henry Meioe et PAUL 1101S01l, Les possédés de l'Eglise Sainte- Dymphne de
Gheel, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, ne 5, sept.-oct. 1903.
xviii 8
114 HENRY MEIGE LT FERNAND HUDLER
comme cela se passait autrefois à Gheel, auprès du sanctuaire de Sainte
Dymphne.
L'hydrothérapie fut en faveur pendant un certain temps. On buvait
l'eau d'une fontaine délivrée du Malin par Saint Menoux; et dans une
autre, le « Creux Saint-Martin », on plongeait à l'aide de cordes les fous
venus en pèlerinage : « Tel était le traitement que l'on faisait subir aux
pauvres fols pour les ramener à la raison : l'eau de Messire Saint Martin
et l'invocation au bon SaintMenoux » . Les eaux du « Creux » n'ont d'ail-
leurs pas perdu toute vertu ; on les dit toujours « très saines au corps »
et capables de guérir les « boutons » ; cependant l'ancienne piscine
miraculeuse a pris les apparences d'un simple lavoir.
Si le traitement hydrothérapique n'est plus en usage depuis longtemps
déjà, par contre une curieuse pratique du culte de Saint Menoux s'est
perpétuée jusqu'à nos jours.
Dans la très belle église qui domine le village, on voit encore derrière
le maître-autel, 'le sarcophage en pierre du Saint. Une de ses parois est per-
cée d'un trou assez large pour qu'on puisse y passer la tête. Afin d'obtenir
de Saint Menoux la guérison d'une migraine ou même d'un dérangement
de l'esprit il suffit que le fervent introduise sa tête dans l'orifice et fasse en
cette posture une prière spéciale. Le patois bourbonnais nomme berdins
ceux qui présentent quelques bizarreries mentales, les « originaux » et
même les vrais aliénés. Aussi donne-t-on assez irrévérencieusement dans
le pays au tombeau de Saint Menoux le nom de trou de la berdine1'Íe, ou
celui de débredinoire.
Une lithographie publiée en 1839 dans l'Ancien Bourbonnais de Achille
Allier, nous fait assister à cette singulière cérémonie (PI. XVI).
L'un de nous a vu tout récemment le sarcophage de Saint Menoux.
L'étoffe ornementée qui le recouvre témoigne de la vénération dont il
est encore entouré.
Le culte de Saint Menoux tend cependant à s'éteindre, mais le nom et les
vertus du Saint ne tomberont pas dans l'oubli, car il a su inspirer un
apologiste érudit, M. l'abbé Moret. Et le temple du Saint, un chef-
d'oeuvre de l'art roman, protégé contre les méfaits des ans, conservera
toujours la mémoire d'un des premiers protecteurs des « insensés ».
Saint DIZIER fut aussi un guérisseur de fous (1).
Évoque de Rennes, prédicateur et thaumaturge, il s'arrêta au retour de
(1) Voir à ce sujet, M. l'abbé J. FAivnz, Vie de Saint Dizier tirée d'un manuscrit
de l'abaye de Bellelaye, 1660. Pélot, édit., Belfort, 188t et Delle, imprim. Petitjean,1899 ;
il..1. TnLov, Revue d'Alsace, 1885, t. XIV (avril, mai, juin), p. 230-2'tE ; P. A. MeiacT,
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPêTRIèRE. T. XVIII, PL. XVI.
LES SAINTS GUÉRISSEURS DES FOUS
{Henry Mcige et F. Rudler.)
LE TOMBEAU DE SAINT MENOUX
ET LA CÉRÉMONIE PROPITIATOIRE
D'après une lithographie de l'Ancien Bourbonnais, par Achille Allier ( ! 8;9).
Masson et Cie, Éditeurs.
DEUX SAINTS GUÉRISSEURS DES FOUS 115
Home dans une chapelle de Saint-Martin aux environs de la ville actuelle
de Delle (Haut-Rhin). Il y fut assassiné par des malfaiteurs tentés par la
richesse de ses vêtements sacerdotaux.Ceci se passait encore au vu" siècle.
En mourant, Saint Dizier accomplit un miracle qui devait assurer sa
gloire. Il guérit Regenfroid, son diacre, d'une grave blessure à la tête. De
là sans doute vint au Saint la réputation de restaurer les « têtes fêlées ».
Cette réputation s'étendit rapidement dans tous les pays d'alentour, et
bientôt les aliénés de l'Alsace, de Franche-Comté et de Suisse,affluèrent
vers le tombeau de Saint Dizier. On y institua un traitement méthodique
de la folie, ici encore, à la fois religieux et médical ; processions, invo-
cations, exorcismes, dont un Missel de 1684 nous a transmis les détails.
A peu près commet Saint-Menoux, les malades devaient s'engager en
rampant dans' une ouverture creusée sous le sarcophage du Saint. La lé-
gende rapporte qu'un chasseur incrédule ayant fait irrévérencieusement
passer son chien par cet orifice, il advint qu'au sortir du trou, l'homme
se mit à aboyer, et, nouveau prodige, - le chien commença à parler.
A Saint-Dizier, le traitement médical des aliénés consistait parfois en
saignées, mais surtout en pratiques balnéaires dans une source consa-
crée par le Saint, au « val Saint-Dizier ».
Parmi les curés de Saint-Dizier, l'un d'eux, François Giraudeau, de
Lure, mort en 1810, était en même temps un médecin renommé.
Une Neuvaine à Saint Dizier, Mém. Soc. Emulation de Montbéliard, XXte vol., 2-
fasc. 1892.
- Mausolée de Saint-Dizier avec l'ouverture par où devaient passer les malades.
116 HENRY MEIGE ET FERNAND RUDLER
Outre les pratiques religieuses et les interventions hydrothérapiques, il
est intéressant de retrouver dans l'histoire de Saint Dizier une esquisse du
traitement moral des aliénés, et même, comme à Gheel, une tentative
d'assistance familiale. « Quand un sujet était admis au traitement, dit t
M. P. J. Talion, les parents amenaient le malade à Saint-Dizier. Onchoi-
sissait aussitôt deux hommes honnêtes, d'un caractère ferme, d'une con-
duite irréprochable, spirituels, un peu farceurs,si l'on veut. Il fallait qu'ils
puissent répondre aux lazzis des fous et qu'ils sachent supporter leurs
mauvaises raisons. Ces deux hommes étaient les gardiens des fous. Les
parents les abandonnaient à leur discrétion et à leur sollicitude. Ils pré-
paraient leur lit à l'église dans une chambre à cet usage », puis, les rece-
vaient chez eux s'ils ne paraissaient pas dangereux. On employait pour
eux « la distraction, la promenade, le travail manuel, les grandes réunions
dans la saison d'hiver... Le village était une vaste maison de santé,... il
était aussi une grande familledontle curé », prêtre et médecin, « était le
chef ».
De nombreuses guérisons ont été relatées. Mais moins heureux que
Gheel, Saint-Dizier voit chaque jour péricliter son culte et ses traditions
hospitalières. Le village qui, le premier en France, donna l'exemple de
l'assistance familiale et du trai.tement moral des aliénés, ne connaît point
d'hospice,et il ne reste de son passé religieux qu'une église trop vaste pour
de rares fidèles. Mais unferventde ce culte éteint, s'efforce de faire revi-
vre la mémoire du Saint guérisseur des fous, et de célébrer sa vie, son
martyre, ses prodiges.
Et qui sait ? ... Un jour, peut-être, verra-t-on, par un nouveau miracle,
la prospérité renaître au pays de Saint Menoux et de Saint Dizier comme
au pays de Sainte Dymphne, grâce à la création en ces lieux consacrés
de nouvelles colonies familiales d'aliénés.
Nouvelle Iconographie DE la Salpetrihre
l'. XVIII. Pl. XVII
L'ADORATION DES MAGES
'l'ableau de la Cathédr.tle e1e IBrgos.
(LnII : {II1"-Lni'f1sl ¡/If.)
L'EXTENSION DES ORTEILS DANS L'ART
PAR
M. LAIGNEL-LAVASTINE.
Dans des oeuvres d'art très complexes, dans des tableaux qui procurent à
qui les regarde et les regarde encore des émotions toujours renouvelées
comme les donne la nature même, noter un détail n'est pas signe qu'on
ne goûte pas l'ensemble, mais seulement qu'on ose, médecin, n'attirer
l'attention que sur des points touchant de près ou de loin à la médecine et
non à la «critique d'art.»
En visitant la cathédrale de Burgos, nous avions remarqué, dans une des
chapelles à droite de la nef, un panneau sur bois d'un primitif espagnol
représentant une Adoration des Mages (PI.XVII). Sur ce tableau un des rois,
agenouillé prend dans sa main droite le pied gauche de l'enfant, dont le
gros orteil s'étend. L'enfant, assis sur la Vierge, repose naturellement,
la jambe droite demi-fléchie et la gauche à demi étendue. Le pied droit est
immobile. Le pied gauche, fléchi sur la jambe, est touché par la main de
l'adorateur au niveau du talon et sur le bord externe. L'extension ac-
tive du gros orteil, accompagnée d'un certain degré de flexion des autres,
a bien les caractères du mouvement indépendant de la volonté, que l'on
produit normalement chez les nouveau-nés par l'excitation de la plante
du pied et qui, au contraire, n'est consécutif à la même excitation, chez
l'adulte, que lorsqu'il y a perturbation dans le fonctionnement du sys-
tème pyramidal, comme l'a montré M. Babinski.
Certes, on connaît la fréquence des mouvements d'extension des or-
teils chez les bébés ; il était donc impossible que les peintres ne les aient
pas reproduits ; néanmoins ce geste dans le tableau de Burgos a des carac-
tères tels qu'on peut y voir une représentation du phénomène de Babinski.
On trouve d'ailleurs le phénomène de Babinski avec une relative fré-
quence dans les Adorations des Mages (1), surtout dans celles des primitifs.
Parmi les primitifs flamands, deux tableaux de Memling, l'un à l'hô-
pital St-Jean, à Bruges, l'autre, panneau central du tryptique de Charles-
Quint au musée du Prado à Madrid, doivent être étudiés. Dans les deux,
les pieds de l'enfant sont pareils ; le gros orteil gauche est en extension ;
les orteils droits en très légère abduction.
Mais les situations réciproques de la Vierge, de l'enfant et de l'adora-
(1) LAMNEL-LAVAsTtNE, Lettre d'Anvers. Arch. de Neurologie, 1903, no 94.
118 LAIGNEL-LAVASTINE
teur ne sont pas équivalentes. Dans l'Adoration de l'hôpital St-Jean, la
face plantaire de l'avant-pied gauche de l'enfant touche la joue droite de
l'adorateur et le pied droit est effleuré au talon par la main droite éten-
due du roi mage prosterné.
Dans l'Adoration du tryptique de Charles-Quint, le visage de l'adora-
teur ne touche plus du tout le pied gauche de l'enfant et sa main droite,
au bien d'être étendue et d'effleurer le talon, met le pouce sur la face
dorsale du bord externe du pied droit.
L'extension du gros orteil gauche dans le tableau de l'hôpital St-Jean
s'explique physiologiquement par l'excitation de la plante du pied par la
joue de l'adorateur. L'absence de cette excitation, avec existence de la
même extension, dans le tryptique de Madrid, peut s'expliquer de deux
façons. Ou bien l'extension est un mouvement spontané, comme on en voit t
de si souvent représentés dans les Nativités, les Vierges avec l'Enfant, avec
des Anges, etc., ou bien l'extension est l'image du phénomène de Ba-
binski et n'a été conservée dans le tryptique, que parce qu'il n'est qu'une
réplique du tableau de l'hôpital. Celui-ci, plus près de la nature, vien-
drait le premier en date ; l'autre serait postérieur ; le tableau de l'hôpital
aurait servi à l'exécution du tryptique.
Cette hypothèse, pour ou contre laquelle nous n'avons pas trouvé de do-
cuments dans les auteurs, pourrait s'appuyer encore sur les détails acces-
soires, beaucoup plus nombreux, dans le tryptique qu'à l'hôpital. Cette
plus grande richesse de détails nous paraît mieux s'allier, étant donné
Memling, avec une seconde oeuvre qu'avec une première.
Dans l'Adoration des Mages d'Albert Durer, de la galerie des Offices, à
Florence, on voit une extension du gros orteil accompagnée d'une abduc-
tion des autres orteils du même pied. Mais là, le mouvement général de
l'Enfant indique des gestes spontanés. L'enfant fait effort pour prendre
une cassette que lui offre un des adorateurs. Ses pieds ne subissent aucun
contact. Les mouvements des orteils sont, dans ce cas, des mouvements as-
sociés, en rapport avec l'effort. Ils diffèrent de l'extension du phénomène de
Babinski ; ils n'en sont pas moins très bien observés ; mais les exemples
analogues sont beaucoup plus fréquents.
On en trouve, non seulement dans des Adorations des Mages, mais dans
des Nativités, dans de multiples Vierges avec des saints, dans des Adora-
tions de la Vierge, etc. Il en existe beaucoup dans l'école italienne.
Dans l'école italienne, sont nombreux aussi les exemples du phénomène
de Babinski. A Florence, nous nous souvenons surtout de trois adorations
des Mages, l'une de Bartolo di M. Fredi, la seconde de SimoneMartini, la
troisième de Botticelli. Dans l'Adoration des Mages de Bartolo di M. Fredi,
des Offices, on voit l'extension du gros orteil avec abduction des autres or-
L'EXTENSION DES ORTEILS DANS L'ART H9
teils du pied gauche touché par la barbe, les lèvres et la main de l'adorateur.
Dans le dessin, un peu effacé par le temps, de Simone Martini (n° 1240
des Offices), on distingue encore très bien l'extension du gros orteil du
pied touché par la bouche de l'adorateur. Enfin, dans l'oeuvre si prenante
du très moderne maître qu'estBotticelli, nous avons relevé deux Adorations
des Mages qui, au point de vue du phénomène de Babinski, sont comme
la contre-épreuve l'une de l'autre (1). Dans l'une, petit dessin à l'aqua-
relle (2), les pieds de l'enfant. qui repose sur les genoux de sa mère, ne
sont pas touchés ; il n'y a pas d'extension. Dans l'autre, grande oeuvre
dramatique des Offices (3) que nous reproduisons (fig. II), le pied droit
de l'enfant, que baise à la plante, avec ferveur, un des rois prosternés,
a le gros orteil en extension Et le groupe de l'enfant et de l'adorateur est
le centre vers lequel aspirent les multiples visages, extatiques ou dévots,
fascinés ou éblouis, des pèlerins de la vie en quête d'idéal. Cette revue de
quelques Adorations des Mages où l'on voit l'extension des orteils, permet
plusieurs remarques. Dans les Adorations des Mages, quand les pieds sont
nus [ils sont entourés de langes dans Giotto (chapelle de Padoue), Taddeo
Gaddi (Santa-Croce de Florence), l'enfant est complètement habillé
dans Vélaquez (Musée du Prado)], les orteils sont fléchis, droits ou étendus.
Quand les pieds ne sont pas touchés, les orteils sont presque toujours
immobiles, quelquefois étendus [aucun mouvement dans l'Angelico (Of-
fices), dans Hugo Van der Goes (Offices), extension spontanée du gros orteil
gauche, le talon seul portant sur le genoux de la Vierge, dans Martin
Schongauer (cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale). Et cela
répond à la réalité. Quand les pieds sont touchés, quelquefois les orteils
sont immobiles- immobilité dans un Angelico, des Offices, dans un An-
giolo Gaddi, également des Offices, dans un tableau du XIV' siècle, de la
villa San Donato près Florence, attribué longtemps par erreur à Giotto, etc.
- mais l'extension est beaucoup plus fréquente que dans le cas précédent.
Elle est quelquefois seulement esquissée, indiquée tout à fait au début du
mouvement comme dans une Adoration des Mages de Ghirlandajo de l'Os-
peedale degli innocenti de Florence, où l'on voit le pied droit de l'enfant,
touché par la main et les lèvres de l'adorateur, étendre légèrement le gros
orteil.
Elle existe aussi souvent dans les Nativités, les Saintes Familles, les
(1) Nous laissons de côté la plus connue des Adorations des Mages de Botticelli
(Musée des offices, salle de l'Angelico), où l'on voit le pied de l'enfant, sans mouvement
des orteils, reposant sur une serviette dans la main de l'adorateur.
(2) Galerie de Florence, 35 centimètres X il centimètres, reproduction, Collect. Ar-
naud de la Bibliot. nat., cab. des Estampes, t. 53, folio 47.
(3) Firenze, Galleria Uffizi, n° 2436. L'adorazione dei Rei magi. Sandro Botticelli,
Tavola rimasta solo designata daft'autnre imbraltala di colnri ncl cl soc. l1'I1.
120 LAIGNEL-LAVASTINE
Vierges avec l'Enfant, comme dans la Nativité, de Lorenzo di Credi, à l'Aca-
démie des Beaux-Arts à Florence, les Madona col bambino, de Francia (1),
l'Adoratio del bambino (2) du même Francia, la Madona con bambinoJesu
e angéli, de Iacopo da Pratovecchio, où le gros orteil droit est étendu de
même que le pied et la jambe de l'enfant (3), la Vierge adorant l'Enfant
Christ, dePesello (4), où l'on voit la double extension des gros orteils avec
flexion des autres des deux pieds de l'enfant touchés par l'avant-bras d'un
ange, la Vierge allaitant l'Enfant, fusain de Durer (5), où le pied gauche de
l'enfant s'appuie sur l'avant-bras de la Vierge, le gros orteil en extension
très séparé des autres, la Sainta Familla dell'impanata, de Raphaël (6)
enfin, où le pied gauche de Jésus, soutenu dans la paume de la Vierge, a
le gros orteil en extension, etc., etc. L'extension complète est comme
schématisée chez quelques peintres très proches de la nature.
Au contraire, à mesure que la reproduction fidèle du fait particulier,
concret, s'efface devant l'expression synthétique des aspects, pris dans
leur généralité, la rigueur de l'extension des orteils se fond dans des mou-
vements plus gracieux, mouvements spontanés d'extension volontaire,
comme beaucoup de ceux que nous avons vus dans les tableaux des italiens
de la Renaissance. Ces extensions spontanées sont très différentes du phé-
nomène de Babinski. Il est également facile de le distinguer des mouve-
ments volontaires de défense que l'enfant fait quand il cherche à repousser
un obstacle ou seulement à prendre un appui pour soutenir son corps ou
s'arcbouter.
L'extension des orteils n'est qu'un cas particulier de la mimique si ex-
pressive et si riche des pieds chez les enfants. Cette note ne peut même pas
servir d'introduction à cette étude, mais qui voudra l'aborder dans la
nature trouvera son guide dans l'art, où sont déjà mis en relief les ex-
pressions les plus caractéristiques.
(i) Pinacothèque de Bologne.
(2) M.
(3) Iacopo da Pratovecchio. Arezzo, Pinacoteca Bartolini. La madona con bambino
Jesu et Angeli.
(4) Londres. National Gallery, no 296.
(5) Musée de Vienne.
(6) Florence, Musée Pitti.
Le Gérant : P. Bouchez
Il11p, J. Thevenot, Saint-Dizier (liaule-A9arne).
18e Année N° 2 Mars-Avril
IIOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE.
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
MALADIE DE FRIEDREICH
ET
HËRËDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE (1)1
[suite et fin),
PAR
F.RAYMOND
Professeur de Clinique des Maladies du Système Nerveux.
Messieurs,
Dans la précédente leçon, je vous ai présenté un cas classique de ma-
ladie de Friedreich, et, à ce sujet, j'ai étudié devant vous l'histoire déjà
longue, mais encore pleine d'incertitude,concernant la nature et l'ana-
tomie pathologique de cette affection.
A mesure qu'au type d'ataxie hérédo-spinale,décrit par Friedreich,sont
venus s'ajouter des cas nouveaux, on a remarqué que parmi les ataxies
familiales,il fallait faire des catégories.C'est ainsi qu'en 1893,MM.Dejerine
et Sottas nous font connaître, sous le nom de névrite interstitielle hyper-
trophique, une affection ressemblant,par plus d'un symptôme, à la maladie
de Friedreich et expliquée par la dégénérescence primitive des nerfs péri-
phériques et des racines postérieures ; c'est ainsi qu'en la même année
M. P. Marie groupe, sous le nom d'hérédo-ataxie cérébelleuse, un certain
nombre d'observations reliées par leurs analogies cliniques, et devant
toutes relever d'un même substratum anatomique : l'atrophie cérébelleuse.
Or, je vous ai dit, Messieurs, que s'il était utile pour la classification
de distinguer entre elles les diverses races, il ne fallait pas se hâter
(1) Leçon recueillie et publiée par M. Chartier, interne des hôpitaux.
xwo 9
122 RAYMOND
d'attribuer à chaque cas nouveau,plus ou moins aberrant,la dénomination
d'espèce. Il faut être auparavant assuré qu'entre cette manifestation,
distincte au premier abord et le type déjà décrit, il n'existe pas de formes
de transition. Ces dernières, en effet, anneaux nouveaux d'une chaîne
interrompue, permettent de relier des faits extrêmes que l'on n'aurait pas
osé rapprocher sans elles.
Dans cette leçon, Messieurs, je me propose de vous présenter un malade,
type intermédiaire entre la maladie de Friedreich et celle de P. Marie,
de le rapprocher des cas analogues, et d'étudier, à ce propos, les rapports
existant entre les deux affections.
Avant de faire entrer ce malade, Henri R..., je vous prie d'examiner le
tableau généalogique que j'ai fait tracer. Nous avons pu obtenir des ren-
seignements complets sur la famille jusqu'à la troisième génération,
d'autant mieux que le malade a conscience du mal dont il est atteint. Les
premiers symptômes ne firent que l'avertir de l'atteinte prochaine de l'af-
fection familiale.
Vous le voyez, Messieurs, le grand'père maternel était atteint de la même
maladie que son petit-fils ; dans la deuxième génération,trois membres sur
cinq payent leur tribut ; dans la troisième,sur huit descendants,quatre sont
touchés ; il est possible que des membres de la quatrième génération su-
bissent à leur tour la même atteinte lorsqu'ils seront arrivés au même âge.
Tout en n'intéressant pas 'tous les descendants, cette maladie, qui
prend indistinctement hommes ou femmes, est donc essentiellement fa-
miliale.
Conforme aux lois de l'homologie et de l'homochronologie : 1° elle est
toujours semblable à elle-même chez tous les membres atteints ; 2° elle
débute tardivement, vers 30 ans ; 3° elle s'aggrave progressivement, con-
duit le malade à la paraplégie ataxique, à la cachexie et à la mort vers
50 ans.
Nous avons pu examiner trois membres de cette intéressante famille :
9° Un cousin du malade absolument sain.
2° Un cousin, Louis T..., venu exprès de La Rochelle se prêter à cet
examen et dont je vous exposerai brièvement la symptomatologie.
3° Henri R... enfin que je vais examiner devant vous.
C'est un homme de 38 ans, vigoureux autrefois, exerçant la profession
de timonier. Né à 7 mois, il n'eut cependant aucune des maladies commu-
nes à l'enfance, ni convulsions, ni méningite en particulier. Il parlait et
marchait aux époques normales ; son intelligence et son caractère moral,
son instruction primaire se sont convenablement développés. En somme,
on ne note dans son enfance aucun stigmate de dégénérescence physique
ou morale, auaune trace d'hystérie ou d'épilepsie. Depuis son adolescence,
124 RAYMOND
il exerçait le dur métier de matelot. A Toulon, à 22 ans, il contracte uue
rougeole assez sérieuse ; à 24 ans, à Madagascar, il est pris de fièvres in-
termittentes. Il nie toute atteinte de syphilis et tout excès alcoolique.
Pour résumer, avant la trentaine, c'était un homme vigoureux, bien por-
tant, indemne de toute manifestation nerveuse, et chez qui on ne pouvait
soupçonner quelque trouble de la démarche ou de l'équilibre en raison
même de son métier.
Mais à cette époque, pendant trois ans environ, il ressent dans les mol-
lets des crampes, des douleurs vives, fugitives, durant une minute envi-
ron. Plus tard, apparaissent progressivement des troubles de la marche,
puis du langage ; le malade prévoit, dès lors, l'affection dont il va être at-
teint. Les progrès de la maladie vont lentement, sans troubles cérébraux
d'aucune nature, sans phénomènes oculaires ou sphinctériens, sans modi-
fications de l'état général. Après avoir consulté divers médecins et suivi
plusieurs séries de traitement électrique, il entre à la Salpêtrière en mai
1900.
Actuellement, il ne présente aucune altération de son état général. Son
intelligence est normale ; doué d'une bonne mémoire, il répond avec une
rapidité suffisante aux questions qu'on lui pose ; son caractère est cons-
tamment sérieux, sans rien d'infantile, et les manifestations de sa joie ou
de sa tristesse n'ont rien d'exagéré ; son sommeil est tranquille,sans cau-
chemars, sans hallucinations.
Maintenant, Messieurs, voyez-le marcher : il avance, hésitant, lesjambes
écartées, à pas inégaux, avec une flexion exagérée de la jambe sur la cuisse,
dénotant une certaine asynergie delà marche ; la ligne de ses pas est
irrégulière : Vous avez reconnu la démarche cérébelleuse ; qu'il ferme
les paupières, ces caractères s'exagèrent (PI. XVIII).
Dans la station debout, nous ne constatons ni chute cérébelleuse, ni
signe de Romberg ; jamais il n'a éprouvé de vertiges auriculaires. Dans
les autres mouvements des membres inférieurs, il n'existe pas d'asynergie.
Un léger tremblement statique agite la jambe lorsqu'elle est étendue. Les
réflexes rotuliens,souvenez-vous tout à l'heure de ce fait,sont faibles ; ceux
du tendon d'Achille sont difficiles apercevoir, surtout à gauche. Le réflexe
cutané plantaire, difficile à mettre en lumière, semble cependant être en
extension.Le pied est normal,sans déformation aucune ; il n'y a pas trace,
dans le membre, d'atrophie musculaire.
Aux membres supérieurs, on ne constale pas de tremblement intention-
nel, mais un tremblement statique léger, qui s'exagère dans l'attitude du
serment; l'écriture est en zigzag, et les lignes droites sont incurvées.
Il n'existe pas de mouvements choréo-athétosiques, mais, et surtout par
l'occlusion des paupières, il y aune incoordination légère coexistant avec
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
T, XVI11. Pl. XVIII
MALADIE DE FRIEDREICH OU HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE ? c' J : ... '1>..a...'.Nt1.Q.t,UÜ ...
MALADIE DE 1'ltIt ? U ! tI : ICII ET llÉnÉDO-.\TAXOE CÉRÉBELLEUSE 125
un tremblement marqué ; les mouvements sont imprécis ; le malade, vous
le voyez, arrive difficilement à se toucher le bout du nez. Les réflexes
du coude sont faibles, à gauche surtout ; il en est de même pour ceux
du poignet. Comme aux' membres inférieurs, pas d'atrophie musculaire,
pas de diminution de la force segmentaire, pas de déformations, ni de trou-
bles trophiques cutanés.
La parole est lente, embrouillée, un peu scandée, sans tremblement,ni
des lèvres, ni de la langue. Dans le domaine du facial, tout est intact : la
mimique est normale. Les organes des sens ne sont pas touchés ; le goût,
l'odorat, l'ouïe sont normaux ; jamais de vertiges, jamais de sifflements
d'oreille.
La vue est bonne ; jamais il n'y a eu de paralysie oculaire ; on ne trouve
de nystagmus dans aucun sens ; la pupille, le fond de l'oeil sont intacts.
Dans le domaine des nerfs bulbaires, aucun trouble n'est à signaler; la
déglutition, le pouls sont normaux ; jamais de vomissemnts, jamais de
céphalées.
La sensibilité objective est normale à tous les modes. La perception
stéréognostique, le sens articulaire ne sont pas modifiés. Les masses mus-
culaires, les troncs nerveux sont indolores ; ces derniers ne présentent pas
d'hypertrophie.
Les sphincters ont gardé leur tonicité normale. Il n'y a aucune déforma-
tion de la colonne vertébrale.
Pour résumer, je peux ainsi synthétiser le tableau clinique de ce ma-
lade.
Désordres de la marche assez semblables à ceux qu'on a coutume de dé-
signer sous le non d'ataxie cérébelleuse. '
Impossibilité de maintenir les membres dans une attitude déterminée
quand ils ne sont pas soutenus, ce qui est le propre de l'ataxie statique.
Légère incoordination motrice aux membres supérieurs se traduisant
par une hésitation à atteindre le but indiqué.
Affaiblissement du réflexe tendineux aux quatre membres.
Lenteur et scansion de la parole (1). ,
(1) A l'heure actuelle, c'est-à-dire un an après que cette leçon a été faite, l'état du
malade s'est considérablement aggravé.
L'intelligence est plus obtuse, le rire est facile, spasmodique ; le sommeil est en-
trecoupé de gémissements.
La démarche est presque complètement impossible, et la station debout très com-
promise. Pas de déformation du pied. Pas d'atrophie musculaire. La. force segmen-
taire est diminuée dans tous les membres.
Aux membres supérieurs, l'incoordination est beaucoup plus marquée. L'écriture
est absolument impossible ; le malade saisit les objets avec une extrême difficulté;
il ne peut les tenir au moyen des deux mains. Les réflexes sont de plus en plus faibles.
La parole est un peu plus lente et plus scandée. Il existe un léger tremblement des
126 RAYMOND
Le même syndrome, moins l'affaiblissement des réflexes tendineux,
nous le retrouvons chez son cousin LouisT..., fils de la tante maternelle
du malade.
En quelques mots, voici son observation : sans aucun antécédent per-
sonnel, il s'est aperçu, à l'âge de 35 ans, d'une sorte de faiblesse progres-
sive de ses membres inférieurs et d'une certaine titubation.
Actuellement, il présente une démarche cérébelleuse caractérisée, ana-
logue à celle de Henri R..., une certaine ataxie des membres supérieurs,
une légère scansion de la parole. Les réflexes rotuliens et achilléens sont
normaux ; le réflexe cutané plantaire est en flexion. Il ne présente aucun
trouble de la sensibilité,ni des organes des sens, ni pied-bot, ni scoliose.
Telle est donc, Messieurs, la maladie familiale dont nous pouvons fixer
les symptômes d'après l'examen de deux de ses victimes, et dont nous avons
pu tracer l'histoire d'après les renseignements fort exacts que nous avons
recueillis.
Dans l'étude de son diagnostic différentiel, ce caractère familial nous
permet d'éliminer, sans plus de contrôle, un grand nombre d'affections
où les troubles de l'équilibration surviennent à titre primordial ou acces-
soire, telles que les névroses, l'hystérie, l'hystéro-neurasthénie, le syn-
drome de Ménière, ou bien les maladies organiques, comme le tabes, les
affections cérébelleuses liées à des lésions en foyer, la paralysie pseudo-
bulbaire.
Parmi les affections essentiellement ou fortuitement familiales, il en est
deux dont le cadre symptomatique renferme plus ou moins des traits de
la maladie de Henri R..., c'est la sclérose en plaques et la maladie de Fried-
reich.
Avec la sclérose en plaques, notre malade a très peu de points de res-
semblance : le tremblement encore n'est-il pas intentionnel ; la démar-
che ? elle est cérébelleuse et non spasmodique. Faut-il vous rappeler, Mes-
sieurs, qu'il ne présente ni nystagmus, ni troubles oculaires quelconques,
qu'il est indemme de toute manifestation cérébrale et que les réflexes sont t
diminués ?
De la maladie de Friedreich, il a les troubles de la parole, l'ataxie
statique, la démarche, l'incoordination motrice et l'affaissement des
réflexes ; mais il n'en a ni le début précoce, ni la scoliose, ni le pied-bot.
muscles de la face et de la langue. Il n'est toujours survenu aucun trouble ni dans la
vision, ni dans la musculature de zizi) ; pas de nystagmus.
Du côté des nerfs bulbaires, des modifications importantes sont apparues : le malade
a de grosses difficultés dans la déglutition ; il s'engoue facilement ; il ne peut plus
faire d'effort expiratoire tant soit peu énergique ; il n'arrive pas à tousser, ni à
cracher.
Les sphincters, la colonne vertébrale restent intacts. ,
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. PI. XIX
MALADIE DE FRIEDREICH OU HERÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE
(F. 'R...n)'11lolld)
A Ecorce cérébelleuse de Mélie P... (chambre claire, coloration Weigert-Pal). Rétraction des
circonvolutions, atrophie du centre ovale.
B - Ecorce cérébelleuse normale (chambre claire même coloration, môme grossissement que pour
la figure précédente).
C Coupe sagittale de l'hémisphère cérébelleux droit de Mélie F... (grandeur naturelle, colora-
f ? 'll,i(r¡ : >ït-Pc111 l l ,
MALADIE DE FRIEDREICH ET nÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 127
Serait-ce donc alors, Messieurs, un cas de celte maladie familiale dont
M. P. Marie donna la première description, en rassemblant les cas épars
de Nonne, de Fraser, de Sanger-Brown, de Klippel et Durante ? Pour la
précision, reportons-nous au texte même de M. P. Marie, en 1893 : « Le
début se fait ordinairement par l'apparition lente et progressive d'une
incertitude plus ou moins marquée des jambes pendant la station et pen-
dant la marche ; parfois cependant, on a noté, comme premiers phéno-
mènes, des douleurs fulgurantes ou non, dans les jambes et dans les lom-
bes. Puis, en un espace de temps variable, qui est ordinairement de un
à trois ans, l'incertitude des mouvements atteint aussi les mains (ce dé-
but par l'incertitude des membres supérieurs aurait été noté par Sanger-
Brown, mais est tout à fait exceptionnel).
A peu près à la même époque surviennent des troubles de la parole et
de la vision. Un autre phénomène à signaler est celui qui consiste dans
la conservation et assez souvent aussi dans l'exagération des réflexes ro-
tuliens ; quelquefois il existe d'autres phénomènes spasmodiques. Par-
fois, on note une certaine faiblesse mentale. - Quant aux troubles de
la déglutition, des sphincters génito-urinaires, s'ils se montrent dans cer-
tains cas, c'est d'une façon exceptionnelle. La maladie est essentiellement
progressive, mais peut présenter des rémissions. »
Or, ce tableau clinique n'est pas, vous le voyez, Messieurs, directement
superposable au cas qui nous occupe. Henri R... n'a présenté aucun des
troubles oculaires presque constamment observés dans l'hérédo-ataxie :
pas de paralysie des muscles extrinsèques, pas de modification des réactions
papillaires, pas de diminution de l'acuité visuelle, ni même de nystag-
mus. S'il a bien le facies morne ou étonné, habituellement observé en
pareil cas, il n'en a pas les modifications intellectuelles profondes que l'on
y rencontre quelquefois. Enfin, à une date encore rapprochée du début de
l'affection, les réflexes sont considérablement affaiblis, alors que leur exa-
gération est considérée d'ordinaire comme un signe d'importance capitale
au point de vue du diagnostic.
Le cas d'Henri R... occupe donc une place encore mal déterminée entre
la maladie de Friedreich et l'hérédo-ataxie. C'est encore une de ces formes
hybrides, dont la fréquence a été si grande ces dernières années par rap-
port aux types purs ; à tel point que l'on est en droit de se demander si
ceux-ci ne sont pas l'exception.
Si ces formes mixtes ont créé de sérieuses difficultés dans le classement
nosologique, elles ont eu l'avantage de nous montrer qu'en clinique, il
n'existait pas de démarcation entre les deux types extrêmes de l'ataxie
familiale.
En effet, sur quoi se basait-on pour les distinguer ? sur t'age d'appa-
128 RAYMOND
rition ? Mais les cas de la thèse de Bonnus nous ont appris qu'il existait t
des Friedreichs vrais, à début tardif. Et ceci est absolument indiscutable
maintenant que le 2° cas de sa thèse, auquel j'ai fait allusion dans ma
dernière leçon, a reçu une vérification anatomique complète (1).
Sur les troubles trophiques : d'une part, ils peuvent manquer dans le
Friedreich ; d'autre part, dans l'hérédo-ataxie cérébelleuse, Londe signale
la scoliose, Erb le pied-bot dans deux observations ; un des malades de
Klippel et Durante, François lIaud..., outre sa scoliose, présentait avant
sa mort un léger degré de pied-bot varus, et les pieds d'Amélie Haud...,
sa soeur, étaient en extension dorsale.
Sur l'absence ou l'apparition de phénomènes oculaires suivant l'un ou
l'autre des types ? Mais Colin n'a-t-il pas noté de l'atrophie optique dans
la maladie de Friedreich, et n'est-elle pas inconstante dans l'hérédo-ataxie ?
Sur l'état des réflexes enfin ? On avait cru voir dans leur affaiblissement
ou dans leur exagération, le symptôme caractéristique soit de la maladie
de Friedreich, soit de l'hérédo-ataxie de Marie. Mais dans cette dernière,
la réflectivité peut s'affaiblir ; il en est ainsi chez François Haud..., de
même que dans l'observation de Menzel, et, l'on doit admettre que le type
cérébelleux verse dans le type Friedreich. Cette expression ne peut même
plus servir à caractériser le malade que je vous présente ; tout en réalisant
en majeure partie les signes de l'hérédo-ataxie cérébelleuse, Henri R ..
a vu d'emblée sa réflectivité diminuer progressivement.
Et d'ailleurs, chez des malades offrant avec le type Friedreich la plus
parfaite analogie, ne peut-on pas constater une réflectivité plutôt éner-
gique ? J'en veux pour preuve la malade dont je vous reparlerai tout à
l'heure el que j'ai déjà présentée dans mes Cliniques de 1897 (2),
Mélie F..., dont la soeur, atteinte au même âge de la même affection, ne
possédait plus le réflexe rotulien.
Messieurs, ces faits vous démontrent nettement l'insuffisance de la
clinique seule pour la classification exacte des formes hybrides et des cas
frustes de l'ataxie héréditaire.
L'autopsie, l'examen microscopique peuvent-ils au moins fournir des
résultats assez probants pour étayer un diagnostic posthume d'hérédo-ataxie
cérébelleuse ?
« Le fait fondamental anatomique, dit Londe, sur lequel est basée cette
entité morbide est l'atrophie du cervelet », et il ajoute : « la moelle ne
présentait aucune lésion microscopique, pas plus dans le cas de Nonne
que dans celui de Fraser ; ce fait est gros d'importance, puisque c'est
(1) PHILIPPE ET Oberthur, Revue Neurologique, 1903, Deux autopsies de maladie de
Friedreich.
(2) RAYMOND, Cliniques, 3e série.
NOUTIILLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. Pl. XX
(F. 'R(I-11moilif)
E - Fragment de l'écorce cr ? llel1e de \1lie F.. , coloration Nissl (chambre claire).
MALADIE DE FRIEDREICH ET llÉRÉDO-ATA XIE CÉRÉBELLEUSE 129
principalement sur lui que repose la distinction anatomique entre l'héré-
do-ataxie cérébelleuse et la maladie de Friedreich. »
Or, depuis la description primordiale, bien peu 'de cas sont venus
corroborer cette anatomie pathologique. Il n'est guère que l'observation
de Miura qui puisse être rapprochée de celle de Nonne au point de vue
clinique, et qui, comme cette dernière, présentait à l'examen anatomique
de l'atrophie simple du cervelet et de la moelle.
Déjà les observations de Spiller diffèrent par la nature des lésions. Mais
si les autopsies des malades de Sanger-Brown, de Klippel et Durante,
observations fondamentales, étaient venues s'adapter à celles des malades
de Fraser et Nonne, la consécration définitive était apportée à l'affection
décrite par P. Marie. Il n'en a rien été; ces examens anatomiques doivent
être plutôt rapprochés de celui que publia Menzel en 1891, où l'atrophie
du cervelet s'associe à des lésions médullaires analogues à celles de la
maladie de Friedreich : altérations des cordons postérieurs, des faisceaux
pyramidaux,des faisceaux cérébelleux directs et des cellules de la colonne
de Clarke.
Le sixième malade de Sanger-Brown se rapportait fidèlement au tableau
de l'hérédo-ataxie cérébelleuse ; notamment, il présentait de l'exagération
des réflexes tendineux et de l'atrophie des* nerfs optiques. Or, de son
autopsie, pratiquée par Meyer, il résulte que l'atrophie du cervelet est
au moins douteuse, et qu'il n'existe pas de raréfaction des cellules de
Purkinje.
Par contre, dans son ensemble, la moelle est diminuée de volume ;
elle présente une diminution du nombre des cellules de la colonne de
Clarke, et des altérations intéressant le faisceau de Goll et le faisceau
cérébelleux direct, principalement dans la région cervicale.
L'évolution clinique des malades de Klippel et Durante pouvait déjà
faire pressentir que leur examen anatomique différerait notablement du
type Nonne-Fraser. Ils présentaient, en effet, des lésions médullaires
très marquées ; et alors qu'un élève de M. Marie, Switalski publie l'obser-
vation de François Haud... comme un cas d'hérédo-ataxie cérébelleuse
typique, un élève du même maître, Vincelet, la cite dans sa thèse, à côté
d'une maladie de Friedreich avérée.
Chez François Haud... le cervelet est plus petit et possède moins de
circonvolutions qu'un cervelet normal ; il ne présente pas de lésions mi-
croscopiques et le nombre des cellules de Purkinje n'a pas diminué. Dans
la protubérance, il existe une atrophie considérable des fibres du pédon-
cule cérébelleux. Dans le bulbe, il ya a dégénérescence du même faisceau
et de celui de Goll. Dans la moelle, dont les dimensions sont considéra-
blement diminuées dans tous les sens, on constate,en outre ? a dégénères-
130 RAYMOND
cence des fibres dans les cordons de Goll, dans les faisceaux cérébelleux
directs et les faisceaux de Gowers ; la substance grise de la moelle est
atrophiée avec disparition des cellules. ,
Chez la soeur, Amélie Haud... dont l'autopsie fut publiée en 1901 par
Thomas et Roux, on constate une petitesse relative de tout l'axe cérébro-
spinal, bulbe et protubérance, cervelet, moelle et racines. Cependant si
le volume du cervelet est un peu au-dessous de la normale, c'est un
cervelet sain d'apparence. Par contre, la moelle présente des altérations
de la substance grise (atrophie partielle ou disparition des cellules de la
corne postérieure, atrophie des colonnes de Clarke et absence presque
totale des cellules correspondantes), et des lésions de la substance blan-
che (dégénération partielle des cordons postérieurs, localisée dans les
faisceaux de Burdach à la région lombo-sacrée, et dans les faisceaux de
Goll dans la région cervicale - dégénération partielle de tout le fais-
ceau antéro-latéral et totale du faisceau Gowers - absence du faisceau
cérébelleux direct). Au bulbe, il existe une dégénération du cordon laté-
ral et l'atrophie du noyau correspondant (1).
Evidemment, Messieurs, ces lésions présentent quelques différences
avec celles qu'il est classique de décrire comme substratum de la maladie
de Friedreich ; c'est ainsi que dans cette dernière affection, on observe,en
général, une dégénération plus complète des faisceaux pyramidaux croi-
sés et des cordons postérieurs ; mais vous n'êtes pas sans savoir qu'il existe'
des variations importantes de cette anatomie pathologique suivant les sujets
et, surtout, suivant les familles.
Mais, ce qui pour les dualistes peut séparer encore plus ces malades du
type Friedreich, c'est la présence à leur examen d'altérations, minimes à
la vérité parfois, du cervelet et des fibres ponto-transversales. Or, en ter-
minant la précédente leçon, je vous signalais, Messieurs, l'importance
grandissante des lésions macroscopiques ou microscopiques du cervelet
dans des cas indéniables de maladie de Friedreich. Les premières obser-
vations de cette affection qui se contentent de simples constatations macros-
piques ou d'examens histologiques' limités ont été certainement insuffi-
santes. Depuis que l'attention a été attirée sur ces faits, les examens ont
été plus complets et je me permettrai à ce sujet de relater les constatations
(1) L'autopsie du dernier malade de Klippel et Durante, Louis Haud..., publiée par
Rydel, en juillet-août 1904, dans ['Iconographie de la Salpêtrière, a permis de consta-
ter chez ce malade des lésions cérébelleuses et médullaires se superposant presque
exactement à celles de ses aînés. « Les différences, dit Rydel, sont très peu considé-
« râbles : nous avons trouvé une lésion des cordons antérieurs chez Louis Haud... et
« une raréfaction dans une partie de la substance blanche du cervelet ; ni chez son
« frère, ni chez sa soeur, on ne trouve de lésions analogues. »
NOUVELLE ICONOGRAPHIE UE LA SALPGlRIÈRE
T. XVIII. PI. XXI
MALADIE DE FRIEDREICH
(r. 'Raymond)
rois do \1,'1;(, E ? ) -\
MALADIE DE rRIEDREICR ET IIÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 131
qui ont été faites dans ce laboratoire à l'autopsie d'un cas avéré de mala-
die de Friedreich,
Je vous rappellerai, en quelques mots, l'histoire chinique de ce cas; il
concerne une malade que je vous ai présentée autrefois dans cet amphi-
théâtre et sa relation est faite tout au long dans le troisième volume de
mes cliniques.
Il s'agissait donc d'une jeune femme, Mélie F..., âgée de 30 ans à l'é-
poque où je la présentais à mes élèves, à antécédents pathologiques héré-
ditaires et collatéraux assez chargés. Son père fut atteint d'accidents men-
taux qui nécessitèrent son internement temporaire et succomba à 41 ans,
au cours d'une polynévrite éthylique. Sa mère, grande nerveuse, mourut
à l'époque de la ménopause d'un ictus apoplectique; deux frères et une
soeur sont morts en bas âge et des trois soeurs que la malade possède en-
core actuellement, deux, assez bien portantes, ont une voix traînante très
particulière et la-troisième, soignée autrefois dans le service de mon collè-
gue Pitres, est un type de maladie de Friedreich très complet, avec sco-
liose, nystagmus, abolition des réflexes et douleurs fulgurantes.
Vous voyez qu'ici l'hérédité est intéressante au plus haut point.
Pour en revenir à notre malade, disons simplement qu'elle eut une en-
fance difficile, une adolescence orageuseà à tous les points de vue, des rap-
ports sexuels précoces, suivis de fausses-couches et d'infection utérine; il
y aurait même eu des érythèmes cutanés assez suspects... Tout cela entre
15 et 18 ans. Bref, les premiers symptômes apparents de son affection
nerveuse ne se signalent guère avant la 18e année et se traduisent d'a-
bord par des vertiges, de la titubation et des douleurs fulgurantes ; puis
viennent l'ataxie statique de la tête et du tronc, la scoliose, les troubles
de la parole..
Lorsqu'elle entra dans cet hôpital, en septembre 1896, la malade res-
sentait de vives douleurs, à caractère fulgurant,dans les membres inférieurs
ainsi que des crampes et des fourmillements, avec conservation absolue
de sa sensibilité objective à tous ses modes, sans atrophie musculaire
appréciable. La force segmentaire conservée à droite, était très amoindrie
à gauche, aussi bien dans les membres supérieurs que dans les membres
inférieurs.
La marche était impossible tant en raison de cette faiblesse que de
l'ataxie motrice. Toute précision dans les mouvements était impossible ;
la malade n'arrivait que très difficilement à porter l'index sur un point
déterminé de son visage. Du reste, voici un fac-simile de son écriture qui
est- assez éloquent et encore a-t-il fallu que la pauvre femme s'y reprenne
à plusieurs fois pour accomplir ce chef-d'oeuvre.
132 RAYMOND
La parole lente, traînée, était à peine compréhensible et malgré des
pleurs et du rire parfois explosifs, l'intelligence était intacte et est restée
telle jusqu'à la fin.
Il existait en outre une grosse scoliose caractéristique, à concavité
droite, au niveau des premières vertèbres dorsales, sa tête était constam-
ment oscillante ou retombait sur l'une ou l'autre épaule.
Du côté des yeux, on notait un certain degré de nystagmus transversal,
mais l'acuité était normale et jamais on ne constata de troubles pupillaires;
le signe d'Argyll fit toujours défaut.
Eu égard aux réflexes, je dois dire qu'au moment de son entrée, notre
malade présentait des réflexes tendineux normaux. Les réflexes patellaires
étaient même forts ; le réflexe plantaire resta en extension jusqu'à la fin
de sa vie ; il y avait, du reste, un pied creux de Friedreich typique.
Au cours des examens ultérieurs, je fis noter soigneusement l'état des
réflexes et deux ans après son entrée, ils étaient déjà diminués et finirent
par disparaître complètement ; ce furent, d'ailleurs, les réflexes patellaires
qui persistèrent le plus longtemps, leur absence complète ne fut constatée
que peu de semaines avant la mort. Je me suis donc cru autorisé à porter
dès le début le diagnostic de maladie de Friedreich et l'évolution de la
maladie semble bien m'avoir donné raison.
Au commencement de l'année 1902, Mélie F... fut prise de lipothymies,
d'un état syncopal et nauséeux presque constant, puis après plusieurs
crises asystolique, sans lésions orificielles appréciables à l'auscultation,
elle succomba.
Son autopsie fut faite par MM. Philippe et Oberthür et je désire mettre
sous vos yeux les résultats de leurs examens histologiques illustrés par
des photographies et des préparations, car ce cas est un de ceux qui peut
le plus heureusement apporter de la lumière dans la question, encore
embrouillée à l'heure actuelle, de l'ataxie héréditaire.
.Terne bornerai à vous lire, sans commentaires, la note qu'ils m'ont
transmise :
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrjère
T. XVIII. Pl. XXII
MALADIE DE FRIEDREICH
(Obs. de Mélie F...)
(F. 'Raymond)
MALADIE DE FRIEDREICH ET HÉRÉDO-ATAIXE CÉRÉBELLEUSE 133
L'autopsie a été faite 24 heures après la mort, après formolage préalable
des centres nerveux (Voy. Planches XIX, XX, XXI, XXII).
Les centres encéphaliques sont relativement petits, le cervelet n'est pas
sclérosé, mais il ne semble pas avoir ses dimensions normales, les lamelles
sont rapprochées les unes des autres ; de même les circonvolutions cérébrales,
quoique régulières, sont plus minces que normalement. La protubérance, le
bulbe, les pédoncules cérébraux sont aussi un peu grêles. Pas de méningite.
Un petit tubercule ancien, fibreux, siège au niveau du pôle occipital gauche.
La moelle est très grêle, aplatie à la région cervico-dorsale ; il y a, à la ré-
gion postérieure, une pie-mérite fibreuse assez adhérente ; les racines posté-
rieures sont, dans toute la hauteur, petites et translucides.
A la coupe, on voit, à la région dorsale et cervicale, un cordon postérieur
translucide résistant à la section, ainsi que des taches scléreuses dans la partie
externe du faisceau antéro-latéral.
Les nerfs périphériques sont petits, le pneumogastrique surtout est très
grêle, d'une coloration grise.
Les muscles sont un peu infiltrés, jaunâtres.
Du côté des organes thoraciques et abdominaux, nous notons les modifica-
tions suivantes :
Péricardite légère, non symphysaire, avec épanchement louche. Myocarde
jaunâtre et mou, pas d'athérome, pas de lésions valvulaires.
Le ventricule gauche est dilaté.
Foie muscade, assez volumineux. Poumon cardiaque, en état de carnisation
avec quelques infarctus.
Reins décolorés.
Le système nerveux a été débité complètement et placé dans divers réactifs.
Quelques morceaux de moelle, de cervelet et d'écorce cérébrale ont été mis
directement à l'alcool ou au liquide de Fol pour les méthodes de Nissl et de
Weigert-Anglade. Le cervelet, la protubérance, le bulbe et la moelle ont été
mis au Müller et débités ensuite en coupes sériées.
Il a été fait en même temps des préparations d'un névraxe normal pour
servir de terme de comparaison. Les constatations histologiques sont les sui-
vantes :
A. Ecorce cérébrale. - Elle ne se distingue d'une écorce normale que par
la gracilité de son ensemble et de ses éléments ; les fibres tangentielles et les
divers plexus sont réguliers et bien fournis, mais les fibres sont d'une ex-
trême minceur, les couches cellulaires sont tassées ; les éléments en sont nor-
maux et se colorent bien. Aucune altération vasculaire ou névroglique, pas
de méningite.
B. Ecorce cérébelleuse. - L'atrophie constatée macroscopique ment est bien
plus manifeste au microscope, c'est une atrophie globale et diffuse, sans sclé-
rose, dépendant vraisemblablement des lésions microscopiques qui sont les
suivantes :
1° Cellules de Purkinje. -a) Diminution de nombre partout, avec prédomi-
nance pour certaines régions irrégulièrement distribuées. Ces cellules ne
134 RAYMOND
forment pas d'amas ; elles sont placées une à une, quelquefois deux à deux.
Sur de longs intervalles, ces cellules ont complètement disparu.
Cette diminution des cellules est irrégulière, au maximum sur une lamelle
cérébelleuse, elle cesse ou à peu près sur la suivante.
b) Les cellules qui restent sont petites, bien que pourvues encore de prolon-
gements nombreux, souvent assez ramifiés ; beaucoup sont en voie de désin-
tégration dégénérative, pâles, avec des chromatophiles peu abondants ; un
noyau petit, très faiblement teinté par le bleu polychrome d'Unna et pourvu
d'une membrane nucléaire plissée,elles donnent bien l'impression d'éléments en
train de subir une atrophie dégénérative, semblable à celle que l'on observe, par
exemple, dans les grandes cellules des cornes antérieures de la moelle, au cours
de la poliomyélite chronique. Mais ici, il n'y a pas de surcharge pigmentaire.
90 Autres cellules nerveuses. - a) Couche moléculaire, très diminuée de
hauteur, sans doute par la disparition des prolongements des cellules de Pur-
kinje qui se perdent dans cette couche.
De plus, les cellules nerveuses de cette même couche sont petites, souvent
étoilées, moins nombreuses ; elles ne forment pas ces dispositions régulières
en stries ou en colonnes, qu'on observe normalement.
b) Couche des grains. Qu'on examine ces grains un à un, ou dans leurs
amas, on trouve des modifications. Chacun d'eux est plus petit qu'à l'état nor-
mal et chaque amas est composé d'un nombre d'éléments moins grand.
En résumé, il existe au niveau des cellules de l'écorce cérébelleuse, un
processus d'atrophie dégénérative qui paraît en pleine évolution. Ce proches-
sus ne s'accompagne pas de sclérose névroglique appréciable.
B. Fibres nerveuses myéliniques. La coloration de Weigert-Pal montre
une diminution considérable des fibres nerveuses partout (sauf au niveau des
noyaux dentelés ; ceux-ci ainsi que la région adjacente paraissent sains et
riches en fibres myéliniques) portant sur les fibres fines de la couche des grains,
sur le faisceau axial de chaque lamelle cérébelleuse, sur le centre ovale pro-
prement dit. Les fascicules sont plus petits, moins fortement colorés, souvent
avec des espaces clairs, sans que toutefois, on puisse apercevoir de taches de
sclérose compacte à proprement parler.
C. Pédoncules cérébelleux. Les pédoncules cérébelleux, surtout le pédon-
cule inférieur (corps restiforme) et le pédoncule moyen (fibres transversales
de la protubérance) sont atrophiés, sans grosse sclérose. Très vraisemblable-
ment, il s'agit encore d'une dégénération secondaire à la disparition des cellules
d'origine.
D. 'Protubérance, bulbe. Ici les lésions sont plus discrètes et en raison
de la multiplicité des systèmes de fibres, moins apparentes à première vue.
Bien entendu la méthode de Marclii n'est, dans ce cas, d'aucun secours, vu la
lenteur avec laquelle le processus s'est opéré. Toutefois, outre la diminution
notable de volume de l'isthme de l'encéphale, certaines modifications sont assez
nettes. Les noyaux du pont, ainsi que les fibres qui en émanent sont atrophiés ; *,
plus bas, à la partie supérieure du bulbe, on voit les corps restiformes réduits
de volume et clairsemés comme fibres.
MALADIE DE FRIEDREICR ET HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 135
Pareille raréfaction s'observe également dans les fibres arciformes exter-
nes, les fibres arciformes intertrigéminales et le feutrage interolivaire. Plus bas,
les noyaux de Goll et de Burdach sont tout à fait démyélinisés et les fibres qui
s'y rendent très peu abondantes.
A noter également la petitesse et la pâleur du faisceau solitaire et les lésions
dégénératives du noyau dorsal du vague. ' ,
E. Moelle. a) Cordons postérieurs. - Ils sont atteints dans toute leur
hauteur, avec prédominance des lésions dans la région lombaire et dorsale.
Il s'agit ici d'une dégénération assez diffuse et ayant une localisation sensible-
ment identique du haut en bas de l'axe médullaire. En aucun point, il n'existe
une véritable disparition des fibres, mais leurs dimensions sont très inégales,
beaucoup sont très petites, d'aucunes réduites à leur cylindraxe, d'autres ont
une enveloppe myélinique à peine visible, d'autres enfin sont contournées
en spirale, suivant les ondulations de la névroglie assez végétante qui les
entoure. En certains points, cette sclérose névroglique est dense et affecte
la disposition « en tourbillons », en d'autres points, elle est faible et rappelle
la sclérose tabétique.
Les portions les plus démyélinisées sont surtout les portions centrales des
' cordons postérieurs ; les régions cornu-commissurales et cornu-radiculaires
sont plus riches en fibres.
La zone de Lissauer contient un certain nombre de fibres fines. Par contre,
les fibres arquées (sensitivo-réflexes de Kôlliker) et celles destinées aux colon-
nes de Clarke sont presque partout très peu abondantes.
Il est difficile d'affirmer ici si les fibres endogènes sont conservées ou non.
b) Racines. Les racines antérieures sont saines. Les racines postérieures
sont au contraire entièrement dégénérées à la région lombaire et dorsale infé-
rieure et deviennent plus abondantes en fibres, à mesure que l'on s'élève.
c) Faisceau antéro-latéral. - Lésions, somme toute, assez diffuses,intéres-
sant avant tout le faisceau cérébelleux direct et assez légèrement le faisceau
de Gowers, et s'étendant à la région cervicale et dorsale sur le territoire du
faisceau pyramidal croisé. Quant au faisceau de Türk outre une dégénération
nette au niveau du collet du bulbe, on trouve, sur une hauteur d'un centi-
mètre environ à la région cervicale moyenne, une tache scléreuse à gauche,
au voisinage du fond de la commissure antérieure ; à droite, il semble res-
pecté sur toute son étendue.
d) Substance grise. - La substance grise antérieure possède partout un ré-
seau myélinique abondant et un assez grand nombre de cellules motrices, mais
elles sont petites et plusieurs sont en état d'involution dégénérative. La subs-
tance grise centro-postérieure est à l'opposé, absolument réduite de volume,
pauvre en fibres et en cellules, surtout au niveau des colonnes de Clarke et de
la substance gélatineuse de Rolando.
e) Méninges et vaisseaux. Les vaisseaux des cordons postérieurs et les
septa conjonctifs qui les entourent sont épaissis et sclérosés. Les méninges
postérieures, surtout à la région dorso-lombaire, sont épaissies et adhérentes.
/) Ganglions spinaux. Leur capsule fibreuse est hypertrophiée, les fibres
136 RAYMOND -
à myéline sont sinueuses et fines ; les cellules ganglionnaires assez abondantes
sont petites, mais n'ont pas subi d'altération bien appréciable.
g) Nerfs et muscles. Les nerfs périphériques, bien que petits, ne présen-
tent pas d'altérations microscopiques. Seuls les pneumogastriques traités par
des dissociations à l'acide osmique et par la méthode de Marchi montrent quel-
ques altérations de leur gaîne myélinique.
Je termine, Messieurs, l'exposé de cet examen histologique sur lequel
il conviendrait peut-être de s'étendre davantage. Il s'agit, comme vous le
voyez, d'un cas particulièrement heureux pour la démonstration. C'est
une ataxie famaliale dutypeFriedreich au point de vue clinique, réalisant
le tableau morbide de cette affection dans sa presque absolue pureté et
vous voyez, d'autre part que, par ses lésions histologiques, il vient se
placer à côté des cas intéressants décrits par Menzel, par Meyer, parSwi-
talski et par Thomas et Roux.
Messieurs, la totalité des faits nouveaux que je viens de vous présenter
a pour but de mettre en évidence l'impossibilité d'attribuer à 1'liéi-édo-ataxie.
cérébelleuse telle qu'elle a été décrite un substratum anatomique constant,
différentiel : l'atrophie isolée du cervelet.
Cette maladie répond à des lésions de siège différent, appartenant tou-
jours au système cérébelleux, mais l'atteignant soit dans ses centres
et dans ses voies afférentes ou efférentes, soit seulement dans ces
dernières et comme telle, elle se rapproche alors de la maladie de
Friedreich.
Peut-elle au moins être distinguée de cette dernière par la nature his-
tologique de ses lésions ? Les observations primi tives de Nonne et de Fraser
mettaient en relief l'absence de sclérose, et Londe ajoute : « Peut-être
est-ce là la base anatomique de la distinction qu'il faudra établir plus
tard entre l'atrophie cérébelleuse scléreuse, accidentelle, non familiale et
l'atrophie cérébelleuse simple, familiale ? » Et ce caractère de simple
atrophie, mais avec normale proportion des éléments, attribué à l'hérédo-
ataxie cérébelleuse pourrait suffire à la distinguer de la maladie de Frie-
dreich, sclérose primitive des cordons médullaires.
Or, l'étude de faits récents, vient de transformer cette classification trop
simple des lésions cérébelleuses en atrophies scléreuses, ou acquises, et
en atrophies simples ou congénitales. Le cervelet des malades rangés
sous l'étiquette d'hérédo-ataxie cérébelleuse s'est présenté sous des aspects
différents : ◀tantôt▶ c'est un cervelet plus petit que normalement, mais avec
développement proportionnel des parties constituantes ; c'est le cervelet
en miniature, résultat d'un arrêt de développement une époque indéter-
minée de la vie. ◀Tantôt▶, il est atteint d'atrophie dégénérative ; les cellules
MALADIE DE FR1EDREICU ET 111 : ftÉDO-ATAlIE CÉRÉBELLEUSE 137
de Purkinje et ses différentes couches de l'écorce s'atrophient et dispa-
raissent, sans prolifération névroglique, sans sclérose. ◀Tantôt▶ enfin les
lésions sont de nature scléreuse, d'origine connectivo-vasculaire, comme
dans les deux cas de Spiller; l'infection pourrait jouer un rôle impor-
tant dans le développement de la maladie, en mettant en activité une
prédisposition familiale.
D'autre part, à côté des lésions cérébelleuses acquises, processus ré-
gressifs post inflammatoires se traduisant par la sclérose, Dejerine et
Thomas ont décrit sous le nom d'atrophie olivorponto-cérébelleuse, une
affection non familiale, différant par plusieurs points de l'hérédo-ataxie,
et caractérisée anatomiquement par « une atrophie systématique de l'é-
corce cérébelleuse et des noyaux d'origine de ses principales voies affé-
rentes, atrophie primitive, indemne de lésion inflammatoire et de proli-
fération névroglique. »
L'individualisation de l'hérédo-ataxie cérébelleuse ne peut donc pas
être basée sur ses caractères histologiques, pas plus qu'elle n'a été établie
de par la topographie des lésions, pas plus qu'elle n'est ressortie de ses
manifestations cliniques.
Il semble donc bien difficile, à l'heure actuelle, d'accepter intégrale-
ment l'idée de la première heure émise par M. P. Marie représentant ce
qu'il appela l'hérédo-ataxie cérébelleuse et l'ancienne maladie de Friedreich
comme deux espèces morbides distinctes.
L'évolution souvent complètement distincte des deux affections, le dé-
but fréquent de la maladie de Friedreich par l'abolition des réflexes
et des douleurs fulgurantes, ressortissant de lésions médullaires, l'absence
tout au moins fréquente dans cette dernière d'altérations profondes du
cervelet, portent peu à admettre l'opinion émise par Schultze ; l'hérédo-
ataxie cérébelleuse familiale n'est pas autre chose que la maladie de Frie-
dreich à ses débuts.
Plus vraisemblable serait la théorie de Londe : la maladie de Friedreich
et l'hérédo-ataxie cérébelleuse sont deux représentants d'un même groupe
morbide ; dans la seconde, la maladie commence par le cervelet ; dans la
première, elle débute par la moelle.
Mieux encore faudrait-il voir dans la maladie de Friedreich, dans le syn-
drome de Marie, dans les formes de transition, des types morbides ayant
tous comme point commun l'atteinte du système cérébelleux dans ses cen-
tres ou dans ses voies afférentes ou efférentes. Le motd'hérédo-ataxie cé-
rébelleuse prenant une plus large extension pourrait alors désigner le syn-
drome.commun (démarche cérébelleuse, ataxie statique, incoordination,
nystagmus), qui réunit dans un même groupe des types de localisation
différente, toutes affections familiales dont la relative fréquence trouve
u 10
138 RAYMOND
son explication dans la prédisposition toute spéciale du système cérébel-
leux aux manifestations héréditaires.
Il y aurait alors à décrire :
Un type spinal où l'abolition des réflexes, la scoliose et le pied-bot joints
au syndrome commun constituerait le type de Friedreich :
Un type cérébelleux où l'atrophie des nerfs optiques, les vertiges, les
troubles intellectuels, joints encore au syndrome commun constituerait
le syndrome de Marie ;
Un type bulbaire où prédominent les vomissements, la dyspnée,raryth-
mie cardiaque :
Un type bulbo-prolubèrantiel peut-être caractérisé par des troubles
auditifs ;
Un type généralisé, comme dans le cas de Menzel, autant de types
différents que de familles atteintes, mais tous rattachés par le syndrome
cérébelleux commun.
Messieurs, la variabilité des.types dans cette affection familiale n'a rien
qui puisse étonner si on la compare aux autres maladies du système ner-
veux. Dans le tabes, par exemple, à côté de la forme inférieure, la plus
commune, on distingue des formes cervicales, cérébrobulbaires. Dans la
sclérose en plaques, outre le type classique, cérébrospinal, il existe des
formes frustes, cérébrale, spinale, bulbaire ou cérébelleuse. La sclérose
latérale amyotrophique en tant que début est ◀tantôt▶ spinale, ◀tantôt▶ bul-
baire, et cependant on réunit les deux formes, quoique différentes dans
leur symptomatologie et leur évolution, sous une même dénomination.
De plus en plus, dans l'étude des maladies du système nerveux, on tend
à réunir dans des groupements synthétiques des espèces morbides consi-
dérées comme distinctes par les premiers observateurs. Pour ne prendre
qu'un exemple, je vous rappellerai qu'en 1888, je soulevais l'hypothèse
de la possibilité d'un lien de transition entre les deux grandes espèces
d'atrophie musculaire progressive, l'atrophie myélopathique et l'atrophie
myopathique. Le type Werdnig-Hoffmann est venu combler le fossé qui
semblait les séparer et les modalités cliniques différentes se trouvent tou-
tes reliées aujourd'hui par un syndrome commun dont le substratum ana-
tomique est la dégénérescence primitive du seul proto-neurone moteur
ou de son annexe, la fibre musculaire.
Allons plus loin, Messieurs. Si les différences de localisation de la lésion
dans le système cérébelleux distinguent seules, toutes transitions possibles,
les variétés de l'ataxie familiale, il est permis d'ajouter que les formes
aberrantes et compliquées de cette dernière ne diffèrent des cas purs que
par l'existence de lésions connexes dans les systèmes plus ou moins direc-
tement rattachés au svstème cérébelleux.
MALADIE DE FRIEDREICH ET IlÉnÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 139
Elles permettent alors d'établir la transition entre le syndrome cérébel-
leux héréditaire et des syndromes différents liés à des lésions « encore hé-
réditaires » de systèmes cérébraux ou médullaires C'est ainsi que Pauly et
Nonne, Lorrain ont observé des types intermédiaires à l'ataxie familiale
et à la paraplégie spasmodique de Strumpell. La coexistence possible,
assez fréquente peut-être, de lésions des cellules des cornes antérieures
et d'un certain degré d'atrophie musculaire au cours de la maladie de
Friedreich peut faire pressentir des formes de liaison avec les atrophies
musculaires familiales.
Dans des cas récents publiés dans la thèse de Mlle Pesker, le syndrome
cérébelleux s'associe à la fois à des signes accusés de déchéance intel-
lectuelle et à une paraplégie spastique ; et,anatomiquement, cet état cor-
respond à une hypoplasie très accusée, sans sclérose, de tout l'axe céré-
bro-médullaire.
Je n'en finirais pas si je voulais vous citer tous les cas plus ou moins
analogues, ceux de Lenoble et Aubineau, de Baumlin, etc., qui sont autant
de problèmes que seuls de nombreux et consciencieux examens anatomi-
ques arriveront à résoudre ; par le groupement de ces examens succes-
sifs, nous arriverons sans doute à la vérification absolue de ce que j'avance
aujourd'hui.
Vous pouvez déjà prévoir, Messieurs, en face de ces types complexes
dont le nombre augmentera certainement à mesure que la neuropathologie
agrandira le champ de ses connaissances, qu'à côté des variétés frustes ou
complètes du syndrome cérébelleux héréditaire, il y aura lieu de décrire
un jour un syndrome cérébello-pyramidal, cérébello-cérébral, etc.
Il n'y a donc aucun intérêt, et il peut y avoir de grands inconvénients
à multiplier à l'infini les espèces morbides de la pathologie nerveuse hé-
réditaire et familiale. Il y a mieux à faire, et je l'ai déjà dit en maintes
circonstances et notamment en prenant possession de cette chaire. Il y a
lieu d'accorder une importance prépondérante à la physiologie pathologi-
que, de s'attacher l'élude des rapports existant entre les différents symp-
tômes et la signification systématique des lésions correspondantes. Quand
nous serons à même de décider quel est le système anatomique ou fonc-
tionnel dont la lésion se traduit par tel ou tel syndrome, il nous sera, du
même coup, facile de fixer les rapports respectifs des types de maladies
familiales et les relations de ces mêmes types avec les formes de transition
qui constituent avec eux comme les anneaux d'une même chaîne.
UNIVERSITÉ DE GENÈVE
DE QUELQUES ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL
DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS
PAR
R. WEBER- et A. PAPADAKI
Professeur Privat-docent
à l'Université de Genève.
C'est notre maître M. de Monakow qui nous a donné l'idée première de
ce travail. Nous nous proposons d'y décrire ce que nous avons constaté à
l'examen de 5 cerveaux sur lesquels des tumeurs de grandeurs et de loca-
lisations différentes avaient exercé leur action. Nous ne toucherons le côté
clinique de nos observations qu'en tant qu'il présente un intérêt particu-
lier. Deux de ces cerveaux ont été coupés dans un but tout autre que ce-
lui que nous poursuivons aujourd'hui, ce qui explique pourquoi ces séries
sont incomplètes.
Nos observations se subdivisent en deux catégories.
1° La tumeur se développe aux dépens du tissu cérébral,qu'elle « mange »
en quelque sorte.
2° Le néoplasme a son point de départ en dehors du cerveau, qu'il re-
pousse en se développant.
Nous ne disposons que d'un seul représentant du 1er groupe ; l'un de
nous l'a décrit à un autre point de vue (Revue méd. de la Suisse rom.,
mars 1900).
OBS. 1. - Nous nous bornons à rappeler que demoiselle F..., morte accidentel-
lement à l'âge de 28 ans, avait présenté jusque dans les moindres détails le ta-
bleau clinique d'une épilepsie essentielle et que nous avions été très surpris
de trouver une tumeur à l'autopsie. Elle occupait la lèvre inférieure de la cal-
carine, les lobules lingual et fusiforme en partie et n'avait du reste que très
peu altéré la forme extérieure du lobe occipital. Ses dimensions étaient d'en-
viron 5 centimètres de longueur sur 2, 5 de hauteur et de largeur, ce qui répon-
dait à un volume d'environ 30 centimètres cubes. Le néoplasme ayant pour ainsi
dire absorbé et remplaeé les parties mentionnées du cortex et de la substance
blanche, il est compréhensible que les phénomènes macroscopiques habituels de
la compression cérébrale aient presque complètement fait défaut. La substance
blanche de la partie inféro-externe des coupes a perdu la bonne moitié de son
épaisseur, mais cela n'est point attribuable uniquement à la compression. Il
ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS 141
est en effet tout naturel que les faisceaux sagittaux et ceux d'association aient
dû subir une diminution de fibres par suite de la destruction décrite plus haut.
Le faisceau longitudinal inférieur (Fli) paraît être doué d'une résistance toute
particulière, car sa branche médiane est conservée sous forme d'un trait noir
mince (Weigert), à proximité immédiate du néoplasme. Ce dernier n'est point
délimité exactement et à son pourtour tous signes de réaction inflammatoire
font défaut. Il appartient sans doute au type sarcome et la présence d'amas
de pigment et de sang nous fait admettre qu'il s'est produit des hémorrhagies
dans son intérieur.
Nous avons débité en coupes sériées ce lobe occipital : toutes les coupes qui
se trouvent en arrière du développement maximal de la tumeur présentent
un aspect spécial ; en avant elles semblent normales.
En arrière l'écorce prend au carmin une coloration rouge intense et il est
difficile d'y reconnaître les éléments cellulaires. La substance blanche appa-
raît criblée de petites lacunes, sans membrane, sans zone de réaction, rondes,
mais de dimensions variables. Ces lacunes ne peuvent pas être la suite de des-
tructions, car elles ne contiennent aucun détritus ; nous ne pouvons les con-
sidérer que comme des espaces lymphatiques de dimensions pathologiques
(fig. 1).
Les vaisseaux ne sont pas fortement engorgés, les espaces périvasculaires
ne sont pas dilatés et les hémorrhagies font défaut.
Résumé. Phénomènes de compression limités à la partie du lobe occipital
périphérique à la plus grande extension de la tumeur. Compression n'ayant
pas occasionné de troubles graves de la circulation du sang, mais bien de
celle de la lymphe. Ces troubles sont accentués surtout dans les parties pro-
fondes où sans doute la stase se produit plus facilement. Ils se manifestent
par la formation de vacuoles au détriment de la substance blanche. Densité
FIG. 1. Calc, calcarine. Cun, cunéus. Ling, lobule lingual. Tum., tumeur.
ouf, 02, 03, circonvolutions occipitales.
142 WEBEII ET PAPADAkI
exagérée du tissu cortical. Résistance particulière de. Fli {faisceau de
projection) à l'invasion par la tumeur.
ORS. II. Mme X..., âgée de 63 ans, nous est arrivée en état de grande fai-
blesse et a été considérée comme atteinte de démence sénile. L'affaiblissement
intellectuel rendit tout examen tant soit peu approfondi impossible. Nous avons
appris plus tard que cette malade se plaignait depuis longtemps déjà de voir
mal et qu'un oculiste aurait constaté une hémianopsie gauche. Trois semaines
après l'entrée attaque épileptiforme et exitus.
Autopsie. Tumeur partant du plancher de la fosse crânienne moyenne
droite, ayant atteint les dimensions indiquées par la PI. XXIII, d'un volume
d'environ 120 centimètres cubes.Type alvéolaire à gros septa de tissu conjonc-
tif, riches en vaisseaux ; les alvéoles occupées par des cellules allongées à gros
noyaux. Sarcome. Néoplasme de consistance dure à surface noueuse, recou-
verte de grosses veines ; séparé partout de la substance cérébrale par un épais
tégument de tissu conjonctif. Point de réaction inflammatoire. Poids total
1402 grammes.
La tumeur a repoussé et disséqué le lobe temporal dont les circonvolutions
ne sont pas détruites mais atrophiées et disloquées à tel point que par endroits
l'orientation devient. très difficile. La bandelette optique et le corps genouillé
externe droits, dont on ne retrouve que des vestiges, sont très fortement com-
primés. Le thalamus droit empiète sur le côté gauche et le septum lucidum a
une direction tout à fait oblique. On peut affirmer que la position relative de
toutes les parties du cerveau a changé : il n'y a plus symétrie entre les 2 hé-
misphères.
Tandis que le IIP ventricule est encore a'ssuz étroit à droite, il est très dilaté
à gauche, Il est plausible que, sous l'influence de la compression exercée par la
tumeur, le liquide céphalo-rachidien gêné dans sa circulation ait été chassé à
gauche où il a occasionné une atrophie de l'hémisphère. A droite l'atrophie
était causée directement par la présence du néoplasme. De cette façon le maxi-
mum de compression et d'atrophie des tissus correspondant à la pression exer-
cée par la tumeur s'est sans doute trouvé réalisé dans les deux hémisphères.
Le IIIe ventricule gauche est du reste dilaté inégalement : il l'est beaucoup
plus dans sa corne frontale que dans l'occipitale (fig. 2). Comme il y avait
communication large entre ces deux parties, la pression a dû nécessairement
être la même partout et l'inégalité de la dilatation ne peut être attribuée qu'à
une différence de résistance du tissu ambiant. Mais dans le lobe occipital le
ventricule est entouré de faisceaux de projection (Rth. et Fli.) et d'un long
faisceau d'association (Tap.). D'autre part les scissures pénètrent très profon-
dément (Calc. Po. Ip.). Il ne reste pas de larges champs de substance blanche,
contenant entr'autres les fibres courtes d'association. Serait-ce donc aux dépens
de celles-ci que la ventricule se dilaterait surtout ? Nous croyons pouvoir l'af-
firmer.
En effet sur une même coupe le ventricule se dilate encore inégalement. Dans
la région frontale par exemple c'estsurtout la partie latérale supérieure de la
Nouvelle Iconographie DE la Salpli'rilre
T, XVIII. PI. XXIII
TUMEUR CÉRÉBRALE
(11 ? bei- el Papadaki)
Cfa, circonvolution frontale ascendante. Cpa, Circonvolution pariétale ascendante. - Fi, FI, circonvolutions frontales
FS, fosse de Sylvius. CH, circonvolutions de l'hippocampe. NA, noyau amygdaiien. Ti, T, T3, circonvolutions
temporales.iA,ventricule sphénoïdal. - U, circonvolutions du crochet.
. - ..7 .. an ,1/, (;1e F{ht'JrO;' c
ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS 143
substance blanche qui a perdu en épaisseur ; Les masses grises des ganglions
de la base, la capsule interne, la couronne rayonnante ont peu diminué, étant
sans doute plus résistantes. Le corps calleux est aminci, c'est vrai, mais il
garnit le pourtour d'un ventricule beaucoup trop grand.
Il en est de même du tapetum et des faisceaux sagittaux du lobe occipital.
Là la dilatation ventriculaire est le plus prononcée dans les parties latérales et
inféro-latérales.
Nous émettons donc l'opinion que la dilatation ventriculaire se fait avant
tout aux dépens des faisceaux d'association courts.
Examen microscopique Coupes sériées au microtome de Gudden (Carmin
et exclusivement Weigert-Pal).
Vaisseaux. Ils présentent un degré notable de sclérose sénile, de sorte
qu'évidemment tout ce que nous allons décrire n'est pas exclusivement attri-
buable à la présence d'une tumeur.
Les espaces périvasculaires sont bordés d'un tissu conjonctif de densité exa-
gérée. Ils sont fort dilatés et souvent occupés par des extravasations de date
plus ou moins récente (sang et pigment). Ils sont en général fusiformes (cou-
pes vertico-transversales) plus rarement ronds, leur forme répondant à celle
01 ' Vr
Fio. 2. AJI, avant-mur. Ci, capsule interne. - Ce, capsule externe.
Cing, cingulum. - CR, couronne rayonnante.
I'i, F2, F3, circonvol. frontales. OF1, OF3, partie orbitaire des circonvol. frontales.
- Gr, gyrus rectus. I, insula. Ne, noyau caudé. - NI3, noyau lenticulaire.
OF, sillon occipito-frontal.
Tl, T2, circonvol. temporales.
144 WEBER ET PAPADAKI
de la coupe du vaisseau et la direction prépondérante des fibres nerveuses
ambiantes. Très nombreux dans la moelle des circonvolutions ils lui donnent
un aspect criblé. Les vaisseaux sont gorgés de sang. A proximité de la tumeur
ou dans les endroits où la substance blanche a beaucoup perdu en épaisseur, ils
apparaissent tordus en tire-bouchons de façon absolument fantastique, dépas-
sant de beaucoup ce que l'on peut trouver dans des préparations normales.
Les altérations que nous venons de décrire se rencontrent partout, mais elles
sont peut-être plus prononcées dans le lobe occipital droit.
Ecorce.- Dès le pôle frontal et jusqu'au maximum d'extension de la tumeur,
l'écorce prend au carmin une coloration rouge uniforme, dans laquelle on voit
difficilement les cellules nerveuses. Celles-ci paraissent par endroits entourées
d'un espace péricellulaire blanc, dilaté. Le maximum de la tumeur dépassé,
l'écorce colorée au carmin ne pourrait plus se distinguer de celle d'une coupe
normale.
Les masses grises basales (Thaï. opt. N. C. et N. L.) présentent le même
aspect que l'écorce, et cela dans la même région.
Là où l'écorce est le plus altérée, il en est de même de la substance blanche.
On y voit, et cela de nouveau jusqu'aux environs du maximum de la tumeur
des altérations qui nous paraissent caractéristiques, du moins ne les avons
nous jamais observées ailleurs que dans des cas de tumeurs. Donc, la subs-
tance blanche est criblée de petites vacuoles analogues à celles que nous avons'
décrites dans notre premier cas, mais plus petites, non visibles à l'oeil nu. On
les retrouve partout, mais elles ne sont cependant pas régulièrement réparties :
leur densité est plus grande dans les isthmes qui relient les circonvolutions
au centre ovale. Ce détail nous paraît très important ; en effet : l'exagération
des phénomènes de compression en des endroits où passent des fibres réunis-
sant de grands domaines de l'écorce au reste du cerveau est bien faite pour
produire des troubles intellectuels graves.
La figure 2 illustre ce que nous avançons ; les endroits où les vacuoles étaient
le plus serrées sont marquées par des croix. Cependant elles sont aussi fort
nombreuses entre les fibres de la couronne rayonnante. Dans la capsule in-
terne elles sont allongées et placées de préférence entre les faisceaux blancs et
les trabécules de substance grise qui relient N. C. et N. L.
On les retrouve aussi dans le trigone ascendant où elles sont parallèles aux
fibres ; dans les ganglions de la base elles sont rondes. Elles ne manquent
même pas à proximité immédiate de la tumeur, où pourtant la substance blan-
che a une zone sclérosée. C'est dans le corps calleux qu'il paraît y en avoir le
moins.
Ces phénomènes disparaissent, nous l'avons dit, en arrière d'une coupe ver-
tico-transversale passant par la plus grande étendue de la tumeur ; à partir de
là sans doute la circulation lymphatique se faisait mieux.
. Mais en avant de cette coupe la substance blanche, malgré tous nos essais,
n'a jamais pris au Weigert la coloration foncée habituelle ; c'est surtout dans les
circonvolutions qu'elle est restée claire. Nous en concluons à la destruction
ALTÉRATIONS DU TISSU CEREBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS 145
de nombreuses fibres nerveuses. Cependant il y a'des fibres conservées jusqu'au
voisinage immédiat de la tumeur.
Le lobe occipital droit (côté du néoplasme) présente au carmin une tache rou-
ge irrégulière, occupant la région de Fli. ; au Weigert elle se manifeste par la
décoloration nette du jambage interne de l'U, moins forte du jambage latéral
ascendant.
Le microscope démontre que :
1° Les noyaux névrogliques ne sont pas augmentés notablement.
2° La coloration rouge intense,vue à fort grossissement, n'est plus diffuse ; elle
se compose de traits rouges séparés par des blancs, qui ne sont pas autre chose
que des fibres conservées. Au Weigert on remarque que, dans cette partie et
surtout dans le jambage médian de l'U (formé par Fli.),les fibres sont fortement
raréfiées et très variqueuses.
Il est peut-être permis d'admettre que, par suite de la compression du trac-
tus optique et du corps gen. ext. le faisceau Fli. se soit trouvé dans des condi-
tions particulièrement favorables à la dégénérescence, dégénérescence activée
sans doute par l'exagération de la pression intracrânienne.
Résumé. Grande tumeur partant de la fosse crânienne moyenne droite.
Du côté opposé, dilatation ^ventriculaire très forte, aux dépens des fais-
ceaux d'association surtout. Appauvrissement du cerveau en faisceaux de
cette nature. - Engorgement des vaisseaux, épanchements vieux et récents
dans les espaces périvasculaires considérablement élargis. Dilatation des
espaces lymphatiques depuis les pôles frontaux jusqu'au maximum d'exten-
sion de la tumeur. -Aspect particulièrement dense de l'écorce dans la même
région.
OBS. III. Mlle L. M..., décédée à l'âge de 51 ans, s'est développée norma-
lement jusqu'à 8 ans, où elle fut subitement prise d'une maladie dont la des-
cription nous fait penser à un rhumatisme articulaire aigu. Presque toutes les
articulations furent atteintes et dès lors la malade n'a plus quitté le lit. A
44 ans elle a été opérée d'un fibromyome utérin.
Elle nous est amenée en décembre 1900. Tête et tronc relativement énormes,
membres très courts et graciles, peu musclés ; obésité remarquable. Mou-
vements des bras libres, les jambes par contre sont ankylosées. Examen dé-
taillé impossible en raison des cris que pousse la malade dès qu'on la touche,
surtout aux jambes.
Amaurose presque complète ; elle distingue à peine le jour de la nuit. Pu-
pilles généralement larges, réaction consensuelle à la lumière 0. Examen
ophtalmoscopique également impossible.
Status psychique. Parfaitement orientée sur le temps et le lieu ; réponses
claires, précises, ne se faisant pas attendre. Ouïe excellente et exercée ; au
bout de quelques jours déjà Mlle M... reconnaît chacun de nous à son pas ;
lorsque nous lui causons, ses yeux trouvent immédiatement l'endroit où nous
sommes.
146 WEBER ET PAPADAKI
Mémoire bonne, même pour les faits récents ; intelligence relativement bien
développée si l'on tient compte de la façon de vivre particulière de la malade
et de sa pauvreté. Souvent ironique et méchante.
Craintive à l'excès, elle s'oppose à tout examen ; l'hyperesthésie de l'ouïe et
du toucher la rendent presque voyante.
Cette crainte est motivée par toute une série d'hallucinations de la vue. En
décembre 1900 ce sont des animaux dont elle ne peut définir exactement la
forme, qui remplissent son lit, la piquent et lui font ressentir un fourmille-
ment dans les membres. Ils sont de couleur brunâtre ou grisâtre et ressem-
blent à des chiens ou des chats.
Plus tard ces visions ont pris une forme plus déterminée : ce sont ◀tantôt▶
des hommes, ◀tantôt▶ des femmes qui viennent tout près de son lit, des bêtes
se promènent sur et sous son édredon, des amoncellements de voitures d'enfant
ou de machines menacent de l'écraser, etc. A cette époque, fin janvier
1901, la malade ne voit plus du tout la flamme qu'on place devant ses yeux.
Malgré cela elle est persuadée qu'elle n'a pas perdu la vue mais, que « des
méchants « interposent des voiles entre elle et nous ».
Il est arrivé quelquefois aussi que la malade a entendu chanter des en-
fants. Fréquemment elle s'est plainte de mauvaises odeurs ; d'autre part
elle percevait bien l'eau de Cologne qu'on approchait d'elle.
Autre détail remarquable : transportée du bain dans son lit, Mlle M... a sou-
vent prétendu qu'on ne l'avait pas remise dans sa position habituelle.
Maux de tête violents par crises. A vomi une seule fois un jour qu'elle avait
bu beaucoup d'eau. Jamais nous ne constatâmes de ralentissement du pouls.
Eschares profondes et exitus en mai 1901.
L'autopsie confirma le diagnostic de tumeur de la région frontale. La pl. XXIV
montre les rapports du néoplasme avec la base du cerveau ; une exostose en
occupait l'enfoncement central. La pl. XXV, A reproduit une coupe faite au
niveau de la tumeur.
Poids total : 1410 gr.
Type alvéolaire peu riche en tissu conjonctif, très bien vascularisé ; cellules
à gros noyaux allongés, très serrés ; leur arrangement ressemble beaucoup à
celui des perles cancéreuses. Au centre de la perle on voit assez fréquemment
un petit vaisseau. Angiosarcome, d'un volume d'environ 80 à 100 centimè-
tres cubes, entouré de tissu conjonctif, le séparant partout du cerveau ; point
de zone inflammatoire.
Les nerfs des Ira et IIe paires sont presque complètement dégénérés. Un
petit nombre de fibres seulement se colorent au Weigert ; au carmin les cou-
pes prennent une teinte rouge diffuse, où l'on ne retrouve que très rarement
l'image caractéristique de la fibre nerveuse. Mais déjà la région des corps
genouillés externes apparaît normale, la dégénérescence n'ayant sans doute
pas eu le temps de progresser jusque-là.
Nous nous permettons d'intercaler ici quelques remarques cliniques : il
est hors de doute que les hallucinations dont a souffert Mlle M... sont dues
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIERE T. XVIII. Pl. XXIV
TUMEUR CÉRÉBRALE
(Weber et Papadaki)
Observation III
Masson & CI., Editeurs
Phototypie Berlhaud,
NOUVELLE tcOSOGHAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
T. xviii. PI. XXV
TUMEUR CÉREBRALE
(Weber et PI1Padaki)
11. Coupe de 1.\ région frontale et coupe de la tumeur (Obs. 111).
13. Dilatation du ventricule (Obs. 1\' a.. n
ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS 14T
à la compression des paires I et II. Nous ne nous élonnons pas de voir la
vue plus affectée que l'odorat et nous nous l'expliquons par le rôle beau-
coup plus grand qu'elle joue dans nos opérations intellectuelles.
Nous relevons aussi le caractère compliqué, mouvementé de ces hallu-
cinations visuelles, rappelant bien celles du delirium tremens. Cela est en
contradiction avec la description que l'on fait ordinairement des halluci-
nations d'origine périphérique : elles seraient brutes, élémentaires. Mais
n'oublions pas que l'atrophie des nerfs optiques, produisant une cécité
complète a pu favoriser largement l'éclosion des hallucinations et a enlevé
à la malade tout moyen de les contrôler.
Tenons compte du fait que tout le cerveau et par conséquent aussi les
centres corticaux de la vision se 'trouvaient dans un état plus ou moins
pathologique par suite de pression exagérée.
Nous comprenons le caractère menaçant des hallucinations de lllle ...
en nous rappelant combien elle était craintive et angoissée.
Enfin nous croyons pouvoir mettre en rapport leur caractère mouve-
menté avec des sensations analogues au vertige ou à l'ataxie. Mlle M...
avait en effet assez fréquemment le sentiment qu'on l'avait mise dans une
autre position : c'était peut-être une suite de troubles dans les relations
entre cerveau et cervelet. '
L'amaurose totale accompagnée d'hallucinations visuelles compliquée»
ne peut sans doute être que d'origine périphérique. t -
M. Monakow (Gehirnpathologie) indique comme suites de lésions desi
lobes frontaux :
1° Un déficit intellectuel analogue à celui de la paralysie générale si les
deux lobes sont atteints.
2° L'altération du caractère dans le sens de la « moria » (tendance à l'iro-
nie, aux mauvaises ripostes).
3° Une forme d'ataxie analogue à celles que produisent les lésions du
cervelet.
Nous croyons avoir constaté chez Mlle M... l'existence de 2 et 3, mais 1
a certainement fait défaut. Nous allons rechercher si l'examen histologi-
que nous en donne la raison.
La tumeur partie de la base, en avant des ventricules, a poussé devant soi
les lobes frontaux qui forment autour d'elle une sorte de chapeau ; les sillons
ont pris une direction manifestement tangente au néoplasme (PI. XXV, A).
Les ventricules ne sont pas dilatés.
Vaisseaux, etc. (fig. 3 et 4). Les espaces périvasculaires sont partout for-
tement élargis, peut être un peu plus dans la région frontale que dans les autres
parties du cerveau. Il n'est pas rare de voir ces espaces entourés de fibres ner-
veuses plus denses et d'un anneau de noyaux névrogliques où par ci par là on
148 WEBER ET PAPADAKI
remarque des corps amylacés. Nous estimons que ce sont là des effets de com-
pression et de destruction. Quelquefois les espaces périvasculaires contiennent
du pigment ou de petites hémorragies de date encore récente. Bien que
Mlle M... soit morte à l'âge de SI ans, nous estimons que l'artériosclérose
n'est pas pour beaucoup dans ces phénomènes, car nous ne trouvons pas d'é-
paississement des parois vasculaires. Les altérations décrites sont plus pro-
noncées dans les circonvolutions à base étroite, elles font défaut à proximité
immédiate de la tumeur.
Substance blanche (Carmm et Weigert-fai). - vous y constatons (les pneno-
mènes analogues à ceux de l'observation II. Elle est criblée de petites vacuoles
sans membrane propre, délimitées simplement par des fibres nerveuses serrées
(fig. 5). Mais ici ces vacuoles sont loin d'occuper toute la coupe. Nous avons
rendu sur la figure 6 la zone de leur densité maxima ; on voit que c'est la plus
rapprochée de la tumeur. En dehors elles sont rares. Il est clair qu'à ces va-
cuoles doit correspondre une déperdition en fibres nerveuses, mais elle est
Fie. 3. - P, pigment. V, vaisseau.
Esp. Espace péri-vasculaire élargi.
T, tissu conjonctif.
FiG. 4. C, corps amylacés. - Esp, es-
pace péri-vasculaire. - F, fibres ner-
veuses denses.- N, noyaux névrogl.-
T, tissu conjonctif. - V, vaisseau.
Fic. 5 et 5 a.
V, vaisseau. Va, vacuoles. F, fibres blanches. .V, noyaux névrogliques.
Esp, espace péri-vasculaire.
ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS 149
comme celles-ci, localisée à un territoire relativement restreint. Sur une coupe
horizontale nous trouvons en avant de la tumeur une forte raréfaction des fibres
nerveuses radiaires et surtout supraradiaires, en même temps qu'un réticule
de vacuoles (Fig. 5 et 5 a). Cependant il y a encore toujours des fibres ner-
veuses conservées. En certams endroits où probablement il était très difficile
à la substance cérébrale de faire place (p. ex. c. de la Pl. XXV soumis à une
pression directe de haut en bas et à une autre de dedans en dehors) la moelle
présente l'aspect fendillé particulier aux coupes que l'on a laissé sécher.
Dans la région voisine de la tumeur on remarque d'énormes « cellules arai-
gnées » en grand nombre.
En arrière du néoplasme la substance blanche a un aspect tout à fait nor-
mal. '
Ecorce. - Elle est très altérée à proximité immédiate et en avant de la tu-
meur. Les cellules paraissent atrophiées, perdues dans de gros espaces péri-
cellulaires. Tout près du néoplasme il n'est parfois plus possible de reconnaître
la structure corticale.
Dans le reste du cerveau l'écorce ne nous a pas paru présenter d'anomalie.
Il en est de même par le cervelet et la moelle épinière.
Résumé. Tumeur sise en avant des ventricules cérébraux. Phénomènes
locaux d'atrophie des 1 ? et 2e paires avec hallucinations remarquables des
domaines corticaux correspondants. Destruction de fibres nerveuses limi-
tée à une zone étroite située directement en avant au-dessus et sur les côtés
du néoplasme. D'accord avec cela absence de démence prononcée dans
le tableau clinique.
OSERVATION IV. K... Fritz est né en 1881. Sa mère est internée depuis
bien des années. Nous l'avons examinée : elle est atteinte de démence précoce.
K... s'est développé normalement jusqu'à l'âge de 14 ans ; il présenta alors de
troubles de la marche qui nécessitèrent son entrée à la clinique médicale de
Berne (déc. 1895). On constata que les 3e et 5e vertèbres lombaires étaient dou-
loureuses à la pression ; marche spastique parétique ; légère ataxie ; réflexes
rotuliens exagérés ; troubles des fonctions de la vessie. Ces symptômes firent
penser d'abord à l'existence d'une spondylite. Au cours de l'observation se
développèrent une paralysie des muscles droits interne et inférieur de l'oeil
droit, une parésie du droit inférieur à gauche et du nystagmus. Au point de
vue psychique : état démentiel et rire idiot. quitta la'clinique en avril 1896
quelque peu amélioré. Diagnostic probable : sclérose en plaques.
Le 23 novembre de la même année, son père l'amène à l'asile de llünsingen
(Berne). K... est devenu menteur, voleur, désobéissant, rit à toutes les obser-
vations qu'on lui fait. Il fume continuellement, fréquente les auberges, se mas-
turbe avec un sans-gène effrayant. Impossible de rien faire de lui à la maison.
Status psychique. - Démence notable, mais pourtant moins avancée qu'on
ne serait disposé à l'admettre au premier abord.Ecrit encore des lettres sensées
bien que très simples. Joue mal aux cartes, jeu qui cependant ne lui est pas
130 WEBER ET PAPADAKI
nouveau. Prend plaisir à des enfantillages, vole du tabac à ses camarades.
Rires et pleurs alternent sans cesse et sans motif. Le rire a quelque chose de
particulier, de convulsif.
Parfois le malade se lève en chantant et en riant aux éclats et se met à
danser jusqu'à tomber par terre. Orientation et mémoire encore bonnes.
Status corporel.-Sensibilité normale.Marche peu sûre, spastique.K...a de la
peine à détacher les pieds du sol. En même temps ataxie, mouvements exagé-
rés, Romberg. Réflexes patellaires très vifs, clonus du pied. Ecriture grosse,
ataxique. La parole est absolument celle d'un paralytique général. Tremble-
ment des bords de la langue.
Pupilles presque toujours inégales (d>g) réagissent lentement à la lumière et
à l'accommodation.
Après une observation de quelque durée nous pensâmes avoir affaire à une
paralysie générale juvénile. Ajoutons pour n'y plus revenir que la démence
progressa, mais que jusqu'à la mort survenue en juillet 1899 dans un état de
marasme extrême, elle n'atteignit jamais les degrés qu'on observe dans la
paralysie générale. C'est ainsi qu'en décembre 1898 K... écrivit encore à ses
parents une lettre très enfantine c'est vrai, mais correcte et sensée.
Motilité. Les bras ne furent jamais paralysés mais les mouvements devin-
rent de moins en moins sûrs, le malade renversait beaucoup de tabac en bour-
rant sa pipe ; lorsqu'il écrivait, des soubresauts musculaires le faisaient dévier
de la ligne. La marche, de plus en plus difficile, lui devint impossible en mai
1897 ; mis debout, il tombait immédiatement en riant ; pourtant, couché dans
son lit, il exécutait tous les mouvements qu'on lui commandait, dépassant
presque toujours le but à atteindre, comme cela s'observe chez les ataxiques.
Les réflexes patellaires restèrent très exagérés ; la contracture des adducteurs
empêchait l'écartement des jambes ; elles restaient étendues, les pieds en
equino-varus lorsqu'on asseyait le malade sur une chaise-
La parole s'embarrassa progressivement et devint presque inintelligible en
février 1899. En avril apparurent aussi des troubles de la déglutition.
Sauf une certaine hyperesthésie à la piqûre, la sensibilité ne présenta jamais
rien de particulier.
Gâtisme presqu'ininterrompu dès le mois de mars 1897.
En novembre 1898 le malade se plaint de maux de tête ; vomissements.
Pouls 65. L'examen du fond de l'oeil dévoile la présence d'une papillite
(Stauungs-papille) tout à fait prononcée. Le diagnostic de tumeur de la région
des corps quadrijumeaux n'est plus douteux.
Yeux. En octobre 1896 la pupille droite est dilatée, ne réagit plus du tout.
Peu il peu se développe un strabisme divergent de l'oeil droit avec du ptosis,
de sorte qu'en juin 1897 cet oeil occupe continuellement l'angle externe de
l'orbite et ne peut plus être ramené jusqu'à la ligne médiane.Dès la fin de 1898,
l'oeil gauche reste fixé sur la ligne médiane. Les efforts du malade pour le
mouvoir ne réussissent qu'à produire quelques mouvements de nystagmus
Réaction pupillaire minime la lumière et à l'accommodation.
ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS loti
En mars 1899 , parésie passagère du facial droit et de la moitié gauche du
corps.
Les troubles morbides que nous venons de détailler ont eu une marche
progressive mais irrégulière, présentant des exacerbations et des rémis-
sions.
Le procès-verbal d'autopsie nous dit que les circonvolutions étaient
aplaties et les ventricules dilatés. Le manteau cérébral n'a malheureuse-
ment pas été conservé. L'examen miscroscopique de la moelle épinière ne
nous a rien révélé de pathologique.
Le IIIe ventricule est très dilaté(PI. XXV,B) ; la commissure moyenne est
réduite à une mince lamelle. Le pourtour de la région des corps quadri-
jumeaux est de in 5 centimètres (contrôle 10), la distance de la commissure
postérieure au bord antérieur du cervelet de 3 centimètres (cont. 1 3/4).
A la base le nerf IIIe droit complètement dégénéré, émerge d'une tu-
meur qui s'étend du bord postérieur du chiasma à l'antérieur de la protu-
bérance. Il s'agit d'un gliome contenant des foyers hémorragiques de
dates très différentes. Il n'est pas partout nettement délimité ; bien qu'il
soit en majeure partie extra cérébral et entouré de tissu conjonctif, il y a
cependant des îlots de cellules infiltrées dans le tissu nerveux (fig. 6).
Point de réaction inflammatoire.
La série de coupes que nous reproduisons montre que la tumeur, partie
de la base du cerveau, suivant sans doute le foramen coecum, finit par
émerger dans le IVe ventricule et envahit même une partie du cervelet.
L'aqueduc de Sylvius se trouve fortement comprimé, différentes parties
Fis 6. Cl, corps deLuys. Coa, commissure antérieure. Nr, noyau rouge.
ATc, noyau caudé. - Tro, tractus optique. Tum, tumeur.
X F et M, entrecroisement des faisceaux de Forel et de Meynert.
152 WEBER ET PAPADAKI - .
du tronc encéphalique on change de forme et de position, mais il n'y a
que peu de détruit. Les pyramides sont repoussées en dehors (fig. 7),
le noyau IIIe à gauche se voit bien et l'on suit facilement les fibres qui en
naissent. A droite par contre le même noyau ne dispose que d'un espace
minime, il n'en sort que quelques fibres qui se perdent bientôt dans la
tumeur (Fig. 8).
Certains des phénomènes cliniques notés trouvent sans difficultés leur
explication ; par exemple la paralysie du nerf IIP à droite par destruction
directe du noyau et des fibres. D'autres sont sans doute des effets de com-
pression à courte distance, comme par exemple l'ébauche d'hémiplégie
FiG. 1. Cge, corps genouillé externe. Cgi, corps genouillé interne.
Fld, faisceau longitudinal dorsal.
N III, noyau III* paire. Pcs, pédoncule cérébelleux supérieur. Py, pyramide.
Rm, Ruban de Reil, médian. Ln locus niger. Tm, tumeur.
F'iG. 8. Aqs, aqueduc de Sylvius. - Fld, faisceau longitudinal dorsal. Gp, tu-
bercule quadrijumeau postérieur. - N IV, noyau de la IV. paire. RL, ruban de
Reil. Rm, ruban médian. X Pcs, croisement du pédoncule cérébelleux supé-
rieur. Tm, tumeur.
ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE -DE TUMEURS I'a'3
alterne inférieure. Les hémorrhagies nous permettent de comprendre la
marche irrégulière de la maladie.
Mais il-nous reste : '
1° Cette démence progressive, changement de caractère, dénotés par des
actes que nous sommes habitués à considérer comme quasi caractéristiques
de la paralysie progressive.
2° L'ataxie, la dysarthrie et le rire idiot (forcé).
Quelle est leur cause ? ` ?
Le gâtisme peut appartenir aux deux groupes ; il peut être la consé-
quence de la démence ou relever de l'ataxie. Cette dernière hypothèse est
pour nous plus plausible. En effet les troubles de la vessie ont apparu
chez K... fort tôt et avant que la démence seule pût les justifier.
Les ventricules latéraux étaient dilatés et cela naturellement aux
dépens du manteau cérébral. Malheureusement celui-ci n'était plus à
notre disposition pour être examiné. Mais dans le tronc encéphalique, coupé
en série, nous avons constaté partout les altérations décrites précédem-
ment. Dans la substance grise des vacuoles autour des cellules nerveuses;
dans la blanche, partout des vacuoles de formes el de dimensions variables.
Nous admettons que probablement le manteau cérébral se trouvait dans le
même étal et en concluons que le cerveau avait subi une perte notable en
fibres nerveuses. Ceci peut fournir l'explication de l'état démentiel.
Les espaces périvasculaires étaient peu élargis. Cervelet : nous y ren-
controns exactement les mêmes phénomènes pathologiques. Il y a un réti-
cule de vacuoles dans les différents pédoncules, dans la masse même du
cervelet. Donc ici aussi perte de fibres nerveuses (Fig. 9).
XV) H i i
FiG. 9. Pcm, pédoncule cérébelleux moyen. Pcs, péd. cérébel, supér.
IV* quatrième ventricule.
V, trijumeau. VI, oculom. externe. VU, VII n, facial et son noyau, VIII c, acous
tique (cochlearis).
151 WEBER ET PAPADAKI
Rappelons-nous maintenant que K... n'était point paralysé et que sa
moelle paraît normale. Nous sommes tentés d'attribuer son ataxie, sa dy-
sarthrie aux lésions constatées dans le cervelet et à les mettre en quelque
sorte en parallèle avec l'affaiblissement intellectuel : une espèce de dé-
mence motrice si l'on peut dire ainsi.
RÉSUMÉ. Tumeur gliomateuse s'étendant de la région interpédonculaÍ1'1J
au IVe ventricule ; obstruction de l'aqueduc de Sylvius. Peu de destruc-
tions directes ; par contre dilatation ventriculaire générale, raréfaction
de la substance blanche par formation de vacuoles dans le tronc encéphali-
que et sans doute aussi dans le manteau cérébral. En d'autres termes effet
à distance général et d'une intensité remarquable. Correspondant à cela :
Démence et troubles ataxiques.
OBs. V. J. 111...., décédé le 1er novembre 1902 à l'âge de 41 ans. Rien
à dire sur ses antécédents jusqu'en janvier 1901, où il est blessé à la joue
gauche par un fragment de fer, tombe et perd connaissance. Dès lors cépha-
lalgie localisée au front et au vertex. Bourdonnements de l'oreille droite. Dé-
couragement. Dans le courant de l'été 1901, troubles de la parole et de la déglu-
tition. Se met à boire. En décembre 1901, vomissements, céphalées intenses
et délires. A l'hôpital cantonal on est frappé de sa somnolence, de la lenteur
de son travail intellectuel.
Parésie du facial gauche et de l'hypoglosse droit. Marche titubante. Réflexes
rotuliens exagérés. Babinski faible des deux côtés. Sensibilité normale. Pupille
droite un peu plus grande que la gauche. Réactions bonnes. Bourdonnements
dans l'oreille droite et diminution manifeste de l'ouïe de ce côté. Vomissements
irréguliers. Température allant parfois jusqu'à 38° 2, et cela sans cause con-
nue.
En avril 1902, M.... put rentrer chez lui fort amélioré. Il nous arrive le
l 20 décembre 1902, très faible depuis une quinzaine, reste couché, ne mange
presque pas.
Les phénomènes décrits plus haut se sont notablement aggravés. Somnolence
si intense que parfois on croit déjà mort. Pupilles larges, égales, ne réa-
gissant presque pas. Parésie de l'oculomoteur externe droit. Réflexes rotuliens
exagérés. Station debout impossible ; démarche extrêmement spastique. Le ma-
lade étant couché, les mouvements des jambes s'exécutent sans difficulté. Gâ-
tisme. Exitus le 10r novembre 1902.
L'autopsie confirme le diagnostic de tumeur intracrânienne, Poids du cer-
veau seul 1430 grammes, du néoplasme 50 grammes. Celui-ci, long d'environ
6 centimètres, large de 4 centimètres, aplati, est appliqué sur le côté droit de
la protubérance (fig. 10) et de la moelle allongée, jusqu'au niveau du croise-
ment des pyramides ; il s'est fait place dans l'hémisphère droit du cervelet.
De consistance tendre, il présente un type alvéolaire pauvre en tissu conjonc-
tif ; c'est unangiosarcome, ou selon la dénomination deM.Zahn un carcinome
périvasculaire ; en effet au centre des alvéoles se trouve un petit vaisseau.
ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS 155
Partout séparation nette d'avec le tissu cérébral ; point de zone d'in(lamma-
tion. Grosses cellules araignées à proximité.
Des coupes de la moelle épinière (Carmin et Weigert-Pal) ne présentent ab-
solument rien d'anormal.
Si nous cherchons à nous expliquer les phénomènes cliniques, nous remar-
quons immédiatement qu'il y a là tout un mélange d'effets directs et à distance.
Par exemple les troubles pupillaires n'ont pu être produits qu'à distance, car la
tumeur n'intéresse la Ille paire que dans la région des noyaux et des racines.
L'hypertension musculaire est due à la compression des pyramides ; bien que
le néoplasme fût à droite, le faisceau pyramidal gauche ne pouvant faire place,
parce qu'il se trouvait serré contre la paroi osseuse du foramen occipital a souf-
fert tout autant dans ses fonctions.
Ce cas â présenté quelque intérêt médico-lé,,Yal ; en effet il s'agissait d'établir
s'il y avait relation entre le traumatisme et le développement de la tumeur. Nous
avons cru ne pas pouvoir donner un avis positif. Nous nous demandons
Fm. 10. les, fosse de Sylvius. Fli, faisceau longitudinal inférieur. - Gsm,gyrus
supra-marginalis. - H, circonvol. de l'hippocampe ; - ip, sillon interpariétal. -
LI, circonvol. limbique. Pa, circonvol. pariétale ascendante. - Par, lobule para-
central. P ? deuxième circonvol. pariétale. Pul, pulvinar. Rift, radiations
thalamiques. Tl, T2, Tl, circonvolutions temporales. Tap, tapetum. - Tm, tu-
meur.
156 WEBER ET PAPADAICI
même si ce soi-disant traumatisme n'était pas en réalité dû à un accès épilep-
tiforme. Ce qui distingue encore cette observation des précédentes, c'est la mar-
che très rapide de la maladie. Il n'est guère admissible qu'une tumeur de cette
région puisse rester longtemps latente. Or c'est en 1901 qu'apparaissent les pre-
miers troubles moteurs et 18 mois plus tard survient la mort, et cela malgré le
petit volume du néoplasme.
Examen du cerveau coupé en série (Dr. Papadaki).
Les ventricules latéraux sont dilatés (fig. 10 et 41), à gauche un peu plus
qu'à droite ; la différence est surtout visible dans la corne frontale. Nous rap-
pelons ce qui a été dit pour notre observation 2. Cependant il y a, surtout
dans les lobes frontaux, une altération nouvelle : une sclérose remarquable
de l'épendyme, pénétrant même profondément dans la substance blanche.
(fig. 11).
Partout nous trouvons des espaces périvasculaires fortement dilatés, même
autour des capillaires (fig. 12), contenant du sang frais ou du pigment. Il n'est
pas rare de rencontrer, le plus souvent à proximité du ventricule, des vais-
seaux tordus de façon fantastique, dans ces larges espaces. Les filaments qui
relient la paroi du vaisseau à la couche sclérosée qui borde l'espace périvas-
culaire, nous paraissent indiquer que ce travail de dissection s'est fait peu à
peu.
Un peu partout nous reconnaissons les vacuoles trouvées précédemment,
mais elles sont beaucoup plus petites ; il faut les chercher. C'est dans les cou-
pes intéressant aussi la tumeur qu'elles sont le plus nombreuses.
Nos procédés ne nous ont pas permis de trouver des altérations dans l'écorce ;
Fic. H. Fi, F2, F3, circonvol. frontales.
- Il, circonvol. limbique.- OFI,partie
orbitaire de la première circonvol.
frontale. S, sclérose péri-vasculaire.
V, ventricule latéral.
FIG. 12. Espace péri-capillaire.
ALTÉRATIONS DU TISSU CÉRÉBRAL DUES A LA PRÉSENCE DE TUMEURS 157
par contre les masses grises de la base et de la protubérance ont un aspect cri-
blé : les cellules sont perdues dans de larges espaces blancs.
La substance blanche présente un aspect particulièrement dense : cela est
surtout visible dans les gros faisceaux coupés transversalement, par exemple
Rth. et Fli. ; les mailles du tissu conjonctif sont beaucoup plus petites que dans
une préparation normale et il n'est pas possible de distinguer les images en soleil
de la fibre nerveuse. Nous croyons remarquer que les faisceaux d'association
ont plus perdu en surface que ceux de projection.
Dans cette dernière observation la rapidité de croissance de la tumeur et
comme nous le verrons sa localisation spéciale, ont conduit à la mort avant qu'il
se fût produit une atrophie notable du cerveau (poids 1430 gr.).
Nous n'avons pas la témérité de vouloir tirer des conclusions générales
de nos 5 cas ; nous ne voulons que diriger l'attention sur quelques points.
Ce que nous avons pu trouver dans la littérature n'était pas de nature à
nous donner beaucoup d'indications ni à nous préserver d'erreurs.
1° Il paraît y avoir un courant lymphatique de la circonférence du cer-
veau vers les ventricules. En effet c'est la partie périphérique à la tumeur
qui souffre le plus et non pas par altération de la circulation du sang,
mais bien de celle de la lymphe (Obs. 1 et 3). '
2° Ce courant parait ensuite prendre son chemin à travers l'aqueduc de
Sylvius vers l'espace subdural de la moelle épinière. Les conséquences sont
toutes différentes suivant que le néoplasme intercepte ce courant ou non.
Dans le second cas une tumeur très grande peut n'avoir que des consé-
quences relativement faibles (Obs. 3).Dans le premier un petit néoplasme
déploie des effets très puissants (Obs.4 et ).C'est par le moyen des ventri-
cules que la pression exagérée se distribue sur tout le cerveau. A ce point
de vue et pour des raisons purement mécaniques, les tumeurs de la région
de la tente du cervelet et du foramen occipital sont particulièrement
funestes.
Il est toutefois clair qu'un néoplasme parti d'un autre endroit peut
également finir par obstruer la circulation ventriculaire (Obs. 2).
3° La pression intracérébrale, si on peut la mesurer d'après les altéra-
tions des tissus, n'est pas égale partout. Elle a son maximum d'intensité
aux abords de la tumeur et lorsque les ventricules sont dilatés, dans le
voisinage de ceux-ci. Le tissu cérébral, grâce à la résistance qu'il y oppose,
en diminue progressivement l'intensité.
4° Sous l'influence d'une augmentation de la pression intracrânienne,
les circonvolutions se rapprochent d'abord, fermant les scissures, puis les
tissus deviennent plus denses, leur dessin s'efface. C'est le 1er stade.
(Obs. 5). Plus tard le liquide céphalo-rachidien, incompressible, se fait
place en réduisant les fibres nerveuses il l'atrophie. C'est le second stade
158 WEBER ET PAPADAK1
(Obs. 1, 2, 3, 4). Nous avons trouvé des altérations beaucoup plus fortes
dans la substance blanche que dans l'écorce. Nous tenons cela pour établi,
bien qu'évidemment nos procédés d'examen insuffisants en soient la cause
partielle.
5° Or la démence des cas de tumeur est en général bien différente par
exemple de celle d'une paralysie générale. Ici c'est surtout l'écorce qui
est lésée. Le siège de l'atrophie dans le cortex ou la substance blanche ne
fournirait-il pas l'explication de ces variétés de démence.
60 Dans la substance blanche les faisceaux d'association paraissent souf-
frir plus que ceux de projection. La dilatation ventriculaire est le plus
forte là où il y a le plus de fibres associatives (lobe frontal). A mesure que
la corne frontale se dilate, la pression à supporter par les tissus restant la
même par centimètre carré, augmente au total avec la surface ventricu-
laire (Obs. 2). C'est donc ta que les altérations des tissus seront le plus
marquées.
7° Lorsqu'une tumeur unilatérale obstrue la circulation ventriculaire,
il est de règle que le ventricule opposé soit pi us dilaté; l'équilibre dans la
compression des tissus se trouve ainsi rétabli (Obs. 2 et 5).
8° La dilatation des espaces périvasculaires, la formation d'hémorrha-
gies dans ceux-ci paraissent accompagner régulièrement le développement
des tumeurs. Nous n'avons par contre pas trouvé les nécroses par inflam-
mation ou arrêt de circulation dont parlent certains auteurs, par exemple
Oppenheim dans Nolhnagel.
9° Bien que la circulation lymphatique dont nous parlons plus haut
soit nécessairement liée très étroitement à celle du sang, nous ne pouvons
pas admettre que la stase lymphatique soit simplement la conséquence de
la compression des veines. Comment croire que la tumeur de l'observa-
tion 1 si petite et laissant indemne la majeure partie de la pie-mère
du lobe occipital ait pu gêner à ce point la circulation ? Comment com-
prendre d'autre part que le néoplasme de l'observation 3 n'ait pas eu un
retentissement général et très intense, si la compression des veines jouait
un si grand rôle ? Nous estimons qu'il y a là un mécanisme de nutrition
spécial au cerveau, mais que nous ne connaissons pas exactement.
10° Nous ne pouvons pas nous rattacher à l'opinion émise par Brissaud
et Souques ( Traité de médecine), qui veulent expliquer une partie des
phénomènes pathologiques par le fait que les tumeurs produiraient des
poisons. S'il faut vraiment partout de l'auto-intoxication, il nous semble
beaucoup plus logique d'admettre qu'elle est due à des produits que la
circulation lymphatique n'arrive plus à éliminer; ces produits seraient
des résidus ou de la nutrition cérébrale ou de la dégénérescence des fibres
nerveuses. Nous avons démontré l'existence de cette dégénérescence*
allant jusqu'à la destruction totale.
CLINIQUE DU PROFESSEUR GRAZIADEI, HOPITAL 1JAURIZIANO, TURIN.
SYNDROME DE LA CALOTTE PÉDONCULAIRE.
HÉMIPLÉGIE ALTERNE SENS1T1V0-MOTRICE. PARALYSIE DES MOUVE-
MENTS ASSOCIÉS DE L'ÉLÉVATION, DE L'ABAISSEMENT, DE LA CON-
VERGENCE DES DEUX GLOBES OCULAIRES, AVEC ATTEINTE DE LA
MUSCULATURE INTERNE DES YEUX ET CONSERVATION PARFAITE DES
MOUVEMENTS ASSOCIÉS DE LA 131LATÉRALITÉ
PAR
ETTORE GRUNER et MARIO BERTOLOTTI.
Un des chapitres les plus intéressants de la pathologie nerveuse est bien
celui de l'hémiplégie alterne. Etudié par bien des auteurs dans des travaux
classiques, ce chapitre a été dernièrement enrichi d'une façon très originale
par les faits relatés par MM. Raymond et Cestan (l).Dans les trois cas décrits
par ces auteurs,il s'agissait d'un syndrome particulier : un syndrome protu-
bérantiel supérieur, qui n'est pas le syndrome de Weber, qui n'est pas
non plus le syndrome de Mitiard-Gùbler ; il est caractérisé d'un côté
par une paralysie des mouvements de latéralité des globes oculaires, et
de l'autre par une hémiplégie du bras et de la jambe, atteignant très lé-
gèrement ta force motrice et se manifestant, au contraire, par du tremble-
ment, de l'incoordination, des mouvements athétosiformes et de l'asyner-
gie cérébelleuse avec troubles très profonds de la sensibilité subjective et
objective.
Ce syndrome particulier, remarquable par la fixité de son type clinique,
était déterminé, dans les trois cas de MM. Raymond et Cestan, par le dé-
veloppement d'un tubercule solitaire au niveau de la calotte protubéran-
tielle immédiatement en arrière de la couche des fibres sensitives, au-des-
sous de l'entrecroisement de vVernicke, au-dessus du genou du facial, dans
cette région qui s'étend entre les noyaux de la IIIe et delà VIe paire.
Or nous avons eu l'occasion d'observer un syndrome qui par bien des
pointes se superpose à celui décrit par Raymond et Cestan, tout en restant
bien individualisé par la présence de quelques symptômes particuliers,
(1) RAYMOND et CESTAN, Le syndrome prolubérantiel supérieur, Gazette des hôpi-
taux, )''03.
160 GRUNER ET BERTOLOTTI
qui peuvent servir à bien établir son type clinique et sa localisation
anatomique.
Tout d'abord, comme nous le démontra l'examen histologique dans un
cas, ici la localisation n'est pas seulement protubérantielle, mais pédon-
culo-protubérantielle : la tumeur (tuberculome) placée au milieu de la
calotte pédonculaire, s'étendait tout le long de l'aqueduc de Sylvius depuis
le plancher du 3° ventricule jusqu'au quart supérieur du pont de Varole.
Ainsi placée la tumeur donna lieu à ce syndrome spécial que nous allons
décrire et qui soulève quelques-uns des problèmes les plus intéressants
de la physio-pathologie nerveuse.
OBS. [. R.... Domenico, laboureur, âgé de 28 ans, né à Borgofranco
d'Ivrea, entro à l'hôpital Mauriziano le 20 avril 1901.
Père mort à l'âge de 50 ans, on ne sait de quelle maladie, mère vivante,
un frère en bonne santé.
En 1887, tout petit encore,il tomba malade de dotUiénentérie; en 1895, tan-
dis qu'il était sous les armes, il fut atteint d'une affection gastro-intestinale.
Il y a un an (1900), le malade fit une chute de la hauteur d'un premier
étage ; il ne perdit pas connaissance, rentra chez lui et se coucha ; le lendemain
il put aller à son travail comme de coutume. Il n'eut, dit le malade, aucun
trouble à la suite de cet accident, ni céphalée, ni lourdeur de tête, ni autre
chose qui put attirer son attention . Il resta donc bien portant pendant
6 mois encore et ce fut alors qu'il commença à ressentir de violents maux de
tête, qui furent bientôt suivis de vomissements et d'un affaiblissement de la
vue.
C'est dans cet état qu'il entre à l'hôpital le 20 avril 1901.
Elat actuel. - Homme d'apparence robuste ; il nie la syphilis et toute autre
infection.
Facies caractéristique des tumeurs cérébrales, démarche ébrieuse, hémipa-
résie du bras et de la jambe droite. Légère asymétrie de la face déviée à gauche,
la langue est tirée sur la ligue médiane, la branche supérieure du facial n'est
pas atteinte.
Parole lente, bredouillée, tout à fait analogue à celle de la sclérose en
plaques.
Examen de la motilité. Il existe à droite une hémiplégie motrice carac-
térisée par un léger défaut de la force musculaire, tandis que l'examen de la
motilité volontaire fait relever des troubles profonds portant sur la coordina-
tion, sur l'équilibre et sur la direction des mouvements.
Si l'on ordonne au malade de prendre son verre, de porter son doigt au nez,
on note tout de suite une grande incoordination motrice et un véritable trem-
blement intentionnel qui s'exagère beaucoup dans les mouvements exécutés.
A gauche la force musculaire et les mouvements volontaires sont normaux.
Il n'y a pas de trace d'atrophie des muscles d'un côté ni de l'autre.
Examen de la sensibilité. - L'exploration de la sensibilité objective fait
SYNDROME DE LA CALOTTE PÉDONCULAIRE 161
constater une hypoesthésie très nette sur tout le côté droit du corps, faoe et
langue comprise, jusqu'à la ligne médiane.
Perte du sens musculaire et du sens stéréognostique de ce côté. Le malade
se plaint d'une céphalée très violente qui s'exagère au moindre mouvement
et qui est localisée à la nuque.
Examen des yeux. Le fait le plus saillant et qui attire tout de suite l'at-
tention lorsqu'on examine le malade, c'est un ptosis bilatéral très prononcé.
La fente palpébrale des deux côtés conserve une certaine ouverture, mais cela
tient à la suppléance fonctionnelle des muscles frontaux et encore à un degré
très remarquable d'exophtalmie paralytique. En effet, presque tous les mus-
cles extrinsèques des deux yeux étant paralysés, il y a propulsion des globes
oculaires.
Les mouvements de l'élévation et de l'abaissement font absolument défaut, la
convergence est absolument nulle, les mouvements obliques en haut, en bas et
en dehors sont abolis ; les seuls mouvements de latéralité à droite et à gauche
sont conservés et les deux yeux se déplacent jusque dans la position extrême du
regard tout en étant animés de petites secousses nystagmiformes.
Les muscles droits externes sont valides et les deux yeux sont en strabisme
divergent, toutefois le malade n'accuse pas de diplopie et celle-ci, décelée
seulement par les manoeuvres d'exploration, est passagère. Les deux pupilles
sont rétrécies, égales, elles réagissent faiblement à l'accommodation, mais pas
à la lumière.
En résumé, il y a paralysie de l'élévateur, du droit supérieur, du droit in-
férieur, du grand et du petit oblique des deux côtés, abolition de la convergence
et conservation des mouvements de latéralité avec intégrité partielle des mus-
cles intrinsèques.
L'examen du fond de l'oeil fait constater la stase papillaire avec névrite op-
tique oedémateuse plus accusée à droite.
Examen des sens spécifiques. La vue est affaiblie des deux côtés, le ma-
lade ne voit les objets que dans un brouillard, il se plaint en outre d'une sen-
sation de brûlure dans les yeux et d'une abondante lacrymation ; la conjonc-
tive est injectée, la cornée est ulcérée, il y a en somme un degré évident de
kératite neuro-paralytique des deux côtés. ,
L'ouïe est nettement diminuée à droite.
Pas de troubles du goût, ni de l'odorat.
L'exploration des réflexes profonds fait constater une exagération de tous
les réflexes tendineux ou périostés à droite.
Les réflexes cutanés ne sont pas abolis, le réflexe plantaire se fait en flexion
des deux côtés.
Il n'existe aucun trouble des sphincters en dehors d'une constipation opi-
niâtre.
L'examen des divers organes : poumons, coeur, viscères, reste complète-
ment négatif. Ni sucre ni albumine dans les urines.
En présence de ces symptômes, on pose le diagnostic de tumeur ( ? ) de la
calotte pédonculaire au voisinage des tubercules quadrijumeaux antérieurs.
162 GRUNER ET BC131'0L0'r"r'I
et on essaie le 23 avril 1901 le traitement mixte iodo-mercuriel ; on lui fait
28 piqûres de bichlorure de mercure et 5 de calomel (5 centigrammes).
Le 18 juin, l'état du malade n'étant pas amélioré, il réclame sa sortie de
l'hôpital qui se fait le lendemain.
08s. II. Nous donnons l'observation suivante avec plus de détails, le ma-
lade en question ayant séjourné six mois dans l'hôpital et tous les divers symp-
tomes ayant été suivis jour par jour jusqu'à la mort du sujet.
Magl.... Lorenzo, tailleur de pierres, âgé de 36 ans, né à Andorno (Biella),
entre à l'hôpital le il septembre 1903.
Aucun ou peu de renseignements notables sur ses parents morts depuis
longtemps : il n'a ni frères, ni soeurs.
A l'âge de 8 ans il est atteint de rhumatisme articulaire aigu, pendant quel-
ques années en hiver son rhumatisme l'oblige à tenir le lit pendant de longues
semaines.
A l'âge de 20 ans, il se présente sous les armes, est déclaré bon, mais il
est dispensé du service militaire comme étant fils unique.
A 22 ans, en pleine santé, il est pris d'une violente douleur dans la région
cervico-dorsale, bientôt une tuméfaction se fait dans cette région, le malade va
à l'hôpital à Biella et ici on lui reconnaît un abcès qui est incisé.
Deux ans se passent alors dans un état de santé médiocre ; à cette époque il
est pris d'une toux sèche sans expectoration ; après trois semaines dans un
effort de toux, il crache du sang et doit s'aliter pour une quinzaine de jours.
Après cette hémoptysie, l'état du malade se maintient stationnaire ou à peu
près avec des aggravations passagères et deux ou trois fois encore il doit recou-
rir à l'hôpital de son pays.
Il y a deux ans, il s'aperçoit un jour qu'il voit double ; un mois après, un
matin à son réveil, il éprouve une sensation de lourdeur aux paupières, il ne
peut regarder devant lui sans plisser le front et dresser la tête. La diplo-
pie à cette époque disparaît, mais le ptosis persiste et devient toujours plus
gênant ; enfin il commença alors à ressentir les premiers maux de tête :
ceux-ci venaient par accès tout en lui laissant quelques jours de repos. Six
mois après le début de la diplopie, assez lentement sans perte de conscience,
il se sentit pris d'une faiblesse dans le côté droit du corps.
Ce fut en de telles conditions que le malade vint à l'hôpital.
Etat actuel. - Homme de taille moyenne, très amaigri, d'aspect cachecti-
que ; à l'examen de ses poumons on note tout de suite les signes certains d'une
infiltration des deux sommets.
L'examen du tronc et des membres fait constater l'existence d'une hémiplé-
gie droite associée à des troubles de la sensibilité.
L'épreuve du dynamomètre donne 15 pour la main droite et 30 pour la main
gauche.
Les réflexes tendineux et osseux, normaux à gauche, sont nettement exagé-
rés à droite et on provoque même très facilement le clonus du pied et le signe
des orteils de ce côté, .
NOUVELLE ICONOGRAYUIL DE LA SALPGTRILRE
T. XVII l'1. XXVI
SYNDROME DE LA CALOTTE PEDONCULAIRE
(Grimer et Berlolotti)
Masson & Cie, Editeurs
SYNDROME DE LA CALOTTE PÉDONCULAIRE 163
Réflexes crémastériens, abdominaux, disparus à droite, persistent à gauche.
On voit tout de suite, eu regardant le malade, que sa main droite est le siège
des mouvements lents, reptiformes, involontaires, tout à fait semblables à des
mouvements athétosiques.
A part cela, on ne constate ni tremblement au repos, ni atrophie muscu-
laire, ni autre trouble trophique.
Le malade marche à petits pas, les jambes écartées et raides, l'équilibre
dynamique dans la marche est toujours menacé et on note de la latéropulsion
vers la droite. Pas de Romberg. - L'examen de la motilité démontre qu'il
existe une hémiplégie à type cérébral avec participation du facial inférieur, la
bouche est tirée en haut vers la gauche, la langue reste sur la ligne médiane.
Il n'y a pas de contractions fibrillaires, les muscles du pharynx se contrac-
tent assez bien, le malade n'éprouve aucune gène dans la déglutition, la bran-
che .motrice du trijumeau à cette époque n'est pas intéressée, le réflexe
massétérin se produit sans exagération. '
On voit tout de suite que cette hémiplégie est plus apparente que réelle et
que l'insuffisance fonctionnelle à droite est plutôt provoquée par l'existence de
l'incoordination motrice et de l'asynergie musculaire, que par une véritable
paralysie.
A l'examen de la sensibilité on note dans toute l'étendue du côté droit, face
comprise, l'existence d'une hypoesthésie à tous les modes.de la sensibilité
objective. Cette anesthésie a bien tous les caractères de l'anesthésie de cause
centrale, elle est plus marquée aux extrémités qu'à la racine des membres, elle
est accompagnée par de la dysesthésie, de l'allochyrie, par la perversion de la
sensibilité thermique et par la perte du sens stéréognostique, musculaire et ar-
ticulaire.
Le malade se plaint eu outre d'une céphalée intense qui siège dans la nuque
et de sensations pénibles, de fourmillements, de picotements dans tout le côté
droit du corps.
La percussion du crâne est indolore, le malade insiste sur une sensation de
chaleur très nette du côté droit.
Examen des yeux. Les faits les plus saillants sont du côté des yeux : le
malade présente un ptosis double très prononcé; toutefois la fente palpébrale
n'est pas complètement fermée à cause d'un degré très grand d'exophtalmie
paralytique, les yeux sont très saillants et les muscles frontaux donnent une
bonne suppléance fonctionnelle. Si l'ou ordonne au malade de relever ses
paupières, on voit nettement qu'elles ne bougent pas au-dessus de la position
acquise par le ptosis (PI. XXVI, A).
On constate une paralysie absolue de l'élévation et de l'abaissement dans les
deux yeux. L'impotence fonctionnelle est la même quand on fait fixer les
deux yeux simultanément ou séparément. Quand on insiste pour porter l'oeil
en haut ou en bas, il a de la tendance à se dévier à gauche ou à droite dans
les directions latérales (PI. XXVI, B).
Par un contraste remarquable, les mouvements de latéralité à gauche et à
droite ont leur amplitude normale dans les deux yeux (PI. XXVI, C et D).
16 GRUNER ET BERTOLOTTt
Bien que les droits internes conservent leur intégrité fonctionnelle dans les
mouvements associés de latéralité, le mouvement de convergence est nul.
Les deux yeux sont en strabisme externe, toutefois la diplopie est passa-
gère et en tout cas elle n'est pas en rapport avec le strabisme et les troubles
des mouvements des globes oculaires. D'après les caractères de cette diplopie
on est parfaitement fixé sur la paralysie du pathétique et l'intégrité de la VIe
paire des deux côtés.
Les pupilles sont modérément dilatées et inégales, la droite plus dilatée
que la gauche, les réflexes à la lumière et à l'accommodation sont complète-
ment abolis. -
Examen de la vue : très diminuée, rétrécissement bilatéral et concentrique
du champ visuel. Pas d'hémianopsie. Dyscromatopsie avec perte de la cou-
leur violette. L'examen du fond de l'oeil dénote la stase et l'oedème de la pa-
pille des deux côtés.
Pas de troubles appréciables du goût, les odeurs sont mieux perçues à gau-
che. L'ouie est très diminuée à droite, mais cet examen n'a pas de valeur, à
cause d'une otite ancienne de ce côté. Parole nasonnée, bredouillée, scandée
comme dans la sclérose en plaques. Pas de troubles des sphincters. Les uri-
nes ne contiennent ni sucre, ni albumine.
18 octobre. Ptosis très prononcé, pouls fréquent et petit, céphalée très
violente.
20. Hyperidrose, vomissements.
17 novembre. Ponction lombaire, liquide sous forte pression, cytodiagnos-
tic négatif, somnolence invincible.
18. - Céphalée très intense, douleurs au rachis, à l'épaule droite, diminu-
tion de la vue.
21. Commencement de kératite neuro-paralytique dans l'oeil gauche.
25. Le malade mange avec appétit, se plaint toutefois de ne pouvoir mâ-
cher les aliments. Polyurie.
30. Progrès de l'anesthésie du côté droit, insensibilité de la conjonctive
à droite, diminution de la céphalée, état général stationnaire.
10 décembre. Application de sangsues réclamée par le malade. Douleurs
très fortes dans l'épaule et tout le côté droit du corps.
15. Mouvements conjugués horizontaux toujours bien conservés. Cépha-
lée très forte, injection de morphine.
7 janvier. Même état, douleurs insupportables dans le bras droit.
23. Altération dans le psychisme du malade, il se plaint qu'on veut l'em-
poisonner, qu'il a des ennemis ; mange et boit avec avidité. Troubles sphinc-
tériens, incontinence d'urine et des matières.
11 février. Relâchement des muscles frontaux, le ptosis est complet ; en
soulevant les deux paupières on fait exécuter facilement les mouvements de la
bilatéralité des yeux.
12. Le malade a eu un accès de mouvements spasmodiques dans le bras
et la jambe droite sans perte de conscience, pouls petit, respiration sterto-
reuse.
SYNDROME DE LA CALOTTE PÉDONCULAIRE 165
13 février. Répétition des spasmes et des crampes musculaires,
14-hui; Le malade est dans un état semi-comateux.
16. Reprend conscience, répond bien aux questions qu'on lui pose. Mou-
vements des yeux conservés à droite et à gauche. Hémoptysie.
21. Le malade retombe dans le coma et meurt le 23 février.
Pendant son séjour à l'hôpital, on nota soigneusement la température axil-
laire du malade à droite et à gauche : d'une façon générale, on put observer à
droite une augmentation d'un degré environ sur la température du côté gauche
du corps.
Voici quelques chiffres :
166 GRUNER ET BEI\TOLOTTl
supérieure du faisceau sensitif et envahit le tubercule quadrijumeau antérieur
gauche qui est affaissé (fig. 1). ·
Le tuberculome dans sa hauteur, sans atteindre la couche optique, faisait lé-
gèrement saillie dans le plancher du IIIe ventricule et descendait en bas dans la
protubérance en aval du noyau de la IVe paire qui était intéressé (fis. et 3).
La consistance, la couleur, la demi-transparence de ce foyer sont celles des
tuberculomes, on aperçoit un centre caséeux entouré d'une zone vasculaire
rougeâtre. '
L'étude histologique faite à l'aide de méthodes communes (Weigert-Pal,
picrocarmin en masse) nous a révélé les particularités suivantes :
La tumeur a la structure typique des granulomes tuberculeux, elle est cons-
tituée au centre par un tissu à l'état de nécrobiose finement granuleuse sans s
structure, et à la périphérie par des follicules circonscrits ou confluents qui
contiennent des cellules embryonnaires ou géantes.
Sur une coupe frontale au niveau des tubercules quadrijumeaux antérieurs,
le procédé de Pal permet de constater les divers systèmes de fibres et de cel-
lules détruites à savoir : la masse ganglionnaire de la substance grise de l'nque-
1
l<'lG. 1.
Fio. 2. ?
e
Fia. 3.
SYNDROME DE LA CALOTTE PÉDONCULAIRE 167
duc et du tubercule quadrijumeau gauche, la substance réticulaire, la partie
supérieure et interne du ruban de Reil, les fibres de la racine supérieure des-
cendante du trijumeau des deux côtés. On ne voit pas de trace des cellules du
noyau de la IIIe paire ni à droite ni à gauche. Du côté droit la bandelette lon-
gitudinale postérieure est refoulée en avant et ses fibres sont raréfiées, du côté
gauche le faisceau longitudinal postérieur est à peu près intact. Les fibres radi-
culaires intrapédonculaires des noyaux oculo-moteurs ne sont pas totalement
dégénérées, on voit nettement quelques fibres qui partent du faisceau longitu-
dinal postérieur, se portent en avant, traversent le noyau rouge et vont au sil-
lon interpédonculaire. Les cellules du locus niger sont un peu décolorées à
gauche. Le pied du pédoncule gauche ne présente pas de zones nettement dé-
générées, la comparaison entre les fibres colorées à droite et à gauche est à peu
près la même ; au surplus il y a du côté gauche quelques fibres plus minces et
plus pâles et le pied du pédoncule gauche est un peu réduit de volume.
Sur une coupe frontale intéressant la partie antérieure des tubercules qua-
drijumeaux postérieurs, la zone de ramollissement cesse, on voit à ce niveau le
tubercule siégeant sur l'aqueduc deSylvius ; son diamètre transversal a dimi-
nué, à gauche on voit' apparaître la racine descendante du trijumeau consti-
tuée par de très rares fibres pâles et peu distinctes. Les fibres de la bandelette
longitudinale postérieure ici sont plus nombreuses. Les deux tubercules qua-
drijumeaux postérieurs ont la même dimension, on voit bien les cellules ner-
veuses de la substance ganglionnaire des deux côtés.
Dans une coupe en arrière des tubercules quadrijumeaux postérieurs, dans la
partie supérieure de la protubérance, le tuberculome est toujours placé dans le
centre de la calotte et siège sur l'aqueduc, son volume est encore diminué et
mesure environ 6 millimètres de largeur.
Le ruban de Reil, les pédoncules cérébelleux supérieurs, les faisceaux cen-
traux de la calotte sont épargnés des deux côtés, les deux noyaux du pathéti-
que sont pris, on ne voit pas de trace des fibres nerveuses entrecroisées à ce
niveau, la section de la branche radiculaire descendante de la IVe paire se pré-
sente dégénérée.
La racine descendante du trijumeau à gauche est plus distincte, elle est
formée par un petit faisceau de fibres pâles et atrophiées. Les cellules de la
substance grise du locus coerules à ce niveau sont très rares. Les fibres de
la bandelette longitudinale postérieure sont plus nombreuses et bien distinctes
des deux côtés.
Dans une coupe au niveau de la partie moyenne de la protubérance au des-
sus de l'origine du trijumeau, on ne voit plus trace du tubercule. Les cel-
lules du locus coerules sont plus nombreuses et plus riches en pigment, la
racine descendante de la V. paire, quoique très réduite, a augmenté de volume
surtout à droite. Les fibres arciformes sont un peu pâles et traversent la ban-
delette longitudinale postérieure, qui contient des faisceaux radiculaires plus
nombreux. '
Dans une coupe inférieure on voit apparaître les noyaux moteurs et sensitifs
du trijumeau qui sont bien conservés. Dans la région ventrale de la protubé-
168 GRUNER ET BERTOLOTTI
rance, les fibres du faisceau pyramidal et les fibres transversales sont quelque
peu plus nombreuses à droite qu'à gauche, mais c'est là une nuance peu appré-
ciable.
Sur une coupe frontale au niveau de l'enainentia teres on voit nettement
apparaître le noyau de la VIe paire, ses éléments cellulaires sont très bien con-
servés, peut-être quelques cellules sont un peu petites, mais elles ont conservé
leur forme triangulaire, on peut voir l'entrecroisement des fibres au dedans
du noyau; le genou du facial et les fibres radiculaires de la VIe paire sont très
bien conservées. Aucune altération n'est visible dans la portion descendante du
facial, la racine ascendante du trijumeau et la racine interne de l'acoustique.
Le bulbe est normal dans toute sa hauteur.
Pas d'examen de la moelle, l'autopsie ayant été partielle.
La paralysie associée de l'élévation, de l'abaissement et de la conver-
gence des globes oculaires, avec l'intégrité absolue des mouvements de la
bilatéralité, lorsqu'elle se présente comme un symptôme isolé, cons-
titue une affection très rare signalée la première fois par Parinaud en
1883 (1).
Cette affection peut débuter par un ictus et persister l'état station-
naire sans aggravation ni diminution des phénomènes paralytiques. Sau-
vinaud (2) admet qu'un tel ensemble symptomatique peut s'expliquer
par des lésions siégeant dans les centres coordinateurs supra-nucléaires
(tubercules quadrijumeaux,substance grise sous-épendymaire, etc.), tandis
que Teillais dans un cas absolument semblable (3) pense qu'il s'agit d'une
lésion nucléaire, ayant frappé des deux côtés une grande partie des
noyaux de la IIIe et de la IVe paire, avec intégrité des noyaux de la
VIe paire.
Or il se peut qu'une hémiplégie motrice ou sensitivo-motrice vienne
s'associer une paralysie des mouvements conjugués des yeux. Il s'agit
alors d'un syndrome qui se rapproche beaucoup du groupe des paralysies
alternes. « Toutefois dit M. Raymond (4) qui à plusieurs reprises s'est
occupé de cette question le problème du diagnostic topographique qui
se pose à leur sujet, est beaucoup plus difficile. C'est que nous ne sommes
pas encore fixés d'une façon très exacte sur la physiologie des mouvements
(1) PARI\.1UU, Paralysie des mouvements associés des yeux, Arch. de neurologie,
1883, p. 145.
(2) Sauvixaud, Thèse de Paris, 1884, et Congrès international ophtalmologique
d'Edill1bour,q, août 1894.
(3) Teillais, Congrès ophtalmologie, Paris, 1899 et Gazette médicale de Nantes, 1899,
ne 29, p. 227.
(4) It.wwo;vo, Leçons cliniques des maladies du système nerveux, VIe série, 1903.
SYNDROME DE LA CALOTTE PÉDONCULAIRE 169
associés des yeux et sur le siège des lésions qui entraînent la paralysie de
ces mouvements d'ensemble des deux globes oculaires. »
C'est là un problème qui a été étudié notamment par les maîtres de la
neurologie française et à ce propos il faut citer d'abord les noms de
Foville, Duval, Laborde, Parinaud, Sauvinaud, Teillais et plus récem-
ment encore ceux de Raymond, Cestan et Babinski.
En Allemagne cette question fut traitée d'abord par Nothnagel, Von
Monakow, Perlia, Bruns, Marina, en Italie par Biancone ; toutefois, il faut
le dire, entre ces auteurs il n'y a pas un complet accord. En effet, tandis
que pour Von Monakow l'existence de centres supra-nucléaires pour les
mouvements associés des yeux, placés dans les tubercules quadrijumeaux,
s'impose, pour d'autres auteurs (Nothnagel, Weinland), les centres ou les
voies d'association, qui régissent les mouvements conjugués des yeux, se-
raient placés dans la protubérance entre les noyaux de la IIP et de la
VIe paire.
A l'appui de son opinion Nothnagel fournit des raisons fort probantes
et les voici :
En premier lieu, dit Nothnagel, dans les cas de lésions des tubercules
quadrijumeaux antérieurs, il arrive toujours que la paralysie des mouve-
ments associés des globes oculaires, porte de préférence sur les mouve-
ments de l'élévation, de l'abaissement et de la convergence, plutôt que sur
les mouvements de latéralité.
Il y a dans la littérature des cas de lésions limitées aux tubercules
quadrijumeaux antérieurs, sans paralysie des mouvements associés des
yeux ; tels sont les cas de Nothnagel, de Wienland, de Einsenlohr, etc.).
Enfin, chaque fois que pendant la vie, le tableau clinique fut dominé
par les paralysies oculaires, on vit à l'autopsie que la lésion des tubercu-
les quadrijumeaux n'était pas circonscrite, mais qu'elle se propageait en
avant dans la calotte pédonculaire et touchait à la substance grise de l'a-
queduc de Sylvius.
Il y a encore les faits rapportés par MM. Raymond et Cestan (1) et par
Bruce (2), qui prouvent d'une façon précise qu'une lésion extranucléaire,
non placée dans les tubercules quadrijumeaux antérieurs, peut produire
une paralysie des mouvements associés de la bilatéralité ; il suffit en effet
qu'une lésion soit placée dans la calotte protubérantielle, entre les noyaux
de la 1111, et de la IVe paire, pour détruire les fibres d'association entre
ces noyaux, qui montent par le faisceau longitudinal postérieur.
Voyons en dernier lieu ce qui est écrit dans les plus récents traités de
la pathologie nerveuse :
(1) Loc. cilato.
(3) BaucE, Rev. of. Neurol. and. psych., mai 1903.
xvin 12
- 770 GRUNER ET BERTOLOTTI
« Les troubles de la musculature oculaire, dit H. Claude dans le traité
de Brouardel-Gilbert, n'appartiennent pas en propre à la symptomatologie
des tubercules quadrijumeaux, on conçoit, en effet, qu'il suffit d'un pro-
cessus même relativement peu envahissant pour que les noyaux gris de
l'aqueduc et les fibres des racines qui traversent la calotte soient lésés ou
comprimés à distance. »
Oppenheim (1) conclut de la même manière et dans le traité de T. C.
Albutt (2) il est dit nettement que les symptômes oculo-moteurs ne sont pas
dus à la lésion de la substance grise ganglionnaire des tubercules quadri-
jumeaux, mais plutôt à l'envahissement des noyaux sous-jacents.
Tel est l'état actuel de la question ; voyons à présent si, avec nos cas
à l'appui, nous pouvons donner une solution personnelle à ce problème.
Dans nos deux observations on pouvait constater un syndrome absolu-
ment identique dans les deux cas,et constitué par une hémiplégie sensitivo-
motrice avec troubles des mouvements volontaires, de la coordination et
de la synergie musculaire, superposés à l'altération de la sensibilité, mais
avec prédominance bien marquée de cette dernière. A cette hémiplégie
ainsi faite, s'ajoutait'une paralysie bilatérale et symétrique de tous les mus-
cles de la IIIe et de la IV' paire; les seuls mouvements conjugués de laté-
ralité étaient bien conservés et au surplus dans un cas on put assister à la
conservation parfaite de ces mouvements jusqu'aux derniers jours de la
vie du malade.
Un tel syndrome méritait bien d'attirer notre attention ; tout d'abord
les symptômes oculaires pouvaient aider à la localisation de la tumeur et
encore l'ordre chronologique dans lequel ils était apparus, pouvait servir
à indiquer le point de départ du tubercule. Toutefois le problème du dia-
gnostic topographique était délicat. En effet, on aurait pu à la rigueur,
songer à une tumeur née à la base du crâne, dans le sillon interpédoncu-
laire, qui eût lésé les deux oculo-moteurs en comprimant aussi le pied du
pédoncule gauche.
L'anatomie pathologique et la clinique ont bien prouvé l'existence de
paralysies partielles de l'oculo-moteur commun et d'ophtalmoplégies ex-
trinsèques ou intrinsèques unilatérales, ayant pour cause une lésion ba-
silaire (3) ; d'autre part, en étudiant bien les caractères de la paralysie
des muscles des yeux dans nos cas, parfaitement bilatérale et symétrique,
l'atteinte des muscles intrinsèques et les troubles profonds de la sensibi-
(1) Oppenheim, Traité des maladies nerveuses ; 2 vol. de la traduction italienne,
p. 381.
(2) T. CLIFFORD ALBCTT, Traité des maladies nerveuses.
(3) Voir ce propos : M.FBRRON, De l'ophtalmoplégie intrinsèque ou extrinsèque par
lésion basilaire. Annales d'oculistique, novembre 1902.
1 SYNDROME DE LA CALOTTE PÉDONCULAIRE 171
lité plus accusés encore que ceux de la force motrice volontaire, on avait t
penché pour une localisation centrale dans la calotte pédonculaire à la
hauteur des tubercules quadrijumeaux antérieurs.
L'autopsie et l'examen histologique de la pièce nous démontrèrent le
bien-fondé de nos suppositions : le tubercule siégeait en effet dans la
calotte pédonculaire sur l'emplacement des noyaux de la lile paire et il était
côtoyé à sa gauche par une zone de ramollissement qui dépassait le ruban
de Reil et détruisait dans sa totalité le tubercule quadrijumeau antérieur.
Mais il y avait encore un fait qui était remarquable, c'était la destruc-
tion complète de toute la colonne grise des noyaux moteurs de l'aqueduc
depuis le plancher du troisième ventricule jusque dans la protubérance au
niveau du pathétique. Une pareille lésion nous renseignait très bien sur la
paralysie des muscles des yeux, musculature interne y comprise, mais
comment alors expliquer la conservation des mouvements associés de la
bilatéralité ?
Les physiologistes se sont occupés depuis longtemps du mécanisme qui
régit les mouvements conjugués de latéralité des yeux; on avait admis
pour l'expliquer, un entrecroisement partiel des fibres radiculaires du
noyau du droit interne entre elles (Stieda, 1869) ; 'quelque temps après
Mathias Duval et Laborde (1),à l'aide d'expériences physiologiques,crurent
pouvoir démontrer que du noyau de la sixième paire émanent des fibres
motrices ascendantes qui montent par le faisceau longitudinal postérieur,
se croisent sur la ligne médiane en bas des tubercules quadrijumeaux et
vont directement parmi les faisceaux radiculaires de la IIIe paire jusqu'au
muscle droit interne du côté opposé.
C'était, si l'on y pense, la conception la plus logique. Nombre d'auteurs
s'occupèrent de cette question et beaucoup d'entre eux nièrent le faisceau
anastomotique de MM. Duval et Laborde. Toutefois dans l'état actuel de
la physio-pathologie nerveuse, force nous est d'admettre des fibres ascen-
dantes de la VIe paire vers la Ille paire ; mais les derniers auteurs qui
ont étudié cette question, pensent que les relations qui existent entre ces
deux nerfs se feraient par un neurone intercalaire.
Bruce, à l'aide de ses faits histologiques (2),insiste sur le point suivant :
le faisceau longitudinal postérieur contient des fibres ascendantes, mais
la communication entre les noyaux de la VIe paire et les nerfs de la 1118
paire n'est pas directe ; les fibres partent du noyau externe, parcourent
(1) DUVAL ET LABORDE, De l'innervation des mouvements associés des yeux. Journal
de l'anat., 1880.
(2) Bruche, A cas of double paralysis of the latéral conjugate deviation of tlae eyes.
Heu. of. Neur. and Psych., mai 1903.
172 GRUNER ET BERTOLOTTI '
le faisceau longitudinal postérieur et aboutissent dans les noyaux de la
Ille paire, mais non pas dans les nerfs.
A peu près en même temps, MM. Raymond et Cestan, dans un travail
très remarquable (1), formulaient les conclusions suivantes : « Il y a des
fibres ascendantes qui unissent la VIe à la Ille paire, leur point de départ
serait le noyau du nerf VIe, leur lieu d'arrivée serait le noyau du droit in-
terne ; nous ne croyons pas en effet que ces fibres parviennent directement
jusqu'au muscle droit interne, car dans nos trois faits le tronc de la troi-
sième paire nous a paru normal ; au surplus nos cas ne nous permettent
pas, à cause de la lenteur de leur évolution, d'être affirmatifs sur ce
point. »
Si à présent on considère le résultat de notre examen histologique,
nous voyons bien que pour expliquer le mécanisme des mouvements as-
sociés de latéralité, nous sommes forcé d'admettre l'existence d'une rela-
tion directe entre les noyaux de la VIe paire et les muscles droits inter-
nes. Nos faits viennent donc légitimer l'hypothèse de Duval et Laborde ;
pourquoi en effet admettre seulement un neurone intercalaire au sur-
plus on pourrait très bien admettre l'existence de fibres directes entre le
noyau de l'abducens et les racines de l'oculo-moteur commun, et de fibres
de relai entre les noyaux de la VIe et de la IIIe paire. « N'est-ce pas en
effet, au niveau de l'extrémité céphalique - écrivent MM. Raymond et
Cestan organe essentiel de direction, de protection, de perception du
monde extérieur, que toutes les diverses parties : oeil, oreilles, muscles
de la face et du cou; doivent être réunies dans une synergie parfaite par
des voies réflexes très courtes ? » Or il est certain que le mécanisme de
ces mouvements associés, qui ont une fonction primordiale, un rôle de
défense instinctive, élémentaire, doit être régi par des voies motrices
complexes et suppléantes entre elles.
En conclusion, nombre de travaux modernes ont porté une contribution
certaine à la localisation des centres, ou pour mieux dire, des voies d'as-
sociation qui régissent les mouvements associés de latéralité des yeux.
Cette donnée est devenue classique depuis les travaux de I'oville, Grasset,
Bruce, Raymond, Cestan,etc. Il est donc prouvé qu'une lésion portant sur
le noyau de la VIe paire ou sur ses fibres ascendantes qui montent par les
faisceaux de la calotte protubérantielle, peut entraîner une paralysie des
mouvements conjugués de latéralité.
Pour ce qui est des mouvements associés de l'élévation, de l'abaisse-
ment et de la convergence, Parinaud, Sauvinaud et d'autres auteurs ad-
mettent l'existence de centres coordinateurs supranucléaires ; or sans
(1) Loc. cil.
SYNDROME DE LA CALOTTE PÉDONCULAIRE 173
vouloir à présent entamer cette hypothèse, on pourrait peut-être s'expli-
quer le mécanisme physiologique de ces mouvements conjugués^ ? ' un
simple entrecroisement de fibres entre les noyaux oculo-moteurs.
Si l'on songe en effet à la loi posée par Nothnagel que dans les cas de
tumeurs des tubercules quadrijumeaux ou de leur voisinage, la paralysie
des muscles des yeux porte de préférence sur tous les autres mouvements
et non sur ceux de la latéralité, on y trouve la confirmation de cette
hypothèse : à savoir qu'une lésion placée dans cet endroit, petit retentir
sur les noyaux moteurs de la IIIe paire tout en épargnant les fibres radi-
culaires anastomotiques issues du noyau de l'oculo-moteur externe.
Enfin une chose est certaine, et c'est, dans notre cas,la disparition com-
plète des cellules des noyaux de la III° paire. Le tubercule était ainsi placé
qu'il épargnait le faisceau longitudinal postérieur, le noyau rouge et les
racines émanées de la Ille paire ; or l'examen histologique démontra la
persistance de quelques fibres radiculaires qui passant par le pied du pé-
doncule, se portaient dans le tronc du nerf qui n'était pas complètement
dégénéré.
Ces faits sont importants ; en effet, si en plus des autres voies croisées
communicantes, existe vraiment l'anastomose de Duval et Laborde (et
nos faits viennent bien à l'appui de cette opinion), il y aurait lieu de
pouvoir établir une distinction nette entre les paralysies nucléaires et les
paralysies radiculaires ou tronculaires de la 7 ? paire.
Quelques autres faits intéressants restent à discuter : ainsi le rétrécis-
sement bilatéral et concentrique du champ visuel, déjà signalé dans
quelques cas de lésion des tubercules quadrijumeaux (1) ; et l'apparition
dans les deux cas d'une kératite neuro-paralytique bilatérale, associée à
l'insuffisance fonctionnelle des muscles masticateurs, sans lésions sur nos
coupes des noyaux de la Ve paire. On peut croire ce trouble consécutif à
la destruction de la racine supérieure et descendante du trijumeau,
qui contiendrait, en plus des fibres motrices, aussi des fibres trophiques.
Dans notre IIe observation, en plus de l'athétose constatée sans lésion
et dégénérescence consécutive de la voie pyramidale et de l'incoordination
motrice causée par la destruction du ruban de Reil, nous assistâmes,
dans les derniers jours de la vie du malade, à un véritable accès de
crampes musculaires dissociées dans le domaine du bras et de la jambe
droits ; ces spasmes eurent d'ailleurs une assez courte durée. On peut,
(1) TissisR, Annales de médecine, 18 janvier 1893, et Soxeo, Neurol. Centralbl.
16 juillet 1902.
174 , GRUNER ET BERTOLOTTI ,
toutefois, rapprocher ces faits de ceux décrits par Sorgo (1) (après Nothna-
gel, Luce, Clerk, etc.), dans un cas de lésion des tubercules quadri-
jumeaux. Selon cet auteur, ces spasmes prouvent l'existence de centres
sous-corticaux, et il est d'avis qu'il faut admettre dans la région des tuber-
cules quadrijumeaux, non seulement des voies motrices, mais aussi des
centres moteurs individualisés comme les centres corticaux.
Un fait qui nous frappa par sa constance remarquable, fut l'inégalité
de la température sous-axillaire, avec élévation toujours plus marquée
à droite, soit du côté hémiplégique.
L'étude des troubles thermiques est ici d'autant plus intéressante, que
d'après leurs expériences, les physiologistes (Ludwig, Thiry, Schiff) pla-
cent dans la protubérance et les pédoncules cérébraux, les centres vaso-
moteurs. Il est important encore de remarquer que, dans'tous les cas où
les troubles thermiques ont été constatés, simultanément il existait des
troubles de la sensibilité; de ces faits il paraît donc résulter que les trou-
bles vaso-moteurs apparaissent dans les lésions qui affectent les régions
sensitives du pédoncule.
Reinhold (2) place les centres vaso-moteurs dans la substance grise
sous-épendymaire, tandis que cette localisation a été niée par Cassirer (3).
On connaît d'autre part les expériences d'Isaac Ott (4) qui est d'avis que
les tubercules quadrijumeaux sont en connexion avec des centres thermo-
lytiques : faut-il dès lors supposer dans notre cas une action insuffisante
des centres lhermolytiques croisés, produite par la destruction du tuber-
cule quadrijumeau antérieur gauche ?
Nous fûmes frappés, en tout cas, par la dissociation entre les troubles
thermiques et les troubles vaso-moteurs ; il n'y avait en effet, chez notre
malade, aucune paralysie vaso-motrice cliniquement appréciable, ni
oedème, ni cyanose, ni main succulente.
Signalons encore la démarche ébrieuse, l'incoordination motrice, l'asy-
nergie musculaire, sans lésion aucune du noyau rouge ou des pédoncules
cérébelleux supérieurs ; peut-être, comme le soutiennent les auteurs an-
glais et allemands, la destruction de la masse ganglionnaire des tubercu-
les quadrijumeaux avait-elle été suffisante dans nos cas pour produire de
tels troubles ; au surplus l'autopsie nous démontra l'existence des lésions
destructives dans le ruban de Reil et dans la couche optique gauche.
Dans les derniers jours de la vie de notre deuxième malade,nous notâmes
(1) SoRGo, Ueber subcorticale Enstehung isolirler Mushelkrampfe, Neurol. Cen-
tralbl., 16 juillet 1902.
(2) REINHOLD, Deulsches Archiv. f. Klin. Med. Bd. XXXI, S. 1.
(3) Cnssiaen, Die trophischen und vasomotorischen neurosen, Berlin, 1901.
(4) Isnnc OiT, The Journal of nervous and mental diseases, janvier 1893, n 1.
SYNDROME DE LA CALOTTE PÉDONCULAIRE 175
une somnolence invincible, de la torpeur intellectuelle et même un délire
incohérent : le malade répondait d'une façon étrange, refusait toute nour-
riture et repétait toujours qu'on voulait l'empoisonner. Notons ces faits
probablement dus à l'intoxication et à l'accumulation de liquide dans les
ventricules latéraux. Cette même explication est donnée par Rickards (1)
dans un cas d'hémorragie de l'étage supérieur du pédoncule ; or, chose
remarquable, chez le malade de Rickards où on avait noté des altérations
psychiques analogues, et à l'autopsie on trouva un caillot qui interrompait
la communication entre les ventricules latéraux et le canal de l'épendyme.
En étudiant l'évolution clinique des symptômes présentés par le malade,
nous avons signalé encore l'existence de douleurs continues, persistantes
siégeant au niveau de la face, de l'épaule et du bras droit. L'explication
pathogénique de ces douleurs intenses, qui résistaient à toute espèce de
médication analgésique et qui siégeaient du côté hémi-anesthésié, n'est pas
malaisée dans notre cas ; en effet, en plus de la destruction du ruban de
Reil gauche, on trouva à l'examen microscopique un petit tubercule sié-
geant dans la couche optique du même côté. Or dans le cas en question,
c'est bien la couche optique qui doit être incriminée; Edinger, Mann,
Raymond, Greif, Dejerine ont bien insisté sur ce point.
Enfin une dernière remarque : dans nos deux cas, nous avons noté et
insisté sur la présence d'une exophtalmie bilatérale très nette. Ce symp-
tôme a été signalé quelquefois dans lapoliencéphalite supérieure subaiguë
ou chronique ; alors tous les muscles des yeux étant paralysés, le relâche-
ment des muscles droits peut entraîner un certain degré d'exophtalmie (2).
Marina a signalé du reste (3) la propulsion des globes oculaires dans un
cas de tubercule de la calotte pédonculaire avec paralysie bilatérale de la
IIP paire ; dans nos deux cas,l'exophtahnie vraiment très prononcée,jointe
à la présence d'un ptosis double, avait donné au malade un facies tout à
fait caractéristique.
(1) RICKAROS, Relation d'un cas d'hémorragie dans les pédoncules cérébraux. Brit.
med. journ., 24 avril 1886.
(2) Voir l'article d'HEnRr CLAUDE, in traité BROUARDEL-GILBERT, t. IX, p. 248.
(3) Marina. Ueber multiple Augenmuskel-lühmu/ ! gen, p. 265, Leipzig, 1896.
UN CAS D'ACROMÉGALIE-
AVEC LÉSIONS HYPERPLASIQUES DU CORPS PITUITAIRE
DU CORPS THYROÏDE ET DES CAPSULES SURRÉNALES
PAR
GILBERT BALLET et LAIGNEL-LAVASTINE.
Le tableau clinique de l'acromégalie est aujourd'hui bien fixé dans ses
détails, et, depuis les travaux de Pierre Marie surtout, le rôle joué par le
corps pituitaire dans la pathogénie de cette affection est devenu classique.
Néanmoins bien des points de cette pathogénie sont encore obscurs. Aussi,
ne doit-on négliger aucun document anatomo-clinique nouveau. C'est à ce
titre que nous publions l'observation suivante.
Observation
Résumé CL1NIQUE.-F2v9·e typhoïde,ménopause, cyphose et surdité progressives,
déformation hypertrophique de la tête, des mains et des pieds ; / te<Ms ? 7Mtjoa-
résie droite, paraplégie flasque, aorlile chronique avec insuffisance des val-
vules sigmoïdes. Congestion pulmonaire terminale. Mort.
Résumé ANATOMO-PATHOLOGIQUE. -liypophysite parenchymateuse hypertrophi-
que ; cirrhose thyroïdienne hypertrophique ; cirrhose surrénale hypertrophi-
que avec adénomes, granulations calcaires des plexus choroïdes, double
ramollissement opto-slrié de l'laémisplaère gauchepar athérome artériel; né-
vrite des membres inférieurs.
Marie R..., ménagère, âgée de 70 ans, entre à l'hôpital à la suite d'une atta-
que de paralysie. Le 30 octobre vers midi, la malade rentrait chez elle, lors-
qu'en montant l'escalier elle se sent tomber. Elle lâche les paquets qu'elle tenait
à la main pour pouvoir se maintenir en saisissant la rampe de l'escalier, mais
elle perd connaissance, se laisse aller et glisse de la hauteur d'un étage sur
le palier sous-jacent.
Lorsqu'elle revient à elle, elle ne peut se servir de ses jambes.
Rien ne semblait faire prévoir à la malade pareil accident et elle n'accuse ni
vertiges ni bourdonnements d'oreilles, ni malaise dans les périodes qui le pré-
cédèrent.
Le 2 novembre, elle entre dans le service du professeur Dieulafoy et le 8 no-
vembre 1902, salle Ste-Anne.
un cas d'acromégalie 177
Antécédents héréditaires, - Sa mère est morte d'affection cardiaque avec
hydropisie.
Son père, à l'âge de 49 ans, succomba à la suite d'une rupture d'anévrysme.
Elle a un frère qui est graveur et se porte très bien.
Antécédents personnels. - La malade n'a eu ni rougeole, ni scarlatine, ni
rhumatisme.
Elle a été réglée à 18 ans et depuis a toujours eu des époques régulières.
La même année elle a « une fièvre cérébrale » qui dure huit mois avec
délire pendant 24 jours.
Elle se marie à 20 ans.
A 22 ans, elle a une fièvre typhoïde qui évolue sans accidents ; cependant,
depuis cette époque, elle se plaignait assez fréquemment de maux de tête.
Son mari est mort d'une affection aiguë qui évolua en 18 jours. Ses deux
enfants, un fils et une fille, se portent très bien. La fille ressemble beaucoup à
sa mère.
La ménopause est survenue à l'âge de 50 ans environ.
A la suite de la mort de son mari, la malade « faisait des ménages ». Depuis
quatre ans environ elle se voûte, mais ses forces ne l'abandonnent pas et elle
ne s'aperçoit nullement du changement qui s'effectue au niveau de ses extré-
mités. -
D'ailleurs la malade ne ressent aucun trouble digestif ; elle mange de bon
appétit et digère bien. -
Il y a un an elle eut une perte de connaissance qui dura une heure environ,
sans crise convulsive.
Les maux de tête, qui avaient suivi sa dothiénentérie, se sont atténués.
Depuis trois mois s'installe une surdité progressive qui gêne beaucoup la
malade.
Actuellement (25 novembre 1902) elle ne se plaint que de l'impotence de ses
membres inférieurs.
La tête est volumineuse.
L'examen du crâne montre un agrandissement de tous ses diamètres. Il est
notablement élargi à sa partie postérieure où les bosses occipitales sont bien
marquées. Les lignes courbes du temporal et du pariétal sont très accusées.
On peut noter quelques loupes disséminées sur la convexité du crâne.
La face est agrandie elle aussi dans tous ses diamètres, surtout dans son
diamètre vertical ; les saillies osseuses sont bien marquées, apophyses orbi-
taires, racine du nez, pommettes, menton carré.
En outre, le nez est volumineux, élargi transversalement, surtout à sa par-
tie supérieure où les os du nez descendent très obliquement en dehors.
Les lèvres sont épaissies, allongées transversalement et l'orifice buccal en
est d'autant plus grand.
La lèvre inférieure est plus volumineuse que la supérieure et partant plus
saillante.
Les sillons cutanés de la face sont très accentués, en particulier le sillon
naso-génien et le sillon palpébral inférieur.
178 BALLET ET LA1GNEL-LAVASTINE
Les oreilles sont élargies et allongées.
Lorsqu'on palpe le squelette de la face, on perçoit très bien les différentes
saillies osseuses très augmentées de volume.
Il faut noter en particulier l'hypertrophie marquée du maxillaire inférieur.
Le cou est très court, épais; il en résulte que la tête est enfoncée entre
les deux épaules.
Thorax. En avant, le thorax est globuleux dans sa partie supérieure,saillant
en avant, aplati sur les côtés. Les dernières côtes sont déjetées en dehors. Les
cartilages costaux se détachent en saillie sur les parties voisines. Les clavi-
cules sont grosses, épaissies. - *
En arrière, il existe une cyphose à grand rayon s'étendant de la région cer-
vicale à la région sacrée. La partie dorso-lombaire présente une scoliose à
convexité gauche avec saillie exagérée des angles costaux à la base gauche du
thorax.
Membre supérieur. Main hypertrophiée, large. Sur /6[T/ace palmaire,
on remarque une saillie prononcée des bourrelets sous-métacarpo-phalan-
giens et des éminences thénar et hypothénar... Il en résulte une exagéra-
tion de la concavité palmaire. La main semble creusée à sa partie médiane.
Les plis palmaires sont bien dessinés.
A la face dorsale, il n'y a rien de particulier.
Les doigts sont gros, élargis, aplatis. Ces caractères sont surtout marqués
au niveau du pouce, à sa phalange unguéale. Les ongles présentent un léger
degré d'hippocratisme.Ils sont striés,cannelés dans le sens de leur longueur.
Membres inférieurs. Les orteils et les pieds sont volumineux. Les autres
segments ne paraissent pas augmentés.
On constate une parésie complète des membres inférieurs. La malade ne
peut pas soulever les jambes au-dessus du plan du lit ; à plus forte raison,
elle ne peut se tenir debout.
Les réflexes rotuliens sont très faibles.
Le réflexe cutané plantaire droit est en extension ; le gauche est en flexion,
mais très faible.
Il existe dans tout le côté droit une légère hypoesthésie à tous les modes de
sensibilité.
Jamais la malade n'a eu de troubles sphinctériens.
Coeur et vaisseaux. Le maximum des battements cardiaques est dans le
5 espace intercostal.il existe au foyer d'auscultation de l'aorte un double souffle
systolique et diastolique symptomatique d'aortite chronique avec insuffisance
des sigmoïdes. On entend un bruit de galop à la région précordiale. Les
sous-clavières sont un peu surélevées à la base du cou. Les artères accessi-
bles à la palpation sont scléreuses ; le pouls est fort, un peu hypertendu.
Les autres viscères paraissent normaux.
Il n'existe dans les urines ni sucre ni albumine.
Evolution. De novembre 1902 à mars 1904 l'état reste à peu près sta-
tionnaire.
UN CAS d'acromégalie 179
En juillet 1903, la force est revenue en partie dans les membres inférieurs,
quoique la malade ne puisse pas marcher seule.
En novembre 1903, la malade se plaint de douleurs plus ou moins généra-
lisées dans les membres.
En mars 1904, la santé était toujours sensiblement la même, quand le
11 mars la malade tomba dans un état de prostration assez marqué qui s'ag-
grava progressivement jusqu'au coma terminal.
La mort survint le 15 mars à 3 heures du soir.
L'autopsie eut lieu le surlendemain, 17 mars, à 10 heures du matin.
Voici les poids des organes :
180 BALLET ET LAIGNEL-LAVASTINE
colloïde et d'autres montrent leurs cellules proliférées et disposées sur plusieurs
couches.
A mesure qu'on approche du centre cette prolifération devient telle que tous
les acini perdent leur individualité sous l'amas uniforme des cellules épithé-
liales néoformées (fig 3).
Ces cellules sont diverses ; les plus nombreuses, cylindriques, ont conservé
les caractères des cellules des acini normaux ; d'autres, plus volumineuses,
fortement éosinophiles, forment des taches rondes qui attirent immédiatement
le regard ; elles contiennent un ou deux noyaux fortement colorés ; d'autres
cellules, beaucoup plus petites et plus où moins cylindriques, sont à noyau
pâle.
L'hématoxyline au fer d'Heidenhain les démontre sidérophiles. D'autres enfin
contiennent simplement du pigment ferrique d'origine hématique. Nous n'avons
pas vu de cellules cyanophiles (1). Nulle part il n'existe de cellules atypiques.
Les capillaires,simplement dilatés à la périphérie, sont forcés, au centre, par
la masse sanguine qui s'est répandue entre les cellules glandulaires.
En somme, c'est là, pour reprendre la phrase d'Hntchinson (2) « un furieux
effort d'hypertrophie glandulaire excessive, effort relativement heureux dans
la portion corticale de la glande, moins heureux dans la zone intermédiaire,
échouant en un désordre chaotique de cellules néoformées et aboutissant à un
simple exsudat hémorragique au centre de la glande, et qu'on retrouve à un
degré plus faible dans la formation de la pituitaire normale ».
Thyroïde. La thyroïde, qui pèse 115 grammes, est irrégulièrement hy-
(1) Lacjnois et Mulon, idem.
(2) WooDs HUTCHINSON, New-York medical journal, 28 juillet 1900, p. 134, d'après
P. Roy, Gigantisme, Th. Paris, 1903, p. 37.
Fig. 1. Pituitaire normale. Dans les
acini exactement juxtaposés on voit
une rangée de cellules cylindriques,dont
les unes, volumineuses (granuleuses sur
la figure) sont éosinophiles, et les autres
sidérophiles).
Fig, 2. Pituitaire. Partie corticale.
Dans les mailles d'une sclérose légère
on voit des acinis bordés de cellules
cylindriques dont les plus volumineu-
ses (granuleuses sur la figure) sont
éosinophiles.
UN cas d'acromégalie 181
pertrophiée. Son lobe droit, beaucoup plus volumineux que le gauche, mesure
10 centimètres de long, 5 centimètres de large et 3 centimètres d'épaisseur ; le
gauche ne mesure que 6 centimètres de long, 3 centimètres de large et 2 cen-
timétres d'épaisseur.
Les coupes transversales montrent à toit nu quelques kystes remplis d'une
abondante matière colloïde (fig. 4).
Au microscope on constate immédiatement une sclérose à travées de tissu
conjonctif adulte enserrant, dans des espaces elliptiques relativement petits,
des vésicules dont les unes contiennent encore de la substance colloïde plus ou
moins modifiée comme le prouvent les différentes nuances données par les
réactifs, et dont les autres, sans contenu colloïde, sont réduites à des amas de
cellules épithéliales proliférées. Ces amas épithéliaux, selon l'orientation des
coupes, apparaissent sous l'aspect de nodules cellulaires fortement teintés au
milieu d'un tissu scléreux ou sous forme de longs boyaux épithéliaux qui ne sont
que les prolongements d'une vésicule proliférée,comme leur continuité le montre
en plusieurs points. Le système vasculaire intra-parenchymateux est normal.
Les artères et les nerfs de la capsule sont sains.
Surrénales.- A l'oeil nu, les surrénales, bosselées et criblées de points
jaunes, paraissent remplies d'adénomes.
Sur les coupes microscopiques, on voit que ces adénomes, par leur abon-
Fig. 3. - Pituitaire. Partie centrale.
Les acini ont perdu leur individua-
lité sur l'amas des cellules épithélia-
les néoformées, cellules à noyau
pâle, sidérophiles, cellules volumineu- i
ses, souvent binucléées, éosinophiles,
cellules chargées de pigment ferrique,
mélangées d'hématies.
ig. 4. Thyroïde. On voit dans des espaces
épileptiques qui enserrent la sclérose, des vési-
cules dont les cellules épithéliales sont plus ou
moins proliférées.
182 BALLET ET LAIGIVEL-LAVASTINE
dance, acquièrent une valeur pathologique et ne sont que l'aboutissant d'un
processus d'hyperplasie glandulaire qui a bouleversé toute la substance cor-
ticale (fig. 5).
La capsule fibreuse, épaissie, envoie dans la glomérulaire des travées sclé-
reuses qui ont isolé un certain nombre de glomérules dont les noyaux cellu-
laires sont fortement colorés.
La glomérulaire, subissant l'évolution nodulaire et bourrée d'adénomes, en-
voie des prolongements cellulaires jusque dans la réticulée-
La 1mbéculaire n'existe plus qu'entre quelques adénomes. Les cellules
prennent bien les colorants. Peu sont spongieuses.
Le nombre et le volume des adéno-
mes empêchent la réticulée d'être con-
tinue ; elle est marquée de place en
place par des placards pigmentaires
qui s'avancent assez haut dans la tra-
béculaire et qui semblent correspondre
à une augmentation de la pigmenta-
tion.
En plus des adénomes, on remarque
encore dans la substance corticale de
petits amas cellulaires à noyaux très
fortement colorés.
La médullaire paraît normale.
En résumé, hypertrophie parenchy-
mateuse de l'hypophyse par proliféra-
tion des cellules épithéliales ou hypo-
physite parenchymateuse hypertro-
phique ; hypertrophie et sclérose de
la thyroïde par prolifération des cel-
lules épithéliales des vésicules ou thy-
roïdite parenchymateuse et intersti-
tielle hypertrophique, ou encore et
plus simplement cirrhose thyroïdienne
hypertrophique ; hypertrophie avec
sclérose et adénomes des surrénales
ou cirrhose surrénale hypertrophique
avec adénomes, ces affections de trois
glandes à fonctions antitoxiques, les
unes démontrées et les autres proba-
bles, nous apparaissent comme des modalités d'un processus d'hyperplasie
glandulaire très analogue dans son ensemble sinon identique dans le détail et,
en tous cas, indéniable.
Plexus choroïdes. -L'examen des plexus choroïdes aurait pu, au premier
abord, faire penser à un processus de même ordre, d'autant plus qu'on sait au-
Fig. 5. - Surrénale. un voit la fibreuse
épaissie, le glomérulaire en évolution
nodulaire, la trabeculaire dissociée, la
réticulée marquée de placards pigmen-
taires.
UN CAS d'acromégalie 183
jourd'hui que l'épithélium choroïdien fonctionne comme une glande (1) et que
certaines de ses cellules contiennent des corps muriformes (2), analogues à
ceux qui existent dans la pituitaire (3).
Sur les coupes des plexus choroïdes des ventricules latéraux, colorées à l'hé-
matoxyline-éosine, après fixation par le formol, on est immédiatement frappé
par le grand nombre de corpuscules calcaires à couches concentriques. Ces cor-
puscules très brillants contiennent en leur centre des cristaux en forme d'aiguil-
les diversement orientées.Tantôt ces corpuscules existent seuls dans une houppe
choroïdienne, ◀tantôt▶ ils sont groupés en amas. Dans la houppe, ils siègent dans
le tissu de soutien, entre l'épithélium choroïdien et la lumière des vaisseaux
dont la tunique moyenne est généralement épaissie. Dans les amas, ils sont
séparés les uns des autres par une double rangée plus ou moins aplatie et visi-
ble de cellules épithéliales. En dehors de ces corpuscules, les plexus paraissent
normaux. Dans les houppes nulle part on ne trouve de prolifération épithéliale
certaine ; les petites accumulations de noyaux, que l'on voit en quelques rares
points, ne paraissent être qu'une réaction inflammatoire banale et légère.Les cel-
lules du revêtement épithélial des houppes, vues de face,apparaissentsous forme
de belles cellules plates à cinq pans, à noyau bien coloré. Dans les pédicules
des houppes, les cellules épithéliales sont cubiques et d'aspect tout à fait normal.
Après l'étude des glandes vasculaires sanguines, s'impose l'examen du sque-
lette.
Crâne.-Le crâne a des lésions classiques souvent décrites (fig.6).Elles diffè-
rent à la voûte et à la base. Les os de la voûte sont irrégulièrement et considé-
rablement épaissis, comme boursouflés ; en avant les sinus frontaux sont très
agrandis ; au niveau des bosses frontales, l'épaisseur osseuse est de 23 milli-
mètres, elle est de 18 millimètres sur la ligne frontale médiane ; les bosses
temporales sont moins accentuées que les frontales ; leur épaisseur n'est que
de 16 millimètres. Les os de la base du crâne, loin d'être épaissis, sont au con-
traire réduits à une minceur. extrême. La selle turcique est agrandie ; ses dia-
mètres verticaux, frontaux et sagittaux sont respectivement de 15, 21 et 23
millimètres ; elle pourrait contenir une noisette ; ses parois, très fragiles, res-
semblent à des feuilles de papier.Nerf optique et carotide dilatée sont à peine
séparés. Sur la gouttière basilaire, les deux artères spinales postérieures, très
athéromateuses, ont creusé leur gouttière.
Thorax. Les déformations thoraciques sont surtout visibles au niveau des
clavicules et des articulations sterno-chondro-costales inférieures. Les extrémi-
tés internes des clavicules sont quadruplées de volume. Les cartilages costaux
inférieurs, tordus sur eux-mêmes, entraînent l'extrémité du sternum dans leur
mouvement.
(1) PETTIT et G1RARD, Soc. de biologie et Arch. d'anatomie microscopique, 1902.
(2) M. LoeER, Sur quelques points de l'histologie normale et pathologiques des plexut
choroïdes de l'homme. Arch. de méd. exp., juillet 1904.
(3) LAuNots, Loeper et EsMoNET, La sécrétion graisseuse de l'hypophyse. Soc. de bio-
logie, mars 1904.
184 BALLET ET LAIGNEL-LAVASTINE
Phalanges. Plusieurs phalanges des orteils et des doigts ont été conser-
vées pour l'examen histologique. Etant donnée l'hypertrophie osseuse des ex-
trémités dans la maladie de Marie, il était intéressant de savoir s'il y avait trace
d'une reviviscence de la moelle osseuse.
Sur des coupes longitudinales et transversales de la dernière phalange du gros
orteil et des deux dernières phalanges de l'index, fixées dans le liquide de.nüller
et décalcifiées dans l'acide picrique,nous n'avons constaté aucun foyer de moelle
osseuse en activité. Nulle part on ne voyait de leucocytes ou de myélocytes.
De place en place, on discernait entre les alvéoles quelques épaississements
formés par la condensation de leur feutrage ; les vaisseaux étaient nombreux et
gorgés d'hématies; en un point siégeant à l'union de la diaphyse de la der-
nière phalange du gros orteil avec l'épiphyse proximale, il existait un foyer
sanguin. Les dimensions des phalanges, prises sur les pièces décalcifiées, ne pa-
raissent pas très supérieures à la normale pour une femme de 1 m. 70.
Première phalange du gros orteil : longueur : 30 millimètres ; largeur maxi-
ma : 14 ; minima : 4.
Seconde phalange de l'index : longueur : 35 millimètres ; largeur maxima :
15 ; minima : 6.
Larynx. - Le larynx ne paraît pas augmenté de volume. Le. chaton du
cricoïde a 20 millimètres de hauteur maxima; le cartilage thyroïde mesure
15 millimètres de haut sur la ligne médiane; ses faces latérales ont 26 milli-
mètres de haut sur 33 millimètres de long. A l'angle postéro-supérieurdu car-
tilage thyroïde on trouve une ossification du ligament thyro-hyoï dien sur une
Fig. 6. Coupe du crâne. Profil du crâne. Coupe demi-schématique passant en
dehors de la ligne médiane. En noir : les sinus. En hachure : les os enlevés à
l'autopsie.
UN cas D'ACROMÉGALIE 185
longueur de 20 millimètres. Les aryténoïdes ont 15 millimètres de haut et
le diamètre bi-apophysaire de leur base mesure aussi 15 millimètres. La hau-
teur maxima de l'épiglotte depuis l'angle antérieur des cordes vocales supé-
rieures jusqu'à l'extrémité est de 44 millimètres.
Névraxe. L'athérome des vaisseaux de la base de l'encéphale rend compte
des lésions du système nerveux central. Alors que les coupes de Fleschsig et
de Pitres ne montrent rien d'anormal dans l'hémisphère droit de l'encéphale,
la coupe de Fleschsig de ['hémisphère gauche fait voir un double foyer de ra-
mollissement ocre; l'un, sous la forme d'une ligne oblique en dehors et en
avant, part du tiers moyen du noyau lenticulaire, passe en arrière du genou
de la capsule interne et se termine à la partie postérieure de la tête du noyau
caudé ; l'autre, moins long, mais plus large, occupe le quart antéro-externede
la couche optique. Tubercules mamillaires et glande pinéale ne sont pas aug-
mentés de volume. 4
L'examen histologique des lobules paracentraux ne montre pas de lésions
conjouctivo-vasculaires ; il existe quelques corpuscules hyalins dans les espa-
ces sous-méningés. Les cellules nerveuses sont peu pigmentées. La méthode de
Nissl les montre normales.
La moelle est très peu touchée. Aucune lésion n'est perceptible par l'héma.
toxyline-éosine et le Nissl. Le Pal montre une légère raréfaction des fibres à
myéline dans le faisceau pyramidal croisé droit, le picro-carmin y décèle des
fibres atrophiées et un peu de sclérose. La moelle lombaire, examinée au Nissl,
est normale.
Nerfs. Un ganglion spinal gauche, examiné, est normal. Le sciatique
poplité externe gauche a des fibres à myéline dégénérées ; les travées interfas-
ciculaires contiennent des noyaux qui semblent un peu augmentés de nombre.
Sympathique. Dans les ganglions senti-lmcaires, les cellules nerveuses
sont normales ; mais il y a prolifération des cellules des capsules endothéliales
et augmentation du tissu conjonctif interfasciculaire.
Muscles. L'état des muscles est en rapport avec la paralysie.
Le jumeau droit, examiné, est pàle et atrophié. Au microscope on constate
une atrophie simple des fibres musculaires avec réaction du tissu conjonctif en
rapport avec les fibres atrophiées. Ces fibres atrophiées, dont la striation n'est
parfois pas visible, sont bordées de files, de petites masses rondes fortement
colorées par les réactifs nucléaires et qui sont le résultat d'une prolifération
abondante des noyaux. Autour de ces grains est du pigment jaune. Entre
certaines fibres sont des amas de cellules rondes. Il n'y a pas de dégénéres-
cence graisseuse, ni de sclérose interfasciculaire. Les vaisseaux ont leur tuni-
que un peu épaissie.
Les viscères n'ont pas d'altération spéciale. Le myocarde est relativement
sain.
Foie. Le foie, dont les travées hépatiques sont formées de cellules pres-
que toutés normales,est atteint de sclérose porto-biliaire adulte,mais légère; les
néo-canalicules biliaires sont rares ; par places on voit quelques amas de cel-
lules rondes.
xvw 13
186 BALLET ET LAIGNEL-LAVACTInE
Pancréas. - Les pancréas, à part une sclérose péri-lanberhansienne
légère, est normal.
Reins. Les reins, dont les glomérules et les vaisseaux sont normaux,
ont quelques îlots inflammatoires en certains points de la substance corticale
sous l'enveloppe fibreuse ; il reste des granulations sphériques de pigment
brnn noir dans la branche ascendante de l'anse de Heule. Les capillaires sont
dilatés autour de ces tubes. '
Rate. La rate, dont la pulpe splénique est assez fortement pigmentée,
présente une sclérose considérable des espaces périvasculaites.
Celle observation nous paraît intéressante à plusieurs points de vue.
Après avoir comparé les lésions squelettiques, musculaires, nerveuses et
viscérales que nous avons rencontrées,aux descriptions analomo-patholo-
giques déjà données, nous nous attacherons à discuter la valeur des
lésions de l'hypophyse, de la thyroïde, des surrénales, voire même des
plexus choroïdes dans la pathogénie de l'acromégalie.
L'examen histologique du squelette ne semble jamais avoir été fait. Il
est bien probable que, si l'on faisait l'examen des extrémités osseuses au
moment même de la poussée acromégalique, on trouverait une moelle
osseuse en hyperactivité, mais si ce processus doit exister, il ne persiste
pas, car chez notre malade morte acromégalique depuis 6 ans, il n'y avait
aucune trace d'une reviviscence médullaire.
Des lésions musculaires spéciales ont été signalées par Martinotti (1),
qui vit, chez un acromégalique de 26 ans, dont les muscles étaient très
.volumineux, des gouttes de graisse dans la substance contractile,une pro-
lifération des noyaux du sarcolemme et une augmentation du diamètre
transversal des fibres qui atteignaient 130 micra, sans lésion du tissu con-
jônctif. Il s'agissait en somme d'hypertrophie musculaire vraie. Marti-
notti se demande s'il n'existerait pas dans l'acromégalie une période d'hy-
pertrophie musculaire qui précéderait l'atrophie. L'atrophie est parfois
assez marquée pour que Duchesneau ait proposé de créer une forme a)Kyo-
trophique.
Joffroy et Achard ont trouvé dans les muscles un épaississement léger
du tissu conjonctif ; les noyaux musculaires étaient proliférés.
Nous avons dans notre cas constaté l'atrophie musculaire. Il nous pa-
raît plus simple de rapprocher cette atrophie des lésions paralytiques du
système nerveux que d'en faire une dépendance directe de l'acromégalie ;
(1) CARLO MARTINOTTI, Su alcune particolarita di struttura della fibra muscolare
slriala in rapporta colla diagnosi di acromegalia. Annali di Freniatria e Scienze
affin vol. XII, fasc. 1, p. 72-76, mars 1902.
un cas d'ackomégalie 187
elle répond en effet à la description de l'atrophie musculaire des hémi-
plégiques (1).
L'examen du système nerveux cérébro-spinal et sympathique, central
et périphérique, a montré à Sainton et J. State (2) dans les méninges des
plaques calcaires et dans la moelle des scléroses pseudo-systématisées,
à Cagnetto des lésions dégénératives des cordons postérieurs (3), à
Bonardi (4) une hypertrophie de la glande pinéale et une sclérose diffuse
de la moelle, à Henrot une glande pinéale doublée de volume et une hy-
pertrophie considérable de tous les ganglions et nerfs sympathiques (5),
etc..... ,
De ce qu'on pourrait citer encore d'autres observations où des lésions
nerveuses existent chez des acromégaliques, on n'en tirerait pas, plus que
dans notre cas, un rapport de nécessité avec l'acromégalie. Nous pensons
en effet que les lésions nerveuses de notre malade ne dépendent pas de
l'acromégalie.
La lésion de l'hypophyse, dans notre cas, est certaine. Le rôle de l'hy-
pophyse dans la pathogénie de l'acromégalie est d'ailleurs classique de-
puis les travaux de Pierre Marie. Mais ce premier point admis, deux
questions restent à résoudre :
1* Les lésions du lobe antérieur de l'hypophyse interviennent-elles
pour produire l'acromégalie, en supprimant, en exaltant, en perturbant
les fonctions hypophysaires ?
2° L'hypophyse intervient-elle seule ? toujours ?
Avant de juger si l'acromégalie répond à une augmentation, une dimi-
nution ou une perturbation de la fonction hypophysaire, voyons l'opinion
des auteurs sur l'hypophyse facteur d'acromégalie.
Les lésions de la pituitaire dans l'acromégalie sont très diverses : le,;
unes, répondant à notre cas, consistent en hyperplasies glandulaires va-
riées avec des transitions allant jusqu'à l'adénome ; les autres, quoiqu'aug-
mentant le volume de la glande, sont destructives de son parenchyme ;
telles les tumeurs malignes, les sarcomes, les épithéliomas.
Il importe de savoir s'il existe un rapport constant entre l'acromégalie
et les lésions pituitaires.
(1) DURANT, il ! Traité d'anatomie pathologique de Cornil et de Ranvier, 3e édit.,
t. II, p. 228.
(2) P. Sainton et Jean State, La forme douloureuse de l'acromégalie. Rev. Neuro-
logique, 1900, p. 302.
(3) Cnoasrro, Rivista sper. di Freniatua Vo. XXX, fasc. 2-3, p. 267-292, 30 sept.1904.
(4) E. Bonardi (de Pavie), Contribua clinici ed analomo-pathologici alla conos-
ceaza dell' acromegalia, malattia di Marie. 11111orgarni, sept. 1899, p. 549-5î9.
(5) Obs. HENROT, in P. Marie, Sur deux cas d'acromégalie. Revue de médecine';
1886, p. 297.
188 ballet ET LAIGNEL-LAVAST1NE
Or les auteurs ont rapporté des faits de lésions pituitaires sans acromé-
galie et des cas d'acromégalie sans lésions pituitaires.
En premier lieu, il existe des lésoins pituitaires sans acromégalie.
Packard (1), Waddell (2), Wilks (3), Burr et Riesmann (4), Babins-
ki (5), l'un de nous avec Vigouroux (6), Carbone (7), A. Fuclis (8), Koes-
ter (9), Schuster (10), Thoinot et Delamare (11), enfin Cestan (12) et
Halberstadt en ont rapporté des exemples. Il s'agit de tumeurs malignes.
Ce fait nous paraît suffire expliquer ] 'apparente contradiction de la lésion
hypertrophique de l'hypophyse sans acromégalie, sans qu'il soit néces-
saire d'invoquer )'age avancé du malade comme le fit Cestan et avant lui
Schupfer (13) ou la rapidité d'évolution du néoplasme qui ne laissa pas
au squelette le temps de se modifier. En effet, en supposant l'acromégalie
liée à l'hyperplasie glandulaire, une tumeur, fut-elle volumineuse, étant
éminemment destructive, ne peut entraîner celle perturbation.
La fréquence des tumeurs maligues de l'hypophyse, constatée à l'au-
topsie des acromégaliques, n'est pas une objection à celle hypothèse, car
c'est une loi de pathologie générale que les hyperplasies glandulaires peu-
vent aboutir au cancer. Seule la première période créerait l'acromégalie.
La seconde entraine la mort sans nouvelle modification squelettique. Et
de fait, on note souvent plus ou moins longtemps avant la mort l'arrêt
du processus acromégalique. Cette façon de concevoir les choses a d'ail-
leurs été déjà exprimée par Schupfer qui, se basant sur des faits cliniques
et expérimentaux, montre que les lésions destructives de la pituitaire
ne donnent pas l'acromégalie. Au point de vue expérimental nous ne
connaissons que les faits rapportés par Freedmann et Alaas (14). Ces auteurs
ont enlevé à des chats le corps pituitaire sans voir se produire, même après
plusieurs mois, aucun signe d'acromégalie.
Néanmoins nous devons ajouter que si cette hypothèse explique pres-
(1) Packard, Americanjourn. of med. sciences, 1892.
(2) Waddell, Lancet, 1893, I, p. 921.
(3) Wilks, Brain, 1892. .
(4) Bunn et Riesmann, Journ. of nervous and mental disease, 1899, p. 21.
(5) BAüI\shl, Soc. Neurol. ; Revue neurol., 1900, p. 531.
(61 Vigouroux et Laignel-Lavastine, Soc. Neurol. ; Revue neurol., 1901, p. 696 et
Soc. anatomique, 1902, p. 347.
(1) Carbone, Gazetta medica italiana. Torino, 1"' mai 1902.
(8) A. Fucus, Wiener klinisch. Woch., 5 février 1903.
(9) Koester, Lakaresâlskaps forhandlingar, 1902, p. 21-28, Hygiea, 1902, n 11.
(10) SCHUSTER, Psychische storungen bei Heinturmoren, 1902.
(11) Thoinot et Delamare, Soc. méd. des hôp., 4 décembre 1903.
(12) CESTAN et Halberstadt. Soc. neurol.; Revue neurol., 1903, p. 1180.
(13) SCHUPFER, Annali di medicine navale, juillet 1898.
(14) Freedmann et MAAS, cités par Mendel, il ! : Berlin. klinische Woch., 12 novem-
bre 1901, p. 1031.
UN cas d'acromégalie 189
que toutes les observations publiées, elle ne peut rendre compte du fait
suivant observé par Lawrence (1).
A l'autopsie d'une femme de G2 ans, qui souffrit pendant six ans de
troubles visuels sans acromégalie, la pituitaire fut trouvée simplement
hypertrophiée. Ce cas aurait pu s'éclairer de l'explication de Schupfer et
Cestan si celle-ci n'était en défaut dans notre observation même où les
premiers signes d'acromégalie n'ont apparu qu'à 66 ans. Quelle que soit
d'ailleurs l'interprétation qu'on en donne, le fait est indéniable : toutes
les lésions pituitaires ne sont pas suffisantes à produire l'acromégalie.
En second lieu, quelques auteurs soutiennent que les lésions pituitaires
ne sont pas nécessaires pour produire l'acromégalie.
De ce nombre sont Ilebs, Labadie-Lagrave et Deguy (2), Witting (3),
et récemment Klippel et Vigoureux (4). Pour expliquer leur cas, Laba-
die-Lagrave et Deguy proposent ou l'hypothèse d'une simple perturbation
fonctionnelle de l'hypophyse, ou l'hypothèse éclectique de causes diver-
ses (lésions pituitaires, thyroïdiennes, thymiques, etc.) pouvant donner
naissance au même symptôme. Klippel et Vigouroux, frappés de l'inten-
sité des lésions hépatiques dans leur cas, pensent devoir faire jouer un
rôle aux troubles hépatiques dans la genèse de certaines acromégalies. Ils
croient d'ailleurs que dans les maladies des glandes closes, à l'occasion
des troubles de l'une d'elles, l'inlrégrité des autres glandes peut jusqu'à
un certain point parer aux troubles, et que, réciproquement, leur insuf-
fisance peut favoriser le développement de la maladie première.
Ces faits d'acromégalie sans lésion pituitaire ne cadrent pas avec l'opi-
nion que,depuis Pierre Marie, on a de l'acromégalie. Il est, en effet, évident
que, si la dilatation de la selle lurcique,qu'on peut pendant la vie diagnos-
tiquer par la radiologie, est un élément nécessaire du syndrome osseux que
Marie a le premier complètement décrit les observations précédentes ne
concernent pas des acromégaliques, mais seulement des malades atteints
de dystrophies osseuses à tendance hypertrophique des extrémités, qui,
quoique voisines de la maladie de Marie, s'en distinguent cependant par
des caractères très nets, tels que l'absence de dilatation de la selle turcique.
C'est donc, on le voit, une question de définition et de diagnostic, non
une question d'anatomie pathologique, encore moins de pathogénie.
Se placer sur ce terrain nous paraît beaucoup plus suret plus clair que
de faire rentrer dans la description de Marie des cas qui n'y répondent
pas tout à fait. Ainsi nous nous mettons à l'abri des pseudo-acromégalies,
(1) W, P. JOHN Lwvnsvcs, The British medical Journal, 8 avril 1899, p. 851.
(2) Labadie-Lagrave et Deguy. Arch. gén. de méd., février 1896.
(3) A. Witting, La Clinica modem, an. VI, n- 42, p. 331. 17 octobre 1900.
fi) KLIPPEL et Vigouroux, Presse médicale, 21 mars, 1903.
190 BALLET ET LAIGNEL-LAVASTINE
le terme déplorable de pseudo n'ayant jamais servi qu'à embrouiller les
questions en rangeant sous un même titre nosographique des affections
différentes. Donc, nous n'admettons pas, par définition, d'acromégalie
sans dilatation de la selle turcique et partant de lésion pituitaire. L'opi-
nion conciliante de M. le Professeur Joffroy (1), qui admet une déviation
fonctionnelle de la pituitaire là où l'on ne trouve pas la lésion qu'on
cherchait (2), n'aboutit, en fin de compte, qu'à un aveu d'ignorance, car
cette déviation fonctionnelle, rien ne la démontre. De même, expliquer
les observations précédentes par des perturbations des fonctions anti-
toxiques en rapport avec des lésions siégeant ◀tantôt▶ dans la thyroïde,
◀tantôt▶ dans le thymus et ◀tantôt▶ dans le foie, etc., est, pour essayer de
le résoudre, par trop élargir le problème.
En résumé, nous croyons pouvoir dire que l'hypertrophie pituitaire est
un facteur nécessaire, mais non suffisant d'acromégalie.
Reste à déterminer si cette hypertrophie nécessaire est toujours liée à
un hyperfonctionnement de la glande ou à une autre perturbation fonc-
tionnelle.
Un certain nombre d'auteurs ont pensé que l'acromégalie résultait t
d'une insuffisance pituitaire. Cette théorie classique s'appuie d'une part
sur quelques observations cracromégaliques améliorés par le traitement
opothérapique hypophysaire (Raymond et Cestan, communication orale)
et sur de multiples autopsies d'acromégaliques ou de géants où l'on a
trouvé des lésions destructives.
Mais l'argument thérapeutique parait de peu de valeur, car les cas po-
sitifs sont d'une extrême rareté et dans ces cas mêmes l'amélioration ne
semble avoir porté que sur l'état général.
L'argument anatomique n'est pas plus convaincant.
Les lésions destructives constatées aux autopsies ne sont pas constantes ;
quand elles existent, elles paraissent toujours être l'aboutissant d'un pro-
cessus d'hyperplasie; souvent elles manquent, et l'on trouve alors sim-
plement une hypertrophie glandulaire du lobe antérieur. Peut-être celte
hypertrophie n'est-elle pas toujours liée à une hyperfonction pure.
Peut-être l'hyperhypophysie s'accompagne-t-el le d'un certain degré de
dyshypophysie dans l'acromégalie, comme l'hyperthyroïdation s'accom-
pagnerait, au dire de quelques-uns, d'un certain degré dedysthyroïdation
dans le goitre exophtalmique. Il n'en est pas moins vrai que l'un et l'autre,
au point de vue analomo-cl inique et physio-pathoiogique, semblent relever
beaucoup plus d'une exaltation des fonctions hypophysaire ou thyroïdienne
que d'une insuffisance.
(1) JoFFRoy, Progrès médical, 26 février 1898.
(2) Joffroy, obs. de Dercum, Puttmann.
UN CAS d'acromégalie 191
Celle hypothèse expliquerait les coexistences cliniques d'acromégalie et
de goitre exophtalmique (1), d'hypertrophie pituitaire et de goitre (2). Il
est vrai qu'on a signaléaussi t'associationd'acroméga)ieetdemyxoedëme(3),
d'hypertrophie pituitaire et de syndrome d'Addison (4), mais c'est une
loi de pathologie générale que l'épuisement suit souvent l'exaltation fonc-
tionnelle et c'est une loi de physiologie que les glandes à fonctions corré-
latives contrebalancent l'insuffisance de l'une d'elles par des hypertrophies
compensatrices. Un malade peut cesser de s'acromégaliser de longues
années avant sa mort, mais comme le tissu osseux laisse indélébiles ses
hypertrophies, ses déformations restent les stigmates d'un processus éteint
et dont on ne retrouve plus la cause agissante à l'autopsie.
En conséquence d'une insuffisance thyroïdienne ou surrénale, les autres
glandes à sécrétion interne, plus actives, peuvent s'hypertrophier, et cette
hypertrophie devenue pathologique s'extérioriser par un syndrome acro-
mégalique par exemple.
Rogowitsch n'a-t-il pas constaté l'hypertrophie de la pituitaire chez
des lapins thyroïdectomisés ? On peut supposer que dans ces cas l'hypo-
physine remplace l'iodothyrine pour maintenir les nerfs régulateurs en
parfait état de fonctionnement.
Nous pensons donc qu'il y a plus de chances pour que les lésions du
lobe antérieur du corps pituitaire interviennent dans la production de
l'acromégalie en exaltant les fonctions hypophysaires qu'en les diminuant.
Cependant comme pareil problème ne peut être résolu par des raisonne-
ments, nous avons institué des expériences chez le lapin pour étudier les
effets de l'hyperhypophysie. Cette hyperhypophysie, que nous croyons
nécessaire, n'est pas toujours suffisante à réaliser l'acromégalie, comme
nous l'avons vu plus haut.
En plus d'une assez longue durée de l'évolution qui est un élément
nécessaire pour l'apparition des changements squelettiques, un rôle im-
portant paraît dévolu à certaines glandes, comme la thyroïde dont on
(1) J. PIlitE, Lancet, 6 octobre 1901.
MURRAY, Brit. med. journ., 1891, Lancereaux, in A. Boye, thèse Paris, 1894. Modena.
Rivista sperim. di Freniatur, 1903, f. 3-4.
(2) PERcY FUR1'\IVALL. Soc. de pathol. de Londres, 2 novembre 1891. Sur 34 cas d'a-
cromégalie, dont 31 avec hypertrophie pituitaire et 3 cas avec pituitaires adénomateu-
se, ramollie et fibreuse, Percy Furnivall a relevé 5 thyroïdes normales, 11 hypertro-
phiées, 3 hypertrophiées et dégénérées, 1 en dégénérescence colloïde, 1 en dégénéres-
cence kystique, 1 avec dépôt calcaire, 1 atrophiée et 1 atrophiée avec sclérose.
(3) Ponfick. Deutsch medicinische Wochenschrift, 23 novembre 1899. Allaria,
Rivista crttica di clinica medica Firenze, février 1902, p. 80. 0. Burchard, St-Pé-
terburg-medicinische Wochenschrift, 1901, ne 44, p. 481. G. Modena. Annuario del
Manicornio provinciale di Ancona, 1903.
(4) Taaoa. Communication orale.
192 BALLET ET LAIGNEL-LAVASTINE
constate généralement des lésions. Les rapports intimes de la pituitaire
et de la thyroïde au point de vue embryologique, histologique, et expé-
rimental sont aujourd'hui connus, de même que leurs relations anatomo-
cliniques. La thyroïde normale dans l'acromégalie est assez rare. Presque
toujours elle est hypertrophiée, quelquefois atrophiée, en tous cas géné-
ralement touchée. Les cas comme le nôtre, où la thyroïde présente une
hyperplasie de même sens que la pituitaire, sont très fréquents et très
importants au point de vue pathogénique.
De même ordre nous parait le rapport que nous avons mis en évidence
entre la pituitaire et la thyroïde d'une part et les surrénales d'autre part.
Très peu d'auteurs ont cité les surrénales dans les autopsies d'acromé-
galiques. Ceux qui, comme Launois et Roy, en ont fait l'examen histo-
logique dans un cas de gigantisme ('1), les ont trouvées normales.
Nous croyons intéressant d'insister sur cette hyperplasie surrénale avec
adénomes rencontrée chez notre acromégalique, non que nous ignorions la
banalité des adénomes d'une part, et, d'autre part, les relations démon-
trées expérimentalement par 0. Josué (2) et M. Loeper (3), entre l'athé-
rome, très marqué chez notre malade, et l'injection intra-vasculaire
d'adrénaline, mais cette hyperplasie évidente accompagnée d'un très grand
nombre d'adénomes nous parait prendre une signification pathologique
moins du fait même de son intensité que de sa coexistence avec un pro-
cessus analogue dans la pituitaire et la thyroïde (4).
Peut-être pourrait-on aussi expliquer par une hyperplasie de même
sens que celle de la pituitaire, la thyroïde et les surrénales, les lésions
observées dans les plexus choroïdes de notre acromégalique.
Quoique ces granulations calcaires, signalées par Luschka, soient consi-
dérées comme un phénomène à peu près constant par Îlhl : er, ce dernier
auteur ne peut cependant leur refuser un caractère pathologique. Quoique
nous ayons très souvent, dans les autopsies de vieillards et de paralytiques
généraux, trouvé du sable cérébral, néanmoins l'intensité de nombre et de
(i) LAuçois et Roy. Nouv. Icon. de la Salp., 1903, n° 3, p. 170.
(2) 0. Josué, Soc. de biol., 1903.
(3) M. LoEpEn, Soc. de biol., 1903.
(4) De nombreux auteurs, cités par Labadie-Lagrave et Deguy (loc. cit.), sans
s'occuper des lésions surrénales, ont cité la fréquente coexistence de l'acromégalie et
et de l'hypertension artérielle avec lésions vasculaires athéromateuses.
Lortat-Jacoii et S,%13ABÉIANU (Soc. de biologie, novembre 1904), par injections intra-
vasculaires d'adrénaline qui provoquent de l'athérome chez des lapins neufs, n'ont
pas produit cet athérome chez des lapins thyroïdectomisés. Il eût été intéressant de
savoir l'état des pituitaires dans cette double série d'expériences. Roussy et Gauckler
viennent de rapporter à la Société de Neurologie (mars 190.ij un cas d'acromégalie avec
lésions kystiques de la pituitaire, goitre, adénome de la surrénale droite et cancer de
la gauche.
UN cas D'AGMMËGADE 193
volume des globes épidermoïdes trouvés chez notre acromégalique, rap-
prochées des récentes recherches histo-physiologiques de Pettit et Gi-
rard (1) sur la sécrétion des cellules des plexus choroïdes, nous inclinent
à penser qu'il y a peut-être là comme un avortement, une calcification
d'un processus réactionnel d'hyperplasie glandulaire analogue à ceux que
nous avons constatés dans des glandes dont on peut aujourd'hui tenter de
rapprocher les plexus choroïdes.
Les relations physiologiques de toutes ces glandes ne pouvant être que
médiates, c'est à un processus humoral qu'il faut sans doute se rattacher.
Ce processus humoral est-il lui-même sous la dépendance immédiate de
l'hyperhypophysie, ou bien celle-ci, de même que les autres hypertro-
phies glandulaires observées chez notre acromégalique, n'est-elle qu'une
conséquence d'un vice primordial indépendant et unique, c'est ce qu'il '
est aujourd'hui impossible de dire (2). Si l'on commence à pénétrer dans
le mécanisme physio-pathologique de l'acromégalie,son étiologie par contre
est complètement inconnue.
(1) PETTIT et Gl11AHD, loc. Cil.
(2) Les récentes expériences de Guerrini qui provoque, par intoxication chronique,
l'hypertrophie pituitaire sont en faveur de cette seconde hypothèse. (Gumo Guerrini.
Rivista di Patolagia nervosa e mental. IX. f. 11, p. 513-530. Novembre 1904.
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
(Séance du 3 Novembre 1904).
DE LA CYANOSE DES RÉTINES
DANS LE RÉTRÉCISSEMENT DE L'ARTÈRE PULMONAIRE.
- PAR
J. BABINSKI et Mlle S. TOUFESCO.
Ce travail est destiné à compléter les deux communications que nous
avons failes à la fin de l'année dernière sur la cyanose de la rétine.
Nous reproduisons ici nos deux observations.
Observation 1 (1).
Le jeune D..., âgé de 10 ans, est amené par sa mère à l'hôpital de la Pitié le
26 octobre 1904.
Dans les antécédents héréditaires et personnels de l'enfant on note les faits
suivants :
Antécédents héréditaires. Son grand-père maternel est mort d'une affec-
tion cardiaque à l'âge de 42 ans.
Son père est bien portant.
Sa mère, actuellement bien portante, ne présentant aucune lésion orificielle,
a souffert de chloro-anémie avec palpitations à la puberté. Elle n'a jamais fait
de fausses couches, et ses enfants sont nés à terme et bien constitués :
1° garçon bien portant, actuellement âgé de 13 ans ;
2° fille morte de diarrhée infantile à 10 mois ;
3° notre malade-;
4° garçon mort de diarrhée infantile à 4 mois ;
5° fille bien portante, actuellement âgée de 4 ans.
Antécédents personnels. Né à 9 mois, l'enfant pesait 7 livres. Tl présen-
tait de la tachycardie remarquée par l'accoucheur, mais l'existence d'une lésion
cardiaque ne fut pas reconnue. Jusqu'à 10 mois l'enfant se porte bien.
A partir de cette époque et jusqu'à l'âge de 3 ans, malaises fréquents, sur-
tout après les repas, vomissements, syncopes passagères 5 ou 6 fois.
A l'âge de 2 ans 1/2, pleurésie gauche soignée par un vésicatoire.
A l'âge de 3 ans, coqueluche ayant évolué en 5 mois. Quintes prolongées et
pénibles amenant la cyanose et des rejets de sang noir par la bouche et les
oreilles.
(1) Nous avons présenté ce malade à la Société de Neurologie le 3 novembre 1904.
DE LA CYANOSE DES RÉTINES 195
Au 3e mois de sa coqueluche, ictus apoplectique, coma avec respiration sus-
pirieuse durant un quart d'heure. L'hémiplégie gauche ne s'établit que progres-
sivement dans la soirée du mêmejour et demeure flasque pendant 4 mois. Petit t
à petit surviennent des contractures (le malade peut se soutenir sur sa jambe
gauche paralysée).
Depuis son ictus l'enfant conserve même à l'état de repos une teinte cyano-
tique de la peau et des muqueuses qui augmente au moindre effort.
Un médecin, consulté à ce moment, constate l'existence d'un souffle rude à
la partie moyenne du ventricule et fait le diagnostic de communication inter-
ventriculaire.
Une fois par an environ l'enfant a des petites crises d'asystolie caractérisées
par de l'oedème des membres inférieurs, de la dyspnée, de l'augmentation de la
cyanose. Cet état cède l'emploi de la digitale.
A l'âge de 6 ans, scarlatine légère, sans albuminurie, ayant évolué en 6
semaines.
A l'âge de 7 ans, varicelle légère sans complications.
Actuellement, l'enfant est petit pour son âge, chétif, intelligent, est premier
dans sa classe.
La teinte cyanotique des téguments est très prononcée, surtout au niveau
des oreilles, du bout du nez, des lèvres et des extrémités des doigts qui présen-
tent en outre une déformation en baguettes de tambour très nette.
L'enfant marche en trainant sa jambe gauche, son avant-bras gauche reste
fléchi à angle droit sur le bras, sa main est en flexion sur l'avant-bras, les pre-
mières phalanges des doigts sont légèrement fléchies, les autres en extension.
L'enfant présente tous les signes de l'hémiplégie organique à gauche. On
note en effet de ce côté de l'épilepsie spinale, l'extension avec abduction des or-
teils, la flexion combinée de la cuisse et du bassin, le signe du peaucier.
Le foie et la rate ne sont pas augmentés de volume.
Le tube digestif fonctionne normalement.
Les urines ne contiennent ni albumine, ni sucre.
Température rectale 37° 4, température axillaire 37° 3.
L'examen du coeur et du système vasculaire, fait par M. lè Docteur Vaquez,
donne les résultats suivants :
Palpation : léger frémissement localisé au niveau de l'infundibulum pulmo-
naire (2" espace intercostal gauche).
Percussion : normale.
Auscultation : souffle systolique à timbre grave, a propagation transversale
au niveau du 3e espace intercostal gauche, indiquant une communication
interventriculaire.
Souffle systolique à timbre plus aigu au niveau du 2e espace intercostal gau-
che, indiquant un rétrécissement de l'artère pulmonaire.
Tension au sphygmomanomètre de Potain 12.
Examen du sang, fait par M. Clunet, externe du service :
Globules rouges 7,790,000. Globules blancs 8,000.
Diamètre moyen des hématies augmenté. Quelques globules nains.
196 BABINSKI ET 'roUrESCO . z
Examen des yeux. -L'enfant, hypermétrope de + 1 D de ses deux yeux,
n'a jamais. éprouvé la moindre fatigue oculaire. Son acuité visuelle est 10/10
pour les deux yeux ; son champ visuel est normal pour le blanc et les couleurs.
L'appareil lacrymal est sain, les paupières sont normales, mais leur peau
partage la teinte cyanotique du reste des téguments. Les conjonctives palpé-
brales sont vascularisées. Les veines épisclérales sont dilatées el sinueuses par
places.
Les mouvements des globes sont normaux. La tension intra-oculaire est phy-
siologique. Les cornées sont transparentes, et les chambres antérieures de pro-
fondeur normale. -
L'iris est brun, de même teinte des deux côtés.
Les pupilles sont rondes et égales, réagissent normalement à la lumière et
à la convergence. Les milieux sont transparents.
Le fond de l'oeil présente un aspect particulier, il est cyanosé. A la périphé-
rie, mais surtout autour de la papille, sa teinte est nettement bleuâtre. Les ar-
tères sont sinueuses et dilatées, mais on est frappé surtout par la dilatation
énorme des veines qui sont sinueuses et d'une teinte bleu-foncé, presque vio-
lette par places. En dedans et en haut de la papille de l'OD, a une distance de
3/4 du diamètre papillaire environ, on note au niveau d'un entrecroisement
d'une veine et d'une artère un mouvement de progression du sang dans la
veine qui est trop faible pour donner nettement l'impression du pouls veineux.
Ce mouvement de progression du sang se voit aussi dans les artères.
La papille présente au centre une excavation profonde : les bords de la pa-
pille se voient nettement à l'image droite avec un verre concave de 2 D, tan-
dis que pour voir nettement le fond de l'excavation il faut se servir d'un verre
concave de 6D ; la profondeur de l'excavation est donc de 1 mm. 1/3. Cette
excavation tranche sur le reste de la papille par sa couleur blanc-nacré, dans
sa profondeur on voit des petits vaisseaux dilatés,un vaisseau un peu plus grand
passe en pont sur l'excavation et se dirige transversalement vers la macula.
Les gros vaisseaux forment un coude très prononcé au niveau du bord interne
de l'excavation. Le reste de la papille entoure l'excavation en forme de cercle
rouge-violacé, à bords surélevés, mais à contours nets. Les petits vaisseaux,
dilatés, s'avancent beaucoup dans la région maculaire qui partage la teinte
bleuâtre du reste du fond de l'oeil (V. fig. 2).
Cet aspect du fond de l'oeil est symétrique aux deux yeux.
En résumé, cyanose des rétines chez un enfant atteint de cyanose géné-
ralisée liée à une malformation congénitale du coeur avec hyperglobulie.
Observation II (1).
V..., âgé de 35 ans, marchand au panier, est admis l'hôpital de la Pitié.
Né à terme, élevé au biberon, son développement s'est fait péniblement : il
a marché très tard, il n'a jamais pu courir et jouer avec les enfants de son âge,
(1) Nous avons présenté ce malade à la Société d'Ophtalmologie le G décembre 1904.
Cette communication est publiée dans les Annales d'Oculistique, février 1905, p. 125.
Nouv. Iconographie de la Salpêtrière
T-XVOE. PI.XXVI1
Cyanose des Rétines
dans le rétrécissement de l'artère pulmonaire
DE LA CYANOSE DES RÉTINES 197
étant essoufflé au moindre effort. Au moindre froid, ses extrémités devenaient
livides.
Intelligent, l'enfant a tous les premiers prix à l'école.
A l'âge de 5 6 ans il subit un traumatisme de la région sourcilière gauche
où actuellement on note à 1 centimètre environ au-dessus de la queue du sour-
cil une cicatrice irrégulière et déprimée.
A l'age de 10 ans, il fut pris d'une épistaxis abondante ayant duré plusieurs
heures et nécessité une intervention médicale.
A l'âge de 17 ans, nouvelle épistaxis abondante, prodrome d'une fièvre ty-
phoïde d'intensité moyenne, mais suivie d'une rechute grave. Soigné à la
Charité pendant 3 mois 1/2, le malade a une convalescence pénible, avec dys-
pnée, palpitations et état syncopal. C'est au cours de cette convalescence
qu'on pose le diagnostic de rétrécissement de l'artère pulmonaire.
Depuis sa fièvre typhoïde, le malade conserve une surdité bilatérale légère,
et sa mémoire aurait notablement diminué.
A l'âge de 20, 21 et 22 ans, attaques successives de rhumatisme articulaire
aigu accompagnées de fièvre, mais qui ne semblent pas avoir donné lieu à une
complication cardiaque.
La faiblesse de constitution empêche le malade de faire son service militaire.
Il y a 6 ans, une hémoptysie abondante oblige le malade à s'aliter pendant
8 jours, et on constate une congestion pulmonaire évoluant sans fièvre. L'hé-
moptysie, moins abondante, se reproduit encore 2 fois à un an d'intervalle.
il y a 2 à 3 ans, pituites matinales et tremblement des mains à la suite des
excès de boisson.
Vers la même époque survient une pleurésie droite ponctionnée dans le ser-
vice de M. le Professeur Dieulafoy.
Grippe l'année dernière ; la température s'élève jusqu'à 40°.
Depuis sa fièvre typhoïde le malade présente, sans cause apparente, des accès
de douleur très vive à la région précordiale. Cette douleur ne dure que quel-
ques instants, elle survient la nuit comme le jour, dans n'importe quelle posi-
tion du malade, ◀tantôt▶ plusieurs fois dans la même journée ou plusieurs jours
consécutifs, ◀tantôt▶ après une accalmie de 5 mois. Pendant quelques heures
après ces accès le malade est plus essoufflé, et son appétit est moins bon. Le
malade n'a qu'une soeur, âgée de 34 ans, bien portante. Leurs parents sont
morts jeunes, tuberculeux.
Actuellement, l'aspect du malade est chétif, ses téguments sont pâles, sa
peau fine ; on note une teinte un peu violacée au niveau de la matrice des
ongles, mais les extrémités des doigts ne sont pas déformées ; il n'y a pas de
cyanose généralisée.
Hernie inguinale gauche. L'appareil digestif fonctionne normalement. Le
malade ne tousse, ni ne crache ; l'examen des deux ponmons est négatif,
sauf une zone de submatité à la base droite où l'oreille entend quelques frotte-
ments pleuraux.
Il n'y a pas de voussure précordiale. La pointe du coeur bat dans le 5e espace
intercostal, un peu en dedans du mamelon. Dans le 2e espace intercostal
198 BABINSKI ET TOUFESCO
gauche, on entend un souffle systolique, rude et intense, précédé d'un claque-
ment des valvules sigmoïdes. Ce souffle s'entend en auscultant sur le dos. La
main appliquée au niveau du maximum du souffle perçoit un frémissement net.
D'après M. le Docteur Vaquez il s'agit d'un rétrécissement de l'artère pul-
monaire acquis.
La tension artérielle au sphygmomanomètre de Potain est 15 il 14. Le chiffre
moyen des globules rouges est de 5 millions (Numérations faites par M. Clunet,
externe du service). Le pouls régulier donne 70 pulsations à la minute.
Température rectale 37° 2, température axillaire 36° 7.
Le foie et la rate ont leur volume normal.
Les urines ne contiennent ni albumine, ni sucre.
On ne note aucun trouble de sensibilité, les réflexes tendineux sont normaux,
mais la main gauche serre moins fort que la main droite.
La face est légèrement asymétrique, la queue du sourcil gauche semble
abaissée. Sur la paupière supérieure gauche on note un naevus. La paupière
supérieure droite porte un chalazion. Les conjonctives sont normales. Depuis
une dizaine d'années il existe un larmoiement bilatéral intermittent. Les mou-
vements des globes sont normaux, la tension intra-oculaire est physiologique.
Les cornées sont transparentes, ainsi que les milieux de l'oeil. La skiascopie
montre que l'OD est emmétrope, tandis que l'OG présente un astigmatisme hy-
permétropique de + 3 D, l'axe vertical étant légèrement incliné en dedans.
Après correction, OD V = 10/10 ; OG V = 2/10.
L'iris brun ne présente aucune différence de teinte d'un oeil à l'autre. Les
pupilles, rondes et égales, réagissent normalement à la lumière et à la con-
vergence.
Le champ visuel est normal, ainsi que la vision des couleurs.
Dans les deux yeux, la teinte générale du fond de l'oeil est un peu bleuâtre,
la région maculaire est foncée. La papille présente une excavation physiologi-
que qui tranche en blanc sur les bords rosés, légèrement surélevés, mais nets
de la papille. Les petits vaisseaux dilatés semblent plus nombreux au niveau
de la papille. Les gros vaisseaux sont dilatés, les veines sinueuses tranchent
par leur teinte violette. Nous n'avons pas observé de pouls veineux.
En résumé, cyanose des rétines, légère, mais nette, chez un malade atteint
de rétrécissement de l'artère pulmonaire, sans cyanose généralisée.
Dans leurs traités, Panas et de Wecker ne font que mentionner en
quelques mots la cyanose des rétines ; Gowers en parle, et Groenouw en
donne une courte description, mais les documents cliniques que nous
avons pu recueillir dans la littérature ne sont qu'au nombre de 11 ; nous
les passerons rapidement en revue. Liebreicli le premier décrit et figure
dans l'édition de 1863 de son Atlas un cas de cynanose de la rétine avec
dilatation des veines chez un malade atteint de sténose congénitale de
l'artère pulmonaire. Cet auteur emploie l'expression de « cyanose de la
rétine », mais il confond les cas de cyanose vraie avec l'hyperpigmentation
DE LA CYANOSE DES RÉTINES 199
du fond de l'oeil qui accompagne la pigmentation congénitale de la sclé-
rotique, état décrit depuis sous les noms de mélanose, mélanochromie,
cyanochromie de la sclérotique, le plus souvent unilatéral et qui n' est
nullement lié à une affection cardiaque ou aux troubles de l'hématose.
Hirschberg, et après lui Schmidt-Rimpler, protestent contre cette con-
fusion et proposent de réserver le nom de « cyanose de la rétine » aux cas
accompagnés de cyanose généralisée.
La 2e observation de cyanose des rétines appartient à Knapp qui en 1870
relate les faits suivants : artères et veines rétiniennes très dilatées, les
bords de la papille cachés par les vaisseaux, les veines et les artères vont
jusqu'à la fovea ; acuité normale, champ visuel aussi. Cyanose généralisée.
A l'autopsie, aucune lésion valvulaire, mais dilatation et hypertrophie de
tout le système vasculaire.
En 1877, Leber cite le cas de Knapp et ajoute une nouvelle observation
avec vaisseaux rétiniens très dilatés et sinueux, papille rouge bords
indistincts et surélevés, veines de teinte foncée, capillaires dilatés allant
jusqu'à la fovea.
En 1882, Litten observe une cyanose de la conjonctive et de la rétine
avec veines très dilatées et violettes, papille d'une rougeur diffuse et hé-
morragies rétiniennes. L'autopsie montre une oblitération de l'artère
pulmonaire.
Plaçons ici l'observation de M. le Docteur Galezowski citée par Gowers,
mais dont nous n'avons pu trouver la date exacte.Dans ce cas l'acuité était
très abaissée à cause d'une congestion intense des capillaires de la macula
et des hémorragies rétiniennes se sont produites quelques jours avant la
mort.
En 1883, Hirschberg observe deux autres cas de cyanose.
En 1890, Nagel examine une petite fille de 9 ans avec stase pulmonaire
congénitale compliquée probablement d'insuffisance mitrale. Cyanose
généralisée. Les papilles sont hyperémiées, les veines dilatées presque
noires.
En 1892, Hirschberg observe encore deux cas qu'il publie et ligure en
1904. Les artères rétiniennes sont normales, les veines sinueuses, dilatées, z
de couleur bleu foncé. Le premier malade présente une cyphoscoliose,
de l'emphysème pulmonaire et une dilatation du coeur droit. Cyanose gé-
néralisée, doigts en baguettes de tambour. Le z malade a une malfor-
mation du coeur. Dans ce dernier cas l'acuité est normale, tandis que dans
le premier elle n'est que de 1/4 pour chaque oeil. Le dernier cas de cya-
nose rétinienne est dû à Goldzieher, 1904 (1). Communication interven-
(1) Cette observation nous a été communiquée par M. le Dr Morax.
200 BAUINSIfI ET TOUFESCO
triculaire. Cyanose généralisée. Doigts en baguettes de tambour.Hyperglo-
bulie (8,150,000 globules rouges). L'OD, fonctionnellement normal,
montre une cyanose très nette. L'OG est atteint d'irido-cyclite suivie d'une
hémorragie dans le corps vitré, de perforation spontanée de la scléroti-
que et d'atrophie consécutive du globe.
Il est probable que les cas de cyanose des rétines deviendraient plus
nombreux si l'on soumettait systématiquement à l'examen ophtalmosco-
pique tout malade atteint de cyanose généralisée et d'une façon plus géné-
rale, tout malade porteur d'une affection cardio-vasculaire. Notre observa-
lion -Il prouve que la cyanose des rétines peut exister sans cyanose
généralisée, et l'importance de ce trouble local est considérable, car il tra-
duit une perturbation dans la circulation du système nerveux central.
Rappelons en effet l'observation de Cabot (1) dans laquelle on a constaté,
dans un cas de cyanose généralisée paroxystique,une hémorragie par lésion
de l'artère méningée moyenne et le cas de vascularisation remarquable
du cerveau trouvée par ]eD'' Sébileau à l'autopsie d'un enfant mort dans
un accès de cyanose dans le service de M. le Docteur Variot.
BIBLIOGRAPHIE
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LIEBRSICH. Atlas der ophtalmoscopie, édition de 1863.
Litten. Berliner klinische Wochenschrift, 1882, nous 28 et 29.
NAGHL. Mitteil. a. d. ophtalm. IClinik in Tübingen, t. II, 3, p. 411.
PANAS. - Traité des maladies des yeux, t. 1, p. 619.
Sébileau. Thèse de Paris, 1904, p. 89.
DE Wecker. Traité complet d'ophtalmologie, t. IV, p. 57.
(1) Cette observation nous a été communiquée par M. le Dr Vaquez.
R° OSPEDALE MAUR1ZIANO UMBERTO I DI TORINO.
SERVICE DU PROFESSEUR GRAZIADEI.
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES
SOUS LA DÉPENDANCE DU SYSTÈME NERVEUX
(RÔLE DE LA SÉCRÉTION LYMPHATIQUE DANS LEUR PATHOGÉNIE )
par .
I. VALOBRA,
Médecin de l'hôpital Umberto Ier, à Turin.
C'est en 1882 que Quinke (1) a pour la première fois donné la descrip-
tion de cette forme morbide : l'oedème circonscrit et aigu delà peau. Se-
lon son auteur elle serait caractérisée par la présence d'un oedème cir-
conscrit qui se produit très rapidement et qui très rapidement s'évanouit :
tout de suite de nouvelles tuméfactions se forment,et ces poussées peuvent
se suivre pendant un temps varié. Cette forme morbide,dont je néglige l'his-
toire bibliographique très connue, a été admise sans contestation dans la pa-
thologie, de nombreuses observations ayant confirmé son existence.
Mais, dans ces dernières années, une nouvelle forme d'oedème a été
décrite chez les sujets qui, comme ceux affectés par la maladie de Quinke,
avaient le coeur et les reins sains et qui ne présentaient aucune maladie
générale. Sans aucune étiologie localisée, avec une circulation locale ap-
paremment parfaite, souvent après une poussée ou bien une série de pous-
sée d'oedèmes circonscrits passagers, peu à peu se forme un oedème d'un
membre, ou bien d'un segment de membre qui persiste toute la vie, résis-
tant à tous les traitements. Debove (2), qui a le premier appelé l'attention
des pathologistes sur cette forme morbide, l'a nommée (à cause d'un de ses
caractères morphologiques souvent évident) « oedème segmentaire ». Cet
appellatif a le tort de donner un caractère qui n'est pas constant. Le nom
de « trophoedème chronique » proposé par Meige (3) est entré dans le lan-
gage scientifique commun, quoiqu'il suppose comme absolument démon-
trée la pathogénie de la maladie : cette affirmation on ne peut pas encore
la faire. Ces deux formes morbides ont les caractères communs de surgir
1. QutNKE. Ub. acutes umschr. Hautred. Monats. f. yrakt. Derny., 1882, juillet.
2. Debove Bull. de la Soc. méd. d'flBp., 1897.
3. MEIGE. - Le trophoed. chr. Nouv. incon. de la Salpêtrière, 1899, décembre.
XVIII 14 1
202 VALOBRA
chez des personnes qui n'ont aucune lésion du coeur ou des reins, sans lé-
sion locale visible, et elles se présentent avec un cortège de phénomènes
secondaires qui fontsongerà l'influence du système nerveux.
Selon Meige ces deux formes seraient la manifestation d'une maladie
unique qui, dans la maladie de Quinke, se présente sous sa forme aiguë,
et dans la forme décrite par Debove se présente avec une allure chro-
nique. Selon le même auteur l'altération fondamentale serait dans le
système nerveux dont le trophisme qui normalement s'exerce sur les tissus
cutanés et sous-cutanés agit d'une manière pathologique. Les au-teurs alle-
mands s'opposent à ces idées ; ils séparent très nettement les deux formes
et nient qu'elles soient la manifestation d'une même maladie.
Ayant eu le bonheur de pouvoir observer dans l'espace de plusieurs
années de nombreux échantillons de ces deux maladies, j'ai pu me for-
mer une opinion personnelle qui me sembla confirmée par l'étude com-
plète de l'argument.
Je dirai tout de suite que mes idées sont très voisines de celles de
M. Meige, tout en les précisant. Nous verrons bientôt que si entre l'oedème
de Quinke et le trophoedème de Meige existent des rapports intimes de
sorte qu'on est obligé de rechercher une pathogénie identique, l'oedème
aigu est de son côté lié d'une telle façon à l'urticaire qu'on doit étudier
cette dernière maladie sous les mêmes points de vue : urticaire, oedème de
Quinke, trophoedème de Meige nous paraîtront comme des différentes ma-
nifestations d'une même altération qui peut varier par son évolution, par
sa durée, par ses complications, tout en ayant toujours la même patho-
génie. C'est sur cette pathogénie que mes idées diffèrent notablement de
celles émises par Meige et par tous les auteurs qui ont étudié ces formes
morbides. J'exposerai ces idées dans une deuxième partie après avoir dé-
montré et documenté dans la première les liens cliniques étroits existant
entre les trois formes en question.
Je ferai précéder l'exposition théorique par la relation des plus saillan-
tes de mes observations :
Cas. I. Abbate Eugenio, 17 ans, cuisinier de son état. Il se présenta à la
consultation de l'hôpital le S juillet J.901 : il nous fait savoir que depuis
quinze jours il souffre d'anorexie, de lassitude, d'une fièvre légère, de consti-
pation. Depuis dix jours il voit que le matin, lorsqu'il se lève, une partie de
son corps est tuméfiée : c'est la main droite, par exemple, qui se présente
comme un petit coussin et qui, après deux ou trois heures, a repris son aspect
normal ; une autre fois le même phénomène se montre au pied, ou bien
encore au thorax, ou bien la tuméfaction envahit la moitié du visage, ou les
deux paupières. Tandis que les autres localisations de l'oedème se présentent
sans ordre et alternées, l'oedème des paupières se présente constamment tous
les matins : si bien qu'un médecin a admis la possibilité d'une néphrite.
LES OEDÈMES C1RCONSCRIfiS AIGUS ET CHRONIQUES 203
Nous examinons rapidement le malade et nous trouvons : rien à noter du côté
des organes du thorax ; une certaine tension abdominale, une tuméfaction de la
rate ; haleine fétide ; urines chargées dépourvues d'albumine et de sucre ;
température 38°2. Tuméfaction de la surface dorsale de la main gauche, bien
circonscrite la circonférence de la main gauche dépasse de 3 cm. celle de la main
droite. Les paupières sont très tuméfiées. Nous lui ordonnons une dose de ca-
lomel, et nous lui ordonnons de revenir le lendemain se faire admettre. Il re-
vient après huit jours, couvert d'une éruption d'urticaire : les poussées, de cou-
leur rose, de la grandeur d'une pièce de cinq francs, ont paru il y a deux
jours et lui donnent une démangeaison assez supportable. Les oedèmes ont dis-
paru partout sauf dans les paupières. La constipation persiste ; la fièvre est
augmentée. Il entre dans le service de M. le professeur Graziadei qui pose le
diagnostic de fièvre typhoïde, diagnostic qui fut plus tard confirmé par la séro-
réaction de Vidal.
La marche de l'infection typhique fut typique pour ce qui concerne la tem-
pérature, le pouls, les phénomènes du côté de l'intestin, et après 36 jours le
malade apyrétique commença sa convalescence.
Les phénomènes cutanés n'ont pas disparu avec la fièvre, mais ils s'effacè-
rent peu à peu dans la convalescence. Pendant toute la durée de la maladie et
de la convalescence, malgré le traitement hydrothérapique, les poussées d'urti-
caire, quoique pas trop étendues, n'ont jamais disparu complètement. Souvent,
tous les deux ou trois jours apparaissaient aussi au matin des tuméfactions de la
peau, bien circonscrites, diversement localisées sans ordre et sans symétrie. La
peau des régions tuméfiées était pâle; elle ne conservait pas l'empreinte du doigt;
la température locale mesurée avec le thermomètre à bulbe plat, était un 4/5
de degré plus basse que dans les régions voisines. Le malade ne présenta ja-
mais de phénomènes semblables du côté des muqueuses. L'examen du sang
plusieurs fois répété ne montra pas d'altérations au dehors d'une certaine
leucopénie commune dans la fièvre typhoïde (5500).
L'examen des urines ne nous a permis de déceler qu'une faible réaction de
l'albumine qui ne disparut qu'avec la guérison. Les réactions de l'indican et
de l'éther sulfurique ne furent jamais très chargées pendant toute la~maladie.
La quantité de chlorures éliminés était de 7-9 grammes toutes les 24 heu-
res. En lui donnant pendant huit jours 15-20 grammes de NaCl toutes les 24
heures dans du lait, quoique la quantité des chlorures des urines n'augmentât
pas en proportion (15-'18 grammes par 24 heures), on n'observa aucune
modification dans les oedèmes cutanés ; l'épreuve répétée dans la convales-
cence n'a pas reproduit des oedèmes disparus.
Le malade, en dehors d'un commun degré d'assoupissement, ne présente au-
cun phénomène objectif du côté du système nerveux.
En résumé « Chez un jeune garçon dans la période prodromique d'une
dothiénentérie apparaît une série de poussées d'oedèmes de Quinke qui se
prolongèrent pendant toute la durée de la maladie et qui à partir de la deu-
xième semaine s'associèrent à une urticaire typique. Les phénomènes cutanés
disparurent avec la guérison de la dothiénentérie. »
204 VALOBRA
OBS. II. E. Lévi, 13 ans, juive. Père hémophilique typique. Deux pe-
tits frères sont décédés pour des hémorragies. La petite malade et ses deux
soeurs n'ont jamais eu de phénomènes de cette maladie. Dans le mois de
mars 1904 la première des soeurs prend une diphtérie du larynx qui guérit
sans phénomènes cutanés à la suite de plusieurs injections de sérum antidiph-
térique curatif. Chez la troisième des soeurs une injection de sérum préventif
produit une éruption unique d'urticaire au troisième jour. La petite Elise
reçoit la même quantité (1.000 U. I) de sérum ; deux jours après elle présente
un oedème du dos de la main gauche, oedème blanc, bien circonscrit au poi-
gnet, qui ne démangeait pas, qui- ne gardait pas le godet du doigt. Après
'2fi heures l'oedème avait disparu de la main, et il était'évident au pied gauche
et aux deux paupières. Douze heures après cet oedème aussi avait disparu, et
sur la peau du tronc surgirent des oedèmes de la grandeur de la paume de la
main, avec les mêmes caractères. Le soir tout avait disparu. La diète avait été
lactée. Rien de notable décéla l'examen des urines.
En résumé : « Chez deux soeurs, dont le père est hémophilique, l'injection
de sérum anti-diphtérique préventif détermine : chez la première trois pous-
sées d'oedème de Quinke ; chez la deuxième une éruption d'urticaire unique.
Une troisième soeur, qui fût infectée de diphtérie, l'injection de sérum curatif
ne produisit aucun phénomène du côté de la peau.
OBS. III. M. G..., 38 ans, professeur à la Faculté médicale de Turin, juif.
Il m'a donné lui-môme sa propre observation. Il raconte qu'il y a plusieurs
années il avait été frappé par le fait suivant : le matin, au réveil, il voyait sur
sa peau des oedèmes circonscrits, d'une couleur rosée, de la grandeur d'un
écu ou bien de la paume de la main, qui ne démangeaient pas. Leur siège
était varié : les bras, le tronc, les fesses, la tête sous les cheveux. Ces oedèmes
disparaissent vers midi. Plusieurs traitements avaient été inutiles.
Un jour il songea que ces phénomènes pouvaient dépendre d'une intoxication
par le tabac, dont il n'était toutefois pas fort fumeur, parce que fumer lui
donnait une énorme salivation très désagréable. Or depuis le jour qu'il
cessa de fumer, les oedèmes ne se présentèrent plus. Après quelques semaines
un cigare pas fort, fumé le soir, produit une poussée d'oedèmes. Il répéta cette
expérience plusieurs fois pendant 10 ads environ, toujours avec le même
résultat.
Il s'agit d'un homme très intelligent, très sain, d'un tempérament un peu
excitable et nerveux.
OBS. IV. P. Giuseppina, 26 ans, sage-femme. Aucune hérédité névropa-
thique dans la famille. A l'âge de 12 ans elle présenta une affection caracté-
risée par des oedèmes passagers qui ne duraient jamais plus de deux ou trois
heures, apparaissant sans raison ◀tantôt▶ aux paupières, ◀tantôt▶ aux pieds, ◀tantôt▶
à une main, sans aucun désordre de la santé générale. Six mois après, sans
aucun traitement, la guérison est parfaite. Après la puberté elle a été toujours
un peu excitable, un peu nerveuse, mais elle n'a jamais souffert d'aucune ma-
ladie. Mariage à 18 ans. Un enfant à 20 ans ; à 21 ans, infection gonorrhéique
avec salpingite gauche, dont elle n'est pas encore guérie.
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 205
Maladie actuelle. J'ai vu la malade pour la première fois le 16 mars 1904.
Depuis 25 jours elle souffrait d'une anorexie absolue, de lassitude, légère fièvre,
constipation opiniâtre, douleurs abdominales. Depuis 15 jours, elle avait vu
recommencer les oedèmes dont elle avait souffert à 12 ans. Un médecin parla
de néphrite.
J'ai étudié et suivi la malade : pendant la durée de 45 jours elle présenta
tous les jours ces poussées d'oedèmes passagers qui changeaient- toujours de
place ; sans démangeaison, bien circonscrits, de grandeur variable lors-
qu'ils apparaissaient sur la peau du tronc, dans les membres ils prenaient
toujours un caractère segmentaire asymétrique ; ils frappaient une main,
ou bien la jambe, l'avant-bras... La température locale était toujours un demi-
degré moindre que sur la peau saine. L'oedème était toujours pâle et ne conser-
vait pas le godet du doigt. Pendant une semaine la malade fut soumise à une
diète lactée absolue et l'examen des urines ne décela jamais d'albumine, pas
même de traces ; au contraire la réaction de l'indican était très foncée ; la réac-
tion des éthers sulfuriques exagérée. La quantité des chlorures dans les 24 heu-
res oscilla entre 7 gr. 25 et 1J gr. 50.
Je donnai pendant la semaine suivante 15 gr. de NaCI dans le lait tous les
jours, et les oedèmes n'ont pas varié dans leur intensité, quoique les chlorures
des urines n'augmentassent pas en proportion des chlorures ingérés.
J'ai noté à ce moment un fait très intéressant. Tandis que le siège des oedè-
mes était extrêmement variable et que ceux-ci ne se répétaient jamais au même
niveau, la main droite était presque tous les jours frappée par l'oedème. lequel
disparaissait toutefois en quelques heures.
L'examen de la sensibilité, de la motilité, des réflexes fut toujours négatif.
Jamais je n'ai pu trouver un signe d'hystérie. La température rectale oscillait
206 VALOBRA
entre 37°8 et 38°5. Après 15 jours de diète et une désinfection intestinale
obtenue avec des doses répétées de calomel et d'acide chlorhydrique, les oedèmes
apparurent plus rarement ; seulement tous les deux ou trois jours. Ils avaient
toujours une singulière prédilection pour la main droite.
A ce moment, je perds de vue la malade qui se rend en montagne.
Je revis la malade au mois d'octobre. Elle raconte qu'après un mois encore
de régime lacté les oedèmes ont peu à peu disparu. Seulement dans la main
droite ils se sont répétés jusqu'au mois d'août. Depuis deux mois, elle n'a
plus présenté rien d'anormal ; la digestion aussi se fit très bien. Elle se
plaint toutefois, car la main droite malgré ses massages est restée un peu
tuméfiée.
Examinons les mains : la main gauche est éthétiquement parfaite; pas trop
maigre, étroite,aux doigts longs et bien modelés.La main droite avant sa mala-
die était sa digne compagne, car plusieurs fois des sculpteurs l'ont reproduite
comme modèle, même pour un des monuments modernes les plus admirés de la
ville. A présent la main qui a été le siège préféré de l'oedème passager présente
des altérations persistantes qui la déforment. Elle n'est plus la belle main clas-
sique ; c'est la main défigurée qui fait tout de suite se souvenir de la « main
succulente» (Voir la figure). Le dos est tuméfié; on ne voit plus les tendons
sous la peau, et cette tuméfaction commence à la ligne interarticulaire du
poignet. La peau pâle, plus froide d'un degré que celle de l'avant-bras,
ne conserve pas le godet et se présente un peu ridée superficiellement, quoi
qu'elle soit tendue. Les doigts sont potelés : chaque phalange est tuméfiée pour
son compte, en saucisson. L'examen de la motilité et de la sensibilité ne
montre aucune altération. La circonférence de la main au niveau de la moitié
du dos est de 3 centimètres plus forte qu'à gauche.
Dans le mois de décembre les conditions étaient identiques et la femme se
portait très bien.
En résumé : « Une femme jeune, pas hystérique, présente à la suite d'une
intoxication intestinale une- maladie de Quinke. Les oedèmes se répètent avec
prédilection à la main droite. La malade guérit des phénomènes intestinaux et
et des oedèmes de Quinke. La main droite présente une sorte de trophoedème
chronique, persistant.
OBs. V. C... Ernestina, 25 ans, couturière de son état. Il s'agit d'une
observation très difficile à étudier. Elle fut envoyée avec le diagnostic d'hé-
moglobinurie paroxystique. Toutes les nuits, vers onze heures, l'urine prend
une couleur rosée très foncée. L'examen spectroscopique nous démontre avec
une extrême évidence la ligne de l'hémoglobine, tandis que l'examen micros-
copique nous démontre l'absence des globules rouges. L'examen chimique
décèle une albuminurie très accentuée. Vers deux heures du matin l'liémo-
globinurie commence à diminuer. Vers midi l'urine complètement claire est
libre d'hémoglobine. Sur l'étiologie et sur la pathogénie de ces accès qui
avaient réduit la malade à un degré d'anémie extraordinaire, malgré nos
efforts poursuivis pendant deux mois, nous n'avons pu porter la lumière. Ni
LES 06DÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 207
froid, ni fatigue, ni paludisme, ni syphilis, ni hystérisme dans l'étiologie.
Rien de spécial à l'examen chimique, microscopique et biologique des uri-
nes, du sérum, des éléments du sang. L'intéressant pour nous, c'est de dire
que chaque accès d'hémoglobinurie s'accompagnait d'une éruption d'urti-
caire sur la peau du tronc, et avec des oedèmes de Quinke au dos des pieds,
des paupières, des joues et parfois avec des crises de sueurs. Tous ces phéno-
mènes cutanés disparaissent avec les phénomènes urinaires.
Ces accès après un mois de repos et de diète, ont présenté quelque rémis-
sion. Pendant une de ces rémissions, la malade voulut sortir de l'hôpital.
OBs. Vit C. Lorenzo, 15 ans, confiseur de son état. Père alcoolique. Mère
hystérique. Rougeole à 5 ans. Après cela santé parfaite. Il y a un an, petite
chute accidentelle sans aucune lésion appréciable. Il y a neuf mois, il s'aperçut
que quelquefois le matin il ne pouvait mettre sa chaussure au pied droit, car
le pied était tuméfié. Vers midi le pied avait le volume normal. Parfois c'était
la jambe qui se présentait en fiée. Le malade observa ces faits pendant trois mois
environ. Depuis cinq ou six mois le malade a reconnu que la jambe et le pied
n'ont plus repris leur volume normal. Cela ne lui donne pourtant pas de gêne.
Il fait ses travaux, il fait ses courses pendant toute la journée sans souffrir
de l'état de sa jambe, laquelle, peut-être, est légèrement plus tuméfiée au soir.
Examen objectif pratiqué à l'hôpital au mois de juin 1901. - Ce garçon
se porte très bien et ne présente aucune altération de ses organes internes ni
de ses fonctions. La seule anomalie qu'on trouve, c'est du côté du membre in-
férieur droit. Ceci est parfaitement normal de l'aine jusqu'au genou. Le genou
aussi est égal à celui de. gauche. Au-dessous du genou le membre est nota-
blement tuméfié : la jambe n'a plus sa forme normale, elle a la forme d'un
cylindre de rayon uniforme du haut en bas. Au niveau de la cheville la tuméfac-
tion présente une diminution de volume brusque. Le pied est au contraire
tuméfié. Les doigts potelés, en saucisson. C'est un vrai pied succulent. La cou-
leur de la portion tuméfiée du membre est pâle; la peau est un peu ridée. La
pression du doigt ne laisse pas le godet. La température locale est de 33°5,
tandis que au même niveau à gauche le thermomètre accuse 35°6. Sensibilité au
contact, à la douleur, à la chaleur et légèrement diminuée. Réflexes superficiels
et profonds normaux, Rien d'anormal à l'examen de la circulation artérielle et
veineuse.
Mensuration des membreshnférieurs :
208 VALOBRA
soigné par des massages. Malgré cela les mesures du membre ne furent dimi-
nuées que de quelques millimètres. Je n'ai pas pu prendre la photographie
du malade à cette époque.
J'ai pu voir et photographier le malade chez lui à la campagne, cinq mois
après sa sortie de l'hôpital. Il avait pris l'habitude de se bander la jambe avec
une bande de flanelle, laquelle de la pointe du pied lui montait jusqu'à la moi-
tié de la cuisse.
J'ai fait mes photographies (PI. XXVIII) et j'ai répété mes mesures : elles me
donnèrent des chiffres égaux à ceux trouvés cinq mois auparavant. La tumé-
faction avait peut-être un peu augmenté, car cette deuxième mesure fut prise
lorsque le membre était encore sous l'influence de l'étroite bande de flanelle
qu'il venait de quitter.
Je n'ai plus revu le malade.
En résumé : « Jeune homme sans altérations du côté de l'appareil circula-
toire ou rénal. Après une série d'oedèmes circonscrits, oedème dur persistant
avec les caractères du trophoedème chronique de Meige. Ceci persiste depuis
dix mois. »
Lorsque, après un profond examen du malade, nous avons relevé tous
les phénomènes morbides, et que sur les données des traités de diagnostic
nous avons marqué d'un nom le tableau symptomatique qu'il présente,
nous avons fait bien peu de chose. Lorsque nous avons posé le diagnostic
de « maladie de Quinke », nous n'en savons pas beaucoup plus que le
malade lui-même qui sait nous dire que sur la peau de son corps se
forment des oedèmes circonscrits qui rapidement s'effacent.
C'est seulement lorsque nous saurons nous rendre compte de leur pré-
sence, en voir les liens avec d'autres phénomènes et d'autres maladies, et
en faire une localisation pathogénique, que nous aurons fait oeuvre de
science, et pas seulement d'empirisme.
Etant donné qu'aucun des malades observés ne présentait de lésion
rénale, ni du coeur, ni des vaisseaux, ni même des signes d'hystérie,
notre diagnostic n'est pas douteux. Notre première observation se pré-
sente comme un cas de dothiénentérie avec urticaire et oedème de Quinke.
Pouvons-nous donc dire qu'il s'agissait de trois maladies associées, ou
bien que tous les phénomènes constituaient divers syndromes tous symp-
tomatiques d'une cause unique ou encore que l'urticaire et l'oedème re-
connaissaient deux groupes d'altérations pathogéniques ? Est-ce que
le trophoedème de la main de notre quatrième observation, et le trophoe-
dème de la jambe de notre sixième observation étaient dus à des lésions
nouvelles ou bien présentaient-ils des rapports intimes avec les oedèmes de
Quinke qui les ont précédés ?
Nouvelle Iconographie DE la SALP7 : 1'RI) : RE
T. XVIII. PI. XXVIII
TROPHOED : Ë : ME CHRONIQUE
(Valobra)
Observation VI
Masson & Cie, Éditeurs
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 209
Et les mêmes demandes peuvent être posées à propos des autres obser-
vations.
Dans les traités même très modernes de pathologie, nous ne trouvons
pas de réponse précise à ces demandes. Nous essayerons de la donner.Nous
nous poserons comme but d'établir les liens cliniques qui existent entre les
trois formes morbides : urticaire, oedème de Quinke et trophoedème, et
nous en envisagerons la pathogénie. Tandis que dans la première partie
nous exposions seulement des faits, à propos de la pathogénie nous expo-
serons aussi des idées qui nous appartiennent et les considérations que
nous proposons à l'examen des pathologistes.
1 (A suivre.)
UN CAS DE DÉFORMATION THORACIQUE PRÉCOCE
CONSÉCUTIVE A UNE PLEURÉSIE AIGUË,
par
J. MATIGNON,
Médecin-major en mission
aux armées japonaises de Mandchourie.
Les déformations du thorax, avec déviation de la colonne vertébrale,ont
été signalées dans les pleurésies chroniques et un très beau spécimen en
est reproduit dansle Traité de l'auscultation médicale de Laennec. La pa-
thogénie de ces déformations se trouve dans l'organisation des fausses
membranes qui se rétractent, entraînant dans leur mouvement espaces
intercostaux et colonne vertébrale. Ce sont là accidents tardifs.
Ici, au contraire, j'ai à rapporter un cas de déformation thoracique,
précoce, survenu à la suite d'une pleurésie aiguë à rechute, et qui attira
l'attention du malade, le jour même où il se leva pour la première fois.
Observation (PI. XXIX).
B...., 23 ans, 14e régiment d'artillerie, est un garçon grand, 1m. 78, très
solidement bâti et fortement musclé.
Antécédents héréditaires. Son père jouit, à l'heure présente,d'une santé
assez bonne, bien qu'il ait eu autrefois plusieurs « fluxions de poitrine v. Il
aurait même craché du sang à plusieurs reprises. Mère vivante et de santé
excellente.
Son grand-père maternel, à qui il ressemble beaucoup physiquement, aurait
eu, à la suite d'une pleurésie, une déformation notable de la cage thoracique
analogue à celle que B... présente actuellement.
Antécédents personnels. Très bonne santé jusqu'à 10 ans, n'a présenté
aucune manifestation de rachitisme (renseignements fournis par le médecin
de la famille). A. 10 ans, grippe avec congestion pulmonaire; à 18 ans, nouvelle
grippe très grave.
Au conseil de révision et à la visite d'incorporation au 14e régiment d'artil-
lerie, fut.trouvé bon pour le service et aucune remarque ne fut faite rela-
tive à une déformation quelconque de sa cage thoracique.
En janvier 1902, rougeole compliquée de bronchite. En septembre 1903,
dysenterie qui dura 14 jours.
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière
T. XVIII. m. XXIX
DÉFORMATION THORACIQUE PRECOCE CONSÉCUTIVE A UNE PLEURÉSIE AIGUË
(Matgiio1)
*.mmmmm.m, . » l i m -- r^ o ? l ! .1 ? rledFAitP"rt ? i
UN CAS DE DÉFORMATION THORACIQUE PRÉCOCE 211
Histoire de la maladie. Depuis cette dysenterie, le malade ne se sen-
tait pas très bien, quand le 7 octobre, il se présenta à la visite, se sentant
très fatigué, fiévreux et accusant une certaine dyspnée, sans point de côté.
Une pleurésie droite fut découverte et B.... envoyé d'urgence à l'hôpital mili-
taire, où, après 8 jours de traitement, une ponction évacuatrice de 1800 gr.
d'un liquide citriu et limpide fut faite.
Après un séjour de 1 mois 1/2 à l'hôpital, B.... en sortait guéri, en appa-
rence au moins, et était envoyé en convalescence dans sa famille.
A peine arrivé, il rechuta : la fièvre et l'épanchement se reproduisirent et
disparurent au bout d'une quinzaine de jours.
B.... put alors se lever. A ce moment, c'est-à-dire 2 mois après le début de
sa pleurésie aigüe, B... constata une déformation notable de sa cage thoracique,
déformation qui n'existait pas au moment où le malade avait quitté l'hôpital.
Le médecin de la famille qui l'avait vu, au moment de son arrivée en conva-
lescence, n'avait lui-même remarqué rien d'anormal dans la conformation du
thorax de son malade.
B... nous raconte que son attention avait tout d'abord été attirée par des
douleurs siégeant dans tout le côté droit, exagérées par le mouvement et la
toux et qui avaient apparu 5 ou 6 jours après le début de sa rechute.
En outre, quand il se leva, il fut frappé de la quasi-difficulté qu'il avait à mar-
cher : le membre inférieur droit lui semblait plus raide que le gauche. Il allait
« tout de côté » et lui se « tenait penché du côté droit parce qu'il souffrait».
B... rentre au régiment à la fin de janvier 1903. A première inspection, cet
homme étant déshabillé, on est frappé par une scoliose droite très accusée.
L'épaule droite est très abaissée : la tête de l'acromion droit est à centimètres
plus bas que celle du côté gauche. Un fil à plomb appuyé au niveau de la four-
chette sternale passe à 8 centimètres du mamelon droit et à 16 centimètres du
gauche et à 7 centimètres de l'ombilic. La ligne ombilico-mamelonnaire (Sa-
brazès) est de 25 centimètres à droite : de 28 1/2 à gauche.
En avant, la ligne des poils dessine sur le ventre une courbe à concavité à
droite.
Les creux sus et sous-claviculaires droits sont très accusés.
Les muscles peauciers droits sont tendus et soulèvent la peau, comme des
cordes, alors qu'à gauche ils ne s'accusent pas.
Les muscles pectoraux droits semblent un peu diminués de volume. L'é-
paule droite paraît projetée en avant.
En arrière, la scoliose vertébrale commence vers la 7e cervicale pour se ter-
miner à la hauteur des premières lombaires, le maximum de courbure se
trouvant vers la fi° et la 68 dorsale.
La région scapulaire droite abaissée, déjettée en arrière et en dehors, est
limitée à sa partie inférieure par un profond sillon, dirigé de haut en bas et
d'arrière en avant, long d'environ 15 centimètres au-dessus duquel se trouve
un volumineux bourrelet cutané.
Les mensurations prouvent qu'il existe une déformation thoracique plus
212 MATIGNON
apparente à l'oeil que réelle, chaque hémi-thorax ayant les mêmes dimen-
sions.
Les muscles du bras droit ne paraissent pas atrophiés.
Palpation. Vibration très atténuée à droite.
Examen DE la poitrine. -Percussion. - A gauche, sonorité normale, tan-
en avant qu'en arrière. -
A droite et en avant : sonorité normale jusqu'à 3 travers de doigt, à partir
de ce point, submatité jusqu'au mamelon, puis matité complète.
En arrière, sonorité normale dans la fosse sus-épineuse, puis submatité et
matité complète, en descendant. -
Auscultation. - En arrière, murmure vésiculaire très atténué jusqu'à trois
travers de doigt de la base. En avant et dans la région axillaire, silence respira-
toire au-dessus de la ligne mamelonnaire.
- Le signe du sou n'est perçu en arrière que sur une hauteur de quatre tra-
vers de doigt à partir de la base. Il s'entend très bien en avant et sur le côté,
à partir d'une ligne passant à trois travers de doigt au-dessus du mamelon.
Il y avait lieu de penser à la présence d'un épanchement : une ponction faite
en arrière et en dehors, dans le 9e espace, ramena un liquide franchement
hémorragique. L'aiguille longue pénétra facilement, donnant l'impression qu'elle
traversait des tissus légèrement indurés.
Foie, coeur, reins, rien à signaler.
B... fut alors envoyé à l'hôpital, où des pointes de feu lui furent appliquées.
Il commence alors un traitement orthopédique par la gymnastique pour
lutter contre la scoliose. Progressivement le malade devait, en se faisant glisser
le long d'un poteau,infléchir son bras droit,de façon à amener la para-thoracique
droite au contact de ce poteau.
A ce moment, la déviation n'est pas encore définitive. Par un effort de sa
volonté, B... arrive à la faire disparaître presque complètement, au prix d'une
assez vive douleur.
C'est parce qu'il souffrait de son côté, c'est parce qu'il en souffre encore,
que B... a essayé et continue à s'infléchir à droite. Cette attitude vicieuse
calmait la douleur.
L'examen de la sensibilité cutanée n'a jamais montré de troubles de cette
fonction.
La pression sur les apophyses vertébrales n'était pas douloureuse.
Quand le malade quitta l'hôpital, il était guéri de son épanchement pleuréti-
que. Mais sa déviation vertébrale n'était pas améliorée.
Je revis B... deux mois et demi plus tard. Son état était sensiblement le
même que lors de son premier retour de convalescence.
L'épaule est toujours abaissée ; le même sillon s'accuse au-dessous de l'an-
gle de l'omoplate et les mensurations donnent les chiffres trouvés en janvier
1903.
B... se plaint d'essoufflement dès qu'il monte un escalier. Il souffre pour
élever le bras droit.
UN CAS DÉFORMATION THORACIQUE PRÉCOCE 213
Le matin, au réveil, tout le côté droit lui paraît raide.
Il n'a pas maigri : n'a jamais eu d'hémoptysie.
A l'inspection. Le thorax droit se développe moins bien que le gauche.
A la palpalion. -Les vibrations thoraciques sont sensiblement égales des
deux côtés.
Percussion à droite : en avant submatité commençant à 3 travers de doigt
de la clavicule et augmentant peu à peu vers la base. En arrière, submatité,
jusqu'à 4 travers de doigt de la fosse sus-épineuse.
Auscultation : en haut, en avant comme en arrière, respiration normale.
Mais en arrière et sur la ligne axillaire, au-dessous d'une ligne passant par le
mamelon, on perçoit des frottements, un murmure vésiculaire voilé, lointain
et même un léger bruit de souffle.
Le ponction ne ramène pas de liquide.
B... fut réformé quelques jours après et je l'ai perdu de vue. Mais j'ai eu
de temps à autre de ses nouvelles.
Au mois de juillet 1904, c'est-à-dire, 20 mois après le début de sa déviation
vertébrale, son médecin m'écrivait que la scoliose persistait, peut-être un peu
moins accusée; qu'il y avait une légère atrophie des muscles de la paroi thora-
cique, surtout du grand dentelé droit. L'omoplate est très écartée des côtes.
L'épaule droite est toujours abaissée.
Le côté droit est notablement plus faible que le gauche ; le malade se sert
de préférence maintenant, bien que droitier, de son bras gauche pour les tra-
vaux des champs.
Il accuse de temps à autre des douleurs dans le côté droit.
Pas de signes de tuberculose.
Dans cette observation, quelques particularités sont intéressantes à
retenir.
D'abord, c'est l'existence d'une déviation vertébrale chez le grand-père
maternel, consécutivement à une pleurésie.
C'est ensuite la précocité de l'attitude vicieuse chez notre malade, qui
constate son inflexion à droite, deux mois après le début de sa pleurésie
et il l'aurait sans doute constatée plus tôt, s'il s'était levé.
Quelle est la cause de cette attitude vicieuse par inflexion de la colonne
vertébrale ?
Il y a lieu d'éliminer tout de suite une lésion osseuse (ostéomalacie,
mal de Pott) dont on ne trouve aucune trace.
L'hystérie doit également être écartée.
Peut-on expliquer ce phénomène en disant que la pleurésie a été chro-
nique d'emblée et que les épaississements et les adhérences de la plèvre
sont les causes de la déviation vertébrale ?
La pleurésie chronique se caractérise, quand elle provoque des défor-
mations thoraciques, par une inflexion vertébrale, mais aussi par des
214 MATIGNON
rétractions des espaces intercostaux, un tassement des côtes les unes sur
les autres, une différence notable de la capacité des deux hémi-thorax.lci,
il n'en est plus de même. Nous avons une déformation thoracique appa-
rente ; mais les mensurations montrent ces deux hémi-thorax égaux. Il n'y
a pas la moindre rétraction des espaces intercostaux.
Il existe seulement une inflexion vertébrale avec abaissement très mar-
qué de l'épaule droite.
Cette déformation a comme point de départ le phénomène douleur.
B... souffrait de son côté (inflammation, adhérences pleurales...). En
s'inclinant à droite il diminuait les causes de tiraillements sur son côté et
par conséquent la douleur.
Cette inflexion a été, au début, une réaction de défense. La lésion ma-
térielle était minime ; les adhérences friables et élastiques encore.
A ce moment, une gymnastique bien comprise aurait pu facilement
corriger l'attitude vicieuse qui ne demandait qu'à s'établir d'une façon
définitive. Malheureusement, il n'a pas été possible de faire suivre au
malade une thérapeutique régulière.
Peu à peu, les adhérences sont devenues très solides ; et ce sont elles,
maintenant, plus que la douleur qui sont cause de l'attitude vicieuse :
à une cause dynamique, en quelque sorte au début, a succédé une lésion
matérielle.
Peut-être, même dans l'état où il est aujourd'hui,une gymnastique bien
comprise, pourrait-elle arriver à redresser ce malade.
LA CRAMPE PROFESSIONNELLE
ET SON TRAITEMENT PAR LE MASSAGE MÉTHODIQUE ET LA RÉÉDUCATION
PAR
P. KOUINDJY.
Les crampes professionnelles appartiennent à une foule de professions diver-
ses. C'est ainsi qu'on a décrit la crampe des écrivains, la crampe des violo-
nistes, la crampe des pianistes, la crampe des tailleurs, des cordonniers etc.
Basedow a décrit en 1851 la crampe professionnelle chez les servantes des
fermes, occupées à la traite des vaches. Locher-Bolber a décrit en 1856
l'existence de la crampe chez les couturières ; Schultz a décrit la crampe des
danseuses ; Onimus et Domanski, celle des télégraphistes, etc. ; en un mot,
la crampe professionnelle a été constatée d'une façon générale chez les per-
sonnes, dont la profession exige une adresse particulière des doigts, un tour de
main spécial.
L'origine et la pathogénie de cette bizarre affection sont encore peu éluci-
dées. On sait seulement que c'est au moment même que la personne atteinte
de cette affection doit se servir de sa plume, que le spasme a lieu. Plusieurs
auteurs ont cherché d'assimiler cette affection aux autres affections d'origine
nerveuse. Brück, par exemple, la comparait au bégaiement ; Albers la confon-
dait avec le vertige partiel, et Heyfelder avec la chorée locale. Benedict de
Vienne appelle la crampe professionnelle, névrose coordinatrice des écrivains
M. Jaccoud lui donne le nom de dyskinésie des écrivains ou de dyskinésie pro-
fessionnelle, dont l'ensemble se résume : en une akinésie, en des troubles
de stabilité, en ataxie et en une hyperkinésie (crampes ou spasmes). Pour Ham-
mond, c'est une paralysie anapeiratique ; Woillez l'appela, contracture par abus
fonctionnel ; Hirsch la nomma, la mogigraphie, Duchenne de Boulogne l'ap-
pela tout simplement spasme fonctionnel. Malgré ces différentes dénominations,
celle de crampe des écrivains, donnée par Brück, se conserve jusqu'à nos
jours. Pour Duchenne de Boulogne, qui étudia l'affection en question le plus
complètement possible, la crampe professionnelle dépendrait d'un trouble céré-
bral. Il a décrit deux formes de crampes des écrivains : la forme spasmodi-
que et la forme paralytique. Benedict de Vienne a ajouté une troisième forme,
la forme trémulente. Jaccoud a mentionné une quatrième forme, la forme ata-
xique ou forme spasmodique réflexe.
Vivian Poore attribue la crampe professionnelle aux troubles locaux ou
216 KOUINDJY
aux troubles musculaires. D'après cet auteur, le spasme fonctionnel atteindrait
les muscles interosseux, les extenseurs et les fléchisseurs des doigts.Il suffit
d'une cause quelconque, comme la parésie ou la paralysie de quelques-uns de ces
muscles, le tremblement localisé, une altération de l'irritabilité musculaire ou
une douleur locale pour provoquer le spasme musculaire et créer la crampe
professionnelle. Pour Benedict cette crampe est due à l'incoordination du cen-
tre de l'écriture,du centre du jeu de piano, en un mot,à la perturbation ataxi-
que des centres professionnels. Erb localise le centre de l'écriture dans la
substance grise de la moelle cervicale.
Quelle que soit la localisation du centre professionnel, pour nous la crampe,
qui résume l'ataxie professionnelle, se traduit de la même façon que l'ataxie
locomotrice des tabétiques, c'est-à-dire, elle se manifeste au moment de l'écri-
ture chez les écrivains, au moment de l'exécution de certaines notes chez
les musiciens, comme l'ataxie locomotrice se manifeste chez les tabétiques
au moment de l'exécution des certains mouvements. Comme chez les tabétiques
l'ataxie présente plusieurs formes et, suivant le degré d'ataxie, se déclare
pendant l'exécution de tel ou tel mouvement, de même la crampe profes-
sionnelle aurait plusieurs degrés, en allant d'une crampe professionnelle
légère jusqu'à la crampe paralytico-trémulente, et ne se manifesterait que
pendant l'exécution de tel ou tel signe conventionnel de l'écriture. C'est ainsi
qu'on trouve des personnes qui ont la crampe professionnelle pendant qu'elles
écrivent des chiffres et non des lettres, pendant qu'elles écrivent en présence
d'une autre personne, pendant qu'elles prennent la note aiguë, l'octave avec
le médius, pendant qu'elles s'élèvent sur la pointe du premier orteil chez les
danseuses, etc.
Dans les formes graves de crampes professionnelles, le spasme se manifeste
immédiatement, comme l'incoordination se montre séance tenante chez les tabé-
tiques avec ataxie avérée. C'est cette comparaison qui nous a convaincu, que
la meilleure dénomination de la crampe professionnelle serait la dénomination
d'ataxie professionnelle. Cette ataxie peut présenter ici une forme paralyti-
que, comme l'ataxie locomotrice d'impotence, une forme spasmodique, comme
l'ataxie locomotrice spasmodique et une forme t ? 'ému{ente,comme l'ataxie loco-
motrice avec tremblement. D'ailleurs, nous trouvons dans l'ataxie professionnelle
l'élément psychique, qui est une des caractéristiques de l'ataxie locomotrice. Et
en se rapportant à l'autorité du professeur Erb, on devrait même trouver
des lésions dans la substance grise de la moelle cervicale. Duchenne de Bou-
logne et un grand nombre d'auteurs français admettent que l'ataxie pro-
fessionnelle serait une conséquence d'une altération des centres nerveux.Nords-
trôm attribue la crampe professionnelle à une myosite; il cite même un cas,
où il a trouvé quatorze plaques de myosite dans les muscles de l'avant-bras
malade.La plupart des neurologistes modernes attribuent la crampe profession-
nelle à l'hérédité nerveuse, à la diathèse rhumatismale, à la goutte, au trau-
matisme, à l'influence du froid, à l'usage de la plume métallique (Steel pen-
palsy des Anglais).
Tout récemment notre confrère M. Zabludowsky attribua la genèse de la
LA CRAMPE PROFESSIONNELLE 211
crampe professionnelle à l'influence néfaste des mauvaises attitudes pendant
l'écriture. Il a même plaidé, et avec raison, pour les moyens prophylactiques,
destinés à éviter cette affection.
Ainsi, l'ataxie professionnelle présente une affection, où plusieurs causes
morbides concourent peut-être à former l'ensemble des symptômes qui caracté-
rise le syndrome connu sous le nom de crampe des écrivains.
En examinant de près le syndrome de la crampe professionnelle, nous
constatons que l'ataxie évolue ici à peu près de la même façon que l'ataxie
locomotrice des tabétiques. Exception faite pour les tabétiques, où l'ataxie
avérée se prononce à peu de chose près brusquement, chez la plupart des tabé-
tiques l'ataxie évolue prbgressivement, d'une façon graduelle. Elle commence
par une légère incoordination, s'aggrave (si on la laisse sans traitement) par pé-
riode et finit par devenir impotente. Il y a un certain intervalle entre les
différentes formes classiques d'ataxie locomotrice. Ces intervalles et cette évo-
lution progressive se trouvent également dans le syndrome d'ataxie profession-
nelle, que nous présentons par la description suivante : une personne, écrivain,
employé, directeur d'usine ou patron d'un établissement de commerce, est prise
un jour d'une gêne dans les doigts pendant l'écriture. Croyant à une fatigue
momentanée, elle se repose quelques instants, dépose la plume, fait mouvoir ses
doigts et-reprend l'écriture. A peine a-t-elle fait quelques lignes, qu'elle ressent
de nouveau la même gêne dans les mêmes doigts. Elle est forcée de se reposer
plus souvent ; elle redresse de temps en temps ses doigts, corrige fréquemment
la position du cahier, du papier, du siège, de l'encrier; elle change de plumes
à tout propos ; elle rechange ses porte-plumes, leur forme, leur poids, leur
composition, leur épaisseur et leur longueur. Toutes ces modifications arrivent
à soulager le malheureux employé pendant un temps très court. Il est enchanté,
il se sent déjà débarrassé de cette gêne ennuyeuse des doigts pendant l'écri-
ture. Il a trouvé son salut : ses poches se remplissent d'un stock de porte-
plumes très différents les uns des autres, des boîtes de plumes, en commençant
par la petite plume ordinaire et finissant pas la plume d'oie ; des crayons de
divers calibres et de différentes consistances : le crayon dur, le crayon doux,
le crayon rond, plat, épais, mince, hexagonal, quadrilatère, etc. Malheureuse-
ment, la gêne dans les doigts ne tarde pas à revenir et parfois avec plus de
ténacité, plus d'intensité. L'infortuné comptable ou clerc commence à s'inquié-
ter : il s'adresse à l'arsenal de porte-plumes spéciaux : les porte-plumes carrés,
triangulaires, pointus, bombés, spiroïdaux, en métal, en liège, en acier, en
aluminium, les porte-plumes munis d'un ou de deux anneaux, de crochets,
de bandes de caoutchouc. Rien n'empêche l'impotence professionnelle de pro-
gresser et de s'établir définitivement. L'écrivain n'est plus gêné par la crampe
professionnelle temporaire, il a la difficulté d'écrire, il est devenu un infirme
de sa profession. Tant qu'il ne prend pas la plume dans sa main, il se sent bien
portant. Mais il lui suffit d'écrire quelques lettres et même quelques mots
pour qu'il sente que ses doigts se crispent, le porte-plume se met à exécuter
des mouvements désordonnés, en traçant des véritables hiéroglyphes à la place
des lettres.
xvm 15
218 KOUINDJY
Inquiet, le malheureux constate qu'il est atteint de la crampe des écrivains.
Alors,il s'adresse, suivant le conseil de son médecin, à une maison d'orthopédie,
où on le munit d'un nouvel arsenal des appareils les plus complexes, destinés
à corriger son spasme fonctionnel. Il commence à employer les porte-plumes
à tambour, les appareils en cuir moulu, destinés à fixer le poignet, à éloigner
le petit doigt, à suspendre l'avant-bras pendant l'écriture, afin d'éviter le con-
tact des muscles contracturés avec la table. L'ataxie professionnelle continue,
pourtant, à suivre son évolution ; le spasme s'accompagne bientôt d'un trem-
blement, d'une contracture : la crampe de la main devient prolongée. L'em-
ployé est dans l'impossibilité d'exécuter l'écriture nécessaire ; il se frappe mo-
ralement ; son état s'aggrave d'une nervosité qui se charge de transformer le
malheureux en malade. L'inquiétude et l'affaissement moral poursuivent l'in-
dividu partout ; il devient maladroit dans d'autres actes de la vie : il commence
à porter mal sa canne, il renverse de temps en temps la cuillère avec la soupe
lorsqu'il la porte vers la bouche, il a la difficulté de rouler sa cigarette, de se
peigner, etc. Il résulte que la simple crampe des écrivains peut s'accompagner
d'autres troubles, qui aigrissent complètement l'existence de l'individu.
Du reste, on s'aperçoit vite de son impotence professionnelle et si on ne le
met pas à la porte, on le case dans des coins moins importants, où il est obligé
de renoncer à toute idée d'avancement, à toute illusion d'améliorer sa situation
sociale. D'un bon employé il devient un subalterne, d'un musicien convena-
ble il devient un musicien médiocre, obligé de se procurer des leçons à vingt
sous l'heure ; d'un bon tailleur il tombe dans la misère et est forcé de faire
autre chose que son métier. Que d'illusions déçues ? Que de vies brisées
chez les personnes pleines de courage et d'énergie et qui sont obligées de
renoncer à leurs aspirations, à leur avenir, parce qu'étant bien portantes elles
sont incapables de se servir de leurs mains pour écrire. Elles ont bien re-
cours à leur main gauche, mais comme le moral est déjà atteint, comme
l'individu entier est dominé par la crainte de l'ataxie professionnelle, la main
gauche ne tarde pas à se prendre à son tour et le nouveau calvaire recom-
mence.
L'élément psychique domine l'individu et il est absolument juste, comme le
fait voir Gallard, que cet élément est en rapport direct avec l'intelligence de
la personne malade. Cet auteur a montré que la crampe professionnelle se dé-
veloppe plus fréquemment chez les personnes qui s'occupentd'une écriture intel-
lectuelle, que chez les simples copistes. L'élément psychique qui accompagne
l'ataxie professionnelle permet de rattacher l'affection aux névroses.
L'ataxie professionnelle aurait pour nous une origine périphérique d'abord,
et une origine centrale ensuite. C'est-à-dire qu'elle se déclare d'abord par des
troubles locaux périphériques qui, à la longue s'accompagnent des troubles de
causes centrales. Ces derniers agiraient d'une façon réflexe. Si V. Poore était allé
trop loin, en attribuant la crampe professionnelle exclusivement aux troubles
locaux du membre, dont les muscles sont atteints de parésie ou de contracture,
les autres auteurs ont également commis une erreur, en rattachant d'une façon
exclusive la crampe professionnelle à une cause centrale. Pour nous, les deux
LA CRAMPE PROFESSIONNELLE 219
causes se rencontrent souvent ensemble et il est difficile de faire la part de cha-
cune de ces causes. S'il est presque impossible d'affirmer l'existence de la lésion
anatomo-pathologique centrale, il est, par contre, très facile de prouver que la
crampe professionnelle est une incoordination de l'écriture au même degré que
la marche ataxique du tabétique est une incoordination des mouvements des
membres inférieurs pendant la marche. Nous avons ici cinq échantillons d'écri-
ture ataxique (fig. 1 à 5), dont deux appartiennent à deux comptables,l'un atteint
de la crampe professionnelle, type trémulant, l'autre de la crampe profession-
nelle, type spasmodique ; un autre de ces échantillons appartient à un employé
d'une banque, atteint de la crampe professionnelle type paralytique, et enfin,
les deux derniers échantillons appartiennent à deux ouvriers, l'un terrassier et
l'autre journalier. En comparant ces écritures, on trouve une analogie presque
parfaite entre eux. L'écriture du terrassier est une écriture ataxique forme tré-
mulante, comme l'écriture du premier comptable ; l'écriture du journalier est
une écriture ataxique forme spasmodique ; et, cependant, m l'un, ni l'autre de
ces ouvriers ne souffre ni de la crampe, ni d'aucun spasme. Leur écriture est
une conséquence du manque d'éducation des muscles, qui forment l'appareil
de l'écriture. Le jour où ces ouvriers se mettront à apprendre à bien écrire,
leur écriture n'aura pas la forme de l'écriture ataxique. Au début des études
Fig. 1. - Type trémulant.
Fig. 2. Type paralytique.
Fig. 3. Type spasmodique.
Fig. 4. Ecriture d'un terrassier.
..... ,
Fig. 5. Ecriture d'un journalier.
220 KOUINDJY
l'écriture de l'enfant rappelle de beaucoup l'écriture des personnes atteintes
de la crampe professionnelle. V. Poor, Haupt et tous ceux qui attribuent la
perturbation dans la coordination des signes conventionnels de l'écriture,
ont raison d'attirer l'attention sur la modification subie par les muscles
des doigts. Il est évident que c'est dans la modification de l'équilibre de la
tonicité des antagonistes qu'il faut chercher la cause initiale de l'affection en.
question. Voici une écriture (fig. 6), qui appartient à une personne instruite,
qui fut atteinte d'uneparalysie radiculaire supérieure et inférieure du bras droit,
consécutive à un accident d'automobile. La paralysie du bras fut complète, avec
contracture du biceps. En ce moment le malade se sert facilement de son bras
droit, seule la main a conservé encore une forme disgracieuse par suite d'hy-
potonie des extenseurs et des interosseux. Cette diminution de tonicité de
ces muscles est la seule cause de l'écriture présentée par la figure 6 dont la
forme ressemble à la crampe spasmodique des écrivains. Au sur et à mesure,
que la tonicité musculaire des muscles atteints augmente, nous procédons à la
rééducation de l'écriture de ce malade et son écriture s'améliore.
Ainsi, de tout ce qui précède, il résulte que la principale cause de l'ataxie
professionnelle doit être attribuée aux modifications éducatrices du centre des
professions, modifications occasionnées par les troubles locaux, musculaires,
et autres. Ce centre peut se trouver ou dans la même région que le centre d'a-
graphie, ou dans son voisinage. Quelle que soit la localisation de ce centre, sa
rééducation s'impose par le traitement.
Que n'a-t-on pas essayé pour combattre cette ataxie, si simple par son
aspect et si bizarre par son origine. Les uns se sont vantés d'obtenir des gué-
risons complètes, les autres, et leur nombre est plus grand, se sont déclarés
absolument découragés. On a essayé le fer, l'arsenic, les nervins, la belladone,
la strychnine, l'atropine, etc. ; les frictions avec les liniments les plus différents,
les injections sous-cutanées de strychnine, etc. Tous ces remèdes sont restés
inefficaces. On les a remplacés par des moyens thérapeutiques externes, les
appareils orthopédiques les plus variés, en commençant par le bracelet en cuir
moulé et en finissant par le support mobile de l'avant-bras, mais, ces appareils
n'ont rien donné.
L'électricité D'à pas été plus heureuse. Duchenne de Boulogne a déclaré lui-
même que cet agent thérapeutique a échoué entre ses mains. Plus tard, on a
cependant noté quelques cas de guérisons avec le courant induit. Georges Beard
emploie pour la galvanisation locale et permanente des nerfs et des muscles
affectés, le courant faible à travers la moelle épinière et la faradisation des
muscles. Meyer a obtenu deux guérisons par la faradisation de muscles exten-
Fig. 6. - Paralysie radiculaire guérie.
LA CRAMPE PROFESSIONNELLE 221
seurs. Eulenburg et Berger n'ont obtenu avec l'électricité que des résultats
négatifs. Le dernier a déclaré que l'emploi du courant induit violent est
accompagné souvent d'uu effet nuisible. Zuber affirme que dans les formes tré-
mulaute et paralytique l'application d'un courant de 15-30 éléments six fois par
mois et d'une durée de 10 minutes donneront de bons résultats. En général, il
ne faut pas s'attarder à vouloir obtenir un succès avec l'électrisation prolongée.
Si un léger courant continu peut rendre service, comme stimulant du système
nerveux, l'électrisation sera plutôt nuisible, comme excitant de la fibre mus-
culaire affaiblie. On peut, par conséquent, employer un courant faible de 7 à
15 milliamp. comme adjuvant au traitement que nous exposons ici.
L'intervention chirurgicale a donné à Stromeyer un cas de guérison. Par
contre, Dilfenbach, Longenbuck et Tuppert n'ont rien obtenu avec cette opé-
ration. Ce dernier a fait plus de 50 ténotomies pour crampes professionnelles
et n'a obtenu aucun résultat satisfaisant. La ténotomie s'adresse en général
aux muscles fléchisseurs qui, en majeure partie, se trouvent en état d'hyper-
tonicité en comparaison avec leurs antagonistes. La ténotomie a, par consé-
quent, pour but de transformer ces fléchisseurs en contractures en état d'hypo-
tonie, d'où il résulte, une augmentation de tonicité des extenseurs avec perte
considérable de la force musculaire des fléchisseurs. Ceci expliquerait pourquoi
les résultats de cette opération ont été nuls et il n'en pouvait pas être autre-
ment. L'élongation du tronc nerveux n'a aucune raison d'être, car dans l'airec-
tion que nous étudions ici il ne s'agit nullement d'une maladie des nerfs ou des
troncs nerveux.
Zuber et plusieurs auteurs modernes ont proclamé le repos, comme le moyen
thérapeutique qui donnerait des résultats positifs. Sans doute, le repos agit
favorablement sur l'individu atteint de la crampe professionnelle, car, pendant
qu'il ne travaille pas, il ne pense plus ou il pense moins à son affection. Mais
son effet serait ici comparable avec l'effet du repos au lit chez les ataxiques
tabétiques ou chez les hémiplégiques. Tant que l'ataxique ne marche pas, il va
bien ; mais il suffit de le mettre debout après un repos prolongé, pour
constater que son ataxie n'a non seulement pas diminué, mais souvent elle
s'est aggravée par le repos prolongé. Les personnes, atteintes de la crampe pro-
fessionnelle, ne ressentent leur ataxie professionnelle que le jour, quand elles
reprennent leur écriture ou leur violon. M. Jaccoud a déjà condamné le repos
dans le traitement des crampes professionnelle.) : « Le repos prolongé, dit-il,
l'abstention totale des plumes métalliques, ont rarement été utiles ; on peut
engager les malades à apprendre à écrire de la main gauche, mais on ne peut
leur promettre le succès, car on a vu la diskinésie frapper l'autre côté une fois
l'éducation achevée. » Zuber conseille même de faire changer la profession
aux individus, atteints de l'ataxie professionnelle. C'est peut-être facile à
.recommander, mais difficile à exécuter.
Nous passons sous silence une foule de moyens purement mécaniques, uti-
lisés pour combattre la crampe des écrivains, tels que l'appareil de Nussbaum,
de Zabludovski, de Constantin Paul, de Duchenne, etc. ; nous avons déjà fait
remarquer une fois, que tous ces appareils, ainsi que les innombrables porte-
222 LOUINDJY
plumes,crayons, ne sont que des palliatifs et n'ont jamais présenté un véritable
procédé de traitement de la crampe professionnelle. Ainsi, tous les moyens
employés dans le traitement des crampes professionnelles ont échoué, parce
que les auteurs les plus autorisés n'ont pas suffisamment attiré leur atten-
tion sur l'incoordination de l'écriture des crampes professionnelles et sur les
moyens aptes à corriger ces incoordinations. Les mots crampe ou spasme ont
trop absorbé les auteurs et tous leurs efforts thérapeutiques ont été dirigés dans
ce sens.
Les théories de Haupt et de Poor ont suscité plusieurs confrères à s'occu-
per du traitement direct des muscles, atteints soit de paralysie, soit de contrac-
ture. Haupt est arrivé à conclure que dans le cas des crampes professionnelles
la paralysie est toujours primitive et que la contracture n'est qu'un phénomène
secondaire. Pour cet auteur, ainsi que pour Poor, l'affection dépendrait des
altérations des fibres musculaires des muscles de l'avant-bras et de la main
intéressée ; à savoir : les interosseux et les muscles de l'éminence thénar.
Pour Poor la crampe professionnelle serait un résultat direct de l'affection des
muscles de l'avant-bras et des interosseux ; Cederschjold de Stockholm pro-
posa de provoquer une irritabilité des troncs nerveux en massant les muscles
avec les extrémités d'un ou de plusieurs doigts. Méding guérit les crampes des
écrivains par le massage ; Rossander de Stockholm, admettant l'origine mus-
culaire de la crampe professionnelle, comme point de départ, appliqua le mas- z
sage et les injections sous-cutanées de strychnine. Gotlieb, attribuant l'af-
fection à la cellulite chronique, a guéri un cas de crampe professionnelle en
36 séances. Nordstrâen obtint des résultats positifs, en massant les muscles,
de l'avant-bras et les interosseux. Il employa le procédé du Dr Schotte qui con-
siste : 1° en mouvements passifs, exécutés par le malade ( ? ) ; 2° en mouve-
ments actifs avec résistance ; 3° en massage des nerfs et 4° en massage des
muscles. Schreiber,Bum, Zabludowski, R. Vigouroux, etc.,ont obtenu de nom-
breuses améliorations des crampes des écrivains par le massage méthodique,et la
gymnastique appropriée. Le professeur Hoffa a obtenu des améliorations très
encourageantes de cette affection en réunissant le massage méthodique et la
gymnastique rationnelle au courant galvanique et à la douche locale. Il exigea
de plus un arrêt complet de leur profession pendant deux ou trois mois.
En 1883, notre confrère de Berlin, M. le professeur Zabludowski, publia son
premier mémoire dans le Langenhecks journal « sur le traitement prophylacti-
que des crampes des écrivains». En 1887 parut dans le Wrnlch un second tra
vail du même auteur sur le même sujet. Dans ces deux articles l'auteur indi-
que pour la première fois les moyens prophylactiques contre la crampe des
écrivains. Ces moyens, M. Zabludowski les développa tout récemment dans son
article, publié par le Journal de Physicothérapie de M. Albert Weil. Ils con-
sistent : 1° à prendre une position assise convenable et à conserver un maintien
correct du corps et de la main ; 2° à faire un choix judicieux des ustensiles
nécessaires pour écrire et 3° à apprendre à sténographier et à écrire à la ma-
chine. Il est, certainement, difficile de juger de la valeur de ces moyens, dont
l'application doit être faite depuis l'enfance. Il va sans dire que ces moyens
LA CRAMPE PROFESSIONNELLE 223 3
doivent être suivis par tous ceu qui ont à coeur la bonne tenue des écrivains.
Dans le cas d'une affection établie, nous ne pensons pas que ces moyens puis-
sent être efficaces, comme moyens thérapeutiques. C'est, d'ailleurs, l'avis de
notre confrère berlinois, qui utilisait une série des exercices kinésithérapiques
pour combattre le spasme de la crampe professionnelle. Dans son travail,
publié dans le Wralch de 1901, il donne une description d'une série d'exerci-
ces, dont le but est de corriger l'ataxie d'écriture. En dehors de quelques appa-
reils, dont l'application est reconnue par l'auteur lui-même comme palliative,
il fait en somme la rééducation de l'écriture, combinée au massage de la région
atteinte. Son traitement est extrêmement variable, afin d'agir par son action
directe sur les muscles atteints et par son influence indirecte sur l'état psychi-
que de l'individu. Les résultats obtenus par cet auteur, ont justifié la ten-
dance de traiter les crampes professionnelles par la réunion du massage mé-
thodique et de la rééducation de l'écriture.
Notre procédé du traitement des crampes des écrivains se compose du mas-
sage méthodique, des exercices kinésithérapiques appropriés et de la rééduca-
tion de l'écriture. Nous commençons toujours par les manoeuvres massothéra-
piques et nous finissons par la rééducation.
En examinant les mains atteintes de crampes des écrivains, on constate en
général que les fléchisseurs se trouvent en état de contracture et que leurs
antagonistes sont en état de parésie : hypertonie des fléchisseurs et hypotonie
des extenseurs. D'ailleurs, toutes les interventions chirurgicales faites pour
combattre le spasme fonctionnel, ont été exécutées sur ce groupe musculaire,
la ténotomie de fléchisseurs. Pour mettre en évidence l'hypertonie des fléchis-
seurs nous nous servons de la disposition suivante : nous prions le malade
d'étendre son bras atteint de telle sorte que le bras, l'avant-bras et la main se
trouvent en extension complète, on remarque alors un soulèvement du carpe,
une sorte de voûte, la voûte des crampes professionnelles. En mettant le bras
tendu sur une surface plane, sur une table par exemple, on arrive à introduire
sous cette voûte spasmodique un ou deux doigts. Cette contracture se constate
également pendant l'extension du pouce (fig. 7). La figure 8 montre nettement la
flexion exagérée du pouce sur le premier métacarpien et la saillie des tendons
du long extenseur des doigts. Cette disposition nous conduit à l'application
méthodique des manoeuvres massothérapiques.que nous avons eu déjà l'occasion
d'indiquer dans nos travaux sur le massage chez les tabétiques et sur le traite-
ment des hémiplégiques, à savoir : masser les muscles en hypotonie et laisser
tranquilles les muscles en hypertonie. Nous massons par conséquent les exten-
seurs et nous abandonnons les fléchisseurs. L'action physiologique du massage,
consistant à activer la contractilité de la fibre musculaire, montre que, lors-
qu'un muscle est en contracture, sa tonicité musculaire est au-dessus de l'état
normal et, par conséquent, une augmentation de sa contractilité musculaire
augmentera sa contracture. Par contre, dans un muscle en hypotonie, l'aug-
mentation de la tonicité' réelle ne devient active que lorsque son antagoniste
reste avec une tonicité stationnaire. Il én résulte, que pour obtenir une aug-
mentation totale de la tonicité musculaire d'un groupe musculaire, il faut tenir z
224 KOUINDJY
en balance la tonicité exagérée du groupe musculaire antagoniste. L'expérience
nous a montré qu'en massant les muscles parésiés ou atrophiés et en laissant
en repos absolu les muscles contractures, nous avons toujours obtenu une
augmentation de la tonicité musculaire des muscles en hypotonie et, consécuti-
vement, l'équilibre de la force musculaire de deux groupes antagonistes. Dans
le cas présent, cette marche à suivre est la plus justifiée. Nous massons donc les
Fig. 7. Crampe des écrivains (forme spasmodique).
Fig. 8. Flexion du pouce sur le premier métacarpien, flexion légère des autres doigts.
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE
T. XVIII. Pl. XXX
EXERCICES POUR LE TRAITEMENT DES CRAMPES DES ECRIVAINS
(P. Kouindjy)
A et B. Exercices de la canne.
C. Exercices des poids. D. Exercices d'écriture la main renversée.
LA CRAMPE PROFESSIONNELLE 225
extenseurs, les interosseux et les muscles des éminences thénar et hypothénar,
quand ces derniers sont atteints. Nous commençons par les effleurages pro-
fonds, longitudinaux et circulaires, de tous les extenseurs de la main. Ensuite,
nous faisons les pressions superficielles, que nous ne tardons pas de remplacer
par les pressions profondes, circulaires, unidigitales ou multidigitales. Les
pressions sont suivies par les percussions, le tapotement et un léger pétrissage.
Nous évitons les manoeuvres brusques, comme le pincement, le clapotement,
le foulage, etc. Les interosseux sont massés par la pulpe d'un doigt, de préfé-
rence la pulpe de l'index ; les manoeuvres, utilisées pour leur massage, sont
la pression circulaire et profonde et la percussion légère. Nous employons,
en outre, la vibration mécanique, qui nous permet d'obtenir une trépidation
régulière des muscles iiittros ? eux. situés profondément. Pour les opposants du
premier et du cinquième doigts, nous faisons les effleurages et les pressions avec
la face palmaire des deux pouces ; cette disposition nous permet de suivre la
masse charnue de ces petits muscles entre leurs points d'insertion.
Pour mettre eu évidence la tonicité musculaire acquise par les manoeuvres
massothérapiques précédentes et pour activer la force, musculaire des exten-
seurs nous faisons suivre le massage d'une série d'exercices, dont le but
serait de faire travailler les extenseurs. Ces exercices sont : les exercices avec
les différents poids, dits exerciees des poids, les exercices de la balle, les exer-
cices de la rondelle. les exercices du bâton; etc.
Notre confrère Thiol de Riga a publié dans les Archives de Neurologie une
série d'exercices, faits avec un appareil spécial, en fil de fer courbé, sur lequel
glisse une ficelle avec un petit sceau. On attache le sceau sur différents doigts
et on fait tirer le sceau dans de différents sens. Nous avons simplifié cet exer-
cice et nous avons réduit l'appareil à une ficelle, au bout de laquelle on attache
un sceau, une bourse, un petit sac eu un mot, un récipient quelconque, capable
de contenir la série des poids, qu'on y met. La PI. XXX montre la disposition
de l'exercice. On attache le sceau successivement aux différentes phalanges et
on pose dans le récipient une série de poids, en commençant, suivant le cas, par
50 grammes et on augmente progressivement de 25 ou de 50 grammes jusqu'à
300-400. Voici comment on opère : on place le bras du patient sur le bord du
bureau, de telle sorte que sa main atteinte reste dans le vide. On attache le
seau ou le récipient et on recommande au malade de lever le poids sous com-
mandement « levez » et de le baisser sous le commandement « baissez ». Quatre
ou cinq mouvements de va et vient rythmique suffisent ; on attache le seau à
la phalange suivante.
Les exercices de la balle se font avec une petite balle en caoutchouc creuse
du calibre plutôt moyen. On place la balle sur la surface dorsale de la main ou
plutôt sur la surface dorsale des doigts. On projette la balle et on la saisit avec
la main. On la projette de nouveau et on la laisse tomber sur la surface dor-
sale des doigts entre l'index et le médius, ou entre le médius et l'annulaire.
Lès exercices de la rondelle ou de la pièce de cent sous se font à peu près de
la même façon. On place la pièce sur la surface dorsale des doigts, on la pro-
jette en l'air, on la laisse tomber deux ou trois fois sur la surface dorsale de la
226 KOUINDY
main, et définitivement on la saisit au vol par la surface palmaire de la main.
Les exercices de la canne (PI. XXX) se composent de deux genres d'exercices :
le premier se fait comme les exercices précédents : on place la canne sur le dos
de la main, on la projette en l'air et on la saisit au vol avec la main. Dans le
second genre d'exercice de la canne on place la canne sur la surface dorsale du
médius et de l'annulaire, l'index et le petit doigt se trouvent placés sur la
canne. Cette disposition peut se déterminer par l'extension du troisième et du
quatrième doigt, et par la flexion de l'index et du petit doigt, la main, l'avant-
bras et le bras étant en extension complète, comme le montre la PI. XXX.
Ceci fait, le patient reste quelques moments avec le bras tendu. Après quoi, il
fait tourner la canne autour du bord cubital de la main et la place de telle sorte,
qu'elle se trouve placée sur la surface dorsale de l'index et du petit doigt, le
médius et l'annulaire sont placés sur la canne. Dans ce cas nous aurons l'ex-
tension de l'index et du cinquième doigt et la flexion du médius et du qua-
trième doigt. On fait plusieurs tours à la canne afin de changer alternativement
l'extension de différents doigts.
Il est facile de comprendre pourquoi nous alternons l'extension avec la
flexion : à un maximum de travail rendu par les extenseurs, nous faisons
suivre une action des fléchisseurs ; à une contraction des extenseurs plus ou
moins prolongée suit un repos proportionnel. :
Ces exercices peuvent être faits en dehors des séances du traitement et ne
fatiguent pas le patient.
Les exercices précédents sont suivis par les exercices propres de la réédu-
cation de l'écriture. Avant toute application des exercices de la rééducation, il
faut, comme dans la rééducation de la marche, s'assurer d'abord à quel genre
d'ataxie on a affaire. S'agit-il d'un spasme avec flexion de l'index ou d'un
spasme avec crispation des doigts, ou bien d'un spasme avec adduction du
pouce ? Dans la majorité des cas le spasme a lieu avec la contracture brusque
des doigts. Nous avons, cependant, rencontré des cas où cette contracture
s'est accompagnée d'un redressement du petit doigt ou d'une extension brus-
que de l'annulaire. Dans un cas la contracture du médius et du pouce s'ac-
compagnait d'une contracture des fléchisseurs de l'éminence hypothénar, de
telle sorte, qu'à chaque spasme le papier se soulevait au niveau de cette émi-
nence et formait un pli.
Le but de la rééducation de l'écriture consiste non seulement à rééduquer
la façon d'écrire, mais aussi à mettre les muscles spasmodiques en inacti-
vité. Pour obtenir ce relâchement de l'action des muscles contractures nous
faisons apprendre à nos malades l'écriture avec la main renversée. Le patient
place le porte-plume entre le pouce et la face palmaire des doigts et pose la
main sur la face dorsale. Pendant le premier temps le patient doit renon-
cer à l'écriture avec la main, en position habituelle. La Planche XXX,
C montre la position de la main pendant l'écriture avec la main ren-
versée. Nous supposons que pendant l'écriture avec la main renversée
les muscles, qui subissent l'action spasmodique, se trouvent au repos et
'la main exécute plus facilement les signes conventionnels. S'il nous était
LA CRAMPE PROFESSIONNELLE 227
possible de formuler cette manière d'écrire, nous dirions volontiers que
cette disposition nous permet de transformer l'écriture avec des fléchis-
seurs en écriture avec des extenseurs, car, si dans l'écriture ordinaire les flé-
chisseurs contribuent beaucoup pour l'exécution des lettres, dans l'écriture
avec la main renversée les extenseurs interviennent pour la majeure partie.
Il résulte qu'en faisant travailler principalement les extenseurs, nous éloi-
gnons autant que possible les fléchisseurs de la sphère d'influence de l'action
spasmodique. Contrairement aux auteurs, qui se sont occupés jusqu'à présent
des crampes professionnelles et de leur traitement, nous n'attachons pas une
grande importance ici à la forme, ni à la composition des porte-plumes. Cepen-
dant, nous préférons pour l'écriture avec la main renversée,soit un porte-plume
ordinaire, soit le porte-plume triangulaire. La forme de la plume a plus d'inté-
rêt. Nous commençons toujours nos exercices de la rééducation par la plume
de ronde. Au sur et à mesure que notre patient commence à se servir relative-
ment bien de cette plume, nous la remplaçons par la plume anglaise.
Quand le patient possède facilement l'écriture avec la main renversée nous
répétons une série d'exercices avec la main en position ordinaire; de cette façon
il arrive à écrire avec la main renversée et avec la main ordinaire suivant
nos préceptes; son écriture ataxique devient une écriture rééduquée. Plusieurs
facteurs interviennent lors de la rééducation de l'écriture. D'abord, il faut aller
aussi lentement que possible, car plusieurs ataxies d'écriture ne tiennent qu'à
ce que l'individu ne peut plus écrire lentement. Ensuite, faut recommander au
patient de suivre l'exécution des signes conventionnels avec son cerveau, car
souvent l'individu atteint de la crampe professionnelle a son esprit éloigné des
lettres qu'il écrit, son cerveau est ailleurs. Enfin, il faut mettre le patient sous
les conditions indispensables pour bien écrire. Pour satisfaire à cette dernière
condition, nous le plaçons dans un fauteuil de telle sorte que son bord droit
touche la table ou le bureau ; le papier doit être mis sur un buvard peu élevé et
parallèlement au bord antérieur de la table. L'avant-bras de l'écrivain doit
être posé entièrement sur la table et également parallèlement à son bord
antérieur.
On commence par apprendre d'abord des bâtons séparés, /, /, /, /, /, /,
/, /, /, /, après chaque bâton on fait prendre de l'encre, ceci permet de
tendre les muscles contracturés et d'éviter ainsi la possibilité d'un spasme.Nous
recommandons au patient d'écrire un bâton sous commandement Un, l'encre,
Un, l'encre, etc. Le bâton s'écrit, par conséquent en un temps. La lettre 0
s'écrit en deux temps : (, l'encre- ).La lettre p s'écrit en deux temps 1
l'encre o ; la lettre k s'écrit en trois temps : - l'encre l'encre
; la lettre S s'écrit en deux temps : c l'encre o ; la lettre a s'écrit
en deux temps : o l'encre -i ; la lettre R en trois temps - l'en-
cre o l'encre f ; la lettre A s'écrit en trois temps : 1 l'encre
l'encre, (A) ; B s'écrit en trois temps et ainsi de suite.
Ici, comme dans les excercices du bâton ou de la balle, nous nous efforçons
de faire reposer les antagonistes pendant la pause entre les différents temps.
Lorsque nous jugeons que le patient arrive à exécuter facilement les diffé-
228 KOUINDJY
rentes lettres de l'écriture, nous abrégeons les pauses et nous lui permettons
d'écrire toujours sous commandement les lettres en entier, de ne chercher
de l'encre qu'après avoir écrit une lettre, deux lettres, trois lettres, un mot,
deux mots et ainsi de suite. Cette façon d'écrire nous permet dans peu de temps
d'obtenir que le patient s'habitue à l'écriture avec la main renversée. Alors,
nous lui recommandons de s'exercer chez lui pendant une dizaine de minutes
par jour. Le patient nous rapporte chaque fois son devoir, que nous corrigeons
séance tenante, en lui indiquant les défauts. De plus, nous faisons écrire le
patient sous dictée, afin de l'habituer aux différentes vitesses d'écriture.
Un autre genre d'exercices consiste en exercices des tracés en spirale on en
cercle; en S prolongés, ou en croix, qu'il exécute en deux temps. Les exer-
cices de lignes horizontales, verticales, diagonales, etc. Ces différentes lignes
doivent s'exécuter en déplaçant le poignet seul et en fixant le coude sur la
table. Nous employons souvent un exercice que nous appelons l'exercice des
petits carrés. Une feuille de papier est divisée en petits carrés numérotés.
Nous recommandons au patient d'inscrire dans chaque carré soit un cercle,
soit une croix, en indiquant le carré et en priant de l'inscrire sous commande-
ment et dans un temps, plus ou moins long indiqué par le commandement. Par
ce moyen on habitue la main à suivre une discipline de volonté, indispensable
pour s'opposer au spasme.
Nous utilisons, en outre, les différents appareils destinés à la rééducation
de l'ataxie motrice des membres supérieurs des tabétiques : le casier, le jeu de
la planchette, les prismes triangulaires, etc. Nous avons déjà dit plus haut,
que si la chose est possible, il faut restreindre les exercices de rééducation
journalière à un quart d'heure, dix minutes ; dans le cas contraire, nous invi-
tons le patient à ménager sa fatigue et à faire les exercices en dehors de son
travail et après un repos relativement long.
Telle est en général la méthode que nous avonsélaborée après quelques années
d'essais et qui nous a donné des résultats très appréciables. Nous publions
quelques-unes des différentes écritures avant et après le traitement. Nous
avons choisi trois types, présentant les trois types classiques, afin de montrer
à notre lecteur, que la méthode de rééducation, que nous employons, est éga-
lement bonne pour la crampe des écrivains spasmodique, comme pour les
crampes trémulante et paralytique (Rg. 9 à 16). ,
Comment agit la rééducation de l'écriture ? De tout ce qui précède, nos lec-
teurs ont pu déjà tirer eux-mêmes la réponse à cette question. La rééducation
de l'écriture agit par la régularisation des mouvements de l'écriture, l'alterna-
tive graduelle des contractions des groupes antagonistes et par le rythme plus
ou moins prolongé qu'on apporte à exécuter chaque signe d'écriture. «Il suffit,
dit M. Gilbert Ballet, d'apprendre à écrire avec lenteur, pour qu'une crampe
des écrivains s'améliore et le spasme disparaisse. »
Dans notre méthode la lenteur de l'écriture est de rigueur, surtout au début ;
d'ailleurs, la rééducation de l'écriture avec la main renversée entraine par
elle-même une exécution plus ou moins lente des signes conventionnels.
LA CRAMPE PROFESSIONNELLE . 229
Crampe DES écrivains (forme trémulante)
Fig. 9. - Avant le traitement.
IL'
Fig. 10. Après le traitement (écriture avec main renversée).
Fig. il. - Après le traitement (écriture ordinaire).
CRAMPE DES ECRIVAINS (FORME SPASMODIQUE)
Fig. 12. Avant le traitement.
Fig. 13. Après le traitement (écriture ordinaire).
Fig. 14, Après le traitement (écriture avec main renversée).
230 KOUINDJY
Cette action de la rééducation, que nous appelons action réelle de la mé-
thode, s'accompagne d'un effet suggestif de la rééducation. Malgré le peu de
crédit que rencontre encore l'effet suggestif d'un procédé thérapeutique, nous
avouons ne pas comprendre cette incrédulité et affirmons que la rééducation
de l'écriture agit dans le traitement des crampes professionnelles non seule-
ment par son action réelle, mais aussi par la suggestion. Et ceci nous conduit
à tenir compte de l'élément psychique du patient ; il faut, par conséquent,
varier les exercices de rééducation, changer les exercices kinésithérapiques,
modifier la position du papier et des ustensiles et remplacer de temps en temps
un genre d'exercice par un autre, afin que le patient puisse se convaincre
que ces variations sont indispensables pour amener le traitement à un bon
résultat. Il faut que le patient soit persuadé que les modifications des exercices
sont provoquées par la marche progressive de l'amélioration. Ici comme dans
l'ataxie locomotrice, il est indispensable que le malade soit assuré du progrès
accompli par le traitement. Un malade atteint d'une crampe professionnelle,
est souvent un émotif, un psychique qui pense souvent à son infirmité et à
l'impossibilité de sortir de la situation fâcheuse, dans laquelle elle l'a jeté. Au
Crampe DES écrivains (forme paralytique)
rééducateur de modifier cette situation et d'influencer par la parole et par le
fait l'élément psychique de son malade.
L'affection dont.nous nous occupons à présent présente des rechutes, qui
sont plus difficiles à soigner et à guérir que l'affection initiale. Il est vrai que
ces rechutes sont moins fréquentes, lorsque le patient a à sa disposition l'écri-
ture avec la main renversée.
Les exercices, que nous engageons à continuer à faire même après ce traite-
ment, mettent les malades à l'abri de ces rechutes ; néanmoins, ces rechutes
existent et prolongent le traitement. Pour éviter les rechutes nous n'abandon-
nons jamais le malade brusquement. Nous maintenons notre contact avec lui
aussi longtemps que cela est possible, en lui faisant une séance de rééducation
par semaine, une par quinzaine et même une séance par mois. Ceci permet de
suivre l'effet du traitement et se persuader de la durée de son action.
v .
Fig. 15. - Avant le traitement.
Fig. 16. - Apres le traitement.
LA CRAMPE PROFESSIONNELLE .. 231
Souvent les personnes atteintes de lacrampe professionnelle posent la question a
suivante : « Croyez-vous que la crampe ne reviendra pas ? » A cette question
nous avons toujours fait des réserves. Tout en montrant les bons effets du
traitement et les progrès accomplis, nous évitons de nous prononcer sur la pos-
sibilité de retour du spasme. Dans ces conditions nous suivons le conseil donné
par un de nos plus estimés maîtres de la neuropathologie moderne, M. le pro-
fesseur Brissaud, qui, dans son remarquable travail sur le traitement de la
neurasthénie, dit ce qui suit : « Le médecin doit à son malade toute la vérité ;
mais il ne lui doit que la vérité. C'est-à-dire que, la confiance commençant à
renaître lorsque celui-ci demande indiscrètement : « Combien de temps cela
durera-t-il ? » le médecin n'a rien à répondre, si ce n'est qu'il n'en sait rien. »
En dehors des rechutes, le traitement dure de deux à quatre mois. Nous n'en
comptons pas bien entendu les séances du contrôle que nous faisons dans
quelques cas une fois par quinzaine ou une fois par mois. Comme traitement
interne, nous suivons les indications de notre estimé maître, M. le professeur
Raymond, qui prescrit tous les deux jours ou même tous les jours un laxatif
quelconque et le tribromure par cuillerée à soupe deux fois par jour. Ces deux
médicaments, agissant à la fois sur le fonctionnement du tube digestif et sur
le système nerveux, aident beaucoup la marche progressive de la rééducation.
Dans quelques cas on peut également avoir recours à l'hydrothérapie et aux
bains statiques.
Dans le traitement des crampes des violonistes, des crampes des pianistes,
nous conseillons d'abandonner le jeu pendant quelques mois. Aux exercices
ksinésithérapiques, indiqués plus haut, nous ajoutons les exercices du petit
clavier d'enfant. Les claviers sont numérotés et le patient, placé aune certaine
hauteur, doit arriver à toucher chaque clavier avec la face dorsale de chaque
doigt. L'exercice doit être exécuté avec la main, placée à différentes hauteurs.
Le patient arrive à exécuter quelques airs rudimentaires, et s'il obtient l'ha-
bileté voulue, il peut même exécuter un air quelconque sur un piano. Pour le
violoniste, nous nous servons d'une canne en guise de violon. Comme chez
les violonistes la crampe se localise à peu près toujours dans la main gauche,
nous leur faisons exécuter une série de mouvements analogues aux déplace-
ments de la main sur les cordes, aux trépidations de chaque doigt. Pendant
ces exercices, le patient se rend compte de la souplesse acquise par les doigts.
Quand il est sûr de la mobilité presque facile de ses doigts, nous lui conseil-
lons d'essayer de,jouer les notes simples et de répéter les exercices précédents
avec le violon. Malheureusement, le traitement, dans ces cas, est plus long et
plus- difficile que dans les crampes des écrivains. La patience du malade et la
persévérance du médecin arrivent pourtant au bout de cette fâcheuse affection
et les musiciens tirent également un véritable profit de la rééducation.
UN VITRAIL DE LA BIBLIOTHÈQUE BODLEYENNE
A OXFORD
PAR
HENRY MEIGE.
Grâce à l'amabilité de M. Pierre Marie, et grâce à l'obligeance du
conservateur de la Bibliothèque Bodleyenne, à Oxford,nous pouvons don-
ner ici (PI. XXXII) la reproduction d'un vitrail de cette bibliothèque, qui
représente une scène chirurgicale, une amputation de jambe. Ce vi-
trail date de 1660.
La scène, assez bien composée, n'est pas sans valeur artistique ; elle
offre en outre quelque intérêt par les détails opératoires ; l'auteur s'est
certainement inspiré des traditions de l'époque, soit qu'il ait assisté lui-
même à une opération de ce genre, soit qu'il ait eu sous les yeux une de
ces bel les gravures sur bois ou sur cuivre qui illustraient au xvie et au xvne
siècle les ouvrages de médecine et de chirurgie.
L'opération a lieu dans une chambre éclairée par une fenêtre à vitraux.
Le patient, un homme déjà mûr, est assis sur un solide fauteuil à dossier
droit qui correspond bien au type de la chaière opératoire, que tout bar-
bier chirurgien possédait dans son officine : meuble solide, lourd, stable,
auquel le malade pouvait être solidement ligotté, sans crainte qu'il ne
bascule, même si au cours de l'opération (l'anesthésie était inconnue) l'ex-
cès de la douleur entraînait une violente agitation. Ici, l'opéré ne paraît
pas attaché à la chaière, mais il semble bien que par précaution on ait pris
soin de lui lier les mains. D'ailleurs, un homme, qui est peut-être le
barbier-chirurgien en chef, se charge de maintenir la tête et le corps du
patient.
L'opération est confiée à deux jeunes apprentis ; ce qui peut sembler
téméraire, mais leur inexpérience doit être guidée par les conseils du
vieillard qui maintient l'opéré.
L'un de ces chirurgiens néophytes, à genoux, se contente de tenir la
jambe qu'il s'agit d'amputer; son rôle ne demande que du calme et du
sang-froid. L'autre, debout, pratique lui-même l'amputation.
L'auteur du vitrail nous le représenle armé d'une scie qu'il lient de la
main gauche, ce qui peut s'expliquer par la technique de la peinture sur
verre, où parfois l'image qui doit être vue en transparence se trouve
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE
T. XVIII. 1>1. XXXII
AMPUTATION DE JAMBE
Vitrail de la Bibliothèque Bodleyenne, à Oxford.
Masson & Ci-, Éditeurs
UN VITRAIL DE LA BIBLIOTHÈQUE BODLEYENNE A OXFORD 233
retournée. Ce jeune opérateur scie hardiment les chairs de la jambe. On
peut douter de l'excellence de ce procédé opératoire, la scie n'étant point
faite pour entamer les chairs ; mieux vaut supposer qu'une habile et ra-
pide incision a précédé cette manoeuvre.
On voit sur la jambe deux solides ligatures, l'une un peu au-dessus de
la cheville, l'autre au-dessous du genou : seul procédé d'hémostase connu
à l'époque. Malgré ces précautions, le sang coule à flot dans un baquet.
Quelques accessoires opératoires figurent sur le sol : ciseaux bandes,
pelote de fil, sans aucun souci d'asepsie, bien entendu.
Enfin, dernier détail, le front du patient est entouré d'une bande for-
tement serrée.
Telle est la scène opératoire. On la retrouve traitée de façon analogue'
dans les livres de chirurgie du siècle précédent. Les dessinateurs ont tou-
jours choisi le temps de la section osseuse et les opérateurs sont toujours
représentés armés d'une scie (1).
- Il existe d'autres scènes chirurgicales analogues représentant des ampu-
tations de jambe, figurées à l'occasion d'un épisode bien connu delà vie de
Saint-Côme et de Saint Damien. Je rappelerai en particulier une peinture
de Franken le Vieux (1H4S-I618) au musée d'Anvers, fragment d'un trip-
tique qui ornait autrefois l'autel des chirurgiens, dans la cathédrale d'An-
vers. Dans cette peinture, à tous égards très remarquable, l'amputation de
la jambe est terminée ; on aperçoit nettement la section des chairs et des
os ; le membre amputé gît sur le sol à côté de la scie, et l'on voit très
exactement figurées des plaques de sphacèle au niveau de la malléole in-
terne.
' (1) Voyez une gravure sur bois dans H. V. GERSDORF, Feldbuch, der Wurzdartzenei.
Strasbourg, 1528., et une gravure sur cuivre de la fin du xvn siècle, au musée ger-
manique de Nuremberg, reproduites par H. PETERs. Arzl und Heillcunst in der deuts-
chen Vergangenheit, 1900, p. 34 et 91.
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XVIII 16
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
(Séance du 12 janvier 1905).
SCOLIOSE ALTERNANTE
AVEC L0119B0-SCIATIQUI; DROITE
PAR
HENRY MEIGE.
.On sait que des déformations du tronc accompagnent souvent les sciati-
ques.Mais si ces déformations coexistent souvent avec des névralgies du nerf
scia tique,elles ne sontpas nécessairement liées à ces dernières ; on peut les
observer dans le lumbago. La sciatique d'ailleurs est une névralgie, non
du seul nerf sciatique, mais du plexus lombo-sacré. Cette notion a été bien
mise en valeurpar.M. Brissaud (1). « Le nerf sciatique,dit-il,ne représente
qu'une subdivision arbitraire de ce plexus. Les limites de la névralgie
sciatique ne sont donc pas nécessairement les mêmes que les limites de
convention du tronc nerveux. En d'autres termes, la sciatique n'est pas la
névralgie d'un nerf, mais la névralgie d'un plexus. »
Les déviations du tronc sont donc fréquentes dans les affections névral-
giques du plexus lombo-sacré. Charcot en a montré de nombreux exem-
ples à ses cliniques. Ballet, Babinski, S. Texier, Lamy, Souques, Hallion,
etc..., ont publié successivement des observations intéressantes (2).
(1) Brissaud, Des scolioses dans les névralgies sciatiques. Arch. de Neurol., janvier
1890.
(2) Voir pour la bibliographie, la thèse d'IIALLiON, Les déformations vertébrales né-
vropalhiques. Nouv. Iconogr. de la Salpêlr., 1892.
Souques, Sur deux cas de guérison complète de la déformation du tronc de la scia-
tique. Nouv. Iconogr. de la Salpêtr., 1890, p. 230.
CHAUFFARD, Soc. méd. des llôpit., 5 mai 1893.
Strozewski, Trois cas de scialique avec scoliose. Gazeta Cekarska, n° 6, 1894.
1\lH\OR, Deutsch. med. Wochenschrift, 9 et 16 juin 1898.
ERBEN, lschias scoliolica. Wien.
EiaET, Beilrage zur Lehrer der Skoliose nach Ischias. Wiener. med. Blètter, n 29,
1899.
F. SVOIIODA, lschias scoliotica.
J. TUOMAYER, Ischias Scoliotica. Rozpravy cèské Akademie, t. II, n° 35.
DE BUCK, Scoliose neui,opalhique. Journ. de Neurol., 1901, ne 23.
Nouvelle Iconographie de la SALPÊTRIÈRE
T. XVIII. PI. XXXI
SCOLIOSE ALTERNANTE AVEC LOMBO-SCIATIQUE DROITE
(Henry Meige)
Sur le même cliché on a fait deux poses successives pour les deux positions du corps.
Le bassin et les membres inférieurs n'ont subi qu'un déplacement insignifiant.
Masson & Cie, l'diteurs
PbOlotfPU ! 8erlbn..
SCLÉROSE ALTERNANTE AVEC LOMBO-SCIATIQUE DROITE 235 5
Aujourd'hui, on admet couramment, avec M. Brissaud,qu'il existe deux
types cliniques : la scoliose croisée, dans laquelle le tronc s'incline du côté
du membre sain, et la scoliose homologue, dans laquelle l'inclinaison du
tronc se fait du côté du membre atteint de sciatique ; cette seconde forme
appartiendrait surtout aux sciatiques spasmodiques.
, Il existe un troisième type clinique, moins connu que les précédents,
décrit sous le nom de scoliose alternante.
C'est un cas de ce genre que nous avons eu l'occasion d'observer dans le
service de M. Brissaud, à l'Hôtel-Dieu, et dont la planche XXXI repré-
sente la photographie obtenue par un procédé peu usité encore en clini-
que, bien que fort simple, et capable de fournir d'utiles renseignements,
lorsqu'il s'agit d'apprécier les déplacements réciproques de plusieurs seg-
ments du corps.
Voici d'abord l'observation résumée de ce cas recueillie par M. André é
Bruel, externe du service.
Homme de 32 ans, fondeur, entré le 10 juin 1904, salle Saint-Charles, à
l'Hôtel-Dieu.
Le 18 avril, pendant son travail, il ressentit subitement une douleur dans
les reins ; ce « tour de rein » l'obligea à quitter l'atelier. Il souffrit beaucoup
pendant cinq jours. C'était une sorte de lumbago. Il commençait à aller mieux,
quand il ressentit une douleur dans la fesse et la cuisse droites se prolongeant
jusqu'au creux poplité. On lui fit des pointes de feu sur le trajet du sciatique
et on l'électrisa. Au bout de deux mois, les douleurs, sans disparaître complè-
tement, devinrent supportables. Puis elles augmentèrent de nouveau quelques
jours avant l'entrée à l'hôpital.
A l'examen, on retrouve tous les signes de la névralgie sciatique, les points
douloureux (fessier, trochantérien, poplité). Signe de Lasègue. La douleur est
continuelle avec paroxysmes, surtout au lit. Ce sont alors des élancements qui
partent de la fesse et descendent vers la cuisse. Entre les accès, le malade
accuse une sensation d'engourdissement pénible. De temps en temps il a des
crampes, des soubresauts douloureux dans les muscles de la jambe et du pied,
rarement dans ceux de la cuisse. Le réflexe patellaire droit est un peu plus vif
que le gauche. Mais il n'y a pas d'atrophie musculaire.
Voilà pour la sciatique.
Quant à la déformation du tronc, elle est, avons-nous dit, alternante. Le plus
souvent le tronc est incliné à droite (côté sciatique) et légèrement penché en
avant : mais, à d'autres moments, le tronc s'incline à gauche (côté sain). On
constate donc alternativement une scoliose homologue et une scoliose croisée.
Ce qui est digne de remarque, c'est la façon dont le sujet fait passer son
tronc d'une position à l'autre. Il est absolument incapable d'y parvenir dans
la station debout et sans appui. Mais il y parvient, en s'appuyant de-toutes ses
236 HENRY MEIGE ·
forces avec les deux mains sur une table ouïe dossier d'une chaise. Il supporte
alors sur ses bras tout le poids du haut' de son corps, en même temps qu'il se
met en station sur la jambe gauche. Puis, il fait, dit-il, « tourner ses reins comme
sur un pivot », et en effet il porte son bassin en avant et à gauche. Cette ro-
tation effectuée, le tronc peut s'incliner à gauche et le malade peut de nouveau
se tenir debout sans appui ; il offre alors le type de la scoliose sciatique croi-
sée. Il peut rester dans cette position un certain temps ; mais il préfère le type
homologue, et pour y revenir il est obligé de recourir à la même manoeuvre,
mais en sens inverse.
. Pour bien rendre compte de cette scoliose alternante, nous avons eu
l'idée de photographier les deux positions du tronc sur une même plaque,
en donnant au malade le temps de passer de l'une à l'autre entre les deux
poses.
Cet artifice photographique est facile à réaliser, on pourrait multiplier
les poses pour les positions intermédiaires. Les clichés composites ainsi
obtenus s'interprèlentsans difficulté et peuvent éviter une série de photo-
graphies distinctes. 1
Ils sont surtout avantageux lorsqu'il s'agit de vérifier si tel .ou tel ses-
SCLÉROSE ALTERNANTE AVEC LOi11B0-SCIATIQUE DROITE 237
ment du corps demeure immobile pendant divers mouvements des.autres
segments. C'est le cas de notre malade.. ''",
On remarquera d'abord que l'inclinaison a droite (côté de l'a sciatique)
est un peu plus accusée que l'inclinaison à gauche (côté sain). La cour-
bure vertébrale dans. la région. lombaire est peu accusée dans les deux
cas. Et la courbure dorsale en sens inverse est presque nulle. La compen-
sation se fait surtout dans la région cervicale. L'épaule n'est que très
légèrement abaissée du côté droit. Quant à la partie inférieure du. corps ? et c'est là que le renseignement photographique est important on
voit qu'elle n'a subi aucun changement de position, quel que soit, le côté
de l'inclinaison du tronc. Dans les deux cas, les deux pieds reposent sur
le sol, les genoux n'ont pas plié, le malade ne se tient pas en station han- 7
chée : les reliefs musculaires des membres inférieurs et des fesses restent
'sensiblement les mêmes. La double ligne de contour qu'on aperçoit sur
la photographie correspond à un très léger déplacement en masse du train
postérieur suivant le côté d'inclinaison du tronc; mais ce déplacement
est insignifiant par rapport à celui qui se produit chez un sujet normal
.inclinant son tronc alternativement à droite et à gauche. Le bassin n'a
pas bougé ; les deux épines iliaques sont restées à la même hauteur dans
.les deux positions. "
. La prédilection du malade pour l'inclinaison homologue, ainsi que les
phénomènes spasmodiques du membre inférieur droit permettent de croire
qu'il s'agit d'une sciatique spasmodique (type Brissaud). Mais dans ces
cas la possibilité de se tenir également en station debout avec une incli-
naison du tronc opposé au côté de la sciatique est une particularité peu
1 fréquente.
, Quant à la manoeuvre très spéciale que fait le sujet pour passer d'une
position à l'autre, l'interprétation en reste assez obscure. La nécessite
absolue où se trouve le malade de faire supporter par ses bras tout le
poids du haut de son corps lorsqu'il veut effectuer son mouvement de
bascule donnerait à entendre que dans la position verticale il existe une
'compression douloureuse au niveau de la colonne lombaire. S'agit-il
d'une compression médullaire, consécutive à un traumatisme vertébral
par effort ? C'est peu vraisemblable. Si l'on invoque une compression
.radiculaire, on s'expliquerait la scoliose d'un côté, mais plus difficile-
ment celle du côté opposé. En tout cas, il ne faut pas oublier que la dou-
leur sciatique a été précédée d'une brusque douleur dans la région lom-
baire, et d'une sorte de lumbago. Dans le cas présent comme dans un assez
grand, nombre d'observations où la scoliose est rattachée à la névralgie
sciatique, la déviation du tronc ne doit pas être mise uniquement sur l
'238 HENRY MEIGE
compte de la névralgie de ce nerf; d'autres branches dû plexus lombb-
sacré ont dû être intéressées.
Il existe déjà, dans la littérature médicale, plusieurs exemples de sco-
liose alternante accompagnant la sciatique. L'un des premiers a été signalé
par Remak (1), à propos d'un homme de 10 ans qui, dans la marche, se
tenait incliné, ◀tantôt▶ à droite, ◀tantôt▶ à gauche.
Dans un cas de sciatique gauche, rapporté par Krecke (2) le torse était
incliné à droite de telle façon qu'un fil à plomb partant de l'apophyse épi-
neuse de la 7c vertèbre cervicale touchait le sol à un centimètre en dehors
de la malléole externe droite. La déviation disparaissait quand le malade
était couché sur le ventre. Au cours de l'examen, on voyait parfois,
comme chez notre malade, la scoliose passer de l'autre côté, lorsque le
malade était fatigué de garder la même position. Krecke attribue cette
déviation à la nécessité de relâcher les muscles et les ligaments en certains
'points particulièrement douloureux.
Seiffer a publié un cas de scoliose alternante volontaire dans une sciati-
que d'origine traumatique(3). Le malade changeait à volonté l'inclinaison
du torse, en appuyant les deux mains sur ses genoux. Capuccio (i), dans
une étude documentée sur la scoliose sciatique, a rapporté également une
observation de scoliose alternante accompagnée de photographies.
Les problèmes de statique et de localisation que soulèvent les cas de
ce genre sont des plus complexes. Déjà, pour les scolioses unilatérales,
la question a été maintes fois controversée.
« L'inclinaison du tronc du côté sain, dit M. Brissaud, dans la sciati-
que névralgique simple, non spasmodique, est un phénomène commun à
toutes les maladies douloureuses du membre inférieur.
« En dehors dû mouvement instinctif d'inclinaison vers le côté sain,
qui est destiné à porter tout le poids du corps sur la jambe saine, il existe,
sans doute, une autre cause qui favorise la déviation rachidienne : c'est
(1) Renuh, Alte1'llÜende Scoliose bei ischias. Deutsche med. Wochensch., 12 février
891 (Anal, in Rev. d'orthop.). ·
Voy. aussi IIWIER, Forme alternante involontaire de scoliose sciatique.
(2) KRECKE, Ueber Scoliosis ischiatica. 111ünchener med. Vochensch., 1900, p. 138.
Anal, in Rev. Neurol., 1900, p. 568.
3) Seiffer, Ueber Skoliose bei ischias. Charité Annalen, XXV, p. 461 ; refer. in
lahresberecht f. Neur. u. Psy.,1901, p. 660.
4) Capuccio, La scoliosi sciaticct o segno di Vanzetti. Gaz. degli ospedali, 28 sep-
tembre 1902; Anal. in Gaz. hebd. de méd. et chir. par E. Feindel, 28 décembre 1902.
SCOLIOSE ALTERNANTE. AVEC LOMBO-SCIATIQUE DROITE 239
l'inaction voulue ou instinctive des muscles fessiers et lombaires du côté
malade....
« Il est possible que les muscles lombaires soient contractures du côté
malade sans qu'il en résulte une déviation rachidienne de ce côté....
« Cela tient Ù ce que la contracture de ces muscles ne peut pas contre-
balancer l'action de tous les muscles du côté sain, lesquels agissent éner-
giquement de façon à incliner le tronc de leur côté
« La persistance de la scoliose croisée, quand le malade est guéri, doit
être rapportée à une contraction permanente des muscles sains, compara-
ble, à beauconp d'égard, aux spasmes dits fonctionnels... '
« Tandis que la scoliose croisée est produite par la contraction des mus-
cles du côté sain, la scoliose homologue est produite par la contracture
des muscles du côté malade...
« Le spasme musculaire peut être assimilé à celui de certaines autres
névralgies (celles de la cinquième paire ou du nerf circonflexe, etc.). »
Selon Brühl et Soupault (1), la scoliose homologue s'observe dans les
cas où la douleur occupe la partie supérieure du sciatique ; elle a pour
but de relâcher les muscles pelviens. t
Ludwig Mann (2) croit à la paralysie des muscles de la masse dorso-
lombaire, du côté malade pour la scoliose croisée, du côté opposé pour la
scoliose homologue. Lorsqu'il y a paralysie des muscles abdominaux, la
scoliose se complique de lordose. .
Pour Krahulick (3), la scoliose sciatique est d'origine radiculaire, et ce
qui le prouve, selon lui, c'est : la persistance de la scoliose alors que les
douleurs sur le trajet du sciatique ont disparu, la contracture des muscles
extenseurs du tronc d'un côté ou de l'autre, l'existence de zones hyper-
esthésiques dans le territoire des nerfs lombaires. D'ailleurs il existè des
lésions du plexus lombaire, indépendantes de celles du plexus sacré. La
scoliose sciatique serait ainsi causée par un état spasmodique des muscles
dprso-lombaires, relevant d'une inflammation des racines du plexus lombo-
sacré, soit du côté de la sciatique, soit du côté opposé,. soit des deux côtés. -.
Enfin, pour ce qui regarde spécialement la scoliose alternante (Remak,
Iligier), les déformations du tronc résulteraient toujours des attitudes
instinctives prises par les malades pour obtenir une atténuation delà
douleur (4). ' >
' (i) Méd. moderne, 1892, p. 826.
- (2) Deutsch . Arch. f. klin. Med., 1893, no 41. Anal, in Revue Neurol., 1894, p. 121.
(3) Krahulick. Sbernick lékarski, 1901, t. III, f. 2 et III- Congrès des médecins et
naturalistes tchèques. Prague, 1901. Anal. Haskowec, in Revue Neurol., 1902, p. 921.
- ét 1903, p. 35. ' ' ' '
(4) Voy. Dejerine, Sémiologie du système nerveux, p. 841.
Z40 HENRY MEIGE ?
1. . 1
, En somme, pour expliquer les déformations du tronc qui coïncident
avec les névralgies lombo-sciatiques, et qui souvent même persistent
après la disparition des accidents douloureux, il faut tenir grand compte
du rôle que joue la vigilance musculaire dans toutes les affections dou-
loureuses. 1
. Des muscles, dont les nerfs ne sont nullement intéressés, peuvent pren-
dre des habitudes de contraction destinées à réaliser des attitudes de défense.
Et si les phénomènes douloureux sont d'assez longue durée, les attitudes
en question tendent à devenir permanentes ; elles peuvent même persister
après la disparition des douleurs. i
Il n'est pas douteux que les déformations décrites à propos de la scia-
tique et du lumbago, en dehors même des variations individuelles, ne
sont jamais le fait d'une cause unique (contracture, étal spasmodique,.
paralysie, etc.), mais bien d'un ensemble de causes relevant à la fois de
névrites avec leurs conséquences musculaires, et des altitudes provoquées
par des actes de défense ou de compensation.
On voit se produire ici des phénomènes statiques ou moteurs tout à fait
comparables, comme l'a dit M. Brissaud, à ceux qu'on observe dans les
affections qualifiées de « spasmes fonctionnels ».
L'analogie est surtout frappante avec les déformations qui accompagnent,
les torticolis convulsifs : soulèvement ou projection en avant d'une épaule,
rotation ou inclinaison de la partie supérieure du tronc, etc. Ici il s'agit,
bien d'attitudes de défense, variables suivant les cas, mais certainement
adoptées par les malades, dans un but délibéré. Et lorsqu'on a affaire au
torticolis mental, l'étrangeté des attitudes ou des gestes surajoutés, leur
caractère parfois même paradoxal, leur inutilité, leur variabilité sous l'in-
fluence de la volonté, de la distraction, permettent bien d'attribuer une
origine psychique à ces déformations. 1
J'ai vu, pour ma pari, chez certains sujets atteints de torticolis mental,
des déformations rachidiennes surajoutées qui n'étaient au début que des
gestes ou des attitudes correcteurs, ayant même origine el même destina-
tion que les mouvements de la main destinés à ramener la tête vers la
rectitude.La nature essentiellement volontaire de ces derniers gestes permet
d'admettre que les attitudes thoraciques étaient aussi des actes fonctionnels
volontairement coordonnés vers un but de défense ou de compensation.
Qn peut en dire autant de certaines déformations du tronc qui accompa-
gnent les sciatiques, surtout lorsque ces déformations persistent, en dehors
de toute autre cause, après la disparition des phénomènes douloureux. ,TÇ
Le Gérant : P. Bouchez
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
180 Année N° 3 MAI-JU ! N
ASILE DE VAUCLUSE (SEINE-ET-OISE).
LES SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES
DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX (1)
n'D
A. VIGOUROUX et LAIGNEL-LAVASTINE
Depuis les travaux de W estphal sur les scléroses combinées deara
lytiques généraux, des descriptions et des interprétation iëmfrrës et
multiples ont été données de ces lésions.
Tout le monde s'entend sur la fréquence des scléroses combinées des
cordons postérieurs et latéraux, mais les divergences commencent quand
il s'agit de les interpréter, car souvent on veut induire d'analogies dans
la topographie des scléroses à des identités de lésions.
Quand des observateurs également consciencieux aboutissent sur un
même sujet à des opinions contradictoires, plutôt que de penser que, si
les uns ont raison, les autres ont nécessairement tort, il vaut mieux rap-
porter les divergences dans l'interprétation à des différences, passées ina-
perçues, dans l'observation, et recourir à un supplément d'enquêtes.
C'est ce que nous avons fait.
Après une rapide esquisse de l'histoire des idées sur les scléroses com-
binées des paralytiques généraux, nous donnerons 12 des observations de
paralytiques généraux recueillies dans un service qui contient un grand
nombre de ces malades et qui nous ont paru particulièrement suggestives,
nous essaierons de les interpréter avec les vues de la pathologie contem-
poraine et nous terminerons par quelques conclusions d'ordre général qui
nous paraissent découler de cette étude.
(1) Travail du service et du laboratoire du 0" A. Vigouroux, à l'asile des aliénés de
Vaucluse.
xyni 14
202 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
I V
Après le lumineux rapport de M. Klippel (4) au Congrès de Bruxelles
en 1903, l'article de M. Dupré (2) dans le Traité de pathologie mentale de
M. Gilbert Ballet, et la toute récente et excellente thèse de M. Crouzon (3),
il est superflu de revenir sur les multiples travaux publiés sur les sclé-
roses combinées dans la paralysie générale.
L'opinion,qu'exprimait CI. Philippe (4.) en 1902, paraît être encore celle
de la majorité. « Nous croyons, disait-il, que la formule donnée par Wes-
phal il y a plus de 30 ans doit être conservée : Wesphal, après avoir exa-
miné plusieurs séries de moelles de paralytiques généraux dans des mé-
moires successifs, distingue deux types lésionnels fondamentaux : l'un
constitué par la sclérose combinée des cordons antéro-latéraux et posté-
rieurs (myélite à corps granuleux) ; l'autre formé par une sclérose spé-
ciale, limitée aux cordons postérieurs (dégénérescence grise).
« La sclérose combinée envahit surtout le cordon latéral, sans rester
strictement limitée à l'aire du faisceau pyramidal croisé, car elle peut
même atteindre tout le cordon antéro-latéral et une petite portion des
cordons postérieurs. Toujours elle prédomine dans la région dorsale,
diminuant à mesure qu'on se rapproche du bulbe ou du renflement lom-
baire ; elle ne saurait donc être mise sur le compte des lésions corticales
de la paralysie générale ; c'est plutôt une altération développée primitive-
ment dans les faisceaux blancs delà moelle épinière. Hislologiquement 1
les tubes nerveux subissent une démyélinisation subaiguë, avec corps gra-
nuleux abondants et fonte du cylindre-axe ; la sclérose névroglique est
assez dense.
« La dégénérescence grise se limite aux cordons postérieurs, qu'elle
peut envahir depuis la région lombo-sacrée jusqu'au bulbe. Histologique-
ment le tube nerveux s'atrophie graduellement, avec peu de corps granu-
leux et une réaction névroglique légère. »
Pour Westphal, Raymond, Nageotte, Furstner, Ilomen, Sibelius, etc.,
l'identité de cette dégénérescence grise et de la sclérose tabétique est ab-
solue. Par contre, pour Joffroy, Stojanowitch et Rabaud, sauf excep-
tion (5), les lésions des cordons postérieurs dans la paralysie générale
(i) Histologie de la paralysie générale. Rapport présenté au XIIIO congrès des alié-
nistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Bruxelles, 1903.
(2) Paralysie générale progressive, in Tr. de path. mentale, Doin, 1903, p. 1017.
(3) Des scléroses combinées de la moelle. Thèse de Paris, 1904.
(4) Traité de médecine et de thérapeutique de BROUARDEL et GILIIERT, t. IX, p. 152.
(5) A. JoFrroy et E. Rnuaon, Un cas d'association du tabes à la paralysie générale,
Revue Neurologique, 30 novembre 1903.
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 203
sont différentes de celles du tabes ; « moins systématisées, diffusément
répandues à travers toutes les zones, exogènes et endogènes, elles seraient
dues pour une large part à la destruction des cellules cordonales de la subs-
tance grise ».
Pour conclure, si l'on se reporte au rapport de M. Klippel, on peut
voir qu'il reconnaît comme origine aux lésions spinales : « 1° les localisa-
tions primitives de la maladie dans la moelle (méningo-myélite), et 2° les
dégénérescences secondaires à l'encéphalite (1) ».Crouzon (2) « pense qu'il
faut aussi reconnaître comme origine probable, dans un certain nombre
de cas, les altérations de la méninge et du système lymphatique posté-
rieur de la moelle (3) ». Il nous paraît évident que Crouzon n'ajoute pas
là un nouveau facteur, mais ne fait que préciser une des modalités du
premier groupe de faits indiqués par M. Klippel.
II
Voici maintenant les constatations que nous avons faites. Nos observa-
tions anatomo-clinidues peuvent, sans trop d'arbitraire, se répartir en
3 groupes.
Dans le 1 er sont 4 scléroses latérales ; dans le 2e, 3 scléroses postérieu-
res ; dans le 3e, 5 scléroses combinées.
1 or Groupe : Scléroses latérales.
Les 4 cas suivants n'ont de lésions médullaires que dans les cordons
antéro-latéraux.
OBS. I. P. G. Pémence, paraplégie ; raréfaction des fibres à myéline
dans la moitié postérieure des faisceaux latéraux.
Drap... Emile, 66 ans, entre à l'asile de Vaucluse le 14 mai 1902.
Il présente un affaiblissement considérable de l'intelligence. Il ne peut don-
ner aucun renseignement sur lui-même. Il prétend avoir été arrêté pour avoir
volé un pot de fleur.
Il n'a aucune eonscience de sa situation, ni du temps, ni du lieu.
Il prétend être venu ici pour travailler, il est dans le faubourg du Temple
et est ici depuis trois mois. Il a une euphorie niaise très caractéristique.
En outre de cet état démentiel, il présente le syndrome paralysie générale
au complet : inégalité pupillaire, tremblement de la langue, embarras de la
parole, tremblement des mains plus marqué à droite, exagération des réflexes
patellaires, léger atliérome artériel.
(1) .oc cit., p. 83.
(2) Loc. cil., p. 35.
(3) V. Pierre Marie et GUILLAIN, Revue neurologique, 31 janvier et 28 février 1903.
204 V1GOUROUt ET L.41GlVGI.-LAVAS'fING
La maladie évolue et deux mois après son entrée, Drap... est alité une
partie de la journée et souvent gâteux. Il est parfois turbulent.
En février 1903, il ne peut plus se tenir debout, il est grand gâteux.
La démence est globale, l'euphorie persiste. L'embarras de la parole est de-
venu tel qu'il est impossible de comprendre ce que dit le malade.
Les muscles de la face et de la langue sont le siège d'un tremblement spas-
modique.
A ce moment, les réflexes patellaires diminuent.
Drap... mange ses matières.
Le 11 mai 1903, il succombe à une pneumonie du lobe inférieur droit,
pneumonie qui a évolué sans grands symptômes et sans hyperthermie.
L'autopsie donne les résultats suivants :
Hémisphère droit, 50 grammes.
Hémisphère gauche, 520.
Cervelet et bulbe, 185.
Les méninges sont un peu épaissies et lactescentes par place. Elles ne sont
adhérentes qu'à la face interne du lobe sphénoïdal et du lobe orbitaire. Les
artères cérébrales ne présentent pas de grosses lésions d'athérome.
Les circonvolutions cérébrales sont cependant atrophiées. Pas de granula-
tions épendymaires. Pas de lésions de ramollissement.
Le poumon droit pèse 1430 grammes, alors que le gauche ne pèse que
500 grammes.
Le lobe inférieur droit est complètement hépatisé (hépatisation grise).
Le coeur pèse 300 grammes ; la base de l'aorte présente de l'aortite chroni-
que ; les valvules aortiques ne sont plus souples.
Les reins pèsent 295 grammes ; ils sont d'aspect normal et se décortiquent
bien.
Le foie (1210 gr.) est gras.
Examen IIISTOLOGIQUE. Cerveau.
Les méninges sont épaissies, fibreuses, et néanmoins très infiltrées par de
petites cellules rondes ; il y a de la périvascularite très marquée.
L'écol'ce est également infiltrée; autour des vaisseaux on trouve de nom-
breuses lacunes de désintégration. Les vaisseaux sont très dilatés.
Dans certains points, se voient de véritables petits foyers de ramollissement
superficiel ayant détruit la presque totalité de la substance grise.
Au Nissl. Les cellules grandes pyramidales ont conservé leur forme ;
les unes ont encore leurs grains chromatiques, les autres sont colorées d'une
façon uniforme, toutes sont très pigmentées.
Au Weigert. Diminution des fibres de la couronne rayonnante, dispari-
tion des fibres de Tucksek et des fibres de Baillarger.
Moelle. Dans toute la hauteur de la moelle on trouve une méningo-
myélite discrète ; les artères ont leur paroi dégénérée sur le mode hyalin et au tri
niveau de la moelle sacro-lombaire, par la méthode Weigert, on constate une
raréfaction des fibres à myéline dans les deux tiers externes de la partie pos-
térieure du faisceau latéral.
SCLÉROSES COMBINÉES médullaires DES paralytiques GÉNÉRAUX 205
Cas. IL P. G. Syphilis probable; démence; paraplégie spasmodique;
sclérose des faisceaux pyramidaux croisés (1).
Klém..., 38 ans, ex-garde républicain ; entré le 29 juillet 1899, mort le 28
avril 1901.
Durée du séjour : vingt et un mois.
Antécédents héréditaires. - Aucun renseignement.
Antécédents personnels. - Syphilis probable.
A son entrée, le diagnostic de paralysie générale fut porté par le Dr Blin.
Il présentait de l'affaiblissement intellectuel avec idées vagues de persécu-
tion, de l'embarras de la parole, de l'inégalité pupillaire, de l'exagération des
réflexes rotuliens.
Alité en décembre 1900. Il est très affaibli, amaigri et gâteux. Il présente
des mouvements spasmodiques de la mâchoire et de la langue, de telle sorte
qu'il ne peut ouvrir la bouche ; la parole est incompréhensible.
Tous ses membres sont en contracture; réflexes rotuliens très exagérés,
clonus des rotules, trépidation épileptoïde des deux pieds. Réflexes plantaires
en flexion.
Athérome des artères. Bruits cardiaques normaux.
Foie. - Gros. Alternatives de diarrhée et de constipation.
Poumons. -Sommets soufflants, matité.
Ganglions inguinaux volumineux et durs.
Cicatrice pigmentée au niveau du fourreau de la verge.
28 avril 1901. Etat cachectique. ,
Ictus épileptiforme (40°). Mort.
AUTOPSIE. - Encéphale : 1,280 grammes.
Méninges. Peu épaissies et transparentes, très adhérentes.
Atrophie des circonvolutions.
Moelle. Plaque de leptoméningite à la face antérieure, au niveau de la
sixième dorsale. '
Poumons. - Noyaux de pneumonie caséeuse.
Foie. 1,500 grammes.
Reins. 270 grammes.
Examen HISTOLOGIQUE. Méninges. Infiltrées de cellules rondes, extrê-
mement congestionnées, elles contiennent du sang en nature.
Les vaisseaux sont en dégénérescence hyaline.
Ecorce. Une congestion intense dessine les capillaires comme s'ils avaient
été injectés au suif.
L'infiltration cellulaire est légère. Les vaisseaux sont infiltrés de pigment
ocre souvent réparti par gros hlocs.
Le réseau d'Exner a disparu, et celui de Baillarger est peu visible. La cou-
ronne rayonnante a ses fibres amincies et diminuées de nombre.
(t) A. VIOOUROUX et LIGNFL-L.\V.1STI\E. Contribut. à l'Étude de quelques formes de la
paralysie générale. Congr. de Bruxelles, 1903. Obs. XXV, p. 33 du tiré à part.
206 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
Moelle. La moelle est congestionnée,mais il n'y a pas de myélite. Il existe
de la méningite à prédominance antérieure.
Sur les coupes de la moelle cervicale,on note une infiltration légère de la pie-
mère à la face antérieure des segments cervicaux les plus inférieurs. A l'hé-
matoxyline-éosine, comme au Nissl, on ne trouve aucune lésion dans le
parenchyme médullaire.
Au Weigert-Pal, il existe une double dégénérescence des faisceaux pyra-
midaux croisés avec prédominance d'un côté. Cette lésion est d'autant plus
accentuée qu'on étudie des coupes plus inférieures.
Sur les coupes de la moelle dorsale, on constate une plaque de lepto-ménin-
gite, sans myélite. Elle se continue en haut avec la méningite de la région cer-
vicale et est maxima au niveau du 6e segment dorsal. A ce niveau, par l'hé-
matoxyline-éosine et le Nissl, on ne décèle aucune lésion dans la moelle ; mais
par le picro-carmin on voit une sclérose névroglique dans les aires des deux
faisceaux pyramidaux croisés. Dans ces mêmes régions, le Pal met en évidence
une grande raréfaction des fibres à myéline, dont la plupart sont atrophiées
(PI. XXXIII, fig. 5). La moelle lombaire est normale, à part une très légère
raréfaction des fibres à myéline dans les aires pyramidales croisées.
Oss. III (1).- P.G. Démence ; contracture en flexion des membres inférieurs ;
dégénérescence des faisceaux pyramidaux eroisés et myélite diffuse.
Camp... Camille, 38 ans, charretier ; entré le 17 janvier 1903, mort le
30 mars 1903.
Durée du séjour : deux mois et demi.
Antécédents héréditaires el antécédents personnels. - Inconnus. Opéré
récemment d'une hernie inguinale, fut transféré de l'hôpital à l'asile Ste-Anne.
Le Dr Magnan porta le diagnostic de paralysie générale. A l'entrée, il présente de
l'affaiblissement intellectuel et des idées absurdes de richesse et de satisfaction.
Les pupilles sont contractées et inégales, les réflexes pupillaires sont conservés.
La langue est tremblante en masse,la parole si embarrassée qu'elle est presque
incompréhensible. Les réflexes patellaires sont très exagérés,sans qu'il y âit de
clonus de la rotule. Les réflexes plantaires sont en flexion, les réflexes crémas-
tériens sont faibles. Les mouvements spasmodiques sont généralisés au point de
rendre la station debout et la marche impossibles.
Le malade reste alité,toujours euphorique, exubérant et très turbulent.
Dans le courant de mars, il s'affaiblit progressivement et prend dans son
lit l'attitude dite en chien de fusil ; les cuisses sont fléchies sur le corps et les
jambes fléchies sur les cuisses. Il est impossible d'étendre les jambes. Les
orteils sont en flexion forcée, le réflexe plantaire est nul des deux côtés, il
existe une certaine contracture au niveau des membres supérieurs, mais à un
degré bien moindre. Il grince des dents ; la nuque est raide.
Il meurt le 30 mars, en hypothermie 36°4.
(1) A. VIGOUROUX et Laionel-Lavastine, loc cit., obs. XXIV, p. 31.
PLANCHE XXXIII.
1. Obs. IV. Moelle cervicale. Sclérose dense et nettement limitée du système pyra-
midal droit (pyramidal direct droit et pyramidal croisé gauche) ; sclé-
rose diffuse et relativement légère de l'aire pyramidale croisée droite.
2. Obs. IV. Moelle dorsale. Mêmes lésions que figure 1.
3. Obs. IV. - Moelle lombaire. Sclérose plus limitée des faisceaux pyramidaux croisés
4. Obs. III. moelle cervicale. Dégénérescence des faisceaux pyramidaux croisés et
myélite diffuse.
5. Obs. II. Moelle dorsale. Sclérose des faisceaux pyramidaux croisés.
6. Obs. XII. Moelle dorsale. Sclérose des faisceaux fondamentaux des cordons la-
téraux, de la partie médiane du bord interne des cordons de Goll
et des bandelettes externes de Pierret.
1. Obs. V. Moelle dorsale. Sclérose tabétique des cordons postérieurs.
8. Obs. VII. - Moelle dorsale. Sclérose des cordons postérieurs dite du tabès in-
cipiens.
9. Obs. VI. Moelle dorsale. Sclérose tabétique des cordons postérieurs.
10. Obs. XI. Moelle cervicale. Raréfaction des fibres à myéline dans les aires pyra-
midales croisées, les bandelettes externes et les cordons de Goll.
11. Obs. XI. Moelle dorsale. Taches de décoloration dans les aires pyramidales
croisées et les cordons postérieurs.
12. Obs. XI. Moelle lombaire. Raréfaction des fibres à myéline dans les aires pyra-
midales croisées et les cordons postérieurs et disparition des fibres
des zones de Lissauer.
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.
T. XVIII. Pf. XXXIII
SCLÉROSES COMBINÉES MEDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX
(Vigouroux et Laignel-Lavastine)
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 207 7
Autopsie. Hémisphère droit,630 grammes ; hémisphère gauche, 616 gram-
mes.
Méninges. Epaissies, opalescentes, adhérentes au niveau du lobe frontal.
Ventricules. Très dilatés, liquide céphalo-rachidien abondant,granulations
épendymaires.
Poumons. -Quelques tubercules au niveau du sommet droit.
Cour. - 280 grammes, adhérences péricardiques, quelques plaques d'athé-
rome à la base de l'aorte.
Foie. 1,520 grammes, gras.
Reins. - 270 grammes, congestionnés.
. Rate. 200 grammes.
Examen HISTOLOGIQUE. Méninges. Epaissies, elles présentent de la
sclérose superficielle et, dans leur partie profonde, de l'infiltration de petites
cellules rondes, qui est maxima dans les sillons.
Les grosses artères sont en dégénérescence hyaline. Les capillaires sont
infiltrés de pigment ocre.
Ecorce. L'infiltration cellulaire, très nette, est maxima au niveau des
vaisseaux. La périartérite et l'artérite, par l'accumulation des petites cellules
rondes, masquent tout détail de structure des tuniques ; la phlébite est, par
endroits, comme nodulaire.
Le plexus d'Exner est perceptible en quelques points ; la strie de Baillarger
a disparu ; la couronne rayonnante est relativement peu touchée.
Les pyramidales géantes sont généralement bien conservées.
Elles sont pigmentées ; quelques-unes sont déchiquetées. Les pyramidales
moyennes ont une coloration floue.
Protubérance. Les vaisseaux méninges sont en dégénérescence hyaline.
Le tissu nerveux n'est pas infiltré, mais la vascularite est intense.
Moelle.- La région cervicale est atteinte de myélite très accentuée, caracté-
risée par une infiltration diffuse de petites cellules rondes et une dégénéres-
cence des fibres à myéline dans la moitié postérieure de la moelle dans l'aire
du faisceau fondamental du cordon latéral des deux faisceaux pyramidaux
croisés et à la limite moyenne des faisceaux de Goll et de Burdach (pl. XXXIII,
fig. ).
Les cellules nerveuses paraissent normales.
A la région dorsale, on ne trouve les fibres dégénérées que dans un îlot situé
à la partie antéro-externe des faisceaux pyramidaux croisés.
La région lombaire paraît normale. Les vaisseaux des racines sont très
dilatés.
Ganglion rachidien. Il présente une infiltration extrêmement intense de
petites cellules rondes.
Les cellules nerveuses sont très pigmentées. ,
Foie. Dégénérescence graisseuse périlobulaire. Infiltration pigmentaire
hématique dans les mêmes régions.
Rein. - Aspect vaso-paralytique typique.
Pas d'autres lésions.
208 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
1
OBs. IV. P. G. Démence ; contracture en flexion des membres, inférieurs ;
gomme du masséter ; pachyméningite hémorrhagique suppurée de l'hémis-
. phère droit ; sclérose des faisceaux pyramidaux (1).
. Seig..., 36 ans, entré le 27 juin 1903 à l'asile de Vaucluse. Paralysie géné-
rale avec démence. Euphorie. Pupilles inégales. Embarras très marqué de la
parole. Exagération des réflexes rotuliens, conservation des réflexes plantaires
et crémastériens.
D'après les renseignements, pas d'antécédents héréditaires pathologiques. Il
a eu la fièvre typhoïde dans sa jeunesse. Il fait de nombreux excès alcooli-
ques. Syphilis probable. -
Il a un enfant de 3 ans, très nerveux.
Les troubles du caractère remontent à cinq années. Ictus avec paralysie
transitoire, dix-huit mois avant son entrée. Depuis il est devenu violent ; il
menaçait de tuer sa femme, faisait des achats inconsidérés, etc.
En janvier 1904, six mois après son entrée, il est alité par suite de faiblesse
générale..
Le 22 février, on constate au niveau de l'insertion inférieure du masséter
gauche une tumeur mobile et dure qui acquiert rapidement le volume d'une
grosse noix. Le diagnostic de gomme du masséter fut porté; sous l'influence
de frictions mercurielles et d'iodure de potassium, la tumeur diminua dans de
grandes proportions ; le 14 mai, elle n'atteignait plus que le volume d'un petit
pois, mais en même temps on constatait une contracture des jambes sur les
cuisses et des cuisses sur le bassin qui obligeait le malade à prendre l'attitude
en chien de fusil.
Les réflexes plantaires étaient en flexion, les réflexes patellaires impossibles
.à constater.
' Le malade reste toujours turbulent ; au niveau de l'oreille gauche se pro-
duit'un léger othématome ; puis survinrent une eschare sacrée et une autre
trochantérienne ; ces eschares n'eurent pas de tendance à progresser et restè-
rent épidermiques.
Le malade maigrit progressivement et meurt le 4 juin 1904.
A l'autopsie, on trouve une adhérence extrême de la dure-mère à la table
interne du crâne. Il existe, de plus, une pachyméningite hémorrhagique sup-
purée enveloppant exclusivement et complètement l'hémisphère droit.
La pie-mère à gauche est simplement épaissie et opalescente. '
La moelle ne présente pas d'altérations visibles à l'oeii nu.
Le foie est gras est congestionné ; il pèse 1.700 grammes.
La rate pèse 150 grammes.
Le poumon gauche est congestionné à la base.
Le coeur est mou, pèse 410 grammes, n'a pas de lésions valvulaires.
Les reins, congestionnés, pèsent 350 grammes ; leur capsule n'est pas adhé-
rente.
Au niveau de l'insertion du masséter gauche, on extrait une petite tumeur,
(1) Vigouroux ET Saillant, Soc. anatomique, juin 1904, p. 515.
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 209
ossifiée de la grosseur d'un haricot et complètement enfouie dans le muscle.
L'examen du pus et des cultures' révèle la présence de streptocoques.
Examen HISTOLOGIQUE. - Hémisphère cérébral droit. - A l'hématoxyline-
éosine, la pie-mère apparaît épaissie et infiltrée de globules de sang et de pus ;
elle est recouverte d'une couche de pus. Les vaisseaux et surtout les veines
ont leurs parois très altérées, infiltrées de petites cellules rondes.
L'écorce est infiltrée d'une façon générale ; on trouve dans certaines coupes
des hémorragies interstitielles qui ont dilacéré la substance grise. Les vais-
seaux sont très congestionnés et présentent une périvascularite intense.
Au Nissl, les cellules pyramidales apparaissent déformées, mal colorées et
les cellules pyramidales sont pour la plupart en neuronophagie.
Le Weigert montre que la couronne rayonnante est atrophiée et que les fibres
de Tucksek et de Baillarger ont disparu.
Bulbe. Surtout à sa partie inférieure, il présente de la méningite et de
l'infiltration de la paroi de ses vaisseaux.
Le Nissl montre l'altération des cellules des noyaux de la Xe et de la IXe pai-
res ; ces cellules sont globuleuses ; leur protoplasma reste coloré d'une façon
uniforme; les grains chromatiques ont disparu; le noyau est peine visible.
Au Weigert, on voit que la pyramide du côté droit est beaucoup plus claire
que l'autre ; les fibres y sont clairsemées.
Moelle cervicale. Légère infiltration méningée à la partie antérieure de la
moelle et au niveau de l'émergence des racines antérieures. Pas d'infiltration
.de la substance médullaire. Sclérose très dense et bien systématisée au niveau
du faisceau pyramidal croisé du côté gauche et direct du côté droit. - - 1-1
A droite la sclérose est moins dense et beaucoup plus diffuse. Elle dépeg,4v,%
beaucoup l'aire du faisceau pyramidal croisé.
A gauche, le faisceau pyramidal direct est sain.
Le Weigert-Pal met en évidence cette double sclérose. Le faisceau pyramidal
croisé est absolument détruit à gauche ; à droite le faisceau de Turck très bien
limité est également détruit ; le pyramidal croisé droit est sclérosé d'une façon
plus discrète et moins systématique que le gauche (pl. XXXIII, fig. 1).
Au Nissl, les cellules des cornes antérieures paraissent altérées. Elles sont
peu déformées, mais un très petit nombre ont conservé leur noyau et leurs
grains chromatiques ; la plupart sont en voie de dégénérescence vacuolaire.
Moelle dorsale. A l'hématoxyline-éosine, elle ne présente pas trace d'in-
filtration inflammatoire. La sclérose des 2 faisceaux pyramidaux se présente au
Weigert-Pal avec les mêmes caractères que de la moelle cervicale : sclérose limi-
tée et dense d'un faisceau pyramidal direct et croisé, sclérose plus discrète
et moins bien limitée de l'autre pyramidal croisé (pl. XXXIII, fig. 2).
Au Nissl, même altération des cellules des cornes antérieures.
Les cellules de la colonne de Clarke paraissent moins touchées.
Moelle lombaire. L'infiltration cellulaire des méninges est très intense
avec prédominance au niveau des racines antérieures.
Les racines postérieures sont atteintes de névrite parenchymateuse.
210 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
La sclérose persiste ; des deux cordons pyramidaux, l'un est toujours plus
dense et plus localisé que l'autre (pi. XXXIII, fig. 3).
Au Nissl, les cellules ont conservé leur noyau, mais elles sont en chroma-
tolyse et présentent des vacuoles qui ne contiennent pas de pigment.
Moelle sacrée. Méninges très congestionnées et infiltrées. Pas d'autres
altérations.
En résumé, ces quatre]scléroses latérales, pour avoir même topographie
générale, sont très différentes.
, La première n'est pas'une sclérose à proprement parler. Ce n'est qu'une
simple raréfaction des fibres des faisceaux pyramidaux croisés seulement
sous la dépendance des lésions encéphaliques. Il n'est pour ainsi dire pas
de moelle de paralytique qui ne présente à quelque degré de lésions ana-
logues. Il existe tous les intermédiaires depuis la diminution de densité
inappréciable des libres jusqu'à l'éclaircissement manifeste'.
La deuxième répond au maximum de ce dernier aspect. Mais le cas est
déjà plus complexe. A la double dégénérescence des faisceaux pyramidaux
d'origine encéphalique s'ajoute la sclérose consécutive à la plaque de lepto-
méningite de la face antérieure de la moelle dorsale.
La troisième parait, avant tout, fonction de myélite. La myélite est évi-
dente; la pseudo-systématisation de la dégénérescence des fibres à myé-
line démontre qu'elle en dépend. A la myélite se joint de la ganglionnite.
La ganglionnite, à défaut de myélite ou de radiculite, suffirait à expliquer
la dégénérescence des fibres à myéline à la limite moyenne des cordons de
Goll et de Burdach de la moelle cervicale. Cette sclérose postérieure per-
met de faire de ce cas une sclérose combinée. Il peut servir de transition
en montrant qu'il existe toujours dans la pathologie des intermédiaires.
La quatrième est intéressante parce qu'on peut attribuer la dégénéres-
cence des faisceaux pyramidaux croisé et direct à une pachyméningite an-
cienne de l'hémisphère droit. Ainsi s'explique l'aspect beaucoup plus
dense de la sclérose du faisceau pyramidal direct droit et du faisceau pyra-
midal croisé gauche qui diffère sensiblement de la sclérose plus diffuse et
moins profonde du faisceau pyramidal croisé droit. Cette dernière, con-
sistant plutôt en une simple raréfaction des fibres, se rapproche des cas
précédents.
Cette observation est comparable à deux cas publiés par Soukhanofi et
Géier (1).
(1) SOUKANOFF et GÉIEIT. Gontriúut. à l'élude de l'anatomie pathologique et de l'his-
topatholo,gie de la paralysie générale, Nouv. Iconogr. de la Salp., 1900, p. 419.
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 211
2e Groupe : Scléroses postérieures.
Les trois cas suivants n'ont de lésions médullaires que dans les cordons
postérieurs. '
OBS. V. P. G. apparue 6 ans après un tabès confirmé; démence ; mégalo-
manie ; sclérose tabétique ancienne des cordons potérieurs ; méningo-myé-
lite surajoutée (1).
B... Victor, âgé de 55 ans, représentant de commerce, est entré à l'asile de
Vaucluse, le 5 juin 1897.
Sa mère est morte à 64 ans, trois jours après un ictus apoplectique. Deux
soeurs seraient mortes dans des conditions analogues.
B... n'a pas eu de maladie sérieuse dans sa jeunesse.
Il avait de légères habitudes alcooliques. En 1878, il a eu un enfant encore
actuellement bien portant.
A diverses reprises, B... s'est plaint de douleurs gastriques. En 1889, il eut
de violentes douleurs dans les membres inférieurs qualifiées csciatique ». En
même temps les mictions étaient difficiles et la marche devenait de plus en
plus pénible. Le diagnostic de tabes fut porté à la consultation de la Salpè-
trière. B... a été traité par la suspension, les massages, les bains de Barèges.
En 1896, un an plus tard, apparurent plusieurs attaques épileptiformes,
puis des troubles mentaux. [Le malade avait la folie des grandeurs, dit sa
femme ; il voulait tout donner, faire des rentes à tout le monde.
B... présente une incoordination très marquée des membres inférieurs.
L'incoordination est moindre aux membres supérieurs; B... peut saisir une
épingle après avoir « plané ». La force musculaire est normale. La sensibilité
cutanée paraît peu altérée. Les pupilles sont inégales et ne présentent qu'une
légère réaction a la distance ; immobilité à la lumière. Aucun trouble viscéral.
Au point de vue mental, B... est dément; il a des idées de satisfaction et de
grandeur : il possède une grande fortune et veut faire de grandes affaires.
Au milieu de 1901, se montrent de nombreuses attaques épileptiformes
qui ne modifient pas l'état de la motricité.
Le malade est réduit à la vie végétative, quand le 2 juin 1902, à la suite
d'une dernière attaque, il succombe dans le coma.
Autopsie. Pratiquée 26 heures après la mort. La pie-mère cranienne est
épaisse, lactescente ; elle adhère fortement à la substance grise des circonvolu-
tions, surtout des antérieures, et ne peut être enlevée qu'au prix de nombreu-
ses ulcérations corticales.
La moelle présente à l'oeil nu une teinte grise des cordons postérieurs.
Le ventricule gauche du coeur est hypertrophié.
Le foie est gras et montre de la péri-hépatite.
Examen IIlSTOLOGIQUE. 1° Moelle lombaire. La pie-mère est infiltrée de
(1) V. PEIIPÈIIE, Contribution à l'élude des associations tabéto-pal'alytiques. Th.
Paris, 1902, p. 61. Travail inspiré par l'un de nous et poursuivi, pour la partie ana-
tomo-clinique, dans le laboratoire de Vaucluse.
212 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
nombreuses cellules et fort épaissie. Il n'y a pas d'altération appréciable des
cellules de la substance grise. Les préparations par la méthode de Weigert
montrent l'intégrité absolue des cordons antéro-latéraux. Les cordons posté-
rieurs sont sclérosés sur la plus grande partie de leur étendue, et cela d'une
façon à peu près égale ; toutefois la zone cornu-commissurale présente encore
un certain nombre de tubes nerveux normaux. La zone d'entrée des racines
postérieures est également atteinte par le processus dégénératif.
2° Moelle dorsale. Les préparations à l'hématoxyline-éosine montrent,
comme à la région lombaire, une leptoméningite manifeste. Quelques cellules
des cornes antérieures et des colonnes de Clarke présentent (méthode de
Nissl) des altérations nettes : forme globuleuse, noyau périphérique. Les cor-
dons antéro-Iatéraux sont normaux. Les cordons postérieurs sont sclérosés
dans la plus grande partie de leur étendue ; seule une petite bande longeant la
commissure grise offre un assez grand nombre de fibres respectées (pl. XXXIII,
fig. 7). Les racines postérieures sont, comme à la région lombaire, nettement
altérées.
3° Moelle cervicale. La pie-mère est épaissie et infiltrée. Dans l'intérieur
même de la moelle les parois de quelques vaisseaux sont épaissies et entourées
de nombreux noyaux. Quelques cellules des cornes antérieures sont pigmen-
tées.
Les cordons antéro-latéraux sont absolument intacts. Quant aux cordons
postérieurs, ils présentent une sclérose très marquée et à peu près générali-
sée, sauf à leur partie antérieure. En outre, la lésion est moins accentuée au
niveau d'une petite zone qui semble dessiner la virgule de Schultze. Ici,
comme plus bas, les racines postérieures sont fortement sclérosées.
4° Bulbe. Une coupe pratiquée au niveau de la partie moyenne de l'en-
trecroisement des pyramides montre une sclérose limitée aux cordons posté-
rieurs. Seules quelques fibres confinant aux noyaux de Burdach et de Goll
sont respectées.
5°' Cerveau. Les coupes de l'écorce montrent les altérations ordinaires
de la paralysie générale. La pie-mère est épaissie et infiltrée.
La gaine des vaisseaux est remplie de petites cellules. Les fibres de Tuckset
ont en grande partie disparu.
OBs. VI. P. G. et tabès presque simultanés ; insuffisance aortique ; agi-
tation très vive ; embolie de l'artère humérale ; lésions de tabès incipiens
et méningo-my élite (1).
Mat... Georges est entré à l'asile de Vaucluse, le 17 mai 1902, après un
séjour de 48 heures à l'infirmerie du dépôt et à Sainte-Anne dans un état
d'agitation violente. Il est âgé de 45 ans et a épousé il y a 18 mois, en secondes
noces, une femme qui nous a donné sur ses antécédents les quelques rensei-
ments suivants.
. Son père est mort jeune, sa mère est bien portante. M... a un frère en bonne
(1) PERPÈRE, loc, cit., p. 54. ,
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 213
santé et a perdu une soeur morte jeune de tuberculose pulmonaire. Sa femme
ne sait que peu de choses concernant son état de santé avant leur mariage. De
sa première femme, il n'a pas eu d'enfants. Sa seconde femme ne lui en a pas
donné davantage. Il a exercé jusqu'à ces derniers mois la profession de garçon
de magasin.
M... aurait eu, il y a dix ans, une affection douloureuse des voies urinaires
inférieures pour laquelle il aurait subi une opération chirurgicale (uréthroto-
mie ? ). Depuis il a conservé des troubles de la miction, particulièrement de
l'incontinence.
Il a eu à diverses reprises de vives douleurs d'estomac et s'est plaint sou-
vent aussi de douleurs rapides et violentes dans les membres inférieurs.
En outre sa vue s'est affaiblie. M... buvait du vin blanc avec excès.
Il y a deux mois, le malade cesse de travailler ; son patron l'avait engagé à
se reposer, parce qu'il commettait des erreurs dans ses livraisons. Ce renvoi
l'avait beaucoup affecté, et M... ne tarda pas à délirer; il délirait surtout la
nuit. A cette époque, le malade fut frappé d'impuissance génitale. La mé-
moire et l'intelligence commençaient à baisser, lorsque, le 14 mai, M... alla
déclarer au commissaire de police de son quartier que sa femme venait d'être
arrêtée. M... fut dirigé sur le dépôt.
A son entrée à l'asile, le malade est très agité. Il porte aux deux jambes des
ecchymoses, traces de contusions récentes. Son pouls est rapide, sa langue
chargée et tremblante. Les pupilles sont larges et inégales ; les réflexes iriens
sont abolis à la lumière et conservés à l'accommodation. La parole est hésitante,
embarrassée. Les réflexes patellaires, plantaires et crémastériens sont nuls.
M... marche en talonnant et en écartant les jambes ;'il présente nettement le
signe de Romberg. M... se plaint de douleurs vives dans les membres inférieurs.
L'auscultation des poumons est négative. A la base du coeur on entend un
souffle diastolique. Constipation, incontinence d'urine. '
Au point de vue mental, M... parait en proie à des préoccupations hypochon-
driaques, manifestées par des plaintes fréquentes,des gémissements. Interrogé
sur ses antécédents, il se défend d'avoir contracté la syphilis.
22 mai. M... se montre très affaibli, sa voix est éteinte ; il fait pourtant
de grands mouvements de la tête et des membres.
On observe que la main droite est froide ainsi qu'une partie de l'avant-bras.
Ces régions sont d'une teinte livide, la sensibilité y paraît abolie. Le pouls
radial est absolument imperceptible, les battements artériels ne se perçoivent
qu'à l'axillaire. Les bruits du coeur sont sourds et un peu irréguliers.
23. Affaiblissement progressif. Même état local au membre supérieur
droit, mais, de plus, le membre inférieur du même côté se refroidit depuis les
orteils jusqu'au mollet.
24. Perte abolue de connaissance, résolution musculaire. Mort à huit
heures du soir dans le coma.
Autopsie. - Pratiquée 35 heures après la mort.
La pie-mère qui recouvre les hémisphères cérébraux est épaissie et injectée
de sang. Elle est extrêmement adhérente au niveau des lobes frontaux et on
214 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
ne peut l'arracher qu'en déterminant de nombreuses ulcérations. Le cerveau
pèse 1180 grammes. - '
Le volume des circonvolutions est normal. Le plancher du quatrième ven-
tricule montre de petites granulations.
Les méninges rachidiennes, sont très congestionnées.
Les poumons sont sains. Le coeur pèse 260 grammes; à l'ouverture, on re-
marque à la base de l'aorte une bande rougeâtre de 2 centimètres de largeur
d'aortite aiguë. Au niveau de la mitrale., même aspect inflammatoire, avec en
plus un caillot fibrineux adhérent à la grande valve.
Le foie est volumineux (1600 grammes), mou à la coupe, gras et conges-
tionné.
Les reins sont scléreux ; la substance corticale en est très atrophiée ; à la
partie inférieure du rein droit, on trouve une dilatation kystique contenant un
liquide séro-purulent.
Un peu au-dessous de son origine l'artère humérale droite a été trouvée dis-
tendue et obstruée par un caillot.
Examen HISTOLOGIQUE. - 1° Moelle lombaire. - A l'hématoxyline-éosine,
on aperçoit la pie-mère épaissie et infiltrée de cellules rondes. Ces mêmes
éléments s'observent dans la gaine de quelques vaisseaux de l'intérieur de la
moelle.
La méthode de Nissl ne montre pas d'altération notable des cellules.
Les coupes, traitées par la méthode de Marchi et surtout de Weigert, per-
mettent de se rendre compte de l'état de la substance blanche.
Les cordons antéro-latéraux sont absolument sains. En revanche, les fibres
des cordons postérieurs sont fortement altérées. Leur lésion porte sur une
grande partie du cordon, respectant deux zones :
1° La partie tout antérieure (zone cornu-commissurale) ; cette zone, où il y
a très peu de fibres dégénérées se prolonge en arrière en s'effilant le long de la
corne postérieure.
20 Un petit territoire juxta-sulcique qui représente par sa situation et par sa
forme le centre ovale de Flechsig. On observe cependant dans cette petite zone
quelques rares fibres dégénérées.
Quant au reste du cordon postérieur (portion à peu près complètement dé-
générée), on peut le diviser en deux régions également :
1° Une région externe où l'on aperçoit, coupées obliquement, les fibres ra-
diculaires postérieures très fortement atteintes par le processus dégénératif,
ainsi que la zone de Lissauer.
2° Plus en dedans, une région où les fibres dégénérées sont sectionnées per*
pendiculairement à leur direction.
2° Moelle dorsale. La pie-mère est épaissie et fibreuse tout autour de la
moelle. Elle est infiltrée par place de cellules embryonnaires. Cette infiltra-
tion prédomine à la région postérieure, formant autour des veines comme des
manchons ; dans d'autres endroits, elle semble former de véritables nodules
infectieux.
La substance médullaire est également enflammée ; on y trouve des artères
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 215
dont la paroi est infiltrée de cellules rondes, et aussi de petits foyers hémor-
rhagiques dans lesquels les cellules rondes sont mélangées aux globules du
sang.
Il n'y a pas d'altérations cellulaires appréciables, sauf peut-être au niveau
des colonnes de Clarke.
Les cordons antéro-latéraux sont indemnes de toute lésion. Quant aux cor-
dons postérieurs, ils sont fortement atteints ; ils présentent de nombreux
tubes dégénérés, dont quelques-uns très volumineux.
Ces lésions offrent la topographie suivante : elles respectent une mince
bande le long des cornes postérieures dans presque toute leur longueur et le
long de la commissure grise. Elles frappent surtout le cordon de Goll en tota-
lité, et le cordon de Burdach dans sa partie interue (pi. XXXIII, fig. 9). Les
racines postérieures sont très altérées. Le canal de l'épendyme est obstrué et
rempli de cellules en amas.
3° Moelle cervicale. Comme dans les régions précédentes, la pie-mère
est épaissie et infiltrée de cellules embryonnaires, lésions surtout marquées à la
partie postérieure, dans l'espace compris entre les deux racines postérieures.
Les artères spinales postérieures et les artérioles méningées ont leurs parois
légèrement épaissies et infiltrées.
Les veines sont encore plus touchées, il existe une périphlébite intense.
Les vaisseaux intra-médullaires sont élargis, remplis de sang, mais il n'y a
pas d'infiltration dans leur paroi ni dans leur gaine.
Le canal de l'épendyme est obstrué par un amas cellulaire.
Quelques cellules des cornes antérieures présentent. des altérations évidentes
manifestées par la méthode de Nissl. '
Le Weigert montre l'intégrité absolue des cordons antéro-laléraiix.
Au niveau des cordons postérieurs un très grand nombre de fibres sont
dégénérées. La lésion est diffuse et ne respecte que la zone cornu-commissu-
rale et la partie externe et marginale du cordon de Burdach.
Son maximum d'intensité se trouve au niveau du cordon de Goll et de la
bandelette externe de Pierret.
La zone d'entrée des racines postérieures est manifestement altérée.
4° Cerveau. Les coupes du cortex montrent des lésions caractéristiques
de paralysie générale. La pie-mère est fort épaisse et infiltrée. Dans l'intérieur
même de la substance corticale les parois des vaisseaux sont infiltrées et
entourées de nombreuses cellules rondes. Les fibres tangentielles ont, en
grande partie, disparu. Le nombre des petites cellules nerveuses superficielles
(cellules de Cajal) est très diminué. Les cellules pyramidales sont d'aspect à
peu près normal.
Cas. VII. P. G. consécutive à un tabès avec atrophie du nerf optique \
démence avec idées absurdes de grandeur ; sclérose tabétique ancienne des
cordons postérieurs ; méningo-myélite surajoutée.
Serv...; 46 ans, cocher, entre à l'asile de Vaucluse le 15 novembre 1902.
Il présente à son entrée une paralysie générale manifeste caractérisée par
216 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
l'affaiblissement intellectuel, des idées de grandeur absurdes et incohérentes (il
est le duc d'Orléans, il a fait des inventions superbes, etc.) et de l'embarras de
la parole. Il a en outre de la cécité par atrophie du nerf optique, l'abolition des
réflexes patellaires, les pupilles sont inégales, les réflexes pupillaires n'exis-
tent pas. Signe de Romberg.
.D'après les renseignements fournis par sa famille, on apprend que la cécité
date de sept années, qu'elle s'est installée progressivement, qu'elle a été ac-
compagnée de douleurs fulgurantes.
Les troubles intellectuels ne datent que de deux ans. Marié et sans enfant,
il est probable qu'il était syphilitique. Alité et gâteux, il s'affaiblit progressive-
ment et rapidement succombe le 24 février 1903 après avoir eu de la diar-
rhée.
A l'autopsie, on constate l'épaississement et l'adhérence de la pie-mère,
l'augmentation du liquide céphalo-rachidien et l'atrophie des nerfs optiques.
Les artères de la base sont athéromateuses. La sclérose des cordons postérieurs
de la moelle est visible à t'oei) nu.
Le coeur pèse 300 gr., la base de l'aorte est athéromateuse.
Le foie pèse 1420 gr., la rate 100 gr., les reins 300 gr.
Les poumons ont quelques tubercules disséminés.
Examen histologique. Moelle cervicale. Ilématoxyline-éosine. La pie-
mère, très épaissie et enflammée chroniquement, est plus atteinte en avant
qu'en arrière, les vaisseaux qui pénètrent dans le parenchyme sont enflam-
més, les artères très altérées sont en dégénérescence hyaline très avancée. Il
existe surtout une forte vascularite au niveau du sillon médian postérieur.
Weigert-Pal. Les cordons postérieurs sont détruits, sauf au niveau des ban-
des longeant le bord interne des racines postérieures ; les racines postérieures
n'existent plus, les racines antérieures sont touchées, mais non détruites. On
voit la dégénérescence en bandes de beaucoup de leurs fibres à myéline.
Nissl. Les cellules nerveuses sont relativement bien conservées.
Moelle dorsale. Hématoxyline-éosine. Il existe une inflammation très
marquée des méninges, des racines et des cordons postérieurs, périvascularite
dans la substance grise moyenne et postérieure et légère infiltration des cornes
antérieures.
Weigert-Pal. Il existe une dégénérescence des cordons de Goll et de Bur-
dach, prédominant à la limite de séparation de ceux-ci (pl. XXXIII, fig. 8).
Nissl. Les cellules de la colonne de Clarke sont altérées , beaucoup sont
déformées, privées de noyau, et en dégénérescence globuleuse. Dans un côté,
elles sont très diminuées de nombre.
Moelle lombaire. Hématoxyline-éosine. L'infiltration cellulaire est nette-
ment marquée au niveau de l'émergence des racines postérieures et dans
les cordons postérieurs ; elle déborde dans la partie postéro-externe des cor-
dons latéraux.
Weigert-Pal. Le faisceau de Burdach est complètement dégénéré.
Nissl. Les cellules nerveuses sont fortement colorées. Beaucoup sont défor-
mées : leur noyau est à peine visible.
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 217
Bulbe, - Il existe de la méningite ; les cellules nerveuses paraissent nor-
males.
Ecorce cérébrale. Les méninges, peu épaissies, sont infiltrées, surtout
dans les sillons, de cellules rondes ou ovales. Les vaisseaux sont en dégéné-
rescence hyaline.
Dans l'écorce, l'infiltration cellulaire est plus marquée que dans la méninge ;
les vaisseaux avec périvascularite et dépôt pigmentaires sont aussi plus alté-
rés.
Les cellules nerveuses ont pour la plupart conservé leur forme et leur noyau.
Les grains chromatiques sont nets. Certaines cellules sont pigmentées.
Nerf optique. - Atteint d'une sclérose énorme névroglique avec tractus
scléreux interfasciculaire et méningite chronique, il répond trait pour trait à la
description de la sclérose optique tabétique donnée récemment par Léri (1).
En résumé, de ces trois scléroses postérieures, les deux premières ré-
pondent à la description classique, schématique du tabes. Ces deux pre-
miers malades sont des tabétiques devenus paralytiques. Parce que la
phase tabétique a été très lente et la phase paralytique rapide, l'associa-
tion tabéto-paralytique est évidente.
La 3e sclérose est aussi une sclérose tabétique. Elle en a les lésions sys-
tématiques, les localisations dans les racines, les zones de Lissauer, les
colonnes deClarke. De plus elle s'accompagne de méningite chronique an-
térieure et postérieure, de périvascularite dans les substances blanche et
grise, sans systématisation, et d'inflammation certaine avec sclérose de la
partie postérieure d'un des cordons latéraux. Aussi ce dernier cas peut
servir de transition aux scléroses combinées.
go Groupe : Scléroses combinées.
Les six cas suivants présentent des lésions médullaires dans les cordons
postérieurs et les cordons antéro-Iatéraux.
08S. VIII. Tabès et P.G. Eschares sacrées. - Pachyméningite hémorrha-
gigue. Sclérose des cordons postérieurs du tabès incipiens,méningo-
myélite de la moitié postérieure de la moelle dorsale.
Chamb.... Louis, 35 ans, cocher, entre à l'asile de Vaucluse le 10 décembre
1902 avec le diagnostic de P.G., avec idées hypochondriaques (Dr Magnan). A
son entrée, il présente les signes physiques suivants : léger strabisme conver-
gent, ptosis, inégalité pupillaire en faveur de la pupille gauche, abolition des
réflexes pupillaires à la lumière et aux distances. Tremblement fibrillaire de
(1) Léri, Etude du nerf optique dans l'amaurose tabétique. Nouv. Iconogr. de la
Salpêtr., sept.-oct. 1904. '
xVm ' 15
218 VIGOUROUX ET I AIGNEL-LAVAST1NE
la langue, légers accrocs dans la parole, abolition complète des réflexes rotu-
liens et achilléens, conservation du réflexe plantaire en flexion et du réflexe
crémastérien, signe de Romberg et démarche ataxique. Foie petit, douleurs
lancinantes dans les jambes. Etat de la sensibilité impossible à déterminer.
Au point de vue mental, il présente de l'affaiblissement marqué de l'intelli-
gence avec inconscience du temps et du lieu. Il se perd dans le dortoir, ne
peut retrouver son lit,etc. Il répète des phrases stéréotypées : « tout ça c'est de
l'argot, j'ai de l'absinthe jusqu'à la gueule » ; et parfois il manifeste des idées
mélancoliques, dit qu'on va venir l'enterrer, qu'on va lui donner le bouillon
d'onze heures. -
~ Aucun renseignement héréditaire ni personnel.
Son état de faiblesse musculaire et son ataxie étaient telles qu'il fut toujours
alité ; il se plaignit de douleurs dans les jambes, il maigrit bien que s'alimen-
tant suffisamment et à peine un mois après son entrée, il était complètement
gâteux et présentait un début d'eschare sacrée et des eschares symétriques
au niveau des talons.
Il s'affaiblit progressivement, restant toujours un peu turbulent, malgré son
état de démence profonde ; les eschares toujours superficielles s'agrandirent
au niveau du sacrum et occupèrent également la face dorsale des deux pieds.
Il devint cachectique et succomba le 9 avril 1903, 4 mois après son entrée.
L'autopsie révèle l'existence d'une pachyméningite hémorrhagique plusdéve-
loppée à gauche qu'à droite, l'épaississement et l'adhérence de la pie-mère et
une dilatation des ventricules.
La moelle est molle, ses cordons postérieurs'sont gris. Le foie est gras et
étalé, il pèse 1730 gr., les reins pèsent 430 gr., la rate 170. Les poumons ne
renferment pas de tubercules.
Examen IIISTOLOGIQUE- Cerveau. Hématoxyline-éosine.
Les méninges, très épaissies, sont fibreuses et infiltrées de cellules rondes.
L'écorce, infiltrée de cellules rondes, présente un peu de périvascularite. On
voit quelques blocs pigmentaires dans les espaces périvasculaires.
Au Weigert,les fibres de la couronne rayonnante sont raréfiées et atrophiées.
Les fibres de la strie de Baillarger sont rares, les fibres de Tuczeck ont disparu.
Au Nissl, quelques cellules pyramidales ont subi la déformation globu-
leuse. Beaucoup ont pris une coloration diffuse.
Le bulbe paraît à peu près uormal dans son ensemble. Les pyramides sont
normales. Quelques cellules des noyaux de l'hypoglosse sont globuleuses. A la
partie inférieure,les bandelettes externes de Charcot et Pierret sont sclérosées,
ainsi que les faisceaux cérébelleux directs (pl. XXXIV, fig. 8).
Moelle. La moelle cervicale, à l'hématoxyline-éosine, ne présente pas
trace d'inflammation.
Au Weigert, on constate la sclérose des cordons de Goll (pl. XXXIV, fig. 9).
Au Nissl, les cellules des cornes sont normales. Dans la partie moyenne de la
moelle dorsale on trouve un foyer de méningo-myélite en évolution, comme
le montrent les corps granuleux visibles au Marchi dans toute la moitié posté-
rieure de la moelle en arrière des cornes latérales. Dans les mômes régions,
PLANCHE XXXIV.
1. Obs. IX. Partie inférieure du bulbe. Sclérose des bandelettes externes de
Charcot et Pierret.
2. Obs. IX. Moelle cervicale. Sclérose des mêmes bandelettes externes et des
zones de Lissauer. Double dégénérescence mais prédominante à
gauche (à droite sur la figure) des faisceaux pyramidaux.
3. Obs. IX. Moelle dorsale. Mêmes lésions de sclérose que dans la moelle cervi-
cale avec en plus un foyer récent de méningo-myélite occupant
la moitié postérieure de la moelle.
4. Obs. IX. Moelle lombaire. Sclérose des bandelettes externes et dégénéres-
cence des faisceaux .pyramidaux croisés,compacte et bien limitée à
droite, légère et diffuse à gauche.
5. Obs. X. Moelle cervicale. Sclérose des bandelettes externes, des zones de
Lissauer et de la partie interne des cordons de Goll. Raréfaction des
fibres dans les deux aires pyramidales.
6. Obs. X. Moelle dorsale. Sclérose des bandelettes externes et de la partie
postéro-interne des cordons de Goll. Raréfaction des fibres dans les
deux aires pyramidales.
1. Obs. X. Moelle lombaire. Sclérose des cordons postérieurs, à l'exception de
la zone de Westphal,du triangle de Gombault et Philippe et de la
zone marginale postérieure ; sclérose totale des zones de Lissauer.
Raréfaction des aires pyramidales atteignant la périphérie.
8. Obs. VIII. Partie inférieure du bulbe. Sclérose des cordons de Goll et des
faisceaux cérébelleux directs.
9. Obs. VIII. Moelle cervicale. Sclérose des cordons de Goll du tabes incipiens.
10. Obs. VIII. Moelle dorsale supérieure. Sclérose postérieure du tabes incipiens
un peu masquée par les lésions diffuses de méningo-myélite de
la moitié postérieure de la moelle.
11. Obs. VIII. - Moelle dorsale inférieure. Sclérose tabétique à peine perceptible
des bandelettes de Pierret et taches disséminées de myélite dans
la moitié postérieure de la moelle.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVIII. PI. XXXIV
SCLEROSES COMBINEES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX
(Vigouroux et Laignel-Lavastine)
SCLÉROSES COMBINÉES médullaires DES paralytiques généraux 219
l'hématoxyline-éosine, le Nissl, le Weigert décèlent de grosses lésions in0am-
matoires : infiltration de petites cellules rondes, déformation globuleuse et
chromatolyse des cellules nerveuses, fragmentation, destruction, disparition
d'un grand nombre de libres à myéline (PI. XXXIV, fig. 10).
Les racines postérieures sont également enflammées; leurs ganglions présen-
tent une infiltration intense de petites cellules rondes. Au Nissl les cellules
nerveuses n'ont pas de grains nets ; elles ont des taches de décoloration
périphériques.
A la moelle lombaire, on constate au Weigert une sclérose légère des ban-
delettes externes, une raréfaction des fibres des aires pyramidales et quelques
taches décolorées dans la moitié postérieure de la moelle. L'hématoxyline-
éosine montre à ce niveau de petits foyers de myélite (PI. XXXIV, fig. 11).
Les reins ont leurs vaisseaux dilatés et quelques foyers de petites cellules
rondes.
Dans le foie existe un peu de dégénérescence péri-portale.
OBs. IX. P. G. consécutive à un tabès. Démence avec idées absurdes de
grandeur. Ramollissement de la scissure calcarine. - Sclérose des cor-
dons postérieurs du tabès incipiens ; dégénérescence descendante d'un sys-
tème pyramidal (direct et croisé), foyer de méningomyélite de la région
dorsale.
Pasd... Paul; âgé de 45 ans, entre à l'asile de Vaucluse le 18 avril 1903, avec
le diagnostic de P. G. porté par les D" Legras et Magnan.
Il présente les signes physiques suivants : parésie faciale gauche, inégalité
pupillaire, signe d'Arg,yl-Hoberlson, nystagmus latéral, tremblement de la
langue, hésitations de la parole, abolition des réflexes rotuliens et achilléens,
conservation des réflexes plantaires et crémastériens, pas de trouble de la sen-
sibilité, signe de Romberg, faiblesse musculaire peut-être plus accusée à
gauche.
L'état mental est celui d'un dément avec idées absurdes de satisfaction et de
richesse ; il prétend gagner 150 francs par jour, il a été arrêté errant dans la
rue, cherchant à cacher dans son pantalon un morceau de vieux tapis, préten-
dant que c'était un portefeuille. Il se rappelle pourtant avoir été traité par
Charcot qui est mort à 109 ans, qu'il connaissait beaucoup, etc... Il dit avoir
eu la syphilis à de 17 ans.
. D'après les renseignements de sa femme, il n'a pas d'antécédents héréditaires
pathologiques et pas d'enfants.
En 1889, c'est-à-dire il y a 14 ans, il a eu de la diplopie et du strabisme qui
aurait duré 6 mois.
En 1892, il a été soigné à la Salpêtrière ; il avait eu une attaque épilepti-
forme à la suite de laquelle il présenta une parésie faciale. Pendant trois ans
il fut soigné à la consultation externe par des pointes de feu le long de la co-
lonne vertébrale, des frictions sur les jambes, de l'iodure de potassium. Il
aurait été présenté à une leçon par Charcot.
Depuis ce moment, son intelligence s'affaiblit progressivement ; il était inca-
220 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
pable de travailler et sa femme le gardait près d'elle. Trois mois avant son entrée,
il devint gâteux et six semaines avant il eut deux attaques épileptiformes.
Pendant son séjour à l'asile qui dura six mois, il resta alité tant à cause de
sa faiblesse générale que de son ataxie ; il fut toujours euphorique et incons-
cient de son état ; il était gâteux. A partir de septembre 1903, il eut des attaques
épileptiformes assez fréquentes et il succomba le 26 octobre à la suite d'une série
d'attaques, présentant seulement un commencement d'eschare sacrée.
L'autopsie montre l'épaississement et l'adhérence des méninges, l'atrophie
des circonvolutions au niveau des lobes frontaux, la dilatation des ventri-
cules et l'existence d'un foyer de ramollissement ancien occupant la scissure
calcarine et s'étendant en profondeur jusqu'à la cavité du ventricule latéral.
La pie-mère était tellement adhérente qu'elle entraînait avec elle de larges
plaques de substance grise ramollie. Pas d'athérome des artères de la base.
Le foie, les reins, les poumons ne présentent rien d'anormal.
Examen HISTOLOGIQUE. - Cerveau. Hématoxyline-éosine.
Les méninges, très épaissies par place, sont fibreuses et infiltrées.
Le cortex est infiltré ; les vaisseaux présentent de la périvascularite très
accentuée. On observe de nombreuses petites hémorrhagies sous-pie-mérien-
nes et de petits ramollissements superficiels détruisant la substance grise.
Au Weigert, les libres de la couronne rayonnante apparaissent raréfiées
et atrophiées, les fibres de la strie de Baillarger sont très clairsemées, les fibres
de Tuczeck ont disparu.
Au Nissl, les cellules sont peu altérées.
Bulbe. Il existe un certain degré de méningite. Les vaisseaux du bulbe
ont de la périvascularite ; le plancher du quatrième ventricule présente des
granulations épendymaires.
Mais la grosse lésion, visible à la méthode de Weigert, est la dégénérescence
totale de la pyramide gauche qui apparaît atrophiée et complètement décolorée
(pl. XXXIV, fig. 1).
La moelle dans toute sa hauteur est atteinte de méningite ; la pie-mère est
épaissie et infiltrée, les artères et surtout les veines ont leurs parois infil-
trées de cellules rondes et sont entourées de ces mêmes cellules.
A la région dorsale dans le faisceau latéral se trouve un foyer de méningo-
myélite surajouté.
Au Weigert, dans la région cervicale, on constate la dégénérescence du
faisceau pyramidal droit et la dégénérescence symétrique des bandelettes de
Pierret et des zones de Lissauer. Les racines postérieures sont très altérées
(pl. XXXIV, fig. 2).
Dans la région dorsale on constate les mêmes lésions de sclérose et en plus
un gros foyer récent de méningo-myélite (pi. XXXIV, fig. 3).
Dans la région lombaire, en plus de la sclérose des bandelettes de Pierret, on
voit une double dégénérescence des faisceaux pyramidaux, mais du côté gauche
la sclérose est diffuse et dépasse les limites du faisceau pyramidal (pl. XXXIV,
(ig : 4).
Les reins présentent des lésions de sclérose.
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 221
Le foie est gras ; les cellules de la zone péri-portale contiennent des goutte-
lettes de graisse ; les espaces portes sont légèrement infiltrés.
OBs. X (1). P. G. avec tabès à évolution rapide : démence.
Scléroses combinées; méningomyélite .
Cor.... Marius, 35 ans, entre à l'asile de Vaucluse le 22 mars 1902, venant de
l'hôpital Saint-Antoine, où le Dr Thoinot, porta le diagnostic de paralysie gé-
nérale progressive avec agitation.
A son entrée dans le service, il présente les signes classiques de paralysie
générale, démence et euphorie, embarras de la parole, inégalité pupillaire. Les
réflexes rotuliens sont abolis, les réflexes pupillaires l'accommodation et à la
distance sont conservés. Les réflexes crémastériens et plantaires sont nor-
maux. La sensibilité à la douleur est, semble-t-il, un peu diminuée. La force
musculaire est diminuée surtout à gauche. Tremblement généralisé. Pas de
signe de Romberg, pas de troubles des sphincters.
A cause de sa faiblesse musculaire le malade reste alité et progressivement
s'accentuent les signes de méningo-encéphalite, embarras de la parole, tremble-
ment, etc., ainsi que les symptômes tabétiques.
Six mois après son entrée, en septembre 1902, les signes de tabes sont mani-
festes. A la disparition du réflexe patellaire viennent s'ajouter le signe de
Romberg et un certain degré d'ataxie ; il talonne en marchant.
Le réflexe pupillaire à la lumière existe encore; il est beaucoup plus faible
que le réflexe à la distance. Un an après son entrée, en mars 1903, le signe
d'Argyll-Robertson est à son tour manifeste et vient compléter le tableau cli-
nique du tabes. L'ataxie est très prononcée, mais le malade cependant conserve
la notion de la position des membres. Il reste alité et devient gâteux. Au
point de vue mental, la démence s'est accentuée ainsi que l'inconscience de la
situation ; bien que ne pouvant quitter son lit, Cor... demande à sortir de l'a-
sile, se croyant capable de pouvoir gagner sa vie, etc.
Il meurt le 13 janvier 1904, après s'être affaibli progressivement sans avoir
présenté ni attaques convulsives, ni eschares.
A l'autopsie, on trouve une hémorrhagie méningée récente ; la pie-mère
est congestionnée, épaissie, oedématiée par places, très adhérente en d'autres
endroits. Les ventricules sont très dilatés et présentent sur leurs parois des
granulations.
La dure-mère de la moelle est congestionnée.
La moelle est diffluente ; les nerfs de la queue de cheval sont collés les uns
aux autres, atrophiés dans leur ensemble. Les cordons postérieurs paraissent
gris et translucides.
Les poumons sont sains, sauf un peu de congestion passive ; le foie pèse
980 grammes, il a des placards graisseux superficiels. Le coeur pèse 300 gram-
mes, il ne présente pas de lésions des orifices ; il y a de l'aortite chronique.
(1) A. Vigouroux OtLAIGIVEL-LAV15TINB. Tabes à évolution rapide chez un paraly-
tique général : sclérose combinée, méningomyélite. Soc. anatom., 1904, p. 353.
222 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
- Examen histologique. - Méninges cérébrales. Epaississement considé-
rable de la pie-mère, infiltration intense de petites cellules rondes à la partie
interne. La périphérie de la pie-mère est formée par des fibres conjonctives
adultes. 1
Les vaisseaux méningés ne présentent ni dégénérescence de leur paroi, ni
péri-artérite. Ils sont dilatés, gorgés de sang, et, dans certains points, se voient
des hémorrhagies interstitielles.
Ecorce. Prolifération névroglique, très prononcée au-dessous de la mé-
ninge. Péri-vascularite très intense soulignant les capillaires ; hémorrhagies
interstitielles péri-vasculaires. *
Au Nissl, les cellules pyramidales sont inégalement altérées ; les unes
paraissent saines, les autres ont une coloration diffuse de leur protoplasma et
sont en neuronophagie.
Au Weigert-Pal, le plexus d'Exner est perceptible à un petit grossisse-
ment ; à un plus fort grossissement on voit qu'un grand nombre de fibres de
névroglie entre dans sa constitution ; les fibres existantes sont moniliformes.
Les fibres de Baillarger sont détruites et celles de la couronne rayonnante
sont grêles et diminuées de nombre.
Bulbe. Méningite. Infiltration, plus abondante que dans la méninge-céré-
brale, de petites cellules rondes.
Vaisseaux. L'artère spinale antérieure ne présente ni dégénérescence de
ses parois, ni inflammation, mais il existe une légère péri-vascularite.
A l'intérieur du bulbe, le vaisseaux sont congestionnés et enflammés ; gra-
nulations épendymaires très nombreuses. Les cellules des noyaux de l'hypo-
glosse et du pneumogastrique sont normales.
Au niveau des pédoncules cérébraux, pas d'infiltration cellulaire.
Au Weigert, vues par simple transparence, les pyramides paraissent beau-
coup plus claires. Au microscope, on voit que les fibres sont plus clairsemées
et qu'un grand nombre d'entre elles sont d'un volume beaucoup moindre.
La disproportion entre le volume des unes presque atrophiées et celui des
autres plus grosses qu'à l'état normal est frappante.
La substance réticulée paraît également présenter une'diminution de ses fibres
Moelle. Au niveau de la moelle cervicale : méningite aiguë avec périphlé-
bite nodulaire. Les artères à ce niveau ne présentent pas de péri-vascularite ;
leurs parois sont dégénérées sur le mode hyalin.
Les racines ont leurs vaisseaux très congestionnés, les veines surtout ; les
artères sont également dégénérées. Ces racines sont infiltrées de petites cellu-
les rondes d'une façon très intense ; ces petites cellules dissocient;par places les
fibres radiculaires et forment entre celles-ci de véritables nodules.
La moelle présente de la prolifération névroglique périphérique. Le canal
épendymaire est presque complètement obstrué.
Dans l'aire des faisceaux pyramidaux et des bandelettes externes des cor-
dons postérieurs, le long du sillon postérieur (face interne des cordons de
Goll), apparaît une sclérose constituée par une prolifération névroglique. On ne
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 223
constate pas d'inflammation à ce niveau : quelques rares capillaires ont leur
trajet souligné par un petit nombre de cellules rondes.
Remarquons que dans ces cordons antéro-latéraux, entre la zone périphé-
rique sclérosée et les aires des faisceaux pyramidaux se trouve une zone de
tissu nerveux sain.
Au Nissl, les cellules des cornes antérieures paraissent normales.
A l'inspection de la moelle cervicale colorée au Weigert, on constate : une
raréfaction des fibres nerveuses au niveau des aires des faisceaux pyramidaux
qu'elle déborde peut-être un peu en avant; dans le cordon postérieur, une
transparence plus grande au niveau des bandelettes externes radiculaires
(zone radiculaire moyenne) et de la partie interne du cordon de Goll ; la zone
de Wesphall est intacte.
Au microscope, dans les aires pyramidales, les fibres sont clairsemées et un
grand nombre sont d'un volume moindre,comme dans les pyramides bulbaires;
dans les cordons postérieurs, la raréfaction est beaucoup plus grande et va
jusqu'à la disparition complète dans les zones radiculaires moyennes, dans
les zones de Pierret, et dans la partie moyenne des cordons de Goll. Les zones
radiculaires postérieures et antérieures sont conservées (pl. XXXIV,fig. 5).
Les racines antérieures sont intactes.
Les racines postérieures sont altérées d'une façon particulière : des faisceaux
tout entiers sont détruits alors que d'autres de la même racine sont intacts.
Au Nissl ; cellules nerveuses normales.
Moelle dorsale. - A l'hématoxyline-éosine on voit une méningite intense
caractérisée par un épaississement fibreux, l'infiltration de cellules rondes
souvent réunies en nodules.
L'artère spinale antérieure est atteinte d'une énorme endartérite ; les ra-
cines sont infiltrées, de même que les substances blanche et grise où l'on voit
des traînées de cellules rondes autour des vaisseaux ; les artères de la subs-
tance médullaire sont atteintes de péri-artérite.
Au Weigert, à l'inspection, les aires pyramidales sont altérées ; dans les cor-
dons postérieurs, les bandelettes externes sont touchées très largement ainsi
que la partie postérieure et interne des cordons de Goll (pl. XXXIV, fig. 6).
Au Nissl, dans la corne antérieure les cellules sont globuleuses, en chroma-
tolyse avec noyau périphérique ; la colonne de Clarke est détruite en partie,
les cellules qui subsistent sont très altérées.
Moelle lombaire. Raréfaction des aires pyramidales atteignant la périphé-
rie. Cordons postérieurs sclérosés à l'exception de la zone de Wesphal, du
triangle de Gombault et Philippe et de la zone marginale postérieure ; la zone de
Lissauer est complètement détruite (pl. XXXIV, fig. 7).
A l'hématoxyline-éosine, méningite intense, quoique moins prononcée qu'à
la région dorsale, avec périphlébite, congestion énorme des racines et aspect
relativement normal de la moelle.
Au Nissl, la majorité des cellules nerveuses sont normales ; la quantité de
pigment est assez abondante.
224 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
En résumé, nous avons assisté, chez un paralytique général, à l'évolution
assez rapide des symptômes du tabes.
A son entrée,Cor... ne présentait que l'abolition des réflexes tendineux; un
an plus tard, il avait le syndrome tabétique au grand complet.
Au point de vue anatomo-pathologique, on trouve dans la moelle les lésions
du tabes incipiens, c'est-à-dire la sclérose des zones radiculaires moyennes
(bandelettes de Pierret), mais, en plus, on voit des lésions dans la partie interne
des cordons de Goll, dans la zone de Lissauer et dans les racines postérieures.
D'autre part existe, dans toute la hauteur de la moelle, un processus inflam-
matoire à maximum au niveau de la pie-mère et de la substance nerveuse de
la moelle dorsale.
Enfin, il y a dans les aires pyramidales une raréfaction des fibres, qui
donne à la moelle l'aspect d'une sclérose combinée.
OBs. XI (1). khan..., marchand de vin, âgé de 32 ans, entre à l'asile de Vau-
cluse le 28 octobre 1902. La paralysie générale avait été diagnostiquée par
M. Garnier et par M. Magnan. Il en présentait les signes cardinaux : embarras
de la parole; inégalité pupillaire ; il n'avait pas de réflexes rotuliens ; les réflexes
crémastériens et plantaires étaient normaux. Il avait de l'affaiblissement intel-
lectuel, des idées de grandeurs absurdes, etc. Il avait fait de nombreux excès
alcooliques et était syphilitique.
Il séjourne à l'asile près de deux ans, d'abord très agité et alité pour ce fait
très longtemps, puis plus calme à mesure que l'affaiblissement intellectuel et
physique progresse.
A partir du 15 mai 1904, il est souvent gâteux si on ne le conduit pas aux
cabinets ; il reste cependant levé, marche bien.
Le 7 juin il était levé ; après son diner on s'aperçoit qu'il était très rouge,
il paraît faible et a perdu toute conscience ; il est alité ; on constate qu'il a 37° 8.
Le lendemain, il est dans un état semi-comateux, mais ce qui frappe sur-
tout en lui, c'est la vaso-dilatation intense de tout son corps ; il paraît écarlate.
Pas de signes pulmonaires.
Le soir même, on constate que la fesse gauche est congestionnée, dure, et
à son centre se trouve une écorchure légère.
La température est de 40 degrés.
Le lendemain, l'eschare est constituée et on y reconnaît les trois zones, en
même temps le talon gauche est également le siège d'une eschare.
Le malade meurt sans avoir repris connaissance, avec une température de
41°4.
A l'autopsie on constate, au niveau de l'hémisphère droit, une néo-mem-
brane rouge récente à la face interne de la dure-mère, correspondant à la
partie pariéto-occipitale ; on trouve les autres altérations de la méningo-encé-
phalite, épaississement et adhérence de la pie-mère, etc.
(1) Communiquée à la Société Médico-psychologique, 1904.
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 225 5
Les poumons sont congestionnés mais non hépatisés ; le droit pèse 840 gram-
mes, le gauche 820 grammes.
Le foie pèse 1.980 grammes, il est gras ; la rate pèse 350 grammes. Le coeur
est mou, il pèse 310 grammes, la base de l'aorte est très injectée, les reins
pèsent 340 grammes, très congestionnés.
Examen histologique. Le cerveau montre une méningo-encéphalite très
intense; infiltration des méninges, périvascularite accentuée, prolifération de
la névroglie. Ramollissements sous-corticaux, lacunes de désintégration.
Au Weigert, atrophie des fibres de la couronne rayonnante, disparition des
fibres de Tuczeck et de Baillarger.
Au Nissl, altération profonde des cellules.
Bulbe. - Granulations du plancher du 4e ventricule. Infiltration de la subs-
tance sous-épendymaire.
Au Weigert, les faisceaux pyramidaux paraissent plus clairs.
Moelle. Méningomyélite discrète dans toute la hauteur, mais pas de
foyer de myélite. Au Marchi, pas de corps granuleux.
Au Weigert, apparence de sclérose combinée. Les deux faisceaux pyrami-
daux croisés sont dégénérés et de plus il y a des lésions de tabes incipiens :
sclérose des bandelettes externes de Pierret et de la partie médiane antérieure
du cordon de Goll.
A la région sacrée et lombaire, les racines postérieures sont altérées et pré-
sentent de la névrite parenchymateuse (pl. XXXIII, fig. 10, H, 12).
Ons. XI bis. - Dumo...., âgé de 34 ans, entre à l'asile de Vaucluse le
7 mars 1903.
Il a été trouvé errant sur la voie publique,il a déjà été traité à l'asile de Vil-
lejuif, il est incapable de fournir aucun renseignement sur ses antécédents
héréditaires et personnels.
Le diagnostic de paralysie générale a été porté par les D" Legras et Magnan ;
ce diagnostic est confirmé ; le malade présente de l'affaiblissement intellectuel
avec idées absurdes et incohérentes d'hypochondrie : il n'a plus de tête, on lui
a arraché les yeux, etc. ; il est inconscient de sa situation et incohérent dans ses
réponses. Les signes physiques sont au complet : inégalité pupillaire, embar-
ras de la parole, tremblement de la langue, exagération des réflexes patellai-
res. La pupille droite est en mydriase, elle a conservé ses réflexes, la pupille
gauche plus petite ne réagit plus.
Six mois après son entrée, il dut être alité à cause de sa faiblesse généralisée ;
il refuse parfois la nourriture parce qu'il n'a plus de boyaux, plus de gorge ;
il est souvent turbulent, défait son lit, cherche à se lever en gémissant.
Il devint gâteux en novembre 1903; il est toujours turbulent'et maigrit con-
sidérablement.
En janvier 1904, apparaît une légère excoriation à la région sacrée ;.
l'eschare s'agrandit progressivement, détruisant les tissus jusqu'au sacrum.
Quelque temps après, il prit dans son lit l'attitude dite en chien de fusil. Les
cuisses sont fléchies sur le tronc et les jambes sur les cuisses , l'extension est
impossible.
226 VIGOUROUX ET LAIGNEf.-LAVASTINE
Le 14 mars 1904, l'état cachectique est arrivé au dernier degré, il y a incon-
tinence complète de l'urine. L'eschare, qui n'a pas suppuré, est large comme
les paumes des mains, elle n'a pas creusé en profondeur. Les jambes sont tou-
jours rétractées.
L'affaiblissement intellectuel s'était accru progressivement, mais les idées
hypochondriaques et de négation ont persisté jusqu'à la fin.
11 mourut le 13 mai 1904.
A l'aulopsie du cerveau on trouve un épaississement marqué de la pie-mère
qui est très adhérente, de la dilatation des ventricules latéraux avec granula-
tions de l'épendyme ; les circonvolutions cérébrales sont manifestement atro-
phiées.
Examen nISTOLOCiQOE. Moelle sacrée. fléma 1 oxy lin e-éo sine. Les
méninges sont infiltrées de cellules rondes ; les vaisseaux des sillons médians
antérieur et postérieur sont enflammés (péri-artérite et endartérite).
Les substances blanche et grise de la moelle sont également infiltrées de
cellules rondes. Beaucoup de cellules nerveuses, altérées, sont en neurono-
phagie. Les racines sont congestionnées.
Weigert-Pal. Seuls sont décolorés les zones de Lissauer et quelques
faisceaux clairsemés des racines.
Moelle lombaire. Hématoxyline-éusine. L'inflammation méningée
prédomine de beaucoup dans la partie antérieure. L'artère médiane antérieure
est atteinte d'endartérite marquée.
Le tissu nerveux, - cellules et fibres - se. colore très mal. Les racines
sont enflammées.
Weigert-Pal. On voit une raréfaction des fibres dans les aires pyrami-
dales et les cordons postérieurs. Au niveau de la zone de Lissauer, elles ont
disparu (pi. XXXIII, fig. 12).
Marchi. Les préparations au Marchi permettent de vérifier cette altéra-
tion des fibres ; la myéline d'un grand nombre ne se teinte pas en gris par l'acide
osmique et l'on voit des corps granuleux dans l'espace périvasculaire de l'artère
spinale postérieure.
11'issl.- Les cellules nerveuses en état picnomorphe sont souvent déformées,
privées de noyau et en voie de désintégration ou munies d'un noyau périphéri-
que, chargées de pigment, et contenant encore quelques grains chromatiques.
Moelle dorsale. Hématoxyline-éosine. - La pie-mère, épaissie, est
légèrement infiltrée. Il existe une périphlébite marquée et de l'endartérite très
prononcée.
Le tissu nerveux se colore mal, seulement au niveau de la substance grise.
Il existe de la périartérite des artères centrales avec légère endartérite. Les
racines sont congestionnées et enflammées.
Marchi. On voit quelques corps granuleux dans les gaines péri-vascu-
laires de la moitié postérieure de la moelle.
Nissl. La plupart des cellules nerveuses sont normales. Quelques-unes
ont leur noyau excentrique. Les plus altérées sont les cellules de la colonne
de Clarke.
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 227
Weigert-Pal. - Sont décolorés par places les cordons de Goll et de Burdach
et les aires pyramidales croisées. Des fibres raréfiées qui y persistent, les unes
sont hypertrophiées, les autres atrophiées.
Moelle cervicale. Hématoxyline-éosine. L'infiltration de la pie-mère
par des cellules rondes et du pigment sanguin est plus marquée à la région
postérieure qu'à l'antérieure. Il existe de la périphlébite et de la périartérite
assez accentuées.
L'infiltration de la substance nerveuse prédomine dans la substance grise
et surtout au niveau des cornes antérieures. Dans une de ces cornes on trouve
un petit foyer lacunaire autour d'une artère enflammée ; dans l'autre un petit
foyer de ramollissement avec pigment sanguin. Alors que les cellules des cor-
nes latérales sont nombreuses, bien colorées quoiqu'en état de neuronophagie
intense, les cellules des cornes antérieures ont presque totalement disparu.
Nissl. Cette méthode confirme les constatations précédentes. Dans les
cornes antérieures, les cellules nerveuses sont rares ; celles qui subsistent sont
altérées, en chromatolyse,en voie de dégénérescence; les cellules des cornes laté-
rales ont conservé leur forme; on voit encore leurs grains chromatiques,
mais la substance achromatique reste colorée en bleu.
Weigert-Pal. - Il y a raréfaction des fibres à myéline dans les aires pyrami-
dales croisées, les bandelettes externes et les cordons de Goll.
Les racines antérieures sont plus grêles que normalement ; et il y a diminu-
tion des fibres dans les racines avec prédominance d'un côté.
Marchi. Il existe quelques granulations dans les cornes antérieures.
Bulbe. - Légère infiltration méningée. Le plancher du 4e ventricule est
recouvert de granulations épendymaires. Périartérite discrète. Les cellules des
noyaux des X8 et XIIe paires sont normales. Pas de lésions appréciables au
Weigert.
Cerveau. Les méninges, épaissies, fibreuses, infiltrées à leur partie interne
par de numbreuses cellules rondes, ont de la périartérite et de la périphlébite
très accentuées. Les artères sont en dégénérescence hyaline.
Dans l'écorce, très enflammée, congestionnée, avec prolifération névroglique
et périvascularite avec accumulation de pigment ocre dans les gaines péri-
vasculaires, on voit des lacunes de désintégration centrées par des vaisseaux
inflammés et contenant des cellules rondes,de grandes cellules pleines de corps
réfringents et du pigment ocre. Les artères sont en dégénérescence hyaline.
Les cellules nerveuses ont conservé leur forme ou sont en chromatolyse et
neuronophagie. Au Weigert ne sont plus perceptibles les fibres de Tuczeck et
de Baillarger. Il y a raréfaction des fibres de la couronne rayonnante.
Cas. XII. - Dous... Pierre, 40 ans, entre à l'asile de Vaucluse le 23 août
1902.
Il a été arrêté au moment où il volait un melon. Soumis pendant la préven-
tion à un examen médico-légal, il bénéficia d'un non-lieu et fut interné à Sainte-
Anne.
Le diagnostic de paralysie générale porté par les D°9 Dubuisson et Dagonet
228 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
fut confirmé à son arrivée à l'asile ; il présentait en plus des signes de tabès :
abolition des réflexes patellaires, signes d'Argyl-Hobertson, ptosis de la pau-
pière droite et incontinence d'urine, douleurs fulgurantes.
Les renseignements fournis sur lui ne permettent pas d'affirmer l'existence
de la syphilis. Marié une première fois à 21 ans, il eut un enfant mort en bas
âge ; puis il fut abandonné par sa femme ; il divorça et épousa il y a deux ans
une seconde femme dont il n'eut pas d'enfant.
Déjà à ce moment il avait des douleurs fulgurantes et son médecin traitant
aurait diagnostiqué un ramollissement de la moelle. Les troubles intellectuels
remontent à dix-huit mois environ, depuis quelques mois il perd la mémoire,
ramasse les bouts de cigarettes, etc.
L'embarras de la parole a été constaté depuis trois mois.
Il a toujours fait des excès d'alcool et surtout d'absinthe.
A son entrée il présentait un état démentiel avec euphorie et inconscience de
sa situation, qui s'accentue progressivement jusqu'à sa mort.
Il présente une série d'attaques convulsives du côté gauche (12 janvier 1903),
du côté droit (24 mars 1903).
Du 12 au 1S juin, il eut une série d'attaques convulsives des deux côtés avec
état comateux. Il s'améliora légèrement, mais à partir du 20 juillet, il est dans
un état semi-comateux presque insensible à toutes les excitations.
Il a une eschare sacrée large et profonde, des eschares aux trochanters et
à la malléole interne du talon droit.
En même temps apparut une arthrite du genou droit avec hydarthrose ; le
genou gauche se prit également et les deux jambes se contractèrent.
Il était dans un état de profonde cachexie.
Il mourut le 17 août.
A l'autopsie, une pachy-méningite épaisse recouvre la face interne de la
dure-mère. Le cerveau est atrophié dans son ensemble et le liquide céphalo-
rachidien est très augmenté de quantité. L'hémisphère gauche pèse 430 gram-
mes, le droit 445. La pie-mère est peu épaissie, mais très adhérente au cortex.
Les artères de la base sont saines en apparence.
Pas de pachy-méningite de la moelle.
Le coeur pèse 400 grammes ; l'aorte est épaisse, sa face interne a un aspect
tomentueux et raviné. Les poumons sont emphysémateux, le foie pèse 1600
grammes, il est gras. Les reins pèsent 290 grammes. La rate 40 grammes.
Examen HISTOLOGIQUE. Moelle cervicale. Hématoxyline-éosine. Il
existe une infiltration cellulaire des méninges et des racines. La radiculite pos-
térieure, à prédominance interstitielle d'un côté, est prédominance parenchy-
mateuse de l'autre, comme le montrent les coupes au Weigert.
4Veigert-Pal. Il existe, en plus de la radiculite, une sclérose combinée
consistant en décoloration des faisceaux fondamentaux des cordons latéraux, de
la partie médiane du bord interne des cordons de Goll et des bandelettes exter-
nes de Pierret (pl. XXXIII, fig. 6).
Nissl. L'inflammation très accentuée des racines se détache en bleu.
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 229
Les cellules des cornes antérieures sont en neuronophagie, chromatolyse et
achromatose.
Moelle dorsale. Les lésions sont les mêmes que dans la moelle cervicale,
moins la radiculite parenchymateuse. Les cellules nerveuses sont normales
au Nissl.
Moelle lombaire. Hén,atoxyline-éosine. Il existe une méningite légère
diffuse avec dégénérescence hyaline des artères et épaississement chronique des
veines du sillon médian antérieur.
Weigert-Pal. Il existe une radiculite postérieure parenchymateuse
intense. Cette radiculite est fasciculaire. Dans la moelle sont décolorées la
moitié interne des cordons postérieurs et les faisceaux fondamentaux des
cordons latéraux, ceux-ci sur une surface moins étendue que dans les régions
cervicale et surtout dorsale.
Nissl. Les lésions des cellules nerveuses sont énormes : chromatolyse,
caryolyse, déformation globuleuse, migration excentrique du noyau, achroma-
tose totale ou partielle. C'est de la myélite aiguë parenchymateuse généralisée
avec prédominance sur les cornes antérieures qui ne contiennent presque plus
de cellules.
Cerveau. En plus d'une pachyméningite hémorrhagique, dont le dia-
gnostic macroscopique est confirmé par l'histologie, on constate une méningo-
encéphalite subaiguë évidente avec infiltration cellulaire énorme, vaisseaux
enflammés avec petits foyers lacunaires inflammatoires, raréfaction des fibres
d'irradiation, disparition des fibres de Tuczeck, et relative intégrité des cellules
pyramidales.
En résumé, ces six scléroses combinées sont l'expression de processus
différents que le simple examen anatomique fait en coupes sériées suffit à
éclaircir.
Dans les deuxpremiers cas, l'examen des cordons postérieurs aux diffé-
rents étages de la'moelle montre les dispositions classiques du tabes incipielts
bien connues depuis Charcot et Pierret, schématisées par Pierre Marie et
sur lesquelles Nageotte vient de nouveau d'attirer l'attention. Elles diffè-
rent absolument par leur continuité, leur élection sur les bandelettes
externes, leur régularité, des lésions des cordons postérieurs décrites par
Joffroy et Rabaud. Si l'aspect des cordons postérieurs est identique, il
n'en est pas de même pour les cordons latéraux. :
Dans le 1er cas, ces lésions sont diffuses, et dépassant les aires pyrami-
dales, font penser à des lésions primitivement médullaires. Et, de fait,on
trouve dans la partie moyenne de la moelle dorsale un foyer de méningo-
myélite en évolution. Il explique que la sclérose diffuse des cordons laté-
raux, constatée dans la moelle lombaire, se réduise dans la moelle cervi-
cale et le bulbe au faisceau cérébelleux direct.
Dans le 2° cas, les lésions des cordons antéro-latéraux sont plus com-
230 VIGOUROUX ET LAIGNEL-LAVASTINE
plexes.A la moelle lombaire, les deux aires pyramidales sont sclérosées,mais
inégalement. L'aspect des coupes aux différents étages du névraxe donne
l'explication de ces différences d'aspect. La sclérose compacte du faisceau
pyramidal croisé est sous la dépendance d'un ramollissement sous-cortical,
comme on en voit parfois chez les paralytiques généraux, de l'hémisphère
cérébral du côté opposé. En effet, depuis ce ramollissement jusqu'à la
moelle lombaire, on suit la dégénérescence des fibres pyramidales dans le
pédoncule, le bulbe et la moelle. La sclérose diffuse et légère de l'autre
aire pyramidale est sous la dépendance d'un pelit foyer de rnéliingo-myé-
lite de la région dorsale, nettement appréciable, quoique beaucoup moins
important que dans le cas précédent. '
Dans le 3e cas, où syndromes cliniques paralytique et tabétique ont
évolué rapidement et simultanément, la sclérose postérieure a tous les
caractères topographiques de la sclérose tabétique, et comme l'infiltration
inflammatoire radiculo-méningo-myélo-encéphalique est partout contem-
poraine et diffuse, l'unité du processus nous paraît évident.
Dans Ie4°cas(llau....) il y a à la fois sclérose des faisceaux pyramidaux,
suite des lésions diffuses de l'encéphale et des altérations des cordonspos-
térieurs consécutives à la névrite parenchymateuse alcoolique.
Par de petites variations dans les localisations de ce processus inflam-
maloire général et unique nous semblent s'expliquer les différences d'as-
pect des deux derniers cas.
Dans l'un (Dum....) la myélite diffuse, aussi bien polio que leuco-myé-
lite, d'évolution rapide, masque et confond dans ses dégénérescences
propres ce qui dans les cordons laléraux et postérieurs dérivait déjà peut-
être de l'inflammation méningo-radiculaire, car les lésions des racines
postérieures peuvent à elles seules expliquer la disposition de la dégéné-
rescence des fibres. des cordons postérieurs, comme la méningite, qui
accompagne ces lésions des racines postérieures, peut entraîner une dégé-
nérescence de voisinage des fibres nerveuses périphériques des cordons
latéraux. '
Dans l'autre, au contraire, la prédominance de la poliomyélite dans la
méningo-myélite diffuse, comme l'intensité énorme de la radiculite, per-
met de comprendre, d'une part, la localisation nette de la sclérose dans
le faisceau fondamental du cordon latéral, et d'autre part dans les zones
de Lissauer, les bandelettes externes et le bord interne du cordon de Goll
dans les régions lombaires, dorsale et cervicale.
III
Si nous rapprochons nos observations de celles déjà publiées, nous
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 231
voyons qu'elles leur ressemblent dans leur diversité et apportent un ap-
pui, les unes ou les autres, aux différentes théories jusqu'alors soutenues.
Nous avons vu la raréfaction des fibres pyramidales consécutives aux
lésions d'encéphalite diffuse.
M. Klippel est, avec Starlinger (1), Soukhanoff, Géier, et quelques au-
tres, un des rares auteurs à signaler cette lésion. Nous avons vu aussi la
dégénérescence massive des faisceaux pyramidaux secondaires à une lésion
encéphalique en foyer ou à une pachy-méningite hémorrhagique. Beau-
coup d'auteurs actuels la nient, à cause de sa rareté sans doute. Soukha-
noff l'a décrite.
Nous avons vu des scléroses latérales répondant à la description de
Westphal. Mais le terme de primitif, employé par Westphal et répété après
lui, demande des éclaircissements. Toutes les scléroses làtérales que nous
avons vues étaient secondaires, soit à des foyers de leuco-myélite, ou de
méningo-myélite, lésions sur lesquels insistent Pierre Marie, Guillain et
Crouzon, soit à des altérations des cellules nerveuses de la moelle, lé-
sions sur lesquelles insiste M. Klippel. Si primitif veut donc dire sclérose
d'origine médullaire, nous admettons la sclérose primitive. Mais, si ce
terme n'est pas employé seulement par opposition à la sclérose secondaire
à une lésion extra-médullaire, nous ne l'acceptons pas. Comme Dejerine,
nous pensons qu'avant d'affirmer une sclérose primitive de la moelle, il
est nécessaire de débiter celle-ci en coupes sériées, sous peine de laisser
passer un foyer de myélite souvent très circonscrit, qui est la lésion capi-
tale dont toutes les autres dérivent.
Nous avons vu des scléroses postérieures tabétiques. Ce sont des cas
identiques aux tabes paralytiques de Raymond et Nageotte, aux associa-
tions tabéto-paralytiques que tout le monde admet aujourd'hui (Tabo-
paralysie de Fürstner).
A côté de tabes anciens sans autre lésion médullaire appréciable, nous
avons vu des tabes complexes, avec méningite et inflammation de la par-
tie postérieure du cordon latéral, comme dans les cas de P. Marie, Guil-
lain et Crouzon ; avec méningo-myélite et sclérose descendante d'un fais-
ceau pyramidal par ramollissement encéphalique.
Nous avons vu lésions tabétiques jeunes et lésions de paralysie géné-
rale jeune n'être que les deux expressions d'un même processus rapide de
méningo-myélo-encéphalite réalisant une maladie unique de tout le né-
vraxe, comme dans la conception de Raymond et Nageotte.
D'autre part, nous avons vu ce même processus de méningo-myélo-encé-
(1) Stablinoer, 8eitl'age Zur palhologischen Analomie der p. P. Monatschr, f. Psych.
neuf., V° YII, 1900
232 VIGOUROUx ET LAIGNEL-LAVASTINE
phalite ne pouvoir s'exprimer au niveau de la moelle et particulièrement
des cordons postérieurs que par des lésions pseudo-systématiques répon- .
dant à la conception de Joffroy et Rabaud (1).
Enfin nous avons vu ce même processus entraîner la sclérose du fais-
ceau fondamental du cordon latéral par poliomyélite, comme dans certains
cas de Klippel, la sclérose tabétique des cordons postérieurs par radicu-
lite comme dans certains cas de Nageotte.
Interpréter ces faits nous paraît aujourd'hui moins difficile que naguère.
A la conception des maladies nerveuses, caractérisées par la systémati-
sation de leurs lésions, tend à se substituer une idée plus large faisant des
affections nerveuses, que la clinique distingue, de simples syndromes à
correspondance anatomique qu'on prévoit et qu'on vérifie en pratique,
mais qui n'ont aucun caractère de spécificité. Ce ne sont que des stades
d'une même évolution qu'on a décrits à part, à cause de leur longueur
et indépendamment de la maladie causale.
Les auteurs, qui partagent la première conception, apercevant plus,dans
l'anatomie pathologique de la moelle des paralytiques généraux, les diffé-
rences que les ressemblances, ont donné de nombreuses descriptions que
n'ont pu relier des théories trop souvent exclusives.
Au contraire, les autres auteurs, qui formulent la deuxième idée, sont
plus frappés par les traits communs que par les divergences de détails. A
travers la multiplicité des aspects, ils croient sentir l'unité de la maladie.
- Les conceptions pathogéniques des dernières années relativement au
rôle de la syphilis dans l'éclosion du tabes et de la paralysie générale ap-
portent un fort appui à cette façon d'envisager les cas complexes de la cli-
nique. '
Le névraxe, comme le foie, le rein, forme une unité réactionnelle que
l'étude des processus cliniques, cicatriciels, a fragmentée à l'excès, mais
qui réapparaît entière dans les toxi-infections aiguës. Le même agent qui
lentement fait une cirrhose élective, agissant brutalement produit une
dégénérescence massive du foie. Il n'y a pas de raison pour qu'il n'en soit
pas de même du névraxe. Et, de fait, ne voyons-nous pas,dans le cas par-
ticulier que nous avons envisagé des lésions médullaires chez les paraly-
liques généraux, ces lésions varier avec la rapidité de l'évolution dela
maladie ? Une même maladie pourrait donc, à ses divers moments, par de
multiples mécanismes lésionnels, entraîner des réactions d'apparence
souvent aussi différente qu'un tabes ou une paralysie générale, mais dont t
(1) Le cas de Curioni, étudié dans le service du professeur Brissaud, concerne un
paralytique générât dont la moelle « par ses lésions peut être placée entre les tabes
vrais et les pseudo-tabes ». Rapports du tabès et de la paralysie générale. Nouv.
Icon. Salp., septembre 1903, p. 272-280.
SCLÉROSES COMBINÉES MÉDULLAIRES DES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX 233
une série comme la nôtre montre toutes les modalités de transition.
Nous ne voulons d'ailleurs pas dire que tous les syndromes paralysie
générale, comme tous les syndromes tabes dérivent d'une même cause.
C'est là une autre question. Nous voulons seulement montrer que souvent
chez un même malade la séparation des deux syndromes en deux maladies
distinctes est arbitraire et sans valeur explicative, ces deux syndromes ne
pouvant qu'exprimer deux moments différents, successifs ou simultanés,
d'un même processus morbide.
D'un mot nous croyons pouvoir conclure à la grande diversité d'aspect
des scléroses médullaires des paralytiques généraux comme à la multipli-
cité de leurs mécanismes lésionnels immédiats, dont n'arrivent pas à ren-
dre compte les auteurs qui en cherchent la raison dans une spécificité
localisatrice, mais que nous semblent mieux expliquer ceux qui substi-
tuent au critérium anatomique, qui souvent n'est qu'un reliquat, l'étude
de l'évolution qui permet d'embrasser, dans son ensemble et sous ses
mille aspects, une même maladie.
xvitt tt 16
ÉCOLE VÉTÉRINAIRE D'ALFORT
MÉNINGO-ENCÉPHALITE DIFFUSE
ET HÉMIATROPHIE CÉRÉBELLEUSE CHEZ UN CHIEN
ÉTUDE DE PATHOLOGIE COMPARÉE
- PAR MM.
L. MARCHAND
Médecin-adjoint de l'asile de Blois 1
G. PETIT et COQUOT
Professeurs à l'Ecole d'Alfort.
Les lésions bien observées des animaux domestiques peuvent jeter une
vive lumière sur certains cas morbides étudiés chez l'homme et dont la
pathogénie reste douteuse. Elles peuvent remplir en effet les conditions
d'une véritable expérience et apporter, au double point de vue anatomique
et pathologique, quelques contributions nouvelles. De plus, la possibilité
de sacrifier le sujet au moment opportun et de fixer les pièces d'une ma-
nière absolument rigoureuse et correcte écarte d'avance toute erreur
d'interprétation motivée par les altérations cadavériques qu'il est si com-
mun de rencontrer dans les autopsies tardives, surtout lorsqu'il s'agit des
centres nerveux.
Nous venons d'observer un chien qui présentait des troubles moteurs,
sensoriels et mentaux tels que le diagnostic des lésions causales put être
fait très exactement; l'autopsie fut confirmative.
Observation.
Chien âgé de 2 ans 1/2 ; maladie du jeune âge à 2 mois. Démence (1)
progressive, abolition des sens spéciaux, parésie des membres, mouvements
de manège de gauche à droite. - Autopsie : Atrophie du lobe cérébelleux
gauche, méningo-encéphalite diffuse subaiguë.
1° Étude clinique. Il s'agit d'un chien cocker âgé de 2 ans 1/2 au mo-
ment où nous l'observons. Ce chien, abandonné à lui-même, tourne automa-
tiquement comme les aiguilles d'une montre, de gauche à droite. La cir-
conférence qu'il décrit est d'un rayon très court et son corps est arqué, la tête
étant rapprochée de la queue, le nez rasant le sol. Quand l'animal s'arrête, il
(1) Le terme démence est employé ici, par analogie complète avec ce que l'on ob-
serve chez l'homme; pour désigner la perte progressive de toutes les fonctions de
l'intelligence
MÉNINGO-ENCÉPHALITE DIFFUSE ET HÉMIATROPHIE CÉRÉBELLEUSE 235
se couche en sphinx, le corps légèrement incliné à droite. Il se relève diffici-
lement et ses membres fléchissent sous son poids ; les quatre membres sont
parésiés, mais les postérieurs le sont davantage.
Pas de paralysie faciale ; la face est symétrique.
Les réflexes tendineux sont exagérés aux quatre membres.
Les membres et la langue sont animés de tremblement à oscillations éten-
dues et rapides.
Les réflexes pupillaires directs et croisés sont anormaux. Les pupilles sont
inégales ; la pupille droite est la plus dilatée. Pas de nystagmus ; pas de dé-
viation des yeux.
La sensibilité au tact et à la douleur paraît conservée sur tout le corps. La
piqûre de la peau détermine des réflexes communs de protection, mais non
différenciés ; ainsi, quand on pique la face de l'animal, il ne fait aucun mouve-
ment pour mordre ; il éloigne simplement la tête.
Les diverses sensibilités spéciales ont été examinées. Toutes paraissent
abolies.
L'animal ne voit pas. Un obstacle placé devant lui n'arrête pas son mouve-
ment de manège et il ne change de direction qu'après avoir heurté l'obstacle.
Le même fait se produit, que l'on place l'objet devant l'oeil gauche ou l'oeil droit.
Les bruits les plus violents ne paraissent pas perçus ; l'animal continue à
tourner en cercle sans prêter la moindre attention aux bruits que l'on déter-
mine au niveau de son oreille gauche ou droite.
L'odorat et le goût sont également abolis. Un morceau de viande placé sous
le nez de l'animal ne détermine aucune sensation appréciable. Introduit dans
sa gueule, l'animal l'avale sans manifester aucune satisfaction.
Le chien, qu'il soit au repos ou en mouvement, paraît être dans un état de
stupeur absolue. Il ne répond pas à son nom et ne paraît sensible à aucune
caresse ; il se laisse examiner sans manifester aucune peur, sans pousser un
aboiement. Il ne fait aucune résistance.
Les appareils digestif, circulatoire et respiratoire ne présentent aucun
trouble.
Les principaux commémoratifs que nous avons pu recueillir sur l'animal
sont les suivants : il a eu la « maladie du jeune âge » au moment du sevrage.
Acheté à l'âge d'un an et demi, il fut conduit à la chasse. Le chien hésitait à
entrer dans le fourré. Il avait déjà de la tendance à tourner de gauche à droite.
Ces troubles s'accentuèrent progressivement et l'animal commença à tourner
franchement de gauche à droite en faisant de grands cercles, puis ceux-ci
diminuèrent de rayon et l'animal tourna sur place ; il était alors incapable de
sortir de la maison ; c'est à cette période de la maladie qu'il nous fut présenté
à l'École d'Alfort. L'appétit a toujours été conservé ; mais, dans les derniers
temps, l'animal mangeait en happant les aliments et il ne parvenait pas à se
nettoyer le nez. La langue se repliait en bas.
2" Etude NÉCROPSI1UE. Le malade fut sacrifié par effusion de sang et
l'autopsie pratiquée immédiatement après la mort.
23H MARCHAND, PETIT ET COQUOT
Aucune lésion n'est relevée du côté des organes thoraciques et abdominaux.
Centres nerveux. Les os du crâne et de la colonne vertébrale ne pré-
sentent aucune particularité. La dure-mère est normale, le cerveau congestion-
né. La pie-mère possède par places une légère teinte opalescente.Légères adhé-
rences de la pie-mère au cortex. Pas de lésions vasculaires apparentes sur
les vaisseaux de la base.
Le cervelet présente une atrophie du lobe gauche (fig. 1). Les circonvolu-
tions du flocculus sont les plus atrophiées. A leur niveau, la pie-mère est
très épaissie et forme de nombreuses brides. Les circonvolutions sous-jacentes
sont encore visibles, mais très diminuées de volume. La microgyrie s'étend
aux autres circonvolutions voisines. Le lobe médian et le lobe droit paraissent
normaux.
Examen llISTOLOGIQUE. Cerveau. Nos recherches ont porté sur les lobes
frontaux, les lobes occipitaux, les circonvolutions sylviennes droites et gau-
ches, les lobes olfactifs. Les méthodes employées sont celles de Weigert-Pal,
de Nissl, de Weigert pour la névroglie, de Van Gieson, les colorations au picro-
carmin et à l'hématoxyline de Delafield.
Les lésions observées sont diffuses, mais ont une prédominance marquée au
niveau des lobes frontaux.
La pie-mère et l'arachnoïde sont épaissies, surtout au niveau des sillons ;
elles sont envahies par de nombreuses cellules embryonnaires. Au fond des
sillons, la pie-mère est bourrée de noyaux prenant avec avidité les matières co-
lorantes. Les petits vaisseaux qui circulent dans les méninges molles sont en-
tourés d'un manchon de cellules embryonnaires.
Dans le cortex, les altérations prédominent au niveau des vaisseaux.
Ceux-ci sont entourés d'un grand nombre de cellules rondes, tassées les unes
contre les autres. On ne trouve aucun vaisseau normal ; les capillaires sont
aussi le siège d'une inflammation manifeste . Quelques parois vasculaires pré-
sentent de la dégénérescence hyaloïde. Pas de néoformation vasculaire.
Les cellules nerveuses sont atrophiées ; les noyaux sont très gros relativement
aux corps cellulaires et la plupart sont excentriques. Les granulations chro-
mophiles prennent peu les colorants électifs et, dans quelques cellules, on ob*
serve des vacuoles.
Fig. 1.
MÉNINGO-ENCÉPHALITE DIFFUSE ET BÉMIATROPIIIE CÉRÉBELLEUSE 237
Les fibres tangentielles sont en partie disparues dans les deux lobes frontaux ;
elles sont dans les autres parties du cortex très diminuées de nombre; les
fibres radiaires paraissent normales.
La névroglie est hyperplasiée ; elle forme au niveau de la partie la plus su-
perficielle du cortex une bordure épaisse; toute la couche moléculaire est en-
vahie par de grosses cellules en araignée, à prolongements épais, se divisant en
fibrilles (fig. 2). La même prolifération névroglique se retrouve autour des pa-
rois vasculaires.
Dans le lobe olfactif, on trouve les mêmes lésions inflammatoires que dans
les autres parties du cerveau.
La recherche de microbes dans les coupes est restée négative.
Cervelet.-1° Lobe droit.- Les méninges molles sont envahies par de nom-
breuses cellules embryonnaires. Dans les cellules de Purkinje, les granulations
chromophiles ne sont plus apparentes qu'autour du noyau. La névroglie est hy-
perplasiée par places dans la couche moléculaire.
2° Lobe gauche. Les lésions inflammatoires sont plus accentuées que celles
du lobe droit. Au niveau des circonvolutions les plus externes, les méninges
molles sont très épaissies, stratifiées, envahies par une multitude de cellules
rondes. Les cellules de Purkinje sont totalement disparues dans le lobule du
pneumogastrique et on n'observe plus qu'un tissu de sclérose névroglique avec
conservation partielle de la couche de grains. Partout, les vaisseaux sont
atteints de périartérite, et, dans le tissu scléreux, quelques petits vaisseaux
sont complètement obstrués par des cellules embryonnaires.
Fig. 2. Lobe frontal gauche, couche moléculaire. Prolifération névroglique
(méthode de Weigert pour la névroglie).
238 MARCHAND, PETIT ET COQUOT
Bulbe et protubérance. Le bulbe et la protubérance ont été débités en
coupes sériées, traitées par la méthode de Weigert-Pal.
Pas de lésions des pédoncules cérébelleux supérieurs et inférieurs.
Le pédoncule cérébelleux moyen gauche est dégénéré en partie, ainsi que
les fibres transversales antérieures de la protubérance du côté gauche. Les
faisceaux pyramidaux sont atteints des deux côtés d'une légère sclérose.
Les cellules des noyaux moteurs présentent peu de prolongement ; les gra-
nulations chromophiles prennent bien les colorants par la méthode de Nissl.
Les vaisseaux du bulbe sont atteints de périartérite.
Moelle. Dans toute la hauteur de la'moelle, on observe une légère sclé-
rose des faisceaux pyramidaux croisés. Pas d'autres lésions des cordons. Les
vaisseaux, et principalement ceux qui sont situés de chaque côté du canal cen-
tral, sont le siège d'une périartérite intense. Les vaisseaux qui circulent dans
les méninges molles sont moins altérées ; celles-ci sont cependant le siège d'une
inflammation notable au niveau de la moelle cervicale. Dans toute la hauteur
de la moelle, la pie-mère, au fond du sillon antérieur, est bourrée de cellules
embryonnaires.
L'épithélium du canal central est le siège d'une prolifération active de cellu-
les. Les cellules des cornes antérieures renferment des granulations chromo-
philes bien colorées. Leurs prolongements sont peu apparents.
Ganglions rachidiens. Les vaisseaux sont atteints de périartérite et les
espaces inter-cellulaires sont bourrés de noyaux embryonnaires, surtout à la
périphérie des ganglions.
Les symptômes provoqués par les lésions partielles des lobes cérébel-
leux sont encore mal déterminés. Les expériences des physiologistes sont
contradictoires sur bien des points. Les mouvements de manège et de ro-
tation paraissent provoqués surtout par la lésion du cervelet et de ses pé-
doncules ; mais, dans les expériences, quelque précises qu'elles soient,
le traumatisme altère plus ou moins les parties voisines de celles sur
lesquelles on se proposait d'intervenir. Ainsi, dans la section des fibres
antérieures de la protubérance qui proviennent des pédoncules cérébelleux
moyens, on altère toujours les noyaux prépyramidaux et les fibres plus
profondes des faisceaux pyramidaux. De plus, le traumatisme physiolo-
gique montre quels sont les symptômes d'une lésion survenue brusque-
ment, et non pas la succession des symptômes provoqués par une lésion
dégénérative à évolution lente.
Dans notre cas, une lésion inflammatoire portant sur les circonvolutions
antéro-externes du lobe cérébelleux gauche d'un chien, a provoqué un
mouvement de manège qu'il fut possible d'observer depuis son début jus-
qu'à la mort provoquée de l'animal. Ce fut d'abord une tendance à tourner
de gauche à droite et, progressivement, un mouvement de manège dont le
rayon se fit de plus en plus petit, jusqu'au moment où l'animal en vint à
MÉNINGO-ENCÉPHALITE DIFFUSE ET HÉMIATROPHIE CÉRÉBELLEUSE 239
tourner sur place. L'étude des dégénérescences provoquées par cette lé-
sion du cervelet montra que les fibres antérieures de la protubérance du
côté gauche, c'est-à-dire du côté même de la lésion, sont disparues en
presque totalité dans la partie de la protubérance voisine des pédoncules
cérébraux, et que les fibres dégénérées ne dépassent pas la ligne médiane.
En un mot, chez ce chien, l'atrophie du lobule pneumogastrique gauche et
des circonvolutions voisines, avec dégénérescence consécutive des fibres
antérieures de la protubérance du même côté, entraîna un mouvement de
manège de gauche à droite. Cette constatation est des plus précises, car
aucune autre lésion dégénérative due à la lésion cérébelleuse n'a pu
être relevée dans les autres parties du cervelet, de ses pédoncules et de la
protubérance.
La méningo-encéphalite diffuse a provoqué chez notre animal un état
démentiel comparable à celui décrit par Goltz (1) chez son chien décéré-
hré. Au point de vue psychologique, l'étude de cette démence montre en
quoi consistent surtout les fonctions'intellectuelles du chien. Tandis que,
chez l'homme, une méningo-encéphalite diffuse produit surtout un affai-
blissement très marqué de la mémoire et du jugement, chez le chien, le
trouble intellectuel le plus accusé est relatif à la perception. Les idées,
chez l'homme sain, sont déterminées autant par le souvenir de sensa-
tions ou d'idées anciennes; sans faire abstraction de la mémoire, on
peut dire que, chez le chien, les conceptions intellectuelles sont surtout
déterminées par les sensations présentes. Que la perception soit abolie
chez cet animal et immédiatement il entre dans un état d'hébétude. Si
une sensation persiste encore, celle-ci ne détermine qu'un réflexe commun
de défense, non différencié. C'est ainsi que notre chien, sous l'influence
d'une piqûre, s'écartait sans témoigner aucune douleur, ni mouvements
de colère.
Il convient de faire remarquer que l'examen histologique du système
nerveux de notre sujet montre que les lésions observées sont comparables,
en tous points, à celle de la paralysie générale chez l'homme. La consta-
tation chez le chien des lésions d'une maladie, sur l'étiologie de laquelle
les auteurs les plus compétents ne sont pas d'accord, peut apporter, nous
semble-t-il, quelque lumière sur cette question. D'après les uns, la para-
lysie générale aurait toujours pour cause la syphilis ; pour d'autres, il n'y
aurait aucun rapport entre les deuxaffections. L'apparition d'une méningo-
encéphalite diffuse chez un chien, consécutivement à une maladie micro-
(1) GoLTz. Der Hund ohne Grosshirz Pflùger's Arch., XLI ; L. EDiNoER, Ueber die
Bedéutuzg der Hirniade im Anschlusse an den Bericht über die Untersuchung eines
llundes, dent Prof. Goltz das Ganze Vorderhim entfert habe, Aus d. Verdhandl, d.
Congr. f. inn. Medicin., XII, 1893.
240 MARCHAND, PETIT ET COQUOT
bienne certaine qu'on appelle « la maladie des chiens », montre qu'une
affection cérébrale à lésions bien définies peut être produite par diverses
maladies infectieuses. On sait d'ailleurs que la maladie des chiens se lo-
calise fréquemment sur le système nerveux,et qu'elle provoque d'ordinaire
la chorée.
En conséquence, si, chez l'homme, la syphilis est une cause puissante,
habituelle de la méningo-encéphalite et de la paralysie générale par la-
quelle elle se traduit, il faut supposer que d'autres maladies infectieuses
sont sans doute susceptibles de provoquer les mêmes désordres. On ne
saurait nier, en tout cas, l'intérêt -que présente la constatation chez un
chien primitivement atteint d'une maladie microbienne déterminée, de
lésions inflammatoires identiques à celles qui sont d'ordinaire rapportées,
chez l'homme à la syphilis.
FACULTÉ DE MÉDECINE DE MONTPELLIER
SERVICE DE M. LE PROFESSEUR GRASSET
CONTRACTURES PRÉCOCES ET PERMANENTES
DANS UN CAS D HÉMIPLÉGIE DE L'ADULTE
PAR
A. GAUSSEL
Chef de clinique médicale à la Faculté de Montpellier.
La contracture des hémiplégiques est bien connue au point de vue cli-
nique et reste encore un sujet de discussion au point de vue pathogé-
nique.
L'hémiplégie de l'adulte peut s'accompagner de contractures précoces
ou tardives ; précoces, elles surviennent pendant l'ictus, ont un pronostic
ordinairement sévère, mais cèdent rapidement en cas d'amélioration dans
l'état du malade ; tardives, elles apparaissent quelques jours ou quelques
semaines après le début des accidents, après avoir été précédées des signes
prémonitoires tels que l'exagération des réflexes tendineux, elles arrivent
à immobiliser les divers segments du membre atteint dans des positions
fixes, immuables par suite de rétractions tendineuses.
Il est exceptionnel que les contractures précoces se transforment, sans
rémission, en contractures permanentes : les deux variétés sont nettement
différenciées par les classiques.
Les contractures précoces traduisent habituellement la participation des
méninges au processus hémorrhagipare, l'inondation ventriculaire; les
contractures tardives sont le fait de la dégénérescence descendante du fais-
ceau pyramidal.
L'apparition, avec l'hémiplégie, de contractures précoces, qui ne cè-
dent pas et se transforment en contractures permanentes, est un événement t
rare : cependant dans le Traité de pathologie générale de M. Bouchard, à
l'article Séméiologie du système nerveux (tome V), M. Dejerine signale la
possibilité de ce mode d'évolution des contractures : « Quelle que soit son
242 GAUSSEL
intensité, cette contracture précoce est en général passagère ; dans certains
cas cependant elle persiste et se transforme alors en contracture perma-
nente » (p. 477).
L'attitude habituelle des membres contracturés est la flexion pour le
membre supérieur et l'extension pour le membre inférieur ; mais les ty-
pes inverses peuvent s'observer dans quelques cas.
A côté de l'hémiplégie de l'adulte, il faut mentionner les contractures
et les attitudes bizarres observées dans l'hémiplégie cérébrale infantile.
Au cours de cette dernière affection, les positions prises par les membres
peuvent être des plus variées : aux extrémités en particulier, qui sont
souvent le siège de mouvements athétosiques, les déformations impriment
aux doigts et aux poignets des attitudes qui rappellent en quelque sorte
une position athétosique figée.
En somme, contractures précoces et contractures tardives chez l'adulte,
contractures permanentes de l'hémiplégie infantile ont des caractères or-
dinairement bien tranchés, et une histoire clinique nettement définie.
Nous avons eu l'occasion d'observer une malade, atteinte d'hémiplégie
droite avec aphasie, chez qui les contractures, au niveau du poignet et de
la main, faisaient songer à une hémiplégie de l'enfance alors qu'il- s'agis-
sait en réalité d'une hémiplégie survenue à 62 ans et compliquée de con-
tractures précoces et permanentes.
- Nous avons joint à l'observation que l'on va lire, des photographies de
sa main où l'on peut voir nettement les déformations que présentait notre
malade.
Observation.
La nommée MélanieS..., âgée de 63 ans, entre à l'hôpital suburbain, dans le
service de M. le professeur Grasset, le 30 décembre 1904.
Elle est hémiplégique et aphasique, aussi le premier examen, en l'absence
de tout renseignement de la part de la famille, ne pouvait-il permettre un
diagnostic exact : l'aspect de la main et du pied du côté paralysé donnent
l'impression d'une hémiplégie cérébrale infantile avec contractures.
L'histoire de la malade en réalité était bien différente, ainsi qu'il résulte des
renseignements fournis par son gendre.
Cette femme n'avait jamais été malade avant le mois de mai 1903 ; mar-
chande d'allumettes de contrebande, elle menait une vie active et, par suite de
sa profession, marchait une partie de la journée.
Le 9 mai 1903, elle est renversée par une voiture et se fracture la jambe
droite, ce qui nécessite son entrée à l'hôpital dans une salle de chirurgie.
Elle s'y trouvait encore au mois d'octobre 1903, la plaie de sa fracture
ouverte ayant longtemps suppuré, lorsqu'un matin, après la visite, elle est prise
d'une attaque d'apoplexie, perd connaissance.
Nouvelle Iconographie de la SALPETKtÈRE.
T. XVIII. Pl. XXXV
CONTRACTURES PRÉCOCES ET PERMANENTES DANS UN CAS D'HÉMIPLÉGIE
DE L'ADULTE
(A. Gaussel)
CONTRACTURES PRÉCOCES ET PERMANENTES 243
Dès ce moment le côté droit est paralysé et les contractures s'installent
précoces ; la main droite est contracturée en flexion.
La famille, dans la crainte d'un décès, emporte la malade en ville, avant que
la perte de connaissance ait cessé. Après trois jours la période comateuse cesse
progressivement, la malade paraît s'intéresser à ce qui se passe autour d'elle ;
on s'aperçoit alors qu'elle ne parle pas. bien qu'elle comprenne ce qu'on lui
dit. Il n'y a jamais eu de surdité verbale. Cette femme n'ayant jamais appris à
lire et écrire, il ne saurait être question d'agraphie ou d'alexie.
L'aphasie motrice proprement dite est le seul trouble du langage que l'on
ait pu constater : elle a persisté et est encore très nette.
Quand cette malade a repris connaissance, elle paraissait souffrir beaucoup
de son côté droit, les contractures s'accompagnant de douleurs qui amenaient
des cris dès qu'on voulait mobiliser les articulations.
La déviation de la main et des doigts en flexion, l'attitude en extension
forcée du pied, du côté droit, ont été notées dès le début, et, fait important t
n'ont jamais disparu depuis. -
La seule amélioration, au dire de son entourage, consisterait dans une faci-
lité plus grande à répéter les mots qu'on lui dit, chose dont elle était absolu-
ment incapable au début. Elle a dû apprendre à nouveau les noms de ses
enfants et les répète d'ailleurs imparfaitement.
Las de garder auprès d'eux une malade qui ne paraissait pas s'améliorer et
qui ne semblait pas devoir guérir, incommodés d'ailleurs par les cris que
pousse cette femme, un peu geignarde, mais qui souffre réellement de ses
membres contracturés, ses enfants l'ont fait admettre une seconde fois à l'hô-
pital où elle est entrée dans un service de médecine le 30 décembre 1904.
A notre premier examen nous avons été d'abord frappé de l'aphasie sans
surdité verbale. La malade peut répéter quelques mots courts, sans les trouver
spontanément elle-même. Si on lui montre un objet, elle n'en trouve pas le
nom, même lorsqu'on le lui dit au milieu d'autres mots.
Mais les caractères de l'hémiplégie droite sont surtout intéressants. A la
face, on constate une légère déviation des traits à droite, dans le domaine du
facial inférieur, plus marquée quand la malade fait des mouvements de la face,
et tenant à la contracture dans le domaine du facial inférieur droit.
Le membre supérieur droit complètement paralysé est dans une attitude
très caractéristique. Le bras est collé contre le tronc ; il semble y avoir un
peu d'arthopathie de l'épaule, car toute tentative pour mobiliser le membre
supérieur, arrache des cris à la malade (PI. XXXV).
Le coude est dans la demi-flexion, on peut lui imprimer des mouvements
très limités d'extension. L'avant-bras est dans une attitude de pronation très
marquée. Au niveau du poignet la main est en flexion à angle droit sur l'avant-
bras et en même temps il y a un certain degré d'inclinaison de la main sur
le bord cubital. Elle est pour ainsi dire fixée dans cette attitude par la contrac-
ture des fléchisseurs et du cubital ; il est impossible de la redresser.
Les doigts doivent être étudiés séparément. En commençant par le bord
244 GAUSSEL
cubital de la main, il est évident que le petit doigt et l'annulaire forment une
griffe à la constitution de laquelle participent les trois phalanges de ces deux
doigts qui sont fortement fléchies dans la main. Le médius est également en
flexion sur le métacarpien, mais la flexion est moins forte que pour l'annu-
laire et le petit doigt et de plus il est déjeté latéralement sur l'annulaire.
L'attitude de l'index est plus singulière : sa première plalange est en ex-
tension sur le métacarpe, tandis que la deuxième et la troisième sont fléchies.
Le pouce est en adduction bien marquée et légèrement .fléchi dans la paume
de la main.
Il est à remarquer que cette attitude est fixe pour chaque doigt, les divers
segments des doigts paraissant ankylosés l'un par rapport à l'autre. Il est im-
possible de faire ouvrir le crochet formé par l'index ou de vaincre la flexion
des phalanges des autres doigts. Au contraire, chaque doigt, pris isolément,
peut en totalité être mobilisé par rapport au métacarpien auquel il fait suite.
Il n'y a donc pas, au niveau des articulations métacarpo-phalangiennes, la
même raideur qu'au niveau des doigts ou du poignet.
La sensibilité, au membre supérieur, ne présente pas de troubles objectifs,
il n'y a ni anesthésie ni hyperesthésie ; s'il faut en juger par les cris que
pousse la malade, les mouvements provoqués, surtout les mouvements de l'é-
paule, s'accompagnent de vives douleurs.
Les réflexes sont exagérés à l'avant-bras ; il n'y a pas de troubles trophi-
ques par rapport au côté sain.
Le membre inférieur droit est le siège de mouvements fort limités. C'est à
peine si la malade peut le soulever légèrement au-dessus du plan du lit.
Elle ne peut imprimer aucun mouvement à sa jambe, à son pied, il ses
orteils. Cela tient en partie à la contracture très prononcée.
La jambe est dans l'extension sur la cuisse, le pied dans l'extension forcée
forme un pied-bot varus équin avec pied creux très caractéristique.
Les orteils sont fléchis sur la plante du pied, l'exception du gros orteil qui
est plutôt en extension.
A la partie inférieure de la face antérieure de la jambe, on voit la cicatrice
de son ancienne fracture.
La contracture au niveau du pied est telle que l'on ne peut corriger l'atti-
tude vicieuse du' pied-bot varus équin, ces tentatives sont d'ailleurs doulou-
reuses. A part des douleurs provoquées il n'y a aucun trouble de sensibilité.
Les réflexes rotuliens sont manifestement très exagérés, ils sont un peu vifs
du côté gauche.
La recherche du signe des orteils (signe de Babinski) ne donne pas de ré-
sultats précis.
Telle est la description de l'hémiplégie de notre malade. Ajoutons un der-
nier détail : cette femme n'a jamais présenté de manifestations rhumatismales,
bien que les déformations de la main rappellent certaines attitudes de rhuma-
tismes chroniques, d'ailleurs l'unilatéralité et les troubles parétiques ne per-
mettent pas de penser 1 autre chose qu'à une hémiplégie.
CONTRACTURES PRÉCOCES ET PERMANENTES 24S
L'examen des divers appareils et viscères ne révèle rien qui mérite d'être
signalé.
Actuellement, cette femme est dans le service depuis deux mois et aucune
modification ne s'est produite dans son état.
Telle est l'histoire clinique de notre malade. Il s'agit en somme d'une
femme qui, sans aucun prodrome, est frappée d'hémiplégie droite avec
aphasie. Des contractures précoces apparaissent, qui, au lieu de céder, se
transforment en contractures permanentes ; il en résulte une attitude par-
ticulière de la main et du pied comparables à celles que l'on remarque
dans l'hémiplégie de l'enfance,
À quelle cause rapporter cette hémiplégie ? Quel est le siège de la lé-
sion ?
Nous croyons pouvoir l'attribuer à une hémorrhagie corticoméningée
qui a intéressé et détruit les circonvolutions de la région périrolandique
gauche et la partie postérieure de la 3° circonvolution frontale.
Il est permis de rapprocher de notre cas l'observation de M. Dejerine,
à la page 483 de l'ouvrage déjà cité, où l'on voit la photographie .d'un su-
jet âgé de 68 ans atteint d'hémiplégie droite avec aphasie remontant à
3 ans. L'avant-bras est fortement fléchi sur le bras, le poignet et la main
ont une attitude analogue à celle de notre malade. Or l'autopsie démontra
qu'il s'agissait, dans le cas de M. Dejerine, d'une lésion corticale pla-
que jaune de la région rolandique moyenne et de la partie postérieure
des 2e et 3e circonvolutions frontales.
Chez notre malade, la précocité des contractures, la douleur du début
et dans la suite, la perte de connaissance assez prolongée, l'absence de
tout prodrome, l'intégrité de l'appareil cardiaque nous font admettre une
hémorrhagie comme cause de l'hémiplégie.
Il est quelques points de cette observation qui méritent d'être mis en
lumière. /
C'est d'abord la persistance des contractures survenues d'une façons
précoce, fait qui n'est pas habituel : tous ceux qui se sont occupés de cette*
question des contractures chez les hémiplégiques, Bouchard,Strauss,Bris-
saud, etc., ont admis le caractère passager des contractures précoces ; leur
opinion est aujourd'hui classique. Cette femme an contraire a eu ses mem-
bres contracturés dès son ictus et les contractures n'ont jamais cédé.
Il convient de faire remarquer les déformations des extrémités paraly-
sées, surtout celles du membre supérieur. On n'y retrouve pas le type
habituel des attitudes de flexion des hémiplégiques adulte et l'impression
produite par la main est plutôt celle d'une main d'hémiplégie cérébrale
infantile ; étant donné l'âge de la malade, le fait méritait d'être signalé,
car il s'agit ici d'une hémiplégie survenue après 60 ans.
246 GAÙSSEL
On remarquera, d'après les photographies de la main, combien celle-ci
a d'analogie avec celles des figures des pages 513 et 515 de l'ouvrage déjà
cité de M. Dejerine qui se rapportent à des cas d'hémiplégie cérébrale in-
fantile..
Nous n'avons pas joint la photographie du membre inférieur droit : la
description que nous en donnons suffit à le caractériser ; nous dirons seu-
lement que par son équinisme varus excessif avec pied creux, le pied de
notre malade rappelle beaucoup une ancienne hémiplégie de l'enfance.
En somme, parleur apparition précoce et leur évolution, par les défor-
mations qu'elles ont entraînées, les contractures observées chez notre ma-
lade présentent un certain intérêt : c'est ce qui justifie les quelques lignes
de description et les reproductions photographiques que nous leur avons
consacrées.
Nouvelle Iconographie DE la SALPêTRIèRE.
T. XVIII. Pl. XXXVI
MYASTHENIE HYPOTONIQUE MORTELLE
(E. DuPré et P. Pllgl/iez)
A Facies de la malade : absence de rides, expression permanente de fatigue et de somnolence.
B La malade essayant de fermer les yeux : occlusion incomplète des paupières et des lèvres ; le
\ l' r- ? 1' il "" : ...T1J\hr'q}l An . rnyArntW (fac1eC; Oel1dO-l1 ! }'Op,.q,thique).
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS.
MYASTHÉNIE HYPOTONIQUE MORTELLE
PAR
E. DUPRÉ et P. PAGNIEZ
La maladie actuellement désignée sous le nom de myasthénie grave, de
paralysie bulbaire asthénique, de syndrome d'Erb (et nous ne donnons
ici que quelques-uns des synonymes d'une liste déjà très riche) est encore
à l'heure actuelle à l'étude. La nature exacte de l'affection, les raisons de
sa gravité nous échappent encore, malgré le nombre relativement grand
des observations jusqu'ici publiées.
Nous avons eu l'occasion d'étudier longtemps ensemble, dans le service
du professeur Dejerine, une malade atteinte de cette affection, que nous
avons présentée à la Société de Neurologie dans la séance du 6 février 1902,
et dont l'histoire morbide a évolué à la suite de cette présentation pendant
plusieurs mois. Cette malade a fini par succomber aux progrès de son
affection ; nous avons pu faire sa nécropsie et son observation fait le sujet
de notre travail.
Les observations jusqu'ici publiées de myasthénie, dans ses différentes
variétés, bulbaire, spinale, etc., diffèrent par plusieurs traits de celle
de notre malade, dont l'histoire rentre incontestablement cependant dans
le cadre de la myasthénie. Nous ne saurions donner une meilleure preuve
de cette assertion, qu'en disant tout de suite ici que, au cours de la discus-
sion dont la malade a été l'objet devant la Société de Neurologie, plu-
sieurs membres de cette Société savante ont beaucoup hésité sur la nature
réelle de l'affection, et que certains d'entre eux ont émis le diagnostic
d'hystérie et de nature psychique des accidents. Or,non seulement l'étude
soigneuse de la malade (observation clinique, essais thérapeutiques infruc-
tueux, en particulier par la suggestion sous toutes ses formes) nous avait
permis déjà d'écarter le diagnostic d'hystérie; mais l'évolution ultérieure
de l'affection fut conforme à notre diagnostic de myasthénie grave,et enfin
la mort au milieu d'accidents bulbaires est venue lui apporter la con-
firmation la plus péremptoire.
Observation (PI. XXXVI).
L..., âgée de 32, ans est entrée le 24 août 1901 salle Pinel, lit 24, dans le
248 8 DUPRÉ ET PAGNIEZ
service du professeur Dejerine à la Salpêtrière, pour une faiblesse générale et
profonde la mettant dans l'impossibilité de se livrer à aucun travail.
Son hérédité est relativement peu chargée. Son père est mort à 78 ans d'hé-
morragie cérébrale, mais il est à retenir que sa mère est morte à la Salpêtrière
après y avoir été hospitalisée pendant deux ans pour une maladie de Parkinson.
Un seul frère, bien portant.
Dans les antécédents de la malade on relève seulement des « convulsions »
peu intenses dans l'enfance, une varicelle probable vers l'âge de 2 ans, une
coqueluche à l'âge de 20 ans.
Réglée à 14 ans, elle se marie à 29 ; survient une grossesse suivie d'accou-
chement à terme ; l'enfant bien portant est actuellement âgé de 22 mois. Sa
vie conjugale a été très accidentée ; son mari brutal, d'un caractère difficile, l'a
rendue très malheureuse et l'a quittée un mois avant son accouchement ; cet
abandon a causé à la malade un très violent chagrin. C'est à cette date que
remontent les premiers symptômes de l'affection actuelle c'est-à-dire une sen-
sation de faiblesse dans les mains et dans les membres inférieurs avec tendance
au dérobement des jambes. On note à ce moment, comme épisode intercurrent,
une grippe légère.
L'accouchement a lieu en mars 1900 ; il est suivi, 12 heures après, de crises
d'éclampsie qui durent toute une nuit : un peu d'albumine avait été constatée
dans les derniers temps de la grossesse.
La malade guérit de son éclampsie ; à partir de ce moment, elle accuse une
faiblesse très accentuée, rendant la marche difficile et tout exercice musculaire
très pénible. Aucune douleur, aucun autre phénomène qu'une lassitude pro-
fonde, avec grande difficulté pour accomplir les actes de la vie journalière et
une insomnie assez rebelle. Cet état demeure stationnaire pendant un an 1/2 ;
la malade, qui allaite elle-même son enfant, peut cependant continuer, mais avec
peine, son métier de couturière et subvenir à ses besoins, à ceux de son enfant
et de sa mère.
La faiblesse et l'impotence faisant des progrès et rendant le travail peu à peu
impossible, elle se décide à entrer à la Salpêtrière en août 1901.
Si nous résumons cette première période, nous voyons une asthénie,à début
assez brusque, survenant à la suite d'un choc moral violent, chez une femme
dont les préoccupations d'ordre matériel et moral ont été très vives pendant
plus d'un an.
A l'entrée, on note une faiblesse musculaire extrême : la malade ne peut que
difficilement s'asseoir dans son lit, il lui est impossible de tenir un bras élevé,
elle n'arrive pas à soulever les jambes au-dessus du plan du lit. Les mouve-
ments de la vie journalière (pour manger, se coiffer, se laver, etc.) sont extrê-
mement difficiles. La marche est pénible, très lente et la fatigue survient si
marquée après quelques pas qu'elle devient impossible.
L'examen de tous les organes, des urines, etc... ne révèle rien d'anormal; la
malade, comme une neurasthénique, est mise au repos absolu au lit, à la sura-
limentation et au traitement par la liqueur de Fowler.
MYASTÉNIE HYPOTONIQUE MORTELLE 249
, D'août à décembre, modifications peu importantes. L'asthénie persiste sans
modifications ; l'insomnie seulement disparaît peu à peu ; le poids reste à peu près
stationnaire, 69 kilogs (83 kilogs à 18 ans). Quelques furoncles surviennent aux
fesses au moment des règles, qui sont normales. L'arsenic est remplacé par le
glycéro-phosphate de chaux puis par l'ovo-lécithine, sans .succès d'ailleurs.
De décembre à février, modifications très légères. Le sommeil est bon, l'as-
thénie est moins intense ; la malade peut maintenant marcher un peu,les mou-
vements nécessaires à l'acte de manger, de se coiffer, sont plus faciles. Le poids
n'a pas varié.
Etat actuel (février 1902). Femme grande, bien développée, facies un
peu pâle, sans rides, avec expression de lassitude accentuée et d'atonie. Ce fa-
cies rappelle un peu celui de certains myopathiques, aux traits effacés et sans
relief (1). Les extrémités sont un peu violacées et froides.
La peau est normale, sans exagération, généralisée ou localisée dans la pig-
mentation. Embonpoint marqué.
Les conjonctives sont un peu pâles, la muqueuse de la bouche est normale, les
dents ne présentent pas de malformations intéressantes. .
Du côté du tube digestif, on ne note qu'une constipation modérée, l'appétit
est bon, les digestions faciles, quelques symptômes d'entéro-colite muco-mem-
braneuse. Léger degré de dilatation de l'estomac.
L'appareil respiratoire est normal, à tous les points de vue.
. Les bruits du coeur sont réguliers, le pouls petit est un peu faible.
Les urines ne sont pas modifiées dans leur composition, tant au point de vue
de l'urée, qu'au point de vue des phosphates. Pas de sucre, pas d'albumine.
Le rein droit est abaissé et mobile. On ne note pas d'autres ptoses viscérales.
La sangle abdominale est d'ailleurs intacte ; pas d'éventration.
Les règles, normales, durent 4 à 5 jours. Pas de leucorrhée.
La malade n'a pas de céphalée, pas de rachialgie et d'une manière générale
ne se plaint d'aucun phénomène douloureux. Le sommeil est bon, sans cau-
chemars.
Pas de stigmate neurasthénique net.
Toutes les sensibilités sont conservées sans exagération, ni diminution. Pas
de rétrécissement du champ visuel. Aucun symptôme actuel d'hystérie; il y
aurait eu, à l'époque de l'apparition des règles, quelques légères crises nerveuses
qui se sont reproduites depuis, à intervalles très espacés (5 ou 6 en tout). Pas
d'émotivité exagérée.
Lorsqu'on étudie le fonctionnement des différents muscles, on voit qu'aucun
n'est paralysé ; mais leur contraction, très lente et très faible, n'aboutit que très
imparfaitement à l'effet utile. Si l'on prescrit par exemple à la malade de tenir
le bras fléchi et qu'on cherche à l'étendre, on ressent au début une résistance,
d'ailleurs très minime, due à la contraction du biceps, mais celle-ci ne dure
(1) Voir une intéressante observation de Londe et ·feige" et comparer en particulier
la figure 47 de ce travail avec nos photographies, Londe et Mkige, Myopathie primi-
tive généralisée. Nouv. Iconogr. de la Salpètr., ne 3, 1894.
XVIII 17 i
230 DUPRÉ ET PAGNIEZ
pas et cesse brusquemement, le membre devenant aussitôt absolument flasque.
L'exploration dynamométrique donne à la main droite 20, puis 18 à une
deuxième pression, à la main gauche 22 puis 15. L'épuisement semble donc
très rapide.
Cette faiblesse de contraction musculaire, absolument généralisée, donne
lieu à des modifications intéressantes dans les différents mouvements coordon-
nés.
La marche est difficile, lente, et s'effectue avec une sorte de mouvement de
roulis du bassin, les pieds étant très peu soulevés au-dessus de terre.
Si, la malade étant debout, on lui prescrit de monter dans son lit, elle
approche une chaise du lit, soulève avec les deux mains le membre inférieur
gauche en le prenant au niveau du jarret et amène ainsi le pied sur la chaise.
Puis saisissant la corde de son lit, elle se hisse péniblement, de façon à
s'asseoir sur le bord du lit. Elle prend alors successivement ses jambes avec
ses mains, les range l'une à côté de l'autre, comme des corps étrangers, et
achève de se coucher par une série de mouvements de torsion du tronc aidés
par le soulèvement du corps au moyen des mains.
Si on lui demande de se coucher par terre, elle esquisse la flexion des jambes
sur les cuisses et des cuisses sur le bassin, puis s'effondre et s'allonge d'un
coup. Cet « étalement » est si brusque, qu'il est nécessaire de la soutenir pour
empêcher la tête de frapper le sol, en s'abattant à terre.
II lui est impossible de se relever sans aide,quand elle est couchée. De même,
quand elle est assise sur le sol, elle peut arriver se mettre à genoux, mais ne
peut aller plus loin sans se servir d'un point d'appui auquel elle se cramponne
avec les mains.
Tous les muscles sont également frappés de la même asthénie. Il en résulte
une impotence fonctionnelle diffuse, générale, et remarquable dans l'exécution
de tous les actes, spontanés et provoqués, de la vie courante. La malade se
comporte, dans tous ses mouvements, comme une myopathe (action de se le-
ver, de marcher, etc.).
L'examen de la musculature ne révèle eu aucun point d'atrophie, même peu
accentuée]; mais montre au contraire un degré très marqué d'hypotonie qui
permet de dépasser l'angle droit dans la flexion du membre inférieur sur le
bassin. Cette hypotonie est appréciable des deux côtés et aux quatre membres.
Elle est comparable à celle que l'on observe chez les tabétiques. Pas de cra-
quements articulaires . Cette hypotonie permet à la malade d'exécuter des
mouvements provoqués d'une amplitude d'excursion tout à fait insolite (rota-
tion de la tête, etc.), ainsi qu'on peut facilement s'en rendre compte par les
photographies ci-jointes.
Les réflexes patellaires sont un peu exagérés et d'ailleurs égaux. Le réflexe
plantaire est normal ; le réflexe abdominal un peu lent.
Les pupilles sont égales ; leur contraction à la lumière est très rapide.
Les réactions électriques, d'après un examen dû à l'obligeance de M. Huet,
sont absolument normales ; pas de réaction de dégénérescence, pas de réaction
d'épuisement.
MYASTHÉNIE HYPOTONIQUE MORTELLE 251
Cette myasthénie avec hypotonie intéresse l'ensemble de la musculature
(membres, colonne vertébrale, muscles masticateurs et orbitaires de la face).
Elle se marque également au niveau de la langue et des muscles phonateurs ;
la fatigue vocale est facile et rapide. Mais on ne note aucun signe de paralysie
bulbaire : il n'existe de troubles paralytiques ni dans la déglutition, ni dans la
mastication, ni dans l'élocution. Le réflexe pharyngé est conservé. Il n'y a pas
d'écoulement de salive.
Au niveau des masticateurs, la faiblesse constatée est telle, que le doigt, in-
troduit entre les molaires postérieures, peut y être laissé, lorsqu'on ordonne à
la malade de mordre aussi fort que possible ; on ne ressent, daus cette expé-
rience, qu'une constriction très supportable et nullement douloureuse. En re-
nouvelant l'essai, la morsure s'affaiblit rapidement dans son énergie ; et, d'au-
tre part, la malade avoue qu'à la fin d'un repas sommaire, composé d'ailleurs
d'aliments en purée, la mastication devient pénible et qu'elle ressent de la fati-
gue dans les joues.
Les accidents continuèrent à évoluer dans le même sens général sans appari-
tion de phénomènes à proprement parler nouveaux.
Au retour de la Société de Neurologie, la malade fut soumise au traitement
par l'isolement et la psychothérapie suivant la méthode du professeur Dejerine
et on obtint une certaine amélioration de l'asthénie. La marche en particulier
devint plus facile et certains collègues purent croire un moment à la possibilité
de la nature fonctionnelle du syndrome.
Mais, en octobre 1902, sans cause occasionnelle appréciable, la malade fut
prise de dyspnée avec petitesse du pouls, affaiblissement des bruits du coeur et,
en 48 heures, elle succombait dans le collapsus cardiaque.
Nécropsie. L'autopsie, dont nous devons les résultats à l'amabilité de
notre ami Armand Delille, révéla les particularités suivantes.
Le coeur, d'apparence absolument normale, ne présentait aucune lésion orifi-
cielle, ni modifications de coloration ou de consistance du côté du myocarde.
,Les poumons étaient sains avec un peu de congestion oedémateuse des bases.
Le foie, un peu volumineux, pesait 2 kilogs, la rate grosse, non diffluente,
350 grammes. Les reins (320 grammes pour les deux) se décortiquaient facile-
ment ; pas de diminution de la substance corticale.
Les capsules surrénales entourées de tissu adipeux paraissaient intactes ; de
même le corps thyroïde, pesant 20 grammes.
Le thymus existait et pesait 8 grammes.
L'examen macroscopique des centres nerveux : cerveau, bulbe, moelle, ne
révéla aucune particularité anormale.
Examen histologique. On ne constate au microscope aucune lésion de la
rate, du corps thyroïde et du thymus ; ce dernier organe en particulier, qui
dans le cas de myasthénie de Laquer-Weigert était le point de départ d'une tu-
meur, ne présente ici aucun caractère pathologique : les corpuscules de Hassalt,
en petit nombre, sont bien conformés, les éléments cellulaires ne présentent
pas de phénomènes de karyokinèse active ; il n'existe pas de sclérose.
252 DUPRE ET PAGNIEZ
Nous avons examiné un fragment de muscle provenant du thyro-hyoïdien :
les fibres musculaires ont conservé leurs dimensions, leur forme, leurs affini-
tés tinctoriales. Il n'existe pas de phénomènes de dégénération, ni d'indices de
réaction inflammatoire : la multiplication des noyaux est insignifiante. Le tissu
interstitiel est le siège d'une très légère sclérose périfasciculaire qui reste
cantonnée aux grands espaces conjonctifs. Les pneumogastriques et les phréni-
, ques, examinés par dissociation après imprégnation par l'acide osmique, sont
sains.
La protubérance, le bulbe, en trois régions différentes, supérieure, moyenne
et inférieure, la moelle au niveau du renflement cervical ont été examinés après
coloration par le carmin et après traitement par les méthodes de Weigert-Pal
et de Nissl. Les coupes de moelle ont été de plus traitées par la méthode de
Marchi. Par ces différents procédés nous n'avons pas pu mettre en évidence de
lésions cellulaires ou de lésions de dégénérescence fasciculaire récente ou an-
cienne.
Cette observation présente un grand intérêt par les analogies étroites et
aussi les dissemblances qu'elle offre avec les cas jusqu'ici publiés de la
même affection. Par l'absence de toute étiologie saisissable, par l'ensem-
ble de ses caractères cliniques et évolutifs, par sa terminaison mortelle
même, par le néant des lésions anatomiques, notre cas appartient sans
conteste à la série des myasthénies graves pseudo-paralytiques, auxquelles
les travaux les plus intéressants ont été consacrés en nombre croissant
dans ces dernières années (1). Par contre, elle diffère des cas précédents
par deux moments, deux particularités cliniques importantes. La première
est cette sorte de contraste qui existe entre le caractère spinal diffus de l'évo-
lution clinique et la nature bulbaire des accidents ultimes ; la malade, qui
n'avait présenté au cours de son affection qu'un minimum de symptômes
bulbaires, meurt tout à coup par le bulbe. C'est cette discordance même
qui n'avait pas permis de prédire ici l'éventualité aussi prochaine d'une
telle mort,dont on voit au contraire, se dessiner progressivement dans les
(1) La bibliographie de la question est trop étendue pour être indiquée ici. Nous
signalerons seulement les travaux suivants dans lesquels on trouvera l'indication
très complète de tous les documents cliniques et anatomiques : OPPENHEim, Die
niyasienische Paralyse, Berlin, S. Karger, 1901 ; GOLDFLA M, Weiteres itber die asthe-
nische Lâlzmung nebst einer Obductions befund, Neurol. central Blitt., février 1902 ;
W. Sinklkr, Myasthénie grave ou paralysie bulbaire asthénique, Philad. med.
Journ.,8 février 1902 ; RAYMOND, Un cas d'asthénie bulbo-spinale, Syndrome d'Erb-
Golflam ; Presse médicale,26 février 1902 ; J. IIEY, Zur Kasuislik der Myaslhenia gravis
pselldo-paralitica, Munch mediz. Wochenschr., nos 43-44, 1903 ; Guillain, La paralysie
bulbaire asthénique, in Traité de CitAMOT-BoucHAnD, 2 édit., Paris 1904, p. 537. -
On trouvera notamment dans le travail que nous citons de M. J. Hey, fait à la clini-
que psychiatrique de la Charité dans le service du professeur Jolly, une étude critique
très consciencieuse de la maladie à propos de deux observations personnelles et noz
tamment une étude de l'examen électro-diagnostique (Mya R).
MYASTÉNIE HYPOTONIQUE MORTELLE 253 3
autres observations de myasthénie bulbaire la possibilité, puis la proba-
bilité et enfin l'imminence. Ce contraste contribue cependant, tout en dif-
férenciant notre cas de ceux jusqu'ici publiés, à justifier la conception gé-
nérale de la nature bulho-spinale de cette affection, même lorsqu'elle a
une expression presque purement myélopathique.
La seconde particularité clinique est l'existence de cette hypotonie qui
représente vraiment un caractère majeur de l'histoire de notre malade.
Cette hypotonie, tout à fait comparable à celle du tabes, ne s'accompa-
gnait d'ailleurs d'aucune modification appréciable de la réflectivité.
Au point de vue anatomique,notre observation obéit à la loi à peu près
générale de l'histoire anatomique de la myasthénie,puisque nous n'avons
constaté aucune lésion du système nerveux central ou périphérique. Nous
ne connaissons jusqu'ici que de rares dérogations à cette loi. Dejerine et
Thomas ont constaté, dans un cas de paralysie bulbaire asthénique, des lé-
sions atrophiques marquées des fibres pyramidales dans leur trajet bulbo-
protubérantiel (1). Quelques observateurs, Nissl entre autres, cités par
Guillain dans son remarquable article, ont vu des lésions cellulaires
nettes. Mais, à côté de ces faits, la majorité des observateurs n'ont relevé
aucune lésion. Indépendamment de ce caractère négatif fondamental,
l'autopsie, dans quelques cas de myasthénie pseudo-paralytique,a permis
à certains auteurs d'établir l'existence, de deux ordres de lésions extra-
nerveuses. D'une part, des tumeurs à siège variable et de nature histolo-
gique très dissemblable ; et, d'autre part, des lésions musculaires. Les tu-
meurs observées ont été soit un kyste de l'ovaire (Dreschfeld), soit une
tumeur bénigne du rein (Oppenheim), soit des tumeurs d'origine thymi-
que (Laquer-Weigert, Hansermann, Hun-Bloomer et Streeter). Les lésions
musculaires enregistrées dans les cas de Goldflam, de Laquer-Weigert,
de Hun-Bloomer-Streeter (1) étaient concomitantes de l'existence d'une
tumeur. Caractérisées par des infiltrations cellulaires entre les fibres
musculaires, ces lésions ont été interprétées comme des métastases de la
tumeur constatée dans ces cas. Mais ces lésions musculaires ne sont pas
constantes et Goldflam, en particulier,examinant les muscles par biopsie,
n'a rien trouvé dans deux cas.
Le fait que plusieurs fois on a trouvé à l'autopsie de ces malades une
tumeur du thymus,a attiré l'attention de Weigert, qui se demande si sem-
(1) Dejerine ET Thomas, Revue Neurologique, janvier 1901.
(2) HUN-BLOOAfEIi et Streeter, Albany medical Journal, janvier 1904. Cette obser-
vation, concernant un homme de 32 ans mort avec un syndrome myasthénique,est,
par ses constatations nécropsiques,'le pendant du cas de Laquer-Weigert : intégrité
du système nerveux central et périphérique ; lympho-sarcome du thymus et infil-
tration lymphoide des muscles.
254 DUPRÉ ET PAGN1EZ
blables néoplasmes ne ppurraient,par l'intermédiaire de produits cellu-
laires anormaux,réaliser le syndrome myasthénique. Cette interprétation,
qui d'ailleurs n'était de la part de son auteur qu'une simple hypothèse
ne devant s'appliquer qu'à un certain nombre de faits, ne peut certaine-
ment être invoquée dans notre cas. Sans doute, nous avons bien constaté
une persistance du thymus ; mais par ses caractères macroscopiques (poids
de huit grammes) aussi bien qu'histologiques,ce thymus est une glande
normale. La persistance même du thymus peut être envisagée comme un
fait pathologique ; mais on connaît la fréquente relative de cette anoma-
1 ie ; et, comme nous n'avons constaté l'existence d'aucune néoplasie dans
le système musculaire, il nous parait impossible d'établir une relation
de cause à effet entre cette anomalie insignifiante et la maladie et la mort
de notre malade.
R° OSPEDALE MAURIZIANO UMBERTO I DI TORINO.
SERVICE DU PROFESSEUR GRAZIADEI.
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES
SOUS LA DÉPENDANCE DU SYSTÈME NERVEUX
(ROLE DE LA. SÉCRÉTION LYMPHATIQUE DANS LEUR PATHOGÉNIE)
(Suite et fin).
PAR
I. VALOBRA
Médecin de l'hôpital Umberto Ier, à Turin.
Ce n'est pas dans les traités, mais c'est en consultant patiemment les mo-
nographies, les journaux médicaux, les mémoires spéciaux, que nous
pourrons esquisser le cadre général, étiologique et diagnostique de la ma-
ladie de Quinke par lequel nous désirons commencer notre travail.
Etiologie. Tous les auteurs sont d'accord sur un fait : les oedèmes de
Quinke sont l'apanage des névropathies, ou mieux des individus à sys-
tème nerveux faible, prédisposés aux maladies et chez lesquels les né-
vroses règnent.
Et les oedèmes, comme c'est le cas fréquent pour les maladies qui sai-
sissent les sujets de cette classe, peuvent se présenter avec un caractère
familial. [hier (4) (cinq générations : 22 sur 39 personnes). Ricochon
(trois générations (5). Stellesinger (6) (quatre générations)].
Quinke (1) observa chez le premier né d'un de ses malades des oedèmes
passagers et Valentin (7) remarqua que le deuxième né du même
patient souffrait-de la maladie dans ses premiers jours de sa vie. Dinkela-
ker{8), Strubing (9), Wagner (10), Falcone (11) ont relaté des observa-
tions de ce genre. Apert et Debille (12) tout récemment ont parlé d'une
famille où cinq mâles présentaient ces phénomènes.
C'est quelque chose de plus qu'une simple coïncidence ; parce que dans
tous ces cas les tuméfactions étaient idiopathiques, indépendantes de
toute maladie ou cause occasionnelle. Mais il n'en est pas toujours ainsi.
L'oedème transitoire surgit très souvent chez les individus chez lesquels
est en jeu une intoxication (et particulièrement une intoxication qui a
une action élective sur le système nerveux : éthylisme, CO, tabagisme, th y-
2S6 ' VALOBRA
roïdisme...) ou bien une maladie organique de l'axe cérébro-spinal ou
des nerfs périphériques. '
A propos des intoxications, je désire attirer l'attention sur ma quatrième
observation. Nous allons voir que les auteurs qui séparent l'urticaire de
l'oedème de Quinke affirment que la première survient à l'occasion de dé-
sordres intestinaux, tandis que cela n'arrive jamais pour la deuxième
forme. Cassirer (13) qui a fait une splendide monographie sur l'argument
doute de l'observation d'Higier (14) dans laquelle on trouva la réaction
de l'indican et où le malade guérit avec la désinfection intestinale :
Dans mon observation les désordres intestinaux et les réactions de l'in-
dican et des éthers sulfuriques eurent une marche parfaitement paral-
lèle aux phénomènes cutanés.
De plus, nous savons tous que les maladies par infection peuvent être
causes des oedèmes de Quinke. Dans le paludisme, c'est un fait très fréquent
[Negel (15), Riehl (16), Fuchs (17)] ; parfois même les oedèmes sur-
gissent au moment même de la fièvre, et disparaissent avec les sueurs
[Keefe (18), Matas (19)] ; parfois on obtient la guérison par le quinine
(Matas). Dogliotti (20) nous a démontré que le pneumocoque peut dans
la pneumonie franche déterminer les mêmes phénomènes.
Notre première observation prouve que le b. tiphique peut aussi produire
l'oedème de Quinke; le sérodiagnostic ne laisse aucun doute; d'ailleurs
les tuméfactions ne guérirent pas avec la fièvre en parfaite analogie avec les
manifestations toxiques des maladies infectieuses, elles se sont continuées
après la guérison des lésions locales originales. La faiblesse des réactions
de l'indican et des éthers sulfuriques nous prouve que l'infection était t
bien en cause, et non les fermentations intestinales qui n'étaient pas
très graves. Notre observation est confirmée par le cas récent ieHarns (21) :
Un garçon de il 2 ans présenta au déclin d'une fièvre typhoïde des oedèmes
circonscrits aigus et passagers : quelques jours après, survint une éruption
classique d'urticaire.
L'étiologie de l'hémoglobinurie dansnotre cinquièmeobservationest trop
peu claire pour nous permettre une conclusion certaine. Mais puisque
l'insolation comme le froid peut produire l'hémoglobinurie et l'oedème de
Quinke en même temps,il nous est permis de songer que l'hémoglobinurie
en soi fut un moment étiologique peu important.
Nous résumerons plus tard, à propos de la localisation des lésions, nos
connaissances sur la présence des oedèmes de Quinke dans les maladies
organiques du système nerveux (1).
(1) Je laisse à part les formes hystériques des maladies dont nous parlons. Quoique
la théorie du « matérialisme des névroses soit en grande faveur en neuropathologie,
nous sommes trop peu renseignés sur la nature des phénomènes hystériques pour
LES OEDÈMES AIGUS ET CHRONIQUES n7
Nous pouvons pourtant affirmer que ces oedèmes présentent dans leur
étiologie une faiblesse du système nerveux et très souvent une intoxication
de nature variée.
Symptomatologie. Nous connaissons la symptomatologie classique de
la maladie de Quinke : sur la peau survient un oedème circonscrit, d'une
grandeur variable, qui ne donne ni démangeaison ni douleur, qui s'éva-
nouit après un temps variant de quelques minutes à quelques heures.
Mais des nombreuses exceptions ont été décrites, lesquelles variations ap-
partiennent toutefois à la même maladie, quoique les premiers auteurs
qui ont étudié ces faits intéressants, n'aient pas eu l'occasion de les ob-
server.
Pour ce qui regarde la couleur des oedèmes, elle est souvent pâle,
mais dans nombreuses observations, elle était rosée, et parfois rouge, très
rouge.
Dans le malade de Milten (22), il y avait des oedèmes pâles, d'autres
rosés, et quelques-uns rouges vifs.
Le siège peut varier aussi : parfois les oedèmes sont irrégulièrement pla-
cés ; parfois ils ont une disposition nettement segmentaire : une main, un
avant-bras, la cuisse... (Cassirer). Les oedèmes ne donnent aucune sensa-
tion particulière ; mais parfois ils démangent (kirsch, 23) ; parfois même
s'accompagnent des douleurs [Du Castel (24), Wassyliew (25)].
Les altérations objectives de la sensibilité sont toujours très légères. Par
l'appareil de Zimmermann destiné à l'étude des points tactiles de Von Frey,
etdont je me sers pour l'étude des altératious légères de la sensibilité,
j'ai vu que le nombre des points tactiles sur l'unité de surface est dimi-
nué ; cela nous l'expliquerons par l'augmentation de la ^surface de la
peau tendue par l'oedème. Cependant le degré d'excitabilité des points
n'est pas diminué.
La température locale des oedèmes que j'ai étudiés, était toujours 0°, 5-1° Il
plus basse que celle de la peau voisine.
Diagnostic. Nous avons vu les caractères cliniques de l'oedème de
Quinke ; comment le diagnostiquer de l'urticaire et du trophoedème,
lesquels nous avons affirmé lui être cliniquement unis par des liens très
étroits ?
La maladie de Quinke a été pendant un certain laps de temps considérée
pouvoir en conclure.
Nous dirons seulement que l'hystérie peut simuler parfaitement l'urticaire (Dejerine),
l'oedème de Quinke (Cassirer), et particulièrement le trophoedème chronique (oedème
blanc de Sydenham, oedème bleu de Charcot). A ce propos, il faut se souvenir que le
trophoedème chronique peut être simulé par des sujets hystériques par la ligature
prolongée du membre (Lannois et Lançon) (26).
238 VALOBRA
comme une simple variété d'urticaire. Rapin (27) l'appelle « forme rare
d'urticaire » : Courtois-Suffit(%8), « urticaire oedémateuse»; Milton (22),
« geant urticaria » ; Hallopeau (29), congestion oedémateuse paraurtica-
rienne ». L'école allemande a séparé nettement les deux formes et elle a
si bien réussi, qu'à présent, tandis que l'urticaire trouve sa place parmi
les maladies de la peau, l'oedème circonscrit se trouve dans le chapitre
des maladies nerveuses, et cela dans les meilleurs traités classiques.
Je crois qu'en pathologie nous ne pouvons trouver un fait qui puisse
être comparé à ce fait de la séparation nette entre deux formes dont
l'étude même superficielle nous démontre le défaut de différences essen-
tielles.
Chacun connaît les caractères morphologiques de l'urticaire. Pas un
seul de ces caractères ne manque dans les phénomènes cutanés de l'oedème
de Quinke.
Pour ce qui concerne l'extension, nous connaissons des oedèmes gros
comme une noisette et comme la paume de la main, et nous avons des
poussés d'urticaire de la même grandeur.
La couleur ? C'est le caractère d'une importance majeure, car c'est
le signe de l'état des vaisseaux superficiels. Bazin (30) dont les livres
sont classiques, dans sa définition de l'urticaire parle des éléments
de la peau « plus rouges ou plus pâles que la peau saine ». Et nous avons
vu l'oedème de Quinke pouvoir se présenter plus pâle ou plus rouge que
la peau saine. Et encore une donnée très importante pour les conclusions
de pathogénie : Nombre d'auteurs ont décrit dans l'oedème de Quinke des
taches rouges de vasodilatation sur la peau [Wills and Cooper (31), Ya-
l'ion (32), Osier (4), Din1celaker (8)....]. Ces taches rouges appartiennent
aussi à la symptomatologie classique de l'urticaire. Pour ce qui regarde
le siège, on affirme que tandis que l'urticaire a son siège dans le derme,
l'oedème de Quinke l'a dans l'hypoderme. Mais nous avons une classse
entière d'urticaire (u. tubéreuse) qui a précisément son siège dans l'hypo-
derme.
La marche ! C'est la même tendance à la guérison rapide. Les oedè-
mes peuvent avoir une durée plus étendue ; mais cela n'est pas une diffé-
rence essentielle.
- Ainsi devant un cas d'urticaire porcelainée, un peu étendue, quels
caractères morphologiques pourrons-nous invoquer pour le diagnostic ?
les plaques ortiées sont pâles, sont étendues, sont passagères, peuvent
ne pas donner de démangeaison.
Et en présence de cas d'oedéme de Quinke de couleur rosée et qui
démangent, comment ferons-nous le diagnostic ? '1
Le critérium étiologique a été alors invoqué. Tandis que dans l'urti-
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 259
caire on admet toujours une intoxication dans l'étiologie, on dit que l'oe-
dème surgit d'une façon idiopathique.La première de ces affirmations est
d'une acceptation si générale et profonde, qu'une éruption d'urticaire ré-
veille toujours la pensée d'une infection intestinale et la thérapeutique est
dirigée par cet ordre d'idées. Cela n'est pas admis comme vrai dans l'autre
forme. Nous avons vu cependant dans notre quatrième observation un lien
indiscutable entre les oedèmes et l'intoxication intestinale. Higier (14) et
Le Calvé (33) ont aussi relaté des observations du même ordre,avec les
mêmes résultats dans l'examen des urines.Gunn (34), Osier (4) ont décrit
pour leur compte des cas d'oedèmes de Quinke à la suite de l'ingestion des
poisons d'une façon parfaitement analogue aux poussées d'urticaire pour
l'ingestion du même aliment. Cette sorte de distinction étiologique n'a pas
sa raison d'exister.
Mais on peut dire la même chose pour tous les éléments de cet
ordre : nous pouvons affirmer qu'il n'y a pas une forme morbide
dans laquelle on a décrit des poussées d'urticaire et dans laquelle l'oedème
de Quinke n'ait pas été décrit ; et dans le plus grand nombre d'observa-
tions, la fréquence de l'association des deux formes sur le même sujet
nous donne la persuasion qui nous fait repousser l'idée d'une différence
profonde dans la cause des phénomènes. Les observations d'urticaire
idiopathique associée aux oedèmes de Quinke sont innombrables. Pour
les formes symptomatiques nous relatons les faits suivants : Dans la ma-
ladie de Basedow, Joseph (35) a observé pendant six mois l'alternance
des poussées d'urticaire avec l'éruption d'oedème de Quinke aux mains,
aux pieds, aux paupières. Cassirer (13) a vu dans la clinique d'Oppen-
heim deux malades acroparesthésiques présentant des éruptions alternées
de plaques d'urticaire et d'oedème circonscrit. C'est une donnée clas-
sique après les observations de Mannaberg et D01Wth (36) que les accès
d'hémoglobinurie s'accompagnent très souvent d'urticaire. Dans notre
cinquième observation les accès étaient accompagnés d'oedèmes de Quinke,
et notre affirmation est confirmée par Cassirer (13), par Wendé (37),
par Rocques (30).
Dans la péliosis reumatica, expression d'une intoxication ou bien d'une
infection aiguë, /7choc/ ! (39), Couty (40)... ont relaté des observations
d'oedèmes circonscrits, tandis que c'est une notion classique que son asso-
ciation avec l'urticaire. Très intéressante à ce propos l'observation toute
récente de MM. Monro et Gregor (41) suivie d'autopsie : un sujet présenta
des éruptions d'urticaire, des poussées d'hydropisie intermittente des arti-
culations et d'oedèmes de Quinke. Lorsqu'il tomba malade de tuberculose,
on a vu des hémorragies sous la peau disparaissant aussi très rapidement.
Une association du même ordre a été relatée par Couton (de Wiesbaden) (42)
260 VALOBRA
dans l'intoxication chroniqueparopothérapiethyroïdienne, etpar Levi (43)
et Solis-Cohen (44) dans la maladie de Raynaud.
Féré (45) nous a démontré l'urticaire épileptique,et les oedèmes circons-
crits et passagers des épileptiques. Rad (46) a confirmé ces observations.
Nous verrons plus tard des observations analogues dans la syringo-
myélie dans laquelle les parties anesthésiques peuvent êtrele siège d'urti-
caire (Schlesinger) (47) ou d'oedèmes passagers [Cassirer (13), otA(48),
Marinesco (49)J ou d'oedèmes chroniques [Cassirer 'Remak (50), Mari-
nesco (49)-
Pour ce qui concerne les maladies d'infection, souvenons-nous que la
dothientérie a été la cause des poussées d'urticaire et d'eedémes, et que dans
le paludisme si Verneuil et Merklen (51) ont décrit l'urticaire symptoma-
tique, Negel t1),1(ielal (16), Fuchs (17) ont décrit l'oedème de Quinke.
Nous verrons bientôt les rapports de l'oedème de Quinke avec le tro-
phoedème chronique : je désire seulement faire ici la remarque que dans
l'observation de Cassirer (13) l'oedème chronique a été précédé par des
poussées d'oedèmes et aussi par des éruptions d'urticaire.
Enfin si nous voulons songer au caractère familial si fréquent dans
l'oedème de Quinke (V. photographie), souvenons-nous aussi que « la
coïncidence des urticaires familiales et de l'oedème aigu familial dans une
même famille » a été observée (Apert) (12).
Au point de vue clinique les rapports intimes entre les deux formes
me semblent bien démontrés. Si elles peuvent se montrer dissociées dans
les cas idiopathiques (c'est-à-dire dans les cas dont nous ne savons pas
trouver la cause),dans les observations bien connues elles offrent une étio-
logie commune, la plus grande partie des caractères morphologiques, et
une démarche parfaitement analogue. Elles peuvent même très souvent
se trouver associées sur la peau du même sujet comme des nuances d'un
seul phénomène.
Nous avons pu en venir à ces conclusions par le simple examen des faits
objectifs.
*
..
Nous désirons à présent voir quelles différences, et quels liens on
peut cliniquement trouver entre le trophoedème chronique et l'oedème
de Quinke :
Nous avons vu que la différence peut-être unique entre ce dernier et
l'urticaire, est dans la durée. La plaque ortiée ne dépasse généralement
pas la durée de quelques heures, tandis que l'oedème peut durer pendant
des journées entières Nous avons encore des observations dans lesquelles
la durée des oedèmes peut se montrer plus longue encore. Et cela avec des
modalités différentes :
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 261
Chez certains sujets l'oedème de Quinke avec ses caractères classiques,
après avoir disparu nombre de fois en plusieurs accès, dans une région
de la peau sur laquelle il était revenu très souvent, s'établit comme pour
toujours, et reste tandis que la maladie générale est guérie complètement.
Après un laps de temps variable de quelques semaines à quelques mois,
soudainement il disparaît. '
Nous relatons ici une observation de Cassirer, laquelle reproduit par-
faitement cette variété d'oedème circonscrit.
Cassirer : Ouvrière. 23 ans. Pas d'hystérie. Santé générale parfaite.
Après une série d'oedème d'une durée variable, mais toujours courte,
s'établit dans la main droite un oedème avec tous les caractères du trophoe-
dème de Meige. Après trois mois, soudainement l'oedème qui semblait dé-
finitivement établi, disparaît. Après 15 jours, sur la main droite, éruption
d'urticaire (rougeur, démangeaisons). Le jour suivant, l'urticaire disparaît,
mais l'oedème revient et dure deux mois et demi, puis un jour soudaine-
ment disparaît. La malade observée pendant un an encore ne présente
plus de phénomèmes de ce genre (loc. cit. p. 459).
Une observation, d'une analogie frappante avec l'observation de Cassirer,
a été relatée par Lôwelt (65).
Une deuxième variété, c'est la suivante : La maladie commence par des
oedèmes circonscrits et passagers parfois accompagnés d'éruptions d'ur-
ticaire. L'oedème passager montre quelque préférence pour une région
déterminée. Sur cette région un jour s'établit un oedème qui ne disparaît
plus et qui a les caractères du trophoedème chronique. Ma quatrième
observation fournit un exemple très démonstratif de cette variété (voir
photographie) ; de même Deschamps (ils2) a observé ce phénomène dans les
paupières ; Jollet (53), aux doigts de la main ; Meige (54) et Hallopeau (54),
à la moitié de la figure. Dans l'hémiplégique de Mabille aussi le trophoe-
dème avait été précédé par des tuméfactions passagères. Dans l'observation
très intéressante de M. Testi (56) le trophoedème du membre supérieur
avait été précédé par un oedème passager.
Enfin dans certains sujets l'oedème s'établit en ayant tout d'abord un
caractère de chronicité ; l'oedème s'établit avec le coeur, les reins et les
vaisseaux sains ; il ne donne pas de la gêne à la fonction du membre, ni
ne cause d'altérations de la sensibilité objective et subjective ; il s'agit du
trophoedème de Meige en un mot. Cet oedème dans ses premières périodes
maintient un peu le godet du doigt [Meige (57), Vigouroux (58), Lannois
(59)], et selon une observation peu nette de Calderai (60), il semble pos-
sible que cet oedème puisse aussi après un an soudainement disparaître.
Mais peu à peu l'oedème se fait plus dur, plus consistant, et nous avons la
262 VALOBRA
sensation qu'il ne s'agit plus d'un simple oedème, mais que le conjonctif
sous-cutané, c'est-à-dire un tissu solide, est hypertrophié. Le godet du
doigt est maintenu seulement à l'occasion d'une gène considérable dans
la circulation du membre [grossesse (Lannois), fatigue]. A cette dernière
variété appartiennent les observations de Debove (61), de Vigouroux (58),
de Raynie (62), d'fertoglae (63), de Mabille (64).
Laissons part la question de la pathogénie. Mais au point de vue de
la clinique, les liens entre l'oedème de Quinke et le trophoedème, par cette
exposition, laquelle comprend toutes les observations connues, nous sont
démontrés de manière qu'on ne peut pas comprendre pourquoi Cassirer,
qui a si bien étudié ces formes, veut absolument les séparer en se basant
seuiement sur le caractère de la durée. Cet auteur ne veut pas seulement
séparer les observations de la dernière variété établie par nous, mais encore
ceux de la première, car il affirme que lorsqu'un oedème a une durée de
quelques jours, quoiqu'il soit établi à la suite d'un oedème passager dont '
il conserve les caractères morphologiques, il n'est plus un oedème de
Quinke, c'est une nouvelle maladie !
On pourrait peut-être observer que tandis que l'oedème de Quinke a
son siège sur toute la surface du corps, le trophoedème s'établit avec un
caractère segmentaire (Debove). Mais nous avons, même dans cet ordre,
des cas de passage. Car l'oedème de Quinke peut aussi avoir souvent un
caractère nettement segmentaire : « oft schwillt ein ganzer horpertheil
an ; ein Unterarm, ein Unterschenkel..... (Cassirer) 1). Et pour le trophoe-
dème, ce n'est pas un caractère nécessaire, que d'être segmentaire. Il peut
s'établir aux paupières (Deschamps) (52), à une moitié de la figure [Her-
toghe (63), Meige (54)], dans les régions supraclaviculaires (Potain) (67),
sur la peau du tronc [nodosités rhumatismales de Troisier (66)]. L'hydro'
pisie intermittente des articulations de Schlesinger (88), variété de la ma-
ladie de Quinke qui peut se présenter chez le même sujet, ou bien dans la
même famille (Blau), ne présente pas ce caractère d'être segmentaire. Et
nous désirons faire remarquer que dans l'oedème passager des articulations,
la répétition des accès peut aussi déterminer un oedème chronique avec
hypertrophie du tissu conjonctif.
Si dans les caractères morphologiques il n'y a pas de différence essen-
tielle entre l'oedème de Quinke et le trophoedème, si pour l'évolution
nous pouvons établir toute une série de cas de passage pour lesquels
nous pourrons passer de l'une à l'autre forme, nous affirmons que dans
l'étiologie aussi ces liens se manifestent très étroits.
Cette affirmation n'est pas seulement démontrée par le fait que la forme
chronique peut suivre l'oedème aigu sans intervalle de temps, mais encore
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 263
par l'observation que les deux formes peuvent se présenter simultanément
sur le même sujet (troisième observation d'llertoglae).
Et pour les observations où les formes sont indépendantes, nous devons
nous souvenir de l'influence héréditaire que nous avons étudiée dans la
maladie deQuinke, pour la rapporter aux observations de trophoedème
familial de Mil1'oy (68) (6 obs. sur 22 sujets de la même famille), de
Meige (57) (8 obs. sur quatre générations), de Lannoy (59) il obs. dans
3 générations), de Tobssen ( ? ) (4 sujets de la même famille) (69).
Au point de vue du terrain sur lequel ces formes se développent, nous
pouvons comparer les oedèmes passagers (1) observés par Féré (70),
par Teissier et Lecreux (71), par Rad (72), dans l'épilepsie, avec les tro-
phoelèmes observés par Lannois (73) et par Roué (74) chez les épilepti-
ques et chez leurs descendants.
Le rôle étiologique des' infections que nous avons vu si important pour
l'oedème de Quinke, nous le trouvons dans le trophoedème. Dans l'ob-
servation de Lannois (59) il fut précédé par la scarlatine; dans l'ob-
servation de Rapin (62), par une maladie d'infection avec fièvre; dans
l'observation de Debove (61), par une angine ; dans l'observation d'Her-
toghe (63), par la rougeole.
Enfin nous ne devons pas oublier que dans la première observation de
Rapin (62) et dans l'observation de Cassirer dont nous avons rappelé l'his-
toire,des poussées d'urticaire ont accompagné les premières manifestations s
du trophaedème.
Si à présent, nous désirons donner une conclusion naturelle de tous
ces faits que nous avons relatés, conclusion pratique et objective sans essai
d'interprétation, nous pouvons affirmer que : urticaire, oedème de Quinke,
trophoedème de Meige se montrent chez des sujets d'une constitution
semblable, sous l'influence des mêmes circonstances et des mêmes causes ;
toutes ces formes peuvent se présenter dans le même temps chez le même
sujet, ou bien se succéder les unes aux autres. Pour ce qui concerne les
caractères étiologiques et cliniques, nous avons vu allant de l'urticaire à
l'aedème de Quinke, de ce dernier au trophoedème de Meige, toute une série
d'observations lesquelles forment une échelle de passage entre les trois
formes et qui nous empêchent d'établir un seul caractère essentiel profond
par lequel nous puissions distinguer les trois formes entre elles.
Avant d'aborder la question délicate de la pathogénie, nous désirons ré-
(1) Féré a observé aussi une urticaire épileptique.
264 ' VALOBRA
pondre à une question très importante qui nous permettra d'exposer
aussi de nouveaux faits sur lesquels il sera plus facile et plus logique de se
baser pour nous éclairer sur la pathogénie. Est-ce que ces oedèmes, qui
s'accompagnent ou ne s'accompagnent pas de phénomènes de vasodi-
latation, qui peuvent disparaître définitivement ou bien donner lieu à
l'hyperplasie du tissu conjonctif; est-ce que ces oedèmes ont une origine
locale comparable à l'oedème et à la vasodilatation qui sont autour d'un
accès métastatique, ou bien sont-ils sous la dépendance des altérations
d'un des grands appareils qui dirigent les fonctions de la peau ? Nous
avons vu que les trois formes sont indépendantes des fonctions du coeur
et des reins, et nous avons dit aussi qu'elles ne s'accompagnent jamais
de lésions anatomiques ou fonctionnelles des gros vaisseaux veineux ou
artériels.
Il nous sera facile au contraire de nous persuader que les trois formes
d'oedème localisé dont nous poursuivons l'étude sont sous la dépendance
des altérations du système nerveux.
Pour ce qui concerne {'urticaire, cette affirmation n'est presque plus
discutée, même dans les traités classiques. Lorsque nous glissons le
manche du marteau sur la peau d'un sujet neurasthénique, nous pro-
duisons une poussée locale, et parfois une éruption générale d'urti-
caire ; lorsque le même fait peut se produire à la suite de l'introduction
d'un spéculum dans le vagin (Spencer- Wells), ou bien d'une morsure
d'une punaise (Kaposi) ; lorsqu'on observe [Kaposi) que les éruptions
d'urticaire ab ingestis se montrent souvent lorsque les aliments ne sont
pas encore arrivés dans l'estomac, on ne peut pas douter de l'influence
du système nerveux central dans la production de l'urticaire. La théorie
de Philippson (75) et de Torale (76), lesquels ont essayé de soustraire l'ur-
ticaire à l'influence du système nerveux pour en faire une lésion due à
l'inflammation et à l'embolie locale des substances contenues, dans le sang,
est complètement tombée dans l'oubli.
Pour l'cedène de Quinke, l'accord est complet aussi, car les faits clini-
ques sont aussi démonstratifs. Chez le professeur dont nous avons relaté
l'observation, quelques bouffées de fumée avec du tabac d'une qualité va-
riable étaient suffisantes pour la production des oedèmes ; pour le malade
d'Hugues (77), la sensation gustative d'une substance douce ou aigre était
suffisante ; pour le sujet de Levis (78), le simple toucher de certaines
granulations du tympan par du coton imbibé d'acide chromique produi-
sait la formation d'oedèmes circonscrits à la langue, au front, aux mains,
et parfois à la glotte. Dans ces cas, l'action réflexe nerveuse est certaine,
et on ne peut pas songer que, suivant les cas, les mêmes phénomènes
soient dus aux lésions d'un système différent.
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CDRONIQUES 265
A ces données étiologiques, nous devons ajouter que ces formes sont
presque toujours héréditaires. Au moins « la débilité ou l'insuffisance
nerveuse... se retrouve dans leurs antécédents héréditaires ou personnels »
(Merlleo).
Mais la démonstration de l'influence du système nerveux est complète
dans les expériences que les laboratoires nous fournissent et dans les ob-
servations analomo-cliniques.
Il faut avant tout se souvenir qu'il suffit parfois de couper un petit nerf
de la peau pour produire une éruption classique d'urticaire dans le terri-
toire cutané de ce nerf (Lesser) (80).
Schlesinger (81 ) dans une observation de tumeur de la colonne vertébrale
qui avait produit des phénomènes de compression dans les membres infé-
rieurs a vu sur la peau de ces derniers des oedèmes circonscrits qui dispa-
raissent après une durée de quelques heures. Mathieu et Weil (82) ont
fait une observation du même genre dans un cas de tumeur métastatique de
la moelle; et Caïman (83) aussi dans des circonstances de la même nature.
Cooper (31) confirma ces faits par l'observation d'un cas de paraplégie par
compression de la moelle. Dans ces observations les oedèmes s'accompa-
gnaient de douleurs radiculaires. Et les douleurs lancinantes du tabes sont
parfois accompagnées par des oedèmes de Quinke dans les territoires dou-
loureux [Cassirer (13)]. Le même fait a été observé dans la lèpre médul-
laire [Milton (84)] et dans la syringomyélie, laquelle avec la lèpre présente
une analogie de siège. En général Dejerine et Thomas (85) affirment que
dans la marche des maladies de la moelle on observe parfois des oedè-
mes « irrégulièrement distribués sur le territoire de la paralysie, appa-
raissant et disparaissant assez vite, remarquables par leur dureté ».
Mais lorsqu'il s'agit des maladies avec lésions profondes etanatomiques
du système nerveux, il est bien plus fréquent d'observer l'oedème per-
sistant avec hypertrophie du tissu conjonctif, avec les caractères du tro-
phoedème, alors que les oedèmes passagers sont propres des formes
toxiques et névrosiques dans lesquelles des lésions peu profondes don-
nent lieu à des phénomènes peu durables. Si nous trouvons parfois des
observations de trophoedème sans lésion démontrable du système nerveux,'
nous avons une série d'observations dans lesquelles les lésions anatomi-
ques de la moelle ont certainement sous leur dépendance les altérations de
la peau. Avant tout dans la syringomyélie, vu la prédilection anatomique
de la maladie, le phénomène est plus fréquent dans le membre supérieur
(main succulente) et est accompagné par des altérations de la sensibilité et
du trophisme musculaire; mais on peut l'observer isolé, et dans le mem-
bre inférieur (pied succulent de Crocq) lorsque change le siège de la
lésion. La main dont nous donnons la reproduction photographique pré-
xviii 18
266 VALOBRA
sente une analogie si complète avec la main succulente qu'il est impos-
sible à ne pas songer à une localisation pathogénique identique. Et, puisque
dans notre observation la main succulente a été précédée par des oedèmes
passagers, nous arrivons encore par une nouvelle route à notre conclusion
que l'oedème passager est la conséquence d'une altération passagère de la
même région dont la lésion définitive produit l'oedème nerveux persistant.
La main succulente pourrait, selon Dejerine (86), être observée dans
tous les cas dans lesquels la circulation veineuse du membre se fait mal,
faute l'impuissance aux mouvements. Mais ces lypes là ne sont pas envi-
sagés par nous.
Avant tout lorsque la circulation ne se fait pas bien à cause de l'impotence
motrice [atrophies musculaires progr. (blirallaé), myélites (Weil' Mits-
chell), hémiplégies (Gilbert et Gantier)] l'oedème est toujours accompagné
par une cyanose, et au lieu d'être dur, résistant, il conserve le godet du
doigt, car il ne s'agit plus d'une vraie hypertrophie du tissu conjonctif.
Très démonstrative l'observation de syringomyélie de Remack (50) dans
laquelle la succulence de la main était bilatérale, tandis que l'amyotrophie
était cantonnée à gauche, et l'observation de main succulente de Lo2caNell
(87) qui ne présentait trace d'amiotrophie. Pour le vrai troplnedème nous
ne pouvons même songer à une altération de la circulation du sang; il
s'arrête nettement aux plis des membres et les oedèmes des différents seg-
ments du membre sont souvent limités par les articulations (Debove) (61).
Nous devons encore revenir à la syringomyélie pour l'explication de
certains phénomènes très semblables à ceux dont nous poursuivons l'étude.
Il faut se souvenir que parfois l'oedème de Quinke s'accompagne d'un
épanchement séreux dans les articulations qui disparaît avec les manifes-
tations cutanées. Parfois ces épanchements articulaires aigus et passagers
peuvent se présenter indépendants des oedèmes de la peau. Cet llydrops
articuloruna intennittens (Schlesinger) (88) pour son association fré-
quente avec l'oedème circonscrit, pour la soudaineté de son début et de sa
guérison, pour son caractère familial, a été par tous les auteurs considéré
comme une simple variété de l'oedème de Quinke. Dans la syringomyélie
on observe parfois des oedèmes chroniques de l'articulation de l'épaule
(lésion de la moelle cervicale) sans lésion des os, bien circonscrits. Ces
oedèmes seraient la variété chronique de cette hydropisie des articulations
sans phénomènes inflammatoires ni altérations de la circulation.
Enfin pour finir ce chapitre dédié aux observations dans lesquelles les
phénomènes cutanés que nous étudions étaient symptomatiques d'une
affection bien connue du système nerveux, nous rappelons l'observation
de Bonnier (89) : « Ramollissement bulbaire intéressant les centres mo-
teurs de l'oeil (VIe paire droite) et le facial du même côté » dans laquelle
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 267
l'auteur observa des poussées d'oedèmes paroxystiques ayant abouti à un
oedème permanent.Chez la malade de Mabille (64) le trophoedème s'établit
du côté hémiplégique.
En outre,dans les antécédents familiaux des sujets, avec les oedèmes de
Quinke nous trouvons très souvent la migraine; les accès de migraine
accompagnent souvent les poussées d'oedème aigu, et les éruptions
d'urticaire. Meige enfin (54) a relaté l'observation d'une migraineuse, la-
quelle présenta des oedèmes aigus de la peau, et plus tard un trophoedème
permanent de la figure : hémifacies succulenta ».
A présent, avec ce bagage d'observations cliniques et anatomiques, nous
pouvons aborder l'argument très intéressant de la pathogénie de ces
formes.
Pathogénie. Nous croyons avoir bien démontré nos assertions, à savoir
que les trois formes en question sont liées par des rapports très intimes ; ,
en outre que ces manifestations sont en rapport avec des altérations du
système nerveux en général. Mais nous n'avons encore aucune notion un
peu précise sur l'anatomie,sur la pathogénie et sur la localisation pathogé-
nique de ces phénomènes.
Il est admis par tous que dans l'urticaire et dans l'oedème de Quinke il
s'agit d'un épanchement liquide plus ou moins profond dans les couches
anatomiques de la peau, lequel liquide se résorbe rapidement. Dans le
trophoedème un élément nouveau vient s'ajouter : c'est l'hypertrophié du
tissu conjonctif qui est associée à un certain degré d'oedème persistant :
Le phénomène constant, et commun aux trois formes est donc l'oedème. Je
désire parler avant tout de la nature de cet oedème, car les idées et les
théories sur sa pathogénie me semblent très peu claires et démonstratives.
Tandis que jusqu'à présent tous les auteurs ont jugé que les oedèmes de
ce genre étaient dus à des altérations de la circulation artérielle capil-
laire (urticaire et oedème de Quinke), ou bien de la circulation veineuse
(oedèmes prémonitoires du trophoedème, ou surajoutés), je crois que tous
ces oedèmes sous-cutanés sont en rapport avec une altération de la sécrétion
et de la circulation lymphatique sous l'influence du système nerveux : les
trois formes ont de ce côté de la pathogénie des caractères communs qui
les rendent plus voisines.
11 est de notion classique et admise presque sans discussion que l'éle-
vure de l'urticaire a sa base anatomique dans une dilatation des petites
artères capillaires de la peau suivie par une transsudation de sérum, et on
admet naturellement que la plaque ortiéesoit la conséquence de la dilata-
tion même des vaisseaux.
268 VALOBRA
La vasodilatation localisée dans l'urticaire est sans doute très fréquente,
mais les faits ne démontrent pas toutefois que le petit oedème qui suit la
vasodilatation en soit la conséquence, et non un nouveau fait ajouté. Nous
devons nous souvenir que dans les observations les plus communes d'ur-
ticaire nous voyons des éruptions qui ne sont pas précédées ni même
accompagnées de rougeur, mais qui se présentent très pâles; et que dans
les mêmes cas on observe des Caches rouges qui ne sont pas suivies
d'oedème. Dans le dermographisme on peut observer sur la peau des di-
vers sujets, ou même du même sujet une ligne rouge plate ou bien une
ligne pâle pour un petit oedème localisé. Est-ce que cette façon de procé-
der est propre à deux phénomènes liés par des liens de cause et effet ? ou
bien ne fait elle pas songer que dans la formation de la plaque ortiée
classique on doit prendre en examen deux éléments fréquemment unis,
mais parfois se présentant d'une façon indépendante ?
Cette question ainsi posée est liée à une autre question très large et
très discutée, c'est-à-dire à la question de la pathogénie générale de l'oe-
dème. Je ne veux pas élargir trop le champ des discussions, mais il fau-
que je dise quelques mots sur des données récemment acquises par la
physiologie et qui portent une nouvelle lumière sur les vieilles idées avec
lesquelles on cherchait à expliquer les faits que nous étudions.
Il faut se souvenir que dans l'épaisseur des tissus, il y a une double série
de vaisseaux : les capillaires du sang et les capillaires de la lymphe. Entre
ces deux systèmes de vaisseaux il y a le tissu conjonctif plus ou moins com-
pact qui fait partie du système lymphatique avec lequel il a des communi-
cations anatomiques directes. C'est entre les mailles de ce tissu conjonctif
que se fait normalement un échange d'éléments entre les deux systèmes
de vaisseaux. L'oedème reconnaît sa pathogénie dans le fait que les liqui-
des au lieu de passer d'une façon continuelle d'un système à l'autre,
s'arrêtent entre les mailles du conjonctif interposé. « L'oedème, c'est une
stase ou bien une augmentation de la lymphe dans le système lacunaire
des tissus » [LZCCiaai (90)]. Jusqu'à ces derniers jour son admettait comme
vraies les anciennes idées de Bartholin et Mascagni auxquelles Ludwig (92)
avait donné une base expérimentale : c'est-à-dire que la formation de la
lymphe aurait été due à une simple filtration du sang à travers les parois
des vaisseaux sanguins. L'oedème aurait été la conséquence d'une augmen-
tation dans cette filtration causée par une augmentation de pression dans
les capillaires du sang du fait de la [stase dans le système veineux. A
côté de cette forme d'oedème on admettait une deuxième variété dont la
connaissance était liée à une ancienne expérience de Cohnheim : cet auteur
avait observé dans le mésentère d'une grenouille curarisée, sous l'influence
de l'exposition à l'extérieur, une vasodilatation suivie par une transsuda-
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CRIIONIQUES 269
tion de plasma avec exode de globules blancs en dehors des vaisseaux. Cette
deuxième variété d'oedème était donc liée à la vasodilatation et à l'altéra-
tion des parois des vaisseaux. Ces idées étaient admises par tous, mais
on songeait déjà que ces théories ne nous expliquaient pas les différences
que dans les propriétés chimiques et biologique son savait exister entre le
liquide de l'oedème et le sérum du sang.
Mais à ce moment un des plus grands physiologistes allemands, Hei-
denhain (91), exposa une série d'expériences lesquelles causèrent de nou-
velles conceptions sur la production de la lymphe, et sur la pathogénie
des oedèmes. Un jour Heidenhain ayant observé un sujet qui avait pré-
senté des oedèmes de la moitié gauche du visage après l'ingestion d'écre-
visses, fit un extrait des muscles de ces animaux et en fit une injection dans
le sang. Il observa alors que le courant lymphatique augmentait jusqu'à
quatre fois autant, mais d'une façon absolument indépendante de tout phé-
nomène vasomoteur. Cette expérience amena la découverte des substances
lymphagogues. Nous ne voulons pas décrire toutes ces expériences qui
sont classiques, faites par Heidenhain et ses élèves et confirmées par tous.
Nous désirons seulement remarquer que cet auteur trouva une série de
substances qu'il appela lymphagogues : ces substances injectées dans le
sang augmentent la production de la lymphe indépendamment de toute
aclion vasomotrice ou de la pression capillaire. Cela le conduit à songer
que la production de la lymphe était la conséquence d'une vraie sécré-
tion des cellules de la paroi des capillaires, et non d'une simple transsu-
dation passive.
Et de plus il prouva que cette sécrétion était sous l'influence des fibres
nerveuses secrétrices spéciales. Cette dernière affirmation est prouvée par
l'expérience suivante : Ludwig (92) avait démontré qu'en excitant la
corde du tympan on obtient une vasodilatation active associée à une aug-
mentation de la pression qui est la conséquence d'une diminution des
résistances ; à ces faits il attribuait l'augmentation de lymphe qu'on
observait tout de suite après ; mais Heidenhain répéta cette expérience
après avoir donné une faible quantité d'atropine à l'animal et il a vu que
les vaisseaux se dilatent, la pression du sang augmente, mais la quantité
de la lymphe directement mesurée n'augmente pas. On ne peut pas songer
à une démonstration plus claire de l'indépendance de la sécrétion de la
lymphe de la vasodilatation et de la pression du sang ; tandis qu'elle nous
prouve que dans le nerf il y a deux ordres de fibres : vasomotrices et sé-
crétrices. Leur fonction est presque toujours concomitante, mais on peut la
dissocier.
Laissons d'un côté les oedèmes par stase dans lesquels toutefois une
séries des données expérimentales [Magnus (93), Hamburger (94,)J et clini-
270 VALOBRA
ques [Lépine (95), Ambard (96), Gennari (97)] nous démontrent que les
oedèmes ne sont pas fonction de l'augmentation de la stase capillaire
et de la diminution de la pression artérielle. Nous désirons seulement
remarquer que les substances lymphagogues sans action vasomotrice
étudiées par Heidenhain, sont précisément : les extraits de muscles d'écre-
visses, de têtes de sangsues, de corps de mollusques, l'extrait de fraises,
certaines toxines microbiennes ; bref une série de corps qui sont en cause
principale dans l'étiologie de l'urticaire, c'est-à-dire de petits oedèmes
localisés dans le derme de la peau.
Ces petits oedèmes que nous avons démontré pouvoir se montrer d'une
façon absolument indépendante des phénomènes vasomoteurs car par-
fois on observe seulement la vasodilatation ou bien seulement ('oedème
seraient donc l'effet d'une transsudation de sérum à travers les parois des
capillaires dilatés : ils seraient dus à une action lymphagogue spécifique
des substances dont nous avons vu le rôle étiologique. Nous avons parlé
des arguments sur lesquels tous les auteurs ont basé leurs idées sur l'in-
fluence du système nerveux dans la production de l'urticaire. Cela nous ex-
plique un fait capital ; à savoir l'association fréquente (mais non constante)
des oedèmes avec les phénomènes vasomoteurs ; nous savons que si les
centres trophiques, vasomoteurs et sécrétoires sont indépendants, car ils
peuvent fonctionner d'une façon dissociée, toutefois ils doivent avoir un
siège très voisin et ils ont une influence les uns sur les autres qui se mani-
feste avec une grande fréquence. Ce dernier fait nous explique la fréquence
de l'association des phénomènes vasomoteurs aux phénomènes sécrétoires,
sans toutefois qu'il s'agisse d'une association nécessaire.Nous devons ajouter
que si les phénomènes vasomoteurs peuvent être provoqués pour une action
sur le système nerveux de certaines substances, ou bien par voie réflexe à
la suite d'excitations périphériques, nous savons aussi que l'action lympha-
gogue peut s'expliquer d'une façon double et analogue : Heidenhain même
a démontré ce fait.
La fréquence de l'association des phénomènes hémorragiques (purpu-
ra, hémorragies nasales...) avec l'urticaire est facilement expliquée par
la connaissance d'un fait, à savoir que la plus grande partie des lympha-
gogues de la première catégorie (à laquelle appartient toute la série de
substances dont l'absorption joue un rôle étiologique important dans l'ur-
ticaire) rendent aussi le sang moins coagulable.
L'étude de la deuxième forme, à savoir de l'oedème de Quinke, nous
confirme dans notre idée. A ce propos, il faut savoir que Cassirer dans
sa monographie avait déjà relaté et discuté les expériences de Heidenhain
dans l'élude pathogénique de cette affection sans arriver pourtant à une
conclusion précise.
LES QEDMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 271
Nous avons vu les rapports étroits par lesquels cette forme est liée à
l'urticaire. Nous savons que dans l'urticaire « l'oedème passager de cer-
taines parties du corps sans rougeur de. la peau est un phénomène fré-
quent» (Lesser) (80). Nous avons vu dans les cas à étiologie diverse les
oedèmes circonscrits surgir avec les plaques d'urticaire, avoir une évolution
parfaitement identique, guérir dans le même temps. Nous savons aussi que
l'oedème de Quinke vrai, c'est-à-dire l'aedème de l'hypoderme tout comme
les plaques d'urticaire ou oedème du derme,peut se présenter très pâle, ou
bien d'une couleur normale, ou bien encore rougeâtre, rouge vif. C'est-
à-dire que l'oedème de Quinke peut s'accompagner aussi de phénomènes
vasomoteurs de la peau, tout en pouvant avoir une évolution indépen-
dante.
D'ailleurs, toutes les théories sur la pathogénie de la maladie de Quinke
ont été démolies. Cassirer après avoir démontré combien étaient inac-
ceptables les théories de Borner (98) (augmentation de la pression dans les
gros vaisseaux), et d'Unna (99) (augmentation du tonus des veines), doit
admettre que « unies aux altérations de circulation, existent peut-être
des altérations trophiques ou sécrétoires ».
Nous désirons encore de faire une observation capitale. Elle est néces-
saire après les travaux de Cohnstein (zoo), les seuls travaux qui se sont
opposés avec des raisons vraiment scientifiques aux théories de Heidenhain
dont il explique autrement les données expérimentales indiscutables.
A ce propos il faut savoir que les deux auteurs sont parfaitement d'ac-
cord sur la façon d'agir d'une deuxième catégorie de lymphagogues, cons-
titués particulièrement par les solutions salines, et qui agissent en propor-
tion de leur masse. Douées d'un énorme pouvoir osmotique, en passant du
sang aux tissus, ils y attirent une grande quantité d'eau dont une partie
augmente la production de la lymphe (Ces données forment la base phi-
siologique peu connue de la théorie de Widal et Lemierre (101) sur la
rétention des chlorures dans les oedèmes néphritiques). Notre observation
clinique expérimentale que l'introduction, même en grande quantité, de
chlorures, n'est pas douée d'action ni sur les oedèmes de Quinke lorsqu'ils
existent, ni sur la récidive lorsqu'ils ont disparu, même dans les cas d'alté-
ration rénale, nous démontre que dans la production des oedèmes dont
nous parlons, il ne s'agit pas des lymphagogues de la deuxième catégorie .
D'ailleurs l'oedème circonscrit qui amena Heidenhain à la découverte
des substances lymphagogues, avait bien été produit certainement par
l'ingestion et l'absorption d'un lymphagogue de la première catégorie
(muscles d'écrevisses).
Mais c'est à propos de ces derniers que les deux auteurs allemands ne
sont pas d'accord. Cohnstein reconnaît qu'ils agissent, à l'inverse des
272 VALOBRA
lymphagogues de la deuxième catégorie, à l'état de traces légères, mais il nie
qu'ils agissent en excitant une sécrétion. Selon sa théorie ces substances
apportent une modification dans la composition chimique du sang dont elles
abaissent l'équivalent endosmotique. Cela donnerait comme conséquence
une diminution de l'absorption de l'eau qui des espaces lymphatiques
passe dans le sang ; d'où une augmentation de la quantité de la lymphe,
une stase lymphatique, l'oedème.
Mais à la théorie de Cohnstein, de nombreux faits cliniques et expéri-
mentaux s'opposent. Si l'augmentation de la lymphe, dans le cas où l'on
ne peut pas songer à l'altération du pouvoir osmotique des tissus mêmes,
est une conséquence de la diminution du pouvoir osmotique du sang, ce
fait étant général à toute la masse du sang qui se porte dans tous les
tissus, on pourrait observer l'augmentation de la lymphe dans toutes les
régions du corps dans le même temps, et sa production serait parfaitement
indépendante de l'action du système nerveux. Mais les expériences de
Heidenhain sont une épreuve directe de l'augmentation localisée de la
lymphe à la suite de l'absorption des lymphagogues de la première catégo-
rie. Toute une série d'expériences de Ostroumoff (102), confirmées et per-
fectionnées par Marcacci (103), sont d'ailleurs une démonstration du fait
que la formation circonscrite de la lymphe, sa stase, et sa conséquence
naturelle, l'oeeme circonscrit, sont sous la dépendance de l'action du sys-
tème nerveux. « Il suffit d'exciter par un courant électrique tétanisant le
nerf lingual pour observer deux faits : une vasodilatation et une énorme
production de lymphe. Marcacci démontra que le deuxième de ces phéno-
mènes peut se produire d'une façon indépendante du premier. Et l'aug-
mentation de la lymphe peut se produire avec une intensité telle qu'on
produit un oedème circonscrit de la moitié correspondante de la langue, et
une augmentation du poids de ganglion lymphatique correspondante »
(Luciani).
Ces données expérimentales, qui ne sont pas seules (car nous avons vu
l'excitation de la corde du tympan produire l'augmentation de la lymphe,
et nous avons vu que ce phénomène cessait par l'injection d'une faible
dose d'atropine), nous donnent la preuve que la production de la lymphe
et l'oedème même, lorsqu'ils sont indépendants des altérations circulatoi-
res, et du pouvoir osmotique des divers tissus, se forment sous l'influence
du système nerveux ; et il s'agit d'une influence sécrétoire.
Il nous serait facile de faire à présent des conclusions générales sur la
pathogénie des oedèmes. Mais tout en s'arrêtant dans le champ des oedè-
mes circonscrits du derme et de l'hypoderme, mon idée qu'ils soient dus
à un phénomène d'excito-sécrétion localisée de la lymphe qui par sa rapi-
dité produit un manque d'équilibre passager entre la circulation du sang,
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 273
et la circulation lymphatique, me semble bien naturelle et bien démon-
trée après ce que nous avons dit sur la physiogénie de la lymphe et de l'oe-
dème en général.
Chez un sujet qui présentait depuis quinze jours des oedèmes de Quinke
à la peau et aux muqueuses, j'ai vu survenir la guérison par l'usage des
injections de sulfate d'atropine (0,001) répétées pendant trois jours. Il se
produisait seulement des érythèmes larges comme la paume de la main, qui
suivaient de tout près l'injection et qui disparaissaient après quelques
heures.
Cette expérience unique ne permet pas toutefois d'en venir à une con-
clusion certaine sur la thérapie de ces formes dans lesquelles Oppen-
heim (104) aussi conseille le traitementpar l'atropine recommandé d'autre
part par Schwimmer, Jrantzel, Besnier, Doyon, dans toutes les formes
d'urticaire, cela avec des succès évidents.
Mais nous pouvons affirmer aussi que l'atropine est susceptible d'une
action bien certaine et bien prouvée dans une série de phénomènes qui est
commune à l'urticaire et à l'oedème de Quinke, et dont l'existence même
fournit une démonstration importante pour notre théorie. C'est une no-
tion commune que les plaques d'urticaire et les oedèmes de Quinke peu-
vent se présenter sur les muqueuses de la langue, des lèvres, de l'urèthr1"
de la vulve, du larynx...., avec une évolution et un mécanisme analogue^
à ceux des phénomènes cutanées. Les auteurs classiques unissent' 4 eek
manifestations une autre série de phénomènes, à savoir les crises de gasi : iZ=,
succorée [Collins (105)Ricoclaot (5), Courtois-Suffit (28), Yarian (32)...
de aiarrnee 1 m Ulara l1 ut), Gomns, liapzn, btrubmg iH)..., Ge pOlYU1'Ze
[Dinkelaeker (8), Schlesinger (6)....]. Cette assimilation est complètement
arbitraire. On ne peut pas songer qu'une simple vasodilatation, ou bien
une simple tuméfaction de la muqueuse soit la cause réelle de ces manifes-
tations qui se présentent au contraire cpmme des vraies crises de sécrétion
des glandes correspondantes. Ces crises peuvent être symptomatiques d'un
tabes avec des caractères parfaitement semblables, et elles peuvent aussi
être provoquées expérimentalement d'une façon indépendante des phé-
nomènes vasomoteurs. Les crises de gastrosuccorée ont été reproduites
par Gaglio (108) au moyen de l'excitation du nerf vague, et les crises
de polyurie sont déterminées facilement par la piqûre du IVO ventricule
(Brown-Séquard). Nous ne devons donc pas considérer ces crises comme
des oedèmes des muqueuses, mais plutôt comme analogues aux phéno-
mènes contemporains de la peau dans un autre sens, à savoir qu'il
s'agit pour tous d'une excito-sécrétion. Mais dans ces crises il s'agit d'une
274 VALOBRA ,
vraie sécrétion glandulaire, dans les phénomènes cutanés de la sécrétion
de la lymphe par les parois mêmes des vaisseaux.
Nous rappelons ici comme très démonstratives, les observations de
Borner (98) et de Laudon (109), et ma Ve observation dans laquelle les
oedèmes circonscrits s'accompagnaient par des crises de sueurs, l'obser-
vation de Widowitz (110) où les oedèmes s'accompagnaient de crises de
larmes et de salivation, et ma deuxième observation où les oedèmes s'ac-
compagnaient de crises de salivation.
Ces idées nouvelles sur la pathogénie de l'oedème circonscrit dans l'ur-
ticaire [et dans la maladie de Quinke, peuvent aussi être invoquées dans
la pathogénie du trophoedème chronique, et en recevoir une nouvelle sanc-
tion. Tous les auteurs qui ont observé des cas de ce genre, ont compris
que les altérations de la circulation du sang n'étaient pas suffisantes pour
expliquer toutes seules les phénomènes, et qu'on ne pouvait pas comparer
un oedème constitué par un liquide libre entre les mailles du tissu con-
jonctif, de sorte qu'on peut l'évacuer par des incisions ou des piqûres,
avec un oedème constitué par une quantité minime de liquide entre les
mailles d'un tissu hypertrophié, dur, résistant, de sorte que par des
piqûres on obtient l'issue de quelques gouttes qui s'arrêtent tout de suite.
Puisque on ne pouvait pas trouver des analogies avec les oedèmes com-
muns mécaniques, les auteurs ont admis pour expliquer le trophoedème
une altération du système nerveux et plus précisément une anomalie des
centres trophiques conjonctifs qui pouvait se présenter d'une façon ac-
quise (Mabille), ou bien congénitale (Meige). Cette hypothèse ne peut
pas nous expliquer les oedèmes passagers que nous avons vu précéder
très souvent le trophoedème, ni les analogies et les liens cliniques que
Meige lui-même avait vus avec la maladie de Quinke et que nous croyons
avoir bien démontrés. Meige a bien compris que le trophoedème consti-
tuait la forme chronique de l'oedème de Quinke; mais est-ce qu'il pouvait
croire que ce dernier fût la conséquence d'une dystrophie aiguë des
centres trophiques conjonctifs ? Pas sûrement. Alors, il est nécessaire de
songer à une pathogénie différente pour la forme aiguë et pour la forme
chronique de la même maladie. je crois plutôt que Meige même nous
a indiqué la route que nous devons prendre lorsqu'il a vu les analogies
morphologiques que le trophoedème présentait avec un autre syndrome,
analogies étroites, de sorte qu'il nous serait facile de montrer que plu-
sieurs fois les maladies ont été méconnues et confondues par les neuro-
logistes et par les dermatologistes. Je parle de l'éléphantiasis. Et je dis
syndrome et pas maladie, car l'éléphantiasis peut se présenter comme
symptôme de plusieurs maladies locales et générales, tout en ayant tou-
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 275
jours le même mécanisme anatomique qui est dans ce cas bien connu.
Il s'agit donc cliniquement d'une affection qui peut se présenter dans
plusieurs régions du corps. L'éléphantiasis préfère les membres, mais on
l'observe parfois au pénis, aux lèvres, au front, aux joues.... Lamaiadieest
précédée presque toujours par des oedèmes passagers. Chez la malade
observée par Allgeyer (111) et dont la photographie a été publiée dans
l'atlas stéréoscopique de Neisser, l'éléphantiasis a été précédé par un oedème
du membre qui disparut après quatre mois de durée. Chez la même ma-
lade, Torretta (112) observa pendant la grossesse les mêmes altérations que
Lannois (59) observa chez sa malade de trophoedème. L'éléphantiasis est
caractérisé par un oedème dur, résistant, qui ne maintient pas le godet du
doigt, qui ne diminue pas par la compression, ni par la piqûre, qui peut
s'accompagner d'une amyotrophie du membre. Cet oedème ne gêne
pas les fonctions des membres malades. « C'est merveilleux que, tout en
présentant un membre énormément augmenté de volume, ces malades
peuvent marcher sans gêne » (Lesser) (80).
Nous ne pouvons imaginer rien de plus semblable au trophoedème.
Nous ajoutons pour l'analogie que PoecMe de l'éléphantiasis comme
dans le trophoedème s'arrête à une ligne de démarcation supérieure
qui le sépare d'une région parfaitement saine. Il suffit d'ailleurs de com-
parer les photographies des trophoedèmes des neurologistes, avec les re-
productions de l'éléphantiasis des dermatologistes pour s'assurer de l'iden-
tité des caractères morphologiques. Il y a toutefois une différence, à
savoir que, tandis que dans le trophoedème « chaque segment du membre
est affecté isolément » et il s'arrête au niveau des jointures, dans l'élé-
phantiasis ce caractère fait défaut. Dans le membre inférieur par exemple,
« le pied tuméfié est directement uni au cylindre de la jambe tuméfiée, et
l'amoindrissement de la circonférence correspondante à l'articulation du
pied fait défaut, autant que le membre semble vraiment un pied d'élé-
phant » (Lesser).
Nous reviendrons sur cette unique différence morphologique; mais
nous désirons avant de voir la pathogénie de cette affection dont l'étiologie
et l'anatomie sont bien connues. Dans les cas classiques de filariose où
les parasites ou leurs oeufs remplissent les vaisseaux lymphatiques ; dans
la lèpre où fNlarategazNa (113), Secchi (114)] le bacille se répand à la
périphérie en remplissant les lacunes lymphatiques ; dans les formes élé-
phantiasiques qui sont, produites par le streptocoque lorsqu'il a plusieurs
fois donné des lymphangites en demeurant à l'état latent dans les voies
lymphatiques ; dans les formes qui suivent la staphylococcie de la peau (Sec-
chi) (115) qui suivent la tuberculose de la peau ou bien la syphilis (soit
sous la forme de lymphangite spécifique, soit de gomme) ; dans les formes
276 VALOBRA
enfin qui reconnaissent comme unique étiologie une cicatrice qui empê-
che la marche de la lymphe dans ses vaisseaux ; il s'agit toujours d'une
lésion des voies lymphatiques L 'I-leïzdy (11 G), Calderoni (118), Alard (117)].
Et cette lésion est bien primitive, tandis que la dilatation et l'infiltration
des veines se présentent en deuxième temps comme une conséquence et
comme une complication d'un état pathologique déjà établi. Besnier vient
à la conclusion que « les conditions de la pathogénie de l'éléphantiasis sont
multiples, tandis que la condition instrumentale est unique : une obstruc-
tion localisée du système lymphatique ». Cette obstruction des vaisseaux
lymphatiques produit une rupture d'équilibre entre la circulation lym-
phatique et la circulation veineuse : la lymphe s'arrête dans les lacunes
lymphatiques où elle se charge des matériaux cataboliques provenant des
échanges des tissus et, selon les expériences très complètes de Asher et Bar-
bera (119), elle devient très toxique. La lymphe dans ces conditions prend
des caractères spéciaux et peut déterminer l'hypertrophie inflammatoire
du tissu conjonctif entre les mailles duquel elle se trouve.
Cette pathogénie de l'éléphantiasis admise aujourd'hui par tous les au-
teurs n'est pas complètement acceptée par Dominici (1'-)0) ; il s'oppose à ces
idées par des arguments qui avaient été déjà défendus par Unna et il se
déclare partisan de la théorie de l'infection. Mais personne ne peut nier que
l'infection ne soit un élément étiologique de l'éléphantiasis : très probable-
ment au contraire avec le perfectionnement des moyens de recherches cet
élément va s'accroître en importance. Mais on ne peut certainement pas
croire que l'hypertrophie du tissu conjonctif soit due à des produits spéci-
fiques des bactéries, lorsqu'on voit le même phénomène être une consé-
quence de l'infection par streptocoques [Mibelli (1` ? 9)], par bacille de Koch
[Kaposi (122), Danlos (123), Leloir (124) ], par filaire [Coutreras (125),
Cegan (126).....], par paludisme [Claudio da Silva-Brassac (127) ],par
pneumocoque [Renon (128)].
Est-il possible que ces divers parasites soient doués des propriétés flo-
gogènes et hypertrophiantes identiques ? Le fait au contraire qu'ils agis-
sent tous par une occlusion des voies lymphatiques, joint à l'autre fait
qu'on peut voir les mêmes altérations se produire à la suite d'une lésion
mécanique(évidage des glandes lymphatiques aux plis du membre), ramène
la théorie de l'infection à la théorie générale que l'arrêt de la lymphe
dans le tissu conjonctif (prédisposé peut-être par les altérations produites
par l'infection) soit la vraie cause de l'éléphantiasis. Pour ce qui concerne
les formes éléphantiasiques qui suivent les altérations du système veineux
(phlegmatia alba dolens, varices, oedèmes pour stase...), nous rappellerons
que Teiclaoann et Young (129) ont démontré par des exactes recherches
anatomiques que ces oedèmes veineux à démarche chronique s'accompa-
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 277 i
gnent toujours de lésions secondaires des lymphatiques « avec stase, et
formation de grands espaces dépourvus de paroi propre, et avec des réseaux
qui forment un vrai tissu caverneux ». Dans toutes les formes on observe
toujours en un premier temps l' « oedème lymphatique » qui après une du-
rée variable peut disparaître. Mais par la répétition du même processus,
par la lésion plus profonde des lymphatiques, cet oedème spécial devient
permanent avec ses conséquences sur le tissu qui l'environne.
En résumant cette question de dermatologie pure, nous devons conclure
avec les meilleurs auteurs que l'éléphantiasis, au moins dans la plus
grande partie des cas, est due à des propriétés irritantes de la lymphe ar-
rêtée dans les mailles du conjonctif du derme. Et nous finirons par les
mots textuels de Kaposi (130). « Si on compare la formation de l'éléphan-
tiasis avec les résultats de l'examen anatomique, nous nous persuadons
facilement que la répétition de « l'oedème lymphatique (de Wirchow) est
le point de départ de l'hypertrophie du tissu conjonctif ».
Selon nous le trophoedème reconnaît dans sa pathogénie une parfaite
analogie avec ce qui vient d'être dit.
Nous avons démontré que le troploedéme pouvait être considéré comme
la variété chronique de l'oedème de Quinke qui le précède très souvent
dans son développement. Et nous croyons aussi avoir démontré que les
oedèmes passagers sont bien dus à un oedème lymphatique par suite d'un
trouble de la sécrétion de la lymphe. Dans les observations du trophoedème
non précédées par des oedèmes passagers, mais étudiées dans leurs premiè-
res époques on a toujours vu que l'hypertrophie du tissu conjonctif est
précédée par un oedème dur, mais qui conserve le godet du doigt [Meige
lui>7), Vigouroux (58), Lannois (59)]. Au deuxième temps, ce phénomène
disparaît, un vrai tissu nouveau se forme, un tissu solide qui contient
dans ses mailles un peu de sérosité lymphatique riche en leucocytes; très
peu, car avec les piqûres on obtient quelques gouttes à peine qui s'arrê-
tent bientôt (Debove, l'auteur). Selon nous, un trouble trophique de la
sécrétion lymphatique produit dans les premiers temps les oedèmes passa-
gers ou bien l'oedème sur une région déterminée. Lorsque cet oedème se
répète toujours dans cette région, ou bien lorsque l'altération trophique
s'établit d'une façon permanente, la présence de la lymphe, de l'oedème
lymphatique conduit aux mêmes effets qu'on observe dans l'éléphantiasis
à là suite de la même cause : c'est-à-dire une hypertrophie du tissu con-
jonctif. On comprend à présent que le trophoedème présente des analogies
si frappantes avec l'éléphantiasis au point de vue de la morphologie, comme
à celui delà marche (1) ; analogie si parfaite que Meige (133) avant d'éta-
(1) Les formes de trophoedème chronique qui aboutissent à la guérison après un
278 VALOBRA
blir son diagnostic d'altération trophique pratiqua la recherche de la « fila-
ria sanguinis », et que Richardière (131) et Guyot (132) dans leurs obser-
vations d'éléphantiasis ont songé à des altérations trophiques du système
nerveux.
Nous avons vu que la seule différence consiste dans la disposition seg-
mentaire du trophoedème qui fait défaut dans l'éléphantiasis. Mais il s'agit t
d'une différence très facile à expliquer. L'éléphantiasis se fait par une stase
de la lymphe qui a pour raison une cause locale et qui doit se manifester
dans le territoire entier qui se trouve au-dessous des vaisseaux oblitérés,
tandis que le trophoedème se fait pour une stase de la lymphe qui a lieu
pour une lésion nerveuse, et les travaux de l'école de Brissaud nous ont
démontré que c'est dans les altérations trophiques qu'on observe particu-
lièrement la disposition segmentaire.
Mais il faut se souvenir que le caractère métamérique n'est pas néces-
saire pour le trophoedème. Les variétés localisées à la figure, aux paupiè-
res, au sein sont des trophoedémes qui manquent de ce caractère, et qui
se manifestent après une longue répétition d'accès d'oedèmes passagers
dans les mêmes régions. On comprend aussi que l'éléphantiasis peut, dans
certaines circonstances (pied, main), simuler un caractère métamérique.
Eléphantiasis et trophoedèmes sont donc deux affections analogues du
côté morphologique : cette analogie s'explique par l'identité de la lésion
locale qui consiste dans une stase de la lymphe entre les mailles du tissu
conjonctif qui produit l'hypertrophie de ce tissu. La différence réside uni-
quement dans le mécanisme de la stase.
Dans l'un des cas c'est l'obstruction des vaisseaux; dans l'autre l'aug-
mentation permanente de la production de la sécrétion de la lymphe. Dans
les deux cas la conséquence nécessaire est un manque d'équilibre entre la
circulation lymphatique et la productidn de la lymphe, qui retentit sur le
tissu intermédiaire, à savoir sur le tissu conjenctif.
La conclusion de notre étude clinique des trois formes morbides en parole '
a été qu'elles présentent entre elles des liens très intimes, si bien qu'elles
peuvent être considérées comme les divers degrés d'une même affection la-
quelle sous l'influence des mêmes facteurs étiologiques peut, selon sa durée
et les complications possibles, se présenter de façons diverses : mais il y a
toute une série de cas de passage par lesquels on peut passer d'une forme
à l'autre sans aucune différence essentielle. L'étude qui précède nous
temps variable, trouvent leur analogie dans les états élé,roleanliasiques des dermatolo-
gistes, dans lesquels « l'organe peut encore revenir dans ses conditions primitives,
car les tissus n'ont pas encore souffert les altérations profondes et persistantes de
l'éléphantiasis ».
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 279
permet à présent de reconnaître aussi une pathogénie identique. Un élé-
ment commun aux trois formes est précisément l'excito-sécrétion lympha-
tique, laquelle associée ou non à la vasodilatation artérielle forme la base
anatomique et physio-pathologique de l'élevure de l'urticaire et de la tur-
gescence de l'oedème de Quinke. Tandis que dans ces formes s'agit d'une
altération passagère, car la lymphe produite est absorbée rapidement, dans
le trophoedème, de même que dans l'éléphantiasis, l'altération de la circu-
lation lymphatique due à la sécrétion de la lymphe exagérée d'une façon
permanente, et sa stase produisent une hyperplasie du conjonctif, c'est-
à-dire une déformation persistante.
Après ce que nous venons de dire, il est évident qu'on ne peut plus
considérer ces phénomènes comme constituant trois formes morbides indé-
pendantes, mais seulement comme des symptômes de plusieurs maladies
qui peuvent produire une altération fonctionnelle ou bien anatomique,
passagère ou permanente des centres nerveux dont l'intégrité est nécessaire
pour que la sécrétion lymphatique soit normale. Ces centres présentent t
dans certains sujets une labilité spéciale qui se manifeste par une ten-
dance souvent familiale aux altérations fonctionnelles sous l'influence des
intoxications. Dans une deuxième série de sujets les mêmes désordres
fonctionnels se présentent d'une façon sporadique à la suite des lésions
anatomiques des centres mêmes.
Nous devons à présent parler de la localisation des centres en question.
Mais si la physiologie normale et pathologique nous est prodigue d'argu-
ments en faveur de notre théorie, l'anatomie pathologique de ces affections
est très peu connue.
Nous n'avons pas d'autopsie qui nous donne la lumière à propos de
l'urticaire et de l'oedème de Quinke. La nature même des phénomènes qui
sont passagers nous donne peu d'espoir de trouver jamais des autopsies ab-
solument démonstratives dans ces deux formes. Cependant la fréquence de
l'association de ces phénomènes de sécrétion avec les phénomènes vaso-
moteurs nous fait songer à une proximité probable des deux ordres de cen-
tres. Rien ne plaide certainement pour une localisation corticale ou sous-
corticale de ces manifestations : les oedèmes dans les hémiplégies, même
récentes, décrits par Oypenlaeiala (134.), par Loepel' et Croupon (135), nous
savons qu'ils n'appartiennent pas à cette catégorie ni au point de vue de
leur symptomalogie ni de leur pathogénie. Au contraire, la bilatéralité
des phénomènes, la fréquence de leur disposition symétrique et parfois
métamérique, nous prouvent que si l'altération de l'innervation sympati-
que n'est pas étrangère à ces phénomènes d'une façon analogue à la plus
grande partie des phénomènes sécréteurs et vasomoteurs, cette lésion
280 VALOBRA ,
.doit être en dernière analyse secondaire à une lésion anatomique ou
bien fonctionnelle bulbo-médullaire. Les observations citées dans les-
quelles' les phénomènes cutanés étaient symptomatiques d'une affection
anatomiques de la moelle seraient la preuve de notre affirmation générale.
Mais nous pouvons localiser ultérieurement cette lésion : Dans la syrin-
gomyélie, syndrome morbide qui peut être déterminé par des lésions
diverses ayant un siège commun, l'éruption des plaques d'urticaire n'est
pas rare. « Cette éruption » est facile à reconnaître des autres formes d'ur-
ticaire, car tandis que ces dernières sont répandues sur la surface entière
dit corps, l'urticaire syringomyélique est localisée dans les régions anesthé-
tiques [Schlesinger (47). Le même auteur a observé des sujets affectés de
syringomyélie qui ont présenté des éruptions d'urticaire générale à toute
la surface du corps, tandis que les régions anesthésiques étaient indemnes
d'éruption. Il s'agit évidemment dans ces cas d'une urticaire vulgaire
chez des sujets chez lesquels les centres ou les voies dont nous cherchons
la localisation étaient détruites au lieu d'être plus excitables.
Il faut à ce propos se souvenir aussi que dans les régions anesthésiques
des syringomyéliques peuvent se présenter des oedèmes passagers (Cassi-
rer), tandis que le reste de la peau du corps en est parfaitement libre.
Nous savons enfin que le trophoedème chronique'eut aussi être symp-
tomatique d'une syringomyélie dans laquelle il est associé à des phéno-
. mènes vasomoteurs et qu'il peut parfois être précédé par des oedèmes
passagers. Le fait que la syringomyélie est une affection exclusivement
médullaire est une preuve de notre hypothèse sur la localisation de tous ces
phénomènes : d'autant plus que lorsque la syringomyélie se localise dans
les régions inférieures de la' moelle nous pouvons observer le pied succu-
lent (Crocq) et l'épanchement aigu ou chronique du genou que nous savons
appartenir à cet ordre de phénomènes. La variation parallèle du niveau
de la lésion avec le siège des phénomènes cutanés (urticaire, oedème de
Quinke, trophoedème) symptomatiques, nous prouve qu'il ne s'agit pas
d'un centre unique pour la lympho-sécrétion, mais plutôt qu'il doit exis-
ter une série de centres métamériquement disposés.
Pour la pluralité de ces centres ou de ces voies plaide aussi l'observa-
tion ; tandis que Reinhold (136) avait cru pouvoir localiser le siège des
oedèmes circonscrits dans le bulbe à la suite de trois observations avec exa-
men au microscope, nous avons relaté les observations de Schlesinger, de
Mathieu et Veil... ? dans lesquelles les oedèmes de ce genre étaient symp-
tomatiques d'une tumeur de la moelle dorsale ou lombaire. Mais nous ne
pouvons rien affirmer de plus précis sur la localisation de ces centres ni
sur les voies lesquelles doivent en partir. Sur les vasomoteurs mêmes qui
doivent présenter des rapports très intimes de voisinage ou de commu-
LES OEDÈMES CIRCONSCRITS AIGUS ET CHRONIQUES 281
nauté avec les tymphosécréteurs, quoique les physiologistes aient pour-
suivi sur leur localisation des études nombreuses et approfondies; nous
sommes très peu informés ; tandis que jusqu'à ces dernières années on
croyait que leur trajet suivait les racines antérieures, nous trouvons des
auteurs [Stric%er (137), Bonozzi (138), Bagliss (139) ] qui nous four-
nissent la preuve expérimentale de leur passage dans les racines posté-
rieures, et d'autres (Mosso) (141) qui soutiennent l'indépendance des
phénomènes vasomoteurs de l'action du système nerveux central, et
d'autres qui localisent ces centres dans les ganglions spinaux [Morat (140)],
et d'autres encore dans les cellules du Rattone qui se trouvent dans les
racines postérieures de la moelle [Poli (14)]. De même, sur les rap-
ports des vasomoteurs avec le système sympathique, Kôlllker soutient
que les vasomoteurs subissent une interruption dans les ganglions du
sympathique, Stricker, Bonozzi, Bagliss ont trouvé que ces fibres se
portent directement aux parois des vaisseaux.
De telle façon que, malgré les études approfondies des physiologistes
et des pathologistes, nous ne pouvons localiser les centres et les voies des
vasomoteurs, nous ne pouvons préciser le siège des lymphosécréteurs,
dans l'axe bulbo-médullaire. L'association des oedèmes en question avec
l'atrophie musculaire [Schlesinger (888), Kolbe (143)], ou bien avec les
altérations de la sensibilité objective et subjective dans les points oedéma-
teux [Testi 56)], pourrait nous conduire à des localisations très hypo-
thétiques et qui ne résisteraient pas à la critique.
Nous aimons mieux conclure que tandis que nombre d'arguments nous
démontrent que les centres et les voies de la lymphosécrétion doivent se
trouver disposées le long de l'axe bulbo-médullaire, nous n'avons pas
encore des données suffisantes pour en préciser ultérieurement le siège.
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CRAMPE DES ÉCRIVAINS ET TORTICOLIS '
d'origine mentale,
PAR
G. BONNUS. ,
Ancien Interne des Hôpitaux de Paris, Médecin de l'Etablissement
hydrothérapique de Divonne.
Observation .
La malade, soeur M. 1 ? âgée de 50 ans, d'aspect timide et réservé, n'offre
dans ses antécédents héréditaires rien qui mérite d'être signalé. Elle a une
soeur qui est bien portante, mais d'une émotivité exagérée.
Sa santé a toujours été délicate ; son impressionnabilité et son émotivité ex-
trêmes. Pas de maladies dans l'enfance, mais vers l'âge de 18 ans, une anémie
grave.
Elle entre dans une communauté religieuse et s'y livre à l'enseignement,
ce qui est pour elle une cause de grand surmenage. Il y a quelques années,
notre malade est nommée supérieure de sa congrégation, fonctions, qui néces-
sitent un surcroît de fatigue physique et cérébrale.
En 1892, une forte grippe la retient trois semaines au lit, et c'est quand elle
se remet à écrire qn'apparaît la crampe des écrivains.
Les tournées d'inspection (une ou deux par an) des maisons dépendantes de
son ordre et disséminées dans plusieurs départements la surmènent beaucoup,
elle en revient toujours très fatiguée. C'est peu après un de ces voyages plus
pénible encore, en novembre 1899, que se montrent des accidents nerveux
d'un autre ordre : un torticolis mental.
Nous allons étudier séparément : crampe des écrivains et torticolis mental.
La crampe des écrivains apparaît en 1892, après une grippe qui retient la
malade trois semaines au lit.
La première fois où, quoique encore très faible, on lui permet de se lever,
elle veut écrire une lettre, et dès le commencement de cette lettre la main se
met à trembler ; elle ne parvient à la terminer qu'au prix de grandes difficul-
tés et d'efforts sérieux. Le lendemain et les jours suivants le même phénomène
se produit : la main tremble pendant toute la durée de l'écriture et seulement
pendant l'écriture. Ce n'est qu'au bout de huit semaines, après une série de
frictions à l'alcool sur la colonne vertébrale dorsale que le tremblement dispa-
raît et que soeur M. I... retrouve sa facilité à écrire. *
Jusqu'en 1899, chaque année à la fin d'octobre, au retour de ses voyages
286 BONNUS
d'inspection, voyages fatigants, le tremblement de la main droite pendant
l'écriture, apparaît, dure de longues semaines, puis disparaît.
En octobre 1899, au retour d'un voyage encore plus dur, la main droite
recommence à trembler, puis peu à peu le tremblement disparaît pour faire
place à de petites secousses pendant l'écriture (comme actuellement).
La correspondance de la malade est très volumineuse (plusieurs heures par
jour) et les accidents augmentent rapidement. Ils prennent une intensité telle
qu'à certains jours, soeur M. 1... serait incapable de donner même une signa-
ture, si elle ne' faisait, dit-elle, un grand effort de volonté pour obliger sa
main à obéir.
Elle insiste beaucoup sur la dépense de volonté qu'elle a dû faire depuis le
commencement de sa maladie.
Jamais de douleurs dans le bras et la main.
Cet état, qui d'intermittent était devenu continu, persiste avec des alterna-
tives d'amélioration et d'aggravation jusqu'à la fin de 1901. La malade est obli-
gée d'écrire très lentement. A cette époque les phénomènes s'aggravent et il y a
impossibilité presque complète d'écrire. Arrive le 1er janvier 1902. Soeur M.
L.. reçoit plus d'une centaine de lettres auxquelles elle doit répondre. Elle est
très préoccupée, car elle est convaincue qu'elle ne le pourra pas. Elle fait une
invocation à la Vierge, lui demande du secours dans cette circonstance et dès
lors se met à répondre à toutes ces lettres sans le moindre accident (elle écrit
plus de quatre heures par jour). Puis, fin janvier, dès que toute cette corres-
pondance est terminée, les accidents reprennent comme auparavant.
Pendant l'année 1902, ces phénomènes existent toujours, mais ◀tantôt▶ s'ag-
gravent, ◀tantôt▶ s'atténuent. Arrive le le, janvier 1903, et même succession des
phénomènes qu'en janvier 1902 : grand nombre de lettres, désespoir de la ma-
lade de ne pouvoir y répondre par suite de la faiblesse de la main, invocation
a la Vierge, mais, paraît-il, avec moins de succès. Cependant la malade peut
écrire pendant tout le mois quatre à cinq heures par jour. Aussitôt après, retour
de la difficulté à écrire. Cette gêne augmente ; la malade peut écrire beaucoup
moins ; en avril, elle ne peut pas écrire plus d'une demi-heure de suite et en-
core très lentement pour donner de la force à la main qui est très faible.
C'est peu après, en mai, que nous voyons la malade. Quand elle veut écrire,
elle se place simplement et naturellement à la table, et sans préparatifs extra-
ordinaires, sans gestes extravagants, elle commence. Le plus souvent, c'est
dès les premières lettres que les accidents apparaissent. L'on voit la malade s'ap-
pliquer à écrire et écrire très lentement comme un écolier ; la main au milieu
ou à la fin des mots est agitée de petites secousses rapides (quatre ou cinq).Sitôt t
celles-ci disparues, la malade se remet à écrire. Cela se produit surtout pour l'
certaines lettres, r. v. et pour les majuscules, surtout pour S. et 1. initiales de
son nom, et toujours à la fin d'une lettre quand il s'agit de faire la liaison avec
la suivante; d'autres fois elle ne peut pas faire terminer une lettre sur la même
ligne que les précédentes. Elle en finit la partie inférieure un peu au-dessus et
cela, dit-elle, malgré sa volonté : « ma main ne peut pas aller plus loin ». Ces
accidents sont plus ou moins marqués suivant les moments. Les moments où
CRAMPE DES ÉCRIVAINS ET TORTICOLIS D'ORIGINE MENTALE 287
ils sont plus intenses sont annoncés par une « agitation intérieure ». Elle sent
que « cela n'ira pas ». De plus, chaque fois qu'il y a secousses, la malade
pousse une petite exclamation d'impatience. L'application par suite de la diffi-
culté est telle qu'il faut plus de deux minutes pour écrire une ligne.
Ces accidents se produisent uniquement avec la plume. Quand la malade écrit
véritablement avec un crayon ou quand elle simule l'écriture sur une table ou
sur un mur, la main vide ou avec un crayon, les mouvements sont normaux,
il n'y a pas de secousses.
Torticolis mental. C'est à la fin de novembre 1899, peu après son re-
tour d'un de ces voyages d'inspection dont nous avons parlé, qu'apparaissent t
des douleurs intermittentes d'abord, puis continues dans la nuque et à la par-
tie supérieure des trapèzes, douleurs bilatérales, mais plus marquées à droite.
Il y a de la raideur du cou, surtout à droite.Au bout d'une quinzaine de jours,
la malade remarque que sa tête tourne à gauche involontairement et qu'elle a
de la difficulté à la ramener à droite. Elle essaie divers traitements qui n'ont
d'autre résultat qu'une diminution légère des douleurs.
Un an après (décembre 1900), le Dr Breton consulté, conseille un traite-
ment électrique qui amène une sédation manifeste des douleurs et une dimi-
nution du torticolis mental. Il se produit moins fréquemment et avec moins
de force.
Il y eut ensuite des périodes d'aggravation et d'amélioration. En mai 1903,
nous constatons un torticolis mental typique mais atténué. La tête tourne à
gauche, lentement, sans secousses et sans s'incliner. La malade arrive pres-
que toujours à ramener par la volonté la tête dans la rectitude. Le mouve-
ment est lent. Elle dit avoir de la raideur à droite, de la faiblesse à gauche.
L'on trouve un peu de douleur à la pression à la nuque et sur la partie
supérieure des trapèzes, surtout à droite.
Le torticolis se produisait à tout propos, plus particulièrement pendant les
repas, quand la malade bâillait, marchait (tous les trois ou quatre pas) ou
écrivait. Pendant la lecture d'un livre, rien d'anormal tant que saeur llLf....
lisait la page de gauche ; le léger mouvement de la tête et des yeux nécessaires
pour passer à la page de droite amenait immédiatement l'apparition du torti-
colis et la tête tournait à gauche.
Pendant les prières, surtout à l'église,les accidents étaient tellement violents
et d'une fréquence telle qu'ils accaparaient toute son attention. Une émotion,
la rencontre imprévue d'une personne amie le faisaient apparaître aussitôt.
Les mouvements antagonistes employés ont été nombreux.
Au début, la tête ne revenait dans la rectitude que quand la malade avait
placé l'index sur le menton, presque sans appuyer. Plus tard il suffit du
doigt placé au milieu du front ou entre les sourcils (geste qui éveillait moins
l'attention), ou de l'index touchant le côté gauche de la cornette. Puis, n'était
plus nécessaire que de tenir du côté gauche, très légèrement entre le pouce
et l'index, le voile noir qui recouvre la cornette et la dépasse un peu en avant.
A genoux, pendant les prières, les mouvements étaient si fréquents et si
violents qu'ils absorbaient toute l'attention de la malade. Pour arrêter les
288 BONNUS
mouvements de la tête et éviter les distractions, elle plaçait les deux coudes
sur la chaise et tenait la tête penchée avec les deux index sur le front ; d'au-
tre fois le simple fait de pencher la tête arrêtait le mouvement. Pendant la
marche, il suffisait d'un ouvrage en tricot ou d'une fleur tenus à la main
pour que le torticolis ne se produisît pas.
Quelle est l'origine de ce torticolis mental ?
Dès le début des douleurs et de la raideur du cou, la malade tournait la
tête ◀tantôt▶ à droite, ◀tantôt▶ à gauche pour faire diminuer cette raideur et ob-
tenir un peu de soulagement. Au bout de quelques jours elle remarqua qu'elle
était soulagée seulement quand elle tournait la tête à gauche. Alors elle avait
cessé de la tourner à droite et continué de la tourner vers la gauche. Au
bout de quelque temps elle constate que le mouvement vers la gauche se fait
involontairement.
D'intentionnel au début, le mouvement était devenu involontaire.
L'examen attentif que nous avons fait de la malade ne nous fait voir aucun
stigmate d'hystérie. Tous les réflexes tendineux sont un peu forts, mais égaux
des deux côtés.
Pas de signe de Babinski.
Notre malade présente donc une crampe des écrivains associée à un
torticolis mental. - Comme c'est la règle en pareil cas, il y a un état
mental tout particulier, dont la caractéristique est l'émotivité cette
émotivité se manifestait dès son enfance à tout propos et hors de raison.
Femme instruite et très intelligente, ses qualités l'ont fait appeler à la
première dignité de son ordre et elle a rempli ces fonctions à la satisfac-
tion de tous. Elle est réservée et très timide. Son émotivité est si grande
que la rencontre imprévue d'une personne amie l'émeut beaucoup, mais
elle ajoute qu'elle n'en laisse rien paraître, car elle est très énergique el
a beaucoup de volonté. Elle n'a jamais pu, même depuis qu'elle est supé-
rieure, ayant par conséquent une très grande autorité, parcourir, pour ga-
gner sa place, l'allée centrale de la chapelle du couvent, n'y eût-il que
quelques religieuses, sans éprouver une violente émotion.
Soeur M. I... a toujours été d'une santé délicate. Depuis quelques
années elle est très fatiguée et se dit très faible. Cette idée de faiblesse
domine dans son esprit, c'est la faiblesse qui est cause de sa maladie,
c'est à la faiblesse qu'elle attribue les accidents du côté de la main, à la
faiblesse ceux du côté du cou : « Ma main est trop faible, mon cou est trop
faible. » D'ailleurs, après les exercices de gymnastique faits en vue de guérir
le torticolis mental, elle dit qu'elle sent son cou plus fort. Pendant les séan-
ces d'écriture, elle dit que notre main donne de la force à la sienne.
C'est à l'idée de fatigue dépendante de l'idée de faiblesse qu'il faut
attribuer les soupirs prolongés qui s'échappent de sa bouche ; par exemple,
après une conversation de quelques instants. Par crainte que la fai-
CRAMPE DES ÉCRIVAINS ET TORTICOLIS D'ORIGINE MENTALE 289
blesse l'empêche de la ramener dans la rectitude, elle n'ose souvent pas
tourner la tête du côté gauche.
L'idée fixe qu'elle ne guérira pas a pris possession de son esprit, c'est
chez elle une idée fixe que le torticolis persistera, qu'il ne pourra pas guérir,
que la crampe des écrivains s'aggravera, que la main deviendra tellement
faible qu'elle ne pourra lui rendre aucun service. Chaque fois qu'elle doit
écrire, elle se dit : « Pourrai-je écrire ? C'est bien ennuyeux de ne pouvoir
pas écrire. Sûrement je ne pourrai pas écrire. » Cette idée la poursuit cons-
tamment et augmente les accidents. Quand, au contraire, la malade est
distraite, ils ne se produisent pas. Les mouvements de la main et du cou
sont irrésistibles, mais elle n'a pas d'angoisse.
Dans le torticolis mental, un point particulier a appelé notre atten-
tion : c'est la perte de la notion de position de la tête droite quand la
malade la ramène de la gauche dans la rectitude. Quand elle l'a ramenée
sur la ligne médiane, elle ne sent pas si sa tête est bien droite, et elle
demande souvent : « Ma tête est-elle droite ? Je ne sens pas si ma tête est
droite ». De plus, avant de commencer ce mouvement, elle tourne les yeux
à gauche et fixe le bord de la cornette tant que le mouvement n'est pas
terminé.
Les moyens de guérison mis en oeuvre ont été la psychothérapie, la réé-
ducation et l'hydrothérapie. Nous avons employé l'hydrothérapie, d'abord
sous la forme de douches chaudes à 37°-38% puis sous forme de douches
écossaises : jet très brisé chaud de 38° à 40° d'une minute de durée, suivi
d'un jet froid à 7° de 30 secondes.
Pour le torticolis mental, aux exercices de gymnastique nous avons
joint la psychothérapie dans une large mesure, luttant sans cesse contre
l'idée fixe d'une guérison impossible. Après un traitement de deux mois,
le torticolis était considérablement amélioré. Quelques mois plus tard(dé-
cembre 1903), la malade nous écrit que ce n'est que dans des circonstan-
ces exceptionnelles qu'elle est obligée de mettre le doigt sur le front, très
rarement aussi la tête tourne à gauche pendant la lecture. Elle dit être
très améliorée ; on ne se douterait pas de ce qu'elle a eu.
Comme la malade était convaincue que la crampe des écrivains dont
elle était atteinte amènerait une impotence fonctionnelle complète, nous
avons commencé par lui montrer la possibilité, presque la certitude de la
guérison. Nous lui avons alors appris à écrire de la main gauche ; au bout t
de quelques jours il lui fut facile de faire sa correspondance de la main
gauche. Défense lui était faite d'écrire de la main droite. Quand nous som-
mes sûr que Soeur M. I... ne craint plus d'être un jour dans l'incapacité
d'écrire,la psychothérapie ayant commencéson oeuvre ; nous nous occupons
de la main droite. C'est l'idée de faiblesse qui domine, la main droite est
2U BONNUS
trop faible ; la partie de la main où cette faiblesse se fait particulièrement
sentir,se trouve à la face dorsale de la main,vers l'extrémité phalangienne
du deuxième métacarpien, vers la naissance de l'index.
Chaque jour nous faisons écrire la malade, nous plaçons l'index et le
médius à l'endroit qu'elle nous a dit être la plus faible, en appuyant un
peu et cela pendant toute la séance : « nos doigts donnent de la force aux
siens ».
Au bout de quelques jours, les secousses sont moins fréquentes, l'écriture
plus facile,quoique toujours très lente. L'amélioration progresse,l'écriture
devient plus rapide, les secousses très rares, nous n'appuyons plus alors
qu'un seul doigt sur le deuxième métacarpien ; plus tard nous plaçons
l'index sur le troisième, puis sur le quatrième, puis sur le cinquième mé-
tacarpien, enfin sur le poignet. Quelquefois le secours de notre doigt est
inutile. Au bout de quatre semaines la malade peut écrire presque aussi
facilement qu'autrefois. A chaque séance, nous faisions de la psychothé-
rapie aussi intense que possible ; nous luttions contre l'idée fixe, nous
encouragions la malade, lui montrant les progrès accomplis et la guérison
possible.
Quelques mois après (décembre 1903) l'amélioration persistait presque
entière. Nous ne savons pas si elle persiste encore, car nous n'avons plus
de nouvelles.
Le torticolis présenté par notre malade est bien un torticolis mental ;
l'origine mentale de la crampe des écrivains nous paraît aussi bien éta-
blie.
Ledébut a été d'une brusquerie extrême. Soeur M. I... a vu sa main n
trembler presque dès le commencement de la lettre qu'elle écrivait dans
les circonstances que nous avons rapportées, et ce tremblement persiste
sans changement aucun, jusqu'au moment où il disparaît, et il disparait
au bout de quelques semaines à la suite de frictions à l'alcool sur la co-
lonne vertébrale dorsale !
Que penser aussi de leur disparition plus tard, deux années consécu-
tives, à la suite d'une invocation à la Vierge ? Obligée de répondre à de
très nombreuses lettres du nouvel an (plus d'une centaine), elle lui de-
mande de pouvoir les écrire sans trembler. Le résultat ne se fait pas
attendre et elle les écrit avec la plus grande facilité, sans observer la
moindre secousse de la main, cela pendant trois ou quatre semaines, et
sitôt les lettres terminées, les secousses reparaissent immédiatement et
violentes.
Cette origine mentale est encore prouvée par le traitement. La psycho-
thérapie en a fait presque tous les frais. La malade avait cette idée fixe
que la faihlesse de la main augmentant la mettrait un jour dans l'impos-
CRAMPE DES ÉCRIVAINS ET TORTICOLIS D'ORIGINE MENTALE 291
sibilité d'écrire. Nous lui avons montré avec insistance qu'au contraire,
elle pouvait, elle devait guérir et nous lui en avons donné les raisons.
Aussi quand nous avons commencé les séances d'écriture, était-elle plus
sûre de sa guérison : « Je le crois, disait-elle, puisque vous me l'affirmez ».
Durant chaque séance nous faisions de la psychothérapie ; nos doigts mis
sur sa main n'étaient dans notre idée qu'un moyen objectif destiné à
frapper davantage l'esprit de la malade et à venir en aide à la psychothé-
rapie. Elle disait que ses doigts devenaient plus forts, que les nôtres don-
naient de la force aux siens.
L'idée fixe de non-guérison s'effaçait peu à peu. Les modifications de
l'écriture suivaient les modifications de l'état mental.
Autre preuve de la nature mentale. Vers le milieu du traitement, quand
la malade écrivait, si nous retirions nos doigts, l'écriture restait correcte,
tant que la malade absorbée par ce qu'elle écrivait ne s'en apercevait pas ;
sitôt qu'elle le voyait, les secousses apparaissaient.
Si l'on ne veut voir dans la position de nos doigts sur la main de notre
malade qu'un simple geste antagoniste comme ceux que l'on observe dans
le torticolis mental, la nature mentale de cette crampe des écrivains n'en
est que mieux établie. Notre index avait été placé à l'endroit le plus fai-
ble, à l'extrémité inférieure du 2e métacarpien, puis à mesure que les se-
cousses devenaient plus, rares, sur le 3e, le 4e et le 5% enfin sur le poignet,
en appuyant un peu fort au début, plus tard nous contentant d'un simple
contact. Dans le torticolis mental, la malade opère de la même manière,
plaçant son doigt, sur le menton d'abord, puis sur le front, etc.
Il faut remarquer aussi que notre malade, sept ans après l'apparition de
la crampe mentale des écrivains, fut atteinte d'un torticolis mental.
Il reste retrouver maintenant l'origine de cette crampe mentaledesécri-
vains. Nous n'avons pas été aussi heureux que pour le torticolis. L'affec-
tion datait de près de dix ans, et les souvenirs de la malade étaient peu
précis ; malgré tous nos efforts, il nous a été impossible d'en trouver la
cause. Soeur M. I... a toujours été d'une santé délicate ; pour elle c'est la
faiblesse qui est cause de tous ses accidents, c'est l'idée de faiblesse qui
domine dans son esprit. Son cou est trop faible, sa main est trop faible.
Peut-être faut-il en chercher l'origine première dans la dépression, dans
l'asthénie si grande que la grippe laisse après elle et qui aurait produit
une impression violente sur une nerveuse surmenée, le premier jour où,
après trois semaines de maladie, elle quitte son lit et veut écrire.
HOPITAL BROUSSAIS. SERVICE DE M. LE DOCTEUR OETTINGER
MALADIE OSSEUSE DE PAGET
TROIS CAS OBSERVÉS DANS UNE MÊME FAMILLE.
HYPOTHÈSE NOUVELLE SUR LA PATHOGÉNIE DE CETTE AFFECTION.
ean 142M.
OETTINGER
Médecin des hôpitaux.
E. AGASSE-LAFONT
Interne des hôpitaux.
Depuis le mémoire de Paget sur « l'ostéite déformante » (1876), on n'a
publié qu'un petit nombre d'observations, une centaine à peu près, de
cette affection. Il est rare que deux cas aient été constatés dans une même
famille. Malgré les recherches cliniques, histologiques et chimiques, mal-
gré les nombreuses hypothèses émises et défendues, on n'a pu établir en-
core, d'une façon certaine, la pathogénie de cette curieuse maladie.
Nous apportons l'observation clinique de trois cas nouveaux. Nos trois
malades appartiennent à une même famille. Leur étude nous a suggéré
une hypothèse nouvelle sur la cause des profondes altérations squeletti-
ques, cardiaques et vasculaires,qui caractérisent essentiellement la maladie
osseuse de Paget. '
Pour n'avoir pas à répéter, à propos de chacun de nos malades, les
renseignements que nous avons recueillis sur leurs ascendants, colla-
téraux et descendants, nous croyons préférable de donner d'abord l'arbre
généalogique de leur famille.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVIII. 111. XXXVII
MALADIE OSSEUSE DE PAGET FAMILIALE
(OE/tinger et Aftasse-Lafol1t)
Masson et Cie, Editeurs
MALADIE OSSEUSE DE PAGET 293
OBS. I. Bordier Louis-Victor, âgé de 60 ans, entre en état d'asystolie,
le 11 mai 1904, à l'hôpital Broussais, dans notre service, salle Delpech, no 17
(PI. XXXVII).
Ses antécédents personnels sont les suivants. Il a marché tard, vers 3 ans 1/2.
S'est cassé le bras à 7 ans, par chute de voiture. Il a commencé à travailler
comme blanchisseur vers l'âge de 15 ou 16 ans, vivant constamment avec les
ouvriers dans une atmosphère chargée de vapeurs dô chlore. A 20 ans il a eu
une diarrhée abondante qui a duré plusieurs mois. A 39 ans il a été immo-
bilisé pendant trois mois dans une gouttière pour une « fêlure de la jambe »
causée par un coup de pied de cheval. Mais'un an après,, cet accident n'avait
laissé aucune trace, il avait repris son travail et pouvait marcher comme au-
paravant. En 1893, à l'age de 49 ans, il a dû abandonner son métier de blan-
chisseur, à cause de faiblesse dans les reins et dans les jambes qui déjà com-
mençaient à s'incurver.
A partir de ce moment les symptômes de l'ostéite déformante s'accusent de
plus en plus. Les jambes faiblissent, deviennent arquées ; les genoux ne peu-
vent plus entrer en contact. Il ressent des douleurs très vives dans les jambes.
Un chapeau acheté en 1901 devient peu à peu trop petit, et doit être laissé de
côté 10 mois plus tard. Vers le milieu de l'année 1902, il a remarqué une
augmentation de volume des clavicules. Jusqu'en 1903 il a pu continuer à
marcher assez facilement et sans canne. Mais depuis il est devenu incapable
de tout travail par impossibilité à rester longtemps debout.
Il avoue avoir fait des excès alcooliques.
Les troubles asystoliques qui l'avaient amené à l'hôpital cèdent rapidement
au repos et au régime, et nous attendons que cette crise aiguë soit passée, et
qu'il ait été mis au régime normal, pour l'examiner complètement et faire
l'analyse de ses urines.
'Comme on peut en juger par la photographie que nous donnons, le sque-
lette de notre malade présente les déformations caractéristiques.
Le crâne est volumineux, écrasant la face. Le tour de tête est de 61 centi-
mêtres.
Le pariétal gauche porte à sa partie antérieure une saillie marquée. Les os
de la face sont normaux.
Les clavicules sont très augmentées de volume ; la colonne vertébrale cy-
phosée, le thorax déformé et globuleux.
Les membres supérieurs sont indemnes.
C'est au niveau des membres inférieurs que le squelette est le plus atteint.
Ils sont fortement arqués, formant une courbe à convexité antéro-externe.
Lorsque les deux pieds sont rapprochés, les extrémités internes des plateaux
du tibia sont séparées par une distance de 18 cm. Les fémurs et les tibias
sont très volumineux, incurvés en avant et en dehors. La crête tibiale a dis-
paru, remplacée par une surface mousse.
Les mains et les pieds sont normaux.
L'examen des viscères nous montre surtout des altérations cardio-vascu-
laires. '
294 OETTINGER ET AGAoSE-LH ONT
Le coeur est arythmique, avec un souffle net d'insuffisance mitrale. Les
radiales sont dures et sinueuses. Il a des varices et des cicatrices d'ulcères
variqueux, surtout à la partie antérieure de la jambe droite.
Les poumons sont emphysémateux, avec quelques râles de bronchite.
L'appareil digestif est indemne ; le malade a toujours été fort mangeur.
Il est extrêmement sourd.
L'intelligence est normale.
Voici une analyse complète des urines des 24 heures, faite le 5 juin 1901 :
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XVIII. Pl. XXXVIII
MALADIE OSSEUSE DE PAGET FAMILIALE
(OEttillger et Agasse-Lafoiii)
MALADIE OSSEUSE DE PAGET 295
que le gauche, présente eu outre des saillies plus prononcées, et donnant un
peu l'impression d'un cal, bien que le malade affirme n'avoir jamais eu de
fracture.
Le squelette du pied n'offre rien d'anormal : les orteils ne sont ni allongés,
ni augmentés de volume.
Le coeur ne présente pas de souffle orificiel, mais le second bruit est exagéré.
Les artères frontales sont très saillantes et très sinueuses, les radiales sont
dures. Les membres inférieurs sont variqueux.
Aux poumons nous trouvons de l'emphysème, de la bronchite chronique,
des râles aux deux bases.
Il est extrêmement sourd, comme son frère.
Les réflexes pupillaires sont normaux.
OBs. III. Bordier Louis-Charles, blanchisseur, mort à 80 ans.
C'est le père des deux malades précédents. Nous ne l'avons pas vu, mais
nous avons recueilli sur son compte, de 4 sources différentes, des renseigne-
ments tellement précis, que nous croyons pouvoir affirmer qu'il était atteint
aussi de maladie de Paget.
Nous transcrivons d'ailleurs ces renseignements tels qui nous ont été donnés,
laissant à chacun le soin d'en juger.
Le malade de l'observation 1, celui qui a les déformations les plus marquées,
nous a dit :
« Mon père est mort à 80 ans. Il était asthmatique, rhumatisant. Il a com-
mencé vers 70 ans à présenter des déformations des jambes et à se voûter. Ceux
qui l'ont connu me disent « qu'on n'a pas besoin de me voir par devant, qu'il
suffit de me voir marcher pour se rappeler mon père ». Son attitude était de-
venue dans les derniers temps ce qu'est la mienne maintenant. »
Le malade de l'observation 2 nous a dit :
« Mon père avait une tête aussi grosse que la mienne. Seuls dans la famille
nous pouvions mettre les chapeaux l'un de l'autre. Il était forcé comme moi
de les faire faire sur commande. »
Un petit-fils, qui avait vingt ans lorsque son grand'père est mort, nous a
confirmé ces renseignements :
« Mon grand'père avait une tête énorme. Ses jambes étaient très arquées. »
Une petite fille enfin du malade nous donne les détails suivants : -.
« J'avais 18 ans lorsque mon grand'père est mort. Il avait une tête très
forte, et qui paraissait grossir : en effet il faisait faire ses casquettes sur mesure,
envoyait une des anciennes comme modèle, et se plaignit plusieurs fois que la
nouvelle était trop petite. »
Il nous semble que rien ne manque à cette observation, et que des détails si
précis confirment le diagnostic de maladie de Paget chez un sujet qui avait l'at-
titude caractéristique, les jambes arquées, la tête énorme et qui grossissait
encore dans les dernières années de la vie.
296 OETTINGER ET AGASSE-LAFONT
Telles sont nos trois observations de maladie osseuse de Paget. La troi-
sième peut être discutée. Si on l'accepte, c'est donc, dans une même fa-
mille, un père et deux de ses enfants qui sont atteints. Si on la met en
doute, il n'en reste pas moins que deux frères présentent, eux, d'une façon
indiscutable, les signes de cette affection.
Dans quelques-uns des cas déjà publiés on signale chez les ascendants
ou les collatéraux du malade des symptômes qui de près ou de loin rap-
pellent ceux de l'ostéite déformante. Pick (1883) a observé une malade
dont le père aurait eu les mêmes déformations osseuses. Lunn (1884) les
a constatées chez les deux frères. Richard (1887) dit que le père de son
malade avait les jambes arquées. Dans les observations de Robinson (1886-
1889), deux membres d'une même famille sont atteints. M. Chauffard (So-
ciété médicale, 15 juin 1894 et Académie de médecine, 3 mars 1903) cite un
cas d'hérédité directe, la mère et la fille se trouvant très nettement atteintes
toutes deux. Dans la même séance de l'Académie de médecine, M. Berger
résume l'observation de deux malades, la mère et le fils. Enfin les deux
cas de M. Walter, dans The .Lancer (190.), concernent le frère et la soeur.
Ainsi l'observation que nous publions ici vient grossir le nombre des
cas où la maladie de Paget s'est montrée comme une affection familiale et
héréditaire, en apparence du moins.
Cette observation apporte-t-elle en même temps un argument de quel-
que valeur pour ou contre les théories pathogéniques émises déjà ? Nous
ne le croyons pas.
Peut-être cependant les partisans de l'origine syphilitique pourraient
ils dire que l'atteinte simultanée des deux frères doit faire chercher une
origine commune à leur affection, et qu'il est naturel d'invoquer l'hé-
rédo-syphilis.
Mais ne peut-on pas objecter avec raison que le père de nos deux ma-
lades était probablement atteint lui-même d'ostéite déformante, que d'ail-
leurs l'histoire de cette famille, la longévité remarquable de presque tous
ses membres, le grand nombre d'enfants, avec une mortalité relativement
restreinte, que tout en un mot plaide contre une syphilis des ascendants ?
Une autre pathogénie d'ailleurs nous semble pouvoir être invoquée.
Lorsque notre premier malade nous a dit qu'il avait exercé le métier
de blanchisseur (1) pendant la plus grande partie de sa vie, il nous a
paru que l'hypothèse d'une intoxication chronique par les acides minéraux
était assez vraisemblable, et demandait en tous cas à être vérifiée. La dé-
(1) L'eau de Javel est d'un emploi courant dans le blanchissage. On la dilue d'or-
dinaire au 1/15. Mais même très étendue d'eau elle dégage des vapeurs acides très
fortes et qui prennent à la gorge. Dans certains ateliers mal aérés les ouvriers vivent
ainsi pendant plusieurs heures au milieu d'une atmosphère surchargée de chlore.
MALADIE OSSEUSE DE PAGET 297
couverte de deux autres cas dans sa famille, où l'on exerce depuis près
d'un siècle la même profession, nous a fortifié dans cette idée.
Mais il pouvait ne s'agir là que d'une simple coïncidence, et nous de-
vions examiner, au point de vue de la profession, les cas publiés jusqu'ici.
Nous avons laissé de côté les observations parues à l'étranger, de peur
que quelques-unes ne nous échappent et que notre statistique ne soit
faussée ; nous avons pris toutes celles publiées en France, elles sont au
nombre de 42 (1).
Sur ces 42 ça ? 14 fois la profession n'est pas indiquée. Des 29 malades
qui restent, près de la moitié, 13, ont été exposés à l'intoxication par les
acides. Chez les autres,cette étiologie ne paraît pas pouvoir être retrouvée.
En voici le détail.
Malades exposés à l'intoxication (13).
298 OETTINGER ET AGASSE-LAFONT
MALADIE OSSEUSE DE PAGET 299
de Moizard et Bourges (1892) (1). Récemment, dans un intéressant
et consciencieux travail (Nouv. Iconogr. de la Salp., n° 1, 1905),
MM. Mocquot et Moutier ont attiré l'attention sur les déformations séniles
du squelette simulant la maladie de Paget, sur les pseudo-Paget, comme
les appelle M. Pierre Marie.
Enfin, étant donné l'existence incontestable de la syphilis osseuse de
l'adolescent et de l'adulte (2), on peut admettre que parfois il y a eu con-
fusion, comme on a pu, chez des enfants, prendre pour des cas de rachi-
tisme des cas d'hérédo-syphilis.
Le rachitisme présente avec la maladie osseuse de Paget d'étranges ana-
logies : même évolution, mêmes douleurs, mêmes reliquats, même confu-
sion avec des manifestations osseuses de l'hérédo-syphilis. Or on a trouvé
dans la dyscrasie acide une explication séduisante des déformations rachi-
tiques, et l'on a donné, pour défendre cette pathogénie, des arguments
d'une grande valeur. Sans doute il ne s'agit encore là que d'une hypo-
thèse. Mais cette hypothèse étant appuyée sur des arguments différents
des nôtres, on peut, sans faire de pétition de principe, dire qu'elles se
soutiennent et se fortifient l'une l'autre.
Il est vrai que dans le rachitisme il s'agit d'une auto-intoxication, et
que c'est l'acide lactique, un acide organique qui est incriminé. Or n'y a-
t-il pas une différence irréductible à ce point de vue entre les acides orga-
niques et les acides minéraux, qui eux ne pénètrent évidemment pas dans
l'intimité des tissus ? La différence est plus apparente que réelle. Sans
doute on ne peut comparer le tissu osseux dans l'organisme au fragment
d'os que l'on fait décalcifier. Mais l'expérimentation a montré que l'alca-
linité du sang diminue par l'ingestion d'acide chlorhydrique (3). Et l'on
conçoit aisément en effet que les acides minéraux puissent agir d'une fa-
çon indirecte, leur présence mettant en liberté une grande quantité d'acide
lactique, qui va troubler l'évolution et la structure du tissu osseux.
Ainsi, il n'est pas il logique d'admettre que l'intoxication professionnelle
par les acides minéraux puisse jouer un rôle dans la pathogénie de la
maladie osseuse de Paget, ce rachitisme des vieillards. Il est vraisem-
blable, notre statistique le prouve, qu'elle le joue en effet.
(1) Nous n'avons éliminé de notre statistique qu'un seul cas, celui de Blanc (1895).
Il s'agit d'un jeune berger de 47 ans. L'apparition tardive des symptômes étant un
des faits les plus caractéristiques de la maladie de Paget, il y a eu évidemment là une
erreur d'interprétation.
(2) LANNELONGUE, 8ull. méd. (23 février 1903). Académie de médecine, 8 mars 1903.
Fournier, Académie de médecine (31 mars 1903).
(3) WALTER, Archiv. fur. exper. Path., 1877, t. VII, p. 149, a diminué d'une façon
considérable l'alcalinité du sang chez les lapins en leur faisant absorber de l'acide
chlorhydrique dilué. DusGREz, Coefficient de déminéralisation dans la dyscrasie acide*
Société de biologie, 27 mai 1905.
300 OETTINGER ET AGASSE-LAFONT
Mais quelle importance doit-on lui attribuer ? Nest-ce qu'une cause ad-
juvante, qui diminue l'alcalinité du sang comme le font la vieillesse, l'al-
coolisme, la fatigue (i) ? ou bien est-elle la cause efficiente de toute mala-
die de Paget bien caractérisée ? C'est le point qu'il faut éclaircir.
BIBLIOGRAPHIE DE LA MALADIE OSSEUSE DE PAGET, EN FRANCE
[Nous avons groupés ensemble les articles se rapportant à un même malade. Nous
avons fait précéder d'un - les indications bibliographiques qui ne concernent pas des
cas nouveaux de maladie de Paget.]
1. BouRcERET, Gazette des hôpitaux, 4 mai 1876 ; - RATHERY, LELOIR, Revue de Méde-
cine, 1881, p. 738). Guinon, Bull. Soc. anatomique, 1885, p. 314.
2. Lancereaux, Anatomie pathologique, t. III, p. 52, 1880.
3. HUCHARD ET Binet, Bulletin de la Société clinique de Paris, 1882.
4. RoGiEn, Thèse Paris, 1884.
5. Pozzi, Congrès de chirurgie, 1885.
6. Martel, Gaz. méd. de Paris, 1886.
7. Richard, Thèse de Paris, juillet 1887.
8. Lyon, In thèse de Richard, 1887.
9. TIIIDIERGE, Archives de Médecine, janvier 1890.
10. Chrétien, Poitou médical, février 1890.
11. Marie, Société médicale de Paris, 10 juin 1892.
12. Moizard ET BOURGES, Archives de médecine expérimentale, 1892, p. 479.
13-14. T111DIERGE, Société médicale, février 1893. ,
15. JoxcHERAY, Thèse Paris, 1893.
16. Gilles DE la TOURETTE ET MAGDELEINE, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière,
1894, no 1. Gilles DE la TOURETTE ET MARINESCO, Société médicale, 1894,p.425, et
Nouvelle Iconograpnie, juillet 1895.
17. Robin, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1894, n- 1.
18. Meunier, Id.
Chauffard, RENDU, Société médicale, 15 juin 1894.
Blanc, Société médico-chirurgicale de Saint-Etienne, février 1895 ; Loire médicale,
ma r s 189
19. Dubreuilh, Archives cliniques de Bordeaux, 1895, IV, p. 44.
20. Gilles de la TOURETTE ET MARI\ESCO (Le 2- cas), Nouvelle Iconographie de la
Salpêtrière, juillet 1895.
21. Lùvi ET LONDE, Bulletin de la Société anatomique, juin 1896; Société de biologie,
13 mars 1897, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1897, p. 113 et 198.
22. Pic, Province médicale 7 novembre 1896; Lyon Médical, 1896, p. 415; Bulletin
de la Société médicale de Lyon, 21 octobre et 2 décembre 1896 ; Revue d'orthopédie,
Paris, 1897 p. 164.
- HARTMANN, Société de chirurgie, 16 mars 1898.
23. HuDELO ET HEITZ, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1901, p. 415.
24. HILLEREAU, Thèse Paris, juillet 1901.
25. GAILLIARD, BECLÈRE, Société médicale, 19 juillet 1901.
26. Cadet, Thèse Paris, octobre 1901.
27. DIEULAFOY, Clinique Hôtel-Dieu, 170 leçon, 1902 ; Manuel de pathologie interne(
XIVO édition, 1904.
(11 BESANÇON et LABBÉ, Traité d'hématologie, 1904, p. 36.
MALADIE OSSEUSE DE PAGET ' 301
28-29, LANNELON6UE, Bulletin médical, 23 février 1903 ; Académie de médecine, 3 mars
1903.
30-31. Berger, Académie de médecine, 3 mars 1903.
32. Fournier, Académie da médecine, 31 mars 1903.
33-34. Ménétrier ET GAUCKLER. - Société médicale, 29 mai 1903.
35-36. Fréchou. Thèse Paris, juillet 1903 [L'observation IX est celle publiée in Thèse
Hillereau, 1901].
37. NEGELLEN, Thèse Paris, 1903.
RETIENNE, Société de Médecine de Nancy, 9 mars 1904.
38. Gaucher ET ROSTAINE, Société de dermatologie, avril 1904.
39. DUCASTEL ET SEMPER, ld.
INGEDRANS, Société de médecine du Nord, 10 juin 1904.
40, 41, 42. VINCENT, Thèse Paris, décembre 1904.
MOCQUOT ET Moutier, Déformations séniles du squelette simulant la maladie de
Paget (Travail du Laboratoire de M. Pierre Marie) ; Nouvelle Iconographie de la Sal-
pêtrière, 1905, n, 1.
43. Ménétrier et Rubens DuvAL, Société médicale, 26 mai 1905.
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
UNE FAMILLE DE QUATRE SUJETS ATTEINTS DE
DYSOSTOSE CLÉÏDO-CRANOENNË HÉRÉDITAIRE
PAR
MAURICE VILLARET et LOUIS FRANCOZ
. Internes des hôpitaux.
Nous avons eu l'occasion de présenter à la Société de Neurologie, le
2 mars 190G, une famille de quatre malades qui sont atteints de l'affec-
tion qui a été décrite et isolée pour la première fois par MM. Pierre Ma-
rie et Sainton en mai 1897 el. mai 1898 à la Société médicale des hôpitaux
sous le nom de dysostose cléido-crdnienne héréditaire et qui est caractérisée
essentiellement par les quatre signes principaux suivants : développement
exagéré du diamètre transversal du crâne,retard dans l'ossification des
fontanelles ,aplasie plus ou moins marquée des clavicules et transmission
héréditaire de ces troubles.
Ces malades sont au nombre de quatre, la mère et les trois enfants.
L'étude des antécédents héréditaires de cetle famille nous fournit quel-
ques renseignements intéressants.
Les parents de la mère sont morts, son père à )'age de 36 ans, de cause
ignorée, sa mère à 35 ans, emphysémateuse avec complications cardiaques.
A noter leur consanguinité : ils étaient cousins germains. Un oncle ma-
ternel présentait un certain degré de surdité congénitale, suffisante pour
l'avoir fait réformer. Elle a cinq frères ou soeurs qui ne présentent pas
la même déformation qu'elle ; ils sont, dit-elle, bien conformés, mais pe-
tits, le plus grand n'ayant que 1 m. 60 de taille. Une de ses soeurs a été
atteinte de mouvements choréiques passagers à l'âge de cinq ans. Leurs
enfants à tous sont bien conformés ; et la grand-mère qui était sage-femme
ayant constaté l'anomalie qui nous occupe, dès la naissance de notre sujet,
l'a recherchée de parti-pris sans la retrouver chez les autres.
Le père, qui ne présente pas la tare en question, est fils d'un alcooli-
que mort à la suite d'accidents nerveux mal définis. Lui-même a fait quel-
ques excès alcooliques dans son adolescence ; il a eu à plusieurs reprises
des crises nerveuses d'une nature indéterminée, paraissant épileptiformes,
la dernière remonte à l'époque de son service militaire ; actuellement c'est
NOUVELLE ! CONOGRAPIfIE ne LA SALPÊTRIÈRE.
T. XVII1. PI. XXXIX
DYSOSTOSE CLEÏDO-CRANIENNE HEREDITAIRE
(Villaret et Franco ? )
DYsOSTOSE CLÉIDO-CRANOENNE HÉRÉDITAIRE 303
un liomin4 àgé de 35 ans, mesurant 1 m. 62 de taille, vigoureux et bien
constitué, se disant sobre, mais d'une émotivité très marquée ; il nie la
syphilis; il présente un strabisme léger, congénital d'après lui. Il se re-
fuse énergiquement à tout examen.
L'observation de la mère est plus intéressante, nous la donnons avec
quelques détails.
OBS. I. Léonie B...., 36 ans (PI. XXXIX), a comme antécédents personnels
des convulsions dans son enfance, une fièvre typhoïde à 10 ans, une scarla-
tine à 13 ans, une coqueluche à 32 ans, enfin des angines fréquentes et béni-
gnes. Elle a eu six grossesses.
La première se termina par un accouchement prématuré à 7 mois et demi ;
l'enfant mourut au bout de cinq jours.
A la deuxième, l'enfant vint à terme, mais mourut à 21 mois, tuberculeux ,
Ces deux enfants qui n'étaient pas du même père que ceux qui nous occupent
étaient bien conformés.
Puis elle eut les trois enfants dont nous allons rapporter les observations et
entre les deux premiers, une fausse couche de 3 mois.
Actuellement c'est une femme de petite taille ( 1 m. 43), maigre et pâle,
avec un peu d'exophtalmie apparente, ayant un bon état général.
L'examen de la déformation nous montre une clavicule gauche normale
et mesurant 13 centimètres de longueur ; elle possède une courbure légère-
ment exagérée en avant. La clavicule droite présente deux fragments : un
interne et un externe. Le fragment interne, dont la forme rappelle celle de la
partie correspondante d'une clavicule normale , légèrement ascendant en
dehors, est articulé avec le sternum, et cette articulation est semblable à celle
du côté normal. Il semble représenter la moitié environ de la longueur de la
clavicule, puisque à 6, 5 centimètres de l'articulation sternale il s'arrête brus-
quement et se continue par un cordon fibreux souple et élastique. Le frag-
ment externe, atrophié, de dimensions peu appréciables, semble représenter le
tiers externe de la clavicule. Ces deux fragments sont réunis par une sorte de
.pseudarthrose. Ils chevauchent l'un sur l'autre, l'interne étant supérieur et
antérieur ; les mouvements qu'on leur imprime sont très limités. Le moignon
de l'épaule est plus rapproché de la ligne médiane du côté malade ; cette asy-
métrie est très appréciable à la vue, et à la mensuration on trouve de la
fourchette sternale à l'acromion 16 cent. 1/2 à gauche, 14 cent. 1/2 à droite.
La distance interacromiale est de 31 centimètres en avant, de 32 centimètres
en arrière ; il y a une légère chute des épaules en bas et en avant. Pas de dis-
parition de relief claviculaire.
Les omoplates sont facilement mobiles dans tous les sens, ont l'aspect de
scapulse alat; les fosses sus-épineuses sont normales. L'épine de l'omo-
plate présente à la partie interne de son bord postérieur une saillie angulaire
très nette à sommet postérieur surtout accentuée du côté malade, et qui ré-
pond à une exagération du tubercnle du trapèze.
304 M. VILLARET ET FRANCOZ
La voûte palatine est très ogivale, très haute, et présente une perforation
punctiforme à sa partie postérieure, perforation qui semble ne pas s'être mo-
difiée depuis que la malade s'en est aperçue. Les dents sont irrégulières,
petites, cupuliformes, mal implantées : les incisives médianes sont en retrait
sur leur bord interne. La malade a eu à 32 ans une canine supplémentaire au
niveau du rebord alvéolaire supérieur, près de la ligne médiane. Léger progna-
thisme : nez normal mais légèrement dévié à gauche : orbites excavés. Rebord
orbitaire inférieur en retrait provoquant une pseudo-exophtalmie. Le maxil-
laire inférieur est normal. Les dernières apophyses costales cervicales sont
normales, quoique légèrement plus marquées du côté atteint.
Le crâne a une forme particulière. Son ossification a été tardive et les fon-
tanelles, suivant la malade, ne se sont fermées qu'à l'âge de 10 ans. Bosses
frontales et pariétales exagérées ; sillon interfrontal large et bien marqué; oc-
cipital saillant. Voici quelques-unes des dimensions du crâne :
DYSOSTOSE CLÉIDO-CRANIENNE HÉRÉDITAIRE 305
mais peu ou pas mobile sur lui. De son extrémité interne part un cordon
fibreux qui se perd en dedans et ne peut être suivi jusqu'au fragment interne.
Ce dernier est facilement mobile en avant (2 cent. environ), très peu en arrière.
On ne sent pas très nettement l'encoche sous-acromiale.
Les épaules sont tombantes et la distance interacromiale est de 27 cent. en
arrière, de 23 en avant. Le moignon de l'épaule est très facilement porté en
arrière, et surtout en avant où il arrive jusqu'à toucher celui du côté opposé.
De plus, à la vue on constate entre l'épaule et le thorax un sillon vertical
remplaçant la saillie claviculaire absente. Les dernières apophyses costales
cervicales sont normales ainsi que le sternum.
Vue de dos, l'enfant présente une saillie très marquée des omoplates qui
sont détachées et mobiles. Les fosses sus-épineuses sont normales. On constate
une saillie très nette sur le bord postérieur de l'épine de l'omoplate, analogue
à celle de la mère, mais bilatérale comme la lésion, et proportionnellement
plus accentuée (voir les figures de dos où on la constate nettement sur la limite
externe du moignon scapulaire).
Le crâne est très gros, la face petite et en retrait sous lui, le front arrondi.
Les bosses frontales sont séparées par un sillon ; les bosses pariétales et la
saillie de l'occipital sont très nets ; léger ressaut post-lambdoïdien. Il n'y a pas
d'asymétrie faciale, pas de prognathisme. Le nez est normal, un peu déprimé
à sa racine. Le palais est nettement ogival : il n'y a pas de perforation à pro-
prement parler, mais une cavité punctiforme, borgne, située au point le plus
élevé de la voûte palatine.
Les dents présentent du retard dans leur évolution, elles sont petites, irré-
gulières, crénelées ; leur bord libre est en retrait sur le bord alvéolaire, les
incisives médianes en retrait par leur bord interne sur leur bord externe, sur-
tout en haut. La lèvre inférieure est un peu grosse et saillante.
Le crâne est complètement ossifié, mais cette ossification, au dire de la
mère, a été tardive et ne s'est produite qu'entre 7 et 8 ans.
Les dimensions du crâne sont les suivantes :
306 M. VILLARET ET FRANCOZ
cartilage ; le fragment externe n'est visible que dans un certain sens et pré-
sente des aspects variables suivant l'incidence des rayons, comme s'il s'agis-
sait d'une lamelle osseuse aplatie (PI. XLI). On ne voit que ce fragment sur
la radiographie.
L'exploration électrique des muscles de l'épaule, faite au courant faradique
par M. Delherm, dans le but de rechercher leurs insertions, montre que pour
le muscle sterno-cléido-mastoïdien il existe en dehors du faisceau sternal nor-
mal, des faisceaux qui vont se fixer sur les points de la clavicule qui persistent
et peut-être aussi sur les tractus fibreux qui les relient. Il en est de même
pour le grand pectoral et le deltoïde qui présentent des faisceaux claviculaires
comme le démontre le déplacement des fragments à la suite de l'excitation de
ces muscles. La contraction des muscles est normale, il n'y a pas d'atrophie
appréciable.
On ne relève pas chez la malade d'autre tare organique : l'examen du fond
d'oeil nous a paru normal ; peut-être y a-t-il sur la rétine quelques taches pig-
mentaires qu'on a signalées dans l'hérédo-syphilis. Les urines de 24 heures ne
présentent pas de formule pathologique. La ponction lombaire ne nous a rien
montré d'anormal.
OBs. III. - Le second enfant (Pl. XXXIX) est un garçon, Jules B..., âgé de
6 ans,né à terme. Il présente dans ses antécédents une rougeole puis une vari-
celle dont il porte encore des cicatrices sur la face. Ces deux affections sem-
blent ne pas avoir eu de suites.
Il présente les mêmes déformations claviculaires que sa soeur. On trouve
des deux côtés du sternum un fragment interne de clavicule, asymétrique chez
ce sujet et mesurant 3 centimètres à ,droite, et 4 centimètres à gauche. Les
fragments externes sont plus appréciables que chez la fille. Il ne semble pas
qu'il y ait de cordon fibr eu reliant les deux fragments externe et interne. Ils
sont très lâches des deux côtés et le fragment interne peut être ramené en
avant de 3 centimètres. Les épaules sont légèrement projetées en avant, et la
largeur inter-acromiale mesure environ ? 7 centimètres en arrière, 24 centimè-
tres en avant. Il y a un méplat inter-claviculaire reliant sans ressaut le cou et
la poitrine.
Les ligaments articulaires de l'épaule ont une laxité extrême ; la tête humé-
raie se subluxe en avant et en arrière des deux côtés. Le doigt sent une en-
coche sous-acromiale assez marquée. Les omoplates sont très mobiles, affec-
tent la forme de « scapulae alatoe » ; les fosses sus-épineuses sont normales.
De même que chez la mère et la soeur, on constate chez l'enfant un tuber-
cule angulaire volumineux, situé à l'union du tiers interne avec le reste de
l'épine de l'omoplate. ,
Les apophyses costales de la dernière vertèbre cervicale semblent légèrement t
saillantes. Le sternum est normal. ,
Le front est énorme ; un sillon médian, vertical, large et profond surtout
vers la racine des cheveux, le sépare en deux bosses frontales arrondies. Ce
sillon est la trace de l'ossification de la fontanelle antérieure qui n'est achevée,
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XVIII. PI. XL
DYSOSTOSE CLEÏDO-CRANIENNE HÉRÉDITAIRE
(Villaret et Franco^)
Radiographie du crâne de Jules B...
Mcisson et C ? Editeurs
('hototYPI8 fiert6aud, Paru
DYSOSTOSE CLÉIDO-CRANIENNE HÉRÉDITAIRE 307
suivant la mère, que depuis neuf ou dix mois ; on constate même encore ac-
tuellement une légère dépression non soudée vers la partie antérieure de la
suture sagittale. Les pariétaux forment une grosse saillie bilatérale ; les fonta-
nelles y sont soudées. L'occipital est saillant ; pas de ressaut post-lambdoïdien.
Les dimensions du crâne sont les suivantes : comparées aux diamètres nor-
maux chez l'adulte (occipito-frontal : 192 mm. 3. Bipariétal : 159 mm. 3) nous
voyons qu'elles sont en partie exagérées, surtout par rapport à la taille du su-
jet :
308 M. VILLARET ET FRANCOZ
. ODS. IV. Le troisième enfant est une fillette de 21 mois, Lucienne B...,
née à terme (PI. XXXIX). Pas d'antécédents pathologiques, pas de convulsions.
Les clavicules sont normales. Il n'y a pas de saillie angulaire au niveau des
épines de l'omoplate. Les omoplates sont normales et peu mobiles. Les épau-
les mesurent 17 cent. 1/2 en avant, 19 centimètres en arrière (distance
interacromiale); il y a donc comme chez les autres sujets une projection des
épaules en bas et en avant.
Le crâne est le siège de déformations intéressantes ; il présente en effet des
dimensions exagérées contrastant avec celles de la face, petite et en retrait. De
plus il y a un retard très marqué dans la soudure des fontanelles.
Les mesures du crâne sont les suivantes :
Diamètre bipariétal, 132 millimètres (149 mm. 3 chez la femme adulte nor-
male). ..
Diamètre occipito-frontal, 170 millimètres (180 mm. 4 chez la femme adulte
normale).
Largeur du front, 105 millimètres.
Diamètre bimalaire, 87 millimètres.
Hauteur de la face (de la racine du nez au menton), 77 mm.
Hauteur du crâne (à partir de la racine du nez), 70 mm.
L'indice céphalique est de 77.64.
Le front est olympien,les bosses frontales saillantes et séparées par un large
sillon, les bosses pariétales très marquées, l'occipital saillant, le ressaut post-
lambdoïdien assez net. La grande fontanelle antérieure ou bregmatique com-
mence à deux centimètres au-dessus du sillon naso-frontal, puis va en s'élar-
gissant progressivement jusqu'à mesurer 6 centimètres de largeur maxima au
niveau du bregma ; de là, elle se continue en se retrécissant en forme de lo-
sange assez régulier, avec la suture sagittale très anormalement ouverte, puis-
qu'elle mesure deux centimètres de largeur à sa partie moyenne; elle se ter-
mine enfin en s'élargissant au niveau de la petite fontanelle postérieure ou
lambdoïde, béante et entourant l'extrémité supérieure de l'écaille occipitale
très facilement perceptible. Au total, elle mesure d'une extrémité à l'autre
20 centimètres de longueur. Cet hiatus est fermé par une membrane assez
ferme, dépressible, légèrement pulsatile. Nous n'avons rien observé de spé-
cial sur les autres fontanelles crâniennes.
Le reste du squelette est normal. Pas de déformations thoraciques ou du
sternum. La taille est de 74 centimètres 1/2.- Le nez est normal, les orbites
peu escavés ; il n'y a pas de prognathisme. La voûte palatine est ogivale et
la dentition retardée ; il n'existe actuellement que 7 incisives, trois supé-
rieures et deux inférieures, et 2 petites molaires inférieures. Les oreilles son
normales. '
L'aplasie des deux clavicules rend possible chez les deux premiers en-
fants de nombreux mouvements anormaux qui sont identiques chez l'un
et chez l'autre; mobilité extrême de chaque épaule, possibilité de les
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XVIII. PI. XLI
DYSOSTOSE CLE1D0-CRANIENNE HEREDITAIRE
(Villaret et Franco^)
Radiographies de Juliette et Jules B...
NOUVELLE ICONOGRAPII ! E DE LA SALl'T1UhRE.
T. XVIII. Pl. XLII
DYSOSTOSE CLEÏDO-CRANIENNE HÉRÉDITAIRE
Cas de Couvelaire
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DYSOSTOSE CL1,IDO-CRANICNLYE HÉRÉDITAIRE 309
amener au contact en avant sur la ligne médiane, et en arrière, passage
possible par dessus la tête, sans les disjoindre, des deux mains unies
derrière le dos, etc., etc. (XV. Pl. XXXIX, XLI, LU).
Il semble de plus qu'aucun mouvement normal ne soit entravé chez
ces sujets ; ils peuvent se hisser à la force des poignets, grimper à la barre
fixe. Dans l'abduction du bras, la main soulevant un fardeau, la tête de
l'humérus se subluxe en avant et en dedans et paraît n'être arrêtée que
par son contact avec l'apophyse coracoïde.
Nous donnons d'autre part les épreuves radiographiques de la ceinture
scapulaire de la petite fille (obs : II) et du petit garçon (obs. III) (V. PI . XLI)
Comme l'examen radioscopique elles nous montrent que l'image des
fragments claviculaires très peu visible par rapport aux os avoisinant,pro-
duit l'impression de raréfaction que donnerait un ligament ou un carti-
lage. C'est à peine si, chez le jeune garçon on aperçoit le fragment
interne croisant obliquement de haut en bas et de dehors en dedans
l'image du gril costal postérieur, plus long à gauche qu'à droite; quant
au fragment externe il est absolument invisible. L'image claviculaire de
la petite fille est plus nette : à droite et à gauche on aperçoit un fragment
osseux au-dessus du bord supérieur de l'omoplate, séparé du sternum par
un espace libre correspondant probablement au noyau cartilagineux
d'ossification secondaire de la clavicule.
L'intelligence de la mère et des enfants est conservée et même assez
vive. L'examen de leur système nerveux a montré son intégrité absolue ;
les réflexes patellaire, achilléen, du membre supérieur, les réflexes cutanés
et pupillaires, l'acuité visuelle sont normaux. Pas de signes de lésion
du faisceau pyramidal, pas de troubles de la sensibilité. Leur état géné-
ral est excellent ; l'examen de leurs différents organes et de leurs urines
ne nous a rien montré d'anormal.
OBS. V (Couvelaire). A côté de cette observation familiale que nous
avons tenu à donner en détail, nous avons la bonne fortune de pouvoir
reproduire in extenso une très intéressante observation personnelle iné-
dite que 11. le Dr Couvelaire a eu la complaisance de nous communiquer
et qu'il n'a fait que mentionner dans son exposé de titres (1) (voir PI.XLII).
C'est une jeune femme de 23 ans. Elle ne peut donner sur sa famille que des
renseignements assez vagues. Sa mère est morte depuis longtemps. Elle ignore
de quoi. Son père vit encore : il est vigoureux et bien bâti. C'est elle qui est
la plus chétive de la famille.
(1) A. Couvelaire, Exposé des travaux, Steinheil, éditeur, p. 50-51 (1 dessin).
Paris, 1904.
310 M. VILLARET ET FRANCOZ
Elle est née à terme ; elle ne sait pas à quel âge elle a commencé à marcher.
Elle a fait une maladie grave vers l'âge de 2 à 3 ans ; depuis cette époque la
santé a toujours été bonne. Sa première menstruation date de l'âge de 14 ans ;
depuis réglée normalement. Elle est enceinte de 8 mois.
Elle est de petite taille 1 mètre 43. Elle est maigre, d'aspect chétif.
Le front est saillant avec ses 2 bosses frontales bien individualisées sur-
plombant la face qui est légèrement en retrait, et séparées par un sillon qui
commence à 3 centimètres de la racine du nez et monte en s'élargissant ; il
atteint 1 centimètre de profondeur sur2 centimètres de largeur et aboutit à une
dépression quadrangulaire correspondant au bregma. Le doigt qui suit ce sillon
vient buter sur le rebord saillant que forment les angles antéro-supérieurs des
pariétaux ; cette région des pariétaux est à un niveau plus élevé que le bord
supérieur des frontaux. A l'union des frontaux et des pariétaux la paroi crâ-
nienne est formée par un tissu fibreux très dense, très résistant sur une sur-
face d'un centimètre carré environ. La suture sagittale interpariétale n'existe
pas en tant que suture ; les pariétaux sont soudés. Il n'y a pas d'espace fonta-
nellaire correspondant à la fontanelle postérieure. L'occipital aplati descend
verticalement rejoindre la ligne de la nuque.
Les diamètres de la tête sont les suivants : ,
DYSOSTOSE CLÉIDO-CHANIEniVE HÉRÉDITAIRE 311
l'épaule s'accomplissent avec force et avec une certaine adresse. Servante de
son métier, elle est restée, après son accouchement, un mois à la Maternité
comme nourrice, portant, changeant et soignant les enfants comme ses compa-
gnes. Elle présente du fait de son aplasie claviculaire des mouvements anormaux
spontanés et provoqués des membres supérieurs par rapport au thorax. Très
facilement on produit l'adduction des moignons de l'épaule qu'on amène au
contact sur le devant de la poitrine ; l'adduction en arrière des omoplates plus
étendue qu'à l'état normal n'est cependant pas complète ; on ne peut croiser en
arrière les bras relevés.
La colonne vertébrale n'est pas déviée dans les régions dorsale et cervicale.
Il y a dans la région lombaire une ensellure assez prononcée qui s'accompagne
d'un peu d'antéversion du bassin. Le sacrum a sa base légèrement basculée en
avant. Les deux épines iliaques postéro-supérieures sont sur une ligne horizon-
tale et à égale distance de la ligne médiane. Les diamètres externes du bassin
sont les suivants :
312 M. V1LLARE'r ET FRANCOZ
mois. Il n'avait pas de clavicules. Les sutures et fontanelles étaient encore
largement ouvertes, sans que, d'ailleurs, il y eut hydrocéphalie.
Il nous semblé intéressant, à l'occasion de ces deux nouvelles obser-
vations, de rechercher dans la science quels ont été les cas d'aplasie cla-
viculaire qui peuvent être rapprochés de ces types si nets de dysostose
cléido-crânienne héréditaire. Notre maître, M. le Dr Pierre Marie, et no-
tre ami M. le Dr Couvelaire, ontbien voulu nous procurer sur ce sujet des
documents et des renseignements précieux dont nous les remercions vive-
ment. C'est d'ailleurs dans les deux communications de MM. Pierre Marie
et Sainton(l),etdans l'article de M.Couvelaire (2), qu'on trouvera la ques-
tion mise au point ; nous ne ferons qu'y ajouter les observations plus ré-
centes que nous avons pu compulser et quelques rares cas plus anciens
que nous avons pu découvrir, bien qu'il nous ait paru utile cependant de
réunir dans un même tableau d'ensemble les différentes observations déjà
parues.
Comme le montre ce tableau, ce sont MM. P. Marie et Sainton les pre-
miers qui ont isolé le syndrome de la dysostose cléido-crdnienne héréditaire,
ont mis nettement ses principaux caractères en relief et lui ont donné son
nom qui résume d'une façon précise et concise les quatre signes princi-
paux de l'affection. Nous reproduisons (PI. XLIII) les photographies des
quatre malades qui ont servi à la description de ces auteurs la première
famille (A) est composée du père et du fils, la deuxième famille (E) com-
prend la mère et la fille.
Avant eux toutefois on retrouve des observations plus ou moins nettes
de l'affection. Guzzoni degli Ancarani qui a eu la patience de compulser
une trentaine de traités d'anatomie spéciaux ou généraux ne retrouve dans
aucun mentionnée l'aplasie claviculaire congénitale. Seuls Sômmering(3),
Blandin, Meckel (4), Estor (5), Luchska(6), signalent l'absence possible
du fragment para-acromial remplacé dans ce cas par une apophyse scapu-
laire. '
(1) PIERRE MAIIIR et SAINT01, Bull. de la Soc. Méd. des Hôpitaux de Paris, 14 mai i
1897, 20 mai 1898, et thèse de Pierre. Paris 1898.
(2) A. Couvelaire, La dysostose cléido-crdnienne héréditaire. Journ. de Physiol. et
Pathol. générales, n" 4 juillet 1899.
(3) S5,làlERING. Tmité d'ostéologip, et de syndesmologie. Encyclopédie anatomique.
Traduction Jourdan et Breschet. Paris, Baillière, 1843, t. II, p. 129.
(4) MECKEL. Manuel d'anal, gén. et path. Traduction Jourdan et Breschet. Paris,
Bailliére, 184S.
(5) E. ESTOC. Cours d'anat. médicale, t. I, part. II, p. 580.
(6) LUCIIKA. Die anatomie der glieder des mel1schen. Tübingen Laupp, 1865, p. 30.
NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALP$75tIÉRE.
T. XVIII. PI. XLIII
DYSOSTOSE CLEÏDO-CRANIENNE HEREDITAIRE
(hillnret et Franco^)
A, B, C, D Cas de Pierre Marie et Sainton.
E - Cas de Hirtz.
DYSOSTOSE CLÉIDO-CHANIWNE HÉRÉDITAIRE 313
' Il existe pourtant des cas forts intéressants de Martin, de Morand, de
Stahmann, de Gegenbaur, de Niemeyer, de Scheuthauer, de Dowse, de
Rappeler, de Hamilton, de Gibert, de Todd, de van den Busche, de Guz-
zoni degli Ancarani, dont le travail, très documenté porte en grande par-
tie sur l'aplasie claviculaire dans la série animale ; mais ces travaux sont
fort incomplets, ne portent que sur une partie du syndrome sans en voir
l'ensemble ni la nature. Scheuthauer le premier signale les anomalies
crâniennes, mais l'hérédité de l'affection lui échappe,et il faut arriver aux
communications de 1897 et 1898 pour voir la question mise au point. Il
est assez curieux de noter que dans les travaux postérieurs à celui de
M. P. Marie, la'plupart des auteurs étrangers semblent ignorer totale
ment ses conclusions ; quelques-uns même paraissent découvrir l'affec-
tion et'vouloir décrire à nouveau l'ensemble du syndrome.
Signalons les 5 cas très nets de Hultkrantz, dont 4 dans la même famille,
les observations de Shorstbeinet de Carpenter, cette dernière la plus inté-
ressante puisqu'elle porte sur 6 membres de la même famille. Les cas de
MM. Pinard et Varnier concernent le père et la fille ; nous donnons ci-
contre (fig. 1, 2, 3) une photographie de cette dernière ainsi qu'une inté-
ressante radiographie de ses clavicules empruntée à l'observation de ces au-
teurs. C'est à la même époque et à propos de cet article que paraît l'excel-
XVI1l 21
Fig. 1. Malade de Pinard et Varnier. (D'apres la communication de P. Varnier,
314 M. VILLAI1F'C ET FRANCO; !
lent mémoire de Couvelaire (1) qui met la question au point. Quelque
temps après, Hamilton de Montréal, en 1899, signala chez une femme de
38 ans les principaux signes du syndrome, sans parler cependant du ca-
ractère héréditaire de l'affection. Wolff, cité par Sachs (2), trouve ces mê-
mes symptômes chez un jeune homme, mais ne mentionne pas l'hérédité du
syndrome. Trois ans plus tard, en 1903, MM. Ilirtz et Louste communi-
quent à la Société médicale des hôpitaux un cas de dysostose cleido-crâ-
nienne chez un homme de 49 ans (voir PI. XLIII) ; nous retrouvons dans
cette intéressante observation l'aplasie claviculaire double, le crâne spécial,
(1) Loc. cit.
(2) A. Sens, Ueber angeborene Defelcle der Scliliisselbeiiie, Mang. dissert. Leipzig,
déc. 1902 29 p., 1 fig., 1 radiogr.
Fig. 2. Malade de Pinard et Varnier. Dessin emprunté à l'article de Varnier et repré-
sentant le calque réduit au 1/4 de grandeur naturelle d'une radiographie du thorax
(décubilus dorsal). On y remarque la gracilité des différents os, le mouvement de
sonnette des omoplates surtout de la droite, et les deux fragments claviculaires.
Fig. 3. - Calque réduit au 1/4 de grandeur naturelle d'une radiographie de la partie
supérieure du thorax d'une femme normalement conformée (décubitus dorsal). Le
squelette est'vu d'arrière. (Emprunté à l'article de M. Varnier.)
. DYSOSTOSE CLÉIDO-CRAN1ENNE HÉRÉDITAIRE 315
l'aplatissement et les caractères particuliers de la face et l'hérédité proba-
ble, le père du sujet ayant présenté le même crâne et les mêmes troubles
de la dentition. A la même époque, Preleitner (de Vienne) signale un nou-
veau cas d'aplasie claviculaire chez le frère et la soeur, et Shermann (de San
Francisco) publie une observation semblable. Le dernier cas paru semble
être celui de Gross (de Kiel) ; c'est une fillette de 12 ans, dont les parents
semblent normaux, et qui présente les déformations caractéristiques.
Il existe donc actuellement environ 27 cas connus de la maladie de
Pierre Marie et Sainfon en comptant celui de Couvelaire et le nôtre ; ces
cas comportent45 observations dont plusieurs accompagnées de radiogra-
phies (P. Marie et Sainton, Pinard et Varnier, Shorstein, Carpenter,
Hamilton, Wolff, Preleitner, Shermann, Gross et les nôtres) et trois
autopsies (Scheutauer, Todd). L'affection n'est donc pas si rare que le
prétendaient certains auteurs (Polaillon).
En parcourant ces différentes observations, on peut en dégager la des-
cription suivante (Couvelaire).
1° L'aplasie claviculaire est le plus souvent bilatérale : 5 cas seuls (ceux
de Martin, de Niemeyer, de Pierre Marie et Sainton et le nôtre, n° 1)
font exception. Dans la plupart de ces cas, il existe du côté normal une
dépression de la clavicule. 1
Cette aplasie peut aller quelquefois jusqu'à l'absence totale (Niemeyer,
Hamilton), mais le plus souvent elle est représentée par 1 ou 2 rudiments.
S'il n'y a qu'un rudiment parasternal, il est le plus souvent de nature
cartilagineuse (radiographies de Shorstein, de P. Marie et Sainton, de
Couvelaire et les nôtres) ; il peut avoir des dimensions très variables, le
plus souvent inégales des deux côtés. Sa forme est celle d'un fragment de
clavicule ou d'un cône effilé ; articulé très lâchement avec le sternum, il
peut être horizontal ou oblique en haut et en dehors. Son extrémité ex-
terne peut être libre, comme dans le cas de Couvelaire, ou reliée par un
trousseau fibreux à l'apophyse coracoïde ou à la surface glénoïde comme
le montre la dissection de Scheuthauer. L'examen anatomique de Tolz
tend à prouver au contraire que ce ligament fibreux n'est le plus souvent
qu'une apparence.. Il est cependant suffisamment net dans certains de nos
cas pour que nous puissions l'affirmer.
D'autres fois il existe deux fragments, parasternal et paracromial comme
chez nos sujets ; ce dernier, conique ou de forme normale, est fortement t
articulé avec l'acromion et moins mobile que l'autre. Il est rare que ces
deux segments soient symétriques des deux côtés, cependant il en est
ainsi dans notre cas n° 2. Ils peuvent être réunis soit par une sorte de
pseudarthrose et même un chevauchement, rarement du fragment para-
acromial sur le parasternal (Hulkrantz), plus souvent du fragment interne
316 M. VILLARET ET FRANCO/. '
sur le fragment externe (Pinard et Varnier) (voir fig. et notre cas n° 1) ;
d'autres fois on ne trouve entr'eux qu'une bande fibreuse comme chez l'ai-
née de nos enfants ; celle-ci peut même manquer comme chez notre petit t
garçon.
L'action des muscles de la ceinture scapulaire est le plus souvent nor-
male. La plupart des auteurs se sont préocupés de l'état des insertions
musculaires aux rudiments claviculaires ; la dissection de Scheuthauer
donne à ce point de vue des renseignements très exacts, complétés par plu-
sieurs observations cliniques.
1° Le peaucier est intact.
2" Les insertions du sterno-cléido-mastoïdien se font sur le ruban
fibreux et les parties squelettiques avoisinantes. Dans le cas de Rappeler
il est normal du côté où le rudiment parasternal mesure 4 cent., mais est
réduit au faisceau sterno-mastoïdien du côté où ce rudiment n'a qu'un
centimètre ; les faisceaux occipitaux s'insérant sur le cordon fibreux et les
rudiments sont suffisants, le faisceau claviculaire étant cependant moins
fort que le faisceau sternal.
3° La portion claviculaire du trapèze manque le plus souvent ; quand
elle existe elle s'insère, soit au ligament claviculaire (Scheuthauer), soit à
l'acromion (Gegenbaur), soit à l'apophyse coracoïde.
4° La portion claviculaire du deltoïde manque également souvent ;
dans le cas de Gegenbaur, elle est représentée par des fibres qui naissent
du bord interne de l'acromion; dans l'autopsie de Scheuthauer elle naît du
rudiment parasternal et de la bande fibreuse qui en part. Dans le 1er cas
de Shermann la deltoïde est très atrophiée ainsi que les muscles sus et
sous-épineux. Le reste du muscle est presque toujours normal.
5° La portion claviculaire du grand pectoral est le plus souvent conser-
vée, mais elle est faiblement développée et peut même manquer (cas 8) ;
par contre la portion sterno-costale est normale.
6° A propos du sous-clavier, Gegenbaur s'est demandé si les points
d'insertion manquant, ce muscle pouvait persister ; chez le 3° individu
du cas n° 3 où les fragments claviculaires ont une longueur notable, cet
auteur doute de sa présence malgré la place pour ses insertions ; le fait
que les fragments claviculaires sont mobilisés par le jeu du sterno-cléido-
mastoïdien ou du grand pectoral lui fait penser que le sous-clavier doit
manquer. Nous avons constaté le même phénomène dans nos différents
cas. De même Rappeler croit à cette absence. Scheuthauer décrit par
contre dans son autopsie un muscle sous-clavier hypertrophié qui nais-
sait de la face postérieure du ligament remplaçant la clavicule.
7° Quant au plan profond des musclesdu cou, Scheuthauer a montré qu'ils
aboutissaient normalement à la bande fibreuse et l'enclavaient de son
DYSOSTOSE CLÉWO-CRAi'lIEN : 'OE HÉRÉDITAIRE 317 7
aponévrose ainsi que le sous-clavier. Gross, se basant sur l'absence de
troubles de la déglutition, pense que les muscles sterno-thyroïdien et
sterno-cléido-hyoïdien ne sont pas touchés.
Nous avons vu plus haut que l'examen électrique de notre sujet n° 2
n'a pas montré de grandes perturbations dans la musculature de sa cein-
ture scapulaire.
La plupart des auteurs insistent sur l'abaissement pathognomonique
du moignon de l'épaule qui est projeté en avant et coïncide avec l'absence
du relief claviculaire : le fait est net dans les cas unilatéraux par compa-
raison avec l'épaule saine. L'acromion déborde la tête numérale et il y a
dans certainscas une véritable encoche sous-acromiale comme dans les
luxations de l'épaule antéro-internes (Gegenbaur, Pierre Marie et Sainton,
Rappeler, Carpenter). Dans l'excavation ainsi produite on sent les diffé-
rents reliefs osseux et les battements de l'artère sous-clavière qui est ex-
posée spécialement aux blessures (Gegenbaur, Sachs). Cet aspect change
quand il y a un fragment para-acromial situé dans la dépression sous-
acromiale ; aussi n'est-il pas très net dans nos cas.
L'aplasie claviculaire peut entraîner un déplacement pathologique des
omoplates dont les bords spinaux s'éloignent excentriquement (scapulae
alatm) (voir fig.), une disparition apparente des fosses sus-épineuses
(Sachs) et quelquefois des déformations du thorax consécutives pour Sachs
et Gross à la pression de l'omoplate non retenue par l'arceau claviculaire.
De même on peut constater des saillies osseuses anormales, au ni-
veau du squelette avoisinant, soit une exostose de la cavité glénoïde,
soit une épine de l'apophyse coracoïde, dues probablement à des déplace-
ments d'insertions. C'est probablement parmi ces anomalies dues à l'ly--
peractivité de certains faisceaux musculaires qu'il faut ranger nos trois
cas de saillie exagérée du tubercule du trapèze.
Les mouvements volontaires ne sont guère modifiés ; tous les auteurs
insistent sur ce fait et sur l'ignorance où les malades sont le plus sou-
insistent sur .ce fait et sur t'ignorance où ies ma ! ades sont ie p)us sou-
vent de leur aplasie claviculaire ; nos observations ainsi que celles de
notre tableau montrent que les sujets peuvent être très vigoureux et
très habiles. Dans certains cas cependant ils se fatiguent vite, comme
la malade de Pierre Marie et Sainton qui ne pouvait pas porter long-
temps son enfant sur les bras. Par contre tous ces sujets présentent
une mobilité anormale et bizarre de la ceinture scapulaire qui peut varier
à l'infini et sur laquelle nous n'insisterons pas, car on peut facilement l'i-
maginer. L'adduction forcée des épaules en avant est l'attitude le plus
souvent reproduite dans toutes les observations (Carpenter, Shorstein,
Gibert, Pierre Marie et Sainton, Couvelaire, IIirtz et Louste, Pinard et Var-
nier, Gross, llamilton, etc.). Elle est plus ou moins marquée suivant le de-
318 M. VILLARET ET FRANCOZ
gré de l'aplasie claviculaire et de l'adiposité du malade ; il est impossible
de la produire nettement chez la mère de nos sujets dont l'anomalie est
unilatérale et chez le malade n° 1 de MM. Pierre Marie et Sainton qui est
trop gras. Ces différents mouvements anormaux peuvent amener la pro-
duction de bourses séreuses anormales (Scheuthauer). De même par suite
de l'aplasie claviculaire des subluxations peuvent se produire comme on
peut le provoquer artificiellement chez notre petit garçon (cas de Gross).
De ces différentes constatations on peut tirer la conclusion suivante
c'est que, si la clavicule joue dans l'économie un rôle de soutien pour le
membre supérieur. (Bichat), ce rôle est très relatif puisque chez nos mâla-
des en particulier l'épaule tombe très peu en avant, soutenue qu'elle est
suffisamment par les musclés et les aponévroses de la région. « Dans
l'histoire du développement des clavicules, conclut Sachs (1), on dit
qu'il se fait parallèlement avec le libre jeu des mouvements des membres
antérieurs; là où cette liberté est limitée et où les membres antérieurs
servent uniquement à l'appui du corps comme chez les oiseaux de proie
et les phoques, la clavicule est en anomalie régressive et ne se développe
même plus. Par contre lorsque cette aplasie résulte d'une disposition dé-
fectueuse, elle n'a aucune action sur le développement des mouvements
du bras qui sont normaux ou plus que normaux. »
2° L'aspect spécial du crâne est omis dans beaucoup d'observations et
peut manquer en réalité; mais le plus souvent il a passé inaperçu. Il faut
en effet avoir l'attention attirée sur les caractères si nets décrits par
MM. Pierre Marie et Sainton pour s'apercevoir que. dans les figures de
beaucoup de cas où elle n'a pas été signalée, la déformation existe en réalité
(Rappeler, Carpenter). Depuis cette description les nouvelles observations
ont d'ailleurs toujours mentionné les anomalies crâniennes. Couvelaire
avait déjà basé son travail sur 23 observations; actuellement nous pouvons
en réunir 38 où ces déformations sont signalées. Résumés rapidement les
différents caractères du crâne de P. Marie sont les suivants :
Le front est saillant, les bosses frontales séparées ,par un sillon plus
ou moins profond, les bosses pariétales très marquées et surélevées. Les
dimensions sont surtout exagérées par suite du retrait du massif facial.
Il y a un élargissement transversal de la voûte crânienne donnant lieu
à une rigole médiane antéro-postérieure, prolongement du sillon précé-
dent.
Les écailles temporales sont peu développées et déprimées (Scheu-
thauer).
L'écaille occipitale est leplus souvent saillante : il en est ainsi dans nos
cas.
(1) Loc. vit.
DYSOSTOSE CL);1D0-CRAN1ENNE HÉRÉDITAIRE 319
Un des caractères les plus intéressants est la persistance possible des
espaces membraneux des sutures et des fontanelles qui réunissent les bords
des différents os du crâne à la naissance. Déjà, normalement, à ce moment
la synostose précoce des deux frontaux a fait disparaître les 3/4 infé-
rieurs de la suture intercoronale, la suture pariéto-temporale est très
serrée et si les rapports entre le pariétal, le frontal et l'occipital sont en-
core lâches, il n'y a pas d'écartement véritable entre eux. D'ailleurs les
fontanelles vont bientôt se rétrécir,d'abord les latérales,puis les antérieu-
res (Poirier) (1).
Après avoir augmenté jusqu'à l'âge de 6 mois, suivant Mlle Pari-
selle (2), il est normal de les voir diminuer ensuite progressivement,
la fontanelle antérieure pouvant se fermer à 9 mois et devant être chez
un enfant normal complètement soudée entre 16 et 24 mois pour Chaus-
sier (3), à 2 ans pour Poirier. Il n'en est pas de même dans la dysostose
cléido-crânienne. Couvelaire cite 11 cas de largeur inusitée des fonta-
nelles chez les enfants et de leur persistance chez l'adulte : l'examen de
notre tableau montre qu'il en existe actuellement beaucoup plus. Il ne
faut cependant pas conclure à l'hydrocéphalie comme le fait a eu lieu
pour la petite fille de P. Marie et Sainton chez laquelle on avait prédit
l'idiotie à la naissance, qui est fort intelligente cependant, et dont les su-
tures se fermèrent vers 10 ans. Dans notre observation la soudure des
fontanelles s'est faite à 10 ans chez la mère, à 9 ans chez l'aînée, à 7 ans
chez le second enfant ; enfin chez la dernière petite fille il y a encore une
absence de synostose énorme à l'âge de 2 ans. Il n'y a aucun rapport en-
tre l'<ige du sujet et le degré de persistance des fontanelles : dans le cas 3
de Pierre Marie la fontanelle antérieure est encore à 47 ans grande comme
la paume de la main ; il semble de plus que la largeur des fontanelles,
ainsi que d'ailleurs l'affection, soient moins marquées chez les enfants
que chez les parents (P. Marie et Sainton) ; c'est ainsi que chez notre
petite fille la dysostose est fruste de même que dans l'observation de Pi-
nard et Varnier.
Scheuthauer enfin signale la présence de nombreux os wormiens au
niveau des sutures sagittales et lambdoïdes et Gross une fontanelle méto-
pique en dedans du tiers inférieur de la suture frontale.
On a signalé encore le raccourcissement de la base du crâne par suite
d'une-pliure en arc à convexité supérieure (Scheuthauer'). Noire examen
radiographique n'a pas confirmé ce fait : en revanche il a précisé quel-
(1) Poirier, Traité d'anatomie humaine (tome I). Voir aussi E. BONNAII\B, Sur quel-
ques anomalies des enveloppes crâniennes du nouveau-né, Progrès med.,13juin 1891.
(2) INI-110 PAMSELLE, Th. Paris, 1899-1900.
(3) CIIAUSSIEII, Gaz. méd. du centile, mars 1903.
320 ! I[. VILLARET ET FRANCOZ .
ques points intéressants entr'autres l'exagération du sinus frontal, la
raréfaction osseuse de la voûte et la position du trou occipital qui regarde
en avant et en bas.
La face présente des caractères particuliers très apparents chez le malade
n° 1 de Pierre Marie et Sainton et chez nos sujets ; ils concordent avec
les recherches anatomiques de Scheuthauer. Les os du nez sont réduits de
moitié ou des 2/3, le rebord orbitaire inférieur en retrait sur le supérieur
donnant lieu à un exorbitisme apparent, le diamètre transversal du ma-
xillaire inférieur diminué, les apophyses coronoïdes atrophiées. Il peut y
avoir du prognathisme. -
La voûte palatine est toujours très ogivale et peut présenter un défaut
de soudure plus ou moins marqué(P.NIarie et Sainton et notre cas familial).
Presque toutes les observations signalent l'irrégularité de la dentition ;
elle est très nette dans tous nos cas. Nous n'avons pas constaté l'élargisse-
ment et le déjètement en dehors du pavillon de l'oreille observés par
P. Marie et Sainton.
La radiographie confirme ces différents détails (voir PI. 40). Elle nous
montre de plus la diminution des sinus de la face. ' *
Il y a donc dans le squelette cràniofacial une véritable dysostosepardé-
faut, malgré les dimensions énormes apparentes du crâne : si en effet le dia-
mètre bipariétal est augmenté (182 mm. au lieu de 160 mm. dans le cas de
P. Marie et Sainton), le diamètre vertical minimum est diminué ainsi que
parfois le diamètre fronto-occipital. La modification des indices céphali-
ques n'enlraîne donc pas de changements appréciables dans la capacité
crânienne et son contenu, comme le montre d'ailleurs l'état de l'intelli-
gence qui reste normale. Cette pseudo-hydrocéphalie est due à l'atrophie
réelle de la face d'une part, à l'écartement excentrique des os de la voûte
d'autre part.
3° Enfin, et c'est là un caractère extrêmement important, la dysostose
cléido-crdnienne est une affection héréditaire. Gegenbaur insiste déjà sur ce
point. cl Ici, dit-il, ce n'est pas seulement la difformité en soi, mais surtout t
le fait de l'hérédité qui présente de l'intérêt. »
- Si dans certains cas elle est peu nette, c'est que rarement elle ne se
prolonge plus de deux générations, comme l'ont montré Gegenbaur et P.
Marie, et surtout à ce que les auteurs n'ont pas recherché dans les ascen-
dants ou les descendants les cas frustes sur lesquels nous insisterons plus
loin. C'est ce qui explique que certains savants comme Sachs, ne trou-
vent pas ce signe, et que certains autres même, comme Gross, le nient.
Si par exemple les cas 17 et 21 ne nous présentent pas d'hérédité nette,
il nous faut tenir compte cependant de la malformation spéciale de la tête et
de la scoliose chez le père du cas 21 et du rachitisme'de la mère dans le cas
DYSOSTOSE CLÉIDO-CRANIENNE HÉRÉDITAIRE 321
17; il s'agissait de plus dans cette dernière observation d'une fillette de
13 ans dont plus tard les enfants, si elle en a eu, seraient intéressants à
examiner avant de pouvoir conclure logiquement à l'absence d'hérédité.
Si d'autre part l'hérédité n'a pu être trouvée dans 10 autres cas, c'est que
les parents ne purent pas être examinés; MM. Hirtz et Louste entr'au-
tres mentionnent la ressemblance frappante du sujet avec son père et
concluent cependant à une dysostose héréditaire. Il existe d'ailleurs
assez d'exemples pour prouver la valeur de ce signe important (familles
de P. Marie et Sainton, de IIulttkrantz, de Carpenter, de Pinard et Var-
nier, etc.).
Il nous reste à rechercher quelles sont les causes de cette disposition
héréditaire. Plusieurs théories pathogéniques ont été proposées.
S'agit-il d'une anomalie régressive ? C'est ce que semble prétendre
Guzzoni degli Ancarani qui dans un long article passe en revue les diffé-
rents aclaviculés de la nature et montre que chez les animaux domestiques
l'os est à l'état rudimentaire [Chauveau (1)] ainsi que chez les carnivores
[Sertoli (2)], et les rongeurs, qu'il manque chez les cétacés, les édentés et
les solipèdes, tandis qu'il est très développé chez les oiseaux de proie, les
batraciens anoures, et qu'il est réuni au sternum et non à l'omoplate chez
le porc épic (Owen, Neborld et Stanniu, Gegenbaur, Wiedersheim) ; la
clavicule serait dans ces cas en rapport avec la force multipliée par la mo-.
bilité de l'extrémité antérieure (I-Iyrtl Gegenbaur).
. Pour Scheuthauer, il s'agirait d'une inflammation causale se produisant,
avant le deuxième mois de la vie intra-utérine et agissant simultanément
sur les os de couverture ; mais comme l'objecte Couvelaire, on s'explique
difficilement pourquoi cette inflammation ne porte que sur certains points
exclusivement.
Dowse après avoir pensé à une fracture de la clavicule in 1¿te1'O ou
pendant l'accouchement, se rend finalement à l'opinion plus vraisem-
blable qu'il s'agit d'un vice primitif de formation. Preleitner écarte de
même le traumatisme intra-utérin ou obstétrical.
Dans leur première communication,MM. Pierre Marie et Sainton avaient
appelé leur affection hydrocéphalie héréditaire tout en montrant combien
affection s'éloignait de l'hydrocéphalie vulgaire (3). Dans leur deuxième
(1) Chauveau, Anal, des animaux domestiques. Paris, Baillière, 18 : i7, p. 68.
(2) Sertoli, Compendio di analomica special. Milano, Bernardoni, 1874, p. 84.
(3) Il convient d'ailleurs de faire remarquer que chez le malade observé par MM.
Pierre Marie et Sainton (A, le père) ces auteurs ont vu depuis quelques années se dé-
velopper tous les signes d'une hydromyélie très accentuée caractérisée par un état
322 M. VILLARET ET FRANCOZ
cette communication ils établissent bien la nature spéciale du syndrome.
L'hypothèse de la syphilis héréditaire avait été à ce propos soulevée par
Rendu qui se basait sur les caractères du crâne, semblables, d'après lui,
au crâne natiforme de Parrot. Mais, comme le dit M. Comby, la valeur du
crâne de Parrot n'a rien de spécifique et peut se rencontrer dans le
rachitisme. « Je ne connais pas, ajoute de plus M. P. Marie, de malforma-
tion hérédo-syphilitique, se transmettant ainsi in toto du père au fils. »
Shorstein, Gross et Sachs pensent au rachitisme survenant au te mois
de la vie intrafoetate. Ce dernier se base sur la tardive soudure des fonta-
nelles ; nous savons quelle est' la valeur de ce signe méconnue par cet au-
teur. Carpenter invoque chez les parents de ses sujets les courbures exa-
gérées des clavicules et les malformations du sternum, Shorstein, le retard
dans la marche ; nous verrons plus loin ce que nous devons penser de ces
troubles. Sachs lui-même rejette d'ailleurs cette opinion, n'ayant pu cons-
tater les signes principaux du rachitisme.
Une hypothèse plus vraisemblable est celle qui cherche la cause dans
la similitude embryologique des parties malades. Le squelette cranio-facial
à part la base du crâne, ne se développe pas comme les autres os aux dé-
pens de points cartilagineux, mais d'une ébauche membraneuse pour la
voûte crânienne et du tissu conjonctif pour la face, où ces cartilages ne
servent que de guides à l'ossification et disparaissent plus tard. Or beau-
coup d'embryologistes pensent que la clavicule est aussi un os dermique.
C'est là un fait certain chez les mammifères inférieurs et les poissons;
Gegenbaur a bien montré en effet que la clavicule, d'origine dermique
comme le crâne, peut être reliée à lui par les os susclaviculaires (Estur-
geons) ou même se détacher directement de lui (Teleosteens)] (1.) et que de
plus chez les acraniens il n'y a pas de clavicules. Bruch prétend qu'il en
est de même chez l'homme. Gegenbaur, d'autre part, pense que la clavi-
cule, os mixte, présente autour d'un noyau primitif dermique deux noyaux
secondaires cartilagineux et Kôlliker que c'est un os cartilagineux. Les
examens embryologiques de Couvelaire n'ont pu trancher complètement
la question.
Quoi qu'il en soit, il est un fait qui plaide en faveur de cette parenté ;
dans l'achondroplasie caractérisée par l'absence de propriétés ostéogéni-
ques du cartilage ostéogène, la clavicule et les os du crâne sont respectés.
C'est en se basant sur ces arguments que M. Apert (2) rapproche la dysos-
spasmodique très prononcé des 4 membres et l'existence de la main en pince patho-
gnomonique. Il est donc fort possible que les ventricules du cerveau, de même que
le canal central de la moelle puissent être intéressés dans cette affection.
(1) GEGENBAUR, Anat. comparée. Traduction Vogt, p. 638.
(2) APERT, Quelques remarques sur l'achondroplasie (avec deux observations nou-
velles d'achondroplasies adultes). Nouvelle Iconogr. de la Salpêtrière, 1903.
DYSOSTOSE CLÉ1DO-CRANIENNE HÉRÉDITAIRE 323
tose cléido-crânienne de l'achondroplasie, dystrophies héréditaires toutes
deux et semblables à elles-mêmes, n'étant le fait ni d'un accident du déve-
loppement utérin ni d'une maladie foetale, mais étant en réalité « des varia-'
tions bien caractérisées et héréditaires du type humain, spécifiques et
brusques, bien connues des zootechnistes, que l'école néodarwinienne dé-
signe, avec de Vries, sous le nom de mutations ». Les deux affections se-
raient, d'après cet auteur, deux variations opposées et complémentaires,
la première caractérisée par une insuffisance de l'ossification cartilagi-
neuse, la deuxième par une insuffisance de l'ossification membraneuse.
Il peut y avoir des intermédiaires entre les deux types (tel est le cas de
MM. Gaillard et F. Lévy) (1), les types de dysostose étant multiples
comme toutes les maladies familiales.
Il est enfin une théorie qui nous parait rationnelle et à laquelle les
faits que nous avons observés semblent donner raison, c'est celle invo-
quée par M. Couvelaire. D'après cet auteur il est logique de penser que
l'élément causal, quel qu'il soit,ne doit pas vraisemblablement limiter son
action à certaines parties du squelette osseux. La dysostose cléido -crânienne
est donc l'expression d'une tare générale avec prédominance sur un certain
groupe osseux. Nous trouvons en effet chez la plupart des malades à côté
des stigmates principaux déjà décrits, un cortège plus ou moins atténué
de stigmates secondaires, preuves de l'atteinte générale du squelette.
Presque tous les sujets sont de petite taille ; il suffit de parcourir notre
tableau et nos observations pour s'en convaincre. Ils peuvent présenter
des dépressions ou des pliures du sternum (cas 2 de Gegenbaur, cas de
Dowse, de Rappeler, cas 1 de Pierre Marie et Sainton, cas 6 de Carpenter,
cas de Shorstein, de Pinard et Varnier), de la cyphose (Guzzoni), de la
scoliose (cas 4 de P. Marie et Sainton, cas de Niemeyer, de Hamilton), de
la lordose (Ilirtz et Louste), le thorax aplati (Scheuthauer) ou de poulet
(Gross, Hirtz et Louste), du retard dans la marche (Hirtz et Louste,Gross),
du développement anormal des apophyses transverses de la septième cer-
vicale pouvant aboutir à la formation d'une côte cervicale (Shorstein,
4 cas de Carpenter), de l'incurvation des os longs (Shermann), du genu
valgum (3 cas de P. Marie et Sainton, cas inédit de Couvelaire), des pieds
plats (cas 4 de P. Marie et Sainton,cas de Carpenter), des pieds-bots (cas de
Dowse, 3 cas de Kappelerj,des tibias en lame de sabre (cas de Gross, notre
cas). Signalons de plus l'épilepsie chez la malade de Dowse, le myosis dou-
ble chez celui de Hirtz et Louste, le pseudo-rachitisme (Shorstein), l'obé-
sité (3 cas de P. Marie, Gegenbaur, Dowse, Rappeler), les disjonctions épi-
physaires et l'état marastique chez l'enfant décrit par Hamilton, l'atrophie
(1) Sur un cas d'achondroplasie fruste. Gaillard et F. Lévy. Bull, de la Soc. méd.
des hôp., 25 novembre 1904. Discussion : Apert.
24 : 1 M. VILLARET ET FRANCOZ
de plusieurs côtes (Hirtz et Louste). L'observation de Gibertt est très inté-
ressante à ce point de vue ; les os des membres étaient mous et sans consis-
tance et la fillette mourut à 15 ans d'ostéomyélite aiguë. Ces tares peuvent
se remarquer d'ailleurs parmi les membres de la famille atteinte qui ne pré-
sentent pas de dysostose cléido-crânienne; les 3 soeurs de la petite fille,dé-
crite par Rappeler, avaient des pieds-bots congénitaux ainsi que deux des
enfants de la famille citée par Carpenter, le frère de la malade de Pinard
et Vanner a un crâne natiforme et une voûte ogivale. Mais parmi ces
déformations accessoires, nous devons insister sur celles qui portent sur
le bassin : si l'accouchement a été 4 fois spontané chez les 5 femmes étu-
diées par Couvelaire, il en est une qui présentaient un bassin généralement
rétréci, qui, lors de la première grossesse nécessita une opération césa-
rienne (Maygrier) et lors de la deuxième une symphyséotomie (Varnier)(9 ).
De même chez notre femme, nous savons que si deux de ses accouche-
ments ont été normaux, le premier a été dystocique. Ajoutons enfin que la
malade de Couvelaire (obs. inédite) a un bassin généralement rétréci ainsi
que le prouvent les mensurations directes données plus haut.
On peut donc penser avec Couvelaire qu'il s'agit là d'une hérédo-dys-
trophie spéciale localisée en général au crâne et aux. clavicules comme
l'ont montré MM. Pierre Marie et Sainton, mais pouvant porter sur d'au-
tres parties du squelette.
Il nous a semblé de plus que, de même que cette tare peut dépasser sa
localisation classique pour atteindre d'autres points osseux, ou exagérer
ses lésions locales comme au niveau du crâne de l'enfant décrit par Gi-
bert, de même aussi elle peut régresser, cette régression s'accusant avec
les générations successives comme l'ont bien vu MM. Pierre Marie et Sain-
ton. L'aplasie claviculaire unilatérale peut être considérée comme un pre-
mier stade de cette régression. A un second stade les clavicules sont nor-
males ; seules les anomalies crâniennes persistent. Notre quatrième cas,
le bébé représenté dans la figure, est un exemple très netà l'appui de
cette thèse ; le retard énorme de son ossification crânienne, l'augmenta-
tion de son diamètre bipariétal, sa parenté enfin nous autorisent à faire
de ce type une forme fruste de l'affection au même titre que l'aplasie
claviculaire unilatérale. Il en est de même d'un des deux enfants du cas 2
de P. Marie et Sainton qui, mort de convulsions à 2 ans 1/2, avait une
fontanelle encore béante, et du cas (6) de Carpenter.
Quant à l'étiologie de cette hérédo-dystrophie, nous pouvons dire sim-
plement que la tuberculose, l'alcoolisme, les intoxications diverses ont
été successivement incriminées.
(1) Voir à ce propos la radiographie de ce bassin comparée à une radiographie de
bassin normal, dans l'article de Varnier (loc. cit.). , . .
i DYSOSTOSE CLÉIDO-CRANIENNE HÉRÉDITAIRE 325
Il semble que la syphilis soit la cause la plus probable. Dans notre cas
en particulier nous n'avons pu que la soupçonner en nous basant sur les
crises convulsives du père, les fausses couches et les tibias de la mère,
l'état du fond d'ocil de la fillette. Notons enfin dans notre cas la consan=
guinité des parents.
En résumé nous pouvons tirer les conclusions suivantes de l'étude
précédente.
1° La dysostose cléido-crânienne héréditaire de Pierre Marie et Sainton
est une entité bien définie, caractérisée par des signes bien nets que nous
retrouvons au complet dans la famille que nous avons décrite.
2° Le signe qui, à côté de l'aplasie claviculaire, nous a paru le plus
constant est le retard de. la suture des fontanelles amenant l'aspect patho-
gnomonique du crâne et l'exagération du diamètre bipariétal, ces grandes
dimensions contrastant avec le retrait du massif facial. Signalons la netteté
chez tous nos sujets de la voûte ogivale et de l'irrégularité de la dentition,
et l'absence de soudure de la voûte palatine chez certains.
3° L'unilatéralité de la lésion claviculaire chez la mère, doit être signa-
lée à cause de sa rareté, ainsi que les différentes formes d'union des
fragments claviculaires qui sont en rapport chez nos malades ◀tantôt▶ par
une sorte de pseudarthrose, ce qui est rare, ◀tantôt▶ par une bride fibreuse,
cette dernière pouvant n'exister qu'en partie ou même manquer complète-
ment.
40 Il ne nous a pas semblé dans ces différents cas que les bras et les
épaules tombent en avant et en bas d'une façon aussi accusée que le dé-
crivent certains auteurs ; l'anomalie aurait pu passer inaperçue à la vue
chez la plupart de nos sujets si le toucher n'était venu confirmer le dia-
gnostic ; si les mesures accusent une diminution de la distance inter-
acromiale antérieure par rapport à la postérieure, nous la constatons aussi
bien, sinon plus, chez notre dernier né, dont les clavicules sont normales,
que chez nos aclaviculés, ce qui prouve le peu d'importance du rôle de
soutien de cet os. On peut remarquer par contre combien l'aspect devient
caractéristique chez les petits malades vus de dos dont les épaules ont été
rapprochées en avant ; il semble qu'il y ait dans cette position une dispa-
rition complète des bras, et de leurs racines ne laissant voir que le tho-
rax évasé en bas, rétréci en haut.
5" La radiographie des fragments claviculaires peut rendre des services
dans la détermination de la nature de l'affection (voirfig.); leur image
très peu visible par rapport à celle des os avoisinants est celle d'un seg-
ment cartilagineux ou ligamenteux. Les rayons X nous ont de plus ren-
326 M. VILLARET ET FRANCOZ t
seigné sur certains détails de la forme du crâne, de la colonne lombaire
et du bassin.
6° Nous avons constaté la présence au niveau du bord postérieur de
l'épine de l'omoplate d'une saillie anormale du tubercule du trapèze qui
semble nettement en rapport avec l'aplasie claviculaire ; très appa-
rente et bilatérale chez les enfants à lésion claviculaire double, elle est
plus marquée du côté atteint chez la mère, et manque chez le plus jeune
enfanta clavicules normales.
7° Le caractère héréditaire de l'affection nié par certains auteurs est par-
ticùli8rement net dans notre observation dont les quatre cas sont à mettre
en parallèle avec les familles les plus nombreuses et les plus typiques
(Gegenbaur, Carpenter). -
8° Nous avons pensé qu'on pouvait considérer comme une forme fruste
de dysostose cléido-crânienne le cas de notre plus jeune enfant dont les
lésions crâniennes typiques ne s'accompagnent pas d'aplasie claviculaire.
Il semble que l'anomalie se soit atténuée dans la série familiale suivant la
remarque de M. P. Marie. Parmi les formes frustes doit aussi se placer le
cas de la mère dont l'aplasie claviculaire unilatérale coïncide avec l'ab-
sence d'exagération du diamètre bipariétal, bien que le retard dans la su-
ture des fontanelles et l'aspect du massif crânio-facial restent aussi carac-
téristiques que possible.
9o A côté des signes cardinaux de l'affection existent des signes secon-
daires qui ont leur importance : parmi ceux-ci il faut signaler les dé-
formations du bassin qui peuvent être la cause de dyslocies.
10° Nous ne possédons à l'heure actuelle aucune donnée certaine tou-
chant l'étiologie et la pathogénie de la dysostose cléido-crânienne hérédi-
taire.
TABLEAU COMPARATIF DES OBSERVATIONS DÉJÀ' PUBLIÉES
DE
DYSOSTOSE CLÉI DO-CRAN I EN N E HÉRÉDITAIRE (1)
(1) Une partie de ces renseignements est empruntée à l'excellent travail de M. Couvelaire.
328 M. VILLARET ET FRANCOZ z
330 M. VILLARET ET FRANCOZ Il j
332 1-) nt. VILLARET ET FRANCOZ '
334 M. VILLARET ET FRANCOZ
336 M. VILLARET ET FRANCOZ I
338 M. VILLARET "'1' FRANCOZ '
340 M. V1LLARET ET FRANCOZ
342 M. V1LLAIiET ET rRANCOZ
18e Année N° 4 Juillet-Août
PATHOGÉNIE DE LA
PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE
(méningite FOETALE)
par
ÉTIENNE RABAUD
Docteur en médecine et docteur ès sciences.
SOMMAIRE
Préliminaires. L'évolution des idées sur la pseudencéphalie et l'anencéphalie.
Chapitre I. La morphologie externe et la constitution du squelette. I. Morphologie
externe. II. Squelette : Pseudencéphalie avec hémicrânie ; Pseudencéphalie sans
hémicrânie ; Base du crâne et face ; Colonne vertébrale. III. Anomalies conco-
mitantes.
Chapitre II. Le système nerveux et le tissu cérébro-spinal. I. Moelle épinière et
tissu cérébral des foetus à canal rachidien clos : étude d'ensemble; variations diverses
(méningite segmentaire ; dédoublement du canal de l'épendyme) ; constitution et ge-
nèse de la tumeur cérébrale ; ganglions crâniens ; marche générale du processus
méningitique. Dégénérescence pré-méningitique de la moelle. - II. Tissu cérébro-
spinal des foetus à rachis déhiscent : absence de tout vestige de tissu nerveux ; per-
sistance de fibres nerveuses ; tumeur cérébrale sacciforme.
Chapitre III. - Répercussion de la méningite sur le développement. - I. Vue d'en-
semble du processus méningitique. II. Signes fonctionnels de la méningite. III.
Actions mécaniques et lésions de voisinage : Attitude ; hémicrânie et exorbitisme;
persistance totale ou partielle de la voûte ; déhiscence du rachis. -IV. Le système
nerveux et la nutrition générale.
CnAPiTRElV. Les causes de la méningite foetale. - Infection microbienne. Adhé-
rences annexielles.
Chapitre V. Conséquences et conclusions. La pseudencéphalie et l'arrêt de dévelop-
pement.- Variétés anatomiques.-Pseudencéphalie; Exencéphalie ; Acéphalie.- Si-
gnification de l'hémicranie Destruction des centres et persistance des ganglions.
Préliminaires
L'évolution des idées sur la Pseudencéphalie et l'Anencéphalie.
Parmi les états congénitaux qui ont le plus préoccupé, quant à leur nature,
l'esprit des médecins et des tératologistes, la pseudencéphalie (1) et l'anencé-
(1) Les auteurs allemands désignent fréquemment la pseudencéphalie sous le nom
d'/teMtcep/ittHe.
xviii 23
346 RABAUD
phalie se placent, sans contredit, au premier rang. Se présentant avec une
fréquence relative, prédominant dans l'espèce humaine, elles offrent des dispo-
sitions morphologiques singulières, difficiles à interpréter. Cette difficulté
d'interprétation ne pouvait qu'engendrer les nombreuses théories qui se sont
succédé depuis Meckel et Etienne Geoflroy-Saint-Hilaire.
La pseudencéphalie et l'anencéphalie, que l'on distingue assez ordinairement t
l'une de l'autre, possèdent en commun la plupart des caractères extérieurs :
le faciès et l'attitude des individus atteints sont les mêmes dans leurs traits
généraux ; les variations que l'on observe ne s'appliquent pas plus spé-
cialement à l'une qu'à l'autre. Et quant au caractère fondamental, celui qui
touche à la disposition du crâne et du canal rachidien, on le retrouve exacte-
ment semblable des deux parts : c'est l'absence de la voûte crânienne exclusi-
vement localisée 'aux os de membrane; c'est la déviation latérale des lames
vertébrales, dans les cas où la modification crânienne est accompagnée d'un
spina-bifida d'étendue variable.
La seule différence qui a rendu possible l'établissement de deux groupes dis-
tincts réside dans le contenu de la gouttière crânienne ou crânio-spinale. Ce
contenu n'est jamais de la substance cérébrale : dans la pseudencéphalie, c'est
une tumeur rougeâtre très vasculaire, plus ou moins lobulée superficiellement,
mais ne rappelant en rien l'aspect extérieur des hémisphères ; dans l'aneucé-
phalie, cette tumeur même fait défaut : le fond de la gouttière est tapissé par
une membrane fibreuse d'épaisseur variable. Entre ces deux dispositions se
placent tous les intermédiaires et, en définitive, il n'existe aucune ligne de
démarcation bien tranchée entre la pseudencéphalie et l'anencéphalie.
D'ailleurs, les anatomistes qui, les premiers, ont abordé l'étude de ces
productions congénitales, Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire, en particulier, n'ont
pas établi de différences et, sous le nom d'anencéphalie, ont aussi bien décrit
des individus se rapportant aux anencéphales proprement dits qu'aux pseu-
dencéphales.
La distinction est due à Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire; mais s'il a pu la fon-
der sur la nature du pseudo-encéphale, il n'a point pour cela supprimé ce que
cette distinction a de vraiment artificiel ; il n'a point empêché les confusions
nombreuses et inévitables qui se produisent constamment.
Si la détermination précise des individus donne lieu à des incertitudes, les
incertitudes sont bien plus grandes encore quand il s'agit de préciser le méca-
nisme de ces productions. Diverses hypothèses ont été sucessivement envi-
sagées. ,
Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire, qui a longuement étudié les anencéphales,
admet en principe que « l'ordonnée de toute monstruosité réside dans les
brides qui attachent le foetus à une partie de ses enveloppes ». A son gré,
« c'est l'ouverture du canal crânio-vertébral qui devient l'essentielle modifica-
tion, formant le changement d'un foetus régulier en foetus anencéphale » (1).
(1) E. GEOFFROY-SAINT-H1LAIRE, Sur de nouveaux anencéphales humains (Mémoires
du Muséum, t. XII, 1825).
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 347
Il se refuse à « croire qu'une organisation régulière à tant d'autres égards se
puisse concilier avec l'absence absolue de tout appareil cérébral ou spinal » (1);
à son avis, le liquide que l'on rencontre d'ordinaire chez les anencéphales au
moment de la naissance liquide renfermé dans une poche logée dans la
gouttière crânienne représente la substance cérébrale. Il considère, en effet,
cette eau comme une production primitive, car il admet que la substance
cérébrale apparaît dès l'abord sous forme d'un fluide transsudant des vaisseaux,
au sein duquel s'élabore secondairement le tissu nerveux. Et alors, « qu'est-ce
qu'un anencéphale ? Un être dans lequel ne s'opère pas à la région rachi-
dienne la transformation du premier versement aqueux du liquide organique ;
un être qui conserve toujours ses premières conditions foetales en ce qui
concerne un des produits organiques » (2). L'anencéphalie rentre donc par
cette voie dans le cadre de l'arrêt de développement. Ce sont des adhérences
placentaires qui provoquent cet arrêt de développement.
Sous des formes différentes, cette conception mécanique a trouvé de nom-
breux adeptes. Comme on rencontre fréquemment des pseudencéphaliens ou
des anencéphaliens portant la trace plus ou moins manifeste d'adhérences pla-
centaires ou de brides amniotiques, c'est à elles que l'on continue à imputer la
production congénitale (3).
Concurremment avec cette théorie, prit naissance une théorie purement
pathologique. Celle-ci fait intervenir une hydrocéphalie foetale, sous l'influence
de laquelle la substance cérébro-spinale serait secondairement détruite. Emise
pour la première fois par llleckel, cette théorie a été défendue par Béclard (4),
Ollivier d'Angers (5). Breschet (6), cependant, observant avec raison que
certains hydrocéphales naissent vivants et se développent avec un encéphale
intact, faisait dépendre l'auencéphalie « d'une anomalie ou d'une paresse de la
force végétative, que nous appelons force formative ou nisus formatives d'après
Blumenbach ». En somme l'idée d'une hydrocéphalie préalable et d'une
façon plus générale l'idée d'une destruction secondaire du système nerveux
ne fut pas accueillie avec faveur, malgré l'appui que lui apporta Jules Guérin,
pour qui l'anencéphalie était une affection destructive et convulsive des centres
nerveux (7).
Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, toutefois, hésite à se prononcer. Tout en
' (1) E. GEOI'Fa07-SAIN'f-IIIL.11RE, Philosophie anatomique. Des monstruosités lzu-
maines. Paris, 1822, p. 140.
(2) Philosophie analomique, p.' 149.
(3) Les observations de ce genre sont nombreuses. Voir en particulier N. JoLY et
I. GutTARD, Mémoire sur un enfant noseiicéphale adhérent à son placenta et né vivant
à Toulouse le 26 juillet 1850 (Mém. Acad. des Se. de Toulouse, 1851, p. 141).
(4) Béclard, Mémoire sur les foetus acéphales (Bulletin de la Faculté de médecine,
1817).
(51 Ch. P. Ollivier, Essai sur l'anatomie el les vices de conformation de la moelle,
épinière chez l'homme (Thèse de Paris, 1823).
(6) E. Brssciiet, Article Anencéphalie du Dictionnaire de médecine, 1821.
(7) Jules Guérin, Recherches sur les difformités congénitales chez les monstres, le
jalus et l'enfant, Paris, 1880.
348 RABAUD '
essayant de réfuter l'hydrocéphalie, qui tire principal argument de l'existence
des nerfs périphériques en l'absence des centres, argument fondé, dit-il, sur
l'ancien système faisant dériver les nerfs de l'encéphale - il admet qu'elle est,
en partie, applicable aux pseudencéphaliens et attribue & son origine à une ac-
tion mécanique exercée sur la mère dans le cours du troisième ou même du
quatrième mois ». Il croit voir des traces de l'hydrocéphalie dans les cavités
kystiques que l'on rencontre dans la tumeur cérébrale. Cette tumeur doit être
expliquée « par une cause autre qu'un arrêt de développement, puisque l'em-
bryon ne présente rien de tel à aucune époque de son évolution (1) ». Néanmoins,
il n'abandonne pas absolument l'hypothèse d'un arrêt de développement et
avance, en particulier, que les os de la voûte crânienne des pseudencépha-
liens sont, non pas tronqués et incomplets, mais réduits dans toutes leurs di-
mensions. Il ne conclut pas et rappelle, d'une façon générale, la théorie des
adhérences.
Vers la même époque, Ad. Burggraeve (2) distingue des anencéphales par
maladie et des anencéphales par arrêt de développement. Chez les premiers,
« l'encéphale a été détruit dans le sein de la mère par une maladie dont on
trouve presque généralement les traces à la naissance. L'inflammation est la
cause la plus fréquente de ces désorganisations : ce sont des collections d'eau
qui distendent les parois des ventricules, détruisent les commissures et déplis-
sent les circonvolutions, convertissent ainsi le cerveau en un véritable kyste.
Dans d'autres circonstances, toute la substance nerveuse est détruite, des faus-
ses membranes, des brides cellulaires ne laissent pas de doute sur les causes
qui ont détruit l'organe; dans ces circonstances aussi, les os de la voûte du
crâne sont écartés et déjetés au dehors, mais ils n'offrent jamais ce degré de
réduction qu'on observe chez les anencéphales par arrêt de développement ».
Pour ce qui est de ces derniers, « l'oeuvre du crâne est complète : il suffit d'y
jeter un regard pour reconnaître que ceux de ses éléments qu'on pourrait
croire ne pas exister sont restés à l'état rudimentaire ». De ces citations, il res-
sort que les anencéphales pathologiques de Burggraeve sont de simples hydro-
céphales et que les anencéphales par arrêt de développement sont les anencé-
phales vrais.
Avec Adolph Hannover (3) nous avons une interprétation nouvelle de
l'hydropisie : l'hydropisie déterminerait la rupture et la destruction tant du
cerveau que des formations osseuses ; les membranes conjonctives « se déta-
chent des plaques osseuses déjà formées, et il en résulte, non seulement que
les os se voient privés de la base nécessaire pour leur croissance future, mais
(1) Is. GSOFFROY-SAINT-H1LAIRE, Traité de Tératologie, t. III, Paris, 1837, p. 513 et
suiv.
(2) A. BLRGOBARVE, Eludes sur les monstruosités considérées dans leurs rapports aveu
les lois de l'organogénie. 2e mémoire : De l'anencéphalie el de la monnpie (Annales de
la Soc. de médecine de Gand, 1837).
(3) AnoLPII Hannover, Ilen menzzeslcelige lljerneslcals 13jzzing ved Anencephalia og
Misdannelsens rorlzold lit Hjeoneskallens l'rimordialbrusk (Videnslz. Selsk. Skr.,
6 fioekke, naturvidenskabelig og mathematisk, Afd. I. 8.1882 (Extrait en français).
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 349
aussi que la masse osseuse déjà formée périt, faute de nourriture. C'est pour-
quoi les os de la voûte du crâne sont absorbés, mais ceux de la base du crâne
restent. » Ayant ainsi compris les choses, il établit toute une gradation entre
l'effraction de la boîte crânienne et sa résorption ; il distingue les phases de
l'anencéphalie suivant le degré d'ouverture du crâne.
Les limites entre l'anencéphalie et le pseudencéphalie sont marquées de la
façon la plus nette par Camille Dareste Pour chacune d'elles, il invoque un
processus particulier ; dans les deux cas, cependant, ce processus remonte aux
premières phases de l'évolution embryonnaire. Dareste dit avoir vu des em-
bryons anencépales. A la vérité, il représente des individus à tête plus ou
moins atrophiée qu'il assimile aux foetus anencéphales ; il attribue ces forma-
tions à un arrêt de développement. « La fermeture tardive de la gouttière mé-
dullaire au niveau des vésicules de l'encéphale a pour résultat d'augmenter
leur diamètre transversal, sans modifier la structure de leurs parois. Et c'est
ainsi que l'anencéphalie consiste essentiellement dans un arrêt de développe-
ment » (1). Comme conséquence du retard de fermeture, la lame mésodermi-
que interposée entre l'ectoderme cutané et la voûte cérébrale est peu abon-
dante ou nulle, de sorte que les matériaux faisant défaut, la voûte du crâne
ne se forme pas. Le phénomème initial est très antérieur à la formation des
ébauches de l'amnios. Néanmoins, si celui-ci n'intervient pas au début, il
entre enjeu secondairement et provoque, suivant Dareste, les diverses défor-
mations de la tête des anencéphales. Au surplus, les anomalies qui coexistent
fréquemment avec l'anencéphalie traduisent cette intervention de l'amnios.
Quant à la pseudencéphalie, Dareste reconnaît qu'elle rappelle beaucoup
l'anencéphalie. Pour sa part, il ne l'a « presque jamais rencontrée chez des
embryons » et ce n'est guère que d'une façon tout à fait théorique qu'il en
établit la genèse. Il attribue la signification de pseudencéphale à un embryon
figuré par OEllacher (2) dont la cavité médullaire était cloisonnée en cinq cavités
longitudinales et aux embryons obtenus par Lebedell' (3), chez lesquels la lame
médullaire était irrégulièrement plissée, chacun des plissements pouvant théo-
riquement devenir un kyste. Dareste considère ces cloisonnements, ou ces pré-
tendues formations kystiques,comme le point de départ des tumeurs pseuden-
céphaliques gràce à une néoformation subséquente - mais tout hypothétique
de vaisseaux sanguins. z
Nous verrons, par la suite de ce travail, que ces vues embryologiques sur la
pseudencéphalie et l'anencéphalie ne sont nullement fondées. Les embryons
que Dareste prétend appartenir à l'une ou l'autre de ces modifications congé-
nitales n'ont avec elles aucune relation.
(1) CAMILLE DARESTE, Recherches sur la production atificielle des monstruosités, 2° édi-
tion, Paris, 1892, p. 387.
(2) OELLACHEK, Ueber einen Fall partieller iS2ülliplicilüt des Ruckenmarckes in einem
vierliiligen 7lülaaerembro (Berichte der naturw. Vereins ; Insprücli, t. IV, 1875).
(3) LE8EDEFF, Ueber die E7zlstehiiiig der Anencephalie und der Spina-bifida bei Vôgeln
imd Dlenschen (Virchows Archiv, 1881, t. 86).
350 RABAUD
D'une façon générale, d'ailleurs, la question était mal posée. Et elle était
mal posée, non seulement par Dareste, mais par tous ceux qui l'ont abordée
avant lui, parce que l'examen histologique des foetus n'avait pu être tenté.
Des dissections plus ou moins minutieuses, des considérations savantes sur
les os persistants du crâne, des comparaisons d'anatomie comparative, tel
était en somme le bilan de l'étude de ces productions congénitales. Sans doute,
la tumeur cérébrale des pseudencépbaliens avait attiré l'attention ; mais l'aspect
extérieur de cette tumeur ne pouvait rien apprendre. Et si, parmi toutes les
théories que nous venons de passer en revue, celle de Jules Guérin se rap-
proche de la vérité, c'est par une rencontre absolument fortuite. En effet, éta-
blissant en principe que les productions congénitales résultent toutes d'une
maladie, d'ailleurs indéterminée, du système nerveux, Jules Guérin devait
presque fatalement tomber juste pour l'une ou l'autre d'entre elles. C'est ce
qui a eu lieu pour la pseudencéphalie. De toutes ces théories, il n'en est pas
une, même celle de Jules Guérin, qui fournisse une idée précise sur la nature
de ces productions.
Ce qu'il fallait entreprendre, dès le moment où les recherches microscopiques
furent rendues possibles, c'était l'examen microscopique de la moelle des pseu-
dencéphaliens nosencéphales ou des anencéphaliens dérencéphales. Encore
fallait-il l'entreprendre sans idée préconçue. Or, un certain nombre d'auteurs
dont nous aurons à citer les travaux se sont surtout préoccupés de rechercher
la destinée des cordons médullaires en l'absence du cerveau ou l'état des gan-
glions rachidiens et des nerfs ; ils ont ainsi passé à côté des lésions propres
de la maladie, les signalant parfois sans doute, mais d'une façon tout à fait
accessoire. Il faut en venir, en somme, au travail récent de Vaschide et Vur-
pas (1) pour avoir une première notion de ce que peut être en réalité la pseu-
dencéphalie. Suivant toute apparence, ils ont les premiers compris qu'il
s'agissait d'un phénomène inflammatoire. A vrai dire,ils n'ont pas spécifié ni lo-
calisé le processus avec précision ; s'ils concluent à une méningo-myélite,c'est
presque sous la forme d'une hypothèse ; peu après la publication de son travail
avec Vaschide, Vurpas admet avec Léri (2) que l'anencéphalie résulte de l'é-
clatement d'une hydrocéphalie infectieuse.Ces incertitudes expliquent pourquoi
ces auteurs n'ont pas tiré de leurs examens minutieux toutes les conséquences
qui en devaient découler ; au fond, c'est encore la destinée des cordons blancs
qui a principalement attiré leur attention. Il convient, néanmoins, de retenir
ce point important qu'ils ont, les premiers, fourni la preuve anatomique qu'il
s'agissait en l'espèce d'une maladie destructrice de l'axe cérébro-spinal.
C'est la nature de la maladie, son point de départ et ses conséquences sur
(1) N. VASCHIDE et CL. VURPAS, Essai sur la psycho-physiologie des monstres hu-
mains. Paris, de Rudeval, 1903.
(2) A. Léiii et CL. VURPAS. Contribution à la classification des monstres anencépha-
liens. Rôle physiologique du bulbe chez ces monstres (Congrès des médecins aliénistes
et neurologistes de France, XI1L session, 1903, p. 547).
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 351
l'ensemble de l'organisme que je me suis attaché à rechercher par l'étude sys-
tématique d'une série de foetus pseudencéphaliens et anencéphaliens. J'ai pu
conclure d'une façon positive qu'Isidore Geofl'roy-Saint-Hilaire avait, à tort,
groupé séparément les degrés différents d'une seule et même chose. Non seu-
lement « l'histoire des anencéphaliens se lie intimement à celle des pseudencé-
phaliens », comme le dit Duplay (4), mais c'est la même histoire qui se déroule ;
cette histoire est celle de la méningite foetale.
J'ai pu entreprendre cette étude grâce au matériel que M. le professeur
Prenant à eu l'extrême obligeance de mettre à ma disposition ; je lui exprime
à nouveau ma plus profonde gratitude. Ce sont dix foetus répondant aux di-
verses formes classiques ; leur examen comparatif m'a donné les précieux
résultats que je consigne dans ce mémoire. A ces dix foetus est venu s'en
ajouter un onzième dû à libéralité de mon ami le Dr Rudaux, accoucheur des
hôpitaux, que je prie d'agréer l'expression renouvelée de mes remerciements.
J'ai pu également examiner les préparations que MM. Vaschide et Vurpas ont
tirées de l'individu dont ils ont publié l'observation et qu'ils ont bien voulu
m'abandonner.
C'est donc sur 12 cas que ce mémoire est établi. Grâce à ce matériel abon-
dant, j'ai pu me livrer à des recherches de contrôle, saisir nettement la
valeur relative des faits. L'examen d'un seul cas est notoirement insuffisant,
et je ne puis que rendre hommage au mérite de ceux qui, limités à l'étude d'un
individu unique, ont cependant donné des conclusions provisoires, se rappro-
chant en somme de la vérité.
CHAPITRE PREMIER
La morphologie externe et la constitution du squelette.
Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire a divisé les Pseudencéphaliens, d'une part, les
Anencéphaliens, d'autre part, en un certain nombre de groupes secondaires.
Ces distinctions, fondées sur l'étendue des lésions destructives, nous paraissent
à l'heure actuelle tout à fait dépourvues d'importance ; nous conserverons,
toutefois, cette terminologie classique qui permet de désigner par un mot tout
un aspect extérieur.
Lorsque la lésion est limitée à l'encéphale - au moins à la vue simple et
qu'ilexiste un trou occipital, c'est un Pseudencéphalien Nosencéphale; l'absence
de trou occipital est le caractère du Thlipsencéphale; l'adjonction d'une fissure
spinale constitue le Pse21dencépl&ale.
Pour ce qui est des anencéphaliens, chez lesquels il n'y a pas de tumeur,
chez lesquels tout au moins la tumeur est extrêmement réduite, on distingue
le Dérencéphale dont le crâne et la région cervicale sont seuls intéressés et
l'Anencéphale présentant une fissure spinale.
(1) A. DUPLAY. Article Anencéphalien du Dictionnaire encyclopédique des sciences
médicales, 1876.
352 RABAUD
D'une façon générale, ces dispositions diverses se rencontrent dans l'es-
pèce humaine. Les animaux, cependant, n'en sont pas exempts. Dareste
a décrit un chat dérencéphale (1), Winslow (` ? ) deux pigeons anencéphales,
Joly et Lavocat (3) un veau anencéphale ; plus récemment Sabrazès et
Ulry (4) ont étudié un chien pseudencéphale
Chez l'homme, l'anencéphalie ou la pseudencéphalie, quoique]peu fréquen-
tes, paraissent être cependant les moins rares des productions congénitales.
Hannover (5) nous indique que sur 10.683 enfants nés en dix ans à la Mater-
nité de Copenhague, on a rencontré 9 anencéphales. Etant donnée la concep-
tion singulière de cet auteur sur la question, on peut se demander si ce nombre
ne doit pas être réduit de 2 ou 3 unités.
Quant au sexe, il semble que les foetus atteints appartiennent en grande
majorité au sexe féminin. La remarque a été faite à diverses reprises ; pour
ma part les il individus soumis à mon examen appartenaient au sexe léminin.
Je ne sais si cette observation a une importance quelconque.
I. Morphologie EXTERNE. ,
Quoi qu'il en soit, l'aspect extérieur présente une très grande similitude
d'un individu à l'autre, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l'étendue et
de la profondeur des lésions. Cette similitude ressort non seulement de la
comparaison des individus de l'espèce humaine entre eux, mais aussi avec
les espèces animales. C'est du moins ce que permet de croire l'observation
de Joly et Lavocat (6).
Ce qui frappe,dès l'abord, c'est le bon état général des sujets ; l'embonpoint,
noté par tous les auteurs, correspond à une formation graisseuse sous-
cutanée relativement abondante que j'ai retrouvée sans exception chez les
individus soumis à mon examen. Sans doute, ce caractère n'a pas une impor-
tance extrême au premier abord; il est cependant intéressant à retenir, au
point de vue de la répercussion des maladies cérébro-spinales aiguës sur l'en-
semble de l'organisme foetal.
L'attitude fournit un autre caractère non moins constant et relevé dans tou-
tes les observations publiées. La tête est engoncée dans les épaules, le cou
disparaît complètement, de telle sorte que la peau du menton est en continuité
directe avec la peau du thorax ; parfois un ou deux sillons transversaux et lé-
gèrement courbes, à convexité inférieure, de profondeur variable, marquent la
limite du menton et de la peau du cou. Celle-ci est, en quelque sorte, projetée
(1) C. DARESTE, Mémoire sur un chat ileadelphe à tête monstrueuse. Annales des
sciences naturelles, t. XVIII, 1852, p. 81.
(2) Cité d'après Dareste.
(3) N. JoLY et A. LAVOCAT, Etude tératologiquesurun anencéphale anoure apparte-
nant à l'espèce bovine. Mém. de l'Ac. des se. de Toulouse, 1855.
(4) SABIIAZÈS et ULRY, Arrêt de développement considérable de l'encéphale associé à
des malformations médullaires, crâniennes et oculaires. Soc. de Biologie, 13 mai 1899.
(5) Op. cil.
(6) Opt ciel. ,
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPAALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE
353
en avant, donnant ainsi l'aspect connu, chez les gens particulièrement obèses,
du double menton.
La disposition n'est pas simplement due ici à la surcharge graisseuse ; elle
reconnaît également pour origine une disposition squelettique que nous retrou-
verons tout à l'heure. Chez les sujets adipeux à l'excès, cette disposition du
cou amène les joues au contact immédiat des épaules.
De leur côté, les épaules sont projetées en avant, tandis que la tête est ren-
versée en arrière. Ce renversement se présente à des degrés très divers. Il
peut être très peu marqué ou, au contraire, poussé à l'extrême ; dans ce cas, la
face regarde directement en l'air, ainsi que je l'ai observé une fois (Pl. XLIV-A).
L'habitus extérieur que je viens de décrire est aussi bien celui des individus
se rapportant au groupe des Anencéphaliens qu'à celui des Pseudencéphaliens.
Joly et Lavocat le relèvent chez le veau. Je n'ai trouvé qu'une exception, la
seule à ma connaissance parmi les nombreux cas décrits, chez l'un des foetus
communiqués par M. le professeur Prenant. Ce sujet ne présentait ni engonce-
ment de la tête, ni projection des épaules ; le cou était bien développé. Cette
exception correspond à divers caractères histologiques secondaires, sur les-
quels nous reviendrons, qui indiquent une différence marquée, non dans la
nature même de l'affection, mais dans sa marche générale.
La face présente quelques caractères sur lesquels il y a lieu de s'arrêter. Le
front fait généralement défaut de la façon la plus complète ; le nez est épaté et les
yeux donnent l'impression d'un exorbitisme parfois excessif (Pl. XLIV-B). Cer-
tains auteurs, parmi les plus récents, se sont efforcés de trouver les raisons de
cet exorbitisme ; ils ont invoqué, en particulier, les lésions des nerfs oculo-mo-
teurs, sans se rendre compte que la disposition des yeux est purement relative,
à la fois à l'absence ou à l'aplatissement du frontal et à un certain degré d'atro-
phie du maxillaire supérieur, c'est-à-dire à la diminution plus ou moins grande
de la cavité orbitaire. Le degré de ce prétendu exorbitisme varie en raison in-
verse des variations squelettiques.
Fic.. 1. Pseudencéphalien présentant une tumeur lobulée et se prolongeant
très en avant.
(Photographie communiquée par M. le Dr i\1ougeot, de Reims.)
354 RABAUD
Les variations de l'aplatissement frontal tiennent, pour une grande part,
à l'étendue des lésions encéphalo-crâniennes. Celles-ci s'avancent plus ou
moins, parfois jusqu'à la racine du nez (fig. 1) ; parfois au contraire elles laissent
une étendue de peau saine correspondant à peu près à l'os frontal. Il arrive
alors, dans ce dernier cas, que la peau du front est doublée par une quan-
tité de graisse assez appréciable pour déterminer une proéminence, légère
sans doute, mais bien marquée cependant, malgré l'absence de l'os frontal.
Il n'y a là que des variations absolument superficielles, sur lesquelles on ne
saurait fonder aucune conjecture, quant à l'état des tissus sous-cutanés. Souvent
en effet, sous un lambeau sain d'aspect, se trouve le prolongement de la tu-
meur pseudencéphalique avec tous ses caractères.
Quelles que soient, du reste, les limites postérieures de la peau frontale, la
voûte crânienne fait toujours complètement défaut, du moins en apparence.
La cavité qui semble ainsi ouverte est comblée par une formation d'aspect rou-
geâtre à l'état frais, qui devient noire après un séjour plus ou moins prolongé
dans l'alcool fortou le formol.Cette tumeur est en général lobée superficiellement
grâce à un certain nombre de sillons peu profonds, mais dont la disposition ne
rappelle nullement les circonvolutions cérébrales; elle est plus ou moins épaisse
suivant les cas ; elle peut même être assez mince pour qu'on ait pu la consi-
dérer comme absente. Ses limites sont assez variables. En avant, elle remonte
parfois, comme je l'ai dit, jusqu'au niveau de la racine du nez : sur les côtés
elle s'étend jusqu'à quelques millimètres du conduit auditif externe, en arrière
elle envahit d'une façon presque générale toute la région de l'occipital, gagne
sur le cou et tend à empiéter sur la région dorsale. Il est à noter que, comme
conséquence du renversement céphalique, la nuque fait entièrement défaut.
Chez les individus qui répondent aux désignations classiques de Dérencéphales
et de Nosencéphales les limites postérieures de la tumeur ne dépassent guère les
limites du crâne ; mais, par suite de l'absence du cou et du renversement cé-
phalique, il est assez difficile de fixer avec précision cette ligne postérieure ; en
réalité, d'ailleurs, cette ligne postérieure est tracée sur la peau du dos avec
laquelle la nuque ! ] renversée est venue se mettre en contact. '
Chez les individus se rapportant aux types classiques d'Anencéphales et de
Pseudencéphales, la tumeur encéphalique est continuée sans ligne de démar-
cation par la tumeur qui se substitue à la moelle épinière. Dans ce cas, en
effet, le canal rachidien est largement ouvert, la paroi postérieure faisant dé-
faut, comme fait défaut la voûte crânienne. Il a continuité directe; et la démar-
cation est d'autant moins marquée que la tête étant fortement renversée en
arrière, la base du crâne et la gouttière rachidienne se trouvent situées sur le
même plan.
La tumeur crânienne présente, dans certains cas, quant à son étendue ou sa
forme extérieure, diverses particularités intéressantes à noter. C'est ainsi que
chez l'un de mes sujets (fig. 2), la tumeur correspondait, extérieurement, à la
seule région de l'écaille occipitale. A ce niveau, la peau semble être perforée
et livrer passage à une formation découpée par quatre sillons peu profonds en
cinq lobes longitudinaux et parallèles entre eux. Elle forme un bourrelet saillant
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 355
et se trouve séparée de la peau dorsale, sur laquelle elle repose par son bord
libre, par un repli profond. Malgré cette étendue très restreinte de la tumeur,
la voûte crânienne est aplatie ; mais elle l'est un peu moins que dans le cas gé-
néral ; le front n'est pas absolument nul ; il semble exister un rebord orbitaire ;
aussi l'exorbitisme est-il moins accusé. Ce cas particulier correspond à des dis-
positions osseuses peu fréquentes qui demandent une description spéciale et sur
lesquelles nous reviendrons.
Dans d'autres circonstances, et plus spécialement chez les individus grou-
pés sous le nom d'Anencéphaliens, à la place d'une tumeur adhérente à la
base du crâne existe une production sacciforme qui pend du pourtour de
la base et vient reposer sur le dos de l'individu. J'ai pu en observer deux cas.
Dans l'un d'eux la peau crânienne saine s'étendait assez loin en arrière, recou-
vrant la région frontale et une partie de la région pariétale. Elle s'arrêtait
brusquement suivant une ligne courbe et se trouvait immédiatement continuée
par un sac à pédicule sessile long d'environ 3 centimètres, à paroi extrême-
ment mince, transparente, qui n'est guère autre chose, comme nous le verrons,
que le revêtement cutané très aminci et vide de tout contenu ; il devait, à l'état
frais, être plein de liquide (PI. XLIV-C).
Le second cas est assez comparable au premier, quant à son aspect super-
ficiel. L'étendue de la peau crânienne est beaucoup plus restreinte, elle recou-
vre à peine la région correspondant à l'os frontal ; la tumeur qui lui fait suite
est un sac de forme ovoïde à pédicule sessile large de 62 millimètres s'étendant
entre les deux conduits auditifs externes. Ici, c'est un pédicule plein, en tout
comparable à la tumeur ordinaire, adhérent à la base du crâne, épais de
22 millimètres. Ce pédicule plein est en continuité de substance avec la partie
libre sacciforme longue de 6 millimètres environ. Les parois en sont très
épaisses (7 millimètres en moyenne). On constate à l'intérieur la trace de
vacuoles, et l'on est conduit à penser que ces vacuoles ont progressivement con-
flué les unes avec les autres, pour constituer une cavité unique. Il est impor-
tant de noter que le pied de la tumeur est continué en avant par la substance
Fio. 2. Tumeur pseudencéphalique postérieure.
0. S. Limite supérieure de la région occipitale.
T. Tumeur.
356 RABAUD
d'aspect graisseux qui remplit la région frontale, en arrière par une produc-
tion occupant toute la région médio-dorsale, dans le canal rachidien, et qui
paraît être de même nature que la tumeur elle-même.
Quels que soient l'aspect, la forme et la disposition de la tumeur ou, d'une
façon plus générale, de la perte de substance crâuio-vertébrale, on observe un
certain nombre de traits généraux apparents à l'oeil nu et que met en évi-
dence la dissection simple.
Les limites de la tumeur, toujours absolument nettes, sont marquées par un
sillon de profondeur variable; parfois la tumeur déborde légèrement en un bour-
relet au-dessus de la peau saine.La plupart des auteurs ont avancé que la ligne
de séparation superficielle de la tumeur et de la peau correspondait à une dis-
continuité de tissu. Cette assertion est complètement inexacte. Si l'on prend la
peine de disséquer la peau saine et de la décoller de ses attaches profondes en
gagnant vers les régions intéressées par la tumeur cérébrale, on constate faci-
lement que cette peau, loin de s'arrêter brusquement au niveau du sillon qui
marque le pourtour du tissu pseudencéphalique, est en continuité directe avec
une membrane très mince, parcheminée le plus ordinairement, qui recouvre la
tumeur dans toute son étendue. Et il en est ainsi, en dépit de la forme et de la
disposition de la tumeur, soit qu'elle constitue un bloc reposant sur la base du
crâne ou qu'elle affecte les dispositions d'un sac ; dans ce dernier cas, la mem-
brane entre pour une part plus ou moins importante dans la constitution des
parois du sac. Cette membrane n'est autre chose que l'épithélium cutané,
doublé ou non d'un chorion très peu épais. Il va sans dire que la continuité de
la peau existe aussi dans la région dorsale lorsque le canal rachidien est ouvert.
C'est là un point assez important et qui, s'il avait davantage attiré l'attention,
aurait certainement eu une influence sur les théories relatives à la genèse de
l'affection qui nous occupe. Or, parmi les nombreux auteurs qui ont manipulé
et plus ou moins disséqué des anencéphales et des pseudencéphales, fort
peu ont reconnu ou remarqué ce fait. D'après Is. Geoffroy Saint-Hilaire, la
membrane superficielle de la tumeur est « comparable à l'arachnoïde » (1) ;
Duplay dit explicitement que la peau s'arrête à quelque distance de la
fissure cérébro-spinale (2). La continuité a été mentionnée dans un cas très
particulier, sur lequel nous reviendrons, par A. Andrieu (3) ; encore l'auteur
n'est-il pas absolument affirmatif : « la tumeur, dit-il, est enveloppée d'une
membrane, sorte de peau très fine qui se continuerait avec la peau du
crâne. » L'existence de la peau sur la tumeur est nettement affirmée dans
un travail de Belhomme (4) et dans le mémoire précédemment cité de Joly et
Lavocat; elle est également affirmée dans le récent travail de Zingerle (5).
(1) Op. cil., t. II.
(2) Op. cit.
(3) B. J. ALDEIIT ANDRI&U, Contribution à l'élude des tumeurs crâniennes d'origine
congénitale (Variété de pseudo-encéphalie). Thèse de Toulouse, 189S.
(4) Belhomme, Observation d'ectrogéuie asymétrique. Bulletin de la Société médico-
pratique de Paris, 1847.
,7» Il. Zingumle, Ueber Slij¡<211l(/en der Anlage des Cenlralnervensyslem auf Grand-
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPIIALIR ET DE L'ANENCÉPHALIE 357
Joly et Lavocat indiquent cependant que le tégument externe fait défaut par
place. Le fait est fort possible; il se pourrait même que la perte de substance
soit très étendue, comme il semble que cela ait eu lieu dans le cas de Vaschide
et Vurpas (1). Ce qu'il importe de retenir, c'est que d'une façon générale
l'enveloppe la plus superficielle de la tumeur n'est autre chose que la peau,
amincie, altérée autant que l'on voudra, perforée même par endroits, mais la
peau cependant. L'indication fournie par la dissection simple est formelle.
Parfois même, ainsi que je l'ai vu une fois, cette peau gravement atteinte par
le processus morbide présente encore des restes de poils parfaitement visibles à
l'oeil nu, vestiges des cheveux que l'on retrouve généralement abondants sur la
peau frontale saine. Du reste, l'examen histologique corrobore ces données ; il
indique, en outre, que le passage de la partie saine à la partie atteinte n'est
pas tout à fait aussi brusque que l'aspect extérieur tend à le faire croire.
Pour terminer ce qui a trait à la morphologie externe,' il convient de men-
tionner une disposition, peu fréquente assurément, mais que j'ai néanmoins
rencontrée deux fois. Dans ces deux cas, la gouttière rachidienne largement
ouverte ne renfermait qu'un tissu peu épais, à la surface duquel se distin-
guaient une série de filets blanchâtres, courant longitudinalement de haut en
bas et s'engageant à différentes hauteurs dans l'orifice des trous rachidiens.
Une membrane cutanée extrêmement mince et transparente recouvre ces filets,
qui ne sont autres que des troncs nerveux. Tout en haut, dans la région cer-
, vicale, ces troncs nerveux se perdent dans une masse en tout semblable, à l'oeil
nu, à la tumeur ordinaire des Pseudencéphaliens. Cette tumeur elle-même est
continuée, au niveau du crâne, par un sac à paroi mince dont j'ai déjà parlé
(PI. XLIV-C). En bas, vers la région lombaire, le spina bifida cesse et les troncs
nerveux s'engagent dans un canal rachidien normal.
Le second cas présente un aspect très comparable ; le sac céphalique existe
également, et il y a lieu de se demander si la constitution particulière de la
moelle est ou non en corrélation avec la production sacciforme crânienne. C'est
ce que l'étude histologique nous dira.
Je noterai, enfin, l'absence complète d'adhérences, céphaliques ou autres,
chez l'un quelconque des sujets que j'ai examinés. Les adhérences, on le sait
laissent après elles des traces indubitables, surtout lorsqu'elles se produisent
chez les Pseudencéphaliens ou les Anencéphaliens. Ce sont des vestiges de bri-
des ou, mieux encore, de vastes lambeaux de placenta. Je n'ai observé rien
de tel après examen attentif de 12 sujets.
II. LE SQUELETTE.
La description du squelette des Anencéphaliens et Pseudencéphaliens (2) a
lage der U11tel'suclwng von Gehirn-Ruckenmarck Dlissbildungen. Archiv. sur Entw
Mech. der Organismen, XIV, 1902.
(1) Op. cil.
(2) Pour abréger l'écriture, j'emploierai le terme de Pseudencéphaliens pour' désigner
l'ensemble des productions dont je m'occupe ici.
358 RABAUD
été faite un assez grand nombre de fois depuis Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire.
Les constatations que j'ai pu faire concordent très exactement avec les faits
connus. Je n'ai point à mentionner de faits absolument nouveaux. Toutefois,
il n'est pas inutile de reprendre la question à un point de vue critique, tant
pour mettre en relief les traits essentiels des dispositions squelettiques, que
pour trancher certains points au sujet desquels les différents travaux apportent
des solutions contradictoires.
Pseudencéphalie avec Hémicrânie. L'absence de la voûte du crâne est
un fait acquis ; l'hémicrânie est même le caractère le plus apparent des indivi-
dus qui nous occupent. Ce n'est d'ailleurs pas un caractère essentiel, car il est
des exemples où l'hémicrânie se trouve liée à des dispositions cérébrales tout
à fait étrangères à la Pseudencéphalie et reconnaît une origine absolument diffé-
rente. On peut d'ailleurs concevoir, et nous verrons qu'il en existe, des cas
de Pseudencéphalie sans hémicrânie, dans lesquels tout au moins l'absence
des os de la voûte est extrêmement limitée. Cette non-relation nécessaire entre
l'hémicrânie et la Pseudencéphalie, indiquée par Bruno Fleischer (1), parmi
les auteurs récents, doit être nettement marquée. Nous aurons à y revenir.
Il importe avant tout de préciser ce qu'il faut entendre par ce terme un peu
Vague d'absence de la voûte. Dans les cas les plus complets, ce qui fait défaut
et entièrement défaut, c'est la majeure partie du crâne qui n'est point précédée
par un moule cartilagineux : la partie coronale du frontal, l'écaillé du temporal
et les pariétaux. L'écaille de l'occipital manque également le plus souvent. Il
convient, néanmoins,d'établir une distinction très nette entre les crâues présen-
tant ou non un trou occipital. Celui-ci, ou plus exactement les parties qui le cons-
tituent existent constamment. Mais, chez les individus dits Nosencéphales, les
masses latérales conservent leurs connexions habituelles, la masse de droite est
soudée à la masse de gauche : l'orifice est alors circonscrit par un cercle osseux
complet. A ces masses latérales s'ajoute le cartilage basilaire de l'écaillé et par-
fois aussi une portion de l'écaille membraneuse sous forme d'une bande plus ou
moins large, mais toujours bien caractérisée. Les dispositions d'un tel crâne, que
j'ai pu étudier sur une pièce conservée dans le Musée de l'Ecole d'anthropolo-
gie, sont alors les suivantes. : toute la voûte membraneuse correspondant au
frontal, au temporal et au pariétal a complètement disparu ; il ne reste que
l'occipital conservant sa forme et ses dispositions habituelles , mais dont
l'écaille est incomplète, tant par l'absence d'une étendue variable de sa partie
antérieure, que par l'absence de l'os épactal.
Chez les individus dits ? 'A/tp6KcëAaM et Dé ? ,encéphales, les dispositions
sont tout à fait différentes : les masses latérales, loin de se rejoindre sur la
ligne médiane, sont étalées à droite et à gauche du plan de symétrie. L'occi-
pital est alors constitué comme il suit : l'apopliyse basilaire forme un bloc co-
hérent occupant la ligne médiane, elle s'articule latéralement de part et d'autre
(1) Bruno ELEISCIIEN, Ueber einen Fall von Alrrattie mit A111nionvel'wachsung und seil-
licher Nasenspalte und über einen Fall von Nothencephalie (Ein Beitrag zur Theorie der
Hemicephalie). Inaugural Dissertation; Tûbingen, 1898-99.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'A ? ErqCÉPHALIE 359
avec les masses latérales dont chacune est un os parfaitement distinct. Ces
masses, au lieu de se relever de bas en haut et de dehors en dedans pour venir
à la rencontre l'une de l'autre se 'souder et circonscrire le trou occipital, res-
tent étalées horizontalement, se recourbant légèrement d'arrière en avant tout
en restant dans le plan horizontal. Chacune d'elles à son tour s'articule par
son extrémité libre avec un bloc osseux de forme trapézoïdale, plus ou moins
réduit suivant les cas, qui représente certainement la portion basilaire, cartila-
gineuse, de l'écaille occipitale. Ces deux fragments de l'écaille restent situés sur
le même plan horizontal que l'apophyse basilaire et, d'une façon plus générale,
que la base du crâne. Ainsi constitué par des parties symétriques disjointes,
l'occipital affecte la forme d'un arc de cercle ouvert en haut. Grâce à cet éta-
lement, la partie postérieure de la base du crâne se trouve notablement élargie.
Mais en somme, il n'y a pas de différence essentielle entre les cas où le trou
occipital est circonscrit et ceux où il n'est pas circonscrit. D'une façon comme de
l'autre, la portion cartilagineuse de l'écaille se retrouve, soit sous sa forme habi-
tuelle, soit disjointe en deux blocs indépendants et fortement attirés en dehors,
l'un à droite, l'autre à gauche ; dans quelques cas, une partie de l'écaille mem-
braneuse se retrouve également. , '. '
Pseudencéphalie sans hémicrânie. Si l'écaille occipitale ainsi ré-
duite représente à elle seule le crâne membraneux dans les cas d'hémicrânie
les plus complets, cela ne veut pas dire que l'absence de la voûte soit toujours
poussée à ce degré. Bien au contraire, il est possible d'établir tout une série
allant de ces cas extrêmes à ceux où, toutes les parties de la voûte étant bien
développées, on se trouve en présence d'une pseudencéphalie sans hémicrânie.
Divers auteurs ont signalé l'existence de fragments du crâne membraneux.
C'est ainsi que Belhomme (1), dans un cas un peu particulier, a vu l'écaille de
l'occipital. De même, chez le veau, Joly et Lavocat ont trouvé de petits parié-
taux et une écaille temporale très réduite (2). Ollivier d'Angers relève un cas
où existait une portion de l'os frontal (3).J'ai pu également constater des vesti-
ges de la portion coronale du frontal, qui avait peut-être été plus considérable,
car l'état d'altération de la substance osseuse indiquait une destructiou secon-
daire.
Hannover, parmi les crânes qu'il met faussement en série comme représen-
tant divers degrés d'anencéphalie, en décrit et représente deux au moins sur
lesquels il ne paraît y avoir aucun doute possible. Tous deux possèdent un
fragment de pariétal sous forme d'une bandelette étroite, allant de l'occipital
étalé à l'apophyse orbitaire externe. Le coronal n'existe pas (4). Sur un troi-
sième crâne, qui est peut-être celui d'un Pseudencéphalien, on remarque un
petit pariétal de forme triangulaire reposant sur la base, sans connexions
bien précise, ne paraissant pas articulé avec le voisin ; il n'existe qu'à gauche
(t) Op. cit.
(2) Op. cit.
(3) Op. cit.
(4) Op. cit., pl. II, fig. 7 et 8. ,
360 RABAUD
et manque complètement a droite. Le même crâne (1) présente encore ceci d'in
téressant que les éléments de l'occipital, bien que disjoints et ne circonscrivant
pas un orifice fermé, sont fort peu étalés ; les bords internes de l'écaille sont
à peine séparés par un espace de quelques millimètres.
Quoi qu'il en soit, ces divers fragments ne sont nullement, comme l'avance
Is. G< : ofiroy-Saint-Hilaire, des os simplement réduits dans toutes leurs dimen-
sions. C'est là sans doute une vue qui cadre avec la théorie de l'arrêt de déve-
loppement, mais qui est en contradiction flagrante avec les faits et avec le pro-
cessus même d'où résulte l'hémicrânie.Ces fragments sont très souvent, sinon
toujours, tronqués et constamment déformés.
De ces cas où la voûte crânienne existe à l'état d'indication, on passe à ceux
où tous les os de membrane ont persisté. Ils sont alors ou bien écartés les uns des
autres, et le crâne, bien que complet, est assez largement ouvert ; ou bien, au
contraire, ils se réunissent sur la ligne médiane et forment vraiment une voûte.
Nous trouvons un exemple de la première disposition chez l'individu décrit
en 1818 par Lallemand et dont Etienne Geotfroy-Saint-Hilaire a repris l'étude
avec d'excellents dessins à l'appui (2) (fig. 3). Le coronal existe, il est formé de
deux portions séparées par la suture métopique ; chaque portion est une lame
triangulaire, plane, reposant directement sur la partie orbitaire. Suivant toute
apparence, la juxtaposition du coronal droit et du coronal gauche n'est parfaite
(t) Op. cit., pl. II, fig. 6.
(2) ETIENNE GEOFFMY-SAtNT-IhLAOEE, Philosophie anatomique, La planche I est entiè-
rement consacrée ù la représentation du crâne dans son ensemble et des os pris sépa-
rément.
FiG. 3. Crâne sans hémicrânie de Lallemand.
F. Frontal. M. Z. Malaire et zygomatique. T. Temporal. R. Rocher.
A.b. Apophyse basilaire.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 361
que dans la moitié antérieure; dans la moitié postérieure, la suture métopique
semble assez large et marque un écart sensible entre les deux parties.
Cet écartement est très considérable pour ce qui concerne le pariétal.
Chaque moitié de celui-ci est constituée par une lame plane représentant un
triangle isocèle dont la petite base s'articule avec le bord postérieur du coro-
nal, tandis que le sommet opposé va rejoindre l'occipital. Par rapport à la ligne
médiane du crâne, la hauteur du triangle pariétal est disposée très obliquement
d'avant en arrière et de dedans en dehors, de telle sorte qu'il n'y a aucun point
de contact entre le triangle droit et le triangle gauche. Fortement déjetés en
dehors, ils ne recouvrent nullement la base du crâne ; celle-ci est à nu dans
leur intervalle.
Quant à l'occipital, il affecte la disposition que nous avons décrite chez les
. individus où le trou occipital n'est pas circonscrit par un cercle osseux : les
masses latérales sont déjetées en dehors, l'écaille, fixée perpendiculairement
sur ces masses, se dirige presque directement en avant pour rejoindre le pa,
riétal correspondant ; elle est très peu développée et très certainement incom .1-
plète. Etienne Geoffroy Saint-Hilaire avance, en outre, que l'os épactal exister
également et il croit le reconnaître dans une bandelette osseuse qui bordée¡i
pariétal ; il paraît difficile de contester ou de confirmer cette manière de voir.
Ajoutons que l'écaille du temporal existe sous la forme d'une lame dont le
petit axe transversal est très réduit.
Nous remarquerons tout d'abord que les divers os membraneux que nous
venons de décrire ont totalement perdu leur forme habituelle. Il est très
difficile d'admettre que cette déformation résulte d'une simple réduction :
outre que la réduction ne serait nullement proportionnelle, il y a de fortes rai-
sons de penser que cette déformation résulte bien plutôt d'une action mécanique
secondaire.Nous devons, en second lieu, insister sur ce point que ces divers os,
dépourvus de courbures, sont aplatis sur la base du crâne, ne laissant aucun
espace entre elle et eux. Enfin, nous observons que si ces divers os sont net-
tement rejetés en dehors, ils restent néanmoins superposés aux os de la base.
Seul l'occipital est partiellement étalé.Suivant toutes probabilités, l'étalement ne
se répercute pas au delà de l'occipital. Si même celui-ci n'est pas complètement
renversé en dehors, comme dans l'hémicrânie complète, c'est précisément
parce qu'il est retenu par les pariétaux et les coronaux. Et lorsqu'il n'existe que
des vestiges épars de la voûte, non reliés à l'occipital, il n'y a pas lieu de croire
à un renversement en dehors, ou du moins à un renversement très marqué,
pouvant aller jusqu'à ce point que les os de la voûte forment avec les os de la
base une sorte de plancher. Les affirmations des auteurs, à cet égard, celles
de Huiuard et Polosson en particulier (1), résultent sans doute d'une certaine
exagération.
Quoi qu'il eu soit, cette forme crânienne où l'écartement des parties est
poussée au maximum nous conduit à d'autres où la voûte membraneuse
(1) L. Guinard et A. PoLossoN, Trois .foetus humains monstrueux. Soc. d'Anthro-
pologie de Lyon, 1898.
xviii 24
362
RABAUD
constitue un toit complet, n'ayant qu'une ouverture, postérieure, ménagée à
travers les éléments de l'occipital. Ces dispositions, comme d'ailleurs les pré-
cédentes,semblent être peu communes. J'en ai rencontré un exemple ; Etienne
Geoffroy-Saint-Hilaire (1) en a figuré deux. Plus récemment G. Gérard (2)
en a décrit un autre. Il est possible et même probable que ces dispositions
aient été vues par d'autres auteurs dont les travaux ont échappé à mes re-
cherches. Au surplus, il ne serait : pas surprenant que la voûte de ces crânes
ait parfois passé inaperçue, pour cette raison qu'elle est complètement aplatie
et repose sur la base, ne laissant aucun espace libre où puisse habiter l'en-
céphale. Dans ces conditions (fig. 4-5) l'écaille du frontal a perdu toute con-
(1) Sur de nouveaux anencéphales humains, fIg. 5 et 11.
(2) G. Gérard. Remarques critiques sur un monstre humain célosomiez et anencé-
' phale. XIII' Congrès de médecine. Paris, 1900 (section d'histologie et d'embryologie).
Fig. 4. Crâne A de Is. Geoffroy-Saint-Hilaire .
N. Nasal. -l\1-Z. Malaire et zygomatique. F. Frontal. - P. Pariétal. -
E. o. Ecaille occipitale. M. 1. Masses latérales. - A."b. Apophyse basilaire.
/'<'10. 5. |(jrane il de is. lieoUroy-a¡nl-lIUa¡re.
Mêmes lettres que la figure*.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 363'
vexité. Ses deux moitiés, nettement séparées par la suture métopique, sont
deux lames planes vaguement triangulaires reposant sur le sphénoïde. Le bord
postérieur du coronal s'articule avec les deux pariétaux, de forme quadrilatère,
allongés transversalement, également aplatis et même, dans mon cas, nettement
incurvés en gouttière. Les deux pariétaux, dont l'aspect diffère très sensible-
ment de celui que nous avons précédemment décrit, sont unis entre eux et
prolongent en arrière la voûte crânienne. Ces dispositions relatives aux parié-
taux et aux coronaux se retrouvent, très comparables entre elles, dans les
divers cas ; les variations portent sur les dimensions transversales ; la forme
générale et les connexions restent les mêmes, ainsi qu'on en pourra juger par
l'examen comparatif des deux figures de Geoffroy-Saint-Hilaire et du crâne que
j'ai moi-même observé. Les variations semblent plus considérables pour ce qui
est de l'occipital. Dans les crânes représentés par E. Geoffroy-Saint-Hilaire,
celui-ci est largement ouvert : les relations des masses latérales et de l'écaillé
entre elles et relativement à l'apophyse basilaire sont celles que l'on rencontre
dans les cas de Thlipsencéphales et Dérencéphales. A ces parties s'ajoute
l'os épactal qui s'articule directement avec les pariétaux ; il se présente sous
la forme d'un cône très allongé, et les deux parties, droite [et gauche, se
rejoignent par le sommet du cône; leur direction est perpendiculaire sur la
direction de ce qui représente l'écaille occipitale proprement dite. L'ensemble
constitue un cercle complet délimitant une large ouverture postérieure du
crâne. On remarquera que l'écaille est sensiblement plus développée sur le
crâne B de GeofTroy-Saint-Hilaire que sur son crâne A : les deux portions de
l'épactal de B se rejoignent. Dans ce dernier cas, le cercle occipital est com-
plet. 11,1
Dans le' crâne que j'ai observé (fig.6),tes dispositions se rapprochent beaucoup
plus de la disposition habituelle. Il est impossible de distinguer les limites
entre l'écaille occipitale et l'os épactal, limites d'ailleurs peut-être arbitrairement
FiG. 6. Crâne sans hémicrânie (correspondant à la figure 2).
F. Frontal. P. Pariétal. T. Temporal. 0. occipital.
364 RABAUD
indiquées par E. Geoffroy-Saint-Ililaire. En admettant que l'épactal existe, il
forme avec l'écaille du même côté une lame unique très large, légèrement
convexe, qui se rabat d'arrière en avant et de dehors en dedans sur la base du
crâne. La moitié droite est nettement séparée de la moitié gauche. Chaque moi-
tié forme un triangle dont la base repose sur la masse latérale correspondante,
dont le sommet va s'articuler avec le sommet de son congénère. Et tandis
que le bord antérieur s'articule avec le pariétal, le bord postérieur est libre.
Les bords postérieurs des deux os symétriques vont ainsi en divergeant à par-
tir du sommet et, au niveau des masses latérales, ils se trouvent séparés par
une distance de quelques centimètres. L'ouverture postérieure délimitée de la
sorte est suffisamment large ; mais elle est sensiblement plus réduite que dans
les cas de Geoffroy-Saint-Hilaire.
Entre la voûte occipitale et la base du crâne, est ménagée une petite cavité
logeant en partie la tumeur encéphalique.
Nous remarquerons que les différentes parties squelettiques sont toutes par-
faitement symétriques deux il deux et ne semblent avoir subi aucune déforma-
tion secondaire. Frontaux et pariétaux reposent sur la base, à laquelle ils sont
unis par l'intermédiaire d'un tissu fibreux assez épais signalé par Gérard et
que j'ai observé de mon côté. Je pense, avec Gérard, que ces os se sont déve-
loppés sur place. Nous aurons il voir quelle est l'origine de cette disposition
singulière.
Il va sans dire que les crânes de ce genre correspondent à un aspect exté-
rieur particulier : c'est celui où le revêtement cutané sain s'étend largement en
arrière; il s'étend d'autant plus que la voûte est elle-même plus complète.
Quant à l'aplatissement frontal, il est évidemment moins marqué que lors-
qu'il n'existe aucune trace de la voûte ; corrélativement, l'exorbitisme du sujet
est moins accusé.
Mais il n'existe aucune autre différence, tant dans la morphologie externe
de l'individu que dans la constitution de sa tumeur. La gradation ménagée que
nous avons suivie depuis l'hémicrânie totale jusqu'aux crânes avec voûte ne sau-
rait être prise pour une indication relative à la genèse de l'affection. Nous
verrons que l'hémicrânie ne répond pas plus il la Pseudencéphalie constituée
que les crânes complets ne répondent aux débuts de la Pseudencéphalie, il n'y a
pas passage réel et nécessaire d'une forme à l'autre. Chacune d'elles constitue des
cas très distincts, correspondant probablement à l'époque où la maladie enva-
hit l'organisme foetal. Nous reviendrons sur ce point.
Les formes à crâne complet doivent retenir notre attention à un autre point
de vue. Ces formes, nettement compliquées d'Exencéphalie, seront pour nous
l'occasion d'examiner les rapports de l'Exeucéphalie et des productions congéni-
tales objet de ce mémoire. On sait que ces rapports sont considérés comme très
étroits par les maîtres de la Tératologie.
Base du crâne et face. - La voûte crânienne constitue en somme la partie
la plus importante du crâne des Pseudencéphales. La base ne présente aucune
modification fréquente ou constante qui mérite d'être relevée. On y retrouve
tous les os habituels, normalement disposés les uns par rapport aux autres.
PATUOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 365
' Les diverses parties de la face ne sont elles-mêmes affectées d'aucune parti-,
cularité corrélative à la Pseudencéphalie. Il convient seulement de signaler la
non-oblitération de la voûte palatine qui, sans être absolument constante, est
néanmoins très fréquente. Cette disposition, notée par la plupart des auteurs,
paraît d'ailleurs en relation avec un phénomène plus général : l'atrophie -ou
plus exactement un arrêt de croissance de la base du cràne et de la face.
Le phénomène est une conséquence immédiate de la Pseudencéphalie même :
c'est pourquoi il vaut d'être mentionné et retenu. Sans y insister, nous de-
vons cependant rappeler qu'il entre pour une part dans la détermination du
soi-disant exorbitisme.
L'arrêt de croissance de la face met en relief de la façon la plus marquée le
développement normal du maxillaire inférieur. Sur les squelettes, en effet, le
maxillaire inférieur paraît démesurément grand (fig. 7), et quelques auteurs
t'ont considéré comme frappé de gigantisme. C'est une erreur flagrante; le
gigantisme est aussi relatif que l'exorbitisme ; ce n'est pas la mandibule infé-
rieurequi s'est accrue, ce sont le crâne et la face qui n'ont pas acquis leur volume
ordinaire. Il suffit d'ailleurs, pour s'en assurer, de comparer un Pseudencé-
phale quelconque à un foetus sain de même volume : la différence des dimensions
des têtes est absolument frappante.
De cette différence entre la croissance de la face et celle du maxillaire infé-
rieur résulte un certain degré de prognathisme inférieur, et ce prognathisme,
associé à la disparition du cou, contribue à donner à l'attitude des Pseudencé-
plialiens son aspect caractéristique.
Colonne vertébrale. La colonne vertébrale des Pseudencéphaliens pré-
sente deux particularités, dont l'une est à peu près constante, dont l'autre ap-
partient aux individus désignés sous les noms de Dérencéphales, Anencéphales
et Pseudencéphales :
FiG. 7. Proportions relatives de la mâchoire et du crâne,
C. F. Crâne et face. 111. i. Maxillaire inférieur.
366 RABAUD i
D'une façon assez générale, aussi bien chez l'homme que chez les animaux,
la colonne vertébrale présente, dans la région cervicale, une courbure plus
ou moins marquée.Tous les auteurs qui,depuis Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire,
ont porté leur attention sur le squelette des Pseudencéphaliens l'ont rele-.
vée et décrite avec plus ou moins de précision. Cette courbure ne se produit
pas toujours dans le même sens : ◀tantôt▶ c'est une cyphose, ◀tantôt▶ une lordose.
Le plus souvent, d'après mes propres observations et celles que j'ai pu relever
dans les publications relatives à ce sujet, il s'agit d'une cyphose. Dans ces
conditions, l'ensemble des vertèbres cervicales, fortement projeté en avant, se
rapproche de l'horizontale. Dans quelques cas, la courbure est compliquée
d'une déviation latérale, quej'ai trouvée à gauche chez l'un de mes sujets, mais
qui doit évidemment pouvoir se faire aussi bien adroite. L'angle que détermine la
colonne cervicale avec la colonne dorsale est assez variable; il atteint fréquem-
ment 90 degrés, mais peut être plus ouvert. Dans l'unique cas où j'ai pu ob-
server une lordose, la colonne cervicale déterminait nettement avec la colonne
dorsale un angle droit. Mais le renversement peut aller beaucoup plus loin;
c'est ainsi que chez le veau décrit par Joly et Lavocat (1), la colonne cervicale
devient presque parallèle au rachis, l'atlas correspondant à la première dorsale.
Contrairement à ce que l'on pourrait supposer au premier abord, la tête ne
suit pas nécessairement le mouvement de la partie supérieure du rachis ; quel
que soit le sens de la déviation, l'apophyse basilaire se place perpendiculaire-
ment au plan horizontal et devient parallèle à la direction de la colonne dor-
sale. Nons avons noté, d'ailleurs, que la face regardait presque toujours en
haut ; elle subit donc, lorsqu'il y a projection antérieure de la colonne cervi-
cale, un mouvement de redressement inverse de celui de la colonne, tandis que
ce redressement n'a pas lieu lorsqu'il y a renversement en arrière. De toutes
façons, il apparaît que la colonne cervicale a été écrasée entre deux résistances,
la colonne dorsale d'une part, la tête d'autre part. Nous reviendrons sur ces
dispositions et nous les expliquerons ; il était bon de les indiquer dès mainte-
nant.
La seconde particularité a trait à l'ouverture du canal rachidien chez les
Pseudencéphales, Anencéphales et Dérencéphales.
- ' Il importe de remarquer tout d'abord que cette disposition n'intéresse pas
nécessairement la colonne vertébrale dans toute sa longueur. Fréquemment,
elle est limitée aux vertèbres cervicales, et cela même constitue avec l'ouver-
ture du trou occipital le caractère retenu par les classificateurs pour l'établis-
sement des types Dérencéphale et Thlipsencéphale. Lorsque la fissure spinale
dépasse les régions supérieures de la colonne, elle peut néanmoins s'arrêter
.encore au niveau de la région lombaire, ainsi que je l'ai très nettement constaté
dans un cas.
Quelle que soit son étendue, l'ouverture du canal rachidien dépend bien
plus d'un étalement des arcs vertébraux que d'une perte de substance secon-
daire. On constate, en effet, que le canal rachidien est transformé en une table
(1) Op. cit.
Nouvelle Iconographie DE la SALYfRIi : IIE T. XVIII. Pl. XLV
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 367
constituée par le corps vertébral flanqué, à droite et à gauche, des arcs verté-
braux ; mais ceux-ci, au lieu de se redresser de dehors en dedans pour aller à la
rencontre l'un de l'autre, restent disposés dans le même plan frontal que le
corps vertébral. L'étalement est identique à celui que nous avons observé pour
les parties cartilagineuses de l'occipital.
Ces lames étalées sont incontestablement plus simples que les lames verté-
brales normales. Mais cela ne veut pas dire qu'elles aient subi une réduction
secondaire. Suivant toutes probabilités elles ont cessé de s'accroître, ou ne se
sont accru que lentement depuis le moment de l'invasion de l'infection ménin-
gitique ; l'apophyse épineuse fait défaut. Au surplus, on observe et les au-
teurs l'ont depuis longtemps remarqué que la colonne vertébrale dans son
ensemble est notablement plus grêle, quant à ses dimensions transversales tout
au moins, qu'une colonne d'individu sain. Ce fait est à rapprocher de l'arrêt de
croissance subi par la base du crâne ; il reconnaît certainement la même cause.
III. -ANOMALIES concomitantes.
Pour terminer ce qui a trait à la morphologie externe et à la connaissance du
squelette des Pseudencéphaliens, nous n'avons plus que quelques mots à dire
sur les anomalies qui coexistent avec la Pseudencéphalie.
J'ai déjà signalé la fissure palatine, en indiquant qu'elle paraissait être un
effet direct du processus pseudencéphalique. C'est un effet fréquent, mais non
nécessaire.
On observe également des déviations plus ou moins marquées des pieds,
déviations sur lesquelles les auteurs s'arrêtent avec complaisance. Je ne mets
pas en doute qu'une telle disposition ne coexiste avec la pseudencéphalie ; il
n'y aurait rien là que de très ordinaire. Néanmoins, et c'est le point important
semble-t-il, il ne me paraît pas démontré que la situation en varus, qui est le
plus fréquemment signalée, ou toute autre situation, soit accompagnée de mo-
difications articulaires. Sur les sujets soumis à mon observation, j'ai constaté
quelques cas de pied-bot varus ou qui avaient du moins cette apparence ; je ne
puis dire, bien que la chose soit vraisemblable, s'il s'agissait vraiment d'une
'disposition vicieuse du pied ou simplement d'une action mécanique imprimée,
post-mortem, aux extrémités ; dans tous les cas, les surfaces articulaires
étaient parfaitement normales.
Ces déformations superficielles mises à part, et dont nous aurons à préciser
les relations avec la Pseudencéphalie, toutes les anomalies possibles peuvent
se rencontrer chez les foetus qui nous occupent; en fait, les auteurs en ont
signalé un grand nombre. Le bec-de-lièvre, double ou simple, n'est pas rare, je
l'ai observé une fois (PI. XLIV-B) ; chez un de mes sujets, le nez présentait un
seul orifice (PI. XLIV-A) ; j'ai de plus rencontré deux exemples d'ectopie intra-
thoracique des viscères abdominaux (1). Nous indiquerons pourquoi toutes ces
(1) Etienne RABAUD, Ectopie intra-thoracique des viscères abdominaux par brièveté
primitive de l'oesophage. Société d'obstétrique de Paris, 1903.- La brièveté primitive de
l'oesophage el l'ectopie intra-thoracique de l'estomac et du foie. Société philomathique
de Paris, 1904. .
368 RABAUD ' '
anomalies sont indiscutablement indépendantes de la Pseudencéphalie ; elles
existent sans elle et ne coexistent pas fréquemment avec elle. C'est d'ailleurs
la conclusion à laquelle aboutit Gérard pour un cas de pseudencéphalie com-
pliqué de célosomie (1).
CHAPITRE Il
Le système nerveux et le tissu pseudencéphalo-médullaire.
En étudiant la morphologie externe des pseudencéphaliens, j'ai été très natu-
rellement conduit décrire le contenu du crâne et les divers aspects qu'il pré-
sente, ainsi que le contenu du canal rachidien, dans les cas où celui-ci est lar-
gement ouvert. Il n'y a pas lieu d'y revenir.
J'ai également indiqué, en passant, que la masse pseudencéphalique adhère
assez intimement à la base du crâne, quelle que soit d'ailleurs l'épaisseur que
présente cette masse. Le seul point qu'il faille mettre nettement en évidence,
c'est précisément la variabilité de l'épaisseur de ce tissu ; cette épaisseur va de
un centimètre environ à quelques millimètres à peine. La variation se mani-
feste aussi bien d'un individu à l'autre que chez un même individu, suivant
les points considérés.
D'une façon générale, les auteurs se sont beaucoup préoccupés de rechercher
les nerfs crâniens aboutissant à cette masse ; ils les ont décrit avec un soin
minutieux. Nous savons ainsi que l'on retrouve tous les troncs habituels, en
leur place normale. De mon côtéj'ai fait des constatations analogues.Je dois dire
cependant que je ne me suis pas attardé à cette recherche ; les notions que j'ai
acquises dès le début de mes observations m'avaient convaincu qu'une dissec-
tion attentive des paires crâniennes n'offrait qu'un très faible intérêt. Aussi
me suis-je contenté de reconnaître au passage les diverses racines, sans essayer
de les suivre. Les recherches subséquentes m'ont confirmé dans le bien
fondé de ce point de vue.
D'autre part, il ne m'a pas été possible de discerner, chez les sujets dont j'ai
disposé, autre chose qu'une tumeur encéphalique et une moelle. Divers au-
teurs, Vaschide et Vurpas (2), en particulier, ont pu reconnaître et isoler le
bulbe ; récemment même, Léri et Vurpas (3) ont tiré de l'existence du bulbe
chez certains pseudencéphaliens des indications taxonomiques sur la légitimité
desquelles nous aurons à revenir. Nous en retiendrons seulement, pour l'ins-
tant, que le bulbe existe encore chez certains sujets. Le fait est du reste sans
importance appréciable au point de vue général. '
Chez les individus dont le canal rachidien est fermé, qu'ils aient ou non un
bulbe apparent, ce canal renferme une moelle épinière parfaitement reconnais-
sable comme telle, enveloppée par les méninges. D'une façon générale, le
calibre extérieur de cette moelle est relativement inférieurà ce qu'il devrait être.
(1) Op. cil.
(2) Op. cit.
(3) Op. cil.
PATHOGENE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 369
Néanmoins, l'apparence superficielle ne présente aucune modification notable.
Dans un cas, cependant, j'ai rencontré des méninges extrêmement friables, en-
veloppant un tissu médullaire devenu brun par un séjour prolongé dans le for-
mol et se décomposant en une série de colonnettes cylindriques n'ayant plus
aucune apparence de tissu nerveux. L'examen histologique nous renseignera
plus amplement son sujet.
Chez les individus à canal rachidien ouvert, le tissu qui remplit la gouttière
est absolument semblable au tissu pseudencéphalique et présente les mêmes
caractères.
Notons enfin que tous les foetus possèdent un système sympathique bien
développé et n'offrant aucune altération appréciable à l'oeil. C'est d'ailleurs ce
qu'ont noté les différents auteurs qui ont disséqué des pseudencéphaliens.
Au surplus, ces considérations morphologiques relatives au système nerveux
n'ont qu'une importance secondaire ; elles ne nous renseignent en aucune
façon sur la nature même des processus. Ceux-ci ne peuvent être reconnus que
par une étude histologique rigoureuse. Encore ne suffit-il pas d'analyser avec
minutie la structure de la tumeur cérébrale. Le tissu de la tumeur est, en effet,
un tissu constitué ; il ne fournit par lui-même aucune indication génétique ;
on ne parvient à comprendre sa structure et, du même coup, l'origine même
de la Pseudencéphalie qu'en examinant tout d'abord en coupes sériées, de bas
en haut, la moelle et les méninges renfermées dans un canal rachidien clos.
C'est là que se trouve la clef de l'affection congénitale désignée sous les noms
de pseudencéphalie ou d'anencéphalie : seule, la connaissance des processus
dont ces tissus sont le siège rend utile et instructive l'étude de toutes les au-
tres dispositions céphaliques ou rachidiennes.
I. MOELLE épinière ET TISSU cérébral DES FOETUS
A CANAL RACHIDIEN CLOS.
J'ai eu à ma disposition quatre foetus à canal rachidien clos dont j'ai débité
la moelle en coupes rigoureusement sériées ; j'ai, de plus, examiné directement
les préparations gracieusement mises à ma disposition par MM. Vaschide et
Vurpas. Dès le début de mes recherches, j'ai pu me convaincre qu'il était illu-
soire de s'attarder à l'étude des cordons blancs de la moelle. La pseudencépha-
lie, en effet, ne consiste pas simplement dans l'absence du cerveau et dans son
remplacement par un tissu vasculo-conjonctif ; il intervient d'autres processus
qui touchent directement la moelle et sont de nature à fausser l'interprétation
des dégénérescences. C'est pourquoi, contrairement à ce que l'on trouve dans
la plupart des travaux sur ce sujet, ce côté de la question ne sera pas abordé
ici. La suite de l'exposé justifiera amplement mon point de vue.
1° Etude d'ensemble.
Si l'on veut arriver à un résultat positif et suivre pas à pas la marche des
événements, il faut examiner les coupes de la moelle en commençant par
les segments les plus inférieurs. On observe alors les faits suivants.
370 RABAUD
a) Inflammation méningée. Tout à fait à l'extrémité de la moelle lom-
baire, au point d'origine du filum terminal, on distingue sur les coupes
transversales un tissu nerveux ayant au centre un canal épendymaire nette-
ment limité par des cellules dont les cils sont plus ou moins bien conservés.
Dans l'intimité de ce tissu, se trouvent des éléments nerveux caractéristiques.
Ces éléments ne présentent aucune trace de dégénérescence granulo-pigmen-
taire, leur noyau n'est pas excentrique, mais accuse, quoique à un faible
degré, de la chromatolyse, ainsi que le met en évidence le procédé de Nissl.
On ne constate d'ailleurs aucune disposition insolite, soit dans la substance
grise, soit dans la substance blanche : ce segment de la moelle est, en somme
relativement sain.
Par contre, en dehors de la moelle, on constate de très importantes modifica-
tions. La pie-mère est extrêmement épaissie ; elle renferme des vaisseaux nom-
breux, très dilatés, gorgés de globules rouges et d'une quantité relativement
grande de leucocytes. Les vaisseaux forment tout autour de la moelle une sorte
de gaine, mais une gaine incomplète; ils ne sont pas, en effet, extrêmement
rapprochés les uns des autres ; il en est d'isolés. Dans tous les cas, ils sont
disposés sur une seule rangée. Leurs dimensions sont très variables et leurs
parois assez minces. Dans la région du sillon antérieur existe un paquet
vasculaire, formant une masse proéminant dans l'espace compris entre la dure-
mère et la pie mère (fig. 8). En dehors de la pie-mère se trouvent les sections
des troncs nerveux, dans les interstices desquels s'insinuent une assez grande
quantité de vaisseaux dilatés et gorgés de globules ; ces derniers vaisseaux sont
des troncs isolés ; leurs parois sont minces, sans être cependant réduites à un
simple endothélium. On constate également un léger épaississement de la gaine
conjonctive des troncs nerveux.
Fio. 8. Coupe transversale de l'extrémité inférieure de la moelle.
M. moelle.- V.a. vaisseaux antérieurs. V.p. vaisseaux postérieurs. E.m.méninge
épaissie.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 371
Le fait de l'existence d'une gaîne vasculaire composée de vaisseaux dilatés,
gorgés de sang, entourant une moelle presque indemne de toute lésion, est
- un fait très important qui n'a pas suffisamment attiré l'attention des auteurs.
Bulloch (1), Vaschide et Vurpas (2), Zingerle (3) et autres ont nettement
représenté ces* dispositions qui concordent exactement avec celles que j'ai moi-
même observées. Mais, a part Vaschide et Vurpas qui en ont reconnu la nature
inflammatoire, les auteurs n'accordent à ces dispositions qu'une importance
tout à fait accessoire. Quelques-uns admettent une origine mécanique sur la-
quelle nous reviendrons, sans s'inquiéter des parois épaissies, ni de l'existence
des globules blancs ; d'autres, comme Bulloch, restent muets sur ce point, se
contentant de les représenter sur les figures ; d'autres, enfin, ont même laissé
de côté tout examen des méninges.
Cette disposition méningée est, cependant, le centre même de la question.
Son importance ressortira de la suite de la description. Sur des coupes inté-
ressant un segment un peu plus élevé, mais appartenant encore à la région
lombaire, on observe les mêmes dispositions, légèrement accentuées. Du côté
de la moelle, les divers procédés de coloration ne mettent en évidence aucune
lésion importante. La moelle est encore relativement intacte. Pour ce qui est
des méninges, au contraire, l'épaississement pie-mérien a notablement aug-
menté ; surtout, sont survenues des modifications très appréciables en ce qui
concerne les vaisseaux. Ceux-ci se sont multipliés tout autour de la moelle, ils
forment maintenant une gaîne sensiblement continue. Toutefois cette gaîne n'est
pas homogène sur tout son pourtour : vis-à-vis du sillon antérieur de la moelle,
cette gaîne est constituée par un paquet vasculaire de 4 à 5 vaisseaux larges,
dilatés, à parois épaisses ; au-dessous de ce paquet, deux ou trois capillaires,
' disposés en file occupent l'épaisseur de la travée conjonctive qui s'enfonce dans
le sillon antérieur. Ces vaisseaux sont les vaisseaux habituels, simplement dila-
tés ; la multiplication n'est pas sensible. A droite et à gauche, et sur une
étendue correspondante à la moitié antérieure du pourtour de la moelle, la
gaine vasculaire est faite de vaisseaux petits, compris dans l'épaisseur même
de la pie-mère. Deux ou trois seulement débordent et proéminent à l'extérieur
de la méninge. Dans la moitié postérieure, le calibre des vaisseaux est sensi-
blement plus considérable ; ils sont serrés les uns contre les autres. C'est dans
cette région postérieure que se marque surtout la prolifération ébauchée sur la
coupe précédente, ainsi que l'épaississement des parois. Enfin, dans l'interstice
des nombreux troncs radiculaires, se trouvent également des vaisseaux de di-
mensions diverses, à parois d'épaisseur variable. Le nombre de ces derniers
vaisseaux n'est pas en augmentation appréciable relativement aux coupes pré-
cédentes.
Ces divers vaisseaux renferment toujours, en outre de très nombreux
globules rouges, d'abondants leucocytes.
(1) WiLHAM BULLOCH, The central ne l'VOUS system o' an anencephalous foetus. Jour-
nal of Anat. and Phys., 1895.
(2) Op. cit
(3) Op. cit.
372 RABAUD
Les processus restent encore presque exclusivement limités aux méninges,
dans le segment lombaire supérieur de la moelle. Les cellules ne sont que très
.peu altérées, le bleu de méthylène met en évidence les grains de Nissl ; le
noyau n'est pas excentrique ; il n'existe aucune zone de dégénérescence gra-
nulo-pigmentaire ou autre. Tout autour de la moelle, la gaîne vasculaire est t
très accentuée; mais c'est sur la moitié postérieure que porte principalement
l'accentuation. Dans cette région, il n'y a plus seulement une seule rangée, mais
deux rangées de vaisseaux et l'on remarque une tendance à la multiplication.
Toutefois, cette multiplication se fait nettement en dehors, de la pie-mère vers la
dure-mère et non vers la moelle. Il existe, en outre, des vaisseaux isolés entre
les troncs radiculaires ; la paroi de ces derniers vaisseaux est sensiblement
épaissie.
La tendance de la prolifération vasculaire à gagner, non en dedans vers la
moelle, mais vers le dehors, pour envahir tout l'espace inter-méningé doit être
mise en pleine lumière ; c'est un élément important pour l'interprétation des
faits. Néanmoins, on constate encore ici la dilatation des vaisseaux.
De plus, bien que ce soit avec lenteur, le processus s'étend aussi vers la
moelle. On observe, en effet, la dilatation des vaisseaux qui pénètrent dans
l'épaisseur de la moelle ; on l'observe nettement sur une coupe donnée, en deux
points : au niveau du sillon antérieur et un peu à gauche du sillon postérieur
(v. fig. 10); la pénétration est peu importante; elle paraît tout à fait accessoire
dans l'ensemble du phénomène; à aucun moment, d'ailleurs, elle ne devient
prépondérante; elle n'en existe pas moins.
En somme, dans la moitié inférieure de la moelle, l'attention se concentre
sur l'inflammation méningée proprement dite dont la tendance la plus marquée
est de se propager, non en dedans vers la moelle, mais en dehors vers la dure-
mère. La multiplication vasculaire est rapide surtout à la partie postérieure.
Là, les vaisseaux constituent une couche sur plusieurs assises, couche com-
pacte qui remplit presque tout l'espace inter-méningé. Mais l'épaisseur de
cette couche vasculaire ne provient pas seulement de la formation de vaisseaux
nouveaux. Un processus, dont le début apparaît déjà sur les segments immé-
diatement inférieurs, devient ici très marqué : c'est l'épaississement de la paroi
de ces vaisseaux ; autour de l'endothélium, le tissu conjonctif embryonnaire
prolifère et finit par constituer^une sorte de substance fondamentale séparant les
uns des autres les troncs vasculaires et les réunissant en même temps, de façon
à former un tout parfaitement continu (fig. U et PI. XLIV bis, Ce). Les nerfs
rachidiens sont enveloppés progressivement par ce tissu de nouvelle formation,
ils sont étouffés et [l'on pressent déjà leur disparition prochaine. Nous voyons
naître sous nos yeux un tissu conjonctivo-vasculaire, qui tend à se substituer
peu à peu au système nerveux et qui s'y substitue ell'ectivement à la partie-
tout à fait supérieure du système nerveux.
b) Hémorragies et exsudation. - Dans cette région même de la moelle, com-
mence à apparaître un processus, peu marqué chez certains sujets, beaucoup
plus net chez d'autres : ce sont des hémorragies abondantes et en outre une
exsudation séreuse qui envahissent et comblent l'espace laissé libre par les
Nouvelle Iconographie de la SALPÊTRIÈRE T. 1VIII. PI. XLV
PSEUDENCÉPHALIE ET ANENCEPHALIE
(E. Rabaud).
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 373
vaisseaux (PI.XLV-D). Ce sont là deux phénomènes importants qui complètent
le tableau anatomo-pathologique.
Mais à ce moment, la moelle elle-même n'est encore que peu touchée. On
observe toutefois, dans sa moitié postérieure, les premières traces d'infiltration
leucocytaire, traces très légères, très localisées, mais cependant évidentes. Par
opposition à cette intégrité relative de la moelle, il convient de noter l'enva-
hissement de la dure-mère par le processus inflammatoire sous forme de proli-
fération vasculaire. '
c) Processus intra-médullaire. Au sur et à mesure que l'on remonte vers
les étages supérieurs de la moelle, les phénomènes qui ont pour siège les mé-
ninges et les vaisseaux ne font que s'accentuer ; ils s'accentuent avec une
vitesse variable suivant les cas, mais ils s'accentuent cependant, gagnant cons-
tamment en dehors. Cette progression externe présente diverses particularités
sur lesquelles nous reviendrons plus loin. La marche des événements nous
conduit à examiner, au préalable, ce qui se passe du côté de la moelle elle-
même.
Nous avons noté, tout à l'heure, la pénétration des vaisseaux dans la subs-
tance blanche ou, tout au moins, la dilatation et la prolifération des troncs
artériels ou veineux qui passent habituellement des enveloppes conjonctives
à la moelle. Le phénomène se reproduit à diverses reprises et à différents ni-
veaux en des points variables de la surface; il est fréquent a la partie posté-
rieure, mais il se produit également au niveau du sillon antérieur ; il se pro-
duit également en dehors de ces deux régions. Chaque vaisseau pénétrant dans
Fic. 9. Coupe transversale de la moelle montrant la prolifération vasculaire
et la coalescence de leurs parois.
R. Racines nerveuses. M. Moelle. - Vpc.Couche des vaisseaux postérieurs.
374 RABAUD
la moelle est accompagné d'un certain nombre d'éléments de tissu conjonctif
embryonnaire; la moelle se trouve ainsi envahie de toutes parts. Sans doute, le
processus n'est pas très actif; il ne joue vraisemblablement qu'un rôle accessoire,
purement complémentaire.
Il convient de mettre également en relief la propagation du processus mé-
ningé au très mince tractus conjonctif qui se trouve dans le sillon postérieur. La
propagation marche lentement : la multiplication des vaisseaux extra-médul- ,
laires, l'épaississement de leurs parois est déjà fort avancé, alors que le tractus
postérieur est encore peu atteint. Dans les segments inférieurs de la moelle,
on constate déjà l'existence de-cellules conjonctives libres aux environs de la
paroi postérieure de l'épendyme, parfois même cette paroi est envahie, effon-
drée sur une certaine étendue, comme si ses éléments constitutifs avaient été
détruits. Les apparences restent telles sur une hauteur assez considérable
équivalant environ à la moitié inférieure de la moelle. Puis, à ce niveau, le
processus devient beaucoup plus net ; la cloison conjonctive postérieure ac-
quiert une épaisseur mesurable ; elle renferme des cellules embryonnaires
disposées dans toute sa longueur et qui viennent s'épanouir en un bouquet
au contact de la paroi postérieure de l'épendyme. Cette paroi est détruite sur
une large étendue. En remontant, on observe que l'épanouissement antérieur
du tractus devient plus considérable, pénètre dans le canal de l'épendyme et
le comble en partie ; continuant même sa marche en a'vant, il traverse la paroi
antérieure et tend à rejoindre le sillon antérieur de la moelle (fig. 10). Ce bou-
chon est de nature conjonctivo-vasculaire (Pl. XLIV bis-Bb) ; il s'élargit pro-
gressivement,ainsi que le tractus qui le relie à la méninge postérieur ; dans les
segments les plus élevés de la moelle, une grande partie des faisceaux posté-
rieurs se trouve ainsi remplacée par un tissu vasculo-conjonctif de néoformation.
Un processus du même ordre s'observe en divers points de l'étendue de la
moelle, mais avec une bien moindre intensité. Suivant toute probabilité, il
faut l'imputer aux pénétrations vasculaires qui s'effectuent à différents niveaux.
Malgré tout, l'envahissement conjonctivo-vasculaire du système nerveux ne
semble pas être rapide ; s'il est notablement plus avancé à la partie supérieure
de la moelle qu'à sa partie moyenne, la progression ne dépasse pas cependant
l'étendue des cordons postérieurs. 1
Un autre processus intervient, qui est infiniment plus actif ; c'est le proces-
sus hémorragique que l'on observe constamment dans la méningite. Ce pro-
cessus commence par petites masses de quelques globules isolés, puis il s'ac-
centue et constitue des plages étendues, éparses dans la moelle et de plus
en plus nombreuses. Il s'agit de véritables hémorragies (PI. XLV-D) et non
de simples dilatations vasculaires. Les vaisseaux dilatés existent, nous l'avons
dit, dans l'épaisseur de la moelle, mais le diamètre de leur calibre n'atteint
jamais les dimensionsdes plages sanguines hémorragiques ; ces plages,d'ailleurs,
ont des contours très variables et presque toujours irréguliers. J'insiste sur ce
point, non seulement parce qu'il a son importance, mais aussi parce que les au-
teurs qui ont relevé l'existence des globules rouges et blancs dans l'épaisseur de
la moelle ne se sont pas prononcés nettement ; il semble même qu'ils ont attribué'
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPIIALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 375
plus d'importance à la dilatation qu'à l'hémorragie. Certains, comme David
Waterston et Edwin Mathew (1), se sont cantonnés dans la recherche 'des fais-
ceaux blancs au point de négliger complètement les méninges ; un lambeau
seul est représenté où l'on observe les dispositions dont il s'agit : ils ne pou-
vaient guère avoir une idée précise sur le sens des dispositions observées. En
fait, le doute est impossible quant à la réalité des foyers hémorragiques intra-
médullaires. Ces foyers sont d'autant plus nombreux et d'autant plus étendus
que l'on se rapproche du cerveau ; ils finissent par occuper la majeure partie
de la surface de la moelle, et l'on se rend bien compte qu'ils ne tarderont pas à
l'envahir tout entière. Vaschide et Vurpas d'une part, Zingerle d'autre part,
ont très nettement décrit et représenté ces foyers, ainsi que leur extension et
leur multiplication progressives de bas en haut. Ces auteurs, néanmoins, préoc-
cupés de la destinée des faisceaux blancs ou des variations de forme de la subs-
tance grise, n'accordent pas aux foyers hémorragiques toute l'importance qu'ils
méritent. Cette importance nous paraît au contraire considérable ; de concert
avec la prolifération conjonctivo-vasculaire, mais d'une façon plus active, les
amas sanguins se substituent peu à peu à la moelle dont les éléments cellulai-
res, aussi bien que les gaînes myéliniques, s'atrophient et disparaissent com-
plètement (PI. XLV bis-G à L).
(1) David WATERSTON et 11 : DW1N 1lIATnEW, The central nervo2vs system of an anence-
phalic foetus, Review of Neurology and Psychiatry, 1903.
Fm. 10. Envahissement du canal épendymaire.
E. c. Epithélium épendymaire. T. c. Tractus conjonctif. Bi. Bouchon conjonc-
tif. P. v. Pénétration vasculaire. - M. p. Méninge postérieure.
376 RABAUD
d) Nature des lésions. Telle est, dans son ensemble, la marche des proces-
sus que l'on observe dans la moelle. Ces processus sont manifestement ceux
d'une violente inflammation. C'est ce que Vaschide et Vurpas ont les premiers
reconnu. Mais ils n'ont pas exactement localisé le point de départ du proces-
sus en portant le diagnostic de polio-encéphalo-myélite. En fait, les divers
caractères observés sont ceux d'une méningite : Nous constatons en premier
lieu l'épaississement de la pie-mère, la dilatation des capillaires et leur néo-
formation, tandis que le tissu médullaire lui-même reste indemne. Puis in-
terviennent les hémorragies extra-médullaires, ainsi que l'exsudation séreuse,
qui n'avaient point encore étésignalées, et enfin les hémorragies intra-médul-
laires avec la participation des vaisseaux de la moelle et la prolifération con-
jonctive. L'origine des plages sanguines intra-médullaires est purement inflam-
matoire ; elle est un caractère constant de la méningite, et c'est se fourvoyer
de la façon la plus complète que de chercher d'autres explications.
Il est, il ce propos, très curieux d'observer à quel point certains auteurs ont
méconnu le sens des dispositions qu'ils ont décrites et représentées. C'est
ainsi que Murait (1) met les hémorragies sur le compte de pressions anor-
males exercées durant l'accouchement. Veraguth (2) admet la même explication
pour les hémorragies récentes, tandis qu'il voit dans les hémorragies anciennes
le résultat d'un trouble vasculaire initial, sur lequel d'ailleurs il ne s'explique
pas autrement. K. et G. Petrèn (3) croient de leur côté que la dilatation vas-
culaire, origine des hémorragies, résulte d'une absence d'énergie de crois-
sance de la partie antérieure de la moelle. Quant à Zingerle, il avance que les
amas sanguins se trouvent non seulement dans le tissu nerveux, mais encore
dans les os, les muscles et d'autres tissus ; il reconnaît qu'ils sont plus nom-
breux et plus étendus vers la région céphalique. Parmi ces hémorragies les
unes sont récentes, les' autres anciennes. De plus, les voies sanguines et lym-
phatiques sont également dilatées. Pour les hémorragies récentes, Zingerle
admet, avec Murait, des compressions au moment de l'accouchement et, en
outre, l'action de la dyspnée qui accompagne la respiration du nouveau-né.
Pour ce qui est de la dilatation vasculaire, qui est un trouble intra-utérin,il fait
l'hypothèse d'uue formation vicieuse des sinus veineux et d'une compression
exercée sur les vaisseaux de la base du crâne renfermés dans des conduits
cartilagineux ou osseux trop étroits.
- L'inanité de toutes ces explications ressort d'elle-même, et c'est chercher
bien loin une cause qui s'impose à la vue. Les compressions anormales de
l'accouchement ne sauraient produire les hémorragies que nous constatons,
aussi récentes puissent-elles être ; la dyspnée n'existe pas toujours, puisque
nombre d'individus meurent avant d'avoir respiré. Quant au rétrécissement
(1) v. 'MORAL, Ueber das Nervensyslem eines Ilenzicephalezt. Arch. des Psych., 34.
(2) VEIIAGUTH, Ueber nieder differenzirte Missbildungen des Cenlrulnervensylems.
Arch. sur Entw. Mech., XII, 1900.
(3) K. AND. G. Petrèn, l3eitrüge zur Kenntniss des Nervensystems ùnd der Netz-
haut beim Anéncephalie und Amyelie. Virchows Archiv, 15 Bd. I, 1898.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 377
des conduits osseux renfermant des vaisseaux, il est, non pas la cause, mais
l'effet, de la dilatation vasculaire, c'est-à-dire de l'inflammation, ainsi que nous
le verrons plus loin.
Au surplus, aucune de ces explications ne tient compte de quelques détails
dont l'importance n'est pas négligeable. La dilatation vasculaire n'est pas une
dilatation simple; elle se complique d'épaississement très notable des parois.
Cet épaississement coïncide avec un épaississement méningé, sur lequel les
auteurs n'insistent nullement ; il coïncide en outre avec la présence de leuco-
cytes abondants tant dans les vaisseaux que dans les tissus nerveux, et enfin
avec une prolifération vasculo-conjonctive dont on suit la progression de bas
en haut. Tout indique l'existence d'une méningite intense : et telle est bien la
nature des processus observés.
La méningite est-elle précédée d'hydrocéphalie ? Aucune des dispositions
constatées ne permet de le croire ; cette hypothèse n'apporte qu'une complica-
tion tout à fait inutile, et qui soulève bien des difficultés. Une hydrocéphalie
préalable laisserait des traces précises après elles ; si, dans certains cas, cette
hydrocéphalie a existé, ce n'est probablement pas elle qui a déterminé l'inflam-
mation. Celle-ci peut exister seule, et existe seule le plus souvent.
Cette inflammation méningée présente quelques particularités qui méritent
d'être mises en pleine lumière. Elle se propage, intus et extra, aussi bien vers
la moelle que vers la dure-mère. La propagation vers le dehors est la première
en date, elle se traduit par une véritable néo-formation vasculo-conjonctive
qui envahit l'espace péri-lymphatique. Quant à la propagation en dedans, elle
n'est pas conforme aux données ordinaires relatives à l'anatomie pathologique
de la méningite ; mais cela ne saurait en aucune façon être un élément de
doute relativement à la nature des lésions. L'anatomie pathologique de la mé-
ningite repose uniquement sur l'étude d'individus vivant depuis un temps
variable de la vie extra-utérine, tandis que nous observons ici des foetus.
Cette différence des conditions extérieures suffit simplement à provoquer des
différences dans la marche des phénomènes. Ces différences, d'ailleurs, sont
beaucoup plus faibles qu'il n'y paTaît au premier abord, et tout porte à
croire que l'envahissement du système nerveux est une tendance constante de
la méningite, tendance peu marquée, sans doute, ainsi que nous l'observons
ici, mais qui doit malgré tout devenir effective si la maladie dure un temps
suffisant.Nous reviendrons sur ce point; il méritait d'être signalé d'ores et déjà.
Au surplus, la propagation vers le dehors est, elle aussi, autrement accusée
ici qu'elle ne l'est à l'ordinaire. Elle trouve, il est vrai, un obstacle dans la
dure-mère, car, bien que celle-ci ne reste pas indemne, elle n'est que
très lentement et très tardivement attaquée. De plus, et ceci vaut d'être
mentionné le processus inflammatoire ne fuse que très difficilement tout
le long des nerfs rachidiens. On observe, en effet, d'une façon constante
et nous verrons plus loin à quel point cette assertion est justifiée que les
ganglions spinaux ne sont intéressés qu'à la dernière extrémité : leurs cellules
constitutives sont parfaitement saines ; c'est tout au plus si la coloration par
xvm 25
'378 RABAUD
le procédé de Van Gieson met en évidence un léger épaississement du tissu
conjonctif péri-ganglionnaire et quelques capillaires dilatés. On ne saurait trop
insister sur cette intégrité presque absolue des ganglions spinaux, intégrité
relevée par différents auteurs, et qui a donné lieu, nous le verrons, aux con-
sidérations les plus invraisemblables.
2° Variations diverses.
La nature des lésions étant ainsi établie, nous pouvons tenir compte des
variations diverses que subit le processus méningitique et de quelques parti-
cularités accessoires, sans doute, mais intéressantes cependant à noter.
a) Méningite segmentaire. - Les cas où les lésions méningitiques augmentent
progressivement d'intensité à partir de l'extrémité inférieure jusqu'à la région
cervicale sont peut-être les plus fréquents, mais ils ne représentent pas, à coup
sûr, un phénomène constant, et l'on observe, à ce point de vue, divers cas par-
ticuliers.
C'est ainsi que, chez l'un de nos sujets, l'inflammation descendait jusqu'à la
pointe la plus extrême de la moelle, y affectant une très grande intensité.
Dès la région la plus inférieure de la moelle, on observe un tissu nerveux
fragmenté en faisceaux, dans lequel ne se trouve aucun élément cellulaire. Les
faisceaux sont envahis par de nombreux vaisseaux sanguins de calibre divers,
à parois d'épaisseur varjable, gorgés de globules rouges et de leucocytes. Tout
autour, se trouve un magma d'origine hémorragique et exsudative. Cet ensem-
ble, limité par une membrane épaisse qui n'est autre que la dure-mère, repré-
sente de nombreuses racines enveloppant l'extrémité inférieure de la moelle
réduite en bouillie. La présence de nombreux et larges vaisseaux souligne
encore l'intensité de l'inflammation dans cette région (PI. XLV ter-M).
Les processus sont donc ici très avancés. Eu outre, les ganglions spinaux,
contrairement au cas général, offrent des lésions assez marquées. Sur la même
coupe, ou sur les précédentes, on observe des cloisons conjonctives épaisses
divisant en trois la masse glanglionniire ; les cellules, fort diminuées de nom-
bre, notablement endommagées, sont séparées les unes des autres par un
stroma conjonctif abondant, dans lequel se trouvent des vaisseaux dilatés.
Les dispositions restent sensiblement les mêmes, s'accentuant plutôt, dans
tout le tiers inférieur de la moelle, environ. Puis, en passant dans le tiers
moyen, l'aspect change complètement. Sans doute, il y a encore ici inflamma]
tion et inflammation marquée, mais l'intensité des lésions est notablement moin-
dre, c'est une intensité moyenne : la moelle forme un tout cohérent enveloppé
de la gaîne vasculaire ; tout autour sont disposés des troncs nerveux atteints
par l'inflammation à un faible degré.
La particularité remarquable réside ici dans la moelle. Elle ne renferme plus
aucune cellule nerveuse, mais elle ne renferme pas davantage de vaisseaux,
ni de plaques hémorragiques ; elle est constituée par des éléments névrogliques
et des fibres en mauvais état. De plus, elle est extrêmement réduite dans tou-
tes ses dimensions. Tout se passe comme si cette moelle, séparée de ses rela-
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 379
tions vasculaires, avait subi un arrêt de développement très intense, suivi d'une
dégénérescence totale (PL. XLV ter-N).
Les phénomènes restent comparables dans le segment immédiatement supé-
rieur, avec cette différence qu'il y a une aggravation de processus inflamma-
toire. Cette aggravation se manifeste par l'existence de petits vaisseaux dans la
moelle atrophique.
La recrudescence ne persiste pas ; au-dessus de ce segment, l'arrêt de déve-
loppement de la moelle est, sans aucun doute, moins accentué ; dans tous les
cas, il est intervenu plus tard, laissant à cette partie de la moelle le temps de
se développer davantage ; elle renferme des cellules, dont nous n'avons pas
trouvé trace précédemment. La gaîne vasculaire elle-même, quoique bien déve-
loppée, l'est cependant un peu moins que dans le centimètre inférieur
A partir de ce niveau, qui correspond à peu près à la partie moyenne de la
moelle, le processus méningitique reprend sa marche progressivement crois-
sante ; dès ce moment, sa description se confond avec la description d'ensemble
que nous avons précédemment donnée.
Dans ce cas particulier, nous observons donc une inflammation à recrudes-
cence segmentaire. Il n'y a pas, sans doute, de segments indemnes ; mais les
lésions subissent deux alternatives d'aggravation et d'atténuation tout à fait
remarquables. C'est à la partie inférieure que l'intensité est de beaucoup la plus
grande ; puis elle va diminuant, tandis que la moelle est frappée d'un arrêt de
développement, beaucoup plus marqué que dans le cas général, arrêt de déve-
loppement auquel tend à succéder une dégénérescence totale. Ce point est tout
particulièrement à retenir ; nous aurons à le reprendre un peu plus loin.
Ce phénomène de recrudescence segmentaire a été déjà décrit par d'autres
auteurs, mais sous une forme tout à fait différente qui indique une mécon-
naissance profonde des faits observés. Sabrazès et Ulry (1), en effet, de
l'observation d'un chien pseudencéphale, chez lequel existait des vestiges du
système nerveux intercalés entre des parties conjonctivo-vasculaires, concluent
à un développement partiel de l'axe cérébro-spinal. Leur description se rap-
porte incontestablement à un cas de méningite segmentaire, c'est-à-dire à des
destructions partielles d'un système nerveux préalablement constitué au com-
plet. Suivant toutes probabilités, ces processus à recrudescence ne doivent pas
être exceptionnels ; un tissu disposé sur une aussi grande longueur que le tissu
nerveux présente presque nécessairement des variations plus ou moins consi-
dérables dans sa constitution, et, partant, dans sa résistance aux incidences
externes. De toutes façons, le processus est intéressant à noter ; il est surtout
important de ne pas l'interpréter à rebours en faisant intervenir un arrêt de
développement là ou le point de départ est une inflammation méningitique.
b) Dédoublement du canal de l'épendyme. Il est une autre particularité,
celle-ci d'ordre tout à fait secondaire, semble-t-il, au sujet de laquelle je n'au-
(1) SABRAZKS et ULRY, Arrêt de développement considérable de l'encéphale associé à
des malformations médullaires, crâniennes et oculaires (chien). Soc. de Biol., 13 mai
1899.
380 RABAUD
rais pas jugé à propos de m'arrêter, si elle n'avait été relevée par Waterston
et Mathew (1). Cette particularité est le dédoublement du canal épendymaire.
Waterston et Matthew pensent que ce dédoublement est secondaire, qu'il
provient de l'envahissement du canal par les globules sanguins. L'interpréta-
tion, en soi, paraît répondre aux faits observés. La seule rectification qui s'im-
pose est que les éléments envahissants ne sont pas nécessairement des globules
sanguins; ce sont bien plutôt des cellules de tissu conjonctif embryonnaire.
J'ai précédemment indiqué que le tissu conjonctif embryonnaire qui envahit
le septum postérieur atteint la paroi postérieure du canal épendymaire, l'effon-
dre, traverse la cavité du canal et traverse enfin la paroi antérieure, coupant
ainsi en deux l'épendyme. On a ainsi deux demi-canaux nettement séparés
l'un de l'autre. Or, chez l'un de mes sujets, on observe que ces deux parties
disjointes de la paroi épendymaire se sont respectivement fermées, constituant
deux canaux, comme si l'extrémité libre les parois revenues sur elles-mêmes
s'était accolées (Pl. XLV-D). Rien ne paraît autoriser à croire que cette disposi-
tion soit primitive et constitue une anomalie. Celle-ci d'ailleurs serait anté-
rieure à la méningite et tout à fait indépendante d'elle. Il est beaucoup plus
probable que le dédoublement épendymaire dépend de l'inflammation, qu'il est
un processus secondaire d'envahissement d'où résulte la courbure et la ferme-
ture consécutive des deux demi-parois.
3° Tumeur cérébrale.
Réduite à sa description histologique, la constitution de la tumeur cérébrale
est extrêmement simple. Elle a été faite à diverses reprises, et nous n'avons
pas de détail important à ajouter aux faits actuellement connus.
Considérée en soi, cette structure reste une véritable énigme, et jusqu'ici il
n'a pas été donné d'interprétation satisfaisante. Il ne pouvait en être autrement,
car cette tumeur vasculo-conjonctive ne saurait être vraiment comprise que si
l'on a suivi pas à pas la marche du processus inflammatoire, ainsi que nous
venons de le faire.
a) Structure. Sur une coupe morphologique de la tumeur cérébrale, le
premier fait frappant, c'est la différence essentielle qui sépare le tissu examiné
du tissu cérébral. Il n'existe aucune circonvolution superficielle, et l'on n'ob-
serve rien qui ressemble, de près ou de loin, à l'une des scissures de l'encé-
phale. Le tissu lui-même n'a aucun caractère commun avec le tissu nerveux.
Les dispositions que l'on constate d'une façon très générale sont les suivantes,
en allant de la périphérie vers la profondeur :
Tout à fait à la surface, le revêtement cutané. Ainsi que je l'ai indiqué dans
l'étude morphologique qui précède, l'existence de ce revêtement cutané ne
laisse prise à aucun doute ; l'examen microscopique confirme de la façon la
plus nette les indications fournies par la dissection simple. La peau, cependant,
a subi des modifications fort importantes. Elle ne renferme plus, sauf excep-
tion, les différentes couches habituellement décrites : une assise génératrice et
(1) Op. cit.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 381
les assises du corps de Malpighi ; ce qui existe seul, c'est la couche cornée,
disposée en assises, plus ou moins nombreuses suivant le cas, et surmontées
de l'assise desquamante ; les follicules pileux font généralement défaut.
Peut-être serait-il difficile, au premier abord, de reconnaître avec certi-
tude ces éléments cornés qui représentent tout ce qui reste de la peau à la sur-
face de la tumeur si l'on n'avait pour guide dans l'interprétation de ce tissu, et
pour lever les quelques incertitudes que l'on pourrait avoir, la constatation de
la continuité de ce revêtement avec la peau relativement saine du pourtour de
la tumeur. Sur les coupes pratiquées dans ces conditions, on distingue nette-
ment, à une certaine distance de la tumeur, l'assise génératrice, au-dessus
d'elle les assises malpighiennes et les assises cornées ; on distingue également,
dans le derme sous-jacent, un nombre variable de follicules pileux.
A mesure que l'on examine des champs de plus en plus voisins de la tumeur,
on voit la couche génératrice perdre peu à peu ces caractères : elle cesse de se
multiplier, ce qui se traduit par la diminution du nombre des assises mal.
pighiennes (1). Celles-ci font bientôt complètement défaut; les assises cornées
reposent alors directement sur l'assise génératrice qui disparaît bientôt elle-
même, laissant le derme sous-jacent en contact direct avec les assises cornées.
Au sur et à mesure que se produisent ces modifications, les papilles s'atténuent,
puis disparaissent, de sorte que la ligne de séparation épithélio-dermique est
une ligne droite. Le derme lui-même est sensiblement réduit en épaisseur ;
il reste néanmoins tout à fait distinct, le plus souvent, de la tumeur sous-
jacente. L'existence de la couche cornée a été vue et nettement mentionnée par
Zingerle (2).
Au-dessous de cette membrane cutanée ainsi constituée, on trouve une assise
épaisse, renfermant à la fois du tissu conjonctif embryonnaire et des vaisseaux.
Ceux-ci sont en nombre considérable ; sans être absolument serrés les uns
contre les autres, ils sont cependant en contact immédiat. La paroi de ces
vaisseaux est toujours épaisse; un certain nombre d'entre eux restent distincts
de leurs voisins, mais, en d'autres parties de la préparation, les parois se
confondent de la façon la plus complète. Le calibre des troncs vasculaires varie
en d'assez grandes proportions.
Dans l'espace que laissent libre les vaisseaux, s'insinuent des travées de tissu
conjonctif embryonnaire d'épaisseur variable ; l'ensemble forme un tissu très
cohérent, dans lequel prédominent nettement les vaisseaux.
Cette couche vasculaire se retrouve sur toute la périphérie de la tumeur ;
elle est séparée de. la peau par une membrane conjonctive, assez épaisse, dans
laquelle on distingue un certain nombre de capillaires (Pl. XLV-E).
L'interprétation de ces dispositions s'impose à l'esprit : la couche vasculaire
correspond nettement à la gaîne péri-médullaire que nous avons précédemment
décrite; elle représente la pie-mère enflammée, envahie par une néo-formation
(1) Les procédés de fixation in toto par le formol ou l'alcool ne m'ont point permis
d'observer des karyokinèses nettes.
(2) Op. cit. 1
382 RABAUD
intense ; e.le marque le point de départ du processus morbide. Ce processus a
gagné vers le dehors ; il s'est peu à peu propagé à la dure-mère, lui substi-
tuant des capillaires dont la paroi s'est secondairement épaissie ; la peau a été
elle-même indirectement touchée dans sa nutrition, et nul doute que l'inflam-
mation se propageant encore n'ait abouti à la destruction et de la dure-mère
et de la peau.
L'inflammation a également marché vers l'intérieur, vers le tissu cérébral.
De celui-ci on retrouve parfois des traces plus ou moins nettes, sous forme de
bandes ; de ce qui en reste, il est permis de déduire qu'il a été détruit de la
même façon que la moelle par des hémorragies progressivement croissantes
et par la prolifération conjonctive. C'est, en effet, principalement du tissu
conjonctif embryonnaire,qui prédomine au-dessous de l'enveloppe vasculaire.
Toutefois, ce tissu conjonctif n'est pas seul dans la partie centrale, et l'on
rencontre, par amas d'étendue variable, des vaisseaux accumulés, à parois
épaisses, confluentes ou individualisées. Autant qu'il soit possible de s'en ren-
dre compte sur une tumeur qui ne conserve plus aucune apparence morpho-
logique de l'organe auquel elle s'est substituée, il semble que les amas vascu-
laires correspondent aux plexus choroïdes des ventricules. Il est fort probable
que l'inflammation a gagné rapidement de la pie-mère vers ces plexus qui ont
été, eux aussi, le siège d'une prolifération vasculo-conjonctive. S'il en est
ainsi, et tout permet de le croire, le tissu cérébral s'est touvé pris de tous
côtés, par le dehors et par le dedans. Peu à peu, mais cependant avec une cer-
taine rapidité, ce tissu déjà très réduit par les hémorragies intra-cérébrales, a
été envahi par du tissu conjonctif embryonnaire, par des vaisseaux de nouvelle
formation dont les parois proliférant elles-mêmes n'ont fait qu'augmenter la
masse conjonctive.
La tumeur présente encore quelques particularités. C'est ainsi que l'on ob-
serve, par endroits, des vestiges de plaques hémorragiques, aussi bien superfi-
cielles que profondes. Et l'on observe également de très vastes lacunes, rem-
plies d'un liquide séro-sanguinolent. De ces lacunes, les unes sont extrême-
ment petites, les autres, au contraire, très larges, ayant parfois un champ d'un
demi-centimètre, et par conséquent visibles à l'oeil nu. Au microscope, la paroi
de ces lacunes ne présente rien de particulier : c'est une coque conjonctive
plus ou moins épaissie. Suivant toute évidence, ces lacunes correspondent aux
exsudats séreux que nous avons observés dans la moelle, autour desquels
s'est secondairement organisée une paroi.
b) Genèse de la tumeur. De la description qui précède, il n'est point ma-
laisé de déduire la genèse de la tumeur ; nous avons presque indiqué cette
genèse chemin faisant. Elle découle, en définitive, de la prolongation des pro-
cessus méningitiques au-delà des limites qui lui sont nécessairement imposées
chez l'enfant ou l'adulte. Chez ces derniers, la mort survient, alors que l'in-
flammation reste encore presque exclusivement limitée à la pie-mère, mar-
quant à peine sa tendance à se propager, vers le dehors ; seules les hémorra-
gies internes marquent la participation du tissu nerveux. Chez le foetus, au
contraire, la vie parasitaire permet à la nutrition de s'effectuer, et par suite à
PATHOCÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 383
la vie de se prolonger, bien que le système nerveux subisse une destruction
lente. Dans ces conditions, la prolifération vasculaire se poursuit très long-
temps, elle envahit la pie-mère de la façon la plus complète ; de la pie-mère
elle gagne tout d'abord, et assez rapidement, en dehors dans l'espace péri-
lymphatique qu'elle comble ; elle envahit également en dedans et tend à se
substituer au tissu nerveux, ou plus exactement à un magma fait de débris
nerveux et de globules sanguins d'origine hémorragique.
A la néoformation vasculaire se joint l'épaississement, par multiplication,
des élément conjonctifs embryonnaires de la paroi des vaisseaux nouvellement
formés. Déjà très voisins les uns des autres, les vaisseaux parviennent au
contact. Souvent chaque vaisseau reste parfaitement individualisé, mais sou-
vent aussi les parois se confondent en un tissu conjonctif qui constitue comme
une sorte de substance fondamentale parsemée de vaisseaux.
Il n'y a là, on le voit, que l'aboutissant nécessaire du processus dont nous
avons surpris le début dans la moelle et dont nous avons suivi la marche pro-
gressive en remontant des segments médullaires les plus inférieurs aux seg-
ments les plus élevés ; c'est la marche complète du processus inflammatoire
vers la sclérose, processus à peine ébauché chez l'adulte, lorsque la mort
survient.
Mais la néoformation-vasculaire n'est en somme qu'un aspect du processus
général de prolifération conjonctive. Si les capillaires pénètrent dans l'inti-
mité du tissu nerveux, leur multiplication est surtout intense en dehors ; dans
le tissu nerveux lui-même nous observons plus particulièrement une prolifé-
ration d'éléments embryonnaires qui envahissent, étouffent et suppriment. La
moelle nous a montré les premières phases de ce processus ; supposons qu'il
se poursuive et nous aboutissons à la disposition observée dans le tissu encé-
phalique où, en dessous de la zone vasculaire, existe un amas de tissu conjonc-
tif. La substitution est complète, dans le cas général ; chez certains individus,
cependant, l'envahissement n'est pas encore terminé au moment où l'observa-
teur intervient, et la masse encéphalique peut renfermer encore une certaine
qnantité de tissu nerveux. Il ne saurait y avoir aucun doute sur la réalité du
phénomène.
c) Pachyméningite et voûte osseuse du crâne. Si la propagation du pro-
cessus méningitique de dehors en dedans nous conduit à comprendre le mode
de formation de la tumeur cérébrale et la valeur même de cette tumeur, sa
propagation de dedans en dehors a aussi son intérêt.
Il n'y a pas lieu d'insister sur les transsudations de sérosité auxquelles sont
vraisemblablement dues les formations kystiques que l'on observe constam-
ment dans la tumeur cérébrale. L'intérêt gît principalement sur le sort dévolu
à la dure-mère et aux tissus sus-jacents. La dure-mère, nous l'avons vu, est in-
téressée par l'inflammation; on observe, dans son intimité, de nombreux
petits capillaires. Néanmoins il ne semble pas que la néoformation y atteigne
jamais l'importance qu'elle acquiert dans la pie-mère. D'après mes observations,
la dure-mère résiste ; on la retrouve constamment individualisée, non seulement
dans sa portion rachidienne, mais aussi dans sa portion crânienne. Sur elle,
384 RABAUD
l'action du processus inflammatoire paraît être surtout d'entraver son develop-
pement. Mais, quelle que soit la part restreinte qu'elle prenne à l'ensemble des
phénomènes, quelle que soit, en somme, la faible importance de la pachymé-
ningite, il suffit que celle-ci existe, pour que la différenciation osseuse de la voûte
membraneuse soit entravée, pour que les éléments cutanés subissent eux aussi
une action dystrophique intense, aboutissant à la désintégration. Or, il semble
bien que l'état des tissus placés au delà de la dure-mère dérive, à l'origine,
plutôt d'une dystrophie simple que d'une destruction directement inflamma-
toire. Secondairement, tous ces tissus, réduits à une très faible épaisseur, no-
tablement modifiés, font, en quelque sorte, corps avec la néoformation vas-
culo-conjonctive sous-jacente et l'ensemble constitue la tumeur, sur laquelle
on a si longtemps discuté sans aboutir.
Ganglions crâniens. Que les processus inflammatoires aient une faible
tendance à dépasser la dure-mère, nous en avons la preuve, non seulement
par les dispositions que présente la peau, mais aussi par l'envahissement tar-
dif des ganglions nerveux. Nous avons noté ce fait, pour ce qui est des gan-
glions rachidiens, et nous en verrons tout à l'heure un très remarquable
exemple. Au niveau de l'encéphale, la même intégrité relative des ganglions se
retrouve; elle se retrouve tout particulièrement dans l'oeil. La plupart des
auteurs qui ont examiné au microscope l'oeil les pseudencéphaliens ont indiqué
que cet oeil offrait la structure habituelle ; quelques-uns même ont tiré de
ce fait, dont l'explication ne présente aucune difficulté, des conceptions em-
bryologiques qui nous ramènent aux temps primitifs de l'embryologie. J'ai
fait des observations analogues : l'oeil est constamment en bon état. Mais, il
faut bien le dire, c'est parfois un bon état assez relatif. Sans doute, sur les
foetus que j'ai examinés, l'inflammation est toujours très limitée; il ne me
paraît pas contestable, cependant, que l'inflammation fuse le long de la paroi du
nerf optique et tende à envahir les enveloppes même de )'oeil Il doit certaine-
ment se rencontrer des cas où, soit que les processus aient débuté plus tôt, soit
qu'ils aient marché plus rapidement, l'oeil présente des lésions assez accen-
tuées.
4° Marche générale du processus méningitique.
L'intégrité relative de l'oeil, et, d'une façon plus générale, celle des ganglions
cérébro-rachidiens, n'est pas seulement due, semble-t-il, à la barrière, assez
faible en somme, que la dure-mère oppose à la marche du processus. Nous
verrons, dans le troisième chapitre, qu'il intervient certainement un autre fac-
teur, à savoir la localisation initiale de l'inflammation. Il nous suffit, pour ter-
miner ce qui a trait à l'étude histologique, d'indiquer à grands traits la marche
des phénomènes sur l'ensemble du système nerveux. Cette indication nous
sera nécessaire pour comprendre quelques-unes des dispositions que nous avons
encore à décrire.
Nous avons dû, pour saisir nettement l'essence du processus et la significa-
tion des dispositions observées, faire notre examen en débutant par les seg-
ments inférieurs de la moelle et remonter graduellement, jusqu'à l'encéphale.
PATHOGENIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 385
Il est à peine besoin de dire qu'en procédant ainsi nous avons suivi une mar-
che exactement inverse de la marche réelle. Il ressort des faits eux-mêmes que
le foetus est primitivement atteint d'une méningite dont le point de départ est
la pie-mère crânienne. Secondairement, l'inflammation se propage à la pie-mère
rachidienne, descend des régions cervicales aux régions sacro-lombaires où
nous la retrouvons effectivement, presque à son début.
L'inflammation reste-t-elle localisée longtemps dans l'encéphale avant de se
propager la moelle ? La question ne comporte pas une réponse simple ; nous
allons voir, dans un instant, que la méningite cérébrale évolue parfois seule
durant un assez long temps. Dans les cas où la moelle existe encore, il s'est
certainement écoulé un temps plus ou moins long entre le moment où les
méninges crâniennes se sont enflammées et le moment où les méninges rachi-
diennes ont été intéressées à leur tour. Ce temps d'arrêt se manifeste par ce
fait qu'il n'y a pas une transition graduelle et ménagée entre les lésions mé-
dullaires et les lésions crâniennes. Quelle que soit l'étendue des hémorragies ou
de l'envahissement conjonctif intra-médullaires, les diverses parties de la
moelle restent encore assez nettement distinctes et facilement reconnaissables.
C'est assez brusquement, à un niveau variable, que l'on passe du tissu ner-
veux à une tumeur constituée, dans laquelle on ne reconnaît plus l'aspect du
névraxe. Cependant, en dépit de ce passage rapide d'un état moyen d'envahis-
sement et de destruction à l'état de tumeur constituée, la continuité des proces-
sus est suffisamment nette, pour qu'il soit indéniable que l'état de la masse
encéphalique n'est que le dernier degré des processus médullaires.
Au surplus, ce temps d'arrêt n'existe pas nécessairement ; les transitions
peuvent être parfois ménagées ; même il est probable que, chez les sujets dont
moelle et cerveau ont disparu, la propagation de la méningite s'est effectuée
très rapidement d'un bout à l'autre du névraxe.
Quant au temps d'arrêt lui-même, il trouve son explication naturelle dans la
courbure très accentuée qui est une disposition constante de la colonne verté-
brale : comme conséquence de cette courbure, il se produit des phénomènes
de pression, pouvant aboutir à la rupture ; celle-ci suffit pour opposer, au moins
d'une façon temporaire, une barrière à l'inflammation.
Les diverses modalités ressortiront d'ailleurs de l'examen des cas particu-
liers qui vont suivre; retenons simplement ce point essentiel, que l'inflamma-
tion débute par l'encéphale et se propage secondairement à la moelle.
50 Dégénérescence pré-méningitique de la moelle.
Chez deux des foetus soumis à mon examen, les processus observés dans la
moelle ne sont pas de même nature, au premier abord, que les processus que
nous venons de décrire. Sans doute, il s'agit bien encore ici de méningite ;
mais le tissu nerveux se trouve dans un état de dégénérescence extrêmement
avancé qui ne concorde nullement avec l'intensité de l'inflammation périphé-
rique. -
Dans un premier cas, on observe une gaîne vasculaire très nette dans une
pie-mère épaissie; les vaisseaux sont petits, mais nombreux. L'envahissement
386 RABAUD
progresse en dehors, vers la dure-mère, intéressant les troncs nerveux péri-
médullaires. L'intensité du processus s'accroît à mesure que l'on remonte
(Pl. XLIV bis-Aa), mais il ne va pas jusqu'à intéresser la dure-mère.
L'état dans lequel se trouve la pie-mère et le degré de néo-formation vas-
culaire devraient coïncider, avec une substance médullaire parfaitement re-
connaissable. Même, dans les segments inférieurs de la moelle, les cellules
nerveuses devraient être à peine modifiées. Or il en va ici tout autrement. Les
coupes pratiquées sur la moelle lombo-sacrée montrent, dans l'intérieur de la
pie-mère, à la place de la moelle, un amas de débris sans forme, ayant-perdu
toute cohérence. On ne reconnaît plus, ni sillon antérieur ni sillon postérieur
ni canal de l'épendyme, ce sont des fragments divers qu'il est impossible d'iden-
tifier à l'un quelconque des éléments constitutifs de la moelle. Au milieu de
ces débris, on distingue quelques cellules ayant encore des contours assez
précis, mais ces cellules sont dans un état de dégénérescence très avancé :
elles ne prennent pas, ou prennent à peine le bleu de méthylène.
Au milieu de ces débris, il n'exista aucun vaisseau, aucune trace de tissu con-
jonctif embryonnaire; manifestement, l'inflammation n'a pas encore progressé
de dehors en dedans et ce n'est point d'elle que dépend cet état de désinté-
gration totale où se trouve le tissu nerveux. D'ailleurs, la discordance entre
les lésions de la pie-mère et celles de la moelle ne laisse prise à aucun doute :
celles-ci sont sans relation avec celles-là.
La discordance est tout à fait marquée dans moitié inférieure de la moelle ;
elle s'atténue, sans cependant s'effacer, à mesure que l'on se rapproche de
l'encéphale. La discordance s'atténue en ce sens que la bouillie médullaire
constitue un ensemble plus cohérent que dans les segments inférieurs, et qu'il
est possible de discerner, dans la région cervicale, une vague apparence du canal
épendymaire. Les cellules nerveuses sont un peu moins dégénérées, elles sont
groupées d'une façon assez précise ; on observe, en outre, un certain nombre
d'éléments correspondant à des grains de névroglie.
Mais si la discordance entre les lésions pie-mériennes et les lésions médul-
laires est un peu moins accentuée, il est une disposition qui, malgré tout, la
souligne. Dans les segments supérieurs de la moelle, en effet, on voit s'ébau-
cher la pénétration des vaisseaux dans la moelle et l'envahissement conjonctif;
tout à fait en haut, même, on observe des traces légères d'hémorragie. Ces
constatations précises permettent d'affirmer que l'absence de toute propagation
inflammatoire vers la moelle constatée dans les segments inférieurs est bien
primitive, qu'elle ne résulte pas d'une destruction secondaire, portant à la fois
sur les éléments nerveux et sur les éléments conjonctivo-vasculaires. Il est
incontestable que les processus inflammatoires des méninges rachidiennes n'ont
nullement déterminé la dégénérescence totale de la moelle.
Les coupes des régions cervicales mettent en évidence un autre fait qui a
bien son importance : tandis que, dans toute la hauteur de la moelle, les raci-
nes ont entièrement disparu, à ce niveau on observe encore, avec'une certaine
netteté, quelques racines postérieures ce fait a une signification sur laquelle
nous allons revenir.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 387
Je signale, auparavant, les dispositions présentées par le second cas. Ici, la
discordance est encore plus remarquable : la méningite existe à peine ; même,
dans les segments supérieurs de la moelle, on ne peut que soupçonner un très
léger début de néo-formation vasculaire. Par contre, du côté de la moelle, la
désintégration est plus marquée encore, s'il se peut, que dans le cas précé-
dent. C'est une bouillie informe, dans laquelle on ne distingue plus aucun élé-
ment cellulaire. Ce n'est que tout à fait en haut, dans le segment cervical,
que l'on rencontre, non pas à proprement parler des cellules, mais des vesti-
ges que l'on peut assimiler avec quelque certitude à des cellules. L'opposition
est donc ici de la plus grande netteté, et l'on ne peut, sous aucun prétexte, pla-
cer la destruction du tissu nerveux sous la dépendance de la méningite racbi-
vienne. On remarque que dans ce cas, comme dans le précédent, la désintégra-
tion est un peu moins accusé dans le haut de la moelle, c'est-à-dire dans les
segments qui sont les premiers envahis par l'inflammation. Cela encore est
un fait paradoxal, et qui appuie l'affirmation que le processus inflammatoire
n'est pas l'agent immédiat de destruction du tissu nerveux.
Ces deux cas nous montrent, en somme, une dégénérescence extraordinaire-
ment avancée ; c'est une dégénérescence simple, non suivie d'un processus de
réparation cicatricielle ; c'est une dégénérescence sans sclérose.
Il est difficile d'admettre que cette dégénérescence, poussée à son extrême
degré, n'affecte avec l'inflammation méningitique aucun rapport de cause à
effet. Bien que, dans le cas général, nous n'observions pas des phénomènes
aussi accusés ; bien que la disparition des faisceaux blancs y soit infiniment
plus lente, divers indices montrent que la méningite cérébrale est encore,
dans ce cas particulier, le facteur immédiat du processus dégénératif.
En effet, l'intensité des lésions de la pie-mère rachidienne ne suffit pas à ex-
pliquer la désintégration complète du tissu nerveux. Nous avons insisté sur ce
point, en faisant remarquer que pour un état tout à fait comparable de la pie-
mère, d'autres foetus possédaient une moelle à peine modifiée. De plus, lors-
qu'une modification intervient, cette modification n'est pas une dégénérescence
simple, mais un processus complexe, dans lequel la dégénéresence n'intervient
qu'accessoirement. L'opposition ne laisse prise ici à aucune incertitude.
Mais ce que ne détermine pas directement l'inflammation de la pie-mère
spinale, l'inflammation de la méninge crânienne le provoque indirectement, et
l'on peut reconstituer la marche des phénomènes de la façon suivante :
La méningite crânienne, envahissant intus et extra les divers tissus encépha-
liques, les détruit et détruit, en particulier, le tissu nerveux. L'évolution mor-
bide ne marque qu'une faible tendance à se propager à la pie-mère rachidienne,
tandis qu'elle se développe, comme à l'ordinaire, aux dépens du tissu cérébral.
Il s'en suit que la méninge péri-médullaire est encore à peine atteinte, alors
que, depuis quelque temps déjà, le cerveau a disparu presque complètement.
La disparition du cerveau retentit nécessairement dans ce cas, comme dans
le cas général, sur les fibres de la moelle qui ne sont, pour une bonne part,
que la continuation anatomique des cellules cérébrales ; le retentissement est
388 RABAUD
ici beaucoup plus considérable, car la destruction du cerveau est très anté-
rieure à la propagation de l'inflammation vers la moelle. Dès lors, les fibres de
celle-ci entrent en dégénérescence et cette dégénérescence, portant tout d'abord
sur les éléments centrifuges, progresse de bas en haut, indépendamment de
tout processus inflammatoire intra-rachidien. C'est bien là ce que nous
observons, puisque nous avons noté que la désintégration est sensiblement
moins avancée dans le segment supérieur de la moelle que dans les segments
inférieurs. Nous constatons, on outre, que les fibres sensitives, dont le centre
trophique se trouve en dehors du système central, sont moins atteintes ; que,
dans la région lombaire, en particulier, nous les discernons avec certitude,
tandis que les fibres motrices ont disparu.
En somme, les faits se ramènent aisément aux processus de la dégénéres-
cence Wallérienne, pour ce qui est fibres centrifuges.
Peut-être remarquera-t-on que les fibres centripètes, si elles sont moins
atteintes que les centrifuges, sont cependant très franchement dégénérées,
tandis qu'elles ne devraient pas l'être. L'objection n'est certes pas sans va-
leur. Mais il convient d'observer que la perte de toutes relations avec les élé-
ments moteurs (ceux-ci ayant disparu) est un premier facteur capable d'entraî-
ner la désintégration ; qu'un second facteur de destruction se trouve dans la
méningite elle-même. En effet, si l'inflammation ne progresse que lentement
vers l'axe médullaire, elle s'est au contraire développée vers l'extérieur ; en
particulier, les divers faisceaux de fibres radiculaires sont nettement envahis
par le néoformation vasculaire ; celle-ci provoque la dégénérescence des fibres
intéressées. Il s'agit encore, d'ailleurs, pour ces derniers d'une dégénération
Wallérienne : c'est au niveau de leur pénétration dans la moelle que nous re-
trouvons leurs traces les plus nettes, tandis que leur segment intra-médullaire
est plus ou moins complètement dégénéré.
Il resterait à trouver les raisons pour lesquelles l'inflammation s'est long-
temps cantonnée dans l'encéphale avant de se propager à la moelle. Divers
facteurs interviennent certainement, au premier rang desquels se placent des
facteurs individuels, grâce auxquels telles ou telles parties offrent un terrain
favorable ou non à la propagation. A cet égard, il y a peut-être lieu de rap-
procher le retard de propagation vers la moelle des faits de recrudescence
segmentaire que nous avons relevés et décrits dans la moelle elle-même. Mais,
à côté de ces facteurs individuels qui tiennent aux conditions les plus diverses,
générales ou locales, intervient également un facteur d'ordre mécanique que
nous avons nettement observé dans le second des cas caractérisés par une dé-
générescence de la moelle s'opposant à une inflammation méningée aussi peu
avancée que possible.
Le foetus dont il s'agit appartient à cette catégorie de pseudencéphaliens sans
acrânie, dont il est question dans le chapitre premier, chez lequel la voûte crâ-
nienne existe, mais est aplatie et exactement accolée sur la base. Dans ces
conditions, l'encéphale est exclu de la cavité céphalique, la tumeur cérébrale
repose sur le dos. Nous aurons à rechercher l'origine de cette disposition ;
nous n'en retiendrons pour l'instant que le fait de l'exclusion de l'encéphale déjà
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 389
frappé de méningite. La conséquence du phénomène ressort d'elle-même : le
rejet de l'encéphale en arrière détermine un coude sous un angle aigu ou, au
plus, égal à un droit; ce coude peut être accompagné d'une rupture du bulbe,
il est, dans tous les cas, l'origine d'une action compressive. Cette action
compressive, s'ajoutant à l'action de même ordre qui intervient constamment
par suite de la courbure de la colonne cervicale, fait obstacle à la propagation
du processus inflammatoire.
Que ce facteur entre seul enjeu dans ce cas particulier, c'est ce que l'on ne
saurait affirmer sans réserves. Il n'en reste pas moins que dans les deux cas
qui nous occupent, la moelle a nettement dégénéré et que toutes les apparences
nous conduisent à placer cette dégénérescence sous la dépendance étroite de la
destruction préalable du cerveau par l'envahissement vasculo-conjonclif.
Valeur de la dégénérescence W allérienne.- Cette conclusion nous entraîne
à rechercher de près si le processus de dégénérescence ne joue pas d'une façon
générale un certain rôle dans la disparition de la moelle. A deux reprises, nous
avons indiqué que les recherches tendant uniquement à établir l'état d'intégrité
des faisceaux blancs, nous paraissaient des recherches vaines. En effet, l'en-
vahissement du tissu médullaire par le processus inflammatoire prenant nette-
ment le pas sur tout autre processus dans les cas ordinaires, il est sans
intérêt de savoir quels faisceaux sont ou ne sont pas atteints. Les lésions im-
médiates de la moelle interviennent nécessairement dans la dégénérescence,
modifient les localisations, introduisant ainsi une cause d'erreur notable dans
les interprétations. C'est pourquoi nous avons laissé délibérément de côté toute
investigation de ce genre, dès que la nature même du processus déterminant
de la pseudencéphalie est devenu, pour nous, évident.
Mais il ne suit pas de là que nous ayons voulu nier toute action dégénéra-
tive dans la disparition progressive de la moelle. Suivant toute évidence, dès
le moment où tout ou partie du cerveau cesse d'exister, les fibres médullaires
correspondantes commencent à se désintégrer. A cet égard, les travaux de Bul-
loch, Vaschide et Vurpas, Zingerle, Waterston et Matthew nous renseignent
très exactement, en montrant que les faisceaux moteurs sont franchement
altérés, surtout dans leur partie inférieure. Toutefois, cette altération est
assez peu accentuée, dans le cas général, pour permettre d'affirmer que cette
dégénérescence consécutive à la disparition du cerveau est un processus tout
à fait accessoire. Il peut aider à la disparition du tissu nerveux ; cette dispa-
rition s'effectuera sans lui, comme s'effectue la disparition du cerveau lui-
même ; bien avant que la dégénérescence ait envahi et supprimé la substance
blanche, les hémorragies intra-médullaires, la prolifération vasculo-coujouctive,
ont fait leur office : le processus méningé reste- le proccessus nécessaire et
suffisant.
Ce n'est que dans des cas très particuliers, lorsque sous une influence ou
une autre l'inflammation tarde à se propager vers les enveloppes spinales que
la dégénérescence prend le dessus et devient, à elle seule, le processus destruc-
teur de la moelle. Mais alors, le résultat est très différent ; il n'y a plus substi-
tution d'un tissu néoformé aux éléments nerveux : ceux-ci se présentent sous
390 RABAUD
l'aspect d'une bouillie informe qui ne peut plus servir de point d'appui à la
néoformation : cette dernière reste nécessairement en dehors de la moelle ; sa
multiplication est très sensiblement réduite.
On voit néanmoins qu'entre la dégénérescence totale, dont les conséquences
sont importantes, et la dégénérescence peu accusée, qui est négligeable, il n'y
a qu'une différence de degré. On peut relier l'une et l'autre par une série de
transitions ménagées.
II. Tissu CÉRÉBRO-SPINAL DES FOETUS A RACHIS DÉHISCENT.
Dans les divers cas que nous avons examinés jusqu'ici, la moelle existait,
sous une forme ou une autre, mais existait cependant, et c'est son existence
même qui nous a permis de surprendre le processus méningé. Nombre d'autres
cas, au contraire, sont caractérisés par une amyélie totale, et cette amyélie se
trouve constamment accompagnée d'un rachischisis complet, de sorte qu'il pa-
raît y avoir,qu'il y a une corrélation évidente entre l'existence d'un spina-bifida
et l'absence totale du tissu médullaire. Il importe d'examiner la structure du tissu
de remplacement et de rechercher si cette structure est assimilable à celle de la
pseudencéphalie ou s'il convient de la considérer comme différente.
Dans les cas de canal rachidien ouvert, deux formes sont à considérer : celle
où ce canal rachidien renferme purement et simplement un tissu dépourvu de
tout vestige d'éléments nerveux ; celle où, au-dessus des tissus de remplace-
ment, sont disposées des fibres nerveuses en nombre variable (Fig. 11).
1° Absence de tout vestige de tissu nerveux.
Le premier fait à mettre en évidence, pour ce qui concerne la première caté-
gorie de foetus, est la similitude parfaite existant entre leur tissu cérébral et le
tissu cérébral de foetus qui possèdent encore une moelle nettement caractérisée.
La similitude ne laisse prise à aucun doute ; la comparaison des coupes pré-
levées sur l'un quelconque des sujets ne révèle aucune différence essentielle.
C'est toujours un tissu conjonctivo-vasculaire plus ou moins creusé de lacu-
nes. De même que dans les cas précédents, les vaisseaux sont particulièrement
abondants et serrés dans la région superficielle correspondant à la pie-mère;
au-dessous de cette couche, est disposée une masse assez compacte où prédo-
mine le tissu conjonctif embryonnaire. La peau qui revêt la tumeur présente
également tous les caractères sur lesquels nous avons précédemment insisté.
Il est cependant un point par lequel ce tissu encéphalique se distingue : ici
les vaisseaux ne sont que très exceptionnellement isolés les uns des autres :
tous, ou presque tous, se trouvent inclus dans une substance conjonctive fon-
damentale constituant une masse homogène et continue, de laquelle se déta-
chent seulement les parois vasculaires endothéliales. Cette constitution est pour
nous très claire : nous avons ici sous les yeux une phase plus avancée de
l'envahissement conjonctif dont nous avons vu précédemment l'ébauche par
l'épaississement des parois vasculaires et par une prolifération conjonctive
indépendante de ces vaisseaux. Cette phase n'est évidemment pas la dernière ;
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 391
le terme ultime nous sera fourni dans un instant; mais il importe de retenir
cette marche progressive qui nous permettra de comprendre de la façon la plus
complète l'ensemble des foetus désignés sous les noms de pseudencéphaliens
et anencéphaliens. Ajoutons que les régions profondes sont beaucoup plus
conjonctives que vasculaires.
De toutes façons, l'évidence s'impose : les tumeurs cérébrales que nous
examinons ici et celles que nous avons précédemment décrites sont deux for-
mations de même nature, reconnaissant la même origine. Cette constatation
n'est pas sans importance au moment d'aborder l'examen d'un tissu intra-ra-
chidien qui n'a aucun rapport de similitude avec le tissu médullaire. Il est
clair que si la substance encéphalique des foetus qui nous occupent en cet ins-
tant, différait de celle des foetus précédemment étudiés, notre embarras eut été
grand pour l'interprétation du tissu intra-rachidien, en dépit des connaissances
antérieurement acquises.
Le tissu intra-rachidien n'est plus, exclusivement, qu'un amas de vaisseaux
et d'éléments conjonctifs jeunes. C'est tout au plus si, exceptionnellement, on
retrouve des vestiges de fibres à myélines en fort mauvais état et reconnais-
sables par leur continuité avec le seul élément nerveux encore distinct : le
FiG. 11. Coupe transversale d'une moelle dans un rachis déhiscent.
M. Moelle. - Ep. Ependyme. - Pm. Pie-mère. - Vp. Gaine vasculaire postérieure.
- Dm. Dure-mère. Rp. Racines postérieures. Rc. Revêtement cutané. Gg.
Ganglion rachidien.
392 RABAUD
ganglion. Dans l'ensemble, on n'a sous les yeux qu'une néoformation vasculo-
conjonctive, tout à fait comparable à celle qui remplit l'encéphale. Cette néo-
formation présente deux régions assez nettement séparées : l'une superficielle
où les vaisseaux sont petits, nombreux et serrés, l'autre profonde où les vais-
seaux, sensiblement moins nombreux, constituent des lacunes de grandes di-
mensions, distantes les unes des autres. D'une part, comme de l'autre, ces
vaisseaux semblent creusés dans une substance conjonctive très cohérente ; à de
très rares exceptions près, ils ont tous perdu leur individualité (V. PI. XLV-F).
Quant dire à quelle partie des tissus intra-rachidiens (méninges ou moelle)
appartiennent les différentes régions que l'on a sous les yeux, la chose est tout
à fait impossible; on ne peut faire à cet égard que des suppositions plus ou
moins fondées et d'ailleurs sans grand intérêt. Ce qu'il y a de certain, c'est
qu'ici la dure-mère a pris une part active au processus inflammatoire,, elle
s'est intimement confondue avec l'ensemble des tissus, pour former un bloc
indiscernable.
Quelques points sont à relever.
L'épaisseur du tissu vasculo-conjonctif intra-rachidien n'est pas la même en
tous les points de la longueur du rachis. Cette épaisseur est sensiblement plus
grande au niveau de la région lombaire qu'au niveau des régions dorso-cervi-
cales ; tout à fait en haut même, le tissu se présente sous la forme d'une
membrane extrêmement mince. Un processus atrophique est manifestement
intervenu, processus ultime de la méningite foetale. Ce processus n'est autre,
suivant toute vraisemblance, que la prolongation de la prolifération conjonctive
qui étouffe, comble ou supprime les vaisseaux néoformés. On peut, par un
examen attentif, saisir sur le vif cette terminaison de la méningite. Sur cer-
tains vaisseaux, en effet, on observe nettement une sorte d'effraction de la
paroi : celle-ci semble s'ouvrir par endroits, pour livrer passage à une quan-
tité considérable d'éléments jeunes, d'aspect leucocytaire, qui envahissent
la lumière du vaisseau. Ces éléments sont englobés dans un réseau de fines
FiG. 12. - Envahissement de la lumière d'un vaisseau.
P.v. Paroi vasculaire épaissie.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 393
fibrilles qui se colorent bien à l'éosine, fibrilles peu marquées, mais suffisam-
ment nettes toutefois. Le réseau englobe également de nombreux globules
rouges. La figure 12 est la reproduction fidèle de la préparation reproduite sur
la Pl. XLV-F. Au surplus, ce que nous observons ici avec la plus grande nette-
té, nous l'avons également observé dans la tumeur cérébrale de certains sujets ;
il s'agit donc d'un processus général, grâce auquel la tumeur perd graduelle-
ment son volume initial, jusqu'à n'être plus qu'une très mince membrane.
Il importe également de signaler, sans qu'il soit nécessaire d'y insister, que
la tumeur rachidienne est, aussi bien que la tumeur encéphalique, revêtue par
la peau présentant exactement les caractères que nous avons mis en lumière.
L'existence du revêtement cutané tire ici une importance spéciale du fait que
le rachis est largement ouvert. Nous y reviendrons. 1 \1
La particularité la plus intéressante, mais la plus importante, est la persis-^
tance du ganglion rachidien. Ce n'est pas une disposition banale que celle que»
présentent les préparations des tissus de substitution où, au milieu d'une
masse conjonctive, enveloppée de tissus vasculaires plus ou moins dilatés,
ressort nettement la section d'un ganglion (PI. XLV-F). Sans doute, l'inté-
grité de ce ganglion est gravement compromise ; les colorations au Nissl mon-
trent des cellules dans un état de dégénérescence assez accusé ; de plus, nom-
bre de ces cellules ont certainement disparu sous l'effort d'une prolifération
conjonctive intense que l'on peut discerner sur la figure ; néanmoins ces
cellules existent encore et montrent que le ganglion rachidien est, de toutes
les parties du système nerveux, celle qui résiste le plus longtemps, qui est,
dans tous les cas, la plus tardivement envahie. Nous avions acquis une pre-
mière notion du phénomène par l'étude des cas précédents ; nous avions constaté
la tardive inflammation de l'oeil ; tout cela n'est rien à côté de ce fait que le
ganglion persiste encore, alors que de toutes parts, il est entouré par la néo-
formation conjonctivo-vasculaire.
2° Persistance de fibres nerveuses.
Les foetus qui présentent cette disposition singulière et paradoxale en appa-
rence d'être dépourvus de moelle épinière, mais de posséder cependant des
troncs nerveux courant dans une gouttière rachidienne largement ouverte, son
peut-être de tous les plus curieux et les plus instructifs. En particulier, Pur
des deux sujets que j'ai observés nous sera d'un grand appui pour la recherchE
qui nous reste à faire de la genèse des dispositions morphologiques du sque-
lette.
La colonne vertébrale de ce foetus est ouverte dans la majeure partie de
sa longueur et fermée dans son extrémité terminale correspondant à la ré-ior
lombo-sacrée. La région ouverte renferme un tissu mince, résistant, sur leque e
reposent des troncs nerveux recouverts eux-mêmes par un voile extrêmemen
mince et transparent.
Les coupes pratiquées sur la partie incluse dans le canal rachidien fermé
ne présentent, du haut en bas, aucune trace de moelle ; elles sont presque
1YIII Il 26
394 RABAUD
uniquement constituées par de nombreux troncs nerveux, dans les interstices
desquels quelques vaisseaux dilatés et gorgés de sang témoignent d'un processus
inflammatoire à son début. En outre, en dehors de la dure-mère, existent des
ganglions rachidiens caractérisés par une prolifération conjonctive ayant détruit
un certain nombre de cellules, ayant conduit les autres à un état d'altération
non douteuse. L'inflammation et l'altération concomitante sont de moins en
moins accusées à mesure que l'on redescend vers les segments inférieurs de
cette partie de l'axe rachidien qui appartient à la queue de cheval.
Le segment situé immédiatement au-dessus de la partie close du canal
rachidien montre des dispositions importantes. Sur les coupes, on distingue
nettement la moelle ; mais elle est réduite à uu volume extrêmement petit.
Cependant le sillon antérieur est bien visible. La pie-mère, épaissie, englobe
de nombreux vaisseaux dilatés et gorgés de sang. Dans l'intérieur de la moelle
se trouve une bouillie informe, dans le sein de laquelle on distingue toutefois un
reste de l'épithélium épendymaire disloqué, ainsi que quelques cellules corres-
pondant aux cornes antérieures. Quant à la démarcation entre la substance
grise et la substance blanche, elle ne peut être indiquée en aucune façon ; on
n'a sous les yeux que des débris. L'envahissement vasculo-conjonctif n'a pas
gagné dans ce tissu.
Tout autour de la moelle existent de nombreuses sections de faisceaux ner-
veux, soit à proximité même de la moelle, soit à distance, et comme si ces fais-
ceaux avaient subi un étalement sur le plancher du canal rachidien ouvert.
Ces faisceaux nerveux appartiennent aux racines postérieures, ainsi que le
démontre leur situation et les relations que l'on distingue par endroits, tant avec
la moelle qu'avec le ganglion rachidien. Quant à ce dernier, il est gravement
atteint par l'inflammation (fig. 11).
Les coupes intéressant les segments supérieurs ne montrent plus aucune
trace de moelle, mais, au contraire, des faisceaux nerveux abondants. Ceux-ci
d'ailleurs, ne sont guère plus qu'un assemblage de squelettes de fibres ; ils sont
étalés sur toute la largeur du plancher rachidien. Au-dessus d'eux existe une
membrane conjonctive, très vascularisée, marque évidente de l'inflammation,
doublant un épiderme très altéré, mais sur l'identité duquel il ne saurait y
avoir aucun doute. ·
Les faisceaux nerveux reposent directement sur la dure-mère, fort épaissie,
infiltrée de capillaires dilatés. Au-dessous de la dure-mère sont situés les gan-
glions rachidiens très altérés, enveloppés d'une coque conjonctive épaisse et
présentant entre leurs éléments cellulaires un envahissement conjonctif abon-
dant.
Ce que l'on ne retrouve pas ici, c'est une tumeur vasculaire comparable à
celle que nous avons précédemment décrite. Si l'inflammation est évidente,
elle est cependant peu avancée : elle n'a pas donné lieu à cette néo-formation
intense sur laquelle nous avons insisté. Pour retrouver une formation compa-
rable à la tumeur pseudencéphalienne, il faut remonter très haut, dans la
région cervicale du canal rachidien qui a subi la flexion dont nous avons parlé
dans le premier chapitre. A ce niveau, existent encore des faisceaux de fibres : -.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 395
mais ils sont dissociés ; de nombreux vaisseaux ont pénétré dans leurs intersti-
ces, et, suivant toute apparence, un grand nombre de fibres ont dû disparaître.
La dure-mère sur laquelle reposent ces faisceaux, n'a plus son aspect de tissu
fibreux épaissi ; elle est remplacée par un amas de gros troncs vasculaires,
gorgés de globules rouges et de leucocytes. Nous constatons nettement ici un
état plus avancé de l'inflammation, l'envahissement de la dure-mère et sa trans-
formation. Quant à la moelle, il n'en existe pas de traces.
Il n'est pas malaisé de reconstituer la marche des phénomènes. Ce cas doit
être rapproché des cas où la moelle, atteinte de dégénérescence préméhingitique,
disparaît bien avant que n'intervienne l'envahissement vasculo-conjonctif.
Le segment médullaire que l'on observe dans la région lombaire présente, en
effet,les mêmes caractères ; ici comme là,c'est une bouillie informe dans le sein
de laquelle se reconnaissent quelques éléments cellulaires en mauvais état ;
c'est, pour déterminer la dégénérescence, une destruction précoce du cerveau,
ainsi que nous le verrons.
Le caractère qui différencie ce cas des précédents, c'est uniquement l'ouver-
ture du rachis. Mais ce caractère différentiel est accessoire, il dépend, nous le
verrons, du degré de précocité dans l'invasion et la progression de l'inflam-
mation. Le fait le plus important est, ici, la disparition de la moelle par dégé-
nérescence simple. Le processus a débuté et s'est développé avant que la mé-
ningite n'ait envahi le canal rachidien, respectant, comme il fallait s'y attendre,
l'ensemble des ganglions et des nerfs qui en émanent. Pendant que se désagré-
geait le tissu médullaire séparé de son centre trophique, l'inflammation s'est
lentement propagée aux méninges spinales. La néoformation vasculo-conjonc-
tive, suivant sa marche ordinaire, s'est étendue en dehors, respectant les fais-
ceaux des fibres comme cela a constamment lieu, puis elle a marqué sa tendance
à envahir la moelle. Et comme celle-ci se trouvait réduite à des détritus, l'in-
flammation envahissante en a supprimé les derniers vestiges ; l'inflammation
marchant de haut en bas, la destruction n'est pas effectuée au niveau lombaire
et là nous retrouvons les restes de la moelle. Dans tous les cas, les détritus qui
les composent ne peuvent que difficilement servir de substratum à l'envahis-
sement du tissu conjonctif embryonnaire et des vaisseaux néoformés. De plus,
l'inflammation envahissant assez tardivement la méninge rachidienne ainsi
que le montre l'examen du tissu cérébral, les nerfs rachidiens postérieurs se
trouvent encore indemnes ou quasiment indemnes au moment de la naissance ;
ils apparaissent seuls sur le plancher osseux formés par les corps vertébraux
et les arcs étalés. La dégénérescence préalable de la moelle ayant supprimé
une partie de la charpente sur laquelle s'édifie la tumeur méningitique, et
l'inflammation ayant une faible intensité, la tumeur pseudencéphalienne n'a
pu se constituer que sous sa forme de début la plus atténuée. De toutes façons,
aucun doute n'est possible sur les rapports d'identité qui relient ce cas particu-
lier il l'ensemble des autres ; ici comme ailleurs, il s'agit bien de méningite,
mais de méningite intervenant dans des conditions un peu spéciales. Au sur-
plus, l'examen de la tumeur que nous ferons dans un instant, lèverait au be-
soin toutes les incertitudes.
396 RABAUD
A un point de vue plus général, nous retiendrons ce fait que la gouttière ra-
chidienne est fermée en haut par une membrane de nature cutanée. La peau
est évidemment fort amincie ; mais elle a cependant conservé son caractère
histologique essentiel. La constatation n'est pas sans importance. Il est éga-
lement important de relever ce second fait que dans un canal rachidien ouvert
se trouve une moelle à configuration normale. Quoique dégénérée, en effet, il
ne fait aucun doute que cette moelle s'est constituée suivant le mode habituel
et qu'elle est sans rapport avec l'existence même d'un rachischisis.
Ces constatations faites, nous devons examiner le second des deux foetus ca-
ractérisés, morphologiquement,par la présence de filets nerveux dans une gout-
tière rachidienne. Ce second cas nous offre des dispositions analogues au pre-
mier, mais avec quelques différences. Ici, en effet, bien [que tumeur soit
très peu développée, elle existe spécialement dans la région lombaire. Mais
elle n'existe pas dans les régions supérieures de la colonne vertébrale.
La moelle lombaire existe seule; elle présente des caractères dégénératifs
accusés, moins avancés cependant que dans le cas précédent. Ce fait permet
à lui seul de penser que le processus destructif a évolué moins longtemps, il
est corroboré par cet autre que la moelle est beaucoup plus volumineuse, c'est-
à-dire qu'elle s'est développée jusqu'à un âge plus avancé que dans le premier
cas. De plus, l'envahissement méningitique tend à se faire dans son intérieur,
tant sous la forme de prolifération conjonctive que de néoformation vascu-
laire. Ces dispositions sont celles de la région inférieure de la moelle; il con-
vient d'ajouter que les troncs nerveux sont comme toujours moins atteints que
les tissus environnants ; mais ils ne paraissent pas en dehors, masqués qu'ils
sont par la moelle et la masse des vaisseaux. '
Plus haut, la moelle disparaît complètement, et l'on ne retrouve plus que
quelques filets nerveux reposant sur la dure-mère, infiltrés de vaisseaux. Dans
la partie médiane existe, par endroits, des îlots vasculaires qui sont comme
une tentative de formation d'une tumeur.
Ce cas reconnaît la même explication générale que le précédent; il doit être
considéré comme une transition entre ceux où la moelle, ne subissant aucun
phénomène de dégénérescence important relativement au processus inflamma-
toire, est envahie, détruite par ce processus,- et ceux où inversement la moelle
dégénère plus ou moins complètement avant l'intervention du processus in-
flammatoire. Nous pouvons ainsi relier l'ensemble des dispositions observées
en un seul tout, reconnaissant pour origine le même facteur initial.
Ce cas nous permet aussi de nous expliquer pourquoi, sous l'influence d'une
dégénérescence d'origine centrale, le seul segment de la moelle que nous retrou-
vions soit précisément chez les deux foetus un segment de moelle lombaire.
Si, en effet, la dégénérescence est bien celle que nous avons admise, elle se
propage de bas en haut et c'est, non pas un segment inférieur, mais un seg-
ment supérieur qui devrait résister le plus longtemps. Cela est vrai. Seulement
il faut considérer aussi que la propagation de la méningite suit une marche
exactement inverse et que, à part les cas à recrudescence segmentaire, ce
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 397
sont les étages supérieurs qui sont les premiers atteints. Dans notre premier
cas, nous n'avons relevé aucune trace évidente de l'action inflammatoire ; ici,
au contraire, cette action ne fait aucun doute et nous sommes conduits à re-
connaître que les segments supérieurs les moins dégénérés ont disparu les
premiers parce que, à la dégénérescence est venu s'ajouter un nouveau facteur
de destruction.
Les étages inférieurs soumis à la seule dégénérescence ont pu ainsi conser-
ver plus longtemps leur aspect caractéristique. Si, dans le premier cas, le
trace du processus inflammatoire intra-médullaire n'est pas appréciable, ce
n'est pas que ce processus ait fait réellement défaut, c'est que la moelle qui
avait cessé de s'accroître à une phase relativement précoce de son évolution,
n'avait qu'une très petite masse et qu'elle a rapidement disparu dès les pre-
mières atteintes de la méningite.
3° Tumeur cérébrale sacciforme.
Les mêmes foetus présentent une seconde particularité sur laquelle il importe
de s'arrêter. Chez eux, la tumeur cérébrale ne constitue pas un bloc compact
creusé de quelques vésicules de petites dimensions et inclus dans les limites
de la voûte crânienne, c'est un sac, un véritable sac pendant sur le dos et qui
correspond à celui que Et. Geoffroy-Saint-Hilaire donne comme caractéristique
des anencéphaliens. Nous avons décrit ces sacs dans la partie morphologique
de ce travail : l'un d'eux présente des parois forts minces, transparentes; il
est relié à la substance intra-crunienne par un pédicule très court et très large ;
l'autre, le second cas, présente au contraire des parois épaisses creusées d'un
certain nombre de vacuoles irrégulièrement disposées et sans rapport avec les
cavités cérébrales normales. Ce sac est également sessile, il est continué, dans
la région intra-crânienne, par une masse de substance compacte.
Ces deux formes présentent les mêmes caractères que la tumeur méningi-
tique ordinaire. Dans la partie'compacte, plus étendue chez l'un que chez l'au-
tre, nous retrouvons des dispositions en tout semblables à celles que nous avons
décrites à propos des cas les plus fréquents ; c'est une accumulation de vais-
seaux, formant une assise très épaisse sous la peau, quelques-uns isolés, ayant,
pour la plupart, confondu leur paroi en une masse homogène de tissu conjonc-
tif. Chez l'un d'eux, il paraît persister encore, dans la partie centrale, une cer-
taine quantité de substance cérébrale ; mais elle est peu distincte et sa nature
ne peut être soupçonnée que grâce aux divers réactifs histologiques.
Quant à la portion sacciforme, sa structure est, à l'épaisseur près, compara-,
ble d'un foetus il l'autre : elle est uniquement constituée par des vaisseaux dis-
posés sous une membrane cutanée très amincie, et inclus dans une trame.
conjonctive. Ce qui semble caractériser cette paroi, c'est que, en dehors des
vaisseaux, existent un certain nombre de lacunes sanguines dont le diamètre
est tout particulièrement considérable dans la paroi la plus mince. Ces lacunes
ne sont pas des vaisseaux ; elles sont limitées par des parois irrégulières, an-
fractueuses, non revêtues d'endothélium et, dans le cas où la paroi est épaisse,
398 KABAUD
on les rencontre de préférence vers la limite de cette paroi. Elles sont comblées
de globules rouges ; il n'y a que peu ou pas de globules blancs. -'
Sur l'origine même de ces tumeurs nous ne pouvons avoir aucun doute :
ce sont des tumeurs méningitiques ; elles en ont tous les caractères, ainsi qu'il
ressort de la description précédente. La portion compacte ne se différencie
nullement des diverses autres tumeurs ; la paroi du sac elle-même présente une
structure analogue et l'on voit nettement la relation qui existe entre le sac à
parois épaisses et le sac à parois minces. Il est cependant peu aisé de retracer
la genèse précise de cette disposition sacciforme. Dans la mesure où il est permis
de faire une hypothèse, nous pensons que ces tumeurs sacciformes résultent
de processus hémorragique et exsudatif très intenses et persistants ; ces pro-
cessus ont déterminé la formation des lacunes de plus en plus grandes, détrui-
sant devant elles le tissu cérébral. Hémorragies et exsudations, nous les avons
vu se produire dans la moelle ; elles sont d'ailleurs un caractère anatomique
bien connu de la méningite ; elles se produisent aussi bien chez le foetus que
chez l'adulte, avant que la prolifération vasculo-conjonctive n'ait envahi le tissu
nerveux.
Le processus a été ici le même, et nous pouvons maintenant comprendre
l'état dégénératif dans la moelle : le cerveau a été détruit tout au début de l'in-
vasion méningitique par une série d'hémorragies se succédant rapidement ;
consécutivement la moelle a dégénéré. Mais, soit qu'elle fut encore peu dé-
veloppée, soit qu'elle ait tardé à envahir la moelle pour une raison ou une
autre, l'inflammation ne s'est propagée à la moelle qu'une fois celle-ci en grande
partie dégénérée. Quant à la formation d'un sac, il provient sans aucun doute
de l'accumulation du liquide séro-sanguin comprimé, comme nous le verrons,
par les actions musculaires ; sous cette poussée, il s'est produit une hernie du
sac vers le bas.
Ainsi, quelle que soit la disposition morphologique de la substance incluse
dans le crâne ou le canal rachidien,- nous retrouvons toujours à l'examen
microscopique le même caractère fondamental, qui est celui du processus
méningitique. Ce processus présente diverses modalités dont la cause est
nécessairement obscure desquelles dépendent des aspects variables, parfois
assez différents ; mais ces différences, aussi grandes qu'elles paraissent, se
réduisent en somme, histologiquement, à fort peu de chose. De toutes façons,
les divers foetus, correspondant à la plupart des genres établis dans les familles
des pseudencéphaliens et des anencéphaliens se confondent dans une seule et
même maladie : la méningite cérébro-spinale. Il convient maintenant d'étudier
cette méningite non plus en elle-même, comme nous venons de le faire, mais
au point de vue de sa répercussion sur diverses parties de l'organisme (1).
. (A suivre.)
(1) Pour clore ce chapitre d'anatomie pathologique ajoutons que le système sym-
pathique ne parait atteint dans aucun cas. Sur un certain nombre de coupes pré-
levées sur divers foetus je l'ai toujours trouvé intact;
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. Pl. XLVI
METHODE D'EXAMEN DU SYSTÈME NERVEUX
(Maurice Renaud) .
A. Névroglie à la superficie d'une circonvolution cérébrale.
B Névroglie a la périphérie de la moelle.
C. Corne antérieure de la moelle. Cellule avec granulations et réseau de névroglie.
D. Partie postérieure d'une corne postérieure de la moelle.
E. Racine rachidienne; coupe longitudinale ; aspect fibrillaire des cylindraxes.
F. - Racine rachidienne ; coupe transversale ; aspect ponctué des cylindraxes.
TRAVAIL DU LABORATOIRE DE Mr LE DOCTEUR KLIPPEL
MÉTHODE D'EXAMEN DU SYSTÈME NERVEUX
PAR
MAURICE RENAUD,
Interne des hôpitaux.
Aucune méthode ne permet actuellement l'étude histologique précise
de tous les éléments du système nerveux. Telle qui donne des résultats
remarquables dans la différenciation des fibres à myéline est incapable de
montrer les fins détails de structure des cellules. Telle ne convient qu'aux
éléments cellulaires. Telle n'est applicable qu'à l'étude de la gaine des
nerfs. Le traitement du matériel doit donc être différent, suivant qu'on
se propose de mettre en évidence tel ou tel élément. Il y a là une grosse
difficulté, sinon pour l'histologie du moins pour l'anatomie pathologique.
Il nous a semblé qu'il serait intéressant de posséder une méthode don-
nant des résultats rapides et applicable à tous les éléments de toutes
les parties du système nerveux. La méthode que nous avons proposée
à la Société de Neurologie (1 ) nous semble avoir ce double avantage
(V. Pl. XLVI).
Fixalion. La formule du liquide fixateur est la suivante :
Solution A :
400 RENAUD
La détermination de la formule a été bien entendu purement expérimentale.
Les résultats sont maintenant constants et très remarquables.
Il est possible de fixer rapidement de grosses pièces. Le matériel n'est ni
déformé, ni rétracté (sur les coupes il n'y a pas d'espace clair autour des cel-
lules, les cylindraxes occupent toute leur gaine et leurs fibrilles sont distinctes).
Sa consistance est ferme, élastique, sans aucune friabilité.
Toutes les fois où cela est possible, nous faisons par ponction lombaire une
injection intrarachidienne de 250 ce. de liquide fixateur.
Au bout de quelques heures, la moelle avec ses racines, en extension, le
bulbe, la protubérance, la face inférieure du cervelet, la base du cerveau,
les parois ventriculaires, les nerfs crâniens sont entièrement fixés. La moelle
est rigide, son extraction et son examen immédiat sont singulièrement sim-
plifiés. 1
Jamais nous n'avons pu obtenir de fixation complète du cerveau. Le liquide,
même sous forte pression ne pénètre pas, ou pénètre trop peu dans les espaces
sous-arachnoïdaires.
Moelle. Racines. Nerfs. - Baignés dans le fixateur ils sont prêts pour l'in-
clusion en 24 ou 48 heures, après lavage à l'eau courante.
Cerveau. - Les hémisphères séparés sont baignés dans le fixateur. Après
3-4 heures toute l'écorce est déjà ferme. On peut alors pratiquer sans provo-
quer de déformation soit une coupe de Flechsig, soit deux coupes vertico-trans-
versales. Au bout de 24 heures, la fixation est telle qu'on peut pratiquer des
coupes donnant des tranches de 7 à 8 mm. d'épaisseur. Celles-ci seront
encore laissées dans le fixateur 36 ou 48 heures et lavées à l'eau courrante (1).
Elles seront conservées dans l'eau de lavage (2).
L'aspect des lésions nous a semblé peu modifié. Les dégénérescences médul-
laires peuvent être très facilement suivies.
Après lavage, les pièces sont prêtes pour l'inclusion.
Inclusion. Elles seront alors passées dans l'acool à 90° pendant une heure
ou deux, puis mises dans un cristallisoir et baignées d'une haute couche
(2 travers de doigt) de collodion non riciné et peu concentré. Le cristallisoir
bien bouché sera porté dans l'étuve à 37°. Au bout de 24 heures on débouche
le cristallisoir. Le collodion se concentre peu à peu. Quand il commence à
durcir on le recouvre d'une couche d'alcool à 90°. Le collodion. durcit en
quelques heures, et les pièces sont alors admirablement enrobées.
Cette façon de faire qui supprime toute déshydratation et presque toute ma-
nipulation ne nous a jamais donné d'échec.
Traitement des coupes. - Les coupes sont reçues dans l'alcool iodé qui les
(i) Jusqu'à ce qu'elles aient perdu la teinte jaune qu'elles avaient au sortir du fixa-
teur.
(2) Les tranches de cerveau ont alors une coloration gris de fer, la substance grise
et la substance blanche se distinguant nettement l'une de l'autre. La moelle a une
coloration semblable.
MÉTHODE D'EXAMEN DU SYSTÈME NERVEUX 401
débarrasse des cristaux de sublimé dont elles sont recouvertes. Elles sont
ensuite lavées à l'alcool à 90° et passées dans l'eau distillée.
Coloration. Toutes les colorations sont possibles (Hématome, picro-
carmin, couleurs d'aniline).
Nous employons le plus volontiers l'hématéine et la fuchsine picriquée de
Van Gieson (noyaux violets, cellules et fibres rouges, myélinejaune, fibrilles
de névroglie).
De minces tranches de tissu nerveux et les nerfs peuvent être avant inclu-
sion colorés par l'acide osmique (solution à 1/200).
Différenciation de la myéline. On met les coupes dans une solution
d'alun de fer pur à 1/200, où elles séjournent quelques heures. Elles sont
ensuite colorées dans une solution aqueuse phématocylisée à 1 0/0, chauffée
jusqu'à émission de vapeurs. Après lavage elles sont passées dans le permen-
ganate, puis décolorées par l'acide oxalique, lavées et immergées dans une
solution très faible d'ammoniaque qui fait tirer au bleu l'hématoxyline. Le
mordançage par l'alun de fer, est toujours utile, mais il n'est presque jamais
indispensable.
Les résultats sont ceux de la méthode de Weigert-Pal.
Coloration au bleu polychrome. C'est la coloration aux bleus d'aniline
qui donne les plus remarquables résultats.
On mordance les coupes pendant quelques heures dans la solution d'alun de
fer, on les colore pendant 15 à 30 minutes dans le bleu polychrome de Unna.
Elles sont alors différenciées par un mélange à parties égales d'alcool absolu
et de xylol ; lavées abondamment au xylol et montées au baume. On devra co-
lorer plusieurs coupes et pousser à des degrés variables la coloration et la dé-
coloration. Certaines devront être examinées une lumière artificielle intense
et en diaphragmant.
Nerfs et racines. Inclus au collodion et coupés longitudinalement, ils
montrent à un faible grossissement leurs tubes nerveux parallèles,presque uni-
formément teintés avec les points noirs de leurs noyaux.
A l'immersion la différenciation est des plus nettes. ,
La limite des tubes est bien marquée. On y voit les noyaux avec plus ou
moins de détails. Il faut alors chercher le cylindraxe. Parfois il apparaît du
premier coup. D'autres fois il faut le chercher au-dessous d'une légère couche
de myéline qui le recouvre.
Il apparaît comme une bande [pâle, mais toujours bien nette, et cheminant
dans sa gaine de myéline colorée en bleu plus foncé.
11 occupe toute cette gaine quand le nerf est bien fixé. En faisant varier le
point on distingue les fibrilles qui.le composent. Elles courent parallèlement,
peu colorées mais se détachant cependant sur le fond non coloré de la subs-
tance intermédiaire. Au niveau des étranglements, les fibrilles se rapprochent
et forment un faisceau serré. ,
C'est en ce point que le cylindraxe est le plus coloré en raison du groupement
serré des fibrilles.
402 RENAUD
Sur une conpe transversale du nerf, le cylindraxe se détache au centre de
sa gaine de myéline. On y découvre une série de points qui représentent la
coupe des fibrilles.
Moelle. La substance grise se détache en foncé sur le reste de la coupe.
A un faible grossissement on reconnaît les grosses travées de soutien, les
tubes nerveux serrés les uns contre les autres, les noyaux et les cellules ner-
veuses.
L'examen à un fort grossissement montre quantité de détails.
Dans les vaisseaux on peut distinguer les globules rouges et les différentes
sortes de leucocytes. -
Les cellules montrent avec plus ou moins de netteté suivant l'intensité de la
coloration, les détails de leurs noyaux (réseau chromatophile, nucléole, grains
chromatiques) et de leurs protoplasmas (granulations de Nissl, pigment).
On peut obtenir d'aussi belles images qu'avec la technique de Nissl. Les
prolongements peuvent dans les préparations un peu colorées être suivis fort
loin.
Nous n'avons jamais pu y découvrir de fibrilles.
Tubes nerveux. Coupés transversalement ils montrent leur cylindraxe
avec sa gaine de myéline colorée en vert pâle.
Il n'est pas rare d'y retrouver la structure fibrillaire, et cela surtout dans les
cylindraxes de la périphérie.
Coupés en long les cylindraxes se reconnaissent à leur volume, et à la myéline
qui les entoure.
Névroglie. La névroglie se laisse décomposer en un réseau de fines
fibrilles mêlées aux fibres nerveuses.
A la périphérie de la moelle, au bord du sillon médian antérieur les fibrilles
sont extrêmement abondantes et serrées. Les travées qui se détachent du bord
ont la même structure fibrillaire.
De nombreuses fibrilles quittent les travées et pénètrent en ondulant entre
les tubes nerveux. Celles qui sont dans le plan de la coupe peuvent être sui-
vies fort loin.
D'autres, coupées transversalement se présentent comme un simple point
bleu foncé. Ces fibrilles convergent en certains points vers des noyaux, y for-
ment des plexus, et se portent ensuite plus loin.'
Dans la substance grise les fibrilles sont plus fines et plus déliées. L'aspect
en réseau y est moins net et la nature des fibrilles serait douteuse si on ne
voyait facilement leurs rapports avec la névroglie, du sillon médian antérieur,
des travées et des vaisseaux.
. D'ailleurs ces fibrilles n'affectent jamais avec les cellules nerveuses que des
rapports de contiguïté.
La substance grise apparaît donc comme formée d'un plexus serré de fibres
et de fibrilles. Les fibrilles de la névroglie se détachent au bleu plus foncé. Les
prolongements protoplasmiques et les cylindraxes se reconnaissent à. leur as-
pect et à leur coloration plus pâle. Les cellules sont enserrées dans ce plexus
où elles envoient leur prolongements plus ou moins ramifié !
MÉTHODE D'EXAMEN DU SYSTÈME NERVEUX 403
Cerveau. Dans substance blanche on distingue, les noyaux et les cy-
lindraxes coupés dans toutes les directions.
Dans la zone des cellules on voit un lacis très serré de fibres et de fibrilles,
où se reconnaissent facilement les cylindraxes et de nombreux prolongements
protoplasmiques.
Enfin dans la couche toute superficielle les fibres de névroglie forment un
feutrage serré au milieu duquel se détachent quelques cellules. De nombreux
prolongements peuvent être suivis dans la profondeur.
Cette méthode se recommande en résumé par sa rapidité et la multipli-
cité de ses résultats.
On peut obtenir des coupes en trois jours et sur les coupes d'une même
pièce on obtiendra toutes les colorations banales, on pourra étudier les
dégénérescences par la méthode de Pal, les cellules nerveuses par la co-
loration de Nissl, on décèlera facilement les fibrilles de la névroglie et
enfin on pourra étudier la structure fibrillaire des cylindraxes.
AFFECTION SP ASTIQUE BULBO-SPINALE
FAMILIALE.
PAR
GILBERT BALLET,
Médecin de l'Hôtel-Dieu.
ET
F. ROSE,
Interne des hôpitaux.
Nous rapportons ici l'histoire de deux malades (1), frère et soeur, atteints
à des degrés divers d'une affection spastique à symptomatologie spinale et
bulbaire, affection dont souffrait également une autre soeur qui est morte.
Le tableau clinique présenté par ces malades ne se couvre exactement
avec aucun de ceux des maladies familiales décrites jusqu'à présent. Mais
nous. tenons à dire, dès maintenant, que notre intention n'est pas d'en
faire un type nouveau, bien défini ; tout au contraire, nous voulons nous
en servir pour démontrer, comme l'ont fait MM. Raymond et Jendrassik,
qu'il n'existe pas, entre les maladies nerveuses familiales, des limites bien
tranchées et qu'on rencontre entre les différents types des formes inter-
médiaires qui conduisent insensiblement d'un tableau morbide à l'autre.
OBSERVATIONS
Famille H.....
Aucune tare du côté maternel.
1. Grand-père paternel, grand buveur d'absinthe.
2. Père, bien portant jusqu'à l'âge de 5 ans, a été pris alors d'étourdisse-
ments et de tremblement nerveux dans les jambes, qui lui rendaient la station
debout difficile.
3. Une soeur du père présente également du tremblement dans tous les mem-
bres, elle peut à peine tenir un verre et la station debout est très pénible.
Les parents ne sont pas consanguins. Ils ont en 5 enfants ; pas de fausses
conches.
1° Fille, bien portante, mariée et ayant des enfants sains.
2° Fille, notre deuxième malade.
3° Fille, elle a été prise à l'âge de 7 ans de mouvements choréiformes, insi-
(1) Ces malades ont été présentés par nous à la Société de Neurologie, séance du
2 mars 1905. Ils ont fait le sujet d'une leçon clinique du dimanche (Hôtel-Dieu,
avril 1905).
NOUVELLE Iconographie DE la SALP$'1'RIRE
T. XVIII. Pl. XLVII
AFFECTION SPASTIQUE BULBO-SPINALE FAMILIALE
(G. Ballet et F. Rose).
Obs. I Obs. II
AFFECTION SPAST1QUE BULBO-SPINALE FAMILIALE 405
dieusement. Puis peu à peu s'est développée une paraplégie spasmodique,
s'accompagnant de tremblement des mains. La parole était mal articulée, lente
et monotone. Les aliments lui revenaient souvent par le nez. Pas de troubles
sphinctériens. Intelligence normale. Elle est morte brusquement à l'âge de
11 ans, de dilatation cardiaque probablement.
4° Garcon, notre premier malade.
5° Garçon, bien portant.
Uss . I. Georges H..., 29 ans.
Né à terme, accouchement normal. Pas de convulsions dans la première
enfance. N'a jamais été malade. Intelligence ?
Le début de l'affection remonterait à l'année 1893 suivant la mère, mais
suivant le malade à l'an 1897. ,
Il entre en décembre 1898 dans le service de M. Ballet, qu'il n'a pas quitté
depuis.
Décembre 1898. Air ahuri, hébété, pleurard. Embarras de la parole ;
qui est peu distincte.
Impossibilité de tirer la langue hors de la bouche.
Rien d'extérieur aux yeux.
Membres supérieurs normaux de tous points.
Parésie des membres inférieurs ; démarche difficile à caractère ataxo-
spasmodique : il lève les pieds très haut et frappe le sol.
Les réflexes tendineux du genou droit sont exagérés, leur recherche provo-
que une trémulation qui peut amener de la contracture.
Signe de Babinski. Sphincters intacts.
31 mai 1899. Exagération considérable des réflexes patellaires. Achil-
léens : signe de Babinski, sans parésie.
Troubles de l'équilibre quand le malade tourne sur lui-même ou se lève
brusquement d'une chaise.
Sa mère lui aurait dit plusieurs fois qu'il marchait comme un homme ivre.
Parole monotone, un peu explosive. Quelques difficultés dans la déglutition
des liquides.
Pas d'anesthésie.
24 mars 1900. Démarche ébrieuse, sautillante de temps en temps. Pas
de llomberq. Ni ataxie, ni parésie.
Etat spasmodique marqué des jambes.
Faiblesse des mains sans tremblement.
Exagération des réflexes tendineux des membres supérieurs.
Céphalée frontale intense. Vertiges. Intelligence lente.
Rien de changé pour le reste.
11 octobre 1900. Le malade a été pris de deux crises de cya.zi.e, sans
perle de connaissance, d'une durée de 10 minutes, s'accompagnant de mouve-
menlsà oscillations courtes et rapides du membre supérieur.
11 août 1903. Démarche à petits pas, les jambes écartées, le pied droit
406 BALLET ET ROSE
est en varus équin et n'appuie que par la pointe. La démarche n'est plus 1
ébrieuse, mais nettement spastique.
Le malade perd facilement l'équilibre et est très maladroit.
Après une fatigue légère, il est pris d'un tremblement généralisé qui, aux
membres supérieurs, s'exagère après la répétition des mouvements.
Conservation de la force musculaire. Pas d'ataxie.
Raideur musculaire des jambes et de la nuque.
Les réflexes tendineux sont exagérés aux quatre membres, la percussion du
tendon rotulien détermine des secousses tétaniformes.
Pas de clonus. Réflexe de Babinski à gauche seulement et peu net.
Il existe un certain degré de paralysie du facial inférieur gauche : impossibi-
lité de siffler, de souffler.
Tremblement des lèvres dans l'effort pour ouvrir la bouche.
Les muscles oculaires se contractent bien, mais de temps en temps ils sem-
blent pris de spasme et se refusent à suivre le doigt de droite à gauche.
Intelligence et mémoire un peu lentes.
16 mai 1904. Spasme des masséters. Rejet des liquides par le nez.
Spasme facial droit et peut-être paralysie faciale inférieure gauche.
Démarche pachydermique.
Clonus du pied.
Le malade ne suit pas avec ses yeux le doigt ; mais il existe des mouvements
spontanés des yeux.
15 décembre 1904. Même tableau.
Etat actuel, 26 février 1905. Le malade ne se lève plus, et quand on
le met debout, il se tient raide et est secoué par un tremblement généralisé.
Attitude du malade assis sur une chaise :
Expression ahurie et pleurarde du visage. Fixité'des yeux dont l'ouverture
est étroite. Déviation de la face légèrement à droite et profondeur du sillon
naso-labial de ce côté, celui du côté opposé étant presque effacé : crâne aplati.
Musculature moyenne, non atrophique.
Bras en demi-flexion, les poignets ramenés en avant du thorax, les mains
tombantes, le pouce tombant à droite, le pouce gauche étendu, les autres
doigts plus ou moins étendus suivant le moment.
Les jambes à moitié fléchies ne touchent pas le sol, les pieds sont en varus
équin.
Impression de raideur générale.
Membres inférieurs. Force musculaire conservée tant dans les mouve-
ments spontanés que dans la résistance auxmouvements passifs.
Seule la flexion dorsale des pieds est défectueuse.
Tout mouvement un peu fort provoque un tremblement, à oscillations courtes
et de peu d'ampleur, généralisé à tout le membre et pouvant même gagner le
membre du côté opposé.
Il existe un certain degré de contracture qui augmente dans les mouvements
passifs, mais qu'on arrive à vaincre complètement.
AFFECTION SrASTIQUE BULBO-SPINALE FAMILIALE 407
Pas d'ataxie statique ou cinétique. Réflexes rotuliens très exagérés, la per-
cussion du tendon provoque du tremblement et du tétanos.
Clonus du pied. ,
Réflexe de Babinski à gauche seulement; il est intermittent.
Réflexe adducteur du pied des deux côtés.
Réflexe abdominal vif.
Réflexe crémastérien vif. Mouvements continuels d'ascension et de descente
du testicule, indépendants de la respiration.
, Membres supérieurs. Force musculaire bien conservée, sauf dans l'acte
de serrer les mains. '
Tremblement de la main quand on fait étendre les doigts, droits et gauches.
Pas de tremblement dans l'acte de porter le verre à la bouche.
Contracture plus forte à gauche qu'à droite, ayant les mêmes caractères
qu'aux jambes.
Les mouvements spontanés sont très lents et maladroits.
Pas d'ataxie.
Troubles de la diadococinétie intenses.
Réflexes très forts.
Cou. Raideur. Difficulté des mouvements.
Face. Contracture permanente du facial droit.
L'apparence de parésie faciale gauche disparaît quand il essaie de sourire.
Les fentes palpébrales sont égales mais petites, ce qui ajoute encore à l'as-
pect pleurard. Pas de parésie du releveur (Ptose statique).
Clignotement fréquent.
Le malade plisse facilement le front des deux côtés.
Parole. Lente, monotone, embrouillée, nasonnée.
L'articulation n'existe presque pas ; mais séparément les lettres sont bien
prononcées.
La parole est accompagnée de la contraction des muscles de la mimique, en
particulier des muscles du front.
La ? igue. - Ne peut être prolabée, mais les autres mouvements se font bien.
Voile du palais. Se soulève bien dans la phonation. Rejet des liquides
par le nez.
Contracture des muscles élévateurs de la mâchoire. Réflexe massélérin fort.
Yeux. - Muscles difficiles à examiner, le malade ne suivant pas le doigt
quand on le lui commande. Mais quand il tourne la tête les yeux se déplacent
et gagnent la commissure palpébrale gauche plus facilement que la droite.
Réactions pupillaires peut-être un peu lentes à la lumière. Pas de nys-
tagmus.
, Rien aux fond d'oeil.
Sensibilité. Le malade localise bien mais fait quelques erreurs sur la
nature de l'excitation (défaut d'attention ? ).Il se plaint de picotements dans les
jambes.-
Sphincters normaux L'intelligence semble un peu affaiblie. La mémoire
est nettement diminuée. Affectivité normale.
408 BALLET ET ROSE
OBs. II. - Jeanne H ? 32 ans.
Bien portante jusqu'à 12 ans, âge auquel on l'envoie à a campagne pour de
l'anémie et de l'amaigrissement.
En 989, à l'âge de 18 ans, apparaissent des troubles mentaux : Elle croit
que les gens disent qu'elle est une fille, qu'elle est poitrinaire.
Elle se néglige et sa mère est obligée de la laver et de la peigner. Depuis le
mois de novembre 1904 changement de caractère, surtout au moment des
règles : elle est devenue autoritaire, colère ; mais elle se frappe moins de ce
qu'elle croit entendre dire d'elle. -
Etat actuel. - Elle a dans- l'expression quelque chose qui rappelle son
frère ; elle a l'air un peu ahuri, le regard fixe, de la tendance aux spasmes de
la musculature de la mimique, un peu de spasme facial gauche.
Sa voix est monotone, mais l'articulation est nette. Elle parle comme si elle
avait peur d'être à bout de souffle et la voix est un peu nasonnée.
Langue : quelques mouvements fibrillaires et un peu d'ataxie.
Démarche : elle tient la jambe droite un peu raide, elle marche lentement,
frottant les talons par terre.
Les mouvements des membres et la force musculaire sont conservés. Il
existe un léger degré de contracture, qui n'apparaît que dans le.¡; mouvements
passifs, mais qui n'est pas du négativisme.
Les réflexes tendineux sont exagérés aux quatre membres.
Ebauche de clonus des deux côtés.
Réflexe plantaire en extension à gauche.
Sensibilité et sphincters normaux.
Intelligence un peu lente, enfantine ; mais sait lire, écrire. Instabilité men-
tale.
Mémoire conservée.
Caractère colère par moments.
Nous nous trouvons donc en présence d'une affection familiale spasmo-
dique à symptomatologie spinale et bulbaire, indiquée seulement chez la
soeur, mais ayant, chez le frère, acquis un très haut développement ; en
effet, chez celui-ci elle se traduit par une contracture généralisée aux
quatre membres, au cou, aux muscles faciaux et oculaires, à la langue et
au voile du palais. C'est par une démarche cérébello-spasmodique que
l'affection débuta chez lui, tandis que chez la soeur, des troubles mentaux
ou plutôt des changements dans le caractère ouvrirent la scène.
Avant d'essayer de ranger le tableau offert par ces malades dans l'une
ou l'autre des maladies familiales connues, nous voudrions insister sur
certains des symptômes qu'on observe chez eux.
Au point de vue de la contracture que présente le premier malade,
nous ferons simplement remarquer que malgré sa durée, déjà fort longue,
elle n'est pas suffisamment intense pour empêcher les mouvements actifs
AFFECTION SPASTIQUE BULBO-SPINALE FAMILIALE 409
des membres inférieurs ou pour s'opposer grandement aux mouvements
passifs. Comme toujours dans les états de ce genre, elle ne s'accompagne
pas de mouvements paralytiques, si ce n'est au niveau des muscles exten-
seurs des pieds. Cette paralysie toute localisée a été signalée dans d'autres
cas (lojevnilff, Krafft-Ebing), et il est possible qu'elle aboutisse à la
formation d'un pied-bot varus équin, analogue au pied-bot de la maladie
de Friedreich et qui se retrouve dans bon nombre d'observations (Kojev-
nikoff, Naef, Krafft-Ebing, Spiller, Jendrassik, Raymond et Souques).
Le tremblement des mains n'existe pas au repos, il est donc intention-
nel au sens strict du mot. Malgré cela il se distingue nettement du trem-
blement de la sclérose en plaques ; car, contrairement à celui-ci, il ne se
produit pas dans les mouvements ayant un but déterminé (tels que dans
l'action de porter un verre à la bouche, de se boutonner), il ne se montre
que quand on dit au malade d'étendre les mains en écartant les doigts.
Nous pensons que ce tremblement est l'analogue de celui qu'on observe
aux membres inférieurs quand on essaye de faire marcher le malade, et
nous l'attribuerons soit à l'hypertonicité musculaire, soit plutôt à la fatigue
(Kojevnikoff).
Avant de quitter les membres, rappelons (fait que nous n'avons re-
trouvé dans aucune autre observation), que la démarche du malade fut
d'abord très nettement ébrieuse, faisant penser à une affection cérébel-
leuse, et qu'ensuite elle offrit le type classique de la démarche spasmo-
dique.
Ce qui domine à première vue chez notre malade, c'est l'aspect inerte,
hébété et pleurard de sa physionomie (1). Plusieurs facteurs sont respon-
sables de cette apparence : tout d'abord, la position basse des paupières
supérieures, faisant croire à un ptosis, qui en réalité n'existe pas. Il s'a-
git là de la ptose statique (Sanger-Brown), que l'on trouve signalée
également dans l'observation d'ataxie cérébelleuse de Baumlin, et par
Miura.
D'un autre côté, l'aspect est complété par la contracture des muscles
faciaux ; en particulier des muscles frontaux et du côté droit de la face,
déterminant en plus une asymétrie faciale prononcée. Cette contracture
s'exagère d'ailleurs dans la parole et dans les mouvements de la mâ-
choire, rappelant ainsi la contracture qu'on observe dans l'hérédo-ataxie
cérébelleuse sous forme de mouvements associés.
Cette contracture n'est pas limitée à la musculature de la face, elle se
retrouve au niveau de la langue (impossibilité de la tirer hors de la bou-
che), au niveau des muscles masticateurs. C'est également à la contrac-
(1) Chez les deux malades de Trénel ce même aspect hébété existait, mais il ne faut
pas oublier que celles-ci étaient atteintes de troubles mentaux graves.
xv n ' 9
410 - BALLET ET ROSE
ture intermittente du voile du palais que nous sommes tentés d'attribuer
les troubles de la déglutition (Higier, Lorrain, obs. 28). Quant à la diffi-
culté que le malade a de suivre des yeux le doigt de l'observateur, nous
ne pouvons nous déterminer à le mettre sur le compte de l'instabilité
mentale ou de la contracture. Mais il n'est pas impossible que celte der-
nière en soit responsable, quoique dans les mouvements de rotation de la
tête, les yeux suivent le mouvement. Peut-être cette contracture n'existe-
t-elle que dans les mouvemeuts isolés des globes oculaires, et non dans
les mouvements associés.
C'est encore dans la contracture de l'appareil phonateur que nous ten-
dons à voir la cause de la parole si particulière du malade. Ses caractères
sont foncièrement différents, à un examen la serrant de près, de ceux
qu'elle affecte dans la sclérose en plaques. Elle est basse, monotone, non
articulée, incompréhensible et nasonnée, mais elle n'est ni explosive,
ni scandée.
C'est d'ailleurs ce type qui se rencontre habituellement dans les ma-
ladies familiales spasmodiques, même dans des observations rangées dans
la pseudo-sclérose en plaques ou dans 1'liéiédo-a taxie cérébelleuse (Tré-
nel,Moore, Kojevnikoff, Krafft-Ebing, Jendrassik, Destarac, Higier, Baüm-
lin, Higier, Lorrain, Pelizaeus, Raymond et Souques, Giese, Duchateau).
D'autres fois on voit le trouble de la parole ne consister, comme dans
le cas de Tooth, que dans un bégaiement acquis.
Chez notre deuxième malade on rencontre des troubles mentaux ; c'est
même eux qui constituèrent le symptôme initial ( ? ) de l'affection. IL
s'agit de changements du caractère qui est devenu irritable, colère, auto-
ritaire (Jendrassik). L'intelligence de la malade, ainsi que celle du frère,
n'est pas très vive, plutôt médiocre, mais beaucoup moindre qu'on ne
le croirait au premier abord. C'est la mémoire surtout qui a souffert chez
Georges H... Rappelons en outre que Jeanne H... a passé par un état de
dépression mélancolique marquée, pendant lequel elle était assez peu
soucieuse de sa propreté pour faire ses besoins dans le lit, et qu'au début
elle semble avoir eu des hallucinations auditives. Il existait donc un vé-
ritable état mental chez cette malade, et par là elle se rapproche de l'une
des malades de Trénel qui était atteinte de démence apathique avec accès
d'agitation.
En terminant nous insisterons sur les signes négatifs du tableau cli-
nique, c'est-à-dire sur l'absence du nystagmus, de troubles sensitifs, et
de troubles sphinctériens. Disons que ces derniers ont cependant été si-
gnalés dans quelques cas (Souques, Tooth, Duchateau). -
Dans quelles catégories de maladies familiales pouvons-nous ranger
l'affection de Georges et de Jeanne H.... ?
AFFECTION SPASTIQUE BULBO-SPINALE FAMILIALE 411
Certains symptômes (parole, tremblement des mains, contracture)
pourraient à un examen superficiel évoquer l'idée d'une sclérose en pla
ques familiale ou plutôt du tableau clinique que MM. Cestan et Guillain
ont essayé d'isoler sous le nom de « maladie familiale à forme de sclérose
en plaques ». Les différences que nous avons montrées plus haut entre
ces symptômes et leur manière d'être habituelle au cours de la sclérosé
en plaques, l'absence du nystagmus nous dispenseront de nous appesan-
tir davantage sur ce sujet. La notion de la sclérose en plaques familiale ou
même infantile n'est encore appuyée aujourd'hui que par la seule autop-
sie d'Eichhorst, les lésions que l'on trouve dans de pareils cas étant d'or-
dinaire d'une tout autre nature.
L'existence passagère d'une démarche ébrieuse, l'existence de mouve-
ments faciaux associés pendant la parole pourraient faire pensera l'hérédo-
ataxie cérébelleuse. Mais l'absence de nystagmus, le défaut d'ataxie stati-
que ou cinétique, le caractère de la parole, qui, au lieu d'être brusque,
"explosive, est lente, monotone et nasonnée, la contracture, qui est rare
dans l'hérédo-ataxie cérébelleuse, nous permettent d'écarter ce diagnostic.
Reste la paraplégie spastique familiale, telle qu'elle est décrite dans la
thèse de Lorrain. Nous ferons remarquer ici que cette désignation, appli-
quée aux cas publiés sous ce nom, n'est pas toujours exacte. S'il est des
observations,.où toute la symptomatologie se résume dans une spasmodicité
des membres inférieurs (Metotti et Cantalamessa, Erb, Naef, Krafft-Ebing
(1892), etc.), nous voyons dans d'autres des signes d'une localisation su-
périeure s'y adjoindre. Ainsi, chez la première malade deKojevnikoff, on
trouve du tremblement généralisé après la fatigue ; chez les malades de
Moore, de Raymond et Souques une certaine lenteur de la parole; chez
les malades d'Achard et Fresson, de Trénel des troubles de l'intelligence
ou du caractère. Mais dans aucune autre observation on ne trouve des
signes bulbo-protubérantiels ou pédonculaires aussi prononcés, ou tout au
moins en si grand nombre.
Le cas qui rappelle le plus celui de Georges H... est celui queWestphal
publia en 1883, et qui est connu, on ne sait trop pourquoi, sous le nom
de pseudo-sclérose en plaques. Quoiqu'il ne s'agisse pas là d'une maladie
familiale, nous en donnerons un résumé, car suivant la remarque de
Jendrassik, la non-atteinte de plusieurs membres de la même famille ne
prouve pas qu'une affection du système nerveux ne soit pas héréditaire.
Obs. de VESTPIIAL (Arch. f. Psychiatrie, 1883). Joseph M..., 18 ans.
Début de l'affection il y a un an et demi.
En 1866 : mouvements des jambes possibles, mais lents et tremblants.
Tremblement des bras dans les mouvements. Expression stupide de la face.
Les paupières supérieures sont abaissées. Il existe d'ailleurs un certain degré
412 ' BALLET ET ROSE
de torpeur cérébrale. Les mouvements de la mimique sont impossibles ou
lents. La parole est difficile, nasonnée, monotone. Parésie du voile du palais.
Mouvements oculaires lents, pas de nystagmus. Pas de troubles sphinctériens.
1873. Contracture du cou ; quand le malade regarde en haut, il se pro-
duit un clignottement rapide des paupières. Tremblement intentionnel aux
bras.
1874. Impossibilité de tirer la langue hors de la bouche. Mouvements
faciaux associés pendant la parole. Les mouvements des bras se font lentement,
par secousses ; ils sont tremblants, inhabiles.
A l'autopsie, faite en 1875, on ne trouva aucune lésion de l'axe cérébro-spinal,
macroscopique ou microscopique.
' Giese a publié l'observation de deux malades, frère et soeur, chez les-
quels il fait le diagnostic de pseudo-sclérose en plaques de Westphal et
qui sont également comparables à nos malades.
OBS. DE GIESE. Pas de consanguinité des parents ; pas d'antécédents ner-
veux.
Il G. Schl..., homme de 25 ans. Peu intelligent dès l'enfance. A 15 ans
tremblement des mains qui augmente peu à peu. Diminution des facultés intel-
lectuelles. Il y a un an et demi accès convulsif : la parole devient difficile et
peu claire. Incertitude de la marche avec raideur.
Etat actuel : Intelligence très diminuée, mémoire médiocre, orientation
bonne. Dépression morale avec pleurs.
Rien aux yeux, tremblement fibrillaire de la langue. Tremblement et se-
cousses dans la musculature faciale. Réflexe massétérin vif. ,
Parole lente, basse, nasonnée, monotone, difficile à comprendre- Pas de
scansion, pas d'accrocs. Le voile du palais se lève bien.
Fatigue rapide des mains. Tremblement même au repos, s'exagérant dans les
mouvements intentionnels. Les mouvements délicats sont difficiles et s'accom-
pagnent de mouvements associés. Réflexes tendineux vifs.
Aux membres inférieurs, ni spasme ni tremblement. Démarche particulière :
soulèvement à chaque pas de toute la moitié correspondante du corps. Rien aux
sphincters. Perte de l'équilibre quand le malade se retourne. Réflexes patellai-
res vifs. Babinski.
1° M. Schl..., femme de 32 ans. Dès l'enfance, intelligence médiocre. A 16 ans
tremblement des mains et de la figure ; diminution de l'intelligence. Raideur
du front et de la nuque.
Etat actuel : Intelligence très abaissée. Caractère très colère, rires et pleurs
sans cause. Expression hébétée. Tremblement continuel des paupières infé-
rieures et des muscles de la bouche. Parole comme chez le frère. Raideur du
dos, du cou et des jambes, moins intense dans les bras. Réflexes très forts;
Pas de clonus. Démarche spastique. Pas d'ataxie.
Il nous semble prudent de ne parler en présence d'une maladie sem-
AFFECTION SPASTIQUE BULBO-SPINALE FAMILIALE 413
blable à celle de nos malades, d'autre chose que d'une affection spastique
bulbo-spinale familiale, dénomination purement symptomatique, comme
l'est d'ailleurs celle de paraplégie spasmodique familiale. C'est avec ce
dernier syndrome que le tableau clinique de Henri et de Jeanne II... a le
plus de ressemblances.
Nous devons nous demander maintenant à quelle lésion anatomique
correspond ce tableau clinique. Ici, le souvenir du tabes dorsal spasmodi-
que d'Erb-Charcot avec sa sclérose systématisée et primitive des cordons
latéraux se présente à l'esprit ; M. Raymond a montré que cette sclérose
pyramidale, systématisée, que théoriquement on invoquait pour expli-
quer le tabes dorsal spasmodique, ne se retrouvait pas à l'autopsie ; que
c'est souvent la sclérose en plaques, la syringomyélie, la pachyméningite
hypertrophique que révélait l'examen nécrophique. Erb., en 1903, défen-
dant la systématisation, rapporte 11 autopsies dans lesquelles l'existence
de celle-ci serait démontrée. Parmi ces cas, quatre seulement montre-
raient une dégénération isolée des faisceaux pyramidaux : ce sont ceux
de Morgan et Dreschfeld,de Donaggio, de Friedmann, deKühneetStrüm-
pell. Mais parmi ces cas, dans le premier il s'agit sans doute de sclérose
latérale amyotrophique au début, car un certain nombre de cellules gan-
glionnaires des moelles dorsale et lombaire était atrophié. Dans le cas
de Friedmann il y avait en même temps une atteinte légère du faisceau
cérébelleux seul, de celui-ci et du faisceau de Goll dans le cas de Kühne et
Strümpell. Le cas de Donaggio semble donc seul remplir les conditions
nécessaires. Strümpell a publié récemment trois nouveaux cas de sclérose
systématisée du faisceau pyramidal, dont l'un héréditaire. Mais, là encore,
un seul paraît pur ; dans les autres, la sclérose d'autres faisceaux se sura-
joute.
C'est encore la sclérose combinée que l'on trouve dans les rares autop-
sies de maladies spastiques familiales.Ainsi dans les autopsies de Lorrain,
de Strümpell (1880) et de Bischoff, l'examen de la moelle montra une
sclérose latérale combinée à une sclérose des cordons de Goll dans la
région cervicale. Les lésions ne dépassèrent guère la moelle. Dans le pre-
mier cas du mémoire de Strumpell de 1904 (cas Polster), la sclérose laté-
rale excédait les limites du faisceau pyramidal et il s'y ajoutait encore
une sclérose des cordons de Goll. Il est donc probable que chez notre
malade il s'agit encore d'une sclérose combinée. Si d'ordinaire on voit les
lésions restées localisées à la moelle, il.n'y a rien d'impossible à ce qu'elles
montent plus haut. Chez notre malade elles doivent atteindre jusqu'au
pédoncule cérébral. Et, de fait, dans le malade n° 2 de Strümpell (1904),
la sclérose remontait jusqu'au bulbe de la protubérance.
414 4 ? .. - * BALLET ET ROSE '
r M. Brissaud faisant récemment l'autopsie d'une sclérose en- plaque fa-
miliale trouva également une sclérose combinée.
' Bâumlin, à l'examen d'une des deux soeurs, atteintes d'une affection
spasmodique dans laquelle il voit un exemple familial de cette pseudo-
sclérose en plaques de Westphal, dont nous avons parlé plus haut, ren-
contra une lepto-méningite chronique. Nous croyons pouvoir éliminer
chez nos malades, la présence d'une lésion méningée quelconque vu le
résultat absolument négatif de la ponction lombaire pratiquée à plusieurs
reprises. - '
Quant à l'étiologie et à la pathogénie de l'affection qui frappa les trois
enfants H... nous ne pouvons dire rien de précis. Il n'existe pas de con-
sanguinité des parents. Peut-être peut-on incriminer l'absinthisme du
grand-père paternel, dont deux enfants (le père de nos malades et une
soeur de celui-ci) furent atteints, à un âge tardif il est vrai, d'une affec-
tion, sur lesquels des détails précis nous manquent, mais qui parla dif-
ficulté de la marche et le tremblement peut faire penser à une affection
'spasmodique.
' Le tableau clinique présenté par nos malades, tout en se superposant
'en certaines parties, à celui de la paraplégie familiale spastique de Lor-
rain, en diffère donc par le développement inaccoutumé des phénomènes
bulbo-protubérantiels. Nous ne voulons en aucune façon faire de ce ta-
bleau une forme nouvelle de maladie familiale ; mais nous pensons que
ce cas doit faire substituer à la dénomination de paraplégie spastique fa-
miliale celle plus générale d'affection spastique familiale. Notre cas, avec
l'étendue anormale de ses symptômes nous permet en outre de nous de-
mander si, comme ont tenté de le faire divers auteurs, on doit distinguer
au point de vue nosographique des types nettement définis des maladies
familiales, et en particulier si la distinction établie par MM. Cestan et
Guillain entre la paraplégie de Lorrain et leur maladie à forme de sclérose
en plaque doit être maintenue.
1 Il est certain que dans quelques-unes des observations rassemblées par
Tam. Cestan et Guillain, et en particulier dans la leur, la ressemblance de
- l'affection avec la sclérose en plaques est grande : en effet, on s'y trouve en
présence d'une paraplégie spastique avec démarche cérébello-spasmodi-
que, de la parole saccadée, de nystagmus et parfois de tremblement inten-
tionnel (obs. de Cestan et Guillain, de Totzke, de Freud, d'Hervouet et
obs. I de Lorrain). On y remarquera cependant la fréquence des troubles
'pupillaires et oculaires (décoloration ou atrophie des papilles optiques),
qui au cours de la sclérose en plaques vraie constituent une rareté.
Dans d'autres observations le tableau n'est plus aussi voisin de celui
de la sclérose multiple. Ainsi dans la fameuse observation de Pelizoeus,
AFFECTION SPASTIQUE BULBO-SPINALE FAMILIALE 415
si difficile à classer, on trouve bien du nystagmus,mais la parole est lente,
monotone, sans scansion. Il en est de même dans l'observation de Pauly y
et Bonne. Le tremblement intentionnel qui est noté dans les observations
de Cestan et Guillain, de Pauly et Bonne, y est signalé comme léger et
il faudrait savoir s'il s'agit d'un tremblement analogue à celui de la sclé-
rose multiple.
Dans des cas intitulés paraplégie spastique familiale (Jendrassik,1897,
Raymond et Souques, Bernhard) on retrouve des secousses nystagmi-
formes, et des troubles oculo-pupillaires. La ressemblance plus ou moins
grande entre certains cas d'affections spastiques familiales et la sclérose
en plaques ne prouve qu'une chose, c'est que dans l'une et l'autre de ces
maladies il s'agit d'un processus anatomo-pathologique diffus. Il nous
semble donc inutile de garder le nom de maladie familiale à forme de
sclérose en plaques, qui rappelle un tableau anatomique trop précis, sans
être absolument exact au point de vue clinique. Distinguer entre cette
forme et la forme paraplégique pure serait comme si chez les adultes et
dans la sclérose en plaques on voulait faire une distinction absolue entre
une forme paraplégique et une forme disséminée, alors qu'il est excep-
tionnel de voir la sclérose en plaques affecter durant toute son évolution
l'aspect dorsal spasmodique.
D'une façon générale, toutes les maladies familiales semblent être des
entités nosographiques beaucoup moins délimitées que les maladies non
familiales.
Londe a déjà montré il y a longtemps qu'il pouvait y avoir des formes
intermédiaires à la maladie de Friedreich et à l'hérédo-ataxie cérébelleuse.
Erb et Hodge observèrent des cas de Friedreich avec des réflexes normaux
ou exagérés. Allan Star trouva les réflexes abolis chez deux soeurs, exa-
gérés chez la troisième. Klippel et Durante, Miura montrèrent d'un autre
côté des hérédo-ataxies cérébelleuses avec réflexes normaux ou abolis.
Aussi Edinger veut-il réunir les deux affections sous le nom d'hérédo-
ataxie, en faisant du Friedreich la forme spinale, du type Marie la forme
cérébelleuse d'une même affection.
D'après Edinger, la plupart des affections chroniques du système ner-
veux seraient dues au non-remplacement dans les neuromes des matériaux
usés pendant la fonction, d'où destruction de l'équilibre qui existe nor-
malement entre les divers tissus et prolifération de la névroglie qui tend
à prendre la place des éléments nerveux affaiblis. Bing a récemment tenté
d'expliquer par cette hypothèse la symptomalologie de la maladie de
Friedreich ; il suppose que dans des systèmes nerveux congénitalement
insuffisants (et les autopsies montrant un certain nanisme du système
416 BALLET ET ROSE
nerveux appuyent cette façon de voir, Marie et Londe, Bonne, etc.), au
moment où le fonctionnement plus intense de certaines parties de l'orga-
nisme demande une réparation plus rapide du système nerveux qui préside
à à ce fonctionnement, cette réparation du tissu nerveux ne se fait pas et
l'atrophie et la sclérose apparaissent. Si cette théorie n'explique pas tous
les symptômes de cette espèce de maladie ni leur localisation variable,
elle est cependant tentante.
Cette faiblesse congénitale pourrait atteindre toutes les parties congéni-
tales du système nerveux. -
Touchant le cervelet, elle produirait l'hérédo-alaxie de Marie, et cer-
tains des signes du Friedreich et de quelques formes de maladies fami-
liales spastiques.
Touchant surtout les cordons postérieurs et accessoirement le cervelet,
elle produirait le Friedreich.
La faiblesse du système moteur cérébro-spinal se traduirait par la pa-
raplégie spastique familiale, à symptomatologie purement spinale, hul-
bo-spinale, ou bulbo-cérébello-spinale.
Touchant les voies optiques et l'écorce cérébrale, on verrait apparaître
l'amaurose avec idiotie de Sachs.
Enfin les cellules motrices spinales pourraient être mises en cause et on
assistera à la production d'une poliomyélite chronique héréditaire, sans
parler de l'atrophie Charcot-Marie et de la névrite hypertrophique de
Dejerine-Solas ou de cas complexes comme celui de Mlle Pesker.
Enfin la défaillance du système musculaire créerait la myopathie, et
ainsi s'expliqueraient les formes inférieures dans la première enfance, les
formes supérieures dans l'âge plus avancé. ,
En tous cas, il nous semble que dans la plupart des affections familiales,
la symptomatologie peut être diffuse. Si certains cas répondentbien à un
type isolé, par exemple au Friedreich, à l'alexie cérébelleuse, au Charcot-
Marie, on en trouve d'autres qui font supposer des lésions ou des insuf-
fisances fonctionnelles multiples. Ainsi, l'on rencontre de l'atrophie des
papilles optiques au cours du Charcot-Marie (Ballet et Rose), de l'ataxie
cérébelleuse (Bàumlin) ; des troubles du caractère et de l'intelligence au
cours des affections spastiques familiales (Trénel, Dinard etFressan, Jen-
dassik, etc.). Ou encore, fait plus curieux, on peut observer au cours
d'une même affection, d'abord des troubles d'origine cérébelleuse (dé-
marche ébrieuse, légère explosivité de la parole), qui disparaissent pour
ne laisser subsister que le tableau de la spasticité seule. Il en a été ainsi
pour Georges H...
Avec ce malade on a fait, et on devait le faire, le diagnostic d'hérédo-
AFFECTION SPASTIQUE BULBO-SPINALE FAMILIALE 417
ataxie cérébelleuse, alors qu'aujourd'hui la possibilité de ce diagnostic est
tout à fait excluse (1).
Un autre fait qui, lui aussi, tend à rapprocher beaucoup des affections
familiales, c'est la sclérose combinée que l'on trouve dans des affections
telles que maladies spastiques familiales, maladie à forme de sclérose en
plaques (Brissaud, Friedreich, Charcot-Marie et Dejerine-Solas). Par
contre, la possibilité d'une absence totale de lésions (Westphal), ou l'exis-
tence d'un simple nanisme du système nerveux, semble être en faveur
de la théorie d'Edinger et prouver que l'insuffisance fonctionnelle est le
phénomène primitif, la sclérose le fait secondaire.
S'il peut donc être bon,au point de vue purement pratique, de décrire des
types cliniques définis,il faut se rappeler que ceux-ci n'ont pas, en somme,
une individualité absolue et qu'on peut rencontrer des formes intermé-
diaires. Si, en admettant le type de maladie familiale à forme de sclérose
en plaques, on veut seulement rappeler que les affections spastiques fa-
miliales peuvent parfois simuler plus ou moins la sclérose en plaques, il
n'y a pas grand inconvénient à le maintenir. Mais il vaudrait peut-être
mieux distinguer des formes spinale, bulbo-spinale et bulbo-cérébello-
spinale, des affections spastiques familiales.
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(1) Cependant M. Pierre Marie, à la Société de Neurologie, inclina en faveur de ce
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NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE T. XVIII. Pl. XLVIII
L 1.
HEMISPASME FACIAL PERIPHERIQUE
(Btt) ? ).
A. Phase tonique de la crise ; on voit l'incurvation du nez et la fossette mentonnière.
B. Malade au repos, entre deux crises.
C. Phase tonique : incurv.ltion du nez ; fossette mentonnieie ; spasme du peaucier avec déviation
de )a commissure ; occlusion de l'oeil avec contraction du contât se traduisant par des plis cutanés
HÉMISPASME FACIAL PÉRIPHÉRIQUE (1)
PAR R
J. BABINSKI.
J'ai observé des faits dont les uns confirment en grande partie les idées
soutenues depuis longtemps par M.Brissaud et par M. Meige sur le spasme
de la face et dont les autres apportent, si je ne m'abuse, des notions nou-
velles sur cette affection.
Voici un malade atteint d'un hémispasme de la face occupant le côté
gauche (V. PL. XLVIII, B, C, D, E). La figure ne reste que rarement
au repos complet. A tout instant on voit apparaître des contractions mus-
culaires qui, d'abord limitées soit au menton, soit à l'oeil, soit à une autre
partie de la figure, se généralisent ensuite à tout son côté gauche, donnent
lieu à un mouvement de la commissure labiale en haut et en arrière, à
une occlusion de l'oeil, et provoquent une déformation spéciale de la
figure qui, déjà à première vue, donne l'impression d'une perturbation
indépendante de la volonté, .bien différente des grimaces qu'on peut
exécuter volontairement. Analysons de plus près ce spasme et étudions-
en les caractères intrinsèques, sans nous occuper, pour commencer, des
troubles concomitants.
a) Les contractions consistent en des secousses brusques, de très courte
durée, se succédant rapidement et aboutissant à un état spasmodique qui
persiste plusieurs secondes (V. PL. XLVIII, C) ; c'est comme si ces con-
tractions étaient dues à l'excitation électrique du nerf facial par un courant
induit, d'abord non tétanisant, puis tétanisant. On peut dire que ces
mouvements anormaux de la figure se composent de convulsions cloniques
suivies d'une convulsion tonique et que cet ensemble de convulsions
constitue une crise. Ces crises sont plus ou moins fortes suivant les divers
moments et se répètent plus ou moins souvent; elles empiètent parfois
les unes sur les autres et se suivent sans interruption en donnant lieu
ainsi à une sorte d'état de mal qui, d'ailleurs, ne s'accompagne d'aucun
trouble psychique.
. b) Il est généralement difficile de déterminer les causes qui exagèrent
(1) Communication à la Société de Neurologie de Paris, séance du 6 avril 1905.
420 BABINSK)
ou atténuent l'intensité des crises; on peut dire cependant que la fatigue
générale et les mouvements volontaires des muscles de la face accentuent
ordinairement le mal ; d'autre part une électrisation énergique du nerf
facial semble l'atténuer pour quelque temps ; enfin le malade déclare qu'il
n'est nullement maître de ces convulsions et qu'un effort de volonté ne
saurait ni retarder leur apparition ni les abréger d'une seconde.
c) Ces contractions sont rigoureusement unilatérales.
d) Elles sont, au début de la crise, parcellaires ou (aciculaires, ce qui
veut dire qu'elles sont d'abord limitées à quelques muscles, à quelques
portions de muscles dans lesquels les mouvements convulsifs restent par-
fois cantonnés.
e) Ces contractions sont déformantes. Pour bien faire comprendre ma
pensée il faut que je précise le sens que, dans l'espèce, j'attribue à ce mot ;
il est évident, en effet, que toute contraction musculaire modifie dans une
certaine mesure la forme de la région où elle se produit et, si l'on veut,
la déforme ; mais les déformations produites par des contractions volon-
taires sont normales, ce sont des changements de forme plutôt que des dé-
formations ; il me semble naturel de réserver ce mot à des modifications
de forme anormales. Or c'est ce qu'on constate ici ; on observe une défor-
mation du nez dont la pointe se porte du côté malade et dont le bord
antérieur forme une courbure à concavité tournée du même côté; outre
cette incurvation du nez, on note encore une autre déformation se pro-
duisant pendant le spasme ; c'est une fossette irrégulière qui apparaît
au menton du côté malade (Pl. XLVIII, C).
f) Ces contractions s'associent les unes aux autres d'une manière contra-
dictoire. On voit, par exemple, le muscle peaucier se contracter en même
temps que la commissure labiale se porte en haut et en arrière, ou encore
on observe une association de ce dernier mouvement à un mouvement du
pavillon de l'oreille en haut et en arrière ; mais l'association la plus sin-
gulière est la suivante : en même temps que le muscle orbiculaire de l'oeil
se contracte et que l'oeil se ferme, la partie interne du muscle frontal se
contracte et la peau de cette région se porte de bas en haut; c'est là une
variété de synergie que l'on peut qualifier deparado.xale(Pl. XLVIII, C).
MM. Brissaud et Meige ont cherché à établir qu'il y a lieu de distinguer
les tics des spasmes, que l'hémispasme facial présente des caractères
cliniques qui lui sont spéciaux', qui sont étrangers à la symptomatologie
des tics, affection psychique, et que la volonté ne peut reproduire. Or,
parmi les signes que j'ai passés en revue se trouvent les caractères en
question : ce sont l'unilatéralité des mouvements anormaux, leur aspect
fasciculaire ou parcellaire, leur brusquerie, la ressemblance qu'ils pré-
sentent avec les contractions provoquées par l'excitation électrique] du
IIÉnIISPA5111h FACIAL PÉRIPHÉRIQUE 421 1
nerf facial. M. Meige a noté aussi ce fait intéressant que le spasme persiste
pendant le sommeil ; je n'ai pas été en mesure de vérifier ce point chez
le malade dont je viens d'entretenir la'Société, mais chez un autre sujet,
atteint de la même affection, que j'ai pu soumettre à une observation de
nuit, la réalité de ce phénomène a été nettement reconnue.
Outre ces caractères déjà connus, j'en ai noté d'autres, comme on a pu
le voir, qui n'ont pas encore été décrits. Ce sont d'abord les déformations
produites par les contractions, en particulier l'incurvation du nez et la
fossette mentonnière; ils ont, je crois, de l'importance parce que, si j'en
juge par mes observations, ils semblent constants dans cette affection
(Pl. XLVIII, A et C), et parce qu'il est impossible de les reproduire sous
l'influence exclusive de la volonté (Pl. XLVIII, D). On peut à la rigueur
simuler l'incurvation du nez, mais il faut alors mettre enjeu les muscles
des deux côtés de la face, tandis que dans l'hémispasme cette déformation
est obtenue par la contraction unilatérale des muscles faciaux. C'est en-
suite la synergie paradoxale. M. Brissaud avait déjà dit ceci : « Et l'on
voit aussi des associations de contractions musculaires qui correspondent
très exactement aux muscles innervés par le nerf irrité, mais qui ne ré-
pondent à aucun autre acte fonctionnel connu. » Cela est vrai, mais ne
dépeint pas encore suffisamment la modalité de ces associations, qui non
seulement ne répondent à aucun acte fonctionnel connu, mais sont en
opposition avec de pareils actes ; quand, par exemple, l'oeil se ferme sous
l'influence de la volonté, le sourcil s'abaisse en même temps; or ici, au
contraire, le sourcil, du moins sa partie interne, se relève pendant l'oc-
clusion de l'oeil. J'ajoute que l'incurvation du nez, la fossette mentonnière,
la synergie paradoxale peuvent être reproduites avec rigueur chez les
sujets normaux par l'électrisation de certains filets du nerf facial.
Ainsi donc mon malade est bien atteint d'un hémispasme ayant des ca-
ractères permettant d'affirmer qu'il n'est pas sous la dépendance d'un
trouble mental, psychique.
Quelle en est la cause ? Il est facile de la déterminer, en complétant
l'examen de ce sujet chez qui on trouve un ensemble de signes qui con-
duisent inévitablement au diagnostic de lésion bulbaire, probablement
bilatérale, mais prédominant notablement à gauche du côté de l'hémi-
spasme : ce sont des vertiges, de la latéropulsion à gauche, le signe de l'é-
ventail des deux côtés, mais plus marqué à droite, le mouvement combiné
de flexion de la cuisse et du bassin à droite, une parésie de la corde
vocale droite, une hémiatrophie linguale à gauche (PI. lLVIfI, E), des
troubles auriculaires et un rétrécissement de la pupille également à gau-
che. Ces troubles ont apparu il y a cinq ans environ et l'hémispasme fa-
cial aurait été précédé par une hémiparésie du même côté. En conséquence
422 BABtNsm
il y a tout lieu d'admettre que l'hémispasme est dû dans ce cas à une
irritation du noyau du facial ou du nerf dans son trajet bulbaire.
Une question doit être maintenant posée. L'hémispasme avec les carac-
tères cliniques particuliers que je viens de passer en revue reconnait-il
nécessairement pour cause une perturbation directe du nerf facial ou de
son noyau, ou bien ne peut-il pas avoir une autre origine ? Cette dernière
opinion semble admise à l'heure actuelle. M. Brissaud, en effet, dont j'ai
rappelé les intéressants travaux sur le sujet qui m'occupe, s'exprime à cet
égard de la manière suivante :
« Or quelle est la cause des spasmes cloniques en général ? C'est l'ÙTi-
ritation subite et passagère des points d'un arc réflexe. Prenons la face
comme exemple et d'abord en considération de l'étiologie permettez-moi
de revenir au rudiment.
« Le spasme facial chez le plus grand nombre des malades a un point de
départ oculaire. La contraction débute par l'orbiculaire des paupières,
phénomène purement réflexe : la cornée, la sclérotique, la muqueuse pal-
pébrale reçoivent des fibres sensitives du trijumeau qui transmettent au
noyau de ce nerf les impressions reçues ; celui-ci les communique à son
tour au noyau de la VII" paire, qui envoie la décharge aux muscles orbi-
culaires qu'il commande. Voilà donc l'arc réflexe établi. On peut admettre
en principe que toute irritation portant sur un point quelconque de la
voie centripète de cet arc pourra produire un spasme oculaire (1). »
Dans l'affection dénommée « tic douloureux de la face » les mouve-
ments spasmodiques seraient consécutifs à l'irritation du nerf trijumeau
et résulteraient par conséquent d'une excitation de la voie centripète de
cet arc.
J'avoue n'être pas convaincu, tant s'en faut, de la réalité de ce méca-
nisme. Il est bien entendu que j'ai ici en vue exclusivement l'hémispasme
facial caractérisé cliniquement par les divers signes que j'ai cherché à
mettre en relief et qui est marqué par ce trait essentiel de pouvoir être
reproduit rigoureusement par l'électrisation des branches du nerf facial.
Or, déjà apriori, en théorie, il me parait difficile d'admettre qu'une exci-
tation d'un nerf sensitif puisse produire un effet identique à celui qui ré-
sulte de l'électrisation d'un nerf moteur ; je ne sache pas qu'expérimenta-
lement chez l'animal on soit en mesure d'obtenir un fait de ce genre. De
plus il ne me semble pas prouvé qu'en pathologie humaine il y ait des
observations rigoureuses établissant ce fait ; en effet jusqu'à présent les
neurologistes ne se sont guère attachés à analyser avec précision les carac-
tères du spasme facial et il est bien possible que les mouvements convulsifs
(1) Bmssnun, Leçons sur les maladies nerveuses, 189;i, p. 206.
HÉMISPASME FACIAL PÉRIPHÉRIQUE 423
ne soient pas identiques dans l'hémispasme et dans le tic douloureux ; il
s'agit peut-être, au moins dans bien des cas de cette dernière affection de
mouvements d'un tout autre ordre. Mon ami M. Meige, il est vrai, m'a
affirmé que chez un homme atteint de tic douloureux il a observé des
phénomènes spasmodiques exactement semblables à ceux de l'hémispasme
facial non douloureux ; mais, quoique persuadé de l'exactitude de cette
observation, je ne crois pas devoir m'incliner devant elle, car, d'après les
renseignements que m'a fournis M. Meige, rien ne prouve que dans ce cas
l'affection n'ait eu pour siège le bulbe même ; or, dans cette hypothèse,
il serait permis de penser que l'agent perturbateur a agi sur le facial en
même temps que sur le trijumeau, de même que chez mon malade la lésion
a porté à la la fois sur le facial et l'hypoglosse, et alors il n'y aurait plus
entre la névralgie et le spasme de relation de cause a effet, mais il se serait t
agi simplement d'une coexistence de deux phénomènes, l'un d'ordre mo-
teur, l'autre d'ordre sensitif. La réalité d'un hémispasme facial lié à une
névralgie du trijumeau ne devra être acceptée que si l'on vient à consta-
ter des faits de spasme consécutif à une névralgie faciale reconnaissant
pour cause une lésion siégeant dans la partie extra-bulbaire du trijumeau
et limitée à ce nerf.
Je ne crois pas non plus qu'une lésion du système nerveux siégeant
au-dessus du noyau du facial, telle qu'une lésion corticale, puisse produire
un hémispasme facial identique à celui dont je m'occupe. J'ai eu récem-
ment l'occasion d'examiner une femme qui était sujette à des crises d'épi-
lepsie jacksonienne limitée à la face et se répétant toutes les cinq ou dix
minutes ; or l'analyse des mouvements convulsifs m'a montré qu'ils diffé-
raient essentiellement de l'hémispasme facial ; l'incurvation du nez, la
fossette mentonnière, la synergie paradoxale faisaient défaut.
Si les idées que j'expose se confirment, cette notion nouvelle sera éta-
blie que l'hémispasme facial marqué par les 'caractères intrinsèques que
j'ai énumérés et analysés ne peut être engendré que par une perturbation
directe du nerf facial ou de son noyau d'origine. Il serait alors rationnel
d'appliquer à cette modalité d'hémispasme facial l'épithète « périphérique »
dont on se sert pour désigner la variété d'hémiparalysie de la face liée à
une lésion de ces mêmes organes. D'ailleurs je suis porté à croire qu'il y a
une certaine parenté entre la paralysie faciale périphérique et l'hémispasme
facial périphérique et qu'une même cause peut, suivant son degré d'in-
tensité, donner naissance à l'une ou à l'autre de ces affections ; j'ajoute, à
l'appui de cette opinion, qu'on peut voir, dans la paralysie faciale péri-
phérique, à la paralysie musculaire succéder un état spasmodique ayant -
de grandes analogies avec l'hémispasme primitif.
NOTE SUR LES
CONTRACTIONS « SYNERGIQUES PARADOXALES »
OBSERVÉES A LA SUITE DE LA
PARALYSIE FACIALE PÉRIPHÉRIQUE,
- PAR
HENRI LAMY.
A la suite de la paralysie faciale périphérique, on observe parfois deux
ordres de phénomènes, qui vont de pair généralement : des contractions
spasmodiques involontaires incessantes dans la moitié de la face et
des contractions involontaires de certains muscles faciaux, qui se pro-
duisent au moment de la contraction volontaire d'autres muscles de la
face. Si j'en crois mon expérience personnelle, ces contractions ne sont
point différentes de celles qui s'observent dans l'hémispasme primitif de la
face : c'est d'ailleurs l'opinion qu'a récemment exprimée M. Babinski (1).
Ces phénomènes sont depuis longtemps connus ; ils ont été étudiés de
très près. M. Brissaud, MM. Meige et Feindel ont indiqué en quoi les
spasmes de la face différaient des tics ; et M. Babinski, dans la communi-
cation récente à laquelle je viens de faire allusion, a précisé les caractères
très spéciaux de l'hémispasme facial. Il peut arriver que ces deux phéno-
mènes soient dissociés ; ou du moins on peut, à la suite de la paralysie
faciale, observer isolément ces contractions associées pour lesquelles
M.Babinski a proposé la dénomination de contractions « 'synergiques pa-
radoxales ».
C'est ce qui avait^lieu chez un sujet d'une soixantaine d'années que
j'observe actuellement, atteint d'une paralysie faciale droite périphérique
depuis la première enfance ; et c'est sur ce dernier phénomène seulement
que je veux insister ici. ,
La paralysie ne se traduit au repos, chez ce sujet, que par une légère
déviation en bas de la commissure labiale droite.Elle s'est d'ailleurs amen-
dée au point que l'occlusion des yeux est parfaitement possible ; mais elle
apparaît nettement encore dans les mouvements volontaires au niveau de
la moitié droite du front (fig. A, pl. XL1X) et de la commissure labiale du
(1) Société de Neurologie, séance du G avril 1905, in Revue Neurologique, 1905,
p. 443.
NOUVELLE Iconographie de la SALPÊTRIÈRE
T. XVIII. PI. XLIX
CONTRACTIONS SYNERGIQUES PARADOXALES
A LA SUITE DE LA PARALYSIE FACIALE PÉRIPHÉRIQUE
(H. Lamy).
A. Contraction volontaire du frontal dans la direction du regard en haut ; on voit que le frontal
du côté droit n'y prend pas part (absence de rides de ce côté).
B. - Contraction synergique du frontal droit et des muscles élévateurs de la commissure lobiale du
même côté, pendant l'occlusion de l'oeil droit.
C. - Même phénomène pendant l'occlusion des deux veux.
NOTE SUR LES CONTRACTIONS « SYNERGIQUES PARADOXALES » 429
même côté. Les muscles frontaux, les zygomatiques et les releveurs de la
lèvre supérieure du côté droit sont donc en apparence paralysés.
Mais vient-on à commander au sujet de fermer énergiquement les yeux,
voici que, en même temps que l'orbiculaire des paupières, le frontal et les
releveurs de la lèvre entrent en contraction du côté droit (fig. C, pi. XLIX) !
Le phénomène est encore plus frappant quand le malade ferme l'oeil droit
isolément (fig. B). Voilà bien la synergie « paradoxale » : la contraction
de ces muscles est illogique, absurde, comme l'a dit M.Brissaud, puisque
le frontal tend à contrarier l'action de l'orbiculaire. On ne peut donc
pas dire que les muscles en question soient paralysés ; ils se contractent
mal à propos en réalité,et de plus ils ne sont plus soumis à l'action directe
de la volonté.
La seule explication satisfaisante qu'on puisse donner des faits de ce
genre, où la contraction synergique s'observe précisément dans les mus-
cles où la contraction volontaire est abolie, me paraît être la suivante,
qui n'a point encore été proposée que je sache. La guérison de la paralysie
faciale s'est faite au prix d'une restauration vicieuse. anormale du nerf
jadis lésé ; de telle sorte que le nerf de l'orbiculaire commande actuelle-
ment au muscle frontal et aux zygomatiques. La nature aurait réalisé en
somme ici ce que fait le chirurgien, par exemple, lorsqu'il anastomose la
branche externe du spinal avec le bout périphérique du facial pour remé-
dier à une section accidentelle de celui-ci. On sait que, dans ces condi-
tions, on peut voir les contractions volontaires de la face s'accompagner
de mouvements d'élévation de l'épaule, et inversement.
11 ne me paraît pas illogique d'admettre que, dans le cas particulier,
ce sont les cellules nucléaires de l'orbiculaire palpébral, plus vigoureuses,
ou mieux conservées, qui ont présidé à la réparation de toute une partie
du facial : de telle sorte que désormais certains muscles ne peuvent plus
se contracter indépendamment de l'orbiculaire. Il serait intéressant de
rechercher si, sous cette forme, la synergie paradoxale appartient plus
spécialement aux paralysies faciales remontant à la première enfance.
XV111 vs
DEUX FRÈRES ATTEINTS DE MYOPATHIE
PRIMITIVE PROGRESSIVE. z
PAR
le D' NOICA,
Médecin-adjoint du professeur Marinesco de Bucarest.
Le 7 octobre 1903, sont entrés dans le service de M. le professeur Ma-
rinesco, deux frères atteints d'atrophie musculaire et d'impotence fonc-
tionnelle des quatre membres ; notre maître formula le diagnostic de
myopathie primitive ; progressive familiale.
La myopathie avait commencé par l'atrophie musculaire des membres
inférieurs sans passer par le stade d'hypertrophie ; la participation simul-
tanée des membres supérieurs chez l'un des frères et chez l'autre seule-
ment trois ans après le début de la maladie, donnait à penser que ces cas
se rapprochent plutôt du type Leyden-Mbbius.
On trouvera dans l'exposé de leurs observations, plusieurs particularités
dignes de retenir l'attention.
Le début de la maladie n'a pas été lent, insidieux, comme il est classi-
que de le rencontrer dans cette affection. Chez l'aîné la maladie a com-
mencé à l'âge de 14 ans, brusquement, par des douleurs dans les pieds, les
jambes, les genoux et les épaules. Les douleurs étant devenues générales
deux semaines plus tard, le malade est forcé de garder le lit. Le patient
prétend que ces douleurs articulaires étaient accompagnées d'un gonfle-
ment des jointures, de telle sorte que, d'après ses indications, la maladie
aurait eu un début brusque, aigu, douloureux, inflammatoire, localisé dans
les articulations des quatre membres, ainsi qu'on le voit dans les cas de
rhumatisme aigu polarticulaire. Les douleurs ont persisté trois mois. Les
membres supérieurs se sont pris trois ans après, mais jamais le malade
n'a quitté le lit depuis le début de son affection.
Chez le cadet, le début de la maladie a été aussi brusque que doulou-
reux. La maladie a commencé tout d'un coup, le jeune homme ayant
joui jusqu'alors d'une bonne santé, par des douleurs terribles le long de
la colonne vertébrale, qui l'ont forcé à garder le lit pendant une se-
maine. Puis les douleurs disparaissant, il quitte le lit et reprend le tra-
vail des champs. Mais deux mois après, il se voit obligé de rentrer dans
DEUX FRÈRES ATTEINTS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 427 7
un hôpital, parce que petit à petit il sentait diminuer ses forces. Le jour
de son entrée, le malade était incapable de rester debout, de manger, de
s'habiller, etc. De plus, des douleurs terribles surviennent dans les quatre
membres; elles persistent pendant trois mois, elles ont disparu définitive-
ment par la suite. Il est à remarquer que chez le cadet, la paralysie des
membres s'est produite en même temps qu'aux membres inférieurs.
Le symptôme des douleurs a été constaté et décrit par Leyden dans le
type qui porte son nom : Leyden-Môbius :
Seidel rapporte avoir constaté des douleurs autour des articulations,
comme dans notre cas.
Rohinson a également observé des douleurs vives dans les membres in-
férieurs chez un malade atteint de paralysie pseudo-hypertrophique.
De même, Mübius a observé chez un de ses malades des douleurs à la
pression dans les masses musculaires.
Dans une observation publiée par Paul Londe et Henry Meige, les au-
teurs ont remarqué aussi un début douloureux chez leur malade Pauline
Legr... ? les douleurs étaient localisées dans les membres et surtout dans
les os et le long de la colonne vertébrale.
La rapidité avec laquelle s'est établie l'impotence fonctionnelle des mem-
bres est aussi digne d'attention. Nous avons vu comment l'aîné, depuis le
début de sa maladie n'a plus quitté le lit ; le cadet,depuis deux mois après le e
début douloureux de sa maladie, est entré à l'hôpital, parce qu'il ne pou-
vait plus se servir de ses membres supérieurs, ni rester debout.
Mais ce qui attire davantage l'attention chez l'aîné de nos malades, c'est
surtout une lordose considérable, rappelant un dessin de femme boschi-
manne (V. la photographie).
On connaît dans la science, trois cas de myopathie, avec une lordose
aussi considérable : celui rapporté par Brissaud et Souques (1), le cas de
Savill (2) et un autre de Dejerine (3). La lordose est connue dans la
description des myopathies depuis Duchenne de Boulogne, et les trois cas
que je viens de citer, aussi bien que celui qui fait l'objet de cette obser-
vation, ne sont que des exagérations de cette particularité.
Duchenne de Boulogne croyait que la lordose chez les pseudo-hyper-
trophiques provient de l'affaiblissement des muscles spinaux, extenseurs
de la colonne vertébrale, d'où le nom de lordose paralytique des muscles
spino-iombaires, forme qu'on oppose à la lordose dépendant d'une
paralysie des muscles abdominaux.
(1) Société médicale des hôpitaux de Paris, séance du 13 avril 1894.
(2) Cas traduit et publié en français par Henry MEME dans la Nouvelle Iconographie
de la Salpêtriére.
(3) Revue de médecine, 18S5.
428 NOICA
Pour Mme Sacara (1), le mécanisme de la lordose est tout autre : dans
la paralysie pseudo-hypertrophique, elle dépendrait plutôt d'un affaiblis-
sement des extenseurs du bassin et de la cuisse. A cause de cet affaiblis-
sement, le bassin s'incline en avant, et menace le tronc de le faire tomber
en avant, d'où l'intervention des muscles spinaux qui se contractent et
attirent en arrière la colonne vertébrale et le centre de gravité. Le pro-
fesseur Marinesco a baptisé cette lordose du nom de lordose paralytique
des extenseurs de la cuisse sur le bassin, et si l'on considère à nouveau les
- cas cités plus haut, nous voyons que l'explication que donne Mme Sacara,
est la meilleure pour son interprétation.
Dans le cas de Brissaud-Souques, les auteurs n'ont pas cherché à ex-
pliquer cette déformation, ils constatent simplement que la masse com-
mune est peu atrophiée, que les muscles fessiers le sont, et que les réac-
tions électriques sont bien conservées dans la première et diminuées
dans les seconds. Le Dr Savill explique la lordose par le même mécanisme
que Mme Sacara. '
Landouzy et Dejerine, après avoir constaté chez leur malade que le
bassin est incliné en avant et que les muscles fessiers sont très atrophiés,
croient que la lordose est produite par l'action des muscles spinaux, qui
se contractent pour contrebalancer la paralysie des muscles abdominaux ;
l'inclinaison du bassin ne serait qu'une conséquence de la lordose,
et elle empêche que l'individu ne tombe en arrière.
En ce qui nous concerne nous sommes de l'avis de Mme Sacara pour
interpréter l'exagération de la lordose de notre malade. D'ailleurs, les faits
suivants tendent à démontrer l'exactitude d'une telle interprétation : les
muscles de la gouttière vertébrale sont relativement bien conservés dans
leur volume, et assez forts pour exagérer par leur contracture la courbure
de la colonne vertébrale quand le malade est étendu sur une table ; on note
la disparition à peu près complète des fessiers, le bassin réduit extérieure-
ment àsa surface squelettique; les muscles postérieurs de la cuisse sont atro-
phiés complètement, d'où l'inclinaison du bassin en avant sur les cuisses ;
les réactions électriques des muscles des gouttières vertébrales sont rela-
tivement bien conservées, tandis que celles des muscles du bassin et de la
face postérieure de la cuisse sont disparues complètement ; les muscles de la
paroi abdominale ont perdu aussi leur volume et leur excitabilité à la réac-
tion électrique.Tous ces faits,dis-je, sont denatureà affermir notre opinion.
En résumé, la lordose dans notre cas, est produite par l'atrophie des
muscles extenseurs de la cuisse sur le bassin et vice-versa, par l'atrophie
(1) OLOA SACASA-FULBURS, Studin clinic asupra paralisici pseudo-iperlrofice. Thèse
de Bucarest, 1893.
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE T. XVIII. PI. L
Radiographies des avant-bras.
DEUX FRÈRES ATTEINTS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 429
des muscles de la paroi abdominale, et par la conservation des muscles de
la gouttière vertébrale de chaque côté.
Les frères J... présentent dans la région occipitale un aplatissement
de la moitié latérale du crâne; c'est un fait analogue à la déformation
décrite par Marie et Onanoff (1), avec cette différence que dans nos cas, elle
est seulement unilatérale.
L'examen du squelette présente chez l'aîné un intérêt tout particulier
en raison de l'apparente réduction du volume des os. En effet, en les
palpant, on les sent comme amincis par comparaison avec ceux d'un
homme normal, ou même avec ceux d'un malade voisin, de même âge que
lui, atteint de myopathie pseudo-hypertrophique. Cette différence, ou
cette sensation de minceur est très sensible, on pourrait même dire
évidente en ce qui concerne les humérus, les radius, les cubitus, les
os de la main. Cependant les excellentes radiographies que je dois
l'obligeance de M. Gerota, agrégé de la Faculté de médecine, n'indiquent
qu'une très légère différence. Pour M. le Dr Gerota, cette légère dif-
férence (de 1 à 2 mill. au maximum par diamètre), peut s'inter-
préter par un arrêt de développement du squelette dans le sens de la
longueur et de la grosseur, lequel débutant en même temps que la
maladie, aurait amené un raccourcissement des os d'environ 2 à 3 cen-
timètres.
Pour avoir une opinion exacte sur la fausse sensation qu'on peut
avoir, en palpant ses os qui semblent réduits de volume chez ce malade,
j'ai fait l'expérience suivante : si, sur un cadavre, on enlève la masse mus-
culaire qui entoure l'avant-bras, et qu'ensuite on palpe les os par des-
sus la peau, on a certainement l'impression qu'ils sont beaucoup plus
minces que du côté opposé, autrement dit, à l'avant-bras recouvert encore
de ses muscles.
Si j'ai insisté sur cette sensation, c'est parce que mon maître, M. le pro-
fesseur Marinesco, a lui-même attiré l'attention, dans son article (2), sur
l'état des os dans les membres chez les myopathiques, et que MM. Pierre
Marie et V. Crouzon (3) ont aussi communiqué un cas indiscutable d'atro-
phe osseuse de l'humérus avec fracture, chez un malade atteint de cette
maladie. '
En outre, le même sujet (l'aîné), se fait remarquer par un autre phéno-
mène, lequel d'ailleurs a été observé également par Pitres et Mme Sa-
cara : c'est la sudation excessive aux extrémités. Tous les jours en effet, on
(t) Société médicale des hôpitaux, février 1891. -
(2) Myopathie primitive progressive, par le piofesseur Marinesco, Traité de médecine
BROUARDEL-GILBERT, t. X.
(3) Séance de la Société de Neurologie du 5 février 1903. ·
430 NOICA
peut voir chez notre malade, la sueur se manifester à la face palmaire
des mains et à la face plantaire des pieds, mais surtout aux pulpes des
doigts et des orteils sur lesquels perlent même fréquemment des gout-
telettes. La peau des extrémités est moite et parcheminée. C'est également t
un cas de ce genre que rapporte Mme Sacara. Cet auteur a observé que
son malade laissait en marchant l'empreinte de ses pas sur le sol, par
suite de la transpiration abondante de ses extrémités.
OBs. Il M. T ? paysan roumain, âgé de dix-huit ans, est entré le 7 octo-
bre dans le service de M. le professeur Marinesco de l'hôpital Pantelimon.
Antécédents héréditaires. Le père du patient est bien portant. La mère
est morte il y a deux ans, elle aurait souffert de violents maux de tête. Il pa-
raît qu'il n'y. a ni syphilis, ni tuberculose chez les ascendants.
Antécédents collatéraux. Les trois premiers frères sont morts, l'un à
l'âge de deux ans et demi, les deux autres à six mois. Le quatrième souffre de
la même maladie que notre patient, et se trouve hospitalisé dans le même
service. M. T... est le cinquième enfant; le sixième et le septième sont
deux jeunes filles parfaitement bien portantes. Enfin le dernier de tous est un
petit garçon de cinq ans en bonne santé. Aucun de ses collatéraux ne souffre
de cette maladie.
.. Antécédents personnels. A l'âge de cinq ans a été malade d'influenza
(maux de tête, mal à la gorge, vomissements, etc.). En dehors de cette in-
fection il n'a jamais été malade ; il n'a eu ni rougeole, ni scarlatine, ni fièvre
typhoïde.
Il a étudié à l'école trois ans et a interrompu ses études, parce que son frère
aîné étant malade, son père l'a pris pour l'aider aux travaux des champs.
L'histoire de sa maladie date de deux ans, c'est-à-dire depuis l'âge de
16 ans. Très bien portant jusqu'alors, notre malade se réveille un matin avec
des douleurs dans la colonne vertébrale dorsale et dans les parties latérales du
côté des reins ; ces douleurs devenant toujours plus fortes le malade est forcé
de garder le lit pendant une semaine, Les douleurs qu'il ressentait étaient
continuelles et devenaient encore plus terribles au moindre mouvement de
l'échine dorsale au lit, et surtout lorsqu'il essayait de rester debout ou de faire
quelques pas. Les douleurs se sont généralisés plus tard sur toute la colonne
vertébrale et sur tout le tronc, mais pas aux membres (nous verrons que plus
tard, il a souffert aussi dans tous les membres).
Le malade nous raconte, qu'outre ces douleurs continuelles, il ressentait
des douleurs aiguës traversant les côtes et la poitrine.
Une semaine après, il a quitté le lit ne ressentant plus rien, les douleurs
avaient disparu petit à petit etle malade a pu reprendre le travail des champs.
Mais il nous fait remarquer qu'il a aussitôt senti qu'il n'était plus aussi solide
qu'auparavant ; il lui semblait surtout que la force dans les bras et les jambes
avait beaucoup diminué. Peu de temps après, il ne pouvait plus étendre les
doigts, nous dit-il ; de même aux pieds, il pouvait plier les orteils mais pas les
DEUX FRÈRES ATTEINTS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 431
étendre. Après cela, les membres supérieurs ont commencé à faiblir, il pouvait
à peine porter la cuillère à la bouche, le plus souvent son bras commençait à
trembler et il versait tout le contenu de la cuillère avant d'y parvenir. Les
membres inférieurs'ont faibli presque en.même temps, le malade ne peut pas
bien préciser si ce sont les membres supérieurs ou inférieurs qui ont faibli les
premiers. La marche devenait toujours plus difficile, après avoir fait quelques
pas, il sentait comment ses genoux faiblissaient, pliaient et enfin le malade ne
pouvant résister, tombait. Cette faiblesse n'a fait qu'augmenter dans tous les
membres, de sorte que deux mois après le début de sa maladie, le patient est
conduit à l'hôpital départemental, incapable de se tenir debout s'il ne s'ap-
puyait sur une canne ou s'il n'était pas soutenu par quelqu'un ; il ne pouvait
plus se servir de ses bras pour manger, s'habiller; etc.
Pendant son séjour à l'hôpital, des douleurs continuelles semblables à celles
qu'il avait eu au commencement sont apparues de nouveau, mais cette fois elles
ne se sont localisées que dans les membres inférieurs et supérieurs ; elles
devenaient plus fortes pendant la nuit, l'empêchant de dormir. A l'hôpital il a
été traité avec toutes sortes de médicaments et en dernier lieu on lui a appli-
qué des pointes de feu sur le dos.
Vingt-cinq jours après son entrée à l'hôpital, il le quitta dans le même état
de paralysie ; les douleurs avaient disparu dans les membres supérieurs et
ne persistaient que dans les membres inférieurs.
De l'hôpital, le malade a été ramené chez lui, où il est resté jusqu'à son
entrée dans le service du professeur Marinesco. Il prétend qu'à l'hôpital il ne
pouvait manger seul, c'est-à-dire se servir de ses bras par suite de leur fai-
blesse et parce que chaque mouvement lui était terriblement douloureux.
Les douleurs ont disparu pendant qu'il était chez lui et il avait réussi à pou-
voir manger seul, cependant il a encore éprouvé des douleurs aux membres
inférieurs pendant les deux premiers mois qu'il a passés à la maison chez ses
parents ; ensuite elles ont disparu et le malade pouvait effectuer de légers
mouvements avec ses membres inférieurs. Donc, son état était meilleur à la
maison qu'à l'hôpital, car quoique ne pouvant quitter le lit, il pouvait tout de
même exécuter quelques légers mouvements avec le corps et les membres,
tandis qu'à l'hôpital il était complètement paralysé. '
Au mois d'octobre 1903, les deux frères sont envoyés dans le service de
M. Marinesco.
Etat actuel. D'apparence bien développé, notre malade a le squelette
osseux bien conformé. L'intelligence assez bonne, si l'on tient compte de son
manque d'instruction. Ses réponses sont claires et nous ne constatons rien
d'anormal dans sa conduite.
Le crâne, de conformation brachicéphalique, présente un petit front,et dans
la région occipitale droite on voit et l'on sent un aplatissement osseux assez pro-
noncé. La face est symétrique, on n'observe aucune atrophie musculaire. Les
oreilles sont normalement conformées, le lobule droit est un peu plus grand et
plus accolé que le ganche. Les yeux normaux, les pupilles égales, elles
réagissent très bien à la lumière et à l'accommodation ; les mouvements des
432 NOICA
globes oculaires sont exécutés régulièrement. Le nez, les lèvres, la cavité,buc-
cale, les dents sont normales, la voûte palatine est légèrement excavée.
Dimensions de la tête :
Circonférence maxima 55 centimètres
Diamètres transversaux, bi-auriculaire.... 13 cent. 5.
bi-temporal ..... 14 centimètres
Diamètre antéro-postérieur, maximum .... 18 cent. 5.
Le thorax ne présente aucune déformation bien accentuée et cependant il
n'est pas normal, l'obliquité des côtes en effet est plus grande que d'habitude,
le thorax paraît plus long et se continue en ligne oblique avec l'abdomen, for-
mant un cône, dont la base serait la circonférence supérieure de la cage tho-
racique et le sommet formé par le bassin.
Dimensions du thorax :
DEUX FRÈRES ATTEINTS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 433
des mouvements à droite, à gauche, en avant avec beaucoup de facilité. Les
muscles de l'abdomen sont de même bien développés.
Les membres supérieurs ont des attitudes variables dans leur état statique,
mais leur musculature est très réduite de volume. En commençant par les mains
nous constatons que les éminences thénar et hypothénar ont disparu com-
plètement et on voit à leurs places des dépressions. La concavité de la face
palmaire de la main est exagérée, suite de l'atrophie. Sur la face dorsale nous
constatons des dépressions longitudinales, occasionnées également par atrophie
des muscles interosseux dorsaux. Ces atrophies font que nous avons de chaque
côté une main amincie avec tendance à la griffe : le pouce est en abduction
et en rotation externe et sur le même plan que les autres doigts. Les deux
dernières phalanges des quatre derniers doigts sont un peu fléchies sur la
première. La main est déviée sur le bord cubital de l'avant-bras. L'atrophie de
l'avant-bras est de même très exagérée, la face antérieure est remplacée par
une dépression énorme, les mucles fléchisseurs ne forment plus aucun relief.
La face postérieure est si atrophiée, qu'on ne voit plus aucun relief musculaire,
la peau couvre directement les os cubitus et radius. Les bords de l'avant-bras
ne forment plus de lignes convexes, celle du bord externe est remplacée par r
une ligne droite, et celle du bord interne par une ligne concave. Les bras ne
présentent plus qu'une légère masse musculaire entourant l'humérus ; ils
sont réduits à la forme de cylindres très fins, constitués presque partout seule-
ment par l'os et la peau qui l'entoure.
Le muscle deltoïde est de même atteint d'atrophie, surtout dans les portions
claviculaires et acromiales, tandis que la portion qui est insérée sur l'épine de
l'omoplate est mieux conservée. A cause de l'atrophie des deux premières por-
tions, on observe une dépression sous-claviculaire et une autre sous-acromiale
et immédiatement après cette dernière la tête de l'humérus proémine sous la
peau.
La force dynamométrique à chaque main est zéro. La circonférence de l'avant-
bras, à 10 centimètres au-dessus de l'apophye styloïde du cubitus (presque
au milieu de sa longueur), mesure 14 centimètres à droite et 14 cent. 1/2 à
gauche. ,
La circonférence du bras, à 10 centimètres au-dessus de l'épitroclilée (presque
au milieu de sa longueur), à droite 16 cent. 5, et à gauche 17 centimètres.
Les mouvements actifs aux membres supérieurs sont réduits, le malade peut
à peine plier les doigts dans l'intérieur de la paume, et encore il ne réussit
pas à les plier complètement ; il peut à peine et encore moins les étendre.
Avec le pouce il effectue de légers mouvements d'adduction et d'abduction,
mais aucun mouvement d'extension, de flexion et d'opposition. Le rapproche-
ment et l'écartement des doigts sont impossibles. Cependant il peut manger
tout seul, peut encore porter la cuillère à la bouche avec la main gauche,
mais beaucoup plus difficilement avec la droite. Il ne peut boutonner son habit.
Les mouvements de flexion et d'extension dans l'articulation du poignet
s'effectuent assez bien et les mouvements de pronation et de supination se fout
également assez bien. Dans l'articulation du coude et dans l'articulation de
434 NOICA
l'épaule, les mouvements sont réduits des deux côtés, mais surtout à droite.
Les mouvements passifs s'effectuent facilement, n'existant pas de rétractions
tendineuses.
La résistance musculaire est nulle aux mains, aux poignets et aux coudes,
assez bien conservée aux épaules.
II tient habituellement ses membres inférieurs en extension. Les orteils sont
fléchis en bas, surtout le gros. Les muscles des pieds sont atrophiés, leur atro-
phie produit des fossettes sur leur face inférieure.
Les muscles de la jambe, les fléchisseurs et les extenseurs sont de même
très réduits de volume ; les mollets ont disparu complètement, de sorte que la
convexité de la face postérieure de la jambe est remplacée par une surface
plane.
Nous trouvons le même état d'atrophie musculaire aux muscles de la cuisse,
les fléchisseurs et les extenseurs sont très atrophiés, les premiers sont relative-
ment mieux conservés. Les muscles fessiers sont pris également, mais à
un moindre degré.
La circonférence de la jambe est au milieu, à 19 centimètres au-dessus de la
malléole interne, il droite et à gauche de 18 centimètres.
La circonférence de la cuisse au milieu est de 27 centimètres à droite et de
27 cent. 5 à gauche. Les mouvements passifs sont conservés dans toutes les
articulations. Les mouvements actifs des orteils et de l'articulation tibio-tar-
sienne sont complètement abolis. La flexion du genou s'effectue normalement.
L'extension s'exécute très difficilement surtout à droite. Les mouvements de
rotation en dedans et en dehors s'exécutent assez bien.
Les mouvements d'adduction et d'abduction sont bien conservés.
Le malade relève la cuisse sur le bassin, dépassant la position verticale.
La résistance musculaire aux membres inférieurs est abolie, ou presque, aux
pieds et aux genoux ; à peine les fléchisseurs opposent-ils quelque résistance
lorsque nous voulons déplier les genoux. Dans l'articulation coxo-fémorale,
la résistance est assez bien conservée lorsque nous voulons nous opposer aux
mouvements d'extension et de flexion ; au contraire, la résistance est très ré-
duite pour les mouvements d'adduction et d'abduction.
Les réflexes tendineux, rotuliens, achilléens, du coude, du poignet, etc. sont
disparus des deux côtés. Le réflexe de Babinski n'existe pas et pas davantage
le réflexe plantaire, mais il se produit une rétraction du pied et même du
membre tout entier, un véritable mouvement de défense, lorsque nous prome-
nons la pointe de l'aiguille sur la peau de la plante du pied.
Les réflexes cutanés, anal, crémastérien et abdominaux sont conservés.
La sensibilité générale et spéciale ne présente rien d'anormal. Les muscles
ne sont pas douloureux à la palpation, mais le malade se plaint de douleurs
aiguës dans les membres, surtout dans les membres supérieurs.
Le malade passe son temps couché sur le dos, en décubitus dorsal, avec les
membres inférieurs étendus.
Pour pouvoir, se relever dans son lit et s'asseoir, il doit s'appuyer avec les
deux mains sur le lit ; sans cet appui ce serait impossible. Une fois dans cette
DEUX FRÈRES ATTEINTS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 435
position il peut y rester longtemps, et c'est ainsi que nous le trouvons souvent
à la visite. Il lui est impossible de se relever debout dans son lit. Mais si nous
couchons le malade sur le parquet et que nous lui recommandions de se lever,
il se retourne alors, la figure vers le -sol, et il se met dans la position d'un
quadrupède, c'est-à-dire qu'il s'appuie sur les pieds et les mains à la fois, sans
réussir d'ailleurs à se mettre debout, si ce n'est à l'aide d'une chaise, ou d'un
autre appui quelconque, qu'il peut saisir avec la main ; alors seulement il
parvient à se relever.
Les organes thoraco-abdominaux sont tous en bon état. Le coeur bat au-des-
sous du mamelon gauche dans le 6e espace intercostal. Les battements sont
normaux. Le pouls est faible, mais très régulier, 88 pulsations par minute.
OBs. IL - J. T..., âgé de 20 ans, paysan, est entré le 7 octobre 1903 dans
le service de M. le professeur Marinesco, à l'hôpital Pantelimon.
On a lu ses antécédents héréditaires et collatéraux dans l'observation de son
frère cadet.
Antécédents personnels. Aucune maladie sérieuse jusqu'à l'âge de 10 ans.
A cet âge-là, s'étant refroidi, il a été souffrant deux semaines environ, depuis
il soulfre de douleurs dans les genoux et dans les jointures des doigts. A
l'âge de 14 ans, sont survenus des maux de tête, et pendant un mois il a eu des
accès de fièvre, type tierce. C'est de cette époque que date le commencement
de la myopathie dont il souffre.
Histoire de sa maladie. Pendant ses accès de paludisme il commence par
sentir des douleurs dans les membres inférieurs et supérieurs, les douleurs
étant encore plus fortes aux épaules. Il prétend même que les pieds, les
jambes et les épaules étaient enflés. Une semaine après, l'inflammation a dis-
paru, mais les douleurs étant devenues encore plus fortes et se généralisant
dans tout le corps, le malade est forcé de garder le lit. Deux semaines après le
début de la maladie, dans le même temps qu'il souffrait de douleurs, le malade
remarquait qu'il perdait ses forces et que ses membres maigrissaient.
De même que son frère, il prétend ne jamais avoir eu les muscles hypertro-
phiés et affirme que dès le commencement ses membres ont commencé à mai-
grir jusqu'au degré où on les voit aujourd'hui.
Les douleurs ont continué a être très intenses pendant trois mois; après, elles
sont devenues plus rares et plus supportables.
Depuis que le malade s'est alité, il n'a jamais pu quitter sa couche. Lorsqu'il
avait des douleurs, il avait l'habitude de tenir les jambes fléchies sur les
cuisses et les cuisses sur le bassin, ne pouvant les étendre à cause de la souf-
france, plus tard lorsque les douleurs ont disparu, par suite de rétractions
tendineuses les membres inférieurs ont gardé cette position vicieuse. Le malade
a pu faire usage de ses membres supérieurs jusqu'à l'âge de 17 ans, c'est-à-
dire trois ans encore après le début de sa maladie. A cet âge il commença à
perdre petit à petit les mouvements des doigts. Plus tard il pouvait encore
effectuer la flexion du coude et des mouvements dans l'articulation scapulo-
humérale, tandis que les mouvements des doigts et du poignet étaient abolis.
Enfin il entre dans le service de M. Marinesco, avec son frère.
436 NOICA
Etat actuel. - Le malade garde le lit et ne peut en descendre, il est ég-
lement incapable de se tenir debout, mais l'intelligence est assez bien dévelop-
pée, quoiqu'il soit peu instruit ; de ses conversations et de sa conduite on peut
déduire qu'il ne présente aucun trouble psychique.
Le crâne a une conformation brachi-céphalique, il présente un front peu
bombé, et dans la région occipitale droite existe un aplatissement des os, assez
accentué.
Le crâne proprement dit paraît grand, comparativement à la face.La circon-
férence est de 55 centimètres.
DEUX FRÈRES ATTEINTS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 437
s'enfonçant dans le bassin, tout le ventre est réduit de volume, surtout quand
le malade est assis sur une chaise ou dans son lit.
Les muscles abdominaux ont disparu entièrement et la paroi abdominale est
si mince qu'on sent très bien la colonne vertébrale à travers.
Mensurations du thorax :
438 1VOICI
telle sorte que l'épitrochlée devient très proéminente.Les muscles épicondyliens
sont disparus et ils ne forment plus qu'une ligne droite sur le bord externe de
l'avant-bras. Au lieu de la concavité des faces antérieures et postérieures nous
avons maintemant des dépressions. Les muscles des éminences thénar et hy-
pothénar sont atrophiés, c'est pourquoi le relief des éminences a disparu et
nous avons à leur place des dépressions.
Les muscles interosseux palmaires et dorsaux sont disparus, les espaces in-
termétacarpiens se dessinent très bien. La main ressemble à celle d'un singe.
Les membres supérieurs ont l'attitude suivante : le membre en entier tombe
le long du corps, ballant, l'avant en pronation, la main avec la face dorsale
en avant. Si on soutient le poignet, la main tombe, ballante, les poings pré-
sentent la 2e et la 30 phalange dans la flexion palmaire sur la première. Le
pouce est en adduction et en rotation en dedans, aussi il arrive sur le même
plan que les autres doigts, la dernière phalange du pouce légèrement fléchie
sur la première.
Dimensions des membres supérieurs :
DEUX FRÈRES ATTEINTS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 439
Avec l'articulation scapulo-humérale il peut exécuter quelques mouvements :
relever le bras jusqu'au plan horizontal à droite, moins à gauche ; faire des
mouvements assez satisfaisants d'adduction, d'abduction et de rotation. Dans
l'articulation du coude, du poignet et des doigts"les mouvements sont interdits.
On doit lui donner à manger, à boire, l'aider à s'habiller. Le malade peut à peine
conduire la main à la bouche, cela avec nombre d'artifices. Aux membres infé-
rieurs la motilité est de même très réduite, le malade peut fléchir la cuisse
sur le bassin et même l'appliquer sur l'abdomen, mais il ne peut l'écarter. Le
mouvement d'extension de la jambe sur la cuisse ne se fait plus, il existe seu-
lement un très léger mouvement de flexion. Il peut faire quelques légers mou-
vements d'adduction et d'abduction des cuisses. Les mouvements actifs dans
l'articulation tibio-tarsienne, dans les articulations des pieds et des orteils sont
abolis.
Tous les mouvements passifs des segments des membres supérieurs se font
avec facilité, mais la résistance musculaire est nulle, sauf à l'épaule, où elle
est seulement diminuée.
Aux membres inférieurs les mouvements ne se font ni facilement, ni complè-
tement par suite des rétractions tendineuses. La résistance musculaire est dis-
parue entièrement, il y a seulement une nuance quand on s'oppose à la flexion
de la jambe sur la cuisse.
La sensibilité générale, superficielle (tactile, à la douleur), thermique, pro-
fonde (vibratoire, à la pression et sens musculaire) est normale sur tout le
corps.
Le malade sent quelquefois des douleurs diffuses qui le prennent plu-
sieurs fois par jour ; elles sont supportables et ne durent qu'une demi-heure à
la fois. Quelquefois des douleurs de caractère fulgurant lui traversent les bras
et le tronc.
Les réflexes cutanés, crémastériens et abdominaux sont conservés. Les
réflexes tendineux, rotulien et celui du tendon d'Achille, ne peuvent plus se
produire, le premier à cause de l'atrophie du muscle quadriceps, le second à
cause de la rétraction du tendon d'Achille.
Les réflexes tendineux des membres supérieurs ne se produisent plus non
plus, par suite de l'atrophie musculaire.
Si on excite la plante des pieds, on voit seulement un mouvement de flexion
de la cuisse sur le bassin.
La malade a les organes génitaux normalement développés, le pubis est re-
couvert de poils abondants, la jambe sur toute sa surface et la cuisse sur la
face postérieure sont recouvertes de poils abondants et longs.
La face palmaire des mains et la face plantaire des pieds ont une peau,
blanche-rosée, parcheminée et tout le temps couverte de sueur, sur la pulpe
des doigts on voit même de nombreuses petites gouttelettes de sueur.
EXAMEN DE L'EXCITABILITÉ ÉLECTRIQUE DES NERFS ET DES MUSCLES DE M. T...
Courants faradiques. Exploration faite avec l'appareil à chariot de
Gaiffe-Tripier ; bobine induite à fil moyen. Méthode polaire : électrode ster-
440 NOICA `
nale, une plaque de métal de 25 centimètres de surface; électrode différente,
une grosse alêne.
Les muscles de la face des deux côtés, les frontaux, les temporaux, les orbi-
culaires des lèvres, les masséters, les muscles du nez, etc. contractions tétani-
ques à 150 divisions. -
Le nerf facial (rameau frontal, rameau orbiculaire, rameaux moyens et bran-
che inférieure], contractions fortes à 140 divisions.
Point d'Erb et muscle sterno-cléido-mastoïdien, bonnes contractions à 150 di-
visions. 9
Le muscle deltoïde de chaque côté, ne se contracte même pas à l'excitation
maxima (nous avons vu que l'atrophie de ce muscle est considérable).
Les pectoraux, contractions très faibles à 250 divisions.
Le triceps brachial, contrations à peine visibles à l'excitation maxima.
Le biceps brachial, le long supinateur, les extenseurs et les fléchisseurs de
l'avant-bras, et les interosseux, de chaque côté, contractions nulles.
Nerfs médian, radial et cubital, contractions nulles.
Muscles de la paroi abdominale, contractions nulles.
Grand dentelé, contractions assez fortes à 150 divisions, sur une ligne de 10
centimètres parallèle avec la ligne médio-axillaire.
Muscle trapèze, contractions très fortes à 150 divisions.
Les muscles de la gouttière vertébrale se contractent faiblement à 150
divisions.
Les muscles fessiers à droite ne se contractent plus, tandis qu'à gauche ils
se contractent faiblement à 900 divisions. z
Les muscles de la masse sacro-lombaire et tous les muscles des membres
inférieurs, contractions nulles.
Tous les nerfs des membres inférieurs, excités, ne provoquent plus de
contractions musculaires.
Courants galvaniques. Méthode polaire. Les mêmes électrodes.
Les muscles de la face. 8 m. A., contractions fortes NFC > PFC.
Le nerf facial (rameaux supérieurs, moyens et branche inférieure) 6 m.
A., contractions nettes NFC > PFC, sterno - cléido - mastoïdien 6 m. A.,
NFC > PFC, contractions fortes.
Le point d'Erb, 10 m. A., contractions nettes NFC > PFC.
Deltoïde, 10 m. A., contractions très faibles et seulement dans un faisceau
des fibres NFC > PFC.
Pectoral, contractions fortes 10 m. A., NFC > PFC.
Triceps brachial 10 m. A., contractions nettes NFC > PFC.
Biceps brachial, contractions nulles.
Le long supinateur, les extenseurs des doigts, les fléchisseurs des doigts,
les interosseux palmaires et dorsaux, contractions vives NFC > PFC. Pendant
l'excitation des interosseux, il se produit en même temps la réaction longi-
tudinale de Doumer, jusqu'à hauteur du bras.
Nerf médian, 10 m. A., contractions musculaires faibles.
Nerf radial, 12 m. A., contractions musculaires faibles.
DEUX FRÈRES ATTEINTS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 441
Nerf cubital, contractions nulles.
Muscles de la paroi abdominale, contractions nulles.
Grand dentelé, 8 m. A., contractions vives NFC > PFC.
Muscles de la gouttière vertébrale 10 m. A., NFC>PFC contractions fortes.
Muscles de la masse sacro-lombaire, point commun du quadriceps fémoral.
tenseur du fascia lata, vaste externe, vaste externe, vaste interne droit anté-
rieur, couturier, péronier, tibial antérieur, extenseur du gros orteil, extenseur
commun des orteils, contractions nulles. '
Muscles fessiers, 12 m. A., N.F.C. PFC, contractions fortes.
Muscles demi-tendineux, demi-membraneux, jumeaux, fléchisseurs communs
des orteils, muscles de la plante des pieds, contractions nulles.
Nerf sciatique, tibial, contractions nulles. ,
Conclusions. - Diminution quantitative de l'excitabilité électrique au cou-
rant faradique et galvanique ; il n'y a aucune altération qualitative de l'excitation
galvanique, aucune modification de la formule normale des contractions. La
disparition de la contractilité au courant faradique précède celle du courant
galvanique.
En général, on remarque que, à la face et au cou il n'existe' aucun change-
ment de l'excitabilité, tandis qu'aux membres supérieurs il existe une diminu-
tion très marquée, et aux membres inférieurs elle a disparu entièrement.
Sur la face postérieure du tronc, on constate une diminution de l'excitabilité
dans quelques muscles, une conservation même normale (muscles de la gout-
tière vertébrale, rhomboïde, grand dentelé) ; sur la face antérieure il y a di-
minution, ainsi que sur la paroi abdominale une abolition complète.
Examen DE l'excitabilité ÉLECTRIQUE DES MUSCLES ET DES NERFS,
CHEZ LE malade J. T...
Courants faradiques. - Exploration faite avec l'appareil Gaiffe-Tripier.
Méthode polaire. Mêmes électrodes que dans le cas précédent.
Muscles frontal, temporal, orbiculaire des lèvres, massétérin et nasal, con-
tractions tétaniques à 200 divisions. j
. Nerf facial, supérieur, moyen et inférieur, contractions tétaniques à 150 di-
visions.
Point d'Erb et muscle sterno-cléido-mastoïdien, contractions tétaniques à
200 divisions.
Deltoïde à 500 divisions, contractions tétaniques à droite, tandis que le
gauche à 800 divisions, donne des contractions faibles.
Pectoraux, contractions faibles à 350 divisions.
Muscles : triceps brachial, biceps, long supinateur, extenseur commun des
doigts, fléchisseur commun des doigts, interosseux, contractions nulles.
Nerfs médian, radial et cubital, contractions nulles. Grand dentelé à 400 di-
visions, contractions faibles.
Trapèze à 500 divisions, contractions fortes.
Muscles de la paroi abdominale, contractions nulles.
Muscles de la gouttière vertébrale, a 400 divisions, contractions faibles.
JYVIH ' 29
442 NoicA
Muscles de la masse sacro-lomhaire, muscles fessiers, contractions nulles
au maximum de l'excitation.
. Tous les muscles et tous les nerfs des membres inférieurs excités, ne don
nent aucune contraction muscnlaire.
Courants galvaniques : Méthode polaire. Mêmes électrodes que dans le cas
précédent.
Muscles frontal, temporal, orbiculaire des lèvres, massétérin, nasal, 7 m.
A., NEC> PFC, contractions fortes.
Nerf facial supérieur, moyen, inférieur^ m. A., NFC > PFC, contractions
fortes.
Sterno-cléido-mastoïdien, 6 m. A., NFC > PFC, contractions fortes.
Point d'Erb, 8 m. A., NFC > PFC, contractions fortes.
Deltoïde, 12 m. A., NFC > PFC, contractions moyennes, à gauche il faut
16 m. A.
Pectoraux, 8 m. A., NFC > PFC, contractions fortes.
Triceps, 14 m. A., NFC > PFC, contractions fortes.
Biceps, 15 m. A., NFC> PFC, contractions fortes.
Long supinateur, 10 m. A., NFC PFG, contractions fortes.
Extenseur commun des doigts, 10 m. A., NFC > PFC.
Fléchisseur commun des doigts, 10 m. A., NFC > PFC.
Interosseux, contractions nulles.
Nerf médian, radial et cubital, 15 m. A., NFC > PFC, contractions fortes.
Muscles de la paroi abdominale, contractions nulles.
Grand dentelé, 12 m. A., NFC > NFC, contractions fortes.
Trapèze, 10 m. A., NFC > PFC, contractions fortes.
Muscles de la gouttière vertébrale, 10 m. A., NFC > PFC, contractions
fortes.
Masse sacro-lombaire, fessiers et tous les muscles des membres inférieurs,
contractions nulles.
D'une façon générale on peut résumer : diminution quantitative, mais non
qualitative. Pour les membres inférieurs, y compris les muscles du bassin,
abolition complète de l'excitabilité électrique.
La face et le cou ont gardé une excitabilité électrique normale.
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE
CHEZ LES ENFANTS.
par
A. BROCA,
Chirurgien de l'hôpitai
des Enfants-Malades.
HERBINET,
Interne à l'hôpital
des Enfants-Malades.
Jadis les théories pathogéniques de l'hystérie, que rappelle encore suf-
fisamment l'étymologie du mot, étaient la négation même de l'hystérie
infantile aussi bien que de la masculine, et si Charles Lefois (de Pont-à-
Mousson) parla dès 1618 de ces deux variétés, il faut reconnaître que les
idées exactes sur ce sujet ne datent guère que de la dernière moitié du
siècle passé. Déjà en 1845, dans la fameuse question « de l'hystérie »
posée par l'Académie de médecine pour l'attribution du prix Civieux,
deux ouvrages remarquables, tous deux d'ailleurs couronnés, de Briquet et
de Landouzy, mentionnent de nombreux cas d'hystérie infantile. Briquet,
en 1859, insiste à nouveau sur 87 cas qu'il publie, et consacre à leur étude
nombre de pages intéressantes. Mais c'est surtout à Charcot et à ses élèves
que nous devons les plus importants travaux sur l'hystérie en général,
sur l'hystérie infantile en particulier.
Il serait certes trop long de dresser la liste des ouvrages, articles, thèses,
communications, consacrés en tous pays, tant en France qu'à l'étranger,
à l'étude de l'hystérie chez l'enfant. Bornons-nous à dire que, grâce à ces
résultats, on sait, aujourd'hui, que tous les âges y sont soumis el nous
rappellerons que Grancher a rapporté en 1888 une observation d'hystérie
chez un nourrisson de 18 mois.
Nous n'avons pas l'intention d'entrer ici dans les détails, mais avant
d'appliquer à certains diagnostics à chirurgicaux les notions maintenant
classiques sur l'hystérie infantile, quelques-unes de celles-ci doivent
être résumées ici. L'erreur serait en effet grossière, de croire que l'hys-
térie se reconnaît chez l'enfant aux nombreux stigmates qu'on trouve
chez l'adulte. Charcot, et depuis bon nombre d'auteurs, ont insisté sur
« la fragilité des stigmates hystériques chez l'enfant». Et nous devons
être avertis qu'en l'absence habituelle de ces stigmates, l'étude générale
du malade mérite de nous arrêter.
444 BROCA ET UERBINET
L'hérédité d'abord sera étudiée avec soin, car il est de règle de trouver
dans les antécédents des jeunes hystériques une tare nerveuse manifeste.
Celle-ci n'est pas toujours directement l'hystérie, mais assez souvent
d'autres névropathies : épilepsie, aliénation mentale. On admet aujour-
d'hui, d'une façon générale, qu'il suffit d'un état de dégénérescence quel-
conque pour favoriser chez les descendants l'éclosion de la névrose.
Malgré ce que nous savons sur l'hystérie mâle, on aura plus de ten-
dance, en présence d'un accident suspect, à incriminer la névrose s'il s'agit
d'une tille. Dans notre série actuelle il y a 3 garçons sur 6 cas et, chose
bizarre, pour les 3 torticolis ; mais c'est une série anormale et la plus
grande fréquence chez la fille est certaine.
Les antécédents personnels nous renseignent souvent sur un état men-
tal assez spécial où il n'est pas toujours facile de débrouiller, il est vrai,
ce qui revient à la constante versatilité psychique des enfants. Plus que
de coutume, les enfants hystériques mentent, jouent la comédie. Ils sont
fantasques, capricieux, volontaires, boudeurs, tristes, avec des périodes
d'exubérance, susceptibles à l'excès, pleureurs, gais et rieurs sans motif,
affectueux sans raison, bavards, aimant à narrer les histoires les plus in-
vraisemblables. Enfin il est assez fréquent d'apprendre que l'enfant est
ou a été sujet aux convulsions, qu'il a des terreurs nocturnes, des liallu-
cinations. Mais on ne tombera pas dans l'excès de voir de l'hystérie par-
tout, de lui attribuer toutes les convulsions de la première enfance; et
pour les réveils en sursaut, avec terreurs nocturnes, on n'oubliera pas
que souvent, chez les non hystériques, les vulgaires végétations adénoïdes
en sont cause.
On a noté bien souvent l'absence des zones d'anesthésie que l'on ren-
contre d'habitude chez l'adulte. Les zones d'hyperesthésie semblent plus
fréquentes ; la conservation ou l'absence des réflexes se rencontre à peu
près avec la même fréquence à tous les âges. Les troubles sensoriels sont
extrêmement rares.
Nous n'insisterons pas outre mesure sur l'étude de la constitution phy-
sique et psychique de l'enfant hystérique. Tous ces détails sont développés
dans la thèse récente de B. Weil. D'après cet auteur, « il existe des altéra-
tions caractérisant un ralentissement évident de la nutrition, expression
clinique de neuro-arthritisme n'étant pas d'ailleurs propre à l'hystérie
seule, mais s'observant aussi bien à l'origine d'autre névrose ».
Ce n'est point avec ces troubles vagues qu'on a l'esprit mis en éveil :
mais on les recherchera avec soin et ils permettront de rattacher à sa
véritable cause un accident spécial. Déjà par lui-même, cet accident pos-
sède une allure propre qui doit faire réfléchir le médecin, auquel le malade
et sa famille raconteront souvent une étiologie de fantaisie, prenant pour
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS 445
cause réelle une cause seulement provocatrice. Et ces caractères propres
à l'accident lui-même doivent d'autant plus être étudiés que l'hystérie
infantile est d'ordinaire mono -symptomatique et que les stigmates propre-
ment dits sont, nous le répétons, remplacés par la symptomatologie pré-
cédemment exprimée, trop imprécise pour être plus qu'un argument
corroborant.
Quels sont donc les caractères propres d'un accident hystérique ?
On a longtemps discuté sur ce point, mais on est aujourd'hui à peu
près d'accord pour admettre, selon la formule très nette de Babinski, que
les phénomènes hystériques ont deux propriétés essentielles, permettant t
un diagnostic précis :
9 Leur reproduction par suggestion chez certains sujets ;
2° Leur disparition sous l'influence exclusive de la persuasion.
Et ces deux caractères résument pour cet auteur le terrain hystérique,
qui est avant tout « capable de s'auto-suggestionner ». C'est donc le ré-
sultat thérapeutique qui doit intervenir en dernière analyse et donne la
preuve de la nature hystérique d'un symptôme.
Telles sont les règles qui doivent nous guider dans l'étude des accidents
hystériques dont le diagnostic nous intéresse : les contractures et les pa-
ralysies motrices.
Les contractures, surtout, doivent nous occuper, en raison des attitudes
vicieuses qu'elles impriment aux articulations autour desquelles elles se
produisent ; d'où une distinction parfois malaisée entre ces troubles mus-
culaires purement fonctionnels et une lésion organique de la jointure.
Les faits concernant la coxalgie sont, en ce genre, les plus connus, mais
en toutes les régions on peut en observer d'identiques, et nous relatons
ici une série de six cas, traités en quelques mois à l'hôpital des Enfants-
Malades, où la hanche n'est pas en cause. Ces cas concernent trois torti-
colis, une fausse tarsalgie, une scoliose, et enfin une paraplégie incom-
plète ressemblant par quelques côtés au mal de Pott.
Les contractures hystériques sont aujourd'hui bien connues et il n'y a
pour ainsi dire pas de muscle sur lequel on ne les ait observées. D'où,
selon leur siège, des manifestations extérieures très différentes, dont nos
observations personnelles vont, dans un instant, fournir quelques types.
Et sans doute aucun parallèle n'est à établir entre un torticolis et une
fausse coxalgie, une scoliose et un strabisme. Mais au milieu des caractères
propres à ces diverses localisations, les travaux modernes où, en France,
Charcot et ses élèves ont la meilleure part, nous conduisent à mettre en
relief quelques caractères généraux, d'autant plus utiles ici, nous le ré-
pétons, que chez l'enfant nous serons d'ordinaire réduits, ou à peu près,
à l'étude du symptôme en soi.
446 BROCA ET Illinnl;'iET
Le diagnostic sera facile lorsqu'existera cette véritable diathése de
contractures, dont Souques, dans le Manuel de médecine retrace le tableau
en nous décrivant « un état du système neuro-musculaire tel qu'une exci-
tation souvent légère provoque la contracture. On le désigne encore sous
les noms d'opportunité de contracture et de contracture latente, rien en
effet ne la traduit à l'état normal ». Mais ces faits, déjà rares chez l'adulte, z
paraissent tout à fait exceptionnels chez l'enfant, et dans les cas que nous
connaissons, un seul groupe musculaire fut atteint.
Quelle que soit cette localisation, la brusquerie, avec maximum immédiat
de la déformation, est un des caractères les plus habituels de ces contrac-
tures hystériques, mais elle n'est pas absolue, et la scoliose dont nous
relatons l'histoire s'est installée assez lentement.
Un autre élément important de diagnostic est fourni par l'existence
d'une cause occasionnelle, variable sans doute, mais remarquable par sa
disproportion avec le résultat produit. La netteté est grande si l'origine
du mal est rapportée à une frayeur, une émotion, une colère, une hallu-
cination, une attaque convulsive; elle est au premier abord moindre si
la difformité est consécutive à une chute, à un trauma. Or ces provoca-
tions traumatiques sont les plus fréquentes, mais le fait commun aux
diverses observations, aux nôtres en particulier, est qu'il n'existe aucune
relation entre l'intensité du coup et l'apparition ou la gravité de la con-
tracture.
Celle-ci peut suivre immédiatement la cause provocatrice, mais assez
souvent il semble que le système nerveux attende pour réagir, qu'il y ait,
comme disait Charcot, une sorte de phase de méditation. A l'idée si ré-
pandue qu'une violence extérieure peut provoquer une maladie articu-
laire succède, par auto-suggestion, la réalisation de l'apparence extérieure
de cette maladie, et l'on conçoit, dès lors, le rôle possible de la réflexion
dans cette réalisation. Quelquefois c'est la nuit qui porte conseil et le
matin au réveil l'attitude vicieuse se trouve constituée, alors que la veille
au soir aucun phénomène ne permettait de prédire pareil événement. Il
est vraisemblable qu'en pareille circonstance, le rêve, qui est la vie
psychique dans ce qu'elle a de plus pur, est la seule cause provocatrice.
Roux (obs. II) a rapporté le cas d'un torticolis hystérique à répétition
dont la cause était très nettement le rêve.
Mais pourquoi, dira-t-on, tel muscle entre-t-il en contracture ? Le
trauma a-t-il déterminé des lésions, des fibres musculaires ont-elles été
rompues, y a-t-il des rétractions fibre-tendineuses ? Charcot et ses élèves
ont répondu à cette question en niant toute altération organique de la
fibre musculaire. Et ce fait vient corroborer la notion d'étiologie, à savoir
que le trauma n'est pas nécessaire : quand il existe, il agit simplement
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS 447
comme cause psychique, il joue tout simplement le rôle de provocation,
d'excitation sur ce terrain « d'opportunité de contracture ».
Les sensations subjectives concomitantes sont fort variables. La contrac-
ture hystérique peut s'accompagner de grandes souffrances. C'est là un fait
assez rare, et cependant deux de nos malades atteints de torticolis présen-
taient de la douleur, spontanée et surtout provoquée par les tentatives de
mouvement. Le même fait est noté dans assez bon nombre de coxalgies
hystériques. Mais, d'une façon générale, on peut dire que c'est moins la
douleur qui amène le malade à la consultation du médecin que l'atti-
tude vicieuse, résultat de la contracture. Celle-ci est presque indolore
et nous avons alors un bon élément de diagnostic, car une lésion ostéo-
articulaire ne provoque en somme de contracture semblable, rapide et in-
tense, que pour parer par immobilisation complète à une douleur vive.
Un autre fait d'observation banale, est l'exagération de la contracture
pendant l'examen du malade. Plus on attire l'attention du sujet sur sa
déformation, plus elle s'accentue ; plus on cherche à la redresser, et plus
les muscles se raidissent, plus le sujet se plaint de souffrir. Par contre,
on peut assister à son atténuation ou même à une disparition passagère,
quand le sujet songe à autre chose. Le sommeil, sous l'influence d'un
anesthésique quelconque, produit de merveilleux effets : la contracture dis-
paraît comme par enchantement, l'articulation retrouve tous ses mouve-
ments sans qu'on ait à lutter contre les masses musculaires redevenues
souples. Cette disparition est souvent éphémère, et la contracture revient
au réveil, à moins qu'avant l'anesthésie on n'ait suggéré au malade qu'elle
doit être définitivement curative, comme Lannelongue l'a fait pour une
scoliose. Le sommeil naturel a parfois semblable conséquence : c'est un
fait rare, que nous avons eu l'occasion de constater dans l'observation II. La
mère fut très explicite à ce sujet; la tête de l'enfant, tout à fait droite
pendant la nuit, ne se déviait que le matin au réveil. Quant le fait est
observé, le diagnostic est de toute évidence.
Un dernier point doit être signalé : l'incohérence possible dans le grou-
pement des muscles paralysés. Tandis que les attitudes vicieuses consécu-
tives aux arthrites, dues à la contracture réflexe destinée à l'immobilisa-
tion instinctive, revêtent pour chaque jointure certains types bien déter-
minés, celles de l'hystérie, cette grande capricieuse, ne rentrent souvent
pas dans les formes habituelles, souvent même sont incompréhensibles,
relèvent d'associations musculaires paradoxales. Nous avons observé le
fait, en particulier, pour un de nos torticolis. Jointe au mode de début, à
la variabilité sur laquelle nous venons d'insisler,cette bizarrerie doit nous
faire soupçonner l'hystérie, nous faire rechercher les symptômes légers,
448 BROCA ET HERBINET
puisque de stigmates il n'est pas question, capables de justifier ce
diagnostic.
A l'aide de ces caractères généraux, nous serons la plupart du temps en
état de soupçonner qu'une contracture hystérique est la cause d'une atti-
tude vicieuse; à condition, bien entendu, que l'articulation correspondante
soit physiquement normale à l'inspection, à la palpation, qu'elle soit par-
tout indolente à la pression localisée. Car nous devons savoir qu'une ar-
thrite quelconque, et surtout tuberculeuse, est une cause de contracture
musculaire, et que si presque toujours on observe une période où la sim-
plelimitation des mouvements précède de loin l'attitude vicieuse, quel-
quefois cette contracture se produit brusquement ou tout au moins, qu'il
y ait eu ou non observation insuffisante au début, l'attitude vicieuse pa-
raît s'être constituée très vite. Il semble que parfois, chez un sujet hysté-
rique, un petit point d'ostéite tuberculeux épiphysaire, avec envahisse-
ment insignifiant de la synoviale, puisse provoquer, au même titre qu'un
trauma, cette contracture brusque et variable, exceptionnelle dans les
tumeurs blanches, ayant au contraire les caractères habituels de la con-
tracture hystérique.
On conçoit combien, en pareille occurrence, le chirurgien pourra être
embarrassé, car en réalité l'hystérie entre en jeu, et d'autre part la pré-
cocité de la complication est telle que nous ne trouvons pas les signes
physiques d'ordinaire évidents de la tumeur blanche à la période d'atti-
tude vicieuse. C'est alors qu'il faut chercher avec soin les moindres indi-
ces : dans l'anamnèse, un peu de gêne fonctionnelle, de maladresse, avant
la déviation brusque; dans l'état local, un peu d'adénopathie, d'atrophie
musculaire, et surtout une douleur fixe, à la pression localisée, sur une
extrémité osseuse, sur un cul-de-sac accessible de la synoviale. Et le fait
capital est la fixité de cette douleur : en lisant nos observations, on verra
que tous nos malades semblaient souffrir à la manipulation de leur join-
ture, mais en des points variables d'un moment à l'autre, et ne corres-
pondant point, en outre, à quelque chose d'anatomiquement déterminé ;
aussi ayons-nous pu conclure qu'en réalité l'articulation elle-même, os et
synqvialq, était en réalité indolente.
Cette remarque s'applique à toutes les localisations de la contracture hys-
térique,quelle que soit l'attitude vicieuse imprimée par elle, quelle que soit
l'articulation déviée. Quant aux particularités diagnostiques propres à cha-
que région, et même à chaque cas, on ne peut s'en rendre compte par
l'étude individuelle des observations.
Cas. I. Contracture hystéro-traumatigue du pied en talus valgus.
Jeanne V ? 13 ans 1/2, blanchisseuse, entre à l'hôpital des Enfants-Mala-
des (salle Bilgrain, n 16 bis), le 27 septembre 490 ?
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS 449
Elle raconte qu'il y a un mois elle s'est fait une entorse par adduction,
traitée par 8 jours de repos. Mais depuis, elle a continué à se fatiguer, à souf-
frir pendant la marche, à ne pas pouvoir, dit-elle, appuyer le pied par terre
avec régularité.
En entrant dans la salle de consultation, elle marche avec peine, le pied
gauche fléchi, n'appuyant que sur le talon, ayant l'air de souffrir, escamotant
le pas sur ce membre. Sur l'enfant couchée, nous voyons un pied plat, légère-
ment valgus, immobilisé à angle droit sur la jambe. Les saillies tendineuses
des muscles contracturés forment corde autour de l'articulation, surtout en
avant et derrière la malléole externe. Mais à l'inspection, à la palpation, rien
ne paraît gonflé, tout est souple.
L'enfant se plaint de douleurs spontanées « dans les os » et en effet au pre-
mier abord la pression sur le pied paraît mal supportée. Mais un examen un
peu circonstancié démontre qu'il n'en est rien. Elle se plaint de la pression
localisée en des endroits dépourvus de toute fixité, ne répondant, en outre, à
rien d'anatomiquement déterminé. A un moment donné, par exemple, ce fut
sur le bord externe du pied, à un autre sur le bas du tibia, et cette fois, de
pression en pression, on remonta le long de la face interne de la jambe, jus-
qu'au genou, l'enfant continuant à signaler des douleurs auxquelles nous
eûmes l'air de compatir ; mais quelques secondes plus tard, les mêmes points
étaient indolents, et d'autres éphémèrement sensibles.
Il n'existe aucun des stigmates somatiques classiques de l'hystérie : la
sensibilité cutanée est partout normale, les sens spéciaux probablement de
même, car si l'olfaction paraît obtuse, des végétations adénoïdes en semblent
la cause véritable ; la sensibilité de la muqueuse pharyngienne est, peut-être,
un peu émoussée, mais avec trop peu de netteté pour que ce soit probant.
De même, pour un léger degré d'hyperesthésie à la pression sur la région
ovarienne droite.
Le père est mort de cause inconnue, la mère souffre de « crises nerveu-
ses » ; une soeur est morte de méningite tuberculeuse. Quant à notre malade
elle-même, nous paraissons être en face de sa première manifestation hysté-
rique.
Nous pensons à l'hystérie et nous hospitalisons l'enfant, en lui déclarant
qu'elle allait guérir très vite, par un ou deux massages, et dès le lendemain
matin la suggestion avait porté ses fruits : la malade marchait sans boiter,
sans souffrir, en appuyant bien à plat sur le sol la plante d'un pied redevenu
souple.
Exeat, le 30 septembre.
Les motifs de notre diagnostic sont faciles à déduire de l'observation
ci-dessus.Quand nous vîmes l'enfant déchaussée, s'avancer en n'appuyant
que sur le talon, notre impression première fut en faveur d'une tuber-
culose de l'avant-pied : un enfant n'a pas le droit de boiter encore un
mois après une entorse.
450 BROCA ET HERBINET
Mais sitôt que, la patiente assise, nous pûmes voir le pied de près, le
palper, cette impression changea, car il n'y avait aucun point gonflé,
d'apparence malade, il ce point qu'une contracture intense immobilisait
le pied en talus-valgus très accentué. Etait-ce donc l'habituelle tarsalgie,
à laquelle avait droit cette jeune blanchisseuse et telle qu'on la rencontre,
parfois, déterminée par l'entorse d'un pied plat jusqu'alors toléré ? L'idée
nous traversa l'esprit, quoique nous n'ayons jamais encore rencontré de
tarsalgie, même invétérée, où la contracture fût suffisante pour rendre
exclusif l'appui sur le talon. Ce fut alors la variabilité des points doulou-
reux à la pression qui, jointe à l'absence de tout signe appréciable en
dehors de la contracture, nous fit diagnostiquer l'hystérie. Nous allons
retrouver chez nos autres malades ce signe, plus important que chez l'a-
dulte peut-être, car celui-ci est plus capable de fixer son attention, d'ac-
cuser toujours la douleur aux mêmes points.
La preuve thérapeutique rend notre diagnostic certain : sans elle nous
fussions restés embarrassés, quoique nous sachions que l'hystérie de l'en-
fant a l'habitude d'être mono-symptomatique, comme si les troubles per-
manents que nous trouvons chez l'adulte se constituaient à partir du pre-
mier accident, en sorte que celui-ci doit, en général, être reconnu d'après
sa physionomie propre, indépendamment des secours plus tard fournis
par l'examen des autres organes. Nous sommes donc autorisés à affirmer
une attitude vicieuse hystérique occasionnée par une entorse externe,
avec torsion du pied en dedans, d'où une contracture en talus-valgus,
tout à fait comparable à la coxalgie hystérique pour laquelle, dès le début
du siècle dernier, Brodienousa enseigné le pouvoir déterminant des con-
tusions et entorses.
Quelle fut exactement la chronologie de la contracture consécutive à
l'entorse ? Notre fillette est incapable de nous renseigner avec précision,
et sa mère pas davantage. Or, dans ces conditions, avons-nous dit, deux
cas sont possibles : ou bien la contracture est immédiate, ou bien elle se
constitue tout d'un coup ou à peu près après quelques jours de
« méditation », comme disait Charcot, et les cas de cette deuxième caté-
gorie sont évidemment ceux qui troublent le plus le clinicien. Nous allons
en trouver un parmi les observations de torticolis qui vont suivre, et
où les trois fois un trauma fut la cause seconde.
OBS. II. Torticolis hystéro-traumatique.
Guy U ? 13 ans 1/2, vient à la consultation de chirurgie le 20 février 1904,
pour une attitude vicieuse de la tête sur le tronc.
L'histoire de l'enfant, très simple, nous est nettement racontée par la mère.
La déformation actuelle, nous dit-elle, date de la veille. Son enfant jouait avec
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS 451
des camarades quand, à un moment donné, dans une mêlée il fut pris par la
tête et tiré violemment de côté et légèrement en arrière. partir de ce moment,
il eut la tête penchée sur l'épaule droite, avec impossibilité de la mettre dans
la rectitude. Toute tentative de mouvement devient très douloureuse.
L'anamnèse de l'enfant ne présente guère de particularité. Son père est mort
de congestion célébrale, il était, parait-il, très nerveux, sans attaques toutefois ;
la mère est bien portante, elle est d'un caractère très impressionnable, pleure et
rit facilement, mais ne présente pas à vrai dire de stigmates hystériques. Pas
d'autre enfant. Aucun antécédent personnel : on apprend qu'il est né à terme,
accouchement normal, présentation par le sommet, nourri au sein maternel,
dentition facile, a marché à 12 mois, aucune maladie dans sa première en-
fance. A4 ans 1/2, fièvre typhoïde grave, soigné à l'hôpital des Enfants-Malades,
salle Bouchut. Dans la convalescence, rougeole et coqueluche qui ont guéri
sans complication. '
Depuis cette époque, bonne santé générale.
A l'examen, '^on constate que la tête est inclinée fortement sur l'épaule droite,
l'oreille droite presque au contact de la saillie acromiale ; entre les deux, il est
à peine possible de passer le doigt. Légère rotation de la face du côté où la
tête est fléchie ; pas d'extension de la tête. L'épaule droite ne présente rien d'a-
normal ; elle paraît cependant un peu plus élevée que la gauche.
En arrière la constatation est la même, la colonne cervicale est inclinée for-
tement à droite.
A la palpation, on constate que les musclesdu cou, à droite, sont durs, ten-
dus, en particulier le chef claviculaire du sterno-cléido-mastoïdien et le trapèze
qui font une forte saillie, mais ils ne sont nullement douloureux ; on ne
trouve à leur niveau ni hématome, ni ecchymose. Les apophyses épineuses ne
sont nullement douloureuses, ni anormales comme volume. Les apophyses
transverses, étant donnée l'inclinaison à droite, sont plus saillantes que norma-
lement, et au niveau des 3', 4e, 5a vertèbres, la pression forte réveille de la
douleur. L'examen du pharynx ne permet aucune constatation ni à la vue, ni
au toucher. Aucune trace également d'adénite cervicale, soit aiguë, soit chro-
nique.
Si l'on vient à imprimer des mouvements de la tête sur le cou, la douleur
est intense, et on note la raideur plus accentuée des muscles de droite, qui s'op-
posent par leur contracture à tout redressement. Dans l'attitude acquise, les
mouvements de rotation peuvent être associés, et sont presque rendus possi-
bles quand on exagère la flexion ; mais tout essai d'extension de la tête reste
absolument infructueux, et ne réussit qu'il réveiller de grandes douleurs.
L'enfant avale facilement et sans aucune douleur toute espèce d'aliments.
mais il a grand'peine à boire, les mouvements qu'il tente de faire pour relever
la tête étant extrêmement douloureux.
En somme, nous nous trouvons en présence d'une attitude vicieuse par con-
tracture musculaire à début brusque, qu'aucune lésion antérieure ne permet
d'expliquer, qu'aucune lésion organique traumatique ne peut légitimer, puis-
452 BROCA ET HERBINET
que la radiographie faite le jour même est absolument négative, et pensons
dès lors à un torticolis par contracture hystérique.
L'interrogatoire et l'examen faits au point de vue hystérique ne donnent
que peu de renseignements. On apprend seulement par la mère que l'enfant
est très turbulent, joueur à l'excès, irascible, qu'il rêve fréquemement et à
haute voix, qu'il a eu à deux reprises différentes des convulsions dans son
enfance. Au point de vue sensibilité, on note une diminution notable du
réflexe pharyngé, mais pas son abolition, aucun stigmate sensoriel, quelques
points d'hyperesthtésie assez marqués.
Malgré cette pauvreté désignes névropathiques, on n'en persiste pas moins
à porter le diagnostic de contracture hystérique, que le traitement d'ailleurs va
guérir rapidement en confirmant l'hypothèse.
On agit par suggestion, on persuade à l'enfant qu'on l'admet à l'hôpital pour
le guérir par un moyen certain. Le jour même, on le met à l'extension continue
avec contre-extension aux membres inférieurs. Le lendemain l'appareil est en-
levé, la tête est absolument droite, les masses musculaires sont souples, l'en-
fant ne ressent plus la moindre gêne, et il sort complètement guéri.
Revu en avril 1905. Cou normal. Hystérique évident, ayant eu depuis, à
la suite d'une réprimande, une crise convulsive nette à l'atelier où il est ap-
prenti, a simulé une attaque de cambrioleurs, avec coups de couteau à l'appui.
Uns. III. Torticolis hysté1'o-tmumatique.
Amédée S..., 10 ans 1/2, est amené à la consultation du Dr Broca]le 25 juin
1904 pour une raideur du cou avec inclinaison de la tête sur l'épaule droite.
Comme antécédents héréditaires, on note que le père est en excellente santé,
que la mère, quoique bien portante, souffre souvent de migraines atroces qui
l'empêchent, dit-elle, de voir clair, elle est d'une humeur assez irritable, elle
a eu durant deux ans, à la suite de son accouchement, des crises de nerfs ;
jamais elle n'a perdu connaissance.
Rien de particulier dans les antécédents collatéraux.
Pas d'autre enfant.
Comme antécédents personnels, on apprend que l'enfant est né à terme d'un
accouchement normal en présentation du sommet. Il fut élevé au sein ma-
ternel jusqu'à 5 mois, puis l'allaitement eut lieu au biberon : première dent à
7 mois, il commença à marcher r1 16 mois ; ce retard n'est pas expliqué. L'en-
fant a dès son enfance présenté à plusieurs reprises des convulsions, au moin-
dre malaise, à l'apparition de chaque dent. Il fut très délicat dans les premiè-
res années, toussait fréquemment, il était pris de gros rhume, dit la mère, au
moindre froid. A 3 ans il eut une pneumonie double qui dura plus d'un mois ;
à 4 ans, coqueluche grave avec quintes très nombreuses, qui a persisté au moins
6 mois.
A partir de cet âge, bonne santé générale. L'enfant avait bon appétit, il
n'était plus sujet à la toux, et aujourd'hui son développement peut être consi-
déré comme normal.
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS 453
La maladie actuelle remonte à 4 semaines environ. A cette époque l'en-
fant, à la suite d'un faux mouvement, est tombé d'une voiture, et ce furent
la tête et la région du cou qui portèrent sur le sol. Il présente de ce fait plu-
sieurs égratignures au niveau du front, et une plaie un peu plus sérieuse au
nez.
Aussitôt l'accident, il fut transporté chez lui et y fut soigné par un médecin.
Il se plaignait simplement des endroits traumatisés qui furent pansés. Ce n'est
que trois jours après l'accident, alors que les petites plaies étaient en voie de
cicatrisation, alors que toute complication paraissait devoir être écartée, que la
tête s'inclina du côté droit, avec légère rotation de la face du côté opposé.L'atti-
tude vicieuse, sous l'aspect classique du torticolis sterno-mastoïdien, était dès
lors constituée. L'enfant ne pouvait plus faire un seul mouvement de la tête
sans ressentir de grandes douleurs ; il semblait même immobilisé quant à la par-
tie supérieure du tronc. Les mouvements de mastication et de déglutition
n'étaient nullement gênés, aucune douleur au niveau du pharynx ; la douleur
siégeait seulement dans le cou, toujours à l'occasion de tentatives de mouve-
ment.
La mère nous apprend en outre que la nuit la déformation semblait disparue,
tant la tête pendant le sommeil était droite par rapport au tronc ; elle ajoute
qu'au réveil de l'enfant la tête est certainement moins inclinée, ce n'est que
quelques instants après que la difformité atteint son degré ordinaire.
Au début, on pensa au torticolis rhumatismal, et on essaya pendant plus de
15 jours du massage et des frictions avec toute espèce d'excitants sans aucun
résultat.-
C'est dans de telles conditions que l'enfant nous est présenté. A la vue, at-
titude très prononcée de torticolis sterno-mastoïdien, inclinaison de la tête et
du cou à droite avec rotation de la face du côté opposé et légèrement en haut.
La palpation montre de ce côté droit que le muscle sterno-cléido-mastoïdien
et le chef occipital du trapèze sont durs, formant une masse saillante. On ne
réveille aucune douleur à ce niveau. Les apophyses épineuses de la colonne
cervicale ne présentent aucune anomalie, les apophyses transverses saillan-
tes du côté gauche sont légèrement douloureuses.
Toute tentative de mouvement est particulièrement douloureuse et semble
augmenter encore la contracture des masses musculaires. Les mouvements de
flexion exagérée sont possibles, ceux de rotation et d'extension ne peuvent
s'exécuter.
La région supérieure du cou ne présente aucune particularité.
Le toucher pharyngien ne décèle aucune saillie osseuse anormale, et est
d'autant plus facile qu'on peut à loisir promener son doigt contre la paroi posté-
rieure de t'arrière-bouche sans provoquer de réflexe. Celui-ci est nettement
aboli, et l'expérience répétée plusieurs fois de suite donne toujours le même
résultat ; il y anesthésie complète de la muqueuse pharyngienne.
Cette'simple constatation peut avoir uue importance réelle. Sur l'état pychi-
que du malade on apprend que l'enfant est d'une intelligence moyenne, qu'il
est capricieux, et comme fils unique, énormément gâté, il est d'un caractère
454 BROCA ET HERBINET
emporté, quoiqu'assez doux habituellement. Il paraît aimer beaucoup sa mère,
il est très caressant, dit-elle, parfois même d'une susceptibilité excessive, il
lui arrive souvent de pleurer. La recherche de stigmates hystériques reste
peu fructueuse. Les réflexes sont normaux, le cornéen en particulier, aucune
zone d'anesthésie, seuls quelques points d'hyperesthésie très marqués au ni-
veau de la région occipitale. La pression des testicules est particulièrement
douloureuse. Aucun signe sensoriel.
Devant une telle évolution, on n'hésite pas à porter le diagnostic de tortico-
lis par contracture hystérique, et on soumet l'enfant à un traitement appro-
prié. On agit surtout par suggestion, en le persuadant qu'il sera guéri le len-
demain même. On le met pour cela à l'extension et à la contre-extension
continue avec poids à la tête et contre-poids aux deux membres inférieurs.
Le lendemain à la visite du matin, on interroge l'enfant, l'on apprend que
l'appareil. est très bien supporté; qu'aucune douleur n'existe plus, l'enfant
ajoute même qu'il lui semble pouvoir tourner la tête. Deux jours après seule-
ment l'appareil est enlevé, la tête est parfaitement droite, le cou est souple,
les muscles apparaissent absolument normaux et l'enfantquitte l'hôpital le2 juil-
let 1904, complètement guéri.
A la fin du mois, il vient à la consultation pour la même déformation. Il pré-
sente à nouveau un torticolis par contracture hystérique du côté droit, à la
suite d'une nouvelle chute insignifiante. Même traitement, disparition de la
déformation le jour même.
Revu en avril 1905. Aucun accident local ou général.
Cas. IV.- Torticolis hysléro -tmumatiq lie.
Eugène F..., âgé de 7 ans 1/2, vient à l'hôpital pour un torticolis qui date
de la veille.
Antécédents héréditaires. - Père bien portant, légèrement alcoolique, mère
morte de tuberculose pulmonaire ; pas d'autre enfant.
Antécédents personnels. Les antécédents personnels sont inconnus; la
belle-mère qui l'accompagne ne peut donner aucun renseignement sur l'en-
fance du malade.
Depuis l'âge de 4 ans, pas de maladie. Les seules manifestations morbides
qu'il ait présentées sont des attaques de nerfs avec perte de connaissance et
chute. Pas de morsure de langue, pas d'émission d'urine, l'enfant, paraît-il, se
débat, il a de l'écume aux lèvres. Ces crises ont été au nombre de deux, la
première à l'âge de 6 ans sans cause apparente, la deuxième survient un mois
après sans étiologie évidente. Chacune d'elles dura environ 5 minutes ; après
quoi l'enfant recouvra la connaissance et, accablé de fatigue, il s'endormit
bientôt d'un profond sommeil.
La maladie actuelle remonte à trois jours. Il jouissait alors d'une bonne sauté
générale quand il fit une chute dans l'escalier de l'école. Sa tête et ses épaules
portèrent sur le sol. Il rentra à la maison sans présenter aucune lésion appa-
rente. Son épaule seule était légèrement douloureuse.Il dîna comme d'habitude,
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS 455
et les parents furent tout surpris la nuit d'être réveillés par les cris de l'enfant.
Celui-ci se plaignait horriblement du cou et de l'épaule.
Le lendemain, on s'apercevait que la tête était inclinée sur l'épaule droite,
les douleurs paraissaient toujours aussi vives, ce qui détermina une visite à
la consultation externe de l'hôpital Cochin. Là on mit un enveloppement
ouaté autour du cou et on conseilla le repos absolu au lit. Le traitement fut
suivi sans grande amélioration, les douleurs étaient sensiblement aussi fortes,
la tête restait inclinée sur l'épaule.
Le lendemain matin, nouvelle visite à Cochin, et de là on envoya l'enfant à
l'hôpital des Enfants-Malades ; il fut reçu salle llfolland.
A'l'examen, on constate un torticolis type, avec tète inclinée fortement sur
l'épaule droite, l'oreille touchant presque l'acromion, la face tournée du côté
opposé.
A la palpation, on sent le muscle sterno-cléido-mastoïdien tendu, contracture,
nullement douloureux.
Aucune saillie osseuse anormale, aucun ganglion enflammé.
A l'examen de la bouche,on constate des amygdales volumineuses, mais non
enflammées, le toucher pharyngien est indolent, et ne donne aucune sensation
particulière. Le réflexe pharyngien est émoussé.
Les monvements spontanés sont nuls, les mouvements provoqués déterminent
de grandes douleurs,et d'ailleurs toute tentative pour redresser la tête reste
vaine, on arrive seulement dans ces essais à tendre davantage la corde que
forme le muscle sterno-mastoïdien. Les mouvements de déglutition sont nor-
maux. Aucun phénomène général, température 37° 2, pouls 92.
La recherche de stigmates hystériques est négative,pas de signes d'anesthé-
sie, ni d'hyperesthésie, aucun signe sensoriel.
Malgré tout on porte le diagnostic de torticolis hystéro-traumatique. On sou-
met l'enfant l'extension et à la contre-extension. Cet appareil semble causer
de grandes douleurs au sujet qui se lamente horriblement.
Le lendemain mercredi les douleurs ont disparu.
Le jeudi 12 l'appareil est enlevé, la tête est tout à fait droite ; aucune trace
de contracture, plus de douleurs, l'enfant quitte l'hôpital le même jour.
Revu en avril 1905. Aucun accident local ou général.
Dans ces trois cas, un seul coup d'oeil permettait de juger l'attitude
vicieuse. Il y avait nettement torticolis, différent il est vrai, au point de
vue des muscles intéressés. Dans le leur cas, la position de la tête inclinée
simplement sur l'épaule avec rotation du même côté, indiquait une con-
tracture complexe, expliquée par ce fait que la tète a été comme figée dans
une attitude qu'on lui a imprimée. Aussi bien la déviation fut-elle alors
immédiate comme elle le fut chez une fille dont de Paoli nous a raconté
l'histoire : comme elle se tenait mal en classe, accoudée, la tête appuyée
entre les mains, sa maîtresse, lasse de remontrances inutiles, lui donna
456 BROCA ET IIEITBINET
une petite tape sur la nuque et fut stupéfaite de voir la tête s'immobiliser
en flexion, le menton touchant le sternum.
Dans nos 2e et 3e cas, le temps de « méditation » fut observé et nous
fûmes en présence d'un torticolis par contracture isolée du sterno-cléido-
mastoïdien.
Quoi qu'il en fût de ces deux modalités, il fallait se demander la cause
de ce torticolis.
Etait-il d'ordre réflexe, y avait-il une lésion quelconque de voisinage
pouvant lui donner naissance ? Le début brusque suivant immédiatement
le trauma dans l'observation II, apparaissait le lendemain dans l'observa-
tion IV, 3 jours après (obs. II), permettait d'emblée d'éliminer toute affec-
tion chronique ou même toute affection à début lent. On éliminait ainsi
toute arthrite cervicale, toute lésion pharyngienne, toute adénite cervicale.
Pouvait-on penser dans la 1" observation, à cause de la brusquerie du
début, qui suivit immédiatement le trauma, à une lésion de la colonne
vertébrale, luxation, entorse ? Tout cela n'était guère probable a priori, et
bientôt, l'examen du squelette, le toucher pharyngien, venaient réduire à
néant pareille hypothèse. La radiographie en outre, faite aussitôt, et
négative, fut un dernier complément d'investigation. Pouvait-il s'agir
d'un torticolis essentiel, rhumatismal, a frigorie ? Pas davantage, étant
donné le début brusque, à la suite d'un traumatisme dans les trois cas.
Cependant il faut savoir que certaines arthrites rhumatismales des ver-
tèbres cervicales s'accompagnent ainsi d'un torticolis lorsque, à l'occasion
d'un mouvement brusque, s'éveille une douleur vive et subite dans une
articulation jusque-là peu endolorie.
Mais alors cette articulation répond sur les masses latérales à un point
bien précis, très douloureux à la pression. Chez nos malades, rien de
semblable.
Etait-ce donc que le trauma, quoique léger, avait causé une rupture
musculaire interstitielle, ou tout au moins une contusion, un froissement ?
Mais nous aurions constaté, ne fût-ce qu'à un degré léger, une douleur
et une tuméfaction nettement localisées à l'endroit lésé, et d'ailleurs ces
lésions ne sauraient provoquer une contracture aussi prononcée des mus-
cles atteints. Ici, au contraire, pas de douleur au niveau des membres
musculaires, seule une contracture immobilisant la tête dans la position
de torticolis et rendant toute tentative de mouvements douloureuse et
presque impossible. Le phénomène essentiel était donc la contracture
localisée, deux fois au sterno-mastoïdien, une fois dans un groupement
musculaire insolite, paradoxal ; aucune lésion nerveuse centrale ou péri-
phérique ne permettait d'expliquer ce trouble fonctionnel, et dès lors
d'après la cause, le mode de début, on était amené à songer à l'hystérie.
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS 457
Nos observations concernent une des formes du torticolis hystérique,
le torticolis par contracture. Ce n'est pas la seule, et il peut se produire
avec la même étiologie un torticolis paralytique. La différence n'est pas
d'importance majeure, puisque le traitement, où la suggestion joue le
rôle principal, n'en sera pas modifié. Le diagnostic n'offre pas grande
difficulté, car dans le torticolis paralytique la tête se dévie du côté du
muscle sain, et le redressement se fait à la main, sans aucune résistance,
mais dès qu'on cesse d'appuyer, la tête retombe en position vicieuse.
Telles sont les principales considérations cliniques auxquelles prête le
torticolis hystériqne. Il est tout à fait naturel que des déviations rachi-
diennes de même ordre puissent se produire dans la seconde région où la
colonne vertébrale possède une mobilité de quelque étendue : la région
lombaire. D'où résulte un tableau symptomatique spécial, celui de la
scoliose hystérique, dont nous avons eu sous les yeux un exemple intéres-
sant au début de l'année et dont nous n'avons voulu publier l'histoire
qu'après plusieurs mois d'observation, ce qui rend le diagnostic certain.
Ol3s. V. Scoliose hystél'o-tmumatique.
Marguerite P..., 12 ans 1/2, est amenée à la consultation le 22 février 1904
pour une déformation de la colonne vertébrale.
Les antécédents héréditaires nous apprennent que le père est bien portant,
que la mère est morte d'accident ; elle avait paraît-il, craché à plusieurs
reprises du sang, elle était sujette aux bronchites.
Pas d'autre enfant.
Comme antécédents personnels, elle est née à terme, élevée au sein jusqu'à
22 mois, elle eut la première dent à 6 mois, commença à marcher à 11 mois.
Dans sa première enfance elle ne fit aucune maladie, ce fut toujours un en-
fant superbe, nous dit la grand'mère. A 3 ans 1/2 angine légère, à 4 ans rou-
geole simple sans complication. Depuis cette époque, santé excellente, l'enfant
n'est pas sujette aux rhumes l'hiver, elle ne tousse jamais. Elle fut toujours,
nous dit-ou, grande et forte. D'ailleurs actuellement l'enfant est plutôt forte
pour son âge : sa taille, ses hanches, sa poitrine dénotent un développement
remarquablement avancé, l'enfant est réglée depuis le mois de janvier 1903.
La maladie actuelle remonte au mois de janvier 190. L'enfant était en pen-
sion depuis le mois d'octobre précédent et avait toujours joui d'une parfaite
santé, quand le samedi 2 janvier elle dit avoir fait une chute, an dortoir : elle
arrivait à son lit sans aucune précipitation, lorsqu'elle glissa sur le parquet
et tomba. Sa hanche gauche et son côté gauche portèrent sur le parquet.
Aussitôt, elle se releva seule, au milieu des rires qu'avait excités chez ses
compagnes ce petit accident.
Elle se coucha sans ressentir le moindre malaise, et dormit comme d'habi-
tude. Le lendemain, dimanche, elle était agile comme d'ordinaire sans être gênée
le moins du monde, toutefois le soir, saus aucune fatigue préalable, elle se
\vm 30
458 BROCA ET HERBINET
plaignit d'une légère douleur au niveau de la hanche et du genou gauches. Ces
phénomènes douloureux étaient si légers qu'ils permettaient à l'enfant de pren-
dre part à ses jeux comme auparavant, ils continuèrent ainsi pendant quelques
jours sans plus d'intensité. Ce n'est qu'au 5e jour, pendant la promenade,
après une marche de 4 kilomètres environ, que l'enfant se plaignit de sa han-
che et qu'elle dut revenir à la pension en s'appuyantj sur une camarade. Elle
boitait légèrement et déjà à ce moment l'enfant affirme d'une façon précise,
qu'elle penchait son corps du côté droit. Les douleurs n'ont jamais été plus
fortes, l'enfant, malgré sa boiterie et son attitude hanchée, continuait à agir
comme d'habitude. Elle a quitté seulement la pension le 30 janvier. A cette
époque l'attitude vicieuse était le phénomène capital qui inquiétait à juste titre
les parents, et ceux-ci voulurent faire soigner leur enfant chez eux. Jusque-là,
on avait frictionné légèrement la colonne vertébrale avec de l'acool camphré. Un
médecin consulté sur ces entrefaites avait émis l'hypothèse d'un mal de Pott
au début, et avait institué un traitement général avec repos complet au lit. Mais
claudication et surtout déviation de la colonne vertébrale ne se sont nullement
améliorées sous l'influence du traitement et c'est dans de telles conditions que
l'enfant est amenée par sa grand'mère à la consultation de l'hôpital des En-
fants-Malades le 22 février 190 ? plus d'un mois après le début des accidents.
L'enfant est grande, forte, ne paraît avoir aucunement maigri, ses muscles s
sont'fermes, la peau ne se laisse pas plisser, l'état général est excellent, d'ailleurs
l'appétit n'a, paraît-il, jamais changé, il n'y a jamais eu la moindre fièvre dans
toute l'évolution de la maladie.
La fille étant toute nue debout devant nous, vue de dos, une scoliose lom-
baire très considérable apparaît., A droite, une véritable cassure existe au
tronc entre les côtes et le bassin, et le sommet de cet angle, marqué par un
gros plis cutané, est séparé du bras pendant le long du corps, par un espace
où logent transversalement trois doigts. La hanche gauche est saillante et
beaucoup- plus élevée que la droite, et le membre correspondant, de configu-
ration extérieure normale à part cela, n'appuye sur le sol que par la pointe du
pied. Au-dessus de la courbure lombaire se dessine, mais légère, une courbe
de compensation dorsale, convexe à droite, L'omoplate gauche est un peu plus
élevée que la droite, mais cela provient exclusivement d'une inclinaison en
haut et à droite du thorax, d'ailleurs très bien conformé. Aucune gibbosité
costale ou vertébrale ; il n'y a même pas une apophyse épineuse plus saillante
que ses voisines. On voit seulement qu'à gauche, côté où la hanche est élevée,
les muscles iléo-lombaires forment une masse dure, assez volumineuse ; rien
de semblable à droite, où d'ailleurs il n'y a pas non plus d'atrophie apprécia-
ble (fig. 1 et 2).
La station debout, immobile, est fatigante, peu stable. Quant à la marche
sans appui, elle est peu près impossible, très lente, traînante, et avec un
affaissement profond sur le côté gauche, analogue à celui de la luxation congé-
nitale de la hanche, mais se produisent à gauche et non à droite, côté qui se
pliait pendant la station debout. Cette marche est très gênée, mais indolente.
Vu en avant, le thorax est parfaitement symétrique, mais oblique, surtout à
attitudes vicieuses par contracture hystérique chez LES enfants 459
droite. A la palpation, aucun point douloureux sur la ligne des apophyses, ni sur
les flancs latéraux de la colonne vertébrale ; la saillie formée par les muscles
est dure et ferme, absolument indolore.
La difformité persiste, au même degré, sur la malade assise.
Faisons maintenant courber l'enfant. La déviation s'atténue, mais on constate
encore une certaine raideur de la colonne lombaire ensellée,creusée sur le flanc
droit,avec saillie plus forte de l'épine iliaque antérieure et supérieure gauche si-
tuée sur un plan plus élevé que la droite. De cette élévation résulte un raccourcis-
sement apparent du membre, mais la mensuration ne montre aucune différence à
droite et il gauche. Aucune atrophie musculaire au niveau du quadriceps, au-
cun ganglion dans l'aine, aucune douleur par pression au niveau de la hanche,
du triangle de Scarpa, du grand trochanter de la fesse ; aucune douleur ron
plns n'est éveillée à distance par pression des condyles fémoraux.
Il n'existe pas de modification osseuse. En plus, si l'on essaie de renverser
la déviation en faisant plier l'enfant, toute tentative reste vaine, et on a même
la sensation d'une résistance volontaire; toutefois,on ne provoque pas de souf-
france.
Les mouvements provoqués de l'articulation de la hanche sont absolument
normaux. De même ceux du genou. Nulle part les muscles ne sont atrophiés,
aucun n'est saillant.
Fig. 1. Avant traitement (sco-
liose hystéro-traumatique, obs. V).
Fig. 2.- Après guérison (scoliose
hystéro-traumatique, obs. V).
460 BROCA ET HERBINET
Même aspect sur l'enfant couchée à plat ventre. La difformité se corrige com-
plètement par la suspension cervicale.
Au premier abord, l'enfant ne paraît pas nerveuse. Elle rit et pleure facile-
ment, est très distraite à la pension. Sa sensibilité- est un peu émoussée par
endroits, mais très peu, le réflexe pharyngien est conservé, les autres réflexes
sont normaux, aucun stigmate sensoriel. Quelques points très nets d'hyperes-
thésie au niveau de la tête, la région ovarienne est particulièrement sensible
à la pression.
Le diagnostic de scoliose névropathique est posé par élimination et le traite-
ment vient d'ailleurs confirmer cette opinion. On soumet l'enfanta l'extension
et à la contre-extension continue avec 2 kilogrammes à la tète et 2 kilogrammes
à chaque pied. Il fallut quelques jours, pendant lesquels nous fîmes appel à
des sentiments de coquetterie féminine, pour obtenir une amélioration notable
de l'attitude et de la marche. Mais si, pendant qu'agissait l'extension, le tronc
était à peu près droit, il fléchissait, quoique moins, dès que la malade se tenait
debout. Aussi, tout en parlant à haute voix, dans la salle, d'applications de
pointes de feu, et au besoin d'une opération sous chloroforme, avons-nous, au
bout de deux mois, prescrit la suspension : celle-ci, en apparence fort désa-
gréable au sujet, amenait, en effet, comme je vous l'ai dit, une correction im-
médiate, pratiquée trois fois par semaine. Après la suspension, MmeNagorska
donnait une leçon de gymnastique suédoise ; à cela nous avons joint l'hydro-
thérapie. Très vite le résultat fut que l'enfant, qui arrivait toute courbée au
gymnase, en ressortait assez ingambe ; puis, elle put rester debout une partie
de la journée, la difformité se reproduisant il est vrai au bout de quelques
heures, sous l'influence de la fatigue, d'une attention insuffisante. Enfin, après
un mois de ce traitement, soit à la fin du mois de mai, la' guérison était ob-
tenue.
L'enfant a quitté l'hôpital le 3 juin complètement guérie. En septembre, le
père a écrit une lettre de remerciements. En décembre, nous avons vérifié que
la cure se maintenait.
Les motifs pour lesquels dans cette observation le diagnostic de scoliose
hystérique est fait sont assez faciles à déduire.
La malade, disons-nous, avait été soignée pendant un mois pour mal de
Pott : le mode de début, l'état général de l'enfant, la correction de la sus-
pension s'opposaient tout à fait à cette manière de voir.
La scoliose du mal de Pott n'atteint, on peut dire jamais, une sem-
blable intensité, sauf dans certains cas très anciens, avec gros abcès iléo-
lombaires qui font contracturer le psoas, d'où inclinaison compensatrice
du bassin dans la station debout. Or il suffisait de regarder la malade,
fraiche et joufflue, pour être sûr qu'elle n'en était pas là.
L'évolution ne nous rappelle en rien l'installation lente de la scoliose
ordinaire et primitive. De plus, celle-ci, à ce degré, s'accompagne obliga-
toirement de déformations thoraciques, avec gibbosité costale en arrière
ANTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS 461
d'un côté, en avant de l'autre côté : or il sautait aux yeux, du premier
coup, que le thorax était parfaitement symétrique et parfaitement déve-
loppé. Sans le secours des rayons Rontgen, nous pouvions même affirmer
qu'il n'y avait pas d'altération de forme des vertèbres, pas de torsion du
râchis : complications inévitables de la scoliose ordinaire parvenue à ce
point.
Enfin, jamais une scoliose proprementdite, même énorme, ne trouble
ainsi la marche. Nous devions donc chercher du côté de certaines scolioses
secondaires, attitudes vicieuses où les déformations thoraciques et la tor-
sion vertébrale sont nulles, ou tout au moins tardives et légères.
Certaines scolioses avec sciatique ont une grande ressemblance objec-
tive avec l'état que nous venons de décrire : nous n'en avons jamais ren-
contré chez l'enfant, et d'autre paît, dans le cas actuel, aucun signe de
sciatique. L'absence de toute atrophie musculaire empêchait de penser
soit à une paralysie infantile, soit à une myopathie, qui, avec une sem-
blable déviation du tronc, eussent été fort avancées.
Tout cela, d'emblée, étant invraisemblable, une autre hypothèse devait
venir à l'esprit : une scoliose compensatrice par inégalité de longueur
des membres inférieurs pour corriger l'inclinaison du bassin. Quelques se-
maines auparavant nous en avions observé une,presque de même calibre-
quoique presque sans gêne fonctionnelle causée par cinq centimètres
de différence dans la longueur des membres inférieurs, mais dans ce cas
l'incurvation lombaire ne persistait pas sur l'enfant assise, alors que le
bassin,par conséquent, était horizontal. En outre, sur le sujet couché nous
trouvâmes les membres tout à fait égaux, à la mensuration aussi bien qu'à
l'oeil.
De toute notre étude clinique ressortait cette donnée générale que
l'attitude vicieuse était d'origine purement musculaire.
Cela étant, nous ne pouvions guère songer qu'à l'hystérie, d'autant'
mieux qu'elle' seule, avec ses caprices coutumiers, nous expliquait certains
faits contradictoires. Le bassin était, par élévation de la hanche gauche,
oblique en bas et à droite : et pourtant la colonne lombaire s'inclinait en
haut et à droite, avec à peine de correction dorsale inverse, aggravant,
par conséquent, le défaut d'équilibre au lieu de le compenser. Dans la
concavité, les muscles semblaient se laisser aller et non point se contrac-
turer, tandis que ceux de la convexité étaient durs, raidis pour lutter
contre la tendance à la chute sur la droite. Ceux de la convexité, au con-
traire, se raidissaient dès qu'on voulait redresser le tronc de l'enfant
couché. Cette statique était déraisonnable. Mais rien ne l'est pour l'hys-
térie.
Nous venons donc de voir que cette scoliose ne ressemble à aucune de
462 BROCA ET HERBI1VET
celles que nous avons l'habitude de rencontrer en dehors de l'hystérie, et
nous lui trouvons, au contraire, tous les caractères de la scoliose hystéri-
que, tels qu'ils résultent des descriptions qu'on lui a consacrées depuis
quelques années.
Possible dans les deux sexes et à tous les âges, la scoliose hystérique
s'observe pourtant presque toujours chez la femme et de préférence aux
environs de la puberté. Qu'elle soit ou non, ce qui dépend beaucoup de
l'âge, la première manifestation hystérique, très souvent elle s'installe
brusquement, à la suite d'un coup, d'une fatigue par exemple, mais pas tou-
jours aussitôt après ; ou bien c'est d'une influence psychique pure qu'elle
dépend. Par exemple, Mirallié (de Nantes) fut un jour consulté pour une
jeune fille atteinte de blépharospasme hystérique, et au cours de la con-
sultation on parla devant la malade des scolioses similaires parfois obser-
vées : huit jours après la taille s'inclinait à gauche, mais pour fort peu de
temps; quelques semaines plus tard eut lieu une nouvelle atteinte, du
même côté ; enfin dans un troisième accès, également passager, il survint
une scoliose droite. Dans quelques autres observations est noté un sem-
blable passage d'un côté à l'autre lors d'atteintes récidivantes.
De même souvent la cessation est brusque, au bout d'un temps et sous
des influences variables : au bout d'un an, sans cause connue, dans un
cas de Pravaz ; et c'est à la suite d'une suggestion hypnotique, qu'un
jeune garçon, soigné par J. Voisin, quitta la Salpêtrière en poussant de-
vant lui la voiture sur laquelle, depuis quatre ans, il était cloué par un
prétendu mal de Pott. Mais notre observation prouve que cette brusque-
rie initiale et terminale n'est pas constante.
D'assez nombreuses observations mentionnent des douleurs spontanées
ou à la pression sur la colonne vertébrale, ou bien, comme dans notre cas,
des irradiations névralgiques. Mais ces dernières ne sont pas régies, com-
me celles du mal de Pott, par la distribution anatomique des nerfs.
Quant aux douleurs rachidiennes, une exploration attentive les démontre
superficielles plutôt que profondes et osseuses. Chez un malade de Raymond
une pression forte et prolongée sur un point douloureux vertébral pro-
voquait infailliblement une attaque hystérique.
Mais quand ces douleurs qui sont l'exception existent, elles sont
remarquables bien souvent par leur variabilité, par leur absence de rela-
tions avec le point dévié, et surtout elles contrastent avec l'indolence
des mouvements actifs et passifs du tronc ou des membres. Car, en som-
me, les mouvements sont conservés, et l'on s'en rend facilement compte.
Que l'on cherche à redresser manuellement la courbure, et le sujet se
raidit ; mais qu'on lui fasse exécuter quelques mouvements spéciaux des
membres supérieurs, avec flexion du tronc, qu'on lui ordonne avec fer-
attitudes VICIEUSES par contracture HYSTÉRIQUE CHEZ LES enfants 463
meté de se mieux tenir, qu'on le fasse coucher sur le ventre, qu'on le
suspende surtout, et l'on voit la difformité s'atténuer, parfois même dis-
paraître.
Cette courbure est parfois énorme, souvent mal ou pas compensée, et
quelle que soit son ancienneté elle n'entraîne aucune rotation, aucune
déformation des vertèbres, aucune asymétrie du thorax, aucune gibbosité
costale.
Tel est, en raccourci, la description générale de la scoliose hystérique.
Mais plus encore que dans n'importe quelle affection, chaque malade a ses
allures originales, d'où dépend le diagnostic différentiel, ◀tantôt▶ avec un
mal de Pott, ◀tantôt▶ avec un « tour de rein », ◀tantôt▶ avec une arthrite
aiguë rhumatismale, etc. Et peut-être cette variabilité symptomatique est-
elle en relation avec celle de la pathogénie.
On discute, en effet, sur la cause première de ces scolioses hystériques,
et il est bien probable qu'elles peuvent relever de deux mécanismes diffé-
rents, comme je l'ai dit pour le torticolis : d'une contracture ou d'une
parésie ; que même ces deux causes peuvent s'associer en proportions
variables. 1
Dans bien des cas, la contracture est démontrée par la palpation des
muscles, que l'on trouve sous la main gros et durs du côté où le rachis
est concave. Dans une observation de Mendel, par exemple, où la scoliose
se corrigeait par la suspension et non par le simple décubitus, on sentait
contractures le grand dorsal et le grand rond. Divers faits analogues met-
tent hors de doute la réalité de la scoliose par contracture hystérique.
Mais il en est d'autres où l'impression générale est celle d'un affaisse-
ment plutôt que d'une raideur, où la rectitude se rétablit dès que l'enfant
est couché, où d'autre part, aucune masse musculaire n'est sentie contrac-
turée du côté concave. Cette impression est la nôtre pour notre malade
et deux hypothèses sont alors possibles : ou bien le tronc se laisse aller
pour son propre compte, ou bien il se dévie pour corriger quelque chose
d'anormal du côté du membre inférieur. , '
Il va sans dire qu'une coxalgie hystérique fixée avec quelque intensité
en flexion et adduction doit, dans la station debout, s'accompagner d'une
scoliose compensatrice, en relation avec l'inclinaison pelvienne. Et chez
notre malade, nous devons nous souvenir des douleurs initiales dans le
genou et la hanche gauches, du côté, par conséquent, où le bassin est
élevé, donc où la contracture coxo-fémorale en adduction est possible.
Mais d'abord la concavité lombaire aurait dû être du côté opposé ; de plus,
et surtout, sur l'enfant couchée la hanche était souple.
Wertheim-Salomonson donne une explication qui peut, dans certains
cas, avoir sa raison d'être : il ne s'agit pas, pour 'lui., d'une incurvation
464 BROCA ET IIERBINET
imprimée au rachis par la contracture des muscles de la concavité, mais
d'une « position hanchée hystérique » dont voici le mécanisme.
A l'état normal, l'homme debout ne se tient pas volontiers symétrique-
ment sur les deux jambes, mais bien plutôt il se met en position hanchée :
au. membre sur lequel il appuie, il élève le bassin et fait saillir la hanche,
ce qui de ce côté lui permet de se reposer, avec peu d'effort musculaire,
sur l'aponévrose dite fascia lata, dont Maissiat a bien étudié le rôle dans
le mécanisme de la station debout ; sur le membre opposé, au contraire,
le sujet se laisse aller, pliant les lombes et baissant l'épaule de ce côté.
C'est très différent de la manière dont un malade s'appuie sur le côté sain,
en s'inclinant sur lui quand il veut alléger le poids du corps sur un
membre douloureux.
L'hystérie provoquerait cette attitude hanchée, la rendrait habituelle
et considérablement exagérée, avec impossibilité de la corriger volontai-
rement.
..A l'appui de son opinion, Wertheim-Salomonson indique ce fait, noté
par .lui et par quelques autres observateurs, évident chez notre malade,
que la difformité s'aggrave après quelques instants de station debout. Et
quand notre malade fut améliorée par quelques séances de suspension et
de gymnastique, elle sortait en effet de la salle en assez bonne attitude,
mais se pliait de plus en plus à mesure qu'elle traversait la cour.
Au premier abord, cette théorie semblerait donc convenir à notre cas :
mais que devient-elle en présence de cette constatation que le rachis s'in-
curve dès que la malade s'asseoit après redressement par suspension ? Le
bassin est alors bien horizontal et il ne saurait être question d'attitude
hanchée. Nous ne contestons pas la possibilité de ce mécanisme : seu-
lement il nous paraît erroné de le généraliser et il ne s'applique pas à
notre cas particulier. Pour celui-ci, nous ne pouvons admettre qu'un mé-
lange déraisonnable, en doses impossibles à déterminer, de contracture
et de parésie musculaires : et c'est également à quoi nous pensons pour la
fausse paraplégie dont il nous reste à relater l'observation.
OBs. VI. Paraplégie hystérique.
Alice L..., 12 ans 1/2, est amenée à la consultation du Dr Broca le 21 mai
1904 pour douleurs très vives dans la région des reins et impossibilité pour
l'enfant de se tenir debout.
Pour antécédents héréditaires on note que le père est mort de tuberculose pul-
monaire,la mère est en bonne santé, elle ne paraît pas nerveuse, dit-on,elle n'a
jamais eu d'attaques de nerfs, elle était plutôt d'un tempérament calme. Elle
eut 7 enfants du même père. Deux sont morts de bacillose pulmonaire après
avoir toussé longtemps. Des cinq enfants vivants, 3 sont en bonne santé, un
autre est soigné dans un hôpital d'Angleterre depuis longtemps déjà pour une
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS 465
maladie chronique, une tuberculose osseuse ou articulaire, la grand'mère ne
sait pas au juste.
On n'a aucun renseignement sur les antécédents collatéraux.
Notre malade est née à terme, elle a été nourrie au sein maternel ; on ne peut
avoir aucun détail sur sa première enfance. Elle a vécu à Londres jusqu'à l'âge
de 7 ans et la grand'mère, qui s'occupe d'elle depuis cette époque, ne sait ab-
solument rien de ses premières années. Durant tout ce temps, elle jouit d'une
bonne santé.
Au mois de novembre 1903, elle souffrit d'une légère grippe qui dura une
huitaine de jours à peine. On la croyait guérie, elle commençait à sortir, quand
brusquement, sans cause appréciable, sans fièvre nouvelle, elle fut prise de
douleurs dans les reins et les membres inférieurs. Elles semblaient surtout
accentuées dans le membre supérieur droit, sans cependant de localisation
précise. En même temps l'enfant se plaignait de grande faiblesse dans les
reins et dans les jambes ; elle pouvait à peine se porter. Un médecin ordonna
le repos absolu au lit et l'immobilité complète. Il visita l'enfant à plusieurs
reprises, et au bout de deux mois il lui permit de se lever. Mais la marche
était presque aussi pénible qu'auparavant et les douleurs aussi fortes. Lasse
d'un traitement qui ne donnait aucun résultat, la grand'mère amena sa petite-
fille à notre consultation, six mois après le début des accidents. '
L'enfant arrive à l'hôpital portéesur les bras, incapable de marcher, mais son
aspect est superbe, elle est parfaitement développée pour son âge, son teint
est rose, aucune trace d'amaigrissement. La mine est très éveillée, les yeux
vifs, les regards extrêmement mobiles. Aux premières questions qu'on lui pose,
elle répond avec vivacité et volubilité : elle affirme la date exacte, presque
l'heure du début de sa maladie, accompagnant son récit d'une foule de petits
détails qui laissent déjà dans l'esprit un je ne sais quoi de suspect au point de
vue névropathique. « Elle se plaint, dit-elle à plusieurs reprises, de souffrir
horriblement des jambes et de ne plus pouvoir se porter. »
Sur la malade couchée, les deux membres supérieurs sont en extension,
sans différence de volume ou de longueur entre eux. Aucune atrophie muscu-
laire à la cuisse, ni à la jambe. Les mouvements provoqués sont normaux à la
hanche et indolores. Au genou, les mouvements de flexion sont rendus diffi-
ciles par une légère contraction des muscles extérieurs de la jambe : les mou-
vements spontanés sont certainement modifiés, l'enfant lève avec quelque dif-
ficulté ses jambes à quelques centimètres seulement au-dessus du plan du
lit. La pression forte au niveau des os, fémur et tibia, provoque, au dire de
la malade, de grandes douleurs, mais on s'aperçoit facilement, que les points
à un premier examen très douloureux ne tardent pas un instant après à être
complètement indolents.
Les réflexes rotuliens sont légèrement exagérés. Pas de trépidation épilep-
toïde, pas de réflexe de Babinski. L'examen de la sensibilité au niveau des
membrés supérieurs révèle quelques zones d'hyperesthésie, quelques autres
d'anesthésie complète, en particulier à la plante du pied droit; par contre,
quelques régions où la simple pression réveille dé grandes douleurs. La sen-
466 BROCA ET IIERBINET
sibilité la chaleur et au froid semble conservée, pas de retard sensible dans les
perceptions, aucun trouble des sphincters.
L'examen de la colonne vertébrale est négatif, aucune apophyse saillante et
douloureuse, d'ailleurs il n'existe aucune raideur articulaire de ce côté. Les
mouvements de la colonne lombaire et dorsale sont parfaitement normaux.
Le signe de Romberg n'existe pas. L'enfant ne s'est jamais plainte de la
vue, aucun trouble dans les mouvements du globe oculaire, aucun trouble au-
riculaire.
Les stigmates névropathiques sont recherchés avec attention. Le réflexe
pharyngien existe, quoique sensiblement diminué, le réflexe cornéen est nor-
mal. La sensibilité paraît normale sur la plus grande partie du corps, sauf,
comme nous venons de le dire, au niveau des membres inférieurs ; point d'hy-
perestbésie au niveau de la nuque, des mamelons, et surtout au niveau de la
région ovarienne. Aucun signe sensoriel. Etat psychique assez spécial : carac-
tère irritable, l'enfant pleure et rit très facilement, se met très vite en colère
si on ne cède pas à toutes ses fantaisies ; elle est extrêmement bavarde, ses
réponses sont toujours hâtives, mais très précises ; l'enfant est très intelligente
pour son âge, elle aime, paraît-il, beaucoup la lecture.
Malgré ses protestations nous mîmes l'enfant debout : elle se tint, avec une
grande difficulté, boudeuse, les bras écartés, oscillante, se remettant après des
esquisses de chute en prenant appui sur les chaises voisines, sur le lit. Puis
elle marcha, s'appuyant très fortement sur sa grand'mère, semblant plier sur
les jarrets. Enlin, à force d'insistance, elle consentit à marcher seule, titu-
bante, comme ébrieuse, les bras en balancier ; pendant les premiers pas ses
jambes la soutinrent à peu près, puis le corps pencha à droite et pour éviter
la chute elle se cramponna à la table, mais dans des expériences successives
'cette chute fut amorcée indifféremment à droite ou à gauche. De même était
variable la manière de traîner les pieds, ou de les lancer ◀tantôt▶ de côté, ◀tantôt▶
normalement en avant. Et pendant tout cet examen la mauvaise volonté était
évidente, de cette fille qui geignait, qui se lamentait sur l'impossibilité de
marcher.
Une ponction lombaire donna issue à du liquide céphalo-rachidien, clair,
eau de roche, coulant goutte à goutte sans pression exagérée. Son examen
histologique et bactériologique ne décèle rien d'anormal.
On porte alors le diagnostie de névropathie et dès le jour même on la soumet
au traitement : suggestion, en insistant devant elle sur la valeur curative de la
ponction lombaire, et repos absolu au lit. On lui persuade qu'elle doit guérir
rapidement, qu'elle guérira sûrement.
Le lendemain l'enfant se lève et marche déjà sans tituber. Les douleurs
ont, dit-elle, disparu pendant la nuit, et elle se trouve beaucoup mieux.
Les jours suivants l'amélioration continue, l'enfant reste levée toute la
journée, elle court et joue avec ses petites camarades,sans ressentir le moindre
gène; néanmoins quand on la fait marcher pour un examen elle boite légèrement,
se plaignant encore de douleurs dans les jambes. Il est de toute évidence que
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTERIQUE CHEZ LES ENFANTS 467
l'enfant simule une claudication ou tout au moins exagère les phénomènes
qu'elle peut présenter.
On persiste dans le même traitement, en ajoutant des douches froides et en
la menaçant d'une opération grave si elle ne guérit pas plus vite.
Tous les troubles disparaissent bientôt, et le 3 juin, au bout de 12 jours,
l'enfant quittait le service, totalement guérie.
Les motifs qui, chez cette malade nous firent admettre l'hystérie sont
assez nets. Et d'abord, comme dans tous les cas de ce'genre,nous fûmes
frappés de ce fait que les symptômes ne ressemblaient à rien de bien ca-
ractérisé parmi les paraplégies organiques possibles de l'enfant.
Il existe des paraplégies, complètes ou incomplètes, par méningo-myé-
lite grippale. Mais les accidents auraient dû commencer pendant la grippe
et non pas après ; ils n'auraient pas dû se prolonger autant, ou tout au
moins au bout d'un temps aussi long ; des troubles dans les réflexes, dans
le fonctionnement des sphincters, dans la nutrition des tissus, dans la
sensibilité auraient dû exister.
La symptomatologie ressemblait d'assez près à celle d'une paraplégie
pottique : l'enfant fut tournée sur le ventre, et nous vîmes une ligne épi-
neuse parfaitement droite. Mais nous savons que parfois la paraplégie,par
tuberculose d'une vertèbre dorsale, précède la gibbosité, a même existé
pendant toute la maladie sans gibbosité. Ces cas, d'un diagnostic toujours
délicat, se reconnaissent surtout à deux symptômes : des irradiations
pseudo-névralgiques dans les nerfs irrités par la pachyméningite ; la ri-
gidité de la colonne vertébrale.
Les douleurs initiales, très vivement accusées par la malade, ayant re-
pris quand, au bout de deux mois, elle avait de nouveau essayé de se le-
ver, pouvaient, en effet, avoir été de ces pseudo-névralgies. Mais, comme
elles ont occupé les membres inférieurs, le droit surtout, elles auraient
eu comme cause un mal de Pott lombaire ou dorso-lombaire tout au plus,
et dans ce cas les paralysies, rares d'ailleurs, doivent affecter le type ra-
diculaire ou tronculaire, c'est-à-dire être partielles et périphériques, flas-
ques, avec atrophie musculaire et abolition des réflexes. De plus, l'enfant
étant couchée sur le ventre, nous avons vu que la région lombaire était
souple ; quand on soulevait les pieds, jambes demi-fléchies, les reins se
creusaient. Car de prier l'enfant de se baisser pour ramasser un objet par
terre, il ne pouvait être question.
Il était donc à peu près certain qu'il n'y avait pas de mal de Pott lom-
baire. C'était moins sûr pour la région dorsale, où toujours la rigidité est
plus -difficile à démontrer puisque les mouvements normaux sont à peu
près nuls. Toutefois, des irradiations douloureuses dans les membres in-
468 BROCA ET HERBINET ,
férieurs et non point dans les nerfs intercostaux, en ceinture par consé-
quent, n'allaient guère avec cette hypothèse.
D'après la démarche ébrieuse, on pouvait penser à une tumeur céré-
belleuse, sans douleurs de nuque, sans symptômes encore constitués
d'hypertension intracrânienne, mais avec troubles de l'équilibre et titu-
bation ébrieuse. La variabilité des troubles moteurs, les troubles de sensi-
bilité, le mode de début, l'état stationnaire depuis six mois rendaient ce
diagnostic peu probable : mais on a déjà vu des cliniciens avisés traiter
d'hystériques des sujets auxquels on a trouvé, quelques mois plus tard,
à l'autopsie, une tumeur encéphalique.
Ce dernier diagnostic ne pouvait être éliminé d'emblée, et il nous a
fallu, pour cela, constater qu'en quelques jours, sans traitement propre-
ment dit, l'enfant était tout à fait guérie. Mais tout de suite - et avant
la ponction lombaire prouvant que le liquide céphalo-rachidien était nor-
mal nous avions pensé à l'hystérie bien plutôt qu'à une paraplégie
organique quelconque. Nous ne pouvons, à vrai dire, parler de stigmates,
mais les troubles sensitifs, l'état psychique que nous avons décrits dans
notre observation sont plus caractéristiques que chez nos malades précé-
dents et nous ont tout de suite mis sur la voie. En effet, la ponction lom-
baire, faite avec quelque apparat, en annonçant son efficacité, eut une
influence remarquable : le lendemain matin la malade se sentait beaucoup
mieux, ses douleurs avaient disparu pendant la nuit, elle pouvait mar-
cher avec quelque maladresse encore, mais sans tituber. Nous lui décla-
râmes qu'elle allait guérir, et nous lui fîmes prendre des douches. Deux
jours plus tard elle jouait dans la salle avec ses petites camarades, boitant
encore et se plaignant de souffrir quand on avait l'air de s'occuper d'elle;
nous parlâmes alors devant elle d'une opération capable de la guérir, et
tout cessa. Elle resta encore en observation dans la salle pendant dix
jours et sortit marchant comme tout le monde.
La nature hystérique des accidents, peut-être provoqués par la grippe,
ne saurait être mise en doute. Mais comment expliquer les troubles fonc-
tionnels ? Probablement par un mélange d'asthénie et de contracture mus-
culaire. Le tableau, en tout cas, ne nous parait pas être celui de l'astasie-
abasie, celle-ci étant caractérisée par l'impossibilité de marcher et de se
tenir debout, avec intégrité de la mobilité lorsque le sujet est couché.
Au reste, nous n'insisterons point sur ces discussions purement neuro-
logiques, notre unique but étant de relater un cas d'hystérie infantile ca-
pable d'en imposer pour un mal de Pott, c'est-à-dire pour une lésion d'ordre
chirurgical, et de montrer comment nous sommes arrivés au diagnostic.
De l'étude de ces différentes observations, tant au point de vue diagnos-
ATTITUDES VICIEUSES PAR CONTRACTURE HYSTÉRIQUE CHEZ LES ENFANTS 469
tique que pathogénique, ressort un fait capital : à savoir que les manifesta-
tions musculaires de l'hystérie sont loin de former une entité morbide
nettement définie. Nos cas en sont une preuve très nette. Souvent la pa-
thogénie est fort complexe, et d'une interprétation parfois difficile. Quant
au diagnostic, nous avons vu qu'il peut reposer sur l'étude de symptôme
en lui-même ; mais il se fait le plus souvent par élimination. Enfin si le
doute persiste, le traitement, véritable critérium, donnera la clef du pro-
blème : c'est en raison de ces résultats que nos observations sont incontes-
tables, ces manifestations musculaire de l'hystérie, et* les déformations
qu'elles entraînent, ont des destinées fort variables. Si certains cas cèdent
facilement sans cause apparente, si quelques malades se lèvent un beau
matin guéris de la contracture, si d'autres cas disparaissent à la suite
d'une émotion, il en est malheureusement qui persistent. Une scoliose
hystérique vue par Roux dura quatre années. Et le pronostic doit être
jusqu'à certain point réservé dans ces cas où le diagnostic est fait tardive-
ment : ce n'est pas impunément qu'un sujet, surtout s'il est jeune, a pré-
senté une attitude vicieuse pendant des mois et même des années. Des
déformations secondaires peuvent apparaître ; le squelette encore mal-
léable de l'enfant peut subir des incurvations, et ces modifications organi-
ques peuvent subsister alors que la contracture, leur cause première, a
cessé. Charcot a insisté sur ce fait,que le symptôme hystérique peut gué-
rir, tandis que ses fâcheuses conséquences persistent presque irrémédia-
blement.
Cette éventualité'suffit à montrer l'importance du diagnostic qui doit
entraîner immédiatement la mise en oeuvre du traitement, c'est-à-dire de
la suggestion.
Tous nos malades ont guéri, plus ou moins vite, par un traitement
dont la suggestion a fait tous les frais, les actions mécaniques n'ayant eu
pour but, en somme, que de frapper l'imagination des malades auxquels
nous avions à l'avance promis la guérison. Nous n'avons jamais eu besoin
de recourir à un simulacre d'opération avec chloroforme, comme fit une
fois Lannelongue pour une scoliotique, guérie en effet au réveil : mais
peu de temps après, à une rechute, il suffit de lui dire sur le ton de com-
mandement : « Tiens-toi droite » pour qu'incontinent tout cessât
Suggestion brusque, de thaumaturge, dont nous n'avons pas d'exemple
dans notre série actuelle. Mais l'un de nous a soigné il y a dix ans un gar-
çon d'une douzaine d'années qui vint à l'hôpital Trousseau, remplaçant
par une béquille un membre dont le genou, soigné pendant plusieurs
mois pour tumeur blanche, était fléchi à angle droit. L'enfant couché, on
remarqua l'absence de tout signe physique dans le genou, de toute atro-
phie musculaire, de toute douleur à la pression. Au milieu de l'interro-
470 BROCA ET HERBINET
gatoire, d'un coup on redressa le genou en prononçant le célèbre : Lève-
toi et marche. L'air ahuri, le gamin s'assit, regarda quelques secondes
autour de lui, sauta à bas du lit, enfila sa culotte, oublia sa béquille et
fila sans mot dire devant ses parents ébaubis. La cure se maintint car, quel-
ques années plus tard, une famille nous pria de renouveler le miracle pour
une fillette : mais c'était une coxalgie vraie en attitude vicieuse.
C'est notre seul exemple de guérison instantanée. Chez les malades
que nous venons d'observer en série, ce fut moins brillant quoique encore
très rapide. On ne saurait dire que chez notre scoliotique il fallut trois
mois de traitement, car nous avons d'abord employé environ deux mois,
sans gagner grand'chose, à l'extension continue, et la guérison alla vite à
partir du jour où nous avons confié à notre professeur de gymnastique
suédoise une rééducation attentive de la volonté.
Donc, toutes ces observations confirment l'aphorisme de Charcot : l'hys-
térie ne tientpas chez l'enfant. Mais encore faut-il compléter cette phrase
par un commentaire.
'De ce que l'accident hystérique' a été guéri vite et complètement, il ne
s'ensuit pas que la maladie le soit aussi. Pitres dit fort justement qu'on
naît hystérique et qu'on ne le devient pas ; l'hérédité ayant créé la dia-
thèse, les causes occasionnelles ne peuvent que provoquer les accidents.
Après suppression de l'accident, la maladie persiste donc, et de cela nous
devons tenir compte pour le pronostic, soit que nous ayons à craindre une
récidive in situ, dont plusieurs observations font mention, soit que plus
ou moins tard, se produisent d'autres manifestations. Chez nos malades,
les lésions pseudo-chirurgicales pour lesquelles nous avons été consultés
ont disparu, mais ils restent ni plus ni moins des hystériques et l'un
d'entre eux, quelques mois après le torticolis, a profité, par exemple,
d'un moment où il était seul à l'atelier pour déchirer ses vêtements,
s'égratigner avec un canif et raconter ensuite une histoire de voleurs. Le
torticolis, chez lui, n'a pas tenu, mais l'hystérie a tenu.
AUTOUR D'UNE ÉPIDÉMIE DE DÉMONOPATHIE
(MoRziNE 1861-1865) (1).
(PI. LI)
PAR
L. MARGAIN.
Vers 1852 ou 1853, dans le village d'Essert-Roman, à 4 ou 5 kilomè-
tres de Morzine, une fillette de 9 ans fut prise de crises nerveuses singu-
lières qu'aucun médicament ne semblait calmer. Sur la foi d'un précédent,
on la conduisit à Besançon où des prêtres la déclarèrent possédée et la
guérirent instantanément en lui faisant toucher le Saint-Suaire. Cette
guérison fit quelque bruit dans le pays et devint un sujet de conversation
pour les habitants de Morzine, peu instruits, fort dévots en général et di-
rigés principalement par un vicaire, l'abbé F..., esprit exalté et mal équi-
libré, prompt à voir le diable au milieu de ses paroissiens et que des
pratiques trop fréquentes d'exorcisme avaient déjà fait déplacer.
Le 14 mars 1857, Jeudi-Saint, à Morzine, une fillette de dix ans, Pé-
ronne T..., à la suite d'une frayeur, est prise de crises convulsives que
reproduit bientôt Marie P... du même âge, bergère comme elle et comme
elle sur le point de faire sa première communion. Les deux enfants con-
tinuant à se fréquenter, ne tardent pas à trouver une interprétation de
leur état : c'est une extase et la sainte Vierge leur écrit. Stupéfaction de
l'abbé F... qui répugne à cette idée et soupçonne quelque tour du diable.
On interroge les fillettes, on finit par leur faire dire qu'une vieille femme
les a touchées et ensorcelées et que d'autres petites filles du pays tombe-
ront malades à leur tour. Cette prédiction devait se réaliser, l'épidémie
était amorcée, elle était définie par la mère de la possédée d'Essert-Ro-
man qui, appelée en consultation à Morzine, reconnut chez les malades
(1) Cf. Relation sur une épidémie d'hysléro-démonopathie en 1861, par le Dr Constans,
1862, 1 ? édit. et 1863, 2° édit.; Les diables de Morzine en 956, parle Dr CHIARA. Gaz.
méd. de Lyon, 1861.
De l'épidémie hystéro-déinoizopathique de Morzine, par le Dr KUIIN. Ann. Méd.
psych., 1865.
Les possédés de Morzine, par TISSOT, Ann. Méd. psych., sept. et nov. 1S65.
472 MARGAIN
tous les symptômes qu'avait présentés sa fille. Le diable avait dorénavant
ses lettres d'introduction.
Ce que devint l'épidémie, comment le chiffre des malades fut de 27 en
quelques mois et de 110 la troisième année, nous le savons par les publi-
cations de M. Constans, de M. Kuhn, de M. Chiara, de M. Tissot ; ils nous
décrivent tous ces crises convulsives, les malades grimaçant, se tordant,
par la bouche desquelles le diable vomit en toutes langues ses injures à
l'adresse des sorciers, des médecins et de la religion. Il relatent ces légen-
des typiques du cochon qui refuse d'entrer dans le village dès qu'il en
aperçoit le clocher, de l'enfant qui descend d'un haut sapin, la tête en bas
etc., ils s'étendent sur les causes morales de l'épidémie, l'isolement de
Morzine, la misère et le défaut d'hygiène des habitants ; mais ils sont d'une
brièveté de commande sur les causes psychologiques immédiates. M. Tis-
sot nous le laisse entrevoir en disant dans sa relation que le Dr Constans
est « plein de respect pour toutes les convenances, réservé au point d'en
faire souffrir l'intérêt scientifique ». Quarante années nous séparent de
cette époque et nous pouvons maintenant lever les derniers voiles et com-
bler cette lacune.
Permettez-moi d'abord de vous présenter les gens influents de Morzine
au moment de l'épidémie-. Je vous ai déjà dépeint le vicaire F..., exilé à
Morzine pour cause de démonomanie antérieure, mais n'ayant point ab-
juré ses erreurs ; c'est la forte tête du clergé. Le curé est un pauvre homme
qui tient à sa cure avant tout, croit d'ailleurs à la possession et ne consent
à parler de la maladie que lors de la venue de l'inspecteur général Cons-
tans quand il sent la disgrâce approcher. Les capucins d'un couvent voisin
(Saint-Maurice dans le Valais), dépendant de l'évêque de Sion, se font
un jeu et un profit d'exorciser gens et animaux malades. Tout ce clergé
est hostile à un vieux prêtre interdit, l'abbé C... qui après avoir habité
Morzine où il a laissé des inimitiés farouches, fait maintenant le charlatan à
Genève, prêtant ainsi le flanc à l'accusation du curé qui déclare publique-
ment : « Il n'y a que ce coquin de.C.. qui, pour me jouer un mauvais
tour, car il m'en veut toujours, a pu envoyer tout ce mal sur ma paroisse. »
L'abbé C... devient donc le chef des sorciers. Le diable avait son curé, on
allait lui donner son adjoint.
En effet, le conseil municipal est aussi divisé. Le maire T... est cons-
tamment à Thonon où il remplit les fonctions de notaire. Son adjoint
Jean Berg... cordonnier, qui le remplace est accusé d'avoir fait un pacte
avec le démon. « J'ai vu ce sorcier, dit Chiara, il n'a aucun des traits
sous lesquels la fantaisie s'estplu à dépeindre ces êtres imaginaires.Repré-
sentez-vous une grosse figure, ronde, haute en couleurs, corps petit et
replet, tel est votre homme au physique. J'ai eu une longue conversation
AUTOUR D'UNE ÉPIDÉMIE DE DÉMONOPATH1E . 473 z3
avec lui. Si on l'accuse, m'a-t-il dit, de sortilège,c'est parce qu'il est incré-
dule ou rouge et qu'il a toujours combattu l'idée délirante de ces mala-
des. Il se défend vivement, bien entendu, d'être le chef d'une légion de
démons et d'avoir à son service le moindre diablotin. »
Malgré ses dénégations il fut mis à l'index, et le curé conseilla à ses
paroissiens d'éviter de passer devant sa maison et devant celles des autres
rouges.
Le reste du conseil municipal qui n'était peut-être pas étranger à ces
insinuations se contentait d'observer; les conseillers B... et F... certi-
fiaient par écrit les invraisemblances les plus grossières. Il fallut la visite
du procureur pour que le conseil s'émut des plaintes de la population. Le
29 mars 1881, il écrivait en effet à ce fonctionnaire : « Tous les habitants
critiquent le conseil municipal de ce qu'il ne prend pas des moyens pour
faire cesser une si grande affliction et s'en prennent à lui du retard à
soulager tant de pauvres familles qui deviennent la compassion de
ceux qui connaissent leur triste position..... Le conseil municipal dé-
clare que ce sont les exorcismes ou les prières et pèlerinages de dévotion
qui les ont le mieux soulagés et pour plus longtemps et que si les prêtres
avaient pu les continuer, la maladie ne se serait pas étendue si loin et si
longtemps, car pendant le mois de septembre et octobre-novembre de la
première année il n'y eut plus de nouveaux cas, mais dès lors il s'en dé-
clara de nouveau et pendant l'hiver et le printemps, les exorcismes ayant
de nouveau été autorisés par l'autorité ecclésiastique les soulagèrent
mieux et guérirent pour plusieurs mois et même des années, mais défense
leur fut faite par M. l'intendant de les recontinuer et dès lors aucun
moyen ne fut mis en usage pour cette guérison... »
Aux divisions entre ecclésiastiques, entre conseillers munir"a3c
devaient s'ajouter les discussions entre médecins. Morzine divisé i,éligitil-1
sement et politiquement, l'était aussi médicalement ; deux médecin\ ? 1¡1
naient leurs soins à cette localité, l'un libre-penseur, l'autre ami du curer
Après quelques essais thérapeutiques également infructueux, le premier
en référa à l'autorité, le second déclara la maladie surnaturelle. Des deux
côtés, l'impuissance médicale semblait flagrante. Quelques paysans, plus
avisés, obtinrent quelques succès, l'un en menaçant sa fille de lui couper
le cou, l'autre en faisant le geste de jeter la sienne dans un four, un
troisième en déclarant à la sienne qu'il va l'enchaîner dans sa cave.
Devant cette insuffisance des autorités locales, les habitants de Morzine
s'adressèrent aux étrangers, les uns aux Capucins, les autres à un magné-
tiseur de Genève, M. Laf... Deux d'entre eux furent délégués près de lui,
mais à leur retour, le curé les blâma sévèrement ; ils durent prier M. Laf...
de ne point venir.
xviii 31
474 « 11ARGA1P1
' Un autre Genevois, celui-ci guérissant par magie et à des prix modérés,
se risqua, mais ne fut pas long à déguerpir, quatre prêtres et huit reli-
gieuses étant venus lui dire qu'ils allaient le faire prendre par les carabi-
niers parce que lui et ses pareils apportaient le diable.
Mais les amis du merveilleux, et surtout ceux qui en vivent, ne se rebu-
tent pas facilement, un autre magnétiseur vint en 1861 s'installer dans
la commune. Les pratiques ordinaires du magnétisme échouant entre ses
mains et craignant qu'on ne lui fitun mauvais parti, il détourna sur l'abbé
C...., le chef des sorciers, le courroux populaire. Heureusement l'abbé
- était à Genève ; ne pouvant l'atteindre, on l'envoûta. En grand nombre,
les habitants armés et portant des torches, se rendirent de nuit dans un
lieu sauvage, près d'une petite chapelle bâtie autrefois par l'abbé C... et
tombée en ruines, on éventra un chien avec forces imprécations et il fut
annoncé que les dix-huit coups de couteau qui avaient atteint le foie de cet
animal ne laissaient à C... que dix-huit jours à vivre. Dès ce moment, quoi-
que fort bien portant en Suisse, C... fut mort pour les possédées de Morzine
et son âme vint tourmenter les malades.
Il était temps qu'on intervint. L'évêque d'Annecy, Mgr Magnin,
souvent malade, avait déjà interdit les exorcismes, mais profitant d'une
indisposition qui le retenait éloigné des affaires de son diocèse, on s'était
empressé de reprendre ces pratiques.
Au mois d'avril 1861, le ministère envoya à Morzine le Dr Constans,
inspecteur général des aliénés,qui, touten s'occupant de détruire lacroyance
au merveilleux, dut rétablir l'ordre dans la commnne. La première chose
qu'il demanda fut le changement du curé, celui-ci fut rappelé à Annecy, mais
il fallut bien des démarches et des menaces pour obtenir l'envoi d'un nou-
veau titulaire. L'arrivée d'une brigade de gendarmerie, d'un bataillon d'in-
fanterie, la dispersion des malades firent tout rentrer dans l'ordre. Le
8 juillet, le Dr Constans quittait Morzine où n'existait plus une seule pos-
sédée et écrivait la relation de cette épidémie, terminant ainsi : « Le nou-
veau curé au mérite et aux lumières duquel chacun rend justice s'efforcera
d'atteindre ce but (la démonstration de l'absurdité de la possession), »
Malheureusement, ses malades expulsés rentrèrent presque aussitôt et
il fallut faire une nouvelle dispersion. Néanmoins tout était rentré dans
le calme en 1862.
Comment l'épidémie se réveilla-t-elle en 1864 et eut-elle un caractère
particulier ? C'est ce que nous allons voir. ,
La guérison des malades par la dispersion semblait avoir porté un rude
coup à la croyance en la possession, mais avait indisposé une partie de la
population. Le juge de paix P... n'avaitpu s'empêcher de blâmer ouver-
tement des mesures qui ne lui semblaient pas entièrement légales et avait
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPêTRIèRES.
T. XVIII, PL, LI.
L'ÉPIDÉMIE DE DI : MONOPATHI DE MORZINE (1861-1865)
(L. Margain.)
Masson ET Ci-, Editeurs.
AUTOUR D'UNE ÉPIDÉMIE DE DÉMONOPATHIE 475
converti à ses idées le garde forestier Ch., ultramontain farouche. Tous
deux, aidés du vicaire, firent le siège du nouveau curé. Celui-ci n'avait
admis que par politique la réalité de la maladie naturelle et avait, au fond,
les idées de son évêque lui-même dont le Dr Constans disait : « Il est fort
porté à croire, lui aussi, en la possession, et le fait qui sert de base à sa
croyance est d'une puérilité qui fait peine. » Adroit opportuniste, sen-
tant un parti d'opposition assez fort se former dans la commune contre
les rouges, le préfet, les non-possessionistes, le curé crut le moment venu
de démontrer que les guérisons obtenues étaient vaines et qu'un exorcisme
en masse était le seul moyen d'en finir avec l'épidémie ; mais, pour cela,
il fallait d'abord la faire renaître.
En janvier 1864, il demanda aux Capucins de faire une mission qui fut
prêchée pendant tout le mois : « il y avait sept ou huit messes par jour,
les habitants passaient sept à huit heures par jour à l'église ; les marchands
de chapelets, médailles, etc. qui suivaient les missionnaires ont prélevé
sur la crédulité des habitants et malgré leur pauvreté un impôt d'au moins
3.000 francs. Ces missionnaires, venus ainsi sur les instances réitérées du
curé, ont exercé une bien funeste influence. On peut, sans rien exagérer,
dire qu'ils ont chargé une formidable mine à laquelle l'évêque est venu
mettre le feu » (Dr Constans, notes manus.). L'effet de ces prédications ne
se fit pas attendre, quelques crises reparurent ; c'est alors qu'on répandit
habilement l'idée d'un exorcisme général. Sur ces entrefaites, en avril,
Mgr Magnin, évêque d'Annecy, arriva à Morzine. «Toutes les ma-
lades qui l'attendaient à l'entrée du village et sur la place publique entrè-
rent en crise, vociférant, injuriant, écumant et frappant des mains »
(Kuhn). Le lendemain eut lieu la confirmation par l'évêque : « A son
entrée solennelle à l'église, les malades se sont jetées sur ses pas, l'ont ap-
proché de fort près, ont tenté de se jeter sur lui, en poussant des cris af-
freux, en proférant des jurements, des blasphèmes qui saisissaient le public
d'horreur. Elles l'ont ainsi poursuivi, le huant, le menaçant, jusqu'au mi-
lieu de l'église. L'ordre n'a pu être rétabli et la cérémonie s'accomplir que
par l'intervention de la force publique. Pendant la confirmation même,
les malades ont redoublé de hurlements et de vociférations infernales;
elles cherchaient à cracher à la figure de l'évêque, à lui arracher son anneau
pastoral. Elles ont même réussi à le faire tomber de sa main.
« Le moment où le prélat a donné sa bénédiction, après avoir eu con-
firmé, a été plus orageux encore : la violence des accès est allée jusqu'à
la fureur ; ce n'étaient de toutes parts dans l'église que cris forcenés, hur-
lements épouvantables. Le vacarme été si affreux que les larmes coulaient
des yeux d'un grand nombre de spectateurs. Beaucoup d'étrangers même
ont été consternés de cette scène de fureur et de désolation.
476 MARGAIN
« Les cris sont toujours les mêmes, les malades n'ont rien appris, rien
oublié.
« L'évêque n'a fait aucun exorcisme, malgré le désir de la paroisse
qui en aurai voulu un général » (Tissot).
Cependant, l'abbé Michel B... prétendait tenir du vicaire de Morzine
que l'exorcisme avait eu lieu et qu'aux mots tace et obmutesce les malades
étaient toutes tombées dans une prostration subite et complète. Il est plus
probable que ce résultat fut dû à la présence de la gendarmerie.Quoi qu'il
en soit, c'est cette confirmation que représente notre dessin fait par un
gendarme, témoin oculaire, superbe homme qui s'est dessiné lui-même
au premier plan. On peut voir que l'auteur,quoique n'appartenant pas au
corps médical et bien qu'artiste d'occasion, a judicieusement observé et
fidèlement rendu les attitudes familières aux possédées.
Tout se serait peut-être encore calmé si certains intéressés n'avaient
fait remarquer alors que des secours en argent promis lors de la première
épidémie n'avaient point été distribués. D'autre part, le moment des élec-
tions au conseil général et au conseil d'arrondissement approchait; le
candidat patronné par le préfet n'avait point les faveurs du clergé ; man-
quant d'arguments contre lui, on s'en prit à ce fonctionnaire et le réveil
de l'épidémie devenait une critique commode des mesures auxquelles il
avait coopéré. C'est alors que le Courrier des Alpes ouvrit une campagne
contre les non-possessionistes et des articles furent répandus à profusion
dans le pays par le curé et son vicaire.
L'inspecteur général Constans venait d'être désigné une seconde fois
pour ramener l'ordre à Morzine. Son premier soin fut de faire interdire
cette publication dont l'auteur fut par la suite condamné à 250 francs d'a-
mende, et de demander le changement du curé et du vicaire. Désavouer
ceux-ci était dur pour l'évêque qui avait peut-être endossé plus de res-
ponsabilités qu'il ne semblait; aussi ne céda-t-il que lorsque ces ecclésia-
tiques sollicitèrent eux-mêmes leur changement, un peu par force.
A l'arrivée du Dr Constans, le plus grand nombre des 150 convulsion-
naires s'exila volontairement, se bornant à réclamer quelques subsides
pour vivre à l'étranger ; la présence d'un détachement d'infanterie intimida
les autres. Des secours largement distribués contribuèrent pour une grande
part à ramener le calme. Mais, de cette façon , l'épidémie devenant une
opération fructueuse, la peur de l'expulsion, d'autre part, arrêtant les
possédées, quelques individus s'avisèrent alors d'un nouveau moyen. Une
maladie éclata chez les bestiaux et de nouveau la population réclama
l'exorcisme des animaux. Un vétérinaire, envoyé sur les lieux, reconnut
qu'ils étaient empoisonnés par des graines d'euphorbe, introuvables sur
leurs pâturages habituels. Les soupçons se portèrent sur trois individus
AUTOUR D'UNE ÉPIDÉMIE DE DÉMONOPATHIE 477
et, après enquête, deux furent mis en état d'arrestation. Dès lors, le diable
en avait fini avec les gens et les bêtes ; la discorde, elle, régnait toujours.
Le préfet venait de nommer à Morzine, un commissaire de police,
personnage trop zélé, un peu borné,semble-t-il, en tout cas,maladroit,qui
n'avait sollicité ce poste qu'en raison des inimitiés qu'il s'était attirées
dans le précédent. Une lettre le devança à Morzine; elle émanait du
brigadier de gendarmerie de Cluses et était adressée au brigadier de
Morzine; en voici des extraits : « M.... emploie pour arriver tous les
moyens possibles; c'est-à-dire veut arriver quand même... grand faiseur
d'embarras,singeant toujours le grand monde et voulant toujours regarder
le roturier au-dessous de tout... Aprésent, méfiez-vous de lui, je vous le
dis en camarade. Il vous fera toujours bonne grâce par devant et vous
écrasera pas ses rapports par derrière. Il est vrai qu'ils n'ont pas grande
importance, car il est connu pour un hâbleur à la préfecture à Annecy et
au parquet de Bonneville...
« II n'aime pas trop la gendarmerie, car il se croit être le chef ?
« Ecrivez-moi quand vous aurez besoin d'autres renseignements. »
Ceux là suffisaient au brigadier Fourc... 141. le commissaire n'aimait
pas la gendarmerie 1 Il n'avait qu'à bien se tenir, la lutte entre les pou-
voirs allait recommencer et être l'origine d'un nouveau cas de possession.
Deux amoureux, un étranger à la commune et la fille R... se trouvaient
fort gênés de la présence de la mère R... bien qu'elle fut connue de tout
temps comme aliénée; ils saisirent le prétexte des fêtes de Noël pour accuser
celle-ci de se croire possédée, le brigadier voulut la faire enlever de suite,
le commissaire s'y opposa : le résultat fut qu'on recommença à parler du
diable. Heureusement, le Dr T... tout en déclarant qu'il n'y avait pas pos-
session ni même délire démoniaque fit évacuer l'aliénée sur l'asile, l'amou-
reux fut expulsé. Ce fut le dernier cas de l'épidémie de Morzine, mais aussi
le signal d'exécutions. Le commissaire-vicomte de Cat... fut déplacé ainsi
que le garde forestier Char... et le juge de paix P... Celui-ci était accusé
d'ivrognerie, celui-là « est un homme d'opposition quand même, pour lui i
tout Français est un étranger, un ennemi, ne cessant, dans les cabarets
dont il est un hôte beaucoup trop assidu, de répandre sur nous des propos
injurieux » (notes manuscr.).
Le brigadier Fourc... reçut la croix, un autre gendarme, la médaille
militaire, le facteur, un secours ; de l'argent fut distribué aux possédées
guéries ; seule, une malade, à Genève continua à avoir des crises devant
les personnes auxquelles elle demandait l'aumône . Ce dernier fait, ainsi que
l'empressement de beaucoup des malades de 1864 à quitter leur pays mi-
sérable pour l'asile, en dit long sur les causes de l'épidémie.
Parmi une population où l'hystérie était fréquente, elle était née d'une
478 MARGAIN
impression de frayeur chez une fillette mystique ; les racontars, les que-
relles intimes, les haines individuelles, la mise en jeu des intérêts les plus
divers et les plus opposés lui donnèrent une empreinte spéciale, son cachet
démoniaque qui, même chez cette population arriérée n'eût pas paru
spontanément (A Montriond près Morzine, il n'y a pas de possédées
« parce que M. le curé n'en a pas voulu » répond une femme).Dès lors, la
surexcitation des imaginations, l'abus des exorcismes, la crainte firent de
nouvelles victimes, le parti religieux signala ses ennemis comme les au-
teurs du mal et peu s'en fallut que ceux-ci ne payassent de leur vie l'oppo-
sition au clergé.
. Ces considérations éclairent quelques points particuliers de l'aspect cli-
nique de cette épidémie. On comprend la division des malades en deux
catégories, telle que l'a tracée le Dr Constans ; les unes atteintes d'hystérie
constitutionnelle ; les autres d'une « hystérie accidentelle, récente, née
sous l'influence de l'idée admise ». Chez les'premières, l'existence de cette
névrose ne fait pas de doute, on la retrouve dans leur vie antérieure et elle
se manifestera encore après l'épidémie. Chez les secondes, il me semble-
rait plus prudent de ne parler que d'accidents hystériformes avec idées de
possession, encore ces idées de possession ont-elles l'air de n'être pas ab-
solument sincères. Lorsqu'aucun étranger ne visite les malades, le diable
se tient dans la coulisse et leurs invectives s'adressent uniquement aux
incrédules, aux rouges; quand, au contraire, survient un médecin, un
étranger, un rouge, le démon rentre en scène. « Ah ! tu crois,b... d'incré-
dule, que nous sommes des folles, que nous n'avons qu'un mal d'imagina-
tion ! nous sommes des damnées, s... n... de D... ! nous sommes des
diables de l'enfer ! » La perte de la mémoire après la crise est loin d'être
complète chez plusieurs : « Je sais que le diable a dit ou fait telle chose ;
mais ce n'est pas moi... ». Dans certaines réponses enfin le diable prend
vraiment l'intérêt de la malade d'une façon très étrange :
« Pourquoi, demande-t-on à l'un de ces démons, pourquoi ne veux-tu
pas que la fille mange ?
« - Parce que, répond-il, la fille ne doit pas manger de ton s... pain, de
de ton s... fromage; donne-lui du bon café à la fille, du bon pain de bou-
langer, de la bonne viande et elle mangera. »
Les rechutes semblent, elles aussi, de commande. Une malade <c guérie
depuis peu de temps par l'effet d'une correction paternelle, fut ainsi ad-
monestée par ses compagnes :
« Tu es bien bête d'avoir eu peur de ton père, si le mien m'en faisait
autant, je le tuerais ? etc.. »
...Et la pauvre enfant fut bientôt reprise de crises plus violentes que
.jamais.
AUTOUR D'UNE ÉPIDÉMIE DE DMONOPATR1E 479
Ces faits montrent nettement ce qu'était ce prétendu délire, qui dispa-
raissait d'ailleurs dès que le malade franchissait les limites de la commune
et expliquent une particularité qu'il présente. En effet, orienté vers un but
précis, il est d'une monotonie qui contraste avec la variété des délires dé-
moniaques du moyen âge : pas d'érotisme, ni incubes, ni succubes, un res-
pect singulier de la pudeur, la rareté des hallucinations, en un mot, rien
d'inutile.
En résumé, épidémie de politique locale, mais de mauvaise politique,
puisqu'elle desservait la cause qu'elle prétendait servir ; maladie à carac-
tère utilitaire puisqu'elle s'amenda par les distributions de secours, pour
ne cesser, il est vrai, complètement qu'à la victoire définitive des rouges,
telle fut l'hystéro-démonopathie de Morzine. Comprise ainsi, sans perdre
beaucoup d'intérêt au point de vue médical, elle en gagne certainement
au point de vue psychologique, soit qu'on examine les possédées elles-mê-
mes, soit qu'on étudie les différents fonctionnaires appelés à les diriger et
que j'ai cherché à mettre en relief dans ce travail.
Le Gérant : P. Bouchez
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
18e Année N° 5 Septembre-Octobre
LES MICROMÉLIES CONGÉNITALES
ACHONDROPLASIE VRAIE ET DYSTROPIIIE PÉRIOSTALE,
PAR MM.
C. PORAK
Accoucheur en chef de la Maternité,
Membre de l'Académie de médecine.
G.DURANTE
Ancien interne des hôpitaux,
Chef du laboratoire de la Maternité.
Les dystrophies osseuses congénitales ont longtemps été confondues sous le
terme général de rachitisme et l'on expliquait leurs aspects variés par le début
des lésions à une époque plus ou moins précoce du développement embryon-
naire. Mais, par suite des progrès de la clinique et surtout de nos connaissances
anatomo-pathologiques, ce rachitisme congénital a dû subir des démembrements
successifs pour aboutir à une classification plus rigoureuse des troubles de dé-
veloppement du tissu osseux. Toutefois, malgré les travaux multiples parus sur
ce sujet, un grand nombre de ces dystrophies nous sont encore mal connues, et
des faits disparates sont fréquemment publiés sous des dénominations iden-
tiques.
Les dystrophies par allongement excessif (gigantisme, etc.), dont le point
de départ congénital peut être discuté, apparaissent dans le cours de l'existence.
L6*urs manifestations chez le nouveau-né sont encore ignorées, aussi les éli-
minerons-nous de ce mémoire relatif aux seules dystrophies de l'enfant à la
naissance.
Nous aurons donc particulièrement en vue, dans les pages qui suivent, les
dystrophies osseuses entraînant la micromélie.
En se basant sur cette micromélie, sur l'aspect court, trapu, boudiné des
membres, on a, dans le cours de ces dernières années, réuni sous le nom
d'achondroplasie des affections très dissemblables, ce qui n'a pas peu contri-
bué à rendre singulièrement complexes la clinique et surtout l'anatomie patho-
logique de cette maladie.
Nous étudierons spécialement dans ce mémoire l'achondroplasie vraie et la
dystrophie périostale. Celle-ci^ trop longtemps confondue avec la première,
présente des caractères assez tranchés pour pouvoir être isolée dès aujourd'hui.
Les autres dystrophies congénitales telles que le rachitisme congénital, les
dystrophies syphilitiques, t'<M<60pO ! 'OM congénitale, la fragilité constitution-
nelle des os, la dysostose cléido-crdnienne de P. Marie, le myxoedème, la
dysnhondroplasie d'Ollier, les nanismes divers, etc., etc., seront abordés à
propos du diagnostic et de la pathogénie.
xi ii 32
482 PORAK Er DURANTE
Les malformations mécaniques ne rentrent pas, à proprement parler, dans
les dystrophies osseuses.
Historique.
Chaussier au commencement du siècle dernier, puis Duménil avaient séparé
du rachitisme des foetus à membres courts, épais et boudinés ; par leurs fractu-
res multiples leurs petits sujets paraissent rentrer dans la catégorie des pseudo-
achondroplasiques par dysplasie périostale. Depaul en 1851 apporte des obser-
vations qui semblent relever de l'achondroplasie vraie ; il les distingue du
rachitisme et tend à les rapporter à la syphilis. Virchow décrit en 1856 comme
rachitique congénital un foetus à membres 'courts et à tête volumineuse.
M. Müller (1860) distingue, comme deux variétés de la même affection, le
rachitisme de l'enfance et le rachitisme intra-utérin ; ce ^dernier est caracté-
risé par le défaut d'ordination des cellules cartilagineuses et par la synostose
précoce des os de la base du crâne.
Winckler (1871) propose le terme de Rachitis micromelica. A part Depaul
et Urtel (1873) qui émettent l'hypothèse d'une inflammation intra-utérine du
cartilage (chondritis foetalis), tous les autres auteurs avec Bouchut (1862),
Scharlow (1867), Fischer (1875) identifient cette affection au rachitisme vrai,
simple ou compliqué de crétinisme. '
En 1876 Parrot, dans une communication à la Société d'anthropologie puis
dans une série d'articles ultérieurs, sépara' le premier d'une façon précise ce
qui revenait au rachitisme vrai acquis de ce'qui concernait la syphilis congé-
nitale. Il isola, en outre, à côté de ces deux états morbides, sous le nom
d'achondroplasie, une affection bien distincte dont les caractères cliniques
étaient : la micromélie, les lésions du crâne, l'éburnation des os longs, l'ab-
sence de déformation du thorax, l'épaississement très marqué de la peau. Au
point de vue pathogénique, c'était une maladie du cartilage primordial se tra-
duisant par : a) la tuméfaction des chondroplastes et la diminution de la subs-
tance fondamentale du cartilage, d'où la flexibilité des os ; b) le défaut de
sériation des chondroplastes (alors que cette sériation est exagérée dans le ra-
chitisme) ; c) enfin l'intégrité du fonctionnement du périoste, d'où le défaut
d'allongement de l'os, l'augmentation de son épaisseur et l'oblitération de son
canal médullaire.
Malheureusement ces notes, toujours très concises, avaient passé inaperçues,
aussi l'achondroplasie acquiert-elle difficilement droit de cité et Weiss, Lessing,
Eberth (1879), M. A. Smith (1880), Neumann (1881), Spiegelberg (1882),
Rode (1882) persistent à soutenir l'identité de cette affection avec le rachitisme
en s'appuyant sur les recherches de Kassowitz qui avait montré chez le foetus
la précocité des lésions du rachitisme vrai.
En 1889, Porak reprend cette question dans un mémoire où, en apportant
de nouveaux faits, il discute les observations antérieures. Il adopte le terme
d'achondroplasie, montre qu'il s'agit là d'une affection spéciale, distincte du
rachitisme, et confirme, en les complétant, les caractères qu'en avait donnés Par-
LES AlICRO\IÉL1E5 CONGÉNITALES 483
rot. Il étudie particulièrement au point de vue obstétrical le bassin de ces ma-
ades, apporte un fait héréditaire, rapproche les déformations analogues obser-
vées chez les animaux et signale l'antiquité de ce trouble de développement
dont on peut établir le diagnostic rétrospectif aussi bien chez certains dieux
de l'antiquité que chez certains nains célèbres dont les portraits nous ont été
conservés.
La même année voit paraître les importants travaux de Kircbberg et Mar-
chand et de Stilling, qui, les premiers sous le terme de micromelia chondro-
malacica, le dernier sous celui d'osteogenesis imperfecla, concluent également
à la séparation absolue de cette affection d'avec le rachitisme vrai.
Depuis lors les observations se multiplient rapidement et confirment l'exis-
tence chez le foetus d'une affection osseuse distincte du rachitisme vrai et de
la syphilis.
Parmi les plus importants, signalons le mémoire de Kaufmann (1893), basé
sur 11 observations, qui cherche à établir trois formes distinctes en se-basant
sur les dimensions et la consistance des épiphyses ; la même année, celui de
S. Miiller, qui attire l'attention sur l'importance de lésions périostales dans un
certain nombre de cas publiés ; celui de Salvetti (1893); les observations de
Lugeol (1892), de Thomson (1893) ; la revue générale d'Acquaderni (1892).
En 1894, nous avons l'occasion de publier, sous le titre d'ostéogénèse anor-
male, une observation qui, quoique rentrant dans la grande famille des ano-
malies du développement osseux, différait toutefois de l'achondroplasie clas-
sique par la prédominance des altérations périostales et que nous rangerions
aujourd'hui parmi les dysplasies périostales.
Citons encore les articles de Clito Salvetti (1894), Apert (1895), Maygrier
(189;»),Splllmann (189), Tissié (1896), Tschistowitsch (1897), Turner (1898),
Schreib (1899), Flemming (1899), Porak et Durante (1900), Legry (1900),
Hergott (1900), de Buck (1900) ; les thèses de Klinger (1897), de Rudolf
(1898), etc., etc.
Jusqu'ici les études avaient presque uniquement porté sur les foetus achon-
droplasiques et n'étaient guère sorties du domaine obstétrical, lorsqu'en 1900
P. Marie donne un nouvel essor à la question en publiant son travail d'en-
semble sur l'achondroplasie de l'adulte et en mettant en évidence, ainsi que
Apert (1901-1902), Méry et Labbé (1902), les caractères qui distinguent ces
malades des myxoedémateux avec lesquels on les avait confondus jusqu'ici.
Apert insiste, en outre, sur l'existence d'une achondroplasie héréditaire et
sur son importance an point de vue des modifications de l'espèce.
Regnault (1901) examine à ce point de vue nne série de squelettes conser-
vés au Musée Dupuytren, Johannessen (1898), Joacfimsthal (J899), Cestanet
Infroit (1901), Molin (1901), établissent les caractères radiographiques des
malades atteints de ce trouble de l'ossification.
G. Durante (1902), à propos de nouveaux faits, établit que l'on a confondu
sous le terme d'achondroplasie des affections histologiquement et cliniquement
disparates, et insiste sur la distinction qu'il importe d'établir entre i'cc/tOH-
droplasie proprement dite par sclérose du cartilage de conjugaison, et la
4$ ? PORAK ET DURANTE
dystrophie I)éi,iostale par lésions des ostéoblastes avec intégrité des cartilages
épiphysaires.
Poncet et Leriche (1903) voient dans l'achondroplasie le résultat d'un re-
tour à l'état ancestral et rapprochent ces malades de certains peuples nains.
Les articles parus sur l'achondroplasie sont actuellement trop nombreux
pour pouvoir être tous, même cités, dans cet historique ; on eu retrouvera la
liste dans l'index bibliographique qui termine ce mémoire.
Nous nous bornerons il. signaler ici, parmi les travaux récents, les études
radiographiques de Treub (1904), Bouchacourt (1904) ; les thèses de Vilaire
Cabèche (1902) sur l'achondroplasie chez l'enfant, de Péloquin (1902) sur
l'achondroplasie chez l'homme et les animaux, de Caruette (1904) ; les revues
générales de Klein (1901), de Regnault (1902), de Leriche (190h), et les mé-
moires de Leblanc (1902), sur l'achondroplasie chez les animaux, de Collmann
(1901), Lannois (1902), Kassowitz (1903), Silberstein (1903), Michel (1903),
Variot (1903), Hecktoen (1903), Swoboda (1903), Bayon (1904), Matuoka
(1904), Lequeux (1904), Crooke (1904), Nathau (1904), Lepage (190').
Enfin, la Société obstétricale de France inscrivait ce sujet à l'ordre du
jour de sa séance annuelle de 1905 et nous chargeait de ce rapport. Ce fut
pour nous l'occasion de reprendre l'étude de cette question dans son ensemble,
en nous appuyant sur l'examen de 9 enfants que nous avons eu l'occasion
d'observer à la Maternité et sur celui d'un squelette de femme achondroplasique
adulte qui existe dans le musée de cet hôpital, mais qui n'avait p;IS encore été
décrit. t.
L'achondroplasie n'est pas une affection nouvelle. Les anciens n'avaient pas
manqué d'être frappés par ces caricatures humaines et nous en ont laissé des
représentations très exactes,confondues jusqu'ici avec le rachitisme, mais dont
Porak, P. Marie, Regnault ont pu établir le diagnostic rétrospectif.
Le dieu égyptien Phtah, le dieu Horus sont des achondroplasiques, tandis
que le dieu Bès, à la figure bouffie, est plus probablement myxoedémateux. Aux
Pygmées antiques, aux gladiateurs nains de Domitien, l'artiste a prêté les carac-
tères achondroplasiques qu'il avait remarqués chez quelques individus du voisi-
nage dont la taille exiguë et les formes athlétiques étaient de circonstance. Une
statuette représente Caracalla avec ces proportions caricaturales.
Les bouffons de cour, chez lesquels les formes grotesques s'alliaient avec une
intelligence parfois très développée, sont souvent des acbondroplasiques : Sé-
bastien de Morra, nain de Philippe IV peint par Vélasquez ; le nain du Tiepolo ;
le nain du festin de Pharaon par Bronzino ; le nain dit « el primo » du Musée du
Prado ; le nain en bronze de Valerio Cioli rentrent dans cette même catégorie.
Plus près de nous, enfin, Regnault pose le même diagnostic pour le nain Oweu
Farel mort en 1742 qui avait 1 m. 137 de taille ; le nain Wybrand Lolkes né
en 1730 qui n'avait que 0,6lui8 de haut; Tom Pouce (1843); le nain de
Broca (1877) ; le prince Balthazar, de Quatrefages(1881) ; le nain de Sabudini,
(1887).
Actuellement enfin, on les retrouve surtout dans les foires ou dans les cir-
LES 1111CROIGLIES CONGENITALES 485
ques remplissant les rôles bouffons connus sous l'appellation «d'Augustes».
Synonymie ET division. - L'affection qui nous occupe paraît avoir aujour-
d'hui acquis sa place spéciale dans le cadre nosologique, mais la discussion,
changeant de terrain, s'est portée sur la pathogénie et le point de départ de la
lésion osseuse. La diversité des lésions observées explique la divergence des
opinions; elle se reflète dans la synonymie singulièrement riche que l'on
retrouve dans la littérature et dont voici les termes les plus fréquemment em-
ployés : /lachztis annulans ou micromelica (Winékler) ; Chondritis foetalis
(Eberth, Urtel) ; Osteogenr'sis imperfecta (Stilling, Hecker, Bidder, Bnday,
Ilildebi,andt, Harbitz, Michel, Scheib, Silberstein) ; Pseudo-chondrilis (Schil-
dlowslti) ; Dysplasie crétinoïde (Klebs) ; 4licronzelia chondromalacica ou
pseudorhacltitica (Marchand et Kirchberg) ; Osteoporosis et osteoscle¡'osis con-
genila selon l'état de raréfaction plus ou moins prononcée du tissu osseux
(Kundrat, Paltauf) ; Aplasie périostale avec ostéopsathyrosis (S. Millier) ;
Chondrodystrophia foetalis divisée en 3 variétés (htype.rplastica, hypoplastica,
malacica) selon le volume et la consistance des épiphyses (Kaufmann, Klinger,
Johannessen, Schwendener, Schwoboda, Nathan, Crooke) ; Micromélie (Kas-
sowitz).
En Allemagne, le terme le plus souvent employé est celui de Rachitisme (oe-
tal, que l'on oppose en tant qu'affection spéciale au rachitisme vrai intra-uté-
rin ; mais il a l'inconvénient de prêter facilement à confusion. En France, on
a, d'une façon générale, adopté celui d'Achondroplasie.
Mais cette terminologie univoque peut-elle être conservée ? Bonne tant qu'il 1
s'agissait de classer provisoirement un petit nombre de faits et de les séparer
du rachitisme et de la syphilis, elle devient aujourd'hui insuffisante en pré-
sence de la variété des lésions observées dans les différents cas.
Si, au point de vue clinique, ces cas présentent certaines analogies, les
examens histologiques permettent d'établir dès aujourd'hui que l'on a confondu
sous le nom d'Achondroplasie des faits dissemblables relevant, les uns d'une
altération du cartilage avec intégrité du périoste, les autres d'un défaut d'os-
sification périostale avec une rivulation chondrale normale. Kaufmann, et
plus récemment Klein, Silberstein ont cherché à opposer la chondrodystrophie
à l'ostéogénèse imparfaite relevant de lésions de l'os compact.
L'un de nous a proposé de diviser l'ensemble de ces dystrophies osseuses
congénitales, confondues sous la dénomination souvent impropre d'achondro-
plasie, en deux variétés :
1 L'achondroplasie vraie, Uistologiquement caractérisée par une sclérose du
cartilage entraînant un défaut d'ossificatiou et le défaut d'allongement de l'os
épiphysaire ;
2° La dystrophie périoslale, caractérisée par une ossification périostale défec-
tueuse avec résorption excessive de l'os diaphysaire mais sans altérations chon-
drales.
Comme ces variétés reposent non seulement sur des caractères cliniques
propres, mais aussi sur des lésions histologiques particulières, nous croyons
4SU l'UIi.lli I : 1' DURANTE
leur distinction importante pour l'intelligence des dystrophies congénitales,
aussi les étudierons-nous dans deux chapitres distincts.
1
ACHONDROPLASIE VRAIE
L'achondroplasie est un trouble de développement du squelette apparaissant
au cours de la vie intra-utérine, et intéressant particulièrement les épiphyses
des os longs des membres, le bassin et la base du crâne. Ilistologiquement
constituée par une sclérose du cartilage épiplysaire d'ossification, elle est
cliniquement caractérisée par un raccourcissement considérable des membres
qui prennent un aspect boudiné, par une déformation du bassin, et par une
synostose prématurée des os cartilagineux de la base du crâne, avec enfonce-
ment de la racine du nez, qui contrastent avec une voûte crânienne bien déve-
loppée, un tronc normal, une intelligence moyenne et des organes génitaux
régulièrement conformés.
L'achondroplasie peut apparaître accidentellement dans une famille, mais
peut également être héréditaire (Porak, Baldwin, Apert, Nau, V.Lauro). L'A-
chondroplase est, en effet, nubile, fécond et susceptible d'avoir une progéni-
ture. L'hérédité s'est montrée, soit chez le père (Boeckh, Nau, Apert, Seves-
tre), soit chez la mère (Porak, Lepage, etc., etc.).
L'achondroplasie peut enfin être familiale et affecter plusieurs enfants
(Treub, Poncet) nés de parents sain ? ou également touchés. Boeckh rapporte
l'histoire d'une famille où le bisaïeul, le père et deux filles auraient été achon-
droplasiques, et dans les deux observations de Poncet et Leriche, le père et le
grand-père étaient achondroplases.
S. Millier, Klein ont noté des accouchements gémellaires où un seul des ju-
meaux était atteint. L'hérédité n'est donc pas inévitable. Un achondroplasique
n'aura pas nécessairement des enfants atteints de cette dystrophie.
Les circonstances dans lesquelles doit s'exercer l'hérédité sont du reste très
limitées. L'impossibilité où se trouve une femme achondroplasique d'accou-
cher normalement constitue l'objection la plus sérieuse à la théorie de Poncet
reprise par Leriche. Ils veulent voir dans l'achondroplasie la persistance d'une
race qui aurait existé. Ils s'appuient, pour soutenir cette manière de voir, sur
l'existence des races humaines de petite taille dont on trouve de nombreux
représentants dans l'Afrique centrale.
Nous tpnons en main quelques photographies qui nous ont été remises par
M. Harny, Il est manifeste que ces Négrillos sont parfaitement constitués et ne
sont en aucune façon des micromi;les. D'ailleurs, une disposition anatomique
ne semble devoir se fixer héréditairement qu'à condition de donner à l'indi-
vidu une supériorité. Chez les chiens bassets, par exemple, la formation os-
seuse peut se fixer par hérédité, parce qu'elle leur confère une qualité, c'est
d'être supérieurs à la chasse à l'arrêt.
Pour Apert, l'achondroplasie est le résultat d'une variation analogue à celle
LES MICROMÉLIES CONGÉNITALES 487
que favorisent les éleveurs, mais qui ne saurait aboutir une race par suite de
l'état d'infériorité où se trouvent ces sujets, et surlout des difficultés de l'ac-
couchement chez la femme micromèle. -
L'hypothèse d'une race achondroplasique ou d'un retour ancestral tombe,
du reste, naturellement par la connaissance plus complète des lésions carac-
téristiques de l'achondroplasie. L'étude histologique de cette affection, en
éclaircissant sa pathogénie, nous permet aujourd'hui de comprendre pourquoi,
bien que l'achondroplasie ait une tendance à se transmettre par hérédité, il ne
se forme pas de races achondroplasiques, pas plus qu'il ne se forme de races
tuberculeuses ou de races syphilitiques.
Le sexe féminin serait plus prédisposé à cette affection que le sexe mascu-
lin d'après Kassowitz qui, sur un relevé de 29 cas, a trouvé 25 filles et 4 gar-
çons.
Pour des raisons qui nous échappent, les achondroplasiques succombent
fréquemment peu après la naissance. Cette mortalité est ordinairement fatale
lorsque la mère est elle-même atteinte de cette dystrophie, parce que les dé-
formations pelviennes qui en résultent, ne permettent pas l'accouchement
normal par les voies naturelles.
Lorsqu'il vit, l'achondroplasique se développe régulièrement ; mais la peti-
tesse de ses membres qui persiste lui donne une physionomie spéciale.
A. Symptomatologie clinique.
1° Nouveau-né. - L'aspect clinique de l'enfant achondroplasique est aujour-
d'hui bien établi et permet d'en faire le diagnostic par simple inspection. Nous
attirerons plus loin, à propos du diagnostic, l'attention sur un certain nombre
de points qu'il importe de vérifier afin de distinguer en particulier le rachi-
tisme, la dysplasie périostale, le myxoedème, le nanisme simple qui pourraient L
en imposer par la brièveté des membres, et de reconnaître les lésions sura-
joutées qui compliquent parfois le tableau clinique et seraient susceptibles de
dérouter un observateur non prévenu.
Les caractères cliniques essentiels de l'achondroplasie sont, non pas le na-
nisme, car le tronc est habituellement de longueur normale, mais la micro-
mélie avec aspect boudiné des membres généralement déviés, et un enfonce-
ment de la racine du nez, contrastant avec un développement du crâne en ap-
parence au moins exagéré.
L'acllondroplasique n'est pas un nain proprement dit, mais un enfant dont
le tronc normal supporte une tête un peu grosse et des membres trop courts.
Sauf dans quelqués cas exceptionnels dont nous parlerons plus loin lVoy.
formes frustes), la micromélie porte également sur les quatre membres.
Après extension des bras, les doigts, au lieu d'atteindre et de dépasser le mi-
lieu de la cuisse, n'arrivent qu'au trochauter ou même la la crête iliaque.
Ainsi que l'a fait remarquer P. Marie, le raccourcissement porte davantage
sur le segment proximal (rhizomélique) que sur le suivant. Il est plus accusé,
relativement, pour la cuisse et le bras, que pour la jambe et l'avant-bras, et
n'intéresse que peu le pied et la main. La cuisse et le bras; normalement plus
488 PORAK ET DURANTE
longs chez le nouveau-né que les jambes et l'avant-bras, sont, en général, plus
courts que ces derniers (déjà eux-mêmes raccourcis) chez l'achondroplasique.
Toutefois, cette inversion dans les rapports réciproques des divers segments
n'est pas absolument constante. Elle se réalise dans une de nos observations,
mais ne se vérifie pas, par exemple, chez l'enfant d'Apert. Elle semble plus
fréquente chez l'achondroplasique adulte que chez le nouveau-né. Peut-être
cela tient-il au mode d'accroissement des os qui, ainsi que l'ont montré Ollier
et Humphrey, Manouvrier, Godin, etc., etc ? s'effectue de 0 an à t'age adulte
non d'une façon régulière, mais par poussées successives ; les deux épiphyses
coopèrent très inégalement à l'allongement total, et l'une fournit souvent un
travail 5 à 6 fois plus considérable que l'autre.
Les membres paraissent d'autant plus courts, plus ramassés qu'ils sont, en
outre, épaissis, tant par suite de l'élargissement des épiphyses que par l'effet
d'une augmentation du tissu adipeux.Cet épaississement et le raccourcissement
peuvent être tels, que le diamètre transversal du membre arrive à égaler pres-
que la longueur d'un segment. C'est ainsi que dans une de nos observations
(inédite ; enfant Darr...) la longueur totale du membre supérieur était de 8 cen-
timètres, correspondant à un diamètre de 3 1/2 cent., égal pour le bras et l'a-
vant-bras ; la longueur totale du membre inférieur de 9 centimètres correspon-
dait à un diamètre de 5 1/2 cent. pour la cuisse et de 3 1/2 pour la jambe.
Dans une autre observation (1902) la longueur du bras était de 2 centimètres
et son diamètre transversal 1,7 cent. ; la longueur de la cuisse ainsi que celle
de la jambe : 2,6 cent. et leur diamètre transversal 2 centimètres.
La peau, souvent un peu épaissie, sous-tendue par un abondant et ferme
tissu cellulo-adipeux, forme des plis transversaux au |niveau des articulations
et même dans la continuité des segments, transformant ainsi les bras, les jam-
bes, les cuisses en petits cylindres courts superposés et complétant l'aspect
boudiné si frappant chez la plupart de ces enfants.
F. Regnault a rangé parmi les achondroplases le n° 991 du Musée Dupuy-
tren dont la peau, au lieu de former des plis transversaux, dessine des rides
verticales comme pourrait le faire un vêtement beaucoup trop large. Les os
des membres de ce foetus sont petits, épais, anguleux, la racine du nez enfon-
cée ; mais la tête n'est pas augmentée de volume, les côtes, les clavicules sont
courtes et déformées. S'agit-il ici d'un achondroplasique ayant maigri ou d'un
enfant atteint d'une autre affection ? Nous sommes loin d'avoir élucidé toutes
les dystrophies congénitales et les associations qu'elles peuvent réaliser entre
elles, aussi nous paraît-il encore prématuré d'établir un. diagnostic ferme il
propos de ces formes anormales en l'absence de tout examen histologique.
Outre leur raccourcissement, les membres présentent souvent des déviations,
des déformations plus ou moins marquées. La cuisse est généralement écartée
avec concavité interne ou postéro-interne du fémur, le pied se met volontiers
dans l'extension avec rotation interne. Ces déformations sont, en général, non
pas à grand rayon, mais brusques, angulaires ; ce sont des coudures plutôt que
des courbures, et qui s'effectuent plutôt à l'union de l'épiphyse avec la diaphyse
que dans la continuité de cette dernière. Nous y insisterons à propos de l'é-
LES MICROMÉLIES CONGÉNITALES 489
tude du squelette, et l'anatomie pathologique nous permettra d'en comprendre
la raison (Voy. p. 497).
Ajoutons, enfin', que ces incurvations sont parfois plus apparentes que réel-
les. Chez le petit malade de Lepage, que nous avons eu l'occasion d'examiner,
la jambe semblait avoir une notable convexité externe ; la palpation permettait t
cependant de constater une crête antérieure du tibia parfaitement rectiligne.
La déformation apparente relevait de la saillie exagérée des muscles de la ré-
gion externe.
Le système musculaire des achondroplases est généralement, en effet, plus
développé que chez uu nouveau-né normal. Cette hypertrophie au moins lé-
gère des muscles concorde avec le développement des tubercules osseux d'inser-
tion. Nous la retrouverons, plus marquée encore, chez le malade devenu adulte
auquel les saillies musculaires donnent un aspect athlétique et qui peut effecti-
vement développer une force hors de proportion avee sa taille réduite.
Quoique généralement moins touchés que les autres segments des membres,
les mains et les pieds sont épais et doivent un aspect ramassé à la brièveté du
médius qui souvent ne dépasse pas les deux doigs voisins. De forme irréguliè-
rement conique, larges et au contact les uns des autres au niveau de la lre pha-
lange, les doigts s'amincissent et se séparent vers leur extrémité, réalisant ainsi
la main en trident que P. Marie a si bien décrite chez l'achondroplase adulte.
La face est petite, la langue souvent procidente, la racine du nez aplatie et
paraissant d'autant plus enfoncée qu'elle est surplombée par des bosses frontales
plus marquées. Cet enfoncement du nez peut être parfois assez accusé pour
faire penser de la syphilis héréditaire (Kassowitz).
Le crâne est volumineux, brachycéphale. Les fontanelles et les sutures sont
régulières ou un peu exagérées. La consistance des os de la voûte est normale,
ce qui distingue l'achondroplasie pure de la dysostose cléido-crânienne, de la
dysplasie périostale, et de certains rachitiques. L'hydrocéphalie est rare et
n'existait que dans les observations de Scbarlau, M. Smith, Bode, Maygrier.
L'exagération du volume céphalique est parfois très notable. C'est ainsi que
dans une observation de Bouchacourt les diamètres sont les suivants : BT :
8,9 ; PB : 10,5 ; SOB : 9,8 ; OF : 11,9 ; OM : 14,3. Dans un fait
publié par l'un de nous eu 1902, le foetus âgé de 6 mois seulement présentait
les diamètres suivants : BP : 9; - OF : 10; OM : il,6; qui répondent t
à une tête d'enfant à terme.
Kassowitz, dans certains cas, a vu la circonférence du crâne égaler et dépasser
la longueur totale du corps, alors que chez le nouveau-né normal elle mesure
à peu près les deux tiers de cette longueur.
L'exagération du volume du crâne est fréquemment plus apparente que
réelle. Les mensurations, dans les observations de Porak, Apert, Lugeol, ont
donné en moyenne les dimensions suivantes :
OM : 11,5 ; SOB : 8,8 ; BP : 8,3.
C'est par comparaison avec la brièveté du corps et surtout avec la petitesse
de la face que le crâne parait excessif. En fait il s'agit, le plus souvent, chez le
nouveau-né, d'un crâne brachycéphale et à bosses saillantes, de peu supérieur
490 l'ORAX ET DURANTE
au volume d'un crâne d'enfant normal, mais, par cela même, disproportionné
par rapport à l'exiguïté des membres.
- Cette hypertrophie crânienne est encore exagérée à la vue par les faibles
diamètres de la face qui le supporte. Cela donne à l'ensemble de l'extrémité
céphalique un aspect piriforme assez caractéristique, parfois peu marqué chez
le' nouveau-né, mais qui s'exagérera avec l'âge et présente une certaine valeur
au point de vue du diagnostic de l'achondroplasie d'avec les autres dystrophies
osseuses.
Le tronc est généralement bien conformé et d'une taille correspondant à
l'âge du foetus lorsque l'accouchement s'est effectué avant terme.
- Le thorax est le plus souvent régulier,cylindrique (Péloguin), parfois à ouver-
ture inférieure un peu élargie (ce qui est en particulier le cas pour l'enfant D...
(fig. 4). Les déformations y sont rares à moins de coexistence de lésions os-
seuses autres venant compliquer l'achondroplasie. La colonne vertébrale est
rectiligne, le dos plat. Mais plus tard, chez les jeunes enfants, la saillie des fes-
siers et l'antéversion du bassin entraînent une ensellure lombaire plus ou
moins accentuée faisant proéminer le ventre, apparence qu'avait déjà signalée
Parrot et qui rappelle certains types pseudo-hypertropliiques.
2° Enfants. Lorsqu'ils survivent, les achondroplases ne paraissent pas
souffrir des troubles de leur ossification.
Les fontanelles se ferment tard, mais les noyaux osseux des os courts et des
épiphyses apparaissent et évoluent normalement. Leur développement est par-
fois même un peu avancé, ce qui concorde avec la synostose prématurée de la
base du crâne (Kassowitz). ,
L'adiposité, excessive à la naissance, diminue progressivement et laisse de
plus en plus en évidence les saillies exagérées de masses musculaires.
Les dents apparaissent à leur terme normal, ce qui distingue l'enfant achon-
droplasique des rachitiques et des myxoedémateux.
Kassowitz a insisté sur l'existence d'une laxité articulaire assez prononcée,
particulièrement accusée au genou, mais qui se retrouve dans les autres arti-
cles. Il rapproche ce phénomène de la luxation congénitale de la hanche dont
la pathogénie est encore mal élucidée.
On pourrait invoquer cette laxité comme cause déterminante des déforma-
tions qui se produisent à ce niveau. Nous croyons plutôt qu'elle en est le ré-
sultat. Par suite du volume excessif des épiphyses, de la non-concordance de
leur axe avec celui de leurs diaphyses, l'effort de croissance se fait oblique-
ment, les surfaces articulaires possèdent un aplomb imparfait, et il en résulte
des déformations articulaires progressives qui distendent les ligaments, d'où
un jeu plus facile dans des articles dont la coaptation est déjà défectueuse.
, Tout en demeurant micromélique l'enfant s'accroît. Il faut tenir compte de
ce fait afin de ne pas attribuer à un traitement donné ce qui n'est que la con-
séquence de l'évolution normale de l'achondroplasique..
Les fonctions de la vie organique s'effectuent normalement chez ces enfants
qui, à leur stature près, se développent régulièrement. Il n'existe pas, en géné-
ral, de troubles hématopoiétiques.
LES lIfICIt0 : IfI : LIGS CONGÉNITALES 491
Les fonctions sexuelles apparaissent et se manifestent naturellement.
L'intelligence est normale, sans infériorité notable. Au point de vue intel-
lectuel ces enfants sont égaux à ceux du même âge. Une des petites malades
de Kassowitz, à l'âge de 15 ans, malgré sa bouche ouverte et sa langue saillante,
ne présentait aucun retard intellectuel, et une autre, plus avancée que la
moyenne, était la meilleure élève de la classe.
3° Adulte. - L'étude clinique de l'achondroplasie chez l'adolescent et
l'adulte, faite d'abord par Porak et par Kaufmann chez la femme surtout au
point de vue obstétrical, a été reprise et complétée par P. Marie auquel nous
devons un remarquable travail d'ensemble sur ce point et par Apert. Ils ont
nettement établi les caractères séparant les achondroplasiques des crétins et des
rachitiques avec lesquels on les confondait habituellement jusqu'ici. La peti-
tesse de la taille, qui peut descendre à 107 centimètres (femme de 27 ans de
Bailly, squelette de la Maternité), même à 97 centimètres (femme de 23 ans de
Boeckh), a fait ranger ces malades parmi les nains. La brièveté des membres
par rapport à un tronc normal et à une tête en général volumineuse, enfin
l'aspect athlétique des muscles frappent encore plus chez t'achondropiase adulte
que chez le foetus.
Les bras, forts et musclés, tenus un peu écartés du corps (peut-être par.
suite de la disproportion de la tête numérale), n'atteignent, les doigts étendus,
que la crête iliaque ou le grand trochanter, alors que normalement la main
devrait arriver au tiers moyen de la cuisse.
Les membres inférieurs, épais, courts, aux muscles vigoureux, ne présen-
tent pas de courbures dans la continuité de leurs segments, mais sont plus
ou moins fortement arqués par suite d'un déplacement angulaire au niveau
du genou ou un peu au-dessous de cette articulation, le plateau du tibia étant
déjeté en dehors (P. Marie). Cet aspect arqué est encore accentué par le déve-
loppement des muscles de la région externe de la cuisse et de la jambe qui
exagère la convexité externe dessinée par les membres inférieurs et qui pour-
rait en imposer pour une courbure diaphysaire rachitique si la palpation ne
permettait de vérifier la rectitude de ces diaphyses.
Alors que chez l'individu normal la symphyse pubienne est à peu près à
égale distance du vertex et du sol, elle se trouve chez ces malades plus ou
moins abaissée et répondait, chez les sujets d'Apert, environ au tiers de la hau-
teur totale par suite du raccourcissement des membres inférieurs. * '
C'est donc uniquement à cette brièveté des membres qu'est due la petite
taille de ces malades dont le tronc, au contraire, mesuré- de la fourchette
sternale au pubis, présente des dimensions sensiblement normales et en rap-
port avec leur âge.
Le raccourcissement des membres affecte souvent le type rhizomélique
(P. Marie), c'est-à-dire que la cuisse et le bras, normalement plus longs que
la jambe et l'avant-bras, sont plus courts que ces derniers ; il y a alors
inversion dans les rapports proportionnels des segments rhizoméliques et mé-
soméliques.
Les mains présentent des déformations spéciales sur lesquelles P. Marie a
492 PORAK ET DURANTE
insisté. Elles sont courtes, épaisses. Les doigts sont de dimension presque
égale, donnant à la main un aspect carré; juxtaposés à leur base, ils s'écar-
tent les uns des autres par leur extrémité et simulent la divergence des dents
d'un trident (mains en trident). Le métacarpe, les doigts présentent une lon-
gueur moindre que chez l'individu sain (Apert), mais le raccourcissement de
ces segments (acroméliques) est proportionnellement moindre que celui des
deux autres segments (méso et surtout rhizomélique).
La tête, hors de proportion avec la petite taille de l'individu, est générale-
ment plus volumineuse que celle d'un adulte normal ; elle est ronde, brachy-
céphale, avec bosses frontales et pariétales saillantes. Ce volume est parfois
excessif, sans qu'il y ait hydrocéphalie. 'l'ourolT, sujet décrit par Apert, ne
pouvant trouver chez les chapeliers de chapeaux assez spacieux, est obligé
d'en faire faire spécialement et sur mesure. La face, au contraire, est petite
(tète en poire renversée), large, les traits gros ; le nez court, épaté, aplati à
la racine, large à l'extrémité, aux narines béantes. Les dents sont normales.
La voûte palatine, parfois ogivale, est chez d'autres régulièrement conformée.
Les dimensions suivantes permettent de mieux se rendre compte de ces
raccourcissements en les comparant soit à celles d'un adulte normal dont le
tronc aurait la même longueur que celui du malade ; soit, comme l'a fait Marie,
à celles d'un enfant de 8 ans dont la taille totale était approximativement celle
des achondroplases adultes ; soit, enfin, à une naine rachitique de taille sensi-
blement identique.
Ces chiffres concernent Anatole, âgé de 41 ans, et Claudius, âgé de 18 ans,
étudiés par P. Marie ; Sicard, âgé de 37 ans, et Touroff, âgé de 32 ans, étudiés
par Apert. Nous y joignons les mensurations des squelettes de deux naines
achondroplasique et rachitique conservés au Musée de la Maternité.
LES MICROMÉLIES CONGÉNI l'ALES 493
494 POR\K ET DURANTE
rencontre. Les femmes achondroplases sont susceptibles de devenir mères, ce
qui donne de l'importance à l'étude de leurs déformations pelviennes.
Au point de vue des fonctions intellectuelles, les achondroplasiques ne se
rapprochent ni des idiots, ni des crétins.
Si parfois quelques-uns, comme Claudius et Anatole, paraissent à cet égard
demeurés un peu au-dessous de leur âge, la plupart montrent une intelligence
au moins égale celle des sujets normaux. La malade de Porak avait de l'à-
propos et de la répartie; elle faisait rire les personnes qui la soignaient. Sicard
a une conversation amusante, la compréhension vive, de l'initiative, une bonre
écriture courante et ne fait pas de fautes d'orthographe. · -
Lorsqu'un micromèle présente un niveau intellectuel notablement inférieur,
s'il ne s'agit pas d'une pseudo-achondroplasie, on est donc en droit d'admettre
l'existence d'une lésion surajoutée du système nerveux venant compliquer la
dystrophie osseuse.
13. Examen radiographique.
L'étude radiographique de l'achondroplasie permet, non seulement de vérifier
la forme,et les dimensions des os que nous décrirons plus loin en étudiant le
squelette, mais encore de constater l'état de transparence des tissus. Elle ne
fait donc pas double emploi avec l'examen des pièces post morlem, et devrait
être pratiquée le plus souvent possible même chez les mort-nés dont on pourra
dans la suite compléter l'examen après autopsie.
Les documents de cet ordre sont aujourd'hui nombreux.
Des radiographies de foetus achondroplases ont été publiées parJohannessen,
Kassowitz, Maygrier, Hergott, Daniel, Lequeux ; Bouchacourt et Lévi en ont
réuni 4 cas dans une intéressante monographie; nous-mêmes en avons montré
plusieurs il la Société obstétricale de France. Les clichés de Méry et Labbé, de
Cestan et Infroit, de Variot concernent des enfants plus âgés. P. Marie, Joha-
chimsthal, Treub, Apert, etc., etc. se sont surtout occupés de l'adulte.
Chez le (oetlls achondroplase (comparez Pl. LII la fig. 1 avec la fig. 2 concernant
un enfant normal] les os longs ne paraissent que par leurs diaphyses qui sont
courtes, épaisses, cylindriques, trapues,parfois déformées, s'évasant en cupule
à leurs extrémités. Les diaphyses sont séparées des os voisins par un espace
clair trop large indiquant ainsi les dimensions exagérées des épiphyses encore
transparentes. Les phalanges, les métacarpiens sont également raccourcis et
se montrent comme de petits carrés au lieu de dessiner des rectangles allongés.
Les clavicules sont parfois épaissies ainsi que les côtes, et les vertèbres dimi-
nuées d'épaisseur et plus distantes les unes des autres (Bouchacourt). Toute-
fois, ces altérations ne paraissent pas constantes. Enfin les os, d'une façon gé-
nérale, sont plus transparents que chez les individus normaux (Bouchacourt
et Lévi).
Chez l'enfant plus âgé les épiphyses deviennent nettes et l'on peut mieux
juger de leur volume énorme. Leur opacité est plus forte que chez l'enfant sain
(Cestan etlnfroit, Méry); leur calcification ou leur ossification semble en avance
sur leur âge.
VOI ? l'LLG CO\()GRAI'iIIB 1)C 1..1 SWI'L'rNfl`HF
T. XVIII. l'1. LU
MICROMÉLIES CONGÉNITALES
(Porak et Durante).
PLANCHE LII.
1. Foetus achondroplasique.
Raccourcissement extrême des os longs des membres qui, cependant, ont une épais-
seur à peine inférieure à celle des os correspondants de l'enfant normal. Les épi-
physes très volumineuses qui constituent la plus grande partie de l'os, ne sont indi-
quées que par l'espace vide qui sépare les extrémités osseuses. Déformation
sigmoïde surtout marquée sur le radius droit.
2. Foetus normal.
3. Pseudo-aclzondroplasigue-rachilique (Observ. de Véron,
Soc. obstétr. de France, 1905).
Courbure des os des jambes. Fractures d'un humérus, du radius du côté opposé et des
deux fémurs (une partie de ces derniers a été prélevée pour l'examen histologique),
Gracilité des os de l'avant-bras. Aux membres inférieurs on distingue, comme chez
les achondroplasiques, des plis cutanés transversaux supplémentaires qui relèvent,
ici, des incurvations et des fractures osseuses.
LUS MICIiOMI,LI1 : S CONGÉNITALES 495
Les diaphyses courtes, d'épaisseur sensiblement normale, sont ◀tantôt▶ recti-'
lignes, ◀tantôt▶ incurvées. Mais cette incurvation se produit moins dans le corps'
diaphysaire qu'à l'union de la diayhyse et de l'épiphyse. Il y a, d'une façon géné-
rale,dans les os longs, retard du développement cartilagineux. Chez l'enfant de
8 ansde Cestan etlnfroit.lecartilage d'ossification déjà ossifié ne formait plus une
bande claire à limite précise que l'on reconnaît chez l'enfant de 12 ans de lliéry
et Labbé. Joachimsthal, chez un sujet de Il ans, note que l'épiphyse est encore
très largement séparée de la diaphyse et que l'ossification n'est pas notable-
ment plus avancée que chez un enfant à la naissance ; mais s'agit-il vraiment
d'un achondroplasique simple ?
Il faut, croyons-nous, mettre part, jusqu'à nouvel ordre, la fillette de 13 ans,
observée par Variot, chez laquelle la radiographie ne permettait pas de distin-
guer la tête humérale demeurée cartilagineuse, et dont les épiphyses inférieures
du radius et du cubitus présentaient encore un point d'ossification plongé dans
une large gangue cartilagineuse. Ce cas est anormal sous plusieurs rapports.
Limité aux seuls membres supérieurs avec intégrité de la tête et des membres
inférieurs, il a été amélioré par le traitement thyroïdien. L'auteur tend à le
rapprocher de la forme hypoplastique de Kaufmann. En l'absence d'examen his-
tologique, le diagnostic doit, nous semble-t-il, demeurer en suspens, car diffé-
rentes affections osseuses, particulièrement le rachitisme et le myxoedème,
peuvent donner lieu à cet aspect clinique.
L'ossification se complète peu à peu, mais lentement. Longtemps encore les
diaphyses élargies, comme écrasées, restent séparées des épiphyses par une
ligne transparente. Chez Claudius, à l'âge de 18'ans (P. Marie), on voit encore
un manque de soudure entre la tête et le corps de l'humérus, et chez Anatole,
à 40 ans, la soudure des épiphyses ne paraît pas encore complète (P. Marie).
Par contre elle était effectuée chez le malade de 23 ans de Launois.
C. CARACTÈRE DU SQUELETTE.
Les lésions macroscopiques du squelette achondroplasique, signalées par
Parrot, développées par Porak et par Kaufmann surtout au point de vue des
déformations pelviennes, ont été particulièrement étudiées par Regnault,
P. Marie et Apert qui en ont établi les caractères différentiels, caractères assez
typiques pour pouvoir être facilement reconnus et distingués des lésions
rachitiques et myxoedémateuses avec lesquelles on les avait trop souvent con-
fondues jusqu'ici.
1° Chez le foetus (voy. fig. 4), les os longs des membres sont courts, ramas-
sés, anguleux. Le raccourcissement est souvent rhizomélique ; toutefois cette
règle n'est pas absolue et dans plusieurs observations le fémur et l'humérus
conservent une certaine prédominance en longueur sur les os de la jambe et
de l'avant-bras. Les os ainsi raccourcis atteignent parfois à peine la moitié de
leur longueur normale chez le nouveau-né, et le fémur peut être réduit à
il,5 centimètres (Spillmann) ou même 4,2 (Kassowitz) au lieu de 9,5 longueur
normale, le tibia à 4 (Spillmann) au lieu de 8. ,
Les épiphyses exlrême.iie..c volumineuses, élargies dans toutes leurs di-
496 PORAK ET DURANTE
mensions, font encore, par opposition, ressortir davantage la brièveté des dia-
physes.
Les diaphyses ne sont pas minces ou friables, mais fermes, dures. Leur
diamètre généralement normal parait épaissi en comparaison' de leur faible
longueur. Au lieu d'être lisses et régulières comme chez l'enfant sain, elles
présentent des arrêtes séparées par des dépressions accusées et des surfaces
d'insertion exagérées dues au développement précoce des saillies musculaires.
Le tibia est, en général, plus raccourci que le péroné, en sorte que ce der-
nier atteint en haut l'interligne articulaire, ce qui explique peut-être pourquoi
la jambe forme avec la cuisse un angle ouvert en dedans.
Fig. 4. f''oe<MS achondroplasique (Enfant, Darr., oct. 1899).
Mère syphilitique ; Thorax rétréci à sa partie supérieure et élargi à sa base. Epaissis-
sement considérable des épiphyses. Diaphyses courtes et trapues.Coudure du radius.
LES MIl : t(OM13LIES CONGÉNITALES 497
Les déformations du tibia et du péroné ne s'effectuent pas dans le même sens
et parallèlement comme dans le rachitisme. Le tibia tend à dècrire un angle ou-
vert en dehors et le péroné, un angle ouvert en dedans, d'où [un élargisse-
ment de l'espace interosseux, qui est plus rare au niveau du membre supé-
rieur.
Pas de courbures arrondies et régulières. Les déformations, assez fréquen-
tes aux membres inférieurs, plus rares aux supérieurs, consistent en des in-
curvations bruques, à angle aigu, symétriques. Ces coudures siègent le plus
souvent au niveau ou près de l'union de la diapliyse avec l'épiphyse, comme si
les deux segments avaient basculé l'un par rapport à l'antre (Voy. le radius
du squelette, fig. 4).
Elles relèvent, en effet,de l'évolution même des lésions histologiques que nous
étudierons plus loin. L'achondroplasique n'est pas complètement arrêté dans son
développement; il grandit, quoique faiblement. La sclérose n'est pas aussi
intense sur tous les points. Certaines portions prolifèrent un peu moins mal
que les autres, ainsi que le montre l'intensité variable des lésions dans les
diverses épiphyses et l'irrégularité de la ligne d'ossification. L'allongement
s'effectuera donc ici un peu plus notablement qu'ailleurs. Il en résultera une
déviation de l'axe épiphysairejparjrapport à l'axe diaphysaire, et ces deux axes
formeront un angle plus ou moins marqué au lieu d'être dans la prolongation
l'un de l'autre. Cette coudure sera d'abord exactement juxta-épiphysaire ; mais
si elle s'est effectuée avant la fin de la croissance, l'os continuera à s'allonger
au-dessus d'elle suivant sa nouvelle direction, de sorte que la coudure finira par
occuper un point variable de la diaphyse tout en conservant le caractère angu-
leux dû à son mode de formation. Son siège plus ou moins distant de la ligne
d'ossification permet donc d'estimer approximativement l'époque plus ou moins
éloignée à laquelle, à propos d'une poussée de croissance et de toute autre cause,
s'est effectué ce déplacement entre les axes diapliysaire et épiphysaire.
Chez le nouveau-né, les coudures siègent presque toujours dans le voisi-
nage immédiat du cartilage de conjugaison. Une disposition très fréquente est
une inclinaison en sens inverse des éphiphyses supérieures et inférieures du
radius et du cubitus. Il en résulte pour ces deux os une forme en if) ou mieux
en N très allongé qui n'est pas sans analogie avec la clavicule (Voy. PI. LII,
fig. 1), mais qui est bien différente de la courbure en C, large et dans un seul
sens du rachitisme.
Chez l'enfant et chez l'adulte on peut observer soit de récentes coudures
près de la ligne d'ossification, soit, plus ou moins loin de cette ligne dans la
diaphyse, de plus anciennes remontant à une époque plus ou moins éloignée.
11 est à noter, cependant, que ces coudures tendent en général à s'atténuer et
même à disparaître avec t'age, peut-être par l'effet d'un travail de modelage
physiologique effectué par le périoste et la moelle osseuse dont l'activité est
normalement conservée.
Tête. La face est en retrait, rétrécie et paraît d'autant plus petite qu'elle
se cache sous un crâne volumineux.
svm 33
498 POHAK ET DURANTE
Les os du nez, aplatis à leur racine, en retrait, sont larges, triangulaires ou
quadrilatères et parfois soudés ; les maxillaires supérieurs sont rapprochés de
la colonne vertébrale.
Les os de la base du crâne présentent un arrêt de développement et des
soudures prématurées. Par suite d'une soudure sphéno-basilaire précoce,
l'angle sphénoïdal est très aigu et peut arriver à 114° ou 117° (Kaufmann) au
lieu de 185". C'est ce qui caractérise la cyphose de la base que Virchow croyait,
à tort,liée au crétinisme. (Chez le crétin myxoedémateux, en effet, les soudures
sont, au contraire, retardées.) La soudure des deux portions du sphénoïde est
généralement complète alors que chez l'enfant normal de deux ans ses portions
antérieures et postérieures sont encore séparées par du cartilage. Il y a sou-
dure des condyles de l'occipital avec leur écaille épaissie, et surtout soudure
sphéno-basilaire. Par suite, l'os basilaire fortement incliné entraîne le rocher
dont la face postérieure devient verticale, tandis que la fosse occipitale paraît
plus profonde (Regnault). Regnault propose le terme verticobasie pour dési-
gner cet aspect, qui est l'opposé de la platybasie rachitique. La cyphose basi-
laire, ainsi que le fait remarquer Regnault, n'est pas due à la simple synostose
des os de la base, car elle existe même lorsque la suture est libre ; elle est plu-
tôt la conséquence de l'arrêt de développement des os condyliens.
Dans le cas de Klinger existait également une soudure des os de la région
antérieure de la base.
Ces soudures prématurées sont presque la règle chez l'achondroplase typi-
que ; elles peuvent cependant être plus ou moins complètes, ou faire exception-
nellement défaut (Salvetti, Franqué, Lampe).
Les déformations du palais osseux (voûte ogivale) signalées par Kassowitz
n'ont pas été généralement indiquées.
La tête est ronde, brachycéphale. La voûte crânienne est élargie ; les bos-
ses frontales et pariétales saillantes ; les fontanelles largement ouvertes. Sou-
dure inconstante de la fissure pétro-squameuse. La portion inférieure de l'écaille
occipitale, soudée à ses condyles, est épaissie mais arrêtée dans son développe-
ment. « Au contraire, les deux points d'ossification supérieurs se développent.
L'occipital inférieur ne mesure plus que le cinquième ou le neuvième du supé-
rieur alors qu'à l'état normal ces dimensions sont à peu près égales. L'épaississe-
ment de l'occipital inférieur contraste avec la minceur du supérieur. Les crêtes
occipitales sont très marquées » (Regnault).
Le thorax est normal et régulier, parfois, cependant, élargi à sa base
(Voy. fig. 4). Dans certains cas plus généralisés les côtes sont, elle-mêmes,
élargies, épaissies, à gouttière très marquée et présentent de petits renflements
perlés à leur face interne. Chez un foetus de Regnault les cartilages costaux
étaient durs et incrustés de sels calcaires/ Mais pas de chapelet rachitique
formé par élargissement circulaire au niveau de l'articulation cliondrocostale.
La clavicule est ◀tantôt▶ normale, ◀tantôt▶ épaissie avec exagération de ses cour-
bures et de ses saillies musculaires.
L'omoplate est souvent aussi épaissie, boursouflée.
La colonne vertébrale rectiligne est généralement respectée. Parfois, cepen-
LES 1111CROl11ÉLIGS CONGENITALES 499
dant, les lames et les apophyses épineuses sont élargies, boursouflées (Regnault,
etLegry). Il peut même en résulter un rétrécissement du trou occipital et du
canal médullaire qui, dans le cas de Lampe, avait entraîné une atrophie par
compression de la moelle allongée et de la moelle cervicale.
2° Adultes. -Chez l'acllondroplasique adulte nous retrouvons, exagérés en-
core, les mêmes caractères du squelette que chez l'enfant (voy. p ! . II, fig. 6).
Les os longs des membres sont courts et épaissis.
Les épiphyses volumineuses ont des surfaces articulaires élargies.
Les diaphyses, dures et compactes, paraissent plus épaissies qu'elles ne le
sont en réalité. Leur diamètre est en général normal mais semble excessif par
rapport à leur brièveté.
Il y a exagération des tubérosités et des saillies musculaires séparées par
de larges et profondes gouttières. Ces saillies, ces protubérances sont à large
base d'implantation. Ces os courts, mais aux reliefs accentués, donnent l'im-
pression d'os athlétiques regardés dans un miroir cylindrique qui n'en rédui-
rait qu'une seule dimension.
Cette exagération des saillies est, du reste, en rapport direct avec le dévelop-
pement excessif du système musculaire de ces malades qui possèdent, effecti-
vement, une vigueur bien supérieure à celle que semblerait comporter leur pe-
tite taille.
Le raccourcissement est en général du type rhizomélique, c'est-à-dire porte
au maximum sur le fémur et l'humérus qui deviennent plus courts que le ti-
bia et le radius. Mais, de même que chez l'enfant, ce caractère n'est pas cons-
tant. Il fait, en particulier, défaut sur le squelette de la Maternité.
L" ,. d, h . l , Longueur du radius ... 100) . 1 o ,
L'indice ·ndio-h2277térnl (li0nguer de l'humérus X 100) qui, chez 1 européen
ln lce Ta la- UmeT(I l.ongtictir de l'humérus qUI, C lez européen
normal, oscille entre 82 et 88, s'élève chez l'achondroplasique au delà de 100
et dépasse même parfois HO.
,... ,-7- y. , , Longueur du tibia .. nn. ,
L'indice libio-fénroral 1 ( Longueur du tibia 100 normalement compris
L indice <t&to-/corn/ Longueur du fémur X 00) normalement compris
entre 84 et 90, s'élève à 105 et même 120.
Dans quelques cas, cependant, le raccourcissement de l'avant-bras et de la
jambe devient excessif, de sorte que le fémur et l'humérus, quoique raccourcis,
conservent une prédominance marquée ; leurs rapports demeurent alors dans
les limites normales ou même l'indice radio-huméral peut descendre à 66, 58
et même 53, le tibio-fémoral, à 78 et même 64 (Regnault). Sur le squelette de
la Maternité, nous avons trouvé 86 pour l'indice radio-huméral, et 85 pour l'in-
dice tibio-fémoral.
Plusieurs des squelettes étudiés par Regnault dans divers musées offrent,
au point de vue achondroplasique, des anomalies diverses. En l'absence d'exa-
men histologique on est en droit de se demander si ils concernent tous des
achoudroplasiqnes vrais ou s'ils ne. représentent pas diverses variétés de dys-
trophies osseuses que le microscope nous permet aujourd'hui de distinguer net-
tement.
Les diaphyses sont en général droites et non incurvées. Cette rectitude, plus
réquente chez l'adulte que chez l'enfant, semblerait indiquer que certaines
500 PORAK ET DURANTE
coudures sont susceptibles de s'atténuer, peut-être sous l'inlluence d'un mode-
lage par les ostéoblasties très actifs chez les acbondroplasiques, modelage dont
on connaît l'importance dans le développement de l'os normal. Les coudures,
lorsqu'elles existent, siègent en général près de l'union de la diaphyse et de
l'épiphyse, exceptionnellement dans la diaphyse. Elles sont aiguës et ne pré-
sentent pas les courbes grand arc caractéristiques du rachitisme.
Les déformations proviennent de trois lacteurs :
10 Déplacement de l'axe de la diaphyse par rapport à celui de l'épiphyse,
comme si, au cours du développement-, par suite de pressions anormales, de
contractions musculaires, on plus probablement d'un accroissement inégal au
niveau de la ligne d'ossification, les axes de ces deux portions s'étaient plus
ou moins inclinés l'un sur l'autre. Il en résulte des incurvations angulaires
juxta-épiphysaires qui, cependant, sont moins fréquentes chez l'adulte que
chez le jeune enfant. On peut on rapprocher l'abaissement fréquent de la tête
fémorale dont le col, petit, forme un angle presque droit avec le corps et con-
tribue, en élargissant les hanches, donner un aspect encore plus ramassé et
plus massif à l'individu. Les coudures occupant la continuité des diaphyses
nous paraissent relever, ainsi que nous l'avons dit plus haut, d'un processus
identique mais remontant à une époque plus ancienne ; elles mesureraient, par
leur siège, la quantité dont l'os s'est allongé depuis que l'épiphyse a subi son
déplacement angulaire.
1° L'élargissement des surfaces articulaires qui modifie l'aplomb des seg-
ments des membres les uns sur les autres.
3° L'inégalité du raccourcissement des os d'un même segment. Le péroné
est en général moins raccourci que tibia. En bas, il dessine une malléole ex-
terne saillante qui dépasse fortement la malléole interne et vient en contact
avec une saillie volumineuse du calcanéutn. En haut, il s'élève jusqu'à la hau-
teur du plateau tibial (P. Marie, Régnant).
C'est à cette tète du péroné remontant jusqu'à la surface articulaire et à
l'élargissement du plateau tibial que P. Marie attribue les jambes arquées en
dehors si fréquentes chez ces malades. Cette déformation, qui est indépendante
de toute incurvation diaphysaire, est encore exagérée it la vue par la proémi-
nence des muscles antéro-exterues de la jambe très développés.
Les doigts sont d'égale longueur.
L'extrémité céphalique présente le même caractère, le même aspect piri-
forme que chez le nouveau-né.
La face petite, cachée sous un cràne volumineux, est portée en arrière. Le
bord postérieur du maxillaire supérieur esta 30 millimètres de la colonne ver-
tébrale au lien de 40. Les os dn nez, en retrait du front, sont larges, plats et
sur le même plan (Regnault).
Le crâne volumineux, aux bosses saillantes, est brachycéphale. -
L'os basiltaire, peu développé, est presque vertical, et les fosses cérébel-
leuses profondes. L'angle sphénoïdal est aigu (cyphose).
Vn par sa face inférieure, le crïtnese caractérise par l'élroilesse du trou occi-
l1Ítal et la brièveté du corps basilaire. Sur le squelette de la Maternité, le
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTKIÈRP.
T. XVIII. PI. LUI
MICROMELIES CONGENITALES
(Porak et Durante).
Masson & CI. Editeur,
Pfiotolvtiif lierthauil, Pans
PLANCHE LUI.
5. Naine rachitique (Musée de la Maternité).
Hauteur totale, 147 centimètres; longueur de l'humérus, 23 centimètres ; du radius,
17 centimètres ; du fémur, 26 cent. 1/2 ; du tibia, 27 centimètres.
Indice radio huméral : 74. Indice tibio-fémoral : 98. Observer sur ce squelette (pour
comparer avec le squelette achondroplasique de la &g,6) les incurvations arrondies
des os des membres inférieurs, les déformations du bassin, de la colonne vértébrale
et du thorax, la surface lisse de l'humérus. L'horizontalité du col du fémur relève
uniquement de la courbure de la diaphyse.
6. Naine achondroplasique (Musée de la Maternité).
Hauteur totale, 107 centimètres ; Longueur de l'humérus, 14 centimètres ; du'radius,
12 centimètres ; du fémur, 20 centimètres. ; du tibia, 27 centimètres.
Indice radio-huméral, 86. Indice tibio-fémoral, 85. Diamètres pelviens : antéro-post.,
5 cent. ; transversal, 11 cent. Les os ne présentent pas de courbures et sont rela-
tivement très épais. L'humérus en particulier, quoique plus court, est plus épais
que l'humérus du squelette rachitique. Exagération des saillies musculaires. Cou-
dures des radius. Thorax et colonne vertébrale normaux. Col fémoral horizontal.
Elévation de la tête du péroné. Volume relativement exagéré du crâne.
7. Crâne normal de femme adulte (.Musée de la Maternité).
Sur ce crâne les diamètres du trou occipital sont : 'antéro-postérieur : 3 cent. 1/2,
tranversal : 3 centimètres. La surface basilaire mesure 3 cent. 3/4 du bord antérieur
du trou occipital au bord post. vomer.
8. Crâne achondroplasique de femme adulte (Musée de la Maternité).
(Même sujet que la lig. 6).
Circonférence maxima 53 centimètres. Les diamètres du trou occipital, très inférieurs
à la normale, sont : antéro-postérieur : 2 cent. 1/2, transversal : 2 centimètres. La
surface basilaire extrêmement raccourcie, mesure 2,1 centimètres seulement, du
bord ant., du trou occipital, au bord post. du vomer. Petitesse de la voûte palatine
et de l'orilice postérieur des fosses nasales.
Nota. - On se rendra mieux compte des particularités de ces deux crânes en re-
tournant la planche et en les regardant le maxillaire en haut.
LES \IICROM);L1GS CONGHMTALES 501
trou occipital, dont les diamètres étaient du 1/3 au-dessous de la normale,
mesurait 2 1/2 centimètres sur 2 centimètres (au lieu de 3 1/2 cent. sur 3
cent.) ; la surface basilaire, très raccourcie, avait 2,1 centimètres du bord
antérieur du trou occipital au bord postérieur du vomer (au lieu de 3 3/4 cent.);
enfin la voûte palatine était petite et l'orifice postérieur des fosses nasales très
rétréci (voy. PI. LUI, fig. 8).
La clavicule, de longueur normale, présente souvent une exagération de ses
reliefs. L'omoplate est ◀tantôt▶ normale, ◀tantôt▶ petite et épaissie. Le sternum
est normal ainsi que les cales. La colonne vertébrale ne. présente aucune incur-
vation. « On peut même dire qu'elle présente moins de courbures que chez un
individu normal ; les achondroplases ont plutôt un dos plat » (P. Marie).
L'ensellure lombaire, qui existe dans tous les cas, est due il la bascule du
sacrum dont nous avons parlé plus haut.
Bassin. - Les déformations du bassin se caractérisent par l'a1ltéve1"
sion, la diminution absolue de tous les diamètres et relative du diamètre an-
tél'o-]Joslé1'ieur du détroit supérieur. Il existe souvent une légère asymétrie
du bassin. Il est facile d'interpréter ces lésions. Les os du bassin participent à
la micromélie pour la même raison que l'omoplate est petite et épaissie comme
l'humérus. Il est même intéressant de tenir compte, dans l'appréciation du
défaut de développement de l'omoplate et du bassin, du caractère rhizomélique
de la micromélie. L'atrophie, portant surtout sur le segment supérieur des
membres supérieurs et inférieurs, aura nécessairement de l'influence sur les
ceintures scapulo-claviculaire et pelvienne. De plus, le frout et la tête ayant
le développement qu'ils présentent chez l'adulte normal, il en résulte que l'é-
quilibre est assuré par une inclinaison antérieure plus marquée du bassin. La
transmission du poids au point d'appui cotyloïdien a aussi pour conséquence
de projeter le promontoire en avant, en faisant basculer le sacrum de haut en
bas et d'avant en arrière. D'où le rétrécissement marqué du diamètre antéro-
postérieur du détroit supérieur. Tous les diamètres du détroit supérieur par-
ticipent à l'étroitesse du bassin d'une façon absolue. Mais ils sont, relative-
ment aux diamètres du détroit supérieur, plus grands à cause de la bascule
du sacrum. Enfin on décrit habituellement un peu d'asymétrie du bassin. Cela
tient probablement à la force musculaire très développée des achondroplasi-
ques, qui s'exerce d'une façon plus marquée d'un côté que de l'autre et impres-
sionne en conséquence une des moitiés latérales du bassin plus que l'autre.
Le diamètre antéro-postélieur du détroit supérieur est ordinairement très
rétréci, descend à G ou 7 centimètres et rend, conséqnemment, l'accouche-
ment a terme impossible par les voies naturelles. Sur le squelette de la Mater-
nité, les diamètres du détroit supérieur mesurent : le transversal 11 centimè-
tres, l'antéro-postél'iel1l' 5 centimètres seulement.
D. - ANATOMIE PATHOLOGIQUE (1).
L'étude .histologique de l'achondroplasie, ébauchée par Parrot a été complétée
(1) Ossification normale. - Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler ici brièvement
502 PORAK ET DURANTE
dans la suite, en particulier dans les mémoires de Kircltler et Marchand, de
Kaufmann, de Klinger, de S. Müller en Allemagne, de G. Durante et de Spill-
mann en France.
Ces lésions microscopiques, aujourd'hui bien déterminées, au moins dans
leurs grandes lignes, offrent des caractères plus pathognomoniques que les
seuls signes cliniques qui peuvent être réalisés, au moins en partie, par d'au-
tres affections et prêter ainsi à confusion. L'examen histologique est donc, en
dehors des cas types, nécessaire actuellement pour asseoir un diagnostic cer-
tain ; il est indispensable pour s'assurer si l'achondroplasie est seule en cause
ou s'il s'agit de formes mixtes où d'autres lésions osseuses sont venues com-
pliquer la lésion primitive.
Dans le rachitisme, les lésions paraissent porter avec une prédilection toute
spéciale sur les côtes. C'est donc la cage thoracique qui devra' être étudiée
spécialement.
les grandes lignes de l'ossification normale.
1° Ossification chondrale. - Dans la zone d'ossification on peut distinguer trois cou-
ches successives en se portant du cartilage indilférent vers la diaphyse (voy. PI. LVI,
fig. 9).
a) Zone de prolifération. Les cellules du cartilage indifférent se multiplient et
constituent ainsi des amas irrégulièrement allongés dans le sens vertical, rapprochés
les uns des autres, mais séparés par une quantité notable de substance interstitielle
parfaitement hyaline.
b) Zone de rivulation. Les cellules multipliées augmentent de volume, deviennent
plus larges, plus transparentes, et^se sérient en colonnes régulières composées chacune
d'une rangée de 40 à 60 cellules dont les plus rapprochées de la ligne d'ossification
sont un peu plus' grosses que les plus éloignées. Ces colonnes, toutes exactement
parallèles les unes aux autres, sont très rapprochées mois séparées, cependant, par de
minces colonnettes de substance hyaline qui les limitent nettement et, vers le bas,
commencent à se calcifier. Ces deux couches forment ensemble une mince zone bleuâ-
tre translucide de 1 à 2 millimètres d'épaisseur (couche chondroide).
c) Ligne d'ossification (Couche ossiforme). Elle se présente comme une mince zone
d'un jaune mat de 1/2 millimètre d'épaisseur. Chaque colonne caitilagineuse s'ouvre
ici dans la moelle osseuse qui envoie une anse vasculaire dans chacune d'elles. Cette
ouverture s'effectue pour chaque colonne à la même hauteur que pour sa voisine, d'où
la direction droite et absolument régulière de cette ligne d'ossification. A ce niveau
les cloisons hyalines, qui séparaient les colonnes dénudées par la libération des cellu-
les cartilagineuses, se prolongent un peu plus bas comme une fine dentelure régulière
et s'incrustent de sels calcaires. Elles seront, en effet, l'amorce des futures travées
osseuses. A leur surface se disposeront les ostéoblastes auxquels elles serviront de
support, de travées directrices et qui, par apposition successive de lamelles osseuses,
constitueront l'os définitif.
2° OM ? ca<K) ? ët' : os<<e. La couche ostéotçène est constituée par une substance
fondamentale fibreuse et par des cellules spéciales (ostéoblastes). Au voisinage de la
diaphyse, les fibres s'imprègnent de sels calcaires-commeplus haut la substance fonda-
mentale séparant les colonnes de cellules cartilagineuses. Comme celle-ci elles servent
de support aux ostéoblastes qui viennent s'appliquer régulièrement à leur surface,
sécrètent de l'oséine et se transforment en cellules osseuses. Les travées ainsi formees
délimitent des espaces allongés où cheminent les vaisseaux. L'ossification se complète
par appositions successives sur ces travées primitives de rangées d'ostéoblastes et
formation de lames osseuses concentriques constituant les systèmes de Ilavers de l'os
compact (voy. Pl. LVI, fig. 16).
LES MICROMÉLIES CONGENITALES 503
Dans les diverses formes d'achondroplasie ce sont les os longs qui sont alté-
rés au maximum. On retrouvera des lésions du même ordre à l'examen histo-
logique de la clavicule, des os de la base da crâne, ainsi que des petits os du
carpe, du tarse et même des phalanges. Mais les extrémités du fémur, du tibia,
du péroné, de l'humérus et du cubitus nous ont toujours paru offrir les alté-
rations les plus typiques.
Les coupes longitudinales doivent être faites parallèlement à la direction de
l'os et passer dans l'axe de l'épiphyse et de la diaphyse. Celles qui passent uni-
quement sur les bords de la ligne d'ossification sont moins démonstratives et
offrent un mélange d'ossification périostale et d'ossification cartilagineuse qui,
plus facilement qu'ailleurs, pourrait prêter à confusion.
- 1° Ossification cartilagineuse. - Le cartilage épiphysaire, volumineux, plus
ou moins ramolli, comme s'il était imbibé d'une surabondance de mucine, as-
sez translucide chez le nouveau-né, paraît parfois, à l'oeil nu, traversé par un
réseau de petits tractus conjonctivo-vasculaires plus opaques, et, sur les cou-
pes, criblé de lacunes représentant les lumières de ces vaisseaux.
a) Le cartilage indifférent, au lieu de se continuer insensiblement avec la zone
de prolifération, en est séparé par pne bande transversale qui, partant du pé-
richondre où elle est plus large et plus dense, se porte horizontalement en s'at-
ténuant progressivement jusqu'au centre de l'épiphyse. Dans les os les moins
malades, elle est constituée par une simple transformation fibrillaire du carti-
lage et ne renferme que quelques vaisseaux de petit calibre limités par de fins
tractus conjonctifs. Dans les extrémités plus atteintes, elle constitue une épaisse
bande fibreuse se colorant fortement, dans laquelle cheminent de nombreux et
larges conduits vasculaires (Voy. f. PI. LIV, fig. 10 et PI. LV, fig. 13).
Cette bande fibreuse, retrouvée par tous les auteurs, sauf Johannessen et
Franqué, est considérée par Kirchberg et Marchand, par Eberth, par Storp, par
Collmann comme un enclavement du périoste, tandis lu'Urtel, Haeso, Kauf-
mann y voient le résultat de l'accroissement actif de cette membrane.
b) Au-dessous de cette bande fibreuse, la zone de prolifération est très défec-
tueuse. Au lieu de former des amas réguliers, rapprochés les uns des autres et
tendant de plus en plus à se disposer en séries linéaires, les cellules cartilagi-
neuses, largement espacées, sont disposées sans ordre et comme jetées au ha-
sard au sein d'une substance interstitielle trop abondante qui tend elle-même
parfois à subir une transformation fibreuse (Voy. s. PI. LIV, fig. 10 et PI. LV,
fig. 13).
c) La zone de rivulation est rudimentaire et souvent totalement absente. Si,
par places, quelques cellules présentent encore une ébauche d'ordination, ce
n'est que sous forme de colonnettes courtes formées de 3, 4 à 6 éléments au
niveau même de la ligne d'ossification. Cette disposition rudimentaire est elle-
même inconstante et fait défaut dans les épiphyses les plus altérées (Voy. c. PI.
IX, fig. 14).
A ce niveau, la substance interstitielle s'imprègne de sels calcaires qui cons-
tituent des placards irrégulièrement disposés et d'épaisseur variable le long du
bord supérieur de la ligne d'ossification (Voy.c. PI.LIV, fig.l0 et PI.LY,fig.13).
504 PORAK ET DURANTE
Dans cette zone d'ossification scléreuse, l'un de nous a décrit, chez un achon-
droplase jeune, des nodules cartilagineux particuliers, arrondis ou ovoïdes,
renfermant des cellules cartilagineuses arrondies, fortement tassées les unes
contre les autres et beaucoup plus volumineuses, non seulement que les autres
éléments de la coupe,mais même que les cellules cartilagineuses normales (Voy.
b. PI. LIV, fig.'l3). Ces nodules, dont la base arrive à la ligne d'ossification et
dont sommet atteint et même dépasse le bord supérieur de la zone de proli-
fération pour atteindre le cartilage indifférent, sont nettement limités par une
sorte de coque constituée par une substance interstitielle fibrillaire semée de
minces cellules cartilagineuses aplaties et disposées concentriquement. Ces no-
dnles qui, pour la forme et la structure, mériteraient le terme d'adénome, si
ce terme pouvait être employé pour du cartilage, nous paraissent assimilables
à d'énormes colonnes de rivulation, développées non seulement en longueur,
mais aussi en largeur et qui se seraient fait place en comprimant et en tassant
les éléments voisins.
Cette assimilation nous semble d'autant plus exacte que ces nodules évoluent
ultérieurement au cours de l'ossification comme le ferait, en plus petit, une co-
lonne normale au niveau de la ligne d'ossification (Voy. b. PI. LV, fig. 14).
d) La ligne d'ossification est extrêmement irrégulière. Le; capsules, devenues
un peu plus volumineuses, ne contiennent cependant que 2à3 éléments ou même
n'en renferment qu'un seul lorsqu'elles s'ouvrent dans les cavités médullaires.
Mais elles ne s'ouvrent pas toutes au même niveau, d'où un aspect très sinueux
de cette ligne normalement régulière (Comparez Pl. LIV, fig. 9 et 10 et PI. LV,
fig. 13).
Cette irrégularité est encore exagérée, dans un sens par les placards calcifiés
de substance interstitielle qui, pauvres en éléments encapsulés, proéminent
comme des promontoires déchiquetés du côté de la moelle osseuse ; dans l'autre,
par des bourgeons médullaires vasculaires qui se portent la rencontre de la
bande fibreuse, et dont quelques-uns très volumineux s'étendent jusqu'au carti-
lage indifférent. ,
Ces bourgeons médullaires se continuent par un collet plus ou moins étroit
avec les espaces médullaires de la ligne d'ossification. Ils renferment souvent
il leur intérieur quelques trabécules osseuses développées sur place, mais de-
meurent nettement délimitées du cartilage environnant qui, comprimé à leur
pourtour, ne présente aucune tendance à l'ossification. Parfois quelques volu-
mineuses cellules cartilagineuses persistent encore au fond de ces bourgeons,
donnant la preuve que ceux-ci dérivent bien de l'ossification indépendante
mais régulière des gros nodules cartilagineux dont nous parlions plus haut.
Parfois, enfin, ces bourgeons se mettent en rapport direct avec de larges espa-
ces vasculaires contenus dans la bande fibreuse transversale provenant du pé-
richondre et semblent établir ainsi une large voie anastomosique entre les vais-
seaux épiphysaires et ceux de la diaphyse osseuse.
e) Les travées nées de la ligne d'ossification sont petites, grêles, essentielle-
ment irrégulières et représentent un semis de petites trabécules calcifiées, dis-
persées dans de larges espaces médullaires.
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I MICROMÉLIES CONGÉNITALES ' f
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PLANCHE LIV.
Ossification chondkalb.
Fio. 9. Ossification chondrale normale.
a) zone cartilagineuse de prolifération. b) zone de rivulation. - c) ligne d'ossi-
fication. d) moelle et travées osseuses.
Fio. 10. Achondroplasie. Coupe longitudinale de l'épiphyse supérieure du fémur.
a) zone du cartilage indifférent. - f, f') bande fibreuse séparant le cartilage indiffé-
rent de la zone de rivulation. - g) bourgeon vasculaire faisant communiquer les
vaisseaux de la bande fibreuse avec ceux de la moelle osseuse. s) zone de ri-
vulation. La rivulation y fait complètement défaut et est remplacée par un car-
tilage fibreux semé de cellules cartilagineuses rares et dispersées sans ordre.
Le bord inférieur de cette zone se calcifié par places c) au niveau de la ligne
d'ossification qui est irrégulière. - o) travées osseuses larges et bien calcifiées sans
débris cartilagineux. m) espaces médullaires.
Fio. 11. Rachitisme congénital (pseudo-achondroplasique).
a) zone de prolifération. b) zone de rivulation très nette. Les colonnes cellulaires,
régulièrement disposées, sont séparées par une substance interstitielle hyaline plus '
abondante que normalement. c) ligne d'ossification au-dessous de laquelle se
prolongent des travées cartilagineuses persistantes (d) qui, mêlées aux travées os-
seuses, constituent la couche ostéoide.
Fio. 12. Dysplasie périostale.
b) zone de rivulation très nette, plus haute et plus régulière qu'à l'état normal. -
c) ligne d'ossification formée par l'ouverture individuelle de chacune de ces colonnes
cartilagineuses dans les espaces médullaires. d) moelle osseuse avec larges es-
paces médullaires et étroites travées osseuses bien calcifiées.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrièrf.
T. XVIII. Pl. LV
MICROMÉLIES CONGÉNITALES
(Porak et Durante).
Masson & Clr, Editeurs
Phototypie ],rtiaud, Paris
PLANCHE LV.
Fw. 13. - Achondroplasie. Ossification chondi ale.
(Coupe longitudinale de l'extrémité supérieure du tibia).
a) cartilage indifférent. b) adénome cartilagineux, noyau nettement limité de
cellules cartilagineuses hypertrophiées ? ) bande fibreuse. -s) cartilage scléreux
semé de cellules rares et disposées sans ordre ; absence complète de rivulation. Le
bord inférieur de cette zo e scléreuse est calcifié (c), particulièrement dans la
portion moyenne de la figuic.
Fie. 14. - Achondroplasie. Ossification chondrale.
a) cartilage indiffèrent. b) adénome cartilagineux en voie d'ossification. Sa portion
supérieure enferme encore de grosses cellules cartilagineuses.
En b) la substance interstitielle se calcifié. Au-dessous se dessine un système médul-
laire encore nettement en rapport avec ce bourgeon. c) La bande fibreuse fait
défaut à ce niveau, mais la zone de rivulation est très irrégulière et sa substance
fondamentale complètement calcifiée.
Fio. 15.- Achondroplasie. Ossification périoslale
p) couche fibreuse du périoste. o) couche régulière des ostéoblastes tapissant les
travées osseuses.
LES MICROMÉLIES CONGÉNITALES 505
Parfois on y reconnaît encore quelques cellules cartilagineuses, mais celles-
ci, inconstantes, sont toujours peu nombreuses, disparaissent bientôt et ne
constituent pas de larges travées à centre cartilagineux persistant jusque dans
l'os définitif comme on le constate dans le rachitisme.
Les trabécules ainsi formées, sur lesquelles ne s'appliquent que des ostéo-
blastes peu nombreux, n'augmentent que faiblement de volume et constituent un
os très spongieux à larges mailles, à réseau délicat, peu résistant et qui permet-
trait une facile disjonction des épiphyses, si, à la périphérie, le périoste ne
construisait un os plus compact qui remonte jusqu'à l'encoche épiphysaire et
assure à lui seul l'union de ces deux parties.
La faiblesse du tissu osseux formé au-dessous de la ligne d'ossification aux
dépens du cartilage altéré rend les déplacements, à ce niveau faciles et explique
les angles, les coudures, les glissements, les déformations juxta-épiphysaires
que nous avons étudiés à propos du squelette de ces malades.
2" Ossification périostale. Autant l'ossification cartilagineuse est insuf-
fisante et défectueuse, autant l'ossification périostale paraît active et se rappro-
che en général de la normale (Voy. PI. LV, fig. 15 et PI. LVI, fig. 18).
Le périoste, habituellement épais, est tapissé d'une rangée régulière et ser-
rée d'ostéoblastes. Ceux-ci revêtent également les fibres conjonctives incurvées
vers la diaphyse qui s'incrustent de matière calcaire et constituent les travées
directrices de l'ossification. Ces travées, en se portant de la surface vers la
profondeur, donnent naissance à l'os compact par apposition de substance os-
seuse et inclusion successive, entre les lamelles ainsi formées, des ostéoblastes
transformés en corpuscules osseux. Dans quelques cas, cependant, les canaux
de Havers demeurent un peu plus grands que normalement et dessinent un
large réseau médullaire anastomosé.
Les ostéoblastes inclus dans les travées fibreuses directrices au point où elles
s'incurvent vers la diaphyse et où commence la calcification, s'entourent, par-
fois, d'une capsule transparente et prennent l'aspect cartilagineux. Cette trans-
formation fibro-cartilagineuse du périoste précède normalement son ossifica-
tion dans certains os. Elle est anormale dans les diaphyses des os longs, mais
ne constitue pas, cependant, un processus exceptionnel. C'est ainsi que, dans
les fractures, le périoste donne naissance d'abord à une virole de fibre-cartilages
qui ne s'ossifie que secondairement pour constituer le cal osseux définitif.
Ces formations libro-cartilagineuses au niveau de l'ossification périostale chez
l'achondroplasique ne sont pas constantes. Elles sont, du reste, très inégale-
ment réparties sur les différents points de l'os. Il ne nous paraît pas impos-
sible qu'elles soient en rapport avec le développement exagéré des crêtes osseu-
ses et qu'elles répondent, peut-être, particulièrement aux saillies musculaires
si marquées dans le squelette de ces individus.
Le canal médullaire, parfois régulièrement central, est souvent déplacé laté-
ralement et excentriquement disposé. Il peut également faire défaut et être
remplacé, comme nous l'avons observé, par deux séries de lames osseuses, ver-
ticales, plus ou moins épaisses, parallèles ou diversement ramifiées, dessinant
un tissu spongieux assez dense.
506 PORAK ET DURANTE
Dans les cas de Spillmann, la diaphyse était formée d'un côté par un tissu
dense, de l'autre par des lamelles déchiquetées. Franqué, enfin, sur des os
présentant des coudures, a noté que, du côté concave l'ossification périostale
était très active, tandis que du côté convexe il y avait résorption par les ostéo-
blastes jusqu'à disparition delà cavité médullaire.
Il ne faut pas considérer ces faits comme relevant d'une ossification anor-
male du périoste. Ils sont bien plutôt, croyons-nous, la conséquence d'un phé-
nomène physiologique d'adaptation fonctionnelle, qui règle le modelage méca-
nique des os et d'après lequel, chaque fois qu'il y a pression en un point d'une
diaphyse, les ostéoblastes sont plus actifs, l'os'devient plus dense et plus épais ;
tandis, qu'au contraire, aux points où le travail mécanique diminue, les ostéo-
blastes se multiplient, la résorption tend à l'emporter et l'os compact s'amincit
ou cède la place à un tissu plus spongieux.
Il se pourrait donc que ce trouble dans le modelage diaphysaire soit unique-
ment la conséquence mécanique des coudures juxta-épiphysaires modifiant les
conditions d'équilibre statique du corps de l'os, et que l'on puisse les rappro-
cher des faits de même nature vérifiés sur les diaphyses par Ghillini, Cane-
vazzi, Bühr, Zschocke, etc.,etc., à la suite de difformités des épiphyses et par-
ticulièrement à la suite de genn valgum expérimental.
3° Autres organes. En dehors des lésions du squelette, les autres orga-
nes ne présentent pas d'altérations paraissant en rapport constant avec cette
maladie.
Des malformations diverses ont été signalées dans quelques cas : existence
de 6 doigts (Virchow, Bode, Kaufmann), subluxation de la hanche (Kirchberg
et Simmondo, Kaufmann).
Les végétations adénoïdes sont fréquentes.
Chez le foetus de S. Müller, l'ulé1'us présentait un volume un peu exagéré
par rapport au vagin, et le foie était gros.
Le corps Thyroïde, hypertrophié dans les cas de S. Müller et de Collmann,est
normal dans les autres.
Le Thymus, volumineux chez les enfants de S. Müller et de Grotthof,est nor-
mal chez les autres.
La Pituitaire était normale dans les cas où nous l'avons recherchée.
Dans le cas de Lampe les reins présentaient de nombreux petits kystes uri-
naires par suite du défaut des canaux excréteurs.
Dans deux cas nous avons pratiqué l'examen histologique de la moelle épi-
nière. On en retrouvera le détail dans les observations concernant ces malades.
Les lésions que nous y avons relevées étaient des lésions banales [(congestion,
hémorrhagies récentes, infiltration de petites cellules) et, en tout cas, trop
récentes pour pouvoir leur attribuer les altérations osseuses.
Mais ces mêmes lésions d'ordre congestif et inflammatoire existaient égale-
ment plus ou moins intenses dans les autres organes et particulièrement dans
le foie, le rein et les muscles.
L'ensemble de ces lésions est intéressant en ce qu'il semble parler en faveur
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVIII. PI. LVI
MICROMÉLIES CONGÉNITALES
(Porak ci Durante).
Masson & Cle, éditeurs
PLANCHE LVI.
Ossification PÉIHOSTALE.
Fio. 16. Ossification périostale normale. Enfant de 8 jours.
Fio. 17. Ossification périoslale chez un rachitique. - Enfant de 1 jour.
Dans la partie centrale de la coupe, un certain nombre de travées osseuses présen-
tent une portion axiale plus claire qui est encore cartilagineuse.
FiG. 18. - Ossification périostale chez un achondroplasique.
La diaphyse se forme régulièrement aux dépens du périoste qui donne naissance à
des lames osseuses. Celles-ci sont encore séparées par des espaces assez larges qui
diminuent dans la suite pour devenir des espaces de Havers. Dans la portion droite
de la figure quelques travées osseuses se forment par transformation directe de
faisceaux périostaux.
FiG. 19. Ossification périostale dans la dysplasie périoslale.
Absence presque complète de formation osseuse. L'os périostal est représenté uni-
quement par de minces lames irrégulières et discontinues (0.0.0). Il n'existe
pas d'os compact. Celui-ci parait avoir été détruit au sur et à mesure de sa for-
mation.
LES MICROMÉLIES CONGÉNITALES 507
d'une cause générale n'intéressant pas uniquement le squelette et dont la na-
ture serait plutôt infectieuse que toxique.
II
DYSPLASIE PÉRIOSTALE
La dysplasie périostale est un trouble de développement du squelette in-
téressant particulièrement les diaphyses des os longs, les côtes et la voûte crâ-
nienne. Histologiquement constituée par une absence de formation de l'os pé-
riostal compact, elle est cliniquement caractérisée par la fragilité des os, par des
fractures multiples et par une voûte crânienne mal développée. Il n'y a pas de
synostose prématurée de la base du crâne, mais la micromélie avec membres
trapus et boudinés est, sinon constante, du moins fréquente.
Cette variété de dystrophie osseuse congénitale, plus rare que la précédente,
s'en distingue essentiellement par l'intégrité de l'ossification chondrale et les
conditions défectueuses de l'ossification périostale. Elle représente donc assez
exactement la contre-partie de l'achondroplasie. La micromélie est le seul
symptôme commun à ces deux affections.
Malgré leurs caractères opposés, ces deux dystrophies sont encore le plus
souvent confondues sous la même appellation. Kaufmann, Klinger en donnent
des observations sous le nom de chondrodystrophia nyperplastica, Scholz sous
le terme de rachitisme foetal. L'observation fondamentale du travail de S. Mül-
ler sur l'achondroplasie en est un cas type, aussi conclut-il que la cbondro-
dystrophie relève plutôt d'une aplasie périostale. Il faut attribuer à une cause
analogue le terme à signification indécise d'osteogenesis imperfecta proposé
par Stilling et très souvent employé depuis lors en Allemagne par des auteurs
qui, en présence de cas où le cartilage paraissait normal, se refusaient à admet-
tre les dénominations classiques de rachitisme foetal et de chondrodystrophie.
Cette confusion n'a pas peu contribué à embrouiller l'étude de l'achondro-
plasie en y faisant rentrer des cas ayant des caractères, tant cliniques qu'histo-
logiques, parfois opposés les uns aux autres.
Cependant H. Millier, Klein (1901), G. Durante (1902), Silberstein (1903),
reprenant l'ensemble des faits publiés, groupent les observations, distinguent
ces deux formes de dystrophies osseuses et cherchent à établir leurs caractères
différentiels cliniques et histologiques.
Nous n'avons pas à décider s'il s'agit ici de deux localisations d'une même
entité morbide ou de deux affections différentes. Mais les caractères de la dys-
plasie périostale sont assez spéciaux pour mériter une description particulière.
Le terme d'osteogelzesis impcrfecta souvent employé nous paraît trop vague
pour être opposé à celui d'achondroplasie. Celui d'aplasie périostale de Meut-
ler serait plus convenable. Nous préférons celui de dysplasie périostale, car,
ainsi que nous le verrons, les lésions épipbybaires résultent peut-être davan-
tage d'une résorption excessive de l'os néoformé que de l'absence de néofor-
mation périostale.
508 PORAK ET DURANTE
Chaussier (Mémoire sur les fractures et luxations survenues à des foetus
encore contenus dans la matrice) a rapporté l'observation d'un enfant à l'aspect
achondroplasique, qui doit rentrer dans les dysplasies périostales.
« Femme, Ve parede 33 ans, bien conformée, mère de 4 enfants bien portants.
L'enfant, qui mourut au bout de 24 heures en cyanose, avait un poids de 2.508
grammes et une longueur de 31 centimètres. La tête était longue, grosse, très
molle et faisait au moins le tiers de la longueur totale du corps ; les 4 membres
étaient gros, courts, épais, rainasses ; leur surface était comme bosselée et sépa-
rée par des sillons profonds, comme on nous a représenté les membres des
éiéphantiasiques. En remuant les bras, les avant-bras, les jambes et les cuisses,
on reconnaissait manifestement qu'ils étaient flexibles dans leur milieu ; on y
distinguait même une crépitation plus ou moins sensible.... Dans le crâne, je
trouvai une grande quantité d'un fluide jaunâtre, inodore, un peu visqueux.
Dans les membres, le tissu adipeux ramassé en pelotons granulés était plus
abondant qu'on ne le trouve dans les foetus à terme bien conformés.
Les os longs des membres étaient évidemment courts, mais plus gros, plus
épais qu'ils ne le sont dans les foetus â terme bien conformés. Ils étaient égale-
ment plus ou moins courbes sur leur longueur et tons présentaient, dans leur
milieu, des fractures ou divisions transversales, quelques-unes déjà réunies,
d'autres plus récentes avec flexibilité et bruit sensible de crépitation...
Le rachis, le bassin, les mâchoires, ne présentaient aucune altération remar-
quable.
Chaque côte présentait des fractures anciennes ou récentes en plusieurs en-
droits (70 fyctures pour toutes les côtes). Fractures multiples des omoplates,
des clavicules, des humérus, radius, cubitus, fémurs, tibias, péronés, 5° méta-
carpien, 2° métatarsien. Le nombre total de fractures récentes ou consolidées
avec cal s'élevait à 113 ».
Duménil décrit aussi un foetus à membres courts dont les os très courts,
très volumineux, déformés, recourbés en dedans, présentaient des renflements
annulaires jaunâtres. Ils sont formés d'une lamelle de tissu compact très
mince et d'nn tissu spongieux très raréfié. Les côtes, très irrégulières, présen-
tent un grand nombre de nodosités (cals) interrompues par des étranglements
et siégeant uniquement sur la face postérieure. -Ossification du crâne incom-
plète, os séparés par des lacunes nombreuses semées de petites plaques os-
seuses irrégulières ou de traînées de dépôts osseux. Os de la face plus petits,
plns minces et plus fragiles que normalement.
Pour Duménil, les nodosités des côtes et des os longs représentent d'ancien-
nes fractures et il s'agit là d'une affection différente du rachitisme.
C'est également dans cette dystrophie osseuse que rentrent les faits de Bor-
denave, Sandfort, Meckel, Schmidt, Hildebrandt, Ilecker(1864), Graefe (187;ï).
Blau (1889), Klebs (1889), Stilling (1889), Paltauf (1891), Bidder (1892),
Scholz(1892), S. Millier (1893, obs. I). Porak et Durante (1894), Scheik (1899),
Ilarbitz (1902), qui ont été publiés sous les appellations diverses de rachitisme
congénital, rachitisme foetal, ostéogénése imparfaite ou chondrodystrophie.
Il est probable qu'un certain nombre d'autres cas étiquetés achondroplasie ou
LES \I1CHUMEL11; CONGENITALES 509
- rachitisme malgré la présence de symptômes anormaux, devraient être ran-
gés dans cotte catégorie si l'examen histologique avait été pratiqué.
A. Au point de vue clinique ces enfants sont, en général, également des
lIliCl'o1l ! èles.. "
Les membres sont courts, ramassés, boudinés, parfois épaissis par une
adiposité excessive et segmentés par de profonds sillons comme les achondro-
plasiques. Toutefois, cette hypertrophie du tissu adipeux peut faire défaut.
Dans le cas que nous avons publié, les doigts n'arrivaient pas à la crête iliaque,
et le raccourcissement des membres inférieurs reportait, comme chez l'achon-
droplase, l'ombilic à l'union des 2/3 supérieurs avec le 1/3 inférieur du corps.
Les incurvations, les déviations, les torsions même des os longs sont fré-
quentes, mais, au lieu d'être juxta-épiphysaires, elles siègent dans la continuité
de la diaphyse. Elles relèvent, en effet, soit d'une flexibilité anormale de cette
portion de l'os où le tissu compact fait plus ou moins complètement défaut,
soit, plus souvent, de fractures récentes reconnaissables à la mobilité anormale
et à la crépitation, soit, enfin, de fractures anciennes complètes ou incomplètes,
consolidées par un cal plus ou moins proéminent. Peut-être est-ce à la position
du foetus dans l'oeuf où les membres sont appliqués contre le corps qu'il faut
attribuer le déplacement généralement en dehors des fragments et les dévia-
tions à convexité antéro-externe habituellement observées.
L'extrémité céphalique est ◀tantôt▶ normale, ◀tantôt▶ un.peu volumineuse. La
racine du nez n'est pas enfoncée, aussi l'aspect crétinoïde, si constant chez
l'achondroplase, fait ici défaut.
B. Squelette. Les os de la base du crâne ne présentent pas de synos-
tose prématurée ; le sphénoïde et le basilaire sont séparés par une charnière
cartilagineuse.
Les os de la voûte crânienne sont incomplètement ossifiés (contrairement à il
ce qui se passe chez l'achondroplase), formés de petits îlots d'ossification étoilés
et largement espacés, ou constitués par un tissu osseux mince, dépressible,
crépitant sous le doigt comme du carton (crâne parcheminé de S. Mùller,
papijracé de Hecker). Parfois la voûte est en grande partie membraneuse
(Porak et Durante, 1894).
Les os longs des membres sont plus ou moins notablement raccourcis. Les
épiphyses sont en général un peu grosses quoique moins hypertrophiées que
dans l'achondroplasie, mais peuvent paraître énonnes par rapport à certaines
diapliyses très atrophiées.
Los dia'physes présentent deux apparences assez différentes. En général elles
sont épaisses, élargies, ont un aspect massif et sont souvent incurvées, déviées
ou contournées en zig-zag par suite de fractures anciennes consolidées. Celles-
ci se manifestent sous formes d'épaississements ou de viroles saillantes faisant
paraître d'autant plus mince la portion de l'os qui les sépare. Quoique d'un
aspect massif, ces os sont flexibles, peu consistants, ce qui tient à l'absence
plus ou moins complète du tissu compact remplacé par un tissu spongieux,
largement aréolaire, qui parfois même n'existe qu'à la périphérie et laisse, au
510 ponAK L'r DURANTE
centre, un large canal médullaire. L'enveloppe osseuse peut être si mince que
la diaphyse se déprime en crépitant sous l'ongle comme un feuille de papier
fort.
Dans d'autres cas. dont nous avons pu observer un exemple, la diaphyse
est amincie, et l'os, formé deux de larges épiphyses réunies par un étroit et
court tractus diaphysaire aminci dans sa portion moyenne, prend un aspect
en sablier caractéristique. Peut-être cette forme résulte-t-elle d'un début
à une période embryonnaire plus jeune.
Dans le premier cas, l'ébauche embryonnaire de l'os s'est développée régu-
lièrement, mais son ossification ne s'effectue que très imparfaitement. La
métaplasie osseuse fait défaut, les formations médullaires l'emportent sur les
formations osseuses compactes. Il y a ou dysplasie osseuse. Dans le second
cas, l'ébauche embryonnaire elle-même semble avoir été arrêtée dans son dé-
veloppement et il y a une véritable agénésie au moins partielle de la diaphyse.
Les métacarpiens et les métatarsiens sont également altérés. Les os courts
eux-mêmes sont parfois plus fragiles que normalement.
Les côtes ◀tantôt▶ spongieuses, ◀tantôt▶ de consistance normale, n'ont pas de
renflements rachitiques, mais présentent souvent, sur leur face postérieure,
soit en avant, soit près de l'angle postérieur, de petites nodosités (Hecker) de
petites perles (S. Müller), des épaississements étoilés qui sont les suites d'an-
ciennes fractures. Il en est de même des clavicules et plus rarement de l'o-
moplate. 1
Les portions du squelette les plus fortement atteintes sont, en général : les
diaphyses des os longs des membres, la voûte crânienne, les côtes et les cla-
vicules ; mais les autres os le sont parfois à un moindre degré.
Par suite de l'extrême fragilité des os ainsi altérés, les fractures peuvent
être considérées comme constantes (Elles ne faisaient défaut que dans le cas
de Klebs). Elles sont en général nombreuses, et souvent multiples sur le même
os. On conçoit, dès lurs, que l'on en ait relevé parfois plusieurs dizaines sur le
même sujet et même plus de 100, tant anciennes que récentes, comme dans le
cas de Chaussier. -
C. Lésions histologiques. 1° L'ossification chondrale est en général 1
absolument normale (Scheib, Stilling, S. Müller, Porak et Durante, etc.,etc.).
Les quelques modifications que l'on y relève sont de faible importance.
Dans la zone de multiplication les cellules sont parfois un peu plus espacées
et séparées par une substance interstitielle dont l'homogénéité n'est pas par-
faite.
Plus bas, la rivulation s'effectue régulièrement (voy. pi. LIV, fig. 12). Tou-
tefois, dans le cas de Ilildebrand, les colonnes cellulaires, un peu courtes, ne
renfermaient que 20 à 30 cellules au lieu de 40. Ces détails, à vrai dire, sont
très variables d'un sujet à l'autre, même à l'état normal.
La ligne d'ossification est fine, horizontale, ou légèrement convexe du côté
de la diaphyse, régulière, ne présentant ni les bourgeons vasculaires de l'a-
chondroplasique ni les prolongements cartilagineux du rachitique.
LES MICR0MÉL1ES CONGÉNITALES 511
Mais plus bas, les travées osseuses nées du cartilage n'augmentent pas de
volunze, ne s'accroissent pas régulièrement, restent petites comme si il y avait
défaut d'apposition de substance osseuse par les cellules médullaires (Stilling)
ou même disparaissent partiellement, de sorte qu'à une certaine distance on
ne rencontre plus, dans de larges espaces médullaires, que des travées osseuses
rares, disloquées, disséminées et souvent dépourvues de leur revêtement d'os-
téoblastes (Porak et Durante).
La moelle osseuse est riche en tissu fibrillaire, en leucocytes, en cellules
adipeuses (S. l4lüller) et e'n cellules géantes (Porak et Durante,Stilling).Il n'est
pas improbable d'attribuer à ces ostéoclastes un rôle dans la disparition des
travées osseuses à la surface desquelles ils occupent des encoches qu'ils parais-
sent avoir façonnées par résorption (Porak et Durante).
2° Ossification périostale. - Le périoste est généralement épais et riche en
cellules, mais ne recouvre qu'une mince couche de tissu compact. De sa face
profonde partent des fibres de Sharpey qui se calcinent et servent de supports
aux ostéoblastes. Ceux-ci forment des systèmes osseux en jeu de patience et,
plus loin, constituent des lamelles concentriques ; mais cette zone de tissu com-
pact n'atteint que 1/2 ou 1/3 de millimètre. Plus profondément, les lamelles
diminuent d'épaisseur comme si elles étaient progressivement résorbées, et font
place soit à un vaste espace médullaire pauvre en travées osseuses, soit à un
tissu spongieux à larges mailles au centre duquel il n'existe pas à proprement
parler d'espace médullaire.
Parfois la coque compacte fait elle-même défaut et est remplacée par des la-
melles, des noyaux osseux tapissés d'ostéoblastes et d'ostéoclastes. La diaphyse
n'est plus alors constituée que par un os spongieux largement aréolaire, par-
fois même uniquement par quelques lames périphériques, minces, irrégulière-
ment disposées sous le périoste et ne constituent qu'une couche discontinue
(voy. pl. LVI, fig. 19).
Dans le périoste diaphysaire et ses prolongements, on observe fréquemment t
des cellules capsulées ou des amas plus ou moins importants de cellules carti-
lagineuses qui, parfois, sont en voie de calcification ou d'ossification (Millier,
Paltauf, Porak et Durante). Ces formations paraissent indépendantes de l'af-
fection osseuse et répondent à la présence de fractures en voie de consolidation.
L'ossification périostale est généralement un peu mieux marquée au niveau
de l'encoche périostale et à la hautenr de la ligne d'ossification chondrale que
dans la continuité de la diaphyse.
Les mêmes défauts d'ossification se retrouvent dans les côtes et dans les os
de la voûte du crâne.
III
FORMES ET COMPLICATIONS
Le tableau que nous avons donné plus haut est celui de l'achondroplasie et
de la dysplasie périostale types, mais il ne se réalise pas toujours exactement :
1° A côté des formes classiques, il existe des cas frustes où un certain nombre
512 POHAK ET DURANTE
de symptômes font défaut ou sont très atténués. C'est ainsi que les déformations
des membres peuvent être peu marquées, la tête peu volumineuse, la main
avoir une conformation normale.
2° Chez quelques achondroplasiques, les côtes, habituellement normales,
sont également intéressées, élargies au point d'arriver presque au contact les
unes des autres, avec une gouttière très accentuée. Il en est de même des
vertèbres qui présentent un épaisissementdes lames et de leurs apophyses épi-
neuses (Bouchacourt, Legry et Reguault).
3° A cette forme généralisée on peut opposer des formes partielles et in-
complètes. 1
Dans les observations de Franqué, Lampe, Salvetti, la synostose crânienne
faisait défaut. Dans l'observation de Variot la micromélie est limitée aux mem-
bres inférieurs. Dans un squelette de Negnault, l'humérus seul était intéressé :
le droit mesurant 17 centimètres et le gauche 21, tandis que le cubitus avait
22 centimètres.
On ne saurait, croyons-nous, être actuellement trop circonspect dans le dia-
gnostic de ces formes anormales et surtout dans celui des formes partielles,
tant que l'examen histologique n'a pas été pratiqué.
Nous avons eu l'occasion d'examiner un nouveau-né atteint de malforma-
tions diverses (anencéphale, foie, rein, pancréas kystiques, six doigts à chaque
extrémité), qui, à côté de membres supérieurs normaux, possédait des mem-
bres inférieurs courts, ramassés et boudinés. Le diagnostic posé avait été :
achondroplasie limitée aux membres inférieurs. L'examen histologique des os
nous montra l'absence complète des lésions caractéristiqnes de l'achondropla-
sie et l'existence de lésions rachitiques typiques.
Les causes qui peuvent déterminer la micromélie sont multiples. Nous les
étudierons à propos du diagnostic. Il importe de les connaître, de les avoir pré-
sentes à l'esprit et de savoir qu'elles peuvent simuler jusqu'à un certain point
l'achondroplasie et particulièrement l'achondroplasie fruste ou incomplète.
4° Formes complexes. Il est un petit nombre d'observations où les lésions
cartilagineuses achondroplasiques s'accompagnent d'ostéoporose diaphysaire.
Ces deux formes pourraient donc exceptionnellement se combiner. Ces cas,
rares du reste, et dont les observations sont peu explicites, ne suffisent pas,
croyons-nous, pour permettre de réunir dans un même cadre deux syndromes
morbides généralement distincts et à caractères si tranchées. On ne réunit pas
le cancer à la tuberculose parce qu'ils coïncident chez quelques sujets. Il doit
en être de même pour ces deux dystrophies, habituellement indépendantes,
dont la symptomatologie et l'anatomie pathologique conservent d'une façon
générale des oppositions trop nettes pour pouvoir être confondues entre elles.
5° L'achondroplasie et la dysplasie périostale peuvent se compliquer encore
d'autres affections et particulièrement du rachitisme et du myxoedème, qui ap-
paraîtront d'autant plus facilement chez ces petits malades que ceux-ci sont
moins résistants par suite de leurs tares héréditaires inconnues encore, mais
certaines. C'est à ces complications qu'il faut songer, croyons-nous, en pré-
sence des faits complexes où les côtes, la colonne vertébrale sont touchées, et
LES MICR0MÉL1ES CONGÉNITALES 513
surtout lorsque des courbures anormales viennent se surajouter aux déforma-
tions si caractéristiques de l'achondroplasie.
C'est ainsi que, dans un squelette de Regnault, la tête était normale et les
quatre membres raccourcis ; mais les inférieurs, lisses, ne présentaient pas
l'exagération caractéristique de leurs saillies ; il existait, en outre, une sco-
liose vertébrale. Il s'agit probablement, ici, surtout de rachitisme.
(io L'achondroplasie se montre non seulement chez l'homme, mais aussi chez
les animaux.
Porak a attiré l'attention sur la grande analogie existant entre les bassets et
les achondroplases. Regnault, qui a étudié leur squelette, constate la brièveté
des os des membres qui sont épais et à insertions musculaires très marquées ;
le raccourcissement est du type rhizomélique ; le tronc est normal, ainsi que
le crâne; le bassin est aplati dans son diamètre antéro-postérieur. Geoffroy St-
Hilaire a décrit des bassets incomplets aux membres antérieurs seuls rac-
courcis.
Dareste, Sanson, Barrier, Delplanclre, Leblanc ont signalé des veaux boule-
dogues ayant les mêmes déformations.
On connaît également le mouton basset (Humplrreys, Mauchamp)et des faits
analogues chez le porc, la chèvre et la poule.
L'étude des bassets, considérés à ce point de vue, a mis en question la possibi-
lité, pour l'affection héréditaire qui nous occupe, de donner naissance à une
race. Nous discuterons cette question à propos de la pathogénie. Rappelons
seulement ici que Regnault a fait remarquer, ajuste titre, que les chiens bassets
ne proviennent pas d'une seule race, mais apparaissent comme des anomalies
dans presque toutes les races de chiens courants, terriers, griffons, épagneuls,
braques. Ils ne représentent donc pas une race à proprement parler, mais plutôt
des types anormaux sélectionnés par hérédité. Le même auteur a montré éga-
lement qu'il ne fallait pas confondre le veau achondroplasique avec le boeuf ! 1'ato. Le premier est un cas pathologique présentant les déformations que nous
avons étudiées plus haut. Le second, au contraire, possède une base du crâne
normale, des os palatins normaux, et ne se distingue des autres bovidés que par
une atrophie portant sur le seul maxillaire supérieur. Cette petitesse du maxil-
laire supérieur avec conformation spéciale ne paraît pas pathologique, et carac-
térise l'ensemble des races mopses dans lesquelles nous retrouvons le chien
bichon, le bull dogue, le carlin, la carpe mopse et dans lesquelles doit rentrer
le boeuf nato.
La micromélie ne peut donc pas, à elle seule, caractériser l'achondroplasie.
Cette observation est surtout importante lorsqu'il s'agit de comparer l'achon-
droplasie dans l'espèce humaine à la race des bassets chez les animaux. Chez
les chiens, où elle est commune et où il est facile de l'étudier, on connaît deux
variétés : l'une il membres droits, l'autre à membres torses. Cette différence
importante doit relever de modifications anatomiques spéciales à chacune de
ces variations. Faut-il considérer les uns comme des achondroplasiques et les
autres comme des rachitiques ? L'étude que nous poursuivons depuis 20 ans
Xl'111 34
514 PORAK ET DURANTE
resterait incomplète si nous ne parvenions à élucider ces différences en recher-
chant chez l'animal les éléments de diagnostic histologique que nous avons
constatés chez l'homme. Les sujets ne font pas défaut. Nous nous proposons
d'en reprendre l'étude dans un travail ultérieur.
IV
DIAGNOSTIC
Pris isolément, les principaux symptômes cliniques qui caractérisent l'aclrou-
droplasie ne sont pas pathognomoniques.
Le volume exagéré de la tète, quoique assez constant, peut faire défaut. Il
se retrouve parfois dans le rachitisme et peut être simulé par une hydrocé-
phalie légère. -
La micromélie, la petitesse des membres par rapport à un tronc normal,
est un symptôme qui s'observe dans différentes formes de nanisme. On peut,
en particulier, le rencontrer, plus ou moins accusé, eu dehors des arrêts acci-
dentels et limités de développement, dans la dysplasie périostale, dans le ra-
chitisme et dans le myxoedème. Il est vrai que le type rhizomélique fait géné-
ralement défaut dans ces affections, mais il est loin d'être constant dans l'achon-
droplasie. Dans les pseudo-achondroplasies, le raccourcissement diaphysaire
est souvent plus apparent que réel ; il relève, en général, principalement des
incurvations ou des fractures vicieusement consolidées, ainsi que l'intervention
de la radiographie permet de le constater.
En pratique, la micromélie, particulièrement si elle affecte le type rhizo-
mélique et si elle est généralisée aux membres, l'aspect boudiné des extrémi-
tés, l'égalité des doigts, la tête volumineuse à bosses saillantes sont des pré-
somptions suffisantes pour soutenir le diagnostic.
Sur le squelette, les déformations angulaires juxta-épiphysaires au lieu de
courbures, les saillies des insertions musculaires, l'absence de courbures il
grand angle et de fractures, l'élargissement énorme des épiphyses, la synos-
tose prématurée des os de la base sont des signes de plus de valeur. Il en est de
même de l'élévation de la tête du péroné et de l'intégrité habituelle du thorax
ou tout au moins des côtes.
En dehors des cas typiques, l'examen histologique seul permet actuellement t
de lever tous les doutes. La sclérose atrophique du cartilage de conjugaison avec
disparition complète de la rivulation n'a été constatée, jusqu'ici, avec les carac-
tères que nous avons décrits plus haut, que dans l'achondroplasie vraie et paraît
être une lésion pathognomonÙ/lte de cette affection il sa période d'état.
A propos du diagnostic, nous passerons en revue les divers nanismes et in-
sisterons plus particulièrement sur les nanismes rachitiques et myxoedémateux
qui prêtent à une plus facile confusion avec l'achondroplasie. On ne saurait, du
/reste, trop attirer l'attention sur ces deux affections qui viennent souvenL £ a-- ! jouter aux dystrophies que nous étudions et en compliquer singulièrement le
^"tâ bl eau.
LES MICROMÉLIES CONGÉNITALES 515
Quant aux arrêts de développement tératologiques ou mécaniques, par com-
pression intra-utérine (oligoamnios, enroulement du cordon, etc.) les déforma-
tions qu'ils occasionnent portent avec elles leur signature anatomique.
1° Nanisme toxi-infectieux. - Il existe une série de causes toxi-
infectieuses, bien étudiées dans la thèse de Caruette, susceptibles d'entraîner
l'arrêt de développement, et consécutivement le nanisme. On peut les classer
étiologiquement de la façon suivante :
a) Nanisme par altérations viscérales. Par destruction expérimentale du
corps thyroïde (myxoedème) (Gley, Erachewsky, Hofmeister, Eiselley) ;
Par destruction de la pituitaire (Caselli, Hutchinson), tandis que l'hyper-
trophie de cette glande entraîne le gigantisme ;
Par lésion du foie et de la rate (Gilbert, Hasenclaver, Hayem, Lereboullet,
Lancereaux) ;
Par lésion de reins (Souques et Castaigne) ;
Par lésion des capsules surrénales (Morlat) ;
Par lésions cardiaques (Gilbert et Rathery, Ferramini, Cailleux).
b) Nanisme par intoxication. - Alcoolisme héréditaire (Apert, Fournier,
Lancereaux). Saturnisme. - Hydrargirisme.
c) Nanisme par infection. Injection expérimentale de toxine streptococ-
cique (Dor). ,
Syphilis héréditaire (Fournier, Rivington, Endlitz, Apert).
Tuberculose héréditaire (Apert, Meige, Springer).
Lèpre (Jeanselme, Sauton).
Pour Brissaud, ces infections entraîneraient le nanisme moins par lésions
osseuses que par lésions thyroïdiennes et conditions générales défectueuses.
Ces nanismes par toxi-iufection relèvent d'un arrêt de développement por-
tant sur l'économie tout entière. Le bassin et le squelette gardent certains ca-
ractères d'infantilisme que nous ne retrouvons pas chez l'achondroplasique.
Il n'y a pas micromélie et même les membres inférieurs sont souvent trop dé-
veloppés relativement à la taille du sujet. Ces nains, qui prennent rapidement
les signes d'une vieillesse précoce, sont dégénérés non seulement dans leur
squelette, mais aussi dans leurs viscères et dans leur système nerveux.
2° Les peuples nains, races humaines qui, à part leur petite stature, sont
normalement constitués, ne sont pas du domaine de la pathologie. Leur taille
est inférieure à la normale, mais harmonieuse, et reproduit, en plus petit, le
type de l'adulte bien conformé.
Poncet et Leriche, se basant sur l'hérédité, les cas familiaux, l'intégrité rela-
deux sujets observés par eux, pensent que certains achondroplasiques sont une
tive de variété héréditaire spéciale du type humain,un retour ancestral au Pyg-
mée ancien. Mais, de ce que les peintures anciennes représentent les Pygmées
avecde la micromélie, s'en suit-il que ce peuple légendaire présentât ces déforma-
tions ? Cela est peu probable. L'artiste ayant entendu parler de peuplades de petits
hommes aura pris d'autant plus facilement comme modèle quelque achondropla-
sique du voisinage- que cette réduction d'homme prêtait mieux à la caricature.
516 Yol3ar. ET DURANTE
Les Negrillos actuels ne sont pas des achondroplasiques. Les photographies
que nous possédons nous montrent même, chez ces peuplades, un allongement
exagéré du bras avec des membres inférieurs présentant des dimensions varia-
bles. Nulle part nous ne trouvons rien qui se rapproche de l'achondroplasie.
Verneau, qui a consacré à ce sujet une intéressante étude critique, conclut
également que les nains ethniques n'ont rien de commun avec les achondro-
plasiques, et que ce sont des individus normaux, bien proportionnés, qu'on ne
saurait, en aucune façon, rapprocher des êtres difformes et pathologiques qui
nous occupent ici. Ces peuples de petite taille, comme tous les autres,
peuvent, il est vrai, présenter des sujets atteints de déformations rachitiques,
impaludiques, syphilitiques, etc.. Mais il s'agit alors de déformations patholo-
giques et nullement de caractères ethniques.
Invoquer, pour expliquer le nanisme accidentel, un retour à un incertain
atavisme, est chercher bien loin une cause hypothétique alors que d'autres
sont à la fois plus simples et plus probables.
L'existence d'un nanisme simple accidentel ne nous paraît plus être ac-
tuellement soutenable.
Les petits individus qui apparaissent sans raison dans une famille lorsqu'ils
ne sont ni achondroplasiques, ni rachitiques, ne sauraient, pour cela être
considérés comme normaux et doivent, jusqu'à preuve du contraire, nous
semble-t-il, être classés, même en l'absence de tares évidentes, dans la caté-
gorie des nains par toxi-infection héréditaire. ,
3° Les nains myxoedémateux ont été confondus avec les acbondro-
plases. Marie, Apert ont bien montré les différences essentielles qui séparent
' ces deux types. Le myxoedémateux avec ses lèvres épaisses, sa bouffissure
générale, son teint plus ou moins cyanosé, son gros ventre, ses pseudo-li-
pomes, sa torpeur intellectuelle, réalise le type du crétin classique auquel ne
ressemble pas l'achondroplasique. Sa croissance est arrêtée, sa dentition est très
retardée, il y a un retard considérable dans l'apparition' des os courts et des
points osseux épiphysaires, un retard considérable dans le processus de l'ostéo-
génèse en général ; il y a au contraire persistance anormale du cartilage de
conjugaison et pas de synostose prématurée des os dé la base.
Chez le crétin, en effet, contrairement à ce que croyait Virchow, les os de
la base se forment plus tard que normalement; les os condyliens sont séparés
du basilaire et de l'écaille occipitale, la' suture sphéno-basilaire persiste ; de
plus, il y a platylasieau lieu de cyphose de la base du crâne (Regnault).
Le myxoedémateux, enfin, reste infantile et impubère, tandis que les organes
génitaux se développent normalement chez ! 'acb6ndropiasique.
Le diagnostic est d'autant plus intéressant à poser que, chez le myxoedéma-
teux, le traitement thyroïdien paraît heureusement efficace, tandis qu'il ne
donne que des résultats discutables chez l'achondroplasique.
4° Le rachitisme et l'achondroplasie ont été également confondus. Avant
Parrot, toutes les dystrophies osseuses congénitales en dehors de la syphilis
LES MICROMÉLIES CONGÉNITALES 517
étaient regardées comme du rachitisme. Depuis Parrot, la tendance contraire
s'est fait jour et l'on est arrivé à nier l'existence du rachitisme congénital
pour faire rentrer tous ces symptômes dans le cadre de l'achondroplasie.
Aujourd'hui, quitte à discuter la parenté qui les relie, on reconnaît l'exis-
tence.de ces deux formes pathologiques.
Histologiquement, les lésions rachitiques des épiphyses sont l'opposé de cel-
les de l'achondroplasie.
Dans celle-ci nous constations une sclérose, une atrophie du cartilage de
conjugaison d'où une absence de rivulation et le défaut de formation des tra-
vées directrices.
Dans le rachitisme, au contraire, la rivulation est plutôt exagérée. Les
bourgeons vasculaires pénètrent dans les colonnes cellulaires et rendent la ligne
d'ossification irrégulière; ils découpent de larges travées cartilagineuses qui se
poursuivent sans s'ossifier plus ou moins loin dans la moelle (tissu ostéoïde)
(comparez PI. LIV, fig. 11 avec fig. 10). Il semble y avoir essentiellement une
végétation excessive des cellules cartilagineuses et une inertie des ostéosblas-
tes (et non pas simple défaut de sels calcaires comme dans l'ostéomalacie) ; il
en résulte un défaut d'ossification des languettes cartilagineuses qui, plus lar-
ges que normalement, ne sont pas le point de départ d'apposition régulière
d'osséine.
Les lésions rachitiques, dont le siège de prédilection est les côtes, existent
avant tout symptôme clinique (Kassovitz, Spillmann). L'absence de signes A
classiques extérieurs ne suffit donc pas pour affirmer la noiî-exisience de
cette affection. Peut-être cela explique-t-il pourquoi certains auteurs ont nié
le rachitisme du nouveau-né. Sans admettre la fréquence indiquée par d'autres
qui semblent confondre entre elles toutes les dystrophies osseuses, nous ne
croyons pas à la grande rareté du rachitisme intra-utérin que nous avons
retrouvé, soit léger comme surprise histologique, soit marqué avec lésions ma-
croscopiques, chez plusieurs nouveau-nés.
Le rachitisme nous intéresse ici en ce qu'il peut déterminer une micromé-
lie (comparez PI. LU, fig. 3 avec fig. 1 et PI. LUI, fig. 5 avec fig. 6) :
1° soit par courbures des os. Ces courbures (et non pas coudures comme dans
l'achondroplasie) sont arrondies, à grand rayon, rarement symétriques, et siè-
gent dans la continuité des diaphyses. Le tibia et le péroné, le radius et le
cubitus sont incurvés parallèlement et dans le même sens (chez l'achondropla-
sique ils dessinent un 0) ;
2° soit par arrêt de développement. Dans ce cas les courbures sont moins
fortes, mais les os se distinguent de ceux des achondroplases par leurs surfa-
ces plus lisses, l'atténuation des saillies et des dépressions qui, lorsqu'elles
existent, ont une base peu étendue (Regnault).
Cette micromélie rachitique peut cliniquement simuler l'achondroplasie.
Dans deux cas où nous l'avons observée chez le nouveau-né, elle intéressait,
une fois les 4 membres, et l'autre fois, les membres inférieurs seulement qui
étaient courts, épais, ramassés, boudinés. L'examen histologique nous a montré
qu'il s'agissait de rachitisme type.
518 PORAK ET DURANTE
Le diagnostic clinique du nain rachitique s'établira sur l'aspect général :
gros ventre, aspect vieillot, renflement cylindrique chondro-costal (qui peut
faire défaut), gonflement modéré des épiphyses, fractures fréquentes mais peu
nombreuses des os des membres qui sont courbés et non pas coudés, non-sy-
nostose des os de la base du crâne, apparition tardive des noyaux des épiphy-
(ses, retard général de l'ossification et de la dentition. Plus tard, déformation
du thorax, aplatissement transversal du bassin, platybasie, front olympien,
crâne natiforme.
Le bassin achondroplasique diffère du bassin rachitique en ce que les os qui
le constituent ne sont pas ramollis. Ils sont petits en vertu de la loi organique
qui lie leur développement à celui du fémur. Il en résulte une diminution de
tous les diamètres du bassin. L'augmentation du poids du tronc, la brièveté
des membres inférieurs entraînent une bascule du sacrum qui impressionne
tout au plus la première pièce sacrée.
Le bassin rachitique ne présente ni au même degré, ni avec la même cons-
tance l'arrêt de développement du squelette pelvien. Il se caractérise surtout
par un ramollissement des os et subit les déformations aux points où il sup-
porte les pressions. C'est donc ordinairement une propulsion du sacrum en
avant, coïncidant d'ailleurs en général avec un excès de courbure du sacrum.
Le rétrécissement du diamètre antéro-postérieur du détroit supérieur du bassin
est donc compensé, dans une limite variable suivant les cas, par une augmen-
tation relative du diamètre transverse.
Afin de rendre plus sensibles les différences existant entre le rachitisme,
l'achondroplasie et la dysplasie périostale, nous donnons ci-contre sous forme
de tableau les caractères principaux de ces trois dystrophies osseuses (Voy.
p. 521).
Ainsi que l'on peut en juger, les caractères de ces affections sont assez tran-
chés pour pouvoir en établir le diagnostic, à la condition de s'aider de la
radiographie pour vérifier l'état des diaphyses.
Dans les cas types, l'achondroplasique avec sa grosse tête, ses bosses fron-
tales et pariétales saillantes et bien ossifiées, son thorax normal, ses membres
trapus à larges épiphyses et à diaphyses courtes, solides, parfois coudées mais
jamais fracturées, est l'opposition parfaite du rachitique au front olympien,
à l'ossification crânienne imparfaite, au chapelet costal et aux membres rac-
courcis par incurvation des os grêles et souvent fracturés.
Toutefois, on ne saurait trop rappeler l'existence de formes frustes qui prê-
tent à de faciles erreurs si l'attention n'est pas spécialement portée sur ce point.
Au cours de ces dernières années nous avons eu l'occasion d'observer à la
Maternité 9 enfants présentant les membres courts et boudinés que l'on consi-
dère comme pathognomoniques de l'achondroplasie. L'examen histologique a
montré chez 5 d'entre eux les altérations caractéristiques de l'achondroplasie
vraie ou de la dysplasie périostale, mais dans les 4 autres cas, il s'agissait de
rachitisme vrai classique à début intra-utérin. Ces derniers, il est vrai, se dis-
tinguaient par un tableau clinique généralement incomplet et des caractères
particuliers qui nous mettraient aujourd'hui sur la voie du diagnostic exact. Si
LES MICROMÉLIES CONGÉNITALES 519
nous signalons ces faits, ce n'est pas seulement pour rappeler la fréquence rela
tive du rachitisme vrai intra-utérin connu depuis longtemps, mais surtout
pour montrer combien l'examen histologique est indispensable, particulièrement
dans les formes dites frustes qui peuvent être simulées par d'autres affections,
et combien l'on ne saurait rester encore sur une trop grande réserve vis-à-vis
de tous les cas anormaux qui n'ont pas été confirmés par des vérifications mi-
croscopiques.
Un certain nombre d'observations intitulées achondroplasie doivent rentrer
dans la catégorie des rachitiques. Dans le mémoire de Bonchacourt et Lévi, les
deux premières radiographies se rapportent à des achondroplasiques avec dia-
physes courtes, massives, renflées aux extrémités ; l'observation III au con- 4
traire paraît être un rachitique congénital. Silberstein a examiné un cas qui
pouvait en imposer pour de l'achondroplasie ou de la dysplasie périostale et
conclut au rachitisme. D'après cet auteur, l'observation de Geldern-Egmont
devrait être également rapportée au rachitisme; il en est peut-être de même
de celle de Salvetti, ainsi que de deux cas de Kaufmann et de Johannessen.
Il serait aisé de multiplier ces exemples. Mais nous ne pouvons reprendre
ici chaque fait en particulier. L'important est d'avoir attiré l'attention sur cette
confusion fréquente qui a jusqu'ici singulièrement compliqué l'étude de l'a-
chondroplasie et d'en avoir apporté les éléments de diagnostic.
Il importe, enfin, de ne pas oublier que les deux affections peuvent coïncider
et qu'il n'y a aucune raison pour que l'achondroplase ne puisse pas être touché/
par le rachitisme au même titre qu'un autre enfant. -<
Ollier en 1899, Malin dans sa thèse de 1901 ont décrit en s'appuyant SUI' 1'é) J
tude radiographique la Dyschondroplasie en l'opposant à l'achondroplasie/
Cette affection qui, selon ces auteurs, relève de troubles de l'ossification du car-
tilage juxta-épiphysaire, est caractérisée par la présence, surtout au niveau des
phalanges, mais aussi dans les os larges, de masses cartilagineuses, très lon-
gues il s'ossifier, analogues à de petits chondromes, disséminées dans l'os et re-
connaissables à la radiographie sous forme de petites taches blanches centrales
ou marginées.'
Cliniquement, ces maladies ne présentent pas de disproportion entre les di-
mensions des membres et du tronc, il n'y a pas inversion rhizomélique ; les
doigts sont courts, renflés, trapus, mais n'ont pas l'aspect carré de l'achondro-
plase. Enfin, il existe des courbures dans uue partie des os du squelette. Le
genu valgum et le coxa vara coïncideraient souvent avec cette affection.
Quelque incomplets que soient ces caractères, ils nous paraissent se rappro-1
cher beaucoup du rachitisme dont nous retrouvons les courbures et les débris \
cartilagineux, et dans lequel il semblerait naturel de ranger ces malades en at- {
tendant des raisons plus probantes pour en faire une affection particulière. Il I
se peut aussi que la syphilis en soit la cause.
4° Le diagnostic entre l'Achondroplasie et la Dysplasie périostale est
relativement aisé en se basant sur la topographie et la nature si différentes des
lésions.
520 PORAK ET DURANTE
An point de vue anatomo-pathologique l'achondroplasie vraie est constituée
par une sclérose du cartilage de conjugaison dont la zone de rivulation est
détruite, par une absence d'ossification épiphysaire entraînant une absence de
développement en longueur de l'os dont l'ossification périostale s'effectue ré-
gulièrement. Cette affection touche essentiellement les épiphyses des os longs
et la hase du crâne, n'intéresse que les os se développant aux dépens du car-
tilage. Pas de fractures vu la solidité plutôt exagérée des diaphyses.
La dysplasie périostale, au contraire, avec ses fractures multiples, est
caractérisée par l'intégrité de l'ossification cartilagineuse et l'état défectueux
de l'ossification périostale qui, soit fait défaut, soit plutôt, est détruite aussitôt,
formée par suite d'une résorption excessive des travées osseuses. Les lésions
respectent les épiphyses et intéressent les os d'origine membraneuse qui per-
dent leur tissu compact et sont réduits à de fragiles lamelles osseuses.
Comme localisation la dysplasie périostale se limite aux os à développement
périostal ou fibreux, et affecte plus particulièrement la voûte crânienne, la cla-
vicule, les diaphyses des os longs des membres et les côtes. On peut se demander
si la dysostose cléido-crânienne de Marie, caractérisée par l'ossification
incomplète et même l'état membraneux de la clavicule/des côtes et de la calotte
crânienne ne constitue pas une forme partielle de cette même affection.
Dans la dysplasie périostale l'absence de tissu compact rend les os excessive-
ment fragiles, aussi les fractures sont-elles, en général, non seulement multiples
mais même extrêmement nombreuses. Contrairement à celles du rachitisme,
elles sont souvent multiples sur le même os et intéressent aussi bien les côtes
que les autres os longs.
A cet égard, cette dystrophie rentrerait dans les ostéoporoses,dans les osléo-
psathYI'osis, larges cadres anatomo-pathologiques qui renferment des affections
de natures très diverses, et sont caractérisés par une grande fragilité des os
dont le tissu compact est remplacé par du tissu spongieux.
On connaît aujourd'hui de nombreux faits de fractures multiples chez le
nouveau-né, indépendantes de tout rachitisme. Peut-être est-ce à la dyspla-
sie périostale qu'il importe de les rapporter. Malheureusement, le plus souvent
l'examen histologique fait défaut.
On connaît également une fragilité constitutionnelle des os, qui ne
se manifeste que par la facilité désespérante avec laquelle ces malades se frac-
turent, ◀tantôt▶ en un point, ◀tantôt▶ en un autre. Cette affection, qu'il ne faut
pas confondre avec les ostéoporoses secondaires, est héréditaire, apparaît dès
le jeune âge et persiste jusqu'à un âge avancé. Certains individus sont fragiles
comme d'autres sont hémophiles. S'agit-il là d'une forme fruste de dysplasie'
périostale ? Nous nous bornerons à poser la question, les matériaux nous faisant
défaut pour la résoudre.
522 PORAK ET DURANTE
V
NATURE DE L'ACHONDROPLASIE ET DE LA.
DYSPLASIE PÉRIOSTALE
Les dystrophies osseuses congénitales que nous venons d'étudier présentent-
elles un ensemble de caractères suffisamment tranchés pour pouvoir être con-
sidérées comme des entités morbides, ou ne constituent-elles que des formes
spéciales d'autres affections banales ?
L'assimilation de l'achondroplasie au rachitisme a été la première hypothèse
avancée. Les différences évidentes observées entre les deux affections étaient
attribuées soit à des complications, soit à l'époque différente à laquelle débutait
la maladie.
Eberth, Wyss, Neumann, Schmith, Lessing, Urtel, se basant sur l'enfonce-
ment de la racine du nez, considéraient l'achondroplasie comme un rachitisme
compliqué de crétinisme. Nous savons aujourd'hui que la synostose prématurée
de la base du crâne n'existe pas dans le myxoedème avec lequel il ne faut pas
confondre l'achondroplasie
Pour Kassowitz et pour Winckler, l'achondroplasie est un rachitisme intra-
utérin, débutant vers le 3e ou lie mois au moment de la première poussée d'os-
téogénèse et qui aurait complètement évolué au moment de la naissance. Ils
lui opposent le rachitisme commun qui, lorsqu'il est congénital, débuterait
seulement après le 7E mois lors de la deuxième poussée d'ostéogénèse et conti-
nuerait à évoluer après la naissance.
Aujourd'hui, grâce à nos connaissances plus exactes concernant l'anatomie
pathologique de cette affection et ses caractères chez l'adulte, cette hypothèse
ne réunit plus que peu de partisans et l'achondroplasie paraît avoir acquis ses
droits à l'individualité. Toutefois, Hofmeister (1894), Fischer, Spiegelherg,
Cestan et récemment Charrin et Le Play, à propos d'une observation histolo-
giquement trop peu explicite pour que l'on puisse utilement chercher à l'inter-
préter, sont revenus à cette ancienne théorie. Peut-être ce retour en arrière
résulte-t-il d'une confusion dont il nous reste à parler et qui porte, non plus sur
le rachitisme en général, mais sur le rachitisme congénital en particulier.
Les rapports de l'achondroplasie et du rachitisme congénital ont été le sujet
d'un curieux mouvement de va-et-vient, aussi exagéré dans un sens que dans
l'autre, et qui est en partie la cause des confusions dont l'étude des dystrophies
osseuses se ressent encore.
Pendant une première période, toutes les dystrophies osseuses, en dehors des
lésions syphilitiques classiques, sont du rachitisme. Le rachitisme congénital
est d'une fréquence extrême. Kassovitz sur 26 nouveau-nés examinés histologi-
quement en trouve 3 normaux et 26 rachitiques (89,7 0/0). En se basant sur
les symptômes cliniques seuls, Schwarz relève 80 0/0 de rachitiques ; Fayera-
bend ainsi que Feer, 63 0/0 ; Colin, 50 0/i).
Cependant, l'achondroplasie, dont les caractères étaient de mieux en mieux
LES MICROMÉLIES CONGÉNITALES 523
connus, prend de l'importance, la plupart des faits considérés comme du ra-
chitisme changent d'étiquette. Les observations de rachitisme congénital de-
viennent d'autant plus rares que la fréquence de l'achondroplasie congénitale
augmente.
Par suite d'une exagération en sens inverse, on tend à mettre en doute l'exis-
tence du rachitisme congénital, ou tout au moins à le considérer comme d'une
extrême rareté pour ne plus voir que de l'achondroplasie, de l'ostéoporose ou
de la syphilis.
Apert, dans un travail du reste excellent et auquel nous avons fait de nom-
breux emprunts, cherche à établir, entre le rachitisme et l'achondroplasie, au
point de vue de l'époque d'apparition, une distinction à laquelle il nous est
difficile de souscrire. «Le rachitisme, dit-il, est une maladie acquise, une ossi-
fication vicieuse relevant d'un trouble d'ossification par intoxication ou auto-
intoxication. En règle, il ne débute pas avant 6 mois. Les cas de rachitisme
congénital sont des raretés discutables. En fait, le rachitisme est toujours une
maladie acquise. L'achondroplasie, au contraire, est toujours une affection con-
génitale. Le rachitisme guérit quand les malformations ne sont pas trop accen-
tuées ; l'évolution du squelette achondroplasique est au contraire fatale. On naît
et on reste achondroplase ; on devient rachitique et on peut cesser de l'être. »
Nous ne croyons pas le rachitisme vrai congénital une « rareté ». Si, an-
ciennement, confondant avec lui la plupart des dystrophies osseuses, on lui
attribuait une fréquence certainement exagérée, actuellement, par contre, on
exagère de même sa rareté en enrichissant, à ses dépens, particulièrement
l'achondroplasie.
On ne rencontre qu'exceptionnellement, peut-être, à la naissance, le rachi-
tisme « complet », mais le rachitisme histologique, caractérisé par la bascula->
risation anormale des épiphyses, l'irrégularité de la ligne d'ossification, la non-
ossification des travées osseuses qui demeurent cartilagineuses n'est pas excep-
tionnel chez le nouveau-né chez lequel nous avons eu fréquemment l'occasion )
de le vérifier.
Ce rachitisme congénital demande d'autant plus à être vérifié histologique- 1
ment qu'il ne donne pas toujours le tableau clinique classique et peut entraîner, }
en particulier, un arrêt de développement avec micromélie simulant l'achon-
droplasie.
Ce n'est donc pas dans le début acquis ou congénital que l'on trouvera l'élé-
ment essentiel du diagnostic, mais dans les caractères cliniques et surtout
histologiques.
Il est, à vrai dire, des formes frustes ou anormales, des cas limites où les
deux affections se rapprochent singulièrement par effacement de certains ca-
ractères et apparition de symptômes exceptionnels. Mais, ainsi que le fait par-
faitement remarquer Leriche, « en marge de tous les grands cadres en patho-
logie, il se rencontre des cas difficiles à classer. Telle affection parfaitement
définie peut revêtir, à s'y méprendre, le masque d'une autre aussi bien carac-
térisée. Combien souvent la tuberculose est-elle étiquetée cancer ou inverse-
ment ? Bref, l'achondroplasie peut et doit rester distincte du rachitisme ».
524 PORAK ET DURANTE
Ne serait-ce pas, en effet, pousser singulièrement loin la simplification de la
clinique que de réunir de parti pris tous les faits dont le diagnostic différentiel
est difficile ? ` ?
Dans le cas particulier, le diagnostic clinique est, croyons-nous, toujours
possible en se basant sur l'état des diaphyses que mettra en évidence la radio-
graphie. Dans l'achondroplasie, elles sont courtes, épaisses, solides, coudées et
sans fractures ; dans le rachitisme, au contraire, elles sont grêles, courbées,
moins résistantes et parfois fracturées.
- La gracilité, les courbures et les fractures dans un cas, les coudures et la
solidité dans l'autre sont des symptômes fondamentaux qui traduisent clini-
quement les caractères essentiels des deux affections.
Au point de vue histologique, l'opposition entre le rachitisme et l'achondro-
plasie est plus frappante encore.
L'hypothèse selon laquelle l'achondroplasie représentrait le stade final d'un
rachitisme précoce n'est plus soutenable, car, à aucune période de son évolution
celui-ci ne présente les lésions de l'achondroplasie. Si, en 1900, nous avons
relevé certaines analogies entre ces deux affections, l'étude ultérieure d'un plus
grand nombre de cas, la connaissance plus exacte du rachitisme congénital vrai
nous a bientôt conduit à éliminer toute analogie entre ces deux maladies.
La lésion essentielle de l'achondroplasie est une sclérose, puis une dégéné-
rescence calcaire du cartilage de conjugaison avec intégrité complète ou re-
lative de l'ossification périostale. La moelle osseuse présente également des si-
gnes de sclérose. Dans le rachitisme, au contraire, le cartilage de conjugaison
possède une vitalité normale ou exagérée ; la lésion essentielle est une absence
d'ossification des travées qui demeurent cartilagineuses ou fibreuses, mais sur
lesquelles, peut-être par suite des modifications du régime vasculaire, les os-
téoblastes ne viennent pas régulièrement sécréter de lamelles osseuses.
L'achondroplasie, en tant que sclérose est une lésion organique destructive
au même titre que toutes les cirrhoses, portant surtout sur le cartilage. Le
rachitisme, au contraire, nous apparaît surtout comme un trouble fonctionnel
des ostéoblastes qui, pour une raison ou une autre, se trouvent hors d'état de
différencier une quantité suffisante d'osséine.
Cette sclérose et ce trouble fonctionnel, quoique portant sur le même or-
gane (mais pas le même élément cellulaire), sont cliniquement aussi distincts
qu'histologiquement. Leur coïncidence accidentelle sur le même individu ne
suffit pas pour permettre de les confondre sous la même dénomination. Ils mé-
ritent chacun d'occuper une place spéciale en nosologie. On ne confondra pas
la sclérose vasculaire du muscle et l'amyotrophie bien qu'elles puissent relever
toutes deux d'une cause semblable (tuberculose, syphilis, etc., etc.), agissant,
ici par lésion directe, là, indirectement par altération des centres nerveux. La
même distinction doit être établie entre l'achondroplasie vraie et les micromélies
à forme pseudo-achondroplasique.
Les rapports existant entre Vachondroplasie et la dysplasie périostale sont
plus délicats à établir. Nous ne croyons pas, cependant, que l'on puisse regar-
Lh.S iIlICflOlllÉLIES CONGÉNITALES 525
der ces deux dystrophies comme la localisation sur le cartilage et sur le pé-
rioste d'une même affection.
La dysplasie périostale respecte le cartilage et intéresse uniquement l'os pé-
riostal qui devient d'une fragilité extrême.
Mais, si ces os se fracturent aisément, ils se réparent non moins aisément au
moyen d'un cal au niveau duquel se f orme de l'os nouveau. C'est un point à
l'appui de ce que nous disions plus haut, qu'il s'agit ici non pas d'une perle
de la faculté ossi/icalrice, mais plutôt d'une destruction secondaire par ré-
sorption exagérée. A cet égard, elle nous apparaît plutôt comme le résultat
d'une activité exagérée des ostéoclastes qui, normalement, ne servent qu'au
modelage osseux. Elle ne serait donc pas une lésion dégénérative destructive !
comme l'achondroplasie, mais rentrerait plutôt dans le cadre destroubles fonç-
tionnels comme le-racliiiisme. Toutefois, il ne faudrait pas, croyons-nous, cher-
cher à"aïsimiler ces deux affections, puisque l'une, la dysplasie périostale relève
d'une hyperactivité des ostéoclastes et l'autre, le rachitisme, d'une hypoactivité t
des ostéoblastes. j
Nous n'insisterons pas davantage sur ce point. Nous avons cherché unique-
ment ai indiquer le sens dans lequel, croyons-nous, la discussion pourrait s'en-
gager et n'entendons pas prendre actuellement parti, car la connaissance de la
dysplasie périostale est encore trop imparfaite pour que l'on puisse utilement
discuter sa nature.
. VI
PATIIOGÉNIE
On peut éliminer les causes mécaniques. Elles présentent des caractères que
nous ne retrouvons pas ici.
La première hypothèse avancée concernant la pathogénie de l'achondro-
plasie est celle de Parrot qui en faisait une affection locale, une dyst1'ophie
congénitale du cartilage primordial relevant d'une altération primitive du
germe cartilagineux. Cette hypothèse généralement abandonnée est, cependant,
récemment reprise par de Bück et par Mayet qui placent cette affection au
rang d'un stigmate de dégénérescence et considèrent ces malades comme le
dernier terme d'une série de dégénérés. A l'appui de cette conception, on peut t
citer le cas de Kaufmann où l'enfant était le produit d'un inceste entre frère et
saur.
La plupart des auteurs sont aujourd'hui d'accord pour voir plutôt dans^
l'achondroplasie le résultat d'une infection ou d'une intoxication maternelle^)
Cette hypothèse, que rend plausible la nature même des lésions histologiques,
est appuyée par l'état pathologique relevé parfois chez la mère. La syphilis a
été notée dans quelques observations. Dans deux cas que nous avons ^publiés
antérieurement, nous avons trouvé chez la mère une fois une syphilis récente,
l'autre fois une tuberculose chronique avec lésions intenses du foie et des
reins.
Mais la nature et le mode d'action de cette hérédo-infection ou hérédo
526 PORAK ET DURANTE
intoxication prête à des divergences d'opinion bien résumées par Leriche.
Pour Bohn, Schwob il s'agit d'une insuffisance ou d'un trouble placentaire.
Pour Dor et Poncet l'agent taxi-infectieux se localiserait directement sur le
cartilage. « Si certaines maladies infectieuses, comme la fièvre typhoïde, don-
nent une poussée d'allongement au squelette de l'enfant, d'autres, comme les
infections intestinales (entéro-colites), entravent sa croissance... Dor, qui a
obtenu des décollements épiphysaires en injectant des toxines streptococciques
à de jeunes cobayes, compare l'achondroplasie à la maladie de Parrot des
nouveau-nés » (Leriche).
- On pouvait également songer à un trouble trophique d'origine nerveuse, car
les centres nerveux des achondroplasiques n'avaient jamais été,jusqu'ici, le sujet
de recherches histologiques. Les lésions médullaires sont, en effet, susceptibles
d'entraîner des altérations osseuses comme des altérations musculaires, quoique
plus exceptionnellement. La paralysie infantile s'accompagne d'un raccourcis-
sement par arrêt de développement du membre frappé. Cette hypothèse a été à
la fois soulevée et réfutée par G. Durante (1900 et 1902). Dans deux observations
étudiées spécialement à ce point de vue « les lésions des centres étaient carac-
térisées par de la congestion, des hémorrhagies récentes, une infiltration de
petites cellules, lésions trop récentes et trop diffuses pour pouvoir être interpré-
tées comme le point de départ de la dystrophie osseuse. L'achondroplasie paraît
indépendante du système nerveux et semble relever d'une cause générale, la-
quelle serait susceptible d'intéresser également les autres viscères ».
La misère physiologique de la mère entraîne aussi des modifications dans
la croissance des os du foetus. Mais ces modifications, décrites par Diatchenko
sous le nom de chondrodyslrophie foetale par inanition maternelle sont carac-
térisées par l'épaississement de la zone de rivulation,l'aliongement des colonnes
cellulaires, la calcification de la ligne d'ossification et n'ont aucun rapport avec
celles de l'achondroplasie.
P. Marie place la question sur un terrain nouveau en relevant l'hypothèse
d'une altération secondaire du cartilage par l'intermédiaire d'une lésion glan-
dulaire et en proposant de faire rentrer l'achondroplasie dans les auto-intoxi-
cations. « Je tendrais, dit-il, à reléguer la maladie du cartilage au rang des
manifestations secondaires dues à une dystrophie de cause générale... N'y
aurait-il pas, dans ce trouble du développement, quelque chose d'analogue à
ce qui se passe dans le myxoedème ; ne serait-ce pas dans un trouble de la
fonction ou du développement de quelque organe glandulaire qu'il faut cher-
cher la raison d'être de l'achondroplasie ? »
Leblanc, ayant constaté chez le veau la coexistence du myxoedème et de l'a-
chondroplasie, a incriminé le corps thyroïde en s'appuyant sur l'observation
de Collmann, dont le petit malade avait un corps thyroïde très développé, et
sur certaines analogies que Joachimsthal avait observées entre les os d'achon-
droplases adultes et de myxoedémateux. Edgworth partage également cette opi-
nion. Mais c'est revenir à l'ancienne théorie de llZüller qui confondait l'aclion-
droplasie et le crétinisme. La destruction du corps thyroïde entraîne bien un
arrêt de croissance (Gley, Erachewski, Hofmeister, Eiselley), mais nous avons
LES lIiICR01,iÉLTES CONGÉNITALES 527
vu plus haut les raisons qui ne permettent plus actuellement de rapprocher ici
ces deux affections. Ce sont deux processus morbides qui peuvent (accidentel-
lement coïncider, mais que l'on ne saurait plus confondre aujourd'hui.
Vargas soulève la question de thymus sans que, jusqu'ici, rien ne soit venu
confirmer cette hypothèse.
On connaît les rapports intimes des organes génitaux avec le développement t
du squelette. La destruction du testicule entraîne un accroissement exagéré
suit Lotit marqué au niveau du fémur et du tibia. Ce fait, observé chez les cas-
trats (Matignon, Lortet, Hikmet et Regnault), chez les infantiles (Launois et
Roy), a été vérifié expérimentalement par Poncet, Brian, Guinard.On les trou-
vera exposés dans les thèses de Pirsche et de Caruette. Si l'absence de sécré-
tion interne de la glande génitale entraînait le gigantisme, on pouvait supposer
que son hypersécrétion donnerait un résultat contraire. Dor et Maisonnave
ont effectivement obtenu par injection de liquide orchitique une stérilisation
relative du cartilage de conjugaison et une réduction de la taille des animaux
en expérience. Mais rien ne démontre que ces expériences aient abouti à pro-
duire l'achondroplasie, et il serait prématuré d'en conclure que le testicule est
l'organe atteint dans cette maladie.
Une dernière glande sur laquelle l'attention s'est portée est la pituitaire, dont ^
l'hypertrophie entraîne l'acromégalie (Hutchinson, Pierre Marie). Casselli,
Hutchinson ont noté son atrophie chez les nains crétinoïdes. Nous l'avons re-
cherchée chez deux achondroplasiques vrais et avons vérifié son intégrité.
Ainsi qu'on le voit, l'hypothèse d'une lésion glandulaire spéciale, soit chez
la mère (leérédo-inloxicat : 'on), soit chez le foetus (auto-intoxication), quelque t
satisfaisante qu'elle paraisse, manque encore de vérification anatomique.
Les deux principales hypothèses avancées pour expliquer l'achondroplasie :
infection et intoxication, restent donc en présence. Toutes deux sont possi-
bles ; cependant la première nous paraît, jusqu'à preuve du contraire, plus
probable vu la nature même des lésions histologiques.
Les troubles glandulaires entraînent surtout des modifications dans la vita-\
lité des éléments dont l'activité est exagérée ou diminuée, des modifications dans''
les échanges qui sont favorisés ou ralentis. Chez le castrat, la taille augmente
parce que le cartilage de conjugaison conserve une activité juvénile au delà
des limites habituelles. Tout l'individu conserve, du reste, des caractères in-
fantiles. Mais l'épuisement parait d'autant plus vite et survient alors une sé-
nilité précoce. Chez le myxoedémateux, au contraire, il y a retard et ralentis-
sernent des échanges. Il en est de même dans la plupart des autres maladies
glandulaires. Qu'elles affectent toute l'économie ou touchent plus particulière-
ment un organe ou un autre par suite de curieux phénomènes de sélection,
elles semblent agir en activant ou en ralentissant l'activité et les éclaanges)
cellulaires, mais (sauf rares exceptions) ne déterminant pas, en général, au
moins directement, ni d'inflammation, ni de sclérose proprement dite.
Il en est autrement des infections et intoxications microbiennes. Si parfois "
celles-ci exercent une action analogue il celle des toxines glandulaires, le plus
souvent elles entraînent des lésions inflammatoires et de la sclérose. Lorsque
528 PORAK ET DURANTE
l'intoxication microbienne est lente et prolongée, la sclérose peut évoluer pro-
gressivement en l'absence de phénomènes inflammatoires aigus et présenter
également une élection pour tel ou tel système ou tel ou tel viscère (1).
/' Le rachitisme, déterminé par une diminution de l'activité des ostéoblastes,
est un type histologique qui répond assez exactement à l'action excessive ou
insuffisante d'une toxine cellulaire, au fonctionnement imparfait d'un organe du
reste indéterminé.
L'achondroplasie, au contraire, se présentant comme une sclérose du car-
tilage de conjugaison, affecte une forme histologique plus souvent réalisée par
les infections, les intoxications microbiennes, l'alcool, etc., etc.i
Ce serait donc parmi les agents sclérosants, et particulièrement dans la classe
des infections que nous serions tentés de chercher l'étiologie première de cette
affection, et cette hypothèse nous paraît confirmée par la présence des lésions
congestives et inflammatoires que nous avons constatées dans les autres orga-
nes de nos malades.
- De toutes les infections, la syphilis est, sans contredit, la plus sclérosante.
La syphilis congénitale détermine, chez le nouveau-né, des lésions osseuses de
nature très variable. Si les unes sont spécifiques, caractéristiques de cette af-
fection, d'autres sont banales et susceptibles d'être déterminées par les infec-
tions les plus diverses. Il y a donc lieu, à côté des lésions syphilitiques des os,
de décrire les lésions osseuses du syphilitique, au même titre que l'on distingue
le foie ou le coeur tuberculeux d'avec le foie et le coeur du tuberculeux.
Parmi les os de nouveau-nés atteints de syphilis héréditaire latente que
nous avons eu l'occasion d'examiner, plusieurs, sans offrir de lésions spécifi-
ques, étaient altérès. Chez les uns existait un état rachitique classique, chez
d'autres une transformation fibreuse du cartilage de conjugaison avec atrophie
de la zone de rivulation qui ressemblait étrangement au début des lésions achon-
. droplasiques. La syphilis semble donc, en tant qu'affection sclérosante,suscep-
tible de déterminer des lésions très analogues à celles de l'achondroplasie. Elle
a effectivement été relevée chez les parents dans un certain nombre d'obser-
vations.
Il ne faudrait, cependant, pas nous faire dire que l'achondroplasie est toujours
syphilitique, qu'elle représente une lésion proprement spécifique de l'os em-
bryonnaire. De même, quoique le rachitisme paraisse pouvoir être réalisé par
le nouveau-né spécifique, il ne s'ensuit pas que cette altération osseuse soit
un signe de syphilis : N'oublions pas que la syphilis, à côté des lésions spécifi-
ques donne naissance à des altérations banales qui existent parfois en dehors
d'elle. Elle peut donc faire de l'achondroplasie en tant qu'agent sclérosant, mais
partage cette propriété avec d'autres affections.
La tuberculose entraîne également des scléroses lentes. (Un connaît, par
(1) Les poisons inorganiques sont, sous ce rapport, différents les uns des autres.
Lorsqu'ils ne sont pas administrés à haute dose, mais à doses très faibles et longtemps
répétées, les uns (l'arsenic par exemple) provoquent plutôt, comme les poisons glan-
dulaires, des moditications dans la vitalité et les échanges cellulaires ; les autres
(comme l'alcool), plutôt la sclérose.
LES M)CHO)IÈHËS CONGENITALES S2S
exemple, la cirrhose hépatique des tuberculeux.) Nous l'avons retrouvée dans
un cas chez la mère d'un achondroplasique.
D'autres infections, l'alcoolisme, etc., etc., sont susceptibles d'entraîner les
mêmes lésions scléreuses.
Il nous semble donc, en résumé, que l'achond2oplasie ne relève probable-
ment pas d'un microbe ou d'une toxine unique, spécifique de cette dystrophie
osseuse.
Nous y voyons plutôt le résultat d'agents pathogènes divers, plus probable- **
ment infectieux que glandulaires, ayant comme seul caractère commun leur
propriété sclérogène. Ces agents, fixant leur activité sur le cartilage pour des
raisons de moindre résistance qui nous échappent, entraîneraient sa sclérose,
base anatomique de l'achondroplasie.
La syphilis étant une affection essentiellement sclérosante, sera souvent la»
cause première, mais la tuberculose, l'alcoolisme, et toute autre maladie sclé-
1 rasante pourront agir de même. On ne saurait donc regarder l'achondroplasie
comme une lésion spécifique, mais simplement comme une sclérose d'origine
variable du cartilage d'accroissement.
Ce que nous venons de dire ne concerne que l'achondroplasie vraie. Dans la
dysplasie périostale la sclérose fait défaut. La résorption exagérée du tissu
osseux relève d'une hyperactivité des ostéoblastes et rentre mieux dans la for-
mule histologique des troubles glandulaires ou trophiques. Aussi admettrions- - ·
nous plus volontiers ici l'hérédo ou l'auto-intoxication.
La dysplasie périostale affecte plus d'une analogie avec les myopathies.
Comme dans celles-ci, il s'agit d'une affection systématisée il un tissu, à une
espèce de cellules (musculaire dans un cas, osseuse dans l'autre). Dans l'une
et l'autre forme morbide, les altérations bistologiques constatées (ostéoporose,
atrophie musculaire) sont identiques à celles qui parfois se développent secon-
dairement à des lésions des centres nerveux et qui rentrent dans la catégorie
des troubles trophiques . Ces altérations paraissent cytologiquement détermi-'
nées par une déviation de l'activité cellulaire entravant la différenciation ? loi.- z
male et l'évolution régulière vers l'état adulte parfait. Si, dans certains cas,
cette déviation de l'activité cellulaire est acquise et relève de lésions centrales,
dans d'autres elle est congénitale, parfois héréditaire, et parait primitive dans ) 1
ce sens que nous ne connaissons pas sa cause déterminante. S'agit-il de modi-
fications invisibles des centres nerveux ? s'agit-il de troubles glandulaires con-
génitaux modifiant les conditions de vitalité de ces cellules ? s'agit-il d'un vice
de développement remontant aux premières phases de la période embryon-
naire ? Nous l'ignorons. Tandis que l'achondroplasie est une sclérose, l'aplasie
périostale se comporte comme une dystrophie vraie, et ses analogies évidentes .
avec les myopathies nous paraissent utiles à relever.
Il n'y a rien d'étonnant, du reste, à ce que l'achondroplasie et la dysplasie
périostale, quoique distinctes au point de vue de la physiologie pathologique,
puissent coïncider, pas plus qu'il n'est étonnant de les voir se compliquer de ra-
chitisme ou de myxoedème.
- XVIII 35
530 PORAX ET DURANTE
' Une affection maternelle sclérosante ne se localisera-t-elle pas d'autant plus
facilement sur le cartilage que le foetus, atteint déjà de dysplasie, se trouve en
infériorité osseuse. Dès lors, l'achondroplasie vient se surajouter à la dyspla-
sie périostale et la compliquer. Si, pour simplifier, on cherche une cause uni-
que à ces formes complexes, on peut admettre que telle affection maternelle,
lésant directement l'ossification chondrale et entraînant sa sclérose, détermine
simultanément ou ultérieurement d'autres phénomènes généraux ou des trou-
bles glandulaires simples ou multiples, qui réagissent leur tour sur la cellule
osseuse, chacun selon sa formule personnelle, et donnent naissance à des trou-
bles trophiques distincts des lésions précédentes. '
L'hérédité de l'achondroplasie, déjà signalée dans le premier mémoire de
Porak et relevée, aujourd'hui, dans un grand nombre de cas, ne nous paraît
contredire en rien l'étiologie et la pathogénie que nous proposons ici.
Dans toute affection, deux points sont à étudier séparément :
' a) Les caractères histologiques, la nature de la lésion considérée en elle-
même.
b) La localisation de cette lésion. -
Cette localisation est parfois déterminée par la porte d'entrée. Toutefois,
même dans les cas d'infection ou d'intoxication générale, on peut observer
certaines systématisations : tel alcoolique fera de la cirrhose, tel autre de la
polynévrite ; tel syphilitique deviendra paralytique général, tandis qu'un autre
succombera à des lésions hépatiques ou rénales. On invoque alors un état de
moindre résistance de l'organe touché, entraînant sa prédisposition morbide ;
ce n'est pas une explication mais une simple constatation de ces faits dont nous
ignorons encore le mécanisme intime.
Il en est de même dans les affections congénitales.
◀Tantôt▶ tous les systèmes paraissent intéressés. |Telle est, par exemple, la
syphilis du nouveau-né se manifestant par des plaques muqueuses, des lésions
cutanées, des gommes dans divers organes. Cette forme généralisée correspond
à la transmission d'un virus encore très actif.
◀Tantôt▶, au contraire, les lésions se localisent sur un système qui sera seul
affecté. '
Cette localisation pourra varier suivant les membres d'une même famille
(hérédité hélérologue), portant, par exemple, chez les uns sur le système ner-
veux, chez d'autres sur le système musculaire. Il y a hérédité de l'affection
fondamentale, mais variété personnelle dans sa localisation.
Dans d'autre cas, au contraire, la localisation est la même chez les différents
membres d'une famille (hérédité homologue), comme chez certains myopathi-
ques. Il y a, avant tout, dit-on, prédisposition morbide, susceptibilité congé-
nitale de tel ou tel organe, qui s'altère soit tardivement sous l'influence d'une
cause banale acquise, soit d'une façon très précoce sous l'influence d'une cause
pathogène transmise, elle aussi, par les parents.
' Tel est, croyons-nous, le cas pour l'achondroplasie. La cause pathogène est,
en elle-même, une sclérose banale et probablement variable (syphilis, tubercu-
lose, alcool) ; mais la caractéristique de cette affection est la localisation osseuse
LES M1CR0MÉL1ES CONGÉNITALES S31
et particulièrement épiphysaire. Cette susceptibilité morbide du cartilage paraît
pouvoir être héréditairement transmissible au même titre que la prédisposition
musculaire, nerveuse, cardiaque ou hépatique dans d'autres familles.
Nous avons, dans ce travail, cherché à élucider la nature des lésions achon-
droplasiques vraies afin de les distinguer des autres affections osseuses de
nature ou de siège différents que l'on avait, jusqu'ici, confondues avec elles.
Quant à la cause de cette localisation épiphysaire nous l'ignorons au même
titre que la cause de telle systématisation nerveuse ou myopathique. Il nous
paraît inutile de reproduire ici les diverses hypothèses qui ont été avancées à
ce sujet et qui ne sont que des paraphrases de l'idée de moindre résistance.
VII
CONCLUSIONS
1° Après avoir confondu toutes les dystrophies osseuses avec le rachitisme
on les assimile trop aisément aujourd'hui à l'achondroplasie.
Sous ce terme, on trouve encore réunies des affections disparates dont le
seul symptôme commun est la brièveté relative des membres. Les principales
sont l'achondroplasie vraie, le rachitisme vrai, le myxoedème, la dysplasie pé-
riostale ; d'autres surgiront plus tard qui sont encore imparfaitement indivi-
dualisées.
2° L'achondroplasie vraie est caractérisée par la micromélie le plus sou-
vent rhizomélique, par la main carrée et en trident, par le volume de la tête
brachycéphale à bosses saillantes, par l'enfoncement de la racine du nez, par la
synostose prématurée des os de la base du crâne, par l'intégrité habituelle des
os de la voûte ainsi que du squelette thoracique, par l'hypertrophie de l'épi-
physe des os longs, par la brièveté des diaphyses fermes et consistantes, par
les coudures généralement juxta-épiphysaires, par les saillies osseuses exagé-
rées, par l'absence de fractures, par le développement normal de l'individu
(sauf pour la longueur des membres), par le développement physiologique des
organes génitaux et de l'intelligence.
La formule histologique est une sclérose avec calcification du cartilage de
conjugaison dont la zone de rivulation disparaît. L'ossification périostale est
normale ou peu altérée.
3° La dysplasie périostale est caractérisée par une micromélie moins cons- .-
tante, par une tête moins volumineuse, par l'absence d'enfoncement de la ra-
cine du nez, par l'absence de synostose précoce des os de la base, par l'ossifi-
cation imparfaite de la voûte crânienne et souvent du squelette thoracique,
par les épiphyses des os longs normales ou peu hypertrophiées, par la faible
consistance et la grande fragilité des diaphyses, d'où des fractures très nom-
breuses et des déformatious dues tant à des incurvations qu'à des cals vicieux.
Sa .formule histologique est : ossification cartilagineuse normale, ossifica-
tion périostale insuffisante. L'absence plus ou moins complète de l'os compact
remplacé par un tissu largement aréolaire, semble provenir moins d'une insuf-
532 PORAK ET DURANTE
fisance des ostéoblastes toujours très nombreux, que d'une résorption exces-
sive par hyperactivité des ostéoclastes.
4° Il ne faut pas confondre ces affections :
a) Ni avec le micromèle rachitique congénital aux os incurvés, relevant d'une
non ossification des travées cartilagineuses.
b) Ni avec le micromèle my : roedémateux congénital dont l'état général est
caractéristique et qui ne se, développe pas régulièrement.
c) Ni avec les différentes espèces de nanismes taxi-infectieux dus à un arrêt
général de développement.
- 50 Au point de vue pathogénique, les deux théories : infection et auto ou
hétéro-intoxication glandulaire sont également plausibles.
A titre de pure hypothèse, il nous semble cependant que :
i. La dysplasie congénitale, due à une activité cellulaire anormale, représente
une formule pathologique plus habituellement réalisée par les troubles glan-
dulaires, mais a surtout les caractères des dystrophies vraies et peut être rap-
prochée des myopathies.
L'achondroplasie, due il une sclérose, représente une formule pathologique
plus habituellement infectieuse.
6° Possédant des caractères cliniques propres et relevant de lésions his-
tologiques distinctes, ces dystrophies osseuses ne doivent pas plus être con-
fondues entre elles qu'elles ne doivent l'être avec le rachitisme ou le myxoe-
dème, et peuvent être considérées comme des affections spéciales.
Quoique les agents sclérosants divers soient probablement susceptibles d'en-
traîner l'achondroplasie, celle-ci représente une unité assez fixe pour qu'on la
regarde comme une entité morbide, au même titre que la dysplasie périostale
ou le rachitisme, en attendant que les progrès de la science permettent peut-
être quelque jour d'établir un diagnostic étiologique plus précis,et de distinguer
les achondroplasies syphilitique, tuberculeuse, impaludique, alcoolique, etc.
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NOUVFLLE ICONOGRAPHIF DE LA SALPLCRIkRF
T. XVIII. Pl. LVII
ACHONDROPLASIE
(Parhou, SIJ//lldn et Za1(lacbta.
Masson & CI ? rdlteun;
l'hotnt)piu IlcrlhRud, P.Ir ! "
PLANCHE LVII.
Le malade de la première observation vu de face.
Remarquer surtout le raccourcissement des membres avec microrizomélie, l'enfonce-
ment de la racine du nez, la grosseur de la tête ainsi que l'inclination latérale du
tronc, avec inclinaison compensatrice de la tête du côté opposé. Remarquer aussi le
bon développement de la barbe et des moustaches.
Même malade vu de profil.
Remarquer la cyphose de la région dorsale inférieure ainsi que l'ensellure lombaire.
Même malade vu de dos.
On voit les grandes dimensions de la tête dans le sens transversal ainsi que les défor-
mations de la colonne vertébrale. La micromélie rhizomélique est aussi très appa-
rente sur cette photographie.
Les mains de ce même] malade.
Remarquer leur réduction dans le sens longitudinal, leur élargissement, la longueur
presque égale du médius, de l'index et de l'annulaire ainsi que leur déviation. C'est
la forme typique de la main en trident, de Pierre Marie.
SUR DEUX CAS D'ACHONDROPLASIE
PAR
C. PARHON, ATH. SHUNDA ET J. ZALPLACHTA
(de Bucarest).
La question de l'achondroplasie est encore loin d'être résolue. En ce qui
concerne spécialement l'étiologie et la pathogénie de cette dystrophie, nous
n'avons point de connaissances précises. On conçoit donc que les cas qu'on
a l'occasion d'observer valent la peine d'être étudiés et interprétés avec
beaucoup d'attention.
Ces cas sont d'ailleurs assez rares ou au moins l'attention n'a pas été
suffisamment attirée sur eux avant le mémoire que Pierre Marie (1) a
publié en 1900. Apert (2), dans un travail assez récent, dit que les cas
d'achondroplasie de l'adulte publiés jusqu'alors ne dépasseraient pas
le chiffre de 20. Et ainsi qu'on le verra dans ce qui suit, nous n'avons
pas non plus trouvé dans la littérature médicale plus de 42 observations
d'achondroplasiques vivants adultes ou enfants.
Voici donc tant de motifs qui nous ont décidé à publier les observa-
tions de deux casque nous avons eu la bonne chance d'étudier (Pl. LVII).
Le premier (D. Lépadatu) sujet, nous l'avons observé dans une foire où il
était exhibé, est un homme âgé de 33 ans, né dans un petit village de Rou-
manie (Plenitza-Dolj). Son père vit, et il est de stature moyenne. Sa mère est
morte, nous n'avons pu savoir de quoi. Eu tout cas elle n'a pas souffert d'un
trouble semblable à celui dont est alfecté notre malade. Celui-ci a eu encore
8 frères ou soeurs dont il ne reste que 5. Aucun d'eux ne présente un trouble
de la croissance rappelant celui de notre malade.
Chez celui-ci la maladie semble être congénitale. Le fait qui attire immédia-
tement l'attention, est la disproportion qui existe entre la taille, très petite, et
les grandes dimensions de la tête. En effet sa taille mesure 1055 mm.
En ce qui concerne la tête,nous trouvons que sa circonférence totale-57cen-
timètres. La demi-circonférence antérieure = 31 cent. 4. La demi-circonférence
postérieure =20 cent. 5. La circonférence antéro-postérieure = 37 cent. 5. La
circonférence transverse = 35 cent. 5 (en mesurant de l'insertion d'une oreille
à celle du côté opposé ou d'une apophyse zygomatique à l'autre).
Le diamètre antéro-postérieur de la glabelle à la protubérance occipitale ex-
540 PARIION, SHUNDA ET ZALPLACHTA
terne = 19 cent. 5. Le diamètre transverse maximum = 16 cent. 5 L'oblique
droit = 18 cent. 9. L'oblique gauche = 19 centimètres.
L'index cépbalique, D. transverse X 400 = 83,07.
L Index cephalique, D. ant.-post. - 83,07.
Le diamètre bimalaire = 11 cent. 5. La distance de l'épine du nez au tragus -
11 cent. 25. De la glabelle au tragus = 15 centimètres. De la racine du nez à
l'insertion des cheveux = 9 cent. 75. De la pointe du nez à la base du front =
4 cent. 1/2. De la pointe du nez à la pointe du menton = 8 centimètres. La lon-
gueur des oreilles=6 cent. 1/2. Dans son ensemble le crâne nous apparaît grand
surtout en arrière. Par contre en avant il est plus étroit.
En ce qui concerne la face on trouve une exophtalmie évidente et surtout un
enfoncement très prononcé de la racine du nez bien visible sur la photographie
qui représente le malade vu de face. La barbe et les moustaches sont bien four-
nies et les poils sont longs .et luisants. Les dents se superposent sur la ligne
médiane, tandis que sur les côtés les inférieures dépassent évidemment les
supérieures.
La voûte palatine est très ogivale. Le malade paraît très bien musclé. 11 est
difficile d'apprécier la force au dynamomètre car il ne peut pas. l'étreindre
bien à cause de la petitesse de ses mains. Mais le malade frappe avec beaucoup
de force la main de ses visiteurs pour plaisanter. Les membres sont très courts.
La main n'arrive que jusqu'à la région trochantérienne. Au membre su-
périeur il existe d'ailleurs comme d'habitude^ne^légère flexion de l'avant-bras
et l'extension complète du premier de ces segments n'est=pas possible.
Voici quelques mesures prises sur le membre supérieur droit :
Le médius = cent. 8. La main,de l'apophyse styloïde du radius la racine des
doigts = 6 cent. 1/2. L'avant-bras du sommet de l'olécrâne à l'apophyse sty-
loïde du cubitus = 16 centimètres. Le bras de l'épitroclilée à l'acromion =16
cent. 1/2. De l'acromion à l'épicondyle = 16 centimètres. Les mains présen-
tent l'aspect en trident décrit par Pierre Marie. Sur la photographie que nous
reproduisons on voit parfaitement cette disposition. L'index et l'annulaire sont
éloignés du médius et la différence entre ces doigts est minime. La face dorsale
de la main est arrondie. Sur l'abdomen et la cuisse droite on voit les cicatri-
ces d'une brûlure. '
Au membre inférieur nous trouvons les dimensions suivantes : Le pied droit
du calcanéum au gros orteil = 16 cent. 8. La jambe de l'interligne articulaire à la
malléole externe = 17 centimètres. Le fémur, du grand trochanter au condyle
externe = 18 cent. 5
Vue de dos, on constate facilement que la colonne vertébrale présente une
lordo-scoliose dans la moitié supérieure de la région dorsale et par contre une
cyphose très prononcée dans la moitié inférieure de cette même région ; ceci
est très apparent sur la photographie qui représente le malade vu de profil.
Il présente encore une ensellure lombaire très manifeste. Dans la région ano-
fessière on remarque une cicatrice que le malade prétend être consécutive à
une brûlure. Nous ne trouvons pas de troubles du côté des autres organes.
SUR DEUX CAS d'achondroplasie 541
Notons encore que les testicules sont bien développés et le réflexe crémasté-
rien normal.
Le pouls = 84 par minute.
En ce qui concerne son état psychique on trouve ce qui suit :
Le malade est assez proprement habillé, mais quand il se déshabille pour
être photographié, on remarque que ses téguments sont d'une saleté crasse.
Il est docile et se laisse volontiers examiner, exécutant facilement ce
que nous lui demandons mais, après avoir préalablement pris l'avis de son pa-
tron qu'il appelle son père. Il a les allures psychiques d'un enfant. La percep-
tion semble normale. L'attention peut-être fixée facilement, mais elle n'est que
de courte durée.
Il ne manifeste aucune curiosité pour acquérir de nouvelles notions. L'asso-
ciation des idées est rudimentaire, l'étendue de ses connaissances assez limitée.
Il n'a aucune culture ; il ne sait ni lire ni écrire, ce qui d'après lui serait la
faute de ses parents qui l'ont presque complètement abandonné. La prononcia-
tion des mots assez bonne, excepté celle des consonnes dintales qui est défec-
tueuse.
Il ne connaît que sa langue maternelle. Sa mémoire de fixation ainsi que
celle de reproduction et de localisation est faible et ne concerne que des notions
communes. Il est incapable de fixer les noms propres. D'ailleurs il ne peut fixer
aucune connaissance nouvelle et d'après sa propre déclaration ainsi que d'après-
celle de son patron, « il oublie tout et tout de suite ». Le calcul mental extrê-
mement rudimentaire. Il n'est pas capable d'additionner 2 + 2. Il ne
connaît pas le nom des jours de la semaine, la date de sa naissance ou celle du
jour où nous sommes. Il ne connaît pas la valeur des monnaies les plus élé-
mentaires comme celles de 5, 10 et 20 centimes. L'orientation dans l'espace
semble conservée.
Il ne présente aucun délire. C'est dans son ensemble psychique un état de
puérilisme. D'après le dire de son patron, il est irritable, irascible, entêté.
Pendant l'examen il a été gai, docile, communicatif. En ce qui concerne ses
sentiments, on voit qu'il est attaché comme un enfant à son patron, mais il parle
avec indifférence de ses parents et de ses frères ou soeurs. Ses tendances sont
surtout d'ordre végétatif. Dans la sphère sexuelle surtout il nous apparaît comme
un lascif et libidineux. Il fait sa moustache quand il voit une femme et répète
plusieurs fois en plaisantant que sa femme l'a quitté. Il fait ici allusion à une
naine myxoedémateuse qui était exhibée avec lui l'année dernière. Il se croit
beau et irrésistible. En ce qui concerne sa volonté elle se manifeste seulement
comme des caprices puérils. Il est suggestionnable et extrêmement crédule. Il
n'a jamais eu aucune profession. Sa seule occupation est celle de jouer sur le
chalumeau un seul air monotone et de danser une danse paysanne, toujours la
même. Il a une tendance à persifler. Il ne tolère pas l'alcool, mais il fume et
prétend que le tabac le tient éveillé. Autrement il s'ennuie énormément et il
est somnolent.
Il mange avec gourmandise. Son sommeil est possible seulement dans le
542 PARHON, SnUIVD9 ET ZALPLACHTA
décubitus iliaque avec les mains sur le coussin et la tête sur les mains. Il ronfle
d'une façon pénible. Il est peut-être adénoïdien.
Ainsi qu'il résulte de son observation, notre malade représente un cas
typique d'achondroplasie ayant tous les caractères principaux de cette dys-
trophie telle qu'elle a été différenciée avec le temps par les auteurs qui
l'ont séparée des autres formes de nanisme et lui ont donné une indivi-
dualité clinique. Chez notre malade nous trouvons tous les caractères du
nanisme achondroplasique tels qu'ils ont été indiqués d'une façon magis-
trale dans le mémoire de Pierre Marie.
En effet,nous trouvons chez notre malade un trouble congénital dans le
développement du squelette des dimensions normales du tronc et un rac-
courcissement notable des membres supérieurs etinférieurs,l'arrêt de crois-
sance de ces derniers déterminant le nanisme.Les segments rhizoméliques
sont plus atteints que lesmcsoméliqties (mici,o-i,lii7oinéliedePieri,eàlaile).
On trouve encore la macrocéphaliecaractéristiqueavec la déformation habi-
tuelle du nez qui est enfoncé et aplati à sa racine, une déformation carac-
téristique des mains, la main en trident de Pierre-Marie (Voir la figure),
l'ensellure lombaire et enfin une réduction de l'intelligence qui a conservé
le caractère infantile malgré les 33 ans du malade.
La comparaison de notre malade avec les autres cas d'achondroplasie et
surtout avec les photographies des achondroplasiques que nous trouvons
dans le travail de Pierre-Marie ainsi que dans ceux de Cestan (3), Apert,
Dide et Leborgne (5), publiés ici même, nous permet d'affirmer avec la
plus grande certitude l'exactitude de notre diagnostic. Cette ressemblance
entre notre cas et les autres déjà publiés, nous la retrouvons encore dans
l'ensemble général du malade qui a, lui aussi, l'aspect d'un petit athlète
d'une vigueur musculaire insolite. Les membres ont en outre un aspect
noueux du fait de l'épaississement des épiphyses et des surfaces articulaires.
Pour mettre mieux en évidence les rapports qui unissent notre cas à ceux
des autres auteurs, nous avons cherché, autant qu'il nous a été possible, de
faire une petite statistique ainsi qu'une classification des cas d'achondro-
plasie publiés jusqu'à présent. En laissant de côté les publications qui se
rapportent surtout à des foetus et à la question de l'anatomie pathologi-
que de cette dystrophie et en nous occupant seulement des cas qui concer-
nent des enfants plus âgés ou des adolescents et des adultes, nous avons
pu trouver dans la littérature un nombre de 42 cas d'achondroplasie pu-
bliés dans un intervalle de 30 ans, le plus ancien étant celui de Charpen-
tier (f)) (1875). On voit que l'achondroplasie est une dystrophie relative-
ment rare et pas assez connue du pub.ic médical.
SUR deux cas d'acu'ondroplasie 543
Voici d'ailleurs les noms des auteurs auxquels appartiennent les cas pu-
bliés : Charpentier, Porak (6), Crimail (7), Boeckh (8), Pierre-Marie,
Thomson (9), Lugeol (10), Bailly (11), Baldwin (12), Parwin (13),
Starr (14.), Hecker (15),E. Lafargue (4G),Nlauclaire (17), Lacaille,Apert,
Dide et Leborgne, Huet-Caruette (18), Variot(19), Villaire-Cabèche (20),
Méry (21), D'Astros (22), Marfan (23), Joachimstal (24), Johanssen (25).
Cestan, Hergott (26), De Buck (27), Ley et Beck (28), Lugaro (29).
Parmi ces 42 cas il y a 25 adultes et 14 adolescents ou enfants. Chez 35
nous avons pu trouver l'indication du sexe. Dans 17 il s'agit d'hommes,
dans 18 cas la maladie concernait par contredes femmes.La proportion est
donc presque égale. En examinant la symptomatologie de ces malades on
trouve ainsi qu'on aurait pu s'y attendre d'ailleurs, que la taille est beau-
coup plus petite chez la femme adulte achondroplasique que chez l'homme
atteint de ce même trouble.
Le plus petit chiffre publié concerne le cas de Boeck (une femme de
23 ans), puis toujours chez les femmes on trouve les chiffres de 1 m. 04 ;
1 m. 15 et 1 m. 28. Ce dernier est le plus grand chiffre chez la femme
achondroplasique adulte. Chez les hommes adultes achondroplasiques
nous trouvons les chiffres de 1 m. 22 (le malade Anatole de Pierre-Marie),
puis 1 m. 29, 1 m. 32, 1 m. 34. On voitdoncque la taille diffère d'après
le sexe dans le même sens que chez les gens normaux, la femme achon-
droplasique étant plus petite que l'homme achondroplasique. Nous nous
sommes occupés ici, bien entendu, seulement des cas concernant des
adultes en laissant de côté les enfants. Notre malade, de la taille de
105 cent. 5 est le plus petit homme achrondroplasique de tous les cas
publiés jusqu'à présent.
Ainsi que nous l'avons dit, tous les auteurs qui se sont occupés de la
question ont insisté sur le raccourcissement des membres, caractéristique
de cette dystrophie. Ce symptôme n'a pas échappé aux premiers observa-
teurs qui ont eu l'occasion de voir ces malades. Mais c'est à Pierre Marie
que revient le mérite d'avoir montré que ce raccourcissement ne se fait pas
d'une façon égale pour tous les segments des membres, mais qu'il y a
changement dans la proportion normale des segments. Cet observateur
distingué a indiqué comme un caractère de l'achondroplasie une micro-
mélie rhizomélique.Il convient toutefois de remarquer que cette micromé-
lie rhizomélique n'est pas dans tous les cas aussi évidente,ni les segments
rhizoméliques sont toujours plus courts que les mésoméliques. Mais il
n'est que juste de constater que dans tous (ou à peu près) les cas d'achon-
droplasie où on a pris la mesure exacte des segments, on avait pu trouver
cette tendance vers la micromélie rhizomélique.Dans les cas les plus typi-
ques la micromélie rhizomélique est si marquée que les segments de la ra-
544 PARUON, SIIUNDA ET ZALPLACIITA
cine des membres sont plus courts que les mésoméliques (le bras. et la
cuisse sont plus courts que l'avant-bras et la jambe).Dans dix cas d'achon-
droplasie où on a pris la mesure exacte des segments nous avons constaté
chez 5 ce renversement dans la proportion normale.
Dans le cas de Huet-Caruette le bras = 12 centimètres, l'avant-bras =
15 centimètres, la cuisse = 21 centimètres, la jambe = 23 centimètres.Dans
le cas de Variot (cité par Caruette) on trouve de même les segments radi-
culaires plus courts que ceux mésoméliques. Pierre Marie chez son malade
Anatole trouve que le bras = 13 centimètres,l'avant-bras =17 cent. 7, la
cuisse = 23 centimètres, la jambe = 24 centimètres. Chez le malade
Claudius le bras = 11 centimètres, l'avant-bras = 15 centimètres, la
cuisse = 1S centimètres, la jambe = 22 cent. 2. Dide et Leborgne chez
leur malade trouvent que le bras = 22 centimètres, l'avant-bras =
26 centimètres. En ce qui concerne les membres inférieurs, une erreur
d'imprimerie nous empêche de connaître les mesures exactes, mais d'après
la photographie la cuisse semble être plus courte que la jambe.
Dans d'autres cas lamicromélie rhizométiqueestmoins prononcée. Dans
certains cas elle n'est pas égale aux membres supérieurs et aux membres
inférieurs,pouvant être plus prononcée aux membres supérieurs ouinver-
sement.
Dans d'autres cas la micromélie rhizomélique est encore moins prononcée.
Si l'on compare avec les chiffres normaux on voit que le raccourcissement,
intéresse plus les segments rhizoméliques,maisces derniers restent pourtant
plus longs que les premiers. Nous avons trouvé ainsi dans trois cas les
segments rhizoméliques plus longs que les mésoméliques. Dans le cas de
Parrot le bras = 15 centimètres, l'avant-bras = 14 centimètres ; la cuisse
22 centimètres, la jambe = 19 centimètres. Dans l'un des cas d'Apert (le
malade Sicard), le bras=18centimètres,Pavanl-bras = 14 centimètres. Il
semble que dans ce cas, la cuisse est elle aussi plus longue que la jambe.
Dans certains cas, ainsi que nous l'avons dit,la micromélie rhizomélique
est plus prononcée aux membres supérieurs. Ainsi chez le malade de Ces-
tan,le bras = 13, l'avant-bras = 22, mais cuisse et la jambe sont éga-
les. Dans le cas de Villaire-Cahèche la micromélie rhizomélique prédomine
aux extrémités inférieures : le bras = 11 cent. 1, l'avant-bras = Il cent. 1 ;
la cuisse = 14 centimètres, la jambe = 15 centimètres.
Il résulte de tous ces faits que la micromélie rhizomélique n'est pas éga-
lement appréciable dans tous les cas et que dans certains cas cette micro-
mélie rhizomélique, peut être prouvée qu'en comparant les segments
des membres achrondroplasiques aux segments respectifs de l'homme ou
de la femme normale.Lesegmentrlizoméliquepeut être relativement plus
SUR DEUX CAS D'ACHONDROPLASIE 545
raccourci que le mésomélique bien que restant encore plus long que ce
dernier. -
Chez notre malade nous avons les dimensions suivantes le bras =
16 cent. 5 ; l'avant-bras = 16 centimètres ; la cuisse = 18. cent. 5, la
jambe = 17 centimètres.
La micromélie rhizomélique est donc très évidente. Un autre symptôme
signalé chez les achondroplasiques est la macrocéphalie. Dans les cas où
les dimensions de la tête ont été prises,deux fois seulement il a été indiqué
que la tête est normale (Variot, Joachimsthal).
Dans le cas de Huet et Caruette, chez une enfant de 10 ans nous trou-
vons aussi une circonférence de 525 millimètres, par conséquent voisine
de la circonférence normale. Dans les autres cas nous trouvons les dimen-
sions de la tête très augmentées. Les plus grandes circonférences notées
sont celles du malade Anatole de Pierre Marie (67 cm.) et de l'achondro-
plasique Touroff étudié par Apert (66 cm.), ainsi que chez le malade de
Dide etLeborgne (62 cm.). Cette augmentation des dimensions de la tête
chez les achondroplasiques se fait plus dans le sens transversal que dans
celui longitudinal; ainsi l'index céphalique augmente et la tête devient
courte. Cette brachycéphalie ressort des chiffres publiés par presque tous
les auteurs. Nous trouvons ainsi des index céphaliques de 81,1}; 87.19 ;
88,2 ; 94,25 voire même de 100,0 chez le malade Anatole de Pierre
Marie.
En rapport avec l'augmentation de la tète doit être mise aussi la défor-
mation du nez indiquée chez presque tous les achondroplasiques.
Le nez est aplati et enfoncé à sa racine,ce qui est dû peut-être à un arrêt
de développement de la base crânienne qui restant plus courte, produit
l'enfoncement de la racine du nez.
Seulement dans deux cas d'achondroplasie nous trouvons signalé un
nez normal, Joachimsthal dit de son malade qu'il a un nez normal. Dans
l'observation de la malade de Variot il est dit qu'elle a la tête et le crâne
normaux.
Le malade dont nous venons de donner l'observation est aussi un ma-
crocéphale (circonférence de la tête = 57) ainsi qu'un brachycéphale
(index = 83,7). Son nez est aussi enfoncé et aplati.
En relation avec les troubles de développement de la tête il convient
de parler de l'état psychique des achondroplasiques.
La majorité de ces malades présentent une intelligence réduite, arriérée
avec des caractères infantiles.
De 16 achondroplasiques dans les observations desquels nous trouvons
des ilidications sur ce point, neuf ont une intelligence plus ou moins ré-
xviii .. Il 30
546 PARHON, SHUNDA ET ZALPLACHTA
duite. Quatre ont une intelligence normale (les malades de Variot, Vil-
laire-Cabèche, Méry et le malade Sicard, d'Apert).
Dans deux cas nous trouvons signalée une intelligence supérieure à la
moyenne (Huet-Caruette, Joachimsthal).
Il est intéressant de relever qu'il semble exister une relation directe
entre la réduction de l'intelligence et l'augmentation de la tête.
C'est précisément chez les achondroplasiques les plus macrocéphales
que l'intelligence est la plus limitée. Les deux malades de Pierre Marie
qui ont une faible intelligence présentent des circonférences de 67 et
- 59 centimètres.
Le malade imbécile décrit par Dide et Leborgne présente une circonfé-
rence crânienne de 62 centimètres. Il est intéressant de constater que
parmi les malades d'Apert : Sicard, avec la circonférence crânienne plus
petite, 57 centimètres, est indiqué comme plus intelligent que Tourof dont
la circonférence est relativement énorme, 66 centimètres. Dans les cas où
l'intelligence se trouve notée comme normale ou supérieure, les dimen-
sions de la tête sont peu augmentées ou normales. C'est ainsi que dans
les deux cas avec intelligence supérieure à la moyenne chez deux fillettes
de 10 ans, malades de Huet-Caruette et de Joachimshal, on trouve les
circonférences de 51 centimètres et de 52 cm. 5.
En nous basant sur les cas connus jusqu'à présent, nous pouvons dire
que chez les achondroplasiques l'intelligence est d'autant plus limitée que
les dimensions du crâne sont plus grandes.
Notre malade, ainsi qu'il résulte de son examen psychique, est un ar-
riéré. Son intelligence a un caractère infantile, et, fait intéressant à noter et
signalé encore chez d'autres achondroplasiques(le malade Anatole de Marie,
le clown Sicard, d'Apert), nous trouvons chez lui une disposition gaie de
l'esprit avec une nuance lubrique. Le malade est facilement abordable et
plaisant, rit beaucoup, frise sa moustache quand il voit une femme, nous
parle en plaisantant sur le compte de sa femme qui l'a quitté, etc. Il est
important de constater dans la sphère psychique de notre malade une
note lascive assez prononcée et de rappeler que Pierre Marie a trouvé lui
aussi chez son malade Anatole une exagération évidente du sens génésique.
Notre malade ressemble beaucoup, en ce qui concerne son état psychique,
au malade de Pierre Marie. Ainsi que nous allons le voir plus bas,
nous estimons que cette exagération du sens génésique chez les achondro-
plasiques n'est pas quelque chose d'accidentel, mais est en relation avec
un développement plus intense de certaines fonctions des glandes géni-
tales qui, pour nous, jouent un rôle primordial dans la pathogénie de ce
trouble de la croissance.
Nous signalerons ici le fait que chez notre malade ainsi que chez les
JSUR DEUX CAS D'ACHONDROPLASIE J4
autres hommes achondroplasiques dont les photographies nous ont été
accessibles, les organes génitaux sont très bien développés ou ont même
l'aspect d'un développement supérieur à la normale.
Chez les femmes achondroplasiques on note aussi ce développement du
sens génésique, fait qui d'ailleurs n'a pas échappé à l'observation des
accoucheurs (Porak, etc.), qui nous ont laissé des observations de femmes
achondroplasiques avec des gestations réitérées, malgré les difficultés de
leur accouchement qui nécessitaient des interventions chirurgicales des
plus graves.
Quelques mots encore sur d'autres difformités qu'on rencontre chez
les achondroplasiques.
Pierre Marie est le premier auteur qui a attiré l'attention sur la confor-
mation spéciale des mains de ces malades. La longueur de leurs doigts est
à peu près égale et les doigts rapprochés par leurs premières phalanges
s'éloignent par les autres en formant ce que Pierre Marie a désigné sous
le nom de main en trident. Cette déformation de la main a été retrouvée
dans tous les cas publiés depuis le mémoire de cet observateur. On la
trouve notée ainsi dans les cas de Huet et Caruette, Villaire-Cabèche,
Cestan, Apert, Dide et Leborgne. Dans notre cas elle est très évidente
(voir la photographie).
Certains auteurs ont insisté sur le fait que le tronc et la colonne verté-
brale dont les dimensions sont normales ne présentent aucune anomalie,
outre l'ensellure lombaire explicable par le changement d'équilibre dû au
raccourcissement des membres inférieurs.
Mais si l'on passe en revue les observations, on voit que la conformation
normale du tronc n'est pas un attribut constant dans cette dystrophie,
parce que dans quelques observations nous trouvons notées certaines défor-
mations telles que des rétractions dans la région inférieure des côtes (Joa-
chimsthal), formation d'une gouttière sternale très prononcée (cas de
Cestan), double scoliose (cas de Méry).
Dans notre cas nous avons noté aussi certaines déformations du tronc et
de la colonne vertébrale : une lordo-scoliose de la moitié supérieure et une
cyphose de la moitié inférieure de la région dorsale, en plus de l'ensellure
lombaire caractéristique qui est très prononcée.
De l'étude des observations il résulte un autre fait important qui mérite
d'être retenu. C'est que l'achondroplasie semble être héréditaire au moins
dans certains cas, le plus net à ce point de vue étant celui relaté par
Boeckh dans lequel un aïeul, le père et une soeur de la malade ont été
achondroplasiques. Porak et Baldwin citent chacun un cas où des femmes
achondroplasiques ont donné naissance à des enfants atteints de cette
même dystrophie.
548 PAIiIION SHUNDA ET ZALPLACHTA
Grâce à l'extrême obligeance de M. le professeur Obregia, nous avons
pu étudier un second cas dans lequel le diagnostic d'achondroplasie est
encore celui qui convient le mieux, bien-qu'il prête peut-être à discus-
sion.
Nous allons reproduire cette observation (très résumée), en priant
M. le professeur Obregia de recevoir nos vifs remerciements pour l'obli-
geance qu'il a eue de la mettre à notre disposition.
Il s'agit d'un homme (Th. Gh.), âgé de 84 ans, interné dans l'hospice d'a-
liénés Marcoutza, service du professeur Obregia, le 3 septembre 1898. On ne
trouve rien d'important dans ses antécédents héréditaires. Aucun de ses parents
ne souffre d'un trouble de croissance semblable au sien. Il avait commencé à
marcher vers un an et demi. Nous ne connaissons pas grand'chose de ses an-
técédents personnels avant son internement. A son entrée dans le service on
constate ce qui suit : le crâne globuleux, l'occipital aplati, le front large et assez
élevé, la face asymétrique aux dépens de la moitié droite. Le malaire de ce
dernier côté plus aplati que celui du côté opposé. Les oreilles sont grandes,
avec lobules petits et adhérents sur toute leur étendue. Le cartilage de l'oreille
gauche au niveau de l'anti-hélix présente un épaississement scléreux anormal.
Les dents sont irrégulièrement implantées et leur couronne érodée. La voûte
palatine est enfoncée. La circonférence crânienne = 540 mm. la demi-circon-
férence antérieure = 280 mm. Le diamètre transverse maximum = 150 mm.
L'oblique droit et gauche = 160 mm. Le malade pèse 42 kilos 500 grammes.
Sa taille ne mesure que 1 m. 34. La distance de l'apophyse épineuse de la
7e vertèbre cervicale à la pointe du sacrum = 54 cm. La colonne vertébrale
présente une ensellure lombaire. Les côtes moyennes gauches présentent leur
courbure plus accentuée que les autres. Les cartilages costaux ainsi que l'ap-
pendice xiphoïde semblent ossifiés. Ce dernier est immobile. Les extrémités
internes des deux clavicules présentent leur surface articulaire libre. Les
membres supérieurs et inférieurs sont remarquables par la petitesse anormale
des os longs. La distance de l'acromion à l'épicondyle=47 cent. 5 (du côté droit).
De l'acromion à l'apophyse styloïde du radius = 33 cent. 5. De l'interligne arti-
culaire métacarpo-phalangienne à l'extrémité du médius = 6 cent. 9.
Dans son ensemble la main est développée surtout dans le sens transversal
et réduite par contre dans le sens longitudinal. Elle présente une légère dévia-
tion vers son bord cubital. Les doigts sont courts et écartés les uns des autres,
et la différence entre l'index, le médius et l'annulaire est minime. Les parties
molles des phalanges sont bien développées. La main rappelle dans son ensem-
ble l'aspect d'une patte d'oie.
Le malade étant debout on observe un genu varus, très prononcé. La dis-
tance de l'épine iliaque antéro-supérieure droite, distance représentant la corde
de l'arc décrit par le membre inférieur = 61 centimètres. De l'épine iliaque an-
téro-supérieure jusqu'au condyle externe du fémur = 33 cent. 5. Du condyle
SUR DEUX CAS D'ACHONDROPLASIE 549
externe à la malléole externe = 30 cent. 5. La longueur du bord interne du
pied du milieu de la face postérieure du calcanéum jusqu'à l'extrémité du gros
orteil = ;l0 centimètres. Le fémur gauche présente à l'union du tiers supérieur
avec le moyen un cal très volumineux, irrégulier, fusiforme, conséquence
d'une ancienne fracture. La plus grande déformation est représentée par celle
de l'articulation du genou, le condyle interne est volumineux et très proéminent
en dedans et l'épiphyse du tibia est très irrégulière, volumineuse, faisant avec
la diaphyse du même os une courbure avec la concavité interne. La tubérosité
externe des tibias est très proéminente en dehors.
Le malade ne présente pas de troubles appréciables de la sensibilité objective,
il présente pourtant le signe de Biernacki. La marche est difficile, le malade
boite et se dandine.
Comme état psychique on trouve que l'attitude du malade est convenable,
mais il exécute à contre-coeur les actes demandés. Il parle facilement. La per-
FM. 5.- Malade de la deuxième observation. On remarque parfaitement le raccourcis-
sement des membres, les supérieurs n'atteignant que la région trochantérienne ; la
microrizomélie des membres supérieurs, avec main en trident; la courbure des mem-
bres inférieurs. On voit encore que la tête comme le tronc ont leurs dimensions
normales. Il existe une hernie inguinale.
550 PARHON, SHUNDA ET ZALPLACHTA
ception est bonne, l'attention facile. Le malade est communicatif et il se plaît
à persifler non sans une certaine adresse les autres malades et le personnel de
FiG. 6. Les os du bras et de l'avant-bras de ce^même malade comparésjavec les os
respectifs d'un adulte normal. Remarquer le raccourcissement des os dans le pre-
mier cas et surtout le fait que l'humérus devient égal aux os de l'avant-bras (micro-
rizomélie.) Les déformations des épiphyses sont aussi très réduites. Le trait blanc
qu'on voit à la partie supérieure des os est dû à la ficelle avec laquelle on avait sus-
pendu les os pour les photographier. La couleur foncée des os achondroplasiques
est due à leur dégraissage incomplet.
Fio. 7. Les os de la cuisse et de la jambe du même malade comparés à ceux d'un
adulte normal. On remarque la déformation des épiphyses et le raccourcissement
des diaphyses. La micromélie rhizomélique manque ici ou n'est que peu accentuée.
SUR DEUX CAS D'ACHONDROPLASIE 551
l'hospice. La mémoire du passé est assez fidèle. Les événements actuels parais-
sent s'assimiler plus difficilement. Pas d'hallucinations. L'orientation allopsy-
chique altérée. Il sait écrire. Il a été cabaretier et en même temps recéleur pour
les malfaiteurs. Il a fait souvent des excès alcooliques dont la conséquence a été
l'internement du malade dans l'hospice d'aliénés. Son trouble mental s'est ma-
nifesté par des actes de violence, il déchirait les objets et montrait en même
temps des idées délirantes de grandeur, incohérentes et sans trace de systé-
matisation. Les sentiments affectifs sont très obtus. En ce qui concerne
l'instinct sexuel, il prétend parfois avoir eu des rapports avec des centaines de
femmes. D'autres fois par contre il se montre pudique et beaucoup plus réservé
à cet égard. Son sommeil est agité. Il est gourmand. Il n'est pas gâteux.
Le malade succombe le 5 avril 1899 à la suite d'une pneumonie gauche.
L'examen des autres organes montre en outre ce qui suit : Méningo-encéphalite
chronique diffuse, athérome des vaisseaux cérébraux ainsi que de l'aorte, cir-
rhose atrophique du foie, gastrite alcoolique, hernie épiploïque dans la cavité
pleurale gauche, hernie inguinale, hypophyse petite, le corps thyroïde =
15 grammes.
Nous avons pris encore les dimensions de certains os dont voici les chiffres :
Le fémur droit = 326 mm. ; le tibia = 284 mm. ; le péroné = 287 mm. ; l'hu-
mérus = 197 mm. ; le cubitus = 181 mm. ; le radius = 183 mm.
Les surfaces articulaires sont très irrégulières.
Ce cas se rapproche de l'achondroplasie par les caractères suivants :
1° L'affection semble être congénitale. 2° Petite taille due à l'arrêt d'ac-
croissement des membres, le tronc restant normal. 3° Micromélie rizo-
mélique des membres supérieurs.4° Main en trident. 5° Ensellure lombaire.
6° Epaississement des diaphyses et surtout des épiphyses des os longs
avec accentuation des crêtes d'insertions musculaires.
On peut ajouter à ces caractères un autre symptôme consistant dans
l'incurvation des membres inférieurs, déformation qui ne tient pas à une
courbure des os eux-mêmes mais, ainsi que le di Pierre Marie, « plutôt à
un déplacement angulaire des deux segments du membre inférieur au
niveau du genou ou un peu au-dessous de cette articulation ». Ce fait, bien .
que ne s'observant pas dans tous les cas, est très net dans d'autres, comme
chez la malade de Boeckh, chez le malade Anatole, de Pierre Marie et chez
la malade de Joachimsthal chez laquelle on a pratiqué une opération chi-
rurgicale pour redresser les membres. '
Par d'autres points ce malade diffère par contre des cas typiques
d'achondroplasie. C'est ainsi que sa tète a les dimensions normales, que
la micromélie rizomélique manque aux membres inférieurs, que le nez
n'est pas aplati et enfoncé à sa racine.
Mais il convient de rappeler que dans les cas de Variot, de Joachimsthal
de Huet et Caruette, les dimensions de la tête sont normales, que dans un
552 PARHON, SHUNDA ET ZALPLACHTA
des cas d'Apert (le malade Sicard) la micromélie rizomélique manque ou
est très peu prononcée et cela non seulement aux membres inférieurs mais
aussi aux membres supérieurs (bras = 18, avant-bras = 14 cm.). En ce
qui concerne l'enfoncement de la racine du nez c'est un symptôme qui
manque également dans quelques cas d'achondroplasie.
On voit donc que ce deuxième cas,bien que n'étant pas absolument typi-
que à cause de l'absence d'un certain nombre de symptômes, se rapproche
beaucoup des autres cas d'achondroplasie et le nombre des symptômes
positifs dépasse celui des symptômes négatifs. Aussi le diagnostic d'achron-
droplasie nous semble le meilleur malgré les réserves que l'on peut y
faire.
Il existe probablement pour l'achondroplasie comme pour d'autres
dystrophies des cas de transition entre l'état normal et les formes les
mieux caractérisées. On trouve encore, ainsi que nous l'avons déjà dit, des
formes mixtes où l'achondroplasie se combine avec d'autres troubles. C'est
ainsi que dans le cas de Lugaro il y avait association de l'achondroplasie
avec le myxoedème et chez le malade Claudius, de Pierre Marie, on avait
noté l'absence de certains caractères de la puberté ou, si l'on veut, le ma-
lade présentait certains caractères infantiles qui font penser à un certain
degré d'hypothyroïdisme.
Ces formes mixtes ainsi que les cas de transition méritent d'être étudiés
avec soin.
Il nous a semblé utile avant de finir ce travail de discuter un peu la
question de l'étiologie et la pathogénie de l'achondroplasie.
En ce qui concerne le premier point nous ne nous attarderons pas lon-
guement. La maladie semble être dans notre cas comme d'habitude
congénitale et le malade n'aurait commencé à marcher que vers l'âge
de 4 ans. L'hérédité signalée dans quelques observations manque dans
la nôtre, d'après le dire du malade et de son patron. La question de
l'étiologie de l'achondroplasie reste donc encore bien obscure et nous
retrouvons la même obscurité quand il s'agit.de la pathogénie de ce trou-
ble du développement du squelette. Certains auteurs rapprochent l'achon-
droplasie du rachitisme et Cestan admet certains rapports entre le premier
et le deuxième. Par contre Apert ne voit que des divergences. Certains
auteurs la regardent comme une maladie locale du cartilage (Parrot, De
Buck). D'autres y voient par contre un processus d'ordre plus général.
Pierre Marie est le promoteur de cette façon d'envisager la question qui a
es plus grandes chances d'être la vraie. Cet auteur se demande si ce n'est
pas dans un trouble de la fonction ou du développement de quelque
SUR DEUX CAS D'ACHONDROPLASIE 553
organe glandulaire qu'il faut chercher la raison d'être de l'achondro-
plasie.
Pour Porak et Durante cette dystrophie serait due à une hérédo-intoxi-
cation venant de l'organisme maternel. Ils ont été amenés à cette hypo-
thèse en examinant anatomo-pathologiquement les organes de deux foetus
achondroplasiques et de la mère de l'un deux. Chez cette dernière il exis-
tait une dégénérescence aiguë du foie et des lésions rénales de nature
toxique. L'autre était atteinte d'une syphilis récente et présentait des
accidents secondaires. Chez les foetus ces auteurs ont observé, outre les
altérations osseuses, des lésions nerveuses qui tendraient, d'après eux, à
démontrer l'origine infectieuse ou plus probablement toxique de l'achon-
droplasie (cités d'après Cabèche). Mais Porak et Durante n'entendent pas
appliquer cette interprétation pathogénique à tous les cas et ils n'excluent
nullement l'existence d'une achondroplasie par insuffisance glandulaire
foetale, et c'est à des nouveaux faits disent-ils à nous dire si, à côté
d'une achondroplasie par hérédo-intoxication, il en existe également par
auto-intoxication.
Dans l'hypothèse de Parrot on doit se demander pourquoi les cartilages
de conjugaison se sont arrêtés dans leur développement, quelle est la rai-
son d'une lésion si systématisée ? Et la réponse la plus vraisemblable
nous semble être qu'on doit chercher cette cause dans une altération du
milieu interne. On est ainsi conduit vers l'hypothèse de Pierre Marie ou
vers celle plus récente de Porak et Durante dans lesquelles l'achondro-
plasie est précisément due à une altération de ce milieu.
Mais la difficulté commence quand il s'agit d'être plus précis. Des ma-
nifestations si différentes entre elles comme celles d'une syphilis récente
de la mère ou d'altérations graves et plus ou moins aiguës du foie et du
rein de la mère peuvent-elles provoquer chez le foetus une même dystro-
phie, l'achondroplasie, ainsi que l'ont supposé Porak et Durante ? A notre
avis cela est bien loin d'être prouvé. Nous allons faire connaître ce que nous
pensons nous-mêmes relativement à la pathogénie de l'achondroplasie. Les
idées qui suivent nous ont été suggérées par une remarque très judicieuse
faite par le professeur Obregia qui a vu avec l'un de nous le malade de notre
première observation il y a un an. M. Obregia en comparant les cas de
gigantisme avec ceux d'achondroplasie faisait observer qu'on doit consi-
dérer cette dernière comme une dystrophie diamétralement opposée à la
première. Et si l'on se donne la peine d'analyser un peu les caractères
cliniques de ces troubles de la croissance, on voit tout de suite la jus-
tesse de cette observation.
En effet, dans l'un comme dans l'autre il s'agit surtout de défauts de
croissance des os longs, conséquence, dans le premier, d'une absence ou
554 PARHON, SHUNDA ET ZALPLACHTA
mieux d'un arrêt prématuré du développement du cartilage de conjugaison;
dans le second d'une persistance anormale et d'une exagération de la fonc-
tion de celui-ci. Dans le premier cas la vitalité du cartilage de conjugaison
est nulle ou à peu près. Dans le second le cartilage de conjugaison a par
contre une vitalité exubérante. C'est pour cela qu'ici les os long s'allon-
gent démesurément tandis que là ils se sont arrêtés dans leur développe-
ment. On sait d'autre part que dans le gigantisme ce sont les segments
rizoméliques qui sont les plus développés. Nous avons vu que ce sont éga-
lement les mêmes segments qui sont lesplus atteints dans l'achondroplasie.
On peut opposer aussi la brachycéphalie des achondroplasiques à la doli-
cocéphalie qui n'est pas rare dans le gigantisme ainsi qu'on peut s'en con-
vaincre facilement en consultant les observations et les figures que Lau-
nois et Roy (30) nous donnent dans l'admirable volume qu'ils ont consacré
à l'étude biologique des géants (1).
Ces considérations nous conduisent d'une façon naturelle à l'idée de
chercher pour l'achondroplasie une pathogénie diamétralement opposée à
celle du gigantisme.
Malheureusement la pathogénie de ce dernier syndrome n'est pas, elle
non plus, complètement résolue. Pourtant la lumière commence à se faire.
Ce trouble semble dû à une exagération des fonctions hypophysaires, à
laquelle s'ajoute peut-être celle de la fonction thyroïdienne (2), la persis-
tance des fonctions du thymus (dans certains cas) et dans la grande majorité
des cas -- sinon toujours - l'absence de la sécrétion des glandes sexuel-
les (31). Nous serions ainsi amenés à admettre pour l'achondroplasie un
mécanisme inverse,c'est-à-dire qu'elle serait l'expression de l'hypofonction
' de certaines glandes comme l'hypophyse, la thyroïde et le thymus (ou peut-
être de l'absence de certaines de ces fonctions) avec exagération des fonc-
tions antagonistes des glandes sexuelles. La réduction de volume de
l'hypophyse et la réduction très marquée du poids du corps thyroïde dans
notre deuxième cas est de nature à confirmer cette manière de voir. L'hy-
perfonction des glandes sexuelles semble elle aussi très rationnelle si l'on
pense qu'en sens inverse on peut produire chez les animaux (Poncet,
Pirche (32), etc.), et chez l'homme, parla castration industrielle ou reli-
gieuse, un véritable gigantisme caractérisé par l'allongement des membres,
surtout dans leurs segments radiculaires, avec une réduction des diamètres
(1) Peut-être convient-il encore d'opposer le genu valgum qu'on observe parfois chez
les géants (comme chez le géant Charles de Launois et Roy et chez un Skoptzy que
l'un de nous a vu à Bucarest), au genu varum qu'on rencontre chez certains achon-
droplases.
(2) Hertoghe (36) et Masoin (37), pensent que l'achondroplasie est due à un trouble
de cette même fonction.
SUR DEUX CAS D'ACHONDROPLASIE 555
du crâne (Pittard) (33), opposable à la macrocéphalie des achondropla-
siques.
Dans l'achondroplasie, on trouve, ainsi que nous l'avons vu, de la bra-
chycéphalie. Or, Richon et Jeandelize (34), dans des recherches très in-
téressantes viennent de démontrer que la castration expérimentale produit
chez les animaux une véritable dolicocéphalie. Et à côté de ces faits qui
démontrent l'action exagératrice de l'activité du cartilage de conjugaison
produite par la castration, il convient de rappeler que Dor (35), a observé
une modération de la croissance produite par l'opothérapie testiculaire.
Nous ne voulons pas dire par là que nous avons élucidé la question
de la pathogénie de l'achondroplasie. C'est une simple hypothèse qui
pourtant expliquerait en grande partie la production du syndrome achon-
droplasique et que nous soumettons à la critique de ceux qui s'intéressent
à ce problème.
Mais de nombreux points restent encore à discuter et des objections
peuvent être soulevées contre cette hypothèse. L'hyperfonction des
glandes sexuelles qui produit l'achondroplasie appartient-elle au foetus ?
(car l'achondroplasie débute d'habitude pendant la vie foetale.)
Et ici il faut se demander si l'hypersécrétion, ou mieux encore l'entrée
en activité précoce de la sécrétion interne des testicules et des ovaires, est
possible à cet âge de la vie ?
Assurément le fait n'est pas prouvé, mais à priori il ne semble pas im-
possible. En effet les études de Ancel et Bouin, de Voïnov, de Branca et
d'autres auteurs tendent à démontrer qu'il existe une indépendance,
relative au moins, entre la sécrétion interne et la sécrétion externe des
glandes sexuelles et que chacune de ces sécrétions est l'oeuvre des forma-
tions glandulaires distinctes.
Mais on peut encore supposer que ce sont les ovaires de la mère qui
fonctionnent d'une façon exagérée pendant la gestation, alors qu'à l'état
normal il semble que la sécrétion ovarienne serait plutôt absente pendant
la gestation.
Dans ce cas on pourrait suffisamment expliquer l'apparition de l'achon-
droplasie, car on sait que les ovaires (comme les testicules) ont une action
inhibitrice sur les phénomènes de la croissance, autrement dit sur la
fonction des cartilages de conjugaison.
On peut supposer de même que cette exagération de la sécrétion interne
des glandes sexuelles existe d'abord chez la mère et que plus tard elle
débute d'une façon précoce chez l'enfant achondroplasique et persiste plus
ou moins exagérée chez l'achondroplasique adulte.
Certains faits viennent corroborer cette façon de voir. Nous avons vu
556 PARHON, SHUNDA ET ZALPLACHTA
ainsi que chez l'un des malades de Pierre Marie, il existait une véritable
salacité sexuelle, fait constaté aussi chez notre malade.
En ce qui concerne les femmes achondroplasiques, elles ne peuvent être
regardées non plus comme des modèles de continence, et Porak a vu le cas
d'une femme achondroplasique qui ayant souffert deux fois des graves
interventions n'a pas évité de s'exposer une troisième fois au même sort.
D'autre part Pierre-Marie, Apert ont noté l'aspect très vigoureux de
leurs achondroplasiques hommes et Porak une obésité plus ou moins mar-
quée de ses femmes achondroplasiques. Ne faut-il pas voir dans ces faits
aussi une certaine exagération des attributs sexuels secondaires normaux ?
Mais ainsi que nous l'avons déjà dit, nous n'ignorons pas qu'on puisse
élever de sérieuses objections contre cette explication. C'est ainsi que
chez l'un des malades de Pierre Marie la figure était glabre et on pouvait
discuter si le malade était pubère. Mais il semble que la première impul-
sion dans l'apparition de la puberté est donnée par le corps thyroïde,ainsi
qu'il n'est pas impossible que dans ce cas il eut existé un certain degré
d'hypothyroïdisme.
Nous avons vu d'ailleurs que Lugaro a signalé la coexistence de l'achon-
droplasie avec le myxoedème. Il est pourtant vrai que l'état glabre de la
figure chez un homme doit nous faire penser à l'insuffisance testiculaire.
Mais il faut encore nous demander s'il ne peut pas exister une dissociation
entre les fonctions testiculaires qui interviennent dans le développement
du système pileux et celles qui exercent l'action inhibitrice sur la crois-
sance.
Quoi qu'il en soit, n'est pas excluse dans ce cas la possibilité d'une
hyperfonction des glandes ovariennes de la mère pendant la gestation,
laquelle aurait retenti sur la vitalité des cartilages de conjugaison du
foetus.
z Pierre Marie a signalé dans le même cas l'absence de soudure des épiphy-
ses. Ce fait pourrait constiuerun argument contre l'opinion que nous sou-
tenons,car chez des castrés on observe aussi une pareille absence. Pourtant
une différence existe, car chez ces derniers il existe une persistance anor-
male du cartilage de conjugaison qui continue a produire l'os tandis que
dans l'achondroplasie le cartilage est arrêté d'une façon prématurée dans
son développement et l'ossification enchondrale manque ou est réduite au
minimum.
Certainement nous n'avons pas la prétention d'exprimer plus qu'une
hypothèse que les faits viendront confirmer ou infirmer.
Cette hypothèse nous semble pourtant la plus convenable dans l'état
actuel de la science.
Ce travail était terminé et prêt à être envoyé à la rédaction de la Non-
SUR DEUX CAS D'ACHONDROPLASIE 557
velle Iconographie de la Salpêtrière quand nous avons pris connaissance
de l'intéressante Revue générale que Leriche (38) a consacrée à l'achon-
droplasie. Nous y avons trouvé signalés quelques cas que nous ignorions et
qui viennent s'ajouter à ceux que nous avons cités au cours de ce travail.
Ces cas appartiennent à Poncet et Leriche, Lannois, Pauly et Teissier,
Jaboulay, Devay, Collmann. Dans ce dernier cas le corps thyroïde était t
augmenté. Dans le cas de Devay il y avait - comme dans celui de Lugaro
que nous avons cité plus haut coexistence de l'achondroplasie avec le
myxoedème.
Nous trouvons encore signalées dans le travail de Leriche les vues très
intéressantes de son maître Poncet concernant la division des achondro-
plases en pathologiques et normaux, ces derniers représentant une variété
spéciale de l'espèce humaine, une sorte de reviviscence d'un type atavique
de celte espèce.
Mais la partie qui nous intéresse le plus du travail de Leriche concerne
la discussion de la pathogénie de l'achondroplasie. Leriche expose ici les
différentes interprétations données par les auteurs et après avoir signalé
l'opinion de Vargas (39) qui parle de l'opothérapie thymique dans
l'achondroplasie, il ajoute le passage suivant dans lequel on trouve signa-
lée une hypothèse presque identique à celle que nous venons d'émettre.
Nous nous faisons un devoir de citer textuellement ce passage.
« On peut, en effet, songer au thymus, c'est une hypothèse défendable,
mais jusqu'ici sans argument à l'appui. Il n'en est pas de même des orga-
nes génitaux, dont on commence à connaître le rôle sur le développement
squelettique. Sans doute, cette idée n'a jusqu'à présent aucun contrôle
anatomique, mais de par certains faits physiologiques et expérimentaux,
on est en droit de songer à la glande interstitielle du testicule et de
l'ovaire.
. « Au rebours du gigantisme avec lequel elle est en relation manifeste en
certains cas, par défaut, la glande testiculaire pourrait peut-être, par vi-
ciation ou par excès, produire un arrêt de croissance.
« En effet les recherches de M.Poncet ont depuis longtemps établi que la
castration dans le jeune âge, chez les animaux, a pour conséquence un
hyperaccroissement du squelette et que, dans la mesure où l'on peut par-
ler de dolicocéphalie, chez les animaux comme les lapins ou les chats, les
castrés ont le crâne plus allongé que les témoins. Ces faits ont été véri-
fiés par Briau, par Guinard chez les animaux, par Matignon, Lortet, Hik-
met et Regnault, chez les castrats. Récemment Lannois et Roy ont bien
établi les rapports de l'infantilisme et du gigantisme. Enfin, Pirsche,dans
sa thèse inspirée par M. Poncet, a repris ces faits, expérimenté lui-
même et exposé tout ce qu'on savait de l'action du testicule sur la crois-
558 PARHON, SHUNDA ET ZALPLACHTA
sance.D'autre part, L. Dor et Maisonnave (41) dans le laboratoire de M.Pon-
cet ont récemment obtenu par l'injection de liquide orchitique une stérili-
sation relative du cartilage de conjugaison et une réduction de la taille
chez les animaux en expérience.
« En présence de ces faits, on est porté à se demander si la glande à
sécrétion interne invoquée par Marie, ne serait pas la glande génitale.
Mais seuls des examens histologiques précis pourront établir l'exactitude
de cette hypothèse. »
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41. J. MAisoNNAYE. Contribution à l'étude de l'opothérapie orchitique.
Pro OSPEDALE l\IAURIZIANO UMBERTO I DI TORINO.
SERVICE DU PROFESSEUR GRAZIADEI.
DIFFORMITE CONGENITALE DES MEMBRES
PAR
1. VALOBRA
Médecin de l'hôpital Umberto ler, à Turin.
. Mathias Duval, dans son étude sur la tératologie, critique l'abus des
classifications dans l'exposition des anomalies congénitales. Selon M. Du-
val il n'existe pas de monstruosités mais plutôt des monstres.
L'observation dont nous poursuivons l'étude, nous confirme dans cette
persuasion. Nous observons dans la morphologie des membres de ce sujet
des altérations congénitales multiples, de sorte que nous pourrions le clas-
ser dans plusieurs des grandes divisions établies par les tératologistes,
suivant l'importance que nous donnerions à chaque anomalie.
Il présente de nombreuses altérations dans le développement des mem-
bres sur la pathogénie desquelles on a discuté beaucoup en arrivant pour
chacune d'elles à une conclusion différente. Nous verrons que le fait de
les trouver réunies chez un même sujet, plaide pour l'hypothèse d'une
cause unique. En tout cas, nous savons que la radiographie nous permet
une étude des altérations du squelette que les premiers auteurs qui se
sont occupés de la tératologie ne pouvaient pas faire, et qu'avec les don-
nées fournies par ce moyen d'étude,il sera plus tard aisé d'arriver à de
nouvelles conclusions générales.
Observation. R. T..., âgé de 27 ans, mendiant ambulant de son état
(PI. LVIII).
Il nous affirme que son père et sa mère étaient sains, et bien conformés : ils
ne sont pas alcooliques ; ils se nourrissent assez bien et ils sont cultivateurs
de leur état. Le sujet a trois frères et deux soeurs mariées et mères de famille.
Toute la famille est bien constituée ; jamais on n'y a observé de monstres, ni
de maladies nerveuses ou mentales.
La grossesse de la mère et l'accouchement ont été normaux comme pour les
autres enfants. Les parents s'aperçurent bientôt des anomalies de la main, et
que les membres inférieurs étaient très peu développés et déformés.
A l'âge de cinq ans on lui appliqua pour la première fois des appareils or-
thopédiques pour lui donner la possibilité de se tenir debout et de marcher.
Les altérations du membre inférieur droit étaient plus profondes que les alté-
Nouvelle lcoycanrmr de un SALPÊTRItHti
T. XVIII. Pl. LVIII
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES
(7/0.
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES 561
rations du membre gauche car, même avec l'appareil, il ne pouvait pas mar-
cher. L'appareil produisait aussi des lésions de la peau par compression. On
le changea souvent sans résultat. Enfin, lorsqu'il atteignit l'âge de 16 ans, un
chirurgien dont il ne se souvient pas du nom lui pratiqua la résection du fé-
mur droit et lui fit faire un nouvel appareil orthopédique. Il put alors marcher
assez bien, et il commença alors sa vie de mendiant ambulant traîné dans une
charrette par un chien terre-neuve. Il faut savoir encore qu'à la même épo-
que, le chirurgien lui pratiqua une opération à la main droite, laquelle lui donna
la possibilité de jouir de l'usage de deux doigts (1).
Le sujet est alcoolique, et il s'adonne volontiers aux plaisirs vénériens : il
souffrait à l'époque de notre examen d'une blennorragie chronique.
Mon observation dura seulement une journée. Il devait partir pour un pèle-
rinage et il ne voulut pas s'arrêter dans mon service. Cette résistance expliquera
quelques défauts de l'observation, et particulièrement le manque de certaines
radiographies. qui auraient été utiles pour notre étude.
Etat actuel, août 1904. - En examinant le sujet dans son ensemble, nous
voyons que la tête et le tronc sont à peu près normaux. Le membre inférieur
droit fait défaut. Nous voyons à gauche un membre inférieur, d'une brièveté
extraordinaire qui rappelle l'idée d'une patte, et qui est la cause de l'espèce
de nanisme du sujet même.
Il mesure 1 m. 17 : son poids est de 42 kilogrammes.
Tête. - Brachycéphalie.
[Dans la Lombardie où il est né, la brachycéphalie est dominante (Lombroso)].
Diamètres :
562 VALOBRA
Circonférence du thorax au niveau :
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES 563
564 VALOBRA
Main droite. Carpe. - Le scaphoïde et le semi-lunaire sont remplacés
par un os unique semi-lunaire qui résulte vraisemblablement de la fusion des
deux os. Le pyramidal et le pisiforme sont au contraire normalement consti-
tués et placés. La deuxième rangée des os du carpe présente du côté radial
deux os qui occupent la place du trapèze et du trapézoïde, mais qui ne présen-
tent pas la constitution morphologique de ces os. Le trapèze est remplacé par un
os allongé et concave vers le bord externe, qui s'articule avec le scaphoïde
et le grand os. Avec ce dernier il forme un espace triangulaire ouvert en bas
dans lequel nous trouvons placé le trapézoïde qui présente une forme nettement
triangulaire; cet os est dépourvu de la face articulaire pour le scaphoïde qui
est remplacée par un angle aigu. Le grand os présente une forme normale,
mais il ne présente pas ses articulations avec le scaphoïde et avec le métacar-
pien placé à son bord radial. L'os crochu est normalement constitué et placé.
Toutefois on peut encore observer que la deuxième rangée des os du carpe se
trouve luxée dans un plan postérieure à la première rangée.
Métacarpe. Le métacarpe est composé de six os. Le premier métacarpien
s'articule à son extrémité supérieure avec les os qui remplacent le trapèze et le
trapézoïde. Il présente encore une face articulaire pour le métacarpien suivant
qui fait défaut dans le premier métacarpien normal. On trouve ensuite deux
métacarpiens qui s'articulent tous les deux avec le trapézoïde. Les trois derniers
métacarpiens s'articulent normalement avec le grand os et avec l'os crochu
comme les trois métacarpiens de la main normale : ils présentent seulement
une anomalie : ils ont une épaisseur qui diminue régulièrement du bord cubital
au bord radial d'une façon contraire à la normale.
Doigts. Le premier doigt a trois phalanges : la première d'une longueur
et d'une disposition normales; les deux inférieures fléchies et très petites. Le
deuxième doigt présente seulement l'extrémité articulaire métacarpienne de la
première phalange car il a été réséqué par le chirurgien. Pour ce qui con-
cerne les quatre doigts suivants, on peut affirmer que tandis que les premières
phalanges sont normales, les autres sont toutes fléchies et unies les unes sur
les autres comme si une force externe eût agi latéralement et de bas en haut.
On ne peut pas s'orienter, on ne peut pas même affirmer que le chirurgien n'ait
pas désarticulé quelques phalanges. Je n'ai pas pu pratiquer de nouvelles ra-
diographies latérales qui auraient pu, peut-être, nous donner des renseigne-
ments. Un fait est pourtant certain : le cinquième doigt présente trois phalanges
complètes fléchies l'une sur l'autre.
Toutes les phalanges sont unies par une syndactylie complète.
Main gauche. Le scaphoïde'et le semi-lunaire se présentent ici bien sé-
parés l'un de l'autre. Le pyramidal et le pisiforme sont normaux. La deuxième
rangée des os du carpe présente au contraire des altérations morphologiques
symétriques aux lésions décrites dans la main droite : anomalie de forme du
trapèze, trapézoïde triangulaire avec lequel deux métacarpiens viennent s'ar-
ticuler, tandis qu'il n'arrive pas jusqu'au scaphoïde. Par un examen attentif
on peut décéler dans la radiographie une espèce de division au milieu du
trapézoïde, si bien qu'on dirait que ce dernier est remplacé par deux petits os.
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES 565
Les os du carpe de la main gauche ne sont pas aussi bien séparés l'un de
l'autre comme dans la main droite.
Métacarpe. Disposition parfaitement symétrique à la main droite : mêmes
anomalies numériques et morphologiques.
Doigts. Pour ce qui concerne la morphologie des doigts, le fait qu'il n'y
a pas eu d'opération chirurgicale, nous plaçait dans une condition plus favo-
rable pour le jugement de l'état des phalanges. Mais il existe un désordre de
telle sorte dans leur disposition que toute orientation est impossible. On dirait
qu'à l'époque de leur formation une force mécanique agit latéralement et du
bas en haut.
Les phalanges se présentent fléchies l'une sur l'autre et superposées et apla-
ties et elles forment un amas dans lequel il est très difficile de s'orienter :
d'autant que certaines phalanges ne présentent presque plus leur forme nor-
male ; mais elles sont aplaties et présentent des trous dans leur épaisseur.
L'examen de la radiographie sera plus avantageux que toute description.
Il est pourtant nécessaire de noter que dans cette main comme dans la main
droite on ne peut pas localiser le pouce avec ses deux phalanges ; nous attirons
aussi l'attention sur la deuxième phalange du deuxième doigt radial qui se
présente très longue, très mince et qui forme une espèce de capuchon à l'uni-
que phalange visible du troisième doigt. Très intéressant aussi le sixième doigt
qui paraît formé par trois phalanges dont la dernière est aplatie et présente
un trou médian.
Une radiographie latérale nous aurait éclairé un peu ; malheureusement elle
nous fait défaut.
Membre inférieur gauche. Orteils. Les orteils sont au nombre de
sept. Tandis que l'interprétation des doigts est presque impossible, ici nous
pouvons nous orienter facilement. Le fait que le gros orteil se présente d'une
forme normale et qu'il est suivi du côté externe par quatre orteils presque
normaux, nous démontre que les deux orteils placés du côté tibial sont surnu-
méraires. Aux cinq doigts normaux correspondent cinq métatarsiens qui ne
présentent pas d'altérations notables. Aux deux orteils surnuméraires corres-
pondent deux métatarsiens qui ne sont pas disposés sur le même plan, car le
plus externe est placé dans un plan plus plantaire.
Tarse. - Le cuboïde, le troisième et le deuxième cunéiforme ont une dis-
position normale. Le premier cunéiforme est un peu tourné à l'interne et il
est suivi par un cunéiforme surnuméraire qui est uni aux deux orteils surnu-
méraires. Il n'y a pas un scaphoïde séparé : ce dernier semble soudé à l'astra-
gale qui arrive jusqu'à la première rangée des os du tarse.
Le calcanéum arrive normalement à s'articuler avec le cuboïde.
Jambe. - L'interprétation et la description se font ici particulièrement
difficiles car les altérations de forme et des rapports sont très profondes.
En correspondance du bord interne du membre il y a un os qui s'articule
en bas'avec l'astragale, et qui représente d'une façon certaine le tibia.
Cependant il présente la constitution des os courts, car il n'y a pas trace de
constitution diaphysaire ou épiphysaire, et il est spongieux dans toute sa lon-
566 VALOBRA
gueur. Son extrémité inférieure s'articule avec l'astragale. Son extrémité su-
périeure est libre, et elle correspond à la face postéro-externe de l'extrémité
inférieure du fémur : il en résulte que l'extrémité inférieure de ce dernier est
assez libre et elle fait une saillie sous la peau à quelques centimètres de la face
dorsale du pied.
Le péroné, plus volumineux qu'à l'état normal, présente la constitution des
os longs ; et il a une diaphyse et deux épiphyses. Son extrémité inférieure vient
s'unir avec la face externe du calcanéum, et de telle sorte que la malléole ex-
terne vient se trouver au niveau de la plante du pied. La diaphyse présente une
courbure très accusée avec une concavité en dedans et en avant. Son extrémité
supérieure pénètre vraiment dans la diaphyse fémorale. En correspondance
du tiers inférieur de ce dernier os, le péroné pénètre profondément d"arrière
en avant et de dehors en dedans. Autour de l'entrée de la tête du péroné, sur
le fémur il y a un cercle de substance osseuse néoformée, qui fait saillie sur
la surface du fémur. Sur la face antérieure du fémur au niveau de la pénétra-
tion de la tête péronéale, il y a une ombre radiographique. Elle nous démon-
tre que la néoformation osseuse entoure le fémur à ce niveau.
En résumé, le nanisme du patient résulte du défaut de développement du
tibia, et particulièrement de la double luxation du péroné, de sorte que l'ex-
trémité inférieure du fémur se trouve presqu'au niveau du dos du pied.
En résumé, nous pouvons faire une liste des altérations congénitales du
squelette :
1° Dans les mains : altération de forme et de structure des os du carpe ; po-
lydactylie ; éctrodactylie ; syndactylie. Les altérations de la main sont localisées
au bord radial pour ce qui concerne le carpe et le métacarpe. Les doigts sont
tous atteints ; .
2° Bassin étroit par rapport au reste du tronc ;
3° Fémur plus court et moins volumineux que la normale ; déformation de
son extrémité inférieure ;
4° Absence de la rotule ;
5° Tibia plus court et plus gros que la normale, sans trace de constitution
épiphysaire, et luxé postérieurement et latéralement au fémur ;
6° Péroné long, avec une courbure latérale qui rend plus voisines les
épiphyses. Luxation postérieure et interne de son extrémité supérieure, et luxa-
tion externe de son extrémité inférieure.
7° Anomalie de forme et de nombre des os du tarse du côté tibial. Polydac-
tylie du côté tibial. Syndactylie.
Les auteurs qui ont eu l'occasion de décrire des monstres, ont toujours
fait suivre à la description un essai d'explication des anomalies. Par suite
du développement de nos connaissances d'embryologie, de paléontologie,
d'anatomie comparée, les anciennes explications ont présenté une trans-
formation. un perfectionnement. Mais nous sommes toujours limités aux
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES 567
hypothèses, et une interprétation sûre des faits observés nous fait encore
défaut.
Le monstre que j'ai observé pendant quelques heures présente un en-
semble d'anomalies qui plaideparticulièrementpourune hypothèse déter-
minée, et qui peut nous servir pour des conclusions générales sur la
pathogénie de certaines difformités congénitales.
Les théories modernes, c'est-à-dire celles qui sont fondées réellement
sur les données acquises par la science biologique, peuvent être classées
de la façon suivante pour, ce qui concerne les monstruosités des membres.
1° Théorie mécanique (anomalies du développement des membranes
foetales, contractions utérines, traumatismes).
2° Théorie de l'atavisme.
3° Théorie des troubles trophiques consécutifs à des altérations du sys-
tème nerveux.
Je crois que les deux premières théories contiennent leur part de vé-
rité. Je crois au contraire que la théorie des altérations trophiques mérite
d'être éliminée tout de suite et mise hors de discussion.
En thèse générale cette dernière théorie, proposée par Tiedemann (2),
a perdu une grande partie de la faveur avec laquelle on l'avait accueillie
tout d'abord.
On ne peut pas nier que dans les observations d'arrêt de développement
des membres on observe souvent un arrêt de développement des centres
nerveux correspondants. T'iedemann (8), Gurlt (3), Serres (4), Troisier (5),
ont décrit des exemples très frappants. Particulièrement intéressantes
les observations de Davida (6) et d'Ediuger (7). Dans la première l'au-
teur observa une atrophie des nerls et des ganglions intervertébraux
correspondants à une ptérobrachie. Dans la deuxième l'auteur observa
l'absence de la main et de l'avant-bras gauche et une atrophie de la moitié
gauche de la moelle cervicale ; la deuxième circonvolution frontale était
très mince. Mais dans le travail d'Edinger, on voit déjà l'influence des
études expérimentales de Gudden (9), de lJ1aysel' (92), de ll9ozzaltow (93),
sur le système nerveux des animaux amputés à la naissance, et des re-
cherches sur la moelle des hommes amputés qui suivirent les travaux de
Vulpian (10). Ces études ont démontré d'une façon absolue que le défaut
des excitations qui arrivent de la périphérie aux centres nerveux, produit
leur atrophie progressive. Cette donnée indiscutable est le fondement de
toute une série de découvertes sur les localisations médullaires et céré-
brales.
L'application de ce fait acquis par la neurologie pathologique aurait ici
une valeur notable, parce que dans l'observation de Troisiel' (5) et dans
celle de Edingen (7) il s'agissait d'une véritable amputation foetale.
Déplus : lorsqu'on étudia le système nerveux des monstres ectromélie
568 VALOBRA
pendant les premières périodes de la vie foetale, on trouva la moelle par-
faitement développée [Sperino (11)].
On peut adjoindre l'argument que dans les cas d'amyélie de Brissaud
et Bruandet (12) et de Pelizzi (13), on trouva les membres normalement
développés; dans ces cas, même en admettant la théorie qui veut que, dans
l'amyélie, on peut observer dans les premières périodes une ébauche de
moelle qui plus tard tombe en atrophie, un fait est certain, c'est que cette
atrophie n'a pas d'influence sur le développement des membres. Nous
verrons encore que les déformations congénitales des membres ont leur
origine dans les premières périodes du développement foetal, lorsqu'il
n'y a pas encore de système nerveux.
Babès (14) est récemment revenu sur cette théorie ; il admet la pré-
sence d'un centre hypothétique placé dans la base du crâne dont l'al-
tération pendant la vie embryonnaire amènerait une transformation des
quatre membres. Dans notre observation il faudrait être doué d'une forte
dose d'imagination pour songer qu'une lésion du système nerveux eut
produite toutes les altérations par excès et par défaut que nous avons dé-
crites dans le système osseux, sans altération de la fonction du système
vasomoteur ni de la sensibilité générale...
Je ne crois pas devoir m'arrêter pour combattre la théorie de Serres (4)
des anomalies de l'artère nourricière du membre. Cette théorie qui fut
pour un moment élevée au rang de loi (loi de Serres) dans la tératologie, a
été complètement démoliepar les travaux de Bisclao fj" (4â), de Leuckart (16),
de Beneke (17), de Foerster (18). Avant tout elle ne pourrait jamais nous
expliquer que les anomalies par défaut. Parn1l1n (19) a démontré d'ail-
leurs que les altérations des membres précédent la formation même des
vaisseaux.
Je ne crois pas non plus à un rachitisme foetal. Une série d'auteurs nient
même son existence l Schildoviki (20), I(aufoaan(1), Clivio (22), Fede e
Finizio (23)..]. Les auteurs qui récemment ont admis son existence,
admettent aussi qu'elle s'accompagne toujours du chapelet costal, de cra-
niomalacie, de déviation du rachis, etc.. [Charrin et Le Play (24)].
Dans notre observation le rachitisme ne nous expliquerait jamais la
polydactylie ni la syndactylie. Mais je crois avant tout qu'il ne s'agit
certainement pas d'une maladie générale qui aurait laissé ses traces dans
tout l'organisme. On doit songer plutôt à une étiologie locale, mécanique.
A présent, il nous sera plus facile de nous orienter pour l'interpréta-
tion de notre observation. Voyons rapidement les idées dominantes et les
faits acquis par la science à propos des anomalies que présente notre su-
jet.
Polydactylie. - Cette anomalie dont, selon Renan (25), la Bible fait déjà
NOUVELLE Iconographie de la SALPÊTRltU T. XVIII. PI. UX
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES
Radiographie des mains.
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. T. XVIII. PI. LX
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES
(vnlolra) .
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES 569
mention, a été scientifiquement étudiée dans le siècle passé par Morand
(26), par lTe°leel (27), Fôrster (18), Broca (28), et enfin par Gruber (29)
en 1871, et par Taruffi en 1881 (30). Ces derniers auteurs ont clas-
sé d'une façon parfaite tous les cas connus dans la science, selon le
nombre des doigts. Il est très important à noter que dans le plus grand
nombre des cas, l'anomalie s'arrête au niveau du métacarpe et du méta-
tarse. Sur 194 observations de syndactylie, Gruber observa seulement six
fois un sixième métacarpien. Taruffi a fait la même remarque à propos
des sujets qui présentaient 778 doigts. Pophan (31) observa trois auricu-
laires greffés sur un seul métacarpien, et Haucher (32) trois pouces, dans
les mêmes conditions.
Sur la pathogénie de cette anomalie qui est assez commune les discus-
sions des biologistes se sont multipliées. Demain (33), selon les idéesdomi-
nantes dans tous ses'travaux, considéra cette anomalie comme un caractère
d'atavisme. Il trouve dans l'échelle animale des icthyosauriens et des pois-
sons qui portent une vingtaine de métacarpiens et de doigts ; et selon ses
idées, la polydactylie serait un retour à ce caractère ancestral. La base scien-
tifique de ces idées on doit la chercher dans les travaux de Bardeleben (34)
qui remonte à un autre point de départ. Il observa que dans l'échelle zoo-
logique en partant des Dipnoes jusqu'à l'homme (pisiforme), il existe
des petits os qu'il appela ]Jr'oer'adiaux ou postulnaires ; et il croit que ces
petits doigts sont le rudiment de doigts possédés par les ancêtres des
Dipnoes.
Les schémas de Gegenbanr (35) démontrent aussi que la main à cinq
doigts de l'homme ainsi que celle des vertébrés des quatres classes supé-
rieures dérive de l'extrémité polydactyle des Enaliosauriens, et parti-
culièrement des Icthyosauriens. Cette extrémité dérive elle-même de l'atro-
phie du plus grand nombre des rayons de la nageoire des Sélaciens.
Les arguments en faveur de cette hypothèse ne font pas défaut :
Chez les animaux qui occupent dans l'échelle zoologique une place
intermédiaire entre les polydactyles et l'homme la polydactylie n'est pas
rare. Chez les oiseaux elle est même fréquente, et elle peut former une race .
particulière (Gallus pentadactylus de Buffon). Dans le cheval la présence
de doigts surnuméraires est assez fréquente : De Christol (36) et Hensel (37)
ont démontré que les races modernes du cheval dérivent de l'Hipparion
qui était polydactyle.
Le caractère familial aussi est contraire à l'idée d'une étiologie méca-
nique éventuelle. A ce propos, il est intéressant de relater que les obser-
vations recueillies par Tcaruffi peuvent être classées de la manière sui-
vante :
570 VALOBRA
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES 571
les, ont conduit les auteurs à une hypothèse plus ancienne qui avait été aban-
donnée. On songea de nouveau aux influences mécaniques qui peuvent
s'exercer sur le foetus pendant sa vie intrautérine, et particulièrement aux
altérations de l'ammios qui l'entoure complètement et qui peut par : . des ad-
hérences ou bien par des pressions abnormes, modifier ou bien empêcher
le développement des parties foetales.
Ahlfeld (46) a eu le mérite de donner le premier la démonstration
de cette hypothèse. Il décrivit un cas de polydactylie dans lequel on
voyait encore à la naissance une bride amniotique qui divisait les deux
pouces de la même main.
Mais la démonstration indirecte de cette hypothèse se prévaut d'argu-
ments très importants qui démontrent mieux encore la faiblesse de la
théorie de l'atavisme appliquée d'une façon trop exclusive.
Avant tout, il faut rappeler les études de tératogénie expérimentale de
Dareste (4.7) qui démontra que le germe ne porte pas, comme Wolff (55)
et Meckel (56) le croyaient, la modification tératogénétique, d'une façon
congénitale. Il démontra qu'il est possible de reproduire la plus grande
partie des anomalies tératologiques par la modification artificielle des
conditions externes de la vie du germe.
Il est certain que la cause doit agir à une époque pendant laquelle le
germe est encore modifiable : cela est seulement possible pendant les
premières périodes du développement lorsque les cellules sont encore en
grande partie à l'état indifférent. Et il est bon de rappeler que les membres
sont constitués par des cellules qui jouissent pour un temps très long de
cette faculté. z
Cette observation ne nous explique pas encore la polydactylie.
Mais nous pouvons rappeler de nouvelles données expérimentales. Dans
les urodèles et dans les arthropodes nous pouvons facilement obtenir la po-
lymyélie et la polydactylie par la mutilation des membres et des doigts.
Chez les Pleurodes qui possèdent parfois six doigts à chaque patte (Leydy),
Girard (48) a pu produire à coup sûr la polydactylie en excitant intention-
nellement le moignon. donner (49), Barfurth (50), Bertacchini (51) ont
pu obtenir la polydactylie en coupant ou bien en écrasant la palette ap-
pendiculaire dans les larves urodèles.
Ces résultats sont la conséquence du fait que ces animaux conservent la
puissance reproductive par germination après l'époque du développement.
« Il est probable que chez l'homme aussi pendant la période embryonnaire,
il existe la même faculté, à savoir que, à la suite d'une irritation prolongée
des extrémités, le processus de végétation augmente le nombre de ses pro-
duits M (7'arK). Nous connaissons des observations qui nous démon-
trent l'existence de cette faculté de l'homme, même pendant la vie ex-
572 VALOBRA
tra-utérine. Wite de Manchester (52) coupe trois fois chez un enfant âgé de
trois ans, un pouce surnuméraire qui trois fois se reproduit avec son
ongle. Sympson (3) a vu un ongle nouveau pousser sur la deuxième pha-
lange d'un doigt auquel il avait amputé la première. Jauvelle (4) a vu
aussi des cas de polydactylie acquise. Coroisai,t (57), Blwnenbak (58) ont
décrit des observations semblables.
Le fait que la polydactylie congénitale est souvent associée avec d'autres
anomalies congénitales dans lesquelles les anomalies de l'amnios semblent
jouer un rôle important (syndactylie, atrésie de l'anus, encéphalocèle),
plaide aussi en faveur de la théorie mécanique.
Nous avons exposé l'état actuel de la question de la polydactylie. Il en
résulte que la théorie atavique est basée sur des arguments trop peu solides
et sûrs pour pouvoir se soutenir toute seule. On doit donner au contraire
une grande importance aux trois faits suivants : a) à la présence d'ano-
malies dans le développement des annexes; b) à la persistance relativement 1
longue à l'état indifférent des cellules destinées à la formation des mem-
bres ; c) à la puissance des bourgeons pendant cet état de répondre à leur
irritation avec l'hyperproduction. Nous verrons bientôt comment notre
observation peut se prévaloir de ces arguments pour son interprétation.
Syndactylie. La polydactylie est très souvent accompagnée de la
syndactylie. Dans ces cas la membrane ne relie pas seulement les doigts
surnuméraires aux doigts normaux, mais aussi les doigts normaux entre
eux.
Nous pouvons trouver des observations innombrables dans tous les
traités de tératologie qui nous démontrent la fréquence de cette coïnci-
dence.
Dans l'échelle zoologique,les exemples de syndactylie ne font pas défaut,
mais le rapport serait si forcé, qu'aucun des partisans de la théorie ata-
viquen'a pas songé à cette observation fréquente pour s'en prévaloir comme
d'un argument de sa théorie.
L'étude de la formation embryonnaire des doigts et de leur séparation
fournit au contraire des arguments puissants à ceux qui croient à l'in-
fluence des altérations des annexes entravant l'évolution normale de l'em-
bryon.
Il faut rappeler que jusqu'à la cinquième semaine de la vie embryon-
naire l'extrémité distale des quatre bourgeons qui représentent les ex-
trémités ne montre pas même la trace des doigts. Dans ces bourgeons,
dans l'intérieur desquels les cellules se différencient pour former les par-
ties du squelette et les parties musculaires, les doigts sont les derniers à se
former : et ils se forment de l'extrémité proximale à l'extrémité distale.
Vers la 7" semaine (Forcer), on peut voir quatre- sillons qui doivent
diviser les cinq doigts déjà formés à l'intérieur. Si nous songeons qu'à
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES 573
cette époque les ongles commencent déjà à se former, nous pouvons sous-
crire à l'affirmation de Koelliker, qu'il y existe une syndactylie normale
qui se prolonge jusqu'au troisième mois. Lorsque le développement se fait
d'une façon normale, les sillons s'approfondissent peu à peu jusqu'à la
division complète des doigts ; et c'est un procédé qui a été nombre de fois
comparé à celui de l'aiiihtti7z (1), c'est-à-dire par des bourgeons épithé-
liaux qui s'approfondissent entre les doigts. Si une cause externe empêche
le développement du membre) particulièrement de [son extrémité distale)
l'union persiste, le procédé de division se fait mal ou bien ne se fait pas.
Il suffit de consulter la littérature sur les altérations congénitales des
membres pour voir que lorsque une cause quelconque produit une dévia-
tion ou bien une lésion d'un segment de membre, elle produit aussi
presque toujours de la syndactylie. Et cela autant dans les altérations
par excès que dans celles par défaut. Cette observation démontre avant
tout que la séparation normale des doigts se fait par un procédé qui
facilement peut s'arrêter.
La syndactylie est encore un phénomène commun à toutes les altérations
dans le développement des membres et qui fait songer à un moment étiolo-
gique unique. Nous verrons bientôt qu'il s'agit encore des altérations des
membranes foetales qui empêchent le développement normal de l'extrémité
distale du membre.
L'étude méthodiquement poursuivie des principales déformations des
extrémités distales des membres de notre sujet, nous permettra à présent
de nous orienter dans l'interprétation des altérations présentées dans le
bassin, dans la cuisse et dans la jambe.
Nous avons déjà vu qu'on ne peut songer ni à une maladie ni à une
discrasie générale qui auraient laissé des traces sur l'organisme entier.
Le sujet, fils de paysans sains, frère de paysans sains, présente dans
le thorax et dans la tête un exemple de beauté masculine, quoique sa vie
pendant sa jeunesse entière eût été bien peu hygiénique.
Nous avons déjà vu que même pour ce qui concerne la polydactylie et la
(1) L'ainhmn est le nom d'une maladie qui a été décrite pour la première fois par
Silva Lima (60), en 1866, et l'année suivante par Collas (59). Entre le métatarse et les
phalanges des orteils un sillon se forme s'approfondissant sans réaction et sans dou-
leur jusqu'à la chute de l'orteil. Menzel (61) a démontré que la maladie es cons-
tituée par des bourgeons épithéliaux qui sont placés entre les papilles et qui s'ap-
profondissent sans cesse.
574 VALOBRA
.syndactylie, la théorie atavique a du mal il se soutenir. On ne peut cer-
tainement pas invoquer la théorie atavique pour expliquer les autres alté-
rations du membre inférieur. On ne peut non plus comparer notre sujet à
l'observation de Jameson (62) qui présentait une atrophie dans la partie
inférieure du corps due au cordon ombilical qui l'entourait étroitement
au niveau du nombril à l'époque de sa naissance. Dans notre sujet il ne
s'agit pas d'une simple'aplasie.
L'explication complète des phénomènes observés nous sera facile,si nous
remontons aux premières périodes du développement de l'embryon.
Nous savons que les membres se montrent à la fin de la 4e semaine,
comme de petits bourgeons arrondis et formés par une masse de cellules
indifférentes entourées par une couche ectodermiquecomplète.Pendantla
semaine suivante ces palettes s'allongent et elles se divisent en deux seg-
ments ; pendant la sixième semaine le segment proximal se divise encore
en deux segments. Si nous supposons à présent que l'amnios, au lieu de
se développer proportionnellement au foetus, aità souffrir un arrêt passager
dans son développement, nous comprenons que dans ce cas les membres en
formation heurtent contre l'obstacle et que leur évolution soit modifiée.
Parfois,et selon la gravité de l'anomalie amniotique, ils s'arrêteront com-
plètement ou bien partiellement dans leur développement : parfois les di-
vers segments auront à souffrir de flexions, de torsions, de luxations
anormales.
On pourra alors observer l'association de ces anomalies différentes ;
arrêt de développement, déviations, inflexions selon l'intensité de la
pression, et particulièrement suivant la durée du manque d'équilibre
entre le développement de l'embryon et celui des membranes.
Il est intéressant à remarquer encore que, en général, avec l'arrêt du
développement de l'amnios coexiste une faible quantité de liquide amnio-
tique. On comprend que l'amnios étroit et avec peu de liquide interposé
prend avec le corps de l'embryon des adhérences qui auraient aussi un
rôle important dans les malformations congénitales.
Si nous admettons que l'amnios ait subi un arrêt dans son développe-
ment pendant les premières périodes de la vie embryonnaire, nous nous
expliquerons les phénomènes observés.
L'étroitesse du capuchon amniotique, unie à l'oligamnios, aura son
effet plus intense sur les éléments distaux qui entrent en contact plus di-
rectement avec la membrane.
En effet : les os du bassin qui forment la partie inférieure du tronc ont
conservé leur morphologie normale,mais ils ontprésenté un développement
chétif, moins régulier. Dans le fémur on observe aussi une aplasie. Le fé-
mur présente en effet une longueur de 0 m. 33 du grand trochanter à son
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES 575
extrémité inférieure. Selon les tables de Ilnmph1'y (63) cette longueur
du fémur correspond à une taille de 1 m. 16 ; selon les calculs de Rol-
let (64) elle correspond à une taille de 1 m. 20. La longueur du bras
au contraire correspond à une taille de 1 m. 63, et la longueur du tronc
à 1 m. 65. La constitution chétive du fémur et du bassin est un fait cons-
tant dans les observations de défaut congénital du tibia [39otta (94)]. Il
s'agit d'un phénomène secondaire.
Mais nous trouvons les anomalies plus profondes au niveau du seg-
ment suivant. Ce fait s'explique facilement si nous songeons que dans le
foetus le deuxième segment du membre inférieur est plus en contact avec
la membrane qui l'enveloppe.
Déplus : lorsque la cause déformante agit dans les premières périodes
de la vie foetale, le membre inférieur n'a pas encore subi son mouve-
ment de torsion ; le tibia qui se trouve du côté externe souffre de l'étroi-
tesse du capuchon plus facilement que le péroné. -
En général, les altérations congénitales du tibia consistent dans le man-
que complet ou bien dans le défaut partiel de l'os. Mais dans notre sujet, il 1
ne s'agit pas de ces deux variétés. Il y existe un os qui occupe la place nor-
male du tibia; mais peut-on affirmer que cet os soit le représentant d'une
partie déterminée du tibia tandis que le reste a été arrêté dans son déve-
loppement ? Je crois que non. Il n'y a pas trace de l'épiphyse, ni de la
diaphyse, ni même de la conformation normale du tibia. De cet os, il n'a
que la position au bord interne de la jambe. Il présente la constitution
des os courts, spongieux. Il est très épais, comme si son développement,
ayant été empêché dans le sens de sa longueur, il se fut développé dans
le sens transversal.
Sur la pathogénie des arrêts du développement du tibia il n'y a pas
une discussion trop vive. Puisqu'il n'y existe pas de grandes variations
dans la morphologie de cet os dans l'échelle animale, les partisans
de la théorie atavique ne sauraient trouver ici l'application de leurs
idées. Seul Burkhardl (95) essaya l'application de la théorie de Gegen-
baur à l'étude de cette difformité. Gegenbaur songe que le soutien de
\' Al'chiptel'ygiwn du membre inférieur est constitué par le fémur, le
péroné, les os du tarse et par le 5° orteil. A ces éléments de l'Al'chypteI'Y-
ginl1l, les autres parties du squelette sont appliquées comme des rayons
latéraux. Le 1er rayon serait constitué par le tibia et par le premier or-
teil. L'absence congénitale du tibia serait, selon Bnl'khardt, une consé-
quence du défaut de développement de ce premier rayon. Mais l'obser-
vation que le gros orteil peut se développer d'une façon normale, ou
même qu'on peut trouver deux gros orteils du côté où le tibia fait défaut,
suffit à démontrer que cette théorie manque de base. Elle a été, en effet,
complètement abandonnée.
576 VALOBRA
Presque tous les auteurs admettent l'influence d'une force mécanique.
La différence existe seulement dans l'interprétation. Maints tératologistes
pensent que même dans les observations d'absence totale du tibia (1),
l'os a existé dans les premières périodes, mais qu'à la suite des trau-
matismes soufferts par la mère, il s'est formé des fractures intrautérines.
Ces fractures seraient suivies par la résorption de l'os même. Il y a des au-
teurs qui pensent à un défaut de développement dû à une maladie générale
du foetus; et d'autres, enfin qui reconnaissent dans les altérations des
membranes l'étiologie de la difformité congénitale.
La bilatéralité fréquente du phénomène [30 0/0 dans les tableaux de
Lataois et 12tss (67), 35,7 0/0 dans la statistique de Molla (9/i) ] nous
fera exclure l'hypothèse d'une dyscrasie spéciale qui n'existe certainement t
pas dans notre observation.
L'hypothèse de Billroth (68) des fractures intrautérines suivies par la
résorption de l'os n'est pas fondée sur des faits réellement observés. Le cas
de fractures intrautérines peut se présenter, [Heitzmann (69) Peler (79),
Depctul (70)..., mais il n'existe aucune preuve en faveur de la résorption z
des os fracturés. La fracture se ferait dans une époque trop avancée du
développement pour permettre la résorption complèle d'un os avant la
naissance. D'autre part dans le plus grand nombre des observations, il
n'y a pas eu d'accidents traumatiques pendant la grossesse.
L'importance des malformations des annexes foetaux sur lesquelles
Dareste (47) a beaucoup écrit, est, au contraire, toujours en crois-
sance. Tandis que l'étroitesse du capuchon amniotique serait la cause
d'une aplasie des membres comprimés, la présence de brides serait la cause
des arrêts de développements plus ou moins complets des divers segments.
Nous connaissons l'observation d'Ehrlich (71) qui dans un cas d'absence
partielle congénitale du tibia a vu le foetus âgé de six mois qui était dans
un amnios très étroit, tandis que le moignon du tibia était uni à la face in-
terne de la membrane avec une bride de la longueur de 5 centimètres.
Mais il existe encore des arguments en faveur de cette idée : avant tout,
la présence fréquente des cicatrices sur la peau de ces membres mal formés.
Ces cicatrices, selon les recherches exactes d'Handeclc (72) présentent tous
les caractères d'une atrophie de la peau résultant d'un pression exercée
du dehors en dedans. Il ne faut pas oublier non plus que l'absence plus ou
moins complète du tibia est presque toujours accompagnée de difformités
secondaires dans la pathogénie desquelles tout le monde admet l'im-
(1) On étudie toujours l'absence totale et l'absence partielle du tibia comme deux
conséquences d'un procédé pathogénique unique. La fréquence des observations avec
absence partielle d'un côté, associée à l'absence totale du côté opposé [Albert (63)
Young (66)], justifie cette opinion.
, DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES ' 577
portance des altérations amniotiques. Dans l'observation cl'Horrochs (i3;
il y avait une contemporaine amputation congénitale de l'avant-bras et
de la main. L'ectrodactylie est aussi très fréquente : [Otto (74) ; Blasius
(75) ; Albert (69) ; Ehrlich (76) ; Schrakamp (77), M. Laren (78) ; Joa-
chimsthal (79) ; Woitz (80) ; Motta (81)..]. On ne trouve pas moins souvent
de la syndactylie.
Pour nous, le fait de la fréquence de la polydactylie du pied coexistant
avec la difformité congénitale du tibia est particulièrement intéres-
sante [Parona (82) ; Medini (83) ; Kummel (84)]. Le phénomène peut
être observé dans le même sujet dans le membre supérieur [Dreiblaol
(85) ; Melde (86) ; Kummel (84)]. Nous reviendrons sur l'interprétation de
ces coïncidences.
En résumé, dans la pathogénie de l'absence partielle ou totale du tibia,
l'opinion qu'il s'agit d'une influence exercée par un vice de conformation
et de développement de l'amnios est l'idée qui présente le plus grand
nombre de faits qui plaident en sa faveur.
Dans notre observation nous n'observons pas de cicatrices sur la peau
de la jambe. Nous ne croyons pas en effet à l'influence des brides amnio-
tiques, mais plutôt à une conpression exercée par le capuchon amniotique
étroit, qui a empêché le développement de l'os dans le sens de sa longueur
et qui a altéré ses rapports normaux.
Nous voyons les difformités telles qu'elles se présentent à l'âge de
27 ans, et nous ne pouvons pas affirmer avec une certitude absolue qu'il 1
s'agit pour toutes d'altérations congénitales, et que des essais de déambu-
lation" n'aient pas eu une influence fâcheuse sur les rapports des os. Cepen-
dant plusieurs faits nous démontrent que la disposition actuelle des os dans
l'articulation du genou date d'une époque antérieure à la naissance.
Nous savons en effet que, au commencement du troisième mois de la vie
foetale, l'articulation du genou est constituée par le fémur avec l'épiphyse
duquel la tête du péroné et du tibia entre en rapport. C'est seulement a
une époque ultérieure que la tête du tibia chasse, pour ainsi dire, la tête du
péroné hors de l'articulation. Lorsqu'on est en présence d'une absence
congénitale de l'extrémité supérieure du tibia, le péroné reste au contraire
presque toujours en contact avec le fémur, quoiqu'il ne forme pas une
articulation complète. Chez notre sujet la force externe qui comprimait t
le membre de bas en haut, en agissant sur le péroné qui se développait t
normalement, a produit une luxation à son extrémité supérieure et à son
extrémité inférieure.
Et il s'agit d'une « luxation paradoxale », selon l'appellatif de Lannois
et K1¿SS. « Il ne saurait y avoir, en effet, de luxation proprement dite ; le
.\.V 111 38
378 VALOBRA
déplacement, cette luxation ne se fait pas en bloc, secondairement à la
formation du péroné ; elle se produit peu à peu et parallèlement à la
croissance de cet os, alors que le tibia ne se différenciant pas normale-
ment de la masse des cellules indifférentes qui représenteraient ce qu'on
appelle le tibia préformé, ne vient pas fixer ses rapports en lui servant en
quelque sorte, de contre-partie dans le système de charpente, dans l'ossa-
ture du membre. »
La partie supérieure du péroné, comprimée contre la diaphyse fémorale
en formation et pas encore ossifiée, n'a pas formé une pseudarthrose
-.comme elle aurait fait aune époque ultérieure, mais elle est entrée dans
l'épaisseur du fémur qui a fait son ossification autour d'elle ; et comme
dans tous les cas d'ossification en présence d'un corps irritant,la formation
de l'os a été exubérante. Puisque le phénomène a eu lieu dans les premières
périodes, lorsque le péroné est placé dans un plan postérieur, cette péné-
tration s'est formée en rapport avec la face postérieure du fémur.
L'extrémité inférieure du péroné, luxée en bas, a glissé du côté
externe du calcanéum et elle est arrivée au niveau de la plante du pied.
Puisque l'extrémité supérieure était fixée par la compression du capu-
chon amniotique qui comprimait du bas en haut, la diaphyse a souffert
une inflexion.
On comprend à présent la disposition actuelle du membre inférieur.
L'extrémité inférieure du fémur luxée en avant et sous la peau, presque
au niveau du dos du pied; la jambe constituée par un péroné infléchi, pro-
fondément enchâssé supérieurement dans la face postérieure du fémur, et
avec son extrémité inférieure au niveau du sol ; à son bord externe un os
court qui représente un tibia qui est en contact avec l'astragale. Nous
ne trouvons pas trace de la rotule, os sésamoïde qui devait se dévelop-
per dans l'épaisseur du tendon rotulien qui fait défaut dans notre cas.
En résumé, au point de vue de la mécanique, le vice de conformation
du tibia a la plus grande influence sur les déplacements des os qu'on ob-
serve dans les deux premiers segments du membre et qui ont produit
l'espèce de nanisme du sujet.
Nous comprenons à présent que le pied développé dans ces conditions
qui sont très difficiles à nier, et sujet à une compression très énergique
pendant l'époque de sa différenciation, présente des difformités très im-
portantes.
- Si nous nous rappelons les données que l'expérience et la clinique
nous fournissent à propos de la syndactylie et sur la polydactylie et dont
nous avons fait la critique tout à l'heure, il nous sera facile de compren-
DIFFORMITE CONGÉNITALE DES MEMBRES H79
dre le mécanisme des altérations du pied. La masse des cellules indiffé-
rentes qui formait l'extrémité distale du bourgeon destiné à la formation
du membre inférieur, souffert une sorte d'irritation, comparable à l'irri-
tation que les expérimentateurs font subir aux larves dans le but d'obte-
nir la polydactylie expérimentale. Et cette irritation qui devait être parti-
culièrement forte du côté tibial a déterminé une hyperproduction. Et
puisque les cellules de cette extrémité dans cette époque sont orientées
pour la formation des doigts, le résultat a été une formation des doigts
surnuméraires du côté irrité. Vraiment, dans les observations d'absence
totale ou partielle des os de la jambe on observe souvent une olygodacty-
lie, et l'ectrodactylie se trouve du côté affecté par l'absence de l'os de la
jambe, tibial ou péronéal [Nélaton (87)]. Lannois et IÚtss dans leur statis-
tique de 40 observations d'absence congénitale du tibia, ont observé 10 cas
d'ectrodactylie et six cas de polydactylie. Sur 76 observations d'agénésie
du péroné recueillies par Busachi et Ortaldo (88), 37 présentaient l'ab-
sence de quelque doigt. Ce fait d'observation, à savoir que dans les cir-
constances de même nature on peut observer la polydactylie et l'oligo-
dactylie, établit une preuve que dans l'hyperdactylie il doit s'agir d'une
influence indépendante des souvenirs ataviques. C'est à la présence de
l'anomalie qu'on doit attacher de l'importance et non à la qualité de l'ano-
malie. Sous l'influence de circonstances analogues, selon l'époque et selon
l'intensité par lesquelles l'influence mécanique fâcheuse agit, on pourra
observer le défaut du développement, le vice de conformation, ou bien
l'hyperproduction.
Pour ce qui concerne la syndactylie, nous avons rappelé qu'il s'agit
d'un phénomène normal dans les premières périodes de la vie embryon-
naire. Le processus normal par lequel s'accomplit la division des doigts est
très habile et présente très facilement un arrêt. Nous savons en effet que
presque toujours les difformités congénitales des membres (en défaut, ou
bien en excès) sont accompagnées d'une syndactylie.
Un élément étiologique de la plus haute importance est la présence
des brides amniotiques qui maintiennent adhérents les doigts néoformés.
Frcelicla (89) a récemment observé un nouveau-né qui présentait encore
au moment de la naissance des traces de ces brides.
La même cause qui a produit les autres difformités du membre
(étroitesse anormale du capuchon amniotique, oligamnios) a sans doute
entravé la normale division des doigts (1).
(1) Pour ce qui concerne le membre inférieur droit, le sujet affirme qu'il avait la
.conformation identique à celui de gauche, et qu'il présentait certainement de la po-
lydactylie et de la syndactylie. Seulement l'os de la cuisse faisait une saillie sous la
peau qui rendait presque impossible la déambulation car elle produisait des souffran-
580 VALOBRA
L'influence de cet élément étiologique est très difficile à nier dans les
membres supérieurs. Les mains sont formées par six doigts. Mais tan-
dis que les premières phalange^ qui se développent les premières, ont
une conformation normale, les dernières phalanges se présentent fléchies
du côté distal envers le côté proximal, et latéralement l'une sur l'autre ;
de sorte qu'il en résulte un amas de phalanges dans lequel on ne peut
pas s'orienter. Une force externe dans un premier temps a irrité le moi-
gnon du membre du côté radial (qui correspond au côté tibial du mem-
bre inférieur) et a déterminé la difformité du carpe et la polydactylie.
Les doigts se sont développés sous l'influence de cette membrane qui les
enveloppait complètement, latéralementetlongitudina lement. On explique
de cette manière encore la syndactylie. On ne peut pas imaginer comment
des doigts ainsi superposés auraient pu se séparer l'un de l'autre.
Pourquoi donc l'anomalie de la membrane amniotique qui a produit
dans les segments distaux des 4 membres des altérations de la même nature
a laissé indemnes les bras et les avant-bras tandis que les jambes et les
cuisses sont si profondément lésées ? L'embryologie nous explique encore
ce fait. Il suffit de songer que les membres inférieurs se développent à une
époque plus avancée de la vie foetale et que les membres supérieurs se
développent plus tôt. Si l'arrêt de développement des membranes, si le
manque de parallélisme entre les dimensions du foe'tus et les propor-
tions de l'amnios s'est fait au moment où les membres supérieurs avaient
déjà commencé leur différenciation tandis que les inférieurs étaient à
peine ébauchés, la différence est facile à expliquer. Dans les membres su-
périeurs les deux segments proximaux étaient déjà formés d'une façon dé-
finitive et étaient normaux,tandis que les mains (dernières à se développer)
qui étaient en formation, en heurtant contre la membrane, souffraient la
conséquence de l'anomalie. Les membres inférieurs dans lesquels à cette
époque, tous les segments étaient complètement en formation, présentent
toutes les conséquences de l'étroitesse relative du capuchon amniotique et
de l'oligamnios qui l'accompagne toujours.
L'étude de mon observation, qui présente unies à la syndactylie et à la
polydactylie des lésions congénitales sur la production desquelles on ne
peut pas nier l'influence des altérations amniotiques, nous confirme dans
l'idée que ces arrêts de développement des membranes ont une grande
importance étiologique sur l'hyperproduction des doigts et sur les défauts
de leur division. Tandis que la présence normale du pisiforme qui serait
ces très aiguës, même avec les appareils prothétiques. Je crois ne pas me tromper
dans l'hypothèse d'une difformité symétrique, mais avec un péroné luxé sans péné-
tration de sa tête dans la diaphyse fémorale, accompagnée d'un défaut permanent d'un
point d'appui.
DIFFORMITÉ CONGÉNITALE DES MEMBRES 581
l'ébauche d'un rayon de la nageoire primitive nous démontre qu'ici les
phénomènes ataviques n'ont rien à faire, les difformités des segments
proximaux de la jambe sont ainsi évidemment dues à une influence méca-
nique, et personne ne pourrait en chercher la pathogénie dans un souvenir
ancestral.
Notre étude nous a fourni aussi l'occasion de voir tous les arguments
en faveur de l'une et de l'autre théories. On doit reconnaitre que dans les
travaux récents presque tous les auteurs se rallient à la théorie des lésions
amniotiques tandis que la théorie atavique est en pleine décadence.
Un seul argument plaide encore en sa faveur ; ou, pour mieux dire, un
seul fait est très difficile à expliquer avec l'autre théorie. Je veux parler de
la fréquence de l'hérédité de ces formes tératologiques. Nous pouvons ob-
server avant tout que dans les observations d'absence congénitale du tibia
les parents étaient toujours sains et ne présentaient pas d'altérations té-
ratologiques. Mais la façon de procéder de ces anomalies ne nous empêche
pas de songer que l'altération amniotique peut se présenter d'une façon
héréditaire, et que la répétition des mêmes éléments étiologiques produise
parfois les mêmes effets. Car, s'il existe des observations de transmission
similaire, dans le plus grand nombre des observations on peut noter dans
les fils la reproduction de quelque anomalie mais non parfaitement iden-
tique à celle du progéniteur [Polaillon (90)].
A ce propos l'observation de Nylander (91) est très démonstrative. Il
a pu suivre chez quatre générations de la même famille la façon de se
comporter de la polydactylie. Sur 43 sujets, 2a étaient affectés d'hyper-
dactylie, mais le nombre des doigts (de six à neuf à chaque extrémité)
fut toujours variable d'un sujet à l'autre. Chez les uns les doigts surnu-
méraires étaient intercalés, chez les autres ils étaient marginaux ; chez
les uns il existait de la syndactylie, chez les autres elle faisait défaut. Le
nombre des phalanges des doigts variait de une à trois ; ◀tantôt▶ l'anomalie
était symétrique, ◀tantôt▶ elle ne l'était pas. Cette variété parle plutôt en
faveur de la répétition d'une même cause qui produit des effets analogues,
plutôt que pour l'hypothèse de la transmission héréditaire d'un caractère
déterminé.
Dans les cas où l'anomalie se répète toujours avec les mêmes caractères
nous pouvons songer que ce caractère dégénératif, acquis pendant la vie
embryonnaire, puisse parfois être transmis aux descendants. Dans ces
cas, en effet, l'amputation des membres défectueux arrête la transmission
de l'anomalie [Polaillon (90)].
. En résumé, je reconnais qu'on ne peut pas en venir à une conclusion
sûre et directe sur la pathogénie de ces anomalies congénitales. Il est cer-
tain que dans les observations de difformités tératologiques des mem-
582 VALOBRA
bres on a pu souvent, au moment de la naissance, démontrer une anomalie
des membranes, et il est certain encore que les biologistesont pu reproduire
ces difformités par des excitations mécaniques. Il n'y a pas d'autre théorie
qui puisse se prévaloir à ce propos d'arguments aussi probants. Toutefois il'
est difficile de dire ces altérations amnioliques sont constantes dans cet
ordre de difformité et il est également difficile à préciser de quelle façon
elles agissent.
Cela ne diminue pas l'intérêt scientifique de notre observation à la
quelle il me semble difficile de nier l'influence étiologique d'une constric-
- tion mécanique qui a altéré le développement d'une partie de l'embryon, et
dans laquelle font défaut tous les autres éléments étiologiques (dyscrasies,
hérédité...).
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1897, no 2-3.
HOSPICE DE BICÊTRE
LABORATOIRE DE M. PIERRE MARIE
SCLÉROSE EN PLAQUES;
ATROPHIE CÉRÉBELLEUSE
ET SCLÉROSE PSEUDO-SYSTÉMATIQUE
DE LA MOELLE ÉPINIÈRE,
PAR
G. CATOLA
de Florence.
Observation.
Marc, 38 ans. Les antécédents héréditaires du malade sont négatifs.
Etant jeune il eut la rougeole et le croup ; à 14 ans les fièvres intermittentes
Il a été réformé au régiment pour une bronchite. Quelques années après il a
eu une anémie qui débuta par une diarrhée qui dura trois semaines ; il resta
au lit plusieurs jours.
Il a eu l'influenza en 1889. En 1892 il fut frappé par le choléra. Cinq ou
six jours après le début de cette maladie le malade s'aperçut d'un tremblement
aux membres supérieurs. Guéri du choléra sortit de l'hôpital, mais le trem-
blement persistant, il fut incapable de reprendre son travail qui était de rem-
. plir des bouteilles d'encre d'imprimerie. La parole n'était presque pas embar-
rassée. Son trouble manifeste a' paru quelque temps après et plus exactement,
trois mois environ plus tard que le début du choléra. Cependant la démarche
devenait difficile pour une raideur qui s'installait progressivement dans ses
jambes. Néanmoins il put faire le métier de balayeur pendant deux mois. Puis
il entra successivement en plusieurs hôpitaux (Pitié, Tenon, Andral, Bicêtre,
(1895). Depuis son admission à Bicêtre, le tremblement à augmenté toujours
d'intensité.
Examen à son entrée : Le malade ne peut pas boire au verre ; sa main plane
avant de le saisir et aussitôt qu'il le tient il s'agite en tous sens. Sa tête est ani-
mée de mouvements de latéralité. Il est impossible au malade de porter le verre
à la bouche lorsqu'il arrive à le tenir entre ses deux mains. Du reste dans
tous les mouvements volontaires, le tremblcmcii '' r ? ¡,If' comme un des
plus classiques tremblements intentionnels. La parole est scandée. Avant cer-
tains mots il y a un temps d'arrêt et puis la prononciation du mot d'une seule
traite avec raccourcissement de la syllabe finale. La tête est sans cesse oscillante.
586 CATOLA
Nystagmus horizontal dans les positions extrêmes de latéralité des globes ocu-
laires, qui cependant se meuvent dans tous les sens assez brusquement. Les
pupilles réagissent normalement à la lumière et il l'accommodation. La démarche
est ataxo-cérébelleuse et spastique. La déglutition n'est pas troublée,mais par
moment, pendant les repas, le malade a une sensation de boule qui l'étrangle à
la partie supérieure du cou. La langue possède des mouvements en masse de va
et vient, cependant ne change pas de forme si on invite le malade à le faire.
Diplopie homonyme pour parésie du membre droit externe gauche.
Tous les réflexes tendineux sont exagérés. Clonus du pied à gauche. Réflexe
de Babinski en extension de deux côtés.
Sensibilité assez bien conservée.
Réflexes cutanés normaux, sauf les plantaires qui sont très exagérés.
14 juin 1903. Le malade entre à l'infirmerie pour une dyspnée survenue
progressivement et des oedèmes considérables des membres inférieurs et du
scrotum qui sont rouges.
Les urines sont peu abondantes, et ne contiennent pas d'albumine. Signes
d'emphysème pulmonaire. Pas de souffle au niveau du coeur.
Le malade ne peut pas se tenir debout; il reste à demi-assis sur son lit les
jambes écartées. Incontinence des matières et d'urine.
A cause de l'oedème il ne peut remuer ses jambes que très difficilement,
mais les bras ont conservé leurs mouvements. Le tremblement est très marqué
aux mains : le malade ne peut arriver à mettre son index sur son nez. La tête
tremble légèrement.
La sensibilité semble émoussée au niveau des membres inférieurs, mais il
faut mettre en compte le gros oedème de ces membres. On ne peut pas à cause
de l'oedème provoquer les réflexes rotuliens. Les réflexes achilléens sont exagé-
rés des deux côtés. De même les réflexes tendineux des membres supérieurs.
Le réflexe massétérin est un peu accentué bilatéralement. Réflexe pha-
ryngé normal.
La parole est difficile, spasmodique, scandée. '
La diplopie, le nystagmus persistent invariables.
19. - Le malade présente une paralysie radiale du côté droit. Cela est dû
à une compression exercée sur le nerf, le malade s'étant endormi avec le bras
appuyé sur la planche latérale du lit.
29. - Le malade délire et il répond à peine aux questions qu'on lui pose.
30. - Etat subcomateux, respiration difficile. Le malade meurt le lende-
main.
Résumé CLINIQUE. Raideur progressive dans les jambes, tremblement in-
tentionnel, nistagmus, parole scandée, diplopie, exagération des réflexes tendi-
neux, clonus du pied, extension des orteils, incontinence des urines et des
matières dans les derniers temps de maladie, démarche ataxo-cérébelleuse et
spastique. Cette symptomatologie a commencé à s'installer 5-6 jours après le
choléra.
Autopsie. L'examen macroscopique des centres nerveux nous montre
NOUVELLE Iconographie DE la SALPETR1RE.
T. XVIII. Pl. LXI
SCLÉROSE EN PLAQUES, ATROPHIE CÉRÉBELLEUSE
(Catola)
Masson & Cie Éditeurs
PLototyno UcrtLaud, Pans
SCLÉROSE EN PLAQUES 587
que la pie-mère et les hémisphères cérébraux apparaissent complètement nor-
maux. Les deux hémisphères, durcis dans le liquide de Müller et séparés du
rhombencéphale par une coupe portée au niveau de l'origine apparente de la
VO paire, pèse 1.240 grammes.
Ce qui nous frappe c'est la petitesse remarquable du cervelet, du pont et des
olives bulbaires.
Le cervelet tout entier avec la protubérance coupée au niveau du trijumeau
et le bulbe au niveau de la première racine cervicale pèse, après durcissement
dans le liquide de Millier, 101 grammes.
L'hémisphère gauche du cervelet séparé par une coupe passant par le sillon
latéral pèse 40 grammes.
Un cervelet normal coupé de la même façon et étant au même degré de dur-
cissement nous a donné un poids de 160 grammes.
Sur la coupe transversale faite au niveau du trijumeau, la protubérance donne
les mesures suivantes :
Epaisseur, 21 millimètres.
Hauteur, 23 millimètres.
Bulbe. Diamètre transversal passant par les olives, 17 millimètres.
Hauteur des olives, 17 millimètres.
Largeur des olives, 5 millimètres.
La petitesse du cervelet est une petitesse globale, en masse; le vermis et les
hémisphères gardent entre eux leurs rapports proportionnels. Les lamelles cé-
rébelleuses sont écartées les unes des autres et sont nettement plus minces
que d'ordinaire; cependant le lobule digastrique et l'amygdale semblent un peu
moins atrophiés que les autres parties de l'organe (PI. LXI).
La moelle ne présente qu'une légère diminution de volume.
Examen histologique. - L'organe a été divisé en deux parties par une
coupe passant à travers les sillons longitudinaux supérieurs et inférieurs du
vermis. Une partie, la plus petite, a été débitée en coupes sagittales sériées ;
l'autre au contraire, en coupes horizontales sériées ; la protubérance et le
bulbe ont été laissés unis au cervelet de façon à pouvoir se rendre un compte
plus exact sur le trajet des fibres des pédoncules cérébelleux.
Les coupes ont été colorées par les méthodes de Weigert, Weigert-Pal, de
la double coloration à l'hémoxyline-éosine.
Coupes sagittales de la protubérance et du bulbe. Sur une coupe pas-
sant près de la ligne médiane et correspondante à la coupe S S 1 bis du
schéma de Dejerine (fig. 407, anatomie des centres nerveux), on voit que les
couches superficielle et profonde de l'étage antérieur de la protubérance, le
faisceau longitudinal inférieur, le ruban de Reil, le stratum superficiale et
profundum ne présentent aucune lésion appréciable. Le stratum complexum
au contraire est nettement plus pâle dans son tiers inférieur ; les fibres
qui .le constituent, coupées transversalement, sont raréfiées et plus minces
qu'ailleurs. Les cellules nerveuses semblent à ce même niveau moins nom-
breuses que dans les autres parties de la substance grise du pont ; en tout
588 CATOLA
cas elles sont bien moins colorables. Les noyaux réticulé et inférieur, la
substance grise centrale, les stries acoustiques, la pyramide antérieure, les
fibres arciformes internes, l'entrecroisement moteur et le piriforme, les
noyaux de Goll et de Burdacli, le cordon postérieur sont normaux. Toutes ces
formations sont plus petites que d'ordinaire, mais sauf la zone moins bien
colorée au niveau de la partie plus basse du stratum complexum, elles sont
toutes bien colorées par la laque hématoxylinique ou par la couleur cellulaire.
Sur une coupe sagittale passant un peu en dehors de la précédente et cor-
respondant à une coupe passant par la ligne de répère S 2 de la figure 407,
on ne trouve rien de particulier, sauf la susdite zone claire qui occupe toujours
le même endroit.
La lame grise festonnée de l'olive bulbaire est plus' mince qu'à l'ordinaire.
La capsule olivaire, au contraire, surtout à sa partie supérieure là où prend
naissance le faisceau central de la calotte, est bien colorée par l'hématoxyline.
Le feutrage intraciliaire est assez dense immédiatement au-dessous de la lame
olivaire, mais au centre de l'olive il est très pâle ; on y retrouve des fibres
parsemées, coupées transversalement qui semblent moins nombreuses que
dans l'olive normale.Sur des coupes encore plus externes et correspondantes aux
coupes S 3, S 4 du schéma (fig. 407) on y constate les mêmes faits : cepen-
dant l'olive, qui au niveau de S 4 est très diminuée dans ses dimensions est
tout entourée d'une zone assez claire. Les noyaux de Deiters, du Facial,de Mo-
nakow se présentent, sur ces coupes, absolument normaux. Persiste la zone
claire du stratum complexum.
Sur une coupe passant par la ligne de repère S 5 le pédoncule cérébelleux in-
férieur et supérieur, les noyaux masticateurs et de la VIII° paire, la racine des-
cendante du trijumeau sont normaux. Sur cette coupe n'existe plus la zone
clairsemée du pont. La voie pédonculaire est très bien colorée sur toutes les
coupes de la série.
Sur la coupe sagittale S 6, qui tombe en plein noyau moteur du trijumeau,
toutes les parties de la protubérance n'offrent de même rien de particulier.
Coupes sagittales du cervelet. Sur toutes ces coupes le lobe central, les
lobes quadrilatère antérieur et postérieur, les lobes semi-lunaires supérieur et
inférieur, le lobe grêle sont extrêmement amincis ; le lobe dygastique et l'amyg-
dale le sont moins. En général, le feutrage sous-lobaire est très pâle dans la
moitié postérieure des hémisphères.
Sur une coupe passant immédiatement à côté du vermis (PI. LXI) la dégéné-
rescence des fibres nerveuses occupe une grande partie du corps dentelé et
du feutrage intra et extra-ciliaire et sous-lobaire postéro-inférieur. Sur des
coupes plus latérales la lésion est moins étendue et épargne aussi les axes des
lobes inférieurs, qui cependant restent toujours très minces.
Les cellules du corps dentelé sont conservées pour la plus grande partie.
Sur les coupes faites latéralement au corps dentelé le feutrage sous-lobaire
se maintient plus pâle dans la moitié postérieure et les axes des différents lobes
et lobules (arbre de vie des lobes latéraux du cervelet) présentent par ci par
là des petites zones pâles
SCLÉROSE EN PLAQUES 589
Coupes transversales du cervelet et du bulbe. Sur une coupe passant
immédiatement au-dessous de l'olive bulbaire, le bulbe et le cervelet apparais-
sent complètement normaux, sauf une petite zone très pâle dans la substance
blanche des hémisphères cérébelleux. Le corps restiforme est normal.
Sur une coupe horizontale du rhombencéphale passant par la partie olivaire
supérieure du bulbe et correspondant à C 6 de la figure 431 (V. Dejerine), on
voit que le corps restiforme est très peu coloré par la laque hématoxylinique
et qu'il se confond avec la substance réticulée grise et le corps juxtarestiforme.
Les fibres arciformes trigéminales sont très peu nombreuses ; la racine des-
cendante du trijumeau, le faisceau latéral du bulbe, les fibres radiculaires des
XI- et XIIe paires, le faisceau solitaire sont bien colorés. L'olive est atrophique ;
sa lame festonnée très mince ; son axe et sa périphérie très clairs. Seulement à
l'endroit où prend naissance le faisceau central de la calotte la capsule olivaire
est plus dense. L'olive cérébelleuse est, elle aussi, assez petite, mais elle pré-
sente une lésion très évidente ; sa moitié externe n'est pas colorée du tout et
avec la méthode de Weigert apparaît comme une tache jaune. Le feutrage ex-
tra-ciliaire à ce niveau est, lui aussi, très pâle.
Les lamelles du nodulus, de la luette sont un peu plus larges que dans la
pyramide. Le grand entrecroisement commissural du vermis, la branche hori-
zontale de l'arbre de la vie du vermis sont peu colorés par l'hématoxyline.
La décoloration du corps ciliaire et de la zone périciliaire, ainsi que nous
l'avons ci-dessus décrite, persiste sur toutes les coupes intéressant le corps
ciliaire. Le culmen, le déclive, le tubercule valvnlaire, la pyramide ont leurs
lamelles très amincies ; l'uvula et le nodulus, peut-être un peu moins. La subs-
tance blanche-centrale du vermis est nettement décolorée ; l'entrecroisement
antérieur du vermis et l'entrecroisement des noyaux du toit ne sont plus re-
connaissables.
Coupe transversale du cervelet el du pont passant au-dessus du corps den-
lelé (Pl. LXI).-Le pédoncule cérébelleux supérieur reste décolorédans sa moitié
moyenne; les fibres nerveuses y sont extrêmement réduites de nombre.Le grand
entrecroisement commissural du vermis, la partie postérieure des fibres semi-
circulaires externes et le feutrage sous-lobaire avoisinant sont très pâles. Au con-
traire le pédoncule cérébelleux moyeu et le pédoncule inférieur sont très bien
colorés par la laque hématoxylinique dans la protubérance, à ce même niveau il
n'y a que le ruban de Reil qui est resté sans coloration; toutes les autres
parties de la protubérance, sauf leur petitesse, ne décèlent aucune altération !
Sur une coupe passant par le hile et l'émergence du trijumeau le pédoncule
cérébelleux supérieur est bien coloré dans toute son étendue. Le ruban de
Reil est toujours extrêmement pâle, sauf quelques faisceaux par ci par là qui
possèdent une coloration assez foncée et qui ressort nettement sur les autres
parties. A ce niveau la voie pyramidale est aussi un peu décolorée dans les
fascicules les plus postérieurs. Au niveau de la région protubérantielle supé-
rieure on retrouve les mêmes faits. Le lemniscus médial et le latéral sont
toujours très pâles, sauf quelques points.
Pédoncule eérébral. - Sauf une certaine petitesse, le pédoncule cérébral
590 CATOLA
ne présente pas de lésions appréciables. Seulement sur une coupe passant au ni-
veau de la 1110 paire existe une très petite plaque de sclérose dans le tiers interne
de la substantia nigra de Soemmering à droite, dans son tiers moyen à gau-
che. Le pied du pédoncule est absolument intact. Sur une coupe passant par
le corps de Luys et le noyau rouge, il n'y a pas la plus petite lésion.
Corticalité cérébelleuse. Les trois couches de la corticalité cérébelleuse
sont atrophiées d'uu bon tiers environ : l'amygdale en est cependant moins
touchée. Les cellules de Purkinje sont notablement diminuées de nombre. Sur
une lame qui borde le sillon supérieur de Vicq d'Azyr j'ai pu compter seule-
ment une dizaine de ces cellules, tandis que la même lame appartenant à un
cervelet sain en contenait sur la même coupe 84. Au niveau de l'amygdale
les cellules de Purkinje conservées sont en plus grand nombre. La couche
intermédiaire se fait remarquer non seulement pour la diminution des élé-
ments celullaires, mais aussi pour l'augmentation du tissu néoplasique ; les
noyaux de glia y sont très nombreux et y constituent une couche à épaisseur
irrégulière presque ininterrompue : elles sont en général plus nombreuses au-
tour des cellules encore existantes ou en voie de disparition.
La partie interne de la couche moléculaire contient encore un nombre dis-
cret de fibres nerveuses. Le feutrage de la couche granuleuse et le feutrage
sous-purkinjien sont assez denses et uniformes. De la substance blanche du
cervelet nous en avons déjà parlé ; je ferai cependant encore remarquer que
les zones décolorées que nous y avons décrites plus haut ne s'étendent pas en
général aux fibres en guirlande et au feutrage sous-lobaire.
La plus grande partie des vaisseaux du cervelet a une paroi plus épaisse
qu'à l'état normal et présente une gliose périvasculaire plus ou moins pro-
noncée. Ces lésions sont généralement plus accentuées au niveau des zones de
raréfactions maintes fois mentionnées, comme par exemple, au niveau de la
partie postéro-interne du corps ciliaire et du feutrage environnant.
Moelle. -Au niveau des lre-5e racines cervicales on remarque : raréfaction
très accentuée des cordons latéraux surtout au niveau des faisceaux pyrami-
daux et du faisceau de Flechsig gauche; légère raréfaction des faisceaux pyra-
midaux directs et des faisceaux de Goll (PI. LXII).
Au niveau des zen racines cervicales à droite, la zone du faisceau pyramidal
est très claire et contient à peu près 1/5 des fibres nerveuses colorées, c'est-à-
dire le même degré de lésion que sur les coupes précédentes. A gauche, au
contraire, le faisceau pyramidal et le faisceau de Flechsig ne contiennent plus
que quelques fibres isolées. A ce même niveau les faisceaux pyramidaux directs
sont légèrement raréfiés et la raréfaction des cordons de Goll est limitée à leur
moitié antérieure. La zone cornu-commissurale et la commissure grise sont
aussi très touchées. '
Au niveau de la moelle dorsale, les faisceaux pyramidaux contiennent à
peine quelques fibres nerveuses normales : les faisceaux pyramidaux directs
sont un peu raréfiés ; la raréfaction est plus marquée à gauche qu'à droite.
De même qu'au niveau des lao-88 racines cervicales, les cordons de Goll
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVIII. PI. LXI1
V - 5 r. cervicale.
VI - 8e r. cervicale.
lx - 3 r. JOl11L'.llll'. .
VII - 60 r. dorsale.
V 111 - 12e r. dorsale.
SCLÉROSE EN PLAQUES SCLÉROSE PSEUDO-SYSTÉMATIQUE DE LA MOELLE
(Cnoln )
SCLÉROSE EN PLAQUES 591
sont atteints exclusivement dans leur partie centrale en même temps que la
commissure grise.
A la 42e racine dorsale on retrouve les mêmes lésions qu'au niveau de la 6e
et des autres intermédiaires (PI. LXII). Cependant à ce niveau la lésion des
faisceaux pyramidaux directs est un peu plus évidente. On y voit les vaisseaux
entourés d'un large anneau de glia et les septa qui partent de la couche sous-
pie-mérienne beaucoup plus épais que d'ordinaire : les fibres nerveuses, bien
colorées par la laque hématoxylinique y forment comme des petits îlots sépa-
rés irrégulièrement les uns des autres.
Dans la moelle lombaire la sclérose est limitée aux] faisceaux pyramidaux.
Méninges spinales. La pie-mère est nettement épaissie ; ses vaisseaux
ont aussi une paroi plus épaisse et plus homogène qu'à l'état normal.
La couche névroglique sous-pie-mérienne forme une lisière assez large ; les
septa qui s'en détachent pour pénétrer dans la moelle sont aussi plus gros que
d'ordinaire.
Vaisseaux. Les vaisseaux de la moelle, du bulbe, de la protubérance, du
cervelet présentent presque tous les signes d'une altération plus ou moins
grave. La paroi est presque toujours épaissie, parfois homogène, parfois infil-
trée ensemble avec l'espace périvasculaire. Les altérations ne se limitent pas aux
vaisseaux des zones sclérosées ou dégénérées, mais elles existent aussi dans les
parties où les fibres nerveuses semblent encore complètement intactes. Tous
les vaisseaux, on peut dire, y sont visibles à l'oeil nu tellement l'anneau sclé-
reux qui les entoure et l'épaississement de la paroi le font ressortir sur le
tissu environnant coloré avec la méthode de Weigert-Pal.
En résumé, atrophie très accentuée du rhombencéphale et surtout du
cervelet; deux petites plaques de sclérose complète dans la substantia
nigra de Soemmering; des zones de raréfactions sans dégénérescences
secondaires, disséminées dans le cervelet, la protubérance et le bulbe;
diminution considérable des cellules de Purkinje et augmentation de la
nevroglia au niveau de cette couche ; dégénérescence de différents fais-
ceaux dans la moelle; lésion de la pie-mère et de la couche névroglique
sous-pie-mérienne ; lésions vasculaires et périvasculaires.
L'atrophie du cervelet est, nous allons le répéter, extrêmement grave,
et ne nous semble pas en rapport proportionnel à la sclérose de l'organe ;
nous penchons ainsi à admettre qu'elle soit en partie d'une origine dé-
générative et en partie scléreuse, d'une origine vasculaire : à ce dernier
égard les lésions des vaisseaux et des zones périvasculaires nous témoi-
gnent le fait avec une évidence non douteuse.
Pour les lésions médullaires nous pensons aussi à un processus d'une
origine vasculaire et vasculo-méningée, à une sorte de sclérose combinée
pseudo-systématique. Cette origine vasculaire est surtout manifeste au
592 CATOLA
niveau de la sclérose de la zone cornu-commissurale et de la commissure
grise.
Somme toute, nous avons dans ce cas une lésion à localisation multiple
réalisant au même temps le tableau auatomo-pathologique de la sclérose
en plaque (surtout au niveau du cervelet et de la protubérance), de l'atro-
phie cérébelleuse et d'une sorte de sclérose combinée pseudo-systématique.
A notre avis, cette association est très rare et particulièrement démons-
trative à l'égard des relations possibles entre des formes anatomiques,
qui étant isolées peuvent apparaître plus ou moins indépendantes et même
très éloignées les unes des autres.
Ce cas nous semble encore très intéressant au sujet de l'étiologie.
D'abord, parce qu'on a décrit rarement le choléra (1) parmi les facteurs
causaux de la sclérose multiple ; ensuite parce que dans cette observa-
tion les symptômes nerveux s'étant manifestas 5-6 jours seulement après
le début du .choléra, il en résulte absolument un lien incontestable et in-
time entre l'infection et l'affection nerveuse (2).
(1) Elle a été décrite par P. hlmue et Jormov.
(2) Je dois les matériaux de ce travail à l'amabilité de mon maître, M. Pierre Marie,
et je suis très heureux de trouver ici l'occasion de lui en exprimer les plus vifs remer-
ciements.
ATROPHIE, MUSCULAIRE DU TYPE ARAN-DUCHENNE
D'ORIGINE SYPHILITIQUE
PAR
M. LANNOIS,
Agrégé, Médecin des hôpitaux de Lyon.
Le rôle joué par la syphilis dans l'étiologie de l'atrophie musculaire pro-
gressive spinale (type Aran-Duchenne) est une question encore à l'élude..
Graves (1) a rapporté, d'après Cooke, l'observation d'un officier qui, en
9 79, vit se développer une affection paraissant répondre à l'atrophie mus-
culaire progressive et qui, en 1800, s'étant soumis à un traitement mer-
curiel, vit la maladie s'arrêter et rester stationnaire.
Niepce (2) a publié l'intéressante observation d'un médecin qui s'était
traité par les moyens les plus divers (moxas, vésicatoires, strychnine, hy-
drothérapie, eaux sulfureuses, etc.), qui eut enfin l'idée que la syphilis
jouait un rôle dans son affection, se mit au traitement ioduré, vit l'atrophie
s'arrêter, les muscles se réparer peu à peu et, au bout d'un an, « était en
pleine voie de guérison ».
Hammond (3) cite la syphilis comme pouvant être quelquefois la cause
de l'atrophie musculaire et il rapporte le cas d'un malade ayant une atro-
phie d'origine syphilitique probable qu'il soumit à un traitement ioduré
d'intensité progressive (jusqu'à 8 gr. par jour), ce qui fit disparaître les
tremblements fibrillaires et enraya complètement la maladie.
Mais tous ces faits étaient oubliés ou méconnus lorsque Raymond (4)
fit à la Société Médicale des hôpitaux, en 1893, une importante commu-
nication sur ce sujet. Se basant sur deux cas personnels dont un avec au-
topsie, sur une communication orale de Fournier et sur deux observations
qu'il avait recueillies antérieurement pour Vulpian, il admit le rôle de
l'infection syphilitique dans le développement de certaines amyotrophies.
A la même séance, Rendu citait un cas analogue et ajoutait que le rôle pa-
thogénique de la syphilis lui paraissait indiscutable.
(1) Graves, Clin. Lectures on Practice of medicine, t. 1, p. 509.
(2) Niepce, Académie de Médecine, avril 1853.
(3) Hammond, Traité des maladies du système nerveux, p. 604 et suiv.
(4) Raymond, Soc. méd. des hôpitaux, fév. 1893.
xvtn 39
594 LANNOIS
Malgré cela la remarquable communication de Raymond ne porta pas.
En 1897, au Congrès de Moscou, Vizioli (1) cita cependant un cas où la
syphilis, prise par son sujet à 20 ans, lui paraissait la cause de l'altéra-
tion vasculaire de la moelle ayant eu pour conséquence l'atrophie avec
douleurs et paresthésies. A ce sujet, Raichline rappela que l'année précé-
dente il avait présenté un cas à la Société Médicale du IXO arrondisse-
ment et dit qu'il s'agissait d'une méningo-myélite comme l'avait montré
Raymond.
Je rappellerai ici qu'en 1899 j'ai fait présenter à la Société des Scien-
ces Médicales de Lyon par mon interne, M. Lévy (2), un malade qui pré-
sentait une atrophie musculaire ayant tous les caractères du type Aran-
Duchenne et chez lequel la syphilis nous paraissaitjouerun rôle indéniable :
il était porteur d'une cicatrice scléro-gommeuse de la langue, d'une orchi-
épididymite spécifique et se présentait à nous pour une otite labyrinthique
d'origine syphilitique non douteuse. Pendant qu'il était en observation il
accusa assez brusquement des douleurs dans le dos et le long du cubital
gauche et nous vîmes évoluer assez rapidement une atrophie musculaire à
début périphérique. En même temps et comme symptôme d'une méningo-
myélite se faisant par plaques, notre malade présentait une abolition per-
sistante du réflexe rotulien droit avec persistance du réflexe achilléen, tan-
dis que le réflexe rotulien gauche était conservé. Nous continuons à voir
ce malade dont l'atrophie musculaire a augmenté, qui a des troubles vaso-
moteurs marqués avec mains succulentes et qui a présenté trois petites atta-
ques d'épilepsie jacksonnienne limitées à la moitié droite de la face. Depuis
quelque temps il comnence un peu d'atrophie de la racine du membre in-
férieur droit (3).
La'même année, Scherb a publié dans la Revue Neurologique une obser-
vation de début d'amyotrophie au cours de la méningo-myélite syphiliti-
que : l'atrophie rétrograda sous l'influence du traitement mercuriel.
La question a été enfin reprise au Congrès de Bruxelles par M. A. Léri (4)
qui lui a également consacré une partie importante de son article du Traité
(1) VIZIOLI, Sur une forme d'amyolropleie spinale progressive d'origine syphilitique
(Congrès de Moscou. 1897, t. IV et Annali di Neurologia, 1898).
(2) LANNOIS et G. LÉvy, Société des Sciences Médicales, 1899 et Province Médicale,
1900.
(3) Ce malade vient de mourir (25 oct : 1905) et l'autopsie a permis de constater des
adhérences par plaques des méninges médullaires, surtout au niveau de la partie infé-
rieure du renflement cervical, englobant les racines antérieures et ayant déterminé une
atrophie nette de la moelle. Celle-ci est aplatie et les cornes antérieures sont très lé-
sées. Nous nous proposons de revenir snr ce fait lorsque l'examen histologique aura
été fait plus complètement.
(4) A. Léri, Congrès de Bruxelles, 1903 et Article, Atrophie musculaire progressive
spinale (Type Duchenne-Aran), in Traité de Médecine, 2° éd., t. IX.
Nouvelle ICONOGRAPIIIE DE la SALPCTRIHE.
T. XVIII. 1'1. LXIII
ATROPHIE MUSCULAIRE DU TYPE ARAN-DUCHENNE
D'ORIGINE SYPHILITIQUE
(Lannois).
Masson et C·, Editeurs
ATROPHIE MUSCULAIRE DU TYPE ARAN-DUCHENNE D'ORIGINE SYPHILITIQUE 595
de Médecine. Après avoir cité les auteurs que nous venons de passer rapi-
dement en revue et auxquels il ajoute Misserbi et Seeligmüller,il fait remar-
quer qu'on retrouve la syphilis signalée dans les antécédents de myopathi-
ques par Aran, Mac Donald, Thouvenet, J. Charcot et qu'on peut souvent
la soupçonner en raison de stigmates ou d'affections concomitantes comme
le tabes ou la paralysie générale. II fait voir que les lésions de méningo-
myélite signalées par Raymond et qu'il a lui-môme retrouvées dans un cas
ont été signalées dans plusieurs autopsies d'amyotrophiques myélopathi-
ques.Enfin il attribue une certaine importance diagnostique à la lympho-
cytosedu liquide céphalo-rachidien « signature de l'inflammation chroni-
que presque certainement syphilitique de la méninge ». Il se résume en
disant que l'amyotrophie progressive du type Aran-Duchenne, accompa-
gnée ou non de symptômes de sclérose latérale,de sclérose postérieure ou
de symptômes de méningo-encéphalite,est une affection très fréquemment
syphilitique. Dans le démembrement de l'amyotrophie spinale qui a com-
mencé par la sclérose latérale amyotrophique, qui s'est continuée par la
pachyméningite cervicale hypertrophique et la syringomyélie, la syphilis
est destinée à recueillir le plus grand nombre des cas. M. A. Léri se base
sur six observations personnelles dont deux avec autopsie.
On voit en somme que le nombre des cas probants est assez restreint.
C'est ce qui m'a engagé à publier un nouveau cas très typique qu'il m'a
été donné d'observer récemment.
Observation.
Atrophie musculaire du type Aran-Duchenne d'origine syphilitique.
(Pl. LXIII et LXIV).
Ferdinand V..., 47 ans, jardinier, entré dans le service le 19 janvier 1905.
Il a perdu son père et sa mère l'année même de sa naissance et ne peut don-
ner de renseignements précis sur ses antécédents héréditaires. Il sait seule-
ment que sa mère est morte à 23 ans de fièvre puerpérale 17 jours après sa
naissance. Son père, alcoolique invétéré, nerveux, irritable, atteint d'un trem-
blement continuel, est mort à Bicêtre à 43 ans : il y avait 20 ans de différence
entre l'âge de son père et celui de sa mère. Il n'a eu ni frère, ni soeur.
Pas de renseignements sur la naissance et la première enfance. Il a eu cons-
tamment de l'énurèse nocturne jusqu'à 20 ans : sa paillasse, dit-il, était tou-
jours pourrie.
A 7 ans, affection oculaire de nature indéterminée. A 18 ans, hernie ingui-
nale qui le fit réformer. -
Il a fait des excès alcooliques, mais prétend être tout à fait corrigé.
Syphilis acquise en 1884, à l'âge de 26 ans : il eut un chancre du sillon et
l'année suivante fit un séjour à l'Antiquaille où on le soigna pour des plaques
muqueuses à l'anus.
596 LANNOIS
Il s'est marié il 37 ans et a un enfant de dix ans qu'il dit né à terme, bien
constitué, mais petit, et qui eut à plusieurs reprises de la conjonctivite et des
suppurations des oreilles.
L'atrophie musculaire, affection pour laquelle il vient consulter, a débuté
il y a 16 ans, 4 à 5 ans après le début de la syphilis. Il s'aperçut que le pouce
droit fonctionnait mal et était ramené en arrière et en dehors. Il n'y éprou-
vait aucune douleur : il parle encore avec amertume du « rhabilleur » qu'il
consulta à ce moment et dont les massages et les pommades ne lui produisirent
aucun effet.
Peu à peu la faiblesse du pouce augmenta, les mouvements d'opposition du
pouce devinrent difficiles, puis impossibles, en même temps qu'il constatait
une atrophie marquée de l'éminence thénar.
Trois ans plus tard, une autre lésion qui s'était installée peu à peu avait
acquis tout son développement : les quatre doigts, surtout les deux derniers,
s'étaient fléchis peu à peu dans la paume de la main où ils étaient solidement
fixés par des brides fibreuses de la face palmaire (rétraction de Dupuytren),
rendant presque impossible tout fonctionnement de la main.
Le même processus évoluait en même temps du côté de la main gauche, où
il avait débuté peu après l'atteinte de la main droite ; même atrophie de l'émi-
nence thénar, même rétraction tendineuse palmaire mais limitée aux deux der-
niers doigts.
Peu à peu l'atrophie avait envahi les avant-bras, puis les bras : mais mal-
gré les atrophies très nettes décrites plus loin il avait gardé assez de force
pour faire tant bien que mal son métier de jardinier.
En 1901 il entra à l'Hôtel-Dieu dans le service du professeur Boudet où on
lui lit de l'extension forcée de ses doigts et de l'électrisation. Il en sortit un
peu amélioré, prit régulièrement de l'iodure et parut d'abord aller mieux. Mais
bientôt la gêne redevenait aussi marquée et il entrait dans le service, le 49 jan-
vier 1005.
C'est un homme de taille moyenne, d'aspect un peu pâle, qui tient la tête
baissée, comme un peu soudée, et qui marche par instant d'un air mal assuré.
Il présente aux membres supérieurs une atrophie très apparente, plus marquée
du côté.
Côté droit. Epaule. - Il ne paraît pas y avoir d'atrophie marquée du
grand dentelé, du trapèze, du sous-épineux, etc. L'angulaire de l'omoplate et
le rhomboïde paraissent légèrement atteints. C'est surtout au niveau du del-
toïde, surtout dans sa partie supérieure, qu'il y a une atrophie certaine, d'ail-
leurs peu appréciable à la vue. C'est surtout à la palpation qu'on a l'impression
qu'il manque des faisceaux et que ceux qui restent sont plus mous que nor-
malement. Il peut d'ailleurs porter les bras en haut. Le grand pectoral est
petit, surtout dans la partie interne de son faisceau claviculaire.
Bras. - Le triceps a presque totalement disparu : le malade ayant le coude
sur la table est incapable de mettre son avant-bras en extension. Il ne peut
obtenir la rectitude qu'en laissant tomber le bras le long du corps. Si on pince
la région postérieure du bras, c'est à peine si on a la sensation d'un peu de
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE
T. XVIII. Pl. LXI\'
ATROPHIE MUSCULAIRE DU TYPE ARAN-DUCHENNE
d'origine SYPHILITIQUE
Radiographie des os de la jambe droite et de l'avant-bras gauche.
(Launois).
Masson & Cu, Éditeurs .
Phototypie Ucrthaud, Pans
ATROPHIE MUSCULAIRE DU TYPE ARAN-DUCHENNE D'ORIGINE SYPHILITIQUE 597
tissu mou intercalé entre les deux épaisseurs de la peau. Il n'offre aucune ré-
sistance dans les mouvements de flexion forcée.
La région antérieure du bras est également très atrophiée, mais à un moin-
dre degré que le triceps. Le malade fléchit le bras et résiste assez bien aux
mouvements d'extension, mais dans ses contractions le biceps reste mou et
pâteux.
Avant-bras. - Le long supinateur, les radiaux et le court supinateur,
c'est-à-dire toute la masse musculaire antéro-externe, sont conservés dans leur
tiers supérieur et considérablement atrophiés dans le reste de leur étendue. On
obtient facilement la corde du long supinateur. Au contraire le grand et le
petit palmaire, le cubital antérieur sont réduits à l'état de lamelles tendineuses.
Les fléchisseurs surtout à leur partie inférieure sont tellement réduits de vo-
lume qu'ils laissent facilement toucher le ligament interosseux.
Même atrophie très apparente de tous les extenseurs, extenseur commun et
extenseurs propres du pouce et de l'index.
Main. C'est à la main que l'atrophie atteint son maximum. C'est à peine
si le pouce a encore quelques mouvements de latéralité. L'éminence thénar a
presque totalement disparu, on touche le métacarpien à travers la peau. L'émi-
nence hypothénar, très atrophiée, est relativement mieux conservée.
A la face postérieure, les interosseux sont tous atrophiés, surtout ceux du
premier espace ; à la face palmaire l'atrophie est également certaine mais elle
est masquée par de fortes brides fibreuses. Celles-ci sont saillantes et ont im-
mobilisé les doigts en flexion forcée des phalanges sur les métacarpiens, don-
nant une griffe très marquée dont il est facile de se rendre compte sur la pho-
tographie, ainsi que des autres particularités que nous venons de décrire.
Côté GAUCHE. - Il faudrait répéter tout ce qui vient d'être dit pour le côté
droit. Le deltoïde présente la même lésion qu'à droite, un peu moins marquée
et le grand pectoral, lorsque le bras est élevé à angle droit ne présente pas la
dépression médiane que l'on voit à droite.
La fonte atrophique du triceps est aussi marquée que de l'autre côté.
Le biceps et le long supinateur sont atrophiés légèrement et les muscles de
la région antérieure de l'avant-bras sont relativement indemnes. Il y a au con-
traire une atrophie manifeste des extenseurs.
A la main, atrophie des muscles thénar et hypothénar et des interosseux dor-
saux très complète et aussi manifeste qu'à droite : il y a cependant encore un
peu de muscle dans les deux derniers espaces. A la face palmaire, même ré-
traction fibreuse, mais qui ici ne porte que sur les deux derniers doigts, ce
qui permet encore une certaine utilisation de la main.
Malgré le degré de cette atrophie, on est un peu étonné que le malade ait
conservé une certaine force musculaire, qui lui permet encore [quelques tra-
vaux. Lorsqu'on a réussi à lui placer le dynamomètre dans la main nlauche il
donne 15, mais la préhension est impossible du côté droit.
Tremblements fibrillaires très marqués et très étendus dans tous les mus-
cles atteints.
598 LANNOIS
L'examen révèle en outre des lésions cutanées et osseuses très importantes.
A la partie inférieure du radius droit, au-dessus du poignet (cela se voit bien
sur la photographie), il y a une cicatrice adhérente à l'os large comme une
pièce de deux francs. Il y en a une autre adhérente au cubitus gauche vers son
tiers inférieur.
Aux membres inférieurs on note une même cicatrice, large comme une pièce
de cinq francs, à la région moyenne et externe de la jambe. Des cicatrices de
même nature se rencontrent à la face antérieure et à la face postérieure des
cuisses et sur les fesses.
La palpation des os au niveau des points où ces cicatrices sont adhérentes,
démontre la présence de lésions extrêmement marquées : au radius droit l'os
est augmenté de volume, irrégulier, raboteux, avec une grosse exostose à la
région moyenne et postérieure. Même lésion, mais encore plus accentuée du
cubitus gauche qui est hyperostosé dans toute sa longueur, ce qui rend la
pronation impossible.
Aux membres inférieurs, où les muscles sont un peu graciles, mais sans
atrophie vraie, les tibias et surtout le droit sont en lame de sabre, avec d'énor-
mes hyperostoses dans toute leur longueur, bien apparentes sur la photogra-
phie. Du reste les radiographies du cubitus gauche et du tibia droit que nous
reproduisons nous dispensent d'une plus longue description.
Il est évident que ces lésions cutanées et osseuses sont de nature syphiliti-
que. Mais il est difficile de faire raconter leur évolution au malade qui ne pa-
raît pas en avoir beaucoup souffert et qui ne se plaint aucunement de ses os,
sauf peut-être de temps à autre de son tibia droit au-devant duquel il y a une
teinte violacée de la peau et un développement veineux très accusé. Il est ce-
pendant affirmatif sur ce point que la première lésion de la peau, celle de la
jambe droite, est apparue à la suite d'un coup à la fin de 1890, c'est-à-dire
nettement après le début de l'atrophie.
Le reste de l'examen donne les renseignements suivants :
Pas d'atrophie des muscles de la face ni du tronc.
La sensibilité aux divers modes est partout conservée.
Les réflexes rotuliens et achilléens sont douteux, ceux du bras et de l'avant-
bras sont abolis. Les réflexes cutanés (crémastérien et abdominal) et muqueux
(conjonctival, cornéen, pharyngien) sont conservés. Il n'y a ni trépidation épi-
leptoïde, ni phénomène du genou.
La coordination motrice est conservée le jour, mais affaiblie la nuit, le ma-
lade éprouvant de la difficulté pour marcher, ne sentant pas bien le terrain,
dit-il.
Les muscles répondent encore à l'électricité faradique, mais assez faiblement
car il faut 250 de notre charriot pour avoir des. secousses. Avec des courants
continus faibles, nous n'avons pas eu de réaction de dégénérescence.
Pas de troubles de la musculature externe de l'oeil bien qu'il dise avoir eu
parfois un peu de diplopie passagère. Acuité visuelle un peu faible, sans rétré-
cissement du champ visuel. Les pupilles sont égales et ne réagissent que d'une
façon insignifiante à la lumière et à l'accommodation*
ATROPHIE MUSCULAIRE DU TYPE ARAN-DUCHENNE D'ORIGINE SYPHILITIQUE 599
Rien du côté de l'ouïe, de l'odorat ou du goût.
Il n'a pas de troubles psychiques : à signaler cependant des cauchemars
fréquents : il voit en rêve des bêtes qui le poursuivent, des assassins qui veu-
lent le tuer.
L'examen des viscères est négatif, sauf pour les organes génito-urinaires.
Outre sa hernie inguinale droite, on trouve une atrophie complète du testicule
gauche : à sa place, un petit paquet qui paraît vasculaire et un noyau épididy-
maire. Il n'a pas l'air de s'en douter et ne peut donner aucun renseignement
sur ce point.
Il n'a ni sucre, ni albumine.
Dans le courant du mois de février, deux ponctions lombaires furent faites
à quelques jours d'intervalle, la première ayant été blanche pour une raison
inconnue. A la seconde on retira facilement 20 centimètres cubes de liquide
clair : l'examen montra une lymphocytose peu marquée, mais nette cependant.
Le traitement consista en injections sous-cutanées de cacodylate de soude,
d'huile grise, puis d'énésol.
1 Il sort du service le 17 mars se disant nettement amélioré comme état géné-
ral. Il dit son état local également très amélioré en ce qui concerne les mains
et surtout la main droite. Les doigts s'étendent manifestement mieux, sauf les
deux derniers ; il peut faire des mouvements d'opposition qui avaient disparu
depuis longtemps et avec le pouce il peut toucher la pulpe de l'index, ce qu'il
ne faisait certainement pas à l'entrée.
Alors que l'écriture lui était très difficile, il a pu nous écrire une longue let-
tre, au crayon il est vrai, mais très lisible.
En résumé il s'agit ici d'un homme qui, 4 ou 5 ans après une syphilis
sérieuse, vit apparaître les premiers signes d'une atrophie musculaire
progressive dont l'évolution se continue 16 ans après le début. Il est por-
teur de lésions cutanées et sous-cutanées (cicatrices de gommes, rétractions
palmaires) et de lésions osseuses qui ne laissent aucun doute sur la gra-
vité de la syphilis dont il a été atteint.
Il y a lieu de faire remarquer qu'ici, comme dans tant d'autres affec-
tions nerveuses, une série de causes prédisposantes se sont réunies pour
favoriser l'atteinte du système nerveux. Ce sera d'abord la prédisposition
héréditaire, le père alcoolique, nerveux, agité de tremblements continuels,
ayant fini ses jours à Bicêtre ; c'est aussi l'alcoolisme du malade lui-même
qui fut surtout marqué dans les années qui précédèrent la syphilis et
dont nous retrouvons une trace dans les cauchemars existant encore ac-
tuellement.
Une question se pose aussi dès le début : l'atrophie musculaire ne pour-
rait-elle pas être simplement sous la dépendance des lésions osseuses, avoir
été déterminée par elles ? Gela ne nous paraît pas vraisemblable, car
chronologiquement l'atrophie a débuté avant les lésions de la peau et des
600 LANNOIS
os. D'autre part il n'y a pas de rapport entre les lésions des muscles et des
os : les triceps ont disparu sans qu'on trouve de lésions des humérus et
les énormes lésions qu'on voit sur les tibias n'ont pas déterminé d'atrophie
musculaire appréciable. Il nous parait donc plus logique d'admettre que
les deux lésions ont évolué indépendamment l'une de l'autre ou que, s'il
existe un lien entre elles, il doit être cherché dans l'atteinte de la corne
antérieure médullaire : en même temps que le trouble trophique médul-
laire celle-ci aurait produit l'affaiblissement des os et favorisé le dévelop-
pement de l'ostéite. -
- En se basant sur les résultats anatomo-pathologiques et surtout sur
l'observation de Raymond où il s'agissait d'une méningo-myélite vascu-
laire diffuse (celle de Léri est de même ordre), on a cru pouvoir indiquer
quelques caractères cliniques propres à l'atrophie myélopathique syphili-
tique. J'ai moi-même, avec Lévy, insisté sur les douleurs précédant et
accompagnant l'atrophie, notre malade ayant débuté par une névralgie
nette du cubital gauche : on y a ajouté la parésie précédant l'amyotrophie
et la rapidité de l'évolution. Mais en réalité ce sont là des phénomènes con-
tingents et qui peuvent manquer : le malade qui nous occupe en ce moment
n'a pas eu de douleurs véritables, malgré ses lésions osseuses, et l'affec-
tion évolue chez lui depuis plus de 16 ans. Un des malades de Léri est
mort après 16 ans de maladie, un autre de ses malades est atrophique de-
puis 18 ans, etc.
L'évolution peut donc se faire comme dans les cas qui ont servi à éta-
blir le type classique Aran-Duchenne ; d'ailleurs il n'est pas rare de trouver
dans ceux-ci une méningite appréciable à l'autopsie (Léri). Le plus sou-
vent le diagnostic de l'origine syphilitique trouvera un appui dans l'exis-
tence de quelques symptômes impliquant la participation des faisceaux
blancs médullaires (exagération ou abolition des réflexes, douleurs, etc.)
ou celle du cerveau lui-même : nous avons dit au début que notre pre-
mier malade avait eu trois crises jacksonniennes limitées à la face. On
n'oubliera pas non plus l'importance de la présence du signe d'Ar-
gyll-Robertson. Quant la lymphocytose, elle pourra aussi donner un
indice précieux, mais malheureusement elle manque parfois dans les cas
anciens.
Les cas comme les deux que j'ai eu l'occasion d'observer et où la syphilis
a laissé des stigmates indélébiles ont donc une valeur probatoire qu'on
ne saurait exagérer : ils démontrent avec évidence que le type clinique
de l'atrophie musculaire myélopathique Aran-Duchenne est un syndrome
et que bon nombre des faits doivent trouver leur pathogénie dans des lé-
sions syphilitiques méningo-médullaires. Léri dit avoir trouvé dans la lit-
térature une trentaine d'observations : il n'est pas douteux que ce chiffre
ATROPHIE MUSCULAIRE DU TYPE ARAN-DUCHENNE D'OHIGINE SYPHILITIQUE 601
s'accroitra rapidement, mais comme il est encore faible j'ai cru qu'il y
avait avantage à l'augmenter d'une unité intéressante. 11 ne faudra d'ail-
leurs pas tomber dans l'excès contraire et attribuer tous les faits à la sy-
philis : j'ai parcouru ma collection d'atrophies musculaires sans y trouver
d'autres cas où cette étiologie aurait été signalée. Peut-être existe-t-il
encore des formes liées à l'altération primitive de la corne antérieure et
bon nombre de cas ressortissent manifestement à la syringomyélie.
Mais cette notion étiologique de la syphilis dans l'atrophie musculaire
a une certaine importance thérapeutique. J'ai déjà signalé les cas de
Graves, de Wiepce, de Hammond : il faut y ajouter ceux de Soherb et de
Seeligmûller qui citent l'un et l'autre un cas de guérison rapide d'une
amyotrophie chez un syphilitique par le traitement mercuriel. J'avoue
avoir été agréablement surpris de l'amélioration indéniable obtenue chez
mon malade par les injections d'huile grise et d'énésol et lui-même ne
l'était pas moins car avait suivi déjà de nombreux traitements, y compris
l'iodure à haute dose, sans avoir été amélioré,
Je sais bien qu'on n'a pas toujoursd'aussi bons résultats, que Raymond,
Rendu et bien d'autres, ont donné le traitement spécifique sans succès, et
que moi-même j'ai traité d'une manière intensive mpn premier malade
sans enrayer chez lui l'évolution de son atrophie. Mais il faut avouer que
nous possédons actuellement avec les injections mercurielles un moyen
d'action d'une portée beaucoup plus grande que l'ancien traitement par
l'iodure et les frictions. Le traitement spécifique énergique devra donc
être tenté toutes les fois qu'on aura dépisté ou soupçonné la syphilis, et
il faut espérer qu'il donnera quelques succès dans une affection contre
laquelle nous étions jusqu'alors si complètement désarmés.
PATHOGÉNIE DE LA
PSEUDENCÉ,PHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE
(MÉNINGITE FOETALE)
(suite)
par
ÉTIENNE RABAUD
Docteur en médecine et docteur ès sciences.
CHAPITRE III
Répercussion de la méningite sur le développement.
I. LE PROCESSUS MÉNINGITIQUE.
La nature méningitique de la pseudencéphalie nous paraît suffisamment
établie par les descriptions précédentes pour qu'il soit utile de discuter les dia-
gnostics anatomo-pathologiques portés par différents auteurs, tel que celui de
polio-encéphalo-myélite admis par Vaschide et Vurpas, nu celui d'hydrocépha-
lie suivie ou non d'éclatement dont la tumeur serait la guérison ; ou encore
celui d'hydropisie encéphalo-médullaire compliquée de syringomyélie proposé
par Raffone (1).
Je ne conteste pas qu'il y ait des foetus atteints d'hydrocéphalie ; peut-être
même cette hydrocéphalie se complique-t-elle en certains cas de méningite ;
mais on ne voit pas bien comment cette hydrocéphalie serait le point de départ
nécessaire d'une méningite. Au surplus cette complication surviendrait après
éclatement ; or cet éclatement produirait des désordres dont nous retrouverions
quelque trace soit dans la disposition du squelette, soit dans l'état du revête-
ment cutané. Il n'y a aucune raison pour que le squelette céphalique, sous la
poussée d'une hydrocéphalie, acquière les dispositions que nous observons, qui
sont celles d'un étalement en dehors et non d'un refoulement en haut et en
dehors. Cette explication, comme les autres, découle d'une étude incomplète
des individus ; il est remarquable que la pie-mère enflammée n'ait jamais at-
tiré l'attention dont certains des auteurs ont décrit et représenté les lésions
inflammatoires dont elle est le siège. Toute discussion nous paraît oiseuse à
cet égard.
Il importe davantage de reprendre brièvement les traits généraux des proces-
Il) RAFFONS, Moelle d'un mon8tre humain anencéphale (Revue neurologique, 1898)j
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 603
sus observés ; nous pourrons ainsi comprendre les diverses particularités mor-
phologiques relevées dans notre premier chapitre.
L'étude des moelles où le processus en est encore à ses premières phases
montre que l'inflammation, strictement localisée dans le tissu de la pie-mère,
débute dans la région correspondant au sillon postérieur. De cela, nous pou-
vons inférer que là, point de départ de la méningite, est la convexité du cer-
veau. C'est de là qu'elle fuse dans tous les sens, envahissant d'abord les par-
ties latérales et inférieures des méninges crâniennes, ensuite les méninges
rachidiennes. De la pie-mère, les lésions se propagent en dehors vers les enve-
loppes conjonctives et osseuses, en dedans vers l'axe nerveux sous forme
d'un tissu conjonctivo-vasculaire sans rapport de structure avec le tissu érec-
tile que quelques auteurs ont prétendu reconnaître. Cette néoformation, qui
s'établit progressivement et.finit par se substituer au névraxe, caractérise la
méningite évoluant sur l'organisme foetal. Elle ne peut, en effet, aboutir à se
constituer que par la prolongation du processus inflammatoire bien au-delà des
limites ordinaires ; cette prolongation, à son tour, ne saurait avoir lieu si l'or-
ganisme ne présentait une résistance à la mort tout à fait extraordinaire. Chez
l'adulte, l'excitation des centres nerveux détermine des troubles intenses, et la
mort survient rapidement à un moment où les lésions pie-mériennes existent
presque seules, à peine accompagnées de quelques plaques hémorragiques et
d'un début de prolifération névroglique. Chez le foetus la vie est celle d'un pa-
rasite de l'organisme maternel ; de plus, surtout peut-être, le système ner-
veux n'exerce qu'une influence très limitée sur l'ensemble du corps. Ce
sont là des conditions de vie très spéciales qui expliquent sa longue résistance
à la plus violente des inflammations. Celle-ci peut alors se développer libre-
ment et évoluer jusqu'à son terme logique.
Dans un certain nombre de cas, ce terme n'est que partiellement atteint ;
c'est à l'encéphale seul que s'est substituée la tumeur méningitique. Dans d'au-
tres cas, le névraxe tout entier a disparu. Ces variations tiennent à diverses
causes. On serait tenté, au premier abord, de les attribuer à l'âge du foetus
et de dire que les individus les moins malades sont ceux qui sont nés pré-
maturément, tandis que les autres sont parvenus au terme de la grossesse.
Il peut en être ainsi parfois ; mais, ce n'est certainement pas là une explica-
tion générale. En effet, parmi les individus dont je disposais, ceux chez les-
quels la moelle était le moins altérée étaient précisément ceux qui présentaient
le développement général le plus avancé. La véritable origine de ces modali-
tés dans l'état du processus doit être recherchée ailleurs, soit dans la préco-
cité de l'invasion, soit dans la rapidité de la propagation. L'une ou l'autre de
ces deux circonstances, ou toutes les deux à la fois, se présentent suivant
les cas. Autant qu'il soit possible de s'en rendre compte, l'invasion de la mé-
ningite a lieu entre le 3e et le 6" mois de la vie foetale : cet intervalle d'un
mois ou d'un mois et demi suffit amplement à expliquer à la fois les différen-
ces observées dans l'état d'envahissement du névraxe et les diverses particu-
larités squelettiques. Mais il ne faut pas négliger non plus la vitesse de pro-
604 RABAUD
pagation qui varie sans nul doute dans des limites assez étendues sous diver-
ses influences.
II. SIGNES FONCTIONNELS de la MÉNINGITE.
A ces lésions anatomiques, tardives ou précoces, à marche lente ou rapide,
correspondent nécessairement un certain nombre de signes fonctionnels. Ces
signes fonctionnels, nous les retrouvons aussi bien chez le foetus nouveau-né
que durant le cours de la gestation.
Chez les pseudencéphaliens ayant survécu quelques heures, divers observa-
teurs, tels que Vaschide et Vurpas, Wichura (1), Zingerle ont noté un rythme
respiratoire du type Cheynes-Stockes, des crises convulsives, des mouvements
provoqués ou spontanés suivis de contractures d'abord localisées, puis généra-
lisées. Rapprochées des données anatomo-pathologiques, ces indications se
suffisent à elles-mêmes, sans qu'il soit nécessaire'de rechercher, avec Vaschide
et Vurpas, si les accès convulsifs sont ou non précédés d'un cri initial, si leur
début rappelle ou non un accès jaksonien. Les tendances que traduisent de
pareilles considérations paraissent au moins déplacées, étant données la nature
et l'étendue des lésions, Respiration de Cheynes-Stockes, crises convulsives et
contractures cadrent trop bien avec l'existence d'une méningite cérébro-spi-
nale, pour qu'il soit utile de rechercher ailleurs des éléments d'interprétation.
Quant à l'hypothermie, aux troubles vaso-moteurs également signalés,
ils relèvent des mêmes dispositions anatomiques. Il est incontestable, en effet,
que la régulation thermique ne saurait être exactement établie chez un nou-
veau-né dépourvu de cerveau et possédant une moelle en voie de destruction.
On ne peut, du reste, tirer de ces faits aucune indication touchant l'importance
respective des diverses parties de l'axe cérébro-spinal dans les diverses fonc-
tions. Tout se confond dans la surexcitabilité que provoque l'inflammation mé-
ningitique généralisée. Ce n'est pas avec des maladies de cette intensité qu'il
est légitime de tirer des indications relatives aux phénomènes physiologi-
ques en l'état de santé (2).
Les crises convulsives et les contractions ne persistent pas longtemps en
général ; bientôt, le nouveau-né devient calme et ne tarde pas à succomber.
Dans certains cas, d'ailleurs, on n'observe d'accès à aucun moment. C'est que,
très probablement, le système nerveux profondément atteint n'est plus capable
de réagir ; l'enfant naît vivant, mais en agonie ; l'agonie dure plus ou moins,
suivant les circonstances.
Ces faits négatifs n'ont aucune importance vis-à-vis des constatations posi-
tives particulièrement précises : en dehors de l'état anatomique des centres ner-
veux, la méningite foetale se traduit par des signes indiscutables. Sans doute,
le tableau clinique n'est pas complet; certains signes font défaut; on ne peut,
par exemple, distinguer aucun phénomène du côté des yeux isolés de leur cen-
tre, dont les muscles ont perdu leurs nerfs moteurs ; l'exorbitisme relevé par la
(i) Max W¡CHURA, lalarbucla fil" Kinderheilkunde, IV, 1902 (cité d'après deFleurian).
(2) Cf. V ASCIIIDE et VuRPAs, op. cil.
NOUVELLE Iconographie DE la SALPêTRIèRE
T. XVIII. Pl. XLI V bis
PSEUDENCEPHALIE ET ANENCEPHALIE
(E. Rnbaud).
Masson et Cie, Editeurs
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 605
plupart des auteurs est, nous l'avons dit, un exorbitisme tout à fait relatif te-
nant à l'absence partielle de l'orbite et non à une projection du globe ; peut être
l'inégalité pupillaire, relevée par Vaschide et Vurpas, pourrait-elle être rete-
nue : le sympathique conservant son intégrité conserve aussi sans doute toutes
ses connexions et continue d'agir sur la pupille.
Au demeurant, tout l'intérêt se concentre sur les phénomènes convulsifs
et les contractions. Or, si nous observons ceux-ci chez le nouveau-né, nous
constatons également leur existence pendant la vie intra-utérine, c'est-à-dire
dès le début même de la méningite. Les observations cliniques nous appren-
nent, en effet, que dans le cours des grossesses ayant abouti à un pseudencé-
phalien, les mouvements actifs des foetus ont été plus intenses qu'à l'ordi-
naire. Ces mouvements sont convulsifs ; ce sont des vibrations spasmodiques,
se répétant à intervalles rapprochés, sans régularité. Laulaigne (1), qui le
premier a mis ces faits en lumière, en tirait un élément de diagnostic pour
la pseudencéphalie au cours de la grossesse, sans en rien conclure, cepen-
dant, quant à la nature de la pseudencéphalie. J'ai retrouvé une indication
du même ordre dans l'une des observations que M. Paul Bar a bien voulu me
communiquer; dans cette observation, il est noté que l' « enfant remuait
beaucoup, avait des mouvements brusques et très rapides ». Ces mouvements
ont cessé huit jours avant l'accouchement ; leur cessation a vraisemblablement
coïncidé avec la mort du foetus qui a été expulsé macéré vers le milieu du
sixième mois. L. Vidal, de son côté, souligne la « vivacié » du foetus (2).
A vrai dire, ces signes n'ont pas été constatés dans tous les cas où ils ont
été recherchés ; mais, quand ils font défaut, ce ne sont pas des mouvements
actifs normaux que révèle la palpation, c'est l'absence de mouvements actifs.
Cette absence résulte, non de la mort du foetus, elle résulte simplement de
ce fait, observé par Laulaigne, que les mouvements amortis, masqués par
un hydramnios abondant, cessent d'être perceptibles. Il n'y a donc là rien de
contradictoire avec les observations positives précédentes. Au surplus, les phé-
nomènes convulsifs apparaissent encore nettement après la mort : l'individu
représenté sur la planche XL1V-A, par exemple, est à cet égard tout à fait dé-
monstratif. En conséquence, nous appuyant, d'une part sur les données ana
tomiques, d'autre part sur les données physiologiques et cliniques, nous som-
mes en droit de considérer les phénomènes convulsifs comme se produisant
chez tous les pseudencéphaliens.
III. Actions mécaniques ET lésions DU voisinage.
Dès lors, tenant compte tant de ces phénomènes que de la'marche du pro
cessus inflammatoire, la morphologie tout entière de ces foetus s'éclaire de la
façon la plus complète : cette morphologie est le produit direct des convulsions
d'origine méningitique et des destructions anatomiques résultant de l'intlam-
(1) Joseph Laulaigne, Contribution à l'élude de l'anel1céphalie (Thèse de Paris,
1883).'
(2) Louis VIDAL, Un cas d'ane ? tcéphalie. Montpellier médical, 1904, no 41.
606 ' RABAUD
mation. On conçoit, en effet, que les convulsions violentes se répétant à inter-
valles rapprochés, ne cessant que pour recommencer aussitôt, jouent en défi-
nitive le rôle de contractions permanentes et doivent provoquer, à brève
échéance, des modifications importantes sur un organisme en voie d'évolution.
Les tissus squelettiques de cet organisme n'offrent point la résistance qu'ils offri-
ront plus tard ; ce sont des tissus éminemment plastiques qui cèdent nécessai-
rement sous des efforts violents et répétés. Ils céderont d'autant mieux que
leurs attaches seront rendues moins solides. L'envahissement inflammatoire
et la contraction musculaire suffisent à cette besogne. Pour ce qui est des
muscles, en particulier, ils se contractent encore et sont histologiquement sains
^au moment de la naissance ; c'est que très exceptionnellement la dégé-
nérescence graisseuse a été signalée pour certains groupes musculaires (1).
Cette dégénérescence n'est, évidemment, qu'un processus terminal, consécutif
à la destruction totale de système nerveux ; quand ce processus survient, la
contraction a déjà produit tout son effet.
a) Attitude. Grâce au remaniement opéré par la contraction muscu-
laire, les signes fonctionnels se trouvent pour ainsi dire figés sur l'individu.
Remarquons, en elfet, que tous les pseudencéphaliens, à de très rares excep-
tions près, ont exactement la même attitude : tête redressée, renversée, enfoncée
dans les épaules ; celles-ci à leur tour projetées en avant. N'est-ce pas là la
raideur de la nuque observée chez les méningitiques ? Mais cette raideur ne
pouvait se fixer ainsi, d'une façon définitive, qu'en devenant une disposition
anatomique nouvelle. Effectivement, nous avons noté que la partie supérieure
de la colonne vertébrale est toujours fortement fléchie soit en avant,soit en ar-
rière ; lecou se trouve ainsi supprimé etla tête se rapproche de la région dorsale.
Cette flexion cervicale dérive immédiatementdes contractions musculaires de la
nuque. Les masses musculaires, s'insérant d'une part sur divers points du
squelette dorsal, d'autre part sur l'occipital, tendent constamment à diminuer
la distance qui sépare leurs points d'insertion. Lorsque la squelette est par-
faitement rigide, cette tendance ne saurait être suivie d'effet permanent et la
contraction n'a d'autres conséquences que la mise en jeu des articulations :
c'est ce qui se produit au cours d'une méniugite tardive, chez le foetus. Mais
quand la colonne cervicale n'est encore qu'un cartilage élastique et peu résis-
tant, la tendance passe à l'acte, la colonne cartilagineuse plie, la tête descend
vers les épaules, tandis que ces dernières, surélevées et projetées en avant,
vont à la rencontre de la tête. La même action se répétant à intervalles très
rapprochés, devenant ainsi quasiment tonique, donne rapidement à la colonne
cartilagineuse un pli définitif, et cela d'autant mieux que l'ossification, en-
trant à son tour en jeu, fixe le squelette dans sa position vicieuse.
L'attitude est ainsi rétablie.
(1) JOLI ET LAVOCAT (Op.cit.) ont une tendance à généraliser ce processus de désin-
tégration ; il y a, disent-ils, transformation griisseuse « comme il arrive souvent chez
les individus de notre espèce affectés de maladies mentales ».
NOUVELLE ICONOGRAPHIR DE LA SALPÊTRIÈRE
T. XVIII. PI. XL'. bis
PSEUDENCÉPHALIE ET ANENCÉPHALIE
( ? Ralmnd).
M,sson & Cie, Éditeur¡
1'Imtntrpi,· l : rtlmnl, Pnrr V
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 607
b) Hémicéphalie. Exorbitisme. Si la contraction musculaire suffit
pour expliquer la raideur permanente de la nuque, elle ne rend pas compte à
elle seule des diverses dispositions crâniennes.
Ici, les destructions inflammatoires interviennent bien encore, mais pour
donner aux contractions musculaires tout leur effort utile.
Sur le crâne, l'observation la plus superficielle fait reconnaître l'hémicépha-
lie ; un examen attentif révèle que la voûte du crâne fait effectivement défaut,
tandis que la base est, au contraire, en bon état.
L'intégrité de la base, phénomène très général, ne saurait surprendre : la
méningite débute sur la face convexe du cerveau, elle s'y développe et negagne
que tardivement les régions inférieures. De là, elle tend à se propager en de-
hors vers les cartilages de la base ; mais l'absence totale de vaisseaux chez
ceux-ci rend toute néoformation vasculaire longtemps possible. Histologi-
quement, d'ailleurs, on ne rencontre aucune trace d'envahissement dans
ce sens, même dans les régions où les processus sont le plus intenses. Ce n'est
pas à dire, toutefois,que l'inflammation qui sévit n'ait aucun contre-coup sur la
base du crâne. Bien au contraire, sa croissance est nettement retardée, sinon
même arrêtée ; ses dimensions proportionnelles ne sont jamais celles d'un
foetus sain de l'âge correspondant.
L'arrêt de croissance est constant ; en même temps que la base du crâne, il
intéresse les os de la face et c'est ce qui explique l'extrême fréquence du bec-de-
lièvre unilatéral, bilatéral, simple ou complexe chez les pseudencéphaliens.Par
contre, la croissance du maxillaire inférieur ne paraît pas modifiée, de sorte
qu'au bout d'un certain temps les dimensions de cet os ne sont plus propor-
tionnelles aux dimensions du maxillaire supérieur : il y a prognathisme infé-
férieur. Ce prognathisme est, on le voit, tout à fait relatif et l'on ne saurait in-
voquer, comme on l'a fait quelquefois pour les microcéphales, un balancement
organique donnant au maxillaire inférieur ce qu'a perdu le maxillaire supé-
rieur : le premier n'a rien acquis, c'est le second seulement qui est en défaut.
Pour ce qui est de la voûte du crâne, les phénomènes sont tout différents : la
voûte est détruite, complètement détruite le plus ordinairement. La destruction
porte uniquement sur les os de membrane, les portions cartilagineuses étant
constamment respectées, sans doute pour les raisons de structure histologique
que nous invoquions tout à l'heure. Le processus de destruction est la consé-
quence directe du mode d'envahissement des lésions méningitiques. Celles-ci
cannent progressivement en dehors vers la dure-mère, et de la dure-mère au
tissu pré-osseux ; elles s'opposent nettement à toute tentative d'ossification ; il
est probable môme qu'elles suppriment les noyaux déjà constitués s'ils sont en-
core peu développés. A ces divers tissus se substitue la néoformation dont la
structure nous est connue. Des membranes osseuses, les lésions se propagent
à la peau : nous savons que, d'une façon très générale, la destruction cutanée
n'est pas complète, qu'il reste toujours, enveloppant la tumeur, un épiderme
très net, quoique considérablement aminci et altéré.
En même temps que disparaissent les tissus de la voûte du crâne, la subs-
tance cérébrale elle-même disparaît peu à peu, et la masse intra-crânienne qui
608 ' RABAUD
la remplace n'occupe plus qu'un volume restreint. Par suite la peau, seule
partie de la voûte qui persiste, s'aplatit et, tout spécialement, s'efface la proé-
minence frontale : l'absence de cette proéminence et de l'os qui la constitue
prive la cavité orbitaire d'une partie de son toit, l'oeil parait faire saillie en
dehors de l'orbite, alors que l'orbite est simplement incomplet. Cette saillie
sera d'autant plus considérable que la face elle-même est sensiblement réduite,
ainsi que cela s'observe clairement sur la planche XL1V-B. La réduction to-
tale ou partielle de l'orbite constitue toute l'explication de l'exorbitisme des
pseudencéphaliens, exorbitisme noté par l'unanimité des auteurs, sur lequel
même certains d'entre eux se sont appesantis sans mesure, invoquant pour
en rendre compte, toutes sortes de raisons plus singulières les unes que les
autres. '
La destruction de la voûte du crâne a une autre conséquence bien autre-
ment intéressante que cet exorbitisme apparent. Le remplacement des tissus
pré-osseux de la voûte du crâne par un tissu vasculaire peu résistant libère les
parties cartilagineuses, et tout particulièrement les masses latérales de l'oc-
cipital, des attaches qui les maintenaient en place. Dès lors, les contractions
musculaires qui tendent à rapprocher la tête du tronc attirent nécessairement t
en dehors ces pièces squelettiques. Sous l'influence de contractions violentes et
répétées, elles cèdent à la traction qui s'exerce sur elles et s'étalent, pour
venir se placer sur le même plan que la base du crâne. C'est dans cette situa-
tion que nous les observons. L'étalement des masses latérales et des autres
parties de la voûte du cràne s'effectue, sous cette action, avec une certaine
lenteur ; s'il en était autrement, nous constaterions, avec des plissements, des
disjonctions plus ou moins considérables qui n'ont jamais été signalées. Nous
constaterions certainement aussi des déchirures de la peau sur une étendue
variable, tandis que, en réalité, le déplacement secondaire des pièces cartilagi-
neuses du squelette s'effectue sous la peau, sans provoquer la moindre solution
de continuité.
c) Persistance totale ou partielle de la voûte. L'ensemble des disposi-
tions crâniennes que l'on rencontre dans la pseudencéphalie répond à ce
processus général. Les différences, parfois si considérables au premier abord,
tiennent à l'état d'ossification de la voûte au moment de l'éclosion de la mé-
ningite et à la rapidité de propagation des lésions. Ces deux conditions secondes
interviennent ensemble ou séparément, suivant le cas, sans qu'il soit toujours
facile de dissocier nettement ce qui revient à l'une et ce qui dépend de l'autre.
Chez un certain, nombre d'individus, l'étalement des masses latérales de
l'occipital fait défaut,le trou occipital existe,-et l'on sait que Isidore Geoffroy-
Saint-Hilaire a fondé sur ce caractère des divisions toxonomiques. Or, pour
que l'étalement des pièces occipitales ne se produise pas, il suffit que les liens
rattachant entre elles deux parties symétriques conservent assez de solidité
pour résister aux tractions musculaires. Si l'on se souvient que la méningite
débute par la face convexe de l'encéphale, on saisit aisément le phénomène :
l'inflammation se propageant avec une lenteur relative n'atteint que tardive-
PATIIOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'A1VENCÉPHAL1E 609
ment les parties déclives du crâne, tandis que dès son apparition, elle a pro-
voqué les contractions musculaires qui ont violemment tiré sur les cartilages
occipitaux; mais ceux-ci, éloignés encore de toute lésion, et par suite forte-
ment reliés les uns aux autres, résistent à la traction. Tout l'effet de cette der-
nière est alors de fléchir la colonne cervicale. Une fois la cyphose ou la lor-
dose constituées, les points d'attaches musculaires se trouvent très rapprochés
les uns des autres, et vraisemblablement dans la mesure que nécessite le
relâchement complet des fibres musculaires. Désormais les contractions n'au-
ront d'autre effet que de tendre ces fibres sans provoquer aucun mouvement
squelettique ; d'ailleurs, la violence des contractions va diminuant au sur et
à mesure que les insertions musculaires se rapprochent. Pendant tout ce
temps, sans doute, la méningite s'est propagée du sommet sur la base ; mais
lorsque les lésions en arrivent à être suffisamment étendues pour diminuer la
résistance des tissus inter et sous-cartilagineux, la puissance de l'action mus-
culaire n'est plus capable de tirer en dehors, d'étaler les pièces squelettiques :
celles-ci restent accolées l'une à l'autre, délimitant le trou occipital.
La vitesse de propagation des lésions entre ici seule en ligne de compte; il
n'est guère à croire qu'il faille faire également intervenir un retard dans
l'éclosion des lésions, car ce retard aurait pour conséquence immédiate de
laisser à l'ossification de la voûte conjonctive le temps de s'ébaucher sur une
étendue variable des traces de cette ossification font absolument défaut chez un
certain nombre d'individus, tandis qu'elles se rencontrent chez un certain
nombre d'autres.
Là où n'existe aucun vestige d'os de membrane, il ne saurait être question
que de la vitesse suivant laquelle la méningite descend du sommet vers les
parties déclives.
Là, au contraire, où se rencontrent des vestiges sous forme de lames des
divers os de la voûte, il y a lieu d'admettre à la fois la lenteur de propagation
et le retard d'invasion, la dissociation des deux processus n'étant d'ailleurs
guère possible. L'ossification constituée antérieurement à l'envahissement
inflammatoire est en partie supprimée par le processus méningitique ; ce
qui reste des pièces ossifiées temporales, pariétales ou occipitales est en-
traîné en dehors par le même mécanisme qui attire en dehors les parties
cartilagineuses, et c'est en dehors que nous les rencontrons. Ces vestiges d'os
membraneux appartiennent toujours, remarquons-le, au bord qui s'articule
avec le cartilage de la base ; on n'a jamais signalé de fragments osseux isolés
sur le sommet du crâne. Si la propagation est suffisamment lente, non seule-
ment les masses latérales de l'occipital résistent à la traction, mais encore l'os-
sification de l'écaillé s'effectue et l'on en retrouve les traces évidentes sous
forme d'une lame plus ou moins large.
Les cas qui paraissent à première vue les plus embarrassants sont ceux où
toute la voûte crânienne est ossifiée et fortement aplatie contre la base. Ces cas,
nous l'avons vu, se présentent sous des aspects différents : ◀tantôt▶ les os de
droite sont complètement séparés de ceux de gauche, les frontaux exceptés,
xvni 40
610 · RABAUD
'au moins dans leurs parties antérieures ; ◀tantôt▶ ils restent unis, sauf cependant
l'occipital qui, chez ces individus sans hémicrânie, est constamment séparé
en deux moitiés symétriques. Le mécanisme est vraisemblablement alors le
suivant :
Chez tous ces individus, la méningite apparaît tardivement ; lorsque, des
méninges, elle gagne en dehors vers les tissus de la voûte, l'ossification est
déjà assez avancée. Dans ces conditions, les tractions musculaires ne s'exer-
cent plus seulement sur des cartilages à peine retenus par un tissu conjonctif
d'autant moins résistant qu'il est plus altéré, elles s'exercent en outre sur
des pièces, fort minces~évidemment, mais cependant solides. Grâce à l'invasion
tardive du processus inflammatoire, la colonne vertébrale n'est pas encore in-
fléchie, de sorte que les contractions musculaires déploient toute leur puissance.
Cela étant, la calotte crânienne ne cédant pas à la traction qui tend à séparer
sa moitié droite de sa moitié gauche ne peut que s'aplatir.
Cet aplatissement est possible, car, quel que soit le degré de l'ossification,
les sutures sont encore loin d'être consolidées. L'aplatissement, toutefois,trouve
un sérieux obstacle dans le contenu du crâne, le cerveau plus ou moins al-
téré. Deux phénomènes peuvent alors se produire : ou bien, malgré la force
déployée, le crâne résiste ; mais alors l'inflammation se propage, détruit dans
une certaine mesure les ébauches osseuses, et les fragments libérés cédant à
la traction s'étalent en dehors ; nous rentrons dans le cas précédent ; ou
bien, pris entre l'action musculaire et la résistance opposée par l'encéphale, le
crâne s'ouvre partiellement suivant la ligne sur laquelle s'exerce le plus grand .
effort. Cette ligne, médiane, est nécessairement la suture inter-occipitale :
en effet, d'une part, la compression exercée sur le cerveau tend à chasser
celui-ci d'avant en arrière, car les tractions qui portent sur les pariétaux por-
tent directement sur le cerveau, le refoulant vers l'occipital, -tandis que
d'autre part, les tractions qui portent sur l'occipital tendent à écarter ses
deux moitiés et, par suite, à augmenter la capacité crânienne aux dépens
de sa partie postérieure. Le cerveau ainsi refoulé, butte contre l'occipital,
ajoutant son effort à celui des contractions musculaires. Dès lors, la voûte
crânienne éclate suivant cette ligne, tandis que la compression continuant à
s'exercer sur le sommet refoule le cerveau hors de la cavité crânienne d'une
façon plus ou moins complète. C'est alors que l'encéphale une fois exclu, la
voûte s'aplatit, arrive au contact de la base, sur laquelle elle se montre au
sur et à mesure que l'ossification se poursuit. L'occipital seul se sépare en
deux parties qui s'étalent en dehors; elles s'étalent incomplètement, étant
retenues par leurs attaches avec le reste du squelette membraneux. Tel est le
cas du crâne que nous avons figuré et décrit dans le chapitre premier (fig. 6).
Mais l'éclatement peut intéresser une -partie plus considérable de la voûte :
marchant d'arrière en avant, il dépasse les limites de la suture occipitale,
entame la suture pariétale et peut même se prolonger jusqu'à la partie posté-
rieure de la suture métopique : nous retrouvons ces divers cas dans la descrip-
tion et les représentations des auteurs (fig. 3, 4 et 5). Tous ces cas, relèvent
indistinctement du même phénomène : résistance de la voûte crânienne non al-
Nouvelle ICOrOGRAPHIL de la SALPÊTRIÈRE.
T. XVIII. Pl. SLV trr
PSEUDENCÉPHALIE ET ANENCÉPHALIE
(E. Ribaud),
Masson & Ci-, Edltcurs
Phototyp.8 Borlhaud, P*rl«
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 611
térée par l'inflammation, exclusion secondaire du cerveau. Il va de soi que
l'exclusion est d'autant moins prononcée que la déhiscence de la voûte se fait
sur une plus grande longueur. Constamment d'ailleurs, et grâce à son élas-
ticité, la peau résiste à la rupture ; elle est refoulée par le cerveau, mais lui
constitue une enveloppe.
Une fois le cerveau exclu, la voûte crânienne se trouve nécessairement à
l'abri de la propagation méningitique. Dès lors, l'ossification poursuit son cours
sans encombre ; les os membraneux se moulent sur la hase cartilagineuse :
c'est dans cet état que nous les retrouvons.
Ainsi se relient de la façon la plus naturelle les cas de pseudencéphalie avec
hémicéphalie et les cas sans hémicéphalie. Les uns et les autres dépendent t
directement de la méningite : les premiers dérivent surtout des lésions de
voisinage qui détruisent purement et simplement la voûte ; les seconds déri-
vent essentiellement des actions mécaniques développées par le processus in-
flammatoire.
d) Déhiscence du 1'achis ,- Il nous sera maintenant très aisé de comprendre
les dispositions spéciales des arcs vertébraux dans les cas où la pseudencépha-
lie est accompagnée de ce qu'il est convenu d'appeler un spina-bifida.
L'étude anatomique de ces colonnes vertébrales montre que leurs diverses
parties existent intégralement. Seulement, les arcs vertébraux, au lieu d'être
recourbés de bas en haut (avant en arrière) et soudés entre eux sur la ligne
médiane de façon à constituer un canal rachidien, s'étalent latéralement ; leur
face interne (ou antérieure), devenue externe (ou postérieure), se dispose sur
le même plan que la face postérieure du corps vertébral et forme avec ce der-
nier un très large plancher. Sur ce plancher repose la tumeur médullaire revê-
tue par la peau dans toute son étendue.
La situation relative des arcs vertébraux est évidemment tout à fait insolite ;
cette situation mise à part, ces arcs n'en existent pas moins. Ils n'ont
peut-être pas atteint toute leur croissance, mais ils n'ont subi aucune altération
destructive secondaire. Le rachischisis ne peut donc être mis sur le compte
d'une lésion de voisinage comparable à celle qui supprime la voûte crânienne
et crée l'hémicéphalie.
On ne peut davantage supposer que cette disposition résulte d'une modifi-
cation initiale du tissu médullaire. Il faudrait admettre que le système nerveux
a persisté sous forme de gouttière ouverte plus ou moins étalée, maintenant à
droite, et à gauche les masses mésodermiques origine des arcs neuraux : nous
reviendrions par là à l'arrêt de développement. Les faits observés ne s'ac-
cordent pas avec une telle hypothèse : en premier lieu, nous trouvons dans
cette gouttière ouverte une moelle dont la constitution morphologique est abso-
lument normale ; les processus évolutifs, en ce qui la concerne, ont suivi leur
cours ordinaire; la gouttière médullaire s'est fermée en temps voulu, ses élé-
ments ont proliféré. -En second lieu, la gouttière rachidienne est fermée par
un toitconjonctivo-cutané. L'existence de ce toit membraneux est nettement t
corrélatif de l'évolution normale du tube nerveux. La non-fermeture de la
612 RABAUD
gouttière médullaire aurait eu, en effet, pour conséquence immédiate et néces-
saire, une solution de continuité de la peau suivant la ligne dorsale : nous trou-
verions le tissu nerveux à ciel ouvert. En aucune façon, il ne peut en être
ainsi. Le spina-bilida de l'anencéphalie n'est point provoqué par un développe-
ment insuffisant de système nerveux ; ce spina-bifida est strictement limité
aux parties squelettiques.
Nous ne comprendrons alors sa genèse qu'en faisant intervenir, ici encore,
l'action morphogénique de contractions musculaires violentes et répétées. Sous
cette action, les arcs neuraux cartilagineux de droite se séparent des arcs de
gauche ; les uns et les autres, cédant aux tractions exercées, se rabattent peu
à peu, de telle sorte que leur face interne vient se placer dans le même plan
que la face dorsale du corps vertébral.
Pour qu'un tel déplacement puisse se produire, il est nécessaire que les trac-
tions interviennent assez tôt, à une époque où les deux moitiés constituantes
des arcs vertébraux ne sont pas encore soudées par leurs extrémités libres. Et
c'est bien ainsi que les choses se passent, car si nous examinons les lames dé-
jetées, nous constatons qu'elles ne portent aucune trace de la pièce terminale :
l'apophyse épineuse. Il ne s'agit donc point ici d'une destruction secondaire,
ni d'un arrêt de croissance, mais simplement de ce fait qui les demi-arcs ont
été disjoints avant que leur formation complète ait établi entre eux des liens
suffisamment solides.
Du reste, le rachischisis se rencontre chez des individus dont la moelle est
complètement détruite par la néo-formation méningitique. Ce fait indique bien
le rôle que joue la précocité d'invasion des phénomènes morbides ; il est pour
nous la preuve que cette précocité doit également être admise pour les cas où
la propagation spinale de la méningite a été précédée d'une dégénérescence du
tissu nerveux : pour déterminer les contractions et, par elles, les modifications
morphogéniques, il suffit que l'inflammation soit en pleine évolution dans la
(lie-mère encéphalique.
Au contraire, une méningite tardive, intervenant vers la fin du cinquième
mois par exemple, atteint un organisme chez lequel les arcs neuraux sont rela-
tivement consolidés ; la contraction, quelles que soient sa violence et sa persis-
tance, ne peut plus les disjoindre.
Les cas mixtes, où l'on trouve un canal rachidien fermé en bas et ouvert en
haut répondent au phénomène général. Nous savons, en effet, que la soudure
des lames vertébrales s'effectue du sixième au neuvième mois pour les verte--
bres lombaires, tandis qu'elle est beaucoup plus tardive pour les autres vertè-'
bres.
Cependant, si d'une façon générale l'étalement des lames peut se faire sans'
l'entrée en jeu de destructions secondaires, celles-ci ne doivent pas être abso-
lument niées. Suivant toute évidence, elles peuvent faciliter l'action musculaire-
en relâchant les tissus conjonctifs qui réunissent les ébauches cartilagineuses.
De toute façon, le mouvement de rotation des lames vertébrales s'effectue'
à couvert sous le revêtement conjonctivo-cutané,sans provoquer de déchirures ;
il laisse intact le toit membraneux qui ne sera envahi' que plus' tard par les-,
PATHOGÉNIE DE LA PSRUDENCÉPHALIE ET DE L ? NENCÉPIIALIE 613
lésions de voisinage. Nous assistons de la sorte à la formation mécanique d'un
rachischisis, n'ayant rien de commun, ni par sa genèse, ni par sa constitution
avec le spina-bifida proprement dit : c'est une déhiscence du rachis.
e) Déformations diverses. En outre de ces modifications résultant des
contractions musculaires et qui donnent à certains cas de pseudencéphalie
une allure caractéristique, on peut observer encore d'autres déformations
relevant de la même cause. Il est incontestable que les contractions des
muscles de la face on des membres agissent directement sur les articulations
et l'on doit admettre l'éventualité de luxations ou de déviations. Jules Guérin
rapporte une observation de luxation du maxillaire inférieur qui est tout
à fait vraisemblable. 11 attribue la même origine à divers cas de pieds-bots. Je
n'y contredirai pas. Toutefois, il convient de remarquer que le diagnostic de
pied-bot est le plus ordinairement porté, en pareille occurrence, d'après l'aspect
superficiel seul. Rarement, sinon jamais, le diagnostic a été contrôlé par
l'étude directe de l'articulation. Or, sur les sujets soumis à mon examen,
j'ai fréquemment constaté une déviation des pieds en dedans. Mais, constam-
ment, il m'a semblé que cette déviation répandait plutôt à une action mécani-
que purement extérieure et survenant post-mortem qu'à une contraction
musculaire. Il n'échappera à personne qu'une déviation par traction muscu-
laire n'est définitive que dans la mesure où elle est suivie d'une modification
squelettique qui change les conditions d'emboitement des pièces osseuses. A
défaut de cette modification squelettique, la déviation est temporaire, aussi
bien que la contraction dont elle résulte. Au surplus, le pied est soumis à des
actions musculaires antagonistes et l'on ne voit pas de raison, a priori, pour
que ce soit un groupe qui l'emporte plutôt qu'un autre, alors que les lésions
médullaires sont aussi généralisées que celles de la méningite foetale. Or, d'a-
près la très grande majorité des observations, la déviation du pied se fait en
dedans. Il semblerait que l'action des muscles externes de la jambe soit tou-
jours inférieure à celle des muscles internes. De même, il semblerait que le
triceps sural n'entre que rarement en jeu, car le pied-bot équin n'est pas plus
fréquent que le pied-bot valgus. Cependant, répétons-le, la méningite n'envahit
pas spécialement tel ou tel centre, mais la moelle tout entière; et l'envahis-
sement n'a pas une marche déterminée : les lésions hémorragiques ou autres
s'observent indifféremment sur un point quelconque du tissu médullaire, dans
sa partie motrice tout au moins.
En définitive, les contractions musculaires jouent un rôle évident dans la
morphogenèse de la pseudencéphalie et elles le jouent également dans tous les
cas où une inflammation du système nerveux intervient chez le foetus, quelle
que soit d'ailleurs la nature de cette inflammation. Jules Guérin, Delplauque-(l)
(1) P. DELPLANQUE, Etudes tératologiques. 1. Des difformités congénitales produites
sur le foetus par la contraction musculaire (Les veaux à tête de chien, ou niatas)
(Thèse de Lille, 1885). '
614' RABAUD '
après lui, ont eu, à cet égard, une vision nette dés phénomènes. Sans doute, ils
ne spécifiaient ni le siège, ni la nature de l'inflammation dans tel ou tel cas*
particulier, ils n'avaient pas, pour le faire les moyens d'investigation dont
nous disposons aujourd'hui- mais ils ont en entier le mérite d'avoir com-
pris l'importance les actions musculaires violentes et répétées dans la genèse
dé certaines malformations foetales. Ils eurent seulement le tort, de vouloir
généraliser le processus, de lui attribuer bon gré mal gré l'origine de toutes les
productions congénitales. Le livre de Jules Guérin est, à ce point de vue, le
plus bel exemple.des absurdités où peut conduire la transformation d'une
observation juste en une idée préconçue généralisée sans critique. D'ailleurs,
il faut bien le dire, même pour le cas particulier des anencéphales, point de
départ de Jules Guérin, l'auteur s'est contenté de considérations assez vagues
sur l'effet des contractions ; il s'est à peine attaché aux traits généraux de l'at-
titude. Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire, avant lui, en avait dit tout autant d'une
façon plus concise.
C'est dans le détail même que nous sommes entré, indiquant ainsi où com-
mence et où finit l'action muscluaire, dans quelles conditions elle est efficace
ou sans résultat. Nous ne croyons pas actuellement possible d'aller au-delà
de ce que nous avons admis, que l'inflammation soit méningitique ou dépende e
d'une infection générale.
(A suivre.)
SAINT PANTALÉON, MÉDECIN.
A PROPOS D'UNE PEINTURE MURALE DE L'ÉGLISE
DE GUEBIsRSCfI\VIIIR (ALSACE).
PAR n
Fernand RUDLER
Médecin-major du 11. Dragons.
La religion catholique est toujours en honneur en Alsace, et nombreux
et fréquentés sont les lieux de pèlerinage, consacrés le plus généralement
à la Vierge, invoquée sous des vocables variés. J'ai visité deux chapelles,
de notoriété inégale sans doute, mais chères au même titre aux paroisses
avoisinantes qui, processionnellement, s'y rendent à date fixe. Par des
revues et des chroniques locales, j'avais appris les guérisons miraculeuses
obtenues aux Trois-Epis, près Türckeimet au Scliauenberg,pi-ès Rouffacli,
et je ne fus pas peu surpris de ne pas découvrir dans ces sanctuaires un
seul document intéressant l'iconographie médicale.
A vrai dire, les images ne manquent pas de malades alités vomissant un
sang rutilant dans une cuvette, d'écrasés, de noyés, de brûlés. « Ces
ex-voto, dit Max de Ring, méritent d'être examinés sous le rapport psy-
chologique ; ils prouvent combien l'imagination souvent frappée peut agir
sur les corps et soulager les affections physiques » (1). OEuvre de recon-
naissance pieuse, ils échappent dans tous les cas, par leur simplicité
extrême à toute critique médicale, tels les bras et jambes de bois qui,
par centaines, en d'autres lieux, attestent les sentiments de gratitude des
affligés exaucés...
Mes recherches ne furent cependant pas complètement infructueuses et
je reproduis ici une oeuvre qui comporte un certain intérêt médical et
historique. Elle est due au pinceau d'un peintre alsacien, M. Martin
Feuerstein, actuellement professeur à l'Ecole des Beaux-Arts de Munich.
Il s'agit d'une peinture murale qui orne le choeur de l'église de Gue-
° (1) Symbolisme et légende du Pèlerinage des Trois-Epis, Revue d'Alsace, année 1862;
p. 209.
616 RUDLER
berschwihr, village perché à flanc de coteau dans le vignoble entre Rouffach
et Colmar (PI. LXV).
L'église est dédiée à saint Pantaléon, médecin. Le tableau « représente
le saint parcourant la province, s'arrêtant devant une ville dont les habi-
tants accourent vers lui pour chercher guérison » (1).
L'histoire du saint et celle de la paroisse sont assez curieuses.
Pantaléon vivait, en 303, sous les empereurs romains Dioclétien et
Maximien et sous le pontifiât de saint Marcellin. Après avoir étudié les
humanités et la philosophie, il s'adonna à la médecine, et il y réussit si
bien sous la discipline d'Euphrosyne, premier médecin de l'empereur
Maximien, que ce prince, informé de son habileté.résolut de le prendre à
la cour et d'en faire un des médecins de sa personne.
La conversion au christianisme du païen Pantaléon fut opérée par
un prêtre du nom d'IIermolaüs qui déclarait à son disciple « qu'Esculape,
Hippocrate et Galien donnàient, à la vérité, des secrets pour guérir les
maux du corps et pour maintenir, durant un peu de temps, la santé et la
vie qu'il faut nécessairement perdre ; mais que Jésus-Christ était un
médecin plus-excellent puisqu'il guérissait les maladies du corps et de
l'âme, et que ses serviteurs par sa vertu avaient même le pouvoir de
guérir des maux qui mettaient tous les médecins au désespoir, comme
d'éclairer les aveugles, de rendre l'ouïe' aux sourds et la parole aux muets,
de redresser les boiteux et de ressusciter les morts... » (2) Æsculapii et
Hippocatis medicamenta parva sunt...
A dater de sa conversion, Pantaléon semble dédaigner la science incer-
taine ; il n'opère plus que par miracles. N'est-ce pas d'ailleurs une pre-
mière cure merveilleuse qui a raison de son esprit professionnel de doute
et d'examen ? Et même, il s'agit bien d'une guérison... A l'instar
d'Asclepios, il débute dans l'exercice de la médecine surnaturelle par une
résurrection. Cette réussite valait bien un baptême.
L'événement a inspiré M. Feuerstein ; à ce titre, il mérite une mention.
Dans ses pérégrinations, Pantaléon rencontra un jour le cadavre d'un
enfant; auprès de lui, une vipère. Désireux d'éprouver la vertu des con-
seils d'IIermolaüs, le saint dit à l'enfant : « Mort, lèvé-toi au nom de
Jésus; et toi, mauvaise bête, reçois le mal que tu as fait. » Au même
instant, le mort ressuscita et la vipère mourut. Puer iste vivet et bellua
moritur... (3)
Dès lors,c'est une succession de miracles retentissants. Le saint remédie
(1) Lettre de M. Martin Feuerstein,
(2) Les Petits Bollandisles, t. IX, ouvrage et documents dus à l'obligeance de
M. l'abbé Brandstetter, curé de Gueberschwihr.
(3) Extrait des Bollandistes, loc. cit.
NOL\'[I LE ICOXOGRAPHIE DE LA 'AI.PÊTRIÈRE
T. XVIII. Pl. LX\'
SAINT PANTALÉON GUÉRISSANT LES MALADES
Peinture murale de l'église de Gueberschwir (Alsace), par Feuerstein.
(F. Rtidler).
SAINT PANTALÉON, MÉDECIN 617 7
efficacement à toutes les maladies qu'il guérit non par les règles infidèles
d'Ilippocrate et de Galien, mais par la vertu du Christ . Sa clientèle
s'étend à la hicomédie entière; de toutes parts, on accourt à celui qui
tient entre ses mains la vie et la mort, la santé et la mahdie. Des succès
aussi peu naturels excitèrent contre le thaumaturge la haine et l'envie
des médecins. Dénoncé à l'empereur comme chrétien , Pantaléon subit
le martyre après avoir confondu par de grands prodiges la jalousie de ses
confrères.
Depuis des siècles, saint Pantaléon est le premier patron des méde-
cins, du moins dans les contrées où son culte est vénéré. Il est un des
quatorze Auxiliaires, réunion de saints inconnus en France, mais invo-
qués par ailleurs contre les maladies. A la vérité, tous n'étaient pas mé-
decins de leur vivant, et les Cliniques rudimentaires d'alors étaient sans
doute fermées aux femmes ; on relève cependant des spécialistes des deux
sexes dans la liste des saints guérisseurs. Par exemple : saint Christophore
est tout puissant contre la peste, saint Egide est neurologiste, saint Denis
laryngologiste ; sainte Catherine assiste les parturientes ; sainte Barbe est
secourahle aux épileptiques ; « saint Côme guérit des blessures ; saint Hu-
bert de la rage ; saint Vit donne la fertilité aux femmes, la vigueur aux
enfants malingres, la plus belle nuit aux jeunes épousées... » (1).
Quoi qu'il en soit, il ne semble pas que saint Pantaléon ait opéré après
sa mort des miracles en faveur de quelque malade isolé; i ! n'existe pas
du moins, à Gueberschwihr, de pèlerinage en son honneur. Le saint a
préféré protéger le pays et le village contre les envahisseurs et contre les
épidémies que traînent généralement après elles les troupes en campa-
gne.
Je tiens de M. leDr Auguste Hertzog (2), pour qui l'histoire de l'Alsace
n'a pas de secrets, que les documents Gueberschwiriens concernant l'his-
toire médicale de la localité ne sont ni nombreux ni importants.
pendant tout le moyen âge, l'église de Gueberschwihr est nommée tan-
(1) MAX de Ring, Revue d'Alsace, année, 1862, p. 567.
(2) M. Hertzog, qui m'a aimablement communiqué ces renseignements, ajoute, comme
document à l'histoire médicale du village, la fondation d'un hôpital attestée par un
acte de vente de biens sous la date de la Saint-Darthétémy, 24 août 1314 , cet acte con ?
cerne un bâtiment qui est aujourd'hui la maison d'école. Suit une série d'actes de
vente en faveur de l'hôpital nouvellement créé, le dernier de 1624. II existe une
image de saint Pantaléon sur une fontaine près du presbytère, mais on ne possède
aucun détail sur l'érection de ce monument. J'ai vu enfin, l'un à la cure et le second- ·
dans l'unique tour datant du xiie siècle (l'église a été reconstruite en pierre rouge de
Sa.verne en 9Q75), deux tableaux représentant le saint entouré de malades. Sur les-
deux toiles, l'épisode de l'enfant piqué par un serpent est reproduit ; mais ces oeuvres,
fort médiocres d'ailleurs, sont détériorées et ne méritent pas une mention plus détail-
IGe. J'aLfait exécuter sans, succès la photographie du.tableau de la cure,. 1 1
618 RUDLER
tôt'de- Saint-Pantaléon et de Saint-Hymère ou Hymier, ◀tantôt▶ de Saint-
Hymère tout seul. En 1627, les deux patrons sont encore réunis dans un
acte d'indulgence. Dès 1658, il n'est plus question que de saint Pantaléon,
et l'histoire ajoute : « Il faut croire que les pestes et les maladies de la ter-
rible.guerre de Trente ans ont contribué à faire oublier saint IIymère et ont
décidé les habitants à n'invoquer plus comme patron que le saint méde-
cin-martyre Pantaléon. »
Dans les archives de la paroisse on trouve en effet, à ce sujet, quelques
renseignements dus au même auteur : « En 1635, le mercredi après la Pen-
tecôte, les Lorrains pénétrèrent dans le pays avec une grande violence
près Brisach, en passant le pont ; ils élevèrent leur camp le long de l'II1,
près Sainte-Croix-en-Plaine, et vinrent dans le vignoble. Ils saccagèrent
tout, 'détruisirent la moisson en deux jours, mirent au pillage l'église
d'Eguisheim, imposèrent aux Alsaciens les dernières vexations, entre au-
tres l'obligation de boire du purin (Schwedentrunk, la boisson des Sué-
dois),- et tuèrent beaucoup de monde.
« Les habitants de la contrée, épouvantés, errèrent pendant quatre se-
maines sans abri, comme des bêtes sauvages.
«Alors éclata la maladie. Tous les villageois,au sortir de la forêt,étaient
atteints ; beaucoup étaient morts. On en mit vingt dans une même fosse ;
parfois pendant trois jours,les fosses ne furent pas fermées ; lui-00 mouru-
rent, jeunes et vieux, en dix mois. »
Etait-ce la peste ? Aucun document ne permet de l'affirmer. Dans l'an-
cien cimetière qui entourait l'église paroissiale, une pierre commémora-
tive rappelait ces tristes événements ; 250 victimes, en peu de jours, furent t
déposées dans la même fosse : « N'est-ce pas une plainte bien amère ? en
voila déjà 250 dans,une fosse. »
Ist das nicht eine bittere Klag ?
Schon das dritt halb hundert in einem Grab... »
Ils ne moururent pas tous... Par un phénomène curieux d'égoïsme hu-
main satisfait, les survivants proclamèrent patron unique de Gueberschwihr
celui dont la protection avait été aussi peu efficace que les remèdes d'Es-
culape et de Galien. Le nom original de Pantaléon fut.donné en baptême
à nombre de petits villageois.
Cet usage se perd d'ailleurs ; le culte du saint ne reçoit plus les mêmes
honneurs. 11 a fallu peut-être le tableau de M. Feuerstein pour rappeler
aux vignerons de l'endroit que leur patron avait autrefois pratiqué de fa-
çon éclatante l'art d'Esculape.
Le tableau représentant Saint Pantaléon guérissant les malades offre-t-il
SAINT PANTALÉON, MÉDECIN 619
un réel intérêt médical ? Toute appréciation sur la valeur artistique de
l'oeuvre à la quelle fait pendant, dans le choeur de l'église de Gueber-
schwihr, le le Martyre du saint, me paraît superflue et téméraire. L'artiste
a recueilli les suffrages éclairés des Munichois lors d'une exposition, et
peut-être la Nouvelle Pinacothèque a-t-elle disputé ce tableau à l'église
alsacienne ?
Mais je peux affirmer qu'aucune préoccupation médicale n'a guidé le
pinceau du peintre. M. Feuerstein m'écrit qu'il a été frappé de la brièveté
et de l'insuffisance des notices sur la vie du saint ; il a voulu reproduire
principalement l'épisode, rappelé partout, de Pantaléon guérissant un
enfant piqué par un serpent. « Pour le reste, ajoute-t-il, j'ai composé
mon tableau, avec le seul souci de l'harmonie des lignes et de l'effet pic-
tural ; j'ai groupé autour du saint, hommes, femmes et enfants, sans vou-
loir préciser une guérison quelconque. »
Voilà donc une cause entendue et qui rend inutile toute dissertation sur
la vérité médicale des malades exposés. J'ai cru bon cependant de faire
connaître, à propos du tableau de M. Feuerstein, la vie et la légende d'un
saint qui fut médecin. Au surplus, ces lignes dispenseront peut-être dans
l'avenir quelque critique médical très sérieux de découvrir des types
pathologiques définis dans les conceptions originales et imaginaires de
l'artiste.
A vrai dire, l'erreur serait facile. Et ne croirait-on pas reconnaître,
dans cet homme agenouillé, le phtisique deLaënnec à une période moins
avancée...
Le Gérant : P. Bouchez
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne.
18e ANNÉE N° 6 NOVEMBRE-DÉCEMBRE
1 F,,XQSTOSES MULTIPLES
/CONTRIBUTION A L'ETUDE
DÉS1 ? 3tiLOIIES DU CARTILAGE DE CONJUGAISON
PAR
P. E. LAUNOIS et F. TRÉMOLIÈRES
Professeur agrégé, Interne
Médecin de l'hôpital Tenon. des hôpitaux.
Parmi les déviations de l'évolution normale du squelette, il en est une
qui, débutant dans le jeune âge, s'accentuant au moment de la puberté,
peut aboutir, chez l'adulte, à une déformation généralisée des os. Qu'ils
soient longs ou plats, pourvu, le plus souvent, qu'ils aient été précédés
d'un modèle cartilagineux et formés aux dépens de plusieurs pièces, ils
sont susceptibles de se couvrir, en certaines régions déterminées, de sail-
lies, de tubérosités, ◀tantôt▶ petites, ◀tantôt▶ volumineuses, mais toujours
extrêmement nombreuses, constituant les exostoses multiples.
La radioscopie et la radiographie permettent aujourd'hui de détermi-
ner, avec toute la précision désirable, pendant la vie, les caractères ma-
croscopiques et les rapports topographiques de ces exubérances osseuses.
Ces nouveaux moyens d'investigation ont confirmé tout d'abord une don-
née établie par les recherches cliniques et anatomo-patholobiques, à savoir
l'affinité toute spéciale des lésions pour les extrémités des os, c'est-à-dire
pour les régions des pièces du squelette qui correspondent aux cartilages
de conjugaison. La fertilité plus grande et plus prolongée du cartilage et
du périoste dans ces régions explique cette prédilection, que vient d'ail-
leurs confirmer la fréquence relativement grande des végétations osseuses,
décrites dans les classiques sous le nom d'exostoses ostéogéniques ou de
croissance. Celles-ci, en raison même de leur siège habituel d'implanta-
tion, semblent bien résulter de l'exagération locale d'un processus normal
d'évolution. Mais une semblable interprétation est-elle applicable à une
malformation aussi généralisée que celle que Poncet (1) considère comme
' (I) A. PocvcsT, Affections rattachées aux tumeurs des os, in Traité de chirurgie de
Duplay et Reclus, t. II, p. 974.
xvm 41
622 LAUNOIS ET TRÉMOLIÈRES
le résultat d'une « hyperactivité ostéogéniques sans d'ailleurs se pronon-
cer sur sa pathogénie ?
Si le processus qui préside à la production de cette dystrophie osseuse
est, comme nous le montrerons plus loin, encore inconnu, son étude des-
criptive n'en est pas moins possible aujourd'hui ; elle intéresse d'ailleurs
aussi bien le médecin que le chirurgien.
La malformation osseuse peut être observée dès ses premières phases
d'évolution, aussi a-t-elle été minutieusemeut étudiée par les médecins
qui donnent plus particulièrement leurs soins aux enfants. Legroux (1),
dans une communication à la Société Médicale des hôpitaux, a clairement
résumé les caractères des saillies osseuses qu'elle détermine. « C'est, outre
['indolence et l'apparition dans les premières années de la vie, la symétrie
presque parfaite.... Les os du crâne, comme c'est presque la règle, et ceux
de la face sont complètement respectés. De plus ces exostoses siègent uni-
quement au voisinage des épiphyses, et de préférence sur celles par où se
fait surtout l'accroissement des os en longueur : extrémités supérieure de
l'humérus, inférieure des os de l'avant-bras, extrémité inférieure du
fémur. Quand on les rencontre sur les deux épiphyses, comme au tibia et
au péroné, c'est toujours sur la plus fertile qu'elles sont les plus volumi-
neuses ».
Les mêmes constatations sont faites par les chirurgiens d'enfants qui,
eux aussi, comme nous l'écrivait A. Broca, (2), observent fréquemment
des exostoses. Elles sontparfois possibles aussi dans les hôpitaux d'adultes,
ainsi qu'en témoigne l'observation suivante que nous avons recueilli l'an
dernier dans notre service de Tenon, observation dans laquelle les malfor-
mations remontaient à l'enfance et se faisaient remarquer tout autant par
leur multiplicité que par leur volume.
OBSERVATION
Exostoses datant de l'enfance, remarquables par leur volume et leur multi-
plicité. Tuberculose pulmonaire tardive cavitaire.
Quand P..., typographe, âgé de 35 ans, entre salle Gérando, au mois de
mai 990, il n'est pas tout à fait un inconnu pour nous ; une rapide inspec-
tion nous permet en effet de reconnaître le malade, dont l'observation, publiée
par E. Albert-Weil (3), avait été utilisée par l'un de nous (4) dans un précé-
dent mémoire.
(1) Leonocx, Exostoses ostéogéniques, ou de croissance, multiples, in Bull. de la
Société médicale des Hôpitaux, 4 juillet 1890, p. 620.
(2) BROCA, Communication écrite.
(3) E. ALBERT Oeil, Un cas d'exostoses multiples, Progrès médical, ! juin 1902, p. 369.
(4) P. E. LAUNOIS et P. RoY, Exostoses multiples à tendance suppurative.Nouvelle Ico-
nographie de la Salpêtrière 1902, et II. Laisney, Contribution à l'étude des exosloses
multiples.Thèse de Paris, 1903.
NOUVELLE Iconographie de la SALPÊTRIÈRE
T. XVIII. PI. LXVI
EXOSTOSES MULTIPLES
(Laitiiois et Tremolières) .
Masson & Ci-, Editeur
Phototlpne Bcrllinud Paru
EXOSTOSES MULTIPLES 623
Il est né, aux environs de Beauvais, d'un père polonais et d'une mère fran-
çaise. Ses parents étaient bien portants et bien conformés. Sa mère est morte
des suites de couches au moment de sa naissance ; son père, très vigoureux, a
succombé à 35 ans ; il était atteint d'une affection cardiaque. Il a un frère aîné,
âgé aujourd'hui de 41 ans, très bien conformé, et qui a toujours joui d'une
bonne santé.
Dans sa première enfance, P... a été élevé au biberon jusqu'à l'âge de
19 mois ; il a marché à 16 mois ; il ne se rappelle pas avoir jamais été malade
jusqu'en 1901, époque à laquelle il commença à tousser.
D'un premier mariage il a eu trois enfants bien constitués et de son union
avec X..., est né un fils, âgé aujourd'hui de 6 ans et exempt de toute tare et
de toute déformation.
Il n'a pas eu la syphilis et est relativement sobre.
Un état fébrile continu avec exacerbation vespérale, une hecticité profonde,
une toux quinteuse et une expectoration abondante l'engagent à entrer à l'hô-
pital. On constate l'existence de lésions tuberculeuses dans les deux poumons;
elles sont plus avancées dans celui de gauche, où existe une vaste caverne.
L'infection bacillaire, qui semble avoir débuté en 1901, s'est accompagnée
d'hémoptysies peu abondantes, d'anorexie, d'amaigrissement progressif et de
perte graduelle des forces.
Mais ce qui, chez lui, attire et retient surtout l'attention, ce sont les défor-
mations de ses membres, dont la palpation permet de reconnaître la nature
osseuse.
Le malade se souvient parfaitement qu'il portait déjà, dès sa plus tendre
enfance, des exostoses pointues au niveau du cou-de-pied gauche ; sa grand'
mère, chargée de l'élever, lui faisait porter des pantalons très longs pour les
dissimuler.
Ces déformations se sont accrues avec la croissance ; jusqu'à l'âge de 14 ou
lu ans, il ne boitait presque pas. C'est à ce moment que ses deux membres se
sont allongés d'une façon inégale et que la tête du fémur gauche s'est dévelop-
pée au point de former aujourd'hui, à la partie interne du pli de l'aine, une
tumeur très volumineuse, gênant considérablement les mouvements d'abduc-
tion et de flexion de la cuisse. Il attribue le développement particulièrement
volumineux de cette exostose à une chute qu'il aurait faite.
Vers la 20e année, toutes les exostoses, aussi bien celles siégeant sur les
membres supérieurs que celles occupant le tronc, le bassin ou les membres
inférieurs, étaient constituées. Depuis cette époque, quelques-unes ont subi
un accroissement plus ou moins rapide et plus ou moins marqué.
P... mesure 1 m. 47. Son squelette est parsemé d'exostoses, si nombreuses
qu'elles sont, pour ainsi dire, incomptables (V. PI. LXVI).
E. Albert-Weil, grâce à une enquête radiographique minutieuse, en a
donné la description suivante qui, exacte en 1901, l'est encore aujourd'hui. Le
mieux est de la lui emprunter (Pl. LXIX, LXX, LXXI).
Parmi les exostoses, les unes ne sont pas plus grosses qu'une tête d'épingle,
d'autres forment de véritables épines saillantes sous la peau ; quelques-unes
624 LAUNOIS ET TRÉMOLIÈRES
sont arrondies et, parmi elles, il en est une qui a acquis les dimensions d'une
tête de foetus.
Le fait principal qui frappe quand on examine P..., c'est l'aspect normal de
sa face et de son cou, qui ne présentent aucune prolifération osseuse ; c'est
aussi l'inégal développement des membres supérieurs et des membres inférieurs.
Les membres supérieurs paraissent très courts, alors que les membres infé-
rieurs semblent mieux proportionnés à la taille. Le membre supérieur gauche,
du creux de l'aisselle à l'extrémité du médius, a 50 centimètres ; le droit en a
51. Le membre inférieur gauche, qui présente le plus grand nombre d'exos-
toses et les plus considérables, mesure, du sommet de l'épine iliaque antéro-
supérieure au sommet de la malléole péronière, 81 centimètres ; le membre
inférieur droit ne présente entre ces deux points de repère que 76 centimètres.
Le thorax est aplati latéralement, surtout du côté gauche; il est très étroit
dans ses deux tiers supérieurs. En avant, font saillie la partie supérieure du
sternum et les extrémités externes et internes des clavicules gonflées et parse-
mées d'une série de petites aspérités. Au niveau de la jonction des côtes et des
cartilages costaux existe une série de gonflements semés également d'aspérités.
Les côtes ont une forme irrégulière ; elles sont de longueur et d'épaisseur iné-
gales, comme on peut s'en rendre compte par la palpation. Les omoplates sont
déjetées plus en dehors qu'à l'état normal. L'omoplate droite présente une ex-
ostose sus-épineuse et une série d'exostoses dans la fosse sous-épineuse ; mais
elles sont peu épaisses et la radiographie ne les montre pas. L'épine est très sail-
lante et très mamelonnée ; le bord axillaire de l'os présente un prolongement
pointu faisant saillie dans le creux de l'aisselle. L'omoplate gauche présente des
exostes fixées à peu près aux mêmes points que les exostoses de l'omoplate
droite, mais elles sont plus volumineuses et surtout plus épaisses ; le bord spi-
nal de l'os porte une sorte d'échancrure limitée de part et d'autre par des ex-
ostoses épaisses pointant sous la peau du dos et que la radiographie montre bien ;
sur le bord axillaire existe également une exostose pointue.
Les humérus sont de tous les os longs ceux qui présentent le moins d'alté-
rations ; les extrémités inférieures sont élargies simplement. A droite, au voi-
sinage de l'extrémité supérieure, sous la tête humérale, mais implantée sur
la diaphyse, existe une épine pointue située presqu'en face de l'accroissance
axillaire de l'omoplate. A gauche, on remarque l'extrémité supérieure de l'os
deux exostoses : la supérieure, très grosse, est implantée sous le col anatomi-
que et fait une saillie considérable dans le creux de l'aisselle ; elle entrave
l'adduction de l'humérus et ne la permet que d'une façon limitée ; l'inférieure
est implantée sur la diaphyse; elle est moins grosse, mais néanmoins plus
importante que l'exostose correspondante du côté droit.
L'humérus droit mesure 18 centimètres, le gauche 19. Dans les mouve-
ments de l'épaule, surtout à gauche, l'omoplate suit l'humérus, sans pourtant
qu'il y ait ankylose complète.
A droite et à gauche, les deux os de l'avant-bras sont fixés presque complè-
tement l'un à l'autre par deux exostoses siégeant à leurs extrémités supérieu-
res et à leurs extrémités inférieures.
EXOSTOSES MULTIPLES 625
A droite, les extrémités des deux os soudés l'un à l'autre sont simplement
aplaties. A son extrémité inférieure, le radius est très élargi et comme épa-
noui en un gros bourgeonnement ; il porte sur le bord externe deux véri-
tables crochets : son bord inférieur oblique concourt seul avec les os du carpe
à former l'articulation du poignet. L'extrémité inférieure du cubitus ne con-
court pas à cette articulation ; elle fait saillie sous la peau. Sur la radiographie
on voit nettement les exostoses qui relient les extrémités inférieures des deux
os l'un à l'autre et les portions qui appartiennent plus particulièrement à l'un
ou à l'autre. A gauche, les os de l'avant-bras sont reliés à leur extrémité supé-
rieure par une exostose saillante : mais il faut noter que l'extrémité supérieure
du radius est complètement luxée et fait hernie sous la peau en arrière. Au
poignet, cubitus et radius sont intimement liés : il existe là un véritable cha-
peau osseux fixé au radius et surplombant les extrémités des deux os pour
concourir par une face oblique à l'articulation du poignet; sur le bord externe
de ce chapeau existent aussi de véritables petits crochets.
La flexion des coudes est possible ; la supination est impossible à droite ; à
gauche elle se fait mais avec participation du bras; les deux mains, en demi-
pronation, demeurent déjetées en dehors. Les deux mains sont d'ailleurs petites
et souples. Si la palpation ne permet d'apprécier aucune rugosité, la radio-
graphie met en évidence le grand développement des têtes métacarpiennes et
indique la présence de petites exostoses siégeant à la jonction des épiphyses et
des diaphyses. Il faut noter également la déformation des extrémités inférieu-
res des premières phalanges, particulièrement sur la main gauche.
Sur les crêtes iliaques, par le palper on sent nettement jusqu'au niveau des
épines antérieures une série d'exostoses formant une véritable chaîne mame-
lonnée : la radiographie montre du reste la consistance lamellaire de ces pro-
ductions.
Le sacrum, le coccyx et les ischions portent de même des exostoses visibles
par la radiographie.
Le bassin est asymétrique, la portion gauche de la cavité est plus développée
que la portion droite, qui est rétrécie'; l'épine iliaque antéro-supérieure est
moins élevée à gauche qu'à droite.
La colonne vertébrale est déviée : il existe une scoliose très apparente à con-
vexité gauche,
Le fémur gauche présente l'aspect d'une haltère terminée à la partie supé-
rieure par une grosse sphère du volume d'une tête de foetus et à la partie infé-
rieure par une véritable couronne d'épines creuses dirigées en avant, eu arrière,
à la partie externe et à la partie interne. L'épine interne est surtout considé-
rable : elle mesure plus de 4 centimètres et fait une saillie très notable sous la
peau.
Les radiographies montrent nettement l'intégrité de la diaphyse, le déve-
loppement des exostoses au niveau des cartilages de conjugaison et leur cons-
titution : ce sont des cavernes. Elles ressemblent à des cavités limitées par des
travées osseuses.
Il faut noter que, lorsque le malade est couché, on voit très nettement sur
626 LAUNOIS ET TRÉMOLIÈRES
la saillie formée par l'extrémité supérieure du fémur, dans l'angle externe du
pli de l'aîne, l'artère fémorale soulever la peau par ses battements.
L'extrémité supérieure du fémur droit est moins volumineuse que celle de
gauche ; le grand trochanter cependant est très augmenté de volume et vient
faire saillie par ses prolongements au niveau de la fesse. Quand on place une
main sur cette saillie, on sent, pendant la flexion de la jambe, une crépitation
rappelant celle de petits os qui viendraient s'entrechoquer. Il est donc certain
qu'une bourse séreuse coiffe ici l'exostose et que dans l'intérieur de cette
bourse existe un certain nombre de corps étrangers. L'extrémité inférieure du
fémur est aussi moins volumineuse que celle de gauche ; à la jonction de l'é-
piphyse et de la diaphyse existe une couronne d'épines.
La jambe gauche est très déformée ; le mollet, du fait d'une très grosse
exostose de, l'extrémité supérieure du tibia occupant les faces postérieure et
interne de cet os, fait une énorme saillie. Au-dessus de la malléole interne, le
tibia présente une autre épine très pointue, longue de 2 centimères au moins,
tendant la peau qui la recouvre, au point de presque l'ulcérer au niveau de sa
partie la plus saillante. L'extrémité inférieure du tibia, très élargie, fait une
saillie marquée à la face interne de la jambe. L'extrémité supérieure du péroné
est très végétante ; son extrémité inférieure s'épanouit pour déborder légère-
ment à la face externe du cou-de-pied. Le pied gauche paraît normal et pour-
tant la radiographie montre la présence d'une exostose très curieuse à la base
de la face antérieure du calcanéum, une plus petite à la partie supérieure de
la même face, et des saillies osseuses sur les extrémités métatarsiennes et pha-
langiennes.
. A la jambe droite, les exostoses sont moins volumineuses ; il faut noter la
prolifération osseuse à la partie interne de la tête du tibia et l'hypertrophie de
l'extrémité supérieure du péroné. Le pied droit paraît normal. Pourtant, sur
la radiographie, on voit les déformations des extrémités du métatarse et des
phalanges : le premier métatarsien est tout particulièrement parsemé d'exos-
toses.
Le membre inférieur gauche mesure 81 centimètres, le membre droit 76 seu-
lement et cependant le membre gauche est celui qui présente les exostoses les
plus volumineuses. Par suite du raccourcissement du membre inférieur droit,
la jambe gauche est toujours à demi-fléchie sur la cuisse.
En se reportant aux images radiographiques, obtenues par E. Albert Weil,
on peut se rendre compte non seulement du nombre des exostoses, de leurs
rapports sur les différents os du squelette, mais encore de leur constitution.
Si quelques-unes sont complètement opaques, d'autres sont aréolaires et appa-
raissent creusées de cavités plus ou moins volumineuses, séparées les unes
des autres par des travées osseuses. Il en est tout particulièrement ainsi pour
le massif osseux qui surplombe l'extrémité supérieure du fémur gauche.
Une toux fréquente et quinteuse, une expectoration abondante et puriforme,
une fièvre continue à exacerbation vespérale, sont les manifestations qui ont
engagé P... à entrer l'hôpital. Elles sont en rapport avec une tuberculose
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière
T. XVIII. PI. LXVII
EXOSTOSES MULTIPLES
(Lall1lOis ci Trcl11011èrcs).
EXOSTOSES MULTIPLES 627 7
pulmonaire arrivée à la troisième période. On constate, en effet, dans tout le
tiers supérieur du poumon gauche des signes cavitaires et il est facile aussi de
reconaître que le sommet du poumon droit est en voie de ramollissement.
Ces altérations locales déterminent une dyspnée extrême, une asphyxie
marquée, caractérisée par une cyanose du visage, des extrémités et s'accom-
pagnent du cortège symptomatique habituel de l'hecticité.
Le foie, volumineux, déborde de trois travers de doigt les fausses côtes. L'u-
rine boueuse, riche en urates et en phosphates, ne renferme ni albumine, ni
sucre.
L'asphyxie fait des progrès rapides et le malade meurt le lendemain même
de son entrée dans notre service.
A l'autopsie, pratiquée 24 heures après la mort, on constate des lésions
étendues aux deux poumons : à droite, il existe un ramollissement étendu, à
gauche une énorme caverne, remplie par un liquide puriforme, et dans le reste
du parenchyme existent des granulations tuberculeuses de volume variable,
mais extrêmement nombreuses.
Les plèvres sont peu atteintes ; celle du côté gauche est parsemée, dans son
tiers supérieur, d'adhérences unissant la paroi de la caverne au thorax.
Le gril costal est irrégulier : on trouve de véritables nouures à l'union des
cartilages et des côtes. Ces dernières sont hérissées d'aspérités, de saillies,
dont la plus volumineuse, atteignant les dimensions d'un marron, est insérée
sur la sixième côte droite.
Le coeur est pâle et volumineux : ses valvules sont normales ; son poids est
de 270 grammes.
Le foie est gras à la coupe ; il est volumineux et pèse 1700 grammes.
La rate, pesant 365 grammes, est molle et diffluente ; elle ne présente pas
de granulations.
Les reins sont macroscopiquement normaux : Le droit pèse 142 grammes,
le gauche, 150 grammes..
Le cerveau, dont le poids est de 1030 grammes, ne présente, à l'oeil nu,
aucune altération ; il en est de même pour le cervelet qui pèse 165 grammes.
On trouve, dans le péritoine, quelques cuillerées d'un liquide jaunâtre mais
la séreuse est demeurée lisse et ne présente pas de granulations.
Le corps thyroïde, pesant 110 grammes, est le siège d'une sclérose diffuse,
dont l'examen microscopique a permis d'étudier l'étendue. Les vésicules glan-
dulaires, diminuées de volume, renferment cependant de la substance colloïde.
L'étude histologique de l'hypophyse n'a permis de constater aucune modifi-
cation appréciable dans l'ordination des cellules secrétrices ni dans leurs carac-
tères propres.
I Le squelette (fémur, tibia et péroné) du membre inférieur gauche a pu être
prélevé et des fragments d'os, après les manipulations habituelles, ont pu être
utilisés pour une étude détaillée.
Le fémur gauche mesure 38 centimètres de hauteur du sommet de la sur-
628 LAUNOIS ET TRÉMOLIÈRES
face articulaire à l'échancrure intercondylienne et 41 centimètres du sommet
de l'exostose supérieure à l'extrémité inférieure du condyle.
La circonférence de la diaphyse, mesurée à sa partie moyenne, est de 8 cen-
timètres ; la circonférence maxima du massif exostosique supérieur atteint
46 centimètres. Sur une coupe transversale, on obtient, comme plus grande
largeur, 16 centimètres.
Ce massif exostosique a complètement modifié l'extrémité supérieure du fé-
mur : la surface articulaire, seule, a conservé son aspect normal : elle se dis-
tingue, par son contour régulier et son poli, des saillies irrégulières qui l'en-
vironnent et même-la surplombent.
Au niveau de l'extrémité inférieure, le fémur est moins déformé, mais il est
hérissé de saillies osseuses plus ou moins développées. On en compte quatre
au voisinage du condyle interne : l'une, peu développée, est arrondie ; la se-
conde, allongée et mince, mesurant dans sa partie libre trois centimètres, affecte
la forme d'une stalactite terminée en pointe ; la troisième revêt les caractères
d'une baguette aplatie ; la dernière, renflée en forme de massue, se rapproche
de la ligne médiane par son point d'implantation. Au niveau du condyle ex-
terne existent deux productions osseuses volumineuses ; l'une d'elles s'est re-
courbée de façon à constituer un véritable pont osseux ; l'autre s'est étalée et
présente une surface des plus irrégulières. Sur la face postérieure de la dia-
physe osseuse, il s'est formé, entre les deux masses latérales, une véritable
gouttière qui se trouve située sur le prolongement direct de la dépression in-
tercondylienne. Les surfaces articulaires des condyles ont conservé leur poli
et leurs contours. Dajis l'espace intercondylien existe une saillie osseuse, de
consistance bien ferme, d'aspect blanchâtre et constituée par du tissu éburné,
extrêmement dur.
Le squelette de la jambe n'est pas moins modifié que celui de la cuisse. La
longueur du tibia est de 27 centimètres, celle du péroné de 24. L'espace qui
sépare normalement ces deux os s'est considérablement élargi, au point de
mesurer 2 centimètres et demi à sa partie moyenne. Les deux os sont plus
épais qu'à l'état normal et l'épiphyse supérieure du péroné a en grande partie
disparu. Cet os semble aussi repoussé eu dehors, mais il est solidement rattaché
en haut, à son congénère parunemasse osseuse des plus irrégulières, qui, pen-
dant la vie. formait la saillie que l'on aurait pu considérer comme appartenant
au mollet. Vers la partie inférieure, les deux os sont entièrement soudés par
un pont osseux épais et irrégulier.
Les photographies ci-jointes permettront mieux qu'une description fasti-
dieuse de juger du nombre, du volume, de l'irrégularité des exostoses. Elles
permettront aussi, et c'est là une constatation des plus importantes, de re-
connaître que toutes les exostoses se sont développées soit au niveau de la ré-
gion qui correspond au cartilage de conjugaison, soit dans le voisinage même
de cette région (V. PI. LXVII et LVIII).
L'étude macroscopique faite sur des coupes des diverses exostoses montre
que si quelques-unes sont constituées par du tissu osseux compact, la plu-
OU\'[LI E Ic-O"OGl ! APHIE HF. 1 A SALPÊTl ! II'FF
T. Xfili. Pl. 1,Xriii
EXOSTOSES MULTIPLES ? 1-1 ? m...m.»....7 ?
EXOSTOSES MULTIPLES 629
part des autres sont creusées de cavités et formées par du tissu spongieux.
L'aspect des surfaces de section de l'exostose occupant l'extrémité supérieure
du fémur est, sous ce rapport, tout à fait caractéristique. A la diaphyse qui a
conservé ses caractères normaux et dont le canal central n'est nullement mo-
difié, succède un tissu formé par de minces trabécules, enchevêtrées les
unes dans les autres, circonscrivant les aréoles en tous points comparables
à celles qui appartiennent en propre au tissu spongieux et représentant une
fine dentelle. Dans toute la moitié externe, les travées osseuses deviennent
plus épaisses et les mailles, qui les séparent, plus larges. En certains points
existent même de véritables cavités dont la paroi est rendue anfractueuse par
des saillies ou des ponts osseux. Sur toute la périphérie de la masse, le tissu
osseux se condense et devient compact et résistant. C'est du tissu osseux
éburné, mais sa minceur est, sur certains points, assez grande pour qu'on
puisse, en examinant la surface,apercevoir les cavités osseuses les plus super-
ficielles. -
L'étude histologique a été faite, avec la collaboration de Lefas, sur des cou-
pes provenant de différentes exostoses, après décalcification, coupes colorées
par l'hématoxyline-éosine.
Sur une de ces coupes, l'oeil est attiré de suite sur une bande cartilagineuse
disposée en forme de lamelle, fortement teintée en rouge par l'éosine et ren-
fermant des cellules très aplaties tangentiellement à la surface. Les cellules
cartilagineuses sont beaucoup plus nombreuses dans les couches profondes de
la lamelle que dans la zone superficielle.
Au-dessous de ce cette bande existe une couche, six à huit fois plus épaisse,
qui est composée de cartilage hyalin et que délimite une ligne de démarcation
bien tranchée. Elle renferme des capsules cartilagineuses arrondies ou ovalai-
res, de dimensions variables, réunies par groupes de six à dix et renfermant
par places des capsules filles.
A sa partie profonde, elle se présente avec des contours assez régulière-
ment dentelés et se trouve remplacée, sans transition, par un tissu de même
nature mais creusé de cavités irrégulières. Les travées, qui représentent la
substance fondamentale, ont fortement fixé l'hématoxyline. Les capsules carti-
lagineuses qu'elle renferme sont rarement normales, le plus souvent vides ou
encore teintées d'une façon diffuse en violet par le réactif colorant. Le ou les
noyaux des éléments cellulaires ont perdu la netteté de leurs contours. On
commence à apercevoir des dépôts de sels calcaires et aussi des travées osseu-
ses de tissu médullaire.
Plus profondément enfin existent des travées de tissu osseux vrai limitant
de larges cavités médullaires. Quelques-unes renferment encore des groupes
de cellules cartilagineuses qu'entoure une mince couche de substance hyaline.
Toute la surface du massif exostosique est recouverte par du tissu conjonc-
tif, qui se densifie à son voisinage et qui se fait remarquer par son abondante
vascularisation.
En résumé, il existe une couche de cartilage hyalin comparable par sa struc-
630 LAUNOIS ET TRÉMOLIÈRES
ture à celui qui forme le cartilage articulaire ; il est dans sa partie profonde
le siège d'un processus d'ossification par destruction progressive de la subs-
tance cartilagineuse et apport d'éléments conjonctifs provenant vraisemblable-
ment du périoste voisin.
* *
A. Pic (1) a, sur le conseil de son maître Poncet, inventorié un squelette
couvert d'exostoses ostéogéniques, conservé au Musée d'anatomie patholo-
gique de la Faculté de Lyon. Comme il s'agit d'une trouvaille d'amphithéâ-
tre faite par Pierret, l'histoire pathologique du sujet fait complètement dé-
faut. On a pu seulement déterminer que les os appartenaient à un homme
d'âge moyen.
Les investigations méthodiques ont permis de constater la présence de
6 exostoses sur la colonne vertébrale, 3 sur les côtes, 47 sur le bassin, 2
sur les clavicules, 3 sur l'omoplate droite, 5 sur l'omoplate gauche, 6 sur
l'humérus droit, 2 sur l'humérus gauche, 5 sur chaque cubitus, 4 sur le
radius droit, 5 sur le radius gauche, 10 sur la main droite, 21 sur la
main gauche, 13 sur le fémur droit, 10 sur le fémur gauche, 3 sur le pé-
roné droit, 6 sur le péroné gauche, 5 sur le pied droit, 8 sur le pied
gauche.
En groupant ces exostoses par régions, on obtient un total de 66 exos-
toses pour le tronc, 25 pour le membre supérieur droit, 33 pour le mem-
bre supérieur gauche, 32 pour le membre inférieur droit, 38 pour le
membre inférieur gauche. Ou encore, 58 exostoses pour les deux membres
supérieurs, 70 pour les deux membres inférieurs, ce qui fait 128 exos-
toses pour les quatre membres. En ajoutant ce chiffre de 128 à celui
de 66 noté pour le tronc, on obtient un total général de 194 exos-
toses. Ce nombre est d'ailleurs inférieur à la réalité, car on n'a pu
faire entrer en ligne de compte une série de rugosités et d'éminences peu
distinctes les unes des autres. Il faut noter enfin que sur le squeietle tou-
tes les crêtes et éminences normales sout considérablement exagérées.
L'auteur fait suivre sa description des commentaires suivants qui con-
firment les particularités sur lesquelles nous avons pour notre part suffi-
samment insisté. « Comme dans les observations antérieures, les exostoses
siégeaient, chez notre sujet, de préférence au voisinage des cartilages de
conjugaison ; sur les os longs, elles étaient plus nombreuses ou plus consi-
dérables au niveau de l'épiphyse la plus fertile, pour employer l'expres-
sion d'Ollier... Outre le siège juxta-épiphysaire, la multiplicité et la sy-
métrie en sont des caractères constants ».
Multiples déjà sont les observations où le nombre des exostoses était
(1) A. Pic, Note sur un squelette atteint d'exostoses ostéogéniques multiples. Gaz.
hebd.,1890.
NOUV. ICONOGR. DE LA SALPÊTRIÈRE :
T. XVIII, PL. LXIX
Radiographies A. \\Cl1.
EXOSTOSES MULTIPLES
(Launois et Tremoliurcs.)
Radiographies du thorax et des membres supérieurs
llaes0\ CI', éditeurs.
EXOSTOSES MULTIPLES
631
relativement considérable. Certaines ont été consignées dans le mémoire
de Soulier (1) et, parmi les faits les plus récents, nous signalerons ceux
de Lapasset (2), Rubinstein (3), Brun (4), Cottet et Morestin (5), Pou-
meau (6), Reboul (7), Auvray et Guillain (8), Méry et Métayer (9),
P. Teissier et Denéchau (10), P. Marie, Léri et Faure Beaulieu (11).
Il n'y a rien à ajouter aux descriptions qu'en ont données les différents
auteurs qui ont étudié les exostoses multiples; ces descriptions sont
d'ailleurs singulièrement facilitées aujourd'hui par l'exploration radiogra-
phique faite pendant la vie.
Une particularité vraiment curieuse de ce genre d'altérations est la
fréquence de lésions osseuses similaires chez les ascendants des malades.
Si l'hérédité ne peut être invoquée dans le cas que nous avons rapporté,
son influence n'en est pas moins très fréquemment signalée, depuis que
Ribell (12), que Paget (13) ont attiré l'attention sur elle.
Parmi les faits publiés les plus probants sont les suivants. Dans l'un,
rapporté par Heymann (14), une mère, présentant des exostoses multiples,
donne le jour à six enfants, parmi lesquels cinq sont atteints de la même
lare squelettique. L'un de ces enfants devient à son tour père de dix
enfants : trois sont couverts d'exostoses. Lejars (15) a résumé ce cas
pathologique dans le tableau suivant.
632 LAUNOIS ET TRÉMOLIÈRES
Dans un autre, rapporté par Reulos (l),on lit que Mme X., née R.,morte
à 79 ans, était née avec des exostoses siégeant symétriquement au voisinage
des articulations fémoro-tibiales ; que son frère M. R... portait, lui aussi,
en naissant, des exostoses sur les membres inférieurs. Marié jeune, il eut
trois fils, qui tous présentèrent, dès la naissance, des exostoses fémoro-
tibiales. L'un d'eux avait les membres inférieurs tellement déformés par
la présence de ces exostoses qu'il ne marchait qu'avec peine. MmeL...,
fille unique de Mme X., présentant elle-même deux volumineuses exostoses
sur les tubérosités internes des tibias, a eu huit enfants, dont quatre
vivants sont nés avec des exostoses siégeant sur les membres inférieurs, à
des hauteurs diverses et presque toutes symétriques. De ces quatre
enfants, le dernier est une fille qui a eu onze enfants, dont quatre vivants
portent, comme elle, des exostoses congénitales, symétriquement disposées
et siégeant de préférence au voisinage des articulations fémoro-tibiales.
Chez l'enfant étudié par Méry et Métayer, les exostoses avaient un ca-
ractère nettement familial : le père, le grand-père et le grand-oncle du
petit malade en étaient également atteints.
Le malade de P. Teissier et Denéchau, était atteint d'exostoses ostéo-
géniques multiples et symétriques siégeant, comme à l'ordinaire, aux ex-
trémités osseuses les plus fertiles, mais nettement diaphysaires et sans
doute d'origine sous-périostée. Son père et son grand-père paternel
avaient, aux jambes et aux bras, depuis leur enfance des tumeurs analo-
gues.
Des faits aussi démonstratifs que ceux-ci sont-ils suffisants pour per-
mettre de conclure à l'hérédité de la maladie exostosique ? Oui, jusqu'à
un certain point, surtout si l'on fait remarquer que cette influence doit
être plus fréquente qu'on ne peut le supposer au premier abord, car dans
la plupart des cas relatés, les renseignements sur les antécédents hérédi-
taires font le plus souvent défaut. De plus, indépendamment de ce fait,
il n'est pas nécessaire de voir l'affection se reproduire d'une façon inté-
grale du père ou de la mère à l'enfant, celui-ci pouvant hériter seulement
de la prédisposition. Les circonstances pathologiques dans lesquelles les
descendants se trouvent placés à un moment donné de leur évolution,
peuvent déterminer l'éclosion de la maladie primitive ou les laisser in-
demnes des manifestations dont ils portent le germe. Quoi qu'il en soit,
l'hérédité de la maladie exostosique est fréquente ; cette fréquence est no-
tée, comme l'a signalé A. Broca (2), plus particulièrement dans les ser-
vices de chirurgie infantile.
On a étudié aussi les rapports qui unissent les exostoses squelettiques à
(1) REULOS, Exostoses congénitales symétriques, Progrès Médical, 10r août 1885, p. 71.
(2) A. BRocA, Communication écrite.
XOUV. ICONOGR. DE LA SALPÊTRIERE
T. XVIII, PL. LXX
R.lt11l)ral'hic.\ ""cil.
EXOSTOSES MULTIPLES S
(Launois et Trcmoli2rcs.)
Radiographie du membre inférieur.
\fassoa et CU : , éditeurs.
EXOSTOSES MULTIPLES 633
la tuberculose. On constate souvent en effet la coexistence de l'infection
bacillaire chez les individus porteurs d'exostoses et on la retrouve souvent
aussi chez leurs ascendants. Laisney (1) a, sur les conseils de l'un de
nous, tout particulièrement étudié cette question. Appliquant à cette
malformation du squelette les données admises actuellement pour d'autres
maladies héréditaires et familiales, il a cherché à montrer que la tare des
générateurs peut jouer, dans certains cas, un rôle dans l'apparition et
l'évolution de l'affection chez leurs descendants ; que ce rôle consiste à
déterminer chez eux une prédisposition morbide, localisée au système
osseux. « La prédisposition, comme le remarquent Auvray et Guillain (2),
s'accentuant, se développant par l'hérédité, on comprend que le même
système pourra être vicié dans plusieurs générations avec une électivité
spéciale et il n'est pas improbable que les infections surajoutées, les ma-
ladies infectieuses ne jouent le rôle de causes occasionnelles dans l'éclo-
sion des tares, des exostoses en particulier que nous étudions. »
On a cherché même à déterminer le mode d'action du poison tubercu-
leux sur les descendants porteurs d'une prédisposition aux exostoses.
Latour (3), se basant sur les expériences poursuivies par L. Dor, se de-
mande si les altérations du squelette ne sont pas engendrées par des ger-
mes pathogènes à virulence atténuée. Le processus tuberculeux, regardé
jadis comme essentiellement destructeur, n'est nullement incapable de
donner naissance à des produits réactionnels et en particulier aux exos-
toses. Son action peut se localiser plus spécialement dans les régions où
les manifestations évolutives sont et demeurent le plus longtemps actives,
c'est-à-dire au niveau des extrémités de la diaphyse,là où le périoste et le
cartilage sont en pleine fertilité.
Il faut toutefois faire remarquer, et il en était précisément ainsi dans le
cas que nous venons de rapporter, que les manifestations tuberculeuses
peuvent n'apparaître et évoluer que bien longtemps après que se sont cons-
tituées les tuméfactions exostosiques. Celles-ci remontent à la première
enfance, alors que les lésions bacillaires datent seulement de l'âge adulte.
On est ainsi amené à se demander si une autre cause, plus générale et
encore inconnue, ne préside pas à l'éclosion et à la croissance des exostoses
para-diaphysaires.
La malformation ne semble pas d'ailleurs exclusive à l'homme. Si nous
en croyons Legroux, elle se rencontrerait aussi chez les animaux. Bail lui
(i) H. LAISNEY, Contribution à l'étude des exostoses multiples. Thèse de Paris,
1903.
(2) AuvxAY et GUILLAIN, Archives générales de Médecine, 1901.
(3) Latour, Des exostoses infectieuses, recherclies cliniques et expérimentales.
Thèse de Lyon, 1900.
634 LAUNOIS ET THËMOLIÈRES
a appris que le Musée Royal de Dublin possède le squelette d'un lion, né
dans la ménagerie de cette ville, squelette sur lequel existent de nom-
breuses exostoses. Les os des animaux, des fauves en particulier, nés en
captivité, présentent souvent des malformations qui rappellent celles du
rachitisme. Les troubles osseux, observés en pareil cas, sont en rapport avec
les conditions d'alimentation, le genre de vie imposés à des animaux nés et
retenus en captivité. Ces conditions vicieuses se rapprochent de celles qui
président, chez l'homme, à l'éclosion du rachitisme et qui sont aujour-
d'nui suffisamment connues.
Chez nombre d'individus porteurs d'exostoses multiples, on observe
souvent un arrêt de l'accroissement en longueur de certaines pièces du
squelette. Cet arrêt de croissance, remarquable chez l'individu que nous
avons étudié, nous semble démontrer d'une façon indubitable la partici-
pation du cartilage de conjugaison à la genèse de la malformation. Il
semble que le processus de l'ossification s'éparpille en sens différents au
lieu de s'ordonner exclusivement dans le sens de la longueur.
En nous basant sur les considérations précédentes, nous sommes amenés
à nous demander si la maladie exostosique n'est pas proche parente du
rachitisme et ne résulte pas, comme lui, d'un trouble apporté dans l'évolu-
tion normale du squelette, trouble en rapport avec une cause encore mal
déterminée aujourd'hui, mais provenant d'une viciation de la nutrition
dans le jeune âge et agissant de préférence chez certains individus héré-
ditairement prédisposés.
11 est un dernier chapitre de l'histoire clinique de la maladie exostosi-
que qu'il nous resterait à étudier, c'est celui du diagnostic différentiel avec
les diverses malformations ou altérations du squelette qui présentent avec
elle quelques analogies. Les caractères morphologiques des exostoses mul-
tiples, leurs modes d'apparition et d'évolution sont choses faciles à appré-
cier, surtout si on a recours à l'exploration radiographique.
La seule affection, qui puisse prêter à confusion, est l'enchondrome
rachitiforme, à laquelle Boinet (1) a tout dernièrement consacré une des-
cription des plus documentées. Peut-être y a-t-il entre les deux dystrophies
des rapports que l'on peut actuellement plutôt soupçonner que nettement
établir.
(1) E. BorrET, Enchondrose rachitiforme, in Archives générales de Médecine, 25 octo-
bre 1904.
)UV ICONOGR. DE LA SALPÊTRIÈRE
T. XVIII, PL. LXXI
Iv.mitugral>lmc \. 'VCIL
EXOSTOSES MULTIPLES
(Launois et Tremolidrcs.)
Radiographie du bassin et des fémurs.
Massox et Olel éditeurs.
CONTRIBUTION A LA CASUISTIQUE
DES
EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES
OU DE DÉVELOPPEMENT
PAR
ENZO SIMONINI
(de Ferrare).
Bien que je sois médiocrement enthousiaste de la polygraphie scienti-
fique d'aujourd'hui, je me décide néanmoins, vu l'intérêt, la rareté, la
singularité des observations, à publier quelques cas d'exostoses ostéogéni-
ques multiples ou de développement, ou encore épiphysaires, que j'ai pu
observer au cours de ma pratique médicale.
Un des premiers à signaler l'affection en question fut, selon Poncet ( ), ),
A. Cooper, qui la décrivit sous le nom d'exostoses et périostoses ca2,tilagi-
neuses.
Poncet nous dit aussi que dans le Compendium ces tumeurs sont men-
tionnées sont le nom d'éxostoses épiphysaires ; que Virchow et Volkmann
les appellent exostoses cartilagineuses ; enfin, que Broca et Soulier (celui-
ci dans sa thèse de 1864) (2), leur donnèrent le nom d'exostoses ostéoyezzi-
ques ou de développement.
Samuel Cooper (3) a rapporté du même A. Cooper un cas très singulier,
dans lequel les yeux furent chassés de l'orbite par un processus d'exostose
endo-crânienne.
Après A. Cooper, quelques observations similaires furent publiées ;
l'affection conservait néanmoins son caractère de rareté.
Poncet, a rapporté dans l'Encyclopédie internationale de chirurgie, l'ob-
servation d'un malade, chez lequel plusieurs exostoses avaient acquis le
volume du poing ; il a figuré un squelette du Musée de la Faculté de
(1) Trattato di chirurgia Dar ? x e Reclus, 1893.
(2) Du parallélisme parfait entre le développement du squelette et celui de certaines
exostoses, Paris, 1864. ,
(3) Dizionario di patologia chirurgica, 1823.
636 SIMONINI
médecine, sur lequel A. Pic ne compta pas moins de 194 exosloses de
forme et de volume très variables. Je citerai ensuite les cas observés : qua-
tre cas Havage (1), un cas Duplay (2), un cas Regnoli etRoguetta (3), un
de Braun (4), un de Legroux, (5) quatre de Macleau (6), ces derniers très
importants parce qu'ils concernent quatre enfants de 8 à lui ans chez qui
existaient respectivement 79, 108, 83 et 101 exostoses. J'ajoute à cette
liste les trois cas de Bessel-Hagen (7).
Dejerine considère les exostoses comme une altération spéciale dans la
syringomélie (8) et Lejars en rapporte un cas. Braun (9), en 1892 en pu-
blie cinq; Pommeau (10) en 1895 en réunit 30 cas; Auvray et Guillain (11),
en réfèrent deux, dans chacun on compte les exostoses au nombre de 150
environ; Launois et Roy rapportent un cas (12); Marro (13), à l'Académie
royale de médecine de Turin, donne un cas concernant un jeune garçon
de 13 ans, dont les exostoses siégeaient non seulement sur les os longs,
mais aussi sur quelques-uns des os plats.
Enfin Dalla Vedova a référé au Congrès de la Société italienne de chi-
rurgie (Rome, mars i 904) quatre cas d'exostoses cartilagineuses solitaires
boursées (14). '
Après cette rapide revue, que je ne prétends pas complète, sur la litté-
rature du sujet, je commence la description de mes cas ; je ferai ensuite
quelques brèves considérations sur la pathogénie et sur l'étiologie de l'af-
fection, toutes deux étant matière à controverse.
Observation 1 (PI. LXXIII et LXXIV).
R... Joseph, 25 ans, fils de parents vivants et bien portants.
Dans sa jeunesse, son père aurait souffert d'une pneumonie double, qui, à
son dire, fut de longue durée, elle n'a pas laissé de trace. Ce père est hernieux,
il n'a pas eu la syphilis, il n'est pas alcoolique.
Sa mère fut toujours bien portante ; son grand-père paternel mourut d'aplo-
plexie ; sa grand'mère paternelle mourut, paraît-il, de paralysie cardiaque.
(1) WALTER, Trattato di chirurgia DUPLAY e Reclus, 1894.
(2) Thèse di Havage.
(3) ROGUETTA, Gazette médicale de Paris, 1885.
(4) BRAIIN, Deusche Zeitschrift f. Chir.
(5) LEGROUX, Societa medica degli ospedali, 1890.
(6) Bristol med. chir. Journal, 1890.
(1) Arch. f. klin. Chir., 1891.
(8) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1902.
(9) Loc. cit.
(10) Loc. cil.
(11) Arch. Gener. di Midicina, 1901.
(12) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1902.
(13) Policlinico, avril, 1893.
(14) Policlinico, avril 1904.
EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES DE DÉVELOPPEMENT 637
Enfin son grand-père maternel mourut aussi d'apoplexie; sa grand'mère
maternelle mourut d'une maladie mal précisée; il semble qu'elle ait traîné
un temps très long, travaillée par la toux, avec une expectoration abondante
(bronchite fétide ou phtisie sénile ? ). Ensuite il faut noter qu'une tante mater-
nelle souffrit d'une d'une arthrite du genou d'origine traumatique. Je men-
tionnerai à titre de curiosité, qu'elle fut soignée par des applications d'huile
d'olive dans laquelle on avait immergé des lombrics terrestres communs; ce
traitement, au bout de quelque temps, rendit naturellement nécessaire son en-
trée dans un hôpital ; elle y resta neuf mois, pendant lesquels s'établirent des
trajets fistuleux dans la région du genou malade et de la hanche correspon-
dante (ostéomyélite infectante ou tuberculeuse ? ), la mort suivit, due peut-être
à la septicémie. Voilà les précédents en ligne directe.
En ligne collatérale, deux frères de notre malade moururent en jeune âge,
l'un à 1 an de pneumonie, l'autre à 2 ans et demi, d'entérite, semble-t-il.
Notre Joseph est d'une constitution physique robuste ; ses parents ne se sou-
viennent pas qu'il ait souffert des maladies communes de l'enfance ; ils affirment
qu'il s'est toujours bien porté.
Moi-même je ne l'ai jamais vu malade depuis les neuf années que je le suis.
Cependant, depuis quelque temps, en raison de son alimentation mauvaise et
insuffisante vu la misère de sa famille, je trouve que son état général laisse à
désirer.
Lui-même exagère d'une façon presque morbide la commisération qu'il ins-
pire ; si bien que ses compatriotes, le tenant pour inapte à aucun travail, ne
l'occupent pas. Ainsi le supplément de nourriture dont il aurait tant besoin et
qu'il pourrait très bien obtenir avec un peu d'énergie, lui échappe. Depuis
quelques années, il ne vit que d'aumônes. '
Il est un des hôtes les plus assidus et les plus actifs de l'asile des pella-
greux. Il montre un appétit formidable et est celui qui éprouve les avantages
de la cure plus que tous ses compagnons.
C'est vers l'âge de six ans environ, que commença à se manifester sur notre
malade une augmentation de volume de la malléole externe de la jambe droite ;
elle alla progressivement en augmentant de volume.
En même temps d'autres tuméfactions osseuses commencèrent à se mon-
trer sur différentes parties du squelette, les unes le long des diaphyses,
les autres vers les épiphyses, mais aucune n'intéressant les articulations
voisines. A présent on peut compter sur le squelette de cet individu 4 de
ces tumeurs osseuses :
1° Sur le bord supérieur et interne du biceps droit* Cette tumeur atteint les
dimensions d'un gros oeuf de poule et va rejoindre presque sous l'aisselle une
autre plus petite de la grosseur d'une prune. 1° Une tumeur située immé-
diatement au-dessous du deltoïde du même côté au point d'insertion du muscle
sur l'humérus, en ferme de colonne, de la largeur d'une pièce de dix centimes.
3° Une tumeur qui a la forme d'un bracelet entoure l'extrémité inférieure
de l'avant-bras droit, un peu au-dessus de l'articulation radio-carpienne. z
4° Celle, déjà signalée, de la malléole externe droite. 5° Une tumeur de la
xviii 42
G38 SIMONINI
grosseur d'un oeuf de poule près du condyle interne du fémur droit. 6° Une
tumeur grosse comme un oeuf de pigeon, près du condyle externe du fémur
droit. Ces deux dernières exostoses, selon le malade, surgirent presqu'en
même temps. 7° Une tumeur de forme légèrement aplatie, large comme un
écu d'argent, siège près de l'extrémité inférieure du tibia gauche, un peu au-
dessus de l'articulation tibio-tarsienne. 8° Une tumeur grosse comme un
oeuf de pigeon se trouve près de l'extrémité supérieure du péroué gauche.
9° Une tumeur (pisiforme) existe près du condyle interne du fémur gauche.
10° Une tumeur grosse comme un oeuf de dindon, se trouve au tiers infé-
rieur du fémur gauche. il Une tumeur sur l'humérus gauche en corres-
pondance du bord interne du deltoïde. 12° Enfin, la dernière tumeur se
voit près du bord interne du tiers supérieur de l'humérus gauche.
Observation II (PL. LXXII).
F... Raphaël, frère du précédent, 20 ans. Il n'a jamais été malade, si l'on ne
tient pas compte d'un trauma qu'il subit en bas âge, à l'humérus droit, et qui
le força à tenir ce membre immobile pendant longtemps.
Les interrogations réitérées n'ont pu faire connaître la nature de cette lésion
traumatique. Elle ne doit pas avoir été très importante parce que la liberté de
la fonction du membre est complètement conservée.
Ce fut sur celui-ci, cependant, que se développa la première tumeur osseuse,
exactement au tiers supérieur de j'humérus, en un point compris entre le bord
interne du deltoïde et le bord supéro-externe du biceps. En outre de celle-ci
le malade présente :
2° Une tumeur (pisiforme) près de l'extrémité sternale de la clavicule
droite. 3° Une autre, elle-même pisiforme près du condyle externe du
fémur gauche. 4° Une autre (pisiforme) sur le péroné gauche un peu au-des-
sous de son extrémité supérieure. 5° Une tumeur au-dessous du condyle in-
terne du tibia droit.- 6° Une autre en un point symétrique,sous le condyle in-
terne de tibia gauche.
Observation III (PL. LXXII).
S... Antoine de Mare, 39 ans. Il est fils de parents vivants et sains ; dans
son histoire auamnestique on ne trouve rien d'intéressant.
Cependant, il a souffert de pneumonies de 16 jusqu'à 18 ans. Il raconte que
lorsqu'il était enfant, il remarqua les tuméfactions de ses jambes, lui-même les
jugea de nature osseuse. Ces tumeurs ne lui firent jamais mal, et il ne fut
pas exempté du service militaire, qu'il accomplit sans en ressentir aucun
dommage.
Actuellement, il présente : 1° Une tnmeur à la jambe gauche près du condyle
supérieur interne du tibia. 2° Une tumeur immédiatement au-dessus et en
dehors de la précédente, grosse environ comme une noisette. 3°-4° Deux
tumeurs symétriques de la jambe droite. 5° Une tumeur plus grosse que les
précédentes au-dessus du condyle interne du fémur droit ; elle a le volume d'un
oeuf de dindon.
Nouvelle Iconographie DE la SALPcrRIÈRh T. XVIII. PI. LXXII
Obs. II. F. R.iffaeli.
Obs. III. S. Antonio.
Obs. IV. S. Esterina.
Obs. ? S. Aldina.
EXOSTOSES OSTEOGENIQUES DE DEVELOPPEMENT
,SlI1101111t1 .
EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES DE DÉVELOPPEMENT 639
Observation IV (Pl. LXXII).
S... Esthérine d'Antoine, fille du précédent, 10 ans. Des précédents du côté
paternel nous en avons déjà parlé incidemment dans la description du cas pré-
cédent.
Du côté maternel il est très important de noter qu'un frère du grand-père
eut 7 fils, qui présentèrent tous une forme morbide que l'on décrit ainsi : Jus-
qu'à l'âge d'un an à peu près, c'est-à-dire tant que durait l'allaitement ma-
ternel, ils grandissaient normalement. Ensuite, les mains et les pieds crois-
saient sans proportion avec les autres parties du corps ; en même temps,
m'assurent toujours mes informateurs, les mouvements des articulations deve-
naient de plus en plus amples ; de façon qu'une jambe, par exemple pou-
vait être, avec facilité, jetée sur l'épaule du côté opposé (ostéomalacie). De
plus, les facultés intellectuelles des enfants restaient obtuses et même la parole
ne se développait pas, le seul langage de ces pauvres malades était une espèce
de gémissement intermittent, qui se changeait quelquefois en vrais cris. Les
malades frappaient des mains paume contre paume presque tout le jour, accom-
pagnant chaque battement d'un balancement cadencé de la tête ◀tantôt▶ à droite,
◀tantôt à gauche.
Tous ces malheureux vécurent plusieurs années : le premier qui mourut
avait 12 ans ; le dernier 26 ans ; les autres moururent à un âge intermédiaire.
Un frère de la mère de notre malade a aussi présenté les mêmes phénomènes ;
il est mort à Page de 13 ans environ. De plus, il était né aveugle des deux
yeux.
Esthérine n'a jamais été malade ; son aspect très florissant est celui d'une
petite fille très saine et robuste; tous ses organes internes rigoureusement
examinés n'ont présenté aucun symptôme pathologique.
Sur son corps cependant, on compte 32 tumeurs exostosiques, à savoir :
Une 1'° au-dessus et en dehors de l'articulation sterno-claviculaire gauche.
La z, une bosse au bord inféro-interne du deltoïde droit. La 3e au bord su-
périeur interne du biceps gauche. La 4e grosse comme une noix, au bord
inférieur et externe du deltoïde gauche. La 5e près de l'articulation radio-
carpienne droite. La 6. près de l'articulation cubito-carpienne droite.
La 7°, une très petite près de l'extrémité inférieure du radius gauche; La
8° sur la sixième côte droite à l'union du tiers moyen avec le tiers antérieur.
La 9°, sur la septième côte droite au niveau de la précédente. La 10e, sur
la huitième côte droite environ au même siège que les susdites. La lue, sur
la dixième côte droite un peu plus en arrière que les précédentes. La 12°, sur
la sixième côte gauche symétriquement à son homonyme. - La 13e, sur la sep-
tième côte gauche un peu plus en arrière. La 14e, sur la huitième côte gau-
che au même niveau. La 15e, sur la neuvième côte gauche, grosse comme
une noix, un peu plus en arrière encore que la précédente. La 160, une
exostose de dimensions extraordinaires siège sur la face externe de l'os iliaque
gauche ; très bosselée, spécialement à son bord supérieur interne (On compte
"640 SIMONINI
jusqu'à 16 bosselures ; son diamètre longitudinal mesure 25 centimètres ; le
trausverse 33 centimètres, et son extremité postérieure va jusqu'à l'os sacrum :
circonférence totale : 56 centimètres ; à la palpation on reconnaît que cette exos-
tose revêt aussi en partie la face interne de l'os iliaque gauche, le volume
extraordinaire de la tumeur embarrasse un peu le marcher de la petite fille,
qui paraît un peu boiteuse. - La 17", au bord inféro-externe du fémur droit.
La IS', une symétrique au bord interne du même os. La 19", près de
l'extrémité supérieure et interne du tibia droit. La 20", près de la tête du
péroné homonyme. La 2l", une tumeur plus grosse que les précédentes, se
trouve près du condyle supérieur et externe du tibia gauche. La 22", du
même volume que la précédente, au voisinage et en dedans de la fibule (pé-
roné) gauche. La `3°, près de l'extrémité inférieure du tibia droit. La 24°,
près l'extrémité inférieure de la fibule droite. La 25e, près l'extrémité infé-
rieure du tibia gauche. La 6°, une exostose à peine indiquée au bord in-
férieur et interne de la fibule gauche. La 7°, une exostose près de l'extré-
mité inférieure de la seconde phalange du médius de la main gauche. La
28", près de l'extrémité inférieure de la seconde phalange de l'annulaire de
la même main. La 29°, près de l'extrémité supérieure de la première pha-
lange de l'annulaire de la main droite. La 308 (pisiforme), à l'angle supé-
rieur et externe de l'omoplate gauche. La 31°, au-dessous du bord interne
de l'épine de l'omoplate droite. La 32e, grosse comme une noisette, sur le
corps du même os.
Observation V (PI. LXXII).
S... Aldina, soeur de la précédente, 7 ans ; jamais malade. Dès les premières
années on ne sait préciser on commença à observer sur elle deux tu-
meurs de mêmes caractères que celles des cas précédents, à savoir : circons-
tance pierreuse, forme ronde, indolente, tendance à l'accroissement tout en
laissant intacte la fonction des parties affectées.
Leur nombre ne s'est pas augmenté ; voici leur siège :
1° Près de l'extrémité inférieure et externe du radius droit . 2° Près de
l'extrémité inférieure et externe du cubit gauche. Toutes deux ont atteint le
volume d'une noisette.
Observation VI.
S... Rino, frère de la précédente, 2 ans et demi. Il est né aveugle des deux
yeux (irido-choroïdite bilatérale avec formation de synéchies postérieures et
cataracte secondaire). Peut-être y a-t-il du décollement de la rétine (diagnostic
du professeur Tartuferi). Cet enfant présenté dès sa naissance, des tuméfa-
tions avec les caractères déjà décrits :
1° En correspondance au niveau du tiers interne de l'épine du scapulum
droit, cette tuméfaction qui a progressivement augmenté de volume atteint
maintenant la grosseur d'une noix : sa surface est lisse, interrompue par un
léger sillon, qui traverse toute la tumeur selon une ligne parallèle à son dia-
mètre longitudinal, et un peu en dedans de lui ; plus tard, une 20 tuméfaction
EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUFS DE DÉVELOPPEMENT 6 if
s'est manifestée vers l'extrémité inférieure du radius gauche (volume d'une
noisette).
L'enfant jusqu'à présent n'a souffert que de légères indispositions propres
à son âge ; il a marché assez précocement ; il est vif et montre une intelligence
éveillée.
Observation VII.
lli... Alphonsine, épouse de feu Gaétan, 33 ans. Dans ses antécédents nous
trouvons : en ligne ascendante, sa mère qui mourut à 35 ans d'une maladie à
long cours qui dura un an et commença par une pneumonie ; son frère mourut
à un âge avancé, de marasme; un de ses oncles paternels mourut à 40 ans à
peu près, d'une maladie indéterminée des organes respiratoires. Ses parents
racontent que durant les six mois de sa maladie le malade avait toujours de
la toux.
En ligne collatérale : 4 soeurs mortes, 3 de phtisie (10, 12 ans, 25 ans) ;
la quatrième serait morte de pneumonie franche. Antérieurement, celle-ci
aurait présenté des phénomènes ascitiques qui guérirent sans intervention
chirurgicale.
Notre malade est d'une constitution un peu faible, d'apparence souffre-
teuse : elle eut durant l'enfance et l'adolescence de graves maladies qui toutes
semblent avoir entamé l'appareil respiratoire. Plus tard, néanmoins, elle se
remit, si bien qu'elle se maria, et devint mère de trois enfants robustes. Depuis
que je la connais, c'est-à-dire depuis dix ans, elle n'a souffert d'aucun dérange-
ment grave; maintenant elle présente un pannicule adipeux assez abondant,
le teint de la peau et des muqueuses visibles est rosé, l'appareil digestif et les
organes sexuels (internes et externes) sont sains ; l'appareil respiratoire fonc-
tionne bien et ne présente pas de traces des maladies précédentes.
Sur la clavicule gauche, près de l'articulation sterno-claviculaire, on trouve
à l'inspection et on précise au toucher une petite tumeur ronde, grosse comme
une noisette, de consistance osseuse, indolente.
La malade ne sait donner aucune indication précise sur l'époque de son appa-
rition ; elle affirme seulement n'en avoir jamais éprouvé aucun désagrément.
Une seconde tumeur, semblable à la précédente, mais un peu plus aplatie,
se trouve sur l'épine du scapulum homonyme à son tiers interne.
Observation VIII.
S... R., fils de la précédente, 11 ans.
Sa constitution est robuste ; le teint de la peau et des muqueuses visibles ro-
sés : il a vaincu heureusement les maladies communes de l'enfance.
Il a le long de la crête du tibia gauche, deux tuméfactions osseuses à saillie
médiocre ; au-dessus de la surface de l'os affecté, leur base est élargie, leur vo-
lume, celui d'une grosse noisette.
Ces deux tumeurs n'ont pas, jusqu'à présent, causé d'ennui au sujet ; elles
montrent une tendance bien nette à l'accroissement.
642 SIMONINI
Parmi les cas décrits, les plus importants sont évidemment le Ier et le
IVe quant au nombre et au volume des tumeurs ; le VIe l'est par la con-
comitance de la cécité congénitale.
Le premier est le seul de ceux que j'ai observés qui ait été soumis à
l'intervention chirurgicale. Celle-ci fut rendue nécessaire par le siège
d'une tumeur exposée à mille menus traumatismes; la tuméfaction sié-
geant au niveau de la malléole s'était ulcérée.
Un vrai ulcère s'était établi précisément sur le point plus saillant de
la tumeur, dans sa portioncentrale. La solution de continuité était, natu-
rellement, à bords découpés, et elle permettait à la sonde de pénétrer
dans l'épaisseur de la tumeur, que l'on sentait manifestement constituée
par du tissu osseux spongieux, avec des aréoles de dimensions médiocres,
comme plus tard, après l'opération chirurgicale, on put le confirmer.
Alors on reconnut aussi que la tumeur, dans le reste de sa superficie
était revêtue d'une mince couche d'os compact, précisément comme dans s
les cas décrits par Dalla Vedova. Durant la période qui précéda l'opéra-
tion chirurgicale il sortait de la solution de continuité du pus en quan-
tité insignifiante ; la consistance de la tumeur semblait diminuée de sorte
que, si on la serrait entre le pouce et l'index on percevait un bruit de
craquement. En somme il y avait tendance au ramollissement. Peut-être
si on l'eût laissée à soi-même l'intumescence aurait-elle disparu par né-
crose, comme il paraît être arrivé dans l'exostose du scapulum du cas
d'Hartmann (cité par Dalla Vedova). Mais on comprend qu'un semblable
traitement négatif n'aurait pas été exempt de périls ; en conséquence, et
vu les insistances du malade, on préféra les soumettre à l'opération chi-
rurgicale. Elle fut exécutée à l'Hôpital majeur Sainte-Anne en Ferrara
par le professeur Eugène Casati, que je remercie tout spécialement pour
la bienveillance avec laquelle il me donna les projections radiographi-
ques, que je puis insérer dans ce modeste travail.
Volume des tumeurs. Les exostoses qui atteignent le volume d'un
poing sont considérées comme des manifestations extraordinaires. Cette
assertion est sans fondement, non seulement en raison de mes observa-
tions, mais encore du cas de Giommi et des autres qu'il a cités et qu'il a
trouvés dans l'histoire de l'Académie des Sciences, dans les mémoires de
l'Académie de Chirurgie, dans le Sepulcretum anatomic1t1n et enfin dans
les écrits du Morgagni. Dans le cas de Giommi, la tumeur avait la forme
d'un cône irrégulier, avec de petites bosses répandues sur sa superficie,
avec une base large comme le muscle deltoïde et avec un éperon en bas,
qui s'insinuait sous le biceps ; il couvrait le contour de l'épaule et il
arrivait, par son mamelon le plus élevé, au niveau du pont coraco-
acromial.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. Pl. LXXIII
EXOSTOSES OSTEOGENIQUES DE DEVELOPPEMENT
(Simonini).
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Masson & Ci-, Editeurs
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EXOSTOSES OSTEOGÉNIQUES DE DÉVELOPPEMENT
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Obs. I. Giuseppe. Radiographies.
Masson & CIe, Editeurs
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EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES DE DÉVELOPPEMENT 643
Dans le cas de Poncet plusieurs des exostoses atteignaient le volume du
poing. Dans mon IVe cas, l'exostose 16 que l'on trouve sur l'os iliaque
gauche était de dimensions jamais atteintes jusqu'ici.
Les lecteurs se rappellent que son diamètre longitudinal mesure 25
centimètres, le diamètre transversal 33, sa circonférence totale 56
centimètres. Ce sont des dimensions vraiment extraordinaires; elles
m'ont fait hésiter et douter, que,plutôt que d'une vraie exostose, il devait
s'agir d'un gros enchondrome. Nous savons, en effet, que dans toutes les
régions où de coutume se développent des exostoses, peuvent aussi se déve-
lopper des enchondromes; mais nous savons encore que sur le même indi-
vidu on peut simultanément trouver des exemplaires tant de la première
affection que de la seconde.
Dans le cas de Weber (Virchow's Archiv, 1860) à côté des exostoses
multiples, constituées sur la plupart des os du squelette, il était né un colos-
sal enchondrome du bassin et un second sur lescapulum. Dalla Vedova a
insisté sur l'intime affinité génétique, désormais reconnue par tous les
auteurs entre les exostoses et les enchondromes. Virchow rapporte en effet,
la genèse de ces formes de tumeurs à une anormale transformation et ossi-
fication des résidus du cartilage transitoire.
Koenig (Traité de chirurgie spéciale) en parlant des tumeurs, des glan-
des salivaires, et précisément des enchondromes rappelle que Zeïche con-
sidère que l'origine de « toutes ces tumeurs doit être attribuée à des germes
cartilagineux (aberrants), qui, dans le développement de l'oreille avec
ses cartilages, se sont déposés en des points erronés ».
D'un autre côté, il est difficile, selon moi, par le seul examen macros-
copique de faire un diagnostic différentiel exact entre exostoses et enchon-
dromes.
Ollier, se basant sur le fait que les exostoses ostéogéniques possèdent
une enveloppe cartilagineuse, sous laquelle on trouve les tissus osseux,
propose comme moyen diagnostic différentiel' l'acupuncture.
« Si l'épingle, dit-il, est arrêtée par un tissu osseux résistant, il s'agit
d'une exostose épiphysaire ; si, au contraire, elle pénètre comme en un
cartilage, il s'agit d'un chondrome ou d'un chondrosarcome » (1).
Vu le volume et l'extension de la tumeur, on ne pouvait pas raisonna-
blement penser à une opération chirurgicale quelconque, ainsi je n'ai
pas cru opportun, pour le seul intérêt scientifique, de me servir d'un
semblable moyen diagnostique ; il est d'ailleurs d'une importance assez
relative. La superficie des exostoses est revêtue d'une couche mince d'os
(1) \Ve.Tnan, loc. cit.
644 SlhioNIN1
compact, tandis que le corps est d'os spongieux. En dehors du carac-
tère qu'Ollier a voulu relever, les deux tumeurs ont une forme plus ou
moins irrégulièrement arrondie, une consistance osseuse, la superficie
pleine de bosses et mamelonnée. Peut-être les bosses qui se placent sur
les exostoses ont-elles l'extrémité plus aiguë que celles qui se placent sur
les enchondromes ; dans notre cas, en effet, on trouve cette particularité.
Un autre caractère différentiel, mais que je n'oserais pas appeler constant
ni suffisant en soi, se trouve dans le volume de la tumeur. Les enchon-
dromes, selon les auteurs, peuvent avoir des dimensions plus considéra-
bles que les exostoses. Mais, ce caractère est tout autre que constant ; nous
avons déjà vu plusieurs exostoses d'un volume très notable. Un caractère
différentiel de plus de valeur nous est donné, au contraire, par l'évolu-
tion ultérieure des deux formes en question.
Nous savons, en effet, que l'accroissement du volume des exostoses va
de pair avec l'accroissement du corps ; -cette particularité a fait appeler
les exostoses ostéogéniques, exostoses d'accroissement ; leur développe-
ment peut s'arrêter en même temps que s'arrête le développement de l'or-
ganisme.
Les enchondromes, au contraire, montrent plus de vigueur et un plus
rapide développement durant la période d'accroissement du corps ; ils
n'ont pas coutume de s'arrêter après l'arrêt de celui-ci ; au contraire, ils
continuent de croître et ils peuvent présenter un caractère néoplasique
très net avec disposition à la dégénération maligne et aux métastases (Stark,
cité par Dalla Vedova).
Ce sera donc seulement par l'évolution ultérieure de la tumeur que
nous pourrons parler avec certitude en faveur de l'une ou de l'autre en-
tité morbide. D'un autre côté, on ne saurait exclure d'une manière absolue
que du stade primitif d'une exostose ou du revêtement cartilagineux de
l'exostose déjà développée, ne puisse ultérieurement se développer un
enchondrome (Stark etLâwen, cités par Dalla Vedova, cas de Weber). En
outre, on peut encore observer, que, si les enchondromes peuvent se trou-
ver ensemble avec les exostoses, les exostoses peuvent accompagner les
enchondromes. Enfin, Valther, à propos des enchondromes du bassin, dit
qu'on sait bien peu de chose « sur l'étiologie de cette affection. Il semble
que les hommes soient affectés un peu plus souvent que les femmes. Au
contraire des autres enchondromes, ils semblent surtout fréquents chez les
adultes entre 35 et 50 ans. Havage mentionne comme causes prédispo-
santes l'hérédité et les traumatismes ; il n'admet aucune influence de la
grossesse » (Traité de Chirurgie DUPLAY et RECLUS. Traduction revue par
le professeur Novaro).
En outre, Verneuil, cité par le même Valther, dit, à propos des enchon-
EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES DE développement 645
dromes extrapelviens du bassin, que « la tumeur née ordinairement
sans cause connue, élève premièrement le pli inguinal au-dessus, au-des-
sous ou en arrière de l'arcade crurale, qui, déjà s'étend vers l'abdomen,
la fosse iliaque, la cavité pelvienne, le triangle de Scarpa ; fixe et forte-
ment adhérent dès l'origine, il conserve une dureté très grande tant qu'il
reste d'un volume médiocre ; il offre au contraire, des gibbosités t'amenés,
lorsqu'il acquiert des dimensions considérables ; circonscrit on étendu,
sa superficie est toujours inégale (mamelonnée), rugueuse; presque indo-
lent pour toute sa durée, il ne détermine que des dérangements mécani-
niques en relation avec ses rapports et avec la direction dans laquelle il
avance (embarras aux mouvements de la cuisse, oedème, etc.). »
Dans notre cas, le volume, la forme mamelonnée, l'indolence et les
dérangements mécaniques, sont en faveur de l'enchondrome ; l'âge des
sujets, le développement surtout de la tumeur, s'opposent à ce diagnostic.
En ce qui concerne mon VIe cas, où l'exostose sur le scapulum droit,
est congénitale, où la cécité bilatérale -est également congénitale, on
peut penser que cette cécité dépend précisément de processus exostosi-
ques endocrâniens développés déjà durant la vie intrautérine. ,
J'ai rappelé, dans ma revue du début, le cas de A. Cooper, dans lequel
les yeux furent expulsés de l'orbite par de semblables processus.
D'autre part,dans le Dictionnaire Encyclopédique des Sciences médicales
on trouve que le système nerveux central peut être le siège de tumeurs
de cette nature, développées dans la masse nerveuse même, au centre du
cerveau ou du cervelet. Cornil et Ranvier ont observé un cas d'ostéome
de ce dernier organe.
On peut en trouver dans la choroïde et dans des corps vitreux avec
perte de la vue consécutive (Scheiss). Gemusens (Archiv. sur Ophtalmo-
logi, 1873) a examiné au microscope huit yeux énucléés, y a trouvé du
tissu osseux de nouvelle formation à plusieurs périodes de développe-
ment.
Le point de départ de la transformation résiderait dans les parties plus
internes de la choroïde. Les auteurs s'accordent à reconnaître que les
exostoses ne sont qu'une variété des ostéomes. Ceci est aussi rappelé par
Monteggix (Institutions chirurgicales, vol. 1er, 1820).
Dans les deux cas de Auvray et Guillain, cités par Launois et Roy,
M. Klippel attribue à l'existence d'une exostose endocrânienne une hémi-
plégie gauche survenue durant leur évolution, à l'âge de 20 ans.
Passant à la pathogénie de l'affection qui nous occupe, je ferai ressortir
646 SIMONINI
l'importance du facteur héréditaire ; il est manifeste et indiscutable dans
deux des trois familles qui m'ont fourni le matériel d'observation.
Du reste, tous les auteurs sont d'accord pour assurer que l'affection
est essentiellement héréditaire. Cependant dans une de nos familles, dans
la première, il ne m'a pas été possible de trouver cette connexion étiolo-
gique. Et après, quand même on la trouve, il resterait toujours à expli-
quer le premier exemplaire, le cas primordial. Il faut donc chercher
quelque facteur plus général qui puisse donner l'explication des faits. Et
ainsi du champ purement étiologique l'on passe au champ pathogéné-
tique.
Nous avons incidemment dit ci-dessus que Virchow attribue l'origine
de ces tumeurs à une transformation et ossification anormale du cartilage
transitoire. D'après lui, par suite d'irritation de la surface du cartilage
de conjugaison à une époque relativement peu avancée de la vie, se pro-
duit une végétation latérale insolite ; cette végétation d'abord cartilagi-
neuse s'ossifie ultérieurement. Ces accroissements cessent lorsque l'évolu-
tion du squelette est complète, e'est-à-dire vers les 25 ans.
Broca dit : « On sait que l'accroissement en longueur des os longs se
fait au niveau des cartilages de conjugaison ; supposez que, sur un point
de sa circonférence un de ces cartilages produit plus de tissu osseux qu'il
n'est nécessaire pour l'augmentation de l'os ; il se produira en ce point
une exostose de développement » (4 ).
Ménétrier, dans son chapitre sur les formes anatomiques des tumeurs,
énumère les exostoses d'accroissement dans la catégorie des états hyper-
plasiques, et les relie aux phénomènes du développement des os ; il en
appelle, pour défendre ce qu'il dit, aux thèses de Brun (2), Royer (3),
Poirier (4), Pommeau (5).
' Il avait, cependant, affirmé précédemment, en commençant son cha-
pitre sur l'étiologie générale des tumeurs, que « les conditions qui pré-
sident au développement des tumeurs sont encore très peu précises et
difficiles à être utilement classées, et cela tant pour la totalité des cas, que
pour notre ignorance touchant les influences qui agissent vraiment dans
la production de telles néoplasies » (6).
Et puis, passant en revue plusieurs hypothèses sur la pathogénie
des tumeurs, il en vient à parler de l'influence du système nerveux, le-
quel agirait comme régulateur de la fonction de la morphologie des tissus ;
(1) Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales.
(2) Paris, 1892.
(3) Paris, 1893.
(4) Paris, 1895.
(5) Paris, 1895.
(6) Bouchard, Pal. générale.
EXOSTOSES OSTÉOGÉNIQUES DE DÉVELOPPEMENT 647
il observe que « reconnaissant pour vraie cette influence, on en vint bien-
tôt à attribuer une importance exagérée à l'action du système nerveux sur
les fonctions végétatives et spécifiques des cellules, lesquelles croissent, se
multiplient, et surtout se disposent selon le plan d'organisation des tissus,
au dehors : de toute influence du système nerveux, et même avant son
apparition. - D'autre part, il ne fut jamais précisé quelle devrait être
l'altération du système nerveux, génératrice du procédé néoplasique ».
E. Launois et Pierre Roy néanmoins concluent leur ouvrage en affir-
ment que bien que la pathogénie de la maladie exostosique ne soit pas en-
core parfaitement connue, elle est peut-être dépendante d'une affection non
pas encore localisée du système nerveux (substance grise de moelle) (1).
Tordeus aussi, croit que les exostoses multiples sont dépendantes d'une
lésion du système nerveux. (2) Ménétrier, après avoir critiqué la théorie
connue du Conheim, y substitue, pour ainsi dire, une autre théorie, celle
de l'influence des processus irritatifs chroniques des troubles fonctionnels,
de la manière anormale de vivre des cellules, ou encore des traumas.
Il insiste sur une semblable influence et conclut par ces paroles :
« Il faut donc admettre que, embryonnaires, foetales, adultes, ou d'ori-
gine ovulaire, les cellules qui échappent à la loi d'organisation pour subir
la prolifération néoplasique sont sollicitées par une influence pathologique
quelconque, indépendante de l'âge et du procédé formateur des organes
et des tissus. Les cellules peuvent être sollicitées et proliférer à un âge
quelconque, et à un âge quelconque peuvent former des tumeurs. »
Il termine le chapitre en disant ;
« Les tumeurs nous semblent l'expression graduelle d'une manière de
réaction des éléments cellulaires, variété des états inflammatoires et dus,
comme ceux-ci, à des causes multiples, peut-être pas spécifiques. »
La théorie des états irritatifs chroniques m'a fait me demander un mo-
ment si, dans le cas spécial, l'affection en question pouvait ;dépendre d'une
assimilation exagérée de sels calcaires qu'on pourrait expliquer ici par
l'usage continu et abondant de nos eaux notoirement très crues. Mais, si
on admettait cette hypothèse, il resterait toujours à chercher pourquoi
ces sels sont dans quelques organismes retenus et accumulés, et dans d'au-
tres ne sont pas retenus ; et aussi pourquoi ces sels vont précisément se
déposer dans le tissu osseux, plutôt que dans d'autres tissus ; et aussi,
pourquoi ils ne prédisposent pas plutôt aux différentes calculoses vésicale,
biliaire, rénale, pancréatique, etc.
Tout cela est difficile à expliquer même si l'on admet, comme pour
les microorganismes, une réceptivité variable avec les divers individus en
(1) Nouvelle Iconographie, 1902. '
(2) Clin, de Bruxelles, 1893.
648 SIMONINI
général, et dans les divers tissus en particulier ; de cette façon on ne fe-
rait qu'admettre une hypothèse sans donner la raison du fait.
Ziegler, toutefois, en parlant des exostoses, dit que la forme la plus
simple de la néoformation osseuse est celle dans laquelle le périoste ou
la moelle engendrent les ostéoblastes, c'est-à-dire des cellules formatrices
qui ressemblent à des fibroblastes avec de gros noyaux, lesquels se dispo-
sent l'un à côté de l'autre et en s'appropriant des sels calcaires ; ils se
transforment en partie en une substance fondamentale homogène, en par-
tie en cellules osseuses (1). Il est donc à penser que plus est grande la
quantité des sels calcaires qui circulent dans le torrent sanguin, plus con-
sidérable peut être l'appropriation de la part des ostéoblastes.
Ziegler admet même, spécialement pour les hyperostoses, ostéophytes,
exostoses, etc, la possibilité d'une dépendance, en outre du développement
excessif, de processus inflammatoire (ostéomes du soldat, du cavalier).
Il ne peut, cependant, expliquer la raison pour laquelle dans les états
d'irritation chronique, il se forme de la substance osseuse dans les tissus
connectifs, qui d'ordinaire n'ont pas coutume d'en produire. Virchow (2)
pense que les exostoses doivent être attribuées à un stimulus qui agit en
une place déterminée. Contre cela on dit que dans quelques cas se trouvent
au début des douleurs intenses, mais que d'ordinaire on n'éprouve aucun
trouble, aucune douleur. Mais la production des exostoses n'est pas tou-
jours due à des causes accidentelles et locales ; cela est démontré par
l'hérédité, plus spécialement constatée dans les cas d'exostoses multiples.
Ici, il s'agit d'une anomalie constitutionnelle. L'hérédité, néanmoins,
est reconnue comme la cause majeure, par Virchow, par Schmidt, Weber.
Sonnenchein, Marie, Povre, Gibney, Ischer, Schor, mais il y a des cas où
les exostoses peuvent ne pas être héréditaires.
Pic a tâché de mettre en évidence la conception que les irrégularités
du processus d'ossification, telles qu'elles se présentent, par exemple, dans le
rachitisme, peuvent éventuellement fournir l'occasion à la formation des
exostoses ; un tel exemple a été rapporté par Volkmann chez un enfant de
huit ans. Virchow, toutefois, a limité cette conception aux exostoses ; elles
ne dérivent pas des cartilages, pour lesquels plus spécialement on donne
grande importance aux processus inflammatoires chroniques, et aux trau-
matismes. On peut donner quelque importance à la syphilis, spécialement
à l'égard des exostoses du crâne.
On a encore avancé l'origine rhumatismale et l'influence de la grossesse.
Nous pouvons donc affirmer que, si tous les auteurs ont attaché une
(1) ZIEGLER, Anatomiapat., 1883.
(2) EULEMBURG, Dizionario enciclopedico, 1891.
EXOSTOSES OSTÉOGÉN1QUES DE DÉVELOPPEMENT 649
grande influence dans la production des tumeurs exostosiques à l'héré-
dité, ils ont aussi attribué une certaine importance à l'étiologie des exos-
toses, aux processus irritatifs chroniques représentés par les maladies
constitutionnelles ou générales de l'organisme ; on a considéré naturel-
lement parmi elles, la phtisie, qui, par elle-même, est aussi une mala-
die éminemment héréditaire.
Samuel Cooper, dès 1823 (1), avait montré l'importance que l'on devait
attribuer à la scrofule et il appelait exostose le spina ventosa commun
lui-même. Aujourd'hui ce n'est plus qu'une ostéo-tuberculose.
Soixante-dix ans après, Royer (2) a dit :
« En ces dernières années on a émis l'hypothèse que la phtisie est sus-
ceptible de déterminer la maladie exostosique. »
On peut à cela faire l'objection que la phtisie est si étendue, qu'il n'est
pas utile d'attacher beaucoup d'importance aux coïncidences, si frappantes
soient-elles. ' .
Lejars, de son côté, note, au contraire, que l'infection de Koch, soit
dans la maladie des exostoses, soit chez les ascendants et collatéraux, a
été observée si fréquemment qu'il est facile d'admettre qu'elle est autre
chose qu'une coïncidence fortuite.
Le malade qui fait l'objet de son étude est mort phtisique.
Dans les 5 cas cités par Brun, on trouve des antécédents tuberculeux.
Dans tous les 30 cas de Pommeau on a relevé des antécédents tuber-
culeux, tant chez les malades que chez leurs ascendants. Dans le cas de
Marro, au contraire, tout moment étiologique a échappé. Launois et Roy,
finalement, émettent comme dernière conclusion de leur mémoire cette
assertion : « Pour la variété spéciale des exostoses avec évolution sup-
purative, la tendance actuelle est d'incriminer la phtisie. »
Je fais observer, néanmoins, que, d'après les précédents auteurs, cette
tendance s'étend aussi aux cas d'exostoses qui ont une évolution non sup-
purative. Maintenant, de l'étude des trois familles que j'ai observées, il
résulte que la présence de la phtisie est assurée dans la troisième, est
incertaine dans la première, dans laquelle, toutefois, nous trouvons chez
l'aïeule maternelle des sujets exostosiques décédée, comme nous avons
dit, par une maladie qui se traînait en longueur avec de la toux et avec
des expectorations abondantes et une tante maternelle décédée par une
forme morbide, dans laquelle la gonarthrite initiale, attribuée à un trau-
ma, donna un prétexte à la constitution de trajets fistuleux non seulement
au genou affecté,mais aussi à la hanche correspondante ; le père a souffert
de pneumonie bilatérale à long cours.
(1) Goc. cit.
(2) Etudes sur les exostoses de croissances (1893).
650 SIMONINI
Dans la seconde famille, il semble d'abord,que l'on puisse exclure l'in-
fluence de la phtisie, -mais il faut se souvenir, que le premier exostosi-
que, c'est-à-dire le petit Antoine, a souffert durant sa jeunesse de pneumo-
nies récurrentes, lesquelles, précisément en raison de leur caractère
spécial, paraissent d'une nature assez suspecte.
En aucune des trois familles étudiées, on n'a trouvé trace d'alcoolisme,
ni de syphilis.
Il me semble donc, qu'en aucune d'elles on ne peut, à priori, exclure
l'influence de la phtisie sur la pathogénie de la maladie exostosique.
- Je crois donc pouvoir conclure mon modeste travail de cette manière :
En l'état actuel de nos connaissances sur l'étiologie de la maladie exos-
tosique, spécialement dans les cas d'exostoses multiples, en dehors du facteur
héréditaire, sur la valeur duquel on ne peut discuter, agissent d'autres fac-
teurs dont l'intime essence nous échappe encore. Il y a probablement lieu de
tenir pour notable l'influence de la phtisie, aussi bien chez le malade que chez
ses ascendants ou collatéraux ; la cause réelle de l'affection semble devoir
être considérée comme un processus chronique irritatif, apte à constituer
un stimulus suffisant pour troubler le procède normal d'ossification (1).
(1) J'ai l'agréable devoir de remercier M. le professeur Rocme 'l'AM8RoNI,Directeilr de
l'hôpital des aliénés provinciaux de Ferrara, pour la courtoisie avec laquelle il m'a
prodigué ses conseils, et a mis à ma disposition la précieuse bibliothèque annexée
à l'Institut dont il a la direction.
CLINIQUE PSYCHIATRIQUE DE GENÈVE
PSEUDO-TUMEUR CÉRÉBRALE PAR EMPYÈME
VENTRICULATRE (1),
PAR
J. MOCQUIN.
Le 30 avril 1903 on procédait à Bel-Air à l'autopsie du nommé César
L... Dès l'ouverture du crâne, les signes d'une pression exagérée apparu-
rent si évidents qué l'on se mit immédiatement à la recherche de la tu-
meur : l'on n'en trouva point.
Ce fait est peu banal, mais il n'est cependant pas nouveau. Il existe
déjà sur le syndrome pseudo-tumeur une littérature assez vaste. Sans pré-
tendre être complet, nous citerons les travaux de Quincke et de Schultze.
En novembre 1904 le Dr Nonne a publié 18 cas de ce genre. Ils ont été en
partie autopsiés avec un résultat absolument négatif.
K. Pichler a pratiqué l'examen anatomique d'un cas de diabète insi-
pide ; il trouva une épendymite diffuse du plancher du 4e ventricule.
Plus en avant l'aqueduc de Sylvius était obstrué par des masses' gélati-
neuses. Il en était résulté une dilatation ventriculaire avec tous les signes
d'une pression exagérée. C'est sans doute de cette observation que la nôtre
se rapproche le plus.
César L...., 32 ans, serrurier, entré le 27 mars 1903,décédé le 29 avril 1903.
Père alcoolique mort à 54 ans ; mère vivante, bien portante, a eu 5 enfants
dont 2 sont morts, l'un de péritonite et l'autre poitrinaire.
L.... a toujours été très nerveux : il a eu une pleurésie dans son enfance.
Marié pour la seconde fois depuis 1897, il a de ce second mariage un enfant.
Sa première femme cardiaque, est décédée en accouchant d'un enfant qui a
vécu 8 mois. Il est bon travailleur, mais il s'alcoolise aussi régulièrement.
Depuis des années il boit chaque jour son absinthe et a depuis quelques mois
des crampes dans les jambes, des aigreurs le matin et de l'insomnie. Il y a
15 jours, il était très faible, avait des douleurs dans les jambes et les reins et
de violents maux de tête. Depuis 2 jours il divague, a vu des rats, des souris,
(1) Je tiens à remercier le professeur Weber dont l'obligeance n'a procuré les élé-
ments de ce travail que son aide m'a permis de mener à bien.
652 ' MOCQUIN
des chats, des gens qu'il a connus dans sa jeunesse et qui ne vivent plus. Il
se croyait à l'ouvrage, sifflait et chantait joyeusement.
Le matin, lorsqu'on l'examine, le malade se croit à l'hôpital depuis le com-
mencement de la semaine pour la grippe. Son fils a 16 ans et lui-même en a
19, non 32. Le langage est empâté. Tremblement de la langue et des mains.
Réflexes patellaires très faibles. Réflexes pupillaires conservés. L'urine con-
tient de légères traces de sucre et d'albumine.
Pendant 4 jours le malade somnolent, parle souvent d'une voix empâtée.
Les réflexes patellaires deviennent plus vifs.
Le 1er avril L.... est un peu agité,la température monte à 39; symtômes de
pleuro-pneumonie à droite. Le surlendemain la température est encore à 39 ;
on constate une légère submatité en dessous de l'omoplate droite, de l'étendue
d'une main; la respiration est moins forte à ce niveau, on entend de légers
frottements et des râles fins et humides. Pendant une semaine la température
reste aux environs de 38, le malade semble aller mieux, puis il retombe dans
sa somnolence et se plaint de maux de tête atroces. La réaction pupillaire
à la lumière est minime. La respiration prend le type de Cheyne-Stokes. Au
bout de 2 jours L.... recommence à délirer, ne reconnaît plus sa femme. Il se
plaint de voir double. Le pouls est régulier, accéléré, petit. La température
devient normale, mais L.... continue à être somnolent, à parler à des person-
nages absents. L'urine contient du sucre et de l'albumine, présente un dépôt
énorme de phosphates.
Cet état dure 14 jours, puis le malade ne parle plus, ne réagit plus à son
nom. La pupille gauche est plus large que la droite. Le pouls est petit et fré-
quent. L..... vomit ce qu'on essaie de lui donner. Exitus le 29, un peu avant
minuit.
Autopsie 15 heures plus tard. Hyperémie veineuse de tous les organes.
Pas d'adhérences pleurales, Poumons fortement injectés de sang veineux,
mais toutes leurs parties flottent sur l'eau. Le coeur un peu gras ne présente
qu'un léger épaississement de la mitrale et l'aorte ascendante un peu d'athé-
rome. Reins fortement hyperémiés ; les deux substances se distinguent mal,
mais'la zone corticale n'est nullement atrophiée. Surrénales normales. Foie
gros et un peu gras. Rate grosse, mais le tissu en est ferme.
Crâne mince ; dura tendue et fortement injectée ; face interne lisse. Le sinus
long, contient du sang liquide. Les sinus de la base ne sont pas thromboses.
Pie-mère mince et peu injectée.Les artères de la base non sclérosées, paraissent
vides de sang, alors que les veines en sont gorgées. Circonvolutions aplaties.
La pie-mère est épaissie et adhérente dans la région du chiasma et de l'in-
fundibulum. Celui-ci apparaît proéminent et très mince. Le 4« ventricule est
fermé par des adhérences méningées et en cet endoit la pie-mère est infiltrée de
sang.
A la coupe on reconnaît que les ventricules sont très fortement tendus et
dilatés ; il s'en échappe du liquide jaunâtre ; on voit ensuite que l'épendyme
est recouvert de pus jaune-verdâtre, épais ; il donne l'impression de velours.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. PI. LXXV
PSEUDO TUMEUR CÉRÉBRALE PAR EMPYÈME VENTRICULAIRE
(.\1u(quiu.)
A. Aspect de la région infiltrée à un grossissement plus fort. Les divers fovers sont reliés par
une infiltration généralisée. Destruction de l'épendyme. Espaces périvasculaires dilatés. 60/1.
B. Région occipitale. Extrémité du ventricule. Foyers sous-épendymaires. Lésion de l'épendyme
à gauche. Pus intraventriculaire. 20/1.
C. Région occipitale. Gros bouchon de pus intrav·cntriculaire. Conservation de l'épendyme. 20/1.
PSEUDO-TUMEUR CÉRÉBRALE PAR EMPYÈME VENTRICULAIRE 653
La corne ventriculaire postérieure contient une grande quantité de pus dont
la présence s'explique tout naturellement par la position du cadavre.
Examen microscopique. Ce qui frappe immédiatement à l'examen des cou-
pes, c'est la présence sous l'épendyme de petits foyers d'infiltration, indépen-
dants les uns des autres au faible grossissement (PI. LXXV b et c). Chaque
foyer a pour centre un vaisseau et l'on en peut distinguer plusieurs types :
a) La paroi et la lumière du vaisseau sont nettes ; l'infiltration est stricte-
ment périvasculaire.
b) Lorsque l'infiltration augmente elle paraît complètement dissocier la paroi
du vaisseau. On voit au milieu des cellules blanches des éléments de la paroi,
sous forme de filaments.
c) Enfin toute trace de la paroi a disparu : on trouve au centre des amas
d'infiltration quelques globules rouges, un mélange de thrombose et d'infiltra-
tion.
On remarque souvent autour de ces vaisseaux infiltrés un espace périvascu-
laire dilaté. A un grossissement plus fort on constate que les foyers que nous
venons de décrire sont reliés par une zone infiltrée (PI. LXXV a). Les cellules
épendymaires sont conservées en majeure partie et recouvertes d'une couche de
détritus protoplasmatiques contenant des microbes divers. L'épendyme forme
une couche d'un millimètre et demi d'épaisseur, formée de filaments de toutes
longueurs se groupant en quelques points en faisceaux remarquables (fig. 1).
Notre ligure 1 ne rend que de façon bien schématique ces tourbillons de fibres
très fines et élégamment groupées. Elles sont sans doute de nature névroglique
et analogues à ce qu'ont décrit Chaslin, Perusini, etc. ·
Entre ces filaments il y a des cellules d'infiltration, lymphocytes, grands
mononucléaires, mais pas ou très peu de polynucléaires. Les vaisseaux infiltrés
sont en-dessous de cette zone; en quelques points on trouve dans celle-ci des
amas bacillaires ne gardant ni le Ziehl ni le Gram, identiques à ceux que con-
tiennent les cavités ventriculaires.
Cette infiltration périvasculaire sous-épendymaire n'épargne absolument
xvui 43
Fig. 1. Tourbillons névrogliques sous-épendymaires.
654 MOCQUIN
aucun point de la surface ventriculaire, avec quelques différences d'intensité
que nous allons étudier maintenant.
Ventricules latéraux et 3e ventricule. Au niveau du pôle frontal les cel-
lules épendymaires ont disparu en quelques points ; la couche superficielle se
compose de cellules rondes et de détritus, formant un véritable abcès s'ouvrant
dans la cavité ventriculaire (PI.LXXV a). En d'autres endroits l'épendyme pré-
sente des saillies dont certaines sont coiffées d'un bloc de cellules blanches.C'est
ici que nous avons rencontré le pus de paquets névrogliques spiralés (fig. 2).
Au pôle occipital le revêtement épendymaire n'est pas partout conservé non
plus ; la cavité ventriculaire est remplie de plus qui pénètre dans l'épendyme
et en efface complètement les limites (Pl. LXXV b et c).
Les plexus choroïdes ne présentent que peu de réaction inflammatoire et à leur
niveau les vaisseaux sous-épendymaires apparaissent indemnes (fig. 3). En cer-
tains points des amas de pus se sont déposés à la surface des plexus sans que
ceux-ci se montrent particulièrement infiltrés dans leur intérieur (fig. 3 et 4).
4e ventricule. Plancher infiltré de la même façon ; plafond recouvert
d'un enduit purulent (fig. 5) de quelques millimètres d'épaisseur. Séparés de
ce pus par une couche de tissu très infiltrée on voit tous les vaisseaux entou-
rés d'une zone d'infiltration analogue à celle décrite plus haut. Les plexus cho-
roïdes sont à ce niveau recouverts par places d'une couche épaisse de pus,
mais eux-mêmes ne participent pas ou peu seulement à l'infection (fig. 5).
L'aqueduc de Sylvius est complètement obstrué par un bouchon de pus
(fig. 6). Après la nécrops on a essayé sa perméabilité à l'aide d'une corde à
Fig. 2. Coupe de la région frontale. Foyers d'infiltration périventriculaires. Dila-
tation des ventricules.
PSEUDO-TUMEUR CÉRÉBRALE PAR EMPYÈME VENTRICULAIRE 655
violon ; les coupes montrent que l'on a fait fausse route et passé à côté de l'a-
queduc fermé (fig. 6).
Méninge. La pie-mère de la face antérieure du bulbe et de la protubé-
rance,épaissie, adhérente à la dure- mère, est le siège d'une grosse infiltration
formant une gaine complète. On a ici l'impression de la continuité du proces-
sus méningé et du processus épendymaire.
La méninge cérébelleuse au niveau du 4e ventricule se présente sous la
forme d'un véritable enduit purulent ; cette infection va en diminuant vers le
Fig. 3. Coupe de la région du noyau rouge. Infiltration péri ventriculaire. Infiltra-
tion de la pie-mère pontine et interpédonculaire. Dilatation très petite du 3e ven-
tricule. Destruction partielle et déviation à droite du trigone.
Fig. 4.- Coupe occipitale. Le ventricule complètement obstrué par du pus. Méninge
infiltrée de la fissure calcarine.
656 MOCQUIN
bords et à la partie supérieure du cervelet on ne rencontre que quelques points
infiltrés. Nulle part l'infiltration ne pénètre profondément entre les lobules.
Quant à la méninge cérébrale, elle peut-être considérée comme intacte sauf
en quelques très rares endroits où l'on voit un vaisseau être entouré d'un
manchon leucocytaire, pas très accentué d'ailleurs. Au niveau de la corne oc-
cipitale, dans le fond de la calcarine par exemple il ya quelques points infil-
trés (fig. 4).
Substance blanche. Dans tout le pourtour des ventricules les fibres ner-
veuses sont séparées par de petites vacuoles, rondes lorsque la coupe est per-
pendiculaire au faisceau, allongées lorsqu'elle est parallèle. Ces vacuoles n'ont
ni contenu ni membrane décelables. Leur nombre eh certains points est tel que
le tissu prend le type « adipeux ». La région vacuolée atteint une profondeur
de 6-10 milimètres. Son intensité est en général proportionnelle à celle de l'in-
filtration périvasculaire décrite plus haut.
Fig. 5. Infiltration de la méninge périmédullaire. Passage à l'infiltration du plan-
cher du 4' ventricule. Infiltration de la méninge entre les lobules du cervelet. Pus
au plafond du ventricule (P).
Fig. 6. Obstruction de l'aqueduc de Sylvius (A. S) par un bouchon de pus. L'ac-
queduc est entouré de foyers d'infiltration.
PSEUDO-TUMEUR CÉRÉBRALE PAR EMPYÈME VENTRICULAIRE 657
Dans les faisceaux ainsi raréfiés les fibres elles-mêmes apparaissent non plus
sous la forme d'un trait mince et régulier, mais d'un véritable chapelet de
grains irrégulièrement colorés et d'inégale grosseur. Sur coupe transversale on
voit un mince filet gris cerclant un zone légèrement teintée en gris.
Substance grise. La substance grise corticale nous est apparue normale.
Cependant par suite du durcissement au Muller il nous a été impossible de re-
chercher par exemple des altérations de la substance chromatique.
Par contre dans la protubérance il y a des phénomènes de compression mar-
qués même dans les masses grises et le noyau de la 30 paire par exemple est
criblé de vacuoles. Cela pourrait expliquer la diplopie constatée chez le ma-
lade.
Cervelet. Nous y rencontrons une série d'altérations similaires mais plus
accentuées encore. La couche des grains est entourée de vacuoles très volume- z
neuses, dans lesquelles on trouve souvent une cellule blanche d'infiltration,
grand mononucléaire ou lymphocyte.
La substance blanche elle aussi est semée de vacuoles et en certains points
les fibres ne se colorent presque plus au Weigert. En ces endroits on remar-
que un état variqueux des fibres d'une intensité incroyable et la présence de
détritus.
Dans la partie centrale, qui recouvre le 4e ventricule on rencontre à 1/2
centimètre de profondeur, en plein tissu des hémorragies de 1/2 milimètre
de diamètre à peu près, et par conséquent visibles à l'oeil nu. Au microscope
elles sont composées par un amas de globules rouges à peine déformés ; pas de
cellules blanches. Au centre de certaines de ces hémorragies on trouve des res-
tes de parois vasculaires. Il s'agit donc de ruptures ayant précédé de peu la
mort.
Dans tout le cervelet et sa méninge les vaisseaux sont gorgés de sang ; quel-
ques-uns prennent une coloration rouge spéciale et paraissent thrombosés.
La moelle allongée. Est plus grosse qu'à l'état normal. Toutes les colo-
rations réussissent mal. Il s'agit là sans doute d'oedème.
Vaisseaux. Nous constatons un épaississemeut notable de leurs parois,
épaississement qui ne porte toutefois guère que sur l'adventice infiltrée. Là où
la méninge est indemne, les vaisseaux le sont aussi. Les veines de Galien ne
sont pas thrombosées.
Les ventricules sont fortement dilatés (5 : 3) ; cela est surtout évident dans
les régions frontale et temporale. Le 30 ventricule est également bien dilaté et
altéré dans sa forme, aplati et évasé.
L... était un alcoolique avéré; il était affecté de gastrite et même déjà de
symptômes polynévritiques. On nous l'amène'en état de delirium tremens
mais dès le commencement nous sommes frappé de la gravité de certains
phénomènes : nous pensons ici surtout à l'altération du sentiment de la
personnalité, à la somnolence, à l'embarras exagéré du langage. Cepen-
658 MOCQUIN
dant l'apparition de fièvre, de symptômes pleuro-pneumoniques paraît
tout expliquer. Survient une rémission qui dure jusque vers la fin de la
deuxième semaine du séjour de L ? à l'asile, puis les phénomènes céré-
braux redeviennent prédominants : somnolence, maux de tête, diminution
des réflexes lumineux, diplopie. Enfin à la période ultime : état comateux,
différence pupillaire, vomissements.
Nous avouons que l'autopsie seule nous a permis de faire un diagnos-
tic. Nous pensons que la rareté extrême de pareils cas nous justifie am-
plement. -
z En effet sauf l'observation de Pichler nous n'avons rien trouvé de pa-
reil au cours de nos recherches. Schultze (p. 236) relate un cas de Morton
Prince où les ventricules étaient dilatés, l'épendyme pâle, tuméfié, ayant
l'aspect de velours ; mais sa description est bien incomplète.
Cependant nous devons reconnaître que la ponction eût pu nous donner
des renseignements utiles. L'état psychique de L.... rendit impossible
l'examen ophtalmoscopique.
L'autopsie de L... ne nous a pas révélé le point de départ de la maladie
infectieuse dont il fut atteint. L... était déjà somnolent à son arrivée ici,
soit avant l'apparition des symptômes pleuro-pneumoniques; il ne nous
parait donc pas plausible d'admettre que les poumons aient été infectés
en premier lieu.
Par contre, à en juger par l'intensité des altérations du tissu, nous
croyons pouvoir affirmer qu'au cerveau la méningite débuta dans la ré-
gion pontine. Cette infection de nature particulière, ne pénétrant pas
profondément dans les tissus, se propageant dans les méninges, pénétra
dans le 4* ventricule et, à la façon d'un érysipèle, envahit la zone sous-
épendymaire.
Il faut croire que le tentorium cerebelli l'arrêta dans sa marche à l'ex-
térieur. Cela nous semble d'autant plus plausible qu'en raison de l'oedème,
de la stase circulatoire et lymphatique, le tentorium a dû être très tendu
tandis que les bords de son ouverture enserraient hermétiquement
l'isthme.
Faut-il attribuer à cet état pathologique du plancher du 4e ventricule
la présence de sucre dans l'urine de L.... ? Certes cette hypothèse n'est pas
impossible, mais elle est cherchée bien loin : nous trouvons fréquemment
de l'albumine et du sucre en petites quantités chez nosalcooliques.
L'inflammation s'est donc propagée en avant par l'aqueduc de Sylvius ;
il est assez probable qu'elle s'est établie ensuite de façon plus intense
dans le ventricule latéral gauche que dans le droit. C'est ainsi que nous
nous expliquons la déviation à droite du septum lucidum et du trigone
(fig. 2 et 3).
PSEUDO-TUMEUR CÉRÉBRALE PAR EMPYÈME VENTRICULAIRE 659
Sur ces entrefaites, en raison de la pesanteur et du courant allant du
cerveau au sac médullaire, l'aqueduc commença à s'obstruer de masses
purulentes et dès ce moment les phénomènes de pression cérébrale jouè-
rent un rôle prédominant. C'est à cette pression que sont attribuables la
dilatation ventriculaire et l'état vacuolé de l'entourage des ventricules.
Cet état vacuolé n'a pas trouvé le temps de se généraliser jusqu'à la péri-
phérie, la mort étant survenue trop tôt.
Lorsque le cours d'un fleuve est barré, c'est près de l'obstacle qu'en
premier lieu il déborde. Dans notre observation c'est sans doute le
3e ventricule qui d'abord s'est arrondi pour augmenter son contenu.
Si nous nous servons de cette comparaison, c'est que nous sommes bien,
d'avis que la circulation lymphatique cérébro-rachidienne ne se fait pas
dans un tube rigide et fermé. La pression hydraulique intense et généra-
lisée, avec toutes ses conséquences funestes, apparaît une fois que, par la
dilatation des ventricules, le cerveau et les méninges arrivés à un maximum
de tassement deviennent des masses pour ainsi dire incompressibles.
C'est alors que surviennent, par zones et peut-être d'après une certaine
sélection (voir Weber et Papadaki) l'atrophie et la destruction de tissu
cérébral, constituant en quelque sorte une dernière défense contre la pres-
sion croissante.
Quant aux foyers périvasculaires observés sur tout le pourtour des
ventricules ils sont dus, croyons-nous à l'action simultanée de l'inflamma-
tion et de la stase sanguine. Nous n'avons pas, il est vrai, constaté de
thrombose de la veine de Galien ; mais il est très plausible que la circula-
tion aura été gênée tout au moins dans le sinus droit et les veines de
Galien par suite de la forte pression exercée des deux côtés sur la tente du
cervelet. Les hémorragies de la partie centrale du cervelet appuient
également cette hypothèse.
Enfin il est encore probable que la pression intraventriculaire aura mis
obstacle au développement d'une méningite cérébrale externe. Il y a là
peut-être une certaine analogie avec le traitement des inflammations par
la stase veineuse de Bier.
Il résulte de la comparaison de nos coupes avec celles de tumeurs céré-
brales que la pression à elle seule ne conduit pas à un état moniliforme
aussi prononcé des fibres nerveuses ; nous pensons donc que l'inflamma-
tion a largement contribué à le produire ; cela nous explique immédiate-
ment sa localisation au cervelet et à proximité des foyers infiltrés.
Relevons encore une fois la nature spéciale de ce processus infectieux : il
ne pénètre presque pas dans la profondeur ; il dépasse à peine la corne occi-
pitale où pourtant il y a un fort amas de pus. Enfin la présence des plexus
appliqués sur les thalamus optiques suffit à protéger ceux-ci (fig. 3).
660 MOCQUIN
Les plexus, même lorsqu'ils sont entourés de pus sont fort peu infil-
trés. Il nous paraît en ressortir que, dans ce cas, leur fonction n'a pas
été de résorber et d'éliminer.
C'est par le moyen de l'obstruction de l'aqueduc de Sylvius qu'a pu
naître chez L... une pression intracrànienne exagérée, produisant des phé-
nomènes en tout analogues à ceux d'une tumeur.
C'est par la stase du liquide céphalo-rachidien et non pas du sang que
cette pression exagérée se transmet partout.
- Bibliographie.
QuixcKE, Sammlung klin. Vortraege, iio 61, 1893.
Verhandlungen des Congresses sur interne Medizin, 1891, 1893.
Schultze, Die Kranlceilen der Ilirnhaeule und die Hydrocéphalie (dans Nothnagels Spez.
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PEIIUSINI, Ueber einen Fait von Sclerosis tuberosa hyperlrophica. Monatsschrift sur Psy-
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fiHASLIN,CO)ili'ibnlt07t à l'élude de la sclérose cérébrale. Archives de médecine expérimen-
tale, 1891.
WEBER ET Papadaki, De quelques altérations du tissu cérébral dues à la présence de
tumeurs. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1905.2.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. PI. LXXVI
OPHTALMOPLÉGIE CONGÉNITALE ET HÉRÉDITAIRE
(Chaillous et Pllgl11ez).
SOCIÉTÉ DE NEUROLOGIE DE PARIS
OPHTALMOPLÉGIE EXTERNE BILATÉRALE
CONGÉNITALE ET HÉRÉDITAIRE (I)
PAR
J. CHAILLOUS et P. PAGNIEZ.
Le tableau clinique de l'ophtalmoplégie congénitale est aujourd'hui
bien fixé par des observations relativement nombreuses. L'origine héré-
ditaire possible de cette affection s'affirme seulement par quelques obser-
vations qui sont encore assez rares pour justifier la publication de l'his-
toire clinique d'une famille que nous avons pu étudier à la consultation
de notre maître, M. le Dr Thibierge. Cette famille se compose de sept
membres dont cinq sont atteints d'ophtalmoplégie, à savoir : la mère, trois
de ses enfants et l'enfant d'un de ces derniers (Pl. LXXVI).
Ons I. La mère, Mme F..., âgée aujourd'hui de 50 ans, n'a eu aucune
maladie au cours de sa vie, a mené à bien sept grossesses, sans fausse couche
intercurrente ; elle a été mariée à un homme de santé assez chancelante qui
paraît être mort d'une tuberculose pulmonaire à évolution lente, ayant duré
pendant plusieurs années. Il n'était point grand buveur et ne paraît pas avoir
eu de manifestations syphilitiques quelconques, quoiqu'il ait servi pendant
plusieurs années en Afrique.
La mère de la malade vit encore, elle a toujours joui d'une bonne santé et
n'était atteinte d'aucune malformation ; son père est mort à un âge avancé
et on ne relève non plus chez lui aucun antécédent intéressant. Rien non plus
dans les collatéraux.
Cette femme est atteinte d'ophtalmoplégie depuis sa naissance. Elle a
un facies et une attitude absolument particuliers. L'oeil droit complète-
ment fermé, l'oeil gauche peine entr'ouvert et découvrant un globe ocu-
laire immobilisé dans l'angle externe, elle doit pour regarder avec le seul
oeil gauche imprimer à la tête des mouvements de renversement et de torsion
qui lui donnent un aspect assez bizarre. Outre ce ptosis bilatéral, et sans insis-
ter maintenant sur l'examen des yeux qu'on trouvera plus loin, elle présente
(1) Communication à la Société de Neurologie,séance du 4 avril 1905.
662 CHAILLOUS ET PAGNIEZ
une exagération en accent circonflexe des deux sourcils et une immobilité à peu
près totale du front qui plissé horizontalement dans ses parties latérales, est
lisse à la région médiane. Les mouvements de froncement et d'élévation des
sourcils sont à peu près complètement impossibles. Du côté des autres mus-
'cles de la face la mobilité est parfaitement conservée et les différents actes de
souffler, rire, faire la moue, etc... s'exécutent normalement. Le crâne est dé-
formé dans sa partie antérieure et supérieure qui est légèrement aplatie dans
le sens transversal ; cette déformation jointe au ptosis, à la position anor-
male de la tête, contribue à lui donner une allure toute spéciale qui évoque
involontairement l'image d'une tête d'oiseau.
'L'examen de cette malade ne donne d'autre part que des renseignements
négatifs : la musculature est normale, la force musculaire moyenne; les ré-
flexes tendineux sont partout (membres supérieurs et inférieurs) un peu exa-
gérés ; il n'y a pas de trouble de la démarche, ni de l'équilibre. Du côté des
autres organes des sens, rien à relever.
Le développement intellectuel est faible, la malade ne sait ni lire, ni écrire ;
caractère irritable. -
Examen des yeux. - Des deux côtés le ptosis est complet ; à gauche il
est cependant un peu moins marqué qu'à droite puisque le bord inférieur de
la paupière supérieure ne descend que jusqu'au bord inférieur de la pupille..
Quand on soulève les deux paupières, on aperçoit les deux globes en strabisme
divergent très marqué, animés d'un nystagmus horizontal à oscillations très
rapides. L'oeil gauche dans le sens horizontal a une mobilité d'environ 10 de-
grés en dehors et en dedans. On ne peut provoquer ni élévation, ni abaisse-
ment. A droite le globe est complètement immobilisé dans l'angle externe. Les
pupilles sont égales ; elles ont leur réaction normale à la lumière. Il existe un
trouble de la cornée, trouble diffus surtout marqué à la périphérie de la mem-
brane. Il est probable que cette lésion est consécutive à une kératite ancienne
sur laquelle on ne peut avoir aucun renseignement. Les opacités de la cornée
et l'indocilité de la malade rendent impossible un examen satisfaisant du fond
de l'oeil. Cependant il n'existe certainement pas de grosse lésion, soit au niveau
de la papille, soit dans les portions avoisinantes du champ ophtalmoscopique.
La malade ne sait pas lire ; elle compte les doigts à environ un mètre. (La
malade complètement indifférente au trouble de la vision, et irritée par un
examen qu'elle juge inutile a refusé l'essai de verres correcteurs.)
Mme F... a eu sept enfants, tous du même père, dont l'aînée était une fille
normalement conformée, morte à trois mois de méningite. Le second enfantest
une fille, actuellement âgée de 21 ans, que nous n'avons pu voir, mais qui, au
dire de sa mère et de sa soeur, est atteinte d'ophtalmoplégie externe absolu-
ment identique à celle de sa soeur ; elle présenterait de plus des troubles de la
parole qui paraissent ressortir au bégaiement. Le troisième enfant, fille de
20 ans, a les yeux normalement conformés. Le quatrième est la malade de l'ob-
servation II. Le cinquième mort à deux mois d'une coqueluche n'avait point
de malformations. Le sixième est le malade de l'observation III. Le septième
OPHTALMOPLÉGIE EXTERNE BILATÉRALE CONGÉNITALE ET HÉRÉDITAIRE 663
enfin est une fille de 11 ans que nous avons vue et qui ne présente rien d'anor-
mal du côté des yeux et dont le développement est régulier.
OBs. II. - F. Augustine, 18 ans. Née à terme. Pas de maladie dans l'en-
fance. La croissance s'est arrêtée vers 13 ans, les règles ont apparu à 14 ans.
A 15 ans grossesse qui évolue sans incidents, suivie d'un accouchement à
terme, d'une fille qui fait le sujet de l'observation IV. La malade donne dès
l'abord l'impression d'une dégénérée et même d'une infantile : outre sa mal-
formation oculaire, elle se signale par une taille très petite (1 m. 55), un faciès
de débile, une intelligence rudimentaire. Cependant elle a été à l'école, sait
lire, écrire et un peu compter. Lorsqu'on l'examine on découvre que sa taille
très petite dépend d'un défaut de développement général, et aussi d'une défor-
mation vertébrale à siège dorso-lombaire à convexité postérieure, portant sur
quatre ou cinq vertèbres. Cette cyphose attribuée à un vague traumatisme de
l'enfance, paraît, en raison de son siège, de l'époque de son apparition, de sa
forme même, constituer le reliquat d'un mal de Pott. La colonne vertébrale
est ankylosée à ce niveau et on n'y réveille pas de douleur par la percussion.
Dans la station debout les cuisses sont un peu fléchies sur le bassin et les
genoux légèrement fléchis. Ces attitudes vicieuses sont la conséquence de l'an-
kylose vertébrale et aussi du renversement en arrière de la tête et du tronc
provoqué par le ptosis.
Il n'existe ni du côté des oreilles, ni du côté des dents, ni du côté de la voûte
palatine aucune malformation. La musculature est par rapport à la taille nor-
male ; les réflexes tendineux ne sont pas exagérés. Le corps thyroïde n'est ni
augmenté, ni diminué de volume.
Du côté de la face on ne relève pas de paralysie ou d'atrophie ; le frontal ce-
pendant exécute des mouvements très limités. Le crâne est légèrement aplati
dans le sens transversal comme celui de la malade de l'observation I mais à
un degré sensiblement moindre.
Examen des yeux. L'ophtalmoplégie existe depuis la naissance et ne
s'est pas modifiée depuis. Le ptosis existe des deux côtés, moins marqué que
chez la mère puisque le bord inférieur des deux paupières supérieures atteint le
bord supérieur de l'orifice pupillaire. L'élévation de la paupière ne peut être
augmentée par les efforts de la malade. Si on soulève les deux paupières on
voit les deux yeux en divergence. Mesurée au périmètre cette divergence at-
teint environ 50° à gauche et Õ5° à droite. On peut provoquer un mouvement t
d'adduction dans chaque oeil isolément sur un parcours de 25 à 30 degrés. Les
mouvements d'élévation, et d'abaissement sont absolument impossibles. Les
deux yeux sont animés d'un nystagmus horizontal à petites oscillations, courtes
mais rapides. Pas de lésions de la cornée. Les pupilles sont égales ; elles ont
leurs réflexes normaux. L'acuité est également normale (OD, 0G : V = 5/7).
L'accommodation est normale, on ne constate aucune lésion du fond de l'oeil.
OBS. III. F. Alphonse,14 ans. Né à terme. Aucune maladie dans l'enfance.
Garçon assez vigoureux, normalement développé, d'intelligence moyenne.
664 CHAILLOUS ET PAGNIEZ
L'examen est resté négatif tant au point de vue des malformations autres que
la lésion oculaire, qu'au point de vue de stigmates des syphilis. Nous n'insis-
terons donc pas sur les phases de cet examen et nous aborderons immédia-
tement la description de l'ophtalmoplégie.
Examen des yeux. - O.G. Le bord inférieur de la paupière supérieure
dépasse un peu le bord supérieur de la pupille. O.D. Il n'atteint que le bord
inférieur de la pupille. Les deux yeux sont en divergence très marquée,
surtout à droite, et animés par un nystagmus horizontal et rotatoire à oscil-
lations moins fréquentes que chez la mère. A droite et à gauche les mou-
vements d'élévation sont complètement supprimés. Il persiste au contraire
dans le sens horizontal des mouvements d'environ 20 degrés en dedans et
en dehors. Les deux cornées présentent des taies ressemblant beaucoup aux
lésions constatées chez la mère. Les deux pupilles sont égales et réagissent
normalement. Pas de lésions du fond de l'oeil. Les lésions de la cornée ont
produit un astigmatisme très irrégulier, d'où réduction de l'acuité visuelle à
moins de 1/5.
OBS. IV. F. Rosette, 20 mois. Née à terme. Pas de maladies infantiles.
Est amenée à la consultation de M. Thibierge à l'hôpital Broca pour une vul-
vite très accentuée. Enfant bien développée, pas de signes de rachitisme, pas
de stigmates de syphilis héréditaire. Systèmes musculaires et osseux normaux.
Rien de spécial du côté du système nerveux. Cette enfant marche étant sou-
tenue ; elle commence à parler et ne prononce encore que quelques mots.
Quelques jours après son entrée à l'hôpital Broca se développe une roséole
syphilitique très nette. Le point de départ de cette syphilis acquise est un
accident à localisation vulvaire sur l'origine duquel la mère fournit des expli-
cations embarrassées : usage d'une éponge ayant servi à une parente de vie très
irrégulière. En réalité, de quelques confidences échappées à la mère dans des
conversations avec la surveillante du service, il semble résulter qu'il y ait lieu
d'incriminer une contamination buccale d'origine masculine au cours de
manoeuvres inavouables.
Quoi qu'il en soit nous retiendrons seulement l'apparition de la syphilis chez
cette enfant qui démontre l'état de réceptivité du terrain, l'absence par consé-
quent d'une immunité transmise et dès lors le peu de vraisemblance d'une
origine syphilitique de l'ophtalmoplégie.
Examen des yeux. 0. D. La paupière supérieure cache la moitié de l'iris.
0. G. le ptosis est moins marqué et la paupière descend seulement un peu'
au-dessous du limbe. L'oeil droit est en divergence de 20 à 25 degrés ; il peut
converger de 15 à 20 degrés. L'oeil gauche est en divergence de 50 degrés ; il
ne semble pas avoir de mouvements de convergence. Les deux yeux présen-
tent également du nystagmus horizontal. On ne peut provoquer ni élévation,
ni abaissement. Les pupilles sont égales et réagissent normalement.
Au résumé, nous nous trouvons en présence d'une famille frappée à
trois générations d'ophtalmoplégie externe. Outre l'intérêt de ce cas d'hé-
OPHTALMOPLÉGIE EXTERNE BILATÉRALE CONGÉNITALE ET HÉRÉDITAIRE 665
redite similairetératoloâique, notre observation met en lumière plusieurs
points curieux.
C'est d'abord la coexistence avec cette malformation oculaire de quel-
ques signes de dégénérescence (en prenant ce mot dans le sens large qu'on
lui donne habituellement) apparaissant ici et là chez quelques membres
de cette famille : existence de bégaiement chez un des enfants, arrêt de
développement chez un autre, caractère rudimentaire de l'intelligence
chez plusieurs, caractère complètement amoral d'AugustineF. Cet ensem-
ble de stigmates dystrophiques éveille l'idée du rôle étiologique probable
joué par un facteur toxique ou infectieux chez l'un des générateurs et
cependant l'enquête que nous avons poursuivie ne nous a rien révélé,
à ce point de vue tant par l'anamnèse que par l'examen même des sujets.
Pour ce qui est de la syphilis en particulier qu'on est souvent tenté
d'incriminer en semblable cas, nous avons signalé l'absence de tout signe
positif relevable dans les antécédents ou actuellement. Nous rappellerons
de plus que l'enfant de l'observation IV est actuellement en pleine période
secondaire d'une syphilis acquise, c'est un nouvel argument, dont la
valeur pour n'être absolue, nous paraît néanmoins considérable contre
l'hypothèse de l'origine spécifique de l'ophtalmoplégie que nous étudions.
Au point de vue clinique, il est à remarquer que les paralysies oculai-
res chez les malades des observations I et II s'accompagnent de formation
crânienne par aplatissement et de plus, cela surtout chez la malade 1, de
paralysie ou d'atrophie du muscle frontal. Il y a donc là plus qu'une
simple paralysie extrinsèque de l'oeil mais tout un ensemble de troubles
de développement.
A considérer l'ophtalmoplégie elle-même isolément, un fait apparaît
fort intéressant : les symptômes présentés par ces malades ne sont pas
également développés chez tous et pris en bloc vont s'atténuant de géné-
ration en génération. Le ptosis, si accentué chez la grand' mère dont les
globes oculaires sont complètement recouverts, s'atténue à la deuxième
génération et il est encore moins marqué chez l'enfant de l'observation IV.
On peut faire la même observation pour les mouvements de latéralité, qui
à peu près nuls chez la grand' mère, se développent chez la fille et s'ac-
centuent encore chez la petite-fille. Seuls les mouvements d'élévation et
d'abaissement font défaut chez tous.
L'intégrité absolue de la musculature interne de l'oeil chez tous les
membres de cette famille est un fait qui parait constant dans les cas
d'ophtalmoplégie congénitale. Cette donnée semble de prime abord per-
mettre d'attribuer l'ophtalmoplégie une origine nucléaire, à l'exclusion
de toute lésion tronculaire, basilaire ou autre. C'est là un argument qui
pendant longtemps en effet a paru péremptoire pour établir le siège des
666 ' CUAILLOUS ET PAGNIEZ
lésions qui déterminent une ophtalmoplégie. Aujourd'hui des observations,
anatomiques qu'on trouvera réunies dans un très intéressant travail de
Ferron (1) sont venues montrer que des paralysies oculaires acquises, avec
intégrité du fonctionnement de l'appareil irien, pouvaient relever de lé-
sions portant exclusivement sur les troncs nerveux. Le fait donc pour une
ophtalmoplégie d'être seulement externe ne suffit pas pour attribuer avec
certitude à l'affection une origine nucléaire.
Cependant dans les cas d'ophtalmoplégie congénitale il paraît établi
par quelques autopsies que l'affection relève d'un arrêt de développe-
ment, d'une aplasie des noyaux moteurs de l'oeil. A ne s'en tenir qu'aux
arguments d'ordre clinique en ce qui concerne nos observations, le carac-
tère nettement héréditaire, la bilatéralité, l'inégale atteinte des muselés
de l'oeil aux diverses générations parlent évidemment avec force dans le
sens d'une origine nucléaire, absolument probable croyons-nous, sinon
certaine.
(1) PERRON, Ophtalmoplégie extrinsèque ou intrinsèque unilatérale par lésion basi-
laire, Ann. d'oculistique, novembre 1902, p. 351.
« SCAPUL/E ALAT/E » PHYSIOLOGIQUES
PAR
F. RUDLER et A. RONDOT,
Médecins du 11° régiment de Dragons.
Observation.
M..., 25 ans, brigadier-prévôt rengagé au 41e Dragons.
Antécédents héréditaires. Ne'présente aucune particularité dans ses
antécédents héréditaires, directs ou collatéraux : père et mère, cinq frères
et une soeur en bonne santé ; aucune affection nerveuse dans la famille ;
pas d'alcoolisme ni de syphilis, pas de tuberculose. En un mot, aucune
tare héréditaire, générale ou spéciale.
Les parents de M.... présentent tous un développement musculaire
remarquable, à l'exception de l'aîné de ses frères, arrêté dans sa crois-
sance à 18 ans par une pleurésie, mais complètement rétabli et père de
trois enfants sains et bien constitués.
Antécédents personnels. Sujet très fort, à la musculature puissante,
M.... a une santé habituelle parfaite. Ictère bénin à 20 ans ; pas de rougeole
ni de scarlatine, pas d'oreillons ni de rhumatisme articulaire, pas de
dothiénentérie. Aucun stigmate de syphilis, pas d'intoxication éthylique
ou nicotinique.
A 17 ans, M.... pesait 83 kilogs. A ce moment, il est garçon boulanger ;
la première année d'apprentissage l'éprouve au point de lui faire perdre
10 kilogs ; mais la fatigue et l'amaigrissement sont passagers, M.... s'engage
à 20 ans ayant recouvré toute sa vigueur.
Le registre d'incorporation indique à son sujet, à la date du 20 octobre
1900 : taille 1 m. 76, poids 82 kilogs, périmètre thoracique 0, 90.
Au régiment, M.... recherche le brevet de maître d'armes sans y être
préparé par un exercice antérieur du sabre ou de l'épée. Il débute en juil-
let 1901 ; nommé élève-prévôt en septembre 1901 et brigadier un an
plus tard, il contracte un rengagement de deux ans en octobre 1904.
Histoire DES TROUBLES FONCTIONNELS DES épaules. Détaché à l'école de
gymnastique de Joinville du 15 octobre 1903 au 15 août 1904, M....
s'adonne avec succès à tous les sports qui font partie du progamme : gym-
668 RUDLER ET BON DOT
nastique suédoise, escrime, natation, jeux divers, courses, football,... et
acquiert à ces exercices variés une force musculaire et une souplesse peu
communes.
Cependanl,vers mars-avril il.... estfrappédela mobilité anormale
de ses deux épaules; il exécute des mouvements extraordinaires de rota-
tion des omoplates en arrière; il accomplit, à la barre fixe ou avec une
canne, des mouvements d'assouplissement des membres supérieurs exi-
geant une véritable dislocation des épaules et permettant au sujet des
actes et attitudes interdits à ses camarades, soumis au même entraînement.
La mobilité des épaules reproduit la déformation connue sous le nom
d'omoplates ailées. Cette anomalie fonctionnelle est signalée au sujet par
un voisin dans les termes suivants : « Ce n'est pas difficile que tu aies mal
aux épaules, tu as l'épaule démolie. » Dans cette période de surmenage
(par jour : 6 heures de planche, 1 heure de gymnastique suédoise, 1 heure
de jeux violents ; en été, un supplément de 2 heures de natation deux fois
par semaine), le brigadier-prèvôt a fréquemment, en effet, les épaules
meurtries et douloureuses. Toutefois, il ne croit pas être malade et attri-
bue les douleurs et la déformation accidentelle de ses épaules à un travail
intensif.
A la sortie de Joinville, M.... ressent, comme tous les élèves du cours,
sous forme de courbature, les effets du surmenage de l'année. mais il a
conservé intacte sa force musculaire qu'il verra même s'accroître après
quelques mois de repos.
De retour au régiment, il fait le service de brigadier-prévôt sans
se présenter aux médecins du corps qui découvrent, à l'occasion d'une
revaccination (février 1905), la disposition morphologique qui fait l'objet
de cette observation.
Description DE l'anomalie FONCTIONNELLE (PI. LiVII). - L'examen
du sujet au repos, lorsque les bras sont pendants naturellement le long
du corps, ne révèle en arrière aucune déformation appréciable. Les deux
angles de l'omoplate et les bords spinaux se détachent très nettement sous
la peau; toutefois, la saillie qu'ils déterminent n'est guère plus marquée
que chez un sujet ordinaire et s'explique suffisamment par la muscula-
ture puissante du sujet. L'angle et le bord spinal semblent plus accusés
à droite qu'à gauche.
Les photographies représentent le sujet : l'une, les bras au corps,
avant-bras en flexion, dans la position qu'on fixe aux membres supé-
rieurs dans le pas gymnastique; l'autre, les bras en croix. Elles accusent
par leur relief et leur netteté, des formes musculaires puissantes et
harmonieuses ; elles permettent, en outre, de soupçonner l'intégrité des
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. Pl. L1S\'II
SCAPULCE ALATOE PHYSIOLOGIQUES
(Rudler et Roudot.)
SCAPULÆ ALATiE PHYSIOLOGIQUES 669
muscles scapulaires et de certains muscles superficiels de la région lombo-
dorso-cervicale, en particulier du trapèze et des rhomboïdes.
Le cou et le thorax sont développés normalement.
Les photographies reproduisent une disposition intéressante.
Lorsque le sujet place les avant-bras en rotation interne et qu'il les
'ramène, fléchis à angle droit, en les fixant fortement sur la région lom-
baire, l'omoplate subit tout à coup, avec son angle supéro-interne comme
pivot, un mouvement de bascule qui porte sa partie supérieure en haut
et en avant. L'angle inférieur est fortement projeté en arrière, en haut et
en dehors, et son mouvement d'élévation et d'extension n'est limité que
par l'élasticité de la peau. Les deux angles inférieurs s'écartent, et la dis-
tance qui les sépare est de 27 centimètres. L'ensemble des mouvements
de rotation des omoplates en haut et en dehors s'exécute brusquement, et
cette rapidité de déplacement, autant que l'amplitude de l'excursion de
l'angle du scapulum, fait paraître le sujet ailé.
Les omoplates sont ailées. Chaque scapulum forme avec le thorax un
angle fortement ouvert en dehors et en arrière évaluable à 45°. Cette dé-
formation exige la propulsion énergique de la tête numérale qui, en rai-
son de la laxité des ligaments, apparaît comme suhluxée, projetée en
avant avec l'angle externe du scapulum. On ne sent pas la cavité de l'ar-
ticulation scapulo-humérale, et l'omoplate parait exécuter son mouvement
de rotation avec l'angle supéro-interne comme axe.
La déformation n'existe pas à.l'état de repos. Elle exige une interven-
tion active et ne peut s'effectuer en dehors de l'attitude signalée de
l'humérus solidement maintenu en rotation interne. C'est pourquoi elle
nécessite l'immobilisation, en arrière du tronc, des avant-bras fixés res-
pectivement par chaque main. Le bord inférieur du grand dentelé se per-
çoit sous forme d'un cordon dur et résistant fortement tendu au-dessous
de l'angle inférieur de l'omoplate ; le faisceau-le plus inférieur peut faci-
lement être suivi depuis son insertion scapulaire jusqu'à son point d'at-
tache à la neuvième côte. Le sus-épineux est très apparent et forme par
sa contraction un boudin transversal volumineux. Le sous-épineux repré-
sente une épaisse masse charnue dont le bord inférieur est perceptible
avec les grands et petits ronds près de l'articulation de l'épaule. On
constate enfin, au toucher, la contraction des rhomboïdes sous la forme
d'une barre allant des apophyses épineuses au bord spinal de l'omoplate.
Les faisceaux inférieurs du trapèze existent des deux côtés, la déforma-
tion semble toutefois plus accusée du côté droit.
Les autres photographies représentent la déformation des épaules sous
d'autres aspects.
Mouvements de l'articulation scapulo-hnntérale. En dehors de l'ano-
xvm 44
670 RUDLER ET RONDOT
malie fonctionnelle ci-dessus décrite, tous les mouvements de l'épaule se
font avec une souplesse extrême. Le sujet est arrivé, par l'exercice pro-
longé de la gymnastique, à une mobilité de l'article véritablement surpre-
nante, et à laquelle peu de professionnels peuvent prétendre. En particu-
lier, il exécute en se jouant une série de mouvements des bras et des
épaules à la barre fixe ou à l'aide du bâton qui exigent beaucoup de force'
et d'adresse.
Etat des muscles de l'épaule et du dos ; intégrité anatomique et fonc-
tionnelle, réactions électriques. Si l'on interroge la physiologie de
quelques muscles en particulier, on reconnaît que chez tous elle est nor-
male (1).
Tous les mouvements du deltoïde sont normaux, aussi bien ceux que
ce muscle exécute seul que ceux dans lesquels interviennent le grand
dentelé, le sus-épineux ou la portion moyenne du trapèze. Le sous-épineux
fonctionne régulièrement; il n'existe aucune gêne de l'écriture ni des
mouvements complexes du membre supérieur.
Le trapèze a conservé, des deux côtés, l'intégrité de ses fonctions. On
ne constate aucune déformation de l'épaule ou du thorax au repos; le
bord spinal de l'omoplate et, en particulier, sa pointe sont également
distants à gauche et à droite de la ligne médiane; le moignon de l'épaule
est en place, non abaissé ni porté en avant; le rapprochement des épaules
en arrière qui exige le fonctionnement physiologique des rhomboïdes et
de la portion moyenne du trapèze (phot. 2), est facilement obtenu ; de
même l'élévation des bras se fait sans difficulté.
Les mouvements auxquels concourent les rhomboïdes sont conservés,
spécialement le rapprochement des deux omoplates de l'épine du rachis.
Il en est de même du grand dentelé.
Enfin" la force musculaire est très grande. A l'épreuve dynamométrique,
le sujet fait parvenir l'aiguille à l'extrémité de l'échelle de pression, sans
difficulté, des deux mains ; à l'échelle de traction, il atteint le chiffre
165 kilogs.
La contractilité des muscles est normale, ainsi qu'il ressort de l'exa-
men obligeamment pratiqué par M. le Dr Charmoille, de Belfort : : « Excitabilité faradique. - En recherchant l'excitabilité faradique de
l'angulaire de l'omoplate, du rhomboïde et des portions moyenne et infé-
rieure du trapèze, on constate qu'elle est la même pour les muscles cor-
respondants.
Excitabilité galvanique . - La contraction négative de fermeture appa-
(1) Nous avons consulté le chapitre de la « Physiologie normale et pathologique
des différents muscles en particulier» de M. HALLION, in Traité,de médecine Oharcot-
Bouchard-Brissaud, t. VI, p. 835 et suiv.
SCAPUHE ALAT1E PHYSIOLOGIQUES 671
raît la première, puis vient la contraction positive de fermeture pour une
intensité un peu plus forte, soit NFC > PFC.
L'excitabilité galvanique est la même pour les muscles correspondants.
En la comparant avec celle des muscles voisins, on peut considérer
l'excitabilité galvanique comme normale. »
TROUBLES musculaires. Il n'existe aucun trouble musculaire dans
les muscles examinés : pas de contractions fibrillaires, pas de tremblement,
pas de spasmes, pas de tics, pas de contractures ni de crampes, pas de
rétractions tendineuses ; pas de paralysie partielle, ni atrophie ou hyper-
trophie ou pseudo-hypertrophie musculaires, sphincters intacts.
Sensibilité générale ET spéciale. Normale à tous les modes d'ex-
ploration : pas de sensations anormales, douloureuses ou non, pas d'en-
gourdissement ni de fourmillement des membres, aucune douleur viscé-
rale. Sensibilités tactile, thermique, électrique, musculaire intactes.
Pas d'hyperesthésie, d'anesthésie ou d'hypoesthésie ; pas de stigmates
hystériques. Pas de troubles trophiques ou vaso-moteurs. Rien à signaler
pour les organes des sens.
Les réflexes tendineux et cutanés sont normaux. Le réflexe cornéen
est conservé, le réflexe pharyngé plutôt faible.
Pas de stigmates physiques ou psychiques de dégénérescence ; état t
psychique paraissant normal.
L'examen des viscères est négatif.
Que reste-t-il, en somme, de cette accumulation de signes négatifs ?
Voilà un homme de 25 ans, d'une santé excellente et ne s'inquiétant nul-
lement des mouvements originaux qu'il imprime à ses épaules dans des con-
ditions déterminées. La déformation des épaules ailées date de deux ans
environ et nous observons le sujet depuis dix mois sans qu'aucune modi-
fication soit intervenue dans son état. ,
S'agit-il de l'une des formes si variées, si complexes et encore mal con-
nues des myopathies primitives progressives ? Ou bien, existe-t-il une
amyotrophie ? L'atrophie de plusieurs muscles, ou d'un muscle unique, ou
seulement d'une portion de muscle ? Ou encore une absence musculaire
congénitale ? Ou enfin une anomalie fonctionnelle pure et simple, indé-
pendante de toute altération musculaire et qu'on pourrait désigner du nom
de « scapulm allas physiologiques ? » o
Voilà, ce nous semble, les différentes hypothèses à examiner. La lon-
gueur de l'observation qui, pas à pas, souligne l'absence de tel ou tel
symptôme important, nous permettra sans doute de simplifier la discus-
sion et d'arriver plus rapidement à un diagnostic rationnel.
672 RudLer ET rondot ,
Myopathies primitives progressives. La déformation connue sous le
nom de scapulce alatce constitue un signe diagnostique important des
formes scapulo-humérales des myopathies ; mais cette disposition morpho-
logique se rencontre parfois chez les sujets jeunes, et même chez beaucoup
d'enfants peu musclés. M. Henry Meige a signalé ce fait à la Société de Neu-
rologie de Paris à propos d'un petit malade dont les omoplates étaient très
saillantes et que, pour cette raison, on était tenté de considérer comme un
myopathique. A vrai dire, dans les cas de ce genre, la déformation est
beaucoup moins accentuée que dans notre observation.
Nous avons interrogé et examiné des prévôts d'armes et des gymnastes
soumis aux mêmes fatigues musculaires et aux mêmes exercices que M.... ;
aucun n'a présenté ou n'a eu connaissance de déformation semblable des
épaules.
Il est essentiel de considérer que la saillie des épaules ne se produit chez
le brigadier M.... qu'à l'occasion de mouvements volontaires. Sur la photo-
graphie du sujet au repos, les omoplates ne sont pas ailées ; elles sont à
peine un peu plus saillantes que chez un sujet normal, et beaucoup d'es-
crimeurs présentent cette particularité. Déplus, M.... produit à volonté la
déformation sur chaque épaule ; il ne s'agit donc pas de mouvements
synergiques.
Qu'arrive-t-il, au contraire dans les scapuloe alaise dues à l'atrophie des
muscles qui prennent leur insertion sur l'omoplate, des rhomboïdes en
particulier et des portions inférieures et moyennes du trapèze ? « A l'état
de repos, lorsque les bras sont pendants, et l'atrophie des muscles scapu-
laires accusée, le bord interne de l'omoplate est détaché et proémine sous
la peau. L'insuffisance de certains muscles (grand dorsal, spinaux, et,
jusqu'à un certain point, le trapèze et le rhomboïde) nous explique pour-
quoi les malades se tiennent courbés en avant lorsqu'ils sont assis dans
leur lit » (1).
Tout, d'ailleurs, dans notre observation, élimine l'hypothèse de myo-
pathie primitive progressive. On ne relève dans la famille de M.... aucun
cas semblable, aucune tare héréditaire directe ou collatérale, dans
son passé, dans son enfance, aucun accident prémonitoire. Sans doute,
dans les myopathies, comme dans notre cas, il n'existe pas de contrac-
tions fibrillaires, ni de réaction de dégénérescence, ni d'altération des
réflexes ; mais, en revanche, on constate une amyotrophie progressive
réalisant le type facio-scapulo-huméral de Landouzy-Dejerine ou plus
simplement la forme juvénile d'Erb ; elle fait ici totalement défaut. Enfin,
dans ces dernières variétés de myopathies, l'affaiblissement musculaire a
(1) Fig. 9 de Brouardel et Gilbert, t. 10, édit. 1902, p. 274.
SCAPUUE ALATÆ PHYSIOLOGIQUES 673
parfois plus d'importance que le volume des muscles, chez le brigadier
M.... la force musculaire est entièrement conservée, et l'épreuve dynamo-
métrique donne toujours des résultats identiques.
Nous parlons pour mémoire seulement de troubles musculaires précoces
au voisinage des foyers tuberculeux ; les sommets de M.... sont intacts.
Amyotrophies. Le tremblement fibrillaire et la réaction de dégéné-
rescence sont des signes constants dans les atrophies musculaires myélo-
pathiques ; ils n'existent pas chez le brigadier M.... Les troubles des réac-
tions électriques rencontrés également dans les atrophies névritiques sont
absents chez notre sujet.
S'agirait-il d'une amyotrophie très limitée, intéressant spécialement le
rhomboïde et la portion inférieure du trapèze ? Rien n'est plus fréquent, en
effet, que ces anomalies musculaires découvertes à l'amphithéâtre, ou
ces amyotrophies très limitées, consécutives à de petites infections médul-
laires de l'enfance et de la jeunesse. Ce sont, si l'on veut, des formes très
frustes de dystrophies musculaires soit congénitales, soit acquises. Et on
connaît, en particulier, un certain nombre de cas d'atrophie musculaire
limitée au trapèze ou à une seule portion de ce muscle.
Les détails de l'observation font justice de cette hypothèse contre
laquelle protestent, en effet, la physiologie normale des muscles intéres-
sés, leur contraction révélée par l'harmonieuse symétrie des muscles du
dos et perçue nettement à la palpation et au pincement, enfin l'intégrité
des réactions électriques des rhomboïdes et des portions moyennes et in-
férieures des trapèzes.
MM. Brissaud et Meige estiment avec raison qu'il faut attacher une
grande importance à la recherche de tous les cas frustes de dystrophie
musculaire; les descriptions nosographiques qui sont consacrées à ces
dystrophies sont essentiellement conventionnelles. Le nombre des types
cliniques est vraiment excessif et il est bien peu de cas rencontrés en cli-
nique qui soient exactement comparables aux types décrits. La nosogra-
phie des dystrophies musculaires semble devoir être considérée jusqu'à
nouvel ordre, et malgré l'autorité des noms attachés à cette classification,
comme un schéma provisoire.
L'observation permet d'éliminer sans discussion l'idée d'une absence
musculaire congénitale ; elle prouve, en effet, l'existence de chaque mus-
cle pris en particulier, et même de chaque portion de muscle.
En réalité, le cas du brigadier-prévôt ne relève d'aucun type connu.
Et l'absence de tout symptôme morbide nous autorise à émettre l'hypo-
thèse d'une disposition physiologique bizarre et non signalée, d'une ano-
malie fonctionnelle, si l'on veut, à laquelle pourrait s'appliquer le nom de
(1 scapulae alatae physiologiques », et dont le mécanisme serait le suivant :
674 RUDLER ET RONDOT
SCAPULiE ALATiE PHYSIOLOGIQUES. - Tout d'abord, et d'après notre ancien
maître de la Faculté des sciences de Besançon, M. le professeur Charbon-
nel-Salle, les omoplates ailées ne se rencontrent pas dans la série ances-
trale ni dans l'anatomie comparée (anthropoïdes et batraciens dont nous dé-
rivons). Il n'existe, en particulier, aucune ana ogie avec les oiseaux chez
lesquels l'omoplate est fixe.
C'est, croyons-nous, à la physiologie qu'il faut demander l'explication
du phénomène. L'anomalie fonctionnelle du brigadier M.... réside entière-
ment, selon nous, dans la rupture de l'antagonisme qui existe, norma-
lement, entre les muscles scapulo-huméraux et les muscles scapulo-tho-
raciques. Ce défaut d'harmonie est dû, vraisemblablement, la laxité très
grande des ligaments de l'articulation scapulo-humérale, au relâchement
musculaire, enfin à un développement plus considérable des muscles sca-
pulo-huméraux comparativement aux scapulo-thoraciques, par suite du
travail plus grand qui leur a été imposé depuis quelques années.
Normalement, les muscles de l'omoplate prennent leur insertion sur le
trochin et le trochiter et agissent tous sur l'humérus ; dans ces conditions,
leur insertion fixe est sur le scapulum qui est immobilisé par les muscles
voisins. Dans le cas actuel, au contraire, le rôle des deux os, scapulum et
humérus, est renversé : c'est l'humérus qui devient l'insertion fixe.
Comme les muscles scapulaires vont en s'irradiant de la tête numérale
au scapulum, c'est la portion de ce dernier os la plus éloignée, c'est
l'angle inférieur par conséquent qui aura les mouvements les plus éten-
dus. Toutefois, la production de ces mouvements exige l'immobilisation
totale de l'humérus et sa propulsion en avant ; et cette position de l'hu-
mérus détermine, par la tension des tendons scapulaires, l'attitude spé-
ciale du sujet. Les mouvements de l'omoplate redeviennent normaux dès
que le bras a repris une autre position.
Tout au moins, cette explication semble-t-elle rationnelle, et, toutes les
altérations ou anomalies musculaires étant écartées, tout porte à croire
que les omoplates ailées du brigadier M.... sont physiologiques.
, PATHOGÉNIE DE LA
PSEUDENCEPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE
(méningite FOETALE)
(suite et fin)
par
ETIENNE RABAUD
Docteur en médecine et docteur ès sciences.
IV. LE SYSTÈME NERVEUX ET LA NUTRITION GÉNÉRALE,
Les déformations produites par les contractions musculaires sont un contre-
coup mécanique de la méningite foetale. On peut et on doit examiner si, à côté
de ces déformations, n'existent pas des perturbations d'un autre ordre relevant
de l'altération des centres nerveux. Il ne serait pas surprenant, à priori, que la
destruction partielle ou totale de l'axe cérébro-spinal au cours de la vie foetale
ne soit suivie de troubles trophiques notables dont on retrouverait la trace
sous diverses formes.
Nous entrons ainsi dans le vif d'une question tout à fait à l'ordre du jour à
l'heure actuelle,celle de l'influence du système nerveux sur le développement.
Nous l'abordons sous un angle très particulier, puisqu'il s'agit, non pas sim-
plement de l'absence des centres, mais de leur disparition progressive à la
suite d'un état inflammatoire intense, intervenu dans la cours du second tiers
de la vie foetale.
Pour ce qui est de l'influence du système nerveux sur les premiers temps
du développement, nous savons, par les recherches expérimentales de Scha-
per et plus particulièrement par celles, toutes récentes, de Wintrebert (1) que
(1) Wixthebert, 1° Influence du système nerveux sur l'ontogenèse des membres
Acad. des sc., 13 juillet 1903).
2o Sur la régénération, chez les amphibiens, des membres postérieurs et de la queue
en l'absence du système nerveux (Acad. des sciences, 9 nov. 1903).
2° Sur la régénération des membres postérieurs chez l'axolotl adulte après ablation
de la moelle lombo-sacrée (Soc. de Biologie, 30 avril 1904).
4 Sur l'existence d'une irritabilité excilo-molrice primitive indépendante des voies
nerveuses chez les embryons ciliés des batraciens (Soc. de Biol., 24 déc. 1904).
676 RABAUD
cette influence est nulle, aussi bien sur la croissance que sur la différenciation
des ébauches. Ces conclusions, fondées sur des faits précis, sont conformes à
la première partie du principe de Roux. Durant cette période initiale de
constitution, l'harmonie générale de l'organisme, l'équilibre quantitatif et qua-
litatif des formations est réglé par des moyens tout différents, sur lesquels
nous n'avons pas à insister ici. Le système nerveux peut faire défaut, l'équi-
libre n'est pas détruit pour cela, le développement continue. L'indépendance
des ébauches vis-à-vis l'axe central est tel que Schaper a pu voir la rétine
continuer à se différencier en l'absence du cerveau.
Surcette première période du développement,l'étude des pseudencéphaliensne
nous fournit aucun renseignement, la méningite apparaissant à un moment où
les ébauches, constituées dans leur ensemble, entrent dans la période de diffé-
renciation fonctionnelle.
Au cours de cette période de l'évolution individuelle, s'il faut en croire la
deuxième partie du principe de Roux, l'influence du système nerveux serait
prépondérante : cet appareil réglerait la marche des processus.
C'est peut-être ainsi qu'il en est chez les animaux à développement libre,
tels que les batraciens. A ce moment, en effet, l'organisme ayant atteint une
complexité très grande, la répercussion des processus d'une région à l'autre
n'est peut-être pas assurée d'une façon suffisante par les relations existant
entre les divers segments du milieu interne. Et comme il est nécessaire que le
développement des parties soit proportionnel, on peut admettre que le système
nerveux joue le rôle de régulateur. Nous savons, par les récentes recherches
de Wintrebert, qu'il existe une période de la vie larvaire où le revêtement cutané
possède encore une irritabilité excito-motrice capable, sans aucun doute, de
provoquer des mouvements d'ensemble nettement coordonnés et peut-être aussi
de régler les processus du développement (1). L'ectoderme irritable tient lieu
à ce moment de système nerveux ; celui-ci entre en jeu bientôt après.
Dans quelle mesure l'innervation intervient-elle chez la larve libre ou le
foetus ? Cette innervation a-t-elle vraiment la prépondérance que lui accorde
Roux, aussi bien pour diriger et coordonner les mouvements que pour régler
la croissance et la différenciation des parties ? Est-ce une action nécessaire ?
On ne saurait évidemment établir un parallèle absolu entre des êtres à dé-
veloppement libre et des êtres à développement intra-utérin. Les conditions
générales de la vie sont très différentes les unes des autres, et de la différence
des conditions peuvent résulter des différences dans le mode d'action du sys-
tème nerveux. Cependant, les faits observés chez les pseudencéphaliens portent
à croire qu'il ne faut pas confondre l'action motrice du système nerveux avec
son action trophique ; que ce ne sont point là deux actions nécessairement
liées. Il se pourrait que, même chez les larves à vie libre, le rôle du névraxe
fut limité à provoquer et coordonner les mouvements. Ceux-ci sont nécessaires
aussi bien pour la recherche de la proie que pour sa préhension, et il est clair
que leur suppression entraîne la mort par inanition. Mais de là ne résulte pas
(i) Op. cit.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPNALIE 677
que les processus intimes du développement soient soumis, étroitement ou non,
à l'action trophique des centres.
Chez les pseudencéphaliens, en effet, l'action motrice ne laisse prise à aucun
doute. Toute une série de dispositions morphologiques portant sur le crâne et
la colonne vertébrale mettent en évidence la mise en jeu de contractions consé-
cutives à l'excitation morbide du névraxe. Ces contractions interviennent
d'assez bonne heure, à une période de la vie foetale qui correspond à celle de
la vie libre des larves. Mais, tandis que les muscles striés, ainsi étroitement
soumis au système nerveux, déforment les ébauches squelettiques et impri-
ment à l'individu une attitude spéciale, il apparaît bien que les autres parties
du corps conservent une autonomie propre. Si,'en effet, une action trophique
quelconque était dévolue au cerveau ou à la moelle du foetus, cette action tro-
phique serait profondément troublée dès le début et dès les premières phases
de l'invasion méningitique ; elle serait définitivement supprimée lorsque les
processus morbides ont substitué au tissu cérébro-spinal, un tissu conjonctivo-
vasculaire banal. Ces troubles généraux de la nutrition se traduiraient par
l'aspect même du foetus ; ils se traduiraient par des arrêts de développement,
tout au moins par des arrêts de croissance portant sur un ensemble d'organes.
Or, nous ne constatons rien de tel.
Même, à ne considérer que l'état général des foetus, nous sommes frappé
par l'aspect de santé que tous présentent, sans exception. Car c'est un fait
relevé par l'ensemble des observateurs que les anencéphaliens et les pseuden-
céphaliens possèdent un remarquable embonpoint, un tissu àdipeux sous-
cutané ni trop ni trop peu développé. Ce n'est point une dégénérescence grais-
seuse, car l'examen histologique permet de voir les éléments de la peau, aussi
bien que le tissu conjonctif sous-cutané, parfaitement sains, comme ils le
seraient chez un foetus sain de l'âge correspondant.il n'y a de lésions que des
lésions de voisinage aux alentours de la voûte du crâne et de la ligne médio-
dorsale. Dans l'intérieur du corps,il n'y a point d'amas graisseux surabondant,
pouvant laisser croire à l'existence d'une désintégration morbide. Ce premier
ensemble de faits ne témoigne donc pas d'une perturbation trophique.
Si nous poussons l'analyse plus loin, nous serons de plus en plus conduits
à reconnaître la non-influence de système nerveux. Nous ne constatons
aucune dysharmonie dans le développement de la forme extérieure du corps ;
les proportions relatives des membres et du tronc sont conservées ; les seg-
ments des membres sont comparables à ceux de foetus sains,et l'on ne relève
point d'anomalies traduisant un arrêt quelconque des processus. Seul, le
volume de la tête est sensiblement réduit ; or nous avons vu que cette réduc-
tion reconnaît pour cause, non pas l'action trophique des centres nerveux,
mais l'action immédiate de la méningite qui évolue au contact de la base du
crâne et trouble profondément la circulation sanguiue dans cette région. Cette
action immédiate est d'ailleurs localisée à ce point qu'elle laisse indemne le
maxillaire inférieur, et de ce fait résulte le prognathisme marqué que les auteurs
ont relevé sans chercher à le comprendre.
De même, dans l'intérieur du corps, les organes divers se présentent
678 RABAUD
avec leur volume relatif habituel ; les organes dérivant d'ébauches multiples
symétriques ou non, sont morphologiquement conformés comme à l'ordinaire.
Il apparaît nettement que la croissance n'a subi aucune atteinte.
Quant à la différenciation, elle s'est également poursuivie sans encombre ;
l'examen histologique des organes, aussi bien des ganglions nerveux et de l'oeil
que des organes somatiques révèle des processus en voie de progression, sans
trace aucune de désintégration. Les lésions n'existent que là où s'introduit le
processus inflammatoire. Mais il s'agit alors d'une action directe.
Cependant quelques dispositions semblent, au premier abord, résulter d'une
action trophique. -
C'est ainsi que j'ai rencontré, chez deux foetus pseudencéphaliens, une ecto-
pie de l'estomac et du foie ayant pour origine un arrêt de croissance en lon-
gueur de l'oesophage (1). Certains esprits seraient évidemment tentés d'établir
un rapprochement entre l'arrêt de croissance et la disparition du système ner-
veux. Il est possible que cela soit. On doit observer, cependant, que l'existence
d'un arrêt de croissance, quel que soit le tissu sur lequel il porte, est tout à fait
exceptionnelle chez nos foetus,et ce fait permet de croire qu'un tel processus est
indépendant de l'influence du système nerveux. Rien des phénomènes entrent
en jeu, dans un organisme complexe, qui sont capables de modifier la nutrition
de tel ou tel tissu, sans qu'il soit nécessaire d'invoquer un trouble dans l'action
trophique du système nerveux. Et cela est ici d'autant moins nécessaire que
le processus d'arrêt que nous observons se trouve strictement localisé en une
région très circonscrite de l'organisme. Cette localisation n'est pas en rapport
avec la perturbation générale du névraxe ; il serait au moins singulier que cette
perturbation n'ait qu'un effet aussi limité. Que le processus intervenant sur
la croissance de l'oesophage résulte d'une action locale ou d'une action élective,
son origine est nécessairement étrangère à l'action trophique du névraxe.
Une autre apparente contradiction réside dans l'existence très fréquente,
sinon constante, d'un bec-de-lièvre complexe intéressant le maxillaire supé-
rieur et la voûte palatine. Sur ce point, nous nous sommes précédemment ex-
pliqué : l'arrêt de croissance du tissu osseux est un effet purement local de
l'inflammation méningée sur le tissu cartilagineux du crâne et de la face, le
maxillaire inférieur non compris. L'effet porte d'une façon immédiate sur la
base du crâne ; il se propage de proche en proche avec une intensité variable
sur les parties squelettiques sous-jacentes. Suivant le degré de l'intensité, le
maxillaire supérieur et la voûte palatine sont atteints, soit ensemble, soit sé-
parément, ou ne subissent au contraire aucun dommage.
Le bec-de-lièvre ainsi compris est lié à la pseudencéphalie ; mais il est un
résultat immédiat de l'inflammation méningée et non le contre-coup de celle-ci
par l'intermédiaire des lésions du système nerveux. Destruction du tissu céré-
bro-spinal, arrêt de croissance osseux sont deux effets parallèles d'une même
(1) Etienne RABAUD, a) Ectopie iutra-thoracique des viscères abdominaux par briè-
veté primitive de l'oesophage (Société d'obstétrique de Paris, juin 1903).
b) La brièveté primitive de l'oesophage et l'eclopie intm-thomcique de l'estomac et
du foie (Bulletin de la Société philomathique, 1904).
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPRALIE 679
cause : le rôle trophique des centres n'intervient donc pas plus ici qu'il n'in-
tervient en d'autres circonstances. '
Ce rôle trophique pourrait être invoqué à plus juste titre, pour ce qui con-
cerne l'état des capsules surrénales. S'il faut en croire X.Bender et A. Léri (1),
les capsules surrénales des foetus anencéphaliens seraient singulièrement
réduites. Leurs observations portent sur trois cas seulement ; mais elles
concorderaient avec des recherches faites sur des séries plus étendues par trois
auteurs allemands. Il est à remarquer que la structure histologique de ces
capsules surrénales ne diffère nullement de la normale : on y distingue les deux
substances, corticale et médullaire, dont l'état de différenciation correspond à
l'âge du foetus considéré ; la réduction porte simplement sur la quantité des
deux substances ; elle est proportionnelle pour chacune d'elle. S'agit-il d'une
aplasie ou d'une atrophie vraie ? C'est ce qu'il est actuellement difficile de
dire. Dans quelle mesure ce processus est-il lié à la disparition du cerveau
et de la moelle ? C'est ce que nous ne savons pas davantage. Toutefois, il serait
assez surprenant que le système nerveux central, sans action sur l'ensemble
de l'organisme, exerçât une influence sur les ébauches surrénales. Cela serait
d'autant plus surprenant que le grand sympathique, dont elles dépendent assez
étroitement, est absolument sain dans tous les cas observés, et particulièrement
dans les cas où l'état des capsules surrénales a été l'objet d'une attention spé-
ciale. Remarquons, en outre, qu'au moment où se produit l'invasion de la
méningite, les ébauches surrénales sont déjà manifestement constituées. En
tout état de cause, il paraît difficile d'admettre une relation directe entre la
désintégration morbide de l'axe cérébro-spinal et le processus qui frappe les
capsules surrénales. Si, comme il le semble, une relation existe vraiment, elle
est,sans doute,d'une tout autre nature. A titre d'hypothèse,on peut se demander
si la réduction des capsules surrénales n'est pas le résultat des contractions ré-
pétées durant plusieurs semaines avec une très grande fréquence. Ces contrac-
tions, en effet, représentent de la part du système musculaire un travail consi-
dérable et par suite une abondante production de déchets qui se répandent
dans l'organisme. Or, c'est à supprimer par un procédé ou par un autre ces
déchets, c'est à lutter contre la fatigue que concourt activement la sécrétion
surrénale. Il n'est pas absurde de croire que l'excès de travail musculaire
engendre un excès de sécrétion surrénale et que l'état où nous trouvons les
glandes soit le résultat d'un véritable épuisement survenu d'une façon très
précoce, laissant les tissus dans l'incapacité d'acquérir leur volume propor-
tionnel. S'il en était ainsi, l'action du système nerveux serait une action in-
directe, purement motrice et non trophique. Une telle manière de voir s'ac-
corde avec l'ensemble des faits observés qui montrent l'indépendance de la
nutrition générale vis-à-vis du système nerveux ; elle explique logiquement
une apparente exception, qui ne s'explique guère par toute autre hypothèse.
Et nous pouvons dès lors, sous forme de conclusion, résumer ce'chapitre
(1) X. BENDER et A. Léri, De l'atrophie des capsules surrénales chez les foetus {l1lell-
céphales. Soc. de Biologie, 1903, p. H3T.
680 - RABAUD
en disant que les lésions du système nerveux ont une répercussion motrice très
vive et des conséquences morphogénétiques considérables sur l'organisme foe-
tal, mais qu'elles ne déterminent directement aucun trouble trophique
appréciable dans l'une quelconque des ébauches en voie de développement. Les
arrêts de croissance observés peuvent être un résultat indirect de l'inflamma-
tion ; ils peuvent en être entièrement indépendants.
Cette indépendance est d'ailleurs le cas de toutes les anomalies qui accompa-
gnent parfois la pseudencéphalie ; elles sont de simples coïncidences. Il suffit
pour s'en convaincre, de remarquer que le plus grand nombre de celles qui ont
été relevées par les auteurs : symélie (1), célosomie (2), ectromélie, pérodacty-
lie (3), polydactylie, sans parler des formations composées, sont antérieures, et
parfois très antérieures à l'invasion des troubles morbides. Dans tous ces cas
où une anomalie coexiste avec la méningite, il y a purement et simplement
superposition de deux états congénitaux, complètement indépendants par leur
nature comme par leur origine et que rien ne relie par la suite.
CHAPITRE IV
Les causes de la méningite foetale.
1. Infection microbienne.
Si l'étude anatomo-pathologique met en évidence de la façon la plus nette
que la pseudencéphalie et l'anencéphalie ne sont autre chose que le résultat
d'une méningite à évolution très prolongée, elle ne donne aucune indication
positive sur l'origine même du processus inflammatoire. Ce processus une fois
reconnu, il importait de rechercher sous qu'elle influence il prenait naissance.
Les investigations d'ordre bactériologiques s'imposaient aussitôt, et je n'ai pas
manqué de m'y livrer. Elles sont restées infructueuses ; quelle que soit la
technique employée, je n'ai pu déceler le moindre élément microbien dans le
sein des tissus enflammés.
Ce résultat négatif n'a par lui-même aucune valeur ; il peut être interprété
en divers sens.
Si nous mettons à part une erreur de technique, que je ne refuse pas d'ad-
mettre, il convient d'envisager plusieurs possibilités.
1°) La méningite résultant d'une infection de la mère transmise au foetus à
travers le placenta. Si nous considérons alors, avec divers auteurs, le placenta
comme un filtre retenant les agents d'infection et livrant seulement passage à
leurs toxines, l'absence de bactéries n'est plus surprenante et la méningite re-
lèverait uniquement de l'action des poisons microbiens.
Sans doute. il peut en être parfois ainsi, mais on ne peut voir là un phéno-
(1) A. KATZ, Monstre symélien et pseudencéphale. Soc. anat., 1902.
(2) G. Gérard, Op. cit. L'auteur conclut à l'indépendance de la célosomie et de la
pseudencéphalie.
(3) Var DuysE, Hyperencéphalie et ptérodactylie. Bulletin de la Société de médecine
de Gand, z ..
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPUALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 681
mène constant ; en effet, il n'est pas prouvé, au contraire, que le placenta agisse
comme une membrane filtrante parfaite. Outre qu'il peut se produire et qu'il
se produit effectivement en divers points des ruptures qui suffiront à livrer
passage à l'agent infectieux, il y a lieu de croire que les microbes, certains
microbes tout au moins, sont capables de traverser le mince endothélium qui
sépare le sang de la mère de celui du foetus.
D'autre part, on ne retrouve pas toujours la maladie infectieuse qui se-
rait intervenue chez la mère ; certains auteurs même notent expressément que
la grossesse n'a été marquée par aucun incident (1). L'infection s'est alors ma-
nifestement développée dans l'organisme foetal et y est demeuré strictement
localisée. Même, dans le cas de gémellité, l'un des deux jumeaux peut être
atteint de méningite et l'autre rester relativement indemne, ainsi que le mon-
tre l'observation de Viannay (2), malgré l'existence d'un placenta unique. Il
est vrai qu'en l'occurrence, si l'un des foetus n'avait point subi d'atteinte di-
recte, il n'en avait pas moins été victime de l'intoxication.
Il est remarquable que dans ces divers cas, la maladie du foetus ne se pro-
pageât point à la mère et il devient évident que si le germe provient de l'or-
ganisme maternel dans lequel il vit sans déterminer une maladie c'est
dans l'organisme foetal qu'il acquiert toute sa virulence; c'est donc nécessaire-
ment dans cet organisme qu'il se développe. Si nous ne pouvons l'y déceler,en
mettant à part une erreur de technique, c'est, ou bien qu'il a disparu au mo-
ment où nous effectuions nos recherches,ou qu'il a échappé à nos investigations
grâce à son extrême ténuité.
Les deux circonstances sont également possibles ; dans l'une et l'autre, tou-
tefois, il n'est pas douteux que l'infection est d'origine maternelle, la mère
transmettant un germe qui a pu rester inoffensif pour elle.
2°) Divers microbes sont actuellement indiscernables par nos moyens d'inves-
tigations. Tel est, en particulier, celui de la syphilis (3). La question se pose
alors de savoir si la pseudencéphalie n'est pas une manifestation hérédo-syphili-
tique.
On ne peut contester que dans un assez grand nombre de cas, on retrouve
la syphilis soit chez le père, soit chez la mère des pseudencéphales, soit à la
fois chez l'un et chez l'autre. Diverses observations publiées par Edm. Four-
nier sont probantes à cet égard (4). On peut même admettre qu'elle est plus fré-
quente que ne le feraient supposer les cas connus, car,dans nombre de cas pu-
bliés,ce point est complètement négligé ; la syphilis, ni d'ailleurs aucune autre
infection, n'a été recherchée. Rien ne s'oppose en principe à ce que l'inflamma-
(1) VIANNA1', Monstre pseudencéphalien. Société des sciences médicales de Lyon,
janvier 1902.
(2) Op. cit.
(3) Nom. Fournier, Stigmates dyslrophiques de l'Mt'édo-syphilis (Thèse de la Faculté
de médecine de Paris, 1898).
(4) Mes recherches étaient terminées et ce mémoire rédigé depuis plusieurs se-
maines lorsqu'est survenue la découverte de Schaudinn. Il ne m'était plus possible
de reprendre la question à ce point de vue.
682 RABAUD
tion méningitique relève parfois, souvent même si l'on veut, de cet agent spé-
cial. Mais faut-il prendre texte de ce fait, en l'appuyant de la non-constatation
de microbes chez les foetus examinés par nous, pour tomber dans l'exagération
du jour, et voir dans la syphilis l'agent spécifique de la méningite foetale ? Tout
nous incite à résister à la tentation du pansyphilisme, solution facile des plus
grandes difficultés. Admettons, si l'on veut, que la syphilis existe dans tous
les cas de pseudencéphalie humaine, tenons pour non avenue la dénégation
positive de divers observateurs, de Viannay en particulier, qui ont bien cepen-
dant leur valeur : il n'en reste pas moins que la pseudencéphalie existe incon-
testablement chez les animaux, qu'elle a été étudiée chez le chien, chez le veau,
chez le chat, que chez ces animaux elle présente identiquement les mêmes
caractères que chez l'homme. Or, les grands singes mis à part, ni les mam-
mifères, ni l'oiseau ne contractent encore la syphilis. Et cela nous suffit pour
affirmer que la méningite foetale reconnaît pour cause d'autres agents micro-
biens. Au surplus,nous pourrions ajouter que divers observateurs ont relevé
la tuberculose dans les antécédents de certains foetus pseudencéphaliens (1).
Certains auteurs, il est vrai, ne s'embarrassent point de ces faits précis ;
l'identité des processus anatomiques sont pour eux sans importance, et avec
une ingénuité vraiment charmante, ils affirment qu'il ne saurait y avoir in-
flammation puisqu'il n'y a pas syphilis.
Il est hors de doute que le processus observé ne résulte pas nécessairement
de l'infection syphilitique ; mais il résulte d'un agent microbien quelconque.
Si, pour notre part nous n'avons pu le déceler, ce n'est qu'un fait négatif qui
laisse une lacune à combler. Nous n'en rechercherons pas davantage les rai-
sons : ce serait une recherche actuellement sans issue.
Quoi qu'il en soit, le microbe ne peut vivre sans un milieu de culture favo-
rable où il puisse évoluer et pulluler. La question d'hérédité intervient alors.
Elle a été mise en cause, ainsi qu'il convient, car « l'influence» de l'hérédité
est une solution commode qui dispense de recherches approfondies ; on en
vient presque à laisser croire que l'hérédité est quelque chose en soi, qu'elle est
un agent, tandis qu'elle est simplement un état de la substance vivante dé-
terminée par diverses conditions externes intervenues sur les ascendants.
Ainsi comprise, il est clair que la constitution organique de l'individu fait de
lui un milieu plus ou moins favorable au développement des colonies micro-
biennes. La méningite, en particulier, envahira avec une facilité d'autant plus
grande que les défenses de l'organisme seront plus affaiblies. Cette faiblesse
des défenses naturelles peut porter soit strictement sur le tissu intéressé, soit
sur la quantité ou la qualité des phagocytes ; elle ne porte donc pas nécessai-
rement sur les méninges ou le système nerveux. Son origine peut remonter
assez haut dans la série des générations, aussi bien dans la ligne paternelle
que dans la ligne maternelle. Mais elle peut être d'acquisition toute récente et
dépendre uniquement des conditions dans lesquelles évolue le foetus. C'est
(1) Bosc, Monstre pseudencéphalien lhlipsencéphale (Société anatomique de Parisj
1902, p. 910).
PATUOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 683
pourquoi, avant de parler d'hérédité, il importe de connaître les divers événe-
ments qui ont marqué la grossesse et, d'une façon plus générale, l'incubation.
Parmi ces événements, il peut y en avoir qui ont modifié le foetus, lui con-
férant une constitution à lui spéciale, complètement indépendante de la
constitution de la mère ou de tout autre ascendant. C'est ce phénomène que
Hoeckel a depuis longtemps désigné sous le nom d'adaptation potentielle. Il
suffira parfois d'un accident de très petite importance pour modifier profondé-
ment l'organisme foetal : un léger obstacle apporté à la circulation placentaire
en affaiblissant l'hématose provoquera, par exemple, une perturbation générale
qui donnera aux germes infectieux la possibilité de se multiplier sans encombre.
Si donc, la transmission par les ascendants aux descendants d'un état orga-
nique donnée est un facteur à considérer, il importe de ne point se laisser fas-
ciner par ce phénomène, au point de méconnaître les phénomènes, beaucoup
plus fréquents qu'on ne le croit, de modification directe du foetus. Il faut se gar-
der de dire que la pseudencéphalie se rencontre spécialement dans les lignées
affectées de telle ou telle tare organique. Ce serait une exagération parallèle à
celle qui veut faire intervenir exclusivement la syphilis, envers et contre le
bon sens.
II. Adhérences amniotiques ET placentaires.
Un autre. point de vue a été soutenu, quant à la cause déterminante de la
pseudencéphalie : celui des adhérences du foetus avec le placenta ou l'amnios.
C'est même le premier en date ; il remonte à Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire
qui avait précisément tiré sa conception tératogénique de l'observation d'anen-
céphales nés avec un placenta adhéreat. E. Geoffroy-Saint-Hilaire a été suivi
dans cette voie par nombre d'observateurs et non des moindres (1). Sous
l'influence de Dareste,la conception s'est, en quelque sorte, élargie : à défaut
d'adhérence placentaire constatée, on invoque une adhérence de l'amnios, soit
directe, soit indirecte par l'intermédiaire de brides.
Les faits observés sont d'une généralisation facile, car il est toujours possi-
ble de dire que l'adhérence s'est rompue à un moment donné, laissant après
elle des traces plus ou moins évidentes.
Sur l'origine de ces adhérences, les anciens auteurs ne s'expliquent guère,
se contentant d'exprimer, avec E. Geoffroy-Saint-Hilaire, que la bride fait of-
fice d'appareil suspenseur qui déforme et détruit peu à peu. Plus récemment,
la théorie a été accommodée au goût du jour, et c'est à l'inflammation préalable
de l'amnios que l'on fait appel. Van Duyse (2) avance que « l'amnios semble
particulièrement exposé à l'action des agents phlogogènes éventuellement en
circulation dans le sang maternel ». Il serait intéressant de savoir d'où vient
cette vulnérabilité spéciale de l'amnios ; mais l'auteur se contente d'une sim-
ple affirmation. Dans tous les cas, la théorie de l'inflammation préalable du
placenta ou de l'amnios a cet avantage d'expliquer les destructions s'étendant
(1) ,IOL1 et Guitard, Mémoire sur un enfant nosencéphale adhérent à son placenla
né à Toulouse le 26 juillet 1850 (Mém. Acad. des Se. de Toulouse, 1851, p. 141).
(2) Op. cil.' 1
684 ' RABAUD
au névraxe tout entier qui caractérisent anencéphales et pseudencéphales.
On comprend aisément que l'inflammation, se communiquant d'abord au
point d'adhérence, se propage ensuite de proche en proche par la voie des
méninges. L'adhérence pure et simple était même satisfaisante à d'autres
égards ; elle pouvait aussi bien provenir d'une irritation locale purement
traumatique, n'ayant aucune tendance à dépasser les limites mêmes de l'adhé-
rence.
Si l'on analyse avec quelque attention cette théorie, sous l'une ou l'autre de
ses formes, on est rapidement conduit à la rejeter entièrement. Il n'en reste
qu'un seul fait positif : la possibilité d'adhérences entre les annexes et un foetus
malade, fait interprété d'une façon absolument arbitraire et dans un sens op-
posé à la réalité.
En premier lieu, on ne voit guère de raison plausible pour que les annexes
foetales aient le monopole des processus inflammatoires à l'exclusion des orga-
nes même du foetus. Et cela, par impossible, se trouverait-il exact, que la
question ne serait nullement résolue, contrairement à ce que semblent croire
les partisans de cette manière de voir : la recherche de l'agent immédiat serait
simplement déplacée de sur le foetus sur l'enveloppe, sans qu'il y ait le moin-
dre avantage quant au résultat final.
En second lieu, on ne peut avancer, sans inexactitude flagrante, que les
adhérences soient constantes dans les cas d'anencéphalie ou de pseudencépha-
lie. J'ai minutieusement, mais vainement exploré, me plaçant à ce point de vue,
les diverses parties du corps des foetus mis à ma disposition ; sur aucun,
il ne m'a été possible de découvrir le plus petit indice révélant l'existence, à
un moment donné, d'une adhérence quelconque. De plus, de l'ensemble des
documents bibliographiques que j'ai parcourus, il ressort nettement que les
cas où une adhérence a été dûment constatée sous une forme ou une autre,
loin d'être la majorité, sont au contraire une infime minorité.
A cet argument d'une valeur incontestable, les partisans d'une doctrine si
séduisante par sa simplicité et si puissante par son ancienneté trouveront cer-
tainement à opposer un autre argument plus ou moins valable. Je leur suggé-
rerai celui-ci, qui a au moins le. mérite d'être spécieux : au dire d'Etienne
Geoffroy-Saint-Hilaire, l'adhérence pourrait être temporaire ; quelle que fut sa
durée, elle laisserait cependant après elle des traces appréciables.Mais on peut
aller plus loin et dire qu'un simple contact, suffisamment prolongé, suffit pour
communiquer l'inflammation de l'annexe au revêtement cutané. Le contact peut
alors cesser, sans laisser de traces après lui et c'est bien tout de même l'an-
nexe qui aura provoqué la maladie du foetus et déterminé la pseudencéphalie.
L'argument en vaut un autre.
Seulement, il y a un fait précis, une constatation anatomique indiscutable
qui suffit pour clore toute discussion sur ce point. Au cours de la description
histologique des lésions, j'ai longuement insisté sur le mode de propaga-
tion du processus inflammatoire. Ce processus débute par la méninge ; c'est
de là qu'il envahit à la fois en dedans vers les tissus nerveux et en de-
hors vers le revêtement cutané. Dans sa marche en dehors, on peut suivre
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 685
pour ainsi dire pas à pas les destructions successives qu'il opère ; on voit dis-
paraître peu à peu les diverses parties de la peau, à l'exception des assises
superficielles de la couche cornée qui persistent et constituent autour de la
tumeur une enveloppe continue. La dissection simple permet de reconnaître
cette enveloppe ; l'examen histologique intervient à titre de contrôle. L'ab-
sence de cette membrane épidermique est tout à fait exceptionnelle; elle ne
porte jamais que sur un lambeau de petites dimensions, et l'on peut se demander
si cette perte de substance ne résulte pas d'une erreur de technique. Le point
de départ et le sens de la [propagation des lésions ne laissent prise à aucune
discussion. Or, si l'origine du processus inflammatoire se trouvait en dehors
du foetus et résultait d'une adhérence ou d'un contact prolongé suivant une
surface nécessairement assez large, il est absolument évident que chez tous
les pseudencéphaliens le revêtement épidermique présenterait une solution
de continuité d'une grande étendue ; que, chez tous, la marche du processus
serait inverse de la marche réelle.
La conception des adhérences primitives est donc entièrement inadmissi-
ble ; ces adhérences, lorsqu'elles existent, sont des adhérences secondaires,
elles sont le fait du foetus et non celui des annexes.
Le problème ainsi renversé devient relativement simple. Les auteurs sont
toujours muets sur la cause qui a entraîné l'accolement de l'amnios ou du pla-
centa : d'ailleurs on ne voit pas bien sous quelle influence l'une ou l'autre
de ces deux parties sont venues au contact du foetus. On est conduit, par la
logique des choses, à admettre que c'est le foetus qui s'est déplacé pour venir
s'accoler à son annexe. Or, les mouvements spontanés d'un individu sain sont
notoirement insuffisants pour permettre un tel déplacement ; leur insuffisance
est surtout manifeste au 3" mois de la vie intra-utérine, âge auquel peut inter-
venir la méningite ; ces déplacements ne pourraient provoquer, dans tous les
cas, qu'un contact très léger et de très courte durée. Toutes ces conditions
sont peu favorables à l'accolement, et l'on est obligé d'invoquer, a priori,
de multiples circonstances pouvant, à la rigueur, expliquer un contact pro-
longé avec une certaine force.
Les difficultés se trouvent aplanies et les invraisemblances disparaissent
si l'on se rend à la réalité : l'inflammation évolue primitivement chez le
foetus ; l'accolement avec les annexes est la conséquence et non la cause
de cette inflammation foetale. Cela posé, nous comprenons que ces adhérences,
loin d'être la règle, soient exceptionnelles, et nous saisissons la cause qui les
détermine, quand elles se produisent : les convulsions, les secousses, - ma-
nifestations nécessaires de la méningite, impriment aux foetus des mouve-
ments d'une amplitude très supérieure aux mouvements spontanés d'un foetus
sain. Le méningitique vient butter contre les parois qui l'enveloppent ; il vient y
butter avec violence et, dans certaines circonstances, il est maintenu contre elles
un certain temps, grâce aux spasmes dont il est le siège. Sous l'effort du choc,
sous l'effort de la pression, l'inflammation se transmet du foetus à l'annexe, la
coalescence s'établit. On remarquera que, non seulement l'adhérence est secon-
daire, mais qu'elle est tardive ; elle ne peut guère intervenir qu'au moment où
XVIII 45
686 RABAUD
la destruction sous-cutanée a réduit la peau à une mince pellicule ; la disposition
de cette pellicule, déchirée par la violence du choc, laisse à nu les tissus en-
flammés.
Cette manière de voir est conforme à la réalité des faits anatomiques et cli-
niques.
Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait et ne puisse y avoir d'adhérences primitives.
Mais suivant toutes probabilités,ces adhérences primitives s'établissent entre les
brides de l'amnios et le foetus, et non entre le placenta ou l'amnios et le foetus.
Les brides, dont l'origine reste obscure, quoique probablement inflammatoire,
vont s'accoler au foetus de la façon la plus simple, par suite même de leurs
dispositions. Toutefois, il n'est pas impossible que l'amnios lui-même, pour
une raison quelconque, parvienne au contact du corps embryonnaire et con-
tracte avec lui des adhérences. J'en ai observé un exemple chez un très jeune
embryon de poulet (1).
Dans tous les cas, et c'est le point essentiel, lorsque ce phénomène a lieu,
il ne détermine pas l'anencéphalie ou la pseudencépalie; il détermine des pro-
cessus très différents, probablement aussi très variés. Au niveau de la surface
d'adhérence, s'établit alors une réaction inflammatoire, mais cette réaction est
circonscrite. Au niveau du crâne, elle peut s'opposer à l'ossification. Comme
conséquences secondaires, des actions mécaniques, constrictives où autres,
arrêtant la circulation locale, sont capables de détruire tels ou tels tissus. A cet
égard, il n'est pas sans intérêt de citer l'observation publiée par B. Fleischer (2)
relative à un foetus dont la voûte crânienne était remplacée par un sac résis-
tant, parcheminé, conservant les dimensions et l'aspect de la voûte osseuse.
Celle-ci d'ailleurs ne fait pas complètement défaut : elle existe sous forme de
lames minces, indépendantes les unes des autres. Le crâne renferme un li-
quide trouble, jaunâtre, tenant en suspension une masse molle, friable, de dé-
tritus granulo-graisseux. La surface de l'enveloppe extérieure présente des
traces non douteuses d'une large bride adhérant sur une assez grande
surface.
Dans ce cas, il y a acrânie au sens absolu du mot : mais cette acrânie diffère
essentiellement de celle qui caractérise la pseudencéphalie ; l'auteur lui-même
le reconnaît; de plus, le contenu de cette poche est sans rapport aucun avec
la tumeur méningitique. Il est possible que l'adhérence soit ici l'agent d'une
destruction secondaire évidente, agent déterminant une action dystrophique sur
l'ensemble des tissus céphaliques ; cette destruction n'a rien de commun avec
l'inflammation méningitique. Même, à voir les choses de près, il ressort de la
description de l'auteur que de tous les tissus de la région, le tissu des méninges
est celui qui a le moins souffert. Ce que nous trouvons ici, c'est un dévelop-
pement retardé du crâne osseux, c'est une désagrégation probablement is-
(1) Etienne Rauaud, Adhérences : amniotiques chez un embryon de poulet (Soc. de
Biol.. 1901).
(2) Bruns FLEISCIIEH, Ueber einen Fall von Akranie mit Amnionverwachsung und
seillicher Nasenspalle und uber einen Fall von Nollcencéphalie (Ein Beitraq zur
Théorie der Hemicephalie), Inaugural dissertatio. Tübingen, 1898-99.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE'ET DE L'ANENCÉPHALIE 687
chémique - de l'encéphale lui-même. Il n'est pas absolument certain que
l'adhérence soit le facteur de cette dégénérescence secondaire ; c'est dans tous
les cas, le maximum de ce qu'elle pourrait produire. Le plus souvent, l'adhé-
rence primitive reste superficielle, très localisée, ne détruisant que l'étendue
seule qui correspond à la formation d'un tissu cicatriciel.
Enfin, l'adhérence primitive, envisagée dans sa généralité, s'établit un peu
au hasard, intéressant telle ou telle région au gré des circonstances ; les mal-
formations secondaires qu'elle détermine sont nécessairement aussi très diver-
ses. La pseudencéphalie présente au contraire une morphologie générale nette-
ment caractérisée.
Une distinction s'impose donc nécessairement entre les adhérences qui
accompagnent ce type bien défini et les adhérences que l'on rencontre partout
ailleurs. Les unes sont secondaires, les autres sont (ou peuvent être) primiti-
ves. Il ne nous paraît persister aucune incertitude sur ce point.
CHAPITRE V
Conséquences et conclusions.
Les faits mis en lumière dans les pages qui précèdent comportent diverses
conséquences et conclusions d'ordre général, sur lesquelles il convient de s'ar-
rêter.
1. La pseudencépalie et l'arrêt de développement. - La pseudencéphalie
ou l'anencéphalie sous leurs diverses formes ne sont autre chose qu'une mé-
ningite cérébro-spinale dont l'évolution a pu se poursuivre jusqu'à destruction
complète du système nerveux et son remplacement par un tissu de sclérose,
grâce à la résistance que le foetus doit, d'une part, à sa vie parasitaire dans
l'organisme maternel, d'autre part à l'influence extrêmement légère que le sys-
tème nerveux exerce sur les processus évolutifs.
En dehors de la prolongation inaccoutumée des processus, la méningite foetale
présente les mêmes caractères généraux que la méningite de l'enfant ou de
l'adulte, elle se traduit par les mêmes signes fonctionnels, touchant surtout
aux contractions spasmodiques violentes et répétées du système musculaire.
Intervenant sur un squelette encore peu résistant et mal consolidé, ces con-
tractions déterminent des modifications de forme et des changements de situa-
tion qui demeurent comme une marque indélébile.
Lésions de voisinage et déformations mécaniques aboutissent à la constitu-
tion d'un type morphologique bien défini et remarquable par sa constance.
Mais ce type, par sa genèse même, reste sans aucun rapport avec une phase
quelconque de l'évolution normale. On ne peut, sous aucun prétexte, ramener
la pseudencéphalie et l'anencéphalie à la théorie classique de l'arrêt de déve-
loppement. Cette conclusion, qui est déjà celle de Vaschide et Vurpas, est
.d'autant plus intéressante que l'anencéphalie a passé pendant longtemps, et
passe encore aujourd'hui, pour l'exemple le plus remarquable servant à la
fois de point de départ et de confirmation à la théorie.
688 BABAUD
L'arrêt de développement au sens classique, qui comprend d'ailleurs en ma-
jeure partie des arrêts de croissance, est la fixation d'un état évolutif, sans
destruction ni déformation secondaires. L'ébauche intéressée conserve inté-
gralement les caractères superficiels d'une phase transitoire du foetus ou de
l'embryon. Quel que soit l'état de différenciation des tissus de cette ébauche,
ces tissus sont en bon état de santé ; ils se nourrissent et persistent. L'arrêt
de croissance ou de développement est un mode spécial d'adaptation de l'orga-
nisme ; c'est un processus histologique.
Nous n'avons ici rien de semblable. L'organisme foetal a été envahi en pleine
évolution normale par une atteinte morbide interne ; les tissus cérébral et mé-
dullaire ont été secondairement détruits et remplacés par une néo-formation
d'origine inflammatoire. L'atteinte morbide n'a pas été facilitée par une ano-
malie préexistante ; elle s'est abattue sur des ébauches normales, ainsi que le
prouvent surabondamment les fragments de ces ébauches que nous retrouvons
dans un certain nombre de cas. Et tandis que le système nerveux disparaissait
ainsi, envahi par la prolifération vasculo-conjonctive, le squelette encéphalo-
rachidien, primitivement normal, subissait une déformation considérable, sous
l'effort d'une action mécanique, conséquence immédiate de l'inflammation.
Si l'on fait abstraction de ces déformations secondaires, on reconstitue sans
peine l'ébauche normale, à laquelle il ne manque parfois aucune partie.
Aucun doute ne saurait subsister. Les foetus qui nous occupent ne sont pas
des foetus anormaux, ce sont des foetus malades.
Il n'est pas inutile d'insister sur ce point, car Zingerle a tout récemment ad-
mis que la pseudencéphalie (hémicéphalie) et l'anencéphalie résultent d'un trou-
ble très précoce intervenu chez l'embryon même.avant la fermeture de la gout-
tière médullaire, trouble portant obstacle à la constitution morphologique du
cerveau et aux différenciations cellulaires. Il fonde son opinion sur la micro-
myélie, assez constante chez les foetus qui ont encore une moelle, et sur diverses
anomalies qu'il a relevées, telles que des replis de l'épendyme, l'ouverture du
canal épendymaire, l'hétérotopie de la substance grise.
On ne peut évidemment nier que la moelle ait subi un notable arrêt de crois-
sance ; mais cet arrêt de croissance se produit nécessairement dès l'apparition
des premiers phénomènes inflammatoires qui apportent un trouble très grave
à la nutrition du système nerveux et ne tardent pas à supprimer le cerveau,
origine de toute une partie de la substance blanche de la moelle. Sous l'in-
fluence de cette dystrophie, il s'établit, entre la moelle et le rachis, une hété-
rochronie dont nous saisissons bien ici la cause prochaine.
Quant aux anomalies concomitantes, elles n'ont en somme aucune significa-
tion. Sans parler de l'ouverture du canal épendymaire, qui résulte d'une action
destructrice secondaire, ainsi que je l'ai observé après Waterston et Matthew,
les anomalies relevées par Zingerle sont loin d'être constantes, et pour ma
part, je n'en ai relevé aucune sur la série des sujets dont l'étude fait l'objet de
ce travail. Ces anomalies n'ont d'autre valeur que celle d'une simple coïnci-
dence. Il est, en particulier, très aventureux de rapprocher, comme le fait
Zingerle, les replis anormaux de la paroi épendymaire des productions kys=
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 689
tiques observées par Lebedeff le premier sur des embryons de poulet. Les
embryons observés par Lebedeff n'ont aucune relation avec [les pseudencé-
phaliens : les replis de la lame médullaire sont des formations accidentelles
qui ne sont même pas corrélatives de la disposition embryonnaire dont il
s'agit. C'est ce que j'ai observé moi-même de la façon la plus nette (1).
Au demeurant, les foetus étudiés par Zingerle possédaient une moelle anor-
male, mais se développaient toutefois comme des foetus sains ; ils auraient
pu arriver ainsi à la naissance, malgré les plis, malgré l'hétérotopie (2). Ces
foetus à moelle anormale sont secondairement, et tardivement, devenus ménm-
gitiques ; il y a phénomène de superposition de deux états : l'anomalie qui est
précoce ; la maladie qui intervient entre le troisième et le sixième mois.
Les divers faits que la dissection simple aussi bien que l'examen microsco-
pique mettent en évidence donnent, en effet, des indications concordantes rela-
tivement à l'âge auquel l'individu est atteint. Il est atteint, alors que les ménin-
ges sont bien constituées, que le système nerveux, fermé depuis longtemps,
à déjà pris son aspect morphologique définitif. Cela nous reporte au plus tôt
vers le troisième mois de la vie intra-utérine. C'est dès ce moment que sous
l'influence de l'inflammation la moelle cesse de s'accroître et de se différencier,
ou ne le fait plus que lentement. Toutefois, il existe entre les divers foetus,
tant au point de vue de leur moelle qu'au point de vue de leur squelette, des
différences marquées qui sont la preuve que l'invasion morbide peut faire son
apparition beaucoup plus tard. On doit admettre que ce moment d'invasion
oscille entre le troisième et le sixième mois. Rien n'empêche au surplus que
la méningite intervienne sur des foetus plus âgés encore.
Dans tous les cas, il s'agit bien ici d'une maladie foetale et non pas d'une
anomalie précoce de l'embryon ; la maladie peut évidemment intervenir chez
des sujets préalablement affectés d'une anomalie de la moelle.
Maladie et anomalie. - C'est une erreur assez répandue que de considérer
l'anomalie comme la forme spéciale de la maladie intra-utérine. L'exemple que
nous avons sous les yeux est, à ce point de vue, tout à fait instructif. Il nous
montre, en effet, qu'il n'existe aucune différence essentielle entre la maladie
du foetus et la maladie de même nom de l'adulte. Les processus anatomiques
sont les mêmes des deux parts ; seule, la prolongation de l'évolution de ces pro-
cessus caractérise la maladie foetale. Des deux côtés, nous retrouvons la des-
truction et la déformation qui sont l'apanage des phénomènes morbides. Il y
a loin de cette destruction, de cette déformation, aux modifications adaptatives
coïncidant avec des tissus sains qui évoluent dans une voie ou dans une autre,
conservant une forme spécifique ou acquérant une forme nouvelle ; mais cette
forme nouvelle est une forme primitive, d'emblée ; elle n'est pas le résultat
d'une action mécanique secondaire.
(1) Recherches embryologiques sur les cyclocéphaliens, Journal de l'Anatomie, 1901-
.1902.
(2) J'ai pu observer, chez l'adulte, un cas d'hétérotopie de la substance prise qui
n'avait entraîné avec elle aucune conséquence d'un ordre quelconques. Il n'y a d'ail-
leurs là rein de surprenant.
690 RABAUD
Entre l'anomalie et la maladie intra-utérine, il n'y a qu'un seul point com-
mun : toutes deux sont congénitales. C'est cette congénitalité qui est en partie
l'origine de la confusion courante ; la confusion est, on le voit, absolument
grossière. Tout ce qui est congénital n'est pas nécessairement tératologique ;
la pseudencéphalie tout particulièrement, production congénitale, n'est pas un
produit anormal.
2. Variétés anatomiques. - Isidore Geoffroy-Saint-IIilaire avait entrevu
cette distinction nécessaire entre les processus tératologiques et les processus
pathologiques. Mais les moyens lui faisaient défaut pour mettre en pratique sa
conception théorique. Aussi ne faut-il point s'étonner qu'il ait vu dans la pseu-
dencéphalie et dans l'anencéphalie, non seulement deux formes spéciales, aux-
quelles il découvrait des caractères différentiels, mais encore deux monstruo-
sités ayant leur place légitime dans sa classification entre les exencéphaliens
d'une part, les cyclocéphaliel1s d'autre part.
Tous les auteurs qui ont suivi, même les plus récents, ont accepté cette ma-
nière de voir, considérant sans doute comme intangible l'essai systématique
de Isidore Geofiroy-Saint-I-Iilaire. De l'exposé qui précède découle nécessai-
rement une conclusion toute différente : la pseudencéphalie et l'anencéphalie
doivent sortir du cadre tératologique pour entrer dans le cadre nosologique où
leur place légitime est dans le groupe des méningites.
Cela posé, il devient presque inutile d'ajouter combien sont artificielles, et
partant inutiles, les divisions diverses établies : nosencéphales, thlipsencé-
phales, pseudencéphales, dérencéphales et anencéphales.
Toutes ces formes représentent, soit des degrés dans l'envahissement de la
méningite, soit une variante dans la marche du processus. Toutes constituent
un groupe compact relevant du même processus morbide. Chez tous les indi-
vidus, sans exception, le processus a détruit le cerveau , chez quelques-uns la
moelle reste dans un état d'intégrité relative ; chez quelques autres la moelle a
disparu, remplacée par un tissu exactement semblable à celui qui remplace le
cerveau. Chez d'autres, enfin, la moelle a subi une dégénérescence antérieure
à la propagation intra-rachidienne de l'inflammation. Ce ne sont là que des
questions de degré. Zingerle, Pellizi (1), ont récemment reconnu cette unité
du processus, affirmant que l'amyélie et l'anencéphalie résultaient de la même
cause - dont ils méconnaissent d'ailleurs la nature Nous pouvons aller plus
loin et assimiler de la façon la plus complète tous les cas d'anencéphalie et de
pseudencéphalie. On peut, si l'on veut, grouper séparément d'un côté les nos-
encéphales, thlipsencéphales et dérencéphales chez lesquels la méningite est
plus spécialement cérébrale et d'un autre côté les pseudencéphales, chez les-
quels la méningite est nettement cérébro-spinale. Suivant le degré d'évolution
du processus, la tumeur sera bien formée, épaisse ou relativement mince :
ce dernier cas marquera l'étendue du processus terminal de sclérose. Quant aux
(1) G. B. PHLL121 (de Sassari), Noie analomiche e istologiche sopra alcuni casi di
anencephelia et di amielia (Annali di Frenatria et Scienze alf" vol. XIII, rase, 4, mars
1903).
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 691
anencéphales, ils correspondent sans doute à ces cas- particuliers où le tissu
céphalique a été détruit par des hémorragies abondantes avant que la néofor-
mation conjonctivo-vasculaire ait eu le temps de l'envahir; consécutivement
la moelle a dégénéré dans un rachis ouvert, il ne reste plus qu'un nombre
variable de troncs nerveux et une tumeur réduite à la méninge.
La précocité ou le retard de l'invasion déterminent la gravité des lésions : précoce
elle permet un envahissement plus complet et des déformations plus considéra-
bles; elle permet, en particulier, la déhiscence secondaire du rachis ; tardive,
elle laisse le temps aux parties squelettiques de se consolider et de résister aux
tractions musculaires.
Dans l'ensemble, ces distinctions reposent sur des caractères peu impor-
tants. L'envahissement n'est jamais strictement localisé : débutant par le cer-
veau, il descend plus ou moins bas vers la moelle, respectant le bulbe ou le
détruisant. La propagation du processus n'a d'autres limites que la durée de
son évolution intra-utérine ; tous les individus perdraient intégralement leur
système nerveux en entier si la grossesse était suffisamment prolongée rela-
tivement au moment de l'invasion. Il est donc sans intérêt de séparer des
formes qui ne correspondent à rien de réel ; il est particulièrement inutile de
retenir le néologisme proposé récemment par A. Léri et CI. Vurpas, celui
de bulbanencéphales (1), pour les foetus possédant encore un bulbe. Et je
n'insiste pas sur ce fait que le terme nouveau, assez peu significatif par lui-
même, fait vraisemblablement double emploi avec celui de nosencéphale.
Mieux vaudrait, en somme, renoncer complètement à ces dénominations
qui répondent à une conception inexacte et ne peuvent qu'induire en erreur.
N'est-il pas plus simple de décrire une méningite foetale, avec des variétés ?
Ces variétés tiennent à la durée de la maladie : la néoformation vasculo-
conjonctive se substitue soit au cerveau seulement, soit à la moelle et
au cerveau. Si la durée est suffisante, cette tumeur elle-même se transforme
en un tissu fibreux de faible épaisseur. Comme processus accessoire, auquel
répondent peut-être l'ensemble des cas d'anencéphalie (Dérencéphales et anen-
céphales), intervient une dégénérescence du système nerveux antérieure àl'en-
vahissement de la néoformation et qui laisse le processus méningé localisé
aux méninges.
Les déformations squelettiques marchent de pair avec ces variations anatomi-
ques. Nous savons cependant que la dégénérescence préalable de la moelle se
produit parfois dans un rachis fermé.
Enfin, il est fort à penser que les variations du processus méningitique ne
sont pas strictement limitées à ces destructions plus ou moins intenses, et qui
sont les plus communes. Andrieu (2) a récemment décrit un cas très curieux,
(1) A. LÉni et CL. Vurpas,, Contribution à la classification des monstres anencépha-
liens. Rôle physiologique du bulbe chez ces monstres (Congrès des médecins aliénistes
et neurologistes de France, XIIIe session, 1903, p. 541).
(2) B. J. ALBERT ANDtiIEU, Contribution à l'étude des tumeurs crâniennes d'origine
congénitale (variété de pseudo-encéphalie). Thèse de la Faculté de médecine de Tou-
louse, 1898.
692 RABAUD
caractérisé par l'existence d'une tumeur conjonctivo-vasculaire faisant hernie
au-dessus du crâne ; le cerveau, quoique mal développé, paraissait indemne
à l'oeil nu. L'auteur considère ce cas comme se rattachant à la pseudencépha-
lie ; cette assimilation est vraisemblablement exacte. Nous serions alors en pré-
sence d'un processus très localisé, n'ayant entraîné aucune lésion de voisinage,
ni aucune déformation bien accentuée. Il compléterait le tableau anatomo-
pathologique de la méningite foetate et concourrait à montrer une fois de plus
l'inutilité des désignations spéciales pour l'une quelconque des modalités
connues.
" 3. Pseudencéphalie, exencéphalie, acéphalie. Ce cas particulier contribue
également à soulever une autre question, celle des rapports de la pseudencé-
phalie avec l'exencéphalie.
Nous remarquerons, en effet, que la tumeur décrite par Andrieu est nette-
ment exclue du crâne. Il est probable que la non-propagation de la mé-
ningite au reste des enveloppes cérébrales résulte de cette situation nettement
exencéphalique. S'il en était ainsi, le foetus en question serait un foetus anor-
mal, porteur d'un encéphalocèle de petites dimensions, sur lequel serait venu
se greffer un processus inflammatoire. C'est bien là l'association fréquente de
l'anomalie avec la maladie, association qui a contribué pour sa part à créer la
confusion entre les productions pathologiques et tératologiques. Dissociant,
comme il convient, ces processus distincts par leur essence, nous concluons
qu'un Anormal devient malade aussi bien qu'un Normal, sans que ce fait si-
gnifié qu'anormal soit synonyme de malade. En outre, et surtout, nous nous
expliquons par quelle voie Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire a pu établir un
parallèle entre sa famille des Exencéphaliens et celle des Pseudencépha-
liens. 1
Il est incontestable que tout cerveau exclu de la cavité crânienne pour une
raison quelconque est un cerveau plus soumis que tout autre aux traumatis-
mes divers et, d'une façon générale, aux actions du dehors. Si, par sa consti-
tution propre, cet encéphale et ces méninges ne sont pas spécialement prédis-
posés à céder devant l'inflammation, leur situation anormale crée cette prédis-
position. Il est donc à croire qu'un certain nombre des types répondant au
complexe assez hétéroclite exencéphalie deviennent des méningitiques. En
particulier, tout semble montrer que le genre exencéphale (1) et le genre
iniencéphale (2) ont été créés après examen de sujets qui étaient peut-être
anormaux,mais surement méningitiques : les caractères de la tumeur,l'attitude
de l'individu ne laissent guère de doutes à cet égard. Le parallèle s'explique
ainsi très simplement; il repose sur un caractère commun, la maladie, isolée
dans un cas, se superposant, dans l'autre, à une anomalie.Cette anomalie, mas-
quée et détruite par le processus morbide, est restée entièrement méconnue.
Mais il y a plus. Nous avons vu que dans les cas de méningite tardive, l'os-
sification du crâne pouvait s'effectuer dans une assez large mesure. Les mus-
(1) ISIDORE GEOFFROY-SAIIVT-IiILAIRE, Traité de tératologie, t. II, p. 312.
(2) Ibid., p. 310.
PATHOGI.N1E DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 693
des prenant alors un point d'appui sur ce crâne résistant, le compriment au
point de le faire céder et de rejeter l'encéphale au dehors. Ainsi, comme con-
séquence immédiate de l'inflammation méningée, se produit une véritable exen-
céphalie, au sens étymologique. Cette disposition considérée superficiellement,
n'est pas étrangère au rapprochement établi entre la pseudencéphalie et
l'exencéphalie. Est-il besoin d'insister et de dire combien sont arbitraires
toutes ces comparaisons : qu'il s'agisse d'exencéphalie suivie de méningite, on
de méningite provoquant l'exclusion de la substance cérébrale hors du crâne,
la méningite n'eu reste pas moins entièrement différente, par son essence,
des processus divers, probablement même très divers, qui donnent au cer-
veau une situation anormale par rapport à la base du crâne, tout en laissant
ce cerveau intact. Tout parallèle est absurde entre ces processus et les actions
morbides dérivant de la méningite.
On trouve encore dans les auteurs une comparaison entre l'anencéphalie
et l'acéphalie. La comparaison allait même, pour Béclard, jusqu'à l'assimila-
tion. La- comparaison et le rapprochement sont fondés sur l'absence du crâne
et surtout sur l'état du système nerveux. Sans doute, on trouve parfois, chez
l'acéphale des vestiges du cerveau et, constamment, des vestiges de moelle en
assez mauvais état ; mais la différence est essentielle entre le tissu nerveux de
l'anencéphale et celui de l'acéphale : chez le premier, le tissu nerveux disparaît
sous l'effort d'un processus de néo-formation, chez le second le tissu nerveux
entre en dégénérence granulo-graisseuse, sans inflammation préalable, sous
l'action d'une dystrophie intense, par ischémie pure et simple. Cette ischémie
résulte,ainsi que je l'ai montré, des conditions même de la vie des acéphales (1).
Ceux-ci sont vraiment des types tératologiques par leur organisation tout
entière ; mais ils ne peuvent vivre que dans la mesure où leur circulation est
entretenue par un frère jumeau. Lorsque ce dernier cesse d'assurer la nutrition
générale du couple, l'acéphale meurt ; son système nerveux tombe le premier
en dégénérescence.
4. Spina-bifida et rachis déhiscent. - Il est un autre point que l'étude
attentive des pseudencéphaliens nous permet de mettre en lumière. Suivant
une habitude constante, les' dispositions du rachis ouvert des pseudencépha-
liens sont désignées sous le nom de spina-bifida, au même titre que certaines
dispositions anormales ayant un tout autre caractère. Chez ces dernières, la
moelle existe, souvent en bon état, mais affectant une forme générale qui s'é-
carte sensiblement de la normale : cette moelle est étalée en surface ; les gan-
glions spinaux sont attachés à sa face inférieure ; ses bords latéraux se rejoi-
gnent tardivement limitant une très large cavité épendymaire. Au-dessus du
toit de cette cavité, s'insinue fort peu de tissu conjonctif, en trop petite quantité
pour que le squelette osseux se différencie : le rachis est donc ouvert ; mais
l'ouverture est un phénomène primitif, par défaut de substance ; il est la con-
séquence d'une anomalie de la moelle épinière. Nous sommes loin de l'ou-
(1) Foetus humain paracéphalien hénziacép/zale (Journal de l'anatomie, 1900).
694 KABAUD
verture secondaire du rachis dans les cas de méningite foetale, ouverture qui
coexiste avec une moelle parfaitement normale plus ou moins complètement
détruite par la néo-formation conjonctivo-vasculaire. Par là encore, la pseu-
dencéphalie se sépare d'une production tératologique avec laquelle elle n'a en
commun qu'une similitude d'aspect. Le terme de spina-bifida étant consacré
par l'usage, et s'appliquant d'ailleurs exactement à un rachis non fermé par
défaut de substance, il conviendrait de désigner la disposition spéciale à la
méningite foetale sous le nom de rachis déhiscent qui exprime clairement le
fait de l'ouverture secondaire.
5. Signification de l'hémicéphalie. - Divers auteurs, et plus spécialement
les auteurs allemands, englobent sous le terme d'hémicéphalie ou d'acrânie
toutes les productions congénitales chez lesquelles fait défaut la voûte du
crâne. Cette coutume constitue une erreur grave capable d'engendrer de nom-
breuses confusions, ainsi qu'on peut s'en convaincre en lisant les diverses théo-
ries proposées pour rendre compte de « l'hémicéphalie» » (1). Chacune d'elles -
ou la plupart s'efforce de ramener tous les cas à un même processus ; c'est
tenter là une oeuvre impossible. Si le plus grand nombre des productions congé-
nitales présentant l'hémicéphalie ont pour origine la méningite foetale que nous
venons de mettre en relief, il s'en faut que l'absence de la voûte crânienne
résulte toujours d'une destruction consécutive à l'inflammation. -Nous avons
signalé précédemment l'observation de Fleischer, de laquelle il ressort que l'ab-
sence partielle de tissus osseux dépend d'une cause tout à fait différente, pro-
bablement d'une adhérence amniotique ; cette hémicéphalie coïncide avec une
dégénérescence granulo-graisseuse du tissu cérébral. ij
En d'autres circonstances, les parois du crâne font défaut pour des raisons
qui restent à préciser, tandis que le cerveau est absolument intact. L'hémicé-
phalie paraît être alors primitive ; elle a pour conséquence une sorte d'exencé-
phalie, sans déplacement du cerveau. \
Ces trois cas sont essentiellement différents les uns des autres : si, dans le
dernier, l'hémicéphalie-peut être considérée comme le processus initial et im-
portant, dans les deux autres, il est secondaire et reconnaît deux origines
différentes ; il est un caractère accessoire, qui disparaît en quelque sorte au
milieu des caractères essentiels.
La valeur propre de l'hémicéphalie en général, et relativement à la ménin-
gite foetale, est encore marquée par l'existence de foetus pseudencéphaliens
possédant un crâne aplati, mais cependant complet. L'absence d'hémicéphalie
ne modifie aucun des caractères de la pseudencéphalie : il n'y a qu'une lésion
de voisinage en moins, marquant simplement le retard d'invasion du processus
morbide. C'est à cela que se borne l'intérêt de l'hémicéphalie ; il est illégitime
d'en faire une disposition essentielle, capable de relier entre elles diverses
productions congénitales, les unes anormales, les autres pathologiques.
(1) MAHLER, Ein Beitrag zu^ Théorie de,' hémicéphalie (Arbeiten a. d. pathol. Instit.
zu Tribingen herausgegeben von prof. Dr P. v. Baumgarten. Bd. II, lIeft. III, 1893.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 695
6. Destruction des centres et persistance des ganglions. - L'absence de
système nerveux chez les pseudencéphaliens a fait éclore un certain nombre
de considérations relatives au développement des parties de cet appareil. Les
observateurs ont été frappés de ce fait que la disparition ou la non formation
pour quelques-uns - de l'axe cérébro-spinal n'entraînait pas la disparition des
ganglions rachidiens et crâniens. On s'est étonné de voir les yeux exister et
même atteindre un degré très avancé de différenciation ; on s'est étonné de re-
trouver les ganglions spinaux en état d'intégrité relative, bien que enveloppés,
étouffés presque, au milieu d'un tissu conjonctivo-vasculaire banal.
Les plus prudents s'en sont tenus à l'étonnement et se sont gardés de con-
sidérations embryologiques. Mais d'autres n'ont pas craint de renouveler la
vieille doctrine du développement centripète que Serres avait tirée d'obser-
vations superficielles. Les connaissances actuellement acquises sur l'évolution
embryonnaire ont définitivement renversé cette conception et je n'aurais pas
songé à la relever si elle n'en avait eu un écho dans un assez récent travail (4),
si la théorie caténaire n'intervenait pour nous proposer de croire à l'indépen-
dance originelle des nerfs et du névraxe.
L'exposé qui précède ne laisse aucun doute sur l'existence préalable du
système nerveux central ; il s'est formé, il s'est développé, tandis que nais-
saient les ganglions et que les prolongements nerveux apparaissaient en rela-
tion de continuité avec les cellules des centres moteurs et sensitifs. C'est une
fois l'ensemble constitué qu'est intervenue la méningite : celle-ci a gagné len-
tement de dedans en dehors,trouvant dans la dure-mère un obstacle difficile à
franchir, se propageant d'ailleurs avec peine aux troncs nerveux qui parcou-
rent le canal rachidien. C'est très tardivement que ceux-ci sont à leur tour
détruits ; ils sont cependant atteints, avant même que le tissu central ait en-
tièrement disparu. Les constatations histologiques sont précises sur ces divers
points.
Ce qui, au premier abord, peut surprendre un esprit prévenu, c'est que,
par le fait même de la suppression du névraxe, les ganglions ne dégénèrent
pas eux-mêmes rapidement. Il semblerait, en effet, qu'il dût en être ainsi; que
les yeux aussi bien que les ganglions spinaux ne dussent pas attendre la pro-
pagation de la méningite pour dégénérer et disparaître. Il n'en est pas ainsi
et cela ne signifie rien quant au sens du développement et à l'origine des par-
ties. A voir simplement les dispositions anatomiques, nous pourrions l'affirmer
hautement ; rapprochant ces dispositions de certaines données expérimentales,
nous pouvons, en outre, penser que non seulement la mort du névraxe n'en-
traîne pas la mort des ganglions, mais que, même, ceux-ci continuent de se
différencier un certain temps après leur libération. C'est ce qui ressort des
expériences de Schaper que nous avons signalées. Et nous pouvons en conclure
que l'état de différenciation où nous trouvons l'oeil et les ganglions a été acquis
bien après l'invasion de la méningite ; cette différenciation est parfois, en effet,
(1) E. DE INIASSARY, Le tabes dorsalis. Dégénérescence du protoneurone centl'ipète (Thèse
de la Faculté de médecine de Paris, 1896).
696 RABAUD
beaucoup plus avancée que ne le comporterait l-'âge^auquel a disparu le système
nerveux. Quant aux nerfs moteurs, ils dégénèrent beaucoup plus rapidement
et rentrent ainsi dans la règle générale.
Ce point était intéressant à relever ; il montre combien il est dangereux de
tirer certaines conclusions de faits purement pathologiques.
La persistance des ganglions a donné lieu à des considérations d'un autre
ordre. On a rapproché leur intégrité , tout au moins relative, de la prolonga-
tion de la vie et de la vie extra-utérine des foetus pseudencéphaliens.La survie,
on le sait, peut être assez longue et atteindre 6 à 8 jours dans les cas les plus
heureux. Il est fort douteux que la vie extra-utérine soit le fait du système
nerveux lui-même. Quel que soit le degré des lésions, ces lésions existent tout
le long du névraxe, de sorte que le rôle de ce névraxe serait plutôt de s'oppo-
ser à l'existence que de la prolonger. L'objection porte aussi bien sur la moelle
que sur le bulbe et, jusqu'à plus ample informé, les observations de Bender et
Léri (1) d'où il résulte que deux foetus sans bulbe sont mort-nés avant terme,
tandis que deux avec bulbe sont nés vivants après terme, doivent être tenus
pour de simples coïncidences. La conclusion logique en serait que la grossesse
doit se prolonger d'une manière indéfinie chez les foetus dont l'ensemble du
système nerveux est parfaitement sain.
Des raisons analogues valent pour les ganglions spinaux ; bien qu'ils existent,
ils sont toujours lésés d'une façon plus ou moins grave ; ils sont d'ailleurs
isolés du système central et réduits à un rôle très restreint. Il suffit, au sur-
plus, de se rappeler qu'une atteinte méningitique autrement légère que celle
que nous observons ici tue un nouveau-né ou un adulte, pour conclure immé-
diatement que ces mêmes lésions du système nerveux, loin de contribuer à
conserver la vie, la supprimeraient également chez un foetus.
On peut d'ailleurs opposer à cette survie qui ne se prolonge que très excep-
tionnellement, la survie observée par Durante dans un cas tout à fait différent^).
Il s'agit ici, en effet, d'un nouveau-né dont l'encéphale avait disparu sous l'ac-
tion d'une hydrocéphalie externe, mais qui possédait un bulbe et une moelle
intacts. Ce sujet ainsi décérébré a pu vivre 20 jours, durée infiniment supé-
rieure à la plus longue de celles que l'on a constatées chez les pseudencépha-
liens. Mais ici, la destruction du tissu cérébral résultait en somme d'une action
purement mécanique; le bulbe et la moelle intacts n'étaient point excités et pro-
gressivement envahis par une inflammation intense ; ils pouvaient fonctionner
dans la mesure où le permet leur autonomie : le système nerveux non enflammé
entretient la vie ; le système nerveux enflammé la supprime.
Ainsi que nous l'avons précédemment exprimé, c'est dans l'état de parasi-
tisme où se trouve le foetus vis-à-vis de l'organisme maternel qu'il faut cher-
cher l'explication de la vie intra-utérine prolongée, prolongée même, paraîtrait-
(1) X. BENDER et A. Léri, Sur la prolongation possible de la grossesse dans les cas
d'anencéphalie, Soc. de Biol, 1903, p. 1136.
(2) G. DURANTE, Hydrocéphalie externe avec destruction presque totale de l'encé-
phale et survie de vingt jours (Soc. Anat., 23 fév. 190)0.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 697
il, dans certains ; cas au-delà du terme ordinaire. Cet état de parasitisme seul
semble capable de lutter contre les causes de mort qui viendraient précisément
du système nerveux si le système nerveux jouait chez le foetus le rôle im-
portant qu'il joue chez l'adulte.
Au moment de la naissance, le système nerveux central, quand il en persiste
un fragment, reprend toute son action. Cette action est alors nécessairement
défavorable. La survie tieut donc nécessairement à une autre cause ; il semble
qu'il faille chercher cette cause dans le grand sympathique. Ce système, en
effet, est constamment en état d'intégrité en quelque sorte absolue ; il est
anatomiquement et physiologiquement autonome, il porte son action motrice,
sensible, trophique sur l'ensemble des organes ; on ne saurait être surpris
qu'il prouve à un foetus dépourvu de moelle et de cerveau une vie pré-
caire sans doute - mais une vie de quelques jours. D'après une observation
très ancienne citée par Breschet (1), Hull aurait observé chez des anencépha-
liens une sensibilité de l'iris à la lumière : le fait ne serait pas impossible,
mais il s'expliquerait précisément par l'action du sympathique, l'oeil étant
complètement isolé de tout centre cérébral ou médullaire.
Ce rôle du sympathique après la naissance paraît incontestable ; seul ce sys-
tème est capable de maintenir, dans une mesure aussi faible que cela soit, le
fonctionnement général d'un organisme qui a été le siège d'une action morbide
aussi intense que celle qui résulte d'une méningite évoluant longuement, au-
delà du terme possible chez l'adulte, et provoquant les lésions destructives, les
déformations mécaniques d'où résulte le type morphologique sur la significa-
tion duquel les données précises ont fait si longtemps défaut.
Les résultats consignés dans ce mémoire sont contenus dans les propositions
suivantes.
I. La pseudencéphalie et l'anencéphalie représentent des degrés divers d'une
seule et même maladie congénitale.
II. Cette maladie est une méningite à début cérébral qui se propage pro-
gressivement vers les méninges rachidiennes.
III. Les caractères anatomiques de la méningite foetale ne diffèrent pas,
quant à leur essence, de ceux de la méningite évoluant chez l'enfant ou l'a-
dulte ; seulement, grâce à sa vie parasitaire sur l'organisme maternel, le foetus
offre une très longue résistance à la mort. Dans ces conditions, l'évolution des
lésions méningitiques se poursuit bien au-delà du terme habituel.
. IV. Les lésions se développent tout d'abord sur les méninges, en dehors du
tissu nerveux : les vaisseaux se multiplient, leur paroi s'épaissit et l'épaissis-
sement permet aux vaisseaux voisins de confondre leurs parois en une seule
masse conjonctive fondamentale ; il en résulte une production conjonctivo-
vasculaire caractéristique : l'inflammation se termine par sclérose.
(1) E. Breschet, Article Anencéphalie du Dictionnaire de médecine, 1821.
698 RABAUD
V. Pendant ce temps, se produisent à l'intérieur du tissu nerveux des hé-
morragies de plus en plus abondantes qui envahissent peu à peu la majeure
partie du tissu nerveux et le détruisent. Concurremment, la prolifération vas-
culo-conjonctive gagne des méninges vers le névraxe. Peu à peu le tissu céré-
bral disparaît et à sa place se trouve la tumeur vasculaire connue.
VI. Dans la moelle, à ces actions destructrices (hémorragies, envahissement
conjonctif et vasculaire) s'ajoute la dégénérescence des cordons blancs consé-
cutive à la disparition du cerveau.
VII. On observe diverses variantes dans ce processus ; les hémorragies in-
tra-cérébrales et l'exsudation séro-sanguine inflammatoire peuvent détruire tout
le tissu nerveux avant la constitution de la tumeur vasculaire. Comme consé-
quence, la moelle dégénère elle-même très rapidement ; la tumeur rachidienne
ne se constitue pas ou reste limitée à la prolifération méningée. On trouve
parfois alors, dans le canal rachidien, les nerf postérieurs, seuls restes de l'axe
spinal (Anencéphales des auteurs).
VIII. A ces lésions correspondent des signes fonctionnels qui se traduisent
par les mouvements spontanés du foetus et par diverses dispositions morpho-
logiques qui sont les signes fonctionnels fixés.
IX. L'attitude particulière des foetus n'est autre, en effet, que le résultat
des contractions des muscles de la nuque qui ont, à la longue, provoqué une
flexion de la colonne cervicale. L'ouverture du rachis provient également de la
traction opérée sur les lames vertébrales.
X. Du côté du crâne, les dispositions tiennent, d'une part à la propagation
des lésions vers le dehors : elles détruisent le crâne membraneux, respectant
le crâne cartilagineux ; d'autre part aux actions musculaires qui tirent en
dehors les cartilages libérés par la suppression de la voûte membraneuse.
XI. La méningite foetale intervient d'une façon précoce ou tardive. Dans ce
dernier cas, la voûte membraneuse résiste davantage et les actions musculaires
tendent à exclure le cerveau de la boîte crânienne. La paroi de la boîte cède
sur la ligne médiane, le cerveau passe entre les deux moitiés de l'occipital. La
voûte s'aplatit alors sur la base et s'ossifie : la pseudencéphalie existe, mais
sans hémicrânie.
XII. La méningite, en dehors de cette répercussion motrice, ne modifie pas
sensiblement la nutrition générale de l'individu. Ce fait permet de dire que le
système nerveux n'a pas une action nécessaire dans le développement foetal.
XIII. L'origine de la méningite foetale n'a rien à voir avec les faits d'adhé-
rence placentaire ou amniotique. Ces adhérences, quand elles existent, sont
le résultat et non la cause de la méningite. L'agent infectieux est probablement
très variable.
XIV. Diverses conséquences découlent de l'ensemble de ces données relati-
vement à la différence existant entre l'anomalie et la maladie, à la significa-
tion de l'hémicrânie, etc., etc.
PATHOGÉNIE DE LA PSEUDENCÉPHALIE ET DE L'ANENCÉPHALIE 699
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Sur l'existence d'une irritabilité excito-motrice primitive, indépendante des voies
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1904.
II. Z;f<GERLÉ. Ueber Storim gen der Anlage des Centralnervensystems auf Grundlage
xviii 46
702 RABAUD
der Untersuchung von Gehirn-Ruckenmark Missbildungen. Arclav. (ür Eietw. Mech.
XIV (1).
- Laboratoire d'évolution des êtres organisés, à la Sorbonne.
(1) Depuis que ce mémoire est imprimé, deux travaux ont paru :
G. F. COS\fETTAT05. - L'oeil des Anencéphales. Archives d'ophtalmologie, 1905,
t. XXV, n° 6.
N. A. PETZALis et G. Cosjiettatos. Quelques considérations sur les Anencéphaliens.
Etude histologique du système nerveux d'un foetus anencéphale. Annales de Gynéco-
logie et d'Obstétrique, octobre 1905, 2° série, t. II. e
Il s'agit de l'examen d'un seul cas et qui ne paraît pas avoir été fait dans les meil-
leures conditions. Les auteurs notent cependant que les « racines présentent une
riche vascularisation » ; ils notent également de l'épaississement des méninges et
parlent d'inflammation chronique. Mais pour eux, le début des lésions se trouve dans
le canal épendymaire. Ils concluent donc à une hydrocéphalie qui pourrait être « la
conséquence de la méningite ou épendymite ». On observera la sage incertitude de ces
conclusions établies sur un seul cas, et je ne puis que renvoyer à tout ce qui précède.
Les photographies que je publie me paraissent de nature à convaincre autrui, comme
elles m'ont convaincu moi-même. Car, est-il besoin de le dire, jai abordé la question
en n'ayant à son sujet aucune idée préconçue.
SUR QUATRE COMPOSITIONS DE GOYA
(ACADÉMIE SAN FERNANDO)
par
A. MARIE,
Médecin en chef à l'asile de Villejuif.
L'oeuvre de Goya si riche, si variée, si déconcertante souvent, a déjà fait
l'objet d'études médicales nombreuses. Ici même, au retour du Congrès de
Madrid, M. le Dl' Laignel-Lavastine appelait l'attention sur un tableau du
musée du Prado, Les Sorciers (1). ·
Goya semble avoir eu toujours une prédilection marquée pour le fantas-
tique, particulièrement au déclin de sa vite. z
A l'époque de sa gloire et de son talent, lorsque jeune et fort, en plein
succès, il croyait bientôt exaucées ses espérances délibérai « Afrancesado »,
il vit ses illusions détruites et l'intervention française souhaitée tourner
contre l'Espagne ; les libertés entrevues sombraient dans la domination,
étrangère. Nul plus que lui n'a exprimé de façon plus poignante la dé-
chirante amertume, l'horreur de l'oppression étrangère et de la guerre
rédemptrice, mais cruelle, que nécessita l'affranchissement.
On ne peut oublier l'impression tragique éprouvée au musée du Prado,
à la vue des fusillades nocturnes des patriotes madrilènes. Les sombres
silhouettes des soldats de Murât fusillant à bout portant des hommes du
peuple, éclairés violemment par la lanterne sourde des gendarmes, tandis
qu'un capucin brandit son crucifix. Plus loin, les mameloucs surpris par
la foule sont arrachés de leurs montures et poignardés dans un mouve-
ment saisissant qui évoque à la fois la furie des courses de taureaux et
le réveil des haines mal assoupies contre les Maures.
Ce sont là visions sanglantes inspirées à l'artiste, par son patriotisme
indigné.
Mais le sinistre et le macabre s'accentuent encore dans ses dernières
eaux-fortes politiques à double sens, telles que la dernière série de
« Malheurs de la guerre », et « los Proverbios ». Il est permis de se deman-
der s'il n'y eûtlà qu'une manifestation géniale d'un romantisme échevelé.
On sait que Goya, au déclin de sa vie, fut frappé de cécité; comme
(1) Voy. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, N° 1, 1904.
704 MARIE
Beethowen, après tant d'années de productions musicales géniales, perdit
l'ouïe et survécut privé des chefs-d'oeuvre mélodiques sortis de son propre
cerveau, Goya, après tant d'années de productions artistiques picturales,
devint sourd et aveugle après avoir évoqué tant de compositions gravées
ou peintes, du pittoresque le plus émouvant.
On peut parcourir, comme je l'ai fait, à l'Académie San Fernando, la
série par ordre de dates, de ses compositions gravées, celle surtout des
premiers tirages, avant retouches, où les demi-teintes sont respectées. On
y peut voir, au sur et à mesure que l'auteur avance en âge, un caractère
fantomatique très net. Le côté énigmatique de ces compositions passe des
évocations tauromachiques et de l'inquisition ou de la sorcellerie à la série
des horreurs de la guerre, de l'échafaud et des prisons, puis viennent le
paysages fantastiques et les proverbes.
C'est à la fin de ceux-ci qu'on rencontre nos tableaux presque entiè-
rement hallucinatoires avec des ombres falotes à la fois grotesques et
effrayantes, tout à fait typiques des visions oniriques.
Les personnages perdent même parfois la figure humaine ; prenant
plusieurs pieds et plusieurs têtes, ils deviennent des monstres par la forme
et la dimension, ou bien leur silhouette forme des têtes grimaçantes
variées, selon le sens où l'on se place, comme ces devinettes enfantines
où les nuages ou les arbres forment des personnages insoupçonnés. -
Suivant Carderera (Gazette des Beaux-Arts, septembre 1868) et
d'autres écrivains, les proverbes étaient le coup de tonnerre du génie de
Goya; sans leur assigner une date positive, ils inclinent à les croire le
fruit de la vieillesse du maître.
Nous transcrivons dans la catalogue raisonné de P. Lefort (Paris,
Renouard, 1877, p. 91) les notices descriptives des trois planches dont
nous donnons la reproduction :
Pl. LXXVIII, A. N° 139. Une femme, dont les traits expriment la colère,
a saisi la main d'un homme qui s'incline en se frappant le front et parait
vouloir le contraindre à se rapprocher d'une autre femme, dont elle retient
également la main. Près de l'homme incliné, un personnage, couvert d'un
long manteau, semble lui donner quelque prudent conseil. A gauche, deux
individus à têtes grotesques et à masques multiples, les uns gais, les
autres tristes, regardent cette scène. L'artiste a donné à l'homme et à la
femme que l'on veut réunir, à l'un de doubles bras à l'autre une tête
à deux visages. A l'angle que forme le bras de la femme, apparaît un
profil d'homme à moustaches.
Dim. : larg. 322 mill. ; haut., 214 mill.
Pl. LXXIX, C. N° 140. Assis sur un étroit banc de bois, un vieillard
obèse, chauve et de mine hypocrite, les mains croisées l'une sur l'autre,
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière
T. XVIII. Pl. LXXVIII
COMPOSITIONS DE GOYA
(Académie San Fernando)
(A. Marie.)
Masson & CIt Edueurs
rbctotwlc Berthand, T'ans
SUR QUATRE COMPOSITIONS DE GOYA 705
vient d'éternuer violemment. A sa droite, divers spectateurs paraissent
se moquer de lui ; derrière eux, un homme à cheval regarde cette scène
avec dédain. A gauche, deux individus s'approchent du vieillard avec
une certaine réserve et semblent le palper timidement du bout des doigts,
comme pour s'assurer que c'est bien lui qui a éternué ; derrière ces deux
curieux, que menace un chien réfugié dans les jambes nues et décharnées
du bonhomme, on remarque un homme accroupi et tenant une seringue.
Dim. : larg., 324 mill. ; haut., 219 mill.
Pl. LXXVIII, B. N° 141. Sur un fond de ténèbres, un vieillard, couvert
de longues draperies, s'avance en chancelant sur ses genoux. Tout au-
tour de lui surgit une nuée de fantômes, de spectres et d'apparitions (ses
victimes peut-être ? ), qu'il semble vouloir écarter de son bras'étendu. A
gauche, on distingue un homme dans l'attitude d'un' supplicié; ça et là
voltigent des oiseaux gigantesques à tête humaine. Aux pieds du vieillard
un cadavre est étendu en travers du sol. ' .
Dim. : larg., 319 mill. ; 209 mill.
Réaliste intrépide, dit Desdevies du Dezert, ne reculant devant au-
cun détail brutal ou répugnant, Goya est en même temps le prince des
fantastiques. Sa pointe crée des monstres changeants comme ceux que le
vent modèle dans la neige des nuages. La vie lui apparaît comme une si-
nistre énigme, le monde comme une maison de fous. La sottise orgueil-
leuse y commande, la sottise humble y obéit. Les passions sont insensées,
les joies sont vaines, le bien est un mirage, le progrès une duperie ; tout
est contradiction, apparence et mensonge ; il n'y a de réalités que le nial.et
la douleur. Et pour traduire ces idées intraduisibles, l'artiste poète invente
des images inouïes, forge des chimères délirantes^ multiplie les contrastes,
les incohérences, les impossibilités. Jamais les fluctuations de la .pensée,
la rapidité et la mobilité des impressions qui se succèdent dans le cerveau,
l'étrangeté des conceptions de l'esprit n'ont été rendues par le dessin avec
une pareille clarté. La musique seule semble faite pour suivre la médi-
tation dans ses envolées et ses chutes. Ce qu'elle dit avec ses vagues ac-
cords, ses notes sans fin répétées, ses silences, ses dissonances, ses plain-
tes, ses triomphantes harmonies ? Goya le traduit sur le cuivre avec la
pointe et l'eau-forte. C'est par là qu'il mérite un rang à part entre tous
les artistes, et par là que son oeuvre a acquis une valeur documentaire et
symbolique que ne possède aucune autre. 1 . ,
On ne saurait s'appuyer sur les évocations cauchemaresques d'un ar-
tiste de génie pour arguer de la folie de l'auteur, ce serait tomber dans le
travers tant reproché aux psychiatres de voir des fous partout. Cependant,
le génie a des visions comme la folie, et le caractère commun à ces deux
sortes de projections du cerveau est qu'elles sont soumises à des lois com-
706 MARIE
munes qui les relient.L'artiste véritable ne saurait inventer l'irréel ; pour
bien peindre le malade ou le difforme, il reproduit les attributs réels et ty-
piques de la maladie et de la tératologie ; de même les rêves émouvants de
Goya sont identiques aux visions vécues des hallucinés oniriques. Et com-
me pour montrer qu'il a pu observer ces derniers de près, Goya nous a
laissé une peinture inoubliable de l'asile d'aliénés de son temps.
La casa de locos à l'Académie San Fernando de Madrid nous montre le
vieil asile du siècle dernier (à peine disparu en certains coins d'Espagne).
Comme dans toute l'oeuvre-du maître, le symbolisme n'y perd pas ses
droits, et on ne peut s'empêcher de penser aux allusions satyriques des
« caprices » contemporains de cette oeuvre ; on cherche instinctivement
une de ces annotations énigmatiques dont Goya était coutumier, rappro-
chant la scène de démence de la situation politique et sociale de l'Espagne
d'alors.
Pl. LXXIX, D. Au centre de la composition un énergumène nu coiffé
d'un tricorne et tournant le dos. Il s'escrime des poings dans le vide contre
un ennemi inexistant. A ses pieds, à droite, un roi hébété et sans sujets
couronné de cartes à jouer, tient son sceptre ridicule et se cramponne à son
propre pied gauche ce qui le fait chanceler. Plus à droite encore un pontife
sans fidèles envoie ses bénédictions dans le vide.
A gauche une cohue grimaçante se presse autour d'un messie bouffon
couronné de plumes et la palme au poing. On lui embrasse pieds et mains.
Il est suivi d'une ombre encapuchonnée dévôtement inclinée ; à ses pieds
un fou éclate de rire en le montrant tandis qu'un autre se prosterne sous
le poignard d'un homme agenouillé. Derrière un homme assis se gratte la
tête comme quelqu'un de mal éveillé, égouttant de la main droite un corns
à boire.
Le tout sous de sombres voûtes dallées, qu'éclaire d'en haut, une baie
grillée. Pas de gardiens, et des guenilles rares pour tout vêtement.
« Dans la tombe de Goya, dit Théophile Gautier, est enterré l'ancien
art espagnol, le monde à jamais disparu des toreros, des majos, des ma-
nolas, des contrebandiers, des voleurs, des alguazils et des sorcières,
toute la couleur locale de la Péninsule. Il est venu à temps pour recueillir
et fixer tout cela. Il a cru ne faire que des caprices, il a fait le portrait et
l'histoire de la vieille Espagne, en croyant servir les idées et les croyances
nouvelles. »
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrièrl
T. XVIII. Pl. LXXIX
COMPOSITIONS DE GOYA
(Académie San Fernando)
(A. Marie.)
Masson & Clr, Editeurs
TABLE DES MATIÈRES
Achondroplasie (deux cas) (3 pl.), par
Pardon, SHUNDA et ZAPLACIITA, 539.
Achondroplasie vraie et dystrophie périos-
lale (6 pi.), par PORAK et DUHANTE, 481.
Acromégalie avec lésions hyperplasiques
du corps pituitaire, du corps thyroïde
et des capsules surrénales (6 fig.), par
Ballet et LAIGNfiL-LAVASTINE, 176.
Affection spastique bulbo-spinale fami-
liale (1 pl.), par Ballet et Rose, 404.
Ambroise Pare' (17 fig., 4 pl.), par Debove,
92.
Anencéphalie (palhogénie de la pseuden-
céphalie et de l'-) (12 fig., 2 pl.), par
RABAUD, 345, 602, 675.
Aphasie amnésique (3 pl.), par HALl PRÉ,
36.
Atrophie musculaire du type Aran-Du-
chêne d'origine syphilitique (2 pl.), par
LANNOis, 593.
Attitudes vicieuses par contractures hyslé-
riques chez les enfants (2 fig.), par BROCA
et HERBINET, 443.
Cérébral (de quelques altérations du tissu
- dues à la présence de tumeur) (4 fig.,
3 pl.), par Weber et PAPADAKI, 140.
Contractions synergiques paradoxales à la
suite de la paralysie faciale périphéri-
que (1 pl.), par Lamy, 424.
Contractures hystériques chez les enfants,
attitudes vicieuses (2 fig.), par BROCA
et HERIJINBT, 443.
Contractures précoces el permanentes dans
un cas d'hémiplégie de l'adulte (1 pi.),
par A. GAUSSfiL, 241.
Crampes des écrivains el torticolis d'ori-
gine mentale, par BoNNus, 285.
Crampe professionnelle et son traitement
par le massage méthodique et la réédu-
cation (3 fig., 1 pl.), par KOUINDJY, 115.
Déformation thoracique précoce consécu-
tive aune pleurésie aiguë (1 pl. par
MATIGNON, 210.
Déformations séniles du squelette simulant
la maladie de Paget (2 pl., 2 fig.), par
MocQuoT et MOUTIER, 61.
Démonopathie (Epidémie de Morzine (1861-
1865) (1 pl.), par MARGAIN, 471.
Difformité congénitale des membres (3 pl.),
par VALOBRA, 560.
Dysostose cléido-crânienne et héréditaire
(Une famille de quatre sujets atteints
de) (5 pl., 3 fig.), par VILLARET et FRAN-
cEz, 304. '
Exostoses multiples (6 pl.), par LAUNOis
et Trémolières, 621.
Exostoses osléogéniques de développement
(3 pl.), par SmoNINI, 63.
Extension des orteils dans l'art (1 pl. ),
par LAIGNEI.-LA VASTINE, 117.
Familiale (affection spastique bulbo-spi-
nale -) (1 pl.), par Ballet et Rose, 404.
Fous (Deux saints guérisseurs des -) (2
pl.), par Henry MEIGE et RUDLER, 112.
Friedreich (maladie), et lzérédn-alaxie cé-
rébelleuse (8 pl.), par RAYMOND, 5 et 121.
Goya (Quatre compositions de -) (2 pl.),
par A. Marie, 703.
Hémiatroplzie cérébelleuse (méningo-encé-
phalite diffuse et chez un chien)
(2 fig.), par Marchand, PETIT et COQUOT,
234.
Hémiplégie (contractures précoces et per-
manentes dans le cas d'- de l'adulte)
(1 1 pl.), par GAUSSEL, 241.
liéniispasme facial périphérique (1 pi.),
par BABiNsKi, 419.
Hérédo-ataxie cérébelleuse et maladie de
Friedreich. (8 pl.), par RAYMO'OE, 5 et
121.
708 TABLE DES MATIÈRES
Marche (Rôle des muscles spinaux dans
la - normale chez l'homme) (1 pl., 6
fig.), par Lamy, 49.
Méningo-encéphalite diffuse et hémiat ? ,o-
hie cérébelleuse chez un chien (2 fig.),
par Marchand, G. Petit et CoQUOT,
234.
Méthode d'examen du système nerveux
(1 pl.), par RENAUD, 399.
Micromélies congénitales. Achondroplasie
vraie et dystrophie périostale (6 pl.),
par Ponnl : et Durante, 481. -
Muscles spinaux (Rôle des -) dans la mar-
che normale de l'homme (1 pl., 6 fig.),
par LA11Y, 49.
Myasthénie hypotonique mortelle (1 pl.),
par DurRÉ et PAGNirz, 247.
Myopathie primitive progressive (Deux
frères atteints de -) (1 fig., 1 pl.), par
Nolcn, 426.
OEdèmes circonscrits aigus et chroniques
sous la dépendance du système nerveux
(2 pl.), par VALODRA, 201, 255.
Ophlalntoplégie congénitale et familiale
(1 pL), par CAILLOUS et PAGNIEZ, 661.
Pagel (Déformations séniles du squelette
simulant la maladie de -) (2 pl., 2 tig.),
par J\locQuoT et Moutier, 61.
Paget (Maladie osseuse de ) trois cas
observes dans une même famille. ll ypo-
thèse nouvelle sur la pathogénie de cette
affection (2 pl.) par OETT1YGER et AGASSE-
LAFONT, 292.
Paralysie faciale périphérique (Contrac-
tions synergiques paradoxales observées
à la suite de la -) (1 pt. ), par LAMY,
424.
Paralytiques généraux (Les scléroses l'om-
binées médullaires des -) (2 pl.) par
VIGOUREUX et LAIG'OEI-LAVASTINE, 201.
Pédonculaire (Syndrome de la calotte -)
(3 tig., 1 pl.), par GRUiXER et BLIITOLOTTI,
159.
Pleurésie aiguë, déformation thoracique
précoce (1 pl.), par MnTCGi\on, 210.
Pseudencéphalie et de l'anencéphalie
(pathogénie de la -) (12 fig., 4 pi.), par
Rabaud, 345, 602, 675.
Pseudo-tumeur cérébrale par empyème
ventriculaire (1 pl.), MocQuiN, 65J
Puérilisme démentiel sénile (1 pi.), par
DUPRÉ, 88.
Rétines. Cyanose dans le rétrécissement de
l'artère pulmonaire (1 pi.), par BA-
BINSKI et 119LLE TOUFESCO, 94.
Sainl-Parttaléoa médecin (1 pl.), par
RUDLER, 615.
Saints guérisseurs de fous (2 pl.), par
Henry NIEIGE el RUDLER, 112.
Japutx alaloe physiologiques (1 pl.),
par RUDLGR, 667.
Sciatique (Scoliose alternante avec lombo
droite) (2 fig., 1 pl.), par Henry
MnIGE), 234.
Sclérose en plaques ; atrophie cérébelleuse
et sclérose pseudosystématique de la
moelle épinière (2 pl.), par CATOLA, 583.
Sclérose en plaques fruste ou syndrome
cérébelleux de Babinski (1 pl.), par
Scherb, 31.
Sclérose médullaire, transverse, segmen-
laire, dorso-lombaire gauche, onélatrau-
matique, forme clinique curable (6 fig.),
par RÉVILLIOD, 17.
Scléroses combinées médullaires des para-
lytiques généraux (2 pl.), par ViGou-
roux et LAIGNEL-LYASTINE, 201.
Scoliose alternante avec lombo-sciatique
droite (2 fig., 1 pl.), par Henry MEIGE,
234.
Squelette (Déformations séniles du - si-,
mutant la maladie de Pagel) (2 pl.;
2 fig.), par MOCQUOT et Moutier, 61.
Syndrome cérébelleux de Babinski ou sclé-
rose en plaques fruste (1 pl.), par
ScHr,ni3, 31.
Syndrome de la calotte pédonculaire (3
fig., 1 pl.), par GRU : OER et BERTOt.OTTI,
159,
Torticolis et crampe des écrivains d'origine
mentale, par Bonnus, 285.
Tumeurs (de quelques altérations du tissu
cérébral dues à la présence de -) (14 fig.
3 pl.), par Weber et Papadaki, 140.
Vitrail de la Bibliothèqae Bodleyenne a
Oxford (1 pl.), par Henry Meige, 232.
TABLE DES AUTEURS
Babinski. Hémispasme facial périphérique
(1 pi.). 419 9
Babinski et 11LLE TouFEsCO. De la cyanose
des rétines dans le rétrécissement de
l'artère pulmonaire (1 pl. lithog.), 194.
Ballet et Laignel-Lavastine. Un cas
d'acromégalie avec lésions hyperplasi-
ques du corps pituitaire, du corps tyroide
et des capsules surrénales (6 ng.),n6.
Ballet (G.) et Rose (F.). Affection spasti-
que bulbo-spiuale familiale (1 pl.), 404.
BHRTOLOTTI et GRUNER. Syndrome de la .
calotte pédonculaire (3 tig., 1 pl.), 159.
Boxons. Crampes des écrivains et tortico-
lis d'origine mentale, 285.
BROCA (A.) et I-IER131NFT. Attitudes vicieuses
par contracture hystérique chez les
enfants (2 fig.), 443.
CATOLA. Sclérose en plaques ; atrophie
cérébelleuse et sclérose pseudo-systéma-
tique de la moelle épinière (2 pl.), 583.
CF1A1LI.OUS et PAG\IEZ. Ophtalmoplégie
congénitale et familiale (1 pl.).661.
DEEOVE. Ambroise P.rré (4 pl.), 92.
DUPRÉ (l's.). l'uérilisme démentiel sénile
(1 Pl.), 88. -
Dupré et P. PAGNIEZ, Myasthénie hypoto-
nique mortelle (1 pl.), 2+7.
GAUSSE. Contractures précoces et perma-
nentes dans un cas d'hémiplégie de
l'adulte (1 pl.), 241.
Gruner et BERTOLOTTI. Syndrome de la
calotte pédonculaire fig., 1 pl.), 159.
HALIPRÉ. Aphasie amnésique (3 pl.), 36.
Kocindjy. La crampe professionnelle et
son traitement par le massage méthodi-
que et la rééducation (écritures, 2 phot.,
1 pl'.), 215.
LAGNEL-LAVASTINE, L' « extension des or-
teils » dans l'Art (1 pl.), 117.
LAIGNEL-LAVASTINE et Ballet. Un cas d'a-
cromégalie avec lésions hyperplasique
du corps pituitaire, du corps tyroide et
des capsules surrénales (6 fig.), 176.
Lwxr. Rôle des muscles spinaux dans la
marche normale chez l'homme (1 pi.,
6 fig.), 49.
LAMY (II). Note sur les contractions sy-
nergiqnes paradoxales observées à la.
suite de la paralysie faciale périphéri-
que (1 pl.), 424.
LA1'NOIS. Atrophie musculaire du type
Aran-Duchenne d'origine syphilitique
(2 pl.), 593.
LAUOIS et TRÉMOLIÈRBS. Exostoses multi-
ples (6 pl.), 62t.
L. I%IABCIIAND,G. PETIT et COQUOT. Méningo-
encéphalite diffuse et hémiatrophie cé-
rébelleuse chez un chien (2 fig.), 234.
Margain (L.). Autour d'une épidémie de
demonopathie (1\lorzine, 1 pl.), 471.
Marie (A.). Sur quatre compositions de
Goya (2 pl.), 703.
1\IATG,on. Un cas de déformation thora-
cique préeoce consécutive à une pleuré-
sie aiguë (1 pl.), 210.
11 : IGE (Henry). Un vitrail de la bibliothè-
que Bodhyenne à Oxford (1 pl.), 232.
Meige (Henry). Scoliose alternante avec
lombo-sciatique droite (2 fig., 1 pl.), 234.
Henry Meige et RUDLEn. Deux Saints gué-
risseurs des Pous (1 pl., 1 photo.)., 112
Mocquin. Pseudo-tumeur cerébrale par
empyème venticulaire (6 fig.,1 pl.), 651.
MocQuoT et Moutier. Déformations séniles
du squelette simulant la maladie de Pa-
get (2 pl., 2 fig.), 61.
NoiCA. Deux frères atteints de myopathie
primitive progressive (1 pl., 1 fig.),426.
QEttinger et E. Agasse-Lafont. Maladie
710 TABLE DES AUTEURS
osseuse de Paget. Trois cas observés
dans une même famille. Hypothèse nou-
velle sur la pathogénie de cette affec-
tion (2 pl.), 292.
Pagniez et CHAILLOUs. Ophtalmoplégie con-
génitale et familiale (1 pi.), 661.
PAP,DAKI et WEBEn. De quelques altéra-
tions du tissu cérébral dues a la présence
de tumeurs (14 fig., 3 pl), 140.
Pariion, Shunda et GALPL.1CHTA. Sur deux
cas d'achondroplasie, (1 pl., 3 photog.),
539.
PoRAx et DURANTE. Les micromélies con-
génitales. Achondroplasie vraie et
dystrophie périostale (5 pl., 1 photog.),
481.
RABAUD. Pathogénie de la pseudencépha-
lie et de l'anencéphalie (6 pl., 12 fig.),
345, 602, 675.
Raymond. Maladie de Friedreich et hérédo-
ataxie cérébelleuse (3 pi.), 5, 121.
RENAUD (M.). Méthode d'examen du sys-
tème nerveux (1 pl.), 399,
Ri : VILLIOl) (L.). Sclérose médullaire, trans-
verse segmentaire, dorso-lombaire gau-
che, métatraumatique ; forme clinique
curable (6 fig.), 17.
Ruiler. Sainl-Pantaléon, médecin (1 pl.).
615.
RUDLER. Scapuloe alatoe physiologiques
(1 pl.), 667.
G. SciiEni3. Sclérose en plaques fruste ou
syndrome cérébelleux de Babinski (1 pl.),
31.
Simomni. Exostoses ostéogéniques de
développement (3 pl.), 635.
Tour.esco (1VILLE) et Babinski. De la cya-
nose des rétines dans le rétrécissement
de l'artère pulmonaire (4 pl.), 94.
Trémolières et Launois. Exostose multi-
ples (6 pl.), 621.
Vallonna. Les oedèmes circonscrits aigus
et chroniques sous la dépendance du
système nerveux (rôle de la sécrétion
lymphatique dans leur pathogénie) (1 pl.,
1 phot.), 201, 255.
VALOnnA. Difformité congénitale des mem-
bres (3 pl.), 560.
Vigouroux et LAIG ? EL-LAVISTINE. Les
scléroses combinées médullaires des
paralytiques géneraux (2 pl.), 201.
VILLARET et Louis Franco/. Une famille
de quatre sujets atteints de dysostose
ctëido-cranienne héréditaire (5 pl.,
3 fig.), 304.
WEBE11 et P APADAKI. De quelques altéra-
tions du tissu cérébral dues à la pré-
sence de tumeurs (14 fig., 3 pl.), 140.
TABLE DES PLANCHES
Achondroplasie ( PARII01\'. Shunda et ZAL
I'L,1CIITA), LVII.
Affection spastique bulbo-spinale fami-
liale (Ballet et Rose), XLVII.
Ambroise Paré (DEnoVE), XII à XV.
Amputation de jambe (Henry MElGE),
XXXII.
Aphasie amnésique (ILaLrrnr : ), V â VII.
Atrophie musculaire du type Aran-Du-
chenne d'origine syphilitique (LaNNOIS),
LXIII et LXIV.
Contractions synergiques paradoxales à la
suite de la paralysie faciale périphéri-
que (LAMm), XLIX.
Contractures précoces et permanentes dans
un cas d'hemiplégie del'adulte (GAUSSE ! .).
XXXV.
Crampe des écrivains, traitement et exer-
cice (KourrJnrr), XXX.
Cyanose des rétines (Babinski et ;'\1L ! .E
Tour.ssco), XXVH.
Déformation thoracique précoce consécu-
tive à une pleurésie aiguë (Matignon),
XXIX.
Déformations séniles du squelette, pseudo-
Paget (MocQuoT et Moutier), IX, X.
Difformité congénitale des membres (Va-
Lonn.), LVIII à LX.
Dysostose cléido-crânienne héréditaire
(VILLARET et FRA1\'COZ), XXXIX à XLTII.
Epidémie de démonopathie de Morzine
(MARGAI1\'), LI.
Exostoses multiples (LAu1\'o[s et Tnsaro-
lières), LXVI à LXXI.
Exostoses ostéogéniques de développe-
ment (SIMON[1\'[), LXXII À,LXXIV.
Extension des orteils dans l'Art (Laignel-
LAVAST[1\'E), XVII.
Friedreich (maladie de -) et hérédo-ataxie,
cérébelleuse (RA BlOND), I à III, XVIII à
XXII.
Goya (quatre compositions) lA. 111 \HIE),
LXXVIII et LXXIX.
Hémispasme facial périphérique (Babinski)
YLV111.
Herédo-ataxie cérébelleuse et maladie de
Friedreich (Itnrnlonn), là à III, XVIII à
XXII.
Maladie osseuse de Paget familiale (ont-
TI1'o'GEH et AGASSE - L.ar.ovT), XXXVII,
XXXVIII.
Méthode d'examen du système nerveux
(REnAuD), XLVI.
Micromélie congénitale (PoRAI; et Du-
RA1'o'TE), LII à LVI.
Muscles spinaux dans la marche (LAnr),
VIII.
Myasthénie hypotonique mortelle (Dupré
et P.W1'o'IEz), XXXVI. '
Myopathie primitive progressive (NOIe : ).
L.
Ophtalmoplégie congénitale et familiale
(CHAILLOUs et PAG1'o'IE¿), LXXVI.
Pseudencéphalie et anencéphalie (Rabaud),
XLIV et XLV, XLIV bis, XLV bis, XLV
ter.
Pseudo-tumeur cérébrale par empyèrne
ventriculaire (IOeQUI1'o'), LXXV.
Puérilisme démentiel sénile (ER1'o'EST Du-
pRà), XI.
Saint-Menoux guéiisseur des fous (Henry
l\IEI6E et RUDLER), XVI.
Saint-Pantaléon guérisant les malades
(RuDLEn), LXV.
Scapul;e alalae physiologiques (RunLEIC),
LXXVII.
Scléroses combinées médullaires des para-
lytiques généraux (Vigourout et LAI
G1'o'EL-LAVASTI1'o'E), XXXVIII, XXXIV.
Sclérose en plaques, atrophie cérébelleuse
(CATOLA), LXI.
Sclérose en plaqes, sclérose pseudo-systé-
matique de la moelle (CATOLA), LXII.
Scoliose alternante (Henry- MEIGE), XXXI.
Syndrome cérébelleux de Babinski
(SciirRI3), IV.
Syndrome de la calotte pédonculaire
(GRUi'OEH et Bertolotti).
Trophoedème chonique (V,%.LOBnA), XXVIII.
Tumeur cérébrale (WEILit et PApADAKt),
XXII à XXV.
Le gérant : P. 130ucnEZ.
iiiip. i. Thevenot, Saint-Dizicr (Haute-Marne).