NOUVELLE
ICONOGRAPHIE
DE LA
SALPÊTRIÈRE
TOME XVII I
Avec de nombreuses figures intercalées dans le texte et LXVI planches hors texte
1904
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE. LA
SALPÊTRIÈRE
FONDÉE par J. M. CHARCOT
PARAISSANT TOUS LES DEUX MOIS
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
F. RAYMOND
PROFESSEUR DE CLINIQUE
DES MALADIES
DU SYSTÈME NERVEUX
A. JOFFROY
PROFESSEUR DE CLINIQUE
IDES MALADIES MENTALES
A. FOURN1ER
PROFESSEUR DE CLINIQUE
DES MALADIES CUTANÉES ET
SYPHILITIQUES
PAR
PAUL RICHER
MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
PROFESSEUR d'ANATOMIE A L'ÉCOLE
DES BEAUX-ARTS
GILLES DE la TOURETTE
PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ
DE MÉDECINE
MÉDECIN DES HÔPITAUX
ALBERT LONDE
DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE
Avec la collaboration de MM.
ACHARD, BABINSKI, BALLET, BOGROFF (Odessa), BOIX, P .BONNIER, BOTTEY, BRISSAUD,
CABANNES (Bordeaux) CATHELINEAU, CESTAN, J.-B. CHARCOT, CHIPAULT, DEJERINE,
DELPRAT (Amsterdam), DENY, DUFOUR, E.DUPRÉ, DURANTE,DURET, DUTIL(Nice),EMIRZE
(Smyrne),ESTEVEs(Buel1os.Ayres), ETIENNE (Nancy),FEINDEL, FÉRÉ, E. FOURNIER, GASNE,
GRASS E-r(Montpellier),G.GU IN 0 N,H ALLIO N,HAU SH ALTER(Nancy), HERTOGHE(Anvers)rHUDO-
VERNIG (Budapest), HUET, P.JANET, KATICHEFF (St-Pétersbourg),LADAME (Genève), H.LAMY,
LANNELONGUE,LANNOIS (Lyon),LAUFENAUER (Buda-Pcsth),LAUNOIS,LE DENTU.M.LEMOS
(Porto), L. LÉVI,P. LONDE, LUCO ORREGO (Santiago, Chili), p. MARIE,MARINESCO.(Bncharest),
DE MASSARY, H. MEUNIER, MICHAILOWSKI (Sofia), MOCZUTKOVSKY (St-Pétersbourg), VON
MONAKOW (Zurich), NAGEOTTE, NOGUES (Toulouse), PARINAUD, PARMENTIER, PITRES
(Bordeaux), RAMADIER, A. RICHE,RÉVILLIOD(Genéve), A. ROBIN, ROSSOLIMO (Moscou), SA-
BRAZÈS (Bordeaux), SAINTON, T. D. SAVILL (Londres), SCHAFFER (Buda-Pesth), SEGLAS,SE-
RIEUX, SICARD, SIKORSKY (Kiew), SPILLMANN (Nancy), SOCA (Montevideo), SOLOVTZOFF,
SOUKHANOFF (Moscou),SOUQUES, SURMONT, TARGOWLA, THOMAS, TRÉNEL, TUFFIER,
WEIL, etc. ^^ ?
Rédaction
HENRY MEIGE-
TOME DIX-SEPTIÈME
Avec de nombreuses figures intercalées dans le texte et LXVI planches hors texte
PARIS
MASSON ET Cle, ÉDITEURS
LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE E
120, Boulevard Saint-Germain (6e)
1904
NOUVELLE
ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
HOSPICE DE LA. SALPÊTRIÈRE
LA MALADIE DE PARKINSON (1),
PAR
le Pr. F. RAYMOND.
Messieurs, .
Je désire étudier, devant vous, aujourd'hui, plusieurs malades atteints
d'une affection nerveuse encore énigmatique à bien des points de vue.
En effet, nous ignorons sa nature exacte, et on ne peut dire actuel-
lement, en toute certitude, si elle reconnaît pour cause une altération
des centres nerveux ou des nerfs périphériques, s'il s'agit d'une myopa-
thie ou, enfin, d'un trouble d'ordre purement dynamique, d'une névrose.
Je veux parler de la paralysie agitante que Charcot a eu raison de dé-
nommer maladie de Parkinson, terme qui a le double avantage de ne
rien préjuger quant à sa nature, et de rendre hommage au médecin an-
glais, qui en a, pour la première fois, donné, en 1817, une description
précise, quoique incomplète, sur 'certains points.
Avant de vous exposer ce qu'on sait, touchant la pathogénie de cette
maladie, je vous présenterai quatre types morbides, qui vous en mon-
treront les différents degrés et les divers aspects cliniques. L'histoire de ces
(1) Leçon faite à la Salpêtrière le 5 juin 1903, recueillie par M. Alquier, ancien
interne du service.
xvii 1
2 RAYMOND
quatre malades vous fera connaître, en outre, la marche et révolution de la
maladie ; vous pourrez,du même coup,juger de sa gravité.Ensuile,je vous
résumerai brièvement les différentes constatations anatomiques, enregis-
trées,en France ou à l'étranger, au sujet de la maladie de Parkinson ; des
recherches minutieuses ont été faites, surtout en ces dernières années; elles
n'ont pas encore donné la solution du problème, si bien que nous en
sommes, à l'heure actuelle, réduits à des théories, à des hypothèses. Je
compte, enfin, vous montrer combien la thérapeutique est encore hési-
tante, en face de cette affection, par suite de l'absence d'une base pathogé-
nique précise.
1
La première malade, qui va vous être présentée, dans un instant, est
une femme de 60 ans, Mme Ko..., que vous avez pu voir couchée au n° 1
de la salle Rayer, où elle est entrée, voici maintenant quatre ans. Son
histoire se résume en quelques mots; je ne trouve rien à relever, dans ses
antécédents héréditaires; son grand-père presque centenaire vit encore;
ses parents sont morts, l'un à 77, l'autre à 79 ans ; la malade a une soeur
actuellement en bonne santé. Elle-même a eu trois enfants, dont deux
mort-nés; la troisième, une fille, est actuellement âgée de 30 ans et jouit
d'une excellente santé. Ni la malade, ni aucun membre de sa famille n'ont
jamais souffert de rhumatismes, ni douleurs d'aucune sorte ; elle n'a ja-
mais eu d'autre maladie qu'une scarlatine dans l'enfance et une variole,
au cours d'une de ses grossesses.
Vous voyez donc, Messieurs, que la maladie de Parkinson peut s'atta-
quer à des sujets rohustes; le fait est loin d'être rare : Glorieux (de Bru-
xelles), n'al'firmait-il pas, au dernier Congrès de Neurologie, tenu dans cette
ville en 1897, que la maladie de Parkinson s'attaque, de préférence,à des
victimes de choix, ayant toujours joui d'une excellente santé et apparte-
nant à des familles où la longévité est tradionnelle.
Mais j'ai hâte d'arriver à la maladie actuelle; celle-ci a débuté il y a
six ans environ. A cette époque, elle ressentit quelques douleurs dans
l'épaule gauche et sa main gauche se mit à trembler à chaque émotion,
même légère. Un an après, ce tremblement est devenu continuel et a
toujours persisté, depuis lors, sans la moindre rémission.
Remarquez, Messieurs, que la malade, exerçant la profession de polis-
seuse sur métaux, fatiguait uniquement sa main droite. La fatigue habi-
tuelle, qui, dans un cas de Krafft-Ebing, avait semblé déterminer la loca-
lisation des premiers symptômes morbides, n'a eu aucune influence chez
notre malade.
Lors de son entrée la Salpêtrière, il ya quatre ans. le tremblement était t
uvaLLE ICONOGRAPHIE DE la Salpétrière. *- ' ? T. XVII. PI. I
MALADIE DE PARKINSON
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LA MALADIE DE PARKINSON 3
encore localisé au membre supérieur gauche. Mais la raideur était géné-
ralisée ; tout le corps semblait soudé ; bref, la malade présentait cet aspect
spécial aux parkinsoniens, sur lequel Charcot a si justement insisté.
J'ajoute qu'elle accusait de fréquentes douleurs dans les jointures des
membres supérieurs ; à cette époque, on provoquait aisément chez elle
de l'antépulsion.
Depuis,. la maladie a notablement progressé : il y a dix-huit mois, le
tremblement a envahi la main droite, puis les membres inférieurs : la ri-
gidité est devenue telle que la marche et même la station verticale
sont impossibles : en même temps, son corps, auparavant bien droit,
s'est voûté peu à peu. Simultanément apparaissaient, en outre, des dou-
leurs incessantes dans la continuité de ses membres, une sensation con-
tinuelle de chaleur exagérée, fort pénible, avec des sueurs abondantes.
Depuis six mois, la salive s'écoule constamment de la bouche.
Vous ne vous étonnerez pas que, dans ces conditions, le caractère ait
changé, se soit assombri. Depuis trois ans, cette femme, auparavant très
gaie, est devenue triste, taciturne, impressionnable à l'excès, exigeante,
irritable, avec des moments d'abattement profond ; elle souffre enfin de fré-
quentes « impatiences musculaires », pour employer l'heureuse expression
de mon collègue Brissaud : elle a besoin qu'on la remue, qu'on change ses
membres, à chaque instant, de position.
Voici cette pauvre femme devant vous (PI. I). Vous êtes immédiate-
ment frappés par sa maigreur, presque squelettique, par son aspect sénile ;
elle a 60 ans, et on lui en donneraitbien davantage ; vous remarquez enfin,
Messieurs, le tremblement qui agite ses membres supérieurs et les défor-
mationsconsidérables des quatre membres et du tronc. 1
Du tremblement, je ne vous dirai pas grand'chose. Vous voyez que ses
deux mains sont agitées par des oscillations horizontales, peu étendues,
légèrement exagérées, en ce moment, par l'émotion de cet examen, ces-
sant presque complètement par le repos, lorsque ses mains sont appuyées
sur le lit. Rien de semblable aux membres inférieurs ; parfois le tremble-
ment est manifeste au maxillaire, lorsque la malade ouvre la bouche.
Les déformations des membres et du tronc sont fréquentes dans la ma-
ladie de Parkinson, mais vous aurez bien rarement l'occasion de les voir
aussi considérables c'est pourquoi j'ai tenu à mettre cette malade sous vos
yeux. Vous le voyez, sa tôle est projetée en avant, plutôt que fléchie, le
menton touchant le sternum, sans qu'elle puisse la redresser : les divers
segments de ses quatre membres sont légèrement fléchis, ce qui est la-
manière d'être habituelle aux parkinsoniens ; Charcot l'avait bien montré ;
il avait bien vu, également, que cette attitude est due à la prédominance
de la rigidité musculaire dans les muscles fléchisseurs; vous voyez les
4 RAYMOND
masses musculaires, très réduites de volume, se dessiner sous la peau, à
la manière de cordes tendues, donnant, au palper, une sensation de dureté
qui est particulièrement accentuée, presque fibreuse, pour le membre su-
périeur, aux biceps et aux muscles fléchisseurs antibrachiaux.
Vous voyez, également, que la-motilité volontaire est des plus réduites ;
cette femme ne peut qu'ébaucher de légers mouvements des membres su-
périeurs, les inférieurs étant presque complètement inertes ; on est obligé
de la faire manger, de la changer de position dans son lit, lorsqu'elle est
fatiguée. Les mouvements passifs ne sont guère plus étendus ; il m'est
impossible d'étendre complètement ses avant-bras, ses jambes ; le mouve-
ment est aussitôt arrêté par une véritable rétraction musculo-tendineuse
des fléchisseurs ; si j'essaie de forcer, la malade accuse une vive douleur
dans les muscles, principalement au voisinage de leurs insertions.
Mais je désire, surtout, attirer votre attention, sur les déformations des
mains et des pieds, qui sont, dans ce cas, tout à fait, remarquables. Les
quatre derniers doigts de la main sont, comme vous pouvez le constater,
fléchis à angle droit sur le métacarpe, rejetés dans leur ensemble, vers le
bord cubital de la main ; les deux dernières phalanges, en hyperextension,
sont véritablement subluxées, surtout à la main droite ; le pouce est en
dedans, opposé aux autres doigts. Les pieds sont en varus équin très pro-
noncé, tordus sur eux-mêmes, les quatre derniers orteils, recroquevillés,
le pouce est fortement déjeté en dehors, recouvrant les autres doigts. Et,
remarquez-le bien, Messieurs, cette femme n'est pas une rhumatisante ;
vous ne trouvez, à l'heure actuelle, aucune hyperostose, aucune modifica-
tion articulaire ; ces déformations ont apparu en même temps que la ri-
gidité, à laquelle elles sont dues, exclusivement.
Pour en finir avec ces déformations, je vous signalerai la cyphose con-
sidérable que présente cette malade. Deux de mes élèves, MM. Sicard et
Alquier, ont, récemment, attiré l'attention sur la fréquence des déviations
rachidiennes dans la maladie de Parkinson : presque constantes à la pé-
riode d'état, elles surviennent en même temps que les attitudes vicieuses,
et les déformations des membres, engendrées par la rigidité, et, recon-
naissent, vraisemblablement, la même pathogénie.
Je veux, aussi, attirer votre attention, sur l'état des réflexes tendineux ;
parce que la question mérite d'être étudiée à nouveau. Si vous parcourez
les nombreuses observations de paralysie agitante publiées en France et
à l'étranger, vous verrez que, tantôt▶ les réflexes sont trouvés affaiblis,
ailleurs normaux ; dans un certain nombre de cas, enfin, ils sont exagé-
rés. C'est l'exagération qui semble la plus fréquente ; nous l'avons cons-
tatée chez presque tous les parkinsoniens observés cette année, à la clini-
que ; vous voyez qu'ici la percussion de tous les tendons détermine de
LA MALADIE DE PARKINSON 5
vives contractions musculaires, malgré l'atrophie musculaire, pourtant si
prononcée.
Remarquez, enfin, que les fonctions de la vie végétative s'accomplissent
encore bien, même à un degré aussi avancé de la maladie. Cette femme a
un aspect exagérément sénile, encore augmenté par l'immobilité absolue
des traits, donnant à sa physionomie l'aspect figé caractéristique, mais son
regarda conservé tout son éclat et sa vivacité; ses pommettes sont rosées,
les petits vaisseaux cutanés présentant des varicosités que l'on doit consi-
dérer comme de véritables troubles vasomoteurs, au même titre que la
sensation de chaleur exagérée et la sialorrhée. La malade a peine à ou-
vrir la bouche, à tirer la langue ; elle mâche et avale difficilement, en rai-
son de la rigidité, mais elle digère parfaitement, n'a même pas la consti-
pation que l'on a dite si fréquente et si opiniâtre chez les parkinsoniens.
Les poumons et le coeur ne semblent présenter aucune altération ; bref,
nous ne relevons aucun trouble de la nutrition générale, qu'un amaigris-
sement lentement progressif qui a, peu à peu réduit cette malheureuse
à l'état cachectique où vous la voyez aujourd'hui.
Vous avez sans doute été frappés, Messieurs, de la netteté de ses ré-
ponses, de la lucidité de son esprit, de la précision de ses souvenirs, lors-
que je l'interrogeais, tout à l'heure devant vous. Elle parle lentement,
péniblement, d'une voix faible et monotone, mais c'est tout ; les
troubles psychiques se réduisent, chez elle, à ces changements de carac-
tère, dont je vous ai parlé au début.
Je n'insisterai pas sur le pronostic ; vous le devinez ; déjà le sacrum
rougit, une escharre est imminente en ce point; il vous est facile de prévoir
l'effet désastreux de l'infection qui va en être la conséquence, chez une
malade ainsi dibilitée (1).
Vous venez de voir ce qu'est la maladie de Parkinson, parvenue à son
stade ultime ; je vais maintenant vous la montrer à son début, mais, bien
caractérisée, cependant.
Le malade que je vais vous présenter dans un instant est un homme
de 69 ans. Je ne vois, pas plus que' chez ma première malade, rien d'in-
téressant à vous signaler dans ses antécédents héréditaires. Lui-même
était un homme robuste, n'ayant jamais eu d'autre maladie que quelques
bronchites. Ethylique ancien, il dut abandonner complètement l'usage
des alcools, en 1896, à la suite de vertiges, se répétant fréquemment.
Enfin, cet homme a toujours exercé, sans fatigue, différents métiers fort
(1) Quinze jours après cette leçon, l'escharre se produisait; la fièvre se déclara, et
la malade monrut dans le coma, le 9 janvier 1903.
C) RAYMOND D '
pénibles ; commissionnaire, homme de peine, livrant à domicile de
lourds colis, etc.
' En 1897, il perdit son fils. Ce fut, pour lui, la cause d'un grand chagrin,
à la suite duquel il demeura quatre mois alité et s'affaiblit notablement.
Sa main gauche se mit alors à trembler. D'abord intermittent, cessant
lors des mouvements intentionnels, et par un effort de volonté, ce trem-
blement devint, bientôt, continuel, non diminué par les mouvements,
qu'il gêne considérablement. Mais ce qui inquiète surtout le malade et
l'a amené à venir demander des soins, c'est que, depuis quinze jours, le
tremblement a envahi également la main droite.
, En l'interrogeant, nous apprenons, en outre, que depuis plusieurs
mois il s'affaiblit peu à peu ; fréquemment ses pieds et ses chevilles
enflent le soir, lorsqu'il est fatigué. Depuis le début, il a une légère ten-
dance à l'antépulsion ; il remarque, enfin, que sa tête, puis son tronc,
ont tendance à se courber en avant. Jamais cet homme n'a souffert; il n'a
ressenti aucune de ces douleurs, de ces crampes musculaires qu'on ob-
serve si souvent dès le début et au cours de la maladie. Il n'éprouve pas
de sensation de chaleur exagérée, mais transpire pour un rien, depuis
quelque temps et accuse une légère sialorrhée. J'ajoute qu'il n'a pas mai-
gri ; il pèse actuellement 143 livres, ce qui, dit-il, est son poids habi-
tuel.
' Vous pouvez vous rendre compte, Messieurs, maintenant que ce malade
est sous vos yeux (PI. fi), que s'il est surtout incommodé parle tremblement,
qui seul l'inquiète, il présente cependant les signes non équivoques de
la maladie de Parkinson, dont vous pouvez faire le diagnostic rien qu'en
regardant le malade, dont le faciès et l'attitude sont caractéristiques. Mais,
procédons par ordre.
Le tremblement est localisé aux membres supérieurs. Même lorsque le
malade est couché, lorsqu'il tient soulevés ses membres inférieurs, ce qui
d'habitude rend manifeste le plus léger tremblement, ceux-ci sont abso-
lument indemnes. Par contre, vous voyez que ses deux mains, mais sur-
tout la gauche, sont agitées par des oscillations d'ensemble, dans le sens
horizontal, sans mouvement propre du pouce. Ce tremblement, qui est
assez intense pour ébranler tout le corps, est variable, d'un moment à
l'autre. Vous remarquerez, par moments, au cours de cet examen, des
recrudescences subites, durant quelques instants, pendant lesquels les
oscillations deviennent très amples, et moins rapides, pour reprendre
ensuite, une fois l'accès terminé, leur rythme normal.
Vous avez pu remarquer, Messieurs, avec quelle lenteur ce malade est
parvenu à se déshabiller, bien qu'il ait fait tout son possible pour le faire
rapidement ; vous voyez, maintenant que je le prie d'exécuter divers mou-
NnUVELLEtCONOGKAPmEDELASALP6;Rlf'RE. T. XVII. PI. Il
MALADIE DE PARKINSON
(F. 11\'II/()I/(lJ
LA MALADIE DE PARKINSON 7
vements, que ceux-ci ont conservé leur amplitude normale, mais se font
un peu lentement, surtout ceux du membre supérieur gauche ; et, entre
tous, surtout les mouvements de pronation et de supination. Même len-
teur et même gêne des membres inférieurs ; il marche à petits pas, en
traînant les pieds, comme font, d'habitude, les parkinsoniens. De même,
vous constatez quelle peine il éprouve à contracter les peauciers de la
face ; ses yeux, ses paupières, sa bouche semblent comme figés, sans ex-
pression ; seul son regard a conservé toute sa vivacité, tout son éclat. Enfin
vous apercevez les trapèzes et les sterno-mastoïdiens dessiner nettement
leurs saillies sous la peau ; la rigidité est, dans ces muscles, particulière-
ment marquée; aussi éprouve-t-il une grande gêne pour faire exécuter
à sa tête des mouvements de flexion, d'extension, de rotation ; il lui est plus
facile de déplacer tout son corps que de tourner simplement la tête. Par
contre, la force musculaire est remarquablement bien conservée. dans
tous les segments des quatre membres ; nous ne trouvons pas trace d'atro-
phie musculaire.
Remarquez, Messieurs, son attitude ; ne vous rappelle-t-el le pas celle de
la femme de tout à l'heure ? Sans doute, les déformations ne sont encore
qu'ébauchées et peuvent être corrigées par un effort de sa volonté. Mais
vous remarquez la même tendance à fléchir tous les segments des membres
supérieurs; la main, en particulier, prend déjà l'attitude habituelle
décrite par Charcot : flexion de l'ensemble des quatre derniers doigts, qui
sont réunis en faisceau, avec extension de leurs deux dernières phalanges ;
le pouce est en dedans, opposé aux autres doigts.
Mais, ce qui est surtout frappant dans son habitus, c'est la projection
de la tête en avant et la cyphose cervico-dorsale légère qu'il présente. Ces
déformations sont apparues en même temps que la rigidité, dont elles
sont, très probablement, la conséquence.
Au palper, celle-ci est nette dans les muscles de l'épaule, du bras, et
de l'avant-bras gauche ; dans les muscles du cou, enfin dans les masses
sacro-lombaires. De temps à autre, vous voyez apparaître, dans les mus-
cles du bras et de l'épaule gauche, des contractions spontanées, qu'il ne
faudrait pas prendre pour des contractions fibrillaires : elles intéressent
une grande partie du muscle ; elles sont « parcellaires » suivant l'expres-
sion de Paul Richer ; Gowers avait déjà signalé ces contractions, qui ont
un rythme analogue à celui du tremblement dont elles représentent l'un
des modes.
Vous voyez, Messieurs, que les réflexes tendineux, à peu près nuls,
dans les trois autres membres, sont forts, au coude et au poignet gau-
ches : mon élève Alquier a signalé récemment ce fait (Société de Neuro-
8 RAYMOND.
logie, juin 1903), que l'exagération des réflexes peut se limiter aux mus-
cles atteints par la rigidité. En voici un exemple.
Nous ne relevons, chez ce malade, aucun trouble de la sensibilité,
aucun phénomène d'ordre vasomoteur. Il n'existe, chez lui, aucun trou-
ble psychique, aucun changement de caractère, sauf, peut-être, une très
légère exagération de l'émotivité, de l'impressionnabilité, qu'il dit avoir
remarquée depuis quelque temps.
L'interne en pharmacie du service, M. Goiogot a analysé ses urines,
qui ne contiennent aucun élément anormal. Pour une quantité totale de
1.250 grammes en 24 heures, on trouve par litre : 13 gr. 99 d'urée, 8 gr. 84
de chlorure de sodium : 1 gr. 25 seulement d'anhydride phosphori-
que. La phosphaturie, signalée par divers auteurs, et qui d'ailleurs a été
recherchée en vain, par d'autres, ne saurait donc avoir l'importance pa-
thogénique qu'on a voulu lui attribuer, dans la maladie qui nous occupe.
Voici maintenant un exemple de la forme hémiplégique de la maladie
de Parkinson ; c'est un homme de 53 ans, exerçant la profession de bri-
quetier ; vous avez pu le voir au n° 28 de la salle Prus, où il est entré, il
y a une quinzaine de jours.
Son père est mort à 57 ans, d'un chaud et froid ; sa mère a succombé,
à l'âge de 87 ans, à une attaque de congestion cérébrale ; sur ses dix frè-
res et soeurs, deux seulement sont encore en vie ; les 8 autres sont morts,
à divers âges, de causes inconnues.
Le malade est célibataire; il a eu une blennorrhagie et un chancre, très
probablement syphilitique, étant donné que le malade présente, actuelle-
ment, le signe d'Argyll-Robertson. Ni le malade, ni aucun membre de sa
famille n'ont jamais eu ni rhumatismes, ni manifestations nerveuses :
cependant, le malade dit que, depuis l'âge de 15 ans, il éprouve, de temps
à autre, des douleurs erratiques dans les membres, avec des tressaute-
ments musculaires, surtout dans les membres inférieurs. Il nie tout
éthylisme.
Il y a quatre ans, en 1899 par conséquent, cet homme perdit, coup
sur coup, plusieurs parents, et se trouva sans travail; il eut, en outre,
d'autres soucis en même temps. Deux ou trois mois après, il remarque un
amaigrissement lent et progressif, qui, dit-il, aurait atteintune dizaine de
kilos en l'espace de quatre ans.
Dès le début de cet amaigrissement, ses deux mains se seraient mises à
trembler. Remarquez bien cette particularité, que sa rareté rend intéres-
sante ; au début, le tremblement aurait été bilatéral, le malade est très
affirmatif sur ce point; vous voyez qu'à l'heure actuelle il est limité au
côté gauche.
Depuis deux ans, cet homme a remarqué que sa jambe gauche se fati-
Nouvllle Iconographie DE lA SALPETRIj.R6. T. XVII. PI III
MALADIE DE PARKINSON
l1 : '7 ? t"'1l1111 J
LA MALADIE DE PARKINSON 9
gue plus vite que la droite ; six mois après, le bras gauche perdait de son
agilité et de sa souplesse ; sa voix est devenue lente et monotone depuis
six mois environ.
Enfin, il a remarqué, depuis 1897, un grand changement de caractère :
il s'est aigri, est devenu un peu triste, emporté, désagréable; mais sans
aucune baisse de la mémoire, ni de l'intelligence.
Regardez ce malade (PI. III), il a les traits tirés, l'air fatigué d'un
homme qui a beaucoup souffert. Vous êtes frappés tout de suite de l'im-
passibilité de sa physionomie, de l'attitude soudée, caractéristiques de la
maladie de Parkinson. Mais, regardez-le deplus près : vous verrez que le
tremblement et la rigidité sont limités au côté gauche du corps.
Le tremblement qui agite continuellement sa main gauche est remar-
quable par son amplitude; vous voyez qu'il consiste en larges oscillations
peu rapides se faisant dans le sens vertical, et agitant l'ensemble de la
main; avec quelques mouvements individuels, peu considérables, de tous
les doigts : donc nous sommes assez loin du tremblement menu et
assez rapide, que vous trouvez décrit dans vos livres. Vous voyez qu'il
n'est pas modifié par les mouvements : le malade secoue violemment le
verre qu'il essaie de porter sa bouche; il peut l'arrêter momentané-
ment en raidissant son bras ou en lui imprimant une vigoureuse secousse,
comme s'il voulait se dégourdir les doigts.
Lorsque le malade est couché, vous observez, au pied gauche, des oscil-
lations moins amples qu'à la main, mais présentant les mêmes carac-
tères. Ces tremblements des jambes cessent pendant la station verticale,
pendant la marche.
J'attire toute votre attention sur la lenteur et la gêne des mouvements,
dans les membres du côté gauche; elle contraste avec la souplesse et
l'agilité des membres du côté droit. Au palper, nous trouvons une notable
différence dans les masses musculaires, d'un côté à l'autre : à gauche,
dureté non élastique ; à droite, consistance normale. La force musculaire
est un peu moins grande à gauche qu'à droite; le malade accuse, lui-
même, un certain degré d'affaiblissement des membres du côté gauche,
qu'il a remarqué depuis quelques mois.
Les peauciers de la face se contractent lentement mais surtout à gau-
che ; vous remarquerez, d'ailleurs, un léger abaissement de la commis-
sure labiale, du côté gauche.
Les réflexes tendineux, faibles à droite, sont exagérés à gauche. La
percussion des tendons détermine, vous le voyez, un léger mouvement
de projection du membre ; mais, en même temps, les muscles se contrac-
tent énergiquement, violemment. Vous voyez, en outre, que cette contrac-
tion énergique ne se limite pas au muscle dont on percute le tendon,
U RAYMOND
mais qu'elle peut s'étendre à toute la musculature d'un segment démem-
bres : cela est net à la cuisse, dont la percussion du tendon rotulien fait
contracter, à la foi, tous les muscles, aussi bien les fléchisseurs que le
quadriceps fémoral. Rappelez-vous cette particularité qui se présente par-
fois lorsque vous rechercherez l'état des réflexes tendineux.
J'ajoute que l'examen électrique des nerfs et des muscles a été fait par
M. Huet, qui a constaté une légère diminution de la contractilité faradi-
que et galvanique dans les muscles du côté gauche, par comparaison avec
leurs homologues, du côté droit. M. Huet a trouvé les mêmes modifica-
tions, chez certains hémiplégiques anciens, sans réaction de dégénéres-
cence.
Ainsi donc, voici un malade qui présente, dans les membres du côté
gauche, un tremblement, de la rigidité musculaire, avec exagération des
réflexes, et diminution légère de l'excitabilité électrique. Nous ne relevons,
chez lui, aucun trouble de la sensibilité; pas de phénomènes vaso-mo-
teurs.
Peut-être pensez-vous à la possibilité d'une erreur de diagnostic, con-
tre laquelle je veux vous mettre en garde. Tous ces symptômes peuvent se
retrouver dans certaines hémiplégies anciennes, avec spasmodicité légère,
sans contractions fibrillaires ; vous savez aussi que l'on peut observer un
tremblement post-hémiplégique : comment éviter la confusion. Cela est ;
je vais vous le montrer ; rappelez- vous le mode de début et la marche des
accidents ; les symptômes ont fait leur apparition à la suite de soucis, de
chagrins, causes occasionnelles si fréquentes de la paralysie agitante ; le
tremblement n'a pas suivi mais précédé l'hémiplégie apparente ; la raideur
est apparue progressivement, avec une lenteur qui exclut l'ictus de l'hé-
morrhagie cérébrale , et surtout, caractère sur lequel j'insiste, en raison de
son importance, la rigidité s'est accrue progressivement, sans-à-coups,
sans rémissions, comme on en observe dans certaines contractures vraies ;
elle gène et ralentit les mouvements, diminue légèrement la force mus-
culaire, mais n'entrave pas le fonctionnement des membres, comme le
ferait une contracture véritable. Rappelez-vous les changements de carac-
tère, si spéciaux à la maladie de Parkinson, et que notre malade a lui-
même remarqués ; enfin la recherche du signe de Babinski vous montre
la flexion de l'orteil, flexion peu considérable, il est vrai, les réflexes cu-
tanés étant habituellement faibles chez les parkinsoniens, mais nette,
cependant.
Pour être complet, je devrais, Messieurs, vous dire un mot des formes
frustes de la maladie, caractérisées par la présence de l'un des deux sym-
MALADIE DE PARKINSON
(F. 'R1/)'lIIond)
' LA MALADIE DE PARKINSON 11
ptômes cardinaux ; raideur, on tremblement, à l'exclusion de l'autre.
Vous avez pu voir, parmi les nombreux parkinsoniens qui viennent à la
clinique, et que je vous ai présentés à mes leçons du mardi, des exemples
de l'une et l'autre forme ; je m'empresse de vous dire que ce sont là de
simples modes de début ; les autres symptômes ne tardent pas à apparaître
dans ces cas ; il est même bien rare que le tremblement ou la raideur
manquent tout à fait et qu'un examen, un peu approfondi, n'en décèle
au moins quelque ébauche. Aussi n'insisterai-je pas davantage.
Mais je désire, en terminant ce rapide exposé clinique, vous présenter
rapidement un dernier malade, qui vous montrera ce qu'est le type d'ex-
tension décrit par Charcot, et dont plusieurs auteurs, Beschet et Dutil,
notamment, ont publié des exemples.
Cet homme, âgé de 58 ans, est employé comme homme d'équipe à la
gare d'Orléans ; voici,brièvement résumée, son histoire. D'une bonne santé
habituelle, il a remarqué, il y a deux ans environ, un léger tremble-
ment de la main gauche, survenu sans cause apparente, et qui a, depuis,
augmenté progressivement, et s'est généralisé aux quatre membres,
ainsi que vous pouvez le constater.
' Six mois après le tremblement, apparut une légère raideur des bras,
nui s'affaiblirent neu à neu. Actuellement, elle a gagné les membres in-
férieurs, que le malade traîne en marchant. Mais elle n'a que faiblement
progressé : vous voyez que les mouvements ont conservé toute leur ampli-
tude et se font encore avec une certaine agilité. \ ?
Mais, ce qui est particulier chez lui, c'est l'attitude qui contrastent' ? ,
tement avec celle des trois autres malades que je viens de vous présenter
(Pl. IV). Il se tient raide, droit comme un soldat au port d'armes, la tête
haute, le tronc légèrement ensellé, avec un léger degré de lordose qui
semble pouvoir être rapportée à la rigidité des masses sacro-lombaires,
lesquelles offrent, au palper, une consistance véritablement ligneuse. En
marchant, il se penche un peu en avant, mais c'est volontairement, pour
éviter la rétropulsion qui, depuis six mois, se produit aisément, princi-
palement lorsqu'il se redresse complètement.
Les membres ont une légère tendance à se placer en flexion ; d'ailleurs,
la rigidité, peu accentuée, est prédominante dans les muscles fléchisseurs ,
des membres.
J'ajoute que les réflexes rotuliens sont seuls exagérés; 1 orteil est en
flexion ; on ne constate ni troubles sensitifs, ni troubles vaso-moteurs;
le malade accuse de l'affaiblissement général et des modifications du ca-
ractère analogues ci celles des malades précédents.
Je viens, Messieurs, de vous montrer rapidement les principaux aspects
12 RAYMOND
que peut présenter la maladie de Parkinson ; vous en avez noté la mar-
che, lentement, mais fatalement, progressive; vous en connaissez le pro-
nostic sévère; la mort n'est, dans cette maladie, qu'une question d'années
et vous avez vu à quel état misérable sont réduits les malades, avant de
succomber aux progrès de la cachexie, souvent aidée par l'infection que
provoque l'apparition d'une escharre,oupar toute autre maladie intercur-
rente, notamment la tuberculose.
II
Après vous avoir ainsi retracé, à grands traits, avec des types vivants,
la symptomatologie et l'évolution de la maladie de Parkinson, je voudrais
maintenant vous dire ce que nous savons de sa pathogénie et de son anato-
mie pathologique. Malheureusement, si les recherches ont été nombreuses,
les résultats sont minimes et peuvent être résumés brièvement.
Je ne vous parlerai pas des lésions macroscopiques, constatées, surtout
dans la région bulbo-protubérantielle, les pédoncules ou les corps opto-
striés dans quelques cas ; plusieurs se rapportent nettement à la sclérose
en plaques, qu'on a longtemps confondu avec la maladie de Parkinson :
les autres sont des faits isolés ; dans l'immense majorité des relations
anatomiques, les auteurs n'ont trouvé que des lésions histologiques, du
cerveau, de la moelle ou des muscles.
Un histologistealIemand,leDrPhilipp (1),à l'autopsie d'un parkinsonien
n'a rencontré d'autre lésion que des altérations cellulaires constatées par
la méthode de Nissl, dans l'écorce cérébrale des lobules paracentraux.
Rapprochant cette constatation du fait que la maladie peut être hémiplé-
gique, qu'elle peut débuter à la suite d'une lésion cérébrale, il conclut ci
son origine corticale.
Plus nombreux sont les auteurs qui ont trouvé des lésions médullaires.
Je vous signalerai seulement les résultats de Démange, Sander, Karplus,
Walbaum qui considèrent les lésions observées par eux comme banales
et les attribuent à la sénilité. Plus intéressantes, sont les conclusions de
Dubief (2) et de Borgherini (3), qui n'ont, eux aussi, trouvé que des
lésions de sénilité, mais les disent précoces et particulièrement intenses,
dans la maladie de Parkinson.
On a attaché une certaine importance à des lésions des vaisseaux san-
guins et des cellules de la moelle, signalées par divers auteurs.
(1) PIIILIPP, Anutomischev Befund in Centralnervensystem bei eine>n Fall von scout-
lelllihmung. Deutsche Zeitschr. f. Nervenheilkunde, 1899, t. XIV.
(2) DUIIIEF, Thèse Paris, 1886.
(3) BORGHERINI. Rivista sperim. di frenatria, 1889.
LA MALADIE DE PARKINSON 13
Les premières ont surtout été vues par Iioller (1) et par Redlich (2).
Ces deux auteurs ont signalé la sclérose des parois vasculaires, Redlich
insiste beaucoup sur une lésion qu'il a rencontrée dans sept cas, et dont
il l'ait lesubstratum anatomique de la maladie ; c'est la sclérose périvascu-
laire, qu'il dit bien plus accentuée que dans la sénilité simple : il s'agit,
d'après lui, d'une véritable péri- et endo-artérite chronique avec propa-
gation aux tissus voisins et, peut-être, même réaction inflammatoire
par suite des troubles de nutrition de la moelle.
Ce serait parfait si d'autres auteurs avaient, depuis, retrouvé ces lé-
sions. Or, elles ont bien été constatées par M. Ballet (3) qui, accessoire-
ment signale des lésions des prolongements cellulaires qu'il considère
comme dues aux manipulations, mais Furstner (4), qui les a, en vain
cherchées, conteste leur valeur : d'autant plus, dit-il, qu'elles existent
dans d'autres maladies. Caterina () en Italie, puis Dana (6) en Amérique,
ont signalé des lésions cellulaires qu'ils retrouvaient également dans le
cerveau, mais bien moins marquées que dans la moelle.
Dans le cas de Caterina, les corpuscules de Nissl des cellules trophomo-
trices des cornes antérieures étaient fragmentés en amas irréguliers de
chromatine : dans quelques-unes, le noyau n'avait plus de membrane et
se réduisait à une masse, irrégulièrement granuleuse, entourant le nu-
cléole tuméfié.
Le malade deDana était parkinsonien depuis huit ans,lorsqu'il succomba
à une sarcomatose généralisée de la peau. Dans la moelle, Dana constate
une légère prolifération du tissu conjonctif, et la dilatation des espaces
péri vasculaires ; pas d'artério-sclérose. Lésions dégénératives intenses des
cellules ganglionnaires des cornes antérieures de la moelle, consistant en
pigmentation, vacualisation, déplacement ou atrophie du noyau, destruc-
tion partielle des dendrites, principalement dans les régions cervicales
supérieure et dorsale inférieure. Lésions minimes de l'écorce cérébrale.
Au contraire, dans les olives- du bulbe, existaient des lésions cellulaires
très prononcées. Les nerfs périphériques examinés ont été trouvés nor-
maux. Deux petits muscles de la main et leurs plaques terminales étaient
envahis par de la graisse. Dana attribue un rôle capital, dans la pathogénie
de la maladie de Parkinson, aux altérations des dendriles.
J'en aurai fini avec les lésions des centres nerveux, quand je vous aurai
(1) ROLLIER, Arch. f. pathol, Anat., 1892.
(2) Redlich, Jahrbericht f. Psychiat, 1894.
(3) Ballet. Soc. méd. des Hôpitaux, 21 juin 1898.
(4) (' unsTrrKn, Arch. f. Psych,, 1898.
(5) CATERINA, Sulle alterazione della cellula nervosa, etc. Rivista di pathol nerv.
e ment., 1899, t. III.
(6) DANA, Paralysis agitans and sarcous. Amer. Journal of med. sciences, nov.
1899.
14 ' RAYMOND
rappelé, en quelques mots, celles constatées, dans deux cas, par Francesco
Burzio (1) en 1902. Dans un cas, cet auteur note la sclérose des cordons
postérieurs, principalement du faisceau de Burdach, avec pigmentation
des cellules des cornes antérieures, corps amyloïdes nombreux, occlusion
du canal central, et, dans le lobule paracentral, raréfaction des fibres à
myéline, disparition presque complète des fibres tangentielles. Dans son
second cas, il trouve des épaississements de l'arachnoïde, au niveau de la
région dorsale postérieure, et des faisceaux pyramidaux; des lésions des
cellules de la moelle, l'atrophie scléreuse des ganglions rachidiens. Dans
le cerveau, il observe des lésions des cellules corticales, par la méthode
de Nissl ; par celle de Golgi, l'état variqueux de leurs prolongements ;
enfin, au Weigert-Pal, la raréfaction des fibres tangentielles. Il pense, en
définitive, que l'atrophie des faisceaux pyramidaux et les lésions corti-
cales peuvent expliquer la rigidité ; les lésions des cordons postérieurs,
les troubles de la sensibilité et de l'équilibre.
Nous arrivons aux lésions musculaires. En 1881, Pierret et Vesselle
(Th. de Lyon), avaient décrit une véritable cirrhose musculaire avec
transformation fibreuse ; mais, la théorie myopathique a été formulée par
Blocq : une première rois, avec réserves, dans sa thèse, c'est-à-dire en
1888, puis, définitivement, dans son article du Manuel de médecine Debove-
Achard, paru en 1894.
En 1901, Schwenn (2) a pratiqué l'autopsie d'un homme de 48 ans,
parkinsonien depuis dix ans, çt qui était hospitalisé depuis cinq ans à
l'hôpital municipal de Kiel.
L'étude minutieuse de fragments du cerveau et de la moelle, pris dans
les principales régions et étudiées par les méthodes de Marchi, de Wei-
gert, de Nissl et de Lenhossek, n'ont décelé aucune altération : au con-
traire, sur des fragments de muscle excisés un quart d'heure après la
mort, il constate une prolifération intense des noyaux interstitiels allon-
gés, sans cellules rondes, et sans lésions des fibres musculaires, des ter-
minaisons nerveuses ou des vaisseaux sanguins. Schwenn n'hésita pas à
faire, de cette lésion musculaire, le substratum anatomique de la maladie.
Malheureusement, Messieurs, ces lésions, d'ailleurs banales, n'ont pas
été retrouvées dans une biopsie pratiquée par De Buck et Demoor (3).
Tel est le bilan de l'anatomie pathologique. Vous voyez qu'en définitive,
nous ne sommes pas plus avancés qu'au temps de Charcot, qui, déclarant
(1) Bunzio, Ann. d. fren. e soient. Turion, 1902, p. 151.
' (2) Schwenn, Ein 13eitrag sur Pallcogenese der Paralysis agilans. Deutsch. Arch. f.
Klin. med., 1901, t. 76, p. 193.
(3) DE BUCK et DEMOOII, Annales de la Soc. méd. de Gand, juin 1899.
LA MALADIE DE PARKINSON 15
son ignorance touchant la pâthogénie de la paralysie agitante, la rangeait
provisoirement parmi les névroses. Messieurs, ce provisoire dure toujours,
et,dans vos livres classiques les plus récents, vous voyez que la maladie de
Parkinson est encore rangée parmi les névroses, à côté d'autres maladies
dont on ignore également l'origine.
Messieurs, on a tenté de tirer des conclusions pathogéniques de ce fait
que la maladie de Parkinson peut être associée à d'autres affections : au
tabes, par exemple. Je ne m'appesantirai pas sur ces considérations, qui
n'ont amené leurs auteurs qu'à des hypothèses non justifiées par les faits.
Je ne vous entretiendrai pas davantage des rapports que l'on a voulu éta-
blir entre les infections, les intoxications et la maladie de Parkinson ;
la question est encore à l'étude actuellement.
Je veux aussi vous dire deux mots d'une hypothèse intéressante. En
1883, Moebius publiait, dans son Memorabilien, un cas d'association de
maladie de Parkinson et de maladie de Basedow et se demandait si la pa-
ralysie agitante ne pouvait avoir pour cause l'altération de quelque glande
à sécrétion interne ; il revient sur ce point pour développer la même idée,
en 1898 (VermisclaGe A2c/'saeize, fasc. V, p. 19). Une opinion analogue a
été émise, en 1899, par l'un de mes auditeurs habituels, le DrFraenkel (de
Heiden), qui a décrit des épaississements de la peau, fréquents, d'après
lui et auxquels il rapporte quelques-uns des troubles attribués à la rigi-
dité, et- les paresthésies que l'on observe.
En 1901, Lundborg(l) à repris l'idée de Moebius et essaie, sans succès,
d'ailleurs, le traitement thyroïdien, chez deux parkinsoniens.
Enfin, le même auteur a observé, dans le service du professeur Ribling,
une parkinsonienne atteinte, en même temps de myxoedème ; n'ayant
trouvé, à l'autopsie de cette femme, d'autre lésion qu'une tumeur de l'hé-
misphère gauche du cervelet, et l'atrophie du corps thyroïde, il attribue, à
cette dernière, non seulement, le myxoedème, mais encore la paralysie
agitante.
J'ai tenu à vous signaler cette théorie thyroïdienne, en raison de son
originalité, mais je puis vous dire, qu'un de mes internes, M. Alquier, a
étudié, dans mon laboratoire, non seulement le corps thyroïde, mais en-
core les principales glandes à sécrétion interne de quatre parkinsoniens,
sans y rencontrer la moindre altération. ''
En terminant ce rapide aperçu pathogénique, je vous rappelle que de
nombreux auteurs, dont la liste serait trop longue à énumérer, ont in-
sisté sur le rôle que jouent fréquemment le traumatisme, ou les émotions
morales, comme causes occasionnelles de la paralysie agitante. Très sou-
(1) LUNDBOnG, Deutsche zeitschr. f. nervenheilk., 1901, t. 19, p. 268.
16 RAYMOND
vent, en effet, les premiers symptômes apparaissent après un traumatisme,
et surtout dans la plupart des cas où la maladie a débuté brusquement,
c'est à la suite d'une grande frayeur (Ilillairet, Axenfeld, Charcot,
Kohts, etc.), d'une discussion, d'une colère, que le tremblement a fait t
son apparition.
III
Dans l'état actuel de nos connaissances, il nous est impossible d'oppo-
ser à la maladie de Parkinson, une thérapeutique vraiment rationnelle.
D'autre part, l'empirisme ne nous a, jusqu'à présent, pas mis sur la voie
d'un traitement vraiment curatif.
Nous en sommes donc réduit à essayer de combattre les symptômes ;
et encore, nombre des palliatifs qui ont été proposés ne donnent-ils que
des résultats médiocres. Je ne ferai que vous signaler le borate de soude,
le bromure de camphre, le sous-carbonate de fer, la duboisine, la véra-
trine, la teinture de gelsémium.
L'hyoscyamine et surtout l'hyoscine ont soulagé, pendant quelque
temps, un certain nombre des malades auxquels nous les avons conseil-
lées. L'hyoscyamine se prescrit en granules d'un milligramme ; pour
l'hyoscine, vous pouvez la prescrire, suivant la formule récemment pro-
posée par Williamson et Bury :
Bromhydrated'hyoscine, 6 milligrammes. '
Eau chloroformée saturée, 180 grammes.
Par cuillerée à café. D'abord 3 par jour, puis augmenter, de 1 à 3,
progressivement, suivant le résultat obtenu et la tolérance.
Vous pouvez, dans cette formule, remplacer le bi-omliydi-ate d'liyoscine,
par le bromhydrate de scopolamine, mieux toléré par quelques malades,
et, parfois, plus efficace.
Contre la rigidité musculaire, on a employé, avec un succès relatif in-
contestable, la rééducation des muscles, associée aux ressources de l'élec-
trothérapie, sous la forme du bain statique et de courants de haute fré-
quence. La suspension, l'élongation des nerfs ont fait plus de mal que
de bien. L'emploi du fauteuil trépidant n'a pas donné ce qu'on espérait.
Rappelez-vous que les arsenicaux peuvent être utiles, en améliorant
l'état général, ce qui donne aux malades une nouvelle énergie.
Le cacodylate de magnésie est un médicament que nous expérimente-
rons.
Enfin, les malades seront placés dans de bonnes conditions d'hygiène
physique et morale, devront éviter tout surmenage physique ou intel-
lectuel.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE ANATOMIQUE *
DES CORDONS POSTÉRIEURS
UN CAS DE LÉSION DE LA QUEUE DE CHEVAL
ET UN CAS DE TABES INCIPIENS (1)
PAR
J. NAGEOTTE,
Médecin-suppléant de Bicêtre.
Les observations de lésion des racines de la queue de cheval sont encore
très rares. Depuis le mémoire de Schultze (2), il n'a pas été publié dix
cas à ma connaissance ; et la plupart des descriptions données sont assez
peu détaillées, aussi manquons-nous actuellement des points de repère
précis, nécessaires à l'étude anatomique des cordons postérieurs ; la carte
de la région est d'autant moins faite que nous ne connaissons pas encore
les limites des variations individuelles, et les territoires endogènes ou
exogènes n'ont en bien des points que des frontières arbitraires.
Ayant eu la bonne fortune de recueillir, dans le service de M. Babinski,
un cas de lésion totale des nerfs de la queue de cheval jusqu'à la 4e lom-
baire inclusivement, causée par une compression qui avait absolument
épargné le cône terminal, j'ai cru devoir en faire une étude minutieuse.
A côté de cette observation, qui donne des résultats précis concernant le
trajet des racines postérieures prises en bloc, il m'a paru intéressant de
placer l'étude comparative d'un cas très remarquable de tabes incipiens,
provenant également du service de M. Babinski, pour mettre en évidence
le groupement systématique des fibres dans les territoires radiculaires.
Ce travail m'a permis de préciser sur certains points les notions que nous
possédons, de décrire des faits nouveaux et de réfuter plusieurs données,
aujourd'hui classiques, qui sont erronées. '
(1) Travail des service et laboratoire de M. le Dr Babinski et du laboratoire d'his-
tologie de l'Ecole des Hautes Etudes, au Collège de France.
(2) Schultze, Arch. f. Psych., 1883 ; EISENLOIIII, Neurol. Cenlralbl" 1884 ; SOTTAS
Revue de méd., 1893 ; Souques et Maiunesco, Soc. de biol., 1894 ; Dejerine et SOTTAS
Soc.de biol., 1895 ; UEJERtNE et SPILLM, Soc. de. biol., 1898 ; DUFOUR, Arch. de Neurol.,
1896.
XVII 2
i
18 NAGEOTTE
Avant de commencer la description des lésions observées dans ces deux
cas, il ne sera pas inutile de fixer en quelques mots la synonymie des
termes anatomiques qui seront employés.
La zone des fibres qui borde immédiatement la substance grise, cornes
et commissure, a reçu les noms de zone marginale de Westphal, ou de
zone cornu- commissurale ; elle répond à la zone radiculaire antérieure de
Flechsig ; c'est, ainsi que nous le verrons, une région où les fibres de di-
verses origines sont mêlées, d'où il suit que lorsqu'elle est individualisée
par un état pathologique, sa densité et son épaisseur varient non seule-
ment suivant les niveaux, mais encore au même niveau suivant les cas.
La zone qui est atteinte dans le tabes incipiens a été dénommée par
Pierret ruban externe ; l'usage a prévalu de lui donner le nom de bande-
lette externe ; ainsi que nous le verrons, celte zone varie beaucoup d'éten-
due et de forme suivant les niveaux ; elle répond à la zone radiculaire
moyenne de Flechsig.
Il existe en arrière une zone respectée au début du tabes, c'est le champ
postéro-externe, portion interne de la zone radiculaire postérieure de Flech-
siy.
La zone marginale postérieure ou zone de Lissauer, n'a pas besoin d'être
définie ; c'est la portion externe de la zone radiculaire postérieure de
Flechsig.
Dans la moelle foetale on aperçoit, au centre des cordons postérieurs à
la région lombaire, à cheval sur le septum médian, une région ovoïde
dont le développement est tardif et qui se relie en arrière aux champs
postéro-externes ; c'est là le centre ovale de Flechsig, qui se retrouve avec
sa forme et ses dimensions dans le tabes incipiens où il est respecté. Dans
les travaux récents, il s'est établi entre ce faisceau et le suivant, une con-
fusion que je m'efforcerai de dissiper. En haut, le centre ovale se continue
avec un faisceau cunéiforme adossé à la périphérie dans la zone de transi-
tion entre le renflement lombaire et la région dorsale.
Le faisceau médio-périphérique, faisceau de Hoche à sa partie supérieure,
triangle médian sacré ou triangle de Gombault et Philippe à sa partie in-
férieure, est un faisceau endogène descendant à fibres longues, qui, dans
la région lombaire, passe au travers du centre ovale de Flechsig, avec
lequel il est à tort confondu.
Nous appellerons faisceaux radiculaires verticaux de la corne postérieure
des faisceaux arrondis, séparés par un réticulum de substance grise, qui oc-
cupent la corne postérieure dans sa moitié ou ses deux tiers internes, en
avant de la substance gélatineuse de Rolando. Ces faisceaux sont d'au-
tant plus volumineux et plus serrés que l'on approche du bord interne de
la corne, qu'ils semblent parfois presque décapiter. Ils sont d'autant plus
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSIÉRIEURS ' . 19
développés que les racines de la région sont elles-mêmes plus volumi-
neuses. Ce sont les faisceaux verticaux de la corne postérieure de Kôllikei.
Enfin la zone d'entrée des racines, qui coupe en deux la zone de Lissauer,
n'a pas besoin d'être définie; dans le renflement lombaire, où la tête de
la corne est presque superficielle, cette zone est très courte ; mais elle for-
me un long trajet rectiligne dans les régions où la tête de la corne posté-
rieure est située dans la profondeur de la moelle.
Ous. I. Un homme de 43 ans est atteint d'une paraplégie douloureuse à
marche rapide, dont les premiers symptômes débutent subitement le 10 no-
vembre 1902. Le 20 janvier 1903 la marche est impossible; les troubles de
sphincter se montrent vers le 10 mai. Le 8 août le malade meurt, avec une
escharre sacrée profonde, large comme la main. ,
Malgré une affection cancéreuse dont l'évolution a été accompagnée de
souffrances très violentes, ce malade est mort sans présenter de traces mani-
festes de cachexie. A l'autopsie, le pannicule adipeux mesurait encore 4 cen-
timètres, d'épaisseur sur l'abdomen et les viscères étaient noyés dans la graisse.
Il existait un noyau de cancer gros comme une noisette dans la capsule sur-
rénale droite ; un autre plus petit dans la capsule surrénale gauche. Le reste
du tissu de ces organes avait conservé un aspect normal, ce qui explique sans
doute l'absence de tout symptôme addisonien. L'autopsie fit découvrir en outre
une masse cancéreuse volumineuse au hile du poumon droit, plusieurs noyaux
de cancer sur trois côtes, sur les plèvres, dans le foie; il existait deux noyaux
secondaires dans l'estomac; l'un d'eux était ulcéré. Enfin l'arc postérieur de
la 5 vertèbre lombaire était envahi par le cancer et il existait de chaque côté
une masse cancéreuse dans les 400 trous de conjugaison lombaires, comprimant
les ganglions et les racines de la 40 paire lombaire. Le noyau principal compri-
mait énergiquement la queue de cheval, immédiatement au-dessus de la sortie
de la 5° paire lombaire, sur une hauteur de 1 cent. 1/2 environ.
Au niveau de la compression, les racines étaient amincies et de couleur gris
rougeàtre ; au-dessus de ce point, .les racines postérieures étaient grises et atro-
phiées, les racines antérieures paraissant saines ; au-dessous on observait une
disposition inverse. Mais il n'existait à cet endroit aucune réaction inflamma-
toire de la dure-mère ni des racines, aucune adhérence d'aucune sorte, aucun
envahissement néoplasique.
L'examen histologique a montré que ce cancer était constitué par un épithé-
lioma alvéolaire, à travées pleines, envahi par la dégénérescence colloïde, et
ayant, suivant toute vraisemblance, pour point de départ le noyau de la cap-
sule surrénale droite, sans-qu'il fût possible de voir s'il s'était développé aux
dépens de la substance corticale ou de la substance médullaire.
, Examen de la moelle. Après un séjour de trois semaines dans le formol,
la moelle a été étudiée par les méthodes de Weigert-Pal, de Marcbi et de
Nissl et sur des coupes colorées au carmin et 1'liématoxviine.
Les constatations les plus intéressantes ont été faites sur les coupes colorées
20 ' NAGEOTTE
par la méthode^de Weigert-Pal. La myéline était en effet suffisamment dégé-
nérée, quoique non disparue, pour que la distinction entre les tubes sains et les
tubes altérés fût facile (PI.'V) (1).
Les racines de la queue de cheval préalablement fixées au formol, étudiées
sur des coupes après coloration en masse à l'aide de l'acide osmique, se sont
montrées presqu'absolument dépourvues de tubes à myéline normaux; quel-
ques très rares tubes de gros calibres, quelques tubes fins, à peine plus
nombreux, des fibres où la myéline affecte la disposition en boules caractéris-
tique de la dégénérescence, enfin de nombreuses gaines vides constituent les
quatre dernières racines sacrées. La 1=e sacrée contient un peu plus de tubes fins
conservés; ceux-ci sont encore plus nombreux dans la ose lombaire et ils
deviennent assez abondants dans la 4e lombaire. En somme, il existait une
destruction p1'esqu'absolue de toutes les racines sacrées et une lésion très
intense des4e et 5e lombaires, avec conservation d'un certain nombre de fibres
fines dans ces 2 dernières paires.
Dans la moelle nous étudierons la topographie de la dégénérescence secon-
daire à chaque niveau en allant de bas en haut, à l'aide de coupes colorées par
la méthode de Weigert-Pal. Ensuite nous synthétiserons les notions acquises
sur chaque système de fibres. ' z
5e Sacrée. - Le triangle sacré médian est réduit à une bande très mince
allant du milieu environ du septum médian à la périphérie. En avant, ce trian-
gle se relie par des fibres isolées à la zone cornu-commissurale.
Dans cette zone il ne reste qu'un très petit nombre de fibres disposées
sur une ligne mince qui borde la commissure et la partie antérieure de la subs-
tance gélatineuse.
Tout le reste des cordons postérieurs est rempli par des fibres radiculaires
dégénérées ou en voie de dégénérescence et par des fibres verticales fines, saines,
uniformément réparties sur toute l'étendue des cordons postérieurs ; ces fibres
sont probablement en rapport de continuité avec des fibres horizontales de mê-
(l)-Je me suis servi, pour colorer les coupes de cette moelle et des pièces de com-
paraison, d'une légère modification de la méthode de Weigert-Pal que je crois devoir
indiquer ici, puisqu'elle permet d'obtenir rapidement des préparations excellentes :
1° durcissement de quelques jours au formol (10 /o) ; 20 mordançage de morceaux
petits, pendant S à 6 jours, dans le liquide indiqué par Weigert pour sa méthode
rapide (alun de chrome, 2, bichromate de potasse, 5, eau, 100) ; 3° inclusion et coupes ;
4° mordançage des coupes pendant 24 heures dans une solution de sulfate de cuivre
à ? 0 °/o ; 50 après très léger lavage, coloration pendant 24 heures dans la solution
d'hématoxyline et traitement ultérieur par la méthode de Pal ordinaire. Pendant le
mordançage des coupes dans le sulfate de cuivre, il se fait des précipités peu encou-
rageants, qui disparaissent complètement dans le traitement ultérieur. Las avantages
de cette petite modification sont : 1° la possibilité de laisser moins longtemps les
pièces dans la solution d'alun de chrome, et par conséquent d'avoir des coupes non
friables, sans nuire pour cela à la sûreté de la coloration ; 2o la coloration très pré-
cise et très sûre des fibres à myéline les plus fines (substance grise) ; 3° la coloration
des racines hors de la moelle, qui est si souvent défectueuse par les procédés ordi-
naires.
Nouvelle ICONOGHAPIIIE DL la SALI'LrRli.lOE 1. XVII. Pl. V
ETUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS
(1. Nageotte.)
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 21
me calibre qui sortent de la substance grise, ou y rentrent, par toute la moitié
antérieure du bord interne de la corne et forment dans toute l'épaisseur des cor-
dons sclérosés un riche réseau de fascicules éparpillés en éventail ; le septum
médian contient beaucoup de ces fibres. Les fibres collatérales réflexes et les
faisceaux radiculaires verticaux, sont détruits, mais les zones de Lissauer et le
réseau des fibres fines de la corne postérieure sont intactes. Il en sera de même
à tous les niveaux, jusqu'à la 3° lombaire ; aussi je ne reviendrai pas sur tous
ces points dans la description des segments radiculaires suivants (v. fig. 1).
4e Sacrée. Le triangle sacré médian, qui dans cette moelle n'a pas du
tout la forme triangulaire, est plus volumineux ; il occupe toute l'étendue du
septum médian et se confond en arrière avec des faisceaux de fibres conservées
qui occupent l'angle antérieur des cordons postérieurs, et qui envahissent
même la commissure, sous la forme de petits fascicules arrondis séparés par
un réticulum de substance grise. Ces fibres endogènes de la zone cornu-commis-
surale s'étendent très peu en arrière ; on n'en trouve déjà plus au contact de
la substance gélatineuse.
3° .Sacrée.- Le triangle médian en voie d'accroissement forme une bandelette
à extrémité postérieure renflée, qui s'étend de la commissure à uu point situé
à l'union du tiers postérieur avec les deux tiers antérieurs du septum ; immé-
diatement en arrière du triangle médian le septum s'élargit beaucoup, de sorte
que les bords internes des cordons postérieurs s'écartent l'un' de l'autre à angle
aigu. En avant, le triangle se confond avec une masse assez volumineuse de
fibres endogènes groupées le long de la commissure ; l'ensemble figure la coupe
verticale d'un champignon à pied bulbeux. Les fibres endogènes de la zone
cornu-commissurale ne s'étendent pas le long des cornes postérieures. '
te Sacrée. L'aspect est semblable, mais le triangle et le faisceau conservé
de la zone cornu-commissurale ont encore augmenté de volume ; ce dernier
avance maintenant le long du bord de la corne sans atteindre toutefois la sub-
stance gélatineuse ; par contre la bandelette qui réunit le triangle à ce faisceau
est devenue plus pâle, par suite de son mélange avec des fibres radiculaires
dégénérées (fig. 1 et 2).
lre Sacrée. La séparatiou entre le triangle médian et le faisceau conservé
de la zone cornu-radiculaire tend à s'accentuer. Le triangle commence à dimi-
nuer de volume ; il occupe la moitié postérieure du septum ; il envoie jusqu'à
la périphérie de la moelle une mince bordure le long de la portion élargie du
septum. Les fibres conservées de la région cornu-commissurale ont augmenté de
nombre; elles tendent à former un faisceau dense dans qui sépare la
commissure du bord de la corne postérieure ; de là elles envoient vers le trian-
gle une traînée de fibres qui sont mêlées à des fibres radiculaires. Le long du
septum, dans son 1/3 antérieur, il se forme une zone plus pâle, plus riche par
conséquent en fibres radiculaires, qui va en s'élargissant vers la commissure.
Les fibres saines de gros calibre se répandent d'ailleurs dans toute l'étendue des
cordons postérieurs, d'autant plus nombreuses qu'on s'approche de la zone
cornu-commissurale; ces fibres sont également plus nombreuses autour du
triangle médian.
22 NAGEOTTE
5e Lombaire ? Le triangle médian a beaucoup diminué de volume ; il forme
maintenant un tout petit faisceau linéaire situé au niveau du I/o moyen du
septum et envoie de là jusqu'à la périphérie de la moelle une mince ligne de
fibres accolées au septum.Les fibres conservées de la zone cornu-commissurale
ont accentué leur tendance à se grouper dans l'angle formé par la commissure
et la corne, si bien que la région commissurale moyenne est devenue très pâle.
Les grosses fibres conservées disséminées dans les cordons sclérosés ont encore
augmenté de nombre; elles s'accumulent surtout dans la moitié antérieure en
formant une traînée à contours vagues qui part de la zone commissurale, oc-
cupe la région moyenne de chaque cordon et se perd lorsqu'elle arrive a la hau-
teur de la tête de la corne postérieure.
4° Lombaire.- Les coupes de ce segment ont porté sur sa limite supérieure,
au voisinage immédiat des fascicules inférieurs de la 3e lombaire, qui est la
première racine épargnée, de telle sorte que, soit à cause des branches descen-
dantes de cette racine, soit parce que la IL,, lombaire contient déjà un certain
nombre de fibres fines intactes, le bord de la corne postérieure commence à se
regarnir de fibres. Ici le triangle médian forme une ligne minuscule vers l'u-
nion du tiers postérieur avec les deux tiers antérieurs du septum. Les fibres
conservées de la zone cornu-commissurale sont nettement rejetées de côté et la
partie médiane de cette zone est très pâle, presque complètement dégarnie de
fibres. Les fibres grosses disséminées dans la zone scléreuse n'ont guère varié
depuis la 5e lombaire. Les collatérales réflexes commencent à reparaître.
3e Lombaire. L'arrivée de la première racine saine modifie considérable-
ment l'aspect; cette racine forme un triangle rectangle dont l'hypothétiuse ex-
terne, curviligne, est adossée à la corne sur ses deux tiers postérieurs ; les côtés
interne et postérieur rectilignes, sont l'un parallèle, l'autre perpendiculaire à
la direction du septum médian ; le premier est nettement tranché, le second est
plus flou.La zone dégénérée forme dans son ensemble une équerre, dont la bran-
che antéro-postérieure s'appuie en avant à la commissure et au tiers antérieur du
bord de la corne, et dont la branche transversale effilée touche par sa pointe la
zone d'entrée de la racine postérieure.Les fibres endogènes fines deviennent
moins nombreuses dans la branche verticale ; elles restent abondantes dans la
branche horizontale. Les collatérales réflexes sont normales ainsi que les gros-
ses fibres du réseau des cornes postérieures; les faisceaux radiculaires ver-
ticaux de la corne postérieure reparaissent. Les zones de Lissauer et le réticu-
lum fin de la corne postérieure ne changent pas d'aspect à ce niveau. Les
fibres conservées de la zone cornu-radiculaire ont diminué de nombre ; elles
forment un groupe assez pâle situé comme au niveau de la racine précédente.
2e Lombaire. - La zone remplie par les libres radiculaires a augmenté de
volume, en gardant sa forme; toutefois les fibres envahissent d'une façon
diffuse la branche transversale de l'équerre formée par la région sclérosée. En
avant les fibres radiculaires recouvrent le bord de la corne an niveau de la
colonne de Clarke qui apparaît à ce niveau. Le réticulum myélaniqrce de cette
colonne parait absolument normal. La zone cornu-radiculaire dont la portion
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 23
médiane'est ici seule découverte par la sclérose, ne contient qu'une bordure
très pâle de fibres conservées.
4e Lombaire. C'est à ce niveau que l'on constate le dernier vestige du
triangle médian, qui forme une ligne presque imperceptible vers l'extrémité
postérieure du septum.
La branche transversale de la sclérose est presque complètement remplie
par des fibres radiculaires ; elle conserve néanmoins une teinte un peu pâle.
La branche antéro-postérieure contient un assez grand nombre de fibres grosses,
éparses ; par contre, les fibres fines deviennent plus rares.
. 10e Dorsale. On assiste, à ce niveau, à l'envahissement de la zone com-
missurale par de grosses fibres, qui sont vraisemblablement d'origine radicu-
laire. Les bords de la région sclérosée deviennent moins nets et cette région
est envahie, surtout en avant, par des fibres saines éparses.
8e Dorsale. La région sclérosée, déjà cordon de Goll, se rétrécit beau-
coup en avant; elle touche néanmoins à la commissure par son extrémité
qui s'épanouit à sou contact pour former deux languettes divergentes.
7° Dorsale. Il se forme eu avant, au niveau de la moitié antérieure du
bord externe de la sclérose, une zone mixte où les fibres se mélangent à parties
égales avec les fibres dégénérées.
A la 5e dorsale le cordon de Goll touche à peine en avant la commissure ;
à la po dorsale il ne la touche plus du tout; à la 28 dorsale il s'en rapproche
de nouveau ; à la 1r° dorsale il forme de chaque côté une petite languette qui
se recourbe en dehors pour se perdre tout près de la commissure ; il en est de
même à la 8e cervicale; à la 7e cervicale il s'éloigne de nouveau de la commis-,
sure ; à la 6° cervicale son extrémité antérieure est située sur le septum médian
à l'union du tiers antérieur avec les deux tiers postérieurs ; à la 5e cervicale
il se rétrécit encore d'avant en arrière. La sclérose aboutit à la partie postéro-
interne du noyau grêle ; les fibres bondant la face externe du noyau sont in-
tactes ; elles appartiennent sans doute aux racines lombaires supérieures.
Il faut noter que dans tout ce trajet il existe dans la moitié autérieure du
cordon de Golf une sorte d'encoche par où pénètre une invasion de libres
saines qui forment une languette pâle s'avançant en dedans et en arrière
dans l'épaisseur de la zone sclérosée et se terminant insensiblement vers le
tiers postérieur du cordon de Gol I Par contre, la moitié postérieure du cordon
de Goll est nettement délimitée. Si l'on compare cette disposition avec ce que
l'on observe dans les cas de lésion transverse de la moelle dorsale, on est
porté à croire que les fibres radiculaires des premières lombaires, ici épargnées,
passent par cette languette et par la portion saine qui serait séparée des fais-
ceaux de Burdach si l'on prolongeait en avant la direction de la partie posté-
rieure du bord externe du cordon de Goll.
Dans le reste des cordons de Goll- à la région cervicale il existe un semis
très discret de grosses fibres conservées. On aperçoit également des fibres
fines, mais en moins grand nombre que dans les régions inférieures ; ces fibres
verticales semblent être en rapport de continuité avec quelques fibres horizon-
tales de même aspect qui cheminent dans le septum médian (fig. 3).
24 NAGEOTTE
Les coupes faites par la méthode de Marchi ne font que confirmer les données
précédentes, en particulier l'intégrité de la zone de Lissauer et du réticulum
des colonnes de Clarke à la région lombaire supérieure. La méthode de Nissl
montre une altération fort intéressante : au-dessous de la 3e lombaire, toutes
les cellules de la corne antérieure ont subi la réaction à distance, c'est-à-dire
sont gonflées, en chromatolyse centrale avec noyau périphérique ; à partir de
la 3e lombaire inclusivement, aucune cellule ne présente plus cet aspect.
Les coupes colorées à l'hématoxyline montrent l'intégrité complète des mé-
ninges et des vaisseaux de la moelle ; celles qui ont été colorées au carmin
permettent de constater dans la région sclérosée, une légère réaction névroglique.
- Absence de toute névrite périphérique sensitive aux membres inférieurs
(acide osmique), en rapport avec l'absence de cachexie.
OBs. IL Femme de 37 ans ; diagnostic clinique : paralysie générale, atro-
phie des nerfs optiques.
L'observation clinique ayant été égarée, je n'ai pu savoir si les réflexes ten-
dineux étaient abolis.
La moelle a été débitée en segments après repérage minutieux des racines.
Des coupes ont été faites au niveau de chaque segment radiculaire et colorées
par la méthode de Weigert (PL VI), au carmin et à l'hématoxyline.
La lésion des nerfs radiculaires dans ce cas a déjà été décrite dans mon tra-
vail sur la pathogénie du tabes (1).
5e Sacrée. La sclérose forme une mince bande rectiligne située immédia-
tement en dehors du triangle sacré médian ; elle s'étend du col de la corne pos-
térieure à la périphérie ; elle est un peu plus intense en arrière qu'en avant ;
il existe en outre une très légère tache de sclérose qui se détache eu avant de
cette bande et qui contourne à distance la tête de la corne postérieure ; cette
tache est très mal délimitée.
La 4e sacrée manque.
3e Sacrée. La sclérose forme un triangle au centre du cordon postérieur ;
l'angle externe de ce triangle se prolonge jusqu'à l'entrée de la racine posté-
rieure sous forme d'une bandelette très mince et très peu accusée. Les colla-
térales réflexes sont presque absolument détruites ainsi qu'à tous les autres
niveaux de la moelle. Ont également disparu les faisceaux radiculaires verticaux
de la corne postérieure. Sont conservés : 1° le triangle sacré médian; 2° une
zone en bordure, épaisse le long de la commissure et mince le long de la corne
postérieure qu'elle accompagne en arrière jusqu'à la pointe; 3° les zones de
Lissauer et le réticulum fin de la corne postérieure. Tous ces systèmes de fibres
ont la même richesse et la même étendue que dans le cas de compression de
la queue de cheval, où nous estimons qu'ils sont normaux ; ce sont des systè-
mes endogènes. De plus, le champ postéro-externe (exogène) est conservé
comme dans toute la hauteur de la moelle; il n'est pas absolument intact;
(1) J. NAGEOTTE, Pathogénie du tabès dorsal, 2. article, Presse médicale, 3 janvier
1903, fig. 42 à 45. '
NOU\'LLI e Iconographie UL la SAI.Pil-RILRir 1'. : \\'11. 1'1. \'1
ETUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTERIEURS
(J. Nageotte.)
- Masson et Cie, Editeurs
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 25
relativement à la bandelette externe, il paraît sain, mais si on le compare à
l'état normal, on voit qu'il est moins fourni de fibres ; cette lésion extrême-
ment légère et diffuse ne gêne en rien pour l'étude de la bandelette externe
nettement sclérosée, qui garde partout ses limites clairement tracées. Il est
manifeste qu'à ce niveau, comme dans tout le reste de l'étendue de la moelle,
la sclérose de la bandelette externe s'accompagne de rétraction ; les cordons
postérieurs sont en effet notablement plus petits qu'à l'état normal.
2" Sacrée.- La dégénérescence prend la forme d'un triangle curviligne très
mince, qui embrasse à distance la corne postérieure et touche à l'entrée des
racines par un angle très effilé de sclérose légère. Les zones conservées sont
les mêmes qu'à la 3e sacrée.
Ire Sacrée. Le triangle dégénéré est plus épais mais garde les mêmes
rapports qu'à la 2° sacrée. Le triangle conservé de chaque côté du septum
commence à être plus volumineux qu'il n'est dans le cas de dégénérescence de
la queue de cheval : il s'y ajoute des fibres radiculaires conservées et l'on peut
considérer ce point comme constituant l'extrémité inférieure de la formation
qui mérite le nom de centre ovale de Flechsig.
5° Lombaire. - Tandis qu'à ce niveau le triangle sacré médian commence
à diminuer d'étendue dans le cas de dégénération de la queue de cheval, on
voit ici la zone médiane conservée devenir de plus en plus volumineuse et
prendre déplus en plus l'aspect caractéristique du centre ovale de Flechsig,
tel qu'il existe dans la moelle foetale. Le prolongement antérieur de la zone
sclérosée devient à ce niveau de plus en plus épais ; le prolongement postéro-
externe, celui qui va à la rencontre de la racine postérieure, devient par contre
plus effilé ; l'angle postéro-interne s'arrondit.
4" Lombaire. A ce niveau le centre ovale de Flechsig est complètement
développé ; les champs postéro-externes sont à leur maximum d'étendue.
3* Lombaire. Le centre ovale fait place à un faisceau cunéiforme dont la
base est périphérique et dont l'angle antérieur est situé sur le septum médian,
un peu en avant de son milieu. Ce faisceau médian de fibres radiculaires con-
servées prend une extension de plus en plus grande, à mesure que les champs
postéro-externes diminuent d'étendue ; les choses se passent comme si les fi-
bres radiculaires abandonnaient les champs postéro-externes pour pénétrer
dans le faisceau cunéiforme. A ce niveau on voit très nettement que la zone
cornu-commissurale est infiniment mieux conservée que dans la dégénéres-
cence secondaire, d'où l'on peut conclure que cette zone est formée, au moins
en majeure partie, par des fibres radiculaires qui, de même que celles du cen-
tre ovale et des champs postéro-externes, sont conservées au début du tabes.
2e Lombaire. La zone scléreuse prend ici l'aspect d'un quadrilatère, ses
limites sont plus floues qu'au niveau des racines situées au-dessous. Par son
petit côté interne ce quadrilatère s'adosse à la zone scléreuse du côté opposé,
dont le séparent deux minces bandes relativement intactes de chaque côté de
la moitié antérieure du septum. Le petit côté externe, également dirigé direc-
tement d'avant en arrière, limite ce qui reste du champ postéro-externe. Le
grand côté antérieur est maintenu à distance de la corne par une zone margi-
26 NAGEOTTE
nale qui n'existe pas dans l'observation I avec cette densité et qui, par consé-
quent est en bonne partie de nature exogène. Le grand côté postérieur limite
le faisceau cunéiforme, ici très agrandi. De l'angle antéro-externe part une
traînée très floue vers l'entrée de la racine ; de l'angle postéro-interne on voit
sortir une petite bande scléreuse assez mal délimitée, qui se dirige ou arrière
dans l'épaisseur des faisceaux cunéiformes.
4r° Lombaire. Les deux zones scléreuses sont ici séparées sur la ligne mé-
diane par une bande saine beaucoup plus dense et plus épaisse qu'à la 2° lom-
baire ; la bande scléreuse qui part de leur angle postéro-interne est bien plus
nette; le corps de la zone sclérosée est plus mince à sa partie moyenne et il
s'est développé une bande scléreuse qui part de son extrémité postérieure pour
se diriger vers la tête de la corne postérieure qu'elle contourne à distance.
L'ensemble forme à droite un N, dont le 3° jambage est plus court que les au-
tres et porte à son extrémité un petit crochet dirigé vers la zone d'entrée des
racines. A gauche la figure est symétrique.
12e Dorsale. La figure est encore plus nette, les jambages se sontallon-
gés et amincis ; l'N se transforme progressivement en M par suite du dévelop-
pement du crochet situé à l'extrémité du 3e jambage. Les jambages internes
de droite et de gauche sont séparés par une mince bande conservée qui court
le long du septum médian ; leur extrémité n'atteint pas la périphérie de la
moelle.
94° Dorsale. Diffère de la 1° en ce que les 1. er et 2e jambages de l'M
(figure de droite) deviennent flous et tendent à disparaître, tandis que le 3" et le
4e se développent davantage.
10e Dorsale. Les le, et 2" jambages sont à peine visibles.
91 Dorsale. Il ne reste plus que la partie externe de la figure précédente,
qui prend à ce niveau la forme d'un triangle très mince, obliquement dirigé
d'avant en arrière et de dedans en dehors, parallèlement à la direction de la
corne postérieure. Son bord interne est rectiligne et limite une région médiane
saine au même degré que les champs postéro-externes à la région lombaire;
cette région se rétrécit progressivement à mesure que l'on remonte le long de
la moelle et finit par constituer le cordon de Goll à la région cervicale Ses deux
bords externes sont curvilignes, à peu près égaux et séparés l'un de l'autre par
un angle qui s'effile et se recourbe un peu pour aller rejoindre le trajet d'en-
trée de la racine postérieure immédiatement en arrière de la substance gélati-
neuse de Rolando. Cette bande scléreuse n'atteint pas tout à fait la commissure
en avant et pas tout à fait la périphérie en arrière ; elle est séparée de la corne
postérieure par une bande saine très mince et du trajet d'entrée de la racine
postérieure par une zone plus large, qui semble représenter ici en petit les
champs postéro-externes des renflements lombaire et cervical. ,
Jusqu'à la 3° dorsale, il y a peu de changements.
3e Dorsale. Le bord interne de la bandelette externe devient extrême-
ment net et est constitué par une ligne de sclérose dont l'intensité tranche sur
le reste. Sa forme est sinueuse.
ETUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 27
En remontant dans le renflement cervical la bandelette externe sclérosée
augmente de volume tout en gardant la même forme.
8e Cervicale. La zone scléreuse est devenue très large. En dedans elle
est limitée par cette ligne nette de sclérose interne que nous avons vue débuter
vers la 3e dorsale; en dehors ses limites sont un peu indécises ; elle est sépa-
rée de la corne sur toute son étendue par une zone marginale de fibres saines,
mais elle va toucher la zone d'entrée par son angle externe ; en arrière son
bord curviligne limite un champ postéro-externe tout à fait analogue, comme
forme, rapports et dimensions, au champ postéro-externe du renflement lom-
baire.
7n Cervicale. Les deux zones sclérosées se rapprochent l'une de l'autre
par leur extrémité supérieure.
6e Cervicale. - Les deux bandelettes arrivent au contact sur le tiers anté-
rieur du septum médian.
5° Cervicale. Les bandelettes se déforment et constituent chacune un
quadrilatère irrégulier à limites assez floues; elles se touchent en avant sur
le tiers antérieur du septum médian ; la ligne de sclérose intense qui marquait
le bord interne depuis la 3° dorsale s'est atténuée progressivement et a fini par
disparaître. L'intensité de la sclérose des bandelettes externes va d'ailleurs aussi
en décroissant. '
fil, Cervicale. Le cordon de Goll reprend une forme plus allongée d'avant
en arrière. Les deux bandelettes s'effacent et s'éloignent beaucoup des cornes
postérieures ; elles forment chacune une L branche horizontale courte,tournée
en dehors. ' :
Plus haut, la bandelette prend de plus en plus la forme d'un croissant qui,
à la partie inférieure du bulbe, entoure à distance le noyau cunéiforme, séparé
du noyau et de la périphérie par deux zones d'aspect normal. Insensiblement
la sclérose s'atténue et finit par disparaître au point où cessent les cordons
postérieurs eux-mêmes.
Telles sont les lésions qui sont visibles par la méthode de Weigert-Pal et
par la coloration au carmin. Il faut ajouter que la sclérose paraît être déjà
ancienne si l'on en juge par la réaction névroglique intense et par la rétraction
des tissus qui s'est opérée. '
Les coupes colorées à l'hématoxyline montrent l'existence d'une méningite
syphilitique identique à celle que j'ai toujours observée dans les tabes. Cette
méningite est ici particulièrement intense ; elle s'accompagne de phlébites et
même d'artérites parfaitement caractéristiques.
L'écorce cérébrale présente les lésions spécifiques de la paralysie générale.
Les notions qui se dégagent des deux observations précédentes doivent
être divisées en deux catégories distinctes suivant qu'elles ont.trait aux
fibres endogènes de la moelle ou bien aux fibres radiculaires, C'est dans
cet ordre que je chercherai à les mettre en lumière et à les discuter. Dans
28 NAGEOTTE '
un premier chapitre j'étudierai : 1° les fibres endogènes des cordons posté-
rieurs ; 2° celles de la corne postérieure, je me servirai pour cela de l'ob-
servation I principalement, et de quelques observations analogues em-
pruntées à différents auteurs.
Un deuxième chapitre sera consacré à l'étude et à la discussion des
faits relatifs : 1° au trajet intra-médullaire de l'ensemble des racines posté-
rieures lombo-sacrées ; 2° à l'agencement des différents systèmes élémentaires
de fibres dans le territoire de chaque racine dans la moelle ; pour cette partie
de mon travail, l'observation II me fournira des documents précieux.
I. Fibres endogènes.
L'observation I est extrêmement favorable à l'étude des fibres endogènes
parce que la destruction des fibres radiculaires est complète sur une très
grande étendue, et parce que la lésion, encore- récente, ne s'est pas ac-
compagnée de dégénérescences tertiaires. La présence des boules de myé-
line, non encore charriées hors de la moelle, gêne un peu pour l'examen
à un faible grossissement, mais ce léger inconvénient est compensé par
ce fait que la dégénérescence est restée cantonnée au neurone périphéri-
que, sans envahir des fibres qui, dans d'autres observations étaient
atteintes. Ainsi dans la très belle observation de Sottas, qui concerne un
cas de compression des racines par un noyau de cancer émané, comme
dans l'observation I,d'un cancer primitif d'une capsule surrénale, il existait
une dégénérescence des zones de Lissauer et des fibres fines de la corne
postérieure ; dans mon observation, au contraire, les zones de Lissauer sont
absolument intactes, de même.que les fibres fines de la substance grise.
Le fait que dans un cas, même unique, ces systèmes de fibres ont pu ne
pas dégénérer après une destruction radiculaire complète suffit à prouver
qu'ils n'appartiennent pas aux neurones des racines et que dans les ob-
servations où ils sont détruits, leur destruction est, suivant toute vrai-
semblance, le résultat d'une dégénérescence tertiaire, favorisée par la
durée de la maladie.
Il intervient ici sans doute encore un autre facteur; tandis que dans
l'observation de Sottas le cadavre était « squelettique », dans la mienne le
malade, malgré de grandes souffrances, avait conservé au moment de sa
mort, un embonpoint considérable; son pannicule adipeux mesurait 4
centimètres d'épaisseur sur l'abdomen; en un mot il n'existait pas de
cachexie consomptive. Or, nous savons, par les expériences sur les ani-
maux, que la vitalité générale influe beaucoup sur celle des neurones et
que ceux-ci résistent beaucoup mieux aux influences nocives chez les
. ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 29
animaux bien portants que chez les sujets mal nourris. Il est donc pro-
bable que chez mon malade, indépendamment de la courte durée de la
maladie, la conservation relative de la santé générale, malgré une affec-
tion cancéreuse, a empêché l'atrophie des neurones subordonnés aux
racines postérieures de se produire aussi rapidement que dans d'autres
cas où la durée de la maladie n'avait guère été plus longue.
On pourrait se demander si la dégénérescence tertiaire fait bien réelle-
ment défaut, d'une façon absolue dans mon cas, et s'il n'existe pas en réa-
lité encore plus défibres endogènes que je n'ai pu en apercevoir. Il est
possible à la rigueur qu'il existe, en effet, des systèmes de fibres endogè-
nes tellement sensibles à l'action de la dégénérescence tertiaire que leur
destruction suit presque immédiatement la dégénérescence secondaire; si
dans l'observation I certains systèmes endogènes, habituellement atteints
de dégénérescence tertiaire lorsque les racines sont détruites, ont conservé
leur intégrité, cela ne prouve pas absolument que tous les systèmes endo-
gènes doivent être intacts. Pourtant je suis porté à croire qu'il n'existe
pas de dégénérescence tertiaire appréciable dans l'observation I et cette
opinion est fondée précisément sur l'intégrité du réticulum fin de la corne
postérieure ; cette intégrité ne se comprendrait pas si certaines cellules de la
substance grise avaient disparu ; en outre,ces cellules étudiées directement
par la méthode de Nissl, ne présentent pas non plus de lésions apprécia-
bles dans la corne postérieure.
Je crois donc pouvoir admettre : lo que les différences qui existententre
mes constatations et celles des autres auteurs, au point de vue de l'éten-
due des dégénérescences, résultent de ce que les dégénérescences tertiaires
n'ont pas eu le temps de se produire dans l'observation I.dece travail ; 2°
qu'il n'existe, suivant toute vraisemblance, pas d'autres fibres endogènes
que celles qui sont conservées dans cette même observation et que je vais
maintenant décrire.
.
A. FIBRES ENDOGÈNES DANS LES CORDONS POSTÉRIEURS.
Il apparaît tout d'abord que les fibres endogènes sont, relativement au
nombre des fibres radiculaires, très peu abondantes dans les cordons pos-
térieurs à la région lombo-sacrée, et encore plus rares dans le cordon de
Goll. Néanmoins leur nombre absolu est encore considérable. Elles doi-
\
vent être divisées en deux catégories absolument distinctes : 4° fibres en-
dogènes fines, 2° fibres endogènes grosses. Cette distinction ne me paraît pas
avoir été encore faite par les auteurs qui se sont occupés de cette question ;
elle répond pourtant à la réalité des faits. Noyées à l'état normal dans la
masse des fibres radiculaires, les fibres endogènes sont isolées dans l'obser-
30 NAGHOTTE z
vation où les fibres radiculaires ont dégénéré et la division que je viens
d'indiquer s'impose immédiatement à l'examen des coupes colorées par la
méthode de Weigert-Pal (rig.,I) ; il est facile de retrouver ces deux espèces
de fibres dans une moelle normale, où les fibres fines se montrent avec la
même abondance que dans l'observation I ; enfin on peut constater que
dans le tabes ces deux espèce^de fibres sont moins atteintes que les fibres
radiculaires, bien qu'il y ait à un moment donné une atteinte portée sur
elles et principalement sur les fibres fines.
4° FIBRES ENDOGÈNES FINES. '- Avant d'entrer dans la description de ces
fibres, telles qu'elles apparaissent dans l'observation I, après l'effondre-
ment des fibres radiculaires, je dois indiquer pour quelles raisons je les
considère comme des fibres, endogènes légitimes. On pourrait en effet me
faire deux objections : 1° ces fibres sont des fibres radiculaires épargnées,
provenant des racines lésées ; 2" ces fibres sont des fibres radiculaires à
trajet descendant, qui proviennent des racines supérieures saines. La pre-
mière de ces objections est réfutée par ce fait que les quatre dernières ra-
cines sacrées ne contiennent plus qu'un nombre excessivement restreint
de fibres fines, peut-être pas 10 par racine, et que les trois racines situées
au-dessus sont encore extrêmement atteintes, alors qu'au niveau de la troi-
sième sacrée, par exemple, les fibres fines des cordons postérieurs sont si
nombreuses qu'il est impossible de songer à les compter. Quant à la deu-
xième objection, elle ne résiste pas mieux à l'examen ; en effet, si les
fibres fines, et en particulier celles de la zone de Lissauer, provenaient
des racines supérieures, elles devraient aller en diminuant progressive-
ment de densité à mesure que l'on descend. Or, il n'en est rien ; le nom-
bre absolu de ces fibres diminue naturellement à mesureque l'on s'approche
du filum terminale, mais leur densité reste la même ; à moins de supposer
que ces fibres, provenant des racines supérieures et destinées au renfle-
ment lombo-sacré, n'ont pas leur analogue dans les racines lombo-sacrées,
on est donc forcé d'admettre que ce sont bien des fibres endogènes légiti-
mes.
Les fibres endogènes fines ont un diamètre qui, pour la plupart, est
inférieur à 1/2 . Elles se présentent sous trois aspects : a) fibres horizon- z
tales, b) fibres verticales disséminées, c) zone de Lissauer ou fibres verticales
conglomérées. Il est vraisemblable que les deux premières catégories n'en
font qu'une en ce sens que les fibres verticales ne sont autre chose que les
fibres horizontales qui ont changé de direction ; on peut supposer que ces
fibres sortent horizontalement de la substance grise pour se recourber ou
se bifurquer lorsqu'elles sont arrivées dans les cordons; il se peut aussi
que les fibres horizontales représentent, pour une certaine part, le trajet
de ces mêmes fibres lorsqu'elles rentrent dans la substance grise. Néan-
ÉTUDE 1\A1'o\IIQf : C DES COUDONS POSTÉRIEURS 31
moins, pour m'en tenir aux faits directement observés, je décrirai à part
ces trois aspects de fibres endogènes fines.
a) Fibres endogènes fines horizontales. Ces fibres forment de petits
fascicules qui sortent dé la substance grise, ou y rentrent, par la moitié
antérieure du bord interne de la corne postérieure. A leur origine ces fasci-
cules sont très fournis et ils sortent très près l'un de l'autre ; bientôt ils
s'éparpillent en éventail dans toute l'étendue des cordons postérieurs
(fig. 1), se divisent et s'épanouissent à mesure qu'ils s'approchent de la
périphérie, si bien qu'ils finissent par être réduits chacun à un petit
nombre de fibres qui se frayent leur chemin en serpentant au milieu des
grosses fibres radiculaires verticales. Les plus antérieurs se dirigent direc-
tement en dedans vers le septum ; ils se trouvent là mêlés aux fibres endo-
gènes grosses que nous étudierons plus loin, et ils les séparent en tranches
transversales, un peu comme les fibres arciformes du bulbe divisent les
fibres du ruban de Reil ; mais dans le cordon postérieur, cette disposi-
tion est infiniment moins accusée que dans le ruban de Reil. Les fasci-
Fie. 1. Obs. I. Fibres endogènes grosses et fines des cordons postérieurs au ni-
veau de la II8 sacrée (dessin fait en négligeant les débris de myéline altérée). Zm,
faisceau endogène de la zone marginale de Westphal ; 1'G, triangle de Gombault et
Philippe ; ZLe, ZLi, zone de Lissauer, portions externe et interne ; G.R., substance
gélatineuse de Rolando ; SpR zone : spongieuse de la substance gélatineuse ; Spa, Spp,
zones antérieure et postérieure de la substance spongieuse de la corne postérieure.
On remarquera les ponts formés entre les deux portions de la zone de Lissauer par
des fascicules obliques de fibres fines endogènes.
32 NAGEOTTE
cules moyens et postérieurs, à l'état normal, se trouvent masqués par les
tractus des collatérales-réflexes, qui sont formés de fibres beaucoup plus
grosses, mais qui suivent le même trajet et les recouvrent en partie. Le
septum médian,'à la région sacrée, contient un grand nombre de fibres
semblables, qui paraissent provenir de la commissure postérieure ; à la
région cervicale il en contient encore, mais beaucoup moins.
b) Fibres endogènes fines, verticales, éparses. Ces fibres forment un
semis très régulier et assez serré dans toute l'étendue des cordons posté-
rieurs à la région sacrée (fig. 2). Elles deviennent plus rares dans la
portion antérieure des cordons lorsqu'on remonte dans la région lombaire.
A la région cervicale il en existe encore, mais fort peu, dans le cordon de
Goll (fig. 3).
c) Zones de Lissauer ou fibres endogènes fines verticales conglomérées.
- Les zones- de Lissauer sont, suivant toute vraisemblance constituées nni-
quement par des fibres endogènes fines, et c'est ci tort qu'elles sont comptées
actuellement parmi les zones radiculaires postérieures. -Cette proposition
découle immédiatement de ce fait que dans l'observation I, sur toute la
hauteur du renflement lombaire, aussi bien au niveau des racines malades
qu'au niveau des racines saines, la zone de Lissauer ne diffère absolu-
ment pas de ce qu'elle est dans une moelle normale.
Fio. 2. Obs. I. Fibres endogènes fines horizontales et verticales disséminées à
la région moyenne des cordons postérieurs, au niveau de la IIe sacrée. Ces fibres
restent intactes au milieu de blocs irréguliers de myéline altérée provenant des
fibres radiculaires dégénérées.
Fief. 3. Obs. I. Fibres endogènes fines horizontales et verticales dans les cor-
dons de Goll à la partie postérieure du septum médian, au niveau de la Vile cervi-
cale.
ÉTUDE ANATOMIQUE DES COUDONS POSTÉRIEURS 33
La seule hypothèse qui permettrait d'accorder les constatations si nettes
de l'observation I avec la réalité d'une continuité entre les fibres des zones
de Lissauer les fibres fines des racines postérieures serait la suivante : les
fibres de ces zones seraient non pas afférentes, mais constitueraient les
fibres efférentes signalées dans les racines postérieures par différents au-
teurs et de plus ces fibres auraient subi la dégénérescence rétrograde
depuis le point de compression jusqu'au niveau de la pie-mère. Il suffit
d'énoncer celle double hypothèse pour voir combien elle a peu de chances
d'être vérifiée.
En 1886, Lissauer (1) décrivit très minutieusement la structure fine de
la corne postérieure et donna de la petite région qui porte actuellement son
nom, une description où il n'y a rien à reprendre, sauf en ce qui concerne
l'origine des libres ; il crut voir des faisceaux de fibres fines passer direc-
tement des racines dans ce territoire médullaire, et c'est pourquoi il ad-
mit que les fibres fines de sa zone marginale n'étaient autre chose que la
prolongation des fibres radiculaires de petit calibre des racines. C'est là
une apparence trompeuse, ainsi que je vais le montrer, mais l'aspect pa-
rait tellement net que même lorsqu'on est prévenu, on a peine à recon-
naître que la réalité est tout autre. Aussi tous les auteurs ont-ils accepté
sans protestation l'interprétation de Lissauer et à l'heure actuelle il serait
impossible de trouver le plus petit doute exprimé sur la constitution de la
zone en question. Sa nature exogène est un fait tellement admis que l'on
s'appuie sur son intégrité ou sa destruction dans certains processus pour
juger de leur nature endogène ou exogène.
Et pourtant il n'y a là, suivant toute vraisemblance, qu'une apparence.
Dans cette petite région fort compliquée et souvent altérée par des tirail-
lements provenantdes manipulations auxquelles sontsoumises les moelles
pendant l'autopsie, il se produit un changement remarquable dans La- 1
structure de la racine postérieure ; les fibres radiculaires qui entrent dans/1
la moelle perdent là leur gaine de Schwann, et il existe à l'état nor ?
comme l'ont montré Obersleiner et Redlich, un petit espace démyélin
au point de transition entre la fibre radiculaire extra-médullaire et la'
meme Bure cievenue întra-meciuiiaire. L ensemble clés libres tntra-meaut-
laires de chaque fascicule radiculaire forme une petite saillie arrondie qui
fait une hernie plus ou moins accentuée hors de la moelle, à travers
l'orifice de la pie-mère ; cette saillie est coiffée par la portion extra-mé-
dullaire des fascicules, qui se creuse pour la recevoir, si bien que, sur une
coupe transversale de la moelle la zone de séparation entre la portion
extra-médullaire et la portion intra-médullaire du même fascicule, décrit
(1) Lissauer, Beilrag zi4111 Faseruerlauf in Hinlel'hol'n... Arch. f. Psych., t. XVII.
1886. `
XVII 3
34 NAGEOTTE
une courbe qui s'avance plus ou moins loin en dehors du plan de la pie-
mère ; cette zone, répondant à l'espace démyélinisé de chacune des fibres,
est assez large ; elle est presque incolore dans les coupes colorées par la
méthode deWeigert; aussi est-il impossible de suivre effectivement la
continuité d'une fibre d'un bord l'autre de cette zone de démarcation,
et cela d'autant plus qu'à ce niveau les fibres radiculaires sont coupées
obliquement, par suite de la direction oblique des racines à leur entrée
dans la moelle. Lorsqu'on emploie la méthode de Weigert, la seule uti-
lisable pourtant sur l'adulte, on ne peut donc pas affirmer que telle fibre
ou tel paquet de fibres intra-médullaires continue telle fibre ou tel paquet
de fibres extra-médullaires; il faut se contenter de dire que telle fibre sem-
ble continuer telle autre fibre, ce qui n'est pas la même chose.
Ce n'est pas tout, la confusion est encore rendue plus facile par une
disposition, qui a d'ailleurs été fort bien décrite par Lissauer. Il existe
entre les deux zones de Lissauer des sortes de ponts formés par des fas-
cicules aplatis de fibres fines obliques qui se glissent entre les fascicules
radiculaires. Ces fascicules, très nombreux, s'inlercalent même entre les
fibres d'un même fascicule radiculaire et ils s'infléchissent souvent pour
pénétrer dans l'intérieur de la petite saillie formée hors de la pie-mère
par la portion intra-médullaire des fascicules radiculaires : il résulte de
là que les fibres de ces fascicules, obliques comme celles des racines, sont
très faciles à confondre avec elles ; la confusion se produit presque fatale-
ment en certains points, d'où l'on voit ces fibres, que l'on prend pour des
fibres radiculaires, pénétrer effectivement dans les zones de Lissauer. Si
l'on ajoute à cela que souvent cette région est tiraillée pendant l'autopsie
comme je viens de le dire, et qu'alors la petite saillie formée hors de la
pie-mère par la portion inlra-médullaire des fascicules radiculaires, étirée
et plus ou moins déchirée, entraîne au dehors avec elle les ponts endogènes
qu'elle contient, on comprendra fort bien la cause à laquelle il faut, à
mon avis, imputer l'erreur de Lissauer et de tous ceux qui l'ont suivi.
Ces ponts, isolés par la sclérose radiculaire, sont représentés fig. 1.
Une autre opinion des plus contestables,actuellement classique, concerne
les zones de Lissauer ; personne ne doute en effet que la dégénération de
ces zones ne soit, comme le dit Pierre Marie dans ses Leçons sur les ma-
ladies de la moelle, une des altérations précoces du tabes ». K. Seliaffer (1),
dans son très estimable livre sur le tabes, exprime une opinion analogue.
Or, rien n'est moins prouvé. Lissauer lui-même, dans le mémoire où il dé-
crit cette lésion fait remarquer que la zone qui porle aujourd'hui son
nom est prise dans le tabes plus tardivement que certaines autres régions
(1) K. ScneFFen,Anatorroisch-Kliuische Vorlrage aus dem Gebiete der Neruenpalhologie,
Iéna, 1900. '
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS
(l. Vn,=onr.)
ÉTUDE ANATOMIQUE DES COUDONS POSTERIEURS 35
et en particulier que les zones radiculaires et le réseau des colonnes de
Clarke. Dans un cas de tabes incipiens, le seul tabes de cette catégorie
parmi ses 13 observations, la lésion de cette zone était tellement peu évi-
dente que Lissauer n'ose pas décider si elle existe ou si elle n'existe pas ;
dans un cas où la sclérose des cordons postérieurs et des racines était
« aussi avancée que possible », la zone en question contenait encore de
1/10 à 1/8 de la somme totale de ses fibres à l'état normal et l'auteur pa-
raît avoir eu bien de la peine à trouver dans les racines un nombre suffi-
sant de fibres fines conservées pour s'expliquer à lui-même la conserva-
tion relative de cette zone marginale qu'il croit être de nature exogène.
Pour ma part, j'ai toujours observé une disproportion entre la lésion
des cordons postérieurs et celle des zones de Lissauer dans le tabes. La
photographie reproduite pI.VII, 3, montre que dans le tabes incipiens qui
fait l'objet de l'observation II, les zones en question sont absolument in-
tactes ; il en est de même dans un autre cas à peu près semblable, mais
plus avancé, que je possède. Dans six cas anciens que j'ai revus à cette
intention, j'ai trouvé que les zones de Lissauer tranchaient par leur inté-
grité relative sur la sclérose intense des cordons postérieurs ; la diminu-
tion des fibres variait approximativement entre 1/2 et 3/4. L'un decescas
est représenté pl, VII, 4, 7 et 8 : avec une sclérose des cordons et des racines
postérieurs portée à son maximum à la région sacrée, les fibres fines de la
portion externe comme de la portion interne sont encore remarquable-
ment nombreuses, si bien que ces zones qui à l'état normal tranchent sur
le reste de la substance blanche par leur pâleur, se trouvent être ici beau-
coup plus foncées que les cordons postérieurs. Enfin dans deux cas in-
termédiaires entre le tabes incipiens et le tabes avancé, j'ai constaté des
lésions très peu avancées de ces zones. '
En voilà plus qu'il n'en faut pour montrer que dans le tabes la lésion
des zones de Lissauer est tardive et que, de plus, elle n'atteint jamais
l'intensité de la sclérose des zones radiculaires. La lésion des zones de
Lissauer constitue en réalité dans le labes une dégénérescence tertiaire;
elle appartient aux lésions des fibres endogènes qui sont à un moment
donné la conséquence des destructions radiculaires ; enfin elle est varia-
ble, en ce sens que son intensité n'est pas forcément proportionnelle à
celle des lésions de racines ; elle dépend sans doute en partie de la solidité
plus ou moins grande des neurones et de leur résistance à la dégénération
tertiaire qui varie, selon toute vraisemblance, suivant les individus et
suivant certaines circonstances accessoires.
Si la dégénérescence des zones de Lissauer n'est pas proportionnelle à
l'intensité de la lésion des cordons postérieurs; par contre, elle m'a paru
être en rapport avec la lésion du réticulum formé par les fibres fines de la
36 NAGEOTTE .
corne postérieure. Les cas de tabes anciens où les zones de Lissauer sont le
plus altérées, sont aussi ceux où les fibres fines à myéline sont le plus raré-
fiées dans la corne postérieure ; dans la moelle D, représentée pi. VII. fig. 4
et 7 où les zones de Lissauer sont relalivement peu altérées, le réticulum
est lui-même atteint, mais relativement peu ; on voit très bien cette lésion
sur la fig. 4 de la pl. VII et l'on constate qu'elle est limitée, du côté de la
corne antérieure, par une ligne courbe assez nettement tranchée : c'est là
une disposition que j'ai observée dans tous les cas de tabes anciens. Enfin
dans l'observation II, où les zones de Lissauer sont intactes, le réticulum
de la corne postérieure est lui-même tout à fait conservé.
Pour résumer cette longue discussion, je dirai que les zones de Lissauer
sont constituées par des fibres endogènes fines verticales, qui sont conden-
sées en ce point, au lieu d'être éparses au milieu des fibres radiculaires
comme elles le sont dans le reste des cordons postérieurs ; dans les dé-
générescences radiculaires, tabétiques ou autres, elles peuvent subir la dé-
générescence tertiaire qui, dans ce cas, se relieà une dégénérescence éga-
lement tertiaire du réseau des fibres fines de la corne postérieure.
2° Fibres ENDOGÈNES GROSSES. Ces fibres constituent, à la région lom-
bo-sacrée, deux formations particulières, le triangle médian sacré, ou
triangle de Gombault et Philippe, et un faisceau situé dans la région cornu-
commissurale ou zone marginale de Vestphal. Ces deux formations, qui
contiennent au moins deux systèmes différents, et peut-être un plus grand
nombre, ne sont séparées l'une de l'autre qu'à la région lombaire ; à la
région sacrée elles se continuent l'une avec l'autre dans l'observation I,
où elles sont conservées toutes les deux, sans aucune ligne de démarca-
tion. Pour faire la part de ce qui revient à l'une et à l'autre, il faut s'a-
dresser aux observations de lésions transversales de la moelle au-dessus du
renflement lombaire ; dans ces observations, en effet l'une des formations
endogènes à grosses fibres, le triangle sacré médian, est seule dégénérée
à l'exclusion du faisceau de la zone cornu-commissurale. Je reproduis ici
(fig. 4 à 11), les figures d'un mémoire antérieur (1), ayant trait un cas de
ce genre, pour que l'on puisse les comparer avec celles de la pl. V.
a) Triangle médian sacré. - L'observation de Souques et Marinesco, et
surtout celles de Hoche, nous ont montré que ce faisceau, individualisé en
1894 par Gombault et Philippe, n'est autre chose que la terminaison d'un
système médio-périphérique de longues fibres qui, situées latéralement
à la périphérie de la moelle, en arrière de la virgule de Schulze dans
la région dorsale, changent de situation à la région lombaire, se rappro-
(1) NAGBOTTE et ETTLINGER, Etude sur les fibres endogènes descendants des cordons
postérieurs de la moelle â la région lombo-sacrée. Journal de Physiologie et de Patho-
logie générales, 1899.
ÉTUDE ANATOMIQUE DES. CORDONS POSTÉRIEURS 37
client du septum médian, y pénètrent et dessinent à la région lombaire
la forme d'un fuseau, à la région sacrée celle d'un triangle le plus sou-
Fia. 4. Cette figure et les suivantes représentent les coupes d'une moelle écrasée
par une fracture de la colonne vertébrale au niveau de la limite entre les régions
dorsale et lombaire (durée un an). Comparer avec les figures de la planche l, où le
faisceau médian, qui est dégénéré ici, est au contraire conservé et isolé par la sclé-
rose des parties environnantes. IIIe lombaire; Carmin. Virgule de Schultze, deux
taches de dégénération traumatique dans le cordon postérieur droit.
FiG. 5. ive lombaire. Il ne reste qu'une très légère dégénération de la région ven-
trale des cordons postérieurs. '
Fio. 6. Va lombaire. Apparition d'une sclérose en forme de fuseau le long du
septum médian.
Fio. 7. Ire sacrée. Augmentation du volume du faisceau sclérosé.
FIG. 8. 110 sacrée. Transition entre le faisceau fusiforme des coupes précédentes et
le faisceau triangulaire des coupes suivantes.
Fia. 9. - I([e sacrée. Triangle médian sacré.
Fia. 10 et 11. IVe et V sacrées. Triangle médian sacré.
38 NAGEOTTE
vent'. Dejerine et Theohari ont confirmé les faits énoncés par Hoche.
Dans un travail fait en collaboration avec mon excellent ami Ch. Ettlin-
ger(l), nous avons montré que, dans la région de transition entre la partie
dorsale et la partie lombaire de la moelle, il existe de nombreuses variétés
individuelles; on ne peut pas toujours suivre effectivement la continuité
entre la portion périphérique et la portion médiane du faisceau de Hoche,
mais souvent on voit débuter la sclérose médiane, dans les cas de lésion
transverse de la moelle, par un tout petit faisceau qui semble naître sur
la ligne médiane aux environs de la tre sacrée, qui s'élargit en descendant
et forme plus bas le triangle de Gombault et Philippe. Dans ces cas il
est évident que les fibres lésées ont effectué leur trajet entre la portion
périphérique et la portion médiane à l'état isolé, et qu'il a été impossible
de suivre ces fibres noyées dans les fibres radiculaires soit par la méthode
de Marchi, soit par celle de Weigert-Pal ou par le carmin . C'est à ce type
de moelle que répond celle de l'observation I où les fibres cessent pro-
gressivement d'être 'conglomérées à la Il,, sacrée et où le faisceau semble
disparaître complètement à la 4re lombaire. Au contraire, les cas de Hoche,
de Dejerine et Theohari appartiennent à la catégorie des moelles où le
passage des fibres de la périphérie à la région médiane se fait, en totalité
ou en partie, par l'intermédiaire d'un faisceau de fibres conglomérées.
Je n'insisterai pas sur ces différences individuelles de morphologie du
faisceau médio-périphérique qui est plus ou moins congloméré dans sa
région de transition,qui prend plus ou moins bas sa situation médiane, et
qui affecte une forme variable dans la région sacrée. Mais il me faut dis-
cuter les rapports qu'affecte ce faisceau avec le centre ovale de Flechsig, car
il existe actuellement entre ces deux faisceaux une confusion qu'il importe
de faire cesser. L'opinion qui tend à devenir classique est la suivante : le
faisceau de Hoche devient centre ovale de Flechsig à la région lombaire et
triangle de Gombault et Philippe à la région sacrée. Or, rien n'est moins
exact; tout en admettant à tort la nature endogène des fibres du centre
ovale deFlechsig, nous avons déjà, Ettlinger et moi, dans le travail cité plus
haut, insisté sur la distinction radicale qu'il faut établir entre ces deux
faisceaux ; nous nous appuyions, pour soutenir cette opinion, sur les don-
nées de l'embryologie et sur la comparaison entre les dimensions de la
sclérose médio-périphérique et celles du centre ovale conservé dans le
tabès incipiens; cette all'ection donne naissance en effet, ainsi que l'a
montré Flechsig le premier. à des figures qui se superposent exactement
à celles que révèle l'étude du développement des cordons postérieurs.
Voici ce que dit Guizé dans sa thèse (2) : « Dans la partie inférieure du
(1) Lnc. cit.
(2) Guizé. Les parties constitutives de la substance blanche de la moelle épinière de
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 39
renflement lombaire le champ ovale prend la forme d'un triangle dont le
sommet est dirigé en avant et atteint presque le milieu de la longueur de
la cloison postérieure et dont la base répond à la partie médiane de la
périphérie postérieure de la moelle, exactement dans la région qui atteint
à l'extrémité postérieure de la cloison postérieure. Dans ce triangle, qui
semble bien répondre au triangle sacré de Gombault et Philippe déter-
miné par la méthode des dégénérescences, je suppose l'existence de fibres
qui lui sont communes avec le champ ovale, mais aussi d'un autre système
de fihres qui se myélinise un peu plus tôt que le champ ovale. Je fonde
mon opinion sur celle circonstance qu'à une période plus tardive du dé-
veloppement des cordons postérieurs les fibres à myéline sont plus denses
l'homme d'après la méthode du développement, thèse de doct., Saint-Péterbourg, 1898.
Fin. 12. Reproduction réduite de la figure 48 de la thèse de Guize.Foetus de 9 mois,
Ire lombaire ; il existe en 0 un faisceau cunéiforme qui se continue de chaque
côté avec les zones radiculaires postérieures et qui représente la prolongation par
en haut du centre ovale de Flechsig (Les faisceaux sont d'autant moins foncés que
leur myélinisation est moins avancée).
Fie. 13. Reproduction réduite de la figure 49 de la thèse de Guize.Foetus de 9 mois,
IV* lombaire. Centre ovale de Flechsig, au milieu duquel il existe, le long du sep-
tum, un groupe de fibres plus avancées dans leur développement.
FiG. 14. Reproduction réduite de la figure 51 de la thèse de Guizé. Foetus de 9 mois,
1110 sacrée. Triangle sacré (0) formé par des fibres déjà complètement myélinisées;
ces fibres sont les mêmes que celles qui sont représentées au centre du centre ovale
dans la figure précédente.
40 NAGEOTTE
dans le triangle en question que dans le champ ovale; tandis qu'à une
phase plus précoce du développement de l'embryon, les fibres myélinisées
sont au contraire plus rares que dans le champ ovale. »
Je reproduis ici (fig. 12, 13 et 44.), des figures empruntées à la thèse de
Guizé. 11 suffit de comparer ces figures à celles des planches V et VI pour
être convaincu de ce fait que le centre ovale de Flechsig, décrit et figuré
par son auteur au niveau de la 1° lombaire (1), est traversé de haut en bas
par le faisceau médio-périphérique, dont il reste en réalité, entièrement
distinct.
La distinction est tellement radicale que le centre ovale de Flechsig est
constitué par des fibres exogènes, tandis que les fibres du faisceau médio-
périphérique sont endogènes, ainsi que le montre la comparaison entre
les figures de la planche V et celles de la planche VI.
Suivant Dejerine etSpiller (2), le triangle de Gombault et Philippe con-
tiendrait un très grand nombrede fibres radiculaires. Je ne puis souscrire
à cette opinion ; il existe sans doute quelques fibres radiculaires éparses
dans ce faisceau, mais l'immense majorité de ses fibres est de nature en-
dogène. Dans l'observation de Dejerine et Spiller le néoplasme qui com-
primait la queue de cheval avait manifestement lésé directement la partie
terminale de la moelle ; en effet, ces auteurs décrivent une dégénérescence
dans les cordons anléro-latéraux jusqu'à la 4° sacrée, qu'ils tentent d'ex-
pliquer par un passage de fibres radiculaires postérieures dans ces régions ;
de plus, ils mentionnent l'existence d'une dégénération rétrograde des ra-
cines antérieures qui est encore manifeste sur la 1re lombaire ; or, la lyre
racine lombaire ne peut être comprimée que par un néoplasme remontant
au-dessus de l'extrémité inférieure de la moelle. Leur observation n'est
donc pas propice à la délimitation des zones endogènes dans le cône ter-
minal.
b) Faisceau de la zone cornu-commissurale ou zone marginale de West-
plial. L'étudedece faisceau ne peut naturellement être faite que dans les
points où il est mis en évidence par la dégénérescence radiculaire. Dans
l'observation I on peut constater que, sauf dans la région sacrée, ce faisceau
est constitué par des fihres éparses au milieu de fibres radiculaires. Ces
fibres, au-dessus de la 1 ? sacrée, tendent à se condenser de chaque côté
dans l'angle formé par la commissure et le bord de la corne postérieure,
en découvrant la partie médiane de la commissure.
Ses limites du côté des cordons postérieurs sont tout à fait indécises ;
dans le grand nombre de fibres qui, de cette zone marginale, paraissent
(1) P. FLECHsiG, Die Leitungsbalanen im Gehirn und Rùckenmark des Menschen,
Leipzig, 1816.
(2) Dejerine et SPILLER, Soc. de biol., 21 juillet 1895.
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 41
s'éparpiller dans la région antérieure des cordons postérieurs de la
moelle, il est impossible de distinguer celles qui sont des fibres endogènes
de celles qui appartiennent aux branches descendantes des racines.
Ces dernières semblent être assez nombreuses, car le nombre de ces
fibres éparses augmente rapidement lorsqu'on se rapproche des racines
saines. Il est probable qu'il faut ranger parmi elles toutes celles qui for-
ment une traînée de plus en plus dense au centre de chaque cordon il
partir de la 1e sacrée.
En tout cas les fibres conservées de la zone marginale dans l'observa-
tion I ne dépassent jamais en arrière le niveau de la partie antérieure de
la substance gélatineuse de Rolando, et dans toute la région lombaire elles
restent cantonnées à la moitié ou au tiers antérieur du bord interne de
la corne.
Elles sont infiniment moins nombreuses que dans le tabes incipiens
(pl. VI), ce qui prouve que dans cette affection il y a toute une zone
conservée entre la bandelette externe et la corne ; cette zone, zone radicu-
laire antérieure de Flechsig, ne contient en arriére que des fibres radi-
culaires et en avant un mélange défibres endogènes et de fibres radiculai-
res où ces dernières ont de beaucoup la majorité.
Dans les tabes aussi avancés que possible, la zone de Westphal semble
encore plus dense que dans l'observation I ; mais ici je crois qu'il s'agit
d'une illusion d'optique qui est due à la rétraction considérable des tis-
sus, qui rapproche les unes des autres les fibres restées saines et qui
transforme une zone large à fibres endogènes clairsemées en une zone
étroite, à fibres endogènes plus tassées.
Tels sont les faits que j'ai pu recueillir sur les fibres endogènes des
cordons postérieurs à la région lombo-sacrée, au cours de l'étude anato-
mique des deux observations qui servent de base au présent mémoire.
Avant dp passer aux fibres endogènes de la substance grise, je ferai remar-
quer combien ces faits concordent avec les résultats de l'étude des moelles
d'embryon par la méthode de Golgi. Voici en effet ce que M. Ramon y
Cajal dit des fibres endogènes des cordons postérieurs dans son magnifique
ouvrage sur l'anatomie des centres nerveux (1). « Nous avons déjà dit, en
traitant des cellules de la corne postérieure, que quelques cylindraxes
de ce territoire, en particulier ceux du noyau basai interne et de la sub-
- stance de Rolando, pénètrent dans le cordon postérieur pour y constituer
des voies courtes longitudinales ascendantes et descendantes. La méthode
de Golgi ne permet pas cependant de déterminer d'une façon exacte la
(1) Raton Y CAJAL, Tex/lira del sistema nervioso del hombre y de los vertebrados,
t. I, 1899. Je duis l'indication et la traduction du passage cité à l'obligeance de mon
excellent ami le Dr Léon Azoulay.
42 NAGEOTTE
quantité de ces fibres endogènes, ni de préciser le lieu de la substance
blanche où elles s'accumulent; la seule chose que les préparations au
chromate d'argent nous apprennent, c'est que ces fibres sont fines et que,
au lieu de former dans les cordons postérieurs un groupe bien délimité,
elles se mêlent aux fibres radiculaires; elles se concentrent néanmoins plus
spécialement dans la zone de Lissauer, dans la limite interne de la sub-
stance de Rolando,et dans la portion profonde du cordon postérieur (champ
ventral, zone cornu-commissurale de Dejerine) ».
B. FIBRES ENDOGÈNES DANS LA CORNE POSTÉRIEURE
Le réseau myélinique de la substance grise de la corne postérieure a été
décrit avec beaucoup de soin par Lissauer, dans son mémoire cité plus
haut. Cet auteur distingue plusieurs régions qui sont d'arrière en avant,
la région spongieuse postérieure, au contact de la zone de Lissauer, la
substance gélatineuse de Rolando, la région spongieuse antérieure, divi-
sée elle-même en deux subdivisions.
Dans toutes ces régions il existe à l'état normal un réseau de fibres à
myéline qui sont les unes grosses, les autres fines. Les fibres grosses for-
ment des fascicules qui contournent la substance gélatineuse ou qui abor-
dent obliquement le bord interne de la corne pour pénétrer dans la subs-
tance grise et se diriger vers la corne antérieure; d'autres fascicules,
traversent directement la substance gélatineuse; depluson trouve en avant
de la substance gélatineuse un amas transversal de fascicules arrondis,ver-
ticaux, formés de fibres grosses, qui semblent à certains niveaux décapiter
la corne à moitié ou aux deux tiers, de dedans en dehors. Les fihres
fines forment un réseau très serré partout, sauf dans la substance de Ro-
lando, qui est simplement traversée par de petits fascicules tendus entre
la substance spongieuse postérieure et la substance spongieuse antérieure.
Du bord interne de la corne s'échappent vers la substance blanche les
fibres fines que j'ai décrites plus haut sous le nom de fibres endogènes
fines horizontales des cordons postérieurs. Du côté de la substance grise
les faisceaux qu'elles forment se perdent bientôt dans le réseau des fibres
à myéline fines.
De l'observation I du présent mémoire, il résulte que toutes les fibres
grosses sont radiculaires,puisqu'elles ont complètement disparu dans tous
les segments qui répondent à des racines détruites. Il résulte également
que, contrairement à ce que l'on aurait pu prévoir, la totalité ou au
moins l'immense majorité des fibres fines sont de nature endogène, puisque
le réseau fin ne présente pas de différences appréciables entre les segments
qui répondent à des racines malades et ceux qui reçoivent des racines
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 43
saines. Ce fait peut être vérifié sur les figures 1 et 2 de la pl. VII.
J'ai indiqué plus haut à quel moment ce réseau fin se prend dans le
tabes par suite d'une dégénérescence tertiaire, quelles sont alors les limi-
tes de l'altération et quels rapports existent entre la disparition de ces
fibres et celles de la zone de Lissauer.
Un point à signaler tout particulièrement est l'intégrité en apparence
complète du réticulum myélinique de la colonne de Clarke à son origine, au
niveau de la 2" lombaire, dans l'observation I. Ce fait prouve que si les raci-
nes lombo-sacrées envoient des fibres aux colonnes de Clarke, comme on
l'admet habituellement,le nombre de ces fibres est extrêmement restreint.
Il est beaucoup plus probable que le réseau myélinique de ces noyaux
gris, qui est radiculaire, suivant toute vraisemblance, est constitué exclu-
sivement par les racines qui abordent la moelle au niveau même où se
trouvent les colonnes de Clarke, c'est-à-dire par les racines dorsales et les
deux premières lombaires.
II. - Fibres radiculaires.
L'observation I montre le trajet intra-médullaire des racines lombo-
sacrées ; je n'insisterai pas sur la diminution progressive de volume de la
zone sclérosée dans son passage à travers la région dorsale.sur les variations
de forme du cordon de Goll aux différents niveaux de la région cervicale,
sur l'encoche que ce cordon porte en avant et qui semble être due au
passage des racines lombaires supérieures épargnées ; mais je voudrais
étudier, à l'intérieur de cette zone sclérosée, les subdivisions qui résultent
de l'étude anatomique du tabes incipiens et qui concordent avec celles
qu'y tracent les recherches embryologiques de Flechsig et de ses continua-
teurs.
Pour faire cette étude je prendrai comme base l'observation II qui se
rapporte à un cas de tabes incipiens très étendu en hauteur, mais très
limité en largeur. De pareilles observations sont encore très rares; la
plupart des cas publiés se rapportent à des tabès localisés à une seule ré-
gion, ou bien contiennent des lésions qui n'appartiennent déjà plus à la
phase initiale du tabes. Dans l'observation relatée plus haut, les lésions
paraissent au contraire presqu'absolument limitées aux systèmes radicu-
laires dont la disparition isolée caractérise, suivant moi, le tabes incipiens
pur (1). De plus elles sont étendues à toute la hauteur de la moelle, bien
(1) L'expression anatonio- pathologique tabès incipiens doit être définie, car elle a le
tort d'avoir par elle-mame un sens littéral un peu différent de celui qui doit lui rester
après discussion. Un tabes incipiens est, quelle que soit son intensité, son étendue
44 NAGEûTTE
que très restreintes dans le sens transversal. C'est pourquoi j'ai cru devoir
donner de ce cas une description minutieuse racine par racine.
Dans cette observation, la sclérose intense s'accompagne de rétraction ;
la lésion est nettement limitée, dans toute la hauteur de la moelle, à
quatre points qui sont : la bandelette externe de Pierret, ou zone radicu-
laire moyenne de Flechsig dans les cordons postérieurs ; les collatérales
réflexes, les faisceaux radiculaires verticaux de la corne postérieure et le
réticulum de la colonne de Clarke dans la substance grise. Les territoires
radiculaires des cordons postérieurs autres que la bandelette externe
(zone radiculaire antérieure, champs postéro-externes, centre ovale de
Flechsig et cordon de Goll) ne présentent d'autre lésion qu'une légère
diminution diffuse du nombre des fibres à myéline, visibles surtout par
comparaison avec une moelle saine. Mais il n'existe aucune tache sclé-
reuse dans les cordons postérieurs en dehors de celle de la bandelette
exlerne, qui se continue sans interruption du haut en bas de la moelle.
Les fibres endogènes sont complètement intactes (zones de Lissauer,
triangle médian sacré, zone marginale de Westphal, réseau fin de la
corne postérieure).
Un simple coup d'oeil jeté sur la planche II suffit pour constater qu'il
s'agit bien là d'une affection systématique. Mais ce n'est pas le point le
plus intéressant de celte observation, car la démonstration de la nature
systématique du tabès n'est plus à faire et il n'y a rien à ajouter aux
notions qui se sont dégagées des discussions antérieures sur la valeur des
mots système élémentaire de fibres et affection systématique (1).
Ce qui me paraît important à plusieurs points de vue, c'est de bien dé-
limiter anatomiquement la bandelette externe et d'en bien mettre en lu-
mière les caractères essentiels. Il me semble, en effet, que les opinions
qui règnent actuellement sur cette région sont contraires à la réalité.
A. FORME, VOLUME ET RAPPORT DE LA BANDELETTE
EXTERNE DE PIERRET.
La bandelette externe affecte successivement la forme d'un triangle à la
région lombo-sacrée, d'un tractus allongé à la région dorsale el de nouveau
d'un triangle à la région cervicale. C'est là un fait connu. Ce qui est moins
bien établi, c'est la forme de la bandelette dans la région de transition
en hauteur, un tabes dans lequel la lésion des cordons postérieurs est restée limitée
à la bandelette externe ; nous dirons que c'est un tabes qui est encore systématique,
puisque le processus destructif fait encore un choix entre les différents systèmes élé-
mentaires de fibres qui constituent les racines postérieures.
(4) EL&CHSI(#, Ist die Tabes eine « System-Erkrankung » ? Neurol. Centralbl. 1890.
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 45
entre le renflement lombaire et la région dorsale. Dans l'observation II
(PL VI, 1 1., 12 d., 11 d.), la bandelette prend à cette région une forme
très compliquée; elle constitue de chaque côté du septum un M qui est
séparée de celle du côté opposé par un mince tractus linéaire défibres
conservées. Pour mieux mettre en lumière cette disposition, j'en donne
une figure demi-schématique, dessinée à la chambre claire sur une coupe
colorée au carmin (fi.151.
On pourrait se demander si cette figure ne résulte pas de quelque com-
plication ; mais l'étude minutieuse des formes de transition entre cet M et
le trajet inférieur et supérieur de la bandelette montre que cette figure
parfaitement symétrique est bien celle de la bandelette elle-même à ce
niveau. Il y a lieu d'ailleurs de supposer qu'il s'agit là d'une disposition
normale ; en effet, la bandelette est figurée, au même niveau. avec une
forme analogue dans une observation de Westphal (1). D'autre part, il
existe dans le livre de Schaffer(2) la photographie d'une moelle de tabétique
prise au niveau de la région dorsale inférieure, qui reproduit très exacte-
ment la disposition démon observation II et l'on retrouve cette même
conformation dans la figure 2 d'un mémoire de Joffroy et Gombault, re-
présentant la région dorsale inférieure de la moelle d'un paralytique
général (3). Enfin, je possède un 2° cas de tabès où la sclérose prend
encore la même forme à la même région ; malheureusement dans ce
cas, il existe en outre des atteintes portées aux autres zones radicu-
laires, qui rendent ce cas peu propice à une localisation exacte des lésions
du tabes incipiens.
C'est sans doute à cette disposition qu'est due la comparaison classique
(1) WESTPHAL, Berl. klin. Woch., 1881.
(2) K. Scunnren, 10C. Cil.
(3) JOFFIIOY et Gombault, Lésions de syringomyélie trouvées à l'autopsie d'un para-
lytique général, Revue Neurol., 3 sept. 1903.
Fic. 15. Obs. Il. Bandelette externe au niveau de la 12° dorsale, d'après
une coupe colorée au carmin.
46 NAGEOTTE
des lésions du labes incipiens à un M. II faut bien remarquer d'abord que
cette disposition est exclusivement limitée ci la zone de transition située
entre la région dorsale et la région lombaire ; en second lieu, que la
figure en question est un peu plus compliquéeet forme en réalité 2 M
'accolés, un dans chaque cordon.
Le volume de la bandelette varie, suivant les régions, en raison directe
du volume des racines postérieures correspondantes.
Les rapports de la bandelette externe sont très importants; il faut les
préciser avec soin si l'on veut comprendre la systématisation du tabes.
En aucun point la bandelette ne touche à la corne postérieure, elle envoie
seulement un petit prolongement vers la zone d'entrée des racines posté-
rieures. En un mot, elle est telle que Pierret l'a décrite, et il n'y a pas
lieu de faire « subir une légère modification » à sa délimitation, pour la
pousser contre la corne postérieure, comme le proposait Pierre Marie dans
son article de la Semaine médicale (1894).
Actuellement on considère la bandelette externe, telle que l'a décrite
Pierret, comme une des étapes des fibres radiculaires dans le trajet obli-
que en haut et en dedans qu'elles suivent entre leur entrée dans la moelle
et leur incorporation dans le cordon de Goll. Suivant Dejerine et Thomas
(Traité de médecine de Brouardel et Gilbert, t. IX, p. 821) « les fibres
qui sont comprises dans les bandelettes externes occupent plus haut une
situation différente dans les cordons postérieurs, elles sont refoulées de
plus en plus en dedans vers le cordon de Goll et le septum médian (loi de
Kahler) de sorte que si à la région cervicale [lombo-sacrée ? ] les bande-
lettes externes sont malades, les cordons de Goll le sont également, puis-
qu'ils contiennent les fibres qui occupent les bandelettes externes dans
les régions lombo-sacrée et dorsale inférieure ».
L'observation IIprouvesans contesta tion possible que cette conception de
la bandelette externe est complètement inexacte. En effet la zone scléreuse
est bien ici la bandelette externe, le fait n'est pas douteux ; or la situa-
tion de cette zone scléreuse ne varie pas d'un bout l'autre de la moelle ;
elle ne se rapproche nulle part de la corne postérieure, comme le vou-
drait PierreMarie ; elle ne s'en éloigne pas non plus, comme le voudraient
Dejerine et Thomas; elle reste constamment à la place où Pierret l'a dé-
crite.
B. DISTRIBUTION DES SYSTÈMES DANS LES ZONES RADICULAIRES.
Cette disposition montre que la zone de la bandelette externe est prin-
cipalement occupée par certaines espèces, certains systèmes élémentaires (1)
(1) Flechsig, loc. cit.
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 47
de fibres, appartenant aux racines postérieures évidemment,mais différents
par leurs aptitudes pathologiques, comme par l'époque de leur myélinisa-
tion, d'autres systèmes des mêmes racines postérieures, lesquels se canton-
nent soit dans la zone radiculaire antérieure, soit dans la zone radiculaire
postérieure de la moelle. En un mot cette disposition prouve que le tabes
incipiens est est à la fois radiculaire et systématique. Il doit cette double
qualité d'une part au siège de la lésion initiale qui est, comme je crois l'avoir
démontré, sur le trajet des racines, dans le nerf radiculaire; et d'autre
part à la nature spécifique et aux propriétés électives des poisons sécrétés
dans ce foyer inflammatoire syphilitique. A un moment donné le tabes cesse
d'être systématique, parce qu'il devient totalement radiculaire. Cette évo-
lution se fait soit régulièrement sur toute la hauteur de la moelle, soit sur
une étendue restreinte. Dans ce.dernier cas on peut voir une bande sclé-
reuse très localisée affecter un trajet radiculaire, toucher à la corne posté-
rieure par son extrémité inférieure, s'en éloigner progressivement dans son
trajet ultérieur et se rapprocher de plus en plus du septum médian. Mais
une telle lésion, si localisée qu'elle soit, n'appartientplus au tabes incipiens
et n'a rien de commun avec la bandelette externe de Pierret. Un tabes inci-
piens peut être étendu à toutes les racines de la moelle, l'observation II en
est la preuve ; il peut également être ancien et intense ; un tabes peut au
contraire être limité à un très petit nombre de racines, récent, peu
intense et pourtant avoir déjà dépassé la phase anatomique du tabes
incipiens ; enfin on peut trouver, sur une même moelle des lésions de
tabes incipiens en une région et des lésions de tabes avancé dans une
autre région. La moelle représentée (pl. VII, moelle D) est dans ce cas ;
dans la région cervicale c'est un tabes incipiens, cordon de Goll mis à
part, dans la région sacrée c'est un tabes avancé. ,
Le fait que dans l'observation II, le cordon de Goll est indemne, malgré
une altération intense de la bandelette externe à la région lombo-sacrée,
prouve que les fibres détruites sont des fibres courtes ou moyennes, et
non des fibres longues. Cette démonstration résulte aussi de cet autre fait
que la bandelette ne s'accroît pas en remontant ; à chaque étage son vo-
lume, en effet, est proportionnel au volume des racines postérieures.
Où donc passent les fibres longues des racines ? Il est peu probable que
ces fibres constituent les fibres, trop peu nombreuses, qui sont conservées
dans la zone scléreuse. D'autre part, la zone radiculaire antérieure n'est
pas réservée à ces fibres longues, comme le montre son remplissage
immédiat par l'arrivée des racines saines au-dessus de racines détruites.
Il ne reste donc pour leur passage que le champ postéro-externe ou zone
radiculaire postérieure. Pour vérifier cette hypothèse j'ai passé en revue
12 moelles de tabétiques morts à diverses périodes de la maladie et j'ai pu
48 NAGEOTTE
constater qu'en effet il y ci un rapport très exact entre l'état du cordon de
Goll à la région cervicale et celui des champs postéro-externes à la région
lombo-sacrée ; lorsque ces champs sont presque intacts, comme ici, le cordon
de Goll est aussi presque intact ; si les champs postéro-externes sont
moyennement touchés, le cordon de Goll est moyennement touché; si
enfin les fibres des champs postéro-externes ont complètement disparu, le
cordon de Goll est complètement démyélinisé. J'ai reproduit (pl. VII) deux
moelles répondant à ces deux derniers types, pour les mettre en regard
des figures de la pl. VI ; on peut voir par ces photographies que le paral-
lélisme que j'indique est rigoureusement exact. D'où je conclus que dans
les cordons postérieurs les fibres longues des racines passent par la zone
radiculaire postérieure ou champs postéro externes, la zone radiculaire
moyenne, ou bandelette de Pierret, étant réservée au passage des fibres
moyennes et la zone radiculaire antérieure, ou zone marginale de West-
phal, étant occupée exclusivement par certaines fibres courtes, au moins
dans sa partie postérieure. Mais il est évident que toutes les fibres des
champs postéro-externes n'arrivent pas au bulbe, beaucoup s'arrêtent en
" route, comme le montre la diminution de volume du cordon de Goll dans
son passage à travers la région dorsale. Les champs postéro-externes ne
contiennent donc pas exclusivement des fibres longues, mais aussi des
fibres moyennes. Toutefois tous les systèmes de fibres qui passent par cette
zone paraissent avoir pour propriété commune de résister pendant un
certain temps à l'agent morbide du tabes.
A l'appui de cette interprétation je ferai remarquer encore que, sui-
vant Flechsig, le développement des zones radiculaires postérieures et des
cordons de Goll est sensiblement synchrone. Aussi Flechsig lui-même
avait-il fait autrefois la même hypothèse au sujet du passage des fibres
longues des raimes par les zones radiculaires postérieures ; mais il a
depuis rejeté cette hypothèse pour des raisons que j'ignore. C'est pour-
tant la seule qui permette de comprendre- la disposition des lésions dans
le tabes incipiens pur comparé au tabes plus avancé.
Si l'on reporte sur un schéma représentant la moelle lombaire d'un
foetus, ou d'un tabétique, le tracé des différents trajets radiculaires sui-
vant la loi de Kahler (fig. 16), on voit que le territoire de chaque racine
se trouve coupé en deux par la limite antérieure des champs postéro-
externes à peu près au point où nous savons que ce territoire se recourbe
pour former une L ; il semble que les branches transversales de tous ces
Lemboités se trouvent comprises dans la zone radiculaire postérieure,
tandis que les branches antéro-postérieures sont contenues, pour une
bonne part, dans la bandelette de Pierret et, pour une plus faible part,
dans la zone marginale de Westphal. Dans chaque bande radiculaire
.ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 49
les fibres longues et certaines fibres moyennes se disposent donc, suivant
toute vraisemblance, en arrière, la plupart des fibres moyennes au milieu
et les fibres courtes en avant. A mesure que la racine monte et s'éloigne
de la corne, cette disposition se modifie par le départ progressif des fibres
courtes et moyennes (branche antéro-postérieure) ; la branche transverse,
restée seule, change de direction et devient à son tour antéro-postérieure
dans le cordon de Goll. Il est probable que le centre ovale de Flechsig,
continué en haut par un faisceau cunéiforme périphérique, est rempli par
les fibres longues des racines sacrées inférieures. S'il en est réellement
ainsi, on pourrait le considérer comme étant, ainsi que Flechsig l'avait
supposé, l'origine ou plutôt l'extrémité inférieure du cordon de Goll.
Toutefois il ne faut pas oublier qu'il y a, à la région dorsale inférieure
un remaniement des cordons postérieurs et que le trajet des fibres n'est
pas rectiligne entre le faisceau cunéiforme périphérique et le cordon de
Goll.
Telle est, je crois, l'idée générale que l'on peut se faire des rapports
réciproques des différentes espèces de fibres radiculaires pendant leur
trajet le long des cordons postérieurs de la moelle.
xvii 4
FIG. 16. Schéma représentant la superposition des territoires radiculaires et des
zones systématiques au niveau de la 4° lombaire. Les zones endogènes sont en
noir ; Z m, faisceau endogène de la zone marginale de Westphal ou zone radicu
laire antérieure ; T s, fibres du triangle médian sacré, ou triangle de Gombault et
Philippe (terminaison inférieure du faisceau 111édio-pé1'iphé/'igue ou faisceau de Ho-
clze) ; Z L, zone de Lissauer, coupée en deux par l'entrée de la racine. Les terri-
toires radiculaires forment des équerres emboîtées, dont les branches transversales
réunies constitent les champs postéro-externes (C p e) ou zone radiculaire postérieure;
les branches antéro-postérieures sont contenues en partie dans la bandelette ex-
terne de Pierret (P) ou zone radiculaire moyenne, en partie dans la zone radiculaire
antérieure ; C o F, centre ovale de Flechsig (fibres radiculaires). A droite sont re-
présentés, dans la corne postérieure, les faisceaux radiculaires verticaux de la corne
postérieure.
50 NAGEOTTE
Conclusions.
A. Les fibres endogènes des cordons postérieurs à la région lombo-
sacrée doivent être divisées en deux classes : les fibres endogènes grosses
et les fibres endogènes fines.
B. Les fibres endogènes grosses forment : 1° un faisceau dans la
zone cornu-commissurale; 2° le triangle médian sacré, ou triangle de Gom-
bault et Philippe. Ce dernier faisceau-est l'extrémité inférieure d'un fais-
ceau descendant médio-périphérique, dont le trajet supérieur forme à la
région dorsale le faisceau de Hoche.
C. Le triangle médian est entièrement distinct du centre ovale de
Flechsig, qui est un faisceau radiculaire.
D. Les fibres endogènes fines sont les unes horizontales, les autres
verticales ; ces dernières sont éparpillées dans toute l'étendue des cor-
dons de Burdach ; il en existe aussi quelques-unes dans le cordon de Goll
à la région cervicale.
E. Les zones de Lissauer sont constituées par des fibres endogènes
fines verticales qui sont condensées à cette région. Elles ne sont pas de
nature radiculaire, comme on l'admet actuellement. Elles dégénèrent
tardivement dans le tabes.
F. Le réseau des fibres fines de la corne postérieure est de nature
endogène.
G. Les colonnes de Clarke ne paraissent pas recevoir de fibres des
racines postérieures situées au-dessous de la 3° lombaire.
H. La bandelette externe ne touche en aucun point la corne posté-
rieure ; elle prend à la région dorsale inférieure une forme compliquée
qui représente un M de chaque côté.
I. Les fibres de la bandelette externe sont des fibres radiculaires de
moyenne longueur, qui restent dans les limites de cette formation pendant
tout leur trajet intra-médullaire et celles de la région lombo-sacrée n'a-
boutissent pas au cordon de Goll.
J. Les fibres radiculaires longues passent non pas par la bandelette
externe, mais par les champs postéro-externes.
K. La zone marginale de Westphal, ou zone radiculaire antérieure,
ne contient, outre les fibres endogènes, que des fibres radiculaires
courtes.
ÉTUDE ANATOMIQUE DES CORDONS POSTÉRIEURS 51
LÉGENDE DES PLANCHES
Pl. V. Obs. 1. Coupes de la moelle. Méthode de Weigert Pal modifiée.
Pl. VI. Obs. II. Coupes de la moelle. Méthode de Weigert.
PI. VII. 1. Coupe de moelle normale à la lIe sacrée (jeune fille de 18 ans). Méthode
de Weigert Pal modifiée. Corne postérieure droite. Zone de Lissauer. Grossissement
de 20 diamètres.
2. Obs. I. Lésion de la queue de cheval. Coupe de la moelle à la 2a soirée.
Méthode de Weigert Pal modifiée. Intégrité de la zone de Lissauer et du réseau des
fibres à myéline fines dans la corne postérieure. Dans le cordon postérieur les dé-
bris de myéline altérée empêchent de bien distinguer, à ce grossissement, les fibres
endogènes conservées. Il existe également dans la racine postérieure des débris
myéliniques qui pourraient être pris, sur la photographie, pour des fibres radicu-
laires conservées. -
3. Obs. II. Tabes incipiens. Coupe de la moelle à la lie sacrée. Méthode de
Weigert. Intégrité de la zone de Lissauer.
4. Moelle D. Tabes avancé. Coupe de la moelle à la 110 sacrée. Méthode de Weigert
Pal. Intégrité relative de la zone de Lissauer et des fibres endogènes fines verti-
cales disséminées malgré une sclérose tabétique avancée.
5 et 6. Moelle C. Tabes moyennement avancé chez un paralytique général. 4e lom-
baire et 7e cervicale. Méthode de Pal. Altération de moyenne intensité des champs
postéro-externes à la région lombaire et des cordons de Goll à la région cervicale.
7 et 8. Moelle D. Tabes avancé. 1re sacrée et 5" cervicale. Méthode de Pal. Altéra-
tion intense des champs postéro-externes à la région lombaire et des cordons de
Goll à la région cervicale. Conservation des champs postéro-externes à la région
cervicale.
HOSPICE DE 131CTRE
TRAVAIL DU LABORATOIRE DE M. LE Dr PIERRE MARIE
ANATOMIE PATHOLOGIQUE
DES
SCLÉROSES COMBINÉES TABÉTTQUES,
PAR
O. CROUZON,
Interne des hôpitaux de Paris.
Quand on a fait cliniquement un diagnostic de tabes basé sur les signes
classiques de cette affection, on s'attend à trouver à l'autopsie la lésion
caractéristique de cette affection : la sclérose des cordons postérieurs.
Une fois sur dix ou une fois sur quinze, on trouve en outre de la lésion
des cordons postérieurs, une lésion des cordons latéraux : c'est une sclé-
rose combinée tabétique. , '
Les travaux de ces dernières années ont permis de prévoir cliniquement
cette sclérose combinée (1), nous possédons aujourd'hui une triade sym-
ptomatique : démarche avec traînement des jambes, paraplégie extension
des orteils qui nous permet de faire ce diagnostic; d'autre part, nous
pensons que les discussions récentes sur la pathogénie du tabes peuvent
éclairer le processus anatomique de ces lésions combinées qui a été jus-
qu'ici mal élucidé.
A l'autopsie de la moelle d'une sclérose combinée tabétique, on cons-
tate tout d'abord l'existence dans la plupart des cas, d'un épaississement
de la méninge postérieure absolument identique à celui que l'on rencon-
tre dans le tabès.
Mais on est frappé aussi de l'apparence grêle que présente la moelle en
particulier dans la région dorsale, son calibre a diminué dans d'assez
grandes proportions. Si, à cette hauteur, on examine la moelle sur une
coupe, on voit que sa surface est diminuée si on la compare à une moelle
normale; sa forme est modifiée : il existe un aplatissement de la région
postérieure qui semble atrophiée dans le sens antéro-postérieur, et alors
la moelle a l'aspect triangulaire; ou bien elle prend une forme losangique
avec deux angles latéraux, un angle antérieur et un angle postérieur.
A l'examen microscopique, après coloration à la méthode de Weigert ou
(1) BABINSKI, Congrès de 1900 ; P. Marie et Crouzon, Soc. de Neurologie, 1903.
(2) Crouzon, Thèse de Paris, 1904.
SCLÉROSES COMBINÉES TABÉTIQUES 5B
de Pal, on voit la coexistence des lésions des cordons postérieurs et des
cordons latéraux.
Ces lésions peuvent être limitées à un système de fibres ; elles sont di-
tes alors systématiques. Elles peuvent, au -contraire, occuper dans les cor-
dons postérieurs et latéraux des zones répondant d'une façon seulement
approximative à un faisceau : elles n'ont que l'apparence systématique.
Leur distribution est réglée alors par les lésions des vaisseaux, des ménin-
ges, des lymphatiques. Cette deuxième classe de scléroses combinées porte
le nom de scléroses combinées pseudo-systématiques.
Les scléroses systématiques de la moelle en général peuvent être primi-
tives ou secondaires ; mais dans les scléroses combinées du tabes les lé-
sions primitives du système de fibres des cordons postérieurs et latéraux
n'ont jamais été observées. On a observé, au contraire, deux variétés de
lésions systématiques secondaires : dans la première variété, il s'agit de
lésions du tabes classique systématisées, associées à des dégénérescences
des faisceaux pyramidaux consécutives à des lésions encéphaliques (hé-
morrhagies, lacunes). Ces lésions systématiques ne nous retiendront pas
longtemps. Nous en signalerons un exemple plus bas dans l'observation
deBit... Nous n'étudierons que les lésions systématiques secondaires à des
lésions de la moelle. '
Dans le cordon postérieur les lésions systématisées peuvent être sous la
dépendance des lésions radiculaires ; dans les cordons latéraux le faisceau
cérébelleux direct peut dégénérer sous l'influence d'une lésion cellulaire
de la moelle ; les cellules de la colonne de Clarke.
Les scléroses combinées systématiques secondaires dans le tabes seront
donc dues à l'association des lésions systématisées du tabes vulgaire et des
lésions du faisceau cérébelleux direct par altération de la colonne de
Clarke. Cette association des lésions du tabes aveè les lésions des faisceaux
cérébelleux directs est déjà mentionnée par Ballet et Minot. Ballet en a pu-
blié un cas à la Société anatomique en 1880. Nous rapportons ci-dessous
deux cas qui rentrent dans cette catégorie.
OBS. I. Sali..., 57 ans, sclérose combinée tabétique. Service de M. P. Marie
à l'hospice de Bicètre.
Résumé de l'observation clinique : Père syphilitique, serait mort ataxique.
Le malade n'a jamais eu la syphilis. Douleurs fulgurantes et amblyopie vers
l'âge de 40 ans. La cécité survient progressivement. Faiblesse des membres
inférieurs qui s'accentue tellement qu'à partir de 1881, il ne peut plus se
lever. Troubles vésicaux et rectaux ; douleurs rectales. Perte de la notion de
position des membres. Myosis de l'oeil gauche, légère chute de la paupière
gauche, un peu de divergence des axes oculaires. Abolition des réflexes rotu-
liens. '
5 1 1 CROUZON -
Autopsie. La moelle est petite ; elle présente un épaississement pie-mé-
rien à la région dorsale et à la région cervicale. Nous avons pu faire son examen
microscopique à l'aide de coupes colorées au Weigert,Weigert Pal. D'autre part,
je dois à l'obligeance de M. Kattwinkel de Munich des préparations microsco-
piques faites par lui pource cas ainsi que pour quelques autres que je rapporte
plus loin : Ab., Gor., Faur.
Au niveau de la moelle sacrée, on constate la sclérose des parties latérales
des cordons postérieurs. La partie médiane au contraire est relativement res-
pectée. On constate dès ce niveau quelques traces de sclérose du cordon latéral.
Dans la moelle lombaire, la partie postérieure du cordon postérieur est com-
plètement sclérosée. Seule la partie ventrale du cordon est respectée. Au niveau
du cordon latéral, on constate un triangle de sclérose dont la base répond au
bord de la moelle et dont le sommet s'enfonce vers la substance grise.
Au niveau de la moelle dorsale, de la 8e à la 4` ? dorsale, la sclérose des
cordons postérieurs est encore plus accentuée. La sclérose du cordon latéral
occupe la région du faisceau cérébelleux direct et une partie de la zone pyra-
midale. La colonne de Clarke est très atteinte ; on ne trouve pas traces de
cellules. De la 3e à la 6e racine dorsale, les lésions sont sensiblement les mêmes ;
la colonne de Clarke est toujours atteinte. '
Au niveau de la moelle cervicale : dans le cordon postérieur, les lésions se
sont limitées au cordon de Goll surtout dans sa partie postérieure ; 'dans les
cordons latéraux, la sclérose occupe une bande étroite répondant à la périphé-
rie de la moelle, c'est-à-dire occupant le faisceau cérébelleux direct. La colonne
de Clarke, au niveau de le 8e cervicale, est encore lésée.
L'examen du bulbe et du cervelet a été fait par Kattwinkel ; il a pu poursui-
vre la dégénérescence du cordon de Goll jusqu'au niveau des noyaux. La lésion
des faisceaux cérébelleux a pu être poursuivie jusqu'au pédoncule cérébelleux.
(Voir Planche VIII, D, E, F).
En résumé, il s'agit, dans ce cas, de lésions combinées des cordons
postérieurs qui semblent être systématiques, liées aux lésions des racines
et de lésions des faisceaux cérébelleux directs qui semblent dépendre des
lésions de la colonne de Clarke. Ce cas pourrait donc répondre au type de
scléroses combinées systématiques secondaires. Cependant les lésions ne
sont pas absolument limitées au faisceau cérébelleux direct, elles occu-
pent non seulement la bordure de la moelle au niveau du faisceau céré-
belleux direct, mais encore en arrière de lui, à partir des racines posté-
rieures. De même elles peuvent se prolonger au delà du faisceau cérébel-
leux'direct et tendre à la sclérose marginale annulaire. Enfin même dans
la profondeur, elles s'étendent au delà du faisceau cérébelleux direct et
occupent la zone pyramidale. Elles n'occupent donc pas un territoire
déterminé, mais une zone située en avant de l'apex, que l'on pourrait
désigner sous le nom de préapexienne.
Nous rapporterons ensuite l'examen histologique d'un cas assez sem-
UU1LLLH ICONOGRAPIIIF DE LA SALPTRIÍ.Rh
T. XVII. PI. VIII
SCLÉROSES COMBINEES
(O. Crauzou)
A,B,C. Fau.... Sclérose combinée tabétique. Moelle dorsale d'aspect losangique ; son calibre est diminué ; sclérose annulaire des cordons latéraux.
D,E,F. Sal.... Sclérose combinée tabétique. D, moelle aplatie et atrophiée dans sa moitiée postérieure. La sclérose latérale est marginale et occupe
SCLÉROSES COMBINÉES TABÉTIQUES 55
blable au précédent. Ce malade fut le premier chez lequel on fit le diagnos-
tic clinique de sclérose combinée tabétique. -
Cas. II. - Dépr... 36 ans, hospitalisé à Bicêtre (service de M. P. Marie).
Sclérose combinée tabétique. Syphilis en l<885 à 18 ans. Début par une crise
de rétention d'urine à 23 ans. Puis faiblesse et incoordination des membres
inférieurs. La cécité survient vers l'âge de 30 ans. Douleurs fulgurantes des
membres inférieurs ; engourdissements des mains. Diminution de la sensi-
bilité au chaud, au froid et à la douleur et au contact.
Ce malade examiné en 1902-1903 présentait la triade symptomatique, dé-
marche avec traînement des jambes, paraplégie, extension des orteils. C'est
le premier cas sur lequel ait été fait le diagnostic de sclérose combinée tabé-
tique. '
Examen histologique. Des coupes microscopiques ont été pratiquées au
niveau de chacune des racines de la moelle. Elles ont été soumises aux colora-
tions de Weigert, de-Pâl, et de Pal surcolorées à la cochenille. Plusieurs
hauteurs ont été en outre colorées par la méthode de Nissl et par l'hématéine-
éasine ; d'autres enfin ont été traitées par la méthode de Marchi.
1" cervicale. On constate au niveau des cordons postérieurs une
zone de sclérose affectant la forme d'un triangle, à sommet antérieur et à base
ventrale dont les deux côtés latéraux s'étendent presque jusqu'aux racines
postérieures. La méninge postérieure présente un léger épaississement sur
toute la périphérie de la moelle. Les cordons latéraux sont presqne entière-
ment respectés ; on constate cependant en dehors de la zone marginale de
Lissauer, dans le territoire qui répond au faisceau cérébelleux direct, une
légère bande marginale de sclérose.
2° et 3e cervicales. La lésion du cordon postérieur affecte la même
forme triangulaire, mais semble plus limitée au cordon de Goll. Sur la
ligne médiane, au milieu de ce faisceau, on constate une fente vasculaire
dilatée. La lésion du cordon latéral est un peu plus étendue, gagne davantage
le bord latéral de la moelle. La méninge est épaissie sur les côtés postérieur et
latéral de la moelle ; elle l'est, à un moindre degré, au niveau du cordon an-
térieur. Il n'existe pas de lésion du cordon antérieur.
5" et 6e cervicales.- La lésion des cordons postérieurs est toujours trian-
gulaire ; son sommet ne répond plus à la partie antérieure du cordon mais
à l'union du tiers antérieur et des deux tiers postérieurs. La lésion du cordon
'.latéral est très minime et n'est qu'une légère bande partant de la zone radi-
culaire postérieure et se poursuivant dans la partie postérieure du bord du
cordon latéral.
7e cervicale. - Lésions à peu près semblables, sauf au niveau du cordon
postérieur où la sclérose est plus largement étendue au niveau de la com-
missure postérieure.
80 cervicale. Même aspect des lésions.
ire dorsale. Dans les cordons postérieurs, la sclérose affecte toujours
la forme d'un triangle dont la hauteur serait le sillon postérieur ; au ni»
56 CROUZON -
veau du sommet, la sclérose s'étale à droite et à gauche en arrière de la com-
missure postérieure. Au niveau des cordons latéraux, la sclérose est toujours
marginale et occupe la partie la plus externe du bord de ce cordon.
2" dorsale. Il existe un épaississement considérable de la méninge
postérieure. La sclérose du cordon postérieur affecte la même forme dans sa
partie médiane ; mais au niveau des angles postérieurs du triangle, la sclérose
se diffuse dans la partie postérieure du cordon postérieur entre le faisceau de
Goll et la substance gélatineuse de Rolando. Dans les cordons latéraux, la sclé-
rose s'accentue, elle est toujours marginale, prédominant à la partie postérienre
du cordon ; elle occupe la zone du faisceau cérébelleux direct et commence à
envahir la zone pyramidale. La méningite y est moins nette que dans le cordon
postérieur mais plus accentuée que dans le cordon antérieur. a
3e dorsale. La moelle est considérablement diminuée de volume;
elle a une forme quadrangulaire ; les quatre angles répondant aux extrémités
des sillons antérieur et postérieur d'une part, aux extrémités externes des cor-
dons latéraux d'autre part. Le cordon latéral a la forme d'un triangle avec un
Fig. 1, 2, 3, 4. Coupes de la moelle de Dépr... Sclérose combinée tabétique.
Coloration de Weigert.
Fig. 1. La sclérose occupe la zone avoisinant le sillon postérieur et le cordon de Goll.
La sclérose latérale est très légère et marginale.
Fig. 2. La sclérose latérale occupe surtout le territoire du faisceau cérébelleux direct.
Fig. 3. La sclérose latérale occupe le faisceau cérébelleux direct et la zone pyramidale.
Fig. 4. La sclérose des cordons postérieurs est surtout marginale.
SCLÉROSES COMBINÉES TABÉTIQUES 57
sommet externe, un bord antérieur, un bord postérieur et une base qui répond
à la substance grise.Le cordon postérieur est moins étendu dans le sens antéro-
postérieur. La sclérose dans le cordon postérieur est toujours plus marquée sur
une zone médiane et triangulaire mais elle est plus diffuse et, en particulier,
existe au niveau de toute la portion marginale du cordon postérieur. Les cel-
lules de la colonne de Clarke apparaissent nettement à ce niveau. Dans le cor-
don latéral la sclérose est intense, dans la partie postérieure de ce cordon,
entre la zone marginale de Lissauer et l'angle du cordou latéral ; elle a détruit
complètement le faisceau cérébelleux direct et une grande partie du faisceau
pyramidal.
4e dorsale. - La moelle est déplus en plus déformée ; elle est très
petite et tend à passer de la forme quadrangulaire à la forme triangulaire.
La partie postérieure du cordon latéral et le bord postérieur du cordon
postérieur se placent sur le même plan et constituent le bord postérieur du
triangle. Les bords antérieurs des cordons latéraux en constituent les bords
latéraux. Les deux angles latéraux de ce triangle sont constitués par l'effile-
ment des cordons latéraux. Le cordon postérieur est sclérosé dans tôute sa
partie postérieure ; il l'est à un moindre degré dans sa portion ventrale. La
méninge postérieure est très épaissie. Latéralement, la sclérose occupe toute
la région du faisceau cérébelleux direct et s'étend jusqu'au delà de l'angle du
cordon latéral qu'elle contourne. La méninge est épaissie dans toute cette zone ;
elle l'est, à un moindre degré, dans le cordon antérieur.
5° et 6e dorsales.- Même forme triangulaire de la moelle ; même étendue
des lésions.
7° dorsale. La forme reprend la forme quadrangulaire. Il existe une
méningite postérieure et latérale très marquée. La sclérose est très accentuée
eu niveau de l'angle du cordon postérieur en dedans de la zone marginale de
Lissauer ; elle occupe la même étendue que précédemment dans le cordon laté-
ral, cependant ses limites sont plus nettement tranchées sur la face interne de
la zone atteinte.
9e dorsale. -Même aspect topographique des lésions. La moeelle est très
grêle et prend ◀tantôt▶ la forme triangulaire, ◀tantôt▶ la forme quadrangulaire.
4r° lombaire. Les dimensions de la moelle sont un peu plus considéra-
bles. Les lésions des cordons latéraux sont'plus étendues sur le bord du cordon.
2° lombaire. - La moelle cesse d'avoir un aspect' triangulaire. Elle a une
forme nettement aplatie. La sclérose des cordons postérieurs occupe surtout
la région marginale.
Plus bas, dans la région lombaire, on [retrouve les lésions combinées des
cordons postérieurs et des cordons latéraux. Dans les cordons postérieurs les
lésions sont très marquées et marginales ; dans le cordon latéral la sclérose oc-
cupe une zone peu étendue, d'aspect triangulaire, dont la base répond au bord
du cordon et dont le sommet s'enfonce vers la substance grise (Voir fig. 4).
Diverses hauteurs de la moelle cervicale, dorsale et lombaire ont été colo-
rées au bleu de Hochst et à l'éosine.. , '.
58 CROUZON
Les cellules des cornes antérieures et des cornes postérieures sont norma-
les. La méthode de Marchi n'a pas révélé de corps granuleux.
Bulbe. On poursuit la sclérose jusqu'aux cordons de Goll et dans
les pyramides.
Cervelet. Pas de lésions appréciables.
Hémisphères cérébraux. Les noyaux gris centraux du côté gauche ne
présentent aucune altération.
La deuxième frontale gauche a été coupée et colorée à l'hématéine-éosine.
On constate sur cette circonvolution la présence de placards prenant davan-
tage l'hématéine qui semblent révéler un processus de sclérose.
La troisième frontale droite ne présente pas d'altération.
Nerfs. Les nerfs médian gauche (au niveau du poignet), cubital gauche
(au niveau de l'aisselle), médian droit (au niveau de l'aisselle), radial droit et
gauche (à l'aisselle), médian droit (au niveau du poignet) ne présentent aucune
altération. Il en est de même pour les nerfs tibiaux postérieurs gauche et
droit. Le nerf cubital droit (au niveau du bras) présente une légère sclérose ;
au niveau du coude, il est sensiblement normal. Le nerf cubital gauche (à l'ais-
selle) est normal. Le nerf sciatique droit ne présente pas d'altération notable.
Le nerf sciatique gauche ne présente aucune altération.
Muscles. Plusieurs muscles ont été examinés : muscle biceps crural
droit, muscle demi-membraneux gauche. Aucun d'eux ne présente d'altération.
Comme dans l'observation I, la sclérose occupait surtout le territoire des
faisceaux cérébelleux directs. Cependant il est à remarquer que le faisceau
cérébelleux direct n'est pas dégénéré à la partie toute supérieure de la ré-
gion cervicale, ce qui va un peu à rencontre d'une sclérose systématique
de ce faisceau. De plus, elle s'étend comme chez Salins, en dehors des li-
mites du faisceau cérébelleux; elle prend à certaines hauteurs le faisceau
pyramidal en partie, et occupe la zone prééapexienne
Les colonnes de Clarke sont, il est vrai, atteintes, mais il ne s'ensuit
pas forcément que les lésions des faisceaux cérébelleux directs soient sous
leur dépendance, du moins d'une façon complète.
Les deux observations qui précèdent ne me paraissent donc pas nette-
ment systématiques. Je crois qu'elles seraient mieux à leur place que dans
le groupe des pseudo-systématiques. Nous ne nierons pas cependant l'exis-
tence des scléroses combinées tabétiques systématiques : Auscher en a
rapporté deux cas et Ballet et Minor admettent leur existence.
Mais le groupe des scléroses combinées pseudo-sstémrctiues dans le ta-
bes nous paraît bien plus important que le précédent. L'apparence pseudo-
systématique peut être due à des lésions méningées ou lymphatiques. Sui-
vant Dejerine, on constate avec des lésions systématiques des cordons pos-
térieurs, des lésions diffuses des cordons latéraux et ces altérations des
faisceaux latéraux seraient « la conséquence de la sclérose postérieure non
SCLÉROSES COMBINÉES TABÉTIQUES 59
point directement et'par continuité du processus inflammatoire, mais par
l'intermédiaire de la méningite spinale postérieure ». Cette théorie est
aussi soutenue par Ballet et Minor qui désignent ces cas sous le nom de
sclérose primitivement systématique diffusée par lepto-méningite et range
dans cette catégorie les cas de Prévost, de Raymond et Arthaud et l'ob-
servation III du mémoire de Westphal. Homen admet dans le tabes l'exis-
tence d'une méningite hyperplastique occupant souvent toute la péri-
phérie de la moelle. Kattwinkel, discutant l'importance de ces lésions
méningées, les trouve minimes pour expliquer les dégénérations mar-
quées. L'épaississement méningé n'est pas constant et ne concorde pas
avec le siège des lésions.
En résumé, les lésions méningées sont suffisantes dans un certain nom-
bre de cas pour expliquer la propagation aux cordons latéraux, mais il
manque un processus intermédiaire entre ces lésions méningées et les lé-
sions de la moelle elle-même.
La théorie lymphatique du tabes de Pierre Marie et Guillain semble
pouvoir expliquer les faits éclairés incomplètement par les lésions mé
ningées. Je rappellerai que ces auteurs basent leur théorie sur les argu-
ments suivants : les lésions du tabes ne se confondent pas avec le trajet
des racines, mais ont une appareuce systématisée due à la disposition des
voies lymphatiques et des septa. Ces voies lymphatiques forment dans les
cordons postérieurs un système qui communique avec la méninge posté-
rieure. La méninge spinale postérieure syphilitique amènerait donc se-
condairement par histo-lymphite les lésions diffuses des cordons posté-
rieurs. Cependant, d'après Marie et Guillain : « Quand le processus est
particulièrement intense, il peut forcer les limites du système lymphati-
que postérieur et dans ce cas, la portion du cordon latéral qui confine à
l'apex de la corne postérieure peut présenter aussi des corps granuleux
indiquant une altération des plus nerveuses. Tout permet de conclure que
tel est le mode de production de certaines variétés de scléroses combinées
si voisines du tabes que personne jusqu'ici n'en a pu faire le diagnostic
pendant la vie » (1).
Nous relaterons ici plusieurs observations avec examen anatomo-patho-
logique dans lesquelles les lésions ont été causées à notre avis par le
processus de P. Marie et Guillain.
OBs. III : - Ab..., 6 ans, sclérose combinée tabétique. Service de M.
P. Marie à l'hospice de Bicêtre.
Antécédents mal connus. Douleurs des membres inférieurs ; paraplégie ;
abolition des réflexes rotuliens. Cécité absolue. Gâtisme.
(t) Nous avons dit plus haut que l'on pouvait aujourd'hui faire ce diagnostic.
60 CROUZON
A l'autopsie, on a constaté, au niveau du cerveau, l'existence d'un foyer
ancien du côté de la partie interne et postérieure de la couche optique droite.
Examen histologique de la moelle. Au niveau de la moelle lombaire :
dégénérations diffuses du cordon postérieur avec intégrité de la zone cornu
commissurale. Dans les cordons latéraux, la sclérose a une forme triangulaire
qui s'étend davantage au niveau de la partie supérieure de la moelle lombaire.
La pie-mère est épaissie.
Au niveau de la région dorsale : le cordon postérieur présente les mêmes
altérations que précédemment. Le cordon latéral présente les mêmes lésions de
sclérose. Il existe des lésions des colonnes de Clarke, les fibres sont diminuées
de nombre et les cellules sont petites. Comme l'a fait remarquer Kattwinkel,
les lésions maxima de ces colonnes de Clarke siègent du côté où existent les
lésions les plus marquées du cordon latéral. A la partie supérieure de la région
dorsale, on retrouve les mêmes lésions du cordon latéral, des lésions moindres
du cordon postérieur ; les colonnes de Clarke ont des fibres normales et des
cellules nombreuses, mais un peu plus petites que normalement. La sclérose
se confine au niveau du cordon de Goll, dans les coupes situées au-dessus. Au
niveau du cordon latéral, la sclérose est encore plus accentuée que sur les
coupes précédentes et plus accentuée par comparaison avec les lésions du cor-
don postérieur.
Au niveau de la région cervicale, la sclérose reste limitée au cordon de Goll,
et dans le cordon latéral, la sclérose se prolonge en avant parallèlement au bord
de la moelle. L'examen du bulbe a été fait par Kattwinkel qui a retrouvé les
ésions du cordon postérieur, du faisceau cérébelleux et du faisceau pyramidal
croisé jusqu'au niveau de la décussation des pyramides. Le faisceau pyramidal
lui a paru un peu dégénéré dans la région bulbaire. Les pédoncules étaient
normaux. Il n'existait pas de lésions au Marchi (Voir Planche IX).
OBs. IV. Fau..., sclérose combinée tabétique. Service de M. Pierre Ma-
rie, à l'hospice de Bicêtre.
Observation VI de la thèse de Sureau : douleurs des jambes, incontinence
d'urine, myosis, abolition des réflexes rotuliens, signe de Romberg, ataxie,
affaiblissement et atrophie des membres inférieurs, surtout'à gauche.
Examen microscopique. Au niveau de la moelle sacrée, les cordons posté-
rieurs sont sclérosés dans toute la partie postérieure ; le cordon latéral pré--
sente un triangle de sclérose à base périphérique et dont le sommet s'enfonce
vers la substance grise.
Au niveau de la moelle lombaire, le cordon postérieur est complètement
sclérosé; au niveau du cordon latéral, la sclérose revêt le môme type, s'étend
dans tout le territoire, du faisceau cérébelleux et du faisceau pyramidal
croisé.
Au niveau de la région dorsale, la moelle présente un calibre extrêmement
diminué et sa forme rappelle celle des moelles précédentes. Le cordon posté-
rieur est sclérosé presque en totalité ; au niveau du cordon latéral, la sclérose
occupe la même disposition que précédemment.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. PI IX
SCLÉROSES COMBINEES
(0. Cl'O1l,011
Ab ... Sclérose combinée tabétique : la sclérose est diffuse dans les cordons postérieurs
SCLÉROSES COMBINÉES TABÉTIQUES 61
Au niveau de la région cervicale, la moelle a de nouveau un volume normal,
la sclérose est moins étendue et au niveau du cordon latéral, la sclérose est
surtout marginale, s'étend en avant et fait une bordure à presque tout ce cor-
don latéral. Le cordon de Goll est très nettement sclérosé dans le cordon posté-
rieur. Les lésions ont une apparence systématique à la partie inférieure de la
moelle, mais l'aspect annulaire à la partie moyenne tend à démontrer l'existence
pseudo-systématique (Voir Planche VIII, A, B, C).
OBs. V. Gor... 62 ans. Sclérose combinée tabétique. Service de M. Piètre
Marie (hospice de Bicêtre).
Observation XVII de la thèse de Joliannes Martin. Chancre à 17 ans,
début à 35 ans par des douleurs de tête, de l'incertitude de la marche,de l'am-
blyopie et de la diplopie. Vers 36 ou 37 ans, incoordination des membres infé-
rieurs, pupilles irrégulières. Troubles urinaires. Force musculaire diminuée
dans le membre inférieur droit. Troubles de la sensibilité du trijumeau, de
la peau, des bourses et delà verge.
Examen histologique. Au niveau de la région sacrée, la moelle présente
une sclérose diffuse du cordon postérieur respectant relativement le cordon de
Goll et la zone cornue-commissurale. Le cordon latéral est dégénéré suivant
une zone triangulaire.
Au niveau de la région lombaire, le cordon de Goll est sclérosé ; la zone cor-
nue-commissurale est respectée ; mêmes lésions du cordon latéral (Voir fig. 7).
Au niveau de la région dorsale, la sclérose occupe un triangle dont la base
répond au bord postérieur de la moelle, et dont le sommet répond à la com-
missure postérieure. Ce triangle prend le cordon de Goll. Au niveau du cordon
latéral, même forme triangulaire de la zone sclérosée qui occupe la zone
pyramidale croisée ; la colonne de Clarke est normale (Voir fig. 6).
Au niveau de la région cervicale, le cordon de Goll est dégénéré seulement
dans sa partie postérieure. Au niveau du cordon latéral, la sclérose affecte
toujours la forme triangulaire, occupant le faisceau cérébelleux et le faisceau
pyramidal croisé Mais, en outre, à certaines hauteurs, il existe une-bande
marginale dégénérée qui s'étend jusqu'au cordon antérieur (Voir fig. 5).
Kattwinkel qui a pu examiner le bulbe a pu poursuivre la dégénérescence
du cordon de Goll jusqu'à la décussation des pyramides. Les faisceaux pyrami-
daux étaient dégénérés au niveau du bulbe. Enfin les pédoncules et les
hémisphères cérébraux étaient normaux.
En résumé, au point de vue topographique, il s'agit là d'une sclérose com-
binée du cordon postérieur, des faisceaux pyramidaux croisés et du faisceau
cérébelleux direct dans les cordons latéraux. Histologiquement, les colonnes
de Clarke sont normales ; il existe des lésions très accentuées des vaisseaux
au niveau de la moelle dorsale. Le canal épendymaire est dilaté et bourré d'é-
léments cellulaires.
Dans les cas qui précèdent, on peut voir que les espaces lymphatiques
sont dilatés et qu'ils semblent régler la distribution des lésions. La stase
62 CROUZON
lymphatique parait plus particulièrement démontrée dans un cas (Gor....)
Il existe en effet une dilatation du canal central de la moelle. Cette lésion
a été rencontrée dans d'autres cas de tabes, de paralysie générale, de myé-
lite, etc.. : elle va jusqu'à constituer parfois une véritable hydromyélie.
M. le professeur Joffroy vient de publier un cas qui se rapporte à des faits
semblables. M. Pierre Marie a bien voulu nous confier l'examen de moelles
de tabétiques ou de paralytiques généraux présentant à des différents de-
grés cette stase- lymphatique allant jusqu'à l'hydromyélie. Je pense donc
que ces cas de dilatation du canal épendymaire, dans les scléroses combi-
Fig. 5, 6 et 7. Gor... Sclérose combinée tabétique (Coloration de Weigert). Dans
les cordons latéraux, la sclérose occupe surtout la zone pyramidale et occupe un
territoire nettement triangulaire dans les figures 6 et 7.
scléroses combinées 'fABÉ'IIQUES 63
peut, à notre avis, que confirmer la non-systématisation du processus des
lésions.
Nous relaterons enfin une observation que nous pouvons rapprocher des
précédentes au point de vue de la pathogénie, mais qui présente en outre
une dégénération systématique du faisceau pyramidal direct d'un seul côté
qui semble liée à une lésion bulbo-protubérantielle dont le siège exact
nous a échappé.
Ons. VI. Bits..., sclérose combinée tabétique. Service de M. Pierre
Marie à l'hospice de Bicêtre.
Observation 33 de la thèse Sureau.
Cécité datant de 1873. Ablation des réflexes rotuliens ; chute de la paupière
droite ; strabisme divergent. En février 1902, a eu une fracture spontanée de
la cuisse gauche et est mort peu de temps après (20 février 1902).
Autopsie. Le cerveau est gros et présente un peu de dilatation des ven-
tricules. -
La méninge postérieure de la moelle est épaissie, à partir seulement de la
région dorsale inférieure ; il n'existe pas d'épaississement de la méninge lom-
baire. Au niveau du sillon postérieur existe une crête qui donne à la moelle,
un aspect triangulaire.
Examen histologique. Au niveau de la 2e Cervicale. La moelle a con-
servé sa forme normale. On constate l'existence d'altérations scléreuses dans
les cordons postérieurs, dans les cordons latéraux et dans l'un des deux cor-
dons antérieurs.
Dans les cordons postérieurs, la sclérose est surtout intense dans la partie
postérieure et dans celle qui avoisine le sillon postérieur, c'est-à-dire dans le
cordon de Goll. Elle est moins accentuée dans la partie qui avoisine la commis-
sure postérieure et les cornes postérieures.
Dans les cordons latéraux, elle occupe la zone des faisceaux pyramidaux et
des faisceaux cérébelleux directs.
On peut sur l'un des cordons latéraux constater que les territoires des deux
cordons pyramidal et cérébelleux direct sont séparés par une très légère bande
de fibres saines.
Dans le cordon antérieur, d'un seul côté, ou note la présence de la sclérose
dans le territoire du faisceau pyramidal direct dans une zone affectant la forme
et le siège du faisceau en croissant de P. Marie et Guillain. Dans cette zone, on
constate par ci, par là éparses des gaines de myéline conservées (Voir fig. 8).
3e Cervicale. La sclérose du cordon postérieur présente la même distri-
bution ; on constate aussi dans les cordons latéraux la sclérose du faisceau py-
ramidal croisé et du faisceau' cérébelleux direct séparées par le zone de fibres
normales ou moins atteintes.
Le cordon antérieur présente la même sclérose du faisceau en croissant,
mais la partie postérieure du faisceau pyramidal direct semble plus atteinte
qu'au-dessus.
4° Cervicale. Même distribution topographique des lésions : la séparation
64 CROUZON
du faisceau pyramidal croisé et cérébelleux direct s'est accentuée dans un des
cordons latéraux. --
5e Cervicale. La bande de sclérose du faisceau cérébelleux direct s'étale
en bordure plus en avant vers les cordons latéraux.
6e Cervicale. Même aspect des lésions dans les cordons postérieurs et
antérieurs ; dans les cordons latéraux, la sclérose occupe une zone triangulaire
englobant le faisceau pyramidal et le faisceau cérébelleux direct, mais se pro-
longeant peu en avant, le cordon latéral est moins large à ce niveau.
7e et 8- Cervicales. La sclérose est plus étendue, dans les cordons posté-
rieurs : elle envahit davantage les zones voisines des cornes postérieures et se
prolonge en avant jusqu'à a commissure postérieure.
Dans les cordons latéraux, la zone de sclérose u'est pas triangulaire, elle
forme de nouveau une bande qui se prolonge en avant en suivant la bordure.
Le faisceau pyramidal du cordon antérieur n'est que très peu sclérosé dans
le faisceau en croissant : la sclérose est marquée seulement dans la partie qui
longe le sillon antérieur.
1re Dorsale. - Même remarque que dans la] coupe précédente en ce qui
concerne le faisceau pyramidal antérieur.
10 il
Fig. 8, 9, 10, 11. Bits... Sclérose combinée tabétique (Coloration de Weigert). La
sclérose latérale est pyramidale ou pseudo-pyramidale. Les figures 8 et 9 montrent
l'existence d'une lésion du faisceau sulcomarginal droit.
scléroses combinées tabétiques 65
Le cordon latéral est sclérosé suivant une zone triangulaire occupant la
plus grande partie de la région postérieure de ce faisceau et englobant le fais-
ceau pyramidal direct et le faisceau cérébelleux direct.
Le cordon postérieur est complètement sclérosé, sauf dans les parties laté-
rales de la zone ventrale dans la portion marginale du cordon de Burdacli.
2. Dorsale. Présente sensiblement le même aspect.
3° Dorsale. Dans le cordon postérieur, même disposition de la sclérose,
peut-être un peu plus étendue encore dans la portion ventrale et dans la por-
tion marginale du faisceau de Burdach.
Dans les cordons latéraux, sclérose de forme triangulaire occupant presque
exclusivement le territoire du faisceau pyramidal ; très légère sclérose en
bordure de la partie moyenne des cordons latéraux.
Dans le cordon antérieur, sclérose empiétant à la fois sur les deux territoi-
res du faisceau pyramidal antérieur.
4° et 5- Dorsales. Même aspect : la sclérose du cordon postérieur est com-
plète en général. - -
6" Dorsale. Le cordon postérieur prend une forme triangulaire : la partie
ventrale constitue la base du triangle et le sommet se trouve à la partie posté-
rieure de la commissure postérieure. '
7e et 88 Dorsales.- Même aspect dans le cordon postérieur, quelques fibres
sont conservées dans deux zones symétriques situées de chaque côté de la com-
missure dans la moitié antérieure du cordon.
9° et 40e Dorsales. Dans les cordons postérieurs, les deux zones moins
atteintes sont plus étendues, elles se prolongent jusqu'au bord postérieur du
cordon et occupent le territoire du cordon de Goll.
Le faisceau pyramidal antérieur est moins atteint : un plus grand nombre de
fibres est conservé.
11° Dorsale. La sclérose du cordon postérieur est à peu près diffuse,
uu peu plus marquée dans le cordon de Goll et dans la région ventrale.
La sclérose des faisceaux pyramidaux croisés est toujours très nette et beau-
coup plus accentuée que cclle du cordon postérieur.
Région dorso-lonzbaire. Il n'y a plus de sclérose du faisceau pyramidal
du cordon antérieur.
La sclérose des faisceaux pyramidaux croisés est toujours très nette.
La sclérose du cordon postérieur est diffuse, un peu moins accentuée dans la
région ventrale (Voir fig. 2).
Région lombaire. La moelle a été examinée à trois hauteurs différentes
de cette région.
Le cordon postérieur est sclérosé, sauf dans les régions ventrales où les fibres
sont presque complètement respectées. Le cordon antérieur est indemne de
toute lésion. Les cordons latéraux présentent la même sclérose des extrémités
des faisceaux pyramidaux.
La coloration de Nissl a été pratiquée sur cinq hauteurs différentes de la
moelle.
XVII S
66 CROUZON
Elle n'a révélé aucune modification appréciable dans l'état des cellules.
Bulbe. Au niveau de la diminution des pyramides, on constate la sclé-
rose des faisceaux pyramidaux du cordon latéral et de l'une des deux pyra-
mides.
Le cordon postérieur est sclérosé.
Un peu au-dessus, la sclérose diminue ; il persiste encore une sclérose mar-
quée des cordons postérieurs, mais la sclérose pyramidale est très diminuée
aussi bien dans le cordon antérieur que dans les cordons latéraux.,
Enfin les lésions disparaissent au-dessous du 4° ventricule. '
Le nerf optique gauche est dégénéré dans une certaine mesure ; on constate
la disparition de toutes les fibres, sauf en une partie de la périphérie où elles
persistent sous forme d'une zone bordante : les gaines sont conservées et forment
un lacis assez épais sur la surface de section du nerf.
Le nerf optique droit semble plus atteint : la sclérose y est diffuse et les fibres
ne persistent qu'en très petit nombre au niveau de la périphérie du nerf. On
constate la présence de petits nerfs voisins dont l'un est à peu près intact et
dont les autres sont dégénérés à un moindre degré que le nerf optique.
La protubérance et le pédoncule sont normaux. Le cervelet ne présente pas
de lésions. ' ,
L'écorce cérébrale coupée au niveau des circonvolutions frontales droites et
colorée à l'hématéine-éosine n'a montré aucune lésion.
De même, le deuxième frontal gauche est normal.
Les noyaux gris centraux et la capsule interne examinés à la coloration hé-
matéine-éosine sont normaux.
La coloration de Marchi pratiquée en quatre hauteurs différentes de la moelle
n'a montré nulle part l'existence de corps granuleux.
En résumé, sur les sept observations anatomiques qui précèdent, cinq
nous paraissent nettement expliquées par la théorie lymphatique et sont
pseudo-systématiques. Les deux premières sont discutables et pourraient
être liées aux lésions de la colonne de Clarke : nous croyons néanmoins
plus probable qu'elles sont, elles aussi, causées par des lésions méningo-
lymphatiques.
Nous croyons donc que si les scléroses combinées tabétiques de la moelle
peuvent être systématiques comme l'ont admis autrefois certains auteurs,
elles sont bien plus souvent pseudo-systématiques; qu'elles ne peuvent être
expliquées suffisamment que par- les lésions méningées et lymphatiques.
La nature de leur processus anatomique est donc semblable à celui des
tabes et la répartition pseudo-systématique de leurs lésions est un argu-
ment en faveur des théories qui n'admettent pas dans le tabes une systé-
matisation constante et, en particulier, de la théorie lymphatique de
P. Marie et Guillain, 1
FACULTÉ DE MÉDECINE DE BORDEAUX.
CLINIQUE DE M. LE PROFESSEUR A. PITRES,
ETUDE GRAPHIQUE DES RÉFLEXES PLANTAIRES
A l'état normal
ET dans QUELQUES affections spasmodiques
DU SYSTÈME pyramidal
PAII It
HENRI VERGER et JEAN ABADIE
Médecins des hôpitaux de Bordeaux.
Les réflexes cutanés du membre inférieur ont pris, dans ces dernières
années, une importance très grande dans la sémiologie des affections de
la voie motrice pyramidale. Les travaux de Brissaud, de Babinski, ont
attribué aux mouvements réflexes du membre inférieur que provoque
l'excitation de la plante du pied une valeur que tous les cliniciens s'ac-
cordent à leur reconnaître ; leur exploration a pris place en clinique à
côté de celle des réflexes tendineux.
Nos recherches nous ont amené à considérer que le réflexe plantaire au
grattage se décompose naturellement en trois mouvements segmentaires
simultanés, mais distincts : l'un siégeant dans les muscles qui agissent sur
les orteils et que l'on peut désigner sous le nom de réflexe planti-digital ;
le second, dans les muscles de la jambe qui agissent sur le pied, réflexe
planti-tibial ; le troisième enfin, dans les muscles de la cuisse qui fléchis-
sent la jambe sur la cuisse et celle-ci sur le bassin, réflexe planti-crural.
Cette terminologie est employée depuis quelques années dans le service
de notre maître, M. le professeur Pitres. La division qu'elle indique est
justifiée au point de vue anatomique; elle nous parait encore légitime
au double point de vue physiologique et clinique. Nous allons essayer de
le démontrer physiologiquement par des études graphiques, nous réser-
vant de faire plus tard la démonstration clinique.
' 1
La reproduction graphique des trois mouvements composants du réflexe
plantaire, compris comme il vient d'être dit, nécessite un dispositif expé-
68 VERGER ET ABADIG
rimental excessivement compliqué, dont l'établissement se heurte à des
difficultés nombreuses. On peut concevoir deux modes de ce dispositif,
soit qu'on enregistre les contractions musculaires au moyen de myogra-
phes directs, soit qu'on se borne à enregistrer les mouvements des divers
segments du membre au moyen de tambours manipulateurs convenable-
ment disposés. Mais on constate aisément qu'aucun de ces deux modes ne
peut s'appliquer à l'exclusion du second à l'étude de la totalité du réflexe
plantaire. Pour le premier mode, enregistrement direct de la contraction
musculaire, il existe deux difficultés qui restreignent son emploi : la pre-
mière consiste clans le grand nombre de muscles mis en action et dans
l'insuffisance des divers myographes applicables à l'homme, toutes rai-
sons qui obligent à faire un choix parmi ces muscles et à n'appliquer les
instruments que sur les muscles dont la contraction est suffisamment
nette; la seconde n'est qu'un cas particulier de la précédente, elle résulte
de l'impossibilité manifeste d'enregistrer au moyen de myographes la
contraction des fléchisseurs plantaires ou celle de l'extenseur du gros
orteil. Donc, pour étudier le réflexe planti-digital, on est tout d'abord
forcé d'enregistrer les déplacements du gros orteil lui-même. En se-
cond lieu, pour étudier le réflexe planti-tibial, il est impossible de
s'adresser aux déplacements du pied, qui consistent ordinairement en une
extension si brusque et si ample que les tambours manipulateurs risque-
raient d'être mis hors d'usage à chaque expérience ; force est donc ici
d'enregistrer la contraction des muscles mis en action, et en particulier
de celui qui est le plus facilement exploré par le myographe, le jambier
antérieur. Enfin, pour le réflexe planti-crural, il ne faut pas songer au
déplacement segmentaire en totalité, qui n'existe pas dans les excitations
faibles ou moyennes : l'exploration par le myographe est encore ici néces-
saire, elle se fera au niveau du tenseur du fascia lata, facilement acces-
sible.
Pour toutes les raisons précédentes, nous avons adopté un dispositif
mixte qui est le suivant. Pour obtenir des tracés graphiques du réflexe
planti-crural, nous appliquons un myographe à transmission sur le ten-
seur du fascia lata, au point variable suivant les sujets où la contraction
de ce muscle est le plus perceptible à la vue et au toucher. Les graphiques
du réflexe planti-tibial seront fournis par un second myographe à trans-
mission appliqué sur la portion la plus saillante du jambier antérieur.
Enfin, pour le réflexe planti-digital, nous moulons sur le dos du pied, avec
une bande de caoutchouc, une plaque malléable en étain qui porte en son
milieu une petite tige de cuivre ; sur cette tige, nous fixons un tambour
manipulateur dont le levier est relié par une tige inextensible à une bague
métallique qui entoure la phalangine du gros orteil : le tambour est placé
ÉTUDE GRAPHIQUE DES RÉFLEXES PLANTAIRES 69
de telle sorte que la flexion de l'orteil diminue sa capacité, tandis que
l'extension de l'orteil l'augmente. Les deux myographes et le tambour ma-
nipulateur sont en communication respectivement avec trois tambours
récepteurs. La contraction musculaire enregistrée par les myographes se
traduira simplement par l'ascension des styles inscripteurs : le graphique
du réflexe planti-digital aura une forme différente suivant que ce réflexe
sera constitué par la flexion ou l'extension du gros orteil : dans le premier
cas, flexion du gros orteil -, il y aura une ascension du style inscrip-
teur ; dans le second cas, extension du gros orteil -, il y aura une
descente du style. Cette façon de procéder présente évidemment un incon-
vénient : les trois tracés pris simultanément ne sont pas absolument com-
parables puisqu'ils sont obtenus par des procédés différents. Mais cet
inconvénient est relativement minime, car ce qu'il importe surtout de
connaître, c'est le sens des, mouvements et plus particulièrement celui des
mouvements du gros orteil.
Pour inscrire le moment de l'excitation plantaire, nous avons fait cons-
truire un style spécial, dans lequel une pointe mousse en os, qui sert au
grattage, est mobile dans un manche d'ébonite dans lequel elle pénètre lé-
gèrement et à frottement doux quand on appuie sur son extrémité libre :
en pénétrant ainsi, elle ferme un circuit électrique sur lequel est inter-
calé un signal de Marcel Desprez. Ici encore il existe un inconvénient :
l'excitation cutanée dure un temps très appréciable et il est impossible de
préciser il quel moment de sa durée, elle devient efficace ; dans le doute,
on doit prendre pour points de repère le début marqué par le signal élec-
trique : c'est ce qui d'ores et déjà explique que nous n'avons pas cherché,
pour le moment, il préciser les rapports de ces divers mouvements dans le
temps.
II
ÉTUDE GRAPHIQUE DES RÉFLEXES PLANTAIRES A L'ÉTAT NORMAL.
I. Nous avons recherché en premier lieu quelle était la réaction
musculaire apparaissant la première dans le membre inférieur à la suite
d'une excitation plantaire minima. Les graphiques nombreux obtenus,
dans cette première série de recherches, nous ont tous démontré ceci :
l'excitation minima qui provoque le plus léger mouvement du gros orteil
provoque aussi des contractions du jambier antérieur et du tenseur du
fascia lata ; ces contractions, trop faibles pour être constatées directement,
sont parfaitement apparentes sur les graphiques.
II. L'analyse méthodique des graphiques ainsi obtenus permet de
faire les constatations suivantes :
70 VERGER ET ABAD1E
Le RÉFLEXE PLANTI-CRURAL se traduit assez uniformément par une ligne
courbe le plus souvent régulière, quelquefois légèrement sinueuse, sans
autres caractères spéciaux. «
Le réflexe PLANT[-TIBIAL se manifeste sur les graphiques par des tracés
variables. Cependant la forme habituelle du tracé est celle d'une courbe
arrondie, peu élevée, régulière ou sinueuse, les sinuosités traduisantvrai-
semblablement plusieurs contractions musculaires successives.
Le réflexe planti-digital fournit deux types graphiques distincts :
1° Le graphique du premier type (tracé nO 1) offre à considérer une
ligne d'ascension, un sommet et une ligne de descente. La ligne d'ascen-
sion est brusque, presque verticale, présentant quelquefois un crochet.
Le sommet est ◀tantôt▶ très aigu, ◀tantôt▶ plus ou moins arrondi. La ligne de
descente est brusque ou prolongée; elle décrit une courbe arrondie
plus ou moins ouverte, mais qui ne s'abaisse pas au-dessous de la ligne
(1) Ce (race et les tracés suivants ont été rdjtrits de 1/2. '
Tracé nu 1 (1).
Etat normal.
. pdj : réflexe planti-tibial (type de flexion pure).
pt : réflexe planti-tibial.
pc : réflexe planti-crural.
D. 25 vd. : diapasion chronographe de 25 vibr. doubles à la seconde.
s : signal de M. Desprez.
ÉTUDE GRAPHIQUE DES RÉFLEXES PLANTAIRES 71
horizontale de départ. Ce premier type graphique de réflexe planti-
digital traduit donc la flexion plus ou moins brusque ou prolongée du
gros orteil, mais toujours uniquement la flexion du gros orteil : on peut
désigner ce type sous le nom de réflexe planti-digital en flexion pure.
2° Le graphique du,deuxième type (tracé n° 2) présente de même une
ligne d'ascension brusque, peu oblique, un sommet plus ou moins
arrondi, mais il. diffère manifestement du graphique du premier type en
ceci : la ligne de descente, toujours rapide, dépasse la ligne horizontale
de départ au-dessous de laquelle elle décrit une courbe de sens inverse pour
revenir insensiblement au niveau primitif du style. Le graphique a la
forme générale d'une S horizontale et renversée, à boucles inégales, la
boucle supérieure étant plus grande que la boucle inférieure. La boucle
supérieure correspond à un mouvement de flexion du gros orteil, la bou-
cle inférieure indique un mouvement consécutif d'extension du gros- or-
teil. On peut désigner ce deuxième type sous le nom deréflexe planti-digi-
tal en flexion et extension consécutive.
Entre ces deux types distincts de réflexe planti-digital, on trouve 1res
souvent des types intermédiaires où l'extension consécutive à la flexion
est à peine apparente mais déjà esquissée.
Tracé no 2.
Etat normal.
pd : réflexe planti-digital (type de flexion et extension conséculive).
pt : réflexe planti-tibial.
pc : réflexe planti-crural. -
s : signal de M. Desprez. ,
72 \'EBGrB ET ABAD1E
Ce serait une erreur de croire qu'à un même individu normal corres-
pond toujours, pour une excitation sensiblement identique, un seul des
types de réflexe planti-digi tal précédents. Au contraire, un même individu
normal, dans la même série d'expériences ou dans des expériences diffé-
rentes, pour des excitations sensiblement identiques, peut présenter soit
la forme en flexion pure, soit la forme en flexion et extension consécutive,-
soit une forme intermédiaire. Aussi est-il difficile de déterminer la fré-
quence respective de chacun des types de réflexe planti-digital : tout ce
qu'on peut dire, c'est que les deux types principaux sont à peu près aussi
fréquents l'un que l'autre, avec cependant une fréquence légèrement plus
grande du type en flexion pure. '
Nous n'avons jamais vu, sur les graphiques, l'extension seule du gros
orteil succédera une excitation même très énergique de la plante.
Il est à noter enfin que, chez les sujets normaux, l'excitation de la
plante est seule efficace, à l'exclusion des autres parties du membre infé-
rieur, pour la production du réflexe plantaire. On verra plus loin qu'il
n'en est pas de même dans quelques états pathologiques.
III. On peut résumer ainsi sous forme de conclusions les constatations
précédentes :
1° A l'état normal, l'excitation minima de la plante du pied par le
grattage à l'aide d'une pointe mousse provoque des réactions, à la fois,
dans les muscles des orteils, dans ceux de la jambe et dans ceux de la
cuisse. Ceci démontre que le réflexe plantaire peut être considéré comme
formé,*par l'ensemble des mouvements segmentaires du membre inférieur
et non par telle ou telle réaction musculaire à l'exclusion des autres. La
décomposition du réflexe'plantaire en trois termes composants, réflexe
planti-digital, réflexe planti-tibial, réflexe planti-crural, est donc justifiée
par l'analyse physiologique.
2° En ce qui concerne plus particulièrement le réflexe planti-digital,
celui-ci se présente sous deux formes principales, de fréquence à peu près
égale : :
Une forme en flexion pure ; ,
Une forme en flexion et extension consécutive.
' Celle extension normaleest toujours d'amplitude moindre que la flexion
qui la précède. Elle a échappé à l'observation directe, elle n'est révélée
que par l'analyse graphique : ceci explique pourquoi les auteurs, se ba-
sant sur la simple observation clinique, ont pu affirmer que le réflexe des
orteils se produisait toujours et uniquement en flexion à l'état normal.
3° Les variations d'intensité des excitations plantaires n'amènent au-
cune modification nouvelle dans la forme graphique de ces réflexes, en
particulier du réflexe planti-digital.
ÉTUDE GRAPHIQUE -DES. RÉFLEXES PLANTAIRES 73
III
ÉTUDE GRAPHIQUE DES RÉFLEXES PLANTAIRES DANS QUELQUES AFFECTIONS
SPASMODIQUES DE LA VOIE' PYRAMIDALE.
I. Les travaux de Babinski, van Gehuchten, etc, ont démontré que
toute perturbation fonctionnelle du système pyramidal entraîne des mo-
difications du réflexe au grattage de la plante du pied ; ces modifications
consistent essentiellement, d'après ces auteurs, en un mouvement plus ou
moins brusque d'extension des orteils et plus particulièrement du gros
orteil. Cette extension du gros orteil constitue pour eux le signe le plus
sensible et le plus constant d'une affection de la voie motrice cérébro-
spinale. Elle s'oppose nettement au mouvement de flexion pure des orteils
qui, à leur avis, est le seul mouvement réflexe normal. Nous venons de
voir combien était incomplète cette dernière manière de voir, puisque, à
l'état normal, la flexion et l'extension du gros orteil s'observent concur-
remment dans la moitié des cas : les tracés graphiques précédents en sont
la preuve. Il nous reste à considérer maintenant comment se comporte le
réflexe plantaire et en particulier le mouvement du gros orteil dans quel-
ques cas de lésions de la voie pyramidale.
Les recherches graphiques faites dans ce butont porté sur une trentaine
de malades atteints de maladies diverses du système moteur pyramidal :
hémiplégies cérébrales récentes et anciennes, maux de Pott avec compres-
sion médullaire, scléroses en plaques, méningo-myélites, myélites trans-
verses, etc., etc.
Dans toutes ces affections, on retrouve comme à l'état normal la même
décomposition du réflexe plantaire en réflexe planti-digital, réflexe planti
tibial, réflexe planti-crural. Mieux encore qu'à l'état normal, cette décom-
position paraît justifiée, car elle est'rendue plus nette par l'hyperexcita-
bilité spasmodique, qui dissocie chacun des mouvements composants en
les exagérant. L'étude graphique de ces trois termes réflexes, faits à l'aide
des mêmes méthodes que précédemment, permet tout d'abord de faire
une constatation générale, qui est la suivante : tous les malades atteints
de semblables affections de la voie motrice, présentent des modifications
du réflexe plantaire ayant des caractères sensiblement identiques, quels
que soient le degré et la nature de leur affection. Il est donc superflu de
faire une étude spéciale des réflexes plantaires, pour chacune de ces affec-
tions en particulier.
IL L'analyse des graphiques permet en effet de faire les constata-
tions générales suivantes : .
Le RÉFLEXE PLANTI-CRURAL présente les mêmes caractères qu'à l'état
74 VERGER ET ABADIE ·
normal. Il se traduit de même par une ligne courbe, plus ou moins régu-
lière ou sinueuse. Cependant il est en général beaucoup plus net et peut-
être manifestement exagéré.
Le réflexe PLANTI-TIBIAL présente aussi les mêmes caractéristiques qu'à
l'état normal, mais il possède ici comme particularité spéciale une ampli-
tude plus grande.
Le RÉFLEXE PLA1VTI-DIGITAL offre à considérer trois types graphiques dis-
tincts : -.
1° Un type de réflexe en flexion pure, en tous points comparables au
type de flexion pure observé à l'état normal : il a été cependant rencontré
chez des malades porteurs de lésions médullaires ou cérébrales (scléroses
en plaques, hémiplégies anciennes, etc.), présentant un syndrome spas-
modique très complet (contracture, clonus du pied et de la rotule, exa-
gération des réflexes tendineux, etc.)
2° Un type de réflexe planti-digital en flexion et extension consécu-
tive, rappelant par sa forme générale le deuxième type normal. Quel-
quefois la flexion du gros orteil présente comme à l'état normal une am-
plitude plus grande que l'extension (dans un cas d'hémiplégie spasmo-
dique datant de plusieurs mois par exemple, tracé n° 3). Mais le plus
souvent les tracés de ce second type possèdent un caractère spécial, qui
les distingue très nettement du type normal correspondant : ici, le rap-
port de durée des deux termes, flexion et extension, est inverse. Tandis,
en effet, qu'à l'état normal la flexion est plus prolongée que l'extension,
Tracé n° 3.
Etat pathologique.
(Hémiplégie spasmodique ancienne).
pd : réflexe planti-digital (type de flexion et extension consécutive prédominance de
la flexion).
Tracé ne 4.
Etat pathologique.
. (Hémiplégie cérébrale avec contracture).
pd : réflexe planti-digital (type de flexion et extension consécutive prédominance de
l'extension érection passagère du gros orteil).
ÉTUDE GRAPHIQUE DES RÉFLEXES PLANTAIRES 75
à l'état pathologique la flexion initiale est brusque et courte, l'extension
plus longue; cette extension peut même se prolonger pendant plusieurs
secondes, réalisant ainsi le phénomène de l'érection passagère du gros
orteil (tracé n° 4). *
3° Un type de réflexe planti-digital en extension pure, sans flexion ini-
tiale (tracé n° 5). Le graphique est entièrement situé au-dessous de la
ligne horizontale de départ ; il présente une ligne de descente immédiate,
peu oblique, un sommet plus ou moins aigu et une ligne d'ascension qui
rejoint le niveau primitif dustyle parunecourbe plus oumoins arrondie.
Entre ces trois types distincts, d'une netteté schématique, de réflexe
planti-digital pathologique, on trouve tous les intermédiaires depuis la
flexion pure jusqu'à l'extension pure. Notamment l'extension en érection
5 Trace ne 5.
Etat pathologique.
(Sclérose en plaques paraplégie spasmodique)
pd : réflexe planti-tibial (type d'extension pure).
pt : réflexe planti-tibial.
pc : réflexe planti-crural.
s : signal de M. Desprez.
Tracé n° 6. Tracé no 6 bis.
Etat pathologique.
(Hémiplégie cérébrale ancienne).
pd : réflexe planti-digital (type de flexion pure).
pd' : réflexe planti-digital (type de flexion et extension consécutive, prédomi-
nance de l'extension, érection du gros orteil).
Les excitations dans les deux tracés sont sensiblement identiques.
Les deux tracés ont été pris à quelques secondes d'intervalle.
76 VERGER ET ABADIE
du. gros orteil peut être précédée d'un petit crochet traduisant une esquisse
de flexion préalable.
A une même affection spasmodique de la voie pyramidale ne correspond
pas un seul des différents types précédents à l'exclusion des autres. Plus
encore, un même malade peut fournir, à quelques secondes d'intervalle
et sous l'influence d'excitations sensiblement identiques, ◀tantôt▶ l'un, ◀tantôt▶
l'autre de ces types de réflexe planti-digital (tracés n° 6 et n° 6 bis). Ce-
pendant le type en flexion et extension successive avec prédominance de
l'extension paraît être le type habituel dans les affections spasmodiques,
puisque on l'observe dans les deux tiers environ des expériences. Vien-
nent ensuite les deux types normaux qui comprennent presque tout le
dernier tiers. Quant au type d'extension pure, nous ne l'avons rencontré
que chez un seul malade, atteint de sclérose en plaques avec un état re-
marquablement spasmodique des membres inférieurs : le type d'extension .
pure était constant chez lui.
Le caractère le plus important du réflexe planti-digital, dans ces cas
pathologiques et quel que soit le type qu'il présente, est d'apparaître tou-
jours avec une vivacité et une amplitude beaucoup plus marquées qu'à
l'état normal.
III. En règle générale, l'excitabilité plantaire des malades atteints d'af-
fections spasmodiques est augmentée ; aussi l'excitation minima se borne-
t-elle souvent à une très légère friction de la plante : on constate toujours
cependant l'apparition très nette des trois mouvements segmentaires.
Dans certains cas pathologiques, la région plantaire n'est pas seule effi-
cace, comme à l'état normal, pour provoquer l'apparition du réflexe plan-
taire. La zone excitable peut s'étendre à tout le membre inférieur : des
excitations portées successivement sur la peau du mollet, du genou, de la
cuisse peuvent produire graphiquement les trois termes du réflexe plan-
taire. Ce phénomène est du reste rare et ne s'observe que dans les cas où
le syndrome spasmodique est très intense. Il avait été déjà signalé en partie
par quelques auteurs,Babinski,'Crocq, etc., qui avaient pu provoquer l'ex-
tension du gros orteil par l'excitation cutanée de régions quelconques du
membre inférieur.A cette donnée déjà connue,il faut ajouter que semblable
manoeuvre fait apparaître non seulement le réflexe planti-digital, mais
.encore le réflexe planti-tibial et le réflexe planti-crural (tracés n° 7).
Dans quelques cas d'hémiplégie ou de paraplégie spasmodiques, nous
avons obtenu graphiquement des tracés de réflexes plantaires contra-laté-
raux. Nos documents sont trop peu nombreux encore, en raison de la rareté
relative de ce phénomène,- pour qu'il nous soit permis d'insister davan-
tage. Disons toutefois en terminant que, l'excitation de la planle du côté
sain chez les hémiplégiques produit dans le membre inférieur correspon-
ÉTUDE GRAPHIQUE DES RÉFLEXES PLANTAIRES 77
dant et sans modifications notables, les types normaux de flexion pure ou
de flexion et extension consécutive.
IV. Les constatations graphiques exposées dans cette deuxième série
de recherches peuvent se résumer ainsi :
1° Dans les affections spasmodiques de la voie pyramidale, comme à
l'état normal, l'excitation minima efficace de la plante du pied provoque
des réactions musculaires simultanées dans les divers segments de mem-
bre inférieur. La division du réflexe plantaire en trois termes composants;
réflexe planti-digital, réflexe planti-tibial, réflexe planti-crural est encore
justifiée par l'analyse graphique de ces cas pathologiques.
2° Le caractère le plus important et le plus constant des réflexes plan-
taires, dans ces affections, est constitué par leur exagération. La zone exci
table peut souvent même dépasser la plante et s'étendre à tout le membre
inférieur.
3' En ce qui concerne plus particulièrement le réflexe planti-digital,
dans les affections spasmodiques du système pyramidal et quelle que soit
Tracés n° 7.
État pathologique.
(Hémiplégie cérébrale gauche avec contracture).
Graphiques obtenus par le grattage :
A : de la plante gauche.
B : de la peau de la cuisse gauche.
78 VERGER ET ABADIE
la nature de ces affections, ce-' réflexe peut affecter indifféremment, chez
le même malade, les formes graphiques suivantes :
1 ° Les deux formes normales.
2° Une forme de flexion et d'extension consécutive du gros orteil, l'ex-
tension étant toujours plus ample et plus longue que la flexion. Cette
forme est la plus fréquente.
3° Une forme très rare d'extension pure, où l'extension est si brusque
que la flexion est à peine esquissée ou nulle.
L'étude graphique qui précède et les conclusions qui en découlent ne
diminuent en rien, comme on pourrait le croire tout d'abord, la valeur
sémiologique du signe de Babinski. Nous avons montré il est vrai, que
l'extension du gros orteil n'est pas uniquement un phénomène patholo-
gique lié à une altération de la voie motrice. Cette extension peut accom-
pagner en réalité la flexion à l'état normal, mais dans les affections spas-
modiques de la voie pyramidale, elle prend une telle importance par son
amplitude et sa durée qu'elle frappe seule l'oeil de l'observateur, donnant
ainsi l'illusion d'un réflexe pathologique inversé, puisque à l'état normal
c'est généralement la flexion qui apparait seule. Cependant il n'y a pas
entre le réflexe normal et le réflexe pathologique de différence essentielle
de nature, puisque, d'une part, à l'état normal, on constate fréquemment
par la méthode graphique une extension succédant à la flexion, et que
d'autre part, à l'état pathologique, on constate également par les mêmes
procédés d'investigation une flexion légère précédant l'extension : ce qui
fait la différence, c'est qu'à l'état pathologique cette extension devient
plus vive et plus soutenue au point même de masquer la flexion qui la
précède.
HOSPICE DE BICI : TRE.
NOTE
SUR
L'APLATISSEMENT HYPOTON1QUE DU PIED
CHEZ LES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX,
. PAR
CH. FÉRÉ,
Médecin de Bicêtre.
L'étude des empreintes de la plante du pied peut donner un certain
nombre de renseignements utiles à la clinique.
Les empreintes prises dans la station peuvent éclairer la- sémiologie
des malformations et des déformations pathologiques. (1). Les empreintes
dans la marche ont donné des documents précieux pour la symptomato-
logie et la physiologie pathologique, principalement dans les maladies du
système nerveux (2).
Les empreintes prises à des intervalles déterminés peuvent être utiles
à l'étude des modifications plus ou moins rapides; on peut se rendre
compte par exemple de l'aplatissement de la plante du pied dans la fatigue
et de la cambrure sous l'influence du repos (3).
Les procédés dont on se sert pour prendre les traces n'ont pas la même
valeur au point de vue de l'étude scientifique. Si on se sert de substances
pulvérulentes qui adhèrent plus ou moins à la plante, on n'obtient que des
traces confuses donnant seulement la forme générale de l'empreinte de la a
(1) Roumer, Les variations de la forme normale et pathologique de la plante du
pied, étudiées par la méthode graphique, th. Nancy, 1819 ; CH. Féré, Note sur un
nouveau cas de pied tabétique (Rev. de médecine, 1884, p. 477) ; CH. Féré et G. DE-
MANTI(É, Elude sur la plante du pied, et en particulier sur le pied plat considéré
comme stigmate de dégénérescence (Journ. de l'Anat. et de la Phys., 1891, p. 433) ;
L. Dautheville, De la valeur séméiologique des empreintes plantaires avec les affec-
tions chirurgicales des membres inférieurs, th. Lyon, 1901.
(2) Gilles DE la TOURETTE, Etude clinique et physiologique sur la marche, th.
1886.
(3) Cn. Féré et G. DEMANTKÉ, Note sur les variations de la forme de la plante du
pied sous l'influence du repos, de la station et de la marche (C. R. de la Soc. de
Biologie, 1891, p. 387).
80 FÉRÉ
plante.Si l'on se sert d'encre d'imprimerie,on peut obtenir des empreintes
très délicates sur lesquelles se lisent facilement les lignes papillaires qui
peuvent permettre d'affirmer l'identilé de l'individu exploré dans des
expériences successives. L'enduit avec l'encre d'imprimerie est peu avan-
tageux pour l'étude de la marche. Si l'enduit est trop épais, il ne permet
pas de distinguer les lignes papillaires ; s'il est trop ténu, il ne laisse plus
de trace après un petit nombre d'applications ; mais un enduit léger peut
supporter le poids du corps dans la station et laisser des lignes papillaires
distinctes; il peut être utilisé pour les empreintes dans la station, et il a
un grand intérêt au point de vue de l'identification (1). D'autres enduits
humides peuvent d'ailleurs être utilisés dans le même but (2).
La forme de l'empreinte plantaire varie chez le même individu avec
l'embonpoint. L'augmentation du poids total du corps concourt avec l'en-
(1) CES. Féré, Les empreintes des doigts et des orteils (Journ. de l'Anat. et de la
Phys., 1893, p. 223). Notes sur les mains et les empreintes digitales de quelques : M ! M(t6M., 1900, p. 255). Les lignes papillaires de la paume de la main (ibid.,
p. 316). Les lignes papillaires de la plante du pied (ibid" p, 602). La main,
la préhension et le toucher (Revue philosophique, 1896, t. XLI, p. 621). - L'influence
de l'éducation de la mobilité volontaire sur la sensibilité (ibid., 1891, t. XI.IV,
p. 391).
(2) FoRGEOT, Des empreintes digitales étudiées au point de vue médico-judiciaire,
th. Lyon, 1891.
Fig. 1. - Empreinte du 30 mai 1901.
Poids : 59 kilogr.
Fig. 2. Empreinte du 30 mars 1903.
Poids : 52 kilogr. 500.
l'aplatissement llYPOTONIQUE DU PIED 81
graissement du pied à augmenter l'étendue de l'empreinte. La diminu-
tion du poids total concourt avec l'amaigrissement du pied à diminuer
l'étendue de l'empreinte. Il faut noter d'ailleurs que la compression tem-
poraire du pied par une chaussure étroite et résistante peut empêcher
l'accumulation locale de la graisse (1).
Des modifications de l'étendue de l'empreinte peuvent être produites
plus rapidement encore par des modifications de la tonicité musculaire.
C'est le long péronier latéral qui joue le principal rôle dans les change-
ments de la courbure de la plante.
La fatigue diminue la tonicité musculaire et aplatit notablement le
pied. Cet effet de l'atonie musculaire est général : la taille s'allonge
dans le décubitus dorsal et elle s'allonge encore après la mort quand la
rigidité cadavérique a cessé, comme j'ai pu m'en assurer plusieurs fois (2) :
c'est.un fait qui n'est pas sans intérêt lorsqu'il s'agit d'établir l'identité
. d'un cadavre. Le relâchement des muscles dans la fatigue peut jouer
d'ailleurs un rôle important dans la solidité des articulations (3) ; il peut
favoriser non seulement les déplacements brusques et momentanés comme
l'entorse, mais aussi des déplacements permanents avec difformité. C'est
par le mécanisme de l'hypotonie musculaire que la neurasthénie peut dé-
terminer la scoliose (4).
Les paralytiques généraux présentent souvent les symptomes de lé-
sions qui leur sont communes avec les tabétiques. L'hypotonie muscu-
laire par exemple est assez fréquente chez eux (5). Dans une première
série nous l'avons trouvée chez 11 paralytiques sur 28, soit sur 39, 28
pour 100 ; dans une autre série de 62 paralytiques généraux, je l'ai ob-
servée chez 28 ,soit chez 54, 16 pour 100.
Les différences que m'avaient présentées les empreintes de la plante du
pied dans la station au repos et dans la fatigue m'ont engagé à essayer la
méthode des empreintes plantaires pour mesurer avec précision l'évolution
de l'hypotonie. On a dans ce but pris chaque mois les empreintes de tous
les paralytiques généraux capables de se tenir debout.
(1) Cu. FÉllf : . Note sur l'influence de la compression temporaire sur l'accumulation
de la graisse dans le tissu cellulaire sous-cutané (C. R. de la Soc. de Biologie, 1893,
p. 62).
(2) La taille dans la station et dans le décubitus dorsal (C. R. de la Soc. de Bio-
logie. 1891, p. 620. Revue de médecine, 1893, p. 602).
(3) Cn. Féré. Note sur des entorses symptomatiques [entorses par hypotonie). (Re-
vue de chirurgie, 1897, t. XVII, p. 39).
(4) L. II. PETIT. Des rapports de la neurasthénie avec la scoliose et quelques autres
difformités orthopédiques (Gaz. des hôp., 1895, 3 décembre. M. Audit, Contrib.à à
l'étude de la scolise de l'adolescence, th. 19U0. 1
(5) Cn. Féré et P. Lance. Note sur l'hypotonie musculaire chez les paralytiques
généraux (C. R. de la Soc. de Biologie, 1899, p. 910). *
82 FÉRÉ
On s'aperçoit bien vite que l'empreinte du pied ne renseigne que très
imparfaitement sur le degré de l'hypotonie musculaire.
Un bon nombre de paralytiques généraux présentent pendant la période
qui suit leur hospitalisation et où ils restent plus ou moins valides, une
augmentation de poids qui, à elle seule, peut rendre compte de l'ampli-
fication de l'empreinte. Chez d'autres, l'amaigrissement qui coïncide avec
le développement de l'hypotonie peut masquer l'aplatissement de la
plante du pied.
Cependant ce procédé d'exploration présente un certain intérêt dans les
cas où le développement de l'hypotonie coïncide avec l'amaigrissement ;
on peut voir malgré la perte de poids un aplatissement considérable de la
plante du pied. Cette coïncidence ne s'est présentée que quatre fois chez
les 28 paralytiques sur 62 présentant de l'hypotonie musculaire ; chez les
quatre l'hypotonie était généralisée.
Les figures qui sont des reproductions photographiques des empreintes,
peuvent donner mieux que toutes les descriptions, la représentation du
rôle de l'hypotonie dans la déformation de la plante du pied.
L'empreinte n° 1 a été prise le 31 mai 1901, quand le malade pesait
59 kilogrammes. L'empreinte n 2 a été prise le 30 mars 1903, quand
le malade ne pesait plus que 52 kilogrammes. Malgré la diminution de
poids, l'aplatissement du pied est très manifeste.
L'élargissement de l'empreinte du pied, avons-nous dit, peut être mas-
qué par l'amaigrissement qui atténue les effets de l'hypotonie, ou il peut
être produit par l'augmentation de poids ; c'est un signe sans intérêt cli-
nique à l'état isolé.Il est lié à un autre fait qui est aussi indifférent au
clinicien, mais qui a cependant mérité une mention ; l'hypotonie muscu-
laire a, avons-nous dit, une influence sur la taille comparée dans la station
et dans le décubitus sur le vivant et après la résolution de la rigidité cada-
vérique. Tandis que chez 165 épileptiques la taille dans le décubitus ne
dépasse la taille dans la station de plus de 1 centimètre en moyenne ;
dans trois séries de 31, de 29 et de 34 paralytiques généraux, la diffé-
rence moyenne dépasse 2 centimètres et chez Il sujets elle atteint ou
dépasse 3 centimètres. Cette différence peut être attribuée en partie à
l'incapacité de la volonté lorsqu'il s'agit de l'extension dans la station.
Mais si l'on compare la taille dans le décubitus sur le vivant et la taille
après la résolution de la rigidité cadavérique, on constate chez les paraly-
tiques généraux hypotoniques, un fait très caractéristique. Tandis que
sur un sujet quelconque on voit, après la résolution de la rigidité cadavé-
rique, la taille s'allonger de 1 et 2 centimètres comparativement à la
taille prise dans le décubitus chez le sujet bien portant, on peut ne con-
stater chez des paralytiques hypotoniques, aucun allongement ou seule-
ment un allongement de quelques millimètres.
LA SYPHILIS DANS L'ART
(Llligllel-Lml(fStiue)
Les Sorciers, tableau de Goya, Musée du Prado, à M.1driJ,
LA SYPHILIS DANS L'ART,
PAR R
M. LAIGNEL-LAVASTINE.
Les tableaux qui représentent des syphilitiques ne paraissent pas avoir
encore attiré beaucoup l'attention des médecins critiques d'art. M. Paul
Richer, dans son beau livre sur l'At et la Médecine ne leur consacre pas
d'étude spéciale (1). Aussi avons-nous cru intéressant de signaler et de
reproduire ici un tableau célèbre de Goya où l'on voit une figure qui pré-
sente la déformation caractéristique, décrite par M. Fournier sous le nom
de nez en lorgnette.
Ce tableau (n° 2571 du musée du Prado), grande toile largement bros-
sée où des accents heurtés nécessitent le recul, fait partie d'une série de
scènes fantastiques et bizarres, trop souvent indéchiffrables « Caprices »,
où,Goya évoque et mêle, dans sa verve endiablée, des sorcières en quête
de quelque sabbat, des démons cornus, des boucs salaces ou des ânes
savants avec des jésuites et des inquisiteurs.
Ici lascène est simple. « Deux sorciers, dit la légende, préparent un
breuvage. » Ils sont de taille très différente. Celui de droite, qui cherche
sans doute dans quelque grimoire la recette d'une liqueur magique, a une
tête dont les accidents squelettiques frappent au premier regard. Sous un
front bombé que frappe la lumière, le nez, télescopé, bascule et s'enfonce.
Le dos du nez est en coup de hache ; l'extrémité distale a son bord inférieur
fendu par les narines qui devient vertical tandis que son extrémité supé-
rieure fuit sous l'arcade formée par le reste du squelette nasal. C'est bien
là le nez en lorgnette, la déformation la plus fréquente du nez syphiliti-
que. On pourrait trouver encore à ce personnage assez de stigmates pour
en faire un héréditaire; son crâne, bossué est très allongé, sa face pro-
gnathe, et son port fait supposer des courbures pathologiques de sa colonne
vertébrale.
(1) Charcot et P. Richer dans Les difformes et les malades dans l'art, en ont signalé
deux exemples : une gravure du Traité de J. Grumpeck de BUl'ckhatlSel1 : «La Vierge
aux syphilitiques «reproduite dans le Trailédes maladies vénériennes de Ricord, et un
« Saint Antoine tourmenté pas les démons » de Mathias Grunewald, au musée de Col-
mar. Aux documents signalés par Charcot et Richer, M. le professeur Blanchard vient
d'en ajouter 7 autres. (V. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1903, p. 266).
84 LAIG : \EL- LA \'ASTI : 'iE
Le sorcier de gauche est l'opérateur dont le syphilitique n'est que l'as-
sistant. La grandeur da sa face, comparée à celle de son acolyte, son nez py-
ramidal, son « menton de galoche », son profil de « casse-noisette » ou
de « polichinelle », ses mains volumineuses qui couvriraient chacune
l'assiette où se confectionne le philtre, tout semble concorder pour per-
mettre de supposer que, si le sorcier de droite est un syphilitique, celui
de gauche est un acromégalique. '
Le profil acromégalique a depuis longtemps suggéré des caricatures, té-
moin le Pulcinella des farces italiennes. -
Le nez syphilitique paraît avoir tenté beaucoup moins les artistes. Dans
l'oeuvre de Goya, on n'en voit pas d'autre exemple. , '
Deux planches des Caprices dessinent plus particulièrement des défor-
mations nasales.
L'une, la treizième, portant la légende : Estran calientes ! (C'est chaud ! )
représente deux moines, la bouche béante, qui viennent de se brûler en
mangeant ; deux autres les regardent en se moquant. « Ils sont si pressés
d'engloutir, remarque Goya, qu'ils avalentbouillant. Jusque dans l'usage
des plaisirs, il faut de la tempérance et de la modération. » Le moine, qui
est de face et qui s'est brûlé, a un nez « en pied de marmite » : la fente
des narines est verticale, et la partie moyenne du dos du nez est nette-
ment affaissée.
L'autre planche, la 44e, portant en légende « lilaz delgado 1 (Elles filent
fin ! ) Ah ! oui, elles filent fin, et la trame qu'elles ourdissent, le diable lui-
même ne la saurait défaire », représente les trois Parques, trois affreuses
vieilles. L'une file assise sur une chaise, une autre tient un balai, la troi-
sième qui est près de la première a le bout du nez très relevé, mais c'est
là un simple détail sans valeur pathologique, tendance caricaturale d'une
assez grande fréquence.
Tout autre nous paraît être la signification de la déformation nasale du
premier sorcier dont nous avons parlé. Sa tête relève de l'iconographie
médicale.
Et c'est encore un exemple de celte loi, vérifiée chaque jour, que les
créations artistiques les plus fantastiques, celles qui semblent le fruit le
plus pur de la fantaisie, ont leurs pareils dans la nature, et pour com-
prendre une telle rencontre, il faut les considérer comme les copies gé-
niales d'originaux morbides que l'art avait su atteindre d'un coup d'ailes
et que la science ne fait que péniblement approcher.
Le Gérant : P. Bouchez
Imp. J. T6evenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
170 Année
No 2
Mars-Avril
HOTEL-DIEU
SERVICE DE M. LE. P' BRISSAUD
UN CAS
1 DE
CYPHOSE D'ORIGINE ARTICULAIRE OU MUSCULAIRE
PAR
E. BRISSAUD, et H. GRENET,
Professeur à la Faculté de Médecine Interne,
médecin de l'Hôtel-Dieu. lauréat des Hôpitaux.
L'observation suivante a trait à un cas de grande cyphose atteignant la
colonne dorsale et la colonne lombaire et ne s'accompagnant pas d'anky-
lose vertébrale complète (PI. XI et XII).
V., âgé de 37 ans, polisseur sur porcelaine, entre à l'Hôtel-Dieu le 4 fé-
vrier 1904, se plaignant d'une incurvation excessive de la colonne verté-
brale.
Son père a eu de fréquentes attaques de rhumatisme articulaire aigu; et,
dans les dernières années de sa vie, il ne marchait qu'avec des béquilles ;
mais il n'était pas voûté.
Dans les antécédents du malade, on ne trouve ni alcoolisme, ni syphilis, ni
blennorrhagie ; il a eu deux congestions pulmonaires, l'une à 19 ans, l'autre à
22 ans. Il exerçait le métier de boulanger ; mais, ayant eu à ce moment quel-
ques atteintes de rhumatisme, il changea de métier et devint polisseur sur
porcelaine.
Il y a 7 ans, en 1897, sans cause appréciable, il ressentit subitement des
douleurs dans le dos, douleurs très vives, survenant par crises aiguës, durant
quatre à cinq jours, empêchant le malade de dormir et l'obligeant à garder le
lit ; ces douleurs, exaspérées par le moindre mouvement, siégeaient à la région
lombaire et avaient leur maximum en une zone de la largeur d'une pièce de
cinq francs, située ◀tantôt▶ à droite, ◀tantôt▶ à gauche de la colonne lombaire.
Cette période douloureuse a duré trois ans, avec des rémissions permettant
la reprise du travail ; le malade se fatiguait toujours très vite ; mais son atti-
tude ne s'était nullement modifiée ; il ne ressentait dans l'intervalle des crises,
(1) Communication faite à la Société de Neurologie de Paris. Mars 1904.
xvii 1 6
86 BRISSAUD ET GRENET
qu'une certaine difficulté à se relever lorsqu'il était resté quelque temps assis
et courbé sur son travail. --
En 1900, le malade a eu des hémoptysies abondantes ; il a gardé le lit pen-
dant trois semaines, et c'est depuis ce moment qu'il a commencé à se voûter
peu à peu.
A partir de cette époque, il n'y a plus eu de grandes douleurs. Le malade
s'est amaigri, a perdu ses forces ; ses digestions sont devenues mauvaises ; il
tousse un peu et est facilement essoufflé.
Debout, le malade se tient courbé ; le dos forme une convexité postérieure
très marquée et très régulière depuis le sacrum jusqu'à la nuque, sans aucune
saillie anguleuse ; le cou est allongé en avant, la tète relevée sur la nuque. Les
omoplates sont écartées du tronc. Le malade tient toujours les bras dans la
demi-flexion, les coudes rejetés en arrière, et il appuie fréquemment les mains
sur les hanches comme pour se soutenir. Il ne peut guère modifier son atti-
tude : au prix de très grands efforts, il n'arrive à se relever que de trois centi-
mètres. Sa taille, qui était de 1 m. 71 au moment du service militaire, n'est
plus aujourd'hui que de 1 m. 49, dans l'attitude qui lui est normale. Le matin,
après le repos au lit, la cyphose est un peu moins prononcée; par la pendaison
à l'appareil de Sayre, on obtient un redressement de 11 centimètres ; mais il
est impossible d'arriver au redressement complet.
Le sternum est aplati transversalement ; sa deuxième et sa troisième pièce
font, avec les cartilages costaux correspondants, une saillie très prononcée au-
dessous de laquelle le sternum devient fuyant en arrière.
L'abdomen est rétracté, plissé transversalement, et, vu de profil, décrit avec
la partie inférieure du sternum, une courbe à concavité antérieure.
Le ventre est dur à la palpation et paraît en état de contraction permanente.
Pendant la respiration, le thorax est complètement immobile ; la respiration
est purement abdominale et diaphragmatique; l'obliquité des côtes n'est nulle-
ment modifiée.
Les veines superficielles du thorax sont dilatées et forment un réseau appa-
rent au-devant du sternum.
La pression révèle une légère hypéresthésie rachidienne ; c'est surtout au
niveau des apophyses épineuses des 8° et 98 vertèbres dorsales qu'il existe un
peu de douleur provoquée ; c'est aussi à ce niveau que la cyphose est maxima.
Partout ailleurs, la sensibilité est intacte ; il n'existe pas de zone d'anesthésie.
Actuellement, le malade n'accuse aucune douleur spontanée.
Toutes les articulations des membres sont libres, non déformées; on n'y
perçoit pas de craquements. L'articulation temporo-maxillaire est intacte.
Les réflexes rotuliens sont normaux ; pas de clonus du pied.
Les fesses sont peu développées ; les moyens fessiers sont atrophiés.
A l'auscultation des poumons, on note de la diminution du murmure vési-
culaire aux deux sommets ; les bruits du coeur sont rapides ; le premier bruit
est sourd. Les urines sont normales. Il n'y a pas de fièvre.
A l'examen électrique, la contractilité faradique des muscles spinaux est
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.
T. XVII. PI. XI
CYPHOSE D'ORIGINE ARTICULAIRE OU MUSCULAIRE
(Brisstlud et Grenet)
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
t. XVII. Pl. XII
CYPHOSE D'ORIGINE ARTICULAIRE OU MUSCULAIRE
(BrisSI1/1¡/ ct Grouel)
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.
T. XVII. Pl. XIII
CYPHOSE DES VIEILLARDS
Brissaud et Grenel)
UN CAS DE CYPHOSE D'ONIGINI; ARTICULAIRE OU MUSCULAIRE 87
très diminuée; mais il n'y a pas de réaction de dégénérescence; les muscles
des parois abdominales réagissent très énergiquement.
La ponction lombaire a été impossible ; en pratiquant la ponction, on a très
nettement la sensation de pénétrer dans le ligament; puis, presque immédiate-
ment, on butte contre une saillie osseuse : la tentative, répétée plusieurs fois,
a toujours donné des sensations analogues résultant sans doute des déformations
vertébrales.
Chez ce sujet, qui présente quelques antécédents rhumatismaux, et qui
est suspect de tuberculose, la maladie a évolué en deux temps. Dans une
première période de trois ans, il y a eu des douleurs rachidiennes très
violentes; puis les douleurs ont disparu, et la cyphose s'est développée.
Il faut noter que la colonne vertébrale a seule été prise,, que les articula-
tions des membres et l'articulation temporo-maxillaire sont respectées;
en outre, la suspension à l'appareil de Sayre, le repos 'au lit, diminuent
la cyphose ; il n'y a dans l'étiologie, ni hérédité ni traumatisme; et, par
ces divers points notre cas se distingue des spondyloses du type Marie et
du type Bechterew. Par l'intégrité des articulations des membres, par les
douleurs du début, il se rapproche des cas de rhumatisme vertébral à
forme pseudo-névralgique décrits récemment par M. Forestier (1), mais
s'en sépare encore par l'absence d'ankylose.
Le type respiratoire, l'immobilisation du thorax, sont assez particuliers
chez notre malade. Il faut remarquer ici l'antagonisme qui existe entre
les muscles abdominaux, qui se contractent très énergiquement, et les
muscles spinaux, dont la contractilité est diminuée. Peut-être la cyphose
dépend-elle ici d'une action musculaire autant que des lésions articulai-
res : l'absence d'ankylose complète plaide en faveur de cette hypothèse.
A cet égard, on pourrait la rapprocher de certaines cyphoses profes-
sionnelles, telles que celles des vignerons, dont notre malade présente
l'attitude; en pourrait la rapprocher de la plicature champêtre et des
.cyphoses des vieillards, qui ne dépendent pas toujours de lésions verté-
brales, mais plutôt de l'affaiblissement des muscles spinaux, le sujet, par
des efforts, arrivant à se redresser. Les figures ci-jointes (PI. XIII) mon-
trent une vieille femme atteinte d'une cyphose extrêmement accentuée, re-
produisant, en l'exagérant, l'attitude de notre malade ; et cependant on voit
qu'elle peut se redresser complètement. Ces différents types de grandes
cyphoses forment des groupes qui paraissent se relier par quelques inter-
médiaires.
(1) Fohestish, De la spondylose rhumatismale ou rhumatisme vertébral chronique ;
sa forme ankylosante, Arch. gén. de médec., juillet-août 1901.
DÉFORMATIONS RACHIDIENNES
I. - SCIATIQUE AVEC CYPHOSE TRÈS MARQUÉE ET SCOLIOSE
HOMOLOGUE LÉGÈRE. GUÉRISON ET REDRESSEMENT COMPLET.
II. - Trois cas de SPONDYLOSE rhumatismale ANISYLOSANTE
PAR
H. FORESTIER,
Médecin de l'Hôpital et de l'Asile évangélique d'Aix-les-Bains.
I. sciatique avec CYPHO-SCOLIOSE
Observation.
M. Lab..., 40 ans, menuisier, Bourg (Ain) (PI. XIV).
Rien à signaler comme antécédents héréditaires; père mort à 73 ans, mère à
59 ans, ayant eu une excellente santé. Le sujet lui-même a toujours été bien
portant, et n'a pas fait d'excès alcooliques.
Le début de son affection fut brusque : le 17 juillet 1902 il était à son tra-
vail de menuiserie, perçait un trou au vilebrequin, quant tout à coup, sans avoir
fait d'effort, il sentit dans la fesse gauche une piquée (sic) et de suite des four-
millements le long du membre, puis de la douleur.
Pendant 7 mois il souffrit du membre gauche, les douleurs se calmant ou
s'exagérant par intervalles, se réveillant par la position debout, disparaissant
au lit la nuit.
Vers le milieu de mars 1903, aggravation des douleurs, lesquelles persistent
dans la position couchée comme dans la position debout ; elles ont le caractère
de piqûres et s'accompagnent de crampes au mollet.L'amaigrissement du mem-
bre s'accuse.
Fin mars le malade commence à se courber en avant et un peu à gauche.
Il entre à l'hôpital thermal d'Aix dans mon service, en mai.
Etat à l'arrivée et l'hôpital. - Sujet grand, fortement constitué. On est
frappé de suite par son attitude singulière. En station debout, il est courbé et
fortement penché eu avant, la tête relevée pour pouvoir regarder devant lui,
la jambe droite en arrière, et rappelle beaucoup l'attitude du coureur profession-
nel qui va s'élancer. Le tronc est non seulement courbé eu cyphose régulière
occupant toute la colonne dorso-lombaire, mais encore penché un peu à gauche,
scoliose homologue.
Nouvelle Iconographie de la SATI'I.TItIÎRF,
T. XVII. Pl. XIV
SCIATIQUE AVEC CYPHO-SCOLIOSE £
(H. Forestier)
DÉFORMATIONS RACHIDIENNES 89
Au lit, en décubitus horizontal, le redressement se fait facilement.
La douleur est permanente, plus violente quand il reste debout, diminuant
un peu en position couchée. Elle a le caractère de piqûre et s'accompagne de
crampes au mollet. -
L'amyotrophie du membre gauche est manifeste à la cuisse et à la fesse.Pas
de troubles vasculaires, cyanose notable à la peau du membre.
Sensibilité cutanée. - La peau est moins sensible, au contact, du côté sain
que du côté malade.
Points douloureux. - Fessier : très marqué ; mollet : très marqué ; les
autres beaucoup moins.
Au membre droit aucun point douloureux.
Signe de Lasègue : très net.
Réflexe achilléen : net du côté malade gauche ; nul du côté sain droit.
Réflexe patellaire : exagéré du côté malade gauche : faible à droite.
Réflexe plantaire : à droite flexion des orteils rapide ; à gauche, flexion des
orteils paresseuse.
Réflexes crémastérien : nul ; abdominal, nul.
Hanches. - L'exploration ne révèle rien d'anormal.
Traitement. Je soumets le malade à la douche-massage générale à un
masseur, appliquée en position couchée sur la table de massage, d'après mon
procédé; eau sulfureuse chaude 38°, durée 8 à 10 minutes; le malade est
porté en chaise aller et retour ; sudation au lit ; pendant trois semaines et
demie, avec interruption deux fois par semaine.
Juin. - Au départ du malade, pas de changement de l'attitude : douleurs
un peu diminuées.
Fin août. - Le malade revient pour une deuxième cure que j'ai conseillée :
il est dans le même état.
Nouveau traitement, identique au premier. Pas de résultat immédiat, sauf
sédation légère (3 septembre).
Pendant septembre, il souffre encore.
A partir des premiers jours d'octobre, l'amélioration se fait rapidement,
les douleurs cessent, il se redresse.
Le 19 novembre, il m'écrit qu'à sa grande stupéfaction il est complètement
redressé, et envoie la photographie qui en témoigne. Il se dit guéri de ses
douleurs, et ne plus sentir qu'une « faiblesse à la ceinture ».
Les premiers jours de décembre il reprend son travail et peut le continuer
sans incident.
Cette sciatique, car je ne crois pas qu'il s'agisse d'une autre affection,
présente diverses particularités dignes de remarque, la cyphose notamment
et aussi le mode de début, l'exagération des reflexes tendineux du côté
malade, les troubles de la sensibilité cutanée au membre sain, la guérison
et le redressement du malade. Ce fut cette attitude très spéciale de cy-
phose, qui attira mon attention, car je ne l'avais jamais observée; les
90 FORESTIER
photographies en rendent très bien compte. Il y a surtout cyphose et, à un
léger degré, scoliose à concavité.tournée à gauche, homologue. La courbure
vertébrale occupe la colonne dorso-lombaire et s'arrête à la base du cou
qui est fortement redressé quand le sujet regarde devant lui.
Un cas de ce genre a été publié à la Société médicale des hôpitaux le
16 octobre 1903 par M. le Dr Rouget, médecin du Val-de-Grâce (cypho-
scoliose d'origine hystérique à la suite d'une sciatique). Il faut noter que
la déformation du tronc a commencé vers le Se mois de l'affection au
moment où les douleurs se sont aggravées, et qu'elle a disparu rapide-
ment en même temps que celles-ci, un mois après la 2e cure thermale.
Les cas de ce genre sont encore relativement rares, a côté de ceux de
sciatiques avec scoliose au contraire très fréquents.
La forme clinique de cette sciatique offre également, une particularité.
Les réflexes tendineux du côté malade sont plutôt exagérés ; l'achilléen au
lieu d'être aboli, ou affaibli (ce qui est la règle comme l'a constaté M. Ba-
binski, et moi-même après lui) est très net.
D'autre part il y a diminution de la sensibilité au contact du membre
sain et des crampes fréquentes au mollet, au moins à un certain moment
de l'affection. Enfin, il y a scoliose homologue. Ce sont là les signes prin-
cipaux de la sciatique spasmodique, décrite par MM. le professeur Brissaud
et Lamy, médecin des hôpitaux. Ces cliniciens ont bien noté que la sciati-
que spasmodique a pour caractéristique la scoliose homologue,au contraire
des sciatiques communes qui s'accompagnent de scoliose croisée.
Une autre particularité de ce malade est l'absence de réflexe achilléen du
côté sain, alors que du côté malade il existe. Cette anomalie donnerait à
croire qu'à l'état normal il n'existait probablement pas ni d'un côté, ni de
l'autre. Le réflexe achilléen évidemment peut faire défaut chez un sujet
anormal, comme le réflexe patellaire. Quoi qu'il en soit, la présence de ce
réflexe à gauche, coexistant avec un réflexe patellaire du même côté un
peu augmenté, a une signification nette : l'état spasmodique, léger à la
vérité; et cliniquement cette sciatique peut légitimement être considérée
comme étant une forme spasmodique.
Le mode de début de cette sciatique offre également une particularité :
il a été brusque, marqué par une douleur fessière subite et des fourmil-
lements dans le membre. On est tenté de penser à une hémorragie au ni-
veau des organes du sciatique, comme dans les cas de névrites apoplecti-
formes du plexus brachial observées par le professeur Déjerine.
Enfin il y a lieu de noter que la guérison complète, le redressement
du malade, permettent d'écarter l'hypothèse d'une affection vertébrale
primitive (spondylose), et confirment le diagnostic de sciatique.
Ceci étant, comment interpréter le cas de ce malade ? Si on tient
DÉFORMATIONS RACHIDIENNES 91
compte du mode de début brusque et des phénomènes spasmodiques, on
incline à admettre qu'il y a eu hémorragie au niveau des origines du
sciatique, sinon hématomyélie très légère et très localisée (unilatérale),
et que l'irritation méningée est le point de départ des phénomènes spas-
modiques (exagération des réflexes tendineux, crampes) et secondement
de la cyphose survenue au 8\mois, alors que les douleurs augmentaient.
Cette pathogénie semble assez acceptable. Ce serait une sciatique d'origine
radiculaire.
Le fait de la diminution de la sensibilité cutanée au membre sain, en
l'absence de paralysie motrice du coté malade, ne me paraît pas suffire
pour penser au syndrome de Brown-Sequard.
J'admettrais plus volontiers qu'il s'agit d'un trouble de sensibilité de
nature hystérique, quoique je n'aie pas réussi a déceler chez mon sujet
aucun autre stigmate.
C'est précisément l'opinion de M. Rouget que les déviations vertébrales
dans les sciatiques sont une manifestation d'ordre hystérique. Le cas de
ciplio-scolise consécutif à une sciatique rapporté par lui plaide évidemment
en faveur de cette idée. Son interprétation est rationnelle et donne une ex-
plication satisfaisante de la pathogénie de certaines scolioses sciatiques.
Dans le cas prescrit,je crois qu'une lésion au niveau des origines du scia-
tique (névrite apoplectiforme, hematomyélie) a été le point de départ
d'une irritation méningée et que l'élément névropathique se surajoutant
à celle-ci, il en est résulté la contracture et la déformation vertébrale.
II. - Trois cas de SPONDYLOSE rhumatismale ANKYLOSANTE.
L'intérêt des 3 cas de spondylose ankylosante que je publie ici comme
suite à mon travail sur la Spondylose rhumatismale (in Archives générales
de médecine, juillet 1901) est d'une part leur type clinique, d'autre part
leur étiologie.
Au point de vue du type clinique ces 3 malades permettent de fixer
l'iconographie des cas de spondylose ankylosante avec intégrité des arti-
culations des membres. Leur attitude, leur silhouette offre vraiment
quelque chose de particulier. Cliniquement encore ces 3 cas sont ins-
tructifs par l'évolution du processus rhumatismal se fixant sur les articu-
lations vertébrales et aboutissant à leur ankylose, sous l'influence de
causes professionnelles.
A-u point de vue de l'étiologie il est intéressant de noter qu'il n'y a en
cause aucune espèce d'infection blennorragique, mais qu'il y a eu anté-
rieurement des arthropathies des membres ayant les caractères cliniques
2 1) forestier
du rhumatisme diathésique subaigu ou chronique, d'où le classement
légitime de ces cas sous le nom de spondylose rhumatismale.
Observation I.
M. C..., 34 ans. Département de l'Ain (PI. XV).
Pas d'antécédents héréditaires : une soeur morte d'accident.
Bonne santé pendant la jeunesse. A été berger, puis cultivateur, puis mar-
chand de volailles de Bresse.
Le travail pour plumer les volailles se fait dans un local frais traversé par
un courant d'air ; il faut se pencher et tendre les bras. A été souvent exposé
aux intempéries en conduisant sa voiture.
Pendant son service militaire C..., à la suite d'un coup de froid, eut « mal
aux reins » .
A l'âge de 28 ans, apparition de douleurs dans les cuisses quand il était cou-
ché, disparaissant par la marche.
Il y a 2 ans (à l'âge de 32 ans), douleurs articulaires avec gonflement aux
genoux, pieds, mains, pendant 1 mois. De suite après des douleurs vives se
font sentir dans les « reins », les lombes ; elles envahissent le dos, le cou dans
les 3 mois suivants et alors il commence à se voûter et se raidir.
Il y eut par périodes des douleurs dans les bras, les jambes, et même parfois
dans les testicules.
La toux, l'éternuement, le rire, provoquaient des douleurs en ceinture, qu'il
ressentait « dans les flancs et au creux de l'estomac ».
Etat à l'arrivée à Aix-les-Bains, juillet 1901 :
Etat général bon, assez forte constitution ; taille moyenne.
Le malade vu à nu se tient le haut du dos vouté avec la tête portée en avant,
le bas du dos aplati, les genoux fléchis, légèrement, et déplace la tête et le
tronc tout d'une pièce.
L'attitude est raide, figée et l'aspect, la silhouette du malade, ont quelque
chose de particulier. '
La moitié supérieure de la colonne dorsale est incurvée en cyphose légère,
se terminapt au cou qui est légèrement fléchi et projette la tête en avant. Par
suite de l'effacement de la courbure lombaire, l'épine dorsale est droite depuis
le milieu de la colonne dorsale jusqu'au sacrum et le bas du dos aplati, la région
lombo-sacrée se continuant sans ligne de démarcation avec les fesses atrophiées.
La colonne vertébrale est rigide sur toute son étendue : les mouvements du
cou et de la tête eux-mêmes sont nuls, sauf un léger degré de rotation de la
tête. Pour regarder au plafond, le sujet est obligé de plier les genoux et de se
renverser un peu en arrière
Pour ramasser un objet à terre il doit plier les genoux. La marche se fait les
jambes écartées avec oscillations du tronc. Il a peine à se retourner dans son
lit.
Epaules. - Simples raideurs des mouvements; pas de raideur objective.
Quand il marche, sent ses bras lourds. Les autres articulations notamment les
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
'l'. \1'11. Pl. TV
SPONDYLOSE RHUMATISMALE
(Obs. 1)
(H. Forestier)
Masson & Ct, Éditeurs
NOUVELLE ICO\OGRAPIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XVII. Pl. XVI
SPONDYLOSE RHUMATISMALE
CObs. II)
(H. Forestier)
Masson & Cle, Editeu-s
DÉFORMATIONS RACHIDIENNES 93
hanches sont intactes.Pas de douleurs actuellement, sauf la nuit, ce qui l'oblige
à changer de place.
Rien à signaler du côté des organes et fonctions.
Le traitement thermal consista en 30 douches-massages, dans le cours d'un
mois ; la douche-massage était appliquée suivant mon procédé en position cou-
chée sur la table de massage inclinée. Je fis essayer les exercices Zander avec
redressement prudent du rachis : mais je dus les suspendre à cause des dou-
leurs en ceinture et même testiculaires qui étaient réveillées.
Le résultat fut très satisfaisant. La rotation de la tête se faisait à peu près
complètement, et la flexion assez bien pour qu'il pût regarder au plafond, sans
plier les genoux. Les épaules étaient redevenues souples, et les bras légers.
Aucune douleur rachidieune ou autre sauf un peu la nuit. - 1902 (août).1 Le
malade revient à Aix. Il a beaucoup moins souffert cet hiver qu'auparavant :
une seule fois. La rotation et la flexion de la tête sont complètes, le cou lui-
même restant toutefois rigide. te Cure de douches-massages. 1903 (août).
Le sujet n'a plus souffert du tout, et a pu travailler toute l'année. Il dort, bien
la nuit parce qu'il n'a plus de douleurs l'obligeant à changer de place. La tête
est très mobile. Il peut se retourner dans son lit. 3" Cure de douches-mas-
sages.
Observation Il. 'i
M. J..., 33 ans. Vaucluse (PI. XVI).
Antécédents héréditaires. - Le père et la mère ont eu des « douleurs ».
2 soeurs bien portantes. 1.
A l'âge de 14 ans,commença le métier de cordonnier. A l'âge de22;ans, pen-
dant son service militaire, eut des douleurs articulaires, sans gonflement, et fit
58 jours d'hôpital. Un peu plus tard il fut * réformé à cause de l'état de ses
genoux.
Il n'y a jamais eu de blennorragie. , ;,
Après son rétablissement il reprit son métier, se maria, Il,habita un local
sain. ? ;
Il y a 2 ans ont apparu des douleurs « dans les reins ,», qui ont augmenté
progressivement de fréquence et de durée et qui l'ont fait se tenir courbé. Son
métier déjà le faisait se tenir ainsi. . , 1
Il a eu également des douleurs en ceinture, dans les côtés, mais pas dans les
jambes. ' ,
Depuis 18 mois (octobre 1900), le cou est devenu raide. z
Etat à l'arrivée (mai 1901) à l'Hôpital thermal. - Grand, fortement cons-
titué ; état général bon. Vu à nu le malade se tient fortement voûté de la par-
tie supérieure du dos, la tête portée en avant ; se déplaçant tout d'une pièce,
les genoux un peu fléchis.
L'attitude est raide, figée ; l'aspect, la silhouette du malade ont quelque
chose de particulier.
La déformation du rachis est constituée d'une part par l'effacement de la
cambrure lombaire, la colonne lombaire et dorsale inférieure étant rectiligne,
94 FORESTIER
et par la courbure en avant, cyphose, de la partie supérieure' de la colonne
dorsale, se prolongeant au cou qui est un peu fléchi et projette la tête en avant.
Le bas du dos, les régions lombo-sacrée et fessière sont aplaties dans leur en-
semble.
Cou. - Douloureux à la pression : tous les mouvements sont douloureux,
difficiles.
La colonne vertébrale est tout entière rigide. -
Pour regarder en avant et en haut, le sujet est obligé de plier les genoux. Il
a peine à se tourner dans son lit.
Les articulations des membres et notamment les épaules, les hanches sont
intactes.
Rien à signaler du côté des organes et des fonctions.
Le traitement thermal consista en 25 douches-massages générales (dans l'es-
pace d'un mois environ). La douche-massage fut appliquée spécialement à la
colonne vertébrale, le malade étant couché sur la table de massage inclinée, eau
à 38° à 40°.
A la fin de la cure le malade pouvait exécuter un certain degré de rotation
et de flexion de la tête.
Ce malade n'est pas revenu comme les 2 autres, faute de pouvoir faire les
frais de sa cure à l'hôpital.
Observation III.
M. M... SI ans. Département de la Drôme (Pl. XVII).
Pas d'antécédents héréditaires, 2 frères bien portants. Bonne santé jusqu'à
32 ans. Il fut d'abord cordonnier, puis à 26 ans, boulanger-cafetier. A l'âge de
32 ans, à la suite d'exposition au froid et à la pluie, rhumatisme articulaire aigu :
toutes les articulations furent enflées successivement; 60 jours de lit. Pen-
dant les sept années qui suivirent, cures de bains de vapeur résineux, très en
usage dans la Drôme. En raison de quelques excès de boisson, le sujet eut de
la dyspepsie et fit des cures à Vais.
Il y a 19 mois (commencement de 1900), à la suite d'exposition à la pluie, il
fut pris de douleurs articulaires avec gonflement considérable ; les épaules, le
dos devinrent raides. Il y eut 60 jours de période aiguë. Pendant la convales-
cence le dos s'enraidit de plus en plus, et depuis 8 mois, M... est dans l'état
ou il se présente aujourd'hui. '
Etat à l'arrivée à Aix-les-Bains (28 août 1901). - Etat général bon ; assez
forte constitution, taille moyenne.
Le malade vu à nu se tient le haut du corps un peu voûté, avec la tête portée
en avant, le bas du dos aplati, les genoux légèrement fléchis, et déplace la tête
et le tronc tout d'une pièce.
L'attitude est raide, figée ; l'aspect du malade, sa silhouette offrent quelque
chose de spécial.
La moitié supérieure de la colonne dorsale est incurvée en cyphose légère,
s'arrêtant au cou qui est un peu relevé et dévié à droite, la tête étant portée
en avant.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. PI. XVII
SPONDYLOSE RHUMATISMALE
(Obs. III)
(H. Forestier)
Masson & Cie, Editeurs
DÉFORMATIONS RACHtDIENNES 95
Par suite de l'effacement de la cambrure lombaire, l'épine dorsale est droite
depuis le milieu de la colonne dorsale jusqu'au sacrum, et le bas du dos jus-
qu'aux fesses elles-mêmes atrophiées, est aplati dans son ensemble.
Toute la colonne vertébrale est rigide, y compris le cou.
Il y a inclinaison légère du tronc à droite, d'où abaissement de l'épaule cor-
respondante. - 1
Marche. - Se fait avec oscillations du tronc et les jambes écartées, mais reste
facile et assez alerte.
Thorax. A mentionner une dépression sous-sternale ressemblant à la dé-
formation professionnelle des cordonniers : elle daterait de l'enfance, dit le
sujet.
Cou. - Est volumineux dans sa partie postérieure et latérale et absolument
rigide : il y a épaississement des muscles de la nuque. La pression est d'ail-
leurs douloureuse sur la ligne des épines et sur les côtés de la colonne cervi-
cale. Pas de points douloureux sur les autres parties du rachis.
Epaules. - La droite, présente de la raideur, quelques craquements ; l'abc
duction est réduite. A gauche, peu de raideur.
Hanches et autres articulations, intactes.
Réflexes patellaires, plutôt vifs.
Le traitement thermal a consisté en 25 douches-massages générales et
15 bains locaux de vapeur. Celui-ci était appliqué au cou, suivi de massage.
Puis la douche-massage- était faite par 1 masseur, appliquée spécialement au
dos, d'après mon procédé, le malade étant couché à plat ventre sur la table de
massage inclinée. Gymnastique médicale.
A la fin de la cure, grande amélioration. Les épaules sont bien moins raides ;
le malade peu s'habiller facilement.
Le cou est moins douloureux et la tête peut faire quelques mouvements de
rotation. - 1902 (juillet). Le malade revient à Aix. L'amélioration a continué.
Depuis quelque temps a ressenti de nouveau des douleurs au dos, au cou ; gon-
flement de quelques articulations des doigts, 2e cure comme la : 1re. Nouvelle
amélioration. - Ivoi (juillet). 3e Cure : nouvelle amélioration.
Ces trois cas'de spondylose sont intéressants tant au point de(mlét4,
type clinique qu'au point de vue de l'étiologie. <1""< : 9 '.1
Pour parler de celle-ci d'abord, il y a lieu de noter que ces cas6 : nl
clairement d'origine et de nature rhumatismale. Les malades ont eu toua
les trois, antérieurement, des artliropatiiies multiples des membres avec
gon ! 1ement,'douleur, les ayant retenus au lit un temps assez long. Les
conditions dans lesquelles ces arthropathies se sont développées, exposi-
tion au froid, à la pluie, travail dans un local traversé par un courant
d'air (obs. I), vie sédentaire, sont bien celles qui favorisent le rhuma-
tisme diathésique lequel débute d'une façon subaiguë ou chronique.
D'autre part il n'est pas question ici de tuberculose et par suite du
96 FORESTIER
rhumatisme tuberculeux de Poncet ; non plus d'infection blennorragique.
La détermination vertébrale du rhumatisme survenue ultérieurement,
plus ou moins longtemps après la première atteinte, parait dépendre du
facteur profession, celle-ci ayant comporté le travail, la fatigue dans une
attitude penchée du tronc : deux des malades (obs. II et III) étant cordon-
niers, l'autre ayant pour occupation de plumer des poulets entre les genoux
et penché. - .
II semble donc bien légitime de classer ces 3 cas de spondylose rhuma-
tismale, - appellation discutable 'si l'on n'admet pas qu'il existe un état
morbide représenté par l'arthritisme,le rhumatisme,la goutte,mais exacte
cliniquement.
Cette notion que la spondylose ankylosante peut survenir dans le cours
du rhumatisme diathésique au même titre que les autres arthropathies.
est intéressante. Il n'y a pas longtemps encore on admettait qu'elle était
surtout d'origine blennorragique. Or dans mon premier travail sur les
17 cas de spondylose, il n'y en avait que trois d'origine blennorragique.
Avec les trois cas ici présentés, on obtient une forte proportion de spondy-
loses de nature rhumatismale. Au demeurant on s'explique bien les diffé-
rences de fréquence de ces deux ordres de cas : c'est simplement une
question de milieu où l'on observe.
Au point de vue du type clinique, ces trois cas présentent également
plusieurs points intéressants.
Leur attitude, l'aspect (habitus) des malades, a quelque chose de parti-
culier, comme le montrent très bien les photographies.
En station debout, le malade se tient la tête portée en avant, le haut du
corps plus ou moins voûté, le bas du dos au contraire droit, et aplati, les
genoux fléchis.
. Cet aplatissement que le bas du dos, la région lombo-sacrée et les deux
fesses atrophiées présentent dans leur ensemble, par suite de l'effacement
de la cambrure lombaire et de la rectitude de l'épine dorsale soudée est
assez remarquable.
Vu de profil le malade offre une silhouette curieuse : l'axe du corps est
brisé en 3 points, d'où 4 segments : les 2 supérieurs, tête, cou et tronc
formant un angle ouvert en avant, les 2 inférieurs, cuisse et jambe, un
angle ouvert en arrière.
Vu de face il rappelle par son attitude figée l'habitus parkinsonien,
avec cette différence qu'ici l'expression de la face n'est pas altérée.
La marche se fait les jambes écartées, les genoux déjetés en dehors,
avec oscillations latérales du tronc, mais sans difficulté, les hanches étant
intactes.
Tels sont les principaux traits qui caractérisent l'iconographie de ces
DÉFORMATIONS RACHIDIENNES 97
trois cas de spondylose. A la vérité les autres spondylitiques ankylosés pré-
sentent le mêmes traits, l'aspect soudé, figé étant le fait de l'immobilisaton
de la tête, du cou, et du tronc. Tout au plus y a-t-il une différence entre
les divers spondylitiques pendant la marche, l'attitude devant être alors
plus ou moins raide suivant qu'ils n'ont pas ou qu'il ont les hanches raides.
En détaillant, on notera encore quelques particularités. La cyphose est
plus ou moins accusée : elle l'est peu chez les sujets 1 et 2 ; elle l'est plus
chez le sujet 3. D'autre part elle peut s'associer à la scoliose, comme chez
le sujets.
La localisation est à signaler : elle est dorsale supérieure : l'arc cyphoti-
que occupe seulement les six ou sept premières vertèbres dorsales.Mais cette
limitation de la déformation à un petit segment du rachis est probablement
en rapport seulement avec l'âge de la maladie. Si celle-ci n'est pas traitée
convenablement, les lésions s'étendent progressivement avec le temps aux
autres segments du rachis qui s'incurve tout entier.
Enfin il faut remarquer qu'ici il n'y a pas d'arthropathies des épaules ni
des branches, comme dans la spondylose rhizomélique.
Le malade de l'Obs. 2 a bien eu quelques raideurs de l'épaule droite
avec craquements; mais l'affection articulaire était légère, car elle a été
immédiatementamélioréepar la cure.
L'évolution de.la spondylose rhumatismale est encore un point clinique
que ces 3 cas mettent bien en évidence. Le processus rhumatismal occupant
vraisemblablement les petites articulations apophysàires,donnelieu d'abord
à des manifestations douloureuses, rachialgie, douleurs irradiantes en cein-
ture, entraînant un certain degré de contracture des muscles rachidiens,
d'où la raideur vertébrale : c'est la période pseudo-névralgique, bien obser-
vée par Leyden dans l'arthrite déformante, par Homolle, Londe et Bechte-
rew Dana, Zenner, Brissaud. Cette période peut être exceptionnellement
accusée et longue chez certains sujets quand l'élément névropathique se
surajoute, et alors il y a vraiment une forme pseudo-névratgique, comme
j'en ai cité des exemples dans mon premier travail (10 cas).
Après cette période plus ou moins longue, le processus rhumatismal,
s'il n'est pas arrêté, modifié par un traitement approprié, évolue vers l'an-
kylose par suite de l'aggravation des lésions articulaires ; c'est la période
ankylosante, ou, si l'on veut, la forme ankylosante.
En somme, la spondylose rhumatismale comme les autres arthropathies
vertébrales quelle que soit leur nature, a tendance à évoluer vers l'anky-
lose par suite des conditions anatomiques spéciales des articulations du
spondyle.
Aux autres points de vue pathogénique, clinique, il serait intéressant
de la comparer avec les diverses spondyloses actuellement différenciées :
98 FORESTIER
la spondylose de la polyarthrite déformante, la spondylose de Bechterew,
la spondylose Marie-Strumpell, et avec certaines cyphoses professionnel-
les, la cyphose de la sciatique, la cyphose du genre de celle observée ré-
cemment par le professeur Brissaud et son interne M. Grenet (4).
Je ne puis le faire que très brièvement en raison du cadre de ce tra-
vail.
La spondylose de la polyarthrite déformante (rheumatoïd-arthritis)
depuis longtemps observée par Blezinger et Van Thaden (1864), par Bro-
dhurst (1566), par Leyden (1874) et Senator (1877), Gowers (1899), pré-
sente beaucoup d'analogie dans son évolution, sa symptomatologie avec la
spondylose du rhumatisme diathésique, et celle-ci a dû être souvent con-
fondue avec celle-là. Il est probable qu'il faut rapporter à celle espèce les
grosses altérations vertébrales ; productions ostéophytiques, exostoses
occupant les disques vertébraux et les fixant comme dans une gangue (j'en
ai reproduit dans mon travail un spécimen d'après une pièce du Musée
Dupuytren).
Le type Bechterew cliniquement voisine immédiatement ces deux varié-
tés précédentes. Seule la pathogénie en serait spéciale d'après Bechterew.
On sait que le clinicien russe admet primitivement une méningite spinale
amenant, par suite de la douleur, la contracture musculaire et l'immobili-
sation du rachis et secondairement à celle-ci le développement des arthro-
pathies vertébrales et l'ankylose.
Le type Marie-Strumpell se différencie beaucoup plus nettement : la
maladie débute par les hanches, puis envahit le rachis, ensuite les épau-
les et évolue sans phénomènes douloureux marqués; lentement.
Plus intéressant est encore le rapprochement à faire entre la spondylose
rhumatismale sous sa forme, ou si l'on préfère, à sa période pseudo-névral-
gique et la cyphose d'origine articulaire ou musculaire observée par le
professeur Brissaud et M. II. Grenet (1). Ces auteurs faisant des réserves
quant à l'existence possible d'arthrites vertébrales, d'une spondylose, se
demandent s'il ne s'agit pas dans leur cas de cyphose d'origine musculaire.
La ressemblance de ce cas avec ceux que j'ai classés sous le nom de forme
pseudo-névralgique, a été notée par eux : période douloureuse prolongée
fort longtemps ; déformation vertébrale avec raideur musculaire mais non
pas rigidité par ankylose, d'où possibilité de redressement partiel en po-
sition couchée ou par suspension. La différence des 2 ordres de cas est
que la nature rhumatismale n'est pas nette dans celui de M. Brissaud, le
malade n'ayant eu que des arthropathies légères antérieurement ; et qu'il
(1) Société de Neurologie, séance de mars 1904 : Cyphose d'origine articulaire ou
musculaire. (Voy. ci-dessus le travail en question.
DÉFORMATIONS RACHIDIENNES 99
y a affaiblissement de la contractilité des muscles spinaux, ce qui pourrait
jouer un rôle dans la pathogénie de la cyphose.
Mais on peut se demander si, au contraire, l'affaiblissement des muscles
spinaux n'est pas secondaire à la cyphose et à l'immobilisation, car le cas
de sciatique avec cyphose, que je publie dans ce même journal, montre bien
qu'il peut y avoir une cyphose très accusée sans altération primitive des
muscles spinaux. Si cela était, on pourrait admettre que, chez ce malade il
s'agit de spondylôse rhumatismale évoluant très lentement, les lésions
vertébrales s'accusant encore par des points douloureux au niveau des
vertèbres dorsales moyennes. A la vérité la cyphose est ici bien plus accu-
sée que dans mes cas ; mais le degré de celle-ci est probablement en rap-
port direct avec la durée de l'affection. L'évolution de la maladie éclair-
cira peut-être ce point obscur de la nosologie des spondyloses.
SUR L'ASPECT EXTÉRIEUR
- DES
DENDRITES DES CELLULES NERVEUSES
DES TUBERCULES QUADRIJUMEAUX ANTÉRIEURS
ET POSTÉRIEURS
CHEZ LES VERTÉBRÉS SUPÉRIEURS (LAPINS ET SOURIS)
PAR
F. CZARNIECKI
(de Moscou)
La morphologie des dendrites des cellules nerveuses des tubercules qua-
drijumeaux antérieurs et postérieurs imprégnées par le chromate d'argent
par le procédé Golgi-Ramon y Cajal a été encore peu étudiée ; du moins
dans nos recherches, nous n'avons pas pu trouver d'indication de travaux
publiés sur la question, à l'exception de celui de Mlle Stéfanovska (1).
Mais ce travail a assez de rapports avec le point particulier que nous vou-
lons aborder. Mlle Stéfanovska s'intéressait davantage aux modifications
que subissent les dendrites et les cellules nerveuses des tubercules quadri-
jumeaux sous l'influence de l'intoxication prolongée des animaux (souris)
par l'éther ; elle ne s'est pas préoccupée de l'aspect extérieur des dendri-
tes des cellules nerveuses des tubercules quadrijumeaux dans les conditions
normales.
Sur le conseil du Dr S. Soukhanoff, assistant de la clinique psychia-
trique de Moscou, nous avons entrepris cette étude ; nous avons pris 7 la-
pins et S souris, tués par décapitation ; immédiatement nous ouvrions le
crâne des animaux; les tubercules quadrijumeaux postérieurs et anté-
rieurs, séparés les uns des autres et des parties avoisinantes, ont été sou-
mis à la technique de la méthode rapide Golgi-Ramon y Cajal.
A l'examen des coupes faites dans la direction perpendiculaire à l'aque-
duc de Sylvius on voit que l'imprégnation par le chromate d'argent des tu-
bercules quadrijumeaux, donna en somme un tableau identique : sur toutes
(1) Stéfanovska, Localisation des altérations cérébrales produites par l'éther.
DENDRITES DES CELLULES NERVEUSES tU1
les préparations sautait aux yeux une différence très marquée entre l'as-
pect extérieur des dendrites des cellules nerveuses des tubercules quadri-
jumeaux antérieurs et des tubercules quadrijumeaux postérieurs ; de plus
les dendrites des cellules nerveuses des tubercules quadrijumeaux anté-
rieurs étaient dissemblables suivant qu'on considérait leur aspect dans
la partie ventrale et dans la partie périphérique du noyau.
Tubercules qüadrijlt1llaux' antérieurs , partie périphérique. - Ici
se rencontrent -des cellules nerveuses (V. fig. 1) avec des dendri-
tes ; celles-ci partent du corps cellulaire, et parcourent une étendue
assez faible mais variable ; dans leur trajet vers la périphérie elle décri-
vent des courbes et font des détours assez irréguliers ; elles se divisent et
se ramifient, et elles s'amincissent bientôt. Le calibre des dendrites appar-
tenant au même corps cellulaire, n'est pas uniforme ; souvent l'une des
dendrites se distingue beaucoup des autres par sa grosseur. Les con-
tours des dendrites se présentent irréguliers et raboteux ; cette irrégu-
larité est surtout très accusée sur la partie des dendrites la plus éloi-
gnée du corps cellulaire. Ces dendrites sont couvertes d'appendices colla-
téraux. En quantité relativement considérable on voit de ces appendices
sur les parties plus fines des dendrites et sur leurs ramifications ; au con-
traire la partie basilaire des dendrites, étant plus grosse, est souvent tout
à fait dépourvue des appendices collatéraux.
Les appendices collatéraux se distinguent les uns par une dimension
très petite, d'autres sont plus grands, mais, en somme, on peut dire qu'ils
sont assez menus, ce n'est qu'assez rarement que l'on rencontre des appen-
dices ayant un pédicule relativement long. - Quant à leur forme, les
appendices collatéraux se présentent le plus souvent avec l'aspect de bâ-
tonnets ◀tantôt▶ droits, ◀tantôt▶ plus ou moins recourbés, plus souvent avec un
épaississement sphérique à leur extrémité. Cela donne aux appendices
collatéraux l'aspect de massues, ou un aspect piriforme, ou un aspect en
XVII 1
Fig. 1. - Cellule de la partie périphérique du tubercule quadrijumeau antérieur
de la souris.
102 CZARNIECKI
on peut voir encore sur les dendrites des appendices collatéraux plus
complexes, à savoir : des rejetons, représentant la réunion de deux,.
virgule, en point d'interrogation, en point d'exclamation. De pair avec les
appendices collatéraux on observe aussi de petites épines ou des saillies à
forme et à dimension variables. - Outre les formations sus-indiquées,
Fig. 2.- Cellule ner-
veuse de la partie
périphérique du tu-
bercule quadriju-
meau antérieur du
lapin.
Fig. 3 ? Cellule nerveuse de la partie périphérique
du tubercule quadrijumeau antérieur du lapin.
ring. 4. - remue nerveuse ae ia partie ventrale au
tubercule quadrijumeau antérieur du lapin.
' DENDRITES DES CELLULES NERVEUSES 103
trois appendices collatéraux ayant un pédicule commun, allant vers
la dendrite. - Assez souvent on rencontre dans la couche périphérique
des dendrites sur lesquelles les appendices collatéraux sont disposés de
manière assez serrée sur toute son étendue, et il s'en trouve aussi sur le
corps cellulaire dont la dendrite est issue (V. fig. 2). - Ici les appen-
dices collatéraux se distinguent par leur dimension assez grande et sont
très visibles même à de faibles grossissements ; rarement on rencontre
de petits appendices collatéraux et de petites épines.
Outre les appendices collatéraux sur des dendrites se trouvent souvent
des ramifications fines ◀tantôt▶ longues, ◀tantôt▶ courtes ; en poursuivant ces
ramifications on peut voir qu'elles ont sur elles de petits grains siégeant
à une distance presque égale l'une de l'autre, plus foncés que la substance
intermédiaire ; sur ces ramifications on peut voir parfois 1 ou 2 appendices
collatéraux. - Il faut encore remarquer que dans la couche périphé-
rique, les dendrites de certaines cellules sont sur leurs parties les plus
fines, parsemées d'épaississements et des gonflements visibles déjà à de fai-
bles grossissements (V. tig. 3). Ces épaississements et ces gonflements sont
très variés de grandeur et de forme. Ils ne se succèdent pas avec régula-
rité l'un à l'autre; les petits gonflements font suite aux grands, et les
épaississements sphériques viennent après les épaississements fusiformes.
Il y a vraiment un état variqueux ou, moniliforme des dendrites. Si
l'étal moniliforme est bien exprimé, alors les appendices collatéraux man-
quent sur la dendrite, et dans le cas contraire ils s'y trouvent en quantité
◀tantôt▶ plus grande, ◀tantôt▶ moins grande, siégeant ou sur le gonflement
lui-même ou, ce qui est plus fréquent, enrte deux épaississements sur la
partie libre de la dendrite.
Partie ventrale des tubercules quadrijumeaux antérieurs. -Ici les den-
drites des cellules nerveuses (V. fig. 4) attenant au corps cellulaire par
leur grosse partie basilaire s'étendent au loin en donnant peu de rami-
fications et en s'amincissant lentement et progressivement. En suivant
le trajet de ces dendrites on peut voir que leurs contours sont lisses et
unis ; les dendrites fines terminales sont un peu plus raboteuses et plus
ramifiées. De plus il y a très peu d'appendices collatéraux ou pas du tout,
les appendices de ces dendrites sont piriformes ou en forme d'épingle.
Plus souvent on peut voir sur ces dendrites des élargissements et des
gonflements particuliers, qui occupent toujours les parties fines termi-
nales, et surtout celles qui passent de la partie ventrale dans la partie
périphérique des tubercules quadrijumeaux antérieurs. Ces épaississe-
ments et ces gonflements n'atteignent pas une grande dimension, ils
sont de forme variée; mais on ne peut parler ici d'un état moniliforme ou
variqueux des dendrites.
104 CZARNIECKI
Ainsi donc en comparant entre elles les dendrites des cellules nerveu-
ses de la partie ventrale et de la partie périphérique des tubercules qua-
drijumeaux antérieurs, nous trouvons une grande différence dans leur
aspect extérieur : dans la partie périphérique les dendrites, en somme,
sont assez courtes, ont des contours raboteux et irréguliers et sont pour-
vues d'une quantité relativement grande d'appendices collatéraux ; dans
la partie ventrale on est frappé de la longueur des dendrites, leur étendue
sur une grande distance, par leurs contours lisses et réguliers et un man-
que presque total d'appendices collatéraux; ces particularités caractéris-
tiques des deux parties des tubercules quadrijumeaux antérieurs ont été
observées par nous sur toutes les préparations.
Tubercules quadrijumeaux postérieurs. - Les dendrites des cellules
nerveuses des tubercules quadrijumeaux postérieurs, bientôt après leur
sortie du corps cellulaire, commencent par donner un nombre assez
Fig. 5. - Cellule des tubercules quadrijumeaux postérieurs.
DENDRITES DES CELLULES NERVEUSES 105
grand de ramifications, qui comme les dentrites elles-mêmes s'amin-
cissent graduellement (V. fig. 5), et parcourent une étendue assez
longue. Leur partie basilaire plus grosse a des contours lisses et unis, et
ordinairement elle est dépourvue d'appendices collatéraux. Environ à
partir de la première ou de la seconde ramification on remarque que son
trajet devient onduleux et, présente des courbures assez régulières et
des détours ; les contours des dendrites deviennent alors moins lisses et
moins unies, et on voit apparaître sur ces dendrites des appendices col-
latéraux en quantité plus ou moins grande. A sur et à mesure que
la dendrite s'éloigne du corps cellulaire et qu'elle s'amincit, commencent
en outre, dans la plupart de cas, à paraître aussi des épaississements
peu marqués au commencement, mais ensuite de plus en plus grands,
et des appendices collatéraux se trouvent sur la partie libre de la
dendrite, ainsi que sur les épaississements et les gonflements. Les
ramifications fines terminales de ces dentrites portent toute une série de
gonflements et d'épaissisements divers de forme et de grandeur, visibles
déjà à un faible grossissement. Avec l'apparition de ces épaississements
et de ces gonflements commence la disparition des appendices collatéraux,
cela fait que sur les parties des dendrites les plus éloignées du corps cel-
lulaire on ne voit guère que les épaississements et les gonflements, et
que les appendices collatéraux font le plus souvent défaut. Ce n'est que
rarement que l'on rencontre des dendrites libres d'épaississements et de
gonflements, mais pourvues d'appendices collatéraux en grande quan-
tité.
Souvent il arrive qu'on voit des éléments nerveux des tubercules qua-
drijumeaux postérieurs (V. fig. 6), où saute aux yeux surtout à un
Fig. 6. - Cellule des tubercules quadrijumeaux postérieurs du lapin. -
106 CZARNIECKI
faible grossissement une non correspondance très marquée entre la gran-
deur du corps cellulaire et la grosseur des dendrites qui en sortent : le
corps cellulaire toujours assez grand, ordinairement sphérique et les den-
drites, qui en partent en assez grand nombre, sont fines et presque tou-
jours courtes. Ces dendrites ont des contours raboteux, sont pourvues
d'appendices collatéraux et sur quelques-unes il. y a aussi des épaississe-
ments et des gonflements. En ce qui concerne les appendices collatéraux
des dendrites des tubercules quadrijumeaux postérieurs, il faut dire qu'ils
sont assez grands et déjà bien visibles à de faibles grossissements ; il sont
disposés d'une manière relativement régulière l'un par rapport à l'autre, et
ils sont placés le long de la dendrite d'une manière ◀tantôt▶ touffue, ◀tantôt▶
raréfiée et ◀tantôt▶ ils manquent tout à fait sur une certaine étendue. Ces
appendices se voient en plus grande quantité sur les parties plus fines des
dendrites; rarement ils couvrent le corps cellulaire et la grosse partie
basilaire de la dendrite. Par leur forme les appendices collatéraux ont
un aspect en massue, ou sont piriformes, plus rarement filiformes; par-
fois ils ont l'aspect de crochets ; de temps en temps sur ces dendrites on
rencontre encore de petites épines et des saillies. En nous rappelant
l'aspect extérieur des dendrites des cellules nerveuses des régions plus
souvent étudiées par la méthode Golgi-Ramon y Cajal, nous pouvons faci-
lement en venir à la conclusion que les dendrites des cellules nerveuses
des tubercules quadrijumeaux antérieurs ont la plus grande ressemblance
par leur aspect extérieur avec les dendrites des cellules nerveuses de la
moelle épinière. Il existe une grande ressemblance entre l'aspect des den-
drites des cellules de la corne antérieure de la moelle épinière et les den-
drites des cellules nerveuses de la partie ventrale des tubercules quadri-
jumeaux antérieurs d'un côté ; et entre les dendrites des cellules nerveuses
de la corne postérieure de la moelle épinière et les dendrites des cellules
nerveuses de la partie périphérique des tubercules quadrijumeaux anté-
rieurs d'un autre côté. Comme dans la corne antérieure de la moelle épi-
nière, dans la partie ventrale des tubercules quadrijumeaux antérieurs
nous rencontrons des cellules nerveuses, dont les dendrites s'étendent à
une grande distance, ont des contours lisses et égaux et sont, peut-on
dire, presque privées d'appendices collatéraux ; dans la corne postérieure
de la moelle épinière et dans la partie périphérique des tubercules qua-
drijumeaux antérieurs se rencontrent de préférence des cellules nerveu-
ses avec des dendrites assez courtes, ayant des contours raboteux et pour-
vues d'un nombre assez considérable d'appendices collatéraux.
UN CAS DE TUMEUR CÉRÉBRALE
A FORME PSYCHO-PARALYTIQUE
DESTRUCTION DU NOYAU CAUDÉ ; ATROPHIES CROISÉES DU CERVELET
PAR RAPPORT AU NOYAU CAUDÉ, DU BULBE ET DE LA MOELLE PAR
RAPPORT AU CERVELET,
PAR
Edmond CORNU
Interne à la Clinique des maladies mentales de la Faculté de Lyon.
Le cas dont nous rapportons ici l'histoire clinique et anatomo-patho-
logique nous a semblé intéressant par les symptômes qui ont accompagné
l'évolution des lésions pendant la vie et par la multiplicité et la systéma-
tisation des altérations anatomiques relevées après la mort. Le syndrome
de démence paralytique réalisé par une tumeur du lobe frontal donnait
lieu à un diagnostic intéressant et d'autre part le retentissement dégéné-
ratif portant sur toute la hauteur du névraxe donne de l'intérêt à cette
observation.
Elle apportera peut-être une contribution à l'étude des tumeurs céré-
brales à forme psycho-paralytique (1) et par une partie de ses symptômes
et de ses lésions elle semble se rapporter la théorie toxi-infectieuse émise
récemment (2).
. Résumé DE L'OBSERVATION. - Affection ayant évolué en 15 mois : début
par céphalée occipitale, troubles moteurs (parésie et maladresse des memhres),
troubles psychiques (affaiblissement intellectuel progressif). -Troubles de la
parole ; tremblement ; parésie généralisée ; spasme facial ; exagération des ré-
flexes ; inégalité pupillaire ; pas de paralysie. - Vomissements ; constipation ;
affaiblissement démentiel ; poussées de température.
Autopsie : tumeur du volume d'une noix, de consistance osseuse, logée dans
le lobe frontal sur la pointe du noyau caudé. Atrophie cérébelleuse croisée par
rapport au noyau caudé, atrophie bulbaire et médullaire croisée par rapport au
cervelet.
(1) BRAULT et LOEPER, Archives gén. de médecine, 1900, p. 256.
(2) Dupé et DsvAux, Nouvelle Iconogr. de la Salpêtrière, 1901, p. 113.
108 CORNU
Peu après le début des accidents, notre malade a été hospitalisée dans
le service de M. le Dr Devic (1), à l'Hôpital de la Croix-Rousse ; ses trou-
bles mentaux ont nécessité son internement à l'Asile, de Bron, où elle est
entrée dans le service de M. le professeur Pierret et où nous avons pu
suivre l'évolution de l'affection.
- Observation. -
Mme M..., femme B..., dévideuse, 36 ans, entre le 14 août 1901 dans le
service de M. le Dr Devic ; elle vient à l'hôpital, parce qu'elle présente des
troubles nerveux qui la rendent incapable de gagner sa vie.
Antécédents.- La malade a été élevée dans un asile, son père étant inconnu
et sa mère ayant disparu depuis longtemps.
On ne note pas d'aliection aiguë dans les antécédents personnels. Elle au-
rait eu une très grande frayeur étant enfant et depuis elle serait très ner-
veuse : affirme n'avoir jamais pris de crise.
Réglée à 12 ans, régulièrement. Mariée à 30 ans ; n'a jamais eu ni enfant
ni fausse couche. On ne trouve pas de trace de syphilis dans son histoire.
Histoire de l'affection. La malade fait remonter le début des accidents
qui l'amènent à l'hôpital, à 6 mois environ, à la suite de coups que son mari
lui aurait donnés. Elle dit avoir été frappée avec force à la tête et dans le dos ;
depuis ce moment elle aurait toujours souffert en ces points, se serait mise à
parler avec difficulté, à trembler, et actuellement elle serait incapable de faire
son métier de dévideuse.
- Etat actuel. - Il s'agit d'une femme d'allure timide chez qui l'on remar-
que tout d'abord de l'asymétrie faciale lorsqu'elle parle ou rit : déviation légère
des traits à gauche.
Pas de paralysie des membres du même côté; la malade -résiste très bien
aux mouvements passifs.
Réflexes rotuliens paraissent diminués.
Pas de troubles nets de la sensibilité.
Pas de paralysie oculaire.
Tremblement de la langue et des lèvres.
Pas de tremblement marqué des mains.
Maladresse marquée des bras ; la malade ne refait* qu'avec difficulté le noeud
d'attache de sa chemise. Ne peut plus gagner sa vie.
Pas de délire.
Affaiblissement de la mémoire.
Ne sait ni lire ni écrire; ne peut compter jusqu'à 20. Elle ne peut frapper
un nombre de coups déterminé dans sa main.
La parole s'embrouille dès qu'on veut lui faire répéter une phrase.
Se plaint de douleurs occipitales et de douleurs au niveau des lombes.
(3) L'observation régulière et détaillée de la première partie de la maladie nous a été
gracieusement communiquée par M. le Dr Devic auquel nous sommes heureux d'expri-
mer ici tous nos remerciements.
TUMEUR CÉRÉBRALE A FORME PSYCHO-PARALYTIQUE E 109
Poumons et coeur sains.
Urines : ni sucre ni albumine.
Evolution de l'affection : -
12 septembre. - La malade est restée dans le même état ; elle s'occupe un
peu dans la salle. "
Réflexe tricipital du bras, rapide et brusque.
24 octobre. - La malade présente une asymétrie faciale plus accusée. A
gauche il y a de la contracture nette, les masséters forment comme une corde
tendue et l'un observe des contractions des muscles de ce côté de la face à
l'occasion des mouvements. A droite les traits sont un peu effacés.
12 novembre. - Les réflexes rotuliens sont très exagérés. Inégalité pupil-
laire.
L'bémispasme facial gauche est très net ; il porte aussi bien sur le facial su-
périeur que sur le facial inférieur. Les traits sont effacés à droite au point
qu'on croirait à une hémiplégie faciale droite.
Au début du séjour on a institué le traitement mixte (frictions et iodure) ; on
le cesse, car il n'a donné aucun résultat appréciable.
30. - La malade a présenté une phase de subagitation : elle parle de son
mari, dit qu'il s'est blessé aux testicules en venant la voir à l'hôpital.
Un soir, dimanche 27, elle est partie vers 7 heures pour aller rejoindre son
mari ; arrêtée à sa sortie de l'hôpital, elle a dit qu'elle irait se jeter à l'eau si
elle sortait. La malade n'avait pas eu ses règles depuis 2 ans et ces phénomè-
nes psychiques ont coïncidé avec leur retour.
15 décembre. - La malade refuse de répondre ou dit que son entourage lui
fait des misères. Hallucinations de la vue et de l'ouïe.
20. - Constipation. La malade est confinée au lit : cette nuit elle est tom-
bée de son lit (contusion du nez et de la main).
95 janvier 1902. - L'état s'est amélioré ; la malade se lève.
18. - Nouvelle fugue. La constipation continue.
22. - La malade est envoyée à l'Asile de Bron où elle est admise dans le
service de la Clinique des Maladies mentales. Son certificat d'entrée porte :
« Paralysie générale compliqué d'hémispasme facial rebelle sans crises apoplec-
tiformes ou épileptiformes. »
A l'entrée la malade est dans un état physique médiocre ; elle reste assise
toute la journée, souriante, mais ne paraissant pas s'intéresser à ce qui se passe
autour d'elle.
On est tout d'abord frappé par son asymétrie faciale très nette : la moitié
gauche de la face paraît diminuée, abaissement de l'arcade sourcilière, dévia-
tion des traits à gauche. Quand la malade rit ou essaie de parler, la déviation
devient extrêmement nette en même temps que les muscles de ce côté sont
animés de spasmes, lesquels d'ailleurs restent ébauchés d'une façon ininter-
rompue. Le spasme est surtout accusé dans le domaine du facial inférieur.
Contraction des masséters.
Spontanément, la malade reste plongée dans une sorte de stupeur indiffé-
110 CORNU
rente sans tendance aucune an sommeil, mais elle réagit quand on lui parle
Elle comprend ce qu'on lui dit et'saisit le sens des paroles qu'on prononce
devant elle, et alors elle se met à rire ou bien fait effort pour répondre aux
questions.
Elle est encore capable de cet effort, mais les troubles de la prononciation
sont assez accusés pour qu'on distingue mal la réponse.
Toutefois, en dépitde cette bonne volonté, elle se trompe grossièrement sur
la date de son entrée, sa situation, etc...
Son attitude n'est pas déprimée ; elle est calme et réjouie. OEil vif et ca-
ressant ; l'affectivité persiste d'ailleurs et c'est ainsi qu'elle sourit aimablement
chaque fois que nous l'interrogeons. A aucun moment d'ailleurs elle n'a quitté
cet état d'euphorie.
Pas d'idées délirantes ou du moins on n'en trouve aucune traduction exté-
rieure : pas d'impulsions, ni signes d'irritabilité ou de méfiance .Cet état se com-
pare en somme à un affaiblissement démentiel organique, celui des déments
apoplectiques par exemple. '
L'état général est médiocre, sans que l'examen somatique révèle de lésion
marquée.
L'examen du poumon ne décèle rien : pas d'oppression.
La pointe du coeur est assez difficilement sentie ; battements réguliers, éner-
giques, un peu rares (60 à la minute). Pas de bruits anormaux.
Les urines sont très chargées avec dépôt abondant d'urates, mais elles ne
contiennent ni sucre ni albumine.
La température est normale.
La malade peut marcher (elle monte chaque soir l'escalier qui conduit au
dortoir de sa division), mais sa démarche est raide, et maladroite, mais non
spasmodique. L'équilibre semble lui faire défaut et la malade hésite. Les jam-
bes ne sont pas lancées ; la base de sustentation est élargie et le corps ainsi
que la tête sont sensiblement inclinés à droite. Cette attitude s'exagère pendant
la marche. Dès qu'une jambe quitte le sol, il y a menace de chute, quelques
oscillations et on est obligé de venir en aide à la malade.
La force musculaire est notablement diminuée surtout à droite. Pas d'atro-
phie musculaire.
On note un tremblement continuel et généralisé surtout accusé aux mains et
à la langue; pas de mouvements fibrillaires.
Aucune trace de paralysie des membres ; les mouvements isolés des membres
sont conservés dans toute leur intégrité.
Pas d'incoordination motrice.
Pas de signe de Romberg.
Les réflexes rotuliens sont très nettement exagérés des deux côtés égale-
ment ; pas de trépidation de la rotule ou du pied.
Blépharospasme et hémispasme facial gauche.
L'occlusion des yeux se fait bien ; pas de nystagmus ; pas de paralysie de la
musculature externe.
TUMEUR CÉRÉBRALE A FORME PSYCHO-PARALYTIQUE 111
Pas de troubles de la mastication ni de la déglutition.
Les pupilles sont contractées, inégales : la pupille gauche, plus petite, est
punctiforme. Elles ne réagissent ni à la lumière ni à l'accommodation.
Le fond d'aeil qui a été examiné superficiellement à cause de l'indocilité de
la malade n'a semblé présenter que de la congestion surtout à droite.
L'émission des mots est difficile : la parole est lente, cahotée, mais on n'y
retrouve pas le balbutiement des paralytiques généraux.
La sensibilité subjective ou objective semble normale. Pas de troubles sen-
soriels.
Incontinence de l'urine et des fèces.
A noter la déformation des doigts de la main droite surtout : la première
phalange est en extension sur les deux autres fléchies. Ces doigts sont atro-
phiés et la peau est fine et luisante.
Pendant un mois la situation de la malade ne change guère : immobile sur
un banc, ou s'avançant d'un pas hésitant, le corps incliné à droite. Indiffé-
rente spontanément à ce qui se passe autour d'elle, elle est gaie et souriante;
physionomie rieuse, presque malicieuse. Elle parle quelquefois toute seule,
mais on ne peut reconnaître la trace d'une idée délirante ou l'existence d'hal-
lucinations. - Le spasme facial et les troubles de la parole s'accusent davan-
tage.
Le 20 mars, la malade était levée depuis une heure et assise lorsqu'elle est
tombée tout d'un coup en se raidissant ; pas de convulsions ; grimaces, tor-
sion de la bouche à droite, raideur surtout prononcée à droite. Au bout de
deux minutes, sans coma, elle est revenue à elle.
28. - On met la malade au lit parce qu'elle ne peut plus rester levée ;
elle s'affaisse en tombant toujours à droite.
An bout de deux ou trois jours de séjour au lit, elle a présenté des vomis-
sements alimentaires, vraies régurgitations. En même temps on constate de la
rétention d'urine : on sonde régulièrement la malade.
La malade est constipée. -
Le 29 avril. La constipation est opiniâtre ; malgré tous les efforts d'une
thérapentique évacuatrice (lavements, purgations, potion à la pilocarpine) la
malade est restée 7 jours sans selle. La rétention d'urine continue ; les urines
sont très claires.
Les 6 et 7 mai. - Depuis que la malade est couchée on prend sa tempéra-
ture qui oscille entre 37° le soir et 38°4 le matin ; elle monte pendant ces deux
jours à 40°. Pas de signes pulmonaires.
L'état général s'altère progressivement; la malade ne fait plus attention
quand on lui parle.
Elle répète avec quelque vivacité ce mot d'indifférence «je m'en f...» et elle rit.
Pas de crise ; état de subagitation motrice. - La rétention a cessé depuis le
3 mai.
18. - L'état s'aggrave; vomissements, facies très pâle ; état syncopal avec
refroidissement des extrémités. Température 36°6.
19. - Décès.
112 CORNU
Autopsie.
Elle est pratiquée 26 heures après le décès.
Le cadavre est celui d'une femme très amaigrie, l'inspection ne décèle rien
d'anormal ; pas de contractures ni d'escarres.
A l'ouverture du crâne on note l'épaisseur notable de la boîte osseuse.
La dure-mère présente une épaisseur et une dureté marquées ; on la sépare
facilement du cerveau sauf en quelques points, le long du bord supérieur
gauche, où l'on trouve une stratification de membranes très minces.
Cerveau. - Le cerveau est très légèrement opalescent ; le liquide céphalo-
rachidien est abondant (volume plus que doublé). Pas de suffusion sanguine,
mais congestion du lobe temporal droit sans rapport avec la position déclive de
la tête.
La pie-mère et l'arachnoïde semblent normales à l'aspect ; toutefois, au ni-
veau du lobe temporal droit et surtout à la face interne des lobes frontaux
elles paraissent plus épaisses et lactescentes : l'on note en ce dernier point l'ad-
hérence des deux hémisphères.
Pas d'adhérences méningo-corticales : les circonvolutions sont d'aspect nor-
mal, leur consistance parait diminuée au palper.
Pas d'asymétrie des deux hémisphères ; leur poids est respectivement de
435 grammes à droite et de 440 grammes à gauche.
A la palpation on sent dans le lobe frontal droit, au niveau du sillon de Ro-
lando, un noyau dur complètement isolé de la corticalité. On fait une coupe
vertico-frontale passant à la réunion du 1/3 inférieur et des 2/3 supérieurs de
la scissure de Rolando et l'on tombe sur une tumeur dure du volume d'une
petite noix (Fig. 1).
Son aspect est blanc crayeux et elle ne tranche pas par la coloration de ses
bords avec la substance blanche. Pas d'hémorragie autour. Elle présente une
zone centrale donnant la sensation d'une ostéome et une zone périphérique lui
faisant corps, de consistance moindre. Encastrée et isolée dans la substance
blanche, cette tumeur occupe la pointe du noyau caudé et pénètre dans le lobe
frontal au-dessous du genou du corps calleux. Elle s'énuclée assez facilement,
entraînant quelques lambeaux de substance blanche par sa face externe et de
la substance grise par sa face interne ; elle apparaît comme un ossele(présentant
quelques saillies épineuses au sein d'une masse moins résistante et de même
coloration.
Les ventricules latéraux sont légèrement dilatés, mais ne présentent aucune
anomalie d'aspect ni de consistance.
Artères paraissent normales. Pas d'hémorragies.
Cervelet. - Le cervelet paraît diminué de volume dans son ensemble et
l'hémisphère gauche d'un quart plus petit environ, semble atrophié : sa con-
sistance est dure, résistante et son lobule quadrilatère donne la sensation tac-
tile d'un noyau diffus. Le poids total du cervelet et du bulbe est de 130 gram-
mes. La coloration est légèrement plus foncée que normalement; l'aspect à la
coupe paraît moins humide.
' TUMEUR CÉRÉBRALE A FORME PSYCIlO-PARALYTIQUE 113
Le pédoncule cérébellleux moyen gauche semble diminué de volume de
même que la moitié de la protubérance.
Le vermis supérieur ne fait pas saillie et semble comme fondu dans la masse
cérébelleuse.
Bulbe. - Asymétrie très nette par suite de l'atrophie de la moitié droite du
bulbe et du peu de saillie de l'olive de ce même côté.
Moelle. Elle paraît asymétrique, vue sur des coupes transversales faites
à des hauteurs différentes ; la moitié droite semble d'un volume moindre.
Organes. - Les poumons sont sains ; pas d'adhérences avec la plèvre.
Péritoine d'aspect normal ; pas d'agglutination de l'intestin.
Pas de néoplasie viscérale.
Fig. 1. - Coupe horizontale demi-schématique de l'hémisphère droit montrant en A
le siège de la tumeur.
114 CORNU
Examen microscopique (1). La tumeur de l'hémisphère cérébral droit
est constituée par un noyau calcaire et une coque fibreuse. Le noyau calcifié
présente une apparence ostéoïde ; on distingue des rudiments de lamelles os-
seuses et des apparences de corpuscules osseux entourant des lacunes dans
lesquelles se voient encore des cellules graisseuses. Il n'y a pas de zone inflam-
matoire en dehors de la coque (Fig. 2).
(1) Les préparations et l'examen microscopique ont été entièrement faits par M. le
Dr Taty, chef des travaux de médecine mentale à la Faculté, qui a bien voulu nous
rédiger cette note : l'intérêt et la valeur de notre observation se trouvent accrus de ce
fait et en même temps que nous nous en félicitons nous exprimons ici à M. Taty nos
sentiments de reconnaissance.
Fig. 2. - Coupe de la tumeur : 1, substance grise ; 2, coque fibreuse ;
3, tissu ostéoïne.
TUMEUR CÉRÉBRALE A FORME PSYCHO-PARALYTIQUE 115
Fig. 3. - Insula droit : atropine et raréfaction des cellules.
Fig. 4. - Insula gauche : altérations cellulaires, infiltration lymphocytaire.
116 CORNU
Ihs'agit incontestablement d'une formation ancienne : on peut penser à une
tumeur d'origine syphilitique ou tuberculeuse, mais il n'existe pas de signes
certains. Les préparations ont été examinées obligeamment par M. le 1) Pa-
viot, professeur agrégé, qui a confirmé les données ci-dessus.
Deuxième circonvolution frontale droite, en avant de la frontale ascen-
dante :
La méninge est le siège d'une infiltration marquée (lymphocytes et mononu-
cléaires). Les cellules sont reconnaissables, disposées en traînées un peu
moins riches qu'à l'état normal ; le protoplasma existe quoique altéré. Beau-
coup de cellules sont en voie de destruction ; quelques-unes sont remplacées
par des amas de noyaux.
Région motrice droite (partie moyenne).
Mêmes lésions plus avancées.
Deuxième circonvolution frontale gauche (point symétrique) :
Méninge très infiltrée.
Infiltration leucocytaire intense de la substance blanche.
Fig. 5. - Lobe cérébelleux gauche.
Fig. 6. - Lobe cérébelleux droit.
TUMEUR CÉRÉBRALE A FORME PSYCilO-PAHALYTlQU8 117 7
Les travées cellulaires ne sont plus reconnaissables ; beaucoup de cellules
sont réduites au noyau ; le protoplasma n'est visible à aucune coloration.
Les espaces d'Obersteiner apparaissent sous forme de lacunes où l'élément
nerveux ne se devine qu'à la présence d'une petite masse colorée.
Insula droit (coupe de la circonvolution directement au-dessous de la tu-
meur) (Fig. 3).
La substance grise est diminuée d'épaisseur comparativement au côté gau-
che. L'inflammation de la méninge est moins accentuée qu'au niveau de la
frontale. Il y a prolifération névroglique dans la couche moléculaire. Les cel-
lules corticales sont visibles quoique touchées.
Insula gauche. - Moins altéré que la frontale gauche ; les cellules sont
plus grosses que celles de l'insula droit, mais elles sont plus déformées et au-
tour d'elles il y a de nombreux noyaux (Fig. 4).
Cervelet droit. - Cet hémisphère est le siège d'une vascularisation intense;
le réseau Purlcinjieu y est très apparent et les gaines injectées. Les cellules
de Purkinje à peine visibles sont pulvérulentes; forte infiltration d'éléments
ronds (Fig. 5 et 6).
Cervelet gauche. Persistance des cellules de Purkinje qui sont atrophiées
mais assez bien conservées, quoique allongées et aplaties. L'infiltration d'élé-
ments ronds y est moindre.
Bulbe. - Atrophie de la moitié droite du bulbe et atrophie nette de l'olive
droite (Fig. 7).
Moelle. - Semble avoir souffert dans tous ses éléments, mais la corne an-
xvu 8
Fig. 7. - Coupe du bulbe au niveau du tiers inférieur de l'olive : atrophie marquée
de l'olive droite. (La coupe a été dessinée à l'envers, de sorte que le côté gauche de
la figure doit être reporté à droite et inversement.)
118 CORNU .
térieure gauche est moins malade dans toute la hauteur de la moelle ou du
moins les cellules sont mieux conservées et prennent mieux la couleur.
En somme, maladie ayant évolué cliniquement en un an et demi, ayant
présenté à côté des symptômes généraux des tumeurs cérébrales les signes
de la démence paralytique et un symptôme de localisation (hémispasme
facial) ; coexistence de lésions corticales et retentissement dégénératif sur
tout le névraxe.
Nous appellerons l'attention sur les particularités cliniques de l'affection
et nous essaierons de montrer comment les lésions peuvent expliquer la
série des symptômes ; nous esquisserons enfin une hypothèse sur l'évolu-
tion et l'enchaînement des constatations anatomo-cliniques, hypothèse
n'ayant d'autre prétention que de contribuer à la connaissance de données
pathogéniques émises récemment (1).
Pendant longtemps les auteurs ontparu disposésà grouper en troubles
constants et communs à toutes les tumeurs cérébrales et en troubles va-
riables dépendant de la localisation de la tumeur, les troubles psychiques
qui accompagnent les néoplasies cérébrales ; et, tour à tour, le lobe frontal
est considéré comme une zone particulièrement silencieuse, ou au contraire
comme un territoire dont la lésion donne lieu à des troubles mentauxinten-
ses (2) etsi caractéristiques que la forme même de ces troubles devait fixer
le diagnostic de localisation. Mais cette symptomatologie a pu d'une part
se retrouver identique dans des cas d'encéphalopathie saturnine, syphili-
tique, diabétique ou urémique, et, d'autre part, elle a été constatée dans
les tumeurs de toutes les portions du cerveau (3). M. Vigouroux (4) a fait
une étude complète des troubles psychiques observés et il semble démontré
que l'aspect de ces troubles n'est rien moins que pathognomonique de la
localisation d'une tumeur. Cette notion n'a du reste rien de surprenant si
l'on se rend compte de la solidarité des points du cortex et si l'on consi-
dère que toutes les tumeurs peuvent entraîner des troubles mentaux sura-
joutés, dus, soit à une compression générale, soit à des troubles vascu-
laires altérant la vitalité de tout un territoire, soit enfin à des phénomè-
nes d'infection néoplasique ayant déterminé des poussées d'encéphalite
(1) DUPRÉ et DEYAUX, op. cil.
KLIPPEL, Article tumeurs cérébrales, in Tr. méd. Brouardel.
Marie, Société de neurologie, janvier 1901.
JOFFROY et GOMBAULT.
(2) OBERNIER, Ladame, OPPENI1EI\I, B
(3) BRAULT et Louper, Arch. générales de méd,, 1900.
Grèse, Arch. f. Ps., 1893.
Ramson-Bhain, 1895.
Demi et PAVIOT, Revue de médecine, 1897.
(4) Revue de Psychiatrie, février 1903 (Revue générale).
TUMEUR CÉRÉBRALE A FORME PSYCHO-PARALYTIQUE 119 J
diffuse. Malgré que nous ne voulions pas prendre parti dans une discus-
sion, nous ne saurions voir le lobe frontal devenir le siège de ces associa-
tions d'idées qui constitue le psychisme supérieur : l'intelligence est une
et un organe distinct n'est pas affecté à chacun de ses modes. On peut
dire qu'elle peut se doser en quelque sorte par le nombre plus ou moins
grand des voies d'association qui unissent entre elles les diverses zones du
cerveau et peuvent à un' appel donné, réagir plus ou moins rapidement
les unes sur les autres, chacune apportant une qualité nouvelle au l'ait in-
tellectuel. Un maximum d'intelligence répond au fonctionnement d'un
maximum de voies d'association mettant au service du phénomène intel-
lectuel un nombre plus grand de territoires fonctionnels du cerveau.
Les symptômes psychiques présentés par notre malade ne doivent par
conséquent apporter aucune confirmation aux théories émises sur la fonc-
tion intellectuelle du lobe frontal ; par contre ils contredisent l'opinion
émise par Phelps à savoir que l'absence de troubles mentaux dans les cas
de tumeur cérébrale indique que l'altération occupe le lobe droit et non le
gauche.
Du moins, devons-nous faire remarquer que l'euphorie spéciale
présentée par notre malade se rapproche d'une particularité décrite par
Burns (1),Jastrowitz ; sous le nom de moria et witzelschut ils définissent
un état qui va depuis l'euphorie béate jusqu'à sa traduction enjouée et
ils insistent sur sa fréquence et sa signification diagnostique dans les
cas de tumeur du lobe frontal.
Cette euphorie analogue chez notre malade à celle des paralytiques gé-
néraux nécessitait un diagnostic différentiel rendu plus délicat par la res-
semblance de l'étal démentiel progressif, des troubles de la mémoire, des
troubles moteurs (paralysie et inégalité pupillaires, tremblements, parésie
généralisée, exagération des réflexes rotuliens, troubles de la parole).
La déchéance des facultés intellectuelles et son association aux symptô-
mes moteurs réalisait en effet un ensemble symptomatique présentant
plus d'un trait commun avec le tableau clinique des états démentiels or-
ganiques. Nous ne retrouvions pas de traces évidentes de syphilis, le trai-
tement spécifique étant d'ailleurs resté sans résultat et d'autre part la
malade ne paraissait pas avoir eu d'habitudes alcooliques. Le diagnostic
se posait donc plus nettement avec la démence paralytique, d'autant qu'il
pouvait y avoir coexistence de lésions diffuses et de symptômes relevant
d'une lésion en foyer. Cette analogie clinique totale et non plus seule-
ment la ressemblance des troubles mentaux est à rapprocher de l'opinion
émise par Gianelli (2) : toutes les fois, dit-il, qu'un néoplasme cérébral se
(1) Munchener, Méd. Wochs, 1901.
(2) Il Yoliclinico, 15 juillet 1897.
120 CORNU
présente avec le tableau clinique de la paralysie générale progressive, il
réside très probablement dans le lobe frontal.
La connaissance des formes psycho-paralytiques des tumeurs cérébra-
les (1) et l'existence des symptômes localisés devaient d'autre part faire
naître l'idée d'une lésion circonscrite : l'apparition tardive des vomisse-
ments et de la constipation vint confirmer le diagnostic posé par M. le pro-
fesseur Pierret. Malgré que des tics convulsifs de la face ou des paupières
aient été signalés au cours de la paralysie générale (2), l'unilatéralité et
l'aggravation progressive du spasme facial impliquaient l'existence d'une
lésion locale. Au surplus, bien que portant sur la totalité du facial cette
lésion devait être rapportée à un des étages supérieurs de l'encéphale (au-
dessus de la couche optique considérée comme centre de coordination
mimique), puisque les mouvements mimiques réflexes persistaient.
La rareté des crises convulsives concorde avec cette notion que les crises
sont moins fréquentes au cours des tumeurs pénétrantes et que les trou-
bles psychiques en sont les compagnons presque nécessaires; il y aurait
presque opposition entre la forme épileptique et la forme psychique (Lan-
nois).
Le nombre et la distribution régulière des lésions constatées à la
nécropsie devait nous rendre suffisamment compte des symptômes mor-
bides. Les troubles de la marche et l'exagération des réflexes rotuliens
avec ébauche de clonus pourraient s'expliquer soit par la compression
générale de l'encéphale, soit par la compression au niveau de la capsule ; -,
mais les lésions cérébelleuses rendent mieux compte de ces troubles, car
les mouvements volontaires persistaient et l'exagération des réflexes était
symétrique, constatation en faveur de l'intégrité du faisceau moteur.
L'altération de l'hémisphère cérébelleux gauche expliquait la parésie
musculaire, la déviation du corps et de la tête à droite, les troubles de la
marche, les troubles de la parole, voire les tremblements : Déjerine et
Thomas (3) citent comme caractéristique de l'atrophie du cervelet les
tremblements du membre supérieur et les altérations de la parole. Ces
mêmes symptômes se retrouvent d'ailleurs dans un cas de tumeur céré-
belleuse observé par M. Raymond (4) (tronc et tête déviés d'un côté,
parole embarrassée, réflexes exagérés des deux côtés, ni anesthésie, ni
hémiplégie) et paraissent justiciables d'une même explication pathogéni-
(1) Dictionnaire Deschambre ; Brissaud, Traité médecine Charcot-Bouchard ; Omci,
Il Policlinico, 1895 ; AUVRAY, Traité des tumeurs cérébrales ; Bromwel, BRAI/'(, 1899 ;
BRAULT et Loeper, op. cit. ; DEVIC et Gnerumn, Arch. générales de médecine, 1900 ;
13URZf0, Ann. di Frenatria, 1900; Lannois, Lyon médical, 27 août 1899.
(2) RAYMOND et Sérieux, Art. parai, gén. in. Traité Brouardel, 1902.
(3) Iconographie de la Salpêtrière, 1901.
(4) Cliniques 3e série), p. 110 ; Thomas, Le Cervelet (Thèse, Paris, 1897).
TUMEUR CÉRÉBRAHS A FORME PSYCnO-PARALYTIQUE 121
que. Nous devons toutefois constater l'incertitude de cette physiologie
puisque M. Raymond a décrit un syndrome cérébelleux dans les tumeurs
du lobe frontal. 1..
Il en est de même pour l'explication relative à la déviation du corps et
de la tête d'un même côté ; si elle se retrouve dans les lésions d'un hémis-
phère cérébelleux, elle se trouve également mentionnée dans un cas de
tumeur dure trouvée' dans la partie antérieure de l'hémisphère cérébral
droit d'un malade ayant présenté uniquement une tendance à dévier à
droite pendant la marche (Mesnet) (1). D'autre part Ferrier a obtenu un
pleurosthonos opposé par l'excitation électrique d'un noyau caudé.
La tumeur siégeait nettement sur la tête du noyau caudé et l'altération
de cet organe comme les atteintes portées dans sa sphère ambiante expli-
quent partie des troubles moteurs, mais semblent en contradiction avec
l'opinion des physiologistes. D'après Ferrier, Carville et Duret l'ablation
d'un noyau caudé entraînerait des mouvements de manège, sa lésion
légère une raideur des membres opposés et sa destruction partielle une
paralysie opposée. Contrairement à ces résultats nous devons constater
qu'il n'y a pas trace de paralysie des membres et ce fait vient à l'appui
des observations de Pitres (2),Nothnagel (3), Duchek (4),Lind, Ladame(5),
qui ne notent pas d'hémiplégie sauf dans les cas de tumeurs trop volumi-
neuses comprimant ou atteignant directement la capsule interne. Par
contre ces observations mentionnent l'existence d'une paralysie faciale
isolée (Nothnagel), des mouvements choréïques des muscles de la moitié
de la face opposée (Duchek), des troubles de l'articulation des mots (7 cas
de Ladame), les tremblements (Lind), symptômes reproduits dans notre
observation. Le spasme facial gauche de notre malade s'explique, croyons-
nous, par l'existence d'une paralysie gauche avec phénomènes de contrac-
tures et de spasmes : les muscles contracturés sont animés de mouvements
cloniques, fait qui constitue la terminaison fréquente des paralysies
faciales (6).
Cette paralysie ou ces phénomènes d'irritation seraient dus à la destruc-
tion ou à la compression très élective des fibres du facial situé précisément
en arrière de la tumeur. Au surplus les troubles de la parole constitués
surtout par l'articulation défectueuse des mots pourraient s'expliquer par
une altération analogue des fibres centrales de l'hypoglosse. Le faisceau
géniculé qui réunit ces deux ordres de fibres est derrière la tumeur : le
(1) In Rosenthal, Traité des maladies du syst. nerveux, p. 185.
(2) Progrès médical, 1880.
(3) Traité clinique du syst. nerveux.
(4) l\1ediz-Jarhbücher, 1865.
(5) In Nothnagel.
(6) DÉJERINE, in Traité Path. gén. de Bouchard, t. V, p. 159.
122 CORNU
peu de volume ou le peu de diffusion de celle-ci expliquerait que des
troubles plus généralisés, tels qu'une hémiplégie, ne se soient pas produits,
le faisceau moteur se trouvant hors de son atteinte.
Au surplus le noyau de l'hypoglosse manquerait dans la moitié gauche
du bulbe, traduisant ainsi la dégénérescence descendante des fibres d'ori-
gine centrale, au même titre que les autres processus dégénéra tifs que nous
retrouvons dans les autres parties du névraxe.
L'examen macroscopique et l'étude histologique nous ont montré une
atrophie du cervelet, atrophie croisée par rapport à l'hémisphère cérébral
où siégeait la tumeur ; et, d'autre part, une atrophie de l'olive bulbaire
droite et de la moitié droite du bulbe, nouveau processus dégénératif croisé
par rapport au cervelel. Cette constatation est une confirmation naturelle
des données expérimentales qui montrent la dégénérescence croisée du pé-
doncule cérébelleux supérieur après lésion du cervelet : cet entrecroise-
ment serait total et se ferait au-dessous des T. Q. P. (1). Avec Ferrier (2)
et Turner, Thomas n'a pu préciser le trajet de ces fibres au delà du noyau
rouge. Quoi qu'il en soit, la clinique confirme ces constatations : dans les
lésions anciennes des hémisphères cérébraux, on constate ordinairement
l'atrophie croisée du cervelet et ces lésions n'ont pas besoin d'intéresser
la couche optique, comme le déclare Mingazzini, mais l'écorce ou le centre
ovale simplement (BetcUerew) » (3). Dans les cas d'atrophie du cerveau
observés surtout chez les épileptiques, Funajoli (4) a constaté une atro-
phie croisée; de même Lannois (5) signale deux cas analogues et établit
un rapprochement avec la sclérose cérébelleuse croisée qui est la règle dans
les scéléroses cérébrales infantiles. Mott et Tretgolcl(6), Neuburger etEdin-
ger (7), Cramer (8), Nothnagel, Brosset (9) ont publié des cas semblables
avec atrophie descendante et croisée portant encore sur l'olive bulbaire
opposée, comme dans notre observation. Cette atrophie entraîne à son
tour l'altération des systèmes en relation avec elle et suit les voies signa-
lées par Déjerine et Thomas (10), confirmant d'ailleurs les connaissances
anatomiques : c'est ainsi que l'on constate des altérations portant sur la
moitié droite de la moelle. De même dans un cas d'atrophie de l'hémis-
(1) Thomas, op. cil., p. 130 et 132.
(2) Philosophie Transacts, vol. CLXXXV.
(3) Voies de conduction (Traduction Bonne, p. 483).
(4) Rivista di Frenatria (Anno XXXIII).
(5) Lyon médical, 1898, p. 520. - LANNOis et PAVIOT, Revue neurol., 1898.
(6) BRAIN, ,19oxo..
(7) Revue neurolog., 1898, p. 437.
(8) Société Psychiatrice de Berlin (16 mars 1891).
(9) Connexions pathologiques du cervelet, Thèse de Lyon, 1891.
(10) Atrophie olivo-ponto-cérébelleuse, Iconog. Salp., 1901, p. 341.
TUMEUR CÉRÉBRALE A FORME PSYCHO-PARALYTIQUE 123
phére cérébelleux gauche, Brosset (1) constate l'atrophie du corps strié
droit et de l'olive bulbaire droite. Ces lésions observées dans notre cas
nous ont paru intéressantes au moins comme condition étiologique de
cette atrophie systématisée du névraxe. Il est peul-être utile de faire re-
marquer la disproportion évidente existant entre la lésion du noyau caudé
et la dégénération du cervelet et du névraxe, preuve de relations ana-
tomiques importantes.
Telles sont les lésions primordiales et l'explication des symptômes que
nous croyons devoir donner : elle relève de phénomènes de compression
et de destruction de faisceaux nerveux. Mais, dit Klippel (2), toute tu-
meur comprime, détruit et irrite; nous constatons en effet des lésions in-
flammatoires marquées dans la région de la tumeur (zone temporale et
face interne du lobe frontal) et aussi sur la corticalité en général. C'est
un fait banal que l'exislence de lésions- de méningo-encéphalite dans le
voisinage d'une tumeur cérébrale ; mais, de plus en plus, l'attention est
attirée vers l'association de lésions portant sur une large surface des mé-
ninges ou du cortex au cours des néoplasmes. Si les auteurs n'ont pas in-
sisté depuis longtemps sur ces lésions inflammatoires associées à l'évolu-
tion des néoplasies, du moins la lecture des observations publiées par eux
confirme cette existence (Nothnagel). Déjà Baillarger (3) cite l'association
de lésions méningitiques diffuses avec adhérences corticales à des lésions
néoplasiques ; Lind signale ces mêmes lésions sur l'hémisphère opposé ;
Bouveret (4) insiste à propos d'un cas de petit gliome développé en pleine
substance blanche sur le ramollissement disproportionné qui l'accompa-
gnait et qui, englobant la région motrice, avait fait porter le diagnostic de
tumeur i-olandique , Klippel (5) Saqui (6) montrent l'importance de ces
lésions secondaires dans l'évolution clinique des tumeurs de l'encéphale
et décrivent non seulement des foyers de ramollissement facilement expli-
cables, mais un maximum de lésions inflammatoires vraies. Joffroy et
Gombault (7) publient un cas de méningite diffuse qu'ils rattachent non
plus au travail inflammatoire propagé par contiguïté, mais à la réaction
naturelle du cortex devant l'imprégnation diffuse des toxines; Lannois (8)
dans un cas de tumeur du noyau caudé, constate des plaques opalines de
méningite au cours de la trépanation qui fut pratiquée.
(1) Thèse de Lyon, 1891.
(2) Art. Tumeurs cérébrales, t. IX, op. cit.
(3) Annales médico-psychotoniques, 1881.
(4) Lyon médical, 1896.
(5) T. IX déjà cité. Archives génér. de méd., 1899.
(6) Thèse Paris, 1899.
(7) Congrès de neurologie, 1900, p. 772.
(8) Lyon médical, 26 octobre 1902.
124 CORNU
Dans les tumeurs du cerveau, ditKlippel,(1)nonseulementuneinflam-
mation peut se développer autour de la tumeur, ainsi que c'est le cas fré-
quent, mais chez quelques sujets, l'infection secondaire peut être diffuse z
et donner lieu au syndrome paralytique : ce syndrome, ajoute-t-il, relève
d'une même localisation, d'une même modalité de réaction, mais ne cor-
respond ni à une même cause pathogène ni à une lésion unique. Il arrive
qu'une encéphalite inflammatoire apparaît il titre d'infection secondaire
sur des lésions atrophiques et dégénératives des éléments nerveux qui ont
été pour elle comme un point d'appel.
Ces lésions secondaires deviennent la cause immédiate d'un certain
nombre de symptômes, au point qu'une tumeur peut rester latente jus-
qu'au jour où ces altérations surajoutées font naître toute une sympto-
matologie bruyante. Au nombre de ces symptômes figurent surtout l'ob-
nubilation et l'affaiblissement intellectuels, la diminution de la mémoire,
la perte de l'intellectualité spontanée et de l'activité volontaire (2) : ces
troubles mentaux se retrouvent au complet chez notre malade et reprodui-
sent les symptômes des méningo-encéphalites chroniques (3) dont au
surplus ils traduisent les lésions constatées.
Le cerveau gauche et le cervelet droit de notre observation présentent
des lésions à caractère inflammatoire plus aigu que les hémisphères op-
posés sur lesquels, au contraire, les lésions atrophiques dominent : ces
lésions atrophiques seraient peut-être la première manifestation de la
présence de la tumeur, la seconde étant constituée par des lésions plus
récentes de méningo-encéphalite.
En ce qui concerne la pathogénie de ces lésions surajoutées sur la na-
ture desquelles on est peu fixé, nous devons d'autre part, faire mention des
théories récemment émises sur la valeur des intoxications néoplasiques.
Tirant leurs conclusions de l'analogie de ces troubles avec les lésions et
les symptômes des toxi-infections (urémie, diabète), et s'appuyant sur la
théorie de la cachexie cancéreuse (Bard) (4), MM. Dupré et Devaux éta-
blissent qu'il y aurait une intoxication de la substance cérébrale par
les poisons néoplasiques. Une telle hypothèse, disent-ils, vaut bien celle
de la compression comme explication des troubles si divers observés au
cours de l'évolution des tumeurs.
Des observations et des constatations récentes semblent donner raison à
cette manière de voir (5) ; l'existence de la fièvre, qui, d'après Klippel
(1) P. 50 et 95. Rapport au Congrès de Bruxelles, août 1903.
(2) DupRÉ et DEVAUx, Iconographie de la Salpêtrière, 1901, p. 119.
(3) G. Ballet, Traité de pathologie mentale, p. 1162.
(4) Précis d'anat. pathol., p. 35.
(5) Marie, Société de neurologie de Paris, 10 janvier 1901.
TUMEUR CÉRÉBRALE A FORME PSYCHO-PARALYTIQUE 128
serait constatée plus souvent si on la cherchait, paraît confirmer l'idée
- d'une toxi-infection. Au fait, de même que dans le cas de M. Lannois,
notre malade garda le lit quelque temps et la température qui, alors, fut
prise régulièrement, montra une élévation régulière (38° à 38°4.) et une
ascension à 40° à laquelle nous ne pûmes donner d'explication satisfai-
sante.
C'est en établissant le plus grand nombre possible de faits particuliers
qu'on peut induire des lois générales : notre observation et les explications
qu'elle comportait n'ont pas d'autre prétention que d'être la description
d'un de ces faits particuliers pouvant servir à la connaissance d'un fait
plus général.
En résumé, s'il nous est permis, de formuler une hypothèse sur l'évo-
tion et l'enchaînement de tous ces faits, nous dirons que la tumeur a
existé sans doute sans donner lieu à des symptômes gênants autres que les
symptômes de localisation jusqu'au jour où sa présence à titre de corps
étranger irritatif ou toxique a déterminé des lésions méningo-encéphali-
ques qui se sont traduites par des phénomènes plus aigus de déficit; cela,
pendant que les parties inférieures du névraxe subissaient un retentisse-
ment dégénératif.
UN CAS DE MALADIE DE FR] EDREICH
AVEC AUTOPSIE
(COÏNCIDENCE DE RAMOLLISSEMENT CÉRÉBRAL)
PAR MM.
A. PIC ET S. BONNAMOUR
Agrégé Préparateur à la Faculté
Médecin des hôpitaux de Lyon Interne des hôpitaux de Lyon
Les observations de maladie de Friedreich sont encore assez rares, pour
justifier la publication du cas suivant qu'il nous a été donné d'observer à
l'hospice du Perron, et dont nous avons pu pratiquer l'examen à peu près
complet.
Observation.
Tardy Jean-Claude, 34 ans, salle Jacquard, n° 4,hospice de Perron, entré en
1897.
Père vivant et bien portant. Mère morte d'un néoplasme-utérin. Huit frè-
res ou soeurs dont 2 morts en bas âge, les autres en bonne santé. Pas de ma-
ladie survenue dans sa famille.
Scarlatine à 4 ans qui disparut sans laisser de traces.A 9 ans,maladie indé-
terminée, qui le tient un mois au lit, dont il ne sait rien sur le début, mais en
laquelle il donne les renseignements suivants : céphalée, abattement, anorexie
complète, pas de vomissement, pas de délire ; il ne se rappelle plus s'il a eu
la diarrhée ou non. Il n'a pas vu de médecin à ce moment. Mais il n'en guérit
pas complètement, resta sans force, sans appétit, chétif et malingre, quoique
sans présenter aucun trouble intellectuel,
A 14 ans, il fut pris de vertiges : son regard se troublait, il voyait les objets
tourner autour de lui ; il n'a cependant pas eu de perte de connaissance. En
même temps il lui était très' difficile de se tenir debout, sa démarche était cé-
rébelleuse.
Ces troubles s'accompagnaient de céphalée généralisée à toute la tête avec
prédominance vers les lobes frontaux. Les éblouissements, sans nausées, ni
vomissements duraient environ 1/4 d'heure, apparaissaient à certaines épo-
ques tous les jours quoique sans régularité, puis disparaissaient pendant quel-
ques semaines pour reparaître ensuite avec les mêmes caractères. Ils durèrent
MALADIE DE FRIEDREICH 127
depuis 14 ans jusqu'à 20 ans, où ils devinrent moins fréquents et disparurent
même complètement.
A la même époque, vers 14 ans, le malade ressentit des troubles de la mar-
che : ils apparurent d'abord la nuit, et consistèrent en une démarche ébrieuse,
ils s'accentuèrent de plus en plus, et à 15 ans ils existèrent pendant la jour-
née. Ces troubles survinrent petit à petit, sans soubresauts, et sans être im-
fluencés par les étourdissements. A 20 ans le malade fut obligé de se servir
de béquilles. A 25 ans, les béquilles ne suffirent plus, et il fut obligé de s'ali-
ter.
Egalement sont venus petit à petit les troubles de la parole, qui ont débuté
vers l'âge de 20 ans.
Depuis l'âge de 25 ans jusqu'à maintenant, sans que le malade ne présentât
rien de particulier, tous ces troubles s'augmentèrent peu à peu, surtout ceux
de la parole qui devient de plus en plus difficile.
A son entrée à Perron (1897) l'état général du malade est bon, les yeux sont
intelligents. Quand il bouge la tête, elle ne s'arrête pas et subit des oscillations
avant d'arriver à l'immobilité. Il s'en rend compte lui-même, et dit ne pouvoir
soutenir sa tête. La céphalée toujours vive a persisté avec les mêmes caractères
qu'autrefois.
Les lèvres et la langue ne présentent aucun trouble de la motilité. La parole e
est saccadée, les mots sont hachés. Le malade ne saute pas de syllables, mais
ânone avant de les prononcer. Il dit lui-même que la difficulté de la parole ne
vient ni de ses lèvres, ni de sa langue qui réagissent très bien à l'influence de
sa volonté, mais dit-il, de l'air qui lui manque.
Aux membres supérieurs : ataxie très marquée ; le malade ne peut porter le-
doigt à son nez, ni porter un verre à sa bouche ; cette incoordination est in-
fluencée par la vue, quand il veut saisir un objet, il plane avant de le saisir.
Force musculaire assez bien conservée au bras et à l'avant-bras, diminuée à
la main, avec laquelle il ne serre que très difficilement et avec un effort de
tout le corps. Au dynanomètre : 6 à droite, 12 à gauche. Pas de tremblement.
Réflexes existant, quoique diminués.
Aux membres inférieurs : le malade étant au lit, présente les cuisses rap-
prochées en adduction, les genoux serrés l'un contre l'autre ; les jambes écar-
tées en ogives, les talons écartés et les pointes des pieds rapprochées. Pied
en varus équin se corrigeant facilement. Quand le malade est assis, les jam-
bes sont pendantes avec la même attitude qu'au lit, mais plus exagérée. Moti-
lité presque complètement abolie, le malade couché peut à peine imprimer
quelques légers mouvements à ses jambes. Pas de contracture, un peu de
raideur musculaire, pas de trépidation épileptoide,ni d'exagération des réflexes :
réflexe rotulien seulement ébauché du côté gauche.
Pas de troubles de la sensibilité, réflexe plantaire diminué, réflexe crémas-
térien nul. Pas de troubles trophiques pas d'atrophie musculaire.
La pointe du coeur bat dans le 5B espace, est bien sentie. A l'auscultation :
3 ou 4 bruits normaux, puis un bruit de salve très net se succèdent à peu près
128 PIC ET BONNAMOUR
régulièrement. Pouls ralenti et irréguliers avec intermittences très nettes cor-
respondant aux bruits de salve. Arythmie manifeste.
Rien aux poumons.
La vue est bonne, pas de troubles de la musculature de l'neil ; les pupilles
réagissent bien à la lumière et mal à l'accommodation. A l'examen ophthalmos-
copique : pupille un peu blanche non étranglée.
Acuité auditive diminuée : le malade n'entend pas les bruits d'une montre
à plus de 10 centimètres.
En 1898. - A cette époque le double pied bot se réduit difficilement ; le
malade se plaint d'une sensation continuelle de froid.
Au coeur : persistance de l'arythmie caractérisée surtout par succession de
battements lents et de battements précipités en salve.
La parole est devenue très saccadée et suspiueuse, le malade semble faire
un effort pour parler ; le moindre effort de parole ou autre s'accompagne d'une
congestion de la face. Le rire est un peu spasmodique et s'accompagne aussi
d'un état vultueux du visage.
1900. - L'impotence fonctionnelle est devenue presque absolue, le malade
est à peu près confiné au lit ; ce n'est qu'au prix de grands efforts qu'il arrive
à soulever légèrement et avec une grande incoordination ses membres infé-
rieurs au-dessus du lit. Ceux-ci sont à l'état permanent de contracture qui
contraste avec l'abolition actuellement totale des réflexes rotuliens. Les réflexes
plantaire abdominale, crémastérien sont également abolis.
Aux membres supérieurs persistance du réflexe du long supinateur bien
ébauché ; l'incoordination est plus accusée à la main droite qu'à la main gau-
che ; elle est de deux iota plus exagérée par l'occlusion des yeux.
Le malade se plaint que sa vue ait baissé. Mais ce qui marque surtout les
progrès de la maladie, ce sont les troubles de la voix, qui, actuellement, est
suspineuse, explosive, et s'affaiblissant rapidement de telle sorte qu'on recon-
naît difficilement la parole particulière de la maladie de Friedreich, qui était
plus net il y a 2 ou 3 ans.
Au coeur, persistance de l'arythmie, mais il s'agit actuellement d'une aryth-
mie un peu irrégulière : à quelques contractions cardiaques rapprochées succè-
dent des contractions plus éloignées, chacune d'elles ayant un timbre sourd.
Depuis quelques temps, incontinence d'urine.
Pas de troubles subjectifs, ni objectifs de la sensibilité, conservation de la
sensibilité de pression. Perte presque absolue de la notion de position.
Mars 1902. Au commencement du mois, la malade a pris la grippe : tem-
pérature 39°3, dyspnée, cyanose, sueurs, toux fréquente sans expectoration.
Pouls, 72. Respiration : 24. A l'auscultation au début râles sibilants et ron-
flants aux deux bases, puis râles moyens; de plus, respiration un peu souf-
flante au sommet gauche avec submatité.
L'état général a décliné rapidement : asthénie extrême ; il ne peut plus quitter
le lit ; quand on l'assied, la tête tombe entre les épaules. Incoordination mo-
trice extrême. Aux membres inférieurs, impotence complète. Aux membres
supérieurs, force musculaire plus diminuée à gauche qu'à droite.
MALADIE DE FR1EDREICH 129
Hémianesthésie gauche, complète au tact et à la piqûre ; limitée par la ligne
médiane. Autant qu'on peut en juger, il semble qu'il existe une hémanopsie
latérale gauche. Le malade a heaucoup de peine à avaler et s'étrangle. Ano-
rexie presque absolue.
Coeur : ryhtme pendulaire très net. Pouls petit, très irrégulier.
Urines foncées, dépôt abondant d'urates et de phosphates, léger disque d'al-
bumine, pas de sucre.
21 mai 1902.- - Depuis trois jours, une aggravation notable s'est produite
dans l'état du malade. Sans qu'il y ait de signe d'occlusion, se sont produits
des vomissements très fréquents rendant l'alimentation impossible, et sont
accompagnés d'émission de sang pur rutilant.
En outre, les phénomènes cardiaques se sont produits sous forme d'exagéra-
tion de l'arythmie eu salves.
Une injection de caféine faite la veille a bien paru améliorer le malade. Tou-
tefois ce matin : persistance des vomissements, tympanisme abdominal, langue
très saburrale ; malade étendu dans le décubitus dorsal, dans l'impossibilité de
faire un effort sans être immédiatement cyanose. Le plus léger effort de pa-
role produit le même résultat. En dehors de ces mouvements presque pas de
cyanose.
La dyspnée est constante avec un type particulier : dyspnée expiratoire ;
tandis que l'inspiration se fait facilement, l'expiration se fait avec un effort
d'autant plus marqué qu'elle approche de la fin. A ce moment elle s'accompagne
d'un soulèvement des deux moignons de l'épaule et d'un battement des ailes
du nez. R = 24.
Au coeur : l'arythmie a changé de type; ce ne sont plus des salves, mais
une tachycardie extrême, presque incomptable (160 environ) avec un rythme
absolument pendulaire et égalité presque complète des deux bruits : donc em-
bryocardie vraie comme fréquence et comme rythme. Pouls rachial presque
incomptable.
Aux poumons : râles d'oedème aux deux bases.
28. - L'administration de digitale a calmé les troubles gastriques; le coeur
s'est ralenti : 80 quoique arythmique ; la dyspnée spéciale a également disparu.
4 juin 1902. - Depuis hier, le malade, qui était dans un état plus satisfai-
sant, est de nouveau pris d'accidents très comparables aux précédents.
Cour. - Tachycardie, embryocardie avec disparition de l'arythmie (140,
160 puis.), pouls filiforme : crises cérébrales. Vomissements incoercibles.
La respiration n'a plus le type nettement expiratoire qu'elle avait avant,
mais elle se fait en Cheyne Stokes sans pause complète : il s'agit d'une respi-
ration périodique. Les traits sont altérés, le faciès pâle, le regard anxieux, et
la respiration suspineuse pendant la phase croissante. Pendant le reste de temps,
la physionomie est beaucoup plus calme.
On constate au point de vue visuel que l'hémianopsie n'existe plus, et qu'il
y a une anesthésie presque complète de l'oeil gauche.
Mort dans la soirée.
130 PIC ET BONNAMOUR
Autopsie.
Autopsie le 6 juin 1902, 30 heures après la mort.
Moelle. - La moelle dans sou ensemble présente une granulite très nota-
ble, sans qu'aucun de ses segments soit spécialement le siège de cette atrophie.
Les coupes pratiquées à des hauteurs diverses montrent partout la même lésion,
c'est-à-dire une atrophie blanche très visible des cordons de Goll ; le sillon pos-
térieur paraît' plus visible que d'ordinaire, et se tournant vers la commissure
grise par un renflement en tête de clou. Dans les faisceaux latéraux ou remar-
que 3 noyaux de sclérose grise moins faciles à voir que celle des cordons pos-
térieurs, et, qui semblent répondre à peu près, le 1er au faisceau cérébelleux
direct et le 26 au faisceau pyramidal croisé.
Cerveau. - Présente un ramollissement étendu siégeant à la base de l'hé-
misphère droit, occupait les circonvolutions temporo-occipitales presque dans
leur entier, et intéressait par sa partie postérieure la partie antérieure du
cunéum. Il n'a pas été possible de retrouver l'artère oblitérée. Une coupe hori-
zontale montre un second ramollissement occupant la couche optique et qui
paraît n'empiéter que très peu à l'oeil nu sur la capsule interne.
Coeur. - Très gros, rappelle à première vue un coeur de Traube ; le ven-
tricule gauche a une épaisseur de 2 à centimètres, mais le myocarde est mou
et de couleur feuille morte. Il n'y a pas de lésions valvulaires.
Dans la plèvre droite : épanchement de 1 1/2 à 2 litres de liquide un peu hé-
morragique.
Poumon droit. - Présente un infarctus superficiel sous-pleural du volume
d'une grosse noix.
Rien au poumon et à la plèvre gauche.
Rien au tube digestif.
Rein gauche. - A sa partie moyenne, cicatrice d'un très gros infarctus an-
cien.
Rein droit. - Quelques cicatrices d'infarctus. Il ne semble pas y avoir de
lésions de néphrites.
Examen HIICt30SCOPIQUE. - Technique. - La moelle et le bulbe ont été
fixés au liquide de Muller. Les coupes ont été colorées à la fois d'après la mé-
thode de Wegerth Pol, et à l'hémateine et l'éosine. Le cceur,le foie et les reins
ont été fixés au formol.
Bulbe. - Sur une coupe passant au niveau des noyaux de la Xe et de la
XIIe paire, on constate à la partie antérieure une sclérose incomplète des pyra-
mides antérieures, les cylindraxes sont moins abondants qu'à l'état normal,
très irréguliers, la plupart sont très petits. A la partie antérieure, sclérose assez
accenluée du noyau de la XII,, et de la VII 10 paires, sclérose intense des noyaux
de la Xe paire, avec disparition complète des fibres nerveuses. Dans les corps
rectiformes, la partie intense correspondant au noyau de Goll est très scléro-
sée ; la lésion est au contraire très minime dans la partie externe conespon-
dant au noyau de Burdach. Intégrité complète du ruban de Roi, du faisceau
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE la Salpêtrière.
T : XVII. PI XVIII
MALADIE DE FRIEDREICH
(Pic el BOl11lamour)
MALADIE DE FRIEDREICH 131
cérébelleux latéral, des fibres arciformes, du faisceau solitaire, et des olives.
Ces lésions se retrouvent sur toute la hauteur du bulbe.
Moelle (PI. XVIII).- Sur une coupe passant immédiatement au-dessus de la
décussation des pyramides, on constate toujours de la sclérose des pyramides
antérieures, mais un peu moins accentuée qu'au niveau du bulbe. On constate
également une sclérose intense des noyaux et des faisceaux de Goll, une com-
mençante et moins accentuée^ des noyaux et du faisceau de Burdach. Enfin, on
commence à voir une légère sclérose du faisceau cérébelleux latéral. Le fais-
ceau de Gowers est intact. Le noyau de la XIIe paire est toujours sclérosé.
Au niveau du renflement cervical, les méninges sont légèrement épaissies.
On constate nettement une sclérose complète des faisceaux de Goll : il n'y reste
plus que de rares fibres nerveuses. Les faisceaux de Burdach sont moins alté-
rés, ils se distinguent par des limites très nettes du faisceau de Goll : on y re-
trouve un certain nombre dé cylindraxes, mais la plupart sont considérable-
ment réduits de volume. Sur leur extrémité interne, vers la commissure, il
existe une petite bande relativement saine.
A ce niveau également : sclérose complète des faisceaux pyramidaux croisés,
et du faisceau cérébelleux latéral. Enfin les cornes postérieures sont nette
ment altérées, elles sont comme recoquevillées sur elles-mêmes, leur extrémité
est boursouflée et, les zones de Lissauer sont complètement sclérosées. De
même les racines postérieures que l'on peut voir à ce niveau, sont considéra-
blement lésées ; si dans leur intérieur on peut voir quelques fibres nerveuses
qui semblent encore intactes, la plupart sont en voie de dégénérescence, et
leur nombre est considérablement diminué.
Par contre intégrité absolue des cordons antérieurs, du faisceau de Gowers,
des cornes antérieures ainsi que des racines antérieures.
Dans la moelle dorsale, les mêmes lésions se poursuivent. Cependant la sclé-
rose du faisceau de Burdach est plus accentuée et dans tout le cordon posté-
rieur, on ne retrouve que quelques rares cylindraxes disséminés. Les lésions
des faisceaux pyramidaux croisés et des faisceaux cérébelleux latéraux se
poursuivent, de même que l'atrophie des zones postérieures. On voit égale-
ment il ce niveau une légère sclérose des colonnes de Clarke.
A la partie inférieure de la moelle dorsale, dans la moelle lombaire et la
moelle sacrée, la sclérose est beaucoup moins accentuée dans les faisceaux de
Goll et de Burdach, on y trouve beaucoup de cylindraxes à peu près sains.
Il en est de même du faisceau pyramidal croisé. Le faisceau cérébelleux laté-
ral a disparu. Mais on retrouve encore nettement l'atrophie de la corne posté-
rieure et la sclérose de zones de Lissauer, de même que celle des racines pos-
térieures.
Sur toute la hauteur de la moelle le canal médullaire a disparu, et est com-
blé par une prolifération névroglique où l'on voit, sur des préparations colorées
à l'hématéine et l'éosine, de nombreuses cellules lymphatiques.
Les vaisseaux médullaires ne sont pas altérés.
Enfin, sur toute la hauteur de la moelle, les cellules des cornes postérieures
132 PIC ET BONNAMOUR
sont nettement altérées, elles paraissent moins nombreuses qu'à l'état normal ;
ellles sont globuleuses, leurs prolongements, ont disparu.
Nous avons examiné le ganglion rachidien de la 5° paire dorsale. A son inté-
rieur, à côté d'un faisceau à peu près sain, on en voit un autre complètement
sclérosé. Il semble bien qu'il y ait une diminution du nombre des fibres, et éga-
lement sans disposition des cellules.
En résumé, l'examen histologique nous a montré au niveau du bulbe une
sclérose légère des pyramides extérieures, et des lésions très accentuées des
noyaux des XIIIe, Xe et XIIe paires. Dans toute la hauteur du bulbe et de la
moelle dans les cordons postérieurs, sclérose des cordons de Goll plus accen-
tuée au niveau de la moelle cervicale, et sclérose des cordons de Burdach,
plus marquée dans la moelle dorsale ; dans les faisceaux latéraux, la sclérose
du faisceau pyramidal croisé, et du faisceau cérébelleux latéral, plus accusée
dans la moelle cervicale et la partie supérieure de la moelle dorsale ; enfin atro-
phie des cornes postérieures, sclérose de la zone de Lissauer et sclérose des
racines postérieures également marquée dans toutes les régions médullaires.
Coeur. - Myocardite interstitielle extrêmement intense. les faisceaux mus-
culaires sont séparés les uns des autres, complètement disloqués en certains
points, par un tissu conjonctif muqueux dans lequel on trouve quelques cellules
rondes et un grand nombre de débris, reste de fibres musculaires en voie de
disparition. Disparition complète de la striation. Les noyaux sont, pour la plu-
part ou volumineux arrondis, ou très allongés. Les vaisceaux sont intacts.
Foie. Sclérose intense, ayant détruit la lobulation, et ayaut disloqué en
plusieurs endroits les travées hépatiques. Les veines sus-hépatiques sont di-
latées ; les espaces de Kieman sont envahies par du tissu conjonctif dense en-
globant les vaisseaux. Nombreux vacuoles dans plusieurs cellules hépatiques.
Dégénérescence graisseuse très accentuée par places.
Reins. - Néphrite interstitielle intense, les tubes contournés sont séparés
par du tissu fibro-muqueux qui les comprime, plusieurs semblent réduits de
volume, ont leur lumière effacée, et quelques-uns sont nettement en voie
d'atrophie et de'dégénérescence.
Notre observation est, comme on le voit, un cas typique de maladie de
Friedreich ; par sa marche, par son évolution, par ses symptômes, par les
lésions constatées à l'autopsie, elle se rapproche de tous les cas publiés par
les auteurs. On y retrouve les symptômes les plus importants que Soca (1)
a appelés la série de Friedreich : la démarche titubante et ataxique, les
mouvements spontanés, le pied bot, les troubles de la parole, l'abolition
des réfléxes tendineux, l'absence de toute douleur, l'intégrité de la vessie
et des fonctions urinaires, le début dans l'enfance.
Notre observation présente cependant quelques particularités intéres-
santes. Tout d'abord il y manque le caractère familial ; la maladie s'est
(1) SocA, thèse, Paris, 1888.
MALADIE DE FRIEDREICH 133
développée à la suite d'une fièvre à allure infectieuse rappelant une do-
thiénentérie. Elle est donc à rapprocher de celles récentes de Petit (1),
de Mariol(2), de Philippe et Oberthür (3), où la maladie de Friedreich a
débuté sous l'influence d'une rougeole, d'une coqueluche, d'une syphilis
ou d'une infection ganglionnaire. Soca, en 1888,en avait trouvé onze cas où
le caractère familial avait manqué. Charcot (4), la même année, dans ses
leçons cliniques du mardi, présente deux malades atteints de maladie de
Friedriech, où il est impossible de déceler le moindre caractère familial.
Raymond (5), dans ses cliniques, en rapporte trois cas sur cinq malades.
Ladame (6) (de Genève) en cite une observation. Il en est de même d'un
cas de Sczepinski, publié dans les Annales médico-psychologiques de 1892
et rapporté par Demoulin, qui, dans une thèse récente de Lille, 1902, à
propos d'un cas de maladie de Friedreich sans caractère familial (7), a pu
rassembler vingt.etuneohservat.ions semb)ab)es dans la littérature médicale.
Cet auteur montre que l'absence du caractère familial et l'étiologie infec-
tieuse sont deux phénomènes assez souvent liés l'un à l'autre, et que les
cas isolés de maladie de Friedreich dépendent d'une influence héré-
ditaire qui ne suffirait pas à leur développement, si une fièvre infec-
tieuse ne venait pas puissamment y contribuer. Notre cas n'échappe pas à
cette conclusion, et au début de la maladie, on relève l'existence d'une affec-
tion mai déterminée, il est vrai, mais sans aucun doute infectieuse, pro-
bablement une dothienentérie.
Dès son entrée à l'hospice du Perron, notre malade présentait deux symp-
tômes particuliers que l'on trouve très rarement indiqués dans, les obser-
vations des auteurs : une arythmie très marquée, et des troubles assez
accentués de l'audition.
On a bien signalé dans la maladie de Friedreich des lésions valvulaires
d'origine congénitale, ou de l'arythmie cardiaque avec suffocation à la
dernière période; mais jamais une arythmie aussi accentuée et d'aussi
longue durée que celle qu'a présentée notre malade. L'auscultation révé-
lait, en effet, une arythmie en salves à peu près régulières, le pouls était
ralenti et irrégulier, avec des intermittences très nettes, correspondant
aux bruits de salve. Cette arythmie était devenue de plus en plus irrégu-
lière; finalement, quelque temps avant la mort, elle avait changé de type,
(1) PETIT, Journ. de clinique inf., 30 juin 1898.
(2) VnnIOT, Journ. de clinique inf., 1898.
(3) PIIILIPPS et OBERTIIUR, Revue neurologique, 1901.
(4) CIIARCOT, Leçons du mardi, 1887-1888.
(5) Raymond, Maladies du système nerveux, 1894.
(6) LADAME, Rev. méd. de la Suisse romande, 1889.
(7) CoMBEHALE et INGRLRANS, Congrès de Toulouse, avril 1902.
XVII 0
134 PIC ET BONNAMOUR
et s'était transformée en une tachycardie extrême, presque incomptable
(140-160), avec un rythme absolument pendulaire, et une égalité pres-
que complète des deux bruits.
L'acuité auditive était également assez diminuée, le malade n'entendait
pas les bruits d'une montre à plus de dix centimètres.
Ces troubles cardiaques et auditifs pouvaient déjà faire penser, pendant
la vie, à des lésions bulbaires plus accentuées que l'on n'en trouve généra-
lement dans la maladie de Friedreich. Ce syndrome bulbaire s'est du
reste encore affirmé davantage quelques jours avant la mort ; alors
le malade a présenté des vomissements très abondants avec émission de
sang pur rutilant, et une dyspnée purement nerveuse, à type spécial :
dyspnée expiratoire, avec effort très marqué à la fin de l'expiration, s'ac-
compagnant d'un soulèvement des deux moignons de l'épaule et d'un
battement des ailes du nez.
Les lésions cérébrales sont également extrêmement rares dans la mala-
die de Friedreich ; le ramollissement cérébral n'y a pas encore été noté,
croyons-nous. Notre malade a présenté, en effet, quelques mois avant sa
mort, à peu près brusquement, une aggravation de son état, avec hémi-
anesthésie gauche complète au tact et à la piqûre, peut-être même avec
une hémianopsie latérale gauche, aggravation' due à un ramollissement
de l'hémisphère droit qui a accéléré la terminaison fatale, et que nous
avons vérifié à l'autopsie.
C'est à ce ramollissement qu'il faut rapporter les lésions des pyrami-
des antérieures que nous avons observées au niveau du bulbe et qui ne
descendent pas au-dessous de l'entrecroisement des pyramides.
Le bulbe présente donc, dans notre cas, des lésions multiples, très ra-
res dans la maladie de Friedreich, où l'on ne voit ordinairement que la
sclérose des noyaux de Goll et de Burdach. Ces lésions ont deux origines :
la lésion des pyramides antérieures est d'origine descendante, produite
par le ramollissement cérébral ; les lésions des noyaux de Goll et de Bur-
dach, des corps restiformes, et des noyaux du IVe ventricule, sont au
contraire d'origine ascendante, produites par l'évolution même de la ma-
ladie de Friedreich.
La sclérose des noyaux de l'hypoglosse, de l'auditif et du pneumogas-
trique explique suffisamment les troubles de la parole et de l'ouïe, de
même que l'arythmie si particulière qu'a présentés notre malade. La lésion
de la Xe paire permet d'expliquer également les troubles respiratoires et
gastriques de la dernière période. C'est à elle que se rapporte aussi la
myocardite interstitielle que nous a révélée l'examen histologique du
coeur, quoiqu'il nous manque malheureusement la preuve des lésions des
ganglions intracardiaques et du tronc du pneumogastrique, qu'un oubli
MALADIE DE FRIEDREICH 135
nous a fait omettre, mais qui devaient certainement être touchés. Il n'est
pas jusqu'aux lésions du rein et du foie, que l'on puisse rattacher, soit
aux troubles cardiaques et circulatoires, soit également aux troubles de
l'innervation pneumogastrique.
Enfin nous n'insisterons pas sur les lésions de la moelle, qui sont les
lésions classiques de la maladie de Friedreich : gracilité de la moelle,
épaississement des méninges, oblitération du canal central, sclérose des
cordons postérieurs et surtout des cordons de Goll, sclérose du faisceau
pyramidal croisé et du faisceau cérébelleux direct, atrophie des cornes
postérieures. Nous avons constaté, en outre, une dégénérescence bien nette
des racines postérieures ainsi que d'un ganglion radiculaire, lésions que
tous les auteurs qui les ont cherchées, ont trouvées. Nous ferons remar-
quer l'intégrité absolue des cordons antérieurs, des racines et des cornes
antérieures, de même que du faisceau de Gowers, faisceaux qui ont été
trouvés lésés dans quelques observations.
En somme, notre cas est un cas typique de maladie de Friedreich, avec
des particularités rares et intéressantes, en particulier des lésions céré-
brales et bulbaires étendues, qui permettent de dire avec Vincelet, dans
son excellente thèse de Paris 1899-1900, que, en outre des symptômes
habituels et des lésions constantes, la symptomatologie et l'anatomie pa-
thologique de la maladie de Friedreich varient avec chaque malade.
ASILE DES ALIÉNÉS DE LA PROVINCE DE CATANZARO A GIRIFALCO
Directeur : R. PELLEGRINI
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE
THÉORIE PSYCHOLOGIQUE SUR LE TRAITEMENT DES ALIÉNÉS
PAR LES MÉTHODES DU TRAVAIL
PAR
le D' Marco Levi BIANCHINI, Vice-Directeur.
Par suite d'une série de causes insuffisamment élucidées par la recher-
che clinique, nous observons que les maladies mentales présentent dans
la majorité des cas le fait suivant : la santé de tous les organes, au dehors
de celui de l'intelligence, apparait conservée, et ces organes fonctionnent
à la perfection.
Toutes les maladies soignées dans les autres cliniques sont liées pres-
que toujours à une certaine impotence physique et musculaire. Soit du
fait de la fièvre, des infections, du fait des lésions des yeux, du poumon,
du coeur, soit du fait des phénomènes directs ou indirects que la maladie
d'un appareil exerce sur des autres appareils qui lui sont connexes par
loi de corrélation fonctionnelle ; soit du fait de lésions chirurgicales, etc.,
il résulte toujours que l'organisme humain se réduit à l'incapacité du tra-
vail physique, et qu'il est obligé de demeurer dans- l'inaction temporaire
ou définitive.
C'est tout le contraire dans la majorité des maladies mentales. Dans
celles-ci, quel que soit le désordre fondamental de la nutrition, ou le
trouble des organes ou des centres nerveux qui les commandent, on
observe que la lésion plus évidente et directe est celle de la fonction
spécifique, savoir celle de l'intelligence, tandis que les fonctions des autres
organes, surtout de ceux de la vie végétative et des systèmes musculaires,
sont encore le plus souvent, valides et conservées.
Nous admettons naturellement - ceci soit dit pour éviter tout équivoque
possible, - que l'intelligence, en tant que fonction spécifique de l'écorce
cérébrale est soumise aux mêmes lois biologiques que les fonctions des
autres organes ; elle n'est qu'une des nombreuses manifestations dynami-
ques de l'énergie biologique des être organisés supérieurs.
Mais nous ne pouvons pas nier que dans ces syndromes que nous appe-
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 137
Ions pyschopathies, à côté de la lésion intellectuelle - je veux dire celle de
l'écorce,-les autres systèmes fonctionnels ne présentent une concomitance
morbide, une co-souffrance moins grave que dans les autres maladies, pré-
cisément parce que nous observons que chez le plus grand nombre des fous
les échanges matériels extracérébraux pour - nous exprimer d'une façon
concise - sont maintenus et persistent.
C'est précisément sur ce contraste entre la lésion très grave de la fonc-
tion corticale comparée à la conservation souvent durable des fonctions de la
vie végétative et de la vie de relation, que se fonde une des plus saillantes
caractéristiques des maladies mentales, et une des plus singulières parti-
cularités qui les différencient des affections du domaine de la médecine
interne, et même de tout le reste de la médecine.
Si nous exceptons, en effet, les psychoses aiguës, les démences paralyti-
ques et séniles, l'idiotie, toutes les autres formes (sauf certaines périodes
transitoires ou aiguës) comme les psychoses périodiques et circulaires, l'épi-
lepsie, l'hystérie, plusieurs démences primitives, les dégénérations morales,
la phrénasténie (qui constituent le 80 0/0 du nombre total des psychoses)
laissent à l'organisme la capacité au travail qui est en rapport avec la vali-
dité de la nutrition, de la digestion, de lapuissance des masses musculaires,
en somme de l'état physique général.
Cette particularité qui nous semble très importante et générale, n'a pas
été et n'est pas encore à présent suffisamment relevée et appréciée. A une
époque pas trop éloignée de nous, les préjugés de la société et l'ignorance
scientifique sur les fonctions de l'écorce cérébrale, sur la nature de ses
affections, sur le traitement des "aliénés, assimilaient le médecin des fous
tout au plus un gardien, mais non à un clinicien. La maison des fous était
un asile douloureux, où l'intelligence malade finissait dans le marasme,
dans l'inactivité, dans l'abandon le plus désolant.
Cela ne doit pas trop nous étonner.
Dans un autre champ médical, on a traité jusqu'à maintenant la tuber-
culose avec les mêmes préjugés.
On a cru qu'elle était inguérissable, on ne savait pas la soigner ; or
l'homme ne naît jamais tuberculeux, mais le devient. Il est connu aujour-
d'hui que pour bien la combattre il faut avant tout éduquer le physique,
le conduire à l'optimum de fonctionnalité depuis le jeune âge, à l'aide de
l'éducation gymnastique et d'une vie hygiénique ; au moins faut-il même
tardivement tâcher d'appliquer les mêmes méthodes pour combattre la
maladie qui se fait d'autant plus dangereuse qu'elle trouve un terrain
prédisposé. L'on cherche, en d'autres termes, à lutter indirectement,
par la « prévention » c'est-à-dire par la réforme de l'organisme' jeune ;
on ne soigne que tout à fait accessoirement la lésion pulmonaire par elle-
138 BIANCHINI '
même puisqu'on n'a pas encore trouvé jusqu'à maintenant, un remède
spécifique capable de la guérir.
. C'est exactement ce qui s'est produit et ce qui arrive encore aujourd'hui
pour ce qui regarde les psychopaties.
Il n'existe, dans l'arsenal chimique ou officinal, aucun remède capable
d'agir directement sur l'écorce cérébrale ;on a cru que celle-ci ne pourrait
jamais guérir si elle tombait malade : on abandonna la maladie mentale
à elle-même, en se bornant à garder le fou entre quatre murs parce qu'il
était devenu incapable de vie sociale, ou tout à fait anti-social parce que
dangereux aux autres et à lui-même.
A l'aurore du siècle dernier, des aliénistes de génie s'étaient déjà ré-
voltés contre l'injuste traitement des fous : il n'est pas nécessaire de rap-
peler ici la mémorable réforme de Pinel en France en 1792, suivie et pro-
fessée contemporainement en Italie par notre grand Chiaritgi ; ni les luttes
généreuses soutenues par Esquirol, Conolly, Guislain, ni celles que con-
tinuent aujourd'hui même les psychiatres en faveur du no restraint et de
l'opelldool'.
Mais cela ne suffit pas encore.
Que le fou soit libre dans ses mouvements, attentivement surveillé
et gardé, c'est bien. Mais comme il est fou, comme par conséquent l'a-
dresse critique de son intelligence est détruite ou absente, ses mouve-
ments et ses actions ne convergent plus vers un but utile et nécessaire à
la conservation de la vie - selon une loi naturelle : - mais ils trouvent
leurs résolutions dans une série d' « actes » souvent insensés ou rudimen-
taires, souvent même dangereux. 11 ne suffit pas donc de le surveiller : Il
faut encore diriger ses mécanismes psychiques et moteurs morbides, les
réorganiser du côté d'une finalité précise : de façon que l'intelligence -
en ce qu'il est encore possible reprenne la route de ses fonctions normales,
ou, tout au moins, n'avance pas dans la décadence pour achever de se dis-
soudre dans le marasme. Il faut donc rééduquer l'aliéné au mouvement et
à la pensée, ce qu'on ne peut obtenir que par le travail physique et la sug-
gestion mentale.
La loi biologique de la finalité des actes humains est trop universelle
pour que nous ayons besoin d'en donner des démonstrations spéciales :
aussi bien il est inutile de démontrer son envers, à savoir que l'abolition
de cette loi et incompatible avec la normalité de la vie.
. L'intelligence humaine normale, dans sa signification la plus complexe
et la plus élevée, est la résultante d'une série ininterrompue d'états de
conscience et de volitions, adaptés à des finalités soit immédiates, soit éloi-
gnées. Les mécanismes qu'elle emploie sont au nombre de deux l'idée et
le travail. Ceux-ci tout en apparaissant extrêmement divers, se réduisent
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 139
tous les deux, dans leurs composants plus élémentaires, à une série d'actes
moteurs,\\ est une loi fondamentale de psychatrie positive « qu'il n'existe
aucune sorte de conscience, soit-elle une sensation, un sentiment, une idée,
qui n'ait tendance de se décharger, directement et par elle-même, dans quel-
que effet moteur (James) ».
Chez les aliénés il existe une lésion de l'intelligence ; toutefois, au
dehors des cas plus graves ou anciens, elle est incompatible avec la pré-
sence et la conservation de certains phénomènes psychiques très élémen-
taires et simples. Nous disons, pour donner un exemple, que quelqu'un a
une « maladie du coeur », non parce que le coeur a cessé de fonctionner,
mais parce qu'il « fonctionne mal », parce qu'il existe une lésion de sa
fonction normale. De même chez les fous l'on observe toujours - quels
qu'ils soient,- des états de conscience et par conséquent des actes moteurs
correspondants : seulement, comme les premiers ne sont plus normaux,
mais sont devenus fonction - pour ainsi dire - d'une finalité négative,
les seconds sont aussi devenus inutiles ou dangereux.
En d'autres termes, puisque la caractéristique commune et fondamen-
tale de toutes les psychopaties est constituée par l'altération de la voli-
tion normale, il manque cet exact équilibre entre les impulsions et les
inhibitions, qui sont les deux moments élémentaires d'où prend son ori-
gine l'acte volitif normal : leurs expressions sont réduites ou exagérées,
en tout cas elles sont anormales et morbides.
Il est connu, d'autre côté,par une seconde loi psychologique, « que le tra-
vail systématisé et dirigé vei-sitn but précis,crée l'habitude » ; c'est-à-dire :
une série d'actes moteurs, coordonnés et répétés daus un but d'identique
finalité, finissent par se reproduire selon un mécanisme beaucoup plus
simple qu'à l'origine ; au lieu de se succéder comme des actes volitifs
délibérés, ils deviennent des phénomènes d'automatisme psychique et se
réduisent à des faits subconscients. Une grande partie de notre vie normale
psychomotrice est elle-même constituée par des actes subconscients que
nous accomplissons par la force de l'habitude.
Tandis que chez l'aliéné l'impulsion volontaire est anormale et défec-
tueuse, il persiste,parfaitement conservés, de très nombreux états de cons-
cience, et les mécanismes moteurs sont presque toujours intacts ; nous
pouvons essayer d'agir directement sur la première pour provoquer un
retour à l'état de conscience et de volonté normal ; ou bien nous agirons
sur les mécanismes moteurs, pour induire et créer un élat d'automatisme
psychique ou subconscient, mais autant que possible, utile et harmo-
nique.
Dans ce postulat, je crois utile de synthétiser les bases biologiques et
psychologiques de l'ergothérapie et de la psychothérapie, je veux dire
140 BIANCHINI
la thérapeutique des psychoses au moyen du travail musculaire et de la
suggestion mentale. Qu'on me passe le premier mot.
Nous pouvons presqu'à priori, tirer des indications sur les modalités
dans lesquelles les deux méthodes, expression double d'un principe unique,
- doivent être appliquées dans les diverses formes de maladie mentale.
Nous connaissons certaines affections de l'intelligence (qui ne sont pas
des véritables psychoses mais sont considérées comme telles) où l'on
retient que la cellule nerveuse a subi dans la vie intra-foetale une évolu-
tion si incomplète qu'elle n'est susceptible que des impressions et réac-
tions absolument élémentaires, inférieures et rudimentaires. C'est le cas
de l'idiotie. Il y en a d'autres, au contraire, où la cellule nerveuse, qui a
évolué d'une façon normale et complète, a subi, dans l'âge adulte, un pro-
cessus d'involution très grave et souvent précoce, tellement grave que non
seulement on le constate anatomiquement depuis les premières manifesta-
tions psychopathologiques, mais qu'il est encore tout à fait inguérissable.
Cela arrive dansles démences paralytiques, les démences séniles etles démen-
ces par intoxications chroniques exogènes {pellagre, alcool). Dans celles-ci
et dans l'idiotie il est évident qu'aucune méthode de psychothérapie ou d'er-
gothérapie ne peut être appliquée. Une vie absolument végétative, l'impuis-
sance physique ou la mort rapide du corps en constituent les issues défini-
tives. La même chose vaut pour la période aiguë des psychoses aiguës qui
sont presque toujours des états de démence aiguë, souvent fiévreux et
souvent guérissables et qui ne peuvent être traités avec l'ergothérapie
que dans la convalescence. Dans un autre groupe de psychoses, au con-
traire, nous observons des phénomènes tout à fait différents. Dans 1'leysté-
rie - maladie singulière et polymorphe dont nous attendons encore
une définition exacte, - non seulement tous les mécanismes cons-
cients apparaissent conservés, mais l'on observe encore la perversion d'un
ordre tout à fait supérieur de volitions, qui se manifeste par les caprices,
les simulations, les fausses accusations, les convulsions des sujets. L'hys-
térie a été nommée « la maladie de la volonté ». La volonté, n'est pas en dé-
ficit quantitativement, mais elle est erronée ; elle n'est pas incomplète
mais au contraire exubérante ; tout phénomène interne ou externe provo-
que des réactions volontaires non seulement immédiates et intenses, mais
encore prolongées dans le temps et évoluant dans des proportions absolu-
ment exagérées par comparaison avec leurs moments efficients. Dans cette
maladie, l'intelligence de l'aliéniste possède le maximum d'action théra-
peutique ; ici la suggestion mentale trouve sa plus précise indication;
mais elle ne doit pas être séparée du travail physique qui s'y joint comme
sédatif et comme adjuvant.
Dans les démences primitives, au contraire, tout traitement strictement
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 141<
psychique est vain. La lésion mentale est inguérissable; mais elle permet
à la vie somatique une longue durée. Dans celles-ci, plus que dans les
autres psychoses, la bonne santé physique accompagne l'effondrement le
plus absolu de la coordination logique et de la critique. Je voudrais même
appeler du terme héboïdisme cette singulière apparence de naïveté men-
tale et de jeunesse corporelle qui existe chez un grand nombre des dé-
ments primitifs et qui présente une bien singulière opposition avec leur
âge réel et la submersion de leurs capacités psychiques. Des déments pri-
mitifs, âgés de 60, 70 ans, n'en montrent que 50, 60 ; d'autres orientés, cor-
rects et inoffensifs, ressemblent à de « gros enfants » ou à des bamboches.
Il y en a d'autres, au contraire, chez qui, malgré leur démence, on observe
encore l'existence de nombreux états de conscience même s'il y a un cata-
tonisme et un négativisme prononcés. Ainsi un catatonique, qu'on fait
écrire, compile une lettre très sensée dans laquelle il dit « qu'il veut sortir
de la prison où il est injustement renfermé » ; un hébéphénique lit couram-
ment le journal, apprend des faits nouveaux ; un paranoide conserve une
mémoire admirable de toute chose. On peut très bien fournir à ces derniers
malades un travail simple et systématisé : en les distrayant de leurs idées
délirantes on réduira leur négativisme. Chez ceux-ci, peut-être parce qu'ils
se trouvent dans un état initial de maladie, l'ergothérapie est employée et
donne d'excellents résultats comme nous l'observerons dans la suite d'une
façon plus détaillée. ,
L'ergothérapie est également applicable dans les périodes de calme des
phrénoses maniaques dépressives, dans l'épilepsie, la phrénasténie, l'imbé-
cillité morale, ainsi que nous allons le démontrer à l'aide des données
statistiques.
Depuis 1886, savoir depuis 18 ans, l'ergothérapie se pratique dans l'a-
sile de Girifalco et elle y constitue la méthode fondamentale du traitement
des aliénés.
Je me borne à étudier les chiffres des dix années dernières, parce qu'ils
sont les plus complets et parce que j'ai pu les contrôler avec toute rigueur.
En 1894-1903, pour 100 malades, le chiffre minimal annuel des travail-
leurs a été de 39.5, le maximal 47, la moyenne de 41. La moyenne pour 100
des sorties sur le nombre des admissions a été de 66, avec un minimum
de 54, un maximum de 78. La mortalité fut de 5.5 0/0 avec un maximum
de 7.9 et un minimum de 3.8 (Tab. I). La moyenne pour 100 des récidives
fut de 23 avec un minimum de 17, un maximum de 36 (Tab. VIII).
La population des fous a été en 1903 de 325 individus, dont 147 (savoir
47 0/0) travailleurs. Lorsqu'on pense que ce chiffre est calculé sur toute la
population, non exceptés les vieillards, les aveugles, les cérébroplégiques,
142 BIANCHINl
les fous qui ont commis des homicides, on pourra affirmer qu'elle n'est ni
atteinte ni suivie de près par aucun autre asile d'Italie et qu'elle est supé-
rieure de plus du double au 20 0/0 discutable qui représente la moyenne
des fous travailleurs en Italie. Si nous voulons, en effet, faire des compa-
raisons avec les seuls chiffres officiels qui renseignent sur la question, nous
trouvons que sur 36.931 fous recensés en 1898, 7.441 étaient travail-
leurs (1), ce qui signifie que la moyenne était en 1898 de 20 0/0, donc en
tout cas inférieure encore à la moitié du chiffre que nous présentons. Mais
nous affirmons tout simplement que ce chiffre de 20 0/0 bien que mi-
nime est absolument faux et bien supérieur à la réalité. Dans le paragra-
phe 3 de la relation citée nous avons vérifié que le nombre des fous tra-
vailleurs dans certains asiles est totalement inventé et n'existe pas.
TABLEAU I. - Proportion entre la population et les travailleurs.
Procent. des sorties et de la mortalité dans l'espace 1894-1903.
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 143
I. - Les 47 0/0, c'est-à-dire presque la moitié des aliénés peuvent être
traités, avec les méthodes du travail. - .
II. - Les femmes travailleuses surpassent les hommes travailleurs de
23 0/0, savoir comme 5 : 4. ,
Cela s'explique facilement. La femme non seulement est plus soumise
que l'homme, mais encore les travaux féminins sont bien plus simples et
plus mécaniques. Ceux-ci- encore sont beaucoup moins dangereux et par
conséquent applicables sur une plus large échelle. Les femmes en effet
peuvent travailler sans instruments (blanchisseuses,. couturières, tisseu-
ses) ; pendant que nombreux sont les métiers auxquels 'il' faut' employer
les hommes avec beaucoup de prudence et de surveillance (forgerons, me-
nuisiers, maçons), vu le nombre et la qualité des instruments nécessaires.
Chez les femmes, de plus, les impulsions violentes sont plus rares et plus
inoffensives que chez les hommes, avant tout, vu leur moindre force mus-
culaire, en second lieu parce que les femmes épileptiques et hébéphré-
niques, formes où les impulsions sont plus fréquentes, atteigni-
rent (à Girifalco) un chiffre notamment inférieur à celui des hommes
épileptiques et hébéphréniques. Les arts et les métiers auxquels sont
appliqués les fous, sont au nombre de 21 (tab. VI), suffisamment nom-
breux pour qu'on y puisse appliquer avec toute rigueur les malades plus
adaptés et inoffensifs.
Il n'est pas possible, parfois, qu'un malade reprenne son ancien métier,
soit parce que son intelligence ne s'y adapte plus, soit parce qu'il
serait même dangereux de le faire. Dans ces cas il n'est pas difficile de
lui en apprendre un autre. Un docteur en droit, hébéphrénique devint un
tailleur passable ; un médecin bébéphrénique se réduisit à être musicien ;
d'un sculpteur sur bois on fit un excellent tailleur ; d'un sergent de ville
un imprimeur capable,etc.Nous observons même (tab. VII) que les 470/0
des travailleurs hommes ont changé de métier dans l'asile. Cela n'arrive
pas chez les femmes ; parce qu'une femme,en général, 5.ait toujours coudre,
repasser, laver en même temps, et nous ne pouvons pas l'appliquer à
d'autres travaux qu'à ceux du ménage qui,- dans un asile bien organisé
sont de bien peu différents que ceux du ménage d'une famille.
Nous allons maintenant examiner plus de près le travail appliqué aux
différentes psychopathies (tab. III, IV, V).
Psychoses aigües. - Les psychoses aiguës par collapsus, traumatismes,
infections, l'amentia sont des formes mentales qui se développent souvent
accompagnées de fièvre, et presque toujours entraînent une décadence
somatique aiguë et des troubles de la vie végétative. z -
144 BIANCHINI
TABLEAU III. - Proportion entre les formes cliniques totales
et les travailleurs.
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 145
TABLEAU V. Femmes. Proportion entre les formes cliniques
et les travailleurs.
146 BIANCHINI
TABLEAU VII. Hommes travailleurs qui ont conservé ou quitté l'art
ou le métier originaires.
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 147 7
tia, elle rentrent pour ce qui regarde leur traitement, dans le tableau des
psychoses aiguës. -
Quant à l'alcoolisme, on peut soigner suivant les méthodes indiquées
pour les psychoses aiguës, les formes de délire hallucinatoire alcoolique,
de delirium treteas,de pseudoparalysie alcoolique. Il n'en est pas ainsi pour
l'alcoolisme chronique, à cause de l'état d'asthénie physique, et de la pro-
fonde démence qui en constitue l'issue définitive.
L'on peut soigner au contraire par le travail ces cas de psychose
alcoolique qui se manifestent par les délires de jalousie transitoires. Cela
explique le chiffre de 50 0/0 de notre statistique ; de nos deux alcooli-
ques travailleurs, l'un est forgeron, l'autre cordonnier.
Démence primitive. - Dans la catégorie nombreuse et polymorphe des
déments hébéphréniques on en trouve certainement deux qui présentent
les mêmes symptômes et au même degré. Depuis les plus profondes stéréo-
typies motrices, accompagnées d'une aboulie totale, par la submersion du
langage, d'une profonde inertie physique, l'on remonte jusqu'à celles
que Kahlbaum (1) a appelé héboidophréniques et qui ont été tout récem-
ment bien illustrées par Diem (2) sous le nom de formes de démence simple
de la démence primitive. Dans celles-ci on n'observe aucun symptôme
somatique : il y a une singulière lucidité de perception, la mémoire est
conservée, ainsi que la faculté d'assimilation. La démence est constituée
par un état d'absolue « indifférence, par une disparition totale de l'affec-
tivité, très rarement par des impulsions ». Tandis que dans les premières
formes le travail n'est pas possible, on réussit très bien à l'appliquer dans'
les secondes. On peut le faire aussi dans plusieurs formes mixtes,
ltébéphrénico-catatoniques où l'état de catalepsie musculaire n'est pas per-
manent, mais peut être artificiellement ou spontanément réduit pendant
plusieurs heures de la journée. Chez ces malades toutefois, facilement épui-
sables, il faut prescrire une occupation courte et légère : et nous croyons
que la musique est une des meilleures. Des dix malades composant notre
orchestre, trois sont hébéphrénico-catatoniques, deux autres héboidophré-
niques. Dans notre statistique les 24 0/0 des hébéphréniques sont des tra-.
vailleurs, avec une légère prépondérance des femmes sur les hommes.
La démence catatonique est notablement plus rare, mais inaccessible au
travail, puisque le plus absolu négativisme musculaire en constitue l'es-
sence morbide.
Chez les déments paranoïdes au contraire, le travail est appliqué avec
succès et dans un pourcentage très élevé. Ces malades sont parfois très
(1) Kahlbaum, Uebeî, l1ehoidopll1'/Jnie, Allg. Zeitschr. f. Psych., 46 Bd., 1889.
(2) Diem, Die eimfach démente Ivo1 ? der Dementia praecox (Dementia simplex),
Archiv. f. Psychiatrie, 37 Bd. 1903, les lift., p. III.-187.
148 BIANCHINI
suggestionnâmes. Leur délire, pour absurde qu'il soit, coexiste avec une
série très nombreuse d'associations conscientes et de jugements exacts.
Il n'est pas difficile de s'introduire dans le cercle de leurs conceptions déli-
rantes et par leur intermédiaire les diriger vers le travail. J'ajoute encore
qu'en dehors des périodes initiales et de rares exceptions, le paranoïde
est très souvent inoffensif, tranquille : parfois même il est très correct, et il
est lucide dans ses perceptions. --
Les 71 0/0 de nos paranoïdes sont travailleurs, presque tous tailleurs
et couturières. Sans pouvoir donner l'explication du fait, je puis affirmer
que ce métier leur est particulièrement indiqué. Mais les persécutés et les
persécuteurs processifs ne peuvent être réduits au travail, soit à cause de
la prépondérance du délire, soit,par un sens d'orgueil et de négativisme
intellectuel, qui les rend tout à fait singuliers et obstinés.
Les déments paralytiques et les déments séniles donnent le 0 0/0 de tra-
vailleurs. Les raisons en sont claires : l'invalidité physique, la paralysie
motrice, la sénilité en soi. Le chiffre de 36 0/0 chez les séniles provient
de certains cas de mélancolie involutive où la décadence intellectuelle était t
notablement plus grande que celle du physique, celui-ci étant encore bien
conservé. *
La psychose maniaque dépressive donne 60 0/0 de travailleurs avec un
excédent de 22 0/0 des femmes sur les hommes. Les formes périodiques
sont plus facilement traitables par le travail que les formes circulaires ;
celles à type expansif plus que celles à type dépressif, à cause de la nature
même des mécanismes morbides. Nous voulons ici observer que plusieurs
périodiques, traités avec l'ergothérapie, après un premier séjour dans
l'asile n'y sont jamais plus rentrés.
Les malades de phrénose maniaque dépressive aussi bien que certains
alcooliques peuvent être admis au genre de travail qu'ils accomplissaient
anciennement, parce que la maladie n'est pas une démence ; elle ne laisse
par conséquence aucune destruction de la mémoire ou de la volonté, et ne
présente que rarement (suicide chez les mélancholiques, etc.) des impul-
sions dangereuses.
L'épilepsie, très fréquente en Calabrune, donne dans notre asile le pour-
centage plus élevé (18 0/0) que dans tous les autres asiles d'Italie ; elle
est largement traitée par les méthodes de travail. Cela constitue un résul-
tat vraiment remarquable lorsqu'on pense que nos épileptiques sont très
impulsifs ! Malgré cela ils né sont pas chez nous plus dangereux que dans
le Nord : nous les adaptons facilement à une série de travaux légers et
faciles. Plusieurs aliénistes ont de l'épilepsie une crainte injustifiée.
L'idée que l'épileptique est un impulsif, que pour la nature de l'affec-
tion tout objet qu'il tient en main peut d'un moment à l'autre se trans-.
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 149
former en un instrument de mort - idée au fond exacte - leur fait
croire contraire à tout précepte de technique manicomiale le travail des
épileptiques. C'est une erreur. Avant tout, même s'il est traité par le
repos le plus absolu et surveillé avec tout le soin désirable, il est presque
toujours frappé par l'accès avant même que le garde-malade puisse arriver
à son secours. Ainsi, même dans les asiles où les épileptiques ne travail-
lent pas, ils.présentent néanmoins sur la tête et sur le corps les cicatrices
des blessures qu'ils se sont faites en tombant à terre. En second lieu il
n'est pas vrai que tous les épileptiques soient des impulsifs ou que les accès
arrivent immanquablement tous les jours. Il y a des épileptiques moteurs
simples, qui ont un accès tous les 8-10 jours ; il y a les épileptiques à «aura
psychique » où l'accès est annoncé longtemps à l'avance, de façon qu'on
peut commodément prendre toutes les précautions nécessaires; il y en a
enfin d'autres chez qui les accès ne reviennent qu'à plusieurs mois de distan-
ce. Lorsque l'aliéniste les connaît un par un, lorsqu'il sait quel caractère
chronologique ont les périodes accessuelles de chaque épileptique, je crois
que dans les périodes de. bien-être, aucune indication, qui ne soit d'une
prudence exagérée, ne peut s'opposer à ce qu'ils soient employés à divers
travaux. Mais nous ajouterons encore que le travail distrait l'épileptique,
qu'il évite la promiscuité de ces êtres'si souvent misanthropes et mauvais,qui
conspirent contre les médecins et contre leurs camarades ; qui sont toujours
irrités par la paresse, mère de tous les vices et de toutes les convulsions.
Naturellement le travail ne doit être ni lourd, ni fait avec des instruments,
dangereux, et'les épileptiques ne doivent pas être abandonnés à eux-
mêmes. Chez nous ils sont employés au magasin du tailleur, ils cou-
sent les costumes, ou bien on les adjoint aux infirmiers qui nettoient les
locaux ou à ceux qui vont dans le jardin ou à la campagne. Sur 58 épi-
leptiques, 32, savoir : les 56 0/0 sont travailleurs; chez nous pas plus
qu'ailleurs on n'évite ces petits inconvénients qui se voient partout avec
ces malades, quelles que soient la rigoureuse et souvent inutile surveil-
lance et l'inactivité auxquelles ils sont soumis.
Psychose hystérique. - Il nous suffit de citer la définition de Babinski
que « l'hystérie est un état psychique qui rend le sujet capable de s'auto-
suggestionner, d'être suggestionné, et d'être guéri sous l'influence exclu-
sive de la persuasion (1) » pour nous expliquer à souhait l'emploi de
l'ergothérapie dans cette forme mentale. Je crois seulement pouvoir
affirmer que, excepté les méthodes peu recommandables de l'hypnotisme,
la suggestion mentale, tout étant la première indiquée, ne peut agir effi-
cacement qu'à l'aide du travail. Les 83 0/0 de nos hystériques travaillent.
(1) Dans Charpentier, Dernières conceptions et définitions de l'hystérie. Archives
de Neurologie, 1903.
xvii 10 O
ISO BIANCHINI
En dehors de quelque cas de grave psychose hystérique avec états d'agita-
tion et de délire, toutes nos malades d'hystérie sont sorties dans un état
de guérison complète.
Les états d'obsession ne peuvent être traités à l'aide d'aucune méthode
d'ergothérapie ou de psychothérapie, au moins dans ces rares cas que
nous avons observés.
L'imbécillité inorale donne 40 0/0 de travailleurs. Cette forme, proba-
blement congénitale, est une phrénasténie sui generis, tous les pouvoirs
perceptifs et de synthèse volontaire sont développés, mais il leur manque
cette critique supérieure et cet ordre de volitions qui déterminent la cons-
cience du devoir et de la nécessité du travail. Certains d'entre eux, mena-
cés d'une réclusion perpétuelle, se résignent à travailler, bon gré malgré;
d'autres sont tout à fait inappliquables. Certains autres encore, arrivés à
un âge avancé, finissent leurs dernières années entre les murs de l'asile
où, plus qu'ailleurs, l'inactivité et le maintien gratuit représente à leur
esprit un idéal de vie qu'ils n'avaient jamais atteint auparavant et qui
les dédommage avec usure de leur liberté perdue.
Les Pltrénasténiques au contraire, sont très adaptables au travail : notre
statistique en donne les 78 0/0 avec une certaine prépondérance des
hommes sur les femmes. Chez les phrénasténiques tels que nous les défi-
nissions - l'on peut dire que la vie psychique s'est arrêtée sur le seuil de
l'adolescence. Si la vie « perceptive » a évolué normalement, elle n'a pas
pu atteindre les hauteurs plus élevées de la volonté de la critique, de l'af-
fectivité. Rares y sont les impulsions morales et affectives : fréquentes au
contraire les explosions motrices de cris, de légers sévices sur soi, de
révolte inoffensive.
Toutefois les phrénasténiques sont, jusqu'à un certain point, susceptibles
d'éducation : il suffit ici de rappeler les instituts spéciaux qui ont été créés
pour eux et qui devraient être établies en Italie bien plus nombreux et
mieux organisés qu'il n'en est aujourd'hui. Plusieurs phrénasténiques qui
ont grandi dans l'asile sont devenus des tailleurs, des maçons, des tail-
leuses, des couturières.
Les idiots sont réfractaires au travail. La cellule nerveuse qui a subi
une lésion peut-être depuis la vie intra-utérine est tout à fait incapable
de se développer « mentalement ». La vie psychique de l'idiote est tout
à faitrudimentaire; inférieure même à celle des animaux les plus intelli-
gents, et réduite aux instincts et aux appétits inférieurs.
Nous avons recueilli enfin un certain contingent d'états maniaques et
dépressifs et d'états de démence. Nous avons réuni sous ces termes certains
cas où le diagnostic était douteux ou impossible. Il y a, par exemple, certains
individus entre 14 et 20 ans, qui sont admis pour la première fois et qui
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 151
présentent des états maniaques ou dépressifs dont il est impossible déjuger
s'ils se transformeront en psychose maniaque dépressive ou en démence
primitive. Egalement j'ai trouvé plusieurs vieux déments, transférés de
l'asile de Aversa, dont, faute d'anamnèse on ne peut dire que ceci : ils se
trouvent en « état de démence ».
Après ces données sur le travail appliqué aux diverses formes de psy-
choses, nous allons examiner les rapports qui retient'l'eigothérai)ie avec
la technique manicomiale avec le bilan sanitaire d'un asile et avec son
budget administratif. '
Pour ce qui regarde les critères de technique manicomiale, les données
que nous avons exposées démontrent un premier postulat : savoir, que tous
les asiles des aliénés doivent être pourvus d'une colonie agricole ou au moins
d'un vaste terrain cultivable immédiatement contigu à des ateliers pour
arts et métiers, et cela doit être dirigé avec économie. Il n'est pas possible
d'admettre aujourd'hui l'existence d'un asile comme malheureusement il y
en a beaucoup encore en Italie, peuplé de plusieurs centaines d'individu,
et avec des cours dépouvues même d'arbres : ils ressemblent ainsi à des
prisons et ils en ont toutes les funestes conséquences sur la santé et le bien-
être des habitants. On pourrait admettre l'existence autonome d'un hôpi-
tal pour- les maladies mentales capable de recueillir tous les cas aigus et
représentant.un grand élément d'observation ; mais alors, à plus forte rai-
son, il faudrait lui adjoindre des autres hôpitaux pour chroniques situés à
la campagne et pourvues d'un grand terrain cultivable. Je crois même
que ce système serait le meilleur pour ces provinces où le nomhre des
fous surpasse 500. Les énormes entassements de 1000, 2000 fous, même
plus, et dans un seul établissement, rendent tout à fait impossible l'exacte
connaissance individuelle de chaque malade ; connaissance d'autant plus
nécessaire qu'il faut choisir les méthodes de traitement et les soins les plus
adaptés. Lorsqu'on pense encore que le personnel sanitaire de nos asiles
est extrêmement peu nombreux que plusieurs de nos grands asiles sont
des vieux bâtiments incommodes, on admettra facilement l'opinion de cer-
tains aliénistes allemands selon lesquels le chiffre maximal de la popu-
lation d'un asile ne devrait atteindre 500 ou 300 individus est fondée.
Au-dessus des avantages offerts par un asile situé dans la campagne et à
son action favorable exercée sur la vie hygiénique des fous, l'ergothérapie,
bien mieux que n'importe quelle autre proposition doctrinaire ou théo-
rique, réduit au minimum l'emploi des moyens de coercition forcée. -Pas un
de nos psychopatiques n'est maintenu au lit. Cinq hommes et quatre fem-
mes, savoir le 2 1/2 0/0 portent, durant la journée, une camisole de toile
légère, tissée par nos malades mêmes : ces sont des gâteux et des impul-
sifs pour lesquels, d'un côté, l'absolue liberté serait nuisible et dan-
152 ' BIANCHINI
gereuse; d'autre côté la réclusion dans une cellule serait inutile et super-
flue. Ces chiffres sont assez éloquents par eux-mêmes.
L'ergothérapie permet encore une large application de l'opendoor. Une
muraille basse et continue, faite pour les étrangers, pas pour les fous,
renferme dans son enceinte un espace de 60.000 mètres carrés de terrain.
Ici tous les travailleurs et les' fous qui ne sont pas obligés de garder le lit,
peuvent librement circuler, se promener,-grimper sur les arbres à fruits,
courir dans les allées. On pourra objecter qu'une telle liberté ne corres-
pond pas à l'opendoor absolu : et c'est parfaitement vrai. Mais nous devons
faire remarquer que l'arriéré anthropologique et social de la race calabraise
est tel, que les impulsions et les violences personnelles sont, même chez
les fous, très fréquentes : de façon qu'il est bien difficile de traiter ceux-ci
à l'instar des populations plus évoluées où, vu la plus grande docilité du
caractère individuel, les fous peuvent librement sortir et entrer dans l'a-
sile sans aucun danger.
c II est encore sous-entendu qu'avec l'application de l'opendoor, telle que
nous pouvons la faire, le nombre des fous agités est réduit au minimum en
fréquence et par gravité.
Les chiffres qui démontrent quelle énorme influence exerce l'ergothé-
rapie sur le bilan sanitaire général des aliénés sont celles de la mortalité, des
sorties, des récidives.
La moyenne pour 100 de la mortalité à Girifalco, durant l'espace 1894-
1903 a été de 5.50 0/0 avec un minimum de 3.8 et un maximum de 7.9.
Elle est la plus basse de toutes les autres des divers asiles d'Italie et
en définitive plus favorable que celle qu'on observe dans plusieurs asiles
qui sont considérés comme les meilleurs et les mieux organisés. 1
' Il me suffit de faire une courte comparaison entre les chiffres de la ta-
ble IX que j'ai tirés d'une communication de Pellegrini (1) et d'une autre
de d'Ormea (2).
Nous affirmons qu'au-dessus des facteurs climatiques, géologiques et
d'ambiance, la méthode du travail à une directe et prépondérante relation
avec la basse mortalité de l'Institut. Si notre asile, en effet, se trouve dans
les meilleures conditions hygiéniques, parce qu'il est placé sur une colline,
bien exposé à l'air, au soleil, et dans un climat chaud, il y a d'autres asi-
les en Italie, comme celui de Luques, Pérouse, Bergame, qui jouissent des
conditions identiques, cependant la mortalité y est sans comparaison supé-
rieure ; mais,en même temps l'ergothérapie y est appliquée sur une échelle
( 'il) PELLEGRINI, Il manicanio di Girifalco, Bergamo, Officine dell'Istituto Italiana d'Asti
.Grafiche, 1901. ·
(2) D'ORMEA, La pazzia 11ella provincia di Ferrara, Giornale de Psichiatria Clinica e
Reinica Manicomiale, Iasc, II-III, 1903. 1 '
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 153
très réduite. La coïncidence du'chiffre moindre de la mortalité avec le chif-
fre maximal des travailleurs - que je constate seulement chez nous - est
tellement suggestive que je me tiens autorisé à les mettre entr'eux dans
un rapport très étroit et intime, et à affirmer que d'autant plus élevé est le
chiffre des travailleurs dans un asile d'aliénés, d'autant plus bas est le chiffre
de la mortalité. 1
Quoi qu'il' soit, il est certain que le travail détermine l'optimum de l'é-
quilibre dans les fonctions des échanges matériels ; il raccourcit la période
de convalescence d'une psychose aiguë, il préserve un grand nombre de dé-
ments de l'inertie et de l'alitement. De nos 325 malades, les 204 hommes
sont tous debout : il n'y en a aucun à l'infirmerie : seulement dans l'hiver,
trois ou quatre octogénaires ou paralytiques à l'état terminal sont confinés
au lit. Des 121 femmes, 6 seulement sont alitées par, vieillesse ou parce
qu'elles sont idiotes et sales. ..
TABLEAU VIII. - Proportion entre les admissions, démissions,
.. - récidives dans l'espace 1894-1903.
154 BIANCHINI
savoir sur 100 admis, 64,5 furent licenciés, mais seulement 28,6 guéri-
rent pour ne jamais plus rentrer. Notre chiffre donc est supérieur de
32.4 0;0 à celui de l'asile de Ferrare qui est réputé comme un des meil-
leurs d'Italie, ce qui démontre qu'avec l'ergothérapie élevée à la dignité de
méthode thérapeutique 43 0/0 des psychoses, traitées dans un asile d'aliénés,
se terminent par la guérison définitive.
TABLEAU IX. - Statistique de la mortalité en 1892-1897
dans seize Asiles d'Italie.
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 155
ment, le chiffre p1'ocentuel des malades travailleurs correspond presqu'exac-
tement au chiffre procentuel des guérisons définitives ; en même temps sont
réduits au minimum' les chiffres de la mortalité et des récidives.
Nous voulons encore en terminant dire un mot des notables avantages
que l'ergothérapie produit sur le budget administratif. Ce point de vue
économique toutefois ne doit avoir qu'une importance secondaire à l'égard
du critère exclusivement clinique qui forme la base de l'ergothérapie.
Le médecin aliéniste doit envisager comme postulat fondamental que :
L'application du travail physique aux aliénés a pour seule et immédiate
finalité la cure de l'intelligence malade, l'abolition des moyens coercitifs,
le bien-être somatique des aliénés chroniques.
Le travail doit être appliqué avec des méthodes rationnelles ; le malade
rebelle y est adapté progressivement si possible, avec douceur, jamais
avec violence : le travail ne sera jamais pénible : le repos et la nourriture
concédés sans restrictions. Jamais l'aliéniste ne doit se retenir autorisé à
« exploiter » le travail des fous : s'il en tire quelqu'avantage économique
à l'administration de l'asile, ce doit être le surplus heureux d'une oeuvre
curative, jamais le résultat direct d'une spéculation organisée.
Le fait même que les malades travaillent dans le milieu et avec les
moyens de l'asile porte pour conséquence naturelle que les bénéfices qui
en résultent sont en faveur de l'administration de l'asile et de la province.
Mais précisément à cause de celà le travail doit être appliqué avec les seuls
critères curatifs : en permettant que le malade travaille, jamais en préten-
dant qu'il soit soumis à l'encontre de sa volonté.
Depuis sa fondation en 1881 avec 22 malades, l'asile de Girifalco a
augmenté sa population jusqu'à 325 en 1903 ; il l'a pu en bâtissant les
édifices avec le seul travail des fous. Dans cet espace de temps, à l'exception
de 60.000 francs donnés par la province, toutes les constructions ont été
faites sur les économies pour une valeur totale de 160.000 francs. Ce qui
signifie que depuis 1886 où l'on introduisit l'ergothérapie sur une vaste
échelle, lasomme qui a été épargnée par la province avec le travail des fous
et qui est représentée par les bâtiments, correspond en tout à 100.000 fr.,
savoir à une moyenne annuelle de 6.000 francs ; sans compter encore
7.000 francs annuels qui sont représentés par les autres travailleurs.
Nous voulons encore observer que le travail des fous appliqués au ter-
rain cultivable s'unit à celui des fous affectés aux bâtiments et aux services
généraux (garderobe, tailleurs, menuisiers) pour déterminer une remar-
quable épargne dans l'achat ou dans la production directe des objets de pre-
mière nécessité et dans la main-d'oeuvre. Il en résulte que tous les asiles
doivent être administrés en économie, savoir en produisant par eux-mêmes,
156 BIANCHINI
ou au moins en fournissant par leur main-d'oeuvre les objets- de première
nécessité pour l'alimentation et le maintien des fous.
Pour en donner un exemple,nous dirons que tous les édifices, dont nous
avons parlé plus haut, ont été bâtis avec la pierre tirée d'une carrière de
l'asile, avec la chaux fabriquée à côté avec la main-d'oeuvre des fous;
qu'une grande partie des étoffes de vestiaire sont fabriquées, tissées et con-
fectionnées par les malades, etc. -
. De cette façon, là dépense moyenne journalière supportée par la pro-
vince de Catanzaro pour chaque malade, qui en 1890-1899 était de 1 fr. 05
(la quatrième pour la modicité des asiles d'Italie ; Terrano0 fr. 98 ; Como,
1 fr. 02 ; Parma, 1 fr. 03) (1), a été réduite en 1901 àO'fr. 89, en 1902
à 0 fr. 88, en 1903 à 0 fr. 8743, et est devenue la première : ainsi nous
pouvons dire que la province de Catanzaro tout en donnant le plus grand
chiffre de fous guéris supporte en même temps les frais plus petits pour
leur maintien et pour leur traitement.
Nous avons ainsi démontré, avec des chiffres et des données bien sim-
pies mais réelles, l'énorme influence que l'ergothérapie exerce sur la vie et
la maladie de l'aliéné. Avant d'abandonner cette question que nous avons
cherché d'illustrer aussi clairement et scientifiquement qu'il nous a été
possible, nous voulons réunir dans une courte synthèse les postulats de
biologie qui forment la base de l'ergothérapie et ceux qui en dérivent de
son application au traitement des aliénés.
CONCLUSIONS .
Au-dessus des méthodes strictement cliniques, savoir d'intervention médi-
camenteuse directe dans les maladies mentales, l'ergothérapie et la psy-
chothérapie, savoir le traitement de l'intelligence par la rééducation au tra-
vail physique et mental jouent un rôle prépondérant et fondamental. Elles
sont basées sur une loi élémentaire de la psychologie humaine.
Tout travail musculaire et intellectuel doit être dirigé vers une finalité
précise et déterminée.
Chez les aliénés un tel but n'est plus possible à atteindre d'une façon
spontanée à cause de la lésion mentale. Il doit être provoqué par l'aliéniste
grâce à la rééducation au travail {ergothérapie) ou grcïce à la suggestion
mentale {psychothérapie) dès que l'application de ces méthodes est possible en
se basant sur deux faits réels de la biologie des fous : 10 chez tout aliéné il
existe des états de conscience ; 2° chez la plus grande partie des aliénés
les fonctions plus communes de la vie végétative {alimentation, digestion)
existent inaltérées ; et le travail physique est possible grâce à l'intégrité
des masses musculaires et de leur innervation.
' Le traitement des aliénés avec le travail physique a pour seule et immé-
ERGOTHÉRAPIE ET PSYCHOTHÉRAPIE 157
diate finalité là cure de l'intelligence malade, l'abolition des moyens de coer-
cition, le bien-être somatique et psychique des aliénés chroniques.
Où l'ergothérapie est élevée à système, l'on peut affirmer que le chiffre
percentuel des travailleurs devient celui des guérisons définitives : la
moyenne de la mortalité et des récidives est minime : le chiffre des sorties
est au maximum ;' le chiffre des. frais de maintien pour chaque malade hos-
pitalisé est minime.
L'ergothérapie constitue la base plus naturelle et plus simple de l'appli-
cation du no-restraint et de l'opendoor.
En ces courtes formules nous croyons avoir synthétisé une grande partie
de la mission scientifique et humanitaire des cliniciens des maladies men-
tales.
Girifalco, janvier 1904.
Je dois exprimer à mon directeur, M. le Dr R. Pellegrini, mes plus vifs
remerciements pour le désintéressement avec lequel il a mis à ma disposi-
tion les Archives de l'asile et pour l'appui que j'ai trouvé dans son expé-
rience technique. C'est en grande partie à cause de son mérite que l'asile
- des aliénés de Girifalco peut être considéré un des meilleurs en Italie pour
les méthodes de traitement des fous. ..
- . NOUVEAUX DOCUMENTS
'sur
LES POSSÉDÉS ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN
PAR
.. Jean HEITZ.
- Les documents reproduits planche XIX nous ont été très obligeamment
communiqués par M. Berteaux, le distingué chargé du cours de la Faculté
des lettres de Lyon, et nous tenons tout d'abord à le remercier de son
obligeance. Ce sont des miniatures d'un manuscrit du Mont-Cassin, ac-
tuellement déposé à la bibliothèque du Vatican, où il était resté à peu près
inconnu jusqu'à ces derniers temps. M. Berteaux qui l'y a retrouvé, a fait
de ces miniatures une étude complète dans son beau livre sur les arts de
l'Italie méridionale.
Plusieurs des miniatures de ce manuscrit nous intéressent par leurs
figurations pathologiques, et certains détails qui s'y trouvent y viennent
compléter des déductions que nous avions cru pouvoir émettre dans un
article antérieur (1). Dans cet article, après avoir étudié un certain nom-
bre d'oeuvres d'art byzantines ayant trait soit à des scènes d'exorcisme,
soit à des difformités ou à des maladies et après avoir dégagé pour chacune
d'elles les caractères directement observés, de ceux de pure imagination,
nous avions montré qu'en maints endroits, les déductions qu'on en
pouvait tirer sur le degré de valeur artistique des différentes époques,
coïncidaient avec la manière de voir des archéologues et des artistes.
Sur quelques points même, nos constatations d'ordre clinique venaient
donner un appui scientifique à certaines théories artistiques.
(1) Jean Heitz, Les démoniaques et les malades dans l'arl byzantin (Nouv. Iconogr.
Salpêtr., nos 1 et 2).
NOUV. iconographie : DE la salpêtrière.
T. XVII, PL. XIX.
Possédés ET Malades dans L'ART byzantin.
(J. Heit{.)
Miniatures d'un manuscrit du Mont Cassin, xie siècle (Bibliothèque du Vatican).
MASSON ET G^, Éditeurs.
LES POSSÉDÉS ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 159
Nous croyons que semblable analyse de quelques-unes des miniatures
de M. Berteaux, pourra, de même, présenter un certain intérêt pour l'ar-
tiste comme pour le médecin.
Le manuscrit qui rapporte l'histoire des miracles de saint Benoît et de
saintMaur (fonds latin du Vatican,n° 1202) est l'oeuvre d'un moine duMont-
Cassin ; il porte la'date de 1072. A cette époque, la célèbre abbaye béné-
dictine traversait une de ses périodes les plus brillantes. C'était un foyer
de littérature et d'art. Cet art du Mont-Cassin était-il seulement une des
branches de l'art byzantin ? Sur ce point, nous sommes obligés d'entrer
dans quelques considérations que nous empruntons au livrè de M. Berteaux.
L'influence grecque était prépondérante dans toute l'Italie du Sud depuis
l'exode des défenseurs d'images chassés de Byzance par leurs adversaires
au vin8 siècle. Pendant tout le x° siècle, l'Exarquat resta une province by-
zantine, et elle devait rester telle jusqu'à la conquête normande. Le
xe siècle a été, on le sait, la plus belle période de l'art byzantin, celle où
se sont constitués les types qui se transmirent plus tard pendant de longues
générations. L'Apulie est encore' couverte de grottes et de chapelles ornées
de fresques où se retrouve toute la technique de Mistra et du Mont-Athos.
Dans la partie occidentale de l'Italie, cependant, l'influence grecque
était moins absolue. Les peintures des quelques basiliques bénédictines
encore debout dans ces régions présentent, d'après les critiques, des dé-
tails de dessin, des attitudes qui ne sont pas purement byzantines. Il y a
là une sorte d'inspiration latine, et certains admettent même une influence
germanique. C'est qu'à cette époque existait en effet en Germanie, un art
florissant, développé sous le règne des Othons. Cet art était grec d'origine :
le mariage d'Othon II avec la princesse grecque Théophano avait amené en
Allemagne de nombreux artistes de Constantinople. On sait aussi que le
frère d'Othon II, archevêque de Cologne, apprenait le grec des moines by-
zantins qui se trouvaient à l'abbaye de Reichenau, dans le lac de Constance.
C'est sous ces influences qu'ont été exécutées les miniatures des, manus-
crits d'Aix-la-Chapelle et les fresques de l'église d'Oberzell à Reichenau,
et nous aurons l'occasion de revenir sur les figurations médicales qui
s'y rencontrent.
Or il n'est pas douteux que des influences germaniques s'étaient fait
sentir au Mont-Cassin. Les empereurs étaient donateurs du couvent, et
certains y avaient séjourné. On peut considérer que l'art du Mont-Cassin
était à cette époque d'origine byzantine, mais mêlé d'influences locales et
germaniques.
Vers 1062, soit une dizaine d'années avant l'époque où fut exécuté le
manuscrit de saint Benoît et de saint Maur, l'abbé Desidérius, supérieur
160 HEITZ
du couvent, avait commencé d'importantes constructions. Pour la décora-
{ion de la grande basilique, il avait fait venir de Byzance des portes de
bronze ; puis en 1066, des orfèvres, des artistes en mosaïque. C'est ce qui
explique, selon M. Berteaux, la modification étonnante survenue à ce mo-
- ment dans le mode de décoration des manuscrits. Avant cette époque, ils
n'étaient ornés que de figures très pauvres, et principalement de grandes
lettres dont les détails avaient tout à fait le caractère septentrional. Le ma-
nuscrit des miracles de saint Benoît est la première oeuvre exécutée après
l'arrivée des maîtres grecs, et il est aisé d'y reconnaître des progrès extra-
ordinaires : le style des figures est noble, le dessin assuré, les têtes rondes,
et les corps heureusement proportionnés. On s'expliquerait difficilement
une semblable transformation s'il s'agissait d'une composition originale,
car en si peu de temps, les bénédictins ne peuvent s'être mis si bien aux
formules byzantines. Mais nous avons par M. Berteaux le mot de l'énigme :
l'abbé Désidérius avait fait exécuter à Constantinople un devant d'autel en
émail cloisonné, où étaient représentés les miracles de saint Benoît, et le
miniaturiste a dû bien évidemment s'en inspirer.
. Nous voici maintenant au courant de la place que tiennent ces oeuvres
dans l'histoire de l'art. Il nous reste à les étudier au point de vue qui nous
intéresse spécialement.
Une première miniature représente la guérison d'une femme possédée.
Elle est représentée deux fois : à droite, elle est debout, la figure hideuse
et grimaçante, nue jusqu'à la ceinture ; les bras semblent contracturés. Ce-
pendant les membres inférieurs marchent normalement. A gauche, nous
;la retrouvons guérie, vêtue convenablement, à genoux, en prières dans
une grotte. Les qualités de cette figure sont faibles, et c'est bien ce qui
contribue à rendre surprenante la composition que nous étudierons tout à
-l'heure.
.' Mais, auparavant, disons deux mots de la miniature reproduite (pl. XIX,
- fig. A), et qui représente saint Maur guérissant le pied d'un homme tombé
de cheval. Le cavalier est assis par terre à côté de son coursier ; il a la jambe
.droite repliée et supportant la jambe gauche qu'il élève vers le saint.
Celui-ci touche délicatement le pied blessé. Nous ne trouvons pas ici de
détail méritant spécialement d'être noté, sauf le mouvement de cou du
cheval qui se retourne vers son maître, et qui indique évidemment de la
part de l'artiste, une tendance à sortir du convenu.
La figure B de la planche représente la guérison d'un possédé. On peut
juger de l'aisance du dessin, de l'élégance des silhouettes, dans la figure
du saint qui exorcise de sa main droite et dans le groupe -des assistants
' émerveillés. La figure du possédé dénote de très sérieuses qualités. C'est
un homme debout. Il ne présente dans son attitude aucune tendance au
LES POSSÉDÉS ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 161
mouvement d'arc de cercle, ce mouvement si caractéristique des crises hys-
tériques et qu'on voit dans les bonnes figurations artistiques de ces crises,
en particulier chez quelques byzantins. Mais par contre, il y a un effort
pour rendre les convulsions de la crise. Les membres inférieurs sont tordus
et convulsés, les pointes des pieds tournées en dedans. Ce dernier trait'
est exact ; malheureusement cet état des membres inférieurs est, incom-
patible avec la position debout. Les artistes de la Renaissance qui ont
donné aux membres inférieurs de leurs démoniaques des attitudes sem-
blables, les ont couchés sur le sol, ou les ont fait. soutenir par derrière.
Par contre, du côté de la face et des membres supérieurs, nous trouvons
d'excellents détails. Les cheveux sont hérissés, la tête violemment tordue
à gauche. La bouche est ouverte, avec la langue fortement tirée au dehors,
et un diablotin s'échappe vers le ciel. Le bras gauche est contracturé,
raidi sur le genou. Le bras droit se cramponne au vêtement, et semble
essayer de l'arracher. Ce dernier geste, en particulier, est tout à fait bien
observé. Il est caractéristique de la crise hystérique au même titre que
l'arc de cercle. - '
La protusion de la langue, la torsion latérale de la tête, la contracture
des quatre membres, forment avec l'attitude du bras droit un ensemble
qui ne peut laisser aucun doute : l'artiste a reproduit une crise hystérique
dont il avait été'le-témoin. Peu importe d'ailleurs que cet artiste ait été
l'orfèvre de Byzance ou- le moine de Mont-Cassin, Le fait capital est qu'au
xIe siècle, il s'est trouvé un homme pour observer et reproduire ces détails
cliniques, dont plusieurs apparaissent pour la première fois dans l'icono-
graphie artistique. La protusion de la langue ne se retrouvera que sur une
miniature de Poitiers du xve siècle (P. Richer) (1 ) ; la torsion latérale de la
tête ne se reverra que chez l'enfant du tableau du Dominiquin à Grotta-
Ferrata, et dans la transfiguration de Rubens, au musée de Nancy (2). Le
geste de la main crispée arrachant les vêtements se rencontre pour la
première fois au XVIe siècle, dans un dessin de Van Noort représentant
la guérison d'une dame de Pise par sainte Claire. Dans ce dessin (rapporté
par P. Richer dans son livre), la main gauche de la convulsionnaire ouvre
la robe en découvrant complètement le sein. Nous retrouvons aussi ce
geste dans les tableaux de Rubens par exemple, dans la transfiguration
de Nancy et dans le Saint-Ignace de Gênes. ,
Comparons maintenant cette miniature du Mont-Cassin, aux figures
semblables des oeuvres byzantines de la même époque. Charcot et P. Richei'
(1) P. Richer, L'art et la médecine, fig. 23.
(2) Jean Heitz, Un possédé de Rubens, la transfiguration du musée de Nancy (Nous.,
Iconogr. Salpêtr., 1901, n° 3).
162 . - HEITZ'
en ont relevé plusieurs. L'une d'elles est extraite d'un manuscrit d'Aix-la-
Chapelle, dit manuscrit de l'empereur Othon (1). Il date du xi° siècle, et
appartient à la branche germanique de l'art byzantin. A la différence
d'un certain nombre de ligures de possédés de la même époque, qui sont
sans caractères, ce document est remarquable par l'extension exagérée
du tronc qui se courbe en arrière avec une telle violence que son frère a
' peine à le soutenir avec l'aide de plusieurs autres personnes. Sur la porte
de bronzede l'élisë Saint-Zeno,à Vérone (2), oeuvre sans doute italienne,
Charcot et P. Richer ont signalé la guérison d'une femme, qui maintenue
difficilement par deux hommes, présente, elle aussi, une attitude en arc
de cercle très bien reproduite. ,
Dans son livre sur l'art et la médecine, P. Richer rapporte plusieurs au-
tres documents des x° et xie siècles. Parmi les fresques de l'église de
Reichenau (lac de Constance), l'une représente l'exorcisme du possédé de
Gérasa. Sur ces fresques, l'influence byzantine n'est pas douteuse puisque
des moines grecs se trouvaient au couvent sous le règne d'Othon II. Nous
reproduisons ici la description de la fresque du possédé d'après P. Richer.
Le Christ s'avance hors du portique avec huit de ses disciples, et de la main
droite, il bénit le possédé. Celui-ci, à demi-nu,marche vers eux les jambes
demi-fléchies; un petit démon s'échappe de sa bouche. Les membres supé-
rieurs sont comme retournés : « Il semble, dit Richer, que l'artiste ait voulu
par cette torsion invraisemblable des bras, indiquer la violence extrême des
convulsions, mais il a été mal servi par une science insuffisante. En admet-
tant même que les mains soient considérées comme liées derrière le dos,la
même critique subsiste. Seuls les traits contracturés du visage témoignent
d'une intention naturaliste, et je ne l'avais pas encore trouvée jusqu'alors. »
Une autre fresque de Reichenau représente avec une très grande vérité
une hydropique, dont l'ascite volumineuse contraste avec la maigreur ex-
cessive des jambes et du thorax.
La branche germanique de l'art byzantin est encore représentée dans le
livre de P. Richer par toute une série de figures dépossédés, qui provien-
nent du manuscrit Hortus deliciarum de herrade de Landsberg, abbesse du
couvent de St-Odile, en Alsace. Ce manuscrit, daté de 1180, a disparu
dans l'incendie de la bibliothèque de Strasbourg en 1870, mais des copies
en existent à la Bibliothèque nationale. P. Richer fait remarquer la façon
vraiment remarquable dont avec des traits différents, ces quatre figures
traduisentla violence de l'agitation démoniaque; cependant on ne saurait
(1) CHARCOT et P. Richbr, Les démoniaques de l'art, fig. 11.
(2) ChAMOT et P. RICHER, lac. cit., fig. 9.
LES POSSÉDÉS ET LES MALADES DANS L'ART BYZANTIN 163
relever chez elles, pas plus que chez le possédé de Reichenau, des carac-
tères cliniques précis comme chez celui de la miniature du Mont-Cassin.
P. Richer reproduit encore quelques miniatures des manuscrits grecs
du xie siècle de la Bibliothèque nationale. Dans l'un d'entre eux, il a relevé
jusqu'à huit scènes d'exorcisme. Les possédés sont figurés sommairement,
et avec des traits conventionnels, à peu près nus, les mains ordinairement
attachées derrière le dos, les cheveux hérissés, de petites figures noires
s'échappant de la bouche.
Parmi les nombreux documents provenant des églises grecques et que
j'ai signalés dans un article antérieur, nous ne trouvons ni pour les épo-
ques qui précèdent le xe siècle, ni pour les époques ultérieures, de figu-
rations démoniaques qui puissent être comparées à celle du Mont-Cassin.
Ces dernières comparaisons avec des oeuvres purement byzantines, vien-
nent confirmer cette opinion de M. Berteaux, que l'artiste du Mont-Cassin
n'a pas purement et simplement copié des modèles venus de Constantinople.
Il admet que sur certains points, le moine Léon et ses compagnons, ont
dû modifier ces modèles ; qu'affranchis par la connaissance d'un art com-
plet et savant, ils ont pu essayer des recherches nouvelles en s'aidant des
moyens qu'ils tenaient des maîtres étrangers ; qu'il y a là une première
ébauche d'art occidental.
D'autre part, cette composition qui, comme nous venons de le voir, est
certainement supérieure aux oeuvres purement byzantines, est aussi tout à
fait différente des oeuvres germaniques. L'arc de cercle, le seul trait natu-
raliste desre présentations germaniques des démoniaques, est absent dans
la miniature du Mont-Cassin, et par contre, nous y rencontrons des traits
cliniques qui ne repaîtront qu'à l'époque de la Renaissance.
Il est un rapprochement qui s'impose. Nous avons signalé dans notre
article de 1901, toute une série de documents médicaux qui figurent dans
le merveilleux devant d'autel en ivoire de la cathédrale de Salerne. Ces
ivoires datent du xie siècle. Ce sont presque les seuls restes subsistant
d'une école locale, issue du tronc byzantin, et qui a peu duré. Nous y
avons relevé un homme atteint de paralysie radiale, une attitude très ca-
ractéristique d'aveugle, un ventre d'hydropique, et un infirme, peut-
être atteint d'hémiplégie, qui s'appuie sur une sorte de béquille très cu-
rieuse : toutes figures absolument hors de pair pour l'époque. Ces ivoires
de Salerne, la porte de St-Zeno, et enfin les miniatures du Mont-Cassin,
forment ainsi,aux xe etxi9 siècles, une série de documents médicaux qui se
distinguent par des qualités exceptionnelles. Ces qualités ne se retrouve-
ront que deux siècles plus tard dans une figure de jeune démoniaque de
Nicolas Pisano (bas-relief du sarcophage de saint Dominique à Bologne) (4 ).
(t) PAUL Richer et II. MENE, Nouv. Icon. Salpêtrière, 1896, n" 2.
164 Il' ' su ' HEIT ' ' ' "
Cette figure-ne présenteras de gestes violents ni désordonnés, mais elle
se fait remarquer par un arc de cercle très accentué, et surtout par une
contracture du bras gauche caractéristique : « la main est fermée, les
doigts crispés sur la paume, comprimés par le pouce qui passe au-dessus
d'eux, l'avant-bras demi-fléchi et tordu en pronation forcée, le tout cons-
tituant une contracture du membre supérieur parfaitement observée et
rendue. » Il semble que nous pouvons considérer les documents médico-
artistiques du rie siècle et particulièrement les miniatures du Mont-
Cassin,'comme les premiers essais de l'art italien primitif, essais isolés
et sans suite immédiate, mais où l'on reconnaît déjà les qualités d'ob-
servation qui s'épanouiront au xme siècle, lorsque l'art italien s'affranchira
définitivement de l'influence byzantine. Peut-être ces rapprochements
médico-aitistiques pourront-ils servir à jeter quelques lueurs sur cette
période encore pleine-d'obscurités de l'histoire de l'art italien.
Le Gérant : P. BoucnEZ
- -- - -- ~ Imp. J. Theveoot, Saint-Dtzier (Haute-Marne). ' -
17" Année N° 3 MAI-JUIN
TYPE INFANTILE DU GIGANTISME
PAR
E. BRISSAUD ET HENRY MEIGE.
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L<a coexistence ue i iiiiaiiuiisiiie et uu nanisme a elle relllarquee ? c : re-
longue date. La plupart des idiots myxoedémateux sont à la fois des in-
fantiles et des nains ; les infantiles dysthyroïdiens sont presque toujours
petits. Il est certain que, dans la majorité des cas, l'infantilisme s'accom-
pagne d'une exiguïté de la taillé (1). -
Mais cette règle n'est pas absolue. Depuis que l'on connaît mieux les
caractères de l'infantilisme, on s'aperçoit que ce syndrome peut s'obser-
ver, non seulement chez des sujets de taille ordinaire, mais encore chez
des individus de haute stature. Déjà, dans une étude publiée il y a une
dizaine d'années, «l'infantilisme, disions-nous, peut coexister avec les ano-
malies du développement qui portent sur les systèmes osseux, conjonc-
tif et musculaire. On le trouve associé au nanisme, au gigantisme, à l'obé-
sité, à l'atrophie musculaire » (2). Et comme exemple d'association de
l'infantilisme au gigantisme, nous rappelions l'intéressante observation
publiée par M. Capitan (3) d'un sujet, qui, depuis lors, a été l'objet de
nombreuses présentations et communications, le grand Charles, dont
MM. P.-E. Launois et Pierre Roy ont fait ici même une étude richement
icono'graphiée, accompagnée de judicieux commentaires.
En revenant, il y a deux ans, sur la question du gigantisme, nous avons
insisté de nouveau sur ce fait que certains géants présentent des caractères
non douteux d'infantilisme (4).
« S'il est vrai que les infantiles... sont le plus souvent de petite taille,
(1) BRISSAUD, Leçons sur les maladies nerveuses, t. I, p. 605, 1893-1894, t. II, p. 417 et
sq., 1899.
(2) HENRY MEIGE, L'Infantilisme, le Féminisme et les Hermaphrodites antiques.
L'Anthropologie, t. IV, 1895.
(3) Médecine moderne, 14 octobre 1893.
(4) Henry MEME, Sur le gigantisme, Arch. gén. de médecine, octobre 1902.
xvii 10
166 l3fiISAUU ET OEIG"
il en est au contraire qui dépassent notablement la moyenne... Gigantisme
et infantilisme ne sont pas contradictoires.
« Le seul examen de l'habitus et du facies permet de constater qu'un
certain nombre de géants présentent les caractères extérieurs de l'infanti-
lisme. »
En effet, malgré l'élévation de leur taille, certains sujets conservent
les apparences extérieures de l'enfance : appareil génital incomplètement
développé, peu ou pas de poils sur le visage et sur le corps, bref l'aspect
de « grands enfants vieillots ». Il existe donc un type infantile du gigan-
tisme.
Chez quelques-uns de ces géants infantiles, les soudures épiphysaires ne
sont pas encore effectuées ; le sujet est donc capable de grandir, même
s'il a dépassé l'âge auquel la croissance s'arrête normalement.
Sous l'influence de quelle stimulation le processus ostéogénique du
cartilage juxta-épiphysaire est-il ainsi activé et prolongé ? Ce mécanisme
nous échappe encore. Cependant le fait n'est pas douteux : dans certaines
circonstances la fonction ostéogénique acquiert une activité insolite. Si la
cause excitatrice est passagère, l'excès décroissance est aussi passager. C'est
ainsi qu'à la suite des maladies infectieuses, on voit parfois survenir de
brusques poussées de croissance. On peut supposer alors que l'agent in-
fectieux ou ses toxines exercent une action stimulante sur les surfaces
ostéogéniques ou sur les centres trophiques dont dépend leur activité.
Mais il en est ainsi seulement chez les enfants et les adolescents.
Lorsqu'une stimulation anormale de la fonction ostéogénique survient
chez un sujet dont les épiphyses sont déjà soudées, le squelette ne peut
plus croître en longueur; toutefois, il est encore capable de s'accroître en
épaisseur. Le périoste qui entoure les articulations, et même le périoste
de la continuité de l'os, qui persistent la vie entière, sont, eux aussi,
capables de produire du tissu osseux. Les os ne s'allongent plus, ils s'é-
paississent. Or, ce mode de croissance intempestive est surtout apparent
là où les saillies osseuses sont les plus nombreuses, c'est-à-dire aux extré-
mités des membres, aux mains, aux pieds, à la face. Aussi les déforma-
tions qui en résultent sont-elles la reproduction exacte de celles qu'on
observe dans l'acromégalie. Et, qui plus est, ce sont les mêmes.
Ainsi, un trouble de l'ostéogénèse, qui n'est, en somme, qu'une exagé-
ration du processus decroissance, conduit, soit au gigantisme, soit à l'acro-
mégalie. Suivant l'âge auquel il survient, et, plus exactement, selon
l'étal des cartilages épiphysaires, on voit se réaliser, ◀tantôt▶ le gigantisme,
TYPE INFANTILE DU GIGANTISME 167
A l'appui de ces remarques, nous avons rapporté autrefois l'observation
de Jean-Pierre Mazas de Montastruc, qui représentait vraiment le proto-
type du géant acromégalique, chez lequel les déformations de la maladie
de Pierre Marie font suite à une élévation insolite de la taille.
De leur côté, 1VI14T. P.-E. Launois et Pierre Roy ont apporté des faits
d'une précision indiscutable. Les constatations radiographiques qu'ils ont
faites sur le grand.; Char les (1), leur observation du géant Constantin,
viennent confirmer de la sa çon la plus évidente la réalité de l'existence
d'un retard de l'ossification chez les géants.
Le nouveau cas que nous publions aujourd'hui diffère par certains côtés
des précédents, mais s'accorde encore avec les interprétations actuelles
du gigantisme.
Ernest, âgé de 30 ans et demi, est entré le 19 janvier 1904 à l'Hôtel-
Dieu, salle St-Charles. Il se plaignait d'un point de côté, à gauche.
Disons-le bien vite, il faut faire toutes réserves sur ce qu'Ernest raconte
de sa vie et de ses maladies. Vantard et hâbleur, il amplifie et dramatise
volontiers, il aime à se rendre intéressant, il ne se gêne pas pour inventer
son passé comme son présent pathologique. Ainsi, le « point de côté »
dont il se plaint,-remonterait à l'àge de 13 ans, se déplacerait « ◀tantôt▶ à
droite, ◀tantôt▶ à gauche »; il serait provoqué par tout effort un peu violent,
surtout par le travail, quel qu'il soit; alors, « le point de côté monte
au coeur » et Ernest ne peut plus rien faire ; aussi ne travaille-t-il guère,
sinon pas du tout. Il se plaint aussi d'éprouver des « picotements » dans
les pieds, qu'il rattache à « un grand froid auquel il fut exposé en jan-
vier 1904 ». Tous ces phénomènes, purement subjectifs, sont amplifiés
par lui à dessein, pour justifier son entrée et son maintien à l'hôpital. Il
se prête d'ailleurs fort mal aux examens et aux interrogatoires, et le peu
de durée de son séjour n'a permis qu'une étude sommaire. Voici, vaillent
que vaillent, les renseignements qu'on est parvenu à lui arracher :
Entre 10 et 22 ans, il était garçon de lavoir ; il avoue qu'il buvait alors
avec excès il s'en vante, et parle de 60 absinthes par jour ( ! ). Il est pro-
bable qu'il se vante encore, lorsqu'il affirme qu'il est devenu complète-
ment sobre depuis cette époque.
Il a fait tous les métiers : employé à la Compagnie du Gaz (service de la
distillation, où il aurait contracté « trois fluxions de poitrine en un an »),
puis « maçon, tanneur, couvreur, équarrisseur, plombier, etc., etc. », et
(1) LAuNois et Roy, Gigantisme et infantilisme, Nouv. Iconographie de la Salpê-
trière, 1902, p. 539.
168 BRISSAUD ET MEIGE '
il énumère ainsi tous les noms qui lui passent par la tête. Vraie ou
fausse, cette énumération témoigne en tout cas d'une certaine incohérence.
Actuellement il a choisi la profession qui convient le mieux à son ca-
ractère instable : il est forain, s'occupant, quand l'occasion s'en présente,
du montage et du démontage des baraques.
Les renseignements qu'il fournit sur ses antécédents héréditaires sont,
eux aussi, bien entendu, sujets à caution. -
Son père est mort à 47 ans, à l'hôpital Beaujon, à la suite d'un accident
de chemin de fer ; il était de petite taille (1 m. 52), mais très robuste.
Du côté paternel, tous les représentants étaient de petite taille. L'un
d'eux, le grand-père d'Ernest, aurait vécu jusqu'à 115 ans ( ! ? ).
Sa mère est morte à 62 ans, elle mesurait 1 m. 62; elle a eu 14 enfants,
dont 12 sont morts en bas-âge.
Parmi les ascendants du côté maternel, il signale son bisaïeul et son
trisaïeul, gendarmes, de taille « colossale » ; mais songrand-père mater-
nel était de taille ordinaire. Enfin, il parle d'une tante de la ligne ma-
ternelle, morte à 16 ans de la fièvre typhoïde, qui aurait atteint une taille
très élevée.
Une soeur, âgée actuellement de 24 ans, mesurerait plus de 1 m. 75,
et serait d'une corpulence extrême, « pesant plus de 150 kilogs ! » Il est
vrai qu'Ernest n'a pas vu sa soeur depuis plusieurs années.
Ernest se vante d'être venu au monde à terme avec une taille supérieure
de 5 centimètres à la moyenne.
Jusqu'à l'âge de 7 ans, sa santé fut bonne, mais depuis lors il tire vanité
d'avoir eu toutes les maladies, et, ajoute-t-il, « toutes ensemble : plusieurs
fluxions de poitrine, une fièvre typhoïde, une fièvre muqueuse, une mé-
ningite, etc. etc. »
C'est alors seulement qu'il se mit à grandir rapidement, mais réguliè-
rement.
A la toise du conseil de revision il mesurait 1 m. 852 (il précise). A
l'âge de 18 ans, il avait déjà à peu près cette taille (1 m. 85). Il n'aurait
donc grandi que de deux millimètres de 18 à 20 ans. Depuis lors, il a cessé
de grandir.
Ernest est certainement de grande taille. Est-ce un géant ?
Nous l'avons souvent dit, le gigantisme n'a ni limite inférieure ni li-
mite supérieure. Si Ernest est digne d'être rangé parmi les géants, ce
n'est pas en raison de sa seule grande taille ; il pourrait même être plus
grand et n'avoir aucun droit à figurer dans le groupe nosographique du
gigantisme. Et s'il mérite d'y prendre place, il le doit à sa conformation
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. Pl. XX
TYPE INFANTILE DU GIGANTISME
(E. 'Brissaud el Henry Meige).
Masson et Cie, Editeurs
TYPE INFANTILE DU GIGANTISME 169
corporelle : c'est parce qu'à des signes non douteux d'infantilisme, s'a-
joutent chez lui quelques ébauches de la morphologie acromégalique.
Ernest est bien un infantile. Il a 30 ans et demi, pas un poil sur le
visage, une pilosité fort maigre au pubis et aux aisselles. Ses testicules
qui ne dépassent pas le volume d'un haricot, sont ceux d'un enfant de
5 à 6 ans. Sa verge- est mieux développée; mais c'est celle d'un garçon
de 15 ans. (Pl. XX.).
Son torse, ses bras, sont peu musclés ; ses jambes le sont davantage
Tout le corps est enveloppé' d'une peau fine, glabre, doublée d'une cou-
che adipeuse d'une certaine épaisseur. Le ventre est proéminent, le bas-
sin assez large, avec des épaississements graisseux sur les hanches et à la
partie supéro-externe des cuisses, qui rappellent le type morphologique
féminin.
Signalons encore une particularité des membres inférieurs : ceux-ci
sont proportionnellement un peu plus développés en longueur que les
supérieurs, disposition signalée de longue date chez les individus qui,
accidentellement ou intentionnellement, ont été privés de leurs glandes
sexuelles ; on la retrouve chez la plupart des animaux châtrés ; elle était
particulièrement évidente chez le grand Charles.
De plus, les membres inférieurs présentent une incurvation à concavité
externe en « parenthèse », et c'est surtout au niveau du genou que se
produit l'incurvation. Cette disposition morphologique est à rapprocher
des exemples de déformations osseuses signalées par l'un de nous chez les
infantiles.
Ernest présente aussi quelques apparences acroniégaliques.
Sa face est allongée, et cet allongement se fait. surtout aux dépens du
maxillaire inférieur. Si le menton n'est pas très proéminent, « en galo-
che », l'angle maxillaire est très obtus, la branche inférieure de l'os est
notablement élargie. Ce signe, bien plus que le prognathisme proprement
dit, caractérise la déformation maxillaire de l'acromégalie. D'ailleurs, les
pommettes sont un peu saillantes ; les arcades sourcilières le sont moins.
Les mains ne semblent pas disproportionnées, les doigts sont longs, un
peu massifs, mais non « boudinés ». Par contre, les pieds sont énor-
mes, ainsi que le cou-de-pied ; des deux côtés, les malléoles sont manifes-
tement hypertrophiées.
Enfin, il existe une assez forte convexité de la colonne dorsale et une
ensellure lombaire prononcée.
La radiographie ne montre point d'épaississement de la paroi crânienne,
mais un développement exagéré des sinus frontaux. La selle turcique, au-
tant qu'il est possible de l'apprécier sur la radiographie, paraît grande.
Si l'on ajoute à ces différents signes l'aspect très particulier de la peau
170 BRISSAUD ET MEIGE
du visage, certainement épaissie et sillonnée de quelques rides profondes,
on reconnaîtra bien dans tous ces caractères l'ébauche de quelques stig-
mates d'acromégalie.
En somme, Ernest est un petit géant, un grand infantile, et aussi un
petit acromégalique.
Ernest doit avoir terminé depuis 10 ans ses soudures épiphysaires, puis-
que, depuis l'âge de 20 ans, il ne grandit plus. La radiographie de sa main
montre bien en effet que les cartilages de conjugaison des métacarpiens
et des phalanges sont ossifiés. (Pl. XXI.) Ernest n'est donc plus capable de
grandir, tandis qu'il a des chances de s'acromégaliser avec le temps.
L'observation clinique et la radiographie soit d'accord pour confir-
mer une fois de plus les idées que nous défendions, il y a bientôt dix ans :
« La croissance normale, disions-nous, se fait surtout par les cartilages
épiphysaires, mais lorsque ces cartilages sont ossifiés et que la soudure
des épiphyses est irrévocablement parachevée il n'est plus possible de
grandir. La taille est acquise pour toujours... »
« Il n'en est pas moins vrai que le travail pathologique peut durer plus
longtemps encore et que le même géant qui ne peut plus grandir va de-
venir un acromégalique. » (1)
Ernest ressemble physiquement et moralement au grand Charles.
Toutefois, ce dernier a continué de grandir entre 20 et 30 ans. A 21 ans,
il avait à peu près la taille de notre malade (1 m. 86). Depuis lors, il a
atteint 2 m. 04. On pouvait prévoir que ses épiphyses n'étaient pas sou-
dées ; MM. P.-E. Launois et Pierre Roy en ont apporté une confirmation
radiographique péremptoire.
Ernest, au contraire, a terminé son gigantisme vers l'âge de la majorité.
Aujourd'hui, il s'achemine à pas très lents vers l'acromégalie. Présen-
tera-t-il jamais les déformations décisives de la maladie de Pierre Marie ? ' ?
Peut-être, les années aidant. Mais,chez lui, le trouble de la fonction ostéo-
génique d'où dépendent le gigantisme d'abord, l'acromégalie ensuite,
évolue avec une grande lenteur, infiniment moins vite que chez le géant
Charles, avec bien plus de discrétion que chez Jean Pierre de Montastruc.
De telles variations dans ces processus pathologiques de la croissance
n'ont rien qui doive nous surprendre. On devient géant, puis acromé-
galique, plus ou moins tôt, plus ou moins vite, comme on devient plus ou
moins tôt, plus ou moins vile, pubère, homme fait, vieillard.
Si Ernest n'est encore qu'au seuil de l'acromégalie, nul doute qu'il
appartienne depuis longtemps déjà au gigantisme infantile.
(1) BRISSAUD et Henry MEIOE. Gigantisme et acromégalie, Journ. de méd. et chir.
prat., 25 janvier 1895.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. Pl. XXI
TYPE INFANTILE DU GIGANTISME
Radiographie de la main d'ERNEST
(E. 'Brissaud et Henry DiCeige).
Masson et Cie, Editeurs
TYPE INFANTILE DU GIGANTISME 171
De l'infantilisme Ernest ne possède pas seulement l'habitus extérieur,
mais aussi l'état mental.
Cet homme de 40 ans fait preuve dans ses discours de la légèreté, de
l'inconséquence d'un garçon de 10 ans, mal élevé, vantard et paresseux.
Toujours prêt. faire parade de sa force et de son intrépidité, sans se
préoccuper de l'invraisemblance de ses racontars, il dit, par exemple, sur
un ton qui n'admet pas la réplique, qu'il est un marcheur émérite, qu'il
a fait souvent « 60 kilomètres dans sa journée ».
Puis il fait état de son ingéniosité et de son esprit inventif; il se dé-
clare d'une adresse peu commune, se glorifie d'avoir « greffé un rosier
sur un fuchsia ». Son rêve est de monter dans les fêtes publiques « un ci-
nématographe marchant avec un graphophone ». D'un caractère exécrable,
il se querelle avec tous ses voisins et affecte de ne se servir que d'expres-
sions triviales.
Sur le chapitre féminin, sa vantardise est sans limite, et cependant
son infantilisme donne un démenti formel à de tels exploits.
Il se vante encore d'avoir su se faire refuser au conseil de revision « en
buvant un verre de vinaigre qui lui donna un si terrible point de côté
qu'il s'abattifaux pieds du président ».
Quant à son intelligence, elle surprend, dit-il, tous ceux qui l'appro-
chent. Du premier coup il devine tous les « trucs » des forains.
A l'entendre, son adresse pour monter et démonter les tentes foraines
n'a pas d'égale ; elle excite la jalousie de tous ses compagnons ; d'où des
batailles à coups de poings, et même a coups de couteau, dont il montre
glorieusement les cicatrices,d'ailleurs insignifiantes, et qui, chose bizarre,
ne siègent qu'aux mollets ! ...
Or, ce matamore passe ses journées dans les foires à manger des gâteaux,
à casser des pipes dans les tirs, ou à tourner indéfiniment sur les chevaux
de bois.
Enfin, il faut noter une recherche de la précision dans les chiffres et dans
les plus menus détails, qui a aussi sa valeur au point de vuepsychopathi-
que : « Il est né à 11 heures 37 du matin, le 6 juillet 1873, 67, avenue
de Clichy, Paris, Batignolles, XVIIe arrondissement. » Il sait le jour et
l'heure de la naissance et de la mort de ses parents et grands-parents. Il
connaît même leur taille un millimètre près ! Bien entendu, tout ceci
n'est que fantaisie, amour de la parade.
C'en est assez pour montrer l'état psychique. On y trouve poussés à
l'extrême tous les caractères de l'illfrllltilisme mental.
172 BRISSAUD ET MEIGE
En faisant encore toutes réserves sur l'exactitude des renseignements
fournis par le malade, il n'est pas sans intérêt de faire ressortir ce qu'il
dit de son hérédité. Sa mère a eu 14 enfants, dont il ne reste que deux.
Sa soeur est obèse. Deux ancêtres et une tante maternelle étaient de sta-
ture gigantesque. -Enfin, le grand-père paternel serait mort à l'âge de
115 ans.
Si tout cela est vrai, n'est-il pas intéressant de retrouver réunies dans
une même famille des anomalies évolutives de l'individu et de l'espèce,
telles que le gigantisme, l'infantilisme, l'obésité, une longévité anormale,
et une fécondité excessive, accompagnée d'une grande léthalité ? ...
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. 1'1. XX11
MYXCEDÈME FRUSTE, CROISSANCE TARDIVE, DIABÈTE
(J1perl).
Masson & CI-, Éditeurs
MYXOEDEME FRUSTE, CROISSANCE TARDIVE, DIABETE
PAU
E. APERT,
médecin des hôpitaux.
Les relations qui existent entre l'état anatomique du corps thyroïde
d'une part, la croissance de l'organisme et sa nutrition en général d'autre
part, sont aujourd'hui suffisamment bien établies pour qu'il ne semble pas
nécessaire d'y revenir. Cependant, plus l'on étudie cette question, plus
l'on s'aperçoit que les troubles de la croissance et de la nutrition d'ori-
gine dysthyroïdienne sont variés. J'ai essayé de montrer antérieurement
que la dysthyroïdie peut non seulement se manifester sous les dehors de
l'infantilisme pur, comme l'ont établi Thihierge, Hertoghe et Brissaud,
mais encore sous ceux du féminisme et de la cryptorchidie, avec ou sans
obésité (1).
Aujourd'hui, je désire relater une observation qui, non seulement con-
firme mes publications, mais y ajoute des faits nouveaux. Il s'agit en effet
d'un hypothyroïdien, obèse et cryptorchide qui, à 66 ans, ne mesure que
1 m. 45 de haut, bien que sa croissance ne se soit arrêtée qu'à l'âge de
36 ans; en outre, ce malade est glycosurique, fait bien digne d'être
commenté.
Voici d'abord l'observation de ce malade (Pl. XXII) :
G..., figé de 66 ans, mesure seulement 1 m. 45 de taille; il a un aspect
tout à fait singulier dû, outre sa petite stature, à sa figure arrondie, à ses
mamelles développées et tombantes, à son abdomen globuleux, à l'imperfection
de ses organes génitaux.
La face est arrondie, lunaire, son contour décrit un cercle presque parfait.
Ce n'est pourtant pas la face bouffie des myxoedémateux du type Bourneville,
car la peau n'est pas lisse, ni caoutchoutée; elle est cependant moins plissée
que n'est habituellement celle d'un homme de cet âge, et on ne donnerait au
(1) APERT, Bulletin de la Société de Pédiatrie, avril, mai,juin 1901. - Les Enfants
Retardataires (Actualités médicales), 1902. - Infantilisme et corps thyroïde, Bévue
mensuelle des maladies de l'Enfance, mars 1902. - Article Infantilisme du Traité des
maladies de l'Enfance, 2e édition, 1904.
174 APERT
malade pas plus d'une quarantaine d'années; les parties latérales de la face
sont très développées et se continuent sous le menton par un bourrelet cutané
donnant l'aspect du double menton.
Le système pileux est assez développé sur la figure ; les cheveux sont suffi-
samment abondants, châtains avec quelques poils blancs, les sourcils sont au
contraire clairsemés, les cils courts et rares; la moustache est formée de poils
bruns, courts, mais assez serrés, et ressemble moins à la moustache d'un
homme adulte qu'à celle d'un tout jeune homme, ou mieux encore à celle qui
se développe chez certaines femmes à allures masculines dites viragos, ou
à partir de la ménopause. Il porte la barbe rasée, mais on peut se rendre compte
qu'elle est noire, bien fournie au menton, clairsemée sur les joues et sur le
bourrelet sous-maxillaire.
Le cou est très court, sans saillies musculaires, les épaules sont tombantes,
le relief des clavicules est peu visible ; les mamelles sont développées et tom-
bantes ; on les sent à la palpation plus volumineuses que chez certaines femmes
et le malade dit les avoir eu plus volumineuses encore autrefois. Néanmoins
elles n'ont pas l'aspect de mamelles de femme, ni même de vieille femme, car le
mamelon est peu développé, la glande est étalée sur la poitrine, le pli sous-
mammaire est oblique de dedans en dehors et de haut en bas et se termine laté-
ralement au niveau de la ceinture. Il n'y a pas du tout de poils à la région
présternale.
L'abdomen est très volumineux, très saillant en avant, globuleux. Ce déve-
loppement de l'abdomen a lieu surtout aux dépens de sa portion sus-ombilicale.
La distance de l'ombilic à l'appendice xyphoïde, au lieu d'être égale à celle de
l'ombilic au pubis comme normalement, est trois fois plus grande.
Cependant le foie et la rate ne semblent pas volumineux. La partie inférieure
du ventre retombe au devant du pubis ; le pubis lui-même est chargé de graisse :
il en résulte un bourrelet en forme de croissant allongé dont les pointes se
perdent dans les aines. Le bourrelet est sur son revers inférieur couvert de
poils noirs parsemés de poils blancs ; il n'y a aucun poil à l'hypogastre ; le
système pileux de cette région est en somme disposé selon le type féminin.
Les organes génitaux sont rudimentaires. La verge est réduite à un fourreau
plissé de 1 cm. 12 de longueur, les bourses sont plates, striées dans le sens
transversal, on n'y sent pas les testicules. Si l'on introduit le doigt dans le
canal inguinal en retournant le scrotum en doigt de gant, ou sent toutefois à
gauche, profondément dans le canal, un testicule qui ne paraît pas minuscule.
Le malade assure que ses testicules descendaient parfois dans les bourses quand
il était plus jeune.
Le bassin est large, mais pas plus que l'ensemble du tronc ; le diamètre bi-
trochantérien ne surpasse guère le diamètre bia-acromial, et la ligne qui circon-
scrit le tronc réalise plutôt le quadrilatère masculin que l'ovoïde féminin.
Les membres sont relativement courts, la main est également courte, large
et trapue, les doigts font le trident, si bien qu'à un premier examen on pour-,
rait, en voyant le malade habillé, songer il l'achondroplasie. Il n'en est rien;
les membres sont courts,c'est vrai, mais pas d'une façon exagérée ; l'extrémité
. MYXOEDÈME FRUSTE, CROISSANCE TARDIVE, DIABÈTE 175
du médius, dans la position du soldat sans armes, arrive comme normalement
un peu au-dessus du milieu de la cuisse, les doigts sont courts, mais leurs
proportions respectives sont conservées, le médius est plus grand que l'annu-
laire, lequel est plus grand que l'index. Si la main fait le trident, c'est que les
téguments sont épaissis, et forment des bourrelets qui forcent les doigts à s'é-
carter les uns des autres.
Les membres supérieurs et inférieurs sont arrondis,sans saillies musculaires
visibles, sans qu'il y ait-cependant adiposité exagérée. Toutefois, au niveau de
l'articulation radiocarpieune, des deux côtés existe une tuméfaction annulaire,
surtout prononcée à la face dorsale, molle, peu sensible au toucher, mais qui
est le siège de sensations pénibles intermittentes, diurnes ou nocturnes. C'est
pour ces douleurs que.le malade vient à l'hôpital. Cependant, les mouvements
provoqués du poignet ne provoquent de douleurs que dans l'extension ou la
flexion exagérées ; il n'y a pas de craquements articulaires. Ces douleurs
assez mal définies, localisées en un point où les parties molles sont le siège
d'un épaississement scléro-adipeux, lequel s'arrête nettement au pli du poignet,
nous paraissent analogues à celles de la maladie de Dercum (adipose doulou-
reuse). Il n'y a du reste aucune altération osseuse ou articulaire visible sur la
radiographie que M. Infroit a bien voulu exécuter pour nous.
Les membres inférieurs ne présentent rien de particulier que quelques va-
rices de la jambe et quelques troubles trophiques de la peau, comme on en voit
souvent sur les membres variqueux (amincissement, pigmentation).
Les ongles des mains-et des pieds sont striés longitudinalement et cannelés
transversalement..
Rien à noter de particulier dans l'état des viscères ; poumons, coeur, en bon
état,pas de sclérose artérielle appréciable, tympanisme de tout l'abdomen, rien
de particulier à l'examen des cavités nasales et buccales. A part ses douleurs
des poignets, et une sensibilité extrême au froid, souvent notée chez les hypo-
thyroïdiens, le malade se trouve en parfaite santé. Cependant l'examen des
urines nous réservait une surprise ; la liqueur de Fehling aussi bien que
le polarimètre y révèlent la présence de glycose (25 gr. par litre). Malgré cela,
le malade n'a pas une polyurie bien intense (1.500 il 2.000 gr.). Sa soif et
son appétit ne sont pas exagérés. On ne note non plus aucun petit signe de
diabète : ni furoncle, ni intertrigo, ni eczéma, ni gingivite.
L'intelligence du malade est normale, plus vive même que celle de la
moyenne de nos clients d'hôpital. Il répond aux questions avec netteté et pré-
cision, aime la lecture, écrit correctement.
Tel est l'état présent du malade. Son histoire antérieure n'est pas moins
curieuse ; malheureusement il ne peut nous donner que des renseignements
bien peu précis sur ses parents et sur sa première enfance. Il est originaire
des environs de Nevers ; il est né le dernier de cinq enfants ; ses parents sont
morts alors qu'il était encore petit; il n'a pas connu ses denx soeurs aînées,
mariées au loin ; il croit toutefois que ses parents et ses deux soeurs aînées
n'offraient rien d'anormal ; la troisième soeur, qu'il a bien connue, était obèse,
mais de taille normale et est morte subitement à 44 ans ; cette mort subite a
176 APERT
été attribuée à la rupture d'un anévrysme ; enfin il a un frère, forgeron,
grand, fort, bien bâti.
De sa première enfance, il ne sait rien ; il croit qu'il a marché, qu'il a eu
ses dents au même âge que les autres enfants, mais il ne peut rien affirmer,
sinon qu'il s'est toujours connu plus petit que les enfants de son âge.
A 20 ans, quand il a tiré au sort, il mesurait seulement 1 m. 15 de haut et
avait encore tout à fait l'apparence d'un enfant. Il a continué à grandir ulté-
rieurement et ce n'est qu'à 36 ans qu'il a atteint sa taille actuelle 1 m. 45.
C'est également vers la même époque que des poils sont apparus au menton
et au pubis. Il a eu alors comme un rudiment de puberté ; il aurait même
ressenti à longs intervalles des excitations sexuelles, des érections, et aurait t
pratiqué parfois le coït.
Il a toujours eu le ventre gros comme actuellement ; mais pour le reste du
corps, il dit avoir maigri depuis une dizaine d'années, il avait auparavant le
double menton bien rempli, les mamelles plus volumineuses ; mais il ne
paraît pas, à son dire, qu'il y ait jamais eu de myxoedème cutané, d'infiltration
muqueuse des téguments.
Contrairement à son développement physique, son développement intellec-
tuel ne semble pas avoir été retardé. Il n'a été à l'école que très irrégulière-
ment et seulement jusqu'à l'âge de sept ans, et cependant il sait lire et écrit
correctement. A 7 ans il a été placé « en condition » chez des cultivateurs et
a commencé à rendre quelques services. Plus tard il a travaillé aux champs et
a appris à mener les machines agricoles. A 40 ans il est venu à Paris ; il a été
huit ans mécanicien dans une imprimerie-lithographie. Il y a douze ans il est
entré à l'hôpital d'Aubervilliers comme mécanicien ; plus tard il a demandé
et obtenu la place d'étuviste au même hôpital ; cette profession lui permet-
tait d'être toujours à la chaleur; il supportait avec plaisir des températures
allant jusqu'à 8, il craint au contraire tellement le froid, que cela gêne pour
l'examiner dans son lit d'hôpital parce qu'il ramène toujours ses couvertures
jusqu'à ses yeux. Il y a cinq ou six ans il a commencé à ressentir des dou-
leurs dans les membres inférieurs ; il y a quatre ans, on s'est aperçu pour la
première fois incidemment que son urine contenait du sucre ; cependant il n'a
jamais eu ni polyurie, ni polyphagie, ni polydipsie. Actuellement il urine de
1.500 à 2.000 grammes par jour ; la quantité de sucre est en moyenne de
33 grammes par litre et de 62 grammes par jour (moyenne de neuf analyses
pendant les mois de février et de mars) avec maximum de 42 gr. 75 par litre
et de 101 gr. 25 par jour et minimum de 18 grammes par litre et de 43 gram-
mes par jour.
Hospitalisé à l'hôpital Tenon dans le service de mon collègue et ami Caus-
sade qui m'a aimablement permis de le suivre, il fut soumis à partir du
11 mars à l'ingestion de pancréas frais, selon la méthode de Laffitte. Voici les
chiffres des dernières analyses de sucre :
9 mars, 40 grammes par litre, 101 gr. 25 par jour ; 12 mars, 27 grammes
par litre et 48 grammes par jour ; 18 mars, 31 grammes par litre et 63 gram-
mes par jour ; 1er avril, 20 grammes par litre et 26 gr. 32 par jour. La gly-
MYXOEDÈME FRUSTE, CROISSANCE TARDIVE, DIABÈTE 177
cosurie et la polyurie ont donc paru notablement diminuer par le traitement
pancréatique.
En mai, le traitement pancréatique fut suspendu, le malade ayant quitté
l'hôpital. Mais il ne tarda pas à y rentrer ; en l'absence de traitement pan-
créatique, l'analyse d'urine donnn les chiffres suivants : le 15 mai, 5 gr. 20
par litre et 90 gr. 40 par jour ; le 22 mai, 13 gr. 50 par litre et 27 gr. 60 par
jour. A ce moment le malade fut pris d'un adénophlegmon d'un ganglion sous-
maxillaire, et maigrit notablement. Mais l'adénophlegmon ne tarda pas à en-
trer en résolution sans que le pus se soit collecté. Le 4 juin, M. Ragot, in-
terne en pharmacie, pratiqua une analyse complète de l'urine dont voici les
résultats : Volume des 24 heures, 2 litres 15, réaction neutre ; densité 1.020 ;
urée par litre, 5. 76 ; par jour, 14.6 ? ; acide urique, 0.16 et 0.32 ; chlorures,
2.25 et 4. 837; phosphates (en205), 1.98 et z.9.5 ; albumine, 1.02 et 2.193 ;
urobiline abondante ; indican, néant.
Le dosage du sucre a été fait par plusieurs procédés qui ont tous donné des
résultats concordants ; la réduction par la liqueur de Fehling répondait à 25 gr.
de glycose par litre ; la déviation polarimétrique à 24. 85 ; la perte de poids
par dégagement de C02 après fermentation de l'urine par la levure de bière à
24.83. Après fermentation, la réaction au Fehling avait disparu ; après ébulli-
tion de l'urine additionnée de 1 pour 100 d'acide sulfurique, et dilution d'eau
jusqu'au retour au volume primitif, la déviation polarimétrique estrestée la
même. Par conséquent les matières réductrices et polarisantes contenues dans
cette urine sont bien" du glycose et uniquement du glycose, à l'exclusion de
tout autre sucre.
Un certain nombre de détails de cette observation méritent d'être rete-
nus, commentés et discutés.
Tout d'abord le diagnostic de myxoedème fruste, d'hypothyroïdie au
sens d'Hertoghe me parait s'imposer. Le retard de la croissance avec dé-
veloppement incomplet des organes génitaux, l'obésité, le gros ventre, la
face lunaire, et certains caractères féminins forment un ensemble suffi-
samment caractéristique. L'aspect général rappelle, sauf les différences
dues à l'âge et à la stature, celui de Constant M..., dont j'ai publié l'his-
toire et la photographie dans mon livre « les Enfants Retardataires » (1),
qui était de même un obèse cryptorchide, à gros ventre, à reins dévelop-
pés, à facies lunaire et qu'un traitement thyroïdien a rapidement trans-
formé.
Un point particulier est à noter dans l'histoire de notre sujet ; c'est la
persistance de la croissance jusqu'après l'âge habituel ; il a grandi très
lentement, mais d'une façon constante jusqu'à 36 ans, et de 20 à 36 ans,
il a gagné 30 centimètres. Ce fait n'est pas ordinaire : les hypothyroïdiens
(1) APERT, Les Enfants Retardataires, coll. des Actualités médicales, 1902.
178 APERT
retardés que j'ai étudiés jusqu'à présent croissaient très lentement et avec
beaucoup de peine pendant leur jeunesse, puis ils restaient figés définiti-
vement à un état d'infantilisme plus ou moins profond. Ils ne reprenaient
leur développement que grâce au traitement thyroïdien. Chez notre ma-
lade, il semble que le corps thyroïde, tout à fait insuffisant dans son en-
fance, ait repris plus tard une certaine activité, suffisante pour provoquer
une croissance tardive et une puberté tardive ; et si ce processus a été in-
complet en ce sens que le malade n'a pas recupéré la taille normale, ce
n'est pas parce que le corps thyroïde est de nouveau insuffisant, mais
parce que, la puberté arrivant enfin, les cartilages de conjugaison se
sont soudés ; la radiographie montre en effet que l'ossification est partout
achevée; elle a été retardée, l'augmentation de la taille jusqu'à 36 ans le
prouve, mais à cet âge elle s'est compiétée tardivement.
Une particularité plus intéressante encore chez notre sujet, c'est la
coexistence de la glycosurie avec l'hypothyroïdie. Je ne connais pas d'au-
tre cas de ce genre. Autant la glycosurie est fréquente dans la maladie de
Basedow, et même dans la thyroïdisation thérapeutique, autant elle est
inconnue dans le myxoedème. Lorand (1) qui a consacré une monographie
aux rapports du diabète avec les glandes vasculaires sanguines insiste sur
ce fait que la glycosurie marche de pair avec l'hyperthyroïdisation, et il
la considère comme impossible dans le myxoedème, maladie hypothyroï-
dienne. Hirschl a montré chez les sujets myxoedémateux une augmenta-
tation de la fonction d'assimilation du sucre. Knoepfelmacher (2) a cons-
taté que pour faire apparaître la glycosurie alimentaire chez deux en-
fants atteints de myxoedème, il fallait faire absorber des quantités de
glycose beaucoup plus considérables que chez des enfants normaux de
poids égal. Les deux enfants ont été ensuite soumis au traitement thy-
roïdien ; sous l'influence de ce traitement la glycosurie alimentaire s'est
montrée pour des quantités de glycose absorbées bien moins considé-
rables qu'auparavant. Lorand signale un fait plus curieux encore : si l'on
rend un chien diabétique par l'ablation du pancréas, on peut faire dispa-
raître le diabète en enlevant ensuite le corps thyroïde. La glycosurie et
l'insuffisance thyroïdienne semblent donc incompatibles (3). Comment ex-
pliquer leur coexistence chez notre malade ?
(1) Lorand, Sur les rapports du diabète avec l'acromégalie et la maladie de Basedow,
Presse médicale, 1903, p. 690, et Die Bnlstelaitng der Zuckerkrankeit und ihl'e Bezie-
hungzu der Veranderungen der Blutgefassdrusen, in-8°, Berlin.
(2) KNOEPFELIIiACtIER, Alimentüre glycosurie und myxoedem, Wiener klinische Wo-
chenschrift, 3 mars 1904.
(3) Toutefois Norman Dalton, The Lancet, 9 novembre 1897, II, p. 1190, signale
chez une acromégalique diabétique le myxoedème ; mais dans ce cas le diabète doit
naturellement être rapporté à l'hypertrophie du corps pituitaire constatée à l'autopsie
myxoedème FRUSTE, CROISSANCE TARDIVE, DIABÈTE 179
L'explication suivante me parait la plus rationnelle. Notre sujet a été
très hypothyroïdien ; il conserve, comme stigmates de cette hypothyroïdie,
sa petite taille, son gros ventre, sa face lunaire, sa sensibilité au froid ;
on ne peut nier toutefois que l'organisme n'ait été le siège d'uu travail
de réaction contre cette hypothyroïdie, travail qui a abouti en partie puis-
que la croissance a persisté, la puberté s'est à peu près faite, les cartila-
ges de conjugaison 011L - ,fini par se souder. Cet effort a eu lieu, soit par une
régénération in sittc du tissu thyroïdien, soit par un perfectionnement
compensateur d'autres glandes analogues. La régénération in situ est
possible chez les hypothyroïdiens ; j'ai constaté à l'autopsie de l'un d'eux
des adénomes de régénération partielle dans le corps thyroïde (1).
Quant à l'hypertrophie compensatrice des autres glandes vasculaires
sanguines, en coïncidence avec l'insuffisance thyroïdienne, elle a été notée
pour l'hypophyse par Rogowi tch (2), Gley (3), Boyce et Beadles (4) ; pour
les mamelles l'observation de Djemil-Pacha est tout à fait démonstrative;
l'ablation par ce chirurgien de mamelles hypertrophiées chez un homme
paraissant d'autre part normal a provoqué l'apparition d'un myxoedème
resté jusque-là complètement latent (5). Si chez notre sujet l'hypertrophie
pituitaire n'a pu être décelée, l'hypertrophie mammaire est au contraire
évidente et porte, non sur le tissu graisseux, mais sur le tissu glandulaire.
On peut, en outre, -remarquer que les parotides sont également hypertro-
phiées ; leur saillie contribue à donner à la face l'aspect lunaire , on sent
sur le maxillaire inférieur une dépression due au gros volume de la glande,
ce qui ferait croire que l'hypertrophie parotidienne remonte à une épo-
que où le développement du maxillaire n'était pas complètement achevé ;
ce n'est pas étonnant puisque l'achèvement de la croissance n'a eu lieu
chez notre sujet qu'à 36 ans.
En résumé, il existe, chez notre malade, à côté de stigmates évidents
de dysthyroïdie, un processus de régénération et d'hypertrophie compen-
satrice ; au point de vue de sa nutrition, et spécialement au point de vue
de l'équilibre sanguin résultant du fonctionnement harmonique des glan-
(V. LAUNon; et Roy, Glycosurie et hypophyse, Archives générales de médecine, 5 mai
1903). Notre malade n'a aucun signe d'acromégalie.
(1) Examens histologiques de thyroïdes et de testicules d'infantiles, Société anato-
mique, 14 juin 1901, p. 438.
(2) Rooowrcu, Effets de l'ablalion du corps thyroïde, Archives de physiologie, 1888.
(3) Gi,gy, Sur les fonctions du corps thyroïde, Archives de physiologie, 1902.
(4) BoYCE et BFADLES, Hypertrophie de l'hypophyse dans le myxoedème avec remar-
ques sur l'hypertrophie de l'hypophyse associée aux modifications du corps thyroïde,
Journal of pathology and bacteriology, 1893, I, p. 223.
(5) DJEMIL-PACHA, Myxoedème opératoire par l'extirpation de deux mamelles hyper-
trophiées chez un homme, Archives internationales de chirurgie, 1903, p. 81.
180 APERT
des vasculaires sanguines, notre homme se rapproche plus de l'état nor-
mal que les myxoedémateux francs ; nous expliquons ainsi comment il a
pu être atteint de glycosurie, alors que la clinique et l'expérimentation
s'accordent pour montrer l'incompatibilité de la glycosurie et du myxoe-
dème (1).
(1) Ce travail était imprimé quand j'ai eu connaissance des intéressantes observa-
tions d'Alfred Gordon qui sont en contradiction absolue avec l'opinion de M. Loraud.
Il s'agit de myxoedème glycosurique infantile et familial, chez deux frères âgés de
3 ans et de 4 ans et demi. Tous deux ont un diabète complet avec polydipsie, poly-
phagie, poluyrie intenses, et réduction caractéristique immédiate de la liqueur de
Fehling (il est regrettable que le sucre n'ait été ni dosé, ni caractérisé chimiquement
en tant que glycose). Le plus jeune ne présentait qu'un myxoedème peu marqué da-
tant de six mois et se manifestant par de la bouffissure des paupières et de l'oedème
de la face ; antérieurement vif et intelligent, l'enfant était devenu indifférent. Son
frère avait les symptômes physiques et mentaux du myxoedeme, ainsi que la quantité
de sucre dans l'urine, plus accentués encore, dents usées, cheveux rares, ongles cas-
sants. La maladie datait de l'âge de deux ans.
Les deux enfants furent traités par le corps thyroïde. On vit diminuer parallèle-
ment les symptômes de myxoedème et de diabète. De l'insomnie et de l'irritabilité
étant survenus, le traitement fut interrompu, et au bout de trois semaines, l'hébétude
et la glycosurie avaient reparu. Au bout de deux mois (de reprise du traitement),
l'état des malades était aussi satisfaisant que possible. Le traitement n'a pas été repris
depuis ce moment et aucune rechute n'est survenue chez ucun des deux malades.
(Amenican Medicine, 6 février 1904).
La relation de ces succès a levé mes scrupules ; le malade a été soumis à partir du
10 juin à l'administration d'iodothyrine de Bayer, quatre comprimés par jour ; au 15
juin, la quantité de sucre était de 18 grammes par litre et de 36 grammes par jour.
Le malade quitta l'hôpital le 20 juin, avant que nous : ayons pu être édifiés sur l'action
de l'iodothyrine.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPËTMÈRE.
T. XVII. Pl. XXIII
HEMIOEDÈMES CHEZ LES HEMIPLÉGIQUES
(Loeper et Cromjm).
Masson & CI', Éditeurs
TRAVAIL DE LA CLINIQUE MÉDICALE DE L'HOTEL-DIEU
SERVICE DE M. LE PROFESSEUR DIEULAFOY
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DES HÉMIOEDÈMES
CHEZ LES HÉMIPLÉGIQUES
- PAR
- M. LOEPER ET O.CROUZON.
Il n'est pas rare de constater chez les hémiplégiques des troubles vaso-
moteurs et trophiques variés, mais l'apparition d'un oedème limité au côté
hémiplégique, d'un hémioedème n'est pas un fait banal et l'explication
n'en est pas toujours aisée : les tendances actuelles attribuent à ces oedè-
mes des causes précises et une localisation spéciale des lésions. C'est ainsi
que Parhon place les lésions qui provoquent l'oedème chez les hémi-
plégiques au niveau de la tête du noyau caudé, du segment antérieur de
la capsule interne, du noyau lenticulaire dans sa partie interne : Ces oedè-
mes seraient donc réglés par la lésion nerveuse. Mais à côté d'eux, il reste
un groupe d'oedèmes dont la cause première réside dans une insuffisance
cardiaque ou rénale et dans lesquels l'hémiplégie intervient seulement
pour régler la localisation.Les trois faits que nous venons d'observer dans
le service de notre maître, M. le professeur'Dieulafoy, nous ont semblé
intéressants à ce point de vue :
Observation I (PI. XXIII). M..., 66 ans, salle Ste-Jeanne, n° 19, est en-
trée à l'hôpital le 12 décembre, quatre jours après le début de ses accidents. Le
soir du 8 décembre, elle sentit un engourdissement marqué dans les membres
supérieur et inférieur gauches, sans qu'elle soit gênée pour marcher. Cepen-
dant le lendemain, elle préfère rester couchée toute la journée. Après une
journée de repos, et par conséquent le matin du 3e jour de sa maladie, en
voulant se lever, elle tombe à terre, sans perdre connaissance et se trouve
paralysée du côté gauche.
A son entrée à l'hôpital, nous constatons à la face l'effacement du pli naso-
génien gauche, l'abaissement de la commissure du même côté. Les deux yeux
se ferment simultanément d'une façon parfaite, mais l'oeil gauche ne peut se
fermer isolément. La langue est déviée à gauche. On constate quand la ma-t
lade ouvre la bouche l'absence de contraction du peaucier du côté gauche. Le
réflexe pharyngé est diminué. Au membre supérieur gauche, on note la per-
sistance de quelques mouvements dans la racine du membre et l'abolition
complète des mouvements de la main et des doigts. On constate la perte du
XVII -la
182 LOEPER ET CROUZON
sens stéréognostique : la malade ne reconnaît pas les objets, elle peut cependant
grossièrement apprécier leur forme. Le sens des mouvements passifs et de la
position du membre est conservé. Le réflexe radial est un peu plus fort à gau-
che qu'à droite.
Au membre inférieur gauche, les mouvements sont à peu près conservés et
paraissent semblables à ceux du côté droit. Cependant si la marche est pos-
sible, on constate quelques différences entre lafaçon dont se meuvent les
deux jambes, le pied gauche traîne particulièrement dans la marche de flanc.
Les réflexes rotuliens sont égaux : il n'y a pas de clonus du pied. L'excitation
|du réflexe plantaire amène l'extension des orteils et le signe de l'éventail à
gauche, et déplus le gros orteil gauche est en extension à l'état statique. On
constate très nettement à gauche le phénomène du tibial antérieur. Le réflexe
abdominal est aboli à gauche. Il n'y a pas d'hémianopsie. La malade présente
un peu de dysarthrie. Il n'y a pas d'aphasie. Pas de signe de Robertson.
Trois à quatre semaines après cet examen, est apparu du côté gauche au
niveau de la main et du pied un oedème blanc, non douloureux, mou, se lais-
sant facilement déprimer en godet. Cet oedème est apparu progressivement
et a été sujet à quelques variations d'intensité. Il n'existait pas d'oedème du
côté droit. L'examen du coeur ne montrait rien d'anormal à l'auscultation ;
l'examen des urines révélait une petite quantité d'albumine.
Le 20 février la mensuration comparée des membres donnait les résultats
suivants :
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. PI. XXIV
HFMICEDÈMES CHEZ LES HÉMIPLÉGIQUES
(Loeper et Croûton).
Masson & Clt, Éditeurs
11ÉMIOEI)ÈMES CHEZ LES HÉMIPLÉGIQUES 183
droit et la face ne présentent aucune paralysie apparente ; cependant on trouve
chez cette malade l'impossibilité de fermer isolément l'oeil droit. Il n'y a pas
d'hémianopsie ; le réflexe pharyngé est conservé. Le sens stéréognostique est
conservé au membre supérieur droit. On constate la présence des signes de
Babinski et de Strumpell. Le réflexe contralatéral n'existe pas.
Après un mois de séjour à l'hôpital, la malade est considérablement amélio-
rée : la marche est possible sans appui, mais reste un peu pénible et la ma-
lade traîne un peu la jambe surtout quand elle marche de flanc vers la gauche.
La participation de la face qui était très légère puisqu'elle ne se révélait que
par l'impossibilité de fermer isolément l'oeil se révèle en plus par l'écoulement
de salive par la commissure droite des lèvres ; particulièrement pendant la nuit,
elle ressent dans la main droite de légers et rapides fourmillements.
Mais depuis son entrée à l'hôpital, la malade est atteinte d'oedème des mem-
bres inférieurs. Cet oedème est né sous nos yeux et a été d'emblée prédomi-
nant du côté hémiplégie, on peut de ce côté former nettement un godet, c'est
un oedème un peu violacé et surtout marqué au niveau du dos du pied et de
la cheville ; il est à peine marqué du côté sain, on ne peut y former de godet.
Nous n'avons pu à cause de l'oedème apprécier d'une façon précise la tension
artérielle comparée des deux membres inférieurs.
Cette malade est atteinte aussi des troubles respiratoires qui se traduisent-
par des crises asthmatiformes datant déjà de 10 ans,mais accentuées depuis son
entrée à l'hôpital. L'auscultation des poumons révèle la présence de râles
sébilants, ronflants et sous-crépitants. L'auscultation du coeur nous permet de
constater la présence d'un souffle doux systolique maximum au niveau de
l'appendice xiphoïde : souffle d'insuffisance tricuspidienne ; nous sommes en
présence d'une asystolie d'origine pulmonaire à laquelle nous pouvons rap-
porter cet oedème des jambes.
Il n'y a pas d'albumine dans les urines.
La malade a été soumise pendant trente-cinq jours à l'alimentation déchlo-
rurée. Les mensurations composées des membres inférieurs donnèrent pendant
ce régime les résultats suivants :
25 février.
184 LOEPER ET CROUZON
Observation III (PI. XXIV). - Mme Cord..., 67 ans, salle Sainte-Jeanne,
n° 13, entre le 10 février 1901. Elle est incapable de fournir elle-même aucun
renseignement. Les parents racontent qu'ils l'ont trouvée le 10 février au
réveil dans l'état où elle est actuellement, incapable de dire une parole et
paralysée du côté droit. i
On constate à la face l'abaissement de la commissure labiale droite ; l'efface-
ment du'pli nasogénien droit. La malade ne peut fermer isolément l'oeil droit.
Il est impossible de rechercher chez elle l'hémianopsie. On constate le signe du
peaucier.
Son membre supérieur droit est incomplètement paralysé ; la main droite
amène encore au dynamomètre ; la main gauche amène 10.
La démarche est possible, mais hésitante : le pied droit frotte contre le
plancher.
| Le réflexe rotulien est exagéré des deux côtés. Il n'existe pas de trépidation
épileptoïde. On constate à droite le signe de Babinski et l'abduction des orteils
en éventail ; on constate égaleméut le signe de Strumpell.
La sensibilité à la piqûre est diminuée à droite, mais la sensibilité au pince-
ment est conservée.
La malade est aphasique. Pour résumer brièvement l'étude de cette aphasie,
elle est atteinte d'une grosse aphasie motrice, elle n'a pas de surdité verbale, il
a été impossible de lui faire lire ou écrire quoi que ce soit.
Le 20 avril, nous avons constaté l'apparition à la main droite d'un oedème
très marqué, blanc, mou, gonflant et distendant le dos de la main et remontant
jusqu'au tiers inférieur du bras. Il n'existait tout d'abord aucun oedème des
membres inférieurs, mais le 28 avril, est apparu un léger oedème de la mal-
léole droite. L'oedème de la main avait diminué. L'oedème de l'avant-bras per-
sistait. Les mensurations ont donné les résultats comparatifs suivants :
IIÉ11fI0EDL11tES CHEZ LES HÉMIPLÉGIQUES 185
Nous avons trouvé dans la littérature médicale des cas semblables aux
nôtres. Le premier est celui de Hare (de Philadelphie) rapporté sous le
titre de : A report of a case of wmsual edema in hemiplegia, dans le Jour-
nal of nerrous and mental diseuses (1898). Il s'agissait d'une femme de
46 ans atteinte d'hémiplégie chez laquelle apparutcinq semaines plus tard
un oedème considérable de la main, de l'avant-bras et des deux tiers in-
férieurs du bras. Comme dans noire cas III, il n'y avait pas d'oedème du
membre inférieur au début, l'oedème ne survint que plus tardivement.
La malade avait eu avant son hémiplégie de l'oedème des jambes et elle
présenta il des signes d'insuffisance mitrale, un souffle systoiique aortique
et ses urines renfermaient de l'albumine.
Allen (Charles Lewis) de Washington rapporta dans le Journal orner-
1'OUS and mental diseases (1899) un cas sous le titre suivant : edemq of f
the ]Jaralysed limús in hemiplegiet ivith report of an iti2tsuctl case. Il s'agis-
sait d'un nègre de 55 ans, paralysé depuis plusieurs mois, que l'auteur
vit avec un oedème marqué occupant tout le côté hémiplégique (gauche).
L'autopsie révéla de plus une pleurésie gauche récente : les reins étaient
augmentés de volume et présentaient à la fois des signes de congestion et
de néphrite interstitielle. Il existait des lésions cérébrales étendues, des
foyers multiples de ramollissement dans l'hémisphère droit. Allen pense,
avec von IVIonahow;-que l'oedème survient dans les grandes destructions
cérébrales et il attribue l'oedème au ralentissement de la circulation du
sang et de la lymphe causé par l'importance de l'atrophie musculaire.
Enfin M. P. Marie a rapporté dans l'article « Hémiplégie » du Traité de \
médecine un cas observé avec l'un de nous : il s'agissait d'une hémiplégie
droite survenue par embolie cérébrale chez un malade atteint de maladie /
mitrale. L'asystolie provoqua chez le malade un oedème à prédominance
nettement hémiplégique.
Nous croyons donc que, d'une façon indubitable, un. grand nombre
d'oedèmes chez les hémiplégiques sont des oedèmes cardiaques ou rénaux.
Nous ne pensons pas étendre ce même caractère à tous les oedèmes hé-
miplégiques : il existe sans doute des oedèmes vasotrophiques purs dans
l'hémiplégie. Gombaut a rapporté dans les Archives de médecine expéri-
mentale (1892) un cas de paralysie alterne du côté droit pour les mem-
bres, du côté gauche pour la face et le muscle droit externe de l'oeil. La
main et l'avant-bras furent le siège d'un oedème très accentué dès le
début de l'hémiplégie, le membre inférieur fut aussi atteint d'oedème.
L'autopsie révéla bien des lésions du myocarde et une destruction du
rein gauche par une hydronéphrose, mais cependant nous croyons pouvoir
admettre, en raison de la précocité de cet oedème, qu'il était bien un
oedème de cause nerveuse. M. Gombaut le rattache du reste à une lésion
du lemniscus et du champ moteur.
186 LOEPER ET CROUZON
Tout récemment MM. Raymond et Courtellemont ont rapporté un cas
qui doit rentrer aussi dans cette catégorie (Soc. Neurologie, 14 avril 1904).
Ce cas nous semble devoir être rangé dans les oedèmes nerveux à cause
de sa précocité (il est apparu une heure après l'attaque), et aussi parce
qu'il diffère nettement des oedèmes ci godets cardiaques ou rénaux (on avait t
la plus grande difficulté à tracer le godet sur la main, et dans la discus-
sion qui a suivi, 1\'kPierre Marie rapprochait ce trouble des tumeurs dor-
sales du carpe). -
Et il faut aussi ranger dans celte série le type décrit par Gilbert et Gar-
nier sous le nom de main succulente : là encore il s'agit d'un pseudo-
oedème et non pas d'un oedème véritable.
Les cas de Gombaut, de Raymond et Courtellemont, de Gilbert et Gar-
nier sont donc différents cliniquement : leur pathogénie peut donc être
différente : il s'agit d'oedèmes nerveux, alors que nos cas sont des oedèmes
cardiaques ou rénaux chez des hémiplégiques.
Si la nature des oedèmes que nous avons observés chez les hémiplégi-
ques nous semble expliquée par la lésion cardiaque et la lésion rénale, il
n'en est pas moins intéressant de rechercher par quel mécanisme se fait
cette répartition hémiplégique.
On a dit que cette localisation sur le côté paralysé était provoquée par
l'attitude du malade qui penche sans cesse sur le côté, il s'ensuit une
déclivité qui favoriserait l'apparition de l'oedème du côté malade. Nous
rappellerons que M. Pierre Marie dans le cas qu'il a observé avec l'un de
nous, même en modifiant la position de son malade et établissant la dé-
clivité du côté opposé, n'a pu faire disparaître l'oedème du côté hémi-
plégique. Nous avons reproduit cette expérience sur le malade de l'obser-
vation III dont la paralysie très accentuée pouvait favoriser une attitude
vicieuse : le changement d'attitude n'a pas fait disparaître l'oedème. Quant
aux deux autres malades, leur attitude n'a jamais été vicieuse et leurs
mouvements étaient suffisants pour leur éviter toute immobilisation qui
pût provoquer l'oedème du côté paralysé.
Nous ferons remarquer aussi que l'oedème unilatéral a été rencontré
dans l'hémiplégie droite comme dans l'hémiplégie gauche : deux de nos
malades étaient atteintes d'hémiplégie droite, la malade de Hare était at-
teinte d'hémiplégie droite, le malade de Pierre Marie et Crouzon était
atteint d'hémiplégie droite ; le malade d'Allen était atteint d'hémiplégie
gauche, une de nos malades était atteinte d'hémiplégie gauche, en consé-
quence, il n'y a pas eu influence exclusive des hémisphères d'un côté du
corps sur l'apparition de l'oedème.
Il faut donc chercher ailleurs les causes de la répartition hémiplégique
de l'oedème. Il faut invoquer sans doute l'altération de fibres vasomotri-
HÉMIOEDÈMES CHEZ LES HÉMIPLÉGIQUES 187
ces et trophiques dans l'hémiplégie et admettre qu'elle /misse régler la dis-
tribution d'un oedème qu'elle n'a pas provoqué directement et qui est d'ori-
gine viscérale. Cette hypothèse est d'autant plus vraisemblable que nous
avons vu, dans les cas d'oedème précoce purs de Raymond et Courtelle-
mont, de Gombaut, le cas de Gilbert et Garnier, que la lésion nerveuse pro-
voque seule l'oedème ou le pseudo-oedème.
Nous savons, d'autre part,qu'il existe en dehors de ces oedèmes hémiplé-
giques des oedèmes névropathiques qui ◀tantôt▶ ont le caractère de troubles
vasomoteurs passagers, ◀tantôt▶ témoignent d'un désordre profond et per-
manent de la nutrition. C'est ainsi qu'on les rencontre dans les névrites
périphériques et nous ne saurions en citer de meilleur exemple que la
tumeur dorsale du poignet de la paralysie radiale à laquelle M. P. Marie
comparait le cas de Raymond et Courtellemont. On trouve aussi des oedè-
mes passagers dans les névralgies et en particulier dans la névralgie du
trijumeau. Les oedèmes se rencontrent aussi dans les affections médul-
laires, mais on les observe plus fréquemment dans les tabes sous forme
d'infiltrations dures siégeant soit au pourtour des atrophies tabétiques,soit
en dehors d'elles au niveau de la face ou des membres. On les rencon-
tre encore dans la syringomyélie où ils siègent surtout au niveau de la
main, sous un type spécial pour lequel Marinesco a créé le nom de main
succulente que Gilbert et Garnier ont appliqué plus tard aux troubles
vasomoteurs et trophiques observés par eux dans l'hémiplégie. La clinique
nous fournit donc de nombreux exemples d'oedèmes ou de pseudo-oedème ?
par troubles vasomoteurs et trophiques. Les expériences de Claude Ber-
nard, de Ranvier, de Chossat, etc., ont confirmé ces faits d'observation cli-
nique. On peut réaliser l'oedème en excitant un plexus nerveux, telle l'ex-
citation de l'anse de Vieussens dans les recherches de Rogowitch, ou en
sectionnant un (ileLnerveux [sympathique (Budge-Cohnheim), trijumeau
(Herbert Mays), sciatique (Chossat), lingual (Ostroumoff), etc.]
Dans ces expériences la dilatation des capillaires des tissus est un phé-
nomène constant, et c'est à ces modifications brusques du calibre des vais-
seaux, aux variations de pression, au ralentissement du cours du sang qui
en sont la conséquence que l'on doit surtout attribuer l'oedème produit.
Mais lorsque l'oedème apparaît il n'est pas d'ordre exclusivement méca-
nique. Villard a fait à juste titre observer que la dilatation des capillaires
et la stase sanguine entraînaient un ralentissement, des échanges, des oxy-
dations, des dédoublements. Vulpian (1) avait même parlé, autrefois, de
modifications de la tonicité des cellules des capillaires. C'est que, en effet,
le système nerveux règle, non seulement le calibre des capillaires et l'ac-
(1) Vulpian, Leçons sur l'appareil vaso-1/1olell1'; Cnoss.vT, Thèse de Paris, 1814.
188 LOEPER ET CROUZON
tivité de la circulation sanguine, il exerce sur les cellules endothéliales
des capillaires, sur les cellules nobles des organes une action véritable-
ment trophique. Les troubles de l'influx nerveux retentissent donc à la
fois sur la perméabilité des cellules filtrantes et sur l'équilibre molécu-
laire des tissus ; et l'oedème nerveux n'est pas seulement un oedème vaso-
moteur, c'est encore un oedème trophique. Les recherches faites chez les
« hémiplégiques par Feré et Villard (1), parFaure, par Sicard et Guillain (2)
nous montrent que l'oedéme du membre paralysé doit avoir la même cause
et ressortir à la même pathogénie. Il existe en effet dans ces cas de l'hypolen-
sion artérielle, de la stase sanguine avec hyperleucocytose et hyperglobulie.
\ Mais si les mêmes infiltrations peuvent apparaître dans les lésions
organiques du cerveau, il est certain qu'elles y sont beaucoup moins fré-
quentes et moins typiques que dans les lésions organiques et autres de la
moelle et des nerfs périphériques. L'hémorrhagie ou le ramollissement cé-
rébral sont à eux seuls assez peu capables de déterminer les troubles mé-
caniques et trophiques, la stase sanguine et les troubles de perméabilité
et d'activité cellulaires d'où résultera l'accumulation de liquide dans les
espaces interstitiels du membre paralysé. Il semble que les tissus soient
peu touchés et qu'un certain équilibre se maintienne encore dans les diffé-
rentes forces qui en régissent le fonctionnement et les échanges. Aussi,
voyons-nous dans la plupart des observations un traumatisme, un refroi-
dissement,ajouter son action à celle de la lésion nerveuse elle-même et faire
apparaître cet oedème, jusque-là menaçant et en tous cas imperceptible.
La succession des faits est inverse dans nos observations. 11 est vraisem-
blable que le malade, cardiaque ou rénal, dont la lésion était assez bien
compensée, n'eût pas fait d'oedème sans l'intervention de la lésion ner-
veuse : celle-ci, par le trouble nouveau qu'elle apporte brusquement à
l'équilibre des pressions et des échanges dans les tissus, l'a déterminé
aussitôt, avec la brusquerie qui caractérise les manifestations d'origine
nerveuse.
En résumé, pour nous, l'oedème du membre hémiplégie est fréquem-
ment d'origine mixte; l'hémiplégie, incapable par elle-même de faire
l'oedème dans beaucoup de cas, ne fait que rendre apparent un trouble de
la filtration et des échanges dans les espaces interstitiels. Cet oedème
mixte est d'autant plus intéressant qu'il peut mettre sur la voie d'une
lésion rénale ou cardiaque jusque-là latente, ou réduite à des symptômes
purement physiques que l'on devra rechercher.
(1) VILLAPt7, Province médicale, 14 janvier 1003. \
(2) SMICARD et GUIGLAIN, Soc, hôpit. de Paris, 1899 ; Congrès de Lille, août 1899. )
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU THOPHOEDËME
PAR
PAUL SAINTON;
Chef de clinique.
ET
ROGER VOISIN,
Interne à l'Hôpital Beaujon.
Sous le nom de trophoedème (II. Meige), d'oedème segmentaire (Debove),
on désigne des troubles trophiques d'un ou de plusieurs membres se tra-
duisant par « un oedème blanc, dur, indolore, occupant un ou plusieurs
segments' de l'un ou des deux membres inférieurs et persistant la vie en-
tière sans préjudice notable de la santé. « Le trophoedéme est parfois un
accident isolé (H. Meige) (1). »
Les cas où le trophoedème s'est montré chez un seul sujet dans une fa-
mille sont encore rares. Vigouroux en a cité un chez une jeune fille qui
a fait plusieurs années après l'objet d'une leçon clinique du Professeur
Debove. Prothon, Rapin, Ilerloolie, Mabille en ont cité des exemples.
Plus récemment,Sicard et Laignel-Lavastine (2) rapportent un cas de tro-
phoedème acquis chez une jeune fille de 28 ans, où la marche s'est faite
par poussées successives,subaiguës et où les caractères de chaleur, rougeur,
mollesse apparaissant pendant la station debout sont un peu différents de
ceux qui ont été constatés par les auteurs précédents. L'observation sui-
vante nous parait importante pour éclaircir la pathogénie de la maladie.
Nous tenons à remercier le Dr Pinçonnat (de Cormeilles-en-Parisis) qui a
bien voulu nous donner des renseignements précis sur son début.
Observation. -
F..., jeune garçon âgé de 15 ans, est amené il l'hôpital Beaujon, le 10 avril
1903, pour une tuméfaction du membre inférieur ayant débuté, il y a environ
trois mois.
Antécédents héréditaires. Les ascendants n'ont jamais eu de maladie
semblable, pas plus que les collatéraux. Le père, facteur de son état, est d'une
bonne santé habituelle ; il a cependant une certaine tendance aux trouble vaso-
moteurs. Ses extrémités se refroidissent et même se cyanosent pendant l'hi-
(1) Iconographie de la Salpêtrière, novembre-décembre 1901, p. 461.
(2) Iconographie de la Salpêtrière, janvier-février 1903.
190 SAINTON ET VOISIN
ver. La mère est bien portante ; elle a souffert de coliques hépatiques ; l'accou-
chement a été normal.
Antécédents personnels. - F... a marché à. un an : la seule maladie infec-
tieuse qu'il ait eue est une rougeole bénigne.
Voici dans quelles conditions est apparue l'affection pour laquelle il vint con-
sulter, d'après les renseignements qui nous ont été donnés par le Dr Pinçonnat
(de Cormeilles-en-Parisis) qui le vit à ce moment.^
Le 8 ou-9 janvier, ce jeune homme se plaignait pour la première fois « de lassi-
tude et de douleur dans la jambe droite ; il existait à ce moment à la partie in-
terne de celle-ci un oedème circonscrit s'étendant le long du tibia, sans envahir
les malléoles, ni le pied ». Les traînées rougeâtres de la surface firent porter
au Dr Pinçonnat le diagnostic de lymphangite bien qu'il n'eût pas trouvé de
porte d'entrée. Le malade garda le repos au lit ; sa jambe fut entourée de com-
presses d'eau phéniquée très faible, à un demi pour cent. Tout alla bien pendant
deuxjours, mais le troisième survinrent des symptômes d'intoxication phéniquée :
délire, vomissements, soif intense, langue sèche, urines noires. Un érythème
recouvrait toute la jambe et cachait toute apparence de lymphangite. Les en-
veloppements phéniqués furent remplacés par des lavages à l'eau bouillie, le
membre fut entouré d'ouate sèche. Quelques jours après, tous les symptômes
s'étaient amendés. Le 14 ou 15 le malade se leva, l'oedème n'avait pas disparu,
mais il était indolore. Le malade n'eut plus besoin d'aucune visite le 19 janvier.
Le 10 avril F... fut examiné à l'hôpital Beaujon; il ne se plaignait d'aucune
douleur, ni d'impotence fonctionnelle. Il peut marcher sans difficulté. La seule
chose qui préoccupe ses parents est une augmentation de volume de la jambe.
On constate un gonflement du membre inférieur droit portant sur le pied, la
jambe et la cuisse ; il est régulier de sorte que le membre n'est point déformé ;
voici les résultats donnés par des mensurations comparatives des deux mem bres.
NOUVELLE Iconographie de la SALFÊTRIÈM.
T. XVII. Pl. XXV
TROPHOEDÈME DU MEMBRE INFÉRIEUR DROIT
(P. Sail1toll et R. Voisin).
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU TROPBOEDÈME 191
jambe est plus grosse à la fin de la journée. La force musculaire : est conservée,
les pieds sont froids, cyanosés et mouillés de sueur ; cet état existait avant la
maladie. ,
L'examen de la sensibilité est négatif.
Les réflexes rotuliens sont exagérés des deux côtés ; le réflexe plantaire est
absent.
L'examen n'a montré aucun stigmate d'hystérie. Il n'y a pas de cause de
compression dans le petit-bassin et d'ailleurs les caractères de l'oedème ne sont
pas ceux d'un oedème par compression.
Les viscères ne sont point altérés. L'examen hématologique a été fait par
piqûre de la main et de la jambe. Les résultats n'ont montré aucune diffé-
rence appréciable dans la composition du sang recueilli dans ces deux membres;
voici d'ailleurs l'examen hématologique :
Sang de la jambe droite malade :
G. R : 3.150.000.
G. B : 6.000.
192 SAINTON ET VOISIN
oedématellses successives. L'intoxication phéniquée qui a suivi le traitement
a-t-elle agi à titre de cause adjuvante, en altérant d'une façon plus ou
moins durable les nerfs périphériques ? C'est encore un des termes "du pro-
blème étiologique qu'il faut envisager, mais dont il est impossible de pré-
ciser la valeur, en raison de la connaissance incertaine que nous avons des
causes du trophoedème. C'est d'ailleurs la première fois que la question
du rôle d'une intoxication se pose pour expliquer la genèse de la maladie.
Il est un autre facteur qui nous semble pouvoir être incriminé dans
l'apparition des accidents chez notre sujet, c'est l'hérédité. Il n'y a point
d'hérédité similaire; mais il est certain que le père de l'enfant a une
tendance aux troubles vasomoteurs, il a remarqué, et nous avons pu le
constater nous-mêmes, que ses extrémités se cyanosent au moindre refroi-
dissement et revêtent l'aspect de l'asphyxie locale. Il est donc plausible
de penser que chez le père et l'enfant, le système sympathique est con-
génitalement affaibli et que cet affaiblissement a favorisé l'éclosion de
l'oedème.
Dans notre cas, comme dans nombre d'autres, le traitement thyroï-
dien s'est montré inefficace; sans une surveillance attentive, il eût été
dangereux.
UN CAS
DE
DÉMENCE PRÉCOCE CATATONIQUE
AVEC PSEUDO-OEDÈME COMPLIQUÉ DE PURPURA
PAR
L. TREPSAT,
Interne à l'asile d'Evreux.
Le pseudo-oedème décrit par M. Dide (1) dans la démence précoce à
forme catatonique, paraît un phénomène à peu près constant si on observe
les malades pendant une durée suffisante. M. Dide en a réuni 45 cas dans
son travail fondamental : « Le pseudo-eedéme catatonique , paru récem-
ment dans l'Iconographie de la Salpêtrière. J'ai donné aussi à la Société de
Neurologie (2) le résumé de 65 cas pris parmi les malades de l'asile
d'Evreux.
Chez la malade qui fait l'objet de l'observation suivante, j'ai eu l'occa-
sion de suivre l'évolution d'un purpura venant compliquer un pseudo-
oedème typique :
Observation
Service de M. le Dr Bessière.
Hérédité. - Demi-stupeur, attitudes catatoniques, actes stéréotypés, verbigé-
ration, négativisme, impulsions. Examen physique. Etat obsédant
continu.
Gr... Eugénie, ménagère, 27 ans, déjà traitée en 1900 à l'asile de Clermont
(Oise), entre à l'asile d'Evreux le 29 avril 1901. 1
Antécédents héréditaires. La malade est née à l'asile en 1873. Sa mère
démente est décédée en 1902 sans avoir quitté l'établissement.
30 avril 1§01. -Un constate à l'entrée que la malade présente des halluci-
nations de la vue et de l'ouïe avec phobies et impulsations violentes. Elle est
sombre, concentrée.répond d'un air dédaigneux aux questions qu'on lui adresse,
Les hallucinations de l'ouïe prédominent dans son délire. Les voix lui annon-
cent qu'elle restera à l'asile toute sa vie, elles lui parlent constamment et lui
disent des choses désagréables. ,
(1) Société de Neurologie, séances du novembre et du 3 décembre 1903.
(2) Société de Neurologie, séance du 4 février 1904.
'91 TREPSAT
17 mai. Elle refuse de manger depuis 3 jours, elle n'a pris pour ainsi
dire aucune nourriture. Cependant elle est calme, s'occupe à la couture.
29. - Elle s'agite subitement, casse plusieurs carreaux, dit des injures
à tout le monde, ne travaille plus, s'arrache la peau des mains avec les
ongles.
8 juillet. La malade est continuellement en mouvement, casse des car-
reaux, refuse de manger, jette à la figure de la soeur le gobelet de cidre que
celle-ci lui présente. Si on lui demande pourquoi elle a cassé des carreaux, elle
répond : « C'est parce qu'il me semblait qu'on m'empêchait de voir mon père. »
Septembre. ◀Tantôt▶ déprimée et mélancolique, ◀tantôt▶ très violente.
Elle dit qu'on l'assassine quoiqu'elle ne soit pas coupable.
Janvier 1902. La malade va mieux depuis 2 mois : elle s'alimente
bien, s'occupe à la couture, répond convenablement aux questions qu'on lui
pose, semble un peu moins triste.
Elle quitte l'asile le 29 mai suivant, améliorée, mais présentant encore une
dépression mentale assez grande.
2e Admission, le 12 novembre 1902. Eugénie Gr... n'était restée calme
que pendant quelques mois, elle était ensuite devenue par intervalles vio-
lente à l'égard de son père infirme, l'injuriant et le menaçant. Elle avait
brisé chez elle de nombreux objets, s'était plusieurs fois livrée à des actes sin-
guliers, comme de déchirer des draps excellents pour faire de la charpie et de
distribuer ses voisins son linge ainsi que l'argent qu'elle arrachait à son
père par menaces et violence.
Certificat immédiat. - Dégénérescence mentale avec dépression mélanco-
lique, hallucinations de l'ouïe et aberration des sentiments affectifs.
Jusqu'au mois de février 1903, elle reste .calme, mais triste et hau-
taine, n'adresse la parole à personne, vit à l'écart. Puis elle s'agite, ne tra-
vaille plus, va et vient dans la cour, crie, présente des impulsions vio-
lentes, casse des assiettes et des carreaux, frappe la soeur de son quartier,
parce que, dit-elle,la soeur est une criminelle qui veut l'assassiner moralement.
5 juin 1903. - Mélancolique depuis 3 mois, déprimée, ne cause jamais
spontanément. Est très irritable, a des impulsions fréquentes.
13 août. En allant à la promenade, elle a tout à coup rompu le rang
et s'est jetée dans la rivière. Retirée aussitôt, elle a déclaré qu'elle regrettait
beaucoup d'avoir manqué son coup.
Décembre. - Même état de dépression profonde entrecoupée d'impulsions
brusques et très violentes.
1 er mars 1904. Déprimée, sombre, ne sort de son mutisme absolu que
pour frapper ceux qui l'entourent et casser des carreaux.
30 avril. - Même état de demi-stupeur avec attitudes catatoniques, mu-
tisme volontaire, phénomènes d'opposition, impulsions. Elle reste toute la
journée immobile sur une chaise, les paupières baissées, les mains sur les
genoux, ne cause à personne, répond aux questions d'une voix faible, pres-
que inintelligible.
Examen physique. - Pseudo-oedème très accentué du dos du pied avec
bourrelet, a la racine des orteils. Cyanose et refroidissement. Infiltration rétro-
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. PI. XXVI
DÉMENCE PRÉCOCE CATATONIQUE PSEUDO-CEDÈME ET PURPURA
(L. Trepsat).
Masson & Cie, Editeurs
21 : r'\.l.Alr..P.'4 4c6aud. l'a»1^. f
DÉMENCE PRÉCOCE CATATONIQUE 195
malléolaire élastique. Empâtement dur et très douloureux de la face interne
du tibia. Les orteils présentent des plaques plus foncées, asphyxiques.
Un séjour de 12 heures au lit, n'amène aucune modification de l'oedème ni
de la température.
2 mai. Voici le dernier certificat rédigé par mon chef de service,
M. Bessière, à l'occasion d'affaires d'intérêts ; « 'Démence précoce caracté-
risée par un état de stupeur catatonique permanent, interrompu par des im-
pulsions violentes et des- tentatives de suicide. « Elle est actuellement dé-
primée, ne parle à personne, reste immobile à la même place dans une attitude
stéréotypée, ne répond pas aux questions qu'on lui adresse, s'alimente diffici ?
lement. » '
25. La malade s'est aperçue vers le 17 mai que ses jambes présentaient
des taches rouges. Elle nous les montre spontanément aujourd'hui et nous
trouvons un purpura classique. Les taches rouge-noirâtre prédominent à >
droite à la face externe, et à gauche à la face antéro-externe. Elles sont dissé-
minées, de la grosseur moyenne d'une pièce de 20 centimes. A la face posté-
rieure de la jambe et sur le dos du pied, les taches purpuriques tout en étant
aussi confluentes, sont moins larges, comme une grosse tête d'épingle.
L'éruption siège surtout au-dessous de la jarretière; au-dessous de ce ni
veau, se trouvent quelques plaques disséminées principalement à gauche. Elles
n'offrent aucune disposition symétrique, et disparaissent peu à peu, sans dé-
marcation nette avec le tissu sain.
26. - Plzolog1'aplti-e du purpura (Pl. XXVI).
27. Les taches purpuriques ont beaucoup diminué de coloration : elles
ont une teinte à peine veineuse.
30. Il faut un examen attentif pour découvrir des taches rosées très pâ-
les, disséminées sur la peau. A la face dorsale du pied, on voit une pigmenta-
tion punctiforme plus nette.
3 juin. -- Examen physique. - Cyanose et infiltration des mains. Réflexe
plantaire conservé. Réflexe rotulien conservé. Hyperexcitabilité musculaire \
facilement mise en évidence par le pincement du biceps qui produit un bour-
relet localisé manifeste. Sensibilité à la douleur normale. Sensibilité ther-
mique conservée. '
Sensibilité tactile mesurée à l'esthésiomètre. Elle est en général plus ex-
quise à droite qu'à gauche.
196 TREPSAT T
Circulation, A l'examen du coeur on constate un souffle systolique à la
pointe, de nature anémique probable.
Pouls : 96, régulier.
Tension sanguine mesurée au sphygmomanomètre : 22.
Numération des globules sanguins : hématies : 3.600.000 par millimètre
cube ; globules blancs : 5 : 000. Le nombre des hématies est un peu diminué.
Urines. Nous mettons en parallèle les moyennes de nos analyses d'urine
pratiquées d'abord vers le 1er avril avant l'époque d'apparition du purpura et
ensuite du 26 mai au 1er juin. L'élimination de tous les éléments est abaissée
dans le second cas.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SAU'&TRYM.
T. XVII. Pl. XXVII
DÉMENCE PRÉCOCE CATATONIQUE DERMOGRAPHISME
(L. Trepsat).
Masson & Ci-, Éditeurs
DÉMENCE PHÉC0CE CATATONIQUE 197
3° La cicatrice, qui est de couleur blanc éclatant chez le vieillard et que nous
trouvons ici pigmentée rouge puis brune.
9 juin. Altitudes calatonigues. - Les attitudes catatoniques provoquées
sont indéfiniment conservées chez notre malade, pour le cou, l'épaule, le
coude et les doigts (PI. XXVII).
Dermographisme (PI. XXVII). - Nous avons tracé quelques caractères sur
la peau avec une pointé mousse : il s'est produit immédiatement au niveau
des points comprimés un' oedème ortié, anémique, produisant un bourrelet
saillant, perceptible au toucher et à la vue. A droite et à gauche de ces lignes
surélevées blanches, apparaît une zone de congestion rouge vif. Une demi-
heure après le tracé des caractères, la congestion avait un peu diminué d'in-
tensité, mais l'oedème anémique persistait.
11. En frottant légèrement la peau dans la région où nous avions écrit :
« Démence précoce » 48 heures auparavant, nous avons vu apparaître assez
nettement quelques-unes des lettres (lignes blanches entourées d'un nuage
congestif), principalement la fin des deux mots : NCE et OCE situés dans la
moitié droite du thorax.
Il. Menstruation : Mon collègue E. Tonrrenc qui depuis le mois de jan-
vier prépare un travail sur la menstruation chez les aliénées veut bien me com-
muniquer les résultats concernant notre malade :
Mois de février, pas de règles.
» mars, elles ont duré du 17 au 25.
» avril, V ' » du 27 au 2 mai.
» mai, pas de règles.
» juin, elles ont duré du 2 au 6.
Donc la menstruation est assez régulière. On remarque de plus que pendant les
quatre ou cinq jours qui précèdent l'établissement des règles, la malade est
plus excitée, plus négativiste, plus insolente que d'habitude.
11. Interrogatoire de la malade. Tout d'abord à chaque question,
Eugénie Gr... répond par les mots : « partir, mon père », mais peu à peu elle
s'excite, et c'est d'un seul jet qu'elle débite les tirades suivantes entrecoupées
d'imprécations : Lâches ! assassins 1 à notre adresse.
D'ailleurs, quand une phrase est écrite, elle exige que nous la relisions tout
haut pour savoir si sa pensée a été bien traduite.
« La soupe est une torture morale, c'est injuste une maison comme çà, c'est
lâche, c'est relation commerciale et non la France libre.
« La nourriture, la viande, les soupes bouillantes me donnent la torture mo-
rale des jeux de mots sur l'alphabet et même les lettres.
Question. En quoi consistent ces jeux de mots ? ` ?
Réponse. Ainsi, quand je dis tout haut ou tout bas le mot : mourir, j'ai
l'idée qu'on lit ma pensée, et j'ai la torture morale de croire que les autres
pensent que j'ai accepté de manger du riz. Et cela est bien relation commer-
ciale et non la France libre.
Q. Alors il faut supprimer le commerce ? : '
li. - Oui, il ne faut pas admettre la multiplication des légumes et des aui-
xvn 13
198 TREPSAT
maux, c'est lâche. Le cidre donne catalepsie et épilepsie. J'ai la torture mo-
rale d'être malhonnête en buvant le cidre au gobelet. Cela me rappelle la
souffrance morale d'avoir voulu me noyer. Le glou-glou du cidre torture de
penser qu'une autre personne souffre de la souffrance de se noyer.
Q. Quel rapport y a-t-il entre ce glou-glou et le fait de se noyer ?
R. Vous savez bien que quand on se noie, on entend le même glou-glou.
Et quand on boit au gobelet, c'est une autre personne qui souffre la torture
de se noyer. Il faut-boire à la cuillère et non au gobelet.
Q. Pourquoi refusez-vous de manger la soupe ?
R. C'est parce qu'il y a des légumes et que sur les légumes il y a des
vers. Quand on mange la soupe, on a l'hallucination du ver, on a peur de
suite qu'un ver ou un serpent vous monte sur les bras.
Toute la nourriture qu'on mange fait mal, vous donne des maladies morales,
des maladies de vessie, vous force aller aux cabinets.
Q. Pourquoi restez-vous de longues heures aux cabinets ?
Il. C'est pour empêcher que les autres aient la torture morale de se lais-
ser empoisonner par les soupes bouillantes, par les légumes. C'est pour que
' les autres n'aillent pas aux cabinets.
Q. Pourquoi restez-vous la tête baissée dans la cour ?
H. L'idée que je suis dans la cour m'empêche de lever la tête, car si je
levais la tête et ouvrais les yeux, je verrais les autres malades, et ces malades
sont enfermées à cause de moi.
Q. -On vous accuse donc de faire enfermer les autres ?
R. - Oui, on me reproche même d'être venue au monde, de n'être pas
Française.
Q. Quelles sont ces .voix qui vous font de tels reproches ? ` ?
R. Mais je n'entends pas de voix, je n'en ai jamais entendu. J'entends
votre voix, la mienne, et c'est tout.
Soudain la malade se met à sourire, et rougit très fort.
Q. Pourquoi souriez-vous ?
R. C'est la soupe qui donne des rires forcés, et c'est une grande souf-
france pour quelqu'un de rire sans savoir pourquoi. J'ai toujours peur de rire,
parce que le rire peut donner un bruit qui est la souffrance de tout le monde.
Q. Pourquoi cassez-vous si souvent des carreaux ?
R. Parce qu'alors je pense que mon sang ne circule pas. Le sang se
trouve accumulé dans la main, comme un abcès, et il faut bien percer cet
abcès.
Q. Pourquoi quelquefois ne tenez-vous pas en place au réfectoire ? 2
R. C'est que je sens l'électricité monter du parquet, et alors je ne peux
rester immobile, je me sens atteinte d'une grande vivacité.
En examinant les réponses de la malade, il est aisé de s'apercevoir qu'elle
est sous l'influence d'un état obsédant continu : ce sont des idées obsédantes
qui produisent un grand nombre de ses attitudes catatoniques et phénomènes
d'opposition : qui l'empêchent, par exemple de lever la tête dans la cour, de
r
DÉMENCE PRÉCOCE CATATONIQUE 199
boire le cidre au gobelet, de manger la soupe, etc. ; ce sont aussi des idées
obsédantes (arrêt du sang dans la main) qui produisent ses impulsions.
Les hallucinations auditives, paraissent moins nettes qu'au moment de son
entrée à l'asile. Il est bien difficile de spécifier si des voix lui reprochent de
faire enfermer les gens et de n'être pas Française, ou bien, s'il ne s'agirait pas
d'idées d'auto-accusation bien en rapport avec son état mélancolique.
Les hallucinations dé la sensibilité..générale (électricité du parquet) parais-
sent plus nettes.
En somme, l'allure incohérente des conceptions et des actes de notre ma-
lade paraît bien s'expliquer par l'influence de cet état obsédant dans un cer-
veau aboulique.
11 juin. J'avais prié Eugénie Gr...de me décrire exactement ses tortures
morales. Elle l'a fait à la condition que l'infirmière ne la ferait pas boire au
gobelet, mais à la cuillère-. Voici un extrait de sa lettre où il n'y a guère que
de la verbigération.
« Mademoiselle Eugénie Gr, partir mon père, M. Prosper Gr. Montfort
l'Amaury Seine-et-Oise Seine-et-Oise Mademoiselle Eugénie Gr... partir mon
père M. Prosper Gr. Montfort l'Amaury Seine-et-Oise pas rester maison de
santé Evreux Eure pas rester asile d'aliénés Evreux Eure France France Indé-
pendance pas maison de santé ou asile d'aliénés France pain torture par soupe
fait mal café fait mal Torture par café fait mal donnant souffrance morale per-
sonnes noyées monde noyé par voyage au delà des mers en allant chercher
plante ou relation commerciale échange soupe fait mal torture souffrance mo-
rale corporelle pas légumes dedans impureté morale hallucinations. Pain seule
nourriture pas rester partir Mademoiselle Eugénie Gr... etc. »
NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE
PAR R
MAURICE DIDE et LEBORGNE
(de Rennes).
Observation (PI. XXYIII).
Il s'agit d'un homme de 63 ans. Il est né à Rennes. Son père et sa mère
étaient normalement conformés. Ils eurent sept enfants dont six sont mort-
nés ; il était le septième. Il avait un an quand il perdit sa mère.
Il a marché très tard et parlé vers l'âge de 4 à 5 ans ; il a toujours eu du
mal pour marcher car il était très gros, sa tête était déjà volumineuse,ce qui le
faisait appeler par ses camarades « tête d'éléphant ». Jusqu'à 20 ans sa vie s'est
passée à l'hôpital général. Il sait très peu lire et écrire. Il fut ensuite placé chez
un cordonnier chez lequel il resta jusqu'à 27 ans, mais il fut obligé d'aban-
donner son métier de cordonnier, car sa vue était mauvaise. De là il fut garder
les vaches jusqu'à 32 ans, puis se mit à voyager. Il revint à Rennes et se fit
porteur d'eau. Sept ou huit ans après il servait les maçons. Vers l'âge de
40 ans. il se mit de nouveau à c trimarder », se rendant à pied et en chan-
tant en Espagne en passant par Paris, Lyon, liarseille, Toulon, Cette. Il dit
avoir été en Suisse et en Belgique.
il fut engagé, il y a une vingtaine d'années, comme clown au Cirque Ba-
zola, il y resta deux ans. Il fit ensuite le nègre dans une baraque foraine tenue
par un Italien. Son patron le costumait en nègre et le renfermait dans une cage
grillée, et devant les spectateurs lui faisait manger des rats et différentes subs-
tances non comestibles qu'il avait soin de jeter à terre. Il faisait encore fléchir
une barre de fer rougie avec son pied, mais il avait eu soin de le garnir.
Cinq ou six fois, il a été condamné pour mendicité. Finalement, il s'est fait
interner à l'asile d'aliénés de Rennes.
Ce qui attire immédiatement l'attention chez cet homme : c'est l'énorme
volume de sa tête : 62 centimètres de circonférence maximum et l'exiguïté de
sa taille (134 cent.). Ses bras sont très courts : si, en effet, on lui fait prendre
la position du soldat sans armes, on voit que la paume des mains se place au
niveau du grand trochanter. De plus, on constate une disproportion singu-
lière entre la longueur du bras et celle de l'avant-bras, la longueur du bras est
de 22 centimètres, celle de l'avant-bras de 26, le bras est donc plus court que
l'avant-bras : ce qui normalement est le contraire.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. PI. XXVIII
UN CAS D'ACHONDROPLASIE
(Dide et Leborglle).
Masson & Ci-, Éditeurs
NOUVEAU CAS D'AC11ONDItOPLASIE 201
Ce même caractère se retrouve aux membres inférieurs, la jambe est plus
longue que la cuisse.
Cette disproportion n'est d'ailleurs pas la seule qu'on ait à relever, il en
existe une autre entre la longueur des membres et les dimensions du tronc
qui sont depuis la fourchette sternale jusqu'au pubis de 63 centimètres ; on a
l'impression d'un torse d'adulte sur lequel sont insérés quatre membres ayant
tout au plus la Inngueur'de ceux d'un.jeune enfant.
L'ensellure lombaire est très accentuée, ce qui tient à ce que le sacrum se
trouve rejeté en haut et en arrière.
Mensurations qui concernent les membres :
Membre supérieur :
Longueur de l'humérus, 22.
de l'avant-bras, 26.
Longueur totale des bras depuis l'acromion jusqu'au médius, 35.
Diamètre de l'avant-bras. Partie inférieure, 18 centimètres.
Partie moyenne du bras, 24.
Partie inférieure » 26.
Partie supérieure » 28.
Membre inférieur :
Longueur totale de la jambe de l'épine iliaque antérieure et supérieure jus-
qu'à terre, 66 centimètres.
De l'épine iliaque antérieure et supérieure à la pointe de la rotule, longueur
du péroné, 27. " -
202 DIDE ET LEBORGNE. NOUVEAU CAS D'ACHONDROPLASIE
UN CAS DE NEUROFIBROMATOSE GÉNÉRALISÉE
PAR
FERNAND RUDLER,
Médecin-major à Belfort.
Observation.
D..., 23 ans, incorporé depuis six mois, occupe un emploi de cordonnier
dans une section de commis et ouvriers d'administration. L'affection dont il
est porteur est découverte à l'occasion d'une visite de santé,elle est compatible
avec son service spécial. -
Antécédents héréditaires. Père, âgé de 60 ans, a fait eu 1899 un séjour
de trois mois à l'asile de Ville-Evrard ; jaloux, persécuté, atteint de troubles
mentaux ayant nécessité l'internement, ce buveur est actuellement très amé-
lioré et travaille régulièrement à son atelier de cordonnerie. Il présente quel-
ques « dartres sèches » sur le bras droit et la hanche gauche.
Mère, 59 ans, en traitement pour bronchite chronique non spécifique et al-
buminurie ; est indemne de toute anomalie des téguments.
Six enfants. Un fils présente sur le bras droit un « grain de raisin » brunâ-
tre. La fille unique offre deux « crêpes » couleur « café au lait » grandes comme
la paume de la main, siégeant dans la région dorsale, symétriquement flan-
quées de chaque côté de la colonne vertébrale entre la saillie des apophyses
épineuses et le bord interne du scapulum; mariée à un phtisique, elle a perdu
son mari et deux enfants de tuberculose pulmonaire.
Pas de tuberculose dans la famille directe de D..., pas d'alcoolisme certain
des frères et soeur, pas de tares nerveuses.
Rien à signaler dans les antécédents collatéraux ; tous les ascendants ma-
ternels sont vivants, en bonne santé, exempts de lésions de la peau.
Antécédents personnels. Le quatrième des six enfants, né à terme, pe-
sait 11 livres à la naissance. Diphtérie à 10 mois, rougeole à 7 ans.
Bonne santé habituelle. Pas de syphilis. Ethylisme (pituite, tremblement
des mains). Aucun antécédent nerveux, pas de convulsions dans l'enfance, pas
d'incontinence d'urine, pas de vertiges ni d'accès d'épilepsie.
A l'école jusqu'à dix ans et demi, a appris à lire très rapidement, possédait
une mémoire excellente ; a présenté cependant quelques difficultés pour le
calcul.
20 RUDLER
Histoire DE la maladie. A sa naissance, la peau de D... est intacte. Vers
4 ans, la première tumeur fait son apparition au creux épigastrique, un peu
au-dessous et à droite de I appendice xypboïde du sternum ; d'abord microsco-
pique, elle évolue très lentement. Reste longtemps unique ; puis l'explosion de
tumeurs se fait en deux poussées, sans cause occasionnelle appréciable, vers
dix ans et principalement dans la dix-septième année, occupant le tronc et les
membres, respectant la face. La pigmentation de la peau, plaques et ponctua-
tion, date de la première de ces poussées. Chaque tumeur cutanée débute par
un point brunâtre très petit, non douloureux, ne causant aucune démangeai-
son ; elle se développe insensiblement, n'atteignant jamais un volume considé-
rable.
Etat actuel. Sujet moyen ; 1 m. 56, poids 55 kilogs, périmètre thoraci-
que, 0 m. 84 (PI. XXIX et XXX) .
D... est atteint d'une affection de la peau caractérisée, objectivement, par un
grand nombre de tumeurs cutanées et par une pigmentation double, en pla-
ques et en semis :
Tumeurs cutanées. Elles sont multiples, petites, de consistance molle et
siègent dans l'épaisseur de la peau.
a) Multiples, on en compte 236, ainsi réparties :
NOUVELLE Iconographie DE la SALPETRI1 : RE.
T. XVII. Pi. XXIX
NEUROFIBROMATOSE
(F. 'Rudlei-).
Masson & Ci-, Éditeurs
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÉTRIÈRE.
T. XVII. PI XXX
NEUROFIBROMATOSE
(F. zidle).
Masson & Cie, Editeurs
' NEUROFIBROMATOSE GÉNÉRALISÉE ' 205
masse de consistance gélatineuse, de 2 ou 3 noyaux indurés, non douloureux,
de la grosseur d'une lentille.
Tumeurs des nerfs. Il n'existe pas de tumeurs en série le long des bran-
ches nerveuses sous-cutanées ni au niveau des gros troncs nerveux : pas de
névromes plexiformes. L'examen du fond de l'oeil est négatif.
Pigmentation de la peau. Elle est double, représentée par des plaques
pigmentaires et par une pigmentation punctiforme.
Il existe une dizaine de plaques peu étendues, de coloration jaune, café au
lait, inégalement réparties sur la nuque, le bras gauche, les fesses ; de formes
irrégulières, de direction le plus souvent oblique, ce sont de simples taches
sans altération dermique. Pas de noevi pilaires ou vasculaires.
Le semis pigmentaire est particulièrement abondant au cou où il forme col-
lier ; largement répandu sur le tronc et les membres supérieurs, il respecte les
organes génitaux et les membres inférieurs, à l'exclusion cependant de la
racine des cuisses. Cette pigmentation est formée de taches lenticulaires
brunes.
La peau du visage, exempte de tumeurs et de pigmentation, offre une teinte
brunâtre uniforme.
Les muqueuses sont normales.
Symptômes fonctionnels. D... est atteint, depuis l'ye de 17 ans, d'un
tremblement limité aux mains assez comparable au tremblement éthylique.
Pas de lenteur, ni de lourdeur des mouvements, pas d'asthénie; D... pré-
sente, au contraire., une véritable instabilité motrice ; le besoin de mouve-
ment était tellement impérieux qu'il a abandonné l'alêne et le tranchet pour
s'occuper exclusivement de la vente des chaussures. Membre d'une société de
sport, D... a accompli plusieurs courses pédestres; il a constaté d'ailleurs, à
la suite de ces exercices physiques, un arrêt dans l'évolution des tumeurs
cutanées.
Aucune anomalie de la sensibilité, pas de rétrécissemeut du champ visuel,
pas d'altération du goût ou de l'odorat. Réflexes normaux.
Intelligence moyenne ; pas de pertes de mémoire, mais actuellement soull're
de céphalalgies au moindre effort intellectuel; migraines fréquentes. Zéglie- ^
ment léger, sans embarras de la parole. Très nerveux, émotif, impressionna-
ble, D... éprouve des malaises persistants la moindre contrariété; emporté,
colère sans rancune. Triste, taciturne pendant de longues années, a eu des
idées noires sans motif et sans consistance dont il est actuellement débarrassé.
Ne manque pas de volonté et de persévérance dans l'effort. Très affectueux,
prodigue selon ses moyens. Pas d'idées fixes, phobie des araignées.
Pas de stigmates de dégénérescence.
La nutrition générale n'est pas défectueuse actuellement puisque le malade
présente, après six mois de service, une augmentation de poids de 6 kilogs.
A retenir toutefois le teint jaune terreux de la face et le poids insuffisant
(49 kilogs) au moment de l'incorporation.
Au reste, rien à signaler pour l'examen des organes thoraciques et abdomi-
naux, en particulier pas de palpitations ; sommets intacts.
206 RUDLER. NEUROFIBROMATOSE GÉNÉRALISÉE
S'il suffit, comme le dit M. E. Feindel, dans sa thèse sur « Quatre cas
de neurofibromatose généralisée » (Paris, 1896), d'être instruit de l'exis-
tence de cette affection pour être en état de la reconnaître, il suffira aussi
de grouper les symptômes cardinaux de cette observation et de se reporter
aux photographies pour établir le diagnostic de l'affection dont D... est
atteint.
Ce malade présente, à un degré très accentué, deux phénomènes de la
triade symptomatique de la maladie de Recklinghausen : les tumeurs cu-
tanées (236) et la double pigmentation de la peau en plaques et en taches.
Si l'on joint, à ces deux symptômes, la coloration spéciale du visage et
les particularités mentales signalées, on ne s'étonnera pas de l'absence de
tumeurs des nerfs et de certains troubles fonctionnels tels que la fatigue
physique et les pertes de mémoire.
Telle que, cette observation représente un type assez complet d'une
affection qui, malgré des travaux récents, ne peut encore être considérée
comme banale, et qui méritait d'être conservée par l'image. Sans entrer
dans l'examen de théories pathogéniques séduisantes, mais encore incer-
taines, nous réclamons pour elle la valeur d'un fait clinique peu commun.
TRAVAIL DU LABORATOIRE DE 111. LE PROFESSEUR DEJERINE
HOSPICE DE LA SALPêTRIèRE
LES ALTERATIONS DU GANGLION RACHIDIEN
.- CHEZ LES TABÉTIQUES
- PAR
ANDRÉ THOMAS ET GEORGES HAUSER.
\
. I. Introduction.
Les travaux sur le tabes s'accumulent, les procédés d'examen clinique
et anatomo-pathologique se perfectionnent, des faits nouveaux surgissent,
les données étiologiques se précisent et malgré cela le problème de la pa-
thogénie du tabes reste en suspens ; certes les théories ne font pas défaut,
mais il n'en est pas une qui s'impose par un ensemble de faits indiscuta-
bles et par une base inébranlable. Quel est le point d'attaque du proces-
sus tabétique ? Se trouve-t-il dans la moelle, sur les racines ou dans le
ganglion rachidien- ? . Dans un précédent travail (1), nous avons cherché à
élucider cette question si importante ; en nous appuyant sur un grand
nombre de recherches personnelles et passant en revue les travaux anté-
rieurs, nous n'avons pu nous faire qu'une opinion éclectique, une opi-
nion d'attente, c'était dire, qu'à notre avis, la question était loin d'être
tranchée.
Au cours de ce travail qui avait pour principal objet les lésions radi-
culaires et ganglionnaires du tabes nous avons incidemment signalé des
altérations cellulaires des ganglions rachidiens ; nous nous étions en effet
attachés davantage à étudier les altérations des racines postérieures dans
leur trajet intra et extra-ganglionnaire, dans le but de vérifier les résultats
obtenus par Nageotte dans une série de travaux antérieurs, résultats qui
avaient amené cet auteur à une théorie très ingénieuse et très séduisante,-
assise sur des faits des plus intéressants, dont nous voulions apprécier la
fréquence, l'importance et la spécilicité. Nous avions néanmoins constaté
un certain nombre d'altérations cellulaires sur lesquelles nous aurons l'oc-
casion de revenir plus loin, mais elles ne nous ont paru alors ni cons-
tantes, ni même très fréquentes, c'est pourquoi nous avions conclu de nos
(i) ANnHH THOMAS et GEORGES HAUSEH, EMe Mr ! e Mftto ? -6[o ! : cMaM'es e< .çannoH-
(1) dM Thomas et GEORGES HAUSER, Etude sur les lésions radiculaires et ganglion-
naires du tabes, Nouvelle Iconographie de la Salpètrière,nos 4, et 5 juillet-août et sept. -
oct. 1902.
208 f THOMAS ET HAUSER '
observations que « si la majorité des cellules ganglionnaires reste normale
dans le tahes on peut observer, en particulier dans les cas avancés, des al-
térations cellulaires et péricellulaires qui évoluent lentement vers l'atro-
phie et la disparition de l'élément noble » et plus loin, dans les conclusions
générales, nous avions admis que « si le corps cellulaire du protoneurone
sensitif parait en général conserver sa structure et son aspect normaux, il
est cependant parfois le siège de lésions trophiques, et d'ailleurs, à défaut t
de lésions anatomiques, il est légitime de supposer que sa fonction trophi-
que est dans une certaine mesure compromise ».
Depuis la publication de ces premiers faits, nous avons repris l'étude
des ganglions rachidiens des tabétiques, mais cette fois, en nous attachant
davantage à l'étude de la cellule ganglionnaire,et nous devons avouer que
les altérations cellulaires nous ont paru plus intenses et plus fréquentes
que ne nous l'avaient fait admettre nos premières recherches.Et, il ne fau-
drait pas croire qu'il ne s'agit que d'altérations minimes : les altérations
que nous venons de constater sont des altérations très apparentes, en
quelque sorte tangibles, et si leur existence nous a tout d'abord échappé,
c'est que la technique employée n'était pas suffisante pour nous les ié-'
vêler, ce qui démontre une fois de plus l'importance de la méthode et des
procédés d'exploration.
II. Technique.
Il est important, dans une telle étude. qui a pour but la recherche
des alétrations cellulaires - 'd'examiner des coupes fines et cette condi-
tion est bien mieux réalisée par l'inclusion des pièces à la paraffine : aussi
l'avons-nous exclusivement employée.
- Nous avons examiné quelques ganglions sur des coupes perpendiculai-
res à l'axe, mais cette orientation est certes très inférieure à celle des cou-
pes longitudinales, qui permet d'examiner dans une vue d'ensemble le
racines à leur entrée et à leur sortie des ganglions, et d'apprécier l'état des
cellules nerveuses, suivant qu'elles occupent les régions circonférentielle
ou médiane, le pôle central ou le pôle périphérique : par région circon-
férentielle nous entendons la région occupée par les cellules situées
immédiatement au-dessous de la capsule ganglionnaire; par région mé-
diane celle occupée par les cellules qui sont les plus éloignées de la cap-
sule ganglionnaire : les cellules du pôle central sont les cellules circonfé-
rentielles et médianes qui sont les plus proches des racines à leur entrée
dans le ganglion (pôlecentral ou médullaire); les cellules du pOle périph6-
rique sont les cellules circonférentielles et médianes les plus proches des
racines à leur sortie du ganglion.
Nous verrons plus loin que cette distinction n'est pas superflue ; elle a
LES ALTGItA'l'IONS DU GANGLION RACHIDIEN 209
été faite en d'autres termes par quelques auteurs dans l'étude des gan-
glions rachidiens au cours de diverses affections.
A mesure que la technique fait des progrès et que les nouvelles métho-
des histologiques permettent de préciser ou de découvrir des points restés
jusqu'ici inconnus ou obscurs dans l'architecture de la cellule nerveuse,
la solution de certains, problèmes anatomo-pathologiques est reculée d'au-
tant, et dans les cas pathologiques où les anciennes méthodes avaient per-
mis de conclure à l'état normal de la cellule, l'introduction de chaque
procédé nouveau pose une fois de plus la question de la lésion cellulaire.
La plupart des investigations faites dans l'anatomie pathologique du
tabes, à une époque où il n'était pas encore question d'éléments chroma-
tiques ou de neurofibrilles, sont, à part quelques rares exceptions, restées
négatives en ce qui concerne les ganglions spinaux et la plupart des au-
teurs ont proclamé que la cellule du ganglion spinal reste intacte.
Lorsque la méthode de Nissl fit son apparition,des recherches nouvelles
furent entreprises par Seliaffei-,Juliusbergei-etllavei-, Marinesco; ellesont
abouti à des résultats un peu divers, mais sans grande importance ; les
altérations cellulaires qui ont été ainsi dévoilées n'étant pas de nature à mo-
difier les théories et les conceptions en cours sur la pathogénie du tabes.
Quoi qu'il en soit, au sur et à mesure que naît une méthode, il semble
qu'elle doive être utilisée comme étant le meilleur moyen d'étude, et tout
auteur qui la délaisse risque fort d'encourir le reproche de ne pas avoir
employé tous les moyens qu'il avaità sa disposition pour la conquête de
la vérité. La méthode de Nissl a été en quelque sorte considérée comme
obligatoire pendant ces dernières années : demain peut-être, le même sort
sera réservé à la méthode de Cajal pour les neurofibrilles.
Loin de nous la pensée de critiquer une telle manière de faire, et la mé-
thode de Nissl a rendu certes de grands services elle en a promis tou-
tefois plus qu'elle n'en a rendu - et elle en rendra encore, à la condition
toutefois que ceux qui l'emploient ne restent pas en arrêt sur le nombre
et la répartition des éléments chromatiques, sur lesquels il est souvent
difficile de s'entendre, et ne perdent pas de vue les grosses altérations sur
lesquelles tout le monde ne peut être que d'accord.
Or la méthode de Nissl ne nous parait pas susceptible de fournir des
résultats aussi concluants dans l'étude du ganglion rachidien que. dans
l'étude de l'écorce cérébrale ou de la substance grise de la moelle, et
cela pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, il existe dans chaque ganglion spinal, d'après la plupart
des auteurs, des types différents de cellules et la disposition des éléments
chromatiques n'est pas étrangère à leur classification ; mais, d'autre part,
dans chaque élément cellulaire pris isolément, les éléments chromatiques
210 THOMAS ET HAUSER
ne se présentent pas avec une ordination, des dimensions, une coloration
aussi tranchées que dans les grandes cellules des cornes antérieures de la
moelle par exemple ; et d'une coupe à l'autre on peut observer des diffé-
rences notables dues à la différence d'intensité de la coloration ou de la
décoloration : de sorte que les prétendus types ne sont pas aussi faciles à
distinguer qu'on pourrait le croire et qu'il est très difficile d'affirmer s'il
y a ou s'il n'y a pas chromatolyse : et si l'on réfléchit que la cellule peut
subir à l'état pathologique des variations de volume assez considérables,
par suite d'un processus de tuméfaction ou d'atrophie, on conçoit qu'une
cellule malade d'un certain type puisse ressembler à une cellule saine
d'un autre type.
Si la méthode de Nissl a rendu des services appréciables dans l'étude
expérimentale du ganglion rachidien, quel crédit faut-il lui accorder en
anatomie pathologique après que certains auteurs, et Marinesco entre
autres, ont reconnu que les cellules des ganglions spinaux subissent très
vite des altérations à la suite des intoxications et des infections, et qu'elles
ne présentent que rarement un aspect normal chez l'adulte ?
Les altérations qui n'atteignent que la substance chromatique, indé-
pendantes de toute autre altération cellulaire, sont des altérations qui ap-
partiennent surtout au début des processus morbides ; elles ne sauraient
donc occuper une grande place dans l'anatomie pathologique d'une affec-
tion qui évolue pendant plusieurs années, et alors même qu'elles seraient
constatées, elles laisseraient la porte ouverte au doute : dans le cas où
elles sont légères, ces lésions peuvent tout aussi bien être en rapport avec
la maladie ou la cachexie terminale qu'avec le processus tabétique. Ces
considérations ne sauraient d'ailleurs trouver de meilleur appui que dans
les résultats variables ou incertains publiés jusqu'ici. Enfin ce sont des
méthodes moins spéciales, plus grossières, qui ont le plus souvent permis
de constater des lésions dans les ganglions rachidiens des tabétiques, et
c'est grâce à l'emploi de méthodes semblables que nous avons observé
les lésions que nous décrirons plus loin.
Cette méthode n'est autre que celle du picrocarmin en masse, après
fixation par action combinée du sublimé et de l'acide osmique : elle a
l'avantage de bien colorer les gaines de myéline en noir et de permettre
d'apprécier le degré d'atrophie des racines postérieures dans leur trajet
extra et intraganglionnaire, quelquefois même l'aspect histologique de
la dégénérescence en voie d'évolution (corps granuleux) ; en outre, les
cellules et les capsules cellulaires, les noyaux sont bien colorés, le pig-
ment est généralement coloré intensivement en noir, enfin il existe quel-
quefois dans le corps de la cellule des boules de graisse de dimensions
variables qui sont également bien colorées.
LES ALTERATIONS DU GANGLION RACHIDIEN z11
On peut employer les deux procédés suivants :
A. 1° Suspendre les ganglions fendus longitudinalement dans un
mélange de : .
212 THOMAS ET HA USER
Examen de la malade. - Incoordination extrêmement marquée aux mem-
bres inférieurs. Ataxie très légère aux membres supérieurs et à la face. Hypo-
tonie considérable aux membres inférieurs ; atrophie musculaire assez mar-
quée aux membres inférieurs et supérieurs. Retard dans la transmission de la
sensibilité avec byperesthésie aux membres inférieurs. En dehors de cela il
u'existe aucun trouble de la sensibilité superficielle ou profonde. Réflexes
tendineux abolis aux membres supérieurs et inférieurs. Réflexe cutané plan-
taire aboli. Inégalitépupillaire. Signe d'Argyll-Robertson. Incontinence d'urine.
Le 2 septembre 1903, la malade est atteinte d'un érysipèle de la face à la
suite duquel elle manifeste un état démentiel très accusé. Elle succombe le
18 octobre 1903.
Examen anatomique. A l'examen macroscopique on constate les lésions
caractéristiques du tabes et plusieurs ganglions sont prélevés, sans être exac-
tement repérés, à la région lombaire, à la région dorsale et à la région cervi-
cale et fixés par le sublimé osmique, puis colorés en masse par le'picrocarmin.
Quelques-uns ont été fixés par le sublimé et colorés sur coupes parle carmin
ou l'hématoxyline-éosine.
Ganglions lombaires(3 ganglions ont été examinés).-Les racines postérieures
sont presque complètement décolorées (sublimé osmique) dans la moitié interne
du ganglion ou pôle central ; très bien colorées au contraire dans la moitié
externe ou pôle périphérique. L'atrophie radiculaire est déjà ancienne, il n'y a
pas de fibres en voie de dégénérescence.
Les cellules ganglionnaires sont moins nombreuses, surtout dans les régions
circonférentielles, les cellules ont disparu par places, en effet il y a des terri-
toires ganglionnaires qui ne contiennent plus de cellules nerveuses, alors que
les territoires adjacents sont très riches en cellules. Parmi les cellules qui
restent, un grand nombre sont en voie d'atrophie (Pl. XXXI, A). Les espaces
laissés libres par les cellules disparues sont occupés par des cellules capsulaires
proliférées oudesimples amas capsulaires représentant les capsulesrevenuessur
elles-mêmes; à ce point de vue il y a quelques différences entre les trois ganglions
examinés : sur l'un d'eux les proliférations capsulaires sont peu nettes, sur
les deux autres elles sont beaucoup plus apparentes ; d'ailleurs les mêmes modi-
fications de la capsule peuvent s'observer pour les cellules en voie d'atrophie.
Le noyau des cellules nerveuses est plus ou moins bien coloré, de volume
proportionnel à celui de la cellule.
Le tissu interstitiel n'a pas subi de modifications très intenses : il est épaissi
et hyalin par endroits. Il en est de même des vaisseaux qui sont relativement
peu malades. La capsule ganglionnaire est passablement épaissie.
, Ganglions dorsaux (3 ganglions ont été examinés). Les lésions sont peu
près les mêmes. Sur l'un de ces ganglions il existe en outre une congestion
très intense, sur un autre le tissu interstitiel est très épaissi et les capsules
des cellules ganglionnaires sont séparées les unes des autres par de larges
travées de tissu conjonctif fibreux ou hyalin.
Le ganglion cervical est également très intéressant, on y trouve de grosses
lésions des éléments nerveux et du tissu interstitiel. Un grand nombre de
NOUV. .. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE. T. XVII PL. XXXI.
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACHIDIEN 213
cellules a disparu, d'autres sont petites, atrophiées, surchargées de pigment,
quelques-unes contiennent des boules de graisses colorées en noir par l'acide
osmique ; d'autres, moins nombreuses, sont vésiculeuses et même très volumi-
neuses. De même que dans les ganglions lombaires et dorsaux, il y a des terri-
toires complètement dévastés, et d'autres contenant un nombre presque nor-
mal de cellules. Par endroits les capsules des cellules ganglionnaires ont pro-
liféré; ailleurs, elles sont revenues sur elles-mêmes.
Le tissu interstitiel-est très épaissi et les capsules paraissent creusées dans
du tissu fibreux ou hyalin. La paroi des vaisseaux est elle-même extrême-
ment épaissie et hyaline. La capsule ganglionnaire n'est pas très épaissie.
Obus. II. Bret..., entrée au mois d'octobre 1896, dans le service du profes-
seur Dejerine à la Salpêtrière, à l'âge de 45 ans. Début de la maladie en 189,
par des élancements douloureux dans le rectum, en 1895 apparaissent l'incon-
tinence des urines et des matières fécales, puis la frigidité sexuelle et l'anes-
thésie du vagin. Depuis 1896 elle se plaint de douleurs fulgurantes dans les
membres inférieurs, plus rarement dans le tronc et dans les bras. -
Eu 1896 on constate peu de troubles de la marche : l'ataxie fait défaut,
mais la fatigue survient vite : le signe de Romberg existe.
Signe d'Argyll Robertson. Hyperesthésie au niveau de la ceinture. Anesthé-
sie comprenant tout le périnée, une partie de la face externe des grandes lèvres,
une très légère étendue de la face interne des cuisses et la partie toute supérieure
dé la région anale dans un rayon de quelques centimètres. Le vagin et la par-
tie inférieure du rectum accessible offrent la même anesthésie. Les réflexes
rotuliens existent, plutôt exagérés.
Depuis son entrée dans le service, cette malade a présenté des signes d'agi-
tation cérébrale ; elle est entrée dans un service d'aliénés, où elle a succombé
avec tous les signes de la paralysie générale.
Examen ANATOMIQUE. - A un simple examen macroscopique les lésions du
tabes sont manifestes. En raison du mode spécial de début, il était intéressant
de porter nos investigations sur les ganglions sacrés. Nous avons ainsi prati-
qué l'examen de quatre ganglions sacrés, de deux ganglions lombaires, d'un
ganglion dorsal et d'un ganglion cervical. Tous ces ganglions ont été fixés par
le sublimé osmique, puis colorés par le carmin en masse. Les uns ont été dé-
bités en coupes perpendiculaires au trajet des racines, les autres en coupes
longitudinales.
Région sacrée. Comme type de ganglion malade nous prendrons le
3e ganglion sacré droit (fig. 1).
Ce ganglion a été examiné sur des coupes perpendiculaires à l'axe, malgré
cela il est facile de se rendre compte du degré très marqué de l'atrophie de la
racine postérieure dans son bout central. Ici, ce qui frappe le plus, c'est l'in-
tensité des altérations cellulaires. Un très grand nombre de cellules ont com-
plètement disparu, dans la région circonférencielle et dans la région médiane
du ganglion, mais surtout dans la première. Les cellules disparues sont rem-
xvn 14
214 THOMAS ET HAUSSER
placées soit par des amas de cellules capsulaires, suit par un anneau fibreux
d'aspect hyalin. Les cellules qui subsistent présentent des altérations très mar-
quées, elles sont, en assez grand nombre, atrophiées, quelques-unes sont rédui-
tes à un petit amas de protoplasma surchargé de pigment : d'ailleurs toutes les
cellules sont très pigmentées. Les noyaux sont également altérés et leur degré
d'atrophie est proportionnel à celui de la cellule. Quelques capsules sont pro-
liférées : mais ce qui prédomine autour des cellules restantes, c'est du tissu
fibreux. Le tissu interstitiel est en effet nettement proliféré, c'est un tissu
adulte, fibreux, hyalin, les noyaux y sont plutôt rares. La paroi des vaisseaux
est également épaissie, fibreuse, hyaline. Il existe beaucoup de pigment dans le
tissu interstitiel, mais c'est là un fait banal. La capsule ganglionnaire n'est
pas notablement hypertrophiée.
Dans les autres ganglions sacrés (2° sacré droit, 2° sacré et 3e sacré gauches)
on trouve des lésions analogues, mais un peu moins prononcées ; il y a des
territoires qui sont complètement dépourvus de cellules nerveuses et à leur
place on voit des placards de tissu fibro-hyalin, remplaçant les capsules occu-
pées auparavant par les cellules (PI. XXXI-B).
Région lombaire. Les altérations sont moins marquées que dans les
ganglions sacrés, mais elles sont de même ordre, avec quelques petites dif-
férences.
Fia. 1. - Obs. II. Bret... Tabes datant de huit ans.
3e ganglion sacré droit. Disparition d'un grand nombre de cellules dont la place
est occupée par quelques noyaux capsulaires. Epaississement et transformation
hyaline du tissu interstitiel.
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACniDIEN 215
Tout d'abord, l'atrophie des racines postérieures dans l'intérieur du ganglion
est moins marquée. La prolifération des cellules capsulaires est moins nette;
les capsules sont moins fibreuses et le tissu interstitiel est moins épaissi.
Les lésions vasculaires sont également plus légères et ce qui prédomine, c'est
une congestion assez intense avec dilatation des vaisseaux. La capsule gan-
glionnaire est peu épaissie. Quelques cellules nerveuses contiennent des boules
de graisse colorées en noir. "
Région dorsale. ? Le ganglion examiné est beaucoup moins malade que
les ganglions lombaires et sacrés, mais les lésions y sont de même nature. Les
racines postérieures sont très atrophiées. La sclérose périvasculaire et la
sclérose interstitielle sont relativement prononcées.
Ons. III. Car..., âgée de 42 ans à son entrée en 1900 à la Salpêtrière
Depuis plusieurs années la malade avait des douleurs lancinantes et fulgu-
rantes dans les membres inférieurs, de la difficulté pour uriner. Les trou-
bles de la marche ont débuté il y a 4 ans ; celle-ci est devenue tout à fait im-
possible depuis 1898.
Examen en 1900. Incoordination très marquée aux membres inférieurs.
Ataxie légère aux membres supérieurs. Abolition des réflexes tendineux. '
Exagération du réflexe cutané plantaire. Troubles radiculaires de la sensibi-
lité aux membres supérieurs (sur le trajet des 5e et 6e racines cervicales et
aux membres inférieurs, surtout sur la face antéro-externe de la jambe).
Retard dans la transmission des sensations. Altération des sensibilités pro-
fondes et de la notion de position. Rétention d'urine. Signe d'Argyll Robertson.
Tuberculose pulmonaire.
Elle succombe en juin 1903.
Examen anatomique. - La plupart des ganglions examinés appartiennent à
la région lombaire et à la région sacrée. Ils ont tous été examinés après fixa-
tion par le sublimé osmique et coloration par le picrocarmin.
Région lombaire. Sont examinés les 1er, 2e, 3e lombaires droits, les 2e,
3e, 4° lombaires gauches.
La plupart de ces ganglions ont été débités en coupes longitudinales. Sur
tous ces ganglions l'atrophie des racines postérieures dans le bout central est
extrêmement prononcée.
Il y a une diminution du nombre des cellules ganglionnaires assez considé-
rable, plus marquée à la circonférence du ganglion que dans les régions mé-
dianes. Quelques cellules sont très atrophiées, surchargées de pigment et
contiennent même un semis abondant de fines granulations noires, sans doute
des gouttelettes de graisse colorées en noir par l'acide osmique. Dans le 3e
ganglion lombaire droit, il existe des boules noires plus volumineuses. L'atro-
phie du noyau est proportionnelle il celle de la cellule. Certaines cellules sont
entourées par une capsule proliférée, ailleurs il n'y a pas de prolifération des
cellules capsulaires ; en un mot, il n'existe pas de rapport constant entre l'a-
trophie cellulaire et la prolifération capsulaire. De même dans les régions
216 THOMAS ET HAUSER
dévastées les cellules disparues ne sont pas toujours remplacées par des cel-
lules capsulaires proliférées, leur place est seulement indiquée par quelques
noyaux qui représentent les vestiges delà capsule. Par places les cellules
capsulaires font corps avec le protoplasma de la cellule nerveuse en voie
d'atrophie : lorsque les cellules nerveuses sont très atrophiées, les cellules
capsulaires sont entourées de petites masses protoplasmiques qui proviennent
sans doute de la désintégration cellulaire. -
Les vaisseaux et le tissu interstitiel sont en général peu malades ; dans la
lumière de quelques vaisseaux (en particulier ceux du 4" lombaire gauche) on
distingue très nettement des leucocytes dont le protoplasma est chargé de fines
gouttelettes noires : ces éléments ne diffèrent en rien des corps granuleux.' La
capsule des ganglions n'est pas en général très épaissie.
Ces lésions varient un peu suivant le ganglion examiné. Sur tel ganglion
les proliférations capsulaires sont plus nettes que sur d'autres, sur tel autre
la disparition des cellules ou l'atrophie est plus manifeste : mais ce qui est
constant dans tous ces ganglions, c'est la diminution de nombre des cellules et
elle est plus appréciable à la circonférence qu'au centre de l'organe.
Région sacrée (ter sacré droit, 2° sacré gauche). On trouve dans ces gan-
glions le même genre d'altérations que dans les ganglions lombaires : tou-
tefois l'examen du lor sacré droit est particulièremeut intéressant. L'architec-
ture en est bouleversée de telle sorte qu'il est très difficile de s'orienter
Fic. 2. - Obs. III. Car... Tabes datant de dix ans.
1er ganglion sacré droit. - Cellules nerveuses contenues dans une capsule épaissie,
fibreuse et hyaline.
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACHIDIEN 217
et il est possible que l'on se trouve en présence d'une hétérotopie. Ici les
lésions prédominent très nettement à la périphérie du ganglion. On voit
d'une part des cloisons conjonctives émanées de la capsule du ganglion péné-
trer dans la profondeur de celui-ci, d'autre part, des cellules nerveuses d'as-
pect normal ou atrophiées comprises dans des capsules devenues fibreuses
et gigantesques, enfin quelques-unes de ces capsules ne contiennent plus
que des déchets protoplasmiques . de cellules disparues, ou bien revenues
sur elles-mêmes elles- ne forment plus que des globes fibro-hyalins (fig. 2).
Ces capsules gigantesques contiennent en effet fort peu de noyaux et sont
constituées par un tissu fibro-hyalin divisé en plusieurs assises par des fibres
conjonctives. Ce qui prouve que, malgré cette disposition si spéciale des cap-
suies, . les cellules nerveuses peuvent conserver leur vitalité, c'est que sur
quelques-unes on voit encore serpenter à travers ses lames fibreuses la fibre
à myéline qui y prend naissance. Dans le 2° ganglion sacré gauche les lésions
sont un peu moins accusées, mais très analogues.
Région dorsale. Les ganglions (9° dorsal gauche, 5° dorsal droit) sont
beaucoup moins malades : dans le 5° dorsal droit, il y a quelques cellules
atrophiées ; dans le 98 dorsal gauche on constate quelques proliférations des
cellules capsulaires, mais la plupart des cellules nerveuses sont normales ; les
vaisseaux sont assez nombreux et dilatés : ce qui indique une congestion assez
notable ; mais, en résumé, les altérations sont en quelque sorte réduites à leur
minimum.
Région cervicale. Il y a peu de chose à signaler dans le 1 er ganglion cer-
vical droit, les racines paraissent saines ; toutefois on y trouve quelques cel-
lules plus petites que les éléments normaux.
dis. IV (1). Ris..., 74 ans. Début de la maladie il y a environ trente ans
par des douleurs fulgurantes qui sont revenues par crises d'abord tous les
quinze jours, puis se sont espacées davantage, revenant tous les deux ou trois
mois. Ce furent les seuls symptômes jusqu'en 1897. A cette époque se mani-
festèrent des troubles sphinctériens, puis il y a six mois un affaiblissement
progressif de la vue ; il y a quatre mois la marche devint plus difficile, en même
temps que les douleurs fulgurantes augmentaient d'intensité et de fréquence.
Etat actuel (avril 1898). Abolition des réflexes patellaires. Incoordina-
tion légère des membres inférieurs devenant plus prononcée les yeux fermés.
Sensibilité peu altérée. Troubles légers de la marche et de la station debout
les pieds rapprochés. Aux membres supérieurs : incoordination très légère,
abolition des réflexes tendineux. Atrophie des muscles de la main. Sensibilité
à peu près normale. Troubles sphinctériens. Myosis plus prononcé à droite ;
absence de réaction à la lumière. Diminution considérable de l'acuité visuelle,
double atrophie optique tabétique. Mort en 1902.
Examen anatomique. Ont été colorés et examinés les trois ganglions sui-
vants : 2e et 3e lombaires, Il,, dorsal.
(1) Cette observation figure déjà dans notre mémoire de 1902. .
218 THOMAS ET HAUSER
Fixation au sublimé osmique (fi8 h.). Lavage. Coloration en masse dans le
picrocarmin. Inclusion à la paraffine. Coupes longitudinales.
Sur ces trois ganglions, les racines postérieures ne contiennent plus qu'un tout
petit nombre de fibres normales dont la gaine de myélinea subi l'imprégnation
osmique. La plupart de leurs fibres sont réduites à des filaments tassés et ag-
glomérés, où l'on ne peut dire si le cylindre-axe subsiste encore. A leur surface
se disséminent de nombreux noyaux conjonctifs allongés appartenant la gaine
de Schwann et quelques fines gouttelettes de graisse colorées en noir par l'acide
osmique. Tandis que le bout central est profondément dégénéré, la portion
sous-ganglionnaire des racines postérieures forme un faisceau aussi dense,
aussi compact qu'à l'état normal.
Dans notre premier travail nous écrivions : « quant aux cellules ganglion-
naires, autant que le mode de fixation et de coloration permet d'en juger, elles
sont restées à peu près normales comme nombre et comme structure. Quel-
ques-unes sont très petites et entourées d'une couronne d'éléments nucléés plus
épaisse que d'habitude. »
C'est sur ces dernières constatations que nous désirons revenir, les alté-
rations cellulaires nous ayant paru avoir, au cours de nouvelles investigations,
plus d'importance que nous ne leur en avions accordé lors de notre premier
examen.
En effet, dans les deux ganglions lombaires, quelques cellules ont complète-
ment disparu et on ne trouve à leur place que des débris protoplasmiques,
ou quelques noyaux capsulaires. Toutes les cellules sont très pigmentées, mais
en outre un grand nombre sont en voie d'atrophie, quelques-unes sont même
très atrophiées et beaucoup sont surchargées de'grosses boules colorées en noir
et qui ne sont certainement que des boules de graisse,ce qui permet de supposer
Fm. 3. - Obs. IV. Riv..... Tabes remontant à trente ans.
3° ganglion lombaire. - Atrophie de quelques cellules. - Dégénérescence graisseuse
des cellules. Proliférations capsulaires.
ALTÉRATIONS DU GANGLION RACHIDIEN DANS LE TABES [Thomas et Hauser).
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACHIDIEN 219
qu'un certain nombre de cellules sont en voie de dégénérescence graisseuse
(fig. 3). L'état du noyau est proportionnel à celui de la cellule. Les mêmes lé-
sions existent au centre et à la périphérie, mais elles sont en général plus inten-
ses à la périphérie. Les capsules péricellulaires ne sontpas pour la plupart très
épaissies; cependant il existe çà et là quelques proliférations des cellules cap-
sulaires autour des cellules en voie d'atrophie ou des cellules normales. Le
tissu interstitiel est plutôt épaissi, les cloisons intercellulaires un peu plus
larges qu'à l'état normal ; mais la sclérose interstitielle n'est pas très dévelop-
pés ; les vaisseaux sont normaux. La capsule ganglionnaire n'est pas sensible-
ment augmentée.
Le ganglion dorsal présente les mêmes altérations ; comme pour les gan-
glions lombaires, le tissu interstitiel est relativement peu augmenté.
Ol3s. V. (1) Lel..., âgée de 56 ans. Tabes ayant débuté il y a huit ans par
un mal perforant plantaire ; il y a cinq ans apparition des troubles sphinctériens
et des troubles de la marche. Depuis deux ans douleurs très vives dans les jam-
bes, survenant surtout la nuit, troubles oculaires, la malade se plaint d'avoir
un brouillard devant les yeux. Depuis six mois l'incoordination des membres
supérieurs a tellement augmenté qu'elle ne peut marcher seule.
Etal actuel (1896). - Incoordination des membres inférieurs. Réflexe patel-
laire aboli. Pas d'atrophie musculaire. Sensibilité superficielle altérée sur les
membres inférieurs. Sensibilité profonde conservée. Inégalité pupillaire, réflexe
à la lumière très diminué à gauche, aboli à droite. Atrophie papillaire. Elle
meurt en 1902 après quatorze ans de maladie.
Examen anatomique. La plupart des ganglions ont été traités par
fixation au sublimé osmique : ils ont été colorés ensuite par le picrocarmin en
masse.
Seuls les ganglions lombaires ont été examinés (le', 2° ganglions lombaires
droits ; 2", 3e et 5° lombaires gauches).
Rappelons que l'atrophie des racines postérieures est minime ou nulle dans
les segments sus-ganglionnaires des 1° et 2° racines lombaires droites, 2e lom-
baire gauche, elle est au contraire très prononcée au voisinage du ganglion
sur les 3e et 5e lombaires gauches.
Les altérations ganglionnaires sont plus intenses dans les 3e et 5e ganglions
lombaires gauches que dans les autres. "
Dans le 3e ganglion lombaire gauche, les racines postérieures, à leur sortie du
ganglion (bout central), sont extrêmement atrophiées : cependant il existe encore
quelques fibres possédant leur gaine de myéline, mais celle-ci est en voie de
dégénérescence, et sur le trajet ou même dans l'intérieur de plusieurs fibres ou
distingue aisément un semis de petites granulations noires (Pl. XXXIB). Un.
certain nombre de cellules ont complètement disparu, plusieurs sont en voie
d'atrophie. Dans quelques rares cellules il existe quelques boules colorées en
(1) Cette observation figure également dans notre mémoire de 1902. ,
220 THOMAS ET HAUSER
noir; la surcharge pigmentaire n'est pas très accentuée. On distingue quel-
ques proliférations capsulaires, soit à la place des cellules manquantes, soit
autour des cellules en voie d'atrophie. Les cellules capsulaires semblent plus
volumineuses qu'à l'état normal, elles sont élargies, gonflées. Les lésions sont
en général plus marquées à la circonférence qu'au centre du ganglion. Le tissu
interstitiel n'est pas très développé : Les vaisseaux sont peu malades.
Dans le 5e ganglion lombaire gauche, les cellules ont disparu par zones,
alors que dans d'autres endroits toutes les cellules sont conservées, mais alors à
côté de cellules normales on voit des cellules en voie d'atrophie, dont le noyau
est également plus petit. Le tissu interstitiel est davantage épaissi, et plusieurs
capsules sont nettement proliférées (fig. 4).
z ' 'Au contraire, dans le 4ar ganglion lombaire droit, racines et cellules parais-
sent à peu près normales : dans le 2e ganglion lombaire droit, quelques cellules
sont atteintes de dégénérescence graisseuse ou en voie d'atrophie ; quelques-
unes ont disparu. Il existe un certain degré de sclérose interstitielle. Dans le
2e ganglion lombaire gauche on constate des phénomènes analogues, mais la
sclérose interstitielle est encore plus nette. Dans tous ces ganglions les vaisseaux
sont peu malades. , 1
Fin. 4. Obs. V. Let....Tabes datant : delquatorzejans.
5e.ganglion lombaire gauche. - Disparition d'un certain nombre de cellules remplacées
par des amas capsulaires. Epaississement du tissu interstitiel. Aspect hyalin.
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACHIDIEN 221
OBs.VI. Delp... entre au mois d'octobre 1902, à l'âge de 33 ans, à l'infir-
merie de la Salpêtrière. Début de la maladie en juin 1902 par des étourdisse-
ments, des vertiges, du dérobement des jambes, de l'agoraphobie; puis les
troubles de la marche s'installent et en quelques semaines la malade devient
incapable de marcher.
Etal actuel en octobre 4902.- Incoordination très marquée aux membres
inférieurs, absente aux membres supérieurs. Hypotonie aux membres supé-
rieurs et inférieurs. -
Peu de troubles de la sensibilité : zone d'hyperesthésie au tact et à la douleur
dans le domaine des 5e, 6e, 7e, 8e, ge. 40e racines dorsales du côté gauche ;
très légère hyperesthésie à la plante du pied. Pas de retard des sensations.
Abolition des réflexes tendineux. Incontinence d'urine. Inégalité pupillaire.
Signe d'Argyll-Robertson à gauche : à droite, la pupille se contracte encore à la
lumière. Cystite tuberculeuse. Mort en 1903.
Examen anatomique. Quatre ganglions ont été examinés, deux à la région
dorsale, deux à la région lombaire. Les lésions sont ici minimes : on distingue
bien quelques cellules petites en voie^ d'atrophie et par places il semble que
quelques cellules ont disparu; mais on ne peut rien affirmer de précis, tant
ces altérations sont légères, et ces ganglions ne diffèrent pas sensiblement des
ganglions normaux. Ce fait est à rapprocher du peu de durée de la maladie
dont le début remontait à environ dix-huit mois. '
OBS. VII. Audonn.. entre à l'âge de 60 ans, le 15 octobre 1900, à l'infir-
merie de la Salpêtrière, salle Pinel. Début il y a sept ans par des troubles de la
vue qui progressèrent rapidement et produisirent la cécité complète au bout d'un
an. Toutefois la malade avait souffert deux ans auparavant de vives douleurs
dans les membres inférieurs, douleurs qui s'amendèrent lorsque la vue com-
mença à baisser. Après survinrent les troubles de la marche qui allèrent tou-
jours en s'accentuant, si bien que depuis deux ans elle est devenue tout à fait t
impotente.
Elat actuel. Cécité absolue. Les pupilles ne réagissent pas à la lumière.
Abolition des réflexes tendineux. Incoordination très marquée aux membres
inférieurs, légère aux membres supérieurs. Sensibilité peu touchée aux
membres, cependant anesthésie plantaire et quelques erreurs de localisation.
Incontinence d'urine.
Examen anatomique. -Deux ganglions lombaires ont été examinés : l'un
coupé longitudinalement, l'autre perpendiculairement à l'axe.
Sur le premier on constate une atrophie extrême des racines postérieures
dans leur bout central : à peine distingue-t-on quelques fibres à myéline. Le
nombre des cellules est considérablement diminué, et parmi celles qui restent, il
y en a beaucoup en voie d'iti-opliie(PI. XXXII, A).Certains territoires dépourvus
de cellules sont transformés en tissu hyalin. Les capsules des cellules nerveuses
ne sont pas très augmentées, elles sont plutôt fibreuses. Les proliférations
des cellules capsulaires sont plutôt rares. Le tissu conjonctif interstitiel est
222 THOMAS ET HAUSER
épaissi, dessinant par endroits des bandes assez larges ; en quelques points il
est devenu hyalin.
Sur le ganglion qui a été coupé perpendiculairement les lésions sont ana-
logues, mais cependant moins accusées. Quelques cellules contiennent des
boules de graisse colorées en noir. Le tissu hyalin paraît un peu plus abon-
dant.
OBs. VIII. Viv..., âgée de 55 ans. Nous n'avons pu avoir de renseigne-
ments précis sur l'évolution de la maladie. Il s'agit d'un tabes avec atrophie
papillaire. La vision était presque complètement abolie : les pupilles ne réagis-
saient pas à la lumière et étaient en myosis. Incoordination très accusée aux
membres inférieurs. Peu de troubles de la sensibilité cutanée (sensibilité au
tact et à la douleur). Altérations très marquées des sensibilités profondes aux
membres inférieurs et aux membres supérieurs. Réflexes tendineux aboli ? .
Paresthésies nombreuses. Sensation de constriction à la ceinture, de constric-
tion laryngée, douleurs rectales. Paralysie laryngée. Morte le 2 mars 1904.
Examen anatomique. Nous avons pratiqué l'examen du 8e ganglion cer-
vical droit, des 1er, 6e, Ile, 1° ganglions dorsaux gauches, des 2e, 3e, 4e gan-
glions lombaires droits, du leur ganglion sacré droit. Tous ces gauglions ont
été coupés longitudinalement après fixation par le sublimé,osmique et coloration
en masse par le picrocarmin.
Région lombaire. Les ganglions examinés sont inégalement malades.
Les lésions sont plus intenses dans le 3e ganglion lombaire gauche et dans le
4e ganglion lombaire droit.
Dans ces deux ganglions, l'atrophie des racines postérieures dans le bout
central des ganglions est des plus nettes, au contraire les racines postérieuras
sont saines dans le bout périphérique du ganglion. L'atrophie des racines pos-
térieures est la même au niveau du nerf radiculaire, tandis qu'elle diminue très
sensiblement et progressivement dans le trajet sous-arachnoïdien, de telle
sorte qu'à l'extrémité centrale de là racine postérieure on voit un grand nombre'
de gaînes de myéline bien colorées en noir par l'acide osmique. Il n'existe
pas de granulations noires sur le trajet des fibres.
On peut affirmer que quelques cellules ont complètement disparu ; parmi
celles qui restent, il en est un grand nombre qui sont régulières de forme,
bien colorées, mais quelques-unes sont petites, et même extrêmement petites,
réduites à un amas de pigment et à un noyau très atrophié, le noyau même
n'est pas toujours visible. Cette atrophie pourrait même échapper à l'observa-
tion, si l'on ne regardait avec soin et à un fort grossissement ; quelquefois en
effet, les cellules atrophiées sont très étroites, allongées dans le sens des fibres
nerveuses au milieu desquelles on les distingue difficilement; mais elles peuvent t
aussi conserver leur forme arrondie et quelques rares éléments sont si atro-
phiés qu'ils ne sont pas beaucoup plus gros qu'un gros leucocyte.
La surcharge pigmentaire des cellules nerveuses n'est pas exagérée. La place
des cellules nerveuses disparues est occupée par quelques cellules capsulaires
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACHIDIEN 223
délimitant encore une loge extrêmement réduite, plus rarement par des proli-
férations capsulaires. Même autour des cellules en voie d'atrophie les cellules
capsulaires sont plutôt rares. Le tissu conjonctif interstitiel n'est pas très
épaissi. Les lésions sont également accusées à la circonférence et au centre des
ganglions.
Dans les deux autres ganglions lombaires, les lésions sont très comparables,
mais un peu moins accusées.
Région sacrée. Les racines se présentent sous le même aspect que le
3° lombaire gauche et le*le lombaire droit : c'est-à-dire que leur atrophie est
plus prononcée dans le pôle central du ganglion et au niveau du nerf radicu-
laire que dans le trajet sous-arachnoïdien. En ce qui concerne les cellules, ce
sont les mêmes altérations que pour les ganglions lombaires et au même
degré ; peut-être les capsules cellulaires sont-elles un peu plus fibreuses et
davantage proliférées par endroits ; mais c'est là une différence à peine sensible.
Par endroits les cellules disparues sont remplacées par des placards de tissu
fibro-hyalin. Le tissu conjonctif n'est pas très proliféré, les vaisseaux sont peu
malades.
Région dorsale. Le 12" ganglion dorsal gauche est le plus malade. Dans
le pôle central du ganglion les racines postérieures sont très atrophiées, elles
sont saines dans le pôle périphérique. Elle sont un peu moins malades en se
rapprochant de la moelle. Beaucoup de cellules ont conservé leur aspect nor-
mal ; mais un certain nombre ont disparu et plusieurs sont en voie d'atrophie .
Celles-ci sont disséminées et ne correspondent pas à des régions distinctes,
elles ne sont. pas plus nombreuses à la périphérie qu'au centre. Les capsules
sont en général peu proliférées. Le tissu interstitiel n'est pas sensiblement
épaissi. Les vaisseaux sont sams, mais ils paraissent plus nombreux et dila-
tés ; par conséquent il y a un certain degré de congestion plus marquée dans
le pôle central du ganglion.
Le lue ganglion dorsal présente le même aspect, les lésions y sont un peu
moins avancées : il manque moins de cellules. Dans le 6° ganglion dorsal, les
altérations cellulaires sont encore moindres ; ce qui prédomine, ce sont des
petites cellules, atrophiées, mais il n'y a pas de diminution de nombre ; par
contre la congestion est extrêmement marquée et il existe en divers points des
hémorrhagies récentes, de telle sorte que quelques cellules baignent dans des
lacs sanguins.
Dans le 1 ? ganglion dorsal qui par son importance et son aspect se rappro-
che davantage des ganglions cervicaux que des ganglions dorsaux, il y a beau-
coup de cellules saines et les cellules les plus volumineuses occupent surtout
le pôle périphérique du ganglion. Malgré cela, quelques cellules sont extrême-
ment petites, quelques capsules sont épaissies, fibreuses ; par endroits les cel-
lules capsulaires sont un peu proliférées. Les racines postérieures sont très
atrophiées dans le pôle central du ganglion et dans leur trajet sus-ganglion-
naire. Les lésions cellulaires sont en quelque sorte réduites à leur minimum.
Région cervicale. L'examen du Se ganglion cervical droit donne lieu aux
mêmes observations que celui du 1" ganglion dorsal. ,
224 THOMAS ET HAUSER
En résumé, les altérations cellulaires sont beaucoup moins marquées dans ce
cas que dans la plupart de ceux qui ont été étudiés précédemment et on peut
conclure qu'elles sont légères.
IV. ETUDE d'ensemble DES lésions.
Nous n'insisterons pas sur les lésions des fibres radiculaires, ce point
ayant été suffisamment développé dans un travail antérieur. Il est cepen-
dant deux faits que`nous désirons retenir. Dans deux cas (Obs. IV et V),
l'atrophie des fibres radiculaires postérieures était en voie d'évolution,
et sur le trajet ou dans l'intérieur même de quelques fibres, encore pour-
vues de leur gaine de myéline, on pouvait nettement distinguer un semis
de gouttelettes de myéline extrêmement fines et intensivement colorées
en noir par l'acide osmique (Pl. XXXII, B) : le même processus de désin-
tégration existait dans le trajet intra-ganglionnaire du bout central de la
racine postérieure, au niveau du nerf radiculaire et dans son trajet sous-
arachnoïdien. Ce fait est doublement intéressant, puisqu'il démontre d'une
part comment se produit l'atrophie des fibres radiculaires et permet d'éta-
blir d'autre part, si l'on tient compte de la durée de la maladie, combien
est lente et progressive l'évolution de cette atrophie ; dans le cas de Riv...
le début du tabes remontait à 34 ans; dans celui de Lel... les premiers
symptômes firent leur apparition 14 ans avant la mort.
Le cas de Viv... (Obs. VIII) est encore intéressant à un autre point de
vue : en effet, l'atrophie des racines postérieures, si l'on en juge par l'aspect
des gaines de myéline, ne diminuait pas progressivement en se rapprochant
du ganglion, elle était au contraire plus accentuée au niveau du nerf radi-
culaire et dans le pôle central du ganglion que dans le trajet sous-arach-
noïdien : ceci n'a pas lieu de nous surprendre, puisque nous savons que
l'atrophie des racines postérieures est irrégulière dans son évolution et
qu'elle frappe inégalement les divers segments interannulaires d'une même
fibre; en un mot, ['atrophie est souvent segmentaire, la disposition que
nous venons de signaler n'est en somme qu'une confirmation d'une loi
plus générale.
Dans la plupart des cas que nous avons étudiés les altérations cellulai-
res étaient très accusées; il n'y a guère que dans le cas de Delp... qu'elles
étaient moins évidentes ; mais ici le début de la maladie ne remontait
qu'à 18 mois. En général la cellule est d'autant plus malade que les
fibres radiculaires sont plus atrophiées et que la durée de la maladie a été
plus longue. De même les lésions sont presque toujours plus intenses dans
les ganglions sacrés et lombaires que dans les ganglions dorsaux et davan-
tage dans les ganglions dorsaux que dans les ganglions cervicaux. Les gan-
glions cervicaux sont fréquemment épargnés ou du moins beaucoup moins
intéressés; mais, parallèlement, les racines postérieures sont également
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACHIDIEN 225
saines ou moins atrophiées ; toutefois, dans les cas où les racines postérieu-
res sont très atrophiées, les altérations cellulaires ne font pas défaut et
atteignent même un degré d'intensité assez élevé.
Ce qui frappe le plus, dans les ganglions malades, c'est une diminution
du nombre des cellules, par comparaison avec un ganglion normal pris au
même niveau, il suffit par conséquent d'un faible grossissement pour se
rendre compte du caractère le plus constant des lésions cellulaires. Il est
difficile sur coupe longitudinale ou perpendiculaire à l'axe de différen-
cier des groupes cellulaires très distincts : l'enchevêtrement des fibres ner-
veuses et des cellules rend ce travail en quelque sorte impossible : toute-
fois pour la commodité de la description, on peut distinguer, comme nous
l'avons fait au début de ce travail, une zone circonférentielle et une zone
médiane, la zone du pôle central et la zone du pôle périphérique.
Or, dans la plupart des cas, il nous a semblé que les cellules étaient
moins nombreuses dans la zone circonférentielle que dans la zone mé-
diane,et même pour certains ganglions dans le pôle central que dans le pôle
périphérique, mais ce n'est pas une règle absolue : de même, les cellules
ne disparaissent pas indifféremment dans l'une ou l'autre région ; cette
raréfaction se produit souvent en effet par placards et ces placards contras-
tent par leur pauvreté en cellules avec les zones adjacentes où les cellules
sont relativement'bien conservées. On ne saurait mieux comparer ce mode
de raréfaction cellulaire qu'au mode d'effacement des glomérules dans la
sclérose rénale de la néphrite interstitielle, où ils disparaissent par zones,
au milieu des placards fibreux, et la comparaison se soutient d'autant mieux
que dans le ganglion tabétique les groupes cellulaires disparus sont quel-
quefois remplacés par du tissu fibro-hyalin.
Après la réduction du nombre des cellules, la lésion la plus importante
est l'atrophie de la cellule, celle-là étant d'ailleurs la conséquence de
celle-ci.
L'appréciation de l'atrophie cellulaire est parfois assez délicate, parce que
dans le ganglion normal les cellules sont de dimensions inégales; la plu-
part des auteurs reconnaissent, en ce qui concerne leurs dimensions, des
cellules grandes,des moyennes, des petites : si l'atrophie était peu marquée
et n'atteignait qu'un petit nombre d'éléments, il serait difficile d'affirmer
en présence de tel ou tel de ceux-ci, s'il s'agit d'une grande cellule en voie
d'atrophie,ou d'une cellule normalement petite ; mais dans le plus grand
nombre de nos observations l'atrophie était suffisamment accusée pour que
nous n'ayons pas eu à nous poser cette question. Il y en effet, dans la plu-
part des ganglions, un tel nombre de cellules en voie d'atrophie qu'on ne
peut les considérer comme des éléments normaux de petite taille, surtout si
on fait la comparaison avec un ganglion normal. Les cellules atrophiées
226 TUOMAS ET HAUSER
sont petites, déformées, réduites parfois à un petit amas protoplasmique
et un noyau dont la masse totale ne dépasse pas les dimensions d'un gros
leucocyte ; ou bien encore, à un petit amas de granulations pigmentaires
conglomérées ou en désintégration. On les retrouve quelquefois au milieu
d'un tissu fibreux plus ou moins dense, et il faut les rechercher avec soin,
avec de forts grossissements ; ils échapperaient à une observation trop ra-
pide ; ce qui complique encore cette recherche, c'est que dans le tissu
interstitiel du ganglion rachidien, normal ou pathologique, il existe tou-
jours une quantité assez considérable de pigment jaune-brun disposé en
lignes irrégulières, et il est important de ne pas confondre les petits amas
pigmentaires, derniers débris d'une cellule, avec les travées pigmentaires
du tissu interstitiel. Les résidus pigmentaires des cellules atrophiées sont
généralement compris dans des petites logettes dont les bords bien décou-
pés et partiellement occupés par de rares noyaux laissent reconnaître des
capsules également atrophiées.
Autour de la cellule en voie de disparition, on peut voir soit une cap-
sule revenue sur elle-même et non proliférée, soit une couronne d'élé-
ments capsulaires multipliés et disposés en plusieurs assises, soit enfin un
anneau fibreux remplaçant la capsule et pouvant acquérir des dimensions
gigantesques (fig. 2). Les deux premiers aspects sont les plus fréquents,
le dernier est plus rare.
Nous reproduisons ci-contre une figure empruntée à notre précédent
mémoire et qui montre bien les étapes de l'atrophie cellulaire avec proli-
fération capsulaire (fig. 5).
La réduction simple de la cellule nerveuse, sans prolifération des noyaux
constituant les cellules dites endothéliales, est une constatation importante;
en effet, en présence de cellules nerveuses atrophiées entourées d'une
capsule proliférée, on pourrait se demander si l'atrophie de la cellule n'est
pas la conséquence de la végétation des cellules endothéliales de la cap-
sule ; le fait précédent permet de rejeter immédiatement cette manière de
voir et d'envisager l'atrophie de la cellule nerveuse et la prolifération
capsulaire, comme deux phénomènes n'ayant entre eux aucun rapport de
causalité. D'ailleurs, la prolifération de la capsule, son hypertrophie à
un degré tel que sa paroi est presque décuplée comme dans le cas de Car....
peut ne pas endommager pendant longtemps la vitalité de la cellule ner-
veuse, car dans ces coques fibreuses on voit quelquefois s'aboucher une fibre
nerveuse myélinisée dont la nutrition ne semble nullement compromise
(fig. 2). L'atrophie cellulaire sans prolifération capsulaire et l'atrophie
avec prolifération capsulaire prédominent suivant les cas dans tel ou tel
ganglion, mais il arrive aussi qu'elles soient associées sur le même gan-
glion et dans les mêmes régions. L'hypertrophie capsulaire avec transfor-
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACUID1EN 227
mation fibreuse ou Iibro-lyaline est plus rare; elle se voit surtout dans les
régions circonférentielles du ganglion et dans ce cas la trame conjonc-
tive est épaissie, proliférée et de gros tractus fibreux émanent de la pro-
fondeur de la capsule ganglionnaire.
Lorsque la cellule est complètement disparue, sa place peut être encore
indiquée par la réunion de quelques rares noyaux ou par un amas concen-
trique de nombreux noyaux capsulaires, soit par un mélange de fibres 'con-
jonctives et de noyaux, soitparun bloc fibreux, quelquefois hyalin : enfin
il peut se faire qu'un groupe de cellules disparues soit remplacé par du
tissu fibreux interstitiel, épais et hyalin, dans lequel des petits amas de
deux ou trois noyaux indiquent les places occupées par les cellules
(Pl. XXXII, A et B).
Il serait certes désirable de faire des numérations pour apprécier aussi
exactement que possible la quantité des cellules disparues, mais il ne'faut
pas y songer en raison des difficultés multiples auxquelles on s'exposerait ;
Fie. 5. - Plusieurs étapes de l'atrophie cellulaire (coloration à l'hématéine éosine,
Zeiss. obj. D, Oc. 2). En bas à droite : cellule saine légèrement rétractée dans
sa capsule dont les éléments sont à peu près normaux. En bas à gauche : cellule
en voie d'atrophie avec multiplication des éléments nucléaires de la capsule. - En
haut à gauche : même lésion, cellule réduite à un amas de pigment. Hyperplasie
de la capsule en couches concentriques. - En haut à droite : il n'existe plus à la
place de la cellule qu'un nodule de tissu conjonctif.
228 THOMAS ET HAUSER
si on remarque que les cellules restantes ont une tendance à se tasser les
unes contre les autreset qu'on retrouve parfois difficilement les traces des
cellules disparues, on peut supposer que le nombre de celles-ci est plus
considérable que ne permet de l'affirmer l'examen histologique.
En ce qui concerne les fines altérations cellulaires, la méthode que nous
avons employée ne nous a rien révélé de spécial, sauf dans deux cas l'exis-
tence de nombreuses gouttelettes de graisse dans le protoplasma d'un très
grand nombre de cellules (fig. 3) ; les gouttelettes sont parfois assez volu-
mineuses et elles occupent la plus grande partie de la masse cellulaire,
intimement mélangées aux granulations pigmentaires; nous ne savons
s'il faut considérer leur présence comme un processus de dégénérescence
ayant un véritable caractère pathologique ; nous l'avons rencontré dans
des ganglions de sujets âgés non tabétiques, mais le nombre des cellules
envahies par la graisse, la quantité et le nombre des gouttelettes graisseuses
y sont très peu considérables par rapport à ce que nous avons vu sur les
ganglions des tabétiques.
Le pigment est généralement très abondant ; mais on sait qu'il existe
en proportion notable dans les ganglions normaux, surtout chez les sujets*
âgés.
Le noyau de la cellule nerveuse subit ordinairement des modifications
semblables à celles de la cellule. Il s'atrophie en même temps qu'elle. Sou-
vent aussi, il devient irrégulier ; au lieu d'être nettement circulaire, il
s'allonge, devient elliptique, ses limites sont irrégulières, crénelées. Par-
fois il se colore en masse intensivement et on ne peut distinguer le nucléole
et les fines granulations qui l'occupent à l'état normal'; c'est cet état que
quelques auteurs ont décrit sous le nom d'homogénisation. Mais ces lé-
sions sont variables d'une cellule à l'autre et la méthode que nous avons
suivie n'est pas assez fine pour nous permettre d'insister davantage sur ces
modifications nucléaires et d'en envisager la valeur pathologique.
Les lésions du tissu interstitiel et des vaisseaux sont variables.
Dans certains cas,ce tissu paraît normal ; dans d'autres cas,il se distingue
par la multiplication des cellules conjonctives ; dans d'autres cas encore par
la grande quantité de tissu fibreux adulte dont les larges travées séparent
les éléments cellulaires rares et disséminés : la dégénérescence hyaline est
alors fréquente. -
Quant aux vaisseaux, ils se montrent très fréquemment atteints de
sclérose et de dégénérescence hyaline de leurs tuniques. Toutefois
les modifications du tissu conjonctif et des vaisseaux ganglionnaires
nous ont toujours paru sans importance en ce qui concerne le point qui
nous occupe, c'est-à-dire l'état des cellules nerveuses ; il n'y a aucun rap-
port à établir entre le degré de l'altération cellulaire et le nombre des
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION UACUIDIEN 229
cellules atteintes d'une part et la prolifération du tissu interstitiel et les
lésions vasculaires d'autre part ; celles-ci ont peu ou pas d'influence sur
celles-là.
Il reste à établir, et c'est là un fait d'une très grande importance, s'il y
a proportionnalité entre le nombre des cellules atrophiées ou dispa-
rues et le degré d'atrophie des racines postérieures. En apparence, il n'en
est pas ainsi, et il semble même, dans les cas où les lésions cellulaires
sont le plus accusées, qu'elles le sont beaucoup moins que l'atrophie des
fibres radiculaires. Mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer plus
haut, il est très difficile d'apprécier exactement le nombre des cellules
disparues, et il est vraisemblablement plus élevé que ne le laisse suppo-
ser l'examen histologique; nous ne pouvons d'autre part apprécier par
cette méthode que le nombre des gaines de myéline disparues et non
celui des cylindres-axes : nous avons déjà signalé en effet que le cylindre-axe
persiste plus longtemps que la gaine de myéline, et que dans des racines
qui paraissent complètement atrophiées, l'examen histologique par des
méthodes appropriées révèle l'existence d'un assez grand nombre de
cylindres-axes, très atrophiés, il est vrai, mais encore très apparents.
En résumé, c'est un problème qu'il est très difficile de résoudre : dans
quelques cas le nombre des cellules disparues ou atrophiées est considé-
rable, mais on peut affirmer néanmoins, en règle générale, que dans les
ganglions les plus malades le nombre des cellules saines est toujours supé-
rieur à celui des cellules disparues ou atrophiées.
V. Interprétation.
Parmi les lésions qui ont été décrites précédemment il en est qui sont in-
constantes et variables d'un cas à l'autre - et même pour chaque cas d'un
ganglion à l'autre- ce sont : la pigmentation et la dégénérescence grais-
seuse,)apro) itération des capsules, leur transformation fibreuse, la proliféra-
tion du tissu interstitiel et son aspect 6bro-halin,les altérations vasculaires.
Il en est d'autres qui sont plus fréquentes, ce sont l'atrophie et la dispari-
tion de la cellule, celle-ci étant la conséquence de celle-là ; toutefois il est
possible que la cellule soit détruite avant d'avoir passé par tous les degrés
de l'atrophie, et qu'elle subisse, à une phase quelconque de la maladie, un
processus plus ou moins rapide de désintégration, mais le résultat est le
même, c'est la mort de la cellule. En tout cas, l'atrophie ou la désin-
tégration ne sont pas sous la dépendance des altérations capsulaires ; elles
ne sont pas davantage subordonnées à la végétation plus ou moins
exagérée du tissu conjonctif ou à la gêne circulatoire produite par les
altérations des vaisseaux. Ainsi envisagées, ces lésions cellulaires ne peuvent
pas être regardées comme des lésions banales : on peut discuter sur leur : \nl 1 ?
230 THOMAS ET IIAUSER
origine et leur nature, sur leur spécificité, sur leur caractère primitif ou
secondaire et c'est ce que nous essaierons d'éclaircir plus loin, nous plaçant
successivement sur le terrain de l'anatomie pathologique et sur celui de la
physiologie expérimentale, mais il est un point qui nous paraît indiscuta-
ble, c'est leur existence, leur fréquence, leur valeur pathologique.
Nous avons été précédés dans ces recherches par plusieurs auteurs et
quelques-uns, parmi. eux, ont décrit des lésions du ganglion rachidien
très analogues à celles que nous avons relevées.
Wollenberg (1) examina 14 cas de tabes à ce point de vue : il trouva di-
verses altérations,entre autres une pigmentation exagérée, et dans cinq cas
de la dégénérescence graisseuse qu'il considère comme pathologique ; il
signale ensuite l'opacité du contenu cellulaire et des différences de colo-
ration, le ratatinement, la désintégration et la vacuolisation des cellules ;
mais, d'après Wollenberg, ces dernières altérations sont en grande partie
des artifices de préparation.
Dans trois cas Stroebe (2) a trouvé des altérations des cellules des gan-
glions spinaux proportionnelles en intensité à la dégénérescence des cor-
dons postérieurs. Il mentionne le ratatinement de la cellule, la surcharge de
pigment, la vacuolisation du protoplasma, la prolifération des cellules de
la capsule, la dégénération du noyau et des corpuscules nucléaires, la dis-
parition et la destruction totale de la cellule, l'occupation par les cellules
capsulaires proliférées des espaces laissés libres par les cellules disparues.
Redlich 3) est arrivé à des résultats qui concordent avec ceux de Wol-
lenberg. Un premier fait qui l'a frappé,c'est la pigmentation des cellules ;
elle n'envahit pas toutes les cellules, et parmi celles qui sont pigmentées
il en est qui le sont modérément, d'autres qui le sont beaucoup : le pig-
ment n'a pas toujours, d'après lui,le même aspect ; il distingue un pigment
très fin, poussiéreux, clair ; un autre plus grossier et très coloré : ces deux
pigments qui présentent de nombreuses formes intermédiaires se colorent
intensivement en noir par l'acide osmique. Le pigment se dispose parfois
en couronne,autour du noyau, mais sur d'autres cellules il occupe aussi une
position excentrique. En outre, même quand il existe des lésions considé-
rables du ganglion, le nombre des cellules saines est toujours de beaucoup
supérieur à celui des cellules malades. Il y a des cellules qui sont gon-
flées, qui paraissent agrandies et dont le protoplasma est transparent,
creusé de vacuoles ; d'autres sont recroquevillées et comme dentelées (ce
que Redlich considère en partie comme un artifice de préparation), le pro-
toplasma est plus coloré, le noyau est souvent peu net ou même tout à
(1) `VOLLENUERG, Arch. f. Psychiatrie, 1892. Bd XXIV.
(2) Stroebe, Centralb. f. ail. Palhol. und path. Anat., 1894.
(3) Redlich, Die Pathologie deI' tabischen llinlel'st¡'wl(jsel'k1"allkullfJ, Iéna, 1897.
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACH1DIEN 231
fait disparu. Quelques cellules manquent complètement. Dans de pareils
cas, la capsule épithéliale péricellulaire est épaissie, si bien qu'elle rem-
plit plus ou moins l'espace laissé libre par la disparition de la cellule.
. Parmi ces aspects, il en est quelques-uns que nous avons observés,
en particulier la rétraction de la cellule qui présente un aspect étoilé ou
dentelé,et nous estimons,avec Redlich, si nous nous rapportons à l'aspect
des ganglions normaux, qu'il s'agit le plus souvent d'un artifice de prépa-
ration ; de même'plusieurs fois nous avons rencontré des cellules avec
des vacuoles, irrégulièrement colorées, quelques-unes sont creusées de
vacuoles extrêmement fines occupant tout le corps de la cellule qui ne
saurait être mieux comparé qu'à une éponge ; mais ce sont des aspects
pathologiques qui sont moins fréquents que ceux de l'atrophie ou de la
désintégration cellulaire.
A côté de ces résultats positifs, il en est aussi de négatifs : dans un cas
Guizetti (1) n'a pu observer ni altérations cellulaires, ni altérations du
tissu conjonctif. Dinkler (2) n'a constaté dans un cas que de l'épaississe-
ment et de la prolifération du tissu interstitiel, mais ces deux auteurs n'ont
examiné chacun qu'un seul cas. Oppenheim et Simmerling (3) ne signa-
lent que des altérations insignifiantes, toutefois chez un tabétique dont
la sensibilité était très atteinte dans le domaine du trijumeau, le ganglion
de Gasser correspondant était le siège de graves altérations cellulaires.
Nous ne croyons pas devoir insister de nouveau sur les résultats four-
nis par la méthode de Nissl [Schaffer (4), Juliusberger et Mayer (5),
Marinesco (6)] ; la plupart des auteurs n'ont pu déceler aucune modifica-
tion de la chromatine et Marinesco, le seul qui en ait trouvé et qui les a
le plus finement décrites, ne leur accorde aucune importance. Nous nous
sommes expliqué plus haut sur le peu de valeur qu'avaient, à nos yeux,
les résultats fournis par cette méthode.
En somme, de toutes les lésions qui ont été relevées par ceux qui ont
étudié les ganglions des tabétiques, celles qui ont le plus de valeur sont
la diminution des cellules, l'atrophie et la désintégration cellulaire ; les
autres sont contingentes et n'ont rien des pécifique, il n'est pas certain
qu'elles traduisent un état pathogique de la cellule. Mais plusieurs
auteurs, Rabes et Kremnitzer (7) entre autres, ont signalé la disparition
(1) GU1ZETTI, cité par Redlich.
(2) DINKLER, Zeitschr. sur Nervenh., Bd lli.
(3) OI'l'SNII61t und Simmerling, Arch. f. Psych., Bd XVIII.
(4) SCIlAFFER, Neurolog. Centralb., 1898.
(5) Juliusberger et MAYER, Neurolog. Centralb., 1898.
(6) MARINESCO, Presse médicale, août 1891.
(1) BAI3ES und KREMNITZEti, L'anatomie microscopique des ganglions spinaux et la
pathogénie du tabès. Arch. des sciences médic., 1896.
232 ' THOMAS ET IIAUSElt
de quelques cellules ganglionnaires chez les vieillards. Des constatations
analogues ont été faites chez des adultes qui n'avaientpas succombéà une
'affection nerveuse; et certains auteurs ont pensé que normalement un cer-
tain nombre de cellules disparaissent, et sont remplacées au sur et à mesure
par des cellules plus petites qui grandiraient à partir du moment où elles
sont appelées à remplaceras éléments disparus ; les mêmes petites cellules
ont pour d'autres auteurs une signification différente; ce serait pour Len-
hossek des éléments arrêtés dans leur développement. Quoi qu'il en soit,
nous avons contrôlé plus d'une fois le fait, sur lequel Kosler a encore récem-
ment insisté : il est en effet assez rare d'examiner un ganglion rachidien
dans lequel il n'y ait pas quelques cellules nerveuses en voie de désintégra-
tion. Le fait paraît même plus accentué chez les vieillards. Mais cela n'a
rien de comparable avec ce que nous avons observé dans les ganglions spi-
naux des tabétiques. On est revenu plus récemmentsur cette destruction des
cellules nerveuses chez les animaux âgés, et on a prétendu trouver dans les
ganglions spinaux des vieillards une confirmation de l'hypothèse formu-
lée par IIodge, à savoir que les cellules nerveuses s'usant peu à peu
meurent dans le cours de la vieillesse ; et d'après Pugnat (1), les leuco-
cytes et les cellules conjonctives joueraient un rôle important dans les pro-
cessus de la mort-physiologique du tissu nerveux. Ceci nous amène à
parler des proliférations capsulaires que certains auteurs décrivent encore
comme neuronophagie (Marburg) (2). Avec cet auteur nous distingue-
rons deux ordres de proliféra lions capsulaires : l'une est primitive et se fait L
de dedans en dehors; les cellules capsulaires se disposent en plusieurs as-
sises autour de la cellule nerveuse, et sont toujours entremêlées de fibres
conjonctives, il s'agit d'une inflammation primitive de la capsule. L'autre
est secondaire et intimement liée à des altérations graves de la cellule ner-
veuse dont elles absorbent les débris : et en effet, dans ce cas les cellules
capsulaires deviennent volumineuses,et le noyau est entouré d'un amaspro-
toplasmiqueplus ou moins considérable (PI. XXXI, A) : s'agit-il de neu-
ronophagie ? il est difficile de l'affirmer d'une façon positive; il ne semble
pas cependant que la prolifération de la capsule ait pour conséquence la
destruction de la cellule nerveuse : il est plus probable que celle-ci pré-
cède celle-là et que les cellules capsulaires n'interviennent que lorsque la
cellule nerveuse est déjà en voie de désagrégation. Les proliférations capsu-
laires n'ont rien de spécifique, puisqu'elles ont été signalées, par Kolesni-
(1) Pugnat, De la destruction des cellules nerveuses par les leucocytes chez les
animaux âgés, Soc. de biologie, 1898. ,
(2) Mahisuro, Zur Pathologie der Spinâlganglien. A1'beilen aus dem Nerwolorisclrezz
Institut von prof. Obersleiner. Leipzig und Wicn, 1002. .
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION HACU)D)EX 233
koff, van Gehuchten et Nélis (1) dans la rage, par Crocq (2) sur le gan-
glion plexiforme du pneumogastrique dans le croup, par Ilead et Cam-
pbell (3) clans le zona,par Marburg (4) dans diverses affections : paralysie
progressive, pemphigus, tétanie. Arndt (5) les avait déjà signalées dans la
paralysie générale progressive. Elles ont été vues dans les ganglions des ta-
bétiques par tous ceux qui les ont examinés et comme nous avons pu le
vérifier maintes fois, elles affectent les deux formes que nous avons pré-
cédemment décrites. Peut-être dans certaines affections les leucocytes con-
trihuent-ils à produire ces amas nucléaires, mais leur participation est
exceptionnelle dans le tabes.
Nous ne pensons pas davantage qu'il faille attacher une grande impor-
tance à la surcharge pigmentaire de la cellule qui serait d'ailleurs plus
considérable chez le vieillard que dans le jeune âge, et qui a été signalée
dans beaucoup d'autres processus morbides. Il nous a semblé que le tissu
interstitiel était également plus riche en pigment dans le tabes qu'à l'état
normal, mais il est difficile d'en tirer aucune conclusion.
Dans deux cas un grand nombre de cellules étaient atteintes de dégé-
nérescence graisseuse. C'est une lésion inconstante et non spécifique : elle
a été signalée par Luys, par Wollenberg dans le tabes, mais Golgi l'a
décrite dans la rage, et d'autres auteurs ont trouvé quelques cellules attein-
tes de la même dégénérescence dans des ganglions normaux où nous l'avons
nous-mêmes constatée plusieurs fois, mais beaucoup moins prononcée; on
en a conclu qu'il s'agissait là d'une lésion cadavérique. Cette interpréta-
tion ne paraît pas devoir s'appliquer aux cas que nous venons de mention-
ner, car les ganglions correspondants^ ne présentaient aucune autre alté-
ration cadavérique et la morphologie des cellules était particulièrement
bien respectée. A quoi correspond cette dégénérescence ? Il est difficile de
le préciser; il est possible qu'elle ait certains rapports avec la dégéné-
rescence pigmentaire, le pigment se colorant aussi en noir par l'acide
osmique et se présentant sous la forme de grains de dimensions inégales
et dont on voit parfois tous les intermédiaires entre les plus fins et les
grosses houles de graisse.
En ce qui concerne les lésions nucléaires, et en particulier l'homogéni-
sation, nous ne pouvons que nous ralliera l'opinion de celte
transformation du noyau ne peut être considérée comme pathologique
que si elle coexiste avec une altération grave de la cellule; d'après Mar-
(1) VA-; Gehuchten et NELIS, Les lésions histologiqtles de la rage chez les animaux et
chez l'homme, Le Névraxe, Bd. I. Ileft.
(2) Crocq, Journal de Neurol., 1900.
(3) et C.wrueLL, Brain, 1900.
(4) Marburg, Loc. cit.
(.'i) Admit, Archiv sur mikros. Anal., lois, Bd. XL. 1
234 THOMAS ET HAUSER
burg, elle correspond peut-être aussi à l'état pyknomorphe ou de repos
fonctionnel de la cellule, et plus souvent encore à une lésion cadavéri-
que ; en tout cas, elle a été décrite dans tant d'affections diverses qu'elle
ne saurait nous retenir plus longtemps.
En résumé, en nous appuyant sur nos observations personnelles et sur
celles des auteurs qui nous ont précédés, de toutes les modifications que
subit la cellule nerveuse au cours du tabes, il n'en est qu'une qui doive
retenir notre attention : c'est la disparition et l'atrophie de la cellule dont
la fréquence et l'importance constatées dans plusieurs cas lui donnent
un véritable caractère pathologique, les autres transformations n'étant
intéressantes dans leur complexité ou leurs variations qu'en ce qu'elles
représentent les divers modes de la déchéance cellulaire.
En général, la théorie cellulaire du tabes a rallié fort peu d'adhérents
et les objections qui lui ont été faites sont de divers ordres :
1° Les altérations des cellules ganglionnaires ne sont pas constantes;
celles qui ont été décrites ne sont pas suffisantes pour expliquer la dégé-
nération des racines postérieures et des cordons postérieurs de la moelle;
alors même qu'elles existent, les cellules malades sont bien moins nom-
breuses que les cellules normales;
2° La cellule du ganglion spinal étant une cellule bipolaire donnant
naissance par son pôle central à la racine postérieure,par son pôle périphé-
rique au nerf périphérique, il n'est pas admissible que si la cellule est ma-
lade, la racine seule dégénère et que le nerf reste sain (Hitzig). Redlich
fait remarquer qu'on a objecté que les deux prolongements de la cellule
n'ont pas la même signification, la racine postérieure serait un prolonge-
ment cylindraxile, le nerf périphérique un prolongement protoplasmique ;
mais le même auteur fait remarquer que si cette hypothèse est vraisem-
blable elle ne vient nullement à l'appui de la théorie cellulaire, parce
qu'il est de règle que la déchéance de la cellule entraîne non seulement
celle du cylindre-axe, mais encore celle des prolongements protoplasmi-
ques,et à ce propos Redlich cite les faits observés par Singer ; cet auteur,
au cours d'embolies expérimentales, put obtenir de grosses lésions des
ganglions spinaux qui avaient eu pour conséquence la dégénération wal-
lérienne des libres qui traversent le ganglion et qui en sortent.
De ces deux ordres d'arguments le premier seul parait avoir une valeur
indiscutable : les lésions cellulaires ne sontpas constantes ou elles ne sont
pas suffisantes. Mais il reste en tout cas un fait bien établi, c'est que ces
lésions existent, qu'elles ont été observées par plusieurs auteurs. Nous-
mêmes les avons constatées fréquemment dans plusieurs cas, et dans cha-
que cas dans la plupart des ganglions. Chez deux malades, il est vrai,
elles faisaient défaut ou elles étaient minimes, mais lorsque ces lésions
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACIIIDIEN 333
sont telles qu'elles entraînent la disparition d'un grand nombre de cellu-
les et ce fait n'est pas exceptionnel il nous semble qu'elles méritent
mieux qu'une simple mention et mieux vaut chercher pourquoi elles exis-
tent ici et pourquoi elles manquent là que de les rayer d'un trait déplume
de l'anatomie pathologique du tabes, sous le prétexte qu'elles ne peuvent
expliquer la dégénération des racines postérieures et des cordons posté-
rieurs ; sans émettre déjà une opinion sur les rapports qui peuvent exis-
ter entre la dégénération cellulaire et la dégénération radiculaire, nous
ferons remarquer que ceux-là même qui ont le plus attaqué la théorie cel-
lulaire ont invoqué, pour expliquer la dégénérescence des racines, des
lésions méningées ceux-ci à la sortie du ganglion, ceux-là à l'entrée
dans la moelle (Nageotte, Obersteiner et Redlich) - dont l'existence, la
fréquence ou l'importance sont tout aussi et même plus contestables.
Le deuxième argument nous semble beaucoup plus discutable ; il revient
à dire ceci : les lésions cellulaires ne doivent pas, ne peuvent pas exister
dans le tabes, parce que l'anatomie normale et la physiologie s'y oppo-
sent. Rechercher les lésions ganglionnaires du tabes avec des idées aussi
préconçues, c'est s'exposer à faire fausse route ; nous avons été très sur-
pris nous-mêmes, en examinant certains ganglions, de nous trouver en
présence d'une raréfaction aussi considérable des cellules nerveuses, alors
que les fibres qui émergent au pôle périphérique du ganglion sont nor-
males ; est-ce parce que ces faits sont en contradiction avec les données
actuelles de l'anatomie et de la physiologie que nous devions leur dénier
toute importance ; nous ne pouvons pourtant pas ne pas les enregistrer et
qui sait ? peut-être sont-ils moins en contradiction avec les données de
l'anatomie et de la physiologie qu'ils pourraient le paraître au premier
abord : l'étude de l'anatomie et de la physiologie du ganglion rachidien
nous réserve sans doute bien des surprises ; nos connaissances les plus
récentes sur la structure du ganglion rachidien ne nous laissent-elles pas
entrevoir que c'est un organe plus complexe qu'on ne l'avait tout d'abord
imaginé ; quanta la physiologie, elle a encore beaucoup à attendre de
l'expérimentation et de la pathologie.
Laissons donc momentanément les théories cellulaires du tabes et le rôle
des altérations cellulaires dans la genèse ou l'évolution du processus tabé-
tique ; ne retenons, encore une fois, que ce seul fait : la lésion de la cel-
lule amenant son atrophie ou sa désintégration. Voyons maintenant si quel-
ques caractères nous autorisent il l'envisager comme une altération primi-
tive ou secondaire.
A la suite des expériences de Lugaro (1), Van Gehuchten. Flemming,
(1 Luoano, Rivista di patologia nervosa e mentale (vol. V, VI, VII, VIII). '
236 THOMAS ET HAUSER
Rosin, Cassirer, Anderson, Kleist, on a admis jusqu'ici que la cellule du'
ganglion spinal se comporte différemment après la section de la racine
poslérieure suivant que la section porte sur le bout central ou le bout
périphérique; la section du bout central de la racine postérieure n'a au-
cun retentissement sur la cellule d'origine, tandis que la section du bout
périphérique entraîne des altérations cellulaires très intenses. En ne tenant
compte que de ces conclusions qui nous avaient amenés Ù supposer et à
déduire que l'influence trophique de la cellule nerveuse est beaucoup
moins effective pour la racine postérieure que pour le nerf périphérique
- ce qui expliquerait que le prolongement central subit plus facilement
que le périphérique l'influence d'une perturbation cellulaire, on
est tout naturellement enclin à ne pas considérer les altérations cellulaires
du ganglion rachidien comme des altérations secondaires. Il y a lieu ce-
pendant de ne pas assimiler sans réserves des phénomènes aussi différents
que la section brusque de la racine postérieure pratiquée sur l'animal et
la dégénération lente de celle-ci évoluant progressivement chez l'homme ;
de ce que la première ne détermine aucune réaction dans le ganglion rachi-
dien correspondant il ne s'ensuit pas qu'il doive en être de même dans
le second cas. Et, d'ailleurs, les résultats obtenus par Lugaro viennent
d'être contredits par des expériences de Kôster (1); il parait démontré
que si Lugaro, et d'autres auteurs n'ont observé aucune modification
des cellules du ganglion rachidien après la section de la racine pos-
térieure, c'est qu'ils n'ont pas laissé vivre leurs animaux suffisamment
..longtemps.
En.effet, Kôster a été plus heureux, et d'après lui, après des transforma-
tions chromatolytiques qui prédominent pendant les quelques jours qui
.suivent l'opération, l'atrophie cellulaire apparaît ; elle débute vers la fin du
premier mois et s'accentue les mois suivants. C'est à peu près au commen-
cement du troisième mois que commence chez le chat, le chien ou le lapin,
l'atrophie d'un nombre tout d'abord relativement faible de cellules : l'atro-
phie augmente ensuite jusque vers le septième mois, mais lentement ; au
delà du septième mois elle n'augmente pas notablement. A partir du
sixième mois, en outre de la surcharge pigmentaire et de la dégénéres-
cence des cellules, on voit çà et là la disparition d'un certain nombre d'élé-
ments se faisant par groupes. C'est ainsi qu'un groupe de cellules tout à
fait intactes avoisine un groupe de cellules atrophiées, mais normalement
assemblées ; à côté on voit des cellules hypercolorées et ratatinées, puis
des régions dans lesquelles toutes les cellules ont disparu et enfin de nou-
veau des cellules normales et dégénérées. Peut-être, dit Iiüster, cette dégé-
(1) Georges li3STrit, Ueber die verschiedene biologische Wertliigkeit de)- hinleren
YY'urzel und des sensiblen lJe1'iplte/'en Neruen, Neurol. Centralb., 1903.
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACHIDIEN 237'
nération différente est-elle en rapport avec un caractère spécifique diffé-
rent des cellules et une vulnérabilité spéciale ? A la place des cellules
disparues on ne trouve que des vestiges et des proliférations de cellules
conjonctives péricapsulaires ; les cellules qui dégénèrent ont le même as-
pect qu'après la section du nerf périphérique ; enfin, fait intéressant, la
dégénérescence rétrograde de la racine postérieure a pu être suivie jus-
que dans le ganglion.
Les expériences de Lugaro nous autorisaient, dans une certaine mesure,
à envisager les altérations cellulaires du ganglion rachidien comme des
altérations primitives ou tout au moins indépendantes de l'atrophie radi-
culaire; celles de Kôster sont de nature à modifier cette opinion et lais-
sent supposer qu'elles peuvent être consécutives à l'atrophie des racines
postérieures. Mais, nous ne saurions trop le répéter, on ne peut assimiler
sans réserves l'atrophie lente des racines postérieures du tabes et la sec-
tion expérimentale des racines postérieures, d'autant plus que, quel que
soit le degré de l'atrophie apparente des racines postérieures chez les ta-
bétiques, l'examen histologique révèle toujours la présence d'un plus ou
moins grand nombre de cylindres-axes, même dans des fibres complète-
ment démyélinisées.
Les méthodes que nous avons employées ne sont pas suffisantes pour dé-
celer les lésions fines des cellules nerveuses, mais elles le sont pour bien
fixer leur morphologie générale et la situation du noyau ; or, dans tous les
cas que nous avons examinés, nous avons très rarement observé l'excursion
du noyau à la périphérie, comme cela s'observehabituellementsurlesce%
Iules dont le prolonement cylindraxile a été sectionné.
En réalité, nous ne sommes pas en état d'affirmer si les lésions \cellù'M
laires du ganglion tahétique sont primitives ou secondaires à l'atrbli'hiei
des racines postérieures, si elles en sont dépendantes ou indépendantes. "
Ce qui nous empêche même d'établir un rapport précis entre la raré-
faction des cellules et l'atrophie de la racine postérieure, c'est que jus-
qu'ici la pathologie du ganglion rachidien a été en général délaissée et
qu'il est nécessaire de rechercher ces lésions dans un grand nombre
d'affections avant de conclure sinon à leur spécificité, du moins à leur très
grande prédominance et à leur plus grande intensité dans les ganglions
des tabétiques ; c'est, qu'en outre, comme l'ont démontré Ielmholtz, Gaule
et Lewin, les cellules du ganglion spinal sont beaucoup plus nombreuses
que les fibres radiculaires correspondantes ; il y aurait, d'après Gaule et
Lewin, une fibre pour six ou sept cellules. Comme nous l'avons déjà fait
remarquer, on ne peut donner à ces calculs que la valeur de numéra-
tions approximatives, en raison des difficultés et des nombreuses causes
d'erreur qui s'attachent à ces recherches, mais on ne peut leur refuser un
238 THOMAS ET HAUSER
réel intérêt et ne pas en tenir compte. Toutes les cellules ne donnent
par conséquent pas naissance à une fibre radiculaire, il existe dans les
ganglions rachidiens à côté des cellules bipolaires ; des cellules multi-
polaires, des cellules sympathiques et il en résulte, au point de vue de
l'anatomie pathologique, qu'on ne peut établir un rapport absolu entre la
disparition des cellules et l'atrophie des racines, puisque les cellules dis-
parues peuvent fort bien ne pas être des cellules radiculaires.
Enfin nous sommes en droit de nous demander si la lésion anatomi-
que qui aboutit à l'atrophie ou à la désagrégation cellulaire n'est pas pré-
cédée par une période de perturbation fonctionnelle qui joue déjà son rôle
dans le processus d'atrophie lente et progressive de la racine postérieure ?
C'est une question à laquelle nous nous gardons de répondre d'une façon
catégorique, ce travail ayant pour but un exposé de faits et non l'édi-
fication d'une théorie ; nous ferons remarquer cependant que dans les
affections du système nerveux dont le substratum anatomique est une
altération cellulaire, il est quelquefois très difficile d'établir un paral-
lèle entre l'état anatomique et l'état fonctionnel de la cellule, et il est
légitime de supposer que son pouvoir trophique est déjà compromis, alors
que toute modification anatomique est inappréciable à nos moyens d'in-
vestigation.
Mais quoi qu'il en soit de ces considérations basées sur des connaissan-
ces encore insuffisantes et incomplètes, nous ne voulons tirer de nos
recherches que des conclusions générales, que les observations futures
pourront sans doute préciser, mais qui auront toujours la valeur de faits
positifs. Nous dirons donc seulement :
1° Qu'il existe fréquemment des altérations cellulaires dans les ganglions
rachidiens des tabétiques. Ces lésions consistent principalement en un pro-
cessus d'atrophie lente et de désintégration, qui aboutit à la disparition de
la cellule nerveuse.
2° Malgré leur importance et leur fréquence, il est difficile d'apprécier le
rôle qu' elles jouent dans la pathogénie de l'atrophie des racines postérieures
et des dégénérescences médullaires. Mais elles sont trop fréquentes et trop
marquées dans certains cas pour ne pas jouer leur rôle dans la pathogénie
générale du tabès et ne pas faire partie du processus tabétique.
LES ALTÉRATIONS DU GANGLION RACHIDIEN 239
LÉGENDES DE3 PLANCHES
. Planche XXXI.
' Van de 8... (obs. I).
Ganglion lombaire. - Coupe perpendiculaire à l'axe. Fixation par le sublimé
osmique. Coloration par le picrocarmin en masse. Grossissement : 180 dia-
mètres.
Atrophie et disparition d'un grand nombre de cellules nerveuses, remplacées en
partie par des amas capsulaires. Les cellules capsulaires sont entourées d'un amas
de protoplasma assez volumineux. - Plusieurs cellules nerveuses en voie d'atro-
phie. Epaississement du tissu interstitiel quia un aspect fibrohyalin.
Bret... (obs. II).
2 Ganglion sacré droit. Coupe perpendiculaire à l'a.r.e. - Fixation par le sublimé
osmique. Coloration par le picrocarmin en masse. Grossissement : 280 dia
mètres.
Disparition d'un certain nombre de cellules remplacées par du tissu fibrohyalin .
Atrophie de quelques cellules. - Epaississement du tissu interstitiel .
Planche XXXII
Aud... (obs. VII).
Ganglion lombaire. - Coupe longitudinale. Fixation parle sublimé osmique.
Coloration par le picrocarmin en masse. Grossissement : 190 diamètres.
Raréfaction et atrophie des cellules. Vaisseaux nombreux et dilatés. Epaissis-
sement du tissu conjonctif interstitiel.
Lel... (obs. V).
3e Ganglion lombaire gauche. - Coupe longitudinale. Fixation par le sublimé
osmique. - Coloration par le picrocarmin en masse. Grossissement : 145 dia-
mètres.
Disparition et atrophie d'un assez grand nombre de cellules. Epaississement du
tissu interstitiel. - Fibres en voie de dégénérescence sur le trajet et à l'intérieur
desquelles on voit un fin piqueté de boules noires.
TRAVAIL DU LABORATOIRE DE M. GILBERT BALLET
(hôtel-dieu)
HÉMATOMYÉLIE TRAUMATIQUE
PAR
M. LAIGNEL-LAVASTINE.
Les hématomyélies traumatiques, par la brusquerie de leur début, la
rapidité fréquente de leur évolution, la netteté de leur localisation, la sim-
plicité ordinaire de leur mécanisme,répondent à la majorité des conditions
qu'on attend d'une expérience. Aussi pensons-nous pouvoir tirer d'un cas,
que nous avons recueilli avec M. Pouliot, quelques remarques, d'une
part sur la topographie fonctionnelle de la moelle, et d'autre part la ré-
partition des hémorrhagies, les réactions cellulaires immédiates, les per-
turbations vasomotrices régionales et les répercussions sympathiques dans
l'hématomyélie cervicale.
Voici, résumée, l'observation anatomo-clinique (1).
Un homme de 20 ans, bien portant, tombe d'un échafaudage à 9 heures du
matin et, dans sa chute, se fracture les deux lames de la 5e vertèbre cervicale
par choc direct sur l'apophyse épineuse fortement enfoncée en avant.
A 1 heure, on constate une paralysie flasque totale des quatre membres,
avec abolition des réflexes cutanés et tendineux, rétention d'urine et des ma-
tières, priapisme, et douleur spontanée à la base du cou.
L'examen de la sensibilité et des réactions vaso-motrices cutanées donne les
résultats suivants.
Il existe une hyperesthésie tactile et douloureuse en bande depuis les clavi-
cules jusqu'à une ligne horizontale passant par la partie antérieure des 3" côtes.
Au-dessous, c'est-à-dire au niveau des membres et du reste du torse, la sensi-
bilité cutanée dans tous ses modes est considérablement diminuée, mais non
complètement abolie.
Au niveau de la bande d'hyperestbésie, le frottement de la pointe d'un crayon
sur la peau (expérience de Vulpian) ne détermine aucune ligne blanche, mais,
quelle que soit sa légèreté, est toujours suivi d'une raie rouge, très facile à pro-
(1) V. LAIGNEL-LAVASTInE ET Pouliot, Fractures de la cinquième vertèbre cervicale.
Société anatomique, 1901, p. 861 et LAIGNEL-L,WASTINE, Recherches sur le plexus so-
laire. Thèse de Paris, 1903, p. 212 et 366.
IIÉ111ATO\IY ÉLIE TRAUMATIQUE 2 il
duire, très large (6 millimètres), très persistante, et non limitée par des bandes
blanches parallèles.
La même épreuve, faite au niveau de la région abdominale un peu ballon-
née, produit la raie blanche classique de Vulpian suivie de rougeur, comme
chez un individu sain.
La mort survient le lendemain par paralysie des phréniques, 21 heures après
l'accident.
L'autopsie, faite 23 heures plus' tard, montre une fracture des deux lames
de la 5° vertèbre cervicale avec enfoncement de l'apophyse épineuse. La dure-
mère n'a rien d'anormal à sa face externe; mais, sectionnée, elle présente
des suffusions sanguines au niveau de la face postérieure de la moelle à la
hauteur de la fracture et au niveau de la face antérieure de la moelle dans la
région dorsale supérieure.
Les viscères abdominaux sont très hyperémiés.
L'examen histologique de la moelle a été fait en coupes sériées, colorées par
les méthodes ordinaires.
Comme on le voit sur les figures, l'hématomyélie, étendue du 11° au VIne
segment cervical, se caractérise par la variabilité de ses aspects.
En dehors.de ces limites, la moelle était absolument intacte.
Le maximum des lésions, qu'on voit dans le VI" segment, répond au siège
de la fracture (fig. g).
La moelle est aplatie dans le sens antéro-postérieur ; la substance grise est
à peu près complètement détruite par l'hémorrhagie et dans la substance
blanche deux foyers d'hématomyélie en forme de coins touchent le cordon an-
téro-latéral gauche.
De plus, un examen, fait avec de forts grossissements, montre qu'il existe
déjà une réaction inflammatoire dans les racines et dans la dure-mère et que
le canal épendymaire est rempli de noyaux dont les uns ovales et pâles ont les
caractères de noyaux névrogliques, mais dont les autres, ronds et plus fortement
teintés, ressemblent à des noyaux de cellules inflammatoires ; autour du canal
épendymaire, les cellules névrogliques sont très nombreuses; enlin, dans les
cornes antérieures, les rares cellules nerveuses qui subsistent sont ou granu-
leuses et jaunâtres, ou bleuâtres et vitreuses, ou réduites à quelques petites
masses vitreuses plus ou moins achromatiques.
Au-dessous du siège de la fracture, les lésions médullaires disparaissent
extrêmement vite. Alors que le VII" segment, comprimé entre le corps de la
6° vertèbre cervicale et le bord inférieur de la 5e apophyse épineuse, est un
peu déchiré dans sa partie antéro-latérale gauche, le VIII0 segment, de forme
normale, ne présente plus qu'une petite infiltration sanguine sous l'aspect d'une
tache médiane et radiée dans la partie antérieure des cordons postérieurs.
Par contre, au-dessus du siège de la fracture, les' lésions médullaires se
prolongent beaucoup plus qu'au-dessous. Les figures a, b, c, d, e, f montrent
la topographie et la variabilité des hémorrhagies.
En-plus de multiples infiltrations sanguines, deux gros foyers hémorrhagi-
qucs sout à noter. L'un, gros caillot rond, qui distend le sillon. médian autre-
FiG. a. Coupe passant par le bord supérieur du corps de l'axis à travers le
lie segment cervical de la moelle. - On voit un gros foyer hémorrhagique nette-
ment limité dans la moitié antérieure du cordon postérieur droit et deux autres
petits foyers dans le cordon postérieur gauche.
Fie. b. Coupe passant par le bord inférieur du corps de l'axis à travers le Il¡-
segment cervical de la moelle. On voit dans la substance grise trois foyers hë-
morrhagiques allongés, l'un à direction frontale dans la commissure grise posté-
rieure, les deux autres à direction sagittale dans les deux cornes postérieures. Dans
la substance blanche n'existe qu'une infiltration hémorrhagique légère qui parait
avoir dissocié les fibres nerveuses de la zone antéro-interne de Westphall et de la
partie antéro-interne du faisceau de Goll.
Fio, c. Coupe passant par le bord supérieur du corps de la 36 vertèbre cervicale
à travers la zone intermédiaire aux 1116 et IVe segments cervicaux de la moelle.
L'hémorrhagie, en multiples foyers, a presque complètement détruit la corne posté-
rieure gauche, et la colonne de Clarke, profondément atteint la corne et la commis-
sure antérieures, à peine touché la corne postérieure droite et respecté relativement
le reste de la moelle.
FiG. d. Coupe passant par le bord inférieur du corps de la 3e vertèbre cervicale
à travers le IVe segment cervical de la moelle.
On voit : dans la méninge, l'artère spinale antérieure remplie de sang ; dans la subs-
tance blanche, une' couronne de fissures sanglantes parallèles aux travées du tissu
de soutien ; dans la substance grise, de petites taches hémorrhagiques disséminées.
Fie. e. Coupes passant par le bord supérieur du corps de la 4e vertèbre cervicale à
travers la zone intermédiaire aux IVe et V8 segments cervicaux de la moelle.
La moelle est non seulement aplatie, comme dans la figure d, mais trilobée. Un gros
caillot rond occupe le sillon médian antérieur. En plus des hémorrhagies analogues
à celle de la figure d, on voit une infiltration sanguine envahir les deux tiers anté-
rieurs du faisceau de Goll gauche.
FiG. f. Coupe passant par le bord inférieur du corps délai' vertèbre cervicale ie
travers le Ve segment cervical de la moelle.
Le caillot du sillon médian antérieur est réduit à une virgule sanglante. Les petits
foyers hémorrhagiques prédominent dans la substance grise qu'ils soulignent par
leur confluence. Le canal épendymaire est intact.
Fio. g. Coupe passant, par le bord supérieur de la 5e apophyse épineuse
. cervicale fracturée, à travers le Vle segment cervical de la moelle.
On constate le maximum des lésions : aplatissement de la moelle dans le sens antéro-
postérieur, destruction à peu près complète par l'hémorrhagie de toute la substance
grise, deux foyers d'hématomyélie en coin dans le cordon antéro-latéral gauche.
Fic. h. Coupe passant par le bord inférieur de la lie apophyse épineuse
. cervicale, à travers le VIle segment cervical de la moelle.
L'hémorrhagie infiltre la substance grise gauche. Le bord antérieur du cordon
antéro-latéral gauche est déchiré et sanglant.
FIG. i. Coupe passant au niveau du corps de la 6 vertèbre cervicale,
à travers le VlIie segment cervical de la moelle.
La moelle, de forme normale, ne présente plus qu'une petite infiltration sanguine
sous l'aspect d'une tache médiane et radiée dans la partie antérieure des cordons
postérieurs. '
HÉMATOMYÉLIE TRUMATIQUE 245
rieur au niveau des IV" et Va segments, paraît résulter d'une rupture d'une
des branches horizontales de l'artère spinale antérieure.
L'autre, qui occupe, dans le Ile segment, la moitié antérieure du cordon
postérieur droit, est intéressant par son volume, ses limites nettes et l'absence
de continuité longitudinale avec d'autres foyers analogues.
En dehors des hémorrhagies, l'examen histologique nous a montré trois ordres
de lésions : des lésions congestives et inflammatoires, des lésions du canal
épendymaire, et des lésions des cellules nerveuses.
Les lésions congestives légères, consistant en hyperémie des racines et des
méninges du IIIe segment, se continuent avec une vaso-dilatation considérable
et généralisée des capillaires gorgés d'hématies du IVe segment, aboutissant
plus bas à des hémorrhagies périvasculaires.
Les lésions inflammatoires, à peine appréciables à la réunion de quelques
cellules rondes autour de l'artère spinale antérieure au niveau du II° segment,
sont nettement visibles dans les racines du Vle segment.
La réaction inflammatoire paraît évidente aussi au niveau du canal épendy-
maire, qui, perméable mais non envahi par le sang au niveau et au-dessous du
foyer de la fracture, est comprimé par l'épanchement sanguin, oblitéré et
envahi par la prolifération des cellules épendymaires et périépendymairesdans
les Ille et IVe segments. '
Les lésions des cellules nerveuses, étudiées par la méthode de Nissl, sont
intéressantes, en ce sens qu'elles vont en décroissant du VIe segment, où nous
les avons décrites/au 11111 segment, où elles sont réduites à une légère chro-
matolyse avec début de caryolyse sans déformation ni neuronophagie, en pas-
sant par les IV" et Va segments, où l'on voit toutes les transitions de l'une à
l'autre de ces lésions. Ainsi, dans la corne antérieure droite sans hémorrhagie
du IVe segment, les cellules nerveuses, très nombreuses, sont en chromato-
lyse et caryolyse avec début, dans quelques-unes, de déformation globuleuse;
dans la corne gauche du même segment atteinte par l'hémorrhagie, les cellules,
plus altérées, ont des vacuoles et certaines ont une tendance à l'achromatose,
et dans le Va segment apparaissent des figures de neuronophagie au début.
En même temps que la moelle, le plexus solaire avait été prélevé pour être
examiné histologiquement.
L'examen des ganglions semi-lunaires, contrastant avec l'intégrité des grands
splanchuiques, montre des altérations cellulaires très nettes.
Toutes les cellules nerveuses sont altérées, toutes sont en chromatolyse
totale avec diffusion du noyau; le noyau est très souvent périphérique; les
cellules globuleuses présentent tous les degrés de la neuronophagie depuis la
forme globuleuse régulière ou échancrée par une seule cellule jusqu'à la des-
truction complète au milieu de cellules rondes. Certaines cellules ont des
vacuoles. On trouve tous les intermédiaires entre les vacuoles et les échancrures
de la neuronophagie. Comme les vacuoles, avant de devenir périphériques et
de se transformer en échancrures, apparaissent nettement dans l'intérieur du
protoplasma, il est probable que la neuronophagie est secondaire à une dimi-
Xvii 16
246 LA1GNEL-LAVASTINE
nution de vitalité des cellules nerveuses probablement sous. la dépendance de
l'index nerveux tonique fourni par la moelle.
Après l'analyse que nous venons de faire de cette hématomyélie, nous
croyons inutile d'insister beaucoup sur les remarques qu'elle nous paraît
comporter.
L'hypéresthésie en bande que nous avons constatée correspond, d'après
Kocher, à la distribution radiculairedu IVe segment cervical, et l'hypoes-
thésie commence immédiatement au-dessous, à partir des territoires radi-
culaires du Ve segment cervical. Ceci est conforme aux données actuelles
de la physiopathologie médullaire (Loi de Brown-Séquard, Loi de Scher-
rington), puisque, si le maximum des lésions siège dans le VIe segment
médullaire, des lésions existent déjà, profondes, dans le Ve et plus légères
dans le IVe.
La répartition des hémorrhagies en hauteur rentre dans la règle de nom-
breuses observations déjà publiées (1).
Contrairement aux observations de Quénu et Wickham (2) et Minor (3)
mais comme dans les faits de V. Leyden (4), et de Goldscheider et Fia-
tau (5), le canal épendymaire, quoique resté perméable, n'a pas servi de
voie à l'hémorrhagie.
C'est d'ailleurs, d'après des recherches expérimentales sur le chien (6),
qu'on a montré le rôle important du canal épendymaire dans la propaga-
tion des hématomyélies. La contingence de ce rôle chez l'homme démontre
une fois de plus que l'expérimentation chez l'animal ne peut faire con-
naître toutes les conditions d'un mécanisme pathologique humain.
Comme l'avait déjà vu Brissaud (7), à la continuité sensiblement appré-
ciable de l'infiltration sanguine s'oppose la discontinuité évidente des
gros foyers hémorrhagiques, tels que ceux des Il' et Va segments qui sont
non seulement indépendants, mais encore occupent deux domaines vascu-
laires entièrement séparés (P. Marie).
Les réactions cellulaires immédiates ont encore peu attiré l'attention.
Jean Lépine n'en parle pas. James Hendrie Lloyd (8) a trouvé, dans un
cas d'hématomyélie cervicale traumatique, des lésions de chromatolyse très
accentuée des cellules nerveuses des cornes antérieures de la région trau-
(1) V. la remarquable thèse de M. Jean Lépine, Elude sur les hématomyélies. Thèse
de Lyon, 1900.
(2) Soc. anatom., Paris, 1886, LXI.
(3) Arch. sur Psychiatrie, t. XXIV, 1893, p. 693.
(4) Zeitschrirt f. klin. Med., t. XIII, p. 225.
(5) Zeitschrift f. klin. Med.. 1896, t. XXXI, p. 175.
(6) V. prof. d'ABUNDO. Ann. di neurologia. 1896, p. 229 ; G. GCILLAIN, Revue neurolo-
gique, 1899, p. 835 ; J. Lépine, Revue de médecine, 1899, p. '480.
(1) Soc. de Neurologie, in Th. Lépine, op. cit., p. 85.
(8) JAMES HEl'i'DRlE Lloyd, The journal ofnervous and mental Disease, 1900, t. XXVII,
n* 2, p. 92.
llGIIA'CO\IYCL1E TRAUMATIQUE 247
matisée avec dégénérescence des cordons latéraux, mais la survie avait
été de 10 jours.
Ce qui fait l'intérêt de notre observation, c'est la rapidité d'apparition
des altérations cellulaires. Déjà 21 heures après le traumatisme, non seu-
lement les cellules nerveuses, au voisinage immédiat des hémorrhagies,
mais celles des .segments éloignés de plusieurs centimètres du foyer prin-
cipal présentent tous les degrés de la dégénérescence et l'on voit apparaître
des figures de neuronophagie, témoins de la réaction des éléments inters-
titiels secondaire à la diminution et même à la perte de la vitalité des
éléments parenchymateux.
Les perturbations vaso-motrices en bande, que nous avons vues corres-
pondre à la bande thoracique supérieure d'hyperesthésie, consistent en une
vaso-dilatation paralytique régionale qui contraste avec l'intégrité des
réactions vaso-motrices des régions paraplégiques. En particulier, au ni-
veau des mains et des pieds, la Tache Blanche (1) produite par une simple
pression, met deux secondes à s'effacer, comme chez un individu normal
dans les mêmes conditions de température, tandis qu'au niveau de la
partie supérieure du thorax, elle disparaît en une seconde. Ces indications
sur l'activité de la circulation locale concordent avec les données fournies
par l'expérience de Vulpian (2). Nous en pouvons conclure qu'une lésion
médullaire localisée comme celle que nous étudions ne produit la vaso-
paralysie que dans le territoire même des vaso-moteurs dont elle a touché
les centres, et n'entraîne pas dans les régions sous-jacentes une paraplé-
gie vaso-motrice superposable à la paraplégie flasque. L'autonomie des
vaso-moteurs vis-à-vis des centres bulbo-el1csphaliglles est donc considéra-
blement plus grande que celle des musculo-moteurs et des cît talléo-se 12 si tifs.
Néanmoins, si les vaso-moteurs cutanés sous-jacents à la lésion ont
recouvré leur équilibre, les répercussions sympathiques viscérales parais-
sent avoir été plus profondes, car, en plus de l'hyperémie des viscères
abdominaux qui révèle un certain degré de vaso-dilatation paralytique,
l'examen histologique des centres solaires montre que les cellules ner-
veuses présentent des lésions, à la vérité en partie réparables, mais diffu-
ses, qui paraissent devoir être mises sur le compte de la destruction plus
ou moins complète des centres des nerfs splanchniques qui siègent,
comme on sait, dans la partie inférieure de la moelle cervicale et supé-
rieure de la moelle dorsale. Nous serions donc ici en présence de ces lésions
nerveuses à distance qui démontrent, mieux que toutes les expériences,
l'étroitesse de la solidarité qui unit les différents éléments du système
nerveux. '
(1) V. HALLION et Laignel-Lavastine, Soc. de biologie, 26 juillet 1902.
(2) IALLION et LAIGNEL-LAVASTINE, Recherches sur l'activité de la circulation capil-
laire de la peau dans divers cas pathologiques à l'aide d'un procédé nouveau, procédé
de la « Tache Blanche », Soc. méd. des hôp., 30 janvier 1903.
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH
PAR
HENRY MEIGE. -
J'ai voulu voir la procession dansante des pèlerins qui, chaque année,
le mardi de la Pentecôte, se rendent à Echternach, en Luxembourg, pour
implorer saint Willibrord.
On y vient de cinquante lieues à la ronde : de Belgique, de Hollande,
d'Allemagne, et de tous les coins du Grand-Duché de Luxembourg, fort
peu de France, bien que la frontière soit tout proche. Le culte de saint
Willibrord est encore en grand honneur dans les Flandres, dans les Pro-
vinces Rhénanes et dans les Pays-Bas.
Il y a quelques années, j'avais entrepris, au point de vue médical, l'étude
des divinations enthousiastes et des chorégraphies religieuses.La constance
et la similitude de ces manifestations, spontanément éclosesdans les milieux
les plus divers , permettent en effet de les considérer, non seulement
comme des rites traditionnels, mais aussi comme des phénomènes inhérents
à la nature humaine, unifiés par la pathologie, la pathologie nerveuse.
La procession dansante d'Echternach était une occasion d'observer sur
le vif un des derniers vestiges de ces modes d'extériorisation de la foi, dont
on retrouve les traces chez la plupart des peuples et jusqu'à la plus haute
antiquité. J'ai donc été à Echternach, à l'époque du pèlerinage.
*
..
Echternach doit son existence, sa grandeur déchue et sa réputation per-
sistante, à saint Willibrord, connu sous les noms de saint Weit ou
saint Witt en Allemagne, et de saint Guy en France (1).
Au dire des hagiographes, saint Willibrord naquit en Angleterre,
l'an 657, de parents riches et très pieux. Son père se nommait Wilgis et
sa mère Mena ; ils étaient mariés depuis fort longtemps et n'avaient pas
encore d'enfant. « Cependant, dit la légende, ils n'épargnaient ni les jeû-
nes ni les prières. » Mais sans doute ce n'était pas suffisant. Or, il advint
qu'un soir, Ména, regardant la lune, la vit soudain se détacher du firma-
(1) V. à propos d'Echternach et de le procession de saint Willibrord : La Procession
dansante, etc., par l'abbé J. Iiern, Krier, 1879. Echternach, historique et pittoresque,
par le Dr Purior. Un mois dans le Grand-Duché de Luxembourg, par le L. de Sagher
(Liège, 1896).
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 249
ment, et doucement s'approcher d'elle. Avant même qu'elle fut revenue
de sa surprise, « la lune se glissa dans sa bouche et c'est toujours la
légende qui parle la lune remplit son intérieur d'une lumière éblouis-
sante et comme surnaturelle ». Neuf mois après cette conjonction astrale,
Mena mit au monde un garçon. Il fut appelé Willibrord (Viel brod, Wil-
lig brord, pain de salut, pain du coeur) ; car un saint moine, expert en
l'art d'interpréter les songes^ déclara que, de par sa naissance, « l'enfant
était prédestiné à dissiper les ténèbres du paganisme ».
Devant cette postérité qui lui était positivement tombée du ciel, Wilgis
prit la résolution de se retirer du monde. Il alla fonder un couvent d'hom-
mes à l'embouchure de l'Humber, confiant le petit Willibrord aux bons
soins des moines Bénédictins de l'abbaye de Ripon.
Là, le futur Saint put s'inspirer des conseils de l'abbé Wilfried, plus
tard évêque d'York, un homme actif, « qui avait été trois fois à Rome »
et qui témoignait d'une prédilection toute britannique pour les ablutions
froides. En effet, « toutes les nuits, jusqu'aux dernières années de sa vieil-
lesse, il se baignait des pieds à la tête dans l'eau froide,.... mais bénite ».
Cet abbé Wilfried eut bientôt des difficultés avec le roi et dut s'exiler
en Frise, au grand chagrin de son disciple favori, Wiilibrord, qui, lui,
partit pour l'Irlande, où il fit la connaissance d'un autre Bénédictin ré-
puté pour sa-sainteté, Egbert. Ce fut son second maître.
A l'âge de 30 ans, Willibrord, ordonné prêtre, s'embarqua pour les
Pays-Bas, avec onze autres moines, afin d'y prêcher la bonne parole. De
ce jour commence l'ère de ses voyages.
On le voilà Utrecht, près du roi païen Radbot, qui lui fit d'ailleurs un
accueil assez froid ; mais il sut gagner les faveurs de Pépin d'iléristall,
maire du palais, qui, prévoyant un allié précieux, lui conseilla de se ren-
dre à Rome, pour obtenir l'appui du pape. Willibrord y fut bien accueilli.
Il en revint, rapportant, comme témoignage insigne de l'affection papale,
une des flèches avec lesquelles avait été martyrisé saint Sébastien : relique
qui fut longtemps conservée à Echternach, et même, dit-on, sauvée des
dangers de la Révolution française par un moine nommé Koenig.
De retour en Frise, Willibrord, secondé par Pépin d'Héristall, multiplia
ses prédications, fonda plusieurs monastères, fit un second voyage à Rome
pour se faire sacrer évêque, et, revenu une seconde fois, tenta de nou-
velles conquêtes dans les pays Frisons. Il eut bien quelques difficultés
avec les rois barbares, mais il sut toujours en triompher.
Une fois,dans l'île de Walcheren,ayantrenverséune statue du dieu païen
Wodan, il reçut sur la tête un'violent coup d'épée ; mais il en guérit fort
bien,tandis que celui qui l'avait frappé « fut possédé du démon, et mourut
trois jours après dans des douleurs affreuses ». Bien plus, « le châtiment
250 HENRY MEIGE
passa à sa postérité, car les enfants de ses descendants. naissaient pres-
que tous avec des membres estropiés et mutilés ou affectés de maladies
incurables », témoignage rétrospectif de la connaissance des transmis-
sions héréditaires des malformations corporelles.
Ce n'est pas le seul miracle de saint Willibrord. Il a guéri d'une ma-
ladie contagieuse toutes les soeurs du couvent d'Oeren. lia fait jaillir
des sources en maints endroits, entre autres, assure-t-on, celle de la
fontaine d'Echternach, et celle d'Heilo, près d'Alkmaar, qui portent en-
core son nom. Grâce à lui, un tonneau s'est rempli, non plus d'eau, mais
de vin ; toutefois, sur ce miracle qui s'opéra dans les caves de l'abbaye
d'Echternach, Willibrord recommanda « qu'on fit le silence jusqu'au jour
de sa mort ». C'est en souvenir de cet épisode miraculeux qu'on repré-
sente le saint ayant à ses côtés un tonneau et une cruche.
Fort de l'appui du pape, ayant celui de Pépin, de Charles Martel, de
sainte Irmine, fille de Dagobert II, secondé par le bénédictin anglais Win-
fried, qui devait être saint Boniface, Willibrord acquit peu à peu une no-
toriété considérable ; il multiplia les monastères, augmenta leur influence
et leurs richesses ; bref, tout le pays releva bientôt de sa haute autorité.
Il mourut en 739, le 7 novembre, et ce jour-là fit encore un miracle : le
cercueil qu'on lui avait préparé se trouvant trop petit, à peine y fut-il dé-
posé qu'on vit le marbre s'allonger miraculeusement, en même temps qu'un
« suave parfum s'élevait de la tombe et remplissait le sanctuaire »....
Au cours d'un de ses voyages, Willibrord s'arrêta à Trêves où il fut
bien accueilli par les puissants Evêques. Là vivait Irmine, fille de Dago-
bert II, alors abbesse du couvent d'Oeren, qui possédait d'importants do-
maines dans le pays. Willibrord sut l'intéresser à sa cause, au point
qu'elle lui fit don de tous les terrains qui lui appartenaient sur les rives
de la Sûre, « avec prés et forêts, vignes et pâturages, cours d'eau et bé-
tail », plus « deux basiliques et un petit couvent ».
Le Bénédictin accepta ce présent, agrandit le monastère, mit en valeur
les terrains attenants, où il attira les populations rustiques du voisinage.
Ainsi naquit Echternach.
Après la mort de Willibrord, les moines d'Echternach ne cessèrent de
célébrer les miracles qu'il avait accompli de son vivant et propagèrent le
bruit de leur continuation. On vint en foule près du tombeau du Saint.
Au xie siècle, « les ex-votos suspendus au vestibule de l'église, les chaînes
brisées, les instruments de tortures des esclaves qui avaient volé en éclats,
les béquilles, les membres de cire et de métal... étaient tellement nom-
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 251
breux que deux boeufs auraient suffi à peine pour traîner le chariot qu'on
en aurait chargé ».
Les princes et les empereurs donnèrent les premiers l'exemple de la vé-
nération. Au xne siècle, Lothaire le,@ Conrad, puis auxvi° siècle, Maximi-
lien 1er, vinrent en pèlerinage à Echternach, avec une suite nombreuse,
pour implorer saint Willibrord.
Les Bénédictins d'Echternach étaient alors tout puissants dans le pays.
« L'abbé du célèbre couvent exerçait depuis saint Willibrord les droits
régaliens qu'il tenait de l'empire allemand ; il était seigneur, haut justi-
cier de la ville et de la prévôté d'Echternach ; il nommait le justicier, éli-
sait ou assermentait plus tard les échevins et jouissait des droits souve-
rains dans toute leur plénitude. L'abbé marchait à la tête des dignitaires
ecclésiastiques du pays, il était bien souvent vice-président du conseil
d'Etat. »
Echternach devint ainsi une cité florissante, protégée par de solides
remparts etde larges fossés. Elle devait susciter plus d'une jalousie, par-
tant plus d'une guerre. De fait, elle fut plus d'une fois assiégée et pillée,
par les comtes de Luxembourg, les ducs de Brandenbourg, les Gueux Hol-
landais, plus tard aussi par les troupes de Louis XIV, et enfin, sous la
Révolution française, en 1794.
Echternach, aujourd'hui, est une placide petite ville d'environ quatre
mille âmes, reposant dans la riante vallée de la Sûre, cerclée de collines
verdoyantes aux cimes rocheuses dénudées. Elle est traversée dans toute
sa longueur par une rue irrégulière et sinueuse, étroit défilé que devra
franchir, non sans peine, la procession. Un vieux pont jeté sur la rivière
conduit en territoire allemand. Quelques pans de murailles flanqués de
tours en ruines, un solide hôtel de ville, le Denzelt, juché sur des arcades
gothiques et orné de deux poivrières, un hôpital, qui, dit-on, remonte au
Ville. siècle, voilà tout ce qui reste du passé, en dehors des édifices reli-
gieux, deux seulement.
L'un , édifié au xi siècle sur l'emplacement d'une chapelle plus
ancienne, remanié au XIIe et restauré vers le milieu du siècle dernier
est appelé la basilique ou cathédrale ; c'est cependant le moins fréquenté.
L'autre édifice est l'église paroissiale, dédiée à saint Pierre et à saint
Paul, perchée sur un petit mamelon au milieu de la ville. Elle re-
monte aussi au xie siècle, mais elle a subi de nombreux remaniements.
C'est là que vient aboutir la procession dansante.Et c'est là que se trouvent
les reliques de saint Willibrord, conservées dans un sarcophage, sous le
maître-autel, orné d'une médiocre statue polychrome. On y voit encore,
252 HENRY MEIGE
dans une vitrine, le « cilice » de saint Willibrord, morceau d'étoffe
de couleur brune encadré de broderies ; seule, la grossièreté de la toile
a pu faire qualifier de cilice cet antique ornement sacerdotal.
A l'ordinaire, Echternach est une ville morte, dont les tranquilles ha-
bitants ont la lenteur et la placidité des gens de Flandre.
Mais, aux abords déjà Pentecôte, la vie renaît comme par enchantement.
On fait la toilette des rues et des maisons ; les drapeaux sortent de leurs
gaines ; sur la place du marché s'abat tout un peuple de forains, et sou-
dain se dressent les théâtres, les cirques, les loteries, les tirs ambulants,
au milieu des éventaires, où se côtoient les pains d'épices, les jouets, la
mercerie et les objets de piété : Saints-Willibrords de plâtre, Saints-Willi-
brords de cire, - voire même de sucre, gravures, peintures, ex-vo-
tos dédiés à saint Willibrord...
En même temps que cette floraison foraine, on voit éclore une nuée de
mendiants. Car il n'est pas de centre thaumaturgique sans sentinelles
éclopées, montant la garde aux coins des rues avec leurs béquilles. Ces
parasites du miracle seraient d'ailleurs fort déconfits si quelque interven-
tion surnaturelle venait à leur restituer inopinément un tronçon démem-
bre dont l'absence même équivaut pour eux à un titre de rente.
A Lourdes, le chemin qui va de la gare à la grotte est gardé par un ba-
taillon d'infirmes, éparpillés en tirailleurs aux meilleures places. Certains
postes sont particulièrement disputés; il faut pour les mériter de sérieu-
ses protections : ces loqueteux sont bientôt des fonctionnaires. Mais,
à Lourdes, en dehors même des grands pèlerinages annuels, le défilé des
fidèles est permanent.
A Echternach, il n'y a guère que trois jours de « travail » : la veille, le
jour même et un peu le lendemain de la. procession. Aussi les mendiants
se recrutent-ils surtout parmi les infirmes nomades, membres actifs de la
société foraine. Leurs béquilles et leurs sébilles font partie des accessoires
de ces baraques qui germent en quelques heures sur le pavé des places
publiques ; on les retrouve empilées au faite des roulottes avec les chevaux
de bois, les tambours et les cerceaux enrubannés. Dès que les « musées
anatomiques », les « femmes colosses » et les « métempsychoses » ont
arboré leurs enseignes alléchantes, on voit surgir de leurs coulisses de
toile verte tout un peuple de boiteux, d'amputés, de délabrés, « victimes
du feu ou du fer » (les incendies et les engrenages ont toujours la préfé-
rence). Ces artistes de l'amputation se répandent dans la ville en quête
du « bon coin » pour le lendemain.
Aux alentours de l'église sont les postes de choix : chaque pilier du
porche est bientôt flanqué d'une cariatide murmurante, ornée d'une pan-
Nouvelle Iconographie DE la SALPGTRI6RE.
T. XVII. PI. XXXIII
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH
(Henry 5\Ceige,)
tt a 9 f11 : 1 n ?
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 253
carte explicative, en plusieurs langues, afin que nul n'en ignore. Et l'on
voit là, en de certains moments, d'étranges spectacles. Sans pudeur se
font les comptes de la journée; des poches trop pleines les pièces de billon
débordent, tintent sur les dalles, et dans les gestes hâtifs pour les rattra-
per des segments de membres insoupçonnés se révèlent...
Il y a bien aussi des mutilés véritables. J'en ai vu un qui exhibait un
moignon informe, une griffe tordue au bout d'un bras squelettique. Ac-
croupi, lesjambes bizarrement repliées, le corps penché en avant, il faisait
penser à quelque batracien maltraité, et, coïncidence ? la ruelle au
coin de laquelle il gisait portait ce nom ironique : Passage des crapauds...
Et je croyais voir, en chair et en os, cet infirme peint par Masaccio sur
une antique fresque de l'église Santa Maria del Carmine, à Florence, où
saint Pierre et saint Jean guérissent des malades à la porte du Temple.
Mais celui-là n'était pas un lépreux. D'une voix de basse taille, il répétait
à satiété cette plainte obsédante : « Voyez un pauvre père de famille qui a
été brûlé, carbonisé... Jetez un regard de pitié ? Voyez un pauvre père
de famille 1... » tandis que, près de lui, une fillette souffreteuse repre-
nait sur un ton aigrelet : «'Jetez un regard de pitié ! ... Voyez un pauvre
père de famille qui a été brûlé, carbonisé... »
Saint Willibrord, s'il ne fil pas revivre le membre carbonisé, permit du
moins que quelques « cents » tombassent dans la casquette qui servait de
sébille à ce pauvre diable. Mais la place n'était pas des meilleures : on ne
s'aventure guère dans le Passage des crapauds.
Quelques pèlerins arrivent la veille, lorsqu'ils ont à Echternach des
connaissances pouvant leur offrir l'hospitalité; car il ne faut pas trop
compter sur les hôtels ; leur nombre est limité. Au plus achalandé,
l'hôtel du Grand-Cerf, envahi par les touristes et quelques fidèles de
marque, on doit retenir sa chambre longtemps à l'avance, si l'on veut
avoir une fenêtre donnant sur la rue par où passe la procession : bon
poste pour observer, médiocre pour le repos nocturne.
Car, dès avant quatre heures du matin commence un grand remue-mé-
nage. Les paysans d'alentour sont déjà mobilisés, et l'on s'éveille dans le
martellement de leurs gros souliers, dans le roulement de leurs voitures
pesantes sur le pavé arrosé de frais. Bientôt, des trains spéciaux, arrivant
de minute en minute, déversent dans Echternach des régiments de pèle-
rins : Luxembourgeois, Belges, Hollandais, Allemands, qui s'éparpillent
dans toute la ville, mais surtout s'engouffrent dans la grande rue.
Leurs costumes, à vrai dire, n'ont rien d'attrayant. Les femmes, pres-
que toutes en noir, enfouies dans de lourdes jupes plissées et bouffantes
254 HENRY MEIGE
sur les hanches, figures austères enserrées d'épais bandeaux de cheveux
plaqués, et coiffées, souvent par-dessus un bonnet blanc; d'affreux petits
chapeaux noirs, hérissés d'aigrettes vacillantes, fixés par des brides larges
et raides nouées sous le menton. Il est difficile d'imaginer coiffure moins
seyante. Et cependant, cette incompréhensible mode fait fureur, non seu-
lement dans tout le pays environnant, mais jusqu'au coeur de la Hollande,
ou semblables capotes informes et lugubres viennent s'apesantir lourde-
ment sur les coiffes de-dentelle précieuse, sur les riches reflets des casques
d'or et des pendeloques de brillants.
Ici, peu de bijoux, sauf quelques chaines d'or où ballottent de vieilles
croix ; mais beaucoup de parapluies de la plus respectable envergure, et
un accessoire qui semble obligé : le « cabas » de tapisserie, orné de rayu-
res, de carreaux ou de fleurs, aux teintes criardes.
Hormis le cabas, pas de couleurs ; du noir, à profusion, un noir qui
bientôt vire au gris sous les flots croissants de poussière. Ou bien, pis en-
core que le noir, le vert, ce vert sale, si cher aux rétines germaniques,
qui n'est ni le vert-olive ni le vert-bouteille, mais un peu ce vert que les
oies ont le privilège de fabriquer, tout naturellement. C'est la couleur
favorite des hommes, parés d'épais costumes verts, aux plis raides, ou de
courtes blouses, vertes aussi, le cou ceint d'une cravate d'un vert plus
vif, et quelquefois coiffés d'un feutre, vert naturellement, mais d'un
autre vert encore. Cependant, la coiffure la plus commune est une haute
casquette de soie noire à visière, qui, certainement, a plus de trois ponts.
Quelques-uns portent une sacoche de cuir fauve tenue par une large cour-
roie en bandoulière. Avec leurs faces rasées, carrées, à l'ossature saillante,
leurs mains en battoirs, leurs énormes souliers, et leurs dos voûtés par
le labeur des champs, ils évoquent le souvenir de ces rustres acromégali-
ques, dont Van Ostade, Téniers, Brouwer nous ont laissé tant de por-
traits.
Quant aux enfants, qui ne manquent pas à cette fête, leurs costumes se
ressentent des progrès de la civilisation. Engoncés dans des complets
solides, choisis à dessein trop amples et trop longs, les épaules carrées,
les jambes raides, ils ont l'air d'embryons de soldats allemands. On voit
clairement que l'influence germanique pénètre de plus en plus dans le
Luxembourg : ici surtout, où elle n'a que la Sûre à traverser, pour se trou-
ver en pays conquis.
Cette foule grouille religieusement. La plupart, très recueillis, ne des-
serrent pas les dents ; quelques-uns parlent d'une voix sourde, sans un
geste. C'est un piétinement confus, murmure grave, qui va crescendo
et ne laisse pas d'être impressionnant.
Mais bientôt d'autres bruits se dessinent, s'accusent. Les curieux com-
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 255
mencent à affluer dansle tintement des bicyclettes, le claquement des fouets,
le ronflement et le mugissement des automobiles... Enfin, éclate le fracas
des fanfares, dont les souffles vigoureux s'annoncent au loin, se rappro-
chent, emplissent la rue, font trembler les vitres, s'éteignent, meurent, sui-
vis de près d'une nouvelle onde sonore, d'une autre encore..
Au ciel le soleil monte dans un air frémissant de sons.
Il est sept heures. La police, les pompiers, font évacuer la rue que
le clergé et nombre de fidèles vont parcourir dans toute sa longueur pour
aller de l'autre côté de la Sûre prendre la tête de la procession.
Voici poindre les bedeaux et les suisses aux barbes de sapeurs, vêtus de
longues simarres rouges, précédant les prêtres en surplis blancs, sur deux
files. Au milieu, une grande bannière aux franges d'or, avec l'image de saint
Willibrord, suivie du vénérable curé-doyen, tout cassé par les ans. Der-
rière, les enfants des pensionnats, par rangs de taille, armés d'oriflammes
multicolores. Puis les fidèles égrenant leur chapelet et chantant les
litanies de saint Willibrord, les femmes d'une voix aiguë, les hommes
en basse sourde :
256 HENRY MEIGE .
sans doute par piété, d'autres en curieux, munis d'appareils photographi-
ques.
Alors commence vraiment la procession dansante. Une houle confuse
signale au loin l'arrivée des premiers danseurs, par rangées de six à dix.
Ce sont d'abord les enfants. Les garçons, nu tête, en bras de chemise,
sans cravate, sans col,- tenue sportive qui n'est pas déplacée, car ils vont
se livrer à une furieuse gymnastique. Instruits et entraînés à l'avance, ils
sont censés connaitre la chorégraphie rituelle ; mais la plupart, se laissant
emporter par l'ardeur de leur âge, ne cherchent qu'à se trémousser avec
force contorsions, au mépris des règles prescrites et des efforts de leurs
maîtres désespérés.
Les fillettes suivent, plus réservées, plus respectueuses de la cadence,
coiffées de petits canotiers blancs, qui tressautent drôlement, en mesure.
Puis viennent les adultes. Les hommes, eux aussi tête nue et en bras de
chemise, la veste et le chapeau à la main, côte à côte, coude à coude,
quelquefois se donnant le bras. Et les femmes, qui se tiennent sur une
même file par leurs jupes, leurs tabliers, ou encore par les deux bouts
d'un mouchoir, voire d'un parapluie.
Mais, pour danser, il faut de la musique. Saint Willibrord est gratifié
de musique en quantité : il passe sans doute sur la qualité, pourvu qu'on
joue son air à lui, un vieil air populaire, très simple, bien rythmé, qui
se prête à la marche aussi bien qu'à la danse, un air guilleret, sautillant,
qui n'a rien de liturgique, évoquant la joie des Kermesses bien plus
que la gravité des oraisons... « Tam hat sieberz Soha... »
Chacun le sait, chacun le chante, et les musiciens le répètent à satiété.
D'abord, naturellement, la fanfare des pompiers, en tenue militaire,
armée de cuivres stintillants et déchirants, dont certains affectent des
formes et des dimensions redoutables ; pavillons monstrueux d'où sortent
des notes très basses en rares et sourds mugissements, larges tuyaux dorés
et cabossés enlaçant leu rs porteurs et qui semblent des intestins métalliques
chargés d'inquiétants borborygmes. Grâce à eux, la chanson dansante
atteint presque à la solennité d'un morceau de plain-chant. D'autres or-
phéons civils,-il en vient de tous les environs,- ne le cèdent en rien
pour le nombre et l'ampleur de leurs cuivres. Et avec quel sérieux ils
jouent cetair déluré de polka ! ! .....
Autrefois, abondaient les cornemuses. Elles ont été détrônées par les
accordéons, délaissés eux-mêmes pour des instruments moins vulgaires et
plus bruyants.
Çà et là, l'interminable cortège est coupé par un groupe de tout jeunes
NOUI'FLLF IC01<OGRAI'IlIF DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XVII. Pl. XYXIV
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH
(Henry 51feige.)
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 257
musiciens : un bataillon de fifres, dont les roulades stridentes arrivent à
grésiller par dessus la grosse voix des cuivres, une escouade de clarinettes
qui nasillent tristement, une compagnie de petits violonistes dont les ar-
chets se dressent et plongent en cadence avec d'aigres grincements.
Et ces groupes musicaux ne sont guère distants que de cinquante pas
les uns des autres. Impossible de leur imposer la même cadence dans le
brouhaha du défilé et sur un aussi long parcours : plus de douze cents
mètres ? Lorsque les fifres attaquent le morceau,la première fanfare a déjà
joué plusieurs mesures, les clarinettes ont presque fini, les violons com-
mencent la seconde reprise, dont une autre fanfare fait éclater les accords
finaux... On peut juger de l'effet d'ensemble dans cette longue rue étroite,
d'où les sons ne peuvent s'échapper, répercutés d'une muraille à l'autre,
au milieu du martellement des chaussures ferrées sur le pavé sonore.
Les pèlerins d'Echternach dansent de plusieurs manières.
Le mode le plus usité, celui que les chefs de colonne ont fait ré-
péter aux néophytes avant le grand jour, celui sur lequel chacun s'efforce
de se régler, est plutôt une marche qu'une danse : trois pas en avant, un
pas en arrière ; un peu comme dans la figure « en avant deux » du vieux
quadrille français. De la sorte, la procession n'avance qu'avec une extrême
lenteur. Chaque fois que le pas change, un temps d'arrêt se produit.
Quand le mouvement est fait avec ensemble ces temps d'arrêt sont d'un
effet saisissant : le flot humain qui semblait déchaîné, instantanément se
fige, puis recule doucement, s'arrête encore, et soudain se précipite de
nouveau en avant, gagnant alors un mètre de terrain, dont il va bientôt
perdre une partie, qui sera regagnée à la poussée suivante, et ainsi indé-
finiment. Tel le flux et le reflux d'une marée ascendante,
Une rangée de danseurs tient presque toute la largeur de la rue ; mais
la rue tortueuse est de' largeur inégale. Lorsqu'elle se rétrécit, le flot
humain s'engageant dans un défilé trop étroit subit les réactions des
murailles : ses vagues deviennent houleuses, heurtées, capricieuses. Elles
s'entrechoquent, se brisent, s'écrasent ; alors le fleuve se transforme en
torrent.
Et puis, il s'en faut que le rythme soit observé strictement. Toutes les
oreilles ne sont point accessibles à la juste mesure, toutes les jambes
n'ont pas la même souplesse ni la même longueur ; et que d'autres causes
de dérangement ! Les paquets de curieux entassés de place en place, les
fautes commises par les voisins qui se répercutent à la longue distance en
s'amplifiant de plus en plus, la discordance des musiques échelonnées sur
toute la colonne, viennent aggraver la confusion. On peut voir sur la même
258 HENRY MEIGE
rangée deux danseurs contigus dont l'un suit le rythme du groupe musi-
cal qui précède, l'autre obéissant à la cadence des musiciens qui sont
derrière lui. @
Mais qu'importe ? Le long serpent avance quand même.
Parfois, subitement, une coupure se fait entre ses anneaux, et tandis
que la tête continue à progresser, la queue reste stationnaire. Alors, pour
rattraper l'espace perdu, les premiers rangs'se mettent à courir, suivis
bientôt des autres, pêle-mêle, par paquets..
D'autres fois, c'est la tête qui bute contre un obstacle : une onde de re-
flux se dessine, s'épaissit ; les rangs se pressent, s'écrasent, se désagrè-
gent, sous la poussée contraire de ceux qui veulent quand même avancer.
Une épaisse embolie de figures effarées, congestionnées, se propage péni-
blement jusqu'au. diverticule le plus proche. Là, plusieurs sont énucléés,
stagnent un instant pour reprendre haleine, et puis se faufilent entre deux
tronçons avec l'espoir puéril de regagner le terrain perdu. Cependant, ces
menus incidents ne troublent guère la procession.
D'ailleurs, tous les pèlerins ne dansent pas de la même manière. Cer-
tains changent de pas toutes les deux mesures. D'autres sautent à cloche
pied, les jeunes adoptent franchement la polka . Mais les vieux et
les vieilles restent fidèles à une sorte de bourrée, telle qu'on la dansait
encore, il y a quelques années, dans le Bourbonnais et dans l'Auvergne,
en levant haut les genoux et tapant fort des pieds,avec des déhanchements
de corps et des balancements de bras. De ci, de là, on voit aussi quelques
fantaisistes esquissant des entrechats de leur cru. Je me souviens d'une
femme à la poitrine vagabonde, au ventre exubérant, qui tournoyait
comme un derviche à chaque temps d'arrêt. Une autre faisait un pas sur
trois à reculons. Tout un groupe aux jarrets élastiques progressait en sau-
tant à pieds joints comme des kanguroos. Saint Willibrord n'est pas for-
maliste, il ne demande qu'une chose : qu'on se trémousse copieusement..
Certains vieux danseurs, engagés tous les ans, représentent les étoiles
de la procession dansante. Ils ont un air très digne et fort peu de che-
veux ; ils connaissent et respectent religieusement les moindres traditions
de la sainte chrorégraphie Leur exemple est donc édifiant. C'est sur eux
que les jeunes doivent régler leur cadence et leurs gesticulations. Aussi
sont-ils répartis de place en place dans le long cortège ambulant pour en
assurer l'ordre et la marche. On leur obéit comme on peut : ceux qui
suivent de près ces coryphées vénérables observent assez bien le rythme;
d'autres, derrière, y parviennent moins aisément ; les derniers sont
presque toujours en retard d'une ou deux mesures. Cela n'a pas grande
importance. L'essentiel est de s'agiter beaucoup, d'avoir très chaud. Et
l'on a vite très chaud 1
NOUVELLE IcONOGRAPHIF de la SALPÈTRIÈRE
T. XVII. Pl XXX\'
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH
(Henry Meige.)
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 259
L'année où je me trouvais à Echternach, c'était en 1900 (1), - le
5 juin, le soleil cuisait dès huit heures du matin, et vers le milieu de la
journée commencèrent des grondements d'orage. Les simples spectateurs
étouffaient. Que dire des acteurs !
Car, la procession dansante dure au moins deux heures. Il ne suffit pas
de franchir plus d'un kilomètre en rétrogradant d'un pas sur trois ou en
sautant alternativement en avant et en arrière, dans une rue resserrée et
bondée, au milieu d'une épaisse poussière, dans le vacarme ahurissant des
musiques discordantes; il faut encore gravir, toujours dansant et sautant,
les soixante-quatre marches, étroites et raides, qui conduisent à l'église ;
il faut y pénétrer, il faut en sortir ! .
Sans contredit, un pèlerinage à Echternach exige une force de résistance
peu commune. La robuste santé et les solides jarrets des campagnards arri-
vent à s'en accommoder; aux autres, la merveilleuse impulsion que sait
communiquer la foi peut seule donner l'énergie nécessaire. Au bout de
dix minutes de cette gymnastique, les plus valides sont cramoisis, en nage.
Vers la fin de la procession un grand nombre ne peuvent plus que se
laisser porter par le flot, le regard perdu, à bout de souffle, esquissant
encore, de ci de lacune vague flexion de leurs genoux rompus. Ils vont
comme des hallucinés, comme des automates.
Heureusement, des âmes charitables, dans quelques maisons du par-
cours, songent à les réconforter. On voit tout à coup un verre de bière,
qui semble tombé du ciel, circuler de main en main dans un rang du
cortège ; chacun y boit une gorgée, le passe à son voisin, et déjà le verre
a franchi la rue : il n'y reste pas une goutte.
L'église de Saint-Pierre et Saint-Jean est le point terminus de la proces-
sion.
Exténués par l'escalade de son escalier à pic, les pèlerins retrouvent
cependant une nouvelle ardeur en entrant dans le sanctuaire. Là, la com-
pression atteint son apogée. Dans l'âcreté des cierges fuligineux et des
vapeurs d'encens, aggravée du relent des haleines et des corps trempés de
sueur, s'engouffrent quelques rangées de fidèles. Impossible désormais de
danser ; ils se contentent de sauter sur place, ◀tantôt▶ par petits tas, ◀tantôt▶
isolément, s'approchant par millimètre de l'autel illuminé sous lequel git
l'image criarde de saint Willibrord. Puis, un à un, les plus proches s'age-
nouillent, se relèvent et font le tour du tombeau, non sans laisser une
obole dans un immense plateau, qu'un enfant de choeur vide lorsqu'il
déborde. Ce sont les honoraires de saint Willibrord..
, (1) Les photographies ci-jointes ont été prises à cette date (PI. XXXIII à XXXVI).
260 HENRY MEIGE
Puis, par les portes latérales, la foule s'écoule, se disperse, dévale les
rampes du mamelon ; une partie retombe dans la queue du cortège, une
autre s'épand- dans les rues avoisinantes ; la plupart se ruent vers la fon-
taine de saint Willibrord, où, sous une voûte suintante, sourd une eau gla-
cée. Se passer de lèvres en lèvres l'unique gobelet de fer-blanc qu'une
chaîne rive à la muraille, quelle récompense après une telle épreuve ! Mais
quel danger, peut-être... -
« On fait le pèlerinage, dit l'abbé Krier, pour trouver un remède effi-
cace contre une des maladies les plus affreuses : le mal caduc ou épilepsie,
contre la danse de Saint-Guy, et en général contre toutes les attaques ner-
veuses et convulsives. »
Charcot et Paul Richer ont donné une description de la procession
d'Echternach, d'après les renseignements fournis par M. Majerus, juge à
Luxembourg, qui en a été plusieurs fois témoin (1).
« Il n'est pas rare, disent-ils, devoir de pauvres diables pris tout à coup
au milieu de la procession d'une crise épileptique, et qu'on est obligé
d'emporter. -
« Quelques-uns même de ces malades ne peuvent assister à la cérémo-
nie. Venus la veille de très loin, et exténués de fatigue, on les voit cou-
chés au coin des rues, incapables de marcher, quelques-uns en proie aux
crises de leur mal. Et l'on est obligé de les reconduire chez eux sans qu'ils
aient pu remplir le but de leur pèlerinage. »
Connaissant cette tradition, je m'attendais à voir' défiler des bataillons
de grands névropathes, je pensais assister à des salves d'explosions con-
vulsives... Vaine attente. -Sur une dizaine de mille pèlerins que j'ai vu
défiler, et dont j'ai parcouru les groupes, avant et après la procession,
c'est à peine si j'ai pu entrevoir deux petites choréiques et peut-être un
tiqueur; mais de la grande chorée;de la chorée hystérique, saltatoire,
pas le moindre spécimen.
A vrai dire, dans un tel brouhaha, il y avait quelque témérité à essayer
de faire de la clinique. Au milieu de ce fleuve humain aux vagues sautil-
lantes, combien d'épileptiques, d'hystériques,peuvent se trouver emportés,
sans que leur névrose se révèle. J'ai vu passer plus d'une danseuse au
masque extatique, plus d'une face hagarde ou grimaçante, plus d'un crâne
bizarrement conformé. J'ai vu des goitreux en grand nombre. J'ai vu des
gestes des bras et des jambes, dont l'extrême brusquerie, l'ardeur irrésis-
tible,pouvaient bien être de cause pathologique... Mais ces contorsions ne
(1) CHARCOT et P. RICHE11, l,es Démoniaques dans l'art, p. 36. '
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XVII. PI. XXXVI
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH
(Henry Meige.)
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 261
différaient guère de celles des voisins et des voisines. Et quant aux grandes
attaques nerveuses, je n'en ai point vu.. . ,
Elles étaient, dit-on, très fréquentes autrefois. Lorsque, la procession
terminée, les pèlerins se trouvaient réunis autour de l'église, on assistait
souvent à des crises d'hystérie ou d'épilepsie,que la fatigue, l'émotion et
l'exemple contribuaient à multiplier.
Aujourd'hui, la police est mieux faite. S'il arrive qu'au cours de la
cérémonie, éclate une attaque intempestive, ordre est donné de conduire
aussitôt le malade à l'écart et de le soustraire aux yeux des assistants. C'est
de la bonne prophylaxie.
Peu à peu, d'ailleurs, l'habitude s'est prise, sur les conseils, réitérés
des autorités etdu clergé lui-même, de ne plus grouper ensemble, comme
on le faisait jadis, les malades enclins aux paroxysmes tapageurs : Ceux
qui font le pèlerinage sont perdus dans la. foule.
Une innovation ingénieuse a d'ailleurs permis de concilier les exigences
de la foi avec les précautions thérapeutiques.
Lorsqu'un des membres d'une famille est atteint d'une affection ner-
veuse pour laquelle on désire obtenir l'intercession de saint Willibrord,
au lieu d'exposer le malade lui-même aux fatigues et aux émotions du
pèlerinage, un parent, un ami dévoué, assume cette tâche. Très conscien-
cieusement, il -va- danser selon la formule, pour attirer les faveurs du
Saint sur le patient, qui, lui, reste tranquillement à la maison. On
cite des miracles obtenus ainsi par procuration.
Mieux encore. Il existe une corporation de danseurs professionnels qui,
moyennant-salaire, prennent à leur charge toute la partie chorégraphique
du pèlerinage. Il en est de tout sexe et de tout âge.
Les plus nombreux sont les enfants. Si vous arrivez à Echternach la
veille ou l'avant-veille de la cérémonie, une nuée de gamins se précipi-
tent à votre rencontre. Ils s'offrent à danser pour vous, ou pour telle
personne que vous leur désignerez : « Voulez-vous de moi pour danser,
monsieur ? ... lemand sur Iiiiieie znittazzezz` ? ... Faites-moi danser pour
vous 1... » Chacun vante ses qualités, sa légèreté, sa résistance, et au
besoin donne un spécimen de ses talents. Un marché se conclut. C'est de
dix à vingt sous, en moyenne, pour un gamin d'une dizaine d'années. On
peut même en enrôler plusieurs : Saint Willibrord n'en sera que mieux
honoré. Le même enfant ne se fait pas scrupule de promettre son concours
à quatre ou cinq personnes à la fois. Il en sera quitte, s'il est honnête,
pour se trémousser quatre ou cinq fois plus. Tout le monde y trouve donc
son profit, le petit bonhomme surtout.
Les danseurs adultes réclament des honoraires plus élevés : deux francs,
trois francs, cinq francs même, suivant l'âge et la compétence. Avec eux
262 HENRY MEIGE
on a plus de chances de voir les rites convenablement respectés, car ces
professionnels ont de l'expérience et sont plus résistants. Les jeunes péchent
parfois par distraction ; ils oublient de danser ou dansent à contre-temps ;
ils ne chantent pas toujours très juste, et ils se fatiguent plus vite. Les
anciens, grâce à leur long entraînement, savent conserver une allure plus
solennelle; ils « représentent » mieux ; ils font plus d'honneur à qui les
enrôle, leur haute paye étant notoire. -
Midi. La procession est, terminée.
Dix mille appétits s'éveillent, impérieux. Les fanfares épuisées se dis-
loquent. En un instant tout ce peuple convulsif s'effondre, anéanti, sur
le gazon, sur les trottoirs. Un silence se fait. On va manger. On mange.
Beaucoup ont apporté avec eux les provisions de la journée. Dans cha-
que coin d'ombre, sous tous les arbres, les cabas, les sacs de cuir
s'entr'ouvrent; des papiers graisseux miches de pains, jambons, fro-
mages, cervelas, font éclosion, écrasés, suintant, fondant, saupoudrés de
poussière. Aux carrefours, sur les places, des tables improvisées se cou-
vrent instantanément de mets et de convives. Vers les tonneaux de bière
qui coulent sans arrêt de longues théories assoiffées défilent. Dans les auber-
ges, la confusion est à son comble. Puis, peu à peu le calme renaît : la
procession digère.
Vers le milieu de la journée, le vacarme recommence ; mais cette fois
la fête est toute profane. C'est l'heure attendue des forains. La place du
marché regorge de spectateurs ; dans les théâtres, sur le chevaux de bois,
on refuse du monde. A la chanson vieillote de saint Willibrord succèdent
les refrains des bals publics et les rengaines des orgues à vapeur. Echter-
nach n'est plus qu'une foire quelconque.
Il faut se hâter de partir. Vingt trains sont sous pression dans la gare,
. pour la Belgique, la Hollande ou l'Allemagne, mais avec des horaires élas-
'" tiques : vingt trains,- vingt enfers ! où s'engouffrent des flots de pèle-
rins, exténués, blancs de poussière, affolés, confondant toutes les classes et
toutes les directions. Je renonce à décrire ce retour, avec l'attente, deux
heures durant, par un temps d'orage accablant, dans un compartiment
surchauffé, où pour huit places nous nous trouvions quinze voyageurs de
tous sexes et de toutes conditions...
Mais qu'importe ? J'avais vu la procession dansante des pèlerins
qui, chaque année, le mardi de la Pentecôte, se rendent à Echternach, en
Luxembourg, pour implorer saint Willibrord.
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 263
L'auteur d'une brochure populaire sur Echternach s'exprime ainsi en
son simple langage (1) :
« On peut voir beaucoup de spectateurs, des messieurs d'une haute posi-
tion, et nullement cléricaux, pleurer comme des petits enfants. Ils avouent
que ces milliers de gens qui s'avancent en sautillant comme les ondes de
la mer font sourire d'abord, mais qu'au bout d'un quart d'heure les lar-
mes étaient dans leurs yeux. »
Sans vouloir me ranger, bien entendu, parmi les « messieurs d'une
haute position », et sans avoir été jusqu'à « pleurer comme un petit
enfant », je dois à la vérité de dire que, devant le flux et le reflux de
cette étrange marée humaine, devant sa lente poussée qui s'avance, me-
naçante, irrésistible, devant cet élan imprévu d'une foi archaïque, quasi-
barbare : oui, vraiment, j'ai ressenti une émotion, - ce frisson que
propage le spectacle des grandes masses populaires mystérieusement
secouées au souffle d'une idée.
Et j'ai connu ainsi que la procession dansante d'Echternach n'était pas
sans grandeur.
A quand remonte, et d'où naquit, ce singulier mode de pèlerinage' `
La parole est d'abord à la légende :
En temps qu'on ne peut préciser, peut-être vers le XVe siècle, les trou-
peaux qui paissaient dans les prairies d'Echternach furent décimés par un
mal étrange : bondissements affolés, convulsions effrayantes, suivis d'un
anéantissement, qui se terminait infailliblement par la mort. A quel poi-
son végétal ou microbien attribuer ces méfaits ? - Mystère ! ... On ra-
conte donc que les cultivateurs vinrent implorer processionnellement sainl
Willibrord, qui conjura cette épizootie. En reconnaissance de ce miracle,
fut institué un pèlerinage annuel, destiné également à prévenir le retout
de semblables accidents. J
Chose'curieuse, c'est à une épizootie analogue que la tradition antique
rattache l'origine de la mantique delphienne. Ce furent des chèvres qui,
dit-on, révélèrent par leurs sauts intempestifs la vertu prophétique des
eaux de la fontaine Samalcis, berceau de ce temple de Delphes, le plus
formidable des centres thaumaturgiques de l'antiquité, où la Pythie ren-
dait ses oracles au milieu d'agitations convulsives impressionnantes. La
maladie des troupeaux d'Echternach n'est-elle qu'une coïncidence ou
qu'une réminiscence ? Mystère encore...
(1) Dr PURIOR, Echternach, historique et pittoresque.
264 HENRY MEIGE. - LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH
D'autre part, Dom Pitra émet l'hypothèse que la procession dansante
peut être rattachée à « quelque marche militaire et nationale des Frisons
ou Saxons, à qui saint Willibrord aurait permis de conserver, dans
son cortège et jusqu'aux portes de son monastère, leurs danses patriar-
cales )) (1).
Une autre tradition fait remonter l'origine de la procession à saint Wil-
librord lui-même. De son temps, vivait en Angleterre un moine nommé
Aldhelme, qui jouissait d'une grande réputation de sainteté ; sur son pas-
sage, les fervents se pressaient en foule, se formaient en procession et « se
livraient à une sorte de danse rythmée en son honneur ». Willibrord au-
rait assisté à ces manifestations chorégraphiques et les aurait importées
d'Angleterre.
Enfin, à défaut de l'épizootie initiale, on l'attache encore la procession
d'Echternach aux processions de Flagellants, qui se multiplièrent au
XIVe siècle, à l'occasion de la peste noire, ou aux nombreuses épidémies
de danse de Saint-Guy, qui sévirent aussi au XIVe siècle, dans les provinces
Rhénanes et les pays Flamands.
Ce qui est certain, c'est que des témoignages écrits, remontant au
XVe siècle, attestent l'existence à cette époque de la « pieuse danse »
d'Echternach, et qu'on parle en 1550 des Saints dansants du mardi de la
Pentecôte., '
Le succès de cette cérémonie alla progressant jusqu'au XVIIIe siècle.
Mais alors eurent lieu des abus et même des scandales. Aux danses sacrées
les danses profanes se mêlèrent : la procession tourna à la bacchanale.
L'archevêque de Trêves en fut ému et défendit toute manifestation mu-
sicale ou chorégraphique. Peine perdue. En 1786, l'empereur d'Alle
magne, Joseph II, en prononça l'interdiction : elle recommença de plus
belle, quatre ans plus tard, pour ne cesser qu'en 1794, pendant la durée
de l'occupation française du Luxembourg. Mais, en 1802, on la vit renaî-
tre encore. Guillaume 1er, de Hollande, a essayé, en 1826, de la transférer
du mardi au dimanche de la Pentecôte ; la vieille coutume l'a quand mê-
me emporté.
La procession dansante d'Echternach semble destinée à se perpétuer
dans les siècles des siècles...
(A suivre.)
(1) La Hollande catholique, 1850, p. 72, cité par le D Purior.
Le Gérant : P. Bouchez
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. PI. XXXVII
GILLES DE la TOURETTE
Masson & Ci-, Éditeurs
P6atotypio 13ortliaud, 1'anis is
17e Année N" 4 JUILLET-ÂOU l'
GILLES DE LA TOURETTE
La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière porte le deuil
d'un de ceux qui ont coopéré le plus efficacement à sa fondation.
La précoce disparition de Gilles de la Tourette a douloureuse-
ment ému tous ceux qui ont collaboré avec lui au succès de
cette Revue ; ils ont à coeur de rappeler ici la large part de tra-
vail qui fut la sienne.
Au lemps où florissail l'enseignement de Charcot, son entou-
rage éprouva tout naturellement le désir de faire connaître les
richesses cliniques et iconographiques accumulées depuis de
longues années à la Salpêtrière. La collection d'oeuvres d'art
intéressant la médecine recueillie par Charcot et Paul Richer,
les belles images dues au crayon et au burin de ce dernier,
enfin l'inépuisable série de photographies faites dans le service
par M. Albert Londe, représentaient une mine inconographique
unique au monde, dont la publication pouvait rendre un service
signalé à la Neurologie. Gilles de la Tourelle était alors chef de
clinique. Il s'offrit pour annexer à cette documentation imagée
les observations cliniques et les travaux anatomo-pathologiques
correspondants. Sous cette triple impulsion, et sous la haute au-
torité du Maître, la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière fut
fondée, au mois de janvier 1888. Elle n'a cessé de prospérer de-
puis 17 ans.
La collaboration de Gilles de la Tourelle fui surtout aclive pen-
danl les premières années. Qu'on en juge par la simple énuméra-
lion des travaux signés de son nom :
En 1888, L'élude et la marche de l'hémiplégie hystérique étu-
diée par /et méthode des empreintes.
). vit 17 Î
26fi GILLES DI. LA TOURETTE
Cinq cas de maladie de Friedrich, en collaboration avec Paul
Blocq et,Huel.
En 1889, Contribution ci l'étude de la nutrition dans l'état
normal et dans la fièvre du goitre exophtalmique, en collabo-
ration avec Cathelineau.
Contribution à l'étude des troubles trophiques dans l'hysté-
rie (atrophie musculaire et oedeme), en collaboration avec
Pllfll.
L'hystérie dans l'armée allemande.
Considérations sur la courbe des excrétions dans l'attaque de
sommeil hystérique, en collaboration avec Cathelineau.
De la superposition des troubles de la sensibilité et des spas-
mes de la face et du cou chez les hystériques.
De la technique si suivre dans le traitement par la suspension
de l'alaxie locomotrice et de quelques autres maladies du sys-
teme nerveux.
Un cas de syringomyélie, en collaboration avec Zaguelmann.
En 1890, Considérations sur les ecchymoses spontanées et sur
l'état mental des hystériques.
Contrihution Ú l'élude des bâillements hystériques, en colla-
boration avec Hnet et Georges Guinon.
Modifications apportées il la technique de la suspension dans
le traitement de l'alaxie locomotrice el de quelques autres ma-
ladies du système nerveux.
En 18892, Considérations sur la médecine vibratoire ; ses ap-
plications, sa technique.
En 1893, Deux observations pour servir au diagnostic des
paraplégies syphilitiques, en collaboration avec IIudeloL.
Che7rcot (article nécrologique).
En 1894, Sur un cas d'ostéite déformante de Illlgel, en colla-
boration avec Magdelaine.
En 1895, Le sein hystérique.
Nature hystérique de la tétanie des femmes enceintes, en col-
laboralion avec Bolognesi.
GILLES DE LA TOURETTE 3t'7
Notion étiologique de ? e/c/o ? j/n7M dans la maladie de
Lillle, en collaboration avec A. Fournier.
Automatisme ambulatoire, en collaboration avec A. Fournier
et Kohne.
La lésion médullaire de l'ostéite déformante de l'aget, en col-
laboration avec Marinesco.
En 1896, La syphilis héréditaire de la moelle^épinière .
En 1897, Pallzogénie et prophylaxie de l'atrophie musculaire
chez les hémiplégiques . '
Traitement de l'alaxie par l'élonyalion vraie de la moelle, en
collaboration avec ChipaulL. ,
En 1898, Traitement de l'alaxie locomotrice par l'élongation
vraie de la moelle épinière, en collaboration avec Gasne.
En 1899, Un cas de syphilis héréditaire de la moelle, en col-
laboration avec Durante.
En 1900, La marche dans l'hémiplégie.
Gilles de la Tourelle a également consacré dans la Nouvelle
Iconographie de la Salpêtrière plusieurs articles à la critique
médicale des oeuvres d'arl.
Nous lui devons en particulier une série d'études sur des Ca-
ricatures satiriques contre Nlesmer ; la critique d'un chapitre de
Carré de Montgeron, intitulé le Miracle opéré sur Marie-Anne
Couronneau. De lui aussi, le Masque de Pascal, Unbusted'Evê-
que guérissant les écrouelles, Sur un tableau perdu de Ilubens
représentant la guérison de possédés, Un dessin inédit d'Adrien
l3rourejremcr, Un bas-relief d'Al/j'ed Boucher (7'ohie rendant
la vue ai son père). Son style alerte, souvent aiguisé d'une pointe
d'ironie, donnait à ces études un réel attrait.
Il était curieux des choses du passé, aussi bien en littérature
qu'en Art. Il aimait à rechercher dans les vieux livres les passa-
ges qui peuvent intéresser le médecin d'aujourd'hui, et c'était un
plaisir pour lui que d'interpréter avec les connaissances scienti-
fiques actuelles ces observations tombées dans l'oubli.
C'est ainsi qu'il a publié une étude critique captivante sur
268 GILLES DE LA 'l'OUltf : 'I"l'E
Soeur Jeannc des Anges, la possédée des Ursulines de Loudun,
et, en collaboration avec le professeur Brouardel, La mort de
Charles IY. C'est ainsi également qu'il se passionna pour l'ceu-
vre de Théophraste Renaudot, qu'il a contribué mieux que per-
sonne à faire revivre. Il fut un des plus ardents à réclamer une
statue pour le créateur des « Consultations charitables » el de la
« Gazette ». Et il eut la grande satisfaction de voir son désir réa-
lisé au delà de toute espérance.
Mais ce n'est là qu'une faible partie de l'oeuvre de Gilles de la
Tourelle. Son principal ouvrage, qui marque une date dans
l'histoire de la Neuropathologie est son Traité clinique et théra-
peutique de l'Hystérie, d'après l'enseignement de la Salpêtrière.
On y trouve, condensés en trois volumes, tous les travaux qui,
sous l'impulsion de Charcot, ont été entrepris pour l'étude de la
grande névrose, et dont un grand nombre sont personnels à Gilles
de la Tourelle : La nutrition dans l'hystérie, Les attaques de
sommeil hystérique, etc. Il a consacré également un gros volume
à l'étude de L'Hypnotisme et des étals analogues au point de vue
médico-légal, et une monographie aux Myélites syphilitiques.
Enfin, il s'est efforcé d'isoler une forme morbide, « affection
nerveuse caractérisée par de l'incoordination motrice accompa-
gnée d'écholalie et d'échoprolalie », « maladie des tics convul-
sifs », communément désignée aujourd'hui sous le nom de
Maladie de Gilles de la Tourette.
Cette brève énumération des travaux de Gilles de la Tourelle
est loin d'être complète. Elle permettra cependant d'entrevoir
l'étendue et l'importance de son labeur, sutout si l'on se rappelle
que l'auteur devait prématurément renoncer à poursuivre sa
lâche, dès l'âge de 45 ans.
Grâce à la puissante impulsion qu'elle a reçue dès le début,
grâce au concours infatigable de tous ses collaborateurs, la
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, pour la prospérité de
laquelle Gilles de la Tourelle n'a ménagé ni son activité ni son
influence, est désormais en mesure de poursuivre l'oeuvre de dif-
fusion scientifique el artistique qui fut sa raison d'être et qu'elle
fient à honneur d'étendre de plus en plus.
La <\TOI : \'I;LL1 : Iconographie de la Salpêtrière.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE
DE LA
PARALYSIE MYASTIIÉNIQUE (I),
PAR R
le P Hyacinthe DE LÉON
(de Montévidéo).
La paralysie myasthénique, désignée aussi sous les noms de « maladie
de Erb, syndrome bulbaire de Erb-Goldflam, maladie de Hoppe-Gold-
flam, paralysie asthénique, myasthénie grave pseudo-paralytique et para-
lysie bulbaire sans lésions anatomiques », est un état morbide, clinique-
ment défini, dont nous sommes redevables aux recherches de Wilks, Erb,
Oppenheim; Eisenlohr, Jolly, Hoppe, Goldflam (2) et d'autres savants
qui, depuis f8'71, jusqu'à présent, se sont occupés de cette rare et très
spéciale affection.
Cependant les erreurs de diagnostic auxquelles elle donne lieu sont en-
core très fréquentes, particulièrement au début de son évolution, soit parce
que ses caractères distinctifs n'ont pas été suffisamment déterminés, soit
parce que les descriptions pathologiques et cliniques n'en sont pas assez
connues, ou que son diagnostic exige un examen plus approfondi des
(1) Travail présenté au 2° Congrès Latino-Américain célébré à Buenos-Ayres du 3
au 10 avril 1904.
(2) WiLs, On cerebrilis hysleria and bulbar pamlysis. Guy's Ilospitals Reports, 1877. î.
Enn, Zur Casitistik der b1l1biil'en Uihmnngen, Archiv für Psychiatrie und Nerven-
. krank, 1879.
Opprmieim, Ueber einen Fait von chronischer prog. Bulbiirparalysie, oll11e anat.
hefund. 'irchoc·s Archiv, 1887.
EISELOtIa, Ein Fall Ophthalmoplegia externa progressiua und finalel' B1l1biil'pam-
lysie mit negativea Sections befund. Neurologistihes Centralblatt, 1887.
JOLLY. Ueber ftlyoslhellia gmvis pselldopamlytica, Berliner klin. Wochenschrift,
1891.
Houppe, Ein Beilrag : 10' Kenntniss der Bulbiirparalysie. Berliner klin. Wochens-
chrift.
GOLDFLAM, Ueber einen Sckeirsbar heilbaren Bulbar paralytischen Symptomencom-
plex, mit Betheiligung der Extrenaitülrn. Deutsche Zeitschrift sur Nervenheil-
konde. IR93.
270 DE LEON
symptômes et de l'évolution morbide, qu'il n'est généralement nécessaire.
Quoi qu'il en soit, la vérité est que des erreurs sont commises, non seu-
lement par ceux qui pratiquent la médecine générale. mais encore par
des spécialistes distingués.
Je crois contribuer à faire connaître cette maladie et à éviter ces erreurs
de diagnostic en décrivant un cas que j'examine depuis neuf ans et qui a
été l'objet de diagnostics variés : hystérie, syphilis des centres nerveux,
neurasthénie et particulièrement migraine ophtalmoplégique, sans en si-
gnaler d'autres plus invraisemblables, portés à Paris, Wiesbaden,Buenos-
Ayres et Montévidéo.
Voici l'histoire clinique de ce cas :
N. N... est une fille de 35 ans, célibataire, née d'un accouchement gémel-
laire. Son père souffrit d'un prurit anal incurable et mourut à rage de 74 ans
d'une hémorragie ou thrombose cérébrale. Sa mère, robuste et saine, a
souffert plusieurs fois de sciatique. Sa soeur jumelle mourut dans sa quator-
zième année d'albuminurie ( ? ) ; une soeur a eu des stigmates et des crises
convulsives hystériques; la même, un goitre exophtalmique; une autre, un
myxoedème bénin ; une autre, une paralysie faciale périphérique. Un frère se
suicida et quatre autres ont l'air d'être sains. La tare névropathique est
assez lourde.
Depuis l'âge de 14 ans, elle a souffert périodiquement de maux de tête,
avec. troubles gastriques et parfois vomissements, diagnostiqués migraines.
Il y a 13 ans, c'est-à-dire, à sa e année, elle eut une forte attaque sembla-
ble aux antérieures et localisée à la moitié du frontal droit. Le lendemain, la
paupière supérieure gauche était un peu tombée ; elle ne pouvait dévier en
dedans l'oeil du même côté et, par moments, dit-elle, elle voyait double. Un
oculiste la traita par la galvanisation locale, et le malaise disparut complète-
ment en six jours. Les maux de tête continuèrent à se répéter périodiquement,
d'ordinaire sur le côté droit, avec vomissements et durée de 12 à 16 heures ;
quelquefois ils étaient suivis de troubles paralytiques analogues à ceux déjà
indiqués, à la paupière et à l'oeil, ◀tantôt▶ à droite, ◀tantôt▶ à gauche, mais plus
souvent à gauche. Chaque fois les troubles oculaires étaient plus durables et
la vision double plus persistante.
1899. - A cette date, les maux de tête sont bien moins fréquents, mais,
depuis plusieurs mois déjà, la malade éprouve, avec de légères oscillations,
les troubles suivants : chute incomplète de la paupière supérieure gauche;
impossibilité d'élever l'oeil correspondant; paresse des mouvements de latéra-
lité, très limités dans les deux yeux, plus sensible dans le gauche; diplopie
croisée horizontale; pupilles égales, de grandeur moyenne, réagissant bien à
la lumière, à la convergence et à l'accommodation. L'oeil droit semble être
plus ouvert qu'à l'état normal ; les deux sourcils beaucoup plus élevés. Fai-
blesse locale, ◀tantôt▶ dans l'acte de la mastication, ◀tantôt▶ aux extrémités infé-
rieures. Elle se sent mieux le matin, en se levant.
PARALYSIE D1YASTllÉ\IQUG 'i71 1
1900. - Les lésions parétiques se présentent plus intenses à l'oeil droit; la
paupière de ce côté est tombée, ainsi que celle de gauche : le ptosis est symé-
trique. L'élévation des sourcils est très prononcée, ils sont courbés en arc et
le front montre quelques rides transversales. L'attitude de la tête, rejetée en
arrière, donne à la malade un air de fierté. Les muscles droits externes et les
obliques sont également envahis ; il n'y a de libre que le mouvement d'abais-
sement des yeux. Ces parésies s'aggravent par l'exercice et la faradisation, elles
s'améliorent par le repos. Si, la malade étant assise ou en attitude de lire, on
lui fait regarder en bas, vers le milieu de ses cuisses, durant trois à cinq mi-
nutes, ses yeux peuvent tout de suite s'ouvrir beaucoup plus, mais après quel-
ques minutes, ils retombent à leur position naturelle (1).
Parfois la malade se plaint de fatigue à la racine des bras ; elle ne peut se
peigner et, si elle y persiste, les bras tombent. Elle éprouve aussi dans les
jambes une fatigue qui augmente par l'exercice, et surtout en montant des
escaliers, ce qui a quelquefois produit une impossibilité momentanée de
marcher, et même de se tenir debout sans l'aide d'autrui. Elle est toujours
mieux le matin, à son réveil, quelquefois avec des variations inattendues. Un
traitement de massage et de gymnastique, d'exercices de marche et de douches
écossaises, aggrave rapidement la malade, et elle ne peut pas le continuer. Le
repos, au contraire, l'améliore rapidement.
1903. - La malade se plaint d'une grande fatigue en mangeant, ce qui
l'oblige à mastiquer avec de fréquentes interruptions de repos : c'est la dsmas-
sésie d'Opp-efilieim (2). Quelques muscles innervés par
le facial, des deux côtés, ne fonctionnent pas normale-
ment : les orbiculaires palpébraux ne ferment pas les
yeux avec force, et les paupières cèdent il la traction
par en haut; la malade ne peut pas siffler, ni souffler
avec assez de force pour éteindre une lumière; les
plis du visage sont peu visibles ; par contre les sour-
cils sont très élevés ; tout cela, ajouté à la presque
complète immobilité des yeux, par ophtalmoplégie ex-
terne totale, et au ptosis double, donne à la physionomie l'aspect du faciès
d'Hulchinson. Les réactions pupillaires sont normales et les pupilles égales et de
grandeur moyenne.
La langue ne peut pas se canneler, les aliments refluent parfois par le nez,
la voix est nasonnante et la déglutition cause une grande fatigue. Un traite-
ment de pulvérisations et d'attouchements pharyngés aggrave sensiblement l'é-
tat et le langage devient presque incompréhensible. Au contraire, un repos,
(1) Le professeur Ilaymond, dans un de ses exemples cliniques, indique le procédé
suivant : Quand les yeux du patient se fermaient malgré lui, « il lui suffisait de les
comprimer pendant quelques instants, avec ses propres mains, et de les maintenir im-
mobiles, pour que les paupières récupérassent leur mobilité ». Leçons sur les maladies
du système nerveux, 1901. 5. s., p. 340.
(2) Oppenheim : Die myastenische Paralysie. Berlin, 1901.
272 DE LÉON
aussi complet que possible de ces organes améliore énornément la mastication,
la déglutition, la voix et l'articulation verbale.
Elle ne sent pas de fatigue ni de faiblesse dans les muscles de la nuque, mais
elle en sent aux joues et à la mâchoire inférieure, avec la sensation de traction
par en bas : parésie des muscles masticateurs .
L'élévation des bras est absolument impossible; la marche est très difficile,
sans aide, et par moment, non seulement la marche, mais même la position
debout : la malade, sans l'aide d'autrui, s'affaisserait sur ses propres jambes.
Il n'y a pas, cependant, de diminution de volume des muscles ; ni contractions
fibrillaires, ni diminution d'excitabilité électrique, ni réaction de dégénéres-
cence. Toutefois, la malade est obligée de garder le lit, où elle ne peut ni s'as- .
seoir ni se retourner sans aide : elle accepte, sans difficulté, un traitement de
repos, le plus absolu possible.
L'investigation de la réaction myastbénique par le courant faradique, a été
positive seulement aux deux deltoïdes; la contraction tétanique, forte au début,
devient de plus en plus faible, et disparaît complètement avant deux minutes ;
avec des excitations interrompues à la main, les premières contractions sont
fortes, elle s'affaiblissent ensuite peu à peu, et s'éteignent totalement avant
d'arriver à vingt ; les réactions paraissent normales clans les autres muscles.
Le rectum et la vessie fonctionnent comme en leur état physiologique.
L'exploration de la sensibilité tactile, thermique et douloureuse, ne révèle
rien d'anormal, ni dans la peau, ni dans les muqueuses accessibles. Les sensa-
tions gustatives, olfactives, auditives et visuelles, parfaites.
L'examen du fond de l'oeil, de la vision périphérique et de l'acuité visuelle,
faite par le professeur Isola, ne présente aucune altération.
Les réflexes tendineux et cutanés, généralement normaux ; mais, lorsqu'elle
eut la grande attaque qui l'obligea à s'aliter, les tendineux rotuliens furent
passagèrement très exagérés.
L'intelligence est claire, la mémoire bonne, les sentiments affectifs normaux,
et la volonté énergique. D'un caractère assez variable, triste et contrariée quand
elle a de fortes attaques, elle accepte avec résignation, depuis sept mois, son
repos au lit ; et elle ne doute pas de sa guérison, au moins, quant à la vie.
De temps en temps la malade accuse un malaise stomacal, et parfois des
nausées et des vomissements précédés d'hémicranie.
Quelques rares fois, elle souffre d'attaques de dyspnée angoissante, d'une
durée de quelques secondes, pendant lesquelles elle porte les mains au cou
et pousse des gémissements de terreur, déclarant, après qu'elles sont passées,
qu'elles lui inspirent beaucoup de crainte. Ces attaques augmentent de nombre,
jusqu'à cinq par jour, quand elle est très attaquée par sa maladie habituelle,
et semblent tenir à la paralysie rapide et passagère des muscles inspirateurs.
Dans les périodes d'amélioration des parésies musculaires, ces crises dyspnée z
ques ne se présentent point; dans la période menstruelle, elles sont toujours
plus fréquentes. ,
PARALYSIE MYASTHÉNIQUE 273
Les appareils circulatoire et génito-urinaire sont normaux. L'urine ne
contient pas de sucre, ni d'albumine, ni ne révèle rien d'anormal.
La température est également physiologique.
En résumé, notre malade souffre d'une maladie qui, précédée et ac-
compagnée d'hémicranie, avec troubles gastriques, débuta par une oph-
talmoplégie externe unilatérale, partielle et incomplète, qui devint bien-
tôt double, totale et plus ou moins complète, avec ptosis symétrique, les
muscles sphincter de l'iris et accommodateur restant toujours indemnes :
ensuite cette paralysie s'étendit aux muscles innervés par la protubérance
et le bulbe, à l'orbiculaire des deux paupières, à l'orbiculaire des lèvres,
aux muscles de la mastication, de la langue, au voile du palais, aux pha-
rynx ; et finalement, aux muscles innervés par la moelle, ceux du tronc et
des extrémités ; toutes ces paralysies s'aggravaient avec l'exercice et
s'amélioraient avec le repos, ayant plus souvent le caractère d'une myas-
thénie que d'une paralysie ; au début, ces aggravations et ces améliorations
étaient périodiques, puis elles devinrent rémittentes et enlin continues,
avec de légères oscillations, soit dans le jour, soit périodiquement.
Pas d'altérations des facultés cérébrales, ni sensorielles, ni sensitives;
pas de troubles à la vessie, ni au rectum; pasde signes d'atrophie muscu-
laire, ni de réaction électrique de dégénération, si ce n'est quelques
muscles avec de la réaction myasthénique ; pas de modifications im-
portantes des réflexes tendineux, ni cutanés, mais des attaques de
dyspnée angoissante, rapides et passagères, qui causent de l'effroi au pa-
tient, par parésie des muscles respiratoires ; c'est-à-dire, rien que des
symptômes de caractère purement moteur, dont la particularité est qu'ils se
manifestent quelquefois à la suite d'exercices, ou que, s'ils se manifestent t
spontanément,- l'exercice les aggrave et le repos les améliore toujours.
Cette maladie rentre évidemment dans le cadre du diagnostic paralysie
my({sthénir¡ue ; il n'y manque que la parésie des muscles de la nuque, qui,
depuis l'observation d'Erb, a toujours été signalée dans la plupart des
cas publiés.
Un tableau ainsi complet de la maladie, observée déjà en son plein
n'en développement, n'offre pas de difficultés pour le diagnostic ; mais
il est pas de même quand elle commence il peine, comme dans notre
cas.
Nous devons, par conséquent, entrer dans des considérations sur son
mode de début et sur son diagnostic différentiel à cette période.
Notre cas a débuté, comme la plupart de ceux publiés, par une ophtal-
moplégie externe partielle, unilatérale, qui est devenue bientôt totale et
bilatérale, ne présentant jamais d'ophtalmoplégie interne; d'autres cas
274 DE LÉON
ont commencé par la fatigue, la parésie et la paralysie des muscles
innervés par le bulbe et la protubérance, et d'autres, enfin, par les mus-
cles du tronc et des extrémités. Nous pouvons donc accepter une forme
de début ophtalmoplégique, une autre bulbo-prolubérantielle. et une
autre spinale.
En des cas très rares l'évolution a été aiguë, en d'autres subaiguë, et
en d'autres chronique.
La forme ophtalmoplégique doit être distinguée de la migraine ophtal-
moplégique, en premier lieu, et ensuite de toutes les ophtalmoplégies.
La forme bulbo-protubérantielle, de la paralysie bulbaire progressive
de Duchenne et de la paralysie pseudo-bulbaire de Lépine.
La forme spinale, de la neurasthénie spécialemenl, et de l'atrophie
musculaire d'Aran-Duchenne.
Migraine ophtalmoplégique ou paralysie récidivante DU nerf moteur
oculaire commun. Elle peut avoir de commun l'hémicrânie et la para-
lysie consécutive, et l'amélioration et la répétition des attaques; mais
dans cette maladie l'hémicrânie est généralement plus tenace et de plus
longue durée, et l'apparition de la paralysie coïncide plus précisément
avec la cessation de la douleur; la douleur est plus intraoculaire et pé-
riorbitaire et du même côté que la paralysie consécutive ; la paralysie du
nerf moteur oculaire commun est totale et pas seulement externe, comme
dans la paralysie myasthénique, ce qui est un signe de grande valeur (1) ;
elle est toujours unilatérale (2) ; d'ordinaire elle est accompagnée d'hy-
poanesthésie ou d'anesthésie dans les régions innervées par la branche
ophtalmique et maxillaire supérieure du trijumeau ; elle se complique
très rarement avec la paralysie de la 4e et Ge paire, comme le fait com-
munément la paralysie myasthénique ; et enfin, le repos et la l'aligne
n'ont pas l'influence très prononcée que nous avons signalée. Mon pro-
cédé, expliqué antérieurement, pour découvrir cette influence, en lais-
sant en repos, non seulement les muscles élévateurs oculo-palpébraux,
mais aussi l'orbiculaire, me paraît très efficace. Il suffit de donner au
patient un livre à lire, qui l'oblige à diriger la vue par en bas durant
3 à 5 minutes, pour observer aussitôt cette influence notable dans le cas
de paralysie myasthénique.
(1) Quelques auteurs, en se fondant sur des observations, avec ophtalmoplégie
externe seulement, non suivies d'autopsie, admettent une origine nucléaire pour la
migraine ophtalmoplégique ; mais tous les cas suivis d'autopsie étaient d'origine La-
silaire et présentaient la paralysie totale du moteur oculaire commun. Ceci s'accorde
avec mes observations cliniques. (Hevista Médica de l'Uruguay, Jacqueca oftalmo-
plégica (Isola Y de LÉON. - 1901).
(2) Bechterew cite un cas d'ophtalmoplégie bilatérale, [seulement il est accepté
comme douteux (OpPENHEtM, Die mya.slenische Paralysie, p. 156).
paralysie myasthénique 275
Autres opiitalmoplégies. - La polyel1céphalite supérieure hémorra-
gique de Wernicke, qui pourrait se confondre avec la forme aiguë,' a un
début apoplectique, où elle s'accompagne de phénomènes généraux
graves, céphalée, vomissements, tendance irrésistible au sommeil, phéno-
mènes bulbaires, parfois delirium tremens et se termine généralement par
la mort. '.
Les ophtalmoplégie subaiguës d'origine infectieuse (diphtérie, pneumo-
nie, polynévrite, etc.), toxique (alcool, nicotine, plomb) ou dyscrasique
(diabète, etc.), généralement curables, et celles très rares par paralysie in-
fantile, se distinguent par la notion de cause, les symptômes concomitants
et par le manque d'oscillations et l'influence de l'exercice et du repos.
La polyencéphalite supérieure chronique, par son évolution progressive
ou son état stationnaire, et quand elle envahit les noyaux bulho-prot.ubé-
rantiels, par les signes d'amyotrophie et les modifications respectives des
réactions électriques, et toujours par le peu d'influence de l'exercice et du
repos.
Les ophtalmoplégie tabétiques, au début parcellaires, et ensuite plus
ou moins totales, avec ptosis, sont toujours accompagnées de myosis, ou
du signe d'Argyll-Robertson, ou d'ophtalmoplégie interne et d'autres si-
gnes tabétiques (troubles sensitifs, abolition de réflexes, signe de Romberg,
etc.).
Les opiitalmoplégies syphilitiques, par lésion encéphalique ou basilaire,
en dehors des données anamnestiques et des symptômes concomitants,
s'associent d'ordinaire à des troubles pupillaires, et ne présentent pas le
caractère particulier des myasthéniques.
Dans un cas de goitre exophtalmique, j'ai vu un ptosis double paralyti-
que, qui disparut complètement avec l'amélioration de la maladie princi-
pale : elle ne se prêtait point à l'influence de l'exercice et du repos.
Les ptosis hystériques uni ou bilatéraux, sont généralement spasmodi-
ques, et d'autres paralysies oculaires hystériques, très rares, des mouve-
ments conjugués, paraissent se réduire aux mouvements volontaires, et
non aux automatiques ou réflexes : elles sont accompagnées de stigmates
caractéristiques.
Les tumeurs cérébrales, spécialement basilaires, qui produisent des
ophtatmoptégies, occasionnent aussi des troubles sensoriels et sensitifs,
et se distinguent très clairement par leurs symptômes généraux; cépha-
lalgie, vomissements sans nausées, vertiges, torpeur intellectuelle, lenteur
du pouls et en particulier oedème papillaire.
. La paralysie bulbaire progressive se distingue facilement de la forme
bulbaire, par son évolution continue et la présence d'atrophie musculaire
et la réaction de dégénéralion, oulre que la paralysie de la langue excède
27G ' DE LÉON
celle des masticateurs, et que d'ordinaire elle n'atteint pas le facial supé-
rieur et les muscles oculaires. La psezcclo-b2clbccire, pour être en général
d'une double origine apoplectique, chez les personnes d'âge mûr, et par
l'exagération des réflexes tendineux et massétérique, en dehors des symp-
tômes cérébraux.
La neurasthénie a de commun, avec la forme spinale, la fatigue ou as-
Ihénie des extrémités ; mais, dans la première, l'asthénie non seulement
n'est pas influencée favorablement par le repos, mais elle est plus intense
le matin, au réveil ; elle a des symptômes propres et manque de quelques-
uns qui caractérisent la myasthénie, tels que la dysmassésie et la dyspha-
gie provoquées par la mastication et la déglutition.
L'amyotrophie d'Aran-Duchenne se développe chez des sujets plus âgés;
elle commence généralement parles petits muscles des mains, présente
des contractions fibrillaires, des atrophies musculaires, des modifications
électriques et des déformations spéciales (mains de singe, etc.).
En terminant, j'ajouterai que la malade, objet de cette communication,
suit actuellement le traitement suivant : repos le plus complet possible ;
galvanisation centrale 2 m. A et 10' il 1 : i' ; alimentation substantielle,
semi-solide; repas interrompus fréquemment par des périodes de repos,
pour éviter la dysmassésie; et des toniques généraux. '
Conclusions.
1° La paralysie myasthénique est un élat morbide - entité ou syn-
drome- cliniquement défini.
2° Par la localisation de ses premiers symptômes, elle peut être de
forme ophtalmoplégique, bulbo-prolubérantielle ou spinale; et par son
évolution, aiguë, subaiguë et chronique.
3° Elle peut se diagnostiquer dès sa période de début.
4° Le caractère particulier de l'asthénie, provoquée ou aggravée rapide-
ment par l'exercice et améliorée par le repos, est d'une grande valeur
diagnostique.
1° Dans le ptosis myasthénique, il convient de mettre en repos non
seulement le releveur perpébral et oculaire, mais aussi l'orbiculaire, selon
mon procédé, pour observer clairement l'influence favorable et rapide du
repos.
6° Le repos général et local des organes attaqués est jusqu'à présent le
traitement le plus efficace.
HOSPICE DE LA SLPI;'T1t11;tiE
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
. PARALYSIE DES NERFS CRANIENS D'UN COTÉ
' ET
, DÉFORMATIONS OSSEUSES MULTIPLES
D'ORIGINE probablement HÉRÉDO-SYPH1LITIQUE tardive,
PAR
M. ROSE, ,
Interne des hôpitaux.
Observation
Le nommé Belb... Gaston, âgé de 33 ans, sellier, vient consulter, en novem-
bre 1903, à la clinique des maladies nerveuses à la Salpêtrière pour une para-
lysie faciale et des paralysies oculaires situées l'une et l'autre du côté droit.
La première chose qui frappe chez ce malade, sont les déformations multiples
qu'il présente aux membres tant inférieurs que supérieurs.
Le malade- présente du côté gauche un genu valgum des plus accentués, qui
le force à prendre au repos la position banchée sur le côté correspondant,
position pendant laquelle le pied ne touche, malgré tout, le sol que par sa
pointe. C'est encore le raccourcissement du membre occasionné par cette défor-
mation qui fait prendre au malade une démarche spéciale, consistant en une
boiterie intense ressemblant jusqu'à un certain point à la démarche en canard
de la luxation congénitale de la hanche.
A la palpation on constate que ce genu ¡)algllm est dù à une incurvation du
fémur à concavité externe.
Au bras gauche, raccourcissement considérable dû à une incurvation de
l'humérus, faisant en dehors de l'épaule une forte saillie angulaire en arrière.
Enfin, au niveau de l'avant-bras droit, nouvelle incurvation rappelant l'aspect
de la fracture en bois vert, et dont la concavité est tournée en avant.
D'ailleurs à y regarder de plus près on constate d'autres déformations, qui
pour être moins saillantes n'en ont pas moins leur intérêt :
Ainsi il existe une exostose en dessous de la tubérosité tibiale interne droite,
et une autre au niveau de la malléole interne gauche.
De même, exostoses nettes, saillantes au niveau des articulations métacarpo-
phalangiennes des deux doigts auriculaires.
Pour en arriver aux troubles nerveux qui ont amené le malade à consulter,
disons qu'ils ont débuté en septembre 1902 par des maux de tête très violents
siégeant au vertex et la nuque, survenant surtout le jour, moins forts la nuit,
et qui n'ont pas discontinué jusqu'au moment de la consultation.
278 rose
Eu même temps il a commencé voir double et, pour voir clair, il était obligé
de fermer l'oeil droit.
Lui-même n'avait pas remarqué l'existence chez lui d'une paralysie faciale,
lorsqu'en avril 1903 son médecin l'en avertit.
Par contre, il avait constaté que le côté droit de la face était devenu insen-
sible.
Depuis 6 mois, enfin, sa vuix est devenue enrouée, bitonale.
Jamais il n'y eut aucun phénomène morbide du côté des membres.
Il existe chez ce malade des signes de paralysie motrice et sensitive de la
majorité des nerfs crâniens du côté droit.
D'ahord une paralysie faciale du type périphérique avec atteinte du facial
supérieur. La langue est tirée obliquement, la pointe déviée à droite.
Du côté des yeux on constate une paralysie de la VIe paire droite, du nys-
lagml1 bilatéral : aucune lésion du fond de l'oeil, pas de troubles des sphinc-
PARALYSIE DES NERS CRANIENS D'UN CÔTÉ 279 la
ters iridiens. Il persiste un peu de diplopie, mais seulement Ù l'examen
(Dr Dupuy-Dutemps).
Le voile du palais ne se soulève qu'à droite dans les efforts de phonation,
et il arrive au malade d'être pris de toux pendant la déglutition et de rejeter
des particules alimentaires par le nez.
Il n'existe pas de paralysie de la langue, mais son côté droit est manifeste-
ment atrophié. Le sterno-cléido-mastoïdien et le trapèze droits se contractent
bien, mais ils sont, parfois, le siège de contractions fibrillaires rapides. Les
muscles adducteurs du maxillaire inférieur (masséter, ptérygoïdiens) sont in-
demnes.
Du côté du larynx, on note une paralysie totale de la corde vocale droite,
qui dans les efforts de phonation reste immobile en position médiane. De
plus il existe une luxation partielle du cartilage aryténoïde droit, suite de pé-
richondrite ou d'aplatissement latéral (Dr Cartaz). La sensibilité de l'organe est
bien conservée.
L'examen de la sensibilité de la face révèle une hypoesthésie très marquée
de tout le côté droit, hypoesthésie que présentent également les muqueuses.
Ainsi le réflexe cornéen est aboli à droite, la moitié droite du voile du palais
et du pharynx sont insensibles, et on ne peut de ce côté provoquer le réflexe
pharyngien, taudis qu'on le trouve normal à gauche.
Le côté droit de la langue est insensible tant aux excitations s'adressant à
sa sensibilité générale, qu'à celles s'adressant à la gustation.
Il n'existe pas d'amblyopie ni d'hémianopsie droite; mais l'examen du nez
révèle une imperméabilité relative des fosses nasales à droite, due à une forte
déviation de la cloison (épaississement). L'audition est compromise, à droite,
à un très haut degré. On trouve il est vrai une dépression tympanique avec
traces d'otite moyenne ancienne, mais la perception osseuse est également
presque nulle et le malade est fréquemment sujet à des vertiges, avec tendance
à la chute en arrière ou en avant.
Le pouls bat un peu vite à 116, mais il n'existe pas de crises, de palpitations.
La respiration est normale.
Pour nous résumer, nous pouvons dire que sauf, la 1, Il IIIe IVe et
XIe paire (bi-musculaire), tous les nerfs crâniens du côté droit sont
atteints, chez ce malade, par le processus morbide.
Ces troubles nerveux, vu leur étendue, ne peuvent être rattachés qu'à
une compression des divers troncs nerveux; une lésion centrale d'abord
ne serait pas aussi strictement unilatérale, ensuite elle devrait prendre
presque toute la hauteur du bulbe et de la protubérance. En outre cette
compression ne saurait être due qu'à une tumeur, à unepachyméningite
basilaire ou à des exostoses.
En faveur de l'hypothèse d'une tumeur, plaiderait ce fait que lors d'une
ponction lombaire pratiquée au mois d'avril, la pression du liquide cépha-
280 Roue
lo-rachidien semblait être assez forte et que nous n'y avons pas trouvé
d'éléments cellulaires.
Mais d'un autre côté l'absence de compression des nerfs optiques, la
marche de l'affection qui semble arrêtée depuis quelque temps, grâce au
traitement par la liqueur Van Swieten, qui a fait disparaître complète-
ment les céphalées, nous fait incliner vers le diagnostic : pachy-ménin-
gille basilaire ou exostoses spécifiques. -
Mais le malade affirme n'avoir jamais eu la syphilis (ni chancre, ni
roséole, ni plaques muqueuses) et on ne trouve, à l'examen, aucune trace
de chancre. Le malade est marié, a un enfant sain de corps, et sa femme
n'a jamais fait de fausse couche.
Reste l'hypothèse d'une syphilis héréditaire. Malheureusement il est
impossible de savoir si le père a été spécifique, le malade ayant perdu
ses parents, tout jeune.
Les renseignements fournis par les tantes du malade, nous apprennent
seulement que le père est mort de delirium tremens à l'âge de 32 ans, et
la mère succomba à une méningite ou à une affection cérébrale, accom-
pagnée avant la mort d'épistaxis abondantes. Elle était âgée de 29 ans.
Elle avait donné le jour à 4 enfants : 2 filles, dont l'une est morte de
fièvre typhoïde à 18 ans, et 2 garçons. Entre la 2° et la 3e enfant, elle
fit une fausse couche.
Quand on recherche chez notre malade les tares classiques de la spéci-
ficité héréditaire, on ne trouve ni front olympien, ni crâne natiforme, ni
tibias en lame de sabre, ni dents d'Hutchinson typiques. Mais les dents
sont mal implantées, défectueuses et les incisives inférieures présentent
une entaille jaunâtre et arrondie.
Sauf peut-être la mort prématurée de la mère d'une affection cérébrale,
à l'âge de 29 ans, nous ne trouvons donc aucun signe permettant d'affir-
mer une infection syphilitique transmise par les parents.
Mais celle-ci est cependant rendue probable par l'existence d'un épais-
sissement de la cloison des fosses nasales, par l'existence d'une périchon-
dri te ancienne du cartilage aryténoïde droit, par la pachyméningi te, et
enfin par les déformations osseuses des membres, que nous voudrions y
rattacher.
Voici comment celles-ci sont survenues :
Le malade a commencé à marcher vers la fin de la première année. A
l'âge de 18 mois il tombe, et à partir de ce moment il marche mal, parce
que sa jambe gauche se déforme, malgré le port d'un appareil orthopé-
dique.
A 8 ans, il tombe d'un pommier, et se déforme le bras gauche.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S.1L1·I : TItILItF.
T, XVII. 11. >. w ? Il
DEFORMATIONS OSSEUSES
(Rose.) J
A. Bras gauche. - 13. Avant-bras droit
C Genou gauche. - D. Genou droit.
Nouvelle Iconographie DE la SALI'ÊTItIt.RE.
T. XVII. Pl. XXXIX
DÉFORMATIONS OSSEUSES
(Rose.)
PARALYSIE DES NERFS CRANIENS D'UN CÔTÉ zizi
Enfin à l'âge de 13-14 ans il se déforme l'avant-bras droit, en se bat-
tant avec un camarade.
Sauf la chute du pommier, les traumatismes responsables de ces défor-
mations semblent avoir été légères, et celles-ci peuvent être rattachées à
un défaut de résistance du tissu osseux. Pour le genu valgum, il ne
s'agissait certes pas d'une fracture, l'enfant ayant continué à marcher,et
la radiographie montre qu'il s'agit d'une déviation de l'extrémité infé-
rieure du fémur en courbe douce et régulière, présentant du côté de la
convexité un éperon insignifiant, qui est probablement une exostose.
La radiographie de l'humérus gauche nous montre au contraire une
déformation en angle droit qui rend possible l'hypothèse d'une fracture.
Quant à l'avant-bras droit, la radiographie nous fait voir que la défor-
mation est uniquement constituée aux dépens du radius, qui présente une
déformation en S. (Pl. XXXVIII.)
La radiographie nous donne encore d'autres renseignements. Nous
voyons que le condyle fémoral externe droit est réduit de volume, que
l'exostose' de la face interne du plateau tibial gauche est unciforme,
qu'à son niveau le cylindre d'os compact manque, et que tout le plateau
tibial, plus transparent que normalement aux rayons Roentgen, est le
siège 'd'une ostéite raréfiante. (Pl. XXXVIII.)
Plus intéressant est l'image radiographique des mains. Nous y retrou-
vons les mêmes lésions d'exostose et d'ostéite raréfiantes, surtout locali-
sées aux doigts ; seuls parmi les métacarpiens, les 2e et 5° à gauche et le
te à droitesont atteints. (Pl. XXXIX.)
Les phalanges des auriculaires présentent des lésions avancées d'ostéite
raréfiante, les phalangines sont moins prises et les phalangettes sont
indemnes.
Sur les autres doigts, ce sont plutôt les exostoses qui prédominent,
déterminant l'élargissement des osselets ; mais leur transparence est éga-
lement augmentée par endroits.
Alors que l'existence d'exostoses syphilitiques au niveau du tibia et de
la malléole sont habituelles, la présence de lésions spécifiques des os de
la main sont une rareté, de sorte que l'on pourrait être tenté de les con-
sidérer comme dues à un rachitisme tardif. Mais celle hypothèse qui ne
peut s'étayer sur la présence d'aucun autre stigmate rachitique nous sem-
ble devoir être rejetée, et l'analogie des lésions digitales avec les lésions
tibiales doit faire admettre pour les deux une origine syphilitique com-
mune. La tuberculose doit être rejetée pour les mêmes raisons.
L'histoire de ce malade nous a paru valoir la peine d'être rapportée.
Elle est intéressante à plusieurs points de vue : d'abord par la localisation
XVII i is
282 rose
strictement unilatérale et l'extension des lésions nerveuses intra-crànien-
nes, ensuite par les déformations multiples présentées par le malade et
que la radiographie permet d'attribuer à leur vraie cause, enfin vu la
rareté des ostéopathies spécifiques digitales.
Qu'il s'agisse de lésions spécifiques, et uniquement spécifiques, ceci ne
saurait faire de doute pour nous. La disparition immédiate des céphalées,
l'atténuation légère, il est vrai, de la paralysie faciale, par le traitement
spécifique y apportent encore un sérieux appoint.
Le malade ne' semblant pas avoir acquis la syphilis; malgré l'absence
des stigmates classiques de l'hérédo-syphilis et d'antécédents héréditaires
nets, et vu la malléabilité osseuse existant chez lui dès l'enfance, nous
pensons que ce malade est atteint d'accidents osseux et nerveux d'origine
hérédo-spécifique.
NOUVELLE ICO¡';OGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XVII. PI. XL
MALFORMATIONS OSSEUSES
(A. Cange )
A. Avant l'opération. - B. Après l'opération.
DÉFORMATIONS SINGULIÈRES ET SYMÉTRIQUES
DES
AVANT-BRAS ET DES MAINS
RÉSECTIONS ORTHOPÉDIQUES. - GUÉHJSON
par
A. CANGE,
Chargé de cours à l'Ecole de médecine d'Alger.
OBSERVATION.
Le nommé Mouloud ben S'reir, jeune indigène de dix-neuf ans, né à Sidi-
Aïch, près de Bougie, et demeurant à la Galle, entre à l'hôpital d'Alger, le
14 juillet 1903 pour des déformations siégeant sur les deux membres supé-
rieurs. (PI XL,XLI,XLII).
Son père et sa mère sont encore vivants et jouissent d'une parfaite santé ; sa
mère à eu huit enfants ; il naquit le deuxième; le premier est décédé très jeune
d'une affection indéterminée; quant aux six autres, ils se portent très bien. Aucun
membre de sa famille ne présente à sa connaissance d'infirmités ou de difformi-
tés corporelles.
A l'âge de 3 ans, il aurait été atteint de variole grave ( ? ), et, à la suite de
cette affection, seraient apparus aux coudes et aux poignets des phénomènes de
suppuration qui auraient persisté pendant six mois environ. Il fut soigné selon
la coutume indigène, par de longues aiguilles rougies au feu, enfoncées profon-
dément dans les masses musculaires. Il présente en effet sur la face postérieure
des deux coudes et au niveau des poignets, deux ou trois petites cicatrices gau-
frées, non adhérentes, résultant de ce mode de traitement. C'est à partir de ce
moment, lentement, progressivement, que se sont installées les déformations
que nous allons décrire.
Depuis, Mouloud a toujours joui d'une excellente santé ; il y a 8 mois il a été
atteint de chancre simple suivi d'adénite inguinale gauche suppurée.
Examen du malade. - I. Bras. - Au niveau des bras nous ne constatons au-
cune altération d'iniquement appréciable, bien que les radiographies que nous
avons pu obtenir semblent indiquer de légères modifications dans la confor-
mation de l'extrémité inférieure des humérus, surtout de celui du côté droit.
II. Avant-bras. - Avant-bras gauche : L'avant-bras gauche est infléchi et
décrit dans son ensemble une courbure allongée à convexité antéro-externe.
La déviation est encore accrue par la subluxation postéro-externe de la main ou
plus exactement par la rotation de son bordinterne en arrière et en dehors, de
284 C\NGE
sorte qu'il existe immédiatement au-dessus du condyle carpien une dépression
assez profonde.
La radiographie confirme et précise du reste le sens et la cause des déforma-
tions. Elle montre que : 1° le radius décrit une courbe à grand rayon qui inté-
resse toute la longueur de la diaphyse ; 2° l'extrémité inférieure du radius est
obliquement taillée en bas et en dehors, de sorte que sa facette articulaire car-
pienne regarde presque directement en dedans ; 3° le cubitus est également inflé-
chi dans son quart inférieur (PI XL, XLI, XLII).-
Au point de vue fonctionnel, les mouvements de pronation et de supination
sont pour ainsi dire abolis. Les mouvements de flexion et d'extension sont limi-
tés ; dans l'attitude d'extension maxima l'axe du bras forme encore avec l'axe
de l'avant-bras, un angle de 135°; la flexion ne dépasse pas un angle de 70o.
Avant-bras droit : Du côté droit c'est plus qu'une inflexion que l'on obser-
ve, c'est une véritable coudure à convexité saillante en dehors et en avant et
siégeant à l'union du tiers inférieur avec les 2/3 supérieurs de l'avant-bras. Les
deux axes des parties déviées se coupent à angle droit et la déviation incombe
tout entière au radius. Le cubitus a conservé sa direction normale; son extré-
mité inférieure, en rapport avec la concavité du radius, ne prend aucune part à
l'articulation radio-carpienne dont elle reste éloignée. C'est ce qui ressort net-
tement encore, des épreuves radiographiques. Pronation et supination abolies ;
flexion : 65°, extension ; 1Oo.
III. Mains. - lllain droite : La main droite ne présente pas une conforma-
tion normale et les modifications que l'on y constate sont les suivantes : -.
Le médius est raccourci ; son extrémité unguéale reste située sur un niveau
notablement supérieur à celui des deux doigts voisins ; il est comme rentré dans
la paume. Et de fait, c'est bien au métacarpien qu'il faut attribuer sa diminu-
tion de longueur, car l'articulation métacarpo-phalangienne correspondante est
notablement en retrait sur les articulations métacarpo-phalangiennes contiguës.
La palpation permet encore de constater que la tête du 3° métacarpien est
élargie et présente sur sa face dorsale une volumineuse épine osseuse, une vé-
ritable exostose épiphysaire. Au contraire l'index est allongé.
La radiographie confirme les données fournies par la clinique, en mettant en
évidence : 1° l'allongement du 2e métacarpien dont la configuration générale
est cependant conservée ; 2° le raccourcissement du 3e métacarpien qui est
comme « ramassé » sur lui-même, et dont le condyle, déformé, est aplati et
élargi.
Main gauche : Au niveau de la main gauche s'observent des lésions identi-
ques consistant également en diminution de longueur et en déformation des ex-
trémités articulaires. Les modifications portent ici sur l'index et l'auriculaire.
Le petit doigt est très notablement en retrait sur l'annulaire et représente
comme un petit appendice suspendu à l'angle inféro-interne de la paume de la
main ; son articulation avec le métacarpe est située à deux centimètres au
moins en arrière de la 4° articulation métacarpo-phalangienne.
D'autre part l'index est manifestement plus court, la saillie de sa tête méta-
Nouvelle Icos-ograpijie de 1 Salpêtrière.
T. XVII. Pl. XLI
MALFORMATIONS OSSEUSES
(4. Cange.)
` 1-. }" VII : 1'1 : XLII'
MALFORMATIONS OSSEUSES
(,fl. Cange.)
Membres supérieurs, deux mois après l'opération.
DÉFORMATIONS DES AVANT-BRAS ET DES MAINS 85
carpienne est placée à 1 centimètre 1/2 en arrière de celle que forme la tête du
3° métacarpien.
Ici encore, la radiographie nous montre que le métacarpe est la cause princi-
pale de la déformation, car les 1° et 3° métacarpiens sont beaucoup moins longs
que normalement.
En outre, la tête du métacarpien de l'index du côté droit présente des modi-
fications analogues celles que l'on rencontre sur le métacarpien du médius
du côté gauche (aplatissement et élargissement du condyle).
Nous ajouterons encore que les doigts, et notamment le pouce, ont conservé
le jeu complet de leurs nouvements et que, bien que la force musculaire y soit
diminuée, l'aptitude fonctionnelle n'est pas sensiblement modifiée, ainsi qu'eu
témoigne un spécimen de l'écriture rédigé en français et en arabe et annexé
à la présente observation.
Il n'existe aucune autre anomalie ni difformité.
Op'aoK. L'opération fut pratiquée d'abord sur l'avant-bras gauche, le
20 juillet 1903. Après incision de la peau et séparation de deux tendons, nous
arrivons sur la face externe du radius dont nous réséquons aussitôt un coin à
base externe. A l'aide du davier-gouge nous agrandissons ensuite la brèche
osseuse, de façon à lui donner une étendue suffisante pour qu'après redresse-
ment forcé nous puissions amener le membre dans la rectitude parfaite.
Au cours de notre intervention, nous sommes vivement frappé par la faible
adhérence du périoste, l'aspect blanc mat et l'éburnation de l'os qui ne saigne
pas, l'épaississement du cylindre diaphysaire et le rétrécissement du canal mé-
dullaire rempli d'une moelle grisâtre et comme desséchée.
La déviation osseuse étant corrigée, les extrémités osseuses sont maintenues
en contact par une ligature au fil d'argent, orientée dans le sens antéro-posté-
rieur.
Suture périostique, rapprochement des tendons au catgut et réunion de la
peau au crin de florence ; pansement aseptique, immobilisation dans un ap-
pareil plâtré.
Suites opératoires très simples et apyrétiques. Toutefois nous constatons, dès
les premiers jours, une impotence fonctionnelle absolue du membre opéré ; le
malade ne peut imprimer aux doigts le moindre mouvement et cependant il
n'y a pas de refroidissement ni de troubles de la sensibilité.
Le pansement est renouvelé pour la première fois au bout d'un mois,le20 août
1903. La cicatrisation est parfaite mais la consolidation fait défaut et nous re-
trouvons les fragments dans une situation identique à celle dans laquelle nous
les avions laissés immédiatement après l'opération. La pseudarthrose, le chan-
gement de direction et de longueur des tendons expliquent assez l'impotence
persistante de la main et du poignet.
Nous décidons alors de soumettre le malade au traitement thyroïdien et sur-
tout au massage et aux courants continus, avec immobilisation, pendant l'in-
tervalle des séances, à l'aide d'une gouttière plâtrée laissant libre les mouve-
ments du coude et des doigts.
286 CANGE
Est-ce l'influence de la médication interne, est-ce plutôt le résultat du trai-
tement externe, toujours est-il que l'amélioration fut assez rapide ; un mois
après le début de ce traitement les extrémités osseuses étaient devenues le siège
d'un épaississement, lié manifestement à la prolifération périostique. Au centre
de la tuméfaction, le doigt percevait cependant encore une encoche linéaire
qui ne tardait pas à disparaître à son tour.
La récupération fonctionnelle marchait de pair avec la consolidation osseuse ;
l'opéré qui lors de la levée de l'appareil, ébauchait peine des mouvements
limités, devenait en l'espace de deux mois, capable de mouvements étendus
et d'une puissance musculaire aussi considérable que celle qu'il développait
avant l'intervention.
Dans ces conditions l'intervention devenait possible du côté droit : elle fut
faite sous l'anesthésie générale le 11 novembre 1903.
L'incision fut pratiquée sur la face externe convexe, en dehors du radius et
conduite d'emblée jusqu'à l'os qui fut dépériosté avec soin. Nous excisons aus-
sitôt un angle osseux à hase externe, répondant au point de coudure. Toute
tentative de redressement demeurant cependant impossible, nous fûmes obli-
gés, pour défléchir l'avant-bras de recourir à la ténotomie à ciel ouvert du
tendon rétracté du cubital postérieur. Pour obtenir la correction en rectitude
parfaite, nous dûmes agrandir encore à l'aide du davier-gouge, l'étendue de la
résection en entamant la diaphyse et surtout l'épiphyse radiale. Ce qui nous
engagea en effet à réséquer l'épiphyse de préférence à la diaphyse, c'est que la
condensation du radius diminuait à mesure qu'on se rapprochait du poignet.
Au voisinage de celui-ci, l'os affectait de plus en plus une configuration nor-
male ; il était spongieux, rouge, vasculaire et la lame de tissu compact périphé-
rique ne paraissait pas épaissie.
L'étendue de la résection paraissant suffisante, nous réunissons les deux frag-
ments par une suture en anse pratiquée : i l'aide d'un fort fil d'argent et orien-
tée dans le sens tranversal.
Suites sans incidents. Contrairement à ce que nous aurions pu prévoir en
raison de la résection et du degré de raccourcissement des tendons, l'impotence
immédiate fut nulle ; dès le lendemain l'opéré jouissait de l'entière mobilité de
ses doigts.
Au bout d'un mois la consolidation osseuse était parfaite. Un cal volumineux
englobait les deux fragments; tous les mouvements étaient possibles quoique
notablement affaiblis. Le traitement par le massage et l'électricité était immé-
diatement institué et en l'espace d'un mois, le résultat fonctionnel était aussi
satisfaisant que le résultat orthopédique.
L'amélioration marchait avec rapidité et régularité vers une guérison défini-
tive. Pour arriver à ce résultat, deux mois, dont un d'immobilisation et un de
traitement consécutif, avaient suffi.
Pendant ce temps, le membre du côté gauche devenait le siège de modifica-
tions intéressantes, sans que sa capacité fonctionnelle fut en quoi que ce soit
diminuée ; nous constations en effet que l'extrémité inférieure du poignet s'in-
DÉFORMATIONS DES AVANT-BRAS ET DES MAINS 287
fléchissait sur le bord cubital : cette coudure secondaire était sans doute liée à
la flexibilité du cal encore insuffisamment résistant.
Limmobilisation de l'avant-bras gauche, dans un appareil plâtré fut de nou-
veau instituée et maintenue pendant un mois environ jusqu'à parfaite consoli-
dation.
Le 13 février 1904, notre opéré quittait l'hôpital définitivement guéri.
Deux points sont à retenir dans cette observation ;
1° la nature de l'affection,
2° les résultats de l'intervention.
I. - En ce qui concerne la naturede l'affection, plusieurs hypothèses
peuvent être envisagées.
L'ostéomyélite détermine- parfois de semblables déformations, quand
elle détruit les cartilages de conjugaison et notamment lorsqu'elle atteint
l'épiphyse fertile de l'un des deux os qui constituent le squelette de la
jambe ou de l'avant-bras. L'existence à un moment donné d'accidents
suppuratifs, l'apparition lente et progressive de la déviation à la suite
d'une maladie infectieuse, viendraient encore plaider en faveur de cette
hypothèse. Mais est-il permis de supposer qu'une ostéomyélite de cette
nature, nécessairement grave, ait ainsi évolué sans laisser derrière elle
quelques-unes de ses conséquences habituelles : élimination de séquestres,
hyperostoses diffuses, fistules persistantes, cicatrices déprimées et adhé-
rentes.
La syphilis héréditaire déforme le squelette, mais elle le déforme à sa
façon : la direction générale du membre n'est pas modifiée, l'axe des os
reste le même et l'incurvation est purement apparente. En outre notre
opéré ne présente aucune autre déformation osseuse ni aucun autre stig-
mate d'hérédo-syphilis. Enfin nous n'avons pu trouver traces d'accidents
spécifiques chez ses ascendants.
Onpourrait penser qu'il s'agit de déformations rachitiques. Même dans
cette hypothèse cette observation n'en demeurerait pas moins intéressante
en raison de la localisation, du degré, du siège des déformations. « Rien
n'est plus rare en effet, écrit Kirmisson, que l'existence des déforma-
tions rachitiques du membre supérieur. » Et plus loin il ajoute : « Elles
ont ceci de particulier qu'elles se rencontrent toujours comme expression
symptomatique d'un rachitisme généralisé en coïncidence par conséquent
avec d'autres déformations du squelette. » Ici, les déformations sont
terminales, elles s'arrêtent au niveau du coude ou immédiatement au-
dessus de lui. Les os des avant-bras sont incurvés, leurs articulations
compromises ; la courbure est antéro-externe, or nous apprend encore
Kirmisson : « le plus souvent la convexité de la courbure regarde en
arrière, c'est en un mot l'exagération de la courbure physiologique. »
288 CANGE
Détail important, les os de la main, ou plus exactement ceux du méta-
carpe, sont également intéressés.
Une dernière particularité réside enfin dans la bilatéralité, la symétrie
des lésions pour ainsi dire calquées l'une sur l'autre.
Enfin l'on pourrait songer encore à cette affection singulière, décrite par
Ollier sous le nom de dyschondroplasie et à laquelle Malin a consacré sa
thèse inaugurale (Lyon, 1901). -
IL-Nous sommes intervenu, non pour combattre une infirmité, mais
pour corriger une difformité. Le résultat esthétique est aussi satisfaisant
que le résultat fonctionnel, surtout pour le membre supérieur droit, le
plus déformé. En ce qui concerne le membre supérieur gauche, la pseu-
darthrose, l'impotence musculaire n'ont que momentanément et partielle-
ment compromis le succès de l'intervention.
HOSPICE DE BICLTRE
LABORATOIRE DE M. PIERRE MARIE.
- SUR L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE
D'UNE FORME D'HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE
PAR
A. RYDEL
(de Cracovie).
Depuis que M. Pierre Marie (1) a créé l'entité nosologique de l'hérédo-
ataxie cérébelleuse, c'est-à-dire depuis l'année 1893,le nombre des observa-
tions de cette maladie, suivies d'autopsies, n'a pas considérablement
augmenté. Donc, chaque nouvelle recherche anatomo-histologique mérite
bien d'être publiée, d'autant plus que la question sur les relations entre
l'hérédo-ataxie cérébelleuse et la maladie de Friedreich, question jusqu'à
maintenant non tranchée définitivement, ne peut être résolue que sur la
voie des nombreuses recherches cliniques suivies d'autopsies.
Le cas que nous voulons rapporter présente en outre cet intérêt que,
dans les dernières années, les autopsies de deux malades provenant de
la même famille furent déjà publiées. Il nous paraît donc d'un certain in-
térêt de leur en additionner un troisième.
Il s'agit de la famille Rand ? Nous nous permettons de donner ici
un court résumé de l'observation clinique et de l'examen radiologique du
frère aîné et de la soeur du malade dont nous pûmes examiner le système
nerveux.
François Hand..., père éthylique. Dysenterie et pneumonie dans la jeunesse,
Début de la maladie à l'âge de 33 ans, par des troubles de la motilité des jam-
bes, titubation et changement de la parole, qui consiste dans un retentissement
et dans une hésitation particulière. Douleurs vagues.
Examen de 1888 : Difficulté pour se mettre en marche, impossibilité de
s'arrêter brusquement. Signe de Romberg. Démarche ébrieuse. Réflexes très
' faibles, mais non abolis. Secousses fibrillaires. Retard de la perception des sen-
sations. Diminution d'acuité auditive. Réactions des pupilles bonnes. Secousses
nystagmiformes. Ataxie verbale.
1892. - Aggravation progressive. Chutes fréquentes par manque d'équilibre
(1) Semaine médicale, 1893.
290 RYDEL
etéblouissements. Secousses fibrillaires à l'éminence thénar, à la face et à la
partie externe des cuisses. Mouvements ataxiques aux mèmbres supérieurs.
Sensibilité au contact et au froid très diminuée aux membres inférieurs et abolie
au-dessous du genou ; sensibilité à la piqûre conservée. Signe d'Argyll Ro-
bertson.
1894. - Réflexes rotuliens abolis. Réactions pupillaires à l'accommodation
et à la lumière diminuée. Scoliose dorsale légère.
1897. - Absence complète des clignements, le regard un peu vague, quoi-
que sans strabisme proprement dit.
1900. - Signe de Babinski. Les autres réflexes abolis. Un léger degré de
pied-bot varus. Il existe une atrophie musculaire des extrémités, plus forte à
droite et concernant surtout l'éminence thénar et les muscles interosseux.
Nous avons reproduit cette observation après les travaux de MM. Klippel et
Durante (1), de M. Londe (2), de M. Vincelet (3) et de M. Swistalski (4).
Autopsie (5). - Le cervelet, les pédoncules, la protubérance, le bulbe et la
moelle très petits. Cette dernière diminuée surtout dans le diamètre antéro-
postérieur. Les racines minces, paraissent atrophiées, les méninges de la
moelle épaissies, surtout à la face postérieure. Elargissement de la couche
sons-pie-mérienne de névroglie. Cordons postérieurs : une diminution des fibres
dans la région lombaire et sacrée, qui augmente et se localise exclusivement
dans les cordons de Goll au niveau de la région supérieure dorsale et de la région
cervicale. Une sclérose du cordon de Gowers et du faisceau cérébelleux direct,
qui commence dans la moelle dorsale et peut être suivie jusqu'à la hauteur du
Nucl. XII. Une diminution énorme des cellules nerveuses dans les cornes anté-
rieures ; celles qui restent indemnes sont dans la plus grande partie plus ou
moins atrophiées. Les colonnes de Clarke très altérées, très pauvres en cellules
et en fibres nerveuses. Dédoublement du canal central dans les parties infé-
rieures et obturation dans les parties supérieures. La paroi des vaisseaux épais-
sie. Diminution des cellules du noyau de Goll. Le corps restiforme se colore
moins bien, mais ne présente pas de dégénérescence. Le cervelet ne présente
pas de dégénération, mais est très notablement atrophié.
Mlle Hand... (6), soeur du précédent. Début à 3o ans, par des douleurs dans
le membre inférieur gauche. Démarche difficile, ébrieuse. Tremblement des
membres inférieurs. Signe de Romberg. Réflexes rotuliens conservés. Lenteur
dans les mouvements des bras. Faciès immobile. Parole traînante et larmoyante.
(1) Revue de médecine, 1892, et Semaine médicale, 1892.
(2) Hérédo-ataxie cérébelleuse. Paris, 1895. ,
(3) Etude sur l'anatomie pathologique de la maladie de Friedreich. Paris, 1900.
(4) Nouvelle Iconog. de la Salp., 1901.
(5) D'après : Vincelet, loc. cit., SwITALSKI, IOC. cit.
Ce cas ayant été publié par M. Vincelet sous le titre de Maladie de Friedreich, nous
devons faire remarquer que ce titre était manifestement erroné et que c'est bien d'un
cas d'hérédo-ataxie cérébelleuse qu'il s'agit, ainsi que l'a déjà montré le travail de
M. Switalski.
(6) P. LONDE, ZOC. Cit.
UNE FORME D'HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 291
Douleurs extrêmement violentes dans la région lombaire et les fesses. Troubles
de la sensibilité au niveau des membres inférieurs, réactions pupillaires
bonnes.
Secousses nystagmiformes. Acuité auditive diminuée. Vers la fin de la
vie, contractions tendineuses dans les jambes. Pied en équin direct.
Autopsie (1). - Moelle et bulbe très diminués. Le cervelet plus petit que
normalement. - '.
Diminution.du nombre des cellules et des fibres dans les cornes antérieures,
atropine des cellules persistante. Les colonnes de Clarke dépourvues des cel-
lules et des fibres. Augmentation des vaisseaux dans la substance grise, leur
paroi est épaissie.
Faisceau cérébelleux direct dégénéré dans la région cervicale supérieure.
Faisceau de Gowers dégénéré à partir de la région lombaire. Dans les parties
inférieures on trouve une dégénérescence dans la périphérie du faisceau de
Burdach, dans les parties supérieures une dégénérescence du faisceau de Goll
dans sa partie postérieure. Pas de lésions dans la zone de Lissauer. La subs-
tance réticulaire de bulbe présente une atrophie considérable. Le noyau de
Monakow particulièrement réduit en volume.
Voilà,enfin, l'observation clinique du frère cadet des deux précédents, de Luis
Hand ? que nous citons après MM. Klippel et Durante (2) et 1VLP. Londe (3).
Rien de remarquable dans les antécédents. Début de la maladie à l'âge de 26
ou 27 ans par crampes dans les mollets, fourmillements dans les jambes et par
l'affaiblissement dans les membres inférieurs : il se fatigue vite. Ensuite dou-
leurs dans les reins. Peu à peu apparaissent des troubles de la locomotion :
des oscillations pendant la marche, qui se manifestent d'abord au départ ou
en faisant demi-tour.
Il marchait comme un homme ivre. Puis la parole devient difficile, hésitante
et peu distincte. La vue se brouille par moments complètement et les objets qu'il
fixe dansent devant lui. Sa lèvre supérieure est prise par moments d'un trem-
blement spontané.
Examen en 1891, environ 3 ans après le début de la maladie :
Facies immobile, étonné. Les yeux ouverts et les pieds joints, il ne peut
pas se tenir droit. Signe de Romberg. '
Les réflexes rotuliens plutôt exagérés. Il écarte les jambes en marchant,
mais ne les projette pas, ne les traîne pas, il paraît plutôt les lancer un peu
par un mouvement du bassin, c'est la pointe qui tombe généralement la pre-
mière. Mais surtout perte de l'équilibre, d'où il suit qu'il avance par secousses.
Oscillation latérale des doigts, quand on lui fait étendre la main, les doigts
écartés. Rigidité lors des mouvements volontaires. Secousses fibrillaires ou plu-
tôt choréiformes dans les muscles de la face et particulièrement dans l'orbicu-
(1) A. Thomas et J. Houx, Sur une forme d'héénédo-ataxie cérébelleuse, Revue de
méd., 1901.
(2) Loc. cil.
(3) Loc. cit.
292 RYDEL
laire des yeux; mêmes secousses dans la cuisse, dans la région lombaire et
dans les éminences thénar. Tremblement de la langue tirée. Réflexes rotuliens
exagérés. Crampes et fourmillements dans les mollets. Douleurs lombaires.
Sensibilité tactile et à la piqûre abolie aux jambes et aux pieds ; très diminuée
aux avant-bras et aux mains. En outre on constate une diminution de la sen-
sibilité tactile à la face
Le chaud est reconnu partout; le froid n'est reconnu nulle part, sauf sur
le tronc. Goût et odorat affaiblis du côté gauche. Diminution de l'ouïe il
gauche très notable. Rétrécissement du champ visuel des deux côtés, cepen-
dant plus marqué à gauche. Pas de dyschromatopsie, pas d'altération du fond
de l'oeil.
Réactions des pupilles : à la lumière, abolie de deux côtés ; à l'accommodation,
très affaiblie et elle se produit lentement. Oscillations nystagmiformes des glo-
bes oculaires.
1894. - Scoliose dorsale à convexité gauche. Le malade raidit les jambes
comme sous l'influence d'un effort volontaire. L'abolition du réflexe pupillaire
à la lumière n'existe plus.
Autopsie (1). - On trouve une diminution de volume, très remarquable
de toute la moelle, du bulbe, de la protubérance et du cervelet. Un épaisisse-
ment des méninges spinales et du cervelet. Les racines un peu grêles, mais
d'une couleur normale.
Examen microscopique. - Les parties du tissu nerveux central furent.
conservées et durcies dans un mélange du liquide de Millier et de formol, cou-
pées en séries et colorées par la méthode de Weigert, de Weigert-Pal et de Van
Gieson.
Ce qui frappe avant tout, c'est l'extrême petitesse de la moelle, qui a plutôt
les dimensions d'une moelle d'un enfant que d'un adulte. Mais c'est surtout le
diamètre antéro-postérieur qui est le plus fortement réduit. Par conséquent
la moelle est remarquablement aplatie d'avant en arrière.
Nous nous permettons de présenter un tableau, dans lequel nous donnons à
côté des chiffres normaux, les dimensions trouvées par trois auteurs et celles
que présentaient les coupes de la moelle de Luis Hand... (après le durcissement)
dans les hauteurs analogues :
Il suffit d'un coup d'oeil pour se rendre compte que toutes ces moelles
restent au-dessous des dimensions normales, mais que la différence est plus
marquée dans le diamètre antéro-postérieur. La moelle de Luis Hand... pré-
sente les dimensions les plus petites, fait qu'on serait tenté de mettre en
rapport avec le début plus récent de la maladie chez Luis Hand... que chez son
frère François.
(1) Je saisis cette occasion pour exprimer à mon maître, M. Pierre Marie, mes meil-
leurs remerciements pour m'avoir cédé le matériel anatomique, de même que pour la
bienveillance, qu'il a eu la bonté de me témoigner pendant tout le temps que j'ai
travaillé dans son laboratoire.
UNE FORME D'UÉRÉDO-A'PAXIE CÉRÉBELLEUSE
293
` ? foi4 FUEL
sont réduites de volume, se colorent très intensément, leurs noyaux et leurs
granulations démontrent d'une façon non douteuse qu'elles sont profondément
altérées.
Les colonnes de Clarke sont dépourvues de fibres il \1 très haut degré; on
n'y trouve absolument pas de réseau des libres; ce qu'on voit, c'est une
sclérose qui est parsemée par un certain nombre de coupes transversales des
fibres colorées, lesquelles d'ailleurs sont très minces et font plutôt l'effet des
corps granuleux, que des tubes myéliniques.
Les cellules de Clarke font presque complètement défaut, c'est seulement en
examinant plusieurs coupes qu'on rencontre une ou deux cellules ; et même
alors elles se trouvent dans un état d'atrophie au plus haut degré. Avec ces
lésions tellement prononcées, concorde ce fait que le contour des colonnes de
Clarke, loin de former une saillie pénétrante dans la substance blanche des
cordons postérieurs, est aplati, de sorte que les colonnes sont seulement légè-
rement marquées.
Les cellules dans la base des cornes antérieures ne présentent pas de lésions.*
Les fibres des cornes postérieures apparaissent raréfiées, de même que les
fibres longeantes, les cornes postérieures du côté du cordon de Burdach.
Le canal central est oblitéré dans toute sa longueur et rempli par des cellules
épendymaires. C'est seulement au-dessus du croisement des pyramides qu'il
devient perméable, et alors il paraît élargi et entouré d'une couche formée de
plusieurs rangs de cellules.
Les racines semblent déjà dans les parties inférieures de la moelle être moins
riches en fibres que normalement. Dans les parties plus élevées, cette diminu-
tion devient plus marquée dans les racines antérieures, de sorte que- dans les
régions dorsales supérieures et cervicales elles présentent une raréfaction des
fibres très forte. C'est surtout les fibres fines qui paraissent faire défaut.
Substance blanche de la moelle. - Ce qui frappe au premier coup d'oeil
dans la substance blanche, c'est que même dans les régions qui paraissent tout
à fait respectées par la dégénérescence, les fibres sont d'un calibre très petit.
Cette gracilité des fibres est tellement prononcée, qu'elle donne à toutes les
coupes un aspect tout à fait spécial : d'un côté ce petit calibre saute aux yeux
par lui-même, d'autre part même les parties intactes apparaissent plus claires
que normalement; elles sont d'une coloration grisâtre. Ce fait est encore aug-
menté par la circonstance, que le tissu nerveux se colore dans le cas de Louis
Hand..., très difficilement, et c'est seulement en prenant les plus grandes pré-
cautions que nous pûmes obtenir une coloration utilisable. Les pyramides font
exception à ce point de vue ; elles prennent dans toute leur étendue une co-
loration parfaite, quoiqu'elles aussi soient composées des fibres plus grotesque
normalement : ce fait nous permet de regarder avec certitude la coloration im-
parfaite des autres systèmes comme une altération de la nature chimique de
leurs gaînes myéliniques. En comparant nos préparations avec celles qui pro-
viennent de François Hand..., nous pûmes constater les mêmes altérations dans
la coloration et dans le calibre des fibres.
UNE FORME U'1lÉHIsDW A'CAX1E cÉnÉBELLEUSE 9Q5
Cordons postérieurs. La zone de Lissauer présente dans la région lom-
baire une dégénérescence bien marquée surtout dans sa partie interne et cen-
trale ; tandis que dans sa partie externe, la partie des fibres minces est beaucoup
mieux conservée. Dans les parties plus élevées, cette lésion devient de moins
en moins marquée. Dans les coupes du 8° et 7e segment dorsal, c'est seulement
la partie centrale de la zone de Lissauer qui est raréfiée et au-dessus il n'y a
pas de lésion. Dans les coupes de la région sacrée supérieure et lombaire infé-
rieure on constate une raréfaction bien prononcée dans la zone radiculaire
latérale et moyenne A mesure qu'on étudie les coupes d'une provenance plus
1119. 1, 2 et 3. - Coupes de la moelle de Luis Hand...
296 RYDEL
élevée, cette raréfaction se rapproche du sillon postérieur et disparaît dans le
cordon de Burdach. Ainsi dans le segment L3, on trouve une raréfaction occu-
pant toute l'étendue des cordons postérieurs, sauf les parties avoisinantes, la
substance grise et la périphérie, mais cette raréfaction est plus forte dans le
voisinage du sillon postérieur. Dans les hauteurs dorsales inférieures nous
trouvons une raréfaction très intense dans le voisinage du sillon postérieur,
peu prononcée dans la zone radiculaire moyenne, et faisant tout à fait défaut
dans le voisinage de la substance grise. -
La région D5 ne présente aucune lésion du côté du cordon de Burdach,
tandis que celui de Goll montre une dégénérescence intense, de forme carac-
téristique, et surtout marquée dans les deux tiers postérieurs de ce cordon.
Cette lésion, tout en devenant plus intense, ne change pas d'étendue dans
les régions plus élevées, mais dans les segments Dz3 a pparaît de nouveau
une raréfaction dans la zone radiculaire moyenne. Cette lésion devient de plus
en plus intense, de sorte que dans C,$on trouve outre la dégénération banale
du cordon de Goll, une autre dans le domaine du faisceau de Burdach, qui
occupe surtout son tiers moyen, tandis que la partie périphérique de ce fais-
ceau, de même que les parties rapprochées de la substance grise, et une bande
longeant le cordon de Goll sont moins dégénérés.
Dans les segments cervicaux moyens cette dégénération du faisceau de
Burdach perd de plus en plus en étendue, surtout dans le sens antéro-posté-
rieur; dans les zones radiculaires moyennes et internes réapparaissent de
nouveau, peu à peu, des fibres intactes, elles deviennent de plus en plus nom-
breuses, de sorte que dans les régions cervicales les plus élevées on trouve
outre la dégénération du faisceau de Goll, une autre, moins intense, située dans
la moitié externe du faisceau de Burdach, tandis que l'autre moitié de ce fais-
ceau, celle qui avoisine la corne postérieure, de même que la zone commissu-
rale et la partie périphérique restent tout à fait intactes. Cette dégénération
reste séparée du faisceau de Goll par une bande même de fibres complètement
intactes ; elle est formée visiblement par ces fibres du faisceau de Burdach,
que nous avons rencontrées dans la région dorsale moyenne indemne de toute
lésion.
Cordons antéro-laidi-aux. - Région sacrée supérieure : on trouve ici une
raréfaction qui longe toute la périphérie de la moelle excepté la partie qui est
voisine du sillon antérieur. - Quoique celle raréfaction ne soit pas nettement
limitée, on voit qu'elle devient moins intense vers le centre de la moelle, et
respecte complètement la partie rapprochée de la substance grise. Cette raréfac-
tion s'élargit vis-à-vis de l'angle formé par les cornes antérieures et postérieures
et prend ici la forme d'un triangle dont le sommet est dirigé vers le centre de
la substance grise.
La région lombaire inférieure ne présente aucune différence en comparaison
des régions sacrées, sauf que la raréfaction devient de plus en plus intense,
surtout dans les parties antérieures.
Dans la région lombaire supérieure elle envahit aussi l'espace jusqu'alors
ÆI
°UNE FORME D'UERÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 297
respecté entre le sillon antérieur et la corne antérieure : ici cette dégénération
s'approche immédiatement de l'angle médian de la corne antérieure et paraît
sortir de cet angle. L'élargissement latéral de la dégénérescence est situé un peu
plus en avant que dans les régions précédentes, de sorte que son sommet vise
l'angle latéral de la corne antérieure. La partie postérieure de la dégénération
diminue d'intensité.
Dans la région dorsale inférieure on peut remarquer très distinctement
que la partie de la dégénération qui correspond au faisceau cérébelleux direct,
longe de sa partie postérieure la corne postérieure jusqu'à la substance géla-
tineuse. Dans les cordons antérieurs la dégénération forme une courbe dont une
des extrémités se perd dans le faisceau de Gowers, l'autre s'appuie sur la par-
XVII 19
1 Fig. 4, 5, 6, 7 et 8. - Coupes de la moelle de Luis Hand.
298 RYDEL
tie moyenne de la corne antérieure ; une zone de fibres intactes sépare cette
courbe d'un côté du sillon antérieur et de la commissure antérieure de l'autre
côté de la moitié antérieure de la corne.
La partie postérieure du faisceau de Gowers, la partie élargie, augmente en
expansion dans ce sens que l'espace situé en avant et en dedans du faisceau
pyramidal croisé montre dans cette hauteur une raréfaction.
La forme de ces lésions reste la même dans tout le reste de la moelle dorsale ;
seulement elle augmente d'intensité dans le faisceau de Gowers et diminue dans
le faisceau cérébelleux direct. En outre la raréfaction dans le cordon antérieur
se rapproche de plus en plus de la substance et de la commissure grise, de sorte
que dans les régions dorsales les plus élevées elle occupe tout le cordon anté-
rieur, sauf la partie périphérique.
Région cervicale inférieure. - La raréfaction est devenue plus intense ;
elle occupe toute la zone avoisinante des cornes antérieures et gagne par un
trajet oblique de dégénération l'angle antéro-médian de la moelle. A partir
d'ici la dégénérescence longe la périphérie antérieure de la moelle tout en res-
tant séparée de la substance grise par une mince bande de fibres saines.
Vis-à-vis de l'angle latéral de la corne antérieure elle augmente rapidement
d'intensité et surtout d'étendue pour devenir aussi rapidement dans la partie
postérieure de la périphérie une bande très mince et tout à fait périphérique.
Arrivée aux cornes postérieures cette bande se recourbe en dedans de la moelle,
et occupe la partie juxtaposée de la corne postérieure. La partie située en avant
et en dedans du faisceau pyramidal reste toujours raréfiée et en connexion avec
l'élargissement de la sclérose du cordon de Gowers.
Dans les parties plus élevées de la moelle les lésions restent les mêmes dans
les cordons antérieurs et dans le faisseau de Gowers. Le faisceau cérébelleux
direct présente de plus en plus des fibres saines, de sorte qu'au niveau de G4 ce
faisseau ne présente aucune lésion. C'est seulement d'un côté de la moelle
qu'on trouve une plaque de sclérose périphérique, de forme oblongue, située
immédiatement en arrière de l'élargissement de la sclérose du cordon de
Gowers et laissant libre le reste de la périphérie postérieure de la moelle. A
partir de cette même hauteur la sclérose du faisceau de Gowers devient dans
sa partie antérieure notablement moins intense.
Cette diminution d'intensité de la dégénération continue de façon qu'au
niveau de Ci le faisceau de Gowers montre seulement dans sa partie posté-
rieure une dégénérescence bien nette, tandis que sa partie' antérieure se pré-
sente seulement raréfiée. Par contre la lésion du faisceau cérébelleux direct,
après avoir presque tout à fait disparu au niveau de Ci devient au-dessus de
cette région de nouveau plus intense. C'est ainsi que nous trouvons dans le
segment Ci de nouveau une sclérose tout à fait prononcée de la périphérie pos-
térieure des cordons latéraux, mais qui est richement parsemée d'amas de
fibres saines.
Nous ne sommes pas en état de donner une explication plausible de cette
subite et complète disparition du faisceau cérébelleux ni de la diminution si
UNE FORME D'nÉRÉnO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 299
accentuée de la lésion du cordon de Gowers, ni enfin de la réapparition du
premier et de l'augmentation d'intensité de l'altération du second qui se trouve
dans les segments les plus élevés de la moelle. Ne voulant pas entrer dans le
domaine des vagues hypothèses, nous nous bornons à une simple constatation
de ces faits surprenants.
Dans les segments les plus élevés de la moelle la dégénération des cordons
antérieurs forme une bande-occupant plus que la moitié du cordon. Elle touche
immédiatement à la corne antérieure, en plus elle atteint la commissure blan-
che, dans laquelle elle semble renvoyer une forte quantité des fibres sclérosées
qui paraissent subir ici un entrecroisement avec les fibres analogues de l'autre
côté.
Bulbe. - Au niveau de l'entrecroisement des pyramides, la dégénération
dans le domaine des cordons antérieurs, qui est ici très nettement limitée, vient
d'être repoussée par les fibres pyramidales vers la face interne et antérieure
des cornes antérieures. Elle communique avec la dégénération de la partie la-
térale du bulbe qui occupe ici tout l'espace limité par les pyramides, la subs-
tance grise et le trijumeau ascendant. Ayant gagné ainsi de l'étendue, cette
dégénérescence est devenue moins intense. C'est seulement dans la partie pé-
riphérique, située un peu en avant de la substance gélatineuse du 5e ascend.
qu'elle se présente sous la forme d'une plaque oblongue fortement sclérosée et
qui correspond tout à fait à la position du faisceau de Gowers et du faisceau
cérébelleux direct à cette hauteur.
Dans les coupes passant à la hauteur du noyau de Goll et de Burdach on
s'aperçoit que les fibres situées entre ces noyaux et la périphérie sont raréfiées
(dans le faisceau de Goll beaucoup plus que dans celui de Burdach), mais le
reste des cordons postérieurs ne présente pas de lésions appréciables.
L'espace triangulaire limité par le sillon antérieur, les pyramides et les restes
des cornes antérieures, l'espace dans laquelle on est habitué à voir le trajet du
faisceau longitudinal postérieur (ou dorsal) est très notablement dégénéré.
Les fibres arquées internes sont pâles et très peu nombreuses, les posté-
rieures, font presque complètement défaut. Les fibres arquées antérieures,
quoique mieux conservées, n'ont pas l'air d'être tout à fait indemnes. La
substance réticulaire apparaît dans toute son étendue fortement dégénérée.
Hauteur des olives. - La paroi du 4e ventricule est épaissie. Toute la pé-
riphérie postérieure et latérale montre une sclérose, qui augmente d'arrière en
avant et forme dans son extrémité antérieure une plaque sclérosée, qui a la
forme d'un triangle situé en arrière des olives. Dans la partie dorsale le repli
et la substance réticulaire montrent une sclérose très nette, à l'exception du fais-
ceau longitudinal postérieur qui, quoique un peu raréfié, se découpe nettement
des parties voisines. Nous insistons sur ce fait, d'autant plus que, d'après l'é-
tude de la moelle, on pourrait supposer que le faisceau longitudinal postérieur
montrera une dégénération bien accusée.
Par contre dans sa partie antérieure la substance réticulaire, de même que
les fibres intraolivaires, ne présentent pas de lésion.
300 RYDEL
Les olives, quoique normales, présentent une diminution de l'épaisseur de
leurs parois et surtout une diminution considérable du nombre de leurs cellu-
les. Pour pouvoir exclure tout doute sur ce point nous avons compté dans plu-
sieurs coupes de chaque hauteur, le nombre de cellules chez Luis Hand..., et
chez François Hand..., par comparaison avec des préparations normales. Or
cette numération montre que dans un champ visuel d'un grossissement très
fort, on trouve chez les deux Hand... 21 à 25 cellules, tandis que dans les oli-
ves normales, ce nombre varie de 30 à 40 cellules, ce qui correspond à un ap-
pauvrissement d'un tiers.
Les fibres, qui entourent les olives et celles qui entrent dans leurs circon-
volutions sont très raréfiées. Les pyramides sont parfaitement intactes.
Comme la moitié postérieure du bulbe est principalement le siège des lésions,
c'est aussi dans cette moitié, que l'atrophie du bulbe est la plus marquée. La
largeur (diamètre transversal) du bulbe à la hauteur des olives diminue beau-
coup vers la face antérieure; chez François Hand..., au contraire, tous les dia-
mètres transversaux sont de la même grandeur, de sorte que la coupe a plutôt
la forme carrée au lieu de s'amincir vers les pyramides.
Ainsi le plus grand diamètre transversal qui passe par la moitié dorsale, est
normalement d'une longueur de 18 à 20 millimètres, tandis que chez Luis Hand...
il mesure 15 mm. 1/2. Le diamètre passant par les olives est de 15 millimè-
tres dans notre cas (normalement 15-17).
Les chiffres analogues chez François Hand... sont 15 et 14 millimètres.
Dans les coupes dans lesquelles le corps restiforme est bien prononcé, on voit
que sa partie centrale est fortement dégénérée, ce qui correspond au faisceau
cérébelleux direct. La raréfaction des fibres arquées, la sclérose de la partie
postérieure de la substance réticulaire et du raphé, les lésions des olives et de
leurs fibres, de même que la sclérose du faisceau de Gowers restent les mêmes
que dans les coupes précédentes.
La dégénération du cordon de Gowers peut être suivie jusqu'à l'extrémité
de la protubérance. Les fibres ponto-transversales apparaissent raréfiées et
plus grêles que dans une protubérance normale. Au-dessus de la protubérance,
on ne trouve pas de lésions appréciables.
Le cervelet est beaucoup plus petit qu'un cervelet normal. Son diamètre
transversal est de 82 millimètres au lieu d'environ 100 millimètres. C'est sur-
tout les parties avoisinantes du bulbe et de la protubérance qui, comparées
avec un cervelet normal, apparaissent graciles et petites. Les sillons basaux
sont très profonds. Sur les coupes on peut remarquer une grande profondeur
et largeur des sillons, qui séparent les circonvolutions cérébelleuses. La subs-
tance blanche est plus mince que normalement, en outre ou voit une plaque
\de dégénération située dans le bras horizontal de la substance blanche.
Les cellules de Purkinje, de même que les noyaux, ne présentent pas
anomalies.
En comparant les observations cliniques de ces trois membres de la
UNE FORME D'HÉRÉDO-ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 301
famille Hand..., on est frappé de la grande ressemblance qu'elles présen-
ten t.
Début vers la 30e année, douleurs localisées surtout dans la région
lombaire, secousses fibrillaires dans la même région, la localisation de
troubles de la sensibilité aux membres inférieurs, diminution de l'acuité
auditive, scoliose notée dans deux de ces cas, de même que l'attitude pa-
thologique du pied : tel est l'ensemble des symptômes communs à ces
malades, dont une grande partie, soit par leur localisation, soit par leur
présence seule, donne un caractère individuel à ces observations. C'est
bien un exemple à l'appui des paroles de M. Raymond : « Il semble
que chaque fois qu'une tare héréditaire se glisse dans une famille...... la
maladie porte l'empreinte d'une sorte d'individualité, qui la distingue des
malades semblables, qu'on observe dans d'autres familles (1). »
Mais cette ressemblance devient encore plus marquée, si on compare
les autopsies de ces trois cas.
Dans les trois cas on trouve une extrême petitesse du système ner-
veux central ; dans deux de ces cas, c'est le diamètre antéro-postérieur qui
est le plus touché. Dans la moelle on trouve une ressemblance complète
des lésions : le faisceau cérébelleux direct et celui de Gowers y sont dégé-
nérés, de même que les cordons postérieurs, dans lesquels la lésion porte
principalement sur les cordons de Goll. Les colonnes de Clarke sont pres-
que complètement dépourvues de cellules et de fibres. Les cornes anté-
rieures présentent dans les trois cas une diminution énorme et une
atrophie des cellules et une raréfaction des fibres. Enfin on trouve une
lésion des fibres ponto-transversales, surtout dans leurs parties posté-
rieures et une sclérose de la substance réticulaire. Ainsi toutes les lésions
principales se répètent avec une stéréotypie complète.
Les différences sont très peu considérables : nous avons trouvé une lé-
sion des cordons antérieurs chez Louis Hand... et une raréfaction dans
une partie de la substance blanche du cervelet ; ni cliez son frère ni chez
sa soeur on ne trouve de lésions analogues.
Il nous semble qu'il faut, en présence de ces symptômes cliniques et de
ces données anatomiques, envisager ces trois cas comme appartenant
à une forme intermédiaire entre l'hérédo-ataxie cérébelleuse de Pierre
Marie et la maladie de Friedreich. Le début tellement tardif, la persis-
tance très longue des réflexes rotuliens, les troubles visuels et auditifs,
les troubles de la sensibilité et de la parole très marqués et les phéno-
mènes spastiques, ce sont les signes qui classent ces cas dans l'hérédo-
ataxie cérébelleuse. Ce diagnostic trouve un appui par l'atrophie du
(1) Progrès médical, 1897, p. 85.
302 RYDEL
cervelet, plus ou moins marquée, mais ne faisant défaut dans aucun de
ces cas, par les lésions dans le domaine du bulbe et de la protubérance
et par la dégénération du système cérébello-médullaire de la moelle.
D'autre part l'abolition des réflexes rotuliens dans les stades terminaux
de la maladie, la présence de la scoliose et du pied-bot. ainsi que les réac-
tions pupillaires pas tout à fait abolies rapprochent ces cas de la maladie
de Friedreich. - --
Nous pensons aussi que les lésions dans les cornes antérieures plaident
plus tôt dans le sens de cette dernière.
Des observations semblables de cas intermédiaires entre ces deux
types morbides, sont connues. C'est à cette catégorie qu'appartiennent
les cas de Clarke (1) (2 cas), de l\1argul ies (2) (2 cas), et celui de Menzel (3).
Nous voudrions enfin attirer l'attention sur les lésions des cornes anté-
rieures et par excellence des cellules motrices, qui furent trouvées chez
les trois membres de la famille Hand... Cette sorte de lésion, quoique loin
d'être constante dans les autopsies de l'hérédo-ataxie cérébelleuse et de la
maladie de Friedreich fut déjà signalée par plusieurs auteurs.
Nous les trouvons mentionnées chez Friedreich (4) etchezRutimeyer (5),
Menzel (6) trouve dans le cas du malade R. Sch.... une diminution du
nombre et du volume des cellules ganglionnaires dans toute la moelle.
Mirto (7) signale un amincissement du réticulum nerveux avec atrophie
des cellules : la région dorsale est la plus touchée. Une atrophie des cellu-
les des cornes antérieures put aussi être constatée par M. l3urr (8) et par
MM. Greculees et Parvis (9).
M. Mackey (10) décrivant la même lésion dit qu'elle était surtout pro-
noncée dans le groupe médial de cellules (tout à fait connue dans le cas
de Louis Hand....).
Il suffit de ces quelques exemples pour démontrer que cette lésion,
surtout étant donné le petit nombre des autopsies n'est point une excep-
tion.
Au point de vue clinique nous savons que la. scoliose et l'attitude patho-
logique du pied sont des symptômes banals dans la maladie de Friedreich.
(1) Eleredilary alaxie in tleree brothers. The Brit. méd. Jonrn., Il, 1902.
(2) SUAICG. Dissert. Berlin 1901.
(3) Arch. f. psych., 1891.
(4) Cité d'après Vincelet (Loc. cil.).
(5) Virchow's Archiv., 1883, 1887.
(6) Archiv. f, Psych., 1891.
(7) Giornale de l'Assoc. dei Medici, 1893.
(8) University medical magazine Philadelphia, 1894.
(9) Brain, 1901, I.
(10) Brain, 1898, IV.
UNE FORME D'IiÉRÉDO-ATAX1E CÉRÉBELLEUSE 303
Chez François Hand... existait une atrophie de l'éminence thénar et de
troubles trophiques sous forme d'une chute des ongles.
Des atrophies musculaires au cours de la maladie de Friedreich furent
constatées par Dejerine (1).
Parmi la statistique de 10 cas de la maladie de Friedreich établie par Or-
merod (2), on en trouve au moins six dans lesquels il y avait une atrophie
musculaire due certainement à des lésions médullaires. Hunter (3) trou-
vant une paralysie d'une jambe au cours de la maladie de Friedreich émet
l'hypothèse qu'il s'agissait dans ce cas d'une paralysie spinale infantile qui
a précédé, à l'insu des parents, le début de l'ataxie héréditaire. Batteu (4)
a décrit une famille composée de plusieurs membres, dans laquelle la ma-
ladie de Friedreich était combinée avec une sorte de myopathie.
En comparant ces faits cliniques avec les données anatomiques citées
plus haut, on est obligé de voir une relation entre les lésions des cornes
antérieures et les troubles de la motilité et de la trophicité des muscles.
Loin de constituer une règle dans le développement clinique et dans les
autopsies de l'ataxie héréditaire, ces troubles musculaires et ces lésions
des cellules ganglionnaires nous paraissent être beaucoup plus fréquentes
qu'on l'admet généralement.
(1) C. R. de la Société de biol., 1890.
(2) Brain, 16114.
(3) ltef. Glasg. Med. Journ., V. 54.
(4) liraus. of. the clinical Society of London, 1902.
HOSPICE DE B/CË7'/}E
SERVICE DE M. LE Dr PIERRE MARIE
- ETUDE DE LA RETINE
DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE
PAR
André LÉRI,
Ancien interne des Hôpitaux.
On reste étonné, en parcourant la littérature considérable qui traite des
lésions spinales et des théories pathogéniques du tabes, de constater
quelle part extrêmement petite a été faite dans les recherches à l'anatomie
des nerfs optiques, et surtout des autres parties des voies optiques, dans
l'amaurose tabétique. C'est à peine si quelques auteurs ont rapporté le
compte rendu d'un ou deux examens histologiques, et encore n'est-il
presque jamais question dans ces cas du chiasma, des bandelettes, des corps
genouillés, de la rétine. La rétine entre autres a, jusqu'à ces derniers
temps, passé à peu près inaperçue.
Erb, Gowers, Charcot avaient noté que le processus tabétique débutait
dans les parties périphériques des voies optiques pour gagner progressi-
vement les parties centrales, parfois jusqu'aux corps genouillés et aux
tubercules quadrijumeaux antérieurs. Mais c'est Popolr(1) le premier, en
1893, qui, ayant constaté dans un cas de tabes avec cécité que les nerfs
optiques étaient très petits surtout près du globe oculaire, crut pouvoir
conclure que le début se l'ait par les cellules d'origine des fibres optiques,
les cellules de la rétine.
Moxter (2), en 1895, conclut à son tour de ses recherches, concordantes
avec celles de Popoff, que le début de l'atrophie se fait dans la rétine et
que l'atrophie optique est une affection du neurone périphérique.
Von Michel (3), en 1897, aurait constaté la dégénérescence précoce des
(1) POPOFB, Journal neurologique de Kazan, 1892, no 1 ; D. Zeitschr. f. Nervenheilk.,
1893, p. 270.
(2) MOXTER, D. medicin. Wochenschr., 1895, n, 36 ; Zeitschr r. Klin. Medicin., 1896,
p. 334.
(3) V. Miches, Congrès de Moscou, 1897. Comptes rendus de la Sect. (I'ophlalinol.,
p. 139.
LA RÉTINE DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE 305
cellules ganglionnaires de la rétine que l'on considère comme cellules
d'origine des fibres optiques ; aussi il donne pour cause à l'amaurose du
tabes l'atrophie par trouble de nutrition des cellules ganglionnaires réti-
niennes.
De Grosz (1), en 1898, admet aussi que l'atrophie tabétique est ascen-
dante de 1'oeil,au cerveau et surtout marquée sur les fibres périphériques ;
il admet par suite la théorie de Von Michel, le processus serait une dégé-
nérescence primaire de la substance nerveuse, sans prolifération conjonc-
tive, ayant son point de départ dans la couche ganglionnaire de la rétine ;
cependant les altérations vasculaires syphilitiques pourraient être la cause
de l'atrophie nerveuse « primitive ».
La théorie rétinienne de l'amaurose tabétique reposerait donc surtout,
d'après les quelques recherches qui ont été faites, sur ce que dans l'amau-
rose au début la partie périphérique des nerfs optiques contiendrait
plus de fibres altérées que la partie centrale; bien peu d'auteurs ont
examiné attentivement le rétine elle-même. Or, en admettant que le fait
signalé soit réel, que le nombre des fibres dégénérées diminue dans le
nerf optique en allant de l'oeil au chiasma, ce que nous n'avons pour
notre part jamais constaté, nous ne comprendrions pas la conclusion qu'en
ont voulu tirer les auteurs, à savoir que l'altération primitive siégerait
dans les cel-lmles d'origine des fibres optiques, las cellules ganglionnaires
de la rétine. S'il était vrai que les cellules ganglionnaires sont les pre-
miers éléments altérés, c'est non pas dans la portion périphérique du
nerf, mais dans sa portion centrale, et même dans la portion centrale des
bandelettes, aux environs des centres optiques primaires, des corps
genouillés externes, que l'on devrait trouver le maximum de dégénération ;
il est en effet aujourd'hui bien démontré que, quand une cellule souffre,
c'est aux extrémités deses prolongements,partie ia plus fragile du neurone,
que la dégénérescence commence, la dégénérescence ne suit pas une mar-
che progressive de la cellule à l'extrémité de ses prolongements.
Moeli (2), Holden (3) ont récemment protesté contre le fait admis par
les auteurs précédents et contre son interprétation : ils ont constaté
l'existence d'assez nombreuses cellules ganglionnaires intactes dans l'atro-
phie optique complète; aussi ils croient que l'atrophie des cellules gan-
glionnaires est secondaire à celle des fibres nerveuses; les cellules gan-
glionnaires peuvent d'ailleurs s'atrophier de la même façon après lésion
des extrémités terminales des fibres, après altération du corps genouillé
(1) De Gnosz, Soc. hong. des sc. nature., 10r mars 1898. Clinique ophtalmol., 10 sep-
tembre 1899 et Congrès d'Utrecht, 1899.
(2) MOEL1, 6" Congrès de psych. et de neurol. de l'Allemagne centrale. Halle, 1900.
(3) Holden, Arch. f. Augenheilk., 1899, p. 139 et p. 381. -
306 LÉIiI
externe par exemple; la théorie de l'origine rétinienne de l'atrophie ta-
bétique n'a pas de raison d'être.
Nos recherches sont tout à fait confirmatives de celles de Holden et de
Moeli. Elles sont basées sur l'examen de la rétine de 11 tabétiques amauro-
tiques. Nous avons examiné comme pièce de comparaison les rétines de
4 sujets normaux ou atteints d'affections nerveuses diverses et de 2 sujets
atteints de cécité, mais sans atrophie optique.
Rappelons rapidement quelles sont les différentes couches qui consti-
tuent une rétine normale ; on comprendra mieux ainsi les différences que
nous avons trouvées entre l'état normal et l'état pathologique.
Notions d'anatomie normale. - La rétine se compose essentiellement,
comme l'ont montré les recherches de Ramon y Cajal, de trois étages de
neurones superposés : la superposition de ces neurones serait destinée à
permettre la réduction progressive du nombre des éléments conducteurs
depuis la couche la plus externe, couche des cellules sensorielles, jusqu'à
la couche la plus interne, celle d'où partent les fibres mêmes du nerf opti-
que ; les trois couches qui répondent aux corps des trois neurones sont donc
de moins en moins épaisses de dehors en dedans. La couche des neurones
la plus externe est dite couche de grains externes ou couche granuleuse
externe, ou encore couche des grains de cônes et des bâtonnets : le prolon-
gement périphérique de ces grains est formé par les cônes et les bâton-
nets, portion sensorielle de la rétine, d'où partent les impressions lumi-
neuses. Leur prolongement central reste indivis sur une étendue relati-
vement assez grande : ces prolongements restent parallèles les uns aux
autres et constituent la couche dite des fibres de Henle,Kus, ils s'articulent
avec les prolongements périphériques et panaches de la deuxième couche
de neurones ; la zone d'articulation est la couche plexiforme externe, la
zone qui contient les corps des seconds neurones est dite couche des grains
internes ou des cellules bipolaires : cette couche est beaucoup moins épaisse
que celle des grains externes. Le prolongement central de ces grains se
met en rapport dans une couche dite plexiforme interne avec les pana-
ches périphériques des derniers neurones, les plus internes, cellules
multipolaires ou ganglionnaires, cellules nerveuses d'où partent directe-
ment les fibres optiques. Cette couche est très peu épaisse, formée seule-
ment de quelques rangées de cellules : c'est ainsi que les impressions lu-
mineuses, qui seraient recueillies par 130 millions de bâtonnets et
7 millions de cônes, seraient, par suite de la réduction successive des
conducteurs, transmises seulement par 800.000 fibres optiques (Krause).
Les fibres optiques sont immédiatement sous-jacentes à la zone des cellules
multipolaires et séparées seulement de la membrane hyaloïde du corps vi-
tré par une membrane limitante interne : les fibres optiques augmentent
LA RÉTINE DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE 307
au sur et à mesure qu'on approche de la papille et une épaisse couche de
fibres constitue seule la papille avec les vaisseaux.
Entre ces couches .de neurones sont quelques éléments de soutien
névrogliques, les principaux sont dits fibres de Müller, bien qu'il s'agisse
en réalité de cellules ; ils sont, en effet, très allongés, leurs extrémités
terminales épanouies constituent la limitante externe, immédiatement
sous-jacente aux cônes et aux bâtonnets, leurs pieds étalés et juxtaposés
constituent la limitante interne sous-jacente aux fibres optiques. On
trouve ainsi en allant de dehors en dedans, en suivant le sens de la conduc-
tion visuelle, les 9 couches suivantes :
308 LORI
pas uniquement ; sur une coupe elle peut paraître assez notable alors que
le nerf ne contient plus de fibres, et presque nulle alors qu'il en contient t
encore un bon nombre. L'importance de la couche des fibres optiques est
certainement moins encore proportionnelle au nombre des cellules gan-
glionnaires ; dans certains cas où les cellules étaient encore relativement
nombreuses, les fibres optiques étaient presque nulles (Despr... par
exemple), et les fibres n'étaient pas plus nombreuses dans les points de
chaque rétine où les cellules étaient en plus grand nombre. Il y a là une
relative indépendance qui nous paraît intéressante à signaler pour la re-
cherche de la pathogénie de l'atrophie optique.
Les autres couches de la rétine ne sont nullement indemnes ; les deux
autres neurones sont en partie frappés aussi. Les cônes el les bâtonnets
sont encore visibles dans la plupart des yeux, mais ils sont le plus sou-
vent fondus, estompés, et en même temps ratatinés, revenus sur eux-mê-
mes, moins longs qu'à l'état normal ; leur couche est fréquemment plissée.
Parfois ils semblent disparaître complètement (yeux de llelin ? Rossign..),
et remplacés par des amas qui paraissent être formés des cellules arron-
dies et qui sont sans doute dus a la prolifération de la couche des grains
externes ; mais la rétine est trop fragile, trop délicate, pour que nous
puissions affirmer que dans ces cas il ne s'est pas agi d'un artifice de pré-
paration ; le seul fait que nous puissions affirmer, c'est que le plus sou-
vent les cônes et les bâtonnets persistent, altérés ou non.
La couche intergranuleuse est presque toujours diminuée d'épaisseur
aux dépens des fibres de Henle ; les fibres de Ilenle sont, non seulement
plus courtes qu'à l'état normal, mais souvent aussi plus espacées, et la
couche prend un aspect vacuolaire ; parfois enfin, l'aspect en fibrilles
parallèles caractéristique de cette couche disparaît, la couche de Henle se
confond avec la couche plexiforme externe.
. Les grains internes sont généralement moins nombreux et plus espacés s
qu'à l'état normal ; la diminution parait bien plus sensible que pour les
grains externes ; la couche est parfois nettement subdivisée en deux cou-
ches séparées sur une assez grande étendue par un espace clair ne conte-
nant que des fibrilles (oeil de Melin... par exemple).
La couche plexiforme interne subsiste nettement dans tous les cas ; elle
ne subit pas une diminution relative aussi grande que la couche intergra-
nuleuse.
Les vaisseaux de la rétine ne paraissent pas sensiblement modifiés de
nombre ni de volume ; cependant leur paroi paraît assez souvent épaissie ;
les vaisseaux de la choroïde paraissent épaissis, et certains sont complète-
ment obturés.
En somme, dans la rétine, nous avons trouvé la présence constante de
LA RÉTINE DANS I.'AMAUBOSE TABÉTIQUE 309
cellules ganglionnaires et la présence très fréquente de libres dans la cou-
che des fibres optiques, les deux faits paraissant en partie indépendants
l'un de l'autre et étant en tout cas indépendants de la présence ou de l'ab-
sence des fibres à myéline dans le nerf oplique. Nous avons trouvé égale-
ment souvent la diminution marquée du nombre des neurones moyens,
cellules bipolaires, et l'altération des neurones périphériques, cellules vi-
suelles, avec diminution de longueur et de nombre des fibres de Henle,
et peut-être parfois altération des cônes et des bâtonnets.
Toutes ces altérations ne sont nullement hors de proportion avec celles
que l'on doit s'attendre à trouver après une lésion quelconque du nerf
optique depuis son origine jusqu'à la terminaison de ses fibres, jusqu'aux
corps genouillés par exemple.
La conclusion absolue que nous croyons pouvoir tirer de ces examens
est que le début de l'atrophie tabétique n'est pas dans la rétine, et en par-
ticulier qu'il ne s'agit pas d'une dégénérescence primitive, élective des
cellules d'origine du nerf optique, les cellules multipolaires de la rétine.
Quelques remarques cliniques et ophtalmoscopiques que nous avions
faites antérieurement nous avaient déjà permis de supposer que tel n'é-
tait pas le processus anatomique de l'amaurose tabétique. Nous avions
constaté en effet que, cliniquement, il existe en général une première
phase qui paraît présenter certains caractères d'irritation, d'inflamma-
tions (céphalées frontales vives, sensations d'arrachement des globes ocu-
laires, de tiraillement, etc., phosphènes amenant parfois chez des sujets
présentant des prédispositions congénitales ou acquises des hallucinations
et des troubles psychiques) : ces phénomènes semblent peu en rapport avec
l'idée d'une simple dégénérescence d'un neurone périphérique.
D'autre part, nous avions eu l'occasion d'examiner à l'ophtalmoscope
un petit nombre de cas dans lesquels le processus était de date récente et
pouvait être encore en évolution ; or, dans certains de ces cas nous avions
pu constater au pourtour de la papille de légères irrégularités, des effilo-
chures et des dépôts de pigment, qui semblaient être la trace d'un pro-
cessus inflammatoire, d'une névrite; plus ou moins nets par l'examen à
l'image renversée, tel qu'il se pratique habituellement, ces dépôts et ces
irrégularités devenaient très nets par l'examen à l'image droite qui mon-
tre le fond de l'oeil avec un grossissement beaucoup plus fort : ces carac-
tères ophtalmoscopiques ne cadraient pas non plus avec l'idée d'une sim-
ple dégénérescence primitive des cellules multipolaires de la rétine. Nos
constatations anatomiques confirment en somme ce que la clinique et
l'examen ophtalmoscopique nous avaient permis de prévoir, mais non
cependant d'affirmer.
310 LÉR1
LÉGENDE DE LA PLANCHE XL1U'
1. - Rétine normale (Migne).
On voit distinctement les 9 couches avec leur importance respective. On remarquera
ta faible épaisseur de la couche des cellules ganglionnaires à l'état normal, alors
même (7) que la couche des fibres optiques (8) est très épaisse.
1 . Cônes et bâtonnets.
2. Limitante externe. -
3. Grains externes, corps des lors neurones, cellules visuelles.
4. Couche intergranuleuse.
a) Fibres de Henle.
b) Couche plexiforme externe.
5. Grains internes, corps des 20. neurones, cellules intermédiaires.
6. Couche plexiforme interne.
7. Cellules ganglionnaires ou multipolaires, corps des 3es neurones, cellules d'origine
des fibres optiques.
8. Fibres optiques.
9. Limitante interne.
2. Rétine du labes avec cécilé complète (Despr...).
Dans le nerf correspondant on ne voit plus aucune fibre saine ; or, on peut constater
très nettement que dans la rétine les cellules ganglionnaires (7) sont encore re-
lativement très nombreuses. La couche des fibres optiques (8) est très diminuée,
mais n'a pas disparu.
3. - Rétine du labes avec cécité (Melin...).
La cécité datait de 34 ans ; pourtant le malade avait encore des sensations lumi-
neuses et le nerf optique contenait encore un petit nombre de fibres. Or, la couche
des cellules ganglionnaires est presque aussi épaisse qu'à l'état normal ; la couche
des fibres optiques a au contraire presque disparu. Il exisle d'ailleurs une diminution
manifeste de toutes les couches et notamment les couches des grains internes sont
éclaircies et dédoublées.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XVII. Pl. XLIII
ÉTUDE DE LA RÉTINE DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE
( ? 1. Léri.)
- UNE TENTATIVE D'ANALYSE PSYCHOLOGIQUE
DES-TRAVAUX MANUELS DES ALIÉNÉS,
PAR
N. TOPORKOFF
de l'hospice de l'arrondissement de Kazan.
Nous avons acquis dans le régime du travail un critérium nouveau et
précieux pour juger des changements qui surviennent dans l'état de nos
malades. Tout degré d'attention, de concentration ou de distraction, la
paresse, l'assiduité, le plus ou moins grand savoir faire, l'intelligence ou
l'incapacité au contraire à vaincre une tâche tant soit peu difficile, toute
ces données sont actuellement prises en considération pour apprécier toute
fluctuation survenue dans l'état du malade. Dans les asiles où le régime du
travail est appliqué dans une large mesure et où par conséquent il existe
un vaste champ d'étude pour comparer la manière dont travaillent les ma-
lades affectés de différentes formes cliniques et l'application de ceux qui
sont affligés de divers stades d'un même trouble mental, les données
mentionnées plus haut acquièrent de ce jour une certaine valeur pour la
solution des questions de diagnostic et de pronostic. Mais il est incontes-
table que sous ce rapport-ci le régime du travail prendra une importance
pratique encore plus considérable lorsqu'on accordera plus d'attention à
la psychologie des ouvrages manuels des aliénés. L'humble but de cette
communication est de présenter une tentative d'analyse psychologique de
quelques travaux d'aliénés, voire des broderies dues à la main de femmes
' malades.
Tout aliéniste praticien sait que le travail des aliénés à l'exception
de quelques ouvrages tout à fait intelligents donne pour résultat une
foule de productions inachevées, difformes, absurdes. Il va de soi qu'au
point de vue économique de pareils ouvrages constituent un fait négatif
pouvant troubler les personnes intéressées au côté matériel des aliénés.
MaisReil déjà avait dit : « que dans un établissement psychiatrique le
médecin ne devait pas avoir sur ses talons de financier haussant les épau-
les, prêt à verser des larmes à la vue de chaque touffe de laine abîmée par
312 TOPORKOFF.
le malade et jugeant des qualités intérieures de l'établissement par la crois-
sance de ses revenus. » .
Des productions absolument dénuées de valeur au point de vue écono-
mique offrent un intérêt incontestable au point de vue psychiatrique.
En triant de pareils ouvrages et en étudiant attentivement les particu-
larités d'exemplaires isolés, on arrive à établir certains traits caractéris-
tiques, communs à toute une suite d'ouvrages. D'autre pari, en comparant
les traits caractéristiques, typiques de ces productions, aux modifications
de l'activité mentale que l'on observe chez leurs auteurs, on constate une
certaine constance dans leurs rapports mutuels, on réussit à établir une
espèce de lien de parenté entre les caractères fondamentaux de l'activité
morbide modifiée du sujet d'une part et les particularités caractéristiques
de ses productions de l'autre. Nous savons le rôle actuel de l'écriture dans
le diagnostic des maladies mentales. Une écriture bizarre, l'omission de
syllabes, nous font supposer que nous sommes en présence d'un cas de pa-
ralysie progressive. Si l'on nous présente le manuscrit d'un malade rédigé
d'une façon tout à fait raisonnable, sensée et dont la seule particularité
consistera en ce que certaines lettres et certains mots sont plusieurs fois
contournés d'un trait, nous nous demanderons s'il ne s'agit pas là d'un
cas de psychosis obsessiva...
Il nous semble que si l'on étudie attentivement les ouvrages des aliénés,
on apprend pour ainsi dire à les lire et on finit par relever certains carac-
tères pathognomoniques.
La tentative d'analyser dans cette direction les ouvrages des malades
constitue justement le but de notre travail. Voici les matériaux dont
nous disposons : 1° une broderie due à la main d'une malade affectée
de manie périodique ; 2° deux malades affligées de l'amentia Meynert,
avec leurs ouvrages et 3° des productions dues à un cas de paranoia chro-
nica.
La destination de toutes les broderies reproduites sur ces pages est la
même : elles devaient servir à orner le linge des malades et sont toutes
brodées sur des bandes de toile identiques.
Ces conditions d'homogénéité facilitent la comparaison des particulari-
tés individuelles inhérentes à chaque exemplaire isolé.
Avant de passer à l'examen de ces particularités, nous nous permettrons
de présenter une courte observation des malades auxquelles elles se
rattachent.
OBs. I. - Madame M., une femme de 25 ans, mariée, ayant fait des études
secondaires, est placée pour la troisième fois à l'hospice. Ses diagnostics anté-
rieurs sont : mania, ps. periodica ; dans les deux cas précédents le trouble a
revêtu la même forme. La malade est affligée d'une hérédité très grave. De-
THAVAUX MANUELS DES ALIÉNÉS . 313
puis son enfance elle a manifesté un caractère agité et de la nervosité. Voici les
phénomènes que l'on observe à son troisième internement (le 27 août 1898) :
malade depuis le second jour de sa noce qui eut lieu le 6 mai, la patiente souffre
d'insomnie, elle abuse de l'alcool, se livre à des actes agressifs et manifeste un
érotisme excessif. L'état d'esprit est exalté ; la malade est gaie, insouciante et
se dit satisfaite. ,
Sa parole est hardie, expressive, empreinte par moments d'ironie et d'hu-
mour, accompagnée d'une riche mimique. Son maintien est libre, aisé. Elle
chante des jours entiers, elle saute et danse à la première occasion ; elle écrit
des vers. Elle est coquette, menteuse, libertine, parfois insolente et cynique.
L'obscurcissement de la conscience n'a pas été observé une seule fois. Le som-
meil et l'appétit sont tout le temps satisfaisants. Au commencement de décem-
bre l'excitation cesse brusquement et le 13 décembre la malade étant en bon
état est rendue à la liberté.
Cette courte relation ne nous laisse aucun doute sur l'état maniaque en
présence duquel nous nous trouvons. La broderie reproduite plus bas (fig.I)
a été faite par la malade au moment où elle se trouvait au point culminant de
son état maniaque. Avant de voir ce que cette broderie offre de caractéristique,
nous nous demanderons quels sont les traits caractéristiques principaux propres
à l'état maniaque ? Etat d'esprit exalté, gai, accélération des associations d'idées
et comme signe extérieur des deux, exubérance extrême et variété des mani-
festations motrices. Le maniaque est très vif et très fertile dans tous les genres
de son activité. Il est doué d'une loquacité extraordinaire. Donnez-lui du pa-
pier ; il en couvrira des dizaines de feuilles avec des poésies, des « composi-
tions », etc. Donnez-lui une occupation quelconque et vous ne saurez que faire
de ses innombrables productions ; il les fabriquera comme des biscuits sans se
troubler le moins du monde de ce que la plupart d'entre eux ne soient pas
réussis. En revenant au cas qui nous occupe en ce moment, nous y constatons
aussi cette fertilité et cette exubérance. L'exemplaire reproduit est l'une des
innombrables productions analogues. Tentons d'approfondir quelque peu les
particularités de cet ouvrage. Comme on le sait, l'accélération des associations
d'idées du maniaque marche aux dépens de la profondeur de celles-ci. Les com-
binaisons qui s'appuient sur une ressemblance extérieure et superficielle pren-
nent le dessus sur les combinaisons issues d'une analogie logique interne.
En considérant à ce point de vue la broderie en question, nous tombons
justement sur des détails qui confirment la thèse générale que nous venons
d'exposer. Au début la malade reproduit avec une régularité parfaite le modèle
qu'on lui a donné. Puis l'imitation précise ne satisfait plus son initiative patho-
logique exaltée et nous voyons l'original se modifier peu à peu. Un peu plus
loin la malade crée quelque chose de nouveau mais dont les contours rappel-
lent encore le modèle. Enfin nous voyons se dessiner un bocal contenant une
fleur assez mal faite. L'aspect général de ceux-ci rappelle la figure précédente
qui est assez vague. A ce moment la malade semble avoir manifestement perdu
l'idée première du but final de son oeuvre. A notre avis, c'est depuis cet ins-
xvil 20
314 TOPORKOFF
tant qu'il peut être question de la prédominance d'associations superficielles
tenant à une ressemblance extérieure sur des associations plus profondes, logi-
ques, qui auraient dû dans le cas.donné être unifiées par l'idée dominante du
but. Dans son travail ultérieur, la malade cède complètement à une marche
d'idées accélérée et facilitée.
C'est ainsi que l'on voit apparaître sans rime ni raison- une maison à deux
étages. Puis viennent des fragments de dessin inachevés, absolument incom-
préhensibles, à peine des tentatives de production... Par analogie avec l'incohé-
rence des idées (incuhaerentia idearum) propre à la manie, nous nous risque-
rons de caractériser cette partie du dessin par incohaerentia operum. L'ouvrage
représenté mérite notre attention sous un autre rapport encore : l'on voit que
la couleur rouge du dessin, la plus claire, évince complètement la couleur noire,
ce qui se comprend, vu que les maniaques se distinguent toujours par un amour
particulier de tout ce qui est éclatant et criard.
Nous passons aux productions des malades affligés de l'amentia. Vu la fré-
quence beaucoup plus grande de ce trouble par rapport à la manie, nous dis-
posons dans ce domaine de matériaux assez riches dont nous nous permettrons
de reproduire ici deux exemplaires.
Ons.II.-N ? ,une jeune fillede22ans,uneTchouvache illettrée,placée le` ? 9mai
1897 à l'hospice de l'arrondissement de Kazan après avoir été malade plusieurs
mois. L'état psychique de la malade pendant son séjour à l'hôpital peut être
caractérisé comme suit : elle est souvent agitée, elle est rarement tranquille
dans son lit; elle sursaute à tout instant, en éprouvant des hallucinations ma-
nifestes. Elle marmotte des paroles inintelligibles, elle injurie quelqu'un, fait des
gestes de menace dans le vide. Elle se couvre à tout instant de sa couverture
puis elle jette de tous côtés les accessoires de son lit et lance la vaisselle à la
tête des personnes de son entourage. Un jour elle explique cette action en
désignant une autre malade et en prétendant que c'est « le diable ». La malade
crie, chante, frappe des mains, saute, grimace, s'élance sur les personnes qui
l'entourent ; elle est malpropre, son sommeil est mauvais, elle mange très mal
parfois, ce qui fait que par moments on la nourrit au moyen d'une sonde.
L'état décrit cède la place à des périodes de calme pendant lesquelles la malade
ne se fait plus du tout entendre ; cachée sous sa couverture elle reste immobile
au lit. Très apathique. Ces états alternent avec une rapidité assez grande. Tout
à fait indépendamment de la présence ou de l'absence d'exaltatiou, la conscience
de la malade reste invariablement et profondément obscurcie : elle ne répond
pas aux questions qu'on lui pose, mais toute sa conduite ainsi que sa mimique
indiquent l'absence de tout rapport conscient envers l'entourage ; ou bien si
elle répond aux questions qu'on lui pose, ses réponses sont absolument ineptes,
absurdes. Ce n'est qu'après 11 mois de séjour à l'hôpital que la malade com-
mença s'orienter graduellement dans le monde ambiant et dans sa propre
situation. Au bout de 12 mois et demi la malade quitta l'asile dans un état
psychique satisfaisant et considérablement remise de l'épuisement dont elle
était affectée au moment de son internement.
TRAVAUX MANUELS DES ALIENES
315
Pendant sa maladie la patiente s'adonna peu au travail ; elle cousait cepen-
dant, elle brodait, elle effilait du crin. Nous présentons son ouvrage en même
temps (fig. 2) que celui de la malade suivante.
OBs. III. Mme Z ? 28 ans, mariée à un prêtre, a suivi le cours d'une école se-
condaire, femme développée intellectuellement, mère de 4 quatre enfants; issue
d'une famille dégénérée. Internée à l'hospice de l'arrondissement de Kazau le 24
février 1899 après un. accouchement qui eut lieu le 3 février. Pendant tout
le temps de la gestation son état avait été déséquilibré ; après les couches
exaltation, loquacité puis la malade commença à divaguer ; elle finit par devenir r
agitée, par injurier tout le monde et par se battre Au moment de son placement
à l'hospice elle manifestait un état d'exaltation extrême ; elle parlait sans fin, ses
discours étaient sans suite, rythmés en vers; a la première occasion elle sautait,
essayait de faire des culbutes, prenait des attitudes passionnées, '0 li\'1' : Jlt ;1
dcsactes ;Jgres,iJ's I;Ollll'C SOli ellt()III',lg", cl'adlJlit, dédJll'alt SUIIIIII ? était 1'1 ?
Fig. 1.
1-'ig. 2.
Fig. 3.
Fjg. 4.
Fis. 5.
310 TOPORKOFF
propre. Le sommeil et l'appétit étaient mauvais les premiers temps ; la conscience
absolument troublée ; la malade ne pouvait s'orienter dans le monde ambiant ni
soutenir un entretien tant soit peu suivi et cela même dans les cas où l'excitation
tombait, et elle restait des journées entières tranquillement étendue ; elle
éprouvait manifestement des troubles sensoriels très riches. La 'période vio-
lente du mal dura deux semaines à l'hôpital, mais en réalité elle embrassait un
espace d'un mois. Lorsque les phénomènes aigus de la maladie eurent passé, la
malade fut affectée d'un certain stade de déséquilibre, d'instabilité mentale et fut
rendue à la liberté après sa guérison, le 18 mai 1899. En ce cas nous sommes
aussi en présence de l'amentia (amelltÙ¿ Meynel'ti), mais de l'une de ses formes,
plus favorable, à marche plus rapide. Dans la période d'incohérence la malade fil t
quelques travaux dont nous reproduisons ici un exemplaire (fig. 3). Les phé-
nomènes psychopathiques essentiels que l'on observe dans l'amentia consistent
comme on le sait en un trouble général très accusé des associations d'idées, ce
qui amène leur incohérence plus ou moins considérable et un trouble plus ou
moins profond du raisonnement ainsi que de la capacité de s'orienter ; en d'au-
tres termes, pour employer les termes courants, le trouble mentionné provo-
que l'incohérence de la conscience. Les associations des idées deviennent tout
à fait occasionnelles, parfois même ineptes. Des hallucinations variées viennent,
généralement augmenter le trouble de l'activité mentale en donnant comme ré-
sultat un kaléidoscope bigarré d'idées, d'états d'esprit, d'actions dans lequel
aucune pensée n'est fixée d'une manière tant soit peu stable ; les inepties se sui-
vent et cèdent la place l'une à l'autre. Tout est si embrouillé dans la tête du
malade que selon votre gré il dira qu'il fait chaud dehors malgré la neige qui
recouvre la terre, il prendra les femmes pour des hommes et au rebours ; la
conscience même de sa propre personnalité est troublée à l'extrême ; l'une de
nos malades se disait être ◀tantôt▶ le fils du président Carnot, ◀tantôt▶ le fils d'un
des professeurs du pays, etc. L'état d'esprit du malade n'est guère stable ; son
fond général vague est ◀tantôt▶ traversé par des éclairs d'excitation maniaque,tan-
tôt par les signes d'une dépression profonde, de l'angoisse, etc. Soumise à l'in-
fluence de fluctuations constantes et de troubles sensoriels variés qui dominent
complètement le jugement du malade, la conduite de celui-ci s'exprime ◀tantôt▶
par des actions absurdes, agressives et destructives ◀tantôt▶, par des manifesta-
tions d'une gaîté irrésistible ; le malade qui vient de se démener comme un pos-
sédé sous l'influence d'une terreur mortelle prend maintenant une attitude
pétrifiée ; il regarde l'espace comme s'il était ensorcelé ; son bavardage in-
larissable, ses actes érotiques cèdent la place à un silence et à une immo-
bilité complets, etc. Il est facile de prévoir que la productibilitédu travail d'un
pareil malade sera nulle ou presque telle. Du reste il est douteux que les ten-
tatives d'amener le malade à travailler soient rationnelles dans les nombreux
cas d'une marche aussi aiguë du mal. Néanmoins il est incontestable que le tra-
vail le plus improductifdumalade,pourne pas dire davantage,luiest parfois aussi
nécessaire que salutaire. Ainsi il arrive qu'un patient exalté et en même temps
très épuisé ne reste tranquille en conservant ainsi ses forces physiques que jus-
TRAVAUX MANUELS DES ALIÉNÉS 317 7
qu'à ce qu'il ait éventré son matelas, qu'il en ait retiré toute la paille pour en
faire des gerbes, etc. Enlevez-lui tout cela et il se mettra à courir, à culbuter jus-
qu'à son complet épuisement. Dans le cas où le malade est en état de concen-
trer tant soit peu son attention sur le travail, les productions de celui-ci don-
nent généralement une image très précise du désordre chaotique qui règne dans
sa conscience. Les ouvrages reproduits sur ces pages et qui sont dus à la main
de malades, dont l'état mental vient d'être ébauché, confirment on ne peut mieux
ce qui vient d-'être dit. En regardant les deux bandes représentées, nous consi-
dérons comme très probable, presque certain qu'en commençant leur ouvrage
les malades dont il s'agit n'avaient pas une idée bien nette de son but. En leur
qualité de femmes sachant manier l'aiguille, elles reportent automatiqnementsur
le canevas ◀tantôt▶ une série de croix, ◀tantôt▶ une série de points, en se laissant
distraire à tout instant de leur travail ; elles passent d'un endroit du cane-
vas à l'autre, elles embrouillent et cassent les fils. L'une d'elles (n° 3)
brode parfois jusqu'à ce que le canevas se finisse ; c'est ce que font les enfants
inintelligents : « ils dépassent les bornes ». A notre avis, ce qui est caractéristi-
que dans ces productions, c'estl'absence d'individualité. C'est avec intention que
nous avons choisi pour cette démonstration l'ouvrage (n°3) d'une femme intel-
ligente, assez éclairée et celui (n° 2) d'une Tchouvache illettrée et ignorante.
Ces broderies nous font voir comment l'incapacité complète de se concentrer sur
le travail, de créer quelque chose de fini, de déterminé, ne fut-ce qu'un fragment
du dessin vaguement ressemblant à quelque chose, comment cette incapacité,
disons-nous,- a égalisé, mis au même rang les deux travailleuses ; nous ne sau-
rions distinguer les deux broderies ni par la qualité du dessin, ni par son sujet
vu qu'il n`y en a pas. On ne peut que se les rappeler. Les deux broderies por-
tent le sceau de quelque chose de chaotique,d'irrésistible.Une poignée de graines
lancée d'une main vigoureuse ne se distribuerait pas d'une façon plus acciden-
telle que ne sesont distribués ces traits et fragments de dessin décousus, sans
suite aucune. Vu leur complète incohérence, ces broderies nous sont incompré-
hensibles de même que nous ne comprenons souvent pas les discours incohé-
rents du malade affligé de l'ameutia.
Nous passons à la 3° forme morbide, paranoïa chronica, représentée par
Mme F.F., une veuve de 32 ans, mère de 2 enfants, femme peu éclairée, qui fut
placée à l'hospice le 29 juin 1901 ; elle est réservée et méfiante; ce n'est qu'à la
suite d'interrogatoires multiples et obstinés qu'on réussit à lui tirer des rensei-
gnements qui indiquent le délire des grandeurs dont elle est affligée ; ainsi elle
est persuadée que la police se présentera à la clinique à son premier appel, que
« In police répondra d'elle si on ne la soigne pas suffisamment ». Elle parle sou-
vent de l'importance particulière dont elle jouit aux yeux de la police. Elle croit
même que l'Empereur viendra spécialement pour elle àKazan. Ce délire sem-
ble manifestement alimenté par des troubles sensoriels; les « phantasmes » ne
lui laissent pas de repos ; elle voit des croix dans le ciel, ce qui signifie proba-
blement « patiente» ; elle voit défiler devant elle tous les empereurs russes. Par
moments la malade manifeste son délire de persécution par un refus obstiné de
318 TOPORKOFF
tout aliment : elle motive son refus par la crainte d'un empoisonnement ; un
jour elle se plaint de ce que l'on « ait fait quelque chose à sa langue », etc.
Les discours de la malade sont généralement remplis d'allusions, d'énigmes.
Elle a des accès fréquents d'excitation pendant lesquels elle crie et devient agres-
sive. La conscience ne cesse d'être claire. L'état désigné dure avec de petites fluc-
tuations pendant tout le temps que la malade séjourne à la clinique jusqu'au
18 juin 1903. Malgré la réserve de la malade, toute sa conduite ainsi qu'une
foule de détails, de fragments de phrases détachés et d'allusions rendent incon-
testable l'existence d'un système de délire stable de persécution et de grandeurs
en permettant d'établir chez la malade le diagnostic de paranoïa chronica. Les
caractères fondamentaux, typiques de cette forme de trouble mental viennent
d'être indiqués : délire de la persécution et celui des grandeurs. En rapport avec
le système plus ou moins logique d'idées délirantes absurdes ayant envahi la
conscience du malade, toute la personnalité de l'homme, se modifie ainsi que
ses rapports envers le monde ambiant ; les liens de la parenté se dissolvent, les
personnes les plus proches tombent dans le nombre des pires ennemis et devien-
nent souvent les premières victimes des penchants agressifs de semblables ma-
lades ; en même temps le paranoïque sollicite la protection de personnes à lui
tout à fait inconnues, il s'adresse au secours de la police, aux autorités et cela
d'une façon bizarre parfois, enfin, tout en niant énergiquement son mal, il de-
mande à être interné dans une clinique psychiatrique où il espère échapper à
ses ennemis, etc. En outre, la logique morbide du malade, ce que l'on appelle
une logique déviée, lui dicte fréquemment des actes de défense symboliques,
absolument incompréhensibles il l'entourage contre des ennemis et des dangers
imaginaires. Le malade porte des croix, des amulettes. L'une de nos paranoïques
s'affublait toujours en marchant de tout petits drapeaux rouges dont la signifi-
cation symbolique était assez obscure ; à la première occasion elle plaçait en de-
hors de la fenêtre un drapeau plus grand pour montrer aux ennemis qu'on veil-
lait ici et pour prévenir les amis du danger. Autrefois la chambre de cette
malade offrait l'aspect d'un riche musée d'engins de défense qui eussent fait à
un spectateur profane l'impression d'un dépôt de bric à brac. C'étaient plusieurs
herbes nouées ensemble, un petit chiffon, un morceau de concombre, un bout
de papier portant cette inscription laconique : sifflement de l'Europe ; tout cela
occupait pendant des mois entiers des places strictement déterminées et possé-
dait aux yeux de la malade une signification importante bien que tout il fait
incompréhensible aux autres. Les productions caractéristiques de semblables
malades sont constituées par toute espèce de représentations symboliques dans
le genre de celles dont nous venons de parler et par des manuscrits auxquels
des malades qui cachent soigneusement leur délire confient leur âme pour la
première fois. L'expérience du régime du travail introduit dans les cliniques
psychiatriques permet actuellement de considérer comme établi ce fait que,
contrairement tonte attente, les paranoïques deviennent parfois d'excellents
ouvriers oubliant au travail et leur grandeur royale et les sévices que leurs
ennemis dirigent contre eux. Mais il arrive que la maladie reprend ses droits
TRAVAUX MANUEL DES ALIÉNÉS 319
et que les motifs délirants qui agitent la conscience du malade viennent à se
glisser dans des ouvrages absolument intelligents ayant un but pratique tout
à fait déterminé. C'est ce dernier genre de productions qu'il faut rapporter
la broderie que nous reproduisons (fig. 4).
Nous trouvons indispensable toutefois de faire cette réserve que la broderie en
elle-même n'offre rien de caractéristique ; c'est plutôt quelque chose de moyen
qui tient de la broderie et du -manuscrit. Après toute une série d'ouvrages
analogues, absolument satisfaisants et ayant trouvé une application pratique,
la malade se livre au cours du travail à son idée dominante ; elle oublie le des-
sin peu compliqué commencé et trace lettre à lettre lisiblement et distinctement
la phrase suivante : « le monde entier, le tzar par mon sang et par la puissance
de mon amour sont sauvés », confiant ainsi à un morceau de toile une pensée
secrète qu'elle cachait soigneusement à ses médecins. Outre le contenu de cette
phrase, ce qui attire notre attention c'est cette particularité technique propre
aux paranoïques et qui consiste en ce que tous les mots sont séparés les uns
des autres par des croix.
Les catastrophes psychiques violentes qui se rapportent la plupart du temps
à des formes de trouble psychique appelées curables, ne se terminent malheu-
reusement pas toujours par la guérison. Chacune de ces formes laisse dans la
population des hospices psychiatriques un certain dépôt constitué par des inva-
lides intellectuels et moraux qui forment avec les paranoïques et les autres
chr-oniques..tombés dans un état de débilité mentale une foule bigarrée de ce que
l'on appelle les pauvres d'esprit. Le plus désolant des éléments pour les hôpi-
taux mal organisés, de pareils malades offrent une matière précieuse et géné-
reuse à l'application du régime du travail et d'une discipline médicale sensée
dans les hôpitaux modèles de nos jours. Dans les classifications des maladies
mentales, cette foule hétérogène est unifiée en un seul terme : d'imbéciles se-
condaires. Il serait inutile d'entrer ici dans l'appréciation du summum exagéré
de ce terme. Disons seulement qu'avec la différenciation progressive des for-
mes psychiatriques, le groupe collectif de dementia consecutiva sera incontes-
tablement démembré en plusieurs sous-groupes indépendants et cela en rap-
port avec la provenance de l'imbécillité secondaire de différentes formes pri-
maires de trouble mental. Nous reproduisons ici l'ouvrage d'une malade atteinte
d'imbécillité secondaire.
Mlle P..., 31 ans, non mariée, n'a pas achevé ses études à l'institut. Elle est
malade depuis 1882. Depuis 1883 elle est prise de méfiance, elle s'isole, craint
tout le monde, ne voit que la malveillance autour d'elle. Depuis avril 1883 à
mai 1804 elle est internée à la clinique de l'arrondissement de Kazan. Rendue
à la liberté avec le diagnostic de melancliolia. Le 12 mai 1888 elle est replacée
dans le même hospice. Dès le début de son internement on note une faiblesse
de l'esprit de combinaison de la mémoire, une diminution accusée de la faculté
du jugement,« une limitation de l'horizon intellectuel »,une apathie considérable
traversée par des éclairs d'exaltation passagers et une envie toute machinale de
retourner chez elle ; en outre on observe des gestes qui semblent étudiés, sté-
320 TOPORKOFF
réotypés pour ainsi dire. Ultérieurement, les caractères essentiels présentent
toujours les mêmes phénomènes qui prouvent l'affaiblissement de l'activité intel-
lectuelle. ◀Tantôt▶ la malade est calme, apath ique, elle travaille, elle lit et relit z
sans fin le même livre, ◀tantôt▶ elle tombe dans un état d'excitation pendant le-
quel elle manifeste l'existence de troubles sensoriels et d'un délire incohérent,
sans suite de persécution, de vol, de grandeur; elle se donne le titre de ba-
ronne, de grande duchesse, elle appelle l'asile son palais, elle écrit des ordres
elle se plaint de ce qu'on la vole, elle est agressive parfois et érotique. ◀Tantôt▶
elle s'oriente relativement juste. dans le temps et l'espace, elle appelle par leurs
noms les personnes de son entourage, puis sous l'influence de troubles senso-
riels et du délire elle confond tout ce qui l'entoure et lui donne une fausse in-
terprétation. Pendant une longue série d'années la diminution générale de
l'activité mentale ayant graduellement progressé, la malade présente actuelle-
ment un degré profond de débilité mentale consécutive. Elle est très-apathique,
peu active ; ce n'est que par moments qu'elle tombe dans un état d'exaltation
pour devenir alors grognon et querelleuse.
Sans la moindre manifestation de sentiment, elle exprime parfois des idées
de persécution, de grandeur ; ses intérêts hypocondriaques sont très limités.
La vie psychique est pâle, terne. La malade a pris un embonpoint considéra-
ble. Mlle P.... a toujours été une ouvrière assez assidue. Jusqu'au dernier
temps elle venait à bout d'un travail aussi peu compliqué que le raccommo-
dage du linge ; mais son incapacité à des ouvrages plus complexes a été déjà
notée en 1899.
C'est de cette période que date aussi la broderie reproduite (n° S) caractéris-
tique sous le rapport suivant : en regardant ces trois étoiles qui ont servi de
modèle et en observant toute une suite d'autres étoiles qui imitent le modèle,
l'on est obligé de reconnaître la présence d'une tendance consciencieuse à le
reproduire.
Nous ne voyons ici ni le laisser aller de la maniaque qui, complètement domi-
née par une marche facilitée de processus psychiques, brode sur sa bande tout
ce qui lui passe par la tête, ni la confusion et l'incohérence qui président aux
ouvrages des malades incohérents, ni les manifestations délirantes qui envahis-
sent la conscience de la paranoïque, celle-ci transformant son morceau de toile
en un moyen d'exprimer les pensées qui l'agitent. Si l'on peut s'exprimer
ainsi, le dessin de notre malade est tout à fait correct malgré son aspect piteux,
terne, non expressif qui saute aux yeux. Les trois étoiles du modèle, assez
jolies en somme se transforment entre les mains de la malade en une parodie
pitoyable. Une observation attentive nous montre pourtant comme une tenta-
tive de combiner le rouge et le noir d'une façon intelligente, conforme au mo-
dèle, mais nous sommes obligés de reconnaître que le résultat de cette tentative
est plus que modeste. Le but est réalisé par ce fait que la première étoile est
toute noire et la seconde toute rouge. Ultérieurement la malade oublie ces
finesses pour ne plus tracer que des figures noires maladroites qui se suivent
et qui ne ressemblent ni à des étoiles ni à des croix. Ces propriétés rendent le
TRAVAUX MANUELS DES ALIÉNÉS 321
dessin indiqué très caractéristique en tant que la production d'une malade frap-
pée de débilité mentale, vu que le trait fondamental de l'imbécillité consécu-
tive est constitué par une diminution générale plus ou moins égale de toutes
les fonctions de l'organe psychique : la mémoire et l'esprit de combinaison fai-
blissent, le malade assimile mal les faits qui se passent autour de lui, il ne
conserve pas le souvenir des événements du jour, il perd peu à peu la faculté
de la reviviscence et de ce qui a été emmagasiné par la mémoire au temps
lointain de son état normal. Les processus logiques faiblissent ; les mouvements
du sentiment deviennent très lents jusqu'à ce que le patient soit affecté
d'une apathie complète. Le meilleur indicateur de la richesse intellectuelle de
l'homme, la parole, présente chez de semblables malades un assemblage in-
cohérent de lambeaux de phrases et de mots détachés, pas toujours clairs. Il
est évident que le génie créateur d'un pareil malade ne peut briller par son
originalité et que l'imitation même de modèles tant soit peu compliqués est
au-dessus de ses moyens. Seuls les travaux les plus simples et grossiers dont
le succès dépend d'une habitude toute mécanique, restent longtemps encore
accessibles au malade.
Les exemples mentionnés épuisent les matériaux les plus caractéristiques
dont nous disposons sous le rapport qui nous intéresse. Malheureusement nous
ne possédons pas d'ouvrages tant soit peu marquants dus à d'autres formes
de trouble mental telles que la mélancolie, la paralysie progressive, etc. Mais
nous espérons être plus heureux dans l'avenir et avoir la chance de compléter
cette lacune involontaire.
Nous trouvons dans la littérature psychiatrique des recherches consa-
crées à l'analyse des oeuvres littéraires et artistiques des aliénés, mais, à
notre connaissance du moins, elle ne contient pas d'ouvrage ayant rapport
à des productions analogues à celles que nous venons de décrire. Grâce
à cette absence de précédents littéraires, nous nous sommes cru autorisé
à publier nos observations sur la question présente (1).
(1) Il m'est un devoir bien agréable d'exprimer ma gratitude à M. le professeur
Kovalevsky pour ses conseils et avis, qui m'ont aidé dans ma tâche.
LA PKOCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH
PAR
HENRY MEIGE
(Suite et fin).
Il existe quelques souvenirs iconographiques des processions dansantes
du passé.
)
Dans l'église paroissiale d'Echternach se trouve un tableau, restauré dans
ces dernières années, mais qui remonte au commencement du XVIIe siècle
Il est attribué à Antoine Stevens, peintre de Malines, auquel il fut payé
quatre-vingts thalers en 1605 (Pl. XLIV) (1).
Saint Willibrord y est représenté en habits sacerdotaux, avec la. mitre
et la crosse, auréolé et faisant de la main droite un geste de bénédiction.
Près de lui est déposé le tonneau commémoratif de son principal mi-
racle. A ses pieds, un petit ange tient un livre ouvert où l'on peut lire une
invocation au Saint.-
Tout autour, au second plan, les pèlerins et les malades sont en prière :
grands seigneurs, nobles dames et bourgeois, agenouillés, les mains jointes,
moines et nonnes portant bannières et crucifix, gens du commun et men-
diants implorant l'intercession de saint Willibrord.
Dans le fond, se dresse la basilique d'Echternach, vers laquelle se dirige
la procession dansante.
Parmi les fervents, on distingue un groupe de quatre danseurs, hommes
âgés qui s'avancent en gesticulant, et en fléchissant sur les jambes.
Ce groupe est malheureusement relégué au troisième plan et les détails
manquent de netteté. C'est néanmoins un témoignage intéressant de
l'ancienneté de la procession dansante, sous la forme qu'elle affecte
encore aujourd'hui ; aux costumes près, nos instantanés reproduisent
des scènes identiques.
(1) Il existait, paraît-il, autrefois, un autre tableau représentant trois souverains
venus en pèlerinage à Echternach : l'Empereur Lothaire (1131), Conrad III (1145),
Maximilien (1512).
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. Pl. YLIV
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH
(Henry Meige.)
Tableau représentant Saint Willibrord et le pélerinage d'Echternach,
par ANTOINE STEVENS (1605)
dans l'église paroissiale d'Echternach.
loV'... ? l7f.n rnllCy"Lé I : Â JALI'GlKIrHC. ' * Z" *mmmm™ ' "vit- - j Lir ... i 1. AVIIP ? 1LV
PROCESSION DANSANTE A MUELEBEECK
Dessin à la plume de PIERRE IRUEGHL LE Vieux Cr 569)'
Cabinet des Estampes. Rijks Muséum. Amsterdam.
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 323
Un demi-siècle environ auparavant, Pierre Bruegel le Vieux avait pris
un croquis des processions dansantes en honneur dans les Flandres.
Un dessin à la plume, de 1569, conservé dans la collection des Estampes
du Rijks Muséum d'Amsterdam, montre en effet que les rites chorégraphi-
ques et musicaux n'étaient pas spéciaux à Echternach. Les cornemuseux
remplacent les .orphéons; il y a moins de fidèles, peu de curieux ; ni
pompiers, ni policemen. Mais c'est bien le même charivari assourdissant,
la même « bourrée » propitiatoire, que les vieux et les vieilles dansent
encore aujourd'hui. Et sur la signification de ce dessin, aucun doute ; la
légende est de Bruegel lui-même :
« Voici les pèlerins qui, le jour de la Saint-Jean, doivent danser à Mue-
leheek, près Bruxelles ; quand ils ont dansé ou sauté sur un pont, ils sont
guéris du mal de Saint-Jean, pendant une année entière (1) » (Pl. XLV).
A Muelebeek, la vertu thérapeutique de saint Jean ne se faisait pas sen-
tir au delà d'une année. Nous ne savons pas si saint Willibrord assignait
aussi des échéances à ses intercessions.
On voyait des cérémonies du même genre, au XvIIIe siècle, dans le
pays Wallon. Une procession dansante se rendait de Verviers à Liège,
et parcourait, par petits bonds, les rues de la ville. Après une visite à
l'Hôtel de Ville, « les Verviétois se formaient ensuite en cercle au mi-
lieu de la cathédrale, et exécutaient, sous la grande couronne, une polka
sautillante, en levant le pouce de la main gauche ». Cette cérémonie n'a
été abolie qu'en 1794 (2).
J'ai trouvé, dans une collection de lithographies peintes publiées par
(1) Ce dessin fut plus tard gravé à la Haye par Henricus Hondius en 1640. Charcot
l'a commenté et reproduit dans ses Cliniques (t. 1, p. 158), puis avec Paul Richer dans
les Démoniaques dans l'art (p. 34). Mais l'image qu'ils ont publiée est empruntée a
un livre de P. Lacroix ( Vie militaire et religieuse au Moyen Age et à l'époque de la
Renaissance, p. 439), et serait la reproduction d'un autre dessin de Bruegel, conservé
à la Bibliothèque Albertine, à Vienne. Notre planche représente une photographie du
dessin à la plume de la collection des Estampes du Rijks Muséum d'Amsterdam. .
Son authenticité est certaine ; je dois cette photographie à l'obligeance du regretté
Directeur du Rijks Muséum, M. Obreen, qui la fit faire à mon intention, en juillet
1895.
La figure reproduite par Charcot et Paul Richer ne portait pas de légende ; aussi
ces auteurs ont-ils pu croire qu'il s'agissait de la procession dansante du mardi de
la Pentecôte à Echternach, tandis qu'il s'agit, d'après Bruegel lui-même, d'une céré-
monie analogue qui avait lieu le jour de la Saint-Jean, à Meulebeek, près de Bruxel-
les (Henry neige, Les pierres de tête, Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1895 ; -,
A propos d'un dessin de Pierre Bruegel, La France médicale, 1904, numéros 1, 2 et 3).
(2) L. DE SAOHEB, loc. cit., p. 91.
324 HENRY MEIGE
l'Album comique, vers le milieu du siècle dernier, .une image qui porte
en légende : La danse de Saint-Guy (1) (PI. XLVI).
On y voit un groupe de quatre personnages qui se livrent à des gesti-
culations singulières : l'un sautant sur les deux pieds, en contorsionnant
son bras et sa jambe droite ; l'autre dansant sur la pointe d'un seul pied,
en levant une jambe en l'air, avec des agitations bizarres des bras. Un
de ces danseurs fait en outre une affreuse grimace, qui tire en haut le
coin droit de sa bouche. Un autre détend ses doigts avec des mouvements
onduleux, qui rappellent assez exactement ceux de la chorée ou de l'athé-
tose. Une femme saute sur un pied et incline en même temps la tête à
gauche, dans une attitude qui fait songer au torcicolis convulsif. Deux
d'entre eux ont encore des contorsions des globes oculaires. Ces quatre
danseurs pathologiques sont des pèlerins, comme en témoignent les co-
quilles de Saint-Jacques accrochées à leurs « pèlerines », ainsi que le bour-
don que la femme tient à la main. Ils se livrent d'ailleurs à leurs ébats
chorégraphiques devant un petit édifice de pierre où se trouve la statue
d'un saint, saint Guy assurément.
Dans le fond, à droite, un jour de violon et trois autres personnages qui
semblent danser. On voit aussi à gauche un « Guignol » où gesticule un
Polichinelle.
La signification de cette image est facile à comprendre. Les quatre dan-
seurs du premier plan sont quatre malades atteints de mouvements con-
vulsifs, qui sont ve n implorer l'intercession de saint Guy. Le Guignol,
discrètement estompé dans le fond, jette une note satirique dont on saisit
aisément a portée. C'est comme un commentaire illustré de la descrip-
tion célèbre de Sydenham, qui se termine par cette phrase significative :
« On dirait que le malade ne cherche qu'à faire rire les assistants. »
Si l'auteur de cette gravure n'a pas eu l'occasion d'observer lui-même
des danseurs de Saint-Guy, il faut assurément qu'il ait été documenté d'une
façon très précise : les contorsions de la bouche chez l'un des personna-
ges, les mouvements de reptation des doigts chez l'autre, la localisation
dimidiée des phénomènes convulsifs chez un troisième, le torticolis enfin,
peut-être torticolis mental - voilà de la bonne clinique en image.
S'agit-il de chorée de Sydenham ? On peut le contester, car cette affec-
tion est surtout réservée à l'enfance. Mais il existe toute une série d'acci-
dents choréiformes de l'adulte qui offrent plus d'une analogie extérieure
avec ceux de la chorée mineure. On peut aussi bien supposer que ces
danseurs sont atteints de chorée hystérique, de chorée variable de Brissaud,
de chorée électrique, ou même de chorée chronique cl'lluttittgtot. Peut-
(1) Henry MEME, Documents figurés sur les tics et les chorées, Soc.d'Ilistoire de la
médecine, 9 décembre 1903; France médicale, 10 janvier 1904.
NOUVFLLE ICOXOGRAPIIIE DE LA SALP £ THILRE. T. XVII. PI. XLVI
LA DANSE DE SAINT GUY
D'après unc lithographie coloriée de l'Album Comique.
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 325
être même sont-ce là desimpies tiqueurs ? ... Inutile de chercher à faire
d'après une image un diagnostic plus précis des mouvements nerveux
qu'elle cherche à ridiculiser; signalons seulement les réelles qualités
d'observation de l'auteur.
La présence du violoniste, esquissé au milieu du groupe de danseurs à
l'arrière-plan, le costume et les attributs de pèlerins que portent les qua-
tres principaux personnages, enfin, la statue du Saint, près duquel ils se
livrent à leurs gesticulations, prouvent indubitablement que l'artiste a
voulu caricaturiser un pèlerinage analogue à celui d'Echternach, el encore
en vogue dans la première moitié du siècle dernier.
Le succès permanent de la procession dansante d'Echternach prouve que
ce mode de pèlerinage n'est pas près de disparaître, et l'on y reste imper-
turbablement fidèle à la tradition médiévale. Car, vraisemblablement, ce
n'est qu'un résidu des manifestations tumultueuses qui signalèrent les
prétendues épidémies de danse de Saint-Guy, au moyen âge. Les anciens
chroniqueurs nous ont laissé d'abondants témoignages de ces déborde-
ments populaires considérés tour à tour comme profanes ou comme reli-
gieux. Rappelons-brièvement les principaux.
C'est vers la fin du XIV. siècle, après les ravages causés par la peste
noire, que ces poussées convulsives apparurent en Europe, notamment
en Allemagne, dans les provinces Rhénanes et les Pays-Bas. On dit que
des centaines de malheureux, se croyant frappés de la colère céleste, se
rendirent alors en pèlerinage à la chapelle Saint-Weitt, à Dresselhausen
près d'Ulm, en Souabe. lVlichelet en donne pour raison une sorte de grise-
rie que recherchait le peuple pour oublier les souffrances dont il était
alors accablé. Et il est possible que cette série d'explosions dansantes aient
été favorisées par un mal social, né de misères et de superstitions.
« On voyait, parait-il, des hommes et des femmes sortir nus de leurs
maisons, se couronner de fleurs, et parcourir les rues en dansant et en
chantant. Plusieurs tombaient sur le sol, hors d'haleine, et restaient ainsi
longtemps inanimés. Leur ventre paraissait gonflé, et ils portaient une
ceinture avec laquelle on les comprimait quand ils se livraient par terre
à des convulsions trop violentes. A peine revenus à eux, ils recommen-
çaient à danser et à hurler jusqu'à extinction de forces. Quelques-uns
poussaient des exclamations, des phrases entières que l'on croyaient dic-
tées par le démon. »
C'est ce qui a fait dire, non sans de bonnes raisons, à Charcot et à Paul
Richer, que ces troupes délirantes étaient composées surtout d'hystéri-
326 HENRY UEIGE
ques, auxquels on appliquait déjà le procédé de la compression ovarienne
pour enrayer les grandes attaques (9 ).
Mais, si la grande épidémie du XIVe siècle paraît avoir été la plus étendue
et la plus grave, elle ne fut cependant pas la première manifestation de ce
genre. En 1027, des paysans de Bernburg s'étaient livré à des contorsions
extravagantes dans un cimetière. On les excommunia, et tous moururent
dans l'année : on ne dit pas de quelle mort. En 1237, une centaine d'en-
fants parcouraient la route d'Erfurt à Arnstadt, en se livrant à toutes sor-
tes de gambades et de grimaces.
.Les prodromes du mal existaient donc depuis plus de trois siècles, quand,
vers l'année 1374., on vit surgir une véritable n4ée de danseurs frénétiques
qui traversèrent l'Allemagne dans un tourbillon insensé et vinrent s'abat-
tre aux environs d'Aix-la-Chapelle, où ils donnèrent longtemps le specta-
cle de leurs gesticulations désordonnées, inspirant à Lotis une religieuse
terreur. Le clergé les exorcisa de son mieux. Mais ces énergumènes étaient
récalcitrants ; ils se répandirent dans les Pays-Bas, recommençant dans
chaque ville leur folle sarabande, entraînant avec eux les faibles, les mi-
séreux, les ignorants, les malades et les déséquilibrés. ◀Tantôt▶ menant une
farandole diabolique, brisant, renversant tout sur leur passage, ◀tantôt▶, avec
des contorsions effrénées, se roulant par terre au milieu des cris affreux.
La vue de certaines couleurs, le rouge surtout, et de certains objets,
(les souliers à la poulaine), les excitaient particulièrement.- « Ces trou-
pes de danseurs, dit Heckel, étaient accompagnées de musiciens qui exci-
taient leur ivresse ; et il est probable que les airs trop animés, et les sons
perçants des flûtes et des trompettes augmentaient jusqu'à la furie l'ex-
tase, peut-être sans cela bénigne, de bien des malades. Dans les temps
ultérieurs, e but principal qu'on se proposait, en faisant de la musique,
était aussi de rompre la racine du mal lui-même par la violence des accès. »
A Echternach, le charivari musical, sans avoir cependant la même des-
tination thérapeutique, n'est point en décadence. Au contraire : il s'est
aggravé de tous les progrès réalisés par la métallurgie des orphéons.
L'épidémie du xive siècle dura près de deux ans. Elle fut naturellement
considérée comme une manifestation du malin esprit. Et l'on prodigua
aux danseurs de Saint-Guy, non seulement les exorcismes, mais aussi les
aumônes. Dès lors, mendiants, ribauds et ribaudes, vinrent grossir le nom-
bre des soi-disant possédés. Les agitations convulsives furent un prétexte à
ripailles et à débauches ; on prétendit même que la ceinture utilisée pour
comprimer le ventre des malades, n'était qu'une invention de filles deve-
nues grosses pendant ces orgies. Il fallut sévir. Aussitôt le mal cessa.
(1) Cf. PAUL IIICIIEII, La grande Hystérie. Appendice historique.
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 327
Pendant trente ans, il n'en futplus question. Mais en 11 4, une nouvelle
bande se mit à parcourir l'Alsace, la Bavière, et s'en fut, toujours dansant
et gesticulant, jusqu'en Bohême. En 1418, le fléau de la danse sévissait à
Strasbourg et s'y manifestait comme dans les Pays-Bas.
Le culte de saint Willibrord, saint Weitt ou saint Witt, acquit cette
époque une extension prodigieuse. Toute chapelle, toute source, placées
sous son invocation, étaient assurées du succès. Les femmes surtout venaient t
implorer le Saint guérisseur des névropathies convulsives ; on admirait
leurs extases, on s'efforçait de trouver un sens prophétique aux paroles
incohérentes de leur délire.
Cependant,déjà cette époque, un médecin quelque peu révolutionnaire,
Paracelse, s'efforçait démontrer la nature pathologique de ces danses et de
ces prophéties. Il prescrivit même leur thérapeutique. Et nous n'avons pas
trouvé mieux : l'eau froide, un régime et une discipline sévères. Paracelse
obtint ainsi des guérisons non moins réelles que celles que procurait
saint Willibrord. Le bucher faillit être sa récompense. Mais il avait eu la
prudence de vanter également la toute-puissance des exorcismes. On ne le
brûla pas.
En quoi il se montra deux fois sage, car premièrement il sauvait sa tête,
et secondement il reconnaissait la valeur d'une intervention psychothéra-
pique dont l'efficacité n'est pas contestable.
Les chorégraphies épidémiques n'ont pas sévi seulement dans les popu-
lations germaniques. Sous d'autres noms, mais avec des caractères presque
identiques, on les retrouve dans les pays latins. Tels sont les faits qui se
produisirent au xve siècle dans la Pouille, et qui sont décrits sous le nom
de Tarentisme.
Matthiole nous apprend que « ceux qui ont été mordus de la tarentule
chantent et crient, pleurent et se mettent à rire sans motif, qu'ils sont
tous furieux et exaltés, ◀tantôt▶ assoupis et comme morts ». Il faut, pour
les satisfaire, avoir des musiciens à gages qui jouent sans interruption
jusqu'à leur guérison complète. « D'ailleurs, tous ceux que frappe ce mal 1
étrange n'ont pas été mordus par la tarentule. »
On voyait de ces tarentules, au dire de Ferdinand Epiphane, parcourir
les villages en dansant et en chantant, les uns pendant un jour entier, les
autres pendant une semaine, et plus.
Baglivi rapporte des faits du même genre chez des jeunes filles et chez
des moissonneurs de la Pouille. Il reconnaît aussi que bien peu de ces
danseurs sont réellement piqués par la tarentule : « l'idée seule qu'ils ont
pu être mordus suffit à les mettre en branle, et ceux qui assistent à ces
danses échevelées sont souvent atteints de la même fureur. »
328 HENRY MEIGE
Sa description est édifiante : « Pendant qu'ils sont occupés à la danse.,
ils poussent de longs soupirs, n'ont plus que des sensations et des idées
confuses, et ils se comportent avec l'inconvenance des gens ivres... Les
uns recherchent avec un empressement puéril les couleurs éclatantes,
telles que la couleur rouge et la couleur bleue, qui leur procurent une
satisfaction évidente; d'autres se trouvent mal à la vue du noir qui les
impressionne d'une manière fâcheuse. Ceux-ci ont la tête chargée de bran-
chages, de guirlandes, les bras et le cou ornés de feuilles, ceux-là courent
comme des effarés, s'inondent la figure et les mains d'eau froide ; ceux-
là se vautrent de préférence dans la fange à la manière des pourceaux. Il
en est qui demandent à cor et à cri des glaives nus, et qui, tout en pi-
rouettant, s'évertuent à exécuter mille jongleries... (1).
Si ces tarentulés ne ressemblent pas trait pour trait aux danseurs des
Pays-Bas, si au lieu de fuir les vives couleurs ils les recherchent, s'ils
aiment à se couronner de fleurs, c'est que, ne l'oublions pas, nous sommes
ici sous le ciel d'Italie, où les rétines sont friandes de nuances éclatantes
et où l'esprit reste peuplé de souvenirs antiques, pompes guerrières, bac-
chanales, fêtes orgiastiques...
Car on peut remonter jusqu'aux temps les plus reculés de l'Antiquité
et l'on retrouvera toujours, et même de plus en plus, les manifestations
chorégraphiques intimement unies au culte de la divinité.
J'ai eu déjà plusieurs fois l'occasion d'en citer des exemples. On me
permettra d'en rappeler ici quelques-uns (2).
« Dans l'antiquité hellénique, les rites chorégraphiques appartiennent
surtout au culte de Dionysos, le dieu des ivresses furieuses, qu'accompa-
gne, dans leurs farandoles échevelées, le bruyant cortège des Ménades, des
Satyres et des Thyiades.
C'est Dionysos qui répand ['enthousiasme, dont les degrés divers, l'allé-
gresse bachique, le souffle poétique et la folie divinatoire, étaient consi-
dérés comme des manifestations d'une même inspiration surnaturelle, la
Mania.
Selon Platon, le délire prophétique n'est qu'une forme de la révélation
qui peut aussi revêtir d'autres aspects : telle est l'ivresse mystique envoyée
par Dionysos. Tel aussi le pouvoir des Muses, et enfin la forme la plus
(1) C. Baglivi, Opéra omnia, etc., in-4°, Venise, 1761, p. 276 et suiv., cité par Cal-
meil, De la folie, t. II, p. 166.
(2) Cf. BOUCIIÉ-LECLERCQ, Histoire de la Divination dans l'Antiquité.
Henry MEIGE, Les Possédées des Dieux dans l'Art antique. Nouv. Iconographie de la
Salpêlrii'J'c, no 1, 1894. '
LA PROCESSION DANSANTE D'ECIITERNACTI 329
pure, la contemplation philosophique, dans laquelle la raison, s'unissant
à la pensée divine sans s'absorber en elle, procure à l'homme des jouis-
sances comparables aux délices d'Eros. « II est suffisamment prouvé, dit t
Platon, que Dieu a donné le pouvoir divinatoire à la démence humaine,
car nul, s'il possède ses esprits, ne s'illumine de l'inspiration divine,
prophétique et véridique ; mais seulement si le sommeil a enchaîné la
force de sa raison, ou bien s'il est égaré par la maladie ou par un certain
enthousiasme (1). »
Ainsi, Platon avait constaté que les prétendus prophètes éprouvaient
des troubles mentaux particuliers, qu'il n'hésitait pas à rapporter à un
état psychopathique. Dans un autre passage, il les identifie à ceux que pré-
sentaient les Corybantes, ou les Ménades, et il montre combien ce délire
était contagieux (2).
Cette forme bruyante et convulsive de la Mania, l'Enthousiasme, que
les prêtres de Delphes avaient si adroitement réglementée pour assurer le
fonctionnement des oracles, se manifestait librement au cours des céré-
monies religieuses en l'honneur de Dionysos. Au début, les fêtes de ce
dieu eurent toute la simplicité des réjouissances rustiques qui se reprodui-
sent chaque année avec les événements importants de la vie agricole.
« On les célébrait, dit Plutarque, avec des formes simples qui n'excluaient
'pas la gaieté on portait en tête une cruche pleine de vin et couronnée
de pampre. Puis venait un bouc soutenant un panier de figues, enfin le
phallus, symbole de la fertilité (3). » C'était le temps des vendanges
la joyeuse allégresse qu'entraîne la récolte du raisin se manifeste encore
de nos jours dans certaines campagnes sous cette forme primitive, exempte
de tout symbolisme. On chante, on danse autour des cuves pleines, dans la
griserie des premiers bouillonnements du vin.
Plus tard, les Dionysies champêtres firent place aux Dionysies des villes.
Les processions devinrent somptueuses, les représentations théâtrales
attirèrent un grand concours d'étrangers. Ce fut bientôt une institution
dont l'Etat réglementa la marche, veillant à l'exécution d'un programme
longuement préparé.
Mais à côté de ces fêtes du vin et de la moisson, de ces réjouissances
au grand jour, toutes éblouissantes de soleil et d'exhibitions colorées,
prirent place des cérémonies plus sombres, plus mystérieuses aussi. Telles
furent les Nyctélies, les Triétéries et les Bacchanales, qui, au début,
n'étaient célébrées que tous les trois ans, à l'époque du solstice d'hiver,
pendant la plus longue nuit de l'année.
(1) Platon, Timée, LXXI.
(2) Ibid., Ion. V.
(3) Plutarque, De Cupid. divil., c. 8.
xvn 21
330 HENRY MEIGE
C'est alors qu'on voyait, gravissant les lianes escarpés du Parnasse, la
troupe tumultueuse des adoratrices du dieu. Bientôt, sur les cimes arides,
à la lueur vacillante des torches, s'ébranlait la ronde insensée des Ménades,
des Thyiades et des Bacchantes en délire. Les cheveux au vent, les vête-
ments en désordre, agitant les thyrses, frappant les cymbales et les tympa-
nons, elles menaient leurs farandoles étourdissantes, antiques sorcières
d'un antique sabbat. C'était une danse effrénée, des gesticulations extra-
vagantes, une débauche de postures bizarres et d'attitudes convulsées,
invraisemblables ou indécentes, où l'équilibre du corps, comme l'équilibre
de l'esprit, semblait soustrait aux lois de la nature.
Aussi ces transports furibonds donnaient-ils aux Bacchantes un prestige
mystérieux qu'on rapportait à l'inspiration divine. On les voyait accom-
plir avec leurs membres frêles de véritables tours de force ; elles osaient
s'emparer de serpents qu'elles enroulaient à leurs bras ou qu'elles mêlaient
à leur chevelure ; les thyrses entre leurs mains devenaient des baguettes
magiques, qui, frappant le sol, faisaient jaillir des fontaines de lait ou de
ruisseaux de vin. '
Quand les Ménades avaient atteint le plus haut degré de la fureur
bachique, elles se livraient à de véritables scènes de carnage. Se jetant
dans leur emportement sanguinaire sur les victimes destinées aux sacrifi-
ces, elles les dépeçaient avec leurs ongles et mordaient à pleines dents
leur chair encore palpitante (1).
Les représentations figurées des scènes d'orgies dionysiaques nous
montrent ces énergumènes armées de poignards et de couteaux dont elles
frappent les biches et les chevreuils, n'épargnant même pas les hommes,
au dire de certains auteurs.
A Athènes, les'Dionysiaques, qui se célébraient à l'approche du prin-
temps, donnaient lieu à des excès du même genre. La journée se passait
en processions et en spectacles, où les fidèles se livraient à des danses
extravagantes, s'agitaient comme des insensés au point d'en perdre la
raison, et de tomber par terre privés de connaissance. Des troupes de
gens couronnés de fleurs, de fenouil, ou de lierre, les vêtements en dé-
sordre, dansaient et chantaient à perdre haleine, déchirant de leurs ongles
.et de leurs dents les entrailles toutes crues des victimes, serrant des ser-
pents dans leurs mains, les entrelaçant dans leurs cheveux, ou se roulant
par terre avec les plus étranges contorsions. Le soir, une foule hurlante
s'abandonnait dans les carrefours, à des transports que l'ivresse ne suffit
pas à expliquer. Et au milieu de ce tumulte, certains se mettaient à pro-
phétiser et passaient pour les révélateurs de la pensée du dieu qui les
possédait.
(1) Voy. Euripide, Bacchantes, 494 sq., 156, 139, 225.
LA PROCESSION DANSANTE D'ECIITEIINACII 331
De tels débordements ne pouvaient manquer d'être sévèrement jugés
par les esprits raisonnables. Diogène déclarait dignes seulement de l'ad-
miration des fous des extravagances aussi folles. Les mots eux-mêmes
qui servaient à désigner ces transports orgiastiques indiquent bien qu'on
n'hésitait pas à les rattacher à une sorte de délire (1).
- Et Euripide, pour disculper ces cérémonies du reproche d'immoralité
qu'on ne pouvait manquer de leur adresser, fait dire à Tirésias, dans ses
Bacchantes : « N'accuse pas Dionysos des désordres de ces femmes thébai-
nes ; mais bien leur nature viciée. Celle qui chérit ses devoirs les respecte
même au milieu des fureurs que ce dieu inspire (2). »
Le culte de Dionysos ne fut pas le seul qui, dans l'antiquité, donna lieu
à des cérémonies chorégraphiques..
Les Curetés et les Corybantes, prêtres de Cybèle et de Rhéa, dansaient
aux fêtes de la déesse au son des tambours, des trompes et des boucliers
frappés. Leur vie s'écoulait en rondes tumultueuses. Ils promenaient de
ville en ville l'image de la divinité, chantant et dansant sans trêve. Leur
esprit s'égarait au cours de leurs folles gesticulations, et il leur arrivait
parfois de commettre d'étranges actions. A côté d'eux se trouvaient aussi
les Galles, qui, dans leur délire, en arrivaient à se mutiler. L'analogie de
ces débordements avec ceux des possédés du diable, avaitcléjà été entrevue
au XVI" siècle. On désignait sous le nom de corybantisme ou corybantiasme,
les troubles hallucinatoires dans lesquels certains démoniaques s'imagi-
naient voir des apparitions surnaturelles ou entendre des voix diaboliques.
Les prêtres Saliens (de salire, sauter) sont dans l'antiquité romaine, les
analogues des Curetés et des Corybantes. « Ils doivent leur nom, dit Plu-
tarque, à ces sauts qu'ils font, lorsqu'au mois de mars, ils portent en pro-
cession les boucliers sacrés dans les rues de Rome, vêtus de tuniques de
pourpre, ayant un casque et de larges boucliers d'airain, qu'ils frappent
de leurs courtes épées. » La procession se terminait par des festins qui
'étaient devenus proverbiaux (Saliares epuloe, dapes). Là, se trouvaient
aussi des vierges saliennes qui prenaient part aux danses. Des chants spé-
ciaux étaient réservés pour ces cérémonies. C'était un langage tellement
bizarre que personne au temps d'Horace ne pouvait arriver à le compren-
dre, les prêtres tout les premiers.
Les Bacchanales célébrées à Rome rappellent les Dionysiaques d'Athè-
nes d'où elles paraissent avoir été importées. Il semble cependant qu'avant
(1) PAUSANIAS, Phocéde, ch. iv : « Les Thyiades sont des femmes de l'Attique qui
vont tous les deux ans sur le Parnasse où, avec les femmes de Delphes, elles célèbrent
les'orgies (ptaivovrai) en l'honneur de Dionysos. »
(2) Voy. Boucbé-Lecleuq, loc. cit.
332 HENRY MEIGE E
l'introduction du culte de Dionysos en Italie, des cérémonies analogues
eussent été instituées en l'honneur de la déesse Libéra.
Comme les épidémies de danse de Saint-Guy, comme les Dionysies,
les Bacchanales servirent bientôt de prétextes aux orgies et à la débauche.
Une prêtresse du dieu, Paucula Annia, se disant inspirée par lui, fut, dit-on,
l'initiatrice de ces institutions dissolues. Elle mit à la mode les fureurs
sacrées, et bientôt hommes et femmes s'y abandonnèrent sans réserve.
Les adeptes devinrent si nombreux qu'au dire de Tite-Live ils formaient
presque un peuple (jam propre populua). Des hommes et des femmes de
haut rang s'y mêlèrent ; on en vint à décider qu'on n'admettrait plus
d'initiés de l'un ou de l'autre sexe au-dessus de vingt ans. Grâce à l'indis-
crétion d'une courtisane, nommée HispalaFecenia, le consul Posthumius
put avertir le Sénat de ce scandale; mais plus de sept mille personnes
se trouvèrent compromises dans cette affaire. La répression fut violente ;
l'ordre se rétablit enfin. Les Bacchanales devaient cependant reprendre
un nouvel essor au temps des triumvirs, en Egypte, avec les orgies d'An-
toine et de Cléopâtre, et plus tard, à Rome, sous les Empereurs qui don-
nèrent l'exemple de la plus complète licence.
' Les auteurs chrétiens ont insisté longuement sur l'étrange état mental
des adorateurs de Bacchus. '
« Les Bacchanales, dit saint Augustin, se célèbrent avec une telle fureur
que, selon l'expression de Varron lui-même, les acteurs de ces mystères
doivent être nécessairement en démence (1). »
Ainsi, dans l'antiquité romaine comme dans l'antiquité hellénique,
c'est toujours à l'occasion de cérémonies religieuses qu'on voit se mani-
fester ces paroxysmes «chorégraphiques. Ils sont en tous points compara-
bles à ceux qu'on observa plus tard au moyen âge. Et lorsque saint Augus-
tin, en son temps, s'élevait contre les danses extravagantes des gens du
peuple à certaines époques de l'année, pour la Noël, la fête des Rois, et
surtout à la Saint-Jean, c'est qu'il y reconnaissait, sans aucun doute, les
analogues des Dionysiaques et des Bacchanales dont le caractère païen lui i
paraissait détestable.
On allumait, à ces dates annuelles, de grands feux sur les places publi-
ques ; tous les habitants dansaient autour une ronde échevelée en pous-
sant des cris sauvages. Là aussi, il arrivait souvent que quelques-uns de
de ces énergumènes se roulaient par terre en faisant des gestes désordon-
nés, ou soudain se mettaient à délirer.tout haut.
Plus près de nous, on retrouve encore les mêmes pratiques chez certaines
sectes religieuses.
(l) Saint Augustin, De Civ. Dei, VI, 9.
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 333
Au xviie siècle, les Cicètes sautaient et dansaient en priant Dieu.
Dans le pays de Galles, vers 1760, une secte de méthodistes, les Jum-
pers (sauteurs), avaient pour usage de sauter et hurler pendant leurs
prières. Ils répétaient jusqu'à cinquante fois les mêmes mots ou les mêmes
litanies et s'excitaient en gesticulant jusqu'à tomber par terre. « L'enthou-
siasme se communique à la foule qui, hommes et femmes échevelés et
habits en désordre, crient, chantent, battent des pieds, des mains, sau-
tent comme des- maniaques, ce qui ressemble plus à une orgie qu'à. un
service religieux. En sortant de là, ils continuent leurs grimaces à trois et
quatre milles de distance ; mais il en est, surtout parmi les femmes,
qu'on est obligé d'emporter dans un état d'insensibilité (1). »
Enfin, de nos jours, parmi les peuplades dont la civilisation est restée
rudimentaire, les manifestations religieuses chorégraphiques sont la règle,
et non plus l'exception.
Dans une étude, ayant pour titre Les Possédées noires (2), nous avons
emprunté aux récits des explorateurs les descriptions d'un certain nom-
bre de cérémonies en usage chez les noirs africains.
Deux exemples, parmi tant d'autres. .
La scène se passe d'abord au Dahomey. « Le grand féticheur est à la
tète d'une véritable armée de jongleurs, dispersés dans les villes et dans
les villages. Leur nombre dans chaque endroit est très considérable. Les
femmes font partie de cette association religieuse ; leur zèle, encore plus
exalté que celui des hommes, atteint le plus haut degré du fanatisme ; il
y a, dans leurs gestes, souvent obscènes, toujours extravagants, quelque
chose de vraiment diabolique. Douces et tranquilles dans le commerce or-
dinaire de la vie, les négresses s'agitent en énergumènes, dès qu'elles ac-
complissent les rites de leurs divinités (3). »
Et voici, au Soudan, des funérailles chorégraphiques racontées par
Marcel Monnier ; « Le corps jeté à terre, autour une ronde s'organise.
D'abord serrés l'un contre l'autre, marquant le pas, l'échiné courbée, les
bras ballants, les danseurs se redressent et partent d'un vertigineux galop.
Dans un poudroiement de sable rouge, le village entier, un millier de
personnes, tourbillonne, les enfants et les femmes, les jeunes mères elles-
mêmes avec leurs marmots pendus en sautoir comme une giberne. Le fé-
ticheur et ses gens, à coups de martinet, activent le branle ; sur les épi-
dermes en sueur, les lanières claquent avec un bruit de linge mouillé... »
(1) Abbé Grégoire, Hist. des sectes religieuses, éd. 1814, t. I, p. 85.
(2) Henry BIEIGE, Les Possédées noires.
(3) L'abbé LAFF1TTR, Le Dahomé, Tours, 1876.
334 HENRY MEIGE
Qui ne connaît encore le Latah des indigènes de l'Afrique du Sud,
les tourbillons des Derviches, des Ischours ou Ecumeurs du Caire, des
Aïssaouas, et des sectes religieuses de l'Inde ? A la suite de danses fu-
rieuses, les fidèles se livrent à toutes sortes de débordements; les uns
avalent du verre, des clous, des animaux repoussants ou des matières im-
mondes, 'les autres se font des blessures profondes, de véritables muti-
lations, sans manifester le moindre signe de douleur. Ici encore, inter-
viennent une musique bruyante, des rondes et des gambades désordon-
nées. -
t De nos jours d'ailleurs, et même en Europe, la chorégraphie religieuse
n'est pas spéciale à Etchernach. Les « feux de la Saint-Jean » ne sont pas
éteints partout. En Bretagne, il existe des danses processionnelles.
Dans un petit village montagnard de Serbie, à Duboka, le lundi de la
Pentecôte, ont lieu, à l'occasion de la fête des R01lsalies, des cérémonies
musicales et chorégraphiques qui durent toute une semaine. LeD W.-M.
Subotic, de Belgrade, qui a été observer récemment sur place les mani-
festantes, dit avoir assisté aux attaques hystériformes de certaines « pro-
phétesses » (1).
On accumulerait à foison les faits de ce genre. La divinité, l'époque, la
latitude, la musique, les costumes changent : les rites chorégraphiques se
perpétuent, tendant insensiblement à virer du religieux au profane, de
la procession fervente au désordre orgiastique.
Tous ceux qui ont étudié ces cérémonies dansantes, aussi bien dans
l'antiquité que dans le moyen âge, et même de nos jours, ont été frap-
pés de leur ressemblance avec certains phénomènes qu'on observe au cours
d'affections nerveuses et mentales. Les uns, comme Calmeil, les ont décri-
tes comme une forme de manie contagieuse. Les autres, depuis Charcot,
ont affirmé la nature hystérique de ces accidents. Et il n'est pas douteux
que bon nombre de ceux qui ont participé, ou participent encore, à ces
manifestations tapageuses puissent être, cliniquement parlant, considérés
comme des psychopathes ou des névropathes.
Mais il ne faudrait pas trop généraliser.
Une foule peut être délirante et convulsive sans que chacun des indi-
vidus qui la composent, pris isolément, soit atteint de maladie nerveuse
ou mentale. De même qu'il existe des lois biologiques applicables à une
(1) W.-M. Subotic, Lie Rusaliea im Konigreichen Serbien. Jahrbücher sur Psychia-
trie und Neurologie, vol. XXII, 1902, p. 346 (Refer. Ladame in Revue Neurologique,
30 avril 1904, p. 389).
LA PROCESSION DANSANTE D'ECHTERNACH 335
collectivité, de même il existe une pathologie des collectivités, avec son
étiologie, sa symptomatologie, son évolution, sa thérapeutique même. Les
crises chorégraphiques font partie de la nosographie des foules, au même
titre que les paniques, les émeutes et toutes les manifestations enthou-
siastiques. Sous l'influence des mêmes causes excitatrices, l'organisme de
la collectivité réagit de la même façon, par une sorte d'effet de sommation
d'une infinité de décharges nerveuses. Ce sont, si l'on veut, des réflexes
collectifs obéissant à une loi fonctionnelle de la vie des masses.
Tel est le rire, le fou-rire, avec ses convulsions propagées, et aussi sa
'contagiosité proverbiale. Tels les chants, telle aussi la danse. ' ' '
Si l'on considère isolément chaque individu, point n'est besoin de
faire appel à des. névroses spéciales pour expliquer sa participation la
danse collective. L'excitation produite par les chants et la musique, l'en-
traînement de la cadence, la fatigue, la chaleur, la faim, l'émotion que
suscitent les rites mystérieux ou l'attente anxieuse d'un miracle, tout cela
n'est-il pas suffisant pour annihiler passagèrement l'action régulatrice des
centres supérieurs, en laissant libre essor aux actes d'automatisme et de
pure réflectivité ?
Il s'agit bien là d'un phénomène physiologique, dont une prédisposition
pathologiquepeut sans doute exagérer les manifestations,mais qui n'est pas,
nécessairement, l'indice d'un état névropathique permanent. Le contrôle
cortical indispensable à la juste pondération de tous nos actes, de nos actes
moteurs en particulier, est sujet à des éclipses temporaires auxquelles nul
ne peut échapper. Brèves chez les uns, et rapidement dissipées par une
réaction volontaire, ces éclipses se prolongent davantage chez ceux qui,
congénitalement ou accidentellement, sont frappés de débilité ou de désé-
quilibre. Ceux-ci sont alors accessibles à toutes les influences du dehors,
à toutes les suggestions, aux suggestions motrices, - même chorégraphi-
ques.
Les mieux équilibrés ne résistent pas toujours à cet entraînement : il
suffit que, temporairement, leur esprit soit dominé par une idée fixe, ab-
sorbant à son profit toute l'activité fonctionnelle. Ainsi agit la foi, la foi
religieuse surtout, souveraine inhibitrice. Capable d'annihiler les réac-
tions aux pires douleurs, d'engendrer des martyrs ou des automutilateurs,
la foi religieuse n'est pas moins apte à exalter les actes impulsifs, comme
aussi les actes d'imitation, car la foi est essentiellement contagieuse. Elle
pénètre les masses, les possède, les enthousiasme : son élan est irrésisti-
ble. Elle donne aussi libre essor à toutes les formes de cette Mania des
Grecs, dont le nom s'est perpétué jusqu'à nous, en passant de la langue
philosophique dans la langue des psychiatres, aggravé dans sa signification
actuelle, mais appliqué dès l'origine à des actes témoignant d'une certaine
336 HENRY MEIGE '
dysharmonie des fonctions psychiques : exaltation mystique, extases et
prophéties, paroxysmes convulsifs, impulsions automatiques,e xplosions
de chorégraphie. '
Ainsi peut-on concevoir la raison de la pérennité des danses religieuses,
et comment elles conservent, à travers les âges et dans tous les pays, les
mêmes caractères d'impulsivité, de contagiosité, d'automatisme, quelle
que soit la divinité.
................................
Ainsi se perpétue la procession dansante des pèlerins, qui, chaque
année, le mardi de la Pentecôte, se rendent à Echternach, en Luxem-
bourg-, pour implorer Saint Willibrord.
Le Gérant : P. Bouchez
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
17° Année N° 5 Septembre-Octobre
UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER
TRAVAIL DE LA CLINIQUE MÉDICALE DE M, LE PROFESSEUR GRASSET
SPASME BILATÉRAL .
DES MUSCLES DU COU ET DE LA FACE
PAR
M. GAUSSEL,
Chef de clinique médicale à la Faculté de Montpellier.
Les spasmes fonctionnels des muscles du cou ont été bien étudiés de-
puis Duchenne (de Boulogne) ; leur pathogénie, leurs rapports avec les
tics font encore l'objet de discussions (1).
La plupart des observations ont trait à des spasmes unilatéraux, en
particulier au torticolis spasmodique et à la forme décrite par M. Bris-
saud sous le nom de torlicolis mental.
La bilatéralité du spasme est déjà une rareté, aussi pouvons-nous con-
sidérer comme exceptionnelle l'observation que l'on va lire et qui se rap-
porte à un spasme bilatéral du sterno-cléido-mastoïdien, du peaucier du
cou et des muscles de la face (2).
Ons. - Le malade, qui fait le sujet de cette observation, est un jeune homme
de 23 ans, Jules F..., actuellement soldat au 122' régiment d'infanterie, en-
tré à l'hôpital le 7 mai 1904, salle Martin Tisson, N° 4.
(t) Duchenne (de Boulogne), Traité de l'électrisation localisée, 1861 ; Weir hTCII8LL,
Des spasmes fonctionnels, Progrès médical, 4877, nos 12 et 13 ; Sautiez, Contribu-
tion à l'élude des spasmes du cou, Th. de Paris, 1883-84, n° 95 ; Gt : as, Contribution à
la pathologie des spasmes fonctionnels du cou, Revue de Médecine, septembre 1894 ;
et FEINDGL, Des tics et de leur traitement, Paris, 1902 ; NoruÈs, Meige, etc.
Congrès français des médecins aliénistes et neurologistes, Grenoble, 1902.
(2) D'après la terminologie admise par MM. Brissaud, Ballet, P. Marie, Henri Meige,
Feindel, Noguès, etc., ce cas devrait être rangé parmi les tics, et non les spasmes.
xvii 22
338 GAUSSEL r.
La maladie, pour laquelle il a été mis en observation, avant d'être présenté
à une commission de réforme, est en somme constituée par une série de
spasmes, survenant par crises, portant sur les muscles du cou, et donnant au
sujet une attitude incompatible avec l'exercice de ses fonctions militaires.
Dans la vie civile, ce jeune homme est élève ecclésiastique, il appartient à
une famille de paysans et a dû beaucoup travailler pour arriver à se mainte-
nir au niveau de ses camarades, entrés comme lui au séminaire. Ce surmenage
cérébral s'ajoutait à une prédisposition nerveuse particulière, dont nous relevons
des traces dans ses antécédents personnels.
Il a toujours été émotif et impressionnable, sensible aux reproches ; quand
on le réprimandait, il était pris de tremblement généralisé en même temps que
de légères contractions dans les muscles de la face en particulier. Il n'a ja- n
mais eu de crises nerveuses, il n'y a pas de signes d'une syphilis antérieure.
Notons seulement une rougeole et une coqueluche dans l'enfance.
Au point de vue psychique, il nous raconte une histoire qui vaut d'être si-
gnalée. A l'âge de 6 ans,il mit le feu à la maison, en jouant avec ses frères, et,
après le désastre qui en résulta pour sa famille, il resta jusqu'à l'âge de 14 ou
15 ans avant de révéler aux siens la cause de cet incendie qui cependant était
un sujet de discussions fréquentes et de discorde entre ses parents.
Au point de vue des antécédents héréditaires, rien ne mérite d'être signalé.
Entré au régiment le 15 novembre 1902, il fait son service régulièrement
sans rien d'anormal jusqu'en janvier 1903. A ce moment, nous dit-il, il éprou-
vait par intervalles des tiraillements dans les muscles du cou, sans maladresse,
ni impotence dans les mouvements de la tête. Un jour, qu'il ne précise pas
exactement, la première crise nette éclate pendant qu'il est l'exercice. Il
éprouve une sensation de froid ( ? ) à la nuque et en même temps est pris d'un
spasme des muscles du cou, en particulier des sterno-cléido-mastoïdiens, qui
mettent sa tête dans une position peu réglementaire. Le sous-officier le ré-
primande, le punit même.
A partir de ce jour les crises de spasmes sont fréquentes, surtout quand on
commande au malade de faire des mouvements latéraux de la tête. En proie
aux moqueries de ses camarades de chambrée, considéré comme un mauvais
plaisant par ses supérieurs qui ne manquent pas de le punir, il s'adresse au
médecin, qui, le voyant sans doute à une période de calme, ne le reconnaît
pas malade tout d'abord.
Les tortures morales de ce garçon continuent jusqu'au jour où on l'envoie
à l'hôpital, le 8 février 1903.
Les crises étaient de plus en plus fréquentes, le moral était très abattu, et à
cette période se placent des troubles psychiques dont notre malade a gardé à
peine le souvenir. Il comprenait parfaitement ce qu'on faisait ou ce qu'on disait
autour de lui, mais, à tout ce qu'on lui demandait il faisait, comme sous l'in-
fluence d'une.impulsion irrésistible, cette unique réponse : la mein Hen ! 1 1
Cet état dura quelques jours seulement et ne s'est pas reproduit.
Nous avons cherché à savoir ce qui poussait le malade il répondre toujours
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. PI. XLVII
SPASME BILATÉRAL DES MUSCLES DU COU ET DE LA FACE.
(Gaussel) .
SPASME BILATÉRAL DES MUSCLES DU COU ET DE LA FACE 339
eu allemand. Il raconte que l'étude de cette langue l'avait beaucoup absorbé,
même au séminaire, et que depuis son incorporation, il était encore plus
pénétré de la nécessité de la connaître, l'idée de service militaire étant insépa-
rable pour lui de celle de guerre avec l'Allemagne.
Peu après son admission à l'hôpital, il est renvoyé en réforme temporaire,
dans sa famille où les crises ont continué plus ou moins intenses et plus ou
moins rapprochées. A la,moindre contrariété, pour la plus petite émotion, les
spasmes se -reproduisent et sont suivis d'une période d'accalmie, relative ou
absolue, plus ou moins longue.
Son congé terminé, le malade est rentré à la caserne non guéri, et a été
dirigé vers l'hôpital où nous le voyons pour la première fois le 7 mai 1904.
En dehors des crises que nous allons décrire, il ne présente rien du côté
d'aucun appareil. De taille moyenne, son état général est excellent.
Voici ce que donne l'examen de ce malade au moment d'une crise : La tête
est fortement penchée en avant, le menton venant au contact du sternum ;
quelquefois il y a une légère inclinaison de la tête sur l'épaule gauche. Ce qui
frappe tout d'abord, c'est l'existence de plis très accentués, formant un double,
presque un triple menton. Ce n'est pas la seule flexion forcée de la tête qui
détermine ce plissement de la peau et du pannicule. sous-cutané, car la palpa-
tion y fait sentir le peaucier contracturé (PI. XLVII).
De chaque côté du cou, on voit, et on sent au toucher, les deux sterno-cléido-
mastoïdiens fortement tendus et rapides. En arrière, le trapèze est également
raidi mais -sans raccourcissement.
C'est par le spasme des sterno-cléido-mastoïdiens, avec production du double
menton, que commencent les crises et quelquefois elles se bornent là. Mais le
plus souvent le facial y participe. Il se produit des mouvements dans les lèvres,
un peu de battement des ailes du nez, et surtout du blépharospasme ou plus
exactement du clignotement rapide des paupières, la peau du front se creuse de
rides profondes.
Les photographies (PI.XLVII), qui accompagnent notre exposé, rendent très
bien compte de l'attitude du malade au moment des crises. Cependant la tête ne
reste pas fixe, immobile; elle est au contraire soumise à des oscillations assez
rapides, brusques et répétées, surtout quand le sujet se sent observé et fait
effort pour lutter contre cette attitude vicieuse.
Notons en passant que les spasmes ne sont nullement douloureux.
Le début de la crise est ordinairement provoqué par une émotion, un effort,
d'autres fois elle arrive sans cause occasionnelle, par le seul fait que le malade
veut parier. Dans certains cas elle est précédée d'une sensation de chatouille-
ment dans la région de la nuque et entre les épaules.
La durée des crises est variable, ◀tantôt▶ très courtes, elles durent d'autres fois
très longtemps; leur intensité, leur répétition n'est soumise à aucune règle
fixe.
L'apparition des crises modifie certains actes ; ainsi la parole devient 1e-
gayée, entrecoupée, explosive ; la mastication est maladroite, la contraction
340 GAUSSEL
des masséters se faisant très irrégulièrement ; il n'y a pas de gène de la déglu-
tition, pas de tendance à s'engouer. '
Entre les crises, et pendant le sommeil, la physionomie du malade est natu-
relle, les traits sont relâchés, il ne persiste aucune contracture ; le sujet parle
et mange sans difficulté.
L'examen somatique de ce malade ne révèle pas grand'chose il ajouter à ces
phénomènes spasmodiques.
Il n'y a aucun trouble de la motilité; aux membres supérieurs il existe un
léger tremblement qui se manifeste dans l'écriture par un peu d'irrégularité
dans le tracé de quelques lettres. La langue est tirée difficilement hors de la
bouche pendant la crise et elle est un peu tremblottante.
La sensibilité est normale, il, n'existe ni hémi-anesthésie ni anestliésie par
zones. Le malade n'accuse pas de modifications dans la perception des sensa-
tions douloureuses ou thermiques.
Il n'existe pas d'anesthésie viscérale (testiculaire, gastrique).
La recherche des zones hystérogènes reste sans résultat.
. Pas de troubles des organes des sens; la vue est normale, sans rétrécissement
du champ visuel.
Les réflexes sont normaux.
Au point de vue intellectuel le malade n'a pas remarqué de modifications
depuis le commencement de la maladie ; les troubles qu'il avait présentés un
moment, au début, auraient été causés, d'après lui, par la préoccupation de
voir sa carrière ecclésiastique compromise s'il ne guérissait pas, et surtout par .
les ennuis que lui causaient à la caserne les tracasseries de ses camarades ou
de ses supérieurs.
Depuis le début de la maladie, tous les antispasmodiques et tous les médi-
caments nervins ont été essayés chez ce malade sans succès.
Pendant son séjour dans nos salles, on l'a soumis au traitement par l'électri-
cité statique jusqu'au jour où il s'est présenté devant la commission de réforme
qui a prescrit une enquête sur son cas, avant de le renvoyer dans sa famille.
Ce malade a quitté l'hôpital le 6 juin 1904.
Il s'agit, en somme, dans cette observation, d'un spasme fonctionnel
survenant par crises, dans les muscles de la face, les sterno-cléido-mas-
toïdiens, le peaucier, ces phénomènes spasmodiques constituant toute la
maladie.
Rien ne nous permet de penser à une hystérie mono-symptomatique ;
le malade ne présente aucun stigmate de la grande névrose.
Faut-il penser une lésion organique ? la question est difficile à ré-
soudre.
L'étiologie reste obscure. La mentalité de ce sujet est un peu spéciale;
soit par hérédité, soit par le surmenage qu'il a dû s'imposer au cours de
ses études, il a été prédisposé à ces manifestations qui traduisent une
SPASME BILATÉRAL DES MUSCLES DU COU ET DE LA FACE 341
tare, une faiblesse particulière de son système nerveux. Sans doute les'
tracasseries, les sarcasmes auxquels il fut exposé au commencement de sa
maladie, dans le milieu spécial où elle se développait, ont contribué à
l'enraciner davantage chez lui.
Si maintenant, après le repos moral et le traitement institué, l'accalmie
ne se produit pas, il faut .incriminer d'une part le terrain sur lequel ces
accidents se sont développés et, peut-être aussi, l'insuffisance de l'effort
de volonté nécessaire à une cure bien conduite.
Arrivé au régiment en état de parfaite santé apparente, notre malade
met sur le compte de la vie de caserne l'éclosion de sa maladie et se
préoccupe d'obtenir, avec sa réforme, une pension à titre d'indemnité.
Sans être un simulateur, il met peu de volonté à guérir et peut-être faut-
il voir, dans cet état d'esprit, une cause de persistance de la maladie. Il
faut tenir compte d'ailleurs de ce fait que les spasmes fonctionnels sont
souvent très rebelles à la thérapeutique sans qu'une cause adjuvante inter-
vienne pour retarder la guérison.
Au point de vue anatomique, les muscles intéressés par le spasme ti-
rent leur innervation de deux sources différentes : le nerf facial pour les
muscles de la face et pour le peaucier ; le nerf spinal pour le sterno-cleïdo-
mastoïdien.
Le groupement musculaire mis en jeu n'est pas celui d'une fonction
physiologique habituelle ; ce n'est pas davantage un groupement de mus-
cles dont la contraction soit adaptée à un acte professionnel.
Nous n'avons trouvé aucune observation pareille à la nôtre dans les
articles de Veir-lVlitchell, de Féré et dans la thèse de Gauliez. Ce der-
nier cependant reproduit une observation, publiée par Duchenne, de
Bo Ù 1 ogne, dans son Tl'ai té de l'électrisation localisée ( 1861,0 bs. CCXXXI V),
qui peut être rapprochée de la précédente.
Il s'agit d'un paveur, dont les deux sterno-cléido-mastoïdiens se con-
tracturaient, pendant la contraction instinctive des muscles qui maintien-
nent la tête en équilibre entre la flexion et l'extension. C'était ici un
spasme professionnel, car cette attitude de la tête était celle de l'ouvrier
quand il maniait la demoiselle (1).
Mais, s'il y avait, comme dans notre observation, spasme des deux
sterno-cléido-mastoïdiens, les muscles innervés par le facial n'interve-
naient pas.
Le tableau clinique présenté par notre malade ne saurait être confondu
avec le tic de Salaam. Celui-ci consiste en mouvements de la tête, sur-
venant par accès, avec participation le plus souvent du tronc et des
(1) GIiASSET et RAUZIER, Maladies du système nerveux, t. II, p. 554.
342 GAUSSEL
membres à l'agitation; on l'observe chez les jeunes enfants. Les accès
s'accompagnent de perte de connaissance et ont été rangés parmi les
formes du petit mal comitial.
Nous ne dirons rien du traitement appliqué chez notre malade ; avant
d'essayer de le guérir, il faudra sans doute que soit résolue la question de
sa réforme définitive. Ce jeune homme croit avoir contracté sa maladie
au service et ne demande qu'à tirer parti de cette situation ; avec un tel
état d'esprit, la thérapeutique risque bien d'être impuissante; il a quitté
l'hôpital à peu près dans le même état qu'au jour de son entrée, et depuis
ce moment nous l'avons complètement perdu de vue (1).
(1) Cet article était déjà à l'impression lorsque l'affaire de ce militaire a eu sa solu-
tion.
Après l'enquête prescrite par la commission de réforme, il a été réformé sans indem-
nité. Alors s'est produit un fait qui prouve bien la dégénérescence mentale de ce
malade. Il a obstinément refusé de quitter la caserne; lorsque revêtu d'habits civils il
en a été chassé une première fois, il s'est tenu sur un banc du boulevard jusqu'à
l'entrée de la nuit. A ce moment il s'est précipité dans la cour du quartier et a cher-
ché un refuge dans les water-closets. Il n'a fallu rien moins que l'intervention des
hommes de garde pour l'en déloger : des agents de la sûreté, prévenus, ont dû le cueil-
lir au moment de son expulsion.
Il a donné ainsi le spectacle peu banal d'un soldat qu'il faut chasser du régiment
manu militari et malgré lui.
HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE
TRAVAIL DU LABORATOIRE DE M. LE PROFESSEUR RAYMOND
UN CAS DE MYOPATHIE AVEC RETRACTIONS
.- EXAMEN AN ATOMIQUE,
PAR
R. CESTAN, ET
professeur agrégé de médecine
à la Faculté de Toulouse
P. LEJONNE,
ancien interne des hôpitaux.
Nous venons d'avoir l'occasion de pratiquer l'examen nécroscopique de
l'aîné des deux malades atteints de myopathie avec rétractions, d'origine
familiale, dont nous avons récemment publié les observations (1).
Il s'agit de Léon L..., âgé de 25 ans, dont l'histoire fait le sujet de l'ob-
servation I de notre article. Nous avons peu de choses à ajouter à l'obser-
vation clinique, à laquelle nous prions de se reporter. L'état du malade
est resté'presque exactement le même depuis le mois de novembre 1901,
date de l'examen que nous avons publié, jusqu'en décembre 1903.
L'amaigrissement des masses musculaires s'est seulement un peu pro-
noncé, particulièrement au niveau des muscles de la jambe. L'état géné-
ral, qui était resté bon jusqu'alors, s'est mis à baisser pendant l'hiver
1902 ; le malade a commencé à tousser, et on a alors trouvé des lésions
pulmonaires des sommets qui se sont développées peu à peu.
Assez brusquement, le 2 décembre 1903, le malade a été pris de fris-
sons, son pouls est devenu très fréquent et a atteint ils.4 à la minute ; la
température est montée à 40° ; l'auscultation pulmonaire a montré, outre
des signes de ramollissement des deux sommets, une série de râles dissé-
minés dans toute l'étendue de la poitrine.
Le 13 décembre dans la journée, le malade qui jusque-là avait con-
servé toute sa lucidité, est tombé d'une manière presque subite dans le
coma et il est mort le 14 décembre 1903, dans la matinée.
AuTOPSiE. Faite le 15 décembre 1903, vingt-quatre heures après la mort.
A l'ouverture du thorax on constate des lésions de tuberculose pulmonaire ;
les deux poumons renferment au sommet plusieurs cavernules ; à la partie
moyenne il existe des lésions de broncho-pneumonie pseudo-lobaire tuhercu-
(1) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1902, n 1.
344 CESTAN ET LEJONNE
leuse ; le reste du parenchyme renferme des granulations tuberculeuses dis-
séminées.
L'encéphale présente macroscopique ment déjà des lésions très accentuées
d'encéphalite aiguë hémorrhagique ; la description minutieuse de ces lésions
vient de faire l'objet d'une étude de l'un de nous (1) ; nous ne nous y arrête-
rons pas. Le reste du système nerveux, moelle épinière et méninges rachi-
diennes, ganglions rachidiens et nerfs périphériques, ne présente au point de
vue macroscopique aucune lésion visible. -
Etat des muscles. - A la dissection des muscles des membres, on est frappé
de la coloration pâle qu'ils présentent et surtout de leur consistance spéciale, ce
n'est pas la mollesse habituelle aux muscles myopathiques, mais en certains
points une consistance fibreuse toute particulière. Sur certains d'entre eux,
biceps fémoral, jumeaux et jambier antérieur au membre inférieur, biceps
brachial et fléchisseurs des doigts au membre supérieur, on observe des bigar-
rures blanchâtres anormales qui paraissent dues au développement considéra-
ble du tissu fibreux.
Tous les muscles que nous avons pu examiner à l'autopsie paraissent parti-
ciper à l'atrophie, mais celle-ci n'est pas uniformément répartie ; si les lésions
semblent d'intensité égale dans les muscles homologues du côté droit et du
côté gauche, les muscles des membres supérieurs sont notablement moins at-
teints que ceux des membres inférieurs et du tronc. Aux membres supérieurs
même, les muscles du bras et ceux de l'avant-bras sont notablement plus pâles
que ceux des éminences thénar et bypothénar qui ont à peu près conservé
leur couleur rouge normale ; d'une manière générale, l'atrophie est donc plus
prononcée à la racine des membres qu'à l'extrémité, au niveau des muscles de
la ceinture pelvienne ou scapulaire qu'au niveau des muscles du bras et de la
cuisse.
Examen histologique. - 1° Examen des muscles. - Les muscles ont été
durcis dans la liqueur de Militer et inclus à la celloïdine, puis colorés à l'hé-
matoxyline-éosine et à l'hématoxyline picro-carmin, à la fuchsine picriquée.de
Van Gieson, par les méthodes de Weigert-Pal et deMarchi.
Nous avons examiné des deux côtés, aux membres supérieurs les muscles
des éminences thénar et bypothénar, quelques lombricaux et quelques inter-
osseux, le long supiuateur, les fléchisseurs superficiel et profond des doigts,
l'extenseur commun des doigts, le biceps, le triceps, le deltoïde; aux membres
inférieurs, le droit antérieur de la cuisse, le vaste interne, le biceps fémoral,
le soléaire et les jumeaux, le jambier antérieur, l'extenseur commun, le
pédieux, l'adducteur du gros orteil ; au niveau du tronc, les chefs claviculaire
etsternal du grand pectoral, le sous-épineux, le grond dorsal, le grand droit.
Nous donnerons d'abord une description générale des lésions observées, puis
nous exposerons comment elles sont réparties dans les différents muscles.
A un faible grossissement, sur une coupe transversale d'un des muscles, on
observe qu'il est divisé eu une série de faisceaux de dimensions très inégales ;
(1) L'encéphalite aiguë hémol'1'hagique, Gazette des hôpitaux, 26 juillet 1904.
Il. - iviuscie quaunceps crural ^coupe Transversale). nemacuxymuc C<l11111l1.
a) Fibres musculaires de volume normal avec sclérose non adipeuse - Fibre musculaire hyper-
trophiée avec multiplication des noyau'\.. - il Tissu interstitiel libro-adipeux. - v) Hypertrophie des
travées du périmysium avec épaississement des vaisseaux.
B. - Muscles de l'éminence thénar (coupe transversale). Hématoxyline carmin.
Fibres d'apparence normale avec simplement léger épaississement des noyaux et cependant
hypertrophie du périmysium interne.
C. Long supinateur (coupe longitudinale). Hématoxyline carmin.
a) Fibre musculaire en voie d atrophie avec noyaux en chapelet b) Fibre musculaire donnant
1 aspect d'une cuntmute avec une travée hbreuse. - Travée fibreuse avec de nombreux noyaux
sériés.
Cestan et 7.C/0 ? C. ,
Masson et C'c, Éditeurs.
UN cas DE myopathie avec rétractions 345
chaque faisceau est entouré d'une gaine conjonctive (périmysium) plus épaisse
que normalement, envoyant des diverticules dans son intérieur. Certains
paraissent à première vue à peu près- normaux, leurs fibres musculaires ayant
conservé approximativement leurs dimensions; d'autres, plus nombreux,
offrent au contraire des fibres plus fines et séparées les unes des autres par
des tractus scléro-adipeux de toutes,dimensions ; d'autres enfin, encore plus
malades, ne possèdent, qu'un nombre de fibres très restreint ; celles-ci sont en
général de dimensions considérables et dispersées sans ordre au niveau d'un
tissu formé d'une part d'éléments scléreux, d'autre part de cellules adipeuses ;
ces trois éléments se combinent de façons fort diverses, ◀tantôt▶ les cellules et
fibres conjonctives, ◀tantôt▶ les cellules adipeuses, plus rarement les grosses
fibres formant la majeure partie du faisceau.
A un fort grossissement, on peut distinguer dans le muscle, deux ordres de
lésions : les unes portent sur l'élément parenchymateux, sur la fibre muscu-
laire elle-même, les autres sur l'élément interstitiel, sur le tissu conjonctif et
adipeux, les vaisseaux et les nerfs intra-musculaires. 1
Lésions des fibres musculaires. - Les fibres musculaires présentent e4
certains points une hypertrophie manifeste; il n'est pas rare de trouver des
fibres qui, dessinées à la chambre claire et mesurées, offrent un diamètre trans-
versal de 100 u. et davantage ; en d'autres points, au contraire, l'atrophie n'est
pas moins nette, et l'on rencontre fréquemment des fibres de 20 et même
de 10 de diamètre (PL LVI11. A).
Certains faisceaux paraissent exclusivement composés de fibres normales,
d'autres défibres fines ; ces derniers n'ont pas une grosse adipose intersti-
tielle ; d'autres au contraire sont constitués par des fibres énormes et des fibres
fines, et dans ceux-là, l'adipose interstitielle est très marquée, à tel point qu'en
certains endroits la fibre hypertrophiée paraît située en plein tissu graisseux.
De plus, il n'est pas rare d'observer sur les coupes longitudinales des fibres
se divisant en deux fibres secondaires, mais jamais sur des coupes transver-
sales nous n'avons vu de fibres concentriques. On peut ainsi assister au pro-
cessus de division longitudinale de la fibre musculaire qui n'est certes pas ni
un artifice de préparation, ni un aspect trompeur fourni par le microscope.
La fibre musculaire présente d'autres lésions parenchymateuses' Un carac-
tère qui frappe immédiatement, c'est la multiplication des noyaux ; ceux-ci
sont excessivement abondants déjà dans les fibres qui semblent à part cela à
peu près normales, mais cette abondance atteint son maximum dans les fibres
hypertrophiées. Sur une coupe transversale, on peut compter parfois jusqu'à
12 ou 15 noyaux par fibre musculaire, et sur des coupes longitudinales les
noyaux par leur grand nombre donnent parfois l'aspect d'un véritable chapelet.
◀Tantôt▶ ils sont situés immédiatement sous le sarcolemme, ◀tantôt▶ dans la pro-
fondeur en plein sarcoplasme interfibrillaire. Ils ont en général conservé leurs
dimensions, leur forme globuleuse ou fusiforme, leur réseau de chromatine.
leur affinité pour les matières colorantes; nous n'avons trouvé ni noyaux
géants, ni noyaux contournés ou en croissant.
346 CESTAN ET LEJONNE
Les fibres musculaires elles-mêmes, qu'elles soient atteintes d'atrophie ou
d'hypertrophie, conservent en beaucoup de points leur striation transversale ;
sur pas mal de fibres, principalement dans les préparations au picrocarmin
passées à l'acide acétique, il existe une certaine prolifération du sarcoplasma
qui sépare les fibrilles primitives, d'où exagération de la striation longitudi-
nale et aspect en pinceau en quelque sorte de la fibre musculaire.
Sur les coupes traitées par la méthode de Marchi on peut trouver en cer-
tains points l'existence d'une dégénérescence granulo-graisseuse. Cette dégé-
nérescence existe à un degré prononcé dans le deltoïde et le grand pectoral ;
elle est composée de fines granulations graisseuses situées dans les différentes
parties du sarcoplasma ; la fibre musculaire, aussi bien sous le sarcolemme
que dans son intérieur, formant parfois sur les coupes longitudinales de véri-
tables petites traînées situées entre les fibrilles de la masse du sarcoplasma ; les
granulations sont parfois assez volumineuses, mais elles sont toujours parfai-
tement distinctes comme grosseur et comme aspect des grosses masses, colo-
rées en noir par l'acide osmique, de l'adipose interstitielle, en un mot cette lé-
sion n'a rien à voir avec la surcharge graisseuse. Cette dégénérescence, même
dans le deltoïde où elle est le plus accentuée, est disséminée, ne se fait pas
sur toutes les fibres et affecte indifféremment les fibres grosses et les fibres
fines, et même parfois les faisceaux neuro-musculaires. Nulle part on ne trouve
d'état vacuolaire de la fibre musculaire.
Dans certaines fibres des muscles les plus malades tels que le jambier anté-
rieur, le droit antérieur, etc., on remarque l'aspect suivant : la fibre diminue
de volume ; elle a perdu sa striation et dans son intérieur on aperçoit, colorées
d'une manière assez intense soit par l'éosine, soit par le carmin, des masses
homogènes de forme plus ou moins irrégulièrement cubique, parfois placées
bout à bout et au moins deux ou trois fois plus volumineuses qu'un globule
rouge ; à ce niveau-là, les noyaux se colorent très mal ou même ne sont plus
visibles. Disons immédiatement que l'examen à un fort grossissement de ces
lésions permet de les distinguer d'une manière certaine des capillaires qui
côtoient la fibre musculaire.
Notons qu'au point de vue topographique l'atrophie semble bien débuter au
niveau de l'insertion tendineuse de la libre musculaire pour remonter ensuite
dans l'épaisseur du muscle, ainsi que Roth l'a le premier soutenu. En tout
cas, c'est au niveau des insertions tendineuses que les lésions musculaires sont
à leur maximum.
Lésions du tissu conjonctivo-vascutai1'e. - Le tissu interstitiel est excessi-
vement augmenté ; il paraît en certains points enserrer les fibres musculaires,
c'est du moins l'aspect que fournissent les coupes transversales où l'on voit
certaines fibres musculaires comme cravatées par des bandes conjonctives. Sur
des coupes longitudinales, l'aspect présenté est tout autre ; on voit une série de
bandes conjonctives parallèles aux fibres musculaires, certaines même parais-
sant comme se substituer à celles-ci ou les continuant, de telle sorte que l'on
observe des travées fibreuses avec des noyaux, dans lesquelles se voient, de
UN CAS DE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS 347
temps en temps, de fines fibres musculaires et séparées par des lits de tissu
cellulo-adipeux. Ce tissu interstitiel à certains endroits est essentiellement
fibreux, peu dense cependant, assez riche en noyaux, formé de fins tractus
enserrant la fibre musculaire. Dans d'autres endroits, il est au contraire beau-
coup plus lâche, conjonctivo-adipeux, les vésicules adipeuses prenant même une
importance considérable. D'une manière générale, les muscles de la racine des
membres et du tronc sont beaucoup plus riches en vésicules adipeuses que les
muscles des extrémités ; à tel point que sur une coupe colorée an Marchi les
deux tiers au moins du champ de la préparation sont occupés par les grosses
vésicules adipeuses colorées en noir; il y donc proportionnalité entre l'adipose
interstitielle et l'ancienneté de l'atrophie, les vésicules adipeuses sont d'ailleurs
parfaitement distinctes et isolées de la fibre musculaire. Nous n'avons pas vu
d'infiltration graisseuse d'une fibre musculaire parfaitement individualisée ;
nous n'avons pas vu non plus une fibre musculaire se charger de boules de
graisse de façon à former du tissu graisseux.
Sur les coupes longitudinales ce tissu forme de larges travées (ibro-grais-
seuses, quelquefois presque uniquement graisseuses, séparant les fibres mus-
culaires saines ou hypertrophiées. Dans les muscles les plus atteints, ces
éléments graisseux se trouvent mélangés avec les fibres hypertrophiées.
Si l'on compare les muscles antagonistes, triceps brachial et biceps par exem-
ple, le biceps présente un tissu interstitiel peu adipeux et extrêmement fibreux,
au contraire la fibrose est moins considérable dans le triceps où l'élément
adipeux domine.
Les faisceaux neuro-musculaires sont en général intacts, toutefois certains
présentent quelques lésions de dégénérescence granulo-graisseuse, ils sont en
tout cas bien moins malades que les fibres musculaires qui les avoisinent.
Les vaisseaux et les capillaires ne sont pas absolument sains : leurs parois
sont épaissies, sclérosées, l'élément conjonctif de leur tunique a proliféré ;
néanmoins ils ont conservé leur calibre ; il n'est pas rare d'observer en cer-
tains points de petites hémorrhagies intra-musculaires.
Mais à part cela, il n'y a pas trace de processus inflammatoire proprement
dit; nulle part on ne trouve d'amas de cellules rondes, nulle part il n'y a
traces d'infiltration embryonnaire ; le tissu interstitiel est un tissu conjonctif
adulte qui a subi l'évolution chronique fibreuse sans apparence d'inflammation
aiguë ou subaiguë.
Voyons maintenant comment sont réparties ces lésions dans les différents
muscles.
Au niveau du tronc, l'atrophie et les lésions scléro-adipeuses sont à leur
maximum dans tous les muscles examinés ; ici donc on va trouver les fibres
musculaires hypertrophiées et l'adipose interstitielle très marquée. On y trouve
aussi des fibres atteintes de dégénérescence granulo-graisseuse, mais celle-ci
ne s'y localise pas exclusivement, on la voit aussi quoiqu'à un moindre degré
dans les muscles des extrémités.
Les lésions sont un peu moins prononcées dans les muscles des segments
348 CESTAN ET LEJONNE
supérieurs des membres ; elles sont d'ailleurs beaucoup plus évidentes au ni-
veau des membres inférieurs qu'au niveau des membres supérieurs ; d'autre
part, il semble bien que la fibrose interstitielle soit plus prononcée, dans les
fléchisseurs que dans les extenseurs, le processus adipeux étant il peu près
égal dans les deux groupes de muscles.
C'est dans les muscles des extrémités que les lésions sont le plus légères ;
l'adipose y est très peu marquée, c'est surtout-de la fibrose, néanmoins même
là, les vaisseaux interstitiels sont malades; la gangue qui entoure les fais-
ceaux neuromusculaires paraît épaissie. Toutefois, il faut signaler l'altération
très marquée du long supinateur d'une part, du jambier antérieur d'autre
part, beaucoup plus intéressés que les muscles du bras et de la cuisse.
2° Examen du système nerveux. - Notre examen a porté sur le système
nerveux central, encéphale et moelle, et sur les nerfs périphériques.
Nous ne décrirons pas les lésions encéphaliques; les lésions observées sont
celles de l'encéphalite aiguë, elles sont dues au processus terminal qui a em-
porté notre malade et n'ont rien à voir avec ses atrophies musculaires.
La moelle a été examinée par la méthode de Nissl après fixation à l'alcool
et par la méthode de Pal après fixation au Millier. Elle a été coupée en séries
de façon à pouvoir comparer les noyaux des muscles les moins atteints avec
ceux des muscles les plus atrophiés. *
Nous n'avons trouvé aucun segment médullaire qui, comparé aux autres
segments, présentât des lésions prédominantes ; de même, dans chaque seg-
ment il n'existait pas de noyau dont les cellules fussent particulièrement ma-
lades.
Les cellules des cornes antérieures de la moelle ne présentent pas de lésions
de chromatolyse, pas de rupture des prolongements ; le seul phénomène pa-
thologique consiste en un peu de petitesse de la cellule, qui a conservé d'ail-
leurs sa forme polygonale, ses prolongements, et dont le noyau se colore très
bien ; peut-être y a-t-il un peu d'hyperpigmentatibn,dont on se rend compte en
comparant avec une moelle d un sujet du même âge. En tout cas, ces lésions
ne ressemblent nullement à celles de la sclérose latérale amyotrophique ou de
la polyomyélite chronique.
Dans d'autres parties de la moelle étudiées par les autres méthodes, on se
rend compte qu'il y a bien un léger épaississement de la trame conjonctivo-
vasculaire, mais sans lésions de sclérose névroglique dilfuse ou systématisée.
Somme toute, on peut dire que la moelle est indemne.
Les nerfs périphériques, après durcissement au Millier, ont été examinés
par les méthodes de Marchi et Weigert-Pal, par 1'liéniatéine-éosiiie et la fuchsine
picriquée de Van Gieson. Nous avons examiné tant à droite qu'à gauche les
nerfs médian et radial à l'avant-bras, cubital il la main ; aux membres infé-
rieurs, le sciatique et le crural à la cuisse, le tibial antérieur à la jambe, et
en outre de très nombreuses branches intra-musculaires.
Par la méthode de Marchi on n'observe pas de dégénérescence de la myéline,
pas de cylindres granuleux. Tout au plus, par le picrocarmin peut-on constater
UN CAS DE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS 349
que la fibre est gracile, la gaine de myéline moins épaisse. Cette gaine de
myéline prend moins bien l'hématoxyline de Weigert ; par cette méthode de
coloration, on voit qu'elle affecte un aspect moniliforme, sans toutefois que
nous puissions affirmer qu'il ne s'agit pas d'une erreur de fixation ; cependant
nous avons constaté cet état moniliforme aussi bien dans les gros nerfs que
dans les ramuscules intra-musculaires. Le cylindre-axe, un peu petit, est
toujours conservé.
Enfin il existe manifestement une légère prolifération de l'endonèvre et du
périnèvre.
.L'autopsie confirme donc le diagnostic que nous avions fait du vivant
du malade : il s'agit bien d'une myopathie.
Les lésions médullaires que nous avons constatées sont tout à fait mi-
nimes, et n'ont pu jouer, on peut le dire, aucun rôle dans la production
de l'atrophie musculaire.
Du côté des nerfs, les lésions un peu plus importantes, ne peuvent in-
firmer le diagnostic de myopathie, puisqu'en somme ce que nous avons
observé de plus net c'est un simple épaississement de l'endonèvre ; en
aucun point, les lésions ne sont proportionnelles sous le rapport de l'in-
tensité avec les grosses lésions des muscles.
Nous sommes donc en présence d'une affection primitive des mus-
cles, non pas.d'une myosite scléreuse avec sclérodermie, ni encore d'une
myosite ossifiante à la phase initiale d'infiltration fibreuse, mais bien
d'une véritable myopathie familiale.
De plus, les constatations anatomiques que nous avons fartes au niveau
des muscles, nous paraissent expliquer les caractères cliniques assez parti-
culiers de notre observation.
L'aspect objectif du malade était, nous l'avons dit, bien spécial et ca-
ractérisé avant tout par l'importance des rétractions musculaires qu'il
présentait. On sait que dans les myopathies, on peut distinguer au point
de vue de l'état des muscles, trois formes : une forme proprement atrophi-
que, une forme pseudo-hypertrophique, enfin une troisième forme, sclé-
reuse, accompagnée de rétractions ; c'était, cliniquement, à un type tout à
fait pur de cette catégorie qu'appartenait notre malade; l'examen anato-
mique nous a montré que les muscles les plus rétractés, qui étaient en
même temps les muscles les plus puissants, avaient conservé intactes le
plus grand nombre de fibres musculaires, en même temps que le tissu de
sclérose y était relativement assez développé et surtout particulièrement
dense ; les muscles antagonistes, au contraire, offraient beaucoup moins
de fibres musculaires saines et étaient particulièrement infiltrés de tissu
adipeux.
Ainsi au niveau du bras, tandis que le biceps était très scléreux et en
350 CESTAN ET LEJONNE
même temps avait conservé beaucoup de fibres saines, le triceps présentait
au contraire beaucoup plus de tissu adipeux et avait perdu un bien plus
grand nombre de ses fibres musculaires. Par conséquent, nous pouvons
affirmer que les déformations étaient bien dues, dans la grande majorité
des cas, à la prédominance de l'action des muscles antagonistes, l'attitude
ainsi établie, étant secondairement fixée par la myosclérose dont nous avons
constaté l'existence. -. ,
D'autre part, il est certains points de notre examen hisiologique sur
lesquels nous désirons retenir l'attentions, car il nous paraissent soulever
d'intéressants problèmes. Nous avons souvent constaté au cours de notre
examen l'hypertrophie de fibres musculaires ; il est bien entendu que nous
voulons ici parler d'une hypertrophie portant sur des fibres isolées et que
jamais le muscle au total ne paraissait hypertrophié ; au contraire, il
était toujours atrophié dans sa masse. Il ne nous semble pas que l'on puisse
soutenir que cette hypertrophie des fibres musculaires soit une phase
prémonitoire précédant leur atrophie définitive : en effet, c'est dans les
faisceaux les plus malades que nous avons observé les fibres hypertro-
phiées ; au contraire, dans ceux où le processus lésionnel était à son
début, où le tissu fibro-adipeux n'avait encore que légèrement proliféré,
nous n'avons trouvé que des fibres de dimensions normales, diminuées
de volume ou à peine augmentées ; il nous semble donc hien que le pro-
cessus lésionnel soit susceptible d'évoluer de deux manières : la fibre peut
réagir en s'amincissant et en s'atrophiant peu à peu, ou au contraire en
s'hypertrophiaht, sans que nous puissions d'ailleurs préjuger s'il s'agit
dans ce dernier cas d'une véritable lésion ou bien d'une hypertrophie
compensatrice.
Un problème plus délicat à aborder, c'est celui de l'origine du tissu
interstitiel qui remplace les fibres musculaires disparues.
On sait que deux théories sont en présence pour l'expliquer : d'après la
majorité des auteurs classiques, le tissu interstitiel est dû à la proliféra-
tion du périmysium interne et externe; au contraire,pour d'autres auteurs,
pour Krôsing en particulier, ce tissu interstitiel proviendrait de la fibre
musculaire elle-même.
Il nous est bien difficile de prendre parti dans ce débat : il est certain
que le périmysium prolifère et que c'est bien lui qui forme la majeure
partie du tissu conjonctif de remplacement ; en effet,si nous examinons un
muscle peu atteint par le processus myopathique (PI .XLVIII,B),les muscles
des éminences hypothénar et thénar nous offrent un sujet d'étude tout
à fait favorable à ce point de vue, nous voyons que chaque fibre muscu-
laire est entourée d'une gaine conjonctive; les grands tractus sont eux-
mêmes épaissis, les vaisseaux et les capillaires ont subi la transformation
UN CAS DE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS 351
fibreuse de leurs parois, et cependant, en aucun point, on ne trouve de
figure pouvant faire supposer au niveau des fibres musculaires une ré-
gression aboutissant à la transformation fibreuse.
Au contraire, dans les muscles fortement touchés par le processus lé-
sionnel, dans le long supinateur au niveau des membres supérieurs, dans
le grand pectoral et le grand dorsal au niveau du tronc, dans le droit an-
térieur, le biceps, le jambier antérieur au niveau des membres inférieurs,
on peut se demander si le processus décrit par Krôsing n'intervient pas
pour une part dans la constitution des lésions. En effet, sur des coupes
perpendiculaires, on aperçoit, noyées dans des placards fibreux de fines
fibres striées en contact intime avec des éléments conjonctifs. Sur des
coupes longitudinales, on peut voir de véritables bandes de stratification
fibreuses séparées par des lits de vésicules adipeuses. Ces bandes fibreuses
FlG. 1.
Lésions parenchymateuses diverses de libres musculaires coupées longnuainaiemem.
a) Division longitudinale d'une fibre musculaire.
b) Fibrillation d'une fibre musculaire ; retour à l'état embryonnaire et peut-être trans-
formation fibreuse.
c) Atrophie d'une fibre musculaire avec amas de blocs réfringents dans la partie ter-
minale.
(Pl. XLVIII, C), d'une part,renferment de très nombreux noyaux arrondis
formant des séries linéaires et rappelant ainsi les noyaux multipliés de la
fibre musculaire, d'autre part, continuent la direction de fibres musculai-
res parfaitement reconnaissables comme si elles en étaient le prolonge-
ment. Dans la zone de transition entre les bandes fibreuses et la fibre
musculaire relativement saine ayant conservé sa striation transversale, on
peut voir cette fibre musculaire se diviser en fibrilles primitives (fig. 1)
avec accotement de noyaux entre ces fibrilles ; la striation transversale dis-
paraît et dès lors apparaissent des aspects de longues cellules fusiformes, à
noyaux allongés, se colorant en rose par le carmin et qui sont fort analo-
gues aux figures données par les auteurs (Krôsing, Durante) comme type
352 CESTAN ET LEJONNE
de régression de la fibre musculaire (voir fig. 4, b). Nous devons toute-
fois signaler deux causes d'erreur ; d'une part, l'épaississement des parois
des capillaires ; d'autre part, la persistance de la gaine vide du sarcolemme
qui pourraient être interprétés à tort comme des formes de régression cel-
lulaire.
Aussi, malgré la difficulté de se reconnaître avec certitude dans un tissu
fibreux aussi complexe, à la constitution duquel prennent part le tissu
conjonctif et les vaisseaux, les débris du sarcolemme, les fibres musculai-
res embryonnaires, nous croyons que pour expliquer l'état de certains mus-
cles, on peut très bien adopter la théorie de Krôsing et admettre la pos-
sibilité d'un tissu d'apparence fibreuse, formé par la régression de la libre
musculaire. Toutefois, à notre avis, nous le répétons, le tissu interstitiel
et ses divers éléments, particulièrement les vaisseaux, sont en somme les
producteurs principaux du tissu fibreux.
Nous devons nous demander quel est le sort de la fibre musculaire.
Plusieurs processus semblent pouvoir se produire : 1° nous venons de
voir et d'analyser comment la fibre musculaire peut évoluer vers la forme
fibroïde; 2° ce processus n'est pas le plus fréquent et l'on voit le plus sou-
vent la fibre musculaire diminuer de volume, devenir" extrêmement grêle
tout en conservant sa striation et finalement disparaître par un processus
d'atrophie lente ; ce processus d'ailleurs se combine fréquemment avec le
suivant ; 3> lorsque la fibre est devenue très grêle, on voit apparaître dans
son protoplasma les masses réfringentes que nous avons signalées et qui
peuvent être interprétées soit comme des dégénérescences du sarcoplasma,
soit comme une phase de mortification des noyaux, en un mot comme
une manière de mourir de la cellule musculaire (voir fig. 4, c).
Nous avons signalé chemin faisant l'existence en certains points de la
dégénérescence granulo-graisseuse; nous pensons qu'il ne faut accorder
dans l'espèce à cette constatation qu'une valeur minime ; en effet, cette
dégénérescence est très disséminée et très inconstante ; jamais elle ne se
transforme en infiltration adipeuse vraie; il s'agit là de deux processus
absolument différents ; le tissu graisseux est toujours de formation extra-
musculaire et c'est bien dans le tissu interstitiel que se fait primitivement
le dépôt de graisse. Il ne faut pas d'ailleurs oublier que le malade est
mort cachectique, avec des lésions tuberculeuses du poumon, et c'est là
une raison suffisante pour ne voir dans cette dégénérescence granulo-grais-
seuse qu'une lésion contingente. Ce sont la, question d'histologie fine
très controversées et qu'il n'est pas possible de résoudre avec l'examen
anatomique d'un seul cas.
Mais si nous ne croyons pas pouvoir élucider la pathogénie de la myo-
pathie et établir de façon indiscutable comment débute et évolue le pro-
UN CAS DE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS 333
cessus lésionnel, il nous semble pouvoir tirer de notre examen anatomique
des conclusions intéressantes.
Tout d'abord, cet'examen justifie le diagnostic de myopathie familiale
que nous avions porté du vivant du malade ; mais surtout il explique les
caractères cliniques si particuliers de l'observation ; en effet, la rétraction
en flexion des membres supérieurs et inférieurs, la rigidité du tronc qui
malgré l'atrophie permettait au malade de marcher, tous ces signes, anor-
maux en apparence, sont expliqués par les constatations histologiques qui
nous montrent une fibrose toute particulière des fléchisseurs et des
muscles du tronc.
Si bien qu'en face des formes pseudo-hypertrophique et atrophique
simple des myopathies, et avec toute la réserve que comporte une différen-
ciation trop schématique, les faits de passage étant nombreux entre les
diverses formes, nous nous croyons autorisés à faire une place à une
forme plus rare il est vrai, mais donc l'existence clinique et anatomique
nous parait établie, la forme scléreuse avec rétractions.
x\it i 23
HOSPICE DE BICÈTRE
LABORATOIRE DE M. LE Der PIEIlHE MARIE
NOTE SUR LES CONCRÉTIONS CALCAIRES
DANS LE CERVEAU,
PAR
GUINIO CATOLA
. (de Florence)
Weld (1), Virchow (2), Bamberger(3), Delacour (4), Gùntz (5) et 1\0-
kitansky (6) ont depuis longtemps décrit des processus de calcification
dans le système nerveux central ; c'est surtout dans le travail cle lIubricli (7) ')
que nous trouvons la première description des dépôts calcaires avec des
caractères qui se rapprochent, jusqu'à un certain point, de ceux que nous
avons trouvés dans un cas.
Il s'agit ici d'un tabétique avec cécité, mort à t'age de a0 ans à Bicêtre,
dans le service de M. Pierre Marie.
Dès le début du tabes le malade présentait une légère hémiplégie du
côté droit tenant probablement à un ictus antérieur. Dans la dernière
année il eut trois autres ictus de plus en plus forts ; le dernier, dû à une
grosse hémorragie, l'emporta. Le malade a toujours nié la syphilis.
L'autopsie révéla une hémorragie assez grosse de l'hémisphère droit t
occupant toute la corne occipitale du ventricule latéral et semblant partir
de la queue du noyau lenticulaire. Les artères de la base du cerveau
étaient manifestement atteintes d'artério-sclérose simple. Les coupes de
Flechsig, en dehors du foyer hémorragique sus-mentionné, ne décelaient
aucune lésion grossière au niveau des noyaux centraux. Seuls les noyaux
lenticulaires présentaient des petites lacunes autour d'un grand nombre
de leurs artères : ces lacunes étaient particulièrement évidentes dans le
putamen.
(1) \VELD, Situn7sbericTele der ¡Vielle/, Académie, Bd 37, n° 48.
(2) Vntcuow, Virchow's Archiv., 1856.
(3) BOVüEIi01 ? fi, Verkalkung im Mark der Gross und Kleinltirns und im S<)'e</e)t/t ! <f/e/.
(4) Decacoau, Calcification dans le centre oval el dans le noyau lenticulaire. An-
nales médico-psychologiques, vol. XIV, p. 458.
(5) GOE'iTZ, Zeitschrift fiir Psychiatrie, Bd XX, II. 2, 3, 1863.
(6) ROKITA\SIiY, Lehrbuch der pathologischen Anatomie, Bd II, S. 472, 1856.
(7) IIUBRICII, lialkdegerteralion der Geflisse im Geltil'fl Zeitschrift sur Biologie, 1866.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XVII, PL. XLIX.
A. Infiltration calcaire au niveau de la gaine périvasculaire
- - et de l'adventice. '
B. - Dépôts calcaires autour des capillaires et en plein tissu nerveux
sans relation avec les vaisseaux.
Calola.
)1 -\ c;SON ET Cie, Éditeurs.
NOTE SUIt LES CONCRÉTIONS CALCAIRES DANS LE CËHVEAU 3a5
En coupant les pièces au microtome, on s'aperçut que le couteau criait
au niveau du globus pallidusde deux côtés, qui, d'ailleurs, ne présentait,
à l'oeil nu, ni des traces d'un ramollissement ancien ni la présence d'un
tissu néoplasique. Le seul fait à constater, c'était que les surfaces de
section étaient perçues au toucher comme finement sablées.
Différentes méthodes de coloration (Van Gieson, tématéine, hématoxyline-
éosine) pratiquées-sur des coupes provenant des pièces durcies dans le liquide
de Mutter, mettent en évidence an niveau du globus pallidus des concrétions
calcaires avec des caractères dignes d'être signalés. Le diagnostic de nature
fut contrôlé et conlirmé par des réactions chimiques. Il s'agissait de dépôts
constitués par des formations calcaires d'une grandeur variable, uniformes dans
leur aspect, parfois plus ou moins rondes, à la façon de boules, parfois plus
ou moins irrégulièrement cylindriques. Toutes ces formations sont disposées
soit autour des vaisseaux, soit au milieu du tissu nerveux sans relation, au
moins apparente, avec l'élément vasculaire. Autour des artères les boules cal-
caires et les masses cylindriformes sont rangées en cercle et constituent de
véritables anneaux fermés. Chaque cercle est constitué par plusieurs couches
d'éléments calcaires : les couches les plus internes sont représentées par des
petites boules et par des boules punctiformes ; les plus externes, au contraire,
par des boules irrégulières et volumineuses et par des masses cyliudriformes.
Ces anneaux calcaires périvasculaires, parfois siègent immédiatement en dehors
de la gaîne lymphatique, parfois envahissent cette gaîne même : le plus sou-
vent ils occupent l'adventice ; rarement la tunique moyenne ; jamais l'intima.
En tout cas l'adventice est la plus profondément touchée et envahie par les
formations les plus volumineuses et les plus bizarres sous le rapport de la
forme (PI. XL1X, A).
Outre les artères, les capillaires aussi sont plus ou moins profondément at-
teints par l'altération décrite ci-dessus. Le plus souvent les éléments calcaires
sont échelonnés le long des vaisseaux capillaires et en reproduisent exacte-
ment le parcours et les anastomoses ; parfois, au contraire, elles forment autour
d'eux des dépôts considérables à zones séparées où les capillaires disparaissent
plus ou moins complètement. Lorsqu'on examine les parois des capillaires
au moment du processus initial de la calcification, on peut constater en toute
évidence qu'elles commencent d'abord à être envahies de toutes petites boules
régulièrement rondes et de boules punctiformes qui vont graduellement aug-
mentant de nombre et de volume, au sur et à mesure que la lésion va s'accen-
tuant (Pl. XDX, B). De cette façon on peut suivre le mécanisme de constitu-
tion de ces dépôts calcaires à partir des petits grains jusqu'aux dépôts les
plus étendus, qui en conclusion, représentent le résultat de l'agglomération
d'éléments plus petits. On a donc, à certains égards, un mécanisme très ana-
logue ou au moins comparable, au mécanisme d'un processus de sécrétion.
Pour tout ce qui concerne les dépôts calcaires extra-vasculaires ou in-
terstitiels, si ou veut les appeler ainsi, on pourrait répéter tous les détails
356 GU1N0 CATOLA
donnés ci-dessus à propos des dépôts péri vasculaires. En effet, nous pouvons
rencontrer au beau milieu du tissu nerveux des formations calcaires de volume
variable isolées ou réunies en des amas plus ou moins considérables qui n'ont
* aucun rapport avec les vaisseaux, fci aussi nous avons des boules et des masses
cylindriformes, mais ce sont les premières qui prédominent toujours. Parfois,
à la vérité, l'indépendance des dépôts calcaires des vaisseaux est plus apparente
que réelle dans le sens que le plan de section peut être tombé au-dessous ou
au-dessus du vaisseau qu'ils entourent, mais ce fait est bien loin de se vérifier
régulièrement : le plus souvent, au contraire, est très nette et très démons-
trative la disposition interstitielle, en plein tissu nerveux, sans la moindre re-
lation avec l'élément vasculaire. Dans ce cas, ce n'est pas rare de rencontrer
des petites boules, teintes en noir, qui présentent un volume tout à fait pareil
à celui du noyau des cellules de névroglie. Ces boules sont ◀tantôt▶ isolées, ◀tantôt▶
réunies en des petits groupes et plus ou moins mêlées avec les noyaux sus-
mentionnés. Dans le voisinage il n'existe pas la moindre trace d'un vaisseau
quelconque.
L'étude histologique ne décèle pas plus que l'examen macroscopique des
lésions grossières du tissu nerveux environnant les formations calcaires : tout
au plus peut-on y découvrir une légère augmentation de névroglie. En tout cas
on ne saurait pas mettre en discussion ni un ramollissement ni une tumeur
nécrosés, calcifiés. Il ne s'agit pas non plus d'un psammome, parce que à part
la localisation, qui ordinairement est tout autre, la structure des tumeurs sa-
blées est si différente de celle que nous avons trouvée dans ce cas qu'il serait
superflu d'y insister davantage. D'autre côté l'athéromasie ordinaire ne corres-
pond pas au tableau histo-pathologique que nous venons de faire ci-dessus. En
effet, dans l'athéromasie ce sont en général les gros vaisseaux qui se montrent
atteints et, dans leurs parois, c'est la moyenne et l'intima qui sont les plus
constamment exposées à la formation d'inscrustations et de dépôts calcaires. En
outre, si au niveau des capillaires on a décrit dans des cas d'artério-sclérose cé-
rébrale, la dégénérescence trouble, granuleuse, fibrillaire, hyaline avec ou sans
épaississement de la paroi, avec ou sans rétrécissement de leur lumière, on n'a
pas trouvé une calcification semblable à celle décrite par Hubrich (1) et dans le
cas qui nous occupe : dans le cas de Simon (2), les capillaires étaient de même
complètement indemnes. De plus, nous savons que dans l'altliéromasie ordi-
naire on ne rencontre jamais des dépôts calcaires entièrement indépendants
des vaisseaux sanguins et disséminés dans les espaces interstitiels du tissu
nerveux.
Les cellules ganglionnaires du noyau lenticulaire n'étaient pas envahies par
le processus de calcification.
Encore une remarque à propos de la calcification des parois vascu-
(1) Loc. cil.
(2) SIMON Tf1., Ausgedehnle Verkalkung der Ili1'ngefilsse bei einer ldiolin. Virchow's
Archiv., 1812.
HOLSrilECONIKOFF, Urger Deeaeralioa der TIi1'ngefiisse. Virchow's Archiv., Bd CXIf. 1.
NOTE SUR LES CONCRÉTIONS CALCAIRES DANS LE CERVEAU 357
laires. On a répété maintes fois qu'elle est secondaire à la dégénération
hyaline ou colloïde ; or, sans vouloir nier absolument le fait dans notre
cas, on doit faire- remarquer qu'il y constitue une exception : en règle
générale les vaisseaux ne présentent pas ici de ces formes de dégéné-
rescence. Du reste, en soutenant la théorie de la dégénérescence hya-
line préalable à la formation de dépôts calcaires, on expliquerait avec une
certaine difficulté, l'existence de la calcification limitée presque constam-
ment à l'adventice et l'intégrité plus ou moins absolue de la media.
Un autre point à signaler et sur lequel nous n'avons pas suffisamment
insisté est représenté de l'état du tis.su nerveux qui se trouve immédiate-
ment autour des vaisseaux calcifiés. En effet, si épais que puissent être
les anneaux calcaires envahissant la paroi vasculaire, on est frappé de
ne point trouver ni gliose périvasculaire prononcée ni formation de
lacunes. Si dans le noyau lenticulaire existent, comme nous l'avons
dit, des lacunes, elles se rencontrent justement dans le putamen où
les vaisseaux n'ont subi aucun processus de calcification. Tout cela
signifie vraisemblablement, que dans le mécanisme des lésions désin-
tégratives du tissu nerveux juxta-vasculaire, les lésions de perméabi-
lité de la paroi vasculaire peuvent avoir moins d'influence que les
processus morbides de la gaîne lymphatique périvasculaire. D'ailleurs
dans le cas présent, les parois vasculaires transformées en luyaux rigides
.par les dépôts calcaires devraient être presque imperméables et de-
vraient déterminer des altérations profondes dans le tissu environnant,
si on admettait, avec quelques auteurs, que les lésions du tissu périvas-
culaire dans la sclérose et l'épaississement des artères doivent être repor-
tées surtout à l'altération de la qualité et de la quantité du liquide nutri-
tif filtré même à travers les parois vasculaires (1).
En conclusion, nous avons affaire à une lésion fort peu banale et qui
prête, comme nous venons de le faire remarquer, à différentes considé-
rations.
(1) Mallory, Calcareous concrétions in the l3naiz. Journal of Pathology and of
Bacteriology, 1895.
DOSl'JCE DE BlCl1'nE
LABORATOIRE DE 1\1. PIERRE MARIE
ÉTUDE DU NERF OPTIQUE
DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE
PAR
André LÉRI,
Ancien interne des hôpitaux.
La plupart des auteurs qui se sont occupés de l'anatomie pathologique
de l'amaurose tabétique ont localisé dans le nerf optique la lésion origi-
nelle du processus. Ce n'est qu'il une date relativement toute récente,
depuis le triomphe de la théorie du neurone, qu'un petit nombre d'au-
teurs (Popoff, Moxter, von Michel, de Grosz) ont voulu voir dans la dégé-
nérescence et l'atrophie primitive des cellules rétiniennes la cause de
l'atrophie du nerf optique. Les partisans de la théorie « nerveuse » l'em-
portent cependant sur les partisans de la théorie « rétinienne », mais
entre les premiers les divergences d'opinion sont grandes encore sur la
nature et de la cause de l'altération du nerf optique. En énumérant les
quelques remarques faites par les auteurs, nous allons voir combien elles
se contredisent encore mutuellement.
Pour Ordonez l'atrophie tabétique était une sclérose d'origine vascu-
laire, pour Virchow une névrite interstitielle, pour Vulpian, Charcot une
névri te p3rencllyma teuse, le tissu conjonctif seraitirritésecondairement par l'
les fibres dégénérées formantpour ainsi dire des corps étrangers. Charcot,
Erb,Gowers admettaient que.le processus atrophique du nerf présente beau-
coup d'analogie avec le processus de sclérose des cordons postérieurs, qu'il
débute dans les parties périphériques des voies optiques pour gagner pro-
gressivement les parties centrales, parfois jusqu'aux corps genouillés et
aux tubercules quadrijumaux antérieurs, qu'enfin dans les portions attein-
tes les fibres du pourtour sont prises les premières et les fibres axiales plus
tardivement. Les rares constatations qui ont été faites ne répondent nulle-
ment toutes à ces remarques.
Leber (1) a examiné histologiquement 3 cas d'amauroses tabétiques.
Dans l'un toutes les fibres étaient atrophiées, dans les deux autres les
portions dégénérées paraissaient très irrégulièrement disséminées. Leber
(1) Lenrn, Arch. f. Ophtalmol., 18G8.
Nouvelle Iconographie DE la SALPÈTRIERE.
T. XVII. PI. L
ÉTUDE DU NERF OPTIQUE DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE.
(,.4. Léri).
ÉTUDE DU NERF OPTIQUE DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE 359
conclut à l'extrême variabilité des zones dégénérées et à l'impossibilité de
donner une règle à la dégénérescence.
Westphal (1) a constaté une fois une atrophie totale du nerf optique ;
aucune fibre n'était conservée. Poncet (2) a constaté une sclérose prédo-
minante dans le centre du nerf optique, il croit que l'amaurose tabétique
débute par les parties axiales du nerf et non par les parties périphériques.
Hoffmann (3) a confirmé la conclusion de Leber sur la variabilité de
distribution de la sclérose et a ajouté que les fibres conservées forment de
petits groupes.
Uhthoff a observé une fois l'atrophie d'un secteur du nerf.
De Wecker (4) admet que la dégénérescence grise tabétique est « une
altération sui generis, idiopathique des nerfs périphériques, du nerf opti-
que et des cordons de la moelle, qui n'a pas plus de rapport avec un sim-
ple état atrophique qu'elle n'en a avec un processus inflammatoire, une
névrite ; la persistance du tissu dégénéré est un trait caractéristique de la
dégénérescence grise, ce tissu revient sur lui-même, et ce retrait est mê-
me assez notable ; mais ce retrait correspond à un véritable affaissement
du tissu dégénéré,... une participation directe et active du tissu connec-
tif du nerf à la dégénérescence doit être absolument exclue... Cette dégé-
nérescence débute dans les nerfs optiques soit isolément, soit simultané-
ment avec.le cliiasma et le tractus optique. Elle n'a alors pas besoin de se
propager d'une manière centrifuge ou de préférence centripète, mais elle
peut se présenter sous forme d'îlots ou de plaques qui sur des coupes oc-
cupent, d'après Leber, de préférence le voisinage des enveloppes des nerfs
optiques. La marche n'estnullement progressive, en ce sens qu'une dégé-
nérescence débutant dans le tronc orbitaire ou intracanaliculaire doit, à
une époque donnée, envahir le chiasma; on peut encore rencontrer des
cas où la dégénérescence grise en deçà du chiasma n'a pas atteint celui-ci
et concorde avec le début d'un foyer récent de dégénérescence dans les
bandelettes optiques.... La dégénérescence grise ne contourne jamais en
entier la gaîne. »
Popoff (5) a examiné histologiquement avec la méthode de Pal les voies
optiques d'un cas de tabès avec cécité.. Les nerfs optiques étaient très
petits, surtout près du globe oculaire; un seul faisceau inféro-interne et
quelques fibres éparses étaient conservées. Le chiasma était en grande partie
(1) Westphal, Ueber eines Full vos spisales Erbliudung, Arch. f. Psych., XV, 3.
(2) PONCENT, Soc. de Biol., ils.2.1882.
(3) Hoffmann, Uber das Veolhalten der Sehnervenatrophie bei Tabès dnrsalis, Inaug,
dissert., Berlin, 1888.
(4) De \VeCKEII et LANOOLT. Traité d'ophtalmol., 1889.
(5) Popoff, Journal neurol. de Kazan, n° 1893 ; D. Zeitsch. f. Nervenheilk., 1S93,
p. 210.
360 LÉ RI
atrophié, sauf en haut et en bas ; les bandelettes étaient dépourvues de
fibres nerveuses, sauf sur leurs bords postérieurs. D'après cet examen
Popoff croit au début du processus par l'extrémité terminale du nerf et
à l'atteinte prédominante du faisceau direct.
Pour Moxter (1) comme pour Popoff la marche serait centripète, le
début se ferait dans la rétine.
Berger (2) croit trouver dans des troubles vaso-moteurs d'origine bul-
baire la cause de l'àmaurose labétique.
Schlaagenhaufer (3) a émis l'hypothèse que la cause de l'atrophie tabéli-
que du nerf optique doit être cherchée dans l'étranglement du nerf à son
passage dans le trou optique à la suite d'une périostiteou d'une pachymé-
ningite syphilitique ; la cause de l'atrophie des nerfs optiques serait ana-
logue à celle que Obersteiner et Redlich admettent pour l'atrophie des
racines postérieures, à savoir une compression à travers la pie-mère spi-
nale : l'une et l'autre atrophies seraient dues à une compression, à un
étranglement des troncs nerveux.
On peut dire en somme que toutes les opinions ont été émises sur la
forme, la nature et l'origine des lésions de l'atrophie optique du tabes :
les uns placent l'origine de la lésion dans la rétine, d'autres dans le nerf
optique ; parmi ces derniers certains considèrent qu'il y a névrite intersti-
tielle, d'autres névrite parenchymateuse avec prolifération conjonctive
secondaire, d'autres atrophie simple sans réaction conjonctive. Quant au
début du processus, certains le voient dans les parties périphériques du
nerf, d'autres dans les parties axiales, d'autres enfin croient à dégénéres-
cence sans aucun ordre.
Pourtant un très petit nombre de travaux ont été faits avec examen
histologique sur ce sujet, et chacun d'eux ne repose que sur quelques
cas; dans la plupart de ces cas le nerf optique et quelquefois l'oeil ont
seuls été coupés. L'amaurose tabétique est donc anatomiquement et pa-
thogéniquement tout à fait méconnue.
En présence des nouvelles idées émises sur la pathogénie du tabes dor-
sal, il nous a paru justifié, pour élucider la pathogénie de l'atrophie opti-
que tabétique, d'utiliser les nombreux et précieux documents accumulés
dans le service de notre maître, M. Pierre Marie à l31cétre.
Voici de quoi s'est composé notre matériel d'études, pour ce qui con-
cerne spécialement le nerf optique : nous avons coupé les nerfs optiques
de 21 tabétiques avec amaurose complète et de deux tabétiques avec cécité
(1) Motter, D. medic. Woch., 1895, n° 36; Zeitsch. f. Klin. Med., 1896, p. 334.
(2) Berger, Arch. f. Augenheilk., 1889, p. 305.
(3) SCIILAAGENRAUFER, Jahrbücher f. Psychiatrie, 1897, p. 1.
Nouvelle Iconographie de la SALPêTRIèRE.
T. XVII. Pl. LI
ÉTUDE DU NERF OPTIQUE DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE.
ÉTUDE DU NERF OPTIQUE DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE 3G1
incomplète ; nous avons examiné également les nerfs optiques de 3 para- .
lytiques généraux avec cécité. Comme terme de comparaison nous avons
pris les nerfs de 16 tabétiques et de 18 paralytiques sans cécité : nous
avons ainsi pu prendre sur le fait dans un certain nombre de cas le début
d'un processus que l'examen clinique n'avait pas encore laissé supposer.
Nous avons coupé également les nerfs optiques d'un syphilitique ancien
presque aveugle depuis près de 10 ans sans avoir présenté de signes de
tabès et de 6 syphilitiques non amaurotiques atteints d'affections mé-
dullaires spécifiques-variées (paraplégie spasmodique, myélite subaiguë,
etc.). Nous avons examiné les nerfs optiques de deux sujets atteints de cé-
cité unilatérale et d'un sujet atteint de cécité bilatérale par suite de lé-
sions diverses avec atrophie consécutive des nerfs optiques. Enfin nous
avons examiné les nerfs d'un certain nombre de sujets soit normaux soit
atteints de lésions quelconques des yeux, mais sans atrophie optique. Dans
l'ensemble nous avons fait l'examen des nerfs de 84 sujets : pour la plu-
part d'entre eux nous avons coupé les deux nerfs optiques.
Toutes nos coupes ont été colorées par les deux méthodes de Weigert
et de Pal ; en employant cette dernière méthode nous avons coloré les
cellules par la cochenille. Un certain nombre de coupes ont été colorées
en outre par l'hématoxyline-éosine, quelques-unes par la méthode de
Marche.
A. - ANATOMIE MACROSCOPIQUE.
Deux faits surtout nous. ont frappé à l'examen macroscopique des nerfs
optiques dans l'amaurose tabétique : d'une part l'épaississement des
zones méningées, d'autre part la disproportion entre le volume de nerfs
également privés de fibres.
Dans la plupart des cas de tabes avec cécité, l'arachnoïde qui recouvre
les nerfs optiques et le chiasma est très épaissie. Le chiasma ne repose
nullement à l'état normal, comme on l'a prétendu, sur la gouttière opti-
que, mais en reste toujours distant au moins de 1 centimètre (Panas,
Zander) ; l'arachnoïde n'est nullement accolée ni à la gouttière, ni au
chiasma ; le chiasma baigne dans l'espace sous-arachnoïdien qui forme à
ce niveau l'un des grands lacs de la base de l'encéphale (Duret) : ce lac
comprend le confluent antérieur entre le chiasma et les nerfs optiques,
et le confluent inférieur entre les bandelettes optiques et les pédoncules
cérébraux. Or, alors qu'à l'état normal l'arachnoïde transparente n'em-
pêche pas de voir les nerfs optiques, le chiasma et les vaisseaux sous-
jacents, dans l'amaurose tabétique l'arachnoïde épaissie forme générale-
ment un voile blanchâtre, opaque, à surface un peu chagrinée souvent,
qui ne laisse même pas voir les vaisseaux accolés à sa face profonde ;
3 6A lé ri
l'arachnoïde a à ce niveau tout et fait l'aspect de la méninge spinale posté-
1'ieul'e des tabétirlites; les trabécules qui la relient aux nerfs sont souvent
épaissis et indurés. La gaine pie-mérienne qui entoure immédiatement
le nerf est aussi généralement épaissie et forme au nerf une enveloppe
opaque, surtout dans les périodes relativement précoces de l'atrophie
(nerfs de Gara..., Laverg..., Bits..., etc.).
Cet épaississement méningé, et en particulier l'épaississement arach-
noïdien, a été trouvé très marqué à l'autopsie de nos malades Rei..., 1
Rae..., Poti..., Dudou ? Dor..., Desmar..., etc. (1). Si nous ne l'avons
pas noté plus fréquemment dans nos observations, c'est que nous n'avons
eu l'attention attirée sur ce point que depuis relativement peu de temps,
et que nous n'avons pu le contrôler que chez les tabétiques aveugles
morts depuis ce temps ou chez ceux dont le chiasma n'était pas encore
coupé : dans ces cas l'épaississement nous a paru le plus souvent très
net. Il était certainement plus marqué que dans les cas de paralysie géné-
rale que nous avons eu ci examiner, même dans les cas de paralysie géné-
rale avec amblyopie très prononcée.
Le second fait qui nous a paru digne de remarque dans l'examen ma-
croscopique des nerfs optiques est l'extrême disproportion du volume
entre des nerfs d'amaurotiques à peu près également dépourvus de fibres.
Dans l'amaurose tabétique, les nerfs optiques sont, dans la grande ma-
jorité des cas, diminués de volume; celte diminution va jusqu'à la
moitié et plus du volume normal ; elle atteint ci la fois la portion crâ-
nienne et la portion orbilaire. Les nerfs très atrophiés n'ont plus guère
dans l'orbite quel millimètre ou 1 mm. 1/2 de diamètre. Au sur et à
mesure que les nerfs s'atrophient; ils se séparent de leur gaine durale à
laquelle les rattachent seulement des travées fibreuses, vasculaires ou
non, plus ou moins épaisses ; l'espace intervaginal s'élargit, la gaine du-
rale, à demi-vidée, est lâche et se plisse. Quand l'atrophie nerveuse est
limitée à une portion périphérique du nerf, c'est parfois dece côté seul
que la gaine se plisse (nerfs de Besna..., par exemple).
Dans le crâne les nerfs paraissent surtout diminués de haut en bas,
plus aplatis encore que normalement, rubanés, n'ayant pas un millimètre
d'épaisseur; leur dimension transversale varie aussi, mais pas dans les
mêmes proportions.
Mais alors que dans certains cas où l'examen histologique nous a mon-
tré la persistance d'un nombre encore considérable de fibres (nerfs de
Gara..., de Besna..., etc.), la diminution de volume était déjà très nota-
ble, dans d'autres cas elle était fort peu marquée malgré une disparition
(1) L'observation clinique de ces malades a été publiée dans notre travail : Cécité et
Tabes. Étude clinique, 1904.
Nouvelle Iconographie de la SALPêTRIèRE
T. XVII. Pl. Lll
ÉTUDE DU NERF OPTIQUE DANS L'AMAUROSE TABÉTIOUC 363
presque totale des fibres nerveuses ; certains nerfs presque privés de fibres
(nerfs deDor... p. ex.), présentaient un volume au moins égal au volume
d'un nerf normal 'et remplissaient complètement leur gaine. Ce seul fait
nous semble indiquer à priori qu'il doit y avoir dans le nerf un autre
processus qu'une simple atrophie sur place des fibres nerveuses : l'examen
histologique nous a en effet expliqué cette disproportion.
Les nerfs, deviennent moins nettement blancs qu'à l'état nOl'l1,'1/jl
sont souvent un peu grisâtres, comme à demi-translucides ; leur epâsis-
tance n'a cependant pas diminué. \A\
B. - Anatomie microscopique.
(j est clans le nert optique que nous avons assurément trouvé les lésions
les plus caractéristiques de l'amaurose tabétique.
Nous étudierons successivement les lésions de la portion orbitaire du
nerf et celles de la portion crânienne.
a) Portion orbitaire. - 1 . Gaines du nerf. - La gaine durale du nerf
semble quelquefois un peu épaisse, mais elle reste formée de fibres serrées,
surtout circulaires, elle ne s'infiltre ni de sérosité ni de cellules,et il est assez
rare que l'épaississement présente un développement considérable. Elle
n'augmente en tout cas nullement en proportion de la diminution du nerf,et
il se forme entre la gaine durale et le nerf un espace plus ou moins large.
L'arachnoïde, qui, à l'état normal, n'est que médiocrement adhérente à la
gaine durale et en est souvent à demi détachée, s'en détache presque com-
plètement quand le nerf s'amincit ; elle suit, incomplètement, le' nerf.
Entre la dure-mère et l'arachnoïde reste généralement un espace vide; ra-
rement on y rencontre d'assez nombreuses cellules. Au contraire, l'espace
sous-arachnoïdien, entre l'arachnoïde et la pie-mère, est presque toujours
très abondamment infiltré de cellules rondes. Ces cellules sont à coup sûr des
lymphocytes ; elles en présentent tous les caractères. Elles paraissent for-
mées uniquement d'un noyau plus ou moins sombre ; elles se colorent en
bleu par l'hématoxyline et prennent en général tous les colorants basiques;
quand on emploie les méthodes de Weigert ou de Pal, elles deviennent .
noires par l'hématolyline quand les pièces ont été très chromées, elles se
décolorent dans le cas contraire. Elles sont abondantes surtout au pour-
tour des vaisseaux qui traversent l'espace intervaginal et de ceux qui for-
ment le réseau pie-mérien. Non seulement elles remplissentplus ou moins
l'espace intervaginai, mais elles infiltrent aussi la gaine piale qui est très
épaissie dans la plupart des cas; elles forment par places de véritables
nodules. Elles engainent seulement sur une très petite étendue les vais-
seaux qui pénètrent dans le nerf lui-même.
Celle infiltration est très caractéristique et ne manque pour ainsi dire
3 (il 1 LÉRI
pas, sauf peut-être dans certains cas très anciens, mais il faut chercher
entre l'arachnoïde et le nerf et non dans l'espace resté généralement clair
entre la gaine durale et l'arachnoïde décollée.
Les vaisseaux semblent peu nombreux dans la gaine piale, au moins
dans les cas anciens, mais leur paroi est généralement très épaisse et,
comme nous venons de le dire, souvent infiltrée.
2. Nerf.- Le nerf optique proprement dit peut présenter deux aspects :
ces deux aspects fort dissemblables répondent aux deux aspects différents
qui déjà à l'examen macroscopique nous avaient frappé : les nerfs « petits »
et les nerfs « gros ».
Les nerfs petits sont de beaucoup les plus fréquents et présentent
sur les coupes transversales, dans des cas très anciens, un aspect vraiment t
tout à fait caractéristique. Au lieu d'observer, comme à l'état normal, une
division du nerf en un certain nombre de fascicules secondaires bien li-
mités, on ne voit plus qu'une couche à peu près uniforme de tissu fine-
ment granuleux, parfois finement vacuolaire, parsemée d'une infinité de
.nodules arrondis ou ovalaires qui ont l'air de faire saillie sui, la coupe;
L'examen à un fort grossissement montre que chacun de ces nodules est
formé de couches fibreuses concentriques; de leur périphérie partent
souvent un ou deux prolongements fibreux ; à leur centre on voit parfois
un ou deux globules rouges, complètement enserrés dans les couches
fibreuses.
Quant au tissu granuleux qui forme le fond de la coupe presque tou-
jours, en cherchant avec soin sur une coupe colorée au Weigert, on arrive
à y trouver la coupe d'au moins quelques fibres nerveuses isolées. Sur une
Fig. 1.
Chiasma de tabes-cécité (coupe frontale) : coloration à l'hématoxyline-éosine. On re-
marquera la méningite extrêmement intense sur tout le pourtour ; des amas lym-
phocytaires forment à la partie inférieure de la tige pituitaire, autour d'un paquet
vasculaire, une nodule visible à l'oeil nu.
ÉTUDE DU NERF OPTIQUE DANS l.'AUnIAUitoSE TABÉTIQUE 365
coupe colorée à l'hématoxyline-éosine on y voit une infinité de noyaux :
ces noyaux ressemblent à des lymphocytes, mais comme d'une part les
lymphocytes ne nous ont pas paru pénétrer loin dans le nerf au pourtour
des vaisseaux, comme d'autre part ces noyaux n'entourent pas les nodules
vasculaires même incomplètement sclérosés, il nous parait bien plus vrai-
semblable qu'il s'agit des noyaux de cellules névrogliques, qu'il y a dans
le nerf, à la place des fibres nerveuses disparues, une abondante prolifé-
ration névrotique.
Les atrophies, même anciennes, ne présentent pas toujours le même as-
pect ; dans certains nerfs, dans ceux qui ont conservé un volume très voisin
du volume normal, dans les nerfs « gros », au lieu de nodules qui em-
Nerf optique d'une atrophie tabélique comlète ( lng...) : type ordinaire, « nodulaire »
nerf petit; coloration à l'hématoxyline-éosine. Nodules fibreux extrêmement nom-
breux, presque tous obturés, quelques-uns à lumière perméable ou occupée par un
ou deux globules rouges, Fond parsemé de noyaux nombreux, probablement névro-
gliques. Presque plus de fibres nerveuses. Lymphocytes extrêmement nombreux
entre l'arachnoïde et la pie-mère et dans l'épaisseur de la pie mère ; large espace à
peu près vide entre l'arachnoïde décollée et la dure-mère.
brochent pour ainsi dire le fond uniforme de la préparation et qui n'ont
plus entre eux aucun lien apparent, on voit d'épaisses travées fibreuses
unir ces nodules ; mais ces travées ont généralement une direction allon-
gée, ovalaire ; dans certains cas leur existence parait due en partie à ce que
la coupe a été faite, non pas exactement perpendiculaire à la direction du
Fig. 2.
366 LÉRI
tronc nerveux, mais un peu obliquement. L'aspect du nerf se rapproche
alors un peu plus de l'aspect normal, il est « trabéculaire o, mais les
trabécules sont très épaissis, ils paraissenl formés de tissu scléreux dense,
ils sont beaucoup plus abondants qu'à l'état normal, ils semblent à demi-
indépendants de ce qui représente le reste du tissu nerveux, et une ligne
blanche marque souvent la limite entre les deux tissus ; sur toute leur
étendue ces travées présentent de nombreux nodules fibreux dont certains
ont à leur centre un ou deux globules rouges. Dans ces cas l'abondance
du tissu scléreux est tout à fait frappante ; on conçoit que les mailles
soient plus étroites peut-être par le seul fait de la disparition des fibres
nerveuses qu'elles contiennent, mais ce qui nous paraît indiscutable, c'est
l'épaississement parfois considérable du tissu interposé, du tissu conjonctif;
cet épaississement est parfois assez net pour qu'un nerf qui ne contient
plus que quelques fibres éparses ait conservé à peu près le volume d'un
nerf normal.
Si l'on peut comprendre assez facilement comment apparaît le second
aspect que nous venons de décrire, parce que la coupe est restée trabécu-
laire, il est moins aisé de saisir à première vue comment la fasciculation
normale se transforme assez pour donner naissance à l'aspect « nodulaire »
que nous avons décrit tout d'abord, à ce champ uniforme parsemé de no-
dules fibreux. C'est aux cas relativement récents que nous avons demandé
l'explication.
Dans certains cas de cécité tabétique incomplète avec conservation d'un
nombre assez considérable de fibres (cas de Bout... par exemple), nous
avons trouvé la coupe parsemée d'une quantité de nodules plus étoilés,
moins arrondis, il paroi beaucoup moins épaisse que ceux des cas plus an-
ciens et à lumière centrale tout à fait nette et complètement ronde ; il
s'agissait manifestement de vaisseaux. D'ailleurs, dans des cas moins ré-
cents, nous avons trouvé ces nodules plus arrondis et leur lumière cen-
trale était complètement obturée par deux ou trois et le plus souvent par
un seul globule rouge.
Ces nodules se trouvent dans tous ces cas aux points nodaux des cloi-
sons conjonctives interfasciculaires normales. Mais il y a plus, et dans
l'intérieur même de tous les faisceaux, dans les cas récents, on voit poin-
dre de semblables petits vaisseaux engainés de sclérose ; or à l'état nor-
mal c'est seulement dans les gaines conjonctives interfasciculaires que
l'on trouve des vaisseaux et jamais dans la gangue purement névroglique
intrafasciculaire, qui n'est traversée que par un abondant réseau d'espaces
lymphatiques sans paroi propre injectés par Schwalbe (1872), par Key et
Retzius (1875). Donc, de la façon la plus manifeste, à notre sens, il se
produit une intense néoformation vasculo-conjonctive : il y a tardivement
ÉTUDE DU NERF OI'lI[iUl; DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE 3t)î
sclérose non seulement des vaisseaux préexistants, mais de très nombreux
vaisseaux néoformés : chacun des innombrables nodules que l'on trouve
dans les atrophies anciennes est un vaisseau, préexistant ou néoformé,
sclérosé, épaissi et obturé.
Mais au premier abord il peut paraître surprenant de voir disparaître
les bandes fibreuses interfasciculaires que l'on trouve à l'état normal, alors
que la sclér.ose estailleurssi intense et s'attaque même aux vaisseaux nou-
veau-venus. Mais cette sclérose est essentiellement périvasculaire ; dans
certains cas seulement (nous en avons décrit ci-dessus des exemples) les-
lames conjonctives interfasciculaires avasculaires s'épaississent, dans les
autres elles disparaissent. Et ceci n'est pas une simple vue de l'esprit,
un voit nettement dans cette portion ae neri les pnases successives ae révolution ae
la sclérose. - A droite il existe encore de nombreuses fibres ; à ce niveau les vais-
seaux sont nombreux et encore largement perméables, des travées conjonctives
joignent les vaisseaux. - Dans le bas, à gauche, les fibres sont moins nombreuses ;
à' ce niveau les travées ont en partie disparu et les vaisseaux ne laissent plus voir
sur la coupe qu'un seul globule rouge. - A gauche et au milieu enfin il n'y a pres-
que plus de fibres ; à ce niveau les travées intervasculaires ont presque complète-
ment disparu et les nodules vasculaires sont complètement obturés.
rendue vraisemblable par ce que l'on constate dans tel ou tel autre organe.
Nous pouvons dire que dans certains cas en évolution nous avons, pour
ainsi dire, saisi sur le fait cette disparition.
Dans les nerfs optiques de notre malade, Bout... par exemple, des fibres
nerveuses existent encore dans tous les faisceaux, mais assez peu nombreu-
Fig. 3. ,
Nerf optique d'une atrophie tabétique envoie d'évolution (Bout...) : coloration par la
méthode de Weigert.
368 leiu
ses pour que dans la plupart on puisse presque les compter : or en certains
points de ce nerf on voit des nodules fibreux pousser l'un vers l'autre une
pointe ; les deux pointes ne s'unissent plus, dans l'espace qui les joint le
tissu est semblable à celui du reste des faisceaux, mais cet espace ne
contient plus aucune fibre. Dans d'autres points de la préparation, ces
nodules scléro-vasculaires restent complètement séparés, mais dans l'es-
pace qui les joint-on voit encore le tissu complètement privé de fibres.
On voit ainsi successivement les divers degrés par où passe la dis-
parition des travées interfasciculaires avasculaires, et l'on s'explique
l'aspect si spécial que nous avons décrit tout d'abord et qui est celui de
la plupart des nerfs optiques d'amaurose labétique avancée. L'extrême
multiplicité de nodules scléreux s'explique par la sclérose et l'obturation
des vaisseaux préexistants et des vaisseaux néoformés, leur dissémination,
leur isolement sans lien apparent sur un champ uniforme s'explique par
la disparation pure et simple des cloisons qui à l'état normal unissent les
points nodaux conjonctivo-vasculaires.
Bien entendu entre les deux aspects que nous avons décrits, la sclérose
« nodulaire, insulaire », et la sclérose « trabéculaire », il existe tous les
intermédiaires, la sclérose exclusivement trabéculaire en particulier
n'existe guère, et dans les cas les plus nombreux, on trouve un nombre
très variable de travées et de nodules isolés mélangés.
En tout cas dans les stades avancés la fasciculation normale est très
modifiée et l'examen de nos coupes nous a absolument convaincu que,
contrairement à l'opinion de certains auteurs, l'hypertrophie interstitielle
n'est pas seulement relative, et le tissu conjonctif ne revient pas seule-
ment sur lui-même par suite de la disparition des fibres nerveuses.
Ces lésions sont-elles spéciales à l'atrophie tabétique des nerfs optiques ? ` ?
Ne les rencontre-t-on que dans le nerf optique et dans le tabes ? Nulle-
ment, ce nous semble ; ces lésions sont celles de toute sclérose syphili-
tique, de beaucoup de formes de la syphilis tertiaire que l'on a dites para-
syphilitiques ; elles sont seulement adaptées à l'organe dans lequel elles
évoluent. Dans le nerf optique comme dans les autres organes, comme
dans la cirrhose syphilitique du foie par exemple, « ce qui est à noter
particulièrement dans l'évolution du tissu scléreux, c'est l'importance
considérable des lésions d'endo-et de périphlébite, et surtout celle des lé-
sions de périartérite et d'endartérite ohlitérante qui sont tout à fait carac-
téristiques de cette cirrhose » (Gilbert) (1). Dans la sclérose syphilitique
du nerf optique comme dans la sclérose syphilitique du foie, « les bandes
(1) Gimieht, Traité de médecine; BIIOUAIIDEL et GILI3GI ! 'C,Cirr)tuse spleleliyue du foie ,
t. V, p. 16k.
PLANCHE L
a) Nerf optique gauche de Despr... : sclérose combinée avec cécité. Type du nerf
« petit « et de la sclérose « nodulaire ». Ce nerf, qui ne contient plus aucune fibre
nerveuse, a à peine le tiers du volume d'.un nerf normal. La fasciculalion normale
est complètement modifiée. La coupe est parsemée de nodules vasculaires sclérosés
extrêmement nombreux sur un fond uniforme ; la plupart de ces nodules sont com-
plètement obturés, certains ont encore un globule rouge à leur centre, quelques-
uns ont une lumière libre. L'espace intervaginal contient une très grande quantité
de lymphocytes.
b) Détail de la coupe a : objectif 8. On voit très nettement les nodules scléreux dans
le nerf et les lymphocytes dans les gaines.
c) Nerf optique droit de Dor... : tabès avec cécité. Type du nerf « gros » et de la sclé-
rose « trabéculaire ». Ce nerf, qui ne contient presque plus de fibres nerveuses, a
cependant conservé à peu près le volume d'un nerf normal. (Ce nerf est photogra-
phié avec le même grossissement que le précédent et que les suivants : e, f, g, h,
i, etc...)
Le gros volume du nerf est dû à l'hypertrophie énorme et générale des travées con-
jonctives ; en certains points cependant on voit quelques nodules vasculaires sclé-
rosés isolés. Un certain nombre de vaisseaux assez volumineux subsistent dans le
nerf ; beaucoup de cellules de leur paroi interne paraissent avoir subi une dégéné-
rescence hyaline. Assez nombreux lymphocytes dans l'espace intervaginal.
d) Détail de la coupe c : ôbj. S. Les parties sombres sont les bandes conjonctives, les
parties claires sont les restes des faisceaux nerveux contenant quelques rares fibres
éparses.
e) Nerf optique droit de lIlélin... : labes avec cécité. Le malade était aveugle depuis
34 ans : il n'avait conservé que la notion du jour et de la nuit. Il subsiste dans le
nerf encore un bon nombre de fibres et l'on voit que la sclérose est en voie d'évo-
lution : sur certaines parties on peut suivre à la fois la dislocation des travées con-
jonctives et nodules fibro-vasculaires, l'obturation des vaisseaux et la disparition
des libres nerveuses. La méninge est très épaissie et infiltrée de lymphocytes.
f) Nerf de Ab... : sclérose combinée avec cécité. Mélange de nombreux nodules sclé-
reux et de travées scléreuses épaisses. Certains vaisseaux sont perméables au cen-
tre des nodules. Quelques rares fibres nerveuses éparses. Lymphocytes, épaississe-
ment de la gaine piale.
PLANCHE LI
g, h, i) Divers types de nerfs optiques de tabéliques aveugles (portion orbitaire).
g) Nerf de Aug... Type de la sclérose « nodulaire » : la plupart des nodules ont en-
core un globule rouge à leur centre. Très petit nombre de fibres nerveuses. Grosse
lymphocytose et épaississement des gaines. (C'est une portion de ce nerf qui est des-
sinée dans le texte : dessin 2.)
h) Nerf de Ler... - Plus grande quantité de travées vasculo-conjonctives, presque plus
de libres nerveuses, très gros épaississement de la gaine piale avec abondante lym-
phocytose.
i) Nerf de Bout... Le malade s'est suicidé peu de temps après la perte, d'ailleurs in-
complète, de la vue, le cerveau présentait les lésions les plus nettes de la paralysie
générale. - On peut suivre simultanément, suivant les portions de ce nerf, la dis-
location en nodules des travées vasculo-conjonctives, l'obturation des vaisseaux et
la disparition des fibres nerveuses. L'évolution de ce processus est représentée par
la photographie j d'une partie de ce nerf et par le dessin de celte même partie (voir
dans le texte le dessin 3).
j) Détail d'une portion du nerf i : obj. 8.
k) Portion d'un nerf optique atrophié à la suite d'une lésion d'origine externe : obj. 8.
- Les fibres nerveuses semblent avoir vidé leur gaine, ce qui donne à la coupe un
aspect vacuolaire spécial ; les travées conjonctives sont épaissies relativement au
volume des faisceaux nerveux vidés, mais la fasciculation est restée la même qu'à
l'état. normal. L'aspect est très différent de celui des nerfs de tabétiques amauroti-
ques.
1, m, o) Divers types de nerfs optiques de tabétiques aveugles dans leur portion crâ-
nienne. ,
1) Nerf de Aug... - On remarquera l'épaississemeut et la multiplication des travées
scléreuses et surtout le gros épaississement de la méninge ; de la méninge partent
des bandes de sclérose qui enkystent, pour ainsi dire, et séparent les faisceaux super-
ficiels du nerf.
m) Nerf de Uegr .. Type de sclérose sans hypertrophie conjonctive. Les travées,
non hypertrophiées, ne contiennent que des vaisseaux peu nombreux et plus ou
moins obturés ; les faisceaux, vides de fibres nerveuses, ont un aspect finement va-
cuolaire. Il semble que le siège initial de la sclérose a été plus périphérique.
n) Détail de la coupe n : obj. 8.
o) Nerf de Desmar... - Type de sclérose avec hypertrophie énorme des travées vas-
culo-conjonctives. Disparition des libres nerveuses. Méningite intense.
PLANCHE LU
p, q, r, s) Début de la sclérose dans la portion orbitaire.
p et q) Nerf optique gauche et droit de Besn... : sclérose combinée sans cécité - Une
légère bande à la périphérie de chaque nerf est sclérosée ; les nerfs sont déjà dimi-
nués de volume, leur gaine est plissée.
r) Nerf optique de Car... ; tabes et paralysie générale avec amblyopie. - La totalité
du pourtour est privée de fibres nerveuses, les vaisseaux très nombreux y sont com-
plètement obturés ou ne contiennent plus qu'un ou deux globules rouges, ils for-
ment des nodules isolés. Tout le centre au contraire a conservé, avec ses fibres, son
aspect et sa fasciculation normaux. Grosse lymphocytose méningée.
s) Nerf optique (portion vasculaire) de Laverg... : tabes-cécité. La sclérose occupe
uniquement une étroite bande périphérique et un mince quadrant; pourtant le malade
distinguait à peine une personne habillée en blanc et n'avait aucune vision distincte :
il est probable que le quadrant sclérosé répond au faisceau maculaire.
t' u) Début de la sclérose dans la partie crânienne.
t) Nerf de Faur... : sclérose combinée sans cécité. Sclérose périphérique avec hyper-
trophie conjonctive et dislocatives.
u) Nerf de Bits... : sclérose combinée sans cécité. Sclérose périphérique à la partie
inférieure, sclérose rayonnante suivant les branches d'un vaisseau à la partie supé-
rieure.
v et w) Portion orbitaire et portion crânienne du nerf optique d'un syphilitique tertiaire
, aveugle depuis 10 ans sans avoir présenté de signe de tabes (Turb...). - Nombreu-
ses fibres restantes ; mêmes lésions méningées et vasculaires que dans le tabes-
cécité, même distribution à la périphérie et autour des gros vaisseaux.
x) Nerf optique d'un cas de paraplégie spasmodique syphilitique (11101'...).
y) Nerf optique d'un vieillard arlério-scléreux atteint de cataractes anciennes (Pren...).
La sclérose est aussi ici périvasculaire, mais prédomine autour des vaisseaux du
centre et non à la périphérie, sous la méninge.
ÉTUDE DU NEUF OPTIQUE DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE 369
de la sclérose syphilitique sont constituées par un tissu adulte très riche
en fibres et contenant très peu de cellules conjonctives, sauf en quelques
points spéciaux où elles se réunissent en petits amas » (Gilbert).
Dans le nerf optique enfin comme dans le foie, les éléments voisins des
bandes ou des îlots du tissu scléreux, cellules ou libres, s'atrophient ou
dégénèrent ; et, en fait, dans le nerf optique, c'est surtout au pourtour des
travées vasculo-conjonctives restantes que, dans les cas récents, les fibres
dégénèrent en premier lieu : sur certaines de nos coupes cette constata-
tion peut être faite nettement. Dans presque, tous les nerfs, même dans
des atrophies très anciennes, il subsiste un certain nombre de fibres entre
les nodules vasculaires ; cette longue persistance de quelques fibres expli-
que la persistance si longue, qui nous a frappé dans l'étude clinique, de
l'état c demi-voyant », l'état qui permet au malade de distinguer le jour
de la nuit sans lui permettre de reconnaître la forme ou la couleur d'au-
cun objet.
Ainsi l'atrophie tabétique du nerf optique s'explique à notre sens très
nettement par l'existence successive des deux processus qui caractérisent
toute maladie chronique : un premier processus d'irritation avec néofor-
mation vasculaire plus ou moins manifeste, un second processus, bien plus
intense, de défense, de réaction des tissus qui se traduit par la formation
de la sclérose. Mais dans la syphilis l'altération vasculaire est prédomi-
nante ; dans le nerf optique comme dans l'ensemble des centres nerveux
(dans le tabes ou la paralysie générale par exemple) elle ne se traduit par
une diapédèse lymphocytaire qu'au pourtour des vaisseaux qui ont déjà
un certain calibre ; sur nos coupes nous voyons la diapédèse disparaître
sur certains vaisseaux qui entrent dans le nerf à très peu de distance de
la surface. La véritable lésion syphilitique des fins vaisseux est unique-
ment la sclérose périvasculaire et endo-vasculaire : elle a pour conséquence
l'oblitération vasculaire et par suite le défaut d'irrigation sanguine de
l'organe : le résultat en est forcément l'atrophie ou la dégénérescence des
éléments qu'il contient.
La lésion vasculaire est certainement suffisante à elle seule pour amener
la dégénérescence du nerf optique ; on le conçoit en jetant un simple coup
d'oeil sur les coupes de nerfs optiques en voie de dégénérescence, ils sont
pour ainsi dire totalement privés de vaisseaux. Mais du fait que la lésion
interstitielle explique l'atrophie des fibres optiques, faut-il absolument
nier toute dégénérescence primitive ? faut-il éliminer l'idée d'un virus
syphilitique agissant directement, quoique bien entendu toujours par l'in-
termédiaire de l'appareil circulatoire, sur la vitalité des éléments nerveux ? ' !
Nous ne poussons pas si loin l'absolutisme, le fait est possible, mais
jusqu'à plus ample informé il ne nous parait pas nécessaire de l'admettre.
.N %'Il °14
370 LÉIII
Il faudrait d'ailleurs admettre que celte action directe est limitée à certains
des éléments nerveux, car, comme nous l'avons dit, dans presque tous.nos
nerfs optiques, nous avons retrouvé au moins quelques fibres qui parais-
saient saines : cette constatation est peu en rapport avec l'hypothèse d'une
action élective du virus syphilitique sur les éléments nerveux, elle ne
permet cependant pas d'en éliminer la possibilité.
Les lésions de l'amaurose tabétique se localisent surtout au pourtour
des vaisseaux; il est donc une localisation qu'elles doivent surtout affec-
tionner dans le nerf optique, à savoir : le contact immédiat du riche
réseau vasculaire pie-mérien. Et, en effet, l'étude systématique que nous
avons faite des nerfs optiques de tabétiques et de paralytiques généraux
sans cécité nous a révélé dans plusieurs cas l'origine des lésions : dans la
plupart des cas ces lésions de début siégeaient à la périphérie du nerf,
occupant parfois toute la périphérie (nerf de Gara..., par exemple), parfois
une portion seulement de la périphérie (nerfs de Besna..., Laverg..., etc.) ;
dans ce cas la sclérose est parfois multiloculaire et neUement plus marquée
aux alentours des gros vaisseaux pie-mériens ; on comprend ainsi les
rétrécissements du champ visuel en secteurs que l'on observe dans l'amau-
rose tabétique.
Cette localisation première sous la méninge parait de beaucoup la plus
fréquente, mais elle n'est pas constante et dans quelques cas (nerfs de
Bout..., de Merlin...) nous avons trouvé des fibres restantes éparses dissé-
minées dans toute l'étendue de la coupe, aussi bien à la périphérie qu'au
centre : dans ces cas il y avait sclérose surtout au pourtour des vaisseaux
contenus dans le nerf.
Il existe, en somme, toujours une sclérose d'origine méningo-vascu-
laire, mais c'est ◀tantôt▶ l'origine méningée et ◀tantôt▶ l'origine vasculaire
qui prédomine; dans le premier cas, le plus fréquent, la sclérose prédomine
au pourtour du nerf, dans le second elle atteint à peu pressa totalité, mais
elle est souvent plus marquée au centre, au moins dans la partie la plus
périphérique du nerf à cause de la présence des gros vaisseaux centraux.
Fréquemment, dans les parties vasculaires du nerf on voit la périphérie
atteinte réunie par une bande de sclérose à la région centrale péri-vascu-
laire également atteinte ; le reste du nerf demeure plus ou moins in-
demne (nerf de Laverg..., par exemple) ; dans ces cas nous avons constaté
que le quadrant sclérosé qui joint les vaisseaux à la périphérie du nerf
est peut-être plus souvent situé du côté de la veine (nerf de Bout..., par
exemple), le quadrant dont l'artère forme le sommet est sensiblement
moins sclérosé.
Cette localisation première de la sclérose au pourtour des nerfs opli-
L;rul)1 : DU NEUF OPTIQUE blsz L',U1.\UHOSE 9 ? acyu 37 i
ques serait fort importante et éminemment favorable si les faisceaux
conservaient dans le nerf optique toujours la même situation, et si le
faisceau maculaire, faisceau de la vision distincte, restait, comme l'ont
pensé certains auteurs, central dans le nerf. Mais il n'en est pas ainsi ;
d'après les recherches de Henschen, le faisceau maculaire quitterait l'axe
du nerf au-niveau de l'entrée des vaisseaux el occuperait dans la portion
vasculaire.toute la partie inféro-externe; la localisation du faisceau ma-
culaire dans une partie de la périphérie explique très bien la perte rapide
de la vision distincte dans l'amaurose tabétique contrastant avec la conser-
vation très prolongée des sensations lumineuses. Nous en avons eu la
preuve par l'examen du nerf du malade Laverg... : ce malade, deux ans
déjà avant sa mort, « voyait seulement un peu de l'oeil gauche une per-
sonne habillée en blanc, mais n'en distinguait pas les traits » ; or, son
nerf optique gauche ne présentait dans sa portion vasculaire qu'une mince
zone de sclérose périphérique et un étroit quadrant ; tout le reste du nerf
était à peu près complètement sain : assurément le faisceau de la vision
distincte était une des rares portions sclérosées.
Mais tous les faisceaux du nerf, au moins les faisceaux périphériques,
peuvent être pris au même titre que le faisceau maculaire par la sclérose
d'origine méningée et vasculaire, ce faisceau est sans doute bien rarement
pris seul; -et l'on s'explique ainsi, d'une part la rareté extrême de la
vision « comme à travers un tube », de la conservation d'une acuité
visuelle presque normale avec un rétrécissement considérable du champ
visuel, d'autre part la grande rareté des scotomes purement centraux.
La sclérose parait varier uniquement avec la distribution des vaisseaux ;
aussi il existe toutes les variétés dans les rétrécissements du champ
visuel au début de l'atrophie tabétique et suivant les hasards de leur
statistique, les auteurs ont considéré comme particulièrement fréquents,
◀tantôt▶ le rétrécissement temporal, ◀tantôt▶ le rétrécissement nasal; celui
que la plupart des auteurs considèrent comme le plus fréquent est le ré-
trécissement concentrique inégal ou le rétrécissement en secteurs, c'est
celui qui répond le mieux à ce que l'histologie nous a appris sur la loca-
lisation des lésions.
Les lésions que nous venons de décrire dans le nerf des tabétiques
amaurotiques sont exactement les mêmes dans les scléroses combinées à
forme tabétique avec amaurose que nous avons dans toute notre descrip-
tion identifiées aux tabès vrais, bien que quelques signes permettent au-
jourd'hui de les en distinguer.
Ce sont aussi ces mêmes lésions que nous avons retrouvées dans la para-
lysie générale avec cécité : en examinant de parti-pris les nerfs optiques de
372 mut il
18 paralytiques généraux, nous avons pu observer les lésions de début de
l'atrophie optique dans plusieurs cas (cas de Labb..., Lefèv..., Philip...,
etc.) : nous avons constaté la même fymphocytosesous-arachnoïdienne, la
même sclérose sous-méningée et périvasculaire, parfois en secteurs. Dans
3 cas de cécité paralytique presque complète nous avons trouvé aussi
les mêmes lésions que dans le tabes amaurotique avancé.
En examinant de même les nerfs optiques de 4 sujets atteints d'affec-
tions syphilitiques variées (myélite, paraplégie, hémiplégie, méningite
corticale), nous avons trouvé une fois une lésion très limitée de la péri-
phérie de l'un des nerfs (dans un cas de paraplégie spasmodique) ; elle
présentait les mêmes caractères que l'atrophie tabétique au début, même
lymphocytose, même sclérose périvasculaire, mais de façon très atténuée.
Tous ces caractères se sont retrouvés bien plus nettement chez un syphili-
tique qui, sans autre signe de tabes, était aveugle depuis 7 ou 8 ans (nerf
de Turbe...) : la lésion était étendue à toute la corticalité du nerf, sur-
tout à droite, l'espace sous-arachnoïdien était infiltré de lymphocytes,
mais la sclérose périvasculaire et la modification de la fasciculation nor-
male étaient peu sensibles ; le nombre des fibres contenues dans la partie
centrale du nerf était d'ailleurs encore très considérable.
En somme, ces examens nous ont convaincu que dans toutes les amau-
roses syphilitiques tardives par atrophie oplique, qu'elles soient associées
au talles ou à la paralysie générale, ou qu'elles se présentent comme loca-
lisation isolée, la lésion première est la même : il s'agit d'inflammations
zasc2clo-coajoactizes et vasculo-méningées CI).'
b) Portions crâniennes. - Les altérations de la portion crânienne du
nerf optique sont les mêmes qne celles de la portion vasculaire; mais,
comme à l'état normal la portion la plus rapprochée du chiasma ne pré-
sente plus la division en faisceaux de la portion orbitaire, les modifica-
tions paraissent à première vue moins intenses. Normalement, en effet,
la partie préchiasmatique du nerf ne présente plus sur la coupe trans-
versale qu'un champ uniforme de fibres piqueté de vaisseaux de place
en place : or c'est précisément cet aspect que nous avons trouvé le plus
souvent à l'état pathologique dans la portion orbitaire du nerf.
Pourtant les vaisseaux paraissent souvent augmentés de nombre et leurs
parois épaissies et sclérosées parsèment la coupe de très nombreux nodules
formés de lamelles fibreuses concentriques, feuilletés, en bulbe d'oignon;
comme dans le portion orbitaire ces nodules sont, suivant leur ancienneté,
plus ou moins épais et percés ou non à leur centre d'un orifice, soit vide,
(i) Il existerait une forme spéciale d'amaurose syphilitique curable par le traite-
ment spécifique ; nous n'avons pas observé de cas de ce genre et nous ne sommes
nullement renseigné sur son anitomie pathologique.
ÉTUDE DU NERF OPTIQUE DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE 373
soit obturé par un ou deux globules rouges. Comme dans la portion orbi-
taire aussi ces nodules sont parfois réunis par des travées scléreuses plus
ou moins larges et ces travées peuvent donner à la coupe un aspect trabé-
culaire.
Dans un cas cependant (nerf de Desmar...), nous n'avons pas trouvé les
travées vasculo-conjonctives de la portion crânienne du nerf plus épaissies
qu'à l'état. normal et leur situation n'était pas modifiée; dans ce cas les
fibres paraissaient vidées et la coupe avait un aspect finement vacuolaire
spécial ; il est bien probable que dans ce cas la lésion avait évolué entière-
ment dans une partie plus périphérique du nerf et que les fibres avaient
subi dans la portion crânienne une simple dégénérescence descendante.
Il ne nous a pas semblé qu'il en soit souvent ainsi et nous croyons qu'en
général le nerf est pris à peu près dans sa totalité, peut-être avec prédo-
minance en une portion quelconque.
Les gaines du nerf sont représentées uniquement dans la portion crâ-
nienne par la gaine piale ; cette gaine est ordinairement épaissie et abon-
damment infiltrée de cellules rondes, de lymphocytes. Cette infiltration
porte surtout sur les bords du nerf, moins sur la face inférieure et géné-
ralement moins encore sur la face supérieure. La gaine piale épaissie et
sclérosée sépare et engaine, enkyste souvent sur la face inférieure quel-
ques faisceaux périphériques du nerf.
Quant à la localisation de la sclérose au début nous l'avons trouvée
souvent dans la périphérie de la portion crânienne comme dans la péri-
phérie de la portion orbitaire : dans les nerfs de Gara... par exemple, la
sclérose était périphérique et complètement annulaire dans les deux por-
tions, ce fait répond très exactement aux schémas dressés par Henschen
pour qui les fibres périphériques de la portion orbitaire rétro-vasculaire
du nerf optique resteraient périphériques dans la portion crânienne. Sou-
vent une zone de sclérose rayonnante part d'un vaisseau pie-mérien un
peu plus volumineux que les autres situé vers le milieu de la face supé-
rieure.
Dans certains cas où la sclérose est périphérique on voit très nettement
les termes de passage entre l'état normal et l'état pathologique : l'hyper-
trophie vasculo-conjonctive est des plus manifeste et il nous paraît im-
possible de prétendre que le tissu conjonctif ne fait que se rétracter au-
tour des faisceaux vidés de leurs fibres nerveuses (nerf de Faur..., de Ga-
ra... p. ex.).
En résumé, dans tout le nerf optique la lésion de l'amaurose tabétique
est une névrite interstitielle, une cirrhose syphilitique d'origine vascu-
laire et une méningite syphilitique. La méninge est abondamment' infil-
: 3 71 l LÉRI
trée de lymphocytes. Dans le nerf proprement dit, il se fait une intense
néoformation vasculo-conjonctive et sans doute névroglique; puis les
vaisseaux, préexistants et néoformés, se sclérosent et s'oblitèrent, les tra-
vées intervasculaires s'épaississent ou plus souvent disparaissent, sans
doute par le fait de la compression ; le nerf se trouve privé de vaisseaux
perméables et l'atrophie des fibres nerveuses s'explique par leur défaut
d'irrigation sanguine et peut-être lymphatique. Il est superflu d'admettre
une altération primitivement palenchymateuse.
L'atrophie des fihres débute au pourtour des vaisseaux, et surtout à la
périphérie, dans la zone sous-méningée du nerf.
Ces considérations et ces conclusions initomo-pithologiques nous
paraissent cadrer parfaitement avec un certain nombre de remarques cli-
niques que nous avons faites antérieurement. Nous avions noté en effet,
que l'amaurose tabétique paraît dans le plus grand nombre des cas évoluer
suivant deux périodes consécutives. La première période dure un temps
fort court, de quelques mois à un ou deux ans, elle est caractérisée par la
perte rapide de toute vision distincte et très souvent par l'existence de
céphalées frontales plus ou moins vives, parfois de sensations visuelles
colorées, de phosphènes, parfois d'hallucinations visuelles ou de troubles
mentaux. La deuxième période dure un temps le plus souvent fort long,
de trois ans à plusieurs dizaines d'années ; pendant ce temps le malade
conserve des sensations lumineuses plus ou moins vives et distingue la
lumière du jour, parfois les lumières artificielles, parfois les objets blancs
ou vivement éclairés ; à ce moment les douleurs céphaliques ont généra-
lement disparu.
Alors que l'examen ophtalmoscopique pratiqué à la deuxième période
montre une papille nettement blanche ou grise, à bords tranchés, en pain
à cacheter, sur le fond rougeâtre de la rétine, l'examen pratiqué a une
phase assez proche du début montre parfois, surtout à l'image droite, une
papille'plus ou moins blanchâtre ou grisâtre présentant à son pourtour
des effilochures, des inégalités, des dépôts pigmentaires qui paraissent
être le résiduel l'indice d'une inflammation névritique plus ou moins
accusée.
Tous ces caractères de l'amaurose tabétique se trouvent connrmésetexpii-
quéspar l'examen anatomique. A la phase clinique d'évolution aiguë cor-
respond la phase anatomique d'irritation optique et méningée que caractéri-
sent la lymphocytose des gai nesméningéeset )anéo ! '0 ! 'mationvascu)airedans
le nerf optique; ces lésionsexpliquent à la fois l'acuité relative duprocessus,
les céphalées frontales, les phosphènes qui provoquent chez les prédisposés
ÉTUDE DU NERF OPTIQUE DANS L'AMAUROSE TABÉTIQUE 375
des hallucinations et des troubles mentaux, l'aspect ophtalmoscopique de la
papille. La disparition rapide de toute vision distincte dès cette première
période tient vraisemblablement au passage du faisceau maculaire à la péri-
phériedunerf immédiatement en arrière de t'oeit.La distribution périvascu-
laire des lésions, leur prédominance ordinaire,mais non forcée, à la péri-
phérie du. nerf, expliquent qu'il n'existe pas de rétrécissement du champ
visuel caractéristique rle l'amaurose tabétique, mais que les rétrécissements
les plus fréquemment observés sont le rétrécissement concentrique inégal
ou le rétrécissement en secteurs.
A la phase clinique d'évolution chronique correspond la phase anato-
mique que caractérisent essentiellement la sclérose et l'oblitération des
vaisseaux, préexistants et néoformés, avec dégénérescence sans doute con-
sécutive, une par une, en commençant par le pourtour des vaisseaux, des
fibres nerveuses privées de leurs moyens de nutrition : ce processus a plus
le caractère d'un processus d'arrêt, presque de réparation, que d'un pro-
cessus évolutif. La clinique répond à ces constatations, et nous avons pu
voir dans le nerf optique d'un tabétique, ama.urotique depuis 34 ans, mais
ayant conservé la notion du jour et de la nuit, des fibres nerveuses épar-
ses encore assez nombreuses.
HOSPICE DE LA SALI'L'1'ItIZRG
TRAVAIL DU LABORATOIRE DU Pr DEJERINE.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATHOGENIE
DE LA SYRINGOMYÉLIE,
PAR R
ANDRÉ-THOMAS ET GEORGES HAUSER.
Sous le titre : Pathogénie de certaines cavités médullaires, nous avons pu-
blié (1), il y a deux ans, la relation clinique et histologique d'un cas qui nous
parut établir un nouveau mode patliogénique de certaines cavités médullaires.
De l'examen histologique nous avons conclu que « des pertes de substance
peuvent se creuser primitivement dans la moelle sous l'influence de lésions
vasculaires et qu'elles peuvent être ultérieurement envahies par un tissu né-
vroglique émané de leur paroi sous l'influence d'une réaction inflammatoire
secondaire ». Ce processus nouveau où les lésions vasculaires occupent le pre-
mier rang, et où la réaction névroglique leur est secondaire représente un type
que nous avons classé à part dans le groupe des cavités médullaires, sans vou-
loir à ce moment discuter ses rapports avec la syriugomyélie.
Un cas typique de syringomyélie que nous avons pu étudiera fond au point
de vue clinique et anatomique nous met en mesure de revenir sur ces points
et de discuter non seulement la Pathogénie de certaines cavités médullaires,
mais encore la nature histologique et la genèse de la syringomyélie elle-même.
Etudions d'abord le résumé de cette observation clinique et les résultats de
l'examen histologique (2).
Observation clinique. '
Dlme Poclr ? cardeuse,entrée à la Salpêtrière l'âge de 53 ans, en 1888, dans
le service de M. le Pr Joffroy.
Ses parents sont morts à un âge avancé, son père à 83 ans, sa mère à 86 ans.
Elle n'a eu qu'un frère, mort jeune.
Elle a eu une fausse couche et cinq enfants dont trois sont morts en bas âge
de convulsions.
(1) André-Thomas et GEOIIORS HAUSER, Pathogénie de certaines cavités médullaires,
Revue Neurologique, 30 octobre 1902.
(2) Un résumé de cet examen a été présenté déjà à la Société neurologique (déc. 1903)
par M. A. Thomas, G. Hauser et TAYLOR.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATllOGÍ,lE DE LA SYRINGOMYÉLIE 377
Elle présente peu d'antécédents morbides. En 1881, elle reste 3 mois à
l'hôpital St-Antoine pour une métrorrhagie. Depuis elle resta toujours moins
vaillante au travail, elle marchait lentement et avec plus de peine. En 1884
elle commença à s'apercevoir qu'elle était moins habile de ses mains et parfois
même son ouvrage lui échappait. En même temps la marche devenait plus
difficile et elle fut atteinte bientôt de diplopie, d'étourdissements, et même
pendant quelque temps d'un léger degré de surdité.
Les phénomènes moteurs s'accentuèrent progressivement.
Les doigts se fléchirent dans la paume de la main et bientôt elle ne put cor-
riger cette attitude vicieuse.
Elle dut renoncer à manger seule et se vit complètement privée de l'usage
de ses membres supérieurs dont les différents segments ne pouvaient se mou-
voir. En même temps elle était devenue complètement impotente de ses mem-
bres inférieurs et ne pouvait même plus faire quelques pas dans sa chambre.
C'est en cet étal qu'elle entra en juin 1888 à la Salpêtrière. On constata aussi
à cette époque une diminution de l'acuité auditive à droite, de l'acuité visuelle du
même côté et quelques secousses nystagmiformes dans les mouvements extrê-
mes du globe. La parole est un peu gênée, et s'embarrasse lorsqu'elle a causé
un certain temps.
Le membre supérieur droit est paralysé, mais il n'existe pas de'raideur dans
les mouvements des articulations de l'épaule, du coude ou du poignet. La ma-
lade peut encore fléchir l'avant-bras à angle droit sur le bras. Elle ne fait au-
cun mouvement de l'épaule. Quant aux doigts, sauf quelques mouvements du
pouce, ils restent complètement immobiles en flexion et leur contracture est
telle qu'on doit interposer de l'ouate entre les doigts et la paume de la main.
Il ne semble pas qu'il y ait d'atrophie musculaire.
Au membre supérieur gauche, les mouvements sont en général un peu
plus faciles. Mais les doigts ont la même attitude vicieuse, l'index et l'annu-
laire étant les moins pris.
Les réflexes des membres supérieurs sont normaux.
Du côté des membres inférieurs on note la peine à élever la jambe droite
au-dessus du plan du lit. Trépidation épileptoïde des deux côtés. Réflexe
rotulien exagéré à droite. La malade peut encore, étant soutenue, faire quel-
ques pas. Enfin un peu de difficulté à uriner, bien que le besoin soit pres-
sant.
Pour la sensibilité on constate que la malade est moins sensible au froid et
à la douleur sur tout le côté gauche. La sensibilité tactile est partout normale.
La notion de position est très altérée aux membres supérieurs, et les membres
inférieurs présentent un certain degré d'incoordination.
La colonne vertébrale n'est pas déformée ni douloureuse.
Au mois de mars 1898 l'état de la motililé est stationnaire. La malade
peut encore faire le tour de son lit. Encore quelques mouvements spontanés a
gauche ; mais rien à droite. Pas d'atrophie musculaire.
Aux membres supérieurs, les mouvements spontanés du bras et de l'avant-
378 '1110l,%S ET ll.lUlt
bras sont très limités, surtout à droite. Les deux mains restent contracturées.
Pas d'atrophie musculaire.
Du côté de la face on note un peu de diminution du champ visuel et de
\ 'acuité visuelle à droite. Réflexes pupillaires normaux. A l'examen ophtal-
moscopique on trouve une névrite optique ancienne par étranglement, avec
cxsudats autour de la papille et état sinueux, dilaté, des veines.
On remarque l'existence d'une cyphose cervicale.
Le sensibilité cutanée est très diminuée sur tout le côté gnuche, au membre
inférieur, au tronc, au membre supérieur; à droite on trouve nettement
indiquée une zone d'anesthésie sur le bord externe de l'avant-bras depuis le
coude jusqu'à l'extrémité du pouce en avant et des trois premiers doigts en
arrière.
En 1895. - Môme état. Cyphose très marquée à la région cervicale. Trou-
bles de la sensibilité plus étendus, avec retard de la perception. Le fond de
l'oeil est trouvé normal (Vialet). ,
En 1902. - Même impotence des membres supérieurs, sans raideur, ni
contracture sauf pour la main. Les doigts sont toujours en flexion forcée.
Abolition des réflexes tendineux. Atrophie musculaire peu marquée.
Fig.. l'et]i2.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATIIOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE 379
Aux membres inférieurs l'affaiblissement porte surtout sur les mouvements
de flexion. Réflexe patellaire exagéré à droite, plutôt affaibli à gauche. Clonus
du pied et signe de Babinski des deux côtés.
La tête est fortement inclinée sur l'épaule droite et tournée vers la gauche.
Les yeux présentent un nystagmus de fixation. Cypho-scoliose cervicale infé-
rieure, à concavité droite.
Les troubles de la sensibilité cutanée n'ont guère varié depuis plusieurs an-
nées. La diminution de la sensibilité porte sur les perceptions douloureuses et
thermiques et à un moindre degré, sur le tact. Elle revêt à peu près pour ces
différents modes la même topographie : à savoir, toute la moitié gauche du corps
à l'exception de la face, et du côté droit la partie supérieure du tronc, l'épaule
et la partie externe du membre supérieur; les territoires radiculaires sous-
jacents à celui de la 5e cervicale ne présentent plus qu'une légère (1) hypops-
thésie qui s'étend jusqu'à la région abdominale.
La mort survint en 1903.
AUTOPSIE. - ÉTUDE DES LÉSIONS.
L'autopsie fut pratiquée 24 heures après la mort et la pièce durcie dans le
liquide de Muller. Inclusion à la celloïdine et à la paraffine.
A un faible grossissement on reconnaît l'existence d'une lésion à tendance
cavitaire, s'étendant depuis la région lombaire supérieure jusqu'à la partie in-
férieure du bulbe et d'autant plus développée qu'on envisage des niveaux plus
élevés de la moelle. Cette lésion se limite dans la région lombaire et dorsale, a
la corne postérieure du côté gauche qu'elle détruit presque entièrement. A
partir de la région cervicale, elle atteint la base de la corne antérieure gauche,
puis envahit rapidement le côté droit, en sorte qu'elle figure bientôt une fente
allongée suivant le diamètre transversal.
Voici d'après l'étude des coupes de chaque niveau, son aspect dans les prin-
cipales régions :
A la région lombaire on la voit débuter au niveau de la 2e racine lombaire
par une bandelette de nature conjonctive suivant exactement l'axe de la corne
postérieure. Mais bientôt elle apparaît sous forme d'une fissure ou d'une fente
rectiligne et se poursuit à peu près avec le même aspect dans la région
dorsale inférieure. A la région dorsale inférieure (10e dorsale), on la voit oc-
cuper à peu près l'axe de la corne postérieure, depuis la pie-mère sur laquelle
elle semble s'implanter jusqu ? ) la base de la corne antérieure. Un peu plus
haut la lésion, tout en conservant la même forme et la même direction, perd
contact avec la périphérie de la moelle tandis qu'elle se continue en avant
jusqu'au voisinage de l'épendyme. Au niveau de la 4° dorsale elle envoie dans
le cordon postérieur du même côté un prolongement qui un peu plus haut ap-
paraît isolé et comme détaché de la lésion de la corne. Les coupes du 2e seg-
ment dorsal montrent la lésion atteignant et pénétrant la corne antérieure ,
(1) Cette observation clinique a été relatée déjà à propos des troubles de la sensibilité
dans la thèse de Georges Hausser,
380 TUOMAS ET HAUSER
qu'elle détruit presque entièrement (PI-LI11-A) Elle manifeste ici une tendance
Fig. 3 à 6. - Poch..... Schémas destinés à montrer la topographie des fentes dans
les régions principales de la moelle (Ve C, Ille D, IVeD, XeD), ainsi que les défor-
mations de la moelle à ces différents niveaux. Noter la dégénérescence des faisceaux
pyramidaux croisés, sur toute la hauteur.
4 1300Y.' ICOW OGRAPHIE DE LA SALPTRI'RE "' '" T. XVII. PL. LUI.
A. Poch... 2e Dorsale (Grossiss. : 200 D). Coloration au picro-carmin.
Cette coupe représente la corne antérieure droite envahie par la lésion. Les
feuillets conjonctifs écartés par l'interposition de deux gros nodules vasculaires
circonscrivent une cavité, libre en avant. A la base de la corne, remarquer les
faisceaux de tissu conjonctif qui entourent les deux vaisseaux. En avant, les replis
du tissu conjonctif végétant détruisent les éléments cellulaires de la substance
B. Poch... 3e Dorsale (Grossiss. : 110 D) Coloration au picro-carmin.
Cette figure correspond à la partie de la lésion qui, sur le schéma de la page 380 (lig. b).
se porte d'arrière en avant dans les cordons posténcurs. La bande conjonctive est formée
de deux feuillets accolés et se continuant l'un avec l'autre en arrière, tandis qu'en avant,
ils sont édités par l'interposition de vaisseaux. Un manchon névrogliquc sépare la
lésion du tissu sain des comluns postéiieurs. Remarquer à gauche la paroi végétante d'un
- -- - - - . z- . - - ? ?
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATUOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE 381
remarquable à l'expansion et probablement de ce fait, la moelle se présente
extrêmement déformée et bouleversée dans sa topographie, ce qui reste de la
corne postérieure droite ayant pris une direction presque transversale et une
partie du cordon latéral se trouvant reportée derrière elle.
A la région cervicale l'aspect se modifie en ce sens que le côté droit jusqu'ici
à peu près indemne est atteint à partir de la 6e cervicale, par une lésion qui
semble le prolongement de celle du côté gauche et ne tarde pas à envahir la
corne postérieure d'avant en arrière et jusqu'à son extrémité. Il en résulte
que l'apparence est bientôt celle d'une fente transversale et symétrique détrui-
sant les deux cornes postérieures, les cordons latéraux et la base des cornes
antérieures et traversant la partie médiane derrière le canal de l'épendyme
qu'elle laisse indépendant. Les bords en sont plus ou moins rapprochés, par-
fois même au contact. Dans toute la région cervicale supérieure c'est ainsi que
se présente la lésion qui imprime ici à la coupe de la moelle la déformation ha-
bituelle à la syringomyélie : augmentation du diamètre transversal et réduc-
tion du diamètre antéro-postérieur. Elle se termine à la partie inférieure du
bulbe ; il n'en reste plus trace dans la moitié supérieure du bulbe où les rubans
delteil sont intacts.
Sur toute la hauteur de la moelle les faisceaux pyramidaux croisés sont dé-
générés ; quant à la substance grise des cornes antérieures elle est en grande
partie respectée et on retrouve a tous les niveaux des grandes cellules mo -
trices.
Ces détails 'd'examen topographique sont suffisants pour nous permettre de
comprendre la physiologie pathologique de la plupart des symptômes cliniques.
La clinique nous montre un état spasmodique, une exagération bilatérale des
réflexes, phénomènes qu'explique l'état des FPC. Le peu d'atrophie musculaire
se justifie par l'intégrité relative des cornes antérieures. Quant aux troubles de
la sensibilité ils s'expliquent par les lésions correspondantes des cornes posté-
rieures et même des racines postérieures. A gauche, en effet, outre la destruc-
tion de la corne postérieure dans la région cervicale, dorsale et même lombaire
supérieure, nous avons noté la dégénérescence rétrograde de quelques racines
postérieures que nous avons poursuivie jusqu'au ganglion.
À droite, la sensibilité est atteinte dans les régions correspondantes aux seg-
ments de la moelle où la corne postérieure est lésée. Ce sont les territoires ra-
diculaires des cinq premières cervicales ; les limites radiculaires de l'anesthésie
se juxtaposant à l'étendue de la lésion médullaire sont une nouvelle preuve que
la projection sensitive cutanée de la moelle se fait selon la topographie radi-
culaire.
D'autre part, la conservation de la sensibilité dans les régions innervées
par les segments de la moelle sous-jacents à la lésion, démontre que la destruc-
tion de la corne postérieure à un niveau donné n'affecte en rien la transmis-
sion des impressions sensitives cutanées amenées à la moelle par les racines
postérieures sous-jacentes.
En somme il n'y a ni dans l'observation clinique, ni dans l'ensemble et l'as-
382 TUOMAS ET HAUSER
pect général des lésions, rien qui diffère beaucoup de ce qui appartient à la
syringomyélie la plus typique. Il en va tout autrement des caractères histolo-
giques de la lésion, que nous allons maintenant étudier.
Examen histologique. - L'examen des coupes horizontales ou verticales
après diverses colorations cytologiques (picro-carmin, Van Gieson, etc.) et à de
plus forts grossissements va nous permettre de reconnaître des détails histolo-
giques intéressants pour comprendre la nature et l'histogenèse des lésions. Di-
sons immédiatement que la description que nous venons de donner et qui semble
impliquer l'existence d'une cavité ininterrompue n'est pas entièrement exacte.
A côté des fentes il y a des altérations vasculaires, des végétations conjonc-
tives qui, en d'autres points existent seules, à l'exclusion de toute perte de
substance et semblent même appartenir à un stade évolutif antérieur. En effet,
dans les régions inférieures où l'on peut, croyons-nous, considérer la lésion
comme plus jeune, tout peut se réduire à l'existence d'une bande conjonctivo-
vasculaire au sein de la substance grise postérieure. C'est en de tels points
que l'on peut saisir le mieux le début du processus. Etudions donc avec soin
ce tissu conjonctivo-vasculaire qui, pour constituer à de certains niveaux
tonte la lésion, n'en existe pas moins à peu près partout à côté d'autres altéra-
tions. ,
Il s'agit de tractus assez épais, généralement onduleux, sinueux, homogènes
ou stratifiés reliés à de très nombreux vaisseaux et qui par leur aspect et leurs
réactions lristochimidues tranchent vivement sur le tissu nerveux au sein
duquel ils paraissent comme inclus. Telle est la lésion fondamentale : conjonc-
tive, car elle est principalement composée de tissu conjonctif adulte, fibreux ;
vasculaire, car la participation des vaisseaux à sa formation est indéniable :
partout où le processus est jeune et encore actif elle en constitue l'élément
principal, parfois isolé, et c'est autour d'elle que se groupent et s'orientent les
autres altérations; éludions-là de plus près dans les différents aspects qu'elle
peut revêtir et les éléments qui la constituent. Ce peut être une bande homo-
gène rectiligne ou un ruban festonné et godronné dont les sinuosités rappel-
lent l'aspect de hautes papilles ou de circonvolutions cérébrales. Parfois elle
peut se décomposer en plusieurs zones suivant son épaisseur et le picro-car-
min y montre alors une fine bandelette interne fortement teintée et une zone
externe plus pâle et même d'aspect souvent hyalin. Au contraire, la fuchsine
acide la colore en rouge vif dans toute son épaisseur avec parfois un léger
reflet violacé sur un bord. Ces nuances tiennent sans doute à une différence
de condensation de fibres qui la composent, peut-être aussi pour certains points
à une dégénérescence véritable. Dans le voisinage se rencontrent presque
toujours disséminés des faisceaux conjonctifs onduleux de même nature.
En quelques points on peut voir un ou plusieurs minces tractus conjonctifs
rectilignes, de toute longueur, traversant la moelle sur une grande étendue,
sans que les éléments nerveux voisins en paraissent en rien altérés; leur
tissu est fort mince mais beaucoup plus compact, et ils semblent renfermer
dans leur constitution des fibres élastiques (méthode de Weigert).
1llTOLOG1E PATHOLOGIQUE ET PATHOGÉNIE DE LA S11r11GOTIYLLIE 3s3
A quoi tient l'aspect sinueux, que revêtent en général ces formations ? Il
s'explique surtout comme une manifestation de leur tendance végétative ; il
suffit de supposer un faisceau rubané s'allongeant toujours, et faute de pouvoir
pénétrer toujours dans les tissu obligé de se replier mille fois sur lui-même
pour se loger. De la sorte il circonscrit de petits espaces ou d'étroites fentes
qui se trouvent délimitées par un ruban continu doublé parfois d'autres assises
conjonctives. Il est remarquable que l'hyperplasie se fasse surtout dans le sens
de la longueur et n'aboutisse pas à la production d'épaisses nappes. Peut-être
aussi faut-il chercher la cause de la forme parfois si régulièrement gaufrée et
godronnée des faisceaux conjonctifs dans l'existence des fibres élastiques.
Difficiles à déceler dans ces touffes de fibres conjonctives, leur existence nous
semble cependant probable, ayant pu les mettre en relief en d'autres points.
En tout cas, c'est à ces sinuosités et à l'insertion leur face profonde de fibres
névrogliques que tient l'aspect papilliforme- que l'on relève ici et qui se
rencontre d'ailleurs si souvent dans le syringomyélie.
La part des vaisseaux au processus histologique est considérable. Sur cer-
taines coupes la fente elle-même paraît n'être formée que par la lumière d'un
vaisseau, les deux feuillets conjonctifs en figurant les tuniques. On peut même
rencontrer des globules sanguins sur une certaine longueur. En réalité, on
voit souvent entre les feuillets conjonctifs la coupe de vaisseaux et peut-être
en quelques points a-t-il pu se constituer une petite hémorrlJ3gie expliquant t
l'existence du sang contenu dans la fente.
Ce qui surtout est remarquable, c'est l'abondance des coupes de vaisseaux au
contact et au voisinage des lames conjonctives. Ces vaisseaux, à direction géné-
ralement ascendante, sont de petit et moyen calibre ; parfois ils se groupent en
véritables paquets (PI. LUI, fig. A). Ce sont sans nul doute des néo-vaisseaux,
à différents degrés de développement et reliés les uns aux autres par des bran-
ches anastomotiques. Dans leur structure une particularité est frappante : c'est
l'état de leur tunique adventice. Elle leur forme une gaine trop large, séparée
de la paroi par un espace lymphatique souvent dilaté et elle présente une telle
tendance végétative qu'elle entoure souvent le vaisseau d'une zone conjonctive
épaisse, envahissante, faite de feuillets stratifiés, onduleux, teintés en rose pâle
par le carmin, en rouge vif par la fuchsine acide. Mais ces feuillets adventi-
liels ne se bornent pas à circonscrire le vaisseau d'une tunique épaisse; un
certain nombre se séparent du vaisseau, se portent dans le voisinage où ils
vont se développer tout à leur aise, Ils s'y insèrent sur des vaisseaux sembla-
bles, ou bien ils se mêlent à d'autres feuillets de même origine et forment avec
eux des bandelettes plus épaisses. On reconnaît dans cette description tous les
éléments des formations conjonctives que nous avons étudiées et c'est pourquoi
nous leur avions appliqué le mot conjonctivo-vasculaire. Les connexions du
tissu conjonctif libre avec les vaisseaux mettent hors de doute son origine ad-
ventitielle. C'est de l'adventice que dérivent en somme les bandelettes, les mem-
branes, les cloisons sinueuses et gaufrées qui constituent la lésion primitive.
Mais il est non moins évident qu'il faillu que les fibrilles conjonctives végé-
38'i THOMAS ET MAUSER
tent activement, une fois devenues indépendantes ; et l'hyperplasie, d'abord
périvasculaire, a bientôt abandonné les limites du vaisseau. C'est pour leur
propre compte que les feuillets émanés de l'adventice s'épaississent et s'allon-
gent en décrivant dans le tissu qui les enserre des llexuosités qui leur permet-
tent de se maintenir dans un espace restreint.
L'examen de certaines coupes pourrait faire discuter cependant l'origne
exclusivement vasculaire des formations. C'est ainsi qu'au niveau du 106 seg-
ment dorsal on voit la bande conjonctive qui parcourt la corne postérieure se
continuer à la périphérie de la moelle directement avec la pie-mére. D'ailleurs
cette membrane est légèrement hypertrophiée elle-même et présente aussi des
altérations vasculaires. Ne pourrait-on admettre qu'elle donne naissance à ces
prolongements qui pénètrent la moelle en suivant les cornes postérieures et
s'y développent ? Nous ne le pensons pas, et, pour nous, l'adhérence à la pie-
mère n'est qu'une insertion accidentelle, une symphyse de tissus de même
nature. Sur quelques coupes verticales on peut voir nettement deux points
éloignés de la méninge être reliés par une bandelette fibreuse qui traverse la
moelle et figure l'arc dont la pie-mère serait la corde.
En résumé, la participation des vaisseaux et spécialement de leur tunique
externe peut être affirmée ; il est remarquable encore que ces vaisseaux ne
présentent que peu d'autres altérations, on n'en voit guère d'oblitérés, et l'on
n'observe pas non plus de dégénérescence hyaline, ou d'épaississement de la
tunique interne. L'hypertrophie de l'adventice est la particularité de ces néo-
vaisseaux qui mérite d'être mise au premier plan. Remarquons en passant
qu'elle ne saurait produire des troubles circulatoires tels que ceux qu'on in-
voque habituellement pour expliquer la désintégration lacunaire.
Telle est dégagée des altérations de voisinage, la lésion primitive de la
moelle. Autour d'elle que deviennent les éléments nerveux ? La méthode de
Pal montre qu'elle est généralement entourée d'une zone démyélinisée plus
ou moins épaisse, qui étudiée après coloration au carmin se montre constituée
de névroglie. La névroglie réagit donc vivement (au moins à certains niveaux),
et donne lieu à un manchon épais, riche en noyaux et surtout en fibrilles ; et
dans cette zone les fibres nerveuses ont perdu leur gaine myélinique. Quant
aux cylindraxes il est impossible de dire ce qu'ils sont devenus. L'épaisseur
de cette zone réactionnelle est très variable ; elle semble exister en tous cas
autour de toutes les formations conjonctives jeunes et en voie d'expansion,
même lorsqu'il ne s'agit que de minces tractus fibro-élastiques. Mais lorsque
la lésion a perdu son activité, et tel semble être le cas à la région cervicale, il
est probable que l'inflammation névroglique doit régresser, car on n'en dé-
couvre plus trace et aucune barrière ne sépare plus la perte de substance,
des fibres nerveuses. L'hypertrophie de la névroglie est donc manifestement
secondaire, et liée à une action irritative du processus conjonctivo-vasculaire
autour duquel elle se limite.
. En tous cas, et quel que soit le rôle de la névroglie, les éléments nobles se
trouvent à la longue refoulés et détruits au voisinage de la lésion. C'est ainsi
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XVII, PL, LIV.
A. - Poch... je Cervicale (Grossiss. : 8u D). Coloration à la fuchsine acide.
Région de la commissure antérieure.
La fente extrêmement étroite est bordée seulement d'un mince tractus conjonctivo-élastique, en dehors
à gauche, ses bords commencent à s'écarter. Le canal de 1 ependjme est au devant et normal.
Aucune trace de prolifération névroglique.
L une des deux branches de l'artère du sillon médian antérieur, se portant vers la corne antérieure
semble en un point se continuer directement dans la cavité. L'hyperplasie de la tunique adventice de ces
vaisseaux est particulièrement nette.
- B. - Poch... 5e Cervicale (Grossiss. : 80 D). Coloration à la fuchsine acide.
Même coupe que la précédente, à l'extrémité gauche de la fente, près de la périphérie de la moelle.
Ici les bords de la fente sont plus onduleux et végétants. Elle contient des pelotons vasculaires et
conjonctifs. Le processus parait ici encore en activité. Au voisinage les vaisseaux néofurmés sont nombreux.
A signaler la présence de cellules de la corne antérieure au voisinage immédiat de la fente.
... ? ...- -1 7 : 11M".nI.-I"rnllrl'l- . lnsew r.r Ci- 1.*IlifIll
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATHOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE 385
que toute la corne postérieure, une partie de la substance grise antérieure,
une partie des cordons blancs ont disparu et le tassement des éléments sains
qui en résulte met' en relief une réduction plus ou moins considérable dé la
surface de section de la moelle. Cet effondrement donne lieu aussi à ces défor-
mations irrégulières et bizarres, à ce bouleversement que nous avons signalé,
à certains niveaux ; c'est grâce à ce phénomène encore que des éléments tels
que les cellules des cornes antérieures se trouvent déplacés et reportés loin de
leur situation normale.
Cette étude, en quelque sorte analytique des lésions essentielles et secondai-
res, va nous permettre de comprendre mieux les divers aspects morphologi-
ques que revêt le processus à divers niveaux. C'est ainsi que en des points où il
paraît en voie d'expansion il se montre sous l'aspect d'une bande conjonctive
végétante composée de deux feuillets accolés sans aucune fissure (PI. LIII,
lig.B).A une étape un peu plus avancée les feuillets s'écartent légèrement et
laissent entre eux une fente linéaire partiellement comblée par des paquets vas-
culaires. Mais on peut reconnaître qu'en tous cas ces deux feuillets n'en for-
ment qu'un seul continu, mais replié sur lui-même et qui parcourt quelque-
fois une grande étendue. Sur le trajet de ce feuillet on trouve toujours soit des
vaisseaux, soit des paquets de vaisseaux atteints des altérations que nous avons
décrites et avec lesquels il est en connexion directe.
A la région cervicale, et surtout à partir du 5e segment cervical, la néoforma-
tion vasculaire est plus pauvre, les productions conjonctives beaucoup moins
végétantes. L'aspect est alors simplement celui d'une fente ou d'une cavité
allongée transversalement et limitée par une fine bordure de fibres conjonc-
tives et élastiques. Autour de cette perte de substance, à peu près vide, il n'y
a nulle réaction névroglique, et elle paraît creusée à même le tissu nerveux
(PI. LIV, fig. A). Il serait difficile d'identifier le processus si aux extrémités
latérales de la cavité ne se manifestait une tendance végétative marquée par
l'aspect onduleux des bords, les pelotons vasculaires contenus dans son
intérieur et la néoformation vasculaire évidente des tissus adjacents (PI. LIV,
fig. B). C'est bien le même processus, mais moins actif, à moitié éteint, qui
réalise ici des vastes pertes de substance, et qui a détruit au moins les deux
tiers de la moelle si l'on en juge par la réduction énorme de la surface occupée
par les éléments nerveux.
Avant de rechercher à reconstituer l'évolution du processus et pour en finir
avec l'analyse des lésions, il nous reste à indiquer celles qui peuvent exister
parmi les différents éléments de la moelle en dehors des zones que nous avons
plus spécialement envisagées.
Nous ne revenons pas sur l'état des méninges, la dégénérescence des FPC,
déjà signalée. Le canal de l'épendyme est partout normal et indépendant, et à
la région cervicale la cavité n'est nulle part tapissée de cellules épendymaires.
L'état des vaisseaux, au milieu des régions les plus saines en apparence, est
loin d'être normal. Les artérioles des septa sont épaisses ; les artères du sillon
médian antérieur , surtout à la région cervicale présentent une adventice
extrêmement proliférée et.végétante (PI. LIV, lig. A).
xvu 2
386 THOMAS ET HAUSER
Un certain nombre de foyers hémorrhagiques récents disséminés à différents
niveaux témoignent d'une fragilité particulière des vaisseaux. C'est ainsi que
sur des coupes de la 2e lombaire l'une des cornes antérieures offre un foyer
bémorrhagique sur le trajet de l'artère centrale ; sur les coupes de la 6e dor-
sale la corne postérieure saine est creusée d'une perte de substance comme tail-
lée à l'emporte-pièce et dont les bords sont infiltrés de globules et de pigments.
Essayons maintenant d'élucider le mécanisme de ces lésions et de retrou- z
ver les étapes du processus. Il nous paraît acquis que la lésion fondamentale,
malgré les dissemblances des régions, est partout identique. C'est, au début,
une multiplication, une néoformation de vaisseaux et bientôt une hyperplasie
de leur adventice. Puis c'est la végétation de feuillets conjonctifs détachés de
cette adventice et disséminés dans le tissu ambiant ; processus qui aboutit à
la formation de tractus, de bandelettes festonnées (Pl. LV, fig. B et C). Corré-
lativement autour de la région atteinte, la névroglie prolifère et les libres
nerveuses perdent leur myéline.
Tel semble être le début, et si nous assignons aux vaisseaux le rôle pri-
mordial et directeur du processus, c'est qu'une autre considération met encore
en relief leur influence, c'est la topographie même de notre lésion. On ne peut
manquer d'être frappé de ce fait, qu'elle rappelle la distribution spinale de
certains systèmes artériels. Dans la substance grise elle affecte le trajet et la
direction des artérioles de la corne postérieure et de l'artère centrale ; son point
de départ périphérique est toujours en relation avec l'émergence d'une artériole,
Dans la substance blanche des cordons postérieurs, elle suit manifestement
en certains points la direction de l'artériole du sillon médian postérieur. Si
l'on se souvient aussi qu'en plusieurs endroits le trajet intra-médullaire d'ar-
térioles est semé de foyers hémorrhagiques, on reconnaîtra qu'il y a réellement
systématisation.
La deuxième étape du processus est plus difficile à préciser. Comment les
altérations conjonctivo-vasculaires déterminent-elles les fentes, les pertes de
substance ? De plusieurs façons sans doute (fig. 7 et PI. LV). Qu'on s'imagine
les effets du processus inflammatoire conjonctivo-vasculaire; des néo-vais-
seaux, se développant en un point et s'entourant de faisceaux conjonctifs, écar-
tent la substance nerveuse et délimitent un espace qui pourra ultérieurement se
trouver libre ; d'autre part, dans son trajet sinueux et souvent récurrent, une
bande conjonctive va désagréger les tissus et isoler des portions de substance
nerveuse appelées dès lors à disparaître : de minimes fentes se trouvent ainsi
formées, généralement étroites et linéaires, allongées dans le sens du dévelop-
pement des végétations. Elles ont plusieurs façons de s'agrandir; la plus ha-
bituelle tient du même processus qui les a créées ; de leur paroi conjonctive
partent des tractus qui à leur tour morcellent le parenchyme nerveux voisin
et en englobent de petites portions : de petits îlots se trouvent ainsi bientôt
sequestrés. Quel va être leur sort ultérieur ? On en trouve sur les bords des
cavités inclus en quelque sorte dans la paroi ; d'autres sont déjà à moitié tom-
NOUS. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XVII, PL LV.
Ces figures montrent des détails de la coupe représentée figure 7.
(a) Région centrale rétro-épendymaire. Fente à bords végétants, festonnés se continuant à chaque
extrémité par une bande conjonctive linéaire.
(b) Végétations conjonctives de la corne postérieure gauche. Ces tractus onduleux contournés en
multiples replis sont formés de fibrilles tassées. Elles écartent le parenchyme nerveux créant des pertes de
substances parallèles à leur direction ; au voisinage, on remarque un petit vaisseau à paroi hyperplasiée.
(c) Base de la corne antérieure droite. Ici, c'est la néoformation vasculaire qui domine. Autour des
vaisseaux néoformés, et en connection intime avec leur paroi se disséminent des tractus conjonctifs minces
qui végètent pour leur propre compte.
(Thomas et Hauser.) Maison et CI', Éditeurs.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATHOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE 387
bés dans la fente même, mais tiennent encore à la paroi. La plupart sont net-
tement situés dans la cavité, isolés en apparence de la paroi ; ils constituent
ces pelotons vasculo-nerveux engaînés d'une fine bordure conjonctive et énu-
cléés en quelque sorte de la paroi ; nous les avons rencontrés à peu près à tous
les niveaux. Ils sont de dimensions très variables, se réduisant ◀tantôt▶ à un
ou à quelques petits vaisseaux réunis, s'enrobant ailleurs de quelques fibres
nerveuses ; ou d'une véritable nappe de tissu nerveux. Il est évident qu'ils
ne peuvent avoir perdu que partiellement leurs connexions avec les vaisseaux
et les fibres nerveuses des régions saines, car leur nutrition en souffrirait
immédiatement. Et pourtant cette éventualité doit se produire pour un cer-
tain nombre d'entre eux dont elle détermine la disparition, la résorption ; il
nous paraît que c'est ainsi que peu à peu doit se morceler le parenchyme ner-
veux et doivent s'excaver les régions où cette transformation se produit. C'est
probablement le mécanisme de la formation des pertes de substance assez vastes
de la région cervicale, les végétations qui les comblaient ayant à la longue
disparu en même temps que les éléments les moins résistants de la paroi. ce-
pendant certains de ces îlots vasculo-nerveux subsistent isolés en apparence
ou reliés à la paroi par un pont. Ils ne sont pas sans analogie avec ce qu'on a
appelé les névromes de régénération de la moelle, productions fréquentes et
appartenant presque exclusivement à la syringomyélie. Ici nous n'avons trouvé
que de rares « névromes de régénération » et l'un d'eux, sur une coupe de la
6e cervicale,se trouve situé dans l'intérieur de la fente,à côté d'un peloton vascu-
lo-nerveux occupant une situation symétrique. La légère différence de structure
entre ces deux formations tient peut-être seulement aux conditions de nutrition
et n'éloigne pas l'idée d'une pathogénie analogue. Comment s'opère la destruc-
tion de ces îlots nerveux et quels en sont les résidus ? L'étude des coupes ne
permet pas ici de répondre, car il n'y a guère de zones en voie de dégénères-
A 13ESs.1)I
z Fig. 7,- Coupe de la moelle cervic. de Poch... Grossiss. faible. Coloration à la
fuchsine acide. Cette figure d'ensemble est reproduite dans ses différentes parties sur
la planche LV, ci-après.
388 THOMAS ET HAUSER
cence et cette étape de l'évolution est masquée par la lenteur du processus. On
peut supposer qu'ils subissent une nécrose par ramollissement ischémque ou
qu'ils se désagrègent lentement..
Mais peut-être n'y a-t-il là qu'une des causes de formation et d'agrandisse-
ment des cavités. Il se peut encore que la zone qui entoure la lésion primitive
et qui est le siège d'uue hyperplasie névroglique avec démyélinisation subisse
une dégénérescence et un émiettement progressif sous l'influence de troubles
circulatoires ou autres. Les limites de la perte de substance primitivement
constituée par une simple fissure se trouvent ainsi reculées, et la cavité s'a-
grandit aux dépens et par la destruction des tissus voisins. Quoi qu'il en soit,
le feuillet conjonctif végétant qui limitait une simple fente pourra se trouver
circonscrire une cavité plus ou moins large et probablement pleine d'un conte-
nu liquide dont la pression excentrique n'est pas sans contribuer à cette trans-
formation ; quant à l'origine du liquide, il y a peut-être lieu de faire intervenir
dans sa production l'accumulation de lymphe pouvant résulter de l'épaississe-
ment de la gaîne lymphatique et de l'obstacle à sa circulation ; la dilatation d'un
espace lymphatique peut même être l'origine d'une cavité kystique.
Nous avons essayé de reconstituer et de synthétiser l'évolution du pro-
cessus, en envisageant ses deux termes extrêmes et en cherchant les intermé-
diaires, et nous voyons qu'on peut en somme tout ramener à un seul phéno-
mène : la néoformation des vaisseaux, l'hyperplasie de leur adventice et la
tendance de cette membrane à proliférer autour et hors des limites du vais-
seau. Ce point de départ étant admis peut expliquer tout le reste. Mais quel
est le primum movens de ce processus qui paraît se limiter, nous l'avons vu,
au trajet des gros vaisseaux de la moelle et notamment des artères des cornes
postérieures ? 2
Il faut bien dire ici que nous ne sommes en mesure de nous prononcer ni
sur la nature de la lésion, ni sur la cause primitive qui la commande. Sans
doute est-ce une lésion inflammatoire du vaisseau, et non une tumeur vascu-
laire (angiome).
Mais il s'agit d'une inflammation bien particulière et différente de celle qui
aboutit à la sclérose, avec oblitération. Son caractère est de porter surtout sur
la tunique externe, de se propager en dehors du vaisseau et d'exercer sur les
tissus ambiants une action irritative et peut-être enmême temps de structive.
A notre connaissance il n'existe pas, en d'autres points de l'organisme, d'exem-
ple d'un processus semblable. Bornons-nous donc il ces constatations et voyons
maintenant quel parti nous pouvons en tirer.
Discussion générale.
Voilà donc une observation que la clinique et l'aspect macroscopique des lé-
sions permettent d'étiqueter sans hésitation syringomyélie, tandis que les ca-
ractères histologiques et la genèse des cavités semblent s'écarter beaucoup de
ce qu'on a décrit sous ce nom. L'hyperplasie des vaisseaux avec prolifération
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA. SALPÊTRIÈRE.
T. XVII, PL. LVI.
A. - Fag... Région cervicale. Coloration par la méthode de Weigert-Pal.
La cavité médiane occupant presque toute la substance grise se continue au niveau de la corne pos-
térieure gauche avec une fente étroite, linéaire qui aboutit a la périphérie sous la pie-mère. - Une autre
fente très analogue se voit à la place du sillon médian postérieur. Les fentes, ainsi que la cavité princi-
pale, sont bordées d'un feuillet conjonctif plus ou moins végétant. Ces particularités de siège et de structure
évoquent nettement une origine vasculo-conjonctive. Les régions voisines de la cavité principale sont
remarquablement conservées. Par contre, autour de la fente du cordon postérieur, il existe une zone assez
étendue de démyélinisation.
B. - Fag... Région cervicale inférieure.
La cavité centrale de la figure précédente a complètement disparu, il subsiste cependant une partie de
son prolongement dans la corne postérieure gauche sous forme d'une mince tente à bords accolés sauf en
un point où se note un peloton vasculaire. - En revanche, la fente du cordon postérieur a acquis ici un
énorme développement et donne lieu et cette cavité irrégulière a bords végétants, entourée de tractus
conjonctifs, qui occupe la place des fibres nerveuses. Remarquer aussi l'hyperplasie de la tunique
externe des vaisseaux, notamment de l'artère du billon antérieur et de sa branche centrale.
{Thomas et Hauser.) ' Masson ET C", Kdileurs.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATIIOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE ' 389
de l'adventice et l'action irritative et destructive que ces lésions exercent sur les
tissus nerveux voisins forment un complexus histologique qui paraît distinct de
celui qui est regardé habituellement comme le point de départ des cavités syrin-
gomyéliques. Avons-nous affaire à un type exceptionnel et irréductible de cavités
médullaires ? Telle est la question que nous devions nous poser ; et pour la ré-
soudre, deux procédés d'investigations pouvaient être employés : d'une part,
l'examen histologique d'autres cas de syringomyélie ; de l'autre, l'analyse minu-
tieuse des descriptions données et de ce qui peut y rappeler les caractères spéj
ciaux observés ici.
Nous avons pu, grâce à l'obligeance de M. le Pr Dejerine, examiner d'autres
cas de syringomyélie. Résumons d'abord les résultats de ces examens. ,
I. - Dans le cas de F..., il existe à la région cervicale une vaste cavité
occupant la substance grise dont elle détruit la base des cornes postérieures et
la majeure partie des cornes antérieures. Cette cavité est arrondie, mais au
niveau de la base l'une des cornes postérieures se poursuit par un prolonge-
ment allongé et étroit dans toute la longueur de cette corne jusqu'à la péri-
phérie (PI. LVI, fig. A).
Or à la région cervicale inférieure la cavité centrale fait défaut, et seule per-
siste la fente allongée qui traverse la corne postérieure et s'élargit légèrement
en avant où elle forme une sorte de dilatation ampullaire (PI. LVI, fig. B).
Du rapprochement de- ces coupes on peut conclure que la grande cavité de la
région cervicale paraît n'être que l'épanouissement d'une fente primitivement
développée dans une corne postérieure. 1
D'autre part, une autre fente de même nature se montre à la partie moyenne
des cordons postérieurs au niveau du sillon médian postérieur. Cette fente
dirigée d'arrière en avant se termine en cul-de-sac. En certaines régions elle
devient sinueuse, ses bords sont végétants, mais elle aboutit toujours à la
périphérie, au point de pénétration du sillon médian.
Les caractères histologiques des parois de ces fentes et de la cavité centrale
sont tout à fait semblables. La cavité centrale, nulle part tapissée d'épithélium,
est bordée d'une couche assez étroite de fibres conjonctives agglomérées avec
quelques vaisseaux dont l'adventice est manifestement épaissie. En quelques
points le tissu conjonctif se tasse en une véritable membrane sinueuse pseudo-
papillaire. Il n'y a que fort peu de sclérose névroglique et la paroi fort mince
est entourée partout de parenchyme sain. La cavité est à peu près vide, mais
présente cependant quelques nodules détachés de la paroi, composés de petits
vaisseaux et de tissu nerveux. ,
Les fentes sont limitées de côté et d'autre par deux feuillets conjonctifs dont
elles semblent n'être que l'écartement. Au voisinage se montrent de nombreux
vaisseaux quelquefois oblitérés mais dont l'adventice surtout est hyperplasiée.
En certains points où la lésion est particulièrement végétante (PI.LVI, fig. B) les
vaisseaux anciens ou néoformés donnent naissance à des tractus conjonctifs
qui se disséminent dans le tissu voisin. Ce sont eux qui prennent part visi-
blement à la constitution des feuillets limitants.
390 THOMAS ET UAUSEK
Dans ces régions malades les fibres nerveuses ont disparu (méth. de Pals
mais la réaction névroglique est nulle ou très modérée, il n'y a nulle part infil-
tration ou prolifération de cet élément.
On voit que se retrouvent ici les mêmes traits essentiels que dans notre
premier cas. Néoformation vasculaire, hyperplasie de l'adventice, végétations
conjonctives donnant naissance à des feuillets ou des membranes qui circons-
crivent les pertes de substance. Ici, il n'y a aucune réaction névroglique appa-
rente.
C'est encore le trajet des vaisseaux qui commande le siège et la direc-
tion des fentes (art. du sillon postér. et de la corne postérieure) et la grande
cavité centrale semble n'être que l'épanouissement de l'une d'elles. Fentes et
cavités sont des lésions de même nature, en continuité directe, indépendantes
du canal central.
IL- Un second cas,Duh ? dont nous n'avons eu malheureusement que quel-
ques coupes à notre disposition, montre également une cavité cervicale limitée
par une véritable membrane conjonctive pseudo-papillaire à la face profonde
de laquelle s'insèrent de véritables touffes de fibrilles névrogliques. La paroi
est en effet composée de névroglie très végétante an milieu de laquelle se voient
de nombreux vaisseaux néoformés. Dans la cavité se trouvent de petits pelotons
-vasculaires ou- des nodules névrogliques arrondis, et la paroi en certains points
y pousse des prolongements allongés ou pyriformes attenant encore par un
pédicule. Ces ponts de tissu malade, presque détachés déjà, sont appelés sans
doute à s'éliminer entièrement et à reculer les limites de la cavité.
" A la région dorsale, point intéressant, il n'y a pas de cavité centrale, mais
seulement une fente antéro-postérieure occupant le sillon médian postérieur et
qui s'élargit en avant en une dilatation triangulaire. Cette fente est bordée
d'une fine membrane conjonctive. L'épendyme est normal.
La comparaison de ces deux régions montre que la lésion prend naissance à
ia périphérie et pénètre dans la moelle le long d'un gros vaisseau ; qu'elle est
en outre indépendante du canal central.
III. - Nous ne faisons que mentionner le cas de Pér... dont l'examen his-
tologique a déjà été publié avec détails (1) et qui d'ailleurs ne peut être assi-
'milé sans réserves à la syringomyélie.
Rappelons qu'il existait dans les cornes postérieures des fentes ou des ban-
des scléreuses rectilignes dont le centre était occupé souvent par un vaisseau
épaissi et oblitéré ou par des tractus conjonctifs onduleux d'origine vasculaire
(fig. 8). Les vaisseaux voisins sont malades.
A la région cervicale, une cavité arrondie, centrale, tapissée en certains
points de cellules épendymaires, et entourée d'une paroi névroglique épaisse
et touffue réalisait mieux l'impression d'une syringomyélie. Cette cavité est
bordée et limitée par une fine membrane conjonctive dont la continuité avec la
tunique externe de certains vaisseaux est indiscutable (fig. 9). A son pourtour
(1) Thomas et G. HAUSER, Pathogénie de certaines cavités médullaires, Revue Neu-
rologique, 20 octobre 1902.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATHOGÉNIE DE LA. SYRINGOMYÉLIE 391
les vaisseaux présentent des altérations consistant surtout en un épaississement
de leur adventice. On peut à certain niveau déceler la communication de cette
cavité avec le canal central de l'épendyme.
Au-dessous, au contraire, le canal central est sur toute la hauteur entière-
ment indépendant des lésions, et si à la région cervicale on pourrait à la ri-
gueur penser une cavité d'origine épendymaire, il n'en est plus de même
partout ailleurs, où les vaisseaux des cornes postérieures semblent commander
le.processus. Discutant la pathogénie de ces fentes, nous n'avons pu admettre
qu'elles résultent des foyers de. désorganisation par oblitération vasculaire, ce
qui n'aurait pas manqué de créer des foyers de nécrose plus étendus et autre-
392 THOMAS ET HAUSER
ment disposés, et nous les rapportions plutôt à un. oedème périvasculaire ou
quelque autre trouble circulatoire. En tout cas, cette systématisation périvas-
culaire est à rapprocher de ce que nous avons noté dans la première observa-
tion.
Ces quelques observations histologiques nous montrent en somme que les
caractères qui, dans notre premier cas réalisent un type tout à fait pur et, sem-
ble-t-il, nouveau, de processus cavitaire, se rencontrent dans un certain nom-
bre de syringomyélies où ils peuvent jouer un rôle pathogénique.
Les différents faits observés par les auteurs qui ont étudié la syringomyélie,
joints à ceux que nos recherches personnelles nous ont permis de rencontrer,
établissent d'abord que les caractères histologiques décrits dans l'observation
de Poch..., se retrouvent, plus ou moins purs, dans d'autres cas de syringomyé-
lie. Nous ne devons donc pas les considérer comme l'apanage d'un type excep-
tionnel de cavité médullaire, car ils appartiennent au moins à un certain
nombre de faits de syringomyélie.
L'interprétation que nous avons donnée du processus dans ces cas particuliers
est-elle partiellement. applicable à la syringomyélie en général, et va-t-elle
nous obliger à modifier notre conception pathogénique de cette maladie ? Telles
sont les questions qui se posent maintenant. '
Mais avant tout, une définition anatomo-pathologique du mot syringomyélie
serait indispensable. Elle est malheureusement bien difficile à donner en rai-
Fig. 9. - Pér... Cavité bordée par une fine membrane conjonctive en conlinuité
avec un vaisseau. '
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATHOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE 393
son des divergences qui ont toujours existé et qui ne font que s'accentuer.
Créé en 1837 par Ollivier d'Angers qui ignorait l'existence normale d'un canal
central,le terme de.syringomyélie fut longtemps après (1875) réservé par Si-
mon aux cavités développées en dehors de ce canal dont la dilatation prenait
le nom d'hydromyélie. Cette distinction ne fut pas reconnue et Erb, Leyden
(1876), donnant au mot syringomyélie le sens de cavité dans la moelle, admet-
tent une série de causes -pathogéniques disparates. A ces derniers auteurs
s'opposent Simon et Westphal qui regardent la syringomyélie comme le résul-
tat de la fonte d'une tumeur gliomateuse indépendante du canal central. Mais
cette théorie,reprise et développée par Roth, Schultze, Oppenheim, Dejerine est
bientôt battue en brèche à nouveau par le progrès d'une doctrine depuis long-
temps ébauchée, mais de plus en plus suivie, et qui attribue à des anomalies
de développement la genèse des cavités. Leyden, Kahler et Pick s'en font les
défenseurs et envisagent la syringomyélie comme une affection congénitale due à
un arrêt de développement (Occlusion incomplète du canal central par absence
de commissure grise et défaut de soudure des bords du sillon postérieur). Il n'y
a plus tant de raison pour la séparer de l'hydromyélie puisque ces deux affec-
tions ont une origine commune. Cette doctrine, avec des fortunes variables,
a depuis cette époque été soutenue, reprise, modifiée. Elle fait le fond encore
des conceptions allemandes modernes. *
Entre temps, Joffroy et Acbard (1887), leur élève Critzman (1891), mettant
comme Simon et Westphal le canal épendymaire hors de cause, font de la sy-
ringomyélie une maladie inflammatoire, une myélite préparée par des lésions
vasculaires et évoluant vers la nécrose. Hallopeau avait déjà longtemps avant
défendu l'origine inflammatoire de ces cavités.
Il faut reconnaître que cette conception n'a pas prévalu et que sous l'impul-
sion de Hoffmann, de Schlesinger on tend à admettre des relations étroites entre
la cavité syringomyélique et le canal central.
D'une part, les caractères histologiques donnés comme distinctifs entre l'hy-
dromyélie et la syringomyélie ont été reconnus peu valables et des formes de
transition affirmées (Schlesinger). De l'autre, on veut voir dans l'existence des
malformations (diverticules, dédoublements, etc.) ou d'arrêts de développe-
ment (Hoffmann) du canal central l'origine du processus qui évoluera sous
le type hydro ou syringomyélie. La clinique même est invoquée à l'appui de
cette thèse et, oubliant la loi qui veut que les symptômes dépendent du siège
plutôt que de la nature des lésions, on argue de cas de syringomyélie hérédi-
taire, de syringomyélie chez des nouveau-nés pour démontrer l'origine congé-
nitale du processus. Mais est-ce bien de syringomyélie authentique qu'il s'agit
et ces observations cliniques sont-elles valables dans la discussion d'un pro-
blème qui ne peut être jugé' qti'hisiologique ? izent ? D'ailleurs, si l'anomalie de
développement est la cause nécessaire, elle n'est évidemment pas la cause suf-
fisante du processus ; elle n'est que le point de départ de la multiplication des
cellules épendymaires et de la prolifération névroglique,'et si la cavité se forme
et s'agrandit c'est aux dépens de ce tissu pathologique, enclin à dégénérer.
394 THOMAS ET HAUSER
Dans ces conditions on ne peut concevoir qu'une ànomalie de développement
les réalise seule et il faut bien admettre qu'un processus néoplasique ou in-
flammatoire s'y greffe à un moment donné. Le problème se replace sur son
véritable terrain et se retrouve avec toutes ses difficultés lorsqu'il s'agit de
préciser la nature et le prirnum movens du processus. Il ne semble pas que
les partisans de l'origine congénitale de la syringomyélie aient élucidé cette
face de la question. Leur démonstration pèche aussi en ce qu'ils regardent
gratuitement comme anomalies tératologiques, malformations congénitales,
ce qui peut n'être que la coïncidence d'anomalies plus ou moins banales, ou
même à la rigueur la conséquence des phénomènes inflammatoires ou autres
sur la structure d'une formation très apte à réagir aux irritations de tout ordre.
L'un de nous a signalé déjà et développé ces diverses objections (1).
Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que cette doctrine entraîne une cer-
taine confusion dans l'idée qu'on peut se faire de la syringomyélie.
Dénuée de spécificité clinique, elle perd aussi toute spécificité anatomique
et pathogénique. Aucune lésion ne lui est propre et ne la caractérise, ni le
siège, ni le contenu, ni les parois de la cavité n'ont une constitution qui per-
mettent de dire s'il s'agit d'une dilatation du canal central et même d'un kyste
hématique ancien (Pitres et Sabrazès).
En réalité, le mot syringomyélie revenu à son sens primitif de « cavité dans
la moelle », se trouve désigner à la fois les cavités d'origine mécanique, par
tumeur de l'encéphale (Langhans), celles qui succèdent à d'anciens foyers
hémorrhagiques(syringomyélies hématomyélogènesde Redlich, Sehultze,\inor,
etc.), celles qui peuvent reconnaître une cause néoplasique ou inflammatoire.
M. le Pr Brissaud se rattache nettement à cette doctrine nouvelle. « La syrin-
gomyélie est une complication de lésions préexistantes, elle n'a pas de spéci-
ficité anatomo-pathologique. »
MM. Dejerine et Thomas (2) font preuve de la même tendance en réservant
cependant plus particulièrement le mot syringomyélie à une catégorie de faits
où la gliose prend son point de départ dans l'épendyme ou un de ses diverti-'
cules.
En somme, il n'y a plus aujourd'hui une syringomyélie, mais des syringo-
myélies reconnaissant une série de facteurs pathogéniques (gliomes, anomalies
de développement, traumatisme, hématomyélie, ramollissement, etc.). Telle est
à peu près la conclusion du rapport de Schultze au Congrès de Moscou (1897),
rapport qui représente assez bien les idées généralement acceptées à cette
époque.
Une tentative de réaction contre cette doctrine s'est manifestée depuis et
dans un mémoire documenté, Philippe et Oberthur (3) s'efforcent, en serrant
de près l'étude histologiques de démontrer que le processus syringomyélique
(i) G. HAUSER, loc. cit.
(2) DEJERINE et Thomas, Cavités médullaires, In BROBARDEL 8t Gilbert, t. IX.
(3) PIIILIPPE et OABRTFIUR, Contribution à l'étude de la syringomyélie, Archives de
médec. expérim., 1900, nos 4 et 5.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATHOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE 395
possède une spécificité histologique. Cette spécificité il la tient d'un ensemble
de particularités multiples telles que le début de la liose, son aspect nodulaire,
et diffus, sa dégénérescence spéciale, les altérations vasculaires, l'indépen-
dance du canal central. Ces caractères réunis, et non pas la simple constata-
tion d'une cavité centrale entourée de sclérose névroglique, permettront d'en
séparer les autres affections cavitaires qui peuvent la simuler, les pseudo-syrin-
gomyélies. Ce n'est là qu'une spécificité anatomique et non pathogénique, mais
suffisante cependant à définir une entité morbide.
D'une étude d'ensemble des lésions d'après plusieurs cas de syringomyélie,
l'un de nous (1) concluait également que « sous leur variété d'allure et d'évo-
lution en se cache un processus qui, s'il ne développe que des altérations indi-
viduelles banales, n'est cependant comparable à aucun autre ». Ce processus
à la fois irritatif et destructif dans ses manifestations est certes mal connu
dans ses causes, mais, pour l'expliquer, l'existence de malformations congé-
nitales ou de phénomènes mécaniques (stase circulatoire, hydtomyélie) n'est
certes pas suffisante. Même dans les cas où le processus syringomyélique
complique des lésions préexistantes d'hydromyélie ou d'hématomyélie, « cette
transformation n'est pas-le fait de leur évolution naturelle ; il s'agit bien d'un
phénomène nouveau se greffant peut-être avec prédilection sur un terrain
préparé ».
A l'heure actuelle on voit donc que deux conceptions absolument opposées
se font jour, dont l'une met en jeu l'existence même de la syringomyélie. S'il
nous était permis de chercher la raison d'aussi profondes divergences, nous
serions enclins à les attribuer à la difficulté extrême de reconstituer l'évolution
dans des cas où l'autopsie a lieu si longtemps après le début de la maladie et
où l'on se trouve véritablement en présence de cicatrices. Il faut peut-être
aussi incriminer la. tendance de généraliser outre mesure une théorie pathogé-
nique basée sur l'étude de quelques cas. Or ici, plus que partout ailleurs,
l'éclectisme doit être appliqué et chaque cas envisagé spécialement, au
point de vue histologique et pathogénique. Ce n'est qu'ensuite qu'on peut s'ef-
forcer de synthétiser les résultats. En suivant cette méthode on est amené à
reconnaître que s'il y. a manifestement des processus originellement distincts
par leur début, leur évolution, aucune lésion élémentaire ne peut en être re-
gardée comme caractéristique. C'est ainsi que la prolifération névroglique peut
être une réaction d'irritation autour d'un canal central dilaté, autour d'un foyer
hémorrhagique, et par suite l'existence d'une paroi névroglique épaisse ne suffit
nullement à distinguer la syringomyélie d'autres cavités. Dans un de nos cas
même (Fag...) il n'y a pas de paroi névroglique. De même, ni la dégénérescence
hyaline, ni la sclérose vasculaires ne sont spécifiques et on peut dire qu'il
n'existe pas de critérium anatomique de la syringomyélie. ,
Est-ce à dire qu'il faille se résoudre à abandonner toute classification et à
réunir dans un même groupe toutes les cavités médullaires ? En aucune façon,
- (1) GEoRGEs HAUSER, thèse 1901. 1 ' -
396 THOMAS ET HAUSER
et cette simplification est au contraire désastreuse car elle juxtapose des faits
essentiellement différents. Il y a des hydromyélies, des hématomyélies, pro-
cessus originellement distincts où l'analyse histologique montre des lésions
voisines de la syringomyélie mais dont on peut cependant reconstituer la
marche et la filiation. Si dans d'autres cas il est plus difficile, il paraît même
impossible de rétablir l'évolution, c'est que le processus a perdu sa pureté ou
s'est compliqué plus tard; cela n'implique en rien qu'il faille renoncer à tra-
cer une démarcation. En un mot, on ne saurait s'autoriser de la difficulté d'in-
terprétation de tel ou tel cas particulier pour confondre dans une même classe
des faits d'origine diverse.
La syringomyélie doiten somme être séparée de toutes les cavités qui résultent
d'une dilatation simple du canal central ou d'un foyer hémorrhagique secon-
dairement enkysté (1).
Nous convenons qu'on pourra'à propos de tel cas se heurter à des grandes
difficultés de diagnostic histologique. Mais cette distinction justifiée au point
de vue théorique n'en mérite pas. moins d'être maintenue.
Il reste, ayant éliminé des faits auxquels le mot syringomyélie ne doit pas
s'appliquer, à caractériser ceux qu'il peut désigner. Ces faits sont-ils univo-
qnes ? Nous ne le pensons pas et la signification de ce terme englobe encore
des faits de nature différente et qui sont loin de pouvoir se juxtaposer. Jus-
qu'ici on semble avoir trop obéi à la préoccupation de les ramener tous à la
même formule, ils sont manifestement fort loin l'un de l'autre.
Un premier groupe comprend ceux où la cavité syringomyélique paraît
née autour du canal central, du fait d'une végétation des cellules épendymaires.
Cette origine se trahirait par l'existence de bourgeons épithéliaux, par la mul-
tiplication des cellules épithéliales épendymaires qui tapissent sur une grande
étendue la cavité ou les fentes secondaires, par la communication constante du
canal central avec les pertes de substance. Tous ces caractères semblent déno-
ter la localisation initiale du processus autour d'un canal central peut-être
malformé congénitalement et autorisent à penser qu'il est dû à un réveil d'ac-
tivité de bourgeons ou d'éléments épithéliaux. Telle est au moins dans ses
grandes lignes l'interprétation admise, nous ne nous en portons pas caution et
pensons que si les faits existent (et nous en avons pu examiner qui répondent
à peu près à cette description) (2), la pathogénie invoquée est passible de sé-
(1) Un écueil peut ici se présenter : les lésions vasculaires d'une syringomyélie
franche peuvent aboutir à la rupture d'un vaisseau et à la formation d'un foyer
hémorrhagiqne ; il s'agit alors d'une hématomyélie secondaire. L'on peut même se
demander si certaines hématomyélies regardées comme primitives ne sont pas en
réalité l'effet d'un processus syringomyélique antérieur plus ou moins torpide. S'il en
est ainsi les rapports de la syringomyélie avec l'hématomyélie se simplifient singu-
lièrement.
(2) L'un notamment (cas Delà...), obligeamment communiqué par M. Comte, nous
montre des fentes diverticulaires du canal central tapissées d'une couche continue
d'épithélium cylindrique ; à côté, il est vrai, se voient d'autres fentes indépendantes des
premières et directement limitées d'une paroi névroglique. Toutefois la végétation des
éléments de l'épendyme est indéniable et se traduit encore par des bourgeons névro-
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATHOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE 397
rieuses objections. Ne voulant pas les discuter ici nous admettrons qu'il y a
lieu de leur réserver provisoirement une place spéciale (1).
Les faits du second groupe diffèrent trop en effet pour qu'une scission ne
s'impose pas. Ici le canal central est évidemment étranger au développement
de la lésion qui le refoule, le déplace, mais n'a avec lui que des rapports de
voisinage (lie. 10). Il ne présente aucune anomalie, rien qui puisse faire croire
à sa participation directe. 'Le début des cavités paraît plutôt se faire dans une
corne postérieure et les considérations que nous avons développées plus haut
relativement à leurs rapports topographiques avec les vaisseaux médullaires
pourraient souvent s'appliquer ici. Les lésions vasculaires et en particulier
l'hyperplasie de l'adventice sont très marquées ; les fentes ou les cavités sont
limitées par une membrane onduleuse de nature conjonctive. La destruction
peut se faire par plusieurs procédés; désintégration simple, dégénérescence
hyaline (homogenisirung process), morcellement et séquestration en îlots de
la paroi. Il y a souvent des névromes de régénération.
gliques pleins ou creux tapissés d'épithélium que l'on rencontre dans la paroi des
cavités, en des régions parfois très éloignées du canal central. A ces lésions s'ajou-
tent des altérations (épaississement, néoformation, dégénérescence hyaline) des vais-
seaux, et des placards de dégénérescence hyaline du tissu nerveux. Il n'y a pas de
végétations conjonctives ni de membranes conjonctives limitantes autour des cavités.
On peut ici faire jouer un rôle important aux éléments épithéliaux épendymaires, mais
la complexité du processus et la date très éloignée du debut (30 ans au moins)
commandent des réserves et rendent l'interprétntion très difficile.
(1) C'est à ce type que Dejerine et Thomas ont donné, dans une classification d'at-
tente, le nom de syringomyélie, réservant aux autres cavités médullaires le terme de
fausses syringomyélie
Fig. z Fyé... Syringomyélie (empruntée à la thèse de G. Hauser).- Refoulement
du canal de l'épendyme par la paroi névroglique de la cavité. Cette dernière est
limitée par une membrane conjonctive.
398 THOMAS ET HAUSER
C'est dans ce groupe de faits, peut-être le plus considérable, que se placent
ceux qui font l'objet de nos examens histologiques précédents. C'est pour eux
que l'on est amené à se demander si la pathogénie que nous invoquions est
dans une certaine mesure applicable. Certes il ne saurait convenir de généra
liser la pathogénie que nous avons pu mettre en relief dans notre première
observation. Mais on peut, croyons-nous, conclure que les auteurs ont méconnu
la portée générale des particularités quenous avons en vue. Ce n'est pas qu'ils
ne les aient rencontrées.
En parcourant les descriptions didactiques ou les observations, on peut se
convaincre que certains de ces caractères ont été maintes fois relevés par les
auteurs qui, dans leur interprétation, n'y ont peut-être pas attaché toute l'im-
portance désirable. Nous voulons parler des altérations vasculo-conjonctives
et du siège des cavités.
Tous les auteurs ont été frappés de l'intensité des lésions vasculaires dans la
syringomyélie. Tous ont insisté sur la néoformation des vaisseaux, sur la sclé-
rose, l'oblitération, la dégénérescence hyaline, la rupture des parois et aussi
en particulier sur l'hypertrophie de leur tunique externe. Il est même certai-
nes observations où cette lésion paraît dominante, tandis qu'en d'autres c'est la
dégénérescence hyaline qui retient l'attention.
Il est aussi noté parfois qu'autour des vaisseaux le tissu conjonctif anorma-
lement développé forme des bandes, des tractus épais, sinueux, d'aspect papil-
liforme. Schlesinger (1) notamment figure ces particularités, plusieurs fois
d'ailleurs mentionnées avant lui. L'hyperplasie conjonctivo-vasculaire attei-
gnait dans une observation fort intéressante du Pr Raymond (2) des propor-
tions qui avaient frappé cet observateur. Les vaisseaux se groupaient au nom-
bre de trois ou quatre, accompagnés de grosses fibres conjonctives et formaient
des tractus conjonctivo-vasculaires. « Ces tractus, dit-il, sont limités de toute
part par une formation très caractéristique, une membrane plissée, qui sépare
le tissu ectodermique du tissu mésodermique. Cette membrane décrit des si-
nuosités qu'on ne saurait mieux comparer qu'à une fraise tuyautée... Les
fibrilles névrogliques viennent s'insérer perpendiculairement à la face externe
de cette membrane ; les faisceaux conjonctifs, au contraire, lui sont parallèles
et forment souvent une transition insensible entre elle et l'espace mésodermi-
que. » D'ailleurs il n'y avait nulle part d'endartérite ou de thrombose.
L'auteur frappé de la ressemblance qui existait entre la formation conjonc-
tive qu'il décrit et la membrane limitante de la cavité de beaucoup de syrin-
gomyélies en tire la déduction que, « dans bon nombre de cas de syringo-
myélie, la cavité se développe aux dépens d'espaces conjonctivo-vasculaires
dégénérés et dilatés : les vaisseaux ont disparu ou forment encore des travées
à l'intérieur de la cavité ; il ne reste donc que la périphérie du tractus sous
forme d'une mince couche hyaline, qui est du tissu conjonctif modifié, et
d'une membrane plissée, mais cette membrane est assez caractéristique pour
(1) SCHLESINGER, La Syringomyélie, 2e édit., 1902.
(2) F. Raymond, Archives de Neurologie, 1893.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATHOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE 399
permettre d'affirmer l'origine de la cavité ». Cette interprétation s'appuie sur
une figure regardée à tort par l'auteur comme une formation cavitaire, car
elle ne représente, on s'en rend bien compte d'après le dessin, qu'une zone de
tissu dégénéré d'aspect hyalin. Bien que nous ne puissions admettre précisé-
ment ce mécanisme pathogénique, il n'en est pas moins curieux de voir signalée
à cette époque l'origine conjonctivo-vasculaire de certaines cavités syringo-
myéliques. ' .
Rappelons- ici que l'existence autour de la cavité syringomyélique d'une
membrane bordante, gaufrée, figure dans les descriptions classiques (fig. 11).
Sa nature conjonctive est hors de doute, l'un de nous (1) y a insisté, et la
névroglie ne fournit que les pinceaux de fibrilles qui s'insèrent à la face pro-
fonde et au sommet des sinuosités pour former les pseudo-papilles. Mais d'où
dérive-t-elle, quelle est son origine ? Le même auteur cherchant à élucider
cette question, a cru pouvoir la rattacher principalement aux vaisseaux. Les
vaisseaux abondants et résistants, une fois oblitérés, se tassent, s'agglomèrent
et les tractus conjonctifs ainsi formés peuvent créer une véritable membrane.
Aujourd'hui nous dirions en outre que leur adventice hyperplasiée et végé-
tante peut aussi prendre une part peut-être considérable à cette formation.
D'autre part un des caractères les mieux étudiés de la syringyométie est
bien le début, la forme, la topographie des cavités. Il est de notion banale
qu'elles se développent surtout dans la substance grise (commissure grise, corne
postérieure) et déjà Joffroy et Achard, cherchant la clef de cette localisation la
trouvent dans « la richesse vasculaire de cette substance et en particulier dans
l'existence de gros vaisseaux de chaque côté du canal central ». Faisons remar-
quer que si la substance grise est plus vascularisée elle est aussi plus fragile,
(1) G. IIusEH, loc. cil.
Fig. 11. - Syringomyélie (tb. de G. Hauser). En un point se détache un vaisseau dont
la paroi se continue directement avec la membrane bordante conjonctive de la
cavité.
400 r THOMAS ET HAUSER
moins résistante à l'expansion du processus. Mais insistons surtout sur ce que,
dans la substance grise ou dans la substance blanche, il est à son début très
souvent systématisé autour des artérioles qui pénètrent dans la moelle (arté-
rioles de la corne postérieure, artérioles qui entourent le canal central, artère
du sillon antérieur qui se ramifie dans la corne antérieure, artère du sillon
médian postérieur, etc.). Les fentes, les fissures étroites sur lesquelles nous
avons attiré- l'attention, marquent justement la ligne de pénétration des vais-
seaux ; maintes fois on note que la grande cavité centrale arrondie n'est que
l'épanouissement et la continuation directe d'une fente de la corne ou du cor-
don postérieur ; fentes et cavités sont généralement des lésions de même ordre,
limitées d'une paroi identique et reconnaissant une même pathogénie (voir
notamment l'observation de F...). Donc la lésion semble pénétrer par la péri-
phérie et gagner le centre de la moelle, marche inverse de celle qui se réalise-
rait dans le premier groupe.
Ces faits soulignent l'importance des lésions vasculaires et leur donnent une
signification particulière : si l'on peut à la rigueur attribuer la formation d'une
cavité centrale aux troubles circulatoires, ce mécanisme ne peut être invoqué
pour les fentes étroites, limitées au trajet d'un vaisseau, mais ne répondant
nullement à une zone de distribution vasculaire. En d'autres termes, si les
fentes dépendent des vaisseaux, ce n'est pas dans le sens que l'on entend ha-
bituellement par troubles circulatoires, mais plutôt par le fait d'une lésion
propagée autour d'eux.
Et cependant, même les auteurs qui font le plus directement intervenir les
lésions vasculaires n'admettent pas qu'elles agissent autrement qu'en engen-
drant par ischémie des troubles de nutrition qui entraînent la désintégration
du parenchyme. Ce qui importe donc selon eux c'est le rétrécissement, c'est
l'oblitération du vaisseau ; ils ne comptent pas le fait que la néoformation vas-
culaire parallèle si constante doit suppléer les vaisseaux oblitérés ; il semble
en un mot que le rôle pathologique du vaisseau ne puisse être conçu autre-
ment que dans les troubles de sa fonction circulatoire. Or justement il est
bien exceptionnel de constater des effets directs d'ischémie ; on ne trouve pas
de tissu nerveux en voie de ramollissement aigu au sens propre du mot; les
corps granuleux font défaut et la désintégration lente des tissus ne saurait
être imputée avec certitude à des troubles circulatoires.
Quant à la dégénérescence hyaline qui souvent forme de vastes placards, si
elle semble rayonner autour des vaisseaux atteints, eux aussi, on ne peut que
préjuger son origine vasculaire. sans décider s'il s'agit d'une dégénérescence
plutôt que d'une infiltration.
C'est donc un peu gratuitement qu'on incrimine l'influence circulatoire dans
le mécanisme de la fonte des tissus. En revanche, on n'accorde aucun rôle spé-
cial à l'hyperplasie de l'adventice, que nous avons vue pourtant en dehors de
nos cas souvent mentionnée. Et pourtant il y a là une lésion bien spéciale sem-
blant se propager autour des vaisseaux comme centres et dont on ne trouve
guère d'exemples dans les autres affections de la moelle.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATHOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE 401
Ce processus, même lorsqu'il est le moins évident, est toujours attesté par les
faisceaux onduleux périvasculaires et surtout par la membrane pseudo-papil-
laire dont l'originé périvasculaire est aujourd'hui établie. Cette membrane ne
peut provenir que des vaisseaux dont elle est le reliquat ou l'émanation, puis-
qu'il n'existe pas ailleurs de tissu conjonctif dans la moelle.
Quel est. donc, en considérant maintenant dans son ensemble le processus
conjonctivo-vasculaire, son rôle exact dans la pathogénie des cavités ? Nous
avons essayé de le préciser avec soin dans les commentaires de notre pre-
mière observation. Nous invoquons plus particulièrement l'écartement, la dis-
location de la substance nerveuse par des tractus végétants, le morcellement
des tissus autour de la fente ainsi créée par de nouveaux tractus qui en englo-
bent et en isolent de nouvelles portions, destinées dès lors à disparaître. On
peut encore concevoir ici d'autres modes de formation des fentes ou des cavités
(car selon nous les unes et les autres reconnaissent généralement le même
mécanisme). Le refoulement excentrique de la tunique adventice par l'accu-
mulation d'un liquide exsudé hors du vaisseau ou la stase lymphatique, peut
créer autour de ce vaisseau une zone circulaire vide qui l'entoure comme d'un
manchon et fait apparaître une fente parallèle à son trajet ; il n'est même pas
improbable que cette fente puisse en un point donné se transformer en une
cavité ampullaire, kystique, par le seul fait de l'écartement de feuillets adven-
titiels. Il se forme en somme un kyste par dilatation d'un espace lympha-
tique.
On peut aussi penser que les vaisseaux en voie de multiplication exercent
sur le parenchyme une action destructive rappelant, toutes proportions gar-
dées, celle des artères atteintes d'anévrysme cirsoïde ; et il n'est pas rare de
noter en effet autour de certains vaisseaux altérés une zone de tissus désor-
ganisés et détruits (1). Enfin il faut tenir compte aussi de l'infiltration hya-
line des tuniques vasculaires et des tissus ambiants, des phénomènes isché-
(1) Ce travail était en cours d'impression lorsque 112111. Raymond et Cestan rappor-
tèrent une intéressante observation d'anévrysme cirsoïde probable de la moelle cer-
vicale (Rev. Neurol., 30 mai 1904). L'examen microscopique montra que la moelle
était non seulement entourée, mais aussi pénétrée par des dilatations vasculaires, au-
tour desquelles s'est développé un tissu dense de sclérose névroglique, déterminant
ainsi une myélite lente et progressive. Au niveau du premier segment dorsal il exis-
tait en outre le long du bord interne de la corne postérieure une petite cavité entou-
rée d'un tissu glieux. Les dilatations vasculaires ayant pour origine les veines, les
artères et les capillaires, les auteurs admettent qu'il s'agit d'un anévrysme cirsoïde
ayant entraîné une myélite lente, diffuse, manifestement secondaire aux lésions des
vaisseaux. Cette myélite d'ordre irritatif pourrait être rapprochée des lésions inflam-
matoires de voisinage que déterminent les anévrysmes artériels. Quant à la cavité du
cordon postérieur, elle aurait, d'après ces auteurs, une origine hématomyélique.
Cette observation semble démontrer qu'un processus inflammatoire, caractérisé par
l'hyperplasie de la névroglie et l'altération des éléments nerveux, peut dépendre direc-
tement de lésions vasculaires autour desquelles il se systématise. C'est un argument
indirect à l'appui de la pathogénie que nous invoquons dans certains cas de syringo-
myélie. En outre notre évocation de l'anévrysme cirsoïde nous parait mieux fondée
dès lors que son existence est reconnue possible dans la moelle.
xvu 26
402 91 THOMAS ET HAUSER
miques qui favorisent la dystrophie du parenchyme, des ruptures vasculaires
avec infiltration sanguine ou foyers hémorrhagiques, etc. Mais quelle que soit
la variabilité et la complexité du mécanisme de production des pertes de subs-
tance, le système vasculaire y joue probablement très souvent un rôle pri-
mordial et direct ; il est le point de départ et il dirige la marche du processus
cavitaire.
L'intervention du système conjonctivo-vasculaire se marque peut-être en-
core dans les « névromes de régénération » ; nous faisions remarquer plus haut
qu'ils sont fréqueuts et presque exclusifs à la syringomyélie (fig. 12). Ajou-
tons que leur siège d'élection est justement le voisinage immédiat de la cavité et
du sillon antérieur, zones où le développement du tissu conjonctif est le plus
net. Souvent ils sont engaînés dans une sorte de tissu coujonctif.
Or, on se rappelle ces îlots, ces pelotons de fibres nerveuses mêlés de vais-
seaux et que nous avons eu fréquemment à signaler. Ils' peuvent simuler de
près les névromes qui ne s'en distinguent guère que par l'orientation en tour-
billons et la taille plus grêle des fibres qui les constituent. Aussi pensons-nous
que le processus conjonctivo-vasculaire ne leur est pas étranger, sans toutefois
pouvoir préciser de quelle façon il intervient dans leur constitution.
Si l'on a méconnu, à notre sens, le rôle exact des vaisseaux dans la syringo-
myélie, en revanche l'importance attribuée à l'hyperplasie névroglique nous
paraît quelque peu usurpée.
Ni la qualité ni la quantité de cette névroglie néoformée, ne s'opposent
à ce qu'on la considère comme l'effet d'une réaction secondaire. Rien ne la
distingue le plus souvent de celle. que peut susciter tout autre processus in-
flammatoire (myélite, sclérose en plaques, etc.). Contrairement à Philippe et
Oberthur, nous ne trouvons pas dans la structure, le développement et l'évo-
lution de la névroglie, de caractères distinctifs suffisants pour lui valoir une place
Fig. 12. - Névrome de régénération du sillon antérieur dans un cas de syringomyélie
(th. de G. Hauser). '
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE ET PATIIOGÉNIE DE LA SYRINGOMYÉLIE 403
spéciale, intermédiaire entre l'inflammation et la tumeur, comparable en cela à
l'adénome. Si elle a paru quelquefois caractériser spécialement soit une inflam-
mation, soit une tumeur, soit une cicatrice, cela tient à ce qu'on a envisagé seu-
lement l'abondance, la disposition nodulaire ou diffuse, caractères purement
morphologiques. Ce qui semble ressortir de la comparaison des faits, c'est que
l'hyperplasie névroglique est très variable, non seulement d'un cas à l'autre,
mais aussi ^suivant l'activité locale du processus dans une même moelle et qu'il
peut en résulter des variétés d'aspects qui en imposent bien à tort pour des
formes histologiques différentes. ◀Tantôt▶ elle constitue seulement une barrière
plus ou moins épaisse limitant la cavité des tissus sains ; ◀tantôt elle forme des
nodules arrondis, disséminés, des plaques végétantes infiltrant les tissus voisins ;
mais très fréquemment à la limite interne de la paroi, au centre des nodules se
trouvent des vaisseaux malades, et même des végétations conjonctives, tractus ou
membranes, dont l'action irritative sur la névroglie nous paraît suffisamment dé-
montrée par notre première observation pour que nous leur imputions un rôle
décisif. Un phénomène aussi contingent, aussi banal que la prolifération névro-
glique ne peut être regardé comme le p1'imum mouette du processus, surtout
s'il paraît être d'autres fois commandé directement par une lésion conjonctivo-
vasculaire. C'est celle-ci qui doit être tenue alors pour la cause effective de
celle-là (1).
Cette conception, qui dans la hiérarchie des lésions dites inflammatoires
assigne le. premier rang aux altérations vasculo-conjonctives, ne diminue pas
l'importance dans la genèse des cavités du processus destructif marqué par la
désintégration et la dégénérescence hyaline. Cette dernière est fréquente mais
non constante, et commune aux cas du premier et du second groupe. Elle
porte à la fois sur les parois vasculaires et sur les tissus de la paroi, névroglie
ou fibres nerveuses, et contribue puissamment à l'extension des pertes de
substance. Elle n'est pas indispensable à les expliquer, ainsi que nous l'avons
vu dans les commentaires de nos observations. Seulement elle est un élément
surajouté qui contribue à l'extension ou à la formation plus rapide des cavités.
La prédominance dans le processus général de tel ou tel élément : hyperplasie
vasculo-conjonctive, prolifération névroglique, dégénérescence hyaline, peut,
on le conçoit, déterminer des aspects morphologiques différents sans qu'il soit
de nature essentiellement distincte. Les faits que nous rapportons constituent
l'une des variétés, mais loin de les distraire, nous sommes enclins à les rap-
procher des autres modalités histologiques auxquelles ils se relient par des
caractères communs.
Bien plus, nous ne pensons pas que ce groupe de faits, que l'on pourrait
(1) Il ne faut pas trop généraliser et nier d'une façon absolue que les néoplasies
névrogliques ne peuvent susciter à leur tour une réaction névroglique inflammatoire
et aboutir à la formation de cavités par dégénérescence de leurs éléments. La diffi-
culté est de distinguer le gliome ou la gliose, néoplasie névroglique primitive de l'in-
flammation, réaction secondaire ; l'impossibilité de la résoudre dans quelques cas n'est
pas une raison suffisante pour supprimer oomplètement la première.
404 THOMAS ET MAUSER
englober sous le nom de syringomyélie vasculaire, soit irréductible à celui
que nous en avons précédemment séparé. Sans doute, la pathogénie des
cavités serait dans cette syringomyélie du premier groupe, épendymaire ou
même tératologique, foncièrement différente s'il était démontré que les élé-
ments épendymaires en sont les facteurs primordiaux. Mais la nécessité d'in-
voquer un processus nouveau greffé sur des anomalies anciennes et congéni-
tales atténue singulièrement la portée de cette conception qui, à l'heure
actuelle, n'est plus guère intégralement soutenue. Que la région épendymaire
soit envisagée comme un point faible particulièrement apte à une réaction
morbide, cela ne nous parait point inadmissible ni en désaccord formel avec
la théorie que nous invoquons : de nombreux faits témoignent d'ailleurs de
cette aptitude du canal central à réagir aux causes d'irritation par la dis-
tension de la cavité et la multiplication de ses éléments épithéliaux (1) ; ces
faits permettent de considérer à la rigueur comme l'effet d'une réaction secon-
daire les modifications envisagées comme primordiales.
Quoi qu'il en soit de cette question que l'avenir pourra trancher, il reste
acquis que, ces faits mis à part, la pathogénie de la syringomyélie trouve dans
les altérations vasculaires et conjonctives une explication souvent satisfaisante
et celles-ci sont bien alors les lésions fondamentales, primant l'hyperplasie
névroglique, pouvant même la susciter directement. Les observations ulté-
rieures permettront sans doute de préciser l'importance du groupe des cavités
médullaires auquel cette pathogénie peut être applicable.
(1) Voir thèse de LÉPINE, Lyon, 1901.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. Pl. LVI
PORTRAIT D'HOMME PAR JEAN FOUQUET.
Exposition des Primitifs Français).
(J. Genévrier).
; . SUR DEUX TABLEAUX
, DE L'EXPOSITION DES PRIMITIFS FRANÇAIS,
PAR
JOSEPH GENÉVRIER.
4 t . -;
V . ,1 t
Après les intéressantes communications de MM. Raphaël Blanchard,
Courtade et Bérillon à-la Société d'Histoire de la Médecine, après les
déductions philosophiques qu'inspire à M. F. Jayle (1) l'exposition les
oeuvres de nos Primitifs Français, nous reproduisons aujourd'hui deux
tableaux que ces divers auteurs n'ont pas signalés.
Chacun de ces tableaux présente quelque intérêt au point de vue mé-
dical, et ils comptent parmi les plus belles oeuvres exposées au Pavillon
de Marsan : double raison pour nous y arrêter. Ils datent de la deuxième
moitié du xv° siècle, c'est-à-dire de la grande époque de notre école natio-
nale de peinture : et ils nous permettent de constater que les maîtres d'alors
malgré leurs aspirations plus élevées, n'en restaient pas moins, comme
leurs prédécesseurs des xme et xtv" siècles, de fidèles imaygiers, de scru-
puleux miniaturistes, pour qui aucun détail anatomique - voire même
pathologique - ne devait être omis. Combien différent était l'idéal de
leurs contemporains de l'autre côté des Alpes, les Ghirlandajo ou les Bot-
ticelli ! 1
Le premier des tableaux que nous reproduisons est de Jean Fouquet,
« notre peintre le plus national du xvl siècle », suivant l'expression de
M. Georges Lafenestre. Ce merveilleux portrait, renfermé jusqu'à cette
exposition dans une collection particulière de Vienne, ne porte ni date,
ni armoiries : ce qui n'a pas permis d'établir le nom du personnage repré-
senté (PI. LIV). Le manque de renseignements nous permet de discuter l'o-
(1) A l'exposition des Primitifs français, Presse médicale, 2 juillet 1904.
406 GENÉVRIER
rigine de la cicatrice qu'il porte au cou.Est-ce,comme l'affirme le catalogue,
un coup de pointe qu'aurait reçu cet homme d'allures pourtant si pacifi-
ques ? Il est au moins curieux que l'épée soit allée précisémeut frapper
au point d'élection de la trachéotomie : de plus, notre homme aurait eu
une rare bonne fortune de s'en tirer à si bon compte ; car, si l'on con-
sidère l'étendue de la cicatrice, et surtout la rétraction des tissus voisins,
l'épée â dû pénétrer très profondément pour créer une plaie aussi large.
Enfin la cicatrice est parfaitement verticale ; il faudrait donc encore
supposer que la lame avait été maintenue dans cette position exacte.
N'est-il pas tout aussi vraisemblable d'attribuer cette blessure à un cou-
teau chirurgical, puisque dès longtemps la trachéotomie était connue,
enseignée, et pratiquée ?
Hippocrate, il est vrai, l'ignorait ; mais il paraît avoir pratiqué une
manoeuvre tout aussi délicate, le tubage : « quand le patient est suffoqué
et ne peut avaler ni sa salive, ni aucune chose, les yeux étant douloureux
et saillants comme dans la strangulation... quand le sens est entièrement t
perdu ? on doit introduire un tube dans le pharynx, entre les mâchoi-
res, pour permettre à l'air d'entrer dans le poumon. » C'est évidemment
très simple..., mais il est permis de croire, qu'après cette très succincte
description du tubage, peu des disciples du Maître arrivèrent à le réussir.
Ce n'est que dans le premier siècle après Jésus-Christ que l'ouverture
du larynx fut pratiquée par Asclépiade de Bithinie. Pline et Galien ap-
prouvent ce procédé et le recommandent dans l'angine avec suffocation.
Mais Arétée le condamne, jugeant mortelle la blessure des cartilages.
Plus tard, du ve au vue siècle, Oribase, Actius, Paul d'Egine parlent de
l'opération d'Asclépiade.
« Nous faisons, dit Paul d'Egine, une incision à la trachée, deux ou
trois anneaux au-dessous de son origine. Cet endroit est avantageux, parce
qu'il n'y a pas là de chairs, et parce que les vaisseaux sont loin du point
où l'on coupe. On incline alors la tôle du patient de manière à rendre la
trachée plus apparente, on fait une incision transversale entre deux des
anneaux de manière à ne pas couper les cartilages, mais la membrane
qui les unit. L'issue de l'air s'échappant par la blessure fait savoir que la
trachée est ouverte. » -
Les médecins arabes connurent aussi cette opération : Avenzoar l'ex-
périmenta sur une chèvre; et il jugea qu'on pouvait la pratiquer sur
l'homme en cas de danger de suffocation.
Enfin, chez nous, Guy de Chauliac, tout en rapportant l'opinion d'Avi-
cenne, est d'accord avec ce dernier pour recommander l'opération. À par-
tir du vie siècle les auteurs sont plus explicites. Brassavoli, Iloullier,
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.
T. XVII. PI. LVII
ECOLE DE PROVENCE.
(Exposition des Primitifs Français).
(f. Gel1C7 ? icr)-
SUR DEUX TABLEAUX DE L'EXPOSITION DES PRIMITIFS FRANÇAIS 407
Fabrice d'Aquapendente, IIabicot, discutent les indications et le manuel
opératoire de la trachéotomie : mais il est certain qu'avant eux elle avait
été pratiquée. Il nous est donc permis de supposer que la cicatrice, si
bien figurée par Jean Fouquet, n'est que le souvenir d'une incision chi-
rurgicale.
Elle n'empêche pas d'ailleurs l'opéré de déguster un grand verre de
vin rosé, dont les reflets sont bien jolis à travers le mince cristal de
Bohème légèrement teinté d'émeraude ; en vrai connaisseur, et pour af-
finer la sensibilité de son palais, il s'est fait servir en même temps un
morceau de fromage. Mais les doigts de la main gauche du bonhomme sont
bien raides, et quelque peu déformés : n'affectionnait-il pas trop l'attitude
en laquelle il s'est fait « pourtraicturer » 7
La seconde des oeuvres que nous reproduisons n'est pas signée. Elle
est de l'Ecole de Provence, et à peu près contemporaine du tableau de
Fouquet (PI. LVII). or
De chaque côté de l'Enfant Jésus, qui, assis sur un coussin, bénit de la
main droite' et soutient le globe et la croix de la gauche, sont des per-
sonnages agenouillés : un donateur, revêtu de son armure, prie avec
ferveur.
Derrière lui, et à moitié fléchi sur les jambes, un évêque soulève sa
mitre, comme pour saluer l'Enfant.
C'est un homme d'âge mûr, qui doit avoir dépassé la quarantaine ; il
porte sur la face les signes indiscutables d'une lésion grave, lupus ou
lèpre; et ses gants, au lieu d'être de fil blanc, comme ceux que l'on voit
aux mains des évêques représentés à la même époque, sont de cuir rouge ;
peut-être même perçoit-on, à travers ces gants, des nodosités et des défor-
mations des mains. En tout cas le saint homme devait avoir là quelque
lésion qu'il avait le souci de cacher ou le soin d'isoler. as
En regardant de plus près sa figure on distingue aisément un empâte-
ment de la joue, du menton et du cou : les tissus sont infiltrés, tendus
la lèvre inférieure est épaissie; elle porte de plus quelques nodosités que
l'on retrouve sur la joue et la tempe.
Le nez, amaigri et effilé, est également soulevé d'élevures et de pa-
pules ; il est d'une couleur lie de vin, que l'on retrouve au niveau de la
joue et de la tempe.
A la partie inférieure de la figure on remarque une tache à contours
irréguliers, plus foncée que celle du nez ou de la joue, brunâtre, parais-
408 GÉNÉVRIER
sant surélevée, et qui ressemblerait volontiers à une croûte ou à une
application de topique. '
Enfin l'ensemble de la physionomie est pâle, presque livide ; les yeux
sont creux, cernés, témoignant un état de grande fatigue.
Cet ensemble de lésions permet de croire que l'artiste a représenté là
un Saint lépreux, patron du chevalier agenouillé ; d'après le catalogue, ce
personnage serait saint Louis de Toulouse, ce jeune évêque de la famille
d'Anjou, qui avait renoncé au trône de Naples pour entrer dans les ordres.
Mais la mort précoce de ce Saint, à 23 ans, et le silence de ses hagio-
graphes sur une maladie qu'ils n'auraient certainement pas plus oubliée
que ne l'a fait le maître de l'Ecole de Provence, nous font douter de cette
identification.
Le Gérant : P. Bouchez
lmp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
17e ANNÉE N° 6 NOVEMBRE-DÉCEMBRE
CLINIQUE DES MALADIES MENTALES
{ASILE DE SAIN1E-AN};E)
. DES TROUBLES
DELA LECTURE, DE LA PAROLE, ET DE L'ÉCRITURE
CHEZ LES PARALYTIQUES GÉNÉRAUX (1)
A. JOFFROY
Professeur de la Clinique des Maladies Mentales.
Messieurs,
Il y a plus de dix ans, je consacrais une de mes leçons aux troubles de
l'écriture chez les paralytiques généraux, et je les divisais en troubles cal-
ligraphiques et troubles psychographiques. Ces deux termes, que vous con-
naissez déjà, se passent d'explication.
Vous savez que la calligraphie devient d'autant plus défectueuse chez
les paralytiques généraux que leur affection progresse davantage. Il se pro-
duit chez ces malades une véritable régression des notions acquises, en
sorte que l'écriture tend de plus en plus à devenir ce qu'elle était lors-
que le sujet se trouvait tout jeune sur les bancs de l'école. Je n'insiste
pas davantage pour le moment sur ces modifications physiques de l'écri-
ture non plus que sur les troubles psychographiques, qui sont tout aussi
intéressants que les précédents, et dont l'ensemble est des plus instruc-
tifs au point de vue psychologique. Il est possible, en effet, de tirer de
l'écriture d'un sujet, comme de son allure extérieure, de sa démarche, de
sa tenue, de sa conversation, etc., d'utiles indications sur son état men-
tal. D'une part, la forme des lettres, l'agencement des mots et des lignes
impriment à certaines écritures un cachet spécial que le clinicien doit sa-
voir mettre à profit, et d'autre part, le contenu de l'écriture, c'est-à-dire
l'état mental extériorisé par l'écriture, assurément une signification encore
plus grande. Cette extériorisation graphique de la pensée nécessite, même
à l'état normal, un labeur psychique plus ou moins pénible, toujours réel.
Sans parler de l'élaboration et de l'enchaînement des idées elles-mêmes,
il faut rechercher l'expression juste et établir une succession de phrases
logiquement unies les unes aux autres. Tout ce travail intellectuel est tra-
(1) Leçons recueillies par le Dr t8liPLIiC, médecin adjoint des asiles d'aliénés, interne
du service (février 1904).
- xvii 1 127
410 JOFFROY
duit à l'extérieur d'une façon plus ou moins heureuse suivant l'état men-
tal du sujet. Certains y excellent, d'autres y sont malhabiles, et c'est
parmi ces derniers qu'il convient de ranger dès la première période de
leur affection, les paralytiques généraux. Vous concevez maintenant
combien l'étude de l'écriture est fertile en renseignements de toutes sur-
tes. J'ajouterai que les quelques indications précédentes donnent la clé de
la graphologie, qui repose comme vous le voyez sur une base solide, et
qu'en analysant l'écriture des paralytiques généraux nous ne faisons pas
autre chose qu'oeuvre de graphologue.
Si nous quittons le domaine de l'écriture pour passer à celui de la pa-
role, nous nous trouvons en présence de deux ordres de troubles tout à
fait comparables à ceux que nous venons d'examiner : d'une part des
troubles a ? o/a/MM, d'autre part des troubles psycholaliques. Les pre-
miers ont trait à l'élément purement physique de la parole et plus spé-
cialement aux troubles de l'articulation des mots ; les seconds, au con-
traire, témoignent d'un degré plus ou moins accusé de perturbation de l'in-
telligence.
De même pour la lecture, la même dualité se retrouve : troubles ar-
throlexiques et troubles psycholexiques. En sorte que dans les trois modes
du langage : parole proprement dite, lecture, écriture, il nous est possi-
ble de considérer un côté physique et un côté intellectuel. Cette distinc-
tion est commode pour l'étude, mais je ne me dissimule pas ce qu'elle
présente d'un peu artificiel : dans la réalité concrète il est souvent diffi-
cile de faire la part du trouble physique et du trouble mental, parce que
très souvent le trouble physique traduit du même coup un fonctionne-
ment défectueux des appareils moteurs et intellectuels.
Lecture.
Ces considérations générales me permettent d'entrer maintenant plus
avant dans le détail de mon sujet, et je veux m'attacher, tout d'abord
à l'étude des troubles de la lecture chez les paralytiques généraux. En
même temps nous prendrons notion des troubles physiques de la parole
spontanée, c'est-à-dire des troubles de l'articulation des mots.
En écoutant lire les malades que je vais vous présenter, vous n'aurez
pas de peine à constater ces troubles physiques : lenteur, bredouillement,
achoppement, transposition de lettres, redoublement ou suppression des
syllabes, etc.
Vous remarquerez aussi que d'ordinaire ces troubles vont en s'accen-
tuant mesure que l'épreuve se poursuit, surtout si la lecture est pro-
longée. C'est là un phénomène tout à fait comparable au trouble plus
accusé de l'écriture que présentent ces mêmes malades à la fin d'une lellre
TROUBLES DE LA LECTURE, DE LA PAROLE ET DE L'ÉCRITURE 411 1
assez longue. Mais outre ces modifications de l'articulation, vous serez
frappé par certaines particularités de la lecture qui dénotent un incontes-
table affaiblissement psychique, je veux parler de l'intonation, qui souvent
est tout à fait en désaccord avec la phrase lue par le malade. 'On voit en
effet des paralytiques lire sur un ton emphatique un banal fait divers, ou
sur un ton attristé une histoire plaisante, montrant ainsi soit une incom-
préhension absolue de 'ce qu'ils lisent, soit au moins un trouble profond
dans le mode réactionnel vis-à-vis de l'idée éveillée par la lecture.
Interroge-t-on ces malades sur ce qu'ils viennent de lire ? On constate
ou bien qu'ils en ont perdu tout souvenir, ou qu'ils n'en ont conservé que
des notions très confuses qui ne tardent pas elles-mêmes à s'éteindre en
un temps variable, mais, ordinairement assez court.
J'ai eu l'occasion d'observer un paralytique général qui présentait ce
phénomène d'une manière très curieuse, les souvenirs ne persistaient chez
lui que deux minutes et demie ou trois minutes environ, en sorte qu'en une
demi-heure il était possible de lui poser dix fois la même question, ou de
lui faire lire dix fois la même chose sans provoquer de sa part le moindre
étonnement. L'épreuve de la lecture nous permet donc de constater, chez
les paralytiques généraux, des troubles de l'intelligence proprement dite
et des troubles de la mémoire plus ou moins accentués ; et à ce point de
vue, l'on-pourrait ranger les malades dont il s'agit en trois catégories :
ceux qui comprennent et retiennent assez bien ce qu'ils lisent, mais seu-
lement pour un temps plus ou moins court; ceux qui comprennent ce
qu'ils lisent mais ne le retiennent pas ; et enfin ceux qui ne le compren-
nent pas.
Toutes ces notions vous apparaîtront plus claires après l'audition des
paralytiques généraux que je vais faire lire devant vous (1).
La première malade que je vous présenterai est cette femme âgée de
45 ans, atteinte de méningo-encéphalite diffuse progressive depuis déjà
plusieurs années. Vous avez remarqué, au cours de la lecture qu'elle
vient de faire devant vous, ces troubles nombreux de l'articulation ; vous
avez aussi été frappé de cette intonation maladroite et monotone, témoi-
gnage d'une inintelligence à peu près absolue de l'objet de la lecture.
Après cette seconde constatation, vous n'attendez plus, je pense, de la
malade un récit complet de ce qu'elle vient de vous lire ; et, de fait, vous
la voyez faire de grands efforts pour rassembler seulement quelques
bribes de souvenirs.
Voici maintenant un malade âgé de 42 ans, comptable, dont l'affection
date de quatre ans, et à qui je fais lire devant vous une historiette courte et
(1) Nous ne parlerons ici que de quelques-uns des nombreux malades qui ont servi
à la démonslration clinique des troubles de la parole, de la lecture et de l'écriture.
412 JOFFROY
très simple. Vous pouvez constater qu'aussitôt après la lecture, qui est
défectueuse au point de vue de l'articulation et de l'intonation, ce malade
n'a conservé qu'un souvenir extrêmement confus de ce qu'il a lu. Sa seule
préoccupation semble avoir été de prononcer les mots, sans songer il leur
signification, en sorte qu'il a retenu à peine le commencement de l'his-
toire qu'il vient de lire, oubliant complètement le fait le plus saillant.
Même absence de souvenir, plus complète encore, pour une autre histo-
riette lue la veille.
Ce troisième malade, âgé de48 ans, et dont l'alT'ection remonte à sept ans
environ, ne se rappelle, lui aussi, que le commencement du fait divers de
quelques lignes que je viens de lui faire lire. J'attire votre attention sur
le ton monotone et tout à fait incolore de son débit. Notez encore que les
troubles de l'articulation sont très peu marqués par rapport à ceux de la
mémoire. Il n'y a pas en effet parallélisme entre les troubles physiques et
les troubles psychiques de la lecture. -
Cette autre paralytique, âgée de 49 ans, ne présente pas de troubles de
la parole très accentués au cours de la lecture ; mais vous remarquez cette
intonation niaise, cet aspect satisfait. Ici encore la compréhension est très
réduite, et la malade, sollicitée de répéter ce qu'elle vient de lire, se
contente de répondre : « Je ne sais rien. »
Toutes ces perturbations que décèle la lecture vous paraîtront plus
évidentes encore chez ce malade âgé de 9 ans et dont la paralysie géné-
rale débuta il y a près de quatre ans. Remarquez cette articulation lente,
pénible et comme cahoteuse, surtout après quelques instants de lecture ;
remarquez aussi cette tonalité absolument inintelligente et notez enfin le
grand effort que fait le malade pour se rappeler un ou deux points très
vagues de l'histoire qu'il vient de lire.
A d'autres malades que je désire vous montrer encore, je vais faire
subir une épreuve un peu plus compliquée, qui consislera dans la lecture,
sans intermède, de deux petits récits de quelques lignes faciles à retenir.
Ce premier malade, âgé de 41 ans, paralytique depuis un an à peine,
est dans l'impossibilité absolue, après avoir lu, de se souvenir du moin-
dre fait.
Cet autre malade, âgé de 43 ans, fait un récit erroné et incomplet dans
lequel les deux histoires se trouvent mêlées de façon ridicule, et cela sur
un ton à la fois prétentieux et monotone. Ce dernier malade, comme le
précédent, est un paralytique récent, et je profile de ces deux exemples
pour vous faire remarquer combien il serait imprudent de vouloir diagnos-
tiquer l'âge de la maladie en se basant sur les seuls troubles de la lecture
ou de la mémoire.
La même amnésie après la lecture est tout aussi accusée chez ce malade
TROUBLES DE LA LECTURE, DE LA PAROLE ET DE L'ÉCRITURE 413
de 44 ans que vous avez devant vous. Je vous signalerai en passant que ce
paralytique qui est dans nos salles depuis un mois, entra une première
fois dans le service en 1900 à la suite d'excès alcooliques ; mais déjà à ce
moment il présentait de l'inégalité pupillaire, quelques accrocs de la
parole, et de l'affaiblissement intellectuel, mais à partir de décembre 1900
il eut uné rémission presque complète, d'une durée de trois ans. Ce fait
valait de vous être signalé.
Pour clore la série de ces malades, je veux encore vous montrer ce pa-
ralytique général de 30 ans. Vous remarquez sans peine, au cours de la
lecture, que le malade éprouve les plus grandes difficultés d'articulation.
Aucun des malades que je vous ai montrés,n'a eu autant de peine que lui à
lire et à articuler les mots. Peut-être seriez-vous tentés de croire que ces
troubles arthrolexiques et arthrolaliques correspondent à un profond affai-
blissement intecllectuel ; il n'en est rien, et vous constatez que ce pa-
. ralytique, qui articule les mots si péniblement et si lentement, peut vous
faire un récit relativement complet de l'objet de sa lecture.Et voici, par un
exemple très démonstratif, bien mise en lumière cette notion qu'il n'y a
point de rapport constant, dans la paralysie générale, entre la déchéance
intellectuelle et les troubles de l'articulation.
L'examen de ces divers malades nous a suffisamment édifiés sur les en-
seignements que l'on peut tirer de l'étude de la parole et de la lecture chez
les paralytiques généraux. Vous avez constaté, au cours des diverses épreu-
ves de lecture, des troubles physiques et des troubles intellectuels. Je vous
ai indiqué la signification des uns et des autres ; j'ai surtout insisté sur la
solidarité des troubles de la mémoire et l'absence de compréhension. Il
est certain, par exemple, que divers troubles de la lecture (mots, lignes
oubliés) reconnaissent pour origine un défaut de compréhension. Et c'est
tout à la fois parce qu'ils ont oublié et parce qu'ils n'ont pas compris, qu'ils
sont dans l'impossibilité de conter l'histoire qu'ils viennent de lire. Quel-
ques-uns comprennent assez bien, mais la mémoire ne retenant ce qu'ils
ont lu que pour un temps très court, on assiste bientôt à ce fait curieux
d'une incompréhension qui reconnaît pour seule cause l'oubli des phra-
ses précédentes. Dans ces conditions, la lecture quoique immédiatement
comprise est sans intérêt, et ainsi vous pouvez vous expliquer pourquoi
les paralytiques généraux ne sont pas des liseurs.
Voici donc une série de malades à qui je viens de faire subir devant
vous l'épreuve de la lecture. Cette épreuve nous a fourni d'utiles indica-
tions, en particulier sur les troubles de la parole, qu'il va nous être
facile maintenant d'étudier dans leur ensemble.
4J4 JOFFROY
Parole.
Nous avons, dans notre dernière leçon divisé les troubles de la parole
en deux catégories : les troubles arthrolaliques et les troubles lJsyc1lOlali-
ques. Ces deux modes de perturbation de la parole proprement dite méri-
tent d'appeler séparément l'attention. Les troubles arthrolaliques, troubles
physiques, troubles mécaniques, sont surtout ceux de l'articulation. Vous
avez remarqué, à un degré variable, chez tous nos malades, la mauvaise
prononciation de certaines consonnes, de certaines syllabes, de certains
mots, surtout des mots un peu longs ; à la limite, le mot se transforme
en une sorte de bredouillement incompréhensible. Chez certains malades,
ce qui frappe par-dessus tout, c'est la lenteur de l'élocution ; l'observa-
teur a la sensation d'une parole alourdie et comme parésiée qui aurait
de la peine à s'échapper des lèvres.
Le malade que je vais vous présenter est bien caractéristique à ce sujet.
C'est un paralytique général de 40 ans, syphilitique et alcoolique. Vous
remarquez ce nasonnement par intervalles, mais surtout l'extrême lenteur
du débit. Je vous signale du reste que ce malade, si complet au point de vue
des troublesarthrolaliques, a cependant encore assez d'intelligence et assez
de mémoire et qu'il est capable de faire un récit à peu près correct de ce
qu'il vient de lire. Et je profite de cette constatation pour vous rappeler
encore une fois la discordance qu'on observe si souvent chez les paraly-
tiques généraux entre les troubles physiques et les troubles mentaux.
Ces perturbations physiques de la parole que nous venons d'étudier
rapidement reconnaissent souvent pour l'une de leurs principales causes
un phénomène dont vous pouvez vous rendre facilement compte. Si vous
considérez le faciès de ce paralytique général, et tout particulièrement
au moment où le malade commence à parler, vous constatez un tremble-
ment fibrillaire de la face et de la langue très accusé, une véritable danse
des fibres musculaires. Ces secousses fibrillaires sont dues en grande par- '
tie à l'altération dégénérative des fibres musculaires ; celles-ci désormais
se contractent de façon morbide, sans coordination, sans discipline, comme
affranchies en partie des centres, qui ne savent plus, ne peuvent plus se
faire obéir. On comprend dès lors le trouble de la parole, irrégulière, in-
coordonnée, tremblée et plus ou moins incompréhensible.
Cette trémulation des lèvres et de la langue, avec les troubles de la
parole qui l'accompagnent, est assez typique pour que, dans bien des cas,
elle soulève immédiatement l'hypothèse d'une paralysie générale. Il faut
savoir cependant que chez certains malades et en particulier dans l'alcoo-
lisme aigu ou subaigu on peut observer des troubles très analogues. Le
diagnostic dans ces cas devra être très prudent, d'autant que le paraly-
TROUBLES DE LA LECTURE, .DE LA PAROLE ET DE L'ÉCRITURE 415
tique peut fort bien, comme tout autre, s'alcooliser ; il sera donc nécessaire
dans des cas de ce genre de s'attacher à la recherche des autres signes, et
en particulier dé rechercher avec soin les symptômes oculaires et la lym-
phocytose du liquide céphalo-rachïdien.
Ordinairement les troubles d'articulation des paralytiques généraux
apparaissent d'eux-mêmes très évidents au cours d'une simple lecture ;
quelquefois cependant il est nécessaire de les renforcer en faisant pronon-
cer au malade des mots d'épreuve. Je n'insiste pas sur ce point, car je
veux tout de suite vous entretenir des troubles psychiques de la parole,
des troubles psycholaliques.
Je vous ai déjà fait remarquer, à propos de la lecture, le ton monotone
de la parole de la plupart de nos paralytiques généraux. Ce fait, si frap-
pant au cours des lectures, est en corrélation avec une compréhension
incomplète ou même nulle. Dans ce dernier cas, le malade le plus instruit
lit du français comme un paysan lit du latin. Cependant certains paraly-
tiques, malgré la grande monotonie de leur lecture, sont susceptibles
d'une certaine intelligence de leur sujet; inversement d'autres malades,
qui lisent de façon assez satisfaisante, n'ont qu'une apparence de compré-
hension : leur variété d'intonation est dans la réalité assez restreinte et,
en tout cas, n'est nullement en rapport avec l'objet de la lecture.
J'ai'suffisamment insisté sur les troubles de la mémoire chez les malades
que nous étudions. Je veux vous dire seulement ici que ces troubles por-
tent non seulement sur les idées,mais sur les mots nécessaires pour expri-
mer ces idées.En conséquence de cette difficulté à trouver le mot exact, mais
plus encore à cause de l'affaiblissement du sens moral et du sentiment des
convenances, il est très fréquent de constater que l'expression choisie ou
simplement usuelle, est remplacée par une expression équivalente, mais
vulgaire, triviale ou même ordurière. Cette tendance au langage vulgaire
que révèle ce trouble dans le choix des expressions, et que l'on retrouve
dans les écrits comme dans la conversation des malades, est extrêmement
fréquent chez les paralytiques généraux, quelle que soit leur éducation,
ou la teneur de leur délire; les mégalomanes eux-mêmes n'y échappent
pas. Il faut tenir compte du reste, dans l'appréciation de ces troubles de
la mémoire des mots, de la grande difficulté qu'éprouvent les paralytiques
à enchaîner leurs idées ; il se produit chez ces malades une véritable gêne
dans cet enchaînement, un défaut de coordination psychique qu'on pourra i t
rapprocher des troubles physiques de la parole, et qui exagère les propor-
tions apparentes de l'amnésie réelle.
J'ai réservé pour la fin une variété très particulière des troubles psy-
chologiques qui mérite plus' que toute autre de retenir toute votre atten-
tion ; je veux parler des troubles aphasiques.
416 JOFFROY
L'aphasie, sous certains modes, est fréquente au cours de la paralysie
générale, et j'insiste tout de suite sur ces deux points : l'aphasie s'observe
très souvent au début de la maladie, et elle constitue presque toujours un
symptôme transitoire. Ceci en thèse générale, mais encore .faut-il distin-
guer l'aphasie motrice et l'aphasie sensorielle. Examinons d'abord com-
ment les choses se passent pour l'aphasie motrice.
A la suite d'un ictus, accompagné ou non de phénomènes convulsifs, le
paralytique (car la paralysie générale est déjà commencée à ce moment),
présente une hémiplégie droite et une aphasie motrice complète ou in-
complète ; cette aphasie rétrocède rapidement, et au bout d'une heure, deux
heures, un jour ou deux, elle a complètement disparu. C'est donc un phé-
nomène passager, qui d'ailleurspeutse répéter un certain nombre de fois,
mais, même dans ces cas, et contrairement à toute attente, à toute logique,
l'aphasie motrice ne s'installe pas définitivement .
Ce n'est pas à dire que dans quelques circonstances on ne puisse observer
d'aphasie motrice persistante, principalement chez les vieux paralytiques,
généraux, mais alors le malade est intellectuellement si affaibli que l'exa-
men de la parole est à peu près impossible ; il s'agit en définitive de cas
rares, et souvent d'une interprétation hésitante.
Le diagnosticde la cause de cette aphasie transitoire n'est pas sans diffi-
culté, car, ainsi que nous l'avons vu, elle apparaît très souvent au début
de la paralysie générale, et le problème se posera souvent de savoir si l'on
ne se trouve pas en présence d'une autre affection capable, elle aussi, de
déterminer une aphasie passagère transitoire.
La syphilis cérébrale donne assez souvent, à la suite d'un simple étour-
dissement, ce tableau d'une aphasie qui n'est que passagère, surtout si le
traitement spécifique intervient hâtivement.
Le syndrome de la migraine ophtalmique s'accompagne quelquefois aussi
d'aphasie transitoire, au milieu d'un malaise général avec obnubilation
passagère, et cette aphasie migraineuse sur laquelle Charcot a insisté,
peutse répéter et éveiller l'idée d'une paralysie générale commençante.
Chez les artério-scléreux, on peut aussi parfois observer un trouble
du langage analogue, à la suite d'un petit ictus, d'un léger étourdisse-
ment :
L'hémorrhagie cérébrale en revanche ne donne guère lieu à des troubles
aphasiques, au moins d'après les classiques ; mais il peut arriver qu'une hé-
morrhagie née près du lieu d'élection, à la partie antérieure de la capsule
externe, envoie sous forme de caiilot une irradiation capable de refouler
et de comprimer la troisième circonvolution frontale gauche. Il n'y a pas
à proprement parler hémorrhagie de la troisième frontale; aussi, bientôt,
le cailiot diminuant de volume, l'aphasie s'effacera il son tour. Voilà donc
TROUBLES DE LA LECTURE, DE LA PAROLE ET DE L'ÉCRITURE 417
encore une autre forme possible d'aphasie motrice transitoire qu'il faudra
savoir reconnaître.
Les tumeurs cérébrales peuvent aussi donner un syndrome analogue. Il
arrive, en effet, qu'une tumeur hémisphérique ou autre se révèle tout à
coup sous forme de vomissements, de troubles oculaires, d'aphasie mo-
trice, etc. S'agit-il alors de phénomènes congestifs, ou au contraire anémi-
ques ? L'explication est assez malaisée, mais le fait existe.
Toutes ces considérations sur le diagnostic de l'aphasie motrice dans
la paralysie générale, nous pourrions les redire en très grande partie,pour
l'aphasie sensorielle. Celle-ci est moins bien connue, pour celte raison
qu'elle n'attire pas autant l'attention de l'entourage, et il convient de dire
qu'en réalité elle est moins fréquente que l'aphasie motrice. Elle se pré-
sente sous forme de cécité et surtout de surdité verbales, de paraphasie,
parfois même de jargonaphasie, et se montre comme l'aphasie motrice
sous l'aspect de petites attaques successives, assez souvent sans perte com-
plète de connaissance. L'un des paralytiques généraux de mon service
était typique à cet égard : à certains moments il se plaignait de fourmil-
lements dans le bras droit, puis dans le côté gauche de la face et dans la
langue ; bientôt il prononçait des expressions singulières, et souvent cette
paraphasie allait jusqu'à la jargonaphasie, cependant que le côté droitde
la face et'du cou se couvrait de plaques rouges et que le côté gauche de la
tète devenait le siège d'une douleur extrêmement vive. Dans cet état, qui
n'allait généralement pas jusqu'à la perte de connaissance, le malade était
dans l'impossibilité de comprendre ce qu'on lui disait, et il proférait des
syllabes incohérentes que les infirmiers prenaient pour la manifestation
d'un délire subit, alors qu'il s'agissait (nous le savons bien depuis Bail-
larger) d'un simple trouble psycholalique. Parfois aussi cette atteinte d'a-
phasie sensorielle se terminait par une attaque d'épilepsie convulsive.
Cetle aphasie sensorielle, ai-je dit, peut se montrer sous forme d'atta-
ques répétées, mais pas plus que l'aphasie motrice, elle n'a d'ordinaire
tendance à « s'installer » définitivement. Je n'en veux pour preuve que le
fait récemment publié par Sérieux et Mignot, et qui a trait à un cas de
surdité verbale chez un paralytique général ; l'autopsie montra des lé-
sions prédominantes au niveau de la première circonvolution temporale.
J'ajoute qu'il m'a été donné d'observer deux cas analogues, vérifiés à l'au-
topsie.
L'étude de ces modalités de l'aphasie dans la paralysie générale est des
plus intéressantes et appelle de nouvelles recherches. Nous sommes au-
jourd'hui bien armés pour une telle entreprise, grâce aux nombreux
travaux que le problème de l'aphasie a suscités au cours de ces dernières
années.
418 JOFFROY
. Ecriture (i).
Nous pouvons, à propos des troubles de l'écriture chez les paralytiques
généraux, reprendre la division que nous avons adoptée pour les troubles
de la parole. Il y a, dans l'un comme dans l'autre cas, des perturbations
d'ordre moteur et d'ordre psychique, encore qu'il soit souvent difficile,
tout comme pour la parole, d'établir une limite bien nette entre les deux
variétés de phénomènes. ,
Les troubles physiques de l'écriture, ceux que nous désignons sous l'ap-
pellation de troubles calligraphiques sont la conséquence d'un fonctionne-
ment défectueux du système musculaire. Lorsque nous avons reconnu
qu'un paralytique général a du tremblement de la langue et des lèvres nous
pressentons certains défauts de la parole avant même que le malade ait
prononcé un seul mot ; de même, il nous serait possible de prévoir les
troubles physiques de l'écriture d'après l'état des muscles des paralytiques
généraux : chez ces malades en effet, les muscles sont mal commandés
ou obéissent mal ; mais il convient de faire la remarque que les troubles
de l'écriture constituent l'une des premières et des plus saisissables mani-
festations de la perturbation du fonctionnement des muscles.
Quant aux troubles psychiques de l'écriture, troubles psychographiques,
ils concernent les idées exprimées et le mode d'expression de ces idées.
Mais je ne saurais trop insister sur la difficulté qu'il y a à séparer ces
deux ordres de phénomènes pathologiques. Considérons par exemple les
modifications de la vitesse, qui sont des plus fréquentes, elles peuvent
dépendre de troubles moteurs ; elles peuvent dépendre aussi de l'état
mental du sujet. Si celui-ci présente de l'excitation il écrit généralement
vite, s'il est déprimé ou dément apathique, il écrit au contraire avec len-
teur. Or toutes ces hypothèses peuvent être réalisées chez les différents
malades dans la paralysie générale. Aussi, comme nous faisons avant tout
de la clinique, vais-je attirer votre attention sur les troubles de l'écriture
dans l'ordre où nous les observerons chez les malades que je vais faire
passer devant vous.
Voyez ce premier malade que je fais écrire devant vous sur le tableau.
C'est un paralytique général' qui en est actuellement à la deuxième année
de sa maladie, mais il présente déjà un affaiblissement intellectuel con-
sidérable. L'écriture spontanée n'existe plus chez lui, et lorsque je veux
le faire écrire au Préfet de la Seine pour demander sa sortie, je n'obtiens
aucun résultat. Il faut que j'insiste beaucoup et que je dicte : « Monsieur
(1) Indépendamment des travaux de Marcé, Max Simon, Emile Garnier, A. 111athieu,
etc. consulter plus particulièrement le travail intéressant d'un graphologue distingué,
le Dr E. Mesley (Thèse de Paris, 1899).
TROUBLES DE LA LECTURE, DE LA PAROLE ET DE L'ÉCRITURE 419
le Préfet.... ». Voici enfin ces mots écrits. A l'aide de ces trois mots, vous
allez pouvoir juger des principales modifications de l'écriture chez ce ma-
lade, surtout si vous comparez le spécimen actuel à cet autre, écrit égale-
ment par lui avant le début de son affection. -
Vous avez pu remarquer d'abord l'embarras du sujet mis en demeure
d'écrire, sa résistance et enfin la lenteur avec laquelle il a accompli sa
tâche. Vous pouvez noter d'autre part que, non seulement les lettres sont
séparées, mais qu'encore certaines d'entre elles ont nécessité deux ou trois
reprises : chaque jambage de l'M majuscule a été fait séparément.
Il y a donc de nombreux arrêts. La lenteur et les arrêts, les coupures
des mots et des lettres elles-mêmes constituent en effet des caractères de
l'écriture déjà considérés par Marcé en 1864 comme appartenant aux
déments. Jadis quand il était bien portant, notre malade avait une écri-
ture courante ; aujourd'hui il a perdu le pouvoir d'écrire vite, et il écrira
d'autant moins vite qu'il deviendra plus dément. Par suite les jambages
des lettres sont hésitants, tremblés, mal assurés. Remarquez aussi les
sinuosités de l'écriture ; les lettres ne sont pas sur la même ligne, les unes
sont au-dessus, les autres au-dessous de la ligne horizontale. En outre,
les lettres sont de dimensions différentes ; certaines minuscules au milieu
des mots sont très grandes, d'autres au contraire sont très petites. Tout en
somme est irrégulier et défectueux dans cette écriture.
Sur un spécimen de l'écriture d'un autre malade,obtenue en donnant au
malade un modèle à copier, vous pouvez voir (fig. 1) que la fin des lignes est
située plus bas que le commencement; les lignes, au lieu d'être horizon-
tales sont descendantes. C'est là un caractère que les graphologues attri-
buent à l'écriture des gens déprimés ou timides, la tendance à monter
étant au contraire le propre des ambitieux et des confiants : il est de fait
qu'on trouve souvent l'écriture montante chez les maniaques et les para-
lytiques généraux excités.
Fig. 4.
420 JOFFROY
Mais je dois aussi vous rappeler que par suite de l'éducation, notre
écriture prend certains caractères impersonnels que j'appellerais volon-
tiers diplomatiques, parce qu'ils dissimulent les caractères de l'écriture
naturelle. Or, il faut savoir que ces caractères diplomatiques disparaissent
rapidement chez les malades dont nous nous occupons. Dans la paralysie
générale, il existe en effet de très bonne heure une tendance au retour,
d'abord vers l'écriture naturelle, bientôt après vers l'écriture enfantine,
et plus tard encore, lorsque les paralytiques sont devenus complètement
déments, vers l'écriture des tout jeunes enfants qui ne savent pas encore
écrire et ne se servent d'une plume ou d'un crayon que pour tracer mala-
droitement sur le papier des traits sans signification. Ajoutons qu'aux
caractères enfantins s'associent le plus souvent des caractères de sénilité.
Le malade a du tremblement, quelquefois tellement prononcé qu'il est
incapable de tracer une lettre ; il lance alors sa plume sur le papier et
obtient ainsi des effets inattendus, recouvrant d'une tache ou d'un trait
haché la lettre ou jambage qu'il vient de tracer auparavant : je dirais vo-
lontiers pour résumer d'un mot ces caractères, qu'il y a là du choréisme
de l'écriture (fig. 2). ,
Voici maintenant quelques types d'écriture difl'érentes périodes de la
maladie d'un autre paralytique général.
Les premiers datent d'une époque rapprochée du début de la maladie et
antérieure à l'internement (fig. 3) ; le malade était alors excité et avait
des idées absurdes de grandeur. Dans une autre lettre il commande une
riche voilure et les accessoires : l'écriture est rapide et d'un seul trait, les
majuscules sont grandes ; il y a une ébauche de paraphe à la fin de cer-
tains mots; comme si la plume avait eu de la peine à s'arrêter. Le papier
Fig. 2.
TROUBLES DE LA LECTURE, DE LA PAROLE ET DE L'ÉCRITURE 41
n'est pas ménagé, il y a de nombreux blancs entre les lignes et au bout des
lignes : les graphologues reconnaîtraient la prodigalité à ce caractère. L'ex-
citation qui apparaît dans la forme apparaît aussi dans le fond ; car dans
une autre lettre le malade reproche au marchand de voitures sa lenteur, et
il se sert des expressions les plus vives et les plus grossières qui témoi-
gnent non-seulement de son impatience et de son irritabilité mais aussi de
la perte du-sens moral (fi.4). Je vous fais de nouveau remarquer, à ce pro-
pos,que la tendance des paralytiques généraux à se servir d'expressionsvul-
gaires et même souvent extrêmement ordurières se manifeste autant dans
les écrits que dans les discours. Depuis son entrée à l'asile, le malade s'est
un peu calmé : en conséquence son écriture a subi certaines modifications,
les caractères d'excitation se sont atténués, et dans un écrit récent (fig. 5)
nous notons une écriture plus posée, mais avec des mots passés, des lettres
oubliées.
Chez ce paralytique l'écriture copiée est moins défectueuse que l'écri-
ture spontanée, mais c'est, presque là une exception, car chez nombre de
malades on observe le contraire.
D'un troisième malade, chez qui la paralysie générale évolue avec
une certaine lenteur, je puis vous présenter deux écrits, l'un datant de
six années, peu de temps après le début de la maladie. Il témoigne, tant
Fig. 3.
Fig. 4.
Fi £ ". 5.
. 422 JOFFROY
par la forme que par le fond, de l'excitation maniaque avec idées de gran-
deur dont le sujet était alors atteint (fin. 6) ; l'écriture est rapide, les let-
tres sont bien formées, d'une grandeur exagérée, le papier est prodigué.
L'autre manuscrit est de date toute récente et nous y trouvons d'énormes
modifications, l'écriture a perdu les caractères éducatifs et est devenue
une sorte de mélanges d'écritures enfantine, sénile et choréïque (Dg. 7).
Voici maintenant trois manuscrits d'un autre paralytique. Le premier
est antérieur à l'état de maladie confirmée ; peut-être trahit-il l'excitation
initiale par la grandeur des lettres, les paraphes finissant les mots, les
négligences du style ; mais c'est encore l'écriture rapide et sûre d'un com-
merçant éduqué.
L'écriture du deuxième manuscrit est sensiblement modifiée : les carac-
tères d'éducation tendent à disparaître ; ils on complètement disparudans
Fig. 6.
Fig. 7.
TROUBLES DE LA LECTURE, DE LA PAROLE El' DE L'ÉCRITURE 423 3
le dernier spécimen, où .l'écriture est lente, maladroite, et témoigne d'un
tremblement très accusé.
Cet autre malade queje vous présente nous a fourni un seul document
de date récente. Vous avez entendu parler cet homme au cours de la der-
nière leçon, et je vous ai fait remarquer que, chez lui, les troubles arlhro-
laliques sont plus apparents que les troubles psycholaliques. L'écriture
est modifiée d'une façon comparable ; ce qui frappe ici, c'est la lenteur
au début et le choréisme final, indiquant une fatigue précoce.
Voici enfin quelques lignes d'un paralytique déprimé, l'écriture est pe-
tite et lente, les lignes sont descendantes. Enfin dans l'écriture de cette
paralytique démente nous notons de nombreux troubles, et je vous ferai
plus particulièrement remarquer les caractères séniles et le choréisme très
accusé. Mais cette malade conserve des idées de grandeur dont témoigne
l'exagération de la plupart des majuscules.
Je veux maintenant revenir sur certains points, et tout d'abord j'insis-
terai sur ce que les troubles calligraphiques et même psychographiques
apparaissent souvent d'une manière très précoce sans que ce soit là une
règle absolue. Il en est en effet des troubles de l'écriture comme de tous
les autres symptômes de la paralysie générale : presqu'aucun n'est né-
cessaire, et tous peuvent se montrer aux stades les plus divers de l'affec-
tion ; les"troubles oculaires par exemple, comme ceux de la parole peuvent
apparaître dès le début de la maladie, ou au contraire se faire attendre
plus ou moins longtemps. Il en est de même de ceux de l'écriture ; mais
il convient de noter qu'on observe en général un certain parallélisme entre
les troubles de la parole et ceux de l'écriture.
Cette variabilité des symptômes, ainsi que l'irrégularité de l'époque de
leur apparition dans la paralysie générale, doit être rapprochée de la diffu-
sion et de l'irrégularité des lésions corticales. J'ai eu l'occasion de l'affir-
mer naguère, et d'opposer cette maladie au tabes, affection systématisée
par excellence. La paralysie générale ne prend aucun système, ou du
moins - ce qui actuellement revient au même - nous ignorons la clé
de ses localisations, et c'est précisément l'irrégularité de ces dernières qui
nous permet de comprendre la grande variabilité des symptômes cliniques.
Mais revenons à l'examen direct des malades.
Voici d'abord deux paralytiques généraux qui vous rappelleront les par-
ticularités que je mettais en évidence dans ma dernière leçon ; ils repré-
sentent, en quelque sorte, la monnaie courante de l'écriture chez les pa-
ralytiques généraux. Considérez, en premier lieu, ce vieux paralytique si
profondément dément; vous pouvez constater, d'après ces spécimens que
son écriture est extrêmement modifiée et marque une régression vers l'é-
criture enfantine, mais qu'en revanche l'écriture copiée se faitd'une façon
424 JOFFROY ·
infiniment plus correcte que l'écriture spontanée. J'en pourrais dire au-
tant de cette femme de 42 ans. Mais n'allez pas croire qu'il en est toujours
ainsi et iftl8 l'écriture copiée est toujours meilleure que l'écriture spon-
tanée. Examinez par exemple ce malade, âgé de 54 ans, homme de lettres,
vieux paralytique général dont l'affection a évolué très lentement et re-
monte à sept ou huit ans, son écriture spontanée est certainement moins
défectueuse que son écriture copiée. J'ajoute de suite, que ee phénomène
se comprend dans une certaine mesure, car si la copie dispense de lout
travail d'idéation, elle n'en comporte pas moins une série d'opérations
mentales nécessitant un travail d'attention et de mémoire qui peuvent être
très difficul tueuses pour un paralytique général.
Je vous parlerai encore de ce malade âgé de 44 ans, atteint de paralysie
générale depuis près de huit ans et dont l'écriture extrêmement modifiée
avec régression vers le type enfantin présente celle particularité intéres-
sante que certaines lettres sont de forme bizarre et contournées. Vous re-
connaîtrez dans ce caractère d'affectation, ainsi que dans l'aspect inattendu
de certains mots et la petitesse des lignes, des stigmates évidents de dé-
mence. Ce malade écrit mieux spontanément qu'il ne copie (fig. 10 et 11).
Je termine ici l'étude des diverses particularités de l'écriture chez les
paralytiques généraux en vous faisant encore remarquer qu'il n'y a aucune
relation constante entre l'intensité des troubles de l'écriture et l'ancienneté
de la maladie. Voici par exemple une malade âgée de 33 ans et dont l'af-
Fig. S. - Ecriture spontanée.
Fig. 9. - Ecriture copiée.
TROUBLES DE LA LECTURE, DE LA PAROLE ET DE L'ÉCRITURE 425
fection n'est guère vieille que de 18 mois. Vous pouvez constater que cette
femme qui écrivait très bien avant sa maladie (fig. 12) est dans l'impossi-
bilité absolue d'écrire le moindre mot, pas même son propre nom (tig. 13).
xvn 28
42b JOFFROY
Fig. 12. - Ecriture de la malade un an environ avant le début
de la paralysie générale.
Fig. 13. Ecriture de la malade 18 mois après l'apparition des premiers signes de
la paralysie générale. - La malade a essayé d'écrire son nom.
TROUBLES DE LA LECTURE, DE LA PAROLE ET DE L'ÉCRITURE.3 427
Je vous présenterai encore ce spécimen écrit par une malade qui a pré-
senté les premiers symptômes de la maladie il y a trente-quatre mois et
qui alors écrivait correctement. L'écriture spontanée est perdue, et il
nous a fallu insister pour lui faire écrire sous dictée. Nous lui avons dicté
la phrase suivante : c< Venez me voir bientôt et apportez-moi des gâteaux. »
Elle a alors écrit ce qui suit, en cinq minutes (fig. 14) :
Ici nous constatons des troubles calligraphiques très accusés et des
troubles psychographiques tels qu'ils constituent une véritable agraphie.
Par contre, ce paralytique âgé de 43 ans et qui, lui aussi, est malade
depuis trois ans, est capable, comme vous le voyez, d'écrire assez correc-
tement quant aux idées et quant à la forme : cette lettre, dans laquelle il
se plaint du bruit que font les autres malades dans la salle où il se trouve,
laisse vraiment très peu à désirer (fig. 15). Ces deux faits, auxquels j'en
pourrais ajouter beaucoup d'autres, vous montrent une fois de plus qu'il
ne faudrait pas croire que les troubles de l'écriture chez les paralytiques
généraux indiquent exactement la marche et le degré de l'affection.
Pour faire pendant à ce que j'ai dit sur l'aphasie, il me reste à envisa-
Fig. 94.
Il 19. 1b.
428 , JOfFROY
ger un ordre de troubles très particulier, je veux parler de l'agraphie.
Comme l'aphasie, l'agraphie peut exister soit au début, soit dans le
cours de la paralysie générale, avec ou sans paralysie des membres du
côté droit. Voici deux exemples de cette variété de troubles de l'écriture.
Le premier vous est fourni par ce malade de 44 ans, atteint de paraly-
sie générale depuis près de quatre ans,et qui naguère a présenté ici même,
devant vous, des attaques épileptiformes. A la suite de ces attaques, le
malade était atteint d'aphasie transitoire avec agraphie, et sur ces spéci-
mens vous pouvez constater un oubli de la mémoire graphique dont le
degré se modifie parallèlement aux troubles aphasiques.
Ce malade ayant sous nos yeux, au cours d'une conversation, un ictus à
forme vertigineuse, nous lui donnons une plume et du papier et nous lui
demandons de répondre par écrit à nos questions :
D. - Etes-vous malade ? ' ?
R. - (fig. 9G)..
D. - Comment vous appelez-vous ?
R. - (fig. 17).
Enfin, afin d'apprécier le degré d'obnuhila-
- tion évidente du malade et son émotivité, nous
lui disons : « Vous êtes un voleur et le malade
sans s'émouvoir aucunement, écrit, tout el ! mar-
mottant des syllabes inintelligibles, les lettres
suivantes : z
T . 1 . ' l .. ..
LU IJv1 Lv Uv VUIIW;ICIIG Ut7V1116 ensuite 0117pletepenclantquelduessecon-
Fig. 16.
Fig. 17.
Fig. 19.
TROUBLES DE LA LECTURE, DE LA PAROLE ET DE L'ÉCIlITUnl<; 429
des, puis le malade revint progressivement à son état habituel dans l'es-
pace de quelques minutes.
Afin qu'on puisse apprécier à leur valeur les spécimens d'écriture don-
nés plus haut et constituant un exemple bien net d'agraphie transitoire,
nous donnons ci-dessous quelques mots écrits par le même malade, à la
même date, mais en dehors de toute influence vertigineuse (fig. 19).
Comme second exemple, je vous rapporterai l'observation d'un paraly-
tique général mort dans le service, et dont j'ai déjà publié l'observation.
Ce malade présentait des attaques caractérisées par une obnubilation pas-
sagère avec mutisme absolu. Bientôt après la parole revenait, mais elle était
incompréhensible : le malade avait de la paraphasie et de la surdité verbale ;
en outre., et c'est ce qui nous intéresse actuellement, il se trouvait dans
l'impossibilité absolue d'écrire et même de signer; les caractères tracés par r
lui étaient complètement inintelligibles. L'autopsie montra plusieurs ulcé-
rations profondes du cortex dont la plus étendue frappait la première cir-
convolution temporale au niveau du siège de la mémoire auditive ver-
bale.
Je pourrais répéter au sujet de l'agraphie ce que je vous ai dit de l'a-
phasie : il est rare qu'elle soit persistante. Après une crise passagère, les
malades peuvent de nouveau écrire, ils ne sont plus agraphiques, ils sont
simplement ce qu'ils étaient auparavant, des dysgraphiques. Les formes
persistantes de diverses variétés d'aphasie 'existent, surtout dans les der-
nières périodes de la maladie, mais elles exigent, pour se manifester, des
lésions beaucoup plus intenses que les altérations cortico-méningées, même
bien localisées, qu'on est accoutumé d'observer. Il faut de ces lésions pro-
fondes sur lesquelles Baillarger a appelé l'atttention, qui atteignent par-
fois toute la substance grise et mettent à nu, après décortication, les cou-
ches les plus profondes de la substance grise au niveau même de certaines
localisations. C'est à cette condition seulement qu'un paralytique général
peut être un aphasique ou un agraphique permanent.
J'espère, Messieurs, vous avoir montré l'intérêt qui s'attache à l'étude
des troubles de la parole, de la lecture et de l'écriture chez les paralyti-
ques généraux. Je me résume en vous rappelant que les symptômes qui se
Fig. 19.
430 -" JOFFROY
Fig. 20
TROUBLES DE LA LECTURE, DE LA PAROLE ET DE LA L'ÉCRITURE 431
rattachent à ces trois fonctions ont entre eux une certaine similitude et
qu'il est possible de les grouper tous sous deux chefs : les troubles physi-
ques (arthrolalies, arthrolexies, troubles calligraphiques) et les troubles
psychiques (troubles psycholaliques, psycholexiques etpsychographiques).
Outre ces phénomènes vous avez vu qu'il y a lieu d'envisager chez les
paralytiques des modifications spéciales de la parole et de l'écriture rele-
vant de l'aphasie et de l'agraphie, soit motrices, soit sensorielles. J'aurais
pu également vous parler de l'alexie en utilisant quelques-unes de mes
observations. Mais il est un point sur lequel j'ai insisté et que je veux vous
rappeler encore, c'est la grande variabilité que ces symptômes nous ont
présentée chez les nombreux malades que nous avons examinés au cours de
ces leçons. C'est là un des caractères de la paralysie générale : on peut
dire en effet, que la paralysie générale est frappée d'une empreinte indi-
viduelle par chaque sujet qu'elle atteint.
A la fin de cet exposé, pour bien montrer par un seul exemple combien
grande est la différence entre les troubles calligraphiques et psychogra-
phiques de l'écriture dans la paralysie générale et dans la démence pré-
coce nous publierons ici, sans commentaires, la lettre suivante d'un dé-
ment précoce dont l'état est depuis très longtemps stationnaire et qui est
dans mon service depuis plus de dix ans (fig. 20).
Nous aurons du reste prochainement l'occasion de revenir sur les diffé-
rences très notables qui séparent l'écriture des paralytiques généraux de
celles des déments précoces.
IIOSPICE DE BIC1;TRE
LABORATOIRE DE M. LE DOCTEUR PIERRE MARIE
- UN'CAS
DE
POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE AIGUË DE L'ADULTE
AVEC LÉSIONS MÉDULLAIRES EN FOYERS
PA Il
André LÉRI et S. A. K. WILSON
(de Paris) (d'Edimbourg)
L'existence d'une poliomyélite antérieure aiguë de l'adulte, semblable
à celle de l'enfant, est encore une des questions les plus controver-
sées de la pathologie médullaire. Dans leur article du T1'aité de lIIé-
decinede Brouardel et Gilbert (-190) ? NIVI. Dejerine et Thomas faisaient
remarquer que, « tout en admettant la possibilité du fait, jusqu'ici nous
ne possédons pas encore d'autopsie dans laquelle une lésion en foyer,
analogue à celle delà paralysie infantile, ait été constatée ». Notre maître,
M. Pierre Marie, a bien voulu nous permettre d'étudier la moelle d'un
homme mort dans son service de Bicêtre après avoir présenté à l'âge de
23 ans des symptômes de poliomyélite antérieure aiguë, fort semblables
ceux de là paralysie infantile ; or dans cette moelle nous avons trouvé
à des foyers multiples, localisés surtout au niveau des rendements cer-
vical et lombaire, et paraissant absolument semblables aux foyers de
dégénérescence d'origine infectieuse de la paralysie infantile. Nous avons
pu de plus examiner les différents nerfs et muscles. L'observation clinique
et anatomique du malade vaut, ce nous semble, d'être publiée en détail.
Gaul... François, représentant de commerce, entré pour la première fois
dans le service de M. Pierre Marie à l'IIôtel-Dieu, le 8 octobre 1895, à 23 ans.
Observation prise en octobre z.
Antécédents héréditaires. - A encore son père et sa mère qui sont bien
portants. '
A eu deux soeurs et un frère. Ses deux soeurs sont mortes l'une à 2 ans,
l'autre à 2 ans 1/2, le malade ignore la cause de leur mort. Son frère semble
avoir eu à l'âge de 2 ans une atteinte de paralysie infantile ? (fièvre, puis pa-
ralysie de tous les membres ? ) ; il était, dit-il, « paralysé de ses membres et
POLIOMYÉLITE ANTIUUEUIÎE AIGUË DE L'ADULTE 433
comme idiot », ne parlait pas et ne comprenait rien. Ce frère est mort à l'âge
de 7 ans, brusquement, en mangeant, sans aucune manifestation de maladie.
Antécédents personnels. - Le malade n'a eu aucune maladie jusqu'à l'âge
de 18 ans ; à cette époque il est allé en Algérie où il est resté deux ans comme
soldat. Il y a eu un chancre qui a duré 40 jours, qu'on a cautérisé au nitrate
d'argent et pour lequel on lui a fait prendre des pilules de protoiodure.
Il n'a jamais remarqué d'éruption, dit n'avoir jamais eu de plaques muqueu-
ses et n'avoir jamais perdu ses cheveux.
D'Algérie est venu à Rouen où il a encore passé deux ans comme soldat.
Là il a eu une adénite, probablement suppurée, à gauche, sans avoir rien pré-
senté à la verge : on lui aurait extirpé deux fois des ganglions et trois fois on
l'aurait cautérisé au thermo-cautère.
De Rouen il est venu à Paris où il a encore fait trois ans de service.
Il n'a jamais présenté aucune autre maladie. N'a jamais eu de crises de nerfs.
A pris en Algérie des habitudes d'alcoolisme et est encore grand buveur.
Il s'est marié en juillet 1895.
Histoire de la maladie.
Le 5 octobre 1895 il est rentré chez lui éprouvant de fortes douleurs au
membre inférieur droit : il a été obligé de s'aliter. Depuis une dizaine de jours.
il avait ressenti déjà à la jambe gauche quelques douleurs fugaces.
Le 6 il aurait eu une fièvre assez forte (39°), des vomissements, une into-
lérance-gastrique absolue sauf pour le lait ; pas d'éruption sur le corps. Il
s'est purgé et a eu 10 selles. Il s'est levé seulement pour aller aux cabinets,
mais ses jambes le portaient à peine. On a pensé à une fièvre typhoïde.
Le 7, le malade s'est aperçu qu'il ne pouvait plus remuer son membre infé-
rieur gauche; le droit était faible, mais pouvait exécuter encore les mouve-
ments. Dans la soirée il est entré à l'Hôtel-Dieu.
Examen le 8 octobre 1895.
Le malade présente une paralysie du membre inférieur gauche et une fai-
blesse assez grande du membre inférieur droit.
Le réflexe rotulien est complètement aboli à gauche, presque complètement
à droite. Le réflexe plantaire existe. Le réflexe pharyngien existe.
Un peu d'hyperesthésie cutanée sur tout le corps. La sensibilité à la chaleur
existe. '
Quelques faibles douleurs dans les deux membres inférieurs. Douleurs de
tête, surtout le matin et dans la journée (n'avait jamais de céphalalgies aupa-
ravant).
Urine bien.
Ne présente rien d'anormal le long de la colonne vertébrale. Quelques gan-
glions inguinaux, aucun dans l'aisselle ni à la nuque.
Respiration normale, pouls normal.
T. : le soir, 38°7.
Appétit presque normal.
Sujet émotif, est porté à pleurer.
434 LÉI11 ET WILSON
9 octobre. - La paralysie du membre inférieur gauche persiste ainsi que la
faiblesse du membre inférieur droit et l'hyperesthésie cutanée. Le réflexe rotu-
lien gauche a toujours disparu. Sensibilité à la chaleur normale. Urine norma-
lement.
Les membres supérieurs ne présentent qu'une légère diminution de force.
T. : matin, 38; soir, 38.3.
10 octobre. - La paralysie du membre inférieur gauche et la faiblesse du
droit persistent.
Réflexe rotulien aboli des deux côtés, réflexe plantaire diminué, réflexe cré-
mastérien aboli, réflexe abdominal presque nul.
Sensibilité au toucher et à la chaleur normale, la douleur augmentée.
Au membre inférieur les adducteurs de la cuisse ont seuls conservé leur
tonicité. Les psoas ne régissent plus.
Les muscles abdominaux ont conservé leur action.
Les muscles sacro-lornbaires réagissent aussi.
Les grands pectoraux réagissent fort, les trapèzes également; les deltoïdes
ne réagissent pas.
Les sterno-cléido-mastoïdiens, les muscles de la nuque et du cou réagissent
parfaitement.
. Le malade ne peut serrer fort les objets avec ses mains ; les muscles de
l'avant-bras n'ont aucune force.
La céphalalgie a diminué un peu.
Inégalité pupillaire ; les pupilles ne réagissent pas à la lumière, mais accom-
modent encore.
Depuis la veille au soir le malade est obligé de faire de grands efforts pour
uriner et de s'y reprendre à plusieurs fois. Urine 3/4 de litre; pas d'albu-
mine.
Appétit conservé. Pas de selle depuis l'avant-veille.
Respirations : 16 à la minute.
T. : matin, 38.3; soir, 38.6. '
Pouls : 120.
11 octobre. - A uriné sans efforts 1 litre 200.
T. : matin, 37.6; soir, 37.8.
Pouls : 111.
Respirations : 16.
Le grand pectoral droit ne réagit pas, le gauche peu. Les autres muscles
comme la veille.
12 octobre.- La jambe droite semble reprendre de la force.
Le grand pectoral droit ne réagit pas du tout, le gauche plus que la veille.
La céphalalgie a disparu. Appétit bon.
A uriné presque facilement 1 litre 3/4. Cette urine contient 1 gr. 30 d'albu-
mine par litre.
T. : matin, 36.7; soir, 37.5.
Pouls : 108.
l'oLI0111 1;LITC ANTÉRIEURE AIGUË DE L'ADULTE 435
Respiration : 18.
13 octobre. - Etat stationnaire. T. : matin, 36.7; soir, 37.7.
14 octobre. - La jambe droite a assez de force, quoique encore faible ; la
gauche semble reprendre un peu de force, le quadriceps crural semble se con-
tracter et le malade exécute de légers mouvements d'extension et de flexion de
la jambe sur. la cuisse. Etat stationnaire pour les membres supérieurs. ' *
Le malade a été purgé là veille au soir ; il a été agité et a déliré toute la
nuit.
Un litre d'urine contenant de l'albumine en abondance.
T. : matin, 37.2; soir, 37.5.
Pouls : 104.
Respiration normale.
15 octobre. - La jambe droite prend de plus en plus de force ; la gauche
continue à exécuter de légers mouvements.
Le grand pectoral droit a assez de force, le gauche semble résister un peu
mieux.
Le malade a la sensation que sa force revient, mais il souffre davantage des
membres inférieurs.
Il a été agité la nuit, a crié.
Il a uriné 1 litre ; l'urine contient beaucoup moins d'albumine ; 0.25 centi-
grammes.
T. : matin, 37.7; soir, 37.5.
Pouls : 40.
Respiration normale.
16 octobre. - Etat stationnaire pour les membres. A pris la veille au soir
chloral et morphine et a bien dormi. Urine un litre, ne contenant plus que 0,10
centigrammes d'albumine.
T. : matin, 36.9; soir, 37.5.
17. - Etat stationnaire ; légère amélioration, surtout pour le côté droit.
T. : soir, 37.5.
Pouls : 84.
Respiration normale.
18. - La jambe droite a repris beaucoup de force, le bras droit peut
exécuter quelques mouvements d'élévation et de flexion. Du côté gauche légère
amélioration. Mais le malade a eu la nuit de violentes douleurs dans les deux
jambes et n'a pas dormi.
On constate (peut-être cela existe-t-il depuis quelque temps) que la respira-
tion est costale supérieure et que les dernières côtes n'ont pas d'expansion :
bref le diaphragme fonctionne pas ou peu.
T. : matin, 37.1. '
19. - Le malade est sorti de l'Hôtel-Dieu (après 11 jours) : il est retourné
chez lui sur un brancard.
Il y est resté 4 semaines. Pendant ce temps les mouvements se sont peu à
peu accentués dans tout le côté droit ; le côté gauche est resté paralysé. L'al-
bumine a disparu au bout de 4 jours.
436 LËIII ET WILSON
Le 19 novembre 1895, il entre à Bicôtre (service de M. Pierre Marie). L'exa-
men est de nouveau fait à cette date :
Le malade reste étendu sur le lit dans le decubitus latéral droit. Le côté
gauche est presque complètement paralysé. La jambe gauche est demi-fléchie
ainsi que la droite ; le malade ne peut étendre la jambe gauche ni l'élever au-
dessus du plan du lit ; il peut la fléchir un peu. Il peut étendre la jambe droite
mieux que la gauche. Les pieds tombent et ne peuvent être fléchis sur la
jambe.
Paralysie des membres supérieurs plus complète à gauche qu'à droite. Remue
le bras gauche en totalité au commandement, mais ne peut l'élever en l'air.
Le membre droit reste appliqué au corps dans la demi-flexion, la main est demi-
fléchie sur l'avant-bras, les doigts dans l'extension. Le bras droit est plutôt
parésié que paralysé : le malade le remue assez facilement, il ne peut l'élever,
mais peut l'étendre, et le fléchit assez facilement par un mouvement de rep-
tation de la main sur le tronc.
Ebauche de quelques mouvements de la main gauche qui peut serrer peine
les objets ; la main droite serre mieux. Par suite de la paralysie des extenseurs
des doigts et de l'action prédominante des muscles cubitaux, la main se porte
dans l'adduction à 130°.
Pas de contracture des membres.
Atrophie des membres inférieurs, pas de troubles trophiques, pas d'escha-
res ; légère atrophie des membres supérieurs.
Réflexe patellaire presque aboli à gauche, plus marqué à droite.
Les sensibilités sont bien conservées, normales, non dissociées. Pas de dou-
leurs dans les membres.
Thorax normal. Pas d'atrophie des pectoraux. Pas de déviation du racliis.
Respiration libre. Coeur normal, pas de palpitations. Au début le malade
dans le décubitus dorsal ne pouvait se redresser sur son lit sur lequel il était
comme fixé; aujourd'hui il peut se redresser plus facilement sans toutefois
pouvoir se mettre complètement sur sou séant; dans les efforts on sent les
muscles droits de l'abdomen se contracter.
Inégalité des pupilles, pupille gauche dilatée. Voit bien, lit facilement, mais
au début se fatiguait vite en lisant.
Urines normales. Appétit normal. Pas de gène de la parole. Dort très peu.
En somme amélioration notable déjà au bout de trois semaines, mouvements
plus faciles du côté droit, mais paralysie presque complète à gauche.
Jusqu'en février 1896, pas d'amélioration fonctionnelle très notable ; à ce
moment maximum des déformations. Le malade ne peut se servir de ses bras
pour prendre un objet qu'avec une peine extrême et en les portant, pour ainsi
dire, vers l'objet à saisir.
Les deux pieds, surtout le droit, sont en hyperextension et tombant pres-
que dans le prolongement de l'axe de la jambe. Le malade ne peut les relever
volontairement et, quand on les a redressés, ils retombent aussitôt qu'on les
abandonne à eux-mêmes.
POLIOMYÉLITE ANTÉRILUKE AIGUE DE L'ADULTE 437
Les trois premiers orteils, à droite et à gauche, sont rétractés en flexion ;
le gros orteil droit, en particulier, est comme pelotonné sous la plante du pied ;
le malade s'inquiète beaucoup de ces déformations qu'il redoute pour la marche
et les signale lui-même.
26 juin 1896. Opérations faites par M. Duplay à l'Hôtel-Dieu. A gauche,
ténotomie sous-cutanée du tendon d.'Achille, puis redressement forcé et immo-
bilisation dans une boîte plâtrée. A droite, ténotomie sous-cutanée du tendon
d'Achille, section à ciel ouvert des tendons fléchisseurs des trois orteils ré-
tractés,résection phatango-phatanginienne du gros orteil,immobilisation plâtrée
pendant 35 jours. Plus tard, massages et électrisation.
L'amélioration véritable date de ce jour : à la suite de ces opérations le ma-
lade a pu de nouveau marcher et s'occuper quelque peu. Il est sorti de Bicêtre
en janvier 1899.
En 190 : j, il est rentré de nouveau atteint de tuberculose pulmonaire et
laryngée, avec dysphagie douloureuse (10 mars 1903). Le 21 mars 1903, il se
plaint de palpitations cardiaques douloureuses qu'il aurait depuis deux ou trois
mois.
Rien à l'auscultation, pouls régulier.
Mort le 12 avril 1903.
AUTOPSIE.- 1.-MOELLE ET BULBE.- On remarque que la moelle est sensible-
ment plus aplatie qu'une moelle normale, surtout dans les régions cervicale et
dorsale. Les racines paraissent avoir dans l'ensemble un petit volume. La
méninge antérieure est très mince, la méninge postérieure est peut-être un
peu plus épaisse qu'à l'état normal, mais elle ne présente nullement les gros
épaississements, les capitonnages que l'on est accoutumé à trouver chez beau-
coup de tabétiques.
Sur une coupe macroscopique on voit dès le premier abord une atrophie
considérable des cornes antérieures, surtout dans la région cervicale, un apla-
tissement de toute la moitié antérieure de la moelle avec saillie de son rebord
de chaque côté du sillon médian antérieur. A un examen plus attentif, après
chromage, on distingue très nettement dans les coupes antérieures cervicales
et lombaires, tranchant par une teinte jaune plus claire que le reste des cornes,
les foyers de dégénérescence que nous a révélés l'examen microscopique.
Des coupes ont été faites au niveau de presque toutes les racines et au niveau
du bulbe : cependant la portion de moelle comprenant les 5 premières racines
cervicales, a malheureusement été égarée et nous n'avons pu en faire de
coupes. Les coupes ont toutes été colorées par la méthode de Weigert et par
celle de Weigert-Pal (avec double coloration par la cochenille).
Bulbe. - Dans sa partie supérieure et dans sa partie inférieure le bulbe
paraît tout à fait normal. Peut-être cependant la moitié gauche est-elle un peu
moins colorée, peut-êlre y a-t-il dans cette moitié une très légère dégénéres-
cence diffuse, mais en tout cas, il n'y a dégénérescence complète d'aucun
faisceau.
66 cervicale (Voir Planche LVIII, A). - Le rebord antérieur est très aplati *
438 LÉIII ET-WILSON
- ce qui tend à donner à la moelle une forme triangulaire à base antérieure, au
lieu de la forme ovalaire normale. Mais ce qui frappe surtout, c'est que toute
la partie antéro-externe de chaque corne antérieure est remplacée par un tissu
ne prenant pas les colorants, contenant des noyaux colorés par la cochenille,
moins nombreux que dans les parties saines, mais faisant plus nettement saillie
sur le fond décoloré. Ce tissu offre tout à fait l'aspect ordinaire des foyers de
ramollissement de la paralysie infantile. A gauche, le foyer est plus étendu
qu'à droite et à/son centre on voit un gros vaisseau dont la gaîne contient
des noyaux, mais pas d'amas nucléaires ; on ne voit plus dans le tissu que les
restes de quelques fibres, variqueuses et très mal colorées. En arrière seule-
ment le rebord de ce ramollissement tranche nettement et brusquement sur
le tissu sain.
A droite, le foyer semble formé de trois ou quatre foyers juxtaposés et plus
ou moins complètement confondus, ce qui lui donne un contour polycyclique;
au centre ou près du centre de presque tous ces foyers, on voit encore un
petit vaisseau.
Les cornes antérieures dans leur ensemble sont extrêmement aplaties et
sont représentées par des languettes minces qui se terminent en dehors en
pointes. Leurs groupes cellulaires interne et postéro-exterue contiennent
encore un petit nombre des cellules dont la plupart sont tassées, comme
repoussées, globuleuses ou munies encore d'un ou deux prolongements.
Grosse vascularisation des cornes postérieures.
Le canal épendymaire n'est représenté que par un tissu lacunaire presque
comblé par des amas nucléaires.
Dans la substance blanche, dégénérescence de la zone radiculaire antérieure
depuis la substance grise jusqu'au voisinage du rebord de la moelle, mais non
jusqu'à ce rebord.
Les cordons de Goll sont plus clairs que ceux de Burdach, mais cette diffé-
rence ne semble pas dépasser sensiblement celle que l'on observe à l'état
normal.
Pas d'amas lymphocytaires, ni dans la méninge, ni au pourtour des vais-
seaux.
6e-7e cervicale (Voir Planche LIX, C et planche LVIII, A). La partie an-
térieure de la moelle est encore très aplatie. A droite la lésion est la même, mais
moins étendue, limitée à la partie tout à fait externe de la corne antérieure.
A gauche la lésion de la partie antéro-externe de la corne antérieure est
aussi moins étendue, mais on constate de plus une grosse lésion, incomplète-
ment séparée de la précédente, qui occupe toute la partie antéro-interne et qui
présente un aspect tout à fait spécial : on n'y constate plus que de larges va-
cuoles avec quelques noyaux épars, il y a un vrai trou traversé par des
trabécules.
Les cornes antérieures se terminent moins en pointe en dehors, elles sont
moins longues transversalement ; d'ailleurs à l'état normal la corne de CI est
moins large que celle-ci de C0.
NOUVELLE Iconographie de la SALPËTRIÈRE.
T. XVII. Pl. LVIII
POLIOMYELITE ANTERIEURE AIGUË DE L'ADULTE AVEC LÉSIONS MÉDULLAIRES
EN FOYER
(A. Léri et S. A. K. lYilson.)
A. 6 cervicale. Ramollissement presque symétrique dans la partie antéro-externe des
deux cornes antérieures ; à gauche un gros vaisseau au centre du foyer. B. 6c-"je cer-
vicale. Partie inférieure des mêmes foyers. A gauche du foyer qui occupait la partie
antéro-externe de la corne antérieure s'est surajouté un gros foyer antéro-interne ; les
deux foyers de la même corne sont complètement séparés.
Masson et Ci, Editcuis
NOUVELLE Iconographie DE la SALPETRIERE.
T. XVII. PI. LIX
POLIOMYELITE ANTÉRIEURE AIGUË DE L'ADULTE AVEC LÉSIONS MEDULLAIRES
EN FOYER
(A Léri et S. A. K. 11,71lsoii.)
C. 6-7 cervicale. Foyer dans les deux cornes annrieuies. Aplatissement de la partie
antérieure de la moelle, dépression au niveau de la zone radiculaire antérieure.
POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE AIGUË DE L'ADULTE 439
Les groupes cellulaires postéro-interne et externe ne présentent plus que
quelques cellules extrêmement petites et aplaties ; le groupe antéro-interne
droit a encore sur la coupe deux ou trois cellules assez volumineuses munies
d'un petit nombre de prolongements.
Quelques vaisseaux sont entourés d'une large zone claire.
L'état de la méninge et de ses vaisseaux semble à peu près intact.
Dans les racines, antérieures et postérieures, un nombre restreint de gai-
nes myéliniques sont seules colorées ; mais à l'état normal ces gaînes sont trop
irrégulièrement colorables pour qu'on puisse conclure à une dégénérescence.
7e-ge cervicale (Planche LIX, D). Partie antérieure de la moelle très
aplatie ; le pourtour présente une dépression nette au niveau de la zone radi-
culaire antérieure.
On ne trouve plus dans les cornes antérieures de foyers semblables à ceux
des coupes sus-jacentes, mais ces cornes sont très aplaties d'avant en arrière,
la corne droite est réduite à une mince languette transversale sur laquelle la
partie interne n'est plus représentée que par une pointe de un ou deux milli-
mètres, presque complètement privée de fibres. Il n'y a plus dans la corne
droite qu'une ou deux cellules à la partie postéro-interne et quelques cellules
dans les parties antéro et pôstéro-externes, mais la plupart petites, allongées
et aplaties, ou globuleuses ; leurs granulations paraissent rejetées en cou-
ronne.à leur pourtour. -
Dans la corne gauche un groupe externe de 5 ou 6 cellules subsiste seul
dans la languette, ainsi que deux ou trois cellules petites éparses.
L'épendyme est obturé par un amas nucléaire.
Les vaisseaux de la substance grise sont très nombreux, beaucoup parais-
sent très altérés, entourés d'une gaîne dilatée et parfois d'un large espace clair.
La substance blanche dans les parties postérieure et latérale a un volume
et une coloration sensiblement normaux.
Ire dorsale. - La moelle paraît normale à première vue, sauf qu'elle est
notablement plus petite qu'une moelle normale, que la partie antérieure est
encore un peu aplatie et qu'il y a une dépression au niveau des zones ra-
diculaires antérieures ; à ce niveau aussi la zone périphérique est moins
colorée. La substance grise a une forme plus proche de la normale, mais les
cornes antérieures sont très diminuées de volume.
A droite il existe quelques cellules dans les différents groupes ; elles ne sont
belles que dans le groupe antéro-interne. A gauche il n'y a plus aucun groupe,
mais seulement quelques cellules éparses, petites, aplaties ou recroquevillées,
sans prolongements. Quelques débris seulement des cellules de Clarke.
Les vaisseaux de la substance grise ne présentent plus à leur pourtour les
mêmes larges espaces clairs que sur les coupes précédentes.
Les racines ont peu de gaines colorées.
lor-2° dorsale. Même aspect des régions antérieures grise et blanche,
même dépression très marquée et même sclérose annulaire légère prédomi-
nante aux zones radiculaires .intérieures.
440 LÉRI ET IvILSOtY
Les cornes antérieures, qui sont normalement beaucoup plus minces à ce
niveau, sont peut-être un peu plus effilées que normalement, surtout à droite,
mais la différence n'est plus très sensible. Il existe des cellules dans les diffé-
rents groupes, mais à droite celles des groupes antérieurs sont très petites et
dispersées, à gauche elles sont plus volumineuses, mais unipolaires pour la
plupart et à noyau presque indivisible. Cellules petites dans les noyaux de
Clarke, surtout à gauche, et dans le noyau intermédio-latéral gauche.
2°-3" dorsale. Toutes les lésions sont bien moindres, l'aspect et la forme
de la moelle sont beaucoup plus normaux, quoique la moelle soit toujours plus
petite qu'une moelle normale. Dépression au niveau de la zone radiculaire
antérieure, plus de sclérose périphérique.
Le volume de la corne antérieure gauche est normal, la corne droite est un
peu plus petite.
Mêmes remarques que pour D *-2 sur la distribution et la forme des cel-
lules dans les groupes cellulaires antérieurs et de Clarke.
3-48 dorsale. - Moelle encore très aplatie, losangique au lieu de ronde.
Dépression radiculaire antérieure nette, surtout à gauche, sclérose périphéri-
que légère au niveau de la zone radiculaire antérieure gauche.
Cornes antérieures sensiblement plus petites que normalement, surtout
aplaties de dedans en dehors. Il n'y a pour ainsi dire aucune cellule, si ce n'est
dans le groupe intermédio-latéral et quelques-unes, rares, peu colorées, à noyau
excentrisé, dans les colonnes de Clarke ; une ou deux cellules dans la partie
antérieure, seulement à gauche.
4e-5e dorsale. Mêmes remarques ; aplatissement latéral des cornes anté-
rieures, surtout de la droite ; mêmes cellules.
5e-6e dorsale. La moelle est très aplatie d'avant en arrière et présente
une dépression sur le pourtour de la zone radiculaire antérieure.
Les cornes antérieures sont aplaties d'avant en arrière et inégales. Elles
contiennent de rares cellules encore assez volumineuses, mais déformées,
unipolaires et globuleuses à noyau peu visible. Cellules assez nombreuses et
assez belles dans le groupe antéro-latéral et dans les colonnes de Clarke.
6e-7° dorsale (Planche LIX, E). Moelle moins aplatie, même dépression
du rebord, surtout il droite. Grosse diminution transversale des cornes anté-
rieures, surtout de la droite. Belles cellules, assez nombreuses et volumineu-
ses, à gauche. A droite presque pas de cellules dans la corne antérieure. Les
cellules de Clarke sont très belles, moins nombreuses à droite qu'à gauche;
leur réseau subsiste, mais un peu éclairci, surtout dans sa portion interne.
7"-S" dorsale. Mêmes remarques ; aplatissement antéro-postérieur de la
moelle avec dépression antérieure, aplatissement transversal des cornes. Même
distribution des cellules que sur la coupe précédente, mais cellules moins nom-
breuses à droite.
8e-90 dorsale. Toutes les déformations semblent un peu moindres. Quel-
ques cellules déformées dans la corne antérieure gauche, pour ainsi dire pas
de cellules à droite. sauf dans le groupe intermédio-latéral qui est bien fourni
dps deux côtés ainsi que la colonne de Clarke.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. Pl. LIX bis
H .
POLIOMYELITE ANTÉRIEURE AIGUË DE L'ADULTE AVEC LÉSIONS MEDULLAIRES
EN FOYER
(A. Léri et S. A. K. Ihilsou.)
F. ¡e-2e lombaire. Une des hauteurs les mieux conservées. Pourtant légère diminution
de volume de la moelle des cornes antérieures, légère dépression de la zone d'entrée des
POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE AIGUË DE L'ADULTE ! , il i
9"-10" dorsale, Les déformations, à l'oeil nu, sont encore bien moins
accusées ; la moelle et ses cornes ont presque leur volume et leur forme habi-
tuels. Néanmoins il n'y a qu'une ou deux cellules petites et arrondies dans
chaque corne antérieure. Seuls les groupes intermédio-latéraux et les colonnes
de Clarke ont de belles cellules.
10-11° dorsale. -"Mêmes remarques : dépression antérieure encore moins
marquée ; volume de la moelle normal.
Les gaines périvasculaires paraissent plus vastes et il semble y avoir au ni-
veau de la partie antérieure de la corne antérieure droite un très petit foyer
semblable à ceux, beaucoup plus vastes, des portions cervicale et lombaire.
Les cornes antérieures sont encore un peu effilées ; les cellules out sensible-
ment le même état et le même nombre que sur la coupe précédente.
12e dorsale. - Moelle normale à l'oeil nu, sauf peut-être encore un très
léger aplatissement de la moitié antérieure et des cornes antérieures. Le réseau
fibrillaire des cornes antérieures est très peu fourni, surtout à gauche. Il n'y
a presque pas de cellules dans les cornes antérieures, sauf quelques-unes
très petites, ratatinées, entourées d'une large zone claire Le groupe intermé-
dio-latéral a de belles' cellules à droite seulement, la colonne de Clarke des deux
côtés.
lre-2e lombaire (Planche L1X bis, F). Volume normal. Léger aplatisse-
ment transversal des cornes antérieures. Cellules très belles dans la corne
antérieure droite, très petites, effilées, ratatinées dans la corne antérieure
gauche. Larges zones claires au pourtour des vaisseaux. Ependyme obturé.
3° lombaire (Planche LIX bis, G). - Grosses lésions en foyers, semblables
à celles de la région cervicale, dans les deux cornes antérieures, surtout dans
la gauche. Le foyer occupe toute la partie antéro-externe et moyenne de chaque
corne ; à droite on y voit encore d'assez nombreux débris de fibres variqueu-
ses, à gauche presque plus de fibres du tout ; le foyer de gauche est largement
vacuolaire à son centre. A cause de ces foyers les cornes antérieures sont
fortement aplaties transversalement et une légère dépression reparaît au pour-
tour de la zone radiculaire antérieure. A gauche, quelques très fines cellules
dans le groupe antéro-interne, pas ailleurs; adroite, trois grosses cellules dans
le groupe antéro-interne, une ou deux en dehors.
5° lombaire (flanche LIX bis, II). - Mêmes grosses lésions des cornes
antérieures, surtout à gauche. Moelle très petite, carrée au lieu de triangu-
laire par aplatissement transversal des cornes antérieures. Légère dégénéres-
cence de la zone radiculaire antérieure. Larges espaces au pourtour des vais-
seaux. Quelques très petites cellules seulement dans le groupe antéro-interne
à gauche, deux grosses dans le même groupe à droite.
En regard de chaque coupe de moelle de notre malade Ganl..., nous avons
dessiné une coupe de moelle normale prise à peu près au même niveau, sauf
peut-être quelque erreur possible d'un demi-segment ou d'un segment.
Toutes ces coupes ont été dessinées au même grossissement (Voir les trois
tableaux 1, 2, 3).
xvn 20
442 2 L8111 ET WILSON
TABLEAU 1
POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE AIGUË DE L'ADULTE 443
ÏAHLEAU2 2
444 LÉRI ET WILSON
Tableau 3
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. Pl. LX
J. Nerf cubital droit. Les faisceaux semblent intacts, sauf dégénérescence de quelques fibres
isolées, mais dans l'intervalle des faisceaux notable prolifération conjonctive et adipeuse.
K. Nerf sciatique droit. Quelques faisceaux contiennent d'assez nombreuses fibres dégénérées ;
tous les autres sont parfaitement sains. Infiltration conjonctivo-graisseuse très notable dans l'in-
tervalle des faisceaux nerveux. L. Muscles nrrléro-externes de la jambe droite. Dégénérescence
graisseuse très avancée ; mélange de fibres à tous les degrés de la dégénérescence ; fibres nor-
males, fibres atrophiées ou hypertrophiées, fibres très colorées ou à peine colorables, fibres-
cellules à l'état embryonnaire, fibres complètement ou incomplètement infiltrées de graisse.
M. Mêmes muscles ti un plus fort gIOSSiSSCIUC11t, montrant mieux l'infiltration graisseuse et le
mélange des fibres atrophiées et des fibres hypertrophiées.
POLIOMYELITE ANTÉRIEURE AIGUË DE L'ADULTE AVEC LÉSIONS MÉDULLAIRES
EN FOYER
(A. Léri et S. A. K. Wilson.)
POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE AIGUË DE L'ADULTE 445
' Nous avons cru devoir. les réunir afin de montrer d'une' façon-frappante :
1° La diminution de volume de la moelle à tous les niveaux, due surtout à
la diminution de volume de sa moitié antérieure.
2° Sa déformation due à cette atrophie partielle et à la dépression de son
pourtour au niveau de la zone d'entrée des racines antérieures, dépression' si
nette à presque tous les niveaux. z
3° La diminution de volume des cornes antérieures diminutions considéra-
ble à presque tous les niveaux, même très loin des hauteurs où l'on constate
une lésion des foyers. ' ;
L'existence d'une lésion générale de la moelle, prédominante partout au ni-
veau des cornes antérieures, s'affirme nettement au simple vu de'ces schémas.
II. NERFS. Nerf cubital droit (Planche LX, J). - Dégénération mo-
dérée : disparition d'un certain nombre de fibres dont on voit les gaines dis-
séminées ; pas de dégénérescence des faisceaux. '
Pas de prolifération conjonctive intra-fasciculaire, mais grosse prolifération
inter-fasciculaire conjonctivo-adipeuse.
, Pas de multiplication nucléaire, pas de vascularisation exagérée.
Nerf cubital gauche. - A peu près semblable au droit.
Nerf radial droit. Les lésions sont également.très modérées, mais ma-
nifestes, plus marquées dans certains faisceaux que dans d'autres. Le tissu
interfasciculaire est plus richement vascularisé que dans le cubital et 'plus in-
filtré de graisse. Les vaisseaux, très multipliés, ont une paroi très épaissie et
un calibre plus considérable que normalement. '
Nerf radial gauche. Un peu plus atteint que le droit,' plus infiltré de
graisse. ' z 1 ' ' '
Nerf médian droit. - Même aspect que le radial. : ' .
Nerf médian gauche.- Abondante prolifération interstitielle, plus fibreuse
que graisseuse. > . :
Fibres conservées assez nombreuses.
Nerf sciatique droit (Planche LX, K). Même dégénérescence très limitée,
sans prolifération nucléaire, même infiltration graisseuse.
Nerf \ sciatique gauche. Même état que le droit avec prolifération con-
jonctivo-graisseuse plus prononcée encore. , ' , ,
Nerf tibial antérieur gauche. - Paraît extrêmement grêle, composé pres-
que d'un seul faisceau'encore : intact, au point qu'on se demande s'il n'y a'pas
eu erreur au moment de l'autopsie.
III. Muscles- Muscles postérieurs de la cuisse droite. Très grosses
altérations. Type de la pseudo-hypertrophie graisseuse : infiltration graisseuse
presque totale avec dislocation et dissémination des fibres, prolifération nu-
cléaire sans aucun ordre, multiplication des vaisseaux.
Muscles postérieurs de la cuisse gauche. - Même dislocation totale avec
prolifération totale nucléaire intense et infiltration graisseuse énorme. On ne
retrouve que quelques fibres de volume très variable.
Muscles antéro-externes de la jambe droite (Planche LX, L2 M). Même
446 LÈm ET N-ILSO.1
aspect que les muscles postérieurs de la cuisse, dégénérescence plus marquée
encore; dispersion de fibres, les unes atrophiées, les autres hypertrophiées
pour ainsi dire une par une dans une masse conjonctive-graisseuse.
Muscles antéro-externes de la jambe gauche. Même substitution grais-
seuse à peu près totale ; on ne voit plus dans des amas de graisse qu'une masse
multinucléée avec quelques fibres géantes.
Muscle quadriceps crural droit. Dégénérescence graisseuse à tous les
degrés, mais surtout au stade de début. Infiltration interfasciculaire, mais
fibres de volume encore à peu près normal et pour la plupart encore en fais-
ceaux.
Biceps brachial droit. - La plus grande partie de ce muscle est saine, ses
faisceaux et ses fibres sont normaux, ses fibres n'ont pas leurs noyaux prolifè-
rés. Seules quelques portions présentent une dégénérescence au début.
Triceps brachial gauche. Mélange de parties encore saines et de parties
avec abondante prolifération nucléaire ou substitution graisseuse.
Fléchisseurs de l'avant-bras droit. La striation et la nucléation nor-
males sont conservées dans la plupart des faisceaux, mais il y a par places des
foyers de multiplication nucléaire et de dégénérescence accusée avec disloca-
tion de l'aspect normal, perte de la striation transversale, infiltration adipeuse.
Fléchisseurs de l'avant-boas gauche. Même mélange de parties saines
nombreuses et de parties plus ou moins dégénérées.
En somme il s'agit d'un homme mort à de 30 ans après avoir
présenté un syndrome de paralysie ascendante aiguë 7 ans J /2 auparavant.
Le début avait été rapide et fébrile comme celui de la paralysie infantile,
au point que l'on avait pensé au début d'une fièvre typhoïde. La paralysie
ne fut pas dès les premiers temps régressive comme une paralysie infan-
tile, mais au contraire progressive pendant une huitaine de jours : les
membres inférieurs furent atteints les premiers (avec quelques douleurs),
le gauche d'une paralysie complète avec abolition du réflexe rotulien; le
droit d'une parésie avec diminution de ce réflexe; au bout de 4 ou 5
jours les membres supérieurs se prirent progressivement il leur tour, le
gauche également plus fortement que le droit ; en même temps rétention
incomplète d'urine qui ne nécessita pas le sondage et albuminurie qui i
disparut après quatre jours.
A partir de ce moment la fièvre tomba et la paralysie diminua d'in-
tensité dans les quatre membres : elle resta pourtant plus accentuée dans
les membres supérieur et inférieur gauches qui avaient été plus atteints, et
le malade prit plus ou moins l'aspect d'un hémiplégique gauche.
L'affection parut dès lors tout il fait arrêtée, elle laissait le sujet in-
firme, mais non malade. L'infirmité s'accenlua dans l'année qui suivit
par suite de la formation de pieds-bots paralytiques avec rétraction des
orteils semblables à ceux de la névrite périphérique. Le redressement opé-
POLIOMYÉLITE ANTÉRIEURE AIGUË DR L'ADULTE 14î -À
ratoire permit au malade de marcher et de s'occupera de menues besognes.
Cette évolution plutôt régressive fit porter dans les premiers temps le
diagnostic de paralysie ascendante aiguë d'origine probablement polyné-
vritique. Le malade mourut de tuberculose pulmonaire :
L'autopsie montra dans la moelle l'existence d'une double lésion en
foyers qui avait détruit symétriquement, quoique inégalement, la plus
grande partie des deux cornes antérieures, d'une part au niveau du ren-
flement cervical, d'autre part au niveau du renflement lombaire. Dans
ces deux régions, la lésion de gauche était plus marquée que celle de
droite, ce qui répondait parfaitement aux constatations cliniques. Ces
foyers avaient absolument l'aspect des foyers infectieux de la paralysie
infantile; il ne semblait pas y avoir eu de destruction brusque, comme
par une hémorrhagie (sauf peut-être en certains points très limités), car
on y trouvait encore quelques débris de fibres variqueuses. .
Pour prédominantes qu'elles aient paru, ces lésions n'étaient pas les
seules ; dans toute la hauteur de la moelle en effet, les cornes antérieures
étaient atrophiées, leurs cellules présentaient des altérations considérables,
étaient ratatinées pour la plupart ou globuleuses, certaines pourvues en-
core d'un ou de deux prolongements seulement. Seuls, le groupe inter-
médio-latéral et le groupe de Clarke paraissaient à peu près intacts, mais
le réseau fibrillaire des colonnes de Clarke semblait un peu éclairci, et
cela à peu près proportionnellement à la lésion des cornes antérieures au
même niveau. Les zones radiculaires antérieures étaient amincies ainsi
que les cornes et le pourtour de la moelle déprimé à leur niveau. Il exis-
tait donc une poliomyélite antérieure généralisée, frappant inégalement t
les différents groupes cellulaires, mais les frappant à tous les niveaux.
Le point de départ des lésions en foyers nous a paru être manifeste-
ment dans les vaisseaux, nous n'en voulons pour démonstration que
l'existence d'un vaisseau situé près du centre de la plupart des foyers.
D'ailleurs en dehors même des foyers, les vaisseaux paraissaient très mul-
tipliés et entourés d'une gaine largement dilatée, formant autour d'eux
un vaste espace clair ; en certains points même, semblait-il, un vaisseau
était au centre d'un petit foyer de dégénérescence tout à fait au début :
ces lésions périvasculaires étaient d'autant plus marquées qu'on appro-
chait plus des gros foyers cervicaux ou lombaires.
En aucun point cependant nous n'avons constaté autour des vaisseaux
de gaines lymphocytiques, mais malgré cette constellation négative les
lésions vasculaires nous ont paru tout à fait patentes.
Cette existence de lésions vasculaires d'une part, prédominantes dans
la production des foyers de destruction de la substance grise antérieure,
cette irrégularité dans l'atteinte des différentes cellules dans le reste delà
448 LÉm ET WILSON
moelle d'autre part, nous permettent de dire que pas plus chez l'adulte
que chez l'enfant la poliomyélite antérieure n'est étroitement systémati-
sée aux cellules des cornes antérieures; elle est au contraire pseudo-
systématique, et cette pseudo-systématisation semble due à la distribution
vasculaire.
Quant à la cause même de ces lésions vasculaires, elle ne peut guère
être cherchée ailleurs que dans une infection ou une intoxication. Or la
seule infection qui ait été constatée chez notre malade est l'infection
syphilitique dont il avait été atteint 4 ou 5 ans auparavant : malgré l'ab-
sence de prolifération lymphocylique dans la méninge ou dans la gaîne
des vaisseaux, nous serions fort tentés d'attribuer l'affection a la syphilis.
Il s'agissait non d'une iiiéningo-iiiy,lite syphilitique à prédominance
au niveau de la substance grise des cornes antérieures, mais d'une polio-
myélite, peut-être infectieuse, peut-être toxique, prédominante dans le
domaine des artères centrales, avec foyers localisés dus peut-être à des
thromboses ou à des embolies dans le domaine de ces artères.
. Quoi qu'il en soit, cette observation nous paraît démontrer d'une façon
évidente l'existence possible chez l'adulte d'une poliomyélite antérieure
.aiguë avec lésions en foyers analogues à celles de la paralysie infantile :
ces lésions peuvent d'ailleurs, comme dans notre cas, être multiples, et se
présenter cliniquement sous la forme de la paralysie ascendante aiguë.
Un seul fait, à notre connaissance, peut être plus ou moins comparé au
nôtre : c'est celui qui fut communiqué par M. Van Gehuchten au Congrès
de Bruxelles en 1903 : poliomyélite antérieure aiguë chez une jeune fille
de 21 ans ayant entraîné en quelques jours une paralysie complète de
tous les muscles du tronc et des quatre membres avec intégrité complété
de la sensibilité : mort au bout de deux mois. Dans la moelle, destruction
complète bilatérale deila corne grise antérieure depuis la moelle cervicale
supérieure jusqu'au deuxième segment sacré,destruction surtout accentuée
au niveau des renflements cervical et lombaire : il existait par places de
véritables trous. Les vaisseaux présentaient des gaines nucléées surtout
dans la substance grise et à son voisinage, ces gaines diminuaient et dis-
paraissaient vers la périphérie de la moelle; la syphilis n'avait pas été
recherchée. Un fait paraissait incontestable à l'examen des coupes, c'est
que, quelle que soit la nature de la lésion initiale, la lésion médullaire
était une lésion primaire ; pourtant (et M. Anglade le fil observer) il était
regrettable que les nerfs n'aient pu être examinés.
Dans notre cas les nerfs et les muscles ont été coupés ; ils ont présenté
des lésions manifestes, les nerfs de névrite interstitielle avec grosse proli-
fération conjonctive interfasciculaire, les muscles de myosite, d'atrophie
musculaire et de dégénérescence adipeuse. Mais ces lésions ne dépassaient
POLIOMYÉLITE ANTÉITIEURF AIGUË DE L'ADULTE 449
pas en somme, malgré leur importance incontestable, celles que l'on est
accoutumé à trouver à la suite soit de sections nerveuses, soit de lésions
médullaires, dans la paralysie infantile par exemple. Qu'elles aient ou
non évolué pour leur propre compte, leur participation à la genèse du
syndrome clinique a été assurément tout à fait accessoire ; on en est con-
vaincu à l'examen des lésions considérables de la moelle dont la localisa-
tion même, prédominante à gauche, répondait entièrement à la sympto-
matologie clinique. Ce cas démontre donc d'une façon indubitable la pos-
sibilité chez l'adulte d'une poliomyélite antérieure aiguë avec lésions en
foyers primitives absolument semblables à celles que l'on est accoutumé
à rencontrer chez l'enfant.
MYOTONIE AVEC .ATROPHIE MUSCULAIRE
PAR
le Dr M. LANNOIS,
Agrégé, médecin des hôpitaux de Lyon.
L'observation qu'on va lire pourrait aussi bien être intitulée l9gopa-
thie progressive avec hypertonie que Maladie de Thomsen fruste avec atro-
phie musculaire. Les faits de ce genre me paraissent mériter d'être publiés
pour deux raisons : la première est qu'ils sont rares, la seconde qu'ils
ont une certaine importance théorique. Ils servent en effet de lien entre
les myopathies primitives et la maladie de Thomsen et constituent un bon
argument en faveur de la nature myopathique de cette dernière.
Voici d'abord l'observation.
Atrophie musculaire à forme segmenlaire occupant les avant-bras et surtout
les jambes. - Début il a quatre ans par des douleurs, de la parésie et du
steppage. Abolition des réflexes rotuliens. - lllgotonie à forme de ma-
ladie de Thomsen.
Ch... Iânace,cocher,agé de 37 ans, entre dans le service le 26 décembre 1903.
Son père est mort à 66 ans d'une attaque ; il avait eu une pleurésie, n'avait
jamais eu de crises, ne buvait pas. La mère est morte à 68 ans. Il ne parait
y avoir eu aucune affection nerveuse parmi les ascendants ou les collatéraux.
Il a perdu une soeur à 22 ans d'anémie, deux soeurs jumelles mortes en bas
âge et un frère mort du croup à 4 ans. Il lui reste un frère et une soeur plus
âgés que lui qui ne présentent aucune tare nerveuse.
Sauf de l'énurèse ayant persisté jusque vers l'âge de 5 ans, on ne trouve rien
à noter dans ses antécédents personnels. Il a eu la fièvre typhoïde au service
militaire. Il avoue une biennorrhagic, mais nie la syphilis : il a bien présenté
des végétations sur la verge pendant son service militaire, mais fort loin de tout
rapport sexuel et il semble bien qu'il ne se soit agi que de papillornes.
La maladie actuelle remonte à quatre ans : on lui fit remarquer qu'il lançait
les jambes en marchant. Lui-même ne s'apercevait que d'un peu de gêne dans
la jambe gauche. Deux ans plus tard il eut des douleurs assez vives, toujours
diurnes, dans les deux genoux : ces douleurs qu'il compare à la traversée du
genou par une aiguille avaient assez nettement le caractère fulgurant et cela,
joint à l'absence des réflexes rotuliens, fit pensera son médecin qu'il s'agissait
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. XVII. PI. LXI
MYOTONIE AVEC ATROPHIE MUSCULAIRE
(Lm/llois)
Masson & Ch : , Éditeurs
NOUVELLE Iconographie de la SALPÊTRIÈRE. T. XVII. PI. LXII
MYOTONIE AVEC ATROPHIE MUSCULAIRE
( Laullois)
Masson & CI-, Éditeurs
MYOTONIE AVEC ATi(0)'i) ! H nru-cur..wn. 451
de tabes. La gêne de la marche et la faiblesse générale augmentant progressi-
vement, on lui parla de suspension, et c'est pour cela qu'il entre à l'hôpital.
A l'examen on s'aperçoit vite que sa démarche n'est pas celle d'un tabétique :
il lance les jambes en avant, mais bien dans la ligne droite, la pointe du pied
retombe la première, puis le talon qui frappe fortement le sol : aussi la marche
est-elle gênée par ce steppage très accusé. Du reste il n'a pas d'incoordi-
nation motrice : il lui est difficile de mettre le talon sur le genou, mais il y
arrive sans "mouvement ataxique. Il n'a aucun trouble de la sensibilité, pas de
Romberg, etc.
Au reste, l'explication de tous ces troubles se trouve-t-elle tout simplement
dans l'atrophie musculaire des deux jambes. Celle-ci est très accusée, surtout
si on regarde le malade en avant, ainsi qu'on peut le voir sur la photographie
(PI. LXI et LXII). La crête du tibia est devenue saillante par l'atrophie très
apparente des muscles de la région antéro-externe. Ceci frappe d'autant plus
que cet homme est fortement musclé et que ses cuisses sont très volumi-
neuses.
Au point de vue fonctionnel l'atrophie se traduit par une difficulté marquée
dans le fléchissement du pied sur la jambe et par l'impossibilité pour le malade
de relever le gros orteil, alors que les autres doigts du pied sont susceptibles
d'un léger mouvement. La parésie est plus marquée à droite. Les autres mou-
vements sont possibles, surtout l'extension du pièd, mais se font avec lenteur.
L'atrophie musculaire est aussi évidente, mais cependant moins marquée
si on regarde les mollets : c'est leur partie interne qui paraît aplatie. Il y a
encore un contraste très manifeste entre les mollets et les formes athlétiques
des cuisses.
Le même contraste existe aux membres supérieurs entre le volume du bras
et celui de l'avant-bras, mais moins accusé qu'aux membres inférieurs : l'avant-
bras paraît plus petit qu'il ne devrait être, mais sans localisation sur un groupe
musculaire déterminé. Le malade se plaint de la faiblesse de ses membres et
de fait il ne donne que 25 au dynamomètre de l'un et l'autre côté. Pas d'atro-
phie des petits muscles de la main.
Les mensurations montrent d'une façon générale une différence légère au
détriment du côté droit, bien que le malade n'ait jamais été gaucher. On
trouve :
432 LANNOIS
côté de celle atiopliie musculaire, le pliéiioinène le plus saillant est la
myotonie, la lenteur de la déconl1'llclion musculaire, qui accompagne un
certain nombre de mouvements. Si on dit au malade de serrer la main ou le
dynamomètre, on constate que la pression continue à s'exercer et ce n'est
qu'au bout de quelques secondes que les doigts s'étendent peu à peu (l'index
en premier lieu) et perdent leur raideur. C'est absolument le même phénomène
que dans la maladie de Thomsen. Il se produit avec la même intensité aux
deux mains. Comme dans la maladie de Thomsen, si on fait exercer la pres-
sion deux ou trois fois de suite, la raideur disparaît et le mouvement s'exécute
normalement.
Il y a environ trois ans que le malade s'est aperçu de cela, peu après l'appa-
rition des troubles de la démarche. Lorsque, en conduisant ses chevaux, il
tirait un peu brusquement sur les rênes, la contracture se produisait dans les
mains et il était obligé de rendre de l'avant-bras ou même de l'épaule, pour
ne pas jeter son attelage contre un mur ou dans un fossé.
A table, surtout s'il est intimidé par la présence d'un tiers, il ne peut
lâcher son verre, son couteau, etc. Rien dans dans les mouvements de flexion
et d'extension de l'avant-bras sur le bras.
Ce n'est d'ailleurs pas seulement dans les mains et les avant-bras que ces
phénomènes se produisent. Le matin en se levant, parfois lorsqu'il est resté
assis longtemps, il éprouve au niveau de la partie postérieure des cuisses, dans
les fesses et même dans le dos une sorte de tension qui l'attire en arrière et
le ferait tomber accroupi après deux ou trois pas à reculons. Aussi a-t-il la
précaution au moment où il se lève, de toujours s'asseoir, sur une chaise qu'il a
disposée à cet effet près de son lit.
Il a aussi quelques phénomènes analogues du côté de la bouche : il a de
la raideur après les premiers efforts de mastication et il est habituellement gêné
lorsqu'il commence à parler. Il lui semble qu'il ne peut remuer les lèvres,
la langue et qu'il ne pourra ouvrir la bouche. Cela remonte à deux ans.
Le matin la première miction est toujours gênée : il est obligé d'attendre et
de pousser fortement, ce qui ne se produit que rarement dans la journée. Il
est parfois obligé de marcher pendant plusieurs minutes en ressentant une
sorte de constriction dans les os du bassin avant de pouvoir uriner.
Le malade accuse aussi, outre les douleurs passagères des genoux que nous
avons déjà signalées, une sensation de raideur très manifeste dans les mem-
bres inférieurs et le dos lorsqu'il est resté couché ou assis pendant un certain
temps. A plusieurs reprises il s'est plaint d'avoir dans les cuisses et les mem-
bre supérieurs une sorte de frémissement musculaire, allant parfois jusqu'à la
crampe douloureuse.
La sensibilité est normale dans tous ses modes. Il n'y a rien à noter du côté
des organes des sens, sauf de l'inégalité des pupilles, la droite étant plus dila-
tée; elles réagissent avec lenteur à la lumière et à l'accommodation, mais norma-
lement.
Les réflexes tendineux, rotulien et achilléen, sont abolis; les réflexes du
MYOTONIE AVEC ATROPHIE MUSCULAIRE 453
bras et de l'avant-bras sont faibles. Pas de réflexe cutané plantaire; crémas-
térien faible; abdominal, conjonctival, cornéen normaux.
L'état général est bon. Il dit avoir maigri un peu et il ne, pèse que 18 kilogr. :
il en aurait pesé 87. Toutes les fonctions s'accomplissent normalement; il n'a a
rien de particulier du côté génital. Pas de sucre, ni d'albumine.
L'examen électrique permet d'affirmer l'existence de la réaction myotonique.
Avec le courant interrompu, lent (30 par minute), chaque passage donne une
secousse très nette, soit dans les fléchisseurs et les extenseurs de l'avant-bras
droit, soit dans les muscles de la région antéro-externe de la jambe. Avec le
courant interrompu rapide appliqué sur les fléchisseurs, on a une fermeture
spasmodique de la main et le malade ne peut étendre les doigts qu'au bout t
d'un instant, comme dans la flexion volontaire. Le même phénomène se produit
par l'électrisation des extenseurs. À la 3e ou 4e application, la permanence de
la contraction ne s'observe plus.
Avec le courant continu, on constata d'abord une diminution de la contrac-
tilité galvanique : avec 15 à 20 milliampères, on n'arrivait pas à avoir la
moindre secousse ni à l'ouverture, ni à la fermeture, bien que le malade sentit
bien passer le courant et accusât de la brûlure au pôle négatif.
Dans une autre recherche, on obtint des secousses avec 12 milliampères à
la fermeture du positif comme à celle du négatif, ces dernières étant plus fortes
et plus persistantes ; on n'a pas de secousses à l'ouverture. A l'électrisation du
cubital, on.obtenait également des secousses à la fermeture des deux pôles,
celles du négatif étant plus fortes que celles du positif.
Le consentement du malade ayant été obtenu, mon ami M. Tixier, chirur-
gien des hôpitaux, enleva sous anesthésie un fragment du jambier antérieur
droit. Vaisseaux veineux nombreux et volumineux. Le muscle mis à nu a un
aspect pâle, presque jaune. Le fragment enlevé fut divisé en quatre parts dont
deux furent mis immédiatement dans l'alcool et le liquide de ùller, les autres
seulement après sept heures d'exposition à l'air. Les préparations ont été
faites par mon interne, M. A. Porot, et examinées par mon collègue et ami
Paviot, qui a bien voulu me remettre la note suivante :
« Il n'y a pas de différence entre les fragments fixés immédiatement et ceux
qui le furent seulement sept heures après.
« La lésion est celle de la myopathie dans ses détails absolument classiques.
Le tissu interstitiel du muscle est partout altéré mais irrégulièrement : il est
remplacé par une substance fibreuse, hyaline, rose, d'autant plus abondante
que les fibres musculaires sont plus altérées. Il est difficile de dire si les
noyaux des cellules fixes de ce tissu sont augmentées de nombre, car on ne
peut les différencier des noyaux restant des fibres musculaires disparues. Çà
et là, îlots de vésicules adipeuses, mais non disposées en groupes ou en séries
paraissant répondre à des fibres disparues. Les artères et artérioles offrent de
l'hyperplasie de la tunique musculaire et de l'endartérite oblitérante.
« Pour les fibres musculaires, leurs altérations sont typiques : il y a de très
grosses fibres à côté de très petites. Les très grosses gardent en général leur
4oi LANNOIS s
velouté granuleux sur des coupes transversales, mais prennent parfois un
aspect sombre (amas granuleux de Lewin). Les fibres vues en long gardent
toujours leur striation double, qu'elles soient hypertrophiées ou atrophiées.
Vues en long, les grosses sont de calibre inégal, c'est-à-dire qu'hypertrophiées
en un point, elles diminuent plus loin jusqu'à devenir normales ou atrophiées.
Nous n'avons pu observer nettement l'état bifide sur ces coupes longitudinales,
mais dans ces conditions nous avons vu souvent la masse de substance mus-
culaire comme craquelée transversalement. Sur les coupes transversales,
nous n'avons vu aucune division intrinsèque des fibres.
« L'augmentation numérique des noyaux est très nette; non seulement ils
augmentent sous le sarcolemme formant de véritables couronnes, mais aussi
dans le sein même des fibres.
« Quand la substance musculaire diminue, quand la libre s'atrophie, ces
noyaux paraissent proportionnellement augmentés de nombre. On voit des
fibres très petites qui ne présentent plus qu'un mince amas de substance mus-
culaire semée de nombreux noyaux. Un degré de plus, les noyaux seuls exis-
tent dans la gaine du sarcolemme, de sorte que sur les coupes en travers on
croirait voir des cellules géantes. Au degré extrême, il ne reste plus que de
petits groupes de noyaux dans la substance hyaline fondamentale. Tous ces
états voisinent et peuvent être observés sur un même champ microscopique.
Ajoutons, en terminant que quelquefois les noyaux musculaires isolés et encore
entourés de substance musculaire sont très volumineux. »
L'histoire de ce malade peut donc se résumer ainsi : chez un homme de
33 ans, sans antécédents héréditaires ou personnels sérieux, non alcoolique.
non syphilitique, surviennent concurremment du steppage par atrophie
des muscles de la jambe et des douleurs à caractère fulgurant qui, joints à
l'absence de réflexe rotulien, font d'abord penser à de l'ataxie. En même
temps apparition de phénomèmes de myotonie absolument comparables à
ceux de la maladie de Thomsen, mais plus limités. Aggravation lente des
symptômes et asthénie musculaire progressive malgré la conservation ap-
parente du reste de la musculature, de telle sorte que tout travail devient
impossible. Réaction électrique myotonique. A l'examen biopsique, lésions
de la myopathie progressive.
Je ne crois pas qu'on puisse songer à autre chose chez ce malade, qu'a
une myopathie, un peu anormale il est vrai comme localisation, puisque
ce sont surtout les avant-bras et les jambes qui sont atteints, à l'exclusion
des muscles des ceintures et des petits muscles des extrémités. Les dou-
leurs du début au niveau des genoux ont eu un caractère fulgurant qui
.n'existe plus aujourd'hui et lorsque le malade accuse actuellement des
douleurs, il est facile de se convaincre qu'il s'agit seulement d'un frémisse-
ment musculaire allant jusqu'à la crampe. On sait d'ailleurs que ces dou-
leurs existent parfois chez les myopathiques, et j'en ai publié une obser-
MYOTONIE AVEC ATI(OP111E MUSCULA1HE 455
vation typique l'an passé avec M. Porot (1), ce qui nous a permis de citer
plusieurs cas analogues. D'ailleurs l'examen du fragment de muscle
enlevé est trop classique pour laisser place au doute.
Mais les phénomènes de myolonie ne sont pas moins caractéristiques ;
ils sont absolument analogues à ceux de la myotonie con6nitale de la ma-
ladie de Thomsen. J'ai, cet hiver. dans une leçon clinique, montré à la fois
aux élèves le malade en question et un cas typique de maladie de Thomsen.
Il n'y avait absolument aucune différence dans la difficulté éprouvée par
les deux malades pour ouvrir les doigts après vous avoir serré la main. De
même ordre sont les contractions toniques qui entraînent le malade en
arrière lorsqu'il se lève et le forcent à s'asseoir, la difficulté de la parole et
de la mastication au début, peut-être même la gêne de la première miction
matinale (bien qu'elle ne fasse pas partie de la symptomatologie habi-
tuelle de la myotonie congénitale), les frémissements et les spasmes mus-
culaires, la réaction myotonique.
Il n'est donc pas douteux qu'il ne s'agisse dans ce cas d'une superposi-
tion dessymptômés delà myopalhie et de la myotonie.
Les faits de ce genre, nous l'avons déjà dit, ne sontpas nombreux. Quel-
ques-uns ont cependant été signalés.
Hoffmann (2), dans un cas de myotonie congénitale, a signalé l'atrophie
musculaire de la main et de l'avant-bras alors que la musculature était vo-
lumineuse à la cuisse et à la jambe. Les muscles atrophiés présentaient
la réaction de dégénérescence et Hoffmann s'est prononcé pour une névrite
associée. Il est revenu sur ce sujet dans un mémoire très complet paru
dans le recueil jubilaire de Erb.
Kornhold (3) a publié l'histoire très intéressante, recueillie à la clini-
que de Raymond, d'un sujet de 34 ans qui eut successivement de l'atrophie
des mains, des avant-bras, des membres inférieurs et même des mastica-
leurs. Dans chacun de ces départements musculaires, les spasmes myoto-
niques firent régulièrement leur apparition après l'atrophie. Lamy (4), en
rapportant ce fait, remarque que c'est une évolution tout à fait inconnue
jusqu'ici dans la maladie de Thomsen.
A la même époque, Pelizieus présentait à la Société de Psychiatrie et
(1) M. Lannois et A. l'oaor, Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1903.
(2) Hoffmann, Deuts. Zeils. {il" Nerueuheillcunde, vol. IX, p. 273, et vol. V111, 1900.
(3) 1{01lNIIOLO, Thèse de Paris, 1891.
(4) II. Lajiy, Maladie de Thomsen, in Traité de Médecine de Brouardel et Gilbert,
t. X, p. 623.
456 LANN0ÎS
de Neurologie de Berlin (1) un malade chez lequel existait à la fois de la
myotonie et de l'atrophie musculaire.
Chez un malade de Dana (cité par Kornhold), la maladie de Thomsen
survint quatre ans après le début de l'atrophie musculaire.
A cette énumération il convient d'ajouter encore les faits de Jolly (2),
de Schoenborn (4), deFrohmann (3).
Noguèset Sirol (5) ont publié une observation à laquelle la mienne est
superposable dans ses traits principaux. C'était un homme de 33 ans,
toussant facilement et réformé pour bronchite, qui présentait de l'atrophie
du jumeau interne, du jambier antérieur et de l'extenseur comme des or-
teils, il avait de la diminution de l'excitabilité faradique des muscles para-
lysés avec tétanisation (durable réaction myotonique) pour les muscles de
la cuisse. Depuis l'âge de 17 ans, cet homme a observé deux phénomènes
qui d'ailleurs le gênent peu : il éprouve une certaine difficulté à opérer
les premiers mouvements de mastication; en second lieu, s'il tient. un far-
deau et est obligé de fermer fortement les doigts pour le maintenir, il
éprouve une grande difficulté à le laisser aller. De même s'il fléchit forte-
ment les doigts dans la main, il ne peut les ouvrir que lentement. A noter
que le père avait aussi une certaine difficulté à accomplir les premiers
mouvements de mastication au début des repas.
De même ordre esl l'observation de Bernhardt : un jeune homme de
19 ans présentait de la rigidité musculaire datant de l'enfance et se mani-
festant surtout sous l'influence du froid; il existait en même temps chez
lui de la parésie musculaire des avant-bras, aussi bien des fléchisseurs que
des extenseurs, avec légère atrophie musculaire.
Il faut encore citer le cas intéressant publié plus récemment par ltos-
solimo (6) : un homme de 37 ans présente depuis trois ans des phénomènes
myotoniques dans les muscles de la face, du cou, du tronc, de la ceinture
scapulo-humérale et des membres inférieurs avec prédominance au bras.
Plus tard apparaît une atrophie musculaire qui envahit surtout les mus-
cles ayant présenté de la myotonie. L'examen du muscle montre l'hyper-
trophie des fibres comme dans la maladie de Thomsen à côté de fibres très
atrophiées et d'infiltration interstitielle. La réaction électrique myotonique
existe avec diminution quantitative. Les réflexes tendineux sont très affai-
blis.
(1) PELIZoEUS, Berliner kl. Wochens., 1891.
(2) .TOLLY, Ueber myotonia acquisila (Neurol. Cenlralbl., 1890).
(3) SciioENBOitN, Deuts. Zeits. f. Nervenheilk., 13d. XV.
(4) FnOllMANrî, Deuts. med. Wochensch., 1900.
(5) Noeuds et Sirol, Maladie de Thomsen à forme fruste avec atrophie musculaire
(Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1899).
(6) Rossolimo, Myolonie alroplaique (Nouv, Icon. de la 9ulpi;trü;re, 1902).
MYOTONIE AVEC AT1\Ol'111 £ MUSCULAIRE 457
On voit par cette énumération qu'il existe au moins une douzaine d'ob-
servations dans lesquelles coexistaient l'atrophie musculaire et les phéno-
mènes myotoniques et cela suffitpour rendre indiscutable l'existence de la
myotonie alrophique au point de vue clinique et même au point de vue
anatomo-pathologique.
C'est d'ailleurs en se basant sur ce fait aujourd'hui avéré que M. Oddo
cherchait récemment à établir des rapports étroits entre les myopathies,
la myotonie et la myoplégie (paralysie familiale paroxystique). On sait
aussi que Môbius avait cherché à rapprocher la maladie de Thomsen de
la paralysie pseudo-hypertrophique.
On peut encore trouver un argument en faveur de celle opinion dans
les contractions très localisées qu'on peut observer chez certains myopa-
thiques. Nous laisserons même de côté les cas dans lesquels existent des
rétractions tendineuses et dans lesquels l'hypertonie de certains groupes
musculaires n'est peut-être pas sans jouer un rôle important. Il est bien
connu qu'il peut se faire des contractures localisées sur la longueur d'un
faisceau musculaire, aux membres inférieurs surtout : pour ne citer qu'un
cas..p.ersonnel, le malade auquel j'ai fait allusion plus haut (cas de Lan-
nois et Porot) présentait une véritable sangle très persistante au niveau du
mollet dès qu'il essayait de faire un mouvement du pied. Un autre de mes
malades, grand myopathique depuis 17 ou 18 ans, avec atrophie généra-
lisée, sauf aux jambes, présente depuis ,ans un phénomène singulier :
lorsqu'il se lève de son lit ou de sa chaise il a une contraction totale des
muscles du mollet qui soulève les talons, élève tout le corps sur la pointe
des pieds et le ferait tomber en avant s'il ne prenait quelques précautions.
Je crois intéressant de résumer son observation :
Myopathie généralisée avec pseudo-hypertrophie et myotonie
des muscles du mollet.
Le nommé Bois..., âgé de 55 ans, exerçait la profession de mineur. Il y a
dix-sept ans qu'il a commencé à s'apercevoir qu'il ne pouvait se relever facile-
ment quand il avait travaillé dans la mine : il était obligé d'appuyer ses mains
sur ses genoux. Puis ses camarades le voyant à nu lui dirent qu'il' maigrissait,
que les os lui sortaient du dos, et au bout de six mois il dut cesser sa profession.
Un an plus tard il entrait dans le service du professeur Lépine où il fit plu
sieurs séjours. J'ai des photographies du malade, que j'ai fait prendre il cette
époque, qui montrent une atrophie myopathique généralisée avec conservation
des muscles postérieurs de la jambe. Le même état persiste actuellement comme
il est facile de s'en convaincre sur la photographie ci-jointe, bien que l'atrophie
ait été un peu masquée par de l'adiposité ultérieure.
. X \'11 30
458 LANNOIS
Il y a cinq aus, un nouveau phénomène est apparu et persiste encore actuelle-
ment. Lorsque le malade descend du lit, lé poids du corps fait d'abord toucher
terre aux talons, mais immédiatement les mollets se contractent et deviennent
très durs : les talons se détachent du sol, se relevant de plusieurs centimètres,
et le malade se trouve suspendu sur la pointe des pieds. Ce n'est qu'au bout
de quelques secondes, parfois même une minute, que les muscles se relâchent
et que les talons retombent sur le sol. Il serait précipité en avant s'il ne pre-
nait la précaution de placer une chaise devant lui ou de se retourner avant de
descendre du lit. Le même phénomène se produit lorsqu'il se lève d'une chaise
après être resté longtemps assis : c'est dans ces conditions qu'il a été photo-
graphié. La menace de chute en avant tient évidemment à l'atrophie des mus-
cles des fesses et de toute la gouttière vertébrale.
Si on le fait marcher, les premiers pas sont toujours un peu difficiles, puis la
marche devient normale tout en s'accompagnant du dandinement caractéris-
tique. Si le plan est incliné ou s'il veut modifier son allure, c'est toujours la
pointe du pied qui retombe la première.
Il y a une diminution nette de l'excitabilité électrique. Pour le courant fara-
dique, par exemple, il faut mettre le chariot à 500 pour avoir des contractions
des muscles des mollets avec les interruptions lentes : on n'a pas de persis-
tance de la contraction. Avec le courant à interruptions fréquentes on commence
à avoir des contractions à 300 et le muscle reste dur et contracté pendant quel-
ques secondes après le passage du courant.
Il me semble inutile d'insister davantage sur l'intérêt clinique des faits
que je viens de rapporter. Ils établissent un rapport évident entre la myo-
tomie et la myopathie et sont un bon argument clinique en faveur de la
nature myopathique de la maladie de Thomsen. L'étude ultérieure des cas
de ce genre pourra sans doute contribuera éclaircir quelques-uns des
points obscurs qui existent encore aussi bien dans la maladie de Thomsen
que dans les myopathies.
TROUBLES VASO-MOTEURS CHEZ UNE HYSTÉRIQUE,
'PAR
JOSEPH GENÉVRIER,
Interne des hôpitaux.
Nous avons eu l'occasion d'observer,pendant les vacances dernières,dans
le service de M. le docteur E. Hirtz, une grande hystérique dont l'histoire,
extrêmement chargée, nous paraît présenter quelques points intéressants à
retenir : cette malade, entre autres manifestations, eut à plusieurs reprises
des troubles de la circulation périphérique qui amenèrent une série d'ac-
cidents, déjà observés aux cours de l'hystérie, mais qui, croyons-nous,
n'ont jamais été rencontrés en aussi grand nombre sur une même malade.
C'est ainsi que nous relevons dans son observation l'apparition d'oedèmes,
de cyanose et de syncope des extrémités, de sueurs locales, de sphacèle
limité des téguments ; dé scotomes, d'éblouissements et de cécité transi-
toire ; de bourdonnements d'oreille.
Il est d'ailleurs nécessaire, avant de rapporter l'histoire de notre ma-
lade, de faire quelques réserves : comme toutes les hystériques, la nôtre
peut être sujette à caution ; elle a pu exagérer, voire même inventer, un
certain nombre de faits qu'elle nous a racontés : elle a pu aussi bien en
dissimuler d'autres ; ne sont-ce pas là de vrais symptômes de l'hystérie ?
Mais force nous est d'admettre que, dans la multiplicité des accidents
qu'elle aurait pu inventer et nous raconter, le seul hasard n'aurait pas
suffi à grouper un tel nombre de phénomènes susceptibles d'être rappor-
tés à un trouble de la circulation.
Les premières manifestations de la névrose apparurent dès l'enfance :
crises hystériques et accès de somnambulisme. A 15 ans, époque de la
préparation des examens, la malade se plaint de vertiges, de troubles de la
vue (scotomes divers, éblouissements) ; elle se rappelle être tombée dans
les escaliers, à ce même moment, où elle était également sujette aux bour-
donnements d'oreille et aux vertiges. Elle souffre beaucoup du froid aux
doigts et aux orteils qui blanchissent, bleuissent et deviennent presque
insensibles.
Un peu plus tard, à 17 ans, elle voit apparaître sur ses jambes des pla-
460 GÉNÉVII1EII
ques grandes comme le creux de la main ; la peau, à ce niveau, devenait
très pâle, puis se recolorait vivement, pour laisser alors transsuder du
liquide. En même temps la jambe était enflée, gardant en godet l'em-
preinte du doigt. A la même époque elle devient, pour quelques jours seu-
lement, complètement aveugle.
Envoyée comme institutrice dans une école, elle y est prise d'idées de
suicide : elle ne mange, pendant plusieurs semaines, que du fusain ( ! ).
Ne pouvant continuer son service, elle rentre à Paris ; elle ressent alors
de violentes douleurs abdominales, et elle remarque, quelques jours après,
qu'elle porte sur le ventre une plaque analogue à celles qu'elle avait
précédemment eues sur les jambes. Mais au lieu de rester pâle quelques
jours seulement, cette plaque dure plus longtemps, devient violacée,
puis noire. Bientôt cette plaque se détache ; on finit de l'enlever avec
des ciseaux. A peine est-elle en voie de cicatrisation que d'autres se for-
ment, de la même manière, de l'autre côté du ventre, sur les fesses, sur
le dos des mains et des doigts ; ces plaques de gangrène superficielle se
succèdent ainsi pendant six mois (lig. 1 et 2).
Prise ensuite de paralysie des jambes, elle est obligée d'entrer à l'hôpi-
tal, où on la guérit par application d'aimants.
Remise de ces accidents, elle part en Angleterre comme institutrice
dans une famille : elle y est bientôt reprise d'attaques. Elle voit également
quelques petites plaques de sphacèle se produire dans la région para-ombi-
licale. Obligée de rentrer chez sa mère, on la fait placer dans le service
du docteur Maignan : elle y fait toute une série d'accidents : cécité, surdité,
idées de persécution, de suicide. Améliorée par l'isolement, elle rentre.
Fig. 1.
TROUBLES VASO-MOTEURS CHEZ UNE HYSTÉRIQUE 461
de nouveau chez sa mère ; c'est pour y voir bientôt apparaître, à la jambe
gauche, une nouvelle plaque livide, blanc mat : ce nouvel accident la fait
revenir à l'hôpital, où nous la voyons.
La malade a maintenant 23 ans; elle a au grand complet, les stigmates
hystériques qu'on recherche habituellement en clinique.
On constate en différents points des cicatrices blanches, à aspect de
chéloïdes, légèrement déprimées et plissées : elles répondent aux plaques
de sphacèle cicatrisées. Les dessins, que nous devons -à la complaisance
de notre externe et ami Potelet, rendent compte de leur topographie.
L'état général de la malade est excellent; on ne trouve aucun état mor-
bide récent ou actuel qui puisse expliquer les accidents gangreneux qui
débutent à la jambe gauche.
Sur la face interne de celle-ci, on constate en effet une plaque longue
de 10 centimètres environ, large de 4, où la peau est déjà sphacélée..L'as-
pect de cette plaque de sphacèle rappelle beaucoup plus celui d'une fausse
membrane diphtérique que celui d'une gangrène des téguments. De cou-
leur gris sale, très uniforme, n'ayant aucune tendance à se détacher, celte
plaque sphacélée n'intéresse certainement que les parties superficielles
du derme. Elle est limitée par une zone rouge vif, formant un contour
très irrégulier, déchiqueté; cette zone est formée par des bourgeons char-
nus que nous verrons assez rapidement gagner et recouvrir toute la sur-
face sphacélée. Au voisinage de cette plaque la peau est marbrée, présen-
tant des placards livides, violacés à côté de surfaces exsangues d'un blanc
mat. Le membre dans son ensemble est refroidi à tel point que les enve-
loppements ouatés n'arrivent pas à le réchauffer (fig. 3).
Fig. 2.
462 GENÉVRIER
Pendant que nous assistions à la fin de l'évolution de cette plaque de
sphacèle, une autre en tout semblable, bien que moins étendue, apparais-
sait sur la face externe de la même jambe : tache livide d'abord, légère-
ment soulevée, puis d'aspect cyanotique ; trois jours après, apparition de
bulles ; et enfin sphacèle de la peau.
La malade quitta l'hôpital ayant guéri la première de ses plaques, la
seconde étant en voie de cicatrisation ; elle avait eu, durant son séjour,
une paraplégie transitoire, une série de crises à grand spectacle, une
phase d'anorexie totale, qui rendaient difficile son maintien dans un ser-
vice de médecine générale.
*
.. *
Sans vouloir reprendre ici les discussions auxquelles ont donné lieu
ces troubles trophiques variés d'origine hystérique, nous pouvons du moins
rappeler que le spasme vasculaire peut être considéré comme la cause de
Fig. 3.
TROUBLES VASO-MOTEURS CHEZ UNE HYSTÉRIQUE 463
plusieurs d'entre eux. Cette opinion a été émise et soutenue par nombre
d'auteurs. Charcot (1) dit en parlant de l'oedème bleu des hystériques :
« C'est simplement un trouble vaso-moteur de nature vraisemblablement
spasmodique. » Son élève Athanassio (2) développe ses idées en les appli-
quant à de nombreux troubles trophiques (pemphigus, ecchymoses spon-
tanées, gangrène symétrique des extrémités, oedèmes, etc.), et il propose
l'expression de névrose vaso-motrice. Dujardin-Beaumetz (3) dit qu'étant
donné les troubles « de la circulation vaso-motrice de la peau, on peut
se demander si les troubles analogues ne pourraient pas se reproduire du
côté de l'axe cérébro-spinal ». Plus récemment enfin, dans une leçon faite
à l'hôpital Laënnec, M. Hirtz (4) range parmi les accidents dus à l'augio-
spasme bon nombre de manifestations hystériques (hémiplégie, aphasie,
migraine ophtalmique, etc.), et il fait la démonstration de sa théorie en
faisant cesser ces accidents par l'inhalation de nitrite d'amyle, qui est
par excellence le « médicament antispasmodique vasculaire ».
Mais s'il est possible de rapporter à un trouble circulatoire, périphé-
rique ou central, certaines manifestations de l'hystérie, peut-on admettre
que ce même spasme vasculaire prolongé puisse être suffisant pour ame-
ner.la nécrose des tissus, leur esclarification, par défaut absolu de nutri-
tion ?
Comme Charcot le rappelle à propos de l'oedème bleu, la reproduction
par suggestion d'un accident supposé hystérique est le critérium même de
sa nature hystérique. Or, peut-on, par suggestion, provoquer de la gan-
grène de la peau ? Nous ne croyons pas que cette lésion ait pu être ainsi
réalisée.- Mais a-t-on réalisé davantage d'autres troubles trophiques dont
la nature hystérique est pourtant moins discutée ? Telles sont, par exem-
ple, les éruptions pemphigoïdes, les ecchymoses spontanées, les atrophies
musculaires, les chutes d'ongles, etc. dont Vulpian, Féréol, Raymond,
Chantemesse et Widal,Oulmont et Touchard, Léopold Lévy rapportent les
observations, faisant de ces troubles des manifestations hystériques évi-
dentes.
Il faudrait, il est vrai,être placé dans des conditions strictes d'expérimen-
tation pour pouvoir affirmer l'origine de telles lésions : on peut toujours
accuser une hystérique de simulation. Dans le cas de notre malade l'auto-
(1) CHARCOT, Progrès médical, octobre 1890.
(2) Athanassio, Thèse de Paris, 1890.
(3) Dcjardin-Beaumetz, Société médicale des hôpitaux de Paris, lSi5, t. XVI, 2e série,
p. 179,
(4) E. Hirtz, La maladie angio-spasmodique, Bulletin médical, 25 décembre 1901.
464 GENÉVRIER
mutilation pourrait être invoquée. Elle nous parait peu vraisemblable.
Tout d'abord, le membre sur lequel les plaques de sphacèle se sont pro-
duites est certainement le siège d'une vaso-constriction intense : il reste
froid maigre tous les enveloppements ouatés possibles. Les orteils offrent
l'aspect du « doigt mort ». La peau est marbrée, cyanosée par endroits : elle
donne à la vue et au toucher l'impression d'une peau de cadavre, sur
laquelle les contacts auraient laissé des traces livides. De tels téguments ont
nécessairement une vitalité très amoindrie.
La lésion elle-même a évolué de telle façon que l'auto-mutilation serait
plus difficile à admettre qu'un sphacèle par asphyxie des téguments : elle
s'est établie lentement, précédée par l'apparition d'une tache livide. Puis,
une fois constituée, sa surface a présenté une uniformité absolue ; il n'y
a pas de points où la lésion ait entamé plus profondément les tissus : un
caustique n'agit pas de façon aussi régulière.
Déplus le contour de la plaie est déchiqueté en « carte de géogra-
phie ; quel est le topique qui laisse sur la peau de semblables figures ?
N'est-il pas plus simple d'admettre, au moins à titre d'hypothèse, que
ces sphacèles de la peau reconnaissent pour cause un spasme vasculaire pro-
longé, c'est-à-dire un trouble fonctionnel plus intense, bien que de même
nature, que celui auquel on attribue la cyanose des extrémités, les sueurs
locales, les piqûres exsangues, etc. ?
ULCÉRATIONS TROPHIQUES
CHEZ DEUX DÉMENTS CATATON1QUES,
PAR
L. TREPSAT,
Interne à l'asile d'Evreux.
L'union chaque jour plus intime de la psychiatrie et de la neurologie
est appelée à éclairer singulièrement la pathogénie des délires. Dans cet
ordre d'idées, la recherche des troubles trophiques survenant au cours des
diverses psychoses mérite d'attirer l'attention.
La démence précoce, qui présente une symptomatologie physique si
intéressante, offre à ce sujet un champ d'étude particulièrement abon-
dant. Il suffit d'examiner avec un peu de soin ces déments au point de vue
somatique, pour voir combien sont nombreux chez eux les troubles tro-
phiques.
M. Dide a groupé sous le terme de « Dermatopsychies » (1) un certain
nombre de ces manifestations pathologiques de la peau, parmi lesquelles
il distingue : le pseudo-oedème du pied, l'érythème polymorphe, le pur-
pura et les grangrènes superficielles symétriques.
J'ai pu, d'après ses conseils, constater chez les malades de l'asile d'E-
vreux; la grande fréquence du pseudo-oedème chez les catatoniques (2).
J'ai aussi publié l'observation d'un purpura (3) venant compliquer le
pseudo-oedème, et nous avons souvent noté l'existence de gangrènes super-
ficielles au niveau des orteils.
Chez les deux malades qui font l'objet du présent travail, existait depuis
longtemps un pseudo-oedème manifeste avec bourrelet au niveau des
orteils et cyanose intense. A cet oedème sont venus se surajouter comme
troubles trophiques, chez l'un du pemphigus, chez l'autre une profonde
eschare.
(1) MAURICE DiDE, Dermalo-psychies. Bull. de la Soc. méd. et sientif. de l'Ouest
(juillet 1904).
(2) L. TREPsaT, Comptes rendus de la Société de Neurologie (février 1904).
(3) L. TREPSAT, Un cas de démence précoce avec pseudo-oedème compliqué de pur-
pure. Nouvelle Iconographie de la Salp. (mai-juin 1904).
466 TREPSAT r
Observation I (Service de M. le docteur Bessière).
Démence précoce calalonique. Stupeur, négativisme, attitudes parado-
xales. Gâtisme. Pseudo-oedème, pemphigus généralisé.
Lech... Hyacinthe, 36 ans, charretier, entre à l'asile d'Evreux le 28 no-
vembre 1903. Les renseignements fournis par sa femme sont les suivants :
Hérédité : père alcoolique et débile ; une de ses soeurs est restée deux ans
en traitement à l'asile, elle présentait un état de confusion mentale extrême
avec hallucinations terrifiantes. Est sortie améliorée en 1903.
Le malade aurait eu à l'âge de 16 ans une méningite qui n'aurait pas laissé
après elle de troubles cérébraux persistants.
Les premiers troubles mentaux apparus deux mois 'environ avant son
internement, consistaient en du négativisme, du refus d'aliments, de la dé-
pression mélancolique àvec idées d'indignité. En proie à une anxiété profonde,
il prétendait qu'il était coupable, et que les gendarmes allaient le conduire en
prison. Depuis quinze jours, il était dans une inaction complète, ne voulait
même plus se lever. '
29 novembre 1903. A son entrée, le malade est inerte, indifférent, passif ;
il est impossible d'obtenir de lui une seule réponse ; il reste toute la journée
immobile à la même, place. Le visage est sans expression, les yeux sont fixes,
les lèvres sont animées d'un mouvement fibrillaire à peine perceptible.
On trouve de nombreux stigmates physiques de dégénérescence : progna-
thisme du maxillaire inférieur, oreilles écartées, désourlées, asymétrie du crâne.
8 décembre. Même état de stupeur complète avec négativisme. Il s'ali-
mente très difficilement et urine au lit.
24. Déprimé, inerte, hébété, reste constamment debout près de la porte.
OEdème des jambes et des pieds.
27 janvier 1904. Mutisme absolu, résiste à tout ce qu'on veut obtenir de
lui. Poses fatigantes indéfiniment conservées : jambes fléchies sur les cuisses,
tronc penché en avant : vu de profil, son corps figure un Z. Il tient constam-
ment une main près de sa bouche, l'autre dans sa poche. ' ,
8 mars. Même état de stupeur, gâtisme. On constate à l'examen des pieds
un pseudo-oedème intense avec cyanose, refroidissement, et bourrelet mani-
feste à la racine des orteils. Il existe de plus, à la face interne du tibia un em-
pâtement cotonneux, conservant le godet d'empreinte pendant quelques secon-
des. La pression profonde à ce niveau est très douloureuse, car malgré son état
de stupeur, le malade'fait un mouvement brusque de recul de la jambe quand
on appuie le doigt. Ce symptôme a été signalé par M. Bessière (1) qui a insisté
avec raison sur son caractère douloureux.
30 juin. L'état mental est sans modifications. Le pseudo-oedème est plus
intense et plus cyanotique encore. De plus le malade présente (planche LXIII) à
la face externe de la jambe droite, à la partie antéro-interne et à la face posté-
(1) BESsiÈRE, Rapport médical de l'asile d'Evreux, 1904 (Evreux, Imprimerie
P. Bouvart).
Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. XVII. PI. LXIII
ULCERATIONS TROPHIQUES CHEZ DEUX DÉMENTS CATATONIQUES
(L. Trebsat)
ULCÉRATIONS TROPHIQUES CHEZ DEUX DÉMENTS CATATONIQUES 467
rieure de la jambe gauche, 3 ulcérations consistant en une eschare circulaire,
de la grosseur d'une pièce de 2 francs, à fond déprimé et sanieux, à bords net-
tement découpés, à pic, un peu surélevés par rapport au tissu sain (panse-
ments humides au sublimé).
On remarque de plus deux taches situées l'une à la face interne et au-dessus
des ulcérations de la jambe gauche, l'autre à la partie externe et supérieure
de la jambe droite. Ces taches érythémateuses, mesurant 30 à 35 millimètres
dans leur plus grand diamètre, sont rouge-vif et celle de droite, la plus an-
cienne, a des bords très nettement limités.
10 juillet. - Les troubles trophiques de la jambe commencent à se cicatri-
ser, mais on en constate de nouveaux et de même nature à la région fessière,
au coude droit dont nous suivons l'évolution. Les taches érythémateuses que
nous avions notées le 30 juin sont devenues de larges eschares à fond purulent
comme les premières. LI
20 août. L'état physique général est assez mauvais ; la nutrition est dé-
fectueuse. Le malade est dans un état de dépression et d'inertie profonde. Il
répète sans cesse quand on essaye de le faire sortir de sa torpeur : « Je veux
m'en aller, laissez-moi m'en aller. »
Les mains, les jambes et les pieds sont le siège d'une hyperhydrose intense.
On remarque sur son corps l'existence de nombreuses eschares à différents
stades de leur évolution et qu'il est possible de classer de la façon suivante :
1er Stade (Erythème). Nous voyons sur la fesse droite, près du pli interfes-
sier, 1 la face près du pli naso-génien gauche, à la partie dorsale de la main
gauche et du métatarse droit, des macules rouges lie-de-vin de la grosseur
d'un grain de blé, à contours nets, entourées d'une aréole moins foncée, ce qui
donne à la tache tout entière la largeur d'une pièce de 0,20 centimes.
e Stade (Bulles pemphigoïdes). Au niveau du sacrum, immédiatement
au-dessus des vertèbres lombaires, on constate, reposant sur une zone rouge
de 2 centimètres de diamètre, 3 bulles arrondies ou ovalaires, grosses comme
des lentilles, contenant un liquide jaunâtre purulent (1).
3° stade (Ulcères). On en compte un grand nombre et de différentes gros-
seurs. Les ulcérations les plus importantes au nombre de S, siègent à la face
postérieure des deux jambes et à la face interne de la jambe gauche ; les autres
existent aux régions suivantes : une à chaque trochanter, une à chaque fesse,
une au coude gauche, une au-dessous de la lèvre inférieure. Elles ont le vo-
lume d'une pièce de 2 francs ou de 1 franc et se composent d'une région cen-
trale déprimée, à fond plat, suppurant et blanchâtre et d'une zone périphéri-
que, large de 1 centimètre, congestionnée, rouge-brun, qui se confond insensi-
blement avec le tissu sain.
(1) Les photographies 2 et 3, faites le 25 août, c'est-à-dire cinq jours après notre exa-
men, donnent déjà un aspect un peu différent des lésions. C'est ainsi que les bulles du
sacrum se sont ratatinées et sont sur le point de s'agminer. Il existe des bulles de
nouvelle formation en d'autres points, notamment au niveau de l'extrémité inférieure du
cubitus gauche-
468 TREPSAT
48 stade (Cicatrisation).Les cicatrices des eschares formées depuis le mois de
juin sont encore plus nombreuses ; nous en comptons 23 aux jambes, 5 à la
ceinture pelvienne, o à la région scapulaire, 8 à la face dorsale des mains, 1 au
coude droit.
Les cicatrices récentes sont formées par un tissu d'apparence fibreuse, lisse,
luisant, rosé, présentant des tractus parallèles qui plissent la peau saine avoi-
sinante. Les cicatrices plus anciennes qui siègent surtout aux jambes, se com-
posent d'un tissu violacé, asphyxique.On note une desquamation assez vive de
l'épidémie voisin.
En dehors des lésions signalées plus haut,la surface épidermique est violette,
très foncée, sauf au niveau des orteils où elle est pâle et anémique. Les extré-
mités sont très refroidies. La cyanose et l'infiltration remontent d'une part
jusqu'au coude, de l'autre à 7 ou 8 centimètres au-dessus du genou.
Observation II.
Démence précoce catalonique. Stupeur absolue entrecoupée d'impulsions
violentes. Suggestibilité. Gâtisme. - Pseudo-oedème avec eschare.
Mut... Joseph, 24 ans, journalier, entre à l'asile le 22 novembre 1899.
Nous n'avons pas de renseignements sur l'hérédité. -
Le malade intelligent et actif dans sa jeunesse, aurait manifesté les premiers
troubles cérébraux à 21 ans. Ses parents constatèrent d'abord chez lui des
allures bizarres et un changement profond du caractère ; il était devenu irritable,
faisait des menaces et se livrait même à des voies défait sur sa mère à laquelle
jusque-là il s'était montré soumis. Il abandonnait son travail pour des motifs
futiles,restait souvent inactif et passait des journées entières dans un mutisme
absolu.
23 novembre 1899. - Il arrive à l'asile dans un état de dépression intellec-
tuelle très manifeste, répond difficilement aux questions qu'on lui adresse, pa-
raît inconscient de sa situation. Il bâille constamment pendant l'interroga-
toire.
On note des stigmates physiques de dégénérescence ; asymétrie de la face,
nez dévié à gauche, aplatissement de la région temporale gauche.
6 décembre. Il est apathique, indifférent, parle à peine, bâille quand on
lui adresse la parole. Impulsif : se met tout à coup à courir pendant une dizaine
de pas, puis s'arrête.
Pendant les années 1900 et 1901, il reste abruti, déprimé, dans un mutisme
absolu. Il sort fréquemment de sa stupeur pour se livrer à des impulsions vio-
lentes et soudaines, et présente aussi par intervalles du négativisme. Nous rele-
vons les notes suivantes à son sujet :
3 janvier 1900. A pris un balai et menacé un infirmier.
10 février. A frappé un autre malade et l'a blessé au front.
Il mars. Ne voulait pas se lever ce matin, mais ne donnait aucun motif
de son refus.
, ULCÉRATIONS TROPHIQUES CIIEZ DEUX DÉMENTS CATATONIQUES 469
22 avril. S'est précipité sur un de ses voisins, l'a jeté à terre et frappé.
11 juin. -Très agressif, a essayé de frapper un infirmier.
Août 1901. Se montre plus souvent agité depuis plusieurs mois, déchire
ses vêtements, frappe les autres malades sans motif.
21 mars z1902. Abruti, ne cause à personne, ne répond à aucune question.
Habitudes d'onanisme. Est moins violent qu'autrefois.
3 décembre. Même état de stupeur, il est mal tenu, malpropre, urine sur
le parquet, est tout à fait incohérent.
3 mars 1903. Toujours abruti et désordonné. N'est plus aussi impulsif.
21 décembre. - Inerte, ne cause à personne, reste constamment debout
dans un coin. ,
20 février 1904. Démence précoce catatonique. Stupeur, mutisme. Les
attitudes catatoniques provoquées sont longtemps conservées. Gestes stéréoty-
pés. Onanisme, gâtisme, impulsions passagères.
Pseudo-oedème blanc, élastique du dos du pied. Alopécie du crâne, exfolia-
tion de l'épiderme au niveau du cuir chevelu.
4 avril. - Est complètement inerte, gâteux, reste sans cesse assis sur un
banc, ne fait pas un mouvement et ne prononce pas une parole.
30 juin. - Nous remarquons que le malade présente à la jambe ganche,
un peu au-dessous du milieu et sur le bord antérieur, une eschare circulaire
du diamètre d'une pièce de 5 francs, dont le fond déprimé est rouge-vif avec
quelques traînées purulentes et dont les bords sont franchement taillés à pic,
entourés d'une zone de congestion très large (pansements humides au sublimé).
En dehors de l'eschare, existe une tache de couleur vineuse moitié moins
grande qu'elle, à contours mal limités.
La jambe gauche est très oedématiée depuis le pied jusqu'au genou : elle
prend un aspect en poteau caractéristique.
15 juillet. - Le fond de l'eschare se déterge lentement ; il se forme des
bourgeons charnus.
22 août. L'ulcération n'est pas encore cicatrisée, elle a la grosseur d'une
pièce de 2 francs. Il s'est formé à son niveau une croûte épaisse et blanchâtre.
Ces observations sont intéressantes à plus d'un titre :
Dans l'observation 1, le malade plongé depuis sept mois dans une stupeur
complète avec nombreux troubles vaso-moteurs (oedème, cyanose et refroi-
dissement des extrémités), présente une poussée considérable d'éruption
pemphigoïde avec ulcération, éruption envahissant tout le corps.
Dans l'observation II, le malade dément catatonique depuis cinq années,
avec pseudo-oedème blanc élastique du dos du pied, offre une profonde
eschare à la jambe gauche.
Nous sommes certainement ici en présence de troubles trophiques.
Comme le dit M. Ilérissey clans la thèse : « Tout dans la production des
troubles trophiques se résume en trois faits : d'abord une lésion nerveuse
470 TREPSAT
produisant souvent un trouble circulatoire, ensuite l'inertie de l'organisme
contre les influences extérieures, enfin une infection (1). »
On comprend dés lors facilement combien les troubles trophiques doi-
vent être fréquents chez les aliénés en état d'inhibition cérébrale (Dermato-
psychies de M. Dide), et particulièrement chez les déments précoces qui
présentent si souvent le syndrome stupeur.
Nos deux malades inertes, passifs, s'alimentant mal, incapables d'oppo-
ser une résistance au moindre traumatisme, à la moindre infection étaient
dans les meilleures conditions voulues pour offrir un jour ou l'autre des
troubles trophiques. Ce qu'il importait de mettre en évidence, c'est que
la présence de ces troubles vaso-moteurs et trophiques est la signature de
graves altérations des neurones. La clinique précède ici l'anatomie-patholo-
giqueet la confirme.
(1) P. HÉRissEY, Elude clinique sur les troubles trophiques dans la paralysie géné-
rale (Thèse Paris, 1903).
DES STIGMATES PHYSIQUES, PHYSIOLOGIQUES ET PSYCHIQUES
"DE LA DÉGÉNÉRESCENCE CHEZ L'ANIMAL,
EN PARTICULIER CHEZ LE CHEVAL (1).
ÉTUDE CLINIQUE
PAR
FERNAND RUDLER,
Médecin-major de 2o classe.
ET
C. CHOMEL,
Vétérinaire en premier.
L'hérédité morbide ou pathologique est envisagée, en médecine humaine,
par Morel et par Magnan, sous le nom de dégénérescence (2). Des stigma-
tes physiques et psychiques constituent les signes distinctifs de cette dégéné-
rescence. Abstraction faite de toute considération doctrinale, ces stigmates
ont certainement une valeur diagnostique, aussi bien en pathologie men-
tale qu'en médecine légale.
Ils se traduisent par une dysharmonie morphologique ou mentale, par
des anomalies physiques ou psychiques, qui semblent commandées par
des déviations embryogéniques ou des troubles du développement de l'in-
dividu.
Les causes principales de la dégénérescence chez l'homme sont, les unes
pathologiques (maladies nerveuses et mentales ; intoxications diverses,
alcoolisme, syphilis, saturnisme ; infections, tuberculose, affections mi-
crobiennes), les autres climatologiques (nourriture défectueuse, influences
de milieu, air vicié, etc.), les troisièmes sociologiques (consanguinité,
misère, débauche, etc.).
Au nombre des stigmates physiques de la dégénérescence figurent, au
. (1) Communication au Congrès des Médecins aliénistes et neurologistes tenu à Pau,
1-1 août 1004 (présentée par M. Henry Meige). Cette étude clinique fait partie d'un
travail d'ensemble sur la « Dégénérescence chez l'animal » qui comprend d'autres cha-
pitres sur l'Be;'ëd : M KO'MOe e( tnot'&tf, les /'acMM ! ft<eHec<Mees et la deMët'e
pitres sur 1'Bé ? ,édité normale et morbide, les facultés intellectuelles et la dégénères'-
cence expérimentale chez les animaux. (Répertoire de Police sanitaire vétérin., juill.-
août-sept.-oct. 1904).
(2) Voir MoREL, Traité des dégénérescences de l'espèce humaine, f 857 ; - Magnan,
Leçons cliniques, sur les maladies mentales, 1882-1891 ; Magnan et LEGRAIN, Les
dégénérés, biblioth. Charcot-Dedoye, 1895 ; - Jules Voisin, L'idiotie : hérédité et dé,
générescence mentale, psychologie et éducation de l'idiot, 1893.
472 RUDLER ET CIIOMEL
premier titre, les anomalies de forme et de volume du crâne et de la face
(asymétries osseuses), le prognathisme, les malformations des oreilles,
les difformités des membres, les doigts supplémentaires, etc. Parmi les
tares psychiques, on est convenu de classer les anomalies de l'intelligence,
du caractère et du sens moral, ainsi que certains désordres fonctionnels
(stigmates physiologiques de dégénérescence) (1).
Les recherches que nous avons entreprises sur les tics et les stéréoty-
pies des équidés (2) nous ont révélé l'existence, chez le cheval, de stig-
mates physiques et psychiques absolument identiques à ceux de l'espèce
humaine, et nous ont suggéré l'idée de tenter une étude d'ensemble des
stigmates de l'hérédité morbide de l'animal, et plus spécialement du cheval.
Nous n'envisageons, dans ce travail, que l'étude clinique de ces stigmates,
et nous exposerons successivement les malformations physiques, les symp-
tômes somatiques ou stigmates physiologiques et les troubles psychiques
de la dégénérescence.
Nous avons emprunté à M. J. Séglas la méthode descriptive adoptée
par cet auteur dans sa « Séméiologie des affections mentales » (3).
Cet emprunt paraîtra d'autant plus justifié que cette étude, absolument
originale, doit être considérée comme le premier essai d'une « séméiologie
des affections mentales du cheval », et qu'elle complétera le remarquable
chapitre de médecine vétérinaire de M. Cadéac sur la séméiologie du sys-
tème nerveux des animaux (4).
I
Signes morphologiques OU stigmates physiques DE DÉGÉNÉRESCENCE.
Les malformations physiques sont, chez l'homme, « comme la révélation
extérieure du développement défectueux de l'organisme » (Magnan).
Il en est de même pour l'animal, en parliculier pour le cheval.
La médecine vétérinaire offre un champ très étendu et des documents
très variés pour l'étude des malformations physiques et de la physionomie
animale (Ouvrages d'Extérieur et traités d'Hippologie). Il y a lieu d'envi-
(1) J. SÉGLAS, in Séméiol. désaffections mentales de G. BALLET, ? . 104 et suiv. ;
L. MAYET, Les stigmates analomiques et physiologiques de la dégénérescence et les
pseudo-stigmales anal, el physiol. de la criminalité. Th. de Lyon, 1902, Storck, édit.
(2) FERNAND RUf7LRR et C. Ciiomel, Le lie de l'ours chez le cheval et les tics d'imita-
tion chez l'homme, Revue neurol., 15 juin 1903 et Bulletin de la Société centrale de
méd. vétérinaire, oct. 1903; Tics et sténotypies de léchage chez l'homme et chez
le cheval, Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, no 6, 1903; - Les tics de l'homme el les
tics du cheval, Répert. vétérin., 15 août 1904.
(3) J. Séglas, De l'examen morphologique chez les aliénés et les idiots »i Leçons
cliniques sur les maladies mentales et nerveuses. Salpètr. 4S8 i-94, recueillies et pu-
bliées par le Dr Henry MEiGE, Asselin-Ilouzesu, 1895, p, 683 et suiv,
(4) Cadéac, Encyclop. Séméiol., t. IL
DE LA DÉGÉNÉRESCENCE CHEZ L'ANIMAL -4" 3
sager avec M. J. Séglas, dans l'examen morphologique, les caractères des-
criptifs ou recherche des anomalies, d'une part, et les mensurations,
examen hippométrique dans l'espèce, basées sur l'anatomie de la mesure.
Les premiers principes d'esthétique animale, dont l'origine parait re-
monter à l'école de Pythagore, ont été formulés par Simon d'Athènes,
Xénophon et Galien. Depuis les « Eléments d'I-Iippiatrique » de Bourge-
lat (1751), les recherches sur les formes extérieures du cheval et l'étude
de la mécanique animale se sont multipliées et perfectionnées. Dans le
même ordre d'idées, on peut citer, en médecine humaine, les observations
de Palémon, d'Adamantius, le traité des Caractères de Théophraste, les
quatre livres du physicien Porta sur la physionomie humaine, les travaux
de Cuvier, de Camper, le traité de physiognomonie de Lavater, les recher-
ches de Gall (1).
L'étude des mensurations crâniennes, faciales et corporelles, n'est pas
nouvelle en médecine vétérinaire, où la crâniométrie a été introduite par
Sanson ; elle est longuement développée dans le magistral traité de Zoo-
technie générale de Cornevin (2).
Mais les malformations physiques, reconnues par l'examen direct ou
par l'hippométrie, n'ont jamais été considérées comme des stigmates de
dégénérescence. Aussi ces études sont-elles restées purement théoriques.
Et tandis qu'en médecine humaine, la connaissance des stigmates physi-
ques de l'hérédité morbide prenait une importance pratique considérable
du fait de l'identité de ces signes anatomiques avec les « pseudostimates
anatomiques de la criminalité » (Th. de Lyon, Mayet) décrits par Lom-
broso et l'école italienne, les études vétérinaires sur l'Extérieur restaient,
au contraire, exclusivement descriptives et spéculatives. Nous essaierons
d'établir que ces malformations, qui s'accompagnent le plus souvent de
symptômes somatiques et psychiques, ont une signification pratique en
hippologie et en zootechnie, et que, tout aussi bien que l'aérophagie dans
le tic, elles peuvent constituer un vice rédhibitoire.
Les malformations physiques sont à envisager successivement sur le
crâne, la face, les organes des sens, le tronc et les membres, les organes
génitaux, la peau et les appendices cutanés.
Crâne. Les procédés d'investigation employés en cràniomélrie hu-
maine (inspection, palpation et mensuration) perdent de leur valeur, en
médecine vétérinaire, du fait de la difficulté que l'on éprouve à prendre des
mensurations extérieures,» les dimensions réelles de la boîte encéphalique
(1) Cités par C. Ciiomel, Les formas asymétriques et leur valeur diagnostique (Rép.
Méd. vétér., févr. 1904).
(2) CORNEVIN, Zootechnie générale, Paris, 1891.
w» 31
474 RUDLER ET CIiO`iEL
I
étant masquées par les cornes, par les sinus frontaux et pariétaux... » (1)
Oh a décrit néanmoins des anomalies de volume : la microcéphalie chez le
cheval, {'hydrocéphalie chez le poulain (crâne volumineux, en forme de
boule avec « une face très longue et un chanfrein très saillant, » Cadéac,
Encyclop., t. VIII, p. 134) ; des anomalies de forme variables ; la mieux
connue correspond à la plagiocéphalie (crâne aplati, fortement asymétri-
que) rencontrée par Bassi et Trinchera sur les chevaux épileptiques et par
nous sur certains chevaux liqueurs. « Dans tous les cas observés (2), l'asy-
métrie n'était pas limitée aux os pariétaux, mais elle s'étendait encore à
la partie correspondante du frontal ; elle consistait en une proéminence
d'une moitié latérale du crâne, la droite chez les uns, la gauche chez les
autres. »
Il semble, d'après ces faits, que la difficulté de pratiquer des mensura-
tions sur l'animal ne peut gêner que la recherche des anomalies de volume
du crâne et que celles-ci n'auront d'importance que lorsqu'elles seront
absolument évidentes; mais elle n'empêche nullement l'observation d'ano-
malies de forme, et celles-ci ont acquis, à la faveur de recherches récen-
tes, la signification de véritables stigmates anatomiques de dégénérescence
puisqu'elles peuvent être l'indice de troubles psychomoteurs (tics et sté-
réotypies) ou de névroses (épilepsie). Et voici dix nouveaux cas d'asymétrie
crânienne, dépression d'un pariétal, observés par A. Pastore et E. Bertetti
sur des chevaux atteints de troubles psychiques variés (3), qui indiquent
bien que les malformations du crâne peuvent être sous la dépendance de
vices de dévoloppement du cerveau.
Les déformations accidentelles du crâne résultent le plus souvent de
compressions mécaniques du jeune âge ; on est mal fixé sur les conséquen-
ces lointaines de ces traumatismes.
Face. Les asymétries de la face ne sont pas rares, asymétries de
forme, de direction, de dimensions. Elles ne sont pas dues uniquement
au croisement, car, suivant Cornevin (4), « elles se perçoivent sur des
sujets que tout permet de considérer comme de pure race ».
L'inspection permet de constater l'abaissement d'un oeil, la déviation
du nez, l'irrégularité du visage, de la bouche, la forme de la mâchoire in-
férieure, et ces signes, relevés par nous chez les équidés liqueurs, répon-
dent bien, chez le cheval, à ce que Lasègue a défini le strabisme du
(1) Id., loc. cit., p. 504.
(2) BASSI, in Cadéac, Encyclop., t. VIII, p. 452.
(3) Dott. Alfredo PASTORE, de Borgoticino. Di alcuni casi di asiumetre lia dcranio
osservati in cavalli affetti da disordini funzionali psychici di vario genere in Il mo-
derno zooiatro, 4 février 1904. BenTETri Emmanuel, Giorn. délia reale Sociela ve-
terinaria, in Bull. vét., 16 mai 1904.
(4) Cornevin, loc. cil., p. 487.
DE LA DÉGÉNÉRESCENCE CHEZ L'ANIMAL 475
visage » (1). Le prognathisme existe chez certains animaux, en particulier
chez le chien ; nous avons noté plusieurs fois chez le cheval le défaut de
parallélisme des arcades dentaires.
La palpation indique si l'asymétrie appartient aux parties molles ou au
squelette ; cette dernière seule est à retenir.
Les mensurations faciales acquièrent, en zootechnie, une certaine im-
portance de ce fait que la face, chez les mammifères tout au moins, a beau-
coup plus d'étendue que le crâne. Il n'est d'ailleurs question d'asymétries
pathologiques que dans les études récentes sur les tics des équidés.
Organes des sens. - 4 . Oreilles. L'examen de l'oreille révèle chez
l'homme une infinité de malformations qui ont été décrites avec un grand
luxe de détails par Morel, Séglas et Féré (2), Schwalbe (3). Il semble
résulter toutefois des travaux les plus récents (Séglas et Féré, A. Lévy et
F. Rudler) (4) que la fréquence excessive des variations morphologiques
de l'oreille chez des individus sains et normaux enlève en grande partie
à ces anomalies l'importance que leur attribuait Morel.
Les irrégularités de forme de l'oreille externe ne sont pas rares chez
l'animal, l'asymétrie s'observe dans toutes les espèces. Cornevin (5) si-
gnale l'absence de l'arrêt de développement de l'une des conques auricu-
laires, des anomalies de dimensions, de direction, etc.
Peut-être serait-il plus instructif de rappeler ici la valeur séméiologique
de certains troubles fonctionnels du pavillon de l'oreille. Le cheval mou,
apathique, a l'oreille tombante ; le cheval méfiant, hargneux, couche
souvent les oreilles ; celui qui est peureux, craintif, ou atteint de cécité;
les a constamment en mouvement; on a remarqué, au contraire, leur
immobilité chez les sourds.
2. Yeux. La proéminence des arcades orbitaires, l'ouverture plus ou
moins grande de la fente palpébrale, les anomalies de forme et de volume
des paupières, la saillie plus ou moins accusée du globe oculaire (oeil de
boeuf) constituent des malformations qui peuvent être acquises ou congé-
nitales.
Il faut signaler encore l'inégalité pupillaire, les anomalies de colora-
tion (oeil vairon, résultant du défaut de coloration de l'iris, iris gris avec
(1) In L. Mayet, loc. cit., p. 15.
(2) Féré et Séglas, Rev. Antliropol. ,4586.- J. Sscnc.s, Leçons mentales et nerveuses,
XXII" leçon, p. 110, et in G. Ballet, p. 87.
(3) Schwalbe, Arch. de Neurologie, 1890, p. b6 in Séglas, Leçons mentales et ner-
veuses, p. 713.
(4) ALDEIIT Lévy et F, De la fréquence des stigmates physiques el physiolo-
giqlteS de la dégénérescence citez l'homme normal, et leur valeur lIIédieo.lé ! Jale.
(5) Cornevin, op. cit., p. 525.
470 6 UUDLER ET CUOMEL
taches bleuâtres, oeil fauve dont l'iris revêt une teinte fauve ou lie de
vin) ; les cataractes congénitales.
3. Nez. La mesure de l'indice nasal est pratiquée sur l'animal ; la classi-
fication en platy, méso et leptorhiniens est également connue en médecine
vétérinaire. La déviation du nez, l'asymétrie des nasaux s'observent dans
le tic de l'ours. -
4. Bouche. Les déviations de la lèvre supérieure et la chute de la lèvre
inférieure doivent être considérées, dans certains cas, comme des stigma-
tes anatomiques de dégénérescence. L'asymétrie des arcades dentaires est
fréquente chez le cheval.
Les anomalies dentaires sont communes chez les équidés qui présentent 1
des troubles psychomoteurs (tics et stéréotypies). On constate, chez eux,
des anomalies de structure (dents érodées), de forme (surdents), de direc-
tion et d'évolution ; des anomalies de nombre, et de même qu'il exisle
des augmentations numériques, il y a parfois absence de certaines dents ;
ce fait, connu en médecine humaine, a été observé chez l'animal par
Cornevin (1) qui « a suivi sur une famille de chevaux l'absence hérédi-
taire très constante de la dent mitoyenne gauche ».
L'usure et la carie dentaires des chevaux tiqueurs reconnaissent mani-
festement une cause mécanique ; comparables à l'usure dentaire des pa-
ralytiquesgénéraux qui ont du mâchonnement ou n celle des chevaux qui
font magasin (séjour des matières alimentaires clans la poche de la joue),-
elles ne sauraient constituer des troubles de nutrition comme la carie den-
taire précoce des idiots ou des morphinomanes (2).
On peut considérer comme des stigmates physiologiques de la bou-
che (3) l'acte de fumer la pipe (cheval qui tient sans faire aucun mouve-
ment quelques brins de fourrage entre les lèvres), acte pathologique sou-
vent lié au syndrome immobilité, et la bouche égarée, symptôme observé
chez des sujets nerveux, au caractère violent (tel Apremont, (ils d'Alerte).
En résumé, l'examen d'ensemble de la tête n'a, au point de vue morpho-
logique, qu'une valeur relative. Entre le cheval à physionomie éveillée et
celui qui est dépourvu d'expression, il existe une foule de types intermé-
diaires qui ne peuvent nous intéresser que s'ils offrent des traits anor-
maux, de l'asymétrie faciale ou crânienne. Les caractères spécifiques dis-
tinctifs des races (brachycéphalie, dolicocéphalie) n'ont, en psychiatrie,
que peu d'importance. Il existe, par contre, des phénomènes d'asymétrie
(1) Cornevin, 0. cil., p. 364. -
(2) J. SÉGLAS, in G. Ballet, p. 97.
(3) Nous avons placé à dessein les troubles fonctionnels des oreilles et de la bouche
au chapitre des stigmates anatomiques, pour ne pas créer trop de divisions dans cette
élude.
DE LA DÉGÉNÉRESCENCE CHEZ L'ANIMAL 7117
du crâne ou de la face, des malformations de la mâchoire inférieure, du
nez, des dents, qui, rencontrés sur des chevaux atteints de troubles psy-
chiques variés (chevaux épilepliques, chevaux tiqueurs), représentent,
chez l'animal aussi bien que chez l'homme, des stigmates anatomiques de
dégénérescence.
Les signes fournispar la tête doivent primer les autres caractères d'asy-
métrie corporelle, car la tête donne bien pour le cheval, suivant l'heu-
reuse expression de de Curnieu, « la clef de son individualité. »
Tronc et membres, L'examen du tronc et des membres peut être
fait au double point de vue hippométrique et descriptif (1).
1. Examen hippométrique. Il comporte la recherche de points de repère
et les mensurations pratiquées à l'aide de ces différents points. MM. les pro-
fesseurs Tabourin et Baron, MM. Joly et de Gasté ont fourni des indications
précieuses sur le sujet ; Cornevin consacre un chapitre intéressant aux carac-
tères ethniques fournis par le tronc et par les membres ; tout récemment enlin,
l'un de nous (2), en collaboration avec M. Marey-Monge, a pu préciser les
données suivantes :
Points de repère : Membre antérieur : Crête sus-épineuse (épaule) ; scissure
de l'os crochu (genou) ; ligne du bourrelet (pied).
Membre postérieur : Angle externe de l'ilium (hanche) ; ligne du bourrelet
(pied).
Mensurations : Membre antérieur : De la crête sus-épineuse à l'os crochu ;
do l'os crochu au bourrelet du pied.
Membre postérieur : De l'angle externe de l'ilium au bourrelet du pied.
Ces mesures doivent être prises des deux côtés, par comparaison, et peuvent t
s'appliquer à d'autres régions du corps (pieds, articulations, longueur de
croupe, flanc).
A vrai dire, ces mensurations n'ont pas grande valeur au point de vue spé-
cial qui nous occupe ; elle ? ne peuvent, en l'espèce, que contrôler et préciser
les indications fournies par l'examen descriptif qui a pour but de mettre en
relief les anomalies et asymétries.
2. Examen DESCRIPTIF.
L'asymétrie thoracique n'est pas facile à constater chez le cheval. Mais
le manque d'ensemble ou de proportion entre l'avant-main et l'arrière-
main est fréquent (Cheval normand, descendance du pur sang The Flying
Dutchmann). Les dépressions thoraciques ne sont pas rares. On rencon-
tre parfois une ossature exagérée (telle Little Agrès par Sauterer et Wild
Agnès) , des hanches tellement saillantes que, d'après le dicton, on
pourrait y accrocher un chapeau. La grande silhouette de Monarque se
(t) Cf. Séglas, in. G. Ballet, p. 98.
(2) C. CnoMEL, Répert. Afécl. Te') ? 15 févr. 1904.
478 RUDLER ET CALOMEL
retrouve dans toute sa descendance. Les déviations de la colonne verté-
brale sont exceptionnelles, mais la saillie exagérée des apophyses épineu-
ses a été constatée (Carlos par Hospodar et Carlotta). '
Du côté des membres, il existe une foule de difformités congénitales.
Dans le tic de l'ours, on a observé l'asymétrie de l'épaule et de la han-
che (4). -, ,
Les vices de conformation des membres sont fréquemment héréditaires. Ils
se sont reproduits avec une désespérante régularité dans toute la descendance
de Bilbery, cheval de pur sang (Bivouac, Bilboquet, Billet doux, Biscaïen).
Le genou plié, fléchi en avant (cheval brassicourt) est assez souvent congé-
nital. On retrouve cette particularité plus ou moins accentuée chez tous les
fils de West Australien en particulier sur Jéricho (par West Australien et
Juanita).
Le genou étranglé ci la base coïncidant fréquemment avec un tendon failli
est une anomalie commune chez les descendants de Flying Dutchmann (sur-
tout Maravédis II, par Dollar et Villefranche) et de Clover. La jument de pur
sang la Revanche (par Light et Sentence) était remarquable sous ce rapport.
Le genou étroit, mince quoique empâté ou genou de veau est également
héréditaire (Smyrne par Muscovite et Rule Britannia).
Le genou effacé, renvoyé se reproduit très souvent. De même la mauvaise
conformation des jarrets, constatée dans la filiation de Gladiator.
L'hérédité des lares osseuses du jarret, de l'éparvin, du jardon, de la jarde
est aujourd'hui démontrée ; seules les lésions tendineuses ne paraissent pas
transmissibles.
Les défectuosités du boulet (étroit, mince, droit, etc.) sont héréditaires
(Atlas, frère de Bois-Roussel) ; de même les articulations molles (descen-
dance de Gladiateur, spécialement Ravigo, par Gladiateur et Alerte) ; de
même aussi les formes, tares osseuses résultant de l'ostéite phalangienne ; le
cheval Président présentait au membre postérieur gauche une forme qu'il tenait
de son père Florin; Jacoulet fait connaître l'histoire de la jument Houlette,
petite-fille d'Archiduc, étalon de pur sang, «' ardent propagateur des tares
osseuses qu'il possédait » : de même enfin un grand nombre de malfor-
mations ou lésions du pied (encastelure, fourbure congénitale, crapaud). Les
recherches de G. Joly sur la soliédisalion des équidés dans les temps actuels
ont permis de constater parfois l'ectrodactylie (diminution du nombre des os,
la syndaclylie (réunion ou soudure des métacarpiens), la macrodaclylie (sur-
production osseuse), la mégalodactylie (volume exagéré des métacarpiens
supplémentaires) (2).
Organes génitaux. Les anomalies des organes génitaux du mâle
(1) L'affaissement de l'angle interne de l'ilium a été décrit pour la première fois, par
Joly, Rev. gén. méd. vét., 1903.
(2) La polydactylie a été observée par B. E. SOULTON sur 7 générations de chats
(in Cori : vemN, p. 363).
DE LA DÉGÉNÉRESCENCE CHEZ L'ANIMAL 479
signalées par Cadéac (1) sont : les imperforations de l'urèthre (hypospa-
dias et épispadias), le phimosis, enfin l'anorchidie, la monorchidie et la
cryptorchidie. La cryptorchidie peut être héréditaire ; l'étalon de pur
sang Master Wagg, cryptorchide à gauche, a engendré quatre chevaux
cryptorchides dont la Clôture, devenu célèbre par le procès en nullité de
vente auquel il donna lieu de la part de l'administration des Haras qui
l'avait acheté comme reproducteur (2).
Les vices de conformation des organes génitaux de la femelle ont été
peu étudiés chez les animaux ; ils n'ont d'ailleurs, pour ellepas plus que
pour le mâle, jamais été rapportés à la dégénérescence.
Peau et appendices cutanés. - Les caractères ethniques fournis
par les phanères et la coloration ont été l'objet d'un chapitre fort docu-
menté de Cornevin (3) qui signale des « troubles delà coloration dits tro-
phiques d'origine nerveuse », l'albinisme des mammifères, etc.
11
Symptômes somatiques OU stigmates physiologiques DE dégénérescence.
J. Séglas décrit sous le titre de Symptômes somatiques « les désordres
fonctionnels observés dans le domaine des différents appareils organiques
chez les aliénés » (4). Cette dénomination correspond aux Stigmates phy-
siologiques de la dégénérescence de Lucien Mayet(5).
Le cheval présente également des symptômes somatiques qui, dans quel-
ques cas (tics et stéréotypies), ont paru liés à des troubles psychiques. Il
importe donc de grouper ces symptômes et d'en rechercher la valeur sé-
méiologique.
A. Système nerveux (6).
1. Motilité. Les troubles de la motilité ne sont pas rares chez le
cheval. Ils comprennent : les mouvements de défense permanents (cabrer,
ruade), les allures irrégulières non acquises (traquenard, saut de pie,aubin,
amble, pas relevé) et les défectuosités d'allures (bercement latéral, action
de faucher, de billarder, de raser le tapis, de forger, de croiser les mem-
bres en marchant). Parmi ces mouvements désordonnés, les uns relèvent
de défauts physiques, ils ne nous intéressent pas ; d'autres sont sous la
dépendance de désordres de l'innervation, ceux-là méritent notre attention.
(1) Cadéac, Encyclop. Séméiol., t. Il, p. 51 et suiv. ,
(2) JACOULET et Chomel, Traité d'Hippologie, t. I, 2e édit., p. 317.
(3) Cornevin, op. cit., p. 447.
(4) J. SÉGLA.S, in G. Ballet, p. 104.
(5) LUCIEN MAYET, Th. de Lyon, p. 85.
(6) Cf. classification de J. Séglas. ,
4HO XUDLERETCUOMEL
Le cabrer, le lancer, l'action de pointer, le bond intempestif, la ruade, en
tant que manifestations spontanées,répétées,indépendantes de mouvements
de défense, sont l'une des formes les plus fréquentes de la rétivité chez
les chevaux irritables et doués d'un tempérament très nerveux. Or la
rétivité est un vice, un état morbide continu de la volonté qui peut rele-
ver d'anomalies congénitales. -
Les allures irrégulières sont presque toujours le résultat d'une mauvaise
éducation ou du surmenage de l'animal, de la vitesse excessive qu'on exige
de lui ; en cela elles ne relèvent pas de la dégénérescence. Mais ce mauvais
emploi, cet abus des forces du cheval sont « regrettables au point de vue
du développement des qualités natives d'un bon nombre de nos chevaux
de demi-sang et de l'influence héréditaire qu'un tel résultat peut avoir à
échéance éloignée (1). »
Les défectuosités d'allures (action de billarder, de faucher, etc.) ont
moins de valeur, en ce qui nous concerne, que l'action de trottiner et
d'autres troubles psychomoteurs observés fréquemment chez les tiqueurs :
tics, stéréotypies, caractérisés par l'instabilité motrice sous toutes ses for-
mes, du trépignement, des mouvements d'impatience,et d'inquiétude de la
tête, des actes de mordillement, de mâchonnement, ... de l'agitation, de
l'affolement en présence de la barre, toutes manifestations motrices unies
chez les liqueurs à des troubles psychopathiques nettement accentués.
On pourrait désigner les troubles de la motilité ainsi groupés sous le
titre général de perturbations de la psychomotricité, ce terme appliqué à la
définition des tics humains par MM. Brissaud, Meige et Feindel indiquant
suffisamment par lui-même que nous considérons, dans tous les cas, le
trouble moteur comme lié indissolublement au trouble mental.
Il existe d'autres troubles des fonctions motrices connus de longue date
en médecine vétérinaire. Suivant l'expression de Séglas (2) : « ils s'ob-
servent d'ordinaire sous toutes les formes décrites en neuropathoiogie :
paralysies, spasmes, contractures, convulsions, tremblements... «Décrits
très complètement chez l'animal par Cadéac (3), ils reconnaissent les cau-
ses les plus diverses et peuvent être créés de toutes pièces par l'intoxica-
tion alcoolique ou aromatique (4), mais ils relèvent parfois, et exclusive-
ment, de psychoses ou de névroses et, il ce titre, constituent des signes de
dégénérescence.
2. Activité réflexe. - L'étude de l'activité réflexe paraît peu avancée
en pathologie animale. Des recherches récentes (5) sur des chevaux atteints
(1) JACOULET et CIlOIEL, op. Cil., t. I, p. 4G2.
(2) J. Séglas, in G. Ballet, p. 105.
(3) CADÉAC, Encyclop. Séméiol., t. 11.
(4) C. CADÉAC et ALBIN Meunier, Conlrib. à l'élude de l'alcoolisme, Paris, 1892.
(5) F. RCDLER et Ciiomel, Eludes sur les tics.
DE la DÉGÉNÉRESCENCE chez l'animal 481
de troubles psychomoteurs laissent supposer que les réflexes sontpeu alté-
rés dans les processus psychopathiques.
Les réactions pupillaires sont difficiles à saisir chez le cheval. Les ré-
flexes cutanés et muqueux sont normaux dans les tics. Les tiqueurs n'of-
frent pas de réflexe caudal, mais {'épreuve du dynamomètre caudal indique
une diminution très grande de la résistance au soulèvement de la queue.
Le réflexe lombaire est généralement exagéré dans le tic de l'ours, mais on
n'observe rien d'anormal dans la recherche des réflexes tendineux dupied,
des réflexes idio-1nusculaires ou cardio-vasculaires.
Il y a là un chapitre de neuro-pathologie que nous n'avons pu qu'ébau-
cher et qui est à constituer peu près en entier.
3. Troubles de la sensibilité. - Les troubles de la sensibilité générale
sont considérés comme très fréquents chez les dégénérés humains, ceux
du moins qui présentent les degrés les plus inférieurs de la dégénéres-
cence.
La médecine vétérinaire offre peu de documents sur ce sujet ; tout au
plus pouvons-nous signaler, au point de vue de la sensibilité cutanée :
l'hyperesthésie du bout du nez à la piqûre dans le tic de l'ours, l'anesthé-
sie du nez, des lèvres et des barres dans les stéréotypies de léchage, de
l' hypoesthésie cutanée dans les tics en l'air et à l'appui.
4' Troubles trophiques et vaso-moteurs. Bien peu étudiés encore
chez l'animal, ils ne peuvent être mis en parallèle avec les grands
syndromes décrits chez l'homme Nousavons signalé quelques modifications
de la sécrétion sudorale, hyperhydroses locales ou généralisées, et de la
sécrétion cornée chez quelques chevaux atteints de tics ou stéréotypies.
B. Fonctions génésiques.
Il existe, chez l'animal, des troubles de=. fonctions génitales qui, dans
certains cas, reconnaissent une cause exclusivement psychique. Tels le
satyriasis chez l'étalon, la nymphomanie chez la jument, pouvant déter-
miner à la longue un état général des plus défectueux décrit, en méde-
cine vétérinaire, sous le nom de tic testiculaire et de tic ovarique.
C. Fonctions digestives.
L'aérophagie ou aéropinie (Goubaux) est le principal trouble des fonc-
tions digestives qui puisse être rattaché aux phénomènes de dégénéres-
cence, parce qu'il constitue l'élément moteur, l'effort convulsif de
déglutition, d'un trouble psychomoteur, le tic proprement dit avec ou
sans usure des dents, le tic rédhibitoire. Les tics aérophagiques de
l'homme ont été décrits par Pitres et par Séglas ; l'étude du syndrome
482 rudler ET CHOMEL
aérophagie, névrose du pharynx, est due principalement à Bouveret (4)
mais ces recherches sont bien postérieures à celles faites, en médecine vété-
rinaire,parReynal, Goubaux, Barrier,Farges,C : Jdéac,etc.Nous reprendrons
cette étude des tics aérophagiques du cheval et nous espérons démontrer
que les tics en l'air et à l'appui sont, comme le tic de l'ours et les sté-
réotypies de léchage, des troubles psychomoteurs, et constituent, du fait
même, un syndrome de dégénérescence (2).
Le météorisme ou pneumatose intestinale est également un trouble di- ·
gestif lié aux tics aérophagiques.
Les perversions digestives les plus communes chez le cheval sont le pica
continu et la malacia, elles n'ont jamais été rapportées à des causes psy-
chiques. La sitiophobie a été observée par nous sur le cheval « Rasoir. » à
titre de symptôme passager. Ces aberrations du goût, de même que les
perversions de l'appétit (3) sont étudiées par Cadéac comme symptômes
de maladies de la nutrition et du tube digestif.
- D. Respiration.
Le cornage chronique est généralement dû à un rétrécissement con-
génital des voies respiratoires ; la pousse est « l'expression d'une insuf-
fisance de la respiration liée à toutes les affections chroniques du pou-
mon et du coeur)) (Cadéac). Ces deuxsyndromesnesauraientconstituer des
stigmates physiologiques de dégénérescence.
III
Stigmates PSYCHIQUES.
Nous avons défini dans notre étude des tics et stéréotypies de léchage
chez l'homme et chez le cheval, ce qu'il faut entendre par le psychisme de
l'animal. Le cheval possède, avons-nous dit, une écorce cérébrale qui lui
permet d'exécuter une série d'actes intellectuels, qui pour être très sim-
ples et susceptibles seulement d'un perfectionnement très limité, ne sont
pas moins facilement reconnaissables et se distinguent nettement des actes
(1) Pitres, Gaz. met., 1888, et Séglas, Sem. Méd., 11 janvier 1899, in II. nlrtar. et
Feindel, Les Tics et leur traitement, p. 338 et suiv. ; BOUVERET, Rev. de l\Iéd., 1891 : *.
Voir bibliogr. dans l'article de MM. ARMAND et Sarvonat, Arch. génér. de méd.,
12 avril 1904.
(2) Nous acceptons sahs restriction les observations de MM. 111BIG& et Feindel (op.
cil., p. 51), sur les rapports des tics avec la dégénérescence mentale, et en indiquant
que les tics aérophagiques peuvent être considérés « comme une des multiples mani-
festations de cette dégénérescence n, nous entendons simplement que « le qualificatif
de dégénéré est applicable au tiqueur r, sans avoir la prétention de donner une expli-
cation pathogénique du tic par cette unique notion de dégénérescence.
(3) Cadéac, Séméiol., t. I, p. 54-55 et suiv.
DE la dégénérescence cuez l'animal 483
purement réflexes d'origine bulbo-médullaire. Nous avons relevé, dans
l'étude du tic de l'ours, des actes volontaires, des actes d'imitation, phéno-
mènes psychomoteurs, qui impliquent nécessairement la mise en jeu de
centres supérieurs d'association et de coordination et qui ne peuvent
s'expliquer que par la participation de l'écorce cérébrale.
Les symptômes psychiques des héréditaires sont représentés chez l'ani-
mal comme chez l'homme par des altérations du caractère, des perturba-
tions de l'intelligence et de la volonté. La tare psychique, qu'elle soit due
à la diminution de la synthèse psychique, à la prédominance des instincts
ou à toute autre cause, coïncide alors avec une hérédité chargée et avec des
stigmates physiques de dégénérescence.
Les stigmates héréditaires feront seuls l'objet de cette description ; nous
négligerons volontairement les quelques stigmates psychiques symptoma-
tiques de maladies aiguës, fort rares d'ailleurs et très peu connus en mé-
decine vétérinaire, et l'hypnotisme des animaux (1), état psychique artifi-
ciel provoqué par des actes d'inhibition mentale.
1. LEs troubles DE la mimique, ou troubles psychiques émotifs se tradui-
sent, chez le cheval, par de l'agitation, de l'égarement, de la défiance, des
phobies visuelles et auditives, de l'apathie et du dégoût pour l'exercice.
Au cheval décrit par Job, Toussenel, Buffon, qui cherche à comprendre
l'homme, qui obéit à tous ses ordres et parait partager ses sentiments, ses
enthousiasmes, le dégénéré psychique oppose au contraire des résistances,
une attitude menaçante, féroce et sauvage parfois, inintelligente et stu-
pide.
Cette mimique traduit,croyons-nous, l'extrême mobilité des sentiments
et des idées ; elle s'exprime par l'incoordination et la grande variété des
mouvements. Une sudation excessive pour un travail insignifiant, l'habi-
tude de se coucher souvent sont les corollaires de cette agitation insolite,
etces efforts répétés et sans but rendent le cheval d'un entretien difficile.
L'agitation est un trouble psychique fréquemment observé chez les chevaux
tiqueurs. y
2. Actes impulsifs. - Ils résultent chez le cheval de la désagrégation
psychologique et sont déterminés par la peur, la haine, la colère. Pour
que ces actes revêtent les caractères d'un véritable trouble psychique, il
faut qu'ils soient fréquents, irrésistibles et sans utilité. Certains chevaux
tiqueurs font sans cause provocatrice des bonds, des efforts prodigieux,
trottinent constamment ; les uns mordent, mâchonnent, d'autres ruent,
frappent du pied à tout propos, s'emballent dans un véritable étatd'obnu-
bilation intellectuelle, inconsciemment, au mépris de tout danger. Ils s'affo-
(1) C. Ciiomel, Le Magnétisme animal, Répert. de Méd. Vét.,oct., nov., déc. 1903.
484 RUDLER ET CIIOMEL
lent en présence de la barre, bourrent, sont très chauds ri l'obstacle, font
des bonds intempestifs après le saut. L'impatience se traduit encore par
des hochements de tête, des trépignements. Ces mouvements, ces actes
impulsifs ont pour caractères distinctifs leur instantanéité, leur violence,
leur apparition sous forme de crises, leur brutalité.
Les actes impulsifs des équidés psychopathes, leurs troubles émotifs se
complètent par des troubles correspondants du caractère et de la volonté.
On peut citer de nombreux exemples d'actes impulsifs relevant de la volonté
motrice.
Le cheval de sang Faublas (par Orphelin et Miss Finch) avait hérité de sa
mère un caractère très difficile et on lit dans son histoire qu'avant de lutter
sur l'hippodrome « il se battait un peu lui-même. » On attribue au sang d'Ar-
on6[M< le fait que la plupart de ses descendants ont vécu sous l'influence « d'une
violence et d'une exaspération épidémiques » (d'Etreillis). L'extrême [violence
d'Apremont (par Connut et Alerte) avait rendu ce cheval ce point redoutable
que « bien peu de jockeys se sentaient en confiance sur son dos ». Il en a été
de même pour Roncevaux dont l'emballement sur l'obstacle était légendaire.
Enfin, Anglo-Saxon,cheval de pur sang, était sujet à « de véritables accès de
férocité.» »
3. Hérédité nerveuse. L'hérédité nerveuse accumulée, capitalisée
chez le cheval, peul aboutir à une véritable psychose. Les manifestations
de cette hérédité sont multiples et variées depuis un certain degré de sen-
sibilité exquise, exagérée, jusqu'à l'irritabilité et au nervosisme le plus
outré. A propos des stéréotypies de léchage des équidés, nous avons suf-
fisamment distingué le tempérament nerveux ou ce qu'on appelle métapho-
riquement le sang du déséquilibre nerveux observé chez les psychopathes.
« L'expression de sang, synonyme d'énergie, n'a rien à voir, disions-nous,
avec les états morbides continus du caractère, de l'émotivité et de la vo-
lonté que nous avons décrits chez les chevaux offrant des perturbations
de la psychomotricité. » On trouve de nombreux exemples de cette hérédi-
té nerveuse dans la carrière des chevaux de course, plus ou moins com-
promise du fait de cette tare psychopathique.
Tous les fils de Monarque (sauf Auguste) étaient si exagérément nerveux que
leur seul pédigrée était une mauvaise recommandation « pour être admis
officiellement l'honneur de la reproduction » (d'Ctreillis). Le nervosisme pa-
thologique de Début (par Fitz Gladiator et Dorade), fruit de l'hérédité mater-
nelle, était considéré vers le milieu de sa carrière « comme une véritable
infirmité ». Cette grande irritabilité se retrouve dans toute la descendance de
The Baron et celle de Deliane, surnommée la buveuse d'air, qui causa de
grosses déceptions à l'écurie Lupin. Mlle de Chantilly est un autre exemple
célèbre de cette irritabilité qui ne fut pas étrangère à la médiocrité de ses pre-
DE LA DIGÊi1EREC¡;;l'iC¡;; LIIEZ L'ANIMAL 483
miers produits. La jument Pythonisse (Mlle Lupin) offrait des troubles psy-
chiques tellement accusés qu'elle « ne pouvait pas courir souvent ». L'hérédité
nerveuse est encore évidente pour Madzja (par Fitz Gladiator et Mimie) et la
plupart des pouliches du sang d'/7c)'MH6 qui étaient « démesurément nerveu-
ses et coururent mal ». Nous rappelons pour mémoire les chevaux trop chauds
à l'obstacle, exagérément sensibles aux contacts cutanés... signalés dans nos
études sur les tics. '
4. Troubles de la volonté, du caractère. Nous avons examiné aux
actes impulsifs l'action de-la volonté uniquement motrice. Il existe d'autres
troubles qui se rapportent plus spécialement à « l'affaiblissement du pou-
voir général de synthèse psychique ». Il peut y avoir diminution ou sup-
pression de la volonté (aboulie), hésitation, paresse, impuissance dans les
actes, ou bien caractère inégal, plus ou moins fantaisiste. Certains chevaux
liqueurs s'isolenl difficilement d'une colonne, d'autres fléchissent brusque-
ment sur leurs membres sous le coup d'une émotion vive. Il faut toutefois
excepter de ce groupement l'air de nonchalance, d'indifférence et de len-
teur qui est assez commun chez les grands animaux.
Le défaut de courage qui fait dire que le cheval a mauvais coeur, qu'il mar-
che à regret, est fréquemment héréditaire. Le courage n'était pas la qualité
saillante, des fils de Dollar. Le défaut d'action était assez connu dans la des-
cendance de The Baron, de West Australien et dans celle des fils de Pretty
Boy (d'Etreillis).
L'inégalité du caractère aboutit à une sorte de démence fonctionnelle héré-
ditaire. Les produits du vieux Gladiator présentaient presque tous cette inéga-
lité intermittente du caractère. On cite comme exemple Gantelet (par Tourna-
mente et Garenne), superbe cheval qui, après avoir galopé magnifiquement,
s'arrêtait court, à la course, au dernier tournant. L'inégalité se constate encore
nettement dans la carrière de Minerve (par Orphelin et Hervine) et dans la
descendance d ? erutne, tandis que c'est à un défaut de volonté qu'il faut rat-
tacher ces « alternatives disparates » dont le contraste constitue l'ensemble
de la carrière de Mathilde (par Ferruch Khan et Georgette), de Finistère, des
descendants de IYest Australien, de l3errer en particulier dont M. d'Etreil-
lis écrit « qu'il ne serait pas West Australien s'il n'était sujet à ces inégalités»,
enfin de Pergola, de Salmigondis, issus de The Baron.
Le caractère fantaisiste s'allie parfois à une grande violence allant chez le
cheval jusqu'à la défense et à la répugnance pour le mouvement. Ce caractère
est assez commun chez les fils A'Argonaut et les fils de Sockwell. Le cheval
Kirghiz (par Argonaut et Nava), qu'on conduisait sur l'hippodrome avec un
luxe inusité de précautions, entrait, dit-on, « dans un état d'exaspération voi-
sin de la folie ». La jument Finistère offrait aussi une résistance obstinée qui a
fait dire à son entraîneur C. Pratt : « elle vient quand elle veut, et si on la
contrarie, elle ne vient pas du tout ». Baronello, qui en 1864 battit Bayard
486 RUDLER ET CUOMEL
et Fille de l'Air, avait aussi un caractère diabolique qui influa désavantageuse-
ment sur toute sa carrière de course. On retrouve plus ou moins ce caractère
instable, (antaisiste,chez tous lesdesceudants de Pa7,tleil,célèbrej ti ment de pur
sang (Partisan, Perle, Plutus, Mercédès, Jeune Première, Parisienne) qui tous
« ont, à des degrés différents, démontré en même temps une qualité positive
et une inégalité constante » (d'Etreillis).
Méchanceté. Retivité. -La méchanceté et la rétivité permanentes cons-
tituent des troubles psychopathiques.
« La méchanceté est quelquefois une manifestation héréditaire ou le
résultat d'une impressionnabilité excessive. La rétivité est un vice caracté-
risé par le refus d'obéir, fréquent chez les chevaux nerveux, de race dis-
tinguée (1). » .
La méchanceté et la rétivité précoces sont héréditaires. Elles sont
parfois tellement accusées qu'elles constituent un véritable vice rédhibi-
toire.
Joly cite le fait suivant d'après Bottex et Pierquin (2) : « Deux fermiers qui
élevaient des chevaux de trait dans le Sarand, près Simandre, arrondissement t
de Bourg,vendirent en ma présence deux chevaux rampius (3). Je leur deman-
dai si ce défaut provenait des juments poulinières ou de l'étalon. Ils me répon-
dirent que l'étalon était seul affecté de ce vice de conformation et qu'il était fort
rare qu'il ne le communiquât pas. J'ajoutai alors qu'ils avaient grand tort de
ne pas conduire leurs juments à un autre étalon. Ils répliquèrent qu'à la vérité
il y en avait un autre dans le pays, et même fort beau, mais qu'il était vicieux
et tous ses produits difficiles à dompter , qu'ils préféraient s'exposer à avoir
des chevaux affectés d'un vice de conformation qui ne nuisait pas beaucoup à
la vente puisqu'ils n'élevaient que des chevaux de trait. » Et 111. Joly ajoute :
« Dans l'intention d'améliorer la race des chevaux en France,a différentes épo-
ques, des chevaux étrangers ont été achetés pour le compte du gouvernement
et répartis dans différents départements. « L'un de ces étalons qui était mec-
klembergeois fut placé chez M. Sauville, vétérinaire à Ambérieux en Bugey.
Comme en l'achetant on n'avait eu égard qu'aux qualités extérieures, il était
très beau, mais rétif. J'ai eu l'occasion de voir plusieurs jeunes chevaux qui
en provenaient ; presque tous étaient beaux et vigoureux, mais presque tous
aussi d'une indocilité telle que de très bons écuyers ne pouvant les dompter
les propriétaires étaient obligés de s'en défaire à des prix fort désavantageux. »
La méchanceté et la rétivité précoces et permanentes dénotent toujours
une perturbation profonde dans la vie psychique des sujets qui en sont
atteints.
(1) CADÉAC, Jéméiol., t. II, p. 123 et 126.
\2) G. Joly, De l'intelligence du cheval, 1890, p. 187.
(3)- Cheval rampin, qui s'appuie en marchant sur ses pinces, '
DE LA DÉGÉNÉRESCENCE CHEZ L'ANIMAL 487
5. Phobies. Hallucinations. - Les phobies visuelles et auditives sont t
fréquentes chez les équidés liqueurs. Tel cheval redoute le chemin de fer
et l'automobile sans jamais pouvoir se corriger, tel autre s'arrête brusque-
ment et constamment devant un objet blanc, un troisième présente de la
claustrophobie, etc. La crainte et certaines répulsions sont manifes-
tes chez le cheval. Touchstone cite les subterfuges qu'on a dû employer
pour mettre en présence et faire reproduire Monarque (père de Gladiator)
et Miss Gladiator qui avaient l'un pour l'autre une véritable répulsion.
Les hallucinations du cheval sont sensorielles, visuelles, motrices, mais
toujours de nature psychosensorielle. Sans parler des hallucinations pro-
duites expérimentalement par Cadéac et Meunier par l'alcoolisation des
animaux, le cheval emballé offre la variété psychomotrice d'une halluci-
nation qui éveille l'idée de persécution ; on ne connaît pas d'ailleurs les
conditions psychologiques qui favorisent sa production.
- En résumé, les stigmates psychiques de dégénérescence du cheval se rap-
portent : aux troubles de la mimique, aux actes impulsifs, à l'hérédité
nerveuse accumulée (nervosisme), aux troubles de la volonté et du carac-
tère, aux phobies et hallucinations.
Il n'y a pas lieu de s'étonner que nous empruntions à l'histoire des
chevaux de pur sang la plupart des documents relatifs aux stigmates psy-
chiques' de dégénérescence du cheval. Ceci n'infirme en rien le bien fondé
de la distinction que nous établissons entre le tempérament nerveux des
chevaux de sang et le déséquilibre nerveux des équidés psychopathes ob-
servé aussi bien sur les chevaux communs que sur des chevaux de race. Il
est certain que les chevaux de sang offrent, plus que tous les autres, des
tares psychiques ; mais, d'une part, celles-ci s'observent sur des chevaux
d'arme communs, et d'autre part, tous les chevaux de sang ne sont pas des
dégénérés. Ces derniers présentent plus d'exemples connus de dégénéres-
cence psychique parce que leur valeur commerciale et les succès qu'ils sont
appelés à recueillir sur les hippodromes font de ces coureurs et de ces re-
producteurs des individualités possédant une histoire, quelquefois même
une légende. Peut-être enfin existe-t-il chez le cheval des dégénérés s2tl)é-
rieurs avec un maximum de stigmates psychiques et des dégénérés infé-
rieurs avec un maximum de signes anatomiques.
Quoi qu'il en soit, il est à remarquer que les stigmates psychiques
n'acquièrent leur signification, chez le cheval comme chez l'homme, qu'à
la condition de n'être pas considérés isolément et, en quelquesorte, indé-
pendamment des signes morphologiques de la dégénérescence. « Tout fait
psychique, dit M. J. Séglas, tend à s'associer à ceux qui, avec lui, peuvent
former un système. » Il nous reste à étudier dans leurs rapports les élé-
ments de ce système, les trois groupes de signes anatomiques, physiologi-
488 KUDLEK et cuomel
ques et psychiques de dégénérescence, et à établir leur valeur, relative ou
absolue, au double point de vue pathologique et zootechnique.
Les stigmates de dégénérescence sont chez le cheval d'ordre anatomique,
physiologique et psychique. L'histoire clinique des équidés dégénérés offre
une identité parfaite avec celle des dégénérés, déséquilibrés, héréditaires
humains.
Chaque signe de dégénérescence, pris individuellement, n'a de valeur
que s'il est assez prononcé pour qu'on ne puisse discuter ni son existence,
ni son caractère. « Toutes ces anomalies n'ontpas la même valeur, ce n'est
qu'en étudiant leur nature et leur cause qu'on peut être éclairé sur leur
véritable signification (1). »
« D'autre part, comme ces stigmates peuvent manquer chez des che-
vaux atteints de troubles nerveux ou psychomoteurs ou se rencontrer sou-
vent chez des sujets normaux, ce n'est que leur accumulation qui peut
avoir de l'importance au point'de vue de la détermination d'un état d'in-
fériorité individuelle » (Séglas), en rapport avec une affection nerveuse
ou mentale coexistante, tics ouépilepsie.
Sans nous arrêter aux causes de [la dégénérescence étudiées ailleurs,
nous ferons remarquer seulement que la dégénérescence est souvent, chez
le cheval, la conséquence d'une aggravation progressive de génération en
génération des tares transmises. A ce titre et grâce à la sélection qui se
fait chez les animaux, la race animale est moins dégénérée que la race
humaine. Les stigmates de l'homme « croissent en intensité, en gravité et
en nombre, des normaux aux aliénés, aux épileptiques et aux idiots»
(Séglas). Nous rappellerons les stigmates des équidés épileptiques, mais il
n'existe pas d'animaux idiots pour représenter le dernier degré de la
dégénérescence chez l'animal ; on ne saurait même, suivant la remarque
judicieuse de M. J. Voisin, comparer l'intelligence des animaux, car
l'animal a ordinairement un développement intellectuel normal.
Pour être moins fréquentes et moins accentuées que chez l'homme, les
manifestations de la dégénérescence n'en existent pas moins au complet
chez le cheval, ainsi qu'en témoignent les observations de chevaux liqueurs
et épileptiques. Nous n'avons pas craint, dans ce premier essai synthétique
qui est tenté sur la dégénérescence chez l'animal, de nous exposer au
reproche de Bail qui estime qu'on a fini par créer, avec la dégénérescence,
a une sorte de remise qui sert il loger, sans aucun effort d'esprit, tous les
cas embarrassants ». Il importait de démontrer, par un grand nombre
(1) J. Séglas, in G. B\LLEI'¡ p. 103.
DE LA DÉGÉNÉRESCENCE CHEZ L'ANIMAL 489
d'observations, la fréquence de stigmates variés de la dégénérescence chez
les équidés. L'oeuvre d'analyse et de critique fera sans doute sortir de celle
remise beaucoup des faits que nous y avons momentanément placés, et
cela n'a rien de surprenant puisqu'on discute encore, en médecine légale
humaine, la valeur séméiologique de tous les symptômes équivalents ;
mais aussi, et plus certainement encore, grâce à de nouvelles recherches,
il sera possible de dresser l'échelle des dégénérescences animales, bien
autrement instructive que l'échelle intellectuelle des animaux, et la liste
des états dégénél'ati{s de l'animal comprendra alors des visuels, des audi-
tifs, des sensitifs, des moteurs ... On reconnaitra que les malformations
physiques ne sont pas une preuve, mais une simple présomption de
dégénérescence ; on associera les signes psychiques aux signes physiques
pour avoir toute leur signification, et le résultat pratique de toutes ces
constatations sera ce fait important que l'accumulation de ces symptômes
place l'animal dans un état d'infériorité réel, diminuant à la fois sa
valeur individuelle et sa puissance de reproduction.
Il importe de remarquer, en effet, que les conclusions de cette étude cli-
nique ne sont pas seulement d'ordre pathologique ou philosophique elles
intéressent au plus haut point la question de l'élevage du cheval et la zoo-
technie.
Sans cloute nous ne dirons pas que les équidés dégénérés, déséquilibrés,
héréditaires, soient prédisposés aux affections mentales, mais nous affir-
mons,et l'avenir établira que l'accumulation de symptômes accusés de dé-
générescence constitue un véritable vice rédhibitoire, au même titre et
plusjustement encore que {'aérophagie. Il n'y a qu'à considérer les faits de
méchanceté rapportés par G : Joly, les observations variées que nous avons
recueillies dans lesquelles telle ou telle tare physiologique ou psychique
rendait le cheval impropre à son service particulier et se retrouvait inva-
riablement dans sa descendance, pour comprendre que cette étude de la
dégénérescence constitue bien un facteur nouveau et dont il faudra tenir
compte dans la production de la race chevaline. La dégradation progres-
sive de la race n'est d'ailleurs pas fatale chez le cheval comme chez l'homme
et la régénération peut se faire non seulement par la sélection, mais encore
par l'éducation et l'influence de l'entraînement.
Il n'en reste pas moins que la connaissance des stigmates de dégénéres-
cence du cheval intéresse à la fois la clinique à qui elle apporte des
faits nouveaux de pathologie nerveuse et mentale de l'animal et la zoo-
technie à laquelle elle fournit les éléments d'une nouvelle méthode d'éle-
vage du cheval.
xvn a-2
IL DENTISTA (LE DENTISTE)
TABLEAU DE ANDREA CEFALY,
PAR R
MARCO LEVI BIANCHINI
Sous directeur de l'Asile des aliénés de la province de Catanz.ro.
à Girifalco (Italie).
Ce tableau date de 1875 (PI. LXIV).
Ce n'est donc pas le dentiste moderne qui reçoit en redingote et qui est
sorti du Royal Collège; c'est encore l'ancien arracheur de dents d'il y a
trente ans, qui connaît bien peu d'anatomie et qui méconnaît presque
totalement l'art de plomber.
Dans son petit cabinet garni d'un simple fauleuil et d'une table vernis-
sée, il reçoit les clients avec son air de bon vieillard : il les rassure
avec son doux sourire bien plus peut-être qu'avec la confiance que son
art peut inspirer.
À cette époque les anesthésiques locaux n'avaient pas été introduits dans
la pratique courante : l'extraction d'une dent était encore une opération
assez douloureuse, et l'on s'y déterminait seulement lorsque les névral-
gies, produites par la carie et la découverte du nerf, devenaient tellement
aiguës qu'elles n'étaient plus supportables.
Le peintre a reproduit dans un des plus beaux tableaux modernes qui
aient rapport à la médecine, un moment très délicat et presque naïf d'une
séance dentaire. Une belle dame qui s'est rendue chez le dentiste a pris
place sur le large fauteuil, plus douloureux, pour le moment, que le lit de
Procusle : elle a renversé la tète en arrière et a ouvert ses lèvres pour
découvrir au médecin le siège de ses souffrances.
Le vieillard lui soutient la tête avec la main gauche : avec la droite il
.tient la pince qui a été introduite pour l'exploration.
C'est ici un moment de vive angoisse pour la belle personne : car bien
souvent l'attente est plus douloureuse que la consommation d'un fail. Son
coeur bat avec fréquence ; ses grands yeux azur sont tournés vers le pla-
fond : la main est soulevée, prête à arrêter le bras de l'opérateur, au
NOUVELLE Iconographie de la SALPÊTRIÈRE.
T. XVII. Pl. 1-XIV
LE DENTISTE
Tableau d'ANDREA CEI--ALY (rt\7j)
(M. L. Bianchini)
Masson & CI. Éditeurs
Pbotot)ple 13,tha.d Paru
LE DENTISTE 491 L
moment où l'instrument qu'il empoigne lui aura arraché le premier cri
de douleur. -
L'admirable harmonie des couleurs et de lumière, la perfection des dé-
tails et le profond naturalisme qui ressort de tout l'ensemble, font de ce
petit tableau (1 m2 à peu près) un véritable chef-d'oeuvre dont la simpli-
cité des moyens employés est aussi grande que l'effet produit sur l'ob-
servateur.
La position de la main qui s'appuie sur la bouche et qui marque le centre
figuratif et idéal de la composition est représentée d'une façon si exacte et
parfaite que l'on pourrait croire à une reproduction photographique, l'ex-
pression de crainte manifestée seulement par la position des yeux, nous
démontre avec combien peu de moyens a été rendu, dans toute sa force, le
moment psychologique que l'auteur avait conçu dans son imagination.
Rien de factice ou d'excessif, aucun effort pour fixer l'attention ; la pose
sereine du dentiste qui regarde et examine tranquillement sans.sepréoc-
cuper de l'angoisse de la patiente, forme un relief très net,mais très naturel,
avec l'aptitude intensément émotive de la figure féminine : elle détermine
le plus beau des contrastes et constitue au plus haut degré la valeur émi-
nemment psychologique et idéale de la conception artistique.
Ce n'est pas le cas d'analyser ici la technique du tableau ; je veux seu-
lement- observer qu'elle est parfaite : aussi, pour en donner un exemple,
le détail de la main soulevée de la femme est d'une vérité anatomique
tout à fait inarrivable.
L'oeuvre artistique de Andréa Cefaly a une importance singulière pour
l'époque et le pays où elle a été conçue et développée.
Andréa Cefaly est le premier peintre et le chef de l'Ecole Calabraise.
La Calabrie, esclave dans le moyen âge des Normands, des Espagnols, des
Français, des Autrichiens, s'est maintenue, malheureusement, dans un
état de profond arriérisme social et intellectuel. Pendant que dans le reste
de l'Italie, tout pays relève l'exquis sentiment d'art qui animait nos ancêtres
et qui se poursuit dans nos artistes modernes, rien de pareil ne se trouve en
Calabrie, où les églises sont nues, où l'architecture n'a laissé aucun docu-
ment, dont la philosophie et les sciences, en dehors de Campanella, de
Galluppi et de Jiorentino, n'ont eu aucun champion renommé.
Andréa Cefaly a inauguré, dans l'art, la renaissance de la Calabrie.
Né à Cortale, dans la province de Catanzaro, il y a presque soixante-
quinze ans, ardent patriote, « garibaldino ». député à la Chambre, il
commença à Naples, en 1855, sa carrière artistique, qu'il poursuit aujour-
d'hui encore, octogénaire, après un demi-siècle d'études et de travail.
La première période de son art se relie à l'époque glorieuse de la guerre
pour l'indépendance ; dans celle-ci, tous les tableaux sont inspirés par
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XVII. PI. LXV
LE MIRACLE DE L'AVEUGLE GUERI
D'après une tapisserie flamande du XVIe siècle, de l'église de Lurcy-Lévy (Allier).
(/1. Marie.)
Masson & Cie, Éditeurs
l'Itototypue Iterthaud Parie
LE MIRACLE DE L'AVEUGLE GUÉRI
DAPRÈS UNE TAPISSERIE FLAMANDE DU XVIe SIÈCLE
de L'ÉGLISE DE LURCY-LÉVY (Allier), ? PAR
A. MARIE
(de Villejuif)
Ma précédente étude sur une tapisserie berrichonne trouvée au Musée
de Bourges, et concernant une scène de cure de possédés par les reliques
de saint Etienne, m'a conduit à rechercher dans la région d'autres tapis-
series religieuses ayant quelques rapports avec la médecine.
C'est à l'église de Lurcy-Lévy, dans l'Allier, où je viens d'organiser la
nouvelle colonie familiale de la Seine, que j'ai rencontré ce second mo-
nument artistique, car c'en est un désormais consacré, puisqu'il vient
d'être reconnu et classé au nombre des oeuvres d'art historiques par dé-
cision du 3 mai dernier, sur rapport favorable de M. Perrault Dabot, ins-
pecteur des monuments historiques.
.C'est en août 1903 que la Société Bourbonnaise d'études archéologiques
a été saisie de la question de savoir la valeur et la signification exacte de
cette tapisserie.
Nous avons donc ici un point d'appui pour apprécier la signification et
la portée de cette composition, à la différence de la tapisserie précitée
de Bourges, sur laquelle nous étions réduits à des hypothèses que j'ai
passées en revue.
La tapisserie de Lurcy mesure quatre mètres de haut sur trois de large,
elle orne le transept de l'église romane; elle représente un jeune aveu-
gle (aveugle-né, Blend Geborene, dit l'inscription traduite), agenouillé
devant le Christ, qui lui fait l'imposition de sa main droite sur les pau-
pières (Pl. LXV). ,
Le malade est dans une attitude recueillie et suppliante, il s'appuie,
de sa main droite, sur un bâton qu'il tient en même temps qu'un chien,
dont la laisse s'enroule à son poignet ; le chien est de toute petite taille,'
tacheté de blanc et de noir, la langue pendante et montrant les dents, un
petit collier entoure son cou et, en arrière de l'animal, est déposée à terre
une gourde de pèlerin.
En bandoulière, l'aveugle porte à droite une gibecière; son vêtement
se compose d'une ample tunique à larges manches et d'un pantalon à ge-
494 MARIE
nouillères, à moins que le bourrelet blanc visible en avant du genou ne
soit le vêtement de dessous, qui transparaît par une déchirure du vête-
ment susjacent, ce qui semble indiquer, de toutes façons, que le malheu-
reux a l'habitude de solliciter la charité en cette humble posture.
L'aveugle ouvre déjà l'oeil gauche que touchent les deux doigts du
Christ, et son regard se lève vers le ciel, dont il va contempler la lu-
mière, avec une expression heureuse, l'oeil gauche restant encore demi-
fermé et ne laissant voir que la partie blanche de l'oeil comme il est fré-
quent de voir l'oeil aveugle ; cet oeil, qui n'a pas encore été touché, con-
traste ainsi avec celui qui voit déjà grâce au miracle commencé.
L'aveugle occupe la partie latérale et inférieure droite du tableau, qui
a une forme géométrique circulaire, encadré de volutes et de motifs où
s'entrelacent des diablotins à figure de singes, mêlés à des figures ailées
d'oiseaux à tête humaine, de syrènes à tête et poitrine de femmes, en bas,
des attributs héraldiques avec armes et blasons de chaque côté du cadre
inférieur; ces blasons, comme dans la tapisserie de Bourges, marquent
l'origine de la composition ; ils indiquent la qualité et la personne des
donateurs primitifs qui commandèrent la tapisserie. Nous y reviendrons
plus loin.
Le tableau central a comme figure de milieu le Christ, vivement éclairé
et auréolé de rayons lumineux. Il est vêtu d'une longue robe claire, ornée
seulement d'une bordure.
A sa gauche, un groupe de personnages richement vêtus, dont les vê-
tements somptueux contrastent avec la mise simple du Christ, qui est
pieds nus.
Eux portent de fortes bottes et des robes à pelisses de brocart brodées ;
ils ont des barbes lisses et des moustaches peignées, leur tête est coiffée
de bonnets brodés variés, rappelant le bonnet phrygien et munis du tur-
ban ou de bordures à dentelles; ce sont évidemment les pharisiens; le
plus apparent, lève les bras d'étonnement.
Du côté opposé de la tapisserie, à droite. sont groupés huit ou neuf
personnages, têtes découvertes ; celui du premier rang est dans t'attitude
delà prière, les mains jointes, son visage exprime l'admiration du pro-
dige auquel il assiste; tous, sauf un, fixent leurs regards sur le Christ,
au-dessus de la tête duquel se déroule une banderolle dont l'inscription
exprime évidemment les paroles que l'artiste place dans la bouche du
Sauveur et de ceux qui l'entourent au moment du miracle représenté.
M. l'abbé Desnoix, qui a étudié spécialement cette oeuvre, croit recon-
naître, dans les personnages placés à droite du Christ, les principauxapô-
res : saint Pierre et saint Jean, notamment.
Saint Pierre serait, au premier plan, le personnage un peu chauve;
LE MIRACLE DE L'AVEUGLE GUÉHI 495
saint Jean serait le personnage imberbe, à grands cheveux blonds, placé
à la droite du Maître, à sa place de prédilection ; c'est lui qui regarde le
miraculé.
Le sujet semble inspiré d'une gravure connue du père Jérôme Natali,
gravure éditée à Anvers en 1593, où le même récit évangélique est repré-
senté suivant une disposition assez analogue.
'L'inscription des volutes ou phylactères qui s'enroulent au-dessus des
personnages est d'une lecture difficile parce qu'en caractères gothiques, et
expriment des mots qui ont exercé longtemps la sagacité des archéologues
bourbonnais ; c'est à M.l'Archiprêtre Lorain de Saint-Amand qu'on doit de
les avoir déchiffrés et rapportés à leur exacte origine; les voici transcrits
et traduits par lui du vieux flamand :
Her ich love.
Ick bin thow ghericht ùp dùsse
werlt gekamê.
Updat dede nicht sende vierde ùn
de sen blint vierdê.
Sin wi den vik blinth.
- Wer gi blindt so hadde nene sun-
de nu gij kuent sprekê.
Wi sint sende.
Spelling ietwat twyfelachtig.
Seigneur je crois.
C'est pour le jugement que je suis
venu dans ce monde.
Pour que qui ne voit pas voie, et
qui voit s'aveugle.
Sommes-nous donc aveugles.
Vous êtes aveugles si vous pé-
chez, maintenant parlez.
Nous voyons. ?
On le voit, c'est du symbolisme; le miracle souligne l'incroyance des
pharisiens qui peuvent méconnaître ce qu'ils voient, parce qu'ils n'ont
pas la lumière spirituelle de la grâce et de la foi.
Les versets du récit évangélique correspondants à ce texte sont dans
l'Evangile selon saint Jean, IX, versets 38, 40 et 41.
Les armoiries figurées au bas de la tapisserie seraient celles de deux fa-
milles de Lunebourg, adroite celle des Witzendorf, à gauche celle des
Stoeterrog, suivant le Dr Behnecthe, de Berlin. Comment la tapisserie de
Hollande ou d'Allemagne est-elle venue en France ? On ne saurait le dire,
mais elle semble bien, celle-ci, avoir élé faite en Flandre même et vers le
milieu du xvie siècle. Elle fut offerte à l'église de Lurcy par la famille
Thuret, à la fin du second Empire seulement. C'est une oeuvre d'art d'une
réelle valeur et un document médico-artistique de plus à ajouter à tant
d'autres déjà signalés par l'Iconographie de la Salprt1'ièl'e.
LES HYDROPIQUES DANS L'ART
PAR
HENRY MEIGE.
Les modifications morphologiques souvent considérables qui accompa-
gnent les épanchements liquides intl' : 1-abdominaux figurent-elles parmi
les difformités maladives que les artistes ont songé à représenter ? Oui,
mais les figurations de ce genre sont assez rares.
Dans les cohortes d'infirmes et de malades qui viennent implorer les
Saints guérisseurs, les boiteux, les paralytiques, les manchots, les aveu-
gles, les culs-de-jatte même, abondent; les hydropiques sont peu fré-
quents. Et cependant la figuration de l'hydropisie ne présentait pas des
difficultés particulières. Cette rareté tient sans doute à ce que, pour ren-
dre l'hydropisie bien évidente, il eut fallu mettre à nu l'abdomen des
malades; cette exhibition ne laissait pas de paraître choquante dans un
tableau religieux, et l'on sait que les maladies et les difformités ont été
représentées par les artistes d'autrefois presque exclusivement dans des
scènes religieuses.
Il n'est pas moins certain que les hydropiques figurent fréquemment
au nombre des miraculés dans les écrits des hagiographes. Et cela se
conçoit aisément.
D'abord, les Evangiles parlent de la « guérison de l'hydropique » par
Jésus-Christ. Et dans l'historiographie sacrée on s'est efforcé d'attribuer
aux Saints thaumaturges un pouvoir miraculeux identique à celui de
Jésus. Il s'agit toujours de la guérison de paralytiques, d'aveugles, de
muets, de lunatiques, etc., inspirées par la tradition évangélique; ce qui
s'explique d'ailleurs si l'on songe que des paralysies, des amauroses, des
mutités peuvent survenir subitement au cours d'une névrose, etguérir non
moins subitement sous l'influence d'une violente réaction psychique. Il en
est de même de certains épanchements liquides intra-abdominaux, comme
par exemple les hydronéphroses. 1
A vrai dire, on a bien souvent qualifié « d'hydropisie » la simple dis-
tension abdominale, et en particulier le tympanisme, voire même le tym-
panisme hystérique.
LES HYDROPIQUES DANS L'ART 497
Aussi dans les figurations d'hydropiques est-il prudent de n'admettre
qu'avec réserve le diagnostic d'hydropisie, si l'on entend par là un épan-
chement liquide siégeant dans le péritoine, ou toutes les variétés de tu-
meurs kystiques de l'abdomen. , t .
Ces réserves faites, nous signalerons quelques figurations d'hydro-
tiques dans les oeuvres d'art.
Parmi les plus anciennes figurations de l'hydropisie, il faut citer un
fragment d'un devant d'autel en ivoire de la cathédrale de Salerne (xie siè-
cle) qui a fait l\)bje(d'une intéressante étude de M. Jean Heitz, parue dans
ce recueil (1). :
On y voit « un homme barbu dont le gros ventre étalé retombant sur
les cuisses est la représentation exacte du « ventre de batracien » des asci-
tiques. Il s'agit de la guérison de l'hydropique. Nous pouvons même
noter un épaississement oedémateux notable des membres inférieurs ». -
A l'Académie des Beaux-Arts de Vienne, j'ai vu un tableau de l'Ecole
Vénitienne du xvie siècle intitulé : La guérison de l' Hydropique (n° 528).
A droite, le Christ debout, impose les mains à un malade assis sur une
pierre et soutenu par un homme. Ce malade relève son vêtement et
montre son ventre très tuméfié.
La peinture est de qualité médiocre et manque surtout de naturalisme ?
C'est cependant, à ma connaissance, un des très rares exemples de figue
ration de l'hydropisie dans l'art religieux; à ce titre, il mérite d'être
signalé. z
Dans le même musée, sous le n° 302, on peul voir une peinture 'de
l'Ecole Ferraraise de la deuxième moitié du xvie siècle représentant La
Piscine de Bethséda. Un grand nombre d'infirmes et de, malades se pres-
sent autour de la fontaine miraculeuse. Parmi eux, on reconnaît plusieurs
lépreux aux membres atrophiés, avec griffes et contractures. 'Et l'on voit
aussi un pauvre diable au ventre très ballonné, qui peut être considéré
comme un hydropique. Mais il ne faut pas songer à préciser davantage le
diagnostic. '
Tout le monde connaît l'admirable tableau de Gérard Dow; qui se'
trouve au Louvre, La femme hydropique. Il est à peiné' besoin de faire-
, . ,
(i) Jean HEITZ. Les' démoniaques et les malades dans l'art byzantin, Nouvelle ico-"
nographie de la Salpêtrière, 1901, p. 91, pl. VI. ? .
498 ' IIENI11 MEIGE"
ressortir-.1'exactitude-pàthologique de la pâleur et de la bouffissure du
visage.de lamalàde,' ainsi que de l'oedème de ses membres inférieurs.
L'hydropisie abdominale se devine à travers les vêtements et surtout par
la position écartée des cuisses (1). '
En dehors des oeuvres d'art proprement dites, on trouve aussi d'inté-
ressantes figurations d'hydropiques dans les frontispices et les gravures
des ouvrages de médecine et de chirurgie a partir du xve siècle.
; Une gravure de la fin du xvie siècle (2), au musée germanique de Nu-
remberg représente un hydropique auquel on vient de faire laparacen-
tèse. ' .
. Le patient est assis sur un fauteuil, son ventre gonflé mis à nu : il en
sort un jet de liquide qui tombe dans un baquet posé entre ses deux jam-
bes qui semblent considérablement oedématiées.
A sa gauche se tient debout un médecin de mise élégante qui lui tâte
le pou,ls.'A sa droite, un aide lient à la main l'instrument de la ponction.
La. scène se passe dans une officine ornée de quelques ustensiles'pro-
fessionnels. ' ..
On trouve dans les 02w·es cIdl'ul'gico-allatomiques de Paul Barbette(3),
une gravure représentant un homme hydrôpique,assis sur un fauteuil, de-
vant son lit, le ventre extrêmement distendu, les,cuisses gonflées d'oe-
dème. On vient d'enfoncer un trocart dans l'abdomen, et le liquide s'é-
coulé dans un bassin que tient un aide, à genoux près du patient.
Un médecin lui prodigue les encouragements et les bonnes paroles.
Au-dessus de l'image, sont figurés des canules et. des trocarts. 1
L'hydropisie a aussi prêté à la caricature.. '. , '
Nous reproduisons ici une gravure coloriée du xvutsi8clé (PI. LXI z
(1) J'ai eu l'occasion de voir, il y a une dizaine d'années chez un marchand de ta-
bleaux de Leyde, une peinture du XVIII. siècle représentant une opération chirurgicale
sur le ventre. La scène ' se passait dans un intérieur hollandais où un' homme était
assis sur une chaise, le torse nu jusqu'aux cuisses ; un aide maintenait les deux bras
du patient au-dessus de la tête. Un médecin en costume de l'époque faisait, un peu,
au-dessus du pli de l'aine, une incision- ou une ponction.
(2) Reproduit in II. PETEISS, Arzt und Ileillcunst in der deulschen Vergangenheit,
Liepzig, 1900, p. 90. - . .
(3) Pauli Barbette opéra chirurgico-anatomica ad circularem sanguinis molum, alia-
que recertlorum inventa, accoll1odata, Reproduit in th. LE MAOUET, Le monde. médical 1
parisien sous le grand roi. Paris, 1899. \ "
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIERE.
T. XVII PL, LXVI.
LES HYDROPIQUES DANS L'ART
(Henry Meige.)
MASSON ET CI-, Éditeurs.
DES HYDROPIQUES DANS L'ART -499
qui représente Arlequin hydropique. C'est une sorte pe programme illus-
tré d'une comédie de l'époque (1).
On sait que parmi les personnages de la comédie italienne qui furent
introduits en France vers la fin du xvie siècle, Arlequin devint rapidement
l'un des plus populaires. Sa verve, ses saillies, ses ruses, ses mille four-
beries prêtant' aux aventures les plus imprévues, en firent bientôt ! le favori
des comédiens et du public. Le nombre de pièces dont il est le héros est
presque incalculable : on assure que, depuis le commencement du xvle siè-
cle jusqu'à la fin du xvm% furent jouées plus de mille Arlequinades : Ar-
lequin sauvage, Arlequin misanthrope, Arlequin empereur, Arlequin franc-
maçon, Arlequin afficheur, Arlequin astrologue, Arlequin Protée, etc., etc.
Arlequin médecin ou Arlequin malade ne devaient pas manquer à cette
collection. Les facéties et les malices de ce joyeux bouffon ont dû s'exer-
cer plus d'une fois sur le dos de la médecine. '
Sur notre gravure, on voit Arlequin, assis sur un fauteuil, ayant dissi-
mulé à demi son costume multicolore sous un pourpoint blanc, et coiffé
d'un bonnet de malade. Naturellement il est masqué. Près de lui se tient
un médecin, tout de noir vêtu, muni d'un faux nez cramoisi, et coiffé
d'un large feutre noir ; il palpe le ventre du malade qui semble extraor-
dinairement tuméfié. Derrière ce groupe se tient un personnage armé
d'une seringue. La scène se passe dans une officine médico-pharmarceu-
tique, ornée de mortiers et de pots de pharmacie.
Sur la gravure même sont écrites deux légendes :
- « Arlequin se trouve à son visage, étant assis dessus sa chaise en contre-
faisant l'ydropique, pour au Docteur faire la nique. »
Au-dessous du troisième personnage, on lis
« Pierrot apportant un remède pour la guérison d'Arlequin par l'ordre
de M. le Docteur Balouard. »
Au-dessous de la gravure se trouve une longue légende. C'est un dia-
logue entre le Docteur et Arlequin, à l'occasion de sa maladie. Le voici :
LE Docteur. Combien y a-t-il de temps que vous êtes. malade ?
ARLEQUIN. - Par ma foy, je n'en sais rien.
LE DOCTEUR. - Dormez-vous un peu bien la nuit ? .
AxLEQUiN. Pas trop, je ne dors que vingt-quatre heures et le tout
sans manger, et c'est ce qui me fait le plus enrager.
. LE Docteur. Lorsqu'on vous louche un peu le ventre ne sentez-
vous pas que cela raisonne comme un tambour ?
- Arlequin. Ouy, Monsieur, quand on me touche sur le ventre cela
(t) HENRY MEIGE, Deux Arlequinades en images. Communication à la Société. d'his
toire de la médecine, France médicale, 25 avril 1903.
,500 ' HENRI MEIGE
- raisonne par devant comme un tambour et par derrière comme une trom-
pette. ' " j' j 3
' LE Docteur. Mangez-vous bien à vos repas ?
Arlequin. Là, là, je mange à diner un grand bassin de soupe avec
un Chapon, dessus un Gigot de mouton et.un Aloyau. Vous scavez qu'un
malade comme moy fait tout ce qu'il peut pour seragouter et je me force
un peu... . '
LE Docteur - Vous buvez du vin à vos repas ? .
Arlequin. - Non, Monsieur. L'on me l'a bien défendu ; il est trop
fort pour moy et je ne bois plus que de l'eau-de-vie pure.
. LE Docteur. Avez-vous consulté quelqu'un ? :
Arlequin. J'ay veu deux de mes amis qui sont Médecins, qui, après
avoir craché cinq ou six mots de latin, ils m'ont dit que le Printemps avait
été fort pluvieux, qu'il faloit que je me fut endormi sous une goutière la
bouche ouverte et qu'il faloit que j'aille dans un bateau du Port pour me
faire pomper le ventre. 1
Le Docteur. Mais, mon ami, dites-moi, allez-vous souvent au bas-
sin ? estes-vous un peu libre du ventre ? ·
Arlequin. Pas trop, pas trop, car pour le moins je ne fais celle
fonction que sept ou huit fois par jour, mais j'emplis le pot à chaque
fois.
LE Docteur. Allez ! vous vous mocquez de moi 1 ..
Inutile d'insister sur ces plaisanteries dont le sel nous parait aujour-
d'hui bien gros et dont l'intérêt médical est fort secondaire. Arlequin s'y
fait connaître avec son défaut caractéristique : la gourmandise. C'est ainsi
du moins qu'il était toujours représenté dans la comédie italienne, -et
c'est ainsi également qu'il est passé, dit-on, dans la comédie allemande,1
où on a voulu le reconnaître dans le personnage de Ilanswurst. Les co-
médiens français, surtout le délicat Florian, ont considérablement atténué
ce défaut.
Arlequin se montre aussi ivrogne selon la tradition : « On dit, s'écrie-
l-il dans une Arlequinade, qu'un verre de vin donne de la force ; en voilà
plus de quarante que je bois, et je ne peux pas me tenir sur mes jambes.. )
Le docteur Balouard représenté sur cette gravure n'est pas trop mé-
chamment ridiculisé. Son interrogatoire est même très sage ; on voit qu'il
connaît l'hydropisie timpanite, dans laquelle « le ventre est tendu comme
un tambour, et lorsqu'on frappe dessus, il s'y fait un son comme qui bat-
trait un tambour «.Usait aussi l'importance du régime alimentaire. Il ne
tarde guère d'ailleurs à s'apercevoir qu'Arlequin se moque de lui.
DES HYDROPIQUES DANS L'ART SOI
Arlequin lui-même donne à entendre qu'il connaît les ponctions abdo-
minales, en usage depuis déjà longtemps (1).
(1) A propos d'Arlequin et de ses attaches avec la médecine, signalons une gravure
du commencement du xix, siècle où ce fourbe traditionnel apparaît perché sur un
carrosse, au milieu d'une place publique, accompagné de musiciens grotesques et en-
touré d'une foule de'badauds.
Il vante un spécifique contre l'asthénie, maladie alors fort à la mode.
Voici la légende de cette gravure :
ARLEQUIN
Air DE l'asthénie.
Vos bains froids, moyen très petit,
Recette vulgaire et banale 1
Il faut, pour lui rendre l'esprit,
Une chose plus glaciale. '
Mon moyen est sûr et savant,
Mettez-le de suite en pratique :
Lisez-lui, sans perdre un instant, ·
Tout un discours académique.
Plaisanterie anodine et bien surannée aujourd'hui, mais qui, peut-être à cette épo-
que, semblait audacieuse et très comique.
Retenons seulement l'usage qu'on faisait des bains froids contre l'asthénie. Un siè-
clé s'est écoulé, l'asthénie est devenue la neurasthénie ; les bains froids ont été rem-
placés par les douches tièdes. Asthéniques ou neurasthéniques ne s'en portent ni
mieux ni plus mal.
TABLE DES MATIÈRES
Achondroplasie (1 pl.), par DIDE et Lt : BOR-
GNB. 200.
Aveugle guéri d'après une tapisserie fla-
mande, du XVI0 siècle (1 pl.), par
A. Marie, 493.
Cellules nerveuses des tubercules quadri-
jumeaux antérieurs et postérieurs chez
les vertébrés supérieurs (Sur l'aspect
extérieur des dendriles des) (6 fig.), par
CZARNBICKI, 100.
Concrétions calcaires dans le cerveau,
(1 pi.), par CATOLA, 355.
Cordons postérieurs (Contribution à l'étude
anatomique des). Un cas de lésion de la
queue de cheval el un cas de tabes inci-
piens (3 pl., 16 grav.), parNAGEOTTE, 17.
Cyphose d'origine articulaire ou 1111lSCU-
laire (2 pl.), par BRissAUD et GRENET, 85.
Déformations rachidiennes : 1" sciatique
avec cyphose et scoliose homologue ;
guérison et redressement complet ; 2» trois
cas de spondylose rhumatismale anky-
losante (4 pl.), par Forestier, 88.
Déformation singulière et symétrique des
avant-bras et des mains; résection or-
thopédique ; guérison (3 pl ? par A.
CANGE, 283.
Dégénérescence chez l'animal, en particu-
lier le cheval (Des stigmates physiques
psychologiques et psychiques de la),étude
clinique, par Run>;R et CIIOMEL, 471.
Démence précoce catatonique avec pseudo-
oedème compliqué de purpura (2 pl.),
par L. Trepsat, 193.
Dentiste, tableau d'ANDRÉA. Cefaly (i pi.),
par LI3VI-BIANCHINI, 490.
Ergothérapie et psychothérapie, par Marco
LÉVI-BIANCHI1\"I, 136.
Ganglion rachidien chez les tabétiques.
(les altérations du) (2 pl., 4 dessins), par
A. Thomas et G. Hausser, 207.
Gigantisme (type infantile du) (2 pl.), par
E. BRISSAUD et HENRY MEIGE, 165.
Gilles de la Tourette, 265.
Hématomyélie traumatique (9 fig.), par
Laignel-Lavastine, 240.
Hémioedèmes chez les hémiplégiques (2 pl.),
par LoePBR et CRouzox, 181.
Hérédo-ataxie cérébelleuse (sur l'anatomie
pathologique d'une forme) (8 dessins),
par A. RYDEL, 289.
Hydropiques dans l'Art (1 pl.), par HENRY
MEIGE, 496.
Lecture de la parole et de l'écriture chez les
paralytiques généraux (des troubles de la)
(10 fig.), par A. JoFFROY, 409.
Maladie de Friedreich avec autopsie (1 pl, ),
par Pic et BoNNAmoua, 126.
Maladie de Parkinson (4 pl.), par F. RAY-
MOND, 1.
Myopathie avec rétractions ; examen analo-
mique (1 pl., 1 fig.), par CESTaN et LE-
joNNE, 343.
Myotonie avec atrophie musculaire (2 pl.),
par LAN\OIS, 450.
b9yxoedème fruste, croissance tardive, dia-
bète (1 pl.), par E. APERT, 175.
504
TABLE DES matières
Nerf optique dans l'amaurose tabétique,
(3 pl., 3 photogr.), par A. Léri, 358.
Neu1'O-fib)'omatose généralisée (2 pl.), par
F. RUDLER, 203.
Paralysie myasthénique (1 photogr.), par
J. DE LÉON, 269.
Paralysie des nerfs crâniens d'un côté et
déformations osseuses multiples d'ori-
gine probablement laérédo-syphilitique
tardive (1 phot., 2 pl.), par Rose, 277.
Pied chez les paralytiques généraux (notes
sur l'aplatissement du) (2 fig.), parCH.
Féré, 79.
Poliomyélite antérieure aiguë de l'adulte
avec lésions médullaires en foyers (4 pl.)
par A. Léri et S. A. K. Wilson, 433.
Possédés et malades dans l'arl byzantin
(1 pl.), par J. HEITZ, 159.
Procession dansante d'Echtel'nach (3 pl.),
par Henry 111EicE, 248, 322.
Réflexes plantaires à l'état normal et dans
quelques affections spasmodiques du
système pyramydal (étude graphique)
(9 fig.), par H. VERGER et J. ABADIE, 67.
Rétine dans l'amaurose tabélique (1 pl.),
par A. LÉRI, 304.
Scléroses combinées tabétiques (Anatomie
pathologique) (2 pi.. 11 fig.), par Czeou-
zon, 52.
Spasme bilatéral des muscles du cou et
de la face (2 phot.), par GAUSSEL, 337.
Syphilis dans l'art (1 pl.), par Laignel-
LAVASTINE, 83.
Syringomyélie (Histologie pathologique et
pathogénie de la) (4 pl., 12 fig.), par
A. Thomas et G. Hauser, 376.
Tableaux de l'exposition des primitifs
français (2 pl.), par J. Genévrier, 405.
Travaux manuels des aliénés (Une tenta-
tive d'analyse psychologique des) (5 fig.),
par N. TOPORICOFF, 311.
Trophoedème (1 pl.), par PAUL Sainton et
Rogner Voisin, 189.
Tumeur cérébrale à forme psycho-paraly-
lique (7 fig.), par ED. Cornu, 107.
Ulcérations trophiques chez deux déments
catatoniques (1 pl.), par Trepsat, 465.
Vaso-moteurs chez une hystérique (Trou-
bles (3 fig.), par Genévrier, 459.
TABLE DES AUTEURS
Ai3ADiE et H. VERGER. Etude graphique
des réflexes plantaires à l'état normal et
dans quelques affections spasmodiques
du système pyramidal (9 figures), 67,
ArERT. Myxoedème fruste, croissance tar-
dive, diabète (1 planche), 175.
Bianchini. Le dentiste, tableau d'Andréa
Cefaly (1 planche), 490.
Bianchini (M. Lizvi). Ergothérapie et psy-
chothérapie, 136.
Bonnamour et Pic. Un cas de maladie de
Friedreich avec autopsie (1 planche), 186.
Brissaud et GMNFT. Un cas de cyphose
d'origine articulaire ou musculaire
(2 planches), 85.
Brissaud et Henry NEIGE. Type infantile
du gigantisme (2 planches), 165.
Cange. Déformation singulière et symétri-
que des avant-bras et des mains ; résec-
tion orthopédique; guérison (3 pl. en
photocoll.), 283.
CESTAN et Lbjonne. Un cas de myopathie
avec rétractions ; examen anatomique
(1 planche, 1 fig.), 343.
CATOLA. Note sur les concrétions calcaires
dans le cerveau (1 planche), 354.
CHOdInL et RUDLER. Des stigmates physi-
ques, physiologiques et psychiques de la
dégénérescence chez l'animal, en parti-
culier chez le cheval ; étude clinique,471.
Cornu. Un cas de tumeur cérébrale à
forme psycho-paralytique (7 figures), 106.
CRouzoN. Anatomie pathologique des sclé-
roses combinées tabétiques (2 p1.,41 fig,),
52.
CROuzoN et LoePEn. Contribution à l'étude
des hémioedèmes chez les hémiplégiques
(2 planches), 181.
CzAnNiEcKi. Sur l'aspect extérieur des
dendrites des cellules nerveuses des tu-
bercules quadrijumeaux antérieurs et
postérieurs chez les vertébrés supérieurs
(6 figures), 100.
DiDE et LEBORGNE. Nouveau cas d'achon-
droplasie (1 planche), 200.
GAUSSHL, Spasme bilatéral de la face et du
cou (2 planches), 337.
Genévrier. Troubles vaso-moteurs chez
une hystérique (3 figures), 459.
Genévrier. Sur deux tableaux de l'expo-
sition des primitifs français (2 planches),
405.
GRHNHT et BnissAuD. Un cas de cyphose
d'origine articulaire ou musculaire
(2 planches), 85.
Féré. L'aplatissement hypotonique du pied
chez les paralytiques généraux (2 fig.),
79.
Forestier. Déformations rachidiennes :
1 Sciatique avec cyphose et scoliose
homologue ; guérison et redressement
complet. 2 Trois cas de spondylose
rhumatismale ankylosante (4 planches),
88.
HAusER et A. Thomas. Les altérations du
ganglion rachidien chez les tabétiques
(2 pl., 4 dessins), 207.
HAusER et A. Thomas. Histologie patho-
logique et pathogénie de la syringomyé-
lie (4 pl., 12 fig.), 376.
I-IBITZ. Nouveaux documents sur les possé-
dés et les malades dans l'art byzantin
(1 planche), 159.
JoFFnor. Des troubles de la lecture, de la
parole et de l'écriture chez les paralyti-
ques généraux (20 fig.), 409.
LAIG\EL-LAVASTINB. Hématomyélie trau-
matique (9 figures), 240.
LAiGNEL-LAVASTINE. La syphilis dans l'Art
(1 planche), 83.
LANNOIS. Myotonie avec atrophie muscu-
laire (2 planches), 450.
506
TABLE DES AUTEURS
LEBORGNH et DIDE, Nouveau cas d'achon-
droplasie (1 planche), 200.
Lejonne etCESTAN. Un cas de myopathie
avec rétractions ; examen anatomique
(1 planche, 1 fig.), 343.
de LHO11 (.TACIiVTO). Contribution à l'étude
de la paralysie myasthénique (1 phot.),
269.
Léri. Etude sur la rétine dans l'amaurose
tabétique (1 planche), 304.
Léri. Etude sur le- nerf optique dans l'a-
maurose tabétique (3 planches, 3 pho-
togravures), 358.
Léri et S. A. K. WiLSOrr. Un cas de po-
liomyélite antérieure aiguë de l'adulte
avec lésions médullaires en foyers
(4 planches), 433.
LOEPER et Caouzorr. Contribution à l'étude
des hémioedèmes chez les hémiplégi-
ques (2 planches), 181.
Marie A. Le miracle de l'aveugle guéri
d'après une tapisserie flamande du
xvie siècle (1 planche), 493.
MEIGE (Henry). La Procession dansante
d'Echternach (6 planches), 248, 322.
MEIGE (Henry) et BRISSAUD. Type infan-
tile du gigantisme (1 'planche), 165.
MECGE (Henry). Les hydropiques dans
l'art (1 planche), 496.
Nageotte. Contribution à l'étude anato- '.
mique des cordons postérieurs (Un cas
de lésion de la queue de cheval et un
cas de tabès incipiens (3 planches,16 figu-
res), 17.
Pic et Boarrwoouft. Un cas de maladie de
Friedreich avec autopsie (1 planche), 126.
RAYMOND. La maladie de Parkinson (4 plan-
' ches), 1.
RosE. Paralysie des nerfs craniens d'un
côté et de formations osseuses multiples
probablement d'origine hérédo-syphiliti-
que tardive (1 photogr., 2 pl.), 271.
RUDLER. Un cas de neuro-fibromatose
généralisée (2 planches), 203.
RUDLER et C. CHOMEL. Des stigmates phy-
siques, physiologiques et psychiques de
la dégénérescence chez l'animal, en par-
ticulier chez le cheval ; étude clinique,
471.
RYDRL. Sur l'anatomie pathologique d'une
forme d'hérédo-ataxie cérébelleuse (8 des-
sins), 289.
SANTON et ROG13R Voisin. Contribution à
l'étude du trophoedème (1 planche), 189.
Thomas et G. HAUSER. Les altérations du
ganglion rachidien chez les tabétiques
(2 planches, 4 dessins), 207.
Thomas et G. HAusrn. Histologie patho-
logique et pathogénie de la syringomyé-
lie (4 planches, 12 fig.), 376.
ToponKOFI ? Une tentative d'analyse psy-
chologique des travaux manuels des alié-
nés (5 figures), 311.
Trepsat. Un cas de démence précoce
catatonique avec pseudo-oedème com-
pliqué de purpura (2 planches), 193.
Trepsat. Ulcérations trophiques chez deux
, déments catatoniques (1 planche), 465.
Verger et S, ABASIE. Etude graphique
des réflexes plantaires à l'état normal et
dans quelques affections spasmodiques
du système pyramidal (9 figures), 67.
Voisin ROGL'A et SA11TOY. Contribution à
l'étude du trophoedème (1 planche), 189.
WILSON ET Léri. Un cas de poliomyélite
antérieure aiguë de l'adulte avec lésions
médullaires en foyer (3 planches, 432.
TABLE DES PLANCHES
Achondroplasie (DIDE et Lssoxcns),
XXVIII.
Aveugle guéri (Le miracle de l') (A. MA-
rie), LXV.
Concrétions calcaires dans le cerveau (CA-
TOLA), XLIV.
Cordons postérieurs, étude anatomique (J.
NAGEOTTE), V, VI, VII.
Cyphose d'origine articulaire ou muscu-
laire (BRISSAUD et GnsasT), XI, XII.
Cyphose des vieillards (Brissaud et GnENET),
XIII.
Danse de Saint-Guy (Henry MEtcs),XLVI.
Demende précoce catatonique : pseudo-
oedème et purpura (L. TREPSAT), XXVI.
Démence précoce catatonique dermogra-
phisme (L. TasrsAT), XXVII.
Dentiste, tableau d'Andréa Céfaly (M.Lévi-
]31ANciii,Ni), LXIV.
Ganglion rachidien dans le tabes (Thomas
et Hauser), XXXI, XXXII.
Gilles de la Tourette, XXXVII.
Gigantisme, type infantile (E. Bsrsswun et
Henry MEIGE), XX, XXI.
IIemioedèmes chez les hemiplégiques (Loe-
PER et Crouzon), XXIII, XXIV.
Hydropiqne(Arlequin)(HssnxMsGS),LXVI.
Maladie de Friedreich (Pic et BONNAMoun),
XVIII.
Maladie de Parkinson (F. BA\r0\D), I, II,
III, IV.
Malformations osseuses (Rose), XXXVIII,
XXXIX.
Malformations osseuses (A. Cange), XL,
XLI, XLII.
Myotonie avec atrophie musculaire (LA-
nos), LXI, LXII.
Myxoedème fruste, croissance tardive,dia-
bète (ApExT), XXII.
Nerf optique dans l'amaurose tabétique
(A. Léri), L, LI, LU.
Neurofibromatose (F. RUDLSIt), XXIX,
XXX.
Poliomyélite antérieure aiguë de l'adulte
avec lésions médullaires en foyer (A.
Léri et S. A. K. WILSON), LXIII, LIX,
LIX bis, LX.
Procession dansante d'Echternach (Henry
MEIGE), XXXIII à XXXVI.
Procession dansante d'Echternach.Tableau
de A. Stevens (Henry Meigb), XLIV.
Procession dansante à Muelebebeeck ;
Dessin de Pierre Bruege)-te-Vieux (Henry
MEIGE), XLV.
Possédés et malades dans l'Art Byzantin
(J. HEITZ), XIX.
Primitifs français, Ecole de Provence (J
Genévrier), LVII.
Primitifs français ; portrait d'homme par
Jean Fouquet (J. Genévrier), LVI.
Rétine dans l'amaurose tabétique (A.LEm),
XLIII.
Sciatique avec cypho-scoliose (H. Fores-
Tien), XIV.
Scléroses combinées (O. CaouzoN), VIII,
IX.
Spasme bilatéral des muscles du cou et
de la face (GAUSSEI.), XLVII.
Spondylose rhumatismale (H. FORESTIER),
XV, XVI, XVII.
Syphilis dans l'art (LAtGEL-LAVASTi.'OE),
X.
Syringomyélie.Histologie (Thomas et HAu-
'sEn). LUI, LIV, LV, LVI.
Trophoedème du membre inférieur droit
(P. SwcvTO.r et R. Voisin), XXV.
Ulcérations trophiques chez deux démentes
catatoniques (TRBISAT), LXIII.
Le gérant : P. BoUCaEZ.
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).