(1903) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 16]
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(1903) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 16]

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

TOME XVI

Avec 20 figures intercalées dans le texte et LXXII planches hors texte

1903

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

. DE LA

SALPÊTRIÈRE

FONDÉE par J. M. CHARCOT

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE

F. RAYMOND

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES

DU SYSTÈME NERVEUX

A. JOFFROY

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES MENTALES

A. FOURNIER

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES CUTANÉES ET

SYPHILITIQUES

PAR

PAUL RICHER

MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE

PROFESSEUR d'ANATOMIE A L'ÉCOLE

DES BEAUX-ARTS

GILLES DE la TOURETTE

PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ

DE MÉDECINE

' MÉDECIN DES HÔPITAUX

ALBERT LONDE

DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE

Avec la collaboration de MM.

ACHARD, BABINSKI, BALLET, BOGROFF (Odessa), BOIX, P. BONNIER, BOTTEY, BRISSAUD,

CABANNES (Boideaux) CATHELINEAU, CESTAN, J.-B. CHARCOT, CHIPAULT, DEJERINE,

DELPRAT (Amsterdam), DENY, DUFOUR, E.DUPRÉ, DURANTE,DURET, DUTIL(Nice),EMIRZÉ

(Smyrne),ESTEVES(Buenos-Ayres), ÉTIENNE (Nancy),FEINDEL, FÉRÉ, E. FOURNIER, GASNE,

GRASSET(htoatpellier),G.GUINON,HALLION,HAUSHALTER(Nancy), HERTOGHE (Anvers),HUDO-

VERNIG (Budapest), HUET, P.JANET, KATICHEFF (St-Pétersbonrg),LADAME (Genève), H.LAMY,

, LANNELONGUE,LANNOIS (Lyon),LAUFENAUER (Buda-Pesth),LAUNOIS,LE DENTU, M.LEMOS

(Porto), L. LÉVI,P. LONDE, LUCO ORREGO (Santiago, Chili), p. MARIE,MARINESCO (Bncharest),

DE MASSARY, H. MEUNIER, MICHAILOWSKI (Sofia), MOCZUTKOVSKY (St-Pétersbourg), VON

MONAKOW (Zurich), NAGEOTTE, NOGUÈS (Toulouse), PARINAUD, PARMENTIER, PITRES

(Bordeaux), RAMADIER, A. RICHE, RÉVILLIOD (Genève), A. ROBIN, ROSSOLIMO (Moscou), SA-

BRAZÈS (Bordeaux), SAINTON, T. D. SAVILL (Londres), SCHAFFER (Buda-Pesth), SEGLAS,SÉ-

RIEUX, SICARD, SIKORSKY (Kiew), SPILLMANN (Nancy), SOCA (Montevideo), SOLOVTZOFF.

SOUKHANOFF (Moscou),SOUQUES, SURMONT, TARGOWLA, THOMAS, TRÉNEL, TUFFIER,

WEIL, etc.

Rédaction

HENRY MEIGE

PARIS

MASSON ET ce, Éditeurs

libraires DE l'académie DE MÉDECINE

120, Boulevard Saint-Germain (6e)

1903

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE MÉDICALE .DE GENÈVE

(Professeur L. Bard).

L'ACROCYANOSE CHRONIQUE HYPERTROPHIANTE

PAR

M. PÉHTJ,

Ancien interne des hôpitaux de Lyon.

Le domaine de la pathologie des extrémités, « l'acropathologie » est

aujourd'hui assez bien limité. Les affections qui y sont comprises représen-

tent un certain nombre de types* tranchés ; la maladie décrite par M. Ray-

naud, l'ostéoarthropathie hypertrophiante pneumonique de P. Marie ,

l'acroparesthésie de Schultze en sont des exemples. La caractéristique de

chacune de ces espèces est tirée de la localisation topographique et de la

prédominance de tel ou tel trouble, sensitif, vasomoteur ou trophique.

Grâce à ces éléments de différenciation, il est le plus souvent possible

d'établir un diagnostic séparatif. Néanmoins, là comme ailleurs, il existe

des formes complexes qu'il est malaisé de placer dans tel ou tel cadre

défini.

C'est ainsi par exemple qu'à côté de la maladie de Raynaud bien carac-

térisée que constitue la triade : asphyxie d'abord, puis syncope, enfin gan-

grène des extrémités, on trouve dans la littérature médicale des cas qu'il

est malaisé de définir au point de vue nosologique, véritables hybrides

dont la complexité est en apparence extrême.

XVI 1

2 PÉHU

Jusqu'à ces dernières années, quelques observations en ont été publiées

sous des épithètes disparates. Constatés cliniquement, ces faits n'étaient

pas classifiés.

Un auteur allemand, M. Cassirer, dans une monographie très complète

sur les « névroses vasomotrices et trophiques » (1),a entrepris de catégo-

riser ces différents cas. Et, dans un chapitre annexé à celui qu'il consacre

à la maladie de Raynaud, il établit que, à côté du syndrome, il existe un

certain nombre d'affections dans lesquelles prédomine le symptôme : as-

phyxie. Mais contrairement à ce qui se passe dans l'affection décrite par

Raynaud, cette asphyxie est constante : elle se développe avec un caractère

de progressivité à peu près absolu : jamais il n'y a d'accès comme dans le

syndrome de Raynaud.

A cette asphyxie, symptôme capital, s'ajoutent des phénomènes contin-

gents, d'ordre sensitif ou trophique. Si c'est la nutrition qui est intéres-

sée, on observe parfois de l'atrophie, parfois de l'hypertrophie,au contraire.

En sorte que l'on peut, à côté de la maladie de Raynaud, distinguer trois

grandes classes d'asphyxie chronique :

1° Celle avec prédominance des troubles sensitifs. C'est l'acro-cyanose

chronique ci forme sensitive ;

2° La modalité avec atrophie : acrocyanose et formeatrophique.M. Cassirer

en rapporte quelques exemples empruntés à Lassar (2), à Schutz (3). On

peut, encore citer sur ce point un travail tout récent d'Herscheimer et

Hartmann (4) qui appellent la maladie : acrodermatite chronique atro-

phiante. Quelques particularités ne sont point identiques aux faits précé-

dents. Néanmoins l'affection est d'une similitude assez grande, dans ses

éléments principaux pour qu'on puisse tenter un rapprochement légitime;

3° L'acrocyanose avec augmentation de volume des parties molles, sans

que le squelette intervienne dans cette modification, ainsi qu'en témoi-

gnent les épreuves radiographiques.

Pendant un séjour de quelques semaines fait à la clinique de M. le

professeur Bard, j'ai pu suivre un cas qui nous a paru, de toute évidence

appartenir à cette dernière variété des asphyxies chroniques intéressant

les extrémités.

A cette occasion, j'ai réuni dans le présent travail, avec l'observation dé-

taillée du malade. les faits semblables qui existent dans la littérature

médicale et que M. Cassirer a mentionnés dans sa monographie.

l f ) Cnssmsn, Die wsomoloriscli-lrophischen Seurosen, Berlin, 1901, éditeur : Kaiser.

(2) LASSAI%, Deutsche med. Wochenschr., 1894, n° 22.

(3) SCIIUTZ, Dermatolog. Zeitschr., 1899.

(4) HEnSCHEIMER et Hartmann, Arch. f. Dermatologie und Syphilis, Band. LXI,

L Ileft, 1902.

l'acrocyanose chronique IIYPERTROPIIIANTE 3

Avec ces documents, j'ai entrepris de tracer la physionomie d'ensemble

de celle affection à laquelle me semble convenir le nom d'acro-cyanose

chronique hypertrophiante (1).

Les observations antérieurement publiées sont les suivantes, réduites à

leurs éléments essentiels. Je les cite dans leur ordre chronologique :

Cas N° 1. KAposi (in Cassirer).Chez une femme exerçant la profession de

veilleuse, l'affection était caractérisée par l'augmentation de volume des extré-

mités, la coloration asphyxique de la peau, avec participation de la face et

prédominance des phénomènes de cyanose pendant l'hiver.

Les détails plus complets manquent sur ce cas, qui est emprunté à la clini-

que de Kaposi.

Cas N° 2. SouzA-LEITE (2), femme, 44 ans. Depuis plusieurs années,

augmentation de volume de la main et des doigts, avec coloration rouge vio-

lacé. Douleurs intermittentes. Un peu d'insensibilité au toucher. Les doigts

sont beaucoup plus étroits à leur extrémité qu'à leurs épiphyses. Il existe de

la dysesthésie cutanée au niveau de la dernière jointure. Le sens musculaire

est affaibli. Cyphose dorsale légère. Mâchoires et face normales.

M. Souza-Leite cite ce cas comme ayant été classés à tort dans l'acromé-

galie. Il diffère de cette dernière en ce qu'il ne présente aucune modifi-

cation de la face, et particulièrement des maxillaires; pour lui, il s'agit

plutôt d'érythrométalgie.

Cas N° 3. Souques et GASNE (3). Homme, 23 ans, maçon. Père alcoolique,

mère nerveuse. A 21 ans, vient à Paris après avoir toussé tout l'hiver ; entre

en février 1890 à l'hôpital Cocbim on constate une pleurésie droite et on lui

applique plusieurs vésicatoires. Réformé du service militaire.

Alcoolique. Signes d'hystérie ; hémianesthésie droite, céphalalgie, vertiges.

La face est légèrement asymétrique. Nez un peu cyanosé. Oreille normale

avec lobule adhérent, dents saines. Voûte palatine bien conformée.

Volume de la langue normal, en somme, dans la tête, aucune des modifica-

tions de l'acromégalie.

Thorax : scoliose dorsale antérieure ( ? ) à la pleurésie.

(1) J'adresse ici mes vifs remerciements à M. le professeur Bard pour les obligeants

conseils qu'il n'a cessé de me donner dans ce travail. Je suis aussi fort reconnaissant

à M. G. Humbert, interne de la clinique, qui m'a fourni les détails de l'observation

et m'a aidé dans mes recherches avec la plus entière complaisance.

(2) Souza-Leite, De l'acromégalie, Paris, 1890.

(3) Souques et GASNE, Un cas d'hypertrophie des mains et des pieds avec troubles

vasomoteurs des extrémités chez un hystérique (Nouv. Iconog. de la Salpétrière, 1892,

p. 281).

4 poilu

Les mains sont très grandes et très larges, mais régulièrement conformées :

l'augmentation de volume porte également sur la portion métacarpienne et sur

les doigts. La largeur des doigts est en harmonie avec leur longueur.

Pas de déformation des ongles. A l'état normal, leur coloration est rose pâle

comme chez les sujets sains ; mais sous l'influence du froid, de la position dé-

clive et peut-être aussi de la simple émotion, elle devient successivement

bleuâtre, violette, ardoisée. Cette teinte cyanotique très intense remonte jusqu'à

trois travers de doigts au-dessus du poignet ; elle envahit à la fois toute la main

sans qu'on puisse remarquer si elle commence par un doigt plutôt que par un

autre; la pression la fait disparaître, mais la coloration revient presque aussitôt

que la pression cesse, au contraire de ce qu'on voit dans la maladie de Raynaud.

Jamais celle teinte n'a été précédée de syncope locale avec décoloration

complète des téguments. En même temps, on constate un abaissement notable

de la température locale ; cet abaissement, facilement perceptible au toucher,

mesuré au thermomètre, donne 29°6 (pour une température extérieure de 19°).

Les symptômes subjectifs consistent en crampes, fourmillements. Douleurs

paroxystiques avec sensations de brûlure et d'élancement, forçant le malade

à lâcher les objets.... ,.

Dynamomètre : 14. Il n'y a pas actuellement de troubles trophiques, mais il

y a deux ans, sur les doigts, sont survenues des ulcérations précédées de phlyc-

tènes dont il est difficile de déterminer le siège et la nature, faute de renseigne-

ments précis.

Les pieds sont grands et gros ; troubles vasomoteurs envahissant seulement

les orteils et la plante du pied. Les pieds sont douloureux. Le port de la chaus-

sure est pénible. Réflexes tendineux normaux, égaux. Réflexes cutanés con-

servés.

Etat général satisfaisant, à part bronchite légère. Viscères sains. Coeur nor-

mal. Corps thyroïde, organes génitaux : rien de spécial à signaler.'

Pas de troubles psychiques, mais l'intelligence est au-dessous de la moyenne.

MM. Souques et Gasne sont indécis pour mettre une étiquette sur la

présente observation. Leur hésitation est fort admissible, car nous ne sa-

vions nous-même où ranger le cas de notre malade avant la lecture du

mémoire de Cassirer. Or, le fait de MM. Souques et Gasne est à peu près

calqué sur le nôtre, comme je le montrerai bientôt.

Cas No 4. - MEYER (1), femme 32ans,jardinière. Antécédents syphilitiques

(syphilis conjugale), en 1887, les mains commencent à enfler. Depuis deux ans,

gonflement du visage. Dermites récidivantes avec petits abcès des doigts :

la malade disait que ces abcès venaient à la suite de piqûres qu'elle se faisait

en cueillant des roses. En 1893, vue par le Dr Meyer qui constate : du gonfle-

ment de la main et une augmentation considérable du volume des jambes et

(1) Meyer, Sur un gonflement éléphantiasique des deux jambes avec troubles vaso-

moteurs d'allure particulière aux mains et aux pieds (Deutsche med. Vochenschr.

1894, p. 519).

L'ACROCYANOSE CHRONIQUE HYPERTROPIIIANTE 5

des pieds. Aux membres inférieurs, la peau était tendue ; la pression n'y déter-

minait aucun godet. Signes d'hystérie.

La malade présentant une métrite, on lui fait un curetage. Psychose consé-

cutive pendant quelques semaines. Puis surviennent des phénomènes vaso-

moteurs aux extrémités : les orteils, les pieds et les jambes sont le siège d'une

coloration livide et froids au toucher. Mêmes constatations aux mains. Pendant

l'examen, une coloration rouge franc apparaît aux membres inférieurs : cette

coloration est intermittente. Aux membres supérieurs, la teinte est d'un bleu

accusé. Partout sensibilité conservée aux différents modes. Les parties molles

apparaissaient un peu modifiées, boursoufflées, sans oedème, squelette normal.

Au visage, mêmes phénomènes. Accès de migraine. La malade n'a pas été

suivie.

A la vérité, l'auteur ne peut classifier exactement ce cas. Il lui semble

qu'il appartient à la fois, à la maladie de Raynaud, à t'erythrométatgie, la

maladie de Morvan, au myxoedëme, à l'hystérie. Il est bien possible éga-

lement que la syphilis ait joué un rôle dans la genèse des phénomènes

vasomoteurs en provoquant des [oblitérations ;vasculaires dans le 'réseau

artériel ou lymphatique, plus ou moins prononcées. En fait, cette obser-

vation me parait constituer un exemple caractéristique de l'acrocyanose

chronique avec hypertrophie concomitante.

Cas N° 5. HOFFMANN (1), femme 23 ans. Depuis l'âge de 6 ans, remarque

que, pendant l'hiver, ses mains sont cyaniques et augmentent de volume, tan-

dis que pendant l'été, elles diminuent. Au bout de quelques années, coloration

persistante. Fourmillements, picotements dans les extrémités. Les pieds sont

le siège de semblables phénomènes. Hypertrophie des parties molles, mais sans

participation du squletette. Coloration cyanique légère des lèvres. Pas de cyphose

appréciable. Maxillaire normal.

Ce cas est cité seulement au point de vue du diagnostic différentiel de

ces états avec l'acromégalie.

Cas n° 6. Bottiger (2), jeune homme 21 ans. Dans l'automne de 1897

se plaint de ressentir des fourmillements, des sensations de froid et de doigts

morts, plus accentués aux mains qu'aux pieds. Ces parties sont d'un bleu som-

bre jusqu'au noir bleu, et froides insensibles aux excitations thermiques. Peu-

dant l'hiver 1S9S-96, ces phénomènes augmentent, ainsi que les sensations

désagréables, sans que des douleurs à proprement parler se déclarent. La

température froide est particulièrement mal supportée. La coloration d'abord

intermittente devient ensuite permanente.

(1) HOFFMANN, Beoaerlcungen zu einem Fall. v. Akromegalie (Deutsche med. Wo-

chenschr., 1895, p. 383).

z 2) BOTTIGER, Ein Fall v. Akromegalie compliciert durch Erscheinungen der Ray-

naud'schen (Kmnl,lte.i1" Munch. med. Woch" 11 déc. 1899).

6 PÉHU

Au moment de l'examen, le malade se plaint de paresthésie aux mains. Pas

de céphalées. Circonférence de la tête 58-2. Nez augmenté de volume. Maxil-

laires normaux. Le thymus n'est pas appréciable. Les doigts et les mains sont t

jusqu'à deux ou trois centimètres au-dessus du poignet d'un bleu noirâtre : il

y a seulemeut des taches d'un rouge brique; la limite est franchement circu-

laire. Les mains sont froides et humides, fortement épaissies, mais les rayons

Rontgen ont montré que les os ne participaient en aucune façon à cette aug-

mentation de volume. La peau des mains est épaisse. Sensibilité tactile et ther-

mique bien conservée ; la sensibilité à la piqûre un peu obtuse. Pieds un peu

augmentés de volume, sans qu'on puisse l'affirmer cependant : la peau y est

augmentée de volume et comme marmoréenne.

Traitement. Iodure. Diète végétale. Electrisation. Amélioration importante.

La cyanose et la paresthésie rétrocédèrent ; les mains diminuèrent de volume,

de même que les pieds.

L'auteur a classé cette observation sous l'étiquette d'acromégalie com-

pliquée de phénomènes de la maladie de Raynaud. Pourtant, comme le

remarque M. Cassirer, rien ne permet d'affirmer l'existence de l'acromé-

galie et la maladie de Raynaud n'est nullement caractéristique car le sque-

lette facial est normal ; il n'y a ni céphalée, ni troubles de la vue. Et,

d'autre part, on ne relate pas d'accès syncopal, ni de manifestations paro-

xystiques.

Cas n°7 7 (CASSIRER).- Femme 3Í ans, se plaint de céphalées fréquentes avec

accès migraineux. Névropathie. Antécédents héréditaires de nervosisme.

Depuis plusieurs années, elle remarque un changement dans les doigts.

Tout d'abord, elle avait éprouvé des fourmillements dans les extrémités des

doigts, puis ces extrémités sont devenues peu à peu violacées, froides et ont

augmenté de volume. Peu à peu, également, la face dorsale des mains est

hypertrophiée. Pas de douleurs vraies, mais des fourmillements. Jamais il n'y

a eu de syncope locale.

Examen de M. Cassirer ; les deux mains, jusqu'au poignet sont d'un bleu

cyanotique. La coloration commence à l'extrémité distale. Elle est permanente

et persiste même dans une chambre chaude. La malade a toujours aux mains

une sensation subjective de froid. Les doigts sont anormalement longs, mais

pas élargis et se terminent d'une façon ordinaire. La peau sur le dos de la main

et à l'origine des phalanges est fortement botirsoufllée comme infiltrée par de

l'oedème ; aux extrémités des phalanges, elle est très peu oedématiée, et pas

épaissie, ni indurée.

L'augmentation de volume est pins accusée à gauche qu'à droite. Les ongles

sont fortement cannelés. A un examen plus attentif, on remarque que la peau

n'est pas uniformément colorée mais que de place en place apparaissent des

cicatrices. La sensibilité et la motilité sont intactes. Un peu de déformation

en coup de vent : on peut corriger cette déformation, mais elle se reproduit.

Pieds froids, un peu cyanosés, mais non augmentés de volume.

l'acrocyanose CHRONIQUE HYPERTROPHIANTE 7

Hémianesthésie droite. Rien au visage. Vue normale. Pouls un peu lent (60-

68). Pas d'adénopathie constatable. Légère cyphose dorsale.

La malade suivie pendant six mois n'a présenté aucun changement^ peine une

légère modification de la cyanose.

Cas n° 8 (cassirer). Homme 31 ans, pianiste. Pas d'antécédents hérédi-

taires. Nervosisme. Incontinence d'urine pendant l'enfance. Jamais de mala-

dies graves. Depuis trois ans, furoncles récidivants. Jamais d'engelures.

D'aussi loin qu'il peut se souvenir, ses mains ont toujours été colorées en

été plus rouges, en hiver plus bleues ; dès qu'il faisait chaud, il transpirait

abondamment.

La cyanose a été beaucoup plus prononcée dans ces dernières années; les

mains sont devenues peu à peu inhabiles, si bien qu'il a dû abandonner son

métier. Les pieds étaient jusqu'alors normaux. Dans ces derniers temps, ils

sont devenus souvent froids et un peu bleus ; le nez devient facilement rouge et

chaud. Céphalées fréquentes, mais pas de vomissements.Depuis deux ans, par-

fois un peu de gonflement de la lèvre supérieure.

Examen du Dr Cassirer. Les mains sont déviées sur le bord cubital ; les 3e

et 4e doigts sont fléchis sur la main, et fixés dans cette position. Cette défor-

mation existe depuis la naissance. Les doigts sont fortement cyanosés, tandis que

la main elle-même est violette, mais d'une teinte beaucoup moins marquée.

Pas de scléro-dactylie. Peau au contraire, épaissie. Sensibilité intacte. Ongles

normaux. Doigts malhabiles; cependant aucune modification des réactions

électriques. Aux pieds, rien d'anormal. Visage : id. Pas de stigmates hystéri-

ques. Viscères sains. Pendant trois semaines, la malade a été suivie sans qu'on

observe aucun changement.

A ces cas, M. Cassirer ajoute deux observations publiées en 1896 par

M. Crocq (1) et concernant deux malades, présentant des symptômes in-

dubitables d'hystérie. Chez ces sujets, l'acrocyanose se montra sans

augmentation de volume des téguments et sans attaque locale qui pût la

rapprocher de la maladie de Raynaud. Cette maladie d'allure spéciale

donne lieu, d'après l'auteur, à des douleurs insignifiantes. Cette descrip-

tion des phénomènes n'est donc pas en tous points semblable à celle que

nous avons observée. Aussi ne peut-on pas les comprendre dans le

cadre de l'acrocyanose chronique hypertrophiante et faut-il plutôt,

suivant M. Cassirer, les reporter dans le domaine de l'hystérie.

Enfin M. Sternberg (2) dans une monographie sur l'acromégalie,

mentionne que cette affection peut se présenter avec une symptomatologie

qui rappelle dans une certaine mesure celle du ! My.roe</p)M8, au niveau des

(1) CHocQ, De l'acrocyanose. Congrès des médecins aliénistes et neurologistes

tenu à Nancy du lor au 5 août 1896, in Sein, méd., 1896, p. 298.

(2) STHRNBEIiG, Die Ak·omegalie, in Collect Nothnagel.

8 PÉHU

extrémités et du visage, après une asphyxie locale. Dans l'hiver, les mains

et les pieds deviennent froids, d'un bleu violacé, marmoréens, insensibles

et inhabiles.

Voici maintenant le cas que j'ai observé :

Cas N° 9 (personnel). L. F., 26 ans, né à Mieussy (Savoie), domicilié à

Genève, exerçant la profession de manoeuvre (maçon).

Entré à l'hôpital cantonal le ler septembre 1902 (observât., n° 1443 de la

collection de M. le prof. Bard, 1902).

Le père du malade est âgé de 52 ans ; il est en bonne santé, mais d'un tem-

pérament nerveux, se met facilement en colère. Probablement alcoolique, d'a-

près les renseignements fournis par un voisin.

La mère bien portante, habituellement, est âgée de 54 ans ; elle serait su-

jette aux migraines, nerveuse aussi, mais moins que le mari. Ni l'un ni l'autre

n'a présenté de crises nerveuses.

Le malade a eu 2 frères et 2 soeurs. L'aîné des frères est bien portant : il est

âgé de 28 ans, il travaille comme ferblantier en Savoie. Un autre est mort du

croup à 13 mois. Une soeur, âgée de 20 ans est sujette à des crises nerveuses,

depuis plusieurs années : elle a été traitée à l'hôpital cantonal du 29 mars au

10 mai 1902 et le diagnostic porté sur l'observation est : épilepsie essentielle.

La cadette âgée de 15 ans est bien portante.

Pendant la grossesse du malade, la mère n'a eu aucune affection pathologi-

que, à part quelques émotions dues à ce que le père, alcoolique, est parfois

très violent quand il se livre à des excès de boisson. L'accouchement fut nor-

mal. Nourrit au biberon jusqu'à l'âge de 18 mois.

A 16 mois environ, rougeole ; il eut à ce moment des abcès dans les deux

oreilles et sur la tête.

La marche ne commença qu'à 21 mois. Un peu de retard dans l'éruption

dentaire.

Il fréquenta l'école dès l'àge de 5 ou 6 ans et suivit régulièrement les classes,

il n'avait pas de peine pour préparer ses leçons : il avait une mémoire assez

développée.

Depuis plusieurs années, il tousse un peu pendant l'hiver, mais il ne crache

presque pas, il n'a jamais eu d'hémoptysie, n'a jamais été interrompu dans son

travail pour ses « rhumes ».

Il dit avoir été toujours nerveux, d'un caractère emporté : il se met facile-

ment en colère. Il n'a jamais eu de crises nerveuses, mais depuis 2 ans en-

viron, il a quelquefois pendant la nuit, sans rêve, des secousses brusques de

tout le corps qui le réveillent en sursaut. *

Il a fait quelques excès alcooliques depuis plusieurs années. En général, il

boit deux absinthes par jour, un demi-litre de vin rouge aux repas, assez sou-

vent un litre à un litre et demi de vin blanc, quelquefois davantage.

Jamais de maladie vénérienne, pas de syphilis.

Il n'a jamais quitté Genève depuis nombre d'années. Il a été ajourné deux

l'acrocyanose chronique il YPERTROPHIANTE 9

fois au service militaire et finalement placé dans le service auxiliaire. Il ignore

les motifs de cette exemption.

Pendant l'hivei, 1890-91, hiver très rigoureux, il s'aperçoit un jour que ses

deux mains sont gonflées ; elles sont pâles, livides ; il l'affirme catégoriquement.

En même temps, elles lui paraissent engourdies : il a de la peine à les fermer;

il compare cette sensation à celle qu'on éprouve quand on a l'onglée. Les jours

précédents, il n'avait rien remarqué d'anormal.

Depuis lors, toutes les fois qu'il travaille au froid, ses mains augmentent

fortement de volume, s'engourdissent, mais restent pâles. Quand il entre dans

une chambre chaude, ses mains diminuent un peu de volume, mais restent

cependant plus grosses que normalement. Au début, il n'éprouve aucune espèce

de douleur, ni fourmillement, ni picotement. Il n'a pas remarqué qu'il fût de-

venu plus sensible au froid qu'auparavant, il n'éprouve ni sensation de chaud

ni sensation de froid aux mains. Il remarque seulement que la sensibilité est

un peu diminuée dans les doigts au toucher des objets.

Au printemps, vers le mois de mars ou d'avril dès que la température com-

mence à devenir un peu plus douce, les phénomènes disparaissent complète-

ment. Le malade ne remarque plus rien d'anormal du côté des mains.

L'hiver suivant, aux premiers froids, le malade observe les mêmes phéno-

mènes. Les mains restent toujours pâles, mais il n'éprouve aucune douleur.

Jamais d'aagelures, ni aux mains, ni aux pieds.

Il affirme qu'il a toujours beaucoup transpiré des mains et des pieds ; il ne

remarque pas à ce moment que les sueurs augmentent.

En 1895 ou 1896, pendant l'hiver, en enlevant ses chaussures, il observe

que ses pieds sont enflés. Il ne s'en était pas aperçu auparavant et n'avait par

conséquent, pas été gêné par sa chaussure. Comme les mains, les pieds aug-

mentent de volume sous l'influence du froid. Une marche prolongée les fait

augmenter aussi ; ils restent toujours pâles ; comme les mains et en même temps

qu'elles, ces régions subissent des augmentations de volume par le froid, et

une diminution par la chaleur. Pendant l'été, il ne remarque plus rien d'anor-

mal, mais transpire toujours passablement des mains et des pieds.

Depuis deux ans environ, la coloration des mains et des pieds change. La

peau devient rouge, puis violette. Cette coloration ne disparaît pas complète

ment, même lorsque le malade est dans une atmosphère chaude. Tout au plus,

s'attéuue-t-elle un peu. La diminution de volume sous l'influence de la chaleur

persiste. Il n'y a pas de modification notable dans la teinte des régions atteintes,

à la suite d'une émotion quelconque.

En même temps que se montrait cette coloration violette, le malade com-

mençait à éprouver des douleurs dans les mains ; c'étaient des sortes de picote-

ments ; il lui semblait qu'on traverse la peau avec des aiguilles. Il éprouve une

sorte de douleur sourde, obtuse qui persiste tout le temps. Il remarque qu'il a

de la peine à fermer la main, à serrer un objet ou à exécuter un mouvement de

pronation et de supination. Il ne laisse cependant pas tomber les objets qu'il

saisit. Lorsqu'il écrit, il remarque qu'il a de la peine à tenir la plume, qu'il

« gribouille ».

10 PÉHU

Vers le milieu de mai 1902, il constate que les pieds deviennent violets, en

dehors de toute action du froid. Au même moment, apparaissent des douleurs,

des picotements comme aux mains. Ces picotements se produisent surtout au

niveau des malléoles.

Jusqu'à cette année, tous les phénomènes anormaux, gonflement, coloration,

douleurs, disparaissent pendant l'été. Cette année-ci, pour la première fois, ils

persistent et même augmentent.

A la fin de l'année 1900, au moment où les douleurs apparaissent, le malade

a consulté à la Policlinique. On lui a prescrit d'abord des frictions à l'huile

camphrée. Puis on lui a fait trois séances d'électrisation, des enveloppements :

le tout, sans amélioration.

Le malade trouve en effet que son état a empiré. Il est maintenant obligé

d'interrompre son travail. Depuis quelque temps en effet, il ne peut rien tenir

dans ses mains. A certains moments ses mains se tordent en dehors, surtout

du côté droit et il est obligé de lâcher prise. En même temps les douleurs aug-

mentent, les transpirations aussi ; il a toujours les mains moites, les pieds

humides.

Depuis le milieu de mai, il n'a pas pu travailler. Il n'est cependant pas resté

alité. Il peut encore écrire, mais avec difficulté : la main droite a toujours été

un peu moins gonflée que la gauche.

Voyant que son état empire toujours, le malade se décide à demander son

admission à l'hôpital.

A l'entrée, le malade est un homme de 26 ans, d'une taille moyenne

(1 m. 62), quelques stigmates de dégénérescence : la face et le crâne sont un

peu asymétriques, le palais légèrement ogival. Les lobules des oreilles sont

adhérents, l'hélix présente quelques festons. Le crâne est nettement brachycé-

phale : de la protubérance occipitale à la glabelle, on mesure 35 cent. ; d'une

apophyse zygomatique à l'autre 36 cent.

L'intelligence n'est pas très développée : le malade hésite un peu avant de

répondre, indécis; la mémoire n'est pas nette. Il est d'un caractère un peu

renfermé et violent en même temps, emporté, se met facilement en colère. Il

n'a jamais eu de crises nerveuses, mais des secousses nocturnes, comme il est

dit plus haut.

Les pupilles sont égales, généralement grandes, elles réagissent bien à la lu-

mière et à l'accommodation ;

Le réflexe patellaire est manifestement exagéré et brusque des deux côtés.

Il en est de même du réflexe achilléen. On ne constate ni trémulation épilep-

toïde, ni signe de Babinski. Le réflexe pharyngien est aboli. Réflexe crémas-

térien exagéré. Battement rythmique des paupières par l'occlusion des yeux.

Les testicules plutôt petits, sont très sensibles à la pression.

On ne constate ni dyschromatopsie, ni rétrécissement du champ visuel.

Aux yeux, existent des taies cornéennes qui datent de l'âge de 2 ou 3 ans.

L'acuité visuelle est un peu diminuée.

Pas de troubles de l'audition, du goût ou de l'odorat.

NOUVELLE lcoocvarmc ni. 1 SAri : oxn`.uF.

T. XVI. PI. I

Phototypie Bertliaud, Pans.

ACROCYANOSE HYPERTROPHIANTE CHRONIQUE

( Nlm)

Masson&C ? Editeurs

L'ACROCYANOSE CHRONIQUE HYPERTROPHIANTE 11

Le malade peut exécuter les mouvements, mais la force musculaire est no-

tablement diminuée aux deux membres supérieurs, au dynamomètre.

A droite : 22.38.

A gauche : 20.28.

On constate que les bras et les avant-bras sont peu volumineux : il a remar-

qué lui-même que les avant-bras devenaient plus petits.

Les jambes et les cuisses ne paraissent pas atrophiées. '

Le malade se plaint toujours de douleurs plus ou moins vives aux mains et

aux pieds, il éprouve des picotements et des lancées.

On ne constate pas de troubles de la sensibilité tactile, ni de la sensibilité à

la douleur. La sensibilité à la chaleur n'est pas altérée non plus. Le sujet per-

çoit même des différences assez faibles.

L'épreuve du compas de Weber ne dénote aucune altération bien accentuée

de la sensibilité tactile. Autant qu'il est permis de l'affirmer avec ce sujet dont

l'état mental est évidemment un peu obtus, la perception se fait bien. Cepen-

dant l'écartement des branches du compas doit être agrandi quand on touche

la peau des doigts à gauche : tandis que du côté droit, il perçoit le contact avec

la pointe d'ivoire du côté gauche, il ne sent qu'à 1 1/2. Subjectivement,

les sensations tactile et stéréognostique sont bien conservées.

Les mains ont une coloration qui varie du rouge au violet : dans presque

toute l'étendue de la face dorsale des doigts et de la région métacarpienne, on

constate une teinte violacée très accentuée. Elle s'étend jusqu'au niveau de

l'avant-bras, dont elle atteint la partie moyenne à gauche, le tiers inférienr à

droite. Des deux côtés, la coloration cyanique s'arrête en manchette,beaucoup

moindre à la face antérieure qu'à la face postérieure. La paume de la main

est indemne : la couleur de la peau est légèrement rosée, mais sans trace

de cyanose (PI. I).

Les pieds sont colorés. Mais la teinte est beaucoup moins accusée qu'à la

main. Les orteils seuls sont violacés sur la face dorsale, il y a une teinte biga-

rée de la peau, quelques places ayant un aspect normal.

Il faut encore noter que l'axe de la main surtout à gauche ne continue pas

celui de l'avant-bras : le métacarpe est un peu rejeté en dehors ; cette déforma-

tion est beaucoup plus accentuée au niveau des doigts qui présentent bien

l'aspect dit en coup de vent du rhumatisme chronique. Les articulations sont

cependant d'épaisseur normale : on ne constate à la palpation aucune augmen-

tation de volume. D'ailleurs la radiographie, annexée, montre que les surfaces

osseuses sont absolument saines (Pl. Il).

Sur la peau de la main, principalement à gauche, et avec uue prédominance

notable au voisinage de l'articulation métaearpo-phalaagienne, on trouve de

petits nodules du volume d'un grain de mil, de coloration cyanique, de consis-

tance fibreuse, sans induration d'alentour, non douloureux à la pression, qui se

sont développés sans attirer l'attention du sujet et qui rappellent d'assez loin,

des nodosités d'Heberden. Elles sont, en tout cas, groupées autour des articu-

lations.

La coloration violacée n'est pas absolument fixe ; elle varie dans une certaine

12 péuu

proportion d'un moment à l'autre de la journée, et pendant l'examen, sans qu'on

puisse attribuer le changement à un écart de température ou à une émotion.

Mais jamais il n'y a de la pâleur.

Les mains et les pieds sont toujours humides, même lorsque le malade est

absolument tranquille. Il transpire beaucoup d'une façon plus notable que sur

le reste du corps.

Les maius sont toutes les deux augmentées de volume, la gauche plus que

la droite. On constate une augmentation de toute la main : en outre, du côté

gauche, il existe une forte augmentation de volume des deux premières pha-

langes, surtout au niveau de l'articulation. Les phalangines ont un volume à

peu près normal, de sorte que les doigts ont un aspect en fuseau, une forme

en radis dont la partie large commence à la phalange, comme dans le spina-ven-

tosa. Les mains subissent ainsi des changements de volume, sans qu'on puisse

établir de rapport avec les changements de coloration.

Les pieds augmentent aussi parfois de volume, surtout quand le malade mar-

che. Au repos, on ne constate ancun changement appréciable.

Les ongles sont normaux, sans cannelure, sans courbure exagérée.

La température de la peau a été prise au moyen du thermomètre à mensu-

ration locale. Il a atteint au bout d'une heure seulement 33°1 pour la main

droite et 3 : i° au bout de 52 minutes pour la main gauche : pour cette dernière,

l'ascension a été à peu près progressive : le début de la recherche ayant été à

3 h. 22', avec une température du laboratoire de 16°, on obtenait à 5 h. 30,

32°9 ; à 5 h. lui5, 33°9 ; à 6 heures, 34°7.

Chez un sujet normal, X..., 28 ans, dans les mêmes conditions, la tempé-

rature monta seulement à 33°, mais beaucoup plus rapidement en 15 minutes.

L'avant-hras ne présente rien de particulier, sauf le certain degré de min-

ceur précédemment mentionné. Les troncs nerveux ne sont pas sensibles à la

palpation.

Pas de céphalées.

L'examen des viscères donne les résultats suivants :

Au coeur, les bruits sont réguliers, bien frappés.

Le pouls est égal, régulier; on lie constate pas d'hypertension appréciable.

On compte 68 pulsations par minute.

Le malade ne tousse pas actuellement, pas d'expectoration.

La respiration est calme, régulière (18 par minute).

Le thorax est bien conformé, symétrique.

A la percussion, on constate une légère diminution de sonorité aux sommets

en arrière, au sommet droit en avant, avec un peu d'exagération des vibrations

thoraciques.

Un peu d'obscurité respiratoire au sommet droit en avant, aux deux som-

mets en arrière. On n'entend pas de râles.

L'appétit est normal. Ni diarrhée, ni constipation.

La langue est blanchâtre, humide. Son volume est absolument normal.

Rien à l'abdomen. Le foie n'est pas augmenté de volume, ne dépasse pas le

rebord costal. L'estomac n'est pas dilaté. Pas de matité splénique appréciable.

Nouvelle Iconographie Dr la Salpêtrière.

T. XVI. PI il

ACROCYANOSE HYPERTROPHIANTE CHRONIQUE

(Péhu)

L'ACROCYANOSE CHHON1QUE llYPERTROPllIANTE 13

Le nez est de coloration normale, un peu affaissé à la base, mais sans confi-

guration particulière. Il est chaud au toucher et n'est jamais le siège de dou-

leurs.

Les oreilles sont légèrement cyaniques ou blanchâtres par places. Elles sont

souvent douloureuses : les phénomènes ont débuté en même temps que pour

les pieds et les mains.

Les cheveux sont châtains, bien implantés, sans aucune plaque d'alopécie.

La moustache est peu abondante. La barbe manque à peu près complètement.

L'urine est claire, de réaction acide : densité 10,10, pas d'albumine. Urée

15,0 0/00. Phosphates z00. Pas de sucre, pas d'indol, pas d'urobiline.

Apyrexie complète.

14 septembre. Examen du sang :

14 PÉHU

détermination exacte est impossible, à cause de la distribution extrêmement

irrégulière des zones violacées, qui ont en outre uue étendue minime.

Pied gauche. Bord interne, gros orteil 6". Bord externe et face dorsale,

détermination impossible.

La disparition de la tache se fait donc très lentement.

7. Examen ophtalwoscopique par 111. le professeur Haltenhof

Vision : OD 1/2

» OG 1/3

Des deux côtés, grande taie centrale de la cornée ; a souffert des yeux dans

l'enfance.

Rien de particulier à l'examen ophtaimoscopique dans la vascularisation

du fond de l'oeil.

Du côté droit, fibres nerveuses à myéline du côté inféro-nasal (disposition

anormale, mais non pathologique) nerf absolument sain.

Examen olo-rhino-larg>ngoscopique par le Dr Gude1'.

Oreilles : à gauche, tympan normal légèrement enfoncé ; à droite, rien de

particulier.

Nez : muqueuse nasale un peu cyanosée. Hypertrophie de la muqueuse re-

couvrant le cornet inférieur. Des deux côtés, le cornet inférieur vient en contact

avec la cloison de sa partie moyenne. Peu de sécrétion.

Pharynx : quelques granulations sur la partie postérieure et légère hypertro-

phie de l'amygdale droite.

Larynx : épiglotte renversée en arrière. Cordes vocales présentent de la con-

gestion chronique. Mouvements se font bien.

10. - Pression artérielle.

Avec l'appareil Potain : radiale droite, 20 ; radiale gauche, 13, 1/2. Au

chéron : radiale gauche 7, radiale droite 8 ; au tonomètre de Gartner : main

droite 7 ; main gauche, 7.

17. -- Les douleurs sont toujours aussi vives quand le malade est exposé

au froid. (La température extérieure est assez basse.) Il a essayé de descendre

plusieurs fois dans le jardin de l'hôpital mais il n'a pu rester longtemps de-

hors, car la sensation pénible de chatouillement et de douleurs cuisantes se

produisait régulièrement. Les mains et les pieds sont également douloureux.

Les poignets de même sont le siège de sensations pénibles ; depuis le début

de la maladie, il en est ainsi.

La force musculaire ne revient pas. Au dynamomètre on obtient :

Main droite, 9 40.

Main gauche, 19.

La main gauche est en effet beaucoup moins habile que précédemment et les

douleurs plus vives en somme, le malade n'a constaté aucune amélioration,

depuis son entrée à l'hôpital, après les traitements successifs qui lui ont été

prescrits : il y a même une aggravation progressive et lente des symptômes.

Peu de jours après son entrée, on avait fait exécuter une photographie et une

radiographie des mains.

On a pris à la date du 1 cr octobre un tracé du pouls capillaire à deux doigts

L'ACROCYANOSE CHRONIQUE HYPERTROPHIANTE 15

de chaque main, avec l'appareil : plélysmographe digital de M. Hallion (1). Le

tracé ne dénote il peu près aucune oscillation : le tracé est celui d'une ligne à

peine ondulée, comme si les capillaires dilatés de la peau étaient le siège d'une

stase marquée.

25. - Injection de sérum artificiel (formule Hayem) 100 grammes dans le

tissu cellulaire sous-cutané au point de vue de la réaction thermique suivant

la méthode du professeur Hutinel.

L'injection a été faite à midi. La température était de 37°2.

Voici le détail des températures prises de deux en deux heures environ.

16 péuu

Malgré que dans quelques-unes des observations citées plus haut, on

ait relevé la présence de lésions pulmonaires, néanmoins l'existence de

l'ostéo-arthropathie ne peut être soutenue. Dans les cas que j'ai groupés,

la déformation en « baguette de tambour » manque toujours : l'hypertro-

phie des parties molles porte sur la région de l'articulation métacarpo-

phalangienne, à la base même des doigts et non sur l'extrémité même;

de plus, l'existence de troubles vasomoteurs suffit à exclure l'idée d'un

syndrome de P. Marie.

L'hypothèse d'acromégalie peut se présenter à l'esprit et il est rationnel

d'y songer, quand on observe des extrémités à ce point développées.

Mais dans l'acromégalie la face est également et considérablement inté-

ressée : il y a de la céphalée, des troubles visuels, tous symptômes qui

manquent dans l'acrocyanose, au moins comme signes cardinaux ; de plus,

la forme des doigts presque caractéristique de l'acrocyanose n'appartient

pas à l'acromégalie.

La forme particulière d'oedème connue sous le nom d'oeme bleu ne

saurait donner le change. Cette variété est essentiellement caractérisée

par l'uni latéralité, par la mobilité des manifestations fluxionnaires qui

apparaissent un jour pour disparaître bientôt. On note des signes conco-

mitants d'hystérie. La coloration bleue de la peau marche de pair avec

l'oedème : et celui-ci est bien un épanchement de sérosité dans le tissu

cellulaire, puisque le doigt laisse son empreinte. Dans l'acro-asphyxie ce

n'est pas un oedème à proprement parler, mais une augmentation de vo-

lume seulement des parties molles.

Dans l'affection individualisée sous le nom cl'acropal'esthésie (1), les

sensations de fourmillement, d'engourdissement l'inaptitude du sujet à

accomplir un acte minutieux, à cause de la parésie relative, se rencontrent

communément. Néanmoins jamais la coloration cyanique n'atteint un de-

gré bien accentué et surtout la maladie se présente sous forme de crises

nocturnes, qui disparaissent ensuite dans la journée, en laissant une ac-

calmie plus ou moins durable. -

L'érgthromélalgie de Weir-Mitctell ne procède point de cette sorte. Au

lieu de phénomènes de cyanose, ce sont des signes vaso moteurs actifs qui

dominent la scène ; les symptômes sont ceux d'une perturbation vasculaire

intense avec rougeur vive de la peau,sensation de brûlure intense,modifi-

cations ophtalmoscopiqucs caractéristiques. Rien ne peut donner le change

avec l'affection par nous observée.

C'est surtout avec la maladie de Raynaud qu'une différenciation est né-

cessaire. Celle-ci consiste en effet au moins à un des stades, en une colo-

(1) Scnm.TZe, Ueber Acropareslhesie (Deutsche. Zeitschn. f. Nervenheilk., 1893), p.

900; LEREIIOULLET, Gaz. hebdomad. 1899, p. 901. Revue générale sur l'acroparesthésie.

L'ACROCYANOSE CHRONIQUE HYPERTROPHIANTE 17

ration cyanique très accusée des extrémités, les mains étant les plus frap-

pées, en des phénomènes subjectifs de douleurs et de fourmillements; en

une inhabileté fonctionnelle plus ou moins prononcée. Les symptômes

en furent tout d'abord bien dégagés par Raynaud ; puis l'étiologie en fut

étudiée, et on arrive à cette conception que les causes en sont multiples

et que différentes maladies aigués ou chroniques peuvent être incri-

minées.

Quoi qu'il en soit, ce syndrome se présente avec un caractère paroxysti-

que constant : il y a des accès d'asphyxie locale, des accès de syncope ;

l'affection procède par attaques successives. Or,au contraire, chez les sujets

dont il est question ici, la cyanose est permanente. Et cependant certaines

observations produites sous le nom de maladie de Raynaud paraissent

reproduire le tableau de l'acro-cyanose hypertrophiante. Tel le cas récem-

ment publié par M. Souques (4); s'agit dans cette observation d'un sujet

de 27 ans qui, depuis l'âge de 12 ans, disait présenter de l'asphyxie des

mains. Postérieurement élaient survenues des douleurs ; depuis quelques

mois, en outre de leur couleur violette, les doigts portaient sur leurs par-

ties latérales et dorsale, un oedème pur très peu accusé. Le malade était

tuberculeux.

De par ces éléments cliniques, on pouvait penser à établir une analogie

entre ce cas et ceux dont j'ai rapporté l'histoire. Mais la présence d'accès

paroxystiques, fréquents dans la journée, provoqués par le contact de l'air

froid ou de l'eau, suffit à écarter cette hypothèse. La maladie de Raynaud

est intermittente : l'acrocyanose chronique hypertrophiante est, au con-

traire, durable et progressive.

Telles sont parmi les affections définies, appartenant à l'acropathologie,

celles qu'il était nécessaire d'envisager pour les écarter d'ailleurs.

Il y a cependant quelques cas, assez mal catégories, qui à un examen

superficiel, peuvent en imposer pour une maladie similaire. Tout récem-

ment en effet M.Hirchsfeld (2) publiait trois cas de dermatites d'allure spé-

ciale, pour lesquels il propose le nom de dennato-hypertrophie vasomo-

trice. A ses yeux l'affection a été conforme avec l'ostéo-arthropathie de P.

Marie, l'érythromélalgie et l'acromégalie. Ses trois cas concernent des sujets

d'un âge relativement avancé (53 et 45 ans) dont deux étaient porteurs

d'un cancer ulcéré de l'oesophage, le troisième avait les symptômes d'un

tabes dorsalis, et une phtisie pulmonaire avancée. Chez tous, il y avait

une augmentation marquée du volume des pieds et des mains, avec de la

(1) Souques, Maladie de Raynaud de nature hystérique guérie par suggession indi-

recte (Soc. méd.des hôp. de Paris ; 6 juin 1902).

(2) H. Hihsciifeld, Sur une augmentation de volume des mains et des pieds d'origine

névrilique (Zeitschr. f. klin, Med" 1902, XLIV Band, p. 251).

xvi 2

18 pauu

cyanose et de l'oedème des parties atteintes, avec coloration violacée du

visage sans changement du volume de ce dernier, de la douleur à la pres-

sion des troncs nerveux ; le symptôme caractéristique était la forme des

extrémités digitales qui étaient nettementrenfléesen baguettes de tambour

(TrommelschleelGnger). Il n'y eut, pendant tout le temps où les malades

furent suivis, aucun accès paroxystique : la coloration cutanée, l'oedème

persistèrent jusqu'à la mort.

A l'autopsie, outre l'existence d'un néoplasme oesophagien ou d'un tabes

compliqué de tuberculose pulmonaire, avec intégrité constante de l'hypo-

physe, M. IIirschfeld a rencontré des altéi tions névritiques étendues,

indéniables après examen macroscopique ; le sympathique, bien que placé

au voisinage direct de la lésision (cancer ou tuberculose) était macroscopi-

quement indemne. L'auteur conclut qu'il s'agit là de cas mal déterminés,

voisins de l'ostéoarthropathie hypertrophiante pneumique, se séparant

d'elle cependant par l'existence de symptômes vasomoteurs et trophiques ;

le syndrome a pour lui ce caractère essentiel de se montrer clans les affec-

tions accompagnées de décompositions putrides dans l'organisme, ces subs-

tances portant spécialement leur action sur les os des extrémités. La né-

vrite paraît devoir être mise en cause. Les altérations digitales en sont la

conséquence.

Malgré la dénomination 'de del'mato-hypertrophie Vasomotrice, les cas

de IIirscUfeld ne peuvent être comparés au nôtre. Rien n'autorise un sem-

blable rapprochement : dans les observations de ce dernier, le syndrome

est complexe et reproduisant le type de l'ostéoarthropathie pneumique, il

est sous la dépendance trop directe d'une névrite pour qu'on puisse songer

à identifier ces deux ordres de faits. C'est une variété d'acrotrophoné-

vrose à ajouter à celles décrites par Hutchinson (1), Lancereaux (2),

mais qu'il ne faut point confondre avec les cas ci-dessus rapportés.

J'ai insisté avec quelque complaisance sur le diagnostic différentiel de

l'affection queje veux décrire ici, parce que c'esl une question préliminaire

qu'il est fort important de résoudre. L'acrocyanose hypertrophiante chro-

nique mérite une place à part; elle ne peut être cofondue avec d'autres ty-

pes morbides.

Pour tracer son histoire, je puis donc utiliser certains documents : des

neuf observations citées, toutes n'ont pas une égale valeur. Le cas no 1,

par exemple, est trop brièvement résumé pour qu'on puisse faire état des

(1) HUTCfi1N90 : V, De l'acropalkologie : Maladie de Raynaud et états similaires (Sem.

méd., 1893, p. 109).

(2) Lancereaux, Des Acrolrophonévroses (Sem. méd., 1894).

.L'ACROCYANOSE CHRONIQUE IIYPERTROPIIIANTE 19

renseignements qui y sont fournis. Ou bien encore quelques observations

ont été publiées en se plaçant à un autre point de vue en négligeant, pour

cette raison, des données qu'il eût été utile de connaître. Mais dans chacun

des neuf cas, il y a des renseignements utiles, et on peut, à l'heure pré-

sente, tracer de l'acrocyanose chronique hypertrophiante le tableau

symptomatique que voici.

En général, la maladie frappe des sujets relativement jeunes : l'dge

moyen est de 30 ans. Il convient de faire remarquer à ce propos toutefois

que c'est seulement la période d'état, ou mieux, la période des symptômes

incommodants qui se place approximativement à cet âge : car souvent

l'affection dure de plusieurs années déjà, quand le sujet sollicite un avis

médical. Le sexe n'a pas une importance majeure : nos neuf cas se divi-

sent en : cinq femmes et quatre hommes. La profession peut intervenir en

ce sens que les sujets exerçant des métiers les contraignant à passer un

long temps au froid, sont plus exposés aux troubles vasomoteurs.

Dans maints cas, les antécédents héréditaires ou personnels du sujet sont

chargés au point de vue névropathique : les malades sont issus de parents

émotifs ou nerveux, d'un caractère emporté, prenant des crises ou affectés

de migraines. Il y a une certaine constance à cet égard. Les sujets pré-

sentent souvent eux-mêmes des manifestations de cette nature. Quant aux

affections antérieures, elles ne sont pas explicitement mentionnées dans

les observations. Cependant MM. Souques et Gasne disent que leur malade

a eu,il y a quelques années,une pleurésie et qu'il est atteint de « bronchite

légère ». L. F. toussait depuis longtemps déjà, et la radioscopie montrait

aux sommets des poumons un état pommelé de la substance qui fit conclure

à une tuberculose; l'épreuve de l'eau salée fut également positive. J'utili-

serai plus loin ces données.

Le début de l'acrocyanose se fait d'une façon le plus souvent insidieuse,

sans éveiller l'attention du patient qui He peut, dans la majorité des cas,

préciser exactement l'année où les troubles se sont montrés, et répond

que son affection remonte à un temps déjà lointain. C'est pendant les

hivers que les phénomènes précurseurs : coloration bleutée de la peau,

fourmillements, picotements, se montrent d'abord à l'état léger. Rien ne

faitprésager ce qui va survenir.

Mais, cependant, au cours de la croissance de l'individu, la sensibilité

au froid ne s'atténue pas ; tout au contraire, elle s'aggrave. La coloration

cyanique de la peau devient insensiblement plus marquée et plus durable.

Un gonflement des mains d'abord intermittent, puis permanent, s'installe.

Malgré cela, les sujets disent n'avoir pas d'engelures, ni de crevasses. Les

seuls phénomènes sont à ce stade : la teinte violacée de la peau, l'engour-

dissement des doitgs, le gonflement général de la main.

20 péuu

Tout d'abord, ces symptômes incommodaient le patient pendant l'hiver

seulement : l'été tout disparaissait. Mais, avec le progrès du mal, durant

toute l'année, il n'y a aucune relâche. Les saisons chaudes laissaient quel-

que répit au malade : désormais il est toujours d'une sensibilité extrême

aux températures froides, voire même seulement fraîches.

Entre temps, les pieds qui étaient jusque-là indemnes sont pris à leur

tour. La succession des phénomènes est la même qu'aux mains. A ce mo-

ment le malade songe à solliciter son admission à l'hôpital ou, au moins,

un examen médical : il est fort incommodé et gêné même dans son tra-

vail, car ses mains sont inhabiles aux actes de son métier, même sans

qu'il y doive apporter quelque minutie. C'était auparavant une sensation

désagréable. C'est maintenant une maladie : l'acrocyanose chronique

hypertrophiante est constituée.

Quand on examine un sujet atteint de cette affection depuis nombre

d'années, on est tout d'abord frappé de l'aspect vraiment spécial des

mains avec leur teinte et leur forme particulières. La coloration du tégu-

ment est, en général, bleu violacé, avec un reflet ardoisé bien caractéris-

tique qui n'est pas celui d'une cyanose symptomatique d'une affection

cardiaque ou pulmonaire : cette coloration est diffusément étalée sur

toute la main, sans prédominance pour telle ou telle région. Quelques

places sont un peu plus rouges, sans qu'il soit possible d'établir des règles

de topographie à ce sujet. Au reste, la teinte varie dans une certaine

gamme au cours d'un même examen. Mais jamais, il n'y a disparition

complète de la cyanose : jamais il n'y a de pâleur ou de syncope locales. C'est

là un caractère différentiel suffisant pour distinguer l'acrocyanose de la

'maladie de Raynaud, qui lui est contiguë cependant par plusieurs mani-

festations symptomatiques.

La limite de la région cyanotique est, en général, bien tranchée; la

teinte violacée s'arrête au 1/3 ou au 1/4 inférieur du poignet par une

ligne circulaire. Aux pieds, la coloration n'est pas aussi étendue : tout au

plus remonte-t-elle jusqu'au milieu de la face dorsale. La plante du pied,

et la paume de la main sont respectées, probablement parce que le régime

circulatoire y est d'une richesse différente et d'une facilité plus grande.

La peau ainsi modifiée dans sa couleur est un peu ridée,épaissie presque

pachydermique. Mais les altérations y sont minimes. L'atrophie ne se ren-

contre pas dans cette forme qui amène plutot une hypertrophie non seu-

lement de l'épiderme et du derme, mais encore et surtout, semble-t-il, du

tissu cellulaire sous-cutané. Dans mon observation personnelle,j'ai noté la

présence de petits nodules enchaînés dans le derme, répandus principale-

ment autour des articulations et sur la signification desquels il est difficile

d'émettre une opinion ferme.

L'ACROCYANOSE CHRONIQUE HYPERTROPHIANTE 21

Au niveau des régions atteintes, la température cutanée est. modifiée :

mais il n'y a pas comme on pourrait le penser a priori, une hypothermie

absolument constante.MM. Souques et Gasne disent avoir trouvé 29°6.Chez

L.F. j'ai noté 33° d'un coté, 35° de l'autre, alors que au même moment

je trouvais sur moi-même une température de 33°. Le mercure du thermo-

mètre à notation locale montait, il est vrai, d'une façon très différente chez

les deux sujets. y a probablement là des phénomènes de régulation ther-

mique qui sont peu connus à l'heure actuelle et qui sont régis par des

influences vasomotrices à caractéristique individuelle bien différente.

A cette cyanose dont le développement est lent, progressif chronique, il faut

ajouter l'augmentation du volume de la main, J'hypertrophie. Celle-ci,

comme le démontre l'examen radiographique, au moins dans le cas que j'ai i

observé n'intéresse que les parties molles : les os sont intacts. Les surfaces

articulaires donnent une image photographique indemne de toute altéra-

tion même légère. L'hypertrophie des parties molles est surtout accentuée

au niveau du dos de la main et à la racine des doigts, au voisinagede l'ar-

ticulation métacarpo-phalangienne : de la sorte, la main n'a pas cetaspect

en massue, en battoir de l'acromégalie ou de l'ostéoarthropathie ; mais bien

plutôt celui d'une variété demain succulente dans laquelle les phalangines

et phalangettes des doigts seraient grêles et minces : le contraste est,en effet,

frappant entre cette face dorsale hypertrophique et l'extrémité des doigts.

Ceux-ci affectent bien plutôt la forme d'un radis, comme dans le spina

ventosa. Et cependant malgré cette apparence oedémateuse du dos de la

main, la pression ne fait aucun godet : il s'agit d'une hyperplasie, et

non d'une infiltration liquidienne. Les ongles sont normaux : les poils ne

présentent aucune particularité notable.

Aux pieds,l'hypertrophie a des caractères très voisins.Mais elle est beau-

coup moins accusée et, en général, fruste. Cette inégalité de répartition

est un caractère différentiel encore : les phénomènes ne sont pas symétriques

comme on a coutume de le voir dans la maladie de Raynaud.

Dans deux observations publiées par M. Cassirer, et dans la nôtre aussi,

une des mains ou toutes les deux, sont déviées vers le bord cubital, avec

la déformation dite « en coup de vent » symptomatique du rhumatisme

chronique déformant. C'est un point sur lequel je m'étendrai longuement

par ailleurs.

La sensibilité est en général peu troublée. Les sujets sentent bien la

piqûre, le contact, la chaleur, perçoivent même quelquefois des différences

assez peu considérables de la température. Les phénomènes décrits par

eux consistent en engourdissements, sensations de piqûres multiples et

légères, en fourmillements au niveau de l'extrémité des doigts et des orteils.

Ces sensations sont,au début de la maladie, généralement intenses pendant

22 FÉRU

l'hiver, quand le patient est exposé à la température froide; mais toul

rentre dans l'ordre quand il est dans un local chaud. Puis peu à peu ces

algies deviennent plus accentuées et plus durables : et enfin de compte,elles

passent à l'état permanent, aussi bien pendant l'été que durant l'hiver et

laissent peu de trêve au patient. Celui-ci est mal habile aux travaux exi-

geant quelque minutie : et dans deux des observations ci-dessus rappor-

tées, le malade a été contraint de renoncer à un métier entrepris avec

suite.

La motilité est intéressée, mais à un degré relativement minime. Le

sujet serre plus difficilement et le dynamomètre indique une force muscu-

laire moindre. Mais cependant il n'y a pas de paralysie ou de parésie sys-

tématisée dans tel ou tel domaine. D'ailleurs, les muscles sont un peu

diminués de volume seulement, sans réaction de dégénérescence. La su-

dation est, en général, très augmentée : les malades disent avoir constam-

ment les mains humides.

Fréquemment les sujets accusent des douleurs dans les poignets, les

coudes sont indemnes. Il y a quelquefois aussi des céphalées, des symptô-

mes surajoutés d'hystérie de névrosisme, un peu de tremblement des ex-

trémités, du battement rythmique des paupières, etc. Le malade du service

de M. Bard avait une pression artérielle faible à la radiale, un tracé de

pouls capillaire consistant en une vague a peine ondulée, et la tache vaso-

motrice persistait chez lui pendant un temps fort long. Semblables re-

cherches n'ont pas été faites dans d'autres cas, ce qui n'autorise pas à con-

clure à la constance de ces phénomènes. Le fond de l'oeil est normal : il y

a là un élément de diagnostic encore avec l'érythromélalgie, dans laquelle

les vaisseaux rétiniens sont dilatés et turgescents. Dans deux cas (art. 3

et 9), les poumons présentaient des altérations plus ou moins marquées :

pleurésie ancienne ou tuberculose abortive. L'état des organes respira-

toires, d'ailleurs, n'est pas mentionné dans beaucoup de cas : c'est une

lacune qu'il importerait de combler à l'avenir.

L'évolution de cette maladie est lentement progressive, et dans la règle,

au bout d'un temps plus ou moins long elle s'installe à l'état définitif et

pour ne plus rétrocéder. Cependant Bottiger signale que chez son malade

i 1 y eut au bout d'un certain temps une amélioration marquée el que la cya-

nose et la paresthésie rétrocédèrent : les mains elles pieds diminuèrent

de volume. Mais dans toutes les observations où le patient peut être suivi

pendant un temps assez long, il n'y eut pas de changement notable. Pour

ce qui est deL. F.,au bout de deux mois,malgré un traitement assez actif,

aucune amélioration ni modification même ne s'était produite. L'acro-

cyanose hypertrophiante est une affection chronique, qui s'installe lente-

ment et ne disparaît que rarement. Quant à fixer sa durée exacte ou ap-

L'ACROCYANOSE CHRONIQUE HYPERTROPHIANTE - 3 3

proximative, on ne peut le faire, car les observations n'ont pas été suivies

pendant un temps assez long pour déterminer ce point.

Cette longue persistance et cette rareté probable des améliorations fait

que le pronostic de cette affection est assez sévère, non pas au point de

vue vital, mais parce qu'elle est susceptible d'entraîner pour le sujet une

incapacité fonctionnelle complète parfois; que, en tout cas, elle est une

infirmité qui gêne fort le malade dans son existence quand elle n'entraîne

pas pour lui un état pénible de par les sensations désagréables qui l'ac-

compagnent. Il ne me parait point utile de parler encore du diagnostic de

cette affection : j'ai montré plus haut avant d'esquisser son domaine noso-

graphique avec quelles affections elle peut prêter au doute, bien que le

diagnostic différentiel en soit cependant possible.

Quant au traitement, s'il est efficace dans certains cas (ob. de Bottiger,

par ex.), dans d'autres cas, au contraire, il est sans aucune influence. On

essaye d'aboi d les médicaments internes : sulfate de quinine à forte dose.

(1 gr. 50 par jour) comme dans la maladie de Raynaud, le salicylate

de soude, le bleu de méthylène en pilules, l'ergotine, les iodures : puis on

tente les médications externes : onctions, liniments, pulvérisations, bains

tièdes ou chauds. Enfin, on a recours à l'électricité faradique, ou mieux

galvanique avec un pôle sur la colonne vertébrale. Mais tous ces moyens

échouent en général, et e'est plutôt une thérapeutique au jour le jour

seulement symptomatique, non point pathogénique qu'il convient d'a-

dopter, sans espoir très grand d'un succès, certain d'ailleurs.

C'est qu'en effet si les signes cliniques de l'aci-o-oyanose chronique

hypertrophiante peuvent être bien tracés, avec les éléments des observa-

tions qui en ont été publiées, il est plus difficile d'édifier avec certitude

une pathogénie de cette affection. C'est l'analogie seule avec d'autres ma-

ladies quelque peu semblables qui permet une hypothèse.

Un premier fait semble acquis toutefois : c'est que la cyanose locale

est produite par un trouble atteignant les vasomoteurs, paralysant les

vasoconstricteurs, c'est en effet ce que prouve la tache produite par le

pouce sur l'une quelconque des parties cyanosées (procédé deM. Hallion).

Tandis qu'à l'état de santé, quand la circulation cutanée se fait sans au-

cun encombre, la tache disparaît au bout d'une à deux secondes, chez le

malade L. J. il s'écoule un temps très long avant que la teinte reparaisse.

La vasoparalysie évidemment est prédominante dans ces phénomènes

observés. De même, le tracé du pouls capillaire par l'appareil « plé[y-

smographe digital », est caractérisé par une ligne à peu près horizontale

avec une élévation à peine sensible au moment des systoles cardiaques.

Ces deux recherches sont donc concordantes.

24 péhu

Si les extrémités sont spécialement et uniquement frappées, c'est que

le cours du sang y est plus malaisé, que l'impulsion cardiaque y est

moins active, que la stase y est plus facile. Par le mécanisme de cette

stase sont engendrés, rapidement, des troubles nutritifs des tissus : d'où

névrites légères, amenant ces sensations dysestliésiques, ces fourmi 1 lements,

ces engourdissements, etc., d'où, également, cette hyperplasie du tissu cel-

lulaire sous-cutané amenant l'augmentation de volume des doigts, puis-

que la radiographie enseigne que les os n'y prennent aucune part.

Mais sous quelle influence se produit cette perturbation vasomotrice

et trophique ? Quelle en est la pathogénie ?

Deux constatations se dégagent des observations 3 et 9 dans lesquelles

l'examen viscéral est complètement relaté : c'est que les sujets étaient at-

teints d'une maladie des voies respiratoires : tuberculose probable danslecas

de MM. Souques et Gasne dont le malade avait eu une pleurésie à la suite

de laquelle avait persisté une « bronchite légère » ; tuberculose plus cer-

tainement dans notre cas : l'examen radioscopique témoignait en effet dans

ce sens. Il a été là, d'ailleurs, d'un plus grand secours que la réaction à

l'eau salée. L'injection sous-cutanée du sérum n'a provoqué qu'une

ascension thermique tardive et encore relativement peu élevée. De 37°2,

la température n'a atteint 38°4,qu'au bout de vingt-huit heures. On ne sau-

rait trop dans ces conditions,considérer la réaction comme positive : elle est

faible et trop retardée. Je rappelle que M. Hutinet (1), dans sa communi-

cation sur les effets des injections sous-cutanées chez les tuberculeux,disait L

avoir observé sur ces derniers une montée vers la 6° heure après l'injec-

tion ; en général. le maximum (2°5) est à la douzième heure; puis,la tem-

pérature regagne insensiblement son niveau normal, après un léger ressaut

toutefois vers la 24'' ou 36" heure. M. Bertherand (2) a confirmé dans ses

grandes lignes ces résultats dont la plupart des cas de tuberculose infantile.

En second lieu, trois fois (obs.7,8 et 9) il est dit que les mains sont dans

une attitude anormale^ que leur axe n'est point dans la continuation directe

de celui de l'avant-bras, mais qu'elles sont déformées en coup de vent.Or

ne peut-on pas soutenir qu'il s'agit là d'une forme de rhumatisme tubercu-

leux, dont le polymorphisme et la fréquence clinique ont été bien mises

en lumière récemment par le professeur Poncet ?

Ces deux éléments incitent donc à penser qu'on est en présence d'indi-

vidus en puissance de tuberculose ; imprégnés d'une façon plus ou moins

profonde par les produits de sécrétion bacillaire.

(1) flUTINKL, Soc, méd. des hôp. de Paris, 15 mars 1893, p. 235.

(2) BERTIIEKAND, Le diagnostic de la tuberculose pulmonaire chez les jeures enfants

thèse de Paris, 1899-1900.

L'ACROCYANOSE CHRONIQUE HYPERTROPHIANTE 25

La dennalo-hyperl/'opMe pourraitdonc bien, dans une certaine mesure, être

une manifestation de la tuberculose. On sait, en effet,qu'à côté des lésions

cutanées dont est responsable par sa présence le bacille de Koch (lupus

dans ses différentes variétés), y a une série de dermatoses que l'on tend

de plus en plus, présentement, à considérer comme causés par le produit

de sécrétion du microorganisme. Ce sont les tuberculides de M. Darier,

les loxituberculides de M. Hallopeau : leur caractéristique est que dans

eur intérieur, on ne trouve jamais de bacille de Koch, et qu'elles ne réa-

gissent pas à la tuberculine. Il en est plusieurs variétés : lupus érythéma-

teux, l'érythème induré, l'acnitis, etc.

Mais quand il s'agit de faire entrer l'acro cyanose chronique hyperthro-

phiante dans une de ces classes, la difficulté est grande. Tout au plus, peut-

on la rapprocher des toxituberculides, mais il n'en existe, à notre sens,

aucun type morbide qui y soit absolument conforme. En consultant une

Revue critique de M. Leredde sur ce point (4 ), on n'y trouve aucune espèce

de loxituberculides qui puisse cadrer avec elle. La seule forme qui offre

quelque analogie est le lupus pernio : et dans la planche I annexée à un

travail (2), qui provient du moulage du musée de St-Louis, on trouve à

côté du visage,deux mains de coloration asphyxique, sans lésions apparen-

tes,qui offrent une ressemblance singulière avec celles de noire malade. La

pièce est étiquetée : « lupus pernio » ; dactylites scrofulo-tuberczsleitses avec

asphyxie des extrémités. C'est probablement de ce type que l'acrocyanose

se rapproche le plus étroitement. Elle n'appartient pas. au lupus pernio

dans lequel,dit \'I. Leredde,« on note des plaques saillantes, d'une colora-

tion violacée, tendant la surface de la peau, sensibles à la pression. Ces

lupus peuvent présenter l'atrophie centrale de la forme commune, mais

souvent on observe une complication qui leur est propre : ce sont des es-

chares et des ulcérations, laissant des [cicatrices profondes ». L'acro-

cyanose, ainsi nommée en se plaçant au point de vue de la neuro-patho-

logie, pourrait donc bien être, dans la nomenclature des dermatologistes,

une dactylite scrofulotuberculeuse avec état cyanique permanent des

mains et des pieds. Sous ces dénominations diverses, parce qu'envisagée

à des points de vue différents elle n'en garde pas moins son unité clinique

et symptomatique.

Mais quant à l'interprétation de sa pathogénie, nous ne pouvons con-

clure : des observations détaillées sontencore nécessaires pour mieux con-

naître le mécanisme intime, les causes déterminantes,et pour classer défi-

nitivement cette affection dont j'ai essayé d'esquisser la physionomie.

(1) LEREDDE, Les tuberculides (Rev. génér. Sem. médic., 1900, p. 1).

(2) LMMDE, loc. cil., p. 4.

CLINIQUE MÉDICALE DE L'IFOPITAL SAINT-ÉLOI, DE VIONTPELLlER

(Service du professeur Grasset.)

UN CAS D'HLMfATROPHI FACIALE PROGRESSIVE

PAR

CALMETTE, ET , PAGES,

Chef de clinique médicale. interne des hôpitaux.

Observation.

Notre malade est une jeune fille, âgée de quinze ans; t'hémiatrophie porte

sur le côté gauche de la face. Au point de vue du sexe, de lige et du côté de

la face atteint, elle rentre bien dans le cadre classique de la maladie de Rom-

berg.

Le début de l'affection remonte à l'âge de douze ans. L'entourage fit re-

marquer à la jeune fille que sa paupière inférieure enflait, mais bientôt après

on s'aperçut que tout le côté gauche de la face s'atrophiait et que ce prétendu

oedème de la paupière droite n'était qu'une apparence due au contraste avec

l'atrophie du côté gauche.'

L'affection a suivi sa marche progressive habituelle, avec toutefois, sem-

ble-t-il, un temps d'arrêt depuis le mois de juin dernier, époque où la malade

se présenta à l'Hôpital Général, à la consultation* de M. le professeur agrégé

Rauzier, qui prescrivit un traitement électrique.

Avant d'exposer l'état actuel, insistons sur quelques particularités du début.

Tout d'abord il ne s'est pas fait par une tache décolorée de la peau, comme on

l'a constaté le plus souvent. Cette jeune fille n'a présenté ni céphalalgie unila-

térale, ni crises convulsives où douleurs dans le côté atteint ainsi qu'on a pu

le noter dans quelques observations. Toutefois depuis lors, la malade a

éprouvé quelques légères douleurs mais toujours de faible intensité : elle ne

les mentionnerait pas si on n'attirait son attention sur ce point. Disons enfin

que dans notre cas 1'liéniiatropliie est strictement limitée à la tête et que le

tronc, le cou et les membres ne présentent pas trace d'atrophie. Aujourd'hui

le contraste entre les deux côtés de la face est frappant : il est bien mis en

évidence en rapprochant les denx excellentes photographies de profil de la ma-

lade dues à l'obligeance de M. Gagnière. Le profil gauche semble appartenir à

une personne beaucoup plus âgée : c'est, on pourrait dire, le portrait de notre

malade vieillie de nombreuses années ou le portrait de sa mère. Ces deux faces

sont assez nettement délimitées par une ligne médiane : la réunion ne se lait

pas à des niveaux différents, par des sortes d'échelons, comme le signalent les

auteurs. (PI. III et IV). '

Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE, T. XVI. PI III

HEMIATROPHIE FACIALE PROGRESSIVE

(Cal met te et Tagès)

Masson & CIIt, Editeurs

UN CAS D'HÉMIATROPHIE FACIALE PROGRESSIVE 27

Du côté de la lésion le front est aplati, l'oeil enfoncé, la fosse temporale

excavée ; l'oreille est cependant intacte ; la joue, de coloration plus pâle que

celle du côté opposé, est appliquée contre le squelette dont elle dessine le re-

lief ; l'aile du nez est atrophiée, la lèvre supérieure a fondu et n'offre plus qu'un

mince liséré rouge ; elle nous présente une encoche mettant constamment à

découvert les deux incisives, ce qui donne à tout ce profil gauche l'expression

d'un profond dédain.

Si après cette vue d'ensemble, nous passons aux détails, nous voyons que la

peau de la joue est souple, se laisse plisser, ne donnant nullement la sensation

de parchemin et que sa coloration pour être moins prononcée que du côté

opposé n'en est pas moins assez intense.

Si nous explorons la sensibilité de la peau, nous la trouvons normale pour

tous ses modes (contact, douleur, température) : il n'y a ni hyperexcitabilité,

ni persistance des sensations.

Au point de vue sécrétoire, la sécrétion sébacée est conservée : la peau ne

présente pas de sécheresse ; la malade sue également des deux côtés. Nous

avons essayé d'examiner la réaction sudorale à la pilocarpine en injectant cinq

milligrammes de nitrate en pleine joue des deux côtés : nous n'avons obtenu

que de la rougeur sans sueur, mais en tout cas pas de notable différence entre

les deux côtés.

Au point de vue de la vasomotricité, la joue malade est plus pàle, mais

peut rougir par les émotions. Les températures locales sont égales des deux

côtés.

Enfin notre malade ne présente ni chute, ni décoloration des cheveux, des

sourcils et des cils.

Du côté des muscles, la motilité est intacte aussi bien du côté du facial su-

périeur (occlusion des paupières) que du facial inférieur : la malade peut siffler,

souffler, faire la grimace. Et cependant l'atrophie musculaire est manifeste :

on peut nettement la constater sur l'orbiculaire des lèvres et sur le masséter.

Notre malade ne présente pas les contractions fibrillaires qu'on a quelquefois

notées. La contractilité électrique dont l'examen a été obligeamment Jait par

M. le professeur Imbert, est normale.

Pour le squelette, la palpation décèle une atrophie notable du rebord orbi-

taire, de l'os malaire, du maxillaire supérieur, du maxillaire inférieur et des

cartilages du nez. Pas de chute des dents.

Il existe dans notre cas une hémiatrophie frappant la langue et le voile du

palais.

La moitié gauche de la langue est considérablement diminuée de volume.

Cette bénnatrophie porte à la fois sur la partie antérieure de la langue et sur

sa partie postérieure située en arrière du V lingual ainsi qu'il résulte d'un

examen laryngoscopique du à l'amabilité de M. le professeur Ilédon qui a bien

voulu examiner également le larynx et les fosses nasales de notre malade. Mais

cette langue hémiatrophiée peut être aisément portée il droite et à gauche; sa

pointe n'est pas déviée. L'hémiatrophie est pourtant d'une telle intensité qu'elle

28 CALMETTE ET pages

ne frappe pas uniquement la muqueuse et est bien le fait de l'atrophie des

masses musculaires de la langue.

La sensibilité de la langue au contact, à la douleur et sa sensibilité gusta-

tive sont conservées.

L'hémiatrophie de la moitié gauche de la voûte palatine et du voile du palais

est manifeste; la luette ne paraît pas déviée.

Pour être complets, terminons en notant que la sécrétion lacrymale est nor-

male ainsi que la sécrétion nasale. La muqueuse du nez ne présente pas de

trouble d'aucun mode de sa sensibilité. La rhinoscopie a montré que le cornet

inférieur gauche n'est pas atrophié et que la sécrétion de la muqueuse est nor-

male. L'examen du larynx n'a révélé aucune altération de cet organe. Notre

malade ne présente pas d'inégalité pupillaire ; ses deux pouls carotidiens pa-

raissent égaux ; elle ne présente pas de scoliose.

Réflexions.

On a reproché aux descriptions classiques d'être trop embellies, de viser

un idéal, un modèle, le prototype du genre, le célèbre Otto Schwann

qui vivait en s'exhibant dans les diverses cliniques et en vendant la pho-

tographie de ses deux profils : mais voilà un type presque aussi complet.

Si J'étiologie de cette singulière affection nous parait si obscure que

nous ne saurions l'aborder, il nous semble intéressant d'étudier sa phy-

siologie pathologique, car elle ouvre des aperçus fort curieux sur les

troubles trophiques en général.

En somme, voilà une affection qui respecte la motilité, la sensibilité,

les sécrétions, la vasomotricité pour ne frapper que la trophicité et, qui,

poussant l'analyse plus loin que le physiologiste, semble isoler des fibres

trophiques.

Pour expliquer la pathogénie de l'hémiatrophie faciale, deux grandes

théories étaient en présence : d'une part la théorie bordelaise de l'aplasie

lamineuse, celle qui voit dans l'affection une atrophie primitive du tissu

cellulaire sous-cutané et qui est exposée dans la thèse inaugurale de Lande,

de l'autre, une théorie nerveuse qui plaçait la lésion tantôt dans le nerf

facial, tantôt dans le sympathique, tantôt dans le trijumeau.

La première théorie peut être facilement éliminée : il apparaît nette-

ment au simple aspect de cette affection exactement hémilalérale que nous

nous trouvons en présence d'une affection nerveuse.

Pour les deux théories nerveuses invoquant une lésion du facial ou du

trijumeau, nous ne voulons pas exposer ici les diverses raisons qui mili-

tent pour ou contre chacune d'elles, mais dans notre cas nous pouvons

les éliminer en bloc pour une seule et même raison : notre hémiatrophie

ne se limite pas au territoire de l'un ou l'autre de ces nerfs.

Le sympathique a bien un territoire aussi vaste que notre lésion, mais

Nouvelle Iconographie DE la SArrGrxr;ax.

T. XVI. PI. IV

HÉMIATROPHIE FACIALE PROGRESSIVE

(Cal nielle el Pagès)

Masson & Ci-, Editeurs

Phototypie Berthaud, Pans.

UN CAS D'HÉMIATROPHIE FACIALE PROGRESSIVE 29

nous n'avons ni inégalité pupillaire, ni inégalité des pouls carotidiens, ni

surtout de trouble vasomoteur manifeste.

En présence d'une affection exactement hémilatérale, envahissant plu-

sieurs territoires nerveux (trijumeau, facial, hypoglosse, glosso-pharyn-

gien), il est donc naturel de penser à une lésion de l'axe cérébro-spinal ;

c'est cette théorie qu'a exposée Brissaud dans une belle clinique sur les

trophonévroses céphaliques.

Quelle est la lésion ? 11 semble difficile de le dire puisque nous n'avons

dans la littérature médicale qu'une autopsie de Mendel, dans laquelle l'on

s'est arrêté à une névrite interstitielle qui pouvait n'être que secondaire

chez un malade atrophié depuis de nombreuses années.

Brissaud, rapprochant les cas d'hémiatrophie faciale s'accompagnant

d'hémiatrophie du tronc et des membres et les cas d'hémia[cophie sans par-

ticipation de la face qu'on constate dans lessyringomyélies, émet l'hypothèse

d'une syringo-encéphalie, d'une gliomatose de la substance grise périépen-

dymaire bulbo-protubérantielle. C'est là une hypothèse séduisante, mais

qui aurait besoin de vérification anatomique.

Quoi qu'il en soit, nous conclurons que pour des cas comme le nôtre la

lésion nerveuse doit être transportée de la périphérie dans les centres.

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

(Professeur RAYMOND)

THOPHOEDÈME CHRONIQUE, ACQUIS ET PROGRESSIF

PAR

J. A. SICARD, LAIGNEL LA.VASTINE,

chef de clinique Interne

à la Salpêtrière.

Parmi les nombreuses classifications des oedèmes, la dernière venue,

celle basée sur l'évolution du syndrome et non plus sur son étiologie ou

son mécanisme pathogénique apparaît comme la plus simple et la plus

légitime, au lit du malade.

On doit donc décrire des oedèmes aigus et des oedèmes chroniques.

I. Les oedèmes aigus (à part ceux à étiquette infectieuse évidente :

tels, par exemple, l'oedème aigu du phlegmon, du charbon ou de l'érysi-

pèle) relèvent du type décrit par Quincke.

II. Le groupement des oedèmes chroniques est au contraire plus dé-

licat. Si l'on distrait de ce groupe les oedèmes chroniques classiques, ceux

sanctionnés depuis longtemps par la clinique et qui sont sous la dépen-

dance directe des cachexies ou des maladies du coeur, des reins, il reste

une série confuse de faits disparates où l'on rangeait dans un même

désordre l'oedème rhumatismal, l'éléphantiasis vrai, l'éléphantiasis faux

pseudo-arthritique, le myxoedème localisé, l'oedème segmentaire et même

l'oedème chronique hystérique.

A Henry Meige revient le mérite d'avoir, dans une série d'études (1), en

créant un mot et en isolant un type, attiré de nouveau l'attention sur ces

faits. Le terme de trophoedeme chronique a su rallier tous les suffrages.

Mais peut-être, à l'heure actuelle,est-il nécessaire de préciser davantage

et de reconnaître au moins à deux types, sous la dénomination générale

de trophoedème, une certaine autonomie.

La classification générale des oedèmes pourrait être ainsi établie :

1. - 0>Jucnrrs aigus. A. Infectieux proprement dits, tels, pour ne

citer que quelques exemples : l'oedème du phlegmon du charbon malin,

de l'érysipèle. '

(1) HENRY MEIGE, Congrès d'Angers, 1898 : Presse médicale, 14 déc. 1898. Nouv.

Iconographie de la Salpêtrière, n^ 6, 1899. - Ibid. n^ 6, 1901.

TROPn01'sDÈME CHRONIQUE, ACQUIS ET PROGRESSIF 31

B. Névropathiques ? du type Quincke (1). ,

II. OEdéme hystérique (type Charcot).

III. OEdèmes chroniques.

A. Au cours des maladies du coeur, des vaisseaux, des reins,r : tll cours

des cachexies, et de certaines maladies chroniques du système nerveux.

B. OEdème chronique éléphantiasique (dû à la filariose).

C. Trophoedème (type Meige), que nous croyons nécessaire de subdi-

viser en trophoedème congénital, pouvant encore être héréditaire et fami-

lial et trophaedéme acquis.

D'après les observations que nous avons compulsées, nous pensons en

effet que le type de trophoedème congénital, héréditaire ou familial est le

plus stable, le plus identique à lui-même, s'installant chronique d'emblée,

et restant à peu près immuable une fois créé.

Le type de trophoedème acquis, au contraire, prêterait à une symptoma-

tologie plus variée, serait susceptible de progression, d'arrêt, de rétro-

cession même, pouvant il est vrai, s'installer chronique d'emblée, mais

succédant, dans quelques cas, à des poussées à répétition d'oedème aigu ou

subaigu. L'élément étiologique serait ici moins incertain : les maladies

infectieuses, le traumatisme interviendraient efficacement dans sa genèse.

Et si l'on voulait tenter uneanalogie, l'histoire du rétrécissement mitral,

serait là pour plaider en faveur de cette différenciation : le type congéni-

tal du rétrécissement mitral s'affirmant avec l'unité de son cortège de

troubles locaux et généraux ; le type acquis, au contraire, se révélant par

la diversité de ses formes et de ses associations morbides.

C'est au type de « ll'ophoetlème acqitis que se rapporte l'observation

suivante intéressante par son allure symptomatique un peu particulière et

par la précision du point de départ des accidents.

Observation .

Mlle Lucie J... âgée de 28 ans, institutrice, est entrée le 12 juin 1902 à la

Salpêtrière, dans le service de M. le professeur Raymond, adressée a l'un de

nous par MM. Peyrot et Le Lorier.

Antécédents familiaux.- Sa mère, morte à 55 ans, était nerveuse.

Un des frères de la malade est hystérique. Les autres sont bien portants.

Aucun membre de la famille n'a présenté d'oedème segmentaire analogue à

celui de la malade.

Antécédents personnels. - Dans le jeune âge, elle a eu la rougeole, la scar-

latine et une pneumonie.

(1) Voir pour l'historique, la symptomatologie et les formes de cet oedème aigu

type Quincke : l'excellente thèse de Le Calvé, OEdème aigu toxinévropathique de la

peau et des muqueuses. - Maladie de QuincLe. 1901, Paris, Ed. Boyer, et la mono-

graphie de Cassirer, Die vasomotrisch trophischen 1\-ercroen, 1901.

32 SICARD ET LAIGNET.-LAVASTINE

Réglée à 15 ans, elle était très bien portante et séjournait en Russie depuis

quatre ans quand survint l'accident qui parait être l'origine des phénomènes

actuels.

Histoire de la maladie. - En février 1900, Lucie J... patinait à Saint-

Pétersbourg quand elle tomba sur la cuisse gauche en « se tournant » le pied

gauche en dehors. Malgré une douleur assez vive, elle peut marcher après sa

chute. Une ecchymose apparut au cou-de-pied, ecchymose qui disparut assez

rapidement. La malade put au bout de trois jours recommencer à patiner ;

mais huit jours plus tard elle s'aperçut d'un gonflement sans changement de

coloration de la peau de la région malléolaire interne gauche. Ce gonflement,

d'abord localisé à la malléole interne, envahit peu à peu tout le cou-de-pied,

puis la jambe jusqu'au genou. Il disparut d'abord par le repos horizontal, mais

il reparut bientôt, s'accompagnant d'oedème mou de la face dorsale du pied,

qui seul disparaissait dans la position couchée.

La tuméfaction ainsi constituée en 1900 diminua en janvier 1901. L'année

se passa relativement bien ; la malade pouvant aller et venir, et se chausser

sans douleurs ; puis la jambe gauche augmenta de nouveau. Il s'y joignit bien-

tôt des douleurs qui firent entrer la malade à l'hôpital Lariboisière le 12 mai

et à la Salpêtrière le 22 juin.' .

Examen le 22 juin 1902. A cette époque, on constatait une augmentation de

volume de la jambe gauche s'arrêtant au genou et prédominant dans les régions

sus-malléolaires. La peau de la jambe gauche, blanche, lisse, douce au toucher

était sans troubles de la pigmentation ou du système pileux. Son contact don-

nait une impression de froid plus grande que du côté droit. La pression ne dé-

terminait le godet de l'oedème mou que sur la face dorsale du pied. Au niveau

de la jambe la peau avait une résistance élastique. La pression au niveau du

sciatique poplité interne était un peu douloureuse de même que la marche.

Il n'y avait aucun trouble de la motilité, de la sensibilité, ou des différents

viscères. '

Depuis lors, pendant six mois, des médications variées ont été instituées

(persuasion de l'état de veille par des pilules de bleu de méthylène et l'électri-

cité, essais d'hypnose, élévation du membre morbide sur un plan incliné, com-

pression graduée, opothérapie thyroïdienne avec des glandes fraîches de

mouton, etc.)

L'élévation du membre diminuait son volume, mais temporairement; l'opo-

théraphie thyroïdienne qui fut poussée par erreur très loin, jusqu'à l'ingestion

de six lobes de thyroïde par jour, produisit l'exagération des réflexes tendi-

neux et du clonus passager du pied ainsi qu'un état d'hyperesthésie doulou-

reuse généralisée, mais ne modifia en rien la jambe gauche.

Bien plus la tuméfaction, localisée d'abord à la jambe gauche, envahit, quoi-

que légèrement, la cuisse et la grande lèvre du même côté, et depuis un mois,

d'une façon encore plus légère mais néanmoins certaine, la face postérieure de

la cuisse du côté droit.

Les mensurations faites respectivement en uin et en décembre rendent

compte de ces changements.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XVI. PI V

TROPHOEDÈME CHRONIQUE, ACQUIS ET PROGRESSIF

(Sicard et Laignel-Lavasline) .

Masson & C ? Editeurs

TROPIJOEDÈME CHRONIQUE, ACQUIS ET PROGRESSIF 33

Circonférences :

34 SICARD ET LAIGNEL-LAVASTINE

aucun trouble des sensibilités objectives tactile, douloureuse et thermique

aucun tronble des sensibilités profondes. Les cercles de Weber ont la même

largeur des deux côtés, aucun stigmate d'hystérie, pas de point ovarien, pas

de rétrécissement du champ visuel, ni de dischromatopsie.

La raie rouge vasomotrice de Vulpian est plus longue à se produire et

persiste moins longtemps à gauche qu'à droite.

L'examen électrique des nerfs et des muscles pratiqué par M. Huet n'a

montré aucun trouble qualitatif ou quantitatif des réactions électriques.

L'épreuve de la pilocarpine faite en injectant 2 centigrammes de nitrate

de pilocarpiue sous la peau au niveau de la ligne médiane de l'abdomen a pro-

duit une sudation bilatérale et symétrique des téguments des membres infé-

rieurs.

L'examen des urines a donné les résultats suivants :

TROPIIOEDÈIE CHRONIQUE, ACQUIS ET PROGRESSIF 35

En résumé, chez une jeune femme de 27 ans, à hérédité névropathi-

que survient à la suite d'un traumatisme du pied gauche (entorse) un

oedème douloureux localisé au niveau et un peu au-dessus de la région

contusionnée. Cet oedème d'abord fugace, transitoire, évolue bientôt

par poussées subaigues, et se fixe à demeure pour gagner progressive-

ment, et par étapes circulaires, la jambe, la cuisse du même côté. Il

s'étend même par l'intermédiaire de la région dorsale inférieure, à la

racine de la cuisse du côté opposé. Cette évolution lente et toujours pro-

gressive a débuté il y a plus de deux ans.

Tel est le tableau clinique. Quel diagnostic nosologique porter ? : '

Il ne peut s'agir d'oedème, reliquat, témoin d'une fracture osseuse mal

consolidée, d'un cal douloureux. Plus encore que l'enquète étiologique, la

radiographie nous montre l'intégrité absolue des surfaces osseuses.

Il n'existe également dans le petit bassin, aucune cause de compression

des vaisseaux sanguins ou lymphatiques. Les ganglions inguinaux sont nor-

maux.

L'absence de varices lymphatiques, de séjour dans les pays contaminés,

d'éosinophilie sanguine, et d'embryon de filaires dans le sang ne nous

permet pas de penser à la filariose.

. L'oedème hystérique, tel qu'on doit le comprendre aujourd'hui et tel

que Chariot l'a décrit, présente un ensemble de caractères trop particuliers

pour prêter ici à confusion. L'oedème hystérique (au moins dans les obser-

vations auxquelles on peut ajouter foi) s'est toujours montré accompagné

soit d'anesthésie superposée et de contracture musculaire sous-jacente,soit

au moins de l'un de ces deux symptômes. D'emblée ou très rapidement,

il acquiert son intensité maximum, il obéit à la suggestion, et n'évolue

jamais sous cette forme lente et progressive. La jeune malade ne présente

du reste aucun des stigmates de la grande névrose.

Eliminons encore l'hypothèse de névrites périphériques au sens

propre du mot - hypothèse qui n'est pas soutenable, et nous restons en

présence d'un cas de dystrophie oedémateuse, auquel le terme de « troph-

oedème acquis » post traumatique semble parfaitement s'appliquer.

Le syndrome, ici décrit, différerait peut-être (1) de celui de Neige par

l'installation à demeure de l'oedème à la suite de poussées subaiguës, par

(1) M. Meige a en effet]décrit l'histoire d'une famille de trophoedèmes dans laquelle

l'affection avait procédé chez trois des membres, et au début tout au moins, par des

poussées subaiguës {Nouv. Icon. de la Salpétr., no 6. 1899).

36 SICARD ET LAIGNEL-LAVAS'IINE

l'extension constante et encore aujourd'hui lentement progressive de cet

oedème, et surtout par les caractères de chaleur, de rougeur,de douleur, et

de mollesse qu'il acquiert rapidement dans la station debout de la malade.

Dansle décubitus dorsal .les proportions du membre inférieursontmoindres,

et l'oedème se transforme assez vite. De chaud, mou, rouge et douloureux,

il devient dur, lardacé, blanc, froid et à peu près indolore.

Le mécanisme pathogénique des Irophoedèmes en général, resle bien

incertain; mais, s'il était permis d'évoquer une hypothèse, tous les faits

plaideraient, il nous semble, dans le cas actuel, en faveur de la théorie

sympathique soutenue par Brissaud et Meige.

C'est sur un terrain spécial que vient agir un traumatisme. L'excitation

sensitive créée se transmet au centre par la voie centripète. Elle est en-

registrée, mal élaborée et parvient ainsi modifiée au système sympathi-

que qui la retourne à la périphérie sous forme de réaction anormale par

excitation vasodilatatrice ou par paralysie vasoconstrictive. L'oedème est

produit. La réaction des tissus environnants intervient. L'épine irritative

se perpétue, et de proche en proche s'effectuera, suivant des lignes seg-

mentaires, la réaction sympathique jusqu'au jour où la moelle mieux édu-

quée pourra corriger l'excitation défectueuse et rétablir le trophisme

normal.

UN FAIT DE MACRODACTYLIE

PAR

FÉLIX LE JARS,

Agrégé, chirurgien de l'hôpital Tenon.

Je ne veux rappeler ici aucune des questions si intéressantes que soulève

la pathogénie du gigantisme local ; je tiens seulement à inscrire un fait sur

la liste des macrodaclylies, un fait curieux, je pense, et auquel les belles

photographies et radiographies de M. Infroit, le dessin d'après nature

du D' Daleine, assurent une réelle valeur documentaire ; j'ajouterai

quelques réflexions sur le « traitement» de ces doigts monstres, autrement

dil sur la date et le mode de leur exérèse.

La jeune Julienne B. ,âgée de 13 ans,originaire de la Somme, m'est ame-

née, en mars 1902, par mon ancien élève M. Pescray. Cette enfant,d'ailleurs

bien constituée, sans nulle autre malformation et nulle tare héréditaire,

porte à la main gauche l'énorme médius figuré ci-dessous ; longtemps la

mère s'est refusée à laisser amputer le doigt, mais la gène est devenue si

intense, les heurts douloureux sont si fréquents, l'impotence de la main

est telle que finalement l'opération nécessaire est acceptée.

Il n'y a pas d'exemple, dans la famille, aussi loin que l'on puisse re-

monter, d'anomalie semblable, ni, au reste, d'aucune malformation quel-

conque; cette famille est composée de campagnards robustes, de taille

moyenne, « très sains » ; on n'a gardé le souvenir d'aucun « géant ». Le

père et la mère n'étaient pas consanguins; ils ont d'autres enfants tout à

fait normaux. On ne trouve rien en somme, dans les antécédents, et je ne

m'arrête pas à l'histoire banale, et tant de fois répétée, d'un « regard »

pendant la grossesse : un gros doigt tuméfié par un panaris, que la mère

aurait vu avec effroi dans les derniers mois.

Dès la naissance, le médius gauche était plus long et plus gros que le

droit, et débordait grandement ses voisins; depuis, il n'a cessé de croître

en longueur et en épaisseur, et beaucoup plus vile que les autres : il croit

toujours.

Ce médius gauche mesure 15 centimètres de long, de l'extrémité de la

pulpe à l'interligne métacarpo-phalangien ; sa circonférence est de 12 cen-

timètres au milieu de la première phalange, de 11 cent. 1/2 au milieu de

la deuxième,de 9 centimètres sur la troisième, à la hauteur de la sertissure

38 FÉLIX LE JARS

de l'ongle. Sa forme générale est cylindroïde : il figure une sorte de gros

boudin gras, très droit, d'ailleurs. La peau conserve ses plis normaux,

elle n'est ni tendue ni lisse, l'ongle est bien dessiné, un peu recouvert

seulement par le bourrelet épais qui le circonscrit.

La consistance du doigt est mollasse, graisseuse. Quant aux articulations

interphalangiennes et métacarpo-phalangiennes, elles sont mobiles, et

l'inflexion du doigt entravée seulement par le volume de ses parties molles

palmaires qui forment coussinet d'arrêt.

On peut voir, sur les photographies (Pl. VI), comment le médius-mons

tre s'est fait sa place en écartant les deux doigts voisins : l'index est as-

sez peu dévié, en tout semblable à celui du côté droit. Il en va autrement

de l'annulaire.

L'annulaire est incurvé en dedans, au niveau de ses deux dernières

phalanges et dessine une courbe concave versl'auriculaire, qui se laisse re-

dresser mais tout de suite reparaît. Il est aisé de se rendre compte, d'ail-

leurs, par la radiographie, quel'extrémité antérieure des Il, et 2° phalanges

est déformée, saillante en dehors, et comme aplatie dans l'aire de la joue

trochléenne interne. Enfin ce doigt est plus long de 1 cent. 1/2 que son

congénère, et sa circonférence plus large de 2 centimètres environ (PI. VII).

Il est donc, lui aussi, quoique à un degré beaucoup moinclre,macrodac-

tylique, et, de plus, ses deux dernières articulations sont lesiège d'une

déformation évidente. Est-elle secondaire à l'effort excentrique exercé par

le médius-géant, et doit-on ne voir là que le résultat d'une pression lente,

continue et prolongée ? Il est plus probable que les altérations osseuses

étaient primitives, et que nous avions-là, sous une forme encore peu

avancée, un exemple de cette ostéite hypertrophiante des extrémités phalan-

giennes,récemment étudiée par M.Boinet (1). Nous y reviendrons, Toujours

est-il que ces lésions conjointes de l'annulaire'sont d'importance pour le

pronostic fonctionnel.

Quant au médius-géant, le parti à prendre était, en effet, fort simple :

l'enlever ; du reste, il eût mieux valu le faire beaucoup plus tôt.

Je pratiquai donc, sous le chloroforme, la désarticulation métacarpo-

phalangienne, en taillant;jdeux lambeaux latéraux; le doigt tombé, je

dénudai la tête du métacarpien, et, au niveau de son col, je la fis sauter

avec une pince coupante ; la surface de section osseuse fut régularisée et

arrondie à la pince-gouge, et je réunis.

Tout se passa sans incident, bien que les lambeaux dûment dégraissés à

leur face profonde, fissent évidemment preuve d'une vitalité moindre que

d'ordinaire. Quant j'enlevai les fils, au 8° jour, les lèvres de la petiteplaie

(1) BOI1ET, De la macrodaclylie congénitale (Presse médic., 4 sept. 1901, n'il,

p. 111).

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, T, XYI. Pl YI

MACRODACTYLIE

(F. Le jars)

Masson & Ci,, Editeurs

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. Pl VII

MACRODACTYLIE

(F. Lejars)

UN FAIT DE MACRODACTYLIE 39

étaient accollées, mais un peu flasques et du liquide graisseux comme de

l'huile coulait par gouttes à l'extrémité de la ligne de suture. Au bout

d'une quinzaine de jours tout était entièrement cicatrisé.

L'enfant rentrait chez ses parents, et sur ma demande, M. Pescray instal-

lait un petit appareil élastique, destiné à rapprocher l'index de l'annulaire

et, sur ce dernier, à corriger l'incurvation des deux dernières phalanges.

L'avenir dira ce que nous obtiendrons dans ce sens; dès maintenant la

fillette se sert bien de sa main et le résultat fonctionnel est très satisfaisant.

Je répète qu'à mon sens, il eût été meilleur de sacrifier beaucoup

plus tôt ce doigt monstre ; on ne saurait trouver aucun bénéfice à atten-

dre, dès que le doigt a acquis des dimensions gênantes et qu'il continue à

croître. Bien entendu, toutes les macrodactylies ne sont pas aussi mons-

trueuses, et le « gros doigt » est observé de temps en temps chez des adul-

tes qui se sont peu à peu accommodés à lui et n'ont nul souci de le faire

extirper. En pareil cas, le processus gigantique si l'on peut ainsi dire

s'est arrêté à un certain stade, par l'ossification plus ou moins retardée,

des cartilages de conjugaison. Or, fussent-elles moyennes et « tolérables »

ces macrodactylies ne laissent pas que de devenir souvent, à une période

plus avancée, le siège de douleurs et d'altérations pathologiques.

M. Boinet y insistait, en communiquant à l'Académie de médecine, le

19 février 1901, l'histoire d'un homme de 38 ans, qui présentait une

hypertrophie congénitale du médius gauche : le médius s'était développé

surtout vers l'âge de 5 ans, puis au moment de l'adolescence et de la

puberté. Depuis 1895 (depuis l'âge de 32 ans), il était resté à peu près

stationnaire jusqu'à l'âge de dix-neuf ans, le « gros doigt » conservait

ses mouvements; quelques années plus tard, il commençait à s'enraidir

et à s'ankyloser progressivement. En 1901, les articulations inter-

phalangiennes avaient perdu toute mobilité; elles étaient ankylosées dans

l'extension, et « leurs surfaces articulaires élargies par une ostéite hyper-

trophique et par la formation d'ostéophytes » ; la radiographie montrait

fort nettement une végétation osseuse péri-articulaire. Ces ostéophytes et

ces ankyloses interphalangiennes consécutives se retrouvaient dans le

cas de MM. Jaboulay et Planchu;(4).

En pratique, on peut conclure que les doigts anormaux deviennent des

doigts malades, et « qu'ils ne valent rien » si la macrodactylie est étendue

à plusieurs, et que leur exérèse d'ensemble soit denatnre àdéformergra-

vement la main, il y a lieu, évidemment, de se demander si le résultat

fonctionnel à prévoir sera supérieur à l'état présent. En thèse générale,

si l'hypertrophie porte sur un seul ou deux doigts, l'exérèse précoce est

tout indiquée.

(1) Planciiu, Un cas de macrodactylie (Lyon médical, 1897, p. 372).

40 FÉLIX LEJARS

Il est arrivé pourtant que la désarticulation hâtive du doigt-géant n'ait

pas enrayé le processus gigantiqueet l'observation de Fischer (1) est bien

connue : chez un garçon de 9 mois, il désarticule l'annulaire droit, long

de six centimètres et large de 2 centimètres, sur une circonférence de

7 centimètres. Six mois après, la main et le bras correspondant sont nota-

blement hypertrophiés; on trouve un lipome dans I*aiselle droite. Au bout

de six mois, on répète les mensurations, l'hypertrophie s'est encore déve-

loppée ; elle porte sur tout le membre et sur la moitié interne de la main,

le lipome a pris, de son côté, de grandes dimensions. Les faits de ce genre

appartiennent à un type différent de celui que nous considérons ici.

Mais pour en revenir au gigantisme tout local à la macrodactylie pure

et simple, uni ou bidigitale, n'est-il pas à craindre, après la désarticulation

métacarpo-phalangienne, que l'activité anormale du cartilage conjugal

de la tête métacarpienne ne puisse créer un allongement secondaire, une dé-

formation ultérieure du moignon ' ?

C'est là une première raison qui milite en faveur de l'amputation dans

la continuité du métacarpien ou, tout au moins.de l'excision large de la tête

métacarpienne et du cartilage conjugal complétant la désarticulation du

doigt-géant. Il y en a d'autres.

Cette tête métacarpienne, qu'on laisse en place, ne reste pas toujours

indemne et gênante seulement par son volume : dans le fait de MM. Ja-

boulay el Planchu (2), (macrodact3l ie de l'annulaire et du médius gauches),

on avait pratiqué, à l'âge de 4 ans, la désarticulation de l'annulaire : or,

l'extrémité du 4° métacarpien fut atteinte ultérieurement d'ostéite raré-

fiante.

Enfin, sans plus insister, des raisons de « plastique fonctionnelle»,

aujourd'hui bien connues, doivent faire tenir l'amputation dans la conti-

nuité du métacarpien pour l'opération de choix au moins lors d'exérèse

des doigts du milieu. Après la désarticulation simple, la tète métacar-

pienne reste interposée, comme une sorte de butoir, entre les deux doigls

voisins, et l'obstacle est, ici, d'autantplus réel, que la tète osseuse est le

plus souvent, elle-même, « hypertrophiée » ; a-t-on amputé dans la conti-

nuilé, les doigts se rapprochent et peu à peu sont ramenés au parallélisme,

restituant à la main une forme plus régulière et surtout une meilleure

aptitude fonctionnelle. C'est là, d'ailleurs, un fait acquis pour les ablations

totales des doigts (3), et la règle trouve seulement ici, dans l'exérèse des

doigts géants, une application très précise et très heureuse.

(t) Fischer. Der Riesenwuchs. Deutsche Zeitschrift f. Chir., 1880, Bd. XII, 1,

p. 10, observ. 5.

(2) Loc. cit.

(3) Voir, en particulier, l'excellente thèse de M. L. Wacogne, De l'amputation du

médius el de l'annulaire dans le métacarpien, Lille, 1901, no : ;2 ?

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. PI. VIII

MACRODACTYLIE

(Cnyln) .

Masson & Cie, Editeurs

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière T. XVI. PI IX

MACRODACTYLIE

(Cayla).

Masson & CI-, Editeurs

MACRODACTYLIE

PAR

CAYLA.

Un curieux exemple de macrodactylie a été observé dans le service de

M. Pierre Marie, à Bicêtre. Les photographies et les radiographies qui

l'accompagnent, dues à M. Infroit, dispensent d'une description détaillée.

Voici, en outre, quelques renseignements concernant le sujet porteur

de ces doigts hypertrophiés.

C'est un garçon de 17 ans.

Antécédents héréditaires. - Aucune malformation chez les parents;

deux soeurs bien conformées ; une d'elles, cependant, présente une hanche

sensiblement plus développée que l'autre.

ANTR,CÉDENTS PERSO.NNI1,S. - 1,'affection est congénitale (PI. VIIIetI1).

L'hypertrophie du membre droit a été constatée dès la naissance; elle

porte sur tous les segments y compris la racine (clavicule). Aux doigts la

disproportion existant entre les 3 doigts hypertrophiés (pouce, indexer

médius).et les deux doigts internes s'est progressivement accentuée depuis

la naissance.

Motricité. La force musculaire au dynamomètre est la même des

deux côtés (30). Le malade peut se servir de la main droite pour tous les

actes usuels (s'habiller, manger, écrire) ; il est même employé dans un

bureau comme copiste. Cependant la recherche des mouvements provoqués

montre une certaine impotence fonctionnelle : l'extension et la flexion des

Ires phalanges est très limitée ; les 3"5 phalanges sont complètement immo-

bilisables ; les208 phalanges, au contraire,peuvent être placées en extension

très prononcée; il existe des mouvements de latéralité tout à l'ait anor-

maux ; on peut amener les extrémités de l'index et du médius à la distance

de 25 centimètres et le sommetde leur angle d'écartement repose presque

dans cette position, sur le même plan que les extrémités.

Sensibilité. Sensibilité au tact bien conservée partout. La sensibilité

à la douleur et à la température est également conservée partout; mais

elle est sensiblement diminuée aux deux dernières phalanges des doigts

hypertrophiés (index et médius).

l111cl'odp/wlie, Face asymétrique, voûte palatine ogivale ; maxillaire

atrophié. Strabisme.

A PROPOS DU SUf-DISAtVT « SENS DES ATTITUDES »

PAR

ED. CLAPARÈDE,

(de Genève).

Dans un récent numéro de cette Revue (1), M. Pierre Bonnier répond à

quelques objections que j'avais formulées (2) contre sa théorie du sens des

attitudes, et il profite de l'occasion pour développer à nouveau cette théo-

rie, et pour attaquer la conception du sens musculaire telle qu'elle res-

sort des travaux expérimentaux et cliniques de ces dernières années.

J'ai longtemps hésité à répondre à ce dernier article : d'abord, je dois

avouer que malgré toute la bonne volonté que j'y ai mise, et le sincère

désir d'entrer dans les vues de mon distingué confrère, je ne suis pas

arrivé à pénétrer le sens exact de sa théorie et des arguments qu'il emploie

à la défendre. Ensuite M. Bonnier nous apprend (p. 150) que l'exposé

actuel qu'il nous fait de sa doctrine « annule tous les précédents » ; vaut-il

donc la peine de défendre mes critiques adressées à des mémoires que leur

propre auteur annule lui-même ? -Comme, cependant, dans sa réplique,

M. Bonnier à parfois exposé mes vues sous un jour inexact, je crois devoir

répondre quelques mots à ses attaques, d'autant plus que cela nous per-

mettra, chemin faisant, de nous expliquer sur certaines questions de mé-

thode qui ne paraissent pas encore être claires à quelques biologistes.

L'article de M. Bonnier contient beaucoup de métaphysique : on y dis-

cute l'essence de l'existence, qui consiste, nous dit-on dans le « quelque

part ». « Je pense, donc je suis, cela veut dire surtout : Il y a ici quel-

que chose qui pense, donc il y a ici quelque chose. » « Notre moi est un

endroit dans l'espace » (p. 181), les sens, l'intelligence, les idées ont

un poids, une forme(p. 132,180), etc. ,etc. Fuyons ces disputes, qui rap-

pellent les plus beaux temps de la scolastique médiévale, -le moindre

(1) P. BONNIER, Le sens des altitudes, Nouvelle Iconographie, ne 2, 1902, p. 146.

Sauf indication spéciale, c'est à ce mémoire que nous nous référerons.

(2) Eo. CLAPARÈDE, Avons-nous des sensations spécifiqups de position des membres ? 7

(Année psychol. VII, 1901).

A PROPOS DU SOI-DISANT « SENS DES ATTITUDES » 43

petit fait ferait bien mieux notre affaire, et, pour apporter un peu de

clarté dans toute cette confusion, groupons sous trois chefs, question de

mois, question de méthode, question de faits, les points en litige.

I. Question de mots. On lui a donné une grande importance; il n'y

a pourtant pas là de quoi fouetter un chat ! Il s'agit de savoir si le terme

sens musculaire mérite d'être conservé. Or, je crois que tout inexact et

imprécis qu'il est, ce terme convient fort bien, puisqu'il a acquis droit de

cité, et qu'il existe dans toutes les langues, pour désigner l'ensemble des

modalités perceptives (position, mouvement, résistance,poids) que concou-

rent à créer nos muscles, nos articulations, nos tendons, notre peau, etc.

Et la preuve en est qu'on l'emploie couramment dans ce but, et que cela ne

, trompe personne. Même ceux qui lui adressent des critiques - et j'ai été

un des premiers à le faire (1) - ne peuvent s'en passer, parce qu'une

appellation générale pour les modalités sensibles répondant à nos faits et

gestes est nécessaire en pratique. Ainsi M. V. Henri, que M. Bonnier appel le

à la rescousse, nonobstant qu'il trouve « très mauvais» le terme sens mus-

culaire, a désigné cependant l'étude qu'il a faite des sensations occasion-

nées par les organes moteurs : Revue sur le ...sens musculaire ! AI. Grasset

lui-même, qui a fait « une place honorable » clans son récent travail sur

le Vertige, aux conceptions de M. Bonnier, ne se gêne pas pour se servir

tant et plus du vocable incriminé (2).

Cette expression est employée dans tous les traités classiques et dans

toutes les langues. L'ouvrage qui contient les expériences les plus minu-

tieuses qui aient été faites sur la matière, celui de Goldscheider, porte le

nom de Physiologie des Muskelsinnes (Lei pzicr,. 189,),etc. Aussi suis-jeun

peu étonné de voir mon contradicteur m'accuser d'avoir « choisi » (p. 167)

de tous les termes le moins convenable. De plus en plus il me paraît que

11. Bonnier ne connaît, de cette vaste question, que l'infime partie que

j'en ai traitée; c'est la seule façon de s'expliquer certaines critiques qu'il

m'adresse (3).

(1) Du sens musculaire, Genève, 1897, p. 12, 36, 56. - NI. Bonnier m'accuse de lui

avoir, à propos de ce terme de sens musculaire, « joué le petit tour de dénaturer sa

pensée » (p. 161). Je croyais sincèrement qu'un des griefs qu'il avait contre ce mot

était que le sens qu'il désigne ne nous fait pas connaître nos muscles eux-mêmes.

M. Bonnier doit évidemment mieuk savoir que moi ce qu'il a voulu dire, et je lui

donne bien volontiers acte de sa protestation. Mais alors,si la version par moi adoptée

n'est pas exacte, quelle est donc la thèse défendue dans les pages 33 à 35 de l'Orien-

tation ? 7

(2) GItA55$T, Maladies de l'orientation et de l'équilibre, 1901, p. 54, 105, 191, 444,etc.

(3) M. Bonnier préfère le terme attitude à celui de position. Pour ma part, je re-

grette que le mot attitude ne soit pas réservé pour désigner le sentiment de la po-

sition du corps entier. D'après Littré, d'ailleurs, ces deux mots sont définis de la

même façon : « Manière de tenir le corps. »

44 ED. CLKPARÊDE

D'ailleurs cette prétention, que M. Bonnier refuse au terme sens

musculaire, d'être une appellation générale, il l'accorde bel et bien à son

sens des attitudes. « Le sens des attitudes a l'ambition de pénétrer un peu

partout» (p. 181). Il embrasse, en effet, les notions de mouvement,de force,

de temps, de moi, de non-moi, de personnalité, d'identité, d'unité de

conscience, d'abstrait, de concret (1). Il faudrait au moins être impartial,

et ce qu'on refuse à l'un ne pas le permettre à l'autre. Ah ! que M. Bon-

nier a raison lorsqu'il dit (p. 149) : « Quand une idée s'est fixée dans un

mot, elle finit par prendre, grâce à cette forme verbale, un air d'existence

réelle, et nous sommes constamment dupes de l'illusion subjective qu

nous pousse à prendre nos manières de voir, de penser, de dire, pour

des manières d'être des choses. »

II. Questions de méthode. La question est celle de savoir comment

nous arrivons à percevoir l'attitude de nos membres (je n'aborde pas ici

la question de l'attitude du corps dans l'espace, qui est restée en dehors de

nos discussions).

La première idée qui vient à l'esprit est qu'il s'agit là d'un sens auto-

nome, spécifique, qui nous renseigne immédiatement sur l'altitude, comme

le sens de la vue nous fait percevoir immédiatement les couleurs des objets

qui lui sont présentés. Mais on s'aperçoit bientôt qu'il ne peut en être

ainsi. Car la position n'est pas comme le rouge, le chaud, une donnée

simple, absolue, élémentaire ; c'est un état de relation entre diverses

données. L'attitude d'un segment est le lieu qu'il occupe dans l'espace par.

rapport à celui des autres segments ou du tronc. En d'autres termes, con-

naître l'attitude d'un segment, c'est connaître les distances qui le séparent

des autres parties du corps. La perception d'une attitude impliquera donc

au moins trois termes : la perception du segment à localiser ; la perception

(ou représentation) d'un (ou de plusieurs) autre point du corps par

rapport auquel la position est définie ; enfin, la représentation de la

distance séparant ces deux parties. Mais comment concevoir - à moins

d'admettre qu'il s'agisse là d'une notion innée, ce qui peut être le cas

pour certains animaux - qu'un sens puisse nous renseigner immédiate-

ment sur cette distance, immédiatement, c'est-à-dire avant que nous

l'ayons expérimentée'] ` ?

Prenons, pour fixer les idées, la statue de Bonnet ou de'Condillac au

moment où elle est encore à l'état de « table rase » ; plaçons, par exem-

ple, un de ses avant-bras à angle droit sur le bras, et accordons-lui à cet

instant la sensibilité tactile superficielle et profonde. A moins de suppo-

ser que notre statue ait des dons surnaturels de divination, ce qui serait

(1) P. 130 : >1NIEII, l'Orientation, en. VIII.

A PROPOS DU SOI-DISANT « SENS DES ATTITUDES » 45

contraire à l'hypothèse, on ne peut concevoir qu'elle ait la moindre notion

de l'attitude de son bras. Il se pourra qu'elle ait diverses sensations tac-

tiles provenant de l'articulation du coude, etc., mais elle sera incapable

de tirer de ces sensations le moindre renseignement sur la position de

son bras. Ce n'est que lorsqu'elle aura parcouru un certain nomhre de fois

avec l'avant-bras la série des positions qui s'échelonnent entre la flexion

et l'extension qu'elle arrivera à reconnaître telle position déterminée,

c'est-à-dire qu'elle arrivera à savoir combien de points intermédiaires,

ou quelle distance il faut parcourir pour aller de telle position à telle

autre. Les impressions qualitativement différentes, mais ne signifiant

rien par elles-mêmes correspondant à chacune des attitudes du membre

évoqueront alors, par association, l'usage de la distance qui sépare telle

partie de ce membre d'autres parties plus ou moins voisines, de même

qu'un mot sans signification pour nous peut en revêtir une grâce à son

contexte (1).

Les choses se passent-elles bien ainsi ? Ce n'est pas en rédigeant, comme

lefaiW1.13onnier,desréduisitoirescontrele « spiritualisme,» lanuitKpsy-

cho-religieuse » et ses fantômes, les superstitions héréditaires et les états

subjectifs « de NI. E. Claparède » (sic, p, 149), qu'on arrivera à le sa voir (2).

La psychologie, heureusement, n'en est plus à de pareils moyens de

locomotion : elle compte, au premier rang de ses procédés l'observation

et l'expérimentation. Nous verrons tout à l'heure ce que celles-ci nous

apprennent.

Auparavant, jetons un coup d'oeil sur la méthode de M. Bonnier. Ce

dernier remarque que nous percevons les attitudes ; au lieu d'entrepren-

dre des expériences pour se rendre compte de la façon dont se comporte

cette perceptivité, de ses conditions; au lieu de chercher si par hasard

elle ne serait pas susceptible d'analyse, etc., il décrète qu'il s'agit là

d'un sens (3), le baptise, le met en « formule biologique » (p. 146) et

tire de celte dernière une série de propositions qu'il voudrait faire passer

pour des faits scientifiques. Toujours la méthode scolastique.

(1) Pour plus de détails, voir mon article de l'Année psychol. VII, p. 249 252,et mieux

encore, TAl1lE, De l'intelligence, II, ch. n, § 4.

(2) Sans vouloir entrer ici dans la question de savoir s'il est antiscientifique de con-

sidérer les faits subjectifs comme immatériels, je me borne à renvoyer M. Bonnier à

l'article de 111. .Armand Gautier (de l'Institut) sur « la Vie », paru dans la Revue générale

des sciences du 30 juin 1902, et où cet auteur montre, en se plaçant au point de vue de

la chimie biologique, pourquoi les éléments de la pensée doivent être considérés

comme «des aliments immatériels, réalités sans masse ni matière ».

(3) Un sauvage, tombant subitement au milieu d'hommes civilisés, et voyant que

ceux-ci arrivent à, reconnaître la signification de certaines petites formes noires dessi-

nées sur du papier, ne manquerait pas d'admettre chez ces derniers un « sens » de la

lecture.

46 EU. CLAPARÈDE

Si au moins ces propositions étaient rigoureusement déduites ou en-

chaînées ! Mais trop souvent elles ne le sont qu'à la faveur d'un mot à

double sens, ou de la confusion que M. Bonnier persiste à faire entre les

phénomènes objectifs pris en eux-mêmes et ces phénomènes tels qu'ils

nous apparaissent ou sont réalisés par l'individu, entre les définitions

physiques et les faits psychologiques ou physiologiques.

Où la plupart des auteurs, depuis Lotze, Weber, et Ilelmholtz, ont vu

un problème des plus délicats, méritant plus qu'aucun autre les honneurs

d'une expérimentation précise et patiente, M. Bonnier n'aperçoit qu'une

chose toute simple (p. 157).

Pourquoi localisons-nous un contact au point du corps où il a été effectué ?

C'est parce que «. la sensibilité s'est éveillée au point de contact et ne

s'est pas éveillée ailleurs. Toute la localisation est là » (p. 157). Je ne

comprends pas que M. Bonnier puisse être satisfait de cette solution. Ne

voit-il pas que celle-ci n'est que la reproduction, sous une autre forme,

de la question elle-même, comme dans la fameuse réponse du quia est in

eo vertus dormitiva. M. Bonnier attribue ni plus ni moins à la sensibilité

une vertu localisatrice. Mais la question est précisément de savoir pour-

quoi telle sensation est localisée au point où le contact s'est fait, - et

pourquoi aussi, dans certains cas, elle est localisée ailleurs.

Je crois que M. Bonnier, sans s'en rendre compte, joue sur le mot lo-

calisation, qui est dans sa pensée tantôt la localisation objective, physique

de l'excitant, tantôt la localisation au sens subjectif, c'est-à-dire la con-

naissance par l'individu du lieu de son corps qui a été excité. C'est ce

qui lui permet d'affirmer qu'il suffit qu'une excitation ait lieu « ici et

non là » pour que cette excitation soit localisée (par le sujet) ici et non

là. Mais un phénomène objectif n'est pas la cause nécessaire de sa percep-

tion consciente ou, pour parler en termes objectifs, de sa prise en con-

sidération par l'organisme ; -il me suffit de rappeler ici les deux pointes

du compas de Weber : elles peuvent produire deux excitations cutanées

objectives sans qu'il en résulte la perception de deux contacts ; elles peuvent

être objectivement très éloignées et paraître subjectivement très rapprochées.

Il est bien inutile d'insister.

M. Bonnier me demande si j'admets « que notre perception des formes,

de la distribution des choses sur le champ visuel résulte immédiatement

[c'est moi qui souligne] de la distribution topographique des irritations

élémentaires sur la rétine ? » C'est une question captieuse, car que signi-

fie « résulte» ? Tout dépend si cela veut dire « a pour condition nécessaire» »

ou « a pour condition suffisante ». Ainsi l'impression rétinienne des let-

tres est nécessaire, mais ne suffit pas à leur lecture. Pour la réponse à. la

question qu'il me pose, je ne puis mieux faire que de renvoyer M. Bonnier

A PROPOS DU SOI-DISANT « SENS DES ATTITUDES » 47

aux discussions des nativistes et des empiristes, aux travaux de Weber,

IIelmlfoltz, Taine, etc., et surtout aux faits que les uns et les autres ont

produits à l'appui de leur thèse. Sans adopter la solution empiriste, qui

n'a plus de sens lorsqu'on la pousse jusque dans ses derniers retranche-

ments, on ne peut méconnaître que, pour ce qui concerne la perception de

la forme, du lieu, de l'attitude, les faits montrent que celle-ci ne résulte

pas immédiatement de la présence des excitants périphériques, mais né-

cessite une expérience préalable. C'est pour avoir pratiqué jadis la

méthode ultraobjective que des anciens physiologistes ont été amenés

à se poser l'absurde problème du pourquoi de la vision droite, l'image

rétinienne étant renversée (1).

M. Bonnier admet donc que le fait même pour la sensibilité d'être ob-

jectivement « distribuée » lui confère la faculté de percevoir cette distri-

bution. Or, il appert que cette hypothèse n'explique rien du tout de ce

qu'elle est censée éclaircir : elle nous paye de mots. En effet, ce ne sont

pas les corpuscules tactiles distribués à la périphérie qui sont les organes

de la perception, ce sont les neurones corticaux. Si donc la « distribution

topographique de la sensibilité >> suffit à faire éclore la perception de la

forme et du lieu de cette distribution, nous devrions percevoir - d'après

l'hypothèse de M. Bonnier non la forme et la position de nos membres,

mais la forme et la position des constellations de neurones correspondant

à l'innervation de ces membres. A moins d'admettre que ces constellations

reproduisent en miniature la forme de nos segments et M. Bonnier ne

le suppose pas (p. 156) ; ce serait pourtant une hypothèse supplémentaire

indispensable à donner un sens à sa théorie - à moins d'admettre cela,

comment la doctrine du sens des attitudes explique-t-elle que, en fait,

nous percevions non la forme des centres corticaux intéressés, mais celle

de nos bras ou de nos jambes, et que, lorsqu'on nous marche sur le pied,

nous localisions la douleur au gros orteil et non au sommet des circonvo-

lutions rolandiques ?

M. Bonnier ne croit pas que, lorsque nous regardons Notre-Dame, les

cellules corticales correspondant à la vision de cet édifice en représentent'

la forme en miniature. Nous sommes d'accord. Mais alors j'avais raison de

dire que l'ordre des éléments percepteurs n'entraîne pas la perception de

cet ordre dans la conscience. Pourquoi donc le conteste-t-il (p. 158) ?

Voici, d'ailleurs un petit exemple qui fera toucher du doigt ce qu'il y a

d'illégitime à arguer de la localisation objective d'un élément sensible à la

(1) De même une identité objective n'est pas une cause suffisante de la perception

(subjective) de cette identité ; de même l'enchaînement causal objectif de deux phénomè-

nes n'est pas une cause suffisante de la perception de cette causalité par celui qui en est

témoin, etc., etc. -

48 ED. CLAPARÈDE

perception de cette localisation : bandez les yeux douze personnes, et dis-

posez-les en carré, sans les avertir de ce que vous faites. Permettez même

à chacune de tenir ses voisins par la main. Nous aurons là, personne ne

le niera, « de la sensibilité topographiquement distribuée » ; chaque per-

sonne sera « localisée » à un des endroits du carré. N'empêche que en

dépit de ce qu'exigerait la doctrine du sens des attitudes - vous aurez

beau soumettre chacun de vos douze patients à toutes les excitations ima-

ginables, aucun d'entr'eux n'arrivera à avoir conscience du lieu qu'il oc-

cupe dans le carré. '

J'avoue que j'ai un peu honte d'être réduil à la nécessité de développer

des truismes pareils.

Une seconde source de difficultés, lorsqu'on lit les travaux de M.Bon nier

provient de sa terminologie. Image (psychique) par exemple, signifie

pour lui non ce fait de conscience, cet événement intérieur vécu du de-

dans, et sur lequel philosophes, médecins et même simples profanes s'en-

tendent depuis longtemps, mais « la partie intéressée de l'écorce > : c'est-

à-dire l'image au sens optique du mot. Quand il nous dit que les idées,

les sensations ont une forme, sont localisées ici ou là, sont « quelque

chose de pesant» (p. 152), ou autres affirmations du même genre aussi

pittoresques qu'inattendues, parle-t-il des idées ou des lobes du cerveau,

des sensations ou des plexus cellulaires, c'est ce qu'il est imposssible de

savoir, et toute discussion sur ce point me paraît stérile; comme je l'ai

dit, nous ne parlons pas le même langage (1).

Nos douze personnages aux yeux bandés formeront l'image (objective,

optique) d'un carré ; mais aucun n'aura, par ce fait, l'image subjective, la

représentation du carré dont il fait partie intégrante. Même pris ensemble et

collaborant dans une même communion de pensée, ces douze cerveauxn'ar-

riveront pas à accoucher de la moindre représentation consciente de carré.

M, Bonnier conviendra lui-même que ce seraitmiracles'ilsyparvenaient.

N'est-ce pas cependant un prodige de même sorte qu'il imagine lorsqu'il 1

nous dit (p.1 î) : « La perception de forme est immédiate et résulte direc-

tement de la mise en activité du milieu sensoriel anatomique distribué. »

Il y a cependant une leçon pratique à tirer des confusions où nous en-

traîne cette façon de parler : c'est la nécessité qu'il y a à s'en tenir au

principe de parallélisme qui est comme un garde-fou préservant le cher-

cheur de chutes dangereuses dans les abîmes de la métaphysique, que

ce soit celui du matérialisme ou du spiritualisme. En s'en tenant au

(1) M. Bonnier me reproche (p. 457) d'avoir oublié de définir l'image (subjective).

De vrai, je ne m'attendais pas à une objection de ce genre ! Supposez qu'au beau

milieu de la discussion d'un problème de géométrie un des mathématiciens accuse

subitement son contradicteur d'avoir oublié de définir la ligne droite *

A PROPOS DU SOI-DISANT « SENS DES ATTITUDES » 49

parallélisme, plus rien à craindre, et l'on sera sûr de pouvoir utiliser la

méthode introspective, et faire de la psychologie sans rencontrer sur son

chemin ces affreuses « idoles métaphysiques » qui ne font peut-être pas si

peur à M. Bonnier qu'il veut bien le dire ; car le parallélisme est le

fidèle serviteur des faits et du principe de la conservation de l'énergie qui

est àla base de la recherche expérimentale et de l'explication scientifique.

M. Bonnier nous donne un exemple frappant de ce qui arrive aux bio-

logistes qui ne se sont pas mis d'accord avec ce postulat psycho-physique :

au lieu de considérer calmement les données subjectives fournies par

l'introspection données qui sont, après tout, les seules que nous

puissions avoir sur le fonctionnement du cerveau vivant-il s'effarouche

en leur présence et, de crainte de tomber dans le ravin du spiritualisme qui

l'halluciné, il recule, recule, jusqu'au moment où il s'effondre dans la cre-

vasse du matérialisme. Mais comme, malgré tout, il ne peut se passer des

renseignements de la subjectivité, le voilà en proie aux plus criantes con-

tradictions (1) ; tantôt il maudit les états subjectifs, les nie \\ (p. 'L49,

151), tantôt il leur accorde une réalité touchante : « le monde subjectif

est tout aussi objectif que le monde qui est extérieur à notre moi » (p.181) ;

tantôt il rend à la conscience, tout à l'heure si malmenée, un hommage

inattendu, lorsqu'il dit, par exemple, que dans le repos du membre « la

conscience abandonne la représentation [de l'attitude] pour s'occuper

d'autres représentations psychiques ou sensorielles » (p. 161). Cette con-

science qui règne en maîtresse, qui abandonne,qui s'occupe, çà ne rappelle-

t-il pas terriblement l'âme des psychologues de l'ancienne école ?

Je me permets de reproduire ici quelques lignes tirées d'un travail (2)

dans lequel je cherchais à montrer dans quel espritla psychologie devait

être appliquée aux questions physiologiques et médicales :

« La distinction, l'opposition, l'abîme entre le fait psychique subjectif et le

fait physique objectif, ou, en d'autres termes, l'hétérogénéité psycho-physique

est la plus fondamentale et la plus évidente de toutes nos connaissances,

bien qu'il ait fallu un Descartes pour l'apercevoir. La sensation de rouge perçue

par moi n'a aucun rapport imaginable ni avec les vibrations de l'éther, ni avec

les modifications physico-chimiques de mes cellules rétiniennes ou cérébrales.

La perception d'une surface, d'une étendue, n'a aucun rapport avec cette sur-

face (objective). Je puis percevoir un bâton de 10 mètres de long, et juger

(1) Ainsi M Bonnier, qui professe, on le sait, le plus vif mépris pour les états sub-

jectifs, finit cependant par déclarer que « la conscience d'une image n'est pas cette

image » ; il reconnaît donc que la conscience d'une image est autre chose qu'une cer-

taine portion de l'écorce. Etait-ce donc la peine de tant s'émouvoir pour en arriver,

au bout du compte, à voir les choses comme tout le monde .

(2) Eo. Claparède, La psychologie dans ses rapports avec la médecine (Revue méd.

de la Suisse- rom., octobre 1901).

xvi 4

JO ED. CLAPARL.DE

qu'il est le double d'un autre de 5 mètres, mais ma perception n'aura pas

10 mètres de long, et ne sera pas le double de ma perception de 5 mètres.

Je perçois le volume de cette salle, mais ma perception de ce volume n'a pas

les 200 ou les 250 mètres cubes qu'elle comporte. J'aperçois que la fenêtre et

la table sont séparées par une certaine distance, mais aucune distance ne sépare

mes deux perceptions de la fenêtre et de la table, et si le groupe de cellules

visuelles mis en action par les rayons lumineux provenant de la fenêtre est,

dans le cerveau, à une certaine distance du groupe de celles qui sont excitées

par les rayons venant de la table, il n'y a aucune raison pour que cette dis-

tance intracorticale soit connue parla conscience. L'ordre des centres percep-

teurs n'entraîne aucunement la perception de cet ordre dans la conscience, et

l'on voit combien sont vaines les tentatives qu'on a faites d'expliquer la per-

ception visuelle ou tactile de l'espace par la disposition spatiale des éléments

nerveux dans l'écorce cérébrale. En un mot, les faits subjectifs sont hétérogè-

nes aux faits objectifs ; tandis que ceux-ci peuvent tous être conçus comme

situés dans l'espace, comme un composé de mouvements, les phénomènes de

conscience sont irréductibles au mouvement, n'ont aucune grandeur et ne sont

situés nulle part.

C'est ici qu'il convient de rappeler en deux mots le postulat de la psycholo-

gie scientifique, connu sous le nom de principe de parallélisme. Il est à la

fois l'expression d'un fait d'observation et un artifice de méthode, grâce auquel

est opposée une fin de non-recevoir aux diverses solutions métaphysiques des

rapports de l'âme et du corps. D'après ce principe, on admet qu'à chaque mo-

dification de la conscience correspond une modification des centres nerveux ;

mais on ne préjuge pas la question de savoir si celle-ci est la cause de celle-là.

On peut donc se représenter l'âme et le corps évoluant sous forme de deux

lignes rigoureusement parallèles. La tâche du psycho-physiologiste est de dé-

terminer les équivalences entre ces deux séries de phénomènes, comme celle

du linguiste est de déterminer les équivalences entre deux idiomes diffé-

rents, pour l'élaboration d'un dictionnaire. Lorsque ces équivalences seront

établies et elles ne pourront l'être qu'empiriquement l'état intellectuel

ou émotionnel d'un individu fournira des renseignements absolument précis

sur son mécanisme cérébral. Certes, il faudra du temps avant d'en arriver là,

et on peut douter, vu la nature spéciale du problème, qu'il soit un jour par-

faitement résolu. Mais, s'il ne l'est pas, la faute en est non à la psychologie,

dont les données tombent facilement sous l'observation, mais à la physiologie

du cerveau, dont on est loin de connaître encore les processus intimes, et à

l'anatomie des centres nerveux qui, quels que soient les progrès qu'elle a pu

faire, est encore bien loin de rendre compte des actes les plus simples de la

pensée (1).

(1) Tous les essais qu'on a faits jusqu'ici d'expliquer les modifications psychiques

par des modifications actives des neurones (Rabl Ruckardt, Lépine, M. Duval) ou des

cellules névrogliques (Cajal) ne permettent pas de pousser bien loin les explications

ce ne sont d'ailleurs que des hypothèses physiologique calquées sur les données po-

' A PROPOS DU SOI-DISANT « SENS DES ATTITUDES » Si

Il est donc inexact de prétendre, comme on l'a fait couramment, que la

psychologie ne doit ses progrès qu'à ceux de la physiologie, de la clinique, de

l'anatomo-pathologie. Elle a devancé depuis longtemps ce que ces sciences sont

en état, actuellement, de lui apprendre. Il est vrai, par contre, que c'est à

celles-ci à déterminer les équivalents cérébraux des phénomènes de conscience.

Et c'est précisément parce que la plupart de ces équivalents ne seront pas dé-

terminés de longtemps que les physiologistes et les médecins seront obligés de

s'adresser à la psychologie, qui seule leur fournira un aperçu de ce qui se passe

dans un cerveau vivant. Si, reprenant notre métaphore de tout à l'heure, nous

voulions représenter sous forme de deux lignes parallèles le cours de la pensée

et ce que nous connaissons de la série des événements cérébraux, nous arrive-

rions à une figure dans le genre de celle-ci :

ce qui signifie que notre connaissance des phénomènes cérébraux offre bien

plus de lacunes que celle de nos faits de conscience, qui ne sont guère ignorés

que pendant le sommeil, dans certains cas d'automatisme ou de dédoublement,

ou encore lorsque l'analyse subjective en est difficile, alors que l'état physio-

logique correspondant en est peut-être mieux connu.

Si l'expression de l'activité psychique en langage psychologique est le plus

souvent, nous venons de le voir, la seule possible, elle a encore une autre

raison d'être, qui est son extrême commodité ; le terme psychique est presque

toujours plus clair, mieux compris que celui qui exprime le mécanisme physio-

logique correspondant. Peut-être certains problèmes neurologiques eussent-ils

gagné à être débattus franchement en termes de conscience. »

III. Les faits. Que disent les faits ? Les recherches sur ces délicates

questions sont encore peu nombreuses; elles le sont assez, cependant,

pour qu'il soit impossible d'entrer ici dans aucun détail. De simples rap-

pels devront suffire.

Localisation. - Passons sans nous arrêter sur la localisation des im-

pressions des fonctions végétatives, localisation qui, d'après l'auteur du

sens des attitudes,serait « nette et immédiate » (p. 146), ce qui est quel-

que peu sujet à caution. Mais, comme ici le défaut de localisation précise

pourrait tenir à la multiplicité des organes et des nerfs intéressés, de tels

faits ne disent rien ni pour ni contre un sens autonome des attitudes.

Envisageons la sensibilité tactile. La localisation peut s'y faire de façon

bien différente suivant les cas et les individus, ainsi que l'ont montré les

sitives de la psychologie. La psychologie n'a pas eu besoin d'attendre, pour étudier

l'association des idées, que les anatomistes se soient mis d'accord sur les centres

ou les faisceaux d'association. Cf. M. et Mme 0. Vogt. L'anatomie du cerveau et

la psychologie, communie, au IV' Congrès de Psychol., Paris, 1900, et Zeitschr. f.

llynnot., Bd. X p. 181.

52 ED. CLAPARÈDE

belles expériences de M. VictorI-Ienri. La localisation n'est pas, ainsi qu'a

l'air de le penser M. Bonnier, un processus précis, déterminé, immédiat

et toujours identique à lui-même ; c'est une inférence, un acte, une réac-

tion du sujet, et celle-ci varie suivant le mode employé à sa manifestation :

la localisation peut en effet se faire par description, par mouvement, par

contact, avec ou non les yeux ouverts,'sur la peau même ou sur un mo-

dèle (1). Les résultats obtenus sont bien différents dans tous ces cas. La

comparaison de ces diverses expériences fait ressortir l'importance des

images visuelles de l'expérience acquise, et même des « trucs » employés

par les sujets pour arriver à déterminer le lieu de tel point touché, tant il

est vrai que l'organisme ne localise pas en même temps qu'il analyse,

comme on nous l'affirme. Il n'y a guère qu'un petit nombre de points du

corps qui, chez l'adulte, correspondent, grâce à des expériences plus fré-

quemment renouvelées, une localisation parfaite, et c'est d'après ceux-ci,

qui servent alors de points de repère, que le sujet cherche à situer les

autres contacts, en faisant quelquefois même, pour y arriver, de véritables

raisonnements (le contact a-t-il porté sur une partie molle, ou très molle,

ou dure, etc.). Tout ceci, que l'on trouvera exposé en détail dans le mé-

moire d'Henri, prouve, encore une fois, que la localisation, même chez un

adulte, est loin d'être quelque chose de primordial, de net et d'immédiat.

Depuis longtemps, les neurologues ont remarqué, et les psychologues

ont confirmé la chose, que la finesse de la localisation ne marchait pas de

pair avec la finesse de la discrimination tactile des deux pointes du com-

pas de Weber. Quelle en est la cause ? on l'ignore encore, mais cela ne

prouve-til pas que la localisation dépend de processus autres que la sim-

ple « distribution » des impressions dans les centres nerveux (2), puisque,

pour distinguer les deux pointes du compas de Weber, il faut bien, je

suppose, que leurs impressions parviennent à l'écorce cérébrale et y

soient, par conséquent « distribuées ». Cela prouve, en tout cas, que la

tactiliténe localise pas « en même temps qu'elle analyse » (3).

Enfin, comment la doctrine que je combats ici explique-t-elle toutes les

erreurs de localisation, chez l'homme normal comme chez le malade ? « La

(1) V. HENRI, Ueber die Raumwahrnehmungen des Tastsinnes, Berlin, 1898. V. aussi,

du même auteur, Année psychol., II, p. 341-351 et 111, 225.

(2) Bonmeii, l'Orientation, p. 21 : « L'orientation tactile résulte immédiatement de

la distribution topographique des images dans nos centres. »

(3) Ibid., p. 15. 28, 70. -Des expériences toutes récentes de vox FHEY (Die Raienz-

schwelle der Haut bei Succes.siureizuag, Z.f. Psychol. Bd. XXIX, 1902, p. 161), montrent

nettement que l'analyse se fait bien avant la localisation : les deux pointes (appliquées

successivement) de l'esthésiomètre sont perçues doubles à Une distance bien inférieure

à celle nécessaire pour que le sujet puisse indiquer dans quelle direction (longitudi-

nale, transversale, etc.), sont appliquées ces deux pointes.

A PROPOS DU SOI-DISANT « SENS DES ATTITUDES » 53

sensibilité s'est éveillée au point de contact et ne s'est pas éveillée ailleurs;

toute la localisation est là » nous dit-on (p. 157). Pourquoi donc commet-

on, en fait, de si grandes erreurs de localisation, en indiquant comme tou-

ché un point dont la sensibilité n'a pas été éveillée ?

Ceux qu'intéresse cette question liront avec intérêt les récentes obser-

vations que Fôrster a publiées sur les troubles de la localisation tactile

chez divers hypoesthésiques (1). Cet auteur a remarqué (comme Leyden

l'avait fait déjà il y a vinq-cinq ans) que la sensibilité tactile peut être

fortement amoindrie sans que sa finesse de localisation soit émoussée et

vice versa. Par contre, les troubles de localisation tactile marchent toujours

de pair avec un abaissement de la sensibilité kinesthésique (Bewegungsem-

pfindungen). Foerster pense, avec raison à mon avis, que cela prouve que

la localisation est une fonction associative, une inférence psychologique

(psychischer Schlussakt) dit-il même, fondée sur des images spatiales, ima-

ges à la constitution et à la conservation desquelles la sensibilité kinesthé-

sique est indispensable (2).

On voit donc que les recherches les plus récentes confirment en tout

point ce qu'écrivait E. H. Weber il y a cinquante-quatre ans : « On est

fondé à admettre que primitivement, par la pure sensation, nous ne savons

rien du lieu où les nerfs qui nous communiquent la sensation sont ébranlés.

Primitivement, toutes les sensations sont de simples états d'excitation per-

ceptibles à la conscience, lesquels peuvent être différents en qualité et en

degré, mais ne fournissent directement à la conscience aucune notion de

lieu. Ils n'en fournissent qu'indirectement, par l'éveil d'une activité de

notre âme, au moyen de laquelle nous nous représentons nos sensations

comme comprises dans un ensemble et douées de rapports mutuels ».

En quoi la théorie nouvelle du sens des attitudes est-elle plus claire, se

rapproche-t-elle plus des faits, et les explique-t-el le mieux que la théorie

classique, élaborée par ceux qui ont observé et expérimenté, et qui font de

la localisation le résultat d'une interprétation, d'une perception acquise ?

Notion déposition. La connaissance de la position des membres n'est

qu'un[cas particulier du problème de la localisation ; mais tandis que, dans

la localisation tactile, les impressions à localiser sont transmises par la

(1) FonnSTER, Untersuch. über das Localisalionsvermiïgen bei Sensibililàtssl6ritil.

gen (Monats. t. Ps. u. Neur., IX, 1901, p. 31-42 et 131-44.

(2) Foerster va trop loin, par contre, lorsqu'il voit dans ces faits une confirmation

de la théorie empirique de la notion d'espace d'après laquelle celle-ci résulterait d'une : < synthèse chimique mentale ». Comme je l'ai dit ailleurs, on peut étudier la locali-

sation sans mettre en question la constitution de la notion d'espace, comme un chimiste

peut analyser un vin sans être obligé de s'occuper de la constitution de la molécule

d'eau, d'alcool ou de sucre.

(3) WEBER, Article 1'astsima du Wagner's Ilandwoerterbuch der Physiol., 1848.

54 ED. CLAPARÈDE

sensibilité superficielle, dans le cas de l'attitude d'un membre, elles le

sont par les voies de la sensibilité profonde.

Ces impressions provenant des articulations, des ligaments, etc., ne si-

gnifientrien par elles-mêmes, dit la doctrine classique (1). Je crois bien

inutile de montrer la véracité de celle-ci, que M. Bonnier doit être un des

seuls à ne pas admettre. Chacun, d'ailleurs, pourra facilement vérifier

sur lui-même quelle série de représentation de toute nature met en jeu la

détermination de la position d'un membre.

A ce propos, je tiens à relever encore un singulier procédé de discus-

sion de M. Bonnier. Citant le travail dans lequel je remarque que nos

impressions correspondant à diverses positions angulaires du coude sont

chacune empreinte d'un certain cachet, d'une certaine modalité qualita-

tive qui nous permet de les distinguer, tout en ne signifiant rien par elles-

mêmes. « À quoi bon, s'écrie M. Bonnier, ce certain cachet, cette couleur

locale qui nous permet de distinguer ces sensations qui ne signifient rien,

qui varient avec les attitudes angulaires sans nous renseigner sur elles ? »

Il faudrait donc, avant d'admettre la réalité d'un fait, savoir à quoi

il peut être bon (2) ? Cette méthode finaliste m'était inconnue ; je croyais

qu'on devait observer impartialement si un fait était ou n'était pas, sans

se préoccuper de savoir s'il était bon à vérifier telle ou telle théorie, telle

ou telle de « nos petites idées d'hommes ».

J'avais aussi remarqué, après de nombreux auteurs, d'ailleurs, à com-

mencer par Taine, que ces impressions articulaires se compliquaient aus-

sitôt d'images visuelles, et que c'est par l'intermédiaire de celles-ci que

s'établit la perception de l'attitude du membre. Tel n'est pas l'avis de

M. Bonnier : L'intervention de la vue, dit-il, a quelque chose de provi-

dentiel, et l'on s'explique mal l'étonnant développement du toucher actif

chez les aveugles. Cette tactilité, cette vigilance si remarquable du sens

des attitudes, etprécisément chez ceux à qui a manqué l'éducation par la

vue aurait pu frapper un psychologue moins prévenu contre les dangers

(1) Voici comment s'exprime Ebbinghaus, en se servant presque des mêmes ter-

mes que moi, dans ses Grunclüge der Psychologie, L. 1902, p. 365 : « Lorsque je dis

que différentes positions ou des mouvements des doigts, des bras, etc., parviennent

des articulations à la conscience, cela ne signifie nullement que le piocessus articu-

laire nous donne la sensation immédiate que l'avant-bras est horizontal ou forme un

angle droit avec le bras..... Les impressions articulaires comme telles ne contiennent

absolument rien pouvant nous renseigner au sujet du bras, de l'avant-bras, de leur

position étendue ou fléchie... tout ceci sont des représentations, la plupart visuelles,

qui ont été peu à peu associées à ces impressions... celles-ci sont à l'origine complè-

tement dépourvues de signification objective et spatiale. »

(2) Un ignorant dans l'art de lire pourrait aussi bien demander à quoi bon ces

formes diverses qui nous permettent de distinguer les lettres de l'alphabet, puisque

ces lettres et ces formes ne signifient rien par elles-mêmes ! 1

A PROPOS DU SOI-DISANT « SENS DES ATTITUDES » 55

de la logique appliquée à la psychologie. » Il va bien sans dire que

jamais les auteurs qui ont signalé cette évocation des images visuelles ne

leur ont attribué, parce que visuelles, une vertu localisatrice. Tout ce qu'ils

voulaient montrer par là c'est que ces impressions articulaires étaient des

symboles sans signification par eux-mêmes, puisqu'ils devaient en em-

prunter une à l'atlas visuel que nous nous sommes peu à peu fait des ré-

gions de notre corps. Chez les aveugles-nés, cet atlas est de nalure mus-

culo-tactile, ainsi que je l'ai dit explicitement (1). Mais quelle curieuse

méthode que de vouloir s'occuper des aveugles avant d'avoir interprété

les faits qui se passent chez nous-mêmes, qui ne le sommes pas ! Or,

quel que soit le mécanisme de la localisation chez les aveugles, ce qui se

passe chez les clairvoyants prouve bien que la connaissance de l'attitude

n'est pas le résultat de l'activité directe et immédiate d'un sens. Curieux

ce sens » que celui qui aurait recours, pour se manifester, à l'appui des

souvenirs enregistrés par l'expérience et recueillis en majeure partie par

d'autres sens, comme si le bleu ou l'amer, le chaud ou le sucré avaient

besoin, pour se révéler à notre conscience, de faire appel à toute une

série de représentations hétérogènes ou même homogènes !

Forme. - « La perception de forme est immédiate et résulte directe-

ment de la mise en activité du milieu sensoriel anatomique distribué »

(Bonnier, p. 174). J'ai relevé plus haut l'erreur de méthode qui consiste

à supposer immédiatement connues par l'organisme les propriétés objec-

tives de cet organisme. Ici, bornons-nous à mentionner quelques faits que

la doctrine du sens des attitudes aurait au moins dû essayer d'interpréter

avant de se présenter devant le monde comme la vérité dernière ; il est

vrai que c'eùt été pour elle se condamner à un suicide certain, et que l'on

se résout toujours difficilement à cette extrémité-là.

A propos des formes perçues par la rétine, Helmholtz (2) a établi cette

proposition fondamentale : Les sensations sont, pour notre conscience, des

signes dont l'interprétation est livrée à notre intelligence. Avant de rédiger

une nouvelle théorie, M. Bonnier eût pu au moins commencer par mon-

trer les défauts de l'ancienne. Il nous aurait alors fait comprendre pour-

quoi, si la perception des formes « résulte immédiatement de la distribu-

tion topographique des irritations élémentaires sur la rétine H (p. 158)

nous voyons la lune plus grande à l'horizon qu'au zénith ; pourquoi,

dans le cas de l'illusion de Hering ou de celle de Zoellner, nous voyons

courbes ou divergentes des lignes dont les images rétiniennes sont droites

ou parallèles, etc. ; pourquoi l'image négative du soleil nous parait grande

(1) Avons-nous..., p. 251.

(2) Helmholtz, Optique physiologique, tr. fr. p. 1001..

56 ' ED. CLAPARÈDE

comme un écu si nous la projetons sur la paroi, et comme un pain à ca-

cheter seulement si nous la projetons sur une surface plus rapprochée;

pourquoi cette image nous apparaît ovale si nous la projetons sur un plan

incliné, etc. etc. Or, l'image rétinienne ne varie pas dans toutes ces ex-

périences, non plus, très probablement que l'image » corticale. M. Bon-

nier connaît, sans doute, les expériences de Stratton (1) : le sujet s'était as-

treint à porter devant les yeux un système de lentilles disposé de façon à

renverser les images. L'appareil fut porté pendant trois jours consécutifs.

Tout d'abord, les objets vous parurent renversés, mais bientôt le sujet eut

l'impression que le champ visuel n'était pas retourné ; il finit par voir

ses pieds et ses mains là où il les sentait. Cela revient à dire qu'il a iden-

tifié des orientations précédemment opposées. Si ces notions d'orientation

étaient non quelque chose d'empirique et d'acquis, mais reposaient sur des

sensations spécifiques et tenant à la disposition même des organes, Stratton

n'aurait pas plus pu réussir à identifier par l'exercice des impressions

d'abord contraires et opposées (comme celles émanant d'habitude de la par-

tie inférieure du corps et de la partie inférieure de la rétine), que par

l'exercice on n'arrivera à trouver semblables le noir et le blanc, le sucré

et l'amer.

Il est des malades qui, tout en ayant une acuité visuelle intacte présen-

tent une véritable désorientation visuelle : les objets se présentent à leur

conscience sans ordre, sans forme; c'est un véritable chaos sensoriel.

Les cliniciens qui ont observé ces faits ont été amenés à considérer la

perception de la forme comme dépendant, non du centre visuel lui-même,

mais comme étant due à l'action spéciale d'un territoire cortical voisin, le

centre optomoteur (Sachs, Pick) (2). Les guérisons d'aveugles-nés qui

ont été publiées sont encore trop rares pour fournir des données absolu-

ment précises sur la question qui nous occupe ; mais tout ce que les faits

jusqu'ici connus concourent à faire admettre, c'est que la forme de l'image

(objective) rétinienne ou corticale n'est pas une raison suffisante de la

perception (subjective) de cette forme.

Pour ce qui concerne la perception des formes par le toucher, la per-

ception stéréognostique, M. Bonnier en parle sans nous indiquer qu'il ait

jamais fait d'expérience à ce sujet. Je me permets donc de le renvoyer à la

(1) Stratton, Experimenls on.vision without inversion of the l'etinul images, III,

Congr. f. Psychol" Munich, 189G, p. 193 et Psychol. Review, III et IV.

(2) Sacs, Vorlrlige liber Bau und Thaligkeit des Grosslzirzzs, Breslau, 1893, p. 246 ;

Das Gehirn des Foerster'schen Rinderblzazden, Arbeit. aus der psych. IClinik in Bres-

lau, H. 189S, p. 91. D : en<e/tMe ? att ? nuoKMHeHausSHt;MMmp/'tHdMtten,

lau, II, 1895, p. 97. Die Enlslehung dei' RaumV01'stellungen aus Sinnesemp(mdungen,

Psych. Abhandl. Breslau, 1897, Pick, Beitrage zur Pailtol. des Centralnervensyslems,

Berlin, 1898, p. 185. [J'ai résumé ces mémoires dans ma Revue générale sur l'Agnosie,

Annéo psychol, VI, 1900. J

A PROPOS DU SOI-DISANT ci SENS DES ATTITUDES » 57

thèse de Mlle Markova (1), au travail de Frster, ci-dessus mentionné, qui

contient une observation typique de stéréo-agnosie, et à une note de

moi-même sur la perception stéréognostique dans l'hémiplégie infan-

tile (2).

Certes, il y a encore bien des points à éclaircir dans ce domaine obscur;

mais quelle confiance peut-on avoir dans une doctrine qui, fermant les

yeux pour ne pas voir les difficultés, déclare ingénument que tout est si

simple... !

Sensation de mouvement. La question de la perception du mouve-

ment, telle qu'elle est posée par M. Bonnier (p. 146) met en pleine lumière

la façon d'argumenter de certains biologistes et même de certains psycho-

logues : « Les mouvements, gestes et déplacements, étant des variations

d'attitude, c'est-à-dire des attitudes successives, sont connus par le sens

des attitudes; et il était inutile de créer un sens spécial pour la variation

des attitudes, avec ce que l'on a appelé les sensations kinesthésiques ».

Rien de plus juste, à première lecture, que ce raisonnement ; rien de plus

illusoire en réalité, car le terme moyen du syllogisme impliqué dans l'af-

firmation ci-dessus n'est pas le même dans la majeure (attitude) que dans

la mineure {variation d'attitude). Le mouvement n'est pas (ni objectivement,

ni subjectivement) une attitude, mais une variation d'attitude. Il ne peut

donc pas être connu immédiatement par un sens des « attitudes ». Il fau-

drait au moins admettre, à côté de ce dernier, un sens ou sentiment des

variations d'attitude (de même que nous avons, en outre du sens des cou-

leurs, ou des odeurs, un sens ou faculté de comparer ces couleurs ou ces

odeurs). Ça ferait donc deux sens. En fait, d'ailleurs, la connaissance que

nous avons du mouvement est quelque chose de subjectivement différent

de ce que nous appelons attitude (3).

En ajoutant un sens des variations à son « sens des attitudes », M. Bon-

nier formerait tout au moins de sa théorie un tout logique.

Mais les faits jusqu'ici observés nous obligent à admettre qu'il peut y

(i) Markova, Contribution à l'étude de la perception stéréognostique, thèse de Ge-

nève, 1900.

(2) CupARÈDE, Journal de Physiol. et de Path. gén., 1899, p. 1001.

(3) Dans Avons-nous..., p. 261, j'avais écrit : « La notion du mouvement n'est donc

pas le résultat de la perception d'une variation. » Suivant comment on l'entend, cette

phrase exprime le contraire de ma pensée. Ainsi que le contexte l'indiquait nettement,

je voulais dire par là « n'est pas le résultat d'un jugement fondé sur une variation

d'attitudes (connues subjectivement) ». Il est évident que si on prend le mot variation

au point de vue objectif, c'est-à-dire comme désignant simplement le mouvement du

membre, et comme n'impliquant pas de la part du sujet la connaissance des états

qui ont varié, on pourra dire que le fait psychique mouvement répond à une variation

objective) d'uttitude. Mais il n'est pas dit par là que ce fait psychique ne soit pas spé

cifique et immédiat.

58 ED. CLAPARÈDE

avoir sensation de mouvement indépendamment de toute connaissance des

états qui ont varié (Hall et Donaldson (1), Goldscheider (2), Ëxner (3),

V. Henri (4). Cela ne semble-t-il pas indiquer que la sensation de mouve-

ment est une donnée sensorielle primitive ? C'est cette manière de voir à

laquelle s'en tient M. Ebbinghaus dans l'ouvrage cité plus haut (p. 467) :

« La conscience du parcours d'une certaine étendue n'est pas une simple

idée, une conclusion reposant sur une réflexion, mais une intuition sen-

sible immédiate et spécifique ( îtîiiiiittelbai-e und eigenartige sinnliche

Anschauung) tout aussi directe et vécue que les sensations de couleur ou

de contact qui l'accompagnent. C'est le mérite véritable du célèbre sophis-

me de Zénon d'Elée que d'avoir montré que le mouvement répond à une

intuition sensible primordiale et ne peut pas être déduit d'une sommation

de lieux et de moments » (5).

J'avais invoqué, à l'appui de cette spécificité de la sensation hinestlé-

sique, le fait que certains hémiplégiques, qui ont complètement perdu

la notion d'attitude, ont conservé cependant la sensation de mouvement

passif de leurs membres. A quoi M. Bonnier, qui ne nie pas le fait, ré-

pond que cela n'a rien d'étonnant, que toute impression sensorielle est

accrue par une variation (p. 161-2), que le sens des attitudes, comme les

autres « reçoit plus à la variation qu'à l'excitation continue », que le

seuil est donc plus bas pour celle-là que pour celle-ci. Fort bien. Mais

tout ce que ceci montre, c'est que lesdits malades devraient mieux sentir

['attitude (ou les attitudes successives) de leur membre lorsqu'on soumet

celui-ci à des mouvements, mais non qu'ils sentent un mouvement (sans

notion d'attitude) comme c'est parfois le cas en réalité ! Nous pouvons

donc conclure que la variation objective de l'attitude éveille une sensation

qui n'implique pas la connaissance de l'attitude qui a varié, donc une

sensation spécifique.

Ce n'est donc pas « l'attitude qui révèle le mouvement ».

Mais alors, demande M. Bonnier, « si la sensation d'attitude et la sen-

sation de mouvement sont qualitativement différentes, pourquoi la sensation

(1) Hall AND DONALDSON. biolor sensation of the skin., Mind., X, 1885.

(2) GOLDSCfIEIDBR. Ueber die Bewegun,gsempnclung., Du Bois-Reymond's Archiv.,

1889, reproduit dans Physiologie des Muskelsinnes, Leipzig, 1898, p.97-200. Cf. notam-

ment, p. 195-198,

(3) Exner, Biol. Centralblatt, 1888.

(4) V. HENNI, Revue sur le sens musculaire (Ann. psych., V, 455).

(5) L'auteur d'une thèse récente, parlant de la théorie du sens des attitudes segmen-

taires de M. Bonnier écrit : a..... cette hypothèse un peu singulière nous rappelle le

sophisme de Zenon d'Elée, qui niait la réalité du mouvement en le définissant comme

une série de repos successifs... » (bourgeon, Sens musculaire, thèse de Paris 1901,

p. 7).

A PROPOS DU SOI-DISANT « SENS DES ATTITUDES » zou

de mouvement révélera-t-ellemieux l'altitudeque l'attitude ne révélera le

mouvement ? » (p. 165). Mon honoré contradicteur parait croire que,

d'après moi, la notion d'attitude est le résultat d'une association ou d'une

addition de sensations de mouvement. Or, je tiens à faire remarquer que

je n'ai jamais dit une énormité pareille. Je n'ai jamais prétendu que c'est

la sensation de mouvement qui engendre la perception de l'attitude, mais

le mouvement, ce qui est loin d'être la même chose. On voit comme il est

dangereux de confondre le subjectif et l'objectif, là sensation avec l'excita-

tion, et de se servir d'un vocabulaire identique pour désigner l'un et l'au-

tre ; on arrive à ne plus se comprendre. « Le mouvement d'un membre

est une circonstance très favorable à la notion de sa position, » avais-je

dit jadis. Et M. Bonnier reconnaît lui-même (p. 161) que « c'est à

l'occasion des mouvements que nous avons il mettre en conscience nos

attitudes ». Pourquoi donc, à la page suivante déjà (p. 162) ajoute-t-il :

« Et l'on admet que c'est le mouvement qui révèle l'attitude ! ».

Ma conclusion sera brève : loin de croire, comme M. Bonnier, que tout

a été dit sur cette question, que les choses se passent d'une façon si sim-

ple, je crois que nous devons serrer les faits de très près si nous ne vou-

lons nous laisser entraîner sur la pente dangereuse, quoique fleurie peul-

être, de la rhétorique et de la dialectique. Observons, ne dissertons pas.

Et c'est le principal danger, à mon avis, delà théorie du « sens des aititu-

des » d'être une thèse simpliste, qui, ayant l'air de tout expliquer est, par

cela même, attrayante : au lieu d'inviter aux recherches, d'y pousser, elle

leur porte un coup mortel en niant le problème même qui est à résoudre.

Ceci est d'autant plus grave que, loin de s'accorder avec les faits, de les

éclairer, elle est, ainsi que nous venons de le rappeler brièvement, con-

tredite par la plupart d'entre eux.

La méthode et les conclusions de M. Bonnier ne sont donc pas si sûres

et si positives qu'il le paraît à première vue.

LES UROLOGUES

(Documents complémentaires).

PAR

HENRY MEIGE.

Dans une étude sur le Mal d'amour, parue en 1899 dans ce recueil,

j'ai déjà eu l'occasion de signaler de nombreuses peintures suggérées par

les Urologues de jadis. Le nombre de ces documents figurés, disais-je, est

assez important pour nécessiter une étude spéciale. J'ai donc rendu, peu de

temps après, aux Urologues l'hommage que je leur avais promis, en fai-

sant connaître cette série de documents figurés : une trentaine de pein-

tures, sans parler des gravures dont une riche collection avait été, en

outre, publiée depuis peu par HermannPeters.

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a encore eu la primeur, l'an

dernier, d'un bel article de M. Paul Richer,extraitde son important ouvrage

sur l'Art et la Médecine. ' .

La liste des figurations de ce genre semble innombrable et chaque jour

on voit se multiplier les renseignements sur ce chapitre d'Histoire et

d'Iconographie médicales. Ceux qui s'intéressent cette question, n'auront

qu'à se reporter aux sources précédentes (1). Je désire simplement aujour-

d'hui signaler quelques nouvelles images et quelques renseignements his-

toriques complémentaires.

C'est un plaisir pour moi que de rappeler d'abord les intéressants do-

cuments dont mon ami, le D' Charles Nicolle, a donné une séduisante

description dans la Revue médicale de Normandie (10 janvier 1902).

Ce sont deux sculptures du portail des Libraires de la cathédrale de

Rouen (1180-1200). La première montre un médecin, assis devant un

pupitre où se trouve un livre ouvert, et tenant dans- sa main gauche un

urinal. Il s'agit d'une image symbolique¡d'un des patrons delà médecine,

saint Damien peut-être, ou plus probablement saint Luc, l'un des quatre

(1) Henry Meioe, Le mal d'amour (Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1899).

Ibid., Les Urologues (Archives I;enér.rde médecine, mai 1900).

HEIIMANN PETErs, Der Arzt und die Heilkund. in der deulschen Vergangenheil,

Leipsig, 1900.

PAUL Richer, Les Urologues (Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, n° 2, 1902).

LES UIioLOGUE5 61

Evangélistes, qui passe pour avoir exercé la médecine, et sous le patronage

duquel était placé le Collège des Médecins de Rouen, qui se réunissaient

dans la cathédrale.

Un second médaillon représente un personnage hybride. La partie su-

périeure est celle d'un homme coiffé du bonnet doctoral, tenant dans la

main droite un urinal, qu'il montre avec l'index de la main gauche. La

partie inférieure est un corps d'animal fantaisiste, avec des ailes d'oiseau,

une queue de lion et des pattes armées dégriffés. Serait-ce le lion ailé

symbolique de saint Marc, un autre Evangéliste ? ... Mais saint Marc ne

pratiqua pas la médecine ? ... Ou bien, est-ce une allégorie contre les mé-

decins urologues ? ...

M. Charles Nicolle signale et reproduit encore un Urologue figuré sur

une porte d'une maison sculptée (fin du xvi siècle ou début du xvi"),

la Maison des Trois-Cornets dans la rue des Bouchers, à Lisieux. Ce do-

cument fait pendant à un panneau semblable où est figuré un Apothicaire.

L'Urologue est debout devant un pupitre, tenant l'urinai dans la main

droite, appuyant sa main gauche sur une escarcelle. « Les médecins n'a-

vaient pas, parait-il, de ce temps, la réputation de donner pour rien leurs

conseils, » dit M. Charles Nicolle en faisant remarquer avec raison l'allu-

sion malicieuse de l'artiste. C'était d'ailleurs une plaisanterie tradition-

nelle, fréquemment reproduite sur les images du x,e et du xvi siècle

consacrées aux médecins : l'escarcelle semble avoir été un accessoire non

moins symbolique que l'urinai de leur profession. Certain geste de Sga-

narelle dans le Médecin malgré lui n'est pas moins significatif.

En même temps que ces documents figurés, NI. Charles Nicolle signale

quelques curieux passages d'un procès intenté par le Collège des Méde-

cins de Rouen aux Urologues empiriques, où ceux-ci sont traités de

« médecins aux urines », « zcroscopuva », et accessoirement de « miséra-

bles (t713-1714.),

Enfin, le lettré et l'érudit qu'estlVl. Charles Nicolle ne pouvait manquer

de retrouver dans les anciens auteurs d'intéressants passages relatifs aux

Urologues.

Celui-ci d'abord de Mathurin Régnier (Satire IV) :

...Si j'eusse estudié.

Jeune, laborieux, sur un banc à l'escolle,

Gallien, Hipocrate......

...tastant le poulx, le ventre et la poitrine,

J'aurais un beau teston pour juger d'une urine,

Et me prenant le nez, loucher dans un bassin

Des ragoûts qu'un malade olfre son médecin...

62 HENRY MEIGE

Et cette autre citation de Molière :

SGANARELLE (déguisé en médecin)... Monsieur Gorgibus, n'y aurait-il pas

moyen d'avoir de l'urine de l'égrotante ? ... Voilà de l'urine qui marque grande

grande inflammation dans les intestins ; elle n'est pas tant mauvaise, pour-

chaleur, tant.

GoRGiBus. - Eh quoi ! Monsieur, vous l'avalez !

SGANARELLE. - Ne vous étonnez pas de cela : les médecins, d'ordinaire, se

contentent de la regarder ; mais, moi, qui suis un médecin hors du commun,

je l'avale, parce qu'avec le goût je discerne mieux la cause et les suites de la

maladie... (1).

Molière, ajoute M. Charles Nicolle, ne fut pas d'ailleurs le premier à

mettre l'urologie au théâtre ; témoin le passage suivant, emprunté à Sha-

kespeare :

FALSTAFF. Eh bien, maraud, colosse, que dit le docteur de mon urine ?

LE Page. Il a dit, Monsieur, que l'urine était, par elle-même une bonne

et saine urine, mais que quant à la personne dont elle sortait, elle devait avoir

plus de maladies qu'elles ne s'en doutait (2).

Les Urologues d'ailleurs sont d'antique lignée.

Parmi les miniatures qui illustrent l'édition des Maîtres de Salerne,

publiée dernièrement à Turin par P. Giacosa, on retrouve fréquemment

l'urinai et son panier d'osier. La planche 10 de cet ouvrage représente

une grande consultation urologique où les clients arrivent en foule avec

leurs paniers aux urinaux (voir aussi planches 9, 13, 23, de cette belle

publication

Je dois à l'inépuisable obligeance de M. le Dr Dorveaux les notes sui-

vantes qui montrent que l'urinai était d'usage courant aux xn0, XIII, Nive,

xve siècles.

XIIe siècle. - Un orinal li (lui) portoit por veoir s'orine (Chrétien

de TROYES, Cligès, vers 5734).

xiiie siècle. « Apportez-moi un orinal,

Et si verrai dedenz le mal. »

(Roman du Renard, vers 19509.)

C<M)MKeHce)M<'H<M7 ? c/e.(Extrait de : Une petite nièce de Saint-

Louis : Mahaut, comtesse d'Artois et de Bourgogne (1302-1329), par

Jules-Marie Richard. Paris, H. Champion, 1887, p. 364, note 2.) « Parmi

les objets de verrerie transportés en voyage, il faut noter les urinaux,

(1) Le médecin volant, scène IV ; date approximative de la première représentation :

50. '

(2) Le Roi Henri IV, 2- partie, acte I, scène II ; date probable de la première re-

présentation, 1591 (traduction Montégut).

LES UROLOGUES 63

toujours faits de verre et resserrés dans des étuis : « pour II estuis de cuir

boilli pour les orittrt2ts Robert, XII sots. »

xv. siècle. -« « Un petit orinal de voirre garni et pendant à quatre

chaiennes d'or. » (Inventaire du duc de Berry, en 1416.)

« Pour un autre estuy de cuir boully double, à mettre et porter les

orinaulx de la royne, y cellui poinçonné et armoié des armes de la ditte

dame et fermant à clé. » (Comptes de l'Argenterie des rois de France,

p. 182.)

On voit par ces citations que les récipients destinés à loger l'urinai,

dont j'ai montré la signification sur les anciennes gravures et les anciens

tableaux, étaient parfois remplacés par des étuis de cuir bouilli. Les prin-

ces seuls pouvaient s'offrirun tel luxe. Le vulgaire se contentaitde paniers

d'osier avec une anse ; les bourgeois des Pays-Bas se servaient d'étuis en

paille munis d'un couvercle.

Dans une Note sur la médecine en Flandre au aIV9 siècle (1), le

Dr Paul Dorveaux signale encore « un vieux manuel à l'usage des mar-

chands, où il est question de toute la gent médicale : c'est le Livre des

métiers (dialogues français- flamands composés au XIVe siècle par un maître

d'école de la ville de Bruges), publié par H. Michelant chez Tross à Paris,

en 1875. Voici ce qu'on y dit des malades et des médecins :

Ermergaert gist malade ; -

' Pour che vous pri-je

Que vous parlés bas.

On portera s'orine

Demain au maistre.

Preng warde que li orinauls

Soit net et cleir ; et s'il ne l'est,

Si le frote dedens

D"yauwe et de chendres.

Maximiiens le medicins · .

Regarde les orines .

Et sceit bien à dire

Se les gens sont deshaitiés.

Et s'il languissent,

Il les garist du mal du chief,

Des dolereus yeus,

Des maus des dens,

Et des fièvres.

C'est-à-dire : « Ermergaertgit malade. Pour ce, je vous prie de parle-

(1) Janus, 15 avril J902.

64 HENRY MEIGE

bas. On portera son urine demain au médecin. Prends garde que l'urinai

soit net et clair ; et s'il ne l'est, frottes-en l'intérieur d'eau et de cendres.

Maximilien le médecin regarde les urines et sait bien y voir si les gens

sont malades. Et s'ils languissent, il les guérit du mal de tête, des dou-

leurs d'yeux, des maux de dents et des fièvres. »

Ces deux passages prouvent que l'uroscopie était, au xive siècle, une

opération capitale, qui précédait toujours l'examen du malade.

Voyons maintenant quelques nouvelles oeuvres d'art inspirées par la

science des urines.

J'ai signalé très brièvement dans ma précédente étude sur les Urologues

l'existence dans le musée de la ville de Luxembourg (collection Pescatore),

d'un tableau consacré par Gérard Dow à l'un de ces praticiens.

En voici la description et la reproduction (Pl. X)

C'est toujours la même fenêtre cintrée dans l'encadrement de laquelle

apparaissent les personnages, comme sur une scène de théâtre, où ils ne

seraient vus qu'à mi-corps. Le rideau drapé dans le haut complète cette

ressemblance.

Ici, le personnage principal est le médecin. De la main droite, il lève

en l'air l'urinal et se tourne à demi vers la gauche pour faire part du ré-

sultat de son examen à une cliente qui tient entre ses bras un jeune enfant

et attend, dans l'ombre, anxieuse. Quelles révélations peut lui faire ce

médecin ? ... Lui annoncerait-il une seconde grossesse ? ... Ou bien est-ce

pour l'enfant que la femme est venue demander un avis ? Nous pouvons

faire toutes ces suppositions. Gérard Dow n'a pas tenu à préciser davan-

tage. L'essentiel pour lui était de mettre en bel éclairage une élégante

figure, d'agréables couleurs, et d'étaler sur l'appui d'une fenêtre un plat à

barbe de cuivre bien brillant, un vieil in-folio, un sablier, et une étoffe

artistement chiffonnée. Il ne lui en fallait pas plus pour réaliser un chef-

d'oeuvre.

C'est, à ma connaissance, le sixième tableau de Gérard Dow consacré

à l'urologie ; les autres sont au musée de Vienne, au musée de l'Ermitage,

au musée d'Angers; il faut y ajouter la Femme hydropique du Louvre,

ainsi que ce superbe Water Doct01' qui fait partie de la galerie de M. Side-

bocham à Erlesdene (Cheshire) et dont j'ai déjà donné la reproduction

grâce à l'amabilité de son possesseur. Je ne parle pas des nombreuses

copies dont quelques-unes sont signées par des peintres de talent.

11 existe dans la collection Dutuit un excellent tableau d'Adriaen van

NOUVELLE ICOVOGRAYIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XVI. Pl. X

L'UROLOGUE

Tableau de Gérard Dow, Musée de Luxembourg.

(Henry Meige),

Masson & Clr, Editeurs

LES UROLOGUES 65

Ostade représentant un Urologue. Ce tableau rappelle beaucoup celui que

le même peintre a consacré au même sujet et qui se trouve actuellement

au musée de Berlin. C'est le portrait d'un médecin, entouré de ses attri-

buts professionnels, un homme d'un certain âge, aux traits fortement

accentués, avec une moustache et une barbiche blondes. Il est vêtu de

noir avec un manteau brun, portant un haut chapeau noir, ayant au cou

et aux poignets des fraises molles. Assis près d'une table, il élève de la

main gauche l'urinai qu'il regarde par transparence. Sur la table recou-

verte d'un tapis d'Orient, on voit, épars, des papiers, des livres, des plu-

mes, un cornet. Un in-folio grand ouvert nous montre des dessins de

plantes médicinales ; à côté, un pot de pharmacie en faïence de Delft,

capuchonné de rouge. Les mêmes accessoires figurent sur le tableau du

musée de Berlin.

Dans le fond, un grand paravent vert-foncé. Sur les murs, des rayons

chargés de livres, et une petite vitrine avec des pots d'on,uent et une

feuille de papier où se trouve la signature du peintre.

11 s'agit vraisemblablement d'un portrait, nullement chargé, dont on

peutrépéter ce que je disais à propos du tableau analogue de Berlin : « Rien

de satirique dans celte peinture. C'est l'image d'un vieillard grave, labo-

rieux, grand liseur et grand amateur de botanique, peut-être le portrait

de quelque savant confrère dont le nom ne nous est pas parvenu. A. van

Ostade, qui cependant ne méprisait ni la gaieté, ni l'ironie, n'a pas voulu

médire de la science urologique. Pour lui, l'urinai est le symbole respec-

table et respecté de la profession médicale » (1). La tradition n'en faisait-

elle pas l'attribut distinctif du patron des médecins, Saint-Damien ? ...»(2).

(1) Voy. IIxnY Meige, Les Urologues, Arch. gén. de médecine, mai-juin 1900.

(2) On peut voir encore dans la collection Dutuit un intéressant tableau représentant

un médecin qui fait une Opération sur la tète. Il est signé d'un M et attribué à Ma-

thon. Un simple coup doit suffit pour reconnaître une imitation de Gérard Dow.

Bien plus, on peut affirmer que l'auteur de cetle peinture s'est servi des mêmes modè-

les et des mêmes accessoires que le maître hollandais. Ne s'agirait-il pas d'une copie

d'un tableau de Gérard Dow ignoré ou perdu ` ? ....

Dans l'encadrement d'une fenêtre cintrée, apparaissent les personnages, opérateur et

opéré. Le premier, velu de violet très foncé, porte sur la tête un béret à créneaux,

comme la plupart des Urologues de Gérard Dow. Le patient, un vieillard au front dé-

nudé et aux longs cheveux gris, rappelle singulièrement l'Arracheur de dents de

Gérard Dow, au musée de Dresde. Sur l'appui de la fenêtre sont déposés le chapeau

noir du malade, une boîte à instruments artislement ouvragée, accessoires tout à fait

.identiques à ceux qui figurent à la même place dans le tableau de Dresde. On voit en

outre un vase en faïence rempli de rouleaux d'emplâtres, un bistouri, une petite fiole ; i

sur le montant de la fenêtre est accroché un plat à barbe en cuivre.

L'intérieur est garni de pots de pharmacie ; dans le fond, par une porte èntr'ouverte

on aperçoit une autre pièce où une servante frotte des objets de cuisine. Un rideau

est drapé dans le haut de la fenêtre, toujours à l'instar de Gérard Dow (Voy. Henry y

xvi 5

66 HENRY MEIGE

M. le Dr P. Dorveaux a publié en 1901 (1) une réédition très remar-

quablement annotée de la Déclaration des abuz et tromperies que font les

apoticaires, par Sébastien Colin, dont l'édition princeps remonte à 1553.

On y trouve ce passage :

« Regardez ici en quel dangier se mettent les malades, lesquels envolent de

leur urine aux apoticaires pour monstrer aux médecins. Les apoticaires feront

récit aux médecins de plusieurs accidentz qui ne sont point, aussi qui ne se

cognoissenl point par l'urine, car plusieurs maladies adviennent au corps des-

quelles les urines ne atestifient rien, et font cela affin que le médecin ordonne

grande quantité de médecine. »

Et celle remarque judicieuse de M. Dorveaux : « Ce n'est guère que

dans la seconde moitié du xixe siècle que les pharmaciens se sont occu-

pés de l'examen et de l'analyse des urines (La 3° édition do Y Officine de

Dorvault, publiée en 1850, contient, p. 76o, un long chapitre sur l'urine

qui ne se trouve pas dans les deux éditions précédentes) ».

Je crois, en effet, que l'examen scientifique des urines pratiqué par les

pharmaciens ne remonte pas à une date très éloignée, probablement,

comme le dit M. Dorveaux, vers le milieu du xix- siècle. Je connais ce-

pendant, et je possède, un document figuré qui tend à prouver que l'u-

roscopie se pratiquait parfois dans les officines pharmaceutiques; mais

'était un spécialiste en urologie qui se chargeait de ce soin.

J'ai trouvé, en effet, il y a quelques années, un tableau de l'école hol-

landaise, remontant vraisemblablement au milieu du siècle, et

dont l'auteur, qui m'est resté inconnu, semble s'être inspiré de Jean Steen.

Meige, Les Arracheurs de dents, Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1900, n" 3,

4 5, 6).

L'opération a lieu sur la tête, dans la région fronlale gauche. Le chirurgien, armé

d'un fin bistouri, semble faire une légère incision de la main droite, tandis qu'avec les

doigts de la main gauche il ramène vers lui la tête du patient, qui, de douleur, grimace

et crispe les poings.

Bien ne semble indiquer qu'il s'agisse là de la supercherie chirurgicale familière aux

Arracheurs de pierres de tête.

Peut-être l'artiste a-t-il voulu représenter une de ces saignées céphaliques en

honneur à son époque, ou bien une minime opération dont le sens est difficile à pré-

ciser.

En tout cas ce document mérite de prendre place à côté de ceux que nous avons

déjà signalés à propos des Opérations sur la tête (Nouv. Iconographie de la Salpê-

trière...).

Son principal intérêt artistique est de nous montrer des analogies singulières avec

les peintures de Gérard Dow; et cela, non seulement dans la facture et l'agencement

des personnages, mais encore dans le choix du décor et des accessoires. Nul doute

que ces derniers aient été les mêmes ; et il est infiniment probable que le même mo-

dèle a posé pour le Dentiste de Gérard Dow et pour l'Opéré de la collection Dutuit.

(1) Chez Welter, 1901.

LES UROLOGUES 67

C'est une peinture assez lourde, mais intéressante pour la documentation

historique.

La scène se passe dans une grande pièce éclairée à gauche par une fenê-

tre à vitraux ; dans le fond, une large cheminée garnie d'un bandeau d'é-

toffe verte et surmontée d'un tableau représentant un paysage ; à gauche,

un lit clos de rideaux brun-foncé, sur le ciel duquel sont déposés deux

grands livres à fermoir, une mappemonde, et de grosses fioles. A droite,

cette pièce communique avec une pharmacie donnant sur la rue; des bocaux

et des cruches de faïence s'alignent sur des rayons ; l'apothicaire, debout

derrière son comptoir, un bonnet sur la tête, ceint d'un tablier bleu, est

en train de piler une drogue dans un mortier.

Nul doute. Nous sommes bien dans la maison d'un apothicaire et sa

chambre à coucher, derrière sa boutique, sert en même temps de salle de

consultation. C'est là, dans une intimité toute familiale, que les clients

sont examinés par le médecin. La maîtresse du logis, accoutumée à ces

pratiques, continue paisiblement son ouvrage : elle fait de la dentelle.

Près d'elle, dans un berceau d'osier, dort son petit enfant. Un vieillard,

qui semble être aussi de la maison, se chauffe tranquillement les mains

devant le feu.

A gauche, près de la fenêtre, l'Urologue donne ses précieux avis. Il est

jeune, de mise élégante, portanl perruque blonde et un grand feutre mar-

ron. Il est assis derrière une table recouverte d'un tapis rouge. De la

main gauche, il tient l'urinai qu'il dirige, vers la lumière ; de la main

droite, il s'apprête à écrire une ordonnance. A côté de lui, se tient debout,

un petit laquais tout vêtu de brun, qui porte sous son bras une boîte d'ins-

truments et le manteau de son maître. Car il s'agit d'un Urologue de haute

marque.

Trois clients sont là, deux femmes et un homme. L'une des femmes,

encapuchonnée dans un fichu blanc, n'est peut-être qu'une compagne. La

seconde est certainement une malade ; non qu'elle ail l'air de souffrir

beaucoup, mais parce qu'elle portera la'main les honoraires du savant

docteur ès-urines : un gros canard blanc. Faute de mieux, l'élégant Uro-

logue ne dédaigne pas d'être payé en nature.

L'autre client, un pauvre diable d'assez piteuse mine qui s'appuie sur

un bâton, n'ignore pas cet usage ; il connaît les exigences du praticien et

il a apporté un panier d'osier rempli de poulets.

L'artiste inexpérimenté n'a su donner à ces personnages ni le charme,

ni la vie qui font des tableaux de Jan Sleen d'admirables chefs-d'oeuvre

de sincérité et de finesse. Telle qu'elle est cependant, cette peinture nous

fait pénétrer dans l'intimité des moeurs de son époque. Là, la médecine et

la pharmacie se pratiquent en famille. Les clients sont de vieilles con-

68 HENRY MEIGE

naissances pour lesquelles il n'est pas besoin de faire de grands frais. Seul,

le médecin aux urines apporte une note pompeuse dans cet intérieur rus-

tique. Sa perruque et son laquais détonnent étrangement.

Biais nous savons que ces accessoires avaient plus d'importance qu'un

solide savoir pauvrement velu.

Ce qu'il faut surtout retenir, c'est ce mode de consultation urologique

pratiqué dans )'arrière-boutique d'un apothicaire, non par celui-ci, mais

par un médecin spécialiste, qui venait donner là ses consultations, proba-

blement à jour et à he.ure fixes (1 ).

Le musée de Dresde possède un tableau attribué à Hendrick lleerschoop

(IG20-1GS` ? ), intitulé Un Alchimiste flairant une bouteille. C'est en effet

d'un Alchimiste qu'il s'agit et non d'un Urologue. La présence d'un four-

neau avec des cornues et des creusets, le geste même de ce personnage,

exclut l'hypothèse d'un examen des urines.

Cependanl l'Alchimie et l'Urologie allaient souvent de pair.

Au même musée de Dresde se trouve un dessin attribué à Mat. van

Helmont (école flamande de la fin du xvn" siècle) qui représente le la-

boratoire d'un. docteur ès-urines, fort adonné l'alchimie. Des fourneaux,

des cornues, des matras, que surveillent plusieurs aides, témoignent cer-

tainement des préoccupa Lions philosophales dece savant. IIs'adonnc aussi

à la cosmographie, à la géographie, à l'anatomie comparée, à l'étude des

simples et des minéraux, bref. à toutes les sciences. Il doit en avoir une

connaissance approfondie, si l'on en juge par l'imposant désordre de ce

laboratoire où s'entassent, pèle-mêle, les mappemondes, les pots cassés,

les vieux grimoires et les squelettes d'animaux (PI. XI).

Pour le moment, cel alchimiste fait de Yaromancie.

Une malade est là, une femme, affalée sur un fauteuil, presque sans

connaissance. Près d'elle, un personnage à longs cheveux bouclés se tient

debout et lui tàle le pouls d'un air entendu. C'est son médecin, qui, de-

vant ce cas difficile, a jugé prudent de s'adresser aux lumières de la

science des urines.

On a donc apporté l'urinai, dont le réci pien t d'osier gil pal' terre, auprès

du siège de la cliente. L'uromancien a lorgné le liquide ambré; un coup

d'oeil a suffi. Le diagnostic est fait.

(1) L'influence de Jan Steen se fait remarquer, moins par le décor que par un cer-

tain nombre de détails familiers au maitre hollandais : un chien, auquel un autre fait

les politesses d'usage, la figure du vieillard qui se chauffe les mains, celle d'un domes-

tique qui cherche à saisir sur le lit une grande bouteille, enfin le costume et l'attitude

des femmes, surtout de celle qui fait de la dentelle, et qui porte sur la tempe droite

une de ces mouches rondes d'usage si répandu en ce temps.

NOUVELLE ICONOGKA ? HE DE IA SALPÊTRIÈRE.

T. XVI. Pl. XI

L'ALCHIMISTE UROLOGUE

Dessin de M. VAN Hllmont, Musée de Dresde.

(Henry Meige).

Nouvelle Iconographie de la SALPÊTRTÈRE.

T. XVI. PI XII

UN UROLOGUE AU XIXe SIECLE

(Henry Meige).

Masson & Ch', Editeurs

Il...

LES UROLOGUES 6R

Je crois bien qu'il s'agit du « mal d'amour ». L'attitude pâmée de la

femme peut déjà le faire supposer; mais, en outre, derrière l'urologue,

une commère se tient debout, les mains sous son tablier, souriant d'un

air entendu. Nous connaissons cette bonne pratique. Sans médecine et

sans alchimie, elle sait faire le diagnostic juste; elle confirme par sa

mimique les révélations de l'urinal. Je ne serais pas surpris non plus

qu'au fond de cet urinai on put distinguer comme un soupçon de petit

être, homunculus, qui « deviendra grand, pourvu queDieu lui prête vie ».

L'urologue de Godfried Schalken, au musée de la Haye, nous a appris que

le mal d'amour se révélait souvent de la sorte. Et entendons-nous bien :

l'amour dont il s'agit ici n'a rien de platonique ; ce n'est pas.la « fièvre

pallide » des belles chlorotiques de Gérard Dow ou de van IIoostraaten.,

Ce mal est bien plus prosaïque : la dame est enceinte, ni plus ni

moins.

Nous dirons donc qu'il s'agit d'une scène d'uromancie et d'un diagnostic

de grossesse : divination par l'inspection des urines permettant de certifier

l'existence d'un germe humain, qui, dans neuf mois verra le jour sous

forme d'un enfantelel.

Comment a-t-on pu songer il accorder à l'uroscopie le privilège de ré-

véler la conception ? Rien de plus simple. '

Les notions populaires sur la disposition anatomiquedes organes génito-

urinaires et sur leur fonctionnement ne permettent guère de discerner entre

les choses génitales et les choses urinaires. On entrevoit vaguement un

réceptable commun ; on suppose de larges voies de communication entre

les cavités vésicales et autres,... De là àcroire que l'urine de la femme peut

contenir des traces visibles de sa faute, il n'y a qu'un pas. Les Urolo-

gues, si tant est qu'ils ne partageaient pas ces croyances, se gardaient'

bien de les réformer. N'avaient-ils pas, au contraire, fout profit à les ac-

créditer ? ...

En terminant, je montrerai une lithographie du milieu du siècle der-

nier. A celle époque, il n'y a guère plus de cinquante ans,les consultations

urologiques prêtaient encore aux mêmes plaisanteries qu'au temps de

Schalken (PI. XII).

Une jeune femme est venue consulter un médecin ; elle a apporté une

petite fiole d'urine. Le médecin la regarde, fronce le sourcil, fait la moue

et commence :

« Hippocratedit oui...

- Je ne le connais pas, interrompt soudain la cliente affolée, Monsieur,

ne me perdez pas ! ! ..... »

70 HENRY MEIGE

Telle est la légende de cette image.

On comprend tout, si l'on remarque que cette jeune personne est accom-

pagnée de son père. IIeureusement, celui-ci s'est endormi sur un divan...

Mais la jolie pécheresse pourra-t-elle toujours dissimuler son mal ? Dans

quelques mois, hélas ! il deviendra flagrant.

Ainsi, c'est toujours la même plaisanterie. Seuls, le décor et les costu-

mes ont varié. Ce n'est plus la Hollandaise dodue, capuchonnée de blanc,

douillettement vêtue d'un caraco de velours bordé de cygne ; c'est une pe-

tite bourgeoise de France, au chignon provoquant, le front garni de co-

ques, portant écharpe et courtes manches bouffantes aux épaules. Ce n'est

plus le Docteur en perruque, drapé dans son long manteau noir, coiffé

du chapeau haut ou de la barette c'est un vieux spécialiste chauve, en

robe de chambre à ramages, un foulard autour du cou. L'urinai a dis-

paru : le ballon rond au col évasé, symbole respecté, ustensile vénérable

transmis de génération en génération, est devenu une petite bouteille très

banale, bonne à tout faire. -

Voilà donc encore quelques spécimens de ces Urologues, « vermines de

batteleurs », comme les appelait Jehan Brèche, qui vivaient aux dépens de

tous les « badauds, fatz, sotz et nyais par nature, par heccare el par bé-

mol », et prétendaient reconnaître à la couleur de ses urines, si une jeune

et jolie fille avait jeté son bonnet par-dessus les moulins.

Les joyeuses commères de Jan Steen en savaient aussi long qu'eux.

Leurs oeillades malicieuses dépistaient le « mal d'amour » avec une perspi-

cacité au moins égale. Et leur indulgent sourire ne valait-il pas mieux

que les simagrées solennelles de ces Urologues ignares autant qu'éhontés ? ...

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XVI. PI XIII

TROIS DESSINS DE JORDAENS

du Musée de l'Ermitage, à S,lint-Petersbourg,

(J. Heitz),

Masson & Cie, Editeurs

NOTE SUR TROIS DESSINS DE JORDAENS

l'Ali lt

JEAN HEITZ.

Ces trois dessins se trouvent exposés au musée de l'Ermitage à Saint-Pé-

tersbourg (PI. XIII). Les deux figures d'homme sont d'une authenticité

certaine, par contre, la scène de possession n'est qu'attribuée au maître fla-

mand. Tous trois présentent certaines particularités intéressantes, comme

documents d'iconographie médicale, et n'ont jamais été signalés à notre

connaissance, même dans l'ouvrage si complet de Paul Richer.

Dans la guérison du possédé, les caractères du dessin ne rappellent

guère la manière exubérante et violente de Jordaens. Par contre, l'exé-

cution de la ligure du possédé est excellente, et on y retrouve toutes

les qualités des représentations semblables chez les meilleurs peintres de

la bonne période flamande. L'influence de Rubens n'y est pas douteuse.

Par l'attitude des bras le possédé de l'Ermitage rappelle de très près la

démoniaque du tableau de l'église Saint-Ambroise de Gênes. Les mem-

bres inférieurs, meilleurs que ceux de la figure de Gênes, semblent di-

rectement inspirés de ceux de l'homme qui se roule au premier plan

d'un autre Rubens, le Saint-Ignace du musée de Vienne. Nous connais-

sions déjà une bonne figure de possédé de Jordaens, dans le Saint-

Martin du musée de Bruxelles. Paul Richer fait cependant remarquer que

c'est surtout par la fougue et la violence des convulsions que cette figure

rappelle celle de l'hystérique en crise. Le dessin de Saint-Pétersbourg est

peut-être plus véridique par l'attitude des membres, le renversement en

arrière de la tête, le gonflement du cou. De toutes façons, c'est une oeuvre

très exacte, témoignant d'études approfondies et que nous pouvons placer

au premier rang des figurations semblables qui nous a laissées l'école fla-

mande (1).

Les deux figures d'homme, réjouies et grimaçantes,sont tout à fait, par

(1) Les représentations de démoniaques exécutées par les successeurs de Rubens sont

en somme, peu nombreuses. En dehors d'une transfiguration de Déodat Delmont qui

reproduit le Rubens de Nancy, nous ne connaissons qu'un possédé de Philippe de

Champaigne et deux peintures flamandes de Munich, signalées par 111. Souques et si-

gnées Paul Bril (Un du xve siècle), et Gérard Doufflest (xvn0 siècle).

179 JEAN IIEITZ

contre, dans la manière de Jordaens. Le peintre a-t-il voulu reproduire

des hémispasmes de la face ? Telle est la question que se pose de suite le

neurologiste au premier examen du dessin. Cette hypothèse n'a d'ail-

leurs rien d'invraisemblable. Jordaens n'a-t-il pas fait des possédés en

crise. Et à la même époque, Breughel n'a-t-il pas reproduit les danses hys-

tériques de la Saint-Guy ? -

. Nous connaissons, d'ailleurs, d'autres oeuvres d'art, où Charcot et Bicher

ont pu diagnostiquer la représentation d'hémispasmes faciaux : la figure

de Myrina (1), et le masque de terre cuite de la collection Compana (2)

au musée du Louvre, par exemple. La célèbre mascaron de S .M. Formosa

de Venise, reproduit sans doute un spasme glossolabié, et du moins, ici, la

recherche de la déformation pathologique paraît évidente.

Il n'en est peut-être pas absolument de même dans les dessins de Jor-

daens. Le seul argument que l'on puisse faire valoir en faveur du spasme

hystérique est la convulsion en haut et à gauche des globes oculaires, dans

la figure de droite. Mais d'autre part, cette même figure ressemble éton-

namment au fumeur de Brouwer, et l'on pourrait, avec d'égales chances de

vraisemblance, conclure que Jordaens a copié des déformations faciales

d'ordre spasmodiques, ou qu'il s'est plu tout simplement à croquer des

grimaces amusantes et pittoresques.

(1) P. Richer, figure 43.

(2) P. Richer, ligure 102.

Le Gérant : P. Bouchez,

luip. J. Ttmvenût, Saint-Dizier (llaute-d1aruu).

17e année N° 2 Mars-Avril

HOTEL-DIEU

LABORATOIRE DE Dl. LE PROFESSEUR BRISSAUD.

SYRINGOMYÉLIE ;

ARTHROPATHIE DE L'ÉPAULE;

ATROPHIE MUSCULAIRE ET THERMO-ANALGÉSIE

DU TYPE TRANSVERSAL

PAR R

E. BRISSAUD

Professeur à la Faculté

et

BRUANDET

Interne des Hôpitaux.

Observation

E. P..., âgé de 49 ans, vendeur aux Halles, grand buveur de vin, en-

tre à l'hôpital pour la première fois le 29 novembre 1901, se plaignant de

douleurs abdominales avec gonflement du ventre. On a, paraît-il, diagnos-

tiqué une péritonite tuberculeuse. Or, il n'y a pas de péritonite tubercu-

leuse. Sans doute le malade est tuberculeux des poumons, mais s'il a des

troubles digestifs, des ballonnements passagers, c'est parce qu'il est

atteint d'une cirrhose alcoolique (1).

Un autre fait pathologique auquel il n'attache plus d'importance attire

notre attention : l'articulation scapulo-humérale gauche est considérable-

ment augmentée de volume et déformée. L'humérus est luxé en avant et

en dedans. La tête de l'os, disloquée et mobilisable en tous sens, est

énorme. Tous les mouvements produisent de forts craquements qu'on

(1) Communication faite à la Société de Neurologie de Paris (séance du 5 décembre

1902).

.\vi 6

74 BliISSAUD ET BHUANDET

entend à distance. Aucun mouvement, soit actif, soit passif, ne détermine

la moindre douleur.

Ce gonflement, cette incapacité fonctionnelle, ces craquements, tout est

survenu à peu près brusquement, il y a deux ans, sans réaction doulou-

reuse ni inflammatoire.

Depuis cette époque, tout le membre supérieur gauche est affaibli,

amaigri, même atrophié, spécialement la masse antérieure des antibra-

chiaux.

Le thénar et l'hypothénar ont eux aussi diminué de volume; cette main

toutefois est un peu acromégale dans son ensemble et le sujet n'est pas

gaucher.

Aucun trouble fonctionnel des membres inférieurs.

Vers l'époque où le malade s'aperçut pour la première fois de la diffi-

culté qu'il avait à mouvoir son épaule, il remarqua également que ses deux

mains étaient devenues insensibles à la douleur. L'examen de la sensibi-

lité permet de constater les troubles suivants.

La sensibilité tactile est simplement émoussée, mais le malade sent les

conlacts dans toutes les parties de la main.

Toutefois l'exploration avec l'estliésiom8tre de Frey montre que les

différences de sensibilité dont il s'agit répondent à une topographie seg-

mentaire.

Quant il l'anesthésie douloureuse et à la thermo-aneslhésie, elles sont

limitées l'une et l'autre par une ligne horizontale situéeau niveau de l'ar-

ticulation du poignet pour la face antérieure et à la moitié de l'avant-bras

pour la face postérieure.

Au membre droit on constate une légère thermo-analgésie répartie de

la même façon, mais incomparablement moindre, puisque du côté gauche

la thermo-anaigésie est absolue. En outre la sensibilité thermique et dou-

loureuse est à peu près intacte à la face antérieure des phalanges.

Les réflexes rotuliens sont un peu exagérés. Il n'y a pas de clonus, pas

de signe de Babinski.

Pas de scoliose. Aucun phénomène bulbaire.

Le diagnostic porté est celui de syringomyélie. Il se fonde sur la coexis-

tence d'une artropalhie monstrueuse et indolente, d'une atrophie muscu-

laire progressive du membre supérieur gauche et d'une dissociation de la

sensibilité aux extrémités des deux membres supérieurs.

Au mois de janvier (4 janvier), cinq semaines après son entrée à l'hô-

pital, le malade se plaint d'éprouver un peu de raideur dans la marche.

D'ailleurs aucun signe de paraplégie spasmodique.

En mars, douleurs de la nuque au niveau des bords supérieurs des deux

trapèzes. Vertiges. Exagération des réflexes. Le malade se plaint en ou-

SYRINGOMYÉLIE DU TYPE TRANSVERSAL 75

tre de douleurs vagues dans le bras gauche ; ces douleurs correspondent

au trajet du radial. Depuis quelques jours l'articulation du coude gauche

est également endolorie. On y perçoit d'énormes craquements, comme si

la capsule était remplie de corps étranges. L'épitrochlée est mobile et tu-

méfiée, peu à peu les craquements diminuent d'intensité, la saillie épi-

trochléenne cesse d'être mobile. Un mois après, il n'y a plus trace de cette

poussée articulaire.

Les signes de tuberculose pulmonaire sont moins prononcés. L'état gé-

néral est satisfaisant. Le malade quille l'hôpital le 7 juin 1902.

Le 16 octobre, il y rentre en très mauvais état. Infiltration tuberculeuse

(pneumonie caséeuse) de la plus grande partie du poumon droit. Agitation

fièvre, subdélire nocturne. Abolition complète des réflexes rotuliens. Pas

de clonus, ni de réflexe de Babinski. Persistance du réflexe du fascia lata.

Les pupilles réagissent bien de toute façon.

L'articulation de l'épaule est dans le même état. L'articulation du coude

gauche m'est pas déformée, mais on y retrouve quelques craquements.

Les troubles de la sensibilité sont approximativement les mêmes. Tou-

tefois une aire de thermo-analgésie totale occupe le moignon de l'épaule

gauche sur une étendue représentée sur la figure schématique ci-jointe.

On constate également une plaque de thenno-anesthésie en genouillère

exclusivement limitée à la face antérieure du genou droit et une longue

bande d'hypo-analgésie qui part du pli inguinal gauche pour se terminer

à la hauteur de la malléole. Enfin la thermo-analgésie n'est plus absolue

à la face dorsale des phalanges de la main gauche. A la face postérieure

La thermo-analgésie est indiquée en noir. Les stries indiquent la diminution des

sensibilités thermique et douloureuse qui sont d'ailleurs exactement superposées.

76 BRISSAUD ET BHUANDET

du tronc, deux grands territoires d'hypothermo-algésie sont figurés sur le

schéma. ,

L'examen électrique des muscles est pratiqué par M. Allard.

Tous les muscles des membres supérieurs et des épaules se contractent

normalement aux deux courants faradique et galvanique.

Aux membres inférieurs, la contraction est normale pour tous les mus-

cles, sauf le vaste interne des deux côtés où la contractilité est complètement

abolie au courant- faradique, avec le courant galvanique on constate une

légère contraction avec 30 milliampères pôle négatif. Pas d'inversion po-

laire... z

27 octobre. Le malade tousse de plus en plus. Il est très agité la

nuit. La température procède par grandes oscillations. Il se sent très fai-

'bile.

Mort le 28 octobre,

Autopsie. Pneumonie caséeuse, cirrhose granuleuse, méningite à

exsudat séro-fibrineux sanguinolent.

La moelle est aplatie d'avant en arrière de la IVe racine cervicale jus-

qu'à la VIe dorsale. Ce segment semble diminué légèrement le volume,

plus petit qu'à l'ordinaire, pour son sac durai.

Au niveau de 2e racine cervicale, la corne antérieure gauche est atro-

phiée et rejetée en dehors. La base de la racine postérieure du même

côté est remplacée par une lacune qui atteint la pointe de cette corne.

Dans cette lacune,'quelques vaisseaux à parois épaisses.

Au niveau de la IVe racine cervicale, la moitié gauche de la moelle est

plus petite que la droite, surtout à sa partie postérieure. La corne anté-

rieure gauche est normale ; la postérieure se réduit à quelques tractus de

substance grise, situés de chaque côté d'une grande fente qui la remplace.

Cette fente va du bord gauche de l'épendyme normal jusqu'à la périphé-

rie. Les parois sont limitées par un tissu condensé au-dessous duquel est

un tissu clair, 'vacuolaire, tous éléments d'origine névroglique. Quelques

vaisseaux traversent cette cavité. '

Le V° étage radiculaire cervical présente toujours cette fente oblique

postérieure gauche qui suit exactement le trajet de la corne postérieure

(PI. XIV, A). Au centre elle naît en arrière et à gauche de l'épendyme,

s'ouvrant presque dans le grand sillon postérieur. A la pointe de la corne

postérieure, on voit la pie-mère épaissie pénétrer dans la fente et se conti-

nuer avec les parois à éléments condensés de la cavité. La corne antérieure

est aplatie d'avant en arrière de ce côté gauche.

Au niveau de la VIe racine cervicale les lésions s'exagèrent ; la fente se

continue avec l'épendyme et gagne la racine postérieure droite. L'épen-

dyme constitue la partie médiane de la cavité ; li,des cellules épithéliales

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. r. XVI, PL. XIV.

Moelle au niveau de la cinquième racine cervicale

(cûté gauche de la moelle, à droite du lecteur).

Moelle au niveau de la sixième racine cervicale

(côté gauche de la moelle, à droite du lecteur).

SYRINGOMYÉLIE

(F.. Briss.711d et Brii,711,let.)

Masson ET CIe, 1`.W teurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XVI. PL. XV

Moelle au niveau de la deuxième racine dorsale

(côté gauche de la moelle, à droite du lecteur).

Moelle au niveau de la cinquième racine dorsale

(côté gauche de la moelle, à droite du lecteur).

Moelle au niveau de la partie inférieure de l'étage correspondant

- à la cinquième racine dorsale

(côté gauche de la moelle, à droite du lecteur).

SYRINGOMYÉLIE

(E. Brissaud ci Bruandet.) : \1 \SSO 1.T CI ? Édilcurs.

SYRINGOMYÉLIE DU TYPE TRANSVERSAL ' 17

normales tapissent de place en place la paroi antérieure ; elles reposent

sur un tissu névroglique clair, vacuolaire, qui forme une large bande

transversale au niveau de la commissure antérieure (Pl. XIV, B). A gauche,

la fente gagne la périphérie au devant de l'émergence des fibres sensitives ;

à droite, elle pénètre dans la racine postérieure et la divise par plusieurs

prolongements. Corne antérieure gauche atrophiée et aplatie d'avant en

arrière.

A la hauteur de la VIII0 cervicale,grandes lésions bilatérales. Au milieu,

la paroi antérieure de la cavité est tapissée par des cellules épendymaires

se continuant jusqu'à la base des cornes grises à droite et à gauche. Là

bande névroglique de la commissure antérieure est moins épaisse qu'à

l'étage supérieur ; une bande de même nature plus épaisse et plus large

limite la paroi médiane postérieure de la cavité. La lésion fend dans leur

longueur les deux cornes postérieures ; la cavité est un peu plus large, à

parois plus épaisses du côté droit ; la dislocation est un peu plus marquée

de ce côté. Les deux cornes antérieures sont très atrophiées, rejetées en

dehors, très aplaties d'avant en arrière. De petites fentes lacunaires exis-

tent des deux côtés.

Au niveau de la Ile dorsale, les lésions augmentent encore d'intensité

(Pl. XV, C). Les deux racines postérieures sont détruites par la fente, la

droite presque totalement. Les cornes antérieures sont déjetées en dehors,

grêles, fissurées. Leurs grandes cellules gardent un aspect normal.

Au niveau de la V° dorsale, les dimensions de la fente diminuent; elle

n'atteint plus la pointe des cornes sensitives. L'épendyme toujours en

continuité avec cette lacune tend à se reconstituer. Une couche de cellules

épithéliales,bien que discontinue,marque les limites latérales de cette ca-

vité (Pl. XV, D). La moelle gauche est moins aplatie que la droite; la fente

y pénètre moins profondément, mais les lésions de la névroglie y sont plus

intenses. Aux deux commissures antérieure et postérieure sont des bandes

néoformées, elles se réunissent à gauche dans la base des deux cornes ;

elles forment là un petit noyau gliomateux. ,

Ce noyau gliomateux est très marqué du côté gauche au niveau de la

4° coupe ici représentée. Elle présente là, une formation bulbaire avec

centre aréolaire et périphérie à nombreuses cellules embryonnaires. Un

peu plus bas les deux formations sont analogues, à droite et à'gauche,

mais n'existent plus guère qu'à-la commissure postérieure (Pl. XV, E).

A hauteur de la VIIIe dorsale les lésions ont presque disparu ; seule-

ment quelques petites lacunes dans la racine postérieure gauche. La moelle

lombaire au niveau de la première, de la troisième et de la cinquième ra-

cine ne présente rien d'anormal. Les étages intermédiaires seront exami-

minés ultérieurement. '

78 BRISSAUD ET BRUANDET

Dans toute la moelle la pie-mère est épaissie, les parois vasculaires hy-

pertrophiées.

Le carmin colore de place en place des points comme des foyers d'une

myélite diffuse finale.

L'articulation du coude gauche examinée à l'autopsie ne présente qu'un

très léger dépoli- de ses surfaces cartilagineuses. D'après les signes clini-

ques que l'on observa au niveau de cette articulation, il estprobablequ'une

rétrocession des lésions s'y est opérée.

L'articulation de l'épaule gauche présente des altérations considérables.

.La capsule articulaire n'existe plus ; elle et tous ses ligaments sont dispa-

rus par l'altération trophique ; la longue portion du biceps qui traverse,

libre, la cavité articulaire est-elle aussi résorbée ; il n'y en a plus trace dans

tout son trajet articulaire ; son insertion au-dessus de la cavité glénoïde

n'estplus reconnaissable ; le tendon du bicepsn'existequ'à partir de la gout-

tière bicipitale, on le retrouve là adhérent aux débris du prolongement

synovial qui l'accompagne normalement. Cette disparition de la cap-

sule articulaire fait que la cavité de l'articulation est maintenant limitée

par la face profonde du deltoïde ; à l'état normal, la capsule de l'articula-

tion scapulo-humérale forme un tronc de cône dont la grande circonfé-

rence est au col anatomique de l'humérus ; dans le cas actuel,c'est la dis-

position inverse qui existe. Le tronc de cône a sa grande circonférence en

dedans, au scapulum. Elle passe sous le deltoïde à la pointe de l'acromion,

de l'apophyse coracoïde ; à la partie inférieure sous la cavité glénoïde,

elle passe au-dessus de l'insertion de la longue portion du triceps. L'in-

sertion externe humérale de la capsule articulaire est moins modifiée ;

elle est un peu exagérée en dimensions ; mais elle est bien plus petite

que l'insertion scapulaire, elle reste dans la région du col anatomique de

l'humérus.

Cette nouvelle cavité articulaire présente des parties osseuses et des

parties fibreuses (PI. XVI). Les parties osseuses sont la tète numérale,

la cavité glénoïde de l'omoplate qui prennent normalement part à sa forma-

tion, en plus, ici, on a la face inférieure des portions horizontales de l'acro-

mion et de la coracoïde. La tête numérale est fortement hypertrophiée

surtout en sa moitié inférieure; le cartilage y est là dépoli, légèrement

villeux. La portion sous-jacente à la tête, qui normalement recouverte de

la synoviale est à l'intérieur de la capsule articulaire est ici recouverte

d'un cartilage néoformé, épais,villeux, qui se continue avec celni de la tête

humérale. La cavité glénoïde de l'omoplate ne présente plus le nbrocâr-

tillage qui marque ses limites, elle est de ce fait moins excavée ; en son

centre le cartilage est villeux. La face inférieure de la portion externe de

l'acromion est recouverte d'un cartilage qui a toutes les apparences d'un

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. Pl. XVI

SYRINGOMYELIE - ARTHROPATHIE DE L'ÉPAULE

('Brissaud et 73nIGlldel)

Masson & Ci-, Editeurs

SYRINGOMYÉLIE DU TYPE TRANSVERSAL 79

cartilage normal ; il est plutôt moins altéré que les cartilages de la tête

numérale et des cavités glénoïdes, il est moins villeux que ces derniers.

De même l'apophyse coracoïde dans la partie inférieure de son bec, dans

la partie externe articulaire de sa portion ascendante est recouverte d'un

épais cartilage néoformé. Les fonctions de l'épaule ont créé cette organi-

sation cartilagineuse qui rappelle celles que l'on a observées dans certai-

nes pseudarthroses. Le tissu fibreux interposé entre ces parties osseuses

limite la grande cavité articulaire. Cette nouvelle capsule est remarquable

par l'énorme quantité de formations fibrocartilagineuses qui végètent de

sa face interne à l'intérieur de la cavité articulaire. Ce sont des franges

synoviales qui se sont développées d'une façon extraordinaire comme

nombre, comme volume, comme constitution. Le nombre en est considé-

rahle; toute cette grande cavité articulaire de nouvelle formation en est

couverte ; il la plupart des points, ces formations sont «influentes. Ce sont

des végétations en général polypeuses ; un tout petit pédicule fibreux

supporte une formation de 5 à 15 millimètres de diamètre en moyenne.

Parfois la végétation est arborescente, il y a ramification d'une saillie

qui peut aller jusqu'à des branches de 3e et 4e ordre. - Les formations

rondes, polypeuses sont ordinairement fibrocartilagineuses ; celles qui sont

aborescentes sont seulement fibreuses, souvent implantées sur des forma-

tions polypeuses. Certaines formations polypeuses s'étaient détachées de

la cavité, et existaient, corps étrangers, libres, dans la cavité articulaire.

C'est cette végétation considérable de la cavité articulaire qui donne à cette

lésion de l'épaule tout son cachet, les phénomènesproiifératifs dominent

sur les phénomènes atrophiques, malgré la disparition de toute la capsule

articulaire et du tendon de la longue portion du biceps.

Dans la portion des muscles sous-scapulaire, sus-épineux, sous-épineux,

qui avoisine l'articulation, il y a formation des nodules ossiformes. Ces

nodules sont ovoïdes, légèrement allongés dans le sens des fibres du

muscle ; ils sont au milieu même des éléments constitutifs de ce muscle.

Leur diamètre est de un à un centimètre et demi ; ces nodules sont un ou

deux pour chaque muscle. Ils sont constitués par une coque externe,

mince, flexible, crépitante ; à leur intérieur est un tissu mou, graisseux,

aréolaire, d'aspect médullaire. Après décalcification l'examen microsco-

pique montre dans sa coque externe des ostéoblastes normaux. En dedans

cette coque a une limite nette, linéaire ; en dehors elle se continue avec

les éléments du muscle.

HOSPICE DE BICÊTRE

LABORATOIRE DE M. PIERRE MARIE.

LÉSION ANCIENNE DU NOYAU ROUGE.

DÉGÉNÉRATIONS SECONDAIRES.

PAR

PIERRE MARIE et GEORGES GUILLAJN.

Professeur agrégé, Médecin de Bicêtre Chef de clinique à l'hospice Ste-Anne

Nous avons observé, au cours d'une autopsie, une lésion ancienne d'un

noyau rouge ayant déterminé la dégénération secondaire de différents fais-

ceaux nerveux. Etant donné la rareté relative des lésions limitées du pé-

doncule, nous avons pensé qu'il pouvait y avoir un certain intérêt à re-

produire les coupes histologiques de notre cas. ,

Le malade, par nous autopsié, a été examiné autrefois par M. Dejerine

qui a bien voulu nous communiquer son observation clinique. Nous

sommes très heureux d'adresser à M. Dejerine nos sincères remerciements

pour l'obligeance avec laquelle il nous a permis d'utiliser cette obser-

vation.

Il s'agit d'un malade, né en 1851, qui, à l'âge de deux ans, aurait eu des

convulsions. A la suite de celles-ci s'est développée une hémiplégie

gauche. En 1878, il eut un chancre syphilitique.

Quand Mi Dejerine l'examina en 1887, il observa une hémiplégie cé-

rébrale infantile. Toute la moitié gauche du corps, la face, le tronc et les

membres présentaient un arrêt de développement très prononcé. Il avait

des mouvements constants de flexion et d'extension des doigts et du poignet,

de l'avant-bras sur le bras et d'abduction et d'adduction du bras sur le

thorax. Des mouvements spasmodiques du peaucier du même côté

inclinaient la tête sur l'épaule gauche.

La langue était légèrement diminuée de volume-du côté gauche ; le

voile du palais et la luette étaient deviés du côté droit.

Sensibilité des membres intacte. Abolition complète de l'ouïe etpresque

'complète de l'odorat et du goût du côté droit.

Avec l'oeil droit il comptait les doigts à 1 m. 50 environ. L'acuité vi-

suelle de l'oeil gauche était normale. A droite, pupille en mydriase ne réa-

gissant ni à la lumière ni à la convergence.Strabisme divergent de ce côté.

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. Pl. XVII

LÉSION ANCIENNE DU NOYAU ROUGE

Dégénérations secondaires.

(Pierre. Marie et G. Guillait

LÉSION ANCIENNE DU NpYAU ROUGE

Dég¿n0r.1tions secondaires.

('Pierre Marie et G. Giiill(iii)

Masson & CI-, Editeurs

1'l,oratN.Pie llen1umJ, P1Js.

LÉSION ANCIENNE DU NOYAU ROUGE 81

A gauche pupille de dimension ordinaire et à réactions normales. Fond

de l'oeil normal.

M. Dejerine a publié deux photographies de ce malade dans sa Sémio-

logie du système nerveux (Traité de Pathologie générale de Bouchard,

tome V, figures 34 et 37).

Le malade est mort en 1900, gâteux, après avoir fait des tentatives de

suicide.

L'autopsie ne permit de reconnaître aucune lésion de la corticalité ni

des méninges.

Sur les coupes microscopiques nous avons rencontré une lésion siégeant

dans le noyau rouge du côté droit. Il s'agit soit d'un ancien tubercule

devenu scléreux, soit d'un vieux foyer de l'amollissement limité. L'ancien-

neté de la lésion ne permet pas de spécifier avec exactitude son origine

première. Ainsi qu'on le voit sur la coupe du pédoncule cérébral (Plan-

che XVII), la lésion est bien localisée dans la région du noyau rouge. Ce-

lui-ci et sa capsule ont été complètement détruits. Le pied du pédoncule, le

locus niger de Soenunering, les autres régions de la calotte sont absolument t

normaux. Sur les coupes sus-jacentes intéressant la région sous-optique,

on voit que la lésion a disparu,elle est donc nettement localisée à la région

du noyau rouge du côté droit. C'est, pourrait-on dire, une véritable des-

truction expérimentale de la région du noyau rouge.

Sur les coupes colorées avec la méthode de Weigert, passant par la région

de l'entrecroisement des pédoncules cérébelleux supérieurs, on voit l'atro-

phie considérable du pédoncule cérébelleux supérieur droit qui envoie un

contingent de fibres vers l'entrecroisement bien moindre qu'à gauche. Le

faisceau longitudinal postérieur du côté droit est nettement atrophié, la

substance réticulée de la calotte fait presque entièrement défaut. Le pied

du pédoncule est fort bien coloré à droite et à gauche, aucune apparence

de dégénération n'y est visible (Planche XVIII).

Sur les coupes supérieures de la protubérance annulaire, l'atrophie

considérable du pédoncule cérébelleux supérieur à gauche est très appa-

rente. On voit toujours l'atrophie du faisceau longitudinal postérieur et la

disparition presque totale du faisceau central de la calotte à droite (Plan-

che XVII).

Cette dégénération du^faisceau central de la calotte et l'atrophie du fais-

ceau longitudinal postérieur droit se poursuivent sur les coupes des régions

protubérantielles moyenne et inférieure.

On voit sur les coupes plus bas situées le faisceau central de la calotte

se diriger vers l'olive bulbaire, vers sa partie postérieure et externe.

Sur les coupes de la région olivaire du bulbe (Planche XIX), on con-

state l'atrophie de l'olive droite. Les fibres de la capsule de l'olivesont dé-

82 MARIE ET GUILLA1N

générées, ce qui s'explique par ce fait qu'elles sont en connexion avec le

faisceau central de la calotte. L'atrophie du faisceau longitudinal postérieur

qui était très apparente sur les coupes de la protubérance est très difficile

à retrouver sur les coupes du bulbe, alors que ce faisceau est venu se con-

fondre avec les fibres de la formation réticulée blanche. On reconnaît ce-

pendant encore au microscope la zone de sa dégénération.

Quand on compare l'olive droite et l'olive gauche, on voit que le nom-

bre des cellules de l'olive droite est très diminué, aussi s'explique-t-on

l'atrophie des fibres cérébello-olivaires. M. Thomas (1) dans un cas de

lésion du faisceau central de la calotte a fait récemment une constatation

identique. Il est à remarquer que, dans le cas de M. Thomas, cet auteur a

observé, non pas une atrophie, mais une hypertrophie de l'olive, mais

cette hypertrophie n'était qu'une hypertrophie apparente, il y avait en

réalité une diminution du nombre et du volume des cellules nerveuses.

Les coupes de la région inférieure du bulbe et de l'entrecroisement py-

ramidal ne laissent plus voir de tractus de dégénération. Le faisceau de

Ilelweg ne nous a pas paru dégénéré.

Les coupes de la moelle épinière montrent des lésions nouvelles, essen-

tiellement différentes des lésions observées précédemment et tout à fait

indépendantes de celles-ci. Il existe en effet dans la moelle dorsale'inl'é-

rieure un foyer de méningo-myélite intéressant les cordons postérieurs

et les cordons latéraux. Ce foyer a déterminé les dégénéralions secondaires

classiques des deux faisceaux pyramidaux au-dessous de la lésion et des

cordons postérieurs au-dessus. Sur les coupes de la moelle cervicale on

voit en effet une dégénération des deux cordons de Goll.

Nous avons reproduit (Planche XX) les coupes de la région du noyau

dentelé du cervelet. Ainsi qu'on le voit sur les photographies, le bile du

noyau dentelé gauche est très atrophié. Cette atrophie est en rapport avec

l'atrophie du pédoncule. cérébelleux supérieur gauche observée sur les

coupes de la protubérance et du pédoncule cérébral.

Nous avons recherché sur les différentes coupes de la protubérance et du

bulbe s'il existait une dégénération du faisceau de Von Monakow dans les

régions où les auteurs figurent ce faisceau, nous ne l'avons pas rencon-

trée. Il convient de remarquer toutefois que le faisceau de Von Mona-

kow, à supposer qu'il existe chez l'homme, ne doit pas être un faisceau

bien dense et partant, qu'avec la méthode de Weigert il doit être presque

impossible de constater sa disparition au milieu des autres fibres restées

saines.

(1) A. Thomas, Recherches sur le faisceau longitudinal postérieur el la substance

réticulée bulbo-protubérantielle, le faisceau central de la calotte el le faisceau de

Helweq. Revue Neurologique, 1903, p. 94.

LESION ANCIENNE DU NOYAU ROUGE

ylIlVC.121017$SCOI7t11Ce5.

,

- {Pierre Marie et G. Guillain),

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. T. XVI. PI

LESION ANCIENNE DU NOYAU ROUGE

Dégénérations secondaires.

(Pierre Marie et G. Guillrrin).

LÉSION ANCIENNE DU NOYAU ROUGE 83

Cette observation est intéressante, au point de vue anatomique, en rai-

son de la lésion pédonculaire limitée et des dégénérations bien localisées

que l'on rencontre sur les différentes coupes, dégénérations du pédoncule

cérébelleux, du faisceau central de la calotte, du faisceau longitudinal

postérieur. Le cas que nous publions présente, au point de vue anatomique,

beaucoup d'analogies avec celui rapporté récemment par MM. Halbran et

Infeld (1). On s'en convaincra aisément en comparant nos figures et

celles de nos confrères viennois.

N'ayant pas observé personnellement le malade dont nous avons rap-

porté l'autopsie, nous ne voulons pas essayer d'interpréter les symptômes

cliniques par les résultats anatomiques. Toutefois nous ferons remarquer

que les lésions médullaires observées ne paraissent avoir aucun rapport

avec l'hémiplégie infantile, parce que ces lésions sont des lésions de

méningo-myélite dorsale inférieure, qu'elles sont bilatérales et symétri-

ques. Elles ont été sans doute créées par la syphilis acquise de cet homme.

Celte hémiplégie infantile est-elle sous la dépendance de la lésion du noyau

rouge et des voies motrices de la calotte ? Le fait est possible, puisque

sur aucune des coupes du cerveau, du pédoncule et du bulbe, on ne cons-

tate de lésions ni de dégénérations de la voie pyramidale.

(1) IIUB,IN et 11CFELD, Zur Pathologie der Hi,'nschenkelhaube,Arbeiten aus dem Neu-

rologischen Institute an der Wiener Universitât. Ilerausgegeben von Prof. Dr Heinrich

Ohersteiner, IX lleft., 1902, p. 329.

FACULTÉ DE MÉDECINE DE NANCY

UN CAS DE SYPHILIS HÉRÉDITAIRE TARDIVE

A FORME CINLB10-SPINAL>;,

PAR

RICHON

Ancien Chef de clinique médicale.

La syphilis héréditaire, précoce ou tardive, peut se révéler sur un

même individu, à la fois par des troubles de nutrition, des dystrophies,

et par des lésions de nature vraiment syphilitique, comparables en tous

points aux manifestations tertiaires de la syphilis acquise ; elle peut

comme cette dernière atteindre un système organique particulier à l'ex-

clusion des autres et apparaître dans l'adolescence ou même à l'âge adulte,

sans avoir antérieurement révélé son existence par des symptômes bien

caractérisés ou des stigmates apparents. Aussi, quand des lésions de na-

ture gommeuse se produisent chez un adolescent, bien constitué et sans

antécédents morbides, leur caractère héréditaire est parfois difficile à dé-

gager ; en l'absence des données étiologiques, c'est parfois à la forme

anatomique des lésions qu'il faut demander leur véritable nature.

L'observation suivante se rapporte à cette catégorie de faits; elle a

trait à une localisation crânienne et surtout cérébro-spinale d'une syphi-

lis héréditaire tardive. Bien que la notion étiologique nous fasse complè-

tement défaut et que l'histoire clinique abrégée nous donne des rensei-

gnements insuffisants, nous pensons pouvoir affirmer la nature spécifique

du processus, en raison de l'étude anatomique des lésions et de certaines

malformations.

Observation (due à l'obligeance de M. le professeur agrégé Haushalter).

Résumé. - Garçon de 11 ans, sans lésions, ni stigmates visibles d'hérédo-

syphilis. Lésion fistulaire du pariétal, bientôt accompagnée d'épilepsie jack-

sonienne. Intervention chirurgicale inefficace. Persistance des convulsions

épileptiformes accompagnées d'hémiplégie avec contracture, de déchéance

intellectuelle progressive, de surdité, d'amaurose. Cachexie lente. Infection

tuberculeuse terminale.

Autopsie. - Perte de substance crânienne. 111éningo-eocépholite fibreuse

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE TARDIVE 85

sous-jacente. Méningite gommeuse de la base. Cavité cérébelleuse. Infiltration

des méninges spinales.

R... âgé de 11 ans, né de parents inconnus, enfant assisté, est vu pour la

première fois le 25 février 1898. Il est amené au Service des enfants de la

Maison de secours à cause d'une lésion suppurative, qu'il porte depuis quel-

ques semaines dans la région temporale gauche ; elle serait consécutive à un

coup de pied reçu par l'enfant. Aucun renseignement sur ses antécédents.

C'est un garçon de taille moyenne, trapu, à peau très pigmentée, d'intelli-

gence très peu développée ; la figure est large, le prognathisme très marqué.

A la partie antérieure de la fosse temporale gauche s'ouvre une fistulette, en-

tourée de tissus rouges, bourgeonnants, indurés, peu mobiles sur le plan sous-

jacent ; le pus qui s'en écoule est fluide, non fétide ; l'exploration au stylet ne

permet pas d'arriver sur une surface osseuse dénudée. Il n'existe pas de mal-

formation du crâne ou du reste du squelette ; aucune lésion tégumentaire,

aucune lésion viscérale. '

En raison du traumatisme subi par l'enfant, on se rangea tout d'abord à

l'idée d'une plaie vulgaire ; mais devant sa persistance, on dut penser à une

gomme tuberculeuse ou à une lésion périostée syphilitique.

Le traitement spécifique resta sans effet.

Peu de temps après survint brusquement une crise typique d'épilepsie jack-

sonienne dans tout le côté droit, côté opposé à la lésion du tégument crânien.

Les crises se répétèrent fréquemment ; une intervention chirurgicale s'impo-

sait ; elle montra l'existence d'un pertuis osseux, donnant accès, après trépa-

nation, dans une grande cavité intra-cérébrale, contenant un liquide clair. Les

suites opératoires furent bénignes, mais les crises épileptiformes reparurent,

toujours limitées au côté droit, pour ne cesser que dans les dernières périodes

de la maladie. En même temps se fit jour, sous la peau cicatrisée au devant de

la perforation crânienne, une encéphalocèle atteignant le volume d'un oeuf de

poule. Une hémiplégie droite avec contracture précoce et exagération des ré-

flexes s'installa peu après. Pendant les deux dernières années de la maladie, la

déchéance des facultés intellectuelles s'accentua ; le côté hémiplégie subit une

.atrophie musculaire complète, une paraplégie incomplète spasmodique immo-

bilisa à peu près le malade ; en même temps les crises épileptiformes se répé-

taient avec la même fréquence, parfois accompagnées de mouvement fébrile

passager.

Plus tardivement apparurent des troubles sensoriels : amaurose avec de

l'exophtalmie assez marquée, et une surdité complète.

En dernier lieu, la cachexie était extrême, la fonte musculaire complète aussi

bien sur le tronc que dans les membres. Le malade mourut trois ans et demi

après le début clinique de la maladie (juillet 1901).

Autopsie. - Symphyse pleurale complète des deux côtés. Le poumon

sous-jacent est infiltré de tubercules de différents âges ; un des lobes supérieurs

montre une réaction fibreuse intense. Les ganglions trachéaux sont tuméfiés,

non caséeux. Il en est de même des ganglions mésentériques. Les autres or-

ganes montrent des lésions banales.

86 RICHON

Crâne encéphale. - Le cuir chevelu est adhérent au sommet de l'encé-

plialocèle.

La perforation crânienne est en partie comblée par une lame fibreuse, la

dure-mère est un peu adhérente à la face interne de cette laine et an reste du

rebord osseux. Une certaine quantité de liquide clair s'échappe par une déchi-

rure d'une circonvolution à ce niveau; aussitôt l'hémisphère s'aplatit. Le

crâne est creusé sur le pariétal gauche à 5 cent. 1/2 de la suture sagittale, à

2 cent. 1/2 de la suture fronto-pariétale d'un large orifice ovalaire à grand axe

' dirigé en bas et en avant, et mesurant 7 centimètres. La partie la plus large

mesure 3 cent. 1/2 de diamètre, la partie la plus étroite, en bas et en avant,

mesure 2 cent. 1/2, elle envoie un mince prolongement jusqu'à la suture fronto-

pariétale, qu'elle atteint à 1 centimètre au-dessus de la limite supérieure de

l'écaille temporale. Elle siège donc tout entière dans le pariétal. La partie

rétrécie est comblée par une membrane conjonctive, mince et discontinue.

Les bords sont amincis et régulièrement découpés dans la partie la plus large,

un peu épaissis et déjetés en dehors dans la languette. L'os n'est d'ailleurs pas

modifié dans le voisinage ; il n'y a aucune exostose.

Le cerveau, conservé par la méthode de Kaiserling, présente les particula-

rités suivantes : dans la région de l'encéphalocèle la dure-mère est restée

adhérente à la surface cérébrale sur un espace de 3 centimètres de diamètre.

L'hémisphère à ce niveau est représenté par une laine fibreuse, sans trace de

sillons, épaisse de 1/2 centimètre sur un espace de 6 centimètres de diamètre ;

les méninges molles et l'écorce cérébrale sont intimement confondues. Le

ventricule latéral est très dilaté dans toutes ses parties. Les 2/3 inférieurs

de la frontale et de la pariétale ascendantes sont compris dans la plaque de

méningo-encéphalite, ainsi que les 1/3 postérieur de la 3° frontale.

Il existe sur le même hémisphère une anomalie importante, bien visible

sur la ligure. C'est cette encoche profonde de 3 centimètres, pénétrant

Face externe de 1 hémisphère gauche ; méningo-encéphalite de la région psycho-

motrice ; malformation de la région postérieure de l'hémisphère (à droite de la ligure).

SYPHILIS UÈRÉDITAIHE TARDIVE 87

entre les deux lobes pariétal et occipital et allant en s'amincissant vers la ,l

scissure de Sylvius, dont elle n'est séparée que par un pont de substance de

2 centimètres environ. De ce fait, le lobe occipital se termine en une languette

mince, de 2 cent. 1/2 de hauteur, le lobe pariétal occupe l'extrémité d'une

grosse tubérosité, offrant l'aspect d'un lobe nettement distinct. Cette encoche

apparaît également sur la face interne de l'hémisphère, sous forme d'une

dépression. de 4 centimètres de largeur. En raison de la méningo-encéphalite

et du tassement des circonvolutions, les sillons sont très peu distincts et ne

permettent pas une limitation exacte des régions intéressées. L'encoche forme

une saillie prononcée dans le ventricule latéral dilaté. ,

A l'origine de la scissure de Sylvius se voient quelques petites plaques

méningées blanchâtres, dures. Elles existent aussi, isolées, discrètes, à la face

inférieure de l'hémisphère, particulièrement des lobes frontaux. L'hémisphère

droit montre aussi quelques-unes de ces lésions superficielles, son ventricule

latéral est un peu dilaté.

Un enduit grisâtre, d'apparence crémeuse à l'état frais, couvre toute la base,

voile le chiasma, l'origine des pédoncules cérébraux, remonte légèrement sur

la face interne des lobes frontaux, recouvre partiellement le pôle temporal,

tantôt léger et seulement marqué par un loucllissement des méninges, tantôt

en placards épais, de forme lenticulaire, de toutes dimensions.

Ceux-ci se retrouvent plus cohérents, surélevés et durs sur la face infé-

rieure du cervelet, qu'ils recouvrent presque complètement, pénétrant dans la

substance nerveuse à,quelques millimètres. Ils existent aussi, moins accen-

tués, sur la face antérieure de la protubérance et du bulbe. En plein cervelet,

surtout dans sa partie droite, on voit une large cavité, à parois anfractueuses

et recouvertes d'un enduit crémeux. Elle occupe environ en hauteur le 1/3

moyen de l'hémisphère droit et se prolonge en pleine protubérance, arrivant

jusqu'au contact de la face supérieure, sans cependant s'ouvrir à l'extérieur.

Moelle. - La dure-mère rachidienne se présente comme un cylindre gonflé,

tendu. A l'ouverture, il s'écoule un liquide laiteux,surtout au niveau de la région

dorsale. La moelle tout entière est engainée par un tissu blanchâtre, d'aspect

fibreux, lamellaire, ne comprenant dans son épaisseur, ni une trace de foyer

hémorrbagique, ni une zone de ramollissement. Cette enveloppe s'amincit

vers le renflement lombaire, mais enserre encore très nettement les racines

qui en émanent. Il atteint sa plus grande épaisseur dans les régions cervicale

et dorsale. Sur des coupes, à l'oeil nu, le cylindre médullaire apparaît déformé,

noyé daus une gangue fibroide qui l'entoura complètement, particulièrement

épaissie sur les faces latérales el postérieures, fendillée, peu résistante à la

pression qui la fragmente facilement.

Comme les centres nerveux avaient été conservés par la méthode de Kai-

sterling, nous n'avons pas cru pouvoir employer les méthodes spéciales, telles

que le Nissl, mais les colorations habituelles n'en ont été aucunement gênées.

Des coupes il la paraffine ont été faites sur toute la moelle et sur les princi-

pales régions du cerveau (placards méningés et région de la base, paroi du

88 RICHON

ventricule dilaté, plaque de méningo-encéphalite, écorce cérébelleuse et paroi

de la gomme cérébelleuse).

Les colorations habituelles, particulièrement 1'liéiiiatoxyline-éosiiie-ortiiffe,

la fuchsine-picrique, ont été employées pour toutes les coupes.

L'hématoxyline de Delafield, colore parfaitement les noyaux des cellules

jeunes ; certaines figures vasculaires ont été bien mises en relief par une colo-

ration intense à l'hématoxyline et à la safranine.

La méthode de Weigert, après macération dans la solution de bichromate de

potasse et d'alun de chrome et l'inclusion celloïdinée, a servi pour certaines

régions de la moelle. '

Etude microscopique des lésions encéphaliques.

Cerveau. Sur une coupe perpendiculaire à la surface de la circonvolution

et passant au niveau des plaques disséminées sur toute la base du cerveau, on

note les particularités suivantes : les tissus de néoformation donnent l'aspect,

tantôt d'un croissant, tantôt d'une section de lentille biconvexe appliqués à la

surface de la circonvolution. A côté d'eux la substance nerveuse apparaît avec

ses caractères normaux. Tout le placard est formé par la masse compacte des

cellules jeunes à noyau fortement teinté par l'hématoxyline, formant un champ

vivement coloré, nettement limité sur la surface de la coupe.

11 faut pour comprendre le mode d'envahissement étudier les bords et le

centre de la lésion. En suivant la surface cérébrale du tissu sain vers la région

atteinte, on voit la pie-mère infiltrée peu à peu de cellules rondes en longues

traînées parfois unicellulaires. Elle se distingue encore nettement de la subs-

tance nerveuse, dont les capillaires apparaissent dilatés, puis bientôt entourés

de cellules jeunes, pénétrant comme eux en longues séries perpendiculaires à

la surface de l'encéphale. Les noyaux très apparents suivent la gaine des

vaisseaux ou pénètrent en pleine substance cérébrale, s'arrangeant en colon-

nettes de une ou deux cellules de front. A la limite de la substance saine, ils

se voient par petits groupes d'éléments'isolés, par nodules bien distincts au

milieu des éléments nerveux, ou, plus en avant encore, dans les gaines vas-

culaires en pleine substance saine (PI. XXI, A).

L'épaississement de la méninge, l'infiltration du cortex vont en s'accentuant

vers le centre du placard. A ce niveau, la substance cérébrale intacte apparaît

légèrement tassée devant le tissu envahissant, mais sur une faible épaisseur.

En allant vers la surface on voit d'abord, à la limite du tissu infiltré, la ligne

parfois très précise, formée par les premiers noyaux, qui sont tassés à ce

niveau et dessinent une zone d'un bleu intense, accentuant encore l'opposition

des deux tissus. Au-dessus d'elle, on retrouve la disposition des noyaux en

colonnettes étroites, composées de noyaux aplatis suivant la longueur et

donnant en certains points l'aspect du cartilage sérié. Ailleurs la disposition

est moins régulière, les traînées cellulaires ne sont plus distinctes ; néanmoins

la limite d'envahissement reste ordinairement d'une netteté parfaite. En allant

vers la surface, toute disposition régulière des noyaux disparaît ; ceux-ci sont

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVII. PI. XXI

SYPHILIS HEREDITAIRE TARDIVE CEREBRO - SPIN ALE

('RJcboll )

A. Bord d'une plaque de méningo-encéphalite. H. Dégénérescence hyaline d'un vaisseau de l'ence-

phale dans un tissu d'infiltration. C. Coupe de la n : oe) ! e déformée, - D. Coupe de la moelle

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE TARDIVE 89

étroitement tassés et se confondent avec la région des méninges, qui ne sont

plus elles-mêmes qu'un amas de noyaux vivement colorés.

Dans cette zone se distinguent des taches claires tranchant sur le bleu som-

bre de la coupe. Les unes, arrondies irrégulièrement, sont complètement

amorphes, d'aspect vitreux, montrant à la périphérie quelques noyaux mal

colorés, puis le manchon serré des cellules rondes ; ce sont des zones de ra-

mollissement. Les autres représentent des lumières vasculaires plus ou moins

lésées. Entre le vaisseau peu atteint de la périphérie du placard, entouré de

cellules jeunes, mais dont les tuniques restent distinctes et non infiltrées et

la tache hyaline, trace d'un vaisseau oblitéré, comme il en existe dans les

régions plus centrales, on peut rencontrer tous les intermédiaires. La majorité

des vaisseaux est cependant très atteinte et la plupart reproduisent le type de

lésions, rapportées à la dégénérescence hyaline : épaississement et homogénisa-

lion des tuniques, rétrécissement de la lumière vasculaire, persistance mo-

mentanée de quelques noyaux de la tunique moyenne, persistance plus durable

de l'endothélium.

Tantôt il ne subsiste qu'une petite lumière irrégulière contenant quelques

globules rouges, entourée de tissu homogène ou légèrement fibrillaire et de

quelques noyaux allongés tangentiellement, puis d'une auréole de noyaux

étroitement tassés,en continuité avec le tissu d'infiltration environnant (PI.XXI,

B) ; tantôt la lumière est encore assez large, mais la tunique interne est

épaissie, homogène, quelquefois en un point très limité; les autres tuniques

ont encore une structure légèrement fibrillaire. On ne constate pas de lésions

isolées de l'endarlère avec intégrité des autres tuniques.

Les autres régions du cerveau offrent des caractères analogues : partout la

lésion méningée prédominante, pénétrant la substance nerveuse par les sillons

et secondairement par un envahissement direct en colonnettes parfois très

régulières.

Au niveau de la plaque de méningo-encéphalite, faisant face à la perforation

crânienne, le tassement de la substance nerveuse est extrême ; le tissu con-

jonctif en larges bandes forme les 2/3 de la paroi ventriculaire et contient

beaucoup de petits nodules gommeux.

Cervelet. - Les lésions cérébelleuses sont très voisines de celles que nous

venons d'étudier.

Le large placard cortical étendu sur la face inférieure reproduit à peu

près la disposition des productions homologues du cerveau. Le cortex est

ici encore plus superficiellement touché que sur les hémisphères. Les ménin-

ges infiltrées, contenant de nombreux vaisseaux dilatés et épaissis, restent

presque partout bien distinctes de l'écorce. Elles envoient entre les lamelles

des prolongements massifs que l'on peut suivre très profondément. En cer-

tains points l'écorce est envahie : cependant le bourgeon cellulaire infiltré

tantôt refoule devant lui la substance grise, plus souvent envahit les différentes

tuniques. Le caractère le plus remarquable de la lésion est la pénétration de

la couche moléculaire par des travées cellulaires très régulièrement perpendi-

xvi 7

90 liteuon

culaires à celle-ci, quelquefois sur une assez grande longueur. Les autres

couches sont pénétrées plus irrégulièrement ; les cellules de Purkinje restent

longtemps distinctes, la couche granuleuse contient parfois ainsi que la suGs-

tance blanche de la lamelle des amas nodulaires, d'apparence gommeuse, dont

les noyaux se différencient peu à première vue de ceux des petites cellules

nerveuses voisines ; ces derniers cependant sont vivement teintés et'de forme

beaucoup plus régulièrement circulaire. Ces amas peuvent provenir d'un

tractus pie-mérieu pénétrant par un sillon voisin ou bien représenter une

gomme isolée, comme celle de grande dimension qui est creusée en plein

cervelet. Les parois de cette dernière sont couvertes de nombreux noyaux ;

en pénétrant de la cavité dans le tissu cérébelleux, l'infiltration nucléaire se

fait de plus en plus discrète, mais existe cependant sur une grande épaisseur,

sous forme de traînées cellulaires entre les fibres tassées étroitement, ou avec

l'apparence de petites gommes, accompagnées de lésions vasculaires très

marquées. Il n'y a aucune trace de paroi de nature conjonctive.

Elude microscopique de la moelle.

Les coupes microscopiques diffèrent suivant les régions par des détails d'in-

térêt secondaire; nous envisageons pour le moment un type moyen.

La substance grise a subi à peu près sur toute la hauteur une déformation très

accentuée; il ne s'agit nullement d'une inclinaison accidentelle du plan des

coupes, mais visiblement des compressions et dès rétractions dues au cylindre

engainant. Elle n'est pas régulière et ne peut être rapportée à aucun type. Les

cornes antérieures sont inégales, plus ou moins étirées ; les cornes postérieures

plus malmenées encore, déjetées latéralement ou dissociées(PI. XXI, C et D).

Le canal central -est très incliné en général sur l'une des cornes ou même

redressé au point de lui être parallèle. Il est réduit à une (ente transversale,

sans épilleélium tet, mais encombrée de noyaux. Ses vaisseaux satellites comme

ceux du reste de la colonne grise paraissent seulement dilatés, sans modifica-

tion sensible des parois. Les noyaux isolés peu nombreux se montrent dans la

région périépendymaire, sans former d'amas. Sur le trajet des cornes posté-

rieures, surtout de celles qui ont subi une déviation marquée, les vaisseaux

sont nombreux, parfois sinueux et dilatés.

La substance blanche subit aussi des déformations considérables ; c'est elle

en effet qui entraîne les changements de forme de la colonne grise, qui en aucun

point n'est en contact direct avec les néoformations méningées.

Il n'y a plus aucune symétrie, ni par rapport au sillon antérieur, qui est

élargi et dévié, ni par rapport il la cloison médiane postérieure qui est attirée

fortement du côté de la corue postérieure la plus allongée. Ses vaisseaux sont

dilatés, remplis de globules, mais non modifiés dans leurs parois et non en-

tourés par des cellules jeunes.

Dans les cordons postérieurs, on remarque des pertes de substance con-

tenant quelques boules amorphes se colorant mal et inégalement. L'nn de ces

foyers, le plus important, existe près de la surface médullaire, dont il est séparé

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE TARDIVE 91 1

par un pont de substance intacte ; autour de ces zones, il n'y a ni vaisseaux

ni cellules jeunes.

Le long des septa pénètrent dans la substance blanche de très courtes colon-

nettes cellulaires, très superficiellement sur toute la périphérie de la moelle,

excepté en trois points : au niveau des cornes postérieures, le long desquelles

elles s'infiltrent en les dissociant, et dans les cordons antérieurs et latéral, où,

sur les coupes de même niveau, mais d'une façon indépendante, se montrent

deux amas nucléaires importants ; l'un, formé de cellules rondes et de quelques

cellules fusiformes et en continuité directe avec la méninge refoule devant lui

la substance nerveuse et arrive presque au contact de la substance grise;

l'autre partant également de la surface méningée pénètre par de légères tra-

vées cellulaires le cordon antérieur sans le refouler, mais en se substituant

au tissu nerveux, comme dans les lésions de l'encéphale précédemment décrites.

Autour de la moelle se dispose le large anneau, épais sur les faces latérales

et en arrière, constitué par l'infiltration de l'espace sous-arachnoidien par les

cellules rondes, dont les noyaux forment un feutrage serré, tranchant par sa

couleur bleue somhre sur le fond plus clair de la coupe. Quelles sont les

modifications de la pie-mère, des vaisseaux extra-médullaires, des racines ? ' !

Les méninges molles sont remplacées par une bande conjonctive, mince,

adhérente à la substance médullaire contenant des lumières vasculaires nom-

breuses, irrégulièrement découpées, sans paroi propre et limitées par un endo-

thélium. Ailleurs la transformation scléreuse est moins avancée et les minces

fibres conjonctives sont écartées par l'infiltration cellulaire. Du côté de la moelle

se dessinent de nombreuses lignes cellulaires pénétrant le long des septa. Vers

l'extérieur se trouve l'immense territoire occupé par les tissus néoformés,

dont la surface équivaut parfois à celle de la moelle elle-même. Elle est uni-

formément colorée; nulle part on ne peut voir une zone nettement ramollie.

Ses vaisseaux sont très nombreux : simples fentes du tissu conjonctif

larges vaisseaux à parois minces, gorgés de sang, étroitement entourés

par les cellules jeunes, néo-vaisseaux fragiles massés parfois autour de veines

oblitérées, enfin artères et veines de plus gros calibre. Ceux-ci sont entourés

par un manchon nucléaire étroit. Les tuniques ne se distinguent plus en gé-

néral ; l'adventice est complètement infiltrée, la tunique moyenne dissociée

dans toute son épaisseur, sans nodules gommeux bien localisés, la tunique

interne épaissie uniformément, la lumière rétrécie, encore perméable. Les

petits vaisseaux sont aussi très atteints ; l'anneau fibreux qui forme leur paroi

ne laisse aucune distinction possible entre les diverses tuniques ; leur lumière

reste presque toujours perméable. Les néo-vaisseaux environnants sont nom-

breux et dilatés. Il n'y a pas d'hémorrhagie interstitielle.

Le sillon antérieur reçoit une masse inflammatoire en forme de coin très

épais, formée par la pie-mère épaissie, infiltrée, accompagnée de vaisseaux

flexueux, dilatés, à parois modifiées. L'artère est peu atteinte et en quelques

régions absolument intacte. La veine a ses parois profondément infiltrées par

'des éléments jeunes, son calibre est considérablement rétréci. Un groupe de

92 RICHON

néo-vaisseaux siège généralement IL111 son voisinage immédiat. Cette masse

de tissu jeune très vascularisé pénètre en général jusqu'au fond du sillon

antérieur, écartant et comprimant plus ou moins les cordons antérieurs.

Les racines, dispersées sur toute la périphérie de la moelle, groupées

ensemble parfois loin de leur position normale, ont leur gaine très infiltrée.

Les faisceaux sont intacts ; c'est à peine si quelques noyaux pénètrent entre

les faisceaux les plus superficiels, quelqu'intense que soit l'infiltration de

la région qu'elles traversent. '

Une région particulière de la moelle montre au plus haut degré un caractère,

que l'on peut d'ailleurs constater dans les zones les plus épaisses de la gaine

pie-mérienne : c'est le point où la corne postérieure vient aflleurer la surface

de la moelle. La pie-mère y est très épaissie ; quelques noyaux allongés se

montrent il la limite indécise de la moelle et de la méninge et dissocient en

pénétrant dans la moelle elle-même les éléments des cornes postérieures.

Dans cette zone fibreuse sont creusées de nombreuses lacunes vasculaires,

limitées par un endothélium en général bien visible, étroitement groupées par

places, moulées les unes sur les autres, au point de simuler un tissu caver-

neux. Il n'y a d'ailleurs a ce niveau aucune héniorrhagie interstitielle.

, Nous avons dû nous contenter de déterminer, par la méthode de Weigert,

la topographie générale des zones dégénérées, en raison du mode de fixation.

Dans toute l'étendue de la moelle, il n'existe aucune dégénérescence systéma-

tisée, mais une altération de la zone périphérique eu contact avec les méninges

malades. Les fibres colorées persistent autour des cornes antérieures, aux-

quelles elles forment une courte auréole. Dans le cordon latéral, les fibres

colorées se groupent encore contre la substance grise, mais en moins grande

abondance et disparaissent complètement dans la partie postérieure de ce cor-

don. Enfin le cordon postérieur semble en général plus épargné, surtout dans

sa moitié antérieure. Le profil des zones dégénérées indique donc nettement la

cause de la lésion : l'anneau méningé, agissant à la fois par compression et par

infiltration intra-médullaire d'éléments conjonctifs.

Les diverses colorations (méthode de Gram, méthode de Ziehl), n'ont mis en

évidence aucun élément microbien.

Les détails de l'ohservation une fois établis, nous pouvons nous de-

mander :

Quelle est la nature du processus d'après Y évolution clinique, el sur-

tout d'après les caractères anatomiques des lésions constatées ? 2

Si celles-ci sont de nature spécifique, offrent-elles quelque particularité

anatomique ou histologique ?

Quel est enfin l'ordre probable de succession des lésions ? 2

Des symptômes d'irritation corticale apparaissent chez un enfant, pré-

cédés par une lésion crânienne ou périostée suppurative d'allure chroni-

que. Ce dernier caractère limite le diagnostic,en l'absence des symptômes

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE TARDIVE / 93

généraux qui accompagnent l'ostéomyélite du crâne, à une localisation

osseuse de la tuberculose ou de la syphilis. Mais, tandis que ce genre de

lésions tuberculeuses coexiste toujours avec d'autres manifestations graves

de même nature, les localisations osseuses de la syphilis héréditaire peu-

vent apparaître primitivement, leur véritable nature se confirmant par la

constatation de stigmates caractéristiques sur l'individu ou les signes de

l'infection causale chez les ascendants. Cette dernière source de rensei-

gnement nous manquait ; d'autre part, les stigmates visibles faisaient

défaut, mais sachant les irrégularités dans la marche de la syphilis héré-

ditaire, les surprises de son apparition tardive chez des individus parfai-

tement normaux d'ailleurs en apparence, il était légitime d'accepter celte

hypothèse, en raison des caractères spéciaux de la lésion osseuse. L'évo-

lution ultérieure ne contredit pas cette supposition : les phénomènes

d'irritation corticale persistèrent et une hémiplégie apparut, symptoma-

liques d'une lésion en foyer; mais en même temps les symptômes céré-

braux se diffusèrent, l'envahissement de la base se révéla par les symptô-

mes visuels, la déchéance nerveuse totale apparut graduellement. Il n'y

eut à aucun moment de symptômes attribuables à la paralysie générale,

telle qu'elle évolue chez l'enfant (1). Mais le terme encore bien imprécis

de pseudo-paralysie générale peut-il s'appliquer à des faits complexes

comme celui-ci, où à côté de symptômes de tumeur cérébrale, ou de lésions

destructives localisées, évoluent parallèlement des troubles généraux, des

symptômes de déchéance intellectuelle, d'incoordination psycho-motrice ?

Il faut demander à l'aspect anatomique des lésions l'explication de leur

véritable nature.

L'examen de la calotte crânienne nous montre, outre la perte de subs-

tance d'origine chirurgicale, un évidement, comblé partiellement par une

lame fibreuse, superposable à la région du cerveau atteinte de méningo-

encéphalite fibreuse, à bords très peu épaissis, déjetés en dehors, sans

traces d'hyperostoses ou d'ostéophytes sur les surfaces voisines. On op-

pose généralement le crâne atteint de lésions tuberculeuses, à perforation

large, à bords unis, d'épaisseur régulière, au crâne de la syphilis hérédi-

taire, à perforation étroite, incomplète, avec ulcérations de la table externe,

vermoulus, couverts d'ostéophytes, l'un et l'autre subissant d'ailleurs une

réparation incomplète par un tissu fibroïde et exceptionnellement par du

tissu osseux. Nous savons, depuis Fournier, la fréquence des lésions os-

seuses de la syphilis héréditaire tardive, qui caractérisent plus du tiers

des cas observés. Nous savons aussi, qu'à côté de l'ostéopériostite simple

(1) V. Ou. THIRY, De la paralysie généiole pi agressive dans l'enfance, Thèse de

Nancy, 1893.

94 RICHON

ou suppurative, de l'ostéopél'iostite gommeuse, on observe avec une

moindre fréquence l'ostéomyélite, de préférence sur les os longs, mais

aussi sur les os plats de la voûte crânienne et que ces formes graves cau-

sent les plus grands délabrements et les perforations les plus étendues.

Avec moins de réaction osseuse, d'autres formes de syphilis crânienne

entraînent des perforations aussi étendues : tels ces cas admis par les clas-

siques de lésions frappant simultanément le périoste et la dure-mère.

Dans notre cas, la fistulisation insidieuse d'une gomme d'abord périostée,

la précocité des symptômes d'irritation corticale, nous feraient admettre

plus volontiers cette dernière hypothèse.

L'encéphale nous offre deux ordres de lésions à envisager : une plaque fr-

broIlle, représentant un processus âgé de méningo-encéphalite et des lésions

diffuses de la base et des bords, analogues à celles de la méningi te gommeuse.

Nous pensons pouvoir écarter de suite la méningo-encéphalite chronique

infantile, à membranes épaisses, symphysées, à circonvolutions ratatinées,

ulcérées, atteintes par une encéphalite profonde. Abstraction faite de la

lésion en foyer de l'hémisphère gauche, les lésions en placard, surtout

localisées à la base, à forme d'exsudat épais, que nous avons notées, nous

paraissent aussi très éloignées des petites lésions d'apparence cicatricielle,

blanchâtres, très intimement unies au cortex, si souvent prédominantes à

la convexité, qui caractérisent le cerveau du paralytique général.

La plaque fibroïde, contenant de petits amas cellulaires, et fusionnée sur

un espace de quelques centimètres avec la dure mère, nous la croyons en

relation directe avec la lésion osseuse ; elle marque la première localisation

de l'inflammation méningée. La symphise complète des membranes et de

l'écorce, l'atrophie presque totale de cette écorce, réduite à une lame insi-

gnifiante, mais seulement au niveau de l'adhérence méningée, loutes ces

lésions sont le résultat de l'action du néoplasme gommeux primitif; celui-

ci s'est diffusé aux étages sous-jacents, a infiltré l'écorce, déjà altérée

probablement (malformation, hydrocéphalie) ; la réaction inflammatoire

et la transformation fibreuse du tissu gommeux ont déterminé à plus ou

moins longue échéance l'atrophie des circonvolutions atteintes, et paral-

lèlement les symptômes cliniques d'irritation corticale, puis d'hémiplégie.

Les autres lésions sont plus récentes et relèvent de la méningite gom-

meuse exsudative. Elles sont constituées, nous l'avons vu, par une infil-

tration méningée intense, avec envahissement d'une faible épaisseur de

l'écorce sous-jacente. Les cellules jeunes qui composent cet exsudat épais,

consistant, ont leur noyau vivement coloré et renferment à côté de néo-

vaisseaux nombreux, beaucoup de vaisseaux de calibre moyen, entière-

ment thromboses et ayant subi la dégénérescence hyaline, ou tout au

moins très déformés, avec leurs tuniques épaissies, infiltrées. Les petites

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE TARDIVE 95

plaques indépendantes offrent la même constitution que le syphilome dif-

fus delà base. Peut-être quelques-unes d'entre elles représentent-elles la

gomme pie-mérienne, moins fréquente que celles de la dure-mère, qui

dans notre cas était, en dehors d'une zone peu étendue, entièrement

indemne. Elles sont pour la plupart complètement isolées, les faisceaux pie-

mériens disparaissent dans la masse des noyaux infiltrés, les vaisseaux sont

plus ou moins lésés, mais presque tous atteints et de petites zones de

ramollisseme.it se voient au centre de la région malade. La zone corticale

sous-jacente est envahie sur une faible étendue, tantôt à la surface de l'en-

céphale, quand la plaque siège au sommet de la circonvolution, tantôt sur

les parties adossées de deux circonvolutions voisines, quand le prolonge-

ment pie-mérien pénétrant dans le sillon esl épaissi et infiltré.

En raison de l'intensité de l'infiltration, des caractères des cellules qui

la composent, des lésions vasculaires, nous considérons ces dernières

formations comme de véritables productions syphilitiques et non comme

les lésions diapédétiques vulgaires d'encéphalite diffuse, qui existent t

parfois sur des cerveaux syphilitiques et qui caractérisent la paralysie

générale associée à la syphilis cérébrale.

Enfin les lésions cérébelleuses, ainsi que les parois de la gomme pro-

fonde de cet organe nous offrent une structure générale identique à celle

des lésions cérébrales homologues.

L'analyse des lésions médullaires nous semble encore plus caractéristi-

que du processus syphilitique. L'histoire des localisations médullaires de

la syphilis héréditaire, plus récente que celle de ses formes céré-

brales, date surtout de la thèse de Volpert (1), des travaux de Gilles de

la Tourelle (2), de Gasne (3). Si nous comparons nos résultats à ceux qu'a

obtenus Gasne par l'examen anatomique de nombreux foetus et à d'autres

observations rapportées par lui avec détail, telles que celle de Siemerling

relative à un enfant de 12 ans et celle de Beettiger, relative à un enfant

de 8 ans, nous trouvons une concordance à peu près complète de détails

caractéristiques avec toutes les divergences secondaires, fatales en clinique

et que nous voudrions noter rapidement.

Si nous sommes loin dans notre observation des Cij extrêmes, ou mé-

ninges et moelle sont remplacées par un cordon fibreux, laissant subsister

à peine quelques ilots de substance nerveuse, nous avons noté l'énorme

déformation du cylindre médullaire, due non pas comme dans la plupart

(1) Voltent, De la syphilis médullaire, Thèse de Nancy, juillet 189 1.

(2) Gilles DE la Tournette, La syphilis héréditaire de la moelle épimère, in Nouv.

Icon. de la Salp., 1896.

(3) GASNE, Localisations spinales de la syphilis héréditaire, in Nouv. Icon. de la Salp.,

1896 et Thèse Paris, 1896.

96 BICHON

des faits cités à l'envahissement de la substance blanche par des cônes de

cellules jeunes, mais aux compressions et rétractions venues de la péri-

phérie.

La substance grise subit en général peu de modifications structu-

rales. Les lésions cellulaires, peu étudiées par les auteurs et à l'aide

des méthodes anciennes, semblent surtout consister en une atrophie tar-

dive et affecter parfois avec plus d'intensité les cellules de la colonne de

Clarke ; l'infiltration nucléaire, soit indépendante des lésions méningées,

soit en relation avec elle par les septa conjonctifs se montre dans la subs-

tance grise, ainsi que de pelites hémorrhagies, des dégénérescences va-

riées des fibres nerveuses, des altérations constantes du canal central el des

lésions de ses vaisseaux satellites. De notre côté, nous avons noté surtout

(en dehors de l'état des cellules, impossible à vérifier en raison du mode

de fixation) l'intégrité relative de la substance grise, l'absence de nodules

cellulaires, la dilatation vasculaire sans lésions bien accentuées des parois

et surtout la déformation et l'atteinte profonde du canal central. Réduit

sur toute l'étendue de la moelle à une fente transversale sans épithélium

distinct, il était rempli par une masse nucléaire ; ses vaisseaux annexes

n'étaient pas lésés.

Les modifications de la substance blanche, décrites par les observateurs,

sont assez uniformes. L'élément noble est en général altéré : gonflement du

cylindre-axe, modifications diverses de la myéline; mais ces lésions s'ob-

servent sur des fibres isolées aux environs immédiats des régions infiltrées,

mais jamais sur un système fasciculaire déterminé. Les vaisseaux sont

altérés dans les masses nucléaires, qui constituent la lésion dominante de

la substance blanche, soit qu'elles apparaissent au milieu des fibres, soit

qu'elles pénètrent le long des septa ou par la cloison postérieure.

Nous avons vu toutes les masses néo-formées pénétrant dans la substance

blanche, en relation directe avec les méninges infiltrées ; toutes avaient

l'aspect de cône à base périphérique, à sommet dirigé vers le centre.

Elles pénétraient par les cornes postérieures, laissant intact le sillon pos-

térieur ; sur toute la périphérie de la moelle, elles formaient une couronne

peu épaisse ; en deux régions seulement, elles détruisaient un territoire

assez étendu de substance blanche. Toutes étaient colorées avec-intensité;

aucune trace de changements régressifs, aucune de ces cellules à noyaux

graisseux, situés dans les amas, et rattachées par Boettiaer à la destruc-

tion des fibres blanches.

Dans le cordon postérieur existent, nous l'avons vu, de petits foyers de

désintégration, sans relations visibles avec des modifications vasculaires

ou avec l'infiltration, ils sont d'ailleurs peu étendus. Nous avons décrit

précédemment une région périphérique de la moelle, particulièrement

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE TARDIVE 97

avancée dans son évolution, limitée par l'anneau fibreux de la pie-mère

et qui montre en un point une accumulation de vaisseaux à endo-

thélium net, semblant creuser en plein tissu fibreux, sans parois visi-

bles et simulant un tissu caverneux. Boettiger signale la grande abondance

de vaisseaux « qui n'ont que de minces parois, endothélium et adventice »,

dans les traclus conjonctifs de néo-formation méningée et leur rareté re-

lative dans les amas nucléaires.

L'anneau de tissu jeune entourant la moelle est surtout intéressant par

l'état des vaisseaux qu'il contient. Les formes à évolution rapide, caracté-

risées en général par la prédominance des lésions nécrotiques, montrent le

maximum de lésions vasculaires ; dans les formes longues au contraire,

c'est l'état de dystrophie lente de la moelle, qui amène la déchéance des

éléments nerveux et cet état de dystrophie coïncide avec des modifications

vasculaires moins accusées (1). Dans la moelle, où nous n'avons pas

constaté de foyers de ramollissement étendus, ni de lésions parenchy-

maleuses aiguës, les vaisseaux étaient moins gravement lésés que les petits

vaisseaux de l'encéphale. A côté des néo-vaisseaux à parois minces etétroi-

tement serrées par les masses nucléaires, les autres vaisseaux montraient

surtout de l'infiltration de l'adventice, parfois de toutes les tuniques et

une réduction de la lumière due aux compressions extérieures et à l'épais-

sissement des tuniques.

Tous les vaisseaux de la moelle étaient encore perméables, les vais-

seaux de nouvelle formation très nombreux et cette grande surface de

lumières vasculaires béanles sur une coupe permettaient de comprendre

la vitalité de ces tissus jeunes, presque complètement indemnes des dé-

générescences habituelles aux productions syphilitiques.

Malgré les preuves anatomiques et histologiques en faveur de l'o-

rigine syphilitique des lésions, il faut cependant rapprocher de notre

cas certaines formes de lepto-méningites tuberculeuses, établies par Ray-

mond (2) dès 1886, et dont quelques points d'un diagnostic histolo-

gique très délicat ont été mis en lumière dans des observations récentes.

A côté de la production de gros tubercules, contenant peu de cellules

géantes et de bacilles, la tuberculose pourrait produire, particulièrement

dans les formes aiguès, des méningites par simple infiltration de la pie-

mère. L'épaississement des méninges, l'infiltration des gaines vasculaires

par de petites masses nodulaires, la prolifération conjonctive autour du

canal central, constitueraient les lésions principales de la moelle, aux-

(1) Long et Kiki, Sur l'état airophique de la moelle épinière dans la syphilis spinale

chronique, Non ! . Icon. de la Salp., 1901.

(2) Raymond, Des différentes (Ol1l1eS de leptoméningiles tuberculeuses, Revue de

médecine, 1886.

98 RICIION

quelles se joindrait très souvent l'élément caractéristique, sous forme de

granulations fines le long des vaisseaux. Oddo et Olmer (1) ont rapporté

un cas de leptoméningite par infiltration pure, sans aucune granulation

el dont la nature tuberculeuse ne peut être vérifiée que par l'inoculation,

le bacille étant très rarement décelé dans les lésions tuberculeuses des

centres nerveux.

A défaut de signes cliniques, le diagnostic peut être établi avec cer-

titude en présence des deux variétés de lésions : le peu d'intensité

de l'infiltration d'origine tuberculeuse, la fréquence très grande de la

granulation tuberculeuse, la coexislence d'autres lésions tuberculeuses

plus avancées caractérisent toujours nettement ces curieuses localisa-

tions méningées de la tuberculose ; mais il est intéressant de constater la

grande ressemblance de certaines lésions élémentaires d'un organe, dues

à deux grandes infections aussi dissemblables dans le reste de leurs ma-

nifestations. D'autres exemples suggèrent au point de vue clinique la

même comparaison (2).

L'évolution complète de cette longue affection peut se résumer ainsi :

l'encéphale, atteint de malformation structurale et probablement déjà d'un

certain degré d'hydrocéphalie ventriculaire, dont les rapports étroits avec

l'hérédité syphilitique sont si fréquents, fut envahi par un néoplasme

gommeux, né en dehors de lui, soit dans l'épaisseur de la dure-mère,

soit plutôt dans le pariétal lui-même. C'est le procédé habituel de l'en-

vahissement des méninges : la gomme naît dans le périoste ou le tissu

osseux, perfore la table interne, atteint les tissus sous-jacents et produit

des symphyses multiples de. tous les plans successifs (3). La méningo-

encéphalite évolua lentement d'abord, exagérant l'épanchement ventri-

culaire, amenant l'atrophie scléreuse du manteau hémisphérique, déter-

minant les symptômes d'irritation corticale, puis d'hémiplégie. Enfin plus

tard les lésions se diffusèrent à toutes les méninges encéphaliques, a la

moelle, et clans la dernière période probablement, à la base de l'encéphale

et à la substance blanche du cervelet. '

Nous croyons la nature spécifique de ces lésions suffisamment prouvée,

par l'ensemble de l'évolution, par leurs caractères anatomiques, par l'exis-

tence d'un véritable stigmate spécifique en l'espèce, la malformation céré-

brale. Tous ces éléments doivent intervenir dans la discussion, car la

(1) ODDO et Olmer, Note histologique stir les myélites tuberculeuses, Soc. de Neuro-

logie, 18 avril 1901.

(2) DEBOVE, Méningite cérébro-spinale syphilitique, Gaz. hebdomad., 15 septembre

1901.

(3) KuppEL, Article : Syphilis cérébrale, in Traité de médecine et de thérapeutique,

Brouardel.

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE TARDIVE 99

caractéristique anatomique d'un processus donné est parfois bien incer-

taine et bien difficile à établir. L'évolution morbide a été caractérisée ici

par une marche chronique très lente, une limitation secondaire, il esl

vrai, mais bien exacte aux centres nerveux, une faible réaction scléreuse,

et une tendance peu accusée au ramollissement, dans les lésions ménin-

gées particulièrement.

Elle emprunte un caractère particulièrement intéressant à leur appari-

tion tardive chez un enfant, dont les premières années avaient échappé

complètement aux manifestations extérieures d'une syphilis héréditaire,

très grave par la suite.

UN CAS

DE

SCLÉHOSE SYMÉTRIQUE DES LOBES OCCIPITAUX,

PAR

L. MARCHAND,

Médecin-Adjoint des asiles d'aliénés.

Les lobes occipitaux sont le siège des centres visuels corticaux; c'est

un fait définitivement établi par les recherches des physiologistes (Hitzig,

Munk, Schafer, Sanger, Brown, Ilorsley), l'étude des dégénérescences

secondaires (Gudden, Von Monakow), les constatations anatomo-patlvo-

logiques (Luciani, Tamburini, Nothnagel, Exner, Bouveret, Chauffard,

Zinn, Dejerine, Von Monakow. Henschen, llun, Vialet). Précisant encore,

les'auteurs admettent que les centres visuels corticaux occupent la face

interne des lobes occipitaux, au niveau de la scissure calcarine. L'obser-

vation suivante est intéressante car non seulement elle confirme les résul-

tats des travaux antérieurs sur la localisation des centres visuels, mais

elle montre les différents troubles déterminés chez l'homme par la sclé-

rose symétrique des lobes occipitaux. La marche lente de l'affection, la

lésion définitive qui peut être assimilée à une destruction complète des

deux lobes occipitaux ajoutent encore à l'intérêt de cette observation.

B..., âgée de 19 ans, entre à l'asile de Bailleuil le le, octobre 1880 avec le

certificat suivant : épilepsie avec mauvais penchants.

Antécédents héréditaires. - Aucun membre de la famille de B... n'a été

interné. Son père bien portant au moment de l'admission de la malade à l'asile

n'est jamais venu visiter sa fille durant son internement. B... a une soeur

bien portante et d'une intelligence normale.

Antécédents personnels. A t'age d'un mois, B... fut atteinte de ménin-

gite. La croissance se fit ensuite normalement, mais B... urina très longtemps

au lit et ne commença à parler qu'à trois ans. Elle n'alla pas à l'école et n'ap-

prit ni à lire ni à écrire.

A 18 ans, la malade eut plusieurs crises convulsives ; depuis quelques mois,

elle urinait souvent au lit. Après ses crises, la malade présentait des troubles

mentaux graves : elle était violente et menaçait de tuer les personnes de son

SCLÉROSE SYMÉTRIQUE DES LOBES OCCIPITAUX 101

entourage. Ses parents la soignèrent pendant un an, mais à la suite d'un accès

de délire plus violent, ils la placèrent à l'asile.

A son entrée à l'asile, la malade est calme et ne se souvient plus de. la pé-

riode d'excitation qu'elle vient de passer. B... est considérée comme une

débile atteinte d'épilepsie.

B... est de petite taille et d'un embonpoint normal. La tête est petite, de

forme brachycéphale. Le diamètre antéro-postérieur ne mesure que 0 m. 17.

Le front est fuyant, petit; les cheveux sont implantés très bas sur le front et

irrégulièrement. Le nez est incliné il, droite; les dents sont cariées et mal

plantées. Rien d'anormal du côté des oreilles ; la tête est inclinée légèrement à

gauche ; la figure est inexpressive.

Rien à noter du côté de la sensibilité et de la motricité.

Pas de troubles de la parole articulée. La malade s'exprime facilement.

Au point de vue mental, B... est une débile ; elle sait son âge mais ne peut

dire la date de sa naissance. Pas d'idées délirantes. Accès de colère.

B... a de fréquentes attaques convulsives présentant les caractères des accès

épileptiques : perte brusque de connaissance, chute, convulsions toniques, puis

cloniques, morsure de la langue, amnésie consécutive. Parfois, les accès sont

précédés d'une aura qui se manifeste par une sensation de frôlement aux

membres inférieurs, gagne le tronc et les membres supérieurs. En serrant

fortement les poignets de la malade, on peut arrêter la crise.

Cet état persiste sans changement pendant dix-sept ans. En 1897, les crises

sont plus fréquentes ; la malade tombe tous les jours et même plusieurs fois

par jour. La parole devient plus difficile. La malade bégaye el les mots sont

difficilement prononcés ; B... ouvre la bouche pour parler et le mot n'est

émis que quelques secondes après. B... s'aperçoit de ce défaut et s'en plaint.

Dès cette époque, la vue commence à baisser d'une façon lente et progres-

sive ; la malade est obligée d'approcher les objets de ses yeux pour les recon-

naître. Cet affaiblissement de la vue augmente progressivement et la malade

devient aveugle en l'espace de cinq ans. Les moitiés droites des deux champs

visuels furent atteintes les premières, de sorte que la malade ne voyait plus

qu'en mettant les objets dans les moitiés gauches des champs visuels. L'émia-

nopsie gauche apparut en même temps, mais sa marche fut plus lente; les

deux moitiés gauches des champs visuels étaient diminuées d'étendue et la

vision distincte ne se faisait plus que dans le point de fixation, au niveau de la

macula, dans un champ visuel de quelques degrés. Tant qu'il persista une

partie sensible de la rétine, la malade reconnut les couleurs en même temps

que les formes ; elle pouvait encore s'orienter, mais elle le faisait avec une

certaine difficulté.

Examinée quelques jours avant la mort, voici les symptômes que nous avons

relevés chez notre malade.

La nutrition générale est normale.

Rien du côté des appareils circulatoire, respiratoire et digestif. La malade a

toujours été bien réglée.

102 MARCHAND .

La sensibilité, au toucher, au thorax, au froid, à la douleur, est normale.

Le sens de position et le sens stéréognostique sont conservés. Les sensibilités

olfactive, gustative et auditive semblent normales et d'une acuité égale à

droite et à gauche.

La cécite est presque complète ; seule la vision centrale est conservée pour

la lumière, mais la malade ne peut reconnaître les objets. Quand on lui pré-

sente la main, elle voit quelque chose mais ne reconnaît ni la forme, ni la

couleur. A l'examen de l'oeil, on ne trouve aucune lésion périphérique. Les

pupilles sont égales et réagissent à la lumière. Les mouvements des yeux se

font dans tous les sens et sont synergiques. Les réflexes cornéens et conjonc-

tivaux sont conservés. '

La marche et l'équilibre sont normaux. Pas de paralysie. La force muscu-

laire est normale et même au-dessus de la normale. Depuis son entrée à l'asile,

la malade a fait preuve d'une force musculaire peu commune pour une femme

et, jusqu'au moment où elle put se diriger seule elle était capable d'accomplir

les travaux les plus pénibles de son quartier. Pas de tremblement.

Les réflexes patellaires, et idio-musculaires sont normaux.

L'audition verbale est normale. La malade comprend vivement tout ce qu'on

lui dit.

La parole articulée est difficile. La malade bégaye, cherche ses mots. Quand

elle a enfin trouvé le mot, elle le prononce brusquement. B... se rend compte

de la difficulté qu'elle éprouve à s'exprimer et dit que ce défaut de langage est

apparu en même temps que l'affaiblissement de la vue.

La faculté de s'orienter est complètement perdue. La malade qui habite de-

puis 22 ans le même quartier de malades n'est plus capable de savoir où se

trouve les portes, son lit, etc. ; elle ne peut se conduire seule et ses sensations

tactiles ne suppléent en rien ses sensations visuelles. La malade reste assise la

plus grande partie de la journée ; on est obligé de la conduire pour la faire

marcher. Elle sait distinguer sa droite de sa gauche, elle peut s'habiller seule.

B... a des crises d'épilepsie beaucoup plus fréquentes; jamais, elle n'a eu

d'hallucinations de la vue au début de ses crises ; l'aura se manifeste toujours

par une sensation de frôlement sur les membres inférieurs. A la suite des

accès, B... reste obnubilée. Dernièrement, à la suite de plusieurs crises subin-

trantes, elle est restée huit jours dans un état simulant une démence com-

plète. ,

Au point de vue physique, la malade présente un degré marqué de débilité

mentale ; elle n'a jamais eu d'idées délirantes. Malgré la gravité de son alfec-

tion, son caractère est resté gai.

Le 14 juillet 1902, B... a une série de crises épileptiques et tombe dans le

coma ; le lendemain, elle a encore 42 accès ; la température s'élève il 40°2 ; la

malade meurt le 16 juillet ; la température s'était élevée à 49.

L'autopsie est faite 26 heures après la mort.

Système nerveux. - Pas d'adhérences entre la dure-mère et la calotte crâ-

nienne. Les os du crâne sont très épaissis. Au niveau de l'occipital, le crâne

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. PI. XXII

SCLEROSE SYMETRIQUE DES LOBES OCCIPITAUX

(Marchand.)

Masson & CL, Editeurs

SCLÉROSE SYMÉTRIQUE DES LOBES OCCIPITAUX 103

mesure un centimètre environ d'épaisseur. La dure-mère est très congestion-

née. A l'ouverture de cette dernière, il s'écoule une grande quantité de liquide

céphalo-rachidien. Au niveau de la partie antérieure et moyenne du cerveau,

pas d'adhérences entre la dure-mère et la pie-mère. Au niveau des deux lobes

occipitaux, la dure-mère adhère à la pie-mère ; le cerveau est tapissé de faus-

ses membranes épaisses et solides, d'autant plus nombreuses qu'on se rapproche

du pôle occipital.

Le cerveau est congestionné. L'hémisphère droit pèse 320 grammes, le gau-

che 315 grammes. Rien de particulier au niveau des lobes frontaux, pariétaux

et temporaux. Au niveau de la face externe et interne des lobes occipitaux, le

cerveau est recouvert de membranes déterminant à sa surface des brides qui

pénètrent la substance corticale (PI. XXII); la pie-mère très épaissie et vas-

cularisée est adhérente aux circonvolutions. Les circonvolutions de la face

externe des lobes occipitaux sont petites, ratatinées, atrophiées ; elles ont perdu

leur forme normale et sont pénétrées par les fausses membranes. A la face

interne des deux lobes occipitaux, les circonvolutions ont le même aspect; au

toucher, on éprouve une sensation très nette de fluctuation. Cette fluctuation est

due au peu d'épaisseur que présente la paroi interne de la corne occipitale du

ventricule latéral. Cette paroi mesure en moyenne deux millimètres. Sur une

coupe perpendiculaire à l'axe antéro-postérieur du cerveau et passant quatre

centimètres du pôle occipital, la minceur de la partie interne des lobes occipi-

taux apparaît dans toute sa netteté. A ce niveau, les ventricules latéraux forment

une vaste dilatation. Leur paroi interne, malgré sa minceur, contient de nom-

breux foyers de ramollissement blanc et on n'y trouve plus de substance grise

et de substance blanche saines. Sur la coupe, on relève une certaine épaisseur

de substance blanche au niveau des circonvolutions de la face externe des

lobes occipitaux ; ces parties donnent au toucher une sensation très nette de

dureté.

L'examen macroscopique ne révèle aucune atrophie des couches optiques,

des tubercules quadrijumeaux,des corps genouillés; des bandelettes optiques,

du chiasma et des nerfs optiques.

Le cervelet est très congestionné; il pèse avec le bulbe 130 grammes. Rien

de particulier au niveau du bulbe et de la moelle.

Examen micrographique. -- L'examen a porté sur les parois de la corne

occipitale des ventricules latéraux, les deux putamens. les corps genouillés

externes, les nerfs optiques et la rétine. Les méthodes employées sont celles

de Nissl, de Weigert-Pal, les colorations au picro-carmin et à l'hématoxyline

de Delalield.

La paroi interne des cornes occipitales des ventricules latéraux, réduite à

une milice couche de quelques millimètres, est constituée par un tissu de sclé-

rose contenant de nombreux foyersde ramollissement.Les noyaux névrogliques

sont très abondants et forment des groupes de dix à vingt éléments. Les fibres

myéliniques sont totalement disparues au niveau du lobule lingual, de la

scissure calcarine et du précuneus. On ne trouve plus aucune trace du ruban

104 MARCHAND

de Vicq d'Azir. La couche épendymaire qui tapisse le ventricule est en voie

de prolifération.

La pie-mère très vascularisée est formée de plusieurs couches. Elle est le

siège d'une inflammation ; on trouve à son intérieur une multitude de cellules

rondes se colorant fortement. A son contact avec la substance corticale, l'en-

céphalite est très accusée ; la diapédèse est active, les noyaux de névroglie

beaucoup plus abondants que partout ailleurs.

Les lésions ont leur maximum d'intensité au niveau de la scissure calcarine

et vont en s'atténuant pour disparaître au niveau de la partie antérieure du

précunéus.

La paroi externe de la corne occipitale des ventricules latéraux est également

le siège d'une sclérose avancée. Sur les coupes vertico-transversale, on ren-

contre encore un certain nombre de fibres nerveuses saines ; du côté gauche,

il est impossible de dire si ces fibres appartiennent à tel ou tel faisceau ; on ne \

peut reconnaître aucun groupe de fibres qui puisse être rattaché soit au

faisceau longitudinal inférieur, soit aux radiations optiques, soit au tapetum.

A droite, on distingue encore un certain nombre de fibres à direction antéro-

postérieure, reste du faisceau longitudinal inférieur : du même côté, l'angle

supérieur du ventricule, au niveau du faisceau transverse du cunéus, il existe

un foyer de ramollissement.

La partie postérieure du pulvinar gauche contient une zone de dégénéres-

cence très accentuée s'étendant sur son côté externe et occupant toute sa hau-

teur. Du côte droit, la zone dégénérée est moins étendue.

Les corps genouillés paraissent peu altérés; leurs grosses cellules paraissent

saines.

Les nerfs optiques et la rétine semblent normaux.

Pas de lésion du bulbe et de la moelle.

La localisation exacte des centres visuels n'est pas encore complète-

ment déterminée. Certains auteurs leur accorde une grande étendue,

d'autres au contraire restreignent leur territoire. Von Monakow com-

prend comme sphères visuelles tous les lobes occipitaux jusqu'aux plis

courbes, Vialet la face interne seule de ces lobes. Seguin les limite au

cunéus, Brissaud au lobule lingual, 1\othnagel au cunéus et à la première

circonvolution occipitale; Henschen précisant davantage le restreint aux

deux tiers antérieurs de la scissure calcarine. L'étendue des lésions trou-

vées chez notre malade ne permet pas d'apporter quelques documents

nouveaux sur la localisation des centres visuels ; mais notre cas permet

de'préciser les symptômes déterminés par une lésion envahissant lente-

ment et progressivement les sphères visuelles et aboutissant à la destruc-

tion complète des cellules nerveuses de ces centres. 1

Wilbrand avait émis l'hypqthèse qu'il existait des centres séparés pour

les couleurs, la lumière et les formes. Bull, Dahms, Henschen et Vialet

SCLÉROSE SYMÉTRIQUE DES LOBES OCCIPITAUX 109

se sont élevés contre cette hypothèse et ont montré qu'elle n'est pas conci-

liable avec les faits anatomiques. Le premier trouble que présenta notre

malade fut une diminution de l'acuité visuelle dans les territoires des

champs visuels qui devaient dans la suite devenir insensibles à la lumière.

Ce trouble fut toujours le premier à apparaître. La reconnaissance des

couleurs fut possible tant que la malade put distinguer les formes. Le

parallélisme entre ces différents symptômes indique que l'hypothèse de

Wilbrand ne peut être soutenue; ce fait s'accorde mal également avec

l'opinion d'Edridge-Green (1) qui soutient qu'il y a dans les lobes occi-

pitaux, deux groupes de cellules bien distincts, l'un affecté à la percep-

tion colorée, l'autre à la simple sensation lumineuse. Si cette disposition

anatomique était réelle, il faudrait admettre, ce qui n'est pas d'accord

avec nos constatations nécropsiques, que, dans notre cas, les cellules affec-

tées aux sensations colorées auraient été atteintes les premières, les cellu-

les affectées aux sensations lumineuses en second lieu. Notre observation

s'accorde au contraire avec l'opinion de Vialet(2) qui soutient « que les

troubles dans la perception des couleurs résultent de lésions d'intensité

différente plutôt que d'une localisation du processus pathologique sur

telle ou telle fibre ou sur tel ou lel centre. » Diminution de l'acuité vi-

suelle, abolition de la vision des formes et des couleurs tandis quepii : 3

tent encore des sensations de lumière, disparition enlin de ces dernières/

tels sont les différents degrés déterminés par la marche de l'affection

Notre malade, malgré l'étendue des lésions occipitales avait conserva

un petit champ visuel autour du point de fixation encore sensible à là^-

lumière. Trois hypothèses ont été émises pour expliquer la conservation

de la vision centrale dans les cas de lésion des sphères visuelles. Dans une

première, il est admis que chaque macula est en rapport avec les deux

hémisphères par des fibres directes et croisées ; la lésion d'un lobe occipi-

tal permet ainsi la conservation de la vision centrale dans les champs

visuels atteints. Dans une deuxième hypothèse, on prétend que le terri-

toire cortical correspondant à la macula, étant mieux irrigué, n'est jamais

le siège d'un foyer de ramollissement (Fürster). Selon la troisième hy-

. pothèse, les fibres correspondant à la macula se dispersent dans toute

l'étendue du territoire cortical de la vision (Von Monakow). Notre cas

s'accorde avec cette dernière. D'après la première hypothèse, la vision

centrale aurait dû être abolie chez notre malade, car les deux lobes occi-

pitaux étaient sclérosés, La seconde hypothèse doit être rejetée également;

Les lésions étendues et profondes des deux sphères visuelles dans notre

(1) F. W. Edridge-Green, L'évolution du sens des couleurs, The journal of mental

science, octobre 1901.

(2) VIALET, Les centres cérébraux de la vision, Paris, Alcan, éd., 1893, p. 331.

xvi 8

106 MARCHAND

observation montre qu'aucun territoire ne peut être considéré comme sain

et cependant notre malade percevait encore la lumière dans la région de

la vision centrale. Au contraire, la troisième hypothèse s'accorde avec le

fait que l'examen histologique décela dans notre cas la conservation de

quelques fibres saines disséminées dans les radiations optiques.

Le sens topographique était complètement perdu chez notre malade;

elle était incapable d'avoir de nouvelles représentations visuelles et l'am-

nésie était complète pour toutes les images visuelles acquises antérieure-

ment à la maladie. Ce point particulier nous permet de comprendre les

relations qui existent entre la perte des images visuelles et la perte du

sens topographique. A l'état normal, nous conservons dans notre cortex

sous forme d'images les diverses modifications déterminées par les sensa-

tions ; c'est surtout avec les images visuelles et tactiles que nous pou-

vons nous représenter la topographie de l'espace. Qu'une lésion du

cerveau supprime les images visuelles, le sens topographique est généra-

lement perdu ; nos images tactiles ne suppléent pas nos images tactiles.

Dans certains cas, cependant, la suppléance se produit et Touche (1) a

rapporté des observations de cécité psychique dans lesquelles les malades

se conduisaient comme des aveugles par lésions périphériques. Dans les

lésions du lobe occipital, il est de règle de voir les malades perdre leur

sens topographique, leurs sensations tactiles restant normales. On pour-

rait objecter que le sens topographique est autre chose que la représenta-

tion d'images visuelles, car chez des malades atteints d'hémianopsie

double avec conservation de la vision centrale pour les formes, les cou-

leurs et la lumière, ce sens était perdu. Ainsi, un malade de Magnus (2),

malgré une hémianopsie double avait conservé la vision centrale et pou-

vait lire, reconnaître les objets et cependant il avait perdu la faculté de

s'orienter; il était incapable de dire quelle situation il occupait dans sa

chambre, l'emplacement des meubles, de se représenter mentalement les

chemins qu'il parcourait avant sa maladie. Le même fait se retrouve dans

une observation de Foerster (3). Les malades peuvent donner le nom d'un

objet placé dans le champ visuel correspondant à la vision centrale mais

ne peuvent se représenter la place occupée par cet objet dans l'espace. Leurs

sensations tactiles actuelles ou les images de leurs sensations tactiles an-

térieures sont insuffisantes, pour suppléer les sensations visuelles. C'est

peut-être ce qui explique la perte du sens stéréognostique si fréquente

(1) Touche, Deux cas de cécité corticale, Soc. de Neurol., 5 avril 1900.

(2) H. TIAGNUS, Ein Fall von Rindenblindheil, Deutsche med. Wochenschr., 1894,

XX.

(3) Foerster, Ueber /( : ? : <7ett&Hn/tet<, A. v. Graefe's., Archiv. f. Ophtalmologie,

Leipzig, 1890, I.

SCLÉROSE SYMÉTRIQUE DES LOBES OCCIPITAUX 10 ?

dans les lésions des sphères visuelles : « Notre vieil atlas tactile de l'es-

pace, dit Soury (1), est peu à peu envahi et recouvert par les signes, de

l'espace visuel, il en résulte que, quand nous perdons la mémoire visuelle

des lieux, ce qui subsiste des éléments tactiles, articulaires ou musculaires

de nos représentations de ce genre a subi trop profondément les effets de

l'atrophie d'inactivité pour nous être d'un grand secours dans les premiers

temps qui suivent la cécité. » L'orientation, qui primitivement tient au

domaine tactile, devient graduellement et presque exclusivement visuelle

(Nodet) (2). De plus, la représentation mentale de l'espace nécessite le

rappel d'images visuelles et tactiles en séries ; il faut qu'il y ait relation

entre toutes ces images pour que nous puissions nous orienter dans l'es-

pace (Sachs). Chez les malades atteints de lésion symétrique des lobes

occipitaux et ayant conservé la vision centrale, la vue de l'objet peut

encore éveiller parfois le nom de l'ohjet mais les représentations visuelles

et tactiles ne peuvent plus être reproduites en séries ; le lobe occipital a

presque toujours perdu ses relations avec les autres lobes du cerveau et

en particulier avec les circonvolutions rolandiques.

(1) J. Soury, Système nerveux central, t. II, p. 1387.

(2) V. Nodet, Les agnoscies, la cécité psychique en particulier, Paris, F. Alcan, 1899.

FACULTÉ DE MEDECINE DE LYON

UN CAS DE MYOPATHtEATROPHtQUE PROGRESSIVE

AVEC TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ,

PAR R

M. LANNOIS,

Agrégé, Médecin des Hôpitaux de Lyon,

A. POROT,

Interne des Hôpitaux de Lyon

Les frontières élevées entre les atrophies musculaires myopathiques et

les atrophies d'origine nerveuse semblent de plus en plus s'effacer, et,sur

les confins des deux groupes, s'accumulent chaque jour des cas complexes,

à caractères mixtes, qui établissent la transition de l'un à l'autre. Pierre

par pierre, l'édifice myopathique construit par Clarcot et son école est

ébranlé et aucun des grands caractères qui avaient servi à le construire

ne semble donner des garanties de solidité suffisantes.

L'apparition, au sein des amyotrophies de quelques types cliniques

nouveaux : amyotrophie Charcot-Marie ^atrophie neurotique de Hoff-

mann) atrophie musculaire progressive familiale myélopathique de

Werdnig et Hoffmann, avait commencé il ébranler la doctrine du dua-

lisme. On voyait, en effet, dans le premier cas, une atrophie névritique,'

prendre le caractère familial et l'évolution lentement progressive d'une

myopathie; dans le second, une affection médullaire prendre à la myo-

pathie, outre son caractère familial, son évolution dans l'enfance et le

mode de propagation centrifuge de l'atrophie musculaire.

Aussi Brissaud (1), Raymond (2) se sont-ils cru, depuis plusieurs an-

nées déjà, autorisés à saluer, dans leur enseignemenl, le retour à la théo-

rie uniciste.

La clinique donne de plus en plus raison aux partisans de la nature

nerveuse des myopathies et il semble bien aujourd'hui que l'atrophie

musculaire des myopathies soit sous la dépendance d'une altération fonc-

tionnelle du système nerveux (Brissaud) le résultat d'une trophonévrose

musculaire (Erb, Raymond).

Des cas nouveaux renforcenl, chaque jour l'union de tous les types

(1) Brissaud, Leçons cliniques, t. I.

(2) RAYMOND, Leçons cliniques.

MYOPATHIE ATROP111QUE PROGRESSIVE 109

d'amyotrophies progressives. C'est ainsi que tout récemment Toby

Colin(l) a publié un cas d'interprétation difficile, resserrant les liens de

t'amyotrophie névritique et de la myopathie : atrophie des petits muscles

du pied chez une jeune fille de 15 ans avec steppage, réaction de dégéné-

rescence partielle, douleurs, comme dans le type Charcot-Marie-IIoffmann,

mais avec adipose et pseudo-hypertrophie des mollets, participation des

muscles du bassin et conservation des réflexes patellaires pouvant faire

rattacher le cas à une myopathie.

Elles sont maintenant très nombreuses les observations de myopathie,

bien classiques par l'ensemble de leurs caractères cliniques,mais auxquelles

s'ajoutent des symptômes qui imposent l'idée d'une intervention au moins

fonctionnelle du système nerveux. On trouvera ces faits rassemblés dans

quelques articles récents, en particulier celui de Léri (2), celui de Mari-

nesco (3) qui, quoique partisan convaincu de la nature purement muscu-

laire de la myopathie, confesse cependant la relativité de tous les smpt6-

mes qui lui ont été donnés comme propres. Et, en effet :

Le caractère familial n'est pas l'apanage des myopathies. On l'a ren-

contré souvent dans les deux types cliniques que nous citons plus haut.

De plus, il manque souvent dans les myopathies (Erb. 44 0/0) (Lion et

Gasne) (4).

Par contre les stigmates de l'hérédité nerveuse y sont fréquents. Sans

parler du cas classique de Cénas et Douillet (5) où atrophie myopathique

et atrophie nerveuse sont signalées dans la même famille, dans beaucoup

d'observations on trouve des antécédents nerveux, des stigmates psychi-

ques ou même des déformations crâniennes analogues à celle décrite par

Marie et Onanolf (G).

La topographie de l'atrophie reste vraie pour la plupart des cas ; cepen-

dant Oppenheim et Cassirer (7) ont signalé un cas d'atrophie du type pé-

riphérique que l'autopsie montra indemne de toute lésion nerveuse. Inver-

sement, la variété d'atrophie décrite par Werdnig et Hoffmann, pour être

de nature myélopathique, n'en a pas moins une évolution centrifuge, de

la racine des membres à la périphérie comme dans la myopathie.

L'état des réflexes n'a pas mieux soutenu la critique qu'en a faite Léri

qui a cité plusieurs cas personnels et retrouvé plusieurs anciennes obser-

(1) Tauy-Cohn, Neurol. Centralblatt, juin 1902.

(2) Léri, Hev. Neurol., 1901.

(3) MAIIINESCO, Traité de méd. Brouardel, t.X.

(4) Lion et GAINE, Soc. méd. des hôpit., 10 janvier 1902.

(5) CNAS et Douillet, Loire médicale, 1885.

(6) Marie Ct OIVANOPF, Soc. méd. Ilùpit., 20 février 1891.

(1) Ctpenheim et Cassirer, Deutache Zeitschr. für Nervenheilk. 1896.

110 LANNOIS ET POROT

vations de Landouzy et Déjerine où manifestement existaient des altéra-

tions de l'arc réflexe.

Même remarque pour les contractions fibrillaires qu'on disait toujours

absentes des atrophies myopathiques et qui cependant ont élé signalées

par Léri, Zimmerlin, Oppenheim, Hitzig.

Les réactions électriques devraient toujours suivre parallèlement dans

leur disparition la disparition des fibres musculaires, sans modifications

qualitatives. Pourtant, dans plusieurs cas elles étaient conservées-

[Scherb (1), Félix Allard (2)]. Mieux encore, la réaction de dégénérescence

a été trouvée dans de nombreux cas (Ileubner, Erb, Landouzy et Déjerine,

Oppenheim, Brissaud, Eisenlohr, Savill, Spillmann, Abadie et Denoyés,

Bédard et Rémond, Huet).

Et ainsi des autres caractères secondaires des myopathies qui ont été

relrouvés dans des atrophies d'autre nature.

Bref, dans bien des cas, la clinique a révélé des anomalies symptomati-

ques un peu troublantes si l'on veut réduire la pathogénie des myopathies

à la seule intervention protopathique du muscle et force est d'admettre

une participation du système nerveux.

Le cas que nous rapportons ici rentre dans la catégorie de ceux aux-

quels nous faisons allusion. Il s'agit d'un myopathique, bien typique par

l'ensemble des caractères, mais présentant un phénomène rarement signalé

dans la myopathie, des troubles de la sensibilité subjective el objective :

douleurs lancinantes au cours de l'évolution de la maladie et hypoesthésie

cutanée très nette. Si l'on rapproche de cela le fait qu'il n'avait pas le ca-

ractère familial, mais présentait une hérédité nerveuse bien accusée, on

comprendra que nous le rangions dans la série des cas mixtes où le sys-

tème nerveux doit sûrement intervenir.

Observation.

R... Philippe, 38 ans, entre à l'hôpital St-Potliin, service des maladies ner-

veuses, le 17 mai 1902.

Antécédents héréditaires. Père âgé de 70 ans vivant et bien portant. Pas

de maladies antérieures. Pas d'alcoolisme. Pas d'accidents nerveux. Mère morte

à 62 ans d'une affection cardiaque qu'elle aurait eue toute sa vie. Etait sujette

à de fortes- migraines.

Du côté paternel. Grand'père mort à 87 ans, bien portant toute sa vie ;

grand'mère morte assez jeune d'affection inconnue ; 4 oncles ou tantes n'ayant

jamais présenté d'accidents nerveux. Une cousine du malade serait restée pen-

(1) SCIIERD, Rev. Neurol., 1900.

(2) FLUX Ai lard, Nouv. Icon. de la Salpêtrière, janvier-février, 1902.

MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE 444

dant 10 ans au lit, maladive et impotente, sans qu'on sache de quoi il a pu

s'agir. En tous cas il ne semble pas y avoir de myopathie.

Du côté maternel. Grand'père mort âgé ; grand'mère morte d'affection car-

diaque. Une tante cardiaque.

Frère ou sceurs : 1° un frère mort à 5 ans de méningite ;

2° il est le second ;

3° une soeur qui s'est suicidée à Page de de 19 ans, après avoir du reste fait

antérieurement plusieurs tentatives ;

4° une soeur morte à 8 ans d'accidents méningés et péritonéaux, le « car-

reau ».

Antécédents personnels. Venu au monde à terme dans des conditions nor-

males. Aurait marché très tard, à 4 ans. Aurait parlé de bonne heure. Pas

d'énurésie nocturne, n'a souvenir d'aucune affection aiguë fébrile l'ayant re-

tenu au lit. A toujours joui d'une bonne santé générale malgré ses infirmités.

Jamais de rapports sexuels. Pas de syphilis, ni d'alcoolisme. Quelques habi-

tudes de masturbation.

Histoire de la maladie. Le malade, une fois la marche établie (à 4 ans)

allait, venait, courait comme les autres enfants, fréquentait l'école. Développe-

ment physique et intellectuel normal.

Jamais de convulsions ni de crises.

Vers l'âge de 7 ans, traumatisme assez sérieux, puisqu'il dut garder le lit

plusieurs jours (chute dans une cave). Mais n'eut dans cette période d'alite-

ment aucun trouble de la motilité et de la sensibilité.

Vers l'âge de 10 uns, le malade commence à ressentir de la faiblesse de

tous ses membres avec douleurs parfois violentes parcourant les membres,

Chutes fréquentes avec sensation de dérobement des jambes ; il était incapable

de se relever seul ; on le remettait sur pied, il repartait pour retomber plus

loin.

En même temps que les troubles parétiques, douleurs dans tous les mem-

bres, lancinantes et paroxystiques, se produisant comme par décharges, aug-

mentant d'autant l'impotence fonctionnelle et provoquant parfois des chutes

par leurs paroxysmes. Ces douleurs provoquaient parfois l'insomnie. Elles

semblent en outre avoir eu un caractère objectif, car le malade raconte spon-

tanément que parfois le seul poids des couvertures au lit était insupportable.

Tout ce début fut insidieux ; les symptômes allèrent en augmentant progres-

sivement. Il n'y eut jamais d'état aigu, fébrile, de symptômes, généraux soit

au début, soit an cours de l'affection. Parésie et douleurs furent d'emblée sy.

métriques et généralisées à tous les membres.

Toutefois le malade conservait encore la possibilité d'aller, de venir, et

suivait toujours l'école où il pouvait écrire très correctement.

Mais les chutes devinrent de plus en plus fréquentes, les douleurs continuè-

rent aussi. Ce n'est toutefois que depuis )'age de 26 ans que le malade est

confiné au lit ou sur une chaise.

Quand on l'interroge sur la façon dont se sont développés ses membres, il

112 LANNOIS );T POROT

répond que ses bras sont restés toujours très grêles, tandis que ses membres

inférieurs ont grossi d'une façon continuelle et progressive. « Tout, dit-il, est

porté dans les jambes. »

Etat actuel. Malade confiné au lit, dans l'impossibilité absolue de se ser-

vir de ses membres inférieurs et très limité dans l'usage de ses bras.

L'aspect général traduit cependant une bonne santé.

Les membres inférieurs offrent au premier aspect un volume à peu près

normal. Ils sont immobilisés par des déformations et des rétractions tendi-

neuses ; chaque segment est en flexion sur le segment supérieur ; les cuisses

en abduction et rotation en dehors ; les pieds en équinisme avec saillie très

marquée de la face dorsale et rotation très forte en dedans pour le gauche sur-

tout (PI. XXIII).

Ces déformations ne se corrigent que dans une très faible amplitude ; les divers

segments sont impossibles à redresser les uns sur les autres et les mouvements

communiqués rencontrent très vite une résistance insurmontable de la part

des tendons rétractés.

Il est aisé de se rendre compte que le volume presque normal de ces mem-

bres inférieurs est dû à une adipose sous-cutanée énorme qui masque défi-

cit musculaire.

L'atrophie musculaire, en effet, est considérable et massive. On ne palpe

partout qu'une masse uniformément molle, un manchon adipeux sans reliefs,

sans saillies musculaires apparentes quand on commande au malade des mou-

vements. Aux cuisses cette atrophie est totale. Tous les mouvements sont

impossibles ; à gauche, il persiste une légère ébauche des mouvements.d'ab-

duction et d'adduction.

Au niveau des mollets, le relief normal est cependant conservé ; les jumeaux

ne semblent pas complètement atrophiés ; il semble rester encore quelques

fibres dans le groupe péronier. Le malade en effet conserve quelques mouve-

ments des doigts de pied et une ébauche du mouvement, d'extension du pied

sur la jambe. Au moment où se produit ce mouvement on voit un bourrelet

transversal saillant se dessiner à la partie supérieure du mollet, bourrelet très

réduit en hauteur entourant la face postérieure de la jambe comme une cra-

vate (V. photogr.).

Pas de relèvement permanent des orteils ; pas de griffe du pied.

Les membres supérieurs présentent eux aussi une grosse atrophie muscu-

laire, symétrique, prédominante encore à la racine des membres, mais non

masquée comme aux membres inférieurs par de l'adipose sous-cutanée.

Atrophie totale au niveau de l'épaule où l'on ne trouve plus de deltoïde;

plus de grand pectoral.

Au niveau du bras, l'humérus est suivi dans toute sa hauteur sans qu'on

n,y rencontre aucun paquet musculaire.

A l'avant-bras, quelques fibres musculaires persistent au niveau du bord

radial.

Au niveau de la main, amoindrissement considérable des éminences thénar

et hypothénar, excavation des espaces intérosseux.

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière.

T. XVI. PI. XXIII

MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE

.tvec troubles de la sensibilité.

(Lannois et arot.)

MYOPATHIE ATROPH1QUE PROGRESSIVE 113

Il y a des rétractions tendineuses au niveau de la main ; les doigts sont en

flexion permanente dans la paume, flexion surtout accusée à droite pour l'in-

dex où elle arrive à l'angle droit. L'extension complète est impossible pour

les trois premiers doigts de chaque main et ne se fait qu'avec peine pour les

deux derniers.

La motilité est en rapport avec le degré d'atrophie. Les mouvements de l'é-

paule sont impossibles ; ceux de flexion et d'extension de l'avant-bras sur le

bras, nuls ; ceux de pronation et de supination sont également impossibles.

Seuls persistent quelques mouvements au niveau du poignet et des doigts.

La flexion des doigts est lente et peu puissante; cependant le malade arrive à

fermer sa main ; les mouvements d'opposition du pouce se font bien. en sorte

que le malade a encore la faculté de préhension.

Dans les mouvements composés du membre supérieur, on reconnaît bien

cette inégale répartition de l'atrophie et sa prédominance à la racine. Si l'on

dit au malade de prendre un' verre qui est à sa portée et de boire, on le voit

d'abord incliner le tronc pour porter le membre supérieur dans la direction du

verre ; une fois la main contre le verre, en s'aidant de la main opposée, il le

saisit,- le mobilise, le soulève un peu avec son poignet, mais dans l'impossi-

bilité de soulever le bras, s'aide des mouvements du tronc et de la nuque pour

porter - non pas son verre à sa bouche - mais sa bouche à son verre.

l'été et face. - La tête présente très nettement l'aplatissement postérieur

signalé par Marie et Onanoff.

Pas d'atrophie des muscles de la face. L'expression du visage est normale

et intelligente.

Pas de trouble de la mimique.

Cou et tronc. Pas d'atrophie des muscles du cou ou de la nuque. Au

palper, on sent très nettement le trapèze, le sterno-cléido-mastoïdien.

Pas de déjètement des omoplates.

Pas de déformation du thorax.

Les muscles des gouttières sont respectés.

Il semble y avoir cependant un peu d'atrophie des muscles de la sangle ab-

dominale qui n'offre pas la résistance normale et sont remplacés par un pan-

nicule épais qui s'affaisse en plicatures nombreuses quand le malade est

assis.

Senibilité. Il existe des troubles non douteux de la sensibilité.

Sensibilité subjective. Le malade dit souffrir toujours dans ses membres

des mêmes douleurs lancinantes qui ont marqué le début des accidents et on

toujours duré depuis. Elles sont cependant moins intenses, plus marquées

aux membres inférieurs, sans localisation précise.

Sensibilité objective. La sensibilité au contact existe partout. La sensi-

bilité à la piqûre est assez notablement diminuée, mais n'arrive pas à l'anes-

thésie absolue. Elle est étendue à presque tout le corps, sauf cependant à

certaines régions qui sont : pour les membres supérieurs la face antérieure

des bras ; pour les membres inférieurs, les pieds, la face postérieure des jambes

114 LANNOIS ET POROT

au niveau des mollets, la face antéro-externe des cuisses (V. figure topogr.).

Pas de dissociation syringomyélique en aucun point.

Le sens stéréognostique n'est pas perdu : cependant le malade reconnaît avec

beaucoup de lenteur les objets usuels qu'on met dans sa main.

Les réflexes tendineux sont totalement abolis aux membres supérieurs et

inférieurs. -

Les réflexes cutanés plantaire et crémastérien sont normaux.

Le réflexe abdominal est très affaibli.

Pas de contractions fibrillaires.

Pas de tremblement. Pas d'incoordination. -

Pas de mouvements cboréïques ou atliétosiques.

Pas de trouble des spliincters.

Pas de symptômes oculo-pupillaires.

Pas de troubles psychiques : intelligence et caractère normaux.

Pas de troubles de la parole.

Le malade présentait à son entrée un prolapsus liémorr6oïdaire rectal pour

lequel il a été opéré avec succès.

Toutes les fonctions organiques splanchniques sont normales, et le malade,

qui au moment de son entrée était dans des conditions sociales un peu misé-

rables a rapidement engraissé dans le service et gagné plusieurs kilogs en peu

de jours.

L'examen électrique des nerfs el des muscles a révélé les particularités

suivantes :

Excitabilité faradique.

Nerfs. - Est diminuée. Semble en outre plus faible aux membres inférieurs

Le pointillé indique les zones d'hypoesthésie très marquée.

MYOPATHIE ATROPHIQUB PROGRESSIVE 115

qu'aux membres supérieurs. Alors que les contractions par électrisation du

radial se produisent à 100, elles ne débutent qu'à 150 pour le crural et le pé-

ronier.

Muscles. Disparue pour les muscles de l'épaule et du bras.

A l'avant-bras on n'a que des contractions peu apparentes, se traduisant

surtout par des mouvements de flexion de la main et des doigts, surtout de

l'index. Commencent à apparaître vers 120.

Aux membres inférieurs, on obtient une contraction très nette des jumeaux

sous forme de boule décrite plus haut avec extension du pied et flexion du

gros orteil. Ces contractions n'apparaissent qu'entre 150 et 200.

` Diminution nette au niveau des muscles de la paroi abdominale.

A la face, au contraire, l'exploration, qu'elle porte sur le nerf ou sur les

muscles, produit une contraction brusque et énergique qui apparaît déjà à 50.

En somme, diminution très marquée de l'excitabilité musculaire aux cou-

rants faradiques en rapport avec l'atrophie : abolition au niveau de la racine

des membres; simple diminution au niveau des muscles encore conservés à

la périphérie. L' excitabilité galvanique est abolie au niveau des membres et

conservée au niveau de la face.

En résumé : Absence de caractère familial, mais hérédité nerveuse non

douteuse. Traumatisme et 7 ans. Début à 10 ans par des phéno-

mènes pa1'étiq1tes et des douleurs lancinantes. - Evolution lentement

progressive avec persistance des douleurs et fausse hypertrophie des

membres inférieurs. - Actuellement, atrophie musculaire étendue aux

quatre membres, symétrique, totale pour la racine des membres, presque

totale pour les segments périphériques. - Face respectée. Fausse

hypertrophie des membres inférieurs. Aplatissement postérieur du

crâne. - Rétractions tendineuses. Abolition totale des réflexes tendi-

neux. - Abolition presque complète de l'excitabilité électrique. - Trou-

bles objectifs et subjectifs de la sensibilité.

L'ensemble des caractères cliniques impose bien dans ce cas le diagnos-

tic de myopathie : le début dans l'enfance, l'évolution très lente et pro-

gressive, la prédominance marquée de l'atrophie à la racine des mem-

bres, la fausse hypertrophie des membres inférieurs, la disparition des

réflexes et des réactions électriques, l'absence de contractions fibrillaires

forment un faisceau d'arguments cliniques en faveur de celte affection.

Il est vrai qu'il manque à notre cas le caractère familial ; mais nous

avons dit ce qu'il fallait penser de la fréquence de son absence.

Mais un phénomène cadre mal ici avec le reste du tableau : c'est la

présence de troubles de la sensibilité, troubles à la fois subjectifs et ob-

jectifs. Les douleurs ont bien été signalées quelquefois : un des malades

116 LANNOIS ET POROT

cités par Brissaud dans ses Leçons cliniques avait des douleurs vives, atro-

ces, généralisées, coïncidant avec la parésie et l'atrophie; il faisait des

chutes fréquentes, comme le nôtre. Une malade de Long (1) avait aussi

quelques phénomènes douloureux.

Mais ce qui est tout à fait exceptionnel, c'est la présence de troubles

objectifs de la sensibilité ; nous avons trouvé sur notre malade de larges

zones d'anesthésie à la piqûre, ou plus exactement d'hypoeslhésie très

marquée.

Comment rendre compte de ces phénomènes avec la doctrine muscu-

laire pure, avec la théorie de la libre musculaire malade seule et prolopa-

thiquement ? on se heurte aux mêmes difficultés que lorsqu'il s'agit d'ex-

pliquer la présence des contractions fibrillaires, l'abolition précoce des

réflexes dans la myopathie.

La disposition un peu irrégulière et anormale de cette anesthésie ne

nous a pas permis d'en déduire une localisation de siège étiologique. Et

cependant nul doute qu'il existe, dans ce cas, des lésions névritiques,

peut-être même une altération de la moelle. Notre malade n'est pas un

myopathique simple. C'est aussi un nerveux : nerveux par la présence de

ces troubles de la sensibilité, nerveux aussi par ses antécédents ; sa mère

avait de fortes migraines ; deux de ses frères ou soeurs sont morts de mé-

ningite ; une soeur avait des troubles psychiques et s'est suicidée; lui-

même avait commencé à marcher tard, à 4 ans; nerveux encore par un

stigmate qu'il présente, l'aplatissement postérieur de la tôle signalé par

Marie et Onanoff, si l'on se range il l'opinion de Brissaud qui voit dans

cette anomalie crânienne le symptôme possible d'une lésion centrale.

L'opinion générale place le siège causal des amyotrophies au niveau

des cornes antérieures de la moelle, à quelque catégorie qu'elles appar-

tiennent : myélopathiques, névritiques ou myopathiques ; suivant les cas,

on a lésion primitive des cellules, ou lésion secondaire ascendante, ou

enfin simple altération fonctionnelle. Celle localisation médullaire gagne

chaque jour en crédit scientifique. Peut-être même sera-t-on appelé bien-

tôt à l'étendre au delà des cornes antérieures. Les constatations anatomi-

quesdeSainton (2) pour l'amyotrophie Charcot-Marie ouvrent des aperçus

nouveaux ; pour cette affection, conisdérée jusqu'alors comme purement

neurotique, du moins par Hoffmann, cet auteur a montré des lésions de

sclérose des cordons postérieurs et de ce fait a mis en relief l'origine

spinale du type en question.

L'altération fonctionnelle, admise pour les cornes antérieures, ne serait-

(1) Losc, Nouv. Icon. Salpêtr., 1902.

(2) Sainton, L'amyotrophie Charcot-Marie, Thèse, Paris, 1899.

MYOPATHIE TROPHIQUE PROGRESSIVE 117 7

elle pas supposable pour les cordons ou les racines postérieurs ? On ex-

pliquerait ainsi les cas où, comme dans le nôtre, on trouve des troubles

de la sensibilité. Pareille explication ne pourrait-elle pas aussi s'appli-

quer aux cas où l'on a trouvé une abolition précoce des réflexes ? Tout

cela, bien entendu, n'est qu'une hypothèse. Mais explique-t-on mieux cer-

taines atrophies et anesthésies, celles des hystériques par exemple ?

Quoi qu'il en soit de leur interprétation, les faits restent intéressants à

signaler à cette époque de révision. Notre observation s'ajoutera au nom-

bre toujours croissant des atrophies musculaires à caractère mixte; mal-

gré ses anomalies, nous lui gardons l'étiquette clinique de myopathie.

Comme le fait remarquer Brissaud, « il faut exposer les faits sans cher-

cher à leur donner une étiquette nouvelle, en attendant que l'heure soit

venue d'opérer au milieu de ces faits disparates une nouvelle répartition

plus conformeaux données de la clinique et de l'anatomie pathologique ».

FACULTÉ DE MÉDECINE DE BORDEAUX

MONSTRUEUSE DÉFORMATION DU TIBIA DROIT EN

FOURREAU DE SABRE CHEZ UN TABÉTIQUE.

HÉRÉDO-SYPHILIS ET TABES,

PAR a

J. SABRAZÈS,

Professeur agrégé, médecin des hôpitaux de Bordeaux.

Le rôle primordial de la syphilis acquise dans l'étiologie du tabes est

actuellement admis sans contestation.Tout récemment encore M. A.Four-

nier, le protagonisle de cette grande idée pathogénique, l'étayait sur une

assise imposante d'un millier d'observations.

Moins nombreux sont les faits dans lesquels le tabes se développe chez

des hérédo-syphilitiques. Le tabes infantile appartient à cette catégone ;

Cari v. Rad (1) vient de lui consacrer un important travail basé sur

12 cas. Les symptômes rappellent ceux du tabes de l'adulte sauf que les

paresthésies, le signe de Romberg, les phénomènes ataxiques ne sont pas

des symptômes de premier plan. Par contre la maladie de Friedreich se

manifeste toujours d'emblée par l'ataxie. Dans les 12 cas de tabes in-

fantile réunis par l'auteur, il existait 9 fois des signes de syphilis héré-

ditaire dents d'Hutchinson, exanthèmes, ulcérations de la gorge et du

larynx, taies de la cornée, rhinite chronique, engorgement ganglion-

naire ; 8 fois la syphilis des parents était avérée.

Ainsi, dans le tabes infantile, la syphilis des ascendants joue un très

grand rôle étiiologique. Le tabes peut apparaître aussi parfois, plus ou

moins tardivement, pendant l'adolescence ou à l'âge mûr, chez des sujets

manifestement hérédosyphilitiques.

J. Babinski (2) a fait, le 24 octobre 1902, sur le tabes hérédo-syphi-

litique, une intéressante communication à la Société médicale des hôpi-

taux de Paris. Il donne le relevé bibliographique des observations encore

peu nombreuses qui en ont été publiés. Il rapporte deux cas personnels

relatifs à deux jeunes filles. La première, âgée de 22 ans, présente, depuis

(1) CARL v. RAD, Tabès dorsalis bei jugendlichen Individuen (Festchrift des Nùrn-

berger ârztlichen Vereins, 1902).

(2) J. Babinski, Tabes hérédo-syphilitique (Tabes héréditaire) (Bullet. et Mém. de la

Soc. méd. des Hôpitaux de Paris, séance du 24 octobre 1902).

MONSTRUEUSE DÉFORMATION DU TIBIA DROIT . 119

2 ans, des signes classiques de tabes. L'hérédo-syphilis se trahit par la

kératite interstitielle et par les altérations des dents; de plus elle est

confirmée par les aveux du père. La seconde, âgée de la ans, issue d'un

père tabétique et d'une mère ayant accouché avant terme d'un foetus

macéré, présente le signe d'Argyll, de la lymphocytose du liquide céphalo-

rachidien, des troubles urinaires et une abolition des réflexes tendineux

des membres inférieurs ; celte malade est en outre atteinte de démence

précoce ou de métiiiigo-encéplialite diffuse. A cette occasion, M. Souques

a parlé d'une famille dont le père est mort dans une maison d'aliénés

de paralysie générale d'origine syphilitique ; la mère contaminée conju-

galement est atteinte de tabes, arrivé à la dernière période ; enfin deux

jeunes filles, d'une moralité insoupçonnable, présentent toutes les deux

des symptômes nombreux et indiscutables de labes.

C'est une observation de ce genre que nous avons recueillie ; elle pré-

sente à ce titre de l'intérêt et aussi en raison de la coexistence avec le

tabes d'une déformation tibiale extraordtnairement accusée du même

ordre que celles dont Lnnnelongue vient de faire une étude très sugges-

tive sous le titre suivant : Syphilis osseuse héréditaire tardive, type

Paget. Types infantile et adolescent, types de l'adulte et du vieillard (1).

Voici le fait :

M. J..., âgé de 40 ans, chaudronnier, se présente il nous, en 1898, à )'rhô-

pital St-André de Bordeaux, salle 12, lit 32.

Il a, depuis deux ans, des troubles gastriques intermittents qui se traduisent

par une douleur épigastrique angoissante avec retentissement dans l'hypo-

chondre gauche, par des spasmes intestinaux et surtout par des vomissements

incoercibles, alimentaires, muqueux ou bilieux.

Les crises durent une huitaine de jours et se reproduisent à intervalles irré-

guliers, environ tous les mois. Elles cessent brusquement et, pendant les

périodes intercalaires, tous les aliments sont parfaitement tolérés, même ceux

qui ont la réputation d'être particulièrement indigestes comme les haricots.

Depuis la même époque, cet homme a de la diplopie. Il n'accuse ni troubles

génito-urinaires, ni incoordination motrice ; il n'a eu ni maux perforants, ni

douleurs fulgurantes dans les jambes, ni chute spontanée des ongles ; il déclare

n'avoir jamais eu de maladies vénériennes, ni blennorrhagie, ni chancre, ni

alopécie, ni adénopathie, ni céphalée.

Nourri au sein par sa mère, jusqu'à l'âge de 18 mois, il eut, étant en nour-

rice, sans cause connue, une éruption de boutous ulcéreux, ressemblant, dit-

il, à des boutons de variole, localisés surtout la surface du membre inférieur

droit. Vers la même époque, les os de ce membre commencèrent à se déformer,

progressivement et, comme il l'a entendu dire dans son entourage, sans fièvre,

(1) LANKELOKGUE, Le Bulletin médical, n0J 15 et 16,1903.

120 SABIt.IZ(;5

sans suppuration, sans douleur bien marquée. Les antres parties du squelette

restaient indemnes. Cette déformation alla s'accentuant au point que, vers l'âge

de six ans, elle nécessita la mise en gouttière du membre pendant plusieurs

mois. A cette époque, M. J. eut, dit-il, une variole bénigne, sans complica-

tions. Depuis lors, il n'a jamais eu d'éruption. Dès l'âge de 14 ans, il a abusé

des boissons spiritueuses, surtout de l'absinthe.

Voici ce que nous apprennent les antécédents : le père âge de 82 ans est

depuis longtemps presque aveugle ; c'est un ancien soldat; la mère a suc-

combé à des accès d'asthme. La descendance comprend deux garçons bien

portants ; deux fausses couches successives ; un garçon atteint depuis la pre-

mière enfance de kératites, extrêmement chétif, prenant constamment de

l'huile de foie de morue, atteint actuellement d'une affection des centres ner-

veux de nature paralytique. Notre malade est le dernier venu. Il n'est pas

marié. Sa famille est originaire de la Provence et l'habite.

Au moment de notre examen, M. J. est notablement amaigri, par rapport

à ce qu'il était avant de souffrir de l'estomac. Son pouls, de forte tension, est

égal, régulier, bat 72 fois à la minute. Les vomissements ont cessé depuis

quelques jours. L'estomac n'est ni ballonné ni seusible à la pression ; il a ses

limites normales. Rien de pathologique du côté du foie, de la rate, du coeur,

des gros vaisseaux, des reins et des urines, de l'appareil génital.

' On ne constate aux poumons rien autre que des signes d'un léger degré

d'emphysème. Les forces persistent et permettent à cet homme de continuer à

travailler. Pas de vertiges. Les membres supérieurs ont conservé leur dexté-

rité. Il n'existe aucun trouble du sens de la direction. Tous les objets mis

dans la main, les yeux étant fermés, sont immédiatement reconnus.

On ne constate aucun trouble de la sensibilité de la peau et des muqueuses,

sous ses divers modes, ni de la trophicité; notons cependant, sur la face dor-

sale de la main droite, un peu de kératose avec pigmentation exagérée. Le

malade attribue cette kératose à ce qu'il se mord accidentellement, pendant les

crises gastriques, lorsqu'il met les doigts dans la gorge pour provoquer les

vomissements. Le nerf cubital, dans la gouttière du coude, est peu sensible au

pincement, à droite ; il l'est davantage, à gauche. Pas d'instabilité dans la sta-

tion debout. Pas d'incertitude de la marche, même à reculons ; pas de signe de

Romberg ; pas de claudication , pas de steppage. Les réflexes périostiques et

tendineux sont abolis aux deux poignets. Réflexes plantaires vifs. Réflexes

rotuliens abolis. Réflexe testiculaire vif à gauche, normal à droite ; réflexe

abdominal vif à gauche, normal à droite.

L'examen des yeux pratiqué par M. C. Fromaget, ex-chef de clinique d'oph-

talmologie, a donné les résultats suivants :

0 G : V = 1. Acuité chromatique normale. Abolition du réflexe pupillaire à

la lumière et à la convergence. La musculature externe de l'oeil semble

intacte.

0 D : V = 1 avec -I- 1,50 D. Paralysie complète de l'accommodation et du

sphincter de l'iris. Paralysie incomplète du droit supérieur et du droit interne.

Acuité chromatique normale. L'examen du fond de l'oeil est négatif.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. PI. XXIV

(Photographies stéréoscopiques).

MONSTRUEUSE DEFORMATION DU TIBIA EN FOURREAU DE SABRE

(Sabrâmes) .

MONSTRUEUSE DÉFORMATION DU TIBIA DROIT 12U

C'est l'état de la jambe droite qui frappe le plus l'observateur (PI. XXIV). !

Elle est très déformée, sur toute sa longueur, aplatie et un peu contournée

latéralement, au point de rappeler l'aspect d'un segment d'Opuntia.

Le diamètre transversal maximum ne dépasse pas 6 centimètres. D'avant

en arrière la jambe mesure 14 à li centimètres dans son plus grand diamètre.

Sa circonférence est de 32 centimètres. C'est le tibia qui par l'intensité de sa

déformation imprime au membre l'aspect caractéristique en fourreau de sabre.

Aplati latéralement mais extraordinairement bombé en avant, il forme une

saillie convexe à crête mousse ; en arrière, il est incurvé sans que cette con-

cavité postérieure soit proportionnellement aussi prononcée que la convexité

antérieure. La sensibilité de cet os à la percussion est normale.

La partie proéminente de ce tibia est hérissée de cannelures longitudinales.

Ses deux faces accessibles à la palpation ont une surface peu accidentée. Les

téguments, au niveau de la partie déformée, sont très velus, un peu plus pig-

mentés qu'à l'état normal, sur les côtés, et sillonnés par des veines dilatées.

L'examen radioscopique montre l'extrême opacité du tibia, son développe-

ment dans le sens antéro-postérieur, son inflexion correspondante relativement

moins accusée que son accroissement d'avant en arrière. Le péroné participe

dans une certaine mesure à l'inflexion. Les muscles du membre inférieur droit

sont plus grêles que ceux du gauche. Les autres parties du squelette ne sont

le siège d'aucune autre malformation. Pas de modifications anormales des os

du crâne. La voûte palatine est légèrement ogivale. Les dents sont assez bien

conservées; mais elles présentent des vices d'implantation très marqués;

elles chevauchent, pour ainsi dire. De plus, les canines et les incisives sont

petites, comme malvenues, inégales, avec des érosions en cupule de la cou-

ronne, des stries et des encoches en coup d'ongle de leur face antérieure.

C'est à t'age de 38 ans que les symptômes de la série tabétique ont dé-

buté. Ces symptôn1èsSOfiC ? ' ?

1- Des crises gastriques cadrant avec la description classique de la

forme la plus commune des crises gastriques du tabes ;

2° Des troubles oculaires avec diplopie caractérisés par l'abolition du

réflexe pupillaire à la lumière et il la convergence à gauche, par la para-

lysie complète de l'accommodation et du sphincter de l'iris à droite, avec

paralysie incomplète du droit supérieur et du droit interne du même

côté ; . .

3° L'abolition des réflexes rotuliens.

Cet homme n'a pas eu de maladies vénériennes. Mais il porte des stig-

mates indélébiles de syphilis héréditaire, tels que : 1° Mal formations den-.

taires caractéristiques ; 2° Déformation du tibia droit en fourreau de

cimeterre.

Ajoutons que sa naissance a été précédée par deux grossesses avant

terme, avec mort du freins, et par la mise au monde d'un enfant chétif,

Vt 9

122 SABBAZÈS

atteint de kératites chroniques, et frappé d'accidents paralytiques- sur la

nature desquels nous n'avons pas pu obtenir de renseignements précis.

Dans notre observation, le tabes ne s'est révélé qu'à t'age moyen de la

vie. On doit le considérer comme une manifestation tardive de l'liérédo-

syphilis. Ce labes s'est traduit par des troubles oculaires, par des crises

gastriques, par l'abolition des réflexes tendineux. Le signe de Romberg,

l'incoordination motrice, les troubles sensitifs faisaient défaut : il en est

souvent ainsi, comme nous le rappellions plus haut, dans le tabes infantile

hérédo-syphililique. La déformation du tibia existait dejà depuis long-

temps, alors que le tabes'a*écta ! ë. Elle s'est produite lentement et progres-

sivement, depuis la première enfance jusqu'à t'age de dix ans. Elle ressor-

tit-à- la modalité de 111);élo-ostéo-périostile déformante, d'origine hérédo-

syplîilitiquê, décrite par M. Lannelongue (1) sous le nom de périostite

diffuse* continue et progressive. « La déformation la plus saillante de la

jambe est celle du tibia, convexe en avant et en dehors, à bord antérieur

énorme, inégal, arrondi ; l'os n'est plus vertical. J'ai comparé, autrefois,

cet aspect à celui du fourreau d'une lame de sabre ; mais je n'ai jamais

parlé de la lame du sabre elle-même, ainsi qu'on l'a souvent répété à tort.»

Au moment de son évolution cette lésion osseuse n'était sans doute pas

indolore, quoi qu'en dise le malade; nous avons vu en effet qu'on avait été

obligé, à t'age de six ans, d'immobiliser le membre, en voie de déforma-

tion depuis t'age de deux ans, dans une gouttière. Actuellement cette

déformation est définitive ; il n'existe aucune douleur locale.

Il importe de noter que seul le tibia et à un très faible degré le péroné

présentaient, à droite, cette déformation. Les autres parties du squelette,

explorées avec soin, nous ont paru indemnes. 11 est très rare d'observer

des déformations de cette nature localisées à un seul os. Lannelongue,

dans son premier mémoire paru en 1881, relevait les chiffres suivants

d'os intéressés dans les diverses observations : 8 os, plus le crâne ; 2 os ;

5 os, plus le crâne ; 2 os ; G os ; 5 os. « Au point de vue de l'espèce des

os atteints, je vous dirai, ajoute cet auteur, que cinq fois sur six le tibia

est envahi » ; c'est l'os révélateur, suivant une expression de A. Fournier.

En somme l'intérêt de notre cas réside surtout dans la coexistence du

tabès et de stigmates d'hérédo-syphilis. Les caractères cliniques de ce ta-

bes rappellent le tableau du tabes infantile hérédo-syphilitique. Le tibia

monstrueux en fourreau de sabre n'avait pas encore été signalé chez les

sujets devenus tabétiques de par l'liérédo-s3;plilis.

(1) LAXXELOXGUE, loc. Cil.

HOSPICE D'IVRY

UN CAS DE PHOCOMÉLIE ET HÉMIMÉLIE

PAR

P. 13ALBRON

Interne des hôpitaux.

Nous avons montré à la'Société de Neurologie, dans la séance du 5 mars

1903, un garçon de 16 ans hospitalisé à l'hospice d'Ivry qui présente des

malformations congénitales multiples, qui nous ont paru mériter une des-

cription détaillée.

Ernest Frais est. né en 188G. Dans sa famille, il n'existe aucun cas de

difformités analogues. Son père, encore vivant, mais actuellement tuber-

culeux, était bien portant au moment de sa conception. Sa mère, morte

depuis peu d'une cirrhose du foie, faisait depuis longtemps des excès alcoo-

liques. Nous n'avons pas retrouvé chez eux d'antécédents syphilitiques;

jamais la femme n'a l'ai t de fausse couche. Les deux soeurs de notre malade,

âgées de 23 et 22 ans, sont bien portantes et normalement constituées.

La grossesse s'est passée sans accident, cependant la mère aurait essayé

de l'interrompre en absorbant de grandes quantités d'absinthe. Il est né à

huit mois, en présentation du siège et l'accouchement s'est fait sans autre

particularité que l'existence de plusieurs circulaires du cordon autour du

cou de l'enfant.

Dès la naissance on a été frappé par les déformations qu'il présentait :

déviation du pied en valgus et surtout raccourcissement très notahle dès

cette époque du membre inférieur gauche. A )'age de 8 mois il a présenté

des accidents nerveux graves, convulsions, fièvre, qui auraient été dia-

gnostiqués méningite. Depuis, il n'a plus eu que des indispositions sans

gravité. 1

A 10 ans, en 1896, M. le professeur Kirmisson pratique une opération

destinée à faciliter la marche. En effet la différence de longueur des mem-

bres était déjà telle que nous la voyons, et de plus le pied droit était

complètement dévié en valgus, de sorte que l'enfant aurait dû pour mar-

cher s'appuyer sur sa malléole interne. M. Kirmisson, abordant le pied

droit par sa partie externe, sectionne les péroniers latéraux et le tendon

d'Achille, puis ouvre l'articulation par sa partie interne, excise la saillie

124 HALBRAN

que formait la partie interne de l'extrémité inférieure du tibia, régularise

celte extrémité et enlève une portion osseuse qui semble être formée de

la surface articulaire de l'astragale très diminuée de volume et unie au

calcanéum. Le membre est ensuite immobilisé et M. Kirmisson put il la

séance de la Société de chirurgie du 12 mai 1897 montrer le résultat

obtenu dont nous pouvons aujourd'hui à distance confirmer l'excellence,

puisque le malade marche très facilement avec un appareil orthopédique

appliqué à son membre gauche. @

Ernest F..., est sourd-muet et la surdité était constatée dès les premiers

mois, avant les accidents méningitiques auxquels il semble bien qu'on ne

doive pas rattacher cette infirmité. Son développement intellectuel s'est

fait convenablement; il comprend parfaitement ce qu'on lui indique,

possède une mimique très expressive.

La tète ne présente aucune malformation : pas d'asymétrie faciale ; pas

de stigmates oculaires, dentaires ou palatins. Le système pileux est nor-

mal.

' Les membres supérieurs n'offrent rien à signaler, ni comme forme, ni

comme longueur, ni comme musculature. Le thorax est bien conformé,

sans lésion rachitique. Du côté de la colonne vertébrale, on note à peine

un léger degré d'ensellure lombaire.

Le développement génital s'est fait normalement. Les testicules, bien

descendus dans les bourses, ont un volume moyen. Notons seulement

l'existence d'un léger hypospadias balanique, la seule malformation qui

ait son siège ailleurs qu'aux membres inférieurs.

L'inégalité des membres' inférieurs est saisissante : mesurée depuis la

crête iliaque, la hauteur du membre inférieur droit est de 61 centimètres ;

à gauche, elle est de 32 centimètres seulement. La photographie que nous

publions montre le malade appuyé sur sa jambe droite, rejetant en arrière

la jambe gauche qui ainsi n'atteint pas le genou droit : en réalité, quand

on le fait tenir.droit, on voit le talon gauche arriver exactement au niveau

du genou droit (Pl. XXV).

- La cuisse droite, bien qu'un peu grêle, est normale dans son ensemble ;

sa longueur du grand trochanter à l'interligne du genou est de 28 centi-

mètres.

Le condyle interne fait un peu saillie en dedans.

- La rotule existe, elle est petite; luxée en dehors, elle repose sur le

condyle exlerne du fémur.

- A la jambe gauche apparaissent les grosses malformations. Elle frappe

par sa petitesse : on remarque immédiatement deux déformations, une cour-

burede la jambe qui forme un arcà concavité postérieure, et une diminution

très notable du diamètre transversal. L'antécourbure, qui existe dans tous

NOUVELLE IcONOGRAPHIE DE LA SALPL-1-RIÈRE.

T. XVI. Pl. XXV

PHOCOMÉLIE ET HÉMIMÉLIE

(Halbron.)

UN CAS DE PIIOCOMÉLIE ET IIÉ1111\fÉLIE 125

les cas analogues, est ici très marquée. La palpation montre rapidement les

causes de l'aplatissement latéral : on n'arrive pas à sentir le péroné ; quant

au tibia, sa forme est changée : on le trouve nettement aplati de dehors en

dedans.

Depuis l'intervention chirurgicale, la position du pied sur la jambe est

normale. L'appui se fait surtout sur la partie antérieure et peu sur le talon.

Il n'existe que trois orteils, le gros orteil bien développé et deux autres

séparés du premier par un assez large intervalle.

A gauche, le membre inférieur a, nous l'avons dit et la photographie

le montre, une longueur égale à la moitié de celle du droit. Non seule-

ment il est plus court, mais il est complètement difforme. Il affecte

d'abord la forme d'une masse globuleuse continuant la saillie du bassin et

venant bomber au-dessous du pli de l'aine. Puis, cette tuméfaction s'effile

légèrement, un pli profond apparaît à la partie interne et brusquement elle

est remplacée par la jambe petite et grêle. Une photographie représentant

le malade assis, les jambes ainsi rapprochées l'une de l'autre, nous montre

l'identité des déformations sur ce segment des membres : à gauche, comme

à droite, il y a antécourbureet aplatissement latéral rendus peut-être plus

nets encore par l'atrophie musculaire plus prononcée à gauche.

L'extrémité inférieure du tibia fait saillie à la face interne du cou-de-

pied et le pied est fortement dévié en valgus ; le dos regardant en avant

et en dedans. Le pied est plus petit qu'à droite, 14 centimètres contre 18

à droite.

Les orteils sont au nombre de quatre, le gros orteil et trois autres. Les

deux orteils médians sont unis par une syndactylie, qui n'occupe que leur

première phalange.

La musculature et la motilité varient aux deux membres. A droite, on

trouve des muscles bien développés et le malade exécute tous les mouve-

ments. Ceux-ci sont normaux à la hanche. Au genou, il y a un peu de

laxité, permettant quelques mouvements latéraux; dans la flexion de la

jambe sur la cuisse, la jambe exécute un mouvement de rotation prononcé

et sa face interne va s'appliquer sur la face postérieure de la cuisse. L'ar-

ticulation tibio-tarsienne est ankylosée.

A gauche, on sent des masses musculaires bien développées dans la saillie

de la racine du membre. A la face postérieure de la jambe, le triceps est

grêle, mais se contracte énergiquement. A la face antéro-externe, le jam-

bier antérieur par sa contraction exagère le valgus. La jambe semble avoir

une certaine mobilité sur la cuisse. L'articulation du cou-de-pied est très

mobile. L'enfant imprime facilement à sa jambe des mouvements étendus

de flexion et d'extension, d'adduction et d'abduction. La marche se fait

126 BALBRON

facilement avec un pilon prenant son appui sur ce qui représente la

cuisse.

La peau est normale sauf une légère cyanose et un développement pileux

très marqué au niveau des jambes. Le pied gauche est un peu froid. A la

partie externe du cou-de-pied droit on voit la cicatrice opératoire. Au

niveau du bord antérieur du tibia de chaque côté, au sommet de la cour-

bure, on trouve une petite cicatrice linéaire de deux centimètres de long :

on sait le rôle considérable qu'on a fait jouer à celle cicatrice, siégeant au

niveau de la déformation angulaire, dans la pathogénie des malformations

du genre de celle qui nous occupe, soit que l'on invoque la théorie de la

fracture intra-utérine, soit que l'on adopte l'hypothèse aujourd'hui plus

admise de la compression par le capuchon amniotique ou par une bride.

La sensibilité, dans tous ses modes, est intacte. Les réflexes cutanés

et tendineux sont normaux.

Aux renseignements donnés par l'examen du malade, sont venus se

joindre ceux que nous fournissent de nombreuses et excellentes radiogra-

phies faites par M. Infroitau laboratoire de radiographie de la Salpêtrière.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. PI. XXVI

PHOCOMELIE ET HÉMIMELIE

1 rT"l1....0 , 1%

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XVI. PI. XXVII

PHOCOMÉLIE ET HEMIMELIE

(Flalbrorr.)

Radiographies des deux pieds. - Droit (en haut), gauche (en bas).

. UN CAS DE PHOCOMÉLIE ET HÉMIMÉLIE 127

Sur le calque de la radiographie du bassin que nous reproduisons (fi-

gure ), on peut juger de l'étendue des lésions du pelvis et du fémur gauche.

Bassin. Le bassin est nettement asymétrique. Il prend le type du

bassin oblique ovalaire, avec aplatissement du côté droit, côté relative-

ment normal et sur lequel s'exerce naturellement la pression la plus

forte.

Fémur. Le fémur droit ne présente pas de déformation importante :

on ne note guère que l'état un peu grêle de la diaphyse et une assez forte

hypertrophie du condyle interne.

Au contraire, à gauche, les déformations du fémur sont considérables.

Dans la saillie de la racine du membre, dont l'exploration était rendue

des plus difficiles par le développement des masses musculaires, la radio-

graphie nous montre un noyau osseux interposé à l'os iliaque et au tibia

et qui représente le fémur. C'est une masse oblique en bas et en dehors,

rappelant l'aspect de l'extrémité supérieure du fémur. L'extrémité su-

péro-interne, effilée, représentant la tête, vient s'appuyer contre le rebord

inférieur et postérieur de la cavité cotyloïde dans laquelle elle ne pénètre

pas. La partie externe offre une saillie ressemblant au grand trochanter.

Sur la radiographie un espace clair sépare cette masse du plateau tibial

dont elle est ainsi nettement distincte (Pi. XXVI).

A droite, on distingue la rotule, à gauche, elle manque.

Tibia. Les deux tibias sont presque semblables. L'antécourbure est

cependant plus marquée sur le droit. L'extrémité inférieure a été partiel-

lement réséquée parM. Kirmisson ; à gauche la malléole interne est nette.

L'architecture parait normale; les épiphyses supérieures et inférieures

ne sont pas encore soudées, et cela est la règle à 16 ans.

L'absence de péroné est évidente ; sur aucune de nos radiographies, on

ne trouve, en dehors du tibia, la trace d'un noyau osseux.

Pieds. Dans le squelette du pied, les malformations sont nombreu-

ses (PI. XXVII).

A droite le tibia apparaît soudé depuis l'opération à un massif osseux

qui semble formé de l'union de ce qui reste d'astragale, du calcanéum et

du scaphoïde. Le tarse n'est plus représenté que par deux petits os que

nous croyons être les deux premiers cunéiformes. Les métatarsiens et le

squelette des orteils sont bien conformés. La radiographie montre sur le

métatarsien externe l'absence du tubercule postérieur caractéristique du

5° métatarsien, et on sait que l'absence du 5e métatarsien et du 5° orteil

est assez générale dans les cas d'absence congénitale du péroné.

A,gauche, l'astragale semble absent, le calcanéum est très allongé. On

ne distingue ni le scaphoïde, ni le cuboïde. Des quatre métatarsiens pré-

sents, les trois internes semblent s'articuler avec des cunéiformes; quant

128 HALBRON

au plus externe, qui, comme à gauche, n'a pas de tubercule postérieur,

il semble en rapport direct avec le calcanéum, et comme a droite il y au-

rait absence de la partie externe du pied. Le squelette des quatre orteils

est complet et on voit que la syndactylie des deux orteils médians est pu-

rement cutanée.

En résumant les malformations que nous avons constatées chez notre

malade, cherchons quelle est sa place dans la classification des monstres

ectromèles, parmi lesquels on doit le ranger. A gauche, le défaut de déve-

loppement du fémur estassez considérable, l'atrophie du segment basilaire

du membre assez marquée pour faire donner l'étiquette de phocomélie.

D'autre part l'absence double et totale du péroné, avec déviation angulaire

du tibia, les malformations du squelette du pied font partie du tableau de

l'hémimélie par absence du péroné. Nous pouvons donc dire qu'il y a à

droite hémimélie, à gauche phocomélie et hémimélie.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE. T, XVI, PL. XXVIII.

QUELQUES OEDIl\IES DANS L'ART

(Henry Meige.)

Dessin à la sanguine attribué à Andréa DEL Sarto.

QUELQUES OEDÈMES DANS L'ART

PAR

HENRY MEIGE.

Le hasard m'a fait acquérir, il y a déjà quelques années, un dessin à la

sanguine représentant une scène médicale (PI. XXVIII). Il était attribué

à : NDRG<1 DEL Sarto (1). ' '

Je n'ai pu connaître ni l'origine de ce dessin ni celle de son attribution,

qui est d'ailleurs défendable. Les personnages, leurs costumes et les acces-

soires sonthien de l'école italienne; ils correspondent à l'époque où vivait

Andréa del Sarto (fin du we, commencement du xvie siècle). Enfin, on

y retrouve plus d'une analogie avec une scène hospitalière traitée par

Andréa del Sarto, L'll6pital Saint-Mathieu, qu'on peut voir à Florence,

dans la Galerie antique et moderne. '

Andréa del Sarto a d'ailleurs figuré un certain nombre de malades ou

d'infirmes. On connaît sa fresque célèbre du cloître de l'llaulziata, à

Florence, représentant Saint Philippe de Néni guérissant une possédée ;

dans la Guérison d'un enfant, au même endroit, on voit aussi plusieurs

malades et infirmes.

' Sur notre sanguine, la scène représente encore une salle d'hôpital.'

Une malade est couchée sur un lit; près d'elle est assis un Docteur avec un

de ses élèves. Dans le fond, par l'entrebâillement d'une draperie, on aper-

çoit une enfilade de salles, où une femme porte deux aiguières sur un

plateau; une autre femme est auprès d'elle ; enfin, tout à fait dans le

fond, apparaît la silhouette d'une troisième femme qui soutient un ma-

lade. Ce dispositif est bien dans le goût d'Andréa del Sarto.

Le Docteur, assis à gauche au premier plan, vu de profil, se penche vers

la patiente. C'est un homme déjà âgé, à la ligure pensive et amaigrie,

creusée de fortes rides ; il a de longs cheveux et une barbe qui commence

à blanchir. Très simplement vêtu d'une robe unie aux plis bien traités, il

(1) J'ai trouvé depuis lors une réplique réduite à la sanguine de cette scène. S'agit-

il d'une réduction du dessin que je. possède, ou bien d'une esquisse d'après un tableau ? q

... J'incline pour la première hypothèse; d'ailleurs, je n'ai pu rclrouver le tableau

en question, et il n'est pas certain qu'il ait jamais existé. ' . ' '

La réplique réduite témoigne en outre d'une beaucoup moins grande habileté ; le

dessin en est mou, les ombres sont traitées assez cavalièrement ; l'auteur, dans certai-

nes parties, s'est contenté d'un estonipage ; en outre, il a oublié différents détails,

entre autres les souliers déposés près du lit de la malade. ' " . -

130 HENRY MEIGE

tient de la main droite, appuyée sur le bras du fauteuil, un instrument

professionnel, qui semble être une curette ou une sorte de pince. Les doigts,

très maigres, très fluets, sont bizarrement placés, l'index reposant sur

une des extrémités de l'instrument dont l'autre bout est fixé entre le pouce

et le médius. Dans la main gauche, le médecin tient un étui qui renferme

plusieurs autres instruments.

La malade, une femme jeune et bien en chair, repose sur un lit bas,

soulevant le haut de son corps en s'appuyant sur son bras gauche; le bras

droit qui tient un mouchoir est croisé sur la poitrine. Une étoffe jetée sur

le lit couvre la partie inférieure du corps de la malade. laissant cependant

à nu la région ombilicale. La jambe droite se perd en arrière dans l'ombre

sous les draps.

La gauche, au contraire, est étalée, bien en évidence, au bord du lit,

et c'est sur elle que se porte toute l'attention du médecin et de son aide.

Cette jambe est énorme, tuméfiée, doublée de volume par un oedème,

surtout manifeste au pied, qui prend'un aspect éléphantiasique.

L'artiste a rendu avec une exactitude parfaite le gonflement oedémateux

de ce segment de membre. Les orteils semblent enchâssés dans une masse

informe de bourrelets superposés. Il n'est pas douteux que cette déforma-

tion a été observée sur le vif, et peut-être même dessinée d'après nature.

La partie inférieure de la jambe est également gonflée d'oedème; mais,

en outre, on y voit une série de dépressions cupuliformes assez profondes.

Seraient-ce simplement les cupules classiques de l'oedème que le médecin

ou son aide auraient produites en appuyant le doigt sur la région Non.

Il s'agit d'ulcérations profondes, sanguinolentes et purulentes, d'où s'é-

chappe une odeur extrêmement fétide.

Le fait est attesté par le geste de l'aide, qui, assis sur le pied du lit,

soulève d'une main le bandage de la jambe malade et de l'autre main se

bouche le nez pour éviter l'insupportable odeur. Le vieux médecin, qui

sans doute en a vu et senti bien d'autres, ne manifeste pas la même répul-

sion que le néophyte. Il regarde le mal et réfléchit à l'intervention pos-

sible : curetage, cautérisation, peut-être même amputation...

Bien qu'il soit toujours audacieux de porter des diagnostics rétrospec-

tifs sur des documents figurés, on peut se demander si l'artiste, désireux

de donner une image aussi horrible que possible des plaies humaines, n'a

pas voulu représenter ce mal effroyable qui faisait alors, et qui fit encore

pendant si longtemps, de cruels ravages dans les hospices : la pourriture

d'hôpital, ou quelqu'autre gangrène humide, également répugnante et

également redoutable, d'autant plus affreuse qu'elle s'attaque ici aune

femme jeune, jolie, luxuriante de santé.

A la tête du lit se trouve une table avec un petit panier de vannerie, un

QUELQUES OEDÈMES DANS L'ART 131

coffre à poignée, sur lequel est déposé un buste représentant un religieux

coiffé du bonnet carré, rappelant les images de saint Benoit. C'est vers

lui que se tourne la femme pour implorer sa guérison.

Un dernier détail . Sous le lit, on aperçoit les sandales de la malade ;

l'une d'elle est entière ; mais l'autre a été éventrée de façon que le pied

oedématié puisse s'y loger.

Telle est cette oeuvre d'art, - et elle mérite réellement ce nom, car,

sauf quelque raideur dans certaines parties du dessin, l'ensemble est

composé et traité de façon magistrale.

Les scènes purement médicales sont rares dans l'Ecole Italienne, qui

regorge au contraire de miracles thérapeutiques opérés par les Saints ou

les religieux.

Ici, tout l'intérêt se porte sur la malade et sur les médecins appelés à

lui donner leurs soins. Cependant la tradition était si forte que l'artiste

n'a pas voulu oublier complètement le côté religieux. La patiente semble

même n'attacher qu'une médiocre importance à l'intervention, puisque

elle tourne le dos aux médecins et adresse toutes ses prières à l'image .du

Saint guérisseur placée près de la tète de son lit. Il se pourrait même que

le sujet de cette sanguine ait été inspiré par quelque guérison miraculeuse

survenue la suite de l'intervention d'un religieux, - Saint Benoit peut-

être dont les cures sont célèbres, -et après que tous les efforts des gué-

risseurs laïques fussent demeurés superflus. L'attitude et le geste de la

main gauche du vieux docteur peuvent très bien s'interpréter comme tra-

duisant un aveu d'impuissance.

Mais, quel que soit le but poursuivi par l'artiste, ce qu'il faut retenir

surtout, c'est la très grande vérité naturaliste de la scène et la très exacte

représentation d'une affection oedémateuse et ulcéreuse de la jambe.

Les exemples d'oedèmes des membres inférieurs représentés par les ar-

tistes ne sont pas très rares.

Une fresque de Giotto, dans l'église de Santa Croce, à Florence, repré-

sente Saint Jean l'ENl1 ! [jéliste résnscitallt Drusiane. A gauche de la com-

position, dans la foule qui accompagne le Saint, s'avance péniblement,

sur deux béquilles, un pauvre diable demi nu. Sa jambe droite est entou-

rée d'un bandage fort soigneusement fait avec une espèce de chiastre au

genou, laissant à nu la région rotulienne tuméfiée. Le pied nu est énorme,

très oedémaliô sur sa face dorsale. Jambe et pied sont d'ailleurs tuméfiés

et contrastent par leur grosseur avec la maigreur du torse et des bras. Au

coude gauche le malade porte encore un bandage. Est-ce un oedème vari-

queux de la jambe, est-ce quelque gangrène, ou peut-être une lèpre ? ...

Se prononcer serait téméraire.

132 HENRY MEIGE

La fresque de Taddeo Gaddi, dans la chapelle des Espagnols du cloître

de Santa Maria Novella, à Florence, montre, à droite, un homme qui s'a-

vance, soutenu par des béquilles; sa jambe gauche est entourée d'une

bande soigneusement enroulée ; le pied nu est considérablement enflé, et

en outre couvert d'ulcérations sanglantes.

J'ai signalé autrefois, à propos de la Lèpre dans l'Art, une peinture de

l'Ecole Toscane du xve siècle, dans la galerie des Offices à Florence, où

l'on voit un Saint faisant des aumônes à des pauvres. L'un de ceux-ci, qui

reçoit du Saint une pièce de monnaie, a le pied droit tuméfié et la jambe

entourée d'une bande.

De même, sur une peinture à la détrempe de Nicolas Manuel Deutsch,

représentant Invocation de Sainte Anne, Saint Jacques, et Saint Roch con-

tre les maladies, au musée de Bâle, j'ai signalé un malade demi-nu dont

la jambe est envahie par un oedème énorme, couvert d'ulcérations.

J'ai noté aussi, au musée de Rouen, un tableau de Paul Véronèse, re-

présentant Saint Barnaúé guérissant des malades ; un homme, presque

nu, soutenu par plusieurs personnages, présente aux deux chevilles des

bourrelets d'oedème très caractéristiques.

Enfin, à l'hôpital de Beaune, dans la salle des blessés, j'ai vu encore

une fresque représentant un infirme dont la jambe droite est considéra-

blement oedématiée.

Rien de surprenant d'ailleurs à ce que les artistes qui ont voulu peindre

la maladie aient choisi les gonflements oedémateux et les ulcérations des

jambes de préférence à d'autres affections.

Ce sont maux très fréquents, bien faits pour inspirer la commisération,

souvent exploités d'ailleurs par les miséreux, et dont on voit encore au-

jourd'hui l'exhibition répugnante dans certains pays, de préférence au

voisinage des centres thaumaturgiques.

En outre, les oedèmes ont été souvent l'occasion de guérisons miracu-

leuses. On le conçoit aisément, si l'on se rappelle qu'il existe un oedème

hystérique, lequel peut parfois même s'accompagner d'ulcérations. Sa

guérison est la règle, quelqu'effrayantes que puissent sembler la tuméfac-

tion, la rougeur et la plaie.

Qui sait si la scène représentée sur notre sanguine n'a pas été inspirée

par un de ces oedèmes hystériques, demeuré rebelle à tous les traitements

médicaux, mais soudainement dissipé par un de ces miracles de la « foi

qui guérit ».... qui guérit surtout les grands névropathes ? ...

Le Gérant : P. Bouchez.

Jwp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).

17e Année N° 3 MAI-JUIN

UN CAS D'E111;NCIPtIlLll : AVEC AMYÉLIE

PAn Il

E BRISSAUD

Professeur à la Faculté de médecine

de Paris.

ET

BRUANDET

Ancien interne des hôpitaux

de Paris.

Le foetus B..., de sexe féminin, mort-né le 21 février 1898, âgé de

7 mois environ, pesant 1 kil. 2oO, ayant 36 centimètres de longueur,

Fig. 1. Foetus aneneepbale avec amyélie - (vu de profil on voit la saillie que

forme la face postérieure des corps vertébraux lombaires).

xvi 10

134 BRISSAUD ET BRUANDET

33 centimètres d'envergure, présente deux malformations (Fig. 1 et

PI. XXIX) (1).

Il présente une hernie ombilicale, sphérique, de 5 centimètres de dia-

mètre, occupant l'intérieur même du cordon. A son large pédicule, on

passe de la peau à l'amnios du cordon, sous lequel on trouve une abon-

dante gélatine de Warthon, disposée en lobules. Au pôle libre le cordon

devient normal, il n'a qu'une artère ombilicale, droite, - Cette hernie

* contient une grande partie des viscères abdominaux, foie, intestin. Un

diverticule de Meckel adhère à la paroi herniaire.

Tous les viscères abdominaux sont normaux sauf le foie ; la veine om-

bilicale l'atteint par sa face supérieure et le traverse pour gagner la face

inférieure. Le canal d'Arantius commence à s'oblitérer.

Excavation craH ! 'o-t) ? 6)'a/e.

La seconde malformation intéresse les cavités crânienne et rachi-

dienne ; elles sont largement béantes à leur portion dorsale ; les éléments

qui les ferment normalement sont éloignés et peu développés; seule la

portion sacrée est fermée. Ce vaste spina bifida forme une excavation peu

profonde, ovalaire, longue de 10 centimètres de la tête au sacrum et large

de 6 centimètres au crâne, de 5 au rachis. Au pourtour de cette cavité,

la peau s'arrête et une pellicule mince, blanchâtre, transparente la con-

tinue pour clore en arrière cette fosse pathologique. Quand on l'a observée

après le travail de l'accouchement, cette pellicule ne formait que de larges

franges au pourtour de l'orifice et on ne peut que soupçonner son inté-

grité antérieure.

La peau qui limite cette baie à la portion crânienne et dorsale présente

des poils noirs abondants, et le chevelu se poursuit jusque vers la région

lombaire. Le fond de la fosse est osseux et formé par les os de la face

antérieure des cavités crânienne et rachidienne ; mais les courbures nor-

males de cette face sont complètement absentes ; c'est un plan osseux

extrêmement tourmenté.

Derrière le front, une dépression de 1 centimètre de profondeur forme

un fort sillon transversal ; puis le plan osseux se relève et forme un large

plateau, ayant 3 centimètres environ d'avant en arrière. Le corps du sphé-

noïde, les rochers, la base de l'occipital, ses masses latérales concourent

à la formation de ce massif osseux. A sa partie antérieure et médiane est

l'hypophyse; c'est un nodule de si à 6 millimètres de diamètre, grisâtre

par sa large base elle adhère au plan osseux, à sa partie libre flottent des

(1) Nous devons ce foetus à M. le docteur Bar, accoucheur de l'hôpital St-Antoine ;

nous le remercions de nous avoir fourni cette rare pièce d'étude.

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière. . · - T. XVI. PI. XXIX

ANENCÉPHALIE ET AMYÉLIE

(E. 'Brissaud et Brrrandel)

UN CAS D'AYENCÉPHA1.IE AVEC AMYÉLIE 135

débris de membranes, qui lui forment comme une collerette (Schéma z

De chaque côté de cette hypophyse sont les terminaisons flottantes des

deux artères carotides internes ; elles sont longues de 1 centimètre environ ;

leur diamètre est petit; elles s'arrêtent brusquement, comme sectionnées

par une ligature.

Sur les côtés de ce grand plateau osseux, en arrière de l'hypophyse,

sont deux nerfs qui s'enfoncent dans la paroi osseuse, par un orifice au

Scui.MA ne 1. N. 01. nerf olfactif. -N. Op. nerf optique.- N. p. nerf pathétique.

N. m. o. c. nerf moteur oculaire commun. - N. f. nerf facial. N. tr. nerf

trijumeau. - N. a. nerf acoustique. N. gl. pn. sp. nerfs glosso-pharyngien,

pneumo-gastrique, spinal. N. g. hy. nerf grand hypoglosse. - N. m. o. e. nerf

moteur oculaire externe.

G. P. glande pituitaire. - AC.A. artères cérébrales antérieures. - N.C. racines

cervicales. N.D. racines dorsales. NL. racines lombaires.

136 BRISSAUD ET BRUANDET .

pourtour duquel se fixe le plan fibreux qui tapisse la gouttière et repré-

sente la dure-mère ; ces deux nerfs sont le trijumeau et l'auditif.

La partie postérieure de ce plateau est limitée par un rebord à arête

vive; il se continue là perpendiculairement avec la colonne cervicale. La

direction de la colonne cervicale est telle qu'elle se porte directement

de la portion dorsale vers la portion ventrale du foetus. Extérieurement

le cou existe à peine, la tête est enfoncée fortement entre les deux épaules.

De chaque côté de ce rachis cervical, dans la gouttière, on voit des petites

saillies qui correspondent à des nerfs passant par des trous de conjugai-

son.

La colonne dorsale change rapidement la direction du rachis, qui

se porte vers le sacrum et vers le dos du foetus et forme avec la colonne

lombaire une forte cyphose; il en résulte que l'extrémité inférieure du

rachis a une courbure inverse de la normale.

Racines rachidiennes.

La face postérieure des corps vertébraux présente le grand surtout

fibreux normal, qui se rétrécit légèrement au niveau de chaque corps

vertébral. Par-dessus une membrane mince, y adhérente, représente la

dure-mère. De chaque côté de ces portions rachidiennes'on constate des

saillies de racines nerveuses dans leur trou de conjugaison. Tous ces

troncs s'arrêtent brusquement comme amputés après quelques millimè-

tres de trajet dans la gouttière ; ils sont entourés par la dure-mère et

par des petites formations flottantes de quelques millimètres seulement

qui leur forment collerette.

La moitié supérieure du sacrum forme la partie inférieure de la fosse

pathologique, sur les côtés les racines sacrées se disposant comme les

précédentes. Sur la deuxième racine sacrée droite on constate une

disposition spéciale : , de cette racine se détache un nerf, qui dans la

gouttière se porte en arrière et vient se perdre à la face profonde de la

partie avoisinante de la membrane flottante bordant la cavité pathologique.

La limite inférieure de la gouttière est marquée par l'origine de la moitié

inférieure du canal sacré, clos en arrière normalement. De ce canal sacré

émerge un axe blanc, qui s'arrête brusquement, c'est le cône terminal de

la moelle qui tend à saillir dans la cavité anormale.

La dissection de toute cette cavité n'a montré aucune trace de système

nerveux central ; l'examen histologique de toutes les fibrilles, les saillies,

les membranes qui auraient pu être des vestiges de l'encéphale, de la

moelle n'y a absolument rien révélé d'une telle origine. A la surface de

la poche est une dure-mère peu épaisse, plissée par places, qui se conli-

nue à la face profonde des franges marginales ; à ce niveau elle se confond

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, T. XVI. PL. XXX.

ANENCÉPHALIE AVEC AMYIÏILIIL

(Brissaud et Briiaiiïci.)

A, .Angle de Lu gouttière pathologique1. En haut 1.1 membrane llutt.tnte, le demie contient encore quelques

follicules pileux; il se continue en bas avec la nlnro-mvre. 1 .mclae, lui lieu les pileux et glandes so·Laco·cs.

P, l.c Le canal satré non encore fermé en arrière pour le squelette avec le cône Lerntin.tl, les ganglions sen-

sitifs et les nerfs. - t, Ics les deux <'pendîmes du cône terminal; 2, 3, nerl et ganglion sac ré intérieurs;

4, aileron sacre; 5, ganglion du sympathique sacré; 6, ganglion scnsitti sacré supérieur; 7, nerf sortant

par le trou sacre antérieur; 8, vertèbre sacré.

Maison rT ('le, l : '¡Jlh"l1

UN CAS D'ANENCÉPilALIE AVEC AMYÉLIE 137

avec le derme qui supporte un épilhéliùm allant en s'amincissant de la

partie adhérente vers la partie libre de ces franges (PI. XXX, À) ; ce

derme et cet épithélium sont d'ailleurs la continuation de ces formations

dans la peau qui arrive au bord de la cavité.

L'épiderme de la membrane forme vers son bord adhérent quelques

follicules pileux mais bien moins développés que ceux que la peau pré-

sente à sa terminaison voisine. En dedans du sac durai on ne trouve que

quelques courts tronçons nerveux et des tractus conjonctifs, fibreux et

vasculaires. Dans cette dure-mère et dans ces saillies on constate un

processus hémorrhagique très intense ; dans toutes les coupes il y a

plusieurs gros infarctus de globules rouges.

Vestiges de centres nerveux névraxiles.

Malgré cette absence totale du névraxe on trouve deux vestiges évidents

du canal neural :

1° Dans toute la hauteur du cône terminal on trouve deux épendymes

accolés ; l'épithélium y est sur une seule assise, parfois sur deux ; autour

est un tissu fibrillaire, aréolaire rappelant le tissu névroglique (PI.XXX, B).

2° D'autre part les vésicules oculaires ont évolué normalement ; la rétine

présente ses couches normales (Fig. 2) ; une couche répond à celle du

pourpre rétinien, puis une couche de cellules aux cônes et aux bâtonnets,

viennent ensuite : une couche de cellules ganglionnaires, une couche de

cellules homologues à celles de l'écorce cérébrale, enfin au centre une

couche de fibres nerveuses. Un nerf optique se constitue ; passant par le

trou optique, il pénètre dans le sac durai et s'y termine brusquement,

comme sectionné, tout à fait indépendant de celui du côté opposé.

Ganglions spinaux.

Contrairement au névraxe le système des ganglions spinaux sensitissest

Fig. 2. Les différentes couches de la rétine. En bas celle qui est adjacente à la

choroïde.

138 BRISSAUD ET BRUANDET

bien développé. On les reconnaît, situés à l'entrée des trous de conjugai-

son, au-dessous de la dure-mère, mais dans une gaine qu'envoie celte

membrane au pourtour du trou osseux. Les dits ganglions sont très dé-

veloppés à la racine des membres ; au membre supérieur sont 4 ou 5 gan-

glions, fusionnés les uns aux autres. Leur masse donne naissance (les

troncs nerveux qui constituent un plexus brachial à disposition normale

et à distribution tout à fait typique.

De chacun des ganglions (Schéma 2) du côté central part un petit tronc

nerveux qui vient faire une des saillies que nous avons vues dans le sac

dural ; tous ces troncs longs de quelques millimètres s'arrêtent comme

amputés.

Il y a de même de gros ganglions spinaux lombaires et sacrés qui forment

des plexus lombaire et sacré normaux ; ces ganglions ne sont pas fusionnés,

mais réunis entre eux par de fortes anastomoses nerveuses (Schéma 3).

A la région dorsale on ne trouve par côté que 4 ou S ganglions, et 2 ou

3 seulement à la région cervicale. Les derniers ganglions sacrés et les

coccygiens sont trouvés dans un sac durai ici complètement clos en arrière

Schéma no 2. D. M. dure-mère. - g s.

ganglion sensitif. 0 s. plan osseux. -

N. phr. nerf phrénique. G. S. grand

sympathique. PI. Br. plexus brachial.

Schéma n° 3. Origines du sciatique. Cône

terminal avec ses 2 épendymes et sur ses

côtés les derniers ganglions sacrés.

UN CAS d'ANENCÉPHALIE AVEC AMYÉLIE 139

près du cône terminal. Ces ganglions présentent des neurones typiques,

avec noyau central et nucléole très net; il n'y pas de chromatolyse. On

constate très souvent dans la gangue fibreuse de ces ganglions des foyers

hémorrhagiques ; les troncs nerveux au-dessus et au-dessous ont des cylin-

draxes, mais sans qu'il y ait encore de myélinisation. Sur les côtés de ces

ganglions on trouve toujours des fibres nerveuses, qui représentent peut-

être des racines antérieures accolées ; mais la dissection ne pouvait les sé-

parer de ce ganglion et nulle part nous ne les avons trouvées distinctes.

Le système du grand sympathique a son développement normal tout le

long du rachis ; ses ganglions ont des neurones normaux, qui envoient

des rami-communicantes à tous les nerfs qui émanent des ganglions sen-

sitifs.

Les nerfs émanés des ganglions sensitifs peuvent être suivis jusque dans

la peau et jusque dans les muscles. Les muscles ont une structure nor-

male ; les fibres musculaires ont leur striation transversale très nette comme

la fibre musculaire adulte. Les muscles sont bien proportionnés et nulle-

ment atrophiés.

Nerfs crâniens.

Les nerfs crâniens, après un court trajet à l'intérieur du sac durai, ont

une distribution périphérique à peu près normale (Schéma 4). L'olfactif

était couché à la base du crâne et ne présentait que 4 à 5 millimètres de

long ; son bulbe était peu appréciable ; le nez avait une disposition nor-

male. Nous avons déjà signalé l'ophtalmique.

Schéma no 4. - Nerfs crâniens.

140 BRISSAUD ET BRUANDET

A la fente sphénoïdale passent les 3 nerfs moteurs de l'oeil. Le moteur

oculaire commun et le pathétique naissent à quelques millimètres en

arrière de la fente sphénoïdale ; à leur terminaison centrale ils présentent,

comme tous les nerfs, une section plane ; dans l'orbite ils s'accolent inti-

mement au ganglion ophtalmique et de là vont se distribuer normale-

ment. Le moteur oculaire externe a une disposition particulière : avant

d'arriver la fente sphénoïdale il est beaucoup plus long que les deux

nerfs précédents ; il a un long trajet entre la dure-mère et le plan osseux

que forment le sphénoïde, le rocher et l'occipital. ne se dégage, dans le

sac durai, que vers l'occipital, et il vient flotter libre jusque vers le rachis

cervical par un trajet de 1 centimètre 1/2 environ. Ce nerf moteur oculaire

externe se fusionne avec les précédents au niveau du ganglion ophtalmi-

que et, de là, va se distribuer au muscle droit externe.

Le trijumeau dont la portion intradurale flottante est bien visible, se

rend à un ganglion de Gasser d'où divergent les trois nerfs ophtalmique,

maxillaire supérieur et maxillaire inférieur.

Le nerf facial est trouvé en avant et en dehors du ganglion de Gasser ;

après un court trajet inlra-dural il se jette tout entier dans un volumi-

neux ganglion géniculé ; puis il traverse le rocher en rapport normal

avec les cavités auditives. Sorti du trou stylo-mastoïdien, il se distribue

par ses deux branches cervico-faciale et temporo-faciale aux muscles

superficiels de la tête.

Le nerf auditif que l'on reconnaît facilement au fond de la gouttière

vient se distribuera une oreille interne.

Le glossopharyngien, le pneumogastrique, le spinal ont chacun une

racine centrale propre ; au niveau du trou déchiré postérieur ils conver-

gent dans un seul et même ganglion. Ils en sortent- séparés et se distri-

buent normalement.

Le grand hypoglosse traverse la hase du crâne par un trou à part, en

arrière du précédent; alors il vient se jeter dans le ganglion des nerfs

précédents, puis s'en sépare et se distribue à la langue sans anomalie. La

dissociation de ces différents nerfs au niveau du ganglion commun était

possible, mais à la condition de séparer ce ganglion lui-même en plu-

sieurs parties ; cependant la fusion du grand hypoglosse était moins mar-

quée que celle des autres nerfs.

En résumé, tout le système nerveux périphérique a une distribution

normale, malgré l'absence complète du système nerveux central (Sché-

ma 5). Dans ces conditions une question se pose : quelle est ici l'origine

des nerfs moteurs qui à l'état ordinaire, exige, en quelque sorte, un système

nerveux central.

Tout d'abord nous devons dire que, malgré l'existence macroscopique

UN CAS d'ANENCÉPHALIE AVEC AMYÉLIE 141

de nerfs purement moteurs (nerfs moteurs de l'oeil, facial, spinal, hypo-

glosse), l'existence des cylindraxes moteurs n'est pas absolument démontrée.

Pour l'affirmer, faudrait avoir observé des plaques motrices; comme nous

n'avons pas étudié le foetus à l'état frais nous n'avons pas pu faire cette

constatation. Les nerfs moteurs pourraient être, en somme, réduits à leur

portion sympathique, car tous sont en rapport avec le système ganglion-

naire : ganglion ophtalmique pour les nerfs moteurs de l'oeil, géniculé

pour le facial, plexiforme pouriegiosso-pharyngien, le pneumo-gastrique,

le spinal et le grand hypoglosse. L'absence de myélinisation des cylin-

draxes étant générale, on ne peut vraiment pas reconnaître ceux qui sont

d'origine sympathique.

Cependant vu le volume à peu près normal de ces nerfs moteurs, vu

leur distribution régulière par des fibres bien proportionnées aux masses

musculaires il est à peu près certain que les fibres nerveuses motrices

existent. t.

L'absence des cellules nerveuses motrices centrales étant bien constatée,

on peut faire deux hypothèses. On peut d'abord supposer que les neurones

moteurs ont existé pendant un certain temps et alors les nerfs évoluaient

normalement; puis les neurones ayant disparu, les nerfs périphériques

ont continué à subsister et ont conservé une structure à peu près normale.

1 Ou bien il faut admettre que les neurones et les cylindraxes moteurs ont

une évolution indépendante; les cylindraxes proviendraient des cellules

de la gaine de Schv=an ou encore des éléments du myomère ; c'est-à-dire

de la périphérie.

Les auteurs qui ont étudié les quelques rares cas analogues au nôtre

ont admis des hypothèses différentes.

V. Leonowa (1) admet l'absence complète de tous les éléments nerveux

(1) V. Leonowa, Ein fall von Anencephalie combinirl mit totale,' Amyelie, Neurol.

Cenlbl., 1893, 11- 7-8.

Scm : n ? no 5. - C P. cavité pathologique. - D \i. dure-mère. - G S. ganglion

sensitif. M. muscle. - G. Sy. grand sympathique.

142 BRISSAUD ET BHUANDET

moteurs en s'appuyant sur cette constatation (spéciale à son cas) que

le nerf facial était absent ou représenté seulement par quelques tractus

fibreux.

Pellizzi (1) croit à l'existence des fibres motrices; cet auteur a constaté

dans deux cas l'existence des nerfs moteurs crâniens et, en outre, au devant

des ganglions spinaux, l'existence d'une racine antérieure, motrice, dis-

tincte de ce ganglion. Il a relevé dans toutes ces formations la présence

de cylindraxes, mais moins nombreux qu'à l'état normal. Il tend donc à

supposer que les neurones de ces cylindraxes ont existé ; pour cela il se

base sur ce fait que, dans certains cas d'anencéphalie à peu près complète,

on a trouvé des restes de l'écorce, du bulbe accolés à la dure-mère. Cepen-

dant Pellizzi reconnaît que de tels cas sont favorables à la théorie de Fro-

riep, de Beard, qui contrairement à la théorie classique de His, assignent

au cylindraxe moteur une origine périphérique indépendante de la cellule

motrice centrale.

Le squelette crânien et rachidien,outre les altérations de ses courbures,

présente, avons-nous dit, des dispositions

anormales. Au crâne il y a absence de toute

la portion de la voûte qui se développe comme

des os membraneux; c'est la pellicule flottante

qui représente ici ces formations. Au rachis

les lames vertébrales très peu développées

formaient de simples petits tubercules laté-

raux. A la colonne dorsale il y avait soudures

multiples des 'corps vertébraux entre eux,

comme on peut s'en rendre compte sur les

radiographies (Pl.lfiI) (Schéma 6). Les cô-

tes sont absolument anormales ; il existe éga-

lement de nombreuses soudures et fusions'

des côtes, soit à leur racine vertébrale, soit

dans leur trajet. Les paquets vasculo-ner-

veux intercostaux présentaient des anastomoses similaires anormales ;

au niveau des soudures costales, ces vaisseaux et nerfs passaient en de-

dans du plan osseux, souvent au fond d'une petite gouttière.

Tout le reste de l'organisme nous a présenté une disposition normale,

et nous n'avons rien trouvé qui pût éclairer la pathogénie de ces altéra-

tions. Les capsules surrénales étaient bien développées, avec une substance

corticale jaune, dure et une substance centrale noire et molle ; on sait

(1) PELIZZI, Note analomische e islologiche sopra alcuni casi di anencefalia e di

Amielia, Annali di Freniatria, mars 1903.

Schéma no 6. - Les 10 côtes

fixes gauches. 11 y a des ori-

gines communes au rachis et

des anastomoses dans le tra-

jet.

Nouvelle Iconooraphie de 1A Salpêtrière.

T. XVI. Pl. XXXI

ANENCEPHALIE ET AMYÉLIE

(E 'Brissaud el Bruandet)

Radiographies de face et de profil.

UN CAS D'ANENCÉPHALIE AVEC AMYÉLIE 143

que c'est à leur absence que l'on a rapporté les hémorrhagies du névraxe,

causes de l'absence ultérieure de ce système nerveux. Le thymus avait des

proportion normales. Le corps thyroïde n'a pas été nettement reconnu.

L'hypophyse était tout entière formée de travées épithéliales, à cellules

bien constituées ; elle semblait ainsi réduite à sa portion pharyngienne

régulièrement conformée.

Nulle part nous n'avons trouvé des vestiges d'adhérences amniotiques.

BIBLIOGRAPHIE

V. Leonowa ? t) : Fall von Anencephalie combinirt mit totaler Amyelie, Neurol.

Centbl., 1893, n- 7-8. '

Pellizzi. - Note analomiche e istologiche sopra alcuni casi di anencefalia e di amie-

lia, Annali di freniatria, mars 1903, Torino.

Petren. Beitrci7e sur Kenntniss des Nervensystems un der Netzhaut bei Anen-

cephalie und Amyelie, Virchow's Arch., 15 Bd. 1. 1898.

FACULTÉ DE MÉDECINE DE NANCY

PARAPLÉGIE CERVICALE INCOMPLÈTE

PAR TUMEUR GLIOiIIATEUSE DE LA MOELLE AVEC PACHYMÉNINGITE

NÉOPLASIQUE

PAR MM.

P. SPILLMANN et L. HOCHE

Professeur de clinique médicale Chef des travaux d'anatomie pathologique

à la Faculté de médecine de Nancy.

Les tumeurs de la moelle sont.assez rares. A ce titre seul, cette obser-

vation présenterait déjà un réel intérêt. Mais on sait, d'autre part, com-

bien la symptomatologie des tumeurs- médullaires est souvent complexe,

et dans le cas particulier , la marche et le développement des accidents

ont présenté des caractères bien intéressants.

Observation.

Il s'agit d'une jeune fille de 19 ans, brodeuse, habitant la campagne. Rien à

signaler dans son hérédité. Elle accuse une rougeole à l'àge de 15 ans. Vers

le milieu du mois d'octobre 1898, la malade ressentit des douleurs dans le

membre supérieur droit; ces douleurs survenaient sous forme de crises s'ir-

radiant vers l'épaule et le dos. L'usage de la main devint impossible. Quelques

jours plus tard, des douleurs de même nature se produisirent dans la jambe

droite, entraînant une impotence complète du membre. Trois jours plus tard,

des phénomènes identiques se produisirent dans le membre inférieur gauche.

La malade entre à la clinique le 21 novembre 1898. C'est une fille de con-

stitution robuste. Elle ne présente aucun trouble intellectuel et répond nette-

ment aux questions qui lui sont posées. Aucun trouble de la vue ni de l'ouïe.

Pas de céphalée.

. On constate une atrophie marquée des muscles des éminences thénar et

hypothénar et des interosseux de la main droite. La main a l'aspect de la main

de singe. La force musculaire est nulle. La sensibilité est normale.

Les muscles du bras droit, de l'épaule et du tronc présentent un degré très

net d'atrophie.

A la main et au bras gauches, l'atrophie est à peine marquée, mais il y a

une diminution de la force au dynamomètre.

Paraplégie complète des membres inférieurs, avec atrophie commençante

PARAPLÉGIE CERVICALE INCOMPLÈTE 145

des muscles des mollets et des cuisses. Ou coustate au niveau des cuisses des

zones d'anesthésie sans dissociation de la sensibilité ; la sensibilité à la douleur

y est totalement perdue, ainsi que la sensibilité au toucher, au froid, au chaud.

Ce fait explique la présence d'une brûlure au 2e degré, siégeant à la face

externe de la jambe gauche, et produite par le contact d'une boule d'eau

chaude. ,

« Les réflexes rotuliens sont exagérés.

Urines et selles involontaires.

A son entrée, la malade n'avait pas de fièvre, mais se plaignait de tousser

depuis plusieurs jours. Expectoration muco-purulente. A l'examen du thorax,

on constate en avant et à droite, du son skodique en arrière et du même côté,

depuis la pointe de l'omoplate, une matité assez compacte. - Râles de bron-

chite disséminée ; à la hase droite, râles frottements à la fin de l'inspiration ;

souflle aigre, égophonie.

Le pouls est plutôt lent, régulier.

Etat saburral des voies digestives; inappétence absolue.

Le 24 novembre, la malade a 39" de température. Elle se plaint d'une dysp-

née croissante, la matité s'est accentuée. Une ponction exploratrice faite dans

le 8e espace intercostal reste sans résultats. L'examen direct du sang et sa cul-

ture donnent uu résultat négatif.

Le 25 novembre, la dyspnée est intense. Température à 38° 5. La face est

vultueuse, les lèvres violacées. La malade asphyxie. On fait une saignée de

300 grammes environ suivie d'une injection de sérum artificiel. La dyspnée

diminue légèrement, mais bientôt les phénomènes d'asphyxie s'accentuent et

la malade succombe dans la matinée.

L'autopsie fut pratiquée le 26 novembre. Les lésions observées portaient

presque exclusivement sur l'appareil respiratoire et le système nerveux.

Appareil respiratoire. Les deux poumons sortis de la cage thoracique

ont à leur face antérieure une belle teinte blanc-rosé, rouge vers la base.

La face postérieure du poumon droit est recouverte principalement à sa base

d'un léger exsudat fibrineux. Les deux poumons sont en arrière rouge violacé,

apparence congestive beaucoup plus prononcée à droite qu'à gauche.

Le poumon gauche ne présente que des lésions de congestion.

Le poumon droit, gorgé de sang dans presque toute sa hauteur, est plus

compact vers sa base, et de consistance inégale ; il crépite à la pression dans

toutes ses parties. Sur la surface de section s'écoule un liquide sanguinolent,

noirâtre spumeux. Quelques bronchioles laissent sourdre une gouttelette de

pus.

Le foie, les reins sont le siège de congestion légère.

SYSTÈME nerveux (1). La moelle épinière prélevée hâtivement a été sec-

tionnée au niveau de la 4° racine cervicale. Le cerveau et le bulbe ont dû être

laissés pour raisons majeures.

Déjà en détachant le sac durai de ses attaches avec les parois du canal rachi-

(1) Travail du laboratoire d'anatomie pathologique de M. le professeur Baraban.

146 SPILLMANN ET MOCHE

dien, on remarque une augmentation de volume du cylindre méningo-médul-

laire dans la région du renflement cervical ; on constate en outre qu'il existe

. dans la partie terminale du sac, au niveau de la queue de cheval, une quantité

relativement considérable de liquide céphalo-rachidien qui s'écoule au moment

de la section.

On ouvre ensuite la dure-mère en avant et en arrière sur la ligne médiane

de façon à découvrir la moelle dans toute sa longeur. Partout, la dure-mère se

détache facilement des parties sous-jacentes,sauf à la région cervicale au niveau

d'une zone où le cylindre nerveux est très augmenté de volume. La PI. XXXII

montre l'aspect de la lésion : On distingue très nettement les divers détails exté-

. rieurs de la moelle cervicale. On y voit le sillon antérieur, les diverses racines

antérieures et postérieures, et la riche vascularisation de la pie-mère.

Jusqu'à la hauteur de l'émergence des racines de C. VIII, la moelle cervicale

ne présente extérieurement rien d'anormal. La tumeur (nous verrons plus

loin que c'est bien au sens propre du terme une tumeur) s'étend de C. VIII à

D. III. Elle prédomine surtout du côté droit, où elle fait une saillie très pro-

noncée englobant entièrement la zone d'origine des racines antérieures de

C. VIII, D. I, D. II. C'est au niveau de cette saillie que les méninges externes

ont été trouvées adhérentes ; on voit sur la photographie les restes de ces

méninges accolées à la tumeur. Du côté gauche de la moelle les caractères

extérieurs normaux- sont peu modifiés ; il y a également cependant de ce côté

une tuméfaction apparente, mais qui ne modifie pas très sensiblement le dia-

mètre, d'autant plus que cette augmentation de volume est, à l'examen extérieur,

comme une continuation du renflement cervical.

La tumeur a une coloration blanchâtre, plus blanche que celle de la substance

médullaire normale; elle est recouverte par une pie-mère lisse, faiblement

vascularisée, à surface brillante, sauf, bien entendu, dans la zone où la dure-

mère était adhérente.

La. consistance du cylindre nerveux, ferme dans la moelle cervicale, comme

à l'état, normal, est diminuée au niveau de la tumeur. En pratiquant une pal-

pation attentive, délicate, on sent qu'à cet endroit il y a comme une fluctuation

profonde,, correspondant à une sorte de ramollissement des tissus profonds.

Dans la crainte de laisser écouler cette substance fluide, et d'en perdre les

rapports avec les éléments histologiques environnants, il n'a pas été pratiqué

de section à l'état frais.

A partir de D. III, la moelle reprend brusquement ses dimensions normales

et rien d'extérieur, sauf une injection vasculaire plus grande de la pie-mère,

n'est à signaler.

Dans l'intention de coaguler les liquides qui pouvaient se trouver à l'intérieur

de la tumeur, la moelle tout entière a été fixée dans le formol à 10 p. 100,

puis débitée en tronçons, durcie dans l'alcool et montée à la paraffine. Des

coupes pratiquées dans les différents tronçons, correspondant il divers étages

de la moelle, ont été colorées selon les méthodes usuelles, et plus particulière-

ment avec l'hématoxyline-éosine, et l'hémalun fuchsine picrique suivant

l'excellente méthode de Van Gieson.

TUMEUR GLIOMATEUSE

ET PACHYMÉNINGITE MÉDULLAIRE

Nouvelle ICOIOGRAPH1F nE la SALPÊIRIÈRR. T. XVI, PI. 1 1

TUMEUR GLIOMATEUSE DE LA MOELLE AVEC PACHYMÉNINGITE 1

(Spilll11a1111 et Hoche) 1

PARAPLÉGIE CERVICALE INCOMPLÈTE 147

C'est d'après de telles coupes qu'ont été faites les photographies de la

PI. XXXIII, destinées à montrer en-coupe transversale la' topographie de la

lésion. La moelle est représentée avec ses dimensions naturelles ; on peut faci-

lement juger de l'agrandissement des coupes, qui est exactement de 2,5. '

Une coupe de la région cervicale au niveau de l'intervalle de C. VI et C.

VII, ne laisse rien voir d'anormal sauf peut-être un léger élargissement de la

substance grise de la moitié droite. La pie-mère est très nettement dessinée

par un petit liseré continu. Le sillon antérieur est libre. Le canal de l'épendyme

apparaît comme un petit orifice irrégulier au milieu de la commissure grise. '

Une coupe en pleine tumeur au niveau de l'intervalle entre C. VIII et D. 1,

correspond à l'endroit où la tumeur a le plus grand diamètre = 17 m. m.

L'aspect de la moelle a totalement changé à ce niveau ; on n'y reconnaît ,

plus la distribution en substances blanche et grise disposées symétriquement

de chaque côté de la ligne médiane. Le tissu néoplasique apparaît sous forme

d'une masse irrégulière qui a remplacé tous les tissus centraux, en les refou-

lant à la périphérie, les répartissant par suite de son plus grand volume, sur

une plus grande étendue. La tumeur est irrégulièrement colorée ; on remarque

une zone plus foncée, d'où plus riche en éléments chromatiques, nucléés, sur

la plus grande partie de la périphérie, en particulier dans les régions antérieure

droite, et postérieure. Avec un peu d'attention, on reconnaît le sillon médian

antérieur ; une légère ligne foncée en bas est le vestige du sillon médian pos-

térieur, on voit aussi les régions correspondant à l'origine des racines posté-

rieures droite et gauche, ou à la terminaison des cornes postérieures. En se

basant sur ces points de repère on est autorisé à considérer la tumeur comme

développée dans les régions centrales de la moelle et aux dépens surtout de la t

substance grise. De la substance grise, dont il ne reste aucun vestige apparent

sur la coupe, le tissu néoplasique a gagné les cordons blancs environnants,' les

envahissant et les remplaçant (cordons antéro-latéraux) ou les refoulant

(cordons antérieurs) et les cordons postérieurs et postéro-latéraux. On distin-

gue la substance blanche persistante, sous forme de zones périphériques plus

claires, formant comme une mince coque à la tumeur.

La tumeur ne s'est pas développée également de chaque côté ; dans la moitié

droite, elle a pris une telle extension, en même temps d'ailleurs qu'elle se dé-

veloppait à gauche, que le sillon médian antérieur, au lieu de se trouver dans

le prolongement du sillon postérieur, forme avec celui-ci un angle obtus,

ouvert à gauche de 160° environ.

Les méninges à ce niveau étaient adhérentes du côté droit et en avant. La

dure-mère a été assez facilement décollée, mais au-dessous il y a une membrane

assez épaisse se continuant avec la pie-mère ; nous verrons plus loin que cet

épaississement résulte d'un envahissement de la pie-mère elle-même par la

tumeur. On voit même cet épaississement exister dans le prolongement que

la pie-mère envoie dans le sillon médian antérieur. Sur le reste du pourtour

de la coupe, à gauche et en arrière, la pie-mère ne paraît pas modifiée.

Au centre de la coupe, là où l'on peut supposer le canal de l'épendyme, on

148 SPILLMANN ET COCUE

voit deux traits plus foncés (des vaisseaux) et également une zone plus colorée

sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Sur une coupe de la région voisine de D II, on reconnaît, malgré la lésion,

les vestiges de la topographie médullaire habituelle; en haut le sillon anté-

rieur, et dans la profondeur de chaque côté les cornes antérieures. Entre les

deux, un espace clair transversal est le canal de l'épendyme. Les cornes posté-

rieures apparaissent comme deux traînées finement rameuses qui aboutissent

aux sillons collatéraux postérieurs, entre lesquels sont nettement dessinés les

sillons intermédiaires et le sillon médian-postérieur.

La tumeur, ici, semble divisée en deux parties par la corne postérieure

droite. On constate entre les deux racines postérieures, en arrière de la com-

missure, une masse arrondie, fissurée accidentellement sur la coupe, plus

colorée à la périphérie ; en outre dans la partie droite de la moelle, la corne

antérieure et la corne latérale paraissent confondues dans une autre masse plus

homogène qui fait saillie, refoulant les cordons blancs périphériques.

Au niveau de cette masse néoplasique, la pie-mère est encore épaissie comme

dans la coupe précédente; sur tout le reste du pourtour médullaire elle se

présente avec ses caractères habituels.

Sur une coupe de la région de D. III, on remarque que la tumeur ne fait

plus saillie extérieurement. La moelle encore déformée cependant est augmen-

tée dans le sens an'téro-postérieur ; ses contours sont bien délimités par la

pie-mère ; on distingue nettement le sillon antérieur, les points de terminaison

des cornes postérieures, et entre eux, le sillon postérieur. Ici le sillon posté-

rieur n'est plus interrompu au niveau de la tumeur, comme dans la coupe

précédente, on peut le suivre plus profondément sur le côté même de cette tu-

meur, de telle sorte qu'il semble la limiter, pendant que la substance grise de

la commissure, de la corne gauche, l'entoure en avant et il gauche.

La tumeur paraît développée ici dans la moitié gauche de la moelle, en ar-

rière de la commissure et en dedans de la corne gauche. Le reste de la moelle

ne paraît pas considérablement modifié ; on distingue assez bien la substance

grise et sa gaine de substance blanche. La pie-mère se voit nettement dessinée

sur tout le pourtour de la coupe.

Sur uue coupe de la région dorsale vers D. IV, la moelle n'était plus le siège

d'aucune lésion extérieure^ nous montre qu'il existait cependant une lésion

interne marquée par une cavité très petite située au milieu de la substance

blanche du cordon postérieur gauche, au centre géométrique de la coupe.

Enfin la Phot. 6. d'une coupe faite vers la fin de la moelle dorsale ne pré-

sente plus aucune lésion appréciable ri l'oeil nu, sauf peut-être une opacité

plus grande correspondant à la région où la tumeur se rencontrait dans les

coupes précédentes.

Si l'on rapproche ces différentes figures et si on les réunit par la pensée, de

façon à constituer pour ainsi dire la tumeur tout entière avec la façon dont

elle est enchâssée dans le tissu médullaire, on voit qu'elle a la forme d'une

masse, unique à son extrémité supérieure, bifide à son extrémité inférieure res-

PARAPLÉGIE CERVICALE INCOMPLÈTE 149

semblant eu quelque sorte à une molaire bicuspidée. Elle est située à cheval sur

la corne postérieure droite au niveau de D. IL Une des pointes de la tumeur,

plus longue que l'autre, s'enfonce dans le cordon blanc postérieur gauche où

elle se termine vers D. IV, par une petite cavité. La tumeur mesure dans sa

plus grande longueur 4 à S cm., dans sa plus grande largeur 1 cm. 7. Terminée

en massue, presque brusquement, à son extrémité supérieure, elle s'effile in-

férieurement et se trouve plongée au milieu de la moelle comme un véritable

clou à deux pointes.

La description qui précède nous rend ainsi compte du siège de la tumeur, de

son volume, de sa forme, de son influence destructive sur le tissu médullaire.

Nous allons aborder maintenant l'étude de sa structure, voir quels sont les

rapports de ses éléments constituants avec les éléments normaux de la moelle,

rechercher son point de départ, et examiner les lésions qui résultent pour les

tissus environnants de son développement au milieu d'eux.

Structure de la tumeur ? Cette structure étudiée principalement au point

où la tumeur est le plus développée, peut s'analyser de la façon suivante :

La tumeur est formée dans sa presque totalité par un assemblage de cellules

rondes et fusiformes, et de fibrilles diversement associées, au milieu desquelles

se trouvent des vaisseaux de calibres variés, et par endroits des cellules ner-

veuses plus ou moins altérées. L'association de ces divers éléments, à diffé-

rents stades de leur développement ou de leur dégénérescence, donne à chaque

coupe un aspect particulier, et explique les différences de teinte ou de colora-

tion d'une même coupe. Dans la coupe C,VIII-D, I ; les parties les plus fon-

cées sont celles où les cellules rondes et fusiformes sont les plus nombreu-

ses, les plus serrées, sauf dans la région centrale où la zone foncée contigue

à deux vaisseaux est une zone de dégénérescence. Les parties claires corres-

pondent aux faisceaux, aux réseaux fibrillaires les plus purs. On rencontre les

cellules nerveuses principalement en avant de chaque côté du sillon médian

antérieur, dans les régions correspondant aux cornes antérieures ; en arrière

également dans celles correspondant aux cornes postérieures.

La majeure partie des cellules de la tumeur sont des cellules fusiformes

(PI. XXXIII, L) peu riches en protoplasma, elles sont surtout remarquables par

leur noyau, très chromatophile,qui les remplit presque complètement. On trouve

dans quelques cellules 2 et même 3 noyaux ; dans ces cas il y a une plus

grande quantité de protoplasma. Des deux pôles des cellules fusiformes ou de

toute la périphérie des cellules arrondies partent des prolongements fibrillaires

dont les rapports précis avec le corps cellulaire sont très difficiles à apprécier.

Les cellules elles-mêmes sont très irrégulièrement disposées et associées.

Tantôt elles sont complètement isolées, incurvées sur elles-mêmes, séparées

de leurs voisines par un feutrage épais de fibrilles ; tantôt elles sont placées

parallèlement les unes aux autres, séparées seulement par quelques fibrilles

allongées dans le même sens. Cet arrangement des cellules est nettement

apparent lorsqu'elles sont vues dans la coupe suivant leur grand axe, c'est-à-

dire quand la section intéresse le faisceau dont elles font partie, parallèlement

aw Il

OU SPILLMANN ET 1l0CilE

à sa direction. Lorsque cette section est transversale, les cellules sont égale-

ment coupées transversalement et paraissent arrondies; les fibrilles intermé-

diaires forment alors entre elles un fin piqueté granuleux.

Les fibrilles qui remplissent à elles seules presque exclusivement tous les

interstices cellulaires sont bien évidemment des émanations des cellules. On

distingue très nettement les prolongements qui partent des extrémités des

cellules fusiformes, et ceux qui partent des rares cellules à prolongements

multiples. Les colorants habituels de la névroglie : violet 3e méthyle (Weigert)

ou fuchsine pririque de van Gieson les colorent absolument comme la névro-

glie elle-même, mais il est difficile de dire si ces fibrilles pénètrent et traver-

sent le corps protoplasmique dont elles dépendent comme le font les fibrilles

des éléments cellulaires névrogliques. Les réactions de ces fibrilles., et aussi

tous les stades intermédiaires entre leur aspect dans la tumeur et la névroglie

normale périphérique, nous les font considérer comme des formations d'origine

névroglique. ,

Il existe une relation très nette entre la disposition des faisceaux cellulaires

de la tumeur, et l'orientation des vaisseaux ; et il est facile de suivre la pro-

gression du tissu néoplasique le long des capillaires qui vont des parties cen-

trales de la moelle vers les parties périphériques. -C'est parallèlement aux

vaisseaux que se développent les trousseaux cellulo-fibrillaires ; de telle sorte

que si les vaisseaux ont une direction rectiligne ou siuueuse, ces trousseaux

sont régulièrement allongés ou ondulés. Par suite du développement continu

de ce nouveau tissu autour des vaisseaux, suivant les réseaux névrogliques

préexistants, et à leurs dépens, les fibres nerveuses se trouvent étouffées,

dissociées, englobées ; elles disparaissent en très grande partie ; les cellules

nerveuses sont-elles aussi isolées, elles sont globuleuses ; leurs prolongements

sont détruits, mais elles ont conservé leurs caractères intérieurs, noyau-pro-

toplasma foncé, granulations de Nissl très apparentes. Elles s'atrophient de

plus en plus par la compression extérieure, deviennent de plus en plus petites,

jusqu'à disparaître complètement (PI. XXXIII).

Les vaisseaux sont nombreux dans certaines parties de la tumeur ; ils ont

des parois formées de cellules gonflées reposant souvent sur un simple feu-

trage de filaments névrogliques ; cette structure explique la formation de foyers

hémo1'l'hagiques au sein même de la tumeur. On trouve cependant des vaisseaux

mieux constitués ; les parois sont relativement épaisses, contiennent quelques

fibres conjonctives reconnaissables à leur coloration rose due à la fuchsine acide.

Par endroits ces vaisseaux forment des sinuosités nombreuses, accolées les

unes aux autres, constituant de véritables angiomes microscopiques (PI.

XXXIII, N, 0).

On rencontre en outre des ruptures vasculaires, avec infiltration des glo-

bules sanguins au milieu des fibrilles névrogliques (PI. XXXIII, L), des

thromboses vasculaires. Dans la coupe 2 par exemple, on trouve au milieu de

la zone de dégénérescence centrale de nombreuses sections de deux petits

vaisseaux oblitérés par un caillot fibrino-cruorique. Il n'y a au niveau de la

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. T. XVI. PI XXXIV

TUMEUR GLIOMATEUSE DE LA MOELLE AVEC PACHYMÉNINGITE ·

(Spillmann et Hoche')

PARAPLÉGIE CERVICALE INCOMPLÈTE 151

coupe aucune lésion de la paroi vasculaire qui puisse être considérée comme

l'origine de la thrombose. Ce qui est certain toutefois, c'est que c'est à cette

thrombose que ressortit la dégénérescence du tissu voisin. Dans toute la zone

en rapport avec ces vaisseaux qui est irriguée par de petits capillaires colla-

téraux également thromboses, le tissu néoplasique a perdu toute vitalité; les

cellules ne sont plus apparentes que par leurs noyaux très faiblement colorés,

irréguliers, anguleux, ou déjà dissociés; les filaments intermédiaires sont pour

ainsi liquéfiés, constituant une masse presque homogène parsemée de globules

blancs.

Dans certaines régions de la tumeur on constate aussi des signes de stase

lymphatique, des lésions d'oedème. Les fibrilles y sont écartées, séparées par

espaces clairs remplis par une masse homogène finement granuleuse, espaces

irréguliers plus ou moins considérables.

Tels sont, analysés d'une façon générale, les caractères principaux de la

structure histologique de cette tumeur. La description correspond à celle d'un

gliome présentant quelques portions an$ftO)n< ! MS6s ; on pourrait dire d'un

angio-gliome. Nous discuterons plus loin ce diagnostic. Auparavant il nous

faut étudier certaines participantes importantes que présentent les coupes pra-

tiquées aux divers étages.

Au niveau de la coupe C, VI, le tissu médullaire ne parait pas sensiblement

modifié. On note seulement une densification de la névroglie des cordons pos-

térieurs, plus particulièrement marquée dans la zone post-commissurale, et

dans les cordons de Goll. Cette sclérose névroglique accompagne une diminu-

tion, une dégénérescence des tubes nerveux. Le canal épendymaire est ici

très apparent, il est légèrement dilaté et tapissé d'un épithélium très haut,

dont les cellules possèdent des noyaux très chromatiques, et des prolongements

névrogliques profonds bien nets (PI. XXXIV, P). Les vaisseaux n'offrent

aucune modification sensible. Ni les racines nerveuses, ni les méninges ne

présentent de lésions appréciables.

La coupe C. VIII, D. I, qui a servi pour la description générale de la tu-

meur, outre la thrombose centrale et la zone de dégénérescence environnante,

offre à considérer diverses autres particularités : l'absence de toute trace de

canal épendymaire, l'envahissement presque total du tissu médullaire à ce

niveau, et aussi l'envahissement des méninges par le tissu néoplasique.

La tumeur par son développement excentrique et son infiltration dans le

tissu médullaire tend à remplacer complètement celui-ci ; les éléments nerveux,

cellules et fibres nerveuses, disparaissent graduellement ; il ne reste plus que

quelques cellules des cornes antérieures perdues au milieu du tissu de nouvelle

formation. La substance blanche est également envahie, les tubes nerveux

sont étouffés d'abord par un tissu névroglique exubérant que remplace bientôt'

le tissu de la tumeur.

En certains points même, vis-à-vis de la corne antérieure droite, et,

au fond du sillon antérieur, le tissu néoplasique a gagné la périphérie, a en-

vahi la pie-mère et la cavité arachnoidienne. La pie-mère infiltrée par le gliome

152 SPILLMANN ET 110CUE

est considérablement épaissie; l'infiltration suit ses vaisseaux, comme elle a

suivi les capillaires intra-médullaires. Le processus diffère légèrement dans la

cavité arachnoïdienne, et se caractérise par la formation d'une couche épaisse

de tissu en tous points analogue à la névroglie qui entoure normalement la

moelle ; ce tissu sert pour ainsi dire de guide à la tumeur, car c'est à la faveur

de son (in réseau fibrillaire et de ses capillaires que se fait son extension.

Les racines nerveuses que l'on rencontre sur la coupe ont conservé leur

disposition générale, mais l'on constate que beaucoup de tubes nerveux ne

contiennent plus de myéline, et ne sont plus caractérisés que par un espace

clair avec un cylindre-axe, excentrique et souvent décoloré.

La coupe D,II, intéresse deux portions distinctes de la tumeur,séparées par

la corne postérieure droite.- La portion qui se trouve à droite correspond à la

structure générale; il n'y a rien de plus à en dire. La portion gauche est très

intéressante pour la question de connaître le point de départ du néoplasme.

Elle se trouve située immédiatement en arrière de la commissure grise, et

comme encadrée en avant par les vaisseaux centraux, arlères et veines, ra-

meaux des artères et veines du sillon antérieur. Ces vaisseaux sont ext1'001'di-

nairement développés ; ils présentent de nombreuses sinuosités, et forment

par endroits de véritables pelotons très volumineux comme ceux représentés

par la Pl. XXXIII, N, 0. Leurs parois sont constituées de dedaus endehors, pour

les artérioles, par une couche endothéliale formée de cellules gonflées, à gros

noyau, et revêtue extérieurement d'une couche de cellules musculaires, lisses,

et de quelques rares fibrilles conjonctives, pour les veinules, par un endo-

thélium aplati reposant directement sur une sorte de membrane conjonctive

renforcée de fibrilles névrogliques. Ces pelotons vasculaires que nous avons

signalés dans la coupe D, I, que nous rencontrons plus nettement dans la

coupe D, II et les coupes sériées voisines, sont par places tellement cohérents

qu'ils donnent l'impression de petits angiomes. En dehors de ces amas vascu-

laires, les vaisseaux pénètrent le tissu de la tumeur dans diverses directions,

et les coupes successives les rencontrent sous des incidences variées.

Malgré cette vascularisation intense, le tissu de la tumeur dans la région de

coupe qui nous occupe est en grande partie oedémateux ou dégénéré ; ce fait

s'observe principalement vers le centre de la tumeur, où existe un peloton

vasculaire dont les anses très nombreuses sont pour la plupart oblitérées par

la tuméfaction et la desquamation des cellules endothéliales. Dans les portions

périphériques du nodule néoplasique, l'envahissement de la moelle se fait

d'après le mode déjà analysé. ,

La substance grise est presque complètement infiltrée par les fibrilles et les

cellules gliomateuses ; il eu est de même de la substance blanche. Il n'existe

presque plus de tubes nerveux ayant l'apparence normale, il y a une dégéné-

rescence presque complète de ces éléments, caractérisée par de nombreuses

vacuoles contenant soit un vestige de cylindre-axe, soit des amas globuleux

de myéline.

Si l'on recherche maintenant, dans cette même coupe D, lI, le canal de

PARAPLÉGIE CERVICALE INCOMPLÈTE 153

l'épendyme, on en trouve des vesliges à deux endroits différents sous forme

de fentes irrégulières, tapissées par une couche incomplète de cellules cylin-

driques, ou mieux pyramidales. Leur base vaguement ciliée borde la fissure,

leur extrémité filiforme se perd et se mélange dans le tissu néoplasique envi-

ronnant. Ces vestiges du canal épendymaire se trouvent en pleine tumeur, au

voisinage de zones dégénérées, déjà dépourvues de toute trame tissulaire

(PI. XXXIV, Q).

Dans la coupe D,III on trouve la même texture néoplasique, les mêmes par-

ticularités vasculaires, et une dégénérescence analogue. L'envahissement de

la moelle est moindre ; il existe encore quelques cellules nerveuses dans les

cornes antérieures, qui ne sont pas touchées par le processus atrophique. Les

fibres nerveuses de la substance blanche sont pour la plupart complètement

dégénérées ; leur place est marquée par une vacuole, contenant ou non, suivant

le hasard de la préparation, des boules myéliniques; la portion hasale des cor-

dons de (;oll et de Bnrdach est cependant relativement indemne.

Le canal de l'épendyme est ici unique, mais parait en voie de morcellement,

par suite d'une prolifération désordonnée de son épithélium. On voit cet épithé-

lium, formé de plusieurs couches dans sa portion la mieux conservée, se dis-

socier et se fondre avec les parties voisines (PI. XXXIV, R).

Il y a en outre, dans quelques gaines lymphatiques des vaisseaux pie-mé-

riens, une accumulation anormale de leucocytes.

Les racines antérieures que l'on rencontre au pourtour de la coupe sont

totalement dégénérées, et infiltrées de quelques cellules migratrices.

Au niveau de la coupe D,IV, il n'existe plus de tissu néoplasique. On voit une

cavité pseudo-kystique qui siège vers la partie la plus antérieure du cordon de

Goll, et qui est le prolongement de la zone de dégénérescence signalée aux

étages supérieurs de la moelle ; le tissu y est comme dissocié par un liquide

d'oedème.

Le canal épendymaire est très apparent, entouré par une couche épaisse,

feutrée, de fibrilles névrogliques. L'épithélium est formé par plusieurs couches

de cellules cylindriques pressées les unes contre les autres, et présentant

leurs noyaux à diverses hauteurs. Les vaisseaux ne présentent plus d'altéra-

tion (PI. XXXIV, S).

Les mêmes particularités se rencontrent, mais à un degré beaucoup moindre,

dans la coupe suivante D, X. Le canal épendymaire est plus régulier, toujours

légèrement dilaté, avec plusieurs couches d'épithélium et une gaine de fibrilles

névrogliques très épaisse.

Les fibres nerveuses des cordons antérieurs et latéraux sont presque toutes

dégénérées ; les cordons postérieurs présentent leurs caractères normaux.

Il s'agit, en somme, d'une lésion qui a produit une interruption pres-

que complète de la moelle épinière au niveau des VHP racine cervicale

et Ire dorsale ; elle s'est comportée comme une véritable section graduelle

et progressive de l'axe nerveux.

154 SP1LLMANN ET HOCHE

La nature, le développement, l'installation de cette lésion méritent

quelques considérations anatomiques et cliniques. -

Considérations anatomiques.

Nous avons vu par l'étude successive des coupes comment la tumeur

développée primitivement dans les parties centrales de la moelle vers les

racines C. VIII et D. I, s'étendail excentriquement dans toutes les direc-

tions. La plus grande activilé de développement se constatait sur tout le

pourtour de la tumeur, et principalement vers le haut, extension ascen-

dante par conséquent. Le développement des tissus nouveaux se faisait

aux dépens du tissu médullaire, qu'ils remplaçaient an sur et à mesure,

suivant les fibrilles névrogliques préexistantes,et étouffant graduellement

tubes nerveux et cellules ganglionnaires.

C'était là le fait d'action destructive même de la tumeur.

On pouvait constater en outre diverses dégénérations secondaires ; con-

séquences de cette destruction des éléments médullaires, dégénérations

descendantes, et dégénérations radiculaires, qui ont été signalées au cours

de l'analyse hislologique.

Ces lésions ne différaient d'ailleurs pas de ce qu'elles pouvaient être

dans tout autre cas de destruction du tissu médullaire, et aussi ne nous y

attarderons-nous pas. Examinons tout d'abord la nature même de la lit-

meacr.

Nature de la tumeur. - Nous avons considéré cette tumeur intramé-

dullaire comme une tumeur de nature nerveuse, développée aux dépens

de la névroglie, ce tissu de soutien spécial des centres nerveux. Cette

opinion est basée sur divers arguments :

Les tumeurs que l'on rencontre dans la moelle sont de natures très di-

verses. Les plus fréquentes sont les gliomes, puis les sarcomes, les angio-

sarcomes, puis les tubercules et les syphilomes (véritables tumeurs

inflammatoires), enfin les cysticerques. On ohserv une fois un cholestéa-

tome (CUiari).

D'après l'aspect extérieur de la tumeur que nous étudions, un rapide

examen des coupes, le diagnostic anatomique ne pouvait hésiter qu'entre

les deux premières de ces tumeurs : le gliome et le sarcome.

Virchow a été le premier à établir une telle différenciation, et à affir-

mer l'existence de tumeurs provenant directement de la névroglie : les

gliomes, véritables tumeurs spécifiques pour le système nerveux ; toute-

fois les sarcomes pouvaient aussi s'y rencontrer. Virchow reconnaissait

que le diagnostic n'était pas toujours facile. Aussi quelques auteurs pour

se tirer d'embarras dans les cas difficiles, ai cause de l'impossibilité où ils

PARAPLÉGIE CERVICALE INCOMPLÈTE 185

se sentaient de porter un diagnostic certain, se servaient-ils du terme

mixte de glio-sarcome. On admit qu'il était impossible de donner de diffé-

rence fondamentale histogénétique entre le gliome et le sarcome. Gowers,

pensait qu'il était plus facile de différencier ces deux sortes de tumeurs

d'après leurs connexions avec la substance environnante, que par des

moyens histologiques. La ressemblance n'est jamais grande entre les cellu-

les normales delà névroglie, et celles du gliome; rarement se rencontrent

dans les gliomes les formes étoilées qui caractérisent le tissu interstitiel

du système nerveux. « Leurs éléments sont aussi différents que ceux des

autres formes de sarcome, parfois les cellules rondes, ovales ou allongées,

prédominent, ou bien elles sont toutes les mêmes. » On pourrait ajouter

que les cellules du gliome sont généralement plus petites que dans le sar-

come, et que dans le premier, le tissu interstitiel est plus abondant, plus

serré, plus feutré. Mais Gowers ne trouvait pas dans tout cela de diffé-

rences histologiques suffisantes entre les deux formes de tumeurs. Cette

opinion de Gowers ne peut plus subsister depuis la nouvelle technique

histologique et les travaux de Stroebe, qui ont corroboré l'ancienne opi-

nion de Virchow que le gliome provenait de la névroglie, et qu'on peut

le reconnaître bistoiogiquement dans presque tous les cas (I).

Nous nous sommes efforcés de le faire au cours de notre observation ;

les arguments qui suivent sont en faveur de l'idée de gliome :

1° Quoique les cellules polymorphes de la tumeur ne présentent que

par place une vague ressemblance avec les cellules névrogliques, les

fibrilles qui en émanent offrent cependant les réactions spécifiques bien

connues aujourd'hui de la névroglie (Weigert, von Gieson).

2° Macroscopiquement et microscopiquement le mélange intime du tissu

néoplasique avec le tissu médullaire, névroglique en particulier sont une

caractéristique du processus gliomateux. : < Le gliome contient le plus

souvent passablement de faisceaux nerveux et de cellules ganglionnaires

encore en fonction ; les destructions fonctionnelles sont souvent moindres

que l'on ne pouvait s'y attendre d'après l'étendue et le siège de la tumeur »

(Bruns). Nous avons vu qu'en pleine masse de la tumeur persistaient des

cellules nerveuses, quelques-unes ayant encore leurs prolongements.

Ce caractère de mélange intime du tissu gliomateux et du tissu médul-

qui est considéré généralement par les ailleurs, comme propriété

du gliome (lit sarcome, ne semble pas absolumentnécessaire.

Patoir el Ravi art ont étudié en effet un cas de gliomes nettement limités, et

capables d'être séparés complètement par des moyens mécaniques des tissus

(1) D'après Bruns, Die Geschiviiiste (les \'ervensslenas, Berlin, 1S9 i, p. o.

156 SPILLMANN ET HOCHE

environnants (1). Dejerine el Thomas reconnaissent la possibilité de l'énu-

cléation du gliome (2).

3° Les hémorrhagies sont fréquentes dans le gliome (Bruns.) Nous avons

constaté de nombreuses hémorrhagies microscopiques dans les diverses

coupes examinées.

4° Enfin, le tissu gliomaleux présentait le caractère bien spécial de

* dégénérer rapidement, de subir cette fonte spéciale qui a été bien analy-

sée par Gombault et Philippe (3).

Pour toutes ces raisons, nous avons admis la nature gliomateuse de la

tumeur, et en considération de la présence de nombreux petits vaisseaux,

agglomérés et accolés les uns aux autres sous forme d'angiomes micro-

scopiques, nous avons adopté la dénomination cl'angio-gliorte.

C'est là une simple étiquette, qui nous permet de résumer deux carac-

tères principaux de la néoplasie, d'une part sa composition névroglique

anormale, d'autre part la disposition particulière de certains groupes

vasculaires. C'est en somme une dénomination purement morphologique

et qui ne préjuge en rien de l'origine précise de la tumeur. Est-ce de

la névroglie adulle, est-ce des cellules épendymaires. ou de quelque in-

clusion cellulaire qu'il faut en faire dériver la naissance ? c'est ce que

nous allons examiner.

Origine de la tumeur. Nos coupes, les photographies annexées à

l'observation, nous montrent le canal épendymaire et ses cellules de revêt-

tement intimement mêlés aux éléments de la tumeur, faisant corps avec elle

et participant ci son développement.

L'hypothèse de t'origineépendymaire des formations gliomateuses a été

surtout soutenue par Hoffmann (4) qui l'a fait dépendre d'une occlusion

défectueuse de la gouttière médullaire chez l'embryon et de la présence

d'une inclusion d'épithélium foetal au voisinage de la commissure pos-

térieure. Elle a été soutenue encore par Schlesinger (5) qui la considère

comme provenant d'une dilatation ou d'un diverticule du canal central.

Dans le cas particulier il est impossible de se prononcer catégorique-

ment, pour l'un ou pour l'autre mécanisme, mais ce que l'on peut penser

· c'est que c'est véritablement l'épithélium épendymaire qui est le point de

(1) J. PATOIR et RAWAPT. Gliomes el formation cavitaire de la moelle. Arch. de

méd. expér. et d'Anat. path., t. XIII, 1901, p. 93-122.

(2) Dejerine et Thomas. Cavités médullaires. Traité de médecine. Brouardel et

Gilbert, t. IX, p. 681.

(3) Cités par Philippe et OBERTIIUR. Contribution à l'étude de la Syringomyélie . Arch .

de Méd. exp., t. XII, 1900, p. 150.

(4) Hoffmann. Zur Lehre von der Syringomyélie. D. Zeitschrift. f. Nervenheilk, Bd.

lII, 1892.

(5) Schlesinger. Die Syringomyélie (Vienne, 1895).

PARAPLÉGIE CERVICALE INCOMPLÈTE 157

départ de la tumeur. Cependant, étant donné la présence de plusieurs

sections du canal épendymaire (sans dilatation) à un certain niveau de la

moelle, il est permis de supposer qu'il y avait peut-être anomalie dans le

développement.

En outre, n'avons-nous pas encore noté la présence de pelotons vascu-

laires angiomateux anormaux. La même cause téra tologique qui a présidé

à cette malformation vasculaire n'est-elle pas la même qui a occasionné

l'anomalie épendymaire ? Il est permis de le supposer, et l'on peut encore

à ce propos rappeler cette opinion de Bruns (1), que prédisposition à la

formation des gliomes doit être congénitale, c'est-à-dire que dans ces cas,

on pourrait trouver dès la première jeunesse de petits nids de gliome aux

lieux -de prédilection de développement de ces tumeurs.

La présence de telles anomalies ne serait, en tous cas, qu'une condition

prédisposante. Sous quelle influence ces gliomes en puissance, se mettraient t

irisa évoluer ? Sans doute, il faudrait ne pas laisser dans l'ombre certaines

conditions étiologiques comme l'on en rencontre fréquemment à l'origine

du développement de ces lésions ; il faudrait admettre comme on le fait

pour l'apparition de nodules tuberculeux ou syphilitiques dans la moelle

après un traumatisme local, que le gliome médullaire peut survenir à la

suite d'une semblable circonstance. « Un traumatisme, spécialement du

dos, peut donner le motif au développement ultérieur de cette masse et

en même temps à la production de symptômes morbides évidents. » D'ail-

leurs, de toutes les tumeurs de la moelle, on peut dire qu'elles ont apparu

le plus souvent après un traumatisme (Bruns).

Dans le cas qui nous occupe, aucun renseignement n'a été recueilli en

ce sens.

Altérations secondaires de la tumeur. A. Formation de cavités.

Toutefois, à défaut du traumatisme qui agit généralement en provoquant

des hémorrbagies médullaires, nous avons signalé chemin faisant une lé-

sion qui ne doit pas être oubliée dans cette discussion, c'est la thrombose

des vaisseaux centraux au niveau de C.VIII, D. I. Cette thrombose est-elle

primitive, antérieure au développement du gliome, ou bien en est-elle

une conséquence ? L'analyse histologique ne nous a décelé aucune lésion

des parois vasculaires susceptible d'expliquer cette thrombose en tant que

lésion primitive, et l'absence de toute trace d'organisation du thrombus,

étant donné la durée probable du processus, doit nous la faire considé-

rer comme secondaire. Il en est de même des autres lésions vasculaires

que l'on rencontre dans les diverses coupes : lésions de congestion, rup-

tures vasculaires, hémorrhagies interstitielles sontla conséquence de l'état t

(1) L. Bruns. Die Geschwulste des Nervensystems . Berlin, 1897.

158 SPILLAIANN ET HOCHE

des vaisseaux, du peu de résistance de leurs parois au milieu du tissu

environnant profondément altéré.

La stase, el l'oedème consécutif accompagnant ces lésions, se révèlent t

d'une façon discrète en général, mais provoquent en certains points des

dissociations avec lacunes, pseudo-kystes lymphatiques, qui contribuent à

la liquéfaction des produits dégénérés. Il est à noter que ce processus de

liquéfaction est d'autant plus marqué que l'on examine des régions plus

inférieures de la tumeur, et en rapport précisément avec des zones où la

stase est la plus grande. A un certain point même, la liquéfaction est tel-

lement complèle que la zone orignaire apparaît comme une cavité intra-

médullaire (6g. 5). @

Ce gliome a doncpar le ramollissement spécial qu'il entraîne provoqué

la formation de véritables cavités. Son évolution a élé courte, rapidement

arrêtée par la mort, mais sa tendance cavitaire est très nelte et l'on est

autorisé à considérer ces altérations comme l'ébauche, le premier degré du

processus qui préside il l'établissement de la syringomyélie.

B. Pcrckyraéninyite ? - Philippe et Oherthur (1) d'après certains cas

de pachyméningite cervicale étudiées par Gull, Charcot et Joffroy, et

quelques observations personnelles, distinguent nettement dans leur tra-

vail, une syringomyélie cavitaire et une syringomyélie pctchyméningilique ;

l'une caractérisée par ses cavités avec parois continues, scléreuses, lésion

de longue durée; l'autre caractérisée par l'épaississement scléreux de la

dure-mère, et une prolifération névroglique rapidement dégénérative de

la moelle.

Ces deux types très distincts l'un de l'autre seraient cependant de nature

identique, et il n'y aurait entre les processus qui leur donnent naissance

qu'une différence d'intensité. Nous partageons complètement celle opinion,

et nous croyons même que les deux types décrits par les auteurs sont réunis

par tous les intermédiaires imaginables, et variables suivant l'intensité, la

durée du processus, l'extension de la lésion. Au début de leur développe-

ment, ces deux types peuvent présenter les mêmes caractères, et leur évo-

lution différente peut être subordonnée à divers facteurs, traumatismes,

grandes fatigues, maladie infectieuse intercurrente, etc. Au début de leur

développement, la syringomyélie cavitaire, la syringomyélie gliomateuse

toutefois, celle à laquelle on tend à réserver le nom de syringomyélie, et

la syringomyélie pachynaétiltitirlace, ne set-aientqu'uii petit gliome, déve-

loppé vers la hase de la corne postérieure; dans la première, son déve-

loppement lent, son extension en longueur expliqueraient la localisation

de la lésion il la moelle elle-même et la longue durée de la maladie : dans

(1 Philippe et OnrimiuK. Coke. à l'élude de la syringomyélie, L.XII, 1900.

PARAPLÉGIE CERVICALE INCOMPLÈTE 159

la seconde, le développement rapide en longueur, en largeur du nodule

gliomateux, le conduiraient à envahir rapidement les méninges, détruire

plus promptement la moelle.

C'est précisément ainsi qu'a dû se développer notre tumeur. Nous pen-

sons, en effet, que c'est la néoplasie elle-même qui a envahi les méninges,

qu'il ne s'agit pas d'une pie-mérite, d'une pachy-méningi le d'ordre banal,

ou spécial (Philippe et Oherthur), mais d'un envahissement liomateux

de la pie et de la dure-mère, auquel les noms de pie-mérite ou pachy-

méningite ne nous semblent pas exactement applicables.

N'ayant pas rencontré dans notre cas d'arguments suffisants, nous

n'avons pas voulu discuter la possibilité d'une gliose secondaire à une

infection, théorie admise cependant et soutenue brillamment par Joffroy

et Achard, Marmesco, Brissaud (1).

Nous en avons fini avec ces considérations, et nous nous résumerons

ainsi :

1° Le cas que nous rapportons est un exemple rare de gliome syringo-

myéliogèlle surpris au début de son développement.

2° La constatation de plusieurs canaux épendymaires au voisinage de la

tumeur et de malformations angiomateuses vasculaires au même niveau

nous portent à lui assigner une origine congénitale.

3° La participation des cellules de revêtement épendymaire à la cons-

titution de la tumeur est en faveur de sa nature névroglique épendy-

maire.

4° L'envahissement des méninges et la marche rapide de la maladie

nous font ranger ce cas dans la catégorie des syringomyélies pachy-méni n-

gitiques, avec cette addition que la lésion des méninges n'est pas due il

une inflammation banale ou spéciale, mais à l'envahissement par le tissu

névroglique néoplasique lui-même.

Considérations cliniques.

Les lésions médullaires étant connues, il nous est loisible de reprendre

un à un les signes cliniques et de chercher il les rapporter à leur cause

productrice.

Deux phases, l'une nerveuse, l'autre respiratoire ont partagé le cours

de la maladie. Dans la première, les symptômes nerL'eUX consl i lua ien t il eux

seuls le complexus morbide ; par leur développement graduel, ils étaient

arrivés il donner en moins de six semaines le tableau d'une paraplégie des

quatre membres, avec anesthésie et atrophie musculaire, quand dans une

(1) E. Brissaud. Leçons sur les maladies nerveuses. Paris, 189.'i.

160 SPILLMANN ET RIOCTIE

deuxième phase, survinrent des troubles respiratoires (bronchite capil-

laire), qui emportèrent rapidement la malade, si rapidement que l'étude

des symptômes nerveux ne put être aussi complète qu'on eut pu le désirer.

La mort survint avant qu'aucun diagnostic satisfaisant eût été porté.

Symptômes nerveux. Les symptômes nerveux, bien évidemment en

relation avec le développement de la tumeur, furent au début, ceux d'une

lésion des racines sensibles, des douleurs. Ce furent les premières mani-

festations ; elles avaient un caractère névralgique tel, par leurs paroxys-

mes et leurs irradiations, que l'on avait émis l'idée d'une polynévrite in-

fectieuse. Ces douleurs apparurent tout d'abord dans la main droite en

même temps que se montrait l'impotence des muscles de la même région.

Cette constatation nous autorise à penser que c'est dans la zone médul-

laire de l'innervation de la main, en particulier du côté de la corne pos-

térieure droite que la tumeur a débuté. C'est en effet à ce niveau (C. VIII,

D.I), origine des nerfs sensitifs et moteurs (cubital et médian) de la main

et des doigts, que s'observe la tumeur avec son maximum de développe-

ment. C'est au même point également que nous avons rencontré les

vestiges angiomateux les plus nets.

Aux douleurs avaient succédé la paralysie, puis plus tardivement on

constata de l'atrophie, traduction de la destruction de la moitié droite

de la moelle au niveau du renflement cervical.

. Dans la suite des douleurs se seraient encore montrées s'il fauten croire

la malade dans la jambe droite,puis dans la jambe gauche ; mais les carac-

tères de ces troubles sensitifs ne sont pas précisés par l'observation, et l'on

peut se demander s'il ne s'agissait pas cette fois de crampes douloureuses,

comme il s'en produit au début des paraplégies, et non plus de crises né-

vralgiques, nécessitant une lésion névritique ou radiculaire qui ne fut pas

constatée.

Quoi qu'il en soit, le tableau des symptômes nerveux constaté au mo-

ment de l'entrée à l'hôpital concorde bien avec la disposition topographi-

que des lésions. En effet, nous avons vu que la tumeur tout entière était

pour ainsi dire enchâssée dans le tissu médullaire, comme pourrait

l'être une masse unique à son extrémité supérieure, plus développée à

droite, bifide à son extrémité inférieure, ressemblant en quelque sorte

à une molaire bicuspidée. En rapport avec cette lésion le tableau sympto-

matique (nerveux) était le suivant :

Membre supérieur droit. Atrophie des muscles de la main droite. =

(main simienne).

Atrophie des muscles du bras droit et de l'épaule.

. Force musculaire = 0.

Sensibilité normale.

paraplégie cervicale incomplète 161

(Les cordons postérieurs sont en grande partie respectés.)

Membre supérieur gauche. Atrophie très légère, diminution de la

force au dynamomètre.

, Membres inférieurs. Paralysie complète, fiasque. Réflexes rotuliens

exagérés. Anestbésie en aires. Pas de dissociation de la sensibilité.

SPHINCTERS.- Paralysie quelques jours après l'entrée. C'était en somme

le tableau presque complet d'une paraplégie cervicale, causée par le dé-

veloppement d'une tumeur intramédullaire ayant interrompu la moelle au

* niveau de la partie inférieure du renflement cervical, en ayant détruit

complètement la moitié droite dans la région correspondante à l'origine

des nerfs du bras. A ce niveau, non seulement les cornes antérieures et

postérieures étaient altérées, mais les méninges elles-mêmes étaient enva-

hies par la néoplasie.

Il manquait toutefois un symptôme important, consigné dans toutes les

observations de paraplégie cervicale (D. I) mydriase ou myosis.

L'apparition de symptômes névralgiques à topographie radiculaire, qui

s'aggravent graduellement, avec symptômes médullaires uni, puis bitaté- -

raux est le plus souvent l'effet d'une lésion chronique des méninges, plus

spécialement même d'une tumeur intra-durale. Les tumeurs intra-médul-

laires peuvent cependant emprunter cette symptomatologie. C'est lors-

qu'elles se développent comme dans lecas présent, près de la périphérie de

la moelle, de telle sorte que les symptômes radiculaires unilatéraux, spé-

cialement les douleurs puissent être les premières manifestations. Ces

symptômes radiculaires sont rarement purs, car la tumeur occasionne rapi-

dement par son développement excentrique la destruction des faisceaux

nerveux environnants et une interruption plus ou moins complète de la

conduction motrice ou sensitive de la moelle.

Le diagnostic n'est pas toujours aisédans ces cas. Les douleurs, par leur

caractère névralgique, paroxystique, leurs irradiations, les troubles mo-

teurs et trophiques rapidement consécutifs, peuvent en imposer pour les

signes d'une polynévrite, et cela d'autant plus facilement qu'ils peuvent

coïncider avec un état fébrile.

D'autres fois, la tumeur intra-médullaire centrale, ouïe le tableau symp-

tomatique d'une syringomyélie, - ou encore quand les cornes antérieu-

res seules sont détruites (tubercule massif, par ex.) le tableau d'une atro-

phie musculaire et même, si la tumeur est très diffuse, celui d'une myélite

transversale complète.

Dans ces différents cas, on comprend que le diagnostic causal reste sou-

vent hésitant, un même ensemble symptomatique pouvant être réalisé par

les causes les plus diverses.

Chez notre malade, après un début par des douleurs à caractère paroxys-

162 SPILLMANN ET ROCHE

tique, après l'établissement d'nne paraplégie motrice et sensitive presque

complète, due à l'interruption a peu près totale de l'axe nerveux intraver-

tébral, on se trouva en face d'un état fébrilepeu en rapport avec la nature

môme de l'affection, et qui ne pouvait que venir à l'appui de l'idée d'une

polynévrite infectieuse.

Symptômes respiratoires. Bientôt après d'ailleurs, les symptômes res-

piratoires se précisèrent, révélant l'existence d'une phlegmasie catarrhale

du poumon.

La dyspnée s'accrut avec l'asphyxie et la malade mourut après avoir

séjourné à l'hôpital seulement quatre jours, pendant lesquels, les désor-

dres nerveux préalablement établis, furent masqués par l'expression dé-

sormais plus apparente, plus bruyante de l'insuffisance pulmonaire.

Aux conclusions qui terminent l'étude anatomique, nous pouvons

ajouter celles-ci :

1° La tumeur a d'après l'évolution clinique débuté vers les racines

C : . 'III et D.I.

2" Le diagnostic des tumeurs intramédullaires offre les plus grandes

difficultés et peut en imposer.par certains caractères pendant un certain

temps pour une polynévrite infectieuse, lorsqu'il survient un état phleg-

matique intercurrent. z

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XVI, Pal. XXXV.

GIGANTISME ET ACROI\111-,G,l,ll"

Laittiois cl Pierre Roy.)

Le géant Pierre K..., tambour-major au lof de ligne.

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE

AUTOPSIE D'UN GÉANT ACROMËGAUQUE ET DIABÉTIQUE

PAR a

P. E. LAUNOIS,

Agrégé, médecin de l'hôpital Tenon

PIERRE ROY,

Ancien interne des hôpitaux de Paris.

Gigantisme (2 III. 12). Acromégalie. Diabète. - Autopsie : volumineux épi-

thélioma du corps pituitaire, avec prolongement dans le ventricule latéral 1

droit. Hypertrophie du corps thyroïde (250 gr.). Gigantisme viscéral.

Logeant Pierre K., ancien tambour-major, présenté à la Société de Neurologie

dans la séance du 3 mai 1900 par MM. Achard et Loeper, est mort dans notre

service de l'hôpital Tenon le 29 mai 1902, à l'âge de 36 ans.

Son histoire clinique a été publiée par nos collègues dans la Nouvelle Icono-

graphie de la Salpêtrière (juillet-août 1900) ; nous avons pu ajouter à leurs mi-

nutieuses descriptions quelques renseignements complémentaires qu'il nous a

été donné de recueillir pendant les derniers mois de sa vie et les constatations

anatomo-pathologiques que nous a fournies son autopsie.

K., véritable géant, mesurait 2 m.' 12, depuis l'âge de 21 ans environ ; il

avait grandi rapidement à la fin de l'adolescence, sans qu'aucune maladie in-

fectieuse eût influencé sa croissance. Plusieurs membres de sa famille

auraient atteint une taille élevée : son père aurait mesuré 1 m. 95 et un oncle

paternel 2 m. 10.

Ayant toujours été bien portant, il avait acquis, au moment du service mili-

taire, toute sa vigueur. Sa haute stature l'avait à l'avance désigné pour le poste

de tambour-major (PI. XXXV) ; dans le 101" régiment de ligne, où il avait été

incorporé, il ne tarda pas à l'emplir cette fonction. la photographie, à cette

époque, montre combien il dépassait ses subordonnés, au milieu desquels il est

représenté ; on y voit sa main, déjà grande et grosse, mais son visage ovale

ne laisse aucuuement pressentir les déformations qui apparaîtront plus tard,

lorsqu'il sera devenu un acromégalique.

Au sortir du régiment, K. n'exerça guère son métier de charpentier; sa

santé périclita et il devint un commensal des différents hôpitaux parisiens,

séjournant successivement à St-Antoine, à Tenon, 11 Necker (1). Il eut à

(1) Rendu, qui l'étudia à Necker, concluait dans une leçon du 14 juin 1900 (ses notes

nous ont été obligeamment communiquées par son fils), qu'il représentait un type de

géant pur, bien proportionné et sans troubles fonctionnels, c'est-à-dire sans acromé-

164 LAUNOIS ET HOY

souffrir en effet d'une otite moyenne droite, d'hémorrhoides, de douleurs

rhumatoïdes dans les jambes ; la glycosurie jointe aux autres manifestations du

diabète, la toux en rapport avec des lésions tuberculeuses des poumons, la

suppuration due à une fistule anale, enfin des troubles nerveux divers furent

les derniers incidents pathologiques qu'il présenta.

MM. Achard et Loeper qui purent l'étudier pendant le séjour qu'il fit dans

leur service de Tenon, du 11 avril 1900 au mois de janvier 1901, avaient re-

levé les particularités suivantes (PI. XXXVI) :

A la tête : Enfoncement des fosses temporales et saillie exagérée des pom-

mettes ; léger prognathisme du maxillaire inférieur; forte saillie de la

protubérance occipitale; - langue volumineuse et très étalée.

Au tronc : Développement exagéré du thorax, par rapport à l'abdomen, les

fausses côtes descendant presque au contact des crêtes iliaques ; - pas de

scoliose ; saillie de l'angle formé par l'union de la poignée avec le corps du

sternum.

Aux membres : Largeur exagérée des extrémités (mains et pieds), doigts en

boudin (PI. XXXVII, B) ; longueur totale des membres inférieurs bien pro-

portionnée à la taille ; mais la cuisse est plus longue que la jambe.

Ces déformations caractéristiques avaient permis à MM. Achard et Loeper

de conclure à l'association de l'acromégalie avec le gigantisme.

Quant au diabète, qu'ils avaient constaté dès l'entrée du malade dans leur

salle, il semblait ne remonter qu'à quelques mois. C'est en effet au début de

l'année 1900 que la polyurie, la polydipsie, la polyphagie avaient fait leur ap-

parition. A ces signes fonctionnels s'était joint bientôt un amaigrissement assez

marqué. La quantité de glycose, qui était de 386 grammes par jour, subissait

des variations, plus ou moins marquées, en rapport avec le régime ou la mé-

dication en usage.

C'est au sortir du service de M. Lejars, qui venait de l'opérer d'une fistule

anale (avril 1902) que Pierre K. entra salle Barth et fut couché au lit no 17,

dans notre service.

A cette époque, il est encore assez musclé, mais cependant considérablement

amaigri. La disparition de la couche graisseuse sous-cutanée rend plus appa-

rentes les saillies osseuses : à la face, en particulier, les deux os malaires font

de chaque côté, au niveau des pommettes, des saillies très marquées. Le crâne

n'a pas subi le même développement que la face et semble petit. Le nez s'est

arqué et le menton, caché par de longs poils, est devenu saillant et pointu. Le

diagnostic d'acromégalie, qui avait pu être discuté il y a quelques mois, s'im-

pose actuellement (PI. XXXVII, A). La taille s'est affaissée et le thorax s'est

galie. Cherchant à interpéter la patbogénie du diabète, Rendu relevait l'absence de

céphalée et de troubles visuels contre l'hypothèse d'une tumeur pituitaire, mais

portait un pronostic sombre, malgré l'absence, transitoire d'ailleurs, de glycosurie et

l'apparente conservation des masses musculaires. 11 est fait mention également dans

l'observation de Rendu, de trois crises vertigineuses, sans convulsions ni perte de

connaissance, qui sont peut-être à rapprocher de la crise d'obnubilation intellectuelle

que nous avons observée chez le malade peu de temps avant sa mort.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

T. XVII PL. XXXVI.

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE

(P.-E. Launois et Pierre Roy.)

Le géant Pierre K..., en igoo. (D'après Achard et Loepcr.

Masson et C'c, 7 : ulntcurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T, XVI, PL. XXXVII.

' GIGANTISME ET ACROMÉGALIE

(P.-E. Launois et Pierre Roy.) -

.\, Le géant Pierre K..., un mois avant 8.1 mort (mai 1902).

Jt. La n1.1111 Üu géant ilicire 1 ? comparée : 1 la main d un adulte normal.

GIGAN'l'lSME ET ACROMÉGALIE 165

int1échi en avant ; le tronc peut encore être redressé, mais aux dépens de con-

tractions musculaires qui exagèrent considérablement les douleurs éprouvées,

spontanément, dans les masses charnues lombo-sacrées. Il existe en même

temps un état marqué de lassitude générale qui pousse K. à rester au lit pendant

la plus grande partie de la journée, bien que sa couche soit, par son exiguïté,

peu en rapport avec les dimensions exagérées de sa stature. On constate quelques

troubles parétiques du côté des membres supérieurs et une certaine inhabileté

des mains. Des crises névralgiques (céphalalgie, névralgie intercostale, arthral-

gies) s'accompagnent de douleurs plus ou moins intenses qui gênent et vont

même jusqu'à empêcher le sommeil. K. se plaint d'éprouver de temps en temps

des palpitations qui s'accompagnent de sensations pénibles dans la région pré-

cordiale supérieure. L'appétit est conservé,mais considérablement diminué si on

le compare à ce qu'il était autrefois. La soif est toujours vive ; il urine de 5 à 6

litres par jour ; son urine renferme de 40 à 50 grammes de glycose par litre

et 0,50 à 0,60 centigrammes d'albumine. Bien que la ration alimentaire soit

aussi copieuse que possible, l'amaigrissement fait de jour en jour des progrès

marqués ; il est en rapport avec une diarrhée abondante, datant de plusieurs

mois et indiquant par elle-même des troubles de l'assimilation. En même temps

K. est devenu triste, apathique ; il ne sort guère de sa torpeur que pour don-

ner des marques d'une irascibilité manifeste.

A partir du 15 mai, K. se plaint d'une recrudescence de ses douleurs pré-

cordiales ; elles s'irradient dans le bras gauche et affectent le caractère paroxys-

tique des crises angineuses. Cependant l'examen du coeur ne permet de consta-

ter aucune modification stéthoscopique : au moment des accès, les battements

cardiaques sont augmentés de fréquence, mais non irréguliers. - L'ausculta-

tion du poumon permet de percevoir tous les signes d'un ramollissement du

sommet gauche (submatité sous-claviculaire, respiration soufflante, craquements

provoqués par la toux).

Le 28 mai, au matin, le malade est incapable de répondre aux questions

qu'on lui pose; il ne s'exprime que par monosyllabes et se plaint d'un assez

grand malaise. Le soir, il se trouve mieux et explique qu'il entendait bien les

questions posées le matin, mais était dans l'impossibilité absolue d'y répondre.

Le lendemain, 29 mai 1902, il semble en meilleur état que la veille ; pourtant

il a gardé un visage un peu hébété ; dans la nuit, il a souillé ses draps de

matières fécales. Le même jour, il est pris brusquement à 1 heure 1/2 de

l'après-midi d'une crise convulsive généralisée, à caractère épileptiforme.

D'autres crises semblables se succèdent à des intervalles plus ou moins rap-

prochés et deviennent bientôt subintrantes. - A 5 heures du soir, le malade

est dans le coma ; il s'est mordu la langue, une écume sanguinolente sort de

ses lèvres, les extrémités sont cyanosées, le corps est recouvert d'une sueur

froide ; le pouls reste cependant assez fort et bien frappé. De 3 en 5 minutes,

les membres en résolution sont agités de secousses convulsives toniques puis

cloniques ; la figure grimace, les yeux, injectés de sang, demeurent fixés en

haut. Cette crise convulsive, d'une durée de deux minutes environ, fait place

xv, 12

166 LAUNOIS ET IIOV

au coma absolu et celui-ci ne tarde pas à être interrompu par un nouvel accès.

Une saignée de 400 grammes, pratiquée au bras, et suivie de l'injection sous

cutanée de 500 centimètres cubes de sérum artificiel, ne modifie en rien la suc-

cession de ces manifestations ; la mort survient le soir même à 10 heures 1/2.

Autopsie.

L'autopsie a été pratiquée le lendemain 30 mai, 18 heures environ après la

mort.

A l'ouverture de la cavité thoraco-alrdomiuale, ce qui attiré tout d'abord l'at-

tention c'est l'inégalité des proportions respectives du thorax et de l'abdomen,

inégalité qui d'ailleurs avait été remarquée pendant la vie. Si la cavité abdo-

minale a conservé des proportions à peu près normales, la cavité thoracique

s'est au contraire considérablement agrandie. Il en résulte que la masse intes-

tinale, qui a suivi le développement gigantesque des autres parties du corps,

semble à l'étroit dans un abdomen trop petit pour la contenir. Les différents

segments du tractus intestinal, considérablement élargis, ont perdu leur rap-

ports normeux ; l'S iliaque, très dilatée, présentant une circonférence de

27 centimètres, se trouve refoulée sous le foie ; elle semble avoir pris la place

de l'estomac et se trouve située en avant du côlon transverse, qui, lui aussi,

a subi un développement énorme : il mesure 26 centimètres de circonférence.

Le diaphragme refoulé forme une voûte à courbure très accusée.

Malgré l'énorme développement extérieur du thorax, les poumons sont peu

volumineux. Dans le lobe supérieur de chacun d'eux, plus particulièrement à

gauche, existent des lésions tuberculeuses à différents degrés d'évolution : à

côté de granulations confluentes, on rencontre des masses caséeuses en voie de

ramollissement

Le coeur est volumineux : débarrassé de ses caillots, il pèse 510 grammes.

La hauteur du sillon interveutriculaire, mesuré depuis la pointe du coeur jus-

qu'au sillon interauriculo-ventriculaire, est de 13 cm. La largeur maxima, me-

surée suivant ce dernier sillon, est de 14 cm. L'anneau de la valvule mitrale

a une circonférence de II cm. '

Tous les organes abdominaux ont subi un développement véritablement gi-

gantesque ; ils ne présentent pas toutefois d'altérations macroscopiques :

Le foie pèse 4650 grammes et mesure 42 cm. de largeur sur 10 cm. de

hauteur.

La rate pèse 370 grammes et mesure 17 cm. de hauteur sur 11 cm. de lar-

geur.

Les reins sont également volumineux r le droit pèse 390 grammes et mesure

17 cm. de hauteur sur 10 cm. de largeur ; le gauche pèse 325 grammes et me-

sure 16 cm. de hauteur sur 10 cm. de largeur.

Le pancréas atteint le poids de 250 grammes.

La glande thyroïde, sur le vivant, ne paraissait pas extrêmement dévelop-

pée. Achard et Loeper avaient constaté que la circonférence à la base du

GIGANTISME ET ACHOMÉGAUE 167

cou était de 0,50 cm. et noté l'absence de toute saillie thyroïdienne. Nos cons-

tatations ultérieures n'avaient fait que confirmer les leurs. Cependant, à l'au-

topsie, c'est la glande thyroïde qui, avec la glande pituitaire, présenta le

développement le plus excessif. Elle constitue une masse dure, ferme, très

facile à isoler des parties voisines. Dans son ensemble, elle a conservé la

forme et les dispositions qu'elle présente à l'état normal. Les caractères ana-

tomiques sont d'autant plus faciles à observer que son hypertrophie est des

Fig. 1. Le squelette du médius droit du géant Pierre K., comparé a celui d'un

adulte normal.

168 LAUNOIS ET IIOY

plus marquées. Débarrassée de ses enveloppes celluleuses, elle pèse 250

grammes : son poids est donc 10 fois plus élevé que le poids de la thyroïde

chez l'adulte ; on sait en effet que le poids de la glande de l'homme adulte

oscille entre 18 et 25 grammes (PI. XXXVIII).

Des deux lobes, unis par l'isthme, qui ne présente pas de prolongement de

Lalouette, le gauche descend plusbas que le droit. Les dimensions respectives

de ces deux lobes sont les suivantes :

NOIJV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE,

T, XVII, PL, XXXVIII.

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE

(P.-E. Launois et Pierre Roy )

Le corps thyroïde du géant Pierre K... (Poids : 250 grammes.)

A, face antérieure; B, face postérieure.

Masson et C ? Éditeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, T, XVI, PL. XXXIX.

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE E

(P.-E. Launois et Piètre Roy.)

Face zuférirrrr dit cerveau du géant Picr rc K..., montrant, en avant du chiasma, le prolongement de

la tumeur (lU corps pituitmrc qui s'enfonce, par la, scissure interliéniispliériqne, à l'intérieur de 1 hémr-

J ! . Segment postérieur d'une confie frontale du cerveau du géant Pierre IL ? montrant le prolongement

de la tumeur hypophysairc : 1 l'intérieur du ventricule latéral droit dilaté. (Par un artifice de dessin, on

a figuré en position, sur la photographie, la poition de la tumeur comprise à l'intérieur de la selle

tiiinquc, de manière à faciliter la compréhension des rapports généraux de cette tumeur. Lors de

1 autopsie, on dut sectionner le pédicule qui unissait les deux portions de la tumeur et menaçait d'être

(lilzicéré au cours des m.ll1wU\ res de l'ablation du cerveau.

Masson et CIO, Éditeurs.

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE 169

le pédicule de la tumeur était constitué par la tige pituitaire considérablement

hypertrophiée. Celle-ci présente, sur la surface de section, un épaississement

notable de ses parois, en même temps qu'un élargissement marqué de son canal

central, dont l'orifice est des plus apparents à l'oeil nu, mesurant 2 mm. envi-

ron. Ainsi augmentée dans ses dimensions, la tige pituitaire forme un mamelon

creusé à son centre et occupe sa position normale en arrière du chiasma des

nerfs optiques. En avant de ce chiasma, on trouve la surface de section d'une

masse ayant le volume du pouce et mesurant 2 cm. dans son diamètre trans-

versal et 1 cm. 5 dans son diamètre antéro-postérieur. Cette masse n'est autre

qu'un prolongement de la tumeur qui, partant de la région antérieure de l'hy-

pophyse et passant entre les deux nerfs optiques, sans les comprimer, s'en-

fonce, par la scissure interhémisphérique, jusque dans le lobe frontal droit.

Sur une coupe frontale de l'hémisphère droit (PI. XXXIX, B), on retrouve la

tumeur qui remplit la cavité du ventricule latéral correspondant, très dilatée.

Elle forme à ce niveau une masse allongée, cylindrique, haute de 5 cm., large

de 2 cm. S. Elle tranche par sa coloration grisàtre sur les parties blanches envi-

ronnantes et la consistance assez ferme de la zone périphérique permet aisément

de l'isoler. La portion centrale est occupée par une sorte de gelée à reflet céru-

lescent, analogue à du mucus. Il semble qu'un produit de sécrétion se soit

accumulé dans le centre même du prolongement intra-ventriculaire de la

tumeur hypophysaire.

Examen HISTOLOGIQUE.

L'examen histologique des différents organes, n'a pas montré de lésions bien

caractéristiques. Toutefois il nous a paru intéressant de résumer les différentes

constatations que nous avons faites avec l'obligeant concours de M. Lefas,

interne des hôpitaux.

Foie. Il n'existe pas de sclérose proprement dite ; les espaces portes ne pré-

sentent rien de particulier; il n'existe pas d'artérite.

En de rares points on voit un peu de tuméfaction des cellules endothéliales

des capillaires ; ces derniers sont un peu dilatés et renferment dans leurs parois

quelques granulations pigmentaires.

Les noyaux des cellules hépatiques sont inégaux ; quelques-uns, volumineux

et clairs, sont en voie de chromatolyse. Il y a de plus une dégénérescence

graisseuse modérée, répartie irrégulièrement, en même temps que de la dégé-

nérescence granuleuse, et, par places, granulo-pigmentaire du protoplasma

cellulaire.

Reins. Il existe une sclérose nette au niveau de la substance médullaire ; elle

se retrouve, mais plus légère, dans la substance corticale, où elle semble plus

marquée qu'elle ne l'est réellement à cause de la dilatation des capillaires ren-

fermant une fine émulsion granuleuse, produit de la dissolution des globules

rouges par le formol. ·

Les glomérules ne sont pas entourés de sclérose et il n'y a pas de lésions

170 LAUNOIS ET ROY

évidentes du revêtement capsulaire. Les capillaires sont dilatés à l'intérieur

des glomérules et renferment de fins granula pigmentaires.

Ces grains de pigment sont abondants dans l'endothélium et la lumière des

capillaires de la substance corticale. Les artères, en collapsus, ne montrent

pas de lésions.

Les tubes contourné^ sont désordonnés : les uns possèdent des cellules hy-

pertrophiées ,les autres des cellules de dimensions normales. Toutes ces cellules

ont des contours fusionnés et présentent un contenu granulo-graisseux, avec

un certain nombre de grains pigmentaires ; leurs noyaux ne sont pas visibles.

Dans cette substance corticale on trouve des alvéoles remplies de cellules

du type cubique à noyau bien coloré, à protoplasma assez large ; certaines de

ces cellules ont des contours nets, une forme en raquette et renferment deux

et même trois noyaux.

Quelques alvéoles de ce genre se trouvent dans la substance médullaire, mais

en très petit nombre.

Les branches d'Heidenhain et les tubes droits sont sains, mais leurs cellules

sont en désordre et, dans les branches larges, les cellules granuleuses, mais à

uoyau visible, sont fusionnées par leurs contours.

Capsules-surrénales. - On note une grande dilatation des capillaires de la

substance centrale. Les glomérules apparaissent très nets dans la substance

corticale ; leurs cellules, bien limitées, sont, par places, en voie de dégénéres-

cense muqueuse. Le tissu conjonctif est relativement abondant dans la région

corticale et, en ce point, il existe quelques petits îlots embryonnaires.

Rate. - On ne note rien de particulier, sauf un peu de sclérose ; les cor-

puscules de Malpighi ne sont pas très volumineux ; le pigment est assez

abondant dans les corpuscules et dans les capillaires de la pulpe (1).

testicules Il existe une sclérose interstitielle diffuse et régulièrement pé-

riartérielle, ainsi qu'autour des capillaires intertubulaires. Les cellules des tubes

séminifères présentent de la dégénérescence granulo-pigmentaire ; elles ont

une forme en raquette et renferment un noyau ovalaire volumineux ; quelques-

unes renferment deux et même trois noyaux. Les capillaires dilatés contiennent

un peu de pigment, qu'on retrouve également à l'intérieur des veines et dans

leurs parois. L'épididyme paraît normal.

Corps thyroïde. - Les vésicules, assez larges, inégales, renfermant de la

substance colloïde, ont leurs cellules en voie de fonte muqueuse et de chroma-

tolyse ; elles sont séparées par quelques larges bandes conjonctives. On

remarque la présence du pigment dans les vésicules et le tissu interstitiel.

Système nerveux (2). Bien qu'il n'y ait pas d'épaississement des méninges,

il existait au niveau de la pie-mère des petites plaques dures et résistantes, en

assez grand nombre. L'examen histologique a montré qu'elles étaient formées

non seulement de tissu fibreux adulte, mais surtout de tissu osseux.

(1) Une regrettable erreur de technique, consistant dans le séjour trop prolongé

dans le formol, a empêché l'examen de la structure fine du pancréas.

(2) Nous remercions bien sincèrement 11. Klippel et Lefas qui ont bien voulu se

charger de l'examen du système nerveux.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE, T. XVI, PL, XL,

GIGANTISME ET ACROMEGALIE

(P.-E. Launois et Pierre Roy.)

Tumeur de l'hypophyse (portion contenue dans la selle turcique) [fort grossissement].

A, Les éléments rappellent encore la forme des éléments cellulaires normaux de 1 hypophyse. Presque toutes ces cellules sont des éosinophiles , certaines d'entre elles

sont plurinucléées (a), sans que l'on trouve nulle part de division 1-,aryolinétiqtie. - Il n'y a pas de cellules cyanophiles. Quelques éléments par leur irrégularité

et surtout par leur noyau pâle rappellent les cellules sidérophiles (s).

1S, Point de la préparation où les cellules cummencent à s'éloigner tout à fait du type normal, marquant ainsi le passage vers l'épithélioma.

MASSON et C c, Éditeurs.

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE 171

L'étude du cerveau a montré son intégrité : les cellules pyramidales étaient

nombreuses, grandes et bien colorées ; il n'y avait pas d'infiltration embryon-

naire.

On ne constate aucune lésion au niveau du bulbe ni de la protubérance.

A la région cervicale de la moelle, il n'y a ni sclérose, ni épaississement

des méninges rachidiennes, mais on observe, outre une prolifération marquée

de l'épithélium de l'épendyme, une diminution numérique des cellules des

cornes antérieures : ces dernières, normales d'aspect et de dimensions, sont en

moyenue au nombre de 6 pour le groupe antéro-externe, 10 pour le groupe

antéro-interne et 7 pour le groupe postérieur. Mais cette diminution du

nombre des cellules est surtout marquée à la région dorsale, où l'on en

compte en moyenne 3 pour le premier groupe, 3 pour le second et 2 pour le

groupe postérieur. De plus, à ce niveau, la lumière de l'épendyme renferme

des cellules épithéliales libres. Sur certaines des préparations relatives à cette

région on voit dans la substance blanche, en dehors de la corne postérieure,

quelques grosses cellules isolées, arrondies, qui paraissent être des cellules

névrogliques. A la région lombaire on trouve de la prolifération de l'épen-

dyme, avec desquamation cellulaire. On compte en moyenne 17 cellules mo-

trices dans le groupe externe, 6 dans le groupe interne et 6 à 7 dans le groupe

postérieur. Nulle part, dans la moelle, on ne note de sclérose ; en quelques

points de la région dorsale on voit seulement de la dilatation des vaisseaux

situés à la jonction des deux cornes, avec épaississement, comme cela se ren-

contre fréquemment dans les moelles séniles. Les racines sont normales. Les

coupes portant sur le filum terminale ne montrent rien de spécial.

Tumeur CÉRÉBRALE. - L'examen histologique de cette tumeur a été pratiquée

en deux régions distinctes : '

10 Portion contenue dans la selle turcique.

A. (PI. XL.) Certains points montrent encore la structure presque typique

de la glande pituitaire. On voit des tubes épithéliaux plus ou moins nets ; ces

cordons sont délimités par des parois conjonctives non hypertrophiées, mais

on n'observe pas la fine trame conjonctive, parfois intracellulaire, que l'un de

nous (1) a décrite dans l'hypophyse de.la femme enceinte et que l'on peut con-

sidérer comme normale.

Les capillaires sillonnant les travées sont à peu près normaux.

Les cellules qui forment la masse du tube épithélial appartiennent presque

toutes au type éosinophile. Il n'y a pas du tout de cellules cyanoplllies. Il y a

peut-être quelques éléments sidérophiles (2).

Les éléments éosinoplules sont caractérisés par un noyau de 4 environ,

régulièrement arrondi, riche en chromatine. Leur protoplasma est teint en

rose.

(1) P.-E. LAUNOIS et P. MVLON, Communication à l'Association des anatomistes,

Liège, avril 1903.

(2) La coloration caractéristique n'a pas été faite (Voir P.-E. LAIINOIS, C. Il. Soc.

de biologie, mars 1903).

172 LAUNOIS ET ROY

Certains de ces éléments sont assez petits,- d'autres au contraire sont assez

volumineux (15 à 18 fi). Leur forme générale est polygonale par pression

réciproque ; on trouve des cellules arrondies qui correspondent à des cellules

saines, cependant elles sont rares ; la plupart des éléments sont plus ou moins

régulièrement polygonaux.

B.(PI. XL). En certains points enfin les cellules, toujours du type éosinophile,

prennent une forme allongée, étirée; le cytoplasma effilé s'accole à celui des

cellules voisines de façon à former des masses pleines sans travée conjonctive.

Dans ces endroits on ne rencontre plus que de très rares cellules éosinophiles

de forme typique. Ce sont ces points qui établissent une transition vers une

autre portion de la tumeur que nous étudierons plus loin ; on reconnaît encore

l'épithélium de la glande, mais il est en pleine végétation, iLs'organise atypi-

quement.

On trouve la preuve très nette de cette végétation dans l'existence de nom-

breux éléments plurinucléés. On observe en effet toujours parmi les éléments

éosinophiles (1) des cellules à 2, 3, 4, et jusqu'à 7 noyaux. Ces noyaux sont

toujours ronds, petits, riches en chromatine. Mais dans le voisinage on trouve

des éléments dont les noyaux étranglés peuvent être absolument considérés

comme en voie de division amitosique. Nulle part nous n'avons pu relever

une disposition qui rappelle les figures de la division karyokinétique.

Au milieu des éléments éosinophiles que nous venons d'étudier, on trouve

çà et là quelques cellules à gros noyau vésiculeux, clair, qui sont vraisembla-

blement des cellules sidérophiles. Ce sont les seules cellules qui indiquent un

processus physiologique au sens glandulaire.

, Nous pouvons en effet nous résumer en disant que cette région de la tumeur

montre un épithélioma encore typique qui rompt la trame conjonctive où il était

contenu et dont les éléments tendent à s'éloigner de leur forme normale ; en

un mot, il s'agit d'un épithélioma primitif au début.

2° Prolongement intm-ventTiculail'e de la tumeur à l'intérieur du lobe

frontal droit.

A un faible grossissement (PI. XLI), on voit que la tumeur est formée d'une

nappe cellulaire assez vascularisée : cette vascularisation donne en certains points

(notamment au voisinage de la partie colloïde que la section macroscopique du

cerveau avait décelée au centre du prolongement intraventriculaire), un aspect

de cordons épithéliaux séparés par des vaisseaux sinueux assez régulièrement

disposés. Dans d'autres points on n'a pas cet aspect et on voit seulement çà et

là, dans la nappe cellulaire, la section longitudinale ou transversale d'un vais-

seau. Ces vaisseaux sont, dans les parties périphériques de ce prolongement

intra-ventriculaire de la tumeur, de grandes dimensions.

C'est en somme l'aspect général de la glande normale sauf que les tubes sont

beaucoup plus larges et que les vaisseaux sont beaucoup plus visibles.

(1) Cet aspect justifie l'opinion émise par l'un de nous, à savoir que les cellules

t éosinophiles sont la forme primordiale d'où dérivent les autres types cellulaires de

l'hypophyse (P.-E. LAUNois et P. MULON.toC. cil.).

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XVI, PL. XLI.

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE E

(P.-E. Launois et Pierre Roy.)

Tumeur de l'hypophyse. (Prolongement intra-ventriculaire.)

A, Grossissement faible : B, Grossissement moyen.

c, cordons (pith(ll'\I" complètement remaniés par Lu I) roi itération des cellules glandulaires devenues presque

toutes atypiques.

v, \ .11 : .scau,- (.lplll.l11l's Iiont la gaine cOI1Joncll\ e est extrêmement hypertrophiée.

MASSO* et Ct-, éditeurs

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE 173

A un grossissement plus fort (Pl. XLI,B), on voit que ces vaisseaux n'out pas

l'apparencedecapillaires : tous possèdent, en dehors deleurendothélium, normal et

bien conservé, quelques assises de fibres conjonctives ; c'est une sclérose une

hypertrophie considérable de la mince lame conjonctive des travées entourant

les capillaires à l'état normal. Il y a une couche interne d'élément fib¡'o-plas-

tiques absolument remarquable.Les vaisseaux les plus petits, situés au centre du

prolongement ventriculaire, ont une paroi conjonctive relativement plus épaisse,

étant donné leur calibre, .que les vaisseaux de la périphérie. Ceux-ci sont dila-

tés, remplis de globules rouges ; ils renferment de nombreux globules blancs,

mono et poly-nucléaires, ainsi que des cellules épithéliales, assez nombreuses,

parfaitement conservées et bien colorées, identiques à celles qui constituent la

tumeur et que nous allons décrire ; c'est ainsi qu'on voit un gros vaisseau, tout

à fait périphérique, oblitéré par un véritable thrombus leucocytique.

La tumeur épithéliale apparaît formée de cellules étroitement pressées les

unes contre les autres et traversées par un réticulum fibrillaire extrêmement

délicat que l'on ne voit que par dissociation. Ces cellules présentent des for-

mes diverses qui toutes se rapportent à la forme polygonale. Cet aspect se voit

nettement sur la périphérie des préparations que l'on a légèrement dissociées

par écrasement, car dans la masse de la tumeur les cellules sont déformées par

pression réciproque. C'est ainsi qu'il en existe de triangulaires, de presque

cubiques, d'ovalaires à contour légèrement brisé, de polygonales vraies. Leurs

dimensions sont à peu de chose près identiques ; leur protoplasma granul&u1'

se teinte en rose pâle par l'éosine, en jaune-brun-rouge par le picro-carmirit ;,

leur noyau arrondi, occupant le tiers ou le quart du corps cellulaire, souvent

excentrique, se colore fortement par le carmin et l'hématoxyline. Cependant,

en examinant de près, on reconnaît qu'il existe des éléments en nombre varia-

ble suivant les points examinés et qui répondent aux types suivants :

t a. Cellules à deux noyaux isolés ou accolés en sablier (en petit nombre).

b. Cellules ovalaires, larges, à protoplasma se colorant mal, réticulé, gra-

nuleux, à noyau plus ou moins excentrique, déformé, mal coloré. Ces cellules,

nombreuses, représentent des éléments en dégénérescence colloïde.

c. Cellules à noyau en caryolyse (assez rares).

d. Cellules à noyau géant, paraissant occuper la totalité ou les 3/4 du corps

cellulaire. Elles sont relativement nombreuses en certains points isolés de la

tumeur et'représentent des éléments en karyokinèse, des cellules sidérophiles

atypiques, probablement.

e. Cellules à 3 noyaux (rares).

Les cellules libres dans quelques vaisseaux affectent le type général que

nous avons décrit au début comme le plus habituel.

Au voisinage de la portion colloïde située au centre du prolongement ven-

triculaire, les cellules sont presque toutes en dégénérescence colloïde, avec

disparition ou mise en liberté du noyau. Quant à la partie colloïde elle-

même, elle n'a pu être coupée, car elle s'est rétractée et détachée lors du dur-

cissement.

174 LAUNOIS ET ROY

On est frappé de la similitude des cellules de cette tumeur avec celles du

corps pituitaire normal et la seule dénomination qui paraît convenir à la

tumeur est celle à' épithélioma primitif du corps pituitaire. Quant à la dégé-

nérescence colloïde, elle n'a rien que de très normal dans les épithéliomas

dérivés des cellules qui normalement ont une sécrétion, soit muqueuse, soit

colloïde (corps thyroïde, estomac, gros intestin, etc.). La tumeur végétait,

mais n'envahissait pas le cerveau; elle ne présentait aucune adhérence avec les

parois du ventricule et les coupes microscopiques des portions des hémisphères,

contiguës la tumeur (lobe frontal) ont montré l'intégrité des circonvolutions et

de la substance blanche.

Considérations générales.

Les résultats de l'examen macroscopique et microscopique que nous

venons de rapporter nous permettent de mettre en valeur quelques-unes

des particularités qui nous ont paru les plus intéressantes.

La première et non la moins importante est que l'observation de K. se

rapproche en tous points de celles, déjà nombreuses, qui peuvent servir

aujourd'hui à édifier la description biologique des géants acromégalique

à tumeur hypophysaire.

En 1900 on pouvait encore douter que le malade fût véritablement un

acroméga 1 ique ; il ne présentait que quelques-uns des stigmates de la ma-

ladie de Piéne Marie et ces stigmates étaient très atténués. Pourtant

M.Brissaud n'hésitait pas,dès cette époque, à reconnaître en K. un « petit

acromégale » et à rappeler que pour lui le Gigantisme et l'Acromégalie

étaient une même affection dont les manifestations extérieures dépendaient

de l'époque d'apparition des phénomènes de croissance excessive, c'est-à-

dire état des cartilages de la conjugaison (1). En 1902, peu de temps

avant sa mort, les déformations caractéristiques s'étaient très nettement

accusées : l'examen de la face en particulier, avec la saillie anormale des

os malaires, la courbure du nez et la proéminence du menton, rendait le

diagnostic indiscutable.

D'autre part, la tumeur hypophysaire explique non seulement l'rtcromé-

galie, mais encore le gigantisme.

. Tarufii (2), Cunningham(3), Sternberg(4), Tamburini (5),Hinsdale (G)

(1) BRISSAUD. Discussion a la suite de la présentation d'Achard et Laper. Soc. de

neurologie, 3 mal 1903.

(2) TAntiFFi. Caso della macrosomia, Annali universali di medicina,1819, t. 247 et 219.

(3) Conntvcn.w. The skelelon of llie rish Igiant, Cornelius lIJagl'{{tlt, Transact. of

the Royal Irish Academy, 26 janvier 1891, vol. XXIX, part. XVI.

(4) Steiinbeiio. Die Acromégalie, Specielle path. und Therap. (Nothnagel), VII,

Band. II, Theil, 1898.

(5) TAiii3uni,,i. De l'Acromégalie, Congrès internat. de neurol. de Bruxelles, Sept. 1897.

(6) Hinsdale. Acromegoly (The skeleton of the American giant). Détroit, 1898.

GIGANTISME ET ACROMÉGALIE 175

et plusieurs autres ont montré l'existence, sur la plupart des squelettes de

géants qui sont conservés dans les musées et qu'ils ont pu étudier, d'une

dilatation de la selle turcique, cet élargissement de la cavité osseuse cor-

respondant évidemment à l'augmentation de volume de la glande qui s'y

trouvait logée.

En outre, dans toutes les dernières autopsies de géants on a retrouvé

une tumeur de l'hypophyse.

La géante lady Aama (Woods Hutchinson) (1) avait une hypertrophie

notable du corps pituitaire ; il atteignait environ le volume de la dernière

phalange du pouce.

Chez le géant Péruvien de Dana (2), la glande pituitaire pesait 4, gram-

mes et mesurait 34 mm. d'avant en arrière et 31 mm. d'un côté à l'autre.

Le géant « Goliath », dont Dallemagne (3) rapporte l'autopsie, présen-

tait une tumeur hypophysaire du volume d'un oeuf de pigeon ; elle avait

excavé la selle turcique, comprimé les nerfs optiques; l'examen histo-

logique démontra qu'elle était de nature sarcomateuse.

Simon Botis, le géant de Buday e[Jineso (1), était porteur d'une tumeur

plus grosse qu'un oeuf de poule formée par l'hypophyse augmentée de

volume ; étudiée au microscope, elle avait tous les caractères d'un angio-

sarcome.

Enfin Caselli (5) rapporle avec détails un cas d' « acromégalie avec gi-

gantisme, compliqué de sarcome du maxillaire inférieur et de myxome de

la fosse iliaque », où le corps pituitaire était représenté par une masse lo-

bulée, occupant tout l'espace interpédonculaire et qui fut considérée

comme adénome.

Ces faits, choisis parmi ceux qui ont été le plus récemment publiés et

le plus complètement étudiés sont en tous points comparables à celui que

nous rapportons. Ils contribuent à justifier pleinement l'opinion tant de

fois soutenue par Brissaud et IL Meige (6) sur l'identilé du Gigantisme et

de l'Acromégalie et permettent d'accepler intégralement les conclusions de

Woods IIutchinson qui voit dans l'hypertrophie du corps pituitaire la base

pathologique commune du gigantisme et de l'acromégalie, expressions diffé-

rentes d'un seul et même état morbide (7).

(1) Woods Hutchinson. The American journ. of the med. sciences, août 1895, p. 190.

(2) DANA. Obs. I in the Journ. of nervous and mental diseas, nov. 1893, p. 125.

(3) Dallemagne. Obs. 1 in Arch. de med. expérim., 1895, p. 589.

(4) Budat et Janoso. Deutsches Archiv. sur klin. Med., 1898,.p. 385.

(5) CASELLI. Etude anatomique et expérimentale sur la physiologie palhologi,que de

la glande pituitaire, Regôio-Emtlia, 1900, p. 189.

(G) Brissaud et MEIGE, Journ. de m d, et de chir. pratiques, 25 janvier 1895 ; et

Brissaud, Soc. méd. des hôp., mai 1896 ; IIemiy Meige. Sur le Gigantisme. Arch. gén.

de méd., octobre 1902.

(1) WOODS Hu'iciunson. La glande pituitaire considérée comme facteur de l'acromé-

galie el du gigantisme. New-York med. journ., 18 juillet 1900, t. Il, p. 192.

176 LAUNOIS ET ROY

Cette hypertrophie de l'hypophyse, facile à constater à l'autopsie d'un

géant ou d'un acromégalique, peut être aujourd'hui facilement reconnue

pendant la vie. L'élargissement de la selle turcique, en relation constante

avec l'augmentation de volume de l'organe qu'elle contient, est rendu

évident par l'emploi des rayons de Rôntgen. L'image fournie par la ra-

dioscopie du crâne constitue le signe le plus indiscutable de l'acromégalie ;

il a une valeur égale à celle des constatations faites à l'autopsie. Grâce à

lui, nous avons pu tout dernièrement affirmer, chez un géant infantile, le

grand Charles, l'évidence de la maladie de Pierre Marie, et cela, avanl

même l'apparition des déformations osseuses caractéristiques (1).

En réunissant les différentes épreuves qu'il a pu recueillir dans ces

derniers temps, en se basant en particulier sur celle de notre géant K...,

qui date de 1901, M. Béclère a pu mettre en valeur les différentes modifi-

cations que présente le crâne acromégalique (2). En nous basant sur les

données qui nous ont été gracieusement communiquées par notre collègue,

nous avons pu construire le schéma ci-contre, du crâne acromégalique,

dans lequel on peut constater : 1° l'épaississement inégal des parois du

crâne; 2° l'augmentation des sinus frontaux; 3° le ressautpost-lamhdo'i-

dien (Papillault) ; 3° l'élargissement de la selle turcique (cita.

Chez le géant K..., en particulier, l'épaisseur des os du crâne était si

marquée qu'elle rendit très difficile l'ouverture de la boîte crânienne.

En résumé, K... est un géant acromégalique : il ressemble à ceux dont t

l'observation a été publiée par les déformations de son squelette, par la

présence d'une tumeur pituitaire, etc. Il offre de plus quelques particula-

rités intéressantes à résumer :

10 On a pu, par exemple, relever chez lui la présence de plaques osseuses

méningées spinales, signalées dans plusieurs cas (Henrot) (3), Duches-

neau (4), Finzi (), Sainton et Staté) (6), et qui, pour Staté, seraient

probablement responsables des douleurs à caractère névralgique, obser-

(1) P. E. LAUNOIS et Pierre Roy. Gigantisme..et Infantilisme. Soc. de Neurol., 6

nov. 1902 et Nouv. Icon. de la Salpêtrière, n" 6, nov..déc. 1902, p. 540.

(2) Béclère, La radiographie du crâne et le diagnostic de l'acromégalie, Soc. méd.

des hôp., 5 déc. 1902.

(3) HENROT, Notes de clin. méd. Reims, 1877 et 1882 (obs. reproduite pur P. Marie,

Nouv. Icon. de la Salpêtrière, 1888, p. 251 et 1889, p. 235.

(4) DUCNESNEAU, Etude anatomique et clinique de l'acromégalie, Thèse de Lyon,

1891-1892.

(5) Fini, Sopra un caso di Acromegalia, Ospedate civile di Badia Polesme, Bologna,

1897.

(6) STATÉ, La forme douloureuse de l'acromégalie, Obs. X, in Thèse de Paris, 1900.

GIGANTISME ET ACHOMÉGALIE 177

vées chez les malades [forme douloureuse de l'acromégalie de P. Marie et

Staté).

z Comme chez nombre de géants (Constantin (1), Simon Botis (2), elc.),

on a rencontré chez K..., des lésions de tuberculose pulmonaire. Cette in-

fection par le bacille de Koch trouve une facile explication dans la conta-

gion à laquelle notre sujet fut exposé pendant ses séjours répétés et plus

ou moins prolongés dans les différents services hospitaliers.

3° Parmi les constatations faites à l'autopsie, une des plus intéressantes

est l'hypertrophie énorme du corps thyroïde (250 grammes), qui resta ce-

pendant inaperçue pendant la vie. Les altérations similaires du corps.

thyroïde ont été déjà signalées chez les acromégaliques (3). En 1898,

Hinsdale (4) sur 57 cas non douteux d'acromégalie suivis d'autopsie, a re-

Fig. 2. Schéma du crâne acromégalique, construit d'après les données radiogra-

phiques de M. Béclère et montrant la réunion des principaux caractères (dilatation

de la selle turcique, élargissement des sinus frontaux, inégal épaississement des

parois crâniennes, ressaut post-lambdoïdien).

(1) Dutnnae (de Mons), P. E. LAUNOiset Pierre Roy. Les rapports du Gigantisme et

de l'Acromégalie expliqués par l'autopsie du géant Constantin. Soc. méd. des hôp.,

8 mai 1903.

(2) BUDAY et JANCSO, Loc. cit.

(3) La glande thyroïde était également hypertrophiée chez le géant de Buta et

JANCSO, loc. cit.

(4) Hinsdale, Acromegaly, Détroit, U. S. A. 1898.

178 LAUNOIS ET ROY

levé 36 cas où la thyroïde avait été examinée. Ces 36 cas se décomposaient

de la manière suivante :

13 fois la thyroïde était hypertrophiée (Bailey, Godlee, Haskovec, Pé-

chadre, Osborne, Verstraeten, Wolf, Carpenter, Furnivall, Smyth, Hen-

rot, Arnold). ·

11 fois la thyroïde était atrophiée (Erb, Fratnich, Minkowski, Hasko-

vec, Marie, Curschmann, Sigurini et Caporiacco, Tikhomiroff, Linsmayer,

Somers, Bonardi).

12 fois la thyroïde était normale (Freund, Hadden, Ballance, Comini,

d'Esterre, Wadsworth, Goldsmith, Rolleston, Roxburg et Collis, Strze-

minski, Stroebe).

S'il est facile de constater l'augmentation de vol ume de la glande thyroïde

et de décrire les modifications histologiques dont elle est le siège, il est

beaucoup plus difficile d'interpréter la signification pathologique des lé-

sions observées. Elle soulève en effet un difficile problème de physiologie

pathologique. Sans chercher à le résoudre, nous nous contenterons de

rappeler les observations de Rogowitch (1), Gley (2), Boyce et Beadles (3),

etc., qui tendent à établir un rapport de suppléance entre la glande pitui-

taire et la glande thyroïde, rapport qui se traduirait, en cas de lésion de

l'une de ces glandes par l'hypertrophie de sa congénère. Il peut être aussi

intéressant, à ce titre, de rapprocher du cas de notre géant acromégalique,

porteur d'une tumeur hypophysaire et d'une hypertrophie considérable du

corps thyroïde, ceux de myxoedème et de crétinismesporadique rapportés

» par Boyce et Beadles, qui ont, chez leurs malades, relevé la coexistence

d'une atrophie thyroïdienne avec une hypertrophie pituitaire.

4° Quant à la tumeur cérébrale que nous considérons ici comme la cause

commune du gigantisme et de l'acromégalie, il nous faut avant tout faire

remarquer que, malgré son volume énorme, elle demeura presque silencieuse

pendant la vie. Sa présence ne se traduisit guère en effet que la veille de

la mort par l'apparition de crises convulsives épileptiformes. Malgré son

enclavement entre le pédicule de la pituitaire et le prolongement intra-

cérébral de la tumeur, le chiasma des nerfs optiques avait échappé à toute

compression : il avait subi un élargissement transversal, mais les fibres

nerveuses qui entrent dans sa constitution avaient conservé leur fonction

physiologique, ainsi que le démontre l'absence complète de phénomènes

(1) Rogowitch. Effets de l'ablation du corps thyroïde, Arch. de physiol., 15 nov.

1888.

(2) GLEY. Sur les fondions du corps thyroïde, Soc. de biol., 1891 et Arch. de physiol.

norm. et path., 1902.

(3) RUBEHT Boyce et CECIL F. Beadles. Hypertrophie de l'hypophyse dans le m ! Jxoe-

dème avec remarques sur l'hypertrophie de l'hypophyse associée aux modifications du

corps thyroïde, Journ. of. pathology and bactériology, 1893, I, p. 223.

GIGANTISME ET .lCIioJ1( : G1LI1 : 179

oculaires. « On ne trouve pas les signes de compression qui permettraient

d'incriminer la présence d'une tuméfaction de l'hypophyse », avaient dit

Achard et Loeper en 1900. Leur assertion, confirmée quelques mois plus

tard par Rendu, restait encore exacte deux ans après, c'est-à-dire pendant

notre observation dans les derniers mois de la vie. S'il en était ainsi, c'est

que la tumeur, ainsi que nous l'apprit l'autopsie, gênée dans son expansion

par la basse osseuse du crâne, s'était développée dans le ventricule latéral

droit, en pleine substance blanche, remarquablement tolérante. Notons,

encore, que dans aucun des cas de tumeur hypophysaire, observés à l'au-

* topsie des géants ou des acromégaliques on ne trouva un prolongement

intrahémisphérique analogue à celui de notre géant. '

Au point de vue histologique, la tumeur est un épithélioma primitif du

corps pituitaire. Cette variété histologique serait très rare, si l'on s'en

rapporte à la statistique publiée par Parona (1) et qui porte sur 57 cas,

se décomposant de la façon suivante :

180 LAUNOIS ET KOY

reins étaient doublés ou triplés de volume ; chez quelques-uns l'intestin,

le coeur, la moelle même (Linsmayer) avaient subi un développement pa-

rallèle.

Il est à noter que chez tous aussi, le cerveau gardait à peu de chose près

le poids qu'il présente chez un adulte normal. Noire géant ne faisait pas

exception à la règle, établie depuis longtemps par les anthropologistes, à

savoirque « la partie qui subit le moins de changement dans ces construc-

tions extrêmes (nains et géants) est justement la tête» » (1).

Le problème qui se pose en présence du gigantisme viscéral est celui

du mécanisme intime de sa production. S'agit-il d'une splanchnomégalie se-

condaire au développement gigantesque du squelette, ou bien, plus vrai-

semblablement, n'est-ce pas la même cause qui tient sous sa dépendance

les hypermégalies viscérales et l'hypertrophie des extrémités (acroméga-

lie) ou de tout le squelette (gigantisme) ? La malade de MM. Chauffard et

Ravaut, qui ne mesurait que 1 m. 53, « n'avait pu, disent ces auteurs,

gigantifier son squelette en raison de l'àge avancé (19 ans), auquel les

premiers symptômes acromégaliques s'étaient montrés ; elle n'avait réalisé

son gigantisme que sur ses viscères ». Quoi qu'il en soit de la réalité de

cette explication des auteurs, en particulier de la prétendue impossibilité

pour un squelette de 19 ans de faire du gigantisme (2), il est bien certain

que dans le cas de Ravaut il ne pouvait s'agir d'une hypertrophie, viscé-

rale secondaire à un développement squelettique gigantesque. On est ainsi

amené à attribuer la sJ1lanchnomégalie à la même cause que l'acro-

mégalie, c'est-à-dire à l'existence de la tumeurpituitaire, révélée par l'au-

topsie.

6° De même que la splanchnomégalie, le diabète qui existait chez notre

géant nous paraît être encore une conséquence directe de la tumeur

hypophysaire. La fréquence bien connue du diabète dans l'acromégalie

nous explique son existence chez le géant K. Quant aux relations qui

existent entre les tumeurs de l'hypophyse et la glycosurie, elles consti-

tuent un intéressant problème, auquel nous avons consacré une étude

spéciale (3).

(1) Quételet, Anthropométrie, 1871, p. 296.

(2) Voir les exemples que nous avons rapportés de gigantisme par prolongation de

la croissance, c'est-à-dire par retard anormal de l'ossification des cartilages épiphy-

saires, révélée par la radiographie. I'. E. Launois et Pibhhe Roy, Nouv. Icon. de la

Salpêtrière, ne 6, nov.-déc. 1902, p. 540 ; - et la thèse de Pierre Roy. Contribution à

l'élude du gigantisme (Paris, 25 février 1903).

i (3) P. E. LAUNOIS et Pierre Roy, Glycosurie el hypophyse. Arch. gén. de méd.,

5 mai 1903.

CLINIQUE PSYCHIATRIQUE DE L'UNIVERSITÉ DE BUDAPEST

(SERVICE lJE.11, LE PROFESSEUR bl0RAC31K).

GIGANTISME PRÉCOCE

AVEC

DÉVELOPPEMENT PRÉCOCE DES ORGANES GÉNITAUX (1),

PAR

Charles HUDOVERNIG, et Uros Pétry POPOVITS,

Chef de clinique. Interne.

Dans son travail Sur le Gigantisme, paru en 19U,141. Henry Meige (2),

a donné une description parfaite et complète du tableau nosographique

de cette anomalie du développement . Nous nous contenterons d'en men-

tionner seulement les points qui sont en rapport avec notre cas. Le fait

que notre observation date de quelques mois ne nous permet pas de con-

tribuer à trancher la question de l'identité de l'acromégalie et du gigan-

tisme, opinion soutenue par MM. Brissaud et Henry Meige, combattue par

M. P. Marie. Mais le fait du développement précoce des organes génitaux

chez un enfant qui n'a pas encore six ans, justifie la publication de cette

observation. On a dit en effet que la torpeur sexuelle, l'infantilisme caracté-

risaitla plupart des géants.

Quant à l'état de la glande hypophysaire la plupart des auteurs admet-

tent qu'on trouve chez presque tous les géants une hypertrophie de cet

organe. S'appuyant sur ce fait, Tamburini (3) prétend que le gigantisme

n'est pas lié à l'abolition de la fonction de la glande hypophysaire, mais

qu'il est un résultat de son hyperfonction. Cette opinion semble justifiée

par un grand nombre d'autopsies et d'examens du squelette des géants

(élargissement de la selle turcique).

Les dernières recherches sur la physiologie de la glande hypophysaire

ne sont pas en contradiction avec l'opinion de Tamburini, acceptée par la

^plupart des auteurs. Lomonaco et Rymberck (4.), Friedmann et Maass (5)

n'ont trouvé aucun changement chez les animaux auxquels fut extirpée la

glande hypophysaire, et concluent qu'elle est un organe rudimentaire, sans

(1) Ce travail a été communiqué par M. Henry MEIGE, à la Société de Neurologie de

Paris, séance du 6 mai 1903.

(2) Archives générales de médecine, 1902, oct.

(3) Congrès internat. de Neurol. et Psych., Bruxelles, 1897.

(4) Rivista mensile di Neurop. et Psych., 1901.

(5) Berl. klin. Vochenschr., 1900.

xvi 13

182 IIU00VEBN1G ET PÉTRY POPOVITS

aucune fonction spéciale. Cyon (L) nie qu'elle soit un organe de désinto-

xication ; le rôle qu'elle joue dans l'acromégalie et le gigantisme ne peut

être expliqué par une simple diminution ou augmentation de la fonction,

mais est le résultat d'un trouble combiné de cette fonction.

L'histoire de notre malade est la suivante :

Charles II... est âgé de cinq ans et demi (PI. XLI1).

Dans sa famille, ni du côté de son père, ni de celui de sa mère il n'y

eut de maladies mentales ni de maladies nerveuses ; aucun parent ne pré-

senta une taille exceptionnelle. Tous sont de taille moyenne. Sa mère souf-

fre d'une légère névrose qui ne date que du temps où elle a eu des désa-

gréments avec son fils. Son père est un homme énergique, capricieux,

qui ne fuit pas les boissons alcooliques, mais il n'est pas malade. Le pre-

mier enfant né de son mariage fut dès sa naissance un garçon bien confor-

mé, qui mourut de la diphtérie dans son neuvième mois ; le second enfant

est notre malade ; il y a encore une petite fille âgée d'un an et demi, qui

est saine et présente jusqu'à présent une formation de corps normale.

Notre malade,au moment de sa naissance,était extrêmement petit. Dans

son premier mois il souffrit d'une inflammation des intestins ; dans son

quatorzième mois d'une angine. Il avait un an et demi lorsqu'il tomba

malade d'une affection que le médecin traitant considérait comme une

méningite. La maladie commença par de la fièvre et des maux de tète;

il ne reconnaissait pas son entourage ; de son oreille coulait un liquide

purulent en grande quantité. La perte de connaissance dura plusieurs

heures; des convulsions de la moitié droite du corps survinrent quinze

jours après la guérison de la fièvre; l'écoulement de l'oreille persistait

encore. Le pied droit, qui n'a jamais été paralysé, demeura faible envi-

ron six mois. Quelques mois après, ses parents remarquèrent une crois-

sance anormale. L'enfant avait alors deux ans et parlait déjà assez bien.

En peu de temps il dépassa la taille des enfants de son âge.

Dans sa deuxième année il eut la rougeole et six mois après la jaunisse.

Toutes ces maladies furent bien supportées. La croissance datant de la

deuxième année progressa encore sans interruption.

Ce garçon est en général méchant, désobéissant, incapable de travail

sérieux; il cherche toujours la société des adultes, il aime à jouer au foot-

ball avec de grands garçons, et a faire des promenades en voiture avec

des cochers.La société des filles lui est désagréable ; si celles-ci s'unissent

par hasard à ses jeux, il les bat et les chasse ; il se querelle volontiers avec

des garçons de 14-15 ans et il en reste généralement vainqueur. Il n'obéit

jamais à sa mère et toujours il faut céder à sa volonté ; il Lâche d'abord

(I) Pnugers Archiv. LXXXVII.

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière.

T. XVI. PI. XLII

GIGANTISME PRECOCE

(C. HudovClïlig et P. 'novils).

Charles H..., âgé de 6 ans, taille : 140 cm. (i gauche) comparé j un garçon

de 1 5 ans normalement développé.

Masson & CI ? Editeurs

GIGANTISME PRECOCE 183

d'atteindre son but par des (laiteries, et si cela ne lui réussit pas, il crie,

pleure, se jette par terre et fait du tapage.

Il a un sentiment musical assez prononcé. Quand il entend de la musi-

que quelque part, il cesse de jouer, l'écoute et retient facilement les mé-

lodies entendues. Il n'a cependant pas envie d'apprendre, excepté les

chansons dont il retient facilement les paroles.

Vu son âge, le malade présente un développement exceptionnel. Sa taille

est de 140 cm. ; son poids de 40 kilos : en février 1903 il mesurait 137 cm.

et pesait 35 kilos 1/2. Ce développement exagéré concerne tout le corps.

Les différentes parties du corps comparées entre elles ne présentent pas

de disproportion. Il ne donne pas l'impression d'un enfant de cinq ans et

neuf mois, mais d'un garçon de quinze ou seize ans.

La couleur de la peau est jaunâtre, les cheveux sont blonds. Le corps

est partout amplement couvert de poils, très peu à l'aisselle, mais extrê-

mement développés sont les poils de la région pubienne où ils ont la

même épaisseur que chez un homme adulte. Sa musculature est relative-

ment à la taille du corps proportionnellement développée.

La musculature des extrémités inférieures, notamment celle des jambes,

est très développée, ce qu'on ne peut pas attribuer à un lype de dystro-

phie musculaire, mais à l'effet de l'exercice physique, ce garçon jouant

souvent au foot-ball.

Le visage et le crâne sont asymétriques, la moitié droite plus dévelop-

pée. La plus grande circonférence de la tète est 518 mm., le diamètre

sagittal de 167 mm., le diamètre pariétal 144 le diamètre bimisloï-

dien 130. mm., biauriculaire 11`9 mm., bitemporal 98 mimi. La distance

des angles de la mâchoire inférieure 127 mm., la largeur jugale 100 mm.

La hauteur du crâne à droite 132 mm., à gauche 120 mm. La distance du

nez au sommet est 125 mm., du nez et la protubérance occipitale externe

315 mm., l'arc biauriculaire par le sommet, 285. La largeur du front 120

mm. La hauteur du front de la racine du nez aux cheveux 61 mm., la

longueur du nez 40 mm., la fente des yeux 27 mm., la fente de la bouche

38 mm. Particulièrement saillantes sont les deux bosses du front dont la

distance est de 45 mm. La partie inférieure du milieu proéminent. Les

deux sourcils forment deux arcades bien séparées.

Il n'y a pas d'anomalie des yeux, l'iris est gris, les pupilles égales,

régulières, d'une largeur moyenne et réagissent bien. Les mouvements

des yeux sont libres, le fond des yeux est sain, pas la moindre trace de

stase; le nez est un peu oblique à-droite, les narines petites et conver-

gentes en avant. Le septum est droit, le conduit nasal libre.

Même dans le repos, la bouche est toujours tirée à gauche. Pendant le

mouvement le coin droit de la bouche reste en arrière. La configuration

184 HUDOVERNIG ET PÉTIIY POPOVITS

du bord libre des lèvres est normale. L'implantation, aussi bien que la

configuration et la direction des oreilles également. Les dents sont encore

des dents de lait, seulement les quatre dents incisives sont restantes.

Le cou est bien proportionné. A là hauteur du larynx la circonférence du

cou est 255 mm. La glande thyroïde n'est pas agrandie ; la pulsation des

artères n'est pas visible. -

Le thorax est symétrique, de dimensions proportionnées, les fosses

intraclaviculaires et intercostales remplies d'une façon moyenne. Les ma-

melons petits, distants de 16 cm. l'un de l'autre, la circonférence du

thorax au niveau de l'aisselle 69 cm. au-dessous des mamelons 61 cm. ; à

la hauteur du processus ensiforme 64 cm. La longueur du sternum. 125

cm. La colonne vertébrale ne montre pas de déviation.

Le coeur et les grands vaisseaux sont sains, ainsi que les poumons; seu-

lement au lobe droit du milieu et sur le sommet du poumon gauche on

entend une respiration ronflante, quelquefois un bruit sifflant.

Le ventre est un peu saillant en avant, mais non distendu; les organes

abdominaux ont été trouvés normaux. La distance du processus ensiforme

au nombril 23 cm. 5, celle du nombril à la symphyse 15 cm., la dis-

tance des deux épines iliaques supérieures antérieures 22 cm. 3.

Les organes génitaux sont très développés. Outre la croissance anormale

des poils de la région pubienne, la verge, quand il n'y a pas érection, a

une longueur de 9 cm. et une largeur correspondante. Les testicules sont

dans le scrotum, et proportionnés au développement du corps, très gros

à l'égard de l'âge. -

Les membres supérieurs bien développées, sont cependant un peu trop

longs. Les mains sont grandes, mais pas de dimension disproportionnée,

la force musculaire bonne, la pression de la main droite donne 13 kgr.

celle de la gauche 12 kgr.

Les mesures des membres supérieurs sont :

GIGANTISME PRÉCOCE 185

186 HUDOVERNIG ET PÉTRY POPOVITS

Considérant que dans notre cas, nous avons affaire à une croissance

des os anormale et excessive, il nous a semblé indiqué de faire des radio-

grammes Rôntgen, cette méthode paraissait dénature à nous donner quel-

ques renseignements sur les rapports intracrâniens et l'état de l'ossifica-

tion (PI. XL111).

Sur les radiogrammes de la main (et aussi du pied) on constate que l'os-

sification de tous les os est avancée ; l'ossification des métacarpiens est

déjà accomplie. Les fissures correspondant aux cartilages épiphysaires des

os longs, sont apparentes ; mais elles sont plus étroites, qu'il n'est ordi-

nairement chez les enfants de 5 à G ans. Les cartilages épiphysaires des IIe-

V° métacarpiens à leur extrémité distale sont déjà à peine visibles ; à l'ex-

trémité proximale, on ne les voit plus. On remarqueseulement des traces

de ces cartilages à la première phalange, aux extrémités distales, et dans

les phalanges du quatrième doigt, aux extrémités proximales.

Cet état d'ossification correspond donc à celui d'un âge plus avancé.

Ainsi le noyau d'ossification de l'épiphyse des os métacarpiens ne se mon-

tre qu'à la. deuxième année et l'ossification n'est terminée qu'à l'âge de

18-20 ans ; dans notre cas, l'ossification se montre à peu près complète et

correspond à peu près à l'âge de 15 ans.

La radiographie du crâne montre aussi au point de vue de l'ossification

un élat très avancé pour cet âge. Le crâne est très épais, l'épaisseur de

l'os frontal est frappante; très prononcées sont les tables interne et ex-

terne. On doit remarquer aussi sur le radiogramme du crâne, derrière la

cavité orbitaire d'une part, et au-dessus de la colonne vertébrale d'autre

part, une tache, irrégulière un peu plus claire, qu'on ne trouve pas d'ordi-

nairesur les crânes normaux. Cette tache, indique-t-elleunélargissemenlde

la selle turcique ? On peut le supposer, en comparant les résultats desme-

surations. Quant à la nature de la tache indiquée, on peut supposer qu'elle

est due à une formation anormale, qui se laisse traverser par les rayons

plus que les os. Peut-être s'agit-il d'une formation sanguine, qui corres-

pond topographiquement à un agrandissement de l'hypophyse. (Ces radio-

grammes Rôntgen ont été faits par M. le docteur Zimmermann qui a eu

la bonté de nous aider à les interpréter ; nous lui adressons pour cela nos

remerciements les plus sincères.)

Dans l'examen de l'état mental de notre sujet nous nous sommes tou-

jours souvenus de son âge, faisant ahstraction de son apparence exté-

rieure pour ne pas demander à un enfant de cinq ans et demi autant qu'à

un garçon de quatorze ans, dont il possède la corpulence. Malgré cela,

nous avons trouvé chez lui des anomalies mentales très accentuées ; il est

notablement arriéré. Le sujet l'a prouvé par sa conduite lors de nos in-

vestigations réitérées. La méchanceté, la mutinerie, l'irritation citée dans

NOUVELLE ICONOGRAPHIF DE la Salpêtrière.

T. \\'1. Pl. XLIII

GIGANTISME PRECOCE

(C. ci Popovits).

Radiographie de la main d'un enfant de 6 ans, mesurant 140 cm. de hauteur.

Ossification prématurée des cartilages épiplnsaires.

GIGANTISME PRÉCOCE 187

l'anamnèse et sa conduite agressive a l'égard des femmes et surtout des

enfants confirment ses défectuosités mentales. Au fond, on ne peut parler

de vie mentale chez notre sujet; il est vrai qu'il possède des conceptions

sur toutes sortes de choses se rapportant à la vie quotidienne et surtout à la

vie végétative ; ses pensées se concentrent sur le manger, le boire et le jeu,

mais il ne possède pas les conceptions éthiques et abstraites que l'on pour-

rait attendre d'un enfant de cinq ans; il n'a pas notion du temps, du

jour et de la division du jour, il sait seulement que l'on doit aller se cou-

cher quand il fait noir dehors. Sa parole se compose exclusivement de

phrases courtes se rapportant à la vie végétative ou à la satisfaction de sa

curiosité infantile ; chaque objet captive son attention, partout il voit un

jouet, s'informe de tout, mais sans attendre la réponse son attention est

attirée par quelque autre chose. Il est impossible de maintenir son esprit

sur un sujet et de le faire tenir en place (les radiogrammes n'ont pu être

obtenus que grâce à l'emploi du chloroforme). Il est incapable de résoudre

le calcul le plus simple. Lorsqu'on l'interroge, ou bien il ne répond rien

du tout, ou bien au lieu de répondre, il demande des gâteaux ou du co-

gnac. Son humeur est ordinairement bonne, il saute et rit ; si son désir

n'est pas satisfait il pleure,- crie, se jette par terre et bouscule tout le

monde, même sa mère, que d'ailleurs il aime fort. Il ne se souvient que des

événements qui se rapportent à sa gourmandise et à sa voracité ; de tout

le reste il ne s'occupe pas et n'en garde aucun souvenir; la musique seule

l'intéresse. Dans la manifestation la plus vive de ses sentiments devient

attentif quand nous faisons vibrer le diapason. Les investigations ne peu-

vent être effectuées que quand nous donnons au sujet un petit jouet, sinon

il répugne à tout examen, ou s'il est de bonne humeur il nous arrache

des mains les instruments d'observation pour s'en faire un jouet. On ne

peut le faire tenir en place, qu'en lui donnant des gâteaux ou du sucre.

Deux faits sont incontestables dans l'observation de notre cas ; d'abord

j'enfant, d'une taille de 140 cm., pesant 40 kilos, âgé de 5 ans et 9 mois

et bien proportionné, présente un degré si extraordinaire de développe-

ment physique, qu'on peut décidément le qualifier de géant ; d'autre part,

l'état mental, n'ayant pas évolué parallèlement à ce développement du

corps, est même plutôt resté très arriéré. Nous avons donc affaire à une

sorte d'idiot à croissance gigantesque.

Ce développement physique extraordinaire n'est ni originel, ni hérédi-

taire. Le sujet était au moment de sa naissance de petite corpulence, et

il resta, ainsi jusqu'à un an et demi ; et alors, subitement, il commença à

croître à la suite d'une affection cérébrale (méningite ? ) ; cette croissance

188 HUDOVERNIG ET PÉTRY POPOVITS

fut si rapide que l'enfant, à cinq ans et demi, donnait l'impression d'un

garçon de 14 à 15 ans. Ce cas doit donc, a priori, être distingué des

exemples de croissance gigantesque liée à une constitution anormale ori-

ginelle, exemples, à notre avis du reste douteux (Malacarne, macroso-

9)22(L . -

C'est bien un cas de gigantisme,' et même il correspond au gigantisme

pathologique de Maire, au gigantisme symptomatique de P. Marie et au

gigantisme proprement dit de II. Meige.

Considérons maintenant les trois faits suivants : l'âge, le développement

des organes génitaux, et l'état et l'influence de l'hypophyse.

Age. Notre sujet peut, en tout cas, être qualifié de géant très pré-

coce.

11 est vrai queBrissaud, Henry Meige et aussi P. Marie, considèrent le gi-

gantisme comme un désordre appartenant aux jeunes sujets; mais il n'est

guère possible de démontrer par des exemples, que les malades présentent 1

un développement pathologique dès les premières années de leur vie.

Presque sans exception, dans tous les cas de gigantisme signalés dans la

littérature, le développement anormal ne s'est produit qu'à l'époque de la

puberté, et même plus tard. Exception faite cependant pour le sujet de

Lamberg (1) qui, déjà à quatre ans, commença à se développer ; et pour

un sujet de IL Meige et Brissaud (2), qui, à huit ans offrait les premiers

signes d'une croissance excessive. Enfin celui de Sacchi (3), qui, dès la

neuvième année, avait une taille de 143 cm. et chez qui le développement

excessif était consécutif à une tumeur des testicules.

Nous n'avons pas pu trouver dans la littérature un cas absolument ana-

logue au nôtre, c'est-à-dire où le développement gigantesque se soit ma-

nifesté et prononcé dès la deuxième année ; nous pouvons donc, en nous

en rapportant à la littérature, considérer notre sujet comme le plus jeune

des géants. Les maladies accompagnées de fièvre (méningite ? ), les maladies

infectieuses, éventuellement avec écoulement par le nez et les oreilles,

jouent un grand rôle dans l'étiologie de bien des maladies, ainsi que dans

le cas présent

Etat des organes génitaux. Dans sa monographie déjà signalée,

H. Meige, en traitant de la symptomatologie du gigantisme, fait particu-

lièrement ressortir le déficit de vie sexuelle ou, en tout cas, son impor-

tante diminution, et les autres auteurs sont de cet avis. Les géants man-

quent d'appétit génital. Chez les hommes il n'existe ni jouisssance, ni

(1) Wiener klin. Wochenschrift, 1896.

(2) Nouvelle Iconogr. de la Salp., 1897.

(3) Voir MEIGE.

GIGANTISME PRÉCOCE 189

érection, ou cette dernière se rencontre à un degré si peu prononcé que

le coït ne peut pas être effectué, et s'il est possible, il se produit sans

plaisir.

De même, chez les femmes, si la menstruation s'était déjà installée,

elle cesse de se manifester au cours de la maladie, et cette disparition

des fonctions sexuelles n'est pas fonctionnelle, mais résulte du dévelop-

pement incomplet ou de l'atrophie des organes génitaux internes et ex-

te mes.

Chez les géants mâles les poils du périnée manquent, la verge est pe-

tite, ordinairement l'érection est impossible, le scrotum est presque tou-

jours petit, les testicules atrophiés; dans certains cas ces derniers man-

quent. Un accroissement de la fonction sexuelle est un phénomène des

plus rares, elle est alors seulement passagère et précède la croissance

pathologique ; ainsi chez le sujet de Budaï et .Jancso (1) de seize dix-huit t

ans les désirs sexuels étaient exagérés ; à dix-huit ans commença la crois-

sance et, à vingt ans, il ne restait plus trace de vie sexuelle.

Chez le malade de Sylva (2) l'atrophie des testicules commença à treize

ans, a vingt ans la croissance exagérée cessa, en faisant place à l'acromé-

galie. Enfin nous rappellerons que Sacchi trouve chez son sujet précisé-

ment la cause du gigantisme dans une tumeur des testicules. Chez notre

malade, le système sexuel se distingue par son développement extraordi-

naire : l'enfant de deux ans commence soudain à se développer, en même

temps que les organes génitaux ; l'apparence de ses organes correspond à

celle d'un homme adulte.

Il semble quelque peu téméraire de parler de désirs sexuels chez un

enfant à peine âgé de six ans ; mais comme dans ces derniers temps

le garçon, pris sur les genoux d'une femme, eut une érection régulière,

on ne peut pas non plus parler d'une dépression des instincts sexuels ;

ceux-ci doivent plutôt être considérés comme existants, quoique l'enfant

n'ait pu en avoir conscience. Du reste, chez un enfant de six ans, bien

qu'il produise l'impression de la maturité sexuelle, le temps n'est pas en-

core venu de profiter des instincts sexuels latents d'une façon active par

voie de coït ou par l'onanisme. Il est hors de doute que l'état des organes

génitaux de notre sujet va à l'encontre de l'idée d'atrophie, et que, si nous

ne considérons pas les instincts sexuels comme accrus, il ne peut du

moins pas être question de dépression. Nous parlerons de quelques autres

particularités des organes génitaux au cours de notre travail.

Sur l'état et l'influence de l'hypophyse. - Nous avons signalé que d'a-

(1) Kolozsvari ertesito, XXII, 1891.

(2) Bull. de Soc. méd. et chirurg. de Paris, 1893.

190 HUDOVERNIG ET PÉTRY POPOVITS

près l'opinion de la plupart des auteurs la cause du gigantisme et de

l'acromégalie, doit être recherchée dans l'hypertrophie de l'hypophyse.

Woods Hutchinson ('l) considère l'hypertrophie de l'hypophyse comme

la base pathologique commune de ces deux maladies. Il s'est basé sur les

résultats constatés chez la plupart des géants dont l'autopsie put être pra-

tiquée. Sur la plupart des squelettes géants qui se trouvent dans les mu-

sées médicaux on a constaté ultérieurementuu élargissement considérable

de la selle turcique, tendant à démontrer que l'hypertrophie de l'hypo-

physe avait existé.

Nous nous sommes donc naturellement intéressés à l'état de l'hypo-

physe, dont l'importance physiologique aussi bien que les phénomènes

cliniques causés par ses altérations pathologiques, échappent pour la plu-

part à notre connaissance. On peut y rattacher l'accroissement exagéré du

corps, souvent la présence du sucre dans l'urine et les signes généraux des

tumeurs cérébrales, auxquels peuvent s'associer, en raison de la situation

de l'hypophyse, des troubles oculaires. Ces derniers manquent dans no-

tre cas; il y a pourtant de nombreux cas d'hyperthrophie de l'hypophyse

analomiquement confirmés qui n'en provoquent pas. Chez notre sujet, des

traces d'un corps similaire au sucre se sont seulement rencontrées. Les

symptômes cliniques ne démontrent pas avec certitude l'agrandissement

de l'hypophyse, mais ils ne l'excluent pas et le rendent plutôt vraisem-

blable. L'analyse du radiogramme du crâne nous a conduit à cette hypo-

thèse ; nous ne croyons pas nous tromper en l'admettant.

Finalement, nous voulons examiner la relation qui existe d'une part

entre le développement anormal du corps et celui de quelques-unes de

ses parties, et d'autre part l'état de l'hypophyse et peut-être aussi des or-

ganes génitaux. Si de nombreux rapports cliniques et pathologiques ten-

dent à prouver que la croissance exagérée du corps et l'hypertrophie de

l'hypophyse ne sont pas toujours en relation, la plupart cependant font

ressortir leur simultanéité; quelques-uns sont convaincus de leur con-

nexion directe. Les études faites sur l'hypophyse ne contredisent pas cette

assertion. Les animaux qui ont été examinés à ce sujet ne présentent au-

cune altération ; mais il s'agit là d'une défaillance fonctionnelle de l'hy-

pophyse (extirpation expérimentale) ; dans l'accroissement exagéré du

corps cependant il y a une augmentation de la fonction. D'autre part, c'est

un fait connu que l'exclusion de la fonction génitale produit, chez les in-

(1) New-York Med. journ., 1900.

GIGANTISME PRÉCOCE 191

dividus encore en voie de développement, un agrandissement notable :

les chèvres castrées deviennent plus grandes; les os des boeufs, surtout

ceux des extrémités deviennent plus longs, et ainsi les boeufs sont toujours

plus hauts que les taureaux. Enfin, et ce pointa été mis en évidence à

plusieurs reprises, les eunuques sont des hommes de stature élevée et

souvent gigantesque, chez qui en raison de la castration, on retrouve le

type infantile. MM. Launois et Roy (1) avaient rappelé ces notions dans

l'exposé de leur cas. A cette époque ils ne disposaient pas du radiogramme

du crâne, et par conséquent, ne pouvaient parler de l'état de l'hypophyse ;

ils mettaient en question la connexion de l'anomalie du squelette et de

l'insuffisance des testicules. Ces auteurs, plus tard (2), admettent, en se

basant sur le radiogramme du crâne, l'hypertrophie de l'hypophyse.

M. Babinski est d'avis que la maladie de l'hypophyse produit tantôt le

gigantisme, tantôt l'acromégalie, d'autres fois l'infantilisme, et pense que

le gigantisme et l'infantilisme découlent d'une même cause. Henry Meige

croit que l'infantilisme ne dépend pas toujours de l'état de l'hypophyse, et

défend plutôt l'opinion d'après laquelle l'infantilisme dépendrait de la

maladie de la glande thyroïde. D'après lui il y a des géants du type infan-

tile (visage et apparence enfantins, allongement des os), des géants du type

aCl'o11légatique(avec ossification des épiphyses et déformations du squelette.

Notre cas est peut-être capable d'éclairer cette question. Nous n'osons

ni ne voulons conclure d'après un seul fait, mais nous mentionnerons une

possibilité que des investigations ultérieures confirmeront ou détruiront.

Notre cas fait en effet contraste avec celui de Launois et de Roy. Chez le

malade de Launois et Roy, géant infantile, sans fonctions génitales, mal-

gré ses trente ans, les épiphyses ne sont pas ossifiées. Notre sujet est de

même un géant, mais dont les organes génitaux, sont extraordinairement

développés, et quoiqu'il n'ait pas encore six ans, l'ossification est très dé-

veloppée et même en certains endroits terminée.

La question se pose donc encore de savoir quel est le rôle des organes

génitaux dans la formation des os.

Chez les hommes et les animaux castrés, les os s'allongent fortement,

sans que l'hypophyse soit malade. L'hypertrophie de l'hypophyse a aussi

pour conséquence l'augmentation de la croissance. Dans notre cas le dé-

veloppement exagéré est dû à l'hypertrophie de l'hypophyse, d'autre part

il y a encore développement anormal des organes génitaux, avec ossification

précoce. Ces faits, comparés à ceux des autres auteurs pourraient permet-

tre de croire que la fonction exagérée de l'hypophyse activerait le proces-

(1) Soc. de Neurol. de Paris, décembre 1902.

(2) Nouv. Iconog. de la Salp., 1902.

192 HUDOVERNIG ET PÉTRY POPOVITS

sus décroissance des os (fonction ostéogénique) ; la défaillance de la fonc-

tion génitale augmente aussi le processus de la formation des os, en ralen-

tissant l'ossification (ainsi s'expliquerait l'allongement chez les individus

,"castrés), Finalement l'excès de la fonction des organes génitaux accélère

l'ossification.

A l'appui de cette idée, on peut considérer que, dans des conditions

normales, peu de temps après la puberté, le processus d'ossification arrive

à son terme.

Quelle est la cause de la défaillance de la fonction génitale, et quelle

est celle de son accroissement ? et dans quelle mesure celle-ci peut-elle in-

fluer sur l'ossification ? Ce sont des questions auxquelles nous sommes

hors d'état de répondre. Mais il se pourrait qu'ici la glande thyroïde jouât

un certain rôle.

HYPERTROPHIE CONGÉNITALE D'UNE MAIN

PAR e

E. APERT.

Les hypertrophies partielles congénitales sont des affections à l'étude

desquelles la radiologie a apporté un nouvel et important élément; elle

permet d'étudier dans chaque nouveau cas l'état du squelette autrefois

abordable seulement dans les très rares éventualités où la mort ou l'am-

putation permettait la dissection de la partie malade ; grâce à la radiogra-

phie nous pouvons à présent toujours faire, sur le vivant, la distinction

capitale, indiquée par M. Lannelongue (1), entre les hypertrophies vraies,

auxquelles le squelette participe au même degré que les autres tissus, elles

simples éléphantiasis congénitaux des parties molles, à squelette normal.

Nous possédons actuellement un certain nombre de cas d'hypertrophie

partielle avec examen radiologique. Le résultat de cet examen permet de

ranger certaines d'entre elles dans le cadre des éléphantiasis congénitaux,

tels les faits de Subert (2), de Glantenay (3), de Variot (4), deGuinon (5),

de Bernhard (6), de Mainzer (7), de Reinbach (8) ; un certain nombre

d'autres sont des hypertrophies vraies, avec participation proportionnelle

du squelette, tels les cas de Boinet (9), de Cestan (10), de Jaboulay et

Planchu (11), de Mirallié et Grimaud (12), de Béguin et Sabrazès (13),

de Lejars (14).

(1) LA\N6LOPIGUE, Bulletin de la Société de Pédiatrie, 11 avril 1899, p. 62.

(2) SUBOET, Des états éléphantiasiques congénitaux, th. de Paris, 1889.

(3) GLANTENAY. Journal des praticiens.

(4) Vnmor. Société de Pédiatrie, 14 mai 1901.

(5) GUINGN. Société de Pédiatrie, 10 décembre 1901.

(6) Bernhard. Deutsche medicinische Wochenschrift, 1902, p. 901.

( 7) Mainzer. Deutsche medicinische Wochenschrift, 1899, p. 436.

(8) Reinbach. Beitrage sur klinische Chirurgie, Band. XX, Heft 3.

(9) Boinet. Académie de médecine de Paris, 19 février 1901. '

(10) CESTAN. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 189l, p. 395.

(11) Planchu. Lyon médical, 1897, p. 312.

(12) Grimaud. Thèse de Paris, 1901.

(13) Béguin et SABRAZÈS. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1901, p.309.

(14) LEJAHS, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, janv.-fév. 1903.

194 APERT

Le cas qui fait l'objet de l'étude présente offre ceci de particulier qu'il

peut être considéré comme intermédiaire aux deux catégories précédentes.

L'hypertrophie des parties molles de la main et surtout du doigt annulaire

est relativement considérable comparée à celle des os. Grâce aux radio-

graphies que M. Béclère a bien voulu prendre, et dont les planches ci-

jointes permettent de juger la perfection, nous avons pu effectuer des men-

surations précises. Elles montrent que l'hypertrophie osseuse n'est pas

parallèle à celle des parties molles ; cette dernière est intense à l'annu-

laire et beaucoup moins prononcée aux autres doigts et à la main. L'hyper-

trophie osseuse est au contraire plus marquée au médius qu'aux autres

doigts, et aux métacarpiens qu'aux phalanges.

Voici la relation de ce cas :

S..., 36 ans, s'est toujours connu la main gauche plus volumineuse que la

main droite. Les bras et les avant-bras sont symétriques absolument; les

poignets ont la même circonférence des deux.côtés En revanche la main gauche

est notablement plus large et plus épaisse que la main droite, et surtout l'au-

nulaire du côté gauche est notablement augmenté de volume, et si gros sa

base que les doigts voisins s'en écartent en forme de trident, en déjetant le

médius en dehors, l'auriculaire en dedans. L'hypertrophie diminue de la hase

du doigt à son extrémité en sorte que le doigt a la forme conique, et que l'ongle

a ses dimensions normales.

Les autres doigts sont beaucoup moins hypertrophiés, comme le montrent

les mensurations comparatives de la circonférence des nremières ohalanees.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE 1 SALPL'TR1$RE.

T. XVI. Pl. XLIV

HYPERTROPHIE CONGÉNITALE D'UNE MAIN

(1 ? f79'i>.. '

Masson & Clc) ](Iiteurs

Phototypie Bel thatlll, Pans

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. Pl. XLV

HYPERTHROPH1E CONGÉNITALE DE LA MAIN GAUCHE

(E. Apert)

. HYPERTROPHIE CONGÉNITALE n'UNE MAIN . J 95

dans l'ichthyose. Le sujet raconte que tous les ans, en avril, il se produit à ce

niveau des petits boutons qui saignent facilement, qui deviennent noirs « comme

une écaille de sang desséché », et qui se flétrissent au bout de quelques semai-

nes.

Les fonctions de la main gauche se font bien ; le malade s'en sert facilement,

sauf pour saisir de menus objets ; la flexion des phalanges les unes sur les

autres ainsi que sur la paume de la main reste facile ; le malade a pu exercer

sans difficulté le métier de conducteur d'omnibus,puis de commis aux expéditions

dans un magasin de nouveautés.

Les mensurations prises sur la radiographie (1) montrent que la longueur

des différents os de la main malade est en général plus grande que pour la

saine. Voici ces dimensions :

196 APEKT

En somme, ce qui caractérise ce cas, c'est une hypertrophie légère du

squelette, qui n'est, ni proportionnelle, ni de même localisation, que celle

des parties molles. Le squelette est hypertrophié plus au médius qu'à l'an-

nulaire, plus aux métacarpiens qu'aux mains ; au contraire l'hypertrophie

des parties molles est considérable au doigt annulaire et hors de propor-

tion avec l'hypertrophie légère du squelette de ce doigt. Ce cas semble

donc intermédiaire aux deux catégories que distingue M. Lannelongue.

C'est bien une hypertrophie vraie, puisque le squelette y participe, mais

elle n'est pas typique puisque l'hypertrophie du squelette n'est pas pro-

portionnelle à celle des parties molles.

Cette disposition aurait été insoupçonnée sans la radiographie. C'est ce

qui est arrivé quand le malade a été examiné en 1891 par M. Du Castel

qui l'a présenté alors à la Société de dermatologie et de syphiligraphie.

« Peut-être, disait-il avec une sage réserve, existe-t-il une légère aug-

mentation de volume des os, mais elle est difficilement appréciable à tra-

vers une peau épaissie et indurée. »

Dans la discussion qui a suivi, M. Vidal a soutenu que les os n'étaient

augmentés ni de volume ni de longueur. M. Besnier au contraire ne met-

tait pas en doute « l'augmentation de masse du squelette de la main ». La

radiographie a montré que M. Besnier avait raison. -

Il est intéressant de comparer l'état actuel de la main avec ce qu'elle

était en 1891. Nous le pouvons d'abord en nous reportant à la description

de M. Du Castel, ensuite grâce à un moulage qu'il a fait faire et qui est

au musée de Saint-Louis (vitrine 95, n° 1588). La forme de la main est

restée identique à ce qu'elle était alors. Sur le moulage on voit les petites

taches sanguines que nous signale le malade. La seule différence que l'on

constate entre l'état actuel et l'état ancien, c'est que l'état ichthyosique

qu'on remarque aujourd'hui sur la base de l'annulaire était alors beaucoup

moins net. M. Du Castel notait seulement l'existence de petites papules

cornées d'angiokératome ; elles ont notablement augmenté aujourd'hui.

L'ALCOOLISME EN BRETAGNE

PAR

A. DUCREST DE VILLENEUVE.

De tous les faits merveilleux racontés par nos paysans bretons, il res-

sort que chez eux on se trouve en présence de gens nerveux, malgré leurs

airs calmes, leurs yeux tristes et rêveurs.

Plusieurs médecins m'ont affirmé, en effet, que l'on rencontrait en

Bretagne un nombre considérable d'hystériques. Une autre cause vient

malheureusement ajouter il cette disposition de leur tempérament, et

contribue fortement à augmenter leur nervosité, et par suite, la fréquence

de leurs hallucinations. Je veux parler de l'alcoolisme. ,

Bien que n'étant pas ivrogne invétéré, le Breton a une passion malheu-

reuse pour les boissons qui peuvent lui « racler fortement le gosier », lui

faire oublier les heures de rudes labeurs, et pense-t-il à tort, lui donner

une nouvelle somme d'énergie.

Ne faisant jamais rien à demi, c'est par grands verres que le Breton ab-

sorbe le funeste « gwin ardent » (eau-de-vie). Le cidre n'est plus que

de nom la boisson nationale des Bretons Armoricains ; depuis longtemps,

les pommiers sont morts de vieillesse, on ne les pas replantés, et le

gwin ardent à bon marché s'est substitué au vin de pommes de nos pères,

sans le remplacer.

Je ne m'occupe dans cette étude, ni du Breton habitant ou voisin des

villes, alcoolique de père en fils, livré à tous les vices et les mauvais

exemples, ni des pêcheurs, gens honnêtes, mais buvant le gwin ardent pour

se réchauffer, pendant les longues heures de pêches nocturnes, et con-

servant cette funeste habitude une fois rentrés au port ; je ne considère

ici que le paysan du fond des terres, chez lequel la race s'est le mieux

conservée.

La ferme est souvent à plusieurs kilomètres de l'horrible cabaret, et le

fermier ne boit l'alcool qu'aux jours de marché, de pardons, et parfois le

dimanche après la messe, c'est-à-dire 2 ou 3 fois par semaine. Mais, ces

jours là, la tentation est trop forte, car dans le plus petit village, sur ou 4

maisons, il y a un débit d'alcool, et l'on est stupéfait, quand on parcourt

notre belle Bretagne, de voir avec quelle coupable facilité, l'administration

favorise le développement de ce funeste commerce. De cette tentation tou-

xvi 14

198 DUCHES ? DE VILLENEUVE

jours présente est né l'usage de ne traiter les affaires que le verre en

main.

Le paysan breton fait aussi de copieuses libations, aux banquets de

mariage, ou aux perzols, banquets de fin de moisson.

Au temps de la moisson, on enguirlande la dernière charrette de blé,

avec des fleurs de genêts et des feuilles de chêne, et le jour où la dernière

gerbe sort de la batteuse est un jour de fête pour les moissonneurs. Le

soir, le fermier réunit tous ses compagnons de travail à sa table. Devant

les convives, défile une demi-douzaine de grandes terrines, contenant

tout ce que la Bretagne connaît de mets : c'est d'abord un fort ragoût

de mouton, avec des pommes de terre ; puis un énorme morceau de lard,

cuit au four, avec encore des pommes de terre, apparaît entre le

fameux « quick a fars » (1), et le fars de froment; plus loin, c'est une

terrine de riz doré au four, ce sont les appétissantes crêpes bretonnes. Tout

cela a, ma foi, fort bonne apparence, et cette abondance ne manque pas

d'originalité, au milieu du cadre rustique de la ferme, et de ces gens aux

rudes visages, encore revêtus de leurs costumes de travail. Vers la fin de

ces pantagruéliques repas, apparaît la funesle bouteille de « gwin ar-

dent » ; les hommes vident leurs verres, et se versent de copieuses rasa-

des, qu'ils avalent aussi aisément que de l'eau claire. Aux environs du

Folgoët, où j'ai assisté au perzol, je n'ai vu ni les femmes, ni les jeunes

filles boire de l'eau-de-vie ; il y a pour elles, sur la table, du vin, de la

bière et de la limonade ; il n'en est malheureusement pas toujours ainsi

au village.

Les jours de pardon, le Breton mène sa « douce » au cabaret, pour lui

faire des politesses.

L'amour des boissons capiteuses, et l'habitude de s'enivrer sont fort

anciens en Bretagne, et l'usage des perzols semble avoir son origine dans

les banquets gaulois : « où l'on prodigue, dit le moine de Saint-Gall, les

liqueurs enivrantes, où l'on veut que chaque convive boive comme les

autres » (2). Le chef du repas, après avoir bu à son voisin, lui passait la

coupe pleine; celui-ci devait la vider jusqu'à la dernière goutte, puis la

remplir pour son voisin, et ainsi de suite. De sorte que la coupe voyageait

indéfiniment autour de la table. Outre le vin, nos pères s'enivraient

aussi avec la cervoise, sorte de bière faite avec de l'orge, et l'hydromel,

boisson à base de miel. Suivant leur condition, ils se servaient du hanaps

en métal ciselé, ou bien d'un vase fait de corne d'auroch, ou de boeuf(3).

Les banquets faisaient aussi partie du culte druidique. Les druides

(9) Pâte de blé noir cuite dans un sac avec du lard.

(2) Vie de Charlemagne.

(3) Pitre Chevalier : Bretagne ancienne.

L'ALCOOLISME EN BRETAGNE 199

armoricains avaient coutume de célébrer le renouvellement de chaque

mois; aux premières heures du 6° jour du mois, ils allaient, suivis du

peuple, déposer des torches devant le symbole divin, puis la fêle se ter-

minait, par des danses et de orgiess religieuses.

Comme les Bretons Armoricains et ceux de Vannes ne pouvaient pas

cultiver la vigne, à cause du climat trop rude de leur pays, ils allaient

dépouiller à mains armées les vignobles du comté de Nantes.

En 579, nous voyons Warok, comte de Vannes, envahir le comté de

Nantes, enlever un butin considérable, et entre autre toute la récolte des

coteaux de la Loire : « Ils coupèrent les vignes à grands coups d'épées,

puis emportèrent le vin dans leur pays, pour le savourer plus à leur

aise » (1).

Bans les années qui suivirent, au retour de l'automne, les Bretons pri-

rent l'habitude d'aller faire la vendange de leurs infortunés voisins

Nantais.

Une expédition de ce genre fait le sujet d'une vieille ballade bretonne

de celle époque, intitulée : « Gwin ar l'halloued », le vin des Gaulois.

D'après ce morceau, l'une des boissons ordinaires des Bretons était déjà

le cidre. On y lit en effet ;

« Mieux vaut vin de Gaulois que de pommes ; »

Mais aussi : .

« Mieux vaut vin nouveau que bière. »

« Mieux vaut vin nouveau qu'hydromel. »

Ce qui prouve également qu'ils préféraient le jus de la vigne à leurs

breuvages habituels. -

Dans une autre ballade : La submersion de la ville d'Is, regardée

comme datant du VO siècle, nous trouvons cette sentence, qui semble in-

diquer combien, même à cette époque reculée, les Bretons avaient con-

science de l'immoralité de l'ivresse :

« Qui boit et mêle le vin, boira l'eau comme un poisson (2). »

En effet, Ahès, la fille du roi Grallon, ouvrit, selon le légende, les éclu-

ses et laissa l'océan submerger la ville, après un splendide banquet et de

copieuses libations.

Du reste, les vieux proverbes bretons nous montrent la même chose, et

le gros bon sens populaire s'est plu à mettre en proverbe et à railler

l'ivresse et ses conséquences.

Les ancêtres « ar tud coz », « les vieux hommes », comme disent les

Bretons, nous ont légué les maximes suivantes :

« Celui qui ménage sa soif, épargne sa santé.

(1) Pitre Chevalier : Bretagne ancienne.

(2) Barzaz Breiz, II. de la Villemarque.

200 ' DUCHES')' DE VILLENEUVE

« Celui qui aime trop le vin, finit par boire de l'eau. »

« Avec un ivrogne soyez toujours discret, car chacun sait ce qu'il sait. »

Mais parfois aussi, les mauvais penchants cherchaient à s'excuser en

prenant, eux aussi, le sentier des proverbes, et l'on disait volontiers :

« Après la soupe, une goutte de vin est une bonne médecine. »

Nos pères savaient aussi qu'il est plus mauvais de boire à jeun que lors-

que l'on a mangé « un morceau » et disaient :

« Le morceau et le petit coup

Tiennent un homme debout ; »

Mais :

« Le coup sans le morceau

Jette l'homme dans le ruisseau. »

Au moyen âge, nous voyons l'usage des festins, où les convives s'eni-

vraient, condamné par un concile tenu à Nantes.

Aujourd'hui le verre grossier a remplacé le hanaps de métal ou le vase

de corne, et chacun a le sien, mais l'usage de boire à la santé de chacun

des convives existe toujours, et sous peine de froisser t'amphytrion, il

faut il chaque fois lui faire raison jusqu'à la dernière goutte.

Naturellement les convives du perzol ne couchent pas tous dans leurs

lits, et plusieurs se retrouvent le lendemain matin, malgré le vent et la

pluie, mollement allongés dans quelque fossé bordant la route, si quel-

qu'être charitable, un peu plus solide qu'eux-mêmes, ne les a aidés à re-

trouver leur chemin. Ils ont bien des chances cette nuit-lu de voir les

« paotred ar zabat » tournoyer autour d'eux ou de s'égarer dans quelque

champ, sans pouvoir en sortir; mais ces hallucinations se produisent aussi

en dehors de l'influence alcoolique et les banquets sont relativement

rares. En temps ordinaire, à la ferme, le Breton ne boit que de l'eau

claire, prise à une source voisine.

La lutte contre l'alcoolisme semble vouloir se généraliser de plus en

plus; mais dans notre Bretagne, on le voit, il faut lutter en plus contre

une habitude séculaire, et fortement enracinée; aussi je pense que le

seul remède efficace consisterait à diminuer les tentations et la possibilité

de satisfaire, aussi aisément, au funeste penchant; mais je crains bien

qu'il ne faille encore bien des années avant de pouvoir employer un re-

mède aussi radical.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE la Salpêtrière.

T. XVI. Pl. XLVI

L'APOTHICAIRE

Tableau de P. LoNGHI, à l'Académie de Venise.

L'APOTHICAIRE

Tableau de P. Longhi (I 70-178)

PAR

L. E MARLANI.

La scène se passe dans la boutique d'un apothicaire : le décor caracté-

ristique de la pièce ne laisse pas de doute. Au fond sur des planches les

traditionnels pots à sirops et onguents, décor bleu sur fond blanc, qui

portent des inscriptions latines en lettres gothiques, comme on en

trouve encore de nos jours dans quelques pharmacies de village ; puis ces

boîtes oblongues peintes en vert sombre qui contiennent les drogues offi-

cinales, quelques alambics suspendus au mur, des bocaux en verre et au

milieu une grande armoire fermée surmontée d'un tableau religieux, la

naissance de Jésus, entre deux énormes pots à pommades ou conserves.

Sur un banc trois flacons fermés contiennent des potions toutes prêtes ;

au milieu en premier plan, un pot contenant une belle plante Abies ex-

pensis, symbole vivant et préféré des pharmaciens, achève de nous rensei-

gner sur l'endroit où le peintre a placé la scène suivante.

Un apothicaire coiffé du traditionnel bonnet blanc, vêtu d'une longue

blouse, bésicles sur nez, est debout en train d'appliquer une pommade,

qu'il vient de puiser dans un pot près de lui, à la bouche d'une paysanne

jeune, qui se tient en face de lui, l'attitude résignée, les yeux tournés en

haut exprimant la souffrance.

A gauche du premier plan un petit garçon souffle dans un réchaud ;

tout au fond, du même côté, un jeune seigneur et un moine sont assis

commodément comme des habitués du lieu.

Le médecin tout vêtu de noir, une longue perruque blanche encadrant

son visage pensif et de frais rasé, est en train d'écrire l'ordonnance.

La scène simple, bien rendue, nous reporte aux temps où l'apothicaire

avait la charge d'appliquer lui-même les prescriptions du médecin, le

lavement compris.

Le tableau qui se trouve actuellement dans les Galeries royales de Ve-

nise a été peint par Pierre Longhi, peintre et graveur italien de l'Ecole

202 MARIA.NI. - l'apothicaire ,

vénitienne, qui vécut entre 1702 et 1785, et laissa plusieurs élèves dignes

de lui, entre lesquels son fils Alexandre qui surpassa même renommée

du père.

[Ce tableau a déjà été décrit dans une étude de M. Henry Meige, intitulée Icono-

graphie des Arracheurs de Dents. (Voy. « Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière »,

no' 2 à 6, 1900.)

On y retrouvera la description des décors et des personnages d'après des notes

recueillies par l'auteur, à Venise, en 1896, avec ce commentaire :

« Rien ne prouve que ce pharmacien bien achalandé aille se livrer sur la mâchoire

de sa jolie cliente quelque douloureuse extraction. Bien plus probablement, il va lui

offrir, moyennant finances, quelque essence de girofle ou de thym, quelque pâte den-

tifrice de sa façon, un « morceau de corail », un « bareau aimanté ou encore lui

donner quelque « emplâtre de mastic », recouverts de taffetas noir, qui, s'il ne la

soulage pas, aura du moins le mérite de faire ressortir la blancheur de son teint. »

N. D. L. R.J

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, * T, XVI, PL. XLVII.

T1JAMAR ACCOUCHANT DES DEUX JUMEAUX, PHARES ET ZARA

Gravure de M. IlcclI1s/;crd.

r \ ? so 1'1 Cu' Éditeurs.

QUELQUES ACCOUCHEMENTS BIBLIQUES

EN IMAGES

PAR n

HENRY MEIGE.

Les documents iconographiques consacrés aux Accouchements sont ex-

trêmement nombreux. Ils ont été déjà l'objet de travaux importants, parmi

lesquels ceux de M. Witkowski occupent la toute première place par

l'abondance des figurations et par la richesse de la documentation histori-

que et anecdotique.

L'Histoire Sainte a fourni matière à uu nombre incalculable de repré-

sentations figurées, peintures, gravures, sculptures, etc. Les, Nativités de

la Vierge et surtout les Nativités de Jésus-Christ pourraient suffire à rem-

plir la plus vaste galerie de peinture.

Les Nativités bibliques sont aussi fort nombreuses, principalement dans

la gravure. Nous en reproduisons ici deux spécimens, qui se rapportent

à des accouchements gémellaires.

Une première gravure de Martin Heemskerck,peintre et graveur hollan-

dais de la première moitié du xvie siècle, représente la Naissance de Pha-

res et Zara, fils de Thamar (PI. XLVII).

Selon la Genèse(Chap. XXXVIII) .Judasavait faitépouserunefillenommée

Thamar à son fils aîné Her. Celui-ci étant mort peu de temps après, Thamar

retourna dans la maison de son père. Judas étant devenu veuf rencontra

un jour sur le chemin de Tlamna une femme couverte d'un grand voile,

qu'il traita comme une femme de mauvaise vie. Pour la remercier de sa

complaisance, il lui donna son bâton et son anneau. A quelque temps de

là, on annonça à Judas que sa belle-fille Thamar était enceinte. Pour

la punir de son inconduite, il ordonna qu'elle fût brûlée. Mais Thamar

ayant faitparveniràJudas le bâton et l'anneau quecelui-ciavaitoffertà la

femme voilée, Judas dut reconnaître qu'il n'était pas le moindre coupable,

et il revint sur son jugement.

204 HENRY MEIGE

« Comme elle fut sur le point d'accoucher, il parut qu'il y avait deux

jumeaux dans son sein. Et lorsque ses enfants étaient près de sortir, l'un

des deux passa sa main à laquelle la sage-femme lia un ruban d'écarlate,

en disant : celui-ci sortira le premier. Mais l'enfant ayant retiré sa

main, l'autre sortit. Alors la sage-femme dit : pourquoi avez-vous

rompu le mur qui vous divisait ? - C'est pourquoi il fut nommé Phares,

c'est-à-dire « rupture de division ». Son frère, qui avait un ruban

d'écarlate à la main, sortit ensuite et on le nomma Zara, c'est-à-dire

« Orient ».

Il y a, dans ce passage, une intéressante observation d'accouchement t

gémellaire : d'abord la présentation par le bras d'un des enfants, puis le

retrait spontané de ce bras, et l'issue de l'autre jumeau avant le premier

paru.

La gravure en question extraite d'un Ancien Testament illustré repré-

sente l'accouchement de Thamar. La parturiente a été placée sur un ma-

telas par terre. Il n'y a pas moins de cinq suivantes occupées à tenir

chacune un des membres ou la tête. La sage-femme à genoux reçoit le se-

cond enfant. A gauche, plusieurs commères sont en train de laver le pre-

mier jumeau dans un bassin. Dans le fond, des servantes préparent le lit i t

et font chauffer des linges. On voit à droite le berceau et les langes dans

un panier. '

Martin van Heemskerk a représenté plusieurs fois des scènes d'accou-

chement tirées de l'Histoire Sainte. Sur une gravure aujourd'hui assez

rare, on remarque une position assez singulière de la parturiente : elle est

assise sur les genoux d'un homme qui enserre fortement sa taille et ses

deux bras, tandis que deux aides maintiennent chacune une jambe et que

1 a sage-femme pratique l'accouchement.

Toutes ces gravures portent l'empreinte du talent un peu maniéré de'

de l'artiste hollandais. Il avait rapporté deson voyage en Italie un goût t

singulier pour les costumes et l'ornementation de la renaissance italienne,

et il en avait exagéré rapidement les caractères.

Une autre gravure signée Stéphanus représente la Naissance d'Esaii et

de Jacob.

Elle porte en légende :

Concepit Rebecca et collide/¡ant sese filii in ntero ejus.

D'après la Genèse (chap. XXV, 20 à 25), « Isaac épousa Rébecca,

fille de Bathuel, Syrien de Mésopotamie, et soeur de Laban.

« Isaac pria le Seigneur parce qu'elle était stérile : et le Seigneur l'exauça

QUELQUES ACCOUCHEMENTS BIBLIQUES EN IMAGES 205

donnant à Rébecca la vertu de concevoir ; elle devint enceinte de deux

enfants qui s'entrechoquaient dans son sein Lorsque le temps qu'elle

devait accoucher fut arrivé, elle se trouva mère de deux enfants ju-

meaux..... Celui sorti le premier était roux et tout velu comme une peau

d'animal et il fut nommé Esaii, c'est-à-dire « homme fait ». L'autre sor-

tit aussitôt après et il tenait dans sa main le pied de son frère ; c'est pour-

quoi il fut nommé Jacob, c'est-à-dire « supplantateur ».

Sur cette gravure, on voit Rébecca étendue sur un matelas par terre.

Une femme maintient le haut de son corps, tandis que l'accouchée tient

à deux mains la tète de cette aide. La sage-femme reçoit le premier en-

fant, on aperçoit le second qui tient dans sa main le pied du précédent.

Dans le fond, un lit avec une bassinoire ; à droite, une femme fait

chauffer des linges devant une grande cheminée ; par terre sont des bas-

sins et des linges.

On peut rapprocher de ces documents une troisième gravure, sans nom

d'auteur,qui représente un accouchement mythologique : celui d'r1lcmène,

l'épouse volage d'Amphytrion, qui met au monde Hercule, fils des oeu-

vres de Jupiter.

La Naissance d'Esait et de Jacob.

206 HENRY MEIGE

Cette gravure, d'une facture très secondaire, porte en légende :

Nititur ad partum miseranda Alcmena, sed obstat

Lucis honoratoeque Dea nomen habet. '

At delusa dolis famulae sua vincla remittit

Nascitur el proies magna potensque Jovis.

Alcmène semble accoucher en courant, à peine soutenue par des sui-

vantes, position qui rend le rôle de la sage-femme singulièrement dif-

ficile.

Les Nativités du Nouveau Testament sont en général moins réalistes.

Dans la plupart des Naissances de la Vierge,- de Jésus, de St Jean, les

artistes ont choisi le moment où l'accouchement est déjà terminé ; la

mère repose dans son lit, entourée de femmes ou de servantes. Toute

l'attention se concentre sur le nouveau-né que d'autres assistantes lavent

ou emmaillotent. On y trouve cependant des détails intéressants sur les

pratiques de l'époque.

Un des plus heaux documents de ce genre est la Naissance de la Vierge

par le Maître de la Vie de Marie à la Pinacothèque de Munich. Rappelons

aussi la Naissance de la Vierge de van Orlev, au musée de Bruxelles,

etc., etc.

*

..

Enfin, il litre de curiosité, voici une lithographie de 1876 par Roret,

La Naissance d'Hercule.

QUELQUES ACCOUCHEMENTS BIBLIQUES EN IMAGES 207

d'après Huet, représentant la parodie d'une scène d'accouchement chez

des singes avec cette légende : « C'est un garçon ! ... » et cette citation de

la Genèse : « Dieu dit aussi à la femme : je vous affligerai de plusieurs

maux pendant votre grossesse ; vous ne mettrez au monde des enfants

qu'avec douleur; vos désirs seront tournés vers votre mari et il vous domi-

nera. »

Le Gérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).

Un accouchement simiesque.

17° Année N° 4 Juillet-Août

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE)

SPASMES ET TREMBLEMENT CHEZ DES

PSYCHASTHÉNIQUES

PAR

le P' F. RAYMOND et le Pr Pierre JANET.

Nous voudrions exposer, à propos de deux malades qui ont été présen-

tés récemment à la clinique de la Salpêtrière, un problème de diagnostic

et de classification nosographiques. Nous avons déjà eu l'occasion de le

discuter l'année dernière à l'occasion de la présentation d'une malade qui

offrait, avec ceux-ci, de grandes analogies (1).

Il s'agissait d'une femme d'une trentaine d'années qui semblait présen-

ter des crises de'contracture des membres inférieurs. Pendant certaines

de ces crises, elleparaissait atteinte d'une contracture hystérique typique ;

cependant nous avons eu l'occasion de relever bien des faits dans l'évolu-

tion et dans la forme actuelle du syndrome, qui ne s'accordaient guère

avec la conception de l'hystérie, et nous avons conclu que ces spasmes se

rapprochaient des tics, des agitations plus ou moins systématiques qui se

rencontrent fréquemment chez les psychasthéniques. Le même problème

se pose à propos de nos deux malades : peut-être est-il encore plus diffi-

cile à résoudre parce que les accidents semblent être plus continus ; nous

sommes cependant disposés à adopter la même interprétation.

I

La jeune femme, âgée de 25 ans, Es..., se tient tout de travers et mar-

che difficilement. Le corps est fortement penché à gauche, l'épaule gauche

est relevée et la tête tordue, du côté gauche s'appuie sur cette épaule

(fig. 1) ; si on lui demande de changer cette attitude bizarre ou si on

(1) Les obsessions et la psychasthénie, 1903, t. II, p. 234.

x vi 15

210 RAYMOND ET JANET

essaye de la redresser, on rencontre partout une grande résistance; les

muscles sont raidis sur tout le côté gauche, quoique d'une manière moins

forte à l'extrémité des membres. A son arrivée dans le service, il y a

quinze jours, le spasme s'étendait même sur la jambe' et le pied gauche

qui était recroquevillé et qui formait une griffe singulière. L'examen de

cette malade ne nous montrait aucun symptôme bien net d'une lésion

organique du système nerveux. Sans doute, au premier abord, les réflexes

semblaient plutôt exagérés et même il y avait de temps en temps, une

ébauche de clonus du pied. Mais cette exagération des réflexes était très

irrégulière; elle s'accompagnait de secousses dans tout le corps ; on ne

constatait pas l'extension des orteils après. l'excitation de' la plante des

pieds, il n'y avait pas de troubles de la miction, ni de nystagmus aux

yeux, ni de troubles de la parole. Aussi avons-nous écarté la pensée d'une

affection organique du système nerveux et avons-nous. été tout naturelle-

ment conduits à songer à un trouble névropathique et tout d'abord à une

contracture hystérique. Nous avons vu souvent de ces contractures unila-

térales du tronc qui tordent le corps d'une façon tout à fait analogue. Le

premier diagnostic, après un examen rapide, pouvait être : contracture hys-

térique probable de tout le côté gauche.

. ' Cependant, ' dès le premier jour, nous trouvions cette contracture au

moins bizarre. La forme du, pied était peu ordinaire; les pieds hystéri-

ques contracturés ont. fois sur 10 l'attitude classique en varus équin,

déterminée par la force inégale des différents muscles de la jambe. Ici le

pied n'était pas en équin, mais il y avait une simple rétraction des orteils

et une élévation de la voûte plantaire. Nous nous promettions d'étudier

cette contracture, peut-être hystérique, de forme au moins anormale. Or, le

lendemain, quand nous ayons voulu continuer cette étude, le spasme du

pied lui donnait une forme toute différente : la voûte plantaire était abais-

sée et le gros orteil relevé ; nous étions pourtant' certains d'avoir vu la

veille une attitude tout autre. La même remarque peut s'appliquer aux

différents segments du corps.,On ne les trouve pas deux fois de suite dans

la même situation ; ainsi aujourd'hui l'épaule est relevée, demain elle

pourra ètre'tout aussi raide dans l'abaissement ; la tête penche à gauche ;

à de certains moments elle penche à droite. Sans doute, les contractures

hystériques sont variables, mais non de cette manière : lorsqu'elles sont

graves et qu'elles existent depuis longtemps, elles ne changent guère ou

ne se modifient que dans leur intensité. Quand la contraction passe ainsi

d'un point à un autre, il s'agit de spasmes plutôt que de contractures.

Autre remarque importante, des contractures aussi étendues, envahis-

sant tout un côté du corps, supposeraient une hystérie grave qui devrait

se manifester par d'autres phénomènes ; sans doute la malade à eu de

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.

T. YVI. PI XLVIII

SPASMES ET TREMBLEMENTS CHEZ LES PSYCHASTENIQUES

(Raymond et laiiel).

Masson & Cie, Éditeurs

Pliototjpie Bcrthand, Pans

\ '. ? ?

SPASMES ET TREMBLEMENT, ,WJ ? Z"P ? t&nÉNIQUES 211

temps en temps des crises d'agitation ? 6Th'"s routait dans son lit, se dé-

battait, criait, mais jamais dans ses crises elle n'a perdu connaissance, et

elle gardait le pouvoir d'arrêter ses gesticulations de temps en temps ; ce

sont des crises hystériques bien incomplètes. D'autre part, il n'est pas

possible de trouver trace des stigmates hystériques : la vision et le champ

visuel sont parfaits, la sensibilité au tact et à la douleur ne sont nulle-

ment modifiées sur aucun point du corps. Le sens musculaire, ce qui est

plus étrange, est absolument conservé du côté gauche. Vraiment, il est

difficile d'admettre une sorte d'hémiplégie avec contractures de nature

hystérique, sans qu'il y ait aucune modification de la sensibilité superfi-

cielle de la peau et surtout de la sensibilité profonde des muscles : c'est

le contraire de la conception clinique d'une contracture hystérique. Les

paralysies et les contractures hystériques supposent, si on parle psycho-

logiquement, une amnésie, une perte de conscience des sensations et des

images correspondantes, et si on veut parler anatomiquement, un engour-

dissement des centres corticaux correspondants, et, dans les deux cas, la

constatation clinique d'anesthésie.

Enfin, dernière remarque, il n'est pas exact que cette malade soit ab-

solument obligée de garder ces positions baroques; en fait, elle les modifie

souvent. De temps en temps, quand elle n'est pas observée, quand elle

n'y fait pas attention, elle parait les oublier et marcher d'une manière

raisonnable. Quelquefois même, quand on lui demande et quand elle fait

un effort de volonté, avec calme, sans émotion, elle redresse très bien sa

tête. Il y a, en particulier, dans la salle, un fauteuil avec des oreilles en

bois qui semble lui offrir un appui favorable. Quand elle appuie sa tête

sur une de ces oreilles du fauteuil à droite, il n'y a plus du tout de spasme

à gauche ; elle dit bien que le fauteuil la soutient; il n'en est pas moins

bizarre qu'il lui suffise d'être soutenue à droite pour résister aune con-

tracture qui la tire à gauche. Cela rappelle les malades de M. Brissaud

atteints de torticolis spasmodique qui appuient avec un doigt sur leur

front pour résister à un spasme qui les tire cependant en arrière.

Pour éclaircir ces difficultés, il faut reprendre l'histoire de la maladie.

Nous ne savons pas grand'chose sur les antécédents : c'était une enfant in-

quiète, peureuse, tracassée pour rien, mais qui cependant prétend ne pas

avoir eu de tics ni d'obsessions proprement dits. Mariée à 19 ans, elle

fut enceinte rapidement, et pendant cette première grossesse se trouvait

extrêmement fatiguée. Quinze jours avant l'accouchement, elle fut boule-

versée par un orage et par la chute du tonnerre tout près d'elle du côté

gauche. Grande agitation le soir même, terreur à chaque instant en pen-

sant au tonnerre, en cherchant à l'écouter à gauche; insomnie toute la

nuit. Le lendemain et les jours suivants, voici que se développent des ac-

212 RAYMOND ET JANET

cidents uniquement limités au cou et à la tête. A chaque instant, la tête

se renverse à gauche; le moindre bruit la lui fait tourner brusquement

du côté gauche; elle prétend que cela la tire de ce côté et que ces se-

cousses de la tête à gauche l'énervent.Ces accidents ne sont pas supprimés

par l'accouchement : au contraire, elle a de plus en plus des agitations et

des secousses qui lui tirent presque tout le temps la tête à gauche. Il en

est ainsi pendant quatre mois ; puis elle a été mieux et elle a passé trois

ans dans un état à peu près satisfaisant. Pendant ces trois ans, elle restait

toujours très peu énergique, facilement inquiète, agitée pour la moindre

des choses et ayant rapidement des tiraillements du cou à gauche. Son

caractère était toujours le même ; elle était inquiète, énervée, elle ne vou-

lait jamais être seule, elle demandait toujours une direction et une pro-

tection : ce n'était que le premier degré de la psychasthénie.

Il y a huit mois, il lui arrive de grandes contrariétés sur lesquelles elle

ne veut pas s'expliquer, probablement des querelles avec son mari. Alors

elle a beaucoup plus d'agitation et son cou la tire davantage. Un médecin

imagine de lui faire des pointes de feu et de lui mettre des vésicatoires sur

ce côté gauche. Le résultat est très brillant, car les tiraillements s'éten-

dent maintenant à tout le côté gauche, au bras et à la jambe. Après beau-

coup d'alternatives, elle se raidit de plus en plus de ce côté : la moindre

contrariété augmente le spasme et elle en arrive à conserver d'une façon

presque permanente l'attitude bizarre que vous voyez.

II

Avant d'entrer davantage dans l'interprétation de ce syndrome, il nous

faut faire'connaitre le cas d'un autre malade qui, quoique au premier

abord tout à fait différent, présente cependant des points de comparaison

intéressants avec le cas précédent. t.

Il s'agit d'un homme de 48 ans, Nov..., qui tremble énormément de tout

son corps : la tête rem'ue fortement comme les bras et les jambes. Ce

tremblement est si considérable, et la figure de ce malade avec son aspect

gêné a un caractère si spécial, qu'au premier abord, on pourrait penser à

la maladie de Parkinson ; cependant un examen un peu attentif permet

d'écarter immédiatement ce diagnostic.

En effet, le tremblement est rapide ; le graphique de la figure 1 nous

montre 8 oscillations par seconde, le tremblement de Parkinson est plus

lent et n'a que 4 à 6 oscillations par seconde. Le tremblement est conti-

nuel ; il ne cesse pas pendant les mouvements intentionnels, comme cela

arrive sinon toujours, au moins fréquemment dans la paralysie agitante.

SPASMES ET TREMBLEMENT CHEZ DES PSYCUASTHÉNIQUES 213

Ici, au contraire, le tremblement persiste au point de gêner le malade

quand il veut manger et de défigurer complètement son écriture (fig. 2).

En outre, chez le Parkinson, le tremblement est secondaire, il se sura-

joute à une raideur musculaire toute spéciale qui se développe le plus

souvent avant lui ; ici il n'y a pas de raideur, les membres sont très sou-

ples, le malade ne se sent pas raidi et si la figure a un aspect un peu

spécial, c'est à cause de la gêne, de la timidité excessive, de l'émotivité

dont nous reparlerons. D'autre part, vous ne constatez pas la rétropulsion,

ni l'antéropulsion, ni le sentiment de chaleur de Parkinson, en un mot,

nous ne croyons pas que ce soit un cas précis de paralysie agitante.

Cependant nous ne sommes pas bien certains qu'il n'y ait pas quelques

rapports entre le trouble présenté par ce malade et la paralysie agitante.

L'année dernière, M. Alquier, interne du service, qui fait sa thèse sur

cette curieuse maladie nous a communiqué des remarques intéressantes

Fig. 1

1,

( r. g. 2

214 RAYMOND ET JANET

sur les débuts de celle-ci, sur la période, si on peut ainsi dire, pré-par-

kinsonienne, sur les individus prédisposés à devenir des Parkinsoniens.

Il a noté, dans ces périodes et chez ces individus, bien des troubles ana-

logues à ceux que nous observons ici et il est fort possible qu'il y ait

chez notre malade une prédisposition et une préparation à la paralysie

agitante; mais il ne nous semble pas que l'on puisse aller plus loin, dans

ce sens. On ne peut s'arrêter non plus à l'hypothèse d'une maladie or-

ganique à tremblement. En effet, il n'y a aucune modification des réflexes,

il n'y a même pas cette exagération des réflexes que nous avons notée

chez la jeune femme. Il n'y a pas de nystagmus, ni de troubles de la

parole : cela reste bien pour nous un tremblement névropathique. .

Est-ce alors le simple tremblement hystérique, dont nous avons vu bien

des exemples Nous répétons à ce propos les mêmes remarques que pré-

cédemment : il n'y a dans la vie de cet homme aucun accident qui porte

le cachet de l'hystérie; actuellement nous ne pouvons constater aucun

stigmate quelconque. Enfin cet accident ne se comporte pas chez lui de la

même manière qu'un phénomène hystérique. Ce qui caractérise l'hysté-

rie, c'est le rétrécissement du champ de conscience ou, si vous préférez

le langage anatomique, c'est la diminution du nombre des centres corti-

caux qui fonctionnent d'une manière complète. Il en résulte que, dans

l'hystérie, il y a perte de la conscience de certaines fonctioms, anesthésie,

amnésie, phénomènes subconscients, automatisme, etc. Une hystérique

dont le bras tremble oublie son bras, ne le sent pas trembler, ne s'en

préoccupe pas. Cet homme a une grande conscience de son tremblement,

le remarque, le sent et sait très bien en apprécier les moindres nuances :

ce n'est pas là un phénomène hystérique.

Reste alors le tremblement sénile précoce, le tremblement essentiel. On

sait qu'il y a des familles où les gens tremblent ainsi de bonne heure ; on

peut même remarquer que le père de notre malade tremblait un peu,

mais peu. Cependant, pour le cas actuel, nous pouvons aller plus loin que

ce mot « tremblement essentiel » qui est un peu un aveu d'ignorance. Le

tremblement n'est pas isolé ; il est accompagné d'autres phénomènes ca-

ractéristiques qui nous paraissent importants.

D'une famille névropathique, cet homme a eu, dès son enfance, ce

caractère spécial timide, inquiet, triste, ennuyé. Il s'ennuyait déjà à

20 ans, sans savoir pourquoi. Cette timidité le rend très sage, très vertueux,

trop vertueux même : à 48 ans, si nous ne nous trompons, il n'a pas en-

core perdu sa vertu. Il a toujours été un indécis, ne prenant qu'avec peine

une résolution et la regrettant le lendemain. A 40 ans, il fut très affecté par

un malheur qu'il devait ressentir tout particulièrement, parla mort de sa

mère : son caractère l'avait attaché d'une manière particulière à sa mère

SPASMES ET TREMBLEMENT CHEZ DES PSYCHASTHÉNIQUES 215

qui le guidait toujours comme un petit enfant; il se trouve tout désorienté,

lout isolé après sa mort. A ce moment, commencent des maladies physi-

ques, douleurs de ventre et d'estomac, très probablement cette atonie si

caractéristique des voies digestives, qui donne à tout ce groupe de malades

l'estomac dilaté et clapotant, la colite muco-membraneuse, les entérop-

toses, etc.

Vers cette époque surviennent aussi des troubles moraux, des obsessions

hypocondriaques, des peurs, particulièrement la peur de marcher dans la

rue : c'est un véritable agoraphobie et un basophobe. Il n'est pas en équilibre

en marchant dans la rue, il sent le sol qui lui manque, etc. Si une per-

sonne vient au-devant de lui en sens inverse, il est bouleversé parce qu'il

ne sait pas s'il doit passer à droite ou à gauche et, dans ce cas, il lui est

arrivé de tomber à terre, ou mieux de se coucher à terre pour éviter

cette terrible rencontre. Bien entendu, il ne peut pas traverser la chaussée

si une voiture est en vue, même à un kilomètre, etc., c'est évidemment

une forme d'agoraphobie et de basophobie.

Au milieu de tout cela, quelque temps après la mort de sa mère, le

tremblement s'est développé, faut-il dire que c'est un tremblement essen-

tiel qui, par hasard, a coïncidé avec cette énorme timidité, cette émotivité

angoissante, ces obsessions, ces phobies, ou n'est-il pas plus juste de dire

que ce tremblement rentre dans le même groupe que les symptômes pré-

cédents ?

. III

Chez ces deux malades, nous arrivons à la même conclusion : le trou-

ble du mouvement, spasme ou tremblement, rentre, pour nous, dans un

groupe de symptômes physiques et moraux qui sont différents de ceux de

l'hystérie ou de la paralysie agitante proprement dite, mais qui ont cepen-

dant une grande fréquence et une grande unité clinique. Ce sont les

symptômes de la psychasthénie, névrose que nous essayons, depuis plu-

sieurs années, de caractériser et de constituer pour réunir des phénomè-

nes importants que l'on sépare trop souvent les uns des autres.

Un symptôme isolé ne suffit pas pour caractériser une maladie ; sui-

vant son évolution, suivant les autres phénomènes qui l'accompagnent et,

quand il s'agit des névroses, suivant l'état mental qui y est joint, un

même symptôme peut appartenir à des groupes fort divers. Un tic, par

exemple, peut être épileptique, ou hystérique, ou psychasthénique. Nos

deux observations nous montrent qu'un spasme, ne portant pas seulement

sur les muscles du cou comme dans le torticolis psychique de Brissaud,

mais s'étendant à tout un côté du corps et d'autre part un tremblement

216 RAYMOND ET JANET

généralisé et considérable, peuvent être des symptômes de l'état psychas-

thénique.

Sans entrer dans l'interprétation de ces faits que l'un de nous étudiait

récemment (1), nous rappelons seulement que ces phénomènes rentrent

dans le groupe considérable des ^agitations forcées que présentent si sou-

vent les psychasthéniques. Dans cette maladie qui porte principalement

sur les fonctions supérieures, les fonctions du réel, la volonté et l'atten-

tion, le sujet est à la fois un faible et un agité. Au moment de faire un

acte volontaire, de faire un effort, de se tirer d'une circonstance difficile,

l'acte volontaire, complet ne s'effectue pas, mais à la place il y a une déri-

vation sous forme de phénomènes beaucoup plus élémentaires. L'agitation

qui en résulte peut être et même est très souvent viscérale, alors elle dé-

termine des phénomènes d'angoisse; elle peut être aussi mentale et, dans

certains cas, donner naissance à de la rumination mentale ; enfin cette

agitation peut aussi prendre la forme motrice et se manifester par des cri-

ses d'excitation plus ou moins convulsive que l'on confond presque tou-

jours avec des crises d'hystérie. Ces agitations diffuses ont existé chez nos

deux malades : la jeune femme, a eu des crises avec cris et convulsions,

l'homme a eu surtout des crises viscérales et des angoisses.

De telles agitations ne restent pas toujours diffuses et vagues. Très

souvent, elles se systématisent plus ou moins : il y a des manies mentales

au lieu de la rumination diffuse, des phobies spéciales au lieu de l'an-

goisse, enfin des mouvements spéciaux au lieu de l'agitation motrice. Des

mouvements particuliers ont attiré l'attention, ou bien sont liés avec l'é-

motion, ou encore sont associés avec une pensée qui revient toujours dans

la- rumination ; ce sont des mouvements plus faciles, plus automatiques,

ou plus significatifs qui par conséquent se font plus facilement quand

survient l'agitation motrice. Chez la femme, le tonnerre en tombant à gau-

che a déterminé des mouvements de ce côté, mouvements de surprise,

d'attention ou de défense. Les pointes de feu et les vésicatoires ont con-

tinué à créer la même disposition ; aussi quand l'agitation n'est pas assez

forte pour devenir générale, c'est du côté gauche qu'elle se manifeste de

préférence ; l'habitude à laquelle de tels abouliques ne savent pas résister

la systématise de plus en plus. Chez l'homme, un des symptômes de l'émo-

tion, le tremblement, qui a attiré davantage l'attention, s'est systématisé

de la même manière.

Quand la systématisation de l'agitation motrice est complète, le phé-

nomène caractéristique qui se produit alors a reçu le nom de tic. Ici

nous hésitons à employer cette expression de sémiologie, parce que le mot

(1) Les obsessions et la psychasthénie, t. I, p. 241, 497, 551, 1902.

t

SPASMES ET TREMBLEMENT CHEZ DES PSYCIIASTHÉSIQUES 217 7

« tic » suivant la définition de Trousseau éveille l'idée d'un petit mouve-

ment bref, rapide, et que ce petit mouvement doit être la reproduction

plus ou moins complète d'une action. Ni chez l'un, ni chez l'autre de

nos malades ces caractères ne se retrouvent avec précision. En réalité, il

y a différents degrés de systématisation dans l'agitation motrice des psy-

chasténiques. Entre la crise d'agitation motrice purement diffuse et les

tics complètement systématisés se placent les spasmes et les tremblements

avec systématisation partielle.

Ce diagnostic, qui nous fait ranger ce spasme du côté gauche et ce

tremblement parmi les agitations forcées des psychasthéniques présente

un certain intérêt à propos du pronostic. Si nous faisions du spasme un

phénomène hystérique, il nous faudrait envisager l'éventualité de l'hémi.

plégie hystérique avec ou sans contractures, de l'attaque hystérique, en

un mot de tous les accidents possibles de la série hystérique, de même si

nous faisions de ce tremblement un symptôme de paralysie agitante, il

faudrait songer à toute l'évolution de Parkinson. Dans nos -deux cas,

nous avons, au contraire, à prévoir la série psychasthénique avec les agita-

tions, les tics, les phobies, les obsessions. Or, il n'est pas sans intérêt de

pouvoir préciser ce pronostic.

Cette distinction n'est pas non plus sans importance au point de vue du

traitement. Sans doute, les soins hygiéniques relatifs surtout à l'alimen-

tation et aux précautions pour éviter la constipation et l'intoxication, les

pratiques diverses destinées à tonifier les malades restent à peu près les

mêmes, mais le traitement psychologique, si indispensable dans ces né-

vroses, ne nous semble pas semblable. Les essais d'hypnose et de sugges-

tion, il est bon de le savoir d'avance, n'auront pas les mêmes résultats

que dans l'hystérie. Il n'y a pas lieu d'attirer l'attention des malades sur

leurs troubles; ils n'ont pas perdu la sensibilité, ni la conscience des

membres malades. Au contraire, il faut distraire leur attention de ces

accidents, il faut leur apprendre à faire les efforts de volonté et d'atten-

tion jusqu'au bout en arrêtant ces dérivations qui sont la source des agi-

tations. Plus on connaîtra avec précision l'état mental psychasthénique,

plus on pourra diriger utilement de tels malades dans l'éducation difficile

qu'ils doivent subir pour relever leur volonté et pour apprendre à éviter

ces diverses dérivations motrices qu'ils présentent.

TIC TONIQUE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT

PAR

le Dr Fernand RUDLER, médecin-major.

Observation.

L..., jeune soldat, ajourné un an pour faiblesse générale, a cependant une

bonne santé habituelle.Né à terme (accouchement normal), nourri au sein ma-

ternel jusqu'à 14 mois, il a eu la rougeole à quatre ans, mais on ne peut rele-

ver dans ses antécédents personnels aucune autre maladie infectieuse, pas de

fièvre typhoïde, ni diphtérie, ni rhumatisme; pas de syphilis, pas d'alcoolisme

ni de saturnisme, pas de diabète. Pas d'onychophagie ni d'incontinence d'urine

dans son jeune âge. Enfant unique, très nerveux ; il a eu une poussée de

croissance très forte de 15 à 17 ans. A 16 ans, traumatisme insignifiant, plaie

du médius et de l'auriculaire droits au niveau de la face dorsale de l'articula-

tion phalango-phalanginienne, atteints par un ventilateur au moment où il se

mettait en marche ; guérison rapide sans cicatrices apparentes, mais L... a

conservé de cet accident l'habitude de tenir les doigts légèrement fléchis dans

la paume de la main droite.

Père mort à 40 ans ; aurait perdu la vie dans un asile d'aliénés à la suite

d'une congestion cérébrale ; a servi pendant cinq ans dans la flotte en qualité

de quartier-maître mécanicien ; éthylisme probable, pas de syphilis. Grand-

père paternel nerveux, très irritable ; un oncle et une tante paternels émotifs,

à caractère violent, très emportés. Mère bien portante, ne serait pas nerveuse,

n'a pas eu de maladies pendant la grossesse ; aucune tare nerveuse dans la fa-

mille du côté maternel.

Histoire de la maladie. - L... se présente à notre observation pour une

affection du membre supérieur droit qui remonte à cinq ans. Il est allé à l'école

jusqu'à l'âge de 16 ans sans remarquer aucune différence entre ses deux bras ;

il est mécanicien de 16 à 18 ans, et, pour ce travail de force, les deux bras

lui rendent absolument les mêmes services ; il a comme occupation habituelle

le montage et le démontage de machines à tisser, travail qui consiste principa-

lement à serrer et à desserrer des boulons ; fréquemment aussi, il est em-

ployé à limer et à buriner ; toutes ces manoeuvres exigent un travail soutenu

et suivi du membre supérieur droit. La répétition de ces mouvements n'a

toutefois jamais déterminé de fatigue dans aucun segment du membre, et, dans

ses derniers mois de présence à l'atelier, le malade a même pu exercer la pro-

TIC TONIQUE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT 219

fession de tisserand qui demande une délicatesse et une sûreté de main assez

grandes; enfin, pendant ces deux années, L... qui était dans sa famille, n'a

jamais essayé d'écrire. Ce n'est qu'à 18 ans, lorsque le jeune homme reprend

ses études dans une école industrielle, qu'il découvre, en écrivant, un trem-

blement marqué de la main droite qui rend l'écriture difficile ; à ce moment,

il fait chaque jour la copie de plusieurs grandes pages, la main droite se fatigue

rapidement, le tremblement de la main commence au bout d'un quart d'heure

environ et l'écriture, nette au début, devient tremblée; il n'y a pas de cram-

pes, les doigts ne se raidissent pas, ne se crispent pas sur la plume, ils ne

l'abandonnent pas davantage. Pendant un certain temps, ce tremblement

qui ne se manifeste qu'à l'occasion de l'écriture - et le malade n'écrit jamais

qu'après le repas du soir cesse après l'absorption d'un litre de bière envi-

ron, mais bientôt il résiste à ces libations auxquelles L... renonce aussitôt. La

main droite assure encore l'écriture sans le secours de la gauche et ces phé-

nomènes ne se produisent jamais à l'occasion d'un acte professionnel, d'une

manipulation quelconque.

Mais bientôt L... éprouve de la gêne, sans aucune douleur, dans une foule

de mouvements du membre supérieur droit, en particulier dans les mouve-

ments de flexion et de pronation, mouvement de porter un objet à la bouche ;

cette gêne, autant que la crainte de se faire remarquer de ses camarades, le

décide aussitôt à se servir pour les usages journaliers du membre supérieur

'gauche. La gêne dans les mouvements est accompagnée d'un tremblement de

tout le membre, et d'une façon inconstante, de grands mouvements brusques

et involontaires à l'occasion d'un mouvement professionnel donné. Le malade

n'a jamais ressenti de douleur, ni de fourmillement, ni d'engourdissement du

membre ; il a constaté que la force musculaire et la sensibilité étaient intactes.

Le membre a conservé une attitude normale jusqu'au mois d'août 1902, épo-

que à laquelle L... s'aperçoit que sa main droite prend une attitude de prona-

tion et d'adduction en dedans ; à ce moment, le malade qui faisait encore dans

une usine les écritures techniques ne peut plus écrire de la main droite seule.

Ces phénomènes se sont installés insidieusement à l'âge de la puberté, sans

aucun malaise général, indépendamment de toute affection infectiense ou autre,

de refroidissement, et vraisemblablement sans aucune relation avec le léger

traumatisme signalé. Ils sont restés localisés au membre supérieur droit. L...

a essayé de régulariser les mouvements de son hras droit en se servant d'une

canne pendant la marche.

Examen actuel. - Jeune homme bien portant, de force moyenne. Poids

69 kilogs, périmètre thoracique 0 m. 86, pour une taille de l m. 77.

A la vue, le membre supérieur droit ne présente aucune déformation appa-

rente, mais une attitude spéciale caractérisée par la rotation et l'adduction du

bras en dedans ; l'avant-bras et la main se présentent par la face dorsale, la

main très légèrement fléchie sur l'avant-bras, les doigts fléchis (Pl. XLIV).

Malgré cette attitude, l'harmonie des formes est sensiblement conservée, pas

d'amaigrissement du membre; en avant, on constate seulement une exagéra-

tion du creux sous-claviculaire droit avec un léger effacement des pectoraux ;

220 RUDLER

l'humérus n'est pas abaissé, sa tête est en place. Par contre, en arrière, l'omo-

plate est manifestement plus proéminente qu'à gauche, abaissée et portée en

dehors.

La peau et le tissu cellulaire ne présentent rien d'anormal.

Les muscles du membre supérieur droit ne semblent pas atrophiés. Toute-

fois, à la palpation, le biceps brachial droit est moins ferme que le gauche à l'éta t

de repos, et plus mou, moins globuleux dans sa contraction. Les deux bras

étant en croix, la gouttière qui sépare le biceps du brachial antérieur et du

coraco-brachial est plus accentuée à droite qu'à gauche, ce qui semble indiquer

une diminution de volume du biceps droit; de plus, lorsque, dans cette posi-

tion des membres, on saisit les deux biceps entre le pouce et l'index, on con-

state une légère atrophie par comparaison avec le côté sain. Dans cette même

attitude enfin, il n'y a pas de flexion de la main sur l'avant-bras. Le deltoïde,

.le brachial antérieur ainsi que les autres muscles du bras paraissent intacts,

sans atrophie, ils se contractent bien ; il en est de même pour les muscles de

l'avant-bras, y compris le long supinateur, et ceux de la main ; la conformation

des doigts est normale malgré la flexion signalée.

La force musculaire est sensiblement la même dans les deux bras, 90 kilogs

à l'épreuve dynamométrique dans le bras droit, et 92 kilogs dans le gauche.

La réaction électrique des muscles du membre supérieur droit est normale.

La contractilité faradique est intacte et la secousse musculaire est identique

dans les deux membres ; tous les muscles, excités séparément, répondent aux'

interruptions fréquentes par une contraction indépendante. Aux courants vol-

taïques, une électrode placée sur le sternum et l'autre appliquée successive-

ment sur les muscles de l'épaule, du bras et de l'avant-bras des deux côtés, on

obtient : NFC légèrement > PFC ; POC > NOC ; POC > PFC. Ces réactions

sont égales des deux côtés et constantes, quelle que soit l'intensité des courants

employés ; les contractions musculaires sont brèves et rapides.

Le mouvement horizontal des bras sans flexion de l'avant-bras s'accompagne

d'une adduction et d'une rotation en dedans de l'avant-bras, et d'une exagéra-

tion du creux sous-claviculaire du même côté; dans le mouvement d'élévation

des bras sur la tête, le bras droit décrit un arc de cercle il rayon plus étendn

que le gauche ; de plus, l'épaule droite est portée en bas et en dehors, la pointe

du scapulum est à 41 centimètres de la ligne des apophyses épineuses du rachis

à droite, à 8 centimètres seulement à gauche, cet écart tenant moins à un léger

degré de scoliose qu'au déplacement de l'épaule en dehors ; enfin, l'angle infé-

rieur du scapulum est abaissé à droite de 2 centimètres environ. Dans ce mou-

vement comme dans le précédent, une forte contraction musculaire est néces-

saire pour maintenir le membre dans la position acquise.

Quand le malade, les coudes au corps, fléchit l'avant-bras sur le bras et

veut exécuter dans cette position un mouvement d'abduction du membre supé-

rieur, le mouvement de rotation de l'humérus en dehors s'effectue difficilement

à droite.

Le malade étant debout, s'il élève le bras en arrière le long du rachis, le

mouvement est moins complet à droite qu'à gauche ; de plus, la saillie du

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. Pl. XLIX

TIC TONIQUE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT

(F. Riidlei-).

Masson & CI ? I : dimurs

.

E 'h.totyp)e,B ? j ?

TIC TONIQUE DU MEMBRE SUPÉLllEUR DROIT 221

scapulum est beaucoup plus forte à droite et mesure 3 c. 5 entre le bord spinal

de l'omoplate et le fond de la dépression. L... veut-il porter la main à la

bouche, le mouvement s'exécute autour de l'épaule et non pas autour du coude ;

l'avant-bras fléchi, le coude s'élève à hauteur de la tête ; la main arrive à la

bouche par sa face palmaire, mais la rotation en dedans s'effectue aussitôt

(PI. XLIX) L... porte toujours les aliments à la bouche de main gauche.

Pour écrire, le malade se couche en quelque sorte sur l'avant-bras droit, le

membre supérieur droit en flexion complète, l'épaule très basse; il tient la

plume régulièrement entre l'index et le médius, mais le mouvement de rotation

en dedans se reproduisant, la main appuyée d'abord sur le bord cubital se

renverse sur la face palmaire, faisant glisser le porte-plume entre les doigts ;

elle est agitée, en outre, d'un tremblement qui écarte la plume delà ligne écrite,

et le malade est obligé de s'aider de la main gauche pour maintenir la dextre

à peu près immobile ; malgré cela, l'écriture est tremblée, hésitante, le malade

se reprend à deux fois pour écrire un mot, il éprouve une difficulté particu-

lière à former une majuscule ou une lettre haute (I, d). Pas de tremblement

de la main les doigts écartés en extension.

Dans la position du soldat au port d'arme, l'épaule droite s'élève manifeste-

ment ; quand le malade a conservé le mousqueton un certain temps sur l'é-

paule, le biceps se contracte, l'avant-bras est douloureux et sans force; au

mouvement de reposer l'arme, le mousqueton part brusquement, il est diffi-

cilement ressaisi de la main droite. Dans aucun mouvement L... n'a pu

conserver le coude au corps.

Les mouvements provoqués du coude sont tous possibles ; la flexion de

l'avant-bras sur le bras est facile, l'extension est complète ; la rotation de

l'avant-bras en dehors est accomplie avec gêne et nécessite une forte contrac-

tion du biceps. Quand le malade soulève un objet lourd, l'avant-bras droit

fléchi, la contraction du biceps se fait sans douleur dans l'épaule, mais l'effort

nécessaire est plus grand que du côté gauche.

Dans la flexion de l'avant-bras en demi-pronation, la contraction du long

supinateur semble s'effectuer normalement ; toutefois la peau pincée semble

plus mobile qu'à gauche.

A la main, les doigts sont fléchis, mais l'extension des phalanges s'exécute

normalement; de plus, la flexion complète est facile, et le malade saisit sans

difficulté un objet dans la main. Le médius et l'annulaire droits, blessés dans

l'accident mentionné précédemment, ne présentent pas de cicatrices ; L... indi-

que spontanément qu'à partir de cette époque il a pris l'habitude de tenir ces

deux doigts, puis l'index et l'auriculaire, en flexion incomplète ; aucune lésion

osseuse ou articulaire ne justifie cette attitude.

Il n'y a pas d'incoordination des mouvements les yeux fermés. Les troubles

moteurs cessent pendant le sommeil.

Tous les muscles de la face se contractent régulièrement, L... rit et siffle

sans effort et sans grimace ; au repos, on remarqne sur le front des rides

horizontales, et autour de l'angle externe des yeux un grand nombre de petites

rides en éventail. La mobilité du visage est très grande ; de plus, L... fait

222 rudler

mouvoir en tous sens la peau du visage et le cuir chevelu ; il imprime à ses

oreilles des mouvements bizarres de va-et-vient; il exécute ainsi des grimaces

variées. Enfin, il a pris l'habitude de plisser le front, contraction mus-

culaire des muscles frontaux qui détermine des rides verticales profondes

donnant à sa physionomie un air renfrogné, courroucé ; L... ne sait plus à

quand remonte cette habitude ni quelle a été au début sa raison d'être, toujours

est-il qu'actuellement ce froncement du front, assez fréquent, se fait spontané-

ment, à son insu.

Rien d'anormal dans les muscles de la nuque. Pas de déformation cra-

nienne.

Pas de tremblement dans le membre supérieur droit, sinon dans l'écriture ;

pas de contracture ni de rétraction fibro-tendineuse ; pas de crampes à l'état

de veille ou de sommeil, à l'occasion d'un mouvement ou d'un effort; le ma-

lade accuse seulement une légère douleur dans le biceps, sans crampe ni

contracture, avec faiblesse de l'avant-bras, quand il conserve longtemps le

mousqueton sur l'épaule ; le point de contact de l'arme est en dehors du point

de Erb.

Aucun trouble de la sensibilité dans le membre supérieur droit, ni sur

aucune autre partie du corps ; pas de fourmillements, ni de sensations anor-

males ; aucune douleur spontanée, il n'y a de douleur provoquée que dans le

port prolongé de l'arme sur l'épaule; la sensibilité au tact, à la pression, à la

douleur, à la température est conservée ; il y a toutefois exagération de la

sensation de froid dans le membre snpérieur droit quand le malade reste exposé

longtemps à un froid rigoureux ; pas de retard de la perception, aucune anes-

thésie cutanée, pas de zones d'hyperesthésie ni de zones bystérogènes.

Aucun stigmate d'hystérie.

Tous les réflexes sont intacts et égaux des deux. côtés.

Troubles vasomoteurs : poussées de rougeur du visage rares, au dire du

malade, dans les circonstances habituelles déjà vie, mais fréquentes pendant

l'examen médical, en particulier lorsque L... se sentant observé, exécute avec

maladresse un mouvement commandé; la maladresse dans les mouvements

complexes du membre supérieur droit et la gêne dans l'écriture sont plus

accusées au froid qu'à la chaleur. Pas de rougeur des téguments, pas d'oedème,

pas d'abaissement de température locale, pas de lésion des poils ni des ongles,

pas de tumeur dorsale du poignet. - Pas de troubles sécrétojres, pas de sueurs

plus abondantes ni plus rares dans le membre supérieur droit. Pas de dépig-

mentation, mais, sur les parties découvertes et sur les deux bras, un grand

nombre d'éphélides disposées sous forme ponctuée.

Aucun trouble visuel, pas d'anesthésie cornéenne, pas de rétrécissement de

la fente palpébrale ni du champ visuel, pas de paralysie des muscles moteurs

de l'oeil, ni de troubles de l'accommodation, ni de troubles pupillaires.

Etat mental : L... est intelligent, il a même des aptitudes spéciales pour le

dessin ; il a une mémoire excellente qui lui a permis de rédiger le soir des

leçons auxquelles il avait assisté dans l'après-midi sans prendre de notes écri-

tes ; il n'a pas de bizarreries très marquées du caractère, mais il est émotif

TIC TONIQUE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT 223

impatient, d'humeur irritable à l'excès et, pour des motifs futiles, il a des

colères violentes,de courte durée d'ailleurs et qu'il regrette aussitôt. Le nervo-

sisme du malade se manifeste dès que l'attention se porte sur lui. après un

examen prolongé par exemple, par des mouvements brusques, saccadés, un

peu d'agitation, de trépignement, l'exagération du mouvement de rotation

signalé du membre supérieur droit. L'attention volontaire est encore assez

grande chez le malade; deux faits prouvent que sa volonté est puissante, et

que, s'il a été enfant gâté, il est capable d'énergie et de persévérance : il a

accompli avec une gêne assez grande six mois de service actif avant de se

présenter à la visite médicale parce qu'à aucun prix il ne voulait être réformé ;

de plus, il suit avec méthode depuis plus d'un mois le traitement rééducateur

qui lui a été ordonné avec le ferme propos d'arriver à des résultats qu'il sait

devoir obtenir presqu'exclusivement de sa bonne volonté et de sa persévérance.

Pas d'écholalie, de coprolalie, pas de phobies ni d'obsessions.

Il n'y a enfin chez le malade pas d'anesthésie laryngée ; les mouvements

respiratoires sont normaux, rien à l'auscultation. Pas de troubles circulatoires

ni urinaires. Pas de troubles de l'état général.

Le diagnostic peut hésiter entre un trouble fonctionnel du membre su-

périeur et une affection, paralysie parcellaire ou parésie, du plexus

brachial droit, type supérieur de Duchenne-Erb. Mais d'autres hypothèses

peuvent se présenter l'esprit que nous allons discuter au préalable.

Malgré l'apparition insidieuse de la maladie, à l'âge de la puberté, on ne

peut songera la myopathie primitive progressive, type scapulo-huméral,

forme juvénile d'Erb ; on sait que ce type, le plus souvent symétrique,

reste rarement pur et qu'il s'accompagne presque toujours d'un affaiblis-

sement des muscles de la face qui en fait le type facio-scapulo-huméral

de Landouzy-Dejérine ; de plus, le sous-épineux qui semble le plus atteint

chez notre malade est habituellement respecté dans la forme juvénile de

l'atrophie musculaire progressive. D'ailleurs, l'atrophie musculaire est

insignifiante, sinon tout à fait nulle, dans le cas présent.

S'agit-il d'une névrite périphérique ? La symétrie des phénomènes de

paralysie est également la règle dans ce cas ; dans le type Duchenne-Erb,

en particulier, les troubles paralytiques d'origine névritique n'atteignent

généralement les muscles du bras qu'après avoir atteint ceux de l'avant-

bras ; or, ces derniers sont intacts dans notre observation. Nous ne consta-

tons pas davantage de troubles de la sensibilité très communs au contraire

dans les névrites, pas de troubles des réflexes, sécrétoires ou trophiques,

à peine quelques troubles vasomoteurs (poussées de rougeur au visage,

engourdissement et sensibilité du membre supérieur droit à des tempéra-

tures basses). Il ne peut être question de névrite alcoolique qui atteint

les membres inférieurs (pseudo-tabes alcoolique), ni de paralysie sa-

224 RUDLER

turnine, mercurielle ou arsenicale, le malade n'a jamais été soumis à aucune

de 'ces intoxications et n'en présente pas les symptômes ; enfin l'ab-

sence de sucre dans les urines élimine, indépendamment de la différence

de tableau clinique, l'idée de névrite des diabétiques.

L'irrégularité des mouvements du membre supérieur droit (maladresse

pour porter un objet à la bouche, secousses involontaires à l'occasion de

certains mouvements), doit faire examiner l'hypothèse de chorée ; il suffit

pour l'écarter de rappeler que ces phénomènes de début ont été passagers

et n'ont été suivis d'aucune généralisation. Le visage est parfaitement

calme.

Nous éliminons de même l'hystérie dont le malade ne présente aucun sti-

gmate ; une lésion nerveuse centrale qui s'accompagnerait d'exagération

des réflexes ou des lésions médullaires ordinairement symétriques ; - une

affection localisée à un nerf périphérique : paralysie du médian, avec la

flexion de la main sans force, l'anesthésie de la face palmaire de certains

doigts et la suppression des mouvements du pouce ; - du cubital, avec sa

main en griffe ; enfin du radial, puisque les mouvements de flexion

et d'extension de tous les segmenls du membre sont possibles, et que l'at-

titude de demi-flexion des doigts dans la paume de la main semble bien

le fait d'une mauvaise habitude prise par le malade à la.suite d'un

léger accident. Au reste, l'attitude de la main ne suffirait pas, en l'absence

de tout autre symptôme, à donner au nerf radial une importance que la

suite de la discussion attribuerait plus justement dans l'hypothèse de

paralysie, au nerf sous-scapulaire innervant le muscle sous-épineux.

« Le muscle sous-épineux est, en effet, un rotateur de l'humérus en de-

hors ; il intervient dans l'écriture en conduisant la main le long de la ligne

écrite ; sa paralysie entraîne l'abolition de cette fonction de rotation, la

gêne de l'écriture et aussi celle d'une foule de mouvements complexes du

membre supérieur » (1). La. perturbation dans les fonctions de ce muscle,

un certain degré d'atrophie du biceps brachial, l'effacement des pectoraux

à droite, quelques troubles fonctionnels du grand dorsal, nous condui-

sent à examiner l'hypothèse d'une altération, paralysie parcellaire ou

parésie du plexus brachial, type supérieur de Duchenne-Erb. Ce type

qui correspond à la lésion des 5° et 6e cervicales, intéresse en effet les

muscles deltoïde, biceps, brachial antérieur et long supinateur et acces-

soirement le sous-épineux, le grand rond, le grand dorsal et le faisceau

claviculaire du grand pectoral ; la parésie du premier groupe de muscles

(1) J'ai puisé les notions sur « la physiologie normale et pathologique des différents

muscles » en cause dans cette observation dans le chapitre, ainsi intitulé, des maladies

des muscles et des nerfs en particulier, de M. Hallion, in Traité de méd. Charcot,

Bouclaard, Brissaud, t. VI, p. 835 et suiv. ; et la symptomatologie de la paralysie radi-

culaire du plexus brachial dans Collet, Palh. int., t. I, p. 261.

TIC TONIQUE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT 225

entraîne une gêne dans l'élévation du bras et dans la flexion de l'avant-bras,

celle du second groupe commande l'attitude en adduction et en rotation du

membre supérieur ; la sensibilité est presque toujours intacte. Or, qu'ob-

serve-t-on chez notre malade ? Une altération anatomique ou fonction-

nelle de cerlains de ces muscles, caractérisée d'une part par une atrophie

légère du biceps avec effacement du faisceau claviculaire du grand pectoral,

et, d'autre part, par des troubles fonctionnels du muscle sous-épineux

(adduction et rotation du bras en dedans, gêne de l'écriture et d'une foule

de mouvements complexes du membre supérieur), et du grand dorsal

(élévation de l'épaule dans la position du soldat au port d'arme, attitude

attribuée par Hallion à une paralysie du grand dorsal suppléé dans^se»

fonctions par l'action du rhomboïde et du trapèze). Cette hyp§t4W"dé

paralysie parcellaire du plexus brachial .incomplète du fait de l'intégrité;^

muscles deltoïde, brachial antérieur et long supinateur, semble J(iic-PÆu--

voir se justifier par l'altération, anatomique ou fonctionnelle, du bicep's26 ?

laisceau claviculaire du grand pectoral, du sous-épineux et du grand dorsal.

Et il semble à premier examen que cette observation puisse être rappro-

chée du cas de Giraudeau : paralysie des muscles sus- et sous-épineux, sans

troubles de la sensibilité, ni troubles cutanés trophiques ou oculo-papil-

laires (cité dans Dieulafoy, Manuel de Path. int., t. III, p. 841).

Mais il est à remarquer que les troubles fonctionnels des muscles élé-

vateurs de l'épaule et rotateurs du bras occupent, dans cette observation,

le premier plan, alors qu'un certain degré d'atrophie du biceps ne consti-

tue qu'un phénomène secondaire. De plus, quelle serait la cause de cette

paralysie parcellaire du plexus brachial, respectant les muscles commu-

nément atteints dans le type de Duchenne-Erb, le deltoïde, le brachial

antérieur, le long supinateur ? On note l'absence de traumatisme, de

luxation de l'épaule, de cal vicieux, de compression par le forceps, d'ab-

cès pottique, de tumeur ganglionnaire ou autre ; il n'y a pas à invoquer

de tuberculose ou syphilis, héréditaires ou acquises, de maladies infec-

tieuses ou de refroidissement ; de quelle nature serait donc la compression

qui aurait agi à un moment donné sur le plexus brachial ?

Le diagnostic de trouble fonctionnel des muscles élévateurs de l'épaule

et rotateurs du bras répond mieux à l'observation clinique. Les antécé-

dents héréditaires du malade, son propre nervosisme, le début des acci-

dents à l'occasion de l'écriture, les tremblements, les secousses involon-

taires à propos de certains mouvements, les attitudes vicieuses pour

certains actes déterminés, l'intégrité des réactions électriques. l'absence

des troubles de la sensibilité et des réflexes, enfin" l'évolution générale de

la maladie, justifient pleinement cette hypothèse qu'une atrophie légère

du biceps ne suffit pas à faire écarler. Mais encore est-il nécessaire de

xvi 16

226 rudler

préciser : s'agit-il d'un spasme proprement dit, accident qui relève d'une

irritation matérielle des centres ou conducteurs nerveux, ou d'un tic,

trouble psycho-moteur ? (Brissaud, Meige et Feindel).

A vrai dire, le diagnostic différentiel est parfois délicat. Il existe en

effet, entre les tics et les crampes, spasmes, névroses ou impotences fonction-

nelles une parenté morbide que MM. Henry Meige et Feindel ont parfai-

tement établie. « L'observation fait voir, disent-ils, la coïncidence ou l'al-

ternance fréquente de ces accidents avec les tics... Ils sont bien de la même

famille... On voit survenir les névroses professionnelles et les tics chez

des sujets atteints du même déséquilibre mental. » (1)

Il n'en importe pas moins d'établir entre ces deux affections une dis-

tinction clinique aussi nette que possible.

Les spasmes fonctionnels et les tics s'observent également chez des su-

jets qui présentent des tares névropathiques et psychopathiques nom-

breuses. L'hérédité et une prédisposition spéciale en sont les deux facteurs

étiologiques principaux. Mais tandis que cette tare nerveuse, à la fois

héréditaire et personnelle, n'est dans le spasme qu'un phénomène contin-

gent, elle est au contraire nécessaire à l'existence même du tic ; ce dernier

n'est constitué que par la réunion, au trouble moteur, d'un trouble mental

lié, lui-même, à des imperfections psychiques observées chez les ascen-

dants du liqueur. Notre malade réunit ces deux conditions : il est fils

d'aliéné, il a des oncles nerveux, irritables jusqu'à la violence et dont

l'irritabilité augmente avec l'âge ; il présente lui-même un état mental

particulier, il est émotif, impatient, colère ; il a des attitudes vicieuses,

demi-flexion des doigts dans la paume de la main, et des habitudes motri-

ces anormales, un véritable tic du front. Il appartient à la grande famille

névropathique.

Le début des accidents à l'occasion de l'écriture n'appartient pas exclu-

sivement aux névroses professionnelles; des troubles de cette fonction

marquent souvent le point de départ de tics du membre supérieur droit.

Le torticolis mental reconnaît parfois ce mode de début ; il arrive même

que « les mouvements convulsifs du bras droit » aient été «précédés d'une

sorte de crampe des écrivains» (2). Le fait s'est produit chez notre malade

qui a été traité longtemps pour un gmphospasme.

Le caractère pathognomonique des troubles moteurs professionnels

est, de « se produire à l'occasion de la mise en jeu de la fonction ou

de la profession, et uniquement en celte occasion » (3). Or, chez notre

malade, ces troubles primitivement localisés à la main et limités à la

(1) Meioe et FEINDEL,, Les tics el leur traitement, Paris, Masson, 1902, p . 132 et 515.

(2) MEIGE et FEINDEL, op. cil., p. 325.

(3) MEIGE et Feindel, op. cit., p. 515.

TIC TONIQUE DU'MEMBRE SUPÉRIEUR DROll' 227

fonction de l'écriture se sont par la suite étendus au bras et à l'épaule,

se répétant dans des circonstances très variées et absolument indépen-

dantes de la profession ; en particulier, le mouvement de rotation de la

main ne se produit pas seulement à l'occasion de l'écriture, mais dans

beaucoup d'autres actes d'occupation, tel que celui de porter la main à la

bouche pour manger.

De plus, le trouble moteur est double en quelque sorte, et constitué

par un mouvement convulsif de l'épaule qui élève la main au-dessus de

la ligne écrite, et par un autre mouvement du bras qui fait tourner la

main en dedans sur le bord cubital servant de charnière. Mais jamais les

doigts ne se sont crispés sur la plume, et jamais ils ne l'ont abandonnée.

Les accidents ne se manifestent pas toutes les fois que le sujet essaie d'é-

crire ; les troubles de l'écriture sont infiniment plus accusés quand L...

écrit sur une table basse que lorsqu'il trace des caractères au tableau noir,

le bras étant élevé; l'élévation du bras diminue l'amplitude des mouve-

ments convulsifs.

Ces trois caractères : mouvements convulsifs en dehors de l'écriture,

déplacement de la main droite en hauteur et sur sa paume reflétant les

troubles moteurs de l'épaule et du bras indépendamment de toute crampe

proprement dite des doigts différence dans l'amplitude du mouve-

ment suivant que le sujet écrit sur une table basse ou debout au tableau

noir nous montrent qu'il ne s'agit pas du type ordinaire de la crampe

des écrivains.

Selon 11. Meige, Les troubles dans la fonction de l'écriture sont extrê-

mement rares chez les tiqueurs, même chez ceux du membre supérieur

droit. Et ce fait tient à ce que, dans l'immense majorité des cas, le

tiqueur peut suspendre momentanément son tic ; entre deux moue-

ments convulsifs, il écrit correctement un ou plusieurs mots. Or, notre

malade, au contraire, est« surpris par le mouvement convulsif » (1) à l'oc-

casion même de l'écriture. Les mouvements de son bras sont trop fréquents

pour permettre le maintien de la main en bonne position pendant le temps

nécessaire à la formation d'un mot. Les caractères sont tremblés et dé-

formés par le double mouvement convulsif que nous avons décrit : élévation

de l'épaule et rotation du bras en dedans.

Quelles conclusions tirer de ces remarques ?

Ces troubles ne relèvent certainement pas d'une lésion organique, puis-

qu'ils sont améliorés par un traitement rééducateur; ils semblent au

contraire liés il une anomalie des actes psycho-moteurs, et ainsi se rap-

prochent des tics, car en réapprenant le vouloir, L... réapprend en même

(1) MEIGE Er FEINDEL, op. cit., p. 323.

228 HUDLER

temps l'écriture : sa volonté fortifiée lui permet alors de corriger ses mou-

vements vicieux. - Les troubles dans la fonction de l'écriture s'expli-

quent d'ailleurs par la nature même des accidents. Ici, en effet, la con-

traction musculaire qui détermine l'attitude de rotation du bras en dedans

se rapproche de la forme tonique.

Un autre caractère distinclif est tiré de l'élude des troubles de la sensi-

bilité, des réactions électriques, et des réflexes. Absents dans les tics,

affection sine materia dans l'état actuel de nos connaissances, ils sont fré-

quents dans les spasmes qui reconnaissent pour cause premièreune lésion

organique. L... ne présente aucune modification de ces fonctions.

Le diagnostic de tic se vérifie encore, dans notre observation, par la

réunion d'autres caractères. Les mouvements du membre supérieur droit

sont coordonnés, on observe seulement de l'inhabileté, de la maladresse

dans leur exécution ; la volonté les rectifie ; devant un miroir. L... réap-

prend la régularité de ses mouvements. - La distraction et l'attention

exercent une action frénatrice sur ses mouvements convulsifs; un spasme

n'obéirait pas à ces interventions variées. - Il en est de même du som-

meil ; jamais, à aucun moment de la maladie, les phénomènes moteurs

n'ont apparu la nuit.

Enfin l'évolution générale de la maladie est bien celle des tics. Voilà

une affection qui date de cinq ans, et qui, abandonnée à elle-même, va en

s'aggravant au point de réduire progressivement les services que doit ren-

dre le membre supérieur droit. L... a consulté plusieurs médecins, puis

il a cessé tout traitement. Non seulement il croit son affection incurable,

mais il craint qu'elle ne se généralise ; il a constamment à l'esprit le sou-

venir d'un malade mort vers la quarantième année d'une affection ner-

veuse indéterminée d'ailleurs, mais qu'il compare à la sienne. Au moral,

il supporte difficilement le poids de sa lourde hérédité névropathique.

Vivant constamment dans de semblables préoccupations, son état mental

est loin d'être satisfaisant; non pas que, à 22 ans, il ait un caractère triste

à l'excès, hypochondriaque, ou qu'il ait jamais songé au suicide, mais il

manque de confiance en l'avenir, il ne réagit point. Il n'est pas abouli-

que dans toutes les circonstances de la vie, mais il est nosophobique;

non prévenu, il n'a pas la volonté ni l'espoir de guérir. Conséquemment,

loin de s'améliorer, le tic s'aggrave. - Survienne au contraire, par la

connaissance exacte de la maladie et par l'indication d'un traitement ra-

tionnel, un espoir d'amélioration ou de guérison, et on observe aussitôt

une transformation complète de l'état mental entraînant des modifications

très heureuses du trouble moteur. N'est-ce pas là encore une vérifica-

tion de ce fait que le pronostic d'un tic est lié d'une façon absolue à

l'état mental du liqueur ?

TIC TONIQUE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DHOIT 229

Peut-on concilier avec l'hypothèse d'un tic la légère atrophie du biceps

et du grand pectoral signalée dans notre, observation ? En réalité, cette

amyotrophie est bien peu accusée. Il y a, dans l'espèce, deux faits il con-

sidérer,le trouble moteur d'une part, et ensuite l'habitude prise par le

malade de ne plus se servir de son bras droit pour les usages journaliers.

Or, on voit fréquemment des atrophies de ce genre qui sont simplement

la conséquence du peu d'activité fonctionnelle de tels ou tels muscles, de

même qu'au contraire on voit des hypertrophies, conséquences d'hyperac-

tivité musculaire dépendant uniquement de troubles fonctionnels; les

unes et les autres peuvent être considérées comme résultant d'habitudes

motrices anormales, représentées dans le cas particulier par le repos ac-

cordé par le malade à son membre supérieur droit pendant de longues

années.

Il résulte de cette discussion que L... est atteint d'un tic du membre

supérieur droit. L'absence des modifications de la sensibilité, des réflexes

et des réactions électriques chez notre malade, son hérédité névropathique,

l'évolution de son affection établissent nettement qu'il ne s'agit pas d'un

véritable spasme au sens précis que MM. Brissaud, Meige et Feindel attri-

buent à ce mot. Les résultats obtenus par le traitement rééducateur con-

firment également le diagnostic de tic.

Le mot de tic d'attitude ou de tic tonique proposé par M. H. Meige

pourrait servir à désigner les accidents observés (1).

Notre malade ne fait pas un geste brusque, rapide comme celui que

provoque une décharge électrique ; il présente une attitude analogue

à celle du torticolis mental ou du trismus mental. Le trouble moteur « se

manifeste par l'immobilisation exagérée d'un membre ou d'un segment

de membre. Au lieu de se traduire par les changements de position, les

actes musculaires coopèrent à la conservation d'une position » (2).

Les contractions musculaires sont souvent très fortes, et si les troubles

moteurs de l'épaule disparaissent facilement, chez notre malade, sous

l'influence de la volonté, le mouvement de rotation du bras en dedans est

assez fort pour que L... n'arrive à conserver la main immobile en bonne

position que pendant une ou deux minutes.

Un dernier point est intéressant. La maladresse dans l'exécution d'une

foule de mouvements du membre supérieur droit qui semblait relever de

troubles fonctionnels du muscle sous-épineux, provenait en réalité de ce

fait que L... n'avait pas une notion exacte de la position de ses membres ;

fait qui a été signalé par IL Meige. Le contrôle du miroir a d'ailleurs

corrigé assez facilement tous ces troubles moteurs.

(1) Meioe et Feindel, Tic clonique el tic tonique (loc. cil., p. 209 et suiv.).

(2) Meige et FEINDEL, loc. cil., p. 217.

230 RUDLER

Nous avons soumis notre malade à la discipline psycho-motrice, préconi-

sée par M. le professeur Brissaud et perfectionnée depuis par MM. Henry

Meige et Feindel (1). Après six semaines de traitement environ, les ré-

sultats obtenus sont déjà satisfaisants.

Les deux procédés, l'immobilisation des mouvements et les mouvements

d'immobilisation ont été employés simultanément. La « rééducation de

l'immobilité » est chez L... chose difficile; dans la position du soldat

sans arme, les bras le long du corps, l'immobilité de la main droite en

bonne position ne dépasse pas une à deux minutes; toutefois le gain,

pour être lent, n'en est pas moins réel. Les progrès sont plus marqués

dans la position des bras en croix et dans l'élévation des membres supé-

rieurs. Dans le mouvement du salut militaire, le malade conserve assez

longtemps et sans effort la main droite au képi. Les mouvements d'éléva-

tion de l'épaule droite sont aussi moins fréquents; dans la position du

soldat au port d'arme, les deux épaules restent désormais très sensiblement

à la même hauteur.

Les mouvements d'immobilisation qui « tendent à régulariser les gestes

du sujet » ont donné des résultats plus appréciables. Nous avons fait

exécuter au malade tous les mouvements des membres supérieurs « len-

teinent, régulièrement, correctement, au commandement » ; ils ont été répé-

tés dans la famille du malade devant un miroir. Sans entrer dans le détail

de l'observation, nous pouvons affirmer que la gêne dans les mouve-

ments complexes du membre supérieur droit a considérablement diminué ;

en particulier, L... exécute correctement le mouvement d'élévation des

bras et celui de rotation autour de l'épaule ; il conserve facilement les

coudes au corps.

Les séances ont eu lieu tous les jours le matin en ma présence et, le

soir, devant un miroir et sous la surveillance de la mère du jeune homme ;

elles ont été faites dans les conditions prescrites.

Il y a un progrès sensible dans l'attitude générale du corps. Dans la vie

civile,le malade cherchait à corriger les mouvements intempestifs du bras en

mettant la main dans la poche ou en se servant d'une canne ; au régiment,

il croisait, en dehors du service, les mains derrière le dos en tenant le

poignet droit dans la main gauche. Depuis un mois, L... a abandonné

tous ces moyens de correction mécanique, et sous l'influence du traite-

ment, le balancement des bras tend à devenir régulier, rythmé ; les trou-

bles moteurs deviennent moins apparents.

(1) BnissAul>, Tics et spasmes cloniques de la face, leçon publiée par II. Meige et

Il. VIVIER, in Journ. de méd, et de chir. pratiques, 25 janvier 1894. II. Meige, Histoire

d'un liqueur, même journal, 1901, p. 609.- La correction des tics, le contrôle du miroir

(id., 25 octobre 1902, p. 169).- II. Meioe et Feindel, Les tics et leur traitement, p. 552

et suiv. ; la bibliographie est d'ailleurs complète dans ce dernier ouvrage.

TIC TONIQUE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT 231

L... peut actuellement porter la main droite à la bouche 15 à 20 fois

sans que le mouvement de rotation se reproduise ; il peut se servir de la

main droite pour manger.

La grosse difficulté était de réapprendre l'écriture, et la tâche était

lourde en raison du tremblement et du mouvement de rotation de la main.

Avant d'employer l'écriture en miroir, il a fallu réapprendre au malade

à écrire de la main droite sans le secours de la gauche ; L... a fait chaque

jour en ma présence une page de lettres, grosses, hautes, rondes ; les

progrès ont été assez rapides pour la forme régulière des caractères, puis

pour le nombre de lettres écrites sans interruption ; un cahier en fait foi.

Le 7 mai, au bout de dix-huit jours de traitement, le malade a pu tenir

la plume de la main droite seule pour former deux ou trois lettres, chose

qu'il n'avait pu faire depuis dix mois. Nous apprenons actuellement au

malade à écrire en miroir de la main gauche, mais il n'a pas encore

réussi à écrire simultanément des deux mains à la fois. Il exécute toute-

fois dans ce sens des dessins variés sur un tableau noir. Le membre supé-

rieur gauche sain servira de précepteur au membre supérieur droit malade.

La correction du tic des muscles frontaux marchait parallèlement sous

la double surveillance médicale et maternelle, au point que ce trouble

a presque complètement disparu.

Nous attendons de ce traitement de bons résultats pour plusieurs rai-

sons. L.... est surveillé au régiment par un médecin qui assiste à ses

exercices journaliers, et chez lui par une mère dont l'état mental est ab-

solument sain, puisque les tares psychopathiques n'existent que dans la

famille paternelle du sujet. De plus, l'amélioration se fait progressivement

chez notre malade; c'est là, d'après H. Meige, une bonne condition de

succès.

INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX

ET

MALADIE DE RECKLINGHAUSEN,

PAR R

HENRY MEIGE ET E. FEINDEL.

Une jeune fille de 18 ans fut amenée par sa mère à la consultation de

M. le professeur Brissaud, à l'Hôtel-Dieu, le 27 octobre 1902. De petite

taille, épaisse, lourde, maladroite, les traits enfantins, le visage un peu

bouffi, le regard vague, le geste rare : un simple coup d'oeil suffit pour

porter le diagnostic d'infantilisme myxoedémateux, qu'un examen plus

détaillé devait confirmer pleinement.

Ce n'était pas le vrai facies lunaire du myxcedème ; mais un masque

d'enfant, légèrement bouffi ; un oeil bleu, terne, au regard indifférent,

aux mouvements paresseux; sans gaieté, sans vie.

Cependant les cheveux sont bien fournis, un peu secs, mais non cas-

sants, et ils ne tombent pas. Par contre, la dentition est très mauvaise. Les

dents de lait persistent ; beaucoup sont cariées. Les oreilles sont normales,

bien ourlées, lobulées. Mais le front est étroit, le nez épaté, le maxillaire in-

férieur en prognathisme. La bouche est toujours entr'ouverte, jour et nuit.

C'est, à n'en pas douter, une « adénoïdienne ».

La peau du visage est colorée, presque couperosée, avec de fréquentes

bouffées de rougeur. La peau du corps est partout doublé d'une forte

panne adipeuse.

Le cou est court, la tête un peu enfoncée dans les épaules. La hanche

droite semble plus forte que la gauche, l'épaule est également plus étiez

vée ; mais cette différence tient surtout à un plus grand développement

du pannicule adipeux à droite.

Les seins sont assez indiqués, mais les mamelons rétractés. Le ven-

tre est gros, saillant; il n'y a pas de hernie ombilicale. Les règles ont ap-

paru assez tard, faiblement, irrégulièrement ; elles cessent pendant plu-

sieurs mois. Les mains sont grasses el molles; les pieds épais, aplatis.

NOUVELLE ! CONOGRAI'II1E DE LA SALPGTRTLAF.

T. XVI. Pl. L

INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX ET MALADIE DE RECKLINGHAUSEN

(Henry tCcioe ct E. Feindel)

Masson & Ch, 1°·Jncurs

INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX ET MALADIE DE HECKL1NGHAUSEN 233

Peu de poils aux aisselles, presque rien au pubis.

Bref, la taille et l'aspect extérieur d'une grosse fillette, courtaude et

lourdaude, de 1'2 à 13 ans (PI. L).

Son infantilisme n'est pas discutable, et son apparence myxoedéma-

teuse saute aux yeux. D'ailleurs, le corps thyroïde n'est pas perceptible à

la palpation.

Cette jeune fille n'est pas inintelligente, mais elle est lente à comprendre

et plus lente encore à faire comprendre qu'elle a compris. Elle raisonne

dit sa mère, avec assez de justesse, appréciation sujette à caution, car

la mémoire de la malade est souvent en défaut. Avant tout, elle est in-

différente, apathique, au physique comme au mental. Elle a horreur de

tout exercice, de tout effort du corps ou de l'esprit; elle est cependant

capable de faire une longue course, pourvu qu'elle marche lentement.

Elle se livre à de menus travaux de dessin ou de couture, toujours avec

une extrême lenteur.

Voyons maintenant ses antécédents :

Elle est la quatrième d'une famille de 7 enfants, la troisième des 5 qui

restent vivants, le premier et le dernier étant morts d'entérite à l'âge de

18 mois et de 10 mois. 4 frères et soeurs sont bien portants, de taille

élancée, de figure normale. Ils ont tous marché un peu tard.

Sa mère aurait été réglée tardivement, et se serait développée assez

lentement; étant jeune, elle était, paraît-il, petite, lourde, de figure bouf-

fie. Actuellement, c'est une femme de taille moyenne, sans embonpoint et

très active. Une tante de la malade, soeur de sa mère, aurait été également

petite, épaisse, lente à se développer. Mais elle a actuellement de grands

enfants parfaitement normaux.

Dans la famille du père, aucune anomalie notable, non plus que chez

les grands parents.

En somme, la jeune fille n'aurait de ressemblance qu'avec sa mère

et sa tante, au temps de leur première jeunesse.

La malade est née à terme, dans un accouchement normal, et sans que

la grossesse maternelle ait été traversée par quelque incident fâcheux.

« Belle enfant » à sa naissance, elle fut mise en nourrice. A l'âge d'un

an elle eut la coqueluche. Sa première dentition a été normale. La

marche a été tardive, elle n'a commencé que vers 18 mois, et pendant

toute son enfance l'enfant a conservé une certaine timidité pour marcher.

La parole a été aussi un peu tardive; mais l'enfant est devenue propre

aussi tôt que ses frères et soeurs, au temps voulu.

Cependant, elle demeura toujours petite, lourde, maladroite et apathi-

que, comme un gros enfant retardataire, et elle apparaît encore telle au-

jourd'hui.

234 HENRY MEIGE ET FEINDEL

Le traitement thyroïdien fut naturellement prescrit, mais la malade

n'ayant pas été ramenée par sa mère à l'Hôtel-Dieu, nous ne savons quel

en fut le résultat.

A côté de cet infantilisme myxoedémateux dont la réalité est évidente,

d'autres manifestations méritent d'être signalées.

D'abord, un tremblement unilatéral.

La malade avait appris à écrire de la main droite comme les autres

enfants. Mais, vers l'âge de 12 ans, ce tremblement survint et l'obligea

à apprendre à écrire de la main gauche. Actuellement elle écrit assez mal

de l'une comme de l'autre main ; cependant, l'écriture de la main droite est

particulièrement mauvaise, irrégulière, tremblée, souvent illisible. Elle

tient en effet fort mal sa plume et l'on constate nettement le tremblement

de la main droite lorsque celle-ci est étendue. Ou voit aussi de l'irrégula-

rité, de l'hésitation et de la maladresse dans l'acte de porter avec la main

droite un verre plein à la bouche, et même dans celui de mettre l'index

droit sur le bout du nez. Il n'y a d'ailleurs aucune paralysie ni aucune

atrophie musculaire à droite. A gauche, tous les mouvements du bras et de

la main se font avec aisance.

Dans la marche, la jambe droite est plus faible et le pied droit tend à

se tourner en dehors.

Au demeurant, les réflexes rotuliens sont égaux et normaux, de même

que les réflexes tendineux des membres supérieurs, les réactions pupil-

laires et la sensibilité cutanée.

Le pouls bat à 72 ; le coeur est normal.

Une autre constatation a son importance.

Sur la partie supérieure de la face externe de la cuisse gauche existe

un gros noevus d'apparence chéloïdienne.

En outre, on peut voir sur différentes régions du corps la double pig-

mentation caractéristique de la maladie de Recklinghausen :

1° Le lentigo épargnant la face et plus serré en certaines régions, no-

tamment au cou;

INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX ET MALADIE DE RECKLINGHAUSEN 235

2° Deux ou trois taches « café au lait » de quelques centimètres carrés

de surface, sur la peau qui recouvre la région de l'omoplate gauche.

Il n'y a d'ailleurs sur les téguments aucune saillie qui ressemble à un

fibrome ou à un molluscum. Mais retenons le gros noevus angiomateux

d'apparence chéloïdienne qui se trouve sur la cuisse gauche.

Nous n'insisterons pas sur l'Infantilisme de notre malade. Les caractè-

res de l'infantilisme myxoedémateux, type Bl·issa2ld, sont aujourd'hui bien

connus (1). C'est une forme clinique dont les exemples se montrent cha-

que jour plus nombreux depuis qu'on a appris à la reconnaître. Nous

avons signalé au cours de l'observation, tous les éléments de ce diagnos-

tic (2).

Nous ne nous attarderons pas non plus sur ce tremblement du membre

supérieur droit survenu à l'âge de 12 ans, sans cause connue. La patho-

génie et la nature de ces tremblements sont encore problématiques.

Mais nous tenons à relever l'existence chez cette malade de la double

pigmentation cutanée, caractéristique de la maladie de Recklinghausen,

ainsi que la présence d'un gros noevus de la cuisse gauche. Sans doute,

elle n'a pas de tumeurs cutanées, mais on tend actuellement, Thibierge

» en particulier, à diagnostiquer la maladie de Recklinghausen en se basant

principalement sur la présence de la double pigmentation, d'une colora-

tion spéciale du visage, et aussi sur la fatigue physique et les pertes de

mémoire, alors même qu'il n'existe pas de fibromes de la peau (3).

L'un de nous a soutenu aussi avec R. Oppenheim (4), que la présence

des deux signes physiques cardinaux. de la maladie de Recklinghausen

et notamment des deux pigmentations suffisait à assurer le diagnostic

d'une forme incomplète.

Or, outre la double pigmentation et le noevus de la cuisse, notre malade

présente un visage rouge et couperosé, une apathie physique invincible et

(1) BRiSSAUD, Leçons sur les maladies nerveuses, t. I, 30° leçon et t. II, 22°-25e le-

çons.

(2) D'ailleurs, l'un de nous ayant consacré une série de travaux à l'étude des Infan-

tiles, nous ne pourrions qu'y puiser des redites. Henry Meige, L'Infantilisme, le fé-

minisme et les hermaphrodites antiques. Anthropologie, t. V, 1895, p. 257. Voir

Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1895, 1896, 1898, etc. Enfin, revue générale sur

l'Infantilisme (bibliographie), Gaz. des Hôpitaux, 22 février 1902.- Voir aussi les im-

portants travaux de Hertoghe et le récent ouvrage de JANDELIZE,

(3) Thibierge, Soc. méd. des Hop., 18 fév. 1898.

(4) Feindel et R. Oppenheim, Sur les formes incomplètes de la neurofibromatose

(Arch. gén. de médecine, juillet 1898).

236 HENRY MEIGE ET FEINDEL

une grande torpeur intellectuelle avec des faiblesses certaines de la mé-

moire. Ces derniers signes appartiennent, il est vrai, au myxoedème éga-

lement, mais ils ne lui appartiennent pas exclusivement ; et l'on peut les

rattacher avec d'aussi bonnes raisons à la maladie de Recklinghausen.

D'ailleurs, neurofibromatose et myxoedème sont des dystrophies aux-

quelles participe le système tégumentaire.Il n'est pas impossible : d'entrevoir

une même cause originelle à ces accidents communs aux deux affections.

On sait que la présence des taches « café au lait », denoevi pigmentaires

assez étendus, et d'une pigmentation punctiforme est considérée comme

un témoignage de l'insuffisance fonctionnelle des capsules surrénales.

H. Revilliod suppose même que la cause première de cet accident est l'enva-

hissement des filets sympathiques de ces glandes par la neurofibromatose.

On sait aussi que la fatigue, la torpeur physique et psychique, sont des

symptômes de première importance dans la maladie d'Addison.

De là cette hypothèse que, chez notre malade, non seulement le corps

thyroïde fonctionne imparfaitement comme en témoigne son très petit

volume et mieux encore le syndrome évident de l'infantilisme myxoedé-

mateux mais que les glandes surrénales, elles aussi, peuvent être

troublées dans leur fonction (1).

Une troisième glande, l'ovaire, dont on sait les étroites relations avec

la thyroïde, se montre encore insuffisante dans le cas actuel. Notre malade

est plus qu'imparfaitement réglée, et elle a souvent des bouffées de rou-

geur comparables à cellesdes ovariotomisées.

Ces coïncidences ne sont peut-être pas purement fortuites, et leur

fréquence est sans doute plus grande qu'on ne le croit.

M. Hertoghe, en publiant un curieux cas de trophoedème chronique

localisé à la joue droite, a remarqué que la soeur de cette malade était une

infantile intermédiaire enlre le type Brissaud et le type Lorrain. « Son

facies dit-il, est intéressant. L'expression dominante est la fatigue... La

face est couverte de verrues, de taches vineuses, de noevi pileux. La

couleur est d'un fond jaune laiton, plaqué de pommelles rouge bleuâ-

tre » (2). Cette description pourrait s'appliquer à un sujet atteint de ma-

ladie de Recklinghausen.

Dans une très intéressante observation intitulée : Infantilisme dégéné-

ratif (type Lomin) compliqué de dysthyroïdie pubérale (type Brissaud),

MM. Ernest Dupré et P. Pagniez signalent chez leur malade, une jeune

fille de 15 ans 1/2, avec le caractère morphologique de l'infantilisme, la

(1) HENRI Revilliod, De la neurofibromatose généralisée et de ses rapports avec l'in-

suffisance des capsules surrénales. Thèse de Genève, 1900.

(2) Hertoghe. Contribution à l'étude du trophoedèine chronique (Nouvelle lcollogm-

phie de la Salpêtrière, nov.-déc. 1901).

INFANTILISME MYXOEDÉMATEUX ET MALADIE DE IiECICLINGI1AUSCN 237

somnolence, la perte de la mémoire, l'apathie, etc., et aussi la présence

d'un petit noevus sur la paupière supérieure gauche. Ils insistent sur la

coexistence de l'insuffisance ovarienne et de l'insuffisance thyroïdienne :

« Ces associations dans l'insuffisance pathologique de deux glandes,

l'ovaire et la thyroïde, si étroitement solidaires dans leur évolution et

leur activité physiologiques, sont une intéressante démonstration de ces

synergies organiques, que nous apprenons de plus en plus à soupçonner,

principalement dans le domaine des glandes à sécrétion interne, et dont

la connaissance due à la pathologie, éclairera plus tard les lois de la cor-

rélation interorganique, dans le mécanisme de la croissance et de l'évo-

lution de l'être » (1).

Pareilles remarques sont également applicables à l'association de l'in-

suffisance thyroïdienne et de l'insuffisance surrénale.

Ainsi se pose un problème pathogénique intéressant :

, La neurofibromatose peut-elle être invoquée pour expliquer les insuffi-

sances fonctionnelles qui s'observent chez nombre d'infantiles et qui por-

'tent sur les glandes thyroïde, pituitaire, surrénales, sexuelles ?

1 Ou bien la maladie de Recklinghausen n'est-elle qu'un mode de dystro-

phie du tissu nerveux et cutané,qui, dans certains cas, vient se surajouter

aux autres dystrophies (cutanées, osseuses, vasculaires, glandulaires)

si souvent alliées à l'infantilisme,et dont la cause commune nous échappe

encore ?

Nous nous contentons de poser ces questions, auxquelles de nouveaux

faits d'observation apporteront peut être la réponse.

(i) Voy. 1\'ouu. Iconographie de la Salpêtrière, 1902, p. 124.

SUR UNE FORME RARE D'HÉMIMÉLIE

RADIALE INTERCALAIRE,

PAR

M. KLIPPEL

Médecin de l'hôpital Tenon.

ET

$TIENNE RABAUD

Docteur ès sciences.

L'attention s'est portée depuis plusieurs années sur certaines formes

d'ectromélies caractérisées, dans leur ensemble, par l'absence d'un seul des

os de l'avant-bras ou de la jambe, absence coïncidant le plus souvent avec

celle des doigts correspondants. Grâce à la radiographie, il a été possible

d'étudier de près les cas observés, de sorte que l'on se trouve actuelle-

ment en présence d'un assez grand nombre d'observations. Si de ces ob-

servations se dégagent déjà quelques types qui paraissent bien définis, il

reste à côté d'eux divers cas particuliers, plus ou moins isolés, ne se

rapportant nettement à aucun groupe. La question est, du reste, assez com-

plexe, surtout si, au lieu de s'en tenir au simple examen des dispositions

anatomiques, on cherche à débrouiller la question d'origine.

Voici un cas nouveau se rapportant au même ensemble et qui ne parait

pas de nature à simplifier son étude. Il s'agit d'une hémimélie radiale très

atténuée du membre gauche, portant principalement sur la première

phalange du pouce, et en correspondance avec une atrophie assez intense

des muscles de l'éminence thénar de la main droite.

I

L'homme porteur de cette anomalie est entré à l'hôpital Tenon, dans le ser-

vice de l'un de nous, le 27 mars 1903 pour une grippe bénigne.

Les antécédents héréditaires n'ont qu'une médiocre importance. On relève

simplement, chez un cousin germain, l'existence d'une liexadactylie cubitale des

quatre membres. Aucun renseignement ne permet de supposer que ce sexdi-

gitarisme provienne de l'un quelconque des générateurs communs médiats ou

immédiats.

Personnellement, le malade a été opéré, vers 1893, pour un calcul vésical

volumineux et très dur. Dans son enfance, il était atteint d'incontinence essen-

tielle d'urine. C'est un homme de stature moyenne et d'une constitution

UNE FORME RARE D'HÉ11MÉLIE RADIALE 1NTEKCALAIRE 239

robuste. Son état mental n'indique aucune disposition cérébrale anormale ou

maladive.

L'anomalie qui a attiré notre attention intéresse les deux membres supé-,

rieurs.

A gauche, le pouce est extrêmement réduit. C'est un appendice directement

attaché à la peau qui revêt le deuxième métacarpien, au niveau de la partie

moyenne de ce métacarpien. Considéré dans son ensemble, le pouce a conservé

un aspect sensiblement normal ; son volume équivaut à la moitié environ du

volume habituel ; il est un flottant, incapable de mouvements spontanés, re-

tombant de son propre poids suivant la position que prend la main. Il n'est

donc soumis à l'action d'aucun muscle ; du reste, l'éminence thénar, aussi bien

que le premier espace interosseux, fait entièrement défaut.

Le pédicule d'implantation du pouce possède, à peu de chose près, le même

diamètre que le doigt lui-même. La peau passe directement du bord radial sur

le pouce, sans présenter aucun sillon, ni aucune trace de cicatrice ancienne.

A la palpation, on reconnaît deux phalanges normalement articulées entre

elles et très mobiles l'une sur l'autre. Au-dessus de la seconde phalange, on

sent un nodule osseux, irrégulièrement arrondi, du volume d'un gros pois Ce

nodule ne fait point corps avec l'os de la phalange; il lui est simplement uni

par une articulation très mobile. On perçoit, en outre, dans l'intérieur du pé-

dicule et formant son axe, un cordon tendineux qui ne paraît s'insérer sur aucun

os par l'une ou l'autre de ses extrémités.

L'inspection ni la palpation ne permettent de reconnaître aucune modifica-

tion appréciable dans le squelette carpien ; le trapèze existe, bien qu'ayant

perdu toutes connexions avec le pouce. Du coté de l'avant-bras on ne remarque

aucune particularité squelettique ou musculaire. Seule l'artère radiale est pro-

bablement d'un calibre très réduit : il est extrêmement difficile, en effet, de

saisir ses battements dans la gouttière du pouls.

L'examen radiographique complète très utilement ces renseignements et les

rectifie dans une certaine mesure.

On constate nettement la gracilité du squelette du pouce et l'état imparfait

de sa première phalange (métacarpien de quelques auteurs). La phalange un-

guéale et la deuxième phalange ont, l'une et l'autre, une forme sensiblement

normale ; elles ne se distinguent de leurs similaires de la main droite que par

leurs faibles dimensions, réduites environ de moitié, dans tous les sens pour

la deuxième phalange, dans le sens de l'épaisseur seule pour la phalange

unguéale ; la longueur de cette dernière est normale. La facette articulaire de

l'épiphyse de la deuxième phalange, au lieu d'être légèrement concave est, au

contraire, nettement convexe. Quant à l'os de la première phalange, il est très

court, s'articulant en bas avec celui de la deuxième phalange par une facette

concave remplaçant la tête que cet os devrait normalement avoir. La partie

supérieure de ce dernier se termine brusquement, en pleins tissus, par une

surface mousse arrondie, située à 7 ou 8 centimètres du trapèze et n'ayant,

par suite, aucune connexion avec le reste du squelette de la main.

240 ' KLIPPEL ET RABAUD .

Du côté du carpe existent des modifications extrêmement sensibles à la vue.

Dans son ensemble, ce carpe est moins cohérent qu'à l'ordinaire et cela pro-

vient, suivant toutes probabilités, d'une diminution de volume qui porte spé-

cialement sur le trapèze et sur le scaphoïde. Le trapèze a la forme d'une pyra-

mide triangulaire ; répondant par sa base au deuxième métacarpien, il le

déborde légèrement en dehors, mais beaucoup moins qu'à l'état normal. Quant

au scaphoïde, il est notablement écarté du trapèze et, comme ce dernier os, il

a subi une diminution de volume très appréciable portant sur sa face ex-

terne.

Le radius est également intéressé par le processus de réduction. Il est visible

que le diamètre transversal de son épiphyse inférieure est plus petit que le

diamètre de l'épiphyse correspondante du radius droit. Ici encore, la réduction

semble spécialement affecter le bord externe dont la courbe est nettement

aplatie.

A droite, les modifications sont beaucoup plus légères. Le squelette lui-

même n'est nullement atteint, ainsi que l'on peut s'en rendre compte par

l'examen de la radiographie. Seule, l'éminence thénar fait presque complète-

ment défaut ; elle est remplacée par un méplat qui contraste singulièrement

avec l'épaisseur normale du premier espace interosseux. A l'aplatissement de

l'éminence thénar ne correspond aucune attitude anormale du pouce. Même,

cet aplatissement ne traduit pas une absence complète de la masse musculaire,

car tous les mouvements du doigt sont conservés avec leur ampleur habituelle;

UNE FORME RARE D'HÉMIMÉLIE RADIALE INTERCALAIRE 241

l'opposition, l'abduction, l'extension s'exécutent parfaitement; on constate

simplement une légère gêne dans la flexion de la phalange unguéale sur la

deuxième phalange.

L'artère radiale prend part à l'anomalie : si elle ne fait point défaut, elle est,

dans tous les cas, beaucoup plus petite qu'à l'état normal, à moins qu'elle ne

soit remplacée par un réseau d'artérioles ; on ne peut, dans tous les eas, perce-

voir ses battements, quels que soient les moyens mis en oeuvre dans ce but.

II

Les dispositions squelettiques de la main gauche doivent tout particu-

lièrement attirer notre attention. Ces dispositions se rencontrent avec

une extrême rareté et, parmi les nombreuses relations d'anomalies osseuses

du membre supérieur, nous n'avons pu trouver qu'un seul cas qui leur

soit comparable. Ce cas, publié en 1864 par Dolbeau, est rapporté

dans la thèse d'agrégation de J.-A. Fort (1), ainsi que dans la thèse inau-

gurale de G. Beauregard(2), mais sans indication d'origine. Beauregard

reproduit la figure donnée par Dolbeau.

Dans la mesure où les renseignements fournis permettent de porter

une appréciation, le cas de Dolbeau paraît être assez semblable au nôtre.

L'anomalie porte également sur la première phalange du pouce dont le

squelette est remplacé par un cordon fibreux aboutissant à un nodule

osseux, seul reste de l'os phalangien. L'examen anatomique du carpe n'a

pas été fait et nous ignorons si ce carpe était complètement normal ou

s'il présentait des modifications du genre de celles que la radiographie

nous a révélées. Il n'est rien dit non plus de l'état de l'autre main.

En dehors de ce cas très ancien, les recherches bibliographiques ne

nous ont procuré aucune relation similaire. On rencontre, avec une grande

fréquence, des cas où, le squelette de l'un quelconque des doigts faisant

partiellement défaut, l'absence porte soit sur la dernière phalange seule,

soit à la fois sur les deux phalanges 'inférieures. Ces cas ne peuvent

en aucune façon être rapprochés du nôtre. Ce qui distingue celui-ci, en

effet, c'est la forme même et le siège de l'anomalie. Elle n'est point

terminale, portant sur l'extrémité même d'une colonne osseuse, elle est

intercalaire, intéressant l'un des os de la série linéaire. En outre, elle

n'atteint pas cet os tout entier, mais seulement une partie de cet os : elle

est intercalaire et patielle. Si donc, nous voulons trouver quelque part

une analogie, nous ne devons point la chercher dans les diverses formes

(1) J.-A. Fort, Des difformités congénitales et acquises des doigts. Thèse d'agré-

gation, 1869.

(2) G. Beauregard, Des difformités des doigts (Dactylolyses). Thèse de Paris, 1815.

xvi 17

242 KLIPPEL ET RABAUD

d'ectrodactylie ou d'hémimélie terminales, mais dans d'autres anomalies

touchant d'autres parties des membres. A cet égard nous connaissons un

nombre relativement grand d'absence intercalaire et partielle du radius

ou de son homologue le tibia (1).

En l'espèce, en effet, il s'agit d'une absence partielle et non d'une

brièveté simple. Un os anormalement court conserve à peu de chose prés

sa forme habituelle et ne perd aucune de ses connexions. C'est ce que

montre, par exemple, la très curieuse observation que nous avons publiée

il y a quelques années (2). La constatation peut se faire d'ailleurs par le

simple examen, sur la radiographie ci-jointe, de la deuxième phalange du

pouce anormal : bien que toutes les dimensions de cette phalange soient

plus courtes qu'à l'ordinaire, elle a cependant conservé sa forme et ses

connexions. La comparaison entre la première et la deuxième phalange

rendra plus saisissant l'état incomplet de la première : si la forme de

l'extrémité inférieure de celle-ci rappelle d'assez près la forme habituelle,

son extrémité supérieure fait, par contre, totalement défaut; l'os se ter-

mine brusquement, en pleine diaphyse, par une extrémité mousse, irrégu-

lière, ne rappelant en rien une facette articulaire ; cette extrémité supé-

rieure, libre de toutes connexions correspond à l'union du tiers inférieur

de la diaphyse avec les deux tiers supérieurs.

Le cas présent se rapproche donc, non pas d'une ectrodactylie franche,

mais de toutes les formes caractérisées par l'absence complète ou partielle

d'un segment intercalaire des membres.

Ayant établi cette première spécification de l'anomalie, nous ne pou-

vons préciser davantage et ramener le cas actuel à un type déterminé, par

le simple examen de la phalange du pouce; nous devons considérer, en

outre, les autres modifications squelettiques mises en évidence par la ra-

diographie. Le trapèze et le scaphoïde, d'une façon très marquée, -l'ex-

trémité inférieure du radius, à un degré moindre mais non douteux

cependant, sont intéressés par le processus anormal, tandis que les autres

os carpiens d'une part et le cubitus d'autre part, sont tout à fait indemnes.

L'anomalie porte donc sur un ensemble de pièces squelettiques apparte-

nant toutes, exclusivement, au bord radial du membre supérieur.

Ces constatations nous conduisent à rattacher notre cas à ces formes

(1) Voir la thèse très documentée de GEORGES VUILLAOEI1 ! , Contribution à l'élude de

l'absence congénitale du tibia, Lyon, 1899 ; les thèses de Appraillé (1901), PALMIER 1

(1902), SAVORNIN (1898), LEPRINCE (1900), DucLos (1900), etc. pour le radius.

(2) KLIPPEL et RABAUD, Anomalie symétrique héréditaire des deux mains (Brièveté

du 2° métacarpien). Gazette hebd. de méd. et de chirurgie, 15 avril 1899.

UNE FORME RARE D'HÉMIMÉLIE RADIALE INTERCALAIRE 243

d'hémimélie radiale ou tibiale (1) dans lesquelles l'os antibrachial ou

jambier fait seul défaut en totalité ou en partie, sans absence corréla-

tive des os carpiens ou phalangiens terminaux. De l'ensemble des observa-

tions actuellement connues, il paraît ressortir, en effet, que l'absence

totale du radius, ou l'absence partielle de sa moitié inférieure, n'est

presque jamais isolée, mais fait au contraire le plus souventpartie d'une

hémimélie terminale, intéressant toute la colonne osseuse à partir de la

phalange unguéale. L'absence totale ou partielle inférieure du radius ne

serait donc pas typiquement intercalaire et nous ne pouvons y rattacher

le cas particulier qui nous occupe. Au contraire, lorsque l'absence par-

tielle du radius porte sur l'extrémité supérieure de cet os, le pouce et le

carpe ne sont pas intéressés, tout au moins d'une façon marquée (2).

Or, si nous considérons attentivement la radiographie, nous constate-

rons que les modifications du trapèze et du scaphoïde sont beaucoup plus

considérables que celles des deux phalanges inférieures. Les os carpiens

sont modifiés dans leur forme, une partie assez importante de leur masse

est absente, tandis que les deux phalanges inférieures sont, au contraire,

simplement intéressées dans leur volume : leur forme est normale et même

la longueur de la phalange unguéale est égale à la longueur de la phalange

similaire du côté opposé.

. Tout se passe comme si les phénomènes corrélatifs de la colonne osseuse

des membres se déroulaient de bas en haut et non de haut en bas; ce sont

les os adjacents à la place de l'extrémité absente qui reçoivent le contre-

coup le plus fort et non les os adjacents au fragment persistant de l'os

partiel. Lorsque l'anomalie ne reste pas strictement localisée à une seule

pièce squelettique, elle remonte de l'extrémité vers la racine; elle remonte

plus ou moins haut ; dans tous les cas, elle monte plus qu'elle ne descend.

Si cette remarque, qui porte actuellement sur un petit nombre de cas,

se vérifie'et se généralise par la suite, elle peut avoir un certain nombre de

conséquences que l'un de nous sepropose d'examiner ailleurs. Présente-

ment, elle nous conduit à rapprocher l'absence de l'extrémité supérieure

de la première phalange du pouce de l'absence de l'extrémité supérieure

du radius ; elle nous conduit à considérer cette anomalie non pas comme

une simple modification du pouce ou d'un doigt, mais comme une variété

d'hémimélie intercalaire An bord radial du membre supérieur. Elle rentre

(1) Delanglade a employé une expression qui prête à confusion : L'ectromélie lon-

gitudinale externe du membre inférieur ; absence du péroné et du cinquième orteil

(Revue des maladies de l'enfance, 1898). Elle englobe le péroné et le radius qui ne

sont nullement homologues.

(2) GAETAN APPRAILLÉ, Malformations congénitales de l'extrémité supérieure du ra-

dius, thèse de Paris, 1901.

244 KLIPPEL ET RABAUD

donc dans un cadre assez large, pour l'étude duquel les documents com-

mencent à être relativement nombreux.

Au surplus, il est une autre raison qui oblige à donner à l'anomalie la

valeur que nous lui attribuons. L'hémimélie, et d'une facon générale

l'ectromélie, quelle qu'en soit la forme (1), n'est pas d'ordinaire stricte-

ment limitée au tissu osseux. Bien au contraire, elle porte sur l'ensemble

du tissu conjonctif embryonnaire du membre, sans égard pour les dif-

férenciations ultérieures qu'aurait acquises le tissu conjonctif. Les mas-

ses musculaires sont constamment intéressées et il est de règle que les vais-

seaux correspondants font défaut ou, dans tous les cas, n'acquièrent qu'un

volume restreint. Si notre observation se rapportait à une ectrodactylie

pure et simple, nous pourrions nous attendre à constater une dystrophie

plus ou moins intense des vaisseaux immédiatement voisins de la variation

osseuse, mais non point de l'artère radiale elle-même dans la majeure

partie desa longueur.Or, c'est précisément ce que nous observons : lapalpa-

tion nous a révélé que le calibre de l'artère radiale étaitextrêmementpetit t

et cette constatation, s'ajoutant à celles que nous avons faites sur les parties

squelettiques nous est une raison de plus pour aboutir à la façon de voir

qui est la nôtre.

III

Nous avons seulement considéré, jusqu'ici, l'anomalie du membre su-

périeur gauche. Notre observation signale, en outre, une atrophie marquée

de l'éminence thénar droite, et cette seconde particularité doit attirer notre

attention au même titre que la première. Sont-elles, toutes deux, indé-

pendantes l'une de l'autre ; ou possèdent-elles, au contraire, un lien

commun ?

De l'ensemble des relations d'ectromélie sous ses diverses formes et à

ses divers degrés publiées jusqu'à ce jour, il ressort nettement que l'ano-

malie n'est pas nécessairement limitée à un seul côté. Geoffroy Saint-

Hilaire avait déjà signalé le fait; il a été observé, depuis, un assez grand

nombre de fois. Souvent, la variation, exactement symétrique, présente

les mêmes caractères des deux côtés ; mais souvent aussi elle se présente

de chaque côté avec des degrés différents : dans un certain nombre d'ob-

servations, à l'ectromélie d'un membre correspond simplement une di-

minution de volume plus ou moins marquée du membre opposé.

Or, l'analyse du cas qui nous occupe permet de remarquer que si l'a-

(1) Il est possible que le cadre actuel de l'ectromélie englobe deux groupes très

distincts d'anomalies.

UNE FORME RARE D'HÉMIMÉLIE RADIALE INTERCALAIRE 245

trophie très notable de l'éminence thénar droite n'est accompagnée d'au-

cune modification sensible des parties squelettiques, cette atrophie n'est

pas le seul caractère de la variation qui atteint le membre droit. L'artère

radiale de ce côté est atrophiée et l'atrophie parait complète, si l'on en

juge par l'impossibilité où nous nous sommes trouvés de sentir ses batte-

ments malgré la recherche la plus attentive. L'examen du membre gauche

nous a présenté une disposition très comparable et nous l'avons considérée

comme faisant partie intégrante de l'anomalie observée sur ce membre.

Reliant donc, comme il convient, l'atrophie de l'éminence thénar à l'ab-

sence de l'artère radiale, il ne semble pas inexact de penser que les va-

riations du côté droit sont du même ordre que celles du côté gauche, les

organes affectés étant les mêmes, mais les processus plus limités à droite

qu'à gauche.

Cela ne veut pas dire, et telle n'est pas notre pensée, que l'on doive

considérer comme appartenant à telle ou telle forme de l'ectromélie toute

anomalie déficiente qui affecte l'un quelconque des membres. Généraliser

dans ce sens constituerait, croyons-nous, une erreur profonde et marque-

rait une méconnaissance grave des processus formateurs. Il est entendu

que l'absence d'une artère ou d'un faisceau musculaire se produit à l'état

isolé et l'on serait mal venu d'assimiler ces variations par défaut à la

forme tératologique qui nous occupe. Des deux parts, les processus sont très

probablement différents, ainsi que nous chercherons à l'indiquer tout

à l'heure. Ces restrictions faites, il est néanmoins impossible de négliger

certaines correspondances et certaines dispositions. Lorsque nous nous

trouvons en présence de l'atrophie simultanée de tout un massif muscu-

laire et de l'artère du même côté, coïncidant avec une hémimélie du côté

opposé, il est vraiment difficile de ne point rattacher la première dis-

position à la seconde.

La question est évidemment très complexe ; elle demande à être reprise

à fond et minutieusement étudiée, càr si depuis de longues années les

relations anatomiques se sont accumulées, ces relations sont purement

descriptives ; le groupement des faits que renferment quelques-unes d'en-

tre elles tient bien plutôt de la statistique que d'une vue d'ensemble.

Nous n'insisterons point davantage ici à ce sujet ; nous ne recherche-

rons point où commence et où finit l'ectromélie, les données personnelles

que nous possédons sur ce point étant encore fort insuffisantes. Nous nous

contenterons d'indiquer que, dans le cas particulier, l'anomalie de gauche

et celle de droite paraissent liées entre elles, non point par une relation

de cause à effet, mais par l'action même de la cause efficiente qui a dé-

terminé simultanément des deux côtés des variations de même sens, plus

accusées à gauche qu'à droite.

246 KLIPPEL ET BADAUD

IV

L'étude de toute anomalie comporte nécessairement avec elle la déter-

mination du processus qui lui a donné naissance. On a vite fait, à l'ordi-

naire, de traiter cette partie de la question, en accolant l'épithète d'arrêt

de développement à toutes les formes tératologiques. La seule difficulté

qui semble parfois se présenter, c'est de déterminer, le siège de l'arrêt.

L'un de nous a précédemment montré que l'arrêt de développement ne

saurait être considéré comme un processus général. Il n'y a pas un déve-

loppement, mais des développements, chacun d'eux pouvant subir des phé-

nomènes d'arrêt ou d'excès. L'un quelconque de ces développements étant

donné, il faut encore le dissocier en ses éléments, la croissance et la diffé-

renciation, et rechercher s'ils sont intéressés séparément ou simullané-

ment (1).

Dans le cas actuel, la déterminatien du siège du processus ne soulève

aucune difficulté ; suivant toute évidence, c'est le tissu conjonctif embryon-

naire qui est en cause. Mais ce point mis à part, il n'est peut-être pas

absolument simple de pénétrer de quelle façon ce tissu est intéressé. z

Sans doute, l'inspection la plus superficielle montre que les os et les

muscles n'ont pas acquis leur volume normal, et l'on serait tenté d'ad-

mettre, sans plus ample informé, que la croissance entre directement et

immédiatement en ligne de compte. Mais si l'on pousse l'analyse plus à

fond, on est conduit à penser que le processus est plus profond, qu'il 1

touche à la différenciation même des éléments et que peut-être l'arrêt de

croissance n'intervient qu'à titre purement secondaire. La question se

présente, en somme, comme assez complexe, et nous ne prétendons pas

la résoudre d'une façon absolument ferme à l'aide d'un seul cas non suivi

d'examen histologique.

Nous observons cependant, que si l'os phalangien du pouce parait avoir

perdu ses connexions avec la partie supérieure du squelette, il existe,

néanmoins, un cordon fibreux occupant l'axe du doigt, cordon fibreux très

comparable à celui qui existait dans le cas publié par Dolbeau, que nous

avons rappelé, et dont la nature avait été contrôlée au moyen de coupes

anatomiques. Si ce cordon fibreux représentait, comme on l'a dit, le reste

des tendons des muscles du pouce, ces tendons ne pourraient être que

ceux des muscles extrinsèques dont la longueur et le calibre correspon-

draient seuls à la formation qui nous occupe. Or, le mode d'insertion du

cordon fibreux ne semble pas être celui des tendons extenseurs ou flé-

(1) Etienne RADAUD, Fragments de tératologie générale : l'arrêt el l'excès de déve-

loppement (Bulletin scientifique de Giard, 1901).

UNE FORME RARE 1)'IIÉMIMÉLIE RADIALE INTERCALAIRE 247

chisseurs, car, autant que l'on puisse en juger, ce cordon s'attache directe-

ment à l'extrémité supérieure de l'os et fait corps avec lui. Déplus, la pré-

sence des corps charnus antibrachiaux extenseurs et fléchisseurs se

révélerait par la possibilité des mouvements spontanés que ces muscles

imprimeraient au pouce anormal. Nous n'observons rien de pareil. Les

corps charnus faisant défaut, il paraît contradictoire d'admettre que les ten-

dons aient persisté seuls, en modifiant sensiblement leur siège d'implan-

tation.

En outre, une observation de Laren, rapportée par G. Vuillaume (1),

montre que l'os absent, en l'espèce le tibia, se trouve parfois remplacé

par un tractus fibreux sur lequel prennent insertion quelques faisceaux

des muscles tibiaux. Le cordon fibreux dont il s'agit doit être assimilé,

croyons-nous, à ce tractus fibreux; il représente le moule conjonctif de

la phalange. , .

Dirons-nous alors que nous avons affaire à un arrêt de développement

proprement dit, dans lequel la croissance et la différenciation sont frap-

pées par un processus déficient ? Une telle conclusion serait inexacte. Si la

différenciation est intéressée, en effet, la modification dont elle est le siège

n'est point une modification déficiente. L'arrêt de différenciation impli-

que nécessairement, d'abord la persistance des éléments conjonctifs, en-

suite et surtout la persistance de ces éléments en leur état embryonnaire.

Tel n'est point le cas, puisque loin de conserver une forme jeune ce tissu

conjonctif a acquis tous les caractères adultes du tissu fibreux, et l'on sait

que ce tissu fibreux ne constitue nullement une forme de passage entre

l'ébauche conjonctive d'une part et l'ébauche cartilagineuse d'autre part.

En fait, la différenciation n'a subi en l'occurrence aucun arrêt. Elle n'a

pas davantage subi un excès, elle a simplement pris une direction diffé-

rente de celle qu'elle aurait dû prendre : au lieu d'évoluer dans le sens

cartilagineux, l'ébauche embryonnaire a évolué dans le sens de tissu con-

jonctif adulte, ce tissu conjonctif a pris la forme fibreuse. Il aurait pu

rester en- l'état de tissu lâche ou faiblement condensé, l'important c'est

qu'abandonnant l'état embryonnaire, sa différenciation soit parvenue à

une structure adulte. Dans ces conditions, le processus touchant la crois-

sance devient tout à fait négligeable ; que ce processus soit dépendant ou

indépendant de celui qui touche la différenciation- nous verrons tout à

l'heure ce qu'on peut en penser c'est ce dernier qui domine et carac-

térise l'anomalie. '

Pour ce qui est des muscles, il est difficile de préciser nettement, en

l'absence de dissection positive et d'examen histologique. Suivant toutes

probabilités, le processus est le même pour eux que pour les os, aussi

(1) Op. cit.

248 KLIPPEL ET RABAUD

bien à la main droite qu'à la main gauche, et nous pouvons admettre

que le tissu embryonnaire qui devait les former, changeant son orien-

tation histogénique, est devenu du tissu conjonctif banal.

Quoi qu'il en soit, nous devons immédiatement indiquer que le proces-

sus particulier dont il s'agit ici ne paraît pas être le processus de toutes

les formes désignées sous l'étiquette commune d'ectromélie. Si l'on en

juge par l'ensemble des relations publiées, il est croire que le phéno-

mène initial est bien souvent un phénomène purement et simplement

déficient, qui atteint l'ébauche une fois que celle-ci est constituée. Ce n'est

alors qu'un processus secondaire, consécutif, tandis qu'ici nous sommes en

présence d'un processus primitif qui transforme complètement la nature

même de l'ébauche. Nous ne pouvons insister ici sur cette importante no-

tion des processus primitifs s'opposant aux processus consécutifs (4 ), nous

contentant d'en faire l'application au cas particulier qui nous occupe.

Cette notion nous conduit à considérer ce cas et les cas similaires comme

une forme d'ectromélie, à laquelle sa constitution anatomique ainsi que sa

genèse histologique assignent une place à part. Et cela nous permet d'in-

diquer une fois de plus, sans y insister, combien est complexe la question

des types tératologiques en général et celle des types dits ectroméliques

en particulier.

L'artère radiale ne prend, en ce qui la concerne, aucune part au pro-

cessus spécial qui intéresse les os et les muscles ; elle parait simplement

atteinte d'un arrêt de croissance ; ses parois n'ont subi aucune modifi-

cation histologique : ayant acquis leur différenciation définitive, leurs di-

mensions se trouvent simplement un peu restreintes. Cette considération

n'est pas sans intérêt. Nous nous trouvons, en effet, en présence de deux

processus : tous deux touchen tsimultanément les os et les muscles ; un seul

d'entre eux touche les vaisseaux. Ce dernier, processus commun à toutes

les parties modifiées, est un processus d'arrêt de croissance, et cela nous

est une raison de penser que ce processus est .tout à fait indépendant du

mode de différenciation des parties squelettiques et des muscles, qu'il

intervient secondairement, à titre de processus consécutif surajouté.

V

Ayant ainsi établi, dans la mesure les choses possibles, le nombre, la

nature et les rapports réciproques des processus formateurs du type téra-

tologique sujet de cette observation, il resterait à rechercher la cause

(1) Voir ETIENNE BADAUD, Caractères généraux des processus tératologiques. Proces-

sus primitifs et processus consécutifs (C. R. de l'Académie des sciences, 6 mai 1901).

UNE FORME RARE D'HÉMIMÉLIE RADIALE INTERCALAIRE 249

même de ces processus. Sur ce point, le champ des hypothèses s'ouvre

largement devant nous. Dépourvus de guide sûr pour fixer notre choix,

nous pouvons seulement tenter de procéder par élimination.

a) Dans toutes les questions de cet ordre, il est d'usage d'invoquer l'ac-

tion de l'hérédité.

Nombre d'anomalies, sans doute, sont transmissibles d'une génération

à l'autre, et il n'est évidemment pas sans intérêt de mener une enquête

sérieuse à propos de tous les cas qui se présentent. Nous n'y avons point

manqué pour notre part, et nous avons obtenu ce simple renseignement

que dans la lignée collatérale de notre malade existait un cousin germain

possédant un sixième petit doigt à chaque main et un sixième orteil à

chaque pied. '

Certains esprits, peut-être, n'hésiteraient pas à rapprocher la variation

radiale déficiente de la production d'une hexadactylie, sous le couvert de

cette conception scolastique qu'il existe une tendance, une prédisposition

à l'anomalie et que cette tendance, que cette prédisposition se manifeste

indifféremment d'une façon quelconque suivant les individus. En réalité,

ce n'est là qu'un mot servant à désigner un ensemble hétéroclite de

phénomènes mal analysés. L'hérédité, dans ce qu'elle a de positif,s'établit

toujours suivant un sens bien déterminé. Tératologique, morbide ou

normale, elle est toujours comparable à elle-même ; ses effets sont plus ou

moins apparents, ses caractères plus ou moins nets ; ils sont toujours es-

sentiellement du même ordre. Il n'est pas scientifiquement permis de

dire qu'entre une hexadactylie, par exemple, et la forme caractérisée par

une variation histologique de la nature de celle que nous rapportons, il

y aune relation quelconque. Cela n'est point permis, même s'il existe

un rapport génétique entre deux individus ; a fortiori n'est-il point per-

mis de se fonder sur un fait de ce genre. pour admettre par hypothèse

des liens de descendance. Rien ne prouve, dans le cas actuel, qu'il y ait

un ancêtre commun anormal ; nous dirions même que la forme des deux

anomalies exclut au contraire toute idée d'hérédité.

Au demeurant, et quel que soit l'intérêt qui s'attache à ce problème,

l'hérédité ne constitue en aucune façon un facteur étiologique. Invoquer

l'hérédité à ce titre, c'est reculer la question sans la résoudre, car il res-

tera toujours à connaître la cause même qui a déterminé l'anomalie chez

l'ancêtre commun.

b) Une autre explication fréquemment invoquée consiste à reconnaître

comme cause d'un grand nombre d'anomalies, les anomalies des membres

en particulier, l'action mécanique d'un amnios étroit ou adhérent, des

250 KLIPPEL ET RABAUD

circulaires du cordon. Explication d'une extrême simplicité, mais d'une

médiocre valeur. Sans doute, des traumatismesde cet ordre se produisent

parfois, on ne saurait le contester; mais de là à considérer ces trauma-

tismes comme une explication générale, il y a fort loin et l'analyse précise

des faits entraîne à établir des distinctions nécessaires. Pour rester dans le

cas particulier qui nous occupe, nous objecterons simplement qu'une ac-

tion mécanique ne saurait rendre compte des modifications corrélatives du

carpe et du radius, ni de l'arrêt de croissance subi par l'artère radiale ;

qu'elle ne saurait surtout expliquer pourquoi le tissu conjonctif embryon-

naire s'est transformé en tissu fibreux. Une compression, quelle qu'elle

soit, aurait pu s'opposer la croissance partielle d'un os, mais non point

transformer la constitution histologique même de ce tissu squelettique.

L'action mécanique ne permet pas de comprendre davantage la localisation

très nette de l'anomalie au bord radial du membre supérieur. Une stric-

tion, une compression intervenant d'une manière aussi précise, établissant

son siège avec un tel discernement, laissant judicieusement de côté tout ce

qui ne fait pas anatomiquement partie de la colonne radiale, -une stric-

tion, une compression de ce genre sont d'un ordre tellement particulier

qu'elles ne peuvent ressembler, même de loin, aux. actions traumatiques

dont le caractère dominant est d'être brutales et aveugles. Et qu'on ne

dise point qu'il a suffi d'une altération mécanique de la phalange seule

pour déterminer par corrélation simple toutes les autres modifications;

l'objection se heurte contre tous les cas d'ectrodactylie où la disparition,

par voie mécanique ou autre, d'un doigt ou d'une partie du doigt reste

un phénomène isolé, coïncidant avec l'état normal du corps et du bras.

Ce n'est pas tout, d'ailleurs. S'il est déjà peu scientifique d'admettre

qu'un facteur mécanique puisse faire un choix judicieux des tissus et des

organes à détruire, il l'est bien moins encore d'accorder à ce même facteur

une action symétrique intéressant les deux côtés du corps d'une façon

comparable, soit au même degré, soit à des degrés différents. Et tel serait

notre cas, ainsi que nous l'avons nettement indiqué.

En réalité, les facteurs mécaniques, lorsqu'ils entrent en jeu, se trahis-,

sent par des désordres grossiers et incohérents : c'est là leur caractéristi-

que propre. On doit franchement les écarter toutes les fois qu'une ano-

. malie donnée présente une régularité et une symétrie évidentes.

c) Reste la dernière hypothèse, celle qui met sur le compte du système

nerveux les variations et déformations diverses des membres. '

Il nous est difficile, en l'espèce, de discuter sur des faits positifs. Nous

devons cependant indiquer que l'ensemble des observations actuellement

connues ne paraissent pas démontrer, au contraire, que les anomalies

'(

UNE FORME RARE D'HÉMIMÉLIE RADIALE INTERCALAIRE 251

des membres ressortissent nécessairement à une modification préalable de

l'axe cérébro-spinal. Si l'on connaît des cas où la moelle et le cerveau

étaient intéressés en même temps que les extrémités, on en connaît d'au-

tres où les extrémités sont seules atteintes et d'autres où, avec une affection

grave du système nerveux foetal, il n'y avait aucune maladie, ni aucune

variation des membres. Ce qui se dégage de cet ensemble, ce n'est point

une subordination du membre à l'axe nerveux, mais bien plutôt la possi-

bilité d'une atrophie ou d'une absence de formation de la substance grise

consécutivement à une anomalie ou à une maladie des organes locomo-

teurs.

D'ailleurs, et sans chercher à nier son importance, la discussion n'a

point la portée que l'on prétend lui attribuer. Elle a seulement trait à la

nature des relations existant entre les diverses ébauches organiques ; elle

ne peut nullement contribuer à résoudre une question d'origine. Que la

modification initiale ait pour siège le tissu des membres ou celui de l'axe

nerveux, quelle que soit l'étendue de l'influence de l'un ou de l'autre sur

l'ensemble de l'organisme, cela ne met nullement en lumière la nature

de la cause déterminante de la modification initiale. Envisager l'une ou

l'autre solution ce n'est point commencer à étudier la question, c'est sim-

plement la déplacer; c'est considérer un point d'application différent

pour l'incidence externe : cette incidence externe reste toujours à con-

naître.

d) Au sujet de cette dernière, nous pouvons dire simplement qu'elle a

provoqué une modification du milieu dans lequel évoluait l'embryon.

Elle a porté son action sur une région déterminée de cet embryon à l'ex-

clusion de toutes les autres. L'action semble avoir été symétrique dans

une certaine mesure. Nous nous trouyons, en somme, vis-à-vis d'une

adaptation pure et simple de l'organisme.

Une telle conclusion n'est pas, nous en convenons volontiers, une

explication au sens vrai du mot. C'est, dans tous les cas, un commence-

ment d'explication; c'est l'indication de la voie dans laquelle doivent

s'engager les recherches expérimentales capables d'aboutir à un résultat

précis. Toute autre manière de voir-hérédité, traumatisme, etc. -n'est

et ne peut être qu'une conception illusoire d'où ne saurait sortir aucune

connaissance positive.

ASILE DES ALIÉNÉS DE LA PROVINCE DE FERRARE (Italie),

Dirigé par le D' Tamrhoni.

LANGUE CÉRÉBRIFORME CHEZ UN ALIÉNÉ ÉPILEPTIQUE

OBSERVATION SUR UN CAS DE TÉRATOMORPHISME

CONGÉNITAL DE LA LANGUE

PAR

le D Marco LEVI BIANCHINI, assistant.

L'intérêt du cas qui va être l'objet de notre communication dépend à

notre avis de son absolue nouveauté : en effet, il nous a été impossible

d'en trouver un pareil parmi les Index (Schmidt's talanbiïclier) depuis 1870.

Il faut ajouter, d'ailleurs, que nous n'avons pas pu consulter entr'autres,

les Archives de Virchow-Hirsch, ni le Classique traité de Orth. ni la Té-

ratologie de Taruffi.

D'un autre côté, nous connaissons l'existence de certaines lésions pa-

thologiques de la langue, très rares et comparables jusqu'à un certain point

aux nôtres dans la Glossitis dissecans, mais on verra que celles que nous

avons observées ne peuvent pas être comprises dans celles-ci, n'étant, elles,

ni acquises, ni dépendantes d'un processus morbide quelconque.

Le sujet qui nous en offre l'exemple est un aliéné épileptique tardif

(Epilessia tardiva, Spiitere Epilepsie).

Développé d'une façon tont à fait normale, aussi bien du côté somatique

que mental, le nommé M. A ? âgé de 48 ans, a été, jusqu'à quatre ans aupa-

ravant, un excellent cultivateur, un bon mari et un père exemplaire. Sa

femme et les trois enfants qu'il a eus sont tous vivants, en bonne santé, forts

et travailleurs. Il n'a jamais souffert, antérieurement, d'aucune maladie par-

ticulière : il n'a jamais été exposé à des causes fatigantes ou déprimantes :

il n'a jamais commis d'abus. Il n'existe d'hérédité pathologique, d'aucun genre

chez les ascendants.

Au mois de mars 1900, notre homme, sans aucune cause apparente qui pût

le déterminer, changea de caractère, devint violent et confus, essaya de

s'enfuir dans les champs, oublia ses occupations habituelles ; il ne répondait

plus d'une façon cohérente aux personnes qui l'entouraient et deveuait dan-

gereux.

LANGUE CÉRÉBRIFORME CHEZ UN ALIÉNÉ ÉPILEPTIQUE 253

Il fut transféré à la Maison des aliénés où il guérit totalement dans l'espace

d'un mois. Les mêmes symptômes se répétèrent après un an : il rentra à la

Maison (1901) pour en sortir guéri au bout de deux mois : il revint enfin pour

une troisième fois au mois de mai 1902 en présentant des accès convulsifs

épileptiques très nets et développés. -

Aujourd'hui notre patient présente des périodes de bien-être absolu ; d'au-

tres où les accès se répètent assez souvent ; d'autres encore où ils sont rem-

placés, comme au commencement de la maladie en 1900 et 1901, par des

équivalents psychiques.

L'intelligence, au dehors des équivalents, n'a guère souffert ; mais il est

notablement apathique et aboulique.

Lorsque le malade est frappé par l'accès qui est toujours très violent, il lui'

arrive encore presque toujours de s'asseoir ou d'appeler au secours ; il s'est

toujours tiré d'affaire, du reste, sans blessures et sans morsures.

Aujourd'hui il est cohérent et mentalement valide ; tout en venant de sortir

d'un équivalent très grave qui a éclaté il y a vingt jours et qui en a duré

douze, avec une tentative de sodomie et une symptomatologie de confusion

mentale absolue.

La constitution physique de notre patient est régulière et symétrique ; la

hauteur personnelle est de 164 cent.; son poids de 70 kilos,le crâne mésaticépha-

lique très régulier ; cheveux et barbe épais et noirs ; c'est enfin un gaillard

bien nourri et bien bâti.

. Lorsqu'il se trouve dans une période intercalaire, il est très tranquille,

aimable, obéissant ; il mange volontiers, dort très bien, mais il n'aime pas à

s'occuper ; toutes ses fonctions, en un mot, s'accomplissent d'une façon abso-

lument régulière. Squelette et organes internes et externes normaux.

La langue seulement présente des caractères morphologiques très curieux

dans la totalité de sa surface supérieure : tout en étant du reste très régulière

pour ce qui regarde ses volume, position, fonction.

Pour mieux envisager les bizarreries qui se relèvent dans la morphologie de

la surface et des couches musculaires superficielles de la langue de notre pa-

tient, je crois utile de résumer les caractères extérieurs de la langue à l'état

normal. '

La langue normale présente, sur la muqueuse dorsale, un très léger et très

étroit enfoncement central longitudinal (sillon moyen, sulcus medianus) qui

part de la première (plus extérieure) série des papilloe cii-cti ? nvallatoe et se

poursuit, toujours en direction postéro-antérieure, suivant l'axe longitudinal

jusqu'à se perdre dans la pointe. Il correspond topographiquement, au septum

fibreux (septum fabrosuzn) plus profond. Celui-ci, qui naît directement de

l'os hyoïde, marque, dans la région inférieure et postérieure de la langue, une

division très nette entre les genioglossus et le lingualis inferior gauche et

droit. Il s'élève, ensuite, perpendiculairement dans la substance médullaire

(fibres transverse) qui constitue la partie essentielle de la masse musculaire

de la langue, et il arrive enfin et finit dans les couches inférieures (longitudi-

254 BIANCUINI

nales) du musculus lingualis superior à 3-4 millimètres de distance de la

muqueuse, sans l'atteindre.

Le sillon moyen superficiel de la muqueuse dorsale de la langue présente

une profondeur tout au plus de cinq dixièmes de millimètre : tout le reste de

la surface de la langue présente un aspect aplati, uniforme, avec des très

légères rayures obliques qui sont marquées plus ou moins exactement par les

papilla' fongiformes et conicæ et qui correspondent, surtout vers les bords

extérieurs, aux fibres obliquo-transverses, qui dérivent des muscles stylo-

glossits et hyoglossus.

, La partie corticale de la langue, au-dessous de la muqueuse est constituée

par les fibres longitudinales du musculus lingualis superficialis (superior),

fibres qui s'amincissent jusqu'à s'y confondre, vers les bords, avec les libres

obliquo-transverses des muscles slylo-glossus et hyoglossus rappelés tout à

l'heure.

Au-dessous du muscle lingualis superficialis se trouvent les fibres muscu-

laris tmnsversæ de la langue. Celles-ci en constituent la portion plus consi-

dérable et intrinsèque : elles se trouvent logées avec leur graisse interposée,

entre les muscles. lingualis superficialis et lingualis inferior, dont les fibres

plus contiguës et voisines s'entrelacent et s'entrecroisent avec les couches

proximales des fibres transversoe (Sappey, Quain, Romiti, Testut, Hyrtl,

Beaunis et Bouchard, Gegenbauer, Krause, K61liker, Chiarugi). Chez notre

patient, les choses se passent d'une façon bien différente.

Nous avons eu l'occasion d'interroger sa vieille mère, qui est encore vivante.

Elle nous conte que son enfant présenta, depuis sa naissance, toutes les sin-

gulières rayures et les enfoncements dans la surface de la langue qui ont crû

et augmenté en même temps que le développement somatique général. Elle s'en

aperçut lorsqu'elle eut l'occasion, dès les premiers jours de la vie de son

enfant, de lui ouvrir la bouche pour la nettoyer.

L'enfant, d'ailleurs, s'allaita toujours d'une façon très régulière, grandit

d'une façon tout à fait normale et ne présenta ensuite, au cours de son dévelop-

pement, aucune maladie de l'organe susdit.

Le malade, du reste, depuis sa plus tendre enfance, se rappelle qu'il allait

souvent examiner la singulière conformation de sa langue et grimacer devant

un miroir.

Ces courts anamnestiques nous suffisent pour nous convaincre que la dif-

formité est congénitale et ne peut pas dépendre d'un processus morbide

intra-vitam.

Nous tâcherons d'en donner une description aussi claire et simple que

possible.

La langue tirée l'extérieur présente un sillon moyen (a) extraordinai-

rement enfoncé non seulement au milieu géométrique de la surface, mais en-

core justement ù la pointe de la langue d'où il naît pour se diviser bientôt en

deux branches (a-b). '

La première branche (a), la plus enfoncée et marquée, suit régulièrement

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. PI. LI

LANGUE CÉRÉBRIFORME CHEZ UN ALIENE ÉPILEPTIQUE

(Marco Levi Bianchiiii).

LANGUE CÉRÉBRIFORME CIIEZ UN ALIÉNÉ ÉPILEPTIQUE 955

la direction et la position du sillon normal et y correspond exactement : mais

au lieu d'arriver à la première série des papilloe vallata ? ,comme celui-ci,elle s'y,

arrête à 1/2 centimètre de distance. A ce point, au contraire, elle rencontre

trois gros sillons transverses (x, y, z) ondulés, courbes, parallèles entre eux,

également éloignés l'un de l'autre de 1/2 centimètre au plus, dont le dernier

(qui ne se voit pas dans la figure) est celui qui atteint les premières papillx

vallaix. ,

La deuxième branche du sillon moyen (b), un peu plus courte que la pre-i

mier, part, comme nous avons déjà dit, du même point, mais se prolonge plus

à gauche à 4 millimètres de distance de la première, pour s'arrêter également,

un peu plus tôt, à 4-5 millimètres au-dessus du premier gros sillon transverse

(x) déjà décrit. Presque parallèlement aux deux branches centrales, nous

trouvons deux autres sillons longitudinaux latéraux (c, d), de la même lon-

gueur, nature et profondeur, l'un à gauche, l'autre à droite; mais entrecoupés

par des enfoncements trausverses courts et irréguliers.

Aux bords de la langue, où les papille fongiformes et conicse marquent

par leur rayure, dans une langue 'normale, la direction des fibres obliquo-

transverses du stilo-glosszs et hyoglossus, nous trouvons dans la même di-

rection, mais excessivement marqués et profonds, aussi bien à droite qu'à

gauche, 5 gros sillons marginaux obliques, ronds ou presque ronds, en direc-

tion antérn-interne, avec leur convexité à l'extérieur, également distribués;

comme échelonnés l'un auprès de l'autre et possédant les mêmes caractères

que le sillon moyen et les autres décrits.

Les bords de la langue présentent encore,en presque toute leur profondeur,

un très grand nombre de coupures plus ou moins régulières, mais elles in-

téressent seulement les fibres du lingualis superficialis et peut-être celles

voisines du slilo-glossus et hyoglossus, parce que la surface inférieure externe

(génioglossus et muqueuse inférieure) tout en étant très irrégulière, n'arrive

point à être tailladée par aucun sillon ou enfoncement.

Au dehors des sillons que nous avons décrits, nous trouvons encore sur'le

dos de la langue, une quantité considérable de raies, de traits, d'enfoncements,

plus ou moins nettement dessinés,mais croisés et entrelacés entre eux en toutes

directions.

Il en résulte que l'aspect général" de la langue nous donne l'impression

d'une écorce cérébrale avec ses sillons et ses circonvolutions ou bien d'une

carte géographique où les provinces et les États sont fortement marqués

par des grosses lignes de confin, de façon qu'il ne nous paraît pas trop inexact

de lui donner l'appellation de langue cé1'éb¡'ifo1'1ne ou langue géographique.

Les deux sillons moyens, les deux latéraux, les trois transverses et les dix

marginaux convexes, ont une profondeur de 3, 4, même (j millimètres ; ainsi à

première vue, lorsqu'on voit la langue, on dirait qu'elle a été tout 11 fait coupée

et morcellée par une lame de couteau avec une disposition géométrique.

Les parois des sillons aussi bien que leurs fonds, sont couverts par la mu-

256 BIANCiIINI

queuse linguale, de façon que, tout en ayant l'apparence, ils ne peuvent pas

être confondus ni comparés avec des « ragades », parce que les caractères plus

saillants de celles-ci (d'être acquises, douloureuses et saignantes), manquent

ici totalement.

Le patient ne souffre d'aucune douleur, la langue est sensible à toutes les

réactions de l'examen du quatrième sens (goût) ; elle est libre, extensible et

contractile ; elle est facilement poussée à l'extérieur et retirée dans la bouche :

elle y tourne en toute direction : ses fonctions, en un mot, et sa structure

cellulaire présentent la plus absolue et complète normalité. Singulière seu-

lement est sa morphologie extérieure.

Quelques mots maintenant pour nous expliquer, d'une façon aussi vrai-

semblable qu'il est possible, l'ontogénie de cette curiosité tératologi-

que. - .

Les particularités morphologiques, que nous avons décrites frappent

essentiellement les fibres longitudinales du muscle lingualis superficialis.

Celui-ci fait partie, dans l'embryon de deux mois, de l'appareil hyoïdien

qui dérive du deuxième arc céphalique viscéral et qui donne naissance aux

muscles de la face. Ceux-ci, comme tous les organes semblables, se déve-

loppent d'une façon uniforme dans toute leur masse; savoir aussi bien

en longueur qu'en largeur, en réunissant étroitement leurs cellules en de

petits faisceaux (fibres) au moyen de leurs peri1ftysia. Ceci ne s'est pas

produit dans le muscle que nous étudions.

D'un autre côté, ils ne présentent aucune lésion par défaut ou par excès,

mais seulement une variété de disposition des fibres in toto. Nous

sommes donc autorisés a admettre que le- musculus lingualis superficialis,

au lieu de se développer uniformément en toute sa surface, s'est déve-

loppé segmentairement en de gros faisceaux de fibres bien différenciés

entre eux depuis sa première apparition (2e-3emois), et qu'en attendant, la

muqueuse, qui se développait contemporanément, a envahi les traits laissés

libres et s'est fixée au fond, sur les fibres transverses plus superficielles de

la portion supérieure de l'organe. Cette séparation des faisceaux qui, ori-

ginairement, dans l'embryon, a dû être imperceptible, augmenta progres-

sivement avec la croissance, de façon que la muqueuse pût mieux et plus

profondément se fixer et mettre en relief les intervalles.

Il n'y a donc aucune lésion du muscle, mais un développement segment-

taire longitudinal exagéré, fragmenté en prévalence dans le sens de la lon-

gueur, au lieu d'un développement également uniforme dans le sens de la

largeur totale.

FACULTÉ DE MEDECINE DEjLYON

CLINIQUE DU PROFESSEUR JABOULAY

ARTHROPATHIE NERVEUSE TRAITÉE PAR LA RÉSECTION

PAR

Maurice PATEL,

Chef de clinique chirurgicale.

ET

Paul CAVAILLON,

Interne des hôpitaux,

Tout dernièrement M. le professeur Jaboulay, dans un cas d'arthropathie

nerveuse du pied, utilisa avec succès la résection. En raison du petit

nombre de cas publiés d'arthropathies traitées ainsi, nous croyons utile

de rapporter cette observation.

Observation.

RÉSUMÉ. Syphilis ancienne. - Il y a dix-huit mois, maux perforants plan-

taires gauches ; guérison.- Maux perforants plantaires droits.- Arthro-

pallie de l'articulation tibio-tarsienne droite ; forme tropho-suppurée.

Signes médullaires peu marqués; labes fruste probable. - Opération

sans anesthésie,. résection du plateau tibial ; ablation de l'astragale. -

Immobilisation. Bon résultat fonctionnel et orthopédique.

A. P..., âgé de 34 ans, demeurant à Valence, entre dans le service de M. le

professeur Jaboulay, le 4 janvier 1903, pour une affection du pied droit, dont

le début remonte à dix-huit mois.

Ses parents sont morts très vieux.

Personnellement, il a eu, à l'âge de 19 ans, une blennorrhagie très violente ;

le malade, ayant un prépuce assez long, avec un certain degré de phimosis, il

ne put remarquer s'il existait un chancre dans cette région ; il semble bien

qu'il ait eu, à ce moment-là, un accident primitif, car il s'aperçut, quelque

temps après, qu'il était porteur de plaques rouges sur le dos de la verge. C'est

le seul accident douteux qu'on relève chez lui.

Il s'est marié à l'àge de 26 ans. Sa femme est bien portante, n'a jamais eu

de fausse couche ; deux enfants, l'un est bien portant; l'autre est mort de mé-

ningite, à l'âge de 3 ans.

Il y a dix-huit mois, le malade a commencé à se sentir gêné au niveau du bord

externe du pied gauche; il eut là une sorte de tuméfaction qui s'ouvrit spontané-

ment et laissa s'éliminer un séquestre ; il n'y eut à aucun moment de douleur

vive ; actuellement tout est cicatrisé ; le 5e métatarsien est raccourci ; le petit

orteil rejeté comme s'il y avait eu une résection partielle de la tête du 5e métatar-

sien ; la cicatrice adhère à l'os et n'est nullement douloureuse. Presque en même

xvi 18

258 PATEL ET CAVAILLON

temps, au niveau de la face plantaire du gros orteil, une tuméfaction se pro-

duisit, une collection s'ouvrit et'laissa échapper un liquide sanieux, non puru-

lent, sans débris osseux; toujours ces phénomènes pseudo-inflammatoires

évoluèrent sans douleur, et il persiste là une cicatrice, souple, non doulou-

reuse, non adhérente au plan osseux.

Au niveau du pied droit, sur la face plantaire, apparut presque en même

temps une tuméfaction analogue, qui évolua toujours sans amener aucun trouble

fonctionnel ou douloureux. Un médecin pratiqua une incision il y a sept mois ;

il s'écoula un liquide sanieux, non purulent et un séquestre osseux.

On remarque encore actuellement la trace de l'incision; elle siège au niveau

de la tête du 3e métatarsien et est adhérente à l'os.

La cicatrisation n'était pas achevée lorsque, il y a deux mois, une tuméfac-

tion se développa brusquement au niveau de l'arrière-pied et du cou-de-pied ;

comme précédemment, le tout évolua sans grande douleur : une ouverture se

produisit spontanément sur le côté interne de la région tibio-tarsienne et laissa

échapper le même liquide, sans fragments osseux ; puis, peu à peu, le pied

parut se disloquer, mais sans causer de grandes douleurs.

Etat actuel du pied. Actuellement, le malade se présente avec un pied

droit énorme, tuméfié ; ce qui frappe immédiatement, c'est une chute en

arrière; sa mobilité anormale est très grande et on est tout surpris de voir le

malade conserver tous ses mouvements et même marcher, sans souffrir en se

plaignant seulement un peu qu'il ne conserve pas bien son équilibre.

A l'inspection, on voit la région du tarse postérieur et celle du cou-de-pied

considérablement tuméfiées : elles ont doublé de volume. Sur le côté interne du

cou-de-pied, on voit un point ulcéré, bourgeonnant, du diamètre d'une pièce

de 1 franc, donnant issue à une sanie purulente ; la peau est violacée sur son

pourtour.

Du côté externe, la région est gonflée, la peau est lisse, tendue.

Le pied tout entier semble luxé en arrière, et sa face dorsale se continue

insensiblement avec la face antérieure de la jambe. La voûte plantaire n'existe

plus : le pied parait comme tassé.

La circonférence au niveau de la région tibio-tarsienne est de 39 centimètres

du côté malade et de 22 cent. 5 du côté sain.

Vient-on à saisir le pied et à essayer de le mobiliser sur la jambe, on s'aper-

çoit que l'articulation tibio-tarsienne, les articulations du tarse postérieur sont

absolument disloquées ; les mouvements les plus étendus peuvent s'y passer ;

le tarse postérieur exécute une rotation presque complète sous le plateau

tibial ; la médio-tarsienne, la tarso-métatarsienne sont aussi le siège de mou-

vements anormaux, mais très peu étendus. Pendant toutes ces explorations,

la main perçoit de gros craquements osseux, témoignant de l'usure des surfaces

articulaires. Le malade n'accuse aucune douleur, malgré la prolongation des

manoeuvres et le nombre répété d'examens dont il a été l'objet.

Ganglions inguinaux très développés dans l'aine correspondante.

Pas d'atrophie de la cuisse et de la jambe droites.

Si l'on fait tenir le malade debout, ses orteils touchent le sol ; le pied

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. PI LU

ARTHROPATHIE NERVEUSE

Traitée par la résection.

(Patel et Cavaillon).

ARTHROPATHIE NERVEUSE TRAITÉE PAR LA RÉSECTION 259

continue la jambe en ligne droite ; au bout de quelques instants, celui-ci se

tuméfie, devient violacé et prend un aspect éléphantiasique.

Lorsque le malade veut marcher, l'extrémité des orteils appuie sur le sol,

puis le pied se met à angle droit sur la jambe, il parait vraiment se tasser

jusqu'au moment où le point d'appui est assez résistant. Le malade ni ne

souffre, ni ne se fatigue, bien que les craquements se produisent, si violents,

qu'ils sont perçus à distance.

Si l'on cherche à se rendre compte de l'état des parties osseuses sous-ja-

centes, on y arrive difficilement : le tissu cellulaire est épaissi, induré; il

marque les sensations. On parvient cependant à reconnaître que l'extrémité

inférieure du péroné est énorme; le plateau tibial est également très épaissi.

On ne peut reconnaître les éléments osseux du tarse.

Le reste du squelette est absolument sain ; pas de déviation de la colonne

vertébrale ; aucune asymétrie crânienne.

Examen du système nerveux. - Il n'y a pas de troubles moteurs ; les mus-

cles conservent leur tonicité; ils se contractent bien, ne sont nullement atro-

phiés.

Réflexe rotulien conservé intact des deux côtés. - Réflexe crémastérien

normal.

Sensibilité au contact el à la piqûre, conservée dans tout le membre infé-

rieur gauche.

La sensibilité au froid et à la chaleur a été recherchée un nombre consi-

dérable de fois, par nous et par d'autres ; nous n'avons trouvé aucune disso-

ciation, ni au niveau des lésions, ni en dehors d'elles.

Mais par contre les troubles sensitifs sont accusés au niveau de la lésion

articulaire sur laquelle ils se superposent. La piqûre n'est pas perçue

ou bien elle l'est avec un retard considérable.

Il n'y a pas là non plus de' dissociation. Les mouvements, dans l'articulation

ne sont pas douloureux du tout, contrairement à ce que ferait croire l'aspect

inflammatoire de la région.

En résumé : pas de troubles sensitifs nets en dehors delà région tibio-tarsienne

où il existe une superposition des troubles sensitifs et trophiques.

Pas d'incoordination motrice dans les mouvements commandés. Mais les

mouvements dans la marche sont désordonnés, presque ataxiques.

Pas de signe de Romberg.

Pas de perte de la sensibilité musculaire. Légère atrophie musculaire dans

le mollet du côté malade.

Appareil digestif. Sain. Appétit conservé, pas de crises viscérales.

Appareil respiratoire . Normal, aucune crise laryngée.

Appareil urinaire. Le besoin d'uriner est mal perçu ; parfois quelques

mictions involontaires ; le malade n'a pas la sensation de l'urine passant dans

le canal.

Pas d'anesthésie du gland, du périnée, du scrotum.

Urines claires, sans sucre, ni albumine.

Organes des sens. Oreille normale. Nez normal.

260 PATEL ET CAVAILLON

Appareil oculaire. La vision'est normale, les pupilles sont égales.

Pas d'anesthésie cornéenne ; léger nystagmus ; aucun trouble moteur du

globe oculaire.

Le réflexe pupillaire à la^lumière est supprimé; le réflexe à l'accommoda-

tion persiste.

Pas de rétrécissement du champ visuel.

Papille normale.

La radiographie a été tentée plusieurs fois, avec des durées de pose varia-

bles ; on n'a jamais pu obtenir que des contours osseux très vagues, qui ne

permettaient de distinguer aucun segment osseux.

Traitement. Le malade est mis au traitement spécifique intensif (frictions

mercurielles, iodure à haute dose).

Aucune amélioration ne se produit dans son état.

Le 25 janvier 1903, la tuméfaction de la face externe du cou-de-pied s'ulcère ;

on agrandit les incisions au bistouri ; il s'échappe du liquide sanieux, puru-

lent, l'extrémité inférieure du tibia, la malléole péronière font issue à l'exté-

rieur ; l'os apparaît rugueux, déchiqueté, privé de son cartilage articulaire ;

le tissu osseux est friable, se laisse entamer facilement.

Dans les jours suivants, l'état général s'affaiblit; le malade fait des oscilla-

tions thermiques, malgré les lavages abondants à l'eau oxygénée. M. Jaboulay

se décide à faire une intervention conservatrice, avant de songer à l'amputation

qui paraissait s'imposer tout d'abord.

Opération, le 17 février 1903.

Le malade n'est pas aneslhésié. - M. Jaboulay agrandit de chaque côté de

la région tibio-tarsienne les orifices pratiqués antérieurement pour l'évacua-

tion du pus. L'extrémité inférieure du tibia, la malléole péronière sont résé-

quées partiellement; pendant la section osseuse le malade ne ressent aucune

douleur.

L'astragale est ensuite enlevé; cet os est méconnaissable; réduit en frag-

ments, il s'énuclée facilement et la face supérieure du calcanéum apparaît;

elle est légèrement érodée, les surfaces articulaires n'existent plus ; mais l'os

est dur, résistant ; il est laissé en place.

Les os du tarse antérieur nécrosés, sont de même enlevés.

Un lavage abondant à l'eau oxygénée est pratiqué.

Le pied est ensuite immobilisé dans un appareil plâtré, à angle droit.

Les suites de l'opération furent des plus simples.

Le plâtre fut enlevé la première fois vingt-cinq jours après l'opération ;

l'état général était rapidement devenu bon, la température avait cédé dès le

lendemain de l'intervention.

Après enlèvement du plâtre, on constate que le pied est déjà consolidé : il

n'est plus ballant, et la nouvelle articulation tibio-calcanéenne n'exécute que

des mouvements de flexion, déjà assez limités.

On fait un nouveau plâtre, fixant le pied dans une bonne attitude.

Nouveau pansement le 20 mars ; la suppuration est presque terminée ; la

consolidation est encore plus parfaite.

ARTHROPATHIE NERVEUSE TRAITÉE PAR LA RÉSECTION 261

Le malade quitte l'hôpital le 29 mars 1903, dans son appareil plâtré ; la

veille de son départ, il s'appuyait sur son pied, et marchait facilement; les

mouvements de l'articulation sont minimes ; la voûte plantaire est affaissée.

Mais le malade est enchanté d'avoir un pied solide au lieu d'un moignon que

lui aurait laissé une amputatien de jambe.

La radiographie faite au moment du [départ du malade nous a donné des

contours osseux mal définis, mais cependant suffisamment nets pour être

expliqués. On remarque qu'il ne persiste presque rien du squelette tarsien, si

ce n'est le calcanéum, diminué de volume. Les-têtes métatarsiennes sont direc-

tement en rapport avec lui. La voûte plantaire n'existe plus; les métatarsiens

prolongent la ligne calcanéenne. Le tibia et le péroné, auxquels l'extrémité

inférieure a été supprimée, enclavent, pour ainsi dire, le calcanéum ; deux

véritables remparts osseux, remplaçant les malléoles, paraissent ainsi s'être

reconstitués;

Juin 1903. Le malade est revu au mois de juin ; il a été photographié de

nouveau ; sa radiographie a été tentée plusieurs fois, mais sans beaucoup de

succès : les contours osseux demeurent toujours très flous.

Au point de vue fonctionnel, l'état est parfait; le malade marche parfaite-

ment avec un soulier dont la semelle est épaisse ; il n'y a aucune douleur.

Localement il existe une ankylose presque complète à angle droit du pied

sur la jambe ; il n'y a plus de suppuration. La sensibilité qui était profondé-

ment modifiée est devenue normale.

Le résultat peut donc être considéré comme définitif et absolument parfait.

Plusieurs points intéressants sont à relever au sujet de cette observa-

tion, soit au point de vue purement clinique, soit au point de vue chirur-

gical ; ce sont surtout ces derniers qui nous retiendront car la thérapeu-

tique chirurgicale de ces sortes de lésions est encore des plus discutées.

I. De tous les signes cliniques décrits dans cette observation on peut

conclure que cette affection articulaire était une arthropathie trophique.

Il suffirait de rappeler la superposition de troubles sensitifs aux lésions

articulaires, et le contraste démonstratif qui existait entre les désordres

anatomiques et le peu d'intensité des troubles fonctionnels.

Mais il y a plus. Au processus de dystrophie s'était joint depuis peu un

élément nouveau, l'infection. Celle-ci avait pu se réaliser quand l'articu-

lation s'est trouvée ouverte par l'ulcération et la nécrose des parties molles

périarticulaires. L'aspect de la région a été profondément modifié. Des

abcès multiples, des tissus sphacèlés, l'issue au dehors des extrémités

osseuses, tout cela donnait une physionomie nouvelle au membre malade.

Puis la fièvre s'allume avec son cortège ordinaire, au point que les acci-

dents infectieux et thermiques arrivent é, dominer la scène clinique et à

262 PATEL ET CAVA1LLO1V "

. imposer l'intervention. L'arthrite trophique était devenue tropho-suppurée

pouremprunter à Chipault sa dénomination.

. Ces lésions trophiques et infectieuses ne sont pas restées localisées à la

tibio-tarsienne. Les tissus péri articulaires, les gaines tendineuses et les

parties molles ont été également atteintes. Les articulations du pied,

les os de tout le tarse postérieur ne sont pas restés indemnes. Il serait

difficile d'établir l'étendue précise des lésions : elles ont eu un caractère

diffus. Leur extension a surtout pris une allure rapide quand l'articula-

tion communiquant largement avec l'extérieur a pu s'infecter.

Nous voudrions également attirer l'attention sur les nombreux maux

perforants qui ont précédé dès longtemps l'apparition de ces grands désor-

dres articulaires. Czerny signale de même la suppuration de l'articulation

radio-carpienne consécutive à l'infection d'un durillon, et celle de l'arti-

culation du coude à la suite d'une plaie de la région olécranienne.

Si le diagnostic de la lésion articulaire s'impose, il n'en est pas de même

du diagnostic de l'affection médullaire causale.

On peut tout d'abord éliminer la syringomyélie en raison de l'absence

plusieurs fois constatée de dissocia tionsyringomyétique. D'autre part, dans

cette affection, les membres supérieurs sont surtout atteints, les atrophies

musculaires plus considérables, enfin souvent on trouve d'autres troubles

trophiques.

Restent alors le tabes et une myélite syphilitique. Les réflexes tendineux

étaient conservés, il n'y avaitpas cleRomberg.Mais la pupille ne réagissait

pas à la lumière. Il est vrai que Babinski a singulièrement diminué la

valeur clinique de ce signe depuis qu'il a montré sa fréquence chez les

syphilitiques. La démarche était plus qu'hésitante, avec de l'incoordina-

tion.

Enfin la miction n'était pas perçue, l'urèthre était le siège d'une anesthé-

sie profonde, le malade avait également des mictions involontaires. Nous

pensons que de la réunion de ces signes positifs et malgré la persistance

des réflexes rotuliens on peut admettre un tabes fruste.

IL En dehors de ce point de diagnostic cette observation soulève

une question plus directement chirurgicale, nous voulons parler du trai-

tement. On a eu la main comme forcée parles accidents infectieux graves,

et cependant M. Jaboulay réalisa une opération qui a su rester économique

avec un résultat orthopédique et fonctionnel excellent.

Peut-être faut-il modifier cette question du traitement chirurgical des

arthropathies nerveuses et voir si l'on doit maintenir les conclusions en

faveur de l'opération radicale posées par la plupart des auteurs qui se sont

occupés de la question.

ARTHHOPATHIE NERVEUSE TRAITÉE PAR LA RÉSECTION 263

Dans ses articles de 1891 et de 1894 (1 ) et dans son Traité de chirurgie,

Chipault distingue avec une grande justesse deux catégories d'arthropa-

thies au point de vue chirurgical ; les arthropathies trophiques simples et

les arthropathies tropho-suppurées, et il envisage les diverses opérations

que l'on a pratiquées dans tous ces cas.

Dans les arthropathies trophiques simples, la. résection a été faite un grand

nombre de fois, avec des résultats variables. Cela s'explique par la forme

anatomique à laquelle on s'est adressé.

S'il s'agit d'une arthropathie évoluant suivant le type atrophique, la

résection ne donne que des résultats nuls ou peu durables, les cas cités de

Sokoloff, Czerny, Schlange et Jeannel le prouvent.

Mais lorsque l'évolution a lieu suivant le type hypertrophique, les ré-

sultats sont différents. Sokoloff a réséqué un coude et lui a rendu ainsi

des mouvements. Rotier, Schlange, Muller, Kirmisson ont cherché et

obtenu l'ankylose en bonne position.

En somme, la résection donne des succès, mais seulement dans ces cas

bien définis et l'auteur n'admet l'amputation que comme dernière res-

source, dans les arthropathies du membre inférieur retenant le malade

au lit. La question semble donc bien arrêtée dans le traitement des

arthropathies simples, non suppurées ; elle se pose nettement et se résoud

dans la plupart des cas; elle est très classique.

Mais si l'on envisage les cas d'arthrites tropho-suppurées, la solution

est tout autre. A priori, la question d'intervention est admise mais pour

ce qui est de la méthode opératoire, on discute ; le nombre des interven-

tions est peu considérable; et il s'agit d'opérations d'inégale importance.

Les uns, comme Mossi, ont simplement ponctionné une arthropathie

tabétique du coude.

D'autres (Standener, Sokoloff, Sonnenburg. Chipault, ont fait la simple

arthrotomie. Follet (2) publié récemmeut un cas d'arthropathie syrin-

gomyélique de l'épaule, pour lequel il fit l'arthrotomie; les premiers

jours, il y eut quelques signes d'infection, et le résultat ne parut pas tout

d'abord très brillant; mais, au bout d'un certain temps, les phénomènes

locaux allèrent en s'améliorant, la cavité parut s'être réduite ; les mouve-

ments étaient plus précis et plus faciles. Et l'auteur ajoute cette réflexion :

« Il faut constater qu'une synovectomie partielle suivie de drainage, a

diminué la tendance hypersécrétrice qui surdilatait la jointure et en faisait

une articulation ultra-ballante. La capsule rétrécie, les tissus ligamenteux

(1) Quelques interventions récentes pour arthropathies trophiques, CHIP.iULT'(Rev.

chir., 1891). Les arthropathies trophiques au point de vue chirurgical, GITIPAULT (NOit-

velle Iconographie de la Salpêtrière, -1894. p. 298).

(1) Echo méd. du Nord, 1899, p. 474. Arthropathies syringomyéliques.

264 · PATEL ET CAVAILLON

se sont quelque peu affermis, et la malade fait mieux ou moins mal, et

avec un peu plus de précision les mouvements réduits qu'elle exécute. »

Comme on le voit, dans ce cas, l'arthrotomie a été suivie d'un succès

relatif; il semble que l'amélioration ait été due à la suppuration, qui a

amené une rétraction des parties molles périarticulaires.

La ponction, l'arthrotomie simple ou l'arthrotomie suivie de synovecto-

mie constituent des interventions ultra-conservatrices.

La résection, au contraire, est destructive, et a priori, on peut se de-

mander si l'on ne hâtera pas le processus destructif qui est la règle dans

ce genre d'arthropathies.

C'est pourquoi la résection a été très rarement utilisée.

Nous avons recherché les cas de résection dans les arthropathies tropho-

suppurées des grandes articulations, et nous avons vu qu'il pouvait

exister plusieurs façons d'envisager cette opération, soit que l'on se

contente de supprimer des extrémités osseuses, nécrosées, ayant fait issue

à travers la peau, soit que l'on fasse une résection véritable, dans toute

l'acception du mot, avec le manuel opératoire et les suites que comporte

une telle intervention.

Dans la première catégorie, nous trouvons des observations comme

celle-ci. Blasius en 1848, chez une syringomyélique résèque l'extrémité

inférieure de l'humérus, nécrosée et luxée à travers la peau.

Sokoloff (l), en 1896, rapporte l'observation d'un malade atteint de

syringomyélie avec arthrite du coude; les téguments périarticulaires,

d'abord hypertrophiés ne tardèrent pas à s'ulcérer ; les extrémités articu-

laires de l'humérus et des os de l'avant-bras firent spontanément issue au

dehors; l'intervention s'imposait; les limites de la résection étaient tra-

cées. Le résultat fonctionnel fut des plus mauvais : le malade ne survécut

que peu de temps à l'opération.

Dans la seconde catégorie, qui contient les véritables résections, nous

trouvons seulement quelques observations.

Czerny (2), dans un cas de syringomyélie, fit avec succès la résection

de la tète humérale subluxée dans une arthropathie tropho-infectieuse.

Dans un autre cas, la résection du coude ne donna qu'un succès relatif.

Le cas suivant est un succès de la résection, il est rapporté parNissen (3).

11 s'agit d'un jeune homme de 27 ans, qui présentait une arthropathie de

l'épaule gauche avec différents troubles nerveux qui ont fait admettre la nature

syringomyélique de l'affection.

(1) Deulsch. Zeitschr. f. Chir. Bol. 34, 1894. Medelzinioe obezrénie, no 18, 1896.

(2) CZERNY, Ueber die neuropatische Gelenkalfcctionen (Arch. f. Klin. ( : hir., 86, t. 34,

p. 267).

(3) NISSEN, Arch. f. Klin. Chir., 22 février.

ARTUROPATniE NERVEUSE TRAITÉE PAR LA RÉSECTION 265

L'infection se produisit au niveau de l'article sans cause connue ; brusque-

ment, la région se tuméfia, et on vit apparaître, en quelques jours, une fistule

au milieu du bras gauche, après amincissement progressif de la peau ; la fistule

passe au dessous du muscle biceps et s'ouvre dans l'articulation ; elle donne

un liquide trouble, et dans cette articulation on a trouvé des corps ovalaires de

la grandeur d'un pois. La sécrétion devient si considérable que le professeur

von Bramann se décide à intervenir. Sans anesthésie, il fit la résection de la

tête humérale, qui était déformée, épaissie, considérablement modifiée. Le

malade n'a rien senti durant toute la durée de l'opération.

Un mois après, le malade était guéri et se servait de son membre supérieur.

Tels sont les cas de résection articulaire dans l'arthropathie syringo-

myélique ; nous n'en avons pas trouvé d'autres dans les travaux récents

sur les arlhropathies nerveuses et dans les communications aux Sociétés

neurologiques; la thèse de Hitoff (Lyon, 1900-1901), contient des cas

nouveaux, dans lesquels on dut faire l'amputation. C'est surtout l'opéra-

tion qui a été pratiquée lorsqu'on s'est adressé aux arthropathies du mem-

bre inférieur ; l'observation de M. Jaboulay parait être la première, uti-

lisée pour une lésion trophique de la tibio-tarsienne.

Après l'ablation de la partie inférieure de la mortaise tibio-péronière,

de l'astragale et des os du tarse antérieur, on était peu en droit d'espérer

un rétablissement de la solidité du membre inférieur ; on a vu cependant

les tissus péri-articulaires se rétracter et mettre ainsi au contact des

extrémités osseuses très éloignées l'une de l'autre.

Sans doute, les mouvements et la force du pied ne sont pas bien éten-

dus ; et on se demande si, dans les arthropathies non suppurées, la résec-

tion doit être préconisée ; nous ne le pensons pas, mais les faits ne sont

pas là pour l'affirmer d'une façon sûre.

Quant à ce qui concerne les arthropathies infectées, la résection doit

être faite avant l'amputation ; celle-ci doit être réservée aux cas désespé-

rés, lorsque le tissu osseux a entièrement disparu ; mais lorsque le sque-

lette persiste on a tout avantage de faire une opération conservatrice,

même au membre inférieur. Le résultat fonctionnel est suffisamment bon

pour autoriser et même commander la résection qui sert en même temps

à drainer les produits septiques, dont la rétention aurait entraîné des acci-

dents généraux graves.

Notons aussi que l'opération peut se faire sans anesthésie ; Czerny,

Sokoloff, Nissen en ont profité. Le malade de M. Jaboulay a assisté à son

opération, absolument indifférent ; la section des os n'a pas été perçue

même légèrement.

LA SYPHILIS DANS L'ART

PAR

R. BLANCFiARD

Professeur à la Faculté de médecine de Paris,

Président de la Société française d'histoire de la médecine.

Le dernier numéro de la Nouvelle Iconographie contient une courte étude

de M. L.-E. Mariani, sur un gracieux tableau de P. Longhi, intitulé La

Pharmacie et exposé à la Galerie royale de Venise. Ce tableau, dont

M. Mariani donne une très bonne reproduction en phototypie (1), est

ainsi commenté par notre auteur, en ce qui concerne les deux principaux

personnages :

« Un apothicaire coiffé du traditionnel bonnet blanc, vêtu d'une longue

blouse, besicles sur le nez, est debout en train d'appliquer une pommade,

qu'il vient de puiser dans un pot près de lui, à la bouche d'une paysanne

jeune, qui se tient en face de lui, l'attitude résignée, les yeux tournés en

haut exprimant la souffrance... La scène simple, bien rendue, nous re-

porte aux temps où l'apothicaire avait la charge d'appliquer lui-même les

prescriptions du médecin, le lavement compris. »

Cette description est exacte, sauf l'interprétation de la « qualité de la

dame» ; mais de quelle maladie celle-ci peut-elle être atteinte ? Mariani

n'émet à cet égard aucune opinion.

Le Dr H. Meige, dans sa remarquable Iconographie des arracheurs de

dents (2), a déjà décrit le tableau de Longhi. Il ne s'arrête pas à l'opinion

« que ce pharmacien bien achalandé aille se livrer sur la mâchoire de sa

jolie cliente à quelque douloureuse extraction » ; il croit plutôt que l'apo-

thicaire examine les dents de la patiente pour lui offrir, moyennant fi-

nance,quelque pâte dentifrice ou quelque emplâtre qui, « s'il ne la soulage

pas, aura du moins le mérite de faire ressortir la blancheur de son teint ».

Une telle interprétation est inexacte : la jeune et jolie femme à laquelle

l'apothicaire donne ses soins n'est pas une paysanne souffrant du mal de

dents, mais bien une femme galante atteinte de plaques muqueuses à la

(1) T. XVI, p. 201-202 et pl. XLVI.

2) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, XIII, 1900. Cf. p. 4 et 38 du tirage à part.

LA SYPHILIS DANS L'ART 267

gorge. C'est, semble-t-il, le premier exemple iconographique pouvant

être sûrement attribué aux ulcérations syphilitiques des muqueuses ; dans

leurs célèbres études, Charcot et Richer n'ont signalé rien de pareil et je

ne sache pas qu'un autre auteur ait attiré l'attention sur une peinture ou

une gravure représentant rien de semblable.

La Pharmacie fait partie d'une série de petits tableaux dus à l'habile

pinceau de Pietro Longhi, peintre vénitien qui vécut de 1702 à 1785.

L'ensemble de ces charmantes peintures représente et symbolise la Vie

d'une femme galante à Venise vers le milieu du XVIII, siècle. Ces tableaux

ont été gravés par Joseph Flipart et F. Bartolozzi, sous la direction de

Wagner c. p. E. s., c'est-à-dire avec privilège du prince tenant alors Ve-

nise sous sa juridiction. Nous connaissons les nos 1, 2, 3, 7 et 8 de cette

série, plus une estampe non numérotée, soit six estampes ; Meige signale

aussi, comme faisant partie de la même série, un tableau représentant un

charlatan diseur de bonne aventure, qui parle à ses clients au moyen d'une

sarbacane. On peut donc estimer à huit ou neuf le nombre total des ta-

bleaux composant la série.

Tous ces tableaux ont dû être gravés ; nous connaissons six de ces

reproductions. Chaque estampe est haute de 412 millimètres et large de

344 millimètres. Comme il était d'usage au xvm6 siècle, elles portent

toutes une légende en vers, et c'est précisément la légende du n° 8, c'est-

à-dire du tableau qui nous occupe, qui nous permet d'interpréter celui-ci

comme nous l'avons fait plus haut.

Voici, d'ailleurs, d'après nos fiches, la copie des légendes accompagnant

chaque estampe; le texte italien, que le lecteur comprendra sans peine,

perdrait toute sa grâce à être traduit en français :

Estampe n° 1, gravée par J. Flipart :

Sorta fuor delle piume ancor ammira

La propria sposa il Cavalier gentile,

Ma se la gloria un nuovo ardor gl'inspira

Di tal ozio arrossisce, ed hallo al vile.

Estampe n° 2, gravée par J. Flipart :

Vaga Donzella a cui fra gli agi e l'oro

Le belle doti sue donô Natura,

L'ozio sfuggendo in genial lavoro

Ogni folle amator sprezza e non cura.

Estampe n° 3, gravée par J. Flipart :

Mentre la vaga e leggiadretta Clori

Col piede snello (1) nuovi vezzi apprende,

(1) Snello, agile, léger. C'est le mot allemand schnell, vraisemblablement introduit

268 BLANCHARD

Tessendo inciampi e incatenado i cuori

Mille licci a se stessa incauta tende. '

Estampe non numérotée, gravée par J. Flipart :

Di degno Cavalier tenera Moglie

Dama, che a nobil sangue uguale ha il core,

Vede lo sposo suo, lieta l'accoglie,

Hingrazia il fato, e benedice l'Amore.

Estampe n° 7, gravée par F. Bartolozzi :

Per impegno, per forza econ'dispetto

Cantatrice gentil studia la parte : ,

L'assiste il Protettor, ma men dell'arte,

Che della sua beltà prende diletto.

Estampe n° 8, gravée par F. Bartolozzi :

Vezzoza giovinetta un morbo assale,

Che rauca rende la parola e il canto ;

. L'esamina un Perito, e scrive intauto

Medica penna la ricetta al male.

Voilà donc retracée'par la peinture, le burin et la plume l'histoire d'une

jeune fille de sang noble qui épouse un gentil cavalier, se livre à l'étude

des arts d'agrément, puis finit par se faire accompagner à ses leçons de

chant par un protecteur qui admire moins sa voix que sa beauté. De tel-

les moeurs sont-elles particulières à Venise ? Et le protecteur attitré est-il

le seul amant de la dame ? Rien de surprenant à ce que la vie légère que

l'on devine ait conime conséquence quelque maladie qui vienne assaillir

la mignonne enfant et rendre rauques sa parole et son chant. Plaques

muqueuses, évidemment ; il ne peut y avoir d'autre diagnostic.

D'ailleurs, tout parle en faveur de celte interprétation. La malade a-

t-elle l'air assez contrit ! Et le jeune seigneur à perruque, le mari, comme

nous le démontre la série des gravures, a-t-il lui-même un air assez

anxieux et penaud ! Quant au jésuite assis près de lui et lisant attentive-

ment une lettre, il semble bien détaché des joies ou plutôt des angoisses

de ce monde, mais sa physionomie reflète malgré tout je ne sais quelle

appréhension ; il a les lèvres pincées, comme s'il avait encouru lui-même

quelque danger. Vraiment, la scène est charmante; elle est finement

observée et magistralement rendue ; on dirait une toile de Lancret.

en Italie par les provinces voisines de l'Autriche ; aussi le trouve-t-on ici dans un

texte publié 11 Venise. Le mot snello n'est d'ailleurs pas le seul vocable d'origine

germanique qui se trouve dans la langue italienne : citons mitza, rate (die Alilz), slivale,

botte (der Stiefel) et ses dérivés ; j'ai noté encore d'autres mots. Une intéressante

étude linguistique consisterait à rechercher comment ces termes d'origine allemande

se sont introduits dans l'italien classique.

LA SYllILIS DANS L'ART 269

Il n'est pas jusqu'aux accessoires qui n'aient une signification précise.

Le pot d'aloès (1) se trouve là en raison des propriétés dépuratives qu'on

attribuait à cette plante. Sur le fourneau, dont on n'aperçoit qu'une faible

partie sur le tableau et dont un jeune apprenti attise le feu à l'aide d'un

soufflet, doivent rougir des cautères. Sur la gravure, ce dernier point est

plus manifeste : l'apprenti ne se voit plus, le fourneau a été reporté vers

la droite et un cautère gît sur le sol auprès de lui.

Le tableau de Longhi mérite donc d'être attribué à cette rare série d'am-

vres d'art qui concernent la syphilis et ses diverses manifestations. Rare

série; en effet, puisque Charcot et Richer (2) n'ont pu citer que deux docu-

ments artistiques rentrant dans celte catégorie ; rare série, puisque

P. Richer, dans son beau livre l'Art et la médecine, n'a pas consacré une

seule ligne à l'iconographie des maladies vénériennes.

Aux deux documents signalés par Charcot et Richer, je puis en ajouter

sept autres, que je mentionne brièvement :

1° Prière à Saint Minus contre le mal français. - Gravure sur bois par

W. Hamer de Nuremberg (1470-1480). Cabinet des estampes de Munich.

Reproduit par H. Peters, Der Arzt und die Heillmnst in der deutschen

Vergangenheit. Leipzig, E. Diederichs, grand in-8°, 1900; cf. p. 12,

fig. 8. '

2° Le syphilitique. Estampe mesurant 251 millimètres sur 97, dalée

de 1484 et attribuée à tort à A. Durer ou à Wohlgemuth, Le bois, gravé

en 1484, a dû servir à plusieurs impressions. Celle que nous venons de

caractériser date de 1496. En effet, l'estampe est connue sous deux états :

. l'un d'eux se trouve aux bibliothèques de Munich et de Vienne, l'autre à

celles de Dresde et de Vienne.

La légende parle de gale (scabies) et non de « mal français », appella-

tion courtoise et de bon voisinage sous laquelle on désignait alors la sy-

philis. C'est pourtant hien de la syphilis qu'il s'agit ici. L'historien de la

syphilis en Allemagne, C. II. Fuchs (3), ne s'y est pas trompé; il a même

reproduit dans son supplément la gravure qui nous occupe.

D'ailleurs, celle-ci est d'une interprétation facile, quand on sait que,

précisément à l'époque où elle a été publiée, la syphilis se manifestait

dans toute l'Europe avec une violence excessive, bien digne de frapper

l'esprit populaire ; les graves accidents qu'elle causait, inconnus jusqu'a-

(1) Une erreur typographique a fait dire à Mariant, Abies expensis au lieu d'Aloë

capensis.

(2) CuancoT et ]RiciiEn, Les difformes et les malades dans l'art. Paris, in-4», 1889.

- Cf., p. 79-81.

(3) C.-Il. Fucus, Die atteste» Schl'iftstellel' Uber die Lllstseuche in Deulschland von

1495-1510. Güttingen, in-8, 1843. Cf. Supplément, 1850.

270 BLANCUARD

lors, avaient même fait croire qu'il s'agissait d'une maladie nouvelle, ve-

nue des Indes occidentales (Amérique), et il se trouve même encore au-

jourd'hui des esprits, d'ailleurs éclairés, pour accepter une opinion aussi

insoutenable. Enfin, on représentait alors les syphilitiques le corps couvert

de pustules, comme le prouve la gravure accompagnant la Prière à Saint

Minus citée plus haut (n° 1). .

L'estampe qui nous occupe a été réimprimée récemment en grandeur de

l'original ; la bibliothèque de la Faculté de médecine possède un exem-

plaire de cette reproduction (n°1786 du catalogue). Il porte ce titre, en

deux lignes :

FLUGBLATT des ARZTES THEODORICUS ULSEnIUS

mit Illustration v. Albrecht Durer, dem Bilde des MraH/K, nat.

Grosse.

Mais ce titre moderne contient deux erreurs : d'abord il est très peu

probable que la gravure soit l'auvre de Durer, puis le malade, qui est

représenté tout couvert de pustules, n'est certainement pas un lépreux.

Nous donnons un fac-simile de cette remarquable estampe Pl. LUI,

d'après le tirage récent.

3° Prière à Saint Denis pour la guérison du mal français. Image pu-

bliée à Regensburg ( ? ) vers 1500. Bibliothèque de la Cour à Munich.

PETERS, loco citato, p. 10, fig. 6. -

4° Emploi médical du bois de Gaïac contre le mal français. Gravure

sur cuivre par Ph. Gallo, d'après Joh. Stradanus, vers 1570. - PETEns,

loco citato, p. 101, fig. 112.

6° Vie de 19 prostituée à Venise. Histoire populaire en vers et en figures

(A'V7= siècle). r- Publié par le Dr LE Pileur, La médecine anecdotique, I,

1901, p. 90, 4, 82, 110, 144, 182, 205, 238 et 270 ; cf. p. 270 et 271,

les deux dernières figures avec leur légende.

5° L'Espaigtzol affligé dit mal de Naples. Gravure reproduite sans nom

d'auteur ni indication d'origine par Cabanes, Les indiscrétions de l'his-

toire. Paris, in-18 carré, 1903 ; cf. p. 101.

7° Le gros lot ou les étrennes imprévues. A Paris, chez Gault de St-

Germain, Marché neuf N° 9, en la Cité. Gravure populaire, coloriée,

large de 309 millirJ1ètres, haute de 216, sans les marges. Cette pièce fait

partie de ma collection ; elle date, je pense, de décembre 1818.

LA SYPHILIS DANS PART

(R Blanchard }

Glavurc allemande sur bois de la fin du xv° siècle, repmswtant un syphilitique

UN DOCUMENT

POUR

LES POUILLEUX DANS L'ART,

PAR

HENRY MEIGE.

J'ai déjà eu l'occasion de consacrer dans ce recueil une étude aux Pouil-

leux dans l'Art (1), et j'ai fait voir, après Charcot et Paul Richer, que les

poux avaient une histoire iconographique signée de la main de peintres

les plus illustres, Murillo, Gérard Dow, Adrien et Isaac van Ostade, Pie-

ter de Hooch, etc.

Voici encore un document qui vient compléter cette série.

C'est une gravure de Joachim Ottens, très probablement d'après Brou-

wer. Elle fait partie d'une suite de cinq gravures, correspondant vraisem-

blablement à cinq peintures du maître hollandais, sur lesquelles j'aurai

l'occasion de revenir.

La gravure en question représente un vieillard, homme ou femme

on ne sait lequel des deux occupé à frotter énergiquement avec un

balai de crin la tignasse d'un homme assis sur un escabeau.

C'est, en somme, une répétition de la gravure sur bois publiée vers

l'an 1500 dans le Hortus Sanitatis, gravure dont j'ai donné la reproduc-

tion antérieurement, et qui sert à illustrer le chapitre consacré auxpouils,

dans ce curieux recueil. '

Divers personnages assistent à cette opération de propreté. Ils sont dans

le goût de Brouwer et de van Ostade, tant par leur physionomie que pour

leur accoutrement, et aussi par leur goût pour les libations joyeuses.

Y avait-il donc au xvie et au xvne siècle des spécialistes qui faisaient

profession de donner la chasse aux poux ? ...

(1) Henry l\1BIOE, Les pouilleux dans l'Art (Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière,

no 5, 1891).

272 HENRY MEIGE. - LES POUILLEUX DANS L'ART

La gravure en question porte en légende deux vers hollandais qui veu-

lent dire :

Quand je vous pouille, tenez donc votre tête tranquille.

Je remercie encore bien notre Seigneur de pouvoir me passer de lunettes.

. Le Gérant : P. Bouchez.

lmp. J. Thevenot, Saiot-Dizier (Hauto-Marnu).

16e Année N° 5 Septembre-Octobre

HOTEL-DIEU

TRAVAIL DU LABORATOIRE DE 111. LE PROFESSEUR BRISSAUD

RAPPORTS DU TABES AVEC LA PARALYSIE GÉNÉRALE

PAR

FERNAND CURIONI

La question des associations tabéto-paralytiques surgit', peut-on dire, eu

même temps que Duchenne de Boulogne créa le type de l'ataxie locomo-

trice progressive (1858-59) ; elle est encore aujourd'hui en pleine discus-

sion, et depuis que Raymond communiqua à la Société médicale des hôpi-

taux ses conclusions unitaires (8 avril 1892) les neurologistes se divi-

sent : les uns (comme Nageolle, Füi,ster, Ilomen, Sibellius, etc.) se ran-

gent avec Raymond pour soutenir que tabes et paralysie progressive sont

une seule et même maladie dominée par la syphilis ; les autres, avec Jof-

froy, Klippel, Rabaud, Renaud, Ilanhion, etc., s'efforcent de différencier

du tabes vrai les lésions tabétiformes de la' paralysie progressive. Mais

quelle est donc la raison d'une telle division entre d'aussi éminents au-

teurs ? En premier lieu, est-il possible, cliniquementet anatomo-pathologi-

quement, de distinguer les cas tabétiques vrais des tabétiformes d'une part,

et, de l'autre, la paralysie générale proprement dite des pseudo-paraly-

sies générales ?

Ceux qui soutiennent la théorie dualiste disent que les symptômes

tabétiformes de la paralysie générale sont moins nets et moins constants

dans leur évolution que ceux qui appartiennent au tabes vrai : Klippel

ajoute que dans les mouvements des sujets tabétiformes il y a un ensemble

de caractères qui ne font ni un simple tremblement ni un mouvement

choréique, ni un trouble de l'équilibre ataxique, mais quelque chose de

mal défini et qui participe de chacun de ces symptômes : les douleurs

sont moins vives, les réflexes sont tantôt abolis, tantôt seulement diminués.

Quelqu'un a noté que le syndrome spinal de la paralysie générale est moins

xvi 19

274 curioni

stable que celui du tabes vrai. Mais certainement personne ne peut mécon-

naître que tous ces signes ne sont pas suffisants pour constituer une forme

de pseudo-tabes paralytique spécial.

Plus importante est la question histopathologique. Nageotte, d'après

ses observations, conclut que les lésions des cordons postérieurs chez les

paralytiques généraux sont bien celles du tabes vrai, et il explique les

lésions du faisceau pyramidal par l'état de vulnérabilité que provoque

l'altération corticale. Le processus morbide des cordons postérieurs peut

en certains cas attaquer les voies descendantes ; en effet, la lésion du fais-

ceau pyramidal (quand elle existe) est toujours plus avancée du côté où

sont plus accentués les symptômes corticaux (Raymond). Garbini dit que

les lésions anatomiques de la paralysie générale pottabétique sont celles

du labes et de la paralysie générale unies ensemble. Rabaud soutient que

dans la moelle épinière des paralytiques existe une intégrité absolue ou

relative des racines postérieures ; mais Perpère répond que les racines

postérieures, bien que peu touchées dans les cas de Rabaud, sont cependant

prises, et cela spécialement dans la partie inférieure de la moelle, point

d'élection pour les altérations radiculaires postérieures dans le tabes. Pour

ce qui concerne la substance grise de la moelle chez les paralytiques géné-

raux, Klippel et Marie, déjà dès 1894, avaient signalé des altérations cellu-

laires, et tandis que Klippel les trouve spécialement dans la région cer-

vicale, Berger les observe plus souvent dans la région lombaire, surtout

dans la colonne de Clarke.

Il est bien certain que dans le tabes vrai on a pu démontrer plusieurs

fois des altérations de la substance grise, mais on a pu remarquer, comme

un des signes caractéristiques du tabes, l'intégrité des cellules ganglion-

naires de la colonne de Clarke, alors que ces cellules ont été trouvées al-

térées indépendamment de n'importe quelle maladie nerveuse (Klippel).

Existe-t-il une pseudo-paralysie générale tabétique différente clinique-

ment et anatomo-pathologiquement de la paralysie générale proprement

dite ?

Il y a des auteurs qui nient absolument l'existence de troubles mentaux

non paralytiques dans le tabès; cependant Topinard croit que l'on peut

séparer une forme cérébrale de cette maladie, distincte de la démence

paralytique. Si l'opinion de Topinard à cet égard est exagérée, il est pour-

tant vrai que dans le tabes peuvent exister des altérations mentales non

paralytiques (cela est prouvé par les observations de Eigges, Bey et d'au-

tres) tantôt avec un caractère continu, systématisé, tantôt avec un carac-

tère passager (Fournier). Mais les formes psychiques du tabes sont essen-

licitement des formes délirantes dont le point de départ, peut-être, doit

être cherché dans les troubles fonctionnels et sensitifs des malades, et fort

RAPPORTS DU TABES AVEC LA PARALYSIE GÉNÉRALE 275

rares sont les formes démentielles : la démence qu'on trouve chez les tabé-

tiques est en rapport avec l'alcool ou la morphine, et chaque fois qu'on

se trouve en face d'un tabétique dément et qu'on peut écarter l'alcoolisme

ou le morphinisme, on doit songer une paralysie générale associée (Per-

père).

Mais puisque nous savons qu'il a existé des tabétiques qui, pendant la

vie, n'ont pas présenté les signes de paralysie générale et qui, à l'autopsie,

ont montré les signes les plus classiques de la méningo-encéphalite (Na-

geotte), nous ne pouvons pas nous contenter d'un simple examen clinique

pour accepter ou rejeter les formes de tabes et de paralysie associés : la

réponse doit être donnée par l'examen microscopique.

Y a-t-il des altérations histologiques qui caractérisent la paralysie

générale ?

Jendrassik en 1888, Strümpell en 1890, Ebstein en 1898, ont décrit

dans l'écorce des tabétiques une atrophie des fibres tangentielles et une

prolifération de la névroglie analogues à celles de la paralysie générale,

et localisées spécialement dans les circonvolutions postérieures. Des alté-

rations cellulaires dans l'écorce des tabétiques ont été signalées par Phi-

lippe et Decroly. Cependant la question de la localisation des lésions dans

les pseudo-paralysies tabétiques a peu d'importance, car on sait que dans

la paralysie générale légitime on rencontre des lésions dans la région pos-

térieure du cerveau, quoique moins fréquentes et moins nombreuses. La

méningite et l'infiltration périvasculaire que Perpère considère comme le

critérium pour diagnostiquer la paralysie générale, n'ont aucune valeur

décisive, quand on pense quelles peuvent être les altérations vasculaires

et périvasculaires de la méninge du cerveau d'un tabétique soumis à

des intoxications de n'importe quel genre, d'origine interne ou externe.

De telles considérations surgit la nécessité de continuer encore les re-

cherches sur cette question de pathologie nerveuse tant discutée, et si une

observation isolée ne pourra faire pencher la balance dans un sens ou dans

l'autre, elle aura au moins sa valeur pour la statistique, étant donné le

nombre peu élevé des cas publiés jusqu'à présent.

Observation.

L. M... âgée de 58 ans, veuve, brodeuse, entre dans le service de M. Bris-

saud, à l'Eltel-Dieu, le 3 février 1903.

Histoire de la maladie.

Son mari mourut il y a trois ans, d'une affection pulmonaire aiguë. Elle eut

cinq enfants, dont trois sont morts : deux très jeunes et un idiot à l'âge de 21 ans.

La malade n'a jamais souffert de maladie aiguë ; les antécédents spécifiques

n'ont pu être trouvés. Il y a quatre ans, elle est entrée dans la ménopause. Il y a

276 CURIONI

trois ans environ la malade aurait vu double, serait allée à la Pitié et à la Sal-

pêtrière et sa fille se souvient qu'à l'examen des médecins elle présentait le

signe de Romberg. Toujours d'après les renseignements obtenus de la fille de

la malade, l'intelligence se serait affaiblie progressivement depuis un an. La

malade aurait eu une attaque apoplectiforme et se serait aperçue qu'elle ne

pouvait plus parler. -

Examen psychique.

La parole est fort embarrassée. Elle se croit très belle; par moment elle n'a

pas connaissance de l'endroit où elle se trouve, se croit à la campagne; d'au-

tres fois se plaint de sa fille qui a eu le coeur de l'enfermer à l'hôpital. Elle

semble oppressée; parfois se plaint sans cesse qu'elle est vieille, qu'on la

martyrise, elle s'agite et crie à tue-tête. De cette façon il est très difficile

d'examiner la malade.

Examen soma tique.

La face est déviée à gauche. Pupille gauche dilatée. Ptosis et strabisme con-

vergent surtout à droite.

Réflexes pupillaires. réflexes rotuliens et réflexes plantaires abolis. Il y a des

troubles de la sensibilité, troubles des fonctions vésicales : il faut sonder la

malade. L'examen du thorax révèle un abondant épanchement pleural à droite.

Pas d'ascite, ni d'oedème des membres inférieurs. A l'auscultation du coeur :

bruit de galop sur le foyer de l'aorte, arythmie. La malade est un peu dyspnéi-

que. Urines albumineuses légèrement. La ponction de la plèvre révèle de la

mononucléose.

Le le, mars l'état de la malade s'aggrave : la température qui,jusqu'à présent

n'avait presque jamais dépassé les 38 degrés, monte à 39 et plus encore; le

pouls se fait plus fréquent (120) ; on remarque une dyspnée intense.

10. Etat d'asystolie, orthopnée, pouls 140. La ponction de la plèvre

donne un peu de liquide (1/2 litre) rouge, hémorrhagique.

11. - Face cyanosée, coeur affolé, oedème des malléoles, température 40,

mort.

Diagnostic. Tabes, paralysie générale, pleurésie droite, insuffisance-

aortique.

Autopsie (12 mars 1903).

Adhérences dans la partie supérieure des deux plèvres, épanchement

sanguin abondant dans la plèvre droite.

Légère insuffisance de la valvule aortique. Endocardite légère verru-

queuse de la valvule mitrale. Un foie un peu muscade. Sclérose rénale

et néphrite suppurée double.

Système nerveux. Encéphale : les méninges sont épaissies et injectées

de sang. La pie-mère est très adhérente, spécialement au niveau de lobes

frontaux et pariétaux, et on ne la peut arracher sans déterminer plusieurs

solutions de continuité. Le volume des circonvolutions est normal. Léger

athérome dans l'hexagone de Willis.

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XVI. Pi LIV

TABES ET PARALYSIE GENERALE

Clll'LUI11

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. PI. LV

TABES ET PARALYSIE GENERALE

(CUriOl11)

RAPPORTS DU TABES AVEC LA PARALYSIE GÉNÉRALE 277 7

Moelle épinière : Les méninges rachidiennes sont très congestionnées.

On ne constate pas d'altérations grossières dans la moelle.

Examen histologique. Les fixations ont été faites en partie dans le li-

quide deMüller et en partie dans l'alcool et le formol.

Les méthodes de coloration dont je me suis servi sont : hématoxiline-

éosine, le Van-Gieson, Nissl, Marchi, Weigert Vassale, Pal.

L'examen du cerveau montre :

Lobe frontal droit. Diminution du nombre de cellules dans les cou-

ches superficielles de l'écorce (l'l. LIV, B). En plusieurs points les cellules

nerveuses sont augmentées de volume et le protoplasma se présente granu-

leux : parfois le noyau est très gonflé et occupe presque tout l'espace cel-

lulaire, ou bien il se présente granuleux et dégénéré. Dans certains points

les cellules prennent mal la couleur (PI. LIV, A). On trouve une abon-

dante prolifération des noyaux et une infiltration des parois des artérioles,

avec stase vasculaire, aux alentours des petits foyers de pigment hématique

(Pl. LIV, B).

Lobe frontal gauche. - Diminution du nombre des cellules des couches

superficielles : pigmentation hématique éparpillée dans les couches super-

ficielles et profondes de l'écorce. Dans les couches profondes encore on

observe les différentes altérations cellulaires qu'on a déjà rencontrées dans

le lobe frontal droit et une abondante prolifération des noyaux et des foyers

de pigmentation hématique. Ce qui frappe ensuite c'est l'infiltration de la

pie-mère : infiltration vasculaire et périvasculaire. Parfois les parois des

vaisseaux sont épaissies et par ci par là on voit des globules rouges en dia-

pédèse (PI. LIV et LV, A, B, C).

Dans les Lobes pariétal droit, pariétal gauche, occipital droit, occipital

gauche, on trouve à peu près toujours les mêmes altérations.

Pour ce qui regarde la moelle, on observe que l'infiltration des ménin-

ges est étendue sur toute la surface et sur toute la longueur de la moelle,

plus accentuée au niveau de la région cervicale. Les vaisseaux de la pie-

mère sont souvent infiltrés et épaissis. En certains points la méninge est

comme séparée de l'écorce de la moelle par des couches de fibrine. On ren-

contre par ci par là plusieurs grosses bactéries, en bâton. Les cellules qui

revêtent les parois du canal épendymaire sont détachées et séparées des

parois par une substance fibrillaire qui semble de la fibrine.

Plusieurs cellules de la suhstance grise se présentent atrophiques et

dégénérées surtout au niveau des cornes postérieures (PI. LV, D).

Dans la substance blanche on constate une sclérose des cordons posté-

rieurs spécialement dans la partie centrale. La sclérose, beaucoup ac-

centuée au niveau de la moelle dorsale, devient moins intense à mesure

qu'on s'approche des régions cervicale et lombaire : dans ces mêmes

278 CURIONI

points les cordons postérieurs se présentent presque complètement sains.

Le cas décrit se prête à des considérations que je vais énoncer en peu

de mots :

Il n'y a aucun doute que la symptomatologie et les lésions histopatholo-

giques cérébrales sont bien celles de la paralysie générale classique de cer-

tains auteurs, étant donné que la localisation d'une lésion a peu d'impor-

tance pour l'identification de la lésion même ; du reste, la pathologie

générale et l'anatomie pathologique depuis longtemps montrent combien

différentes peuvent être les altérations dans une partie quelconque de

l'organisme pour le même agent étiologique. Mais j'ai déjà dit qu'il n'y a

aucun critérium péremptoire qui vaille vraiment pour caractériser une

paralysie générale unique et bien définie, d'autant que Klippel préfère la

définir : « ..... un syndrome clinique commun à des toxines diverses, en-

traînant des lésions tantôt inflammatoires, tantôt dégénératives..... » S'il

fallait nous servir de la classification proposée par Klippel, nous de-

vrions ranger notre encéphalite parmi les inflammatoires : encéphalite

plus accentuée dans l'hémisphère gauche, comme aussi, cliniquement, nous

le démontre la déviation à gauche de la face observée chez la malade. Pour

ce qui concerne le point de départ de ces encéphalites, il y a des auteurs,

comme Klippel, qui admettent que le parenchyme cérébral est le premier

atteint dans la paralysie générale; d'autres, comme Anglade (de Toulouse)

soutiennent que la lésion des méninges précède celle de la substance ner-

veuse. Or, quelle opinion devrait-on suivre dans les cas, comme le mien,

par exemple, où dans le lobe frontal droit existent des altérations paren-

chymateuses sans méningite, et où, dans le lobe frontal gauche on a affaire

à une véritable méningo-encéphalite ?

Par ses lésions la moelle épinière de notre cas peut être placée entre

les tabes vrais et les pseudo-tabes. Le fait que les symptômes tabéti-

ques ont précédé, comme nous l'apprend l'histoire de la maladie, de trois

années environ les symptômes paralytiques, n'a aucune importance pour

affirmer qu'il s'agit d'une paralysie générale post-tabétique, car on a

observé des cas dans lesquels à l'autopsie on a trouvé des signes évidents

depériencéphalite, sans que pendant la vie soient apparus des symptômes

cérébraux (Nageotte). '

Je voudrais, enfin, parler d'un élément que j'ai pu constater fré-

quemment, aussi bien dans la moelle que dans le cerveau du cas que

j'étudie.

Laissant de côté les gros bacilles qui, selon moi, ne représentent que

des invasions bactériennes post-cadavériques, j'ai noté une abondante

RAPPORTS DU TABES AVEC LA PARALYSIE GÉNÉRALE 279

infiltration de plasmazellen, disséminés entre des leucocytes polynu-

cléaires et lymphocites, dont quelques-uns en pleine dégénérescence

hyaline.

Les plasmazellen, dont la signification physio-pathologique a été tout

récemment éclairée par Foà, sont des éléments que l'on rencontre très

fréquemment dans les processus chroniques de syphilis et de vieille tu-

berculose. Selon les études de l'anatomo-pathologiste de Turin, les plas-

mazellen ne dérivent ni des éléments du sang, ni des cellules fixes du

tissu conjonctif (fibroblastes), mais sont des cellules sui generis préexis-

tantes à côté des cellules fixes. Les plasmazellen répondent lentement à

la stimulation inflammatoire, se multiplient surtout par scission directe, et

n'exercent pas d'action phagocytaire. On connaît en plus l'importance

des plasmazellen en dermo-patholocrie ; ils affirment la nature syphilitique

d'une lésion, là où sont absents ou incertains les autres signes de cette

origine morbide. Or, comme il est très probable que beaucoup des lésions

cérébrales et médullaires de notre cas sont d'origine syphilitique [2 morts

précoces, un idiot dans la descendance, la diplopie, l'absence des réflexes

pupillaires (Babinski)], ne serait-il pas bon de se demander si dans les

formes de paralysie générale et de tabes (oupseudo-tabes, si l'on veut)

ressortissant à la syphilis, ou à une infection banale favorisée par une

syphilis antérieure (Klippel), les plasmazellen sont plus fréquents que

dans le cas où la syphilis n'entre pas en ligne de compte ?

Si la question des associations tabéto-paralyliques n'est pas encore

résolue, il faut bien reconnaître que la récente classification de Klippel

(Congrès des Aliénistes et Neurologistes de Bruxelles, août 1903) pour les

formes de paralysie générale, a apporté et apportera de nouvelles lumières.

Le jour où les intéressantes observations de P. Marie et Guillain seront

confirmées, à savoir que « la lésion initiale du tabes n'est autre chose

qu'une lésion syphilitique du système lymphatique postérieur de la

moelle »,peut-être la discussion entre les patholoistes sera-t-el le close ( 1 ).

(1) En terminant je tiens à exprimer ma vive gratitude à Ni. le professeur Brissaud,

qui avec tant de bienveillance m'a admis dans sa clinique et dans son laboratoire,

et m'a permis la publication de ce travail.

ADIPOSE SOUS-CUTANÉE SYMÉTRIQUE ET SEGMENTAIRE

CHEZ UNE DÉMENTE

ALCOOLIQUE ET HÉRÉDO-ALCOOLIQUE

PAR

G. DENY

Médecin de la Salpêtrière.

ET

A. LE PLAY

Interne des hôpitaux.

La malade dont nous allons rapporter brièvement l'histoire est entrée

à la Salpêtrière (section Rambuteau) au mois de janvier 1889, dans le

service d'Auguste Voisin, que l'un de nous a remplacé. Agée actuellement

de 64 ans, cette femme, depuis qu'elle est soumise à notre observation,est

dans un état complet de démence, mais et c'est là le point sur lequel

nous désirons appeler l'attention - elle présente en outre une adipose

sous-cutanée segmentaire et symétrique des membres et d'une partie

du tronc ; elle pèse, en effet, 85 k. 800, bien que sa taille ne dépasse pas

1 m. 47.

Cette adipose est un peu plus accusée aux membres inférieurs qu'aux

membres supérieurs; elle a en outre une tendance à affecter une disposi-

tion croisée, car aux membres inférieurs c'est le côté droit qui est le plus

hypertrophié, tandis qu'aux membres supérieurs la différence, quoique

moins sensible, est en faveur du bras gauche (1).

Comme le montrent les planches LVI et LVII, cette adipose n'est pas lo-

calisée aux membres; elle s'étend à l'abdomen dont la peau retombe

comme un épais tablier sur la racine des cuisses, à la région des lombes et

aux fesses, en un mot à toute la partie sous-diaphragmatique du tronc (2).

Au contraire, le thorax, les épaules, le cou et la face ne sont le siège

d'aucune augmentation de volume : on remarquera en particulier le petit

développement des seins comparé à celui des autres parties du corps.

La tuméfaction des membres et de la portion inférieure du tronc est due

en partie à l'épaississement de la peau, mais surtout à la prolifération du

tissu cellulo-adipeux qui, au niveau des parties déclives, comme la face

(1) Cette disposition croisée a été observée dans le Iropltoedèine, par Rapin (de Ge-

nève). Voir Iconographie de la Salpêtrière, 1901.

(2) Comparez la malade de MM. DAIITIOUES et DONNEAU, Nouvelle Iconographie de la

Salpêtrière. 1899, p. 216.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XVI, PL. LVI.

Adipose sous-cutanée, SYMÉTRIQUE ET segmentaire

chez une démente alcoolique et hérédo-alcoolique.

(Denv et Le Play.)

Figure extraite du Traite de Pathologie mentale (Dom, éditeur).

Masson, et C[e, Éditeurs.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. Pl. LVII

ADIPOSE SOUS-CUTANEE, SYMÉTRIQUE ET SEGMENTAIRE

chez une démente alcoolique et hérédo-alcoolique.

(Deny el Le Play).

Masson & Ci-, Editeurs

ADIPOSE SOUS-CUTANÉE SYMÉTRIQUE ET SEGMENTAIRE 281

postérieure des bras, la partie inférieure de l'abdomen, la région lonlbo-

fessière, la face postérieure des cuisses, etc., forme des masses lipoma-

teuses à contours mal limités.

La tuméfaction des membres inférieurs se termine brusquement au-des-

sus des chevilles par un bourrelet correspondant à la limite supérieure de

la chaussure : les pieds ne sont pas augmentés de volume.

Au tronc et aux bras, la tuméfaction n'a pas de limites supérieures bien

tranchées ; elle se-confond insensiblement avec le pannicule adipeux dont t

l'épaisseur redevient normale au niveau des épaules, du cou, de la face et

aussi des mains.

D'une façon générale,la peau a conservé sa coloration normale, sauf aux

membres inférieurs où la présence de quelques varices capillaires lui donne

par places un aspect violacé. A la face postérieure des cuisses et au niveau

de l'abdomen, la peau,au lieu d'être tendue, est plissée, flasque et comme

rétractée sur les masses lipomateuses sous-jacentes qui semblent avoir un

peu diminué de volume dans ces derniers temps. Partout la peau fait

corps avec le pannicule adipeux qui la double et l'intervalle séparant les

doigts qui la saisissent varie de 6 à 12 centimètres suivant les régions. Au

cou, au contraire,ainsi qu'aux épaules où l'embompoint n'a rien d'exagéré,

cet intervalle ne dépasse guère 1 centimètre. La température de la peau

est normale, sauf au niveau des membres inférieurs où elle est légèrement

abaissée. La consistance des régions adipeuses est variable; molle et dé-

pressible à certains endroits, elle est, à d'autres, plus ferme qu'à l'état

normal, surtout aux membres inférieurs où la pression même prolongée

du doigt ne détermine aucun godet.

Bien que le volume des muscles soit difficile à apprécier en raison de

l'épaisseur de la couche de graisse qui les recouvre, on peut les consi

dérer comme normaux, car leur contractilité électrique et volontaire n'est

pas modifiée et on ne constate aucun trouble de la motilité.

Il n'existe également aucune altération du squelette, ainsi que l'a prouvé

la radioscopie.

Ajoutons en terminant que la sensibilité cutanée est un peu émoussée,

que les réflexes cutanés sont vifs, les réflexes pupillaires normaux et les

réflexes tendineux très affaiblis.

Les résultats fournis par l'examen des urines (1) el du sang (2), l'ab-

(1) L'analyse de l'urine a donné les résultats suivants : volume d'urine excrété en

24 heures : 1100 centimètres cubes ; réaction acide ; densité : 1019; point cryoscopique,

, , Azo 5,33

1,68 ; urée 11 gr. 42 ; acide urique, 1 gr. 007. Rapport azoturique : -= -3 - 0,12.

Azt 7, 4

Chlorures dosés en NaCI : 1 gr. 96. Phosphates évalués en Ph05, 1 gr. 953. Ni sucre

282 DENY ET LE PLAY

sence d'altérations cardio-vasculaires graves, l'intégrité du système lym-

phatique, l'absence de lésions des viscères abdominaux ou de tumeurs

pelviennes ne permettent pas de songer à un oedème de cause mécanique

ou dyscrasique. D'ailleurs, la consistance et la répartition de la tuméfac-

tion ne sont pas celles de l'oedème. On doit écarter également l'idée d'un

éléphantiasis, car la malade n'a jamais quitté la France et la recherche

des parasites dans le sang est restée négative.

Il est bien difficile, d'autre part, étant donné la conformation en appa-

rence normale de la glande thyroïde et l'absence de métrorrhagies, d'attri-

buer les troubles trophiques de D... à une insuffisance thyroïdienne, à

une sorte de myxoedème fruste (Hertoghe) qui aurait respecté la face et

les extrémités. Le développement lentement progressif, comme on le verra

plus loin, de ces troubles et l'absence de stigmates suffisent pour éliminer

l'hystérie.

La répartition segmentaire de cette dystrophie permet de songer à l'af-

fection décrite par Henry Meige sous le nom de trophoedème.

On sait que, sous cette dénomination, Henry Meige a proposé de réunir

une série d'observations d'oedème blanc, dur, indolore, à répartition

segmentaire, uni ou bilatéral, isolé ou familial et héréditaire, parfois aussi

peut-être congénital, affectant une prédilection marquée pour les mem-

bres inférieurs et pouvant persister la vie entière sans préjudice notable

pour la santé.

Bien que très incomplets en raison de l'état démentiel de la malade, les

renseignements que nous avons pu obtenir sur les débuts de son affection

ne sont pas en faveur de cette interprétation.

De son enfance et de sa jeunesse on ne sait rien ou presque rien ; on

ignore en particulier quand elle a été réglée et quand elle a cessé de

l'être; on sait seulement qu'elle n'a jamais eu ses règles depuis son

ni albumine, ni indican, ni pus. Traces d'indol et de scatol. Examen microscopique :

nombreux cristaux de phosphates et d'urates, quelques cellules pavimenteuses et

cylindres épithéliaux.

(2) Voici les résultats de l'examen du sang, pratiqué cinq heures après le repas

globules rouges : 4.900.000; globules blancs : 8.300.

Sur 1000 et quelques globules rouges, on trouve quelques globules blancs ainsi ré-

partis : lymphocytes : 2; grands mononucléaires : 1; polynucléaires : 3; éosinophiles :

une fraction. Le pourcentage donne les résultats suivants : lymphocytes, 31,5 p. 100,

grands mononucléaires, 12 p. 100, polynucléaires, 50 p. 100, éosinophiles, 0,5100

(1 p.200).

Pas de mastzellen. D'après celte analyse il y aurait donc une surproduction des

éléments de la série lymphogène.

Ajoutons que la ponction lombaire n'a pu être pratiquée en raison de l'épaisse

couche de graisse recouvrant la région des lombes et de la difficulté d'établir les points

de repère ; que l'épreuve de la pilocarpine a montré un retard considérable dans l'ap-

parition de la sudation.

ADIPOSE SOUS-CUTANÉE SYMÉTRIQUE ET SEGMENTAIRE 283

entrée à la Salpêtrière qui a eu lieu à 50 ans. Elle n'a jamais fait de

fausse couche et a eu trois enfants encore vivants actuellement. Jamais

elle n'aurait éte atteinte de rhumatisme, ni d'aucune autre maladie infec-

tieuse. Pas de syphilis. Tels sont ses antécédents personnels avant l'époque

où elle est devenue malade. Dans ses antécédents héréditaires, on relève

les particularités suivantes : son père était un ivrogne et est mort jeune,

probablement de tuberculose; sa mère jouissait d'une bonne santé et a

vécu jusqu'à 92'ans. Un oncle paternel, alcoolique comme son père, s'est

pendu. Une soeur est atteinte d'imbécillité. Aucun membre, mort ou

existant, de la famille de D... n'a présenté d' oedème chronique des membres :

une de ses filles est atteinte de varices, mais sans tuméfaction des membres

inférieurs.

A quel âge cette tuméfaction a-t-elle débuté chez notre malade ? Il a été

impossible de l'établir avec précision. D'après le mari, elle n'existait pas

lorsqu'il a été obligé, en raison de ses troubles mentaux, de placer sa

femme à l'asile Ste-Anne.

Ce renseignement trouve jusqu'à un certain point sa confirmation dans

le fait que dans aucun des certificats qui ont été rédigés successivement au

moment de l'internement par les médecins du Dépôt, de l'asile Ste-Anne

et de la Salpêtrière, il n'est fait mention d'une augmentation de volume

des membres inférieurs. On est donc conduit à admettre que celle-ci faisait

défaut ou n'existait qu'à un degré minime au moment où D... est entrée à

l'hôpital. Le personnel hospitalier s'accorde du reste pour dire qu'à cette

époque D..., était forte et corpulente, mais qu'elle était loin de présenter

une hypertrophie des membres et du tronc comparable à celle qui existe

aujourd'hui; cette hypertrophie serait survenue peu à peu pendant les

premières années de son séjour à la Salpêtrière et serait restée depuis à peu

près stationnaire.

Il résulte de ces renseignements que, contrairement ce qui a été signalé

dans le trophoedème, l'affection, chez D..., au lieu de se développer

comme cela est la règle quand elle n'est pas congénitale au moment

de la puberté ou de l'adolescence, a fait son apparition à un âge assez

avancé, de 50 à 55 ans. S'est-elle installée d'une façon continue et pro-

gressive ou a-t-elle procédé par poussées successives ? C'est ce qu'il nous

a été impossible de savoir. En tout cas, celte hypertrophie se distingue

des faits visés plus spécialement par Henry Meige, non seulement par son

début tardif, mais encore par l'absence de tout caractère familial (1).

Nous ne croyons donc pas avoir affaire à un cas de trophoedème. L'af-

(t) C'est par suite d'une erreur de légende que la photographie reproduite pl. LVI

porte l'indication de trophoedème dans le Traité de Pathologie mentale de Gilbert

Ballet, p. 1242. Doine, éditeur.

284 DENY ET LE PLAY

fection n'est ni congénitale, ni familiale. Elle a débuté tardivement. En

outre,la tuméfaction n'affecte pas aux membres une répartition cylindrique.

Les pieds et les mains sont respectés et l'épaississement adipeux augmente

d'autant plus qu'on se rapproche de la racine des membres. Enfin, la peau,

aux extrémités, en hiver surtout, a une coloration violacée, et la plus

faible pression y fait apparaître une tache rouge.

La disposition tronconique de l'envahissement adipeux, la présence de

masses graisseuses volumineuses (ventre, cuisses, bras), appartiennent

au contraire à l'affection décrite par Dercum sous le nom d'adipose dou-

loureuse. A la vérité, il n'est pas établi que notre malade ait ou ait eu des

douleurs spontanées au niveau des membres, mais les réactions défensives

qu'elle présente lorsqu'on comprime ses masses graisseuses témoignent de

l'existence de sensations douloureuses assez vives.

Deux autres arguments peuvent encore être invoqués en faveur de la

maladie de Dercum : d'abord l'époque, voisine de la ménopause, où est

apparue l'adipose chez notre malade, et, d'autre part, la coexistence de ce

processus adipeux avec des troubles psychiques, à la vérité d'origine

alcoolique, comme le montre la fin de l'observation : '

C'est à l'âge de 37 ans, à la suite de son troisième et dernier accouche-

ment, qui fut suivi de douleurs abdominales persistantes, que D... ,au dire

de son mari, aurait commencé à contracter des habitudes d'intempérance,

mais ce n'est qu'une dizaine d'années après, c'est-à-dire vers l'âge d

47 ans, que débutèrent les troubles intellectuels, caractérisés d'abord par

des modifications du caractère, de la tristesse, de la négligence apportée aux

soins du ménage, puis ensuite par des hallucinations pénibles de la vue et

de l'ouïe, des terreurs nocturnes auxquelles vinrent bientôt s'associer des

idées mélancoliques et des idées de persécution dépourvues de tout carac-

tère de systématisation.

Sous l'influence de ces idées délirantes, D...,qui était devenue très irri-

table, se jeta un jour du pont d'Asnières dans la Seine. Malgré cette ten-

tative de suicide elle resta encore quelque temps chez elle, et ce n'est que

plusieurs mois après que son mari, contre lequel elle proférait à tout pro-

pos des menaces de mort, se décida à la faire interner.

A la Salpêtrière, D... se montra pendant plusieurs années très excitée et

aussi désordonnée dans son langage que dans sa conduite : elle ne restait

jamais en place, exécutant toutes sortes de mouvements automatiques,

collectionnant les débris de papiers, les vieux morceaux de pain etc. A

cette agitation motrice du début a succédé peu.à peu un état d'apathie et

de torpeur qui dure encore actuellement. La physionomie morne et hébé-

tée, affaiblie encore plus intellectuellement que physiquement, D... reste

indifférente à tout ce qui se passe autour d'elle, ne reconnaît aucun des

ADIPOSE SOUS-CUTANÉE SYMÉTRIQUE ET SEGMENTAIRE 285

siens, et passe son temps assise sur une chaise à l'écart des autres mala-

des, ne parlant jamais à personne, n'exécutant spontanément aucun acte

et marmottant, seulement quand elle est en colère, quelques paroles inin-

telligibles, au milieu desquelles on perçoit avec peine quelques bribes

d'idées de persécutions et de grandeurs.

En résumé, on se trouve en présence d'une malade, fille et nièce d'ivro-

gnes, ivrogne elle-même, qui, après avoir présenté des troubles intellec-

tuels d'origine manifestement alcoolique est tombée dans un état de dé-

mence, agitée d'abord, puis apathique, qui peut être aujourd'hui consi-

déré comme définitif.

Tant par l'aspect morphologique de la malade que par les troubles

psychiques dont elle est atteinte, notre observation se rapproche de celle

qui a été récemment présentée par MM. Dide et Leborgne à la Société de

Neurologie de Paris (séance du 4 juin 1903), sous le titre de « Maladie de

Dercum chez une démente catatonique agitée».

L'évolution parallèle, et vraisemblablement contemporaine, des trou-

bles démentiels d'une part, et de l'hypertrophie lipomateuse d'autre part,

tend à faire croire que ces deux processus reconnaissent une même patho-

génie. Peut-on supposer qu'ils sont liés tous les deux aux profondes

modifications nutritives résultant de l'action prolongée de l'alcool sur

l'économie ?

L'hérédo-alcoolisme prédisposait déjà la malade à ces altérations ; leur

apparition à la suite de ses propres excès n'a donc rien de surprenant.

Quant à la nature de ces altérations, Magnan a établi qu'elles consistent

surtout dans un processus de dégénérescence graisseuse avec tendance

aux irritations chroniques diffuses portant à la fois sur les centres nerveux

et sur les autres appareils. L'identité de ces altérations avec celles de

notre malade permet donc de leur attribuer la même origine. Il n'y a

rien là du reste qui ne soit conforme aux idées reçues ; la démence est

en effet le mode de terminaison le plus habituel de l'alcoolisme chronique

(Magnan) et l'adipose sous-cutanée est également un fait banal au cours

de cette intoxication.

Du reste,les trophoedèmes,cet aulre mode de dystrophie du tissu cellulo-

cutané, peuvent aussi être favorisés par l'alcoolisme. Drummond, cité par

H. Meige, a rapporté l'observation d'un homme qui fut atteint d'un oedème

alcoolique généralisé et qui guérit à la suite d'un régime abstinent.

A côté des infections (scarlatine, variole, rougeole,etc.) invoquées jus-

qu'ici pour expliquer la pathogénie des dystrophies conjonctives acquises,

il y aurait donc lieu, à notre avis, d'accorder un certain rôle aux intoxi-

cations, et en particulier à l'alcoolisme chronique.

286 DENY ET LE FLLY

Pour la maladie de Dercum en particulier, à laquelle semble bien de-

voir être rattachée notre observation, on peut se demander si l'alcoolisme

ne constitue pas un facteur prédisposant. Que l'on suppose une altération

thyroïdienne (comme certains auteurs sont enclins à l'admettre en raison

des analogies avec le myxoedème), ou que l'on invoque une lésion des

centres nerveux du trophisme cellulo-cutané (ainsi que la répartition sys-

tématique de l'adipose permet de-le conjecturer), il n'est pas illogique de

penser que l'intoxication alcoolique puisse favoriser le processus dystro-

phique qui se traduit par l'adipose douloureuse.

En attendant de nouvelles observations, il nous a paru intéressant de

faire connaître cet exemple d'adipose sous-cutanée symétrique et segmen-

taire survenue chez une démente alcoolique et hérédo-alcoolique.

NOUVELLES REMARQUES SUR L'AKATHISIE

PAR a

L. HASKOVEC

(de Piaâue).

J'ai publié dans les Archives bohèmes de médecine clinique (t. III) un

cas d'hystérie et un cas de névrasthénie (1) où j'ai fait observer un syn-

drome, inconnu jusqu'ici. Ce syndrome consiste en mouvements réitérés,

involontaires et irrésistibles, se manifestant par un bond brusque et suivi

immédiatement par la reprise de la position assise.

La conscience des malades était tout à fait claire pendant ces mouve-

ments. Une autrefois on a relevé chez le malade un sentiment coercitif

qui le forçait à remplacer la position assise par la' position debout, de

sorte que le malade devait se cramponner la table pour ne pas se re-

dresser.

En considération de l'effet de ce syndrome, je l'ai appelé akathisie

(de ce privatif et x6t8H)anatogiquement à l'astasie-abasie, et j'y ai ajouté

quelques remarques auxquelles je me suis senti autorisé en m'appuyant

seulement sur les deux cas cités. Mon avis en ceci n'était pas d'établir une

classification quelconque.

Dans le numéro de mai-juin delà Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière,

(1902) à la suite de ma communication,MM. Raymond etJanet ont décrit

un cas semblable analogue aux miens dans l'article : « Le syndrome psy-

chastbénique de l'altathisie. »

En attirant l'attention sur l'intérêt et sur la nouveauté de ce syn-

drome, ils sont d'accord quant à sa dénomination et ils font accompagner

leur cas d'un exposé différent des remarques dont j'ai parlé plus haut

et qu'ils appliquent aussi à mes cas (2).

Mais ces auteurs m'imputent une conclusion qui est loin de la mienne.

C'est ainsi que surgit la différence plutôt apparente que réelle de vue

existant entre nos opinions relativement aux cas cités. L'interprétation

de ces auteurs, très juste par rapport au cas qu'ils citent, ne peut s'appli-

(1) Communiqué aussi à la Société de Neurologie de Paris. Voir Revue neurologi-

que, '1901. ,

(2) Voir aussi ? JANET : Les Obsessions et la Psychasthénie. I, Paris, 1903.

288 TIASKOVEC .

quer ni à l'un ni à l'autre des cas que j'ai décrits et pas même à celui

qui présente une certaine analogie avec le leur.

Il faut, à mon avis, revenir sur ce sujet en expliquant et en comparant

nos deux conclusions.

Voici tout d'abord ma.brève communication :

En 1897, j'ai eu l'occasion d'examiner un homme de 40 ans, employé, qui

se plaignait des symptômes suivants :

Depuis trois semaines, il était pris de « tremblements dans tout le corps » et

ne pouvait rester debout. Dans celte position, il avait du vertige,de la faiblesse,

un tremblement dans les jambes et il lui semblait qu'il allait tomber.

Il pouvait bien marcher.

Assis, il ressautait comme s'il était à cheval.

Il y a quinze jours, il fut pris tout à coup d'un fourmillement dans les doigts

et avait en même temps la bouche tordue, mais cela fut de courte durée. Il de-

vait souvent uriner et cela troublait son sommeil. S'il se retenait d'uriner, tous

les symptômes précités s'aggravaient.

Les compresses d'eau fraîche sur la région du coeur le calmaient. Ses pul-

sations était quelquefois irrégulières.

Il y a trente ans, il s'évanouit en apprenant que sa mère était atteinte de la

variole.

Étant étudiant, il eut un chancre mou dont il fut guéri. En 1891, il eut la

grippe.

En 1894, il perdit la voix pendant quelque temps après un refroidissement,

et cela se répéta après chaque nouveau refroidissement.

Il ne souffrait pas de maux de tête, sa mémoire était bonne.

Son père mourut de la tuberculose et sa mère après une attaque d'apoplexie.

L'examen me lit voir que le malade était de moyenne taille, d'un squelette

moyen et de moyen embonpoint. Les organes de la poitrine et de l'abdomen

étaient normaux.

Des points douloureux typiques sous-claviculaires à la pression, dans les ré-

gions mammaires et dans la région du coeur. La sensibilité cutanée était un

peu augmentée.

L'excitabilité vaso-motrice de la peau également.

Les réflexes tendineux vifs.

L'excitabilité mécanique des muscles augmentée. Rétrécissement du champ

visuel des deux côtés.

La colonne vertébrale très douloureuse à la pression.

Le malade était un peu excité et timide.

Le volume de tous ses muscles était normal. Tous ses mouvements passifs

et actifs de la tête, du tronc et des extrémités se faisaient sans douleur et tout à

fait correctement. Sa marche était tout à fait régulière et aisée.

De temps en temps le malade était pris d'attaques cloniques du diaphragme

et de spasmes du larynx. Il pouvait faire cesser partiellement ces deux phéno-

NOUVELLES REMARQUES SUR l'AKATHISIE 289

mènes, quand on lui ordonnait de rester tranquille, de parler lentement et de

respirer tranquillement.

Mais ce qui m'intéressait surtout chez ce malade à côté de l'astasie précitée

et objectivement constatée, c'était le phénomène suivant :

Quand il était obligé de rester assis, il ressautait brusquement et involontai-

rement se rasseyait de même. Ces mouvements faisaient l'impression de mou-

vements automatiques involontaires, forcés, et le malade les considérait aussi

comme tels.

Ces mouvements forcés qui l'obligeaient de quitter la position assise et de se

rasseoir forcément se répétaient si fréquemment qu'ils rendaient presque impos-

sible la position assise. Ces mouvements s'exécutaient avec la parfaite connais-

sance du malade et contre sa volonté. Il n'y avait aucun autre symptôme pen-

dant ces mouvements. Alors je préférai m'entretenir avec le malade en le fai-

sant marcher,parce qu'alors il était tout à fait tranquille et ne présentait aucune

irrégularité motrice.

Jejuâeai alors qu'il s'agissait d'un cas d'hystérie et je considérai le phéno-

mène précité comme une variété de ces mouvements différents et bizarres que

l'on a décrits sous le nom de chorée rythmique, quoique j'avoue que cette dé-

nomination ne convienne pas bien à ces phénomènes d'ordre hystérique, parce

qu'ils n'ont rien à faire avec la chorée même.

On pourrait considérer aussi le phénomène précité comme l'analogue du

spasme réflexe saltatoire.

C'est pourquoi je ne m'en suis plus occupé. Je n'ai plus revu le malade.

Une année après j'eus l'occassion d'examiner un autre cas.

J. B..., âgé de 54 ans, employé, célibataire, dont le père mourut de marasme

et la mère de pneumonie. De quatre frères et soeurs, trois vivent encore et se

portent bien. Un frère mourut de la tuberculose.

Parmi les consanguins, il n'y a pas de maladies nerveuses et mentales. r

Le malade jouissait toujours d'une bonne santé. Il était laborieux et agile. 1 :

En 1890, il ressentit tout à coup à la promenade une chaleur dans tout le.

corps et un sentiment de tristesse, et il tomba, sans cependant perdre connais-

sance.

Depuis ce temps, il fut saisi de temps en temps de tremblements et d'un

sentiment d'agitation dans tout le corps. Il se rétablissait toujours pendant l'été

à la campagne Les médecins lui disaient qu'il souffrait de neurasthénie. En

outre, il souffrait de douleurs passagères dans les jambes et dans la région du

sacrum. Il sentait une pression et un « tremblement » dans l'estomac, et cela

surtout après les repas.

Quelquefois, il était constipé et il souffrait de dyspepsie.

Quelquefois, il ne pouvait pas marcher, il avait le sentiment d'être attiré

vers la terre, d'avoir de l'atrophie des muscles, et d'être comme si ses jambes

n'avaient pas de base solide et ne pouvaient fonctionner.

Depuis la fin de l'aunée dernière, il constate qu'il ne peut même pas rester

assis.

xvi 20

290 HASKOWEC

Quand il est assis, il ressaute forcément et avec violence en l'air, ce qui ar-

rive chez lui, et même dans n'importe quel lieu public. C'est pourquoi il ne

peut rester assis un certain temps. Il est obligé de se cramponner à la table

pour ne pas ressauter involontairement.' Quelquefois il n'a dans la position

assise qu'un sentiment incertain comme s'il allait ressauter,

De temps à autre, il se sent bien; parfois il sent une agitation dans tout le

corps et surtout dans le dos.

Sauf cela, il travaille bien, il n'a pas de maux de tête. Les sens fonctionnent

bien, l'appétit est normal ainsi que le fonctionnement des sphincters.

Aucun excès in Baccho et Génère.

Pas de lues.

A l'examen, j'ai trouvé que le malade est de taille moyenne, d'un squelette

moyen, d'un embonpoint faible et d'un teint jaunâtre.

Les organes de la poitrine, la température et le pouls normaux. Artériosclé-

rose légère.

Les muscles bien développés, normaux, symétriques, et leur excitabilité

électrique est aussi normale. L'excitabilité électrique des nerfs moteurs nor-

male. Tous les mouvements actifs et passifs sont normaux. La sensibilité cuta-

née normale. '

Outre une augmentation légère de l'excitabilité vasomotrice de la* peau et

de l'excitabilité mécanique des muscles, et outre les vifs réflexes tendineux,

l'examen somatique reste négatif.

J'ai revu le malade en 1900. Il m'a communiqué que ces ressauts forcés et

involontaires dans la position assise ont cessé,qu'il se sent mieux, sauf de l'es-

tomac. Le malade a un peu maigri et son teint est plus jaunâtre. Je n'ai pas pu

constater à l'examen local des symptômes d'un cancer de l'estomac ou du foie.

Le malade est mort quelque temps après avec les symptômes d'une entérite

aiguë.

Dans ce cas de neurasthénie nous observons que le malade ressent un sen-

timent qui l'oblige de changer la position assise en position debout, sentiment

pouvant devenir si intense que le malade est obligé de se cramponuer aux

tables. En outre, le malade présentait le même phénomène, comme nous

l'avons vu dans le cas précédent. De même, dans ce cas, le malade était forcé

de ressauter et de se rasseoir brusquement contre sa volonté et en parfaite

connaissance. J'ai tâché de trouver un autre cas semblable, malheureusement t

je n'y ai pas réussi.

Pourtant j'attire l'attention sur cette variété des mouvements forcés qui em-

pêchent l'état normal de la position assise.

Peut-être pourra-t-on mieux étudier ce phénomène sur un plus grand

nombre de cas. Je crois qu'iLs'agit ici de quelque chose d'analogue à l'astasie-

abasie de l'école française ou de l'atrémie de Nefter (Virchow's Archiv, 1883).

De même que l'harmonie de l'innervation, entraînant la marche normale

ou l'état normal de rester debout, peut être altérée par des causes différentes,

de même l'harmonie de l'innervation normale entraînant l'état normal de rester

assis peut être altérée par les mêmes causes,

NOUVELLES REMARQUES SUR l'AKATHISIE 291

Nous les avons trouvées dans l'hystérie et dans la neurasthénie. Nous ne

pouvons admettre que comme hypothèse s'il s'agit ici de l'hyperexcitabilité,

ou de la fatigue de l'écorce cérébrale, ou d'une sorte d'hyperexcitabilité des

centres sous-corticaux. Nous savons seulement qu'il s'agit ici de lésions

passagères et certainement d'ordre fonctionnel. '

Il est assez probable que, dans notre second cas quelques sensations viscé-

rales pouvaient être l'agent provocateur de cette décharge brusque des centres

sous-corticaux.

Si on rencontre le phénomène cité plus souvent et si on peut le placer

dans le cadre nosologique à côté de l'astasie-abasie, on pourrait bien lui donner

le nom d'akathisie (ce priv. et xC(ei(,)).

On voit bien que cette alcatllisie n'a rien à faire avec les ressauts inquiets,

volontaires, brusques et presque convulsifs des neurasthéniques anxieux, des

hypochondriaques et des mélancoliques.

De même, cette akathisie n'est pas identique avec l'akathisie que l'on observe

dans différentes psychoses sous l'influence des idées délirantes, des idées fixes

et des hallucinations. Les enfants atteints d'helminthiase présentent des phéno-

mènes semblables à l'akathisie; ces phénomènes n'ont pas affaire non plus avec

l'akathisie que nous avons décrite.

Le pronostic et la thérapeutique du syndrome cité sont le pronostic de la

thérapeutique de la maladie fondamentale. - .

MM. Raymond et Janet,en attirant l'attention sur la richesse du matériel

en ce qui concerne les maladies nerveuses dans la Salpêtrière, mentionnent t

mes cas communiqués à la Société de Neurologie et continuent comme il

suit :

Cet homme de 42 ans, Rul..., vient d'être assis sur sa chaise ; dans quelques

minutes, quelquefois cinq minutes, quelquefois plus, quelquefois moins, vous

allez le voir manifester une gêne et une souffrance extraordinaires. Il se con-

torsionne, il se raidit surtout du côté gauche, étend et écarte les jambes, appuie

la tête sur l'épaule gauche, il tient sa chaise à deux mains et fait semblant de

s'y cramponner. En réalité il s'appuie sur les deux mains pour se soulever et

empêcher le siège d'appuyer sur la chaise. En même temps, la sueur lui

vient au front et aux mains et dans quelques cas on voit de grosses gouttes

qui coulent sur sa figure, la respiration est anxieuse, le coeur palpite, la face

exprime la douleur, la terreur et l'angoisse. Enfin, n'y pouvant plus tenir, il se

lève brusquement et immédiatement change d'attitude, il respire librement et

sa figure exprime le soulagement et le calme.

Vous voyez cette petite scène se reproduire sous vos yeux,mais vous remar-

querez qu'ici, devant vous, le malade se sent un peu moins angoissé et qu'il

reste plus longtemps sur sa chaise, à peu près une dizaine de minutes, parce

qu'il est distrait par votre présence. Chez lui, les choses sont bien plus pénibles :

il ne peut rester assis que quelques instants et il faut sans cesse qu'il aille et

292 HASKOWEC

vienne dans sa chambre. Le trouble s'aggrave encore s'il est assis devant un

établi et s'il doit travailler. Il était bijoutier de son métier et ne peut plus

entrer dans aucun atelier, car on refuse cet ouvrier qui ne peut rester assis et

qui se contorsionne désespérément dès qu'il a un travail devant lui.

C'est bien là l'ensemble des symptômes décrits par M. Haskowec : des

secousses, de l'agitation, des troubles de la respiration, de l'angoisse qui sur-

viennent dès que le malade est assis et qui cessent dès qu'il se lève, d'où

l'impossibilité pratique de la station assise. On peut, si l'on veut, adopter pour

ce syndrome le nom d'akathisie que propose M. Haskowec (Rev. Neurol.,

30 nov.1901, p. 1107), mais il faut s'entendre sur l'interprétation du symptôme

que nous ne concevons peut-être pas tout à fait de la même manière.

M. Haskowec, au moins dans un des cas qu'il rapporte, parle d'hystérie, il

rapproche son akathisie de l'astasie-abasie des hystériques : « De même, dit-il,

que l'harmonie de l'innervation actionnant la marche normale peut être altérée

par des causes différentes, de même l'harmonie de l'innervation entraînant

l'acte normal de rester assis peut être altérée par les mêmes causes. » Théori-

quement juste, l'acte de rester assis est un système de mouvement, d'images

motrices exactement comme l'acte de rester debout ou de marcher. De même

qu'il peut y avoir amnésie ou paralysie fonctionnelle d'un centre correspondant

à la marche, de même il peut y avoir amnésie ou paralysie fonctionnelle de

l'acte de s'asseoir et de rester assis. Aussi peut-on certainement observer chez

les hystériques cette paralysie systématisée de l'acte de s'asseoir et de rester

assis. Nous avons observé bien des hystériques incapables de tenir le tronc

dans une position correcte et qui tombaient d'un côté ou de l'autre quand on

voulait les faire rester assis. On trouvera un fait de ce genre associé, il est

vrai, à d'autres symptômes dans notre description d'un cas de paralysie des

muscles du tronc (1). A de certains moments, la paralysie était incomplète et

la malade pouvait se retourner dans son lit et plier le tronc latéralement, mais

elle restait tout à fait incapable de se maintenir dans la position assise. Ce

serait là, à notre avis, le véritable symptôme de l'akathisie hystérique à mettre

en parallèle avec l'astasie hystérique. Mais ce symptôme est-il identique à ceux

que l'on observe chez les malades décrits par M. Haskowec, en particulier

chez le second qui nous paraît tout à fait identique à notre malade et chez le

sujet que nous vous présentons ? Un certain nombre de caractères importants

nous semblent être tout à fait différents et séparer cette akathisie de celle que

l'on peut observer chez les hystériques ainsi que de l'astasie-abasie.

1° Le malade sait parfaitement s'asseoir et rester assis ; au début, l'acte est

tout à fait correct; l'altération ne survient qu'au bout d'un certain temps ;

z. même quand l'acte est altéré il suffit de parler au malade, de l'interroger

vivement pour qu'il cesse ses grimaces et reste bien assis ; 3° il ne tombe pas

de sa chaise, il est assis très correctement, seulement il fait des efforts pour

se lever, il se soulève sur ses bras. Ce n'est pas un oubli de la station assise

analogue à l'oubli de la marche dans l'astasie, c'est un désir, une impulsion à

( ! ) Névroses et idées fixes, 1898, II. 411.

NOUVELLES REMARQUES SUR L'AKATHISIE 293

se lever ou à remuer d'une manière quelconque : il y a là beaucoup plus d'im-

pulsion à des mouvements inutiles que de paralysie systématique ; 4" ce qui

détermine cette impulsion à se lever ce n'est pas une incapacité de rester assis,

c'est une souffrance, une angoisse qui se développe quand il est assis.

Aux caractères précédents qui séparent cette akathisie d'une simple para-

lysie systématique, il faut ajouter d'autres faits qui rendent la maladie de Rul...

beaucoup plus complexe et qui vont peut-être nous mettre sur la voie d'une

interprétation. Les troubles que nous venons d'observer sont assurément exa-

gérés dans la station assise, mais ils ne sont pas tout à fait absents dans d'autres

attitudes. Le trouble se manifeste également dans la station debout : si nous

prions le malade de rester immobile debout, il va au bout de quelques instants

présenter les mêmes symptômes de l'angoisse ; il n'est donc calme que dans la

marche.

Bien mieux, la marche elle-même n'est pas toujours indemne d'angoisse.

En effet, s'il est chargé d'une commission, s'il doit se rendre à un endroit

déterminé, la marche devient immédiatement pénible, il a des contorsions, de

la sueur; il lui semble qu'il n'arrivera jamais; il ne peut pas plus continuer

sa route qu'il ue pouvait rester assis. Ce qu'il lui faut, en somme, pour être

tranquille, c'est la marche indéterminée, vague, en errant çà et là, sans but et

surtout sans travail déterminé. Vous voyez que les choses sont bien plus com-

plexes qu'elles ne paraissent être, et qu'il ne s'agit pas d'une simple amnésie

de la station assise.

Ensuite MM. Raymond et Janet communiquent de plus près l'anamnèse

du cas cité.

Il s'agit d'un homme soumis aux influences héréditaires de parents

alcooliques, toujours énervé par des scrupules et des inquiétudes, atteint

d'une aboulie professionnelle typique. Le travail lui-même et la pensée

même du travail lui occasionnent une extrême angoisse.

Le malade, étant bijoutier, travaille surtout assis, et c'est pourquoi la

position assise suffit pour lui rappeler le travail et pourquoi elle peut lui

occasionner l'angoisse et l'anxiété.

Pour mieux faire comprendre l'importance de l'aboulie professionnel le,

les auteurs présentent une femme de 30 ans, atteinte de ladite aboulie,

quoiqu'elle ne montre pas de lésions dans la position assise.

Femme nerveuse, émotive, inquiète dans sa jeunesse. Sa maladie n'a

commencé qu'à l'âge de 20 ans, quand elle a dû chercher à gagner sa vie.

Intelligente, instruite, d'abord institutrice, elle était satisfaite et elle

se montrait très capable. Cette profession la dégoûta bientôt. Elle res-

sentait des étouffements, des palpitations, des angoisses, dès qu'il lui

fallait enseigner. Elle perdait la mémoire et ne voyait plus les choses

comme elles étaient; des doutes et des scrupules l'assaillaient. Sa santé

physique même s'altérait, elle ne pouvait plus dormir, ni digérer, ni

294 HASKOWEC

même manger. Elle entra dans un couvent. Le début lui plut, mais après

un court délai les mêmes symptômes cités reparurent. Elle apprit le

commerce avec le même effet. Puis elle essaya la machine à écrire, le

ménage, la couture, etc. Elle essaya en 9 ans 15 métiers et elle entra

au moins dans 30 places. Sa santé l'amena enfin chez le médecin, en

pensant que son instabilité était maladive. On observe ces phobies profes-

sionnelles par exemple : chez le coiffeur, quand il voit un rasoir, chez la

couturière, quand elle voit des ciseaux, chez l'employé des postes quand

il voit l'appareil télégraphique, etc.

Ensuite MM. Raymond et Janet continuent comme suit :

Dans d'autres cas, l'aboulie ne donne pas uniquement naissance à des phé-

nomènes émotionnels, à des angoisses. Nous avons vu bien des employés de

bureau présenter, dans ces circonstances, des impulsions à la marche, dont il ne

faut pas faire des fugues; d'autres avoir la crampe des écrivains quand leur

métier les forçait à écrire, d'autres avoir des tics des yeux quand leur métier les

forçait à lire, un prédicateur avoir des tics de la bouche parce que son métier

était de parler.

Tous ces troubles, tics, crampe des écrivains, impulsions à la marche, ré-

criminations mentales, comme les angoisses elles-mêmes, n'étaient que des

phénomènes secondaires en rapport avec l'aboulie professionnelle si fréquente

chez les psychasthéniques.

Voilà la communication de MM. Raymond et Janet.

Nous avons déjà dit que l'on ne peut rien objecter contre l'interpréta-

tion de ces auteurs, en ce qui concerne leur cas. Je ne'm'en occuperai pas

plus amplement. Je traiterai ailleurs toute la question des phénomènes

obsédants, impulsifs et des états psychasthéniques. Ce qui nous intéresse

plus particulièrement aujourd'hui, c'est la question de savoir si l'on peut

appliquer l'interprétation des auteurs cités à mes cas et si l'on doit alors

les interpréter autrement que je l'ai fait, après la publication de MM. Ray-

mond et Janet- Il s'agit de savoir jusqu'où s'étend la différence entre ma

manière de voir et celle de ces auteurs quant à l'akathisie, décrite jusqu'à

présent, différence évoquée par un malentendu, parce que ces Messieurs

m'imputent une interprétation queje ne veux pas accepter.

Quant à la communication de MM. Raymond et Janet il faut tout d'a-

bord remarquer que la description de leur cas ne correspond pas même à

mon second cas parce qu'on n'a pas noté chez lui : une souffrance extra-

ordinaire, la sueur qui vient au front, douleur, angoisse, terreur, respiration

anxieuse, palpitations du coeur, le désir de se soulever seulement, le soulage-

ment et le calme dans la position debout. Le cas de Raymond et Janet ne cor-

respond au mien que dans une certaine mesure. C'est pourquoi le portrait

de l'akathisie comme le décrivent Raymond et Janet (voir p. 243 de leur

communication) n'est pas tout à fait identique à celui qu'offrent mes cas.

NOUVELLES REMARQUES SUR L'AKATIIISIE 295

La différence essentielle consiste en ceci : chez le malade de ces auteurs,

atteint d'aboulie professionnelle, l'akathisie a été provoquée par la phobie

qui s'observait surlout dans la position assise, tandis que dans mes cas

il s'agissait de mouvements forcés sans phénomènes phobiques concomi-

tants ou secondaires. Dans mon second cas on a pu observer certes quel-

quefois aussi un sentiment forcé, ou un désir de changer la position assise,

mais le malade a pu vaincre encore ce désir, ou quand il s'est levé invo-

lontairement, on n'a observé ni l'angoisse ni le soulagement réactionnels.

Les auteurs cités, en faisant voir les cas d'akathisie hystérique causée par

l'amnésie ou la paralysie fonctionnelle à l'instar de l'astasie-abasie hysté-

rique et en croyant que je veux expliquer, au moins le premier de mes

cas, de la même manière, n'ont pas tenu compte de ceci : .

1° Il ne résulte pas de ma communication que je veuille expliquer mon

premier cas par l'amnésie ou la paralysie fonctionnelle. En y constatant

simplement l'hystérie, j'ai fait voir, au contraire, l'importance de la ma-

nière involontaire et forcée avec laquelle se faisaient les mouvements ayant

pour cause l'akathisie.

z. En comparant l'akathisie avec l'astasie-abasie je n'avais pas dans

l'esprit uniquement l'astasie-abasie causée par l'amnésie ou la paralysie

fonctionnelle, mais l'astasie-abasie en général; en outre, j'ai été amené à

cette comparaison par la parenté de l'effet de ces syndromes et non par

leur identité pathogénique.

3° Ma considération théorique : de même que l'harmonie de l'innervation

actionnant la marche normale peut être altérée, etc., qui se trouve à la fin

de mon article ne se rapporte pas seulement au premier cas cité, mais à

tous les deux. En y mentionnant l'hystérie comme une cause de l'akathi-

sie, j'avais de même dans mon esprit l'hystérie en général dans laquelle on

observe diverses lésions motrices causées par l'amnésie ou par la paraly-

sie, mais aussi divers mouvements forcés, coordonnés et systématiques.

Or, il ne peut pas résulter de la comparaison citée que je voudrais

identifier l'akathisie hystérisque, causée par la paralysie, comme MM. Ray-

mond et Janet la décrivent, avec celle que j'ai pu observer dans mes cas.

Comme les pensées ou les sensations diverses peuvent causer par une

association sans frein les pensées et les sensations les plus bizarres et les

plus contraires ainsi que les impulsions, dans l'hystérie et dans les états

psychasthéniques, de même les innervations systématiques diverses peu-

vent produire par la même cause des innervations irrésistibles et forcées

des groupes musculaires et des organes divers. De là notre akathisie, de

là le phénomène observé chez une fille hystérique, qui étant assise était

atteinte immédiatement d'une attaque, comme le communique M. Joffroy,

296 HASKOWEC

ou l'expérience d'après laquelle l'individu toujours dans la position assise

était pris de narcolepsie.

La cause de l'akathisie sera différente. On pourra certainement l'obser-

ver dans les maladies diverses et dans les états divers, mais toujours sur

la base psychasthénique, comme je l'exprime dans ma publication en fai-

sant observer le caractère d'ordre-fonctionnel et cortical de la maladie

même.

Le second de mes cas s'approche déjà plus du cas et de l'interprétation

des auteurs cités que le premier, mais il n'est pourtant pas entièrement

identique avec le leur.

Dans leur cas il s'agit de l'akathisie provenant de la phobie émanant de

l'aboulie professionnelle, ou de la forme de kathisophobie, tandis qu'on

n'a pas remarqué, dans mes cas, l'élément phobique.

J'ai eu l'idée aussi de la même interprétation que MM. Raymond et

Janet quant à mes cas, mais je ne pouvais pas l'adopter, même pour le

second cas. Nous pouvons bien juger d'après l'analogie d'autres syndro-

mes semblables que l'on pourra observer entre mes cas etcelui de MM.Ray-

mond et Janet quelques cas de transition et que l'on connaîtra même

d'autres types d'akathisie obsédante.

Je crois que j'ai fait suffisamment voir dans mes deux cas le caractère

impulsif deces mouvements ayant pour cause l'akathisie (j'ai fait remarquer

clairement : contre la volonté du malade, la conscience étant claire, etc.) et

que je m'approche de l'interprétation de MM. Raymond et Janet quant à

l'idée fondamentale, quoique je n'aie pas pu appliquer leur interprétation

à mes cas ; ce qui est bien naturel, vu les différences qui existent entre les

cas appartenant au grand groupe des phénomènes obsédants et impulsifs.

Mon premier cas est l'akathisie à l'instar du tic musculaire ou de la myo-

clonie, le second représente le cas de transition vers l'akathisie émotion-

nelle et le cas de MM. Raymond et Janet représente, d'après mon opinion,

la vraie kathisophohie. Si nous voulions même à tout prix ranger notre se-

cond cas parmi les aboulies professionnelles (nous ne nous y sentirions

pas autorisé), nous le placerions parmi les aboulies sans phénomènes

émotionnels (impulsions à la marche, crampe des écrivains, tic, etc.),

comme ils nous en donnent des exemples à la fin de leur très intéressante

publication.

Donc, les cas communiqués par moi et ceux de MM. Raymond et Janet

trouvent place dans mon schéma décritau Congrès de Paris, en 1900 : mes

cas appartiennent à la sphère des lésions motrices primaires (le second cas

se trouve à la frontière de la sphère motrice et émotionnelle) ; le cas de

MM.Raymond et Janet appartient à la sphère émotive,dont les lésions affec-

tives primaires sont suivies par des lésions motrices secondaires.

USAGES DES BANQUETS CHEZ LES CELTES

ORIGINE DES CROYANCES AUX FÉES ET AUX LUTINS

PAR

DUCREST DE VILLENEUVE.

J'ai démontré dans un précédent article, « l'Alcoolisme en Breta-

gne», qu'il fallait, pour trouver l'origine de ce défaut chez les habitants de

la Petite-Bretagne, remonter le cours des siècles jusqu'au temps où vivaient

nos ancêtres, les Celtes et les Kymris. La même démonstration peut être

faite pour tous les peuples d'origine celtique, car leurs plus vieux monu-

ments littéraires nous ont conservé le récit de leurs festins où de leurs

agapes, auprès desquels nos banquets semblent des dînettes d'enfants.

En effet, quel est le souverain ou le ministre qui, de même que Louarn

(le Renard), chef des Vénètes, donnerait des festins dans une enceinte de

12 stades de circonférence (1), et mettrait à la disposition de ses invités

des citernes remplies de vin, de bière et d'hydromel ? Lequel, ainsi que

Fingal, roi de Morven, embraserait cent chênes pour éclairer sa table ? (2).

L'on peut me répondre qu'au xxe siècle, la qualité des mets et le con-

fortable moderne remplacent avantageusement l'abondance de nos pères ;

que la lumière électrique vaut bien toutes les torches fumeuses d'Armor et

de Grande-Bretagne, quels qu'en puissent avoir été le nombre et la gran-

deur. On peut m'objecter aussi qu'un bon fauteuil vaut mieux que des

peaux d'ours, d'aurochs, des quartiers de roche ou des sièges de bois gros-

siers, mais certainement la nourriture de nos pères devait être plus saine,

et leurs boissons plus naturelles que les nôtres, et, par suite, leur abus

moins dangereux.

Leur menu était d'ailleurs fort simple et se composait simplement de

viande de porc, de quartiers de venaison, produit de leurs chasse, rôtis

devant un immense brasier; de laitages, d'herbes sauvages, et probable-

ment aussi de poisson.

(1) 1 Stade, longueur de 184 mètres.

(2) Ossian.

298 DUCREST DE VILLENEUVE

La plupart des peuples celtes, ou bien ignoraient, ou bien méprisaient

le luxe efféminé des Romains. D'après les auteurs latins, les plus sobres

étaient les Celtes armoricains; aussi vivaient-ils jusqu'à 120 ans. D'après

ces mêmes auteurs, et d'après les légendes, les maladies étaient peu nom-

breuses chez eux, et ceux qui ne mouraient pas de morts tragiques s'étei-

gnaient de vieillesse.

De même que pendant nos banquets nous aimons à entendre quelque

bon orchestre interpréter les chefs-d'oeuvre des maîtres, nos pères dans

leurs festins aimaient à entendre rappeler leurs exploits, et ceux de leurs

ancêtres. Chez les Celtes de la Grande-Bretagne, les chefs puissants et

renommés avaient, chacun, plusieurs bardes attachés à leur personne et à

leur famille, à la fois prêtres, poêles et gardiens des traditions ancestrales

et des fastes de leur maison. Pendant que l'hydromel et la cervoise cir-

culaient à la ronde, ces harmonieux improvisateurs venaient au milieu

des convives, retracer, dans leurs poèmes, les hauts faits des héros leurs

maîtres, ou célébrer la beauté des vierges objets de leurs pensées.

Les bardes se servaient d'une petite harpe portative pour accompagner

leurs chants, et cet instrument devint l'emblème de leur ordre et le sym-

bole de l'inspiration.

Un hymne de sainte Brigitte, fille du druide Dubtak, nous donne une

idée des chants bardiques et des banquets irlandais.

Jeune fille d'une grande beauté, Brigitte allait dans les fêtes et les as-

semblées des princes lutter de poésie avec les plus célèbres bardes. La

renommée de sa grâce et de ses chants s'était répandue dans toute l'Ir-

lande. Ayant entendu la parole de saint Patrice, elle embrassa la religion

chrétienne, mais garda dans sa nouvelle existence l'ardeur de son intelli-

gence poétique et ne brisa pas sa harpe : . elle chanta la charité du Christ,

comme elle avait naguère chanté le soleil, symbole druidique du créateur,

son cher Pays d'Erin, et les merveilles de la nature.

Je pense, qu'il n'est pas sans intérêt dé citer ici cet hymne, l'un des

spécimens trop rares de la poésie bardique, dont un zèle mal entendu des

Irlandais du moyen âge, anéantit, ou transforma le plus grand nombre :

« Je voudrais des viandes de foi et de piété sainte ; je voudrais des ins-

truments de pénitence dans ma demeure.

« Je voudrais des hommes du ciel plein ma maison ; je voudrais que des

cuves d'union y fussent à leur service.

« Je voudrais de grandes coupes de charité pour les distribuer, je vou-

drais des cuves pleines de grâces pour mes compagnons.

« Je voudrais que la paix fût la reine de leurs banquets ; je voudrais que

Jésus lui-même régnât sur eux.

USAGE DES BANQUETS CHEZ LES CELTES 299

« Je voudrais que les trois Marie d'illustre mémoire, que tous les esprits

célestes accourussent ici de toutes parts.

« Je voudrais un lac'd'hydromel pour le roi des rois ; je voudrais que

le peuple du ciel y bût pendant l'éternité ! »

L'on voit, par ce morceau de poésie, que l'hydromel était aussi la bois-

son favorite des Irlandais, vers le v° siècle de noire ère ; que cette boisson

devait être versée dans de grandes cuves où l'on allait puiser à même.

Enfin on peut aussi en conclure que c'était un honneur pour l'amphi-

trion de voir, autour de sa table, beaucoup de gens illustres. ,

En général, les convives se réunissaient autour d'une ou de plusieurs

énormes tables rondes, bien avant le règne d'Arthur et les exploits de ses

fameux chevaliers, et il est même probable que leur titre de « chevaliers

de la tahle ronde » vient de cet antique-usage observé dans les repas cel-

tiques, et cités par Posidonius, à propos des Gaulois.

Presque toujours, chez ces derniers, les trop nombreuses libations et

les chants des bardes exaltant le courage des ancêtres et des guerriers pré-

sents, finissaient par échauffer l'humeur belliqueuse des convives, par su-

rexciter leur imagination, et trop souvent la fête se terminait par une ba-

taille en règle et par quelque drame sanglant : les chants et le vin les

rendaient plus farouches et plus terribles.

L'abondance des banquets celtiques, et le désir de voir à table de nom-

breux convives, se retrouve encore de nos jours chez les paysans bretons ;

aussi quand l'un d'eux invite son voisin à une fête quelconque, il a bien

soin de lui recommander de mettre la clef sous la porte, afin de lui don-

ner à entendre par là que tous, maîtres et valets, sont compris dans l'invi-

tation. D'un autre côté, les gens invités aux noces ne pensent pas pouvoir

faire un plus grand honneur aux mariés qu'en venant le plus nombreux

possible ; aussi voit-on souvent, à ces noces, quatre à cinq cents convives.

Dans le Léon, on trouve encore de ces improvisateurs populaires,

hommes ou femmes, vrais descendants des bardes; ils sont connus à

plusieurs lieues à la ronde et sont conviés à toutes les réunions. Ils y

débitent des discours de circonstance en vers bretons, discours célèbres

dans le pays, ou simplement puisés dans leur vive imagination. Ces poètes

rustiques, et dont la plupart de vieilles gens, sachant tout au plus lire, se

rencontrent surtout chez les meuniers et les tailleurs. J'ai connu un de

ces bardes populaires en jupon ; cette femme, très intelligente, parlait un

breton d'une grande pureté, mais ne voulait pas parler français, de.peur

de ne pas y retrouver les vives images dont sa pensée, à tous les instants,

sentait le besoin, pour s'exprimer. Marie Rousse, notre barde en ques-

tion, avait environ 60 ans, une figure anguleuse, une démarche quelque

peu masculine, mais des yeux admirables, brillants comme des escarbou-

300 DUCREST DE VILLENEUVE

cles, et pétillants de malice ; jamais à court de réparties, elle commençait t

à vous débiter ses pittoresques histoires en langage vulgaire, mais s'é-

chauffant petit à petit, les terminait en joli breton rimé.

Ainsi que je l'ai déjà dit, il y avait aussi chez les Celtes des banquets

religieux, en l'honneur de la lune, symbole de Korridgwenn, déesse de

la divination et de la nature. D'autre part, les Gaulois honoraient aussi le

soleil, comme symbole de l'Etre suprême, créateur de toutes choses, sous

les noms de Bélenus, Taranus, et Mithra.

Les initiés aux mystères du culte solaire étaient partagés en plusieurs

confréries, ayant chacune pour symbole une constellation céleste. Au

contact de la civilisation et du paganisme romain, le druidisme perdit

beaucoup de sa grandeur, et sa pureté s'altéra au point que les druides

enfermèrent leurs divinités dans des temples, à l'exemple des Romains et

les représentèrent sous des formes d'êtres vivants, coutumes regardées

comme sacrilèges par leurs ancêtres. Les initiés au culte solaire prirent

aussi l'habitude de célébrer les fêtes du dieu par des danses et des festins,

déguisés en taureaux, chiens, béliers, etc., selon les figures que l'on sup-

posait formées par ces diverses constellations.

Après l'établissement du christianisme en Gaule, et sous la domination

des premiers rois francs, ces cérémonies continuèrent à se célébrer, mais

donnèrent lieu à de telles extravagances, que des conciles et des édits

royaux ordonnèrent l'abolition du culte druidique, prescrivirent les

druides et leurs emblêmes religieux.

Les Gaules, et surtout l'Armorique, étaient encore à cette époque cou-

vertes de forêts impénétrables ; les proscrits se réfugièrent au fond des

halliers où il fut impossible de les poursuivre, et par les nuits de pleine

lune, le peuple, chrétien pendant le jour, allait les retrouver, déposer

des torches au pied des vieux symboles, et célébrer avec grand mystère,

les cérémonies au culte des ancêtres. Malgré les rigueurs de la persécution,

le druidisme vécut mystérieusement pendant de longues années, et au

ixe siècle, Charlemagne dut renouveler les ordonnances de proscription,

contre des adversaires qui, en soulevant les peuples, le forçaient à

reconquérir à tous moments les diverses provinces de son empire.

L'aspect fantastique des druides et des druidesses, vêtues de longs vête-

ments blancs et dansant sous les rayons blafards de la lune, en agitant

des torches ; leurs agapes mystérieuses au pied des menhirs donnèrent

naissance aux fables du sabat et des fées dansant la nuit sur la bruyère,

superstitions qui se sont conservées d'âge en âge jusqu'à nos jours. Plus

d'une fois aussi les druides durent immoler, aulant à leur vengeance

qu'à leurs dieux, ceux de leurs ennemis qui les surprenaient à la célébra-

tion des rites mystérieux ; de là ces accusations de pratiques sanguinaires,

USAGE DES BANQUETS CHEZ LES CELTES 301

dont on chargeait encore, au moyen âge, les prétendus auteurs du sabat.

Je pense que l'on peut également retrouver l'origine des croyances

aux paetred ar zabat, qui changent de formes à volonté, dans le souvenir

des initiés aux mystères de Belenus, Taranus et Mithra, dansant sous

diverses figures d'animaux, et obligés, eux aussi, devant les persécutions,

de ne célébrer leurs mystères, qu'à la faveur des ombres de la nuit, et

dans quelque lieu désert. Les corrigans, les lutins, les fées, changeant à

volonté de formes, doivent aussi avoir leur origine dans la soi-disant

faculté, que nos pères attribuaient à leurs prêtresses, de revêtir diverses

formes d'animaux, de circuler invisibles dans les rivières ou de voyager

sur les eaux ; l'on se souvient en Bretagne, en effet, que ces esprits malins

ont une préférence marquée pour les lieux humides, marais ou ruisseaux.

D'autre part, les Celles reconnaissaient une foule de génies secondaires,

peuplant les lacs, les rivières et les forêts. Toute l'antiquité a cru à des

esprits supérieurs à l'homme et chargés de commander aux différents

éléments de la nature, et l'on retrouve à peu près dans tous les pays la

croyance à ces êtres fantastiques, tantôt bons et serviables, tantôt mé-

chants et ennemis jurés de la race humaine. Il semble, d'après les légen-

des, que les premiers apôtres de la Bretagne et des Gaules, en greffant

le christianisme sur la religion des druides, ne détruisirent pas cette

croyance aux esprits secondaires répandus dans la nature; ils les iden-

tifièrent avec les démons et prononcèrent l'anathème, contre ceux qui

leur rendaient un culte quelconque. Mais le peuple ne perdit pas partout

l'habitude de demander aide et protection à ces anciens amis, plus voisins

de sa demeure, lui semblait-il, que ses nouveaux et saints patrons.

Les conciles eurent ensuite, beau fulminer, ils eurent beau leur ensei-

gner que ces êtres mystérieux n'étaient que les enfants de leur imagina-

tion, ces croyances se sont propagées à travers les siècles, jusqu'à nos

jours.

POSSÉDÉS GUÉRIS PAR. LES RELIQUES DE SAINT ETIENNE

(D'APRÈS UNE TAPISSERIE BERRICHONNE DU XVe SIÈCLE) °"

PAR

A. MARIE

Les oeuvres d'art ancien sont nombreuses qui offrent la figuration con-

ventionnelle de la folie d'après la conception mystique, courante au moyen

âge, de l'intervention diabolique.

L'Iconographie de la Salpêtrière a continué l'oeuvre poursuivie dans les

Démoniaques dans l'art, de Charcot et Paul Richer.

Des documents ont été tirés des primitifs imagiers, des peintres, émail-

leurs, enlumineurs, orfèvres, ciseleurs, etc.

L'art gréco-byzantin dans ces derniers temps a pu fournir, comme l'art

chrétien de l'Occident catholique, des monuments curieux publiés ici même

par M. IIeitz.

Partout en voit la figuration classique et comme stéréotypée des diables

s'échappant du cerveau des malades présumés possédés.

La tapisserie peut fournir aussi de tels sujets, ainsi que l'ont montré

également MM. Charcot et Richer, et plus récemment encore M. IIenry

Meige à propos des tapisseries de Reims (miracle de saint Remi) (Icono-

graphie, 1901, p. 97, p. 1-IX).

Nous en rapportons un exemple nouveau recueilli au musée de Bourges,

où la colonisation familiale des aliénés de la Seine nous amène fréquem-

ment depuis plus de dix ans.

Par une bizarre coïncidence,il s'agit dans celte tapisserie du transport

sur les rivières de la région de reliques de saint Etienne, patron de l'église

paroissiale de Dun-sur-Auron et de l'évêché de Bourges.

Curieuse prédestination de Dun-sur-Auron qui, comme Gheel, jouirait

depuis plusieurs siècles d'une influence mystique et inattendue pour la cure

de la folie.

C'est du moins ce que célèbre la tapisserie dont nous donnons ici la re-

production (PI. LVIII).

On y voit, en effet, deux groupes significatifs :

A gauche flotte une barque avec la châsse contenant les reliques prés

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. PI. LVIII

POSSÉDÉS GUÉRIS PAR LES RELIQUES DE *SAINT ÉTIENNE

d'après une tapisserie berrichonne du XVe siècle.

(A. Marie).

Masson & C`·, Editeurs

POSSÉDÉS GUÉRIS PAR LES RELIQUES DE SAINT ÉTIENNE 303

cieuses de saint I;tienne; autour prie un groupe de belles et dévotes dames

en hennin de l'époque de Charles VII.

A l'avant, un seul homme, batelier ou moine (l'un et l'autre peut-être),

à genoux semble-t-il, en robe à capuchon, coiffé d'une sorte de fez ou

bonnet rappelant un peu celui de Louis XI.

Deux anges soulignent la sainteté du chargement de la barque en pla-

nant au-dessus d'elle.

A droite, la silhouette d'une ville forte ou château : tours d'angles, ron-

des, à crénaux, portes aux armoiries barrées d'argent à 3 crosses d'or (un

évêché sans doute, Bourges peut-être).

Devant la porte de ville ouverte et sur la berge de pierre, un groupe de

miséreux, béquilleux, au-dessus des têtes desquels s'envole, noir et vert

un diable grimaçant à triple griffe de caméléon.

L'onde et la flore à terre sont naïves et archaïques, les malades sont en

prière et l'un d'eux porte la main au front en se relevant à demi. Une

inscription complète l'expression du tableau, la deuxième ligne très nette

spécifie que : ...plusieurs malades furent guéris. L'usure empêche de

déchiffrer dans quelle circonstance exacte le fait se produisit, ce que

déterminerait évidemment la première ligne de l'inscription.

A quelle époque remonte cette tapisserie et à quelle région se réfère sa

fabrication ?

Nous avons eu recours, pour tâcher de le déterminer, à l'aimable obli-

geance de M. le Président de la Commission du Musée de Bourges, dont

le père fut aussi celui du Musée de cette ville si riche en variés et curieux

souvenirs d'art.

Grâce n'obligeance de M. D. Mater nous avons pu obtenir l'autorisa-

tion de photographier la tapisserie décrite et relever aux registres du

Musée sa provenance.

Elle faisait partie d'un legs dont le Musée bénéficia vers 1840 de la part

d'un bienfaiteur d'Issoudun.

Aucun autre renseignement d'origine n'étant annexé au registre, nous

avons étendu nos recherches sur les indications de M. Mater aux travaux

du LXV" congrès d'Archéologie de France tenu précisément à Bourges

en 1898.

A son occasion furent étudiées et décrites des tapisseries de facture assez

analogue à la précédente, quoique plus récentes et d'un caractère moins

archaïque.

Je veux parler d'une série incomplète de tapisseries citées à l'inventaire

de la chapelle ancienne de Saint-Ursin près de Bourges, retrouvées dans

les combles du séminaire diocésain et données aussi au Musée. Ces tapis-

series ont été décrites par M. Mater et M. l'abbé Guitard.

304 MARIE

Elles portent en tête, comme celles que nous citons, des inscriptions

analogues relatant et expliquant les tableaux qu'elles soulignent.

C'est en une série de tableaux les faits saillants delà vie du saint

jusques et y compris le martyre, la mort et le transport des reliques.

C'estce dernier tableau seul que possède lemusée touchant saint Etienne ;

c'était aussi apparamment le seul intéressant à notre point de vue comme

figuration de cure de la folie par fuite du démon s'envolant de têtes

guéries.

Les tapisseries de Saint-Ursin, de même caractère etde même facture que

la nôtre, quoique plus récentes, ont pu être déterminées par MM. Mater

et Guitard comme de provenance locale.

Elles furent selon toute probabilité tissées à Bourges même par des

artistes étrangers appelés de Paris et des Flandres.

C'était alors l'usage de faire venir les ouvriers spéciaux pour les faire

travailler sur place ; c'est ainsi que, dès 1385, Jean de Berry installait dans

la grande salle de son palais de Bourges des tapissiers pour un travail

commandé (1).

Un certain nombre de ces ouvriers spéciaux étaient ainsi fixés à demeure

en Berry ; la ville de Bourges, où la draperie était alors dans toute sa pros-

périté, cherchait à implanter dans ses murs l'industrie artistique qui avait

pris un si brillant développement dans le nord de la France. On peut en

effet lire dans les comptes de la ville dès 1561 : « a p. de IIercelin, tapicier

de haute lice C S T pour subvenir aux frais qu'il a convenu faire pour

l'abituer en cette ville » (2).

C'est vers le milieu environ de la période écoulée entre les deuxprécé-

dentes dates que nous placerions l'époque de la confection de la tapisserie

de saint Etienne précitée, soit dans la seconde moitié du xve siècle.

L'armoirie citée au-dessus de la porte de ville pourrait, par une élude

de l'armorial local de l'époque, permettre d'établir la ville représentée

ou peut-être le donateur des tapisseries à une des nombreuses églises

consacrées à saint Etienne.

Nos connaissances en matière d'armorial ne nous permettent pas de

tenter cette recherche.

Qu'il nous suffise d'appeler par cette note l'attention sur un nouvel

exemple d'art ancien où se retrouve une fois de plus la curieuse manifes-

tation en quelque sorte stéréotypée à l'époque delà croyance à la nature

démoniaque de la folie.

(1) A. d.c. CHAMEAUX et P. GAUCHERY, Les travaux d'art exécutéspar Jean de France,

duc de Berry, p. 179).

(2) Baron de GIRARDOT, Les artistes de la ville et de la cathédrale 'de Bourges,

p. 31.

LES POSSEDES DE L'EGLISE SAINTE-DYMPHNE A GHEEL

PAR R

PAUL MASOIN et HENRY MEIGE

I

* Au coeur de la Campine, sur les confins de la Belgique et des Pays-

Bas, s'étale, au milieu d'une vaste plaine fertile, la calme commune de

Gheel.

Gheel, c'est le « paradis des fous ». Et, en vérité, c'est la plus ancienne

colonie familiale d'aliénés, aujourd'hui encore l'une des plus prospères.

Qui touche à la folie frôle toujours un peu de mystère. Aussi, naturel-

lement, Gheel a sa légende. La voici :

Au vne siècle, vivait en Irlande une princesse très chrétienne, nommée

Dymphne. Le roi, son père, un affreux païen, se prit pour elle d'une

passion incestueuse, au point que la princesse fut forcée de prendre la

fuite. Elle se réfugia à Gheel où elle vécut pieusement, donnant l'exem-

ple de toutes les vertus. Mais le roi, poussé par son criminel amour, finit

par découvrir la retraite de sa fille, et, ne pouvant triompher de sa ver-

tueuse résistance, n'hésita pas à l'occire de ses propres mains.

Cette fin tragique consacra la réputation de sainteté de la princesse.

Morte vierge et martyre, elle méritait bien d'être canonisée.

Le tombeau Sainte Dymphne devint ainsi un lieu de vénération. On

connut qu'il s'y faisait des miracles. Gheel fut bientôt un centre de pèle-

rinage, où les malades et les infirmes affluèrent de tous côtés.

On y voyait surtout des possédés (beseteaen), des ensorcelés (betooveren)

et toutes sortes d'insensés (oHHooM/s), de simples (simpele) et d'innocents,

en quête d'une guérison (1). Probablement, la princesse Dymphne,

(1) Voy. pour certaines particularités de l'histoire de Gheel, le travail que l'un de nous

a publié avec le Dr Frans Meeus. PAUL Masoin et FRANS MEEus, Notes et documents

sur le Gheel ancien (Annales de la Soc. de médecine de Gand, 1902 ; id. dans les Actes

du Congrès d'Assistance des aliénés, Anvers, 1902).

xvi 21

306 . P. MASOIN ET UEi'OEY MEIGE

de son vivant, s'était signalée par quelques cures merveilleuses de pauvres

diables névropathes, et, selon la coutume, la foi dans cette vertu cura-

trice se perpétua autour de son tombeau.

Ce qui est certain, c'est que dès le xue siècle Gheel était déjà un lieu

de rendez-vous pour les aliénés et les nerveux : les principaux fervents de

sainte Dymphne se composaient de fous, d'idiots et d'imbéciles, d'hys-

tériques et d'épileptiques.

La tradition voulant que tous les accidents névropathiquesetpsychopa-

thiques fussent des manifestations de l'esprit malin, le seul traitement

qu'on songeât à leur opposer se bornait alors à des pratiques religieuses.

Une grande attaque convulsive, un délire extravagant ne comportaient

qu'une sorte de médication : l'exorcisme du démon, unique cause de tou-

tes les gesticulations désordonnées, de toutes les divagations incohérentes.

Aussi, de bonne heure, vit-on des prêtres et des religieux prendre la di-

reclion des cures rituelles.

Gheel devint par là un centre thaumaturgique de premier ordre. Tout

le mérite, assurément, en revient à ses organisateurs religieux. D'autre

part, et d'accord avec les autorités ecclésiastiques, le pouvoir communal

prescrivit, à diverses reprises, des mesures dont on ne peut qu'apprécier

la judicieuse sagesse.

En 1526, le bailli Aartvan Broeckhoven « fit décider devant le ban du

seigneur que si un pèlerin se suicidait par submersion ou de quelque

autre manière, le seigneur n'aurait aucune action ni droit tant à l'envers

du mort qu'à l'égard de ses biens ».

Et, d'une ordonnance de 1548 il ressort clairement que les malades

étaient considérés légalement comme irresponsables. '

Voilà bien les premières bases d'une législation concernant les aliénés.

Et voici qui démontre que, déjà un siècle auparavant, les habitants de Gheel

hébergeaient, moyennant finances, les « insensés » venus en pèlerinage.

Le bailli Jean van Roye (1457-1483) stipula, en effet, que les aliénés ne

seraient admis à Gheel que sur une demande expresse de leur famille.

« D'accord avec le Collège des échevins, il prit également toutes les

mesures pour assurer à ses concitoyens le paiement de la pension (des

aliénés ici placés). Il fit passer par le Collège des échevins les accords

intervenus entre familles pour le placement des aliénés » (1).

Au xve siècle, la colonie familiale de Gheel élait donc fondée, et

fonctionnait selon des règlements fort sages.

(1) Voy. 111EEUS et P. Masoin, loc. cit. Il est à noter que ces textes sont la traduction

très littérale des ordonnances rédigées en flamand. Ces dernières sont reproduites

dans l'ouvrage si intéressant du chanoine JANSSENS : Gheel, imp. à Turnhout, 1900 j

300 p., nomb. fig. (en flam.).

LES POSSÉDÉS DE SAINTE-DYMPIlNE 307

Ceci s'était produit insensiblement, par la force même des choses :

La réputation de Gheel allait croissant; le nombre des « insensés » qui

s'y rendaient croissait de même. Au commencement, on leur avait réservé

quelques cellules dans une dépendance de l'église, où ils demeuraient

durant la neuvaine qu'on leur imposait. Mais bientôt ce local devint in-

suffisant et on songea à les loger chez l'habitant. Accoutumée de longue

date à voir des fous, la population n'éprouvait pas à leur contact cette

appréhension qui va souvent jusqu'à la terreur dans la plupart des milieux

rustiques. Elle consentit volontiers à les héberger, quelquefois peut-être

par charité pure, le plus souvent moyennant une rémunération.

Ainsi la bienfaisante intervention de sainte Dymphne s'étendit à la fois

sur les visiteurs de la commune de Gheel et sur ses habitants.

Un « Collège des dix vicaires », auquel succéda en 1562 l'ordre des

Chanoines de Ste-Dymphne, prit en main toute l'organisation : répartition

et surveillance des aliénés, exorcismes, logement et'nourriture, pratiques

religieuses, comptabilité, observations médicales, rapports avec les auto-

rités laïques, etc., tout était de leur ressort, et ils s'acquittaient de ces

fonctions multiples avec le plus grand zèle.

« Tous les aliénés étaient admis sans distinction aucune. A leur arrivée

à Gheel, on les envoyait à l'église Sainie-Dympline pour être soumis aux

pratiques religieuses ; ils demeuraient neuf jours dans une dépendance

de l'église (sieckenkamer, littéralement : chambre des malades), dont les

cellules en beau bois de chêne se voient encore aujourd'hui en excellent

état de conservation. Durant ce temps, les aliénés étaient confiés à des

« sieckenwaersters « (infirmières) au nombre de deux pour les 4 malades

que pouvait héberger Pédicule. Ces personnes n'appartenaient à aucun

ordre religieux et ne portaient aucun costume spécial ; c'étaient des fem-

mes d'une certaine culture intellectuelle qui consentaient à accorder

leurs soins aux aliénés. Elles étaient sous la dépendance immédiate des

autorités ecclésiastiques et n'étaient nommées que pour un an, sauf con-

firmation pour un nouveau terme. Elles étaient installées officiellement,

et les Archives disent quel esprit et quelles qualités on réclamait de ces

personnes pour l'accomplissement de leurs fonctions. En 1642, les frais

de séjour, y compris les offrandes, frais de surveillance, de lavage, de

séchage ( ? ) et de chauffage (boeten, bewaren, wassen, vringhen, ende

brand) s'élevaient à 6 florins environ

« A leur sortie de la chambre d'exorcisme et de dévotions, les malades

étaient repris par leur famille, ou demeuraient chez des particuliers.

Toutes les maisons n'étaient pas aptes à héberger des aliénés ; le choix en

était réservé aux chanoines de Ste-Dymphne. »

Il ne faudrait pas croire cependant que tous ces soins fussent donnés

q08 P. MASOIN ET HENRY MEIGE

pro Deo (oiaGods mille). Exception faite pour quelques indigents, chaque

pèlerin devait fournir à l'église son propre poids de seigle, qu'il était

tenu de mendier. Et pour éviter les erreurs faciles, il y avait, à cet effet,

dans l'église de Ste-Dymphne une balance spécialement réservée à la

vérification de ces honoraires tarifés au boisseau : le fou léger y gagnait

un peu ; mais on se rattrapait sur les poids lourds. Quoi qu'il en soit, de

bonne heure déjà les offrandes des fidèles furent assez conséquentes pour

permettre d'édifier au xive siècle, au lieu et place de la petite chapelle

primitivement consacrée à sainte Dymphne, une église monumentale dont

on peut admirer aujourd'hui les vastes proportions.

a Le récit des merveilles dont l'église de Ste-Dymphne fut le siège est

consigné dans les écrits de P. Cameracensis (avant 1247), dans les

Archives de l'église, dans le Liber innocentiwn (1687-1797) dans des let-

tres de chanoines, voire même dans des attestations de baillis, échevins et

notaires de l'endroit. Certains de ces documents mentionnent les circon-

stances du transport de l'aliéné, ou portent des notes sur l'état psychique

antérieur du sujet ; d'autres renseignent sur le début et l'évolution de la

maladie, sur l'état des malades à leur arrivée à Gheel, ultérieurement sur

les effets des pratiques religieuses, et, éventuellement, sur la guérison du

malade.

Celle-ci éclatait parfois brusquement au cours des exercices religieux ;

d'autres fois, elle ne se produisait qu'après un séjour plus ou moins pro-

longé à Gheel. Certaines d'entre elles furent l'objet de démonstrations

publiques.

Les malades guéris demeuraient encore quelque temps à Gheel, et les

Archives mentionnent expressément si la guérison se maintenait durant

ce temps d'épreuve. Bien plus, parfois même plusieurs années après,

les malades guéris revenaient à Gheel à certaines solennités religieuses et

faisaient alors constater le maintien de leur guérison » (1).

Les prêtres consignaient également dans leurs Archives, et particulière-

ment dans le Liber innocentium, quelques détails sur les symptômes de la

maladie, renseignements d'ailleurs assez vagues. En voici quelques exem-

ples (2) :

Une femme-hystérique sans doute avait « le cerveau torturé, puis

le coeur, puis les jambes, puis les bras, et même tout le corps ; enfin, vers

la mi-carême, elle eut les sens si troublés qu'on dut la lier des mains et

des pieds ».

(1) Ibill., loc. cil.

(2) Les textes originaux sont en flamand ; voir les travaux cités plus haut.

LES POSSÉDÉS DE SAINTE-DYMPHNE 309

Un idiot ou un dément, « était atteint de grande simplicité, totale-

ment dépourvu d'intelligence, ne sachant ni prier, ni lire, ni dormir la

nuit, étant comme un enfant innocent ».

Un autre « était absolument muet, courbé de corps et impotent,

reposant et s'asseyant toujours, la têtejoignant les genoux..., couché huit t

jours durant sans ouvrir les yeux ni manifester aucun désir, de manière

que lui aussi paraissait totalement malade et innocent, sans pouvoir utili-

ser son intelligence ».

Un persécuté « était tourmenté avec fureur et rage par le mauvais

esprit, au point qu'il déclarait que ce n'était pas à dire ».

Un autre « était totalement pris de fureur et de grande confusion, de

sorte qu'on pouvait difficilement le tenir au lit, ne pouvant dormir ni la

nuit ni le jour, voulant toujours fuir, faisant grand vacarme de cris et

gesticulations ».

Un dernier « ayant perdu deux filles de la peste, s'en tourmenta si

fort, qu'il tomba dans une grave maladie dont il demeura avec une im-

potence des jambes et des membres..., mutisme et un état intellectuel très

misérable ».

La plupart de ces malades n'arrivaient à Gheel qu'après avoir épuisé

toutes les ressources de la médecine laïque. L'un d'eux avait consulté

« presque tous les médecins de Malines,... mais sans aucun résultat». Une

femme du village d'Alem avait été saignée deux fois au front par un chi-

rurgien, puis « enfermée et liée dans une chambre obscure ? et personne,

sauf les gens préposés à sa garde, ne pouvait s'approcher d'elle » ; procédé

d'isolement assurément judicieux, mais, dans l'espèce, inefficace.

A Gheel, toute thérapeutique était abandonnée. Les pratiques religieu-

ses l'emportaient. Il n'est guère question que des moyens de contrainte

employés contre les grands agités, qui devaient être « liés des pieds et

des mains pour les empêcher de nuire à eux-mêmes et à autrui ». Encore

ces mesures de précautions étaient-elles édictées surtout par les baillis,

afin de prévenir des accidents chez les habitants qui hébergeaient les

aliénés. Il est probable qu'à diverses reprises on avait eu à déplorer des

méfaits, comme en témoignent les ordonnances suivantes :

Ordonnance du 16 février 1676 (bailli Martin Van Cauwegom) : Le bailli et

les échevins ordonnent que tous ceux qui hébergent des fous ou des sots,

lieront ceux-ci des pieds et des mains de telle sorte qu'ils ne puissent nuire à

personne. sous peine de responsabilité des méfaits et nuisances ; et qu'ils les

empêcheront d'entrer dans l'église paroissiale de St-Amand, sous peine d'une

amende de 6 florins. Pour copie : BLEREAU.

310 P. MASOIN ET BENRY MEIGE

Ordonnance du 6 mai 1747. Le bailli et écbevins ayant reconnu que les

fous causent différents désordres, qu'ils ne sont point surveillés, qu'ils errent

librement, qu'ils se noient et causent des accidents, etc., ordonnent que tout

fou ou sot retenu par des entraves n'entre plus dans l'église de St-Amand ou

de Ste-Dymphne sans être accompagné de son nourricier ; qu'aucun aliéné ne

sera pins entravé ou lié sans connaissance préalable et permission du révérend

doyen collégial pour ceux qui seront placés à l'infirmerie attachée à l'église

de Ste-Dymphne et pour tous les autres aliénés, sans la permission du bailli,

le tout sous peine de 6 florins d'amende.

Item, ordonne que tout nourricier d'aliénés appartenant la religion catho-

lique romaine s'adressera soit au révérend doyen collégial, soit au curé, afin

qu'ils puissent s'assurer si les aliénés sont capables de recevoir les Saints-

Sacrements, attendu que beaucoup meurent sans l'assistance de l'église, le tout

sous peine de 6 tlorins d'amende.

Item, que tous ceux qui tiennent des fous, provenant soit des villes, villages

ou des maîtres de pauvres, les fassent inscrire à leur nom afin de payer les

frais d'enterrements de ceux qui viendraient à mourir.'

Ordonnance du 29 janvier 17S4. Secrétaire : Bâclé.

Nonobstant les ordonnances du 16 février 1676 et du 6 mai 1747, beaucoup

de désordres ont eu lieu, provenant de ce que les nourriciers ont peu ou point

de soins de leurs aliénés, et qu'ils sont libres de telle sorte que l'on ne puisse

plus faire de distinction entre un homme fou et un homme raisonnable ; et cela,

parce que les nourriciers réprimandés répondent toujours : « Oh L mon fou ou

commensal n'est pas méchant, iT ne fait de mal à personne ; bien plus, c'est le

meilleur enfant du monde, » ou autres raisons semblables. - Nonobstant que

ces fous ne leur sont confiés que pour être tenus et surveillés chez eux ; consi-

dérant que les habitants de cette commune ne doivent par être journellement

exposés à des affronts, des tourments et des malheurs, le bailli et échevins

renouvellent les anciennes ordonnances, et ordonnent ce qui suit :

Qu'à l'avenir, les nourriciers tiendront en sûreté leurs fous ou commensaux,

soit avec des entraves, soit en les enfermant, ou de toute autre manière afin

qu'ils ne puissent faire de mal à personne, et que les nourriciers payeront

tout dommage causé par leurs pensionnaires, et qu'ils payeront en sus 6 flo-

rins d'amende.

Item, que ceux qui hébergent des fous ou aliénés, devront les surveiller et

les tenir au logis, de manière à ce que depuis la Saint-Bavon (1er octobre)

jusqu'à Pâques, ils ne sortent pas avant 8 heures du matin, et soient rentrés le

soir à 4 heures, et de Pâques à la Saint-Bavon, le matin à 6 heures, et le soir

à 7; sous peine, s'ils sont rencontrés, de payer une amende de 3 florins autant

de fois qu'ils seront trouvés délinquants, sous quelque prétexte que ce soit, et

que l'on ne pourra présenter pour excuse qu'ils ont récupéré leurs facultés,

ayant été placés comme insensés.

Item, que les nourriciers empêcheront positivement leurs aliénés de sortir

LES POSSÉDÉS DE SAINTE-DYIiPIINE 311

de leur maison avec du feu, de la lumière, ou des pipes allumées, sous peine de

3 florins d'amende».

Voici enfin une ordonnance du Conseil souverain du Brabant, en date

du 20 avril 1754, signalée par le chanoine Janssens (1).

Sur la requête de la franchise et du pays de Gheel, du bailli, des échevins,

des maîtres d'église, maîtres du Saint-Esprit, jurés, propriétaires et habitants

de ladite commune, faisons savoir ce qui suit :

« Aliénés,

« Que ni fous, ni folles, ni aliénés, ni autres ici colloques ne seront contraints

ou liés sans permission ou décret préalables de la loi de l'endroit d'où ils vien-

nent et d'où 'ils sont amenés, autorisation qui devra être montrée au très

révérend doyen du chapitre de Ste-Dymphne pour ceux qui sont placés à l'infir-

merie ; de même aussi que tous les autres il faudra montrer cette autorisation

au bailli sous peine de 6 florins d'amende pour chaque contravention... »

Cette ordonnance était introduite et motivée comme suit :

« Instruits par le grand et triste incendie dont ont souffert il' a quelque

temps la ville d'Hérenthals, le village de Casterlé et encore d'autres lieux qui

furent presque complètement réduits en cendres, jugeant utile en vue de pré-

venir et écarter semblables malheurs de leur commune (litt. franchise), qui,

en raison des nombreux étudiants et des fous qui viennent de tous côtés y

demeurer ou qui y sont placés est plus exposée à ces malheurs que les commu-

nes prénommées, prennent la résolution « ordonnent que les murs des maisons,

des étables, des granges, etc., soient faits en pierre et que les toits de ces

maisons soient couverts de tuiles ou d'ardoises » ; mais aussi ils ont trouvé

bon de faire aux mêmes fins une ordonnance publique touchant l'enfermement,

et les sorties des aliénés... qu'au surplus ces résolutions et ordonnances n'ont

d'autre but que de mettre la commune et les habitants à l'abri d'incendies,

de vols et autres accidents sous condition d'y faire régner une bonne disci-

pline ».

On peut, par ces extraits, juger de l'importance de la colonie familiale

de Gheel, aux xvn8 et xviit' siècles, et de la sagesse des prescriptions con-

cernant les aliénés.

En ce qui concerne les soins médicaux, nous sommes fort mal rensei-

gnés ; c'est qu'à vrai dire ils étaient nuls, ou ci peu près. Par contre, les

interventions religieuses se multipliaient.

L'exorcisme, tel qu'il est réglé par les lois de l'Eglise, se pratiquait rela-

tivement peu. Il fallait alors comme aujourd'hui une autorisation

(1) GIIRFL ; Voir note plus haut.

312 P. MASOIN ET HENRY MEIGE

spéciale et formelle de l'Evêque. Elle s'accordait d'ailleurs assez facile.

ment ; mais cette démarche était cependant absolument nécessaire, ainsi

qu'il résulte des registres conservés à l'église Ste-Dymphne, et particuliè-

rement du Liber iaaoceati2ca, tenu par l'Ordre des chanoines.

En revanche, on faisait incessamment des neuvaines, et des oraisons de

toutes sortes, par lesquelles « les prêtres conjuraient les esprits », d'après

un formulaire parfaitement connu.

L'exorcisme vrai était réservé pour les cas de possession diabolique

bien caractérisés. On sait que, de bonne heure, les signes diagnostiques

de la possession furent précisés, et que les malades étaient soumis à un

véritable examen clinique. On recherchait surtout chez eux l'existence de

troubles de la sensibilité, l'anesthésie à la piqûre, et cette recherche se

fit souvent avec une véritable cruauté. Le possédé devait avoir le don de

prophétie et celui de parler, sans les avoir jamais apprises, plusieurs lan-

gues étrangères, le grec surtout, et même l'hébreu ! ... Enfin, on s'attachait

à trouver sur son corps les stigmata diaboli : oedèmes, ulcérations cutanées,

troubles trophiques d'origine nerveuse, ou simplement des noevi, des

taches de vitiligo, auxquels l'imagination terrorisée par la peur du démon

prêtait toujours des formes diaboliques.

' Si, par surcroît, le prétendu possédé selon la règle un hystérique,

avait des crises tapageuses, tirait la langue, grinçait des dents, tordait

ses membres, poussait des hurlements et des imprécations, ou s'il tombait

en catalepsie, les bras en croix, comme une statue de pierre ; si encore,

dans une phase extatique, il décrivait des visions incohérentes ; ou enfin

s'il était frappé de léthargie et demeurait des heures, des jours entiers,

muet et inerte; alors, vraiment, il fallait recourir à l'exorcisme, car le

diagnostic de possession était confirmé.

Nous n'avons pas à entrer dans les détails de ce rituel. Il exigeait des me-

sures propitiatoires, des jeûnes, des macérations, des pénitences souvent

fort dures, la mise en cellule pour un temps plus ou moins long, enfin,

dans une cérémonie solennelle, qui souvent devait être répétée

l'exorciste prononçait les formules consacrées pour chasser le démon de

son habitat corporel et donnait la communion. Ce n'était pas toujours avec

succès. Les écrits des démonologues de l'époque témoignent des résis-

tances opiniâtres qu'ils rencontrèrent plus d'une fois, et ils font souvent

soigneusement mention de tous les diables qui se montrèrent implaca-

blement récalcitrants. Une seule ressource restait alors : le bûcher, dont

on fit un si lamentable abus contre les soi-disant ensorcelés et possédés -

tristes victimes de la grande névrose et du fanatisme de ces temps.

Mais la placide commune de Gheel ne connut jamais ces horreurs : la

douce image de la princesse Dymphne ne s'éclaira pas des lueurs san-

LES POSSÉDÉS DE SAINTE-DYMPHNE 313

glantes de l'autodafé. Les malheureux qui venaient l'implorer, fussent-

ils dûment reconnus possédés du diable, trouvèrent dans ce milieu habitué

de longue date aux désordres de la névrose et de la folie, un accueil

bienveillant, de la pitié, de la compassion, une foi robuste et indulgente,

non pas la foi qui tue, mais la « foi qui guérit », souveraine méde-

cine.....

Dans les dernières années du xVIIIe siècle, l'occupation française

des provinces belges vint modifier considérablement l'organisation de

Gheel. Mais, dès le commencement du XIX. siècle, le clergé de l'église

Ste-Dymphne semble avoir tenté de renouer les traditions interrompues ;

on retrouve, en effet, à partir de 1803, les annotations du Liber inno-

centium, qui durèrent jusqu'en 1850 environ. A cette époque, et même

jusqu'il y a encore quelque vingt ans, des malades vinrent parfois encore

passer une neuvaine dans la primitive infirmerie.

Tandis que, cédant à la force des événements et au cours des idées, le

régime précédent cédait ses pouvoirs, les autorités laïques s'occupèrent

davantage déréglementer l'hospitalisation des aliénés.

Déjà, vers 1803, la colonie familiale de Gheel était en relations admi-

nistratives avec les Hospices de Bruxelles, d'Anvers et d'autres villes.

Esquirol, qui visita Gheel à cette époque (1821), en parle avec des

éloges mêlés à de justes critiques :

« Avant la Révolution de 1789, dit-il, il y avait à Gheel quatre cents

aliénés ; en 1803, la population s'élevait à six cents par l'envoi des alié-

nés de Bruxelles ; en 1812, elle était descendue à cinq cents. En 1820 et

1821, elle n'était que de quatre cents individus » Nous apprenons éga-

lement par ce récit que les médecins de la localité traitaient les aliénés

lorsque les familles les en chargeaient.

La loi communale du 30 mars 1836, inaugure une nouvelle période.

L'autorité locale publia un règlement (19 novembre 1838) qui instituait

un service médical et de surveillance passables pour l'époque.

En 1851, la colonie de Gheel, jusqu'alors institution locale, est deve-

nue établissement de l'Etat. Nous n'avons pas à entrer ici dans les détails

de son organisation actuelle, que l'un de nous a exposés dans un travail

publié à l'occasion du treize centième anniversaire de sainte Dymphne,

en 1900(1).

II

Au-dessus du maître-autel de l'église de Ste-Dymphne se trouve un

(1) PAUL Masoin, Gheel, colonie d'aliénés, Revue des questions scientifiques. Lou-

vain, avril 1900 ; id. dans Belgique médicale, 1900.

314 P. MASOIN ET HENRY MEIGE

grand rétable en bois sculpté, peint el doré, à deux étages, et à douze

compartiments, 3 dans le haut, 9 dans le bas, consacrés à la légende de

sainte Dymphne.

Cette oeuvre d'art qui remonte aux premières années du xvie siècle

est attribuée à Jean Wave ou Waw, ou Wouven, sculpteur sur bois,

qui paraît être d'origine anversoise. Le volet gauche de l'étage supérieur

porte en effet le nom de Jean Wave et la date de 1515. Toutefois, la fac-

ture des volets supérieurs diffère sensiblement de celle des neuf volets

inférieurs et l'on peut supposer que les deux étages ne sont pas du même

artiste. Les panneaux du bas sont d'ailleurs d'un art beaucoup plus délicat

et plus savamment composés. C'est assurément la plus belle partie de cette

oeuvre, qui fit autrefois l'admiration de David d'Angers.

Les principaux épisodes de la vie de sainte Dymphne sont traités dans

les 9 compartiments du bas. Celui auquel nous nous arrêterons est le

neuvième, le dernier à droite. Il représente une scène d'exorcisme (1).

Au milieu de la composition, une femme, évidemment possédée du

diable, se renverse en arrière tendant ses mains ouvertes en avant. Au-

dessus de sa tète, un démon grimaçant s'envole. Elle ouvre largement la

bouche et grimace un peu ; mais elle ne tire pas la langue, ses yeux ne

sont pas convulsés, et le renversement en arrière n'est pas assez accentué

pour qu'on puisse y voir une indication de l'arc de cercle hystérique.

En face de la possédée, se tient l'exorciste, en babils sacerdotaux ; de la

main gauche il porte un calice, et de la droite il présente l'hostie sainte

qui met le diable en déroute.

Entre ces deux principaux personnages, on en voit un troisième, à

genoux, les mains jointes, tourné presque de dos. Dans le fond, apparaît

sainte Dymphne, qui fait de la main droite un geste rituel. Elle est sim-

plement vêtue et porte une lourde tresse de cheveux.

Derrière la malade, et lui soutenant la tête à deux mains, une femme

d'un certain âge, probablement une des gardes malades (Sieckenwaersters)

chargées, comme il est dit dans les Archives, d'assister les aliénés.

A droite, au dernier plan, derrière le prêtre qui officie, se trouve un

personnage, qui semble participer activement à l'exorcisme; sa main

apparaît en altitude de bénédiction.

Tout à fait à droite, deux autres assistants : le premier, sans doute un

pèlerin, tient de la main droite un gros cierge très court, comme on les

(I) La photographie de ce document est due à M. l'abbé de Wever, à Réthy (Campine)

qui a eu l'extrême obligeance de la faire à notre intention, ce dont nous tenons à le

remercier bien vivement.

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. Pl. LIY

LES POSSÉDÉS DE L'EGLISE SAINTE-DYMPHNE, A GHEEL (BELGIQUE)

Fragment d'un retable en bois sculpté peint et dore' attribué à Jean Wave (VXIE siècle).

('Paul Masoin et Hmry lCrir)

Ma5son&C''Editeurs

LES POSSÉDÉS DE SAINTE DYMPHNE 315

faisait alors ; à sa ceinture pend une aumônière. Son visage est singulier :

il sourit niaisement,... le front plissé, les yeux bridés, l'air indifférent et

même quelque peu imbécile. On peut supposer, non sans vraisemblance,

qu'il s'agit d'un des habitués de Gheel, non pas un agité, ensorcelé ou

possédé, mais un innocent, familier de l'endroit, qui prête son concours à

la cérémonie.

Derrière lui on aperçoit la'tête encapuchonnée d'un autre personnage

également ridé, dont la coiffure rappelle celle dela principale infirmière;

cette personne serait ainsi la seconde infirmière, dont parlent les Archives.

Enfin, tout à fait à gauche, on voit un agité dangereux ( ? ) auquel on a

passé les fers. Il est accroupi par terre, soutenu par un assistant, et

semble se contracter violemment.

Les fers qui maintiennent ses mains, ceux aussi qu'on peut voir par

terre et qui étaient destinés aux pieds, se retrouvent sur un certain nom-

bre de figurations dépossédés. L'un de nous les a déjà signalés à diverses

reprises, en particulier à propos d'une tapisserie de la cathédrale de Reims,

et des possédés qui figurent sur une série de peintures sur bois de l'église de

Malines représentant la Vie de saint Rambmtd. On les retrouve encore

dans d'autres figurations (1). Les archives de Ste-Dymphne nous appren-

nent d'ailleurs qu'on avait coutume de « lier par les pieds et par les

mains-.M-les aliénés dangereux.

Dans l'Iconographie religieuse, le plus souvent le possédé est représenté

chargé de chaînes rivées aux poignets et aux chevilles (2), plus rarement

au cou (3).

D'autres fois, la ligature est faite par des cordes (4).

L'enchaînement des possédés remonte d'ailleurs à une haute antiquité.

Il devait être pratiqué couramment bien avant l'ère chrétienne et la con-

ception de la possession diabolique, car on retrouve déjà l'indication de

cette coutume dans les Evangiles, à propos du possédé guéri par Jésus, à

Gérasa.

« Un homme possédé de l'esprit impur vint à lui, du fond d'un sépulcre

où il avait sa demeure ordinaire ; et personne ne pouvait plus le tenir lié,

(1) Voy. Henry Meige, Les tapisseries de Reims, Nouvelle Iconographie de la Salpê-

trière, 1901, p. 97 ; PAUL Richer et Henry MEIGE, Documents inédits sur les Démonia-

ques dans l'Art, Ibid., n° 2, 1896. Voy. aussi PAUL Richer, Arl et médecine, p. 33

et 34, les figures 22 et 23, d'après d'anciennes miniatures.

(2) Voy. les figurations signalées par l'un de nous dans le présent fascicule.

(3) Comme sur un compartiment de la couverture de l'évangéliaire de Murano, con-

servé au Muséo Civico de Ravenne, signalé par Charcot et Paul Richer (Démoniaques

dans l'Art).

(4) Voy. les miniatures de l'Horlus deliciarunt, reproduite par P. Richer (L'Ad et

la Médecine, fig. 24, f. 14 et 16).

316 P. MASOIN ET.IIENRY MEIGE

même avec des chaînes ; car souvent, ayant les fers aux pieds et étant

lié de chaînes, il avait rompu ses chaînes, brisé ses fers et personne ne

pouvait le dompter ..... » (4). '

Ces sévères moyens de contention ont été de mise pendant de longs

siècles pour tous les agités. Ce n'est guère qu'à la fin du xvlue siècle qu'on

a cessé d'employer les fers, remplacés au xixe par la camisole de force, qui,

elle-même, devient aujourd'hui de plus en plus rare, au grand profit des

malades.

Le possédé du rétable de Ste-Dymphne porte sur la tête un bonnet

assez singulier, qui rappelle les bonnets des fous de cour, sauf qu'il n'a

pas de grelots. Il est possible que des bonnets de ce genre aient servi

de signe distinctif aux aliénés qui vivaient mélangés à la population de

Gheel ; d'ailleurs il semble bien que, d'assez bonne heure, on ait attribué

aux aliénés une coiffure spéciale, dont le bonnet des fous de cour n'est

qu'une variante enjolivée.

On remarquera que la coiffure du malade ligotté semble trop grande

pour sa tète. Il se peut, en effet, qu'il s'agisse d'une sorte de bonnet

rembourré, destiné à préserver le crâne des chocs auxquels le possédé se

trouvait souvent exposé au cours de ses grandes attaques. Rien d'étonnant

à ce qu'on ait adopté une coiffure distinctive pour signaler les aliénés qui

vivaient au milieu de la population de Gheel. De la même façon, les

lépreux, en ce temps-là, étaient tenus de porter un bonnet, et même un

costume spécial, outre les cliquettes qui leur servaient à la fois à attirer

vers eux les âmes compatissantes, et à signaler la présence de leur mal

contagieux.

On sait, d'autre part,que les ensorcelés, les possédés, destinés au bûcher,

étaient coiffés d'une grosse « mitre » en carton peint (Calmeil).

Il est même resté dans le langage courant des souvenirs de cette coutume.

On dit encore vulgairement d'une personne à l'esprit dérangé qu'elle est

timbrée. Or, le tymbre, en terme de blason, c'est le casque qui surmonte

l'écusson, et qui est représenté par la tiare ou la mitre dans les armoiries

ecclésiastiques.

Enfin l'étymologie du mot timbre s'accorde avec la locution familière

dont nous parlons. Timbre vient de tympanum, cloche. Par métonymie, le

mot timbre a servi plus tard à désigner le son que rend la cloche lorsqu'on

la frappe. Le nom de tymbre a été donné à certains casques, en forme

de cloche, et enfin, comme nous venons de le dire, aux casques, mitres et

coiffures de toutes sortes, qui surmontaient les blasons. De même que l'on

(1) Saint-Marc, V. 2-4.

LES POSSÉDÉS DE SAINTE-DYMPHNE 317

disait « une cloche bien timbrée, mal timbrée, fêlée » de même on a dit

« une tête, une cervelle, bien timbrée, mal timbrée, fêlée ». Ces locu-

tions se trouvent couramment dans les écrits du xvi' et du XVIIIe siècle.

Un autre mot, d'ailleurs, le mot toqué, encore employé aujourd'hui pour

désigner les personnes qui ont le cerveau dérangé, reconnaît la même

origine. Il dérive en effet du verbe toquer, toucher, frapper, et s'applique

à la. cloche, au timbre, ou au cerveau. Il est à remarquer que le mot toque,

qui sert également à désigner un mode de coiffure, était primitivement

appliqué à une sorte de bourrelet qu'on mettait sous les casques, ou

tymbres. (1)

. Actuellement encore, en pays flamand, dans les conversations familières,

en parlant d'une personne qui a l'esprit un peu singulier, on dit égale-

ment : «elle est toquée », ou « elleporte un bonnet de fou (Zij draagt eene

zotte kap, ou bien eene xotte 1nuts ».- « Il semble hors de doute, écrivait

à l'un de nous, à ce sujet, un des membres lesplus distingués de l'Académie

flamande, M. le chanoine Daems, de l'Abbaye de Tongerloo (Campine),

que ces termes ne sont qu'une locution topique : on a appliqué aux per-

sonnes le nom du bonnet à grelots dont se coiffaient les bouffons du

moyen âge. »

Le personnage qui soutient le possédé aux fers doit également faire

partie du personnel religieux de Ste-Dymphne.

On remarquera l'inscription qui figure sur son vêtement : MCVBN.

EVCABN. Nous n'avons pu pénétrer le sens de ces lettres.

Pour en finir avec le rétable de Ste-Dymphne, nous devons encore

signaler le volet de droite du tryptique de l'étage supérieur. On y voit des

malades invoquant la Sainte ; ils figurent probablement des idiots ou des

crétins, si l'on en juge par leur physionomie grossière et inexpressive.

(1) Une foule d'expressions populaires servent à désigner les dérangements de l'es-

prit. On dit d'un individu aux idées peu raisonnables qu'il a reçu « un coup de mar-

tenu C'est encore par allusion aux fêlures de la cloche ou du timbre. Dans un autre

ordre d'idées, on disait « avoir des grillons dans la tête » « avoir le ver coquin » - nom

vulgaire du cxnure dont les larves causent le « tournis » du mouton. C'est là la

véritable origine des expressions : avoir « une araignée dans le plafond, un hanneton

dans la cervelle ». Les anciens disaient «un taon » (xstrum), par allusion à la fureur

qui s'empare des chevaux quand une mouche pénètre dans leurs naseaux et, par ses

larves, jusqu'au cerveau même.

Enfin, l'expression française « avoir un grain » se rapproche de la locution usitée

dans les Pays-Bas « avoir une pierre dans la tête ». La légende des « pierres de

tête » a été l'occasion d'une foule de compositions humoristiques, parmi lesquelles

de fort belles oeuvres d'art, dont la critique a été faite à plusieurs reprises dans la

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière (Voy. HENRY Meige, Les pierres de tête),

no, 4 et 5, 1895, no 3, 1898, n" 2, 1899, n" 1, 1900. Voy. aussi BRISSÀUD, Histoire des

expressions populaires. Paris, Masson, 1892.

318 l'. MASOIN ET UENRY MEIGE

Tels sont les vestiges iconographiques du culte de sainte Dymphne,

qui présentent aujourd'hui un intérêt médical rétrospectif.

' Il existe peut être des documents figurés qui l'emportent en valeur

artistique sur le l'étable de Gheel ; mais il en est peu, parmi les sculptures

décoratives, qui puissent rivaliser avec ce monument par leur conservation.

La sincérité de l'oeuvre est surtout digne d'éloges ; on peut affirmer que

l'artiste a choisi sur place ses modèles et qu'il s'est attaché à demeurer

fidèle à la vérité et à la natm e.

Les possédés de Ste-Dymphne méritaient donc d'être tirés de l'oubli.

Le nom même de cette infortunée princesse, qui sut se montrer pitoyable

aux pauvres d'esprit et aux ensorcelés, ne doit pas rester inconnu des

aliénistes et des neurologistes.

N'est-elle pas l'initiatrice de l'assistance familiale des aliénés ?

Sainte Dymphne n'est-elle pas la patronne des fous ? ... a

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. PI LX

DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES SUR LES « POSSEDES DANS L'ART »

Jésus ynérissanl un jeune homme « lunatique Il

Fr,lgment J'un triptyque de 1-1, Holbein k Vicux, Mu0e d' : \ugsbourg,

(7./f);;y ? f

DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES

SUR LES

POSSÉDÉS DANS L'ART

PAR

HENRY MEIGE

Voici encore quelques figura-

tions de possédés, qui viennent t

grossir la longue série des images

de ce genre signalées antérieu-

rement par Charcot et par Paul

Bicher, et auxquelles nous avons

déjà ajouté nous,même d'assez

nombreux documents (1).

Bien que ces images aient

entre elles de nombreuses res-

semblances et que leur accumu-

lation puisse entraîner quelque

monotonie, il est intéressant

cependant de les faire connaître,

ne fût-ce qu'à titre documen-

taire.

Au musée d'Augsbourg se ''

trouvent deux possédés. L'un, peint par BARTOLOMoeus ZEITBLObi, a été signalé,

il y a déjà longtemps, par M. Pierre Marie, et commenté par Charcot et Paul

Richer (Les démoniaques dans l'Arl, page 22).

L'autre est de HANS HOLBEIN LE Vieux. Il figure à la partie supérieure du

volet gauche du triptyque sur bois dont le panneau central représente la Trains-

figuration du Christ (N 86) (PI. LX).

La scène est inspirée par la guérison du jeune « lunatique » que son père

présenta à Jésus, en disant :

« Seigneur, ayez pitié de mon fils, qui est lunatique, et qui souffre cruel-

lement ; car il tombe souvent dans le feu et souvent dans l'eau. Je l'ai pré-

(1) Voy. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière : n' 1, 4, 5, 1894. n" 3, 1895.

n" 2, 1896. n" 1, 1901.

320 HENRY MEIGE

senté à vos disciples, mais ils n'ont pu le guérir Et, Jésus ayant menacé

le démon, il sortit de l'enfant, lequel fut guéri au même instant. » (Mathieu,

XVII, 14 et 16.)

Jésus, suivi de saint Pierre, de saint Jacques et d'autres disciples, s'appro-

che du malade, en faisant de la main droite un geste rituel de conjuration.

Dans le fond, on voit le père de l'enfant, entouré de plusieurs personnages. A

l'arrière plan, les murailles et les tours d'une grande ville.

Le malade est représenté debout, soutenu par un assistant et en proie à une

crise nerveuse. Selon la tradition il est enchaîné ; - dans le cas présent par le

pied et par la main gauche ; ses jambes sont nues, il n'a sur le corps qu'une mau-

mauvaise tunique. Le principal intérêt de cette figuration réside dans la façon

dont l'artiste a rendu les grimaces du visage : la bouche est déformée par un

rictus convulsif qui laisse voir les dents ; les yeux sont fortement ouverts et

convulsés vers le bas. La main gauche est également intéressante avec ses doigts

écartés et crispés. Quant au bras droit, il est en rotation forcée en dedans, mal-

gré les efforts du personnage qui le maintient. Les pieds eux-mêmes semblent

violemment contorsionnés. De la tête hérissée de ce jeune lunatique s'échappe

un diable grimaçant.

Vraisemblablement l'artiste s'est inspiré de quelque hystérique dont il avait

pu voir les convulsions. Mais, si l'on s'en rapporte au texte évangélique, on

peut se demander si le « lunatique, qui tombait dans le feu ou dans l'eau »,

n'était pas plutôt atteint de mal comitial. De telles chutes appartiennent surtout

à l'épilepsie. '

La gravure reproduite planche LXI représente la Guérison dn Possédé de Gé-

rasa. Celui ci est à la fois conforme à la tradition et au réalisme. Il fait un su-

perbe « arc de cercle », quelque peu fantaisiste assurément au point de vue de

l'anatomie des formes,mais reproduisant assez bien une attitude que l'on observe

dans les grandes attaques d'hystérie. Ce possédé'est nu, et porte au pied droit

une chaîne brisée, selon les conventions de l'iconographie religieuse. Plusieurs

diablotins s'échappent de sa bouche dans un nuage de fumée. Près de lui, se

tiennent Jésus et ses disciples ; et l'on voit les pourceaux dans lesquels les

diables se sont réfugiés se précipiter dans la mer. Cette gravure, que j'ai trou-

vée isolée, est extraite, selon toute vraisemblance, d'un Nouveau Testament

illustré.

Il en est de même de la figure 1 qui représente également la guérison d'un

possédé par le Christ. Le malade soutenu par deux hommes, se renverse en

arrière ; un diable s'échappe de sa bouche dans un nuage de fumée ; au poi-

gnet droit, il porte l'attache de ses fers.

Le Gérant : P. Bouchez

Iwp. J. Thevenol, Saint-Dizier (Haute-Marne).

NOUV ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE. T, XVII, PL. LXI. z

16e Année N° 6 . NOVEMBRE-DÉCEMBRE

TRAVAIL DU LABORATOIRE DU Der l'0liAK.

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN.

RÉSECTION. RÉGÉNÉRATION AUTOGÈNE,

PAR

G. DURANTE,

Ancien interne des Hôpitaux de Paris,

Chef de laboratoire a la Maternité.

A l'AUTOPS1E d'une femme de 28 ans, morte subitement de néphrite

suraigué, en décembre 1902, dans le service du Dr Porak, à la Maternité,

notre attention avait été attirée par une cicatrice blanche linéaire s'éten-

dant du poignet à la moitié de l'avant-bras gauche. Il n'y avait pas

d'atrophie visible des petits muscles de la main, pas plus que des autres

muscles du membre supérieur.

Pensant à une ancienne section traumatique restaurée par suture, nous

avons incisé le long de cette cicatrice. Les tendons fléchisseurs du poignet

étaient absolument intacts, mais ils étaient séparés par un tissu cellulaire

très lâche dans lequel on remarquait l'absence de la graisse qui siège ha-

bituellement dans cette région.

Le nerf médian faisait complètement défaut dans toute la moitié inférieure

de l'avant-bras. Aucun tractus fibreux ou autre n'occupait sa place.

À la hauteur de l'extrémité supérieure de l'incision, on trouve, entre les

muscles, un amas jaunàtre,moucomme du tissu adipeux,et sans connexions

intimes avec les aponévroses voisines.

En isolant plus complètement cette masse, on s'aperçoit qu'elle est

fusiforme comme un névrome terminal d' am¡mtation, et qu'elle se continue,

après un léger étranglement, avec un boudin graisseux du volume de l'in-

dex, jaune, translucide, fileté de stries longitudinales d'un blanc nacré

(Voy. pi. L111, fig. A, a).

Ce cylindre n'est autre que le nerf médian que l'on peut poursuivre jus-

XVI 22

332 DURANTE

que dans l'aisselle. A mesure qu'il s'élève, ce tronc énorme s'atténue

progressivement et devient plus grisâtre ; mais dans l'aisselle il a encore le

double de son diamètre normal (Voy. fig. A, ni).

Les rameaux musculaires partant de ce tronc sont également jaunâtres,

hypertrophiés,et peuvent être suivis assez avant dans l'épaisseur des masses

charnues. -

En disséquant la paume de la main, on rencontre, sous l'aponévrose, un

peu au-dessus d'une ligne transversale partant de la commissure du pouce,

le bout inférieur sous forme d'un autre renflement mou, mais moins

jaune que le précédent. De ce névrome terminal périphérique partent des

rameaux digitaux ayant le double de leur volume normal, mais régulière-

ment cylindriques et sans bosselures (Voy. pl. LXII, fig. A, b, d). *

Les muscles, tant du bras que de l'avant-bras et de la main, oul une

couleur et un volume normaux.

Les nerfs radial et cubital ne présentent rien de pathologique (Voy. pl.

LXII, fig. A, c). La moelle paraît normale.

Les mensurations, faites après un séjour de quarante-huit heures dans un

mélange de Flemming et de Millier, ont donné les dimensions suivantes :

. Névrome terminal du bout central : 1,5 centim. de large, sur cent.'de

long.

Tronc du médian au-dessus de névrome : 1 centim. de diamètre.

. Tronc du médian au niveau de l'aisselle 0,5 centim. de diamètre.

Névrome terminal du bout périphérique : 1,1 centim. de large,sur cent.

de long.

Distance séparant les deux névromes terminaux : 17 centimètres.

La fig. A, dans laquelle c représente le tronc du cubital au niveau de

la moitié supérieure de l'avant-bras, permet de se rendre compte du volume

énorme que présentait le médian.

Il ne s'agissait évidemment pas là d'une simple section Iraumatique, mais

d'une large résection chirurgicale ancienne, nécessitée par une tumeur du

nerf dont le tronc respecte offrait encore la trace sous forme d'une infil-

tration graisseuse dissociant les faisceaux.

. Observation clinique. Grâce à une heureuse coïncidence, nous avons

pu apprendre que celle malade avait été opéréeà deux reprises différentes,

en 1898 eten 1899, pour un lipome diffus du médian, par le D'' Péraire.

Celui-ci en a publié l'observation avec Mignot et Meslay à la Société ana-

tomique en 1899, et avec ]eD''Ma) ! y dans la la Revue de Chirurgie, 1900 (1).

(1) Pénale, MtGNOT et MESLAY, Lipome dissociant du médian. Opération. Guérison

(Société anatomique, janvier il Pi'.uaihe et MALLY, De la résection du nerf médian

(Revue.'de chirurgie, nov. 1900).

Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.

T XVI. Pl LXII

NEVROME ADIPEUX DU MEDIAN

NEVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 323

Nous relevons dans ces mémoires très complets les principaux faits cli-

niques suivants :

La tumeur, limitée au poignet, avait apparu à l'âge de 7 ans. Au début

indolente et du volume d'une noisette, elle avait peu à peu augmenté de

volume avec production de phénomènes douloureux d'abord localisés au

poignet puis dans la sphère du médian, mais sans perte de la sensibilité

tactile ni de la motilité. A aucun moment la pression sur ce nerf n'a.été

douloureuse.

En 1898,elle était mollasse, légèrement fluctuante, suivait le mouvement

des tendons fléchisseurs avec production d'un bruit de chaînons qui pou-

vait faire penser à un kyste synovial à grains riziformes. Elle s'étendait de

la partie moyenne de l'avant-bras à la région palmaire.

Après anesthésie locale à la cocaïne, le Dr Péraire résèque la tumeur

qui est molle, jaunâtre, lisse, fusiforme, indépendante des tendons et des

muscles voisins. Au moment de la section du pôle supérieur, la malade se

plaint que sa main est subitement engourdie et comme paralysée. Cepen-

dant,lesmouvements du poignet et des doigts sont possibles, à part l'oppo-

sition du pouce, et les sensibilités tactile et thermique persistent dans

le territoire du médian comme dans ceux du radial et du cubital, sauf à la

partie interne de l'index et externe du médius. Guérison opératoire simple.

Dans la suite, la zone anesthésique s'étend lentement et finit, au bout d'un

mois, par comprendre une partie du territoire digital du médian.

En 1899, apparition de nouveaux phénomènes douloureux dans l'avant-

bras. La pression de l'extrémité supérieure de la cicatrice exaspère cette

douleur et détermine du fourmillement dans les doigts, particulièrement

dans la zone du médian. Après incision, M. Péraire trouve le névrome ter-

minal adhérent par une languette fibreuse aux tissus voisins. Il résèque le

moignon du nerf à 1 cent. 1/2 du tronc qui en part et qui a près du volume

du pouce. Guérison.

La sensibilité était complètement revenue dix-huit mois après la première

opération, sauf au niveau de la pulpe de l'index.

L'examen histologique de la tumeur, pratiqué par Mignot et Lecène

d'abord, puis par Meslay, a montré une dissociation par des cellules adi-

peuses du nerf dont la charpente conjonctive est épaissie et scléreuse. Le

tissu adipeux siège surtout entre les faisceaux et ne pénètre pas dans le

tissu intra-fasciculaire. Il s'agit, dit lleslay, d'un lipome diffus dissociant

avec sclérose fasciculée du nerf. Au centre des faisceaux, les tubes nerveux,

pressés les uns contre les autres, se colorent normalement.

Meslay note, par places, des petits îlots embryonnaires qu'il regarde

comme une réaction inflammatoire.

Malgré une résection aussi étel1due,supprimal1tle tronc du médian depuis

324 DURANTE

la moitié de l'avant-bras jusqu'à la paume de la main, et sans possibilité

de régénération, les troubles fonctionnels ont été peu importants. L'op-

posant du pouce et le court abducteur ont seuls été paralysés. Péraire

attribue la conservation des autres muscles à une suppléance du cubital.

Quanta t'anesthésie, nous avons vu qu'elle était très réduite, même aussitôt

après la névrectornie. Elle s'étendit un peu dans la suite, puis se limita

de plusen plus, de sorte qu'il ne restait, dix-huit mois après la première

opération, qu'une étroite zone anesthésique au centre de la pulpe de l'index

et un émoussement léger de la sensibilité à la face palmaire de l'index.

Durant son séjour à la Maternité, la malade ne présentait pas d'atrophie

apparente, se servait régulièrement de la main gauche et ne se plaignait

d'aucun trouble fonctionnel.

Nous renvoyons à l'observation du Dr Péraire pour tous les détails con-

cernant ces troubles moteurs et sensitifs qui ont été recherchés, ainsi que

les réactions électriques, avec toute la minutie désirable.

En présentant ces pièces à la Société de Neurologie en décembre'1902 (1),

nous attirions l'attention sur les deux points suivants :

1 L'existence du bout périphérique qui persistait quatre ans après l'opé-

ration et présentait même, comme le bout central, un névrome terminal

semblant indiquer, dans ce point, une prolifération des éléments nerveux

séparés de leurs centres médullaires.

2° La persistance des diverses sensibilités dans tout le domaine du nerf,

sauf à la pulpe de l'index, constatée par Péraire, llignot et Meslay, de suite

après la première résection ; puis, après une certaine période d'anesthésie

limitée, le retour presque parfait delà sensibilité dans le domaine du nerf

malgré la non-réunion des deux bouts demeurés dislants de 17 centime-

tres.

Le premier point est contraire à la loi de Waller ;

Le second est peu compatible avec ce que l'anatomie nous enseigne sur

le territoire des nerfs et semble impliquer l'existence d'anastomoses péri-

phériques.

Tous deux paraissent en opposition formelle avec la doctrine du Neurone.

Mais, ajoutions-nous en terminant, « la loi de Waller et la doctrine du

Neurone se trouvent, depuis quelques années, en opposition avec un si

grand nombre de faits, qu'on ne saurait plus l'admettre qu'avec de pru-

dentes et de nombreuses restrictions ».

L'examen histologique de la pièce a été fait par dissociation, mais sur-

(1) G. DURANTE, Hypertrophie graisseuse diffuse du médian (lipome diffus ou né-

vrome). Soc. de Neurologie et Soc. anatomique, décembre 1902.

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 325

tout par coupes. Nous croyons, en effet, que, pas plus pour les nerfs que

pour les autres organes, le procédé de dissociation n'est à recommander,

car, s'il isole les éléments, il détruit leurs rapports réciproques. Quant aux x

colorations, à côté du Weigert-Pal, nous avons employé les couleurs

d'aniline qui ont l'avantage de mettre en évidence, non pas la seule

myéline, mais les portions vivantes bien plus importantes du tube ner-

veux : le protoplasma, le cylindraxe et les noyaux. Nous ne saurions trop

nous élever contre les anciennes techniques qui se bornaient à employer,

à côté de l'hématoxyline et du picro-carmin pour les noyaux, les seuls

colorants myéliniques. De tous les éléments du tube nerveux, cette subs-

tance grasse parait être le moins important. La lecture des préparations

à l'acide osmique ou au Weigert-Pal est très facile, il est vrai, mais ne

donne que des renseignements parfaitement insuffisants. Dans les nerfs,

comme dans les autres cellules, il faut chercher à surprendre les altéra-

tions pathologiques : 1° de l'élément différencié, dont dépend le fonction-

nement physiologique de l'organe (c'est, dans le cas particulier, le cylin-

draxe et ses fibrilles, mais nullement la myéline qui peut faire défaut

sans inconvénient essentiel) ; 2° du protoplasma non différencié et du noyau,

dont dépendent les échanges physiologiques, la nutrition, la reproduction,

la régénération de la cellule. Dans le tube nerveux ce protoplasma est

situé, non seulement sous la gaine de Schwann et autour du cylin-

draxe, mais aussi dans toute l'épaisseur du segment inlra-annulaire; ce

sont ses mailles qui sont imbibées de myéline (1). Toute coloration de la

graisse myélinique, non seulement ne met pas en évidence ces points

essentiels, mais empêche de constater les lésions protoplasmiques plus

intéressantes qui siègent dans son épaisseur.

Seules les couleurs d'aniline ont, jusqu'ici, donné des élections permet-

tant de différencier le cylindre-axe' et le neuroplasma des tissusavoisi-

nants.

(1) Conformément à ce que nous avons dit. ailleurs (voy. G. DURANTE, le Neurone

et ses impossibilités. Conception caténaire du tube nerveux, agent actif de la trans-

mission nerveuse. Soc. Neurol., 5 novembre 1903 et Revue Neurologique, 30 novembre

1903), nous ne croyons pas que le cylindraxe soit une expansion d'une cellule centrale

enveloppée au niveau de chaque segment par une cellule mésodermique. Chaque seg-

ment interannulaire nous parait 1 eprésenter, dans son ensemble, une seule cellule

nerveuse périphérique, dont le protoplasma a différencié des fibrilles conductrices, de

la myéline et une enveloppe externe (gaine de Schwann). La conception du Neurone

ne nous parait plus soutenable, et nous nous rangeons avec Bethe, Nissl, Apathy,

Kaplan, Stewart, Ilenriksen, etc. etc., à la conception caléiiai,e,qui voit dans le tube

nerveux, non pas le produit d'un bourgeonnement central, mais une chaîne de nelll'O-

blasles disposés bout à bout. Nous croyons, en outre, que le nerf n'est pas un simple

conducteur, mais que ses newoblastes constitutifs interviennent activement dans la

transmission de ce que l'on est convenu d'appeler l'influx nerveux.

326 DURANTE

Sous ce rapport, parmi les diverses lechniquesque nous avons employées,

ce sont celles de Stroehe, à la safranine,et de haplan, à l'encre et au bleu

d'anthracène, qui, légèrement modifiées, nous ont donné les résultais les

meilleurs et les plus constants.

A. BOUT central.

1° Le névrome terminal a la structure classique du névrome d'amputa-

tion. Il est constitué par le feutrage d'une infinité de petits faisceaux

nerveux entourés chacun d'une gaine fibreuse propre.

Ces faisceaux sont incomparablement plus petits que ceux que nous

retrouverons dans le névrome périphérique. Formés de fibres grêles à

myéline très mince, souvent moniliformes, ils donnent l'impression de

jeunes fibres en voie de régénération (voy. pl. LXII, fig. B).

2° Au niveau du col du névrome, ces faisceaux deviennent plus volumi-

neux et moins nombreux par coalescence (Voy.pl. LXII, fig.C). En dehors

des fibres grêles, on y observe un certain nombre de fibres larges à myéline

régulière. Dans la lig. C, représentant, à un faible grossissement, une

coupe transversale à ce niveau, les fihres larges sont indiquées par des

points noirs bien marqués, tandis que les faisceaux de fibres grêles et de

cylindraxes nus forment les amas grisâtres plus ou moins étendus qui

séparent ou entourent les fibres larges.

Dans chaque faisceau, ces fibres se réunissent en fascicules dont les

éléments, très inégaux de dimensions, sont assez largement espacés les uns

des autres. Quelques-uns de ces fascicules ne possèdent des fibres que

dans une partie de leur aire, le reste étant occupé par un espace incolore

(Voy. les faisceaux de droite dans la fig. C). Il semble qu'à cette hauteur

il y ait un oedème intrafasciculaire général ayant dissocié les éléments

nerveux.

L'infiltration adipeuse est surtout périfasciculaire et parait beaucoup

moins abondante sous le microscope que l'examen à l'oeil nu ne l'aurait

fait supposer. Les parois des vaisseaux interfasciculaires sont notablement

épaissies.

3° Tronc du médian. Plus on s'élève, moins le tissu lâche cellulo-

adipeux séparant les faisceaux nerveux devient abondant. Ces faisceaux

présentent, du reste, ici, des dimensions normales. Mais les vaisseaux sont

toujours notablement épaissis.

Sur les coupes longitudinales colorées successivement par le Pal ou le

bleu d'anthracène, puis par la safranine, les fibres sont beaucoup plus

serrées que dans les rameaux digitaux du bout périphérique. Il existe une

notable -proportion de fibres larges avec myéline régulièrement colorée et

cylindraxe bien différencié. Mais le plus grand nombre ont une myéline

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XVI. PI LXIII

NEVROME ADIPEUX DU MEDIAN

(G. 'Durante.)

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 327

irrégulière, ou sont des fibres grêles, à myéline gris clair et moniliforme.

Ces libres minces sont onduleuses, affectent parfois des directions obli-

ques et s'entre-croisent irrégulièrement. Quelques-unes semblent se diviser

en Y. Ailleurs, c'est une fibre large qui s'arrête subitement et donne

naissance par son extrémité à deux fibres minces. Enfin, nous avons

observé une libre large donnant insertion, au niveau d'un étranglement

annulaire, à deux autres fibres d'un diamètre égal au sien.

Les anneaux de Ranvier sont nettement dessinés, mais, à ce niveau, les

segments voisins sont presque toujours en contact immédiat. On n'observe

pas, comme dans le bout périphérique, des espaces vides séparant deux

segments adjacents (comparez sous ce rapport la fig. E et les fig. F. G. IL

de la planche LXIII).

Lorsque, dans les fibres larges, la myéline fait localement défaut, la

continuité de l'élément est assurée par un protoplasma grenu se colorant

en rose tendre par la safranine, en gris jaunâtre par le Pal. Ce proto-

plasma est beaucoup plus abondant que dans les tubes nerveux normaux.

Certains points où il se teinte en gris rosé indiquent des passages entre

l'état protoplasmique embryonnaire et l'état myélinique adulte.

Contrairement à ce que l'on observe dans le bout périphérique, dans le

tronc du médian les cylindraxes sont presque toujours parfaitement bien

différenciés au centre des fibres. Toutefois, ils nesontpas toujours exacte-

ment cylindriques et présentent souvent de petits épaississements nodu-

laires leur donnant un aspect moniliforme.

Leurs réactions colorantes sont un peu spéciales. Par la safranine ils

prennent normalement la teinte rouge vif, mais par le Pal et par l'encre

d'anthracène ils deviennent parfois noirs et paraissent alors comme un

trait couleur encre de Chine au milieu de la myéline qui, dans ces fibres,

prend toujours une teinte noire moins intense ou demeure presque inco-

lore. Lorsque l'on fait une coloration double par l'encre d'anthracène et la

safranine, certains cylindraxes deviennent rouges et d'autres noirs. Il

en est aussi qui présentent alternativement des segments rouges- et des

segments noirs. La safranine colorant les fibrilles différenciées, tandis que

l'encre d'anlhracène colore l'axoplasma, cette technique met en évidence,

l'état inégal de la différenciation ciindroaxi ! e. Ces inégalités de différen-

ciation sont, comme nous le verrons, encore, bien plus accusées dans le

bout périphérique.

Nous avons retrouvé ici des granulations noires analogues à celles que

nous verrons dans le bout périphérique, mais notablement moins nom-

breuses. Elles ne constituent pas des amas ramifiés, mais de petits amas, ,

assez bien limités, situés à la périphérie des fibres ou sous le périnèvre et

ayant la forme et le volume des cellules granuleuses d'Ihrlicll.

328 DURANTE .

Les coupes transversales montrent les mêmes éléments disposés à l'in-

térieur de larges faisceaux. Les tubes nerveux y paraissent plus nombreux

que sur les coupes longitudinales, caries fibres sans myéline, extrême-

ment nombreuses, disséminées entre les fibres larges ou réunies en -petits

faisceaux, s'y distinguent plus nettement.

Les fibres sont généralement assez espacées et dissociées comme par un

état oetima ? Ix du tissu interstitiel.

. B. Bout périphérique.

1° Pointe du névrome terminal. Les coupes, tant longitudinales que

transversales, montrent un tissu cellulo-adipeux lâche, riche en graisse,

dissocié par des travées d'aspect fibreux disposées en tous sens et condui-

sant de nombreux capillaires. Dans ces travées, on observe parfois des

traînées de noyaux petits et ovoïdes dont on ne peut distinguer nettement

le corps cellulaire.

Les cellules adipeuses sont généralement disséminées sans ordre, sauf au

bord des travées le long desquelles elles se disposent parfois en chapelets

réguliers. Un de ces chapelets, formé d'éléments assez réguliers, se conti-

nue à chacune de ses extrémités par 4 ou 5 cellules larges, ovoïdes, nucléées

et à protoplasma finement grenu.

Les fibres élastiques sont assez nombreuses.

2° Corps du névrome. Sur les coupes longitudinales, le tissu cellulo-

adipeux est dissocié par des faisceaux d'aspect fibreux beaucoup plus lar-

ges que hauts, et chargés de noyaux ovoïdes assez également disposés.

Ces noyaux paraissent répondre, surtout dans le centre des faisceaux, soit

à des fibres cylindriques, homogènes, régulières, se colorant par lepicro-

carmin et les couleurs d'aniline, soit à de longues cellules fusiformes

imbriquées, se différenciant mal les unes des autres.

Avec la safranine, on peut mettre en évidence de rares stries rouges bien

limitées mais relativement courtes, qui paraissent des segments de cylin-

draxe.

Le Pal fait ressortir d'étroites traînées noires (Voy. pl. LXIV, fig. K)

représentant soit une mince enveloppe de myéline recouvrant partiellement

certains segments de Ces fibres, soit peut-être des cylindraxes qui, dans

cette pièce, prennent souvent celte coloration d'une façon très élective.

Nous avons obtenu, dans certaines coupes, des grains noirs que nous

avons pris d'abord pour un précipité relevant d'une erreur de technique.

Mais ils ne siègent que dans l'épaisseur des faisceaux. Ils sont, en outre,

disposé par amas limités et de telle façon qu'ils donnent l'impression d'un

corps cellulaire, de forme et de volume variables, duquel partent de nom-

breuses ramifications arborescentes. L'ensemble de la figure rappelle

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XVI. PI LXIV

NEVROME ADIPEUX DU MEDIAN

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 329

absolument certaines cellules traitées par le Golgi. S'agit-il de granulations

graisseuses disposées dans des espaces lymphatiques, ou d'éléments spé-

ciaux ramifiés et chargés de graisse, ou bien de neuroblastes analogues à

ceux que Ballance et Stewart ont notés au cours de la régénération ? Nous

ne saurions à cet égard émettre d'opinion certaine.

Enfin, quelques-unes de ces fibres homogènes paraissaient, déplace en

place, interrompues par une gouttelette de graisse notablement plus petite.

qu'une cellule adipeuse.

Sur les coupes transversales, ces faisceaux d'aspect fibreux se montrent

comme de larges faisceaux nerveux, d'un diamètre à peu près normal, et

infiniment plus volumineux, par conséquent, que les minces faisceaux

onduleux que nous avons retrouvés dans le névrome terminal du bout

central.

Ces faisceaux sont entourés d'un épais périnèvre qui envoie à leur inté-

rieur des lames fibreuses très vasculaires les subdivisant en fascicules

et marquant une'sclérose diffuse péritubulaire considérable de l'endonè-

vre. A un faible grossissement, ces faisceaux paraissent formés d'un tissu

fibreux compact dans lequel le Pal, ni la safranine ne mettent rien en évi-

dence (Voy. pl. LXII, fig. D). Mais à un fort grossissement, leur aire est

remplie de petits cercles, de petits points incolores rassemblés en fascicu-

les entourés d'une gaine fibreuse concentrique. Ces éléments, de dimen-

sions variables, n'atteignant presque jamais celle d'une fibre normale

(Voy. pl. LXIV, fig. J). Ils paraissent formés d'une substance non diffé-

renciée pour laquelle nous n'avons pas pu obtenir d'élection colorante

nette.

Ainsi que le montrent les coupes intéressant une région plus éloignée,

ces points représentant bien la coupe transversale des tubes nerveux dont

ils occupent la place. Mais il s'agit ici d'éléments non encore différenciés

et réduits à une traînée de protoplasma embryonnaire n'ayant ni les ca-

ractères de la myéline ni ceux du cylindre-axe. Quoique toute différen-

ciation paraisse faire défaut à ce niveau, il en existe cependant déjà une

ébauche sur quelques segments d'un petit nombre de tubes, ainsi que le

montrent les coupes longitudinales. Giàceà leur disposition, ces fibres

embryonnaires se reconnaissent mieux sur ces coupes transversales et y

paraissent plus nombreuses que sur les coupes longitudinales, où elles se

confondent trop aisément avec des éléments conjonctifs.

Si parfois.il apparaît, au centre et au bord d'une de ces fibres, un corps

plus colorable, il semble devoir être interprété non pas comme un cylin-

draxe, mais comme le noyau de celle fibre coupé transversalement.

3° Pédicule du névrome. C'est à ce niveau que les coupes sont les

plus intéressantes à étudier, car on y voit paraître, à côté des fibres em-

330 DURANTE

.bryonnaires, d'autres tubes plus ou moins complètement différenciés.

Les coupes longitudinales à la safranine montrent des fibres nerveuses

en plus grand nombre que celles au Pal, ce qui tient à ce que ce réactif,

colorant non seulement le cylindraxe en rouge mais aussi le protoplasma

en rose, permet de déceler même les éléments privés de myéline.

Les meilleures préparations sont celles où ces deux méthodes sont com-

binées. Mais les résultats les plus complets nous ont été donnés en em-

' ployant successivement la safranine et l'encre ou le bleu d'anthracène de

Kaplan.

Sur les coupes longitudinales (Voy. pl. LXIII, fig. F, G, II), les fibres

nerveuses myélinisées sont, suivant les faisceaux, tantôt assez serrées,

tantôt assez espacées. Dans ce dernier cas, le tissu rosé qui les sépare

n'est pas uniquement du tissu conjonctif comme on pourrait le supposer,

mais renferme une grande quantité de fibres amyéliniques, ainsi que le

démontrent les coupes transversales (comparez pi. LXIII, fig. G et pi.LXIV,

fig. I).

Les fibres sont cylindriques et bosselées ; les plus jeunes affectent sou-

vent une disposition moniliforme très nette.

Dans les fibres larges, la myéline se colore tantôt en gris, tantôt en noir,

tanlôt enfin en brun clair par suite de la couleur rosée du protoplasma

qu'elle renferme. Elle est parfois régulière, mais le plus souvent inégale-

ment disposée sous forme de taches ou de bandes transversales rappelant,

dans quelques cas, les poils de certains animaux.

La caractéristique de ces fibres est la séparation souvent considérable

entre les segments interannulaires. Chaque segment est terminé par une

extrémité arrondie bien limitée.

Tantôt les deux segments adjacents paraissent lâchement unis par une

traînée protoplasmique reconnaissable seulement à un très fort grossisse-

ment. Tantôt ils paraissent nettement indépendants et sans lien entre

eux ; et dans ce cas on peut dire qu'il n'existe pas d'anneau de Ranvier à

proprement parler. Ce n'est que dans les fibres les plus avancées que l'on

voit un filament cylindraxile, très aminci ci ce niveau, passer d'un segment

au segment suivant.

Le cylindraxe ne peut être reconnu dans toutes les fibres. La plupart

de celles-ci, et particulièrement les moniliformes (voy. pl. LXII, (ig. G),

paraissent formées d'une bande protoplasmique recouverte d'une mince

couche irrégulière de myéline. D'autres ont une myéline plus,épaisse ren-

fermant un axe se colorant non pas en rouge, mais en rose par la safranine

etayant l'aspect finemeptgrenu du protoplasma. D'autres, enfin, montrent,

au centre de leur axe protoplasmique, un filament axial nettement dessiné.

Ce cylindraxe se colore tantôt en rouge par la safranine, tantôt en noir

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 331

par le Pal, et ceci non seulement dans des fibres différentes, mais- aussi

dans les différentes portions d'une même fibre ou d'un même segment in-

terannulaire. La transition entre les points offrant ces élections différentes

est souvent très nette. Les cylindres noirs par le Pal paraissent, du reste,

les plus parfaits,tandis que les rouges semblent être un état de différencia-

tion incomplet. On observe, en effet, dans certains éléments, un passage

progressif entre la strie rouge cylindraxile et la bande protoplasmique

plus claire au centre de laquelle il vient se perdre.

Le cylindraxe est souvent interrompu. Il n'existe parfois que dans

une portion seulement d'un segment interannulaire, se continuant plus

loin avec l'axe protoplasmique avec lequel il va se confondre. De deux

segments interannulaires voisins,il est fréquent devoir l'un avec un cylin-

draxe et le suivant privé de cet organe.

Enfin, les cylindraxes sont très souvent moniliformes par suite de ren-

flements correspondant,en général, à la partie moyenne du segment qu'ils

occupent.

Signalons,enfin, une fibre dans laquelle existait un noyau caractéristique

au centre même du cylindraxe renflé à ce niveau. s,

On peut donc suivre ici tous les états successifs,depuis le tube nerveux

purement protoplasmique formé de segments discontinus, jusqu'au tube

nerveux définitif, en passant par le tube myélinisé à axe protoplasmique

et par le cylindraxe segmentaire à divers degrés de différenciation.

Sur les coupes transversales (voy. pl. LXIV, fig. I), les faisceaux ner-

veux sont de dimension normale et entourés, comme plus haut, d'un

périnèvre épaissi. Leur champ est rempli de tubes nerveux serrés les uns

contre les autres; les uns, relativement en petit nombre, possèdent une

myéline nette, la plupart sont très grêles ou représentés par des points fou-

cés comme une coupe de fibre de Rémak. Ces derniers ne prennent ni les

colorants de la myéline ni ceux du cylindraxe ; grâce à leur réfringence

spéciale, ils apparaissent presque plus nettement sur les ['photographies

qu'à l'examen direct des coupes.

Ainsi que l'on peut s'en rendre compte sur la fig. I delapl. LXIV, le

nombre des éléments nerveux est assez grand. Les faisceaux paraissent

formés de fibres plus serrées que ne le faisaient songer les coupes longitu-

dinales. En comparant cette fig. I avec la fig. G de la pl. LXIII, qui toutes

deux représentent le même faisceau coupé dans les deux sens, on se rend

compte que le tissu interstitiel, séparant les fibres apparentes dans la

coupe longitudinale, doit renfermer une grande quantité d'éléments nus

que la coloration a laissés invisibles.

Les vaisseaux, tant de l'endonèvre que de l'épinèvre sont épaissis.

En un point de la coupe existe un corps volumineux, formé de cercles

332 DURANTE

fibreux concentriques, et qui pourrait représenter un petit faisceau ner-

veux étouffé par son périnèvre exubérant.

Ce qui distingue les fibres nerveuses du bout périphérique de celle

du bout central est donc leur état embryonnaire. Les cylindraxes existent,

mais sont moins nombreux, plus segmentaires. Mais le point leplus facile

à constater est l'espacement considérable des segaeatsiate°ccan2clai·es.Cette

particularité permet de reconnaître facilement les coupes portant sur cette

région de celles portant sur le bout central.

4° Les dissociations d'une des ramifications de ce névrome périphérique

nous ont montré de nombreuses fibres à large myéline et à cylindraxe

nettement différencié. D'autres, dont la différenciation était aussi parfaite,

atteignaient à peine le quart du diamètre des précédentes et possédaient

des noyaux beaucoup plus rapprochés et une myéline plus protoplasmique

se teintant par les colorants nucléaires. Ces caractères permettent de les

considérer comme des éléments plus jeunes en voie d'achèvement.

A côté de ces tubes nerveux myéliniques existaient des fibres dépour-

vues de myéline et chargées de noyaux nombreux se colorant fortement.

Ces fibres, du diamètre d'un tube nerveux mince, et assez régulièrement

cylindriques, se colorent en rose par le picro-carmin et en rouge par la

safran ine. Il ne s'agit point là d'éléments conjonctifs, car nous avons pu

différencier par places, à leur centre, un axe plus dense se colorant en

rouge plus vif par la safranine et ayant les caractères du cylindraxe.

Cet axe n'est, du reste, pas continu et ne parait exister qu'à l'état de

segments interrompus, relativement courts et peu nombreux ; il est vrai

que le protoplasma cellulaire qui l'entoure le rend plus difficile étudier.,

Quelques-unes de ces fibres présentaient, sur leur continuité, de larges

dilatations ayant le caractère de cellules adipeuses. Il ne s'agit pas de

vieux débris de myéline persistant dans une ancienne gaine de Schwann,

ni de superposition, mais bien d'éléments constitutifs de la fibre ayant

subi cette transformation. Chaque vacuole adipeuse est, du reste, en rap-

port avec un ou plusieurs noyaux et leur ensemble donne à la fibre ainsi

modifiée l'aspect d'une chaîne de grosses perles de volume irrégulier (Voy.

pl. LXIV, fig. Let).

Cette observation peut se résumer dans les points principaux suivants :

Apparition chez une enfant d'une tumeur du médian au niveau du poi-

gnet gauche. Cette tumeur, d'abord indolente, augmente de volume et

occasionne des douleurs irradiées dans le territoire de ce nerf. A l'âge de

23 ans les troubles sensitifs nécessitent une intervention, et le Dr Péraire

résèque le médian^depuis le milieu de l'avant-bras jusqu'au tiers supé-

rieur de la paume de la main. 1

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 333

A la suite de cette opération, les troubles moteurs sont limités à une

paralysie des muscles opposant du pouce et court abducteur. Il y a eu,

d'abord, conservation de toutes les sensibilités, sauf en un point restreint.

Cette anesthésie s'étend ensuite progressivement dans la plus grande

étendue du territoire digital du nerf, pour rétrocéder et disparaître plus

tard sans que l'on puisse invoquer aucune réunion des deux bouts.

L'autopsie pratiquée quatre ans après, permet de vérifier l'absence du

tronc nerveux sur une étendue de 17 centimètres. Le bout supérieur est

infiltré de graisse et considérablement hypertrophié. Cette hypertrophie

diffuse remonte en s'atténuant jusque dans l'aisselle.

Le bout périphérique, également hypertrophié, présente un névrome

terminal comme le bout central.

Histologiquement, le bout central montre ses faisceaux dissociés par.du

tissu cellulaire lâche et du tissu adipeux. Ces faisceaux, petits, éparpillés

et en tourbillons dans le névrome terminal, sont réguliers et volumineux

dans le tronc du médian. Mais ici, ils sont composés d'un mélange de fibres

larges à myéline et de fibres grêles à caractère jeune ou privées de myé-

line. Ces fibres grêles sont soit disséminées, soit réunies en amas. La

myéline irrégulière est souvent segmentée par des espaces purement pro-

toplasmiques. Les cylindraxes se colorent par le Pal parfois avec plus

d'élection que la myéline; ailleurs ils prennent plutôt les couleurs d'a-

niline (safranine ou encre d'anlhracène) ; ils manifestent ainsi les divers

stades de leur différenciation. En combinant ces trois méthodes on leur

trouve souvent des segments noirs et d'autres colorés.

Les fibres sont parsemées de grains noirs souvent réunis en amas dans

des cellules ayant l'aspect de cellules granuleuses.

Dans le bout périphérique, au niveau du moignon, on ne trouve pas de

fibres à myéline. Mais les coupes transversales montrent la section de

faisceaux beaucoup plus larges que ceux du névrome central et qui con-

tiennent des fibres nues paraissant uniquement constituées par des bandes

de protoplasma sans coloration élective.

Près du col de ce moignon périphérique, les faisceaux nerveux sont, sur

les coupes longitudinales, formés, les uns de fibres cylindriques d'aspect

homogène, les autres de fibres moniliformes rappelant des cellules fusi-

formes unies bout à bout. Quelques-uns de ces éléments présentent par

places une mince bordure myélinique. On ne peut colorer de cylin-

draxes bien nets.Sur les coupes transversales, ces faisceaux ont un diamètre

presque normal, mais présentant une sclérose très marquée de l'endonèvre

qui enserre presque chaque fibre dans un anneau de cellules concentri-

ques.

Enfin, au niveau du col el dans les ramifications partant de ce névrome

334 DURANTE

périphérique, on retrouve de nombreuses fibres larges bien différenciées,

mais dont la myéline est irrégulière et le cylindraxe souvent interrompu.

Il existe également de nombreux faisceaux de fibres homogènes encore

non différenciées. Les cylindraxes présentent tous les stades de différen-

ciation. Les segments interannulaires, très espacés, paraissent souvent

presque indépendants les uns des autres.

Il y a donc conservation ou 7'égéllération des tubes nerveux du bout pé-

riphérique en dehors de toute réunion des deux bouts. L'ensemble des

caractères histologiques de ces tubes nerveux semble indiquer qu'ils se

développent bien aux dépens d'éléments segmentaires qui ne contractent

que secondairement des rapports de continuité entre eux.

Différents points sont à discuter dans cette observation : La nature de

la lésion primitive du nerf; la persistance et la régénération du bout pé-

riphérique non réuni, qui sont en contradiction avec la loi de Waller et

la doctrine du Neurone; enfin la conservation de la sensibilité.

1° Nature de la tumeur : On pourrait penser soit à un lipome, soit à un

névrome.

En faveur du lipome, nous avons l'infiltration adipeuse qui paraît carac-

téristique. Mais le lipome, tumeur conjonctive, est généralement limité,

forme une tumeur nodulaire bien localisée. Ici, au contraire, au-dessus du

point réséqué par le Dr Péraire, tout le tronc est envahi régulièrement.

Nous ne connaissons pas d'autre fait analogue de lipome diffus cylindrique

des troncs nerveux. Nous verrons, du reste, qu'il y a lieu de discuter

l'origine d'une partie au moins de ces cellules adipeuses.

L'origine congénitale parle en faveur du névrome. Il en est de même

de l'inégalité de la myéline dans les fibres larges et de la présence de

petites fibres grêles, de fibres amyéliniques. Toutefois, ces dernières pour-

raient aussi bien, non pas représenter l'élément néoplasique primitif,

mais être au contraire secondaires à la résection. Nous savons, en effet,

que, ensuite des résections anciennes, non seulement il se forme un

névrome terminal de régénération bien étudié par P. Marie, Dejerine,

etc., mais qu'en outre tout le bout central du nerf subit des modifications

plus ou moins marquées. Celle dégénération, ou mieux cette atrophie ré-

trograde, sur laquelle nous sommes revenu à diverses reprises depuis

1894, est sans rapport avec l'état des cellules centrales. Elle est caracté-

risée, suivant l'âge et l'état général du sujet, tantôt par des altérations

analogues à celles qui se passent dans le bout périphérique, tantôt par une

atrophie simple des éléments qui ne sont, du reste, pas tous également

affectés. La diminution progressive de ces altérations, à mesure que l'on

se rapproche de la racine du membre, semblerait parler également en faveur

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 335

d'une lésion rétrograde, ainsi que les nombreux grains noirs sur lesquels

Elzholz a attiré l'attention.

Cette hypothèse, toutefois, nous paraît renversée : par là présence, sur

les coupes longitudinales, de libres moniliformes à protoplasma exubérant

ayant le caractère d'éléments jeunes ; parle fait que quelques-unes de

ces dernières, au lieu de suivre une direction parallèle, s'incurvent,

s'entre-croisent avec les plus volumineuses ; enfin par l'existence de fibres

divisées en Y. L'évolution clinique, cette ébauche de tissu plexiforme,

ces tubes en voie de néoformation active nous paraissent caractéristiques

du névrome myélinique vrai. Cette variété de tumeur pouvait être niée

tant que l'on admettait l'étroite conception du neurone; on ne concevait

pas, en effet, la possibilité de tubes nerveux proliférant en l'absence des

cellules ganglionnaires pour leur donner naissance. Celte objection nous

paraît de peu d'importance si, comme le veulent les travaux modernes,

on accorde à chaque segment interannulaire la valeur d'une cellule ner-

veuse entière susceptible, par conséquent, de se reproduire et de se mul-

tiplier individuellement. Nous ne saurions, toutefois, passer sous silence

les amas granuleux noirs et ramifiés, rappelant parleur forme certaines

cellules nerveuses. Il ne nous est pas possible de nous prononcer sur

leur nature, mais nous pensons plutôt qu'il s'agit ici de cellules granu-

leuses ou d'espaces lymphatiques remplis de produits de désintégration.

2° Persistance el régénération du bout périphérique. Ces deux faits

sont absolument contraires à la loi de Waller et à la doctrine du Neu-

rone.

Mais cette loi et cette doctrine, sur lesquelles s'appuie presque tout l'é-

difice de nos connaissances actuelles relatives au système nerveux, sont-elles

exactes ? Nous ne le croyons pas.

Nous avons discuté ailleurs en détail la question du Neurone ; nous

en avons fait ressortir les faiblesses et les impossibilités ; nous avons mon-

tré sous quel aspect nouveau et plus conforme à la structure générale de

l'organisme, les travaux récents permettent de concevoir la constitution

du système nerveux (1). Nous ne pouvons reproduire ici cette discussion

et nous nous bonrerons à en indiquer les lignes principales.

D'après la doctrine classique, l'unité nerveuse, ou neurone, est consti-

tuée par la cellule nerveuse centrale (cellule ganglionnaire), ses prolon-

gements protoplasmiques, et le cylindraxe périphérique du nerf corres-

pondant qui en représenterait un prolongement différencié.

Chaque neurone constitue, dans son ensemble, une unité cellulaire et

(1) Voy. G. DURANTE. Le neurone et ses impossibilités. Conception caténaire du tube

nerveux. Rôle actif des neuroblastes périphériques dans la transmission nerveuse (Rev.

neurologique).

336 DURANTE

n'a que des rapports de contiguïté avec les neurones voisins, tant dans les

centres par ses prolongements protoplasmiques,. qu'à la périphérie par ses

ramifications cylindraxiles.

La cellule ganglionnaire est le centre protoplasmique et trophique de

son prolongement cylindraxile purement conducteur, qui ne saurait vi-

vre sans elle. -

Cette doctrine s'appuyait : En embryologie, sur les travaux de His qui

avait décrit des cylindraxes nus bourgeonnant au dehors des centres.

En histologie, sur les résultats fournis par la technique de Golgi et de

Ramon y Cajal qui montrait des terminaisons libres aux ramifications ner-

veuses ; sur la continuité du cylindraxe, continuité toujours discutée et

qui n'avait jamais été démontrée. La constitution des segments interannu-

laires était due à des cellules mésoblastiques venant secondairement en-

tourer et protéger, de distance en distance, le prolongement cylindraxile.

En pathologie, sur la régénération par bourgeonnement du bout central,

et par la loi de Waller vérifiée tant dans les centres qu'à la périphérie.

Toutes ces données sont discutables. Si les faits sont exacts en eux-

mêmes, l'interprétation que l'on en donne n'a jamais été démontrée et paraît

même controuvée par tout un ensemble de travaux parus dans ces dix der-

nières années.

En embryologie, Balfour, Wijhe, Dohrn, Ilertwig, Apathy, Bethe, Raf-

faele, etc., etc., ont montré que les tubes nerveux se développaient aux

dépens de neuroblastes d'origine ectodermique émigrés de très bonne

heure dans le mésoderme,et dont le protoplasma différencie ultérieurement

le cylindraxe, la myéline et la gaine de Schwann segmentaires. Ce

développement est indépendant de toute connexion cérébro-spinale (Bier-

vleit, Bechterew), ce qui explique la présence des nerfs périphériques chez

les monstres privés de système nerveux central (IIertwig, G. Durante,

Brissaud etBruandet). Il se pourrait même que certains nerfs naissent aux

dépens de l'ectoderme ailleurs qu'au niveau de la gouttière médullaire

(Golte, Semper,Vijhe,Hoffmann,Beard, lcroriep,Iiatschensl;o). La cellule

nerveuse centrale, dont la structure est si complexe, serait elle-même,

d'après Bechterew, Capobianco et Fraguito, etc., le produit du fusionne-

ment de plusieurs cellules embryonnaires.

En histologie, la discontinuité du cylindraxe a été soutenue par Boll

Engelmann et plus récemment par Gedoelsl. Les travaux de ces auteurs,

ainsi que ceux de Apathy, Bethe, Paladino, Dohrn, etc., etc., montrent que

chaque segment inlerannulaire représente une cellule nerveuse ayant

différencié, selon son axe, un faisceau de fibrilles conductrices, tandis que

le reste de son protoplasma s'est imbibé de myéline. Le tube nerveux n'est

donc pas le prolongement d'une cellule centrale, mais est .constitué par

HÉMIMÉLIE RADIALE INTERCALAIRE

(Klippel et `Rll U11711

Masson & Cie, Editeurs

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 337

une chitine de cellules nerveuses périphériques (neuroblastes neuroforma-

tifs) possédant chacune une certaine indépendance relative. Leurs fibrilles,

fusionnées à leurs extrémités, constituent, dans l'axe des nerfs, un conduc-

teur ininterrompu quoique d'origine pluricellulaire. Au centre et à la

périphérie, ces fibrilles s'anastomosent pour former un réseau éta-

blissant des rapports de continuité entre toutes les parties du système ner-

veux (Apathy, Bethe, Nissl). Les cellules nerveuses s'anastomosent souvent

aussi entre elles par des prolongements protoplasmiques.

Le cylindraxe elle prolongement de Deiters ont des réactions absolu-

ment différentes et ne sont pas la simple continuation l'un de l'autre

(Dogiel, Apathy, Bethe, Neumann, Fraguito, Nissl, Kaplan). Les fibrilles

du cylindraxe se mettent en rapport souvent avec celles de plusieurs

cellules (Dogiel, Délier, Kaplan), et toujours avec une partie du réseau

péricellulaire (Dogiel, Bethe) dont l'origine est complexe. '

La Pathologie ne prête pas un appui beaucoup plus solide au Neurone.

Selon la loi de Waller, le bout pliéi-iphérique d'un nerf séparé de son c

tre trophique dégénère et disparaît; le bout central demeure normal : 1

la dégénérescence secondaire n'intéresse que le neurone lésé. "114

- Or le bout nérinhéruiue ne dégénère pas, mais se transforme. Privés de

l'influx nerveux, ses neuroblastes constitutifs perdent leur différenciation,

repassent à l'état de cellules protoplasmiques, subissent, en un mot, une

régression cellulaire identique à celle que nous avons décrite dans les

muscles placés dans des conditions analogues (1).

Cette régression du nerf n'est, du reste, pas absolument constante lors-

que la lésion porte, non pas sur le tronc, mais sur le seul nos au gris d'ori-

gine. Trop nombreux pour être cités ici sont les faits dans lesquels, il une

altération intense, à une destruction des cellules des cornes antérieures

avec dégénérescence plus ou moins marquée des racines antérieures, ne

correspondait aucune lésion des nerfs périphériques. Babinsky, Pitres,

Kronthal, Pilez, Siemerling en ont chacun rassemblé un assez grand

nombre de cas.

Ces faits concordent assez exactement avec la théorie qui met en rapport

les fibrilles cylindro-axiles, non pas avec une seule cellule, mais avec

plusieurs éléments différents, dont un certain nombre respectés suffiraient

à entretenir dans le nerf un faible influx nerveux capable de maintenir

son état différencié.

(1) Nous savons que les cellules musculaires, après régression cellulaire, sont su-

sceptibles de se transformer en cellules adipeuses. Il n'est pas impossible que les neu-

roblastes puissent, dans les mêmes conditions, subir une modification semblable et

aient ainsi concouru, pour une part, à la formation du tissu adipeux qui infiiti e le tronc

nerveux. Les fibres renflées de distance en distance par des cellules adipeuses, que

nous avons observées, plaideraient en faveur de cette hypothèse.

xvi 23

338 DURANTE

Quant au bout central, il subit la dégénérescence ou mieux l'atrophie

rétrograde dont nous avons essayé de déterminer les principaux caractères

en 1894, 1895, 1897, 1898 et sur laquelle ont insisté plus récemment

Berg, Flatau, Klippel, hohnstamm, Elzholz, Itaimann, Wesphal, etc., etc.

Enfin, les dégénérescences, tant wallérienne que rétrograde, ne se li-

mitent pas toujours au neurone intéressé, mais sont susceptibles de se ]11'0-

pager aux neurones voisins, aussi bien dans le sens du courant nerveux

que dans le sens contraire(G. Durante, Klippel, Ville, etc., etc.).

Quant à la régénération, le bourgeonnement du bout central n'a jamais

été, prouvé. Au contraire, Einsiedel, Benecke, Tizzoni, Cattani, Leegard,

Büngner, Henriksen, Ziegler, etc., etc., ont observé dans le bout périphé-

rique, après réunion, la formation segmentaire du nerf aux dépens des

cellules fusiformes remplissant les vieilles gaines de Schwann. Philip.

peaux et Vulpian avaient avancé la possibilité d'une régénération sans

réunion du bout central, mais avaient renoncé à cette hypothèse en pré-

sence de l'opposition générale qu'elle avait soulevée. Plus récemment,

Bethe, Ballance et Stewart, Henriksen ont obtenu expérimentalement chez

l'animal une régénération autogène du bout périphérique indépendamment

de toute réunion avec le bout central. Kennedy, Henriksen, l'avaient

signalée chez l'homme; nous en apportons ici un exemple particulière-

ment démonstratif par suite de la distance considérable séparant les deux

.bouts.

Enfin, la Physiologie (avalanche de Pflüger) nous montre que le nerf

n'est pas un conducteur inerte comme un fil de cuivre. Les éléments

constitutifs du tube nerveux interviennent clans celle fonction. Il semble,

y avoir une transmission active par les neuroblastes périphériques jouant

le rôle d'une série de petits postes intercalés se transmettant individuelle-

ment l'influx nerveux.

Ainsi qu'on le voit, la loi de Waller et la conception du neurone ne pa-

raissent pas répondre à la vérité.

La doctrine du Neurone, . très absolue, est peu susceptible, quoi qu'on

dise; de se prêter à des accommodements. Toute tentative d'atténuation en

est une négation déguisée. La cellule centrale et le cylindraxe, en effet,

représentent ou ne représentent pas une unité cellulaire.

Les travaux récents font de plus en plus ressortir le peu de fondement

de la première alternative sur laquelle était édifiée toute la théorie classi-

que : L'étude minutieuse des observations, l'emploi de techniques mieux

appropriées ont mis en évidence, dans tous les domaines de la neurologie,

des faits infirmant les hypothèses sur lesquelles s'appuyait le Neurone.

Parmi les auteurs modernes, Gedoelst, Apathy, Bethe, Dohrn, Paladino,

Neumann, Dogiel, Raffaele, Capobianco et Fraguilo, Fischer, Zieler.

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 339

Biervliet, llill, Ballance et Stewart, IIenriksen, Bechterew, Kaplan, dont

les recherches portent sur l'embryologie, sur les anastomoses fibrillaires

entre les neurones, et protoplasmiques entre les cellules ganglionnaires,

et sur la régénération discontinue du bout périphérique, considèrent le

tube nerveux comme une chaîne de cellules nerveuses périphériques dilié-

renciées, véritable société cellulaire (Bethe), ou entité sociale (Kaplan,

assimilable à un lobule nerveux primitif (Durante). Westphal, Kronthal,

Nissl, etc., mettent même en doute l'exactitude de la loi de Waller. En-

fin, dans des mémoires plus généraux, Ruffini, Gieson, Wilson, Paton,

llaenel, Sachs, Nissl, s'inscrivent résolument contre la conception du

Neurone que viennent contredire trop de faits anciens et nouveaux et qui

constitue un danger en servant à dissimuler sous un terme commode,

la faiblesse de nos connaissances sur la structure du système nerveux.

On reproche aux détracteurs du Neurone de récuser des faits démontrés.

Ce ne sont pas les fails qui sont inexacts, mais bien l'interprétation que

l'on en donne. Le Neurone n'était qu'une hypothèse, qui fut volontiers

admise, parce qu'elle était aisée à comprendre et qu'elle avait un nom court

et facile à retenir. L'examen un peu approfondi des faits nous permet de

voir, aujourd'hui, ses imperfections. Y persister plus longtemps serait

consentir à demeurer stationnaire. Il importe donc d'y renoncer franche-

chement pour adopter la conception de chapelet cellulaire, qui paraît plus

exacte, qui est, en tout cas, plus conforme à l'ensemble de nos connais-

sances cytologiques, et qui nous permet d'expliquer un ensemble de phé-

nomènes que le neurone ne parvenait pas il éclaircir.

3° La persistance de la sensibilité chez notre malade, après large résec-

tion du médian, est également incompatible avec la théorie du Neurone.

Ce cas n'est, du reste, pas unique dans la science. Létiévant, Richet,

Weir lVlitchell, Nott, Vucetic, etc. etc., ont également observé des faits de

section complète du tronc du médian sans troubles sensitifs consécutifs.

On peut en rapprocher le retour rapide de la sensibilité, après suture des

deux bouts d'un nerf sectionné, qu'Arloing et Tripier ont attribué à une

sensibilité récurrente et qui estsi fréquemment relevé par les chirurgiens.

Mais ce phénomène est surtout à comparer aux expériences de Maren-

ghi qui, sur le chien, a observé une restauration motrice et sensitive par

le crural, du sciatique réséqué et non réuni. Péraire invoque donc, à juste

titre, croyons-nous, une suppléance du cubital.

Cette suppléance ne saurait se comprendre avec la théorie classique qui

regarde chaque neurone comme une unité cellulaire indépendante,inca-

pable, par conséquent, de s'anastomoser véritablement à la périphérie avec

un Neurone voisin pour partager avec lui les mêmes terminaisons.

Nous y voyons, au contraire, une preuve des anastomoses nerveuses

34U DURANTE.

périphériques vraies telles que les ont décrites Apathy et Bethe. Ces

anastomoses, de même que certaines collatérales vasculaires, peu impor-

tantes à l'état normal, peuvent se développer lorsque l'une des voies d'accès

est progressivement supprimée, et permettraient alors une suppléance par-

faite par les conducteurs voisins.

Cette voie collatérale devait, en effet, s'être peu à peu établie et fonction-

ner déjà avant la résection du médian, puisque la malade a pu, de suite

après l'opération, localiser exactement des sensations gagnant l'écorce par

des troncs autres que le médian.

Il est vrai que l'on s'explique mal pourquoi cette sensibilité, d'abord

conservée, disparut peu à peu dans la suite, pour reparaître plus tard pro-

gressivement. Mais ce phénomène paradoxal, n'est pas exceptionnel. Dans

la plupart de ces faits de sensibilité persistante malgré une névrectomie,

comme dans celui qui nous occupe, on a noté des sensations vacillantes :

la sensibilité, normale d'abord en un point, s'émoussait, puis reparais-

sait pour disparaître ailleurs aussi passagèrement. Ces oscillations ne dis-

paraissent qu'à la longue. On pourrait les interpréter par la difficulté que

rencontrent ces voies anastomotiques à équilibrer un fonctionnement de-

venu subitement excessif. Mais nous croyons qu'il faut. en tout cas, tenir

grand.compte des troubles vasomoteurs, constants après la névrectomie, qui

troublent singulièrement l'équilibre nutritif des éléments périphériques.

Nous savons que, si la régénération autogène est possible, elle s'arrête

souvent à un état de développement imparfai L. Elle s'achève, par contre, ra-

pidement lorsque, après réunion du bout central, le bout périphérique

peut subir l'action de l'influx nerveux.

Peut-être est-ce à ces anastomoses vraies entre le cubital et le médian,

anastomoses plus perméables que normalement et permettant ainsi le pas-

sage partiel d'influx nerveux dans le bout périphérique, que l'on doit attri-

buer une régénération incomplète, il est vrai, mais notablement plus avan-

cée qu'on ne l'observe en général dans des conditions analogues.

En résumé, cette observation concerne un cas de névrome diffus du mé-

dian avec infiltration adipeuse ayant nécessité une large résection de ce

nerf.

A l'autopsie pratiquée quatre ans après, les deux bouts étaient séparés

par un espace de 17 centimètres.

Le bout périphérique persistait et avait même constitué un névrome

terminal. Ilislologiquement, il contenait des fibres nerveuses. La plupart

étaient à l'état de bandes protoplasmiques étroites non différenciées.

Quelques-unes présentaient une mince couche de myéline et un cylin-

draxe segmentaire. On pouvait observer tous les stades entre les tubes pro-

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 341

toplasmiques embryonnaires et les fibres nerveuses adultes complètement

différenciées. Ces dernières, cependant, se distinguaient des tubes nerveux

normaux par la largeur insolite de leurs étranglements annulaires, qui

donnait parfois l'impression d'une absence de fusionnement des segments

interannulaires. Dans les rameaux digitaux, à côté des fibres larges dont on

peut discuter la provenance cubitale, existaient des fibres jeunes néofor-

mées. Les cylindraxes, quoique nets, étaient moins nombreux et plus

souvent interrompus que dans le bout central.

Cette observation est en opposition avec la loi de Waller et la doctrine

du Neurone. Mais l'exactitude de cette loi et de cette doctrine est infirmée

par un ensemble de travaux récents montrant que le nerf est, non pas

formé par un prolongement cellulaire central, mais constitué par une

chaîne de neuroblastes périphériques relativement indépendants.

Ces neurohlastes ne dégénérant pas, mais subissant une simple régres-

sion cellulaire dans le bout périphérique d'un nerf sectionné, on comprend

que celui-ci puisse persister et même se régénérer jusqu'à un certain

point indépendamment du centre.

La persistance de la sensibilité dans le territoire du médian s'explique

par une suppléance du cubital rendue possible grâce aux anastomoses péri-

phériques vraies telles que Apathy et Bethe les ont décrites. -

EXPLICATION DES PLANCHES.

Sauf la figure A que nous devons à l'obligeance de M. Aubert, les autres

sont la reproduction de photographies que nous avons exécutées nous-mêmes

au laboratoire. '

Des dessins auraient été plus schématiques et plus faciles à interpréter ; des

aquarelles auraient donné des rouges qui ne peuvent pas ressortir par ce pro-

cédé. Mais dessins et aquarelles ne seraient jamais que l'interprétation plus ou

moins parfaite de nos coupes.

L'observation que nous publions ici étant sujette à discussion, nous avons

préféré avoir recours à la photographie dont la fidélité ne peut être suspectée,

et qui permet au lecteur, non seulement de vérifier la description que nous

donnons dans le texte, mais encore de la critiquer en connaissance de cause et

parfois même de la compléter.

Planche LXII. Fin. A. - m, Tronc du médian, du milieu de l'avant-bras jusqu'à l'ais-

selle, avec ses rameaux musculaires. a, Névrome central du médian. b, Son bout

périphérique avec ses rameaux digitaux. d, Ce bout périphérique est terminé par

un renflement fusiforme analogue à celui du bout central, mais un peu moins volumi-

neux. c, Cubital au niveau du tiers supérieur de l'avant-bras. En le comparant au

médian on peut se rendre compte de l'énorme hypertrophie de ce dernier.

342 DURANTE

FIG. B. Coupe longitudinale du névrome terminal du bout central, montrant l'en-

chevêtrement des fins faisceaux onduleux qui le constituent. Ces faisceaux sont

d'autant plus grêles que l'on se rapproche davantage de l'extrémité du névrome

côté gauche de la figure).

FiG. D. Coupe transversale du bout central immédiatement au-dessus du col du

névrome terminal. Forte infiltration adipeuse entre les faisceaux.

Le gros faisceau de gauche montre des fibres assez dissociées. Les fibres à myéline

sont inégalement disséminées, rarement réunies en faisceaux compacts. Elles sont

souvent entourées d'un petit faisceau de fibres amyéliniques se présentant comme

un petit polygone grisâtre sur la figure.

A droite, plus petits faisceaux possédant moins de tubes à myéline. L'un d'eux est

formé de deux portions concentriques très inégalement myélinisées.

Fin. D. Coupe transversale du névrome terminal du bout périphérique dans son

tiers supérieur, près de son col. Forte infiltration adipeuse. Les faisceaux nerveux

sont beaucoup plus gros que ceux de la coupe B, quoiqu'ils fassent, comme ceux-ci,

partie d'un névrome terminal.

La figure J de la planche LXIV représente un de ces faisceaux à un plus fort gros-

sissement.

Planche LXIII. FiG. E. Coupe longitudinale du bout central du médian au niveau

du bras.

Plusieurs fibres montrent un cylindraxe très net, parfois avec renflements fusiformes.

D'autres paraissent privées de cylindre-axe. Quelques-unes ont une disposition mo-

niliforme et semblent formées d'une série de petits segments fusiformes courts, unis

bout à bout, qui représentent, non pas des segments interannulaires, mais plutôt des

segments cylindro-coniques.

L'amas de grains noirs, à droite de la figure, représente des globules rouges.

Le rouge devenant noir en photographie, on ne peut, malheureusement, distinguer les

cylindraxes noirs des rouges. Le cylindraxe le plus marqué de la figure, était noir

dans sa plus grande étendue, mais devenait rouge à son extrémité supérieure au

point où il se renfle. Dans la fibre qui côtoie cette dernière à droite, il y a passage

du protoplasma myélogène noir en protoplasma rose (gris).

Les tubes nerveux sont ici parfaitement continus. On ne voit pas d'étranglement

annulaire. Ce que l'on pourrait prendre pour un étranglement,au milieu de la figure,

représente deux fibres un peu obliques sectionnées.

Fio. F. Coupe longitudinale du tronc du bout périphérique, correspondant environ

à l'un des faisceaux de la fig. I.

Les fibres nerveuses sont abondammcnt myélinisées, mais plusieurs d'entre elles pa-

raissent privées de cylindraxe qui n'apparait nettement que dans quelques-unes.

FIG, G. Autre coupe longitudinale du tronc du bout périphérique.

FiG. II. Autre coupe longitudinale du tronc du bout périphérique. Parmi les fibres

différenciées, les unes possèdent un cylindraxe plus ou moins net au milieu de la

myéline, d'autres en paraissent privées et présentent parfois un aspect annelé. Dans

la fibre occupant le centre de la figure, le cylindraxe, parti de l'étranglement an-

nulaire, s'arrête brusquement à une certaine distance.

Dans ces trois figures concernant le bout périphérique, les espaces intersegmentaires

sont bien plus nombreux et plus larges que dans le bout central (comparer la fig.E).

Ils paraissent tantôt vides, tantôt occupés par un grêle cylindraxe entouré d'une

délicate couche protoplasmique incolore.

Planche LXIV. Fis. I. Coupe transversale d'un des faisceaux nerveux de la figure D

à un très fort grossissement. Le tissu conjonctif constitue une enveloppe fibreuse

concentrique à chacune des fibres nerveuses qui sont représentées par de petites

taches rondes plus foncées, homogènes.

NÉVROME ADIPEUX DIFFUS DU MÉDIAN 343

Les vaisseaux intra-fasciculaires sont nombreux et leur paroi épaissie.

Fia. J. Coupe transversale du bout périphérique entre le névrome terminal et la

division en branches digitales. Nombreuses fibres à myéline complètes. Plus nombreu-

ses fibres embryonnaires représentées par des points grisâtres (roses sur la coupe)

et souvent réunies en faisceaux. Epaississement du périnèvre.

FiG. K. Coupe longitudinale au niveau du col du névrome périphérique, montrant

de fines lignes noires (myéline ou cylindraxe colorés par le Pal) au milieu des fibres

homogènes.

L'extrémité centrale de ce fragment correspondait à la coupe D.

FiG. L. Dissociation d'une des branches digitales. A droite, grosses fibres nerveuses

complètes avec myéline et cylindraxe.

A gauche, fibres embryonnaires dont l'une est chargée d'un chapelet de renflemenls

adipeux. Chacun de ces renflements est en rapport avec un ou plusieurs noyaux.

FiG. M. Même point que la fig. L mais à un plus fort grossissement.

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LE PSEUDO-OEDÈME CATATONIQUE

Symptômes. Diagnostic. Pathogénie (1)

PAR

MAURICE DIDE,

Professeur suppléant, chargé du cours de neurologie et de psychiatrie

à l'Université de Rennes.

Dans quelques notes récentes, j'ai attiré l'attention sur un syndrome

assez fréquent et dont pourtant les éléments n'avaient pas encore été

groupés et interprétés comme j'ai tenté de le faire.Kraepelin, à la vérité,

a signalé dans la démence précoce, les troubles vasomoteurs, la cyanose,

les oedèmes, mais les caractères vraiment très spéciaux de cet oedème

n'ont pas été précisés par le psychiatre de Heidelberg (2).

Je propose de qualifier ce syndrome d'abord par le terme de pseudo-

oedème, car il n'a pas, comme nous le verrons, les caractères de l'oedème

classique, et ensuite de catatonique, car il s'observe dans les différentes

modalités de la catatonie.

Je n'attache à ce terme de « catatonique » aucune valeur doctrinale,

n'ayant pas l'intention de prendre part dans le débat qui s'est engagé sur

la nature de la catatonie. On trouvera d'ailleurs à ce sujet dans le mémoire

de Claus (3) des documents très complets.

Il est d'usage classique aujourd'hui d'appliquer l'épithète de catatoni-

que à des manifestations assez variées, alternant souvent entre elles, et

qui ont, selon toute vraisemblance, une valeur séméiologique semblable.

Pour fixer les idées je rappellerai, d'après Kroepelin, Seglas, Sérieux,

etc., quelles sont celles de ces manifestations qui sont le plus souvent

notées. '

(1) Les photographies contenues dans ce mémoire ont été faites au laboratoire de

photo-radiographie de l'Ecole de médecine dirigé par M. le professeur Castex, l'ama-

bilité duquel je tiens à rendre hommage. '

(2) Les idées de cet auteur sont parfaitement résumées dans le récent manuel de

Psychiatrie de Rogues de Fursac, Paris, 1902. -

(3) CLAUS, Catatonie et stupeur . Rapport au congrès de Bruxelles, 1903.

348 MAURICE DIDE

C'est d'abord le négativisme qui se traduit au point de vue moteur par :

l'opposition, la résistance constante, la raideur musculaire, l'immobilité

d'attitude (stupeur catatonique), le mutisme volontaire.

La stéréotypie est également de même nature : c'est la tendance irrésis-

tible à la répétition de gestes parfois complexes et qui ne sont pas adaptés

à un but, ou de membres de phrase dénués de sens.

Les attitudes catatoniques (cataleptoides, flexibilité cireuse) sont moins

importantes que les troubles précédents, car elles se peuvent rencontrer

dans l'hystérie, les intoxications, les lésions du cervelet. L'écholalie et

l'échopraxie sont évidemment de même nature.

I. Symptômes d2c pse2scto-cedènae catatonique.

Il est plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. Il est localisé

le plus souvent au pied, à la face dorsale, commençant à la racine des

orteils pour se terminer autour du cou-de-pied; dans les cas légers, il

faut le chercher et la saillie des tendons est simplement noyée dans l'infil-

tration qu'on peut percevoir à la vue et au toucher ; dans les cas plus

accentués, il se fait une véritable saillie, un bourrelet à partir de la

racine des orteils. On peut l'observer au dos des mains, mais bien plus

rarement, et très exceptionnellement à la face.

Il donne à la pression, au niveau du pied, l'impression d'élasticité

quand il est très tendu,et il a une consistance gélatiniforme lorsqu'il com-

mence à se produire. Je ne l'ai jamais vu très tendu aux mains. La pres-

sion, même prolongée, ne donne pas une empreinte persistante à la

région déprimée, fÙt-elle allée jusqu'à sentit'Ie plan osseux.(V oir Pl. LXV,

fig. 1 et PI.LXVI, fig. 3.)

La peau du pied infiltré est de teinte grisâtre : mais souvent la cyanose

s'observe; elle est d'ailleurs inégalement répartie : généralement très

accentuée au niveau des orteils, qui prennent alors une teinte violet noirâ-

tre, elle va en s'atténuant vers le cou-de-pied. Parfois cette cyanose est

sous la dépendance du froid et il n'est pas rare, d'observer la température

locale notablement abaissée. Mais la cyanose peut s'observer dans le

pseudo-oedème catatonique alors que le pied a conservé sa chaleur normale;

elle subsiste même chez certains malades après plusieurs heures passées

au lit. Tout récemment, avec mon interne Durocher (1), nous avons vu se

produire, dans des cas de pseudo-oedème catatonique avec cyanose de

l'asphyxie symétrique des extrémités, avec gangrène, demeurant d'ailleurs

généralement superficielle. La coïncidence d'engelures à répétition n'est

(1) Mauhice DIDE et A. DUnOCIIE ! \, Asphyxie symétrique des extrémités et pseudo-ca-

lalonique (Soc. méd. scientifique de l'Ouest, 4 décembre 1903).

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. PI. LXV

i. Pseudo-oedème catatonique.

2. Pseudo-oedème catatonique au

début d'une période d'agitation.

L'infiltration a diminué.

PSEUDO-OEDÈME CATATONIQUE

dite.)

LE PSEUDO-OEDÈME CATATONIQUE 349

pas rare. Chez d'autres malades, on le trouve associé à de larges taches de

purpura : j'ai également constaté la coïncidence d'un érythème pellagroïde

avec toutes ses phases (érythème ; vaste vésicule à contenu séreux, escharre

superficielle). Enfin, comme nous le verrons, l'adipose symétrique doulou-

reuse est parfois constatée chez nos malades. Dans deux cas, j'ai constaté

de la polysarcie intermittente paraissant et disparaissant avec le pseudo-

oedème. °

La santé générale ne semble pas influencée et l'on voit des malades por-

teurs de pseudo-oedèmes catatoniques, vivre sans inconvénient pendant

de longues années. '

D'ailleurs, leur auscultation n'a rien révélé de bien spécial ; dans deux

cas, il existait quelques faux pas du pouls ; la tension artérielle reste au-

dessous de la normale. La température axillaire est, en moyenne, au-des-

sous de la normale et oscille autour de 36°; chez certains, la température

du matin est de quelques dixièmes supérieure à celle du soir. J'ai vu. ré-

cemment la température s'élever au moment de la production de gan-

grène symétrique. '

Chez les femmes, la menstruation est quelquefois modifiée : on peut no-

ter la ménopause précoce, des retards considérables dans les règles, par-

fois leur durée plus prolongée.

L'urologie (1) est très importante : l'albumine a été cherchée à différen-

tes reprises par des méthodes diverses et n'a jamais été constatée.

Tout d'abord, les notions récemment acquises sur la valeur des chloru-

res dans la pathogénie des oedèmes trouveront ici leur application : l'éli-

mination à peu près constante de quantités normales ou supérieures à la

normale de chlorures légitime encore l'appellation dé pseudo-18dème.

Voici d'ailleurs des tableaux qui sembleront démonstratifs :

350 MAURICE DIDE

On voit par ces tableaux que la quantité des chlorures est au moins

normale chez les malades qui présentent du pseudo-oedème.

Mais il nous a été donné d'observer certains de ces malades à des pha-

ses différentes ; d'abord avec l'infiltration, puis après qu'elle avait mo-

mentanément disparu. Voici les chiffres obtenus. Pour chaque malade,

un des dosages est fait à une période où le pseudo-oedème existe ; l'autre

alors qu'il a disparu :

i. Pseudo-oedème catatonique.

Après un mois de traitement

par la thyroïdine.

2. Pseudo-oedme catatonique léger.

Lipomes s\ métriques des cuisses.

Stupeur.

(Après un mois de traitement par la thvroïdine.)

PSEUDO-OEDÈME CATATONIQUE

3. Pseudo-oedème catatonique.

Stupeur.

LE PSEUDO-OEDÈME CATATO.I;IQUE 351

mais ce serait erreur, que croire qu'il est immuable : le repos au lit tout

à fait au début de l'évolution de l'affection mentale, atténue et peut même

faire disparaître le symptôme qui nous occupe. Plus tard, l'influence du

repos est beaucoup moins marquée ; cependant, comme on pourra s'en

rendre compte par la lecture des mensurations faites dans les observations,

il n'est pas exceptionnel d'observer au lever une diminution appréciable

de l'infiltration.

Les différentes médications tentées n'ont eu qu'une influence extrême-

ment douteuse et notamment le traitement thyroïdien. Il faut d'ailleurs être

circonspect dans l'appréciation des faits puisque, comme nous allons le

voir,le symptôme livré à lui-même peut rétrocéder.(V.1'I. LXVI,Gg.4921.

Les variations de l'état mental semblent exercer une réelle influence

sur le pseudo-oedème, et, dans plusieurs cas, des malades dont l'infiltra-

tion du pied existait dans une phase de stupeur, ne présentaient plus

celle infiltration pendant la phase d'agitation; mais, sans que J'aie encore

vu la proposition renversée, j'ai cependant pu constater de manifestes

pseudo-oedèmes chez des malades présentant un degré intense d'agitation

catatonique, ce qui ruine la conception vulgaire émise par certains infir-

miers lesquels pensent expliquer ce symptôme par des phénomènes de

stase passive due à l'immobilité.

Je n'ai une notion un peu précise du pseudo-oedème que depuis un an

environ et cette période est encore trop courte pour me permettre d'affir-

mer que tous les cas sont sujets à des variations, mais jusqu'à présent,

j'ai vu les modifications importantes se produisant dans l'état mental,

avoir un retentissement sur le pseudo-oedème. (V. Pl. LXV, fig. 2). z

Si maintenant, renversant la question, on se demande quelle est la fré-

quence du pseudo-oedème par rapport à la catatonie, on trouve un certain

degré de parallélisme entre ces deux manifestations, encore qu'il y ail

des exceptions ; d'une façon générale, les malades qui sont pendant une

période prolongée dans la stupeur catatonique présentent le pseudo-

oedème ; mais il ne faudrait pas essayer d'ériger cette proposition en loi

absolue ; les anomalies, rares d'ailleurs, que j'observe, me sont encore

inexpliquées. -

J'espère que ceux qui voudront bien vérifier les caractères que j'ai

essayé d'assigner au pseudo-oedème, les retrouveront et s'il s'est glissé

quelques erreurs, je serai heureux de les rectifier.

Observations résumées de 45 cas de pseudo-oedèmes catatoniques.

LE PSEUDO-oeDÈME CATATONIQUE 357

II. Anatomie pathologique.

Ce n'est encore qu'un paragraphe d'attente, car, depuis que j'ai connais-

sance de ce syndrome, je n'ai eu l'occasion de pratiquer qu'une seule au-

topsie chez une malade dont l'observation clinique se trouve dans la thèse

de Chenais (1). Cette femme, dont la maladie mentale évolua pendant

une dizaine d'années, devint tuberculeuse sur la fin et mourut de tubercu-

lose pulmonaire. A l'autopsie, on constata de vastes cavernes des deux

poumons. Le coeur ne présentait pas de lésion. Le foie était légèrement

atrophié et pesait 1250 gr. L'examen histologique permit d'y constater

l'existence de dégénérescence graisseuse nodulaire, sans tubercules hépa-

tiques. Les reins sont volumineux et extrêmement congestionnés. Rien de

spécial pour la rate et les organes génitaux. Le pancréas était macrosco-

piquement et microscopiquement quasi normal. Les capsules surrénales

présentaient à l'examen histologique une dégénérescence graisseuse assez

accentuée de la région corticale. Le cerveau n'offrait pas d'altération visi-

ble à l'oeil nu. L'encéphale pesait 1210 gr., le cerveau droit 510 gr. ; sa

densité était 1020 ; le cerveau gauche 540 gr., sa densité était 1059.

Le corps pituitaire était petit; le tissu conjonctif, un peu plus abondant

qu'il l'est normalement. Il existait de larges nappes de substance colloïde,

plus grandes même qu'en aucun point du corps thyroïde.

. Le corps thyroïde pesait 18 gr. ; l'examen histologique en fut pratiqué

avec l'aide de M. le professeur Perrin de la Touche.

La majorité des vésicules est exempte de colloïde. Dans les grandes vé-

sicules, l'épithélium semble normal.

Dimensions des grandes vésicules : 196 p. 147 p. (ce sont les plus gran-

des et elles sont en petit nombre). Les petites mesurent de 27 à 54. de

diamètre et sont arrondies. '

Sclérose péri et intra-lobulaire très accentuée. Colloïde dans les vais-

seaux lymphatiques et même dans certains vaisseaux sanguins où l'on ren-

contre des coagulats identiques à ceux qu'on trouve dans les lymphatiques.

Tous les vaisseaux sanguins, y compris les capillaires sont gorgés de

sang. Dans les lobules morcelés, la plupart des vésicules sont très petites

et dépourvues de cololïde. Quelques-unes des grandes paraissent résulter

de la coalescence de deux vésicules. En certains points, les vésicules ont

un contour sinueux ou sont aplaties.

Dans certains endroits, de petites vésicules présentant ou non un petit

point colloïde, sont séparées ! par un tractus conjonctif assez épais.

En un point, sous la membrane d'enveloppe, existe de l'infiltration

embryonnaire.

(1) Thèse de Chenais, Paris, 1902, observation III.

358 MAURICE DIDE

Des cellules ayant plutôt l'aspect de cellules thyroïdiennes forment t

certains amas d'apparence non vésiculaire comme s'il existait une prolifé-

ration diffuse. Cette disposition a même envahi tout un lobule devenu mé-

connaissable et dans les travées conjonctives voisines, on voit des boyaux

irréguliers formés de cellules résultant peut-être de la prolifération de

l'endothélium des lymphatiques qui, en un point, ne présentent pas de

colloïde dans leur intérieur.

Au voisinage de certains vaisseaux, on trouve des cellules conjonc-

tives en nombre anormal.

Dans les boyaux cellulaires proliférés, la cellule se colore beaucoup

plus.

L'examen de la coupe à l'immersion permet de constater encore quel-

ques détails : au niveau du petit lobule, le plus dégénéré, la sclérose est

monoalvéolaire; les vésicules sont très déformées; les noyaux du tissu

conjonctif sont très nombreux, allongés et manifestement multipliés.

Dans les cellules qui infiltrent le tissu conjonctif, la plupart des

noyaux se sont colorés en masse sans qu'on voie le réseau chromatique.

Dans celles où apparaissent des grains chromatiques distincts, ils sont

situés à la périphérie contre la memhrane nucléaire comme dans le plas-

mazellen d'Unna. Dans certaines vésicules sans colloïde où les cellules sont

libres, on voit des éléments thyroïdiens dont les noyaux irréguliers se

colorent en masse; on y trouve aussi de grandes cellules à protoplasma

granuleux nettement limitées dont le noyau ratatiné se colore peu ou point.

Ce serait manifestement dépasser ma pensée que croire que de pareil-

les lésions soient pathognomoniques du pseudo-oedème catatonique,Je sais,

au contraire, que des lésions aussi profondes du corps thyroïde peuvent

se trouver chez des malades qui furent exempts d'infiltration élastique.

Nous avons d'ailleurs, M. le professeur Perrin de la Touche et moi, publié

récemment un travail sur les lésions thyroïdiennes chez les aliénés en

général (1). Je reviendrai sur ce point dans la tentative de synthèse qui

terminera ce travail.

III. Diagnostic du ]Jseudo-oedème catatonique.

Dans un récent travail, j'ai essayé de montrer que le pseudo-oedème

catatonique faisait partie du même groupe pathogénique que le myxoe-

dème, le trophoedème et l'adipose douloureuse symétrique (2). Je veux

(1) E.Perrin de la Touche et IVIAURICE DIDE. Soc. de Neurologie, novembre 1903. R.

N. 1. or décembre 1903.

(2) Maurice Dide. La dystrophie cellulo-conjonclivo-vasculaire. Soc. de Neurologie,

décembre, 1903.

LE PSEUDO-OEDÈME CATATONIQUE 359

tenter aujourd'hui démontrer sur quelles bases se peut établir le diagnos-

tic de ces différentes affections.

Myxoedème. On sail que W. Gull signalait en 1873 l'existence d'une

maladie caractérisée par un gonflement de la peau et un état d'indiffé-

rence complète survenant chez les femmes à l'étal adulte. Or, en 1879, on

dénomma la maladie « myxoedème ». Morvan, en 1875 (lettre à Charcot)

montrait que cette affection n'avait point échappé à sa sagacité. On voit

donc que le myxoedème spontané de l'adulte fut connu avant le myxoedème

congénital s'accompagnant d'idiotie dont la découverte appartient à Bour-

neville (1880).

Nous scinderons la question pour essayer de rendre le diagnostic plus

clair.

Etudions d'abord les troubles mentaux. L'idiotie myxædérnateuse ne

nous arrêtera pas longtemps : en effet, il n'y a aucune analogie entre

l'état psychique des idiots et celui de nos catatoniques qui tous ont pré-

senté, jusqu'après la puberté lout au moins, un développement intellectuel

presque normal. Nous dirons cependant que les formes frustes de myxoe-

dème congénital sont beaucoup moins rares qu'on ne le pense : on en

trouvera la preuve dans le remarquable travail de Jeandelize (1). Il existe

à l'asile d'aliénés de Rennes toute une série de malades qui présentent les

signes manifestes d'insuffisance thyroïdienne périphérique congénitale et

dont le degré de développement intellectuel permet de les classer parmi

les débiles ou les imbéciles.

Les choses sont plus complexes si l'on s'occupe du myxaedémespontané

de l'adulte. En effet, si la torpeur intellectuelle est la règle et exempte de

toute manifestation catatonique, on peut voir, au contraire, des phénomè-

nes épisodiques délirants de l'agitation (Sauvage) (1), des hallucinations

(Blaise Osier), de la verbigération, des phénomènes d'opposition alternant

avec de la stupeur (Jeandelize) (3). Dans ce dernier cas vu d'autre part

les signes physiques on peut se demander s'il ne s'agit pas simplement

d'une malade très analogue à celles qui figurent dans nos observations.

Nous reviendrons sur ce point dans notre essai pathogénique. Quoi qu'il

en soit, pour rester dans le domaine du classique, un caractère mental

doit être considéré comme fondamental du myxoedéme : c'est la torpeur,

l'engourdissement, l'abolition même des processus psychiques. La stu-

peur catatonique est très différente, au contraire, et il s'agit d'un phéno-

mène actif que les auteurs allemands nomment « Sperrung » (barrage), le

malade étant en quelque sorte lié. J'ai pu me rendre compte de l'exacti-

(1) Jeandelize. Thèse de Nancy, 1903.

(2) Sauvage. Soc. of. med. Se, 1880, p. 411.

(3) Jeandelize. Loco cilalo, Obs. XIII.

360 MAURICE DIDE

tude de cette distinction clinique très importante. D'autre part, la

stupeur catatonique est toujours entrecoupée de raptus violents, d'actes

paradoxaux, de gestes stéréotypés, de verbigérations qui, d'après mon

observation, sont des phénomènes psycho-moteurs, la stupeur active ayant

probablement, souvent au moins, pour origine un état d'obsession allant

parfois jusqu'à l'angoisse.

Si nous nous sommes attaché à établir une distinction nette entre

l'état mental du myxoedémaleux et celui du catatonique, c'est que les ca-

ractères objectifs de l'oedème prêtent singulièrement à confusion : l'exa-

men minutieux des cas ne m'a pas permis de trouver un seul caractère qui

appartienne en propre à chacun de ces états. L'infiltration est plus géné-

ralisée peut-être dans le myxoedème, mais, dans les cas que j'ai pu obser-

ver, à la Salpêtrière, à Sainte-Anne et Rennes, il existait manifestement

une prédilection pour le dos du pied et le dos de la main. Si par ailleurs,

les membres et le tronc paraissent épaissis, c'est que là le tissu graisseux

est augmenté. La palpation ne donne pas du tout les mêmes renseigne-

ments qu'aux extrémités : on a une sensation de dureté beaucoup plus

grande. Le fait d'ailleurs que j'avance est admis par Oddo, Marfan et

Guinon. La photographie de myxoedème que je publie rend très manifeste-

ment le degré intense d'infiltration du dos du pied dont le développement

est hors de proportion avec celui de la jambe. On peut faire les mêmes

constatations si l'on se reporte aux photographies qui sont annexées aux

observations II, III, IV, XI, XII, XIII de Jeandelize z1) et aux figures 5,

7 et 9 du mémoire de Flourens (2).

La--localisation peut donc être considérée comme la même et ce

n'est, ni'sur.da consistance, ni sur la couleur que l'on se basera pour éta-

blir.une .distinction. Mais, dans le pseudo-oedème catatonique, il semble

que l'infiltration soit intimement liée à l'état mental, pouvant se mo-

'dlfr,elsae : lûi', étant même probablement, tout au moins indirectement liée

aux troubles encéphaliques. Dans tous les cas, la régression spontanée du

pseudo-oedème catatonique, dont la possibilité est incontestable, doit être

nettement opposée à la chronicité absolue et essentielle du m)xoedème. Un

deuxième caractère permettra la distinction des deux états : dans le pre-

mier, le traitement thyroïdien n'amènera que des modifications faibles ou

nulles; dans le second, la disparition rapide de l'infiltration tégumentaire

s'observera. Nous avons eu la chance de pouvoir pratiquer l'expérience

suivante : le traitement thyroïdien a été appliqué en même temps à trois

malades pseudocatatoniques et à un myxoedémaleux. Au bout de deux mois,

le pseudo-oedème des trois catatoniques avait très légèrement diminué;

(1) Jeandelize. Loco. citato, pl. III, p. 481. .

(2) Flourens. Elude sur la médication thyroïdienne, Bordeaux, 1896.

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. Pl LX\']

Avant le tr.iinment th roï.lim.

Taille : 62 centim.

Apres le traitement thyroïdien.

Taille 5 centim.

MYXCEDEME

Enfant de 14 ans.

(.Lf. Dide )

LE PSEUDO-OEDÈME CATATONIQUE 361

l'état mental n'avait subi aucune modification dans deux cas et s'était lé-

gèrement modifié en mieux dans le troisième. Quant au myxoedémaleux,

on jugera de l'effet produit par les photographies ci-contre : l'infiltration

a complètement disparu,le tissu adipeux est fondu et le malade,qui a grandi

de 13 cm. s'est très notablement réveillé. Il prend une part beaucoup plus

vive à ce qui se passe autour de lui. (Voir PL LXVII).

Le diagnostic est simple puisque dans le pseudo-oedème catatonique

les troubles mentaux sont primitifs et très spéciaux ; que l'oedème peut se

modifier avec eux ; dans les cas douteux donc, l'épreuve du traitement

sera indispensable.

TpopHOEDÈME. Le trophoedème est une affection à laquelle il n'est

que justice d'attacher le nom de Henry Meige et dont la réalité me paraît

incontestable. Les femmes sont beaucoup plus prédisposées que les

hommes. Les nombreuses observations qui en ont été publiées dans l'Ico-

nographie de la Salpêtrière permettent de s'en faire une très juste idée.

Le caractère héréditaire et familial est très souvent noté : plus rarement,

l'affection est congénitale et de nombreux individus de la même famille

peuvent être atteints de cette affection.

Les troubles mentaux n'avaient point été signalés à l'origine et peuvent

indubitablement souvent manquer. Cependant, récemment, une série

d'observations ont signalé la possibilité de coïncidence entre le trophoe-

dème et des états vésaniques d'ailleurs très différents.

La malade de Mabille (1) est une démente vésanique avec chorée chro-

nique. ' ,

.T'ai systématiquement cherché cette affection à l'asile de Rennes, avec

mon aimable médecin en chef, M. le Docteur Sizaret, et nous avons pu

arriver à réunir trois cas qu'ultérieurement nous publierons in extenso

Dans l'un, il s'agit d'une débile dont la photographie figure dans ce

mémoire ; un autre appartient à une femme atteinte de délire paranoïde,

et le dernier est celui d'une femme atteinte d'involution sénile avec suba-

gitation continuelle. Il est manifeste que, si les aliénistes cherchaient

avec soin dans leur service, ils arriveraient à isoler, comme nous l'avons

fait, M. Sizaret et moi, un certain nombre de cas inédits de trophoedè-

mes. (VOil' PI. LXVIII, fig. 1).

Quoi qu'il en soit, il serait inexact d'attribuer une valeur diagnostique

quelconque à l'existence de troubles mentaux qui souvent manquent et

qui, quand ils existent, sont extrêmement variables d'un cas à l'autre.

Les localisations du trophaedéme sont importantes à connaître. Elles se

font au niveau d'un ou plusieurs segments d'un ou des deux membres

inférieurs.

(1) MABILLB. Nouvelle Iconographie de la Salp., 1901, p.503,

362 - MAURICE DIDE

La localisation au bras est beaucoup moins fréquente ; la face est ra-

rement prise ; chez l'une des malades cependant dont nous publions la

photographie; l'infiltration s'observe à ce niveau. Mais le trophoedème

jouit à ce point de vue d'un caractère qui le distingue nettement du pseudo-

oedème catatonique : il dépasse toujours les limites de l'extrémité distale

d'un membre (1) et se poursuit, sans interruption, depuis la racine des

orteils ou des doigts jusque très au-dessus de la cheville ou du poignet et

souvent jusqu'à la racine du membre.

- La consistance du trophoedème est notable et c'est véritablement un

oedème dur, blanc le plus souvent, parfois cependant légèrement cyano-

tique, ne gardant pas l'empreinte du doigt.

L'évolution du trophoedème est nettement chronique et elle peut durer

la vie entière sans rétrocession et sans influence sur l'état général.

' Le traitement thyroïdien tenté, n'a donné que des résultats inappré-

ciables. ' -

Nous signalerons le résultat de nos analyses d'urine dans trois cas de

trophoedème : .

LE PSEUDO-OEDÈME CATATONIQUE 363

Launois et Bensaude(l); la lipomatose diffuse symétrique de Mosny et

Beaufumé qui se distingue par la maigreur générale des masses

musculaires des membres et de la face, la finesse des attaches des

pieds et des mains; les lipomes multiples symétriques circonscrits qui

sont d'observation courante et que Queinnec (2) a récemment réunis dans

sa thèse. L'avenir nous apprendra quels rapports on doit admettre entre

ces différents états et le syndrome de Dercum. Mais, pour la plupart, ils

semblent encore de connaissance trop récente pour qu'une tentative de

synthèse pathogénique puisse être tentée avec fruit et s'il est manifeste

que la neuro-fibromatose est une maladie bien autonome, il existe peut-

être entre les autres états des formes de passage. -

On admet, en effet [et Sellerin (3) codifie à cet égard nos connaissances]

au moins trois formes de l'adipose douloureuse :

10 La forme nodulaire, caractérisée par les tumeurs plus ou moins

volumineuses, le plus souvent symétriques rappelant parfois les lipomes

multiples.

2° La forme diffuse localisée, dans laquelle l'adipose se cantonne aux

membres ou aux segments de membres sous forme de masses étendues.

3° La forme diffuse généralisée, dans laquelle la graisse est hypertrophiée

dans la totalité du corps.

Il ne nous parait pas très légitime d'admettre la forme nodulaire : elle

ne répond pas aux descriptions qu'a données le neurologiste de Philadel-

phie ; elle manque d'un des caractères cardinaux du syndrome : la symé-

trie ; il est bien probable qu'un certain nombre de cas appartiennent à

la neuro-fibromatose et d'autres sont de vulgaires lipomes multiples.

Les deux autres formes présentent au contraire une grande homogé-

néité : elles ont surtout cette allure métamérique qui manque dans

la première et c'est à elles que nous ferons allusion dans la rapide revue

symptomatique que nous allons tenter.

Les troubles mentaux sont très fréquents mais non constants cependant;

ils sont d'ailleurs variables : c'est souvent de l'affaiblissement intellec-

tuel ou une affection mentale par involution sénile (4). Des recherches

(1) Launois et BENSAUDE. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1889 et Soc. méd.

des hôpitaux, 5 mars 1897.

(2) QUEINNEC. Thèse de Paris, 1903.

(3) Sellerin. Contribution à l'élude de l'adipose douloureuse. Thèse de Paris, mars

1903.

(4) DENY et LaPLAY dans le précédent numéro de l'Iconographie de la Salpêtrière,

ont publié un cas de syndrome de Dercum chez une alcoolique affaiblie intellectuel-

lement.

364 MAURICE DIDE

soigneuses dans les asiles d'aliénés seraient indispensables pour nous

fixer sur la fréquence de ce syndrome que je ne pense pas exceptionnel

chez les aliénés. Une statistique portant sur un nombre important de cas

examinés dans ce sens, nous fixerait sur la nature des troubles mentaux, la

plupart des observations présentant de notables lacunes psychiatriques.

Dans nos trois cas, il s'agit d'agitation catatonique, de délire paranoïde

arrivé lentement à la désagrégation psychique et d'une démence para-

noïde à marche plus rapide avec phénomènes catatoniques. Mais, comme

on pourra le voir par la lecture de nos observations résumées, les cas frustes

ne sont pas rares et l'adipose symétrique douloureuse discrète est assez

fréquemment associée au pseudo-oedème catatonique.

L'adipose douloureuse débute souvent par un empâtement rouge et

douloureux auquel succède la production graisseuse définitive ; j'ai pu

me rendre compte de l'exactitude de ce fait décrit par Sellerin.

La localisation est importante à connaître : les pieds, les mains, la face

sont toujours indemnes et ce sont là les régions qui étaient prises dans

le myxoedème et le pseudo-oedème catatonique.

Le développement de la graisse ne se fait pas d'une façon uniforme :

il est même général de voir, quand l'adipose est considérable, les sillons

rentrants qui donnent au tégument un aspect matelassé. La localisation au

niveau des membres est capitale et il semble que les auteurs n'aient pas

suffisamment insisté sur la distinction très nette qui peut s'établir à ce

sujet entre le syndrome de Dercum et, d'une part, les adiposes progressi-

ves de l'obésité et de l'adipose du myxoedème et, d'autre part, le trophoe-

dème. Jamais dans les premiers cas, tout au moins, dans ceux assez nom-

breux que nous avons trouvés dans les auteurs ou dans notre observation

personnelle, le tissu graisseux ne fait saillie à la racine du membre,

lequel, dans son hypermégalie a conservé ses proportions primitives.

Dans le trophoedème, au contraire, il n'y a plus opposition entre l'état du

pied et celui de la jambe, l'infiltration étant uniquement répartie.

La saillie graisseuse est au contraire très nette au-dessus du poignet et

de la malléole dans le syndrome de Dercum comme cela est manifeste

dans nos photographies (Voir PI. LXVIII, fig. 2 el 3).

Le tableau comparatif suivant fera très bien comprendre noire pensée.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XVI. Pl. LXVIII

1. Trophoedlllc,

2-3. Maladie de Dercum.

(M. Dide.)

LE PSEUDO-OEDÈME CATATONIQUE

365

366 MAURICE DIDE

moteurs exceptionnellement notés, comme la démarche hésitante (Oddo et

Chassy), la parésie de la 3e paire (Dercum), des troubles secrétoires comme

l'hypohydrose (Henry), des troubles trophiques comme la xérodermie

(Jiudiceandrea).

L'examen des urines a montré que l'excrétion en quantité est peut-être

un peu diminuée. Il n'existe pas d'éléments anormaux. Nos dosages sem-

blent montrer que l'excrétion des phosphates est légèrement diminuée et

que, par ailleurs, les autres éléments de l'urine s'y trouvent en quantité

normale.

Le syndrome de Dercum se distinguera.donc du pseudo-oedème, cata-

tonique par sa localisation en tous les points qui sont respectés par le

deuxième ; l'association des deux syndromes s'observe. Il se distinguera

du tropheedème en ce qu'il respecte les mains et les pieds et présente des

phénomènes douloureux. La consistance est d'ailleurs très différente el

permettra de reconnaître même les cas où le syndrome de Dercum s'asso-

cierait à un pseudo-oedème du pied.

IV. - Essai pathogénique.

Dans les paragraphes précédents, j'ai volontairement éliminé des infil-

trations affectant avec le pseudo-oedème catatonique de manifestes analo-

gies, comme l'oedème bleu des hystériques et les oedèmes névropathiques

liés à des affections du système nerveux central que leur étiologie précise

suffit à caractériser. La connaissance cependant d'infiltrations très analo-

gues objectivement à des manifestations purement dystrophiques et liées

à des lésions matérielles du système nerveux est importante à connaître.

Il est incontestable qu'on peut observer dans la polyomyéli1e antérieure

un oedème du dos du pied ne s'atténuant pas par le repos, ne prenant pas

l'empreinte du doigt, se cyanosant facilement et n'influençant pas la san-

té générale. Or, il ne paraît pas douteux que dans ce cas, l'atrophie mus-

culaire est, commel'aedéme, commandée par les lésions des régions tro-

phiques de la moelle. Et, si l'on veut bien admettre ce premier point, on

concevra difficilement qu'un phénomène tout à fait analogue puisse se

produire sans que cette région trophique médullaire entre en jeu. Ceci

n'a d'ailleurs rien de nouveau et depuis longtemps le professeur Bris-

saud (1) a montré la disposition métamérique des trophonévroses, ce qui

implique la participation de la moelle, et j'admets bien volontiers que la

localisation du pseudo-oedème catatonique est commandée par la métamé-

rie médullaire. -

(1) BRISSAUD. La mélamérie dans les tro1Jhonévl'oses, Nouvelle Iconogr. de la Sal-

pêtrière, 1899, p. 69.

LE PSEUDO-OEDÈME CATATONIQUE 367

Mais, il faut essayer d'aller plus loin encore dans l'interprétation des

faits.

Ces syndromes dont nous avons cherché à montrer les carac-

tères distinctifs ont cependant de nombreux points communs (le pseudo-

oedème catatonique, le trophoedéme atteignent, avec une grande prédi-

lection les femmes; les caractères objectifs de l'infiltration myxoedéma-

teuse catatonique et du trophoedème sont à peu près identiques ; la loca-

lisation de l'adipose douloureuse est exactement celle que respectent le

myxoedème et le pseudo-oedème catatonique). Toutes ces manifestations

ont-elles une pathogénie univoque ?

La pathogénie du myxoedème est parfaitement établie et elle a démon-

tré ce fait important que la destruction, la perte ou l'agénésie du corps

thyroïde avaient un retentissement à la fois physique et intellectuel. Le

rôle trophique n'est pas plus douteux que l'influence psychique et l'on

sait que si le corps thyroïde altéré retentit sur le cerveau, d'autre part,

les troubles cérébraux auront grand'chance de retentir sur le corps thyroï-

dien ; ce lien est à la fois physiologique et anatomique.

Je suppose donc que des modifications, restant dynamiques pendant une

période de temps probablement longue, se produisent dans le corps thy-

roïde des individus qui présentent du pseudo-oedème catatonique, et que

ces troubles sont eux-mêmes consécutifs aux troubles de la circulation

cérébrale- On voit donc que d'après cette conception les troubles mentaux

seraient primordiaux. Les altérations thyroïdiennes pourraient ultérieure-

ment devenir définitives. En admettant d'ailleurs que l'hypothèse que

nous avons formulée se trouve rigoureusement démontrée, resterait à

établir quelle est la variété d'altération du jeu. Mais tous ces faits fussent-

ils démontrés, cela n'impliquerait pas que d'autres glandes vasculaires

sanguines ne joueraient pas un rôle dans la pathogénie des accidents. La

physiologie des organes de la sécrétion interne est encore trop mal connue

pour qu'on puisse émettre à présent des théories exclusives. Pour rester

dans le domaine des faits très admissibles, nous dirons que des troubles

de la circulation cérébrale peuvent agir sur les glandes ayant pour rôle

de régler la trophicité. Ces glandes devenant insuffisantes, peuvent com-

mander la production d'infiltrations pseudo-oedémateuses dont la localisa-

tion est elle-même réglée par la métamérie spinale.

Dans notre conception, l'importance considérable des troubles cérébraux

n'échappera pas et'si nous avons proposé le terme de pseudo-oedème cata-

tonique, ce n'est pas que nous supposions que les manifestations de la

catatonie soient seuls en jeu; d'autres troubles cérébraux comme la pa-

ralysie générale, la mélancolie, peuvent amener de pareilles modifica-

tions dystrophiques. Mais, au lieu que le pseudo-oedème soit pour ainsi

368 MAURICE DIDE

dire la règle dans les manifestations catatoniques, il est l'exception quand

ces manifestations font défaut, Et, nous le répétons en terminant, nous

n'attachons au terme de « catatonique » aucune valeur doctrinale tout en

reconnaissant dès maintenant la trs grosse valeur de ce syndrome dans

le pronostic des états psychopathiques.

Afin de nous résumer au point de vue palhogénique nous supposons

qu'il s'agit :

4° Pour le myxoedème, d'une lésion thyroïdienne primitive retentissant

ensuite sur le cerveau et la trophicité générale.

2° Pour le trophoedème, d'une dystrophie probablement complexe. Ici,

le retentissement cérébral est inconstant.

3° Pour l'adipose douloureuse, d'une dystrophie atteignant probable-

ment d'emblée plusieurs glandes vasculaires sanguines et ayant un ralen-

tissement cérébral très fréquent.

4° Pour le pseudo-oedème catatonique. d'un trouble cérébral probable-

ment primitif et atteignant ultérieurement d'abord d'une façon dynamique,

puis créant des lésions probablement durables dans le corps thyroïde et

d'autres glandes vasculaires sanguines.

TICS ET STÉRÉOTYPÉS DE LECHAGE

CHEZ L'HOMME ET CHEZ LE cheval,

PAR

F. RUDLER ET C. CHOMEL

Médecin-Major Vétérinaire en le'.

La multiplicité des fonctions de la langue explique, chez le cheval comme

chez l'homme, le nombre et la variété des tics auxquels cet organe peut

prendre part. M. Cadéac (1) décrit, chez les équidés, des tics actifs de la

langue (animal qui double la langue en dessous, la replie au-dessus du

mors, tic de la langue serpentine), le tic d'agiter la lèvre inférieure et de

passer rapidement la langue sur les lèvres (2), le tic passif de la langue

pendante, enfin le tic digestif de lécher les poils. Nous n'envisageons,

dans cette étude, que la dernière variété de tics de léchage mentionnée

par M. Cadéac ; toutefois, nous plaçons, dans cette catégorie qui pourrait

être opposée à celle des cheilophages ou auto-lécheurs , non seulement les

chevaux qui lèchent exclusivement les poils de leurs voisins, mais aussi

et surtout les sujets qui passent la langue sur tous les objets qui les en-

tourent. t.

Il est d'observation courante que beaucoup d'animaux sont lécheurs.

« Sous l'influence de l'ennui, dit M. Cadéac (3), les veaux, les vaches et

les poulains contractent fréquemment, pendant l'hiver, l'habitude de lé-

cher exclusivement les poils; elle disparaît au pâturage pendant que les

animaux prennent leur repas ; quand ils ruminent, on les voit se rappro-

cher et se lécher réciproquement ; il semble que la saveur salée n'est pas

étrangère à cette habitude. »

Une habitude vicieuse qui naît de l'ennui de la stabulation hivernale

(1) Cadéac, Nouv. Dict. prat. de méd. vétérin., t. XXI, novembre 1892, p. 192 et

suiv.

(2) Cette variété a son équivalent, chez l'homme, dans la cheilophagie ou auto-lé-

chage des lèvres avec la langue (M. Henry Meioe, XIII0 Congrès des Aliénistes et Neu-

rologistes, août 1903, et Journal de Neurologie de Bruxelles, novembre 1903). Nous

n'avons pas encore rencontré de chevaux cheilophages.

(3) CADÉAC, loc. cit.

xi 25

370 RUDLER ET CHOMEL

et qui disparaît au pâturage ne saurait répondre à la définition clinique

du tic : trouble psychomoteur. Un tic de léchage n'est constitué que si

l'action de lécher devient permanente, involontaire, chez des sujets pré-

disposés à ce défaut par un état spécial de déséquilibre nerveux. Exis-

te-t-il des animaux, en particulier des chevaux, qui présentent de sembla-

bles tics de léchage ? Les faits de léchage habituel observés par Dieckerhoff(l)

et les études de Kleinpaul sur le lie du lèchement" Otl maladie du lécher des

bovidés (2) étant muets sur ce sujet, nous avons examiné les chevaux lé-

cheurs du 4e régiment d'artillerie. Au nombre de huit (3), ils sont âgés

respectivement de 7, 8, 10 et 13 ans, et sont affectés indistinctement au

trait ou à la selle, c'est-à-dire soumis aux conditions les plus diverses.

A la vérité, les troubles moteurs présentés par ces chevaux ne sont pas

des tics véritables, ils répondent plutôt aux habitudes motrices intempes-

tives désignées, en médecine humaine, sous le nom de stéréotypies. Cette

déclaration préalable était nécessaire parce qu'elle appelle quelques défi-

nitions.

D'après l'enseignement de M. J. Séglas, « les stéréotypies sont des at-

titudes, des mouvements, des actes de la vie végétative, qui sont coordon-

nés, qui, n'ayant rien de convulsif, ont au contraire l'apparence d'actes

intentionnels ou professionnels qui se répètent longtemps, fréquemment,

toujours de la même façon, qui, au début, sont conscients, volontaires et

qui deviennent plus tard automatiques et subconscients par le fait même

de leur longue durée et de leur répétition » (4).

« La stéréotypie diffère du tic par sa réaction motrice; elle n'a jamais

l'apparence convulsive, clonique ou tonique, que présente ce dernier. Dans

le tic clonique, la contraction est exagérée dans sa vitesse, dans le tic to-

nique il y a exagération de la durée de la contraction musculaire » (S) ;

dans les deux variétés, il doit y avoir en outre excès d'intensité des con-

tractions musculaires.

L'étude clinique établira à quelle catégorie de troubles moteurs appar-

tiennent nos lécheurs ; disons dès maintenant que : « les stérotypies

(1) DIECKHRIIOFF, Le tic du cheval, trad. G. Joly, 1898, p. 33 : « de même que cer-

tains tiqueurs, d'autres animaux lèchent les objets qui les entourent et les enduisent

de salive. »

(2) KLEINPAUL, Le tic « du lèchement » dans le canton de Johannisberg et la valeur

alimentaire du foin du marais. Analysé dans la Rev. gén. de méd. vétér., leur avril

1903.

(3) 8 chevaux atteints d'habitude morbide de lécher les poils ou autres objets sur

un effectif de 900 chevaux appartenant à 12 batteries du 4° régiment d'artillerie.

(4) A. CAHEN, Contrib. à l'étude des s<e)'6o/p : M, Arch. de Neur., 1901, p. 474, cité

par MM. Henry Meige et Feindel, Les lies et leur traitement, p. 459.

(5) Henry Meige et E. FEINDEL, Les tics et leur traitement, Paris, Masson, 1902,

p. 459.

TICS ET STÉRÉOTYPIES DE LÉCHAGE 371

offrent avec .les tics d'étroites affinités ; ces accidents onl souvent été

confondus avec eux, et, dans nombre de cas, on hésite vraiment à se pro-

noncer dans un sens ou dans l'autre.... » (1). Une perturbation psycho-

motrice est à l'origine de ces deux sortes d'accidents.

La parenté morbide des tics et des stéréotypies bien mise en lumière

par MM. Séglas, Henry Meige et Feindel, est confirmée, au point de vue

clinique et étiologique, par un cas de stéréotypie humaine de léchage que

nous pourrons comparer aux faits analogues observés chez le cheval. Elle

justifie tout au moins l'identité de méthode d'observation que nous appli-

quons à l'étude de ces deux catégories d'accidents.

Comme pour l'étude du tic de l'ours, le livre de MM. Henry Meige et

Feindel a servi de base à nos recherches de pathologie comparée. Nous

devons, de plus, à la bienveillance de M. H. Meige des indications et des

conseils personnels dont nous tenons à le remercier au début de ce

travail.

.Conformément au plan adopté par nousdans l'étude du Tic de l'ours (2),

nous groupons les faits de léchage observés par nous sous les rubri-

ques suivantes : phénomènes moteurs, troubles psychiques, troubles de réflec-

tivité, etc., stigmates physiques.

Étude CLINIQUE.

. 1. Phénomènes moteurs. - Le cheval atteint d'une habitude vicieuse

de léchage passe fréquemment la langue sur les objets qui l'entourent ;

il lèche de préférence ses voisins à l'encolure, aux épaules, aux parties

du corps mouillées de sueur; mais il lèche aussi les murs, sa mangeoire,

cela tous les jours, plusieurs fois par jour.

La réaction motrice de l'habitude de lécher représente un mouvement,

un acte coordonné,qui n'a rien de convulsif. La bouche entr'ouverte, les z

joues creusées légèrement, les yeux demi-clos, la tête indifféremment t

haute ou basse, le sujet sort et rentre alternativement la langue dans

un mouvement régulier, presque rythmé ; il n'y a cependant pas là

l'équivalent d'un tic rythmique, les mouvements ne se répétant pas né-

cessairement à intervalles égaux ; les lèvres se ferment pour l'acte de

déglutition. Les mouvements de la langue sont rapides ; leur fréquence

est variée ; ils se reproduisent inopportunément, avec excès ; il y a défor-

mation de la contraction normale en vitesse et le geste revêt de ce fait une

apparence clonique, mais il n'y a pas excès d'intensité des contractions

musculaires ; les caractères de la contraction musculaire ne diffèrent

(1) H. MEME et Feindel, loc. cit., p. 459.

(2) F. Rudler et C. C110biEL, Le tic de l'ours chez le cheval et les tics d'imitation

chez l'homme, Rev. Neur., 15 juin et Rev. de méd. vét., 30 octobre 1903.

372 RUDLER ET Cû0111EL

que par la vitesse de ceux que celle-ci affecte dans l'acte normal de lécher.

En outre, cet acte est intempestif et surtout il se répète avec excès (1).

La durée des accès de léchage est, généralement, de 15 à 20 minutes ;

ils se produisent de préférence à l'écurie, au retour du travail (fait cons-

taté chez tous nos sujets),, quelquefois sur la route, pendant les halles

(Symbole et Rasoir) ; la présence du mors ne paraît pas incommoder le

lécheur et l'accès est alors interrompu par le signal du départ. L'accès

est suspendu ou arrêté par l'attention et les distractions, mais il résiste

à l'isolement. « Les fatigues l'exaspèrent » (H. Meige et Feindel) ; après

une série d'étapes, Rasoir éprouve du dégoût pour la nouriture, il lèche

alors indéfiniment les objets variésd'une écurie de cantonnement, recueil- '-

lant sur la langue des toiles d'araignée dont il forme boule et fait maga-

sin. La durée des périodes de repos varie avec chaque sujet, mais tous

nos chevaux présentent des accès quotidiens.

La stéréotypie du mouvement de lécher se distingue donc objectivement t

de ce que serait un véritable tic de léchage par sa réaction motrice même

qui ne présente aucun caractère convulsif. Elle offre cependant les plus

grandes analogies avec les tics, comme l'indique l'exposé qui précède. Un

autre fait important confirme cette parenté morbide.

On sait que les tics de la langue sont rarement isolés chez l'homme ; ils

appartiennent à la série des tics variables (II. Meige et Feindel, p. 275).

Il n'en est pas de même chez le cheval, qu'il s'agisse de tics ou de stéréo-

typies, et il ne semble pas, à la suite d'observations déjà nombreuses et

variées, que l'animal, et en particulier le cheval, soit capable de tics va-

riables. Nous aurons à rechercher, dans les travaux ultérieurs, si le psy-

chisme évidemment très inférieur de l'animal n'est pas la raison, chez

lui,de ses manifestations psychomotrices beaucoup plus simples comparables,

en quelque sorte, aux tics de balancement, d'encensement, de mâchon-

nement des idiots qui sont des manifestations anormales de leur activité

motrice en rapport avec leur faible développement psychique. Toutefois,

l'habitude vicieuse de léchage n'est pas toujours absolument simple dans

sa forme chez le cheval ; elle se complique parfois d'actes de mordillement

et de mâchonnement; avant de lécher, Tunel mordille le licol de son voisin ;

plusieurs chevaux suspendent le léchage pendant quelques instants pour

mâchonner. Mais, dans ces cas particuliers, les mouvements des mâchoires

appartiennent au trouble moteur lui-même qu'ils ne font que précéder

ou interrompre.

Ce fait établit que, dans les stéréotypies comme dans les tics, il existe

des actes complexes, et aussi que, sans atteindre aux tics variables ou à

(1) II. MEioB et FEINDEL, IOC. cit., p. 458.

TICS ET STÉRÉOTYPIES DE LÉCHAGE ' 373

des troubles moteurs très compliqués dans leurs formes, le cheval est

capable de manifestations psychomotrices variées.

2. Troubles psychiques. - Les stéréotypies de l'homme se produisent

chez des sujets présentant un certain degré d'affaiblissement ou tout au

moins de déséquilibre mental.

Pour la première fois, à notre connaissance , que des troubles de ce

genre sont décrits chez l'animal, il importait donc de rechercher si chez

les sujets qui présentent ces désordres on pouvait retrouver des indices

de ce déséquilibre nerveux, plus ou moins analogues à ceux qu'on observe

chez l'homme. De fait, nos lécheurs présentent bien des phénomènes

que l'on peut qualifier de psychopathiques, comparables à ceux que nous

avons déjà signalés chez les chevaux atteints du tic de l'ours, et qui

offrent de réelles analogies avec ceux de l'état mental des tiqueurs hu-

mains.

Mais, avant d'aller plus loin et pour éviter toute interprétation défec-

tueuse de notre pensée, il est nécessaire de rappeler ce qu'il faut entendre

par le psychisme de l'animal : nous voulons dire par là que l'animal, et en

particulier le cheval, possède une écorce cérébrale qui lui permet d'exé-

culer toute une série d'actes, qui pour être très simples et susceptibles seu-

lement d'un perfectionnement très limité ne sont pas moins facilement re-

connaissables et se distinguent nettement des actes purement réflexes

d'origine bulbo-médullaire. Nous avons relevé, dans notre « Étude du tic de

l'ours » ces actes volontaires, ces actes d'imitation, phénomènes psychomo-

teurs, qui impliquent nécessairement la mise en jeu de centres supérieurs

d'association et de coordination, et qui ne peuvent s'expliquer que par la

participation de l'écorce cérébrale. Dans le même travail, nous avons noté

des troubles du caractère (nervosisme, émotivité, impressionnabilité,

phobies visuelles ou auditives), qui indiquentmanifestementque l'activité

corticale du cheval peut être troublée de différentes façons. Nous sommes

donc autorisés, par comparaison avec ce qu'on l'on ohserve chez l'homme,

à employer des expressions, telles que phénomènes psychiques, troubles

psychiques, état psychopathique, etc.

Ceci dit, revenons à nos chevaux lécheurs.

Nous avons rencontré chez eux les mêmes symptômes psychiques que

chez les chevaux atteints du tic de l'ours.

Le lécheur est nerveux, émotif, impressionnable. Ciseau etNotus s'iso-

lent très difficilement d'une colonne; Rasoir fléchit sur ses membres sous

le coup d'une émotion vive ; plusieurs chevaux s'affolent en présence de

la barre, bourrent, sont très chauds à l'obstacle (Rasoir, Laiton, Notus,

(1) II. Matas et Feindel, 10C. cit., p. 460.

374 HUDLER ET CHOMEL

Mirabelle) ; d'autres sont sensibles à l'excès au fouet, aux variations brus-

ques des contacts cutanés (Symbole, Nolus). L'impatience se traduit, chez

quelques sujets, par des hochements de tête et du trépignement pendant

l'examen ; Ciseau ne peut rester seul à l'écurie, il frappe du pied, s'ex-

cite, se couvre de sueurs alors qu'il ne sue pas au travail. Notus est

colère, entêté ; Tunel cherche à mordre le cavalier qui s'apprête à le

monter; Gade et Symbole trottinent constamment; Gade a fait 94. étapes

consécutives sans prendre le pas une seule fois ; Rasoir mâchonne quand

il est énervé. Il n'y a cependant pas de fatigue, ni manque d'allures

chez ces chevaux qui ont conservé tous leurs moyens (galop, fond, obsta-

cle). C'est un nervosisme spécial, un déséquilibre nerveux, s'atténuant

avec l'âge et distinct de la rétivité qui, parfois, s'accentue sous la même

influence. Enfin, les phobies sont fréquentes : Rasoir a des peurs visuel-

les et auditives ; Symbole redoute le chemin de fer et l'automobile. Gade

s'arrête brusquement devant un objet blanc ; Ciseau présente de la claus-

trophobie. Notus s'est assagi ; la crainte et certaines répulsions se sont d'ail-

leurs dissipées chez certains sujets, sous l'influence des bons traitements.

Nos observations indiquent donc nettement, chez tous nos chevaux, la

réunion de plusieurs tares psycliopathiques. Il était acquis, à la vérité, de-

puis fort longtemps, à la science vétérinaire, que les tics s'observent de

préférence chez les chevaux de sang beaucoup plus nerveux que les che-

vaux d'armes communs. Mais il importe, précisément, d'établir une dis-

tinction profonde entre le tempérament nerveux que les cavaliers reconnais-

sent aux chevaux de pur sang et les symptômes psychiques que nous avons

noté chez les sujets atteints de tics ou de troubles psychomoteurs simi-

laires. « Ce qu'on appelle métaphoriquement le sang consiste (1), en effet,

dans une énergie exceptionnelle, une grande excitabilité nerveuse qui

font que l'organisme qui en est doté résiste aux causes ordinaires d'affais-

sement, conserve du ressort dans les conditions où les sujets moins privi-

légiés se montrent insuffisants, accusent une grande dépression nerveuse ».

Il n'y a là rien de comparable au déséquilibre nerveux des clievaux ti-

queurs atteints de stéréotypies. Les sujets que nous avons ohservésson t clas-

sés indifféremmment dans les chevaux d'armes communs ; ils sont affec-

tés au trait ou à la selle, quelques-uns sont plutôt médiocres, ils ne sont

ni demi, ni sept huitièmes de sang. L'expression de sang, synonyme d'éner-

gie, n'a rien à voir avec les états morbides continus du caractère, de l'émo-

tivité et de la volonté que nous avons décrits chez les chevaux offrant des

perturbations de la psychomotricité (2).

(1) JACOULEr et C. CoontEL ? 7'·aité d'ITppolorie, t. I, p. 241 et 413.

(2) G. Ballet, Traité de Pathol. mentale, Paris, O. Doin, 1903. - In Psychose

constitutionnelles, par F. L. ARNAon, p. 1210.

TICS ET STÉRÉOTYPIES DE LÉCHAGE 375

Ces perturbations se rapprochent, au contraire, des singularités psychi-

ques signalées par MM. Brissaud, Henry Meige el Feindel chez les tiqueurs

humains. L'exemple de nos lécheurs est probant à cet égard.

Tous les tiqueurs humains sont nerveux, émotifs, impressionnables,

L'impatience pendant l'examen se traduisant par des hochements de tête,

du trépignement, se manifeste fréquemment chez l'homme^; le fait est

signalé dans beaucoup d'observations et l'un de nous l'a observé récem-

ment chez un sujet atteint de tic tonique du membre supérieur droit 1).

Il existe des tiqueurs humains qui ne peuvent marcher sans trottiner,

d'autres qui changent de pas à chaque instant. Beaucoup de ces psycho-

pathes sont atteints de phobies variées dont quelques-unes (peur d'objets

brillants, claustrophobie) se rencontrent également chez le cheval. Les

troubles psychomoteurs de l'homme et du cheval présentent encore ce

caractère commun, c'est que quelques-unes au moins de leurs manifesta-

tions sont corrigibles par l'éducation. « Sans doute, l'idée de soumettre un

cheval à une discipline psycllO-11lotrice fait sourire. Et cependant, quen'ar-

rive-t-on pas à obtenir des animaux par une éducation patiente tendant

à développer non pas tant leur automatisme que leur activité corti-

cale (2) ».Nous possédons d'ailleurs l'observation très curieuse d'un cheval

atteint d'un tic de grattage qui diminue de fréquence et semble en voie

de guérison grâce à un mode de traitement très ingénieux imaginé par un

propriétaire qui ne sait certainement pas avoir appliqué le premier, la

discipline psychomotrice au traitement d'un tic animal.

3. TROUBLES DE RÉFLECTIVITÉ, DE sensibilité. - TROUBLES TROPHIQUES ET

VASO-MOTEURS. Cette étude comporte l'examen de la langue, des lèvres,

des dents, des barres, de la barbe, régions susceptibles de coopérer à un tic

de léchage, et, de plus, la recherche des réflexes généraux, des troubles

trophiques, vaso-moteurs et secrétaires. Nous avons relevé les particula-

rités suivantes :

L'anesthésie du bout du nez existe chez la plupart de nos lécheurs : totale

chez Gade, elle a été observée sur Notus, Symbole, Mirabelle, Rasoir ;

elle est absente chez Laiton, et Tunel présente de)'hyperesthésie.

La sensibilité des barres est inégale de l'un à l'autre côté; l'aneslhésie

a élé notée chez Rasoir, Mirabelle, Notas, Symbole ; la comparaison a

été faite avec un grand nombre de sujets non tiqueurs.

Les anomalies de la bouche, cicatrices, troubles de dentition sont exa-

minées au chapitre intitulé : Stigmates physiques ,

(1) Fernand RUDLER, Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, juillet-août 1903.

(2) C. CnoMELet F. Rudler, Les tics de l'homme et les tics du cheval. Rép. Vélérin.,

août 1903.

376 RUDLER ET CHOMEL

Les réflexes généraux (1) sont normaux; seul le 1'éflexe lombaire paraît

modifié, exagéré chez Symbole avec irritation très grande et frémissement

des muscles chez Mirabelle, mouvement de défense chez Notus et Gade,

fouaillement de la queue chez Ciseau.

L'épreuve du dynamomètre caudal accuse l'intégrité de la résistance de

la queue au soulèvement.

Les troubles vaso-moteurs se manifestent par une hypersécrétion su-

dorale se produisant à l'occasion de causes futiles et indépendantes du

travail.

Il n'existe pas de troubles trophiques marqués chez les lécheurs. La mani-

festation psycho-motrice parait indépendante de la valeur générale du

sujet ; Notus, Tunel et Mirabelle sont montures d'officier et en bon état

d'entretien ; Symbole et Laiton sont, au contraire, dans un état mé-

diocre. Mais ils supportent tous assez bien, soit- comme monture de

selle, soit comme cheval de trait, et quelquefois en double adaptation

le travail varié d'un régiment d'artillerie (garnison, écoles à feu, manoeu-

vres). Tout au plus, quelques troubles de la nutrition, peu importants en

vérité, méritent-ils une mention spéciale : Nolus a été délicat de 4 à 7

ans ; Symbole mange difficilement le foin et l'avoine : la santé de Laiton

qui salive abondamment, fréquemment, a exigé la division des repas ;

Rasoir refuse la nourriture quand il est fatigué. Cet ensemble de faits

justifie, semble-t-il, la place que M. Cadéac avait assignée aux tics de

léchage dans la catégorie des tics digestifs du cheval.

Stigmates PHYSIQUES. -Les chevaux Ciseau, Gade, Symbole, Tunel,Lai-

ton et Rasoir, c'est-à-dire les trois quarts des sujets observés présentent

des asymétries faciales, ou corporelles légères, consistant en l'abaisse-

ment d'un oeil, la déviation du nez, la déformation d'une hanche.

L'examen de la bouche révèle, de plus, des signes particuliers : hyper-

trophie de la parotide droite (Notus), épaississement et induration de la

muqueuse des lèvres (Laiton, Notus), hypertrophie des commissures la-

biales (Tunel, Ciseau), inflammation chronique de la muqueuse de la lèvre

supérieure (Symbole), érosions gingivales au niveau du crochet supérieur

(Nolus). La denture de ces chevaux offre des anomalies de structure (dents

plus ou moins érodées), de forme (surdents), de direction; indépendam-

ment de ces stigmates, beaucoup de dents sont cariées. Il existe aussi, chez

tous les sujets, sauf Symbole, une asymétrie des arcades dentaires que

nous désignons, dans les observations sous le nom de saillie des barres,

gauche ou droite.

Ces constatations prennent une importance réelle si nous les rappro-

(1) F. Rudler et C. CHOMEL, Elude sur le lie de l'ours.

TICS ET STÉRÉOTYPIES DE LÉCHAGE 37 ?

chons des stigmates physiques que présentent les chevaux atteints du tic

de l'ours.

Faisant la part, dans l'énumération qui précède, des reliquats d'affec-

tions anciennes de la bouche auxquels nous attacherons, dans la suite,

une valeur pathogénique certaine, nous croyons pouvoir établir une ana-

logie manifeste entre les malformations de la face et du crâne, les asymé-

tries des mâchoires et des dents de nos chevaux, et les stigmates physiques

dits de dégénérescence réunis, en médecine humaine par MM. Morel et

Magnan, et si bien décrits par M. Séglas (1). Bassi (2) a déjà démontré,

d'ailleurs, que l'asymétrie du crâne est constante chez les équidés épilep-

tiques ; il importe donc de multiplier les observations, et les stigmates de

dégénérescence reconnaîtront sans doute, chez le cheval, la même signifi-

cation séméiologique que chez l'homme.

La question des asymétries corporelles doit être réservée ; ces malfor-

mations peuvent être congénitales, mais elles paraissent plutôt « l'in-

dice de lésions anciennes » (3). L'un de nous poursuit actuellement des

recherches d' hippométrie (4) dont les conclusions sont encore incer-

taines.

OBSERVATIONS

Ons. I. Gade. 13 ans. Cheval de selle, ancienne monture d'officier. Etat

général moyen, résistance physique assez bonne, malgré l'âge et l'usure des

membres.

Lèche exclusivement ses voisins, quels qu'ils soient, en sueur ou non, lé-

chage non convulsif, fréquent, quotidien, rapide.

Nerveux, émotif, impressionnable, irritable, difficile à l'examen. Trottine

constamment, a fait 14 journées de route consécutives sans prendre le pas.

Peurs visuelles (objets blancs). '

Réflexes normaux ; seul le réflexe lombaire est exagéré; dynamomètre cau-

dal fort. Anesthésie du bout du nez. Entre rapidement en transpiration quand

il trottine et quand il s'énerve en station et sèche facilement ; intégrité du sys-

tème pileux. Pas de courbature de fatigue, se couche rarement.

Asymétries faciales et corporelles : abaissement de l'oeil gauche, déviation du

nez ; dépression de la hanche droite. Barres tranchantes à droite ; muqueuse

de la joue chagrinée ; irrégularités nombreuses des molaires avec carie du cro-

,cliet droit et surdents des deux côtés.

(t) Traité de médecine Charcot-Bouchard-Brissaud. t. VI. Article Psychoses ; G. Bal-

let, p. 1152 et suiv.- Traité de Pathol. mentale Gilbert-Ballet, Article Sémeiologie des

affections mentales de J. 56 : atas, p. 14 et suiv. et Article Psychoses constitutionnelles

de F.- ARN.1UD, p. 634 et suiv.

(2) Bassi, in Cadéac, Path. int. des animaux domestiques. Système nerveux, Paris,

1899, p. 452.

(3) G. JoLY, L'affaissement iliaque chez le cheval, Rev. gén. de méd. vét., 1903.

(4) C. CllOhIrL et E. llnnrx-lloxce. Recherches d'hippomélrie, 1903.

378 RUDLER ET CHOMEL

OBs. II. Laiton. 13 ans. Cheval de trait (sous-verge), faisant partie d'un

attelage de devant. Entretien difficile, appétit capricieux. Fortes molettes et

éparvins.

Lèche exclusivement ses voisins, il la tête et à l'épaule, en sueur ou non.

Accès quotidiens, non convulsifs, de durée variable, fréquents principalement

au retour du travail. A été soumis autrefois, pour des troubles digestifs, à un

régime spécial : division des repas, barbottages fréquents, pierres de sel dans

la mangeoire ; l'habitude de lécher les poils date de cette époque.

Très nerveux, très émotif, très impressionnable, s'affole facilement, bourre

sur l'obstacle, impatient pendant l'examen ; instabilité motrice manifeste. D'une

éducation facile malgré cela, il est docile au seller et au ferrage; affectueux

pour l'homme qui le soigne. Très franc, pas de phobies.

Réflexes normaux. Pas d'anesthésie nasale. Sensibilité des barres normale

à la piqûre, mais la bouche est sensible au point que le mors de bride est inu-

tilisable. Troubles de nutrition : appétit capricieux, salivation abondante,

mange difficilement, état actuel d'entretien médiocre. Sudation anormale, robe

mouillée très abondamment après 500 mètres de petit trot; exagération de la

sécrétion cornée en pince (pieds antérieurs).

Asymétries faciales (abaissement de l'oeil gauche et déviation du nez à gau-

che). Bouquet de poils blancs à la nuque ; cicatrices de la barbe ; hypertrophie

de la muqueuse de la lèvre supérieure. Barre droite tranchante; carie des cro-

chets avec liseré gingival très épais ; molaires irrégulières. Fait magasin (exa-

men de la bouche très difficile.)

Ons. III. TuNEL. 7 ans. Cheval, monture d'officier. Très bon état d'entre-

tien. Molettes et léger vessigon articulaire du genou droit.

. Lèche exclusivement ses voisins, en sueur ou non. Accès non convulsifs,

quotidiens, peu fréquents, précédés de mordillement ; mordille le licol de son

voisin.

Nervosisme assez peu marqué. Craintif et méchant pour le cavalier qu'il

cherche à mordre. On note principalement de l'instabilité motrice et de l'im-

patience dans l'isolement.

Réflexes normaux. Hyperesthésie du nez. Mauvaise sécrétion de la corne aux

pieds de devant.

Abaissement de l'oeil droit et déviation du nez à droite. Barres tranchantes,

un peu meurtries à gauche, muqueuse gaufrée. Dents irrégulières,

- Ons. IV, SYMBOLE. 7 ans. Ancien cheval de selle, actuellement utilisé

comme sous-verge. Mauvais état d'entretien, flancs creux ; tares acquises peu

importantes.

Lèche les voisins et la mangeoire. Depuis son arrivée au régiment, au quar-

tier, de préférence après les repas, et sur route pendant les : haltes ; les accès se

reproduiseut pendant une marche à tous les arrêts et ne cessent qu'au départ.

Léchage non convulsif, rapide, fréquent, quotidien, nullement gêné par la pré-

sence du mors dans la bouche.

Nerveux, très émotif, très impressionnable, craint le fouet, impatient; tou-

TICS ET STÉRÉOTYPIES DE LÉCHAGE 379

jours en mouvement dans la stalle et trottine continuellement sur route. Dif-

ficile au montoir et chaud. Phobies visuelles et auditives (chemin de fer,

automobiles).

Réflectivité normale, sauf exagération du réflexe lombaire. Anesthésie du

bout du nez et des barres. Nutrition défectueuse ; mange et boit lentement,

courbature de fatigue fréquente, se couche souvent, très fatigué par les écoles

à feu. Transpirations fréquentes et abondantes pour des causes insignifiantes ;

corne normale.

Phénomènes d'asymétrie légers : abaissement de l'oeil droit et dépression de

l'épaule droite. Barre droite tranchante; intégrité de la muqueuse buccale,

petites cicatrices d'érosions de la lèvre inférieure ; pas de troubles de denti-

tion.

Ons. V. NoTUS. 13 ans. Cheval, monture d'officier. Etat d'entretien actuel

très satisfaisant; a été très délicat pendant le dressage (18 mois) ; tares acqui-

ses peu marquées. , "

Ce cheval, brutalisé à son arrivée au corps, a présenté de grandes difficultés

au dressage ; affolement au moindre bruit, au plus léger mouvement de la main

ou des jambes du cavalier ; vers 6 ans, la gourmandise et la douceur des pro-

cédés d'éducation ont raison de ces défauts. Notus reçoit alors, après chaque

travail spécial, du pain et surtout du sucre ; il contracte l'habitude de lécher la

main qui lui présente la récompense, puis, rentré à l'écurie, il lèche les che-

vaux voisins, enfin sa mangeoire. Actuellement, il lèche ses voisins, en sueur

ou non,et la mangeoire, d'un mouvement rapide, régulier ; les accès sont quo-

tidiens, mais semblent diminuer de fréquence. Pas d'apparence convulsive de

la contraction.

Impressionnabilité extrême ; nerveux, impatient, très chaud à l'obstacle.

L'examen est rendu difficile par des mouvements de défense violents. Colère,

entêté, peureux. Est capable d'affectivité pour son maître ; la crainte de l'homme

se dissipe sous l'influence des bons traitements.

Réflexes normaux; irritabilité du rein due à une ancienne blessure du dos ;

dynamomètre caudal très fort. Sensibilité du bout du nez diminuée.et anesthé-

sie des barres. Sueurs fréquentes autrefois, sans cause apparente ; ne pré-

sente actuellement aucun trouble trophique ou secrétaire.

Pas de stigmate d'asymétrie. Traces de cicatrices à la barbe, à la nuque et

à la région temporale gauche ; engorgement parotidien à droite; saillie très

marquée des barres avec hypertrophie de la muqueuse du côté droit ; cicatrices

multiples de la langue et des gencives ; muqueuse buccale gaufrée; molai-

res irrégulières, surdents nombreux.

Ons. VI. - Ciseau. 10 ans. Cheval de selle. Eatd'entretien excellent; tares

acquises insignifiantes.

Lèche les voisins de préférence, mais aussi la mangeoire et le mur de fond ;

accès quotidiens, assez fréquents ; mouvement rythmé, rapide, interrompu à

intervalles inégaux par un mâchonnement.

Cheval nerveux, très impressionnable, toujours inquiet, s'affolant facilement,

380 RUDLER ET CHOMEL

cherchant constammeut à doubler une colonne et quittant le rang avec une

grande difficulté; très impatient, ne peut rester seul à l'écurie, s'énerve, s'ex-

ci te, tape, ne mange pas et se couvre alors de sueurs très abondantes. Pas de

phobies.

Réflexes normaux. Sensibilité normale du nez et des barres. Pas de courba-

ture de fatigue ; pas de sueurs en dehors des circonstances signalées ci-dessus;

sécrétion normale de la corne.

Pas d'asymétrie du crâne ni de la face ; abaissement de la hanche droite.

Hypertrophie des commissures labiales, barbillon volumineux; saillie de la

barre gauche, muqueuse gaufrée ; dents irrégulières. 1

OBS. VII. Mirabelle. 8 ans, jument, seconde monture d'officier. A été

sous-verge, très bon état d'entretien. Tares des membres peu marquées.

Lèche de préférence après avoir mangé sa ration, et indifféremment son

voisin, la mangeoire ou le bàt-f'laac.

Tempérament nerveux, émotif, impressionnable ; impatiente quand elle est

tenue en main, présentant de l'instabilité motrice, irritable. Facile au ferrage et

au pansage, dressage incomplet ; s'excite immodérément à la barre, bourre tou-

jours sur l'obstacle. Affecteuse pour l'homme qui la soigne. Pas de phobies.

Réflexes normaux. Hyperexcitabilité de l'encolure, de l'épaule, du rein;

l'examen provoque des hochements de tête violents, le frémissement des mus-

cles de l'épaule et une irritabilité très grande du rein ; seule, la sensibilité exa-

gérée de l'encolure (mouvements de défense au pincement du mastoïdo-humé-

ral droit) relève d'une blessure ancienne ; l'hyperesthésie cutanée de l'encolure

et du rein est, au contraire, indépendante de toute lésion antérieure. Sensi-

bilité du nez et des barres diminuée. Malgré un bon état d'entretien, se fati-

gue beaucoup en trottinant à côté des attelages, se couche assez fréquemment;

sueurs abondantes sans causes réelles ; sécrétion irrégulière de la corne.

Pas d'asymétrie faciale ni corporelle. Cicatrices de la barbe; saillie très

marquée des barres avec induration de la barre droite ; irrégularités dentaires.

Ons VIII. - RASOIR. 8 ans. Cheval, monture d'adjudant. Au moment de

l'examen, très bon état d'entretien. Tares des membres insignifiantes.

A l'écurie, lèche ses voisins, la mangeoire, le mur, particulièrement après

avoir reçu une friandise ou au retour du travail ; en route, manifeste pen-

dant les premières marches une fatigue réelle, refuse la nourriture et lèche,

avec ou sans mors, les objets variés que peuvent lui offrir des écuries de for-

tune, y compris des toiles d'araignée dont il forme une boule qu'il roule indé-

finiment dans la bouche. Accès fréquents, quotidiens, prolongés, exaspérés par

la fatigue ; mouvements rapides, présentant une certaine régularité ; chaque

accès est interrompu de temps à autre par du mâchonnement. Pas de caractère

convulsif.

Nerveux, émotif à l'excès au point de tomber sous le coup d'une émotion

vive, très impatient ; instabilité motrice extrême pendant l'isolement. Phobies

nombreuses. '

Réflexes normaux. Anesthésie du bout du nez et de la barre gauche. nu-

1 TICS ET STERÉOTYPIES DE LÉCHAGE 381

trition défectueuse pendant les routes. Sueurs abondantes et fréquentes ; bonne

sécrétion de la corne.

Asymétrie faciale légère, abaissement de l'oeil droit. Cicatrices de la barbe et

de la barre droite, muqueuse de la joue gaufrée. Barres très tranchantes. Mo-

laires irrégulières avec surdents.

Diagnostic

L'habitude de lécher les poils ou autres objets constitue-t-elle réelle-

ment un acte pathologique ? Si oui, est-elle un véritable tic ou une s téréo-

typie' ? Tel est le double problème diagnostique à résoudre .

Pour beaucoup d'auteurs, l'habitude de lécher les poils, qui seule a été

l'objet de mentions spéciales, n'est nullement pathologique. Cette opinion

repose sur le fait d'observation que beaucoup d'animaux et en particu-

lier de chevaux sont lécheurs, et qu'ils recherchent vraisemblablement

la saveur salée de la sueur. Ce ne seraient, en quelque sorte, que des

friands, des gourmands.

A la vérité, tous les chevaux qui lèclient exclusivement leurs voisins

en sueur ne sont pas des sujets anormaux ; ils ne sont pas plus atteints

d'un trouble moteur que l'enfant qui a l'habitude de lécher la crème d'un

gâteau. Mais si nous établissons que plusieurs chevaux observés par nous

lèchent la mangeoire, le mur, les objets variés et sans saveur d'une écu-

rie de fortune, que le mouvement de léchage est, chez tous, fréquent,

quotidien, rapide, qu'il se produit par accès, dans des circonstances

variées, qu'il est modifié par l'attention, la distraction, la fatigue,

que, de plus, ce geste acquiert par la répétition et par la durée des carac-

tères non douteux d'inopportunité et d'automatisme, on reconnaîtra

sans doute dans ce phénomène, non pas seulement un acte déterminé par

la gourmandise, mais une véritable habitude morbide. Si nous ajoutons

que ce geste, différent par sa réaction motrice particulière de l'acte vulgaire

de lécher un voisin en sueur, ne s'observe que sur des chevaux présen-

tant un déséquilibre nerveux bien caractérisé et des stigmates physiques

dystrophiqueS dits de dégénérescence plus ou moins accusés, on admet-

tra volontiers l'existence d'une manifestation morbide de l'activité psy-

chomotrice.

Les accidents ainsi désignés appartiennent-ils aux tics ou aux stéréoty-

pies ? Le diagnostic différentiel peut paraître délicat. N'observe-t-on pas,

en effet, chez nos sujets, la réunion d'une anomalie motrice évidente à un

trouble psychique très caractérisé, et le tic de léchage ainsi constitué

n'est-il pas comparable absolument, dans ses manifestations objectives,

au tic de l'ours déjà décrit chez le cheval ?

Malgré toutes les analogies, un caractère unique, mais il est capital, suf-

382 RUDLER ET CHOMEL

fit à différencier d'un tic de léchage l'habitude morbide de nos chevaux;

l'acte moteur qu'ils présentent ne revêt pas un caractère convulsif. « La

manifestation objective du tic est un mouvement convulsif, de forme clo-

nique ou tonique. Il représente une anomalie par excès de la contraction

musculaire » (1).

D'après cette définition, on ne peut dire d'un acte moteur qu'il revêt

la forme clonique que si la contraction musculaire a des caractères de brus-

querie et d'intensité exagérés (excès de force ou excès de vitesse). Un

geste qui se répète inopportunément avec excès, n'est pas un vrai tic, s'il

n'y a pas de déformation de la contraction musculaire normale, soit en

vitesse (clonisme), soit en durée (tonisme), et dans les deux cas, il doit

y avoir, en outre, excès d'intensité des contractions musculaires.

Sinon, on a affaire à une habitude motrice intempestive du genre des

stéréotypies.

Or, que voyons-nous dans l'espèce ? Un acte moteur déformé en vitesse

peut-être, puisque l'animal passe plus rapidement qu'à l'ordinaire sa lan-

gue sur les objets qui l'entourent, mais non pas en intensité puisqu'on ne

remarque pas de contractions musculaires excessives de la langue. Chez

les chevaux lécheurs les caractères de ces contractions musculaires ne dif-

fèrent pas de ceux que celles-ci affectent dans un geste normal (2) ; elles

n'ont pas l'apparence convulsive. De telles « réactions motrices, devenues

à la longue habituelles, involontaires et inconscientes, méritent le nom

de stéréotypies » (3).

Nous ne voudrions pas pousser plus loin les analogies cliniques entre

les mouvements stéréotypés des chevaux lécheurs (stéréotypies du mouve-

ment, dits parakiiétiques), et les accidents de même nature observés chez

l'homme. Mais il ne nous paraît pas défendu de supposer que ces mouve-

ments sont devenus automatiques par- la répétition. Il s'agit bien, en effet,

de gestes ayant dévié de leur but primitif, la recherche d'une impression

gustative, et qui, volontaires et conscients au début semblent avoir perdu

ces caractères par la suite, comme en témoignent leur intempestivité et

la variété des objets léchés. Si l'on éprouve quelques difficultés à préci-

ser, pour le présent, les caractères d'automatisme et de subconscience des

actes moteurs des animaux, l'observation clinique autorise du moins cette

tentative d'interprétation pathogénique. Nous allons maintenant l'exami-

ner plus en détail.

(1) Henry Meige et FEINDEL, 10C. cil. Caractères distillclils du lie, p. 455.

(2) Henry MEIGE et Feindel, Tics et sléréotypies, p. 458.

(3) Ibid., p. 458. '

TICS ET STÉRÉOTYPIES DE léchage 383

Etude pathogénique.

La définition des stéréotypies de l'homme empruntée à MM. Séglas et

A. Cahen, Henry Meige et Feindel, explique le mécanisme de l'habitude

morbide de léchage observée par nous sur des chevaux. Elle n'exclut pas

d'ailleurs ce fait, qui en science vétérinaire a la valeur d'une théorie, que

l'habitude de lécher les poils est un produit de la gourmandise. Du moins

peut-on dire dans ce sens que la recherche d'une impression gustative

existe chez le cheval à l'origine de certaines stéréotypies du léchage. Le

fait est prouvé, en particulier, pour Laiton et Notus dont l'habitude re-

connaît manifestement pour cause initiale une action thérapeutique (Lai-

ton, léchage d'une pierre de sel destinée à atténuer des troubles digestifs),

ou un vice d'éducation (Notus, léchage de la main du cavalier offrant du

sucre après chaque travail).

Mais cette constatation n'est pas une explication. Nombreux sont, en

effet, les chevaux qui reçoivent du sucre ou du sel, et cependant bien

peu de sujets présentent une habitude de lécher qui soit réellement paf'

thologique par la modalité de sa réaction motrice. La gourmandise, la re-

cherche d'une impression gustative peuvent avoir, en l'espèce, la valeur

de causes occasionnelles, mais non pas celle de causes efficientes. On ne

saurait, en effet, qualifier de tic ou de mouvement stéréotypé, l'acte de

lécher, même immodérément, par pure gourmandise.

Ici, cet acte reste lié à l'idée qui lui a donné naissance, la recherche d'une

sensation gustative. Le léchage, demeuré volontaire, n'a pas acquis l'au-

tomatisme par la répétition, il est le fait de la gourmandise et ne constitue

ni un tic ni une stéréotypie.

De plus, comment expliquer que des gourmands passent la langue, non

seulement sur des sujets sapides, sucrés ou salés, mais aussi sur des murs,

des bâts-flancs, sur des objets variés, ou s'acharnent à faire des paquets

de toiles d'araignées ? Il y a donc autre chose. Et cette autre chose, la

voici :

L'acte de lécher est au début un mouvement volontaire, coordonné,

adapté à un but qui est précisément la recherche d'une satisfaction, dans

l'espèce celle du goût. Les sujets normaux ne présentent pas d'autre ma-

nifestation motrice; ils lèchent le sucre ouïe sel, de temps à autre,

suivant les circonstances et leurs dispositions du moment; chez eux, le

léchage ne revêt aucun caractère pathologique ni dans sa forme ni dans

son opportunité; il ne procède pas par accès; les chevaux qui lèchent

ainsi sont légion et n'offrent aucun symptôme psychique. Au contraire,

l'animal atteint de stéréotypie du léchage est un sujet nerveux, émotif,

impatient, impressionnable ; il présente de l'instabilité motrice, des pho-

384 RUDLER ET CHOMEL

bies ; et cet état de déséquilibre nerveux explique, pour cette catégorie

d'accidents psychomoteurs comme pour les tics, les caractères particuliers

que prendra chez lui l'habitude de lécher.

Celle-ci devient, en effet, une habitude morbide, un trouble moteur

psychopathique. Sans doute,-l'acte moteur ne prendra pas l'apparence con-

vulsive, clonique ou tonique, et c'est en cela qu'il différera d'un tic;

mais il se distinguera de l'acte vulgaire de lécher par la déformation de

la contraction normale en vitesse, en fréquence, par sa manifestation inop-

portune, sans raison, et sous forme d'accès ; « conservant l'apparence

d'un acte intentionnel », il ressemblera dans sa manifestation objective

au geste normal de léchage, mais « il se répétera longtemps, fréquemment,

inopportunément, toujours de la même façon », et cet acte, au début,

conscient et volontaire, prendra dans la suite l'apparence d'un « acte au-

tomatique et subconscient par le fait même de sa longue durée et de sa

répétition » (1). Un tel acte moteur est bien une stéréotypie.

On voit déjà par ce parallèle que s'il importe pour des raisons noso-

graphiques de distinguer nettement les stéréotypies des tics par leurs ma-

nifestations objectives, il n'importe pas moins de considérer tics et sté-

réotypies comme des troubles psychomoteurs très proches parents, reliés

les uns comme les autres à un état psychopathique plus ou moins accusé.

Une notion étiologique importante vient encore confirmer cette manière

de voir.

Nous croyons, en effet, que les habitudes vicieuses de léchage peuvent

reconnaître des causes provocatrices autres que la recherche d'une satis-

faction de gourmandise.

On sait, depuis les recherches de MM. Henry Meige et Feindel, que les

tics ou les stéréotypies de léchage se prennent, chez l'homme, par l'habi-

tude de lécher et de mordiller constamment des gerçures et des excoria-

lions labiales ou à la suite de troubles dentaires. Les mêmes auteurs ont

rapporté le cas d'un chien (2) qui, à la suite d'une légère blessure de

l'ongle, suçait son pouce bien des années après la guérison de cet acci-

dent insignifiant. Sans doute, toutes les stéréotypies du léchage ne recon-

naissent pas la même pathogénie chez le cheval; du moins avons-nous

réuni les éléments d'une comparaison qui pourra être faite utilement si

de nouvelles observations d'habitudes vicieuses de léchage, prises sur le

vif, au début des accidents, viennent à établir une relation de cause à

effet entre les causes provocatrices que nous signalons et le trouble moteur

lui-même. Nous estimons, en effet, que des lésions banales de la langue,

des barres, des lèvres et commissures, des troubles de dentition, peuvent

(1) A. Cahen, cité par MM. MEIRE et Feindel, loc. cil., p. 459.

(2) H. MEIGE et Feindel, loc. cil., p. 178.

TICS ET STÉRÉOTYPIES DE LÉCHAGE 385

favoriser l'éclosion du tic ou de la stéréotypie de léchage. Nos sujets

offrent, pour la plupart, des cicatrices des barres et des gencives ; tous

présentent une saillie particulière de barres et des irrégularités des tables

dentaires, des troubles variés de dentition. Il'n'est pas inadmissible que

le cheval blessé cherche à calmer la douleur ou l'irritation causée par des

plaies en léchant les parties lésées, et, de là, tous les objets qui l'en-

tourent ; il n'est pas plus surprenant de voir le cheval lécher une plaie de

ses barres ou ronger sa mangeoire que l'homme mordiller les gerçures de

ses lèvres ou ronger ses ongles, inconsidérément. Nous sommes persuadé,

enfin, qu'il existe des tics équins et des stéréotypies de léchage, de hoche-

ment, de mâchonnement tout à fait comparables aux mêmes variétés d'ac-

cidents humains et reconnaissant la même origine (une blessure de la

bouche, la gêne causée par le harnais, par le mor, etc.).

Nous avons eu l'occasion d'observer un cheval (Fringant, 4" d'artillerie

Besançon) atteint d'un tic d'encensement qui est dû très manifestement à

la pression intempestive et réitérée du mors dans un travail à pied pro-

longé par la difficulté d'obtenir, chez ce sujet, les flexions de l'encolure.

Et voici, en pathologie humaine, une observation que nous avons

recueillie récemment et qu'il nous paraît utile de relater ici avec détails :

Observation.

F..., 24 ans, jardinier, a une santé habituelle excellente ; exerce au régiment

les fonctions de jardinier, puis d'infirmier.

Père bien portant, mère atteinte de coliques hépatiques ; quatre frères ou

soeurs en bonne santé, sauf un frère qui a été réformé temporairement dans sa

troisième année de service pour pleurésie aiguë séro-fibrineuse. Un frère

aîné présente une stéréotypie du mouvement que nous signalons plus loin.

On ne relève guère dans les antécédents personnels du malade que deux

traumatismes : une fracture des deux os de l'avant-bras à 13 ans, une

entorse du pied à 18 ans, accidents qui n'ont eu aucune suite fâcheuse.

Mais voici qui est plus important. A 14 ans, F. fut atteint d'une périostite

phlegmoneuse de la mâchoire inférieure gauche consécutive à une périostite

alvéolo dentaire. Telle est l'origine de l'habitude morbide qui fait l'objet de

cette observation.

Cette périostite débuta au niveau de la première prémolaire gauche et

s'étendit au corps du maxillaire inférieur; un abcès de la grosseur d'une

bille se collecta, faisant saillie au-dessous de l'os, nécessitant l'intervention

chirurgicale au bout de six semaines (incision cutanée et curetage de l'os),

cicatrisation au bout d'un mois et demi.

Pendant les trois mois qu'a duré l'affection, la dent cariée fut le siège de

vives douleurs et le sujet évitait tout contact de la langue à cet endroit parti-

culièrement sensible. L'incision de l'abcès atténua les phénomèlmis donlolt

xvi 26

386 RLDLEII ET CHOMEL

l'eux, C'est alors que F. prit peu à peu l'habitude de passer sa langue d'abord

sur là dent qui se détachait par fragments successifs, puis entre la joue et le

rebord alvéolo-dentaire, point qui avait été le siège d'un gonflement doulourenx.

F. raconte qu'à cette époque, il passait la langue sur cette-région endolorie

pour calmer l'irritation persistante et surtout la douleur causée par le froid.

Bien de plus exact ; toutes les personnes qui ont souffert d'une périostite alvéo-

lo-dentaire peuvent se rappeler avoir agi de même. Mais voici où l'on voit appa-

raître l'habitude morbide intempestive : la douleur et le gonflement ayant

disparu, F. continua à faire le même mouvement de langue. Le léchage inten-

tionnel, volontaire et logique au début, est devenu par la répétition, invo-

lontaire, automatique, intempestif. C'est bien un acte stéréotypé.

Actuellement, l'examen physique fait constater :

1° Extérieurement, une cicatrice linéaire de 2 centimètres environ au

niveau de la partie inférieure du corps du maxillaire inférieur gauche, dépri-

mée et adhérente, non douloureuse.

2° Dans la bouche, une dépression de la muqueuse gingivale au-dessous de

la canine et de la première prémolaire inférieures gauches avec cicatrice liné-

aire régulière, à 1 centimètre au-dessous du rebord alvéolo-dentaire, semblant

indiquer une incision ancienne ; dépression assez marquée dans laquelle le

sujet loge la langue. La première prémolaire ne présente plus que ses deux

crochets séparés par un bourrelet de gencive ; la couronne a disparu par frag-

ments séparés par la carie et détachés par les pressions de la langue.

Examinons maintenant en détail l'acte moteur habituel. La langue, cons-

tamment en mouvement dans la bouche au dire du malade, va se placer par

son bord libre gauche d'un mouvement rapide entre la canine gauche inférieure

et la deuxième prémolaire ; la pointe de la langue se loge dans la dépression

signalée entre l'arcade dentaire et la face interne de la joue. Elle est le siège

de mouvements brefs,toujours les mêmes, visibles il l'extérieur.F... répète ce

geste plusieurs fois de suite, et le roulement ainsi exercé s'accompagne de

mouvements d'ampliation et de retrait de la joue, de déformation des lèvres

fermées qui simulent à s'y méprendre, l'action de chiquer du tabac. Cepen-

dant F... n'a jamais chiqué ; il fume exceptionnellement et n'use de tabac que

pour priser. Le geste s'accompagne également d'un bruit de claquement

de la langue comparable à celui que prodnit une aspiration de cet organe sur

une dent creusée par la carie.

Au dire du malade, le léchage de la gencive et du repli gingivo-labial est

involontaire, inconscient; il se produit à son insu sans aucune raison, presque

constamment. Très exceptionnellement, une sensation anormale quelconque

provoque un acte de léchage, mais alors F... signale lui-même cette particula-

rité ; le mouvement de la langue est différent ; a F... enfonce cet organe tant

qu'il peut entre la joue et la mâchoire. »

Malgré sa rapidité, la contraction musculaire n'a pas l'apparence convulsive ;

le geste est identique à celui que F... faisait après l'intervention chirurgicale,

dans un but défini de défense et de protection contre la douleur et contre le froid.

TICS ET STÉRÉOTYPIES DE LÉCHAGE 387

Les mouvements, produits exclusivement par la langue, sont très fréquents,

quotidiens ; le geste se répète deux ou trois fois de suite, puis après un arrêt t

insignifiant recommence; la durée des pauses est très variable et va de quel-

ques minutes à plusieurs heures. La distraction et la volonté suspendent ce

mouvement qui ne se produit jamais pendant le sommeil, et qui se manifeste

avec une prédilection et une exagération des plus marquées lorsque le sujet est

absorbé par une occupation professionnelle. Aussi F... a-t-il remarqué sa plus

grande fréquence quand il est penché, c'est-à-dire dans ses travaux de jardi-

nage ; le léchage est alors ininterrompu, et cet ouvrier fait son geste automa-

tiquement, machinalement comme d'autres sifflent ou fredonnent toujours la

même chanson; même répétition pendant l'exécution d'un pansement; de

même en route, pendant les étapes à pied et indépendamment de la fatigue,

lorsque la marche étant automatique, le sujet poursuit quelques rêvasseries.

F... interrompt son léchage sans douleur, mais les mouvements se reproduisent

sans le consentement du sujet qui ne va jamais à la recherche d'une sensation

particulière.

Etat mental. - Intelligence moyenne; instruction primaire élémentaire ;

développement normal et égal de qualités intellectuelles moyennes. Caractère

mou, apathique, un peu léger. Emotif ; F... est pris d'un tremblement généra-

lisé très apparent et devient d'une pâleur extrême quand il est l'objet d'une

réprimande. Présente de l'impatience professionnelle, s'énerve facilement dans

son travail de jardinier; quand il entreprend une occupation délicate, exigeant

de l'imagination, l'arrangement d'un massif, d'une corbeille de fleurs par

exemple,et qu'il ne réussit pas d'emblée ses combinaisons,d'un geste brusque,

irrité, de la pelle ou du râteau, il défait l'oeuvre commencée, et regrette aus-

sitôt son mouvement d'impatience en se remettant à l'ouvrage. F... n'est pas

colère vis-à-vis de ses camarades, Il ne présente pas de phobies.

F... offre quelques singularités psychomotrices importantes.

Il ne peut chanter en société ou réciter un monologue sans accompagner

son chant ou sa diction de gestes toujours identiques malgré la variété de

son répertoire. Les coudes au corps, il écarte alternativement l'avant-bras

gauche, puis le droit, la paume de la main en avant, le corps animé de lé-

gers mouvements de déplacement à gauche et à droite. L'un de nous a eu l'oc-

casion de faire cette observation, et F... interrogé aujourd'hui, reconnaît

qu'il a appris d'un frère aîné à la fois ses chansons et ses gestes; il les repro-

duit aujourd'hui involontairement, automatiquement.

Un autre geste particulier du sujet consiste à passer alternativement la

main gauche et la droite sur les tempes correspondantes en rebroussant les

cheveux ; mouvement fréquent, quotidien, involontaire.

Enfin F... lit habituellement, le coude gauche sur la table, les doigts de la

main droite occupés constamment à taquiner, sans les arracher,les sourcils du

côté droit. -

Réflexes normaux. Sensibilité normale, sauf celle de la langue ; on note en

effet une anesthésie appréciable de cet organe à la piqûre ; des piqûres très

388 RUDLER ET CHOMER

fortes déterminent une sensation légère et ne provoquent aucune douleur ;

de même, diminution de la sensibilité thermique. Le sujet éprouve néanmoins

l'impression de doux et d'amer, le sens du goût est intact, seule la sensibilité

générale et le tact de la langue sont sinon abolis, du m'oins considérable-

ment diminués. Anesthésie de la muqueuse gingivale au niveau de la dent

cariée. La sensibilité tactile et thermique est conservée sur la muqueuse de la

joue et dans les autres régions de la bouche. -

Pas d'asymétrie crânienne. Asymétrie faciale très peu accusée : légère dé-

formation du nez un peu plus large à sa racine à gauche qu'à droite ; hélix

fortement ourlé avec tubercule de Darwin d'ailleurs peu développé.

Cette observation, publiée intégralement en raison de sa rareté, établit

à la fois la parenté morbide qui existe entre les tics et les stéréotypies de

l'homme et la distinction qu'il importe de faire entre ces deux affections.

Elle permet, en outre, d'affirmer que les tics et les stéréotypies de l'homme

peuvent reconnaître une cause provocatrice identique. Elle autorise enfin

une comparaison entre des faits analogues observés chez l'homme et chez

le cheval qui justifie l'importance que nous lui avons attribuée.

Voilà un jeune homme qui, à de 14 ans, après une intervention

chirurgicale, prend l'habitude de passer la langue sur le siège de ses an-

ciennes douleurs et sur les reliquats de son affection. Au début il exécute

donc un acte de défense et de protection, « acte provoqué par une cause

réelle, réponse musculaire parfaitement voulue, réfléchie, incontestable-

ment dérivée d'une intervention de l'écorce » (1). Après guérison des acci-

dents, le geste de léchage persiste, sans cause, sans but; il devient auto-

matique, subconscient.

Ce geste est-il un tic ? Non, parce qu'il n'a rien de convulsif et qu'il re-

produit exactement les mouvements analogues, mais volontaires, dusujet au

début de sa maladie. Mais s'il ne correspond pas exactement au tic par les

caractères du phénomème moteur, il s'en rapproche à tous les autres points

de vue, par son origine, sa pathogénie, son automatisme, son inconscience,

son intempestivité, etc. En réalité, il constitue une stéréotypie.

Le malade ne présente pas les signes d'un grand déséquilibre mental :

mais il a des habitudes motrices vicieuses : mouvements stéréotypés

pendant le chant, la lecture, etc., qui, ajoutés à quelques autres singu-

larités psychiques et à de légers stigmates physiques, autorisent à le con-

sidérer comme un prédisposé. Or, ces troubles psychopathiques appar-

tiennent à la fois aux tics et aux stéréotypies.

Le rôle de ces causes provocatrices à l'origine des tics humains a été

démontré par MM. Meige et Feindel ; M. Letulle a fait une constatation

(1) H. l\1RIOE et FEINDEL, IOC. cit., Genèse du tic, p. 89,

TICS ET STÉREOTYPIES DE LÉCHAGE 389

identique pour les stéréotypies. « De même, dit-il (1), tous les mala-

des atteints de stéréotypies, ont été presque toujours au début solli-

cités à répéter ce geste par un besoin réel (éruption des dents, carie den-

taire, blépharite ciliaire. » L'observation de F... est caractéristique à cet

égard.

Elle correspond d'ailleurs exactement à cet exemple de tic de chiqueur,

rapporté par MM. Meige et Feindel « dans lequel la langue est promenée

entre les arcades dentaires et la face interne des joues... de telle façon

que le sujet a vraiment l'air de chiquer » (2).

Il ressort de la comparaison de ces faits avec les observations que nous

avons faites sur le cheval, que les plus grandes analogies cliniques et étio-

logiques existent entre les stéréotypies de léchage de l'homme et celles

du cheval. Des deux côtés, mêmes causes provocatrices, mêmes phé-

nomènes objectifs. Chez l'animal comme chez l'homme, tics et stéréo-

typies sont des « perturbations de l'activité psychomotrice » de même

origine, quoique objectivement distinctes ; elles sont reliées entre elles

par cet état de déséquilibration psychomotrice qu'ont étudié en médecine

humaine MM. Henry Meige et Feindel et dont nous croyons avoir montré

l'analogue chez le cheval, en tenant compte, bien entendu, du faible déve-

loppement des actes psychiques chez l'animal. C'est ainsi que nous nous

croyons autorisé à considérer les chevaux atteints du tic de l'ours ou de

la stéréotypie du léchage ; ou d'une façon générale, tous les animaux ti-

queurs, comme présentant des anomalies de la fonction psychomotrice et

si l'on peut ainsi parler, un état psychopathique comparable à celui des

dégénérés humains.

La pathogénie humaine des tics et stéréotypies reçoit donc une confir-

mation nouvelle, grâce à ces études de pathologie comparée. Les recher-

ches sur les psychopathies animales paraîtront peut-être prématurées alors

que nous sommes encore si peu édifiés sur l'intelligence et le caractère

des animaux normaux ? Mais il ne faut pas oublier qu'en plus d'une cir-

constance, la physiologie et la psychologie pathologiques ont servi à pré-

ciser les lois des fonctions normales. Pour n'en rappeler qu'un exemple,

l'étude des aphasies n'a-t-elle pas largement contribué à la connaissance

du mécanisme du langage ?

En nous gardant des théories prématurées, nous avons cru bon cepen-

dant de comparer entre elles des manifestations objectives qui présentent

chez l'homme et chez l'animal de réelles analogies et qui semblent bien

relever d'une cause identique.

(1) LF.TULL1;, il ! Meige et FEINDEL, p. 103.

(2) Il. Meioe et Feindel, loc. cil., Tic de la langue. Tic du léchage, p. 2 15.

390 RUDLER ET CHOMEL

CONCLUSIONS

De même qu'il existe, chez les équidés, des tics véritables (tic de

l'ours dû à l'imitation), comparables, sinon identiques, aux tics humains

de même nature, il existe, chez eux, une variété d'habitudes motrices vi-

cieuses de léchage, des stéréotypies parllkinétiljues de léchage, dont les

manifestations objectives présentent les plus grandes analogies avec les

troubles de même genre observés chez l'homme.

Tics et stéréotypies se rencontrent également chez des animaux pré-

sentant à la fois des troubles psychopathiques et des stigmates physi-

ques, analogues aux tares psychiques ou physiques dites de dégénérescence

constatées chez les humains.

L'habitude morbide de léchage, ne revêtant pas l'apparence convulsive,

n'est pas un tic, c'est une stéréotypie.

Il existe d'ailleurs entre les stéréotypies et les tics du cheval le même

degré de parenté morbide qu'entre les stéréotypies et les tics de l'homme.

Les stéréotypies de léchage du cheval reconnaissent le même mécanisme

pathogénique que les stéréotypies de l'homme : un acte volontaire, le

léchage déterminé par la gourmandise, devient anormal par sa fréquence

et sa répétition et semble acquérir l'automatisme. De plus, des lésions de

la bouche, des troubles de la dentition, peuvent se rencontrer à l'origine

des stéréotypies, aussi bien que des tics, chez le cheval aussi bien que chez

l'homme.

DÉLIRE ALCOOLIQUE CONTINU

PAR

Serge SOUKHANOFF,

Privat-Docent de l'Université

de Moscou.

ET

Jean WEDENSKY,

Médecin de la Clinique

psychiatrique de Moscou.

Le délire alcoolique continu diffère des autres psychoses alcooliques par

un coursdeplus longue durée; d'un autre côté, il est indispensable, pensons-

nous, de le séparer aussi de la paranoia alcoolique chronique, où il existe

une modification plus ou moins marquée de la personnalité psychique,

avec idées délirantes tendant toujours à se développer et à se systématiser.

Le délire alcoolique continu apparaît chez les personnes, ayant abusé

pendant un temps assez long de boissons fortes; très souvent ce trouble

mental se manifeste dans la dipsomanie; presque toujours l'apparition du

délire alcoolique continu est précédée d'un abus temporaire de boissons

alcooliques.

Par l'enquête, presque toujours on peut s'assurer qu'avant la manifes-

tation du délire alcoolique continu ces malades avaient eu des accès de

delirium tremens.

Le tableau clinique du délire alcoolique continu au début se développe

après une période d'abus de boissons fortes et les phénomènes morbides

ressemblent à ceux du delirium tremens ; dans cette période de la maladie,

il est très difficile de poser un diagnostic exact. Mais lorsque les accès

aigus se sont dissipés, alors dans le délire alcoolique continu on distingue

en premier lieu les hallucinations et les illusions auditives ; le malade se

plaint que des « voix » l'inquiètent. Au commencement, il entend beau-

coup de voix ; ensuite les voix sont moins tumultueuses, le malade entend

des « voix » définies, parfois liées avec la représentation des personnes

définies. Lorsque le malade entend des « voix », il perçoit en même temps

du bruit dans la tête et dans les oreilles. En causant avec le malade, on

peut facilement se convaincre qu'il possède sa pleine conscience . il exa-

mine ce qui se passe en lui avec une certainecritique; il parle quelquefois

des voix, comme de quelque chose qui lui serait étranger et non lié à sa

personnalité.

Le plus souvent le malade entend les voix, des deux côtés, rarement

392 . SOUKHANOFF ET WEDENSKY

d'un seul, ordinairement d'une oreille plus que de l'autre. Tantôt les voix

retentissent de loin, tantôt il lui parait qu'elles viennent de quelqu'un'qui

se trouve près de lui ; tantôt c'est un chuchotement à l'oreille, tantôt c'est

une voix intérieure qu'il entend, par exemple, dans sa tête. Les voix, dont

se plaignent les malades, sont toujours très nettes, sonores, de timbre

différent; tantôt elles appartiennent à un homme, tantôt à une. femme, le

plus souvent à tous les deux. Leur quantité est variable et dépend de la

profondeur et du degré du délire alcoolique continu.

Dans les cas plus légers, le nombre des hallucinations auditives n'est

pas grand, et elles gênent relativement peu les malades. Dans un cas le

malade se plaint, par exemple, d'entendre un hurlement dans la cheminée,

mais il « n'entend » pas des paroles. Dans d'autres cas, lorsque le délire

alcoolique continu est plus accusé, le nombre des voix est assez grand ; le

malade distingue nettement non seulement des phrases, mais des dialo-

gues même. Dans des cas encore plus graves, les hallucinations auditives

sont si nombreuses et si persistantes qu'elles empêchent le malade de s'oc-

cuper d'autre chose; il écoule sans cesse ce qu'elles disent et parfois

même elles provoquent chez lui un état de confusion.

Lorsque les voix sont nombreuses, le malade les entend presque sans

cesse, et pendant ses occupations et pendant qu'il cause avec quelqu'un,

dans le silence comme dans le bruit ; les voix sont nombreuses le jour et

le soir, et le matin. Dans les cas plus légers, les voix ne s'entendent pas

continuellement : le malade commence à les distinguer, lorsqu'il y a un

silence autour de lui, ou lorsqu'il reste seul et se trouve inoccupé ; après

une fatigue, les voix inquiètent davantage le malade qu'après le repos ;

parfois il les entend de préférence le soir, lorsqu'il commence à s'endor-

mir, ou dans le silence de la nuit.

Le contenu des hallucinations auditives dans le délire alcoolique con-

tinu est assez uniforme ; le malade ordinairement entend des reproches

sur diverses choses, par exemple, parce qu'il a mené une vie dépravée et

qu'il a abusé des boissons fortes ; il entend qu'on le gronde, qu'on lui dit

des paroles offensantes, parfois des paroles obscènes ; on lui prédit une

mort prochaine, un châtiment. D'autres voix le défendent, le louent,

l'encouragent. Les interlocuteurs invisibles examinent dans les moindres

détails sa vie passée, et le malade s'étonne, de ce qu' « ils » peuvent con-

naître si bien tout ce qui concerne sa vie privée. Parfois le malade attend

ce qu' « ils » vont répondre à sa pensée, dès qu'il pense à quelque chose ;

quelquefois « ils » disent des choses que lui-même n'a jamais su. Dans

certains cas de délire alcoolique continu le contenu des hallucinations au-

ditives porte un caractère obscène et indécent ; cela arrive le plus souvent

lorsque le malade prie ou se, trouve à l'église ; alors « ils » commencent à

DÉLIRE ALCOOLIQUE CONTINU 393

injurier Dieu, les saints, empêchent le malade de prier, quelquefois à tel

point qu'il est obligé de quitter l'église. Parfois « ils » donnent des con-

seils au malade : comment il doit se conduire ? doit-il s'adresser au mé-

decin ? etc. ; tantôt « ils » conseillent au malade de boire et insistent

beaucoup sur cela. Ces causeries avec les voix peuvent être désagréa-

bles ; pourtant il n'est pas rare que les voix prennent un ton de badi-

nage humoristique et se moquent un peu du malade.

Le rapport de la conscience aux hallucinations auditives est générale-

ment critique; le malade les envisage ordinairement comme un phéno-

mène non normal, comme une maladie ; mais très souvent il tend à penser

et même il croit que ces voix viennent du diahle ; les uns parlent de cela

avec doute, d'une manière indécise ; les autres en ont la certitude plus ou

moins entière. En.causant avec un malade, souffrant du délire alcoolique

continu, souvent le fait suivant saute aux yeux : le malade commence à

raconter volontiers ses fausses sensations ; il les représente quelquefois

d'une manière plus ou moins comique, de sorte qu'on a l'impression qu'il

croit à la réalité de ces voix ; mais, en le questionnant davantage, on voit

qu'il envisage les voix comme une manifestation morbide, provenant de

ce qu'il a abusé des boissons fortes. Dans certains cas de délire alcoolique

continu, l'élément paranoïde est exprimé d'une manière plus accentuée.

Outre les hallucinations auditives, qui sont l'une des manifestations

fondamentales du délire alcoolique continu, peuvent encore se manifester

des hallucinations olfactives, visuelles et tactiles. Par exemple, l'un de

nos malades se plaignait souvent qu' « ils », c'est-à-dire ses interlocuteurs

invisibles, gâtent l'air par de mauvaises odeurs.

Le cours de la maladie dans le délire alcoolique continu se caractérise

par les particularités suivantes : même dans les cas légers, où il y a com-

parativement peu d'hallucinations, la maladie dure assez longtemps et

les voix continuent à se faire entendre un temps assez long, s'affaiblis-

sant, il est vrai, dans leur intensité. Dans les cas plus graves, lorsque les

voix sont plus fortes et plus nombreuses, il devient difficile au malade de

s'occuper d'affaires, puisque souvent il éprouve un état de confusion ;

alors, sans doute, la possibilité de la critique concernant les voix dimi-

nue, et le malade commence à dire avec plus d'assurance qu'il se trouve

sous l'influence du diable.

Beaucoup de malades, souffrant de délire alcoolique, se remettent, après

la période aiguë, assez Lien pour pouvoir s'occuper de leurs affaires,

quoiquepas aussi bien qu'auparavant. Nous pensons que la capacité au

travail chez ces malades diminue, par la suite de l'abaissement du tonus

de l'énergie psychique générale, quoique les malades eux-mêmes se

plaignent seulement de ce que les voix les gênent dans leurs occupations

394 SOUKHANOFF ET WEDENSKY

Bien que le délire alcoolique continu dure parfois des années, il n'y a

point ordinairement d'affaiblissement marqué des capacités intellectuelles

chez les malades ; au contraire, à la longue, les phénomènes morbides

ordinairement s'affaiblissent, la quantité des hallucinations auditives di-

minue, et elles deviennent moins intenses, moins nettes, n'apparaissent

plus sans répit, mais seulement par intervalles. Dans cerlains cas de dé-

lire alcoolique continu, la conviction des malades qu'ils se trouvent sous

l'influence du diable devient plus faible; le doute apparaît et plus fré-

quemment surgit cette pensée que toutes les voix sont l'effet de la ma-

ladie.

Très souvent, dans le délire alcoolique continu, existent des lésions de

l'appareil auditif périphérique, parfois unilatérales, plus rarement bila-

térales, quelquefois accompagnées d'un affaiblissement progressif de

l'ouïe. Il n'est pas rare d'observer que les hallucinations auditives sont

plus accentuées justement du côté où la lésion de l'appareil auditif péri-

phérique est plus marquée. Nous sommes, certes, bien loin de l'idée de

mettre en relation immédiate la lésion de l'appareil périphérique avec le

délire alcoolique continu ; il y a des cas où il n'y a aucune lésion de l'ap-

pareil auditif périphérique, et pourtant les hallucinations auditives sont

vives et intenses ; mais il est très possible que la lésion de l'appareil au-

ditif périphérique serve de moment favorable, aidant à la manifestation

plus marquée des hallucinations auditives.

Dans le cours du délire alcoolique continu, parfois il arrive que l'on

observe une exacerbation des phénomènes morbides, lorsque les hallucina-

tions auditives augmentent et inquiètent davantage le malade ; cette exa-

cerbation peut dépendre de quelques maladies occasionnelles somatiques,

et aussi, peut-être, de troubles endogènes quelconques dans la région

des centres auditifs du cerveau.

Concernant la terminaison de cette maladie, comme nous l'avons déjà

dit plus haut, le délire alcoolique continu ordinairement ne porte pas de

caractère progressif et ne s'accompagne pas d'un affaiblissement marqué

de la capacité intellectuelle. La majorité des malades ne réclament même

pas leur admission à l'hôpital ; ne souffrant pas d'idées de persécution, "

ils sont d'assez bonne humeur et peuvent s'occuper d'affaires ; leur con-

duite pour la plupart est régulière. Seulement, dans certains cas, où les

hallucinations auditives sont nombreuses et gênent constamment le

malade, en troublant le cours régulier de ses pensées et en provoquant

chez lui un état de confusion, le malade parfois a l'air d'un homme

atteint de maladie psychique ; il parle quelquefois avec lui-même, prêtant

l'oreille à ses hallucinations.

Ainsi, l'une de nos malades, chez qui les hallucinations auditives

DELIRE ALCOOLIQUE CONTINU 395

étaient très abondantes et très vives et qui était en partie persuadée de

la réalité des voix, ne pouvait pas travailler ; elle se plaignait que sa pré-

tendue interlocutrice et gouvernante l'empêchait de travailler, lui ordon-

nait de causer, de discuter avec elle et même de se donner des coups ; et,

effectivement, la malade, lorsqu'elle était seule, abandonnait son ouvrage,

répondait à « elle » et quelquefois même se donnait des coups.

Nous rapportons ce cas au nombre des plus graves; la maladie durant

ici déjà depuis dix ans. Mais bien des malades, souffrant de délire alcooli-

que continu, peuvent se contenir de telle manière que les personnes qui

les entourent ne remarquent point d'irrégularité dans leur conduite.

Une circonstance favorisant l'amélioration de la maladie est ce fait que

la plupart des malades cessent de boire, après que le délire alcoolique

continu s'est manifesté chez eux. On peut expliquer ce fait par cela que

le malade, effrayé par la continuité de sa maladie, commence à craindre

de perdre tout à fait l'esprit. Ici, d'ailleurs, on peut faire encore une autre

supposition, qui a été mentionnée par le professeur S. S. Korsakoff dans

les examens cliniques des malades; S. S. Korsakoff pensait que les ma-

lades cessent de boire du vin pour cette raison qu'ils ne ressentent plus

d'entraînement pour les boissons fortes.

Dans des cas très rares, lorsque le malade, souffrant de délire alcoolique

continu, ne cesse pas de boire, la maladie peut prendre un caractère pro-

gressif très marqué.

Diagnostic différentiel. - Comme il a été déjà dit plus haut, le délire

alcoolique continu se manifeste le plus souvent, sinon exclusivement chez

des buveurs qni ont eu déjà un ou plusieurs accès de deli1'inm tremens.

Comme au début, le délire alcoolique continu s'exprime ordinairement par

des phénomènes ressemblant à ceux qui s'observent dans le delirium tre-

mens, alors il est bien entendu qu'au commencement de la maladie le

diagnostic est difficile et ne peut pas être fondé sur des bases solides.

Si le malade présente le tableau clinique de delirium tremens avec

prédominance des hallucinations auditives, et non des hallucinations vi-

suelles, alors doit surgir l'idée qu'il ne s'agit pas du delirizcnt tremens

'mais du délire alcoolique continu. Il faut pourtant dire qu'il y a aussi

des cas de delirium tremens au cours duquel le malade éprouve de pré-

férence des hallucinations auditives.

Le diagnostic du délire alcoolique continu devient plus facile là où les

accès primordiaux aigus se sont déjà effacés, où les phénomènes, rappe-

lant le delirium tremens, ont disparu ; dans la période plus ou moins éloi-

gnée du début, il reste chez le malade principalement des hallucinations

auditives et une certaine interprétation erronée de ces hallucinations, con-

sistant en cela que le malade pense qu'il se trouve sous l'influence du

396 SOUKHANOFF ET WEDENSKY

diable. Nous pensons qu'au sujet de l'explication que le malade donne de

ses voix, il faut avoir en vue que la plus grande majorité des individus

souffrant de délire alcoolique continu, appartiennent à la classe non intel-

ligente.

Sur le diagnostic différentiel entre le délire alcoolique continu et la

psychose alcoolique aiguë décrite par différents auteurs sous différentes

dénominations, nous y reviendrons plus loin. Une fois que le malade,

souffrant de délire alcoolique continu, s'est débarrassé des phénomènes

alcooliques aigus, rappelant le delirium tremens, il faut encore avoir

en vue dans le diagnostic différentiel, la paranoïa alcoolique ; malgré qu'il

y ait des cas où la distinction est malaisée, on peut tout de même indiquer

quelques phénomènes différentiels. Avant tout, il faut remarquer que dans

le délire alcoolique continu les idées erronées du malade se rapportent à

une influence diabolique ; parfois ces idées peuvent être déterminées et

très stables. Dans la paranoïa alcoolique existe chez le malade un délire

de persécution plus ou moins systématisé, concernant parfois des person-

nes définies et souvent s'accompagnant d'actions aggressives. Tandis que

le malade de délire alcoolique continu est d'assez bonne humeur et n'évite

pas la société, le malade de paranoïa alcoolique est très soupçonneux, il se

fâche souvent contre les personnes qui l'entourent et môme parfois de-

vient dangereux et agressif envers elles ; le premier malade, en somme,

est bien plus raisonnable que le second.

Ensuite, dans le délire alcoolique continu, la maladie ne lend pas à un

développement ultérieur; au contraire, sous l'influence de conditions fa-

vorables l'état du malade s'améliore. Dans la paranoïa alcoolique chronique

on observe un développement progressif de la maladie, l'état du malade

empire, le délire se développe, sa personnalité psychique se modifie et

souvent l'affection se termine par une démence très marquée et l'incapa-

cité de toute occupation. Dans le délire alcoolique continu, comme nous

l'avons dit plus haut, ordinairement, il n'y a point de démence et la per-

sonnalité psychique du malade se modifie peu ; il conserve la capacité de

s'occuper de ses affaires habituelles.

Les hallucinations auditives semblent plus nombreuses dans le délire

alcoolique continu que dans la paranoïa alcoolique chronique; dans le

premier cas, les idées délirantes, pour ainsi dire, se nourrissent des hallu-

cinations auditives, tandis que dans le second les idées délirantes ne sont

pas sous la dépendance des hallucinations auditives.

La mélancolie alcoolique peut aussi être confondue avec le délire

alcoolique chronique, car parfois au début elle se manifeste par des phé-

nomènes rappelant le delirium tremens et elle peut s'accompagner dans son

cours ultérieur d'hallucinations auditives : dans la mélancolie alcoolique,

, DÉLIRE ALCOOLIQUE CONTINU 397

l'état émotif possède, en outre, un caractère triste très marqué ; le malade

se trouve dans un état d'angoisse, de dépression et d'inquiétude ; dans le

délire alcoolique continu on ne constate pas d'émotion pénible; quand cet

état apparaît, c'est seulement pour une courte durée, lors d'hallucinations

effrayantes qui épouvantent le malade. Concernant les hallucinations au-

ditives dans la mélancolie alcoolique, il faut dire que leur contenu corres-

pond à l'humeur triste et sombre du malade : il entend des menaces, des

accusations de méfaits et de crimes ; il entend qu'on le juge, qu'on le

condamne à une pénitence et même à mort. Dans le délire alcoolique con-

tinu, les hallucinations, en somme, sont bien moins pénibles et moins

douloureuses ; bien souvent, le malade lui-même les envisage comme une

manifestation de la maladie; au contraire, dans la mélancolie alcoolique,

le malade croit à la réalité de ses hallucinations auditives. La conduite

des malades dans l'une et l'autre maladie est différente : celui qui est at-

teint de délire alcoolique continu parle ordinairement volontiers de ses

sensations morbides ; il est expansif, souvent même de bonne humeur, et

souvent humoristique : l'individu qui souffre de mélancolie alcoolique,

est taciturne, déprimé ; il aime la solitude, il craint toujours quelque

chose, évite toute société, se croit un coupable et un grand pécheur; il est

timide et n'aime pas à parler de sa maladie.

Rapports du délire alcoolique continu avec les autres psychoses alcooliques.

- Puisque le délire alcoolique continu commence par des accès, ressem-

blant beaucoup au delirium tremens, il est bien naturel dépenser qu'il est

la suite ou la seconde phase de ce delirium tremens. D'un autre côté, on

a des raisons pour présumer que le délire alcoolique continu est une

maladie tout à fait indépendante du delirium tremens.

Actuellement, nous ne pouvons pas encore nous prononcer sur ce sujet;

pour la solution de cette question il faut avoir en vue ce qui suit : bien des

maladies mentales, d'origine alcoolique, qui sont provoquées exclusive-

ment par l'alcool, telles que la mélancolie alcoolique, la paranoïa alcoolique

chronique, quelquefois la psychose de Korsakoff, débutent par un tableau,

ressemblant à celui du delirium tremens; on peut dire, avec un degré de

vraisemblance assez grand et même avec une assurance complète, que ces

maladies ne se développent pas sur le delirium tremens, mais que le syn-

drome du delirium tremens est dans ces cas une complication accessoire de

la maladie fondamentale. Ce même point de vue peut s'appliquer au dé-

lire alcoolique continu. Mais nous représentons encore une fois que pour

le moment nous laissons cette question pendante.

Maintenant quel est le rapport de la maladie en question avec la para-

noïa alcoolique chronique ? Nous allons aussi nous abstenir de nous pro-

noncer définitivement sur cetle question ; s'il y a des raisons de réunir

398 SOUKHANOFF ET WEDENSKY

ces deux maladies en une seule, il y en a au moins autant pour la sépara-

tion de ces deux formes, dont chacune se développe, dans des conditions

particulières; et même si l'on admettait que le délire alcoolique continu

est une forme de la paranoïa alcoolique chronique, il serait indispensable

de remarquer qu'il diffère d'une manière très prononcée de cette der-

nière par son tableau clinique, par son cours et par son pronostic.

La littérature concernant cette question ne donne que des renseigne-

ments très incomplets, et, en partie, contradictoires. Les indications les

plus détaillées et les plus précises sur la forme morbide dont il s'agit, se

trouvent dans le Manuel de Psychiatrie du professeur S. S. Korsakoff (1),

d'après l'avis duquel le délirealcoolique continusedéveloppeordinairement

à la suite du delirium tremens. « Après le sommeil critique, la conscience

du malade atteint du delirium tremens s'éclaircit, les hallucinations vi-

suelles disparaissent ; restent seulement les hallucinations auditives ; elles

constituent, dans le cours ultérieur de la maladie, le symptôme essentiel,

et dans bien des cas, l'unique contenu de la maladie». S. S. Korsakoff

note que cette maladie se développe ordinairement chez des individus qui

ont déjà supporté plusieurs atteintes de delirium tremens ; la maladie dure

ordinairement quelques mois ou quelques années et parfois même toute

la vie, mais dans la grande majorité des cas, elle n'empêche pas le malade

de s'occuper d'affaires pas trop compliquées. De la paranoïa alcoolique, si

voisine du délire alcoolique continu, ce dernier diffère, d'après Korsakoff,

par le manque de systématisation dans le délire, et par le manque de

tendances aggressives vis-à-vis de l'entourage. Pour les autres auteurs

russes, il y a des indications sur le délire alcoolique continu dans le traité

de IW.-P. Serbsl (1.) : « La psychopathologie légale ». Cet auteur ne

sépare pas le délire alcoolique continu de la paranoïa alcoolique et décrit

ces deux maladies sous la dénomination de « délire continu des buveurs ou

paranoïa alcoolique ». A.-F. Erlitzky (3) dans ses « Leçons cliniques

sur les maladies mentales », sans examiner le délire alcoolique continu à

part, indique néanmoins la possibilité pour certaines psychoses alcooliques

de laisser après elles des hallucinations stables, principalement auditives,

comme seul reliquat de la maladie. Le trouble mental, décrit il y a peu

de temps par le professeur W.-M. Bechterew (4) sous le nom de « psychose

hallucinatoire, se développant dans les lésions de l'organe auditif »,

(1) S.-S. KORSAKOFF, Traité de Psychiatrie, 1901, 2° édit., Moscou (en russe).

(2) W.-P. SERBSKY, La psycho-pathologie légale, 1900, t.II, Moscou (en russe).

(3) A.-F. ERLITZKY, Leçons cliniques sur les maladies mentales, Saint-Pétersbourg,

1896 (en russe).

(4) W.-M. Bechtéheff, Revue (russe) de Psychiatrie, 1903, n- 3.

DÉLIRE ALCOOLIQUE CONTINU 399

paraît être tout autre chose que le délire alcoolique continu, vu la diffé-

rence dans l'étiologie de la maladie susnommée (lésion de l'appareil

auditif) et dans le tableau clinique (caractère différent des hallucinations,

existence d'un délire complexe).

Si nous nous adressons à la littérature étrangère, nous n'y trouvons ou

bien aucune indication, ou nous y rencontrons la description d'états

hallucinatoires ou délirants s'étant développés sur le terrain de l'alcoo-

lisme chronique, mais qui ne correspondent pas au délire alcoolique con-

tinu ; le rapport de ces maladies avec le delirium tremens, d'un côté, et à

la paranoïa alcoolique, d'autre part, est peu défini. Le trouble mental, noté

en 1847 par Marcé (1), et qui s'observe parfois dans l'alcoolisme chroni-

que où il se manifeste principalement par des idées délirantes ou du délire

développé sur le terrain de nombreuses hallucinations auditives, a été dé-

crit d'une manière plus détaillée par Nasse (2) (1874) sous le nom de

« délire de persécution des alcooliques ». D'après -Nasse, cette maladie

est une psychose développée d'une manière aiguë et qui se caractérise

principalement par des hallucinations auditives, plus rarement visuelles;

ordinairement d'un contenu désagréable et offensant (des accusations très

graves, pour la plupart de caractère sexuel, des menaces, des injures etc.),

ne donnent pas de motif à l'apparition des idées délirantes à caractère de

délire de persécution ; comme conséquence des hallucinations et du délire,

souvent, d'après Nasse, peuvent survenir des accès d'angoisse et des

réactions à la peur ; cependant ordinairement l'humeur des malades est

assez calme, parfois même avec addition d'une certaine bonne humeur

particulière. La description de Nasse dans ses traits fondamentaux a été

adoptée par les auteurs allemands qui ont suivi et l'affection a été décrite

sous différentes nominations. Ainsi Kraft-Ebing (3), dans le chapitre

« du délire sensoriel des alcooliques » (Der hallucinatorische Wahnsinn

der Trinker) est d'accord avec la description de Nasse, seulement il diffé-

rencie cette affection de la paranoïa alcoolique, caractérisée, d'après son

avis, par un cours plus prolongé et par une plus grande systématisation

du délire. Comme ressemblant en ce qu'elles ont d'essentiel au délire

sensoriel des alcooliques de Krafft-Ebing, on doit signaler aussi les mala-

dies décrites par ITruepelin (4), comme « Hallucinatorischer Wahnsinn der

Trinker », par Mendel (5), comme « Paranoia alcoholistica » ; par \Ver-

(1) Marcé, De la folie causée par l'abus des boissons alcooliques. Paris, 1897

(voyez chez Nasse).

(2) Nasse, Allgemeine Zeitschrift (¡il' Psychiatrie, 1891.

(3) Krafft-Ebing, Lehrbucle der Psychiatrie, 1891.

(4) IRA6PELIN, Psychiatrie, 1899.

(5) mindel, Leiftfaden der Psychiatrie, 1902.

400 SOUKHANOFF ET WEDENSKY .

nicke (1), comme « Acute Hallucinose », et enfin par Bonhoeffer (2),

comme « Acute Hallucinose der Trinker ». La maladie se caractérise par

des hallucinations auditives très abondantes et se développant d'une ma-

nière aiguë ; on observe aussi, quoique rarement, d'autres hallucinations ;

le malade entend qu'on parle de lui, qu'on le gronde, qu'on le menace,

tantôt il croit entendre la répétition à haute voix de ses propres pensées

etc. ; sur le terrain de ces fausses sensations surgit ordinairement le délire

de persécution, absurde et fantastique; la maladie dure quelques jours

ou quelques semaines, rarement elle dure des mois. Cette circonstance

que, d'après Kroepelin, la maladie peut débuter par des phénomènes, rap-

pelant le delirium tremens aborlif (insomnie, crainte non motivée),

mérite de retenir l'attention. Bonhoeffer envisage cette affection comme

voisine du delirium tremens, vu l'existence de cas transitoires où il existe

dans ce dernier des hallucinations auditives et une tendance à la systéma-

tisation des représentations délirantes, D'ailleurs, Bonhoeffel' ne considère

pas comme absolument indispensable pour cette maladie la systématisation

du délire, et il propose de lui conserver la dénomination de Wernicke, à

savoir : « Acute Hallucinose ». Cette affection ne peut pas néanmoins être

reconnue comme identique au délire alcoolique continu, dans le sens que

nous attribuons à ce terme.

Comme phénomènes différentiels entre le « acute hallucinose » de

Wernicke et le délire alcoolique continu apparaît l'existence dans le pre-

mier des idées délirantes nombreuses et plus ou moins systématisées,

l'évolution rapide et le cours non prolongé de la maladie avec termi-

naison ordinaire par la guérison. Il faut encore remarquer dans l'« hal-

- lucinose aiguë » de Werllicke, que l'intoxication alcoolique n'est pas

on3dérée par les auteurs comme indispensable dans l'étiologie de cette

1 ' ie. Des autres formes de psychoses alcooliques que Wernicke men-

. ne, à savoir, « chronisches » et « protrahirtesAlcoholdelirium », le

/premier représente un degré paranoïde du delirium tremens, lorsque le

malade conserve plus ou moins longtemps ses fausses sensations et croit

à la réalité de ses illusions; ici, d'après Wernicke, les hallucinations,

l'agitation motrice et l'insomnie manquent ordinairement, et la maladie

ou finit par la guérison, ou, par suite de la continuation de l'abus des bois-

sons fortes, verse dans un état stable de démence. « ProtrahirtesDelirium

tremens » (Wernicke) se caractérise par cela que les fausses sensations

associées et l'agitation motrice, propres au delirium tremens, se prolongent

pour un temps plus ou moins long (quelques semaines), ordinairement

(1) Wernicke, Grundniss der Psychiatrie, 1900, IJI.

(2) BONHOEFFER, Die acuten Geisleskranklaeinlen der Gewohnheitstrinher, 1901.

DÉLIRE ALCOOLIQUE CONTINU 401

sous l'influence de quelques causes d'épuisement (la tuberculose, etc.) ; la

maladie finit par la guérison, si le malade ne succombe pas à la maladie

somatique. Il nous semble que, ni le « délire alcoolique chronique » de.

Wernicke, ni le « delirium tremens continu » ne peuvent être identifiés

avec le délire alcoolique continu.

Les indications sur le délire alcoolique continu ne sont pas plus nom-

breuses dans la littérature française. Marcé, Lasèyue et Legrand du

Saule décrivent sous le nom « d'alcoolisme subaigu » le délire 'de persé-

cution se développant d'une manière aiguë chez des alcooliques chroniques

avec hallucinations auditives très abondantes, différant de la paranoïa

typique par une évolution de courte durée, par grande peur et par des

hallucinations alcooliques auditives très caractéristiques. Magnan (1),

dans sa monographie sur l' « Alcoolisme », décrivant le deliriuttt tremens,

enlève de ce dernier les cas, dans lesquels, immédiatement après la dis-

parition des accès aigus, persistent pour quelque temps le délire, les

hallucinations, un état affectif ; parfois, sous l'influence, semble-t-il, d'une

prédisposition indi\iduelle, le délire prend les caractères d'un délire

partiel, très stable, de persécution.

Parmi les auteurs anglais, il faut indiquer Clouston (2), parlant dans

ses « Leçons Cliniques » de la possibilité pour le delirium tremens, sur-

tout après la répétition réitérée de son accès de laisser après lui des trou-

bles prolongés, tantôt ayant l'aspect des hallucinations auditives stables,

tantôt sous forme de folie partielle.

Passant à l'analyse du matériel de la Clinique Psychiatrique de Moscou

concernant le délire alcoolique continu, nous trouvons indispensable de

dire, que pour le but de ce travail, nous nous sommes servis seulement

des cas qui correspondaient tout à fait au délire alcoolique continu, type

tel que nous le comprenons.

Les cas transitoires et ceux où l'on pouvait remarquer ou supposer un

trouble mental d'un autre genre, étaient éliminés. En déterminant la

fréquence du délire alcoolique continu en général, nous trouvons que

sur 4813 malades psychiques, enregistrés à la Clinique Psychiatrique de

Moscou, depuis 1887 jusqu'au 1er mai 1903, il revient au délire alcoolique

continu 33 malades. La grande majorité des cas concernent des ma-

lades de la consultation externe; il faut remarquer que quelques-uns de

ces malades ont visité la Clinique pendant bien des années.

La plus grande majorité des cas se rapporte a des hommes : 30, contre

seulement 3 pour des femmes. En calculant le pourcentage de ces malades

(1) Magnan, L'alcoolisme, 1874.

(2) CLOUSTON, Leçons cliniques sur les maladies mentales, Traduction russe. Saint-

Pétersbourg, 1885.

Xvi 27

402 SOUKHANOFF ET WEDENSKY

par rapport à la totalité des malades psychiques de la Clinique Psychia-

trique (4813), pour définir la fréquence comparative du délire alcoolique

continu, nous voyons que le délire alcoolique se renconlre dans 0,69 p. 100

de lous les cas de trouble mental ; c'esl donc comparativement une maladie

rare. Si nous prenons les hommes (3110) et les femmes (1703) séparé-

ment, nous verrons, que la fréquence du délire alcoolique continu, par

rapport au nombre total des cas de trouble mental, sera chez les hommes

0,96 p. 100 et chez les femmes 0.18 p. 100.

En examinant le rapport du nombre des hommes, souffrant de délire

alcoolique conlinu au nombre des femmes, et prenanten considération,

que le nombre de lous les malades psychiques hommes en général, prévaut

de beaucoup sur le nombre de malades psychiques femmes (le nombre

de malades psychiques hommes se rapportant au nombre de malades psy-

chiques femmes comme 3110 : 1703, c'est-à-dire comme 1,03 : 1), nous

verrons que les hommes approximativement pour 5,5 fois souffrent plus

souvent du délire alcoolique continu que les femmes, ce qui doit être

expliqué, croyons-nous, par cela que l'alcoolisme est moins répandu

parmi les femmes que parmi les hommes.

En posant la question concernant la signification de l'hérédité dans

l'évolution du délire alcoolique continu et en examinant dans ce sens

notre matériel, nous obtenons les données suivantes très curieuses : parmi

les 29 cas où a été notée l'hérédité, dans 20 cas il y a l'alcoolisme des

parents, principalement du père, dans 3 des maladies nerveuses et men-

tales chez des proches parents; dans 5 il n'y avait aucune hérédité. Si

nous prenons ensemble tous les cas, dans lesquels existent des indications

sur la prédisposition héréditaire, nous verrons alors que la prédisposition

existe dans 96,55 p. 100. Les chiffres ci-dessus démontrent suffisamment,

croyons-nous, l'énorme signification de l'hérédité dans l'éliologie du délire

alcoolique continu ; ce dernier surpasse même sous ce rapport la paralysie

générale, la mélancolie, la manie, la folie circulaire, les idées obsé-

dantes, à en juger d'après les données, obtenues par les docteurs S. Sou-

khanofel P. Gannoucllkille. Ces auteurs, se basant sur le matériel de la

Clinique Psychiatrique de Moscou, ont pu établir que la prédisposition

héréditaire dans la paralysie générale (1) était de 75 p. 100, clans la mé-

lancolie de 82 p. 100 (2), dans la manie (3) et dans la psychose circu-

laire (4) de 87 p. 100, dans les idées obsédantes de 92 p. 100 (5).

(1) Journal de Neuropathologie et de Psychiatrie de S. S. Korsakoff (en russe),

1901, p. 733.

(2) Ibid., 1902, liv. VI, p. 1170.

(3) Revue (russe) de médecine, 1902, n° 19, p. 501.

(4) Ibid., 1903, n" 1, p. 3.

(5) Journal de Neuropathologie et de Psychiatrie de S. S. Korsakoff, 1902, liv. 111,

p. 399.

DÉLIRE ALCOOLIQUE CONTINU 403

Passant à l'examen de la question de l'âge, dans lequel se développent

ordinairement le délire alcoolique continu, et partageant nos malades par

groupes définis d'après l'âge, nous obtenons les données suivantes : dans

1 cas la maladie s'est manifestée à l'âge de 21-25 ans, dans 9 cas à l'âge

de 26-30 ans, dans 9 cas à l'âge de 31-3 ? ; ans, dans 5 cas à l'âge de 36-

40 ans, dans 2 cas à l'àge de 41-45 ans, clans 2 cas à l'âge de 46-50 ans

et dans 4 cas (de ces cas il y en a deux, appartenant aux femmes) à 51-

56 ans. Cela démonlre que le délire alcoolique continu se manifeste le

plus souvent à l'âge de 26-35. Des 3 cas de délire alcoolique continu

chez les femmes dans 2 cas la maladie s'est manifestée à 52-53 ans et

dans 1 cas à 36 ans.

Autant qu'un nombre restreint d'observations permet de conclure, on

peut penser que le délire alcoolique continu se développe chez les femmes

bien plus tard que chez les hommes. Cette circonstance, croyons nous,

peut être expliquée par ce que les femmes commencent à abuser des bois-

sons fortes dans un âge plus mûr que les hommes.

En sériant nos malades d'après le genre de leurs occupations, ce qui,

à un certain degré, indique leur état social, nous trouvons que le nombre

prédominant (28 cas ou 87, 88 p. 100) se rapporte aux individus appar-

tenant aux professions non intelligentes, où le travail physique joue le

rôle principal (cultivateurs, ouvriers de fabriques, artisans, etc.); dans

le reste des malades il y avait 1 commis de comptoir, 2 prêtres et 1 étu-

diant.

Il est intéressant de noter que, d'après les observations de Bonhoeffer

1' « hallucinose aiguë des alcooliques », contrairement au delirium tre-

mens, s'observe principalement chez les personnes de professions libé-

rales (étudiants, artistes, commerçants, etc.). En soulignant cette diffé-

rence, nous ne nous croyons cependant pas en .droit de conclure sur les

relations réciproques entre la hallucinose alcoolique aiguë de Bonhoeffel'

et le délire alcoolique continu.

Dans la grande majoritédes cas de délire alcoolique continu, nous avons

pu constater les phénomènes de delirium tremens, présentant une tran-

sition graduelle des accès très marqués aux formes abortives. Ces accès

(1,2, rarement 3) tantôt précèdent de longtemps l'apparition du délire

alcoolique continu, tantôt ils en sont séparés par un intervalle de lemps

très court. A noire grand regret, vu que les données anamnestiques, se

rapportant à ces faits, étaient assez incomplètes, nous n'avons pas pu

exprimer en chiffres le rapport du délire alcoolique continu aux accès du

delirium tremens, qui l'avaient précédés.

Pour conclure, nous voudrions parler encore de deux phénomènes phy-

404 SOUKHANOFF ET WEDENSKY

siques, accompagnant le tableau psychique du délire alcool)que continu et

qui sont, selon nous, dignes d'attention.

Nous avons en vue la contraction idio-musculaire (Bernstein) (1) et la

lésion de l'organe auditif, P. B. Gannouchkine et S. A. Soukhaiiof (`2),

étudiant la signification clinique de la contraction idio-musculaire dans

les maladies mentales, notent que dans lous les cas de délire alcoo-

lique continu examiné par eux, ce phénomène musculaire existait tou-

jours. Considérant qu'une grande partie de nos cas se rapportent au

temps, où la contraction idio-musculaire n'était pas recherchée, lors de

l'examen général physique des malades, il y a lieu de supposer, que

presque dans tous les cas de délire alcoolique continu, où on a fait

attention à ce phénomène, il était présent.

La lésion de l'appareil auditif dans le délire alcoolique continu se ren-

contre souvent. Dans 13 cas, parmi le matériel que nous avions à notre

disposition, ce phénomène a été constaté sous une forme très accentuée;

dans quelques-uns de nos cas, cette lésion représentait le reliquat de pro-

cessus morbides qui avaient eu lieu bien avant la première manifestation

du délire alcoolique continu ; c'était l'affaiblissement ou la perte de l'ouïe

d'un seul côté ou des deux côtés ; dans d'autres cas on pouvait constater

des phénomènes d'un processus morbide encore actif ou inachevé. En ce

qui concerne la signification de la lésion de l'organe auditif dans la patho-

génie du délire alcoolique continu, nous ne nous décidons pas à émettre

de conclusions sur cette relation, vu nos connaissances encore incom-

plètes. Le phénomène sus-mentionné mérite de retenir l'attention sous

ce rapport qu'il indique une fois de plus la possibilité de la participation

des lésions périphériques de l'appareil auditif à l'évolution de certains

états hallucinatoires.

(1) A. Bernstein, Sur la signification clinique de la contraction idio-musculaire chez

les aliénés, Moscou, 1900.

(2) P. GA11)lOl'CIlKINE et S. SOUKHANOFF, Contribution à l'étude de la signification

clinique de la contraction idio-musculaire dans les maladies mentales, Journal (russe)

clinique, 1901, no 5.

LE MAILLOT DE L'ENFANT

D'APRÈS LES PEINTURES DE L'ÉCOLE ITALIENNE.

PAR , ,

J. GENEVRIER,

Interne des hôpitaux.

Dans les quartiers populeux des grandes villes italiennes, dans les

ruelles qui avoisinent le port de Gênes, ou aux pentes de Santa-Lucia à

Naples, on verra souvent, parmi les loques innombrables qui pendent

aux ficelles tendues entre les fenêtres, de longues bandelettes, faites de

claires étoffes et ornées d'arabesques ou de guirlandes de fleurs ; elles pa-

raissent moins minables que les chiffons et les oripeaux qui pavoisent

lamentablement les façades gercées et ulcérées des pauvres vieilles mai-

sons où grouille la foule bruyante et gaie du bas peuple, de ces miséreux

dépenaillés, élégants dans leurs haillons, jolis sous leur saleté, toujours

souriants et insouciants.

La destination de ces longues et étroites pièces d'étoffe étonnerait sans

doute beaucoup de voyageurs. Les voyageuses y trouveraient un sujet

d'utiles méditations sur leur prochain rôle de mères de famille.

Interrogez, en effet, quelque lazzaroni ou quelque marchande d'oran-

ges. Ils vous diront que chacune de ces bandes est un costume de marmot.

Le médecin, lui aussi, doit s'y intéresser.

Car, nous dit Montaigne : « Tout ainsi qu'en l'agriculture les façons

qui vont avant le planter sont certaines et aysées, et le planter mesme ;

mais, depuis que ce qui est planté vient à prendre vie, à l'eslever il y a

une grande variété de façons, et difficulté ; pareillement aux hommes, il

y a peu d'industrie à les planter ; mais depuis qu'ils sont nayz, on se

charge d'un soing divers, plein d'embesongnement et de crainte, à les

dresser et nourrir. » .

Le « planter » est certainement très aisé en Italie, car les enfants y foi-

sonnent ; et tout comme de ce côté-ci des Alpes, il est même plus aisé

chez les pauvres que chez les riches : c'était du moins la remarque judi-

cieuse d'un gondolier de Venise me montrant, aux fenêtres des masures

406 GENEVRIER

qui bordent les sordides canaletti des environs du Ghetto, toute une col-

lection de maillots multicolores dont les vives couleurs se reflétaient en

se jouant sur les ondulations légères de l'eau : « Voyez-vous, Signore,

disait-il en hochant la tête, il n'y a que les pauvres pour avoir autant

d'enfants que cela. » Et l'homme me conta, dans sa langue pittoresque et

zézayante; comment, à l'aide de ces longues bandes, on emprisonnait l'en-

fant dans ses langes ; suivant le goût et le caprice de la nourrice, le petit

corps est enroulé dans des circulaires, ou bien ligotté par des croisés, qui

dessinent à la surface du maillot des losanges réguliers ; le résultat final

est le même : l'enfant est dans son maillot comme dans une chrysalide.

Or, il y a fort longtemps que cette coutume est en honneur dans les

pays italiens.

A l'hôpital des Enfants-Assistés de Florence, aux fameux « innocent ! »,

sur le fronton desquels sourient toujours les putti de della Robbia, cette

méthode, que nous trouvons barbare, était la seule en usage jusqu'à ces

dix dernières années ; la lingerie de cet hôpital possède encore tout un

stock de bandelettes inutilisées aujourd'hui ; et dans le peuple, c'est

encore de cette façon un peu brutale, que les mères assurent la lranquil-

.lité de leurs enfants.

Cette méthode, beaucoup plus répandue qu'on ne l'imaginerait, puis-

qu'on la retrouve aussi bien en Russie qu'en Allemagne, en Espagne

qu'en Italie, paraît avoir été de tout temps employée; sans remontera à

Romulus et Remus (que la tradition nous montre nus sous le ventre de la

louve), une série de documents permet de montrer que celle mode s'est

perpétuée sur le sol latin, depuis le temps où Scipion faisait la gloire et

la fortune de la République, jusqu'à nos jours : les Empereurs ont pris la

place des tribuns, les papes et les princes ont lutté durant des siècles, le

règne de la liberté a été cent fois proclamé : et toujours les marmots sont

.restés prisonniers dans leurs langes; à l'éveil de leur intelligence, ils ont

eu le droit de se demander si « la liberté ne serait pas qu'un mot n.

« L'enfant n'est pas plutôt délivré de sa prison, dit Pline, qu'on lui

- donne de nouvelles entraves; ce roi des animaux, pieds et mains liés,

pleure, gémit, et sa vie commence dans les supplices. »

Dans l'ouvrage si riche en documents de Witkowski, on ;trouve des

reproductions de médailles et des inscriptions de monuments funèbres où

sont représentés ces pauvres petits rois des animaux ligottés et empaquetés ;

on peut les voir en semblable appareil dans quelques peintures de Pompéi.

Eufin les gérémiades du Trllclllentus de Piaule nous apprennent les noms

qu'on donnait aux différentes pièces de ce vêtement; le même passage de

l'amusante comédie nous révèle aussi quelques détails sur les soins donnés

au nouveau-né et à sa nourrice : « Il faut de quoi vivre à l'enfant, il. en

LE MAILLOT DE L'ENFANT 407

faut à celle qui a lavé le nouveau-né ; il faut à la nourrice une outre de

vin vieux toujours pleine pour qu'elle boive jour et nuit ( ! ) ; il faut du

bois, il faut du charbon, il faut des bandes, des coussins, des berceaux, des

langes ; il faut de l'huile, il faut de la farine pour l'enfant... tout le jour

il faut quelque chose. »

Fasciis opus est, pulvinis, cunis, incunabilis ;

- Oleum opus est, farina puero opus est,

i >

Opu' st totum diem.

Dans « Amphitryon », Plaute donne aussi quelques détails sur la nais-

sance des deux fils d'Alcmène. C'est d'abord une jolie observationde su-

perfétation : les faits de ce genre ne sont pas assez fréquents pour qu'on

ne soit pas excusable d'en rapporter un : « Au sujet d'Alcmène, j'aurais

dû vous dire qu'elle donnera aujourd'hui la vie à deux fils jumeaux. Ils

viendront au monde, l'un dix mois, l'autre sept mois après avoir été

conçus. Le premier est d'Amphitryon, le second de Jupiter. Ainsi le cadet

est plus grand par son père que l'aîné par le sien. Vous comprenez bien

cela ? n'y aura qu'un seul enfantement. Jupiter l'a voulu par intérêt

pour Alcmène ; ainsi elle se délivre d'un double mal par un seul travail,

et elle est garantie du soupçon d'adultère ; le mystère de leur union ne se

traduit point. »

Puis les enfants naissent ; et c'est la nourrice Bromia qui prend la pa-

role : « Elle m'ordonne de laver les nouveau-nés. Nous nous empressons

d'obéir. Dieux ! que celui que j'ai lavé est grand et robuste ! Jamais il

n'a été possible de le ligotter dans les langes 1

Neque ezcm quisquam COH<i'</<M'6 quivit incunabilis.

Encore que les mots de Plaute fassent image, ils ne sont pas aussi ex-

plicites que les nombreux documents figurés que l'on peut retrouver dans

l'art italien, à partir du jour où Florence vit Giotto édifier le campanile

de Sainte-Marie-des-Fleurs, sous les regards du poêlera « l'andare grave

et mansuèto ». Si Dante n'a pas condamné les pauvres in fan H, dont la

seule faute fut de ne pas avoir été baptisés, à rester perpétuellement em-

prisonnés dans leurs langes, mais seulement à « faire trembler de leurs

soupirs l'air éternel » ; si les très gracieuses dames du Décameron négli-

gent d'entretenir leurs seigneurs des soins que les mères ont à donner à

leurs enfants, les peintres contemporains ont maintes fois placé sur leurs

toiles des nourrissons dont ils nous montrent la toilette et le vêtement.

Quelques documents artistiques vont nous permettre d'assister à cette

toilette. Négligeons l'ordre chronologique : ne vaut-il pas mieux, en effet,

408 GENEVRIER

reproduire les sujets pris aux divers âges de la peinture italienne que de

montrer une série de tableaux du même artiste ou de la même époque (ce

qui d'ailleurs serait facile, tant les enfants abondent sur les toiles des

maîtres italiens). On pourra de la sorte se rendre compte de la fidélité

avec laquelle le vêtement de l'enfant a été représenté pendant deux ou

trois cents ans; on constatera qu'il n'a pas varié de Giotto à del Sarto, et

que les fascii dont Bromia n'arrivait pas à ceindre le fils de Jupiter de-

vaient être de tout point semblables à ceux dont les divins Bambini sont

enveloppés sur les tableaux des maîtres toscans.

La première de nos photographies n'est qu'un détail d'une des grandes

fresques dont Andréa del Sarto orna le vestibule de l'église de l'Annoncia-

tion à Florence (PI. LXIX). A ce moment unique dans l'histoire de l'art que

futl'âge d'or de la Renaissance (cette fresque porte la date A.D.bIDXIIII),

l'artiste, dans la plénitude de son talent, nous montre une nativité de la

Vierge ; au milieu d'un riche cadre architectural, une vigoureuse nourrice

porte l'enfant nouveau-né sur ses genoux; une belle jeune femme, sou-

riante et épanouie, tient le lange dont on va couvrir le corps potelé de la

petite Vierge déjà auréolée. Une autre jeune femme sourit à sainte Anne

(qu'on ne voit pas sur le coin de fresque ici reproduit), et elle montre

dans son sourire tout le ravissement que lui cause cette heureuse naissance.

Sous le manteau de la cheminée, un bambin, curieux et émerveillé, tend

ses menottes à la flamme, tout en suivant attentivement des yeux ce specta-

, cle nouveau pour lui : la nourrice vient de laver l'enfant dans un bassin

de cuivre ; elle la sèche et la réchauffe en présentant au feu son corps nu ;

elle a eu soin de mettre la bandelette dont elle va l'entourer sur un tabou-

ret, auprès du foyer.

Andréa del Sarto nous montre dans cette scène vivante les éléments du

costume. Les photographies suivantes vont nous montrer comment l'enfant

en est vêtu.

La Vierge arec son fils, du Beato Angelico, nous reporte à une époque

de cent ans antérieure à celle des fresques d'Andréa del Sarto (PI. LXX, A).

Ce tableau de la Galerie antique et moderne de Florence, est loin de

compter parmllles meilleurs du doux moine de Piesole : la Vierge et son

divin fils échangent des regards quelque peu figés. Mais le vêtement de des-

sous de l'enfant est^ici nettement représenté : le lange, qui flotte sur les

jambes, est déjà maintenu à la ceinture par quelques solides tours de bande.

En faisant un nouveau saut de cent ans en arrière, nous arrivons à

Giotto ; il nous montre, dans une Adoration des rois mages (I'I. LXXI, B),

à la même^galerie, le large lange complètement assujetti par les bande-

lettes, depuis les aisselles jusqu'aux pieds. Les bras sont libres et l'enfant

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière

T. XVI. Pl LXIX

LE MAILLOT DE L'ENFANT

(1. Genévrier.)

La Naissance de la Vierge

d'après I.i fresque d'A\ORS.\ OEL Sarto, Eglise Je l'Annuniiata, a Florence.

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XVI. PI. LXX

LE MAILLOT DE L'ENFANT

(J. Genévrier.)

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière.

T. XVI. PI LXXI

LE MAILLOT DE L'ENFANT

U. Genévrlrr.)

La Présentation au Temple

d'après FRA Beato A-,GELICO

Couvent de St-Marc,

Florence.

L'Adoration des Mânes

d'après Giotto

Galerie Antique et Moderne,

Florence.

Masson & Ch, Editeurs

LE MAILLOT DE L'ENFANT 409

peut, d'un bien joli mouvement, s'incliner vers la tête chauve du vieillard

pour lui poser les doigts sur le front.

La photographie voisine (Pl. LXXI, A) nous ramène à l'Angelico ; cette

Présentation au Temple est peut-être la plus parfaite des fresques du cou-

vent de Saint-Marc ; le prêtre est un beau vieillard, grand, tout blanc ; il

baisse affectueusement les yeux vers le bambino tout emmaillotté, eLle

tient, un peu maladroitement, de ses longues mains aux doigts effilés; du

regard, il scrute les yeux déjà si expressifs de l'enfant plus sérieux quesou-

riant. Saint Joseph, un peu à l'écart, a une bonne figure ronde de paysan

réjoui ; il porte dans une corbeille les colombes de l'offrande. Et, vue de

profil, si délicate, si menue, si frêle, qu'il a bien fallu un miracle pour

qu'elle puisse mettre au monde un enfant si bien portant, la Vierge tend les

mains, les doigts écartés vers l'enfant qu'elle couve des yeux : elle parait

craindre pour lui quelque trop rude caresse des mains inexpérimentées qui

viennent de le lui prendre. La jeune Vierge est toute à son enfant : on ne

peut pas imaginer une femme plus vierge, ni plus mère.

L'enfant, qui dans le Temple, est en simple maillot, est revêtu pour

sortir, d'un vêtement de dessus, d'une couverture posée en écharpe sur ses

épaules, et au besoin, encore retenue par des bandelettes. C'est ce man-

teau que nous voyons recouvrir le petit-fils de Noé dans un fragment,

malheureusement trop endommagé pour être reproduit, de la célèbre

fresque du Campo-Santo de Pise où Benozzo Gozzoli représenta, parmi

d'autres scènes de l'Ancien Testament, l'Ivresse de Noé. Cependant que

Sem arrive à reculons, pour cacher de son manteau, et sans l'avoir vue, la

nudité de son père, les brus de Noé s'approchent de là vigne où gît le

vieillard endormi : l'une, scandalisée par le spectacle lamentable offert par

l'aïeul, porte la main sur sa figure, tout en ayant bien soin d'écarter les

doigts, et de glisser entre eux un regard furtif ; on n'est pas plus femme que

cette Vergognosa, honteuse de sa curiosité. L'autre bru est désolée ; elle

lève les yeux au ciel, et pour cacher le vieillard déchu à l'enfant, elle

tient celui-ci tout serré contre elle ; pour sortir dans le jardin (la maison

est si proche), elle a simplement jeté sur les épaules du petit la pièce

d'étoffe de couleur sombre qu'elle relient de ses deux mains.

Pour un plus long voyage, ce manteau lui-même aurait été fixé par de

nouvelles bandelettes, comme on peut le voir sur plusieurs tableaux; si

la saison est rude, on le ramènera même par dessus la tête ; il tiendra

lieu du bonnet, que jamais l'on ne voit représenté, et qui, vraisemblable-

ment, était à peu près ignoré.

Un très joli tableau du Baroche, bien postérieur à ceux que nous avons

déjà vus, nous montre un costume d'apparat, qui, pour être très luxueux,

410 GENEVRIER

n'en est pas plus confortable pour le nourrisson (PL LXX, B) ; le jeune

prince d'Urbin est ligotté dans de riches broderies, surchargées d'or et

d'argent, sans parailre d'ailleurs souffrir de ces entraves ; il est couché dans

un berceau duquel il ne manquera pas de tomber au moindre mouvement,

si tant est qu'il puisse en commettre ; en tout cas ce n'est pas sa moelleuse

couverture, qu'on a oublié de border, qui le retiendra : le jeune prince est

bien joli, mais peut-être sa physionomie est-elle déjà un peu triste des

charges que lui imposé sa naissance.

Non seulement on trouve ce costume représenté dans les oeuvres des

peintres de la Renaissance; mais on voit encore de ces pauvres emmail-

lotlés sur maints bas-reliefs.

Dans une nativité de Giovanni Pisano, qui décorait une des parois de

la chaire de la cathédrale dePise, et qui est, aujourd'hui au musée civique

de celte ville, on voit l'Enfanl-Jésus, abrité par les têtes de l'âne et du

boeuf, couché dans leur mangeoire, et tout entortillé de bandelettes. A la

porte sud du Baptistère de Florence, ciselée par Andréa Pisano, Zac-

charie inscrit le nom du nouveau-né, qui n'est guère qu'une petite momie

soigneusement empaquetée (PI. LXXII). '

On pourrait continuer longtemps l'énumération des oeuvres, où les

artistes, naïfs ou raffinés, ont reproduit, toujours consciencieusement, les

vêtements dont ils voyaient leurs enfants affublés. La mode du maillot à

bandelettes dure encore sur bien des coins de l'Italie ; combien de modes

eurent une telle longévité ? Si elle a disparu de chez nous, nous devons

au moins nous rappeler que, durant de longues générations, nos ancêtres

latins la subirent ; ils n'en furent pas trop incommodés, même au physi-

que, puisque leur vieille race fournit encore à nos artistes la plupart de

leurs modèles. Le maillot anglais triomphe aujourd'hui chez nous. Que

nous sommes loin de l'élégante époque des Botticelli et desGliirlandajo 1

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. T. XVI. PI LXXII

LE MAILLOT DE L'ENFANT

(J. Genévrier.)

La Naissance de Jcsus

d'après Giovanni PISANO, au Musée de Pise.

DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES

SUR LES

POSSÉDÉS DANS L'ART

(suite)

PAR

HENRY MEIGE

Aux documents dont on a trouvé précédemment la description et la repro-

duction, je puis ajouter les indications suivantes relevées au cours d'uue série

de voyages.

La figure ci-contre est la reproduction

d'un des compartiments du portail prin-

cipal de la grande Chartreuse de Pavie,

où se voit un possédé grimaçant. J'ai

déjà signalé cette belle sculpture avec

les autres figurations" de possédés que

j'ai rencontrées en Italie (1).

En Allemagne, j'ai noté, en 1897, au

Musée Germanique de Nuremberg, un

beau Possédé de M. M7011LCFNIUTH, sur

un tableau qui représente une scène de

la vie de saint Guy (n° 111).

En présence d'un prince et de sa suite,

Saint Vitus opère son miracle. Le pos-

sédé, sur le point de tomber par terre,

est retenu sous les épaules par deux as-

sistants. Le Saint le soutient également

avec une sorte de large cravate passée

autour du cou. Le malade se débat, tour-

nant violemment la tète, la main gauche

crispée en grille, le pied gauche en exten-

sion forcée. La bouche est béante, la lau-

gue tirée, les lèvres tordues ; les yeux très largement ouverts sont convulsés

vers le haut. Un diable s'envole par la fenêtre d'où on aperçoit un paysage

avec un pont.

Un petit tableau de PAUL BR1L (1sus4-1626). à la Pinacothèque de Munich

(no 675) représente La Guérison du Possédé de Gérasa. Celui-ci, soutenu

par deux hommes, se renverse en arrière agitant ses bras, les yeux convulsés

en haut.

(1) Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, n° 1, 1902.

412 HENRY MEIGE

Un nuage de fumée s'échappe de sa bouche contorsionnée. A gauche, le

Christ suivi de ses disciples ; à droite, le troupeau de porcs qui se précipite

dans la mer. Au fond, un paysage maritime et rocheux.

En Suisse, au musée de Bâle, l'épisode du Possédé de Gérasa est traité par

BRDEGHEf. DE Velours (1568-1625) sur un petit tableau sur cuivre, mais sans

détails caractéristiques.

En Belgique, au musée d'Anvers, un'tableau de MARTIN DE Vos, représente

la Vie du bienheureux Conrad. Au-dessous du panneau central, on voit un

possédé, transporté par deux hommes vers le tombeau du Saint, près duquel

sont agenouillés plusieurs personnages accompagnés d'un infirme avec béquilles.

Au musée d'Ypres, se trouve une esquisse de Rubens pour le tableau des

Miracles de saint Benoit, qui fait partie de la collection du roi des Belges, à

Bruxelles. On y voit une belle possédée, rappelant celle du Miracle de saint

Ignace, à Vienne. Elle se débat, soutenue par deux hommes, et levant ses deux

bras en l'air, les doigts crispés sur la paume, la bouche tirée, les yeux légère-

ment convulsés en haut, le cou très saillant.

Sur un tableau de PETRQS CLAEOE, dans l'Hospice de la Potterie, à Bruges,

parmi d'autres malades et infirmes, figure une possédée, les bras écartés, un

nuage de fumée sortant de sa bouche.

Enfin, en France, au musée de Rennes (cadre 108, n° 6) un dessin à la

plume et au lavis de VAN HOUBRAKEN (1160-1709) représente un moine déli-

vrant une possédée. Celle-ci, les cheveux épars, vue à mi-corps, soutenue par

un homme, se débat furieusement. Son bras gauche est violemment contor-

sionné et la main représente très exactement un type de contracture en exten-

sion.

Au musée de Dijon (n° 34) un tableau de GiusEPPE PASSARI z.4714)

représente La Cessation du Schisme d'Anaclet, où saint Bernard joua un

rôle décisif, en se prononçant pour le Pape Innocent II. « Toute l'Assemblée

applaudit à ce choix, excepté une femme qui, se moquant de cette décision par

des grimaces et des contorsions, fut renversée à la vue des anges qui couron-

naient le.jugement de saint Bernard. » Cette femme était une possédée, que le

peintre a représentée, tirant la langue, les yeux convulsés en bas, la main

droite étendue en avant dans un geste d'effroi.

On peut voir aussi un beau type de possédé, les yeux convulsés, la langue

tirée, les poings crispés, renversant fortement en arrière, sur une des tapis-

series de Saiut-Gervais et Saint-Protais (vers 1650) d'après Philippe de Cham-

paigne, actuellement au musée Galliera.

L'OEUVRE MÉDICO-ARTISTIQUE

DE LA

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière vient d'atteindre sa dix-sep-

tième année. Son extension progressive et sa diffusion toujours croissante

pendant ce laps de temps sont les meilleurs témoignages de ses efforts

et de leur opportunité. Ce sont aussi des engagements pour l'avenir. Elle

saura n'y point manquer. ·

Le nombre de travaux scientifiques qu'elle a publiés, la collection de

ses photographies cliniques et microscopiques, ses articles d'histoire et

de critique médicales, représentent aujourd'hui une mine documentaire

d'une incontestable utilité.

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière peut se permettre de jeter

un coup d'oeil rétrospectif sur son passé. Elle se contentera aujourd'hui

d'envisager une seule partie de.son oeuvre, celle dont elle peut à bon

droit se considérer comme la première et la principale vulgarisatrice.

C'est son oeuvre 111ÉDICO-AIt'rIS'rIQUE que la Nouvelle Iconographie de la

Salpêtrière se croit permis -juge même nécessaire - de rappeler au-

jourd'hui.

A Charcot, son fondateur, revient l'honneur d'avoir inauguré, il y a

déjà un demi-siècle, les premières études de critique médicale des

oeuvres d'art. Son oeil de clinicien, éclairé par un sens artistique très

affiné, sut découvrir l'intérêt médical de certaines images, et il ne cessa

de rechercher au cours de ses voyages les peintures ou les sculptures

présentant les caractères de la vérité pathologique, L'étude sur Charcot

artiste, publiée dans ce recueil, a fait voir les résultats féconds de cette

alliance des aptitudes artistiques et scientifiques chez le chef de l'Ecole

de la Salpêtrière. A côté des documents cliniques, il sut faire une place

aux oeuvres d'art dans les études médicales. Son enseignement en fait foi.

Un jour, il commentait un dessin célèbre de P. Brueâhel le Vieux, rela-

tif aux processions dansantes en l'honneur de saint Guy; une autre fois, il

414 L'OEUVRE lIfÉDICO-ARTIST1QUE

montrait qu'une Possédée de P.-P. Rubens semble une copie faite sur

nature de la grande attaque d'hystérie (1), etc. Dans cette voie, comme

en tant d'aulres, Charcot fut un innovateur.

Une fois de plus, un grand esprit français faisait entrevoir un champ

d'études encore inexploré. Elit il appartenait aussi aux travailleurs français

d'être les premiers à recueillir l'ample moisson des oeuvres d'art intéres-

sant la médecine. -

Un collaborateur de Charcot, M. Paul Richer, publia, à la suite de ses

Eludes cliniques sur la Grande Hystérie (2), un appendice (15fi pages)

consacré à l'llystérie dans l'Histoire et à l'Hystérie dans l'Art, où se trou-

vent reproduits et commentés les principaux documents figurés relatifs

aux possédés, aux convulsionnaires et aux extatiques.

Bientôt après (1887) paraissait l'ouvrage de Charcot et Paul Bicher sur

Les Démoniaques dans l'Art (3), rassemblant les plus belles images inspi-

rées par la possession diabolique et interprétées selon l'enseignement du

maître de la Salpêtrière.

' Presque en même temps, en 1888, fut fondée la Nouvelle Iconographie

de la 6'a ? 6,pubtiée sous la direction de Charcot,par 1V1VI. Paul Richer,

Gilles de la Tourelle et Albert Londe, « source de documents écrits et figu-

rés », destinéeà faire « revivre les cas anciens et faciliter considérablement

la comparaison des cas analogues, même lorsque les malades ont disparu

depuis longtemps » .

Dès son premier fascicule, la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière

faisait connaître une oeuvre d'art d'un haut intérêt médical : Un lépreux

d'Albert Durer. Les fascicules suivants devaient donner successivement

les reproductions de toute une série de peintures ou de sculptures inspi-

rées par la vue des difformités ou des maladies : Les infirmes, les para-

lytiques, les aveugles, les syphilitiques, les malades dans l'Art, etc.,com-

mentés par Charcot et Paul Bicher.

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière n'a point failli à sa promesse,

et son oeuvre médico-artistique n'a cessé de se poursuivre jusqu'à ce

jour.

La plupart des études publiées dans ses premiers volumes ont été rassem-

blées dans un important ouvrage de Charcot et Paul Richer, Les difformes

et les malades clans l'Art, qui date de 1889 (4), et qui constitue, avec les

(1) Charcot, OEUV1'es complètes, t. 1, 1886.

(2) Paris, Delahaye et Lccrosnier, 2° édit., 1885, 1 vol. gr. in-8" de 976 pages, avec

191 fig. et 10 eaux-fortes.

(3) Paris, Delahaye et Lecrosnier, édit., 1881, 1 vol. in-4° de 116 pages, avec 6

figures. -

. (4) Paris, Lecrosnier et Babé, édit., 1889, 1 vol. gr. in-4° de 162 pages, avec nom-

breuses figures.

DE LA NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE 111

Démoniaques dans l'Art, un recueil dont il peut sembler superflu de sou-

ligner ici l'originalité et la valeur documentaire. Les années suivantes, de

nouvelles oeuvres d'art ont suscité de nouvelles critiques médicales. Aux

articles de Charcot et de Paul Richer, sont venus s'ajouter ceux de Gilles

de la Tourelle, Souques, Georges Guinon, Chipault, etc., chacun apportant

sa pierre à l'édifice.'

Après la mort de Charcot, M. le professeur Raymond tint à honneur de

rester fidèle aux traditions de la Salpêtrière. Avec ses bienveillants encou-

ragements, avec ceux des professeurs Fournier et Joffroy, la Nouvelle Ico-

nographie de la Salpêtrière n'a cessé de continuer à publier dans chaque

fascicule une étude de critique médicale des oeuvres d'art, en faisant

surtout appel, depuis 1893, aux travaux personnels de son Rédacteur,

M. Henry Meige. Ainsi parurent : le Juif Errant ci la Salpêtrière, les Possé-

dées des dieux dans l'Art antique, 'Enpe blessé, de nouveaux documents sur

les Démoniaques, les Lépreux, les Nains, les Bossus, les Goitreux, le

Géants, les OEdèznes, les Accouchements dans l'Art, etc. El, plus spécia-

lement encore, une suite des monographies de M. Henry Meige, sous ces

titre général : Les Peintres de la Médecine [Écoles flamande et hollandaise) :

les Pierres de tête, le Mal d'amour, les Opérations sur la tête, l'épaule, le

dos, les yeux, les Pédicures, les Arracheurs de dents, la Saignée, etc. Un

recueil, ayant pour litre Art et Médecine, et composé d'un certain nombre

de ces études, fut couronné par l'Académie de Médecine, en 1900.

Plus tard encore, de npuveaux collaborateurs, intéressés par ce genre

de recherches, sont venus accroître cette précieuse série de documents ;

M.Heitz,avecsa critique des figurations dans l'Art byzantin, MM .Blanchard,

Beauvois, Bolk, Mayet, Geyer, Mariani, Genévrier, etc., ont signalé et

commenté de simages aussi curieuses qu'instructives.

Envers son fondateur, envers l'Ecole de Charcot, envers tous les tra-

vailleurs, qui lui onl généreusement offert la primeur de leurs découver-

tes et le fruit de leurs efforts, la Nouvelle Iconographie delà Salpêtrière

a contracté une dette de reconnaissance dont elle tient à affirmer haute-

ment l'étendue.

Son oeuvre médico-artistique représenterait, à elle seule aujourd'hui,

un volume dépassant un millier de pages, illustré de deux cent cinquante

photographies, et de nombreuses gravures ou dessins.

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a le droit de s'enorgueillir

d'avoir diffusé dans le monde entier ce recueil essentiellement original.

Elle a aussi le .devoir de proclamer que cette oeuvre appartient à la

science française et de faire rendre pleine justice à ceux qui l'ont créée

et incessamment amplifiée.

416 l'oeuvre MÉDICO-ARTISTIQUE

Une publication allemande toute récente aurait pu apporter un nouveau

témoignage de l'importance des travaux consacrés par les médecins fran-

çais à la critique des oeuvres d'art, si, par suite d'une regrettable lacune,

les indications de ces travaux ne s'y trouvaient presque complètement

oubliées.

Le fait est d'autant plus surprenant que les écrivains allemands se dis-

tinguent généralement par un souci méticuleux de l'exactitude documen-

taire, et par des connaissances bibliographiques très sérieuses. Peut-être

des tendances germanophiles se manifestent-elles parfois avec excès,

depuis quelques années surtout, dans leurs ouvrages ; mais il est de toute

justice de reconnaître que les savants allemands s'imposent - et môme

se font gloire - de signaler scrupuleusement toutes les sources aux-

quelles ils ont. puisé. En agissant de la sorte, ils mettent davantage en

valeur la solidité de leurs travauxet ils facilitent la tâche de leurs succes-

seurs. Aussi, doivent-ils êlre les premiers surpris et chagrinés des infrac-

tions commises à cette bonne tradition germanique.

Tel est malheureusement le cas d'un livre publié par un chirurgien de

Berlin.

L'auteur de ce livre, il est vrai, a pris la précaution d'annoncer dans

sa préface qu'une passion peu commune pour les peintures flamandes et

hollandaises lui était venue alors qu'il était encore étudiant. Ainsi donne-

t-il à entendre que, seul, ce goûl précoce lui a permis de s'apercevoir

qu'un grand nombre de tableaux étaient consacrés à des sujets médicaux

et qu'il a commencé de longue date un recueil des photographies cor-

respondantes ; remarque qui semble bien destinée à atténuer la surprise

que la publication actuelle de ces documents ne peut manquer de causer à

tous ceux qui se sont déjà occupés de la question.

C'est qu'en effet ce livre a paru en l'année 1903, alors que, depuis un

temps déjà très appréciable, se trouvait mise en vente une oeuvre infiniment

plus complète, consacrée au même sujet.

Un remarquable volume du Dr Paul Ricber, tôt et la Médecine (1),

paru au mois de mars 1902, était venu donner le plus éclatant témoignage

du labeur accompli par la médecine française dans la critique des oeuvres

d'art. Les belles recherches personnelles de l'auteur, ses études en colla-

boration avec Charcot, un certain nombre des publications de M. Henry

Meige,ont été rassemblées dans ce recueil magistral, source documentaire

aussi riche en illustrations qu'en références de toules sortes, où pouvaient

,

(1) Paris. Gaultier, Magnier et Cie, édit., 1 vol.in-4° de 562 pages, avec 345 ligures.

DE LA NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE 417 7

puiser désormais sans effort ceux qui s'intéressaient à la question. En

voyant reparaître, presque à toutes les pages de ce livre, le nom de la Non-

velle Iconographie de la Salpêtrière, on se rend compte de la part considé-

rable qui revient à celle-ci dans la vulgarisation des études médico-artis-

tiques dont la primeur lui fut toujours généreusement offerte.

La haute compétence artistique et [médicale de M. Paul Richer, l'an-

cienneté de ses premiers travaux de critique des oeuvres d'art, ont

donné à son livre une valeur et une portée toutes spéciales.

Le chirurgien de Berlin n'a pu se dispenser d'en parler, mais en des

termes assez singuliers :

« Pendant la publication de mon livre, dit-il, a paru L'Art et la Mède-

cine, du Dr Paul Bicher, une oeuvre qui, basée sur les travaux de l'Ecole

de Charcot, contient une collection passablement ( ! ) compréhensive de ces

matières. »

Et il ajoute :

« Si mon travail n'avait pas été si proche de sa fin, ce livre aurait pu

faciliter réellement ma tâche. Cependant cette circonstance ne peut qu'a-

jouter à l'originalité de celle-ci »

Qui l'eût cru ? ... La publication du livre du Dr Paul Richer, antérieure

de plus d'un an, a eu cette conséquence imprévue : c'est de mettre en valeur

l'originalité de l'auteur allemand ! Singulière conception de l'originalité 1...

Le chirurgien berlinois a d'ailleurs éprouvé le besoin de justifier son

livre :

« Une opinion autorisée ne peut rien gâter, dit-il en termes dithyram-

biques, et de même que les anciens écrivains médicaux invoquaient tou-

jours le divin Hippocrate, de même de nos jours dans tout travail scienti-

fique, le nom de Rudolf Virchow fait bien rarement défaut. Invoquons

donc son glorieux témoignage dans cette question du réalisme dans

l'Art ! » - Suit un passage d'un court article que Virchow écrivit en 1861

dans ses Archives à propos d'un Lépreux de Holbein.

Assurément, le nom de Virchow est de ceux dont la science s'honore, et

son oeuvre est trop universellement connue pour qu'il soit besoin de la

vanter. Mais les quelques lignes qu'il a consacrées à la critique médicale

des oeuvres d'art suffisent-elles pour faire de lui l'initiateur de ce genre

d'études ?

L'auteur du livre en question ignore sans doute, entre autres choses,

qu'en 1857 donc plusieurs années avant l'article de Virchow - Char-

cot avait déjà publié, avec A. Dechambre, une étude de critique d'art sur

quelques marbres antiques (1) et en particulier sur un buste d'Esope de

(1) Charcot et A. Dechambre, De quelques marbres antiques, etc., Gazette hebdom.

de méd. et de chirurgie, 1857, t. IV, n° 25.

xv 28

418 L'OEUVRE MÉDICO-ARTISTIQUE

la Villa Albani, à Rome, étude accompagnée de remarques générales sur

le réalisme pathologique dans les oeuvres d'art et l'intérêt que les méde-

cins doivent prendre à le rechercher

Un passage surlout mérite d'être rappelé :

Ce buste, écrivaient les deux savants français, « introduit dans les arts

plastiques un élément de critique dont il appartient aux médecins d'éta-

blir la signification et la portée...

« La médecine est en possession de décider si telle ou telle imperfection

de traits, d'attitude ou de conformation, appartient à la nature ou au ciseau,

et si, conséquemment, elle accuse chez l'artiste une grande habileté ou une

grande impéritie. Il n'est pour ainsi dire pas d'irrégularité morphologique

absolument circonscrite : ce n'est jamais qu'un centre d'où émanent, dans

les parties environnantes, et parfois à une grande distance, des caractères

spéciaux entièrement subordonnés à la nature, au siège, au degré de la

difformité, et qui la traduisent selon des règles fixes et nécessaires.

«... Les effets visibles de la difformité, les effets primitifs comme les

effets consécutifs n'ont rien d'arbitraire, et c'est par là qu'on peut s'assu-

rer, en présence d'une figure anomale, si c'est la maladresse qui a égaré

le ciseau, ou une science profonde qui l'a dirigé dans l'imitation de la na-

ture. »

Il ne viendra à l'esprit de personne de soupçonner Virchow d'avoir

simplement paraphrasé les idées exprimées dans ces lignes, quelle que

soit leur antériorité. Mais n'est-il pas simplement équitable de les remé-

morer, puisque l'auteur d'un livre tout récent de critique médico-artis-

tique semble les ignorer encore qu'elles soient reproduites, avec

l'indication de la source, dans la préface du volume de M. Paul Richer,

bien connu de l'écrivain berlinois (1).

Que ce détail lui ait échappé, soit. Cependant un travailleur soucieux

de l'exactitude documentaire pouvait-il ne pas être averti de l'existence

des deux ouvrages fondamentaux de Charcot et Paul Richer ? ... Le vo-

lume de M. Paul Richer sur l'Art et la Médecine en fait plus d'une fois

mention. Il n'y a guère de publications médico-artistiques dans la Nouvelle

Iconographie de la Salpêtrière où ces travaux n'aient été rappelés ; sou-

vent même on y a fait de larges emprunts, à la vérité avec l'agrément

des auteurs, et en les accompagnant toujours d'indications bibliographi-

ques précises. Par quel regrettable oubli le chirurgien de Berlin, qui

donne, par ailleurs, la preuve qu'il a connaissance des publications en

question, a-t-il pu négliger de faire la plus légère allusion aux études

primordiales de Charcot et Paul Richer ? .. C'est qu'il semble que le nom

(1) PAUL Richer, L'Art et la Médecine, Voy. Introduction, p. 8 et p. 189 à 193.

DE LA NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE 419

de Charcot soit pour lui un épouvantail. A peine ose-t-il, dans sa préface,

l'introduire une fois, et encore adjectivé, en faisant seulement allusion

aux travaux de l'école du maître.

Charcot, et les autres auteurs français qui ont écrit sur les questions

d'art et de médecine n'avaient pas omis de rappeler l'article de Virchow.

Si le nom du grand savant allemand ne revient pas plus souvent sous leur

plume, c'est bien parce que Virchow ne leur a pas donné davantage d'oc-

casions de le citer. Et si d'autres noms germains ne figurent pas plus

souvent dans les publications de la Nouvelle Iconographie de la Salpê-

trière, c'est qu'en vérité les écrivains allemands n'ont apporté que de rares

contributions aux études médico-artistiques. La meilleure preuve n'est-elle

pas qu'un auteur dont la tendresse pour les travaux germaniques n'est pas

contestable, a observé le même silence obligé à l'égard de ses compatriotes ?

En revanche, il donne à entendre que les collections d'oeuvres d'art se

rapportant à la médecine sont nombreuses en Allemagne ; du moins,

est-on conduit à le croire en lisant l'énumération des personnalités exclu-

sivement allemandes citées dans sa préface.

Sans vouloir dresser une liste complète des colleclions françaises ana-

logues, on pourrait citer parmi les plus anciennement connues la belle

collection que possédait Charcot, celle qui orne depuis plus de vingt ans

les murs de la Clinique de la Salpêtrière, et que tant d'étrangers ont pu

et peuvent encore admirer, celle non moins considérable de M. Paul Richer,

celle de M. Henry Meige, celles de MM. Gilles de la Tourelle, Brissaud,

Pierre Marie ; celles du Dr Thibierge (maladies cutanées et syphilitiques),

du Dr Blanchard (parasitologie, médailles relatives à la médecine, etc.),

des Drs Tuffier, Hartmann, Hamonic, Wickham, Launois, Galippe,

Edmond Fournier, A Marie, etc., etc.

Et ces collections ne se sont point cachées.

A l'Exposition internationale de Paris, en 1900, se trouvait un Musé

rétrospectif de médecine et de chirurgie. M. Tuffier a publié un Rapport

richement illustré sur les documents exposés. La même année, à l'occa-

sion du Congrès international de Médecine, M. Thibierge, avait pris l'heu-

reuse initiative d'organiser, à l'hôpital Saint-Louis, une exposition des

images anciennes, relatives aux maladies cutanées et syphilitiques. Les

documents figurés s'y rattachant, signalés par Charcot et Paul Richer,

ainsi que la collection publiée par Henry Meige dans la Nouvelle Iconogra-

phie delà Salpêtrière et ailleurs, ont été alors exposés en public, - avec

l'indication des sources.

Plus récemment même, au coeur de l'Allemagne, à l'Exposition des Vil-

les allemandes, qui s'est ouverte à Dresde, au printemps dernier, dans la

420 L'OEUVRE MÈDIC0-AI1TIST1QUE

section des Maladies populaires, la collection des documents figurés relatifs

à la médecine, commentés et reproduits par M. Henry Meige dans la

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière depuis l'année 1894, a été exposée

devant le public allemand, ainsi que les brochures consacrées à ces do-

cuments, et avec toutes les références.

Ce n'est point,d'ailleurs,par ces expositions qu'ont été surtout diffusées

les publications de la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. Elle se fé-

licite d'avoir vu apprécier de toutes parts ses efforts ininterrompus. Sur-

tout, elle ne saurait oublier les Directeurs de tous les Musées de l'Eu-

rope et les collectionneurs qui se sont mis avec tant de bonne grâce, il

y a déjà longtemps, à la disposition de ses collaborateurs, soit au cours

de leurs voyages de recherches, soit en leur procurant des renseignements

ou des reproductions inédites des oeuvres d'art intéressant la médecine.

Grâce à ces bienveillants appuis, son oeuvre médico-artistique a pu pren-

dre une extension inespérée et devancer toutes les tentatives similaires.

Elle tient à adresser aussi ses remerciements les plus sincères à tous

les Journaux et Revues, de Médecine, d'Art, d'Histoire, qui, en France

comme à l'étranger, ont contribué, depuis seize ans, à diffuser l'oeuvre

médico-artistique inaugurée et poursuivie sans relâche par les travailleurs

français.

Le récent ouvrage médico-artistique qui vient d'être publié par un chi-

rurgien de lierlin causera donc quelque surprise. A cette surprise s'ajou-

tera une inquiétude, celle de voir se propager des erreurs.

Sans doute, l'auteur de ce recueil, le Dr Eugen 1101 I¡¡nder, déclare lui-

même qu'il a fait là une « oeuvre joyeuse », un « travail extra-profession-

nel ». Il a raison ; car une oeuvre sérieuse comme à bon droit l'Alle-

magne peut se glorifier d'en produire se distinguerait certainement

par des qualités tout autres.

Pour ceux qui sont au courant des études de ce genre, la confusion

n'est pas possible : le livre du chirurgien de Berlin leur semblera une

sorte de catalogue abrégé des oeuvres médico-artistiques de Charcot, Paul

Richer, Henry Meige. Ne devrait-on donc pas vanter la modestie d'un

auteur allemand, qui, pour illustrer son ouvrage, a eu la généreuse idée

de choisir ses images parmi celles qui avaient été depuis longtemps

reproduites et commentées par des auteurs français, en se contentant seu-

lement d'ajouter un nombre infime de figures nouvelles, d'ailleurs d'un

intérêt secondaire ? ... Mais lui saura-t-on gré d'avoir oublié de rappeler

toutes les études de Charcot, - et la plupart de celles de ses élèves ?

DE LA NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPl1THIÈHE 421

N'est-il pas vraiment trop modeste lorsqu'il dit que le volume de M.

Paul Richer ajoute à son 01 igina lité ? ? A chaque page du livre allemand

on retrouve des réminiscences d'une précision singulière, des mots topi-

ques, des lambeaux de phrases, des idées très spéciales, imprimées, et

même réimprimées, depuis bien des années. N'est-ce-pas là le comble de

l'originalité, dans le sens où parait l'entendre le chirurgien berlinois ? ...

Parle-t-il des Lépreux dans l'Art, il n'a pas à chercher bien loin ses

documents et ses interprétations. S'il s'agit des Pestiférés, il montre les

images décrites en 1889 par Charcot et par 1Vl..Paul Richer. Pour la

Danse de 6'a<Kt-GMy,comme i ! s'agit d'une critique de Charcot, il l'adopte

et la croit trop connue pour en rappeler l'auteur. De même pour les Nains,

les Aveugles, les Infirmes, etc., extraits des Difformes et malades dans l'Art.

On retrouve même le vieillard au nez exubérant de Ghirlandajo, bien

analysé par M. Cartaz (1).

Mais c'est surtout pour les peintures des Ecoles flamande et hollandaise

que l'écrivain berlinois se montre prodigue des figurations qui, depuis

une dizaine d'années, ont été publiées par la Nouvelle Iconographie de la

Salpêtrière. On voit reparaître, en particulier, toutes les aimables victimes

du Mal d'Amour, les gentilles maladesdevan Miens, Gérard Dow, Metzu,

sans oublier les rieuses moribondes de Jan Steen, ce moraliste gouailleur

dont les oeuvres et le talent se trouvent appréciés avec une concordance

de vues et une similitude de mots véritablement très suggestifs, surtout

quand on établit le parallèle avec les articles que leur a consacrés

M. Henry Meige dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, en 1895,

en 1899, et dans le Janus, en 1900. Un exemple, parmi tant d'autres :

Parlant d'un charmant tableau, désigné dans tous les catalogues sous le

nom de La Malade, par Samuel van IIoogstraaten, au Rijk-Museum

d'Amsterdam, l'auteur allemand remarque que la jeune femme qu'on y

voit semble un « portrait typique dechtoro-anémique », et en reproduisant

la photographie de ce tableau, il met en légende : La Chlorotique (Die

Bleichsi'ichlige), comme si cette dénomination était toute personnelle.

C'est pourtant bien'ce même tableau qui fut reproduit dans la Nouvelle

Iconographie de la Salpêtrière, en mai 189 : >, portant pour la première

fois cette légende : La Chlorotique, avec un commentaire très détaillé pour

la justifier.

Pour les peintures consacrées aux Leçons d'anatomie, qui sont connues

des médecins, même les moins versés dans les études artistiques, le chi-

rurgien allemand se montre prodigue d'images. La plupart de ces docu-

ments figurés ont été l'objet d'un intéressant opuscule du Dr Paul Triaire,

(1) Congrès de l'A.E.A.S. Boulogne-sur-Mer, 1899.

422 L'OEUVRE TfÉDICO-ARTISTIQUE

de Tours : Les Leçons d'Anatomie et les Peintres Hollandais, paru en 1897.

Quand l'auteur allemand arrive aux scènes chirurgicales, les images et

les commentaires de Charcot et de ses élèves lui fournissent encore une

importante documentation. Successivement on retrouve l'Enée blessé du

musée de Naples, les terres cuites de della Robbia, Achille soignant Pa-

trocle, la Ventouseuse de Brekelenkam, les Saignées de Rubens, d'Abraham

Bosse... Puis toutes les Opérations sur le dos, sur le bras, sur les yeux,

les Pédicures, les Arracheurs de dents, etc. Enfin, la charlatanerie des

Pierres de tête, à laquelle fut consacrée, en 1895, dans la Nouvelle

Iconographie de la Salpêtrière, une monographie richement illustrée, suivie

d'une demi-douzaine d'articles complémentaires, et où se trouve une

interprétation toute personnelle de ces curieuses images, interpré-

tation qui devient aussi celle du chirurgien berlinois ! ... \

Artel non odit nisi ignares : telle est l'épigraphe de son livre. On ne

peut s'empêcher de penser à cette autre : Scientiam non odit nisi ignares.

Maiscedonton ne saurait trop louer l'auteur, c'est du soin avec lequel il

a su se garder de reproduire dans son ouvrage les documents figurés, dessins

originaux ou photographies, qui ne sont pas du domaine public. De même,

il a eu la bonne pensée de donner à son ouvrage le titre de : La Médecine

dans la peinture classique bien différent, n ! est-il pas vrai, de celui-ci :

Les Peintres de la Médecine - qui avait figuré depuis une dizaine d'années

en tête des publications de M. Henry Meige, dans la Nouvelle Iconographie

de la Salpêtrière ! ...

On voit aussi qu'il s'est efforcé de ne point traduire littéralement les

textes français et de modifier l'ordre des chapitres.

Il a tenu également à ne pas surcharger de références, son court index

bibliographique (1). On trouvera d'ailleurs plus loin la liste des études

publiées par la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière. Elle permettra de

combler les lacunes du livre allemand.

En somme, on pourrait lui appliquer cette formule critique qu'aimait

à répéter un célèbre chirurgien français :

« Dans cet ouvrage on trouve beaucoup de bon et peu de nouveau ;

mais ce qui est bon n'est pas nouveau, et ce qui est nouveau n'est pas

très bon. »

(1) ][lest assezipiquant de remarquer que les mômes constatations ont été faites, à

propos d'un livre publié en 1903, à Stuttgart également, et chez le même éditeur, par

le Dr Julian MARCUSE , Büde¡' und Badewesen in 17ergaitqenheil und Grgen2oarl. Dans la

« Revue Bibliographique » publiée par Jattus (15 nov. 1903) on peut lire cette appré-

ciation : « ...Nous sommes fort étonnés de ne pas trouver de citations. Il est vrai

que le livre contient une bibliographie minuscule à la fin du volume ; mais pour un

livre scientifique, ceci ne suffit pas i... »

DE LA NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE 423

Assurément, il peut advenir que plusieurs auteurs, sans avoir con-

naissance de leurs travaux réciproques, entreprennent chacun de leur

côté la même tâche et la poursuivent sans s'inspirer les uns des autres.

Mais alors, le travail de chacun d'eux porte l'empreinte d'un esprit et

d'une méthode personnels. Or, c'est précisément ce qui manque le plus

au livre en question, et c'est là sans doute le plus éclatant témoignage de

son originalité ! (1).

Qu'il ait eu spontanément l'idée de collectionner les oeuvres d'art rela-

tives à la médecine : pareille idée n'a rîen que de banal. Mais, lorsqu'on

examinant les résultats de ses recherches, on y retrouve des descriptions,

surtout des interprétations déjà énoncées dans des travaux antérieurs, et

qui sont cependant présentées de telle façon qu'elles semblent toutes per-

sonnelles à l'écrivain, que conclure ? ... Sinon qu'il est admirable de ren-

contrer chez un chirurgien de Berlin tant de ressemblances avec Charcot

et ses élèves ! ...

Comment l'Allemagne pourra-t-elle assez reconnaître une aussi parti-

culière originalité ?

Une phrase, à la fin de la préface, en fera peut-être entrevoir le moyen.

Parlant de la riche exposition d'objets consacrés à l'histoire de la Médecine

qui se trouve au Musée Germanique de Nuremberg, l'auteur fait observer

judicieusement que les collections d'images médico-artistiques, au lieu

d'être réparties entre différentes mains, gagneraient à être réunies en une

main unique. S'il ne nous dit pas laquelle, il n'est pas impossible d'entre-

voir la pensée qui se dissimule discrètement sous ce souhait. Puisse-t-il

être bientôt comblé ! ... (2).

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a reçu trop de fois l'assurance

que son oeuvre médico-artistique était connue et appréciée par les savants

de tous les pays pour n'avoir pas besoin de la faire valoir davantage à

(1) Les sources de l'Iconographie médico-artistique sont cependant assez riches en

Allemagne pour pouvoir donner matière à des travaux vraiment originaux. Témoin

l'intéressante publication de HERMANN Jeters : Der Arzt und die Ileilkunst in der

deutschen Vergangenheit (Leipzig, 1900) qui a été justement goûtée de tous ceux qui

s'intéressent à l'Histoire et à l'Iconographie médicales.

(2) Une subvention extraordinaire de 500 marcks a été accordée au Musée Germa-

nique de Nuremberg, au début de l'année 1903, pour la fondation d'un Cabinet

médico-historique.

424 . L'OEUVRE MÉDICO-ART1STIQUE

leurs yeux. Mais elle tient à honneur de dissiper toute confusion possible

parmi les médecins qui ne sont pas familiarisés avec ce genre d'études.

Afin de faciliter la tâche de ceux qui seraient tentés de s'y engager, afin de

leur éviter des recherches difficiles, elle a fait faire le relevé méthodique

de tous les articles concernant l'Art et la Médecine,publiés par elle depuis

sa fondation. Leur simple énumération constitue un répertoire bibliogra-

phique que pourront consulter avec fruit les médecins, les artistes et les

érudits, désireux de connaître les vraies sources documentaires, dont

l'absence dans le livre signalé plus haut est une lacune qu'il importait de

combler.

Si, ce faisant, la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière rend encore

service aux travailleurs, elle y trouvera la seule récompense qu'elle se

permette d'ambitionner.

La Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière

RÉPERTOIRE MI;DICO-.lItTISTIIUE

DE LA

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Année 1888.

Charcot et Paul RicuEn. .Sur un lépreux d'Albert Durer, p. 42-44 (1 phot.).

Charcot et PAUL Richer. Le Mascaron grotesque de l'Eglise Santa Maria For-

mosa à Venise. L'Héanispasnxe glosso-labié hystérique, p. 81-92 (4 phot., 3 fig.).

Charcot et PAUL Richer. Les Infirmes d'une ancienne fresque de Florence, p. 131-

132 (1 phot.).

Charcot et PAUL RicnEn. Le Paralytique de Bap)zaèl, p. 110-4 72 (1 phot.).

Charcot et PAUL Richer. Les Aveugles dans l'Art, p. 209-212 (2 phot.).

Charcot et PAUL Rrcasn. - Les Syphilitiques dans l'Art, p. 258-260 (1 phot.).

Année 1889

Gilles DE la Tournette. - Documents satiriques sur Mesmer, p. 59-64 (2 phot.),

p. 103-106 (2 phot.).

Charcot et PAUL Richer. Les Malades dans l'Arl, p. 146-154 (8 phot.).

Gilles DE la TounETTE. Le Masque de Pascal, p. 191-202 (2 phot.).

Gilles DE la Tourette. Le Miracle opéré sur Marie-Anne Couronazeau, p. 241-250

(1 phot.).

Année 1890

GILLES DE la TounETTE. Un Dessin inédit d'Adrien Brouwer, p. 94-96 (2 phot.).

Charcot et PAUL Rrcrrsn. - Deux Bas-reliefs de Nicolas de Pise, p. 134 (2 phot.).

Charcot et PAUL RicnEK. La « Transfiguration » du Sacro monte di Varallo (vaut-

sésie), p. 241-248 (3 phot.).

Année 1891. '

Alfred Franklin. - Les rois de France et les Ecrouelles, p. 161-166 (1 phot.).'

Gilles DE la Tournette. - Un Buste ! l'évêque guérissant les Ecrouelles, p. 161-168

(2 phot.). ' ,

Charcot et PAUL Ricnen. - Les Pestiférés de Jaffa (Gras), p. 246-248 (2 phot.). '

Charcot et Peul RICHER, Deux Dessins de Lépreux (Bans Burglsmair), p. 321-

32S (2 phot.).

Charcot et Peur. Richer. Qualre Gravur es de Dans B;t) ? M) : at ? p. 401-408 (4 phot.).

Gilles de la TOURETTE. - Nouveaux Documents satiriques sur Mesmer, p. 482-484

( phot.), p. 54-56 (3 phot.).

Année 1892

Gilles de la Tourette. Sur un Tableau perdu de liaubens (Gnenson de Possédés),

, ter. 119-120 (2 phot.).

Charcot et PAUL RicHEn. La Venlouseuse (par Quiryng Brekelenlsatam), p : 200 (t phot.)

426 RÉPERTOIRE MÉDICO-ARTISTIQUE

Gilles de la TouKETT] ! . Tobie rendant la vue à son père (Bas-Relief d'Alfred Bou-

cher), p. 263-264(1 phot.).

PAUL Richer. Les Hermaphrodites dans l'Art, p. 385-388 (4 phot.).

Année 1893.

Charcot PAUL RICHER. - La Danse macabre du Bar, p. 119-120 (1 phot.).

A SOUQUES,- Sur une Esquisse retrouvée de Rubens représentant la guérison d'un Pos-

sédé, p. 238-240 (1 phot.). '

A. Chipault et E. Daleine. Noies iconographiques sur l'histoire de la Trépana-

lion, p. 292-304 (3 phot.), (13 fig.).

Henry MEiGE. - Le Juif-Errant à la Salpêtrière. Etude de cerlains névropathes voya-

geurs, p. 191-204 (6 fig.), p. 211-29\ (3 phot., 5 fig.), p. 333-358 (iO.llg.).

GEORGES Gutxo. Renaudol médecin, p. 359-364 (4 phot.).

Année 1894.

Henry Meige. Les Possédés des Dieux dans l'Art antique, p. 35-64 (1 phot., 1 lig.). ).

Peul Richer et Henry MEIGE. - Les Possédés de P. Bronzet, p. 25S-262 (4 phot.).

Henry Meige et L. BATAILLE. - Les Miracles de Saint Ignace de Loyola, p. 318-323

(2 phot.).

Henry Meige. - Les Amyolrophiques dans l'arl, p. 198-204 (2 phot., 4 fig.).

Henry Meige, Les faciès dans la Paralysie glosso-labio laryngée, p, 319-380

(1 phot.).

Année 1895.

Henry MEIGE. - Deux cas 'd' Hermaphrodisme dans l'art, p. 56-64 (1 phot., 3 fig.).

Gilles delà Tournette. - Le Sein hystérique, p. 101-121 (1 phot.).

Henry MEiGE. Les Peintres de la Médecine. Samuel Van lIoogslmalen (Ecole collait-

daise), p. 192-201 (2 phot.).

Henry MEiGE. Les Peintres de la Médecine (Ecoles flamande et hollandaise). Les

Opérations sur la tête, p. 228-264 (3 phot.), p. 291-322 (5 phot., 5 fig.).

Année 1896.

Henry MEIGE. - Les Peintres de la Médecine (Peintures murales de Pompéi). Enée

Blessé, p. 36-48 (2 phot.).

PAUL RICHER et Henry Meige. Documents inédits sur les Démoniaques dans l'Art

p. 99-108 (3 phot., 2 fig.).

Henry Meige. Les Nains el les Bossus dans l'Art, p 161-188 (4 phot., 2 fig.).

Henry MEIGE. - Les Peintres de la Médecine (Ecoles flamande et hollandaise). Les

Opérations sur l'épaule, p. 316-320 (1 phot.). '

Henry Meige. - Les Peintres de la médecine (Ecoles flamande el hollandaise), L'opé-

ration sur le Dos, p. 381-384 (1 phot.).

Année 1897.

Henry 1'IEIGE. - Les Peintres de la Médecine (Ecoles flamande et hollandaise), Les

Pédicures au XVII- siècle, p. 45-12 (3 phot., 1 fig.), p. 121-144 (3 phot., 5 fig.).

Henry MEiGE. -Le Goitre dans l'Arl ? p. 294-304 (5 fig.).

Henry Meige. Les Pouilleux dans l'Art, p. 358-368 5 lig.).

Henry Meige. - La Lèpre dans l'.4rt, p. 418-410 (1 phot., 9 fig.).

Année 1898.

Henry MEiGc. Les Peintres de la Médecine (Ecoles flamande el hollandaise), Docu-

ments nouveaux sur les Opérations sur la têle, p. 191-212 (3 phot., 1 sanguine,

1 gravure).

DE LA NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE 427

Henry MEiGE. Les Peintres de la Médecine. Une opération sur l'oeil, p. 59-62

(1 phot.).

Henry A4scs. - Un Lépreux de J. Comelisz, p. 391-400 (1 phot.).

Année 1899.

Henry ME ! GE. Un nouveau Tableau représentant les Arracheurs de « Pierres de

Têtes », p. 110-116 (2 phot.).

Henry MEiGE. Les Peintres de la Médecine, Le mal d'Amour, p. 51-68 (4 phot.),

p. 226-260 (8 phot.), p. 340-352 (6 phot.), p. 420-432 (6 phot.).

Henry- Meige. Les Peintres de la Médecine, Le Vieillard malade de Jean Sleen,

p. 497-500 (1 phot.).

Année 1900

Henry MEiGE. Les Peintres de la Médecine. « Pierres de Tête » et « Pierres de Ven-

tre », p. 17-99 (3 phot.).

Henri Meige. Un Goitreux. Gravure de Denou 1188, p. 100 (1 fig.).

II. GAUDIEIL - A propos d'un tableau du Musée de St-Omer représentant les « Arra-

cheurs de Pierres de Teste », p. 203-207 (2 phot.). ). '

Henry 1\Imcs. Le Barbier-chirurgien. Gravurede Lucas de Leyde, p. 208 (1 phot.).

A. Bsauvois. - La Croisade de J.-H. Cohausel1 contre le tabac, p. 448-469 (1 phot.).

Henry Meige. Quelques Mascarons de la cathédrale de Reims, p. 470 (6 fig.).

Henry ME[GE. Iconographie des Arracheurs de dénis, p. 198-204 (1 fig.), p. 296-

300 (2 phot., 1 fig.), p· 439-447 (4 phot.), p. 558-560 (1 phot., 1 fig·), p. 658-679

(5 phot., 3 fit.).

Année 1901.

A. Beauvais. Un curieux moyen de prolonger la vie. La Gérocomique, p. 62-83

(1 grav.).

Henry Meige, Les Tapisseries de Reims, p. 97-104 (5 phot.).

Jean IlEiTz. Les Démoniaques et les Malades dans l'Arl byzantin, p. 84-96 (13 phot.)

p. 161-168 (3 phot., 1 fig.).

Jean Heitz. La « Transfiguration » du Musée de Nancy, p. 274-276 (1 phot.).

HENRY ! l1EIGE, Nains dans l'Art (Remarques complémentaires), p. 311-372 (J phot.).

Jean Heitz. - Note sur un vase grec de V Ermitage où sont figurées des opérations

chirurgicales, p. 528-530 (2 phot.).

Henry MEIGE. - La Saignée en images, p. 169-172 (1 phot.), p. 462-464(3 phot.),

p. 531-538 (2 phot.).

Année 1902.

Henry Meige. - Encore quelques Possédés dans l'Art, p. 78-80 (2 phot.).

PAUL HicHEn. Les Urologues, p. 185-200 (6 phot., 4 lis.).

Louis Bom et Lucie MAYET. Les Pierres de Vessie en Hollande, p. 278-280 (4 phot.).

RouEnT GEYEn. La Psychiatrie dans le théâtre japonais, p. 359-376 (4 fig.).

( ? 1 : . 1\lAm.svc. - La Maladie, tableau de Jules Romain, p. 468-470 (1 phot.).

Henry MEiGE. - Les Géants dans l'Art, p. 587-398 (2 phot.).

Année 1903.

Henry Meige. - Les Urologues (Documents complémentaires), p. 60-70 (3 phot.).

Jean Heitz. Note sur trois Dessins de Jordaens, p. 111-1 12 (2 phot.).

Henry Meige. Quelques OEdèmes dans l'Art, p. 129-132 (lphot.).

L. E. 1\Lniaw. - L'Apothicaire de P. Longhi (1702-1785), p. 201-202 (1 phot.).

Henri Meige. Quelques Accouchements bibliques en images, p. 203-201 (1 phot

3 fig.).

Il. BLANCHARD, - La Syphilis dans l'Art, p. 266-270 (1 phot.).

Henry Meige, Les Pouilleux dans l'Art (Un Document pour), p. 271-272 (1 phot.).

428 REPERTOIRE 1VIÉDICO-ARTISTIQUR

A. Marie. - Possédés guéris par les Reliques de Saint-Etienne d'après une tapisserie

berrichonne du XV siècle, p. 302-304(1 phot.).

PAUL et Henry MErGE. Les Possédés de l'Eglise de Sainte-Dymphne à Gheel,

p. 305-318 (1 phot.).

Genévrier. -Le Maillot de l'Enfant dans les peintures de l'Ecole italienne (1 phot.).

HExnYMEiGE. Documents complémentaires sur les Possédés dans l'Art, p. 320

(3 phot.), p. 412 (1 phot.). - ' ,

Ceux qui s'intéressent à la critique médicale des oeuvres d'art trouveront encore des

documents utiles dans un grand nombre de publications d'origine française.

Au point de vue des rapports généraux de l'Art avec la Médecine, ils consulteront

avec grand profit les importants ouvrages de PAUL Richer :

L'anatomie artistique (1890, Paris, Plon et Nourrit).

Canon des proportions du corps humain (1893, Paris, Delagrnve).

Physiologie artistique (1895, Paris, Doin).

La figuration artistique de la course (Revue de l'art ancien et moderne ; juin et

juillet 1897).

Dialogues sur zut)'< et la Science (Nouvelle Revue. 1 et 15 juillet, 1er août 1897).

Introduction à l'étude delà figure humaine (1902, Paris, Gaultier etMagnier).

Sur quelques caractères anatomiques des jambes des statues égyptiennes (Revue de

l'Ecole d'Anthropologie, février 1903).

Leçon d'ouverture du Cours d'anatomie à l'Ecole des Beaux-Arts (25 novembre

1903).

Pour l'étude critique des documents figurés intéressant l'Histoire de la médecine et

la représentation des difformités ou des maladies, un certain nombre de travaux de

Henry MEME complètent la série que ce dernier a publiée dans la «Nouvelle Icono- ·

graphie de la Salpêtriere » :

L'llyslérie dans l'Art antique (Internat. méd. phot. 111onatsschrift, Munich, 1894).

L'Infantilisme, le féminisme et les Hermaphrodites antiques (L'anthropologie, 1895).

Le Mal de Polt dans l'drt antique (Travaux de neurologie chirurg., 1891).

La Peste dans z. (La Nature, 19 avril 1891).

Les Pédicures au XVIIe siècle (La Nature, 9 novembre 1891).

Les Arracheurs de pierres de tête (Janus, 5° livr., 1891). .

Sur une gravure oit l'on peut reconnaître la neurofibromatose (avec E. Feindel. Trav.

de Neurologie chirurgicale, 1898).

Choléra preservativ mann (Janus, février, mars 1899).

Les médecins de Jean Sleen (Janus, mai, juin 1900).

Histoire iconographique des culs-de-jalte (Presse médicale, 21 avril 1900).

Les Urologues (Archives générales de médecine, mari 1900).

Le Feu qui châtie el le feu qui guérit (La Nature, 15 décembre 1900).

La Circoncision enseignée par l'image (Archives génér. de médecine, mai 1901).

La Médecine au musée du l'rado (Presse médicale, juillet 1903).

Le Magnétisme en images. - Documents nouveaux sur la Pédicures dans l'art (Ar-

chives gén. de médecine, 1903).

Dans une publication que ne peuvent ignorer tous ceux qui s'occupent d'Histoire

ou d'Iconographie médicales, dans Janus, a paru en 1901 un article intitulé : La Triple

Alliance : Histoire, Art et Médecine, où sont signales tous les travaux de critique

médicale émanant de Charcot ou de ses élèves, avec une bibliographie détaillée. Cha-

que année, depuis sa fondation, Janus a consacré plusieurs articles aux publications

médico-artistiques de la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, reproduisant main-

DE LA NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE 429

tes fois, avec l'autorisation de cette dernière, des extraits et des images présentant

l'intérêt pour l'Histoire de la Médecine. Janus publie également des répertoires bi-

bliographiques très consciencieux de M. L. Hahn sur les travaux français concernant

l'Histoire, la Géographie et l'Iconographie médicales.

La plupart des articles publiés par la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière se

retrouvent analysés dans le « Journal des Connaissances médicales » de 1893 à 1899.

Dans les « Travaux de Neurologie chirurgicale » de A. CIIIPAULT se trouvent des

documents figurés intéressants relatifs à l'histoire de la Trépanation, dont un certain

nombre empruntés aux Pierres de tête.

Dans ces dernières années, plusieurs auleurs français ont encore publié des études

originales de critique médico-artistique. On lira avec grand intérêt, entre autres : *

Dans les « Archives de parasitologie » : Les Notes historiques sur la peste, par RA-

PUAEL BLANCHARD (N 3, 1900) et du même auteur : Notes de parasitologie sino-japonaise

n° 1, 1900).

Dans la « Revue médicale de Normandie » : Sainte Apollonie, par CHARLES NICOLLE

(10 avril 1902). Le Masochisme dans l'art du moyen âge et le lai d'Arislote, par

M. T nÉlIHL (25 mars 1902). - Le vitrail de St-Pierre à Rouen, par A. HaLtrué (10 octobre

1902). Les Urologues, par CHARLES NicoLLE (10 janvier 1902). DEROCQUE. A

propos de la « Miséricorde » de la cathédrale de Rouen.'1 Esquisse sur la saignée.

(10 juin 1902).

Dans la « Presse médicale » : Visite aux Musée d'Italie, par JAYLE et Gottshalk

(11 mars 1903). Le Lavement, par DESFOSSES et A. Martinet (18 avril 1903).

On trouve aussi des figurations dignes d'intérêt dans différents ouvrages français :

Les Nains el les Géants, par En. GAPNISa (Paris, Hachette, 1884).

Les Chirurgiens, les Médecins, les Variétés chirurgicales, l'Hygiène, les Médicaments,

série de volumes de ALFRED FRALIRLIN (1891-1894, chez Pion) ,qui contiennent, outre de

curieuses images, des documents écrits.] extrêmement précieux pour l'histoire de la

médecine.

De nombreuses figures concernant les accouchements et l'allaitement se trouvent

dans les ouvrages du Dr Witkowski.

Les thèses de Le MAGUET. Le Monde Médical parisien sous le grand roi. (Paris

1899), - de RAUL1N : Le rire et les exhilarants (1900).

Dans un livre récent de M. Vieillard, consacré à l'Histoire de l'Urologie (Paris

Rudeval, 1903) sont réunies d'intéressantes figurations d'Urologues.

Une étude, plus récente encore, de M. P. Peugniez, L'histoire et la Médecine dans

l'Art religieux. L'Eglise St-Géry de Cambrai (Amiens 1903).

Enfin la Société Française d'Histoire de la Médecine, qui exhume tant de curieuses

trouvailles, a fait connaître un nombre déjà important de documents figurés relatifs

à la médecine (peintures, gravures, médailles, sceaux, etc.) signalés dans ses Bulle-

tins et dans la France Médicale, dirigée par, nI. A. Prieur.

TABLE DES MATIÈRES

Accouchements bibliques en images (3

grav.), par Henry Meige, 203.

Acrocyanose chronique hypertrophiante

(2 pl. photocollogr.), par M. Péhu.

Adipose sous-cutanée symétrique et seg-

mentaire chez une démente alcoolique

et hérédo-alcoolique (2 pl. par G. DENY

et LE PLAY, 280.

Akathisie [nouvelles remarques sur), par

13ASt : ovcc, 287.

Alcoolisme en Bretagne, par DUCREST DE

Villeneuve, 911.

Anencéphalie avec amyélie (3 pl., 2 fig.,

6 schémas), par BRISSAUD et BRUANDET,

133.

Apothicaire (tableau de P.Longhi) (1 phot.),

par 1lARInNt, 201.

Arthropathie nerveuse traitée par la ré-

section (l pl.) par PATEL et Cavaillon,

251.

Attitudes (à propos du soi-disant sens des)

par Claparède, 42.

Celtes (usages des banquets chez les Celtes.

Origine des croyances aux fées et lutins),

par DUCREST DE Villeneuve, 297.

Déformation monstrueuse du tibia droit

en fourreau de sabre chez un tabétique

hérédo-syphililique (1 pl. stéréophotogr.),

par Sabrazès, 118.

Délire alcoolique continu, par Soukhanoff

et Wedensky', 391.

Géant (autopsie d'un géant acromégalique

et diabétique, 1 pl. en photograv. 2

fig.) par Launois et Roy, 163

Gigantisme précoce avec développement

précoce des organes génitaux (2 pl.

photocollogr.), par Hudovernig et Popo-

VITZ, 181.

Hémiatrophie faciale progressive (2 pi.

photocollogr.) par Calîiette et Pages,

26.

Ilémimélie (sur une forme rare d'hémimélie

radiale intercalaire (1 pl. photocollogr.),

par KLIPPEL et RABAUD, 238 .

Infantilisme myxmdémaleux et maladie de

Recklinghausen (1 pl. en photocollogr.),

par H. Meige et E. Feindel, 232.

Jordaens (note sur trois dessins de) (1 pl.),

par J. Heitz, 71.

Langue cérébriforme chez un aliéné épi-

leptique (1 pl. en photocollogr.), par L.

BiANciii,çi, 252.

Macrodactylie (2 pl. photocollogr). par

CAYLA, 41 .

Macrodactylie (un cas de) (2 pl. photocoll.),

par F. Lejars, 37.

Maillot de l'enfant d'après les peintures de

l'école italienne (4 pl. photocollogr.),

par Genévrier, 406.

Main (hypertrophie congénitale) (2 photo-

collogr.), par Apert, 193.

Myopathie atrophique progressive avec

troubles de la sensibilité ( t pf. et 2 sché-

mas), par Lannois et POROT, 108.

Névrome adipeux diffus du médian ; l'ésec-

tion; régénération autogène (3 pl. en

photocollogr.) par DURANTE, 322.

Noyau rouge, lésion ancienne du noyau

rouge ; dégénérations secondaires (4 pl.

en photocollogr.), par P. Mari3 et G.

GUILLA ! 1\ : , 80.

Ol : dèmes dans l'mot (1 pl.), par Henry

Meige, 129.

L'csuvre médico-artistique de la Nouvelle

Iconographie de la Salpêtrière, 413.

Paraplégie cervicale incomplète par tu-

meur gliomateuse de la moelle avec pa-

chyméningite néoplasique (3 pl. en plio-

tocollogr.), par SPILLMANN et Hoche, 144.

Phocomélie et hémimèlie (3 pl. et 1 dessin),

par IIAL13110-,Ç, 123.

Possédés dans l'art (Documents complé-

merztai·es), (1 photocollogr.), par Henry

Meige, 319-410

432 ' ' TABLE DES MATIÈRES

Possédés guéris par les reliques de saint

Etienne, d'après une tapisserie be21,i-

chonne dit X V- siècle (1 pl. en photocol-

logr.), par A. Marie, 302.

Possédés de Ste-Dymphne (1 pl. en pho-

tocollogr.), par II. Meige et P. MASOIN,

305.

Pouilleux dans rad (Document), (1 grav.),

par H. Meige, 211.

l'seudo-cedème catatonique (4 pl en pho-

tocollogr.), par M. Dide, 341.

Sclérose symétrique des lobes occipitaux

(1 pl. en photocollogr.), par Marchand,

100.

Spasmes et tremblements chez des psychas-

ihénigues (1 pl. 2 dessins), par F. RAY-

mond et P. JA\ET, 209.

Syphilis dans l'art (1 pl.), par R. BLAN-

Chiard, 266.

Syphilis héréditaire tardive il forme

cérébro-spinale (1 photo., 1 pi. en pho-

tocolloâr.), par RICnoN, 84.

Syringomyélie. Arthropathie de l'épaule.

Atrophie musculaire et lheî,nio-ai2alg( ?

sie du type transversal (3 pl., 2 sché-

mas), par BRISSAUD et Bruandet, 73.

Tabes el paralysie générale (2 pl. en pho-

tocollogr.), par F. CunIONI, 276.

Tic tonique du membre supérieur droit (1

pl. en photocollogr.), par F. RUDLER,

218.

Tics et slhéréolypies de léchage chez l'hom-

me et chez le cheval, par Rudler et

CHOMEL, 369.

Trophoedème chronique acquis el progres-

sif (1 photocoll.), par SICARD et LAIGNEL-

LAVAFTINE, 30.

Urologues (Documents complémentaires,

3 pl.), par Henry MEIGE, 60.

TABLE DES AUTEURS

ApPERT, Hypertrophie congénitale d'une

main (2 photocoll.), 193.

BIA/WIIl"1 (Levi). Langue cérébriforme

chez un aliéné épileptique (1 planche en

photocoll.), 252.

Blanchard (R.) La syphilis dans

(t planche), 266.

Brissaud ET BRUANDET. Un cas d'anencé-

phalie avec amyélie (3 planches, 2 fig.,

6 schémas), 133.

Brissaud et BRUANDET. Syringomyélie.

Arthropathie de l'épaule. Atrophie mus-

culaire et thermo-analgésie du type

transversal (3 planches, 2 schémas), 11.

BRUANDET et BRISSAUD, Syringomyélie.

Arthropathie de l'épaule. Atrophie mus-

culaire et thermo-analgésie du type

transversal (3 planches, 2 schémas), 11.

BRUANDET et Brissaud. Un cas d'anencé-

phalie avec amyélie (3 planches, 2 fig.,

6 schémas), 133.

CALMETTE et Pages. Un cas d'hémiatrophie

faciale progressive (2 pl. photocoll.), 26.

Cavaillon et Patel. Arthropathie nerveuse

traitée par la résection (t pl. 257.

Calla. Macrodactylie (2 pl. photocoll.),

41.

Chomel et RUDLER, Tics et stéréotypies

de léchage chez l'homme et chez le che-

val, 369.

Claparède. A propos du soi-disant « sens

des attitudes », 42.

CURIONI (F). Rapports du tabes avec la pa-

ralysie générale (2 pl. en photocoll. ), 273.

DENY(G.)etA. Le PLAV. Adipose sous-

cutanée symétrique et segmentaire chez

, une démente alcoolique et hérédo-alcoo-

lique (2 pl, 280.

Dide (matrice). Le pseudo-oedème cata-

tonique (4 pl. en photocoll.), 341,

DUCREST DE VILLPrIVGUVn. L'alcoolisme en

Bretagne, 197.

DUCREST de VILLT3NGUVE. Usages des ban-

quets chez les Celtes. Origine des croyan-

ces aux fées et aux lutins, 291.

DURANTE, Névrome adipeux diffus du mé-

dian ; résection ; régénération autogène

(3 pl. en photocoll.), 321.

Feindel et H. MEIGE, Infantilisme myxoe-

démateux et maladie de Recklinghau-

sen (1 pl. en photocoll., 1 fig.), 232.

Genévrier. Le maillot de l'enfant d'après

les peintures de l'école italienne (4 pl.

en photocoil ? 406.

Guillain et P. Marie. Lésion ancienne du

noyau rouge ; dégénérations secondaires

(4 pl. en photocoll.), 80.

HAL131tO ? Un cas de phocomélie et hémi-

mélie (3 pl., 1 dess.), 123.

HAsKovEc. Nouvelles remarques sur l'aka-

thisie, 281.

Heitz (Jean). Note sur trois dessins de

Jordaens (1 pl. Il.

Hoche et Spillmann. Paraplégie cervicale

incomplète par tumeur gliomateuse de

la moelle avec pachyméningite néopla-

sique (3 planches en pholocoll.), 144.

HUDOVERl\IG et POPOVITZ. Gigantisme pré-

coce avec développement précoce des

organes génitaux (2 pl. pbotocol.), 181.

JANET et F. Raymond. Spasmes et trem-

blement chez des psychasthéniques (1 pl.

2 dessins), 209.

KLIPPEL et E. RABAUD. Sur une forme

rare d'hémimélie radiale intercalaire

(1 photo.), 238.

LAIGl'OEL-LAVASTINE et SICARD. Trophoedè-

me chronique, acquis et progressif.

(1 pl. photocoll.), 30.

Lannois et POROT. Un cas de myopathie

atrophique progressive avec troubles de

la sensibilité (1 pl. 2 schémas), 108.

LAUNOIS et P. Roy. Autopsie d'un géant

acromégalique et diabétique (7 pl. en

photogr., 2 fig.), 163.

LEJARS. F. Un fait de macrodactylie

(2 p. photocoll.), 31.

Le PLAY (G.) et DENY. Adipose sous-cuta-

née symétrique et segmentaire chez une

démente alcoolique ei hérédo-alcooli-

que (2 pl.), 280.

Marchand. Un cas de sclérose symétrique

des lobes occipitaux (1 pl. en photogr.),

100.

Mariani . L'Apothicaire, tableau de Longhi

(1 phot.), 201,

434 TABLE DES AUTEURS

Marie (A.) Possédés guéris par les reli-

ques de saint Etienne, d'après une

tapisserie berrichonne du xve siècle (1 pl.

en photocol.l), 302.

Marie Pierre et GEORGES Guillain. Lésion

ancienne du noyau rouge ; dégénérations

secondaires (4 pl. en photocoll.), 80.

MASOIN et H. MEIGE. Les possédés de

Sainte-Dymphne (1 pl. en photocoll.),

305.

MEIGE (HENRY). Les urologues. (Docu-

ments complémentaires),) 3 pl.). 60.

Meige (Henry). Un document sur les

pouilleux dans l'art. (1 grav.) 271.

Meige (Henry). Quelques accouchements

bibliques en images (3 grav.), 203.

Meige (Henry). Quelques oedèmes dans

l'art. (i pl.), 129.

MEIGE (Henry) et MASOIX, (PAUL) Les

possédés de Sainte-Dymphne (1 pl. en

photocoll.), 305.

MEIGE (Henry). Documents complémen-

taires sur les possédés dans l'art. (2 pl.),

319-410.

MEIGE (Henry) et E. FEINDEL, Infantilisme

myxoedemateux et maladie de Reckling-

hausen (1 pl. en photocoll., 1 fig.), 232.

Pages et Calmette. Un cas d'hémiatrophie

faciale progressive (2 pl. photocoll.), 26.

PATEL (M.) et P. Cavaillon. Arthropathie

nerveuse traitée par la résection (1 pl.),

251.

PéHu (M.). L'acro-cyanose chronique hy-

pertrophiante (2 pl. photocoll.), 1.

POPOVITZ et Hudovernig. Gigantisme pré-

coce avec développement précoce des

organes génitaux (2 pl. photocol.), 181.

POROT et LAUNOIS. Un cas de myopathie

atrophique progressive avec troubles de

la sensibilité (1 pl., 2 schémas), 108.

RABAUD et ILtrrE, Sur une forme rare

d'hémimélie radiale intercalaire(1 photo),

238.

Raymond (H.) et P. Jaunet. Spasmes et

tremblement chez des psychasthéniques .

(1 pl., 2 dessins), 209.

RICHON. Un cas de syphilis héréditaire tar-

dive à forme cérébro-spinale (1 phot.,

1 pl. en photocoll.), 84.

Roy et Launois. Autopsie d'un géant acro-

mégalique et diabétique (7 pl. en pho-

togr., 2 fig.), 163.

RUDLER (F.) Tic tonique du membre supé-

rieur droit (1 pl. en photocoll.), 218.

Rudler et Chomel. Tics et stéréotypies de

léchage chez l'homme et chez le cheval,

369.

Sabrazès. Monstrueuse déformation du ti-

bia droit en fourreau de sabre chez un

tabetique hérédo-syphilitique (1 pl. sté-

réophotogr.), 41R.

SICARD (J. A.) et LAlG;O¡EI.-LAYASTlE, Tro-

phoedème chronique, acquis et progres-

sif (t pl. photocoll.), 30.

SOUKHANOFF et Wedensky. Délire alcooli-

que continu, 391.

Spillmann et Ilocug. Paraplégie cervicale

incomplète par tumeur gliomateuse de

la moelle avec pachyméningite néopla-

sique (3 pl. en photocoll.), 144.

Wedensky* et Soukanoff. Délire alcoolique

continu, 391.

TABLE DES PLANCHES

Accouchements bibliques en images (Henry

MEIGE), XLVIII.

Acrocyanose hypertrophiante chronique

tPÉnu), 1, II.

Adipose sous-cutanée symétrique et seg-

mentaire (DENY et Le Play), LVI, LVII,

Anencéphalie et Amyélie (Brissaud et Bnu-

ANDRT), XXIX à XXXI.

Apothicaire, tableau de P. Longhi (Mariani),

XLVI.

Arthropathie nerveuse (PATEL et CAVAI-

LO-1), LII.

Gigantisme et Acromégalie (Launois et P.

Roy), XXXV à XLI..

Gigantisme précoce (Hudovernig et Popo-

yTZ), XLII, XLIII.

Hémiatrophie faciale progressive (CALMETTE

et Pages), III, IV.

Hémimélie radiale intercalaire (Klippel et

Rabaud), L bis.

Infantilisme myxoedémateux et maladie de

Recklinghausen (Henry Meige et Fein-

DEL.),L.

Jordaens (trois dessins de) (HEITZ), XIII.

Langue cérébriforme chez un aliéné épi-

leptique (Lbvi BAVCmu), LI.

Maillot dans l'art (Genévrier), LXIX à

LXX11.

Main ; Hypertrophie congénitale (ApEnT),

XLIV; XLV.

Macrodactylie (LEJAnS, VI, VII.

Macrodactylie ((,AYLA), VIII, IX.

Myopathie atrophique progressive avec

troubles de la sensibilité (LANNois et Po-

BOT), XXIII.

Névrome adipeux du médian (DunANTE),

LXII à LXIV.

Noyau rouge (Lésions anciennes, dégéné-

rations secondaires) (Pierre Marie et

G Guillain), XVII à XX.

OEdèmes dans l'Art (Henry MEiGE),XXVIII.

Paraplégie cervicale ; tumeur gliomateuse

de la moelle. (Spillmann et Hoche),

XXXII, XXX111, XXXIV).

Phocomélie et Hémimélie (HALBRON), XXV

à XXVII.

Possédés guéris par les reliques de saint

Etienne (A. -Marie), LVIII).

Possédés dans l'Art (HENRY MEIGE), LX,

LXI.

Possédés de l'église Ste-Dymphne (MASOIN

et MEiG £ ), LIX.

Pseudo-oedème catatonique (Dide), LXV à

LXVIII.

Sclérose symétrique des lobes occipitaux

(Marchand), XXII.

Spasmes et tremblements chez des psychas-

théniques (Raymond et JANET XLVIII.

Syphilis dans l'Art (BLANCHARD), LUI.

Syphilis héréditaire tardive (Richon), XXI.

Syringomyélie ; arthropathie de l'épaule

(BRISSAUD et BRUANDET), XIV, XV, XVI.

Tabes et paralysie générale (CURIONI) LIV,

LV.

Tibia en fourreau de sabre chez un tabé-

tique (SADCtnzâs), XXIV.

Tic tonique du membre supérieur droit

(Rudler), XLIX.

Trophoedème chronique, acquis et progres-

sif (Sicard et LAIGnFL-LAVASTINB), V.

Urologues (Henry Meige), X, XI, XII. -

Le gérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).