(1902) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 15]
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(1902) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 15]

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

TOME XV

Avec 85 figuies intercalées dans le texte et LXX planches hors texte

1902

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

FONDÉE PAR J. M. CHARCOT

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE

F. RAYMOND

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES

DU SYSTÈME NERVEUX

A. JOFFROY

PROFESSEUR DE CLINIQUE

IDES MALADIES MENTALES

A. FOURNIER

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES CUTANÉES ET

SYPHILITIQUES

PAR

PAUL'RICHER

MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE

DIRECTEUR HONre DU LABORATOIRE DE

LA CLINIQUE

GILLES DE la TOURETTE

PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ

DE MÉDECINE

MÉDECIN DES HÔPITAUX

ALBERT LONDE

DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE

Avec la collaboration de MM.

ACHARD, BABINSKI, BALLET, BOGROFF (Odessa), BOIX, P. BONNIER, BOTTEY, BRISSAUD,

CABANNES (Bouleaux) CATHELINEAU, CESTAN, J.-B. CHARCOT, CHIPAULT, DEJERINE,

DELPRAT (Amsterdam), DENY, DUFOUR, E.DUPRÉ, DURANTE,DURET, DUTIL(Nice),EMIRZÉ

(Smyrne),ESTEVES(Buenos.Ayres), ETIENNE (Nancy),FEINDEL, FÉRÉ, E. FOURNIER, GASNE,

GRASSET(Montpellier),G.GUINON,HALLION,HAUSHALTER(Nancy), HERTOGHE (Anvers), HUET,

P.JANET, KATICHEFF (St-Pétersbourg),LADAME (Genève), H.LAMY,LANNELONGUE, LANNOIS

(Lyon),LAUFENAUER (Buda-Pesth),LAUNOIS,LE DENTU, M. LEMOS(Porto), L. LEVI,P. LONDE,

LUCO ORREGO (Santiago, Chili), P. MARIE, MARIN ESCO(Bucharest), DE MASSARY, H. MEUNIER,

MICHAILOWSKI (Sona),MOCZUTKOVSKY (St-Pétersbourg), VON MONAKOW (Zurich),NAGEOTTE,

NOGUES (Toulouse), PARINAUD, PARMENTIER, PITRES (Bordeaux), RAMADIER, A. RICHE,

RÉVILLIOD (Genève), A. ROBIN, ROSSOLIMO (Moscou), SABRAZES (Bordeaux), SAINTON, T. D.

SAVILL (Londres), SCHAFFER (Bada-Pesth), SÉGLAS, SERIEUX, SICARD, SIKORSKY (Kiew),

SPILLMANN (Nancy), SOCA (Montevideo), SOLOVTZOFF. SOUKHANOFF (Moscou), SOUQUES,

' SURMONT, TARGOWLA, THOMAS, TRÉNEL, TUFFIER, WEIL, et : .

Rédaction

HENRY MEIGE

PARIS

MASSON ET Cle, ÉDITEURS

LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE

120, Boulevard Saint-Germain (6e)

1902

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE NERVEUSE DE 11. LE PROFESSEUR RAYMOND

( z

CONTRIBUTION CLINIQUE A L'ÉTUDE

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES

MYÉLOPATHIQUES

par MM.

K. UNSIAN

ancien chef de clinique

E. HUET

Directeur des Laboratoires

de la Clinique Charcot.

Depuis 1898, les localisations spinales motrices ont été le sujet de re-

cherches expérimentales remarquables de Sano, Van Geluchten, Mari-

nesco, et Pai-lioii. Avant cette époque, on n'avait pas essayé de résoudre

à l'aide de la méthode anatomo-clinique ce problème qu'on ne se posait

même pas, car il paraissait alors impossible de confondre la distribution

des troubles sensitivo-moteurs créés par des lésions des racines médullai-

res ou des nerfs périphériques avec celle des mêmes troubles dus .à des

lésions intra-médullaires; à ce point de vue, on opposait volontiers les

paralysies radiculaires inférieures du plexus brachial à la syringomyélie.

Mais dès 189o les leçons cliniques du professeur Brissaud attiraient l'at-

tention des neurologistes sur la topographie la plus fréquente, au niveau

xv 1

2 CESTAN ET DUE ! '

des membres, des troubles de sensibilité causés par les lésions médullaires

et deux théories entraient en lutte, la théorie de la disposition de ces

troubles en bandes transversales, perpendiculaires à l'axe du membre, la

théorie de la disposition en bandes longitudinales, parallèles à l'axe du

membre. Pour expliquer la disposition en bandes transversales, leprofes-

seur Brissaud émit une séduisante hypothèse : chaque membre est formé

par un bourgeon ; de même que le tronc peut se subdiviser en une série

de métamères perpendiculaires à son axe et correspondant à des métamè-

res médullaires, de même ce bourgeon qui va constituer le membre peut

se subdiviser en segments métamériques perpendiculaires à son axe et

posséder au niveau du renflement spinal un axe nerveux rudimentaire

décomposable en métamères correspondant aux segments métamériques

transversaux du membre. On comprend ainsi qu'une lésion du renflement

médullaire d'origine d'un membre déterminera au niveau de ce membre

des troubles de sensibilité périphériques à disposition transversale; mais

si la zone d'entrée des racines postérieures est aussi atteinte, à la topogra-

phie transversale s'associera une topographie longitudinale, radiculaire ;

enfin si cette zone d'entrée des racines postérieures est la seule lésée, la dis-

position des troubles de sensibilité sera uniquement longitudinale. On a

donné à cette théorie le nom de théorie de la disposition segmentaire des

troubles de la sensibilité d'origine médullaire, et encore le nom de théorie

de la disposition métamérique des troubles de la sensibilité, mais cette der-

nière, croyons-nous, par abus de langage, car l'adopter c'est évidemment

accepter comme démontrée la division embryologique des membres supé-

rieurs en métamères perpendiculaires à leur axe. Or certains embryologistes

admettent au contraire que les membres sont formés par la fusion de véri-

tables rayons issus des segments métamériques du corps. Ils ont en effet

pour ébauche première un bourrelet longitudinal de la somatopleure, la

crête de \Ÿol ff,s'étendant tout le long de l'axe du corps ; cette crèle s'épais-

sit ses deux extrémités pour constituer les membres, tandis que la partie

intermédiaire s'atrophie; chaque membre proviendrait ainsi du bour-

geonnement de plusieurs segments du tronc et se subdiviserait ensuite eu

ses divers articles, de sorte que la division métamérique pourrait bien

être, non perpendiculaire à l'axe du membre mais au contraire plus ou

moins parallèle à cet axe, se superposant ainsi plutôt à la disposition ra-

diculaire. En outre,Sano fait remarquer : « Les consciencieuses recherches

anatomiques de Bolh démontrent que pour la distribution de la sensibi-

lité, comme de la motilité, une partie (dite segment) de membre trouve

son origine dans la fusion de portions métamériques souvent très éloi-

gnées et que les parties constituantes sont diverses pour la peau et pour

les muscles. Pour la peau, à un endroit donné, la neuvième, et les cin-

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATHIQUES 3

duiéme et sixième métamères se trouvent réunies sans intermédiaire de la

septième ni de la huitième, de même, les quatrième et cinquième s'unis-

sent la dixième. La théorie dite segmentaire ne suppose pas, jusqu'ici

du moins, des concordances embryologiques » (J. de Neural.,20 juillet

1901). Aussi, pour ne pas préjuger de la solution de ce problème embryo-

logique si obscur encore de la formation des membres, nous paraît-il pré-

férable dans le cas présent d'employer des termes correspondant à des

topographies que nous permettent de vérifier nos moyens actuels de re-

cherche, et de nous servir des expressions segmentaire et radiculaire.

Sous l'influence des leçons du professeur Brissaud, les neurologistes

ont donc étudié quelle disposition radiculaire ou segmentaire affectent les

troubles de sensibilité des membres provoqués par les lésions intra-mé-

dullaires, en particulier par la syringomyélie.

Mais bientôt, le problème devait s'élargir. Cette question de topographie,

objet de nombreuses controverses au point de vue de la sensibilité, devait

aussi, en ce qui concerne la motilité, se poser dans les mêmes termes :

Les troubles moteurs des membres, paralysie ou atrophie musculaire,

produits par une lésion localisée de la corne antérieure, affectent-ils une

disposition segmentaire ou radiculaire ?

Or, tandis que l'étude de la sensibilité dépend de facteurs variables

sous la dépendance de l'état psychique, aussi bien de l'observateur que du

malade observé, que la recherche de la sensibilité restera toujours une

sensation, un résultat subjectif que nous ne pourrons contrôler avec ri-

gueur aussi bien chez l'homme que sur l'animal, il semble au contraire

que la méthode expérimentale puisse fournir pour la motilité d'utiles

renseignements. -

Par les travaux de Sano, Van Gehuclten, Marinesco, etc... nous savons

en effet qu'à la suite de la section de son cylindraxe,la cellule nerveuse de

la corne antérieure peut présenter pendant quelques jours certaines altéra-

tions de chromatolyse que met en évidence la méthode de coloration de

Nissl ; ces altérations ont leur maximum d'intensité du 8° au 10e jour

qui suit la section du cylindraxe car bientôt après survient une phase de

réparation cellulaire. Il paraît donc possible a priori par des sections de

nerfs, par des amputations segmentaires, par des ablations isolées de

muscles de fixer avec une précision mathématique, les noyaux moteurs

médullaires. Et cependant l'expérimentation n'a pu encore fournir cette

réponse précise que promet la théorie, puisque les résultats obtenus sont

variables avec des auteurs de l'autorité de Sano, Van Gehuchten, Mari-

nesco, etc. D'après Sano, chaque muscle doit avoir son noyau d'innerva-

tion distinct dans la corne antérieure (Sano, Les localisations des fonctions

motrices de la moelle épinière, Anvers, 1898), Van Gehucliten et son élève

4 CESTAN ET HUET

De Neef (Van Gehuchten, Journal de Neurologie, 1898 et 1899 ; De

Neef, Le Névraxe, vol. II), croient que la localisation motrice est seg-

mentaire. « Cela veut dire que chacun des groupes cellulaires du renfle-

ment cervical en connexion avec le membre supérieur et de la moelle

lombo-sacrée, en connexion avec le membre inférieur, préside à l'inner-

vation de tous les muscles d'un segment de membre, quelle que soit leur

fonction physiologique, quels que soient les nerfs périphériques qui s'y

- terminent. » Parhon, dans ses divers travaux (Parhon et Popesco, Parhon

et Goldstein, in lloicnaanie médicale, 1899 et 1900; Parhon et Goldstein,

in Neurol, Centralblatt, 1901 ; Parhon et Goldstein, J. de Neccrol.,1901) ;

par la méthode expérimentale et par l'élude d'une moelle humaine après

extirpation du muscle grand pectoral, dans une ablation de cancer du

sein « tend à admettre les localisations segmentairespour la main, l'avant-

bras, le pied et la jambe, tandis que pour le bras et la cuisse, les locali-

sations seraient un peu différentes. De ses nombreuses recherches,

Parhon conclut que les localisations médullaires sont fonctionnelles, c'est-

à-dire qu'elles sont en rapport avec la fonction des muscles « die moto-

rischen spinalen Localisationen waren also fonctionneller Natur ». Pour

Marinesco (Rev. Neurol., 1901), les nerfs du bras ont des noyaux dis-

tincts occupant une certaine hauteur. Le noyau musculo-culané est cons-

titué par une masse de cellules qui apparaissent au niveau du sixième

segment cervical avant le noyau du radial. Lorsque les cellules de ce

dernier noyau font leur apparition, elles sont situées en dehors et un peu

en avant de celles qui constituent le centre du musculo-cutané. Plus bas,

au niveau du tiers supérieur du septième segment cervical, le noyau du

radial se développe de plus en plus, tandis que celui du musculocutané

diminue pour disparaître bientôt après » (loc. cit.).

L'innervation n'est pas segmentaire. « Ainsi le radial qui donne le

mouvement à un seul muscle de ce segment (la main), à l'abducteur du

pouce, a un noyau différent du groupe qui représente les noyaux du mé-

dian et du cubital »; de même, le noyau commun du bras se divise en

noyaux du musculo-cutané et du radial qui gardent à l'égard l'un de l'au-

tre une certaine indépendance; de même le centre de l'avant-bras comprend

les noyaux du médian et du cubital d'une part, et du radial d'autre part.

« J'ai conclu de ces recherches que les groupes naturels qui existent dans

la moelle épinière ne peuvent pas être considérés strictement parlant,

comme correspondant à tous les muscles d'un segment de membre, car il

y a, ainsi que nous l'avons vu, des segments, tel le bras par exemple, qui

possèdent deux noyaux absolument différents constituant des groupes na-

turels ne fusionnant pas ensemble » (loc. cil,).

Dans le Journal de Neurologie de décembre 1901 et janvier 1902,

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATUIQUES 5

MM. Parhon et Goldstein ont publié un nouvel article des plus intéres-

sants et des mieux documentés. On y voit parfaitement soulignées les

différences qui séparent les auteurs. Sano avait fait observer déjà que la

figure du 6e segment cervical de Parhon et de Goldstein ne se superposait

pas au môme segment de De Neef, mais bien au 7e segment cervical de

cet auteur. Or dans ce segment, De Neef dislingue avec raison trois

groupements postéro-externes, un groupement A destiné aux muscles de

l'épaule, un deuxième B au groupe du bras, un troisième C au groupe de

l'avant-bras. Or d'après Marinesco et Parhon, le groupe À correspond au

grand Pectoral, le groupe B aux muscles de la région antérieure du bras,

le groupe C au nerf circonflexe. Des différences aussi nettes peuvent se

constater dans les autres segments. Ainsi, dans la figure 39 de De Neef,

les groupes A, C, D, correspondent pour De Neef, réciproquement aux

muscles de l'épaule, de Pavant-bras, de la main, pour Marinesco et Parhon

réciproquement aux muscles petit pectoral, triceps brachial et à ceux de

l'avant-bras.

Très différentes, on le voit, sont les opinions des auteurs sur l'origine

réelle des nerfs rachidiens, et, conséquence forcée, très différente aussi

serait la disposition des troubles moteurs consécutifs à une lésion localisée

de la corne antérieure. En réalité, le problème à résoudre se montre com-

plexe malgré l'apparente simplicité de la méthode expérimentale employée

par les auteurs précédents.

Ces expériences n'ont de valeur certaine que pour l'animal, sujet d'ex-

périence, et il est hasardeux de conclure de l'animal à l'homme surtout si

l'on parle d'adaptation fonctionnelle. Il sera toujours très difficile de trou-

ver en pathologie humaine des faits indiscutables, à savoir : étude d'une

moelle, 8 jours après une section nerveuse unique ou une ablation unique

d'un muscle, le malade étant mort sans cause capable de provoquer par

elle-même une chromatolyse des cellules motrices médullaires. On nesau-

rait utiliser par suite les cas de gangrène sénile malgré l'apparence seg-

mentaire de la lésion car, d'une part l'infection remonte le long des troncs

nerveux, d'autre part l'intoxication générale dont est atteint le malade

peut créer, au niveau de la moelle, par action directe, des altérations cel-

lulaires qui viennent masquer les altérations qu'aurait provoquées la lé-

sion périphérique des cylindraxes. On ne saurait utiliser les désarticula-

tions, car toute désarticulation lèse forcément le segment musculaire plus

haut situé puisqu'elle s'accompagne de la section des tendons de certains

muscles de ces segments. Au surplus, dans quel segment du membre su-

périeur doit-on placer le biceps brachial par exemple, qui prend son inser-

tion supérieure sur l'omoplate et l'inférieure sur le radius, ou les muscles

radiaux qui vont de l'humérus au carpe ? Ces longs muscles qui franchis-

6 CESTAN ET HUET

sent sans s'y insérer tout un segment sont-ils comparables aux muscles

qui, unissant un segment au segment voisin, l'omoplate à l'humérus, l'hu-

mérus au radius, aux muscles qui, unissant deux os du même segment,

radius et cubitus, sont vraiment segmentaires. Il nous parait donc difficile

d'appliquer aux muscles le terme segmentaire si vrai au contraire pour le

squelette. Enfin, et cette dernière objection est la plus grave, certains au-

teurs soutiennent que la section d'un cylindraxe, lorsqu'elle est pratiquée

à-une certaine distance de la moelle, ne détermine pas nécessairement dans

sa cellule d'origine des lésions visibles par la méthode de Nissl. Par suite,

si la présence de la chromatolyse a une importance évidente, son absence

ne prouverait rien et ne permettrait pas d'exclure comme centre présumé

d'un muscle un groupement cellulaire d'apparence intacte; la méthode

expérimentale voit dès lors son importance fort diminuée. D'ailleurs, il

sera toujours difficile d'obtenir et d'interpréter chez l'homme des lésions

médullaires consécutives à des ablations périphériques bien localisées.

Pour résoudre le problème des localisations spinales de la moelle hu-

maine ilsembledoncpréférablede recourir encore à cettemélhodeanatomo-

clinique qui a fait découvrir les localisations cérébrales : étudier avec soin

et détail la disposition des troubles moteurs consécutifs à des lésions pri-

mitives des cornes antérieures et essayer de leur superposer les altérations

fournies par l'examen histologique. Or, selon Déjerine (Séméiologie du

système nerveux) la clinique n'a jamais montré chez l'homme un cas

d'atrophie musculaire myélopathique à disposition segmentaire; la topo-

graphie est au contraire radiculaire. Cette constatation pourrait se faire

dans la sclérose latérale amyotrophique où l'on observe, soit un typesca-

pulo-huméral intéressant' le territoire radiculaire supérieur du plexus

brachial, soit un type antibrachial et un type Aran-Duchenne intéressant

le territoire radiculaire inférieur.

Malheureusement la sclérose amyotrophique est une affection à marche

progressive, le plus souvent même à marche rapidement progressive, et

par suite à siège toujours diffus; une exploration électrique des plus mi-

nutieuses et souvent répétée serait indispensable pour établir exactement

la topographie des altérations musculaires; enfin, à leur période initiale,

les altérations de la corne antérieure sont difficiles à constater, de telle

sorte qu'il sera toujours difficile de déterminer exactement aussi bien les

muscles atteints que le rapport entre les lésions musculaires et les lésions

médullaires. L'extrême rareté de la poliomyélite chronique, de l'atrophie

musculaire du type Aran-Ducllenne, ne permet pas d'espérer qu'elle ser-

vira à résoudre le problème. Mais il n'en est point de même de deux affec-

tions qui par leur chronicité et leur fréquence peuvent fournir des don-

nées précises, la syringomyélie et la paralysie infantile.

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATHIQUES 7

Nous ne voulons pas aborder ici en détail le problème de la topographie

des troubles moteurs et ci fortiori des troubles sensitifs de la syringomyé-

lie. On pourrait objecter en effet que dans les observations où la distribu-

tion des troubles moteurs revêt la forme radiculaire, on peut, en l'absence

d'autopsie, supposer que si l'on constate une disposition radiculaire des

troubles sensitivo-moteurs, cette disposition est créée non pas tant par la

lésion médullaire que par la virole pachyméningitique qui accompagne si

souvent le processus syringomyélique intra-médullaire. Cependant, nous

croyons que dans certains cas, malgré le défaut d'autopsie, on peut soute-

nir que les troubles sensitivo-moteurs sont créés non par la pachyménin-

gite mais bien par la lésion gliomateuse intra-médullaire. Au point de

vue sensitif en effet, on peut trouver des syringomyélies n'ayant jamais

présenté des douleurs fulgurantes des membres supérieurs, douleurs qui

sont ordinairement la signature de l'englobement des [racines par le pro-

cessus méningé, on peut trouver des syringomyélies présentant une disso-

ciation syringomyélique de la sensibilité aussi parfaite que dans une hé-

matomyélie, c'est-à-dire avec une conservation parfaite du tact simple,

sans retard, sans erreur de localisation et une abolition complète des sen-

sibilités thermiques et douloureuses. Au contraire dans la pachyméningite

tuberculeuse, par exemple, on n'observe jamais une dissociation parfaite

de la sensibilité, tandis que les erreurs de localisation et les retards de

sensation peuvent être considérables. De plus,on peut noter aussi des dif-

férences au point de vue de la motilité et des réactions électriques : dans

les cas de pachyméningite les troubles moteurs et les altérations des réac-

tions électriques marchent davantage de pair que dans les cas de troubles

moteurs relevant des lésions cellulaires des cornes antérieures à processus

lent et chronique ; dans ces derniers cas, en effet, il est fréquent de ren-

contrer des troubles moteurs déjà très prononcés, avec atrophies muscu-

laires même assez accusées, sans que les réactions électriques présentent

d'altérations accentuées,qualitativement tout au moins ; dans lespachymé-

ningites, au contraire, les modifications des réactions électriques corres-

pondent davantage aux troubles moteurs et les manifestations de réaction

de dégénérescence se montrent plus caractérisées. Ainsi il serait possible

de distinguer parfois la syringomyélie purement intra-médullaire de la

syringomyélie pachyméningitique. On a pu objecter que la disposition

radiculaire des troubles de sensibilitédans la syringomyélie pouvait s'ex-

pliquer par une lésion des fibres d'entrée des racines postérieures puisque

la substance grise confine à cette zone d'entrée. Mais cet argument ne sau-

rait s'appliquer aux troubles de la motilité : la substance grise de la corne

antérieure est loin de la périphérie de la moelle, et si nous constatons dans

une syringomyélie peu avancée une disposition radiculaire de l'atrophie

8 CESTAN ET üUGT

musculaire, nous serons en droit de mettre cette disposition uniquement

sur le compte de la lésion de la corne antérieure.

Nous croyons utile de résumer ici l'histoire clinique de deux malades,

dont l'observation a déjà été publiée in extenso dans la Revue Neurologique,

car ces malades viennent à l'appui de ce que nous venons d'écrire : syrin-

gomyéliques, sans intervention à peu près certaine de pachyméningite,

elles présentent des troubles sensitisset moteurs à disposition radiculaire

typique.

Ons. I. - E... 4b ans. La malade ne présente ni antécédents héréditaires ni

antécédents personnels ; elle nie la syphilis et toute intoxication alcoolique.

Dès l'âge de 27 ans, elle a ressenti au niveau de la nuque des douleurs aiguës

s'irradiant vers les deux épaules et les deux bras. Enfin peu à peu elle a vu sur-

venir une parésie progressive des bras. En janvier 1902, la malade, robuste et

d'excellente santé générale, est atteinte d'une paraplégie spasmodique avec tré-

pidation spinale et signe des orteils en extension, il n'existe cependant ni

troubles sphinctériens ni modifications de la sensibilité au niveau des mem-

bres inférieurs. A cette paraplégie spasmodique exclusivement motrice s'asso-

cient des troubles sensitifs et moteurs des membres supérieurs.

Les deux bras sont ballants le long du corps, mais se présentent, par la

conservation, des fonctions de l'extrémité distale d'une part, par la parésie et

l'atrophie de l'extrémité proximale d'autre part, avec l'aspect d'une paralysie

radiculaire supérieure bilatérale. Aucun mouvement de supination et de rota-

tion en dehors de l'humérus n'est possible ; la flexion de l'avant-bras sur le bras

très affaiblie à droite est à peine ébauchée à gauche ; enfin le deltoïde peut à

peine détacher le bras du tronc. L'élévation de l'épaule par le trapèze se fait

bien à gauche ; elle est un peu affaiblie à droite. Les pectoraux ont leurs chefs

supérieurs un peu affaiblis, leurs chefs inférieurs au contraire bien conservés.

L'extension volontaire des avant-bras sur les bras n'est que peu affaiblie ; la

pronation, la flexion et l'extension des doigts, les mouvements dus aux muscles

intero'sseux et aux muscles des éminences thénar et hypothénar se font bien.

(Planche I.)

Ainsi les divers muscles du groupe radiculaire inférieur ont bien conservé

leur action et développent une force assez grande ; au contraire les muscles du

groupe radiculaire supérieurprésentent une parésie extrêmement prononcée et

d'une façon générale notablement plus accusée à gauche qu'à droite. L'examen

électrique a montré que les muscles du groupe radiculaire inférieur ne présen-

tent pas d'altérations notables de leurs réactions, mais que les réactions des

muscles du groupe radiculaire supérieur sont au contraire altérées moins cepen-

dant que ne pourrait le faire supposer l'état de la motilité : l'on constate des

traces de D. R... dans le long supinateur, dans le biceps et le bracliial anté-

rieur avec hypoexcitabilité faradique et galvanique, équivalence ou inversion

polaire et un peu de lenteur des contractions. Dans les deltoïdes on ne constate

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière. T. XV, YI. I

SYRINGOMYELIE AVEC TOPOGRAPHIE RADICULAIRE

DES TROUBLES MOTEURS ET SENSITIFS

(Cesfma et Huet).

A. Position au repos. B, Maximum de flexion possible de l'avant-bras à droite et à gauche.

C. Maximum de supination .1 droite et à gauche. D. Maximum de pronation possible.

Mas,on ^ Ce. Editeur..

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE T. XV. PL. II

OBSERVATION I

1 Analgésie : Au froid (0°)

A la chaleur (500)

013siilv%,i,ION I

Quadrillé : analgésie à la piqûre ? exam.

Hachura : hypoalgésie à la piqûre ) 1

Pointillé : hypoalgésie très légère à la pi-

qùre (2' examen).

ODSEIIVATION Il

Hypoeslhésie : au tact, à la piqûre, à la

chaleur.

10 CESTAN ET UUET

pas de traces appréciables de D. R... mais une notable hypoexcitabilité faru-

dique et galvanique surtout à gauche.

A ces troubles parétiques et atrophiques s'ajoutent des secousses fibrillaires

limitées aux muscles du groupe radiculaire supérieur.

Or à cette disposition motrice visiblement radiculaire se superposent des

troubles de sensibilité disposition radiculaire. ils consistent en une dissocia-

tion syringomyélique parfaite de la sensibilité avec intégrité complète du tact

simple (pinceau de blaireau). L'analgésie la piqûre forme une bande d'anal-

gésie totale liorizontale de 7 à 8 centimètres de largeur recouvrant en avant le

creux sus-claviculaire, en arrière la fosse sus-épineuse, en dehors les deux

épaules, limitée ainsi à la partie supérieure par une ligne circulaire à la nais-

sance du cou. Cette bande d'analgésie totale est entourée de deux territoires

hypoesthésiques. Le territoire supérieur recouvre non seulement tout le cou

mais remonte aussi vers la nuque, sur le pourtour des oreilles et la partie infé-

rieure de la face. Le territoire inférieur descend sur la face externe des bras

sous la forme d'une bande s'étendant jusqu'au pli du poignet et ne dépassant

pas la ligne médiane des faces antérieure et postérieure des bras (Planche II).

Le territoire de l'analgésie au froid et au chaud est plus étendu, car il com-

prend non seulement le cou, la partie supérieure du thorax et les deux bandes

externes des bras signalées plus haut, mais aussi la main ; toutefois il respecte

nettement une bande interne qui partant de l'aisselle atteint à peu près le pli

du coude. (Il s'agit bien là d'un territoire plus vaste que ce territoire du creux

de l'aisselle innervé par le nerf intercostal et épargné dans les paralysies ra-

diculaires totales du plexus brachial.)

En résumé notre malade est atteinte indiscutablement de syringomyélie ; or

chez elle les troubles moteurs et les troubles sensitifs prédominent avec une

netteté remarquable dans le territoire radiculaire supérieur du plexus brachial.

Ons. IL D...., 36 ans. La malade ne présente pas d'antécédents person-

nels ou héréditaires ; elle nie la syphilis. A )'age de 23 ans, elle voit appa-

raître une gêne de la main droite avec amaigrissement de cette main et de lé-

gères douleurs lancinantes au niveau de l'épaule. L'affection progresse lente-

ment. En janvier 1902, la main droite est très amaigrie, le pouce un peu écarté,

l'auriculaire et- l'annulaire légèrement fléchis. Il existe une atrophie avec

secousses fibrillaires des espaces interosseux et des éminences thénar et liypo-

thénar. La flexion des doigts et celle du poignet sont parésiées, au contraire leur

extension se fait avec une assez grande vigueur. La flexion de l'avant-bras sur

le bras, l'élévation, l'abduction et l'adduction du bras ont conservé leur éner-

gie. La malade se plaint maintenant d'unecertaine maladresse dans les mouve-

ments des doigts de la main gauche; et on aperçoit déjà un amaigrissement des

3e et 4e espaces interosseux. L'examen électrique confirme d'ailleurs cette lo-

calisation de t'atrophie dans le domaine des racines les plus basses du groupe

radiculaire inférieur du membre thoracique droit. A ces troubles de motilité

se superposent les troublés de la sensibilité consistant en une diminution légère

du tact simple et une très forte hypoesthésie à la piqûre, au froid et au chaud.

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATHIQUES 11

Les troubles sensitifs occupent la moitié interne de la main, de l'avant-bras et

du bras (Planche II). La ligne de démarcation passe par la partie médiane des

faces antérieure et postérieure des bras ; au niveau de l'épaule elle va rejoindre

horizontalement la ligne médiane en passant un peu au-dessus du mamelon ;

la limite inférieure de cette hypoeslhésie thoracique se trouve vers l'ombilic;

ces troubles sont disposés d'une façon symétrique à droite et à gauche, mais ils

sont plus intenses du côté droit.

Les réflexes rotuliens sont vifs, mais il n'existe ni trépidation spinale ni

signe des orteils en extension. Les globes oculaires sont normaux, sans enopli-

talmie ; les pupilles sont de dilatation moyenne et réagissent à la lumière et à

l'accommodation. Les masses musculaires et les nerfs ne sont ni hypertrophiés

ni douloureux à la pression.

En résumé, notre malade est très vraisemblablement atteinte de syringo-

myélie ; cliez elle, les troubles sensitifs et les troubles moteurs sont nettement

localisés au territoire radiculaire inférieur du plexus brachial.

Les deux faits que nous venons de rapporter sont typiques, mais ex-

ceptionnels, car dans la syringomyélie la diffusion du processus glio-

mateux peut gêner la recherche exacte et précise des localisations motri-

ces spinales.

Ces causes d'erreur ne se retrouvent pas dans la poliomyélite infantile

qui nous paraît être plus particulièrement capable de donner la solu-

tion de ce problème. La paralysie infantile, en effet, est caractérisée par

des foyers de myélite destructive de la seule corne antérieure. Au point

de vue histologique, ils peuvent facilement se topographie¡' et se rencon-

trer localisés non seulement dans un seul segmentmédullaire, mais aussi

dans un seul groupement cellulaire d'un segment médullaire. Au pointde

vue clinique, ces foyers destructifs déterminent des paralysies définitives

avec atrophie musculaire accompagnée de troubles des réactions électri-

ques assez nets pour permettre de les topographie)' très exactement. Il pa-

raît dès lors possible d'établir le rapport qui dans cette affection unit les

altérations musculaires aux altérations médullaires.

Malheureusement les auteurs n'ont jamais dressé le tableau exact des

muscles intéressés par l'atrophie. On cherchera en vain des renseigne-

ments dans les thèses de Ducbenne de Boulogne et deLaborde et dans les

travaux qui les ont suivies, car à cette époque la distribution radicu-

laire était encore ignorée et les auteurs ne cherchaient à élucider qu'un

seul point, l'origine médullaire de cette atrophie musculaire infantile.

Cependant il est intéressant de signaler l'observation V de la thèse de Du-

chenne de Boulogne où il est dit : '< Après un mois, la petite malade fai-

12 CESTAN ET HUET

sait l'extension et la flexion-des doigts et du poignet et les mouvements de

pronation quand le coude et l'avant-bras étaient soutenus. La supination

restait abolie ainsi que la flexion et l'extension de l'avant-bras sur le bras et

les divers mouvements d'élévation de l'épaule. La contractilité électrique qui

avait augmenté dans les muscles de l'avant-bras avec le retour des mouve-

ments physiologiques de la main avai l entièrement disparu dans les muscles

deltoïde, biceps,brachial antérieur et triceps. Elle était revenue ainsi que

les mouvements dans les muscles sus et sous-épineux et grand pectoral.

L'épaule et le bras étaient décharnés. » De môme dans l'observation X on

lit : « Tous les muscles moteurs du bras sur l'épaule sont atrophiés et pa-

ralysés excepté le grand pectoral; la flexion de l'avant-bras sur le bras est

abolie, l'extension des mêmes parties se fait normalement. Tous les mou-

vements de la main et des doigts existent. » Il paraît donc assez vraisem-

blable que la paralysie s'était cantonnée dans ces deux cas précités sur le

groupe radiculaire supérieur. En 1874, Prévost et David publiaient dans

les Archives de physiologie un fait intéressant car il fut suivi d'une conrir-

mation histologique. Leur malade présentait une atrophie complète des

muscles de l'éminence thénar et du premier interosseux de la main droite.

Cette atrophie était due à un foyer de paralysie infantile ayant détruit le

groupe externe des cellules motrices du 8e segment cervical médullaire

et ayant entraîné une atrophie de la 8e racine cervicale droite. Mais le

cas est d'interprétation délicate. Le groupe cellulaire externe a été seul

lésé ; le malade présentait seulement une atrophie de la huitième racine

cervicale correspondant à l'atrophie de l'éminence thénar et du premier

interosseux. Ne peut-on dès lors croire que si la lésion avait atteint éga-

lement le groupe antéro-interne du huitième segment médullaire cervical

l'atrophie aurait atteint non seulement l'éminence thénar mais aussi

l'éminence hypothénar et qu'ainsi une lésion de tout un segment médul-

laire aurait entraîné une atrophie segmentaire de la main. Ce raisonne-

ment est spécieux. Les recherches de Marinesco ont montré en effet que

l'éminence hypothénar prenait sa trophicilé comme l'éminence thénar

dans le groupe cellulaire externe, et d'autre part nous savonsque les nerfs

destinés à l'éminence hypothénar passent par la première racine dorsale.

Or cette racine est intacte dans l'observation de Prévost et l'intégrité de

l'éminence hypothénar tient par suite, non l'intégrité du groupe cellu-

laire antéro-interne du 8° segment médullaire cervical, mais à l'intégrité

du groupe cellulaire externe du premier segment dorsal, conséquence

importante qui permet de se servir de cette observation pour démontrer

que la localisation spinale motrice peut être radiculaire.

Malgré ces faits épars, la question de la topographie des troubles para-

lytiques n'est pas encore soulevée, les auteurs se contentant de souligner

Nouvelle Iconographie DE la S.1LYÉCRIF`RE. r. XV. PI. III

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYELOPATHIQUES

(Ces/an et flrml).

Paralysie infantile avec localisation des troubles moteurs dans le territoire radiculaire

inférieur du plexus brachial.

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.

T. XV, PU. FIV

Mi. RA'j^LYSIE INFANTILE AVEC LOCALISATION DES TROUBLES MOTEURS

* 'Okvs LE TERRITOIRE RADICULAIRE INFERIEUR DU PLEXUS BRACHIAL

(Ceslan et Huet).

M, Contraction du grand pectoral atrophié dins sa partie inférieure.

N, Elévation des bras horizontalement en croix.

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATUIQUES 13

ce fait essentiel, que la paralysie peut se localiser sur un groupe muscu-

laire, le plus souvent le groupe scapulo-huméral, parfois même sur un

seul muscle. Mais voici que dans ces dernières années surviennent les

discussions sur la distribution des troubles sensitifs observés dans la sy-

ringomyélie et que certains auteurs à la distribution segmentaire de la

sensibilité par lésion médullaire superposent la distribution également

segmentaire de la motilité par altération de la corne antérieure. Dès lors

apparaît l'intérêt de l'étude des cas de poliomyélite infantile, et reprodui-

sant des photographies de malade dans son Trait' ! de séméiologie, M. Dé-

jerine écrit : « Dans la poliomyélite aiguë de l'enfance, la topographie

radiculaire de l'atrophie est facile à constater dans beaucoup de cas. Le

groupe Duchenne-Erb est parfois lésé dans cette affection, la distribution

de l'atrophie est la même que dans le cas de paralysie radiculaire supé-

rieure du plexus brachial. Lorsque la poliomyélite aiguë de l'enfance

s'étend à tout le membre supérieur, ici encore il est souvent facile de

constater la topographie radiculaire de l'atrophie. »

Cependant il faut reconnaître que si l'atrophie prédomine souvent sur

un groupe musculaire et revêt ainsi une topographie radiculaire, très rares

sont au contraire les cas typiques uniquement localisés sur un groupe ntdi-

culaire du plexus brachial et tout particulièrement sur le groupe radicu-

laire inférieur.

Déjà en effet, en 1864, Laborde écrivait dans sa thèse : « Le docteur'

Bruniche mentionne la paralysie des extenseurs et supinateurs de la main

et môme celle des interosseux.Sans être impossible,la paralysie de ces der-

niers muscles et l'attitude caractéristique qui s'ensuit sont excessivement t

rares dans-la maladie qui nous occupe. Nous ne l'avons pas observée une

seule fois... Ce qui tend à démontrer la grande rareté de la paralysie par-

tielle des muscles de la main, c'est que les déformations consécutives ne

s'y rencontrent presque jamais, tandis qu'on connaît l'excessive fréquence

des déviations anormales du pied. »

Toutes ces raisons, localisation de l'atrophie sur le groupe des muscles

innervés par la partie inférieure du plexus brachial, extrême rareté de

celte localisation, nous ont engagés à rapporter l'observation suivante de

paralysie infantile recueillie à la Clinique Charcot dans le service de notre

maître le professeur Raymond.

.Uns. III. Henri Seg... 9 ans. (Planches III et IV).

On ne trouve pas d'antécédents héréditaires. Le père est bien portant, très

sobre ; la mère n'a pas fait de fausse couche ; elle a trois enfants bien portants

dont notre malade est l'aîné. Il est né il terme, après une grossesse normale,

par un accouchement normal. A sa naissance il n'a pas présenté une paralysie

14 CESTAN ET HUET

quelconque des membres ; il n'a pas eu de convulsions ; il a parlé et marché

vers 12 mois. Cependant dès cette époque sa mère s'est aperçue qu'il était

atteint d'un torticolis permanent qui inclinait la tête vers l'épaule droite. Ce

torticolis d'ailleurs remontait certainement à une date antérieure ; en effet, in-

terrogée de nouveau sur ce point, la mère nous rapporte qu'elle n'a remarqué

elle-même ce torticolis qu'à l'époque où l'enfanta commencé à marcher, mais

que bien auparavant, alors que le petit malade n'avait pas encore trois mois,

sa marraine l'avait déjà remarqué. La santé de l'enfant reste parfaite dans les

premières années. Mais, à l'âge de 5 ans, un samedi soir, Henri Se,...frissonne,

délire et doit être mis au lit. Cet état fébrile persiste trois jours durant, le

dimanche, le lundi, le mardi, sans que le médecin puisse établir un diagnostic

précis de la nature de cette fièvre intense; enfin le mardi soir, la mère s'aper-

çoit que le bras gauche de son fils est paralysé ; de nouveau consulté, le méde-

cin déclare que l'enfant est atteint de paralysie infantile. Le bras était inerte,

mais sa sensibilité était bien conservée et le malade n'accusait pas la moindre

douleur. D'ailleurs la fièvre disparaît bientôt, la santé générale se rétablit ra-

pidement et la motilité revient dans certaines parties du bras ; mais d'autres

muscles restent paralysés, s'atrophient et restent atrophiés malgré le traitement

institué : massage et électrisation.

Nous voyons pour la première fois ce malade à la consultation de la Salpê-

trière, au mois de juin 1901, quatre ans après le début de la poliomyélite.

Henri Seg... est de taille moyenne, d'une santé générale excellente, d'une in-

telligence normale. Il n'est atteint ni de convulsions ni de vertiges épileptifor-

mes. Sa démarche est normale ; les membres inférieurs ne présentent aucun

trouble dans leur force, leur musculature,leur sensibilité. leurs réflexes osseux.

tendineux et cutanés. Au tronc, il n'y a pas de scoliose,tout au plus existe-l-il

une légère cyphose dorsale. La tête est un peu inclinée vers l'épaule droite par

un torticolis permanent avec rétraction du muscle sterno-cléido-mastoïdien

droit. Ce torticolis, dont nous avons déjà parlé, date de la première enfance et

ne présente aucun rapport direct avec la paralysie infantile survenue à l'âge de

ans ; il a entraîné, comme il arrive habituellement en pareils cas, un certain

degré d'atrophie de la moitié droite de la face. Nous signalerons encore une

légère déformation du coude droit, consécutive à une fracture dans le courant

de la troisième année. Elle ne présente d'ailleurs par elle-même aucun intérêt,

et nous devons porter particulièrement l'attention sur le membre supérieur

gauche qui a été atteint par la paralysie infantile.

Dès qu'on examine la disposition de l'atrophie et de la paralysie des muscles

sur ce membre, on est frappé par le contraste qui existe entre les muscles du

groupe radiculaire supérieur du plexus brachial et ceux du groupe radiculaire

inférieur. En effet, si le deltoïde, le biceps, le coraco-braclial, le brachial

antérieur, le long et le court supinateurs, sont plus maigres que ceux du côté

droit, ils présentent cependant des reliefs assez prononcés ; et, si on examine

l'action de chacun de ces muscles, on reconnaît qu'elle est bien conservée et

développe pour tous une force assez grande. Il en est de même aussi des radiaux.

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATHIQUES 15

Au contraire les autres muscles, c'est-à-dire : au bras, le triceps ; à l'avant-bras,

les extenseurs commun et propres des doigts, les muscles propres du pouce,

le cubital postérieur, le cubital antérieur, les fléchisseurs des doigts, les pal-

maires et le rond pronateur; à la main, les divers muscles des éminences

thénar et hypothénar et les interosseux sont très atrophiés et ont perdu pres-

que complètement leur action. La main, dans son attitude habituelle, est tenue

eu abduction avec légère extension. Le pouce se trouve placé presque sur le

même plan que les métacarpiens et il ne peut être opposé en aucune façon aux

autres doigts ; il peut seulement être très légèrement porté en adduction vers

la main, en même temps que sa deuxième phalange est faiblement fléchie sur

la première; ces mouvements produits par le long fléchisseur du pouce sont t

d'ailleurs très restreints et très faibles; l'abduction de son métacarpien par le

long abducteur est possible aussi, mais elle n'est qu'ébauchée et plus faible

encore que les mouvements précédents. Les autres doigts se présentent dans

leur situation habituelle avec une légère flexion des premières phalanges sur

les métacarpiens, une flexion plus accentuée des deuxièmes phalanges sur les

premières, et une légère flexion des troisièmes sur les deuxièmes ; pour le

petit doigt cette situation en flexion est un peu moins prononcée; c'est d'ail-

leurs le seul des quatre doigts où quelques mouvements volontaires puissent

être exécutés; ils consistent en une faible extension de la première phalange

et en une légère flexion de la troisième. Passivement la situation des doigts

peut être changée pour leurs divers segments, aussi bien dans le sens de l'ex-

tension que dans celui de la flexion. Au poignet les seuls mouvements possi-

bles sont ceux d'extension avec abduction par les radiaux; ils se font avec une

force assez puissante, capable d'opposer une assez grande résistance. Si, sai-

sissant l'avant-bras, on l'agite vivement en divers sens, la main ballotte et suit

passivement l'impulsion donnée (main de polichinelle) ; la paralysie est flasque,

sans aucunes rétractions.

L'avant-bras peut être fléchi avec force sur le bras, mais cette flexion est

accompagnée de supination. Lorsque l'avant-bras est placé dans la supination

complète, une légère pronation peut être ébauchée par le long supinateur,

mais la pronation ne peut être complétée, les autres muscles pronateurs étant

atrophiés et entièrement paralysés ; la pronation passive peut être, au contrai-

re, accomplie dans toute son amplitude ainsi que la supination. La contrac-

tion volontaire du triceps est nulle pour ses trois parties ; toute extension vo-

lontaire de l'avant-bras est impossible, lorsque le membre est placé dans une

situation supprimant l'action de la pesanteur; si, au contraire, celle-ci inter-

vient, l'avant-bras peut être complètement étendu sur le bras. A l'épaule, au

contraire, les divers mouvements du bras s'accomplissent bien en tous sens et

avec force. Le deltoïde n'est que peu amaigri, la contraction volontaire et l'ac-

tion de ses trois parties sont bonnes. Les divers muscles de la ceinture scapu-

laire, à l'exception de la partie inférieure ou costale du grand pectoral, ne

présentent pas d'atrophie notable ; tous ont bien conservé leur action et leur

force est peu différente de celle des muscles du côté opposé. La partie infé-

nieure du grand pectoral fait seule exception ; elle est, en effet, très atrophiée;

16 CESTAN ET HUET

néanmoins l'adduction et l'abaissement du bras ne s'en trouvent guère altérés,

cette action étant assurée par la suppléance d'autres muscles.

Examen électrique :

(Méthode polaire d'examen : Electrode sternale de 50 cinq. ; électrode diffé-

rente de 1 cmq. pour les mains et de 5 cmq. pour les musles des autres ré-

gions. Examen faradique avec le grand chariot de Giiffe Tripier, bobine induite

à fil moyen et intermittences fréquentes ; les chiffres indiquent l'écartement des

bobines en millimètres. Examen galvanique pratiqué alternativement avec la

kalhode et avec l'anode au moyen d'une double clef ; les chiffres indiquent en

milliampères les intensités auxquelles apparaissent les premières contrac-

tions.)

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATUIQUES 17

18 CESTAN ET HUET

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATniQUES 19

l'avant-bras (notamment dans le deltoïde, le biceps, le brachial antérieur, le

long et le court supinateur) l'excitabilité faradique est bien conservée, ou peu

diminuée par comparaison avec le côté droit; l'excitabilité galvanique est éga-

lement bien conservée ou peu diminuée et sans modifications qualitatives.

Les radiaux que nous avons déjà vus avoir bien conservé leur contractilité

volontaire ont bien conservé aussi leur excitabilité électrique. Ces muscles ne

font pas partie à proprement parler du groupe Duchenne Erb, mais ils ont une

innervation radiculaire très voisine de celle des muscles de ce groupe, et l'un

de nous a pu les voir plusieurs fois atteints dans des cas de lésions de la par-

tie radiculaire supérieure du plexus brachial, toutefois à un degré moindre que

les autres muscles de ce groupe.

Dans les autres muscles du groupe radiculaire inférieur, les altérations de

l'excitabilité électrique sont, au contraire, très prononcées. L'excitabilité fa-

radique est nulle avec de forts courants dans les trois parties du triceps, dans

l'extenseur commun des doigts, le long et court extenseur du pouce, l'exten-

seur de l'index, le cubital postérieur, le cubital antérieur, le rond pronateur,

les palmaires, les fléchisseurs des doigts, les muscles de l'éminence thénar et

de l'éminence hypothénar, et les interosseux ; on peut obtenir encore de fai-

bles contractions, avec de forts courants, et surtout en employant la méthode

localisée bipolaire, dans le long abducteur du pouce, l'extenseur du petit doigt

et le long fléchisseur du pouce. Avec les courants galvaniques on obtient plus

facilement des contractions entre 2 1 ? et 5 ou 6 milliampères, non seulement

dans ces derniers muscles, mais encore dans des muscles paraissant inexcita-

bles avec les courants faradiques employés, notamment dans les palmaires, le

fléchisseur commun des doigts, les extenseurs propres du pouce, le court ab-

ducteur,l'opposlnt et le court fléchisseur du pouce, l'abducteur du petit doigt ;

les contractions obtenues sont très faibles en amplitude; elles sont assez vives,

sans inversion polaire, dans quelques-uns de ces muscles; elles se montrent en-

core assez lentes dans d'autres muscles, avec NFC = < PFC. Dans les trois

parties du triceps on n'obtient pas de contractions manifestes, même avec 8 et

10 milliampères.

Au cou le muscle sterno-cléido-mastoïdien présente une bonne excitabilité

électrique du côté gauche, c'est-à-dire du côté où siège la paralysie infantile ;

il présente au contraire une excitabilité notablement diminuée, surtout dans

ses faisceaux sternaux, du côté droit, où existe le torticolis dont il a été parlé

déjà.

Les réflexes tendineux du long supinateur et du biceps sont normaux ; la

percussion de l'extrémité radiale détermine une flexion de l'avant-bras sur le

bras ; de même persistent les réflexes osseux de la tête humérale et de l'omo-

plate.

Le réflexe du tricèps brachial est complètement aboli.

Sur aucun muscle on n'aperçoit de secousses fibrillaires.

Il existe un léger arrêt de développement du squelette, nul ou à peine sen-

sible pour les os du bras et de l'avant-bras, très manifeste du côté de la

main.

20 CESTAN ET HUET

Les mensurations que nous avons prises ont donné les résultats suivants :

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATHIQUES 21

Or cette distribution se superpose à la. topographie radiculaire et nous

pouvons dire que, d'une manière générale, est atrophié chez notre ma-

lade le groupe musculaire innervé par les racines inférieures du plexus

brachial. Cependant il nous est impossible de pousser plus loin l'analyse

car, malgré les nombreux travaux de Panniza, Müller, Forgue, Russell,

Scherrinaton, Thornburn, etc., les auteurs nous donnent des tableaux

variables de l'innervation radiculaire. Thornburn par exemple attribue à

la Vie racine cervicale le Biceps, le Deltoïde, le Long supinateur, le Bra-

chial Antérieur; à la Vle cervicale, le Grand Rond, le Grand Dorsal, le

Grand Pectoral, le Biceps, le Grand Dentelé ; et la 7/7" cervicale les Exten-

seurs de la main ; à la VIIIe cervicale, les Fléchisseurs.

Edinger au contraire attribue à la IVe racine cervicale le Deltoïde, le

Biceps, le Long Supinateur ; à la Ve, le Deltoïde, le Biceps, le Brachial

Antérieur, le GrandDentelé, le Grand Pectoral (chef claviculaire), àla VIe,

le Biceps, le Brachial Antérieur, le Grand Pectoral (chef claviculaire), le

Grand Dentelé, les Extenseurs des doigts, le Triceps ; et la VIP la longue

portion du Triceps, les Extenseurs de la main, le Grand Pectoral (chef

costal) ; à la Vllle, les Fléchisseurs de la main, à la Il' Dorsale, les petits

muscles des mains. En d'autres termes, Thornburn rattache le Grand Pec-

toral à la V. cervicale; Edinger distingue au contraire avec juste raison,

un Pectoral claviculaire innervé par les Ve et VIe racines, un Pectoral cos-

tal innervé par la VIF, divisions adoptées par le professeur Raymond et

par Déjeiine(Séiiiéiologie du système nerveux), cet auteur fait d'ailleurs aussi

participer la VIlle cervicale et la Ire dorsale à l'innervation du Grand et du

Petit Pectoral. D'autre part, tandis que Thornburn rattache les extenseurs

des doigts à la VIP cervicale, Edinger les rattache à la VI0 et à la VII ?

M. Déjerine fait innerver les Radiaux et le Long Abducteur par les VIe et

VII" racines, l'extenseur commun des doigts et l'extenseur propre du pe-

tit doigt par la VIF et la VI11° racines cervicales.

Au cas de notre malade paraît le mieux s'appliquer le tableau d'Edin-

ger, de Raymond et de Déjerine. Chez lui en effet, nous constatons une

atrophie des petits muscles des mains, des fléchisseurs, des palmaires, des

cubitaux, des extenseurs communs et propres des doigts, des trois parties

du triceps. Chez lui sont conservés les Long et Court Supinateurs, le Bi-

ceps, le Deltoïde, les Radiaux, et en partie, le Long Abducteur du pouce ;

quant au Grand Pectoral, son chef costal est absolument atrophié, son chef

claviculaire au contraire bien conservé. Nous pouvons traduire ce tableau

ainsi : sont atrophiés les muscles innervés par la Ire racine dorsale, la

VILLE racine cervicale, la VIIe racine cervicale, avec peut-être participa-

tion des muscles innervés par la VIe racine cervicale, en un mot les

muscles que l'on sait atteints dans la paralysie radiculaire inférieure du

22 CESTAN ET HUET

plexus cervical, ont au contraire récupéré leur fonction les muscles dont

la paralysie s'observe dans le type radiculaire supérieur. Une lésion loca-

lisée de la corne antérieure, un foyer de poliomyélite infantile, a donc

créé chez notre malade une atrophie à topographie radiculaire des plus

évidentes, car chez lui, l'intégrité du Long Supinateur et des Radiaux,

contraste singulièrement avec l'atrophie des autres muscles de l'avant-

bras et des petits muscles de la main.

- Nous rapprocherons de l'observation précédente ce deuxième fait :

Oi3s. IV. Le 29 juin 1899, M. le professeur Raymond a adressé à l'un de

nous, pour pratiquer un examen électro-diagnostique, un jeune américain, âgé

de 12 ans, atteint d'une paralysie du membre supérieur gauche avec atrophie

assez prononcée de la plus grande partie des muscles innervés par la portion

radiculaire inférieure du plexus brachial.

Dix mois auparavant, à la fin d'août 1898, ce jeune garçon, dont la santé

avait été jusqu'alors excellente, fut atteint de fièvre qui ne dura que quelques

jours, accompagnée de douleurs assez vives au niveau de la nuque et le long

du dos et de douleurs moins vives dans les membres. En même temps le mem-

bre supérieur gauche fut frappé de paralysie dans sa totalité. Les autres

membres paraissent avoir présenté aussi dans les premiers temps un peu de

faiblesse, sans paralysie véritable; ils ont d'ailleurs recouvré rapidement toute

leur force et aucun de leurs muscles n'a été atteint d'atrophie. Cet enfant fut

vu alors parM.Féré,qui le suivit pendant plusieurs mois et prescrivit un trai-

tement par l'électrisation et par le massage.

Au membre supérieur gauche un certain nombre de muscles paralysés re-

trouvèrent assez rapidement leurs fonctions et bientôt reparurent les mouve-

ments du bras sur l'épaule ainsi que les mouvements de flexion et d'extension

de l'avant-bras sur le bras ; mais la plupart des muscles de l'avant-bras et les

muscles de la main sont restés paralysés et se sont notablement atrophiés.

En juin 1899, lorsque nous avons vu ce malade pour la première fois, l'état

était le suivant;

L'enfant est grand et fort pour son âge ; il est très intelligent et sa santé

générale est excellente. Aux membres inférieurs, au tronc, et au membre su-

périeur droit la force et les fonctions des divers muscles sont très bonnes. Les

réflexes rotuliens sont normaux. A gauche les divers muscles de la ceinture

scapulaire ne présentent aucune particularité notable, au point de vue de leur

volume,- de leur force et de leurs fonctions ; leurs réactions électriques sont

bonnes. Le deltoïde gauche est encore un peu plus maigre que le droit, mais

sa force et ses fonctions sont bonnes ; ses réactions électriques ne présentent

actuellement aucune altération qualitative ; elles sont bonnes en quantité dans

la partie antérieure et la partie moyenne, encore un peu affaiblies dans la partie

postérieure. Au bras les muscles animés par le nerf musculo-cutané, coraco-

brachial, biceps et brachial antérieur, sont assez bons en volume et en force ;

ils sont cependant un peu plus maigres et plus faibles qu'à droite ; leurs réac-

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATHIQUES 23

tions électriques ne présentent pas d'altérations qualitatives ; elles sont encore

un peu affaiblies au point de vue quantitatif. Les trois parties du triceps se

comportent sensiblement de même ; elles sont assez bonues comme volume,

comme force et comme réactions électriques ; on n'y constate aucune trace de

réaction de dégénérescence. A l'avant-bras le long supinateur est assez amai-

gri, mais il se contracte volontairement d'une façon manifeste, ses réactions

faradiques et galvaniques sont encore affaiblies mais ne présentent pas de ma-

nifestations actuelles de DR... Les radiaux fonctionnent aussi et peuvent pro-

duire une légère extension du poignet ; leur excitabilité faradique est conservée,

mais diminuée, leur excitabilité galvanique est également diminuée,avec NFC

> PFC, mais avec contractions assez vives; la DR, si elle y existe encore,

n'est que partielle, et peu caractérisée actuellement. Dans tous les autres mus-

cles de l'avant-bras, extenseur commun des doigts, cubital postérieur, muscles

propres du pouce, de l'index et du petit doigt, rond pronateur, palmaires, flé-

chisseurs communs superficiel et profond des doigts, cubital antérieur, et dans

les divers muscles de la main, la motilité volontaire est à peu près nulle, les

seuls mouvements qui peuvent être produits sont de très faibles mouvements

de flexion des doigts, ils sont très restreints et ne permettent la préhension

d'aucun objet ; la paralysie est complètement flasque, et lorsqu'elle est agitée

passivement la main suit en tous sens l'impulsion donnée. Dans tous les mus-

cles qui viennent d'être énumérés la DR est encore très caractérisée ; l'excita-

bilité faradique reste nulle avec le maximum d'excitation que l'on peut faire

supporter ; l'excitabilité galvanique est notablement diminuée et les contrac-

tions obtenues sont très lentes avec NFC > PFC ou sur quelques muscles avec

NFC = PFC.

Dans ce cas le diagnostic de paralysie infantile est moins net que chez

notre autre petit malade, Henri Seg..., en raison des douleurs qui ont

existé à la période d'invasion. On peut discuter en effet l'hypothèse d'une

polynévrite, ou celle d'une méningite cérébro-spinale avec lésions radicu-

laires. La polynévrite n'est guère vraisemblable en raison de l'intensité

des lésions et de leur localisation étroite à un seul membre ; les autres

membres, en effet, s'ils paraissent avoir été un peu affaiblis et douloureux

pendant la période d'invasion, ont rapidement recouvré l'intégralité de

leurs fonctions. L'hypothèse d'une méningite cérébro-spinale compliquée

de lésions radiculaires serait plus vraisemblable; pour nous cependant

elle reste très douteuse en l'absence de renseignements plus précis que

nous n'avons pu avoir sur la période d'invasion ; déplus des lésions radi-

culaires, correspondant à la topographie des altérations musculaires cons-

tatées chez notre petit malade auraient vraisemblablement entraîné des

troubles oculo-pupillaires que nous n'avons pas rencontrés. Le diagnostic

de paralysie infantile nous parait plus probable,et c'estpour cela que nous

rapprochons cette observation de la précédente, avec quelques réserves

24 CESTAN ET HUET

toutefois. Il s'agirait dans ce cas d'une paralysie infantile à forme dou-

loureuse, comme il en a été rapporté des exemples ; le mode d'apparition

et l'évolution de la paralysie correspondraient bien à cette hypothèse : au

début tout le membre supérieur gauche est paralysé ; la paralysie rétrocède

assez rapidement sur certains muscles qui sont particulièrement ceux du

groupe radiculaire supérieur' du plexus brachial (deltoïde, coraco-bra-

chial, biceps, brachial antérieur et long supinateur) ; elle rétrocède aussi

sur les radiaux, et encore sur les diverses parties du triceps brachial ; dix

mois après l'invasion de la maladie ces divers muscles sont assez bien ré-

parés et ne restent que peu affaiblis, au contraire tous les autres muscles

du groupe radiculaire inférieur restent très paralysés, notablement atro-

phiés et présentent une réaction de dégénérescence encore très accentuée.

(Dans ce cas la partie inférieure du grand pectoral ne présente pas d'a-

trophie, comme chez Henri Seg...)' .

Nous avons pu suivre cet enfant pendant trois mois; les muscles du

groupe radiculaire supérieur, les radiaux et le triceps brachial avaient

encore gagné en force; les mouvements produits par les fléchisseurs des

doigts étaient aussi un peu plus étendus, mais ces muscles présentaient

toujours de la DR; dans les autres muscles paralysés et atrophiés l'état

était resté à peu près stationnaire.

En fin de compte, quelle conclusion faut-il adopter sur la disposition

des troubles moteurs périphériques causés par les lésions des cornes an-

térieures ? Nous avons dit nos réserves sur la possibilité d'appliquer à la.

pathologie humaine les résultats, d'ailleurs variables avec les auteurs,

donnés par la méthode expérimentale. Nous avons montré la nécessité

mais aussi la difficulté à adjoindre dans le problème actuel la méthode

anatomo-clinique à la méthode expérimentale. Prévenus de la possibilité

de topographies radiculaires, les observateurs devront désormais fournir

un examen détaillé de leurs malades, étudié, muscle par muscle, avec ex-

ploration fonctionnelle et électrique des plus complètes. Sans lui, on

pourra parfois courir le risque de confondre la disposition segmentaire et

la disposition radiculaire. La main en effet ne constitue-t-ellepas un seg-

ment, et ce segment n'est-il pas innervé par la Virile racine cervicale et la

Ire racine dorsale ? La disposition segmentaire parait donc ici se confondre

avec la disposition radiculaire. Mais un examen minutieux permettra tou-

jours de différencier ces deux topographies, non seulement au niveau de

l'avant-bras et du bras où la distinction est facile, mais aussi au niveau

de l'épaule; si dans ce dernier segment en effet l'innervation est d'une

manière générale fournie par la partie supérieure du plexus brachial,

TOPOGRAPHIE DES ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATHIQUES 25

cependant d'une part les muscles Grand Dorsal et Grand Pectoral reçoivent

des filets des vue et VIIIe racines cervicales, et d'autre part des lésions de

la partie supérieure du plexus brachial atteignent non seulement l'épaule

mais aussi le biceps et le long supinateur, c'est-à-dire le bras et l'avant-

bras. Les topographies segmentaires et radiculaires ne sont donc pas ici

superposables, toutes réserves au surplus étant faites comme nous l'avons

dit plus haut sur la justesse du mot segmentaire appliqué à des muscles

qui par leur fonction de ligaments actifs des articulations sont bien plu-

tôt inter-segmentaires.

Certes, on pouvait soupçonner priori qu'à une lésion d'un étage

moteur médullaire doit correspondre une altération périphérique à dispo-

sition radiculaire, car les racines antérieures paraissent sortir directement

de la corne antérieure. Cependant il était intéressant de montrer par des

exemples typiques, par deux variétés différentes de myélite que la réalité

confirmait la théorie.

Au surplus cette constatation ne porte nullement atteinte aux recher-

ches de De Neef, de Sano et de Parhon. Elle n'empêche pas en effet d'ad-

mettre dans chaque segment médullaire une distribution des cellules

motrices en groupements correspondant à tel ou tel muscle, et c'est à ce

point de vue que la méthode expérimentale pourra fournir d'utiles ren-

seignements, faire la dissection pourrions-nous dire de chaque étage mé-

dullaire. Si nous considérons par exemple la fig. 19 de Parhon (Journal

de Neurologie du 5 janvier 1902), nous voyons figurés trois groupements :

un groupement central A,celui du petit pectoral, un groupement interne C

celui du triceps bracliial, un groupement postérieur D, celui des mus-

cles de l'avant-bras ; une lésion de ce segment s'accordera donc fort bien

avec une distribution périphérique radiculaire. Cependant à ce point de

vue l'histoire de notre malade montre que les muscles de l'avant-bras

doivent être subdivisés, car notre malade a conservé intacts son long su-

pinateur et ses radiaux, tandis que sont atrophiés les autres muscles de

l'avant-bras.

Mais il est à craindre que malgré son intérêt expérimental et physiolo-

gique, cette étude des groupements cellulaires de la corne antérieure ne

26 , CESTAN ET HUET

soit pas de grande utilité pratique pour le clinicien, car il n'existe pas,

exception faite pour des cas tout à fait exceptionnels de paralysie infan-

tile, de myélopathies atteignant tel groupement d'un étage médullaire à

l'exclusion des groupements voisins. Or nous avons voulu faire simple-

ment oeuvre clinique et pratique. On a pu croire à un moment que la dis-

tribution des troublés moteurs de cause médullaire différait de celle des

troubles moteurs de cause radiculaire et on a introduit de nouvelles déno-

minations, telles que disposition segmentaire. Nous avons montré que

deux lésions très différentes de la corne antérieure, syringomyélie et po-

liomyélite infantile, pouvaient déterminer en réalité des troubles moteurs,

non à disposition segmentaire, mais à disposition exclusivement radicu-

laire. Une importante conséquence se dégage de ces faits cliniques : la

seule topographie des atrophies musculaires ne peut servir de base au

diagnostic de siège médullaire ou radiculaire de la lésion.

NOUVI : LLh IcOXOGRAPHTE DL 1 A SALPÈIRltRr : . T- XV. PI. \"

DOCUMENTS ICONOGRAPHIQUES RELATIFS AUX MYOPATHIES

(Pierre ,\¡fnric).

HOSPICE DE BICÊTRE

SERVICE DE M. LE D' PIERRE MARIE

DOCUMENTS ICONOGRAPHIQUES

RELATIFS AUX

MYOPATHIES

PA

PIERRE MARIE.

Les modifications morphologiques causées par les Myopathies ayant une

grande valeur diagnostique, il est bon d'en faire connaître les exemples

les plus frappants.

La Pl. V réunit plusieurs de ces particularités cliniques.

A. Face d'un myopathique chez lequel existait dès l'âge le plus tendre un

ptosis double auquel était plus tard venu s'adjoindre un affaiblissement très pro-

noncé des muscles masticateurs par suite duquel le maxillaire inférieur était

tombant (1).

B. et B'. Profil des deux frères Meules montrant l'aplatissement de

la région occipitale signalé chez les myopathiques par P. Marie et Onanoff en

1891.

C. - L'aîné des frères Meulen... vu de dos. Cette figure montre très nette-

ment la déformation « en taille de guêpe » décrite chez les myopathiques (2).

Cette déformation est due d'une part à l'obliquité plus prononcée des côtes par

suite de l'aplatissement antéro-postérieur du thorax, d'autre part à l'atrophie

des muscles lombo-abdominaux.

D et D'. - Les deux frères Meulen... présentant cet aspect si particulier du

cou chez les myopathiques dû à l'atrophie des sterno-mastoïdiens, aspect qui

consiste dans l'élargissement et l'aplatissement du cou (3) et la saillie de la

chaîne osseuse constituée par les bords supérieurs du sternum et des deux

clavicules. D" même aspect du cou qu'en D et D'.

(1) Pierre Marie. Revue neurologique 1901.

(2) Pierre Marie. Leçons de clinique médicale, 1896.

(3) Voy. Brsssaun.Leçons sur les maladies nerveuses, 1,8 série. Salpêtrière (1893-1894).

UN CAS DE MYOPATHIE

AVEC RÉACTIONS ÉLECTRIQUES NORMALES

PAR

FÉLIX ALLARD.

Nous avons présenté dernièrement à la Société de Neurologie de Paris

un enfant de 8 ans dont nous avons fait un myopathique, sans toutefois

pouvoir affirmer le diagnostic d'une façon absolue à cause des particula-

rités que présentait son cas. Cet enfant a été conduit à l'Hôtel Dieu à la

consultation de M. le professeur Brissaud en mai 1901 avec le diagnostic

de chorée molle, diagnostic que, dans l'état actuel de la maladie, nous

n'aurons d'ailleurs pas à discuter.

Voici en quelques mots l'histoire de cet enfant :

La maladie a débuté en décembre 1900, il y a donc un an, par les membres

inférieurs. Jusqu'à cette époque, l'enfant avait marché et s'était développé nor-

malement, n'ayant eu comme maladie qu'une rougeole peu grave à l'âge de

6 ans. Sa mère est une ancienne choréique qui a eu depuis des crises de nerfs ;

le père et le frère sont aussi nerveux, mais on ne trouve pas, dans la famille,

d'affection myopathique. L'enfant n'a jamais présenté de mouvements invo-

lontaires ; le premier symptôme de sa maladie a été l'incertitude de la marche,

la jambe droite étant particulièrement maladroite ; ces troubles se sont rapide-

ment accentués, et, après un repos au lit de quinze jours, la force musculaire

avait diminué au point que l'enfant ne pouvait plus se tenir debout.

A ce moment, les membres supérieurs se prenaient, le petit malade, d'abord

maladroit de ses doigts, ne pouvait bientôt plus porter sa cuillère à la bouche ;

puis rapidement tout mouvement du bras devenait impossible.

Actuellement, son aspect extérieur, sa démarche et ses mouvements sont

tout à fait caractéristiques de la myopathie primitive, la face ne paraissant pas

atteinte.

Examen. - La physionomie de l'enfant est intelligente et éveillée. Les mus-

cles de la face paraissent normaux.

La poitrine est aplatie ; les pectoraux très réduits, les deltoïdes à peine des-

sinés ; les bras tombent inertes en avant du tronc, les omoplates très écartées

l'une de l'autre, sont légèrement ailées.

MYOPATHIE AVEC RÉACTIONS ÉLECTRIQUES NORMALES 29

Les membres supérieurs sont uniformément amaigris, cependant les muscles

des éminences thénar, hypothénar et les interosseux sont conservés.

Les mouvements d'élévation du bras et de flexion de l'avant-bras sur le bras

ne peuvent se faire que d'un seul coup; l'enfant lançant son membre. Les mou-

vements d'extension des doigts sont impossibles à droite, esnuissés à gauche.

Au repos, les membres inférieurs offrent

un aspect à peu près normal. Cependant,

la force.musculaire n'est pasdiminuéedans

la plupart des muscles ; seuls les mouve-

ments de flexion de la cuisse sur le bassin,

d'adduction et d'abduction de la cuisse se

font à peu près bien. La jambe soulevée,

le pied tombe, la pointe en bas et en de-

dans.

La marche est très difficile ; le malade

fléchit fortement la cuisse sur le bassin,

de façon à soulever au-dessus du sol la

pointe de son pied tombant, puis il le

laisse reposer d'une seule pièce ; il steppe

et perd l'équilibre à chaque instant.

Allongé sur le dos, il ne peut se relever,

même en se retournant, car ses bras ne

lui permettent pas de se soutenir ni de

grimper sur ses jambes.

Ses muscles ne présentent aucune ré-

traction fibreuse et les mouvements pas-

sifs imprimés à ses membres ne sont nul-

lement limités.

Les réflexes sont abolis.

Le malade ne présente aucun trouble

de la sensibilité, il urine normalement,

dort bien et n'a jamais eu de crises de

nerfs.

L'examen électrique des nerfs et des

muscles nous réservait une surprise :

nous n'avons trouvé pour aucun muscle

de diminution sensible des excitabilités

électriques, galvaniques ou faradiques.

Même pour les muscles dont le volume est des plus réduits, comme le del-

toïde, la contraction minimale se produit aux intensités normales.

Ce qui, dans cette histoire, s'écarte le plus de la règle c'est la conserva-

tion intacte des excitabilités électriques. Habituellement en effet dans la

30 FÉLIX ALLARD .

myopathie primitive les réactions électriques galvanique et faradique son

quantitativement diminuées et cette diminution peut être très prononcée,

souvent plus grande que la diminution de la contractilité volontaire.

Généralement les réactions électriques ne présentent pas d'altérations

qualitatives comme celles qu'on rencontre dans la réaction de dégénéres-

cence. On en a cependant signalé quelques cas, mais il y a lieu de se de-

mander s'ils se rapportent bien à des myopathiques vrais et non à des

formes se rapprochant du typ.e Charcot-Marie, M. Huet cependant observé

une myopathique avérée dont les muscles présentaient en général une

diminution simple des réactions électriques, mais dont le vaste interne de

la cuisse des deux côtés, montrait aux courants galvaniques l'inversion

polaire et la lenteur manifeste des contractions.

MM. Babinski ,et Pierre Marie après avoir examiné notre malade ont

hésité à se ranger au diagnostic de myopathie. Pour M. Babinski le con-

traste de la paralysie presque complète des muscles des jambes avec l'in-

tégrité de leurs réactions électriques, l'abolition de tous les réflexes tendi-

neux des membres inférieurs, la rapidité de l'évolution sont autant de

caractères qui le portent à mettre en doute la nature myopathique de cette

affection.

M. Pierre Marie rapproche ce cas de celui du jeune Worm... qui figure

dans le mémoire publié avec Charcot sur l'amyotrophie Charcol-Marie.

Par le buste notre malade lui parait bien présenter l'aspect d'un myopa-

thique, mais aux membres inférieurs les extrémités sont plus atteintes

chez ce malade qu'elles ne le sont dans la myopathie surtout après une

aussi courte durée de l'affection.

Mais dans l'hypothèse de M. Marie, comment expliquer aussi l'intégrité

des réactions électriques ? Ce ne seraient pas seulement des modifications

quantitatives qu'on devrait observer en pareil cas, mais bien des modifi-

cations qualitatives de l'excitabilité galvanique du muscle associées à une

diminution plus ou moins prononcée de l'excitabilité faradique des nerfs

et des muscles.

Rien de tout cela ici ; aussi préférons-nous admettre que nous nous

trouvons en face d'un cas de myopathie primitive dans lequel les muscles

ont subi une altération particulière permettant à la fibre musculaire de

répondre encore normalement aux excitations électriques.

D'ailleurs cette exception que nous n'avions jamais observée a été si-

gnalée par Scherb,dans un cas de myopathie primitive avec cyphoscoliose

présenté à la Société de Neurologie (1). De plus M. Huet a pris la parole

(1) ScHeNB, Myopathie primitive avec cyphoscoliose monstrueuse et rétraction de tous

les fléchisseurs, Rev. Neurologique, 1900, p. 218.

MYOPATHIE AVEC RÉACTIONS ÉLECTRIQUES NORMALES 31

au cours de la présentation de notre malade pour rappeler que chez deux

frères myopathiques présentés par M. Cestan les réactions électriques

étaient remarquablement bien conservées en quantité au point de vue des

excitations minimales, bien que chez eux la myopathie fût déjà ancienne.

Le seul point à noter était une diminution dans l'amplitude des contrac-

tions sur certains muscles très atrophiés, ce que nous n'avons même pas

noté chez notre malade un peu différent d'ailleurs de ceux de M. Huet

puisque ses muscles ne présentaient aucune rétraction fibreuse.

En admettant que notre malade est bien un myopathique, le fait que

nous signalons montrerait que, au cours des myopathies, la fibre muscu-

laire peut subir des altérations variées; tandis que ces altérations se tra-

duisent le plus souvent par une diminution simple, purement quantita-

tive, des excitabilités électriques, elles pourraient quelquefois ne modifier

en rien l'état de la contractilité électrique. Par contre, d'après certains

auteurs, les altérations quantitatives se compliqueraient d'altérations qua-

litatives plus ou moins semblables à celles de la réaction de dégénérescence.

L'important est de suivre l'évolution de la maladie et de noter à des

intervalles assez rapprochés l'état de la contractilité neuro-musculaire.

Nous faisons suivre à notre malade un traitement consistant en bains hy-

dro-électriques avec courant alternatif sinusoïdal, 3 bains par semaine

d'une durée de 20 minutes avec une intensité de 50 à 60 M. A. Sous l'in-

fluence de ce traitement la force musculaire parait augmenter. Nous nous

proposons de représenter de nouveau ce malade à la Société de Neurolo-

gie dans quelques mois.

UNE VARIÉTÉ PEU COMMUNE DE

MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE,

PAn

ED. LONG

(de Genève).

L'observation que nous rapportons ici présente quelque intérêt par la

topographie un peu spéciale de l'atrophie musculaire. Pour les motifs que

nous exposerons plus loin, il est très vraisemblable qu'il s'agit d'une

myopathie atrophique progressive. Ce cas en apparence anormal nous

paraît venir à l'appui d'une théorie soutenue par plusieurs auteurs dont

nous avons eu l'occasion d'analyser récemment les travaux (1) : à savoir

que le caractère le plus important des maladies dites familiales ou mala-

dies héréditaires ou encore maladies d'évolution, ce n'est pas tant le fait

qu'elles se manifestent chez plusieurs membres d'une même famille,

car elles ont la même valeur si elles se présentent en cas isolés -, c'est

plutôt leur mode d'évolution particulier; ce sont aussi les variantes

qu'on observe quand on passe d'une famille à une autre, ces variantes

n'existant pas lorsqu'on étudie l'ensemble des cas qui surviennent dans

une même famille. Pour la myopathie atrophique progressive on a décrit t

dès le début, à côté du type facio-scapulo-hnméral de Landouzy et Déje-

rine d'autres formes cliniques : type juvénile d'Erb, types de Leyden-

Môbius, Zimmerlin, Eichhorst, etc. ; à présent on les interprète différem-

ment. On observe en effet fréquemment des cas qui retracent bien dans

ses grandes lignes le tableau clinique de la myopathie atrophique pro-

gressive,mais avec des variantes.petites ou grandes, pour chaque nouvelle

famille ou chaque nouveau cas isolé. Il faut renoncer à en faire des types

différents et reconnaître au contraire comme démontrée la variabilité des

maladies d'évolution.

(1) E. Loitij, Revue générale. Les maladies nerveuses familiales (maladie d'vo¡u'

lion), Revue méd. de la Suisse romande, avril et mai 1901.

UNE VARIÉTÉ PEU COMMUNE DE MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE 33

Louise D., âgée de 23 ans, atteinte d'atrophie musculaire progressive est

admise à l'hospice de Pinchat (près Genève) le 4 septembre 1900 (1).

Antécédents héréditaires. L'enquête ne révèle pas d'autre cas semblable

parmi les ascendants ou les collatéraux. La mère de la malade, avait eu d'un

premier mariage, deux enfants, puis de son second mariage, un fils et une fille

(Louise) ; elle est morte elle-même d'une affection Cancéreuse, et le père s'é-

tant remarié a eu de son second mariage une fille âgée aujourd'hui de 13 ans.

Des cinq enfants, nés de ces trois lits, seule notre malade présente de l'atrophie

musculaire, les autres n'ont pas de tare spéciale.

Antécédents personnels. - Pas de maladies d'enfance, mais aspect toujours

un peu chétif ; elle a marché et parlé à un âge normal. A l'âge de 12 ans, dou-

leurs rhumatismales peu intenses qui n'ont pas nécessité le repos au lit. Pre-

mières règles à 13 ans 1/2 ; époques toujours régulières.

Histoire de la maladie. - Il est difficile d'en préciser le début ; il est ce-

pendant certain que vers l'âge de 15 ans, alors qu'elle faisait un apprentissage

de giletière, cette jeune fille commença à avoir de la peine à redresser sa

colonne vertébrale ; elle se tenait voûtée, elle marchait la tête basse et encou-

rait de ce fait de fréquents reproches ; en même temps il lui devenait difficile

de porter des objets lourds ; la marche produisait vite une sensation de fatigue

et de l'essouflement. Ceci se passait vers le milieu de l'année 1893. On l'en-

voya passer l'hiver suivant à Cannes où elle fut soignée par les bains de mer,

les pointes de feu, la suspension, le massage, etc. Son état général s'améliora

visiblement, mais la faiblesse musculaire alla en augmentant et des essais de

marche prolongée furent suivis de douleurs dans les reins et surtout dans le

membre inférieur droit.

Rentrée en Suisse, elle fut soignée à la clinique chirurgicale de Lausanne où

le diagnostic de coxalgie hystérique aurait été posé. On fit en juin 1894 sur la

région trochantérienne droite une opération dont il reste comme trace une cica-

trice linéaire sans adhérences aux parties profondes (opération exploratrice ? ).

L'état ne s'améliorant pas, une seconde opération fut faite sur la même région

en 1895 et d'après ce qui a été dit à la malade on aurait trouvé l'os sain et au-

dessus un paquet de graisse. La malade se souvient qu'à cette époque elle

marchait encore avec des béquilles ou en se tenant aux meubles ; sa tête n'é-

tait pas ballante, mais elle avait de la peine à la relever ; les membres inférieurs

étaient très faibles, seuls les pieds remuaient encore assez bien ; les mouve-

ments des épaules se faisaient difficilement. Le repos au lit lui était toujours

favorable, tandis que les essais de marche étaient constamment suivis de dou-

leurs dans les reins et dans les hanches ; le travail prolongé du crochet ame-

nait également des douleurs dans les poignets.

La faiblesse musculaire augmente progressivement de 1894 à 1896, et à

partir de 1897 la malade ne peut plus marcher; en 1898 elle ne peut même

(1) Nous remercions M. le Dr Ed. Martin et [notre confrère et ami le Dr Machard

qui nous ont signalé cette malade soignée par eux à l'hospice de Pinchat et nous

ont donné sur son compte tous les renseignements désirés.

xv - 3

34 LONG

plus se tenir assise sur son lit et vers la fin de la même année il lui devient

impossible de soulever la tête qui depuis cette époque est complètement inerte.

Depuis qu'elle est confinée au lit et réduite à une immobilité presque absolue,

les douleurs qu'elle avait ressenties au début ont disparu. Enfin depuis quelques

mois elle accuse de la photophobie et une grande gêne à fixer les objets rap-

prochés ; pour ce, motif elle a renoncé il la lecture.

Etat actuel (mai 1901). - En examinant cette jeune fille, on est frappé par

l'état d'impotence presque absolue dont elle est atteinte et par l'atrophie du

système musculaire. Elle reste étendue dans son lit ; elle soulève ses cuisses

avec ses mains pour tenir ses jambes en demi-flexion, cette position étant moins

pénible que l'extension complète. Le tronc et les membres inférieurs sont

inertes ; les membres supérieurs ont conservé une certaine motilité et c'est en

prenant un point d'appui sur eux qu'elle peut s'incliner légèrement sur le côté.

La tête repose immobile sur l'oreiller. Par contre les muscles de la face sont

indemnes ; l'élocution est facile, la mimique est expressive. Lorsqu'on soulève

la malade pour l'asseoir sur son lit, sa colonne vertébrale s'infléchit dans tous

les sens et sa tête obéit aux lois de la pesanteur sans qu'aucun effort muscu-

laire intervienne pour la retenir (voir planche VI). Lorsqu'on place cette

malade dans un fauteuil, appuyée contre le dossier, si elle ne prend pas un

point d'appui sur les membres supérieurs, elle ne peut rester longtemps dans

cette position sans s'effondrer et glisser. La station debout est, cela va sans

dire, absolument impossible.

L'examen détaillé des fonctions du système musculaire donne les résultats

suivants :

Les muscles de la face ont un fonctionnement normal ; l'orbiculaire des lè-

vres n'est nullement atteint, la malade peut siffler, le rire se fait avec l'expres-

sion de figure normale ; les orbiculaires des paupières donnent l'occlusion

complète de la fente palpébrale, même pendant le sommeil ; en un mot on ne

trouve pas dans ce cas le facies si caractéristique de la forme facio-scapulo-hl1.

mérale de la myopathie atrophique progressive, stype Landouzy-Dejerine. 11

y a même sous l'influence de la photophobie dont il a été parlé plus haut un

clignotement fréquent des paupières.

Les muscles masticateurs, les muscles de la cavité buccale, du pharynx, du

larynx, ne sont pas atteints.

Les muscles de la région postérieure du tronc, qui d'après l'anamnèse ont été

pris les premiers, sont arrivés à un stade très avancé d'impotence. Les mus-

cles de la nuque qui ont pour fonctions de redresser la tête (splénius, com-

plexus, droits postérieurs de la tête, etc.) et les muscles des gouttières verté-

brales ainsi que les intertransversaux et interépineux n'agissent presque plus;

l'attitude de la malade, lorsqu'elle est assise, en est la preuve. Au contraire,

les muscles superficiels du dos (trapèze, grand dorsal, rhomboïde, dentelés),

sont beaucoup mieux conservés ; ils actionnent encore, quoique faiblement,

le moignon de l'épaule ; en tout cas ils maintiennent suffisamment l'omoplate

contre le thorax pour qu'on ne puisse parler ici de scaplllae alalae.

Nouvelle Iconographie DE la SALP&TRIRE. T. XV, PI. VI

' MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE

(Début par les muscles redresseurs du cou et du tronc).

(E. LonQ, de Genève)

UNE VARIÉTÉ PEU COMMUNE DE MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE 35

Région du colt. - Le muscle sterno-cléïdo-mastoïdien participe à l'atro-

phie ; comme le trapèze il est plus faible qu'à l'état normal ; il concourt encore

à l'élévation de l'épaule, mais il n'est pas suffisant pour soutenir la tête ou lui

faire subir des mouvements de rotation. On constate également que les grands

mouvements inspiratoires sont impossibles, fait important pour le pronostic

des lésions pulmonaires constatées chez cette malade.

Les muscles de la région hyoïdienne sont conservés, les mouvements d'as-

cension et d'abaissement de l'os hyoïde s'opèrent normalement. Par contre il

faut supposer que les muscles prévertébraux et les scalènes n'ont pas une action

suffisante, car la tête renversée en arrière ne peut être ramenée en avant.

Muscles du thorax et de l'abdomen. Les muscles pectoraux ont con-

servé une partie de leur force ; ils sont encore capables de porter l'épaule en

avant, de même que le rhomboïde et le trapèze la ramènent en arrière, mais ces

mouvements se font sans énergie et la malade ne peut lutter contre l'immobi-

lisation de l'épaule saisie à pleine main.

Les muscles abdominaux sont impuissants. Si on commande le mouvement

de la position assise on ne voitaucune contraction des muscles grands droits et

obliques de l'abdomen, le thorax reste sur le plan du lit. Les mouvements des

psoas-iliaques doivent être également supprimés : en effet,d'une part,le passage

à la position assise est impossible (psoas prenant son point d'appui sur les mem-

bres inférieurs) et d'autre part,il n'y a pas de mouvements de rotation externe

de la cuisse (psoas prenant son point d'appui sur la colonne vertébrale et la

fosse iliaque).

Muscles des membres supérieurs. L'impotence due à l'atrophie muscu-

laire diminue de la racine du membre à la périphérie. L'analyse des mouve-

ments des muscles de l'épaule (deltoïde, sus et sous-épineux, grand rond et pe-

tit rond, sous-scapulaire) démontre que les mouvements de ces muscles sont

conservés mais considérablement affaiblis. Les mouvements des muscles du

bras, région antérieure et région postérieure, le sont également mais dans de

moins grandes proportions. La flexion et l'extension, la pronation et la supina-

tion de l'avant-bras s'opèrent assez bien. Enfin tous les mouvements de la main

et des doigts sont conservés ; quoique plus faibles qu'à l'état normal, ils permet-

tent à la malade des petits travaux comme le crochet, et ce n'est qu'après un

assez long travail qu'elle est arrêtée par la fatigue.

Muscles de la ceinture pelvienne et des membres inférieurs. Les dé-

gâts causés par l'atrophie musculaire sont bien plus considérables qu'à la cein-

ture scapulaire et aux membres supérieurs. Les muscles de la ceinture pel-

vienne (muscles fessiers, pelvilrochantériens et adducteurs) sont arrivés à un

degré très avancé d'atrophie; les faibles contractions musculaires qu'ils peu-

vent encore donner sont insuffisantes pour la mobilisation de la cuisse sur le

bassin. Il en est de même, à peu de chose près, pour les muscles de la cuisse,

les mouvements de flexion et d'extension de la jambe sur la cuisse sont très

faibles, la malade doit se servir de ses mains pour relever les cuisses et mettre

les jambes en demi-llexion.

36 LONG

Les muscles de la région postérieure de la jambe et de la plante du pied

fonctionnent encore un peu, les orteils peuvent être fléchis sur la plante du

pied et cette dernière abaissée et tournée en dedans, mais les muscles exten-

seurs (région antéro-externe de la jambe) ne peuvent relever ni la pointe du

pied ni les orteils ; le pied reste en varus équin.

Etat des niasses musculaires. L'état atrophique est suffisamment indiqué

par les planches ci-jointes pour que nous n'ayons pas à y insister. A la palpa-

tionon constate que les muscles malgré leur diminution de volume ont gardé

une consistance normale. Fait important, on ne voit pas de contractions fibril-

laires.

L'examen électrique montre :

Une diminution de l'excitabilité faradique des nerfs et des muscles, plus

marquée aux membres inférieurs qu'aux membres supérieurs ;

Une diminution simple de l'excitabilité galvanique, sans réaction de dégé-

nérescence.

Cette diminution de l'excitabilité par les courants électriques est en réalité

peu marquée, on voit même des muscles dont le fonctionnement est presque

supprimé, réagir encore sous l'influence de courants ayant une force électro-

motrice de 9-15 volts et une intensité de 3-4 milliampères.

Réflexes. - Les réflexes patellaire, plantaire, olécranien sont abolis, le ré-

flexe des radiaux est très faible.

Sphincters,- Le fonctionnement de la vessie est normal ; le sphincter anal

est continent mais la constipation est fréquente et la défécation difficile, ce qui

s'explique par le mauvais fonctionnement des muscles abdominaux.

Sensibilité.- La sensibilité cutanée est intacte : le frottement d'un pinceau,

une piqûre d'épingle, le contact d'un tube chaud ou d'un tube froid donnent des

sensations aussi nettes que chez un sujet normal. Le sens musculaire et la no-

tion de position sont conservés.

Sens spéciaux. Rien d'anormal pour l'audition, l'olfaction, le goût. Du

côté de l'appareil visuel sont survenus depuis quelques mois des troubles qui

ne paraissent pas être en relation avec l'atrophie musculaire ; c'est de la pho-

tophobie avec clignotement des paupières. L'examen ophtalmoscopique prati-

qué par M. le professeur Ifaltenholf n'a révélé aucun trouble paralytique des

muscles moteurs du globe oculaire, ni d'altération des milieux transparents ou

de la rétine.

Pas de troubles subjectifs de la sensibilité, aucune douleur sur le trajet des

nerfs, spontanément ou à la pression ; la percussion de la colonne vertébrale

n'est pas douloureuse. Il n'y a donc pas lieu de tenir compte des douleurs res-

senties pendant les premières années de la maladie et qui étaient du reste ma-

nifestement le résultat de l'exercice musculaire prolongé.

L'examen clinique du coeur, des reins, du tube digestif et de ses annexes

ne montre rien d'anormal ; par contre on a constaté dernièrement au sommet

du poumon droit de la submatité et un peu de rudesse du murmure vésiculaire.

Il n'y a pas de toux ni d'expectoration, ce qui peut s'expliquer par l'insuffisance

UNE VARIÉTÉ PEU COMMUNE DE MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE 37

des muscles abdominaux, mais on observe parfois des crises de dyspnée pen-

dant lesquelles la respiration, très fréquente, reste superficielle (atrophie des

muscles respirateurs accessoires). Ces lésions pulmonaires malgré leur faible

intensité et l'absence habituelle de fièvre ont donc un pronostic sérieux, une

aggravation ou une complication pouvant être redoutables, en raison de la

faible résistance du sujet.

Observation résumée. Début de l'atrophie musculaire, il l'âge de

quinze ans environ, par les muscles de la nuque, de la région postérieure

du tronc et de la ceinture pelvienne. Aggravation lente et progressive ; ex-

tension aux muscles des membres supérieurs et inférieurs en commençant

par leur racine et avec une prédominance marquée aux membres inférieurs.

Intégrité de la face. Participation des ntztsclessteuno-cléido-ntasto'idiens,des

muscles abdominaux et des muscles psoas-iliaques ci l'att·ophie. Pas de con-

tractions fibrillaires. Diminution simple de l'excitabilité faradique et galva-

nique sans réaction de dégénérescence. Intégrité de la sensibilité et des

sphincters. Abolition ou diminution des réflexes tendineux.

Ce résumé reproduit de la façon la plus évidente les caractères géné-

raux de la myopathie atrophique progressive ou atrophie musculaire pro-

topathique. L'évolution lente et régulièrement progressive, la topographie

de l'atrophie des membres qui a débuté par leur racine, les réactions

électriques et l'absence de tremblements fibrillaires, sont des arguments

qui permettent,, à notre avis, de considérer ce diagnostic comme des plus

vraisemblables.

Mais il est un point sur lequel il est nécessaire de revenir ; parmi les

muscles du tronc, la maladie d'évolution dans ce cas n'a pas frappé seu-

lement les sterno-mastoïdiens, les muscles qui vont s'insérer à l'omoplate

les muscles abdominaux et les psoas, ainsi qu'on l'observe habituellement

dans la myopathie atrophique progressive ; elle a pris (elle a même dé-

buté par là) les muscles qui ont pour fonctions de redresser la colonne

vertébrale, d'où la forme un peu spéciale de ce cas et l'impotence parti-

culièrement grave qui en est résultée. Ces variantes symptomatiques ne

méritent plus qu'on en fasse des types spéciaux. Si les caractères géné-

raux de la maladie permettent de diagnostiquer la nature de l'atrophie

musculaire - protopathique ou deutéropathique, il importe peu

qu'elle s'écarte plus ou moins de cequ'on est convenu de regarder comme

la forme schématique, car, ainsi que l'a fait remarquer Jendrassik dans

un de ses articles sur les maladies transmises par hérédité, « on serait

amené à décrire autant de formes de maladies qu'il y a de familles attein-

tes ».

UNE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS FAMILIALES

- PAR

- R. CESTAN, LEJONNE,

Ancien chef de clinique à la Salpétrière. Interne des hôpitaux.

[Travail de la Clinique nerveuse de la Salpêtrière)

En même temps que s'édifiait sous l'influence d'Erb, de Charcot et de

Raymond, le groupement des diverses formes de myopathies en une entité

morbide, l'atrophie musculaire myopathique en opposition il l'atrophie

musculaire myélopathique, on signalait successivement l'existence possi-

ble des rétractions musculaires dans toutes les variétés de myopathies ; ce

sont en 1873 Friedreich, en 1885 Landouzy et Déjerine, en 1891 Erb.

On avait bien essayé de voir dans ces rétractions un caractère propre il

la myopathie atrophique, absent au contraire dans la myopathie hyper-

trophique, mais les travaux d'Erb, de Marie et Guinon ont montré que

cette distinction n'était pas justifiée, de sorte qu'il est devenu banal de

dire qu'on peut observer des pseudo-contractures dans toutes les variétés

de myopathies, avec ou sans pseudo-hypertrophie, localisées ou généra-

lisées.

Mais ordinairement les rétractions sont légères ; le plus souvent, elles

déterminent un pied varus équin, une flexion de la jambe sur la cuisse.

Parfois, mais très rarement ces déformations atteignent les membres

supérieurs où l'on peut observer une flexion légère des avant-bras par

rétraction du biceps brachial, sur laquelle ont tout particulièrement in-

sisté MM. Landouzy et Déjerine dans leur travail de 1883 sur la myopa-

thie à forme facio-scapulo-humérale.

Enfin très exceptionnellement, les rétractions musculaires peuvent être

assez intenses et généralisées pour modifier l'attitude générale du myo-

pathique. On en trouvera un bel exemple dans le traité des maladies ner-

veuses du professeur Grasset. Les deux cas que nous publions, observés

à la clinique de notre maître le professeur Raymond, nous ont paru re-

marquables d'abord à cause de l'intensité et de la généralisation du pro-

cessus de rétraction ensuite et surtout par le caractère familial de ce pro-

cessus, fait qui ne nous a paru jusqu'ici signalé par aucun auteur.

1 NOUVELLE Iconographie de la SALPÊTRIÈRE, T. XV, PI. VII

i '· ? MYOPATHIE AVEC RETRACTIONS FAMILIALE

`S [ 1 ' ? l' (R. Cestnu et Lromae).

' ""4 ? Uls I. - A, Position assise. - 13, Phot. instantanée pendant la m.trche. ? s'l'aille de guêpe D. Maximum d'adduction des bras et des cuisses. 1 : , Flexion complète

des membres et extension de la tête.

UNE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS FAMILIALES 39

FAMILLE LAER... Myopathie familiale, sans hérédité (1).

Antécédents héréditaires. Il n'existe pas d'atrophie musculaire ni dans

la ligne paternelle ni dans la ligne maternelle.

Le père, très sobre, non alcoolique, fait le métier de gaufreur et a une ex-

cellente santé.

La mère, cartonnière, ne présente pas de symptômes de maladie nerveuse.

Elle a eu 7 enfants : 1° un garçon âgé de 29 ans, ayant fait son service mi-

litaire ; nous l'avons'examiné, il est normal.

2° une fille morte à 17 mois avec des convulsions ;

3° un garçon de 25 ans, un des myopathiques actuels ;

4° un garçon, mort des suites de la rougeole à 2 ans 1/2 avec des convul-

sions ; -

8° une fille morte à 8 mois d'une broncho-pneumonie ;

6° un garçon âgé de 16 ans ; nous l'avons examiné ; il est normal ;

7° un garçon de 13 ans, le deuxième myopathique.

En résumé, la myopathie se retrouve chez deux enfants, sur quatre ayant

atteint l'àge adulte.

Observation 1. Léon'L... 2o ans (Planche VII).

Il est né à terme sans convulsions, après une grossesse normale, sans qu'il

y ait eu au moment soit de la conception soit de la grossesse une intoxication

des parents. Il n'a jamais eu une maladie fébrile. Il a marché à 1 an 1/2 et

parlé à 14 mois. Son intelligence a suivi un développement normal. Mais la

mère s'est aperçue que dès son tout jeune âge, la marche de son enfant était

faible, « il avait les reins faibles, et ne pouvait se lever tout seul lorsqu'on le

couchait par terre ». Les muscles n'ont jamais été hypertrophiés; d'emblée,

l'enfant était « maigre et faible ». Malgré cette faiblesse, le malade va à l'école

et obtient son certificat d'études. Mais la faiblesse s'exagère chaque année

sans douleur, sans fièvre; les bras se mettent progressivement en flexion avec

une difficulté croissante de l'extension ; la tête s'immobilise par impossibilité

de la flexion en avant; les jambes s'affaiblissent et se plient en flexion de

telle sorte qu'en octobre 1889, le malade, tout à fait impotent, est littéralement

obligé de se traîner pour avancer. D'ailleurs les rétractions musculaires s'exa-

gèrent lentement ; les jambes se fixent en flexion forcée et dès lors le malade

peut de nouveau marcher grâce à ces rétractions qui viennent lui donner un

point d'appui pour la marche.

Etat actuel en novembre 1901. - Le malade est âge de 5 ans. Sa santé

générale est excellente : appétit normal, organes (coeur, poumon, reins) nor-

maux, intelligence bien développée. ,

Marché. - Le malade marche sur la pointe des pieds, les cuisses fléchies

sur le bassinet les jambes fléchies sur les cuisses, le thorax porté en avant :

l/l) Ces deux malades ont été présentés par le professeur Raymond à la leçon clini-

que du 31 janvier 1902.

40 CESTAN ET LEJONNE

les genoux sont rapprochés l'un contre l'autre et les pieds écartés de 40 centi-

mètres. Pour exécuter le pas, le malade incline comme chez les myopathiques

le tronc pour dégager la jambe oscillante ; cette jambe exécute uu pas de 20

centimètres et normalement, sans frotter de la pointe; le malade incline en-

suite son tronc sur elle pour dégager la jambe du côté opposé et ainsi de suite.

Sa démarche ne diffère donc pas dans son mécanisme de la démarche myopa-

thique. Mais grâce à la rétraction des muscles des cuisses, grâce à la rétrac-

tion du mollet, 1° il n'existe pas d'ensellure dorso lombaire, puisqu'au con-

traire le thorax est incliné en haut ; 2° le malade marche en digitigrade sans

steppage.

Station assise. - Le malade tient son tronc vertical sans ensellure dorso-

lombaire. Il s'incline fort bien en avant et en arrière et se relève facilement

sans avoir besoin de prendre un point d'appui.

Les cuisses sont fléchies à angle droit sur le bassin, les jambes à angle droit t

sur les cuisses, les pieds en équin légèrement varus.

Etude détaillée des membres et du tronc. Les troubles sont symétriques

et d'une égale intensité des deux côtés (Planche VII).

Membres inférieurs. Très amaigris et sans hypertrophie, donnant à la

palpation une sensation fibro-graisseuse, ils mesurent en circonférence :

Cuisse : droite, 28 centimètres ; gauche, 25 centimètres.

Mollet : droit, 22 gauche, 22

La flexion passive complète de la jambe sur la cuisse est possible, se fait

même avec hypotonie. La flexion active a conservé une grande énergie.

L'extension passive au contraire ne dépasse pas 50-, et est arrêtée par les

rétractions des muscles postérieurs de la cuisse (biceps, muscles de la patte

d'oie) qui font alors une saillie très prononcée sous la peau. 11 n'existe pas de

brides périarticulaires, au pourtour du genou limitant les mouvements. La

gêne est exclusivement provoquée par les rétractions musculaires. Le mouve-

ment actif d'extension a perdu une grande partie de sa force pendant son exé-

cution on voit cependant le biceps crural se contracter assez fortement.

L'adduction des cuisses est possible et a conservé toute sa vigueur, mais

l'abduction est limitée par les rétractions des adducteurs qui font saillie sous

la peau ; au surplus le malade ne peut résister à une adduction forcée.

La flexion de la cuisse sur le bassin est facile : la cuisse peut s'appliquer

contre la paroi abdpminale, ce mouvement se fait avec une énergie assez forte.

Mais l'extension est limitée par les rétractions des muscles fléchisseurs (psoas

iliaque, et tenseur du fascia lata). Cependant les muscles extenseurs de la

cuisse sur le bassin ont conservé une certaine énergie.

Les pieds sont en équin varus surtout à gauche par rétraction des muscles

du mollet. Le malade relève et remue facilement les orteils ; il les fléchit avec

force vers la plante du pied. Sont simplement un peu faibles les mouvements

de relèvement de la totalité du pied (jambier antérieur). Cette intégrité des or-

teils nous explique d'ailleurs la possibilité de la marche.

La peau est normale, sans adipose sous-cutanée, sans trouble trophique. Elle

laisse voir les reliefs musculaires assez bien accusés et saillir les insertions ten-

UNE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS FAMILIALES 41

dineuses. Les muscles ne sont pas douloureux à la pression. Les réflexes rotu-

liens et du tendon d'Achille sont faibles. Il n'existe pas de trépidation spinale.

La sensibilité est tout à fait normale sous tous les modes.

Les réflexes cutanés (plantaire, crémastérien, cutané abdominal) sont nor-

maux. Les sphincters fonctionnent normalement.

Membres supérieurs. Très amaigris, surtout à leur racine ; ils mesurent :

Bras droit, 14 centimètres; gauche, 15.

Haut-bras, droit, 16 centimètres ; gauche, 17.

La main est à peu près normale. Les mouvements exécutés par les petits

muscles sont possibles : adduction et abduction des doigts, flexion et extension

des dernières phalanges, mouvements du petit doigt et du pouce.

Les éminences thénar et hypothénar ne sont pas atrophiées.

La flexion passive du poignet est possible, l'extension au contraire limitée

légèrement par la rétraction des muscles antérieurs de l'avant-bras. Mais la

flexion active est puissante, l'extension active au contraire très faible par la

rétraction des fléchisseurs. L'extension simultanée des doigts et du poignet est

impossible ; si le malade veut étendre les doigts, il doit fléchir légèrement le

poignet et s'il veut étendre le poignet, il doit fléchir légèrement les doigts.

La flexion passive de l'avant-bras sur le bras est possible surtout à gauche

où l'avant-bras peut s'appliquer contre le bras.

La flexion active se fait avec une certaine énergie et le biceps se contracte

bien sous la peau. L'extension passive ne dépasse pas l'angle droit et l'exten-

sion active est sans énergie. Le biceps brachial a presque disparu. Le long su-

pinateur et le biceps sont bien mieux conservés.

Les mouvements passifs du bras sur l'épaule ont conservé toute leur apti-

tude (élévation, adduction), seule est très limitée la rotation en dehors de telle

sorte que normalement les bras sont croisés au devant du thorax.

L'adduction active par le grand pectoral est énergique ; l'élévation active

par le deltoïde est très faible, la rotation en dedans est très énergique.

Les muscles conservés ne sont pas douloureux ; ils donnent à la palpation

une certaine sensation de dureté fibro-graisseuse.

Les articulations ne présentent pas d'arthrites ; la limitation des mouvements

est bien d'origine musculaire. Les réflexes osseux et tendineux sont très faibles.

La peau ne présente pas de troubles trophiques. La sensibilité est normale.

Face. La face ne présente rien d'anormal.

Le malade plisse les lèvres, fait la moue, montre les dents avec facilité,

ferme avec force les paupières, plisse le front, rit et grimace sans difficulté.

La musculature des yeux externe et interne est normale. Il en est de même

de la langue et des muscles de la mastication,de la déglutition, de la phonation,

Circonférence de la tête 58 cent. ; diam. naso-occipital 37 cent. Diamètre

biauriculaire, 37 cent. '

Tronc. La tête est dans l'extension. En effet, l'inclinaison passive en

avant est impossible par la rétraction du trapèze, la flexion passive en arrière

est au contraire facile. Les deux épaules sont soulevées, d'où grande obliquité

en haut et en dehors de la clavicule par la rétraction des chefs externes du

42 CESTAN ET LEJONNE

trapèze, qui sont aussi presque horizontaux. De même les omoplates sont rap-

prochés de la ligne médiane et leur bord interne fait saillie par la rétraction

des chefs moyens du trapèze.

Le muscle trapèze donne à la palpation une sensation .fibreuse ; il a con-

servé cependant une assez grande énergie, car le malade rapproche ses omo-

plates avec énergie. ,

Le thorax est fortement aplati avec atrophie des grands Pectoraux et des

grands Dentelés, avec élargissement de la partie inférieure de la cage thoraci-

que, forte obliquité des dernières côtes très saillantes sous la peau, enfonce-

ment prononcé de la partie inférieure du sternum et taille de guêpe très évi-

dente. Le ventre est plat, non préminent, bien sanglé par les muscles de la

paroi abdominale, dur à la pression.

Il n'existe pas de scoliose ou de lordose. D'ailleurs, les mouvements de flexion

en avant et en arrière et surles côtés de la colonne vertébrale sont très limités ;

les vertèbres sont fixées dans la position rectiligne par la rétraction des mus-

cles prévertébraux. Le thorax et l'abdomen forment donc uu seul tout, qui

donne au malade l'aspect d'un thorax et d'une poupée taillée dans du bois. Les

muscles fessiers et surtout les grands fessiers sont très atrophiés.

Les organes génitaux sont normaux.

Voici les résultats de l'examen électrique dont a bien voulu se charger

M. Huet, chef du laboratoire d'électrothérapie de la clinique Charcot.

Membres inférieurs.

« Les résultats suivants de l'examen électrique s'adressent particulièrement

au côté gauche ; ceux du côté droit sont à peu près semblables.

« L'excitabilité électrique des nerfs et des muscles est remarquablement bien

conservée au point de vue de l'excitabilité minimale et même au point de vue

de l'amplitude des contractions. Bien, que chez ce malade, l'affection soit plus

ancienne que chez son frère, l'excitabilité électrique ne présente pas la dimi-

nution qui existe chez ce dernier dans quelques muscles : les diverses parties

du triceps crural notamment ont une bonne excitabilité électrique ; les muscles

antérieurs de la jambe (jambier antérieur et extenseurs des orteils) présentent

aussi une assez bonne excitabilité électrique, bien que l'excitation portée sur

eux produise en même temps l'excitation des membres postérieurs (jumeaux).

« En aucun point, on ne constate de modifications qualitatives de l'excitabi-

lité électrique » (Huet).

Nouvelle Iconockaphif ni loi S,II.P¡'TH 1 1' : 1< ¡¡. T. XV, PI. vur

MYOPATHIE AVEC RETRACTIONS FAMILIALE

(R. Ccstnrr et Lejorrr2e).

Obs. II. - F, Position normale des bras tombant. G, Fluxion des bras. - H, Aspect de dos. - J, Maximum d'extension des bras et de flexion de la tête.

UNE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS FAMILIALES 43

44 CESTAN ET LEJONNE

- Membres inférieurs. - L'atrophie est prédominante à gauche. Elle est sur-

tout marquée au niveau des fessiers, assez marquée au niveau de la cuisse

(atrophie eu jarretière), moins marquée enfin au niveau du mollet. Elle est par

suite prédominante à la racine des membres. '

Membre inf. gauche : 32 cuisse sup. 23 cuisse inf. 23 mollet.

Membre inf. droit : 33 » 2o » 24 »

L'abduction passive des cuisses ne dépasse pas 30 centimètres entre les deux

condyles internes du fémur; elle est limitée par les rétractions des adducteurs.

L'adduction active est au contraire très vigoureuse.

L'adduction passive est facile ; l'abduction active, au contraire, très faible.

La flexion active et passive de la cuisse vers la jambe est un peu affaiblie.

L'extension passive de la jambe sur la cuisse est complète à droite, limitée

au contraire à gauche par la rétraction des muscles fléchisseurs.

L'extension active est assez rigoureuse à droite, affaiblie au contraire il gau-

che, d'où léger steppage dans la marche. La (lexion active a conservé une ri-

gueur suffisante aussi bien il droite qu'a gauche.

L'extension du pied sur la jambe active et passive est bien conservé à droite

et à gauche, mais à gauche, la flexion du pied sur la jambe est limitée par la

rétraction des muscles du mollet et par la parésie des muscles antérieurs de la

jambe.

Les mouvements des orteils se font bien à droite et à gauche.

Les muscles ne sont pas douloureux à la pression ; ils doivent à la palpation

une sensation fibro-graisseuse. Ils ne présentent pas de secousses fibrillaires

et leur contractilité idio-musculaire est très affaiblie. On ne voit pas de pseudo-

hypertrophie.

Les réflexes du tendon d'Achille sont abolis; les réflexes rotuliens sont

très faibles.

Les réflexes cutanés (plantaire, crémastérien, abdominal) sont normaux.

Il en est de même de la sensibilité objective et subjective.

Les sphincters fonctionnent bien.

Membres supérieurs. Les deux bras sont fléchis à 55°, le bras en abduc-

tion légère et les avant-bras ramenés sur le devant de la poitrine à cause de la

flexion permanente des avant-bras sur les bras.

L'atrophie est prédominante à la racine des membres ; elle ne s'accompagne

pas d'hypertrophie. Elle est ainsi disposée :

L'extension active de l'avant-bras sur le bras est presque supprimée ; au

contraire, la flexion active des mêmes segments s'exécute encore avec une cer-

taine énergie. La flexion passive se fait sans difficulté, mais l'extension passive

est limitée par la rétraction des muscles fléchisseurs et ne dépasse pas 55°.

L'adduction active du bras contre le thorax est assez énergique, mais l'ab-

duction passive est limitée par la rétraction des pectoraux qui viennent former

alors un relief saillant sous la peau.

L'élévation à l'horizontale des bras est très faible par l'atrophie des del-

toïdes.

Les muscles des avant-bras sont mieux conservés, ainsi la flexion et l'ex-

UNE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS FAMILIALES 45

tension active du poignet et des doigts a conservé sa vigueur ; ainsi les petits

mouvements des doigts (abduction, adduction, extension des dernières phalan-

ges) se font avec facilité et énergie.

En résumé, l'atrophie prédomine à la racine et sur le groupe des extenseurs

d'un segment sur l'autre.

Les muscles ne présentent pas de secousses fibrillaires ; ils ne sont pas doulou-

reux à la pression. Les réflexes osseux et tendineux sont abolis. La sensibilité

objective et subjective est normale.

Face. - La face ne présente rien d'anormal. L'occlusion des paupières, la

mimique, la déglutition, la mastication, la phonation s'exécutent sans difficulté.

La musculature externe et interne des yeux fonctionne parfaitement.

Thorax. Le thorax est aplati par atrophie des grands pectoraux, avec

élargissement de la partie inférieure de la cage thoracique et début de taille de

guêpe. Les épaules sont légèrement élevées par la rétraction des chefs externes

du trapèze, de telle sorte que la tête paraît enfoncée entre les deux épaules et

que les clavicules ont une direction très oblique en haut et en dehors. Il existe

une légère courbure dorso-lombaire, mais sans scoliose ; l'inclinaison soit an-

térieure, soit postérieure, soit latérale du tronc est possible, mais limitée. La

flexion en arrière de la tête se fait avec facilité et énergie, mais la flexion en

avant est limitée par la rétraction du trapèze.

L'examen électrique, pratiqué par M. Huet, a donné les résultats suivants.

Membres inférieurs.

« L'examen a été fait avec grande attention sur le côté gauche ; les résultats

sont d'ailleurs à peu près semblables à droite. En aucun point, on ne constate

de modifications qualitatives de l'excitabilité électrique ; sur un grand nombre

de muscles, l'excitabilité est très bien conservée quantitativement au point de

vue des excitations minimales et même au point de vue de l'amplitude des con-

tractions ; plus que chez le frère, cependant, l'excitabilité est notablement di-

minuée dans quelques muscles ; c'est le cas par exemple à la cuisse pour le

vaste externe et surtout pour le vaste interne ; à la jambe, l'excitabilité est

assez fortement diminuée dans le jambier antérieur, elle l'est plus encore dans

les extenseurs des orteils ; elle est aussi un peu diminuée dans les jumeaux

(mais dans ceux-ci surtout au point de vue de l'amplitude des contractions) n

(huez.

46 CESRAN ET LEJONNE

UNE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS FAMILIALES ii

myosite ossifiante, même à sa phase initiale d'infiltration fibreuse. Mais

le caractère familial de l'affection, le début sans étiologie manifeste

dans le jeune âge, la marche progressive à début par les muscles de la

racine des membres, les caractères si particuliers de cette atrophie

musculaire modifiant au prorata les réflexes, ne s'accompagnant ni de

troubles de la sensibilité, ni de secousses fibrillaires, ni de troubles des

réactions électriques, donnant à la palpation une sensation myo-nhreuse,

déterminant des déformations caractéristiques comme l'aplatissement du

thorax et la taille de guêpe ne laissent aucun doute sur la nature myopa-

thique de ces pseudo-contractures par rétractions musculaires.

Au surplus, les rétractions musculaires passées un instant sous silence,

cette myopathie est conforme à la description classique. Elle est du type

juvénile, à début par la racine des quatre membres, sans participation de

la face, sans pseudo-hypertrophie; d'emblée elle a été atrophique; elle est.

familiale, ayant atteint deux enfants sur quatre parvenus à l'âge adulte;

mais elle n'est pas héréditaire. Les réflexes tendineux sont affaiblis au

prorata de l'atrophie musculaire; les réflexes cutanés sont normaux; le

système osseux n'offre pas d'altération ; ces malades ne présentent pas de

stigmates de dégénérescence et la forme de leur crâne est normale. Nous

signalerons l'absence de réaction de dégénérescence; non seulement l'in-

version polaire ou l'égalité polaire fait défaut, mais la secousse musculaire

est brève, sans cette lenteur spécifique en quelque sorte de la réaction de

dégénérescence. « L'excitabilité électrique des nerfs et des muscles est

même remarquablement bien conservée au point de vue de l'excitabilité

minimale et même au point de vue de l'amplitude des contractions »

(Muet) : 1 -

Mais l'histoire clinique de ces myopathies présente cependant un "gros

intérêt qui réside et dans l'intensité des rétractions musculaires et dans le

caractère familial de cette tendance à la rétraction, deux questions que

nous désirons maintenant développer.

11 est fréquent d'observer au cours de la myopathie un léger degré de

rétraction musculaire, quelle que soit d'ailleurs le type clinique de la

myopathie, juvénile ou tardive, types Leyden, Zimmerlin ou Landouzy-

Déjerine et dans le Dellstche Zeitschrif6 sur 11'ervenheill2cide du mois

d'octobre 1901 le Dr Ilaln a de nouveau étudié cette pseudo-contracture.

Plusieurs malades myopathiques de la clinique Charcot nous en offrent des

exemples : c'est un pied-bot varus-équin par rétraction des muscles du

mollet, c'est une flexion plus ou moins prononcée de la jambe sur la cuisse,

c'est, beaucoup plus rarement, l'impossibilité de l'extension complète de

48 CESTAN ET LEJONNE

l'avant-bras sur le bras; Friedreich, Erb, Scbultze, Déjerine, Raymond,

Marie, Gowers, etc.. ont fort bien décrit ces altérations. Mais, malgré ces

déformations, iemyopatbique conserve l'aspect classique du myopathique ;

il marche en steppant, en se dandinant pour déplacer son centre de gravité

et faciliter les mouvements de la jambe oscillante; il présente une cyphose

dorso-lombaire très prononcée, et la mobilité de sa colonne verlébrale est

extrême, son ventre est globuleux, son thorax aplati, concave à sa partie

antéro-supérieure, car par l'atrophie du trapèze, les omoplates ont glissé

vers l'aiselle (scapula alata) reportant en bas et en avant l'extrémité externe

de la clavicule ; sa tête est fortement inclinée en avant, les apophyses épi-

neuses de la région cervicale saillantes sous la peau par l'atrophie des

chefs médians et inférieurs du trapèze. Ses bras sont ballants le long du

corps; bref le myopathique donne encore la sensation d'un homme

« chiffon ».

Or tout autre est l'impression qui résulte de l'inspection de nos deux

malades et en particulier de l'aîné qui paraît rigide, comme soudé,

recroquevillé sur lui-même. Chez lui point de cyphose, mais au contraire

une lordose; pointdemobilité extrême de la colonne vertébrale, mais une

rigidité dans les mouvements antéro-postérieurs et latéraux ; point de ven-

tre de batracien, mais un ventre rétracté; point de mobilité des omoplates

et de la colonne vertébrale, mais une colonne cervicale rigide par la rétrac-

tion du trapèze; cette rétraction empêche complètement la flexion de la

tête en avant tandis que la flexion de la tête en arrière a conservé sa force

et son amplitude ; elle a rapproché de la colonne vertébrale les deux angles

supérieurs de l'omoplate, de telle sorte que le bord interne de cet os est

incliné de haut en bas et de dedans en dehors, que l'omoplate est fixée

contre la cage thoracique; de cette position résulte une élévation en haut

et en arrière de l'extrémité externe de la clavicule, aussi, malgré l'atrophie

des grands pectoraux la déformation thoracique décrite par M. Marie fait-

elle défaut dans le cas actuel : le sternum est, comme chez les sujets nor-

maux, sur un plan antérieur il celui des extrémités externes des clavicules.

Les bras sont en demi-flexion, et en légère abduction, cette dernière résul-

tant de l'élévation des épaules par la rétraction du trapèze, en même temps

que les grands pectoraux rétractés limitent cet écartement des membres

supérieurs, aussi le malade est-il obligé de tenir constamment ses bras

pliés devant la poitrine, car cette position est la seule qui lui permette

de céder sans fatigue à la rétraction des biceps brachiaux, des trapèzes et

des grands pectoraux. Voilà donc un aspect du tronc et des membres supé-

rieurs tout à fait différent de ceux du myopathique ordinaire. Mais une

différence aussi considérable existe également dans la main. On sait que

la myopathie est caractérisée par la prédominance de l'atrophie à la racine

UNE 1111'OP1'IllIE AVEC RÉTRACTIONS FAMILIALES 49

des membres avec conservation relative de la joue musculaire à l'extrémité

des membres. Souvent le myopathique ne présente pas de sleppage grâce

a l'intégrité des muscles releveurs de la pointe du pied, mais marche

cependant en se dandinant, le corps incliné en arrière, et ne peut se rele-

verpar l'atrophie des muscles du bassin et de la cuisse. Mais notre malade

a conservé une force musculaire assez considérable de ses extrémités et au

surplus les rétractions musculaires ont eu pour lui l'avantage d'une part

de rapprocher son centre de gravité de la base de sustentation, de diminuer

ainsi la difficulté de conserver l'équilibre, d'autre part de rendre rigides

ces segments des membres inférieurs dont la mobilité est le grand obstacle

dans la marche. Aussi notre malade peut-il marcher avec facilité, mais

sur la pointe des pieds à cause de son pied varus-équin, et sa démarche et

son maintien sont tout à fait semblables à la démarche en crapaud et au

maintien du malade dont le professeur Grasset a rapporté l'observation dans

ses leçons cliniques.

D'ailleurs, l'histoire de sa maladie nous prouve à quel point a été pour

lui utile l'apparition de ses rétractions musculaires. Tout enfant, il marche

avec peine, se lève avec difficulté; bientôt l'atrophie progresse et il est

immobilisé sur sa chaise plusieurs années durant, mais les rétractions

musculaires viennent fixer ses cuisses sur son bassin, ses jambes sur ses

cuisses et il peut ainsi abandonner le fauteuil auquel il pouvait se croire

définitivement attaché.

Il était curieux de signaler ces modifications d'altitude. Les auteurs ont

donné des explications un peu différentes du mécanisme physiologique

de l'ensellure et de la marche des myopathiques, les uns insistant sur la

flaccidité et la nécessité de courbures et de mouvements anormaux du

rachis pour garder l'équilibre à chaque instant compromisses autres sur le

rôle des rétractions musculaires. Dans l'espèce, il ne saurait exister une

règle absolue ; la fonction d'équilibre est le résultat de plusieurs facteurs

et chez notre malade elle dépend surtout des rétractions musculaires.

Ces rétractions présentées par nos deux malades sont surtout inté-

ressantes par ce fait qu'elles sont familiales : le tableau offert par le plus

jeune de nos malades est exactement comparable à celui que son frère

aîné a présenté au même âge el, c'est d'ailleurs cette similitude d'aspect

qui a fait craindre à la mère une similitude d'affection et l'a déterminée

il nous conduire ses deux fils. Il est donc malheureusement à craindre que

dans quelques années les deux frères ne présentent un tableau clinique

identique, avec des déformations aussi accentuées chez le frère cadet que

chez le frère aine.

xv 4

50 CESTAN ET LEJONNE

A ce point de vue si particulier nous avons pu relever dans les auteurs

français quelques cas comparables à ceux que nous venons de décrire.

A. Uns. dans mémoire de Déjerine et Landouzy, in Rev. de médecine, 1885.

OBs. V. - M... Léon, en 1885. Type facio-scapulo humerai. Atrophie pré-

dominante sur le haut du thorax et des bras. Impossibilité de l'extension com-

plète des avant-bras par certain degré de rétraction du biceps.

Impossibilité d'extension de la jambe gauche sur la cuisse par rétraction

musculaire.

OBs. VI. M... Georges, frère du précédent. Type facio-scapulo-huméral.

Certain degré de rétraction des avant-bras sur le bras.

B. - 0135. dans clinique de Grasset, 1891 (Obs. du Dr Bourguet).

Jean N..., âgé de 30 ans. Type de myopathie généralisée sans participation

de la face. Rétraction en flexion très prononcée des membres supérieurs.

Rétraction et flexion de la cuisse sur le bassin et de la jambe sur la cuisse,

pied varus équin. Démarche en flexion forcée, démarche de crapaud. « Au mo-

ment où le poids du corps se porte d'une jambe sur l'autre, la jambe est en

flexion complète sur la cuisse et le talon vient toucher l'ischion correspondant. »

« Notre malade a eu dix frères et soeurs et c'est ici un fait très remarquable,

trois de ses frères ont la même maladie que lui ; le début a été le même dans

les quatre cas, a toujours eu lieu vers l'âge de 13 à 14 ans ; enfin la marche

des accidents a été identique. »

Ainsi les rétractions au cours de la myopathie peuvent se rencontrer,

non comme des faits isolés, mais encore avec un caractère familial par-

fait, au point de vue de leur évolution et de l'altitude qu'elles détermi-

nent.

Il s'agit donc dans l'espèce d'un processus assez particulier. En effet

on peut observer au cours de la myopathie deux sortes de déformation,

les unes tardives survenant lorsque le malade est déjà parétique, les autres

précoces, dès la phase du début, alors que le myopathique a encore con-

servé une certaine force musculaire ; Gowers est l'auteur qui a le mieux

distingué ces deux variétés de déformations.

Les rétractions tardives, sont localisées de préférence aux membres in-

férieurs, alors que le malade parélique est immobilisé à jamais sur un

siège, les jambes fléchies, les pieds tombants. On peut dès lors supposer

avec vraisemblance que ces déformations tardives sont peu à peu fixées en

position irrémédiable et par les rétractions fibreuses des muscles et par

des lésions articulaires et péri-articulaires. Mais ce mécanisme ne peut

s'appliquer aux déformations précoces des myopathiques, car ces déforma-

tions précoces,àonl nos deux malades offrent un remarquable exemple par

l'intensité et la généralisation; se produisent malgré tout massage, malgré

UNE MYOPATHIE AVEC RÉTRACTIONS FAMILIALES 51

la conservation d'une force musculaire assez énergique à tel point que notre

jeune malade marche avec un pied vams équin, L'immobilisation n'est donc

pas la cause des déformations précoces de nos deux malades ; au surplus,

elle ne pourrait expliquer la rétraction du trapèze et des muscles des gout-

tières vertébrales.

Dans son traité de l'Electrisation localisée (3e édit., p. 509) Duchenne

estime que dans toute atrophie musculaire (la distinction n'était pas encore

faite entre les atrophies myélopathiques, myopathiques et neurotiques) les

déformations, telles que la main en griffe, sont dues à l'action prédomi-

nante du groupe musculaire antagoniste des muscles atrophiés. « En con-

séquence, dit-il, un des muscles vient-il à être affaibli ou détruit par l'a-

trophie, l'équilibre des forces toniques duquel résulte l'attitude normale

des membres se trouve rompu et ces derniers sont nécessairement entraînés

dans la direction de la force tonique prédominante,c'est-à-dire de l'action

propre du muscle ou du faisceau musculaire. » Cette théorie a été géné-

ralement acceptée par tous les auteurs et appliquée aux déformations par

atrophie musculaire, quelle qu'en soit la variété, Aran-Duchenne, sclérose

latérale amyotrophique, Charcot-Marie, myopathie, etc..

Cependant, dès 1873, Friedreich remarquait que chez certains malades

les muscles rétractés étaient aussi altérés que leurs antagonistes, que par

exemple avec un pied-bot équin on constatait une altération très pronon-

cée aussi bien des muscles du mollet que des muscles de la loge antérieure

de la jambe ; on ne pouvait donc admettre que la déformation avait été

provoquée par l'action prédominante des muscles de la loge postérieure.

Dès lors, étant donné que tout processus myopathique s'accompagne tou-

jours d'une sclérose du tissu conjonctif des faisceaux musculaires, il était

permis de supposer que les déformations étaient dues à la rétraction pro-

gressive de ce tissu conjonctif.

En est-il de même chez nos deux malades ? Certes, chez eux la palpation

des masses musculaires donne une sensation fibreuse, surtout très mar-

quée au niveau des muscles fléchisseurs rétractés qui paraissent former

ainsi de véritables cordes. Mais, en réalité, au niveau des membres, les

muscles les plus rétractés sont aussi les muscles qui ont conservé et la meil-

leure énergie et la meilleure contractilité électrique. Aussi faut-il concéder

une grande part à la théorie de Duchenne, déformations par action prédo-

minante des muscles antagonistes. La faiblesse atteint surtout les muscles

extenseurs ; l'action des fléchisseurs l'emporte sur celle des muscles pré-

cédents ; les segments des membres se fléchissent peu à peu et peu à peu

un processus fibreux vient fixer les fléchisseurs dans leur position de rac-

courcissement, rendant ainsi tout à fait impossible l'extension complète

des segments des membres.

52 CESTAN ET LEJONNE

Toutefois, il fautreconnailre que cette théorie ne saurait expliquer clai-

rement la rigidité des muscles des gouttières costo-verléhrales, du trapèze,

des grands pectoraux. Il serait donc possible que, selon la théorie de Frie-

dreich, la myosctérosejouait ici le premier rôle. Ces deux facteurs, prédo-

minance de la myopathie sur certains muscles, tendance il la sclérose du

tissu conjonctif des muscles atrophiés, s'influencent ainsi réciproquement

pour créer chez nos deux malades des déformations si anormales, pour

donner une rigidité à des membres ordinairement très fiasques.

On avait essayé autrefois de séparer l'atrophie myopalhique pseudo-

hypertrophique de l'atrophie musculaire atrophique, car ce caractère de

pseudo-hypertrophie dû au tissu conjonctif pouvait être héréditaire et fa-

milial. Les mêmes raisons pourraient nous permettre de classer à part le

type réalisé par nos deux malades frères, car leurs rétractions ont la même

intensité, les mêmes caractères et la même évolution. Celte différenciation

extrême n'est pas justifiée; la myopathie, atrophique ou hypertrophique,

molle ou scléreuse, forme une seule entité morbide ; tout au plus, pour-

rait-on voir dans nos deux cas, une variété un peu spéciale de myopathie

que caractériseraient la généralisation précoce des rétractions musculaires,

leur intensité malgré la conservation a peu près parfaite de la contracti-

lité électrique des muscles et surtout leur caractère nettement héréditaire

et familial.

Nouvelle Iconographie DE la S.1LYÈCRIÈKE F. X \'. PI. IX

AMYOTROPHIE DU TYPE CHARCOT-MARIE

(F. Soca)

Masson & C ? Editeurs

OcrILaaJ. - l' IS

SUR UN NOUVEAU CAS

D'AMYOTROPHIE A TYPE CHARCOT-MARIE

PAR R

F. SOCA,

Professeur à la Faculté de Montevideo.

Le cas suivant présente des particularités qui se prêtent à des considé-

rations qui ne manquent pas d'intérêt et même d'une certaine nouveauté.

Je crois que sa publication peut contribuer à compléter l'histoire du type

d'amyotrophie décrit en 1886 par MM. Charcot et Pierre Marie.

Observation (Planche IX).

Célédonia de Vaz entre à ma clinique de la Caridad le 28 mars 1901 et oc-

cupe le lit n° 20 de la salle San José. Elle arrive de la campagne, envoyée par

le Dr Murguia.

Célédonia a 46 ans : c'est une mulâtresse née à Cerro-largo; à l'âge de 16

ans elle se maria avec un homme bien portant dont elle eut un fils qui vit

encore. Devenue veuve, elle se remaria dix ans après. De ce second mariage,

naquirent quatre enfants qui sont tous vivants et bien portants. Sauf la maladie

actuelle, elle-même s'est toujours très bien portée, n'ayant eu que la rougeole,

lorsqu'elle était tout enfant. Elle n'a pas eu certainement la syphilis. Célédo-

nia a toujours habité la campagne, occupée des travaux pénibles : très sobre

elle n'a jamais bu. Son père était rhumatisant et a succombé à une maladie du

coeur a 72 ans. Sa mère vit encore et souffre de douleurs (rhumatismales ? ).

Elle a eu trois frères, dont un est mort peu après sa naissance, un autre est

mort aussi par cause inconnue. Le troisième est vivant et a 48 ans ; il est ma-

lade depuis la ou 20 ans, et sa maladie est caractérisée par faiblesse et amai-

grissement des jambes, faiblesse et amaigrissement qui cependant lui permet-

tent de marcher tant bien que mal ; actuellement cette maladie parait station-

naire, immobilisée ; l'affaiblissement des jambes a été précédé pendant un temps

assez long, par des douleurs assez vives.

D'après Célédonia, la maladie de son frère serait tout à fait pareille à la

sienne. Elle a un oncle buveur, au reste aucun autre membre de sa famille

n'a eu de maladie qui puisse nous intéresser.

La maladie actuelle a débuté il y a environ 26 ans par des douleurs assez

54 SOCA

violentes aux jambes, ces douleurs étreignaient quelquefois la jambe comme

un étau ; d'autrefois partant des pieds, elles allaient comme un éclair jusqu'au

genoux, qu'elles ne dépassaient jamais, car en elfet elles sont toujours restées

cantonnées dans les jambes. Les douleurs arrivaient à toute heure capricieu-

sement, et surtout pendant le repos, n'ayant jamais cédé ancun traitement.

Elles persistèrent pendant 7 ou 8 ans, après quoi elles cessèrent pour ne plns

reparaître.

Il y a à peu près une quinzaine d'années,etd'une façon sensible pour la malade,

la force aux jambes a commencé à diminuer, d'une manière surtout remar-

quable dans la station ou la marche. En même temps et proportionnellement,

d'après la malade, les jambes maigrissaient et aussi la partie inférieure des

cuisses. Par la suite ces troubles s'accentuèrent très lentement jusqu'à la phase

actuelle où la maladie semble rester stationnaire.

Etal actuel. - La malade ne peut rester debout, que dans des conditions

assez particulières. Si on lui commande de rester debout immobile et sans

appui, elle s'affaisse invariablement et tombe par terre si on ne la retient pas.

Appuyée sur une canne ou sur un meuble elle reste très fermement debout,

et ce qui parait encore plus extraordinaire, reste toujours debout avec parfaite

sécurité, si elle peut appuyer sur les fers du lit le bout de l'index, le bout du

petit doigt, sans y mettre le moindre effort. Pour rester debout et immobile, il

lui suffit de se croire soutenue. Elle peut encore rester debout par un singulier

artifice ; elle simule marcher tout en restant sur place : elle piétine sur place ;

ainsi elle ne peut rester immobile debout, mais elle peut rester debout en pié-

tinant sur place. On dirait qu'il lui manque la coordination pour la station,

c'est-à-dire qu'elle est astasique.

Elle marche passablement, même sans canne, mais elle se sert toujours de

la canne, car sa démarche est ainsi plus assurée. Sans canne elle tombe sou-

vent et facilement. Cette marche n'a rien de bien spécial, la malade détache

sans effort les pieds du sol, mais fléchit trop la jambe sur la cuisse, le pied s'ap-

pliquant sur toute la plante ou même sur la pointe (Pl. IX).

Elle steppe légèrement, en tout cas elle ne talonne pas du tout, et se dan-

dine visiblement pendant la marche. Il est fort difficile de dire si la vue inter-

vient d'une façon anormale dans la station ou la marche. Dans la station si la

malade prend un appui quelconque, elle se tient tout aussi bien les yeux ou-

verts que fermés. Elle oscille peut-être, très légèrement les yeux fermés. Elle

peut marcher avec les yeux fermés et alors la marche n'est pas notablement

modifiée.

Dans le lit. - La malade présente une conformation spéciale des jambes.

Il y a d'abord un contraste frappant entre la racine et l'extrémité des membres,

entre la jambe très amaigrie et cylindrique et le tiers inférieur de la cuisse

aussi amaigrie d'une part, et d'autre part les fesses et les deux tiers supérieurs

des cuisses qui sont vraiment athlétiques; et encore la partie amaigrie passe

presque sans transition à la partie conservée ou hypertrophiée, par une dé-

pression en forme de jarretière,ainsi qu'on peut le voir dans la photographie.

En réalité, d'après la malade et la sage-femme qui l'a toujours accouchée, et

SUR UN NOUVEAU CAS D'AMYOTROPHIE A TYPE CHARCOT-MARIE 55

qui la connaît très bien, la jambe et le tiers inférieur de la cuisse sont très

amaigris, tandis que les deux tiers supérieurs de la cuisse et les fesses ont

simplement conservé leur volume et leur forme normale. Ses pieds, lorsque

les jambes sont pendantes, sont légèrement en équin ou équin-varus. Les mus-

cles ne conservent pas leur élasticité normale au toucher, ils sont durs et

comme fibreux ; les pieds sont ballants, sans la moindre trace de rétraction

tendineuse.

La force est à peu près normale dans les muscles du bassin, fessiers, psoas,

etc. quoique non en rapport avec leur volume ; assez diminuée dans le triceps

crural, conservée dans les adducteurs, assez conservée dans les fléchisseurs

de la jambe sur la cuisse, très faible quoiqu'encore assez conservée dans le

triceps crural, dans les muscles antéro-externes des jambes et dans ceux du

pied.

En examinant la malade, on surprend de temps en temps des contractions

fibrillaires.

L'examen électrique des muscles donne les résultats suivants : il existe la

réaction de dégénérescence dans les muscles grand-fessiers, la réaction électri-

que est éteinte ou très affaiblie dans les muscles des cuisses, des jambes et des

pieds. Elle est presque partout éteinte, et seulement très affaiblie dans quelques

muscles.

Dans les nerfs grand-sciatiques, cruraux et tibiaux postérieurs, il n'y a pas

de réaction faradique, ni galvanique avec 15 milliampères. Les sciatiques po-

plités externes réagissent faiblement aux deux courants. Avec le courant gal-

vanique on a F.C.N>F.C.P. L'examen a été pratiqué par le Dr de Léon, très

habile électricien.

L'examen le plus minutieux ne permet pas de constater aucun phénomène

d'ataxie. Le sens musculaire est conservé.

Les membres supérieurs sont intacts ; non seulement leur forme est normale

(pas de méplat, pas de saillie non physiologique) mais la force et la coordina-

tion sont aussi absolument normales. Plus encore : le Dr de Léon a examiné

tous les muscles de l'épaule, du bras, de l'avant-bras et de la main un à un

avec le plus grand soin et il n'a pas pu constater la moindre altération élec-

trique. Partout et toujours, aussi bien dans les muscles que dans les nerfs, les

réactions électriques ont été normales. On peut donc dire que la motricité est

parfaitement conservée dans les membres supérieurs, 26 ans après le début

de la maladie, quelle qu'elle soit.

Les muscles du tronc sont tout à fait normaux ainsi que ceux du cou et de

la face.

La sensibilité est absolument normale au toucher, à la piqûre et à la cha-

leur, partout sauf aux membres inférieurs, et encore dans ceux-ci seulement au-

dessous du point précis où commence l'atrophie visible, c'est-à-dire au-dessous de

la ligne (jarretière) qui sépare le tiers inférieur des deux tiers supérieurs de la

cuisse.

Le toucher existe, mais la sensation est évidemment émoussée et grossière

à partir de la jarretière et d'autant moins nette que l'on se rapproche davantage

56 socA

de l'extrémité du membre. Aux pieds, par exemple, la sensation est assez obs-

cure.

La piqûre est ressentie partout, mais beaucoup moins au-dessous qu'au des-

sus de la jarretière, et comme pour le toucher, d'autant moins nettement que

l'on se rapproche davantage des pieds. Cependant à la même hauteur au même

niveau, la sensibilité à la piqûre n'est pas partout pareille, dans certains points

elle paraît plus obscure que dans d'autres. Aux pieds la piqûre est ressentie

comme une brûlure.

Si on applique un corps légèrement chauffé, sur la partie antérieure de la a

jambe la malade dit : c'est chaud. Si on applique le même corps sur la racine

de la cuisse, la malade dit : ça brûle ; elle ressent le même corps à la même

température, d'autant plus chaud, que l'on remonte davantage vers la racine

de la cuisse. Pour les corps froids c'est absolument la même chose.

La malade accuse de nombreuses sensations purement subjectives, elle dit t

qu'elle sent mal le sol, il lui semble qu'il y a du coton sous la plante des pieds.

Elle ressent quelquefois du fourmillement aux jambes et accuse des sensations

de chaleur, de brûlure, de froid, surtout quand elle est au repos, et notamment

- au lit.

Les autres sens sont en parfait état. Le professeur d'ophtalmologie qui a exa-

miné l'oeil, l'a trouvé intact, le fond aussi bien que les pupilles, la sensibilité,

les mouvements, les réflexes.

Les réflexes tendineux sont intacts aux membres supérieurs ; peut-être très

légèrement exagérés. Aux membres inférieurs, il manque le réflexe patellaire

et le réflexe du tendon d'Achille. Les réflexes cutanés existent ; le plantaire est

affaibli.

On constate quelques phénomènes vaso-moteurs, les jambes sont froides,

quelque peu cyanotiques, quoique ce soit très difficile de l'affirmer, à cause de

la couleur de la malade. Ses jambes, à son dire, sont souvent enflées, et elle

insiste sur ce point, que ses bottines ont beaucoup de mal à entrer. Il s'agit

probablement d'un faux oedème, car nous n'avons jamais pu constater le godet.

Au reste ce prétendu gonflement se présenterait surtout alors que la malade a

beaucoup marché.

Les fonctions cérébrales, sont tout à fait normales : l'intelligence, la mémoire,

toutes ses facultés sont intactes. La seule chose que nous avons pu trouver,

après un consciencieux interrogatoire, a été un certain degré de narcolepsie.

Elle accuse ce phénomène depuis 4 ou 5 ans. Au début elle éprouvait de grands

accès de sommeil, pendant lesquels elle se couchait par terre et dormait jusqu'à

ce qu'on vînt la réveiller, mais peu à peu ces accès ont diminué et depuis trois

ou quatre ans, elle a remarqué seulement qu'elle s'endort simplement avec une

extrême facilité : ainsi, quand elle est assise, et que rien n'éveille son attention

elle s'endort pour se réveiller, même spontanément au bout de quelques minu-

tes, et cela lui arrive plusieurs fois par jour, une fois pendant que j'expliquai

son cas à mes élèves, elle s'endormit ainsi, et en se réveillant elle fut désolée

de son inconvenance.

SUR UN NOUVEAU CAS n'AMYOTROPHIE A TYPE CUARCOT-MARIE 57

Les autres organes et fonctions sont en parfait état : ses urines sont nor-

males, son coeur, son poumon, son foie, estomac, intestin sont normaux.

Quel diagnostic faire dans ce cas ? Il faut d'abord faire certaines élimi-

nations.

Cette malade n'est pas une tabétique : elle présente bien quelques

symptômes qui font songer au tabès, notamment les douleurs fulgurantes

et la suppression des réflexes tendineux, mais tout ce qui appartient,

pour ainsi dire, au. tabès y manque ; l'ataxie, le signe d'Argill-Robertson,

la distribution radiculaire des anesthésies au tronc et aux membres su-

périeurs, les phénomènes vésicaux et rectaux, etc. etc. : et notez qu'il

s'agirait d'un tabes de 26 ans, qui aurait eu largement le temps de déve-

lopper son tableau clinique.

Serait-ce par hasard une polynévrite ? En tout cas il ne s'agil pas d'une

polynévrite ordinaire. Une polynévrite avec cette évolution, avec cette

lenteur démarche, une polynévrite dont les phénomènes amyotrophiques,

et paralytiques sont précédés pendant de longues années par des douleurs

fulgurantes, et surtout une polynévrite qui respecte d'une façon si éton-

nante la racine des membres et produit celte amyotrophie en jarretière,

serait tout au moins très singulière.

Il ne s'agit pas non plus, de cette maladie décrite par MM. Déjerine et

Sottas, sous le nom de névrite hypertrophique, car tout y manque surtout

l'hypertrophie sensible au palper des nerfs périphériques.

Je crois que, pour arriver au diagnostic, il faut envisager le cas comme

une amyotrophie progressive essentiellement chronique. Dans ces condi-

tions, il est évident qu'il ne s'agit pas d'une myopathie (douleurs, anes-

thésies, réaction de dégénérescence, distribution spéciale de l'amyotro-

phie) : il ne s'agit pas non plus d'une amyotrophie myéiopathique il type

Aran-Duchenne (troubles de la sensibilité, distribution de l'amyotro-

phie).

Il ne reste donc, - hormis les cas d'amyotrophie réflexe d'origine articu-

laire, de syringomyélie, d'amyotrophies secondaires au tabes, d'amyotro-

phie cérébrale, de scléroses latérales amyotrophiques, qui ne sont certai-

nement pas en cause, -il ne reste donc hormis tous ces cas, que le type

Charcot-Marie. Cependant je reconnais que dans une question aussi ins-

table que celle des amyotrophies, l'exclusion n'est pas un critérium

suffisamment solide pour un diagnostic ferme. Sont-elles résolues toutes

les questions se rapportant aux amyotrophies ? Ne peut-il pas se faire qu'il

n'en apparaisse encore de nouvelles formes ?

Il faut voir si notre cas s'accorde exactement avec le type décrit par

58 SOCA

MM. Charcot-Marie. Trois grands symptômes paraissent caractériser la

forme Charcot-Marie, et en marquer la place spéciale dans le cadre des

amyotrophies : 1° Distribution très particulière de l'amyotrophie ; 2° Ré-

action de dégénérescence ou plutôt modifications des réactions électri-

ques ; 3° Fréquente existence de troubles de la sensibilité.

Ce qu'il y a de plus caractéristique pour la distribution de l'amyotro-

phie, c'est qu'elle respecte la racine des membres et s'arrête souvent net-

tement au tiers inférieur de la cuisse, par une dépression en jarretière.

Précisément c'est ce que nous trouvons chez notre malade. Les muscles

de la jambe sont très atteints, ceux de la cuisse le sont beaucoup moins,

et les muscles de la ceinture pelvienne contrastent parleur volume et

leur force avec ceux de l'extrémité des membres. L'exploration électri-

que prouve bien que le muscle grand-fessier commence à être pris, mais

cela s'est vu dans un certain nombre de cas, et de toute façon la même

exploration électrique prouve que le muscle fessier est bien moins pris

que les muscles des jambes et ceux des cuisses. En effet dans ces derniers

il n'y a plus de réaction de dégénérescence, mais bien absence à peu près

complète de toute réaction électrique.

Les troubles de la sensibilité sont manifestes, et ainsi que cela s'est

vu dans quelques cas, les troubles objectifs diminuent de l'extrémité à la

racine, et s'arrêtent assez nettement au niveau de la dépression en jarre-

tière.

Tous les autres symptômes sont concordants, faux gonflement des

jambes, phénomènes vaso-moteurs, piétinement sur place, absence de

rétraction tendineuse, steppage dans la marche caractère familier très

probable.

Cependant le cas a quelque chose de singulier, de nouveau, et c'est là

la raison de sa publication.

D'abord les douleurs fulgurantes. Elles ne sont point inconnues dans

le type Charcot-Marie, mais il n'y a, à ma connaissance, aucun cas ou

elles aient précédé d'un temps si long, les phénomènes paralytiques et

amyotrophiques, sensibles pour le malade. Il n'y a pas non plus de cas

où la durée des douleurs ait été si longue. Mais l'un des traits vraiment

remarquables de ce cas, c'est l'intégrité absolue des membres supérieurs,

26 ans après le début de la maladie. L'envahissement des membres supé-

rieurs à une époque plus ou moins éloignée du début de la maladie,

paraît jusqu'à présent, être une loi du développement de l'amyotrophie

Charcot-Marie; c'est du moins l'opinion de M. Sainton qui a fait une

thèse très documentée, et très sérieuse sur le type CharcotNlarie, si bien

qu'il rejette du cadre de la maladie tous les cas où les membres supérieurs

restent indemnes, au moins quand il s'est écoulé un temps suffisant,

SUR UN NOUVEAU CAS D'AMYOTROPHIE A TYPE CHARCOT-MARIE 59

pour que cet envahissement ait pu se produire. Les cas publiés, avec in-

tégrité des membres supérieurs, appartiendraient à d'autres formes d'a-

myotrophie, ou seraient seulement des cas de transition, encore incom-

plètement développés. Celle façon de voir paraît très arbitraire, car je ne

vois pas pourquoi l'affection ne pourrait pas se limiter aux membres

inférieurs d'une manière définitive.

Supposons un cas, réalisant le type Charcot-Marie, d'une façon par-

faite, sauf l'envahissement des membres supérieurs; de quel droit lui

refuser l'étiquette de « type Charcot-Marie )) Au reste, au point de vue

clinique, on sera très souvent obligé de se passer de l'atteinte des mem-

bres supérieurs, pour diagnostiquer, et cela bien légitimement, l'amyo-

trophie Charcot-Marie.

D'après les cas connus , l'envahissement des membres supérieurs se

produit dans des délais très variables, depuis quelques semaines jusqu'à

15 années (cas de Déjerine). Prenons le cas de.Déjerine, 14 ans après le

début : quel diagnostic aurions-nous porté ? Il est évident que, malgré l'in-

tégrité des membres supérieurs nous aurions dit : amyotrophie Charcot-

Marie, ce qui veut dire que l'envahissement des membres supérieurs,

n'est point nécessaire pour constituer le type Charcot-Marie, c'est un

trait très important quoiqu'il ne soit pas absolument nécessaire. Au reste,

combien de temps devrait-on attendre, pour déclarer dans un cas donné,

que les membres supérieurs ne se prendraient plus ?

Voici à présent, l'importance du cas que je présente : c'est un type

Charcot-Marie. Cliniquement le diagnostic est irrécusable, et cependant

26 ans après le début de la maladie les membres supérieurs sont encore

indemnes. Est-ce un cas de transition ? Les membres supérieurs se pren-

dront-ils ? Cela serait en tous cas un cas de transition unique. Le temps

le plus long écoulé entre l'envahissement des membres inférieurs et celui

des membres supérieurs est de 15 ans, d'après les cas connus jusqu'à

présent (cas de Déjerine).

Cependant, je crois bien qu'il ne s'agit pas ici d'un cas de transition,

je crois que ma malade réalise le type Charcot-Marie, avec intégrité défi-

nitive des membres supérieurs, car en effet la maladie paraît immobili-

sée dans les membres inférieurs, elle ne progresse plus du tout.

La malade nous dit, avec la plus grande précision, que ses forces et

l'aspect des membres, sont absolument les mêmes depuis un grand nom-

bre d'années ; que la maladie n'a pas bougé du tout (ce sont ses propres

paroles) depuis un temps fort long. Ce cas paraît donc prouver que l'en-

vahissement des membres supérieurs, peut ne pas se produire du tout

dans le type Charcot-Marie.

En tous cas si on voulait accorder une importance extrême à l'envahis-

60 SOCA

sèment, peut-être incipient, de la racine des membres inférieurs, ce cas

prouverait, et cela victorieusement, que l'envahissement des membres

supérieurs, n'est nullement nécessaire au diagnostic, et qu'il peut bien

s'écouler toute une vie, avant que cette atteinte ne se produise.

Ce cas offre, en outre, d'autres aspects non moins importants, plus im-

portants peut-être. MM. CharcotetMarie ont fait remarquer, dès leur pre-

mier mémoire, que ces malades, tout en pouvant marcher assez bien, ne

pouvaient rester debout/immobiles, et que pour ne pas s'affaisser ils de-

vaient constamment piétiner sur place. Voici l'explication que MM. Char-

cot et Marie ont donnée de ce phénomène : -

« Tous ces troubles fonctionnels, sont bien évidemment dus à la dispa-

rition des muscles de la jambe, disparition par suite de laquelle l'articu-

lation tibio-tarsienne, n'ayanl plus aucune fixité, les malléoles sont par

rapport au pied, dans un état d'instabilité très prononcée : en conséquence

l'équilibre est très compromis et ne peut être conservé que par un mou-

vement de totalité de la jambe, replaçant celle-ci dans une position plus

convenable, et ainsi de suite. »

C'est, comme l'on voit, une interprétation mécanique du phénomène :

je n'oserai pas la combattre, venant de maîtres d'une si grande autorité,

je ferai seulement remarquer qu'en parcourant les observations d'amyo-

trophie Charcot-Marie, on voit souvent coïncider une force assez considé-

rable avec le piétinement sur place. Nous avons encore tous vu aussi, des

cas de paralysie de la jambe, tout aussi considérable, mais relevant de

causes étrangères au type Charcot-Marie et dans lesquels le piétinement

sur place n'était pas une condition nécessaire pour la station debout.

Malgré tout, je ne prélends nullement contester que l'explication de

MM. Charcot el Marie ne s'applique il leurs cas, et bien d'autres encore,

mais je soutiens que celle explication ne s'applique pas du tout à mon

cas, et c'est là son côté le plus intéressant.

Ma malade, quoique bien affaiblie, conservait cependant assez de force

aux muscles des jambes, et j'estime que celle force était très suffisante

pour maintenir l'équilibre de l'articulation tibio-tarsienne ; cependant,

elle ne pouvait pas se tenir debout sans piétinement sur place. On dirait

que chez elle, cela n'est ni question de force ni question de résistance

musculaire. Dans cette circonstance nous avons mieux que cet à peu près,

nous avons, il me semble, la preuve absolue sous la main, comme quoi le

piétinement sur place de notre malade, obéit il des causes bien étrangères

à la simple résistance musculaire : ainsi, si je commandais à ma malade

de rester debout, immobile, elle s'affaissait immédiatement et brutale-

ment : elle ne pouvait rester debout un quart de seconde, et elle s'affais-

sait comme si elle était inerte, comme si ses jambes étaient subitement

SUIt UN NOUVEAU CAS U·A\110'l'H01'llIL A '111'G CHARCOT-MAROE 61

frappées de paralysie, ce qui est déjà étonnant pour une personne qui con-

serve assez de force aux jambes. Cependant si on permettait à la malade

de s'appuyer sur les fers du lit avec le bout d'un doigt, avec le bout du

petit doigt sans y mettre le moindre effort, il lui suffisait de se savoir ou

plutôt de se croire soutenue, pour rester debout, très solide, très ferme,

et cela même avec les yeux fermés. Est-ce que l'appui du doigt, du bout

du doigt appliqué sans nul effort, sur les fers du lit aurait pu faire équi-

libre ai cette énorme force qui la portait à s'affaisser brutalement et subite-

ment ? Non, sans doute, ce n'est pas la force matérielle qui lui manque,

son impuissance est toute morale, toute mentale. Elle est une astasique,

donc, c'est par l'astasie que s'explique le piétinement sur place de notre

malade : donc, l'astasie est encore un symptôme à inscrire dans le tableau

de l'amyotrophie Charcot-Marie. .

On dira peut êlre : cette astasie ne serait-elle pas, dans la circonstance,

une complication d'hystérie, une superposition d'hystérie ? Mais l'aslasie

forme corps avec les autres symptômes; elle a, d'après la malade, toujours

existé, depuis que les phénomènes paralytiques se sont accentués, et sur-

tout elle reproduit trop exactement tout ce que l'on est habitué à voir dans

le type Charcot-Marie. On ne peut donc s'arrêter il une pareille hypo-

thèse. Cette hypothèse est surtoutpeu vraisemblable, parce que la malade

n'a jamais présenté de sa vie, le moindre phénomène d'hystérie, et qu'elle

n'en présente pas le moindre stigmate, à un examen des plus minutieux,

des plus complets, des plus tenaces que l'on puisse faire. tout il

pourrait encore s'agir d'une association ; le cas n'en serait pas moins in-

téressant.

Pour tirer de ce cas tout le parti possible pour l'explication du piéti-

nement sur place dans le type Charcot-Marie, il faudra évidemment atten-

dre de nouveaux cas étudiés au point de vue spécial de l'astasie. Qui

nous dit, qu'un certain nombre, parmi ceux qui ont été publiés, ne pré-

sentait pas aussi l'astasie ? On comprend bien que, pour saisir ce symp-

tôme, il faut une étude assez spéciale, et peut-êlre, pour des cas mal ca-

ractérisés, surtout avoir l'esprit prévenu.

. Un autre phénomène remarquable, et inédit jusqu'à présent, dans le

type Charcot-Marie, c'est la narcolepsie, que notre malade présente d'une

façon si évidente.

Celte narcolepsie n'a pas de cause saisissable en dehors de l'amyotro-

phie Charcot-Marie. La malade n'est pas obèse, ni diabétique, ni album^-

nurique, son cerveau fonctionne admirablement, son intelligence est même

très éveillée, très pratique et sa mémoire est très rapide et très sûre. Elle

ne présente pas non plus aucun signe somatique de souffrance cérébrale :

elle n'est pas épileptique, elle n'est pas hystérique. Au point de vue de

62 socA

l'hystérie, non seulement la malade n'en présente pas le moindrestigmate,

mais encore le sommeil n'a jamais eu les caractères du sommeil hystéri-

que. Au début, même lorsque les accès étaient assez longs (si on abandon-

nait la malade à elle-même) et le sommeil assez profond, on pouvait tou-

jours réveiller la malade sans grande difficulté. Le sommeil s'est surtout

progressivement dégradé, jusqu'au point de devenir une banale et très

nette narcolepsie.

A quoi donc rattacher cette narcolepsie dans le type ?

Les types Charcot-Marie présentent quelquefois des altérations menta-

les ; voici comment Sainton s'exprime à ce sujet : « L'état psychique de ces

« malades est en général normal ; chez la plupart l'intelligence est bien

(l développée, cependant nous rapportons des cas, où sans présenter des

« troubles mentaux, proprement dits, les malades avaient une certaine

« bizarrerie de caractère. C'est ainsi que le malade IL.. dont nous publions

« l'autopsie, avait une irascibilité toute particulière ; il était impossible

« de l'assujettir à une discipline quelconque ; il refusa toujours de donner

« des renseignements sur sa maladie. Sch... avait un caractère particu-

« liérement irritable et fantasque. Le malade de Targowla était un homme

« dépourvu de toute propriété. II dit être le seul citoyen français qui

« ne paie pas d'impôt. Il habite par philosophie les étal)les et préfère le

« fumier à l'hôpital, etc., etc. Le neveu de S... présente un arrêt de dé-

« veloppement aussi marqué. »

C'est probablement à des troubles cérébraux, plus ou moins voisins de

ceux-là, qu'il faudra rattacher la narcolepsie de notre malade. Elle peut

aussi en être plus ou moins indépendante : il s'agirait alors d'une simple

coïncidence : en tous cas, je note le fait en passant, et s'il se retrouve

dans d'autres cas, il y aurait là un nouveau et très singulier symptôme à

signaler dans le type Charcot-Marie.

DE LA l1YOTOiNIE ATROPHIQUE

CONTRIBUTION A L'A THÉORIE DES MYOPATHIES

PAR

G. ROSSOLIMO,

Professeur agrégé à l'Université de Moscou.

Pour la maladie de Thomsen, comme pour beaucoup d'autres maladies

du système nerveux qui attendent une explication satisfaisante de leur

pathogénie, le moment est évidemment arrivé, où l'élude des cas typi-

ques a donné tout ce qu'on pouvait en exiger : un tableau parfait de l'af-

fection. On devait en venir aux formes atypiques. Le besoin des formes

atypiques se fait sentir dans la publication, pendant 5 ans, d'une série de

travaux dont le dernier, remarquable par la perfection des recherches et

de revue littéraire, est dû à Hoffmann (1) et parut dans le recueil jubilaire

d'Erb.

Tous ces travaux font ressortir une des très importantes particularités

de la maladie de Thomsen, la tendance à être accompagnée dans quelques

cas de l'atrophie de certains groupes musculaires. On comprend que la

connaissance du fait que les muscles, prédisposés aux phénomènes téta-

niques par voie d'excitabilité volontaire et de différentes formes d'irrita-

tation, manifestent, en certaines circonstances, une tendance à l'atrophie

musculaire progressive, est d'une grande importance pour éclairer le

principe de la myotonie congénitale, en donnant de nouveaux points

d'appui à l'étude de la myotonie. Outre cela, de pareilles formes atypiques

de la maladie de Thomsen peuvent rendre grand service à l'étude des atro-

phies musculaires progressives, ayant à leur tour grand besoin de nou-

velles formes et de nouvelles sources d'analyse.

Notre observation que nous ajoutons à celles deJolly (2), de Peli : : æns (3),

(1) S. HOFFMANN, Zur Lehre von on, TTznozsen'schen IÚ'ankheit mil besondem1' Be-

ruchsichligung des dabei vorkommenden Mllsloelschwulides. Deutsche Zeitschrift f,

Nervenheilkunde. 18 Bd, 1900.

(2) JOLLY, Ueber myotonia acqrlisila. Neurol. Centralbl., 1896.

(3) PELIZLUS, Merlin. klin. Wochenschrift, 1897.

64 ROSSOLl)110

de l1orllhold (1 ), de Schoenúom (2), de Noguès et Sirol (3) et de Hoff-

mann (1), se distingue par son caractère très typique de variété atro-

phique de la myolollie, et nous donne la possibilité de donner quelques

renseignements sur l'anatomie pathologique du processus, non connue

jusqu'à présent.

Observation

B. L... cuisinier, âgé de 37 ans, est entré dans notre clinique le 12 janvier

1901 ; marié, a 3 enfants vivants, trois morts ; pas de syphilis, pas d'alcoo-

lisme, ne fume pas, exerce son métier de cuisinier dès t'age de 16 ans ; une

grande partie de sa journée se passe dans la cuisine près du fourneau, exposé

à des changements brusques et fréquents de température, quand il va de la cui-

sine dans la cave.

Antécédents personnels. - Le malade était pendant son enfance solide et

bien portant, toujours de l'embonpoint; jusqu'à son mariage ne souffrit ja-

mais ; à l'âge de 22 ans il se marie et commence à marquer un amaigrissement

général et un affaiblissement progressif dans tout le corps, ce qu'il explique

par son ménage malheureux. A l'âge de 27 ans, voyageant dans la nuit et

après être tombé dans l'eau, il fut forcé de continner son chemin dans cet

état pendant 6 à 7 heures; il s'en tira par un rhume et une surdité pas-

sagère. A l'âge de 36 ans il se brûla avec de l'eau bouillante l'épaule gauche,

le bras et le flanc ; les brûlures étaient guéries en 2 mois. En 1897, le 20 juin,

une douleur forte, sans cause apparente, apparut au genou droit qui se gonfla

et devint rouge et dont le moindre contact était très douloureux ; il l'hôpital,

sous l'influence de compresses échauffantes, tous ces phénomènes sont passés

tout à fait en 8 jours. Dans les autres articulations il n'y avait rien d'anor-

mal. 2-3 mois après, le malade commence à sentir une faiblesse dans les arti-

culations du genou et du cou-de-pied droit;' la jambe était comme dévissée

dans ces articulations. Un mois après,des phénomènes pareils apparurent dans

les mêmes articulations de la jambe gauche ; le malade trébuchait et tombait

souvent, tantôt sur les genoux, tantôt sur le dos ; les jambes fléchissaient et

le malade commença à marcher avec une canne ; au début de la marche, le

malade marchait difficilement; les jambes étaient peu mobiles, mais après

avoir marché quelque temps, le malade marchait assez facilement, mais pas

longtemps : dans les jambes apparaissait une faiblesse progressive et le malade

tombait. La marche prolongée provoquait des douleurs sourdes aux genoux et

un gonflement symétrique, étendu des genoux jusqu'aux orteils. Dans ces der-

niers temps le malade remarque que la moindre écorchure ou égratignure ne se

cicatrisent que très lentement. En même temps qu'apparaissaient les troubles'

décrits du côté des membres inférieurs, les membres supérieurs devenaient

(1) KOII ! OEOLD, La maladie de Thomsen. Thèse de Paris, 1897 (voir l'article de Hoff-

mann).

(2) SMXBOM, Deutsche Zeitschr. f. Nervenheilkunde. Bd XV, II. 3, h..1.

(3) NoGLÈs Er Smo, Nouvelle Iconographie, 1899, n° 1.

(4) Deutsche Zeitschr. f. Nervenheilk. Bd XVIII.

DE LA MYOTOYIG ATHOPHIQUE 65

engourdis et maladroits, ce qui disparaissait ordinairement après quelques

mouvements.

Hérédité. Le père est mort à l'âge de 50 ans, évidemment d'une néphrite,

n'abusait pas de boissons alcooliques et ne souffrait jamais. De sa mère le ma-

lade ne se souvient pas ; il ne sait pas de quoi sont morts ses frères et ses

soeurs. Du second mariage de son père il a deux soeurs et deux frères bien

portants. Il ne se souvient ni de paralysie ni d'amaigrissement dans toute sa

famille.

Etat actuel (PI. X).- Le malade est de taille moyenne,bien fait; la nutrition

est satisfaisante. Les petites veines cutanées des membres inférieurs forment de

petites dilatationsvariquetises. Le crâne est développé normalement, pas de

modifications pathologiques, pas de douleur an choc et aux palpations. Indexa

79. La peau du front est lisse, adjacente solidement aux os. Le nez est pointu-,^

les joues sont creusées, les lèvres proéminentes, les dents cariées, sauf 7 qui

sont saines. Aucun symptôme anatomique de dégénérescence. Les, organes

internes sont normaux La densité d'urine : 1012, la quantité des 24 heures :

2000-2300 ; de l'urée : 31,9 gr. et de l'azote : lr,9 gr.

Système nel'Ve1tX.- L'attitude du corps est bonne. En marchant, le malade

se tient droit, regarde en avant. Aux premiers pas les jambes fonctionnent dif-

ficilement, mais ce phénomène qui a quelquefois un caractère de parésie,

passe bientôt. La mimique est lente, ressemblant beaucoup à un masque. Les

mouvements mimiques sont limités aux muscles du front. Le langage est cor-

rect, pas rapide ; de temps en temps la prononciation des mots est gênée,

xv 5

Fig. 1

Fig. 2

66 nossouMO

ce dont le malade s'aperçoit encore plus lui-même. La phonation et la dégluti-

tion ne sont pas troublées. Pas de crises convulsives,pas de contractions fibril-

)aires.

Nerfs crâniens. En ouvrant les paupières fortement fermées et en plis-

sant le front, le malade sent quelque chose qui lire du côté externe des pau-

pières supérieures. Après avoir montré les gencives, le malade sent quelque

chose qui empêche les muscles de revenir à l'état de repos. La mastication est

accompagnée d'un craquement articulaire des mâchoires. La contraction vo-

lontaire des masseters est faible. La langue sortie ne rentre pas tout à fait fa-

cilement.

Le gonflement des joues est libre.

Membres supérieurs. Tous les mouvements des articulations de l'épaule

sont libres et s'exercent avec une force suffisante; au début seulement ils sont

gênés par l'extrême tension des muscles, nécessaire pour ces mouvements.

Les mouvements de flexion des bras sont affaiblis, plus au bras droit qu'au

bras gauche. Cette flexion est accompagnée ordinairement d'une forte contrac-

tion tonique, prononcée surtout aux premiers mouvements de flexion et dispa-

raissant graduellement pendant 1/2 minute.

Le muscle triceps après une tension volontaire revient au repos plus facile-

ment. Ce phénomène est surtout marqué aux fléchisseurs de l'avant-bras et de la

main, quand le malade ferme le poignet, principalement du côté des muscles

flexor carpi ulnaris et des fléchisseurs des derniers doigts ; la flexion de la

main seule, accompagnée d'une tension des muscles du bras, met le bras en

supination : quand la tension est arrêtée, ces muscles reviennent à l'état de

repos plus tard que les autres. La force de la flexion des mains est fort dimi-

nuée ; à la main droite 18 kilogrammes, à la gauche : 15 (d'après notre dynamo-

mètre particulier).

Membres inférieurs. - Les mouvements sont impossibles dans toutes les

articulations quoique avec moins de force, surtout dans les régions périphéri-

ques. Les mouvements de flexion et d'extension du genou sont plus affaiblis

du coté droit que du côté gauche. A la flexion et à l'extension des pieds et des

orteils il se manifeste,dans les muscles contractés un état tonique surtout accen-

tué dans les deux muscles gastrocnémiens ; quand le malade fléchit les cuisses,

le même phénomène se manifeste, mais l'extension n'est accompagnée des phé-

nomènes myotoniques que dans le faisceau externe de l'extenseur gauche de la

cuisse.

Les muscles du cou, qui participent aux mouvements de la tête en avant,

en arrière aux mouvements latéraux et ceux de rotation, manifestent au début,

une forte tension qui empêche le cou de retourner librement il l'état de repos.

En tournant le cou latéralement, le malade sent quelques douleurs, d'autant

plus fortes que le repos avant ces mouvementé était plus long. Les peauciers

manifestent aussi une grande tendance à l'hypertonie accompagnant les mouve-

ments volontaires.

Tous les mouvements du tronc sont libres, sauf la llexion après une exten-

sion prolongée.

Nouvelle Iconographie de la 11.1'1 : TR1ÉIE T. xv. PL. X.

VI1'OTONIE atrophique

(Rossolimo)

DE LA MYOTONIE ATROPHIQUE 69

Les mouvements passifs des muscles examinés sont partout libres au moment

de repos.

L'état de nutrition des muscles de la face est affaibli, ce qui est caractérisé

par l'enfoncement des régions temporales et par l'amaigrissement de la face,

sauf les lèvres. Les muscles des bras, surtout les régions périphériques et prin-

cipalement les fléchisseurs, sont atrophiés ; le volume des muscles des mains

est diminué symétriquement, si on n'en compte pas la dépression marquée du

3° et du 4e espaces interosseux.

Circonférence des membres smiérieurs :

70 ROSSOLIMO

ses qu'à l'état normal, prédominent ; les fibres normales sont dans une très

petite quantité. Les fibres atrophiques sont tantôt en groupes, tantôt isolées

parmi les autres. Le rapport mutuel des fibres et leur disposition dans la masse

musculaire, rappelle le tableau caractéristique pour un muscle ordinaire de

Thomsen. Les fibres au lieu d'ètre rectilignes sont rondes ou légèrement ovoïdes

ce qui tient à l'absence de contiguïté parmi les fibres ; le tissu conjonctif in-

terstitiel est friable et disposé en petits faisseaux (voir fig. 3). En examinant

la fibre on aperçoit que l'altération de sa construction est indépendante de ses

dimensions ; cependant les fibres atrophiques sont les plus lésées. Si on juge

l'altération d'après le nombre des noyaux du sarcolemme, on ne trouve pas

une seule fibre normale sur les préparations. L'hyperplasie des noyaux est

ici le phénomène le plus caractéristique et frappe l'aeil : ce phénomène est

d'autant plus accusé que la fibre est plus amincie ; voilà pourquoi dans les

fibres hypertrophiées l'hyperplasie des noyaux est très faible et dans les fibres

atrophiées elle arrive au contraire jusqu'aux limites extrêmes. Ce phénomène

se présente sous des formes différentes : tantôt les noyaux multipliés se dispo-

sent sous le sarcolemme en forme des chaînes plus ou moins longues (a, fig.

4 et 5), en s'enfonçant dans l'épaisseur même de la fibre ; voilà pourquoi

on trouve une sorte de noyaux isolés dans la masse de la substance contractile

(a, fig. 3) tantôt ils sont en désordre sous le sarcolemme, en donnant à la

surface de la fibre musculaire un aspect d'une peau de léopard (c, fig. 5) ;

tantôt enfin, les noyaux, se multipliant dans la direction longitudinale, for-

Fig. 3

Fig. 4

DE LA DIYOTONIG ATIIOPRIIQUE 71

ment des ilots épais, ce qui, grâce à leur grande tendance de prendre la colo-

ration, fait l'impression d'une plaque fort colorée de forme irrégulière (d, fig.

5). Dans les fibres fort atrophiées la quantité des noyaux arrive à un tel de-

gré qu'au lieu d'une fibre on ne voit qu'une gaine de sarcolemme remplie de

noyaux (e, fig. 5). La forme des noyaux n'est pas constante : s'ils sont

isolés, ils sont de forme ronde ou ovoïde et se colorent plus faiblement ; s'ils

sont disposés en chaînes ou en ¡lots, ils sont plus petits, de forme ronde ou en

facettes et se colorent plus fort. La striation transversale est altérée a son

tour ; elle est effacée, aplatie, surtout dans les faisceaux plus minces ; de là

résulte l'aspect plus saillant de la striation longitudinale. Les vaisseaux sont

intacts.

Les altérations de la substance interstitielle sont caractérisées par une infil-

tration de cellules rondes et par l'hyperplasie du tissu conjonctif des régions

atrophiées des muscles.

L'excitabilité mécanique des muscles est très augmentée, surtout là où leur

nutrition est intacte et bien plus dans les muscles de la ceinture scapulo-hu-

mérale et dans le faisceau externe du muscle extenseur quadriceps gauche. Ici

le moindre choc avec le marteau détermine une contraction idiomusculaire ;

mais une irritation mécanique plus forte évoque, facilement, outre un bourre-

let musculaire saillant, un état tétanique prolongé de tous les muscles orga-

nisés.

Le choc du tronc du nerf facial produit une contraction accentuée des mus-

cles de la moitié correspondante de la face (phénomène de Chvostelc) ; pas de

phénomènes de Trousseau.

Il faut noter que les muscles, manifestant une excitabilité faradique affaiblie

se contractent lentement et leur réaction tétanique cesse beaucoup plus tôt

que dans les autres. -

Fig. 5

72 ROSSOLIMO

Excitabilité faradique.

DE LA MYOTONIE ATROPHIQUE 73

74 ROSSOLIMO

droit ; l'examen objectif a découvert dans les muscles lotîtes les

propriétés caractéristiques de la myotonie.

Plus tard, à ce tableau commencent et se surajouter des pheno-

mènes de l'atrophie musculaire progressive, y compris le visage

myopathique avec cette particularité de l'envahissement que les

muscles les plus atrophiés étaient ceux qui ont manifesté les

propriétés myopathiques au' degré le plus prononcé : à la figure,

les muscles du front ; aux membres supérieurs, les muscles des bras ;

aux membres inférieurs, les muscles des mollets ; une telle locali-

sation de l'atrophie, caractéristique pour les cas décrits par les

auteurs précédents, se distingue beaucoup de la localisation des

dystrophies musculaires pures, quoiqu'elle ait beaucoup de com-

mun avec celles-ci dans sa marche progressive de la disposition

symétrique.

L'excitabilité électrique, donnant à côté de la rétraction myo-

tonique des chiffres d'affaiblissement quantitatif des muscles

atrophiés, manifeste aussi dans quelques-uns des phénomènes

d'affaiblissement qualificatif en forme de réaction camcté1'isti-

que de dégénérescence. Il faut aussi noter l'affaiblissement de

tous les réflexes tendineux.

Si tout ce matériel, décrit en détail et dans le résumé, était découvert

par hasard, il pourrait déjà, grâce à son groupement intéressant, faire ré-

fléchir ; cependant une combinaison des symptômes, pareille à celle-ci,

ne s'aperçoit pas dès la première fois et toujours avec une régularité frap-

pante ; voilà pourquoi nous devons arrêter notre attention sur quelques

questions, résultantes de l'étude de notre cas et des cas pareils.

Il est certain que le muscle myotonique, caractérisé au microscope par

l'augmentation de volume des fibres musculaires, manifeste en d'autres

cas une tendance à la diminution par suite de l'atrophie de quelques fihres,

entrant dans sa composition. L'atrophie des fibres, qu'on a supposé se

basant sur l'étude clinique, était démontrée pour la première fois par

l'examen microscopique dans le cas de Schônbom (loc. cil.) et fut notée en

passant par Frohmann (1), ce qu'on voit d'un court extrait de sa communi-

cation. Nos recherches sur le muscle enlevé démontrent non seulement que

la diminution de volume du muscle myotonique dépend- de l'atrophie de

ses faisceaux, caractérisée par une teinte blanchâtre et par un épuisement

graduel de la substance de la striation parallèlement à la prolifération

extrême des noyaux, que nous avons affaire à une atrophie de

(t) FIIOIJ1H ? Ueber Thomsed'she Krankheil mil ,jfllskela1'ophie. Deutsch. Med.

1'ochenschr., 1900, no 1.

DE LA MYOTONIE ATROPHIQUE 75.

dégénérescence, et que l'état atrophique du faisceau est un degré tardif

des altérations du faisceau hypertrophié ; on peut noter sur une série des

faisceaux graduellement amincis une teinte blanchâtre de la striation trans-

versale, proportionnelle à une prolifération des noyaux. Cette circons-

tance seule, sans parler d'autres considérations vraiment cliniques, fait

éloigner toute idée, sauf la seule possible, à savoir que l'atrophie muscu-

laire de la maladie de Thomsen n'en est pas une complication occasionnelle,

mais un symptôme de la variété atrophique de la myotonie comme tous les

autres ; disons plus, cette atrophie résulte des altérations organiques pré-

cédentes. Nous sommes, bien entendu, loin de compter l'atrophie des grou-

pes musculaires classiques pour le résultat nécessaire de la maladie de

Thomsen en général. Non ! Nous comptons la combinaison de la myotonie

avec la myotrophie comme symptomatologie, d'une certaine variété et tâ-

chons de montrer sous quel rapport nous la mettons avec la maladie de

Thomsen.

La myotonie congénitale, appartenant au groupe des maladies qui se

manifestent par des troubles anatomiques et fonctionnels, exceptionnels

et prolongés du système musculaire, présente beaucoup de commun avec

la dystrophie progressive musculaire ; il paraît plus juste d'attribuer l'une

et l'autre à une lésion des muscles eux-mêmes, se basant sur l'intégrité

apparente du système nerveux. On était surtout d'un avis pareil sur la

dystrophie musculaire ; mais ces derniers temps on a fait beaucoup de re-

cherches évidemment défavorables pour la théorie de myopathie primitive ;

presque tous les jours apparaissent de nouvelles recherches et des travaux

critiques qui font comprendre qu'il ne s'agirait plus d'une myopathie pri-

mitive, mais d'une affection organique ou potentielle du système nerveux,

particulièrement des noyaux des neurones moteurs périphériques : on a

découvert la contraction fibrillaire, la réaction de dégénérescence, l'affai-

blissement et l'abolition des réflexes tendineux, on a noté dans la même

famille la dystrophie musculaire et des maladies graves du système ner-

veux (dans une observation de Cénos et Douillet, le père a eu la myotro-

phie dorsale et ses deux fils la myopathie), en d'autres termes, est arrivé

le moment,, où les bases les plus sûres sont ébranlées et apparaît la né-

cessité d'une pathogénie plus exacte.

Quant à la maladie de Thomsen, par défaut d'une théorie satisfaisante,

il fallait attribuer la cause essentielle de cette affection à une lésion des

muscles eux-mêmes. Mais la théorie de la myopathie primitive risque de

perdre bientôt et finalement une des formes des plus larges et protégées

par elle,et alors elle n'existera que pour la maladie de Thomsen.

Une théorie qui attribue la cause de la symptomatologie si compliquée

à une capacité douteuse du système musculaire seul, ne peut être expli-

76 ROSSOLIMO

quée après l'éloignement de son domaine de la dystrophie musculaire fré-

quente avec ses formes si différentes.

En même temps apparaissent des cas atypiques de la myotonie tels que

la variété atrophique qui nous occupe et qui conservant les particularités

fondamentales génériques contient encore en qualité de premier ordre une

atrophie musculaire très originale, mais en même temps, sans doute, pro-

gressive^Pas de doute que notre variété soit cependant une myotonie, mais

d'un autre côté il est aussi évident que l'atrophie musculaire qui l'accom-

pagne, est une atrophie myotonique qui n'est pas occasionnelle et étran-

gère, mais à elle, et cette atrophie, quoique progressive, ayant beaucoup

de commun avec la dystrophie musculaire progressive présente aussi quel-

ques symptômes de la dystrophie dégénéra tive, ce qu'on voit de l'examen

microscopique et d'après la réaction de dégénérescence ; on est forcé de

penser que cette atrophie dans la myotonie a le droit d'une pathogénie

neuropathique dans le même degré que les autres lésions myopathiques.

En s'approchant de ce côté encore plus delà dystrophie musculaire, l'atro-

phie myotonique est en même temps le lien qui relie la maladie de Thom-

sen avec l'atrophie musculaire progressive, non seulement d'après leur

manifestation extérieure, mais aussi d'après leur procès sus-dystrophique

plus profond; ce rapprochement a aussi une certaine importance pour

l'autre question de la maladie qui nous occupe, c'est-à-dire, pour les

propriétés myotoniques de l'appareil moteur, et ne fait accepter qu'une

seule explication de l'affection, d'après laquelle le tissu musculaire (ce

qu'on voit par l'atrophie et l'hypertrophie des fibres musculaires), ainsi

que certaines régions du système nerveux, correspondant probablement

aux neurones moteurs périphériques, ne se trouvent pas à l'état d'équili-1 .

bre dynamique ou constructif; grâce à cela il s'adjoint dans quelques cas

à l'activité exagérée du neurone moteur périphérique, essentielle pour la

myotonie, un épuisement précoce, se manifestant primitivement aux

myopathies atrophiques pures. Personne, comme nous, ne doutera de la

nature congénitale des éléments de cette faculté.

En faveur de cette opinion parle assez clair l'apparition familiale de la

myotonie pure, ou combinée avec les différentes variétés atrophiques

(2 frères et 2 soeurs de Hoffmann et 1 frère et 2 soeurs de Pelizns). Si

on a décrit des cas de l'apparition de la maladie après l'une ou l'autre

cause évidemment provoquantes, si on se rappelle entre autres que notre

malade a commencé à remarquer des douleurs fortes après un processus

inflammatoire au genou de la jambe droite, le plus intéressé (rhumatis-

me ; gonorrhée douteuse que le malade nie ? ), on peut compter toutes ces

causes prétendues comme celles de beaucoup d'autres formes, sans doute

DE LA MYOTONIE ATROPHIQUE 77

héréditaires et congénitales, comme des poussées occasionnelles à l'appa-

rition de la maladie, préparée avant.

Je tiens à ajouter une considération qui de son côté peut jeter quelque

lumière sur le fond spinal de la maladie de Thomsen. Il est connu que le

tabes s'accompagne d'une hypotonie musculaire plus ou moins accusée,

surtout aux membres inférieurs qui manifestent les premiers des symptô-

mes d'ataxie.

Chez un de mes malades, âgé de 45 ans, souffrant dès son enfance de la

maladie de Thomsen, apparurent il y a 10 ans, des symptômes de tabès,

d'abord au côté des nerfs moteurs de l'oeil et des pupilles ; plus tard, s'y

adjoigni rentdifférentes paresthésies,etquand lesdeux derniers cas commen-

cèrent à se manifester,l'anesthésie et l'ataxie, plus forts aux membres infé-

rieurs, où les phénomènes myotoniques commencèrent, ils s'affaiblirent et

disparurent en dernier lieu dans les jambes, tandis qu'aux membres su-

périeurs ils sont exprimés à un degré beaucoup plus faible.

ENCORE QUELQUES POSSÉDÉS DANS L'ART

- PAR

HENRY MEIGE.

Les documents iconographiques sur les Possédés sont trop nombreux

et ont été trop bien étudiés par Charcot et Paul Richer pour qu'il ne soit

pas superflu d'entrer dans de longs commentaires sur les figurations nou-

velles qu'on peut découvrir. A la belle série des Démoniaques dans l'Art,

nous avons déjà eu l'occasion d'ajouter quelques exemples (1). M. J. Ileitz

en a fait connaître d'autres remarquables surtout par leur ancienneté (2).

Les notes suivantes, prises au cours d'un voyage que je fis l'an dernier,

dans le Nord de l'Italie, sont donc données simplement à titre documen-

taire.

*

¥ ¥

A un quart d'heure de Pallanza, près du lac Majeur, se trouve la jolie

église de la .1/ado/lna di Campagna. Dans la chapelle à droite du choeur,

une fresque du XVIE siècle représente Saint l3erlarcl exorcisant une pos-

sédée.

Le saint tient d'une main le livre des exorcismes, et de l'autre fait le

geste consacré. Autour de lui, plusieurs prêtres et religieux.

A gauche, la possédée, en jaune, les cheveux épars, s'affaisse entre les

bras d'une femme richement vêtue de rouge; à côté se tient une autre

femme, en bleu, munie d'un cierge avec lequel elle semble écarter le dé-

mon voltigeant. La Possédée, les bras et les mains inertes, semble plutôt

s'effondrer que se débattre ; mais sa bouche est ouverte et ses yeux con-

vulsés à gauche et en haut.

A Vicenze, dans le J7MMO civico, une composition d'un peintre autoch-

tone, 13artolomeo Montagna (fin du XVe siècle) représente, au-dessous de

la Vierge entourée de Saints, une série de scènes de la vie de Saint Bar-

thélémy. Le second compartiment nous montre le Saint guérissant un

possédé.

(1) Voy. Noica. Iconographie de la Salpêlrière, 1894, nos 1, 4, 5; 1895, no 3;

1896, n- 2.

(2) Ibid., 1901, no4 1,2, 3.

NOU\'ELL< Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. 1V. YI. XI

LA « COLERE » ET LE « DESESPOIR » ,

Fresques de Giorro, dans la Chapelle de la .\1//lIOlllla (1t,il' Arma, à [,,¡doue.

(Henry ,Ylcine).

Masson & CU'. Edilcurs

ENGOUE QUELQUES POSSÉDÉS DANS L'ART 79 là

Ce dernier, vêtu de blanc, est soutenu par un vieillard à barbe blanche

coiffé d'un turban. De sa bouche sort un diable noir à tête de chauve-souris.

Membres flasques; bouche ouverte; yeux convulsés à droite et en haut.

A Padoue, la l1Úulonna dell'Arena est une chapelle, dont l'intérieur a

été décoré de fresques par Giotto. .

Ces peintures, qui remontent aux premières années du XI\7' siècle, sont

parmi les plus importants du maître italien. Il y apparaît, non plus seu-

lement comme un précurseur, mais déjà comme un compositeur de haute

envergure et comme un exécutant qui sait observer la nature et traduire

avec art ses impressions.

Le thème décoratif est fourni par la vie de la Vie de la Vierge et de

Jésus-Christ, et se déroule en plusieurs rangées sur les parois de la nef.

La rangée du bas, peinte en camaieu, représente au milieu de motifs

architecturaux, les Vertus et les Vices, ceux-ci du côté de l'Enfer, celles-

là du côté du Paradis.

Parmi les figurations symboliques des Vices, deux images m'ont paru

dignes d'être signalées, en raison de leur ressemblance avec les possédées

artistiques (Planche XI).

L'une de ces peintures représente te7)oM',symbotisé par une femme

les bras écartés, raidis, les poings crispés, la tète tombante, inclinée sur

l'épaule droite, l'oeil porté en haut.

Un démon ailé voltige autour de la tête, soufflant les pires inspirations,

les idées de suicide. La désespérée est bien une possédée. Son attitude

et sa mimique se retrouvent dans les images de démoniaques; le petit dia-

ble qui figure auprès d'elle est caractéristique.

Une autre fresque nous montre la Colère, sous les traits d'une femme

qui déchire ses vêlements, mettant sa gorge à nu. La tête est rejetée en

arrière, la bouche grimaçante, les yeux fortement convulsés à droite et en

haut.

Bien qu'ici le démon ne soit pas représenté, l'attitude du personnage

ressemble singulièrement à celle des démoniaques, tels qu'on les retrouve

dans les figurations artistiques, en particulier les Possédés de Rubens, à

Gênes et à Vienne.

Si, comme on a de bonnes raisons de le croire, ces peintures sont au-

thentiquement de la main de Giotto, le Désespoir et la Colère peuvent être

considérés comme les plus anciens spécimens du type démoniaque dans la

peinture italienne.

A Milan, église Saint Ambroise, une des stalles en bois sculpté du

choeur représente -.Saint Ambroise guérissant deux possédés. L'un d'eux

80 HENRY MEIGE

est enchaîné ; de sa bouche grimaçante s'envole le démon. A côté une

femme, possédée elle aussi, ouvre largement sa chemise, mettant sa gorge

à nu, conformément au type de la Colère de Giotto.

A Vérone, église Saint-Giorgio in Bmida, dans une chapelle latérale

à gauche, un Possédé guéri parles apôtres, de Dom. Brusasorci (Veronais,

XVIe siècle).

A Modène, sur le revêtement extérieur du Dôme (côté de la place du

Marché) sont quatre petits bas : reliefs, dont l'un représente la guérison

d'un possédé.

A la Chartreuse de Pavie, sur un bas-relief en marbre d'une des cha-

pelles latérales se trouve un Possédé dont le bras est fortement contor-

sionné et la main manifestement en contracture.

On peut voir également, parmi les merveilleux bas-reliefs de la façade,

une scène d'exorcisme.

Le gérant : Bouchez.

Imp. J. Tlevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne )

5e Année N° 2. Mars-Avril

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

sun LES AFFECTIONS

DE LA QUEUE DE CHEVAL

ET DU

SEGMENT INFÉRIEUR DE LA MOELLE,

PAR R

Le Professeur. RAYMOND (1).

Messieurs,

Le cas du malade qui va servir de thème à la leçon de ce jour, me

fournit l'occasion de revenir sur un chapitre de pathologie nerveuse, en-

core insuffisamment connu et sur lequel je me suis efforcé d'attirer l'at-

tention des médecins et des chirurgiens, dans le cours de mon enseigne-

ment à la Salpêtrière, Il s'agit des affections qui intéressent la portion la

plus inférieure du contenu du canal rachidien.

Vous savez que la moelle se termine par une extrémité pointue, lecône

terminal, qui fait suite au renflement lombaire. Il n'existe aucune déli-

mitation naturelle, visible à l'oeil nu, entre ces deux portions du névraxe.

Aussi, la limite supérieure du cône a-t-elle été fixée arbitrairement,

et à des niveaux variables, par différents auteurs, anatomistes ou méde-

cins. En m'inspirant de considérations d'ordre essentiellement clinique,

j'avais proposé de fixer cette limite entre les niveaux d'émergence des

2e et 3° paires sacrées. Depuis lors, ce mode de délimitation a été adopté

par la plupart des cliniciens qui se sont occupés de la pathologie de la

portion la plus inférieure de la moelle. D'ailleurs, les récentes recher-

ches du Dr Robert t Müller (2), d'Erlangen, lui ont jusqu'à un certain point

fourni une base anatomique ; elles nous ont appris que la portion de la

moelle, qui donne naissance aux trois dernières paires sacrées et au nerf

coccygien, diffère notablement, quant à sa constitution histologique, de

la partie sus-jacente.

(t) Leçon recueillie et publiée par le Dr E. RICKLIN.

(2) R. IULLER. Unlersuckungen liber die Anatomie und Pathologie des untel'slen

l ! Üc/oenma¡'/¡sabschnilles, Leipzig, 1898.

XV 0

82 RAYMOND

Je vous disais, à l'instant, que dans ma manière d'envisager la limite

supérieure du cône terminal, j'avais étéguidépar des considérations d'or-

dre essentiellement clinique.

Aussi bien, les lésions du cône terminal considéré comme étant cons-

titué par les trois derniers segments sacrés et par le segment coccygien

se réclament d'une symptomatologie tout il fait caractéristique. Elle com-

prend des troubles paralytiques des fondions de la vessie et du rectum, as-

sociés à l'impuissance virile (chez l'homme) et à une anesthésie limitée au

pourtour de l'anus, au périnée, au scrotum et à la verge (chez l'homme), à

la vulve et aux grandes lèvres (chez la femme), à la muqueuse uréthro -vé-

sicale ; on peut observer, en outre, une paralysie sensitivo-motrice de la

région cutanée et des muscles innervés par le péronier.

Vous voilà fixés sur ce qu'il faut entendre par symptomatologie des af-

fections du cône terminal. A cette symptomatologie on peut en opposer une

autre, qu'on a trouvée réalisée dans un nombre relativement considéra-

ble de cas publiés au cours de ces dernières années. Elle comprend, en

sus des manifestations qui composent la symptomatologie des affections du

cône terminal : -.

1° Une paralysie motrice, plus ou moins complète, des muscles de la

région postérieure des cuisses, des muscles de la jambe et des pieds ;

2° Une aneslhésie, totale on dissociée, qui occupe la partie médiane de la

face postérieure des cuisses et des jambes, le bord externe de la jambe et du

pied, quelquefois toute la surface du pied, moins une étroite bandelette con-

ligué au bord interne.

3° L'abolition du réflexe achilléen.

En d'autres termes, elle traduit une paralysie sensitivo-motrice des

plexus sacré et sacro-coccygien. Je vous rappelle que ces plexus sont for-

més, de chaque côté, par la 56 paire lombaire, par les paires sacrées et

parle nerf coccygien. Du reste, un retuur vers l'anatomie de la portion la

plus inférieure du névraxe me parait indispensable à une bonne com-

préhension de ce qui va suivre.

Je vous ai indiqué, à l'instant, la limite supérieure'que j'ai cru devoir

assigner au cône terminal. En bas, la pointe du cône ne descend pas au-

dessous du niveau moyen du corps de la 2° vertèbre lombaire, ainsi que

le représente la figure placée devant vous(fig. 1). Le reste du canal rachi-

dien est rempli par un filament (pilum terminale) qui prolonge le cône ter-

minal, et par le paquet que forment les racines des 4 dernières paires

lombaires et des paires sacrées. Ce paquet de racines est connu sous le

nom de queue dn cheval. Voire que la queue de cheval comprend également L

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 83

la 1'" paire lombaire ; elle enveloppe non seulement le filu1n terminale,

mais encore la portion inférieure de la- moelle (fig. 2).

Cela dit, vous concevrez sans peine qu'une affection intéressant l'en-

semble des racines de la queue de cheval se traduira par des phénomènes

morbidesqui auront pour siège, non seulement les territoires innervés par

les plexus sacré et sacro-coccygien, mais aussi ceux qu'innerve le plexus

lombaire. Conséquemment, elle se manifestera sous les dehors d'une pa-

ralvsie sensiliro-molrice, étendue la lotalilé des membres inférieurs,

sans compter la paralysie de la vessie, du rectum et l'impuissance géni-

tale. Or, par une sorte d'abus de langage, on en est venu à réserver, jus-

qu'à un certain point, cette dénomination d'affection de la queue de cheval

Fig. 1. Les lignes verticales pleines indiquent la lon-

gueur du trajet intra-vertébral des 4° et 5» racines lom-

baires et des.racines sacrées.

Les chiffres placés à droite se rapportent aux apophyses

épineuses.

Fig. - : \1. segment

inférieur de la moelle.

Q. queue de cheval.

F. filum terminale.

D. L. 8, racines dor-

sales, lombaires et sa-

crées.

84 RAYMOND D

aux cas où la paralysie sensitivo-motrice, limitée aux domaines d'inner-

vation des plexus sacré, et sacro-coccygien, respecte, intégralement ou en

majeure partie, le domaine d'innervation du plexus lombaire. Il y a là,

je vous le répète, un véritable abus de mots, mais qui est déjà consacré

par l'usage et qui trouve son excuse, sinon sa raison d'être, dans les traits

si particuliers, sous lesquels se présentent les lésions qui intéressent la

queue de cheval au-dessous de l'extrémité inférieure du cône terminal.

Cette symptomatologie se retrouve dans les cas où une lésion siégeant dans

le segment médullaire dont émanent ces racines, a désorganisé leurs cen-

tres spinaux.

Vous voilà donc renseignés sur ce qu'il faut entendre par ces mots :

symptomatologie des affections du cône terminal.

Symptomatologie des affections de la queue de cheval.

Ces questions de terminologie réglées, je vais vous mettre au courant

de l'histoire pathologique de notre malade.

C'est un nomméD..., âgé de 54 ans ; il est mécanicien de son état. Les

renseignements que nous avons recueillis sur ses antécédents familiaux

n'offrent aucun intérêt, eu égard à sa maladie actuelle. Ses antécédents

pathologiques personnels se réduisent à une atteinte de fièvre typhoïde;

elle remonte à l'époque où le malade avait 18 ans.

Son affection actuelle a eu une origine traumatique ; retenez bien ce

détail : Le 3 janvier dernier, D... a pris le train de petite ceinture, à

8 heures du soir. Il changeait de banquette, au moment où le train s'est

mis en marche; la portière n'étant pas encore fermée, il fut projeté hors

du vagon. Retenu par ses habits, qui étaient restés accrochés à la por-

tière, il fut trainé sur une étendue de cinquante mètres environ. Il pous-

sait des cris et le train se mit à stopper..

D... avait perdu connaissance. On le releva et on le transporta à la

Pitié. Lorsqu'il fut revenu à lui,il éprouvait des douleurs dans les lombes,

et il ne pouvait plus remuer ni les pieds ni les jambes ; c'est à peine si,

avec ses membres inférieurs, il parvenait encore à exécuter de légers mou-

vements de flexion des cuisses sur le bassin. Les masses musculaires de

ces membres étaient flasques. De douleurs, D... n'en éprouvait pas ; la

sensibilité était conservée dans toute l'étendue des membres inférieurs.

Le lendemain matin, D... urinait par regorgement ; il ne pouvait plus

retenir ses matières. La paralysie du mouvement subsistait, telle quelle,

aux membres inférieurs ; seul, le triceps crural fonctionnait encore. Pas

plus que la veille, D... ne présentait de troubles objectifs de la' sensi-

bilité, dans l'étendue de ces membres (la sensibilité scrotale n'a pas été

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CUEVAL 85

explorée). L'inspection de la colonne vertébrale a fait constater une légère

déformation, au niveau de la première vertèbre lombaire ; de plaie cuta-

née, point.

' A cela se réduisaient les manifestations pathologiques, relevées chez le

malade.

Nous avons eu l'occasion d'examiner pour la première fois D..., le

20 janvier ; indépendamment des troubles que je viens de mentionner,nous

avons constaté l'existence d'une anesthésie périnéo-scrotale qui subsiste.

Tout à l'heure, vous allez vous rendre compte de sa distribution. Dès cette

époque, nous avions porté le diagnostic d'affection de la queue de cheval.

Dans la quinzaine qui a suivi, les jambes se sont mises à maigrir ; elles

ont été envahies par des douleurs. Une eschare s'est formée au siège. Des

signes d'infection urinaire ont fait leur apparition, et le malade s'est ca-

chectisé, lentement. A la date du 14 février, on l'a transporté dans mon

service, où il occupe le lit n° 14 de la salle Bouvier. Voici quel était alors

son état :

D... avait les apparences d'un homme atteintd'unemaladie infectieuse

grave. Son teint était blatlard, sa langue un peu sèche. L'appétit étai L nul.

Le malade ne suait pas la nuit, mais il avait les urines purulentes, et son

eschare au siège suppurait abondamment. Il n'avait ni frissons, ni fièvre.

Ses nuits étaient calmes. D... n'avait point de délire. Il répondait intel-

ligemment aux questions qu'on lui posait.

L'examen de la tête, des membres supérieurs et du tronc n'a donné que

des résultats normaux.

Aux membres inférieurs, les muscles de la région postérieure de la

cuisse et tous les muscles de la jambe étaient paralysés, à gauche; les con-

tractions du triceps crural s'effectuaient sans force; les muscles fléchis-

seurs de la jambe sur la cuisse étaient indemnes. Adroite, la paralysie

intéressait également les muscles de la face postérieure de la cuisse, ceux

des mollets, ainsi que les extenseurs des orteils et les péroniers; le jam-

bier antérieur était indemne. Les pieds n'étaient pas tombants.

Partout, aux membres inférieurs, les mouvements passifs conservaient

leur amplitude normale ; nulle part, on ne découvrait de traces d'une ar-

thrite.

Les muscles paralysés étaient, en outre, fortement atrophiés ; ils

étaient douloureux à la pression ; ils avaient perdu leurcontraclilité idio-

musculaire. Les signes de la R. D. ont été constatés à l'exploration des

86 RAYMOND

muscles de la face postérieure de la cuisse, du jambier antérieur, des ex-

tenseurs, des muscles des mollets, à droite et à gauche.

Les troncs nerveux superficiels étaient, à l'instar des muscles, très dou-

loureux à la pression ; au contraire le pincement de la peau et même le sim-

ple pincement des fibres musculaires superficielles ne l'étaient pas. Le

soulèvement du membre inférieur maintenu en extension provoquait de

la douleur (signe de Lasègue).

Le réflexe achilléen était aboli des deux côtés; les réflexes rotu-

liens étaient simplement affaiblis, les réflexes des adducteurs étaient con-

servés. En fait de réflexes cutanés, étaient conservés : le crémastérien, le

cutané abdominal ; étaient abolis : le réflexe plantaire, ainsi que le réflexe

anal.

Le malade urinait toujours par regorgement et on lui avait mis une

sonde à demeure ; il prétendait sentir le contact de la sonde. Ses urines

contenaient encore une légère quantité de pus. Il avait de l'incontinence

des matières ; l'anesthésie ano-rectale était complète. Le sphincter anal

élait relâché et le réflexe anal aboli. La verge était flasque; depuis son

accident, le malade n'avait plus eu ni érections, ni éjaculations, ni rêves

voluptueux. La sensibilité testiculaire était conservée.

L'eschare, à siège sacro-lombaire, mesurait 5 centimètres de diamètre ;

elle était profonde, sanieuse, à bords décollés. Son fonds élait constitué

par le sacrum mis à nu. Elle était très douloureuse.

La peau des jambes était épaissie, rugueuse, jaunâtre ; les poils étaient

secs et cassants, et les ongles des orteils jaunâtres, épaissis mais néanmoins

fragiles.

En fait de troubles objectifs de la sensibilité, on constatait une anes-

thésie totale, dans l'étendue d'une zone périnéo-scroto-fessière, d'une bande

longitudinale qui se poursuivait le long du tiers supérieur delà faceposté-

rieure de la cuisse; ses limites exactes se trouvent représentées sur la

figure schématique (fig. 3) placée devant vous. J'ajoute qu'elle était plus

complète au niveau de la légion fessière qu'au niveau du scrotum; la

sensibilité tactile était moins compromise, partout.

On constatai en outre, une zone d'hypoesthésie le long du bord externe

de la face dorsale de chaque pied.

Depuis lors, l'état de D... n'a pas subi de modifications appréciables,

ainsi que vous allez vous en convaincre, par l'examen que je vais faire

du malade, à l'instant même.

Résumé. - En résumé, l'origine traumatique des accidents présentés

parD... n'est pas douteuse; ils constituent un ensemble symptomatique

des plus nets. En voici les éléments :

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 87

1" Une paraplégie motrice des membres inférieurs, incomplète; à gauche,

elle intéresse les muscles de la face postérieure de la cuisse et ceux de la

jambe. A droite, elle affecte les mêmes muscles, moins le jambier antérieur.

Elle est flasque et elle se double d'une atrophie diffuse des muscles para-

lysés ; .

2° Une paralysie vésico-rectale ; le malade urine par regorgement et il

ne peut retenir ses matières. De plus, il n'a pas conscience de leur passage

à travers le gros intestin. L'anus est relâché ; le réflexe anal est aboli ;

z" Des troubles des fonctions génitales ; depuis son accident, 'le malade

n'a plus eu ni érections, ni éjaculations, ni désirs vénériens ;

4° Des troubles trophiques, c'est-à-dire une sécheresse insolite et un état

rugueux de la peau des membres inférieurs, un état cassant des poils et

des ongles, une eschare profonde, à la région sacro-lombaire, sans compter

l'atrophie musculaire diffuse des membres inférieurs, déjà signalée ;

5° Des troubles de la sensibilité : les uns, objectifs, consistent dans une

zone d'anesthésie ano-périnéo-scrolale, qui empiète sur la partie avoisi-

nante des fesses et sur la partie médiane du tiers supérieur de la face pos-

térieure de la cuisse, et dans une zone d'hypoesthésie, qui côtoie le bord

Fig. : 3.

88 RAYMOND

externe de la face dorsale de chaque pied (Fig. 3). La sensibililé tactile est

affectée dans une moindre mesure que la sensibilité à la douleur et la sen-

sibilité aux impressions thermiques.

Les autres, subjectifs, consistent en douleurs provoquées par les mouve-

ments passifs imprimés aux membres inférieurs, et notamment par le sou-

lèvement d'un de ces membres maintenus dans l'extension.

Enfin, le malade est manifestement sous le coup d'une infection septi-

que ; elle doit avoir pour double origine : une cystite purulente et la sup-

puration de l'eschare sacro-lombaire.

Diagnostic. Messieurs, je vous ai déjà dit qu'en examinant pour la

première fois le malade, j'avais diagnostiqué, chez lui, une affection de la

queue de cheval. Ce diagnostic, je le maintiens ; il me reste à le justifier.

Une première particularité est à souligner : la paralysie motrice, dont

est atteint cet homme, intéresse exclusivement des muscles innervés par

le plexus sacré.

Rappelez-vous que ce plexus se partage, avec le plexus lombaire, l'inner-

vation motrice et sensitive des membres inférieurs. Pour ne parler que

de l'innervation motrice, elle est alimentée de la façon suivante :

Le plexus lombaire, émanation des quatre premières paires lombaires,

anime les muscles adducteurs, les muscles des faces antérieure, externe

et interne de la cuisse, par l'intermédiaire du nerf obturateur et du nerf

crural, ses branches terminales.

Le plexus sacré, émanation des 4. premières sacrées et de la cinquième

paire lombaire, anime les muscles de la face postérieure de la cuisse, tous

les muscles de la jambe et du pied, par l'intermédiaire du nerf sciatique et

de ses branches de division. Ce sont précisément ces muscles-la que nous

trouvons paralysés chez notre malade. Donc, chez lui, il s'agit bien d'une

paralysie des branches terminales du plexus sacré.

Or, le seul fait de la distribution, à peu près symétrique, de celte pa-

ralysie rend très vraisemblable que la lésion dont elle dépend siège dans

le canal lombo-sacré : autrement dit, elle doit intéresser, soit les racines

du plexus sacré, soit la portion ? du névraxe, dont émanent ces racines.

Nous aurions donc affaire à une affection de la queue de cheval ou de la

portion correspondante de la moelle. Est-ce que les aulres manifestations

pathologiques, présentées par notre malade, cadrent avec celte hypo-

thèse ? ` ?

Sans contestation aucune. Pour vous en convaincre, il me suffira de

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 89

vous rappeler, dans ses traits essentiels, la symptomatologie des affections

de la queue de cheval, telle que j'ai été un des premiers à la faire con-

naître dans des leçons didactiques qui remontent à la première année de

mon enseignement à la Salpêtrière, et telle que je l'ai caractérisée au dé-

but de cette leçon.

En fait d'éléments fondamentaux, elle comprend :

a) Des troubles de la motilité ; ils consistent en une paralysie incom-

plète des membres inférieurs. Presque toujours elle reste limitée au do-

maine d'innervation du plexus sacré : muscles fessiers ; muscles de la face

postérieure des cuisses ; muscles des jambes et des pieds, tandis que les

muscles innervés par le crural et l'obturateur, les deux branches termi-

nales du plexus lombaire, sont habituellement indemnes. C'est précisé-

ment ce que nous observons chez notre malade.

b) Des troubles des fonctions génito-urinaires et dit gros intestin, à sa-

voir : des alternatives de rétention et d'incontinence d'urine (urination

par regorgement; ischurie paradoxale), des alternatives de constipation

opiniâtre et d'incontinence des matières fécales, avec suppression de la

conscience des évacuations; l'abolition ou une simple diminution de la

puissance génitale. Ce phénomène n'est bien apparent que chez les sujets

du sexe masculin et il est en rapport avec uneparalysie des muscles balbo-

et ischio-caverneux.

Ces diverses manifestations, se rencontrent chez notre malade.

c) Des troubles sensitifs, c'est-à-dire, des douleurs spontanées ou non,

que réveillent ou exaspèrent les mouvements ; une anesthésie à distribu-

tion tout à fait caractéristique : elle s'étend à la muqueuse vésico-uré-

thrale, à celle du rectum, au scrotum et à la verge, chez l'homme, à la

muqueuse du vagin et de la vulve, chez la femme, au périnée, au pour-

tour de l'anus, il la région fessière inférieure. Assez souvent elle envahit.

la partie médiane de la face postérieure de la cuisse, plus rarement la

partie médiane de la face postérieure de la jambe et le bord externe du

pied. Il ne sera pas superflu de vous rappeler que tous ces territoires sont

innervés par des branches du plexus sacré, ainsi que le montre la figure

placée devant vous (fig. 4. '

Chez notre malade, l'anesthésie réalise bien la distribution que je viens

de spécifier. Elle s'étend à la muqueuse de la vessie, de l'urèlhre, dit-

intestin, à la peau du pourtour de l'anus, du périnée, du scrotum, aux par-

ties adjacentes de la région fessière et de la face postérieure de la cuisse.

Incidemment, je vous rappelle que les testicules tirent leur innervation

sensitive du nerf spermatique externe, branche du plexus lombaire. Aussi

90 RAYMOND

bien, l'anesthésie des testicules ne figure pas dans la symptomatologie des

affections de la queue de cheval.

d) Des troubles des réflexes tendineux; l'abolition du réflexe achilléen

est de règle, mais elle petit manquer. Or la conservation de ce réflexe im-

plique l'intégrité du cinquième segment lombaire et du premier segment

sacré de la moelle, ainsi que du nerf sciatique, elle nous autorise à con-

clure que, seules, les racines les plus inférieures de la queue de cheval ou

la partie la plus inférieure du névraxe, comprise au-dessous du premier

segment sacré, sont touchées. Le réflexe achilléen peut être exagéré,

(trépidation spinale), et alors il y a lieu d'admettre l'existence de lésions

irritatives (méningo-myélite) des racines ou du centre qui interviennent

dans sa production.

Fig. 4. - et S', territoires cutanés tirant leur innervation sensitive du plexus sacré.

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 91

En thèse générale, le réflexe rotulien est conservé. Quand il est aboli,

c'est signe que les lésions remontent jusqu'au troisième segment lombaire

ou aux racines qui en émanent.

Chez notre malade, nous avons constaté l'abolition des réflexes achil-

léens et un léger affaiblissement des réflexes rotuliens.

Le réflexe crémastérien est presque toujours conservé; au contraire, le

réflexe cutané plantaire est habituellement aboli. C'est ce que nous avons

constaté chez notre malade. -

e) Des troubles trophiques : ils consistent dans une atrophie, le plus

souvent diffuse, des muscles paralysés, dans des ulcérations de décubitus,

au niveau des fesses, des trochanters, dans un état rugueux et un aspect

flétri de la peau. dans une fragilité anormale des poils et des ongles. Tout

cela se retrouve chez notre malade.

f) Des modifications des réactions électriques : elles sont inconstantes.

Elles peuvent se réduire à une simple diminution de l'excitabilité galva-

nique et faradique des nerfs qui fournissent aux muscles paralysés. D'au-

tres fois, elles traduisent la R. D. dans les muscles paralysés, ainsi que

nous l'avons constaté chez notre malade.

Tout compte fait, D... réalise, d'une façon complète, la symptomato-

logie commune aux affections de la queue de cheval et aux affections de la

portion correspondante de la moelle.

J'ai dit symptomatologie commune aux affections de la queue de cheval

et de la portion correspondante de la moelle. Il va de soi, en effet, que les

mêmes symptômes pourront dépendre de la lésion d'un certain nombre

de racines spinales ou de la lésion des centres spinaux qui sont les origi-

nes de ces mêmes racines. Donc, en présence d'un cas pathologique comme

celui que réalise notre malade, il ne faut pas s'arrêter au diagnostic ana-

tomique que je viens d'émettre ; il faut aller plus loin. Il faut trancher la

question de savoir si l'affection en cause implique seulement une lésion

des racines du plexus sacré, ou une lésion du segment correspondant de

la moelle, ou une lésion à la fois radiculaire et spinale. Aussi bien, la

question du pronostic se rallie étroitement à cette question de siège. Je

m'expliquerai là-dessus, dans un instant. Au préalable, je désire vous pé-

nétrer de ce que deux foyers circonscrits, siégeantàdes niveaux différents,

dans la portion inférieure du canal rachidien, peuvent donner lieu aux

mêmes symptômes.

Jetez un regard sur la ligure placée devant vous Elle est emprun-

92 RAYMOND

tée à un travail du professeur Schultze, de Bonn. Les hachures, que vous

apercevez, en A et en B, représentent deux foyers. Le premier occupe la

partie inférieure du renflement lombaire et le cône terminal ; il est situé

au-dessus de l'émergence du nerf crural Ncr, et de l'obturateur, les deux

branches terminales du plexus lombaire.Le second foyer B est situé beau-

coup plus bas, un peu au-dessous du point où ces deux nerfs sont sortis du

canal rachidien. Il intéresse donc une partie seulement des racines de la

queue de cheval, celles qui vont constituer les plexus sacré et sacro-coccy-

gien. Ainsi que vous le montre la figure, ces racines tirent leur origine

de la portion de la moelle, qui correspond au foyer A. Donc, les deux

Fig, 5. - (D'après SchulLze).

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 93

foyers A et B donneront lieu aux mêmes symptômes, et ce seront préci-

sément ceux que nous constatons chez notre malade.

Sur quels éléments d'appréciation nous baserons-nous, dès lors, dans un

cas pareil, pour trancher la question de savoir si nous avons affaire à une

affection médullaire, une affection de la portion de la moelle,

qui correspond au foyer A, ou à une affection extra-spinale, que nous qua-

lifierons de radiculaire parce qu'elle intéresse exclusivement les racines

de la queue de cheval ? .

a) Tout d'abord nous aurons à tenir compte des circonstances du début.

S'agit-il d'une affection survenue brusquement, à la suite d'un trauma-

tisme ?

En ce cas, nous aurons à rechercher sur quelle portion du rachis s'est

exercée la violence traumatique. Supposons que ce soit sur la partie su-

périeure du segment lombaire ; supposons qu'il existe une saillie ou une

dépression anormale, au niveau des apophyses épineuses de la 12e ver-

tèbre dorsale (l'apophyse épineuse de cette vertèbre correspond, comme

niveau, au corps de la ire vertèbre lombaire), des lr° et 2° vertèbres

lombaires ? Les probabilités seront en faveur d'une lésion médullaire,

intra-spinale. Une affection qui intéresserait, à ce niveau, l'ensemble des

racines de la queue de cheval ou seulement les plus superficielles, ne res-

pecterait pas les organes - muscles et téguments - innervés par le

plexus lombaire, comme il arrive dans le cas que nous envisageons.

Chez notre malade, le traumatisme initial doit avoir atteint, d'une fa-

çon prépondérante, la portion supérieure du segment lombaire de la

colonne. Rappelez-vous, en effet, que lors de son entrée à la Pitié, le

jour même de son accident, on a constaté, chez lui, l'existence « d'une dé-

formation au niveau de la Ire vertèbre lombaire ». Donc, le traumatisme

a dû retentir sur cette portion du contenu du canal rachidien. Or une lé-

sion, située à ce niveau, et intéressant les racines de la queue de cheval, ne

peut guère rendre compte de la symptomatologie réalisée par notre malade.

Conséquemment, le niveau sur lequel a dû porter le traumatisme constitue

une première présomption en faveur du siège intra-spinal, nucléaire, de

son affection.

b) Inversement, les plus grandes chances sont en faveur de l'existence

d'une lésion exclusivement radiculaire, d'une affection proprement dite de

la queue de cheval, quand la violence traumatique s'est exercée sur la por-

tion inférieure de la région lombaire ou sur la portion adjacente dit sacrum.

En effet, l'extrémité inférieure de la moelle ne descend pas au-dessous de

l'apophyse épineuse de la 1re vertèbre lombaire. Donc un traumatisme

94 RAYMOND

qui atteint le rachis au-dessous de ce niveau, ne peut avoir de retentisse-

ment direct sur la moelle.

c) Quand il n'y a pas eu de traumatisme antécédent, la soudaineté du

début plaide en faveur du siège intrà-spinal de la lésion (hématomyélie).

d) Inversement, un début insidieux, une marche lente et progressive

des accidents, parlent plutôt dans le sens d'une affection extra-spinale, ra-

diculaire.

e) Il y a lieu, ensuite, de faire entrer en ligne de compte les caractères

avec lesquels se présentent les manifestations douloureuses.

Des douleurs, modérées et intermittentes, au début, devenues violentes

et tenaces, dans la suite, au point d'être intolérables dans certaines attitu-

des (décubitus horizontal), et obligeant les malades à changer sans cesse

de place, impliquent presque fatalement une compression de la queue de

cheval.

L'absence de douleurs spontanées ou provoquées ne se voit guère que

dans les affections intra-spinales de la portion inférieure du névraxe.

Des douleurs, datant du début, mais supportables et transitoires, spon-

tanées ou provoquées par les mouvements, s'observent indifféremment

dans les cas d'affection de la queue de cheval et dans ceux où les lésions

se cantonnent dans la portion correspondante de la moelle.

Notre malade, vous vous le rappelez, souffre seulement quand on im-

prime des mouvements passifs à ses membres inférieurs; ces souffrances

sont d'ailleurs assez vives, voire que le soulèvement du membre inférieur

maintenu en extension lui occasionne une forte douleur (signe de Lasè-

gue), ainsi qu'il arrive dans les cas de névrite du sciatique. C'est pourquoi

je suis porté à croire que, chez lui, une affection nucléaire, primitivement

cantonnée dans la portion inférieure du renflement lombaire et dans le

cône terminal, s'est compliquée d'une névrite des racines spinales corres-

pondantes.

f) Le siège des douleurs doit également être pris en considération, dans

les circonstances que nous envisageons présentement :

Une douleur modérée, siégeant au niveau des apophyses épineuses de

la douzième vertèbre dorsale, des première et deuxième vertèbres lom-

baires, réveillée ou exaspérée par une pression énergique, par la percus-

sion, par les applications de froid ou de chaud, et n'irradiant pas, d'une

façon bien nette, vers les membres inférieurs, constitue une présomption

en faveur d'une lésion nucléaire de la portion terminale du névraxe.

Dans les mêmes circonstances, une douleur localisée heaucoup plus bas,

spontanée ou exaspérée par la percussion du sacrum, par les mouvements,

douleur irradiant vers les membres inférieurs, est presque toujours symp-

tomatique d'une compression de la queue de cheval.

AFFECTIONS DE L4 QUEUE DE CHEVAL 95

g) La disposition parfaitement symétrique de la paralysie motrice et de

l'anesthésie, la précocité et l'intensité de l'atrophie musculaire et des mo-

difications qualitatives des réactions électriques (R. D.), l'apparition pré-

coce d'une ulcération de décubitus peuvent être considérées comme autant

de présomptions - mais de simples présomptions -- en faveur du siège

nucléaire de la lésion. Nous les trouvons réunies chez notre malade.

On en a dit autant du caractère dissocié de l'anesthésie. En réalité, la

dissociation de l'anesthésie a été observée dans des cas où une lésion inté-

ressait exclusivement les racines de la queue de cheval. Elle n'a donc

qu'une valeur diagnostique très relative.

D'autre part, la distribution asymétrique, voire unilatérale, de l'anes-

thésie. parle en faveur de l'existence d'une lésion radiculaire, d'une affec-

tion de la queue de cheval. De même encore, la progressivité dans l'appa-

rition et dans l'aggravation des troubles vésico-rectaux, les alternatives

d'aggravation et d'amélioration des principaux symptômes, l'apparition tar-

dive et le caractère diffus de l'atrophie musculaire progressive, l'absence de

modifications qualitatives des réactions électriques, l'absence de troubles

trophiques cutanés.

Au surplus, aucun des caractères différentiels que je viens de passer en

revue n'a de valeur absolue, sachez-le bien. Quand vous aurez à vous pro-

noncer, dans un cas comme celui de notre malade, entre l'hypothèse d'une

affection proprement dite de la queue de cheval et l'hypothèse d'une affec-

tion de la portion la plus inférieure de la moelle, vous en serez toujours

réduits à formuler un diagnostic de présomption.

Ces réserves faites, je conclus que le malade examiné tout à l'heure

devant vous est, selon toute probabilité, atteint d'une lésion traumatique

- myélite ou hématomyélie - de la portion inférieure du renflement

lombaire et du cône terminal; mais selon toute probabilité aussi, les racines

qui émergent de cette portion de la moelle sont, en partie du moins, le

siège d'une névrite secondaire. Peut-être y a-t-il coexistence d'un foyer

d'hématomyélie et d'un foyer hémorrhagique extérieur à la moelle et com-

primant la queue du cheval. Ainsi s'expliqueraient les douleurs, si vives,

éprouvées par le malade, quand on imprime des mouvements passifs à ses

membres inférieurs (1).

(1) Le malade a succombé à la cachexie causée par les eschares sacrées, deux

mois après l'accident. Voici les principaux résultats de son autopsie :

Le cerveau, le cervelet et le bulbe sont normaux. L'ouverture du canal rachidien

se fait avec facilité ; on n'aperçoit ni fracture ni enfoncement des apophyses épineu-

ses, en particulier au niveau des vertèbres lombaires et du sacrum. La moelle ne pa-

rail pas comprimée et on l'enlève facilement avec ses enveloppes.Le liquide céphalo-

96 RAYMOND -

Pronostic. - Messieurs, le pronostic à porter dans le cas actuel se pré-

sente sous des couleurs assez sombres, voici pour quelles raisons :

Du moment qu'il s'agit d'une lésion intra-spinale, d'origine traumati-

que, elle échappe à nos moyens d'action. Que voulez-vous que nous fas-

sions contre un foyer de myélite chronique ou d'hématomyélie ? De la ré-

vulsion, sous forme d'applications de pointes de feu, dans l'espoir d'en-

rayer l'extension éventuelle du foyer ? Que cet espoir soit réalisable à

l'occasion, je le veux bien. Mais les dégâts déjà existants, et qui sont res-

ponsables des accidents présentés par le malade, seront-ils influencés, atté-

nués, par ce mode d'intervention ou par tout autre traitement ? Je ne le

crois pas, pour ma part. Donc, nous nous trouvons en présence d'une

affection incurable et elle condamne le malade à une infirmité pénible,

répugnante il certains égards.

En second lieu, nous avons à compter avec des complications qui me-

nacent.directementla vie du malade ; je veux parler de l'escllare sacro-

lombaire et de la cystite, bénigne jusqu'alors, dont est affligé ce malheu-

reux, et qui l'exposent aux conséquences d'une double infection :

rachidien s'échappe en quantité et avec une coloration normale. On incise la dure-mère,

qui n'est pas adhérente et on a sous les yeux une moelle sans méningite, sans foyer

de myélite lombaire ou sacrée. à

La queue de cheval est plus particulièrement examinée. On constate alors par des

coupes successives que le sacrum n'a présenté ni fracture, ni gros renfoncement, ni

ostéite. Mais les racines de la queue de cheval sont atrophiées et de teinte rosée. Vers

l'extrimité du cul-de-sac dure-mérien on aperçoit un caillot rougeâtre, de la grosseur

d'une olive ; mais ce caillot n'est pas adhérent aux racines qui ne sont donc pas en,

globées par lui. A son niveau, existent quelques taches ecchymotiques siégeant entre

la dure-mère et l'arachnoïde. Au surplus, la dure-mère est réunie au périoste du canal

sacré par des tractus rougeâtres, ecchymotiques. Ce perioste lui-même présente ce

même aspect, et se détache facilement du tisseux osseux. Cette apparence et ces bri-

des fibreuses se poursuivent dans les trous de conjugaison. Les racines rachidiennes

sacrées sont rougeâtres, épaissies dans leur partie qui précède le ganglion ; elles

sont réunies par des adherences, au cul-de-sac dure-mérien qui les entoure.Cette teinte

rougeâtre disparait au contraire, au niveau du ganglion.

L'examen histologique de la moelle a montré l'absence de lésions de myélite pri-

mitive, soit hématomyélie, soit contusion médullaire. Au contraire les altérations

constatées paraissent de nature secondaire, consécutives à une lésion des nerfs de la

queue de cheval.C'est en effet, par la méthode de Nissl, une chromatolyse intense aux

Vacuoles et noyau excentrique des cellules motrices sacrées et coccygiennes ; c'est,

par la méthode de Marchi, une dégénérescence très prononcée et des cordons posté-

rieurs et des racines postérieures sacrées avant leur entrée dans la moelle. On peut

donc affirmer que la lésion a porté sur les racines de la queue de cheval avant leur

entrée dans les ganglions rachidiens.

Il ne s'agit pas, dans l'espèce, d'une compression soit par un volumineux foyer d'hé-

matorachie sacré,soit par un enfoncement du sacrum. Un examen par coupes sériées

des racines sacrées permettra de voir si le traumatisme n'a pas causé un arrachement

de ces racines.

Le résultat complet de cet examen histologique sera publié ultérieurement.

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 97

Infection septique, ayant son point de départ à la surface de l'ulcération

cutanée ;

Infection et intoxication urinaires, partant de la vessie.

Ces conséquences se sont fait sentir, depuis quelque temps déjà ; à

preuve cet état de cachexie, que nous constatons chez le malade, et sur

lequel j'ai déjà attiré votre attention.

Eu thèse générale, les choses se passent tout autrement, dans les cas

d'une affection proprement dite de la queue de'cheval,dans les cas où une

lésion circonscrite et extra-spinale agit, par voie de compression, sur une

peine qu'il en soit ainsi. tu elle[, les ulcérations de décubitus s'obser- -

vent beaucoup plus rarement, dans le cours des affections névritiques,que

dans les myélopalhies qui intéressent la substance grise cenlrale. D'autre

part, les sujets atteints d'une simple affection de la queue de cheval sont

rarement privés de l'usagede leurs membres inférieurs. Presque toujours,

ils sont en état de marcher, plus ou moins bien, avec ou sans l'aide de

béquilles. Ils sont donc soustraits à l'influence qu'une compression per-

manente des téguments de la région lombo-sacrée exerce sur le dévelop-

pement des ulcérations de décubitus.

, Enfin, dans certains cas, les affections de la queue de cheval sont jus-

ticiables d'une intervention opératoire. C'est quand elles ont pour subs-

tratum une fracture, une luxation, ou encore, une néoplasie circonscrite,

tumeur, pachyméningite, qui comprime simplement les nerfs de la queue

de cheval et qui se prête à une tentative d'exérèse.

Dans ces conditions, l'extirpation du foyer morbide peut être suivie

d'une guérison complète. On connaît déjà un petit nombre de faits de ce

genre. Le plus remarquable de tous a été publié par le 1) Laquer (1), de

rrancfort-sur-le-llIein. Il concerne un jeune homme chez lequel on avait

diagnostiqué une affection de la queue de cheval, en rapport avec une

tumeur de-la portion la plus inférieure du canal rachidien. L'exactitude

du diagnostic fut confirmée, au cours de l'opération pratiquée par le chi-

rurgien Renn et qui consista dans l'effraction du canal rachidien, au siège

présumé de la lésion, et dans l'extirpation de la tumeur, un sarcome si-

(1) Laquer, Uebel' Compression der Cauda equina. Neurologisches Centralblatt, 1891,

ne 7, p. 193.

xv 7

98 RAYMOND

tué en dehors du sac formé par la dure-mère. Le patient fut débarrassé

des horribles souffrances que lui occasionnait la compression de la queue

de cheval par la tumeur, et il se rétablit complètement.

Dès 1887, le chirurgien anglais Thorburn (1) était intervenu, et avec

succès, dans un cas d'affection de la queue de cheval consécutive à une

luxation traumatique de la 2" vertèbre lombaire. Il avait réséqué l'arc

vertébral de la moitié gauche de cette vertèbre, qui comprimait les mé-

ninges etla queue de cheval. L'opération fut suhie d'une amélioration

progressive. Au bout de 18 mois, le sujet, qui exerçait la profession de

mineur, avait pu reprendre ses occupations.

L'an dernier, le Dr Sachs (2) a publié deux cas de compression de la

queue de chenal par une tumeur sarcomateuse. L'un d'eux avait évolué,

au début, sous les traits d'une sciatique; l'autre avait été pris pour un

cas de tabes. Dans les deux cas, on a tenté l'extirpation du néoplasme.

Chez le premier malade, l'opération a été suivie d'une guérison complète;

chez l'autre, elle a eu pour résultat une atténuation très marquée de tous

les symptômes. Aussi Sachs plaide-t-il chaudement en faveur de l'inter-

vention opératoire, dans les cas où, chez un malade qui réalise la symp-

tomalologie des affections de la queue de cheval, toutes les présomptions

plaident contre l'existence d'une lésion intra-spinale et en faveur d'une

simple compression des racines qui émergent de la portion la plus inférieure ' 1

du névraxe.

Traitement. Le traitement des affections de la portion inférieure du

contenu du canal rachidien et en particulier celui des affections de la queue

de cheval comportent des indications causales et des indications symptoma-

tiques.

A. Les indications causales se rapportent à trois catégories de circons-

tances :

1° Il y a eu traumatisme antécédent. Vous aurez alors à rechercher si le

traumatisme n'a pas occasionné une fracture, une luxation de vertèbre,

qui donne lieu à une compression des racines de la queue de cheval, au

niveau ou au-dessous du cône terminal. En cas de doute, vous vous

imposerez comme un devoir de faire examiner le malade par un chirur-

gien compétent.

Je suppose que toute déformation du rachis, en rapport avec une luxation

(1) Thorbukn, On injuries of the cauda equina. Brain, 1898, Januar.

(2) Dr Sachs, Tmo cases of li41noe- pressing Ypoit the cauda equina ; removal, recovei-y.

Médical Record, 6 janvier 1900.

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 99

ou une fracture de vertèbre, fasse défaut. Vous aurez il 'rechercher si les

accidents présentés par le malade ne sont pas le fait d'un foyer hémol'I'ha-

gique comprimant les nerfs de la queue de cheval, et susceptible de faire

L'objet d'une tentative opératoire.

. 2° Il n'y a pas eu de traumatisme antécédent, mais il y a des raisons

positives d'admettre que le malade a eu la syphilis. C'est le cas de soup-

çonner une compression de la queue de clieval par une néoplasie syphili-

tique, et de faire un essai de traitement iodo-mercuriel ; mais vous

le ferez sans grand espoir de succès. Aussi bien, si lésion syphilitique il

y a, les plus grandes chances seront en faveur d'une pachyméningite, lé-

sion réfractaire à la médication spécifique. Celle-ci ne donne des chances

de succès qu'aulant qu'on se trouve en présence de lésions gommeuses,

assez récentes, développées dans le canal rachidien, et je ne sache pas que

jusqu'alors, celte éventualité se soit trouvée réalisée, dans des cas d'affec-

tion de la queue de cheval.

3° Le sujet n'a pas subi de traumatisme ; il n'est pas non plus syphili-

tique. Les symptômes qu'il présente sont ceux d'une lésion circonscrite,

agissant sur la queue de cheval, par voie de compression. Ils consistent,

notamment, en douleurs intolérables qui, partant de la région sacro-lom-

baire, irradient dans les membres inférieurs. C'est le cas de soupçonner

l'existence d'une tumeur extra-spinale, développée dans la portion infé-

rieure du canal sacro-lombaire ; en pareilles circonstances, une interven-

tion chirurgicale, visant l'extirpation de la tumeur, n'est pas seulement

légitime, elle s'impose.

B. Les indications symptomatiqnes se rapportent, en premier lieu, aux

manifestations douloureuses, qui ne manquent presque jamais; je vous ré-

pèle que par leur violence et leur ténacité, elles peuvent rendre l'exis-

tence intolérable aux malades. Le remède radical il leur opposer consiste

dans la suppression, par voie opératoire, du foyer morbide qui com-

prime la queue de cheval. Ce remède n'est applicable que dans un petit

nombre de cas. Le plus souvent, nous en sommes réduits il l'emploi des

palliatifs; sous la forme de révulsifs, -applications de pointes de feu, le

long de la portion inférieure du rachis, de médicaments antialgiques,

injections de morphine, chloral etc., - administrés avec toutes les pré-

cautions exigibles en vue de réduire à leur minimum les conséquences

funestes de l'usage prolongé de ces toxiques.

Il ya lieu ensuite de prendre des mesures de prophylaxie, à seule fin de

mettre les malades le plus longtemps possible à l'abrides infections, un-

naires et septiques, auxquelles les exposent les (roubles vésico-rectaux

100 RAYMOND

dont ils sont affligés. On prendra les plus minutieuses précautions d'asep :

tie, lorsqu'il y aura lieu de pratiquer le cathétérisme.

On aura recours aux lavages antiseptiques de la vessie, pour peu que

les urines charrient du pus ou du sang. L'incontinence des urines et des

matières fécales réclame des soins pénibles, destinés à maintenir les ma-

lades dans un état de propreté, aussi parfaite que possible, et une sur-

veillance assidue des téguments de la région sacro-lombaire. La moindre

rougeur venant à se montrer dans cette région sera traitée par les topi-

ques appropriés.

A plus forte raison faut-il intervenir énergiquement, sitôt que la peau

s'écorche aux endroits où elle est exposée à l'influence nocive de la com-

pression, d'une part, du contact irritant de l'urine et des matières fécales,

de l'autre.

HOSPICE DE BICÊTRE

(TRAVAIL DU LABORATOIRE DE )1. PIERRE MARIE).

ANATOMIE

DES

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE

PAR

JEAN FERRAND,

Interne des hôpitaux.

Les lacunes de désintégration cérébrale étaient peu étudiées lorsque

M. Pierre Marie les fit connaître. Guidé par ses conseils nous avons pu

utiliser les nombreux matériaux réunis au laboratoire de Bicêtre et étu-

dier l'anatomie de ces pertes de substance 'cérébrale qui sont la cause la

plus fréquente de l'hémiplégie des vieillards (1). '

I. ANATOMIE MACROSCOPIQUE DES LACUNES. ·

Siège. - Le siège le plus habituel des lacunes est dans les noyaux gris du

cerveau. Quelle que soit la dimension de ces cavités c'est là qu'on les rencontre

de préférence. C'est dans la région interne et inférieure de l'hémisphère à peu

près à égale distance de son pôle antérieur et de son pôle postérieur que se

trouve la masse des noyaux gris. Ils sont environnés de toutes parts, en avant,

en dehors et en arrière par la substance blanche qui double les circonvolutions.

De plus, ils sont presque entièrement sous le ventricule latéral ét en dehors

de lui.

La connaissance de cette situation exacte des noyaux gris n'est pas indiffé-

rente car elle règle leur vascularisation. Ils reçoivent en effet leurs vaisseaux

artériels des gros troncs de la base du cerveau. L'artère cérébrale antérieure

envoie les artères striées antérieures qui vont se perdre dans la tête du noyau

caudé.

La cérébrale moyenne ou sylvienne donne deux groupes artériels : les

Striées internes qui traversent le noyau lenticulaire, atteignent la capsule

(1) Nous avons consacré un travail d'ensemble à l'étude clinique et anatomique des

lacunes cérébrales : Cf. Jean FERRAND, Essai sur l'hémiplégie des vieillards. Les lacunes

de désintégration cérébrale, thèse Paris, 1902, Rousset, édit.

102 FERRAND

interne et se perdent dans le noyau caudé et les striées externes elles-mêmes

divisées en deux groupes.

Le groupe antérieur ou lenticulo-strié traverse le segment antérieur de la

capsule interne pour se terminer dans le noyau caudé : dans ce groupe se trouve

la branche connue depuis Charcot sous le nom d'artère de l'hémorragie céré-

brale.

Le groupe postérieur ou lenticulo-optique répond au segment postérieur de

la capsule interne et se termine à la partie externe et antérieure delà couche

optique. - .

Enfin l'artère cérébrale postérieure envoie à la couche optique plusieurs

branches : '

Les artères optiques inférieures;

L'artère optique postérieure et interne;

L'artère optique postérieure et externe.

De l'origine même de ces différents vaisseaux résulte un fait qui pour nous

a une grande importance : c'est la verticalité de ces artères. Elles naissent en

effet à la base du cerveau et se dirigent verticalement pour atteindre les noyaux

gris où elles se terminent sans s'anastomoser. Nous insisterons ailleurs sur leur

caractère terminal. Mais nous voulons de suite constater leur direction cons-

tamment verticale parce qu'il nous semble que cette direction a une grande

influence sur le siège des lacunes.

.. Comme nous le verrons ce sont les vaisseaux qui guident les lacunes : or il

est probable qu'étant donnée la direction constante des vaisseaux les lacunes se

font également dans une direction constante.

Et ceci nous explique pourquoi certaines coupes du cerveau bien mieux que

d'autres nous permettent de les apercevoir.

Parmi les coupes diverses que choisit à son gré l'anatomo-pathologiste qui

explore le cerveau il en est une qui est bien supérieure aux autres pour l'étude

des lacunes : c'est la coupe de Fleclisig, séparant l'hémisphère en deux

portions, l'une supérieure, l'autre inférieure, et faite de dedans en dehors en

passant juste au-dessous des deux extrémités du corps calleux, presque paral-

lèlement à la base du cerveau. Sur les deux faces de cette coupe nous avons en

effet la masse des noyaux centraux dans leur partie la plus large.

Or c'est là le lieu d'élection des lacunes. Quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent

nous les trouvons sur cette coupe et nulle part ailleurs.

Il est cependant quelquefois nécessaire de compléter l'examen en faisant

d'autres coupes parallèles à cette première, mais toujours à quelques milli-

mètres à peine au-dessus et au-dessous du point d'élection de la coupe de

Flechsig.

Lorsque nous sectionnons ainsi les noyaux gris environ à leur 'partie

moyenne nous sommes perpendiculaires aux artères striées et optiques, per-

pendiculaires par conséquent à l'axe des lacunes qui suivent ces vaisseaux et

nous les coupons dans leur plus grande largeur. Aussi les voyons-nous mieux.

' Nous avons du reste vérifié le fait en faisant d'autres coupes, particulière-

Nouvelle Iconographie ni : la Salpêtrilre. T. XV, PI. XII

LACUNES DE DESINTÉGRATION CEREBRALE (COUPE DE FLECHSIG)

(/. Faraud) .

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE 103

ment des coupes frontales d'avant en arrière, et nous avons constaté que de

cette manière on voyait beaucoup moins bien les lésions lacunaires. Il faut

alors vraiment savoir qu'elles existent pour les découvrir, et vérification faite

au microscope on retrouve des images tout à fait différentes et très peu visi-

bles.

Est-ce pour cette raison que beaucoup d'auteurs faisant habituellement des

coupes frontales n'ont pas aperçu les lacunes ? Nous ne sommes pas éloigné

de le croire, et ce fait que nous avons vérifié bien des fois tend à le prouver.

Quoi qu'il en soit, il est certain que la coupe de Flechsig faite au lieu d'élec-

tion, ou celles qui sont parallèles sectionnent les artères des noyaux centraux

perpendiculairement à leur axe et que c'est la meilleure manière d'apercevoir

les lacunes. C'est là qu'il faut les chercher quand on les soupçonne.

On les voit alors très bien, occupant les noyaux centraux, c'est-à-dire les

segments du noyau lenticulaire, la couche optique ou le noyau caudé. Elles

se limitent parfois à un seul de ces noyaux, mais d'autres fois s'étendent plus

ou moins en largeur et coupent en totalité ou en partie la capsule interne.

Parmi les noyaux gris les lacunes ont encore des préférences : elles affec-

tionnent particulièrement le noyau lenticulaire, sur nos 88 cas il y avait 64 fois

une lésion de ce noyau. 39 fois la lésion était limitée à un seul hémisphère,

mais dans 25 cas les deux noyaux lenticulaires étaient atteints à gauche et à

droite.

De plus, 6 fois les lacunes étaient tellement nombreuses et disséminées par-

tout que l'on n'a pas désigné en particulier le siège de ces lacunes, mais il en

existait certainement dans les points d'élection.

C'est la couche optique qui est ensuite préférée par les lacunes, 35 fois nous

la trouvons atteinte et parmi ces cas 6 fois seulement la lésion était bilatérale.

Vient ensuite la capsule interne intéressée 25 fois et une fois seulement des

deux côtés ensemble, mais il faut ici remarquer que les lacunes prennent très

rarement naissance dans la capsule interne; même si elle est aussi souvent in-

téressée c'est par les prolongements ou les extrémités d'une lacune qui a pris

naissance dans le noyau lenticulaire, la couche optique on le noyau caudé. Elle

est alors atteinte par ses bords qui longent les noyaux gris. Quelques-unes de

ses fibres sont dissociées ou écartées, d'autres sont découpées. Mais il est très

rare que toute l'épaisseur de la capsule soit sectionnée, cela se voit cependant

mais surtout dans les cas où la lésion est franchement hémorragique et a cessé

anatomiquement d'être une lacune.

Il est très curieux de voir cette fréquence avec laquelle la capsule interne

est frappée : il semblerait au premier abord qu'il dût en résulter une sympto-

matologie toute spéciale non seulement au moment de la production delà la-

cune, mais surtout pendant sa cicatrisation. Etant donnée fonctionnellement

parlant l'importance de cette capsule par rapport au noyau lenticulaire, il pa-

raitrait rationnel que les lésions de l'une et de l'autre dussent se manifester

d'une manière absolument différente et que les sujets dont la capsule interne z

est atteinte restent indéfiniment paralysés sinon contractures.

104 FERRAND .

' Eh bien ! il n'en est rien. Il est impossible dans l'examen des lacunaires vi-

vants d'avoir une différence symptomatique suivant le siège de leur lésion :

sauf peut-être dans certains cas lorsque la capsule interne est complètement

sectionnée par un large foyer, alors y a-t-il persistance de la paralysie.

Donc que la lacune siège dans le noyau lenticulaire, dans la couche optique

ou dans la capsule interne, même réaction symptomatique.

Il en sera encore de même quand les lacunes occuperont le noyau caudé.

Nous avons trouvé ce dernier atteint seulement 18 fois. C'est donc lui qui dans

la masse des noyaux gris est le plus souvent intact.

Les lacunes ne siègent d'ailleurs pas exclusivement dans les noyaux cen-

traux des hémisphères, on peut en rencontrer dans la substance blanche envi-

ronnante : c'est là un fait presque exceptionnel étant donnée la fréquence des

cas. Cependant nous avons constaté 14 fois des lacunes dans le centre ovale

au-dessous des circonvolutions et plutôt dans la partie antérieure du cerveau,

dans le lobe frontal. Enfin trois fois nous avons vu cette même lésion dans les

fibres blanches qui constituent le corps calleux.

Par conséquent on peut dire en demandant aux chiffres les conclusions qu'on

peut en tirer que, sur 100 lésions lacunaires, il y en a 87 dans les noyaux cen-

traux et 13 seulement dans la substance blanche cérébrale.

Il existe encore un centre nerveux que paraissent affectionner les lacunes et

qui est cependant assez éloigné des précédents : c'est la protubérance ; on les y

rencontre assez souvent puisque nous en avons relevé 24 cas. Rarement situées

sur la ligne médiane, elles se trouvent ordinairement en plein faisceau moteur

soit d'un côté soit de l'autre. Plus on se rapproche de la partie inférieure de

l'organe moins on les rencontre souvent.

Quoiqne parfois très volumineuses et entraînant une perte de substance con-

sidérable dans cet organe, lieu de passage de fibres si importantes, elles ne don-

nent pas lieu pas plus que celles de la capsule interne à une symptomatologie

bien particulière. Peut-être cependant y a-t-il une relation quelconque entre

l'état de gâtisme complet et les lacunes protubérantielles. Il nous a semblé que

chez les vieillards morts après une longue période de gâtisme on trouvait plus

fréquemment ces lésions. Mais nous manquons de statistique ce sujet et nous

ne signalons la chose que comme une hypothèse qui demanderait une vérifica-

tion plus scientifique. 1

Quoiqu'il en soit, les lacunes de la protubérance se voient dans un quart des

cas environ.

En résumé et par ordre de fréquence nous pouvons dire que le siège des la-

cunes est dans les noyaux gris du cerveau, dans la protubérance et dans la

substance blanche du centre ovale.

Jamais,dans aucun cas,nous n'en avons rencontré ailleurs ni dans les circon-

volutions de l'écorce, ni dans les pédoncules cérébraux, ni dans le bulbe. Nous

ne voulons pas nier qu'il ne puisse en exister dans ces régions, mais jamais il

ne nous a été donné d'en constater.

Nous avons résumé dans un tableau comparatif à la fois,le nombre et le siège

des lacunes par rapport l'un à l'autre :

Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. XV, Pl. XIII

LACUNES DE DESINTEGRATION CÉRÉBRALE (J. Faraud).

A Une lacune récente. Les corps granuleux, éléments de désintégration, envahissent la substance cérébrale Au centre,

un vaisseau altéré, mais perméable. (Préparation par la méthode de Marchi. Grossiss'=go). - B. Une lacune ancienne.

Des bandes de sclérose cloisonne la cavité lacunaire. (Préparation par la méthode de Marchi. Grossiss' 90. C. Dans ? 7 nirm H'm-w ....... Inh1tr,t,f'\1l ? h., ? " ,i ? ';< ? T1 '11t,tr/> fPrn-.mtnn ,nlo.ré.e : Dr l'h¡'m : '1tnx\'ll ! 1l ? e(1 z

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE 105

106 FERRAND

une tendance à se multiplier chez le même malade et que le fait d'en posséder

constitue une prédisposition à en ressentir de nouvelles atteintes.

Aspect macroscopique des lacunes. Quant on retire, du crâne un cerveau

frais n'ayant pas encore subi t'influence du formol, et qu'on pratique la coupe

de Flechsig on aperçoit alors les lacunes. Elles se présentent à nous sous dif-

férents aspects qui ne dépendent du reste que de leur volume.

La lacune la plus visible est celle dont le volume atteint les dimensions

d'une petite lentille; il faut qu'elle ait au moins celle d'un grain de chènevis

pour ne pas être tout à fait miliaire. On en voit encore de plus volumineuses

qui atteignent les proportions d'un pois ou même d'un haricot. On n'en voit

guère de plus volumineuses : du reste elles ne détruisent jamais complètement

le noyau gris dans lequel elles ont pris naissance ce qui arriverait forcément

si elles dépassaient les mesures- dont -nous venons de parler.

La lacune de volume moyen est à peu près ronde. Cependant cette forme

n'a rien d'absolu. Elle est du reste toujours anfractueuse, ce qui rend la forme

ronde beaucoup moins caractéristique. Peut-être est-elle plus allongée verti-

calement dans le sens du vaisseau que transversalement ? Cela est parfois as-

sez nettement visible.

En tous cas la forme n'a rien de général et ne rappelle en rien les dimen-

sions d'une ligure géométrique quelconque.

Les parois ne sont jamais lisses mais toujours déchiquetées et creusées de

replis du reste à peine accentués, mais suffisamment marqués pour être visi-

bles. Parfois des prolongements inattendus se rencontrent sur les bords d'une

cavité qui paraissait de forme a peu près régulière : tels sont par exemple ceux

qui coupent en partie la capsule interne et font partie d'une lacune née dans

un noyau gris.

Ce sont les parois de la lacune qui lui donnent sa coloration. Le plus sou-

vent la teinte en est grisâtre, tranchant un peu sur l'aspect blanc laiteux du

reste du cerveau. Cette teinte foncée est d'autant plus accentuée que la lacune

est plus ancienne. Les éléments anatomiques dissociés et altérés se déposent

le long des parois anfractueuses et contribuent à donner cette teinte grisâtre

Mais parfois quand il y a eu une notable quantité de sang épanché, la lacune

prend une coloration jaunâtre creuse, absolument comme dans les anciens

foyers hémorragiques. On y retrouve du reste les mêmes éléments et en par-

ticulier les dépôts d'liéniatoïdiiie,iiiatièrecoloraiiLe qui donne à la cavité sa co-

loration jaunâtre.

Cette couleur indique toujours une lacune assez ancienne. Ainsi nous avons

pu examiner des lacunes récentes dans lesquelles on découvrait il l'examen his-

tologique une grande proportion d'hématies, comme s'il s'agissait d'une hémor-

ragie miliaire ; malgré cela la coloration en était toujours grisâtre au début.

Ce n'est que tardivement que les dépôts d'hématoïdine se font sur les parois

de la cavité.

Quant au contenu même de la lacune il est constitué par les éléments ana-

tomirrues du tissu nerveux. Nous verrons plus tard dans quel état on les aper-

çoit. Mais à première vue la cavité paraît remplie d'une substance plus ou

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE 107

moins louche, semifluide n'adhérant pas aux parois. Ce liquide est certaine-

ment d'origine lymphatique, il n'est autre que celui qui circule dans les gaines

périvasculaires entourant tous les vaisseaux des centres nerveux.

Mais les liquides fixateurs le chassent et le remplacent de sorte qu'il n'est pas

possible de voir s'il contient des éléments en suspension mais c'est probable.

Ce liquide est parfois remplacé par une sorte de magma jaunâtre qui comble

la cavité dans tous ses replis. Cette pâte devient facilement pulvérulente et n'est

autre que l'amoncellement de tous les fragments organiques détruits ou altérés

par le processus lacunaire.

Enfin au milieu de tous ces éléments formant le centre et l'axe de la cavité

se trouve un vaisseau.

Ce vaisseau dont nous étudierons complètement nature histologique est

parfaitement visible il l'oeil nu. Sectionné à peu près perpendiculairement à

son axe on le voit sur chaque face de la cuupe faisant saillie dans la cavité la-

cunaire, quoique en général de très petit volume il est cependant assez rigide

pour ne pas s'affaisser après la coupe et il reste saillant dans l'axe de lacune.

Ainsi donc la lacune de volume moyen nous montre une cavité'anfractueuse

contenant une substance variable, produit de la désintégration cérébrale et un

vaisseau qui occupe le centre de la cavité et se dirige suivant son axe.

Mais la lacune n'a pas toujours ce volume. Elle est souvent beaucoup plus

petite. Nous disons alors qu'elle est miliaire. En ce cas elle est beaucoup moins

visible il l'oeil nu que lorsqu'elle atteint les dimensions que nous avons exami-

nées précédemment. Cependant elle est encore assez reconnaissante : d'abord il

est rare que la lacune miliaire soit isolée, elle est bien souvent multiple. On voit

.alors dans un noyau gris une foule de points noirâtres qui remplacent les vais-

seaux que l'on y distingue il l'état normal.

A l'état normal en effet, la coupe des noyaux centraux montre le tissu gris

comme piqueté d'un nombre considérable de petits vaisseaux. Ces vaisseaux

sont coupés perpendiculairement à leur axe et paraissent émerger directement

du tissu nerveux sans qu'on distingue autour d'eux une cavité.

Dans le cas de lacune miliaire ces vaisseaux sont encore apparents, mais au-

tour d'eux le tissu cérébral paraît un peu affaissé et grisâtre laissant ainsi sur

la surface même des noyaux gris une série de taches miliaires.

L'étude histologique nous montrera qu'au point de vue de la constitution il

n'y a que peu de différence entre la lacune miliaire et la lacune lenticulaire.

Celle-là est sans doute le premier degré de celle-ci, mais étant plus petite elle

passe plus facilement inaperçue, quoique beaucoup plus fréquente.

D'autres aspects différents nous sont fournis par les lacunes anciennes.

La lacune tend en effet vers la guérison et la cavité vers la cicatrisation.

C'est pour cela qu'on voit parfois de fines brides fibreuses jetées comme des

ponts sur les anfractuosités des parois. Ces brides se développant peu à peu,

les parois se sclérosent et il ne reste plus qu'un réseau de tissu fibreux, véri-

table cicatrice analogue en tous points à celles que l'on rencontre sur les dif-

férents viscères de l'économie.

Cependant la lacune ne tend pas toujours vers la sclérose et l'on rencontre

108 FERRAND

de petites cavités hien rondes remplies de liquide assez clair et paraissant li-

mitées par une membrane propre. Ce sont de véritables petits kystes ayant

tout au plus la dimension d'un tout petit pois. Au milieu se retrouve toujours

le vaisseau qui traverse le kyste comme il traversait la lacune en suivant son

plus grand diamètre. ,

Il nous serait impossible de dire quelles sont les causes qui font évoluer la

lacune plutôt vers la sclérose ou plutôt vers la formation kystique. On peut

seulement affirmer que cette dernière production est très rare tandis que l'or-

ganisation fibreuse constitue le mode de guérison le plus ordinaire des lacunes.

' ' Nous ne' voulons pas terminer ce qui a trait l'aspect sous lequel se présen-

tent les lacunes sans signaler une formation qui peut prêter à quelques erreurs

de diagnostic. Nous voulons parler de la lacune linéaire. On trouve parfois au

siège d'élection des lacunes une sorte de cicatrice linéaire ayant à peine

4/2 centimètre d'étendue, de la couleur jaune ocreuse caractéristique des hé-

morragies anciennes et dont les deux lèvres sont rapprochées au point de faire

disparaître toute cavité et de ne former qu'une simple ligne colorée en plein

tissu cérébral.

On sera assurément tenté de prendre cette lésion pour une hémorragie an-

cienne guérie et l'on n'aura pas tort. C'est évidemment un processus hémor-

ragique qui a séparé les éléments-nerveux sur un espace linéaire et limité et

s'est ensuite cicatrisé. Mais c'est là une hémorragie miliaire produite dans une

très petite lacune et tout dans ce cas se comporte comme dans le cas de lacune.

Cliniquement la lésion s'est révélée de même par une hémiplégie incom-

- plate et transitoire, la guérison en est survenue très rapidement et rien n'a pu

faire supposer qu'il y avait eu hémorragie cérébrale. Dirons-nous que anato-

miquement il n'y a pas de différence non plus ? Il y en a cependant par la quan-

tité relativement grande de sang épanché ; mais nous avons vu des lacunes

rondes et de volume moyen prendre en guérissant la coloration de l'hématoï-

dine ; or dans ces hémorragies limitées, il y a il peine une dissociation du tissu

cérébral environnant, on constate encore la présence de vaisseaux. Bref ce

sont des hémorragies mais elles se comportent comme des lacunes. Et cela ne

nous étonnera plus quand nous aurons étudié le mécanisme de production des

lacunes, la grande part qu'y jouent les lésions artérielles et son rôle dans l'hé-

morragie cérébrale mortelle. On comprendra alors que nous revendiquions

comme un processus lacunaire de désintégration ces petites hémorragies très

limitées qui évoluent sans fracas et ne se distinguent pas cliniquement des la-

cunes. '

Tels sont les différents aspects que prennent les lacunes et leurs caractères

.visibles facilement pour tout observateur : tantôt miliaires, tantôt de volume

moyen, uniques ou multiples siégeant dans les noyaux gris ou la protubérance.

, IL - Histologie DE la lacune.

De l'examen de toutes les pièces que nous avons pu faire, il nous a semblé

que quelle que soit son volume, sa forme et sa situation la lacune passait par

deux phases anatomiques un peu différentes. '

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE 109

Dans la première elle n'est pas constituée à proprement parler, il y a seule-

ment préparation de lacune : c'est la lacune miliaire. Elle est caractérisée par

ce fait qu'autour d'une artériole cérébrale le tissu est raréfié, mais il adhère au

vaisseau sans qu'il y ait solution de continuité ou rupture d'éléments fibril-

laires.

Dans la seconde, il y a au contraire formation d'une cavité entre le vaisseau

central et le parenchyme cérébral : c'est une lacune vraie.

Ce degré d'altération étant le plus fréquent et le plus typique nous l'étudie-

rons beaucoup plus longuement. Nous serons au contraire très bref sur l'alté-

ration primitive, ou 1er degré de la lacune, et sur l'évolution ultérieure de la

lacune et sa cicatrisation.

A. 1°r Degré de la lacune. La lacune miliaire est peut-être la plus

fréquente mais en raison de son exiguïté elle passe souvent inaperçue, et comme

il est rare de la connaître cliniquement ou ne peut la voir qu'en examinant

des pièces sur lesquelles il y a plusieurs lacunes : on en voit parmi elles qui

sont encore au premier degré d'altération.

Sur une préparation colorée à l'hématoxyline-éosine par exemple, l'attention

est attirée par une zone plus claire dans laquelle le tissu semble raréfié, moins

coloré et les noyaux moins abondants. Au centre de cette zone se trouve un

vaisseau de volume variable, assez souvent une artériole dont les tuniques sont

reconnaissantes, Elles sont de plus considérablement épaissies, surtout la tuni-

que externe ou adventice. La gaine lymphatique est adhérente au vaisseau dont

les parois sont de plus infiltrées d'une grande quantité de cellules embryon-

naires. Malgré ces lésions l'artère est toujours perméable.

Autour d'elle dans un rayon assez variable le parenchyme cérébral paraît

raréfié, c'est-à-dire que les mailles névrogliques sont plus larges, qu'elles ne

contiennent plus qu'un nombre insignifiant de fibres nerveuses et que les cet-'

Iules névrogliques se colorent un peu moins bien. i

Somme toute il semble que la région subisse un ralentissement dans sa vita-

lité et une résorption dans le nombre de ses éléments, mais il n'y a pas encore

de désintégration à proprement parler.

Il n'en est pas de même à la seconde période.

B. 2e Degré de la lacune. - Nous décrivons à la lacune de désintégration

cérébrale un deuxième degré qui s'est caractérisé surtout par ce fait qu'il sera

possible de distinguer au microscope un espace suffisamment étendu entre

l'artère centrale .de la lacune et le tissu cérébral même altéré qui la limite,

espace dans lequel se voient les débris d'éléments nerveux et sanguins, et cela

quelles que soient les dimensions totales du foyer.

Il n'y a plus ici comme dans le 1°= degré union de l'artère avec le tissu céré-

bral altéré. Cette union a été rompue, l'artère est séparée du tissu qui la soute-

nait ; elle est seule avec ses tuniques et les hématies qu'elles contiennent au

milieu de la cavité.

C'est là la véritable lacune : dans le 1er degré il n'y avait pas encore de ca-

vité : seul le tissu cérébral était raréfié autour du vaisseau ; mais on n'obser-

vait pas de solution de continuité. Dans le 2' degré au contraire il y a

110 FERRAND

une véritable cavité, un manque dans la substance cérébrale, lésion typique

qui a donné son nom l'afl'ection : c'est une lacune. Il est probable que ce

2° degré d'altération n'est pas nécessairement la suite du leur degré ; s'il lui

succède quelquefois il peut aussi se produire d'emblée de même que le 1 cc degré

n'est pas irrémédiablement amené à passer au second et qu'il peut être lui-

même le siège de complications graves. Il existe encore un autre ordre de

causes qui fait de ce second degré la lacune typique, c'est que sans qu'elle soit'

peut-être la plus fréquente c'est celle qu'on a le plus souvent l'occasion d'étu-

dier à l'état de lacune récente. Aussi avons-nous pu en observer un grand

nombre d'exemples.

Quand on examine avec un faible grossissement une lacune de cette nature

dans le segment externedu noyau lenticulaire par exemple, on voit très nette-

ment qu'elle se compose de trois parties très différentes et qui méritent cha-

cune une description particulière.

La première partie ou centre estoccupée par l'artère, la deuxième ou périphé-

rique est constituée par le tissu cérébral, et la troisième ou intermédiaire est

un espace vide plus ou moins rempli d'éléments normaux ou pathologiques.

1° Lésions du vaisseau. - Le vaisseau central est habituellement une ar-

tère de volume moyen : ce peut être une artériole mais ses parois sont tou-

jours très épaissies. Dans un cerveau normal, on peut distinguer aux artérioles

les trois tuniques caractéristiques des artères il l'état de grande simplicité

c·est-é-dire : une tunique interne réduite à l'endothélium avec ou sans limi-

tante interne, une tunique moyenne surtout composée de libres musculaires

lisses et de fibres conjonctives et enfin une tunique externe ou adventice de

tissu conjonctif représentée surtout par des cellules fusiformes et étoilées.Dans

un cerveau de vieillard normal n'ayant ressenti les atteintes d'aucune mala-

die grave on constate déjà des transformations qui tiennent uniquement à

l'âge de l'artère.

Les modifications portent alors principalement sur la tunique dans laquelle

l'élément musculaire tend de plus en plus il disparaître et il être remplacé par

l'élément conjonctif. Mais cette substitution se fait avec lenteur sans infiltra-

tion leucocytaire, sans phénomènes indiquant que les tuniques vasculaires ont

été le siège d'une réaction inflammatoire quelconque.

Ce phénomène qui n'est du reste pas spécial aux artères cérébrales mais qui

est commun à toutes les artères séniles a été bien étudié par Léger (1) et Boy-

Tessier qui l'ont désigné sous le nom de xérose ou évolution conjonctive mar-

quant l'artère qui vieillit normalement. Ces auteurs eux-mêmes mettent en

garde contre la confusion qui peut se faire aisément entre cette artério-xérose

d'une part et d'autre part l'artério-sclérose qui s'accompagne toujours d'endar-

térite ou de périartérite, ou même d'endo-périartérite, tandis que la première

est une transformation de la tunique moyenne. Par conséquent, même à l'état

normal, les artérioles qui uous intéressent sont toujours un peu épaissies et cela

aux dépens de leur tunique moyenne devenue fibreuse.

(1) LÉGER, Contribution à l'élude des artères séniles normales thèse de lllontpellier,

1894-1895. '

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE 111 1

Enfin disons pour compléter l'anatomie normale de ces artérioles cérébrales

qu'elles sont entourées en dehors de leur tunique externe par une gaine adven-

tice qui est continue et ne présente aucune interruption. Cette gaine est exces-

sivement mince, composée de cellules très allongées dont le noyau très distinct

se colore très bien et prend lui aussi une forme plate et allongée,

Les différents auteurs ne sont du reste pas d'accord sur la constitution et la

nature de cette gaine. Il semble cependant (Poirier, Viault et Jolyet) qu'elle

soit de nature lymphatique légèrement écartée du vaisseau et que son contenu

communique avec les espaces lymphatiques ou le liquide céphalo-rachidien.

Considérée dans la lacune l'artériole cérébrale semble très altérée. Cependant

avant d'étudier les lésions mêmes de ses tuniques constitutives il nous faut

insister sur le' fait de sa perméabilité. Toujours, en effet, nous avons trouvé ce

vaisseau perméable et renipli de globules sanguins prenant normalement les

colorations habituelles des hématies. Quelle que soit l'altération des parois

vasculaires, quelle que soit la hauteur à laquelle nous ayons porté nos coupes

soit en pleine lacune soit sur ses confins supérieurs ou inférieurs, toujours le

vaisseau nous est apparu en plein centre de la coupe rempli par des hématies

normalement constituées.

C'est ici que l'on va certainement nous reprocher de n'avoir pas pratiqué de

coupes rigoureusement en séries. Il est vrai que nous n'avons pas suivi cette

méthode dans toute sa rigueur. Malgré cela nous ne pensons pas que les oblité-

rations artérielles auraient pu nous échapper d'une façon constante. Nous avons

toujours, en effet, pratiqué pour une même lésion, des coupes à différentes

hauteurs. Or une oblitération artérielle suppose toujours un caillot ; ce n'est

pas une lésion qui n'occupe qu'une hauteur insignifiante. L'artériole qui est

oblitérée, l'est sur une notable portion de sa longueur. Il serait donc bien

étonnant, étant donné le grand nombre de pièces que nous avons coupées et les

diverses hauteurs que nous avons examinées dans chacune, qu'il ne nous soit

jamais arrivé de tomber sur une oblitération artérielle, lésion qui occupe tou-

jours une certaine hauteur.

Nous n'insisterons pas ici sur l'importance de cette perméabilité vasculaire ;

mais on se rend immédiatement compte qu'il faut éliminer des lacunes l'embo-

lie, la thrombose avec oblitération et par conséquent peut-être retirer la la-

cune du cadre des ramollissements.

Si le vaisseau est perméable, en revanche ses parois sont très altérées. Leur

étude est assez facile sur les coupes qui ont été colorées il l'hématoxyline-éo-

sine. Parfois le vaisseau se trouve coupé un peu obliquement, dans ce cas l'i-

mage est un peu plus confuse ; mais quand il est coupé bien perpendiculaire-

ment a son axe, ce qui est le cas le plus fréquent, on a des images très nettes.

Déjà la méthode de Marchi révèle la présence de corps granuleux dans l'épais-

seur même de la paroi vasculaire. Sur une de nos photographies en particulier on

voit très bien l'artère située presque an centre de la lacune. Ses parois sont

considérablement épaissies au point de rendre la lumière vasculaire très petite.

La tunique externe apparaît bourrée de corps granuleux très visibles indivi-

duellement : il faut donc qu'il y ait eu là un processus inflammatoire intense

112 FERRAND

de périartérite, les leucocytes migrateurs déjà dans la paroi du vaisseau ont été

suffisamment chargés de graisse pour fixer l'acide osmique et donner l'image

de corps granuleux. Dans un cas de ce genre, en présence d'une réaction sembla-

ble le processus de périartérite est bien évident. Mais il n'est pas toujours

aussi net que dans ce cas.

Malgré tout les lésions de la tunique moyenne et de la tunique externe sont

cplles que l'on voit le mieux. Les lésions de l'endartère ne sont jamais très vi-

sibles. Y a-t-il eu endartérite auparavant ? C'est possible, c'est même probable

si l'on en croit M. Huchard. « Je persiste à croire, dit-il, que la péri-artérite

primitive considérée comme cause de l'artério-sclérose est extrêmement rare

et qu'il s'agit le plus souvent d'une périartérite secondaire, c'est-à-dire con-

sécutive à l'endartérite (1). » '

Toujours est-il que pour ce qui est de nos artérioles cérébrales intra-lacu-

naires nous n'y avons guère découvert de lésions d'endartérite. Il se peut qu'il

eu ait existé et qu'elles aient à peu près disparu laissant peu de traces au mo-

ment où il nous a été permis d'examiner l'artère, mais elles sont bien moins

accentuées que les lésions des deux autres tuniques.

(Il n'est ici question bien entendu que des artérioles intra-cérébrales des pe-

tits troncs vasculaires que l'on rencontre dans les noyaux gris comme les bran-

ches des artères lenticulaires par exemple, et non pas des volumineuses artères

de la base du cerveau.)

Les lésions de ces tuniques vasculaires ne sont pas toujours également ré-

parties sur toute la circonférence de l'artère. Il en résulte qu'elle est souvent

déformée. Elle n'est plus régulièrement circulaire comme nous la voyons à

l'état normal mais présente des bosselures et des parties rétrécies comme

si elle avait été plissée, aussi a-t-elle l'air souvent d'être plus petite qu'elle

n'était en réalité. Nous avons vu qu'à l'état normal chez le vieillard la tunique

moyenne contenait une grande quantité de fibres conjonctives développées au

détriment des fibres musculaires ; elle arrive donc à prendre de plus en plus

d'analogies avec la tunique adventice. Nous avons pu constater le fait presque

toujours puisque nous ne nous sommes adressé qu'à des cerveaux de vieil-

lards. Les deux tuniques sont donc très épaissies et remplies d'une grande

quantité de cellules embryonnaires, leucocytes émigrés du torrent circulatoire.

On remarque immédiatement leur abondance,et bien qu'ils se colorent en bleu

par l'hématoxyline comme les noyaux cellulaires des tuniques on les distingue

facilement. Ce sont des éléments en pleine activité : aussi prennent-ils le bleu

d'une manière intense, ils en sont presque noirs. De plus, ils sont beaucoup

plus arrondis que les noyaux des cellules conjonctives. Ile se disposent aussi

par amas.

Ils ne forment pas au vaisseau une couronne régulière mais sont parfois

groupés tous du même côté, et peuvent être tellement nombreux qu'ils mas-

quent le tissu conjonctive-élastique coloré en rose par l'éosine.

Ce sont du reste les seules lésions que l'on observe dans les parois artérielles :

(1) Ilucii,&Ri), Traité clinique des maladies du coeue, et des vaisseaux.

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE 113

on n'y voit jamais de dépôt ni de formation de plaques calcaires, tout se borne

à une artérite inflammatoire, même dans les lacunes anciennes nous n'avons

pas observé d'autres lésions vasculaires que cette épaisseur des parois et leur

infiltration par des cellules jeunes. Le seul fait un peu anormal est qu'elles

paraissent s'accentuer à mesure que l'on gagne la périphérie du vaisseau, tandis

que l'endartère ne laisse pas apercevoir de grosse lésion.

. La gaine lymphatique participe bien entendu aux altérations lacunaires.

On la voit sous des aspects très différents. En tous cas on ne l'observe jamais

à sa place, c'est-à-dire entourant circulairement la tunique adventice. Il faut

l'observer avec soin parce qu'en raison de sa délicatesse c'est une des mem-

branes qui subissent le mieux l'effet des réactifs,et elle peut de ce fait prendre

des situations qui ne sont nullement en rapport avec son rôle pathologique

mais ne sont que des effets des techniques employées. Ainsi on la voit parfois

adhérer par places à la paroi de la lacune, décrivant pour réunir ces points

d'adhérence des courbes festonnées qui la font ressembler à un dessin régulier

de dentelle. Il est bien évident que dans ces cas il s'agit d'une erreur de techni-

que qu'il faut se garder d'interpréter en faveur d'une lésion.

Mais elle peut être rompue, disloquée et on en trouve alors des fragments

partout dans la zone moyenne de la lacune, on la reconnaît facilement à son

aspect de mince membrane hyaline présentant par place un noyau bleu saillant

sur une de ses faces et allongé dans le sens de la membrane.

Entre ces deux aspects extrêmes elle prend toutes les apparences : elle est

assez souvent éloignée du vaisseau par l'émigration globulaire qui en sort. Si

elle n'est pas rompue elle est alors fortement distendue et traversée elle-

même par les leucocytes.

Telles sont les lésions de la région centrale de la lacune : ce sont en somme

celles d'une artériosclérose présentant certaines particularités à cause de l'âge

avancé des malades et de la constitution anatomique un peu spéciale des artè-

res cérébrales.

2° Parois de la lacune. Les parois de la cavité lacunaire sont consti-

tuées par le tissu cérébral lui-même un peu modifié et altéré. En premier lieu

l'aspect n'en sera pas très différent suivant que la lésion occupe les noyaux gris

ou qu'elle siège en pleine substance blanche ou dans la protubérance : ce se-

ront toujours les mêmes lésions dissociant plus ou moins des faisceaux blancs

de fibres et des cellules nerveuses.

Dans les noyaux gris normaux du cerveau comme partout dans la substance

nerveuse grise on constate la présence de volumineuses cellules nerveuses peu

nombreuses et qui se voient à un faible grossissement avec leur noyau et leurs

divers prolongements parmi lesquels le plus important est le cylindre-axe. Sur

nos coupes on voit souvent ces cellules chargées d'un pigment assez abondant.

Le noyau est relégué à un pôle du corps cellulaire, dans lequel il prend plus

ou moins la place du protoplasma, c'est là un caractère de ces cellules chez le

vieillard : il n'a donc rien d'anormal.

A côté de ces cellules sont de nombreuses fibres nerveuses et pour mainte-

nir le tout les éléments névrogliques. Les petites cellules de la névrocrlie sont

xv 8

114 Il FERRAND

très nombreuses et se colorent assez facilement, leur petite dimension les fait

bien distinguer des cellules nerveuses. Enfin le réseau de fibres névrogliques

qui n'est peut-être pas assez bien coloré par les méthodes ordinaires pour l'é-

tude de sa constitution intime, l'est cependant suffisamment pour que l'on puisse

étudier sa topographie. Au milieu de tous ces éléments nerveux, des capillaires

en nombre incommensurable décrivent des mailles serrées assurant une circu-

lation abondante.

Tout autour des artérioles, le tissu paraît aussi dense qu'ailleurs et se co-

lore de la même façon. Les artérioles ont du reste une paroi mince qui ne sé-

pare que très peu le sang du tissu nerveux.

Autour d'une lacune ce tissu subit des modifications très importantes. Ce

qui frappe au premier abord sur une coupe colorée à l'hématoxyline-éosine

c'est la raréfaction du tissu qui va en s'accentuant à mesure que l'on s'appro-

che de la cavité lacunaire. On remarque que la coloration est beaucoup plus

claire, les noyaux sont moins nombreux, les éléments semblent dissociés et

écartés les uns des autres. Avant même de se rendre compte de la nature de la

lésion et des éléments sur lesquels elle porte principalement, la simple différence

de coloration montre une diminution du tissu, une véritable désintégration. Cela

se voit encore mieux sur les coupes qui ont été traitées par la méthode de

Marchi. Ici les éléments nerveux ne sont pas visibles ; ils sont à peine estom-

pés et la préparation est remplie de corps granuleux qui attaquent la paroi de

la cavité lacunaire. Très nombreux au bord même on les voit s'enfoncer dans la

paroi écartant les éléments nerveux qu'ils détruisent à mesure, et montrant

ainsi par leur abondance et leur répartition les parties sur lesquelles a le plus

porté la désintégration. Ces corps granuleux sont des leucocytes chargés de

la myéline des éléments nerveux ; leur trajet indique la lésion dont la gravité

est en raison de leur nombre. Ce sont les avant-coureurs de la destruction car

ils absorbent les éléments altérés jusqu'au jour où ils sont eux-mêmes résorbés.

Ce jour ne tarde pas à arriver. Les corps granuleux qui ne sont en effet vi-

sibles que 13 jours ou 3 semaines après le début de la lacune disparaissent

eux-mêmes rapidement. Ils ne contribuent pas à la cicatrisation. Ils sont fac-

teurs de destruction et non pas de réparation.

Quand on examine des coupes qui n'ont pas subi la méthode osmio-chromi-

que mais qui sont colorées par les procédés ordinaires convenant le mieux au

système nerveux, on distingue dans les parois de la cavité lacunaire trois zones

concentriques disposées autour de la cavité et dans lesquelles les lésions vont

en s'atténuant à mesure qu'on s'éloigne de la lacune.

Le première zone et la plus atteinte est constituée par le bord même de la

cavité. Ce bord est plus ou moins éloigné du vaisseau central suivant ses an-

fractuosités. Il est en effet d'une irrégularité remarquable, et dessine une ligne

festonnée montrant des sortes de lacunes secondaires microscopiques et rem-

plies de détritus.

On y voit des extrémités de cylindre-axes dont les fragments sont tombés

dans la cavité lacunaire des fibres névrogliques coupées brusquement dans

leur trajet. Ce tout forme une sorte de chevelu qui flotte dans la lacune.

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE 115

Souvent tout le long de ce bord on voit une grande quantité de globules

rouges reconnaissables à leur absence de noyau et à leur affinité pour l'éosine.

Ils se disposent en amas mélangés de globules blancs et forment une sorte

d'enduit le long de cette paroi qu'ils égalisent s'accumulant dans les anfrac-

tuosités.

Nous avons toujours observé cette inégalité des parois lacunaires et cela

quelle que soit la dimension de la lacune. Du moment qu'il existe un espace

vide entre le.vaisseau central et les parois de tissu cérébral ces parois sont

toujours anfractueuses. C'est cet espace vide dans lequel s'avancent les iné-

galités de la paroi qui caractérise ce que nous avons désigné par le terme de

lacunes du 2e degré.

MM. Dupré et Devauxont émis un avis un peu différent du nôtre (1).Ils ont

étudié les lacunes et les ont séparées en grandes et en petites cavités. Ils ont

subdivisé l'étude de ces dernières encore en trois groupes ; mais ce qui fait la

caractéristique de ces groupes de petites cavités c'est qu'elles sont toujours

parfaitement régulières et que l'espace vide situé entre le vaisseau et le tissu

cérébral ne contient pas d'éléments. « Les dimensions de cet espace, disent t

les auteurs, sont plus ou moins larges... Mais il est un fait constant sur lequel

nous insistons, c'est que la cavité qu'elle soit grande ou petite a toujours des

contours nets, réguliers, arrondis, non déchiquetés dépourvus des amas d'é-

léments disparates qui accidentent la bordure des grands foyers. »

Nous n'avons jamais observé d'images semblables à celles décrites par les

auteurs et reproduites dans le compte rendu de leur communication. Nous

connaissons cependant des figures un peu analogues. Dans certaines coupes de

tissu cérébral normal nous avons observé des vaisseaux aux parois minces se

rétractant dans le centre de leur cavité naturelle sous l'influence sans doute

des réactifs fixateurs et laissant ainsi entre eux et le parenchyme cérébral un

espace clair limité par des parois nettes et non déchiquetées.

Mais c'est là un simple artifice de préparation qui n'a rien de commun avec

la lacune de désintégration.

Nous avons toujours vu celle-ci caractérisée par la désintégration même du

tissu cérébral. Dans une première période le tissu se désagrège mais n'est pas

encore séparé de son vaisseau , tandis qu'au 2e degré la séparation s'est

effectuée et elle s'est faite au prix de la rupture des éléments nerveux suivie

de l'émigration des éléments sanguins.

Quel quesoitle volumedelalacune, qu'ellesoitmiliaireoulenticulaire, le résul-

tat semble le même, et toujours nous avons pu constater l'inégalité des parois

lacunaires. Mais il y a plus : ces auteurs ont décrit une membrane qui limiterait

la cavité du côté du tissu cérébral. « On distingue, limitant celle-ci (la cavité),

une mince pellicule sorte de fine membrane continue dans laquelle on ne peut t

déceler aucun débris rappelant le cylindre-axe, la myéline ou la névroglie. »

Nous sommes obligés d'avouer que nous n'avons jamais vu la mince pelli-

(1) Duras et DE VAUX, Foyers lacunaires de désintégration cérébrale, Soc. de Neur.

4 juillet 1901.

116 FERRAND

cule dont parlent MM. Dupré et Devaux. Malgré toutes nos recherches ce

sujet nous ne l'avons pas rencontrée. Malheureusement ces auteurs ne s'expli-

quent pas sur la nature de cette membrane et n'émettent même aucune hypo-

thèse sur son mode de formation.

Pour nous nous ne pouvons nous expliquer la présence d'une membrane de

ce genre que dans de très vieilles lacunes devenues kystiques, alors les bords

de la cavité sont limités par une membrane régulière qui n'est autre que la

paroi du kyste. Mais le fait est rare. Les lacunes kystiques ne se rencontrent

pas souvent, et jamais dans une lacune ordinaire et récente il ne nous a été

permis de voir une image semblable.

Immédiatement en arrière des bords de la lacune le tissu cérébral est encore

très altéré. Ce sont surtout les éléments nobles qui en ont disparu. Sur les

coupes on voit un grand nombre de mailles plus ou moins larges formées par

des fibres de névroglie laissant entre elles de petits espaces vides. Ils étaient

normalement comblés par les fibres nerveuses : celles-ci ont en grande partie

disparu; il ne reste que la trame névroglique qui les soutenait. Par ci par là

en trouve-t-on encore une qui a subsisté.

Les cellules nerveuses manquent complètement dans cette région : on ne les

voit pas du reste dans toute la zone altérée : c'est l'élément le plus sensible et

qui disparaît le plus complètement, ou ne les retrouve que tout à fait à la pé-

riphérie quand le tissu redevient absolument normal. Du reste dans cette région

où les cellules nerveuses manquent complètement, les rares fibres elles-mêmes

qui y subsistent sont très altérées ; elles perdent leur myéline qui est absorbée

par les leucocytes et que nous retrouvons ainsi sous forme de corps granuleux.

Elles ne sont plus colorées en bleu par la méthode de Weigert, souvent elles

sont rompues en plusieurs places et il est impossible de les suivre longtemps.

La névroglie souffre moins que le tissu noble. Les libres nettement teintées

par la coloration fondamentale dessinent le réseau de mailles plus ou moins

larges dans lesquelles sont encore quelques fragments d'éléments nerveux. Les

cellules ne disparaissent pas complètement. Quoique beaucoup moins nombreu-

ses on peut encore en colorer quelques-unes ; mais elles prennent malles cou-

leurs ; leur noyau a souvent totalement disparu et il ne reste plus à leur place

qu'un faible amas de protoplasma que les colorations énergiques arrivent à

peine à teinter et à rendre évident. Un contraste frappant existe entre ces élé-

ments en voie de régression qui sont de moins en moins visibles et l'abondante

infiltration embryonnaire formée de noyaux de cellules jeunes et fortement

colorées qui envahissent ce tissu ; on y voit aussi parfois une notable quantité

d'hématies attestant parleur présence l'importance hémorragique de ce proces-

sus de désintégration.

Les vaisseaux sont également nombreux et très altérés dans cette paroi tacu-

naire. On en voit tout autour de la cavité un grand nombre sectionnés plus ou

moins perpendiculairement leur axe. Ils présentent à un moindre degré les

lésions que nous avons décrites l'artériole centrale de la lacune, c'est-à-dire

que leur paroi est très épaissie et bourrée d'éléments embryonnaires nombreux

formant par places comme des paquets autour des vaisseaux d'où ils se dissé-

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE '. 117-

minent dans le tissu environnant ; on voit bien à cette répartition que les vais-

. seaux sont le centre d'action néfaste qui répand ses effets au loin dans l'épais-

seur du parenchyme. 1

C'est un peu schématiquement que nous avous distingué trois zones dans le

tissu cérébral péri-lacunaire.Nous avons vu dans quel état se trouvaient la paroi

puis le tissu immédiatement en rapport avec cette paroi. Il n'y a pas de dé-

marcation absolument nette entre cette seconde zone et la troisième.

Si nous regardons en effet une préparation lacunaire du centre à la péri-

phérie nous voyons que les altérations de la seconde zone après avoir occupé

une surface variable qui n'est du reste pas régulièrement circulaire autour de

la cavité, disparaissent peu à peu ; à mesure qu'on s'éloigne du centre le tissu

reprend son caractère normal.

Les mailles de la névroglie se resserrent et se comblent de fibres nerveuses

intactes. Les cellules névrogliques deviennent plus apparentes, se colorent

mieux, leur noyau est plus visible et si l'on continue à s'éloigner on arrive

insensiblement dans une région qui ne paraît pas altérée. Les cellules ner-

veuses elles-mêmes font leur réapparition,c'est là un critérium qui nous permet

de dire que nous sommes hors de la zone de désintégration. Seuls les vaisseaux

conservent leurs parois épaisses et infiltrées, caractère général que l'on retrouve

dans tout l'organe chez le même sujet. C'est donc insensiblement que nous

sommes sortis de la lacune en étudiant ses parois. Nous n'ajouterons qu'un

mot sur elles : c'est que ces lésions sont invariables dans leurs caractères mais

elles changent dans leur étendue. Tantôt la lacune est limitée par une zone de

désintégration très large tantôt très étroite, et même on peut rencontrer cette

destruction sur une large étendue d'un côté de la lacune tandis qu'en face ou

à côté les bords de cette même lacune seront à peine endommagés. La désin-

tégration ne s'est produite que d'un côté tandis qu'elle a respecté les autres.

Nous serions bien embarrassés de donner de ce fait une explication catégorique.

Il est probable cependant, que cette direction dans la désintégration est-sous la

dépendance de la vascularisation.

3° Contenu de la lacune. - Il nous reste à voir ce qu'il y a dans la lacune

entre le vaisseau qui en forme le centre et le tissu cérébral qui en constitue

les parois. Comme on peut s'y attendre on y trouve deux sortes d'éléments, les

uns venant du parenchyme cérébral, les autres émigrés du vaisseau. Tous

sont parsemés dans une cavité plus ou moins grande mais qui n'est jamais

comblée par les débris qu'elle contient.

Souvent ceux-ci sont accumulés pêle-mêle dans un angle de la lacune, tassés

les uns contre les autres sans ordre et difficilement reconnaissables, laissant

complètement libre le reste de la cavité qui semble sous l'objectif un grand

espace vide. Toujours les débris sont plus serrés vers les parois lacunaires

qu'autour du vaisseau.

Ce sont d'abord des fibres nerveuses tantôt complètement dépouillées de leur

myéline tantôt en ayant conservé encore quelques fragments. Elles sont déchi-

quetées, tordues, souvent enroulées sur elles-mêmes ou plissées comme des pa-

quets de ficelles. Elles n'apparaissent dans une coupe que sur une très petite

118 FERRAND

étendue parce qu'elles ont été brisées en plusieurs places. Il est en général im-

possible de les distinguer des fibres névrogliques, sauf quand elles sont encore

suffisamment saines pour rester colorées par la méthode de Weigert. Quelle que

soit la coloration employée ces fibres la prennent du reste très mal et beau-

coup peuvent ainsi passer inaperçues.

Il en est de même des cellules névrogliques tombées elles aussi dans la ca-

vité et qu'on ne peut plus guère que soupçonner. Parmi ces filaments et ces

cellules se voient encore les débris de la gaine lymphatique du vaisseau dont

on reconnaît les grandes cellules plates à leur noyau allongé transversalement.

Il en reste souvent plusieurs ensemble, formant ainsi plusieurs serpentins très

visibles dans la cavité.

A côté de ces éléments propres au tissu nerveux sont ceux qui viennent

du sang.

En premier lieu les hématies sont parfois assez nombreuses pour former un

tas dans un angle de la cavité. On les reconnaît bien à leur absence de noyaux

et à leur affinité pour l'éosine. Même par la méthode de Weigert on les voit,

mais alors elles sont parfois décolurées.

Tantôt peu abondantes et disséminées comme cela se voit dans les grands-

foyers de ramollissement corticaux, tantôt au contraire elles forment des amas

considérables comme cela a lieu dans les infarctus viscéraux. Il semble qu'une

véritable petite hémorragie se soit produite. Ce n'est bien entendu que dans

les lacunes récentes que l'on peut observer ces globules rouges parce qu'ils

sont rapidement résorbés et disparaissent du champ microscopique.

Mais plusieurs fois nous avons été frappés par leur grande quantité compa-

rativement aux autres genres de globules épanchés, de telle sorte qu'une hé-

morragie peut seule expliquer cette abondance proportionnelle.

Les leucocytes sont moins nombreux mais ils sont plus constants. Tandis

que les hématies manquent parfois, les globules blancs sont toujours présents,

on les voit très nettement colorés en bleu par l'hématoxyline. La méthode de

Weigert les colore beaucoup moins bien. En les examinant à de forts grossis-

sements nous avons pu nous convaincre qu'il s'agissait toujours de la même

variété de leucocytes. Ce sont de petits globules blancs ne contenant qu'un

seul noyau très fortement coloré par les couleurs basiques. Ce noyau paraît

homogène et ne laisse pas apercevoir de nucléoles. Autour de lui une bande de

protoplasma s'étend irrégulièrement de sorte que le noyau est souvent excen-

trique. Ce protoplasma prend les couleurs acides : on n'y distingue pas nette-

ment de granulations. Il est du reste souvent réduit à une mince bande circu-

laire à peine visible.

En somme ces leucocytes ne s'éloignent guère par leur type des mononu-

cléaires du sang : ce sont certainement des lymphocytes venus soit directement

avec une hémorragie, soit par diapédèse hors des vaisseaux intra-lacunaires.

Parmi tous ces leucocytes nous n'en avons jamais rencontré qui contiennent

plusieurs noyaux, même dans les cas où de grandes quantités d'hématies pou-

vaient faire supposer qu'il s'agissait d'une hémorragie, nous n'avons jamais vu

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE 119

de leucocytes polynucléaires, seuls les lymphocytes paraissent envahir les

tissus.

Du reste nous pouvons dire ici que quelque attention que nous ayons appor-

tée à ces recherches, quelques forts grossissements que nous ayons employés,

nous avons en vain recherché la présence de formes microbiennes. Bien que

nous ne nous attendions pas à en trouver dans la circonstance il était utile

d'examiner à ce point de vue les parois vasculaires et les gaines lymphatiques

des vaisseaux autant que les cavités'lacunaires elles-mêmes. C'est ce que nous

avons fait et pas plus dans les unes que dans les autres nous n'avons trouvé de

bactéries sous aucune forme. Cette recherche était nécessaire car on a remar-

qué la fréquence des hémiplégies dans les maladies infectieuses comme par

exemple la pneumonie, et voulu expliquer ces paralysies par des embolies

microbiennes. On pouvait nous objecter que parfois nos lacunes devaient re-

connaître une origine analogue. Nous ne le pensons pas.

Mais si l'on ne découvre pas de polynucléaires, on trouve cependant encore

dans les lacunes d'autres éléments globulaires.

C'est d'abord une variété de noyaux qui ont été décrits par MM. Dupré et De-

vaux (1) : « Il existe un certain nombre d'autres formations beaucoup plus

grosses, homogènes, se colorant fortement par l'hématoxyline. Ainsi colorées

elles ont l'aspect de sphères bleu foncé situées au milieu des éléments voisins

qu'elles semblent repousser. L'acide osmique ne les teinte pas en noir. Cette

absence de réduction établit entre ces corps sphériques et les corps dits granu-

leux, une différence qu'il faut noter à cause de la grande ressemblance mor-

phologique de ces deux formations globulaires. Ces gros globes ont un siège

électif, la région de la veine du corps strié et la paroi du ventricule latéral le

long de laquelle ils se disposent en une série linéaire ininterrompue rappelant

l'aspect d'un collier. »

Nous avons rencontré aussi les formations globulaires dont parlent MM. Du-

pré et Devaux. Comme eux nous avons été frappés par l'aspect de ces cellules

hypercolorées fixant forlement l'hématoxyline, et qui ne peuvent être des corps

granuleux. Elles sont trop petites pour être des cellules complètes : sont-ce seu-

lement des noyaux dont nous ne voyons pas le corps cellulaire ? Nous serions

plus tentés de le croire parce que nous les avons observées dans des conditions

un peu différentes de celles que nous signalent ces auteurs. Elles nous ont paru

siéger indifféremment dans toutes les lacunes, quel que soit leur siège dans le

cerveau. Elles y sont réunies en amas assez volumineux pour attirer aussitôt

l'attention par l'intensité de leur coloration.

De plus, ces amas sont plutôt dans la paroi même de la lacune que dans sa

cavité. Ils siègent dans les régions les plus désintégrées du parenchyme céré-

bral et sont toujours dans le voisinage d'un vaisseau altéré. Aussi sommes-nous

convaincus qu'il s'agit là d'une migration leucocytaire en rapport avec la lésion

vasculaire.

Enfin le dernier genre de globules que l'on trouve dans la lacune est cons-

(1) Dupré et DEvAux, loc. cit.

120 1 FERRAND

titué par des cellules volumineuses dont le noyau seul est coloré. Ces cellules

sont de dimensions remarquables, assez régulièrement circulaires et limitées

par une membrane d'enveloppe assez nette. Leur noyau est petit, analogue à

un noyau de lymphocyte et bien coloré en bleu par l'hématoxyline.

Mais tandis que dans un lymphocyte le noyau remplit tout le corps cellu-

laire, il est ici entouré d'une large bande de protoplasma. Dans quelques cas

très rares, nous avons vu plusieurs noyaux à ces cellules. Mais il est en géné-

ral unique, et peut occuper toutes les positions tantôt centrales tantôt périphé-

riques, ce qui nous explique que souvent sur des coupes ces cellules paraissent

manquer de noyau. Il

C'est qu'en raison de leur grand volume et de la situation excentrique du

noyau celui-ci est resté dans une autre coupe.

Le protoplasma de ces cellules ne prend aucune des colorations auxquelles

nous nous sommes adressés, sauf l'acide osmique.

Mais sur toutes les coupes colorées il paraît un peu jaunâtre, grenu, -dis-

tendant l'enveloppe cellulaire. Ces corps cellulaires sont toujours assez nom-

breux dans les cavités lacunaires. Nous pensons que ce sont des leucocytes

chargés de myéline. Ce sout eux qui donnent vraisemblablement les corps

granuleux dans les pièces traitées par la méthode de Marchi. Plusieurs faits

plaident en faveur de cette unicité.

D'abord ils sont très nombreux dans les lacunes récentes et semblent par

leur aspect grenu chargés de matériaux graisseux. De plus, nous avons vu sur

quelques coupes un aspect un peu particulier montrant bien à notre avis la

genèse de ces corps granuleux. Autour d'un vaisseau central d'une lacune

était une gaine périvasculaire et lymphatique passablement distante comme

cela s'observe souvent, à la fois des parois lacunaires et des parois vasculaires.

Des deux côtés de cette gaine lymphatique se trouvaient de nombreux leuco-

cytes. Mais tandis que tous ceux qui étaient en dedans autour du vaisseau

avaient la taille et l'aspect des lymphocytes qui infiltrent la paroi des vais-

seaux artérioscléreux, ceux au contraire qui étaient en dehors en contact avec

les parois lacunaires déchiquetées étaient gonflés et remplis de cette substance

grenue et graisseuse qui en fait des corps granuleux.

Tous cependant venaient du vaisseau par diapédèse, mais les premiers sor-

tis avaient franchi la gaine et participaient déjà il la désintégration cérébrale

tandis que ceux qui étaient en dedans étaient séparés des débris de myéline

par la gaine lymphatique suffisante en ce cas pour opposer une barrière in-

franchissable à la matière grasse qui ne pouvait la traverser. On pouvait

ainsi très bien suivre sur un espace limité les transformations des lympho-

cytes, et admettre ainsi l'identité qu'il semble y avoir eutre les corps granu-

leux révélés par la méthode de Marchi et ces gros lymphocytes chargés de

graisse.

D'autre part, il nous faut avouer que tandis qu'on voit les corps granuleux

disparaître et ne plus fixer l'acide osmique dans une lésion vieille de quelques

mois, par contre il est rare de ne pas apercevoir quelques-uns do ces globes

grenus dans les mêmes lésions. De plus, la méthode osmio-chromique montre

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE 121

que les corps granuleux envahissent les parois lacunaires et s'étendent par-

fois très loin dans l'intérieur du parenchyme cérébral, tandis que les globules

grenus se rencontrent surtout dans la cavité de la lacune et envahissent très

peu la paroi. ,

Malgré tout il se peut qu'il s'agisse là seulement d'incidents de technique

qui rendent les uns plus visibles dans certaines circonstances et les autres

dans d'autres. Aussi pensons-nous malgré les différences apparentes qu'il y a

idenlité entre les deux formations.

Maintenant ces corps sont-ils toujours d'origine leucocytaire ? Les cellules

de névroglie par exemple ne peuvent-elles pas elles aussi se charger de cette

destruction des éléments gras quand elles sont tombées dans la cavité lacu-

naire et prendre l'aspect des corps granuleux ? Le fait ne paraît pas impos-

sible.

Nous trouvons encore quelquefois'dans la lacune du pigment sanguin. Il

faut pour cela que le foyer date d'un certain temps. Les hématies qui l'ont en-

vahie ont disparu laissant la coloration particulière aux cristaux d'hématoïdine

et le pigment sanguin s'est déposé sur les parois.

Tels sontjes différents éléments que l'on rencontre dans les cavités lacunaires.

Nous les avons tous réunis dans une description d'ensemble et de fait on les

trouve presque tous dans chaque lacune. Il y a des variations proportionnelles

de nombre entre les variétés d'éléments mais il en manque rarement.

En résumé, sons le nom de deuxième degré des foyers lacunaires de désinté-

gration nous avons décrit une cavité contenant à son centre un vaisseau altéré

dans ses parois mais toujours perméable. Cette cavité est limitée par un paren-

chyme cérébral en voie de désintégration dont nous avons suivi les lésions du

centre à la périphérie.

Elle contient enfin un grand nombre d'éléments cellulaires et fibrillaires sur

la nature desquels nous nous sommes expliqués. -

Cette description est celle delà lacune typique que l'on observe le 'plus sou-

vent. '

Lit- Evolution de la lacune.

Après avoir parcouru ces deux stades anatomiques le processus de désinté-

gration peut se limiter, et si l'existence du malade le permet la plaie cérébrale

se cicatrisera. Mettant sans doute à profit son pouvoir de prolifération, la né-

vroglie va contribuer remplir la cavité. Aussi quelques années plus tard

sera-t-il très difficile de se rendre compte de l'existence d'une lacune antérieure.

Cependant au microscope on voit bien la cicatrice : les éléments nerveux

nobles ne pouvant se reproduire, la cavité en sera totalement dépourvue. Plus

de cellules nerveuses, plus de fibres à myéline et cependant la cavité se comble.

Des bandes fibreuses s'étendent d'un côté à l'autre de la paroi, formant un

réseau de plus en plus serré. Ces bandes sont composées de fibres névrogli-

ques : on y voit même quelques cellules. Tout autour de la cavité le tissu cé-

rébral conserve son aspect clair et raréfié ; mais les éléments qui l'infiltraient

122 FERRAND '

ont disparu, la névroglie l'a emporté dans sa lutte contre les leucocytes. Le

processus de sclérose a eu le dessus sur la désintégration.

Il s'en faut que cette terminaison heureuse et cicatricielle soit la règle. Plus

souvent la désintégration continue son oeuvre néfaste, s'avançant petit à petit

dans le parenchyme cérébral et la lacune s'agrandit. Quoique les lésions restent

à peu près les mêmes l'aspect de la lacune peut être un peu modifié. La des-

truction du tissu atteint d'autres vaisseaux et la cavité s'augmentant inégale-

ment on ne voit plus d'artère centrale. On observe alors de préférence au

voisinage des parois de la lacune un certain nombre de vaisseaux qui présen-

tent tous les caractères que nous avons décrits précédemment à l'artère centrale.

Elles sont toutes perméables et si elles ont des parois altérées celles-ci le sont

uniformément. Jamais il ne nous a été possible d'y reconnaître une dilatation

anévrysmale.

Et cependant ces vaisseaux traversent'ainsi une cavité dans laquelle rien ne

les soutient : or on sait à quelle grande pression sont soumises les artères cé-

rébrales. Quoi d'étonnant que ces artérioles ainsi livrées à elles-mêmes se rom-

pent tout à coup sous le choc de l'ondée sanguine et donnent passage à une

grande quantité de sang entraînant une hémiplégie mortelle.

Il ne nous est pas possible d'affirmer que nous sommes ici en présence d'nne

des causes de l'hémorragie cérébrale. Nous pouvons seulement dire que nous

n'avons jamais observé d'anévrysmes miliaires et que les vaisseaux qui tra-

versent les lacunes nous paraissent réaliser les meilleures conditions possibles

pour se rompre brusquement.

IV. - De quelques aspects lacunaires particuliers.

Nous avons toujours eu en vue jusqu'ici la lacune la plus fréquente, celle

des noyaux gris. Mais elle peut siéger en d'autres points de l'encéphale comme

nous l'avons vu et revêtir de ce fait quelques aspects un peu spéciaux.

La lacune qui coupe la capsule interne est toujours un peu plus volumineuse

que les autres. Elle débute dans un noyau gris et s'étend par une de ses extré-

mités qui se trouve ainsi atteindre la capsule interne.

Au niveau de ce faisceau de fibres blanches, nous ne voyons naturellement

pas de grosses cellules nerveuses puisqu'il n'y en a pas même normalement. Les

faisceaux blancs sont plutôt séparés et écartés que sectionnés. On ne voit pas

beaucoup d'éléments globulaires dans la cavité lacunaire, le tissu blanc étant

moins riche en vaisseaux que la substance grise il s'épanche moins d'hématies

dans la lacune. Sauf ces quelques légères particularités la différence est inap-

préciable entre la lacune du noyau lenticulaire et celle de la capsule interne.

Il en est de même pour les lacunes du centre ovale : peu de vaisseaux, peu

de globules rouges épanchés ; mais en raison de la grande quantité de fibres

à myéline qui s'atrophient et disparaissent il y a abondance de corps granu-

leux.

Dans la protubérance enfin, l'aspect est un peu le même que dans la capsule

interne. C'est en effet assez souvent dans le faisceau moteur que se creusent

LACUNES DE DÉSINTÉGRATION CÉRÉBRALE 123

les lacunes. Les fibres en sont alors dilacérées, écartées par les éléments d'in-

filtration; on y trouve également peu de vaisseaux. Le vaisseau central manque

même assez fréquemment.

Peut-être pour le voir mieux serait-il nécessaire de faire des coupes longi-

tudinales parallèles à l'axe du faisceau moteur, tandis que les nôtres ont

toujours été transversales et horizontales, ce qui permet d'embrasser les deux

côtés de la protubérance. Mais les vaisseaux devant être étendus souvent dans

le sens de nos coupes,c'est-à-dire perpendiculaires à l'axe des faisceaux moteurs,

il vaudrait mieux pratiquer des examens nouveaux en sens contraire.

Quoi qu'il en soit toutes ces différences ne portent que sur des détails insi-

gnifiants, et la description que nous ayons donnée des lacunes des noyaux gris

reste vraie et entière pour celles des autres régions de l'encéphale. Nous ferons

même remarquer en terminant le peu de variété qu'on observe d'une lacune

à l'autre. La plupart des lésions que l'on décrit en anatomie pathologique sont

faites sur un type général, idéal pour ainsi dire, dont chaque exemple en par-

ticulier s'écarte plus ou moins. La lacune au contraire est toujours identique

à elle-même : quand on en a examiné une, on ne peut manquer de les recon-

naître facilement. Sa disposition présente un ordre invariable et les altérations

que l'on y voit peuvent être considérées comme constantes. A ce titre elle

mérite bien une place à part dans la description des lésions encéphaliques.

INFANTILISME DÉGÉNÉRATIF (TYPE LORAIN) COMPLIQUÉ

DE DYSTHYROÏDIE PUBÉRALE (TYPE BRISSAUD)

PAR

ERNEST DUPRÉ ET PHILIPPE PAGNIEZ.

La grande question de l'Infantilisme a suscité, dans ces dernières an-

nées, toute une série de nombreux et inléressants travaux (1), parmi les-

quels ceux de Brissaud et IIertoghe, en dévoilant les relations de cette

dystrophie et de l'insuffisance thyroïdienne, ont orienté le problème étio-

logique et pathogénique dans une voie nouvelle et féconde. D'un autre

côté, inaugurés par Lorrain et Brouardel, continués par Brissaud, Thi-

bierge, Capitan, Aperl, et enrichis par l'incessante contribution documen-

taire, artistique, et morphologique de Il. Meige, les .éludes cliniques

nous ont révélé l'existence de différents types d'infantiles, la réalité des

formes de transition, et nous ont convaincus, que, dans la constitution

de l'infantilisme, à la multiplicité et à la combinaison des causes élio-

logiques, répondent la pluralité et le mélange des effets cliniques.

L'observation que nous rapportons est un document de plus, à ajouter

à la liste des types mixtes ou complexes d'infantilisme ; elle met en lu-

mière la pluralité des facteurs étiologiques dans la genèse des troubles de

la croissance; et, en montrant le rôle distinct des causes successives

(hérédité, infections infantiles, puberté) dans le processus pathogénique,

elle éclaire l'histoire des associations morbides, dans l'étiologie de l'in-

fantilisme.

Hélène Fr..., âgée de 15 ans 1/2, est entrée salle Pinel, lit 3, le 2 décembre

1001, à la Salpêtrière, dans le service du pr Déjerine (PI XIV).

Antécédents. - Père, débardeur, profondément et anciennement alcoolique.

Mère, éthylique (tremblement, cauchemars, pituite, etc.).

L'enfant, fille unique, est née à huit mois. Pendant la grossesse, la mère a

fait plusieurs chutes, sans conséquences graves ; elle a été renversée par une

(1) Consulter, pour la bibliographie de l'infantilisme, la liste des travaux relatifs

à ce sujet qui fait suite à la Revue générale de II. Meioe sur la question. Gazelle des

Hôpitaux, 28 février 1902.

Nouvelle Iconographie de 1 A SALPÈTR1R £ . T. XV. PI. XIV

INFANTILISME DEGENERATIF (TYPE LORAIN)

COMPLIQUE DE DYSTHYROIDIE PUBÉRALE (TYPE BRISSAUD)

(Ernest Drrfrrre et P. Pagaie^)

Masson & Cie, Editeurs

Bmll·,vd - Pans

INFANTILISME DÉGÉNÉRATIF 125

voiture dont le timon l'aurait, dit-elle, frappée au ventre. Une nouvelle chute

aurait été la cause de l'accouchement prématuré. L'accouchement a été fait par

une sage-femme. L'enfant, qui se présenta par le siège, resta pendant deux

jours un peu difforme et se développa ensuite sans anomalies ; elle fut nourrie

par sa mère.

Pas de convulsions : premières dents à 2 ans, canines à 3 ans. L'enfant n'a

marché qu'à plus de trois ans et n'a parlé qu'il 2 ans 1/2.

On relève, dans les antécédents, toute une série de maladies : coqueluche,

scarlatine, une affection cutanée prolongée, qui n'a pas laissé de cicatrices,pro-

bablement de l'impétigo; enfin, vers l'âge de 5 ans, une maladie fébrile, d'une

durée de un mois, qualifiée par le médecin de fièvre typhoïde.

Le développement, quoique très retardé, s'effectuait assez bien jusqu'à cette

dernière maladie; l'enfant avait commencé à apprendre à lire,mais elle aurait, à

ce moment,oublié tout ce qu'elle savait avant, et sa mémoire aurait subi une

diminution sensible. Jamais il ne se manifesta chez l'enfant de tendances vi-

cieuses.

De 5 à 15 ans, le développement est progressif, mais très lent ; la petite

malade, qui a toujours fréquenté l'école, a appris difficilement à lire et à écrire,

mais n'a jamais su ni calculer, ni coudre. Son peu d'intelligence a toujours

frappé les maîtresses de l'école, qui ont plusieurs fois fait venir sa mère, pour

en causer avec elle. Elle n'a jamais pu dépasser la classe tout à fait élémen-

taire. '

Il y a environ six mois, est survenu un changement très appréciable : la

mémoire a subi une diminution très marquée, l'enfant comprenait moins bien

ce qu'on lui disait ; elle était dans un état permanent de somnolence. L'appétit

diminua ; quelques crises hystériformes, n'ayant aucun caractère comitial,sur-

vinrent, surtout à l'occasion de contrariétés, d'émotions provoquées par les vio-

lentes scènes du ménage, fréquentes entre ses parents. Vers la même époque,

apparut une ébauche de règles, caractérisée par la perte de quelques gouttes de

sang, à deux reprises, séparées par deux ou trois mois d'intervalle. Cet état

reste stationnaire, avec plutôt tendance à l'aggravation, jusqu'au moment de

l'entrée de l'enfant à l'hôpital. La mère n'a pas remarqué que la figure ou les

mains de sa fillette se soient oedématiées, ni que sa voix ait changé ; mais elle

a observé des marbrures violacées et du refroidissement des extrémités.

Au moment de son entrée dans le service (2 décembre 1901) la fillette se

présente sous l'aspect d'une enfant de 8 à 9 ans, bien proportionnée, au facies

un peu lunaire, avec une expression d'étonnement et de légère stupeur. Les

mouvements sont lents, paresseux. Elle comprend les questions qu'on lui pose,

y répond posément, lentement, presque toujours par monosyllabes. Mais lors-

qu'on la laisse à elle-même, l'enfant demeure silencieuse, immobile, indiffé-

rente au milieu extérieur, avec un masque inerte.

L'examen détaillé révèle les particularités suivantes :

Téguments. La peau, de coloration normale, est lisse. Il existe une infil-

tration manifeste du tissu cellulaire sous-cutané au niveau du front, du cuir che-

velu, de la région antérieure du thorax et du ventre.

126 DUPRÉ ET PAGNIEZ

Ni sueurs, ni séchesse exagérée de la peau.

La face est pâle, sans plaque vermillon aux pommettes.il existe un petit

noevus sur la paupière supérieure gauche.

Les cheveux sont d'abondance moyenne, un peu gros et secs, courts, et ne

mesurent guère plus de 20 à 25 centimètres.

La peau est glabre partout : pas de poils au niveau du pubis, ni aux aisselles.

Squelette. - Les fontanelles sont fermées. Pas de déformation appréciable du

squelette au niveau du crâne ou des membres, ni de la colonne vertébrale,

quoique la mère dise qu'un léger degré de scoliose ait été noté il y a plusieurs

années.

La taille est de 1 m. 27. Le bassin a les caractères du bassin infantile. Pas

de malformations dentaires caractéristiques.

L'examen radiographique montre que les épiphyses du fémur, du tibia, dés

os de l'avant-bras, des métacarpiens et des phalanges ne sont nulle part sou-

dées, ainsi d'ailleurs qu'il est de règle, cet âge. Mais l'examen radiographique

comparé après la médication thyroïdienne, six semaines plus tard, semble mon-

trer d'intéressantes modifications : léger accroissement en longueur des doigts,

réels progrès dans l'ossification du cartilage (Voyez PI. XV).

Le coeur est normal, le pouls régulier, un peu rapide. Pas de troubles diges-

tifs ;

L'appétit, au dire de la mère, aurait légèrement diminué.

Pas de modifications du type respiratoire, aucun signe anormal à l'ausculta-

tion.

La voix est faible, infantile ; l'enfant parle d'ailleurs très bas et il est difficile

de lui faire élever la voix. Foie et rate normaux.

Du côté de l'appareil génital, on note l'aspect infantile de la vulve, l'absence

de développement des seins ; les règles, après l'ébauche d'apparition que nous

avons déjà signalée, ne se sont pas établies.

Le corps thyroïde est inappréciable à la palpation.

Les urines examinées ne contiennent ni sucre, ni albumine, et ont une com-

position normale.

La sensibilité est intacte, les réflexes réguliers.

On ne note rien d'intéressant du côté de l'oeil et de l'oreille.

Au point de vue intellectuel, la petite malade donne l'impression d'une enfant

de 7 à 8 ans ; elle comprend les questions élémentaires qu'on lui pose, y répond

par monosyllabes, mais semble profondément indifférente à tout ce qui l'en-

toure ; elle reste couchée, complètement apathique, dans son lit, ne témoigne

d'aucune initiative et ne parle presque jamais spontanément. Elle pleure quel-

quefois sans motifs connus.

L'examen mental est presque impossible à faire par l'interrogatoire : l'en-

fant ne répondant guère, ne prêtant aucune attention suivie au questionnaire,

et ne manifestant, par son faciès, son attitude, et ses réactions, qu'un état gé-

néral d'engourdissement, d'inertie et de torpeur physique et morale.

On commence la médication thyroïdienne à la dose de 0, 50 centigrammes

par jour de corps thyroïde de mouton, le 6 décembre 1901.

Il

NOUVELLE Iconographie de la Salpêtrière, T. XV, PI. XV

RADIOGRAPHIE DES MAINS D'UNE INFANTILE

(Type Lor,tin et type Brissaud combinés).

(Ernest Dupré et P : PI11;lIiez).

INFANTILISME DÉGÉNÉRATIF 127

Dès le lendemain, le pouls s'accélère et monte à 110-115.

Jusqu'au 15 décembre, aucune modification appréciable de l'état général, le

pouls continuant à osciller aux environs de 110.

Le 22, le poids est à 26 k. 500.

Le 26, pouls à 120. Moiteur générale. L'enfant, depuis quelques jours, se

montre très éveillée, cause, se lève. La surveillante est obligée, à différentes

reprises, de la faire taire. Pas de modifications bien sensibles du côté de la face

Le 4 janvier, le pouls est à 140. On note de la céphalée, de l'agitation, quel-

ques petits mouvements choréiformes, des sueurs, surtout au niveau des pieds

et des mains; pas de tremblement. On suspend le traitement pendant deux

jours.

Le 5 janvier, le pouls est à 124 ; l'agitation est moins marquée ; légère moi-

teur ; on reprend le corps thyroïde à la dose de 0, 20 centigrammes par jour,

pour l'arrêter complètement du 10 janvier au 25.

Un examen du sang, fait à cette date, révèle un degré d'anémie assez mar-

qué (2.700.000 globules rouges) et un équilibre leucocytaire normal. Pas de

globules rouges nucléés. Cet état d'anémie concorde assez bien avec la pré-

sence dans l'urine d'uro-bématine en quantité assez considérable.

L'examen complet des urines, fait le 11 janvier, donne 13 grammes d'urée,

1, 30 de phosphates, 0, 40 d'acide urique.

Un autre examen pratiqué, le 22, après douze jours de suspension du traite-

ment, révèle 10 grammes d'urée, 0, 90 de phosphates, 0, 36 d'acide urique.

Un second examen du sang, pratiqué le 26, donne R = 3.200.000. B = 4.000

Equilibre normal.

Le traitement thyroïdien est repris, le 26 janvier, à la dose de 0,20 centi-

grammes par jour, et provoque une tachycardie modérée, 115-120, sans trem-

blement, ni sueurs.

Le résultat général de cette médication thyroïdienne a,jusqu'à présent,été le

suivant :

Au point de vue du développement physique, l'augmentation de la taille a

été nulle; mais la figure, manifestement désinfiltrée, désempâtée, a pris descon-

tours plus nets, une forme plus allongée. L'aspect de l'enfant a changé, d'une

façon évidente et ce changement est surtout frappant pour ses parents, qui la

trouvent « bien améliorée ». C'est, dit sa mère, « le jour et la nuit » ; actuel-

lement elle rit, bavarde, joue avec d'autres enfants, s'intéresse aux choses qui

l'entourent, et lit des journaux illustrés.

Cette modification permet d'étudier, d'une façon plus précise, l'état mental.

L'enfant,absolument incapable de faire l'addition ou la soustraction la plus sim-

ple, ne se rappelle rien de la table de multiplication, qu'elle prétend avoir sue

antérieurement. Toutes les facultés intellectuelles sont rudimentaires : l'atten-

tion est impossible à fixer, la mémoire presque nulle, sauf pour les notions

immédiatement pratiques de sa vie quotidienne : mais la phrase la plus simple,

redite intentionnellement trois à quatre fois devant elle, n'est ni fixée ni rete-

nue ; l'enfant est incapable de la répéter. La plupart du temps, elle n'en saisit

pas le sens ; le jugement est d'une débilité tout à fait infantile. Les historiettes

128 DUPRÉ ET PAGNIEZ

fort simples, qu'elle lit assez couramment, ne laissent aucune notion dans sa

mémoire et son raisonnement : il est manifeste qu'elle n'en comprend pas l'in-

térêt ni la morale. Elle écrit fort mal,et les spécimens que nous en donnons mon-

trent les caractères infantiles de son écriture : l'orthographe est nulle. Elle

arrive en s'appliquant beaucoup, à copier, avec des omissions et des fautes, un

modèle qu'on lui soumet.Les échantillons d'écriture,spontanée (fig. 2) et copiée

(fi.4), représentent ici deux spécimens, psychographique et calligraphique, de

l'infantilisme psychique. Le raisonnement intellectuel et moral est absolument

rudimentaire. L'affectivité est plus développée ; l'enfant se montre caressante et

joyeuse avec sa mère, et aimable avec ses compagnes de salle : parmi celles-ci,

elle a choisi précisément les deux plus débiles, deux filles de 18 et 20 ans,

Fig, 1.

. rig, 2.

INFANTILISME DÉGÉNÉRATIF 129

atteintes d'encéphalopathie du premier âge, avec arrêt de développement intel-

lectuel et débilité mentale profonde.

Les autres malades du service, qui connaissent la fillette depuis deux mois,

s'accordent toutes à lui reconnaître une mentalité d'enfant de 7 à 8 ans.

Ce jugement n'est d'ailleurs exact qu'en partie : car, ainsi qu'il ressort de

l'examen ci-dessus relaté, notre malade est, dans l'ensemble de ses facultés, et

surtout de son instruction, manifestement au-dessous du niveau psychique

d'une enfant de 7 ans : à d'autres points de vue, elle semble, au contraire, un

peu au-dessus de ce niveau : par certaines de ses réponses, par quelques nuan-

ces d'expression mimique, au cours de la conversation, elle marque certains

mouvements émotifs, qui témoignent, lorsqu'on la traite en bébé, de quelque

sentiment passager de honte et d'amour-propre froissé.

- Pendant les mois de février et mars, le traitement thyroïdien a été continué

à doses modérées ; aucun progrès appréciable n'a été observé dans l'état physi-

que ou mental de la fillette. La mère demande à reprendre avec elle son enfant,

qu'elle trouve très améliorée et en bonne santé générale.

H ? Fr... quitte le service, à la fin de mars 1902.

L'intérêt de cette observation réside dans l'analyse des facteurs succes-

sifs de l'arrêt du développement chez cette enfant.

Par priorité de date et par ordre d'importance, doit être d'abord incri-

miné l'alcoolisme des générateurs, l'hérédo-alr.oolis1lle. L'intoxication est

invétérée et avouée chez le père ; chez la mère, elle est ancienne et ma-

nifeste. Le résultat est d'une netteté tout expérimentale; d'abord, accou-

chement prématuré, présentation par le siège : cette anomalie obstétricale

rentre dans la catégorie des faits bien étudiés par Larger (1) sous le titre

de : Stigmates obstétricaux de la Dégénérescence. Puis, le retard général

du développement de la dentition, de la marche, du langage, de l'intelli-

gence, révèle un état d'infantilisme héréditaire, d'origine toxique.

Ensuite, surviennent une série d'infections infantiles; et, à 5 ans, une

fièvre typhoïde grave. Cette infection apporte à cette évolution, déjà si

retardée et si compromise, une entrave décisive : les quelques notions

déjà acquises sont oubliées, et le développement général devient encore

plus lent. Sur ce terrain prédisposé, la fièvre typhoïde intervient donc

comme un facteur d'infantilisme acquis, d'origine infectieuse.

Enfin, vers l'âge de 14 ans,apparaît une ébauche de règles : l'instauration

menstruelle avorted'ailleurs; et, à l'occasion de cette puberté rudimentaire,

se développe chez la fillette un syndrome my,roedémateu : c, somatique et psy-

chique,que l'opothérapie thyroïdienne efface assez rapidement.Mais l'amé-

1 ioration ne porteque sur les symptômes de dystllyuoïdie, et ne modifie en

rien l'infantilisme antérieur à l'apparition du myxoedème.Auxélémenls hé-

(1) LARGER. Les Stigmates obstétricaux de la Dégénérescence. Th. Paris, 1902.

xv 9

130. DUPRÉ ET PAGNIEZ

réditaires et acquis d'infantilisme toxique et infectieux se superpose donc

un état d'infantilisme dystlryroïdien, survenu à l'occasion de la puberté.

Le critère thérapeutique confirme ici l'analyse des éléments écologiques

multiples de cet état d'infantilisme, créé par l'hérédité toxique, aggravé

par l'infection acquise et enfin compliqué par la cachexie thyréoprive.

Le caractère incomplet et avorté de l'instauration menstruelle, l'ab-

sence du développement des organes sexuels, décèlent l' insuffisance ozoa-

rieaaaae : et l'apparition, à l'occasion môme de cette puberté, du syndrome

myxoedémateux, semble bien démontrer que l'insuffisance thyroïdienne,

jusqu'alors latente, ne s'est manifestée que sous l'influence de la poussée

génitale de la puberté.

Les relations génito-tltyroïdiennes, depuis bien longtemps connues, ex-

pliquent la survenue, chez notre infantile, de celle dysthyroïclie pitbéi(ile ;

celle-ci représente le pendant, par insuffisance du développement thyroï-

dien, de la dysthyroïdie de la ménopause ou myxoedème de )'age critique,

secondaire à l'atrophie thyroïdienne contemporaine de l'involution géni-

tale. Ces associations, dans l'insuffisance pathologique des deux glandes,

l'ovaire et la thyroïde, si étroitement solidaires dans leur évolution et

leur activité physiologiques, sont une intéressante démonstration de ces

synergies organiques, que nous apprenons de plus en plus à soupçonner,

principalement dans le domaine des glandes à sécrétion interne, et dont

la connaissance, due à la pathologie, éclairera plus tard les lois de la

corrélation interorganique, dans le mécanisme de la croissance, et de l'in-

volution de l'être. ·

ABSENCE CONGÉNITALE DES MUSCLES

GRAND ET PETIT PECTORAL

PAR

A. SOUQUES.

L'absence congénitale des muscles grand et petit pectoral est une ano-

malie assez rarement observée. L'histoire de celte anomalie a passé pat-

deux phases successives : une phase anatomique et une phase clinique.

La première, presque entièrement due aux anatomistes, est faite de dé-

couvertes d'amphithéâtre ; la seconde s'ouvre avec l'observation de von

Ziemmssen (1), suivie bientôt de quelques exemples remarquables.

Aujourd'hui les faits de ce genre sont loin d'être exceptionnels. Tentclioff,

dans une thèse documentée (2), en résume cinquante observations. Mais

les faits publiés en France se comptent encore. Aussi m'a-t-il paru in-

téressant de vous en soumettre un exemple, accompagné de photographies

et de radiographies, dues à l'amabilité de M. Infroit. Le cas est, du reste,

curieux et comporte quelques commentaires d'ordre clinique et pathogé-

nique. Le voici, en détail :

Pom..., 20 ans, peintre en bâtiments, entre le 10 janvier 1902 à l'Hôtel-

Dieu annexe, pour une bronchite légère qui guérit en quelques jours. En

l'examinant je constate deux anomalies : l'absence des muscles pectoraux et

l'existence d'une malformation de la main, du côté droit. Et en l'interrogeant

j'apprends l'histoire qui suit :

Ses parents sont vivants, bien portants et ne présentent aucune anomalie

physique. Il est lui-même le troisième d'une famille de cinq enfants, tous

normalement conformés.

A sa naissance, survenue sans incident, les parents remarquèrent la petitesse

et la déformation de la main droite. Sa mère incrimina une vive émotion,

éprouvée pendant la grossesse a la vue d'un squelette. Mais l'anomalie du tho-

rax passa inaperçue. Ce n'est que plus tard, vers l'âge de dix ans, qu'en allant

(1) Ziemmssen, Deutsche Klinik, 1858.

(2) TGNTGHOFP', Absence congénitale du grand et du petit pectoral, Thèse de Paris,

1901.

132 SOUQUES

un jour au bain froid l'enfant constata lui-même que la moitié droite de sa poi-

trine était plus maigre que la moitié gauche. Il n'y prêta d'ailleurs aucune at-

tention. Effectivement, pas plus après qu'avant cette constatation, il n'en fut

incommodé. Sa main droite seule le gênant dans l'accomplissement de certains

actes, il devint gaucher. -

Il apprit son métier vers (le douze ans, se servant presque aussi bien

de la main droite que de la gauche pour manier son pinceau. Il n'a jamais été

malade de sa vie.

Il s'agit aujourd'hui d'un jeune homme de taille élevée (1 m. 79), bien mus-

clé et bien conformé, en dehors des deux anomalies que nous allons étudier.

A l'inspection de la partie antérieure du thorax, les bras tombant naturelle-

ment le long du corps, on est frappé par une asymétrie morphologique mani-

feste. La moitié gauche du thorax est d'aspect normal et contraste avec la

moitié droite. Celle-ci, en effet, offre l'anomalie suivante : la clavicule droite

paraît plus saillante que la gauche, et au-dessous d'elle on aperçoit une dépres-

sion étendue de la clavicule au-dessous du mamelon, d'une part, et de la

ligne médiane à la ligne thoraco-brachiale. d'autre part. Le sillon thoraco-

brachial droit diffère notablement de celui du côté opposé ; il est en effet verti-

cal et s'incline en dedans vers son extrémité supérieure. Sur cette dépression

sous-claviculaire font saillie les côtes, particulièrement les 2e, 3e et 4° près

de leur insertion cartilagineuse; et les espaces intercostaux s'y dessinent à la

vue (PI. aVI).

Le mamelon droit est plus petit que le gauche ; son auréole est plus rétrac-

tée et moins colorée. Il est en outre plus rapproché de la ligne médiane du

corps (de 1 cent. environ) et de la clavicule correspondante (de près de 2 cent.).

Aussi est-il un peu plus élevé. Mais si le sujet change l'attitude de ses bras et

les élève verticalement en l'air, le mamelon droit monte peu et reste notable-

ment au-dessous du mamelon gauche. Il y a là un contraste qui s'explique par

ce fait que le pannicule adipeux sous-cutané de la région pectorale droite a

presque entièrement disparu et que la peau plus adhérente aux plans sous-

jacents, est moins mobile que dans la région pectorale opposée.

En effet, la peau est adhérente aux plans profonds. C'est, du reste, tout ce

qu'elle présente d'anormal. Elle est lisse, unie, ni plus ni moins glabre que

celle du côté gauche. Le système pileux est peu développé chez ce jeune

homme, il est vrai, mais l'aisselle droite n'est pas moins garnie de poils que

l'aisselle gauche.

Le muscle grand pectoral parait totalement absent dans sa portion costo-

sternale. Nous verrons plus loin que le courant électrique montre qu'il en sub-

siste quelque vestige. La portion claviculaire fait entièrement défaut dans sa

moitié interne; sa moitié externe, séparée du deltoïde par le sillon delto-pec-

toral, est conservée et chien développée, plus développée peut-être qu'à l'état t

normal.

Par contre le muscle petit pectoral a totalement disparu.

Les côtes et les cartilages costaux -existent dans toute leur étendue. Les 2«,

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XV. PI. XVI

ABSENCE CONGENITALE DES MUSCLES GRAND ET PETIT PECTORAUX DROITS

(A. Souques).

Masson & Cle, Editeurs

^ nCllhaud. - Paris

ABSENCE CONGÉNITALE DES MUSCLES GHAND ET PETIT PECTORAL 133

3e et 4e côtes font un relief notable près de leur insertion cartilagineuse. Elles

sont déprimées au niveau du mamelon, et au-dessous de lui le rebord cartilagi-

neux est plus saillant que celui du côté gauche.

Quant aux espaces intercostaux, ils semblent normaux, sans élargissement

ni rétrécissement notables, sans apparence de hernie du poumon. Lorsque le

sujet respire normalement, le doigt appliqué sur ces espaces (2° et 3e) ne per-

çoit aucune contracture musculaire. Par contre, dans l'inspiration forcée, on

sent les muscles intercostaux externes se contracter et, dans le second temps

de l'inspiration, bomber fortement sous le doigt, en même temps que les côtés

s'élèvent.

Le sternum est nettement dévié vers la droite, obliquement de haut en bas

et de gauche à droite. On peut juger du degré de cette déviation, en tirant la

ligne médiane du corps depuis la fourchette sternale jusqu'à l'ombilic. Il est

facile de constater alors que cette ligne médiane se superpose presque au bord

gauche de l'os. Il importe donc de tenir compte de cette déviation pour appré-

cier le demi-périmètre thoracique. Celui-ci, en effet, sensiblement égal du côté

droit et du côté gauche, par rapport à la ligne médiane du corps, devient plus

petit à droite (de il à 3 centimètres) si on le mesure du rachis à l'un et l'autre

bord sternal. Cette mensuration a été pratiquée au niveau de la ligne bimame-

lonnaire.

La clavicule droite est de longueur normale, plus grêle et moins convexe

dans son tiers interne que la clavicule gauche ; elle est, au contraire, plus dé-

veloppée dans ses deux tiers externes.

Pour ce qui concerne l'apophyse caracoïde droite, facile à explorer, il est

possible qu'elle soit déviée en dehors, selon la remarque de Kôlliker, par suite

de l'action non compensée du biceps et du coraco-brachi31, mais je n'oserais

l'affirmer, la comparaison avec celle du côté gauche n'ayant pu être faite.

; L'épaule droite est plus élevée que la gauche de 2 centimètres environ, en

raison du tonus non contrebalancé du muscle trapèze. Il s'ensuit que l'omo-

plate droite est plus élevée en totalité que l'omoplate opposée.

Il existe enfin une légère scoliose dorsale, située au niveau des 6e, 7"' et

88 vertèbres, dont la convexité regarde à gauche.

. La déformation précédente du thorax change d'aspect lorsqu'on fait prendre

aux membres supérieurs une attitude autre que l'attitude du repos.

Si on dit au sujet de mettre les poings sur la hanche, les coudes portés en

avant et en dehors,on voit aussitôt apparaître une nouvelle déformalion(PI.XVl).

La paroi antérieure de l'aisselle, formée par le grand pectoral,.fait défaut et le

creux de l'aisselle a pris une forme particulière. La paroi postérieure est élar-

gie, formée par les muscles grand rond et grand dorsal qui paraissent hyper-

trophiés.La figure photographique ci-jointe en donnera une idée mieux que toute

description (PI. XVI).

Si on fait porter les bras en dehors et en haut, un peu au-dessus. 'de l'hori-

zontale, on. voit se former un pli cutané, ptérygoïdien, qui part de la' deuxième

côte, à trois travers de doigt du. sternum, et se dirige obliquement de

134 SOUQUES

bas en haut et de dedans en dehors pour se perdre vers la coulisse bicipitale

de l'humérus, suivant la direction des fibres costales du grand pectoral. En sai-

sissant ce repli entre les doigts, on constate qu'il contient une espèce de mem-

brane fibreuse, très résistante,qui ne gêne du reste aucunement l'élévation ver-

ticale du bras.

Telles sont les déformations constatées au niveau du thorax. Voyons mainte-

nant celles que présente la main droite.

- A noter, en passant, que le bras et Pavant-bras droit ont une largeur égale

il celle des segments analogues du membre supérieur opposé, encore que leur

circonférence soit inférieure de 1 centimètre environ. Cette différence tient

sans doute à ce fait que le sujet est gaucher; elle ne dépend pas d'une amyo-

trophie évidente. Si amyotrophie il y avait, elle serait légère et réflexe (mal-

formation de la main). Les réflexes tendineux sont normaux.

La main droite est arrêtée dans son développement (PI. XVII). Elle est beau-

coup plus petite et plus étroite que la main gauche. Son périmètre,mesuré au ni-

veau de la commissure du pouce, indique une différence de quatre centimètres.

Le métacarpe n'est point malformé ; les éminences thénar et hypothénar sont

régulières et bien développées. L'arrêt de développement porte principalement

sur les doigts et avant tout sur les phalangines et les phalangettes, qui sont

atrophiées, malformées, ankylosées plus ou moins. Les ongles sont normaux

à l'index, au médius et à l'annulaire; le pouce a un ongle rudimentaire et le

petit doigt n'en porte pas. Il existait, en outre, une syndactylie de l'index et

du médius droits, opérée vers l'âge de dix ans par le Dr Témoin. La radiogra-

phie (Pl.XVII) représente le squelette de la main droite.

Pas d'autres anomalies à signaler.

Les anomalies et malformations précédentes n'ont pas amené de troubles fonc-

tionnels sérieux. L'absence des muscles pectoraux n'a jamais gêné le malade,

les mouvements divers du membre supérieur n'en ont pas été troublés. Cet

homme nage, grimpe aux arbres et à la corde à noeuds avec facilité. La

main droite seule le gêne, et cela se conçoit, pour l'exécution de certains actes.

Encore s'en sert-il -car, quoique gaucher, il est ambidextre - pour manger,

peindre et écrire. Il lui est difficile de faire du trapèze, et impossible de tirer

au fusil de la main droite, parce qu'il ne peut bien saisir la barre ou la gâchette.

Mais il fait de la gymnastique et tire convenablement de la main gauche.

L'examen électrique, pratiqué par M. le Dr Huet, a montré que les fais-

ceaux musculaires du grand pectoral n'ont pas entièrement disparu. Avec les

courants faradiques notamment,on obtient des contractions dans les divers fais-

ceaux costaux sur les cinq ou six premières côtes, mais les faisceaux claviculaires

paraissent faire défaut, de même que les faisceaux sternaux.

[D'ailleurs, lorsque le malade ne contracte pas ses muscles, si on examine

la paroi antérieure de l'aisselle, il semble que l'on sente au-dessous de la peau

un faible plan musculaire, vestige du grand pectoral ; lorsque le malade con-

tracte ses muscles pour rapprocher le bras du tronc, ou l'abaisser quand il est

soulevé, les faisceaux ne soulèvent pas la peau.] ,

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XV, PI. XVII

ABSENCE CONGÉNITALE DES MUSCLES GRAND ET PETIT PECTORAUX DROITS

Photographie des mains. - Radiographie de la mam droite.

ABSENCE CONGÉNITALE DES MUSCLES GRAND ET PETIT PECTORAL 135

Les autres muscles : grand dorsal,grand rond,trapèze,del toïde, lori 0 -Lie portion

du triceps, ne diffèrent pas sensiblement comme excitabilité électrique (examen

avec les courants faradiques) des muscles du côté gauche.

Il s'agit, en résumé, d'une absence congénitale du grand et du petit

pectoral du côté droit. Le petit pectoral fait totalement défaut; du grand

pectoral il ne reste qu'un petit faisceau de la portion claviculaire et un

rudiment de la portion costale, décelable par l'exploration électrique. Cet

arrêt de développement est d'origine congénitale. On ne peut, en effet,

songer ici à une amyotrophie localisée de l'enfance devenue stationnaire

et fixée définitivement dans cet état, analogue à celles qui ont été signa-

lées par Erb ('1). Il est possible que certains cas d'absence supposée con-

génitale des pectoraux ressortissent à cette étiologie. Mais le nombre doit

en être restreint, je pense. De toute manière, le fait que je viens de rap-

porter est authentiquement congénital.

Cela étant, l'observation offre quelques particularités intéressantes à

souligner.

Dans les cas publiés jusqu'ici, on a exceptionnellement signalé des mo-

difications du côté du sternum ou de la clavicule. J'ai parlé; au cours de

l'observation, des modifications que présentent ces os chez mon malade.

La disparition des pectoraux met à nu, pour ainsi dire, les espaces in-

tercostaux et permet de se rendre compte directement du rôle des muscles

intercostaux pendant la respiration. Ce rôle a été autrefois interprété de

façon opposée, et les opinions les plus contradictoires ont été émises sur ce

point. Or, il est aisé de se rendre compte, chez cet homme, que les inter-

costaux externes restent immobiles dans la respiration normale. Au con-

traire, dans l'inspiration forcée, ils entrent en action, se contractent et

saillent fortement, surtout dans la seconde moitié de l'inspiration, pour

retomber au tonus normal pendant l'expiration.

On a beaucoup discuté la nature de la membrane ptérygoïde (Flllghallt-

bildun des auteurs allemands) qui s'étend, chez ce sujet, de la deuxième

côte à la coulisse bicipitale de l'humérus. C'est un simple pli de la peau,

renfermant dans son intérieur une membrane tendue, fibreuse, dépourvue

électriquement de libres musculaires. En considérant sa direction, on se-

rait tenté de prime abord de voir là un vestige du muscle grand pectoral.

Benario (2) n'y voit que des restes du tissu fasciculaire.

L'absence congénitale des muscles pectoraux n'amène aucun trouble

fonctionnel appréciable dans les mouvements du bras. C'est li une remar-

(1) En, Neurolog. Centrait). , 1871.

(2) Benario, Ueber einen Fall von angeborenem mange des M. pectoralis major

und rninor mit Flughautbibdung. Berl. kl. n'Dell" 1890.

136 SOUQUES

que fort juste qui a été faite par tous les auteurs qui se sont occupés de

cette question. Le malade présent n'éprouve aucune gêne du fait de l'ab-

sence des pectoraux. L'arrêt de développement et la malformation de la

main droite entravent seuls l'exécution de certains actes. Encore cette

entrave est-elle minime, ainsi que nous l'avons déjà vu.

Cette intégrité fonctionnelle des mouvements du membre supérieur, due

à la suppléance des muscles deltoïde, trapèze, grand dorsal, etc. (dont

l'hypertrophie a été relevée dans un certain nombre de cas), comporte

quelques déductions. Tout d'abord, l'absence congénitale des muscles pec-

toraux ne constitue pas un cas de réforme radicale. On a vu plusieurs fois

des soldats, atteints de cette anomalie, faire leur service militaire. Cepen-

dant, parfois certains mouvements, le tir au fusil, par exemple, peuvent

être gênés. lien était ainsi chez un des deux soldats observés par MM.

Azam et Casteret (1). Présenté devant la commission de réforme, il fut

maintenu sous les drapeaux dans la section des secrétaires d'état-major.

Mais chez mon malade, l'absence des pectoraux se complique de malfor-

mations graves de la main droite.La mise en réforme me semble s'imposer,

étant donné que cet homme ne peut tirer au fusil de la main droite. On

pourrait toutefois le verser dans un service auxiliaire, parce que son im-

potence fonctionnelle est minime et parce qu'il désire vivement faire son

service militaire.

Une seconde déduction a été tirée par les chirurgiens. IIeidenhaim a

montré depuis longtemps que le grand pectoral est souvent envahi par le

cancer du sein, et que la récidive sur place est fréquente, si on n'enlève

pas ce muscle. Aussi la plupart des opérateurs enlèvent-ils actuellement

non seulement le grand, mais encore le petit pectoral et même le tissu

cellulaire sous-jacent. Les récidives, d'après les statistiques, sont infini-

ment plus rares et les mouvements du bras n'en sont pas notablement

troublés.

Il me reste, en terminant, à discuter le problème de la pathogénie. On a

émis sur ce point plusieurs théories. Je rappellerai simplement celle qui

invoque un arrêt de développement du système vasculaire ou du système

nerveux (central ou périphérique). Cette théorie, qui peut bien s'appliquer

à quelques cas, ne saurait convenir à tous. Rûckert (2) a eu l'occasion de

faire l'autopsie d'un nouveau-né, âgé de cinq jours, présentant une absence

des muscles pectoraux. Or les artères étaient normalement développées et

les nerfs, moins gros néanmoins que ceux du côté opposé, venaient se

(1) Azam et Casteret, Absence congénitale des pectoraux. Presse médicale, 3 février

1897, p. 53.

(2) RUCKERT, Ueber angebor. Defect. der Brustmuskeln. Münch. med. Woch., 1890.

ABSENCE CONGÉNITALE DES MUSCLES GRAND ET PETIT PECTORAL 137

terminer dans le tissu sous-aponévrotique de la région pectorale. C'est là

un fait en désaccord avec la théorie précédente.

Pour interpréter le cas de mon malade, ainsi que les cas analogues, il

faut, je pense, admettre la théorie émise déjà par Froriep en (8 : 9, qui

invoque la compression exercée par le membre supérieur sur le thorax du

foetus. A l'appui de cette théorie on peut faire valoir une série d'argu-

ments : la participation globale de tous les plans de la paroi thoracique, à

savoir la peau, le mamelon, les côtes, les espaces intercostaux (hernies

pulmonaires observées dans quelques cas), le sternum, la clavicule. L'at-

titude du foetus dans la cavité utérine et les rapports du membre supé-

rieur avec la partie pectorale du thorax plaident encore en faveur de cette

théorie. Cette altitude et ces rapports permettent de concevoir la possibilité

d'une compression thoracique massive et localisée. Le degré et l'étendue

de la déformation thoracique sont proportionnels à l'intensité ou à la

durée de la compression, et à la surface comprimée. D'autre part, la co-

existence fréquente de malformations de la main corrobore celle opi-

nion. Tentchoff a relevé une quinzaine de cas de syndactylie, sans compter

les autres malformations de la main. Tous ces faits parlent pour l'origine

périphérique et traumatique. Du reste, le fait suivant est encore plus élo-

quent : un enfant nouveau-né, observé par un auteur allemand, présentait

une excavation thoracique consécutive à l'absence des muscles pectoraux ;

or le membre supérieur correspondant s'adaptait exactement à cette exca-

vation. Avec les progrès de l'âge, cette adaptation s'effaça et disparut.

Un tel fait se passe de commentaires. Il n'est pas douteux que la théorie

de Froriep est capable d'expliquer, dans certains cas, l'absence congéni-

tale des muscles pectoraux.

- SYNDROME DE LITTLE

ACQUIS AVEC AMÉLIORATION, RECHUTE ET AMÉLIORATION NOUVELLE,

PAR

GASTON DANIEL

de la Policlinique de Bruxelles.

Dans la pratique courante du traitement du syndrome de Little, on est

étonné de voir, combien les malades relevant du même traitement sont

atteints de symptômes variés, quant à leur degré d'intensité et d'étendue.

Il est aisé de se convaincre que l'affection connue jusque dans ces der-

niers temps sous le nom de « Maladie de Little » est un ensemble de symp-

tômes divers relevant de lésions plus ou moins étendues du système

nerveux.

En t8S2, Little publiait une série d'observations relatives à des ma-

lades présentant des troubles de la motilité et du système nerveux (De-

formities of the human frame) ; avant lui cependant, on trouve dans la

littérature médicale des relations de même nature; mais c'est surtout l'ap-

plication de l'histologie aux examens nécropsiques qui devait, il défaut

d'une meilleure définition des tabes spasmodiques, montrer la multiplicité

des affections réunies sous le même nom de « Maladie de Little ».

Andry,professeurde médecine au Collège noyai, conseitterdu roy, parle

dans son Orthopédie (tome premier, 1741) des « pieds dont le talon ne

touche pas aisément la terre » et plus loin des « défauts concernant le

port des jambes et des pieds ». Dans ces deux chapitres, l'auteur considère

surtout la valeur esthétique de l'affection, qu'il distingue cependant en

congénitale ou acquise, et il établit un traitement qui est en résumé le

massage et les mouvements passifs, sans toutefois faire intervenir l'élé-

ment nerveux dans l'origine de ces affections.

Erb et Charcot appellent « paralysie spinale spastique » et « tabes dor-

sal spasmodique », des affections caractérisées par des contractures dans

les membres avec augmentation des réflexes et sans troubles du côté de la

sensibilité ou des sphincters. Pour Erb et Charcot, la lésion siégeait t

dans les cordons latéraux de la moelle frappés de sclérose.

SYNDROME DE LITTLE 139

Raymond et Cestan ont montré que si les symptômes cliniques offrent

des points communs, la lésion anatomique est variable et se traduit par

une excitation anormale des cellules motrices de la moelle. Pour la faci-

lité clinique, on avait fait de la maladiedeLittle une affection congénitale

non héréditaire, avec naissance prématurée et développement incomplet

des faisceaux pyramidaux. Pour d'autres, la naissance avant terme n'est

pas une des conditions essentielles de la maladie et la lésion des faisceaux

pyramidaux peut provenir d'un manque de développement de leurs fibres

ou bien de lésions traumatiques agissant sur les centres cérébraux spinaux,

ou mieux encore, résulter de dégénérescences nécrobiotiques des cellules

nerveuses chez le nouveau-né, à la suite d'un état de mort apparente plus

ou moins prolongé. C'est cette dernière hypothèse, qui expliquerait le

mieux la diversité des constatations histologiques et des symptômes cli-

niques.

Little (18846-1870) appelle ces cas congénital spastis rigidity oflimbs et

Heine déjà en 1840 avait décrit paraplegia spastica cerebralis, tandis que

les auteurs antérieurs en faisaient des affections médullaires. Actuelle-

ment, le faisceau pyramidal serait surtout atteint, mais cette vue est bien

théorique puisque d'une part bien des examens médullaires ne mention-

nent aucune lésion des faisceaux pyramidaux, et que d'autre part on voit

des lésions très diverses provoquer des symptômes identiques.

Les formes variées de la maladie sont souvent des distinctions pure-

ment théoriques : pour Little il y aurait une forme spinale et une forme

cérébro-spinale. Sach pousse plus loin la distinction en formes hémiplégi-

ques, diplégiques et paraplégiques.

Van Gehuchten voudrait que l'on fût d'accord sur les états pathologi-

ques à ranger sous le nom de maladie de Little qu'il définit ainsi : « nais-

sance avant terme, contracture spasmodique des membres, absence de

lésion cérébrale et tendance à la guérison spontanée et progressive». Cette

affection serait due au manque de développement du faisceau pyramidal.

Malheureusement ces différentes conditions n'ont pas grande valeur, et

un rapide examen détruit ce que leur réunion semblait avoir de pondéré

pour qualifier une maladie nette et déterminée :

1° La naissance avant terme. - Beaucoup d'enfants nés avant terme

sont en état de santé parfaite et rien dans leur état physique ou mental

n'indique qu'ils ont pu être lésés. Inversement le syndrome de Little s'ob-

serve chez des enfants nés à terme et même comme dans notre observation

(A-B) apparaît deux ans après la naissance.

2° Les contractures spasmodiques des membres avec absence de lésions

cérébrales. - Il semble que ces symptômes soient bien peu définis, et ap-

plicables à bien des paralysies ou paraplégies infantiles; quant à l'ab-

140 GASTON DANIEL

sence de lésions cérébrales, il faul évidemment distinguer les lésions cé-

rébrales, que l'on rencontre dans presque toutes les autopsies (porencépha-

lies, atrophie des névromes centraux) et les troubles intellectuels, états de

compréhension diminuée, hypersensibilité affective ou sensorielle dont le

développement donne au petit malade une mentalité évidemment atteinte.

Il semble impossible de concevoir théoriquement un paraplégique, con-

tracture ou dystrophique dont l'intelligence ne ressente pas le contre-coup

du trouble physique. La distinction en forme spinale et cérébro-spinale

est spécieuse, et plutôt spéculative.

3° La tendance à la guérison spontanée et progressive. - S'i I est vrai que

dans certains cas, les plus fréquents, la maladie suit une marche progres-

sive en diminuant, il est d'autres cas oit le mal ne fait que croître et aug-

menter (Déjerine, Traité de Pathologie générale de Bouchard). - Voici par

exemple un enfant chez lequel de jour en jour les difficultés des mouve-

ments volontaires deviennent plus grandes, à mesure que les muscles ac-

quièrent plus de force, ils obéissent de moins en moins à la volonté. Nous

avons une petite fille de sept ans, atteinte aux bras et aux jambes, l'ad-

duction des cuisses augmente de jour en jour. C'est ici que s'impose le

traitement chirurgical suivi du traitement mécanique et, chose curieuse à

observer, le traitement chirurgical seul, amende considérablement l'état

du malade et tonifie en quelque sorte le système nerveux.

Le traitement chirurgical consiste essentiellement en sections tendineu-

ses et musculaires de toutes les parties contracturées suivies d'un séjour

de 3 à 6 semaines dans un appareil Dans tous les cas, nous avons

pu constater que le séjour des membres inférieurs dans un appareil plâtré

améliorait l'état des bras et des mains. Comment expliquer cette améliora-

tion, sinon par la formation de nouvelles conductions centripètes ; je sais

bien que cette hypothèse ne cadre pas avec les données actuelles de la

transmission nerveuse, mais elle expliquerait bien des choses. Ne voit-on

pas chez les aphasiques par exemple, au bout d'un certain temps, l'hémi-

sphère droit suppléer, dans une certaine mesure, aux parties détruites de

l'hémisphère gauche ? Pourquoi n'y aurait-il pas dans les voies sensitivo-

motrices des trajets nouveaux rétablissant les fonctions perdues et comment

expliquer autrement les modifications qui se produisent dans l'état de

Little, à la suite du séjour dans un appareil plâtré et du traitement con-

sécutif.

Le traitement consécutif consiste en massages et mouvements passifs,

reproduisant exactement les mouvements que devrait faire normalement

l'enfant pour marcher, s'asseoir, écrire, manger, etc. Après un temps plus

ou moins long, toujours. ce traitement mécanique produira des effets favo-

rables.

SYNDROME DE LITTLE 141

4° Le manque de développement du faisceau pyramidal. Ce faisceau ne

serait complètement formé chez l'enfant que vers l'âge de 9 ou 10 mois

comme le prouveraient l'histologie et la persistance du réflexe deBabinsky

jusqu'à cet âge ; cependant, le bébé ne présente dans les premiers mois de

sa vie aucun état de contracture ou d'incoordination des mouvements.

Il n'existe pas de cas d'autopsie de maladie de Little ayant démontré un

manque de développement primitif des voies pyramidales ; ce sont presque

toujours des hydrocéphalies, porencéphalies ou scléroses cérébrales qui

sont signalées (Déjerine).

Dans un cas de dégénérescence, secondaire il est vrai, du faisceau pyra-

midal gauche, on avait les symptômes d'une hémiplégie droite (destruction

primitive du segment postérieur de la capsule interne).

Le professeur von Strümpell a publié un cas de tabes dorsal spasmodi-

due pur avec conformation anatomique bien nette (forme théorique de

Charcot et Erb dont nous parlions plus haut). C'est le cas d'une femme.de

63 ans souffrant depuis 2 ans d'une faiblesse croissante des bras et des

jambes. La parésie se transforma peu à peu en une paralysie des bras et

des jambes. Les muscles étaient rigides et présentaient aux mouvements

passifs une résistance spasmodique légère ; exagération des réflexes patel-

laires. Pas d'atrophie musculaire, pas de troubles sensitifs ou vésicaux.

Enfin, au bout de 3 ans, paralysie complète de tous les muscles volontaires

du squelette (muscles des yeux, de la face, de la mâchoire, de la langue,

de la nuque, des bras, du tronc et des jambes). Anatomiquement existait

une dégénérescence symétrique des faisceaux pyramidaux dans tout leur

parcours, depuis l'écorce cérébrale à travers la capsule interne, le pédon-

cule, le bulbe et la moelle (système du neurone moteur central). 1

Ce cas, publié dans l'Atlas du système nerveux du Dr Christfried Jakob,

est extrêmement intéressant, parce qu'il nous montre la marche en sens

inverse, des symptômes que présente un Little marchant vers la guérison,

mais alors, il faudrait admettre, tout au moins pour le cas que nous pu-

blions, la formation de nouvelles fibres nerveuses dans le trajet nerveux.

(Il est encore un point intéressant, c'est la descente tardive du testicule

chez le jeune tabétique. Ceci est une persistance de l'état foetal,mais encore

une fois, il faudrait faire des recherches spéciales à ce sujet et le profes-

seur Van Gehuchten signale simplement le fait sans avoir eu l'occasion de

le relever systématiquement chez un grand nombre de malades.)

La dernière autopsie publiée (Dr Rolly, 24 octobre 1901) n'est guère de'

nature à élucider le problème nébuleux de l'étiologie du syndrome de

Little, en voici le résumé : c'est l'observation de deux jumelles nées à'

terme. La première est extraite au forceps et asphyxiée à la naissance,

elle reprend normalement, et le 11e jour est sujette à des convulsions qui

142 CASTUX DANIEL

augmentent. Les membres sont en état de rigidité spastique avec athétose

des pieds et des mains et les réactions électriques, les réflexes sont proba-

blement normaux et fort difficiles à explorer. Peu à peu la contracture

générale augmente et l'enfant meurt.

L'autopsie faite quelques minutes après la mort montre le cerveau avec

un peu de sérosité externe et la pie-mère un peu louche, aucune lésion

atrophique sur les coupes, la substance blanche et la substance grise sont

bien délimitées.

La moelle ne donne rien de pathologique à l'examen macroscopique.

Les coupes de la moelle lombaire (Nissl) montrent les cellules ganglion-

naires normales et leurs prolongements anormalement colorés, mais pas

tous.

Moelle cervicale : les cellules ganglionnaires sont en voie de dégéné-

rescence, leurs noyaux ne sont plus nettement délimités.

Le cerveau présente de grandes altérations, il y a beaucoup de névro-

glie également répartie et non en noyaux déterminés, les vaisseaux san-

guins sont également plus nombreux, tandis que les cellules ganglionnai-

res sont en partie fort dégénérées, le nombre des cellules normales est

moindre que dans la région cervicale. Les altérations cellulaires sontplus

marquées encore dans le cerveau antérieur, les circonvolutions centrales

sont moins prises et le minimum d'altérations se constate dans le cerveau

postérieur.

Les voies pyramidales sont normales et les cordons de la moelle assez

bien développés.

Dans le 2e cas, mort à 6 jours, les altérations atteignent peu les éléments

nerveux proprement dits, les fibres et les cellules de la névroglie sonthy-

perplasiées et les vaisseaux sanguins augmentés. -Les cordons de la moelle

sont moins développés que dans le cas précédent, mais le sujet était plus

jeune. Ici, rien encore du côté des cordons pyramidaux.

Ces deux cas ne sont pas à proprement parler des Little bien que l'au-

teur les qualifie tels (Little'sche Krankheit), mais ils méritent d'être résu-

més ici, à cause de leur date récente et de l'absence de lésions des éléments

médullaires.

Le premier cas qui nous occupe (Arthur) (PI. XVIII, fig. A et B) est celui

d'un enfant de 10 ans 1/2 né à terme, sans rien de particulier pendant la

grossesse. La famille est normale, une soeur de 16 ans et une de 19 ans bien

constituées, l'aînée a présenté des convulsions dans le jeune âge, mais il ne

lui en est absolument rien resté. Pas d'enfant mort. '

Jusqu'à l'âge de 2 ans, Arthur ne présente rien de particulier, puis il

contracte une pleurésie grippale, et une nuit l'enfant est pris de terreur noc-

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XV, PI. XVIII

SYNDROME DE LITTLE

(E. Daniel).

Masson & Cie, Editeurs

Bcrlhaud. Tans.

SYNDROME DE LITTLE . 143

turne, convulsions, suivies d'un sommeil de quarante-huit heures. Au réveil,

il présentait des tremblements des membres et des yeux et lui, qui avait mar-

ché à 13 mois, se trouve bientôt incapable de se tenir debout. Cet état persiste

jusqu'à de 6 ans, à cette époque une amélioration notable et spontanée se

produit, l'enfant marche de nouveau seul. L'état de guérison se maintient pen-

dant six mois et insidieusement la marche disparaît, et l'enfant nous est amené

(service du Dr Hendrix la Policlinique de Bruxelles) le S octobre 1899, pré-

sentant, à l'étiologie près, tout le syndrome de Little.

Le 2 novembre 1899 nous commençons le traitement (séjour dans le plâtre

en position normale) et actuellement (19 novembre 1901), l'enfant a pro-

gressé régulièrement, il marcherait bien mais les pieds ont des déformations

osseuses très profondes qui nécessiteront une intervention chirurgicale pro-

chaine. Les mouvements volontaires des membres inférieurs ont reparu inté-

gralement, Arthur peut faire les mouvements de marche, écarter les jambes,

monter un escalier alors qu'il en était arrivé (novembre 1899) une impo-

tence fonctionnelle absolue. Les bras ont repris leur fonctionnement, l'enfant

écrit, dessine, mal il est vrai, à cause de la négligence apportée forcément à

son instruction.

Il persiste cependant du tremblement intentionnel, du nystagmus et une

sensibilité générale extrême, l'enfant est très impressionnable, ses réflexes sont

exagérés et amènent continuellement des secousses qui nuisent à la parfaite

coordination des mouvements.

L'explication de ce cas est malaisée à fournir, le diagnostic de sclérose

en plaque doit être écarté, à cause de la marche régulière vers la guérison.

Serait-ce une lésion médullaire pure avec persistance des voies cortico-cé-

rébello-médullaires ? Mais alors, comment expliquer les lésions actuelles

du côté des yeux et du larynx (nystagmus, parole saccadée et spasmodique).

La maladie est apparue lorsque l'enfant marchait et, avant la voie pyrami-

dale développée dès lors, comment expliquer la guérison, puisque d'après

Ramon y Cajal il n'existerait entre l'écorce et le pont qu'une seule espèce de

voie motrice : pyramidale et indirecte.

Bref, de quelque façon qne l'on examine ce cas, on ne trouve guère

de théorie satisfaisante, à moins d'admettre la formation d'éléments

nouveaux de conduction, ce qui serait contraire aux données de l'anato-

mie et de l'histologie.

Nous avons observé encore les cas suivants :

Un garçon de 12 ans. né avant terme à 8 mois (PI. XVIII, C et D). On

peut voir l'effet du traitement, il présentait les déformations caractéristi-

ques de Little à un degré très avancé et son état empirait de jour en jour.

Opéré il y a 3 ans. Actuellement, il marche à l'aide de béquilles et tout

144 GASTON DANIEL

fait prévoir qu'il guérira complètement, bien qu'appartenant à la caté-

gorie des Little non guérissables spontanément.

Un garçon de 7 ans (pli. XIX, E et F), né avant terme, ne marche pas

du tout; c'est un cas de Little non spontanément guérissable. L'enfant a

séjourné dans un appareil plâtré pendant quatre semaines mais n'a pas

subi de traitement mécano-thérapeutique ; les progrès sont nuls. La figure

présente la placidité souvent observée par suite du manque de tonicité

musculaire.

Une fille de 13 ans (PI.111, G et II), venue à 8 mois, marchait à l'âge

de 4 ans, mais" imparfaitement ; son état d'impotence s'est établi graduel-

lement. Il y a probablement du rachitisme comme le montre la forte sco-

liose dont elle est atteinte. Il y a 3 ans, traitement dans un appareil plâ-

tré avec ténotomie, et massage et mouvemenls consécutifs. Malgré cela les

progrès sont peu prononcés, il y a une sorte de paralysie fiasque des

membres inférieurs, qui empêche l'enfant de se soutenir sur les jambes. Le

volume des mollets est normal, mais ils présentent des réactions de dégé-

nérescence. Il est fort probable que nous nous trouvons en présence de

lésions de tous les faisceaux médullaires : les membres inférieurs présen-

tent des troubles de la motilité, de la sensibilité et de la motricité (para-

lysie, anesthésie, hypothermie et guérison très lente des plaies des jam-

bes). Figure angélique, front olympien, et dépressions aux temporaux,

caractères fréquents chez les Little. Le père a souffert de coliques satur-

nines avant la naissance de l'enfant.

Les figures A et B présentent un cas vraiment difficile à démêler, les

autres sont des malades dont la diversité montre une fois de plus l'intérêt

qu'il y aurait à définir sous un terme moins général que « Syndrome

de Little » les diverses affections qui s'y rapportent.

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AV v

LE SENS DES ATTITUDES (1)

PAR

le Dr PIERRE BONNIER.

FORMULE BIOLOGIQUE.

Le sens des altitudes nous définit le lieu de chacune des parties de nous-môme.

Celles de ces parties qui desservent les fonctions végétatives figurent peu

dans le champ de notre conscience, mais la moindre gêne, la plus petite dou-

leur y sont immédiatement et nettement localisées, aussitôt que senties.

Quant à celles qui appartiennent à la vie de relation et relèvent de la motri-

cité dite volontaire, qui a pour office de maintenir ou de faire varier des atti-

tudes, leur distribution dans l'espace, leurs attitudes sont toujours consciem-

ment représentées.

Par le jeu de nos articulations, nos déplacements et nos gestes sont surtout

segmentaires ; et j'ai donné aussi le nom de sens des altitudes segmentaires à

cette forme du sens des attitudes qui définit le lieu de chaque segment de

de notre corps. C'est ce sens des attitudes segmentaires qu'on désigne commu-

nément sous le nom de sens de la position des membres, terme impropre puis-

qu'il s'agit non de position, mais d'attitude, et non particulièrement de nos

membres, mais de tous les segments de notre corps, articulaires ou non.

Les mouvements, gestes et déplacements, étant des variations d'attitude,

c'est-à-dire des attitudes successives, sont connus par le sens des attitudes ; et

il était inutile de créer un sens spécial pour la variation des attitudes, avec

ce que l'on a appelé les sensations kinesthésiques.

De même qu'on a considéré tort le mouvement en lui-même au lien d'y

voir une variation d'attitudes, on a également rétréci la question en considé-

rant le muscle, c'est-à-dire l'organe qui fait varier ou maintient l'attitude, plus

que la variation d'attitude, plus que l'attitude elle-même, et le terme de sens

musculaire, mal défini, d'une compréhension exagérée et illégitime, aura le

sort des termes qui survivent à leur signification réelle et ont perdu leur va-

leur nominale.

(1) Cette étude, développée, comporterait une énorme bibliographie, connue d'ailleurs

de ceux qu'intéresse la question : je n'en ai fait aucune, et ayant eu la bonne fortune de

rencontrer les objections récentes de M. Claparède, j'y bornerai toute discussion (P.B.).

LE SENS DES ATTITUDES 147

Parmi les organes du sens des attitudes, nous devons ranger toutes les for-

mations préauriculaires et auriculaires, depuis les massues marginales des

Méduses jusqu'aux canaux semi-circulaires de l'Homme, qui ont pour fonction

de définir les attitudes et les variations d'attitudes du segment qui les porte, et

chez un très grand nombre d'êtres organisés, les attitudes et déplacements de

l'animal entier. C'est à cette appropriation particulière du sens des attitudes,

attitudes du bloc céphalique, que l'on a donné, depuis M. de Çyon, le nom de

sens de l'espace, terme mal défini lui aussi et d'une signification peu praticable

en Biologie.

Tout ceci appartient à ce que j'ai encore appelé l'orientation subjective di-

1'ecte, définition topographique de soi et des parties de soi.

Mais il est des parties de nous-mème dont l'attitude, l'exposition vers Texte- -

rieur joue un rôle immédiat dans l'orientation objective, c'est-à dire dans la

définition topographique des choses de notre milieu entre elles et par rapport

à nous : ces parties sont nos surfaces sensorielles.

Quant un phénomène extérieur intéresse l'un de nos sens, selon sa situation

dans l'espace, il figure dans telle partie du champ sensoriel, c'est-à-dire agit en

réalité sur telle partie de la surface sensorielle. Le sens des attitudes définit le

lieu de la partie intéressée par rapport aux autres et nous permet ainsi une

première localisation dans le champ sensoriel. Mais il nous faut encore, tou-

jours par le sens des attitudes, connaître l'orientation, l'attitude du champ

sensoriel lui-même, pour que l'orientation soit réellement objective, c'est-à-

dire définie par rapport à nous.

C'est donc le sens des attitudes (attitudes sensorielles), qui nous fournit

l'orientation sensorielle, objective, et, en définissant topographiquement notre

milieu par rapport à nous, il nous définit nous-même, par renversement, topo-

graphiquement dans notre milieu, et fournit ainsi ce que j'ai appelé l'orienta-

tion subjective indirecte.

La forme des choses, étant la distribution topographique de leurs divers

points, sera tout directement connue par l'orientation objective, et ici encore

la notion du sens des attitudes rend superflue l'évocation récente d'un sens

sléréognoslique, lequel ne correspond qu'à une moitié d'idée.

Toutes les attitudes,y compris celles qui nous maintiennent en équilibre,relè

vent du sens des attitudes ; c'est donc ce sens qui régit toute la motricité ap-

propriée, la locomotion, l'équilibration.

La représentation de nos déplacements actuels, la mémoire des déplace-

ments passés et l'imagination des déplacements conçus fournissent à l'exercice

de la direction et permettent les orientations les plus lointaines.

Une chose n'acquiert d'existence réelle pour nous que par l'identité de io-

calisation de ses divers aspects sensoriels ; la distribution topographique des

choses de notre milieu les unes par rapport aux autres et par rapport à nous,

qui permet l'extériorisation sensorielle, crée la notion d'objectivité ; de même

la notion de subjectivité dépend de la localisation des choses en nous, et ces

deux termes du moi et du non-moi sont sortis des opérations les plus directes

du sens des attitudes.

148 BONNIER

Tous les éléments de nos masses cérébrales sont distribués dans l'espace et

nous savons qu'il est impossible que deux productions cérébrales différentes

s'élaborent en un même point ou que deux points différents puissent réaliser

un office identique. Il en résulte que toute élaboration cérébrale, de l'ordre

le plus élevé comme de la nature la plus simple, met en jeu des centres non

seulement différents par leur appropriation, mais encore diversement locali-

sés ; nos sentiments et nos idées par exemple ont un lieu géométrique, une

étendue, une forme par conséquent, qui est celle de la distribution topogra-

phique des centres unis dans la même contribution psychologique. Tous les

offices nerveux qui constituent la psychologie mettant en jeu des centres dis-

tribués dans l'espace et topographiquement définis, il existe ce que j'ai appelé

une orientation psychique,qui est elle aussi une forme intracrânienne du sens

des attitudes.

Cette notion du sens des attitudes nous permet donc de réduire au même

dénominateur un certain nombre d'offices sensoriels, ceux qui font intervenir

la notion d'espace.

Félix Le Dantec, dans une analyse de mon livre sur l'Orientation (1), juge

très exactement ma conception d'un sens des attitudes, en marquant « que

cette expression ne fait appel à aucune hypothèse et est d'une généralité ab-

solue. Il n'y a là, dit-il, qu'une expression nouvelle, mais il suffit souvent

d'une expression nouvelle et suffisamment claire pour que l'on puisse poser

nettement certains problèmes, et, quelquefois, les résoudre... ».

Je ne saurais souhaiter de présentation plus correcte, car je ne pense pas

autre chose du sens des attitudes que ce qu'en dit là Le Dantec. Nous obser-

vons tous les jours sur nous-mêmes que l'effort de bien formuler nous sert

à discipliner notre logique et il y a longtemps que l'on a dit qu' « une science

bien traitée n'était qu'une langue bien faite » (Condillac).

Le développement extraordinaire de la technique expérimentale nous a bien

déshabitués de cette technique intellectuelle qui est la dialectique, et c'est une

des causes pour lesquelles continuent à avoir cours dans la circulation scienti-

fique des termes aussi malheureux que celui de sens musculaire, ou que le terme

de sens de l'espace, ou que celui de sens kinesthésique ou de sens stéréognosli-

que, etc. La notion d'altitude, un peu négligée jusqu'ici, constitue le plus pe-

tit-facteur commun de toutes ces conceptions physiologiques, et il ne peut être

mauvais, fut-ce provisoirement, de les réduire toutes à cette unité si définie

et si pratique, et de faire du sens des attitudes le dénominateur commun de

termes mal établis (2).

Il ne s'agit en réalité que de faire encore un brassin de plusieurs idées flot-

tantes en Biologie et d'en tirer une synthèse, une idée qui cristallisera dans un

système nouveau. Je n'ai donc nullement la prétention de définir un nouveau

sens, mais simplement de montrer le « pouvoir d'un mot mis en sa place »,

(1) Dans la Revue philosophique de juin 1901.

(2) V. Le sens des attitudes. Soc. de Biologie, 22 mars 1902.

LE SENS DES ATTITUDES 149

Alternativement les idées fixent les mots et les mots fixent les idées ; ces fixa-

tions provisoires et relatives nous permettent l'usage d'une algèbre intellec-

tuelle, bonne pour formuler et développer les ressources d'une pensée plus ou

moins féconde ; mais le mot comme l'idée doit garder sa plasticité, la reprendre

dès qu'il a précipité pour un temps un fragment de notre intellectualité, et

changer de sens pour s'adapter lui-même au nouveau milieu psychique qu'il

aura contribué à former.

Il faut que la langue vive et que les termes gardent une plasticité toute phy-

siologique ; c'est à cette condition qu'une langue bien faite permet une bonne

science. Car il y a des idées mortes, des sciences mortes comme il y a des lan-

gues mortes. Quand la manière de considérer les choses s'est modifiée, que le

point de vue s'est élevé en même temps que s'élargissait la base d'observation,

il faut que le mot change de sens, ce Ilui ne se fait pas dans tous les esprits

à l'a fois - ou qu'on en évoque un autre dont la définition reste pour un temps

générale et explicite. C'est ce que j'ai cru devoir faire pour le mot attitude, dont

la définition sera d'une telle simplicité qu'elle fournira J'élément primordial et

commun à toutes les notions physiologiques que j'ai énumérées plus haut.

Quand une idée s'est fixée dans un mot, elle finit par. prendre, grâce à cette

forme verbale, un air d'existence réelle, et nous sommes constamment dupes

de l'illusion subjective qui nous pousse à prendre nos manières de voir, de pen-

ser, de dire, pour des manières d'être des choses. Nous sommes les victimes

de notre faculté d'imagination et nous rendons à tout instant l'infini de l'uni-

vers responsable de nos petites idées d'hommes.

C'est en psychologie que la superstition anthropomorphique et que l'illu-

sion subjective ont atteint leur plus ample développement. L'erreur spiritua-

liste aura été la plus tenace des religions. Car si nous avons cru jadis pouvoir

emplir le vaste monde d'un peu de divinité de notre façon, en l'expliquant par

un créateur encore plus incompréhensible que sa création, et qui n'était que la

projection à peine agrandie de notre pauvre image sur la coupole céleste, le

reflet prestigieux de notre jeune naïveté, nous y avons pour la plupart renoncé

avec une humilité toute philosophique, laissant la foi, le pire des scepticismes,

à la lâche suffisance de ceux pour qui les vérités tombent du ciel toutes faites.

Mais même parmi les esprits les plus libérés des religiosités héréditaires, il en

est peu qui envisagent tranquillement le monde psychique dans sa matière

même et qui peuvent écarter de leur recherche les mille survivances, les su-

perstitions auxquelles une longue hérédité a conféré une réelle innéité, les mul-

tiples rellets de notre subjectivité sur elle-même, la croyance à l'immatérialité

d'une âme, aux « états subjectifs » de M.E. Claparède, suspendus dans le vide

métaphysique au-dessus de phénomènes physiologiques appartenant au monde

concret, à des « sensations qui n'ont rien à faire avec l'espace », du même au-

teur genevois, à des choses qui trouvent le moyen d'exister sans être nulle part.

Notre hérédité et notre éducation nous ont habitués à vivre dans cette iutellec-

tualité négative et artificielle, dans un monde immatériel qui n'est que l'image

virtuelle, vue à rebours, des manifestations de notre pénible développement

cérébral.

150 BONNIER

Ma conception si inoffensive d'un sens des attitudes, à laquelle M. Jacques

Cherechewsky a consacré sa thèse (1), M. le professeur Grasset une place hono-

rable dans son récent travail sur le Vertige (2), M. Le Dantec, une analyse

excellente (3) et M. Claparède quelques pages émues (4),n'a qu'un court histo-

rique. Elle remonte à l'année 1893 et à mon livre sur le Vertige (5) qui en

donna une esquisse déjà formée. Je l'ai reprise dans des études sur le Tabes

labyrinthique (6), quia inspiré la thèse de Cherechewsky, sur l'Oreille (7) et

sur l'Orientation (8). L'exposé actuel, qui annule tous les précédents, en arrê-

tera les grandes lignes.

Elle a son point de départ dans ce que M. Claparède appelle avec raison mon

naif matérialisme. Je pense en effet que, pour exister, quelque chose doit être

quelque part. Je ne crois à l'existence des choses que si elles nous fournissent

sensoriellement ou intellectuellement les moyens de les localiser. Sinon, ce

ne sont que mots. On a cru, pendant des siècles de divagation spiritualiste,

pouvoir faire abstraction de l'espace ; c'était une illusion de plus et on n'y est

en réalité jamais parvenu.

Je le répète, avec toute la naïveté qu'il faudra, la propriété la plus fonda-

mentale d'une chose réelle, la condition première de son existence, la dernière

qu'on puisse lui refuser, dès quelle existe, c'est d'être quelque part. En psy-

chologie, on s'est habitué à supprimer le quelque part du monde psychique, si

étroitement clos dans notre épaisse capsule crânienne; et sous prétexte qu'il

était en nous, on l'a considéré comme n'ayant plus « rieu à faire avec l'espace ».

Le même philosophe, qui ne supporterait pas l'idée qu'il puisse y avoir dans

tout le reste de l'infini du monde un misérable point qui ne soit pas localisé et

n'ait pas son quelque part dans l'espace universel, n'éprouvera pas un instant

le besoin de localiser les diverses facultés de cette vaste représentation de l'uni-

vers qui est notre minuscule monde psychique et de distribuer dans son petit

espace les mille attributions de cet organe complexe, si vivace et si merveilleu-

sement organisée, qu'est notre intelligence.

Bien plus, n'allons pas supposer un instant que l'intelligence, la sensation

soient quelque part et quelque chose en même temps ; M. Claparède nous four-

nit sur ce point des explications très formelles et qui me rendent très sensible

la critique qu'il me porte d'affirmer beaucoup sans rien démontrer (p. 262).

(1) J. Cherechewsky, Le sens musculaire et le sens des attitudes, thèse de Paris,

1897. J'ai réclamé, dans mon article de la Rev. scientifique. Sur une définition du vertige

contre l'erreur de MM. Claparède et Grasset, qui attribuent à mon ami Cherechewsky

la paternité du sens des attitudes, contrairement à sa propre déclaration.

(2) Grasset, Le Vertige, Rev. philos., mars-avril 1901. "

(3) Le DANTEC, Analyse de l'Orientation, Rev. philos., juin 1901.

(4) E. Claparède, Avons-nous des sensations spécifiques de posit. des membres, Année

psychol., 1900.

(5) P. Bonnier, Vertige, Coll. Charcot-Debove, Rueff. éd. 1893.

(6) P. BONNIER, Le tabès labyrinthique, Presse médic., 10 juin 1896, et Nouvelle Ico-

nographie de la Salpêtrière, mars 1899.

(7) P. Bonnier, L'Oreille, vol. II et 111, Coll. des Aide-Mémoire, Masson.

(8) P. BONNIER, L'Orientation, Coll. Scientia, Carré et Naud, 1900.

LE SENS DES ATTITUDES 151

« M. Bonnier, dit-il (p. 259), n'a-t-il pas encore compris que le physique et

le psychique étaient hétérogènes, que la sensation n'a rien à faire avec l'es-

pace et que, en parlant de « points d'images dans les centres », d'images « topo-

graphiquement localisées », etc., il est dupe du parler vulgaire, qui localise

dans le cerveau les processus intellectuels, en sous-entendant les phénomènes

physiologiques correspondant à ces étals subjectifs ; que, si la localisation est

un fait de conscience, le fait de conscience, lui, n'est pas localisé. »

M. Claparède affirme (p. 258) « qu'on peut étudier la notion de localisa-

lion sans mettre en question la notion d'espace ». « Nous sommes là dans le

domaine des définitions physiques, dit M. Claparède, et je ne vois pas bien

quel profit la psychologie peut en tirer. » Non, il ne le voit pas bien. Voit-il

plus clairement ces faits de conscience non localisés, ces états subjectifs qui

vagabondent dans un monde immatériel, sans feu ni lieu, n'ayant dans la science

psychologique d'autre adresse que celle de leurs correspondants, les phénomè-

nes physiologiques, que j'avais pris pour des processus intellectuels ?

M. Claparède semble tenir beaucoup à ces chevaliers du brouillard spiritualis-

te, à ces gentilhommes de la nuit psycho-religieuse, et il en parle comme de dé-

mons familiers.Si cependant quelqu'un peut sembler dupe du parler vulgaire et

garder, en ce siècle de solutions expérimentales, toute sa foi héréditaire dans

les choses immatérielles, n'est-ce pas celui qui apporte,dans une science expéri-

mentale, des choses sans poids ni lieu ? Il faudrait en Psychologie, dût-on

s'abaisser jusqu'à l'humble domaine des définitions physiques, abandonner ces

personnalités équivoques et poétiques, les sensations qui n'ont rien à faire

avec l'espace, l'intelligence qui n'est nulle part et qui contient, je me demande

comment.des idées qui ne sont, elles non plus, nulle part, les fait de conscience

qui localisent sans être localisables. Avec la meilleure volonté du monde, il

sera difficile à ceux qui se mettent aujourd'hui à l'étude de la Philosophie et de

la Psychologie, d'admettre longtemps quelque chose qui ne serait rien. Qu'on

accorde à chacun de nous un temps raisonnable pour se purger de certaines

hérédités spiritualistes qui fondront sous l'action de la philosophie biologique :

cherchons à écarter de l'éducation et de l'enseignement l'illusion subjective

avec la superstition anthropomorphique sous ses formes les plus religieuses

comme sous ses aspects les plus philosophiques, et, sans nous laisser repren-

dre à « ces contes dont on a été bercé de si bonne heure »,comme disait le Maître

de Jacques le fataliste, éveillons-nous un peu.

Dans un rapport au Congrès de Philosophie (1), qui d'après M. Claparède

« donne la mesure de la confusion de mes idées relatives au problème psycho-

physique»,je disais « Nos sens ne sont pas les réceptacles des phénomènes exté-

rieurs, qui y prendraient la forme de sensations ; ce sont des milieux organi-

ques qui ne contiennent rien qu'eux-mêmes, mais qui sont « aptes à se modifier

au contact. des phénomènes extérieurs et à subir leur empreinte. De même,

l'intelligence est un milieu organique qui ne renferme pas, ne contient pas des

idées ou des conceptions ; c'est une matière organisée dont la vie se décèle par

(1) Rapport de l'intuition spatiale avec les représentations intellectuelles, 1900.

152 BONNIER

des échanges psychiques conditionnés immédiatement par des échanges chimi-

ques. Nous ne devons pas un instant parler de l'intelligence comme d'une chose

immatérielle renfermant d'autres choses immatérielles, des idées. L'intelligence,

comme les sens, les idées et les sensations, c'est quelque chose de pesant, de

chaud, qui a une forme définie et qui, chez l'homme, ne vit qu'aux environs de

38 degrés centigrades ».

« L'ancien immatérialisme, illusion peu philosophique due aux écarts de

notre faculté d'abstraction et d'extériorisation dans le monde objectif, le spiri-

tualisme donne par survivance à ce qu'on appelle le sensus et l'inlelleclus une

sorte d'existence incompréhensible indépendante de toute matérialité. Ce sont

des « facultés », des « aptitudes », de ces êtres métaphysiques que l'on consi-

dère « en soi », c'est-à-dire après s'être privé de tout moyen de les considérer ;

on les a isolés en eifet de toutes les données biologiques sans lesquelles ils

ne sont plus que des images verbales, des paroles gelées absolument incohéren-

tes, n'offrant plus aucune prise scientifique. Un progrès a été de les traiter

comme des forces physiologiques, conception bâtarde qui les revêt encore des

caractères forcément symboliques et décevants et les laisse réellement indéfinis-

sables en termes de saine biologie. » '

« Nous prendrons la question par l'autre bout, et puisque nous parlons d'es-

pace, nous commencerons par dire que les sens, l'intelligence, ne sont pas des

aptitudes, des facultés, des forces physiologiques, et que ce sont avant tout

des endroits, des lieux d'aptitudes spéciales si l'on veut, des milieux organi-

ques ayant une forme, un poids, aussi concrets que des glandes, remplies d'un

sang qui bat incessamment,et qui vivent dans de très étroites conditions d'équi-

libre physiologique. La clinique nous montre tous les jours que l'intelligence

et les sens sont des choses qui peuvent s'en aller par morceaux et que leur poids

change avec l'âge. Il nous serait impossible de comprendre le rapport de la

notion d'espace avec les sens et l'intelligence si nous considérions ceux-ci

comme des fonctions, des aptitudes. Rien ne sera plus facile si nous commen-

çons par les regarder simplement comme des organes. D'ailleurs, en biologie,

c'est au fond toujours l'organe qu'on analyse, jamais la fonction, qui n'est pas

une chose concrète et dont la définition reste philosophique. »

Comment M. Claparède peut-il affirmer que ces idées ne paraissent pas avoir

été très bien saisies par les membres du Congrès de Philosophie, où mon

rapport n'a donné lieu à aucune discussion, voilà qui donne une vive idée de

sa pénétration. Quelques lignes de mon livre sur l'Orientation (1) l'ont jeté dans

nn trouble profond. « Autant de points de contacts périphériques, autant de

points d'images dans les centres...; l'image se localise dans le centre percepteur

en même temps que le contact se fait à la périphérie. Les images sont topogra-

phiquement localisées, et elles ne peuvent pas ne pas l'être. Il y a dans nos

centres un substratum topographique, un réel espace où les images tactiles

sont tout naturellement localisées. De même que le contact se fait à la périphé-

rie quelque part et non ailleurs, de même son image se produira quelque part

(1) Pierre Bonnier, L'Orientation, Coll. Scientia, Carré et Naud, 1900.

LE SENS DES ATTITUDES 153-

dans nos centres, et non ailleurs. » M. Claparède réagit de la façon suivante :

« J'avoue que j'ai dû. lire plusieurs fois ces lignes avant d'être assuré que je

ne rêvais pas. J'admets bien que la psychologie cherche à s'appuyer toujours

plus sur la physiologie. Mais cela ne veut pas dire qu'il faille que le psycholo-

gue se départisse à ce point là du bon sens philosophique, pour retomber dans

le matérialisme le plus naïf. Expliquer l'espace (M. Claparède veut dire sans

doute la représentation d'espace) par une superposition spatiale des images

dans le cerveau, et la localisation par les relations de position de ces faits de

conscience infra-crâniens ! Non, je ne rêve pas. C'est bien imprimé : l'orien-

tation tactile résulte immédiatement de la distribution topographique des ima-

ges dans nos centres. » .

Mon naïf matérialisme a un petit avantage sur le subtil immatérialisme de

M. Claparède, c'est que je ne crois nullement rêver en constatant avec quelle

candide autorité certains esprits font abstraction de l'espace, - ni plus ni

moins, car on n'est spiritualiste qu'à cette condition, - et avec quelle aisance

on apporte dans l'étude de la psychologie expérimentale toute la fausse mon-

naie des images sans étendue, des empreintes sensorielles sans distribution,

des faits de conscience qui peuvent localiser sans être eux-mêmes localisables,

des sensations qui n'ont rien à faire avec l'espace, des états subjectifs qui, tout

en gardant quelques rapports avec les phénomènes physiologiques, n'en on

plus aucun avec l'anatomie même de l'organe cérébral, cette conception antif'

que de l'hétérogénéité de physique et du psychique, d'un moi purement psy-,

chique sans présence réelle, fantômes vagabonds qui, sans être nulle part, en-

combrent les voies scientifiques et qui rappellent, par le cas qu'on en semble

faire, les plats aussi substantiels qu'imaginaires qu'offrait au frère du barbier

le seigneur Barmécide des Mille et une Nuits.Les matérialistes,naïfs mais con-

séquents,goûtent peu les choses excellentes qui ne sont nulle part ; c'est peut-

être un régal pour les délicats, mais il n'y a ta ni à boire ni à manger.

Je n'ignore pas un moment à quelle banquise d'idées figées et tenaces je me

heurte en parlant ainsi et que plus ou moins consciemment, tout le monde à

peu près pense comme M. Claparède. L'intelligence, la pensée, la volonté, c'est

tout ce que l'on voudra,mais ce n'est pas quelque chose ; les dieux et les déesses

des fontaines et des forêts, disparus avec l'ancienne mythologie et qui animaient

si poétiquement les manifestations purement physiques de la nature,ont survécu

à la mythologie chrétienne et se sont réfugiés dans les replis ondulés de nos cir-

convolutions ; c'est la déesse imagination, la déesse sensation, la déesse motri-

cité ; ces personnalités subjectives n'ont pas d'existence concrète; l'ame anime

notre masse cérébrale comme Pau animait le vieux paysage grec. Et l'on se

moque de ceux qui il y a cent ans parlaient de phlogistique ! Parlez-nous donc

d'états subjectifs correspondant à des phénomènes physiologiques et de psy-

chologie qui n'a aucun profit à tirer des définitions physiques.

Je disais plus liant que les mots ne changent malheureusement pas de sens

dans tous les esprits à la fois et qu'il est difficile de formuler des idées nou-

velles autrement qu'avec des mots anciens. La langue scientifique charrie ainsi

une foule de vieilles idoles métaphysiques ; nous n'y pouvons rien d'autre que

'dS4 BONNIER

de déplacer franchement le point de vue et d'éclairer les mêmes choses sur une

autre face. La solution se fera dans un sens, qui sera le meilleur.

Chaque partie de nous-même est localisée dans la distribution anatomique do

notre organisme, et quand cette localisation nous est sensible et consciente,

c'est par l'opération d'un sens, le sens des attitudes. L'attitude d'une partie est

définie par le lieu de chacun de ses points. Je ne donnerai donc pas d'autre

définition que celle qui commence ce travail : le sens des attitudes nous défi-

nit le lieu de chaque partie de nous-même.

Nous allons voir si une telle expression se justifie.

Remarquons tout d'abord que dans toute formé d'excitation, la variation d'é-

quilibre agit beaucoup plus que l'état d'équilibre, le changement que la fixité;

ceci se conçoit puisque l'excitation est une variation elle-même, la rupture

d'un équilibre antérieur, et que l'équilibre est un état d'inaction. C'est pour-

quoi une variation d'attitude sera mieux et plus perçue qu'une attitude d'immo-

bilité; c'est pourquoi aussi les organes fixes de notre corps, ou ceux d'une

faible susceptibilité de déplacememt auront dans le champ de notre sensibilité

une représentation beaucoup plus faible que les organes mobiles de la vie de

relation.

§ 1. - Le sens des attitudes et la vie végétative.

Je reproduis ici ce que j'en dis dans mon livre de l'Orientation, ne pouvant

donner deux rédactions d'une même idée :

« Cette faculté est une aptitude primordiale de la tactilité, qui localise en

même temps qu'elle analyse. Le tact, considéré dans son ensemble, a pour do-

maine tout notre organisme, parties profondes et internes aussi bien que par-

ties périphériques, bien que la différenciation propre à la vie de relation et le

contact organisé avec le monde extérieur semblent faire du tact superliciel un

sens spécial, le toucher, le tact comme on l'entend ordinairement. En fait, ce

tact tégumentaire est une modification, une cutanisation de la faculté générale

que possède tout organisme de savoir ce qui se passe à sa surface comme à son

intérieur.

« Il y a sans doute de grandes différences morphologiques et fonctionnelles

entre les organes du tact profond et ceux du tact superficiel, mais ces différen-

ces ne sont nullement essentielles. Les grandes variations d'impressions tacti-

les se produisant naturellement à la surface de l'organisme, température, pres-

sion, humidité, etc., il est naturel que l'appropriation sensorielle se soit

conformée par adaptation aux proportions qu'affectaient les phénomènes Ù

percevoir. Tandis qu'à l'intérieur du corps, aussi bien dans les milieux viscé-

raux que dans les membres, la température, la valeur hygrométrique du milieu

humoral où baignent les éléments, sa composition, les pressions interviscéra-

les, pariétales, articulaires, vasculaires, les contacts, etc., varient peu ou en

tout cas ne dépassent jamais, physiologiquement,certaines limites,-il il n'en est

pas ainsi des variations qui s'effectuent à l'extérieur de l'organisme. Aussi tou-

LE SENS DES ATTITUDES 155

tes les parties internes de notre corps, bien qu'animées de tactilité vigilante et

constante, vivent forcément dans un état de consuétude qui ne va pas sans une

certaine torpeur au point de vue sensoriel. Mais qu'une variation vive ou ex-

trême se produise, et tous les troubles, surtout s'ils sont douloureux, sont ins-

tantanément localisés par le sujet souffrant et topographiquement définis, bien

que mal expliqués par lui en général, faute de termes descriptifs à sa portée.

« A l'état ordinaire,par l'habitude et la constance des images tactiles internes,

nous en sommes à ignorer sensoriellement nos reins, notre vésicule biliaire,

les voies urinaires et autres, notre tube digestif entier, et pourtant quelle pré-

cision dans la douleur et les irradiations d'une colique néphrétique, hépatique,

gastrique ou intestinale ! Toutes ces parties internes, quand elles « devien-

nent » sensibles, ont instantanément une très exacte définition topographique,

et l'on sait toujours où l'on a mal. Il faut admirer d'ailleurs combien aux in-

nombrables extrémités profondes de ce merveilleux réseau tactile ont été mul-

tipliées les conditions de préservation qui en écartent les dangers d'irritation in-

tempestive et de compression. Dans cette contraction continue des segments

viscéraux si riches en nerfs, dans ces pléthores viscérales périodiques qui ac-

compagnent les divers actes de la digestion, de l'assimilation, de la défense et

de l'expulsion des produits devenus dangereux, au sein des mille mouvements

articulaires, des contractions puissantes et souvent brusques de muscles tassés

les uns contre les autres, au travers des glissements des séreuses, des aponé-

vroses, des surfaces articulaires, en nul point de cette infinie pénétration de

tant d'organes en activité et en mouvement le riche organe diffus de la tactilité

profonde ne souffre de contacts, de compressions ou d'altérations dus aux va-

riations physiques et chimiques de ce milieu vivant et remuant.

« Il semble d'une sensibilité latente qui ne se révèle et ne se connaît que par

la douleur. Il n'en est rien, et cette sensibilité s'exerce d'une façon continue,

mais ses images s'effacent devant l'attention par leur peu d'intérêt et leur peu

de vivacité quand tout est en ordre et en bon état. Mais le moindre trouble, le

moindre malaise réveille cette vigilance et fournit des images de gênes locali-

sées, de régions troublées, d'anxiétés dont l'étendue nous est révélée dans son

intensité et sa distribution topographique ; et, le malaise disparaissant, nous

sentons le bien-être, le bon ordre et le bien-aise se réinstaller progressivement,

envahir le domaine dont le trouble les avait chassés, s'y établir de nouveau,

et notre attention se porte bientôt sur d'autres points. »

Je n'insisterai point sur les localisations douloureuses : elles abondent en

clinique. Partout où s'éveille une sensibilité, elle est localisée, même dans les

plus grandes diffusions. En d'autres termes, quand on a mal, c'est toujours

quelque part. Cette vérité de La Palisse appartient à la théorie du sens des at-

titudes.

Quand une irritation de nature sensitive se produit en un point quelconque

de l'organisme, elle se fait dans un département nerveux phériphérique défini

anatomiquement ; c'est tel filet nerveux qui est intéressé et aucun de tous les

autres qui se partagent l'économie. Pouvons-nous admettre que plusieurs dé-

partements nerveux différemment situés à la périphérie aient leur image cen-

156 BONNIER

traie en un même point de l'écorce Il y aurait donc une image commune à

plusieurs points de la périphérie, une même représentation pour des parties

organiques différentes ? Il faudrait qu'une telle assertion fût bien fortement

démontrée pour qu'on ne préférât pas cent fois l'opinion contraire, à savoir,

que chaque point périphérique a son point d'image centrale conjuguée, et qu'il

n'y a pas d'image commune à deux points différents de la périphérie. On ad-

mettra plus facilement qu'un seul point périphérique puisse par dichotomie

~ éveiller à divers points diverses images centrales.

Nous reviendrons à propos de la localisation sensorielle sur cette conception

qui d'ailleurs n'est pas nouvelle, comme le remarque M. Claparède, qui après

avoir reproduit ma phrase « l'orientation tactile résulte immédiatement de la

distribution topographique des images dans nos centres », ajoute : « Peut-être

s'agit-il là d'une métaphore, à la faveur de laquelle l'auteur se sert des termes

subjectifs au lieu des termes cérébraux, sans y attacher d'importance ; il veut

dire peut-être que la disposition des surfaces sensibles du corps se trouve re-

produite, avec un ordre analogue, par les cellules centrales dans le cerveau.

C'était l'idée de Joh. Muller, d'E.-H. Weber, qui expliquaient ainsi la spatialité

tactile, sans penser qu'il n'y a absolument aucune raison pour que l'ordre des

centres percepteurs entraîne la perception de cet ordre dans la conscience. z

Mais non 1 c'est bien la disposition spatiale des images, en tant que subjectives

que M. Bonnier entend... » - Ce qui n'empêche pas M. Claparède de s'écrier,

quelques lignes plus bas : « N'importe ! Je serais obligé à M. Bonnier de vou-

loir bien me dire combien de millimètres carrés à sa représentation de Notre-

Dame, si elle est cubique ou ovoïde, et s'il croit qu'un individu doué de la

faculté de vision à travers les corps opaques et armé d'une bonne loupe, l'a-

percevrait sous son crâne, gisant dans quelque recoin de son cunéus... »

Je n'ai jamais un instant supposé que les points conjugués des centres fai-

saient, avec un ordre analogue, l'image des points périphériques correspon-

dants. M. Claparède n'ignore pas que dans un bureau téléphonique, par

exemple, les fiches sont classées numériquement dans un ordre commode pour

la lecture immédiate, ce qui ne les empêche pas d'être conjuguées à un nombre

déterminé de postes distribués çà et là chez les abonnés, et que la distribution

topographique du bureau ne reproduit nullement, avec un ordre analogue, la

distribution topographique des rues, des maisons et des appartements où sont

situés les postes périphériques. Je regrette donc de ne pouvoir, malgré mon vif

désir de l'obliger sur ce point, lui dire si ma représentation de Notre-Dame

est cubique ou ovoïde, ses dimensions etson aspect sur mon cunéus, pas plus

que les dimensions du mot Calais sur le coeur de Marie Tudor.

Mais qu'il me permette de lui demander à mon tour s'il pense que cette

représentation se fait, oui ou non, réellement dans mon cerveau, plus particu-

lièrement sur mon cunéus, si elle occupe tout ou partie de la surface de mon

cunéus et si dès lors il lui est possible de n'avoir pas quelque dimension et

quelque forme, - si l'image, c'est-à-dire la partie intéressée de mon écorce, ne

grandit pas ou ne diminue pas à mesure que je m'approche ou que je m'éloi-

gne, c'est-à-dire qu'elle occupe simultanément une surface plus ou moins

LE SENS DES ATTITUDES 157

grande, un plus ou moins grand nombre d'éléments de ma rétine ? Ou si au

contraire cette image subjective sans dimensions, immatérielle, sans localisa-

tion.... au fait, pourquoi M. Claparède oublie-t-il de la définir ?

La question est-elle trop difficile à résoudre pour l'homme ? Employons ce

que, dans son récent article sur la Méthode déductive en biologie, Le Dantec (1)

appelle la « méthode de la navette ». Elle consiste à parcourir de haut en bas

et de bas en haut toute l'échelle biologique, des êtres les plus simples aux êtres

les plus complexes, expliquant le problème posé par le uns avec les données

que fournissent les autres, chaque voyage de la navette exhaussant de l'épais-

seur d'un fil la trame des vérités acquises. J'avais employé cette méthode dans

mon étude de l'audition (2) cherchant, pour chaque point de ma théorie, à

fouiller jusqu'au terrain primitif des choses « qui ne peuvent pas ne pas être »,

c'est-à-dire des manifestations élémentaires de la matière tant animée qu'ina-

nimée.

Supposons le plastide le plus infime. Toutes les manifestations visibles et

consultables de son existence mettent en évidence le jeu du sens des attitudes.

Il ne s'agit pas là de centres, d'images localisées ; mais tout ce qui manifeste en

lui une sensibilité est un mouvement, c'est-à-dire une variation d'attitude d'une

partie de lui-même ou de son individu entier. Cette variation d'attitude est

appropriée à une action définie. Si en un point se fait un contact avec un corps

étranger, la réaction de l'organisme montre que le contact a été topographique-

ment localisé, consciemment perçu, en entendant par conscience la masse des

petites sensibilités cohérentes des particules qui forment la gelée protoplasmi-

que. Le contact s'est fait en tel point et non ailleurs, la réaction du plastide

prouve que la définition topographique s'est faite. Il n'y a pas d'appareil ner-

veux central, pas d'images subjectives, mais la localisation s'est faite immédia-

tement, toute seule, par le plus simple des mécanismes; c'est ici que s'est fait

le contact, et non lo, parce que c'est ici et non là qu'il y a eu variation de sen-

sibilité. - Ce n'est pas l'animal qui a réagi en un point,c'est ce point qui a réagi

dans la masse de l'animal. Ceci semble difficile à exposer, tant la chose est

simple. Ce n'est pas la harpe qui chante une mélodie sous les doigts qui la

parcourent, c'est chaque corde de la harpe qui résonne quand le doigt la tou-

che, et la succession de ces sons respectifs, propre à chaque corde, située en

sa place déterminée, forme ce qui nous apparaît comme un chant.

De même la sensibilité s'est éveillée au point de contact, et ne s'est pas éveil-

lée ailleurs. Toute la localisation est là. La sensibilité est topographiquement

distribuée dans l'étendue, il la surface de l'organisme; toute empreinte sur cette

sensibilité ne pourra qu'être également distribuée, et l'orientation résulte de

la distribution de cette empreinte. Qu'il s'agisse du plastide, tout au bas de l'é-

chelle des structures organiques, ou des merveilleux réseaux résultant chez

l'homme d'une longue évolution phyfogénique, le mécanisme est le même, la

surface périphérique est distribuée, l'empreinte ne peut pas ne pas l'être; et

(il Revue philosophique, juillet 1901.

(2) L'Oreille, vol, Il et Il[, coll. Léauté, Masson.

158 BONNIER

s'il y a organisation de centres pour la production d'images, la coordination

anatomique fait que les images sont également distribuées.

Où se produisent dans nos centres les images des phénomènes de la vie vé-

gétative ? Certainement pas à la surface des zones rolandiques réservées sur-

tout aux parties organiques que la vie de relation émet dans notre milieu ex-

térieur. Leur siège est mal connu, mais on peut avec quelque vraisemblance

leur réserver une partie de la face interne des hémisphères. Mais ceci est une

pure déduction qui repose sur l'observation suivante.

Si l'on embrasse d'un coup d'oeil tout l'appareil de la sensibilité chez l'homme,

ce qui frappe tout d'abord, c'est moins la multiplicité des appropriations sen-

sorielles terminales et élémentaires, c'est-à-dire les spécificités, que le mode

de sa distribution. Quel que soit l'office sensoriel auquel on s'adresse, quelle

que soit la modalité spécifique que l'on considère, on observe l'application d'une

loi générale à tout le système nerveux sensitivo-sensoriel, l'opposition diamé-

trale de l'appareil périphérique et des récepteurs centraux. Il semble que cha-

que appareil sensoriel ait choisi, pour y porter ses images, la partie des centres

nerveux la plus opposée à leur point de départ, la plus éloignée de l'organe

périphérique, tous les systèmes s'entrecroisant en des points divers sur le plan

sagittal. Cette observation est ancienne et surgit d'elle-même. Les champs sen-

sitivo-sensoriels droits font leurs images sur la convexité du cerveau gauche,

les champs sensitivo-sensoriels antérieurs font leurs images sur la convexité

postérieure des hémisphères ; la tactilité superficielle et profonde de nos mem-

bres, d'un côté du corps, forme ses images transversalement, vers le pôle op-

posé de la convexité cérébrale, c'est;à-dire dans la région rolandique ; celles des

parties inférieures du corps vers le haut, celles des parties supérieures vers le

bas ; le champ visuel du côté droit, par exemple, son image vers le pôle opposé,

c'est-à-dire vers la convexité occipitale gauche ; le champ auditif droit se figure

diamétralement sur la région temporale gauche, etc. C'est une disposition gé-

nérale, que n'altèrent d'ailleurs pas les diverses décussations secoudaires.

(V. Brissaud, Tr. de lléd., t. VI). Nous pouvons donc supposer que les

champs internes, médians de la sensibilité viscérale font image sur le pôle le

plus élevé de l'écorce, sur la face interne des hémisphères, vers les parties

correspondant au sillon crucial du chien, - mais sans pouvoir l'affirmer. -- Il

nous suffit d'ailleurs d'admettre que leur image est topograpbiquement localisée

et étendue.

D'après M. Claparède, il n'y a « absolument aucune raison pour que l'ordre

des centres percepteurs entraîne la perception de cet ordre dans la cons-

cience » (p. 259). M. Claparède admettra-t-il que la distribution des images sur

notre rétine est sans importance au point de vue de notre orientation visuelle,

ou ne fera-t-il pas aussi bien d'admettre comme tout le monde, que notre per-

ception des formes, de la distribution des choses sur le champ visuel résulte

immédiatement de la distribution topographique des irritations élémentaires

sur la rétine ? S'il admet cette manière de voir, qu'il n'y a absolument aucune

raison de ne pas admettre ; et s'il tient compte de ce que dans un appareil opti-

que centré comme l'oeil, l'ordre analogue est observé, et que l'image est le ren-

LE SENS DES ATTITUDES 159

versement exact de l'objet extérieur; s'il reconnaît qu'il n'y a aucune raison

d'imaginer que de la rétine aux centres où se font les images conscientes, le

transport des irritations élémentaires, de neurone en neurone, puisse être livré

à une anarchie physiologique que rendrait incompréhensible la parfaite cohé-

rence anatomique, il devra accepter l'idée que, si l'ordre des réceptions cen-

trales n'est peut-être pas analogue à celui des réceptions rétiniennes, il y a

néanmoins dans l'écorce un certain ordre, qu'il n'y a aucune raison de ne pas

croire conjugué à l'ordre de la distribution rétinienne, sans pour cela lui être

superposable. Et par conséquent il y a distribution corticale, conjuguée à la

distribution périphérique et à la distribution extérieure. Toute autre conception

est pour le moment incompréhensible et inacceptable.

Pourquoi telle sensation a-t-elle son origine orientée à notre droite, sinon

parce que c'est notre cerveau gauche qui la perçoit ? Pourquoi la localisons-

nous à notre pied droit sinon parce que c'est telle partie de notre région rolan-

dique, et nulle autre, qui la perçoit ? Le raisonnement qui valait pour le plas-

tide vaut pour la merveilleuse organisation capitalisée de l'homme; et pour

admettre une théorie contraire à la théorie simpliste que j'expose,il faudrait des

milliers de faits encore inconnus annihilant tous les faits déjà connus ; ou

plus simplement, il suffirait d'admettre que si la physiologie peut garder quel-

ques rapports avec l'anatomie des organes, il n'en est plus de même de la psy-

chologie.

§ 2. - Le sens des attitudes et la vie de relation.

Ce qui précède a forcément empiété sur le domaine des organes de la vie de

relation, pour lesquels l'exposé était plus facile. Si les organes relativement

peu mobiles nous sont néanmoins très nettement représentés quand ils devien-

nent le siège de douleurs conscientes que nous localisons avec précision, à

plus forte raison les organes mobiles, ceux dont les attitudes varient dans de

notables proportions, occuperont dans le champ de notre conscience la place la

plu simportante. Même sans remuer le doigt, il nous suffit d'y penser pour y

éveiller la sensibilité localisatrice bien plus facilement que pour un organe moins

mobile et Verger, dans son bel ouvrage Sur les troubles de la sensibilité géné-

rale consécutifs aux lésions des hémisphères cérébraux chez l'homme (1), re-

marque que dans les cas où l'hystérie ne supprime pas totalement toute nuance

dans l'hémianesthésie, celle-ci prédomine sur les membres (p. 550) augmen-

tant d'intensité de la racine aux extrémités, ce qui concorde avec la notion que

je posais plus haut, à savoir que les opérations conscientes sur les attitudes sont

d'autant plus développées qu'il s'agit de régions plus mobiles, c'est-à-dire su-

jettes à des variations d'attitudes plus grandes. Je n'insisterai pas sur ce point,

car nous allons avoir à examiner plus en détail les fonctions de relation en les

prenant isolément.

(1) Arc ? générales de médecine*, déci 1900.

160 BONNIER

§ 3. - Le sens des attitudes et le sens de la position des membres.

Par la nature même de notre constitution anatomique, certaines parties de

notre corps ont des variations d'attitudes forcément solidaires. Un levier osseux,

rigide, se déplacera d'une seule pièce et les parties molles qui l'environnent

seront dans une certaine mesure solidaires entre elles et par rapport à lui. En

d'autres termes, nous sommes pourvus d'un squelette articulé dont les varia-

tions d'attitudes sont segmentaires ; et l'on peut étendre la notion de segment

à toute partie de notre corps susceptible de déplacements en masse ou simple-

ment considérée en elle-même. Cette solidarité relative a forcément associé

les images de déplacement de toutes les parties du segment en groupements

systématiques, en images d'attitudes dont les compositions figurent d'emblée

l'attitude du segment. De même que les associations de certains groupes de

muscles habituellement réunis dans le même office par l'exercice de certains

mouvements, ont créé des centres dits moteurs pour lesquels d'emblée le détail

semble disparaître dans l'exécution du mouvement d'ensemble, coopératif et

cohérent; -de même la représentation des images élémentaires de toutes les

parties sensibles du segment articulé a fini par fournir l'image globale de

l'altitude, d'autant plus immédiatement consciente que c'est moins le détail des

déplacements intrasegmentaires qui nous intéresse dans l'exercice volontaire

et conscient de la motricité, que le déplacement, c'est-à-dire la variation

d'attitude du segment lui-même, considéré comme unité mobile.

Nos mouvements sont segmentaires ; nos variations d'attitudes segmentaires

importent directement à l'exercice de la motricité, et c'est aux mouvements

segmentaires que correspondent les groupements musculaires et leurs centres

de coordination.

Nous concevons dès lors que les opérations de la motricité consciente et vo-

lontaire s'élaboreront dans un rapport immédiat avec les représentations d'at-

titudes, et de mouvements, c'est-à-dire de variations d'attitudes segmentaires.

J'ai fait observer,dans mon étude du Tabès labyrinthique CI), que le terme de

sens de la position des membres ne valait pas le terme de sens des altitudes

segmentaires, parce que le mot position signifie à la fois attitude et situation,

l'emplacement par rapport au milieu. Un membre est posé de telle façon et

aussi posé sur telle chose ; on dit au malade, par exemple : « posez la main

sur la table, et posez la paume en dessus ». Le terme attitude, le seul qui

repose sur une opération de sensibilité interne, convient il la notion qui cor-

respond à l'exercice de la motricité, car la motricité a directement affaire il

l'attitude, et'par occasion au milieu. D'autre part, le mot membre ne s'applique

pas au tronc, au cou, à la tête, à la mâchoire, segments mobiles pourtant et

dont l'attitude importe autant à l'exercice delà motricité que celle de n'importe

quel membre.

Toutes les parties d'un segment sont sensibles et dans toutes une douleur

(1) Presse médicale, 10 juin 1896, et Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, mars

1899.

LE SENS DES ATTITUDES 161

sera localisée. Mais à l'état normal, notre conscience n'y est pas intéressée et

la sensation globale d'attitude segmentaire nous suffit, car la motricité ne pra-

tique que celle-là. De plus, au repos, la perception d'attitude segmentaire som-

meille volontiers, car c'est à l'occasion des mouvements que nous avons à

mettre en conscience nos attitudes, tandis que par le repos la conscience en

abandonne la représentation pour s'occuper d'autres représentations psychi-

ques ou sensorielles.

Dans l'état d'immobilité segmentaire, nous voyons donc que non seulement

les attitudes de toutes les parties du segment sont absorbées par la sensation

globale de l'attitude du segment lui-même, mais encore que l'attitude globale

du segment est à peine perçue, parce que cette perception ne présente d'inté-

rêt assez vif qu'à l'occasion de l'exercice volontaire de la motricité appropriée.

§ 4. - Le sens des attitudes et les sensations kinesthésiques.

Le sens des attitudes se conforme à la loi générale de la physiologie senso-

rielle en ceci qu'il réagit plus à la variation qu'à l'excitation continue. Dans

tout phénomène d'irritation de la matière vivante, la variation, en plus ou en

moins, de l'excitation est toujours plus sensible que l'excitation uniforme et

continue. Cela est très net pour l'excitation électrique, et cela s'observe pour

l'exercice sensoriel. Un nouveau-né est plus sensible au déplacement des ob-

jets qu'à l'aspect simple des objets immobiles. Immobiles dans le bain, nous

perdons rapidement la notion de la température de l'eau pour la retrouver im-

médiatement au moindre mouvement; qu'il s'agisse d'une équilibration entre

la surface sensible et le milieu ou d'un assoupissement rapide de la sensibilité,

le résultat est le même, l'irritation est une variation et est provoquée par une

variation. Nous oublions vite un son continu ; on s'endort dans le bruit pour

se reveiller dès qu'il cesse. Une douleur continue s'oublie et redevient sensi-

ble aussitôt qu'elle varie. Un contact cesse bientôt d'être perçu, mais un dé-

placement de contact, un frottement l'est très vivement.

De même à l'état normal pour le sens des attitudes. Nous oublions la position

de nos membres quand ils s'immobilisent. Il n'y a là rien que de très physio-

logique et qui puisse rejeter le sens des attitudes hors du commun des ap-

pareils sensoriels. Il ne faut donc pas se montrer avec lui plus exigeant qu'a-

vec les autres sens.

Supposons que pour une raison de lésion centrale ou périphérique notre vue

s'émousse ; nous resterons encore sensibles au déplacement des objets dans

notre champ visuel, tout en distinguant très mal, ou pas, les objets immobiles.

Si c'est notre tactilité, nous pourrons ne plus définir les contacts et même ne

plus sentir une impression continue, mais nous resterons sensibles aux varia-

tions de contact, c'est-à-dire, aux frottements. De même pour l'audition, etc.

De même pour les attitudes ; elles ne feront plus, ou guère plus image dans le

champ de la conscience, mais les variations d'attitudes, les mouvements, sous

l'action de la variation elle-même, seront encore perçus.

Cette action si manifeste et si connue de la variation dans l'excitabilité sem-

xv il

z BONNIER '

ble avoir été totalement oubliée des auteurs et, au lieu de reconnaître que la

variation des attitudes rendait plus sensibles les attitudes successives et par

conséquent le mouvement, la plupart ont nié la perception^ des attitudes dans

le mouvement et considéré la sensation de mouvement comme une sensation

primitive. Et ! 'on admet que c'est le mouvement qui révèle l'attitude 1

. Prétendre que l'attitude, la position sont connues par le mouvement, c'est-

à-dire par la variation d'altitude, cela revient dire qu'une attitude est connue

par une autre attitude qui lui succède, et non par elle-même. Et par quoi est

donc alors connue cette seconde attitude ? 1

Qu'est-ce donc qu'une variation, sinon un état succédant à un autre état ? '1

Qu'est-ce donc qu'un mouvement, sinon une attitude succédant à une autre

attitude ? Il semble que pour percevoir un changement d'état, il faut percevoir

l'un et l'autre état, pour percevoir un changement de lieu, d'attitude, l'un et

l'autre lieu, Tune et l'autre attitude.

Mais ce n'est pas l'opinion de tout le monde.

Comment ont raisonné les partisans de ce système confusionniste ?

M. Claparède, après tant d'autres qu'il me reproche d'ignorer parce que je

ne les cite pas dans une étude (1) où je n'apportais d'ailleurs aucune préten-

,lion bibliographique et où je n attaquais que sa théorie à lui (2) et surtout son

argumentation, pose ainsi la question (3) :

« Pour ma part, j'ai vu souvent des malades ayant perdu complètement la

notion des attitudes avoir encore le sentiment très net qu'on bougeait leur bras

ou leur jambe; ce qui serait absolument inexplicable avec l'hypothèse du

sens des attitudes. Je n'ai jamais rencontré le cas inverse. »

Il s'agit ici de lésions cérébrales, portant sur les centres les plus élevés de

l'écorce le plus souvent. Nous venons de voir que l'impression sensorielle pro-

voquée par unc variation, de quelque nature qu'elle soit, est beaucoup plus in-

tense que celle que provoque un état continu. Nous savons que la sensation

du mouvement actif est plus vive que celle du mouvement passif, et que celle

du mouvement passif est encore beaucoup plus intense que celle d'une attitude

immobile. Il est très naturel que dans un assoupissement provoqué et plus ou

moins profond des facultés corticales, il ne surnage que les sensations les plus

vives et les plus nettement et fortement définies.

S'il y avait disparition totale de la conscience des attitudes et intégrité abso-

lue de la conscience des mouvements, nous aurions il penser il une dissociation

nette entre deux sortes d'interprétations, à une de ces séparations comme il

s'en produit dans la surdité verbale partielle, ou dans la cécité psychique limi-

tée. Il s'agirait d'une sorte de rupture des négociations corticales pour un ter-

ritoire psychique donné, et on en connaît des exemples réalisés par la clinique.

. Mais les choses n'ont pas cette brutalité symptomatologique. Verger (4) dit :

(1) A propos du soi-disa.nl sens musculaire. Rev. Neurol., 1897.

(21 Du sens musculaire, Genève, 1897.

(3) Avons-nous des sensat. spécifiques, etc. 1901, p. 261.

- (4) Verger, Troubles de la sensibilité générale, consécutifs aux lésions des hémi-

sphères cérébraux, p. Sa 4.

LE SENS DES ATTITUDES ' 163

« La notion de position est altérée dans toutes mes observations. Je dis altérée

et non abolie, parce qu'il est extrêmement rare de trouver des malades qui

n'aient aucune idée de la position de leur membre. »

Et plus haut : « Je n'ai jamais vu d'hémiplégique qui ait perdu complètement

la notion primitive du mouvement, qui ne se rende nullement compte les yeux

fermés qu'on lui remue son membre paralysé. » Et il remarque que le malade

n'accuse en général la sensation de déplacement que lorsque ce déplacement est

déjà commencé et a atteint une certaine amplitude.

La grande différence qui existe à l'état normal entre la vivacité de la sensa-

tion de variation d'attitude et la fragilité et la faiblesse de la sensation d'atti-

tude fixe se retrouve à l'étal pathologique. Supposons que les deux sortes

d'images s'effacent d'une même quantité, l'une disparaîtra avant l'autre et nous

obtiendronsexactement ce qui se passe dans les cas d'hémi plégiecorticale. Notons

que la conscience d'une image n'est pas cette image, et que l'image peut se faire

sans que nous en ayions conscience. C'est le cas des cécités verbales, tactiles, de

la surdité verbale. Dans un amoindrissement général de la conscience du sens

des attitudes, la figuration des variations d'attitudes, phénomènes d'une vive

sensorialité, peut subsister quand la notion des attitudes fixes a disparu de la

conscience. Cela ne prouve nullement que les attitudes dont la succession

figure le mouvement ont cessé de faire image au niveau des centres. La patho-

logie observée montre chez les hémiplégiques corticaux un amoindrissement de

la conscience, plus profond pour les notions faibles d'attitudes, et toujours

moins prononcé pour les variations d'attitudes.

Dans la figuration du mouvement, c'est-à-dire, je le répète, dans la repré-

sentation pathologique d'une série d'attitudes, représentation d'autant plus

vive qu'il s'agit d'une variation, les images successives d'attitudes pourraient

n'être plus assez fortes pour donner l'image du mouvement, et même ce cas,

Verger ne l'a jamais rencontré. Mais ces mêmes images d'attitudes, perçues à

la faveur de la variation sensorielle, quand il y a le coup d'archet d'une succes-

sion rapide, n'auront plus la force, en dehors de l'excitation due à la variation,

de faire une image consciente. C'est ce qui se passe dans le cas énoncé par

Claparède. En d'autres termes, et pour prendre un exemple, la tactilité peut

être très émoussée chez un sujet, au point qu'il ne se sente plus un contact

continu ; elle se réveillera quand une succession de contacts déterminera un frot-

tement, perçu comme une série continue de contacts, diversement localisés.

On dira néanmoins que ce sujet ne perçoit plus le contact simple, mais qu'il

perçoit le frottemeut. Cela veut dire que la variation sensorielle éveille la

sensibilité de la conscience et que ces mêmes contacts, inaperçus s'ils se suc-

cèdent lentement ou s'ils restent isolés, seront perçus dans leur succession

grâce à l'activité sensorielle qu'éveille la variation : il est donc naturel que le

seuil des sensations de mouvement soit plus bas que celui de la sensation d'at-

titude, comme le seuil des sensations de frottement sera plus bas que celui des

sensations de contacts.

« On ne comprendrait pas, dit M. Claparède, si la notion de mouvement

était secondaire à celle de position, comment celle-là pourrait avoir lieu, tan-

164 BONNIER

dis que celle-ci fait défaut, car la perception d'une variation implique la con-

naissance même assoupie, de l'état qu'a varié, comme le dit très bien M. Bon-

nier, sans se douter que cette remarque va l'encontre de sa propre thèse. »

Mais c'est ma thèse elle-même ! Ce qui fait défaut dans ces cas, c'est la

conscience des attitudes, isolées ou en séries, et non leur image même. « Il y

a, dit M. Claparède, quelque danger à construire la psychologie sur le patron

de la logique. » Le seul danger à craindre, c'est qu'il y ait trop de psychologie

- ,dans la logique, c'est de vouloir supprimer du mouvement la notion d'espace;

du geste la notion d'attitude 1 Le mouvement est-il autre chose qu'une varia-

tion d'attitude et peut-il se définir, physiquement, logiquement, psychologi-

quement, sans qu'on fasse intervenir la notion de lieu, de distribution dans

l'espace ? ` ?

« Le fait est, dit M. Claparède, que la conscience du mouvement n'implique

nullement des images de diverses attitudes et semble résider tout entière dans

la sensation périphérique, ce qui n'est pas le cas pour la notion d'attitude qui

consiste en images, évoquées par des sensations obtuses et sans contenu inté-

ressant. »

Et qu'est-ce que cette sensation périphérique de mouvement ? Est-elle

possible sans la sensation de déplacement et par suite de placement ? Conçoit-

on la sensation de mouvement sans celle d'un changement de lieu ou d'atti-

tude ? Et sait-on ce que sont, pour M. Claparède, ces sensations d'attitudes

« obtuses et sans contenu intéressant ? Il le dit dans son Sens musculaire,

p. 35. Son exposé même me dispense d'une réfutation.

« En réalité, nos organes, quand ils sont l'objet d'une excilation quelconque,

nous envoient certaines sensations, chacune empreinte d'un certain cachet,

d'une couleur locale qui nous permet de les distinguer. Nous reconnaîtrons

donc, parmi ces multiples sensations, celles par exemple qui nous viennnent

de l'articulation du coude ; et celles-ci ont à leur tour chacune leur couleur

spéciale. Soit A, B, C, D, quatre sensations fournies par quatre positions an-

gulaires différentes de l'articulation cubito-humérale. En elles-mêmes, ces

sensations élémentaires ne signifient rien et ne peuvent nullement nous l'ensei-

gner sur la position de notre coude - (A quoi bon ce certain cachet, cette cou-

leur spéciale qui nous permet de distinguer ces sensations qui ne signifient

rien, qui varient avec les attitudes angulaires sans nous renseigner sur elles} ?

- « Supposons maintenant, continue l'auteur, que nous ayons remarqué qu'à

la sensation articulaire A correspond l'image VISUELLE d'une certaine position

A' du bras,puisqu'à B corresponde une autre image B' et ainsi de suite. Il se

créera en vertu de la loi de contiguïté une association entre A et A', entre B et

B', etc., de telle sorte que chaque fois que A se produit il éveillera l'idée de

A', etc.. Si l'on pense maintenant à toutes les associations que les termes A,

B, C, D peuvent contracter par suite d'expériences fréquemment réitérées,

on comprendra que la sensation A pourra évoquer par la conscience l'image

d'une certaine position du bras, que B en évoquera une autre, etc., tout en ne

signifiant, rien par elles-mêmes. »

L'intervention de la vue a quelque chose de providentiel et l'on s'explique

LE SENS DES ATTITUDES 165

mal l'étonnant développement du toucher actif chez les aveugles. Cette tactilité,

cette vigilance si remarquable du sens des attitudes, et précisément chez ceux

à qui a manqué l'éducation par la vue aurait pu frapper un psychologue moins

prévenu contre les dangers de la logique appliquée à la psychologie.

Il y a pour ces auteurs des sensations primitives de mouvement, elles seules

sont spécifiques, les sensations élémentaires d'attitudes ne signifient rien par

elles-mêmes, elles ne signifient que par la vue 1

« La psychologie, dit M. Claparède, ne se construit pas a priori. Exami-

nons les faits : remarquons d'emblée (ce d'emblée vient bien après l'a priori),

que, y eût-il des sensations spécifiques de position des membres, on ne sau-

rait en aucune façon considérer la sensation de mouvement comme leur suc-

cession ou leur somme. La psychologie ne peut pas, comme la chimie, créer,

par la combinaison de deux états, un troisième état qualitativement différent.

C'est une erreur de la psychologie associationniste d'avoir constamment cherché

à faire sortir certains états de conscience comme la spatialité, la causalité,

etc., d'une somme de faits de conscience qualitativement différents. On aura

beau additionner des cannes de toutes les formes, cela ne fera jamais un pa-

rapluie. »

Cette dernière phrase est de la bonne logique ; le reste est de la mauvaise

psychologie. M. Claparède pense-t-il qu'on pourra davantage faire une canne en

additionnant beaucoup de parapluies ? Si la sensation d'attitude et la sensation

de mouvement sont qualitativement différentes, pourquoi la sensation de mou-

vement révélera-t-elle mieux l'attitude que l'attitude ne révélera le mouvement ? ` ?

Et la sensation visuelle n'est-elle pas aussi un peu différente qualitativement des

sensations de mouvement ou d'attitude ? Cette psychologie néo-associationniste

me semble un peu jeunette.

Que peut bien être une sensation primitive de mouvement ? Sans orienta-

tion, sans notion d'attitudes, sans même de sensation de variation, peut-être

aussi ? « Le mouvement est perçu immédiatement, grâce à des sensations spé-

cifiques ; la notion de mouvement n'est pas le résultat de la perception d'une

variation (p. agi) 1 »

« Si M. Bonnier entend que ces sensations confuses (d'attitudes) émanant de

la profondeur des segments sont une image d'attitude ( ? ) (l),nous le renvoyons

aux faits expérimentaux ou cliniques si nombreux qui montrent que la faculté

de localisation, soit dans le domaine des attitudes, soit dans celui de la sensi-

bilité cutanée, se précise par l'exercice et disparaît dans certaines maladies

cérébrales, bien que la sensibilité brute soit conservée. » Il en va de même de

toutes les localisations sensorielles, et ceci n'est pas pour faire rejeter le sens des

attitudes du commun des offices sensoriels. Plus un sens offre prise aux spé-

culations corticales, plus nous verrons, dans les maladies cérébrales, des systé-

matisations psychiques atteintes en dehors de la sensibilité brute. - « Si la doc-

trine du sens des altitudes était vraie, on ne verrait plus des acteurs et bien

d'autres personnes - étudier leurs sourires, leurs gestes ou leurs attitudes

(1) Le point d'interrogation est de M. Claparède, ainsi que le mot souligné.

166 BONNIER

.

devant le miroir.afin d'associer l'image visuelle de cette atittude qu'ils veulent

réaliser, les sensations périphériques qui doivent en devenir le symbole. » Le

comédien qui se grime et étudie sa mimique devant la glace fait exactement

ce que fait le chanteur qui s'accompagne pour fixer ses intonations, il contrôle

une opération sensorielle par d'autres.

L'aveugle-né, sans s'être jamais vu dans un miroir, comme d'ailleurs les

animaux qui expriment sans s'être jamais étudiés dans une glace, aura néan-

moins ces gestes du visage qu'on appelle la physionomie active, moins qu'un

voyant, mais néanmoins avec une expression précise. ,

« Si la faculté de localisation était une faculté primordiale des sens, on ne

verrait plus un enfant tendre les bras pour attraper la lune. » Cette objection

est malheureuse, puisque c'est précisément parce qu'il oriente et localise que

l'enfant tend les bras vers la lune, et non vers tel autre point.

§ 5 - Le sens des attitudes et le sens musculaire.

« Le terme sens musculaire, dit M. V. Henri (4)..... est très mauvais ; en

effet, il induit facilement en erreur, puisqu'il semble indiquer que c'est un sens

qui appartient aux muscles, ce qui ne peut plus être défendu maintenant,

puisque c'est un ensemble de sensations des muscles, des tendons, des articula-

tions et peut-être aussi des membranes musculaires. Ce que nous nous propo-

sons d'étudier ici, c'est l'ensemble des sensations qui nous renseignent sur

l'état de nos organes moteurs, c'est cet ensemble de sensations que nous appe-

lons par le terme « sens musculaire », c'est là un terme qui nous a paru meil-

leur que tous ceux qui ont été proposés jusqu'ici. »

Ainsi, pour M. V. Henri, le sens musculaire n'est plus que le sens qui nous

renseigne sur l'état de nos muscles. Il en exclut la sensation de position des

membres, le sens kinesthésique. On ne fut pas toujours aussi sage, mais ce

prix on garde le mot. Et néanmoins les auteurs partisans du sens musculaire

s'écartent hien peu de la conception de Landry. « Chacun peut apprécier l'im-

portance du rôle de cette sensation par laquelle nous acquérons l'idée précise

de la quantité de contraction de chaque masse musculaire, de chaque muscle

et même de chaque faisceau ; et par conséquent celle de nos mouvements ac-

tifs ou passifs, de leur étendue, de leur énergie et de leur direction ; celle de

la position de nos membres ; celle du'poids, de la résistance, de la fluidité, de la

solidité, et, en partie du moins, de la forme, du volume, etc. » - Et il a fallu

que cette conception fut tenace, pour que dans son « Sens musculaire »

M. Claparède, en 1897, conclût encore : « 1° le terme « sens musculaire est

vague et peu rigoureux. Son emploi, consacré par l'usage, est légitime si l'on

veut désigner, par raison de commodité et d'une façon générale, l'ensemble

des modalités par lesquelles nous sommes renseignés sur l'action ou la posi-

tion, en un mot sur l'être de nos membres ; - 2° le sens musculaire est en

réalité un cornplexns des impressions suivantes, provenant toutes de la péri-

phérie : sensations tactiles, cutanées ou superficielles, des tissus profonds,

(1) V. Hesm, Rev. génér. sur le sens musculaire, Année Psychologique, 1899.

LE SENS DES ATTITUDES ' 167

articulaires, ligamenteuses, tendineuses, osseuses, et probablement iiiiiscii-

laires. »

Tout le monde n'a pas l'esprit ainsi fait qu'il trouve commode d'appeler

musculaire ce qui est osseux, ligamenteux, cutané. Mais comme il s'agit d'un

complexus, et d'une façon générale, il n'y a sans doute pas d'inconvénient a

choisir, de tous les termes, le moins convenable ! Du moment qu'il est consacré

par l'usage, ce terme peut encore, bien que vague et peu rigoureux, être con-

servé par la routine. La science, pour devenir bonne, peut attendre que la

langue soit bien faite.

Néanmoins beaucoup de physiologistes n'ont pas eu cette patience, et le sens

musculaire a été vivement discuté, et souvent rejeté. Mais je ne puis refaire

ici cette histoire déjà longue et ancienne, et je resterai dans le cadre que je

me suis fixé. M. Claparède me joue à propos de ce terme de sens musculaire,

le petit tour de dénaturer ma pensée (1) :

« Ce qui froisse surtout mon éminent contradicteur, c'est qu'on ait donné le

nom de sens musculaire à un ensemble de sensations qui ne nous font nulle-

ment connaître... nos muscles. « Savons-nous, subjectivement, que nous avons

des muscles, qu'ils se contractent... ? Nullement. » Donc, il ne faut pas parler

de sens musculaire. »

Comme ce terme est affecté à la connaissance, à l'idée précise de la quantité

de contractions de chaque masse, de chaque faisceau musculaire, par Landry,

et encore de l'état de nos organes moteurs par V. Henri, je pouvais trouver

que, au moins dans l'esprit de certains auteurs, le sens musculaire avait pour

objet de sa connaissance le muscle, et critiquer cette manière de voir qui ne

fortifiait d'ailleurs pas le terme employé par eux. Connaître l'état du muscle,

ou connaître, par le muscle, l'être de nos membres, c'est deux. Que le sens

musculaire nous révèle la contraction de nos muscles, ou même l'attitude de

nos muscles, même quand le muscle ne se contracte pas, je trouve le terme

aussi mauvais dans les deux cas, aussi mauvais que serait le sens oculaire, le

sens auriculaire, le sens ampullaire même s'ils signifiaient dans l'esprit de

leurs inventeurs la connaissance sensorielle de l'oeil, de l'oreille, des canaux

semi-circulaires pris pour objet et non pour moyen de la connaissance. Je

comprendrais le sens locomoteur beaucoup mieux que le sens musculaire;

mais moins que le terme de sens des attitudes. Je ne puis, pour cette discus-

sion, que renvoyer à mon livre sur l'Orientation et rappeler les pages suivantes

de mon Tabès labyrinthique.

« Quand l'altitude considérée n'est plus passive, mais maintenue ou modi-

fiée activement par l'intervention des muscles, les parties tégumentaires et

profondes des segments intéressés offrent sans aucun doute à l'analyse tactile

des images élémentaires autres que dans le cas où le maintien ou la variation

d'attitude sont passifs. Le muscle se raccourcit, se gonfle, se durcit, les ten-

dons sont tiraillés, les surfaces articulaires fortement coaptées en certains

points, les ligaments et aponévroses péri-articulaires sont distendus, la forme

(1) E. CLAPIRÈOF, Avons-nous des sensat. spéc, etc. p. 262.

168 . BONNIER

du segment varie et les téguments sont le siège de variations de forme, d'ex-

pansion, de pression, etc. ,

« Si nous analysons une même attitude segmentaire, un même mouvement,

selon qu'ils sont réalisés passivement ou activement avec intervention de notre

propre activité musculaire, l'image d'attitude, l'image de mouvement seront

les mêmes, puisqu'il s'agit d'une même attitude, d'un même mouvement, mais

les images tactiles élémentaires, superficielles et profondes, seront très diffé-

rentes, selon qu'il s'agit de phénomènes passifs ou actifs. Il y a en plus la

sensation d'activité. Est-ce spécialement la sensation d'activité musculaire

qu'il faut dire ? Non, je sens que mon mouvement est actif et voulu, mais je ne

sens rien de musculaire dans cette activité. J'ai à l'intérieur des segments la

sensation de tension, de traction, de pression, de gonflement, de déplacement

des parties profondes et superficielles; sans doute le muscle a sa sensibilité,

comme tous les autres tissus qui composent le segment, mais sais-je plus qu'un

muscle ou plusieurs se sont contractés, que je ne sais qu'un ou plusieurs liga-

ments sont distendus, ou tiraillés, telle aponévrose refoulée, etc. Je sais qu'il

se passe dans ces segments, en cas d'attitude activement maintenue ou modi-

fiée, quelque chose de plus que dans le cas de passivité ; mais ce quelque chose

ne me donne nullement la sensation d'un état musculaire ; c'est une variation

de force, de résistance et de forme dans l'état de presque toutes les parties pro-

fondes et superficielles du segment. Il y a en plus de l'activité dans l'attitude

ou dans le mouvement, ou plutôt une sensation d'activité, mais pas plus de

sens musculaire que de sens articulaire, aponévrotique, ligamenteux, tégu-

mentaire, etc..11 y a une activité superficielle et profonde, qui définit l'attitude,

et cette définition repose sur des opérations de même nature, mais de valeur

différente, selon que l'attitude est passive ou active. La notion de résistance

est forcément d'ordre tactile ; elle résulte d'une intensité variable dans les sen-

sations de pression au contact ou de tiraillement. Ces sensations sont plus ex-

tramusculaires que musculaires à proprement parler.

« Au niveau du segment ou des segments actifs, j'ai donc le pouvoir de lo-

caliser une sensation d'activité qui s'ajoute à la notion d'attitude, mais rien ne

me permet objectivement ni subjectivement d'attribuer cette activité à la con-

traction musculaire, si je ne l'ai appris autrement. Les images d'attitudes et de

mouvements sont donc forcément localisées et tout en restant du domaine sub-

jectif et intraorganiques elles s'objectivent à la périphérie de notre tactilité. Il

en est ainsi de toutes ces perceptions : elles sont à la fois subjectives et objecti-

ves ; subjectives en ce sens qu'elles se localisent sur nous-même, et objectives

en ce sens qu'une partie de nous-même les sent et les localise en nous. Ce qui

se passe en ma main est subjectif puisque ma main fait partie de mon moi or-

ganique ; c'est aussi objectif en ce sens que cette partie de moi est connue,

perçue, analysée, par moi-même et qu'en la percevant, je l'extériorise en quel-

que sorte de ma connaissance.

«La perception a pour effet d'objectiver la chose perçue, quelle qu'elle soit :

l'effort que nous faisons pour nous définir à nous-même une perception, une

sensation, est avant tout un effort d'objectivation. Il suffit que l'on analyse une

LE SENS DES ATTITUDES 169

sensation, même intime et profonde, pour qu'en cherchant à la formuler, à la

définir, on lui prête un corps, une identité objective par le fait même du recul

que nous devons prendre pour accommoder la vision de notre conscience.Quand

les doigts ouverts et les yeux fermés, je fixe l'attention de mon sens des atti-

tudes segmentaires successivement sur les cinq doigts de ma main, j'éprouve

une double sensation. D'abord chacun de mes doigts, à mesure que mon atten-

tion s'y porte, semble s'animer et s'affirmer à moi objectivement; il se fait

sentir et connaître à moi, comme si sa personnalité de segment de mon orga-

nisme sortait des ténèbres de mon inconscience et s'offrait à cette vue intérieure

qui me révèle le détail de ma personnalité somatique. Le sens des attitudes fixe

tel point de mon corps comme l'oeil le fixerait pour sa part. Je sens tel doigt en

y fixant mon attention, comme je le verrais en le regardant. Mais en même

temps que je fais varier l'orientation de mon champ sensoriel en le dirigeant

vers tel ou tel point, j'ai la sensation de ce travail d'attention auquel je me li-

vre, j'ai la notion de l'effort d'accommodation sensorielle de mon sens des at-

titudes, vers tel ou tel point de mon organisme...

« Quand il s'agit non plus de me représenter une attitude segmentaire, mais

une variation d'attitudes, mon attention redouble et s'efforce encore. Dans les

expériences de Cumberlaud, cette attention du sens des attitudes segmentaires

est poussée à l'extrême de la part de la personne conduite.

Mais quand il s'agit d'une attitude maintenue activement, volontairement,

ou d'une variation active d'attitude, la sensation se complique de la perception

de l'effort voulu. Il y a déjà la sensation de l'effort exercé, réalisé, perceptible

au niveau du segment considéré, nous l'avons vu plus haut. Mais il y a en

plus la sensation de la volonté employée, de l'effort de réalisation : c'est à peu

près ce que Wundt a appelé la sensation d'innervation. J'ai d'une part la sen-

sation des modifications produites au niveau du segment actif par l'effort mus-

cnlaire, sensation qui n'est pas plus musculaire qu'articulaire ou cutanée ; mais

j'ai d'autre part la sensation de quelque chose de tendu dans le cerveau, la

sensation qu'une partie de ma volonté générale, disponible, est en ce moment

en tension, si je puis dire. De quelle nature est cette sensation ? ?

« Il m'est possible d'analyser ce que je ressens cérébralement et indépen-

damment de la sensation périphérique et segmentaire de l'effort réalisé, quand

je veux cet effort. C'est, avanttout, la conscience, la sensation de l'exercice de ma

faculté d'attention ; je ne trouve pas de mot plus juste. Quand je veux compren-

dre, sentir, percevoir, - quand je veux me souvenir, retrouver une image,

- quand je veux maîtriser un mouvement réflexe, un trouble moral ou orga-

nique - ou quand je veux réaliser un geste, un effort moteur, - c'est toujours

la même sensation cérébrale que j'éprouve, une perception de tension, d'atten-

tion dans la faculté en jeu. Si cela s'appelle volonté, la sensation de ma volonté

agissante est la même pour un effort de mémoire, de compréhension, de percep-

tion ou d'action motrice. J'ai souvent cherché à analyser cette sensation d'effort

nerveux et à voir si elle varie de forme selon ses applications à telle ou telle fa-

culté, je n'y suis jamais parvenu. C'est évidemment le même mode d'excitation

et d'appel que nous pouvons appliquera telle partie de notre écorce et comme

170 BONNIER

celle-ci est en réalité très uniforme malgré ses complexes attributions, si varia-

bles selon les points considérés, la sensation de sa mise en travail est également

uniforme. Et cela se conçoit si l'ou réfléchit que ce qui semble différencier

l'écorce en attributions fonctionnelles, ce qui fait que telle région cérébrale

semble toute différente de telle autre, ce n'est pas sa nature propre, sa struc-

ture à ce point donné, mais bien son domaine extérieur, l'exploitation lointaine

de sa signification corticale. De même que tel point de l'écorce commande le

langage, tel autre point la'danse et la marche, sans différer pour cela en tant

qu'écorce cérébrale tout en offrant de grandes différences dans l'office fonction-

nel, - de même l'écorce pensante, sensorielle, n'a pas à différer beaucoup de

l'écorce qui régit les appropriations motrices aux images d'attitudes et de mou-

vements. Seulement l'image de telle région représente une attitude et c'est

naturellement cette région qui commande la la motricité médullaire appropriée

à cette attitude ; l'image de telle autre région représente telle sensation, telle

faculté psychique, etc., et n'a qu'indirectement rapport avec la motricité. Mais

la mise en tension de toutes ces régions est sentie de même, parce qu'elles of-

frent le même mode de mise en tension, et que ce phénomène est sensible-

ment le même dans tous les points où nous éveillons l'activité de notre écorce

cérébrale.

« Il n'y a donc pas de sens musculaire spécial. Nons sentons notre volonté au

point de notre écorce où elle prend naissance, nous en sentons les effets asso-

ciés au point de nos segments où ces effets se produisent. »

§ 6. - Le sens des attitudes et le sens de l'espace.

Dans un travail récent (1), M. de Cyon reprend une idée qui faillit devenir

classique et à laquelle il a attaché son nom, celle d'un sens de l'espace, dont les

impressions, toujours de la même naluoe et de la même intensité, nous don-

nent des notions sur les propriétés invariables de l'espace infini de l'univers.

Les sensations sont celles des trois directions : la sagittale ou longitudinale

(avant et arrière), la transversale (droite et gauche), et la verticale (haut et bas).

Sur ces trois sensations de direction sont basées nos notions des trois étendues

de l'espace et des trois dimensions des corps solides qui s'y meuvent ». L'organe

spécial, ad hoc, de ce sens, est l'appareil des canaux semi-circulaires de l'o-

reille.

« Les sensations de cet organe servent aux animaux à orienter leurs mouve-

ments dans les trois directions de l'espace et à localiser les objets dans le monde

extérieur. L'homme les utilise en outre pour la formation de la notion d'es-

pace à trois étendues. L'ensemble des sensations de nos autres organes des sens,

en tant qu'elles se rapportent à la disposition dans l'espace des objets qui nous

environnent et il la position de notre propre corps dans cet espace, sont pro-

jetées sur un système idéal de trois coordonnées rectangulaires, fournies direc-

tement par les sensations du labyrinthe. » .

(1) E. de Cyon, Les bases naturelles de la géométrie d'Euclide, Revue philosophi-

que, juillet 1901. ,

LE SENS DES ATTITUDES 171 1

C'est certainement un sens bien particulier que celui qui fournit des impres-.

sions toujours de même nature et de même intensité ; c'est un appareil senso-

riel qui fonctionne sans excitation, agissant sans variation, invariable et fixe

dans ses rigides représentations. - Je conçois que, comme le dit l'auteur,

« le plus souvent elles échappent à notre attention » et que nous les croyions

innées. Ce sens nous donne des notions invariables sur les propriétés invaria-

bles de l'espace infini. C'est sur elles que reposent, montre l'auteur, les bases

naturelles de la géométrie d'Euclide, avec les trois coordonnées rectangulaires

de l'espace. -

J'ai adressé quelques petites critiques à ce système, d'ailleurs peu accepté.

L'anatomie comparée semble en prendre très à son aise avec les coordonnées

rectangulaires. En effet : .

1° Dans toute la série des vertébrés, l'Homme compris, on ne trouvera peut-

être pas un seul cas de canal semi-circulaire inscriptible dans un plan. Les

trois plans perpendiculaires ne sont pas plans, et le plus souvent les canaux

subissent des incurvations secondaires et multiples au point que chez certains

types ils ont presque la forme d'un 8.

2° Ces trois plans, qui ne sont pas plans, ne sont pas davantage perpendi-

culaires entre eux, et leur distribution n'affecte qu'une apparente rectitude

géométrique.

3° Les canaux de même nom, à droite et à gauche, ne sont pas plus exacte-

ment symétriques que toutes les parties de la boîte crânienne. Les deux sagit-

taux ne sont pas parallèles, les deux horizontaux ne sont pas dans un même

plan, pas plus que les deux transversaux. Cela ferait donc une singulière défini-

tion des propriétés invariables de l'espace infini.

4° Certains vertébrés comme la Lamproie, n'ont que deux canaux, et ne

connaîtraient, d'après M. de Cyon, que deux dimensions à l'espace infini. La

Myxine et les Souris dansantes du Japon n'en connaissent qu'une. Le Céphalo-

pode dont le remarquable otocyste, comme je le faisais remarquer à ce sujet (1),

n'a que de vagues sillons, des rudiments de canaux, n'aura que des orienta-

tions motrices et des notions géométriques bien rudimentaires, tandis que les

plus humbles Mollusques, dont les otocystes sont parfaitement sphériques, et

par le centre desquels des infinités de plans ont toute latitude de se mettre

perpendiculairement trois par trois, auront un espace si copieusement défini et

pourront projeter les sensations un peu obtuses de leurs autres organes senso-

riels sur un système idéal de tant de coordonnées que l'on ne peut qu'approu-

ver la sage et prudente lenteur de leur locomotion. « Si l'on passe à des for-

mations plus primitives, telles que les organes latéraux des Amphibiens et des

Poissons, les organes centraux des Turbellariés, les organes marginaux des

Méduses et le balancier des Diptères, il faudra admirer avec quelle prodigalité

la nature a fourni à ce besoin d'un espace idéal qui semble caractériser toute

la série des êtres organisés et dont l'Homme seul, j'en juge par moi-même et

(I) L'Espace idéal et la théorie de M. de Cyon, Soc. de Biologie, 10 février 1900.

172 BONNIER

par l'obscure définition de M. de Cyon, n'a jamais pu se faire une idée bien

positive. »

Cette représentation objective d'un espace qui reste idéal bien que formé par

des sensations d'étendue et de direction, a quelque chose qui contrarie péni-

blement nos habitudes de représentation intellectuelle. Si cet espace idéal n'est

qu'une sorte de canevas transparent et sans consistance objective sur lequel

se projettent et se superposent les sensations qui forment un espace visuel ou

tactile, on se demande à quoi ce canevas peut bien servir. Si les sensations qui

forment un espace visuel et celles qui forment l'espace tactile sont superposa-

hies respectivement à cet espace idéal, elles sont forcément aussi superposa-

bles entre elles. Ornons savons qu'elles le sont en réalité tout directement et

n'ont aucun besoin, pour se superposer et concorder, de cette sorte d'action

de présence attribuée à l'espace idéal. En effet, les images sensorielles de

toute provenance, si elles sont irréductibles entre elles quant à leur modalité,

sont au contraire parfaitement réductibles et superposables dans l'exercice de

la localisation et de la définition topogrnpbique. Je puis superposer la notion

de lumière et de sonorité en les rapportant à un même point de l'espace, mais

je ne puis réduire la modalité sensorielle de l'une il celle de l'autre, ni l'une

et l'autre à une troisième modalité. La chaleur, la lumière et la sonorité d'une

flamme de gaz sont trois qualités irréductibles entre elles sensoriellement par-

lant ; mais si je ne puis superposer ces qualités sur le terrain de la modalité

sensorielle, je les superpose forcément sur le terrain de la définition topogra-

pliiqne, de la localisation. Ces trois qualités de chaleur, do lumière et de so-

norité ont le même quelque part, c'est donc un même objet sous trois aspects

sensoriels.

C'est, comme je l'ai déjà montré ailleurs (1), l'identité de localisation sous

les divers aspects sensoriels qui nous fournit la notion d'objectivité et d'unité

des choses de notre milieu. Il n'y a rien d'idéal là-dedans, au contraire, c'est

tout ce qu'il y a de plus directement sensoriel.

L'espace tactile et l'espace visuel se superposent pour nous fournir la notion

d'un espace à la fois tactile et visuel, tangible et visible, mais nullement la

notion d'un espace qui ne serait plus ni tactile ni visuel. Faire concorder plu-

sieurs notions n'est pas les abstraire, et il faut pour réaliser psychiquement

cette abstraction, uous donner des choses une définition intellectuelle dans

laquelle l'origine sensorielle dépasse toujours par quelque bout.

- Cette notion d'un espace extérieur purement idéal ayant des dimensions qui

permettent de lui superposer les notions d'espace fournies par les opérations

sensorielles, est donc inutile et incompréhensible.

Je crois qu'il est aujourd'hui suffisamment démontré que tous les appareils

que j'ai énumérés plus haut sont les organes qui définissent sensoriellement

les attitudes et les variations d'attitudes, quelles soient passives ou actives,

du segment qui les porte, et le plus souvent, de l'animal entier. C'est ce que

j'ai appelé l'orientation subjective directe et je renvoie pour leur étude au

(1) Le Vertige, l'Orientation.

">

LE SENS DES ATTITUDES 173

deuxième volume de mon ouvrage sur l'Oreille, cité plus haut, où je reprends,

en la précisant, la théorie de Breuer.

Les canaux semi-circulaires ont des directions et des formes qui favorisent

l'enregistrement sensoriel des principaux mouvements de la tête, et la variété

de leurs formes correspond, non pas à des plans géométriques invariables,,

mais à la variété des modes de progression, variété de locomotion des ani-

maux, au port et aux mouvements de la tête, et, comme l'a montré Landen-

bach (1), « au degré d'habileté qu'ils ont à exercer dans la coordination des

mouvements nécessités par la lutte pour l'existence u. Ils appartiennent donc à

l'exercice du sens des attitudes ; leur trouble, le vertige, est précisément la per-

turbation des sensations qui régissent le maintien des attitudes, et leur action

se fait sentir sur toute la motricité appropriée, particulièrement la locomotion

et l'équilibration.

§ 7. - Le sens des attitudes et l'orientation sensorielle.

Quand je touche un objet du doigt,le contact est tout d'abord localisé sur

cette partie de mon champ sensoriel tactile qui est la pulpe de mon index

droit, par exemple; je sais oit est l'objet dans mon champ tactile - ; mais

où il est dans mon milieu tactile, je ne le sais que si je connais en même

temps l'attitude de mon index, sa localisation dans le milieu objectif. Le sens

des attitudes me permet de localiser dans mon champ tactile, et il me

permet de localiser dans l'espace extérieur, - la partie de mon champ tactile

intéressé par le contact.

De même pour la vue. Tel objet peint son image sur telle partie de ma rétine

et sur nulle autre. Il est donc localisé à tel point de mon champ visuel ; mais

ceci ne me suffit pas si je ne sais en même temps quelle est l'attitude de mon

champ rétinien dans mon orbite, et quelle est l'attitude de ma tête elle-

même. Alors seulement j'oriente et je localise réellement par rapport à moi-

même et dans mon milieu, quand je sais où est mon regard.

L'orientation objective est donc toujours une opération complexe et com-

prend l'orientation dans le champ sensoriel et l'orientation du champ sensoriel

lui-même. Tout cela est fourni par le sens des attitudes. J'ai plusieurs fois ex-

posé ce mécanisme,dont la théorie n'a été rejetée que par M. Egger,n la Société

de Biologie, dans une discussion dans laquelle mon contradicteur m'objectait

ce qu'il considérait comme un fait, sans vérification d'ailleurs,et que j'ai mon-

tré n'être qu'une erreur de diagnostic (2).

§ 8. - Le sens des attitudes et le sens stéréognostique.

Encore une question que l'on eût pu mieux poser. Ce que l'on a introduit

(1) Lanoenbach, De la relation entre le développement des canaux semi-circulaires

el la coordination des mouvements chez les oiseaux, Journal de physiol. et de pathol.

gain., 15 sept. 1899.

(2) J'ai reproduit cette discussion,en général mal analysée dans les comptes-rendus

spéciaux, à la fin de mon livre sur ['Audition, Doin; V. Bull. de la Soc.de Biol., juil-

let-octobre 1898.

l

174 BONNIER

de complications dans cette faculté si simple, si immédiate de percevoir la

forme des choses, dépasse l'imagination.

La forme d'un objet est la distribution de tous ses points dans l'espace, et

cette définition convient à toutes les formes. Chaque point de l'espace, dès qu'il

devient accessible à un sens, est forcément localisé ou du moins orienté aussitôt

que perçu, puisqu'il est perçu ici et non puisqu'il ne peut intéresser simul- «

tanément deux points différents de notre sensibilité périphérique, puisqu'il ne

peut, de par la distribution même de l'appareil sensoriel, intéresser simulta-

nément deux points différents de notre sensibilité centrale. Ce qui est vrai

d'un point l'est de tous, et tous les points simultanément perçus d'un objet

sont simultanément, directement et immédiatement localisés ou orientés. Donc

la forme d'un objet se révèle immédiatement par la distribution périphérique

de l'empreinte sensorielle et par la distribution centrale de l'image conjuguée.

Il n'y a pas plus d'opération sensorielle pour la perception de la forme qu'il

n'y a d'opération de la part d'une chambre noire pour que chaque point de

l'espace aille faire image en son lieu sur la plaque sensible. La distribution

physiologique se superpose la la distribution anatomique; il serait absurde de

méconnaître ce fait si simple et de chercher ailleurs.

Mais tous les points d'un objet ne peuvent être simultanément perçus ; nous

n'avons donc, il un moment donné, qu'une image incomplète de sa forme.

Néanmoins nous pouvons augmenter la surface d'empreinte sensorielle et

mouler en quelque sorte notre sensorialité sur l'objet, pour tirer de l'empreinte

la notion du relief. La vision binoculaire embrasse ainsi la forme solide d'une

surface d'empreinte plus grande que surfaceunioculaire ; de plus, elle isole

en partie les objets dans différents plans. De même l'enveloppement tactile, si

facile par les oppositions d'attitudes segmentaires, multiplie la surface d'em-

preinte, se -moulant sur le relief des choses. Ceci nous permet, en associant

des images d'attitudes sensorielles plus adaptées, d'acquérir une notion plus

complète de la forme de l'objet il un moment donné. Or, l'analyse du sens

des attitudes segmentaires fournit des images directes et immédiates aussi bien

que celle des attitudes sensorielles, et de ces deux perceptions immédiates,

dont l'association doit se faire elle aussi très rapidement, depuis le temps que

les espèces biologiques voient et louchent, résulte l'orientation objective de

la forme de l'objet. Si, en outre, nous pratiquons la recherche visuelle et la

recherche tactile, c'est-à-dire si nous faisons varier activement nos attitudes,

nous « faisons le tour de l'objet », et toute sa forme nous est connue. Ici

encore c'est le sens des attitudes qui fonctionne et renseigne. C'est cette opé-

ration qu'on a appelé le loucher actif.

La perception de forme est donc immédiate et résulte directement de la mise

en activité du milieu sensoriel anatomique distribué.

Ce qui n'est pas immédiat, c'est le classement spéculatif des formes, la com-

paraison d'une forme donnée avec d'autres formes données et plus ou moins

familières et communes, l'interprétation, la définition psychique, la verbalisation

de l'empreinte sensorielle. Ceci est une autre affaire. Nous pouvons oublier le

nom, la physionomie d'un monsieur, et pourtant, comme il est d'usage de

LE SENS DES ATTITUDES 173

dire dans ce cas, « nous ne connaissons que lui ». Nous ne savons plus d'où

est tiré tel air,tel vers que nous connaissons très bien cependant. La recherche

mentale est moins active et moins habile, moins facile que la recherche

sensorielle. Nous ne trouvons plus le mot, parce que nous ne savons oÙ il est

dans nos centres de verbalisation, où nous l'avons laissé la dernière fois que

nous nous en sommes servi; ça commence, croyons-nous, par telle lettre;

et nous feuilletons notre mémoire, nous mettons tout sens dessus dessous,

sans le retrouver, et tout coup, quand, sous une distraction, l'automa-

tisme de la recherche a rétabli l'association des centres d'images, diversement

situés dans notre masse corticale - jaillit cette image cherchée, cette forme

spéciale d'idée, cette distribution convenable d'activités élementaires qui est

l'image verbale, sonore,image sensorielle qu'évoque l'image psychique,comme

l'image psychique serait évoquée par elle '

La pathologie réalise souvent ce trouble, cette dissociation corticale, soulevant

la croûte des interprétations psychiques et l'isolant de la masse des résidus

sensoriels. Surdité verbale, cécité psychique, cécité tactile, akinesthésie (Ver-

ger), tout cela, comme l'a dit Bourdicaut-Dumay, est un même phénomène. Une

ou plusieurs des analyses sensorielles sous-jacentes peuvent - non pas man-

quer mais rester inconscientes, tandis que la perception de forme se main-

tieudra.On a beaucoup confondu dans l'étude clinique du sens stéréognostique

la conscience d'une analyse sensorielle et cette fonction elle-même. Beaucoup

de malades font de la prose sans le savoir, et peuvent garder par exemple la

notion de forme tout en étant incapables d'apprécier leurs attitudes, ou avec

une conscience presque éteinte de l'analyse tactile, - de la sensation de

poids,etc. Et inversement la conscience des analyses élémentaires peut être

vigilante quand il s'agit d'apprécier une attitude, une résistance par exemple,

et manquer tout à fait quand il s'agit de définir aux autres et à soi-même une

forme.

§ 9. - Le sens des attitudes et la motricité appropriée, la psychomotricité.

L'ancienne conception des zones motricesde l'écorce, motrice comme les cornes

antérieures de la moelle, a aujourd'hui vécu. Elle a fait place à des conceptions

assez disparates dont se dégage peu à peu la notion que la motricité volontaire

étant directement conditionnée par les représentations d'attitudes, les centres

corticaux sus-jacents au., centres de cette motricité sont des centres de repré-

sentation d'attitudes. Munck attribue les troubles de la motricité volontaire,

par lésion des régions rolandiques, à la perte des' notions de la situation dans

l'espace et des images qui résultent des impressions tactiles et motrices. La

motricité volontaire apparaît dès que l'image évoquée par voie d'association at-

teint le degré d'intensité suffisante (V. Verger, loc. cit., p. 697).

Le FÚltlspha ! 1'e de Munck, la sphère des sensations du corps, se rapproche

beaucoup de notre sens des attitudes (1890).

Verger (p. 706) dit : « La zone psycho-motrice dont on peut délimiter les

limites et qu'on peut diviser en régions par l'élude des excitations électriques,

ne peut pas être considérée absolument comme la zone sensitive de la moitié

176 ô BONNIER

opposée du corps. En réalité, elle parait être le lieu où sont perçues et conser-

vées dans la mémoire les sensations qui concourent à former les représentations

motrices, dont les représentations tactiles constituent un cas particulier. C'est

le centre des images motrices et tactiles » (et p. 704)... « il n'est pas douteux

que les sensations kinestésiques, le toucher actif, le pouvoir de localiser les

sensations à la surface cutanée, doivent être localisés dans la région des cen-

tres corticaux des extrémités ».

Cette définition de Verger est de 1900. Discutant la même question en 1894

dans une note à la Société de Biologie sur la pariétale ascendante (29 juin 1894),

je disais :

« Nous pouvons nous représenter une attitude actuelle et nous représenter

sa variation, c'est-al-dire un mouvement passif ou actif. Nous pouvons aussi

imaginer une attitude, en désirer, en vouloir la réalisation; un geste n'est

pour nous qu'une série d'attitudes à variation continue ; tout ceci ne sort pas

de l'imagination purement sensorielle. Dans le monde des perceptions senso-

rielles objectives, une image pourra, selon ses caractères et son intensité, nous

laisser ou indifférents, ou passifs, ou provoquer en nous une réaction motrice.

Dans le monde des perceptions sensorielles subjectives, et en particulier pour

les images d'attitude, selon ses caractères d'intérêt subjectif et son intensité,

telle image d'attitude pourra imposer sa réalisation avec tant de vivacité et de

force, qu'elle provoquera en nous une réaction motrice qui, à l'état normal, sera

le plus souvent appropriée. Il est vraisemblable qu'aux images d'attitude sont

organiquement associés des groupements systématiques et coordonnés d'agents

moteurs capables de les réaliser, et que met automatiquement en jeu l'irritation

suffisante et spéciale de certaines zones correspondantes du champ cortical des

représentations d'attitude. Que cette réaction motrice parle d'une perception

sensorielle, objective ou subjective, qu'elle jaillisse d'une acquisition périphé-

rique ou d'une imagination centrale, c'est toujours un réflexe, un acte moteur

inconscient et involontaire dans le détail de son exercice.

t( Il nous semble difficile d'admettre la combinaison intime, in situ, de deux

fonctions tantôt associées, tantôt distinctes, dont l'une est consciente et l'autre

pas ; et bien que le réflexe moteur qui part des zones sensorielles dites psycho-

motrices soit d'un arc plus court que celui que provoque une irritation senso-

rielle périphérique, il nous suffit de constater qu'il peut ne pas suivre l'irrita-

tion sensorielle pour lui refuser une localisation commune avec elle.

« Ces images d'attitude sont faites de perceptions tactiles cutanées, articu-

laires et tendineuses, véhiculées par les racines postérieures, et nous rensei-

gent sur l'orientation et les attitudes segmentaires de la tête, du tronc et des

membres. De plus, l'appareil de l'utricule et des canaux semi-circulaires a

pour fonction ce que nous avons appelé orientation subjective directe, c'est-à-

dire la faculté de reconnaître les attitudes et les variations d'attitude de notre

segment cépbahque. Il y a enfin le contrôle de la vue.

« Ces notions d'attitudes segmentaires sont indispensables à la motricité.

Des faisceaux médullaires d'une part, des faisceaux vestibulaires d'autre part

se rendent vers les noyaux cérébelleux, le vermis supérieur et les circonvolu-

LE SENS DES ATTITUDES 177

tions postérieures du cervelet. Par le pédoncule supérieur, le noyau rouge et

le faisceau décrit par Meynert, cette région s'unit aux zones pariétales. Il est

en outre très probable que le faisceau sensitif général apporte aux zones psy-

chomotrices des notions analogues, indispensables la représentation, à l'ima-

gination et à la réalisation volontaire des attitudes et de leur variation. »

J'apportais dans cette discussion l'appui d'un cas très curieux, celui du cer-

veau d'Adolphe Bertillon, cerveau examiné par L. Manouvrier et dont je re-

produis l'image exacte.

Bertillon était gaucher, et l'on devait s'attendre à trouver ses circonvolu-

tions rolandiques plus développées à droite qu'à gauche. La pariétale ascendant

droite était comme atrophiée et de moitié plus petite que la gauche.

Il y a donc là quelque chose qui heurte la conception de l'appropriation

psycho-motrice classique, car la pariétale ascendante devait être plus déve-

loppée à droite, puisqu'il était un gaucher moteur.

D'autre part, Bertillon avait, fort jeune, perdu l'usage de l'oreille gauche;

la première temporale droite était atrophiée, c'était correct. Mais l'oreille ne

sert pas qu'à entendre; sa fonction fondamentale, la plus ancienne et la plus

vigilante est de nous fournir les notions d'attitudes et de mouvements du seg-

ment céphalique, et son rôle est énorme dans l'exercice de la locomotion et de

l'équilibration, et en général de tous les mouvements volontaires, les attitudes

segmentaires se distribuant par rapport au tronc et surtout à la tête. Le nerf

vestibulaire de l'oreille se dirige vers les zones pariétales, comme le faisceau

sensitif médullaire qui dessert le sens des attitudes segmentaires. Or, l'oreille

gauche étant sans doute atrophiée, par suite de l'otite survenue dès Tàge de

six ans, avec surdité définitive, nous devons supposer que le labyrinthe droit

xv 12

Hémisphère droit t

Hémisphère gauche

178 BONNIER ·

fournissait seul aux notions d'attitudes céphaliques indispensables il la motri-

cité et il l'équilibration consciente ; et le remarquable développement de la

pariétale ascendante du côté gauche, correspondant à cette suractivité fonc-

tionnelle de l'oreille droite, m'a fait localiser dans cette circonvolution « le

centre des perceptions vestibulaires, fournissant les images d'attitudes indis-

pensables à t'idéation motrice, et comme un centre exclusivement sensoriel

tenant sous sa dépendance directe les centres de motricité automatique et coor-

donnée situés plus bas ».

Il semble bien en effet que, dans ce cas heureux de dissociation, le déve-

loppement de la corticalité pariétale ait suivi, non la motricité brute, mais la

représentation sensorielle d'altitudes.

Bertillon, gaucher moteur et droitier d'images d'attitudes, eut toute sa vie,

d'après ceux qui l'ont connu, une mauvaise appropriation motrice quant à la

locomotion et à la station d'équilibre. Gaucher moteur, gaucher de langage et

droitier d'audition, il fut également un parleur embarrassé, disant avec son

cerveau droit les images auditives de son cerveau gauche. Son cerveau tran-

che, à mon avis, la question d'une façon assez nette.

L'équilibration relève du sens des attitudes, car l'équilibre est réalisé par

toutes les attitudes qui n'ont pas de tendance à varier dans le sens de la chute ;

l'équilibre est donc une chose relative, faite d'observation immédiate et d'ex-

périence.

§ 10. - Le sens des attitudes et l'orientation lointaine.

Un étranger, ignorant absolument Paris, descend à la gare de l'Est.

Il va droit devant lui, parcourt le boulevard de Strasbourg, sentant

derrière lui, toujours exactement derrière lui son point de départ, la

gare de l'Est. Arrivé aux boulevards, il prend à droite et ne perd

pas un instant l'orientation de son point de départ à sa droite, et tou-

jours un peu plus en arrière. A mesure que s'incurve vers la gauche

la ligne des boulevards, son point de départ se place plus directement en

arrière et moins en dehors vers la droite. A l'Opéra, il sait nettement qu'il

peut retrouver la gare de l'Est, soit en refaisant le chemin parcouru,ce qui est

déjà long, mais sûr, soit en coupant directement par l'hypoténuse, c'est-à-

dire par la première ligne droite qu'il trouvera dans cette direction, à laquelle

répond suffisamment la rue Lafayette. Il s'est donc orienté, est revenu à son

point de départ sans grande hésitation. S'est-il aidé de la vue ? Evidemment

non, chaqu aspect étant nouveau pour lui et sans repère. Est-ce à un flair

spécial qu'il doit cette faculté de se diriger comme l'a sérieusement supposé

M. de Cyon, après d'autres, au sujet de pigeons voyageurs ? Pas davantage.

Est-ce à une influence magnétique, comme l'a pensé Viguier ? Non plus. C'est

simplement à la mémoire de ses déplacements successifs et à la tenue cons-

tante de l'orientation de son point de départ à travers ses changements d'at-

titude et de direction. -

LE SENS DES ATTITUDES 179

Ce que cet étranger fait à travers Paris, le sauvage le fait au milieu des plus

impénétrables forêts, par les déserts les plus dépourvus de repères, et à des

distances infinies. Le chien, le chat qui rentrent au logis à de grandes distan-

ces, les abeilles de Fabre, et mille exemples merveilleux autant que familiers,

les retours surprenants des pigeons voyageurs, les passages périodiques et à

itinéraires constants, les grandes migrations de cailles, d'hirondelles, de ren-

nes, et d'hommes, tout cela ne s'explique pas autrement que par l'orientation

du point de départ, nullement par celle du point d'arrivée, toujours invisible,

imperceptible à chacun de nos sens. Je n'insisterai pas sur cette question, que

j'ai étudiée à plusieurs reprises (1). Mais je ferai remarquer que la notion du

déplacement est fournie elle aussi par le sens des attitudes, celui dont la mé-

moire est peut-être la plus entretenue et la plus solide des mémoires senso-

rielles.

§ 11. Le sens des attitudes et l'orientation psychique.

Bien que la sensation, d'après certains auteurs, n'ait rien à faire avec l'es-

pace, et qu'elle ne soit par conséquent ni quelque part ni quelque chose, pour

quelques autres la sensation est là où se trouve l'appareil capable de la réaliser.

Il nous est impossible de garder un instant la pensée que tous les points de

notre masse cérébrale puissent indifféremment remplir le même office physio-

logique et qu'it la distribution anatomique ne corresponde pas une distribution

physiologique. Or la distribution anatomique est dans l'espace, et tout le monde,

ou à peu près tout le monde admet aujourd'hui que certains départements de

l'écorce, par exemple, manifestent certaines aptitudes psychiques que ne mani-

festent pas certains autres. Il n'en faut pas plus pour reconnaître que l'aptitude

psychique en question est limitée dans l'espace aux régions susdites, qu'elle

n'existe que là et pas autre part. Une chose limitée dans l'espace est distribuée :

elle a donc forcément une forme.

Dans ce domaine psychique, la moindre image, la moindre sensation, la

moindre idée, la moindre représentation, ne peut occuper un point seul, elle

en occupe toujours plusieurs, car l'analyse de la plus simple de nos notions in-

tellectuelles nous montre toujours quelque chose de très complexe, associant

des éléments psychiques et sensoriels que l'on peut retrouver diversement asso-

ciés dans d'autres complexus psychiques. Comme une même note peut se trou-

ver, avec un rôle harmonique différent, dans plusieurs accords, de même un

élément psychique peut entrer dans un grand nombre de combinaisons intel-

lectuelles diverses. Ces éléments psychiques ne sont pas plus identiques les

uns aux autres que ne le sont les départements corticaux.

Il y a là aussi distribution anatomique et physiologique. Chaque combinai-

son d'éléments psychiques associe donc des points diversement situés, et cette

combinaison psychique, quelle qu'elle soit, met eu jeu plusieurs régions élé-

(1) Sens de l'oi-ientatio ? z,Soc. de Biol., si décembre 1897.-Le sixième sens, Hev. scien-

tifique, 1 tuai 1898. L'Orientation, coll. Scientia, Carré et Naud.

180 BONNIER

mentaires, plusieurs cantons psychiques ayant chacun leur étendue et for-

ment ensemble un complexus physiologique forcément superposé à un com-

plexus anatomique. Les idées, les sensations, ont donc une forme comme les

images sensorielles elles-mêmes ; et il est infiniment plus facile d'admettre

qu'une idée ait une forme que d'imaginer un moment qu'elle puisse n'en pas

avoir.

Les combinaisons psychiques reposent donc sur des conditions anatomiques

et le vieux terme de localisations cérébrales, maintenant que sa signification

s'est élucidée tout en se compliquant, suffit à caractériser la notion des idées

ayant une forme. La recherche psychique, comme le palper actif doit recourir

aux bons offices du sens des attitudes. Je reproduirai ici quelques lignes de

mon rapport au Congrès de philosophie.

Une image sensorielle n'existe que parce qu'il y ri en plusieurs points d'une

surface sensorielle périphérique des activités élémentaires mises en jeu ; il n'y

a pas d'image sans espace. Une pensée, c'est-à-dire l'image d'un ensemble

d'activités élémentaires centrales, exploite topographiquement un certain

.nombre d'éléments qui peuvent se trouver parfois très distants les uns des

autres : une pensée a donc une forme, car elle couvre un certain terrain, elle

associe en une même figuration topographique divers centres psychiques,

comme une figure géométrique relie divers points. Une image psychique a

une étendue comme une image sensorielle, comme une image rétinienne. On

néglige réellement trop la notion d'espace quand on scrute le mécanisme des

phénomènes psychiques ; elle joue le premier rôle dans sa définition, car la

morphologie nerveuse intervient dans la pensée comme la morphologie des

membres dans le geste.

Je disais plus haut que l'on ne peut, sensoriellement parlant, percevoir

quelque chose sans son quelque part ; il serait également juste de reconnaître

que c'est précisément par la notion du quelque part que nous avons la notion

de quelque chose. En effet, l'état de différenciation et de spécialisation où en

sont arrivés nos sens, les modalités sensorielles ont cessé d'être réductibles

entre elles ; nous ne pouvons superposer une impression visuelle à une audi-

tive ou à une tactile, et si nous pouvons les associer et les qualifier des mê-

mes appréciations, il n'est pas moins certain que nous ne pourrons leur attri-

buer de commune mesure. En revanche, les perceptions sensorielles les moins

réductibles peuvent avoir la même orientation et se superposer dans le do-

maine sensoriel de la localisation dans l'espace. Nous ne pouvons superposer

la notion de rouge à la notion do chaud, à moins de complaisance ou de dupe-

rie psychique, mais nous pouvons dire que le même objet est à la fois chaud et

rouge, parce que ce qui est rouge et ce qui est chaud ont le même quelque

part dans l'espace. C'est sur le terrain de la localisation dans l'espace que

peuvent se faire les superpositions d'aspects sensoriels divers et irréducti-

bles dans leur modalité. L'identité de localisation sous divers aspects sen-

soriels engendre la notion substantive et donne une existence concrète à ce

- qui n'était qu'adjectif.

LE SENS DES ATTITUDES 181

L'objectivité d'une chose consiste en ce qu'elle est quelque part dans le

champ de notre investigation sensorielle ; la distribution de ses parties et de

ses divers points dans l'espace fournit la notion de sa forme ; les variations

de sa forme ou de sa localisation dans l'espace éveillent la notion de mouve-

ment.

Toute variation de localisation dans l'espace se révèle simultanément sous

forme de durée, de vitesse, et sous forme d'étendue. La notion d'étendue ap-

partient à la comparaison d'au moins deux localisations dans l'espace, que ces

deux localisations soient simultanées ou successives, tandis que la notion de

vitesse implique le déplacement, c'est-à-dire la succession dans la localisation

variante. C'est cette notion de succession opposée à celle de constance qui est

l'origine de notre idée du temps, laquelle est, on le voit, engendrée par celle

d'espace. L'immobilité ne donne pas la notion de durée, de temps ; il nous

faut pour cela l'exercice du mouvement, d'une étendue parcourue selon une

vitesse, d'une variation de localisation dans laquelle l'étendue, mesurée direc-

tement par notre faculté d'orientation, et la rapidité, c'est-à-direja vitesse de

succession perçue également par l'exercice sensoriel, nous sont directement

connues, et dans laquelle nous dégageons cette inconnue, la notion de durée,

dont la définition est fonction de l'espace et de la vitesse, deux notions direc-

tement sensorielles. -

Il y a dans le monde objectif révélé par les sens un quelque part spécial que

nous ne pouvons extérioriser, c'est ce que nous appelons notre mot ; il se défi-

nit en terme d'espace, et devient un quelque chose dans notre milieu, forcé-

ment le milieu de notre milieu. Le monde subjectif est tout aussi objectif que

le monde qui est extérieur à notre moi ; nous ne le connaissons qu'en l'objec-

tivant et en le soumettant à l'action de nos facultés sensorielles de représenta-

tion, mais rien ne nous est plus certain que sa localisation. Il n'y a rien que

nous localisions mieux que notre moi, rien dont le quelque part ne fasse mieux

quelque chose, et quoi de plus stupéfiant que l'illusion que nous nous sommes

faite si longtemps d'un principe immatériel dont nous pouvions cependant dé-

finir la localisation avec tant de certitude ! Dire « Je pense, donc je suis »,

cela veut dire surtout : « Il y a ici quelque chose qui pense, donc il y a ici

quelque chose ». Rien dont nous ne soyons plus sûrs que du terme ici. Notre

moi, lui aussi, est surtout un endroit dans l'espace.

En résumé, le sens des attitudes a l'ambition de pénétrer un peu partout.

M. Claparède raille gaîment cette prétention que je ne puis pourtant trouver

exagérée, à moins de considérer, ce que je finirai par faire, comme très origi-

nale l'idée suivante, à quoi se réduit ma façon de dire :

La distribution topographique, le quelque part des choses, joue le premier

rôle dans les rapports que ces choses ont entre elles.

Et plus particulièrement : "

Qu'il s'agisse de structure moléculaire ou de dispositif organique, l'anatomie

est la base naturelle de la physiologie, et par conséquent de la psychologie.

NOTE A, PROPOS DELA TOPOGRAPHIE RADICULAIRE DES

ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATHIQUES,

PAR

R. CESTAN etE. HUET.

A propos de notre article sur la topographie des atrophies musculaires

myélopatliiques paru dans le dernier numéro de la Nouvelle Iconographie

de la Salpêtrière, M. le professeur Dejerine nous écrit pour nous faire re-

marquer que cette question a été traitée très longuement par lui dans sa

Sémiologie du système nerveux, pages 789 et suivantes (Traité de Pathologie

générale de Bouchant, t. V), et que dans notre historique nous aurions dû

tenir davantage compte de ses travaux.

« Cette question, nous dit-il, je l'ai posée et résolue à l'aide de plusieurs

observations cliniques dont trois avec autopsie. Les conclusions sont on

ne peut plus nettes et formelles. J'ai dit et répété que dans les atrophies

myélopathillues - poliomyélite aiguë et chronique,, syringomyélie, hé-

matomyélie, sclérose latérale amyotrophique, - la topographie était tou-

jours radiculaire, et cela aussi bien dans le type scapulo-huméral que dans

le type Aran-Duchenne. Or, à ma connaissance du moins, personne avant

moi n'avait, je ne dirai pas signalé, mais même soupçonné cette particu-

larité. A l'appui de mon opinion j'ai rapporté plusieurs observations ré-

sumées provenant de mon service ou de ma pratique personnelle, et un

certain nombre de photographies d'atrophiquesa à type radiculaire, à sa-

voir : 1 syringomyélie, fig. 89, 90 et 94 ; 2 paralysies infantiles,fig. 102,

103 et 99, 100; 1 hématomyélie, fig. 105. J'ai discuté tous ces cas et

rapporté en outre, au bas de la page 791, trois cas de syringomyélie à

topographie radiculaire de l'atrophie, avec autopsie. »

Nous nous faisons un devoir de faire droit à ces observations de notre

éminent maître et de préciser en détail son opinion que nous avons si-

gnalée succinctement en disant (p. 6) : « Or,selon Dejerine (Sémiologie du

système nerveux), la clinique n'a jamais montré chez l'homme un cas d'a-

trophie musculaire myélopathique à disposition segmentaire; la topo-

graphie est au contraire radiculaire. »

ATROPHIES MUSCULAIRES MYÉLOPATHIQUES 183

Notre but était principalement d'apporter une contribution clinique à

la topographie des atrophies musculaires myélopatlaiques, dont la disposition

radiculaire a été découverte par M. le professeur Dejerine, en nous ap-

puyant sur des cas que nous avions pu observer et qui nous ont paru très

typiques. Nous avons rappelé accessoirement deux cas de syringomyélie

en résumant les observations que nous avions publiées clans la Revueaelc-

1'alogique, cas que l'on doit rapprocher de ceux signalés par M. Dejerine

dans la Sémiologie du système nerveux. Nous avons plus spécialement in-

sisté sur le cas de poliomyélite antérieure aigué de l'enfance et rapporté

deux observations qui nous ont paru particulièrement intéressantes, d'un

côté par l'envahissement assez rarement rencontré du groupe radiculaire

inférieur et, d'un autre côté, par la localisation très pure (cas de Henri

Seg... surtout) à ce groupe radiculaire inférieur.

A ce propos nous disions (p. 13) : Reproduisant des photographies de

malades dans son Traité de sémiologie M. Dejerine écrit : « Dans la polio-

myélite aiguë de l'enfance, la topographie radiculaire de l'atrophie est

facile à constater dans beaucoup de cas. Le groupe Duchenne-Erb est

parfois lésé dans cette affection, la distribution de l'atrophie est la même

que dans le cas de paralysie radiculaire supérieure du plexus brachial.

Lorsque la poliomyélite aiguë de l'enfance s'étend à tout le membre su-

périeur, ici encore il est souvent facile de constater la topographie radi-

culaire de l'atrophie. » Et nous ajoutions : « Cependant il faut reconnaître

que si l'atrophie prédomine souvent sur un groupe musculaire et revêt

ainsi une topographie radiculaire, très rares sont au contraire les cas

typiques uniquement localisés sur un groupe radiculaire du plexus brachial

et tout particulièrement sur le groupe radiculaire inférieur. »

N'ayant pas eu l'occasion de faire dans nos observations de constatations

anatomiques, nous sommes restés avant tout sur le terrain clinique, mais

nous avons cherché à en rapprocher les données fournies par la méthode

expérimentale et nous avons été amenés à parler des recherches de Sano,

Van Gehuchten, de Neef, Marinesco, Parhon et Popesco, Parhon et Golds-

tein.

11 semble très logique de concevoir qu'à une lésion d'un étage moteur

médullaire doive correspondre une altération périphérique à disposition

radiculaire, puisque les racines antérieures paraissent provenir par un

trajet direct des cellules motrices de la corne antérieure; la clinique a

montré à M. Dejerine et à nous-mêmes que des atrophies musculaires.

paraissant bien réellement de nature myélopathique présentaient en effet

une topographie radiculaire et non segmentaire. Mais, comme nous l'avons

dit, cette constatation nous paraît pouvoir s'accorder avec les résultats

fournis par la méthode expérimentale et ceux obtenus dernièrement chez

184 CESTAN ET HUET '

l'homme par Parhon. Elle n'empêche pas, en effet, d'admettre dans cha-

que segment, ou dans plusieurs segments successifs de la moelle, une

distribution des cellules motrices en groupements correspondant à des

muscles déterminés ou à certains groupes musculaires. Dans ce sens la

méthode expérimentale semble avoir donné des résultats positifs à côté

d'autres encore controversés et, jointe à la méthode anatomo-cl inique, elle

étendra sans doute beaucoup encore nos connaissances dans cette voie.

Pour l'instant il nous paraît résulter de nos faits, comme il résultait de

ceux de M. Dejerine, que la seule topographie des atrophies musculaires

ne peut servir de base au diagnostic de siège médullaire ou radiculaire de

la lésion.

LES UROLOGUES (1)

PAR

PAUL RICHER,

Membre de l'Académie de médecine, Directeur honoraire du

laboratoire de la clinique de la Salpêtrière.

De tout temps l'examen des urines a appelé l'attention des médecins

soucieux de s'entourer de tous renseignements capables de les éclairer sur

la nature des maladies qu'ils sont appelés à combattre. On comprend tout

l'intérêt que peuvent avoir, au milieu des désordres pathologiques multi-

ples, les troubles apportés par le mal, quel qu'il soit, à une fonction aussi

importante que la fonction urinaire. Mais encore ne faut-il pas demander,

à l'élude de ce symptôme, plus qu'il ne peut donner et croire qu'il suffit

à lui seul pour éclairer complètement le médecin et le dispenser de tout

autre examen devenu superflu. Or, l'imagination du peuple a été telle-

ment frappée de l'importance que les médecins accordaient à l'examen

des urines qu'il est souvent tombé dans l'erreur que nous venons de si-

gnaler et qu'il est devenu une proie facile pour une catégorie de charla-

tans, les uromanciens, dont l'art nous a conservé de très curieux spé-

cimens.

Mais n'oublions pas que l'examen des urines compte au nombre des

procédés d'investigation les plus utiles dont puisse user le médecin et que

les plus grands maîtres en ont de tout temps recommandé l'emploi.

Sans remonter aux conseils d'Elippocrate et de Galien sur la matière, je

noterai qu'à la fin du XIIe siècle un homme fort remarquable pour l'épo-

(1) Article extrait d'un important ouvrage de M. le Docteur Paul Richer intitulé L'AI't

et la médecine, qui sera prochainement publié par MM. Ganetier, Magnier et Cie.

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière a la bonne fortune de pouvoir offrir à ses

lecteurs la primeur de ce chapitre dont les illustrations ont été gracieusement prêtées

par les éditeurs.

N. D. L. B.

186 PAUL RICHER

que, Gilles de Corbeil, premier médecin de Philippe-Auguste, avait écrit

sur la médecine quatre ouvrages en vers latins et que l'un d'eux tout en-

tier était consacré aux urines, Liber de urinis.

Dès cette époque, la coutume d'examiner les urines était fort répandue

dans la pratique médicale. Nous en trouvons des traces jusque dans la

littérature.

Un des fabliaux les plus célèbres du XII0 siècle, le Roman dit Renart qui

est, en même temps qu'une satire, une peinture très exacte des moeurs

du moyen âge, nous a laissé la description fort curieuse d'une scène mé-

dicale qui mérite d'être rappelée ici.

Noble, le lion, est malade, il appelle renart qui lui donne une consul-

tation. La branche qui contient ce récit a pour titre : C'est la branche de

Renart si corne ilfu mires (médecin).

Venez vite à mon aide, dit le lion au renart, je m'abandonne à vous.

Et vos, Renart, pensez de moi

Si en prenez hastif conroi (soin).

Ce que vos feroiz, fait sera,

Ne jà nus ne vos desdira,

Ne n'en dira ne plus ne maius

Je me met dou tot en voz mains.

Et Noble fait une peinture très vive des maux dont il souffre, dans la-

quelle il est aisé de reconnaître les symptômes de l'embarras gastrique

fébrile : douleur de tète, troubles de la vue, bouche amère, courbature gé-

néralisée, difficulté de respirer, rien n'y manque.

En la teste ai un mal si grant

Qu'il me sanble, se Diex m'amant.

Qu'el me soit par pièce fendue

Et si me trouble la véue

Sovent si que je ne voit goûte ;

Si ai la bouche amere toute

Que riens née ne m'a savor.

Par tot le cors ait grant dolor,

Le piz ai tel que à grand paine

Puis-ge il moi traire (tirer) m'alaine

Je ne vos puis la moitié dire

De la doler qui me fet frire.

Renart alors donne sa consultation, et le récit en précise avec soin les

moindres circonstances.

LES UROLOGUES 187

Ce dit Renart, gariz serez

Einz que tierz jors voiez passez :

Aportez moi un orinal

Et si verrai dedenz le mal.

Ainsi, sans perdre de temps, Renart demande à examiner les urines et

il affirme qu'il y découvrira les causes du mal. Le lion se prête le plus

gracieusement du monde à ce qu'exige de lui notre mire.

Li orinax fu aportez,

Nobles est en séant levez,

Si a pissié plus que demi :

Et dit Renart, bien est issi.

Lors le prent et au soleil va.

L'orinal sus en haut leva ;

Moult le regarde apertement,

Torne et retorne moult sovent

Por véoir s'il se torneroit.

Nous voyons d'ici le tableau ; le Renart est un praticien consommé,

il a le geste de l'urologue si souvent etsi bien représenté par les peintres.

Il va en pleine lumière, il élève l'urinai à contre-jour elle rayon de so-

leil qui se joue dans les remous de liquide ambré lui en dévoile les moin-

dres altérations.

Aussi est-il bien renseigné après une aussi consciencieuse recherche.

Sire, fait-il, se Diez me saut,

Bien voi vos avez fièvre ague

J'ai la poison (potion) qui bien la tue

Sire Rois, foi que je dois vos.

Il continue ensuite son examen, consulte le pouls, tâte les côtés, la

poitrine, le flanc, hoche la tête,

A poi (peu s'en faut) ne suis venuz trop tart.

Et termine enfin par cette affirmation rassurante :

Le mal dou cors vos osterai,

S'en saudra la fièvre quartaine

Qui si vos fait puir l'ilaine (i).

Et vraiment, les vers qui précèdent ne pourraient-ils pas servir de

légende à plusieurs des scènes médicales déjà signalées et à quelques

autres dont il sera parlé plus loin.

(1) 111 : : ort, Le Roman du Renard, Paris, 182G, vers 19.480 et suiv.

188 PAUL RICANER

Un célèbre médecin italien, l3arthol. Montagnana publiait, en 184.7 (1),

un très curieux traité sur les signes fournis par les urines, qui futplus tard

reproduit dans le Fascicullls medicinæ de Johannes de Ketham, 1495 (2).

Son ouvrage a pour frontispice une fort belle gravure sur bois repré-

sentant, sur un péristyle à colonnes corynthiennes, un groupe de docteurs

qui discutent gravement sur le contenu d'un énorme urinal que leur

présente un élégant jeune homme. Près d'eux un tout jeune garçon tient

également à la main un urinai de moindre dimension (fig. 1).

La page suivante est un résumé graphique de la séméiologie urinaire.

On y voit dessinés, à la périphérie d'un grand cercle et disposés dans le

(1) tlmx, no 11,53, cité par J-Ch. BnUN8T, Manuel du libraire et de l'amateur de

livres. Paris, 1862, t. III, p. 656.

(2) 13RuET. loc. cil.

Fig. i. Frontispice de l'ouvrage de B.11lontagnana sur les si gnes fournis par les urines.

LES UROLOGUES 189

sens des rayons, vingt et un urinaux demi remplis d'un liquide coloré

de teintes qui varient depuis le jaune clair jusqu'au brun, depuis le rose,

le rouge, jusqu'au gris foncé et au noir absolu ; des inscriptions donnent

la signification de ces teintes. On peut y lire les tempéraments, les diffé-

rents degrés de la digestion et bien d'autres choses. Le titre de la planche

est très significatif : Du moyen déjuger les urines d'après leur couleur.

Les médecins du XVe siècle n'étaient donc pas moins bien renseignés

que leurs devanciers sur cette instructive recherche; il est vrai, qu'en

dehors de quelques faits empiriques bien établis, l'édifice de leurs con-

naissances à ce sujet ne reposait pas sur des bases bien solides, mais le

fait intéressant pour nous à constater, c'est la persistance de cette cou-

tume dans la pratique médicale et les traces qu'elle a laissées, aux diffé-

rentes époques, dans la littérature et dans l'art.

Nous avons vu plus haut, dans le Roman du Renart, la description

d'une scène d'uroscopie évidemment prise sur nature.

Dans les Cent nouvelles nouvelles attribuées Louis XI, nous retrouvons

une scène analogue où le geste du médecin urologue est dépeint d'une

façon presque identique. Elle se trouve dans la nouvelle XX par Philippe

de Laon, et qui est intitulée le Mari médecin. Nous la rappellerons en

quelques mots.

Lorsque la femme du lourdaud champenois feint d'être malade dans un

dessein sur lequel nous n'insisterons pas ici, sa mère, mandée en toute

hâte, arrive près d'elle, lui tâte le pouls et demande ses urines :

« Quand elle eust ceste urine, fist tant qu'elle eust ung urinai et dedans

la bouta, et dit à son beau filz qu'il la portast monstrer à un tel médecin

pour savoir qu'on pourra faire il sa fille, et se on luy peutayder... ». Notre

homme part donc avec son urinai chez le médecin. C'est ici la consulta-

tion à distance chez l'uromancien qui voit tout dans le précieux liquide,

les maux et le remède.

« Vecy nostre gueux qui arrive devers le médecin à tout l'urine de sa

femme. Et quand il y eust fait la révérence, il luy va compter comment sa

femme estait deshaitiée et merveilleusement malade : et vecy son urine que

vous aporte afin que mieulx vous informes de son cas et crue plus seurement

me puissiés conseiller. Le médecin prent l'urinai etconlremont leliève, et

tourne et retourne l'urine et puis va dire : Vostre femme est fort aggravée

de chaulde maladie et en dangier de mort, s'elle n'est prestement secourue,

vécy son urine qui le monstre. »

190 PAUL IIICIIEN

Quant au remède indiqué par notre empirique, on me dispensera d'en

parler ici.

Nous verrons comment cette scène chez le charlatan des urines a été

souvent représentée par les artistes. Une gravure de la seconde moitié du

XVIIe siècle, sans attribution d'auteur, que nous avons trouvée au Cabinet

des Estampes, pourrait être considérée comme l'illustration du conte Phi-

lippe deLaon ; nous en parlerons plus loin.

. ^ D'auprès ce qui précède, on ne sera pas surpris de voir au XV` siècle, les

médecins représentés très souvent l'urinai à la main.

Dans ses très intéressants volumes consacrés aux antiques coutumes de la

médecine, M. A. Franklin (1) ne reproduit pas moins de trois dessins, ap-

partenant à la fin du XV, siècle et représentant des médecins figurés l'u-

rinai à la main.

Une gravure de la Danse macabre, de G. de Manuel t (11 70), représente la

Mort entraînant un médecin. Ce dernier, qui ne résiste pas, élève de la

(1) La vie privée d'autrefois : Les médecins, les chirurgiens, les apothicaires et les

médicaments, etc...

Fig. 2.- Un urologue (Gravure du XVI- siècle. Cabinet des Estampes).

NOUV, ICONOGRAPHIE DE I.A SALPÊTRIÈRE. T. XV, TLi XX.

LES UROLOGUES S

Saint-Came et Saillt-Damien

(Miniature du Livre d'Heures d'Anne de Bretagne.)

\Inssoa Li' CIC, Éditeurs

LES UROLOGUES 191

main gauche un vase demi-plein qui n'est autre que l'urinai et sur lequel

il disserte scientifiquement ainsi que l'indique son geste de la main droite'.

Le livre de Mathéolus (1492) montre, dans une vignette, le diable en-

traînant un médecin. Le disciple d'Esculape porte une longue robe traî-

nante, serrée à la taille par une ceinture à laquelle pend une escarcelle.

Il tient de la main gauche un panier d'osier avec anse, d'où émerge le col

d'un urinal.

M. A. Franklin reproduit encore une autre gravure, d'après J. Corbi-

chon, édition de 1496 (Frontispice du livre VII), dans laquelle, à côté

d'un apothicaire dans sa boutique, on voit un médecin à longue robe exa-

miner l'urinai qu'il élève de la main gauche.

Je citerai ici une quatrième gravure d'une époque peut-être un peu pos-

térieure(XVICsiècle) et représentant le même sujet (fig. 2). Largement drapé

dans sa longue robe qu'il relève d'une main,un médecin d'aspect patriarcal

élève de l'autre main l'urinai à demi rempli. Près de lui une vieille, un

panier au bras, appuyée sur un bâton, semble attendre l'arrêt qui va sor-

tir de ses lèvres savantes. Au premier abord, on pourrait la prendre pour

une mendiante, mais c'est, à n'en pas douter, l'émissaire, - domestique,

ou vénérable matrone, déléguée, munie du précieux liquide vers l'em-

pirique renommé, et c'est à une consultation à distance que nous assis-

tons.

Enfin, le document le plus important de l'époque est sans contredit la

magnifique miniature du Livre d'heures d'Anne de Bretagne, consacrée à

saint Corne et à saint Damien (PI. XX). Nous avons vu Bicci di Lorenzo

peindre les deux patrons des médecins avec leurs attributs, et d'autres

artistes, comme Francesco Pesello, Beato Angelico, les représenter dans

l'exercice de leurs fonctions.Ici, c'est bien encore les deux saints auréolés et'

tenant chacun un attribut de la profession. Mais ce qui donne à cette pein-

ture une saveur particulière, c'est que les deux saints sont figurés sous les

traits de deux médecins de la reine, et nous avons sous les yeux de véri-

tables portraits avec leurs costumes et les accessoires véridiques de la

profession.

Saint Corne coiffé d'une calotte rouge est vêtu d'une longue robe violette

en partie relevée sous le bras droit, avec pèlerine de même couleur gar-

nie d'un haut col de fourrure gris clair et parements aux manches de même

fourrure. Peut-être ce costume ecclésiastique nous permet-il de redonnai-

tre dans ce personnage le médecin Jean Lenalet qui était en même temps

chanoine de Saint-Quentin. Il élève de la main gauche le vase à urines,,

l'urinal, symbole de la profession, pendant que la main droite fait le geste

192 PAUL RICHER

de la démonstration. Tout à côté saint Damien porte un costume laïque

Il est coiffé d'un chaperon bleu et revêtu d'une longue robe rouge tout

unie avec simple collet et parements de fourrure marron. 11 tient des deux

mains un pot de faïence à décors bleus qui n'est autre qu'un vase à mé-

dicaments.

Dans les « Danses des morts » le médecin est souvent figuré l'urinai à

la main. Nous avons déjà signalé le médecin de la « Danse macabre ».

Nous pouvons y ajouter une très curieuse miniature de la même époque

extraite de la Danse macabre de Constenu publiée par Antoine Vérard en

1492 (1). On y voit le médecin absorbé dans la contemplation de l'urinai

qu'il élève de la main droite et ne prêtant aucune attention à la mort gri-

maçante qui cherche à l'entraîner.

Dans la « Danse des morts » d'Holhein (2), la scène revêt un tout au-

tre caractère. La vignette consacrée au médecin est précédée de cette lé-

gende ironique : Médecin guery toi toi mesme. Elle est suivie de ces qua-

tre vers :

Tu cognois bien la maladie

Pour le patient secourir

Et si ne sais teste estourdie

Le mal dont tu devras mourir.

Quant à la gravure, elle représente une véritable scène d'uromancie

analogue à celles que nous avons déjà décrites, mais avec son caractère

lugubre tout particulier. C'est la mort, elle-même, sous les apparences

d'un décharné, qui amène un vieillard au chef branlant, appuyé sur son

bâton, dans le cabinet du médecin. Celui-ci, longue robe et haut bonnet,

assis près d'une table devant un grand livre ouvert, se retourne pour re-

cevoir les visiteurs, et prendre, de la main même de la mort, un volumi-

neux urinal à demi rempli qu'elle lui présente. En outre de la morale

sur la fragilité de la vie et le néant des choses d'ici-bas que compor-

tent ces sortes de figurations artistiques, ne pourrait-on voir dans la com-

position d'Holbein, une satire à l'adresse des médecins et l'artiste n'a-t-il

pas voulu indiquer par là que la science de nos prétendus devins des uri-

nes conduisait plus souvent au tombeau qu'à la guérison et que par suite

la mortelle-même ne pouvait trouver d'auxiliaire plus utile ? Dans la

première moitié du XVIe siècle un peintre flamand, B. Van Orley, suivait

(1) Je dois la connaissance de ce document à M. Bouchot, conservateur au Cabinet

des étrangers.

' (2) Images de la mort à Lyon, par Jehan Frellon, 1562, page 26.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XV. PL. XXI

FRONTISPICE DES OEUVRES DE THOMAS WILLIS

LES AMIS DE JOB (Fragment)

Par VAN ORLEY.

(La mort du mauvais riche.)

Masson et Cie, Editeurb'

LES UROLOGUES 193

la .Tradition et dans une scène représentant la Mort du mauvais riche

(PI. XXI).

Nous venons de voir, par des oeuvres du Vive, du 1Ve et du 1V1 siècle,

en Italie comme en France, quelle part importante revenait à l'examen

des urines dans les soins donnés aux malades et combien cette pratique

avait frappé l'imagination des artistes chargés de peindre les médecins. Au

XVIIe siècle l'urologie conservait le même prestige. Un célèbre médecin

anglais de la fin du siècle, Thomas Willis, renommé surtout pour ses tra-

vaux d'anatomie sur le cerveau et les nerfs, a laissé également plusieurs

écrits sur la médecine au nombre desquels se trouve un remarquable cha-

pitre consacré aux urines. Dans ce chapitre, il ne se contente pas de don-

ner les caractères des urines dans l'état de santé et dans les diverses ma-

ladies fournis par la seule inspection, mais en outre, il trace les premiers

linéaments de la science si complexe aujourd'hui de l'analyse des urines,

en étudiant les résultats des expériences auxquelles il les soumet en les

traitant par « t'évaporation », la « distillation », la « putréfaction », la

« précipitation », etc.

L'édition de ses oeuvres complètes publiées à Amsterdam en 1782 est

ornée d'un frontispice fort intéressant dont nous donnons ici la reproduc-

tion (PI. XXI).

Au premier plan, l'anatomie du système nerveux est figurée sous les

traits d'une jeune femme assise, luxueusement coiffée et vêtue, le sein

droit découvert. Elle feuillette, de la main droite, un livre supporté par

un petit lutrin sur lequel est sculpté un squelette. De la main gauche, elle

soulève avec une pince les replis memhraneux du cerveau mis à découvert

sur une tète humaine. Derrière elle, un homme s'approche qui semble lui

demander de l'instruire. En face, à droite, un homme assis écrit sur un

grand livre.

Le second plan représente la partie médicale des oeuvres de Willis. Un

malade est couché dans son lit près d'une petite table chargée -de médica-

ments. Deux médecins sont près de lui. L'un lui tàte le pouls, l'autre qui

attire toute son attention lui montre l'urinai il demi plein en accompagnant

sa démonstration d'un discours probablement fort savant.

Cette gravure, publiée en Hollande, nous conduit tout naturellement

à examiner les oeuvres des artistes hollandais consacrées plus spécialement

aux urologues.

Nous avons vu, par quelques scènes médicales décrites plus haut, que

xv 13

194 PAUL RICHES

l'art des Pays-Bas avait souvent représenté le médecin, près du malade,

cherchant, dans l'inspection de l'urinai, les causes de la maladie en

même temps que le secret de la guérison. 11 a continué, en outre, la

tradition des consultations à distance. Il nous montre dans l'exercice de

leur profession les empiriques de haut ou de bas étage qui s'en étaient fait

une spécialité et auxquels il arrivait parfois de découvrir dans les remous

du liquide ambré les choses les plus extraordinaires.

La profession ne manquait pas d'ailleurs d'être lucrative. Nous voyons

Mathurin Régnier dans la Satire VI, adressée à Motin, se plaindre du mé-

tier ingrat de poète. Et il ajoute :

Mais pour moy, mon amy, je suis fort mal payé.

D'avoir suivy cet art. Si j'eusse étudié,

Jeune laborieux sur un banc à l'escole,

Galien, Hipocrate, ou Jason ou Bartole,

Une cornette au col debout dans un parquet,

A tort et à travers je vendrais mon caquet.

Ou bien tastant le poulx, le ventre et la poitrine,

J'aurais un beau teston (1) pour juger d'une urine.

Les beaux testons devaient pleuvoir dans l'escarcelle des adroits charla-

tans habiles à exploiter l'impression que l'examen des urines a toujours

produite sur le vulgaire. Comment d'ailleurs ne pas croire à l'existence des

mystérieux problèmes cachés au fond de l'urinai, lorsque l'on voyait les

alchimistes extraire du liquide couleur d'ordes produits rares, tels que l'es-

sence d'urine (sel ammoniac, extrait des urines), alors que la philosophie

hermétique appelait le vinaigre, urine du vin, et le mercure philosophai,

urine des jeunes colériques, enfin alors que la pharmacopée usait large-

ment de ce produit excrémentitiel et lui attribuait les plus rares ver-

tus .

Mme de Sévigné faisait un fréquent usage de l'essence d'urine. Elle écri-

vait à sa fille le 13 juin 1685 : « Pour mes vapeurs je pris huit gouttes

d'essence d'urine, et contre mon ordinaire elle m'empêcha de dormir ;

mais j'ai été bien aise de reprendre de l'estime pour elle : je n'en ai pas

eu besoin depuis (2) ».

Un membre de l'Académie des sciences, Nicolas Lémery,écrivait en 1759 :

« L'urine de l'homme,-nouvellement rendue, purge et est bonne pour la

goutte, pour les vapeurs hystériques, pour lever les obstructions, si on en

boit deux ou trois verres le matin à jeun. Elle apaise les douleurs delà

goutte, étant appliquée toute chaude extérieurement sur la partie. Elle

(1) Ancienne pièce de monnaie.

(2) Tome VII, p. 396, cité par A. FnANux, Médicaments, p. 100.

LES UROLOGUES 195

résout et dessèche la gratelle, les dartres et les autres démangeaisons de la

peau (1). 1)

Comment s'étonner après cela de la faveur dont on joui, à toutes les

époques, les uromanciens dont la science,quelque peu voisine de la cabale,

consistait à tirer de l'examen des urines les pronotics les plus invraisembla-

bles. Aujourd'hui même l'espèce n'en a pas disparu.

« Il (le jugeur par les urines) se vante, dit A. Chéreau, de connaître

a l'aspect d'une fiole d'urine, si on le consulte pour un homme ou une

femme, un enfant ou un vieillard. Comme dans un miroir fidèle, il y voit

le tempérament de chacun ; celui-ci était colère, celui-là triste et mélan-

colique. Le plus habile y découvre la chambre du malade, son lit, la cou-

leur des rideaux. Un jour une dame députe sa camériste chez un urosco-

pe avec une bouteille de son urine ; la pauvre fille perd en route la pré-

cieuse liqueur, mais répare ingénieusement ce malheur en la remplaçant

par de l'urine de vache. 0 prodige ! L'Esculape s'écrie aussitôt : « Dites

à votre dame qu'elle mange beaucoup trop d'herbes 1... (2) » Je ne pense

pas que l'horoscope de ces habiles charlatans ait eu toujours autant d'à-

propos. ,

Mais revenons aux documents figurés que nous fournit à ce propos l'art

hollandais.

J'ai trouvé, au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale, plu-

sieurs gravures hollandaises que je citerai tout d'abord.

La première (fig. 3), sans nom d'auteur, peut être attribuée à la pre-

mière moitié du XVIIe siècle (époque Louis lIII).Elle a un côté lugubre

et macabre que nous trouvons rarement dans les scènes de ce genre, et

reproduit très peu près la composition d'Holbein dans la' « Danse des

morts », dont nous avons parlé plus haut.

Une autre gravure d'une époque un peu postérieure (époque Louis XIV)

retrace une scène plus plaisante. Dans un intérieur garni de rayons rem-

plis de livres, avec quelques fioles sur le plus haut gradin, un médecin

enveloppé d'une large robe, une petite calotte posée sur ses longs che-

veux, est assis près d'une table devant un grand herbier ouvert. Un hom-

me vient d'entrer qui, dans sa précipitation, a laissé la porte grand

ouverte. Il est porteur d'un panier d'où il sort l'urinai, objet de la consul-

tation. Mais nous le reconnaissons. N'est-ce pas notre Champenois des

(1) Dictionnaire universel des drogues simples, art. Hono, in-4,n°59, p. 429, cité par

A. FIIANKLIN, Les Médicaments, p. 101.

(2) C1GREAU, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, art. Charlatan.

196 PAUL RICUER

Cent nouvelles nouvelles' ? En tout cas, c'est l'image d'une scène qui s'est

bien fréquemment renouvelée dans la réalité.

Il existe au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale une gra-

vure de J. Tardieu d'après un tableau de David Teniers. Nous ignorons

dans quelle galerie se trouve actuellement le tableau original, mais la

gravure, très soignée, nous renseigne suffisamment pour que nous en

puissions parler (fig. 4).

Teniers ne nous conduit pas ici chez les barbiers barbants, pédicures,

inciseurs ou étuvistes, dont il a pris plaisir à peindre avec tant de vérité

el d'humour les pauvres officines et les occupations variées ainsi que nous

le verrons plus loin. Nous sommes chez leur rival, le médecin empirique,

qui dédaigne les opérations manuelles, vit dans les hautes spéculations

de la philosophie, cultive un peu l'alchimie, tire des horoscopes, donne

des consultations sans négliger la vente fructueuse des médicaments. Donc.

point d'instruments de chirurgie ou autres, mais sur une table un sablier,

des monceaux de livres, un écritoire et des plumes. Notre homme est un

savant, il lit et il écrit. Assis près de la table, un livre entr'ouvert d'une

main, il lient de l'autre l'urinai qui pour lui n'a plus de mystères. Der-

Fig. 3. Un urologue (Gravure hollandaise du XVIe siècle, époque Louis Xi 11).

1

I

1 NDUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XV. PL. XX11

LE MÉDECIN

Par VAN OSTADE.

(Gravure de Anthony \\'ALht;R, Cabinet des Estampes)

Masson ET Cie, Editeurs

LES UROLOGUES 197

rière la table, une vieille femme, un panier au bras, les mains sous le ta-

blier, un chapeau de paille sur la tête comparse que nous montrera

Teniers plus d'une fois et seule réminiscence des tableaux consacrés aux

barbiers chirurgiens - attend avec une anxiété résignée le résultat de

l'examen, pendant que, par la porte entr'ouverte, arrive déjà une nouvelle

consultante. C'est que la réputation de l'empirique est grande, les deux

servants qui, dans l'angle de la pièce, préparent les médicaments peuvent

se hâter s'ils veulent suffire à toutes les demandes, contenter tous les

clients. Mais nous n'avons pas d'inquiétudes à avoir. Les affaires de l'habile

homme sont prospères, sa mise recherchée nous en répond. Coiffé d'une

loque de fourrure, vêtu d'un casaque bordée de fourrures avec noeuds sur

l'épaule, il chausse de grandes bottes à l'écuyère garnies d'éperons et

montant jusqu'au milieu de la cuisse. Ne soyons point trop surpris de

celle tenue un peu cavalière pour un homme de laboratoire. Il ne faut'

rien négliger pour impressionner le client.

VAIN OS'I ? DF (1610-1685), dans une gravure d'lnthoineValher,é;ale-

mentaucahinet des Estampes, nous montre un médecin plus digne etdeplus

saute envergure (pli. XXII). C'est une oeuvre d'un plus grand caractère, très

Fig. 4. Le médecin empirique, par David Téniers (d'après la gravure de J. Tardieu,

cabinet des Estampes).

'I9H PAUL RICHER

probablement un portrait où nous lisons toute la bienveillance, le savoir,

la dignité d'un honnête praticien. Assis près d'une table où se voient plu-

sieurs livres, entre autres un grand herbier ouvert, puis un pot de phar-

macie richement décoré, et sur le devant des plumes à écrire, il se re-

tourne pour examiner l'urinai qu'il élève du côté où vient le jour. Sa mise

est sévère et non sans une certaine recherche. Son large vêtement de

dessus laisse voir un justaucorps noir avec col rabattu et manchettes plates.

Sur sa calotte noire, il a posé négligemment une toque assez bizarre. Son

visage, rasé sur les joues, portant moustaches et une touffe de barbe au

menton, respire la bonté. C'est un savant, car un rideau cache à demi une

bibliothèque chargée de livres. Mais c'est aussi un praticien, et lorsque,

après l'examen auquel il se livre, il sortira pour prodiguer ses soins aux

malades qui font appel il ses lumières, il le fera avec toute la dignité qui

convient à un véritable sacerdoce et n'oubliera pas sa canne à pomme d'or

que nous voyons au coin du tableau.

Le Médecin et l'urinai de GÉRARD Dow, du musée de Vienne, est moins

sévère. C'est un jeune et bel homme qui s'avance près d'une large fenêtre

pour contempler l'urinai qu'il élève à contre-jour. Sur le rebord de la fe-

nêtre, un livre d'anatomie ouvert, un plat à barbe, une sorte de cruchon

très décoré, une lourde étoffe. Dans l'ombre, une femme attend la décision

du docteur tout en pleurant, la tête dans ses mains (PI. XXIII).

L'industrie des médecins urologues a donné naissance.à une série d'aeu-

vres figurées, tableaux ou gravures qui, sous des titres divers, reprodui-

sent la même scène qualifiée de la façon la plus expressive par le titre sui-

vant : la consultation appréhendée. Des doutes se sont élevés sur la vertu

d'une ingénue. Des bruits malveillants sont arrivés aux oreilles de la mère

ou du tuteur. Questionnée, la pauvrette rougit, elle refuse de répondre ou

elle nie formellement. Que faire alors pour savoir la vérité avant qu'il soit

trop tard, c'est-à-dire avant qu'un changement survenu dans sa taille crie

sa honte à tous les passants ? Car, prévenu à temps, on recherchera l'au-

teur du mal. On le forcera à réparer sa faute, et un bon mariage sauvera

l'honneur de la famille. Que faire ? Le moyen est bien simple.

Les urologues ne sont-ils pas là ? Leur science, qui découvre tant de

choses dans les urines, ne peut-elle y trouver la preuve de l'innocence ou

de la vertu outragée ? Et alors on dépêche vers l'éminent empirique une

servante avec une fiole remplie des urines de la belle dont le sort dépend

de l'arrêt qu'il prononcera. Certes nous comprenons son émoi et ses ter-

NOUE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XV. PL. XXIV.

LE MÉDECIN A L'URINAL

Par GÉRARD Dow (Musée de Vienne).

LA CONSULTATION APPRÉHENDÉE

Par BILCOQ.

(D'après la gravure de LE Veau, Cabinet des Estampes.)

Masson ET Cie, Éditeurs.

LÉS UROLOGUES 499

l'eurs, car la sentence du charlatan sera évidemment dictée par celui qui

voudra y mettre le prix.

Si l'on nous demandait quelle part pourrait être prise au sérieux dans

ces sortes de consultations nous répondrions qu'il est possible aujourd'hui

de reconnaître à la présence d'un certain corps, la kyestéïne, les urines

de la grossesse, mais c'est à une période déjà assez avancée, vers le lie et

le 5o mois. Donc, même aujourd'hui, les consultations de cette nature ne

pourraient offrir qu'une certitude relative. Il est bien certain qu'autrefois

elles ne consistaient qu'en une jonglerie intéressée. Les peintres y ont puisé

des motifs de scènes pittoresques, mouvementées ou galantes.

Un tableau de GODFRIED SCIIALI\EN (1643-1706) au musée de La Haye,

intitulé le Médecin aux urines ou la Consultation indiscrète, reproduit une

consultation de ce genre (1). Près d'une table sur laquelle se trouve une se-

ringue, un praticien de la famille de ceux qu'a représentés Teniers con-

temple avec une grande attention un urinai qu'on vient de lui apporter et

dont il tient encore le panier de la main gauche. Que voit-il dans les ondes

de la liqueur révélatrice, qui met en larmes la pauvrette ici présente et en

fureur un homme assis de l'autre côté de la table, dont le poing crispé el

la moue significative ne laissent aucun doute sur les sentiments qui l'ani-

ment ? Le peintre lui-même a pris soin de nous l'indiquer très clairement.

Car nous voyons se dessiner au milieu de l'urinai une petite forme hu-

maine. Ce dépôt urinaire d'un nouveau genre a une signification non dou-

teuse. Et la pauvrette fera bien de se résigner à son malheureux sort ; elle

est atteinte d'une maladie purement physiologique et qui se terminera na-

turellement il une époque prévue d'avance.Quant au tuteur il est prévenu

S'il connaît le galant il sait ce qu'il lui reste à faire.

Le XVIIIe siècle n'a pas laissé passer cette occasion de peintures légè-

res, à sous-entendus plus ou moins risqués. Deux gravures de II. Leveau,

d'après des peintures de Buxoq (1755-1838) se font pendant et représen-

tent l'une la Consultation appoéltendée,l'autre le Retour de la consultation.

La première nous introduit dans l'officine d'un vieux médecin à barbe

blanche, velu d'une grande houppelande à larges manches, coiffé d'un

bonnet de fourrures et assis dans un large fauteuil près d'une table sur la-

quelle on voit un livre ouvert, des fioles, une lampe. Il tient à la main

(1) Le Dr Meige a donné la reproduction de ce tableau dans sa très sérieuse étude

sur le Mal d'amour dans laquelle il cite également plusieurs autres tableaux de méde-

cins urologues (Nouvelle Iconographie, 1899).

200 l'AUL RTCI1ER

une petite bouteille dont il examine avec soin le contenu. Près de lui un

jeune apprenti tient un flacon à long col à côté d'un escabeau, il semble

ranger divers accessoires, entonnoir, livres, fioles ou cruchon posés à

terre (PI. XXIII). '

Par la porte grand'ouverte, on voit, dans la lumière d'une seconde pièce,

un groupe significatif. La jeune fille timide, craintive, embarrassée, tenant t

un pli de sa robe de la main gauche, et près d'elle une femme d'âge, la

mère elle-même ou une commère du voisinage qui, unebouteilleà la main,

indique d'un geste énergique qu'on entrera chez le médecin.

La seconde gravure le Retour de la consultation nous indique que l'ho-

roscope de l'uromancien n'a pas été favorable à la vertu de la pauvrette.

La fiole d'urine gît brisée il terre. La jeune fille toute confuse, la robe il

demi-dégrafée, se tient debout, devant sa mère courroucée, n'osant à peine

lever les yeux sur elle. Mais tout s'arrangera, car un jeune homme un ge- z

nou à terre, dans un bel élan, cherche à conjurer la colère maternelle par

une demande en mariage. -

Il existe de DUBUCOURT (1755-1832) deux tableaux qui traitent des sujets

analogues. Ils se font également pendant. L'un est la Consultation 7'edou-

tée dont nous ne connaissons que le titre, mais qui doit offrir de grandes

analogies avec la Consultation appréhendée dont nous venons de parler. Il

existe au cabinet des Estampes une gravure du second intitulée le Juge ou

la Cruche cassée. Dans un intérieur rustique, devant un tribunal impro-

visé, un père et une mère amènent leur jeune fille un peu confuse, mais

pas trop désolée pourtant de l'accident qui vient de lui arriver. Après tout,

elle n'est pas seule en cause et ce n'est peut-être pas entièrement de sa faute

si la cruche qu'elle tient entre ses mains est fêlée. La mère, en effet, est

furieuse, elle appelle la justice des juges sur la tête d'un malheureux

homme qu'elle tientpar le collet de sa chemise et qui, suivant loute proba-

bilité, est l'auteur de tout le mal.

Nous sommes loin ici des consultations d'urologues qui font l'objet de

ce chapitre, mais j'ai tenu en terminant à rappeler le sujet de ces tableaux

qui s'y rattachent indirectement, pour bien montrer le caractère spécial et

frivole que le XVIII0 siècle leur a imprimé.

Le Gérant : E. Mouchez.

Imp. J. Tlievenot, Saint-Dizicr (Haute-Marne).

15" Année - No 3. MAI-JUIN

TROIS CAS DE N>JOPLASICS CEREBRALES

(TUMEUR GLI01\IATEUSE. - SARCOME. - GLlO1\IATOSE DIFFUSE) ? .

PAR , 1.

MM. Gilbert BALLET ET

Professeur agrégé à la Faculté de Médecine

Médecin de l'Hôtel-Dieu.

P. ARMAND-DELILLE.'

Interne des Hôpitaux. -"

Nous publions ici l'observation de trois malades dont les cerveaux ont

été présentés par l'un de nous à la Société de Neurologie de Paris. (1).

Ces observations, accompagnées de l'examen histologique des néoplasies

constatées à l'autopsie, sont, comme on le verra, intéressantes à différents

points de vue. La première est un cas de gliome circonscrit remar-

quable surtout par cette particularité clinique que bien qu'il ait altéré

profondément la 3e circonvolution frontale gauche, comme il ne l'a alté-

rée que progressivement, il n'y a pas eu, ou très peu, de troubles du lan-

gage. La seconde se rapporte à un très volumineux sarcome ; il est curieux

de voir la tolérance considérable qu'a présentée l'encéphale vis-à-vis d'une

tumeur d'un pareil volume. La troisième vise un cas de gliomatose diffuse;

son intérêt gît dans ce fait que la forme anatomique de la lésion n'est

pas une forme commune, et aussi dans cette particularité que la glio-

matose s'est développée très promptement à la suite d'un traumatisme.

Ons. I. Tumeur GLIOMATEUSE.

Apparition, chez un homme de 53 ans, de céphalée, hémiparésie droite, léger s

troubles de la parole, mais pas d'aphasie; marche rapide, coma et mort. A

l'autopsie, tumeur gliomateuse du volume d'une noix, siégeant à la partie

postérieure de la troisième circonvolution frontale de l'hémisphère gauche.

V... Gustave, 53 ans. Artiste peintre.

Entré à l'hôpital le 8 octobre 1900.

Le malade est amené par sa femme, parce qu'il présente depuis quelque

temps de la paralysie faciale, des troubles de la parole, des troubles des sphinc-

ters et un certain degré d'affaiblissement intellectuel.

(1) G. Ballet, Soc. de Neurologie. Séance de février 1901.

xv 14

202 BALLET ET ARMAND DELILLE

Antécédents héréditaires. Père très nerveux, s'est suicidé de désespoir

après la mort de sa femme.

Mère morte probablement de phlébite.

Ni frère, ni soeur.

Antécédents personnels. Le malade a eu dans son enfance la rougeole et

à 18 ans une blennorrhagie, mais il nie formellement avoir eu la syphilis.

Sa première femme mourut en couches ; l'enfant, bien conformé et né à

terme, mourut de gastro-entérite à l'âge de 15 jours.

Il s'est remarié depuis ; sa seconde femme est bien portante ; pas d'enfants.

Le malade dit avoir été de -longue date sujet aux migraines et aux névral-

gies ; mais il a toujours été grand travailleur et, d'après sa femme, se serait

surmené pour subvenir aux besoins de son existence, dont les soucis lui au-

raient aigri le caractère.

histoire de la maladie (d'après le récit de sa femme). Six mois environ

avant son entrée à l'hôpital, le malade a commencé à se plaindre de céphalée

continuelle et parfois d'une sensation très désagréable de « vide dans la tête ».

Dès le 20 septembre 1900, il commença à être sujet à des émissions invo-

lontaires d'urines.

Le 1er octobre, il prit une purgation. A partir de ce jour, sa femme aurait

remarqué qu'il ne pouvait tenir aucun objet dans la main droite, il lâchait im-

médiatement ceux qu'il avait saisis ; de plus,il marchait avec difficulté, comme

« tordu sur lui-même » et en traînant la jambe.

La parole était devenue difficile, il articulait péniblement les mots, et l'on

constata de plus une déviation des traits du visage.

Ces diverses modifications étaient apparues rapidement, mais sans aucun

ictus.

On remarqua en même temps que le malade mangeait gloutonnement, que

sa mémoire avait sensiblement diminué et qu'il confondait le nom de ses ta-

bleaux ainsi que celui des personnes auxquelles il les avait vendus.

Son caractère, normalement violent, s'était adouci.

Le 7 octobre. L'état était toujours le même, mais il y eut pour la pre-

mière fois une émission involontaire de matières fécales. Le malade entre a

l'hôpital, dans le service de M. Gilbert Ballet.

Etal actuel. Le 8 octobre.- Le malade répond aux questions qu'on lui

pose.

Il dit éprouver dans les membres inférieurs, depuis quinze ans environ,

des douleurs qu'il compare à celles que produirait un fil de fer lentement in-

troduit de bas en haut dans les jambes. Ces douleurs n'ont donc pas le carac-

tère des douleurs fulgurantes.

Examen de la motilité.

Le malade présente de la paralysie faciale droite. A l'état de repos, I traits

sont déviés ; la commissure du côté sain,c'est-à-dire du côté gauche, est déviée

et attirée en haut. Cette asymétrie s'accroît lorsque l'on fait faire des mou-

vements de la bouche.

Les muscles frontal et sourcilier sont respectés,de même l'orbiculaire, c'est-

TROIS CAS DE NÉOPLASIES CÉRÉBRALES 203

à-dire que le malade peut fermer simultanément les deux yeux, toutefois tandis

qu'il peut fermer l'oeil gauche seul, il ne peut faire ce mouvement de l'oeil

droit. t.

Sensibilité objective. -Les différents modes de la sensibilité sont conservés

en tous les points du corps.

Si l'on place le malade debout, les pieds réunis, on ne constate pas le signe

de Romberg ; mais on voit cependant, par les mouvements qui se font au ni-

veau des orteils, que le malade contracte ses fléchisseurs et extenseurs comme

s'il se sentait peu solide sur les jambes.

Les réflexes patellaires sont exagérés.

Sensibilité subjective. Le malade ne présente pas d'autres troubles que

les douleurs des membres inférieurs signalées ci-dessus.

Parole. La parole est possible, mais elle est traînante et accompagnée

de tremblement des lèvres.

Appareil oculaire. La vue est restée excellente. Il n'y a ni paralysie de

la musculature extrinsèque, ni trouble de la musculature intrinsèque de l'oeil

(pas de signe d'Argyll-Robertson).

Etat mental. II n'y a pas de perte de la mémoire. L'intelligence ne paraît

pas très affaiblie. Le malade donne surtout l'impression d'un individu fatigué,

affaibli et triste.

Appareil respiratoire. Normal.

Appareil circulatoire. Pouls lent et faible. Les bruits du coeur parais-

sent un peu assourdis.

Appareil digestif. Le malade mange avec appétit et digère bien, mais il

présente une diarrhée rebelle et est sujet aux évacuations involontaires de ma-

tières fécales.

Appareil urinaire. Le malade présente de l'incontinence d'urine par

émissions involontaires.

Les urines ne contiennent ni sucre, ni albumine.

Evolution de la maladie. 21 octobre. Les facultés intellectuelles du

malade baissent rapidement et progressivement. Il est sujet ri des bâillements

répétés. Il perd ses urines et ses matières.

10 novembre. Le malade est tombé dans un état demi-comateux.

11 ne répond pas aux paroles qu'on lui adresse, ni par la parole, ni par la

mimique.

Il présente de la parésie des membres du côté droit; lorsqu'on le pique du

côté droit il ne fait de mouvements qu'avec la main gauche.

11. Le malade est dans le coma complet.

Les membres supérieurs sont contracturés.

Lorsqu'on pince le côté droit il ne réagit pas. Lorsqu'on le pince à gauche,

le malade ébauche un geste de défense.

On note la présence d'une ecchymose au niveau de la paupière inférieure

gauche.

12. -Coma complet. Résolution musculaire absolue.

La pupille droite est plus dilatée que la gauche.

204 BALLET ET ARMAND DELILLE

Elévation thermique. La température qui était normale l'avant-veille, à 38° la

veille, monte à 40°6 à 9 heures du matin et à 1° 5 au moment de la mort, à

1 heure du soir.

Autopsie le 13 novembre.

Rien à signaler du côté des viscères sauf un peu de congestion agonique

des poumons.

Cuveau. - La seule lésion constatée siège ft l'hémisphère gauche. On trouve

sur celui-ci, à la partie postérieure du lobe frontal, une masse d'aspect glio-

mateux, rosée, translucide, ayant à peu près l'étendue d'une pièce de 5~francs,

légèrement saillante, divisée en lobes par des sillons. Cette tumeur a refoulé

en arrière et en haut la 3e circonvolution frontale qui est aplatie et forme au-

tour de la tumeur, en haut et en arrière, une bordure étroite. Le pied de la

3° frontale, comprimé en arrière de la tumeur, présente une largeur d'environ

1 centimètre en bas, deux millimètres en haut (PI. XXV).

Les dimensions du néoplasme sont les suivantes : hauteur 5 cm. 1/2 ; largeur

(dans le sens antéro-postérieur) 6 centimètres ; épaisseur 3 centimètres.

Cette tumeur sessile, qui à la surface et par ses bords paraît indépendante

de la substance des hémisphères, fait cependant corps avec elle, comme on peut

le voir sur une coupe transversale passant par son milieu ; elle est absolument

incluse dans la substance blanche, il n'y a pas trace de substance corticale, la

tumeur parait donc bien être constituée par une dégénérescence gliomateuse

ayant eu son origine en un point du cortex. D'ailleurs, les limites de la néoplasie

ne sont pas nettes, elle envoie dans la substance sous-jacente une série de pe-

tits prolongements qui l'y fixent complètement.

Etude histologique de la tumeur. - Après inclusion à la celloïdine, on

peut, sur des coupes s'étendant à la totalité de la surface de section de tumeur,

constater que celle-ci est comme sertie dans le tissu nerveux de l'hémisphère,

mais que la ligne de démarcation n'est pas très nette, la tumeur empiétant

par des prolongements irréguliers sur le tissu normal ; il existe même, dans

Fig. 1. Tumeur gliomateuse (obj. 2, ocul. 2, Leitz).

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÈTRILITE.

T. XV PI. XXV

TUMEUR CÉRÉBRALE

Obs. I. Tumeur gliomateuse du lobe frontal gauche.

A. Tumeur en placc. - 13 Coupe de l'hémisphère passant par la tumcur.

(G. Ballet et T. Armand Delille).

TROIS CAS DE NÉOPLASIES CÉRÉBRALES

205

ce tissu, au voisinage de cette zone, de petits nodules de tissu pathologique

très analogues à celui qui constitue la masse néoplasique, et ceux-ci paraissent

s'être formés de préférence autour des petits vaisseaux de la substance céré-

brale. A un faible grossissement, sur des coupes à la celloïdine, après colora-

tion à l'hématoxyline-éosine, la tumeur paraît constituée d'un stroma d'appa-

rence counectif, parcouru par des vaisseaux dilatés et ramifiés, si abondants

qu'ils donnent un véritable aspect angiomateux ; dans les mailles de ce tissu se

logent d'abondantes petites cellules d'aspect polymorphe (fig. 4).

A un plus fort grossissement, et sur des coupes minces à la paraffine, colo-

rées les unes à l'hématoxyline-éosine, les autres au bleu de méthylène ou au

bleu de toluidine avec décoloration par l'alcool absolu, on constate que les cel-

lules polymorphes se disposent en amas irréguliers, parfois lobulés, autour des

gaines conjonctives qui entourent les vaisseaux, elles sont par place tassées

les unes contre les autres et forment des lobules comparables à ceux de l'épithé-

liome lobulé (fig. 2).

Ces cellules présentent un noyau assez volumineux, granuleux, fixant avec

beaucoup d'intensité l'hématoxyline alunée ou les colorants basiques d'aniline.

Le protoplasma est peu abondant et diversement disposé, suivant le degré de

tassement des cellules, de telle sorte que celles-ci apparaissent, suivant les

points, arrondies ou polygonales, mais elles sont toujours plus abondantes et

paraissent en voie de prolifération plus riche dans les points qui sont directe-

ment en contact avec les gaines des vaisseaux.

En certains points de la tumeur, particulièrement dans les zones plus claires

où les vaisseaux et les petites cellules polymorphes sont moins lassées, on

peut constater une autre variété de cellules, d'un aspect tout différent.

Ce sont des cellules plus volumineuses, à contour polygonal ou étoilé et

envoyant par l'extrémité de leurs branches des prolongements filiformes assez

étendus. Quant au corps cellulaire même, il est plus ou moins renflé, et offre

Fig. 2. Tumeur gliomateuse (obj. 76, ocul. 2, Leitz).

206 BALLET ET ARMAND DELILLE

parfois un aspect vésiculeux. Ces éléments ont à peu près la dimension des

petites cellules pyramidales. Par la coloration au bleu de méthylène, on

peut nettement distinguer dans ces cellules étoilées un gros noyau clair avec

nucléole très coloré, un protoplasma contenant des amas de substance chroma-

tophile, disséminés ou diversemeut conglomérés, enfin une partie achromati-

que, de coloration jaunâtre, disposée à coté du noyau, dans l'un des angles de

la cellule.

Ces cellules rappellent donc tout à fait l'aspect des cellules nerveuses vraies,

et il nous semble permis de conclure, d'après leur présence, que la tumeur

est un véritable neuro-gliome, correspondant à peu près à ce que Klebs a dé-

crit sous le nom de Neurogliome ganglionnaire.

Sans vouloir entreprendre une discussion sur la signification de ces

divers éléments, nous croyons qu'il s'agit ici d'un véritable processus

néoformatif portant tout d'abord sur l'élément noble, mais qu'il s'est fait

en même temps une réaction du tissu de soutien qui parait avoir touché

d'une part la névroglie et d'autre part le tissu conjonctif des gaines vas-

culaires et les vaisseaux eux-mêmes. Cette prolifération conjonctivo-vascu-

laire est surtout intense au niveau des parties superficielles de la tumeur,

où il semble qu'on ait affaire, comme nous le disons dans notre descrip-

tion, à un véritable tissu angiomateux; et d'ailleurs, au moment de l'au-

topsie, la coloration rosée de la tumeur pouvait faire présumer de sa ri-

chesse vasculaire.

Malheureusement, la pièce ayant été fixée dans le formol, nous n'avons

pu faire les colorations spéciales de la névroglie. Aussi ne pouvons-nous

trancher la question de savoir ce qui, dans les petites cellules rondes ou

polygonales, revient à la névroglie, d'un côté, aux leucocytes et au tissu

conjonctif périvasculaire de l'autre.

Au point de vue de l'évolution des symptômes il est intéressant de cons-

tater que cette tumeur relativement volumineuse, qui comprimait le pied

dela3e frontale,et qui depar sa nature et l'évolution clinique de l'affection,

parait s'être développée assez rapidement, n'a à aucun moment provoqué

d'aphasie ; à peine si la compression du centre du langage articulé s'est

traduite par un léger embarras de la parole.

Au contraire, il y a eu dans les derniers temps de l'existence, un affais-

sement très rapide des facultés intellectuelles, sans que l'autopsie ait

révélé de lésion autre qu'au niveau de la zone motrice gauche.

Cette observation pourrait être, à ce point de vue, rapprochée de la

suivante où nous voyons le développement d'une tumeur énorme, par

rapport au volume de l'encéphale, coexister avec une persistance relative

des mouvements commandés par l'écorce cérébrale sous-jacente, quoique

celle-ci soit refoulée, aplatie et de ce fait presque complètement suppri-

mée.

TROIS CAS DE NÉOPLASIES CÉRÉBRALES 207

OBS. IL VOLUMINEUX sarcome.

Apparition à l'kge de 10 ans de crises épilepliformes qui persistent pendant

2 ans. Retour apparent à l'étal de santé, puis céphalée avec troubles tro-

phiques du cuir chevelu dans la région pariétale gauche et hémiparésie fa-

ciale droite; nouvelles crises épilepliformes, vomissements, hémiplégie

droite incomplète sans aphasie.- Période terminale prolongée de torpeur.

Coma, mort. A l'autopsie, énorma sarcome dit volume d'une orange com-

primant le lobe frontal gauche. ,

CI... Jean, 14 ans, apprenti serrurier.

Le malade entre le 19 septembre 1900 à l'hôpital St-Antoine, dans le ser-

vice de M. Gitbert BaHet, pour des douleurs vives survenant par crises et

siégeant à la région temporo-pariétale gauche.

Antécédents héréditaires et familiaux. - Rien de particulier à signaler. Le

père est bien portant, n'a jamais eu la syphilis. La mère est morte à 38 ans

de cancer de l'utérus. Ils ont eu 6 enfants, deux sont morts en bas âge de con-

vulsions, un autre est mort à 4 ans de broncho-pneumonie. Les deux autres

sont bien portants.

Antécédents personnels. - Jusqu'à l'âge de 10 ans, C... n'avait eu aucune

maladie sérieuse, mais à cette époque se sont montrées des attaques épilepti-

formes qui se sont répétées fréquemment pendant les 2 années suivantes.

L'attaque commençait par un mouvement de rotation à droite de la tête, la

moitié droite du visage se contractait, puis apparaissaient des convulsions gé-

néralisées aux quatre membres,sans prédominance appréciable d'un côté. n'y

avait pas de cri initial, mais le malade se mordait le bord gauche de la langue.

Ces crises qui se répétaient parfois à 4 ou 5 reprises dans la même journée,

disparurent après un traitement bromure institué à la consultation de la Sal-

pêtrière ; mais l'enfant a conservé depuis ce moment une légère asymétrie du

visage, due à une parésie faciale droite.

Décembre 1899. Il est entré en apprentissage chez un serrurier, c'est dire

qu'il était bien portant à cette époque, cependant au mois de juin l'alopécie

temporo-pariétale a débuté ; depuis la même époque il aurait eu assez fréquem-

ment des vomissements.

Depuis un mois, il est devenu triste et somnolent, alors qu'il était très gai

auparavant; son père aurait aussi remarqué depuis la même époque qu'il avait

une certaine difficulté à articuler les mots ; enfin, sont apparues des douleurs

névralgiques qui décident le malade à venir se faire soigner à l'hôpital.

Etat du malade le 20 septembre 1900. A l'inspection, le premier fait qui

frappe est l'alopécie en plaques disséminées au niveau de la région temporo-

pariétale gauche, coïncidant avec le siège de la douleur. Le cuir chevelu est

oedématié dans toute cette région; au niveau de la principale plaque d'alopécie,

il est au contraire aminci et de coloration bleuâtre.

De plus il semble y avoir des modifications atrophiques dans le développe-

ment des os de la voûte crânienne de cette région ; l'oeil gauche paraît plus

208 BALLET ET ARMAND DELILLE

enfoncé que le droit, il présente du strabisme inférieur et l'on constate à

l'examen la parésie du muscle droit externe. -

Il y a de la parésie faciale du côté droit, très visible dans les mouvements ; la

langue est déviée à gauche. Par contre, il n'y a aucune parésie nette des mem-

bres supérieur et inférieur : la force musculaire est égale des deux côtés, mais

est peut-être diminuée (dynamomètre, main droite 9 kilog., main gauche 9 ki-

log.) ; également des deux côtés ; pas de troubles des membres inférieurs,

mais lorsqu'on appuie sur la zone temporale gauche on provoque un mou-

vement de flexion de la jambe droite avec extension du gros orteil. , ? t

Les réflexes tendineux sont normaux.

Il n'y a pas de troubles de la sensibilité objective,, à part une zone d'hyperes-

thésie dans toute la région temporo-pariétale gauche.

Les troubles de la sensibilité subjective consistent en crises douloureuses,

qui paraissent être de la névralgie de la branche ophtalmique du trijumeau,

survenant par crises de 3/4 d'heure à une heure.

Il n'y a pasde lésions viscérales appréciables à part de la submatité légère avec

respiration rude au sommet du poumon droit.

25 septembre.- Une injection de 2/10e de milligramme de tuberculine, prati-

quée par M.Dupont dans un but de diagnostic delà nature delà tumeur cérébrale,

a amené une élévation de température de 1°6. Mais sans exagération des phé-

nomènes cérébraux; on en conclut que cette réaction est due seulement aux

lésions pulmonaires et qu'il n'y a aucune manifestation tuberculeuse au niveau

des centres nerveux.

Dans les jours qui suivent se montrent des vomissements. , ,

5 octobre. Le malade se plaint de céphalée diffuse assez vive. Il est

dans un état de somnolence assez marquée, le pouls est lent à S4,sans intermit-

tences.

Le lendemain 6 octobre, la somnolence ainsi que la céphalée ont disparu,

le malade peut répondre aux questions qu'on lui pose.

15 oct. Le malade se plaint de nouveau de céphalée, mais sans somno-

lence. Il y a de l'incontinence des matières fécales.

17 oct. Le même état persiste, le malade se plaint beaucoup de la tête, et

accuse une sensation de lourdeur du bras gauche, qui lui paraît plus pesant,

que le droit.

23 oct. Ce double phénomène se reproduit dans les mêmes conditions.

30 et 31 oct. De nouvelles crises de céphalée apparaissent au milieu de la

nuit. La douleur siège à droite du crâne et arrache des cris au malade; au

moment de la crise, il fait sous lui ; après cette crise douloureuse, il reste som-

nolent toute la journée.

31 ocl. Au matin, le malade ne souffre plus, mais il se rappelle avoir

beaucoup souffert la nuit, du côté droit du crâne, et non du côté gauche, il

n'y a pas eu de douleurs à la face.

Il est encore un peu ahuri, a de la difficulté à se tenir debout et accuse de la

faiblesse des jambes. La paralysie faciale, non visible il l'état de repos, se cons-

tate très facilement lorsqu'on fait ouvrir la bouche ; de plus il existe un degré

TROIS CAS DE NÉOPLASIES CÉRÉBRALES 209

de parésie évident du membre supérieur droit ; le malade serre moins fort de

la main droite que de la main gauche : il se tient difficilement sur les jambes,

qui sont faibles, mais il n'accuse pas de plus grande faiblesse d'un côté que de

l'autre ; d'ailleurs les réflexes tendineux sont faibles des deux côtés, mais

égaux.

Le malade prétend voir trouble. Dans la vision monoculaire, il dit voir nor-

malement à droite, tandis qu'à gauche il dit ne voir que du blanc.

Les deux pupilles sont égales, mais la réaction à la lumière est paresseuse

des deux côtés.'

L'examen des yeux est pratiqué le 3 novembre par le D'' Dreyer-Dufer.

On constate queuta vision est abaissée des deux côtés.

OG : compte les doigts à 40 centimètres.

UD : vision 5/10 de la normale. -

Les'pupilles réagissent bien à l'accommodation à la distance ; à la lumière,

P. D. réagit bien ; P. G. paresseusement.

'A l'ophtalmoscope, on constate une papillo-névrite avec stase très prononcée

« on a l'aspect de la papillite dans les lésions méningées ou cérébrales ».

9 Novembre : ' ? Dans la journée, le malade a deux attaques épilepti-

formes. ' 'rt

A la première, il a tourné la tête, s'est raidi, puis est tombé à terre et a uriné

dans son pantalon ; il ne se rappelle pas les incidents de cette crise.

Seconde crise une''heure après : il prétend se rappeler qu'il a tourné la tête

à gauche et que son bras droit s'est agité ; l'infirmière qui a assisté à la crise

dit que le malade a perdu connaissance, que la tête était inclinée sur l'épaule

droite et tournée à gauche,' que les deux bras étaient élevés, mais que le droit

était plus agité. »' 1

Après la crise, le malade a dormi.

Le lendemain, 10 Novembre, il est très bien remis et se trouve bien. La

parésie n'est pas plus marquée que précédemment ; quant au mal de tête, il

aurait duré jusqu'à la veille au soir.

14 Novembre. - Emissions involontaires de matières.

la Novembre'. Céphalée à droite ; de plus, le malade se plaint d'un certain

degré d'incoordination motrice du membre supérieur droit ; en mangeant il por-

terait souvent sa cuiller à son nez ; la vue baisse de plus en plus.

19 Novembe. - A une heure de l'après-midi, nouvelle crise épileptiforme

analogue aux précédentes.

20 Novembre. - Nouvelles émissions involontaires de matières. Le malade

présente un certain degré d'ahurissement, il na paraît pas comprendre ce qu'on

lui dit. Le même jour, apparition de strabisme interne, dû vraisemblablement

la parésie du droit externe gauche.

21 Novembre.- Le strabisme persiste. Le malade n'a pas eu de nouvelle crise

et ne souffre pas, mais il est très affaibli et ne peut se tenir debout.

' 34 Novembre. Vomissements et émissions involontaires de matières.

29 Novembre.- Le malade ne voit plus les personnes placées près de son lit.

3 Décembre. Le malade est plongé dans un état de demi-torpeur, il ne

210 BALLET ET ARMAND DELILLE

répond que lentement aux questions qu'on lui pose. Il ne paraît pas souffrir,

mais quand on lui demande s'il a mal à la tête, il répond « oui » et montre le

front. t.

Respiration lente, à 20 environ ; de temps en temps soupirs à caractère cé-

rébral.

Le pouls bat 80, est petit et irrégulier, la paralysie faciale est toujours très

appréciable, mais la parésie des membres droits est peu sensible. Abolition du

réflexe patellaire droit ( ? ) les pupilles sont dilatées et ne réagissent pas à la

lumière.

Dans la nuit du 5 au 6 Décembre, nouvelles émissions involontaires de ma-

tières.

10 Décembre. Vomissements alimentaires, puis cinq crises dans l'après-

midi ; après les crises, la parole est impossible.

13 Décembre. - A l'examen : Pas de parésie motrice, les quatre membres

remuent très bien, pas de troubles de la sensibilité. Si on le pique ou le pince,

le malade retire le membre.

La paralysie faciale n'est appréciable que si on fait remuer le malade.

Pupilles dilatées, ne réagissant pas à la lumière.

Profonde torpeur intellectuelle ; le malade ne répond pas aux questions

qu'on lui pose; de temps en temps, il semble vouloir pousser un petit cri,

comme si l'examen lui était désagréable; en même temps il y a du subdélire,

le malade se plaint de temps en temps ou prononce des phrases telles que

celle-ci : « On veut me jeter à l'eau ».

Pouls petit, bat 92. Respiration régulière à 26.

L'exploration des réflexes est rendue difficile parce que le malade remue ;

et quand on percute la rotule, il dit : vous me faites mal.

11 n'a pas vomi depuis deux jours, mais n'a rien voulu manger la veille.

Nouvelle crise épileptiforme dans la soirée. On peut constater ensuite que

tous les réflexes cutanés et tendineux sont conservés.

18 Décembre. - Nouvelle crise qui dure quelques minutes. Le malade urine

sans cesse dans son lit, il se forme une escarre sacrée.

A partir de ce moment, la torpeur intellectuelle et physique va en s'accen-

tuant progressivement.

10 Janvier 1901. Dans l'après-midi, sueurs profuses. Le malade ne

mange presque plus et ne répond plus aux questions qu'on lui pose.

22 Janvier. - Le malade mange de moins en moins, les sueurs profuses

continuent.

25 Janvier. Vers 8 heures du soir, une petite crise épileptiforme. Dans la

nuit on remarque également de l'écume sur ses lèvres à 2 ou 3 reprises.

Mort le 26 janvier à 3 heures du matin.

Autopsie. Rien à signaler au niveau des viscères, les poumons seuls

sont un peu congestionnés et on trouve au sommet de chacun d'eux quelques

cicatrices de lésions tuberculeuses guéries.

L'encéphale seul présente des lésions.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XV, Pl. XXVI

TUMEUR CÉRÉBRALE

Obs. II. Sarcome du lobe frontal gauche.

(En haut, la tumeur est en place ; au-dessous, clic a été enlevée.

(G. Ballet et T. Armand Delille).

TROIS CAS DE NÉOPLASIES CÉRÉBRALES 211

Il n'y a pas d'adhérences dure-mériennes et l'extraction de l'encéphale se

fait sans difficulté.

Il n'y a pas d'altérations de l'hémisphère droit, qui ne présente que quel-

ques suffusions sanguines sous-pie-mériennes, mais l'hémisphère gauche pré-

sente une très volumineuse tumeur en forme de tête de champignon, à contours

arrondis, faisant une saillie de 5 centimètres environ au-dessus de la surface

des hémisphères.

Cette tumeur, de coloration gris-rosé, affecte la forme d'un ovoïde aplati

à la surface du cerveau, dont le grand axe, dirigé de haut en bas et d'avant en

arrière, mesure environ 12 centimètres, tandis que le petit diamètre en me-

sure 10, et que l'épaisseur la plus grande est de 5 à 6 centimètres.

Elle recouvre la partie postérieure des trois circonvolutions frontales en

haut, et s'étend vers le bord supérieur de l'hémisphère en ne laissant qu'une

bande étroite de 2 centimètres représentée par la 1e circonvolution frontale

et la partie supérieure des circonvolutions frontale ascendante et pariétale as-

cendante ; en arrière, elle recouvre la 2' pariétale et s'étend jusqu'au lobule

du pli courbe ; en bas, elle recouvre en partie la po temporale.

Cette tumeur n'est pas adhérente à la substance grise des hémisphères par

ses bords. On peut les soulever et constater qu'elle n'est fixée que par un pédi-

cule (PI. XXVI).

Après la section de celui-ci, on note qu'il mesure une hauteur d'envi-

rons 3 centimètres sur une largeur de 2 cent. 1/2. Il occupe la partie de la

frontale ascendante qui correspond au pied de la 2e frontale.

En dehors de ce pédicule, toute la région rolandique est déprimée, en par-

ticulier l'opercule rolandique qui présente un aplatissement si considérable que

le pied de la frontale ascendante présente plus de 3 centimètres de large et

que les 2/3 inférieurs de la pariétale ascendante présentent des dimensions à

peu près semblables. Si on soulève l'opercule rolandique, on constate qu'il est

réduit à une lame mince d'un demi-centimètre et qu'au-dessous, le lobe de

l'insula est très aplati et méconnaissable (Fig. 3).

Examen de la tumeur. Détachée par section de son pédicule, la tumeur

se présente sous la forme d'un sphéroïde aplati de dehors en dedans.

Examinée par sa face superficielle, c'est une masse grisâtre recouverte d'un

feuillet pie-mérien qui n'y est que partiellement adhérent ; elle présente des

bosselures irrégulières séparées par des sillons dont la plupart sont disposés à

la manière de rayons.

Regardée par sa face profonde elle se trouve constituée par trois grosses

masses [principales, séparées par des sillons profonds, la postéro-supérieure

donnant insertion au pédicule par sa partie inférieure et moyenne.

Cette masse supérieure est plus irrégulière et plus bourgeonnante que les

deux autres dont la surface est presque lisse.

Sur des coupes, on constate que ces masses sont formées de noyaux blancs

grisâtres d'un tissu assez résistant, rappelant un peu celui des fibro-myomes

utérins ; ils sont séparés en certains points par des travées de tissu conjonctif

qui constituent des gaines vasculaires.

212 BALLET ET ARMAND DELILLE

Sur une coupe transversale et verticale passant par l'insertion du pédicule

(fig. 3), et sur laquelle l'aplatissement considérable de l'hémisphère est bien

visible, on peut constater que la tumeur paraît tout à fait indépendante de la

substance cérébrale qui est simplement refoulée et comprimée. Mais la tumeur

et l'écorce sont intimement unies par une lame pie-mérienne.

Il semble donc qu'on puisse admettre que la tumeur s'est développée aux dé-

pens du tissu conjonctif pie-mirien, probablement aux dépens d'une gaine

vasculaire ; eu se développant, elle est donc restée fixée à son point de départ,

elle a d'abord fait saillie vers la voûte crânienne, mais ne pouvant refouler

celle-ci que dans un certaine mesure, elle s'est étalée sur l'hémisphère gau-

che en refoulant et comprimant les circonvolutions.

Examen histologique de la tumeur. Les dissociations de fragments de la

tumeur (fig. 4) montrent, après coloration au picro-carmin, une quantité de pe-

tites cellules ovalaires ou fusiformes, quelques-unes présentant à une de leurs

extrémités effilées une sorte de prolongement filamenteux. La dimension de ces

cellules est de 25 à 30 U. de long sur 15 à 20 de large.

Le corps de ces cellules est occupé par un noyau volumineux, qui forme à

Fig. 3. - Sarcome. Coupe de l'hémi-

sphère et de la tumeur passant par

son pédicule d'insertion.

Fig. 4. - Sarcome. Dissociation

(Obj. 6, ocul. 2 Leitz).

Fig. 5. - Sarcome. Coupe

(Obj. G, ocul. 2 Leitz).

TROIS CAS DE NÉOPLASIES CÉRÉBRALES 213

lui seul presque toute la cellule, refoulant le protoplasma aux extrémités de la

cellule et contre la paroi. c

Ce noyau est d'aspect très granuleux. A son centre, on voit un nucléole ar-

rondi, très distinct, et paraissant entouré d'une auréole plus claire. Ce nucléole

est parfois double ; d'ailleurs un certain nombre de ces noyaux se montrent en

karyokinèse.

Sur des coupes de pièces montées à la paraffine ou la celloïdine, et après

coloration par divers procédés, tels que l'hématoxyline-éosine, le carmin aluné

ou le bleu de méthylène, on constate que cette tumeur se trouve formée par

une agglomération de petites cellules ovalaires ou fusiformes ci-dessus dé-

crites, formant une masse compacte dans laquelle on ne peut distinguer

aucun centre ni aucune orientation des éléments (fin. 5).

Cette masse est parcourue par des vaisseaux de dimensions plutôt minimes,

d'ailleurs rares, et par des tractus conjonctifs plus ou moins abondants suivant

les points de la préparation ; c'est dans ces cloisons que cheminent les plus

gros vaisseaux.

Les travées secondaires se disposent assez irrégulièrement, mais elles cir-

conscrivent cependant des territoires qui prennent jusqu'à un certain point l'as-

pect de lobules.

La surface de la tumeur est limitée par un feuillet méningé qui ne contient

que de très petites ramifications vasculaires ; aucune de ces ramifications ne

pénètre d'ailleurs dans la masse de la tumeur, celle-ci n'est donc nourrie que

par les vaisseaux qui lui arrivent an niveau de son point d'implantation.

Ce qui frappe à la lecture de cette observation, c'est d'abord la tolé-

rance remarquable de l'encéphale pour une tumeur aussi volumineuse.

Au moment où le malade nous a été amené, le volume de celle-ci était

déjà, sans doute, fort considérable, puisqu'elle avait amené un amincis-

sement de la voûte crânienne et des troubles trophiques au niveau du

cuir chevelu, troubles qui paraissent relever beaucoup plus de conditions

mécaniques locales que d'altérations des nerfs trophiques. Or, à cette épo -

que, à part les douleurs etun léger degré de parésie faciale, on n'observait

aucun symptôme indiquant une altéra lion grave des zones motrices ; il

n'y avaitpasde paralysie notable, il n'y avait pas non plus d'attaques épi-

lepliformes.

Il y avait eu, au contraire, quatre ans auparavant, un grand nombre

d'attaques de cet ordre qui constituaient alors toute la symptomatologie, si

bien que l'enfant fut considéré comme affecté d'épilepsie essentielle; le

traitement bromure, institué deux ans après l'apparition des premières

crises, les fil cesser complètement, ce qui parut à cette époque confirmer

le diagnostic de mal comitial.

Un autre fait également très remarquable, c'est l'absence d'aphasie mal-

gré l'énorme compression de la circonvolution de Broca. On n'a pas noté

214 BALLET ET ARMAND DELILLE

non plus de cécité, ni de surdité verbale, bien que les régions préposées

à la vision et à l'audition verbale fussent refoulées et notablement com-

primées.

Dans son ensemble également, la tolérance de l'encéphale a été très

grande, car les symptômes de compression cérébrale, tels que les vomis-

sements, la céphalée, la stase papillaire, ne sont apparus que très tardive-

ment. La céphalée, d'ailleurs, ne s'est jamais montrée continue, elle n'est

survenue que par crises, et par moments ses caractères la rapprochaient

plutôt d'une névralgie de l'ophtalmique de Willis, celle-ci pouvant fort

bien s'expliquer par la compression et les troubles trophiques de la région

du cuir chevelu où se terminent quelques-unes des ramifications de ce nerf.

Il est curieux de constater le petit nombre de symptômes par lesquels

s'est manifestée cette tumeur, alors que par la masse qu'elle formait et

la situation qu'elle occupait, on eût pu s'attendre à des troubles plus

que suffisants pour permettre de diagnostiquer non seulement son vo-

lume approximatif, mais surtout son siège exact.

Etant donnée son importance comme volume, il semble qu'on eût dû

constater de bonne heure les grands symptômes de la compression infra-

crânienne, tels que la céphalée intense et continue, les vomissements, la

constipation et la stase papillaire ; et de par son siège dans la zone psycho-

motrice, il aurait pu y avoir en outre de l'épi lepsie jackson ni en ne avec

hémiplégie motrice, suivie secondairement d'aphasie sensorielle du fait

de l'extension vers le lobe pariétal et les circonvolutions temporales

supérieures.

L'examen, au moyen de la méthode deNissl, des circonvolutions refou-

lées, nous a d'ailleurs prouvé qu'il y avait intégrité presque parfaite de

toutes les cellules pyramidales du cortex ; même dans les régions les plus

comprimées, c'est-à dire l'opercule, les cellules avaient conservé leur to-

pographie normale et leur aspect ordinaire.

De l'étude de ce cas on peut donc tirer cette conclusion que la substance

grise des circonvolutions peut être comprimée à un très haut degré, sans

que ses fonctions soient notablement atteintes, pourvu que le refoulement

se fasse lentement et progressivement.

Un autre fait nous paraît intéressant, c'est que le sarcome par sa

situation, son indépendance de la substance des hémisphères, son adhérence

aux méninges par une surface relativement peu étendue, appartenait à la

catégorie des tumeurs cérébrales qui légitiment une intervention chirur-

gicale. Nous pensons que si les symptômes de localisation avaient été

suffisamment nets au début, le chirurgien eût pu enlever la tumeur avec

des chances de succès.

TROIS CAS DE NÉOPLASIES CÉRÉBRALES 215

OBS. III. Gliomatose DIFFUSE

Après un traumatisme du crâne chez un homme de 19 ans, apparition ra-

pide de paralysie oculaire extrinsèque et épilepsie jaclcsonnienne. Aggrava-

tion progressive. Troubles de la déglutition. Torpeur profonde. Coma et

mort.

A l'autopsie, infiltration gliomateuse diffuse prédominant sur les deux

tiers antérieurs de la circonvolution du corps calleux de V hémisphère droit.

C... Auguste, 19 ans, cocher, entré le 8 mai 1899.

Antécédents héréditaires. - Père et mère bien portants, 5 frères et soeur

également bien portants, deux sont morts, l'un de diphtérie, l'autre de tuber-

culose pulmonaire.

Antécédents personnels. - Le malade n'a eu aucune maladie importante

dans son enfance ni son adolescence.

Histoire de la maladie. Au commencement de mars 1899, C... reçut

un violent coup de poing sur la région temporale gauche.

Le lendemain, il souffrait de céphalée. Cette douleur persista les jours

suivants ; de plus, au bout d'une semaine apparaissait du ptosis double, en

même temps le malade accusait de la diplopie et de l'amblyopie.

Trois jours après, le ptosis du côté droit disparaissait, le malade pouvait

relever sa paupière; en même temps, la diplopie disparaissait à son tour et

l'amblyopie rétrocédait, mais le ptosis gauche persistait. Quant à la céphalée,

elle persistait elle aussi comme au premier jour, et depuis elle n'a pas rétro-

cédé jusqu'au moment où fut prise l'observation (8 mai).

Avant son entrée à l'hôpital, le malade aurait eu aussi de l'insomnie, ainsi

que des nausées fréquentes mais non-suivies de vomissements.

Etat actuel, le 9 mai. Le malade ne présente aucune manifestation

morbide autre que de la céphalée et des troubles oculaires.

La céphalée est aussi vive que les jours précédents. Il y a une certaine ten-

dance à la torpeur.

Le malade n'accuse plus de diplopie.

Il y a du ptosis à gauche. Si l'on relève la paupière et qu'on ferme l'aeil droit,

le malade dit voir les objets comme dans un brouillard.

L'odorat paraît un peu plus faible à gauche qu'à droite.

L'acuité auditive est plus faible à gauche.

Le sens du goût ne présente pas de modifications.

10 mai. Dans la nuit du 9 au 10 mai, le malade a eu cinq crises épilepti-

formes, séparées par des intervalles d'environ 10 minutes, la première à mi-

nuit, la dernière à une heure.

Chaque crise a débuté par un cri rauque, comparable à une sorte de rugis-

sement, suivi de perte de connaissance ; le malade tourne la tête à droite ; les

bras s'agitent convulsivement, puis les jambes.

Le malade ne s'est pas mordu la langue et n'a pas uriné sous lui à aucune

des crises ; mais aux deux dernières, il a présenté de l'écume à la bouche

216 BALLET ET ARMAND DELILLE

Le lendemain matin, le malade est somnolent, dans un état de demi-torpeur;

il ne se souvient pas de ce qui s'est passé dans la nuit, mais il se plaint d'un

violent mal de tête. Les réflexes tendineux sont notablement exagérés, le pouls

est rapide, 116 pulsations.

Les jours suivants, il n'y a pas de crises, la céphalée et les troubles oculaires

persistent ; on constate de plus de l'hémiparésie faciale droite. Nous conseil-

lons une intervention chirurgicale, mais le malade sort le 19 mai, sur sa de-

mande et malgré notre avis.

13 octobre. Le malade est ramené dans le service.

D'après les renseignements qui nous sont donnés, voici ce que nous con-

naissons de révolution de sa maladie depuis le moment où il a quitté l'hôpi-

tal (du 16 mai au 13 octobre). '

A sa sortie de l'hôpital, C ... pouvait marcher, mais en titubant ; il n'a

pu reprendre son travail et est rentré chez ses parents; cependant le mal de

tête avait cessé, et il semblait y avoir une certaine amélioration, les crises con-

vulsives n'ayant pas reparu.

Mais le malade présentait un phénomène particulier, qui se répétait une di-

zaine de fois par 24 heures : il éprouvait tout il coup la sensation d'une bouffée

de chaleur qui remonterait des membres à la tête ; en même temps, le visage e

se congestionnait brusquement et souvent même se couvrait d'une sueur abon-

dante, puis au bout de quelques secondes, reprenait sa coloration normale.

Ce phénomène s'est répété assez régulièrement pendant les deux premiers

mois qui ont suivi la sortie, puis les accès se sont espacés jusqu'à laisser un

intervalle de huit jours entre eux.

Dans les journées qui ont précédé le retour il l'hôpital, ils se seraient mon-

trés deux fois chaque nuit.

Dans la journée du la août, le malade a senti subitement que son bras droit

devenait lourd et qu'il pouvait difficilement s'en servir, puis la jambe est de-

venue faible ; cependant la marche, quoique difficile, reste possible.

Au commencement du mois de septembre, le malade éprouve quelques

troubles de la déglutition ; vers le milieu du mois, cette fonction devient tout il

fait défectueuse, les liquides ingérés ressortent par les fosses nasales ; les ali-

ments solides, coupés très fins, passent au contraire plus facilement.

A la fin de septembre, le malade qui, depuis un certain temps, avait une

certaine tendance à sommeiller constamment, tombe dans un véritable état de

torpeur, il reste au lit, ne manifestant pas l'envie de sortir, ne réclamant pas

à manger. mais demandant constamment qu'on le laisse tranquille pour qu'il

puisse dormir.

De temps en temps, ses parents l'habillent de force et le font sortir de son

lit. Le malade peut alors faire quelques pas, mais il faut qu'il soit soutenu par

une personne de chaque côté.

Sur le conseil du médecin traitant, C- ..est amené par ses parents il l'hô-

pital, il est admis salle Magendie, d'où il est passé salle Broussais le 12 octobre

1899.

Etat dlllllalade le 12 octobre 1899.

TROIS CAS DE NÉOPLASIES CÉRÉBRALES 217

C... est étendu sur son lit dans un état de torpeur complète, ne faisant

aucun mouvement, le regard vague, la respiration faible.

A l'examen de la motricité, on constate une hémiparésie droite totale.

A la face, le facial inférieur est paralysé (seul), le malade ne peut ni siffler,

ni souffler, dans les mouvements, la commissure labiale et l'aile du nez sont

déviés à gauche. Au contraire, les rides du front sont plus marquées à droite

qu'à gauche. La langue paraît un peu déviée du côté paralysé.

La luette est également déviée à droite, il y a paralysie de la moitié droite

du voile du palais, la partie gauche se contracte seule.

Membre supérieur d2-oit. - Tous les mouvements sont possibles, mais ils

se font sans énergie, la main peut à peine serrer et le malade n'oppose qu'une

très faible résistance aux mouvements passifs. Les réflexes sont un peu exa-

gérés à droite.

Membre inférieur droit. - Tous les mouvements sont également possibles,

mais le malade n'oppose qu'une faible résistance aux mouvements paâsifs 4e >v

flexion et d'extension. " ? '

Le réflexe patellaire est exagéré, et il y a de la trépidation épileptoïde. ' ? fit

La marche est impossible, d'une part à cause de la parésie du membre infé-

rieur droit, d'autre part à cause du vertige que dit éprouver le malade.

La sensibilité objective est normale. j

Le malade n'accuse aucun trouble de la sensibilité subjective, il n'y a pàs

de céphalée.

Il n'y a pas de troubles vaso-moteurs ni de troubles trophiques.

Examen de l'appareil oculaire. Il y a du ptosis bilatéral plus marqué à

droite, mais qui laisse cependant un léger entrebâillement de la fente palpé-

brale.

Le malade se plaint de voir trouble, mais s'il relève ses paupières avec les

doigts, il trouve que le trouble disparaît presque complètement, mais il lui

semble que les objets tournent autour de lui.

Si on cherche à provoquer des mouvements des globes oculaires, on constate

qu'il y a ophtalmoplégie extrinsèque bilatérale complète. Au contraire, les pu-

pilles réagissent bien à l'accommodation à la distance et à la lumière.

Il n'y a pas de rétrécissement du champ visuel, et l'acuité visuelle paraît peu

diminuée.

Ouïe. Le malade n'éprouve pas de sensations subjectives. L'acuité audi-

tive est normale.

Appareil digestif. - A part les troubles de la déglutition, les fonctions di-

gestives se font bien ; il n'y a jamais eu de vomissements, mais un degré marqué

de constipation. Depuis huit jours, le malade n'est pas allé à la selle.

Il n'y a aucun trouble respiratoire ; les contractions du coeur sont très éner-

giques, mais il n'y a pas de bruits anormaux.

Pas de troubles urinaires, pas de fièvre, mais un certain degré d'amaigris-

sement.

Pendant la durée du mois de novembre,apparaissent des troubles de la pho-

xv 15

218 BALLET ET ARMAND DELILLE

nation. Non seulement le malade présente la voix nasonnéo, mais il bredouille

et est très difficile à comprendre.

Le malade, pendant tout ce temps,reste dans un état de torpeur progressive-

ment croissante, il y a en outre de l'amaigrissement et un véritable état de dé-

chéance physique comme intellectuelle.

Le le'' décembre, on constate une très grande faiblesse du membre supérieur l'

et inférieur du côté droit.

Les deux pupilles présentent une dilatation qui n'est pas en rapport avec

l'éclairage de la salle par la lumière du jour, mais elles réagissent normale-

ment.

Cet état se prolonge pendant le début de décembre, puis le malade tombe

dans le coma complet et meurt le 20 décembre.

Autopsie. L'examen de l'encéphale a pu seul être pratiqué.

A l'ouverture de la boîte crânienne, on constate un état de congestion très

notable de la dure-mère, avec distension des sinus.

La pie-mère est également très congestionnée.

L'encéphale est retiré sans difficulté, son poids est de 1.700 grammes.

L'examen de la convexité des hémisphères et du cervelet ne dénote aucune

lésion méningée récente ou ancienne, la surface des circonvolutions paraît nor-

male.

La base semble également indemne, il n'y a aucune lésion ni tumeur des pé-

doncules cérébraux ni du nerf optique.

La protubérance coupée transversalement ne montre également aucun aspect

anormal.

Ce n'est qu'après la séparation des deux hémisphères cérébraux qu'on dé-

couvre les lésions, qui siègent sur la face interne de l'hémisphère droit.

La grande circonvolution du corps calleux de cet hémisphère offre un aspect

boursouflé, sa surface est comme chagrinée et elle tranche manifestement sur

les circonvolutions avoisinantes.

Cet aspect particulier se montre depuis l'union du tiers antérieure avec le

tiers moyen jusqu'à la partie la plus reculée (Fig. 6).

Les deux circonvolutions frontales internes présentent également des altéra-

Fig. 6. Gliomatose diffuse. Schéma indiquant la disposition des lésions.

TROIS CAS DE NÉOPLASIES CÉRÉBRALES 219

tions dans leur partie inférieure ; il existe une sorte de bourgeon sur la frontale

interne au voisinage du bord antérieur de l'hémisphère.

Le septum lucidum est remarquablement épaissi et manifestement constitué

de productions néoplasiques, de telle sorte que le couteau qui sectionnait le

corps calleux l'a également divisé en deux.

Sur une coupe transversale et verticale on constate l'aspect gliomateux de

cette production.

Sur une coupe vertico-transversale passant par la partie moyenne de la cir-

convolution du corps calleux on note l'épaississement de la couche corticale

qui présente un aspect translucide tout particulier.

nxamen nistoiogique ae ta tumeur. sur Lies coupes a la pararnne ou

à la celloïdine colorées à l'hématoxyline-éosine ou par la méthode de Nisll

et examinées à un faible grossissement, on est frappé de l'aspect tout à fait

particulier du tissu.

Il semble qu'on soit en présence d'une coupe des circonvolutions des hémis-

phères nornaux,-dans laquelle on peut distinguer la substance grise avec ses

cellules pyramidales et la substance blanche avec ses fibres nerveuses, mais

dans lesquelles se serait faite une infiltration abondante de petites cellules ron-

des whig. 7 et 8).

Fig. 7, Gliomatose diffuse. 1. or stade. Infiltration discrète au pourtour des cellules

pyramidales (Obj. 7, ocul. 2, Leitz).

Fig. 8. Gliomatose diffuse. 28 stade. Infiltration intense (Obj. 7, ocul. 2, Leitz).

220 BALLET ET ARMAND DELILLE

Ces cellules sont surtout extrêmement nombreuses dans les régions les plus

superficielles de la couche corticale, mais elles pénètrent en travées péri-vas-

culaires jusque dans la substance blanche.

De plus, dans la substance grise, elles offrent une disposition très particu-

lière. En effet elles sont groupées autour des cellules pyramidales qu'elles

encastrent complètement en se disposant sur une ou plusieurs couches ; cette

disposition est visible aussi bien sur les coupes perpendiculaires à la surface

des circonvolutions atteintes, que sur les coupes transversales, qui montrent

alors une véritable couronne d'une ou deux rangées de petites cellules autour

de chaque cellule pyramidale.

Ces cellules, examinées à de forts grossissements, se montrent sous l'aspect

d'éléments arrondis ou ovalaires, quelquefois polygonaux, à noyau arrondi,

volumineux, emplissant presque à lui seul le corps de la cellule, fixant d'une

façon assez intense les colorants basiques d'aniline et l'hématoxyline alunée;

elles rappellent l'aspect des petits mono-nucléaires du sang ou des cellules de

la névroglie.

Quant aux cellules pyramidales ainsi étouffées par ces éléments néoformés,

elles ne présentent pas d'altérations nettes décelables par la méthode de Nissl.

Cette observation est intéressante : 1° au point de vue anatomo-patho-

logique (lésions de gliomatose diffuse) ; 2° au point de vue de l'étiolo-

gie nettement traumatique de l'altération ; 3° enfin, au point de vue de la

symptomatologie, qui a pu faire penser à une affection bulbaire.

Comme on l'a vu, les lésions sont constituées principalement, sinon

uniquement, par une infiltration plus ou moins dense de petites cellules

rondes ou ovalaires à noyau volumineux dans toute la substance corticale,

et s'étendant même en certains points jusqu'à la substance blanche.

D'après l'examen des différents points des coupes, et des différentes ré-

gions envahies par le processus néoplasique, il semble qu'on puisse inter-

préter ainsi la marche du processus pathologique. Il se fait d'abord autour

de chaque cellule pyramidale, une gaine de ces petites cellules rondes ;

celle-ci ne tarde pas à s'épaissir, les éléments se disposent en plusieurs

couches concentriques dont l'accumulation étouffe peu à peu l'élément

noble (cellule pyramidale) ; celle-ci s'atrophie et disparait, sa place n'est

plus alors marquée que par l'accumulation des éléments néoformés.

Dans les régions où les altérations sont le plus intenses et paraissent

le plus anciennes, on ne voit qu'une accumulation considérable de ces

éléments cellulaires; tout élément noble a disparu, et par suite tout aspect

caractéristique de la structure de l'écorce cérébrale ; on se trouve en pré-

sence d'amas de cellules rondes, parcourus par des ramifications vasculai-

res, dont l'ensemble rappelle beaucoup l'aspect de certains sarcomes ou

1 ymphosarcomes.

Quelle est la slructure exacte de ces éléments cellulaires ? Sur les cou-

TROIS CAS DE NÉOPLASIES CÉRÉBRALES 221

pes, ils apparaissent sous forme de petites cellules arrondies a gros noyau,

à protoplasma peu abondant,offrant l'aspect et la dimension d'un lympho-

cyte du sang. Le noyau fixe énergiquement l'hématéine alunée ou le bleu

de méthylène, au contraire le protoplasma est clair et se colore mal même

par l'éosine. Dans les dissociations après coloration au picro-carmin et

montage à la glycérine, ces éléments se montrent également constitués

d'un corps arrondi et d'un gros noyau, mais certaines de ces cellules sont

fusiformes, et quelques-unes envoient de courts prolongements étoilés ; il

n'est pas possible de distinguer la moindre ramification fibrillaire partant

de ces prolongements.

L'aspect de nos coupes présente beaucoup d'analogie avec les figures de

Ziegler se rapportant au gliome, mais les éléments dissociés ne présentent

pas les ramifications fibrillaires que figure cet auteur, on est donc forcé

d'admettre qu'il s'agit dans notre cas de cellules névrogliques à l'état em-

bryonnaire, c'est-à-dire dépourvues de ramifications.

Quelle a été la cause du développement de cette tumeur ? Le traumatisme

paraît avoir joué un rôle important dans l'étiologie, car- c'est à la suite

d'un coup violent porté sur la région temporale gauche que sont apparus

les premiers symptômes; or c'est sur l'hémisphère gauche que siège le

néoplasme.

Il semble que celui-ci, d'ailleurs, si son début date de ce moment, ait

eu une marche vraiment très rapide ; car, même en laissant de côté la

céphalée qui pourrait à la rigueur s'expliquer simplement par la commo-

tion, les symptômes de lésion cérébrale sont apparus au bout de huit jours,

sous forme de troubles de la vue et de la musculature oculaire.

Les symptômes de la période initiale, bientôt suivis de troubles de la

déglutition, on fait songer pendant un certain temps à une affection basi-

laire ; or l'examen histologique nous a montré qu'il y avait des lésions

de dégénérescence gliomateuse dans la protubérance, ce qui explique ces

phénomènes.

Mais comment se rendre compte de la rapide prolifération de la né-

vroglie. Ici, comme dans certains cas de syringomyélie, le traumatisme

peut être invoqué comme cause de cette prolifération. Il n'est pas impos-

sible que le choc ait déterminé une brusque altération des cellules pyra-

midales et qu'à la suite la névroglie, tissu de soutien, antagoniste de l'élé-

ment noble, ait rapidement proliféré et étouffé les cellules pyramidales

altérées. -

DESCRIPTION D'UN CAS DE MONSTRUOSITÉ RARE

DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE

PAR R

MM. P. HAUSHALTER,

agrégé à la Faculté de Médecine

de Nancy.

ET

P. BRIQUEL,

préparateur au laboratoire d'anatomie

pathologique.

Le 13 juin 1900, la sage-femme de la commune de X... amenait à Nancy à la

clinique des maladies des enfants une petite fille « monstre » née 45 jours aupa-

ravant. Dès l'abord on était frappé par une volumineuse tumeur presque de la

grosseur du poing, implantée à la région frontale droite, rendue plus énorme

par la petitesse du crâne, surplombant une face à peine formée où s'ouvrait aux

cris de l'enfant un large cloaque naso-bucco-pharyngien. La face paraissait

plus monstrueuse encore par la présence d'une seule fente palpébrale, visible

à droite, déjetée latéralement, restant close.

Née de parents indigents, cette enfant, objet de curiosité locale, avait été en-

voyée par l'administration de la ville. Voici le peu de. renseignements que

nous donna la sage-femme sur sa famille :

Père, âgé de 21 ans, bien constitué et bien portant, ayant eu un pied coupé

accidentellement, indemne de syphilis et d'alcoolisme.

Mère âgée de 23 ans (fille-mère), bien constituée, indemne elle aussi de

syphilis. Un an 1/2 auparavant elle avait eu un enfant, de bonne constitution

et de santé excellente. Le cours de la ` ? e grossesse fut normal, sans présenter

de phénomènes sympathiques. Notons que, au dire de la sage-femme qui était

présente, la parturiente aurait eu, quelques heures avant l'accouchement, le

ferme pressentiment qu'elle aurait un enfant anormal. L'accouchement eu lieu

spontanément. sans aucune particularité de mécanisme, sans aucun accident.

Une tante de la mère aurait eu, sur 6 enfants, 3 enfants auormaux ; sans plus

précis renseignements. Ses frères et soeurs sont bien constitués.

Cette enfant, de taille moyenne, se présentait en bonne santé et vigoureuse ;

l'allaitement au biberon était facile, malgré l'énorme difformité qui semblait

devoir l'entraver. La conformation générale, sauf quant à la tête et quant aux

extrémités (les deux mains et le pied droit) était normale.

Pendant les fk semaines de son séjour à la clinique, la petite Z... fut nourrie

au biberon, avec toutes les apparences d'un bon état de santé. Malgré la

présence de cet encéphalocèle, très tendu et semblant prêt à se rompre, d'au-

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XV, Pl. XXVII

MONSTRUOSITE DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE

A. Monstruosité de la face méninge. Meningo-encéphalocèle.

B. Face palmaire des mains.

C. Face dorsale des mains.

(Ha1lsbl11ler et l3rinrel).

MONSTRUOSITÉ RARE DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE 223

tant plus qu'une large croûte circulaire, de la grosseur d'une pièce d'un franc

siégeait à son extrémité ; malgré les replis et les cryptes de la face, où des

restes de lait séjournaient en voie de fermentation ; malgré les dangers immi-

nents d'une infection pulmonaire, l'enfant augmenta de poids, devint vigou-

reuse en se développant comme tout autre enfant. Mais le 8 juillet, sans cause,

elle parut déprimée, s'alimenta moins, et sans qu'on eût pu déceler aucun symp-

tôme, mourut le 9 juillet à l'âge de 41 jours.

Autopsie. A l'autopsie, qui fut pratiquée quelques heures après la mort,

nous n'avons rien relevé aux viscères thoraciques ni abdominaux. Tant dans

leur forme et leur siège que dans leur fonctionnement, rien n'était anormal.

Les malformations, portaient sur les extrémités des membres, la face, le crâne

et le cerveau.

Extrémités. Pied droit. Le gros orteil se termine par un bourrelet très

net, sorte de champignon très souple à la palpation et ne semblant pas contenir

d'os. Dans le 1er espace interdigital existe une petite masse mobile, pédiculée,

du volume d'un grain de millet. Au-dessus, se trouve, dans le même espace, une

autre petite masse conique terminée par une sorte de capuchon corné, coloré en

noir. Le gros orteil n'a pas d'ongle à son extrémité.

Le 20 doigt se termine aussi par un bourrelet, mais sur sa face supérieure

existe un rudiment linéaire d'ongle.

Le 3" orteil présente de même un petit bourrelet le coiffant comme un cham-

pignon. A l'union de ce bourrelet et de l'orteil se voit un petit ongle.

Les 4° et 5e doigts sont normaux.

Main droite- (PI. XXVII, fig. B et C). Au pouce et à l'index, rien d'a-

normal.

Médius : au milieu de la phalangette existe un gros bourrelet du volume

d'un gros pois (fig. B et C), à peau molle et rose, séparé dans sa partie mé-

diane par un sillon au fond duquel se trouve un rudiment d'ongle du diamètre

d'un grain de chéuevis. A la palpation, on sent comme une phalangette dans

ce bourrelet.

Annulaire : la phalangette se termine également par un petit bourrelet rose

avec un rudiment d'ongle presque linéaire. Au niveau de la phalangine existe

un gros bourrelet mou séparé de la phalangette par un petit sillon et de la

phalange par un sillon profond.

L'auriculaire est bien conformé.

Main gauche (Pl. XXVII, fig. B et C). Elle est, dans son ensemble ab-

solument informe. A première vue elle paraît constituée par une masse de

chair molle qui l'a fait ressembler à un gros molluscum pendulum du volume

d'un petit oeuf de poule, traversé par de nombreux sillons devenant en cer-

tains points de profondes entailles qui limitent de petites masses secondaires.

Il en existe trois (fig. B et C), du volume d'une noisette, disposées en bracelet

autour du poignet.

Dans cette masse, on sent aisément le gril des 5 métacarpiens.

A l'extrémité de la masse totale, on voit sur le bord cubital de la main un

auriculaire assez bien conformé (fig. B) séparé du moignon de la main par

224 4 UAUSHALTER ET BRIQUEL

un sillon profond. Vers la partie moyenne du bord palmaire du moignon se

voit une sorte d'appendice conique (semblant être le rudiment d'extrémités de

doigt), replié jusqu'à presque contact (fig. B) sur ce qui représente la paume

de la main, et ne s'en laissant pas relever. Cet appendice est creusé en un

milieu par un sillon et séparé du moignon par un sillon assez large et profond.

L'ensemble constitue une petite masse formée du groupement de 4 ou 5 petites

masses secondaires d'inégal volume.

En palpant dans la profondeur on sent nettement (outre l'auriculaire ci-

dessus décrit) 3 phalanges inclinées sur la paume de la main par le fait même

des adhérences, et correspondant aux 2', 3e et 4e doigts. A ce niveau, la masse

est très molle et présente trois sillons esquissant les 2e, 3e et 48 espaces inter-

digitaux (fig. B).

Ces 3 phalanges convergent l'une vers l'autre et vers la paume de la main,

pour se fusionner en une masse confuse, comme adhérente à la paume par des

brides d'aspect cicatriciel. Et l'ensemble s'effile, se terminant dans la petite

massue précédemment décrite.

Dans la masse molle, du côté radial de la main, on sent la phalange du

pouce, contenue dans un gros bourrelet (fig. B), convergeant aussi vers le cen-

tre delà paume. La phalangette n'est pas perçue nettement.

Au poignet, dans le fond de l'un des sillons les plus marqués est un petit

filament conique, long de plus d'un demi-centimètre, de la consistance d'une

petite corde dure, cornée, traces d'une adhérence amniotique .

Tête. Configuration générale. - Le crâne est petit, bien conformé quant

à sa partie postérieure. Petits cheveux fins, assez nombreux.

Les pavillons des oreilles, bien formés ne sont pas sur le même plan ; le

pavillon gauche est sur un plan antérieur de 1 centimètre à celui de l'oreille

droite.

Au niveau de la bosse frontale gauche proémine une grosse masse herniaire

pédiculée, dont voici les dimensions :

MONSTRUOSITÉ RARE DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE 225

La masse totale est dirigée d'arrière en avant, de droite à gauche, à peu près

horizontalement, presque sur le même plan que le front. A l'extrémité, la peau

est ulcérée sur la surface d'une pièce d'un franc. Cette croûte fissurée apparue

dès la naissance, augmentant peu à peu de diamètre et très mince, semblait lors

. de l'entrée de l'enfant au service, incessamment prête à céder ; et cependant cette

barrière nécrosée, malgré l'augmentation de la poche, fut suffisamment résis-

tante pour en empêcher la rupture. A chaque cri de l'enfant, les veinules su-

perficielles se dilataient, la poche toujours tendue se distendait encore, de

même qu'à toute tentative de palpation de la voûte du crâne.

Etant données cette mollesse de la poche, cette distension permanente s'exa-

gérant aux moindres causes, la transparence de l'extrémité diminuant graduelle-

ment jusqu'à l'opacité au niveau du pédicule, le diagnostic porté fut celui

d'encéphalocèle ou plutôt de méningo-encéphalocèle avec amincissement, puis

disparition presque totale de la lame de substance nerveuse.

La bosse frontale droite existe, bien conformée.

Une grande partie de la voûte crânienne a une consistance membraneuse.

Cette partie membraneuse forme une bande antéro-postérieure allant de la ré-

gion occipitale à la racine de la tumeur, sur une longueur de 12 centimètres,

atteignant entre les deux pariétaux, 5 centimètres de largeur.

Tous les os de la voûte chevauchent ou peuvent chevaucher les uns sur les

autres. Voici les particularités qu'ils présentent (fig. 1 et 2).

Occipital. De chaque côté, les points inférieur et supérieur de l'écaille ont

donné naissance à une lame osseuse s'amincissant graduellement vers la ligne

médiane ; les 2 lames restent distantes de 2 cm. 5 environ. La lame osseuse

droite moins développée que la gauche empiète un peu sur la ligne médiane.

Il y a en somme à ce niveau comme une large croix membraneuse, avec, en

son centre, une lame osseuse ovalaire, à grand axe antéro-postérieur un peu

déjeté en avant et à gauche, représentant l'os épactal.

Pa1'iélaux.- Les deux pariétaux sont distants, non pas de 5 cm. comme nous

l'avions mesuré à l'entrée de l'enfant vivant, mais de 3 cm. 5 au maximum,

russification s'étant poursuivie et les bords internes des deux lames étant

transparents, minces et souples. C'est le pariétal gauche qui empiète de 1 cm.

sur la ligne médiane, environ 3 fois plus développé que le gauche. -

A droite, une distance de 1 cm. sépare l'occipital du pariétal ; de l'autre

côté, 5 millimètres seulement.

Quant au frontal, sa malformation est beaucoup plus considérable.

Le frontal gauche, vu de haut, s'aperçoit sous forme d'une crête osseuse très

résistante, de près d'un centimètre de largeur seulement sur 3 à 4 millimètres

d'épaisseur, sa coupe donnant un triangle avec une arête interne résistante.

Il semble que le point primitif d'ossification unique de chaque côté ait été ici

dissocié en deux points secondaires par l'encéphalocèle, la partie principale du

point gauche se trouvant rejetée à droite. Le frontal droit est situé par le fait

même entre le pariétal et le frontal gauche.

La voûte crânienne est donc asymétrique et son axe par rapport à l'ossifica-

tion fait un angle ouvert en avant et à droite sur l'axe réel de la tête.

226 HAUSHALTER ET BRIQUEL

Dans la cavité crânienne, la fosse cérébelleuse présente une forme en en-

tonnoir ; nous y reviendrons au sujet du cervelet.

Il n'y a pas de tente du cervelet proprement dite. Dn côté gauche, le voile

cérébelleux atteint une largeur maxima de 15 millimètres depuis son insertion

sur le bord supérieur du rocher jusqu'à son bord libre. A droite, le voile at-

teint 20 millimètres. Donc, dans son ensemble, ce n'est pas une véritable

tente, mais 2 replis falciformes latéraux. En arrière, à la partie médiane pos-

Fig. 1.

Fig. 2.

Schéma de l'ossification du crâne.

Fig. 1. Vue supérieure.

Fig. 2. - Vue postérieure.

XY. Axe antéro-postérieur.

- A. Encéphalocèle.

(Les parties laissées en blanc sont les portions membraneuses).

1. Occipital gauche (points d'ossification supérieur et inférieur de l'écaillé).

2. droit

3. Os épactal.

4. Pariétal gauche.

5. droit.

6 et 7. Frontal gauche, dont le point d'ossification a été dissocié.

8. Frontal droit.

MONSTRUOSITÉ RARE DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE 227

térieure, au niveau de l'insertion habituelle de la partie postéro-inférieure de

la faux du cerveau est l'ébauche d'une crête formée par les méninges, sous

l'aspect d'accent circonflexe, et atteignant 1 à 2 millimètres de hauteur. Nous

verrons du reste que ce qui est à homologuer à la faux du cerveau ne s'insère

pas là.

De ce repli médian légèrement saillant se dirige, partant à 5 millimètres au-

dessus du rebord du trou occipital, un petit repli méningé mince, ayant au

plus 1 mm. 5 par place, à peine indiqué en d'autres endroits et allant, après

un trajet de 45 millimètres, se jeter sur la faux du cerveau. Ce repli forme

avec l'axe antéro-postérieur un angle de 1/2 droit. Aucune empreinte sur le

cerveau n'existe pour y correspondre et préciser sa signification. Ce repli con-

fond son insertion inférieure sur la base du crâne avec l'insertion du bord an-

téro-externe de la circonférence adhérente du voile cérébelleux latéral gauche.

La faux du cerveau est donc sur la gauche à 45 millimètres d'écart de la par-

tie médiane postérieure du crâne (dimension prise en suivant la courbure);

elle a une hauteur maxima de 2 millimètres à son tiers postérieur et diminue

graduellement pour se terminer après une longueur de 8 cm. 5 (dimension

prise en suivant la concavité interne du crâne). Son extrémité antérieure se

termine à 2 centimètres à gauche de l'axe antéro-postérieur.

Le sinus longitudinal supérieur, qui est par le fait même déjeté à gauche,

suit la courbe d'insertion équivalant à 1/4 de circonférence; il poursuit sa

route en obliquant vers l'axe antéro-postérieur, se dirige en avant, dépasse la

ligne médiane à droite et n'est plus apparent après un trajet de quelques cen-

timètres sans repli méningé. Au point terminal antérieur de la faux du cerveau

prend naissance le sinus latéral qui, continuant la courbe de la faux du cer-

veau, continue dans la direction primitive du sinus longitudinal supérieur, dé-

crivant avec lui une courbe régulière d'une 1/2 circonférence de 7 centimètres

de diamètre. On ne le retrouve plus au début de la poche membraneuse de la

vésicule frontale.

Il n'y a pas trace de sinus longitudinal inférieur le long du bord libre de la

faux. Les autres sinus font en partie défaut, ou du moins sont trop peu appa-

rents et trop irréguliors pour pouvoir être homologués.

L'axe antéro-postérieur de la base du crâne n'est pas rectiligne. Si l'on prend

comme points de repère le centre du trou occipital, le milieu de la selle turci-

que et la crête de l'ethmoïde, on voit qu'il subit une légère déviation vers la

droite, formant une ligne courbe à concavité ouverte sur la droite. La distance

maximum entre l'arc et la corde sous-tendant (du frontal à l'occilital) n'atteint

que 2 millimètres.

Mais ce qui est plus intéressant à noter, c'est la déformation du plancher

de la cavité crânienne. La moitié gauche est sur un plan un peu abaissé par

rapport au plan de la moitié droite, cet abaissement étant marqué surtout au

niveau de la partie gauche du sphénoïde et du frontal, la voûte orbitaire

gauche étant non seulement affaissée, aplanie, mais à concavité ouverte en

haut.Les deux axes des canaux optiques prolongés en dedans se rejoignent selon

un angle de 1 droit 1/2 au lieu de ne dépasser que de peu l'angle droit. Le

228 HAUSHALTER ET BRIQUEL

canal gauche est dévié en bas et en arrière, devenu perpendiculaire à l'axe

antéro-postérieur du crâne ; quant au canal gauche, il fait avec ce même axe

son angle habituel de 1/2 droit.

Face. Vue de profil du côté droit, la tumeur étant dissimulée, on eût dit

une enfant bien conformée quanta la joue et l'oreille droites ; mais déjà de ce

même côté on voit une fente palpébrale, toujours close hermétiquement, de

1 centimètre seulement de largeur. Si avec 2 spatules on écarte les paupières,

on aperçoit à quelques millimètres de profondeur un petit bulbe blanc, grisâ-

tre, sclérotique légèrement vascularisée.

Cachée par le pédicule de l'encéphalocèle qui la masque et la ferme absolu-

ment, la fente palpébrale gauche ne se laisse entr'ouvrir qu'à grand'peine. On

n'aperçoit pas de rudiment de globe oculaire; mais, dans la profondeur, une

fente semble indiquer une ébauche de canal.

Entre la paupière supérieure gauche et le pédicule on ne peut dire s'il

existe un rebord osseux. En réalité à l'autopsie, nous n'avons trouvé qu'une

membrane fibreuse dense, la voûte orbitaire (ou plus exactement la concavité

orbitaire) étant quant au frontal et au sphénoïde bien moins avancée dans leur

ossification que du côté droit.

Au-dessus du bord externe de la paupière, nous avons noté une petite dé-

pression cicatricielle en dehors de laquelle existe une petite masse hémisphé-

rique molle en avant de la suture fronto-pariétale à sa partie tout inférieure.

Quant à la face (PI. XXVII, fig. A), toute la partie comprise au-dessus du

maxillaire et de la lèvre inférieurs jusqu'au front représente un large orifice

anfi-actiteux.

Le maxillaire inférieur et la lèvre inférieure sont absolument normaux. Mais

déjà la lèvre supérieure n'est représentée que par deux bourgeons latéraux,

avec au-dessous d'eux les commissures labiales. Entre les deux parties de la

lèvre supérieure, la distance de 6 centimètres atteint 8 centimètres lorsque l'en-

fant pleure ou crie ; alors, ces deux bourgeons s'écartent comme deux clapets.

Au-dessous se sent de chaque côté une partie dure, rudiments du maxillaire

supérieur; incomplètement recouvert par les bourrelets latéraux, l'écartement

entre eux est de près de 5 centimètres, de 6 pendant les cris. Cette division

intéresse de même tout le voile du palais et la luette.

à droite et à gauche part de chacun des deux bourgeons latéraux (immédiate-

ment au-dessus d'eux, ou mieux de l'intervalle séparant la partie molle de l'axe

osseux) une fente qui, du côté gauche, se dirige à peu près horizontalement pour

se perdre sous le pédicule de la tumeur. A droite au contraire, cette fente re-

monte vers l'angle interne de l'oeil droit au-dessus duquel elle se continue avec

une ligne cicatricielle ayant 1 centimètre de long.

Entre ces deux fentes se trouve le bourgeon frontal qui, au lieu d'être mé-

dian, est ici déjeté vers la droite. Il est de forme triangulaire à base supérieure,

et c'est surtout vers son extrémité inférieure que s'accentue son obliquité vers

la droite. Cette extrémité est bordée en avant par une portion de lèvre, recou-

vrant ce qui correspond à l'os incisif. Entre ce bourgeon supérieur médio-laté-

ral d'une largeur de 15 millimètres et le bourgeon latéral est une dépression,

MONSTRUOSITÉ HAllE DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE 229

un sillon intéressant presque toute l'épaisseur des parties molles, répondant

au sillon naso-labial.

Au-dessous du bourgeon supérieur de la lèvre est l'os incisif, celui-là étant

réuni à celui-ci par le frein. L'os incisif lui-même adhère au bourgeon profond

latéral droit. En somme du côté droit, il y a fusion des deux parties osseuses.

Au-dessus de la portion de lèvre, toujours dans le bourgeon frontal, la peau

présente un aspect étoilé, froncé, paraissant répondre au lobule du nez. Et de '

chaque côté se dessinent assez nettement et divergent deux replis cutanés assez

fermes paraissant être les ailes du nez et constituant le bord interne des fentes

labio-nasales.

Au-dessous du bord inférieur de ces rudiments d'ailes du nez se trouve de

chaque côté un petit repli correspondant à l'orifice des narines ; ce repli est

plus marqué à droite.

Sur un plan postérieur à ces ailes du nez se voient les fosses nasales, ouver-

tes. '

En somme, si nous nous reportons à l'évolution embryologique du premier

arc branchial pair, arc mandibulaire ou facial, nous voyons que sa branche

maxillaire inférieure ou mandibulaire a terminé son évolution et sa coales-

cence. Il en est tout autrement de sa branche maxillaire supérieure. Outre

cette branche, intervient le bourgeon frontal ou fronto-nasal. Les deux prolonge-

ments que tout d'abord il présente, les processus globulaires de His, sont dans

notre cas soudés entre eux, formant par leur soudure l'os incisif revêtu de

sa portion médiane de lèvre supérieure. Mais au lieu de s'être fusionnés latéra-

lement avec chacune des branches maxillaires supérieures, la fusion n'a eu

lieu que du côté droit et seulement quant sa partie profonde, osseuse, laissant

un sillon dans les parties molles, véritable bec-de-lièvre simple latéral droit.

Immédiatement au-dessus, du même côté, l'excavation est à homologuer peut-

être au sillon lacrymal ou plutôt à la fossette olfactive ; c'est là l'orifice externe

de la narine droite.

Quant au côté gauche, la partie supérieure latérale, partie ascendante de la

vaste cavité, est l'orifice externe de la narine, puisqu'il n'y a pas eu soudure

entre le processus globulaire gauche et la branche maxillaire supérieure corres-

pondante. '

Nommons pour plus de simplicité la cavité totale : la bouche. Son plancher,

la langue, les gencives, la lèvre inférieure sont normaux. .

Au plafond de la cavité buccale est une baie de près de 5 centimètres entre

les deux parties du maxillaire supérieur. Cette division se prolonge jusqu'au

pharynx, le voile du palais sur toute sa longueur et la luette étant bifides.

Le véritable plafond de la cavité est donc formé par la base du crâne. Une

muqueuse très rouge tapisse les parties osseuses. Ce plafond est divisé en

deux parties : une partie droite, il direction d'avant en arrière et de droite à

gauche, et uue partie gauche, à peu près sagittale, dirigée d'avaut en arrière, à

ligne inférieure horizontale,séparée de la première par une faille dirigée égale-

ment d'avant en arrière.

La Ire partie (droite), d'une largeur de 1 centimètre environ, paraît être la

230 UAUSUALTER ET BRIQUEL

partie vomérienne de la cloison déjetée latéralement, attirée quant à sa partie

antérieure vers la droite par l'adhérence du processus globulaire avec la bran-

che maxillaire droite, et qui par le fait de la torsion est devenue horizontale.

La 2e partie (gauche) parait être constituée par la lame perpendiculaire de

l'ethmoïde.

Il n'y a plus de rapport direct entre l'ethmoïde et le vomer.

A gauche et en dehors de la muqueuse qui recouvre la lame perpendiculaire

de l'ethmoïde, c'est le plafond des fosses nasales.

Le plafond des fosses nasales est donc apparent dans la moitié gauche et se

continue latéralement avec le revêtement du bourgeon maxillaire et avec la mu-

queuse buccale. A droite au contraire, la fosse nasale est dissimulée par le

vomer qui se trouve placé de champ et ne communique avec la cavité buc-

cale qu'à sa partie postérieure.

Pour interpréter cette malformation complexe, rappelons-nous les grandes

lignes du développement de l'appareil olfactif.

De chaque côté, en regard et en dehors du bourgeon nasal interne ou proces-

sus globulaire de His, et séparé de lui par le sillon nasal se trouve le bourgeon

nasal externe. Au-dessous du bourrelet nasal externe, et le séparant du bour-

geon maxillaire supérieur est le sillon lacrymal. Lorsque la branche maxillaire

supérieure passe au devant du sillon nasal, pour se fusionner avec le bourgeon

nasal interne, ce qui est ici réalisé du côté droit seulement, la gouttière nasale

est transformée en canal nasal, el l'appareil olfactif présente deux ouvertures :

une externe répondant la fossette olfactive primitive, l'autre postérieure s'ou-

vrant dans la bouche. C'est bien ce qui existe du côté droit, la fosse nasale

s'ouvrant directement en arrière de la branche maxillaire supérieure, caries

lames palatines, qui naissent du bord interne de cette branche pour cloisonner

en deux étapes la cavité bucco-nasale primitivement unique, ne se sont pas dé-

veloppées ici.

Encéphale. En incisant circulairement le crâne pour enlever le cerveau

on remarque que de nombreuses adhérences, assez intenses par endroits pour né-

cessiter une dissection au scalpel, unissent la dure-mère aux parties membraneu-

ses des parois crâniennes. Au niveau du pédicule, la section du rudiment osseux

gauche du frontal est particulièrement difficile. La parui du pédicule de l'encé-

plialocèle s'isole assez facilement de la hernie cérébrale, mais vers l'extrémité,

la paroi méningu-encéphalique n'est plus qu'une membrane mince et transparen-

te, et à l'extrémité même la large croûte terminale occupe toute l'épaisseur de la

peau et des méninges existant seules à l'exclusion de toute lame nerveuse. Aussi

une ouverture circulaire devant se produire fatalement, avons-nous ponctionné

la hernie; il s'écoula 200 grammes de liquide céphalorachidien, y compris la

majeure partie du liquide contenu dans les méninges rachidiennes.

D'une mollesse extrême, le cerveau ne put être examiné avant d'être durci

par la méthode de Kaiserling, et quelques jours après, avant que le durcisse-

ment ne soit trop accentué, nous avons injecté par l'ouverture terminale de la

poche, de la gélatine fondue, de façon à rétablir la forme primitive et à avoir,

MONSTRUOSITÉ RARE DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE 231

sur les coupes du cerveau, une substance relativement transparente ne gênant

nullement pour l'examen des différentes parties.

' Nous avons enlevé les deux yeux par la base du crâne, de façon à ne pas

détériorer la face, et à pouvoir nous rendre compte de leur situation exacte et

de l'état de leur musculature extrinsèque.

Le globe de l'cril droit est rudimentaire comme volume et semble encore

peu différencié. Le nerf optique et les muscles ne présentent aucune particula-

rité macroscopique d'insertion ni de forme à relever. Ils existent au nombre

complet de 6, nettement reconnaissables.

Quant à l'oeil gauche, sa recherche par la fente palpébrale avait été négative.

^L'orbite se présentait comme une cavité virtuelle qui, distendue, atteiguait 12 à

15 millimètres de profondeur. Au fond, une tache de coloration un peu plus

rouge semblant être l'orifice d'un canal ; mais nous fûmes étonnés que ce canal

supposé n'existait nullement; un fil métallique très fin ne pouvait pénétrer.

La paroi orbitaire supérieure correspondant au frontal est fibreuse, et se

continue avec le périoste voisin. Le nerf optique existe et se voit sur la base

du crâne. Après avoir fait sauter le pont ossifié postérieur, représentant la

petite aile du sphénoïde, et ouvert la paroi membraneuse (frontal non ossifié)

nous avons trouvé une petite masse formée du nerf optique, de muscles assez

nettement isolables après dissection, mais beaucoup plus grêles que ceux du côté

droit, et d'un globe oculaire très rudimentaire, de coloration noirâtre, de la

grosseur d'un pois, le tout réuni dans un peu de tissu graisseux dense. La

partie antérieure du globe oculaire adhérait intimement avec la paroi posté-

rieure de l'orbite vide. Cette paroi, vue de l'extérieur après écartement des

paupières, avait absolument une apparence cutanée.

Le poids total du cerveau] ne dépassait guère 220 grammes, mais nous devons

nous souvenir qu'il s'est écoulé 200 grammes de liquide céphalorachidien

dont la majeure partie serait à ajouter comme poids au cerveau puisqu'elle était

contenue dans le système ventriculaire et l'encéphalocèle. Après injection à la

gélatine, nous avons trouvé les chiffres suivants :

232 HAUSUALTER ET BRIQUEL

plus petit de 20 millimètres et le diamètre transversal plus petit de 13 milli-

mètres.

Le cerveau, vu par sa face supérieure, présente dans son ensemble une forme

étroite et très allongée. La région frontale gauche se termine par la grosse

vésicule.

Dans le reste des hémisphères, les circonvolutions sont moins profondément

délimitées que d'ordinaire. Les méninges les tapissent d'une façon fort serrée,

et la face supérieure, revêtue par elles, 'forme un dôme d'aspect presque lisse,

mais qui après une décortication difficile et un arrachement minutieux des

vaisseaux qui rampent à sa surface, laisse voir un certain nombre de sillons et

de scissures, le plus souvent des fissures, assez superficielles pour la plupart,

simples ou un peu arborisées. L'aspect habituel se retrouve seulement avec

toute sa netteté la face interne des hémisphères.

A la région antérieure, entre l'encéphalocèle et l'extrémité du lobe frontal

droit existe sur le 1/3 antérieur un sillon large de 1 à 2 millimètres, représen-

tant la partie antérieure (déviée presque à angle droit de la normale),de la scis-

sure interhémisphérique.

A la face externe gauche sur sa partie postérieure est un sillon très net repré-

sentant la partie postérieure de cette même scissure.

La face externe droite présente en sa partie médiane une sorte de cupule,

cavité élargie équivalant à la scissure de Sylvius, large de 2 millimètres à sa

partie la plus évasée. Un sillon profond assez régulièrement incurvé limite la

partie antérieure de l'hémisphère droit de l'encéphalocèle.

La face latérale gauche se termine en avant par lui. En arrière nous rele-

vons un sillon antéro-postérieur allant de gauche à droite et d'avant en arrière,

et qui s'arrête à 1 centimètre du tiers postérieur du sillon interhémisphérique.

A 3 centimètres en arrière de ce sillon est une scissure béante, probablement

la scissure de Sylvius, mais moins évasée qu'à droite, large de 4 millimètres,

sans circonvolutions marquées.

En arrière de la lèvre postérieure de cette scissure est le reste de l'hémi.

sphère (lobe temporo-occipital)qui présente une longueur de 4 centimètres et qui

est débordé en arrière de 22 millimètres par la partie, postérieure de l'hémi-

sphère droit.

BULBE. - L'origine de la moelle, au lieu d'être couchée sur la face inférieure

du cervelet lui est perpendiculaire. La partie postérieure de la base du crâne

a du reste, nous l'avons dit, une forme en entonnoir.

A la partie postérieure de l'origine de la moelle, la face postérieure de celle-

ci est escortée sur une longueur de 2 centimètres par une languette aplatie de

tissu nerveux, tapissée régulièrement de méninges et émanant de la parlie la-

térale droite du cervelet ; elle se termine en extrémité de doigt. Cette languette

prolonge le lobe droit du cervelet avec lequel elle se continue sans ligne de

démarcation. Voici ses dimensions :

MONSTRUOSITÉ RARE DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE 233

234 UAUSHALTER ET BRIQUEL

postérieure du bulbe et de la moelle. Peut-on l'interpréter comme un rudiment

d'encéphalocèle cérébelleux ?

Des deux angles latéraux de la pseudo-circonférence cérébelleuse, l'angle à

droite est à 18 millimètres de la ligne tangente au bord postérieur, le gauche à

22 millimètres de distance de cette même ligne.

Quant à son mode de segmentation périphérique, nous avons vu que le ver-

mis n'est pas apparent, et de plus les sillons classiques ne présentent ni leur

répartition typique ni leur disposition générale concentriquement curvilignes.

On ne pourrait les homologuer que d'une façon artificielle et hasardée, les lobes

latéraux n'étant pas symétriques, surtout à la face inférieure.

Scissure interhémisphérique .

Partie supérieure : (PI. XXVIII, fig. D) absolument accolés par les ménin-

ges, au point que de prime abord on pouvait douter, surtout à la partie moyenne

de la face convexe, de l'existence d'une scissure, les deux hémisphères purent

être écartés après décortication délicate.

Le sillon interhémisphérique naît en arrière sur la face gauche, à une dis-

tance antéro-postérieure de 22 millimètres du plan tangent au bord postérieur

du lobe droit.

Régulièrement incurvée (concave à gauche) jusqu'à une distance antéro-pos-

térieure de 55 millimètres de ce même plan tangent postérieur, la scissure

fait brusquement un angle légèrement obtus. Elle suit cette nouvelle direction

sur un trajet de 1 centimètre. Puis la scissure devient antéro-postérieure, dé-

jetée à 3 ou 4 millimètres à gauche de l'axe antéro-postérieur, pendant 35 mil-

timètres;à partir de ce moment elle s'infléchit selon une courbe ouverte à droite

en arrière et en dehors, pour se terminer sur la face latérale droite à une dis-

tance antéro-postérieure de 9 centimètres du plan tangent postérieur. Elle s'en-

tr'ouvre peu à peu et laisse assez facilement écarter les deux hémisphères dans

les 2/5 antérieurs de son trajet total.

Dans son ensemble donc, la scissure interhémisphérique a la forme d'un S

allongé, interrompu à sa partie moyenne par une courte ligne horizontale.

Elle est oblique d'arrière en avant et de gauche à droite, croisant sont

antérieur l'axe antéro-postérieur.

Formations interhémisphériques.

En écartant les deux hémisphères, on voit qu'ils sont absolument libres sur

toute leur surface sur une longueur antéro-postérieure de 52 millimètres,

l'hémisphère gauche ayant une hauteur maximum de 9 millimètres, l'hémi-

sphère droit, de 59 millimètres.

Au lieu de constater les formations interhémisphériques habituelles, dispo-

sées selon un diamètre transverse, on voit, dans la profondeur, à 20 millimètres

au-dessous de la surface supérieure, une bande antéro-postérieure (PI. XXIX,

fig. H et 1) dont l'axe est un peu oblique de droite à gauche et d'arrière en avant.

La largeur de cette bande, prise perpendiculairement à sa direction (c'est-à-

dire, prise dans un plan presque transversal, un peu oblique d'arrière en avant

et de gauche à droite), est de 20 mm. Sur la photographie de la face convexe

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPtrRltil1 ! .

T. XV, Pl. XX\'Ill

MONSTRUOSITÉ DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE

D. Encéphale, face supérieure.

- - ,...... 1 0' 1 1 ..

E. Face inférieure.

- - T' 1 1 1

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA JpLPGTRIR, 1. 2v, 1 ¡JI. AA1,\

MONSTRUOSITÉ DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE

. Hémisphère droit, face interne. I. Hémisphère gauche,

rn- 1 ? ...1- ? : l ? T r"u ? 1- - - - & 1-

-^JJJU^LUUJtUlll 1 11 , |'Utll I 1 I ll-l il U l,fr Lj l^V'VU'V. 11UIU.U11LJH.. 11.11 Lit IIIH.1H.UIV. ^^

i-i i^i'vu'v. nui ".UIIdl ? ti.il lit Hun nui v.

MONSTRUOSITÉ RARE DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE 235

de l'encéphale (Pl. XXVIII, fig. D), cette bande est visible par son bord antéro-

externe droit. A sa face supérieure, cette bande se présente sous l'aspect d'une

membrane transparente limitée du côté droit par une lame plate de tissu ner-

veux, de 6 millimètres de large et de 2 millimètres d'épaisseur (Pl. XXIV,

fig. H et I), qui apparaît par transparence sous la membrane. Après la coupe

faite pour isoler les deux hémisphères et photographier leur face interne, si l'on

soulève cette membrane on voit qu'elle s'étend sur toute la largeur précitée de

20 millimètres. Sur le bord gauche existe un peu de tissu nerveux donnant

un aspect blanchâtre, sur une largeur de 4 millimètres, mais sans épaisseur

appréciable.

Si nous continuons sur les hémisphères isolés (PI. XXIV, fig. H et I) l'étude

de ces formations interhémisphériques, nous voyons que, perpendiculaire-

ment à cette commissure à faces supérieure et inférieure membraneuses, se

détache perpendiculairement à la face inférieure, une membrane à peu près

verticale. Celle-ci est fusionnée avec la précédente et va, après un trajet

de 10 millimètres, en s'épaississant un peu à sa partie inférieure, se fondre

avec un cordon de substance nerveuse qui représente la plus importante

formation interhémisphérique. Il se présente avec la forme d'un parallélipi-

pède à faces courbes, dont la coupe (perpendiculaire à sa direction) est orientée

de haut en bas, d'arrière en avant et de gauche à droite. En voici les dimen-

sions, prises sur la section :

23G MAUSUALTER ET BRIQUEL

3° Une postéro-inférieure, à la face postérieure de la deuxième cavité, de près

de 10 millimètres de hauteur sur à 5 millimètres d'épaisseur.

Les pages qui précèdent semblent poser un problème difficile de géométrie

dans l'espace. '

Où reconnaître le corps calleux, le corps pituitaire et sa tige, les tubercules

mamillaires, le chiasma optique, les espaces perforés, les pédoncules céré-

braux ? Morphologiquement parlant, les formations interhémisphériques, dans

notre cas, cadrent certes bien avec l'ensemble tératologique de l'encéphale,

mais ne sont pas aussi complètement indéchiffrables qu'on serait tenté de le

croire.

La cause capitale de l'intense déformation vient du point d'arrivée antérieur

des pédoncules cérébraux. En examinant la face inférieure du cerveau, nous

voyons que leur section (pl. XXVIII, fig. E), au lieu d'être médiane et de

répondre par parties égales à chacun des hémisphères, appartient à l'hémi-

sphère droit. La division en deux pédoncules ne se fait qu'en une région plus

antérieure que d'ordinaire, et le gros cordon de tissu nerveux que nous mar-

quions (3) sur le schéma qui précède est le pédoncule cérébral droit.

Fig. 3. Schéma des formations interhémisphériques.

A. Ventricule moyen, dont la coupe présente la forme d'un T :

1 Bande nerveuse antéro-postérieure.

2 postéro-supérieure.

3 postéro-supérieure : pédoncule cérébral droit.

Le pédoncule gauche ne se voit pas sur les coupes reproduites,car il s'enfonce

pour ainsi dire immédiatement en plein hémisphère. On aperçoit (pl. XXVIII,

fig. E) l'éminence représentant la tige pituitaire.

Et les cavités en forme de T ? C'est l'équivalent du ventricule moyen. Est-il

possible de reconstituer sa forme classique : « Un entonnoir, qu'on aurait aplati

dans le sens transversal et dont la portion évasée ou base serait dirigée en

haut ? » (Testut). Non. Les cordons nerveux qui sont figurés sur le schéma en

1 et 2, nous sommes bien embarrassés pour leur donner un nom. Nous som-

mes hésitants non pas par excès, mais bien plutôt par pénurie de formations

interhémisphériques. Si ces cordons pouvaient rappeler de très loin les commis-

sures blanches antérieure et postérieure, on pourrait songera homologuer à la

commissure grise la région où les parois de la cavité unique sont rapprochées

et comme fusionnées. Mais si ces formations étaient réelles, elles auraient chez

MONSTRUOSITÉ RARE DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE 237

cet enfant la même importance morphologique absolue que chez l'adulte,

et nous devons nous rappeler qu'ici nous ne pouvons rien décorer du nom de

corps calleux. Chose plus curieuse encore, due malheureusement à quelque

accident survenu pendant le durcissement de l'encéphale, nous ne voyons en

aucun point le chiasma optique qui nous eût été un précieux guide pour nous

orienter, et qui existait incontestablement puisque nous avons isolé les yeux

avec leur nerf optique.

Sur la segmentation périphérique du cerveau, nous serons aussi fort bref.

Vouloir homologuera des scissures et à des circonvolutions cérébrales des

sillons en partie vasculaires et les saillies déterminées par eux serait à la rigueur

possible. Nous avions essayé ce travail de patience ; mais il nous a semblé que

ses résultats eussent été exclusivement factices.

Nous n'avons pas à faire ici, comme sur un encéphale normal, à de aérita-

bles sillons profonds d'une part, à de simples dépressions linéaires tracées par

les vaisseaux d'autre part ; nous avons parlé plus haut d'un état moyen pour

ainsi dire, où les sillons étaient peu profonds et les dépressions vasculaires

trop marquées pourn'être que de simples empreintes. Néanmoins, voici les quel-

ques données précises que seules nous avons pu établir.

Hémisphère droit. Sur la convexité de l'hémisphère (pl. XXVIII, fig. D)

nous voyons la scissure de Rolando plus tourmentée que d'ordinaire et sur

laquelle se branchent des sillons sans importance. Le sillon prérolandiqu e

sépare la frontale ascendante Fa des premières frontales Fb, Fc, Fd, les sil-

lons frontaux supérieur et inférieur étant peu profonds et irréguliers.

La scissure de Sylvius est ici à peu près parallèle a la partie postérieure

de l'encéphale, se relevant même vers la gauche sur un plan plus antérieur.

Le lobe pariétal est de forme triangulaire. Le sillon interpariétal limite assez

bien la pariétale ascendante de la circonvolution pariétale inférieure. Quant

à la circonvolution pariétale supérieure, elle est rejetée à gauche de l'axe

antéro-postérieur du cerveau. Ces deux dernières circonvolutions, au lieu d'être

allongées et parallèles l'une à l'autre, sont au contraire ramassées sur elles-

mêmes et courtes, à cause de la torsion vers la gauche de la partie postérieure

de l'hémisphère droit.

Les deux lobes temporal et occipital ne forment qu'un ensemble peu net où

courent des sillons ramifiés et branchés les uns sur les autres.

Le lobule de l'insula s'aperçoit au fond de le scissure de Sylvius assez large.

Quant à l'hémisphère gauche, deux causes de déformation interviennent et se

surajoutent : d'abord, à sa partie postérieure, l'action d'arrière en avant exercée z

par la partie postérieure de l'hémisphère droit, et l'action à la fois d'avant en

arrière et de dedans en dehors exercée par l'encéphalocèle frontal et les ven-

tricules distendus.

Aussi, bien qu'une scissure de Sylvius soit morphologiquement très proba-

ble (face latérale gauche) (pl. XXVIII, fig. G et fig. D), nous eu sommes

même à nous demander si c'est bien elle. Large et béante elle laisse voir une

sorte de lobule de l'insu la ; mais alors, il y aurait une atrophie considérable

du lobe temporo-occipital,l'épaisseur de l'hémisphère gauche n'étant à ce niveau

238 HAUSHALTER ET BRIQUEL

que de quelques millimètres. A moins alors de nommer scissure de Sylvius

(pi. XXVIII, fig. D) une scissure profonde allant jusqu'à la ligne médiane

dont la direction est analogue à celle de scissure de Rolando, sur un cerveau

normal. Et alors, on aurait un lobe temporo-occipital, non plus s'étendant

dans un plan horizontal, mais se relevant eu forme d'une sorte de quadrilatère

dont un côté serait le bord interne «le l'hémisphère ; il faudrait aussi supposer

pour cela que la scissure perpandicutaire externe se fusionnerait avec la scis-

sure de Sylvius(pl. -NX1111, fig. D). Pour suivre cette toute gratuite hypothèse,

laquelle serait la scissure des Bolando, dont point d'arrivée antéro-inférieur

serait sur un plan antérieur la la région de la scissure de Sylvius ?

On peut en somme imaginer ce qu'on veut. Mais si l'aspect «. cérébral » est

gardé sur presque tonte la surface de l'encéphalocèle, depuis le niveau de la

scissure (pl. XXVIII, fig. D), l'épaisseur de la paroi nerveuse varie entre

moins d'un millimètre et 3 à 4 millimètres au plus, avec sculptées en relief,

saillant fortement dans la cavité distendue, des colonnes nerveuses que nous

ne pouvons mieux comparer qu'aux piliers et aux colonnes du coeur baignées

par le liquide sanguin.

A la face interne des hémisphères (pl. XXIV, fig. D), bien que sillons et

saillies s'y dessinent avec un relief intense ou en incisures profondes, étant

donné l'état étudié plus haut des formations interhémisphériques, il n'y a même

pas d'interprétation hypothétique à proposer.

Entre cette écorce cérébrale, essentiellement irrégulière, et les cavités dis-

tendues, nous espérions pouvoir suivre dans leur trajet et étudier dans leur

forme les noyaux centraux, les noyaux optostriés. Mais grande fut notre sur-

prise de nous trouver, après coupes faites, en face d'un cerveau d'une teinte

uniformément claire, offrant la même couleur blanc-jaunâtre, sans même au-

cune nuance un peu sombre ou grisâtre dans toute son épaisseur. Que les

noyaux optostriés existent, nous n'en doutons nullement, mais les imaginer en

leur siège coutumier et dire : ils sont là bien que nous ne les voyons pas parce

qu'ils doivent y être, nous ne le pouvons .

.Les ventricules se présentent avec une forme des plus curieuses. A droite

ils sont reconnaissables. Le prolongement occipital (pl. XXIX, fig. K et L) est

très nettement indiqué, fortement distendu, se terminant, non pas en pointe,

mais en large poche ayant 4 centimètres de large et se réunissant à plein canal

avec le prolongement sphénoïdal, (pl . XXIX, fig. K) profond de 2 cm. 5 et large

de 1 cm. 5. Le prolongement frontal (Pl. XXIX, fig. K et fig. L) remonte jus-

qu'à une distance de 10 à 15 millimètres de la surface externe ; il offre une

profondeur de 3 centimètres et une longueur de 4 centimètres. La communi-

cation entre les prolongements frontal et occipital est de forme ovalaire, de 1

centimètre sur cm. 5 environ.

A gauche, les deux prolongements occipital et sphénoïdal (pi. XXIX, fig. K et

L) se présentent comme de larges fentes, diminuant de largeur à leurs extré-

mités postérieure et inférieure, ne formant que des prolongements de la vési-

cule frontale qu'ils continuent directement.

Nous avons vu, en parlant des formations interhémisphériques, que l'abou-

MONSTRUOSITÉ RARE DE LA FACE ET DE L'ENCÉPHALE 239

cbement du ventricule moyen se faisait primitivement au ventricule latéral

droit et après ce défaut sur la droite avec le ventricule latéral gauche. Il n'y a

pas trois formations, communiquant symétriquement par le trou de Monro, mais

un vaste système lacunaire prenant le plus de place possible, et dont les diffé-

rentes parties s'abouchent largement entre elles.

Le ventricule bulbocérébelleux et l'aqueduc de Sylvius subissent la flexuo-

sité de l'axe bulboprotubérantiel. De faible calibre, il s'ouvre par un fin pertuis

dans le ventricule moyen. En somme, la distension des cavités de l'encéphale

s'arrête au 3e ventricule inclusivement ; au-dessous, c'est à bien peu de chose

près le. calibre que nous avons constaté sur des cerveaux d'enfants de quelques

semaines ; et le canal de l'épendyme présente, sur des coupes microscopiques

de la moelle, son aspect normal, perméable, avec un revêtement cellulaire, com-

plet, la distension étant à ce niveau extramédullaire, le liquide céphalorachidien

ayant distendu les méninges d'une façon notable.

En résumé, les principales anomalies qui se présentent chez l'enfant

qui fut l'objet de la description qui précède, se ramènent à un arrêt

de développement de la face, et à des déformations des mains, des pieds,

du cerveau et du crâne; la déformation dominante du cerveau, celle qui

entraîna probablement les autres altérations de cet organe, consiste en une

hydrocéphalie hémilatérale.

L'on peut se demander si cette hydrocéphalie fut l'origine de l'hydren-

céphalocèle frontale et empêcha ainsi l'ossification des os du crâne à ce

niveau,ou si la lésion cérébrale fut amenée par une modification des parois

molles et osseuses du crâne. Nous ajouterons que l'encéphalocèle frontale

est la plus rare, puisque sur 93 cas d'encéphalocèle réunis par Houe), 16

seulement siégeaient à la région frontale, tandis que 68 existaient à la ré-

gion occipitale.

Nul doute que les altérations des extrémités ne soient le résultat d'ad-

hérences et de brides amniotiques ; les sillons, les bourrelets qui défigu-

rent les mains, la présence dans un de ces sillons d'un fragment de fil

amniotique libre à une de ses extrémités, en sont la preuve. Les adhéren-

ces amniotiques étant admises aux extrémités des membres, n'est-il pas

dès lors logique de penser qu'elles purent en se produisant à l'extrémité

céphalique déterminer les altérations qui y sont constatées. Par la com-

pression seule, sans faire intervenir les adhérences, l'amnios appliqué

sur une région peut amener un arrêt de développement de cette région :

le fait a pu se produire pour la face.

En contractant des adhérences avec les parties cutanées de la région

frontale, avant l'ossification, l'amnios put, par suite de tractions exercées

sur les parties adhérentes, amener des déplacements des parois crâniennes

240 IIAUSIIALTER ET BRIQUEL

à ce niveau, d'où put résulter l'hydrencéphalocèle antérieure ; la possi-

bilité de ce mécanisme est admise par Ahlfeld (1), et dans son atlas

plusieurs figures peuvent se rapporter à des cas de ce genre.

. C'est aussi par l'existence d'adhérences et de brides amniotiques que

Backhaus (2) expliquait récemment, dans un cas tout à fait analogue à celui

que nous avons observé, les malformations des mains, de la face, et un

volumineux encéphalocèle antérieur, observés chez un nouveau-né mons-

trueux.

(i) Ahlfelii, Die Missbildungen des Menschen, 1882.

(2) Backhaus, Démonstration einer seltener Missgeb2rt, Soc. de gynéc. de Leipzig,

1898.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XV, Pl. XXX

UN CAS D'AKATHISIE

(Raymond et Pierre Janet).

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

LE SYNDROME PSYCHASTHÉNIQUE DE « L'A[{A TIHSIE »

PAR

les Prs F. RAYMOND et Pierre JANET.

La consultation de la Salpêtrière est vraiment bien remarquable ;

on ne décrit pas dans quelque endroit un symptôme nerveux bizarre et en

apparence nouveau sans que nous ne puissions immédiatement vous en

présenter un exemple. Au mois de novembre dernier, M. IIaslcowec de

Prague, faisait connaître à la Société de Neurologie deux cas d'une maladie

nerveuse bizarre qu'il baptisait du nom de l'alcatlaisie ou impossibilité de

s'asseoir. Voici un homme qui réalise très bien le synclromedeVl. IIasl;o-

wec et qui nous permet de discuter l'interprétation de cet auteur.

Cet homme de 42,ans, Rui..., vient d'être assis sur sa chaise; dans

quelques minutes, quelquefois cinq minutes, quelquefois plus, quelque-

fois moins, vous allez le voir manifester une gêne et une souffrance extra-

ordinaires. Il se contorsionne, il se raidit surtout du côté gauche, étend et

écarte les jambes, appuie la tête sur l'épaule gauche, il tient sa chaise à

.deux mains et fait semblant.de s'y cramponner (Pl. XXX). En réa-

lité il s'appuie sur les deux mains pour se soulever et empêcher le siège

d'appuyer sur la chaise. En même temps, la sueur lui vient au front et

aux mains et dans quelques cas on voit de grosses gouttes qui coulent sur

sa figure, la respiration est anxieuse, le coeur palpite, la face, comme on

peut le voir par cette photographie (PI. XXX), exprime la douleur, la ter-

reur et l'angoisse. Enfin, n'y pouvant plus tenir il se lève brusquement et

immédiatement change d'attitude, il respire librement et sa figure exprime

le soulagement et le calme.

Vous voyez cette petite scène se reproduire sous vos yeux, mais vous

remarquerez que ici devant vous le malade se sent un peu moins angoissé

et qu'il reste plus longtemps sur sa chaise, a peu près une dizaine de mi-

242 , RAYMOND ET JANET

nutes parce qu'il est distrait par votre présence. Chez lui, les choses sont

bien plus pénibles : il ne peut rester assis que quelques instants et il faut

sans cesse qu'il se lève, qu'il aille et vienne dans sa chambre. Le trouble

s'aggrave encore s'il est assis devant un établi et s'il doit travailler. Il

était bijoutier de son métier et ne peut plus entrer dans aucun atelier

car on refuse cet ouvrier qui ne peut rester assis et qui se contorsionne

désespérément dès qu'il a un travail devant lui.

C'est bien là l'ensemble des symptômes décrits par M. IIaskowec : des

secousses, de l'agitation, des troubles de la respiration, de l'angoisse qui

surviennent dès que le malade est assis et qui cessent dès qu'il se lève,

d'où l'impossibilité pratique delà station assise. On peut si l'on veut

adopter pour ce syndrome le nom d'akathisie que propose M. Hasltowec

(Rev. Neurol., 30 nov. 1901, p. 1107), mais il faut s'entendre sur

l'interprétation du symptôme que nous ne concevons peut-être pas tout à

fait de la même manière.

M. Haskowec, au moins dans un des cas qu'il rapporte, parle d'hysté-

rie, il rapproche son akathisie de l'astasie-abasie des hystériques : « de

même, dit-il, que l'harmonie de l'innervation actionnant la marche nor-

male peut être altérée par des causes différentes, de même l'harmonie de

l'innervation entraînant l'acte normal de rester assis peut être altérée par

les mêmes causes ». Théoriquement cela est parfaitement juste, l'acte de

rester assis est un système de mouvement, d'images motrices exactement

comme l'acte de rester debout ou de marcher. De même qu'il peut y avoir

amnésie ou paralysie fonctionnelle d'un centre correspondant à la mar-

che, de même il peut y avoir amnésie ou paralysie fonctionnelle de l'acte

de s'asseoir et de rester assis. Aussi peut-on certainement observer chez

les hystériques cette paralysie systématisée de l'acte de s'asseoir et de

rester assis. Nous avons observé bien des hystériques incapables de tenir

le tronc dans une position correcte et qui tombaient d'un côté ou de l'autre

quand on voulait les faire rester assis. On trouvera un fait de ce genre.

associé, il est vrai, à d'autres symptômes dans notre description d'un cas

de paralysie des muscles du tronc (1). A de certains moments la paralysie

était incomplète et la malade pouvait se retourner dans son lit et plier le

tronc latéralement, mais elle restait tout à fait incapable de se maintenir

dans la position assise. Ce serait là, à notre avis, le véritable symptôme

de l'akathisie hystérique à mettre en parallèle avec l'astasie hystérique.

Mais ce symptôme est-il identique à ceux que l'on observe chez les malades

décrits par M. IIaslconec, en particulier chez le second qui nous paraît

tout à fait identique à notre malade et chez le sujet que nous vous présen-

(1) Névroses et idées fixes, 1898.II.4H.

LE SYRDROME PSYCHASTHÉN1QUE DE L'AKATHISIE 243

tons. Un certain nombre de caractères importants nous semblent être tout

à fait différents et séparer cette akathisie de celle que l'on peut observer

chez les hystériques ainsi que de l'astasie-abasie.

- to Le malade sait parfaitement s'asseoir et rester assis, au début l'acte

est tout à fait correct, l'altération ne survient qu'au bout d'un certain

temps ; 2° même quand l'acte est altéré il suffit de parler au malade, de z

l'interroger vivement pour qu'il cesse ses grimaces et reste bien assis ;

3° il ne tombe pas de sa chaise, il est assis très correctement, seulement

il fait des efforts pour se lever, il se soulève sur ses bras. Ce n'est pas un

oubli de la station assise analogue à l'oubli de la marche dans l'astasie,

c'est un désir, une impulsion à se lever ou à remuer d'une manière quel-

conque : il y a là beaucoup plus d'impulsion à des mouvements inutiles

que de paralysie systématique ; 4° ce qui détermine cette impulsion à se

lever ce n'est pas une incapacité de rester assis, c'est une souffrance, une

angoisse qui se développe quand il est assis.

Aux caractères précédents qui séparent cette akathisie d'une simple

paralysie systématique il faut ajouter d'autres faits qui rendent la maladie

de Rul... beaucoup plus complexe et qui vont peut-être nous mettre sur la

voie d'une interprétation. Les troubles que nous venons d'observer sont

assurément exagérés dans la station assise, mais ils ne sont pas tout à fait

absents dans d'autres attitudes. Le trouble se manifeste également dans

la station debout : si nous prions le malade de rester immobile debout, il

va au bout de quelques instants présenter les mêmes symptômes de l'an-

goisse ; il n'est donc calme que dans la marche.

Bien mieux, la marche elle-même n'est pas toujours indemne d'an-

goisse. En effet, s'il est chargé d'une commission, s'il doit se rendre à

un endroit déterminé, la marche devient immédiatement pénible, il a des

contorsions, de la sueur, il lui semble qu'il n'arrivera jamais, il ne peut

pas plus continuer sa route qu'il ne pouvait rester assis. Ce qu'il lui

faut en somme pour être tranquille, c'est la marche indéterminée, vague,

en errant çà et là, sans but et surtout sans travail déterminé. Vous voyez

que les choses sont bien plus complexes qu'elles ne paraissent être, et

qu'il ne s'agit pas d'une simple amnésie de la station assise.

Reprenons l'histoire du malade. Légère et la mère étaient tous les deux

de grands alcooliques; ils ont réussi à faire une fille épileptique morte à

la Salpêtrière dans un accès, un garçon sourd de naissance mais qui n'est

pas complètement muet, probablement parce que la surdité n'a pas été

- complète dans le premier âge, et enfin le pauvre diable que voici.

244 RAYMOND ET JANET

Celui-ci a eu des convulsions infantiles, à la suite desquelles il a con-

servé des contractures dans le pied gauche. Ce pied-bot l'a toujours hor-

riblement gêné et a fait naître de telles souffrances dans la marche qu'à

l'âge de 33 ans il a fallu l'amputer (amputation de Chopart). En outre, il

a toujours été un détraqué d'un genre que nous connaissons bien : il vou-

lait travailler, il avait en théorie la meilleure volonté du monde, mais il

était gêné, énervé par des scrupules et des inquiétudes, il voulait toujours

que son travail soit très bien fait, trop bien fait même, il voulait que ce

soit fini tout de suite, et en même temps il avait peur de n'avoir plus d'ou-

vrage après celui-là. Plus il s'efforçait de faire attention, plus il s'impa-

tientait, plus il avait des scrupules et des angoisses, plus il devenait

incapable de tout travail réel : il gâchait ainsi des pièces, il perdait ses

places. Il en résultait que l'inquiétude morale allait toujours en grandis-

sant, il n'était content nulle part : -< s'embêtait partout », il ne pouvait

plus arriver avoir aucune émotion juste, à faire aucune action à propos,

il y avait comme un déséquilibre entre son activité et la réalité présente,

et, à la place de l'activité réelle se développait de plus en plus une agita-

tion incohérente qui constituait une sorte de phénomène de dérivation.

Dès qu'il voulait faire un acte volontaire, dès qu'il voulait faire attention,

il avait des agitations de tous côtés et surtout dans le côté gauche, le

côté de son pied malade et douloureux,

La misère survint, un séjour de neuf mois dans un asile de malheureux,

l'opération faite à son pied, tout cela ne contribua pas peu à supprimer

le peu de volonté active qui lui restait. Ce dont il est particulièrement

devenu incapable, c'est de faire son métier. L'aboulie professionnelle est

toujours la caractéristique de ces abaissements du niveau mental. Or, son

métier de bijoutier le tient assis devant une petite table, c'est celte situa-

tion d'être assis qui est devenue l'emblème, le symbole du métier et qui

est devenue particulièrement pénible. Quand il veut rester assis, c'est

comme s'il voulait travailler : la volonté n'arrive pas à son terme, elle

diffuse, elle dérive en angoisse respiratoire, en agitation motrice vague, et

en tics comme celui de se raidir du côté gauche.

Pour vous faire comprendre dans quel groupe de phénomènes nous

sommes disposés à ranger cette akathisie bizarre, nous rapprocherons de

ce malade celte pauvre femme de 30 ans qui en apparence ne lui res-

semble aucunement. Elle reste calme sur sa chaise et n'a aucune angoisse

devant vous.

Mais voyez son histoire : elle ne connaît pas son père et ne peut rien

nous dire sur ses antécédents héréditaires; elle était nerveuse, émotive,

inquiète dans sa jeunesse. Mais les accidents sérieux n'ont commencé qu'à

LE SYNDROME PSYCUASTUÉNIOUE DE L'AKATHISIE 245

Page de 20 ans quand elle a dû chercher à gagner sa vie. Intelligente,

instruite, elle a cherché à être institutrice, au début le métier la séduisait t

et elle se montrait très capable.

Mais au bout de quelques mois, elle éprouva un violent dégoût de ce

métier; elle ressentait des étouffements, des palpitations, des angoisses,

dès qu'il fallait enseigner, l'intelligence se troublait, elle n'avait plus

aucune mémoire et ne voyait plus les choses comme elles étaient ; des

doutes et des scrupules l'assaillaient. Bien plus la santé physique s'alté-

rait, elle ne pouvait plus dormir, ni digérer, ni même manger. Il fallut

changer de situation, elle entra dans un couvent; au début tout fut ma-

gnifique, au bout d'un temps plus court encore que la première fois,

mêmes symptômes : angoisses, amnésies, doutes, mutisme, insomnie,

dyspepsie, etc. Elle renonce à l'instruction et apprend le commerce,

même aventure au bout de quelques semaines. Puis elle essaye la ma-

chineà écrire, le ménage, la couture, etc., en 8 ou 9 ans elle a essayé

15 métiers et est entrée au moins dans 30 places. Sa tante qui la dirige

finit par reconnaître que son instabilité est maladive et nous l'amène.

Vous voyez maintenant l'analogie avec notre homme, il s'agit dans les

deux cas d'une aboulie professionnel le avec angoisse, tics, en un mot avec

phénomènes de dérivation. Chez la jeune femme l'aboulie ne se manifeste

qu'après quelques semaines de travail et l'angoisse plus vague ne s'associe

pas avec un objet précis, il y a simplement phobie du métier. Chez ce

pauvre homme, l'angoisse commence tout de suite, s'asseoir avec la chaise,

instrument du travail et il y a phobie de la chaise. On observera plus sou-

vent la phobie de l'instrument professionnel, nous vous avons montré la

phobie du rasoir chez un garçon coiffeur, la phobie des ciseaux chez une

couturière, la phobie de l'appareil télégraphique chez un employé des pos-

tes. Dans des cas curieux la phobie sera tout à fait systématisée, témoin

ce jeune docteur que nous avons connu qni avait la phobie des chaises

rembourrées et qui ne pouvait s'asseoir que sur des chaises cannées.

Dans d'autres cas, l'aboulie ne donne pas uniquement naissance à des

phénomènes émotionnels, à des angoisses. Nous avons vu bien des em-

ployés de bureau présenter dans ces circonstances des impulsions à la

marche, dont il ne faut pas faire des fugues ; d'autres avoir des crampes

des écrivains quand leur métier les forçait à écrire, d'autres avoir des tics

des yeux quand leur métier les forçait à lire, un prédicateur avoir des tics

de la bouche parce que son métier était de parler.

Tous ces troubles, tics, crampes des écrivains, impulsion à la marche,

récriminations mentales, comme les angoisses elles-mêmes n'étaient que

246 RAYMOND ET JANET

des phénomènes secondaires en rapport avec l'aboulie professionnelle si

fréquente chez les psychasthéniques.

Pouvons-nous faire quelque chose pour ce pauvre homme ?

En général le traitement de ces malades n'eslpas facile et une éducation

lente de leur volonté et de leur attention peut seule dans les cas favorables

relever leur niveau mental et leur-rendre quelque volonté active. Mais

ici les choses sont plus simples : ce pauvre homme est débilité par la mi-

sère. Il est probable que quelques semaines de repos sans la préoccupation

de gagner son pain vont lui rendre au moins momentanément quelque

énergie et que l'oubli de son métier lui permettra de se reposer sur une

chaise.

(TRAVAIL DU LABORATOIRE DE PSYCHOLOGIE EXPÉRIMENTALE

DE L'ÉCOLE DES HAUTES-ÉTUDES.) (ASILE DE VILLEJUIF)

LA VIE BIOLOGIQUE D'UN XIPHOPAGE

PAR R

N. VASCHIDE ' " et

Chef de travaux à l'Ecole des Hautes- Etudes.

CIL. VURPAS

Interne des Asiles de la Seine.

1

S'il a un fait, qui doive intéresser biologistes et psychologes, c'est

assurément la vie psycho-physiologique de deux êtres humains réunis de-

puis leur naissance, et qui ayant'évolué et s'étant développés nécessaire-

' ment dans un même milieu ont subi en conséquence des impressions en

principe semblables. Pourtant, quoiqu'il y ait eu quelques rares exemples

de pareils phénomènes, bien peu de recherches de physiologie expérimen-

tale quelque peu sérieuses ont été tentées sur les quelques cas observés.

Les auteurs, qui jusqu'ici ont eu l'heureuse occasion d'étudier ces rares

phénomènes humains, se sont contentés à peu près uniquement d'exami-

ner leurs sujets au point de vue chirurgical, notant et relevant simple-

ment quelques observations cliniques. Le côtéanatomo-chirurgical a cons-

titué en effet presque le seul point vers lequel convergeaient les inves-

tigations des médecins qui ont pu prendre des observations un peu suivies

sur les xiphopages vivants.

Le fait de voir cette anomalie biologique pouvant évoluer si curieuse-

ment dans la vie sociale a dû tenter sans doute certains opéra leurs,surtout

en raison de la rareté de semblables opérations et de leur difficulté. Peut-

être certains sentiments humanitaires ont-ils jailli dans la pensée des

maîtres du bistouri devant ces exhibitions, que le monde se presse pour

admirer et se distraire, sans se douter qu'une telle monstruosité constitue

le spectre ironique de l'existence biologique et reflète dans une certaine

mesure la projection hybride du germe de la vie qui pullule dans tout or-

ganisme humain (1).

(t) N. Vwscmnu et CL. Vunr.s Recherches expérimentales sur la vie biologique d'un

xiphopage. Comptes Rendus, 14 mars 1901. N. VISCHLDE et Il. Piéron, Recherches

218 VASCIIIDU ET VURPAS

Grâce à la bienveillance de la Compagnie Barnum and Bailey, qui ex-

hibait à Paris un nouveau xiphopage vivant « les frères chinois », devant

lequel des milliers de personnes ont sans doute défilé avec un regard

calme et enfantin, nous avons pu faire de nombreuses et minutieuses re-

cherches physiologiques sur les diverses modalités de la vie biologique (1)

de ces sujets.

II

Il n'est pas dans notre intention de faire un historique delà question ni

de résumer les données plus ou moins acquises sur la physiologie des té-

ratopages ou la tératogénie; on les trouvera dans .plusieurs travaux très

bien documentés parmi lesquels nous citons ceux de Dareste(2), Geolrroy-

St-IIilaire (3), Boettscher (4), Boehn (5), Pencoast (6), Marcel Baudoin (7),

L. Blanc (8), Chapot-Prévost (9).

expérimentales sur la vie mentale d'un xiphopage. Comptes Rendus, 21 mars 1901.

N. Vaschide et H. Piérox, L'état mental d'un xiphopage. Revue scientifique, 3 et

10 mai 1902, p. 555, 561, 583, 589.

(1) Nous profitons de cette occasion pour remercier tous ceux qui ont bien voulu

nous seconder dans nos multiples démarches pour aboutir à la possibilité d'entre-

prendre nos recherches. Nous devons exprimer nos plus vifs remerciements en pre-

mière ligne à l'ambassade des Etats-Unis. Son Excellence le général Porter et parti-

culièrement M. R. Bailly-Blanchard, secrétaire, nous ont bien voulu patronner et faire

campagne pour nous. Nous devons également remercier l'ambassade de Chine pour

l'obligeance qu'elle a eue en nous aidant de. son côté et de son mieux. M. John

Shuinling, secrétaire de l'ambassade de Chine, a eu même la courtoisie de prendre

pour nous un certain nombre de photographies ; qu'il veuille bien accepter nos re-

merciements. Que M. James Bauld, l'impresario de la Compagnie américaine Barnum-

Bailey, veuille bien recevoir nos remerciements pour l'autorisation qu'il nous a

accordée de si bonne grâce.

Nous devons encore remercier M. Verdin, le constructeur, bien connu pour son ai-

mable concours et surtout M. le Dr Toulouse, directeur du laboratoire de psychologie

expérimentale de l'Ecole des Hautes-Etudes, qui a bien voulu mettre à notre disposi-

tion tout son laboratoire de l'Ecole des Hautes-Etudes. Il nous reste encore à adres-

ser nos derniers remerciements il M. Houei Tchienne, l'interprète de l'ambassade de

Chine à Paris, qui nous a été extrêmement utile et qui a mis à notre disposition non

seulement ses connaissances mais aussi son temps, assistant à presque toutes nos

recherches qui nous obligent vis-à-vis de lui à un reconnaissant souvenir.

(2) DARESTE, Production artificielle des monstruosités, Paris, 1891.

(3) Geoffroy-St-IIilaire, Histoire générale et particulière des monstruosités de l'or-

ganisme, 1832-1836, 3 vol. et particulièrement t. III, p. 80-93.

(4) BOETTSCIIER, Zur Anatomie der Xiplzopayen doppelbildungen. Dorpatter medecin.

Zeitschrift, 28 volume, p. 103.

(5) BOEII : -1, Ein Fait verwachsener Zwilings/rüclele (,Yiphopaqie) glilclclicla operaliv ge-

trente, Virchow's Archiv., 1866, vol. 36.

(6) PENCOAST, Transactions ol the Collège of Physiciens of l'Iziladelpltia, 1875.

(1) Marcel Baudoin, Revue scientifique, 21 janvier 1893, t. 51 ; Semaine médicale,

Paris, 8 juillet 1891 ; Gazette médicale, Paris, no 41, 13 octobre 1900 ; Semaine médi-

cale, 26 novembre 1892, no 59. ,

(8) L. Blanc, Les anomalies chez l'homme et les mammifères, Paris, 1893.

(9) Chapot-Prévost, Chirurgie des tératopages. Opération de Maria Rosalina. Ob-

LA VIE BIOLOGIQUE D'UN XIPllOPAGE 2-49

On trouvera dans ces travaux et principalement dans ceux de M. Baudoin

et M. Chapot-Prévost la grande majorité des documents acquis sur la ques-

tion au point de vue chirurgical, de même que quelques données cli-

niques. Nous renvoyons le lecteur curieux à cet historique, notre but

étant surtout d'exposer nos propres recherches.

M. Ed. Chapot-Prévost avait examiné avant nous les « frères chinois »

pendant qu'ils étaient exhibés à Vienne (Autriche) ; on trouvera les docu-

ments in extenso dans l'ouvrage cité chapitre III, pages 37-65.

En dehors de quelques renseignements sur le passé clinique des sujets

que nous avons nous-mêmes pu recueillir auprès de l'imprésario et du

père qui accompagnait lesenfants, nous avons appris que le chirurgien de

Rio-Janeiro avait pris des mesures anthropométriques, avait photographié,

radiographié et observé surtout au point de vue d'une intervention chi-

rurgicale nos sujets. On trouve dans le travail cité les rapports et les no-

tes des médecins qui ont examiné les deux frères chinois depuis que

l'agent de Barnum a entendu parler de ces deux enfants et a conclu un en-

gagement avec le père. Le Dr Chapot-Prévost décrit en outre avec certains

détails le pont membraneux qui unit le xiphopage.

« Les frères chinois » comme on les appelle sont venus à terme et dans le

même placenta au dire du père. Lors de l'accouchement ils se sont présentés

l'un par la tête l'autre par les pieds, se faisant mutuellement face.

Le sujet de gauche est celui qui s'est présenté le premier, la présentation

étant l'extrémité céphalique.

Les sujets ont actuellement quinze ans (2 janvier 1887).

Ils sont originaires de Nan-Nan province de Kiang-Se, ville de Nan.Kung.

La mère était primipare. Elle est morte trois ans après la naissance, sans avoir

eu d'autre enfant ni fausse couche. Le père jouit d'une bonne santé et selon

les affirmations qui nous ont été données par l'interprète il n'avoue aucune

maladie ; on ne peut rien déceler d'anormal ni de particulier au point de vue

de l'hérédité. La mère a allaité les enfants pendant deux ans et demi.

Au point de vue de leurs antécédents personnels, toujours au dire du père,

on ne relève qu'une atteinte de petite vérole à l'âge de quatre ans chez le sujet

de gauche (Liao-Sienne-Chen), dont on peut observer aujourd'hui quelques

traces sur le visage. En cette circonstance le sujet de droite (Liao-Toun-Chen)

servation d'un nouveau xiphopage « les frères chinois », 1 vol. Paris, p. 156, Institut

international de bibliographie scientifique, 1901. Dans ce travail on trouve résumées

toutes les communications que cet auteur a faites à plusieurs sociétés savantes de

la France et de l'étranger. On trouvera les principales communications de cet auteur

soit dans les Bulletins de l'Académie de médecine de Paris de 1900 et 1901, soit dans

les bulletins de la Société de chirurgie de 1900. Il faut citer encore le travail de Biau-

det et de Bugnon publié dans la Revue médicale de la Suisse romande, 1882, no 2.

Le Dr Witowski a publié un travail documentaire très intéressant sur ce sujet

(Steinheil).

xv 17

250 VASCIlIDE ET VURPAS

tomba malade un jour après le premier. Fut-il réellement atteint de la petite

vérole ? L'entourage ne peut le dire. En tout cas, il ne présente pas actuelle-

ment de traces visibles de cette affection.

Un examen clinique minutieux ne revèle maintenant rien d'anormal, sinon

une légère atrophie du grand pectoral droit de Liao-Toun-Chen.

On constate chez les deux sujets l'existence de hernies inguinales, double

chez Liao-Sienne-Chen, simple (droite) chez Liao-Toun-Chen. Les organes géni-

taux sont bien développés et paraissent normaux.

Au point de vue anthropométrique voici les mesures que nous avons prises.

Elles ont été prises les sujets étant debout.

Fig. 1. Le xiphopage. Liao-Sienne-Chen est le sujet de gauche et Liao-Toun-Chen

est le sujet de droite (sujets vus de face). La photographie est une pose, les sujets

étant en expérience; ils gardent les pneumographes à leur poitrine.

LA VIE BIOLOGIQUE D'UN XIIIIIOPAGE 251

252 VASC111DE ET VURPAS

LA VIE BIOLOGIQUE D'UN XIPHOPAGE 253

Les quelques chiffres que nous venons de donner en éclaircissent le sens et la

valeur scientifique. Le Or Ed. Chapot-Prévost dans son observation sur ce

xiphopage a fait certaines remarques analogues et il donne quelques chiffres.

D'après lui le diamètre du pont d'union était, le 16 février 1901, date à laquelle

il vit pour la première fois les chinois, de 77 millimètres, son diamètre trans-

versal de 34 millimètres, la circonférence de 20 centimètres pendant l'expira-

tion et de 21 pendant l'inspiration. Il a trouvé 12 centimètres comme distance

maxima entre les deux sujets et cela dans la position de la marche normale.

La distance minima est pour lui, celle de 0 m. 05 qu'il a observée, lorsque les

sujets étaient dans la situation face à face..

Nous n'avons pu prendre pendant le déplacement des deux sujets aucune

mesure à la partie inférieure du pont d'union ; mais selon toutes probabilités

et à la simple inspection (nous ne donnons ici qu'une impression purement

personnelles),ce bord inférieur semble suivre symétriquement les déplacements

et les fluctuations des attitudes du corps par rapport à la partie supérieure du

pont d'union. M. Chapot-Prévost affirme que cette augmentation et cette réduc-

tion dans les dimensions s'observent également des deux côtés du pont d'union,

mais il ne donne aucun chiffre. Ajoutons encore, pour compléter les données de

cet auteur,que le pont d'union avait une longueur de 4 centimètres du côté du

bord supérieur et de 9 du côté du bord inférieur. Comme on peut le voir, il y a

une différence entre nos chiffres et ceux du D1' Cliapot-Prévost. Cela tient peut-

être à la manière de prendre les mesures, avec l'adjonction plus ou moins

vague que les mesures ont été prises à une année d'intervalle.

Le fait capital est pourtant nettement énoncé dans ces deux ordres de re-

cherches, le rapport des chiffres étant étroitement uni à la constatation du fait

réel. 1.

IV

Chez les deux sujets le coeur est à gauche. L'examen du coeur donne les

résultats suivants : Chez Liao-Toun-Chen (droit) la pointe du coeur ne rentre

pas sous la paroi thoracique ni adroite ni à gauche.

L'auscultation révèle deux bruits bien frappés dont l'intensité est sensible-

ment la même, que l'on pratique l'auscultation à droite ou à gauche au point

d'élection. Un examen minutieux confirme néanmoins la constatation radiogra-

phique de M. Chapot-Prévost,d'après qui chez ce sujet le coeur est quelque peu

dévié à droite. Chez Liao-Sienne-Chen (gauche) la pointe bat. d'une façon très

manifeste à gauche, mais il nous semble aussi très manifeste que la pointe est

déviée également ici un peu à droite.

Nous avons pris plusieurs courbes graphiques du pouls capillaire et en même

temps de la respiration. Comme technique nous nous sommes servis du plé-

tysphygmographe de Hallion et Comte et pour la respiration du pneumographe

de Marey.

Les courbes ont été prises presque dans les mêmes conditions, dans le même

milieu et au dire de ceux qui vivent avec le xiphopage dans des conditions

254 VASCHIDE ET VURPAS

biologiques analogues, le temps pendant lequel ces sujets nous étaient accordés

étant toujours rigoureusement limité.

La vitesse du cylindre était donnée en dehors des ailes régulatrices par le

métronome inscripteur battant la seconde. L'étude des courbes obtenues dont

nous donnons ici quelques exemples typiques montre et précise amplement les

deux modes de réactions vaso-motrices des sujets. Tandis que chez l'un, Liao-

Sienne-Chen, le pouls est petit, plus rapide, presque sans dicrotisme, se nuan-

çant à peine sur la courbe graphique, le pouls capillaire de Liao-Toun-Chen

est au contraire plus ample, plus bondissant et en même temps plus rapide.

On décèle ici facilement du dicrotisme ; et la pulsation se présente avec une

physionomie distincte et bien définie (fig. 2 et 3).

Fig. 2 et 3. Types des courbes p[4tys'nographiques des deux sujels. Sur les deux

sujets main droite.

A. Courbe du pouls capillaire de Liao-Sienne-Chen; B. Courbe du pouls capillaire de

Liao-Toun-Chen. Il faut lire ce tracé de gauche à droite ; C. Battements du métronome

à la seconde Les deux tracés sont pris dans la même séance, les sujets assis et à

l'état de repos. On voitla différence qui existe entre les deux courbes. Dans la figure 3,

ce même dispositif, tracé pris quinze jours après. Comme nous l'avons dit dans d'au-

tres travaux, les sujets peuvent synchroniser rapidement leurs mouvements ; c'est

le cas.

Notons encore (et les courbes ici publiées illustrent péremptoirement nos

observations) que en dehors do la vitesse du coeur les deux pouls gardent

presque toujours leur physionomie individuelle malgré les modifications pertur-

batrices d'ordre psychologique ou physiologique qui peuvent survenir. Ce fait,

nous l'avons remarqué sur des tracés pris à 15 jours d'intervalle en appliquant

Fig. 2.

Fig. 3.

LA VIE BIOLOGIQUE D'UN XIPHOPAGE 255

ainsi à plusieurs reprises les plétysmographes avec les mêmes tambours et la

même longueur de plume (12 centim.) (fiâ.'3).

Le nombre des pulsations de Liao-Toun-Chen est en moyenne de 90 par mi-

nute et celui de Liao-Sienne-Chen de 82. Ces chiffres sont calculés d'après

les tracés obtenus et concordent avec les constatations tactiles du pouls radial

compté à la minute. Les expériences avaient lieu le matin de dix heures à midi.

Voici d'ailleurs, le nombre des pulsations recueillies par le doigt placé sur la

radiale, et les chiffres obtenus à la suite de nlusieurs observations :

256 VASCQIDE ET VURPAS

LA VIE BIOLOGIQUE D'UR XIPHOPAGE 2o7

l'exploration à la main permet également de formuler une conclusion qui nous

paraît tout il fait manifeste et assurée. La température de Liao-Sienne-Chen

paraît toujours et d'une façon très évidente supérieure à celle de Liao-Toun-

Chen.

VI

Nous avons pris la respiration avec la main et nous avons fait des re-

cherches expérimentales avec le double pneumographe de Marey modifié par

Verdin qui transmettait selon le mécanisme habituel au cylindre de Marey

l'évolution de la courbe graphique. Le nombre moyen des respirations à la

A, Liao-Toun-Chen. B, Liao-Sienne-Chen. - On voit sur ce tracé la dépendance des

deux respirations et, en outre, tandis que chez le sujet de gauche il existe une ins-

piration profonde en B', elle n'est pas sensible chez le droit ; une légère inspira-

tion soutenue chez le sujet droit, en A, provoque des troubles sensibles dans sa

respiration, troubles à peine visibles chez le sujet gauche. Les tracés ont été pris

dans des condilions comparables; mêmes tambours, plumes de longueur égale. Il

faut lire le tracé de gauche à droite.

minute a été recueilli sur les nombreuses courbes respiratoires enregistrées

sur les graphiques dans les conditions sus-indiquées.

Nous avons obtenu les chiffres suivants

Liao-Toun-Chen : 22 à la minute,

Liao-Sienne-Chen : 17 à la minute.

La respiration était assurément variable. En pareille circonstance, il est pour-

Fig. 5. - Tracé respiratoire.

258 VASCQIDE ET VURPAS

tant possible de prendre les chiffres obtenus comme des moyennes rigou-

reuses ; car elles reposent sur des expériences nettes et bien définies.

Au point de vue de la forme de la courbe, si l'on examine l'aspect des tracés

respiratoires des sujets on remarque que généralement ils diffèrent, à tel point

qu'on peut, avec une certaine habitude de la lecture des tracés, distinguer net-

tement le tracé d'un sujet de celui de l'autre. Nous donnons ici un graphique

illustrant cette constatation (lig. 5).

La respiration de Liao Toun Chen est plus ample, et plus profonde ; elle est

en outre plus rapide, comme d'ailleurs les chiffres le montrent. Chez Liao

Sienne Chen elle est au contraire plus superficielle ; la pose respiratoire est

plus longue et saccadée, et la phase expiratoire a lieu quelquefois en esca-

lier. Les tracés ci-joints complètent nos explications. Il y a lieu de mettre ici

en évidence quelques points, notre avis d'une importance capitale sur les

modalités de l'évolution des deux respirations : 1° Quoique dissemblables les

respirations changent de forme, et au bout de quelque temps revêtent une

physionomie particulière commune, les rythmes présentant pour ainsi dire

une certaine harmonie dans de nouvelles phases respiratoires. Il y aurait de

Fig. 6. D. Liao-Toun-Chen ; G. Liao-Sienne-Chen. Tracé respiratoire où l'on re-

marque qu'une occlusion des narines du sujet de droite provoque consécutivement

et après un temps appréciable chez le sujet gauche des perturbations secondaires

importantes. Le fait est d'autant plus net que l'on compare la respiration des

deux sujets avant l'occlusion pendant et après. Les physionomies des respirations

persistent néanmoins. Les tracés ont été pris dans des conditions comparables ;

mêmes tambours, plumes de longueurs égales. Il faut lire le tracé de gauche à

droite.

LA VIE BIOLOGIQUE D'UN XIPHOPAGE 239

la sorte un automatisme biologique, qui se développerait, sans que le sujet en

ait conscience ; ,2° si si l'on provoque des modifications perturbatrices chez un

sujet, le second ne subit aucune influence dans certaines conditions données,

s'il s'agit par exemple d'une inspiration plus ou moins profonde, comme le rire.

Au contraire la dépendance réciproque et mutuelle des respirations indivi-

duelles des deux sujets devient notoire dans certains cas déterminés. Si l'on

provoque par exemple l'occlusion des narines d'un sujet ; ou si l'un d'eux subit

des modifications successives et d'une certaine durée, on peut, même dans ces

conditions mesurer sur le tracé le temps nécessaire pour la transmission si l'on

peut s'exprimer ainsi des modifications respiratoires d'un sujet à l'autre (Gâ.6) ;

3° dans toutes ces multiples adaptations respiratoires il semble d'après l'étude de

nos tracés que généralement Liao-Toun-Chen donne et provoque le sens de ces

modifications tandis que, Liao-Sienne-Chen paraît les subir plus. fatalement.

Peut-être faut-il voir là plutôt une conséquence ou un écho d'un automatisme

psychologique des sujets, dont le pilote serait Liao-Toun-Chen.

Les tracés publiés ici, sur lesquels reposent nos observations sont le résul-

tat d'expériences, pendant lesquelles les sujets étaient séparés par un écran ;

leurs respirations étaient enregistrées par des tambours de mêmes dimensions

avec des plumes de longueur égale. Dans le seul cas de la fig. 7 les sujets

suivaient de leurs yeux les déplacements des plumes des tambours.Nous avons

procédé de la sorte pour mieux saisir l'automatisme psycho-respiratoire du

sujet et pour mieux nous documenter sur le sens et la signification de l'auto-

matisme de leur adaptation réciproque. -

Fig. 7. D. Liao-Toun-Chen ; G. Liao-Sienne-Chen. Exemple d'automatisme respi-

ratoire provoqué la suite de la recommandation transmise par l'interprète de se

tenir tranquille. On voit encore persister malgré l'automatisme du rythme la phy-

sionomie individuelle du tracé respiratoire de chacun des sujets. Les tracés ont été

pris dans des conditions comparables , mêmes tambours, plumes de longueurs

égales. 11 faut lire le tracé de gauche à droite. Les sujets regardaient les plumes

pendant l'expérience.

260 VASCIIIDE ET VURPAS

Les capacités respiratoires des sujets ont été prises avec deux spiromètres

de Verdin en tous points semblables. Voici en moyenne leur capacité pulmo-

naire. Les deux sujets soufflaient en même temps et individuellement dans

leurs spiromètres respectifs ; un écran était intercalé entre les deux sujets afin

de les isoler.

LA VIE BIOLOGIQUE n'UN XIPHOPAGE 261

compte assez facilement qu'il se retourne presque toujours pour écouter avec

l'oreille du côté externe.

On peut faire la même observation pour le champ visuel. La zone interne

de la vision paraît légèrement rétrécie. Il semble y avoir là une influence de

la position biologique des deux sujets. L'étude de la sensibilité thermique ré-

vèle une supériorité en faveur de Liao-Sienne-Chen. Nous n'avons pas pu faire

des expériences méthodiques ; malgré toute leur imperfection il nous a été pos-

sible, autant que nous avons pu nous en rendre compte par un grand nombre

d'explorations portant sur la figure, sur les bras, les avant-bras, la poitrine et

les points symétriques du pont d'union, de constater que la sensibilité thermi-

que est plus aiguisée chez le sujet gauche. Il en est de même pour la sensibilité

à la douleur; Liao-Sienne-Chen accusait, lorsqu'on explorait le poignet gauche,

uue douleur pour une pression de 60 grammes, en moyenne l'exploration était

pratiquée avec l'algomètre de Verdin. Liao-Toun-Chen au contraire accusait une

douleur pour une pression de 100 grammes, en moyenne. Ce dernier parait

donc notoirement moins sensible.

Nous nous sommes arrêtés à ces chiffres que nous croyons exacts. En effet

' pour apprécier le degré de sensibilité douloureuse des « frères chinois » nous

nous en tenions non seulement aux réactions verbales du sujet mais encore à

leur mimique et aux réflexes de leur physionomie ; les sujets n'étaient d'ailleurs

pas au courant de ce que faisait l'expérimentateur. Ajoutons encore que nos

jeunes chinois étaient très craintifs et paraissaient exagérer l'interprétation de

leurs impressions douloureuses dans nos recherches sur ces sensibilités.

L'étude de la sensibilité tactile nous a montré l'existence d'une sensibilité

plus aiguisée chez Liao-Sienne-Chen. Nous n'avons pas pu ici faire d'explora-

tion méthodique de façon à pouvoir donner les tableaux numériques complets

des chiffres obtenus dans nos recherches. Les observations ont été prises avec

l'haphiesthésimètre de Toulouse et Vaschide.

Les recherches ont porté sur différents points du corps, et les résultats obte-

nus ont été pour nous très nets et très catégoriques. L'examen de la sensibilité

tactile des sujets pratiqué par des pressions tactiles, des pincements nous avait

également conduits d'une façon très manifeste et très évidente aux mêmes ré-

sultats. De ces divers ordres de recherches, il résulte d'une façon très nette,

que la sensibilité tactile est manifestement plus développée et plus aiguisée

chez Liao-Sienne-Chen que chez Liao-Toun-Chen. Notons ici qu'il y avait une

zone complètement insensible dans la zone médiane du pont d'union.

La coordination motrice est parfaite et grâce à une entente préalable dans

leurs mouvements, les sujets peuvent exécuter des actes d'une souplesse ex-

trême ; ils peuvent sauter, courir, etc.

Les sensations générales telles que la faim, la soif, les différents besoins

(miction, défécation) peuvent s'accomplir séparément chez chaque sujet et il

en est quelquefois effectivement ainsi. Mais le plus souvent ces besoins se pro-

duisent à peu près simultanément chez les deux sujets. Ces considérations sont

d'ailleurs assez explicables par le simple fait de l'habitude, qui a créé une cer-

taine simultanéité automatique dans les besoins généraux. Psycho-physiologi-

262 VASCIIIDE ET vurpas

quement les images mentales jouent un rôle de tout premier ordre dans les

sensations ou l'accomplissement des besoins généraux. Il suffit de rappeler que

le simple fait de voir manger ou boire une personne réveille les sensations de

faim et de soif. Il est bien connu des médecins qu'un des meilleurs traitements

de la constipation consiste à se présenter la garde-robe régulièrement chaque

jour. Que fait-on autre chose ici que d'éveiller dans l'esprit du sujet des images

mentales représentant une miction ou une défécation ? Comme chez les « frères

chinois » les images mentales des besoins généraux arrivent nécessairement à se

présenter à la conscience des sujets à peu près simultanément et régulièrement,

il n'y a rien d'étonnant que leur exécution et leur accomplissement aient lieu

également à peu près simultanément. Les repas étant pris à la même heure,

les mictions et défécations ayant lieu à peu près aux mêmes instants, il est tout

naturel, qu'en raison de ces causes ainsi que des phénomènes d'automatisme

et d'habitude, les besoins se présentent à des intervalles à peu près réguliers,

qui se trouvent tout naturellement delà sorte avoir lieu à peu près à des pério-

des équidistantes dans le temps et à peu près aux mêmes moments.

VIII

En résumé, les observations et les recherches que nous avons pu pra-

tiquer non sans peine sur le xiphopage, études qui ont été faites pour la

première fois, offrent des considérations extrêmement curieuses et nou-

velles sur la nature et le sens de ce parallélisme biologique.

1° Ce xiphopage nous révèle d'abord que, dans un parallélisme biolo-

gique, chaque sujet a une vie biologique individuelle nettement délimitée,

au point de vue des fonctions circulatoire, respiratoire, musculaire, sen-

sorielle et autres, etc. Un fait analogue a été observé par M. Chapot-

Prévost à propos de son xiphopage Maria-Rosalina. Dans son travail cité

plus haut (p. 87-104) on trouve des tableaux et des documents, qui plai-

dent en faveur de l'indépendance physiologique de ce monstre double dont

cet opérateur a pu pratiquer l'opération chirurgicale. En certaine circons-

tance où l'une d'elles, Rosalina, avait eu une fièvre élevée, l'examen de la

quantité d'urines émises, la respiration, le pouls, la température conser-

vaient au dire de l'auteur leur indépendance biologique comme dans

notre cas. Ainsi Maria avait une température générale de 37', tandis que

Rosalina avait une température de 39"4, et depuis le 4 avril 1900 jus-

qu'au 8 avril on nota toujours une différence sensible entre les deux

soeurs, dans l'état de leur santé. Le pouls de Maria dépassait rarement 100,

tandis que celui de Rosalina se maintenait constamment au-dessus de 120,

et battait même un certain temps à 146.

2° Liao-Toun-Chen (sujet droit) est plus vigoureux, au point de vue de

la force musculaire; il est plus grand de taille, et toutes les mesures

anthropométriques surtout crâniennes prises sont sensiblement supérieu-

LA VIE BIOLOGIQUE D'UN XIPHOPAGE 263

res, son coeur bat plus vite, sa pression sanguine est différente de celle de

Liao-Sienne Chen et sa respiration plus rapide. En échange Liao-Sienne-

Chen a une sensibilité plus aiguisée et ses réactions psychosensorielles,

telles que nous avons pu les enregistrer et observer, confirment i'impres-

sion de son père, qui le considère comme plus délicat. Il supporte moins

la douleur, les diverses modalités de la sensibilité tactile sont plus fines

chez lui, il subit d'une manière plus intense et plus manifeste toutes les

perturbations, qui agissent sur les différentes fonctions biologiques.

3° Malgré l'existence de ces deux vies, qui évoluent parallèlement et

qui réagissent dans une large mesure sur leurs propres lois individuelles,

nos observations ont attiré notre attention sur une vie biologique préala-

blement harmonisée, qui avait des racines profondes dans ces deux orga-

nismes différents. Cette vie serait une résultante des deux autres et se

réduirait à un automatisme assez bien équilibré, dont la clef aurait pu être

révélée dans une certaine mesure aux sujets ; ceux-ci arriveraient à pren-

dre connaissance de leur vie psychologique intime, les constatations que

nous pensons avoir réellement saisies ont élé d'autant plus difficiles pour

nous à établir, que l'ignorance de la langue chinoise nous avait empêchés

de pénétrer à la source même de cet automatisme.Néanmoins toutes sortes

de raisons conduisent à des conjectures et des suppositions sur la nature

probable de cet automatisme psychologique, qui s'est greffé parallèlement

à l'automatisme biologique. Cette vie biologique commune, on la saisit à

chaque pas dans les modifications provoquées ou spontanées, en particu-

lier dans le domaine des fonctions circulatoire, respiratoire et motrice.

Des troubles importants peuvent se produire dans chaque organisme

respectif. Mais toutefois, dès qu'ils dépassent une limite donnée on en re-

trouve des traces, que nous appellerons modifications secondaires, dans

les fonctions de l'autre organisme, qui était étranger aux mouvements et

modifications initiales. Il résulte alors des réactions communes, qui sont

le commencement ou plutôt l'efflorescence de cet automatisme biologique,

que ces deux vies organiques révèlent.

Il est très facile aux deux sujets, précisément à cause de cette vie com-

mune biologique, de se mettre au même diapason ; et nous avons pu cons-

tater sur les tracés respiratoires un nombre considérable d'efforts communs

surtout quand les sujets surveillaient les mouvements de leur cage thora-

cique. En même temps que les déplacements des plumes inscrivaient le

parallélisme aussi parfait que possible, un même rythme apparaissait

spontanément et rapidement après des perturbations notoires et des

désassociations brusques ; même à la simple inspection, l'unisson des

mouvements respiratoires était visible.

Cette vie biologique commune se révèle encore dans des modifications

264 VASCIIIDE ET VURPAS

vaso-motrices. Là elle est plus manifeste et l'adaptation plus délicatement

nuancée. Ajoutons encore que, grâce à cet automatisme biologique, à ce

parallélisme physiologique, les deux sujets gardent, phénomène bizarre,

leur distinction et leur indépendance particulières.

Il est toujours possible de constater leur propre individualité physiolo-

gique, toutes les perturbations paraissant respecter toujours le rapport

biologique préalable, qui existe entre ces deux vies réunies.

Avant ~de terminer nous tenons à avouer que nos recherches n'ont pas

pu être ce que nous aurions désiré. Mais ces constatations physiologiques

nous semblent pourtant d'une certaine importance ; car nous avons réussi

à étudier avec des méthodes propres aux laboratoires scientifiques ces

phénomènes de la vie humaine, qu'on regarde souvent comme une idole

tout au plus à exhiber, mais dont les attouchements sont défendus avec

toute la force de l'égoïsme humain brutal. Nos recherches ont été faites

surtout pendant trois grandes séances ; nous comptons sur tous ceux qui

manipulent les méthodes minutieuses de laboratoire pour se rendre compte

que non seulement la tâche était ingrate, mais que nous avons réussi à

apporter, nous l'espérons, une contribution à l'étude de la vie biologique

de ces monstres, dégénérés ou symboles d'une humanité future, avec des

preuves scientifiques et par conséquent précises.

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

TRAVAIL DU SERVICE DE il. LE DEJERINE.

UN CAS D'HÉMIMÉLIE DU MEMBRE ABDOMINAL DROIT

ÉTUDIÉ PAR LA RADIOGRAPHIE,

PAR

Ch. INFROIT, bt

Chef du laboratoire central de radiographie

de la Salpêtrière.

Jean HEITZ,

Interne des hôpitaux.

Nous avons eu l'occasion d'observer dans le service du P Déjerine, à

la Salpêtrière, où elle est admise depuis cinq ans, une femme de 58 ans,

atteinte depuis sa naissance d'une malformation du membre inférieur

droit, dont la photographie est reproduite planche.

Les antécédents de cette femme, du moins tels qu'elle a pu nous les

faire connaître, ne renferment absolument rien qui nous éclaire sur la

pathogénie de cette malformation. Le père, mort d'érysipèle à 60 ans,

avait 41 ans à la naissance de cette fille. Il avait toujours été bien portant

sauf un emphysème assez prononcé vers la fin de ses jours. Il ne buvait

pas.

La mère mourut également d'érysipèle, très âgée, elle avait toujours été

bien portante. Avant elle, une soeur aînée était venue au monde un an

après le mariage de ses parents. Bien conformée, elle est morte tubercu-

leuse à 25 ans. Dix-sept ans après elle, sans grossesses ni fausses couches

' nouvelles dans l'intervalle, naissait notre malade. Ce fut la dernière en-

fant. La santé était bonne en général dans les deux familles. On n'y si-

gnale pas de jumeaux.

La mère de notre malade semble avoir eu une grossesse normale ; tout

au moins aucun fait saillant ne s'est produit, car l'attention éveillée sur

ce point l'aurait relevé. L'accouchement eut lieu à terme, en bonnes con-

ditions. A sa naissance, l'enfant avait le membre inférieur droit un peu

plus court et moins développé que le gauche, mais la différence entre les

deux côtés était loin d'être comparable à ce qu'elle est actuellement. La

jambe était à demi-fléchie, et le pied déjà légèrement en varus. On montra

XV ' 18

266 INFROIT ET IIEITZ

l'enfant au baron Larrey, qui proposa la section du tendon d'Achille,

mais les parents hésitèrent à laisser pratiquer cette intervention.

La petite fille se développa bien, elle eut ses premières dents à 8 mois,

commença à parler à 11 ; à deux ans elle marchait avec un petit appareil.

Réglée à 13 ans, elle se maria à 19. Elle eut deux grossesses, terminées

par des couches faciles, assez courtes, bien que les enfants eussent un

poids normal. L'aîné, un garçon,. qui semblait bien constitué, mourut à

14 jours d'entérite. La seconde, une fille, est actuellement âgée de 39 ans,

elle a eu elle-même 5 enfants, tous normalement constitués comme leur

mère.

A l'âge de 53 ans, à la suite de métrorrhagies très abondantes, accom-

pagnées de quelques manifestations douloureuses, elle fut opérée par

Gérard-Marchant qui lui enleva par laparotomie un fibrome de 4 k. 300

Depuis cette époque, les métrorrhagies ont cessé, mais elle éprouve

quelquefois des douleurs dans le petit bassin.

Actuellement, elle jouit encore d'une bonne santé, malgré une obésité

très prononcée. Elle ne présente aucune malformation ni du côté des yeux,

des lèvres, du voile ni des dents. On peut cependant noter chez elle un

degré prononcé d'hypertrichose faciale. En dehors de son membre infé-

rieur droit, tout chez elle est normalement constitué. Rien à signaler du

côté des organes génitaux, ni des réservoirs.

Les os du bassin, à la palpation, sous l'épaisseur des parties molles,

paraissent également développés des deux côtés. D'ailleurs la facilité des

deux accouchements indique bien l'absence de tout rétrécissement des

détroits.

Le membre abdominal droit est considérablement réduit dans toutes ses

dimensions. Il a relativement très peu grandi depuis la naissance, tandis

que le membre gauche prenait ses proportions normales. Actuellement, il

n'arrive pas au niveau du genou gauche. Voici d'ailleurs les dimensions

respectives des segments des deux membres.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XV, Pl. XX$I

HEMIMÉLIE DU MEMBRE ABDOMINAL DROIT

(Heit'{ et llifroit).

Masson & Cie. Éditeurs

UN CAS D'HÉMIMÉLIE DU MEMBRE ABDOMINAL DROIT 267

couche de graisse sous-cutanée que coupent des plis profonds, entre autre

celui de la partie moyenne de la face interne, à la cuisse, et le pli longi-

tudinal qui sépare à la partie postéro-interne de la jambe une grosse

masse adipeuse (PI. XXXI).

L'articulation de la hanche présente des mouvements normaux en tous

sens, mais peu étendus, et ceci suppose quelques muscles dans la moitié

supérieure de la cuisse. On sent les battements artériels de la fémorale,

le long de la face interne du fémur, au voisinage du genou. Celui-ci

semble complètement ankylosé. La jambe, très en flexion, remonte en

arrière et plutôt en haut derrière la cuisse, les deux segments de mem-

bres se trouvant réunis par un large repli cutané palmant en quelque sorte

la jointure.

Le pied, très en varus, remonte contre la face interne de la jambe. La

plante regarde directement en haut ; le talon, en arrière. Il se termine en

avant par deux orteils garnis d'ongles bien développés que la malade doit

couper de temps à autre. Ce pied garde quelques mouvements actifs par

rapport à la jambe, dans le sens de la torsion interne ou de la supination

externe. Ces mouvements se font avec une certaine force grâce à quelques

muscles qui s'insèrent au squelette de la jambe. On ne retrouve pas l'inser-

tion du tendon d'Achille à la palpation du talon. Quant aux orteils, ils sont

absolument dépourvus de tous mouvements spontanés.

Il n'y a pas de troubles trophiques de la peau, sauf un peu d'hyperlro-

phie des poils sur la face antéro-interne de la jambe, hypertrophie qui ne

se retrouve pas sur le membre gauche. Les téguments sont à une tempé-

rature plutôt élevée; il y a un petit noevus sur le genou, mais on ne re-

marque aucune trace de ces cicatrices anciennes, d'aspect astéroïde, que

différents auteurs ont décrites sur les faces externes de ces membres atro-

phiés. La sensibilité tactile est normale. La sensibilité à la douleur est no-

tablement plus développée qu'à gauche. Il en est de même de la sensibilité

thermique. Le sens musculaire est parfaitement conservé, jusqu'aux orteils.

Il n'y a ni réflexe rotulien, ni achilléen. Ces réflexes manquent d'ailleurs

également à gauche, du côté sain. Le réflexe cutané plantaire se fait nor-

malement en flexion des deux côtés.

11 a été malheureusement impossible, vu l'épaisseur de la couche adi-

peuse, d'obtenir une épreuve radiographique du bassin, et de pouvoir

ainsi juger de l'état tant de l'os iliaque que de l'extrémité supérieure du

fémur. La radiographie du membre inférieur a présenté également quel-

ques difficultés, vu l'ankylose articulaire, et l'adipose sous-cutanée. Elle

nous montre (planche XXXI) un fémur un peu diminué de diamètre, eL

dont le canal central, très nettement visible sur le cliché, a ses proportions

normales par rapport au tissu compact diaphysaire. Au niveau du genou,

268 IRL'Ii0lT ET IIEITZ

il y a fusion osseuse complète, sans qu'on puisse même discerner les li-

gnes de soudure entre les trois os (rotule, fémur, os de la jambe). Ces

deux derniers forment ensemble un angle aigu ouvert en arrière, d'un peu

plus que la moitié de l'angle droit. En arrière, une ligne concave arron-

dit l'angle. En avant, nous voyons une masse irrégulière, formée de tissu

spongieux, où l'on distingue les deux condyles, et la rotule allongée, sou-

dée à eux. L'extrémité supérieure de l'os de la jambe ne présente aucune

trace de structure sur l'épreuve diographique.

Cet os de la jambe, assez volumineux, est unique. Sa face antérieure est

à peu près rectiligne. Sa face postérieure forme une courbe concave en ar-

rière. Le canal médullaire a les dimensions ordinaires. L'épiphyse infé-

rieure, spongieuse, a tout à fait la forme de la malléole interne, avec sa face

sous-cutanée aplatie, ses bords quadrangulaires.

Elle s'articule par son bord postérieur avec un os allongé, seul repré-

sentant, ici, des sept os du tarse. Cet os, allongé de haut en bas et d'arrière

en avant, a son axe recourbé de telle sorte qu'il présente une concavité

antérieure, se modelant presque sur la courbe postéro-inférieure de la

malléole. Il la dépasse fortement en haut et en bas, s'arrête au milieu de

son bord inférieur. Il est difficile de dire à quel os normal du tarse répond

celui que nous trouvons ici. Peut-être résulte-t-il de la fusion des points

osseux du calcanéum et de l'astragale, adjoints peut-être aussi à un sca-

phoïde ?

A son extrémité antérieure, s'articulent deux métatarsiens. Le premier,

plus volumineux, plus interne, semble s'articuler directement par son ex-

trémité postérieure élargie avec l'os du tarse. Peut-être aussi cette extré-

mité postérieure s'articule-t-elle avec la malléole interne, mais ce n'est

sans doute là qu'une apparence radiographique qui se modifierait sur une

autre épreuve. Ce premier métatarse a deux épiphyses très dilatées, réu-

nies par un corps rétréci. Il porte deux phalanges, la première presque

aussi longue et volumineuse que lui, la seconde très réduite et fusionnée

en partie à la première. Le deuxième métatarsien, plus grêle, sur un plan

plus externe et plus inférieur, s'articule avec le calcanéum par un os ar-

rondi. II porte trois phalanges librement articulées entre elles.

La malformation que nous venons de décrire rentre évidemment dans

l'ordre des ectromélies, nom s'appliquant aux membres plus ou moins

avortés (Isidore G. St-Ililaii-e). Parmi les ectromélies, on distingue, tou-

jours depuis le même auteur : les ectrodactylies, caractérisées uniquement

par l'absence d'un ou de plusieurs doigts, les phocomélies, chez lesquelles

le segment basilaire du membre s'étant atrophié, la main ou le pied s'in-

UN CAS D'HÉMIMÉLIE DU MEMBRE ABDOMINAL DROIT 269

sère directement sur le tronc, et les hémimélies, chez lesquelles le segment

basilaire est bien développé, mais où le segment distal (jambe ou avant-

bras) est plus ou moins atrophié, le moignon portant un rudiment de la

main ou du pied. C'est évidemment cette disposition que nous trouvons

réalisée ici. On divise enfin les hémimélies du membre inférieur en deux

grandes variétés ; par absence du tibia, par absence du péroné.

Le travail le plus récent, en France, sur l'absence congénitale du tibia,

est celui de Launois et Iiüss (1).

En Allemagne, dans l'ouvrage également récent de Klaussner (2), que

n'ont pas connu les auteurs précédents, un chapitre est consacré à celte

malformation, avec la relation de plusieurs cas nouveaux.

Le membre est très atrophié, surtout dans sa partie distale. Il y a sou-

vent une atrophie plus ou moins marquée de la cuisse. La jambe est for-

tement. fléchie. Le genou, étroit, a des mouvements passifs très étendus.

Le péroné s'articule sur une large surface avec le condyle externe, par

une capsule très tenue, sans ligaments croisés ni ménisques. La tète, sub-

luxée, fait une saillie aiguë en haut et en arrière. La rotule, rarement

absente, est encastrée entre les deux condyles, souvent difficile à sentir au

palper.

Le péroné, épaissi, semble vouloir ressembler autant que possible au

tibia, dont il finit par prendre les courbures. Quelquefois à côté de lui,

est conservé le tiers supérieur du tibia, et dans ce cas le genou se rappro-

che de la normale.

Le pied est en varus équin au plus haut degré, et souvent la plante re-

garde directement en haut. Quelquefois, il est seulement luxé en varus.

L'astragale s'articule avec lamalléole péronière comme le condyle à la tête,

sur une large surface, la malléole se subluxant en bas. Il en résulte que

l'ensemble du pied est très mobile sur la jambe. Très réduit dans ses di-

mensions, le pied a le plus souvent le nombre d'orteils normal. Souvent

on note quelquefois la soudure de plusieurs os du tarse. En un mot, le

trait le plus caractéristique de l'absence du tibia, avec la position du

membre, est la subluxation paradoxale des deux extrémités du péroné, qui

viennent former deux saillies sous la peau (Launois et Kùss).

L'absence du péroné a été bien étudiée par Kirmisson et de nombreux

auteurs allemands (Brautigam, Kummel, etc.). Ces travaux sont résumés

en grande partie dans un chapitre du livre de Klaussner (3). Elle serait

(1) LAUNOis et Kuss, Revue d'orthopédie, septembre-octobre 1901.

(2) KLUSS'OER. Ueber 3lissbilduiigeit der menschlichen Gliedmassen, Wiesbaden,

1900.

l : {) Klaussner, IOC. cil.

270 11VFROIT ET REITZ

plus fréquente que celle du tibia, et ses caractères cliniques seraient or-

dinairement les suivants : l -

La jambe et le pied sont très raccourcis, mais on ne dit pas ordinaire

ment l'état de la cuisse. 1

Le tibia présente à son tiers supérieur, une déformation angulaire.

Tandis que la partie supérieure est presque toujours la continuation endi-

gne droite de l'axe du fémur (le genou étant très solide, et la rotule man-

quant-souvent), la partie inférieure du tibia, inclinée à angle obtusfen

dedans ou en dehors, lui donne la forme d'un arc, d'un sabre. Le pied est

quelquefois en position normale, le plus souvent en valgus. Les os du

tarse sont confondus en une masse irrégulière, où souvent plusieurs peu-

vent manquer. Il en est de môme fréquemment des orteils, certains

étant absents ainsi que leurs métatarsiens. 9 1

La question se pose de savoir dans laquelle de ces deux variétés nous

devons placer le cas que nous venons d'exposer. Quel est celui des deux

os de la jambe, dont l'absence constitue le caractère saillant de la mal-

formation ? 9 '

Et d'abord, le diagnostic d'absence du tibia peut, nous semble-t-il, être

difficilement soutenu. Le gros os qui forme à lui seul le squelette de la

jambe diffère totalement du péroné, et par son diamètre, et par son mode

d'articulation en haut comme en bas. D'autre part, les caractères impor-

tants de l'absence du péroné (pied en valgus, tarse assez bien développé,

déformation angulaire du tibia) manquent dans le cas présent, où nous

constatons, au contraire, la flexion de la jambe sur la cuisse, le pied en-

roulé en varus, le tarse réduit il un seul os, l'os de la jambe i,ecLiligne., Il

s'agiraitdoncd'un casatypique, et nous pouvons, dans ce sens, ie rappro-

cher de l'observation 14 de Klaussner (hémimélie abdominale atypique,

considérée par Klaussner comme telle, à cause de l'état grêle et du rac-

courcissement du fémur). C'est là un caractère qui se retrouve, quoique

peu prononcé, dans l'observation actuelle. Le malade de Klaussner était

un jeune homme de 18 ans, dont le membre inférieur gauche, raccourci

et en flexion, n'atteignait que le genou droit. La cuisse était légèrement

raccourcie, le genou ankylosé en flexion, la rotule fusionnée au condyle

interne, la jambe très atrophiée, la plante du pied regardant en haut et

accolée à la face interne de la cuisse. Deux orteils seulement. Sur la ra-

diographie, publiée dans le livre de Klaussner, et dont la ressemblance

avec celle de la planclie.... est frappante, on voit le squelette de la jambe

constitué par un seul gros os, dans lequel Klaussner n'hésite pas à recon-

UN CAS D'llÉMIhLÉLIG DU MEMBRE ABDOMINAL DROIT 271

naître le tibia. A celui-ci succède un petit os rond puis un autre os plus

large, assez court, auquel s'articulent les deux métatarsiens.

Il s'agit évidemment de deux cas d'un même type un peu spécial d'ab-

sence du péroné, ce type se distinguant absolument, par des caractères

précis, de l'absence du péroné telle qu'elle est décrite généralement.

Il resterait à déterminer, dans l'observation précédente, la raison pa-

thogénique de cet arrêt de développement, de cette absence du péroné.

La théorie de la compression par une bride ou par l'étroitesse du capu-

chon amniotique, classique depuis les travaux de Dareste, a été attaquée

dans ces derniers temps par Frieben (1). Cet auteur a attiré l'attention

sur l'importance de l'hérédité dans des cas semblables, s'appuyant sur

deux observations de Yollcman et Ridder : un père transmettant sa mal-

formation à ses 3 fils ; dans une même famille, 7 cas identiques d'ab-

sence du péroné en trois générations.

Mais notre femme n'a présenté aucun antécédent de malformation con-

génitale de quelque ordre que ce fût, ni dans ses ascendants, ni dans ses

descendants. D'autre part, nous n'avons pas, on s'en souvient, trouvé sur

le membre avorté de ces cicatrices astéroïdes anciennes, qui dans d'autres

cas analogues ont pu être considérées comme la preuve de la compression

amniotique à ce niveau, ou comme d'anciennes adhérences de même

ordre, rompues au moment de l'accouchement. Il semble cependant rai-

sonnable d'admettre, avec tous les auteurs qui se sont occupés de cette

question, que cette hémimélie par absence du péroné est due vraisembla-

blement à la pression purement accidentelle du capuchon amniotique

trop étroit, sur la face externe du segment distal du membre, pendant les

premiers mois de la grossesse.

(1) FIIIEBEN, Ueber /congénitale Defekl deo Fabula (In. Diss. Greisswald, 1898).

UN CAS D'LUNT1CI-1TS11C FAMILIAL

PAR

PAUL SAINTON

Chef de clinique adjoint à la Faculté de médecine de Paris.

Les eunuchoïdes sont des individus qui présentent la plupart des ca-

ractères anthropologiques attribués aux eunuques,soit par suite d'une atro-

phie orchidienne, résultant d'une localisation d'une infection sur la glande

testiculaire, soit par suite d'un arrêt de développement de cet organe, alors

ectopié. Il est très rare devoir cette anomalie frapper plusieurs sujets

de la même génération, à plus forte raison des membres de la même

famille appartenant à des générations différentes. Le fait que nous pu-

blions, est un exemple de la possibilité de l'existenced'atrophies teslicu-

laires familiales (1).

Observation :

Aucune tare héréditaire du côté du père. Celui-ci exerçant la profession de

maréchal-ferrant, buvait beaucoup d'alcool, d'absinthe, d'eau-de-vie, est mort

subitement.

Il n'en est pas de même du côté maternel.

Un oncle de sa mère, berger de son état, avait des troubles de la marche

depuis son enfance ; le malade le sait parce que les enfants se moquaient de

son oncle à cause de son facies de vieille femme, et qu'il ne pouvait les pour-

chasser grâce à cette difficulté de la marche. S'agit-il d'une impotence fonction-

nelle congénitale ? Ce grand'oncle était, comme le malade, eunuchoïde.

Un frère de sa mère avait la même tare, il était employé aux travaux des

champs ; ses camarades le plaisantaient souvent en public sur son infirmité.

La mère du malade était blanchisseuse, elle était bien conformée et avait à

peu près la même taille ; elle était d'une intelligence moyenne, d'un caractère

assez violent. Elle avait une grande ressemblance avec le malade, et, plus il

vieillissait, dit-il, plus sa ressemblance physique avec elle était évidente.

(1) Ce malade a fait l'objet d'une leçon clinique du Professeur Debove (Médecine

Moderne, 4 mai 1902).

UN CAS D'EUNUCfIISME FAMILIAL 273

Cette femme a eu six enfants :

10 Une petite fille, morte à six ans, qui n'a jamais marché, elle avait la co-

lonne vertébrale tordue ;

2° Une fille bien portante vivant actuellement et ayant une petite fille ;

3° 4 garçons, tous nés à terme :

a) L'aîné est notre malade.

b) Le second, mort à 48 ans, à moitié idiot, ne pouvait se livrer à aucune

occupation sérieuse parce qu'il oubliait très facilement ce qu'on lui comman-

dait ; il était eunuchoïde aussi.

c) Le troisième, d'intelligence moyenne, maçon, eunuchoïde. Le malade ne

sait ce qu'il est devenu.

d) Le quatrième, bien portant, était bien conformé.

274 SAINTON

c'est-à-dire dans la mesure où ses moyens le lui permettaient. Il préférait le

vin : jamais il n'a bu plus de deux litres par jour.

Etat actuel. - La face est amaigrie, creusée de rides profondes et multi-

ples sans aucune espèce de gonflement ni de bouffissure; les cils sont bien dé-

veloppés, autant que normalement. Les yeux sont bleus, les pupilles égales.

La barbe sur les joues et sur le menton est totalement absente : on ne ren-

contre même pas ces poils follets que l'on observe sur la figure de certaines

femmes. Les cheveux sont nombreux, bien fournis, moins souples qu'à l'état'

normal, mais ils n'ont pas cette dureté et cette épaisseur qu'offrent les cheveux

des myxoedémateux. La ressemblance du facies du malade avec celui d'un

myxoedémateux se borne à l'absence de développement du système pileux. >

Les oreilles sont bien développées, le lobule adhérent, le tubercule de Dar-

win est très saillant ; elles sont mal ourlées d'une façon générale.

La voûte du palais est profonde, un peu ogivale.

Les dents de la mâchoire inférieure manquent complètement, sauf une der-

nière molaire du côté droit, et à la mâchoire supérieure, deux incisives et une

canine ; ces dents sont d'ailleurs bien développées et bien implantées. Elles

ont commencé à tomber à l'âge de 25 ans.

Le cou est long, très amaigri ; le corps thyroïde existe, mais semble bien

moins développé sur la ligne médiane.

En raison de l'amaigrissement du malade,aux creux axillaires ètsus-clavicu-

culaires, les reliefs osseux sont extrêmement développés.

D'ailleurs cet homme dit avoir été toujours très maigre. même auparavant.

La poitrine est bien développée, très longue. Les seins ne font aucune saillie,

le mamelon est très petit, comme celui d'un enfant de 2 ou 3 ans, avec une

aréole à peine saillante. Les membres supérieurs sont très longs.

La voie est un peu enrouée actuellement, peut-être à raison de lésions la-

ryngées légères, mais X... affirme qu'il chantait très bien, avec une voix de

baryton, en tous cas, elle n'avait pas le timbre aigu.

UN CAS D'EUNUCf11S111E FAMILIAL 27S

j L'abdomen est bombé, allongé avec le pubis saillant, le mont de Vénus est

développé, il a l'aspect d'un ventre de jeune fille.

Il existe autour du pubis quelques poils très rares, très clairsemés à la ra-

cine de la verge. Les dimensions de celle-ci sont de 23 millimètres ; le scro-

tum est petit comme celui d'un enfant de 8 à 10 ans ; on sent un cordon ter-

miné par un petit moignon du côté gauche; du côté droit, le scrotum paraît

inhabité. Les hanches du malade ne sont point très évasées, il n'existe point de

bourrelet adipeux 1 leur niveau.

Au point de vue génital, le malade dit n'avoir aucun appétit sexuel, il a eu

quelques érections vraisemblement d'origine urinaire : il a plusieurs fois tenté

des rapports sexuels, mais il n'y éprouva aucun plaisir. D'ailleurs il n'aimait

pas la compagnie des femmes ; il n'éprouvait aucune satisfaction à les regarder,

ni à se livrer sur elles à des attouchements. Il ne semble point avoir eu d'in-

version sexuelle, les hommes le laissent parfaitement indifférent, et il proteste

avec véhémence lorsqu'on lui demande s'il a eu des rapports anormaux.

Au point de vue sychigue,X... a eu pendant toute sa vie un caractère très

gai, son grand plaisir était de chanter le dimanche dans les' cabarets où il

passait sa journée. Il n'a point de tendance à l'exagération, à la vantardise, au

mensonge. Dans les circonstances habituelles de la vie, il s'est comporté comme

un homme exerçant la profession d'aide-maçon, portant des charges très lour-

des sur la tête. Quand l'ouvrage manquait, il changeait de métier, et n'a ja-

mais, sauf en ces derniers temps, éprouvé de misère.

Il fume, aime le tabac; il chique même, son intelligence est éveillee au-

tant que celle d'un homme de sa condition ; sa mémoire est bonne. Cependant

il sait à peine lire et écrire; il n'a jamais eu beaucoup d'entrain à l'école, il

préférait courir et jouer.

La taille du malade est de 1 m. 72; mais ce qui frappe chez lui c'est l'aug-

mentation en longueur des bras et des jambes.

Membre inférieur . Distance de l'épine iliaque à la tête du péroné : 51 cen-

timètres ; de la tête du péroné à la malléole externe : 89 centimètres.

276 SAINTON

La boite crânienne est peu résistante, les parois osseuses du crâne sont

beaucoup plus fragiles qu'à l'état normal. Le cerveau (encéphale) pèse

1350 grammes.

ppa ? 'e ? )H<o-tH'tM6[t ? 'e. A. Appareil urinaire.~\\ n'existe qu'un seul

rein, le rein gauche, volumineux, pèsant 290 gr. ; la capsule surrénale a le

poids et le volume normal.

Du côté droit, on trouve un uretère bien développé, mais lorsqu'on suit ce

conduit, au lieu d'arriver è, un rein bien développé, on tombe sur un amas de

tissu conjonctif dans lequel il n'y a point de tissu ressemblant au tissu rénal ;

cet amas de tissu cellulaire est coiffé par un petit corps présentant tous les

caractères d'une capsule surrénale, très atrophiée, ayant les dimensions d'uu

gros haricot.

Il nous a été impossible de trouver l'orifice de l'uretère droit dans la vessie.

B. Appareil génital. - Le testicule gauche est descendu dans les bourses, il

est très atrophié, et a les dimensions d'un oeuf de moineau ; le canal déférent

qui lui fait suite est au contraire de volume et de trajet normal ; on trouve à

quelques centimètres de la vessie, de petits corps ressemblant aux vésicules

séminales, mais la prostate manque complètement.

Le testicule droit est en ectopie inguinale sous-cutanée ; sur les parties la-

térales du canal déférent, on reconnaît les débris du canal vagino-péritonéal

se terminant en cul-de-sac et descendant dans le scrotum jusqu'à la partie

moyenne. Le canal déférent du côté droit est également bien développé ; il suit

son trajet normal. On trouve la même apparence de vésicules séminales.

Le terme d'Eua2cclaisnae est le seul que nous puissions appliquer avec

exactitude au syndrome dystrophique, présenté par ce malade. Il ne

saurait être question chez lui d'Infantilisme (type Lorrain), il n'a aucun

des caractères physiques habituels de ce type ; ce serait entrer dans une

discussion oiseuse que de s'efforcer de le démontrer.

En quoi ressemble-t-il, en quoi en diffère-t-il ? C'est un point qu'il est

important aux eunuques d'élucider, puisque ce cas particulier parait

pouvoir être de quelque utilité pour l'étude des dystrophies d'origine

orchidienne. Notre malade a la grande taille des eunuques, il en a la lon-

gueur des membres disproportionnés avec le corps, il en a l'absence de

développement du système pileux et le facies. Au point de vue physique,

il en diffère par la conservation du timbre de la voix qui avait des sono-

rités masculines, par l'absence de l'arrondissement des formes et de l'éva-

sement du bassin si caractéristiques chez eux. Ilsen distingue en outre com-

plètement au point de vue psychique et ce n'est point là l'un des caractè-

res les moins singuliers de l'évolution de ce sujet, que le contraste

étrange qui existe entre son état mental et son état physique. Loin d'être

lâche, suggestionnable, crédule et apathique il se montre énergique,

volontaire, travailleur; il se comporte comme un homme pendant toute

UN CAS D'EUNUCHISME FAMILIAL 277 "1

son existence, ayant les mêmes goûts, et les mêmes distractions. Au point

de vue sexuel, cependant, son indifférence est absolue.

D'ailleurs chez notre malade, les caractères anthropologiques habituels

des eunuques sont en somme esquissés ; il nous paraît appartenir à

un type d'eunuchisme assez fruste. Il est vraisemblable d'admettre que,

si chez lui la sécrétion externe de la glande n'a jamais exislé, la secrétion

interne quoique incomplète n'était point absolument supprimée ; ce cas

viendrait à l'appui de l'opinion de Variot qui soutient la théorie de l'in-

dépendance des deux sécrétions. Les glandes testiculaires quoique très'

atrophiées n'étaient point absentes ; peut-être leur sécrétion interne était-

elle suffisante, pour diminuer chez notre sujet les phénomènes de l'in-

suffisance orchidienne.

Il est vraisemblable que dans l'eunuchisme il existe des degrés en

rapport avec l'altération de la fonction de sécrétion interne suivant les

sujets. -

LES PIERRES DE VESSIE EN HOLLANDE

PAR

MM. Louis BOLK (d'Amsterdam) et Lucien MAYET (de Lyon).

Le Musée de l'Institut anatomique de l'Université d'Amsterdam possède

une importante collection de calculs vésicaux.

Celle collection a été formée très anciennement et elle témoigne de l'ex-

trême fréquence de cette affection chez les Hollandais d'il y a un ou deux

siècles. Quelques numéros atteignent un volume véritablement extraor-

dinaire. A ce double point de vue - document et curiosité il y au-

rait un réel intérêt à s'occuper de la collection de « pierres de vessie »

de l'A7aatocaisclc Muséum der Universiteit van Amsterdam... mais l'inté-

rêt en réside surtout en ce fait que certains calculs sont sertis, entourés

de lamelles en métal ou de rubans, de façon à pouvoir être suspendus.

Le plus volumineux des calculs ainsi enchâssés dont nous donnons ici

la photographie est de forme ovoïde. Il mesure 11 centimètres de hauleur et

un peu plus de 7 centimètres de diamètre à sa partie médiane (PI. XXXII).

Sur les lames d'argent qui l'entourent est gravée l'inscription suivante :

« Den 27 december 1588 sterf Jan Jacopsen Dick alias Schot, 'smorgens

te sesure eeven. Deese sten is hem uit syne blase gesnee, den, weegende

een pont en een loot zonder sneven. »

Le 15 décembre 1588, à 6 heures du matin, est mort Jean Jacob Dick

dit l'Ecossais. Cette pierre pesant une livre et une once (420 grammes)

avait été enlevée de sa vessie sans qu'il en ait succombé.

Le plus petit calcul (n° 3) est à peu près sphérique et mesure deux cen-

timètres de diamètre. Il n'est accompagné d'aucune inscription 11 est cer-

clé d'argent et appendu à une chaînette.

Un troisième calcul (n° 2) est entouré de plomb. Sur les laines on lit :

«Elisabeth Fransen oud 52 Jaaren in gestonen gestorven ano 1608 den

6 may op die exdagh's avonds ten 7 uren naat overliven van haar geno-

men dezen steen e wegende 10 loot. »

Elisabeth Fransen agée de 52 ans est morte l'an 1608, le 6 mai, un

mardi, à 7 heures du soir. Après sa mort ce calcul a été pris d'elle, pesant

10 onces (120 grammes).

Nouvelle Iconographie DE la SpLPETRt)ŸRE.

T. XV Pl. XXXII

LES PIERRES DE VESSIE EN HOLLANDE

(L. Bolk et L. Mayet).

LES PIERRES DE VESSIE EN HOLLANDE 279

Le quatrième calcul photographié, est plus volumineux que le pré-

cédent. Il devait appartenir à quelque pauvre diable, car il est simplement

entouré d'un ruban permettant de le tenir suspendu.

Dans quel but les pierres de vessie étaient-elles ainsi conservées ? °

De nombreuses hypothèses sont possibles.

Préservaient-elles ceux qui en étaient détenteurs d'être à leur tour at-

teints de calculs de la vessie ? L'histoire de la médecine nous enseigne,

que de telles superstitions homæopathiques n'étaient pas exceptionnelles

même aujourd'hui, dans bien des cas, elles peuvent être observées.

Etaient-ce des souvenirs de famille, quelque chose comme un brevet de

souffrances d'un parent, d'un aïeul ?

Ou bien encore une réclame pour les chirurgiens qui les accrochaient

dans leur logis ? mais alors pourquoi les enlever même après la mort du

patient ? ' ?

Dans les merveilleuses collections des musées de peinture des Pays-

Bas que nous avons visitées, nous n'avons rien vu s'y rapportant. On sait

pourtant quelle place la médecine et plus particulièrement les scènes de

médecine populaire tiennent parmi les inspirations des peintres de l'école

hollandaise ancienne et l'on se rappelle les très savantes, très humoristi-

ques et très intéressantes études de M. Henry Meige parues ici-même sur

les « Pierres de tête » et sur les « Pierres de venlre » écrites en grande

partie d'après les documents de ces mêmes peintres hollandais.

Nous n'avons pas été beaucoup plus heureux en nous reportant aux

traités et aux ouvrages de médecine des XVIe et XVIP siècles, dans les-

quels les chapitres relatifs à la pierre et aux opérations sur la vessie ont

une étendue qui nous étonne aujourd'hui. La poussière des in-folio et des

in-quarto a été remuée en vain.

Tout ce que nous avons recueilli comme renseignement a été la grande

fréquence des pierres de vessie dans les Flandres et dans les Pays-Bas il

y a quelque deux et trois cents ans.

Aujourd'hui la lithiase rénale et les calculs de la vessie ne sont guère

plus fréquents en Belgique et en Hollande que dans les autres pays. Vu

cette ancienne fréquence des pierres de vessie, les lithotomistes ne man-

quaient pas. Certains allaient de canton en canton exercer leurs latents.

D'autres étaient fixés dans les villes. Chaque cité de quelque importance

avait le sien. C'était une sorte de chirurgien officiel qui avait pour fonction

de « couper les yeux de la vessie », terme qui est la traduction d'une vieille

expression hollandaise qu'on entend encore de temps en temps dans le

langage du peuple des villes et dans le patois rural. On les appelait donc

280 BOLK ET MAYET

« coupeurs d'yeux de vessie » et aussi « trancheurs de pierre », « opérateurs

pour la pierre ».

Peut-être se trouvera-t-il quelqu'un parmi les collaborateurs et les lec-

teurs de la Nouvelle .Iconographie de la Salpêtrière qui pourra donner

l'interprétation du « fait clinique » que nous apportons et qui offre, pen-

sons nous, quelque intérêt. -

Le gérant : P. Bouchez.

16° Année N° 4.

Juillet-Août

CÉCITÉ VERBALE PURE

RAMOLLISSEMENT DE LA RÉGION CALCARINE GAUCHE. DÉGÉNÉRESCENCE

DU SPLENlUM ET DU TAPETUM DU COTÉ DROIT,

PAR

E. BRISSAUD,

Professeur à la Faculté de Médecine de Paris,

Médecin de l'Hôtel-Dieu.

Récemment, à deux reprises différentes, MM. J. Pelnar et VI. Skalicka

on signalé des lésions du bourrelet du corps calleux associées à une dégé-

nérescence du tapetum (1). Cette dégénérescence, dans certains cas, était

même bilatérale, alors que la lésion du splenium coïncidait avec une des-

truction ischémique unilatérale de la région calcarine.

Au Congrès de médecine de 1900, j'avais déjà communiqué un cas de

ce genre, mais seulement sous la forme d'une note. C'est la même obser-

vation que je publie avec les commentaires un peu plus détaillés et les

planches photographiques que j'avais présentées au Congrès. Je ne chan-

gerai donc rien au texte dont j'avais donné lecture.

Les observations anatomo-cliniques de cécité verbale sont encore trop

peu nombreuses, et les explications pathogéniques qu'on en a proposées

sont trop disparates pour que tous les faits susceptibles de jeler quelque

lumière sur ce curieux symptôme ne soient pas soigneusement enregistrés. '

Celui que nous apportons aujourd'hui ne résoudra pas toutes les difficultés

du problème ; il est simplement destiné à faire nombre, et nous l'expose-

rons sans commentaires, c'est-à-dire sans chercher à trancher la double

question encore litigieuse : 1° la cécité relève-t-elle d'une lésion toujours

pariétale ou d'une lésion toujours occipitale ; 2' la lésion est-elle corticale

ou sous-corticale ? 7 .

Les détails de l'observation ne sont malheureusement pas aussi com-

plets que l'eût exigé l'importance des phénomènes cliniques et des cons-

(1) Société de Neurologie de Paris, mars et mai 1902.

xv 19

282 BRISSAUD

tatations anatomo-pathologiques. Le malade n'a pu être étudié que peu de

jours avant sa mort et dans des conditions assez défavorables. Cependant

les quelques renseignements recueillis sont encore de nature à permettre

de tirer de ce cas certaines conclusions très précises.

- Observation.

Cécité verbale ; hémiopie - Ramollissement occipital gauche (région

calcarine) ; dégénérescence du splenivm propagée au tapetum de l'hémisphère

droit.

Adolphe Rap.... est un homme de 57 ans, de moyenne corpulence, à tête

chauve, à barbe blanche. Il porte plus que son âge. Les parents qui l'amènent

à l'hôpital, le 2 janvier, racontent qu'il est un peu bizarre, qu'il ne semble pas

avoir sa raison, qu'il ne reconnaît pas toujours les personnes et les choses, qu'il

ne sait plus parfois du moins se servir des objets usuels. En outre, depuis

cinq jours, Rap... paraît avoir perdu la vue ; il serait, à de certains moments,

dans l'impossibilité de dire s'il fait jour ou s'il fait nuit. Enfin il serait atteint,

depuis plusieurs semaines, d'une diarrhée abondante et pour laquelle il n'a

encore reçu aucuns soins.

Ces renseignements qui, tout de suite, éveillent la supposition d'une cécité

psychique, ne sont pas confirmés par notre examen et notre interrogatoire.

D'abord Rap... n'est pas aveugle; il sait fort bien qu'il fait en ce moment

grand jour ; mais il est hémianopique. Il ne distingue pas les objets qui sont

placés dans la moitié droite de son champ visuel. Quand on lui présente les

mêmes objets à gauche il les voit nettement et les désigne par leur nom. Sa

parole même n'a pas plus d'hésitation que sa pensée. Il s'exprime avec viva-

cité et bonne humeur; sa voix est forte, son langage précis et bien articulé.

L'animation qu'il met à nous répondre tient sans doute à une certaine excita-

tion fébrile. En effet la température est de 39°9 et le pouls est très fréquent.

Et néanmoins Rap... n'éprouve aucun malaise, et il continue de se prêter à no-

tre enquête avec beaucoup d'entrain et de complaisance. Grâce à cette disposi-

tion d'esprit et malgré l'intensité de la lièvre, nous apprenons ainsi de lui-

même qu'il est devenu, depuis un certain temps, complètement incapable de

lire. Il ne voit que « du noir sur du blauc ». On écrit son nom et on le lui pré-

sente ; il répond : « C'est quelque chose que j'ai l'habitude d'écrire... je vois

ce que c'est ; mais c'est bisquant ! je ne peux pas dire ce que c'est t j'ai le mot

sur la langue ! » On lui dit alors « Ecrivez-le vous-même ». Il ne le peut pas,

« parce qu'il ne sait ce qu'il faut écrire ». Puis quand on lui dit : « Ecrivez

votre nom », il prend la plume délibérément et écrit son nom et son adresse

avec la plus grande facilité. Enfin ce nom et cette adresse, il est dans l'absolue

impossibilité de les relire.

Telle est l'observation, que nous reproduisons, malgré ses lacunes, telle

que les circonstances nous ont permis de la recueillir. Le malade était

CÉCITÉ VERBALE PURE 283

entré à l'hôpital tout juste pour y mourir ; et s'il n'avait, pendant vingt-

quatre heures, conservé assez de lucidité pour nous révéler lui-même la

cécité verbale dont il était atteint, la constalation anatomique d'un ramol-

lissement occipital gauche perdait tout intérêt. Or, si incomplète qu'ait

été l'analyse de la cécité verbale, la caractéristique du syndrome ne laisse

rien à désirer.

Le malade avait des bizarreries (nous ne savons pas lesquelles), mais il

était très intelligent, il répondait avec promptitude et précision à toutes

les questions. Il savait écrire et son écriture était facile et rapide. Mais il

était incapable de rien lire, même son propre nom, même lorsqu'il avait

écrit son nom de sa propre main.

Il n'y a rien à ajouter. C'est bien de cécité verbale qu'il s'agissait; et

il faut préciser : cécité verbale et aussi cécité littérale, car le malade ne

faisait aucun effort pour agencer, en les lisant, les lettres dont se compo-

sait son nom. Il ne voyait que du noir sur du blanc, c'est-à-dire que pas

une seule lettre vue n'avait à ses yeux la signification d'un son isolé ; tandis

que toutes les lettres, alors qu'il en traçait lui-même la forme, avaient

conservé leur valeur phonétique.

Au dire des personnes qui avaient accompagné le malade à l'hôpital,

un certain degré de cécité psychique se serait ajouté au moins tempo-

rairement-à à la cécité verbale. Les objets usuels n'étaient plus reconnus,

en tant que destinés à tel ou tel emploi... Ce qui est certain, c'est que

pendant les derniers jours la cécité psychique avait disparu ; et comme

d'autre part, les renseignements spontanément fournis à cet égard ne per-

mettent pas de douter qu'elle ait existé, nous pouvons dès à présent la

considérer comme un de ces phénomènes fugaces, qui troublent par instant

la pureté du syndrome, mais qui ne relèvent pas d'un déficit anatomique

permanent et irrémédiable.

Nous croyons donc avoir le droit de conclure que le syndrome en ques-

tion répond absolument à la définition de la cécité verbale. /'&* Ir,

Il nous reste à préciser la localisation et les limites du ramollisIÛâI ? è' 1

occipital. v ? «

Le ramollissement occupe l'extrémité postérieure de la face interné. :

de l'hémisphère gauche. C'est un ramollissement jauue résultant d'une

ischémie totale datant au moins de plusieurs semaines, peut-être de plu-

sieurs mois. L'écorce et les parties sous-jacentes sont effondrées, et la

méninge n'en peut être séparée qu'avec une grande difficulté (Pl. XXXIII,

fig.B).

A première vue il est indubitable que c'est l'oblitération de l'artère

calcarine qui a entraîné la nécrobiose, car le foyer s'étend à la presque

284 BRISSAUD

tolalité du cuneus, à la partie la plus reculée du lobule lingual et à toute

la longueur de la scissure calcarine elle-même.

Les seules portions du cuneus respectées sont ? 1 le pôle occipital lui-

même; 2°te bord an léi-o -supérieur, sui, toute l'étendue de la scissure

perpendiculaire ou occipitale interne. En avant le ramollissement s'arrête

à l'isthme du cuneus, mais il empiète légèrement sur le cap du lobe carré

à la : base du pli de passage temporo-limbique.

Le foyer du cuneus se confond en bas avec celui du lobule lingual.

C'est un seul et même ramollissement dont l'axe antéro-postérieur est la

scissure calcarine. Les deux tiers antérieurs du lobule lingual sont indem-

nes ; mais le tiers postérieur est anéanti, à tel point que le quatrième sillon

occipito-temporal se termine, en arrière, dans la scissure calcarine

élargie et désagrégée comme une carrière à ciel ouvert. Le lobule fusi-

forme et même la troisième circonvolution occipitale dans leur partie la

plus voisine du pôle sont eux-mêmes légèrement touchés.

La face externe de l'hémisphère gauche (PI. XXXIII, fig. A) serait abso-

lument saine si la décortication de la pie-mère s'effectuait partout avec la

même facilité ; mais on remarque quelques adhérences superficielles et un

peu diffuses dans les régions postérieures de la deuxième circonvolution

pariétale, et de la première temporale. L'examen des coupes fait voir qu'il

ne s'agit là que d'altérations insignifiantes sans aucune profondeur.

Le foyer de ramollissement occupant la presque totalité du territoire

d'irrigation corticale de la calcarine, nous avons pratiqué des sections ho-

rizontales passant par l'axe de la scissure calcarine.

Quant aux fibres blanches qui limitent en dehors la corne occipitale du

ventricule (celles qu'on appelle dans leur ensemble faisceau sensitif ou

radiations optiques) (PI. XXXIV, fig. C, D), elles sont considérablement

réduites d'épaisseur. Il n'en reste que le faisceau le plus externe ou

faisceau longitudinal inférieur, nettement limité en dehors par le faisceau

occipital vertical. Le tapetum et le faisceau optique proprement dit ont

complètement disparu. La coloration du faisceau longitudinal inférieur

parait normale; elle est celle de l'imprégnation de la substance cérébrale

saine par le bichromate de potasse.

La dégénérescence du tapetum est la conséquence nécessaire de la lésion

du gyrus lingualis. Elle s'étend toujours jusqu'au splenium du corps cal-

leux.

Dans le cas actuel nous retrouvons la confirmation de cette règle. Effecti-

vement, à la face interne de l'hémisphère gauche (PI. XXXIII, (ig. B) nous

avions déjà remarqué l'existence d'une tache d'un jaune clair, caracté-

ristique d'une dégénérescence, à la partie la plus reculée du corps calleux.

Cette tache, disposée en forme de croissant, ne pouvait être attribuée à un

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière. T. XV, PI. XXXIII

CECITE VERBALE PURE

(Brissaud).

A. Face externe de l'hémisphère gauche. Pas de lésions du pli courbe ni du lobule du pli courbe.

B. Face interne de l'hémisphère gauche. Ramollissement de la presque totalité du cuneus et du lobule lin-

gual. A la partie postérieure et inférieure du splenium divisé par une section sagittale, on voit une tache claire,

en croissant â concavité antérieure. Cette tache correspond là une lésion dégénérative.

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. XV, pi XXXIV

C, D. Deux coupes horizontales de l'hémisphère gauche (segment supérieur de l'hémisphère). Ces deux coupes, dis-

tantes de quelques millimètres, passent par le fond de la scissure calcarine, en plein foyer de ramollissement. En dehors

du foyer, la corne postérieure du ventricule latéral se prolonge sous l'aspect d'une fente linéaire jusqu'à la pointe

occipitale. En dehors de la fente elle même, le tapetum et les deux faisceaux de la (1 radiation optique » sont d'une

extrême mtncem.

Nouvelle Iconographie de la SALPÊTRIÈRE.

T. XV, PI. XXXV

CÉCITÉ VERBALE PURE

(Brissaud).

F, G. Deux coupes sagittales de l'hémisphère droit. A la partie postérieure du corps calleux on dis-

tingue encore la tache claire du splenium. En avant de cette tache (Fig. G) le trigone a conservé sa

coloration normale.

Masson & Ciel Editeurs

PIW olpne BerthenJ, l'ane

Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.

T. XV, Pl. XXXVI

CÉCITÉ VERBALE PURE

(Brissaiidj.

H, I. Coupes sagittales de l'hémisphère droit pratiquées en dehors des précédentes. La tache

dégénérative du splenium limite de toutes parts l'orifice du ventricule latéral. Les fibres dégénérées

sont donc toutes celles dont se compose le tapetum du côté droit.

Masson & Cu, Editeurs

riiotutyptc litrtliat](1, l'aria

Nouvelle Iconographie DE la SALP$TRtÉRE.

T. XV, Pl. XXXVII

CÉCITÉ VERBALE PURE --

(Brissaud) .

K, L. Deux sections sagittales de l'hémisphère droit pratiquées en dehors des précédentes. La corne

occipitale du ventricule latéral a été largement ouverte par le couteau. Cette cavité est entourée de

fibres dont la coloration claire et la consistance indiquent qu'elles sont dégénérées. Ce sont les fibres

du tapetum, dont les plus internes s'appliquent (Fig. L) sur toute la substance grise du fond de la

scissure calcarine.

Masson & Cie, Editeurs

I`lutopne BerIhauE, Parti

CÉCITÉ VERBALE PURE 285

foyer d'ischémie autochtone. Une section sagittale de l'hémisphère, à un

centimètre du plan médian,démontre qu'il s'agit bien d'une dégénérescence

(PI. XXXIV, fig. E). Outre que le ramollissement du splenium ne peut

être le fait de l'oblitération de l'artère calcarine, puisque cette partie du

corps calleux est irriguée par la cérébrale antérieure, il apparaît avec

évidence, sur la coupe sagittale, que le foyer de la région calcarine est

séparé du foyer de dégénérescence du splenium par le cingulum et le

fascia dentata.

Des coupes macroscopiques pratiquées surI'hémisphèredroit(PI.XXXV,

fig. F, G) permettent de suivre cette dégénérescence du tapetum jusqu'aux

parties homologues de l'écorce de la calcarine du côté opposé. On re-

marque d'abord que la dite dégénérescence n'intéresse que la portion

réfléchie du splenium ; qu'elle laisse intactes les fibres du trigone cérébral ;

qu'elle ne s'étend pas au fascia dentata ; qu'elle respecte la substance

blanche immédiatement sous-jacente à l'écorce de la calcarine et que nous

avons appelée lame festonnée ; enfin qu'elle n'atteint ni la radiation

optique, ni le faisceau longitudinal inférieur de l'hémisphère droit.

La lésion ischémique du lobule lingual, du cuneus, de toute la région

calcarine de l'hémisphère gauche a donc pour conséquence la dégénération

du tapetum gauche et de la radiation optique gauche, et la dégénération

du tapetum du côté droit.

Dans le cas actuel la lésion secondaire des fibres commissurales repré-

sentées par le splenium est seule en cause. Il n'existe aucune lésion des

fibres d'association représentées par le faisceau externe des radiations

optiques ou faisceau longitudinal inférieur.

HALLUCINATIONS DE L'OUÏE

- ALTERNANT AVEC. DES ACCÈS DE SURDITÉ VERBALE

ET D'APHASIE SENSORIELLE

CHEZ UN PARALYTIQUE GÉNÉRAL

LÉSIONS CIRCONSCRITES DE MÉNINGO-ENCÉPHALITE

PAR

PAUL SÉRIEUX et ROGER MIGNOT,

Médecins des asiles d'aliénés de la Seine.

L'étude des formes sensorielles de la paralysie générale a jusqu'ici été

singulièrement négligée malgré l'importance et la fréquence de ces cas.

Nous avons eu récemment l'occasion d'observer un paralytique chez lequel

les symptômes relevant tantôt de l'excitation et tantôt de la paralysie de

certains centres sensoriels ont dominé tout le tableau clinique.

Il s'agissait d'un homme âgé de 41 ans, à intelligence relativement peu

affaiblie, chez lequel un délire de persécution et de grandeur s'était sys-

tématisé sous l'influence de troubles sensoriels d'une activité très grande

(hallucination de l'ouïe, de l'odorat, du goût et de la sensibilité générale).

A diverses reprises, ce délire à base d'hallucinations, qui dura plus de

18 mois, fut brusquement interrompu par des ictus épileptiformes. Consé-

cutivement à ces accès se produisaient des manifestations symptomatiques

diamétralement opposées : aux phénomènes d'excitation (hallucinations de

l'ouïe), qui étaient presque permanents, succédaient brusquement des

symptômes de déficit (surdité corticale, puis surdité verbale).

Ces troubles duraient quelques jours,puis disparaissaient graduellement

et les hallucinations de l'ouïe reprenaient leur activité première. A l'autop-

sie, des lésions de méningo-encéphalite dilTuse, mais présentant des

foyers nettement circonscrits au niveau de la région postérieure, avec une

intégrité relative des régions antérieures, donnèrent l'explication des

symptômes cliniques. Voici d'ailleurs le relevé topographique des lésions

(Voy. Pl. XXXVIII).

Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.

T. XV, PI. XXXVIII

HALLUCINATIONS DE L'OUIE, SURDITÉ VERBALE, APHASIE SENSORIELLE

chez un paralytique général.

LÉSIONS CIRCONSCRITES DE MÉNINGO-ENCÉPHALITE

(P. SJril'/lx et R. )0 ?

HALLUCINATIONS DE L'OUÏE 287

Hémisphère gauche : 1° Exulcérations très légères à la partie antérieure

de la première frontale ;

2° Exulcérations à la partie antérieure de laFq;

3° Exulcérations siégeant sur un pli de passage de la FI à la FI, à la a

hauteur du cap de la F3 ; 1

4° Exulcérations de la F3 au-dessus du cap et au niveau de l'opercule

frontal ;

5° Exulcérations sur le cinquième inférieur de la frontale ascendante;

6° Exulcérations légères au niveau du tiers moyen desT' etc2 qui sont

amaigris;

7° La lésion devient de plus en plus marquée au niveau du tiers pos-

térieur de la 11, et quand cette circonvolution s'infléchit pour former la

circonvolution marginale supérieure,la lésion gagne en profondeur jusqu'à

la substance blanche. Il y a, à ce niveau une large plaque de méningo-

encéphalite d'une intensité exceptionnelle occupant la partie antérieure

et inférieure de la P2, la partie postérieure et inférieure de la P' et l'oper-

cule pariétal.

8° Il existe quelques exulcérations au niveau des circonvolutions fron-

tales à la face interne des hémisphères.

Hémisphère droit : 1° Exulcération très peu accusée à la partie anté-

rieure des F' et F2 ;

2° Exulcération au niveau du cap de la F3 ;

3° La TI est très amaigrie et exulcérée sur toute sa longueur ;

4° Exulcérations sur les deux tiers postérieurs de la T';

5° La T' est notablement atrophiée dans son cinquième postérieur ;

elle est le siège d'ulcérations ;

6° Il existe une large nappe d'ulcérations occupant la circonvolution mar-

ginale supérieure, toute la P2, empiétant sur le quart inférieur de la PA

et l'opercule pariétal ;

7° Exulcérations sur les 0' et 0'.

Cette observation suggère quelques réflexions. Nous n'insisterons pas

sur les symptômes relevant de l'excitation des centres sensoriels ; qu'il

nous suffise de dire que les hallucinations, et plus particulièrement celles

de l'ouïe, étaient d'une intensité et d'une permanence analogues à ce qu'on

observe dans les délires systématisés ordinaires. Les phénomènes de défi-

cit, les troubles aphasiques se sont produits devant nous à quatre reprises,

et, chaque fois, consécutivement à une ou plusieurs attaques épileptifor-

mes. Les deux premiers accès furent caractérisés par une surdité corticale

complète, passagère d'ailleurs, suivie ensuite de surdité verbale pure. Ce

dernier trouble ne dura que deux jours, puis l'audition verbale revint

288 SÉRIEUX ET MIGNOT

progressivement. Dans les deux derniers accès, les troubles de la sphère

du langage réalisèrent le tableau de l'aphasie sensorielle : la surdité verbale

restait le symptôme prédominant, mais elle s'accompagnait de paraphasie

intense, de jargonaphasie, de cécité verbale et de paragraphe. Ces accès,

comme les précédents, furent passagers. Leur durée ne dépassa pas une

huitaine de jours ; les symptômes régressèrent rapidement : d'abord la

cécité verbale et les troubles paraphasiques et, en dernier lieu, la surdité

verbale :

Rares sont les observations de paralysie générale avec troubles de la

sphère du langage pouvant servir à l'étude des localisations (1). Les exul-

cérations produites dans le cas actuel par l'enlèvement des méninges sont

discrètes, au lieu d'être, comme il arrive le plus souvent, diffuses. Dans

l'hémisphère gauche, outre quelques exulcérations peu étendues et peu

profondes des régions frontale et temporale, le cerveau présente une pla-

que de méninge-encéphalite d'intensité exceptionnelle, véritable lésion

en foyer intéressant la région du centre de l'audition : tiers postérieur de

la première temporale et circonvolution supra-marginale. A ce niveau la

lésion gagne en profondeur jusqu'à la substance blanche ; l'enlèvement de

la pie-mère détermine la séparation complète de l'écorce et de la substance

blanche (altération décrite par Baillarger, Rey, Tuczek).

Dans le lobe temporal droit, lésions à peu près symétriques, mais plus

superficielles. L'hémisphère droit pèse 551 grammes; l'hémisphère gau-

che 526. Celte inégalité tient sans doute à une atrophie inégale, le ma-

lade n'étant pas gaucher ; les lésions macroscopiques sont d'ailleurs plus

accusées dans l'hémisphère gauche. L'examen histologique de l'écorce, en

dehors de la lésion en foyer, a confirmé le diagnostic de paralysie géné-

rale : épaississement des méninges, adhérences des méninges à la subs-

tance grise, altérations vasculaires (épaississement et infiltration), périar-

térite ; disparition des fibres tangentielles).

Celte topographie de la lésion est d'accord avec ce que l'on sait sur le

siège du centre de l'audition. Les variations du processus de la méningo-

encéphalite expliquent l'alternance constatée entre les symptômes d'excita-

tion (hallucinations de l'ouïe) et les phénomènes de déficit(surdité verbale).

La prédisposition héréditaire est généralement regardée comme la cause

de l'apparition d'hallucinations au cours de la paralysie générale : pour

nous ces troubles reconnaissent des facteurs plus tangibles, à savoir

la localisation des lésions au niveau de tel centre sensoriel et la

nature de ces lésions. Si on est d'accord pour admettre que des al-

térations ainsi localisées, peuvent, quand elles exercent une action

(1) P.SÉRIEUX, Un cas de surdité verbale chez un paralytique géitéi-al, Société de Neu-

rologie, mars 1900.

HALLUCINATIONS DE L'OUÏE 289

destructive ou inhibitrice, être considérées comme nécessaires et suffi-

santes pour rendre compte des symptômes de déficit (surdité verbale),

pourquoi ces lésions, lorsqu'elles déterminent une action irritative, ne

tiendraient-elles pas alors sous leur dépendance les phénomènes d'exci-

tation (hallucinations de l'ouïe) ? Dailleurs cette interprétation n'est-elle

pas unanimement acceptée quand il s'agit de troubles des centres sensi-

tivo-moteurs ; chez notre malade, nous avons vu ainsi alterner dans le

membre supérieur droit des phénomènes convulsifs et paralytiques évi-

demment dus à l'action tantôt irritative, tantôt inhibitrice (troubles

vaso-moteurs ? ) d'une lésion du même centre.

Les faits de ce genre, considérés actuellement à tort comme exception-

nels, seront plus fréquemment observés quand l'attention aura été attirée

sur eux. L'un de nous a déjà rapporté des exemples de lésions circonscri-

tes de méningo-encéphalite donnant lieu à une symptomalogie spéciale

de la démence paralytique (1). Nous croyons même qu'on est autorisé à

décrire à part une variété sensorielle de la paralysie générale, comprenant les

faits caractérisés par la prédominance des troubles sensoriels et des trou-

bles de la sphère du langage (symptômes d'excitation ou de paralysie) tels

que : aphasie motrice, hallucinations motrices verbales ; hallucinations

de l'ouïe, surdité corticale, surdité verbale pure, aphasie sensorielle;

hallucinations de la vue, hémianopsieetc. Récemment Lissauer et Alzhei-

mer ont réuni les cas de ce genre sous la rubrique de paralysie à forme

atypique. Cette variété symptomatique tient, ainsi que nos observations

tendent à le démontrer, à la prédominance des lésions au niveau de cer-

tains territoires corticaux et plus particulièrement des centres de la ré-

gion postérieure. La lésion elle-même affecte alors parfois des caractères

spéciaux : souvent nettement circonscrits avec séparation complète de l'é-

corce et de la substance blanche (lésion de Baillarger).

Le connaissance de cette variété clinique et anatomo-pathologique de

la paralysie générale est intéressante sous bien des rapports, et surtout

au point de vue du diagnostic. En effet, l'existence d'un délire à base

d'hallucinations et la constatation de symptômes (surdité verbale et apha-

sie sensorielle) habituellement déterminés par des lésions en foyer (ra-

mollissement, etc.), ne doivent pas faire écarter, comme on l'a dit, le dia-

gnostic de méningo-encéphatite diffuse, mais peuvent faire penser à celle

forme sensorielle de la paralysie générale liée à l'existence, au niveau de

la région postérieure, de foyers plus ou moins circonscrits de méningo-

encéphalite d'une intensité peu commune.

(1) P. Sérieux, Hallucinations motrices verbales chez une paralytique générale, Arch.

de Neurologie, 1894, ne 94.

TRAVAIL DU LABORATOIRE DU P' DEJERINE.

HOSPICE DE LA SALPÊTRIERE

ÉTUDE SUR LES LÉSIONS RADICULAIRES ET

GANGLIONNAIRES DU TARES .

PAR a

André THOMAS et Georges HAUSER.

I. Introduction

Depuis l'époque à laquelle Charcot et Pierrot (1872) envisagèrent la lé-

sion primitive du tabes comme une sclérose systématique des cordons pos-

térieurs, un nombre considérable de recherches ont été entreprises, qui

ont élargi le domaine analomo-pathologique de cette affection. Déjà Bour-

don et Luys (1861) avaient attiré l'attention sur l'atrophie des racines pos-

térieures que Vulpian mit plus tard en'relief, en proclamant leur cons-

tance et leur intensité. Les travaux ultérieurs confirmèrent l'opinion de

Vulpian, et, lorsqu'il fut établi que la topographie des altérations médul-

laires correspond très exactement au trajet intra-médullaire des racines

postérieures, trajet établi par l'étude des dégénérescences secondaires

consécutives aux lésions primitives des racines postérieures, par la patho-

logie expérimentale, et par l'embryologie, - on reporta sur les racines

postérieures la systématisation qui avait été reconnue pour la moelle, et

la lésion fondamentale du tabes devint une atrophie primitive des racines

postérieures.

' C'était cependant là une formule trop exclusive, car ce ne sont pas seu-

lement les cordons postérieurs de la moelle et les racines postérieures qui

sont atteints dans le tabes; il y a encore les nerfs périphériques (West-

phal, Pierret, Dejerine, Pitres et Vaillard, Oppenheim et Siemerling,

Nonne, Joffroy et Achard) ; les nerfs cutanés, musculaires, articulaires;

le sympathique (Roux), etc...

L'atrophie des racines postérieures, elle-même, devait être interprétée

de diverses manières : s'agissait-il d'une altération primitive de la fibre

nerveuse, ou d'une altération secondaire due soit à une affection du centre

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 291

trophique, c'est-à-dire de la cellule du ganglion rachidien, soit à une lé-

sion étroitement localisée sur le trajet de la racine ? Dans la plupart des

recherches qui ont eu pour but l'étude du ganglion rachidien, les résultats

furent négatifs ; en tous cas, en raison de l'inconstance ou du peu d'im-

portance des altérations cellulaires, il fallut abandonner l'idée d'une affec-

tion primitive du ganglion, à moins de supposer une lésion purement

dynamique des cellules ganglionnaires (Darier, Babinski). D'autre part, la '

méningite a été signalée fréquemment, et quelques auteurs lui ont accordé

une importance de premier ordre (Sachs, Obersteiner et Redlich, Nageotte) :

elle serait susceptible de produire l'atrophie des racines en les étranglant à

leur entrée dans la moelle (Obersteiner et Redlich), ou en les comprimant

et les écrasant un peu avant leur pénétration dans le ganglion (Nageotte).

Une autre théorie a été soutenue plus récemment par de Massary, qui,

en présence de la dégénération des deux extrémités du neurone sensitif, voit

dans le tabesune affection systématisée du protoneurone centripète ; et

dans le même ordre d'idées, Leyden et Goldscheider comparent le proces-

sus tabétique à celui de la névrite ascendante qui du nerf périphérique

remonte aux racines et à la moelle.

Quoi qu'il en soit, l'atrophie des racines postérieures occupe encore une

place prépondérante dans l'anatomie pathologique du tabes ; et malgré les

travaux récents d'Obersteiner, de Redlich, de Nageotte, on n'est pas fixé

d'une façon définitive sur sa cause, sa pathogénie et sa nature. C'est

pourquoi, disposant d'un matériel assez considérable, nous avons repris

l'étude des racines postérieures, dans leur trajet intra et juxtaganglion-

naire, au-dessus et au-dessous du ganglion ; nous avons été aussi amenés

à étudier le ganglion et à rechercher les altérations cellulaires.

Après avoir exposé les résultats de nos examens, nous verrons si l'en-

semble des faits que nous avons observés vient à l'appui de telle ou telle ,

théorie; si enfin, juxtaposés aux autres lésions du tabes, ils peuvnl,ip'olïs''

conduire à une conception nouvelle du processus tabétique.

II. Schéma anatomique. - Méthode d'étude.

Il n'est pas inutile de rappeler d'abord, très brièvement, le schéma

anatomique du ganglion spinal. Interposé sur le trajet des racines posté-

rieures, le ganglion constitue une petite masse oblongue, allongée suivant

un axe transversal, effilée à ses deux extrémités. La racine postérieure

l'aborde par son extrémité ou pôle central; ses fibres s'y mettent en rap-

port avec des cellules ganglionnaires, dont elles sont le prolongement

central. Les prolongements périphériques de ces cellules se réunissent à

l'autre extrémité du ganglion en faisceaux compacts qui,poursuivant leur

292 THOMAS ET HAUSER

trajet vont, peu après leur sortie ou émergence du pôle ganglionnaire,

s'accoler et se mêler aux racines antérieures, pour former avec elles le

nerf périphérique. Si l'on considère ces dernières fihres comme appartenant t

au système des racines postérieures au même titre que celles qui s'éten-

dent du ganglion à la moelle, on est conduit à diviser au point de vue

topographique le trajet de ces racines en trois portions : une portion sus-

ganglionnaire, de la moelle au ganglion, une portion intra-ganglionnaire,

une portion sous-ganglionnaire très courte qui s'arrête au point d'union

avec.les racines antérieures.

Avant d'aborder le résultat de nos examens,il nous parait indispensable,

pour bien fixer la valeur des termes que nous aurons à employer, de rap-

peler en quelques mots les rapports de la racine postérieure avec les mé-

ninges.

A ce point de vue, la racine postérieure peut être divisée en trois seg-

ments : le premier, voisin de leur émergence médullaire, occupe l'espace

sous-arachnoïdien ; il ne possède qu'une gaine piale ; l'origine du second

segment est marquée par le point où l'arachnoïde (feuillet viscéral) et la

dure-mère se réfléchissent sur la racine postérieure : ses faisceaux chemi-

nent alors à l'abri d'une triple gaine : la pie-mère, l'arachnoïde (feuillet

viscéral), et la dure-mère. Ce deuxième segment s'étend jusqu'au voisi-

nage du ganglion.

Un peu avant de l'atteindre, le feuillet viscéral de l'arachnoïde s'incurve

vers la dure-mère et se soude au feuillet pariétal en constituant un cul-

de-sac séreux circulaire (cul-de-sac arachnoïdien). Dès lors la dure-mère

s'accole plus intimement à la pie-mère ; la distinction cesse en ces deux

feuillets qui tendent à se confondre pour former la racine une enve-

loppe commune. Dans ce troisième segment d'ailleurs très court (8 à 15

millim.) qui s'étend du cul-de-sac arachnoïdien au ganglion, la racine est

entourée d'une gaine fibreuse unique constituée par la dure-mère en

dehors, la pie-mère en dedans, sorte d'épinèvre qui se poursuit sur le

ganglion et le bout périphérique (névrilemne). ,

C'est cette portion de la racine postérieure, dénommée par Nageotte le

nerf radiculaire, qui seraitpour cet auteur le siège de prédilection de lé-

sions interstitielles constantes dans le tabes.

D'autre part, la racine est dans son épaisseur subdivisée en faisceaux

secondaires que séparent des cloisons conjonctives minces, et qui sont in-

dividuellement entourés de gaines conjonctives. Ces cloisons et gaines

conjonctives correspondent au mésonèl're et au périnèvre des nerfs; chaque

périnèvre envoie dans l'intérieur du faisceau qu'il entoure de fines tra-

bécules conjonctives qui pénètrent entre les tubes nerveux et constituent

l'endonèvre.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 293

On comprend donc aisément la signification qui devra s'attacher aux

termes de périnévrite et de endonévrite. Si l'on examine la racine posté-

Fig. 1..

rieuresur des coupes transversales de plus en plus rapprochées du ganglion,

non seulement on voit, dans chacune de ses portions, se modifier, ainsi

que nous venons de le décrire, la disposition des enveloppes communes,

294 THOMAS ET HAUSER

mais on assiste, à partir d'un certain niveau, à la subdivision de ses fais-

ceaux secondaires en fascicules plus petits, qui bientôt se dissocient et

s'écartent au moment de leur pénétration dans le ganglion pour se dis-

tribuer en divers points du parenchyme.

Ces modifications se font assez brusquement dans la dernière portion

de la racine, et sur un trajet de quelques millimètres seulement. Les fibres

jusque là groupées en 3 ou 4 faisceaux se répartissent en un grand nom-

bre-de petits fascicules, séparés entre eux par des fines cloisons (mésonè-

vre), et engainés chacun d'un périnèvre. Par suite, la surface occupée par

la racine postérieure s'accroît insensiblement au voisinage de sa pénétra-

tration.

Nous devons ajouter qu'il y a des variations nombreuses. Ici la racine

postérieure commence à se dissocier assez haut, et donne naissance à de

nombreux fascicules ; là elle reste presque indivise et se sépare, seulement

à son entrée, en quelques groupes. Cette particularité est intéressante à

noter, car l'un des caractères pathologiques du processus inflammatoire

interstitiel que Nageotte a décrit en cette région, lui a paru être l'aug-

mentation de nombre des fascicules. 11 y a évidemment lieu, avant de

formuler cette appréciation, de tenir le plus grand compte des anomalies

possibles dans le groupement des fibres.

Après leur pénétration dans le ganglion, les fibres de la racine posté-

rieure restent encore sur une certaine longueur groupées en petits faisceaux

avant de se disséminer. Il y a la, à l'extrémité interne du ganglion, une

zone étroite plutôt radiculaire que cellulaire et que l'on peut appeler du

nom de pâle ganglionnaire central. Plus loin les fibres se sont épanouies

dans le parenchyme où elles se mettent en relation avec les cellules. Enfin

à l'extrémité opposée elles se rassemblent à nouveau en un volumineux

faisceau qui émerge du pôle périphérique et quitte le ganglion pour se

réunir bientôt aux fibres de la racine antérieure.

Cette brève revue anatomique des racines postérieures dans leur trajet

juxta et intra-ganglionnaire a surtout pour objet de montrer leurs rapports

avec les méninges et le' tissu conjonctif interstitiel ; mais elle nous a servi

en même temps à préciser la terminologie qui sera usitée dans ce travail.

Le schéma ci-joint permet d'ailleurs mieux que toute explication, de se

rendre compte de ces différents points.

Indications techniques.

10 Orientation des coupes. On peut étudier à la fois et le ganglion et

les portions attenantes des racines au moyen de coupes longitudinales.

Ces coupes ont l'avantage, lorsqu'elles sont convenablement orientées,

de placer à la fois sous les yeux le trajet des racines antérieures, celui

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 295

des racines postérieures, et le parenchyme ganglionnaire. Elles permettent

un examen comparatif rapide de ces différentes régions. Pour les pratiquer

avecsuccès il est nécessaire d'avoir, au préalable, bien orienté la pièce.

Le mieux est de séparer le ganglion avec les racines attenantes et de le sec-

tionner à l'état frais suivant son grand axe, en deux moitiés, de façon que

le plan de section passe à la fois par les troncs des racines antérieure et pos-

térieure et du nerf périphérique. Ce procédé a un double avantage : il

favorise la pénétration des réactifs fixateurs et durcissants notamment l'ac-

tion de l'acide osmique si l'on s'adresse à cet agent; puis il facilite l'orien-

tation des coupes au microtome.

Mais à d'autres points de vue, les coupes perpendiculaires sériées sont,

pour l'étude spéciale des racines, préférables. Elles permettent en effet,

d'examiner avec plus de précision l'état des fibres et du tissu interstitiel, ci

un niveau déterminé, et de comparerplus sûrement ces altérations dans les

différents segments des racines et du ganglion. C'est pourquoi Nageotle

conseille d'y avoir exclusivement recours pour l'observation des lésions

localisées qu'il a décrites.

Elles sont d'autre part'indispensables pour l'analyse des lésions histo-

logiques fines, notamment du cylindraxe, difficile à distinguer sur les

coupes longitudinales.

Aussi pour un grand nombre de nos pièces, avons-nous adopté cette

technique. On sectionne le ganglion en deux parties, perpendiculairement

à son grand axe ; ces portions sont soigneusement repérées à l'état frais,

et plus tard incluses et orientées de façon que l'on puisse pratiquer des

coupes transversales sériées de la racine et du ganglion.

2° Méthodes de fixation et de coloration. - Les recherches que nous

avions en vue portant sur deux points différents, les fibres et les cellules,

il fallait s'adresser aux procédés histologiques convenant particulièrement t

à mettre en relief ces divers éléments.

a) Fibres.- Les fibres nerveuses, au moins leur gaine de myéline,sonl

bien mises en évidence par les méthodes Weigert et de Pal, ou encore par

l'emploi de l'acide osmique. Aussi la plupart de nos ganglions après durcis-

sement prolongé dans le liquide de Muller ont-ils été inclus à la celloïdine et

les coupes colorées à l'hématoxyline suivant le procédé bien connu de Wei-

gert-Pal. L'acide osmique employé directement sur les coupes, après dur-

cissement des pièces au bichromate, selon la méthode d'Azoulay ne nous a

donné que de médiocres résultats. -

Employé à titre de fixateur colorant, c'est-à-dire en immergeant le gan-

glion frais dans une solution à 1 0/0 d'acide osmique pendant 24 heures,

il est également peu recommandable, car il se réduit non seulement sur

296 THOMAS ET IIAUSER

les gaines de myéline, mais aussi d'une façon diffuse sur le tissu conjonctif,

les noyaux cellulaires etc. ; et les coupes mal différenciées ne se colorent

plus que difficilement par d'autres réactifs.

En vue d'éviter ces inconvénients el d'augmenter son électivité, nous

avons essayé avec succès un mélange à partie égale de sublimé (en solution

saturée) et d'acide osmique (solution à 1 0/0). Les pièces fraîches, laissées

24 à 48 heures dans ce mélange,-puis lavées longtemps à l'eau distillée,

sont incluses de préférence dans la paraffine. L'acide osmique s'est réduit

électivement sur les gaines myéliniques qui se montrent seules colorées

en brun-noir.

Ces différents procédés, joints à la méthode de Marchi, permettent de

différencier la myéline et d'en déceler les altérations principales (fragmen-

tation, transformation granuleuse, disparition, etc.). Mais ils sont insuffi-

sants, car de la fibre nerveuse ils ne mettent en relief que l'un des éléments

constituants. Or on ne saurait juger de l'état du cylindraxe par les altéra-

tions de la myéline. Si leurs lésions sont, dans la dégénérescence Wallé-

rienne jusqu'à un certain point parallèles, il n'en est.plus ainsi dans cer-

taines atrophies lentes des fibres nerveuses, où le filament nerveux peut

persister longtemps après la disparition de sa gaine myélinique.

On ne saurait donc se dispenser de l'emploi des méthodes destinées à

colorer le cylindraxe. Malheureusement un réactif histo-chimique précis

est encore à découvrir et l'on ne dispose guère que des colorants nucléai-

res ayant une faible affinité pour cet élément.

Le mieux pour cet objet est la coloration en masse de la pièce dans du

picro-carmin vieux (méthode de Forel), après fixation dans le Moutier. Si

l'on fait précéder le séjour dans le picro-carmin d'une imprégnation pen-

dant 10 jours dans le liquide de Marchi, on obtient encore, nous a-t-il

semblé, une meilleure élection sur les cylindraxes. Enfin la fixation dans

le mélange sublimé-osmique, indiquée plus haut peut être avantageuse-

ment suivie d'une immersion de la pièce durant une vingtaine de jours

dans le picro-carmin ; en procédant ainsi, nous avons réussi à différencier

d'une manière convenable et sans autre réactif,les gaines de myéline, le

cylindraxe, et les éléments nucléés.

b) Cellules.- Nous n'avonspu pour l'examen des cellules ganglionnaires

employer que rarement la méthode de Nissl ; car la plupart de nos pièces

avaient subi un séjour prolongé dans le bichromate. Mais cette lacune est

comblée par les travaux de nombre d'auteurs dont les recherches ont préci-

sément eu pour objet l'examen par la méthode de Nissl des ganglions spi-

naux dans le tabes. Nous aurons à discuter pi us loin les résultats et les con-

clusions qu'ils permettent. Mais dès maintenant nous devons dire qu'en

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 297

l'espèce la méthode de Nissl n'est pas indispensable pour l'étude qui nous

occupe.

Les altérations qu'elle décèle sont surtout celles qui peuvent résulter

d'une atteinte légère, aiguë et réparable de la cellule, à moins qu'elles

n'apparaissent à la période tout à fait initiale d'un processus qui aboutira

plus tard à l'atrophie cellulaire.

Or dans le tabes, maladie à évolution chronique et lente, il ne peut

être question, à supposer que la cellule ganglionnaire soit en cause, ni

d'une altération fugace et passagère, ni d'un processus destructif à un

stade initial.

S'agit-il de lésions atrophiques de ces cellules ? Nos méthodes habi-

tuelles de coloration sont alors suffisantes : l'hématéine-éosine, le picro-

carmin, le carmin aluné précisent bien la configuration de la cellule, les

contours et la structure du noyau.

Ce sont aussi les méthodes de choix pour l'étude des lésions intersti-

tiel les et méningées ; en particulier l'emploi de l'hématéine est presque in-

dispensable pour mettre en relief les éléments nucléés, embryonnaires

ou conjonctifs.

Au résumé la technique à mettre en oeuvre doit être assez souple pour

convenir aux divers éléments dont l'examen nous importe, assez simple

pour que la préparation des coupes en séries ne réclame pas un temps ex-

cessif et des manipulations trop compliquées. A ce double point de vue,

la méthode d'imprégnation en masse au picro-carmin possède réellement

une supériorité manifeste et nous l'avons, aussi souvent quepossible,

utilisée.

Il est évident qu'à l'égard des lésions fines 'du cylindraxe, des fibrilles

nerveuses, ou des cellules, les progrès de l'histologie sont subordonnés à

la découverte des méthodes propres à mettre en évidence d'une façon plus

parfaite leurs caractères normaux et pathologiques. Aussi n'avons-nous

pu espérer éclaircir un certain nombre de questions qui, malgré leur im-

portance, resteront sans doute en suspens encore longtemps. ,

III. Observations

Observation I.

Molin..., âgée de 72 ans. Les premiers symptômes du tabes ont débuté

il y a 11 ans et ont consisté en douleurs fulgurantes dans les membres

inférieurs et dans les membres supérieurs, d'abord continues, moins fré-

quentes et moins vives depuis 4 ans. La marche rendue dangereuse par

le dérobement des jambes et l'incoordination progressive est impossible

depuis 4 ans. Etat actuel (1899) : Atrophie musculaire généralisée très

accusée. Incoordination extrême des membres inférieurs et des membres

xv 20

298 ' THOMAS ET HAUSER

supérieurs. Abolition des réflexes patellaires. Retard très notable 'dans la

perception des sensations douloureuses portées sur les membres inférieurs.

Pupilles immobiles à la lumière, mais se contractant dans les mouvements

de convergence. Fond de l'oeil normal. Diplopie passagère à distance. In-

continence des urines. Morte de cachexie le 27 novembre 1899. '

Examen anatomique. Douze ganglions ont été examinés : quatre ganglions

dorsaux,-sept ganglions lombaires essacrés, un ganglion cervical. Ces ganglions

ont été coupés suivant leur grand diamètre, c'est-à-dire longitudinalement ; et

après inclusion à la paraffine ils ont été colorés par la méthode de Weigert, le

picrocarmin, l'éosine et l'hématoxyline. Le premier ganglion dorsal et le sixième

cervical ont été débités en coupes perpendiculaires à l'axe et en série ainsi que

les racines postérieures, depuis leur entrée dans le sac durai jusqu'au delà du

ganglion.

Dans tous ces examens, l'atrophie de la racine postérieure a pu être sui-

vie sur toute la longueur de la coupe, c'est-à-dire depuis son trajet dans le

cul-de-sac arachnoïdien jusque dans le ganglion.

Trajet sus-ganglionnaire. Dans plusieurs cas les racines postérieures

se rendent directement dans le ganglion, sans être deviées dans leur trajet par

des tractus conjonctifs ; d'autres sont subdivisées en fascicules par les cloisons

conjonctives de la capsule ganglionnaire qui remontent plus ou moins haut sur

le trajet de la racine postérieure; la gaine dure-mérienne des racines posté-

rieures et l'arachnoïde sont généralement épaissies, mais en général on ne voit

pas de gros exsudat ou de lésions inflammatoires. Au-dessus du ganglion quel-

ques fascicules radiculaires se renflent ou s'étalent avant de pénétrer dans l'in-

térieur de l'organe.

Dans la traversée du ganglion, les racines se comportent différemment au

pôle central et au pôle périphérique. Au pôle central les racines sont très atro-

phiées, elles sont au contraire normales au pôle périphérique.

Dans leur trajet sous-ganglionnaire, elles sont normales ; cependant dans

un cas celui-ci était partiellement atrophié.

Examen histologique. L'atrophie de la racine postérieure est due la la

disparition ou à l'amincissement d'un grand nombre de gaines de myéline, ' la

plupart des fibres sont réduites à la gaine de Schwann revenue sur elle-même,

dont les noyaux ne paraissent pas sensiblement multipliés. Cette atrophie est

assez irrégulière, en ce sens que les fibres ne conservent pas le même calibre

sur toute leur longueur depuis le cul-de-sac arachnoïdien jusque dans l'inté-

rieur du ganglion ; plusieurs sont plus atrophiées au niveau de leur pénétration

dans le ganglion, tandis que dans leur trajet intra-arachnoïdien, par exemple,

elles sont beaucoup plus volumineuses ; sur les coupes longitudinales il est im-

possible de se rendre un compte exact de l'état du cylindre-axe.

Sur plusieurs racines, et plus particulièrement au niveau de leur pénétra-

tion dans le ganglion ou même un peu au-dessus, les fibres nerveuses sont en

quelque sorte dissociées, plus écartées les unes des autres, et leurs interstices

logent des noyaux assez volumineux et des fibrilles conjonctives, répartis sans

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 299

ordre, disséminés ; ces éléments sont trop peu nombreux pour comprimer les

racines. ' '

La dure-mère est épaissie, de même que les gaines périfasciculaires et les

cloisons. interfasciculaires dans l'espace qui s'étend entre le cul-de sac arach-

Ce ganglion présente dans son tiers interne une volumineuse cavité entourée d'une

membrane kystique et contenant de petits faisceaux de fibres radiculaires frp), et

surtout des amas de globules sanguins occupant un champ considérable (ch).

Fig. 2. - MOLLLN ... (Observ. I). - Ganglion lombaire coupé longitudinalement.

Coloration par la méthode d'Azoulay et le picro carmin.

Zeiss. Obj. 0. var. Oc. 1.

300 THOMAS ET IIAUSEII

noidien et le ganglion ; on n'y trouve que du tissu fibreux adulte plus ou moins

dense ; cependant sur quelques coupes on distingue entre les racines et les

gaines conjonctives, un tissu d'apparence amorphe plus ou moins épais, con-

tenant un plus ou moins grand nombre de noyaux de forme variable, repré-

sentant les uns des éléments embryonnaires, les autres des noyaux des cellules

Bouleversement des Cbres radiculairespar l'inflammation du tissu conjonctif interstitiel.

Orientation en tourbillons. A droite éléments conjonctifs jeunes. Méningite.

Fig. 3. - Mollis... (Observ. I). - 4 Racine dorsale. Coupe transversale,

immédiatement au-dessus du ganglion.

Colorât. Ilématéine-éosine. Zeiss. Obj. a3, Oc. 2.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 301

fixes du tissu conjonctif proliférées ; ce tissu contient par place des trousseaux

fibreux ; il n'existe en tout cas qu'au voisinage du ganglion et ne remonte pas

sur le trajet sus-ganglionnaire de la racine postérieure. De même dans quelques

cloisons interfasciculaires il y a des amas et des infiltrations nucléaires ; quel-

ques infiltrations hémorrhagiques récentes.

Les fibres radiculaires se répartissent en quelques petits fascicules disséminés. Le reste

est occupé par des vaisseaux (v), des tractus fibreux, des faisceaux de tissu conjonctif

adulte, des amas d'éléments nucléés (cellules conjonctives jeunes).Les méninges sont

épaissies, notamment à la partie supérieure de la figure. L'atrophie radiculaire

augmente brusquement, en raison des altérations inflammatoires.

Fig. 4. Mollis... (Observ. I). - Il- Racine dorsale. Coupe transversale, immédiate-

ment au-dessous du cul-de-sac arachnoïdien.

Colorat. à l'hématéine-éosine. Zeiss. Obj. : J.3. Oc. 2.

302 THOMAS ET HAUSER

Dans cette région les vaisseaux sont malades pour la plupart, épaissis, leur

lumière rétrécie ; plusieurs ont subi la transformation hyaline.'

Deux fois, il existait au-dessus du ganglion, une cavité à paroi fibreuse ex-

trêmement épaisse, ayant refoulé en dehors la racine postérieure, ne contenant

ni exsudât, ni amas nucléaires, ni pigment sanguin. Dans un autre ganglion il

existait une cavité remplie de sang occupant à peu près la moitié de l'organe

(voir fig. 2).

Dans la plupart des ganglions lombaires et sacrés il existe, en dehors des

lésions radiculaires, des altérations très notables des cellules nerveuses et des

capsules péricellulaires. Les capsules péricellulaires sont généralement très

épaissies, il y a une multiplication plus ou moins considérable des cellules qui

les composent ; on y remarque même des libres conjonctives en plus ou moins

grand nombre ; ces épaississements capsulaires sont limités à une partie de la

circonférence, ou concentriques. Les cellules sont généralement petites, beau-

coup semblent très nettement atrophiées, réduites à des amas de protoplasma

très pigmenté se colorant mal.Par endroits se détachent des amas de noyaux irré-

guliers concentriques qui correspondent à des capsules vides (PI. LXII, fig. B),

d'autres amas nucléaires sont formés d'éléments embryonnaires, mais ils sont

plutôt rares. Le tissu interstitiel du ganglion n'est pas augmenté. Les vais-

seaux y sont malades, la lumière rétrécie, la paroi hypertrophiée, hyaline, les

noyaux plus nombreux ; sur quelques-uns de ces ganglions, les vaisseaux

paraissent plus nombreux et sont gorgés de sang.

Les racines antérieures sont saines.

L'examen du premier ganglion dorsal coupé perpendiculairement et en

série, et coloré soit par la méthode de Weigert, soit par le picro-carmin ou

l'hémaléine-éosine, donne des indications intéressantes. L'atrophie de la racine

postérieure peut être encore suivie sur toutes les coupes jusque dans le gan-

glion lui-même, mais tandis que dans les coupes passant à peu près au niveau

du cul-de-sac arachnoïdien ou un peu au-dessous les fascicules qui constituent

la racine postérieure sont extrêmement grêles, entortillés et enroulés sur eux-

mêmes (fig. 4), ils augmentent considérablement de volume au voisinage immé-

diat du ganglion (fig. 3) ; au reste, dans toute cette région qui correspond

au nerf radiculaire de Nageotte, les altérations inflammatoires sont extrême-

ment intenses, les vaisseaux sont nombreux et dilatés, on remarque de nom-

breux amas embryonnaires, des cloisons conjonctives de tissu fibreux dense,

le tout concentré dans une gaine fibreuse extrêmement épaissie contenant par

places des proliférations nucléaires. Les fascicules radiculaires sont si petits

et si irréguliers qu'on les distingue difficilement à un faible grossissement

(fit. 4). . ,

Sur les coupes colorées par la méthode de Weigert, les gaines colorées sont

très.rares; en effet la plupart des gaines de myéline ont disparu, les fibres

nerveuses sont réduites à une gaine de Schwann au centre de laquelle, du

moins sur quelques-unes, il existe encore un cylindre-axe extrêmement fin.

Les altérations ganglionnaires sont manifestes, plusieurs cellules nerveuses

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIERE, T. XV. PL. XLII.

A. DELAVACQ... (Observ. VII). Coloration au picro-carmm en masse. (Zeiss Obj. D. Oc. 2.)

Un fascicule de la racine postérieure au voisinage du ganglion.

Le périnèvre, très épaissi, contient un grand nombre de vaisseaux, atteints de dégénérescence

hyaline. A l'intérieur, un vaisseau présente également des tuniques dégénérées. Les fibres nerveuses

sont dissociées par le développement des travées conjonctives qui, en certains points, sont frappées

également de dégénérescence hyaline. Processus d endonévrite très actif.

B. - Mollin... (Observ. I). - Coloration à l'hématéine éosine. (Zeiss Obj. E. Oc. 2.)

Plusieurs étapes de l'atrophie cellulaire.

En bas, : 1 droite : Cellule saine légèrement rétractée dans sa capsule dont les éléments sont à

pou près normaux En bas, gauche : Cellule en voie d'atrophie avec multiplication des éléments

nucléaires de sa capsule. - En haut, à gauche : Même lésion. Cellule réduite à un amas de pigment

H)perplasie de la capsule en couches concentriques. - En haut, droite : Il n'existe plus à la place

de la cellule qu'un nodule de tissu conjonctif. -

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 303

sont atrophiées, quelques-unes réduites à des amas de pigments. Par places

quelques capsules péricellulaires sont très hypertrophiées. Dans le ganglion les

vaisseaux ne sont pas malades. La racine antérieure est normale.

Observation II.

Gillard... 41 ans. Réglée à 13 ans 1/2, elle a été déflorée à cette

époque. Premières douleurs fulgurantes à l'âge de 16 ans ; depuis

elles sont revenues par crises à des intervalles de plus en plus rapprochés ;

les crises d'hystérie ont fait leur apparition à la même époque. A 20 ans,

elle a commencé l'usage de la morphine. En 1882, crises gastriques. En

1888, accentuation des troubles de la marche. En 1895, zona intercostal

(6e espace).

Etat actuel en 1899 : Impossibilité de se tenir debout, émaciation très

prononcée. Atrophie musculaire aux membres inférieurs. Cyphoscoliose

à convexité dirigée du côté droit. Abolition des réflexes rotuliens. Incoor-

dination extrême aux membres inférieurs comme aux membres supérieurs.

Troubles de la sensibilité : retard dans la transmission de la sensibilité à

la douleur. Hyperesthésie extrême de la peau du thorax. Inégalité pupil-

laire. Signe d'Argyll-Robertson. Acuité visuelle diminuée. Diplopie à

plusieurs reprises. Troubles sphinctériens intermittents. Elle succombe à

une congestion pulmonaire avec accidents cardiaques en novembre 1899

Examen anatomique. Nous avons examiné environ 18 ganglions, dont 8

pour la région dorsale, 6 pour la région cervicale, 4 pour la région lombaire.

Tous les ganglions de la région dorsale ont été colorés en masse au picro-

carmin après durcissement prolongé dans la liqueur de Muller. L'inclusion a

été faite à la paraffine et la plupart des ganglions ont été débités en coupes sé-

riées, perpendiculairement à leur grand axe et au trajet des racines. Quelques-

uns cependant ont été coupés dans le sens de la longueur, de façon à présenter

sur une même coupe l'entrée et la sortie de la racine postérieure.

Pour les ganglions de la région cervicale, la coloration en masse au carmin

a été précédée d'une imprégnation pendant 10 jours dans le liquide de Marchi.

Enfin les deux ganglions lombaires ont été colorés directement sur lame par la

méthode Weigert, le picro-carmin et le carmin à l'alun.

Nous passerons successivement en revue dans cet exposé :

1° La topographie des lésions atrophiques des racines postérieures ;

2° L'histologie fine de ces lésions et les altérations constatées sur les cellules

du parenchyme ganglionnaire.

I. Topographie DES lésions radiculaires. Région dorsale infé-

rieure. - L'atrophie des racines postérieures existe dans le bout sus-ganglion-

naire et se poursuit jusqu'au pôle central du ganglion. Elle paraît même plus

accentuée, pour les 10e et ]le racines postérieures, au voisinage immédiat,

qu'à une certaine distance du ganglion.

Avant d'aborder le ganglion, les racines postérieures se divisent en un cer-

304 THOMAS ET HAUSER ,

tain nombre de fascicules séparés, écartés même les uns des autres et entourés

d'une enveloppe méningée commune quelquefois beaucoup trop grande pour

eux, mais qui n'est pas sensiblement épaissie. Il n'existe pas de cloisons con-

jonctives entre les fascicules,ni de tissu conjonctif interstitiel entre leurs fibres.

Les vaisseaux inclus dans les racines postérieures sont nombreux ; leurs

parois sont généralement épaisses et hyalines.

L'altération radiculaire se poursuit dans l'intérieur même du ganglion sur

les fascicules qui après leur pénétration se subdivisent pour rayonner ensuite

dans le parenchyme.

Les racines antérieures sont dans leur parcours juxta-ganglionnaire absolu-

ment normales.

Région dorsale moyenne. - L'atrophie des racines postérieures existe à un

degré analogue. On voit également au voisinage du ganglion ces racines se

dissocier en fascicules bien isolés, mais sans interposition de tissu conjonctif.

Sur des coupes longitudinales les fibres paraissent à ce niveau un peu plus

grêles. Les enveloppes méningées de la racine postérieure sont à peine épais-

sies. Les vaisseaux présentent les mêmes altérations (épaississement et trans-

formation hyaline de leurs tuniques).

L'atrophie peut aussi être suivie jusque dans le ganglion au point où les

fibres se disséminent.

Les racines antérieures restent partout intactes.

Région dorsale supérieure. - Les coupes longitudinales du 2e ganglion

dorsal permettent de voir les racines postérieures à la fois dans leur portion

sus et sous-ganglionnaire; le contraste est très marqué : Au-dessus l'atrophie

est évidente, la plupart des fibres sont réduites à l'état de filaments onduleux

et denses dont les contours assez fortement teintés ne laissent pas apercevoir

de cylindraxes. Dans le bout central du ganglion on rencontre également des

fibres altérées; par contre la majeure partie du ganglion, et les racines posté-

rieures à leur sortie sont indemnes, ainsi que les racines antérieures sur tout

leur trajet.

L'atrophie des racines postérieures jusque dans le ganglion ressort encore

de l'examen des autres ganglions de la région.

Les méninges sont généralement un peu épaissies autour des racines posté-

rieures et l'inflammation porte sur leurs différents feuillets. A ce point de vue

la 3° racine dorsale est normale au voisinage du ganglion. Ce n'est qu'un peu

au-dessus qu'apparaît l'épaississement de l'enveloppe méningée ; cette ménin-

gite est vraisemblablement prédominante sur l'arachnoïde. D'ailleurs l'atrophie

des fibres radiculaires est aussi marquée dans le segment sous-jacent ce qui

montre que la méningite ne peut être mise en cause dans l'explication de cette

atrophie.

Nulle part on ne voit non plus les fibres de racines postérieures séparées

par un tissu conjonctif plus abondant qu'à l'état normal.

Région lombaire. - Les racines postérieures dans leur portion sus-gan-

glionnaire présentent des lésions atrophiques qui se poursuivent également

jusqu'au parenchyme ganglionnaire.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 305

On relève les mêmes caractères que nous venons de signaler : absence de

prolifération conjonctive interstitielle, lésions vasculaires, etc.

L'intégrité des racines antérieures est complète.

Région cervicale. Il n'existe nulle part de lésion appréciable des racines

postérieures. La méthode de Marchi employée pour ces ganglions ne permet

de déceler aucun corps granuleux.

D'une façon générale, aux régions lombaire et dorsale, l'atrophie des racines

postérieures se poursuit jusqu'au ganglion, et dans l'intérieur même du gan-

glion, mais avant qu'elles se soient dispersées, on peut encore reconnaître l'a-

trophie d'un certain nombre de fibres radiculaires. Plus loin, à leur sortie du

pôle périphérique, avant leur union aux racines antérieures, elles ont repris leurs

caractères normaux, ainsi qu'en témoigne notamment l'examen du 2* ganglion

dorsal.

Le degré d'atrophie des fibres radiculaires varie dans de grandes limites sur

l'étendue du segment sus-ganglionnaire que nous avons spécialement envisagée.

11 reste sensiblement égal, ou diminue vers le ganglion ; toutefois à l'inverse

de ce qui semble la règle, les love-11 racines dorsales sont plus atteintes au voi-

sinage immédiat du ganglion qu'à distance.

II. - ETUDE histologique DES lésions. - 1° Lésions des fibres radiculaires.

Voici maintenant en quoi consiste le mode d'altération des fibres. Sur des

coupes transversales, les fascicules qui constituent les racines postérieures ont

un aspect général moins homogène qu'à l'état normal.Cet aspect est dû à la pré-

sence d'un certain nombre de fibres altérées dans leurs parties constituantes.

Ces fibres sont en proportion un peu variable suivant le fascicule envisagé..

La lésion la plus évidente porte sur la gaine de myéline qui a perdu sa réfrin-

gence, son aspect strié concentriquement, et ses contours bien limités. Elle est

généralement très réduite de calibre, et son amincissement est mis en relief

par la taille du cylindraxe qui y est encore inclus. Sur un bon nombre de fibres,

elle disparaît même complètement. Parfois enfin la myéline a pris une teinte

rose sale qui se confond avec celle du cylindraxe.

Dans ces fibres altérées le cylindraxe persiste généralement. Il peut même

garder son aspect morphologique et son calibre habituel. Rarement on le trouve

hypertrophié ; il est plutôt atrophié ; mais surtout, il acquiert une réfringence

anormale, un aspect un peu vitreux, parfois un aspect fibrillaire. Enfin il peut

aussi disparaître ainsi que l'atteste la présence d'uu certain nombre de gaines

vides, où la gaine de Schwann persiste seule, autour d'un petit espace lacunaire ;

globuleux.

La gaine de Schwann semble parfois épaissie ; on ne peut affirmer, avec la

coloration employée, que ses noyaux conjonctifs ont proliféré ; mais sur les

coupes longitudinales les fibres ont l'aspect de filaments à paroi épaissie, forte-

ment teintée en rouge.

Les fibres altérées se disposent irrégulièrement; souvent elles ont tendance

à se grouper autour des fibres normales, en sorte que celles-ci se trouvent sé-

306 THOMAS ET HAUSER

parées l'une de l'autre par des amas irréguliers d'éléments malades. Les amas

en forme de croissant, d'anneau ou de placards prennent en leur ensemble une

coloration rouge foncé, homogène. Quelques-uns sont nettement constitués par

une agglomération de fibres altérées dépourvues de myéline (cylindraxes nus ou

gaines vides).

Ailleurs les fibres altérées sont plongées et noyées dans une substance

grenue, anhyste plus ou moins abondante, qui est probablement le reliquat de

leur désintégration moléculaire. En certains points même ces résidus proto-

plasmiques semblent dépourvus d'éléments nerveux, ou les masquent en tous

cas au point qu'on n'en distingue qu'avec la plus grande difficulté. On conçoit

combien cette altération rend difficile l'évaluation du nombre des fibres ner-

veuses conservées.

A côté de ces lésions parenchymateuses nous avons cherché avec soin, sans

en rencontrer nulle part, des lésions conjonctives interstitielles. De l'enveloppe

méningée périradiculaire, à la vérité assez épaissie, on ne voit émaner aucune

cloison conjonctive séparant les fascicules. Les fibres ne sont jamais séparées

par des filaments conjonctifs. A ce point de vue le résultat est invariable à

proximité et à distance du ganglion.

Les vaisseaux contenus dans les racines postérieures sont généralement

lésés : leurs tuniques sont épaissies et hyalines ; ils sont peut-être aussi plus

nombreux. Dans les racines antérieures au contraire les vaisseaux paraissent

indemnes.

En résumé l'atrophie des fibres radiculaires postérieures porte ici principa-

lement sur la gaine myélinique qui perd ses caractères morphologiques et histo-

chimiques et se réduit peu à peu au point de disparaître, tandis que le cylin-

draxe persiste d'abord à l'état nu, mais peut aussi finalement se détruire. Ce

processus très lent donne lieu à des produits de désintégration qui ne sont que

lentement résorbés.

2° Lésions cellulaires. - Les altérations du parenchyme ganglionnaire

n'existent qu'aux régions dorsale et lombaire. Elles sont aux différents niveaux

tout à fait comparables dans leur nature et leur intensité. Disons immédiate-

ment que la plupart des cellules ganglionnaires présentent un aspect normal.

Elles sont à peine rétractées; leur taille et leur configuration ne s'écartent pas

de la règle. Le noyan, bien centré, a ses caractères habituels, ainsi que le pro-

toplasme, teinté de façon homogène par le carmin.

En outre leur capsule conjonctive se compose d'un seul rang de cellules

allongées, conformément à l'état normal.

Mais il existe un certain nombre de cellules manifestement anormales. La

principale altération consiste dans la prolifération des noyaux de leur capsule,

qui forment autour du globe cellulaire une véritable couronne d'éléments nu-

cléés. Ces éléments comprennent des noyaux bien arrondis, assez gros, vési-

culeux avec une couche fort mince de protoplasma. En certains points ils sont

assez nombreux pour constituer un amas de la taille d'une grosse cellule gan-

glionnaire dont il semble qu'ils aient pris la place. Ce qui paraît justifier cette

déduction c'est que parfois au centre d'un de ces amas on peut distinguer un

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 307

résidu protoplasmique déchiqueté, irrégulier ayant vraisemblablement appar-

tenu à une cellule ganglionnaire atrophiée. De telles figures sont relativement

trop fréquentes, sur les préparations pour être regardées comme l'effet d'une

coupe dirigée tangentiellement à un pôle de la cellule. Ce sont des aspects pa-

thologiques dus non pas à l'agglomération d'éléments embryonnaires comme on

peut en rencontrer dans quelques cas, mais à la multiplication des noyaux

conjonctifs de la capsule et à l'atrophie concomitante de la cellule ganglionnaire.

Ils sont très comparables à ceux que nous a montré l'examen du cas précé-

dent et qui sont représentés sur la planche XLII (fig. B).

Il nous paraît probable d'après l'examen d'un grand nombre de coupes qu'une

partie des cellules ganglionnaires est aussi en voie d'atrophie et de disparition.

Il est à noter que le tissu conjonctif fascicule n'est cependant pas plus abon-

dant qu'à l'état normal dans le parenchyme ganglionnaire : ou ne voit pas les

cellules entourées d'un anneau fibreux épais ; il n'y a pas d'épaississement de

la capsule du ganglion ni du tissu conjonctif interstitiel.

Enfin on peut rencontrer quelques vaisseaux dont les tuniques présentent

les mêmes altérations (épaississement et transformation hyaline) que dans les

racines postérieures.

Résumé. - L'examen de ce cas nous montre les racines postérieures atro-

phiées dans leur portion sus-ganglionnaire .et même dans le parenchyme du

ganglion voisin de leur point de pénétration. Au contraire, lorsqu'on peut les

suivre à leur émergence et dans leur portion sous-ganglionnaire on les voit

reprendre leur aspect normal.

La coloration en masse au picro-carmin, particulièrement favorable à l'étude

des lésions fines de la fibre nerveuse, met en relief ici la modalité et le proces-

sus de l'atrophie radiculaire : atrophie lente portant d'abord sur la gaine de myé-

line et respectant longtemps le cylindraxe. Plus tard altérations d'un certain

nombre de cylindraxes, dont quelques-uns finissent par disparaître (gaines

vides), mais conservation d'une partie de ces éléments à l'état nu ou revêtus

d'une enveloppe conjonctive (gaine de Schwann).

L'évolution de ce processus s'accompagne de lésions vasculaires et d'un léger

épaississement des méninges autour des racines postérieures, mais nulle part

on ne rencontre une proportion exagérée du tissu conjonctif autour des

fascicules ou dans les interstices des fibres.

Corrélativement à ces lésions radiculaires, quelques cellules ganglionnaires

ont disparu en partie ou en totalité, et leur capsule conjonctive présente une

multiplication de ses noyaux qui d'abord forment à la cellule une couronne

assez dense, puis finissent par se substituer à elle.

Observation III.

Bliem..., âgé de 61 ans. Tabes ayant débuté à 41 ans par- des troubles

sphinctériens transitoires. Quatre ans plus tard survinrent des dou-

leurs fulgurantes d'abord localisées aux membres inférieurs, puis ga-

gnant les membres supérieurs. A 50 ans, la vue baissa assez rapidement

308 . THOMAS ET HA USER

et dans l'espace d'un an, la cécité devint complète. A cette époque elle

marchait encore très bien,mais dans les 2 ou 3 années qui suivirent, elle eut

plusieurs fois du dérobement des jambes, puis la faiblesse et l'ataxie en-

vahirent progressivement les membres inférieurs et quatre ans plus tard,

c'est-à-dire à l'âge de 57 ans, la marche était devenue impossible. Dans

les 8 dernières années, des troubles des réservoirs sont réapparus : inconti-

nence, puis rétention incomplète, et enfin de nouveau incontinence. En

1897 elle entre à la Salpêtrière. Etat actuel : incoordination extrêmement

accentuée aux membres inférieurs, force musculaire normale. Incoordina-

tion légère des membres supérieurs. R"é(]exes fibrillaires et plantaires

abolis. Incontinence des urines et des matières. Cécité totale. Disparition

des réflexes pupillaires à la lumière et à l'accommodation. Altérations très

nettes de la sensibilité superficielle et profonde, du sens musculaire, de

la notion de position, etc.

Examen anatomique. - Cet examen a porté sur quatre ganglions dorsaux,

deux ganglions lombaires, trois ganglions sacrés, deux ganglions cervicaux.

Les coupes longitudinales, ont été colorées par la méthode de Weigert-Pal,

par le carmin, l'éosine et l'hématéine.

Les lésions que nous avons trouvées sur les ganglions dorsaux, lombaires et

sacrés sont très comparables entre elles et c'est par eux que nous commence-

rons cette étude.

Dans tous les cas,la racine postérieure est atrophiée sur tout son trajet, jusque

dans le ganglion (fig. 5). Dans sa portion sus-ganglionnaire, la racine posté-

rieure est en- général difficile à suivre, en raison de l'épaississement considéra-

ble des cloisons conjonctives qui dissocient la racine postérieure en fascicules

d'autant plus nombreux qu'elle se rapproche davantage du ganglion (au niveau

du nerf radiculaire). La dure-mère et la capsule ganglionnaire (au niveau

de la pénétration de la racine postérieure) sont extrêmement épaissies. Malgré

cela, sur quelques coupes,il est possible de suivre très nettement quelques fasci-

cules radiculaires, depuis l'arachnoïde jusqu'à l'intérieur du ganglion et cela

sans qu'ils soient déviés ou interrompus dans leur trajet par des tractus con-

jonctifs. Dans la traversée du ganglion, les racines postérieures se comportent

très différemment suivant qu'on examine le pôle central ou le pôle périphéri-

que. Dans le pôle central les racines sont au moins aussi atrophiées que dans

leur trajet sus-ganglionnaire; dans le pôle périphérique elles sont au contraire

absolument saines : sur les coupes colorées par la méthode de Weigert-Pal, le

contraste saute aux yeux, à un simple examen à l'oeil nu, entre l'aspect pâle

du pôle médullaire, et la coloration foncée du pôle périphérique.

Dans leur portion sous-ganglionnaire, les racines sont absolument normales.

Le tissu interstitiel et la gaine du nerf ne présentent rien de particulier à si-

gnaler.

Tels sont l'aspect général et la topographie des lésions : quelle en est la

nature ? ` ?

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 309

L'atrophie de la racine postérieure est due à la disparition d'un nombre

considérable de gaines de myéline ; celles qui persistent sont extrêmement rê-

les, quelques-unes au contraire paraissent hypertrophiées, parmi celles-ci il en

est, qu'après un examen à un plus fort grossissement, on voit s'amincir leurs

Dans le bout central aes racines postérieures et le poie centrai uu ganglion les uuic.)

ont presque entièrement disparu. Elles reparaissent à l'autre extrémité du ganglion

et dans le bout périphérique de la racine (rp b.p). Racine antérieure normale.

I'ig. 5. - BLI&\(.. (Observ. 111). - 3 ganglion sacré coupé longitudinalement.

Colorât, par la méthode de Pal.- Zeiss. Obj. 0. var. Oc. 2.

310 THOMAS ET IIAUSER

deux extrémités, de sorle que ce sont des fibres très irrégulières, de calibre

variable, alternativement fines et grosses.

.La majorité des fibres est réduite à une gaine de Schwann, sur laquelle se

détachent des noyaux allongés ; ceux-ci paraissent beaucoup plus nombreux

sur la racine postérieure que sur la racine antérieure, cette apparence est due

en partie au tassement et au rapprochement des fibres atrophiées dans la racine

postérieure, mais il y a là plus qu'une apparence, et il est évident que les

noyaux sont plus nombreux dans les racines postérieures que dans les racines

antérieures. Quant il l'état du cylindre-axe, il est en quelque sorte impossible

de s'en rendre compte sur les coupes longitudinales. Les fascicules radiculaires

ne sont pas pour la plupart, pénétrés par le tissu conjonctif qui les engaine

quelquefois de si près : de sorte que l'atrophie de la racine postérieure se pré-

sente comme une atrophie simple, sans endonévrite.

La portion juxta-ganglionnaire de la racine postérieure est particulièrement

intéressante par l'épaississement de la dure-mère, l'importance du tissu inter-

fasciculaire et des cloisons conjonctives, la prolifération nucléaire, les altéra-

tions vasculaires (Voir PI. XXXIX).

La dure-mère est en effet extrêmement épaissie et d'autant plus qu'on l'exa-

mine dans des plans plus rapprochés du ganglion. Le tissu conjonctif s'y pré-

sente sous l'aspect de faisceaux extrêmement épais, souvent homogènes, d'o-

rientation très variée surtout dans la profondeur vers les racines. Les

vaisseaux y sont assez généralement nombreux, mais beaucoup ont une paroi

très hypertrophiée; plusieurs sont oblitérés, d'autres ont subi la dégénéres-

cence calcaire,'on y voit encore des capillaires entourés de nombreux noyaux,

ou des amas embryonnaires dont les rapports avec un vaisseau ne peuvent pas

toujours être établis. On distingue enfin des foyers hémorragiques récents, il

est rare que l'on trouve du pigment sanguin indiquant un processus hémor-

ragipare ancien.

L'arachnoïde est également épaissie et le siège d'une inflammation chro-

nique.

Les lames conjonctives qui forment le périnèvre de chaque fascicule et

les cloisons conjonctives inter-fasciculaires présentent des altérations très

analogues; les noyaux forment des amas ou sont infiltrés irrégulièrement entre

les faisceaux du tissu conjonctif : les uns sont ronds, les autres allongés, il

n'est pas douteux qu'il n'y ait des infiltrations embryonnaires et des proli-

férations des cellules conjonctives. Les cloisons sont très irrégulièrement dis-

tribuées sur le trajet de la racine postérieure et orientées sans ordre, ce qui

explique la course irrégulière et sinueuse des racines postérieures.

Mais ce n'est pas tout : entre les racines postérieures et les gaines fibreuses

formant leurs cloisons on découvre souvent un tissu d'épaisseur variable,

comme coulé entre ces deux éléments. Il a un aspect amorphe et il est pénétré

par places par des faisceaux conjonctifs épais, homogènes, très analogues à

ceux qui ont été décrits précédemment.

Voyons maintenant les rapports généraux des racines postérieures avec la

dure-mère et les cloisons conjonctives. Tout d'abord, comme nous l'avions in-

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XV. PL, XXXIX

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES

(Thomas et Hauser.) '

BUEM... (Observ. III). - Coloration par la méthode de Pal et le picro-carmin. (Zeiss. Obj. a'. Oc. 2.)

5e ganglion lombaire au voisinage de la pénétration des racines postérieures.

Diminution du nombre des fibres à myéline des faisceaux radiculaires. Inflammation du tissu conjonctif de soutien; amas

nucléaires, masses conjonctives hyperplasiées autour des fascicules (épinévrite et périnévrite).

Masson ET Ciel') Éditeurs.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 311

diqué précédemment, nous rappellerons que les altérations font presque com-

plètement défaut autour de quelques fascicules radiculaires, mais ce n'est pas

le cas le plus habituel : d'autres fascicules sont dès la sortie de l'arachnoïde

engainés de dedans en dehors, par une sorte d'exsudat d'épaisseur inégale et par

un anneau fibreux très dense appartenant aux méninges ou aux cloisons qui en

dépendent, et ils conservent cette disposition jusqu'au ganglion, au voisinage

duquel ils sont dissociés par de nouvelles cloisons en fascicules plus petits. Le

tissu inflammatoire est variable comme importance, étant le plus abondant sur

certaines coupes immédiatement au-dessous du cul-de,-sac arachnoïdien, sur

d'autres au voisinage du ganglion ; dans ce cas les fascicules radiculaires restent

libres sur une grande partie de leur trajet; quelquefois il fait complètement

défaut et le fascicule radiculaire n'est séparé de l'anneau fibreux que par des

noyaux disposés en plusieurs couches, les uns arrondis et réguliers, les autres

allongés. Sur quelques fascicules la gaine est directement accolée sur la racine

sans espace libre entre eux, sur d'autres l'accolement est moins intime.

A part l'atrophie de la racine postérieure qui peut être poursuivie jusque dans

le pôle médullaire,le ganglion rachidien ne présente pas d'altérations importan-

tes ; les cellules y paraissent un peu plus petites, comme atrophiées, et même

un peu moins nombreuses, quelques capsules sont épaissies avec des cellules

nombreuses proliférées, mais ces altérations sont bien peu de chose à côté des

altérations considérables des racines postérieures. Nous n'insisterons pas sur

la pigmentation des cellules. On découvre exceptionnellement quelques petits

amas embryonnaires.

Les racines antérieures correspondantes ne sont pas atrophiées ; mais la

gaine est épaissie, les noyaux souvent proliférés au contact de la racine ; ce

sont des noyaux arrondis ou allongés ; il existe aussi quelques amas nucléai-

res, disposés en long, dans l'intérieur de la racine ; ces altérations apparais-

sent le plus souvent dès sa pénétration dans la gaine dure-mérienne et s'atté-

nuent au moment où elles côtoient le ganglion. Les fibres nerveuses ne sont

nullement dégénérées, elles se colorent intensivement et elles ont conservé

leur calibre.

Les 6e et 8e racines cervicales sont saines ; cependant sur le trajet supra-

ganglionnaire de la 8° racine cervicale, le périnèvre des fascicules et le tissu

interfasciculaire sont proliférés et épaissis.

Observation IV.

Pall... 55 ans (1). Tabes remontant à plusieurs années à marche lente.

Signes classiques. Incoordination des membres inférieurs. Abolition des

réflexes lumineux. Exophtalmie. Pas d'atrophie musculaire. La malade

était alcoolique et a eu plusieurs fois des accès de delirium tremens. Dans

les derniers mois elle était devenue gâteuse. Mort subite en mai 1901.

Examen anatomique. - Huit ganglions ont été examinés après coloration par

(1) Nous n'avons pu avoir des renseignements complets sur cette malade.

312 Tn011fAS E'r nAUSER

les méthodes de Weigert et de Pal, l'éosine et l'hématoxyline, le picro-car-

miu, etc..

Premier ganglion lombaire gauche, coupé longitudinalement.

Dans toute l'étendue de sa portion sus-ganglionnaire (portion intra-

arachnoïdienne et région de Nageotte) la racine postérieure n'est pas mani-

festement atrophiée.

Dans le trajet ganglionnaire et sous-ganglionnaire, la racine postérieure est

absolument normale. En réalité,- il n'existe pas de différence appréciable entre

les deux pôles du ganglion.

Les méninges sont légèrement épaissies.

Dans la région de Nageotte, le périnèvre des fascicules et le tissu conjonctif

lllter-fascicniaire sont épaissis, par endroits c'est surtout du tissu conjonctif

adulte, ailleurs ce sont des amas nucléaires, avec du pigment sanguin ou des

foyers hémorragiques. Les vaisseaux sont pleins, leur lumière rétrécie, plu-

sieurs ont subi la transformation calcaire.

Sur les coupes coloriées par l'éosine et l'hématoxyline, les noyaux des gaines

de Schwann sont un peu plus nombreux par places sur la racine postérieure,

au-dessus du ganglion.

Le ganglion ne présente rien de particulier à signaler : les cellules nerveu-

ses et les capsules péri-cellulaires sont normales : il existe quelques petits amas

d'éléments embryonnaires : les vaisseaux ne sont pas très altérés.

Racine antérieure normale.

- Deuxième ganglion lombaire gauche (coupé longitudinalement).

Dans la portion sus-ganglionnaire et le pôle central du ganglion la racine pos-

térieure est légèrement atrophiée; elle contient moins de fibres à myéline, et,

sur quelques coupes, celles-ci paraissent même moins nombreuses il l'entrée

dans le ganglion, que dans des plans plus rapprochés de la moelle, et par place

les noyaux de la gaine de Schwann paraissent plus nombreux et plus tassés.

Dans le pôle périphérique du ganglion et la portion sous-ganglionnaire, la ra-

cine postérieure est normale.

La dure-mère et l'arachnoïde ne sont pas très enflammées.

Au niveau du nerf radiculaire, les gaines périfasciculaires, le tissu interfas-

ciculaire ne sont pas notablement épaissis, mais entre la périnèvre et le fasci-

cule il existe un tissu amorphe contenant des noyaux qui se colorent irrégu-

lièrement par l'hématoxyline. Dans les cloisons conjonctives qui séparent les

fascicules on remarque encore quelques foyers hémorragiques récents. Les

vaisseaux sont nombreux, proliférés, leur paroi est épaissie, volumineuse, hya-

line.

Ganglion normal.

Autour de la racine antérieure, il existe des lésions de périnévritc analogues

à celles qui ont été décrites pour la racine postérieure, mais elles sont moins

intenses et cessent au niveau du ganglion.

- Quatrième ganglion lombaire gauche (coupé longitudinalement).

La racine postérieure est atrophiée dans sa portion sus-ganglionnaire et

dans le pôle central du ganglion, normale dans le pôle périphérique du gan-

LÉSIONS RVDICULAIRËS ET GANGLIONNAIRES DU TABES 313

glion et la portion sous-ganglionnaire. Elle a un trajet irrégulier en raison de

l'épaississement du tissu- péri fascicu lai re et interfasciculaire dans la région de

Nageotte; entre les fascicules et leur périnèvre, il existe des amas nucléaires

en assez grand nombre ; les vaisseaux sont malades, leur paroi hypertrophiée

ou calcaire. Au-dessus les méninges ne sont pas très malades.

L'atrophie de la racine postérieure n'est pas très accentuée, elle contient

encore un assez grand nombre de fibres à myéline.

Le parenchyme ganglionnaire et la racine antérieure sont normaux.

Cinquième ganglion lombaire gauche (coupé transversalement).

L'atrophie de la racine postérieure peut être suivie sur toutes les coupes

jusque dans le ganglion, tandis que dans le pôle périphérique du ganglion et la

portion sous-ganglionnaire, la racine postérieure est normale.

L'atrophie n'est pas très prononcée, et il subsiste encore beaucoup de fibres

à myéline. Les noyaux sont plus nombreux sur les coupes de la racine posté-

rieure que sur celles de la racine antérieure.

Les méninges sont épaissies, et en particulier la dure-mère, qui présente

sur sa face interne et sur sa face externe, ainsi oue dans sa profondeurde

nombreuses traînées nucléaires.

Dans la région de Nageotte, il existe des altérations intenses de périnévrite,

caractérisées par des proliférations nucléaires et des amas embryonnaires au-

tour des fascicules ; l'endonèvre est légèrement enflammé à la périphérie de

chaque fascicule. Le tissu interfasciculaire est également épaissi.

Les petits vaisseaux sont malades, leur paroi hypertrophiée, quelques-uns

sont oblitérés, plusieurs ont subi la dégénérescence calcaire. La racine anté-

rieure est également entourée d'un périnèvre épais, elle contient des amas

nucléaires et des vaisseaux malades.

Dans les ganglions, il existe quelques amas nucléaires et quelques capsules

épaissies, mais la plupart des cellules sont normales.

- Troisième ganglion lombaire droit (coupé longitudinalement). (Fig, 6).

La racine postérieure est très atrophiée dans toute sa portion sus-ganglion-

naire et dans le pôle central du ganglion, mais dans le pôle périphérique et au-

dessous du ganglion elle est normale.

L'atropliie de la racine postérieure est due à la disparition de la plupart des

gaines de myéline ; les noyaux des gaines de Schwann semblent proliférés

(Voir.fÉ.), mais il faut tenir compte aussi du tassement des éléments. n'existe

pas d'endonévrite. Sur toute l'étendue de la coupe, la dure-mère est légèrement

épaissie et contient par places des infiltrations embryonnaires. L'arachnoïde

et la dure-mère sont légèrement épaissies, mais on n'y découvre guère de

traces de lésions inflammatoires.

Dans la région de Nageotte, les altérations de périnévrite font défaut.

Dans le ganglion, plusieurs cellules paraissent petites, atrophiées, quel-

ques capsules péri-cellulaires sont épaissies. On distingue des amas nucléaires

représentant les uns des proliférations capsulaires, les autres des amas embryon-

naires. Sur le trajet de la racine antérieure, au niveau de la région de Nageotte,

xv 21 t

314 ' THOMAS ET IIAUSER

on voit des traînées de noyaux, les uns ronds, les autres allongés, disposés soit

au centre, soit à la périphérie du faisceau radiculaire. Les vaisseaux sont éga-

lement malades, leur lumière rétrécie, quelques-uns oblitérés ; malgré cola

la racine.antérieure n'est nullement dégénérée. Ces lésions ne descendent pas

au-dessous du ganglion.

Les racines postérieures sont remarquables par l'abondance des éléments nucléaires

qui y sont disséminés. Cet aspect correspond à une dégénération intense des fibres

radiculaires.

A côté, les racines antérieures saines paraissent beaucoup plus pâles. On note quel-

ques infiltrations nucléaires sur leur trajet.

Fig. 6.- PALL... (Observ.IV).- 3° ganglion lombaire droit coupé longitudinalement.

Coloration à ! 'h6nna.téino. Zeiss. Obj. 0', Oc.2.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIERE.

T, XV, FL, XL,

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES

(Thomas et Hauser.)

PALL... (Observ. IV). - Coloration par la méthode de ,Veigert-Pal. (Zeiss. Obj. a'. Oc. i.)

A. - 4e ganglion lombaire droit. Coupe des racines antérieure et postérieure

immédiatement avant leur pénétration dans le ganglion, '

La racine postérieure est subdivisée en un grand nombre de fascicules, dont la plupart des fibres à

myéline ont disparu. Lésions conjonctives : épinévrite et périnévrite intense. Les racines antérieures,

en haut sur la figure, sont saines.

13. - Mêmes racines à leur sortie, au-dessous du ganglion.

Tout à fait normales, aussi bien les racines pustérieures (à droite), que les racines antérieures.

Ces deux coupes montrent combien diffère l'aspect des racines postérieures avant et après leur

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 315

Quatrième ganglion lombaire droit (coupé perpendiculairement) (PI.XL,

fig. A et B).

La racine postérieure est atrophiée dans toute sa portion sus-ganglionnaire.

Un peu au-dessus du ganglion elle est dissociée en de nombreux fascicules par

un tissu fibreux très dense formant un périnèvre épais autour de chaque fasci-

cule. Le tissu inter-fasciculaire est également très riche en faisceaux fibreux.

Dans le pôle central du ganglion la racine postérieure est également atrophiée,

tandis que dans le pôle périphérique et dans la portion sous-ganglionnaire elle

redevient absolument normale.

Sur les coupes de la racine postérieure, on remarque que la plupart des

fibres à myéline ont disparu, mais il y en a un certain nombre qui ont été

respectées ; sur les coupes passant par la région de Nageotte et un peu au-

dessus, les noyaux et le tissu conjonctif sont proliférés et dissocient les élé-

ments nerveux : par conséquent, à côté des lésions parenchymateuses il existe

un certain degré d'endonévrite ou de névrite interstitielle.

La dure-mère est extrêmement épaissie ; sur toute l'étendue du sac durables

vaisseaux sont malades leur paroi est épaissie ; quelques-uns sont entourés de

traînées ou d'amas embryonnaires.

L'arachnoïde est également enflammée, épaissie par places. Immédiatement

au-dessous du cul-de-sac arachnoïdien, la racine postérieure est engainée par

un tissu d'aspect amorphe, contenant cependant quelques noyaux et quelques

faisceaux conjonctifs, tissu qui fait place plus bas aux riches faisceaux fibreux

qui encerclent chaque fascicule.Par conséquent il existe des altérations de péri-

névrite.

Le ganglion est normal.

Sur la racine antérieure, il existe des altérations très nettes de périnévrite,

au-dessus du niveau du ganglion rachidien, malgré cela les fibres nerveuses

ne sont nullement dégénérées.

Septième ganglion cervical droit (coupes longitudinales).

Atrophie très légère de la racine postérieure dans sa portion sus-ganglion-

naire ; sur une très petite étendue l'atrophie est un peu plus marquée et à ce

niveau les fibres sont plus grêles, les noyaux de la gaine de Schwann un peu

plus nombreux. A ce niveau même la racine postérieure est entourée d'une

gaine fibreuse très épaisse, semée de proliférations nucléaires (cellules fines du

tissu conjonctif, amas embryonnaires) : on voit aussi dans la dure-mère des

infiltrations hémorragiques avec pigment sanguin, des altérations vasculaires;

plusieurs vaisseaux sont oblitérés et ont subi la transformation calcaire.

Le parenchyme du ganglion est normal.

Sur le trajet de la racine antérieure il existe des altérations semblables à

celles qu'on observe sur la racine postérieure, c'est-à-dire des lésions de péri-

névrite, mais malgré cela les fibres ne sont nullement dégénérées.

- Sixieme ganglion cervical droit : normal.

Obseuvation V.

Four..., âgée de 36 ans. Début de la maladie il y a cinq ans par des

316 THOMAS ET IIAUSER

douleurs lancinantes dans les membres inférieurs ; au bout de 5 à 6 mois,

elle était faible sur ses jambes qui s'étaient amaigries. Après un an la fai-

blesse était telle qu'elle ne pouvait plus marcher. Etat actuel en 1900,

Atrophie très prononcée des membres inférieurs avec parésie : la malade

peut néanmoins exécuter encore quelques petits mouvements d'ailleurs

mal coordonnés. Incoordination légère des membres supérieurs. Abolition

des réflexes tendineux aux quatre membres. Troubles très marqués de la

sensibilité superficielle et profonde aux membres inférieurs. Incontinence

complète des urines et des matières fécales. Signe d'Argyll-Robertson.

Examen ANATOMIQUE. - Les ganglions sacrés ont été coupés : cinq longitu-

dinalement suivant le grand axe, et un perpendiculairement et en série.

Coloration par la méthode de Weigert, par l'hématoxyline et l'éosine, par le

carmin.

Sur tous ces ganglions la racine postérieure est atrophiée dans toute sa lon-

gueur depuis la portion intra-arachnoïdienne jusque dans le ganglion.

Ganglions coupés longitudinalement. Dans la portion sus-ganglionnaire

et notamment au-dessous du cul-de-sac arachnoïdien, la racine postérieure

suit un trajet irrégulier en raison de l'hypertrophie des cloisons conjonctives

qui se détachent de la capsule ganglionnaire de l'épinèvre et de la racine pos-

térieure.

Le pôle central du ganglion contient peu de fibres à myéline ; il est, en effet,

très pâle sur les coupes colorées par la méthode de Weigert, tandis que le pôle

périphérique se colore bien par la même méthode et peut être considéré

comme sain.

Dans le pôle périphérique du ganglion et la portion sous-ganglionnaire, les

racines postérieures sont normales.

L'atrophie des racines postérieures est due à l'amincissement et à la dispari-

tion d'un nombre considérable de gaines de myéline. Un grand nombre de

fibres nerveuses sont réduites à une gaine de Schwann et aux noyaux des seg-

ments iuterannulaires ; mais, malgré cela, on voit encore pas mal de fibres

saines. Il n'existe pas de névrite interstitielle, les faisceaux radiculaires ne sont

pas pénétrés par le tissu fibreux périfasciculaire.

Dans la région de Nageotte chaque fascicule est entouré d'un périnèvre épais,

enflammé, toutefois cette disposition ne se voit pas dans toutes les pièces. On

voit encore au milieu des cloisons conjonctives ou entre elles,des foyers hémor-

ragiques récents ; les vaisseaux sont pour la plupart malades, sclérosés.

Ganglions. - Un certain nombre de capsules ganglionnaires sont hyper-

trophiées, les cellules en voie de prolifération manifeste, quelques capsules

sont sclérosées. Malgré cela les cellules nerveuses ne paraissent pas en général

sensiblement atrophiées.

Les racines antérieures sont normales.

Un ganglion et ses racines ont été coupés transversalement et par série.

Sur toutes les coupes, la racine postérieure paraît nettement atrophiée. Dans

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 317

son trajet intra-arachnoïdien, sur les coupes colorées par la méthode de Wei-

gert, tous les faisceaux, sauf un,sont complètement décolorés. Au-dessous du cul-

de-sac arachnoïdien, la racine antérieure et la racine postérieure sont divisées

en de nombreux fascicules, par l'apparition de cloisons conjonctives, mais tandis

que les fascicules appartenant à la racine antérieure contiennent des fibres

bien colorées, celles-ci font presque complètement défaut dans les fascicules

appartenant il la racine postérieure. Les cloisons forment d'épais anneaux

fibreux autour de chaque fascicule. Cette disposition persiste jusqu'au ganglion,

Epaississement de l'enveloppe conjonctive de la racine (épinévrite). - Ilyperplasie du

tissu conjonctif interfasciculaire. - Les faisceaux radiculaires, très dégénérés, sont,

pour la plupart, entourés d'amas nucléaires. Le processus inflammatoire est ici en

pleine activité.

où, dans les coupes passant par l'entrée de la racine postérieure et par le pôle

médullaire, les fibres à myéline sont encore très rares. Dans le reste du gan-

glion et à leur pôle périphérique, la racine postérieure est certes plus riche en

fibres à myéline, malgré cela celles-ci sont moins nombreuses que sur une

racine normale, et dans son trajet sous-ganglionnaire la racine postérieure

paraît à peu près saine.

Dans la portion sus-ganglionnaire, les coupes colorées par l'éosine e

Fig. 7. - Four... (Observ. V). - Racine sacrée postérieure coupée transversalement

dans la région du nerf radiculaire.

Colorat. hérnatéine-éosine. - Zeiss. Obj. AA. Oc.2.

318 THOMAS ET HAUSER

l'hématoxyline, permettent de distinguer à la limite de la racine et de sa gaine

fibreuse, un grand nombre de noyaux pour la plupart allongés : de même les

gaines fibreuses contiennent des amas de noyaux arrondis, dispersés en ilots

et en traînée (fig. 7).

Dans chaque fascicule, le tissu conjonctif n'est pas proliféré, mais le nom-

bre des cylindres-axes est considérablement diminué et ceux qui persistent

sont très petits.

Les vaisseaux des racines et des travées conjonctives sont malades, leur paroi

est plus épaisse, ils sont entourés de noyaux plus ou moins nombreux.

Dans le ganglion, les cellules nerveuses ne présentent pas d'altérations ma-

nifestes, mais les capsules péricellulaires sont notablement augmentées, elles

sont sclérosées et les noyaux y sont très abondants : les capsules cellulaires

sont séparées les unes des autres par un tissu conjonctif riche en fibres, les

vaisseaux n'y sont pas très malades.

A la sortie du ganglion, les fibres sont parsemées de noyaux appartenant à

des cellules conjonctives, les travées qui séparent les fascicules des racines

postérieures à leur sortie du ganglion sont épaisses, les noyaux y sont abon-

dants ; ils le sont également autour des vaisseaux.

La racine antérieure paraît également infiltrée de noyaux du tissu conjonctif.

Observation YI.

Baud..., 62 ans. Dans ses anlécédents personnels on ne trouve comme

méritant d'être retenu que des douleurs dans la jambe droite sous forme

de crampes et de fourmillements à l'âge de 15 ans; des maux de tête vio-

lents, 1't^tce de 30 ans, à la suite desquels elle a perdu une partie de ses

cheveux. Un zona, une paralysie faciale gauche à 57 ans, la même année

la vue s'est affaiblie. Etat actuel, novembre 1900 : Incoordination nota-

ble des membres inférieurs surtout du membre inférieur droit augmentant

pendant l'occlusion des yeux. Station debout très difficile les yeux fermés;

signe de Romberg. Abolition des réflexes patellaires et du tendon d'A-

chille. Troubles très légers de la sensibilité aux membres inférieurs.

Aux membres supérieurs incoordination très légère, pas de troubles

de la sensibilité. Conservation des réflexes tendineux. Diminution de

l'acuité visuelle ; signe d'Argyll-Robertson. Sphincters intacts. Affai-

blissement de la mémoire et de l'intelligence. Troubles de la parole.

Examen anatomique. - Les ganglions examinés sont les 2° sacré droit ; 1er,

3 ? 4° lombaires droits ; 3°, S', 8e, 11 ? 12' dorsaux droits, et le 68 cervical. Le

durcissement a été fait dans le liquide de Muller ; coloration par la méthode de

Pal, le picro-carmin, l'hématoxyline-éosine.

2° ganglion sacré (Coupes transversales sériées des racines postérieures et

du ganglion).

Les fibres radiculaires sont à peine altérées. Tout au plus sont-elles au-dessus

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 319

du ganglion un peu plus fines et plus dissociées qu'à l'état normal ; il n'y a

point de fibres dégénérées ; et la coloration de la myéline par la méthode de

Pal est aussi régulière, aussi intense que d'habitude.

Les fibres des racines antérieures sont absolument saines.

Cette absence d'altérations parenchymateuses contraste avec les lésions in-

flammatoires très nettes du tissu conjonctif et des méninges. La dure-mère est

épaissie autour des racines antérieures et postérieures.

Les fascicules de la racine antérieure sont entourés d'un périnèvre fibreux

épais. La gaine pie-mérienne des racines postérieures est le siège d'un processus

inflammatoire très actif. Les fibres sont entourées d'une nappe conjonctive

constituée de tractus courts, trapus et onduleux qui s'entrecroisent et se dis-

posent irrégulièrement laissant entre eux des vides ; d'où l'aspect aréolaire un

Fig. S. - BAuon... (Observ. VI).- 2° Racine sacrée. Coupe transversale passant par

le nerf radiculaire.

Coloration au Pal-carmin. Zeiss. Obj. A2, Oc.l.

Epaississement de la gaine piale des racines postérieures, dont les fibres plus disso-

ciées qu'à l'état normal sont aussi un peu plus pâles et plus grêles.

320 THOMAS ET HAUSER

peu spécial de ce tissu. Non seulement il forme aux fascicules un manchon

épais, mais il pénètre entre les fibres, les écarte et les dissocie (Fig. 8).

A mesure qu'on approche du ganglion on voit la réaction inflammatoire

interstitielle augmenter. Les racines postérieures se subdivisent en nombreux

fascicules mal délimités et noyés dans cette nappe conjonctive lâche, parcourue

par places par de gros tractus fibreux.La surface occupée par les racines posté-

rieures devient très considérable,'par rapport à la coupe des racines antérieures.

Enfin les vaisseaux y sont pour la plupart atteints d'altérations prononcées,

sclérose et dégénérescence hyaline de leurs tuniques.

A leur émergence du pôle périphérique du ganglion, les racines postérieures

sont compactes et homogènes, il n'existe ni lésions interstitielles, ni altérations

vasculaires.

L'examen du parenchyme ganglionnaire montre un développement anormal

du tissu conjonctif du stroma. Les cellules sont entourées d'anneaux fibreux

plus ou moins épais ; les fibres elles-mêmes sont doublées de faisceaux fibreux et

écartées l'une de l'autre. Cette hyperplasie conjonctive est généralisée ; elle ne

semble pas retentir sur les éléments nobles ; les fibres ne présentent pas de dé-

générescence ; quant aux cellules, leur structure paraît normale ; leur taille et

leur nombre ne semblent nullement diminués.

Région lombaire. - Les 3 ganglions ont été coupés longitudinalement.

Les racines postérieures sont complètement indemnes, sauf quelques altéra-

tions du système conjonctif : foyers hémorrhagiques, amas embryonnaires dissé-

minés, etc..

Rien à noter du côté du parenchyme ganglionnaire.

Région dorsale. - Etudiés d'après les coupes longitudinales des 1 ? 3°, o°,

1 le et 12" dorsales, le ganglion et les racines postérieures ne présentent aucune

altération notable des fibres ou du parenchyme. Cependant en quelques points,

les méninges, les gaines péri-fasciculaires montrent une certaine réaction in-

flammatoire (épaississement des gaines, existence d'amas embryonnaires) ;

les vaisseaux sont eux aussi atteints de lésions de même ordre (sclérose, amas

d'éléments nucléés à la périphérie d'un vaisseau ; hémorrhagies interstitielles).

Aucune anomalie du côté des cellules ganglionnaires, sauf peut-être un peu

d'épaississement de leurs capsules.

Le 81 ganglion dorsal nous a permis d'observer des altérations de même

origine, mais ayant pu entraîner un bouleversement complet des fibres ner-

veuses de la racine postérieure sur une certaine longueur.Sur les coupes trans-

versales des racines un peu au-dessus du ganglion, on voit à la place des fibres

nerveuses, une masse circulaire constituée par du tissu conjonctif fascicule.

Sur certaines coupes un petit faisceau nerveux subsiste au centre de cette masse

(PI. XLI, B) mais la plupart sont refoulés à la périphérie. Ailleurs, toutes les

fibres ont été reportées il la périphérie. On les voit former là une mince et ir-

régulière bordure; elles ont perdu toute orientation régulière et paraissent

s'entrecroiser en tous sens. Malgré l'énorme compression qu'elles ont subie,

elles sont bien colorées et nullement dégénérées. Quant à la masse conjonctive

centrale, par son aspect végétant, par sa richesse en éléments nucléés, par 1

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIERE. T. XV. PL. XLI.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES

(Thomas et Hauser.)

13AUna... (Observ. VI). - Coloration par la méthode de Pal. (Zeiss Obj. 0 var, Oc. 1.)

A. - 8e racine dorsale. Coupe transversale au-dessus du ganglion (portion iuit"o-arac¡'lIoidiC111U).

Il n'y a pas de dégénérescence des libres, ni de lésions conjonctives interstitielles. Les méninges

sont très épaissies, surtout autour des racines postérieures (r).

B. - Mêmes racines sectionnées plus près du ganglion.

Les fibres des racines postérieures (rp) sont refoulées et dissociées par des foyers hémorragiques

(fil), et par 1'li3perplisie inflammatoire du tissu interstitiel.

Masson et Ch, Editeurs.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 321

altérations vasculaires qu'elle présente, et les foyers hémorrhagiques dont elle

est creusée çà et là, elle semble due à un processus irritatif intense du tissu

interstitiel, peut-être consécutif à des hémorrhagies interstitielles. Un peu au-

dessus, l'état des fibres est normal (P. XLI, A). *

Cette lésion localisée et en quelque sorte accidentelle, nous la retrouvons

d'ailleurs avec les mêmes caractères sur le trajet des racines postérieures du

10r ganglion dorsal. Sur ce ganglion coupé longitudinalement on peut voir

qu'il existe, un peu au-dessus du point de pénétration des racines postérieures,

et à la périphérie un petit espace de forme ovalaire dont l'aspect est le

même que celui que nous venons de décrire. Au centre une masse de tissu

conjonctif en voie d'inflammation, à la périphérie une bordure de fibres ner-

veuses, refoulées, désorientées. Malgré l'existence de ce foyer de compression,

les fibres ne présentent pas au-dessus trace de dégénérescence.

Région cervicale. - Représentée seulement par le 6° ganglion cervical

droit. Les fibres radiculaires sont normales; les enveloppes sont saines; seuls

les vaisseaux présentent quelques altérations.

Observation VII.

Delavacq..., 53 ans. Le début de la maladie semble remonter à 9 ans.

A partir de cette époque les symptômes seraient survenus lentement

et progressivement. - Etat actuel 1900. Troubles de la marche, la

malade talonne et lance les jambes. Signe de Romberg, incoordination et

faiblesse dans les membres inférieurs. Pied-bot paralytique. Abolition

des réflexes rotuliens. Douleurs dans les membres inférieurs. Retard

dans la transmission des impressions douloureuses. Altérations du sens

musculaire. Aux membres supérieurs, ni incoordination ni atrophie,

conservation des réflexes et de la sensibilité. Névralgies intercostales.

Myosisavec signe d'Argyll-Robertson. Pas de diminution de l'acuité vi-

suelle. Troubles sphinctériens transitoires. Mort en 1001.

Examen anatomique. Cet examen a porté sur cinq ganglions dorsaux

coupés perpendiculairement à l'axe et en série, après coloration en masse par

le picrocarmin et le Marchi, ou bien colorés sur coupes à l'éosine et à l'héma-

toxyline. Inclusion à la paraffine.

Dans tous les cas l'atrophie de la racine postérieure existe dans toute la

portion sus-ganglionnaire et le pôle central du ganglion, elle disparaît dans le

pôle périphérique du ganglion et la portion sous-ganglionnaire.

Dans sa portion sus-ganglionnaire, la racine postérieure suit un. trajet ex-

trêmement irrégulier à cause du développement excessif du tissu conjonctif,

particulièrement au niveau de la région de Nageotte ; aussi est-elle sinueuse,

alternativement coupée perpendiculairement à l'axe, puis obliquement, lon-

gitudinalement ; elle est divisée par d'épaisses cloisons conjonctives en fasci-

cules très petits engainés par un périnèvre très épais, fascicules qui s'enroulent

sur eux-mêmes.

322 THOMAS ET HAUSER

Dans le pôle central du ganglion, l'atrophie des racines postérieures se

voit encore nettement, mais sur quelques ganglions elle est moins accentuée

que dans la portion sus-ganglionnaire.

La racine postérieure n'est plus représentée que par des gaines de Schwann,

vides de myéline, ou dans lesquelles la myéline a presque entièrement disparu,

il ne subsiste plus que quelques rares fibres ayant conservé une gaine de myé-

line de calibre normal : celles-ci sont plus nombreuses dans trois cas à la pé-

nétration dans le ganglion. Dans chaque fascicule, les fibres sont groupées en

petits placards, composées de fibres de divers calibres, plongées au milieu d'un

tissu d'aspect hyalin : dans chacun de ces petits placards (intensivement coloré

en rouge) on distingue quelquefois une ou deux fibres avec un cylindre-axe

très apparent, ailleurs, ce sont des gaines rétractées et tassées, intensivement

colorées, au centre desquelles, du moins sur quelques-unes, il est encore pos-

sible de dis tinguer un filament extrêmement ténu, le cylindre-axe. On trouve

encore quelques rares noyaux et du protoplasma amorphe.

Dans la plupart des cas le tissu fibreux ne

pénètre pas à l'intérieur des fascicules radicu-

laires ; cependant quelques-uns sont subdivisés

en de nombreux amas extrêmement petits par

des fibres conjonctives émanées du périnèvre,

aussi cette segmentation est-elle plus accentuée

à la périphérie du fascicule qu'au centre (fig. 9).

Le périnèvre n'est formé que par du tissu fibreux

adulte.

Sur quelques fascicules les fibres nerveuses

qui occupent la périphérie sont gonflées, pren-

nent un aspect hyalin et, comme les couches les

plus centrales de la gaine fibreuse ont un aspect

analogue, il y a une zone de transition dans la-

quelle il est difficile de distinguer les gaines des

fibres nerveuses du tissu conjonctif proprement

dit hyalin aussi.

Les vaisseaux sont tous hyalins, et par places

très nombreux, comme s'il y avait eu une néo-

formation. ' '

Dans quelques ganglions les cellules et les

capsules péricellulaires sont normales, dans

d'autres ganglions les capsules sont extrème-

ment épaissies, les cellules capsulaires sont

proliférées, mais les cellules nerveuses ne pré-

sentent pas d'altération manifeste.

Les racines antérieures sont saines.

Sur les coupes de la 8° racine dorsale, on voit

très nettement des fascicules envahis par le

tissu libreux ; (l'autre part tout près au ganglion, quelques lascicuies sont

1"Ig. 9. - UELAVACQ... lunserv.

VU). - Coloration au picro-

carmin en masse.

Zeiss. Obj. D. Oc. 3.

Un fascicule.

Différentes altérations des fibres

radiculaires : fibres amoin-

dries, libres dont la gaine de

myéline a disparu, cylindraxes

nus. Fibrilles et noyaux con-

jonctifs interstitiels.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 323

engainés dans un manchon de tissu fibreux d'aspect hyalin, creusés par un

nombre considérable de capillaires dont la paroi également hyaline est extrê-

mement épaissie (PI. XLII, fig. A). A l'intérieur des fascicules les vaisseaux

présentent les mêmes altérations : malgré cela il existe encore des fibres saines.

Observation VIII. 1

Blancs..., 43 ans. Tabes classique. Début de la maladie à l'âge de

37anspar des troubles de la marche : cependant à l'âge de 30 ans elle

avait eu une paralysie faciale gauche d'origine périphérique qui a récidivé

à 40 ans. Il y a 4. ans, troubles des sphincters : incontinence d'urine ; à la

même époque apparition des douleurs fulgurantes dans les jambes. Etat

actuel (1896). Incoordination des membres inférieurs, troubles de la

marche; abolition des réflexes tendineux aux membres supérieurs et in-

férieurs. Signe de Romberg. Douleurs sous forme de lancées aux membres

inférieurs, Pas de douleurs aux membres supérieurs, pas de douleurs

en ceinture, pas de crises gastriques. Pas d'altérations manifestes de la

sensibilité objective aux membres inférieurs. Signe d'Argyll-Roberlson.

De 1896 à 1899 l'état de la malade reste stationnaire. Elle succombe à

une congestion pulmonaire, en 1899.

Examen ANATOMIQUE.- Un ganglion lombaire coupé en série et à la paraffine,

après coloration par le Marchi et par le picrocarmin en masse ; les premières

coupes passent par les racines à leur pénétration dans le sac durai, les der-

nières par les racines au-dessous du ganglion, avant leur réunion et la consti-

tution du nerf mixte.

La racine postérieure est atrophiée dans la portion sus-ganglionnaire et le

pôle central du ganglion, normale au contraire dans le pôle périphérique et

la portion sous-ganglionnaire.

Dans la portion sus-ganglionnaire, l'atrophie diminue à mesure que la ra-

cine se rapproche du ganglion. Un peu au-dessus de sa pénétration dans le

ganglion, la racine postérieure est dissociée en plusieurs fascicules par des

cloisons conjonctives, mais sans qu'il y ait trace d'inflammation ; il n'y a pas

de prolifération nucléaire. Les méninges sont légèrement épaissies.

L'atrophie de la racine postérieure est due à l'amincissement et à la dispa-

rition d'un assez grand nombre de gaines de myéline ; mais celles-ci sont

moins atrophiées et plus nombreuses en remontant vers le ganglion.

Une quantité assez notable de gaines de Schwann paraissent vides : il en est

plusieurs qui sont extrêmement réduites et dont le centre est néanmoins en-

core occupé par un cylindraxe extrêmement fin. Sur certaines coupes les fibres

sont réunies par petits groupes séparés les uns de autres par un tissu

d'apparence amorphe, coloré en rose; dans chaque groupe, à côté d'une ou

deux fibres d'aspect normal on distingue des petits placards colorés en rouge

vif dus sans doute au tassement des gaines de Schwann. On y voit quelques

rares noyaux. Ce sont là des lésions exclusivement parenchymateuses, car le

324 THOMAS ET HAUSER

tissu interstitiel n'est augmenté ni à la périphérie ni à l'intérieur de chaque

fascicule. Parmi les vaisseaux des racines, quelques-uns sont hyalins, mais

leur paroi n'est pas sensiblement épaissie.

Le parenchyme ganglionnaire paraît absolument sain, les cellules et les

capsules péricellulaires sont normales. La paroi des vaisseaux est un peu

épaissie et hyaline, mais ce sont des altérations peu importantes.

Dans le pôle périphérique et la portion sous-ganglionnaire de la racine pos-

térieure, il n'y a à signaler qu'un petit amas de grosses boules protop asmi-

ques, mélangé à du pigment sanguin, représentant sans doute les débris

d'un foyer hémorrhagique ancien.

Racine antérieure normale.

Observation IX.

Dh..., âgée de 69 ans. Tabès ayant débuté il y a 6 ans par des dou-

leurs très vives dans la région épigastrique et dans la région lombaire;

puis vertiges, dérobement des jambes, chutes ; depuis huit mois la marche

est devenue extrêmement difficile, c'est à peine si elle peut se tenir dé-

bout. Actuellement (1899), aux membres inférieurs, incoordination très

légère avec affaiblissement sans atrophie ni hypotonie ; abolition des

réflexes patellaires. Aux membres supérieurs pas d'incoordination ; par

intervalles tremblement à larges oscillations de l'avant-bras ; réflexes ten-

dineux conservés. Sensibilités superficielle et profonde normales sauf au

niveau des seins où il existe une zone d'hyperesthésie au tact. Pendant la

station debout les jambes sont très écartées; la malade avance à petits

pas, la semelle frôlant le sol. Inégalité pupillaire, abolition des réflexes à

la lumière et à la convergence ; diminution de l'acuité visuelle. Légers

troubles sphinctériens. Troubles gastriques avec douleurs. En 1900 la

malade présente des symptômes de ramollissement cérébral, elle répond

lentement et difficilement aux questions qu'on lui pose.Au mois de juillet,

apparition d'un érysipèle ayant pour origine une infection secondaire au

niveau de gommes ulcérées siégeant à la jambe gauche : la malade s'affai-

blit assez rapidement et succombe.

Examen anatomique. - Quatre ganglions, avec les racines correspon-

dantes, ont été examinés : deux ganglions dorsaux et deux ganglions lombaires.

Coloration par la méthode de Weigert-Pal et le picro-carmin. Coupes sériées,

et perpendiculaires à l'axe après inclusion à la celloïdine ; un ganglion est cou-

pé longitudinalement. Dans tous ces cas, la racine postérieure est atrophiée

dans son trajet sous-arachnoïdien, mais sur la 6° racine dorsale, l'atrophie di-

minue et disparaît en remontant vers le ganglion : sur la 2° région lombaire, au

contraire, l'atrophie est plus nette immédiatement au-dessus du ganglion (au

niveau du nerf radiculaire de Nageotte),ce qui tient il ce que les fibres nerveuses

y sont plus grêles individuellement.

LESIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 325

Le tissu fibreux n'est pas très abondant entre les fascicules et ceux-ci ne sont

pas très nombreux ; on ne trouve pas à leur périphérie d'altération netle de

périnévrite. La 7° racine dorsale est très dissociée et creusée par une cavité

contenant un exsudat amorphe au voisinage du ganglion ; les fibres ner-

veuses y sont plus grêles ; en outre sur toute l'étendue de la racine coupée

longitudinalement, on remarque que la dure-mère et l'arachnoïde sont extrême-

ment épaissies et donnent insertion par place à des végétations conjonctives.

Dans les coupes passant par les régions atrophiées, quelques gaines de myé-

line sont diminuées ou disparues, mais beaucoup sont encore saines ; dans la

plupart des gaines de Schwann dépouillées de leur 'myéline il existe encore un

cylindraxe plus ou moins atrophié. Les noyaux sont plus nombreux dans la ra-

cine postérieure que dans la racine antérieure. Les vaisseaux ne présentent pas

d'altérations manifestes.

Dans le ganglion les cellules paraissent plutôt un peu petites, et dans le

2e ganglion lombaire quelques capsules sont épaissies et leurs cellules prolifé-

rées. Les vaisseaux ne sont pas malades.

Les racines antérieures sont normales.

Observation X.

Lel..., âgée de 56 ans. Tabès ayant débuté il y a 8 ans par un mal

perforant plantaire; il y a 5 ans apparition de troubles sphinctériens,

et des troubles de la marche. Depuis deux ans douleurs très vives dans

les jambes survenant surtout la nuit, troubles oculaires, la malade se

plaint d'avoir un brouillard devant les yeux. Depuis 8 mois l'incoordina-

tion des membres supérieurs a tellement augmenté qu'elle ne peut mar-

cher seule. Etat actuel (1896). Incoordination des membres inférieurs,

mais pas de démarche caractéristique. Réflexe patellaire aboli. Pas d'a-

trophie musculaire. Sensibilité superficielle altérée sur les membres in-

férieurs. Sensibilité profonde conservée. Inégalité pupillaire, réflexe à la

lumière très diminué à gauche, aboli à droite. Atrophie papillaire. Elle

meurt en 1902 après 14 ans de maladie.

Examen anatomique. L'examen a porté sur 5 ganglions lombaires, droits

ou gauches fixés au sublimé osmique, au Flemming, au sublimé picrique et

colorés ensuite par le picro-carmin en masse.

Selon le ganglion examiné les lésions radiculaires se montrent fort variables.

Tandis que l'atrophie est minime ou nulle dans les segments sus-ganglion-

naires des 4 ? 2° racines lombaires droites, et 2° lombaire gauche, elle est au

contraire très prononcée au voisinage du ganglion sur les 31, li", 50 racines lom-

baires.

30 Lombaire gauche. - Les coupes longitudinales du 3e ganglion lombaire

gauche et ses racines antérieures et postérieures adjacentes, montrent une di-

minution notable des fibres saines reconnaissables à la teinte noire qu'elles

326 THOMAS ET HAUSER

ont prise sous t'influence de l'imprégnation par le sublimé osmique. L'atrophie

se poursuit sur une notable longueur (environ 1 cent.) de la racine avec la

même intensité ; la racine antérieure est normale sur la partie correspondante

de son trajet.

Un manchon méningitique assez épais enveloppe la racine postérieure ; il

est fibreux à sa périphérie, mais ses couches centrales sont constituées d'a-

mas conjonctifs homogènes, clairs, ayant pris une teinte rose pâle par le car-

min, et ressemblant vaguement à du tissu musculaire. Les éléments nucléés

y sont rares ; les vaisseaux nombreux ont leurs tuniques épaisses et hyalines.

On ne voit pas ce tissu pénétrer dans la racine postérieure qui reste presque

indivise avant d'aborder le ganglion.

Les fibres radiculaires qui émergent du pôle ganglionnaire périphérique

sont normales et s'unissent aux fibres des racines antérieures pour constituer

un nerf périphérique absolument sain.

Au point de vue des cellules ganglionnaires nous n'avons pu relever que la

présence de quelques épaississements capsulaires avec une cellule centrale

amoindrie.

3e Lombaire droit. - Coupes perpendiculaires sériées.

., L'atrophie des fibres radiculaires postérieures est très nette jusqu'au gan-

glion.

A une petite distance du ganglion, l'inflammation des méninges est d'une

intensité remarquable ; une coque extrêmement épaisse étrangle les fascicules

de la racine postérieure et la racine antérieure est elle-même entourée d'une

zone inflammatoire analogue.

Ce tissu néoformé est constitué par de volumineuses masses conjonctives.

Ces masses, d'aspect quasi-amorphe, réfringentes, colorées en rose clair par le

carmin, se sont agglomérées, presque fusionnées; leurs interstices contiennent

un grand nombre de petits vaisseaux aux tuniques hyalines. Elles semblent

exercer sur les fascicules une certaine compression.

Plus près du ganglion cette zone inflammatoire disparaît, et l'on ne trouve

plus qu'une enveloppe fibreuse donnant naissance à quelques tractus épais

qui pénètrent entre les fascicules.

Dans la racine postérieure, l'inflammation ne s'arrête pas à la périphérie

des fascicules ; elle y pénètre : les travées conjonctives 'qui les cloisonnent

normalement se sont multipliées au point de former une charpente conjonctive

qui délimite les fibres par petits groupes, ou même les engaine individuelle-

ment. En un mot, la périnévrite s'accompagne à ce niveau d'endonévrite.

En outre les tractus conjonctifs et les vaisseaux y prennent ce même aspect

amorphe, ou hyalin qui témoigne d'une dégénérescence spéciale.

Dans la portion correspondante de leur trajet les fibres des racines anté-

rieures restent normales, malgré le processus inflammatoire qui les entoure et

qui d'ailleurs n'y pénètre point.

Quant aux cellules ganglionnaires, elles sont en grande majorité d'apparence

normale. Toutefois un certain nombre ont leur capsule conjonctive proliférée

et semblent en voie d'atrophie.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 327

4' Lombaire. - Coupes perpendiculaires sériées.

Les gaines de myéline sont également moins nombreuses et moins franche-

ment colorées dans le segment sus-ganglionnaire des racines postérieures ;

leur diminution, leur teinte terne et grise apparaît plus nettement à mesure

qu'on examine des coupes plus rapprochées du ganglion ; car les fascicules se

dissocient, s'élargissent et occupent une surface de plus en plus grande (fig. 10).

Dans l'intervalle des fibres saines, l'on distingue des fibres désorganisées à

contours flous, dont la gaine a pris une teinte à peine cendrée, ou même est

restée entièrement incolore après l'action de l'acide osmique ; parfois le cylin-

draxe est encore visible au milieu de cette fibre altérée. D'autres tubes ner-

veux sont réduits à l'état de gaines vides, et il n'en subsiste qu'une gaine de

Schwann bordant un petit espace lacunaire. Enfin il existe peut-être des cy-

lindraxes dénudés, mais comme la préparation est parsemée d'abondants

Fig. 10. - LELIEV ... (Observ. X). - Fixation dans le sublimé osmique. Coloration

en masse dans le piCl'oca>'11Ûn. - Zeiss. Obj. AA, Oc. 1.

4e racine lombaire. Coupe transversale.

A gauche coupe de la racine antérieure normale. A droite la racine postérieure très

dégénérée est dissociée en nombreux fascicules isolés par d'épais tractus conjonc-

tifs. - Mésonévrite intense.

328 THOMAS ET BAUSER

noyaux conjonctifs, la distinction peut être difficile, et en tous cas les figures

qui rappellent plutôt la coupe d'un cylindraxe sont en petit nombre.

Les racines antérieures et postérieures sont accolées en canon de fusil, et

l'enveloppe méningée se dispose comme un demi.anneau autour de chacune

d'elles, avec une épaisseur beaucoup plus considérable pour la racine posté-

rieure.

La dure-mère et les méninges molles participent également au processus

inflammatoire dont l'intensité s'accroît encore lorsqu'on arrive aux coupes

immédiatement voisines du ganglion. Non seulement l'épinèvre forme à la racine

une coque épaisse, mais des grosses travées fibreuses pénètrent entre les fasci-

cules, les dissocient, les isolent, et fournissent à quelques-uns une enveloppe

individuelle épaisse. Cet aspect n'apparaît d'ailleurs que tout près du point de

pénétration des racines.

La structure est fibreuse pour la couche périphérique ; au contraire la zone

interne appartenant aux méninges molles a le même aspect flou, amorphe,

clair, précédemment décrit. Elle semble se former par l'agglomération de masses

inflammatoires dégénérées. Les cloisons conjonctives qui pénètrent dans l'inté-

rieur des fascicules ont la même structure.

Quant aux vaisseaux ils sont partout épaissis et leurs parois ont subi la dégé-

nérescence hyaline.

Dans tout son trajet correspondant la racine antérieure reste intacte à la fois

dans ses éléments nerveux et conjonctifs.

Observation XI.

Riv..., 74 ans. Début de la maladie il y a environ 30 ans par des dou-

leurs fulgurantes qui sont revenues par crises d'abord tous les quinze

jours, puis se sont espacées davantage, revenant tous les deux ou trois

mois. Ce furent les seuls symptômes jusqu'en 1897. A cette époque se

manifestèrent des troubles sphinctériens, puis il y a six mois un affaiblis-

sement progressif de la vue; il y a quatre mois la marche devint plus

difficile en même temps que les douleurs fulgurantes augmentaient d'in-

tensité et de fréquence. Etat actuel : avril 1898. Abolition des réflexes

patellaires. Incoordination légère des membres inférieurs devenant plus

prononcée les yeux fermés. Sensibilité peu altérée. Troubles légers de la

marche et de la station debout les pieds rapprochés. Aux membres supé-

rieurs : incoordination très légère, abolition des réflexes tendineux. Atro-

phie des petits muscles de la main. Sensibilité à peu près normale. Troubles

sphinctériens. Myosis plus prononcé à droite; absence de réaction à la

lumière. Diminution considérable de l'acuité visuelle ; double atrophie

optique tabétique. Mort en 1902.

Examen ANATOMIQUE.- Ont été colorés et examinés les 3 ganglions suivants :

2e et 3e Lombaires (ganglion bilobé) ; 1,10 dorsal.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 329

Fixation au sublimé osmique (48 h.). Lavage. Coloration en masse dans le

picro-carmin. Inclusion à la paraffine. Coupes longitudinales.

Cet examen peut se résumer d'ensemble en quelques lignes.

Les altérations des racines consistent dans une atrophie très considérable

qui peut être suivie jusqu'au ganglion et en des lésions des méninges et des

vaisseaux.

Tandis que les fibres des racines antérieures sont denses, compactes, colo-

rées en noir franc, les racines postérieures ne contiennent plus qu'un très

pelit nombre de fibres normales dont la gaine de myéline a subi l'imprégnation

osmique. La plupart de leurs fibres sont réduites à des filaments lassés et agglo-

mérés où l'on ne peut dire si le cylindraxe subsiste encore. A leur surface se

disséminent de nombreux noyaux conjonctifs allongés appartenant à la gaine

de Schwann.

Tandis que le bout central est profondément dégénéré, la portion sous-gan-

glionnaire des racines postérieures forme un faisceau aussi dense, aussi compact

qu'à l'état normal. Dans le ganglion même, la région du pôle central est pauvre

en fibres, tandis qu'à l'autre extrémité les fibres reparaissent aussi nombreuses

que d'habitude.

Les altérations méningées portent sur les différentes enveloppes des racines

jusqu'à la pénétration dans le ganglion. La dure-mère est épaissie jusqu'au

ganglion. Il est assez remarquable de voir cette pachyméningite s'atténuer peu

à peu autour des racines antérieures et finalement disparaître à peu près au

niveau où les racines postérieures pénètrent dans le ganglion. Cette particula-

rité semble d'ailleurs se reproduire dans tous les cas et la méningite de la dure-

mère ne se poursuit, ni sur la capsule du ganglion, ni sur les racines antérieu-

res qui lui sont accolées.

Autour des racines postérieures, le feuillet arachnoïdien est également

épaissi et ici encore il réagit à l'inflammation de sa façon habituelle, en don-

nant naissance à ces éléments conjonctifs que nous avons souvent observés en

pareil cas et dont la coupe rappelle celle de petits faisceaux musculaires tassés

et agglomérés. La gaine piale forme à la racine un manchon épais constitué

d'un tissu fibrillaire lâche et d'éléments nucléés extrêmement abondants.

L'inflammation atteint le tissu interstitiel et entre les tubes nerveux s'accu-

mulent les éléments nucléaires et fibrillaires d'origine piale.

Enfin les altérations vasculaires ne sont pas moins prononcées et revêtent

encore le mode habituel : épaississement et dégénérescence hyaline des tuni-

ques des petits vaisseaux.

Quaut aux cellules ganglionnaires, autant que le mode de fixation et de

coloration permet d'en juger, elles sont restées à peu près normales comme

nombre et structure. Quelques-unes cependant sont très petites et entourées

d'une couronne d'éléments nucléés plus épaisse que d'habitude.

(A suivre.)

xv 22

HOSPICE DE BICÊTRE

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONTE

PAR

J. SÉGLAS

Médecin de l'hospice de Bicêtre.

En 1874, Kahlbaum décrivait sous le nom de Catatonie (1) un com-

plexus symptomatique à marche changeant d'une façon cyclique et pré-

sentant, comme phénomène capital, des troubles du système nerveux

moteur ayant le caractère général de la crampe (Spannungs-Irresein).

Le stade initial, d'après la description de cet auteur, est un stade de

dépression mélancolique à marche lente, de symptomatologie assez com-

mune. Au début, il y a souvent des mouvements spasmodiques, convul-

sifs, arrivant par attaques.

Puis vient un stade d'excitation qui peut cependant manquer ; en géné-

ral il est assez court. Comme ensemble, c'est ou bien de la mélancolie

agitée anxieuse, ou bien l'agitation maniaque la plus violente, ou bien

un délire plus fixe (Wahnsinn). On rencontre alors quelques symptômes

particuliers : caractère pathétique des paroles et des actes, exaltation théâ-

trale,extase tragico-religieuse ; verbigération ou répétition de paroles ou de

phrases insignifiantes ou incohérentes, prononcées sur un ton emphatique

et déclamatoire ; gestes stéréotypés, attitudes bizares et sans but, grimaces

spéciales.

Dans le stade suivant, stade catatonique proprement dit, la maladie

revêt toutes les apparences de la stupidité. C'est alors que l'on rencontre

les phénomènes moteurs caractéristiques sous forme de convulsions toni-

ques ou cloniques, de raideurs musculaires, d'états cataleptoïdes : puis le

mutisme, le refus d'aliments, la résistance systématique (négativisme) ;

les stéréotypies, les rires explosifs.

Ce stade, qui peut durer des semaines et des mois, est suivi d'un autre

d'une durée souvent plus longue encore et consistant en des alternatives

d'excitation ou de stupidité avec leurs symptômes décrits ci-dessus.

La maladie peut guérir, ce qui est le cas le plus fréquent ; sinon, elle

passe au stade terminal de démence.

(t) Kahlbaum, Die Katatonie. Berlin, 1874.

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE 331

En raison de sa marche clinique, de sa symptomatologie spéciale, la

catatonie est considérée par Kahlbaum comme une entité clinique spéciale

qu'il oppose à la paralysie générale.

Cette doctrine eut quelques partisans, mais elle rencontra de plus nom-

breux adversaires. Comme il fallait s'y attendre, la hardiesse de cette

synthèse, son caractère de généralisation quelque peu excessive, ne pou-

vaient manquer de provoquer une réaction, elle-même exagérée. C'est

ainsi que nombre d'auteurs pensèrent qu'il ne fallait voir dans la catato-

nie autre chose qu'un syndrome assez banal, pouvant se présenter au

cours d'affections mentales très différentes les unes des autres (1).

Des travaux postérieurs tendirent à montrer que, si opposées qu'elles

fussent, ces deux opinions n'étaient cependant pas inconciliables et renfer-

maient toutes deux une part de vérité.

Quelques années après le travail de Kahlbaum, Hecker avait déjà tenté

d'établir une distinction entre l'état catatonique et l'affection dite catato-

nie (2).

C'est dans la négligence de cette notion que résident en grande partie

les divergences d'opinions que nous avons signalées.

La distinction de Hecker trouva, en effet, peu d'écho jusqu'au jour où

Neisser (3) vint à nouveau rouvrir la discussion et poser la question de

l'existence de la catatonie en tant qu'affection mentale autonome.

C'est à Kroepelin que nous semble revenir le mérite d'avoir donné la

solution la plus vraisemblement exacte de ce problème monographique.

Déjà Finck, en 1880, insistait sur les ressemblances qui existent entre

la catatonie de Kahlbaum et l'hébéphrénie de Hecker (4), non seulement

dans les traits essentiels, mais aussi en raison de l'existence de symptômes

spéciaux communs tels que la verbigéralion, le mutisme, les stéréoty-

pies, etc... La différence ne se montrait que dans l'issue qui, ordinaire-

ment favorable dans la catatonie, aboutit inévitablement à la démence

dans l'hébéphrénie.

A cet égard, les travaux ultérieurs ne partagent pas cet optimisme pro-

nostique pour la catatonie, et c'est là un des points capitaux sur lesquels

devait insister Kroepelin.

Cet auteur (S) s'est attaché en effet à établir que l'issue de la maladie

est souvent une forme plus ou moins grave de démence, que les guérisons

apparentes ne sont en réalité que des rémissions plus ou moins longues,

(1) Séglas et Carlin, La Catatonie (Arch. de Neurologie, 1888).

(2) Hecker, Alig. Z. f. Psych.

(3) \TetssErs, Uebeo die Catatonie, 1881.

(4) IIEcKEn, Die Hebephrenie, Wirchow.

(5) Kroepelin, Lelarbuch der Psychiatrie. '

332 . SÉGLAS

qu'en réalité le pronostic est le même pour la catatonie que pour l'hébé-

phrénie. Il se trouve ainsi amené à exprimer l'idée que hébéphrénie et

catatonie ne sont que de simples variétés symptomatiques d'une même

affection mentale, la démence précoce. La manière de voir de Kroepelin

diffère encore dans le détail de celle de Kahlbaum, en ce qu'il ne consi-

dère pas la maladie comme évoluant par périodes régulières, cycliques, et

en ce qu'il fait assortir l'origine psychique et non purement spasmodique

des symptômes de négativisme.

Au congrès de Carlsruhe, en 1897 (1), parurent deux communica-

tions d'ensemble sur ce sujet, exprimant des idées quelque peu opposées.

D'une part, Schüle admet une véritable catatonie qui, dans sa forme

légère, fait partie de la folie hystérique, et dans sa forme grave appartient

à la démence primitive ou à la folie circulaire. En même temps, il admet

l'existence de symptômes catatoniques, de pronostic variable, dans des

formes très diverses de maladies mentales.

En revanche, Aschaffenburg, accentuant encore les idées de Kroepelin,

pense que l'hébéphrénie et la catatonie ne sont même pas deux variétés

d'une même maladie, mais constituent un processus morbide unique

auquel on peut appliquer le nom de démence précoce, c'est-à-dire une

maladie qui se développe le plus souvent dans l'âge juvénile et conduit à

un état définitif d'affaiblissement mental caractéristique, se distinguant

spécialement par de la confusion des idées, des absurdités et des tics de

toute espèce qui se manifestent dans le langage et dans les actes.

Finzi et Vedrani (2) se rangent à l'opinion de Kroepelin et, à côté de

la forme hébéphrénique, décrivent la forme catatonique de la démence

précoce.

Sur l'ensemble de la question de la catatonie ils formulent les conclu-

sions suivantes :

1° Le syndrome catatonique se manifeste plus ou moins prononcé dans

beaucoup de maladies mentales; 2° il ne constitue jamais à lui seul un

cadre clinique ; il n'est pas toute la maladie et occupe seulement certaines

périodes du processus morbide; 3° il se présente plus complet et plus

durable dans les cas de démence juvénile qui ont beaucoup d'analogie

avec l'hébéphrénie.

Il se peut que les progrès de la clinique psychiatrique nous amènent

dans l'avenir à modifier celte manière de voir. Mais dans l'état actuel de

nos connaissances, c'est celle qui nous parait la plus sage et vraisembla-

blement la plus exacte.

(1) Allg. Zeilsch·. f. Psych., Bd L. IV.

(2) Finzi et Vedrani, Della demenza précoce (Riv. sp. di fren., t. XXV, 1899) ; Finzi,

Compendio di Psychiatria, Milan, 1899. . '

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE 333

Mais il est avant tout un point essentiel, c'est de bien préciser ce que

l'on doit entendre sous ce nom de syndrome catatonique.

Pour certains auteurs, la catatonie, l'état catatonique, le catatonisme

(Morselli) se résout dans un spasme tonique de certains groupes muscu-

laires déterminés.qui donnent au corps de l'aliéné une attitude stéréoty-

pée caractéristique.

Cette définition est peut-être un peu restrictive. Si telle est, en effet,

la note objective la plus saillante de l'état catatonique, il existe à côté

d'autres éléments qui donnent au syndrome sa physionomie clinique

spéciale.

Une autre opinion, qui a le plus généralement cours en France, semble

identifier la catatonie avec les états cataleptiformes des aliénés à tel point

que ces deux expressions sont devenues presque synonymes.

Or, l'état cataleptiforme ne constitue, lui aussi, qu'un élément du syn-

drome catatonique; encore est-il beaucoup moins important et moins

constant que les raideurs musculaires.

Les phénomènes principaux que l'on désigne d'ordinaire, depuis

Kahlbaum, sous le nom de catatonie sont les suivants : stéréotypie des

attitudes, des paroles et des actes, étranges et absurdes ; tendance à l'im-

mobilité cataleptoïde, et, fait culminant, tension des muscles, rigidité

presque tétanique, plus ou moins permanente et prononcée; déjà mani-

festée au repos, elle s'exagère dans la résistance opposée par le malade aux

mouvements passifs, résistance dont il faut rapprocher le refus d'ali-

ments, le mutisme absolu. Kahlbaum a donné le nom de négativisme à

cet ensemble de phénomènes d'opposition.

Du syndrome catatonique font encore partie des phénomènes qui sem-

blent à première vue la contre-partie du négativisme : la catalepsie,

l'écholalie, l'échopraxie. Ce second groupe de symptômes n'a pas l'impor-

tance du négativisme ; mais leur affinité est bien mise en lumière par leur

coexistence ou leur succession chez le même individu. Un autre symptôme

important, car il constitue même pour certains auteurs (Sommer) la ten-

dance fondamentale d'où procèdent tous les autres phénomènes catatoni-

ques, de la catalepsie au négativisme : c'est la stéréotypie.

Que le syndrome catatonique puisse exister dans des affections mentales

diverses : mélancolie, folie circulaire, amentia, délires exotoxiques ou

autotoxiques, délires paranoïaques hallucinatoires, démence sénile, para-

lysie générale, hystérie, c'est un fait clinique désormais acquis. Nous y

avons déjà insisté, dans notre premier travail avec M. Chaslin; nous n'y

reviendrons pas aujourd'hui.

Mais, en pareille circonstance, il est le plus souvent réduit à quelques-

334 SÉGLAS

uns de ses éléments, et se montre en général à titre d'épiphénomène tran-

sitoire.

Il est au contraire une forme morbide dans laquelle il se manifeste

d'ordinaire d'une façon plus complète, dans tout son développement et

avec un caractère de durée persistante, c'est la démence précoce.

Ce sont ces cas que Kahlbaum semble surtout avoir eu en vue lorsqu'il

a voulu décrire la catatonie comme entité morbide.

Il est à remarquer toutefois que, même en pareil cas, le syndrome ca-

tatonique ne constitue pas toute la maladie. Il n'occupe qu'une place plus

ou moins prépondérante dans le tableau symptomatique et pendant cer-

taines phases du processus morbide ; et c'est ainsi qu'il contribue à créer

simplement une variété catatonique de la démence précoce.

C'est ce que nous allons voir dans les observations suivantes, presque

typiques à ce point de vue.

Observation I.

P... Eugène, âgé de 30 ans, employé, entré à l'hospice de Bicêtre le 8 février

1899.

Pas de renseignements précis sur les antécédents héréditaires.

Convulsions de l'enfance; fièvre typhoïde à 12 ans, sans suites graves du

côté de l'intelligence.

Le début des accidents mentaux semble dater du retour du régiment. Avant

d'aller au service, P... était gai, ouvert, aimant la société de ses camarades, un

peu orgueilleux. Peu de temps avant son départ, il avait formé le projet de se

marier avec la fille de son contremaître. Etant au service, il revient en congé et,

à la suite d'une « noce avec des camarades, contracta la syphilis. Il en res-

sentit une vive contrariété à raison de l'obstacle qu'il y voyait à ses projets de

mariage, et il ne tarda pas à manifester des idées de persécution et de ven-

geance contre un de ses amis qu'il accusa de lui avoir fait contracter exprès

cette maladie par jalousie.

A son retour du régiment ces idées de persécution ne font que se développer.

Il se figure qu'on le regarde de travers, qu'on fait des allusions sur son compte,

que le père de la jeune fille qu'il aime a de mauvaises intentions à son égard.

Ces idées l'amènent à une tentative de suicide par empoisonnement avec de

la liqueur de Van Swieten.

Il est alors interné une première fois à l'hospice de Bicêtre (1896), où l'on

note de la dépression, des idées de persécution et de suicide, du refus d'ali-

ments. Ces accidents durèrent environ six mois et s'améliorèrent à la suite

d'une pneumonie de façon il pouvoir permettre la sortie du malade.

Après sa sortie, il reprend son travail, revoit la jeune fille et tente de nouer

des relations avec elle. On le fait changer de service; cependant il trouve le

moyen de. s'échapper pour aller se poster sur son passage. On l'envoie passer

quelque temps la campagne.

NOUVELLE ICOVOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. 1V, Pl. XLIII

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE

(J. Séglas).

Masson & Cie, Éditeurs ? IIn ? P ! ! 1 PllfJtotYllle Il-.

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE 335

A son retour (trois mois avant sa nouvelle entrée) il cherche encore à revoir

la jeune fille, redevient triste, sombre, irritable. Il recommence à exprimer des

idées de persécution vis-à-vis de ses camarades d'atelier et même vis-à-vis de

sa famille. Il croit, par exemple, que son frère veut l'empoisonner et il refuse

parfois les mets qu'on lui sert. Un matin, on le trouve une canne à la main,

s'escrimant contre le mur. Son chef de travail, ses camarades lui disent de

reprendre son service ; il refuse, s'emporte ; son frère survient et veut l'em-

mener ; il s'avance sur lui avec un couteau à la main.

C'est à la suite de cette scène qu'il est de nouveau interné dans le service le

8 février 1899. '

1899. - Février. - Mutisme dont le malade ne sort que pour opposer d'une

façon systématique, de brèves dénégations sur les événements qui ont précédé

son entrée.

Facies concentré ; regard anxieux.

Attitude stéréotypée : Reste des journées entières debout, immobile, les yeux

baissés, le sourcil froncé, devant la porte du quartier.

Refus d'aliments pendant quelques jours, sans raison connue.

Au bout d'une quinzaine de jours il devient un peu plus communicatif et

exprime, bien qu'avec réticences, les différentes idées de persécution que nous

avons relatées plus haut.

Mars. - Rémission très notable

Facies plus ouvert, plus expressif; le malade est plus sociable, plus com-

municatif. Il donne volontiers des renseignements sur ses antécédents, sur le

début de sa maladie, sur les persécutions dont il redoutait d'être l'objet. Il

admet qu'il a eu tort sur bien des points, mais il en est d'autres, en revanche,

sur lesquels sa conviction est restée la même (PL XLIII, A).

Il n'est nullement désorienté, se sait à Bicêtre, où il est entré pour se soi-

gner et d'où il espère qu'on le laissera sortir bientôt, quand il sera tout à fait

guéri. ,

Par instants encore, il reprend son attitude immobile, la tête baissée, le

sourcil froncé.

Il mange avec difficulté.

Avril. Période d'agitation anxieuse avec confusion des idées.

Le malade se croit poursuivi par deux familles qui voudraient le dépouiller,

l'escroquer, lui faire une affaire de chantage..., et il réclame aide et protection

contre de pareils méfaits. Il dresse pour se justifier le dossier de ces sales fa-

milles, au point de vue de la santé et de moralité. Il reprend à ce propos

l'histoire de la syphilis qu'on lui aurait. fait contracter exprès en l'enivrant,

dénonce comme voleurs des garçons de la banque Z... et L..., et comme ayant

des relations avec ses ennemis.

Il reconnaît dans des malades du service les sosies de gens qui veulent le

compromettre avec ses ennemis.

« Par ces jeux, écrit-il, 111.M. (un malade) veut m'imposer cette femme et que

des sosies qui représentaient Mme S.. et M.M... sur boulevard de la Villette

que j'ai rencontrés me faisait le jeu de la mort. Le sosie M. M... mettait une

336 SÉGLAS

pélerine noire sur les épaules de Mme S..., la voleuse. » Toutes ces idées dé-

lirantes sont extrêmement confuses et le fragment suivant d'une lettre qu'il

nous remet, par lui-même et surtout par le contraste qu'il offre avec d'autres

lettres de forme très correcte écrites antérieurement, dénote combien les idées

sont désordonnées : « La syphilis, première cause que j'ai été enfermé, Pillou,

voleurs de canne et de santé,avec Mouchez dit Carrara,source de malheurs chez

Debray au moulin. »

Cet état persiste sans modification notable jusqu'au mois de décembre.

Décembre 1899 à juin 1900.

P... qui depuis quelque temps déjà ne mangeait que très irrégulièrement,

refuse complètement toute nourriture, à partir du 5 décembre 1899 jusqu'au

3 juin 1900.

Pendant tout ce temps, il est nourri à la sonde oesophagienne. Il reste toute

la journée au lit dans une attitude stéréotypée, pelotonné en chien de fusil sur

le côté droit, les yeux obstinément fermés. Il est d'ailleurs impossible de

modifier sa position, en raison de la raideur des membres.

Mutisme absolu. Il ne sort de son lit que pour faire ses besoins sur un drap

placé au pied du lit. Il est impossible de le faire aller à la garde-robe en un

autre endroit.

Amaigrissement considérable, cyanose et refroidissement des extrémités. Il

ne paraît pas anesthésique, mais il ne réagit aux excitations cutanées que par

un froncement de sourcils.

3 juin 1900. Le matin, subitement P.. ouvre les yeux, va seul à la

garde-robe et demande de la tisane en se plaignant d'une soif intense. A partir

de ce jour, il se remet progressivement à manger, se lève, descend dans la

cour, lit les journaux, répond aux questions qu'on lui adresse, si elles sont

indifférentes, mais il ne répond pas, lorsqu'elles ont trait sa maladie. La résis-

tance musculaire persiste, mais considérablement affaiblie.

10 août. P... reste à nouveau au lit et l'on voit reparaître les symp-

tômes de la période précédente.

Altitude stéréotypée, raideurs musculaires, mutisme absolu, refus d'aliment.

Il est de nouveau nourri à la sonde jusqu'au 27 novembre.

A cette date, P... recommence à parler, à se lever, à manger, mais en se

bornant au strict nécessaire.

Depuis lors (décembre 1900) jusqu'à l'époque actuelle (avril 1902), à part

quelques variations insignifiantes (courtes périodes de mutisme, de refus d'a-

liments entraînant le gavage), l'état reste très sensiblement le même.

L'attitude présente deux traits capitaux : la raideur, le caractère stéréotypé.

D'ordinaire, P... se tient debout, immobile et raide, les bras pendant le long

du corps, les poings fermés, la tête fléchie, les yeux baissés presque fermés;

le sourcil froncé, les lèvres saillantes en avant (Schnauzkrampf). Il reste

pendant des heures comme figé dans cette attitude ((fI. XLI11, B).

Lorsqu'il vient à l'abandonner pour accomplir quelques mouvements, ceux-ci

présentent des caractères particuliers. Il sont, d'une façon générale, lents, hési-

tants, raides, guindés.

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE 337

Il y a toutefois à ce propos une distinction à établir. C'est ainsi que ces

caractères ne sont pas constants dans les mouvements spontanés.Ils n'existent

pas dans les mouvements stéréotypés dont nous parlerons plus loin et qui

semblent exécutés sans la moindre hésitation. Dans les mouvements non stéréo-

typés mais' spontanés, ces caractères sont atténués et ne se montrent guère

qu'au moment de la mise en train. 11 y a, à cet égard, un contraste entre les

mouvements spontanés et ceux, tout à fait exceptionnels, qu'on peut lui faire

exécuter au commandement.

Ordinairement, l'ordre doit être répété à plusieurs reprises, souvent sans

résultat. Quelquefois au bout d'un temps assez long, P... semble se décider à

se mettre en train, esquisse à grands efforts, en fronçant énergiquement le

sourcil, le mouvement commandé, comme s'il avait une lutte à soutenir, une

résistance énorme à vaincre; puis il s'arrête et s'immobilise sans le terminer

ou l'exécute avec le minimun d'amplitude nécessaire.

Ces particularités s'accentuent encore jusqu'au négativisme moteur dans les

tentatives de mouvements provoqués.

Dès que l'on fait le geste d'approcher la main de lui, avant même qu'on l'ait

touché, on voit P... se resserrer sur lui-même, exagérer encore la tension de ses

membres dans l'extension et l'adduction comme s'il se mettait sur la défensive

et se préparait à la résistance.

Lorqu'on vient à saisir un membre, un segment du corps quel qu'il soit,

pour lui imprimer un mouvement quelconque dans quelque direction que ce

soit, le malade se raidit et résiste à un tel point qu'on l'entraîne parfois tout

d'une pièce,sans pouvoir arriver à lui mobiliser le membre en question.

On peut parfois arriver à ce résultat par surprise ; encore cela est-il très

difficile,car P..., dès qu'il est en présence de quelqu'un, semble toujours sur ses

gardes et se raidit encore plus dès qu'il voit que l'on fait le geste d'approcher

la main. On réussit plus facilement en mobilisant doucement le membre par

segments ou en levant progressivement te bras dans son ensemble par un effort

continu et gradué d'une façon presque insensible, ou bien encore si l'on fait

dériver l'attention du malade sur un autre mouvement à exécuter.

En insistant fortement, par exemple, pour lever le bras d'un côté, on peut,

pendant qu'il s'oppose à ce mouvement, lever l'autre bras presque sans effort

Quoi qu'il en soit, une fois le mouvement provoqué, P... s'immobilise dans

la nouvelle position qu'où lui a ainsi donnée, dans une sorte d'attitude cata-

leptiforme (PI. XLIll, C).

Il est à remarquer' que, dans ces attitudes provoquées, on retrouve les mêmes

caractères de raideur négativistique que précédemment; qu'on a, eu égard à la

résistance opposée par le malade, la plus grande peine à les modifier.

On conçoit que ces attitudes cataleptiformes (ou mieux, catatoniques) peu-

vent être extrêmement variables. Elles sont, comme nous l'avons vu, très

difficiles à obtenir directement ; mais on peut les provoquer beaucoup plus

facilement d'une façon indirecte, sans entrer en lutte avec le sujet. A titre

d'exemple, nous citerons le fait suivant : Un jour que le malade était -placé

sur le campimètre dans l'attitude habituelle pour la recherche du champ visuel,

338 SÉGLAS

on enlève la table, le campimètre et P... continue à rester figé dans la même

attitude.

Une autre fois le malade tire spontanément son mouchoir et lève la main

pour se moucher. Il suffit de lui dire : « Tiens vous allez vous moucher »,

pour que sa tendance à l'opposition lui fasse arrêter le mouvement com-

mencé et l'immobilise le bras en l'air avec son mouchoir.

Ces attitudes se prolongent en général assez longtemps, un quart d'heure

et plus. Pendant tout ce temps les membres gardent strictement leur position,

sans effort apparent. Ils sont absolument immobiles, sans aucune espèce de

tremblement apparent, et l'auscultation du coeur et du poumon ne révèle au-

cune modification du rhythme circulatoire ou respiratoire (1).

En général, les attitudes persistent tant que le malade se sent observé; sitôt

qu'il s'aperçoit qu'on ne le regarde plus, il reprend brusquement son attitude

première. Il suffit cependant de constater ce fait à haute voix devant lui, pour

qu'il garde les attitudes provoquées, même après notre départ.

Il est d'ailleurs à remarquer en général, que le : malade, sitôt qu'il se sent ob-

servé, modifie sa manière d'être dans le sens négativistique. S'il marchait ou

faisait un acte quelconque, il s'arrête et se fige dans l'immobilité. S'il par-

lait, il se tait ; s'il mangeait, il s'arrête dans l'attitude du moment, la cuiller à

la main, la bouche ouverte, fixe et raide.

A côté de ces attitudes nous mentionnerons les actes étranges et stéréotypés.

Quand P... ne se tient pas au pied de son lit ou le long d'un mur dans l'atti-

tude décrite au début, il reste assis sur une chaise, la tête cachée sous sou ves-

ton.

Quand on le gave, l'opération terminée, il se lève comme un automate,

fait deux pas en avant et va se figer debout dans son attitude habituelle, la tête

baissée, le sourcil froncé, devant le lit qui est en face du sien.

Lorsqu'il descend dans la cour, il ne la traverse qu'eu suivant un chemin

particulier et en faisant de nombreux détours inutiles, toujours les mêmes,

puis il se promène, raide, à pas comptés, comme un automate, en fixant le

ciel toujours sur le même sentier et dans le même espace.

Mais la plupart du temps, il s'arrête dans son attitude habituelle auprès

d'un tas de charbon où ii reste immobile pendant des heures, tête nue et quel-

que temps qu'il fasse; ou bien il se réfugie dans un coin de l'escalier où il

reste debout appuyé au mur toujours dans son attitude habituelle pendant des

journées entières.

Collectionnisme : P... a toutes ses poches bourrées de vieux papiers, de

vieux journaux qu'il conserve précieusement. Il a toujours à la main un journal

plié ; parfois il le tient devant ses yeux, dans l'attitude de la lecture ; mais les

yeux restent obstinément fermés et souvent le journal est tenu à l'envers.

(1) N'ayant pas de laboratoire à notre disposition, nous n'avons pu prendre de

tracés. Voir à ce propos : SÉGLAS et BEZAnçoN : Un cas de mélancolie cataleptique

(Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1888).

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE 339

De temps en temps, rires ou pleurs spasmodiques ; les rires sont faciles à

provoquer en riant devant lui. Pas d'autres manifestations d'échopraxie.

Des manifestations de négativisme que nous avons déjà signalées, convient

de rapprocher le refus d'aliments et le mutisme.

Alors même que le mutisme n'est pas absolu, ainsi que cela arrive par pé-

riodes, P... ne cause pas volontiers.

Il est possible cependant, à de certains jours, de communiquer suffisamment

avec lui. Ce qui frappe alors, c'est l'état d'engourdissement, d'apathie intellec-

tuel, l'incapacité d'effort, la lenteur des processus psychiques. L'attention est

chancelante, jamais suivie et s'épuise rapidement au bout de quelques instants

d'examen. Les idées sont toujours mal coordonnées, imprécises, ne se meuvent

que dans un. cercle très restreint et ne s'expriment que sous une forme incom-

plète, puérile. L'expression verbale est à la fois hésitante et défectueuse, le vo-

cabulaire très réduit avec des néologismes et des paralogismes, des formules

stéréotypées, incompréhensibles et que le malade lui-même ne peut expliquer.

La mémoire est lente, paresseuse ; les anciens souvenirs ne sont évoqués

qu'avec peine et seulement dans leurs traits principaux. Il n'y a pas de' déso-

rientation dans le milieu ; la notion du temps est à peu près conservée. Indif-

férence émotionnelle complète. Il ne manifeste pas d'idées délirantes nou-

velles,.mais il conserve celles que nous avons notées au début. Il est un fait

particulièrement à retenir, c'est qu'il ne fournit aucune raison des différents

symptômes que nous venons d'énumérer, de ses attitudes, de son négativisme,

de ses stéréotypies.

« Il ne sait pas, dit-il ; c'est la maladie ; c'est absurde, il y est forcé et ne peut

faire autrement. »

Abandonné à lui-même, il est ordinairement silencieux. Par moment cepen-

dant il déclame à tue-tête certains lambeaux de phrases insignifiantes ou in-

compréhensibles qu'il répète à satiété (verbigération).

S'il ne parle guère, en revanche il écrit beaucoup à certains moments. La

plupart de ces écrits sont incompréhensibles. Ce sont en général toujours les

mêmes, répétés à plusieurs éditions et dans les mêmes termes, avec les mêmes

dispositions de lignes. Au bas de chaque page et même des enveloppes sont

inscrits, toujours dans les angles, les mots Dieu à gauche et Capielo à droite.

Voici d'ailleurs un exemplaire de l'un de ces écrits, qui résume en quelque

sorte toute l'histoire du malade, mais qu'il est lui-même incapable d'expliquer

dans ses détails et ses particularités.

Graphique du sein depuis que je suis à Bicêtre jusqu'à 1901 inclus.

A Dieu l'on c'est fait Bicêtre assasins d'X.

A Dieu l'on a fait le graphique l'on sait ou il l'a eu.

A Dieu Bicêtre c'est fait évoquer au dos a la sonde au sein.

A Dieu l'on tuait la rue Davu de s'évoquer au sein.

Sein Monsner d'Italie Monsieur le Docteur. Il est un fait certain que si l'on

ne m'avait pas fait vivre pendant des mois malgré moi à la sonde je me serais

laissé mourir. Je ne serais plus en train de souffrir à Bicêtre.

Je le jure devant Dieu et devant les hommes.

340 SÉGLAS

A Dieu l'on a tué le sein Badin,

A Dieu l'on a tué la croix de l'Europe au sein.

A Dieu l'on a tué le Vaudoré de toutes les sortes aux assasins à la croix de

Europe.

' A Dieu l'on a tué la semeuse de toutes les sortes aux assasins et au Bafouil-

leur à la croix de l'Europe.

A Dieu au sein d'allemangne l'on a tué la Banque de France et l'Armée

Française.

A Dieu Dieu au sein d'Amérique l'on a tué le marron.

Monsieur le docteur Tous ce que je puis vous dire la femme qui m'a commu-

niqué cette maladie à Montmartre n'avait qu'un sein et était Vérolé.

Je le jure devant Dieu et devant les hommes.

A Dieu l'on a tué les zouaves de toutes les sortes ou assasins à la croix de L'Eu-

rope.

Dieu. Capielo.

C'est un fait indéniable l'on sait que c'est Bicêtre qui me tue. C'est moi qui

a sauvé les cous aux syndicats.

C'est moi qui a sauvé la Banque de France.

C'est moi qui a sauvé la police Française.

C'est moi qui a sauvé la religion chrétienne.

Monsieur le Docteur

ma sortie je vous prie s'il vous plaît

Dieu Vive Monsieur Méline Capielo.

Au point de vue physique, nous noterons que P ? bien qu'il s'alimente assez

irrégulièrement, a considérablement engraissé dans ces derniers temps.

L'examen de la sensibilité dans ses divers modes est presque impossible,

en raison de l'état du malade et doit se limiter à la sensibilité cutanée. Cette

dernière est conservée, car le malade réagit aux excitations cutanées. Mais son

mode de réaction et tout à fait particulier et porte la marque du négativisme

habituel. Il semble que P.... s'applique à s'opposer à tout signe de réaction :

C'est ainsi qu'une excitation cutanée légère provoque simplement un fronce-

ment de sourcils un peu plus marqué, tandis qu'une excitation forte et dou-

loureuse détermine un état de raideur générale exagérée, très manifeste. Parfois

même il est tellement raidi à l'avance, qu'il est impossible de saisir un signe

de réaction. D'ailleurs, lorsque P... consent à répondre, il déclare souvent,

ne fût-ce que par la mimique, avoir perçu les sensations provoquées (1).

Les réflexes tendineux et cutanés sont très exagérés, pas de signe de Rom-

berg. Il y a un degré très accentué de dermostéréographisme (2). Aucun signe

pupillaire.

(1) J. SEGLAS, Signes physiques dans la démence précoce (Soc. méd. psych., 30 juin n

1902).

(2) I. Si.'GLAS et DARCANNE, Le dermographisme chez les aliénés (Ann. méd. psych.,

janv. févr. 1902). Nous avons signalé dans ce travail l'existence constante du dermo-

stéréographisme chez tous nos déments catatoniques et à un degré très accentué de

développement et de persistance.

Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.

T. AV, Yl. YL1V

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE

(J. Séglas).

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE 341

Observation Il.

W. Ernest Louis, âgé de 26 ans, entré le 8 février 1899 à l'hospice de Bi-

cêtre.

Père alcoolique. Un oncle paternel aliéné.

Pas d'antécédents personnels connus.

Il y a six ans, avant de partir au régiment, W. se plaignait déjà de ses ca-

marades d'atelier, mais sans rien spécifier de précis ; en revenant du service,

il se plaignait beaucoup de ses chefs.

Ces tendances aux idées de persécution se sont surtout caractérisées 18 mois

avant l'entrée. Il voyait des ennemis partout, manifestait des craintes d'em-

poisonnement de la part de sa belle-soeur et de sa mère qu'il voulut même une

fois frapper avec une hachette.

Pendant cette période, il eut à souffrir beaucoup de misère et de privations

réelles.

Dans les trois derniers mois, période de dépression générale, incapacité de

s'occuper à quoi que ce soit, torpeur, indifférence, refus d'aliments ; restait

7 à 8 heures sans remuer, ni parler. Amaigrissement.

C'est dans cet état que W... est entré dans notre service (Pl. XL1V, D).

Au bout d'un mois (4 mars 1899), il se modifie, se réveille, s'intéresse à ce

qui se passe autour de lui; mais recommence à manifester de vagues idées de

persécution, des interprétations relatives aux plus petits faits qui se passent

autour de lui. Il est toujours mécontent, contradicteur, facilement excitable.

Même, il ne tarde pas à devenir agité, violent, impulsif, si bien que l'on doit

le faire passer à la Sûreté.

Cet état reste sensiblement le même jusqu'au mois de septembre 1901.

A cette époque il commence à retomber dans un état de stupeur qui s'accen-

tue progressivement.

En octobre, stupidité complète avec syndrome catatonique très accentué ;

immobilité, négativisme, raideur musculaire, mutisme absolu, refus d'aliments,

gâtisme ; Schnaukrampf, attitudes cataleptiformes spontanées et provoquées

dans les poses les plus fatigantes et, dans lesquelles on retrouve, bien que

moins accentués, les traits indiqués à ce propos dans l'observation précédente

(PI. XLIV, E, F).

Au mois de février suivant (1900), cet état se modifie; la stupidité disparaît

W. semble comprendre ce qu'on lui dit, car il obéit aux ordres qu'on lui donne.

Il marche, mais lentement, avec des pauses et se fige encore souvent dans une

attitude quelconque.

Il mange ; mais il continue à garder un mutisme absolu.

La raideur musculaire et les attitudes cataleptiformes ont fait place à une

sorte de trémulation des membres, des grimaces variées,à des rires explosifs

nullement motivés (PI. XLIV, G).

Habitudes stéréotypées comme de se promener en piétinant dans le même

espace, le long de la grille du quartier, son vêtement ouvert, et les deux mains

dans ses poches.

342 SÉGLAS

Ne manifeste pas d'idées délirantes; aucun sentiment affectif. Indifférence

absolue. ·

Pendant toute l'année suivante, l'état du malade reste le même, avec seule-

ment des alternatives dans lesquelles prédominent tantôt les uns, tantôt les au-

tres des symptômes catatoniques que nous venons d'énumérer.Le mutisme est le

seul qui se soit montré d'une façon persistante. Ce symptôme est chez lui très

net comme manifestation de négativisme. En effet, lorsqu'il n'est pas en période

de stupeur, W... cause quelquefois avec les autres aliénés. Mais il ne répond

jamais lorsqu'il est directement interpellé, ou seulement s'il se sent observé,

Le même fait se reproduit à propos de tous ses actes : s'il mange, il s'arrête

lorsqu'on le regarde; s'il se promène, il s'immobilise et prend une attitude fixe

avec une expression de physionomie bizarre, à la fois niaise et narquoise, l'oeil

fixé dans le vide, une sorte de rictus sur les lèvres.

Au point de vue physique, l'examen de la sensibilité cutanée est,comme chez le

malade précédent,le seul qui soit possible.Bien queW.ne réponde pas,il semble

percevoir les excitations cutanées. Parfois il tourne la tête comme pour aper-

cevoir l'endroit où l'on a porté cette excitation ; ou bien, il grimace, souffle,

éclate d'un rire explosif. D'autres fois, au contraire, il fait comme P ? et son

mode de réaction ne consiste que dans une exagération manifeste du négativis-

me, de l'immmobilité et de la raideur. Les réflexes tendineux sont très exa-

gérés, pas de signes de Romberg. Dermostéréographisme (PI. XLV, II) extrê-

mement marqué et persistant; aucun signe pupillaire.

Observation III.

L... Louis, âgé de 27 ans, entré à l'hospice de Bicêtre le 10 mars 1893.

La mère de ce malade a été internée pendant huit mois à l'asile de Ville-

Evrard. Elle a un frère, âgé de 45 ans, qui est paralysé.

Les renseignements que nous avons recueillis sur les antécédents personnels

de L... n'ont rien qui mérite d'être noté.

Le début des accidents actuels remonterait au commencement de l'année

1890.

Ce fut d'abord un état de dépression mélancolique avec idées hypochondria-

ques, idées de suicide, mutisme.

Puis, survint une période d'excitation avec idées polymorphes de persécu-

tion, d'empoisonnement, d'auto-accusation, hallucinations, anxiété, fugues.

Elle fut suivie d'une nouvelle période de dépression plus accentuée que la

première, arrivant presque jusqu'à la stupeur avec refus d'aliments, mutisme.

C'est alors qu'il fut interné en mars 1893.

Je n'ai pu recueillir que très peu de renseignements sur les premiers temps

de son séjour à l'hôpital. Malgré son état d'apathie, on pouvait l'employer aux

corvées. Dès le début, il garda un mutisme obstiné : il refusait les aliments et

ne se nourrissait que de pain et d'herbe qu'il arrachait dans le jardin.

Depuis l'année 1898, époque à laquelle j'ai pu observer directement ce ma-

lade jusqu'à la date actuelle, c'est-à-dire pendant quatre ans, son état n'a pas

subi la plus légère variation.

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE 343

Mutisme absolu : Il n'a pas depuis ce temps, dans aucune circonstance, pro-

noncé une seule parole.

Facies immobile, sans aucune expression émotionnelle transitoire ou per-

manente ; ni triste, ni concentré, ni dément, ni égaré.

Indifférence absolue au milieu : Il ne regarde jamais ce qui se passe autour

de lui, et ne paraît pas même faire attention à ce qu'on lui dit. Il comprend

cependant et exécute les ordres qu'on lui donne, mais après un temps énorme

et avec une lenteur inouïe.

Attitudes stéréotypées (PI. XLV, I). L'hiver il reste assis au pied de son lit,

la tête basse, les mains sur les genoux, sans faire le moindre;mouvement pen-

dant des journées entières. L'été, il se promène ou plutôt il se traîne dans la

cour, pas lents, mesurés, toujours sur le même petit sentier ; quelque temps

qu'il fasse, il ne consent à se chausser que de sabots.

Tous ses mouvements, soit spontanés, soit exécutés au commandement, ont

des caractères très particuliers. Ils sont d'une lenteur extraordinaire,soit pour

la mise en train, soit dans l'exécution, comme si le malade devait déployer un

effort considérable pour vaincre son inertie. L'acte, le plus banal, comme de

tirer la langue, de se lever, de saluer, demande un temps invraisemblable.

Outre leur lenteur, ces mouvements sont comme 'affectés, maniérés jusqu'à

l'absurde, d'une complication ridicule pour les actes les plus simples. Ils sont

aussi onduleux, contournés, rappelant quelque peu en cela les gestes des dan-

seuses javanaises.

Dans les mouvements provoqués, passifs,on ne rencontre une certaine raideur

musculaire que dans les jambes, encore cette raideur est-elle peu accentuée.

Pour les bras on obtient très facilement la mobilité du membre qui se laisse

ployer comme celui d'un mannequin articulé.

Le malade s'immobilise dans une sorte d'attitude cataleptiforme, dans la

position dernière que l'on a imprimée à ses membres (PI. XLV. J). Ces poses ca-

taleptiformes ne persistent pas aussi longtemps que chez les deux malades pré-

cédents et petit à petit, par gradation insensible, les membres reviennent à

leur attitude habituelle.

L... conserve pendant longtemps, dans une immobilité presque complète,

sans secousses musculaires, sans effort apparent, la position indiquée par

M. Babinski, du décubitus dorsal, les cuisses fléchies sur le bassin, les jambes

sur les cuisses, les pieds écartés l'un de l'autre. Il ne présente pas d'ailleurs

dans l'exécution des mouvements volontaires de troubles de l'équilibre ciné-

tique (i).

Echokinésie incomplète. Le malade ébauche les mouvements commencés

devant lui, mais sans jamais les reproduire complètement dans toute leur

ampleur.

Pas de signes objectifs d'idées délirantes, ni d'hallucinations.

Au physique, troubles vaso-moteurs des extrémités extrêmement accentués.

(1) Babinski, De l'équilibre volilioanel statique et de l'équilibre volitionnel cinétique

(Société de Neurologie, 15 mai 1902).

344 SÉGLAS

Dermostéréographisme très net. Il ne semble pas y avoir de troubles de la

sensibilité cutanée, sauf un retard énorme de la réaction à l'excitation. Réflexes

tendineux très exagérés. Pas de signes pupillaires. Cyto-diagnostic du liquide

rachidien négatif.

1° Il nous semble bien inutile d'insister sur le diagnostic différentiel de

la forme morbide à laquelle appartiennent les trois observations qui pré-

cèdent, tant elles correspondent exactement aux descriptions les plus ré-

centes de la démence précoce ou juvénile.

D'autre part, si l'on se reporte à l'aperçu sommaire, que nous avons

donné au début, de la catatonie de Kahlbaum,on ne peut qu'être frappé de

la ressemblance que ces observations offrent dans leur évolution et leur

symptomatologie, avec le type clinique dont cet auteur avait voulu faire

une entité morbide distincte.

Cette double coïncidence ne constitue-t-elle pas comme la démonstra-

tion clinique de la théorie de Kroepelin qui considère la catatonie deKahl-

baum comme une variété de la démence précoce, la variété catatonique.

1° Il est encore un fait clinique que ces observations mettent bien en

évidence. C'est le caractère complet du syndrome catatonique dans la dé-

mence précoce, le développement de chacun de ses éléments constituants et

sa longue durée.

Il nous serait facile, si ce n'était dépasser les limites de cet article, de

citer de nombreux cas de formes vésaniques les plus diverses, imbécillité,

hystérie, épilepsie, paralysie générale, démence sénile, mélancolie,

confusion mentale, délires auto et exotoxiques, dans lesquels on a pu

observer,d'une façon transitoire ou à l'état isolé, quelques-uns des éléments

du syndrome catatonique. Ce sont là d'ailleurs des faits bien connus de

tous les aliénistes.

Cette opposition ne ferait que mettre mieux en lumière la constatation

suivante : c'est seulement sur le terrain de la démence précoce que le

syndrome catatonique atteint, comme chez nos trois malades,des caractères

aussi prononcés de développement, d'intensité, de permanence.

3° Parmi l'ensemble des symptômes psycho-moteurs qui constitue la

catatonie, ona le plus souvent, en France, l'habitude de considérer comme

caractéristique et suffisante, la conservation des attitudes passives, si bien

que attitudes cataleptiformes et catatonie sont devenues chez nous presque

DÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE 345

synonymes. C'est là une erreur, car les attitudes cataleptiformes ne sont

qu'un symptôme et relativement peu fréquent de la catatonie (1).

En réalité, la catatonie comporte un ensemble de symptômes psycho-

moteurs, et dans le syndrome catatonique tel qu'il se présente dans la

démence précoce, constitué comme nous l'avons vu plus haut, le phéno-

mène saillant, capital, c'est le négativisme.

Le négativisme peut être plus ou moins accusé. Tantôt il se traduit par

l'opposition, la résistance constante, les raideurs musculaires, l'immobi-

lité de l'attitude.

Tantôt il n'atteint pas un degré aussi accentué et ne se manifeste que

par la contrainte, la gêne, l'hésitation, la lenteur que l'on remarque dans

toutes les manifestations de l'activité psycho-motrice et que Finzi et

Vedrani ont désignées sous le nom d'empêchement psychique (intoppo

siclaico).

Un autre élément non moins important, en raison de sa constance, de

son développement, de sa signification psychologique, réside dans les

stéréotypies qui semblent former comme un trait d'union entre les

symptômes du négativisme, et un second groupe de phénomènes constitué

par la catalepsie, l'écholalie, l'échopraxie. -

Ceux-ci sont loin d'avoir une importance aussi considérable que les

précédents. Ils ne se distinguent guère, dans leur apparence extérieure, des

symptômes de nature identique que l'on rencontre dans d'autres formes

mentales (hystérie, paralysie générale, etc.).

Le caractère différentiel est que dans ces maladies ils ne s'associent pas

avec l'empêchement (intoppo) psychique et le négativisme, comme c'est

au contraire le cas dans la démence précoce, à tel point que ces derniers

symptômes sont presque pathognomoniques de la variété dite catatonique.

L'affinité de ces deux groupes symptomatiques en apparence si diffé-

rents se trouve déjà mise en évidence par les observations cliniques qui,

comme les précédentes, nous montrent leur succession, leur transforma-

tion, ou bien leur coexistence et jusqu'à leur association chez un seul

individu.

4" Il est d'ailleurs à remarquer que tous ces symptômes peuvent être

rapportés à un même processus psychopathologique fondamental.

A l'encontre de Kahlbaum qui ne voyait dans les phénomènes catato.

niques que de simples spasmes musculaires, Kroepelin a fait ressortir leur

origine psychique.

A cet égard, il est encore un point par lequel se distinguent les phéno-

(1) P. l\ ! ASO¡ : o1, Remarques sur la catalonie (Journ. de Neurologie, 1902).

xv 23

346 SÉGLAS.

mènes catatoniques de la démence prévue, et qui est bien évident chez

nos trois malades : c'est leur caractère de phénomènes élémentaires, auto-

matiques, leur indépendance absolue dans la conscience du malade, l'ab-

sencederelation avec des idées délirantes, des hallucinations, des troubles

émotionnels.

Que l'on interroge ces malades dans leurs intervalles lucides sur la rai-

son des bizarreries de leur attitude, de leur conduite, de leurs mouve-

ments : parfois, ils peuvent donner une raison, mais elle est absurde et

incompréhensible.Le plus souvent,ou ils ne répondent pas comme L..., ou

ils disent comme P..., qu'ils ne savent pas, que c'est la maladie, que c'est

absurde, mais qu'ils y sont forcés, qu'ils ne peuvent pas faire autrement;

W... même, en période de mutisme, exprimait par une mimique très

expressive qu'il ne savait pas pourquoi il était ainsi.

Ce caractère est surtout évident dans le négativisme qui n'est, dans ce

cas particulier, que l'opposition, la négation élémentaire, universelle,

sans justification, sans délire, sans hallucination, sans douleur morale,

complètement automatique (1).

Mais, de tels phénomènes d'automatisme ne peuvent être que des co-

rollaires. La condition première qui en constitue le substratum, c'est

l'insuffisance permanente ou épisodique, partielle ou généralisée, de

cohésion entre les éléments divers qui constituent l'agrégat personnalité ;

c'est le défaut d'unité, de synthèse, d'activilé volontaire, c'est l'aboulie.

Il peut sembler étrange, au premier abord, que l'opposition, la résis-

tance puissent être une manifestation aboulique. Mais il faut se rappeler

que la volonté peut être aussi bien perdue comme pouvoir d'arrêt que

comme pouvoir d'action.

Ce défaut de synthèse, cette aboulie s'imposent en quelque sorte, s'ils

échappent à une analyse minutieuse dans le négativisme accentué, qui se

manifeste comme une tendance instinctive de défense individuelle, sans

motivation consciente,parfaitement inutile,à laquelle le malade obéitd'une

façon automatique, involontaire.

Les cas moins accentués se prêtent mieux à l'analyse psychologique, et

c'est ainsi que dans l'empêchement psychique, il est souvent possible de

saisir dans sa contrainte, dans ses hésitations, dès qu'on demande au ma-

lade de faire une action, ou même dès qu'il désire spontanément en faire

une, les manifestations automatiques de contraste psychique, qui ne

sont souvent qu'une forme atténuée, supérieure, du négativisme, le dé-

faut de synthèse, l'empêchement de se décider et d'agir.

(1) Santé de SANCTIS, Ilsicopathologia délie idée di negazione (111anicolllÍo 7)2ÔdP ! '170,

anno XVI, ne 3).

EÉMENCE PRÉCOCE ET CATATONIE 341

Il est encore un autre symptôme dans lequel on retrouve des caractères

habituels aux abouliques, c'est la stéréotypie. On sait, en effet, que pour

être aboulique, un malade n'en est pas réduit à l'inertie absolue. Les

actes qu'il est surtout impuissant à accomplir sont les actes nouveaux,

conscients; mais il reste capable d'exécuter des actes anciens, habituels,

subconscients. Souvent même, ce malade, qui agit si difficilement, ne peut

plus s'arrêter, quand il a commencé une action, ou s'empêcher de la ré-

péter, s'il en a une fois pris l'habitude.

Or, il est très curieux de noter le contraste qui existe entre la con-

trainte, l'hésitation du catatonique à exécuter des actes nouveaux ou

commandés, et l'aisance relative avec laquelle il accomplit des stéréo-

typies. C'est que ces actes stéréotypés, en raison même de leur répétition

fréquente et sous la même forme, n'exigent pas comme les actes nouveaux

une adaptation particulière à la circonstance présente et ne s'exécutent

que sous le coup d'une sorte d'entraînement automatique.

Ces considérations, si brèves qu'elles soient, nous permettent de com-

prendre l'existence possible des symptômes du second groupe (catalepsie,

écholalie, échopraxie). Eux aussi, comme les phénomènes de négativisme,

se présentent sans motivation logique dans la conscience du malade,

comme des phénomènes élémentaires. Si opposés qu'ils semblent au

premier abord, ils ne supposent pas moins également, « une dissociation

complète des éléments qui déterminent l'impulsion motrice et la perte

presque complète de contrôle de la part du sujet sur ses propres

actes (1) ».

L'activité motrice de ces malades se trouve, du fait de leur aboulie,

toujours diminuée, ainsi qu'en témoignent la paresse, la lenteur de leurs

mouvements,la tendance à garder souvent une immobilité presqu'ahsolue.

Ce fonds d'aboulie constitue un terrain de choix pour les manifestations

de la suggestibilité, écholalie, échopraxie, attitudes cataleptiformes, dont

le mécanisme semble devoir aussi se rapprocher beaucoup chez les dé-

ments catatoniques de celui que l'on attribue à ces mêmes symptômes

dans l'hystérie.

Il est un élément du syndrome catatonique, particulièrement propre à

montrer les rapports étroits qui unissent les deux ordres de symptômes,

négativisme et suggestibilité, et leur commune origine. Ce sont les stéréo-

typies.

Cetle tendance à la répétition d'attitudes, de mouvements, de paroles

identiques montre bien ici le défaut d'activité volontaire, l'aboulie intel-

1) Finzi et VEI111ANI, loc. cet.

348 séglas

lecluelle et motrice de ces malades, le caractère inconscient, automatique

de leur activité apparente ; et la persistance possible d'un petit groupe de

représentations déterminées dans le cercle très restreint de la pensée.

Ces caractères psychologiques des divers symptômes catatoniques dans

la démence précoce sont d'autant plus faciles à s'expliquer qu'on envi-

sage le fonds mental sur lequel ils reposent ; fonds commun à toutes les

variétés de démence précoce et caractérisé surtout par la passivité de l'es-

prit, l'aboulie, la perte de l'activité intellectuelle, sa lenteur des processus

psychiques, l'affaiblissement progressif de la synthèse mentale (1).

Nous nous contenterons de signaler ici ce point de psychopathologie,

que nous nous réservons de traiter ailleurs avec tous les développements

qu'il comporte. - '

(1) R. lIIAssELou, Psychologie des déments précoces. Thèse de Paris, 1902.

EXOSTOSES MULTIPLES A TENDANCE SUPPURATIVE

PAR R

P. E. LAUNOIS, et PIERRE ROY,

Prof. agrégé à la Faculté. Interne des hôpitaux.

D'assez nombreuses observations relatant l'existence d'exostoses multi-

ples développées sur le squelette de l'homme ont été publiées dans ces

dernières années. Dans un récent mémoire très documenté, Auvray et

Guillain (1) ont réuni tous les faits connus et rapporté deux cas nouveaux

assez disparates mais néanmoins fort intéressants.

Les caractères objectifs de la maladie exostosique commencent à se pré-

ciser avec assez de netteté. Symétriques le plus souvent, siégeant habi-

tuellement au voisinage des extrémités des os longs, groupées de préfé-

rence autour des cartilages juxta-épiphysaires, les saillies osseuses sont,

en général, contemporaines du développement du squelette. Elles peu-

vent passer inaperçues pendant assez longtemps, persister indéfiniment,

régresser même parfois. Elles demeurent presque toujours indolores, mais

sont cependant capables de déterminer des troubles de compression dans

leur voisinage.

Quant à la nature de cette singulière affection, elle reste encore bien

obscure ; les notables dissemblances, qui existent dans nombre des faits

publiés et en particulier dans les deux rapportés par Auvray et Guillain,

montrent bien qu'une pathogénie univoque ne peut être admise actuelle-

ment.

La première observation de ces auteurs concerne une jeune fille de

16 ans, opérée à l'âge de 4 ans d'une exostose de l'humérus, à 16 ans

d'une exostose sous-unguéale du gros orteil droit et présentant, au mo-

ment où ils l'ont examinée, plus de 150 exostoses disséminées sur le

squelette. Ces exostoses sont petites, indolores ; elles siègent, d'une façon

relativement assez symétrique, sur les os des membres, les côtes, etc.

Leur second malade, homme de 28 ans, ayant des antécédents hérédi-

(1) AUVIIAY et GUILLAIN, Des exostoses ostéogéniques multiples, in Archiv. Générales

de Médecine, mai 1901.

350 LAUlYOIS ET ROY

taires tuberculeux (mère et deux frères morts de tuberculose pulmonaire),

vit apparaître, alors qu'il était parvenu à l'âge de 18 ans, des exostoses

sur les os des bras et des jambes. Ces exostoses allèrent en se multipliant

au point que 10 ans après leur apparition, elles étaient au nombre d'en-

viron 150. Quelques-unes suppurèrent et la suppuration s'accompagna de

l'élimination de séquestres au niveau de la partie inférieure des deux

jambes, des deux dernières phalanges de l'index du médius de la main

gauche. Pendant leur évolution, à l'âge de 20 ans, survint une hémiplégie

gauche que M. Klippel attribua à l'existence d'une exostose endocrâ-

nienne.

Le premier de ces deux faits répond bien à la description classique des

exostoses ostéogéniques ; il concerne en effet des productions osseuses

dérivant du cartilage juxta-épiphysaire par un vice, probablement héré-

ditaire, du développement du squelette.

Par contre, le second, dans lequel est survenue la suppuration, se rap-

proche davantage des exostoses infectieuses, c'est-à-dire des exostoses par

ostéite.

Sans doute, les auteurs précités font remarquer que les différences entre

ces deux catégories d'exostoses (ostéomes ostéogéniques et exostoses infec-

tieuses) ne sont peut-être pas irréductibles et que la manifestation térato-

logique n'est pas toujours sans aucun rapport avec l'infection ou l'intoxi-

cation (rachitisme, rhumatisme, tuberculose, syphilis). Mais il n'en est

pas moins vrai que l'évolution vers la suppuration, observée dans le

second cas, constitue un caractère différentiel qui le sépare nettement

des exostoses ostéogéniques multiples, toujours indolentes et non compli-

quées.

L'observation, que nous publions, ne nous parait pas capable, à cause

de sa complexité, d'éclairer la pathogénie des exostoses multiples. Comme

chez le malade observé par Klippel, Auvray et Guillain, nous avons cons-

taté l'existence d'exostoses multiples, la suppuration d'un certain nombre

d'entre elles, une mutilation des doigts (médius et index) de la main

gauche et enfin, pour que la similitude soit tout à fait complète, la pro-

duction d'une hémiplégie gauche, mais passagère. La coexistence de trou-

bles sensitifs très marqués nous a paru rendre plus insoluble encore le

problème clinique, déjà si complexe, qui s'était posé devant nous. Nous

avons été amenés à rechercher si les différentes manifestations morbides

que nous observions chez notre malade étaient susceptibles d'une inter-

prétation univoque, mais il nous faut avouer que nous n'avons pu la

trouver. Quoi qu'il en soit il nous a paru que ce fait, qui a été de notre

part l'objet d'une observation aussi complète que possible, méritait d'être

rapporté dans ses détails, ne serait-ce qu'au point de vue documentaire.

EXOSTOSES multiples A TENDANCE suppurative 351

Observation.

Exostoses multiples, ayant suppuré. - Syndrome syryngomyélique (ampu-

talions spontanées des doigts, tfiermo-anestlcésie) chez un homme de trente et

un ans, hystérique et tuberculeux.

Louis D..., camelot, âgé de trente et un ans, est entré à l'hôpital Tenon

(salle Barth, lit n° 2), le 24 mai 1902, pour une bronchite chronique. Les

phénomènes qui attirent de suite l'attention sont des mutilations spontanées

de l'index et du médius de la main gauche et la présence d'exostoses sur

différentes pièces du squelette.

L'interrogatoire du malade nous apprend que son père est vivant et bien

portant, que sa mère est morte de tuberculose en 1880, à l'âge de trente-neuf

ans, qu'un frère a succombé à la même infection en 1878, à l'âge de sept ans.

Il n'a jamais entendu dire qu'aucun membre de sa famille ait présenté des

malformations du squelette analogues à celles dont il est porteur. Lui-même

n'a jamais été malade pendant son enfance.

Il a eu un écoulement purulent de l'oreille gauche et ne présente aucune

malformation dentaire, aucune trace de kératite. 1

Après avoir été ajourné deux fois par le conseil de révision, il fut, la

troisième année, incorporé (Novembre 1895) dans un régiment d'infanterie

en garnison à Caen, ville dans laquelle il avait vécu, aidant son père dans un

commerce de papeterie.

Après trois mois de service actif bien supporté, il fut détaché, à Paris, au

service de la carte.

L'oisiveté relative de ses fonctions fut pour lui l'occasion d'excès de tous

genres, vénériens et autres ; il buvait par exemple trois à quatre absinthes

par jour, mais nie avoir jamais contracté la syphilis. A cette époque, ses forces

déclinant, il ne tarda pas à être proposé pour la réforme et à entrer au Val-de-

Grâce. C'est dans cet hôpital qu'on remarqua pour la première fois (mai 1894)

l'existence, dans la partie inférieure de la jambe gauche, de quelques petites

exostoses auxquelles on ne sembla pas d'ailleurs attacher grande importance.

Rentré dans la vie civile, D... continua ses excès alcooliques, favorisés par

la nouvelle profession de son père qui était venu s'installer comme marchand

de vins à Paris.

Au mois de juin de la même année (1894), les exostoses augmentèrent ra-

pidement de volume.

Le 1S juin, la peau s'étant ulcérée au niveau d'une des saillies osseuses de

la jambe gauche, le malade demande son admission à l'Hôtel-Dieu et est placé

dans le service de M. le professeur Duplay, où il resta pendant six mois. Pen-

dant ce long séjour dans le service de clinique chirurgicale, il subit plusieurs

opérations avec décollements plus ou moins étendus des parties molles.Nous en

retrouvons aujourd'hui les vestiges sous formes de longues cicatrices blanchâ-

tres siégeant à la face interne et externe des membres inférieurs.

La cicatrice qui occupe la paroi externe du creux axillaire est de date plus

récente

352 LAUNOIS ET ROY

Le 5 juillet (189 ! ), après une bonne nuit, le malade se réveille à 7 heures

du matin et s'aperçoit qu'il est paralysé, incapable de remuer aucun membre

et de descendre de son lit. Il perd ensuite connaissance et demeure pendant

deux jours dans un état comateux.

La motilité revient, au bout de ce temps, dans les membres du côté droit;

ceux du côté gauche demeurent, par contre, impotents, tout eu conservant

les attitudes passives qu'on leur imprime (attitudes catatoniques). En même

temps existent et persistent pendant deux mois environ des troubles assez

marqués de la parole, se manifestant surtout pour les mots d'épreuves.

Ces différents accidents nerveux furent traités par les frictions mercurielles

et l'iodure de potassium.

A sa sortie de l'Hôtel-Dieu (janvier 1895), le malade a recouvré l'usage de

ses membres ; il traîne cependant encore la jambe droite. Les trajets fistuleux

ne tardent pas à se cicatriser complètement.

La plupart de ces renseignements nous ont été confirmés par M. le Dr De-

moulin, chirurgien des hôpitaux, alors chef de clinique à l'Hôtel-Dieu.

De 1895 à 1902, D..., ayant émigré en Italie, y mène une existence assez

aventureuse, jouant dans les théâtres ou chantant dans les cafés-concerts.

Pendant cette période de cinq années, il n'a cependant pas été sérieusement

malade.

En décembre dernier (1901) des exostoses apparaissent au niveau des

troisièmes phalanges de l'index et du médius de la main gauche. La peau

s'ulcère peu peu à leur niveau. En l'espace de deux mois, la cicatrisation se

fait progressivement, toutefois elle s'accompagne de la perte des deux pha-

langettes (amputations spontanées) (PI. XLVI). Ces derniers accidents furent

soignés à l'Archiospedale di San Spirito in Sassia, à Rome.

A son retour en France, il se sent fatigué, souffre d'un point de côté droit,

est tourmenté par une toux quinteuse ; voyant ses forces diminuer, il entre

à l'hôpital Tenon.

Le malade présente actuellement un grand nombre d'exosloses disséminées

sur les différents segments du squelette ; elles sont surtout nombreuses aux

membres inférieurs ; les extrémités inférieures des tibias et des péronés sont

hérissées de petites saillies osseuses assez irrégulières, atteignant ou dépas-

sant la grosseur d'un pois, et néanmoins très perceptibles sous les téguments.

Les extrémités supérieures des mêmes os et la partie inférieure des fémurs

présentent des saillies osseuses similaires qui hérissent les condyles fémoraux

ou tibiaux (Fig. 1).

On en trouve encore le long de la crête iliaque, sur les côtes, sur les clavi-

cules, sur les os des deux mains (métacarpiens et phalanges), sur l'extrémité

inférieure des os de l'avant-bras. Dans le pli cutané qui unit le pouce à l'index

du côté gauche, on perçoit également une petite masse dure du volume d'une

lentille.

Les exostoses les plus volumineuses et les plus faciles à sentir siègent l'une

à l'union du tiers inférieur avec le tiers moyeu du radius droit, l'autre à l'u-

nion du tiers supérieur avec le tiers moyen de l'humérus du même côté ; la

Nouvelle Iconographie DE la Salpêtriere. T. XV, PI. XLVI

EXOSTOSES MULTIPLES A TENDANCE SUPPURATIVE

Amputations spontanées des doigts.

(P.-E. Launois et Pierre Roy).

Masson & Cie, Éditeurs

EXOSTOSES MULTIPLES A TENDANCE SUPPURATIVE 353

première a le volume d'une noisette, la seconde celui d'un oeuf de pigeon. On

n'en retrouve pas le long de la colonne vertébrale, qui ne présente d'ailleurs

aucune déviation, scoliotique ou autre (fiez. 2).

Quant à la main gauche, où se sont produites les amputations spontanées du

médius et de l'index, elle revêt le type observé dans le panaris analgésique de

11101'van; l'index et le médius, privés de la plus grande partie de leur 3e pha-

Fig. 1. - Répartition des exostoses sur le

squelette de Louis D...

Fig. 2. - Décalque de la radiogra-

phie du bras droit. Exostoses de

l'humérus et du cubitus.

354 LAUNOIS ET ROY

lange, présentent un moignon d'amputation régulier, sur lequel on retrouve

encore quelques vestiges de l'ongle (PI. XLVI).

La radiographie de cette main est des plus démonstratives au point de vue

des mutilations du squelette. Non moins démonstratives sont les épreuves ra-

diographiques du bras droit et des deux jambes. Elles permettent de voir des

exostoses plus ou moins volumineuses, groupées non seulement autour des

épiphyses, mais encore tout le long de la diaphyse. Au niveau de la partie

inférieure et externe de la jambe gauche, on note une disparition complète du

péroné sur une étendue de 3 à 4 centimètres.

L'examen radioscopique des autres parties du corps a révélé l'existence

d'un assez grand nombre d'autres saillies osseuses, la plupart perceptibles

par la palpation. Nous en avons compté jusqu'à 40, mais ce chiffre reste très

certainement inférieur à la vérité (PI. XLVII).

Chez ce malade qui présentait des exostoses multiples, une disparition du

péroné gauche, des amputations spontanées de la main gauche, nous avons été

amenés à étudier avec soin les troubles de la sensibilité. Il nous a été facile de

constater une thermoanesthésie totale et complète occupant tout le côté gauche

du corps, y compris la face.

Cette thermoanesthésie s'accompagne d'analgésie complète dans la même ré-

gion. '

La sensibilité au tact est presque entièrement abolie dans le côté gauche,

sans l'être toutefois d'une façon constante. C'est ainsi que lorsqu'on applique

un tube renfermant de l'eau chaude sur la cuisse ou le bras gauches, le malade

accuse parfois une sensation analogue à celle que provoquerait le frôlement d'un

morceau de papier. Il s'agit là d'une hémianesthésie aux trois modes, plus ac-

cusée pour la sensibilité à la chaleur et à la douleur, comprenant la face, ces-

sant régulièrement sur la ligne médiane, mais épargnant néanmoins quelques

zones de la face postérieure du même côté gauche du corps. A la plante du

pied, à la région lombaire, à la face postérieure de la cuisse, la sensibilité aux

trois modes persiste en partie, bien que toujours très obtuse.

De ce même côté on note encore d'autres troubles de la sensibilité objective :

hémianesthésie delà langue, diminution de l'acuité auditive, rétrécissement

du champ visuel, abolition complète du sens sléréognostique. Il existe enfin de

l'anesthésie de la conjonctive et de l'abolition du réflexe pharyngien, du ré-

flexe nasal, ainsi qu'une zone hysté1'Ogène dans la fosse iliaque et sur la face

antérieure de la cuisse droite.

Du côté gauche encore, où se seraient produits en 1894 les troubles paraly-

tiques, la force musculaire est notablement diminuée, mais la démarche est nor-

male ; il n'y a pas d'atrophie musculaire, ni de signe de Babinski. Les réflexes

tendineux, achilléen, patellaire, du poignet, olécranien sont exagérés, mais ils le

sont d'une manière à peu près égale des deux côtés.

Comme altérations viscérales, le malade présente tous les signes d'une infil-

tration tuberculeuse du poumon gauche (craquement au sommet, râles sous-

crépitants à la base) sur laquelle nous ne croyons pas devoir insister plus Ion-

Nouvelle Iconographie DE la SALPL'TRIRE. T. XV, Pl. XLVII

EXOSTOSES MULTIPLES A TENDANCE SUPPURATIVE

(P.-E. Launois et Pierre Roy).

Exostoses et fractures spontanées des membres inférieurs.

(Radiographie).

Masson & Cie, Éditeurs

EXOSTOSES MULTIPLES A TENDANCE SUPPURATIVE 355

guement. Il n'y a pas d'expectoration et la recherche des bacilles n'a pu être

faite.

En résumé, le malade, qui fait le sujet de cette observation, est un

homme âgé de trente et un ans, porteur d'exostoses multiples, dont quel-

ques-unes se sont accompagnées de suppuration, présentant une main de

Morvanetdes troubles de la sensibilité caractérisés par une hémianesthésie

sensitivo-sensorielle totale y compris la thermo-anestbésie du côté gauche.

Une cause unique est-elle capable d'expliquer ces différents troubles,

quelle est leur pathogénie, de quelle interprétation sont-ils suscepti-

bles ?

Ces exostoses multiples rentrent-elles dans le groupe des exostoses dites

ostéogéniques ? Leur nombre, leur siège de prédilection au niveau des

épiphyses, leur symétrie relative aux membres inférieurs sont des

caractères qui les en rapprochent. Mais leur symétrie ne se retrouve pas

aux membres supérieurs, leur prédilection pour les épiphyses est très

relative, l'âge (vingt-trois ans) auquel elles ont été reconnues, l'absence

de malformations osseuses similaires chez ses parents constituent autant

de caractères différentiels qui nous semblent devoir être mis en valeur.

Plusieurs de ces exostoses se sont accompagnées de suppuration, compli-

cation qui n'a jamais été signalée dans les exostoses ostéogéniques. Enfin,

la disparition partielle du péroné gauche est la preuve d'un processus

destruètif intense et tout à fait spécial.

Est-ce à ce même processus qu'il faut attribuer la résorption des pha-

' langes des doigts de la main gauche, qui s'est produite il y a dix mois ?

Au dire du malade, l'ulcération primitive aurait débuté au niveau d'une

petite exostose siégeant à la phalangette et analogue à celles qu'on per-

çoit actuellement sur les métacarpiens

Cette résorption phalangienne est bien anormale ; en la voyant s'ac-

compagner de troubles de la sensibilité, en particulier d'une thermo-

anesthésie très accusée, on est naturellement amené à incriminer la

sY1'yngomyélie. Sans doute, notre malade est, avec un appoint éthyli-

que probable, un hystérique avéré : il présente d'indéniables stigmates

d'hystérie (abolition des réflexes pharyngien et cornéen, zones hystéro-

gènes, rétrécissement du champ visuel à gauche), auxquels il faut peut-

être ajouter son hémianesthésie sensitivo-sensorielle. En outre, l'hémi-

plégie de 1894, survenue à l'âge de vingt-quatre ans, un matin au réveil,

s'accompagnant d'attitudes cataleptiformes et disparaissant complètement,

sans laisser à sa suite ni contracture ni atrophie musculaire, semble bien

avoir été d'origine dynamique.

356 LAUNOIS ET ROY

Mais d'autre part, on a cité des cas (Déjerine et Sottas (4) Hauser (2)

etc.), rares, il est vrai, où la thermoanesthésie syringomyélique était

exactement limitée à une moitié du corps. De plus, bien que les lésions

osseuses de la syringomyéliese traduisent surtout par de l'ostéite raré-

fiante, des exostoses ont été signalées dans cette affection : Déjerine, sur

un de ses malades de Bicêtre, a vu « une exostose du volume d'un oeuf

de pigeon, à l'union du tiers supérieur avec les deux tiers inférieurs du

cubitus, remontant à de longues années, et qui avait été diagnostiquée

non syphilitique par Ricord » (3). Il nous semble intéressant de rappeler

à ce propos que, d'après Tordeus (4), les exostoses multiples seraient sous

la dépendance d'une lésion du système nerveux. « La multiplicité de ces

productions osseuses, écrit-il, leur disposition symétrique, signalées dans

la plupart des cas, font présumer, à priori, une origine nerveuse ; en

d'autres termes, selon moi, cette affection serait liée à un trouble trophi-

que consécutif à une lésion non encore définie du système nerveux, sans

doute, je ne puis m'appuyer, pour défendre cette opinion, sur aucune

expérience, ni même sur les données de l'anatomie pathologique. Mais

certains faits cliniques bien connus tendent à établir qu'il existe réelle-

ment un rapport entre les lésions des os et certaines altérations du sys-

tème nerveux.

Dans la paralysie spinale infantile, on constate souvent une atrophie et

même une hyperlrophie des os, sans qu'on puisse rattacher cette atrophie

à l'inaction forcée des membres paralysés ; car il n'y a souvent pas de

proportion entre la paralysie atrophique des muscles et l'arrêt du deve-

loppement des os... Charcot se base même sur ces faits pour établir le

rapport existant contre la nutrition du système osseux et certaines alté-

rations des centres nerveux... Il est donc permis de croire à l'influence du

système nerveux sur la production des exostoses multiples et peut-être

même de localiser le siège du processus pathologique dans la substance

grise des cornes antérieures de la moelle. C'est là, en effet, d'après Erle

que se trouve le centre qui préside aux troubles trophiques du système

osseux. n

Toutefois, malgré cette main de Morvan, malgré ces lésions du sque-

lette, nous ne nous sommes pas arrêtés à ce diagnostic de syringomyélie,

parce que, si nous avons trouvé des réflexes tendineux exagérés des deux

(1) Déjerine ET SOTTAS, Un cas de syringomyélie unilatérale. Soc. de Biologie, 23

juillet 1892.

(2) Hauser, Etudes sur la syringomyélie. Thèse de Paris, 1901. Obs. V, schémas

17 à 20.

(3) DÉJERINE, Tr. de palh. gén., t. V, p. 1101.

(4) ToRDEus, Clin. de Bruxelles, 17 août 1893.

EXOSTOSES MULTIPLES A TENDANCE SUPPUPATIVE 357

côtés, nous n'avons constaté ni atrophie musculaire, ni scoliose, etsurtout

parce que l'anesthésie, comprenant la face, frappant d'emblée et sans la

moindre disposition radiculaire ou segmentaire la totalité du membre

et sous tous les modes sensitifs, reproduit trop bien l'allure de l'hémia-

nesthésie hystérique pour qu'on ne pense pas qu'il y a là plus qu'une

simple association morbide.

De même qu'on avaitsongé la syringomyélie, on fut amené également à

soulever l'hypothèse de la lèpre, en tenant surtout compte des troubles

sensitifs et trophiques que présentait le malade. Mais, ayant passé sa vie

soit à Paris, soit à Rome, il ne semble guère avoir été à un moment donné

exposé à la contagion de cette maladie. On n'a pas non plus jusqu'à pré-

sent signalé les exostoses multiples parmi les troubles trophiques divers

que détermine, dans l'organisme de l'homme, le bacille d'Armaner Han- '

sen. Enfin les troncs nerveux ne semblent pas augmentés de volume et

l'examen du sang nous a permis de constater un taux leucocytaire normal,

sans augmentation de nombre des éosinophiles.

On a, dans ces dernières années, émis l'hypothèse que la tuberculose

était susceptible de déterminer la maladie exostosique. Onpeut, il est vrai,

objecter tout d'abord que « la tuberculose est si répandue à notre époque

qu'il n'y a pas lieu d'attacher une grande importance aux coïncidences,

si frappantes soient-elles, qu'elle présente » (Royer) (1). Mais l'infection

par le bacille de Koch, soit chez le malade lui-même, soit chez ses ascen-

dants directs ou ses collatéraux, a été notée trop souvent pour qu'il faille

admettre « autre chose qu'une coïncidence fortuite » (Lejars) (2). Brun (3)

rapporte cinq cas d'exostoses multiples chez des malades ayant des antécé-

dents avérés de tuberculose. Poumeau (4), dans sa thèse, réunit 30 cas

d'exostoses dans lesquels il relève des antécédents tuberculeux dans les

ascendants du malade ou chez le malade lui-même.

Le fait le plus caractéristique sous le rapport de la double hérédité exos-

losique et tuberculeuse est relaté par Lejars ; il concerne un cordonnier

âgé de 36 ans, qui était porteur d'exostoses multiples cartilagineuses et qui

mourut de tuberculose. Heymann (3), qui l'avait observé, put recueillir

des renseignements précis sur tous les membres de sa famille, il les a réu-

nis dans le tableau ci-joint. ,

(1) Roreu, Eludes sur les exostoses de croissance, 1S93.

(2) F. LFJAIIS, Les exostoses de croissance simples ou multiples, in Leçons de Chi-

rttrgie de la Pitié (1893-1894).

(3) 13nov, Thèse de Paris, 1892.

(4) Poujieau, Les exostoses de développement considérées dans leurs rapports sur la

tuberculose, thèse de Paris 1895.

(5) UEYMAN, Vinchoo's Archiv, 1892.

358 LAUNOIS ET ROY

LA PSYCHIATRIE DANS LE THÉÂTRE JAPONAIS (1)

PAR

ROBERT GEYER.

[Au moment de mettre sous presse, nous apprenons avec un bien vif chagrin,

la fin subite de l'auteur de cet article. M. ROBEPT GerEn, par sa remarquable

étude de critique médicale sur le théâtre d'Ibsen, avait su attirer l'attention des

médecins et des lettrés sur ses rares qualités d'analyste, d'observateur et d'érudit.

L'étude suivante, qui devait inaugurer une suite de travaux similaires, accen-

tuera les regrets causés par la disparition prématurée de cet auteur d'avenir.]

Au Japon, comme partout ailleurs, le théâtre naquit avec la première

danse sacrée. Nuls, sauf peut-être les Grecs, ne surent mieux que les Japo-

nais, la valeur inhérente à la beauté du geste, à l'harmonie des attitudes

ou des mouvements. Ce sens esthétique atrophié, sinon tué chez nous par

les mythologies chrétiennes se retrouve avec toute son admirable pureté

dans les fêtes schinntoïstes, tel il existait dans les cérémonies de l'antiquilé

païenne.

Avantd'aborder l'étude de la psychiatrie dans le théâtre japonais, il nous

semble indispensable de parcourir rapidement l'évolution de ce théâtre.

Les influences qu'il a subies et les formes dans lesquelles il s'est enfin

fixé.

D'après l'Encyclopédie Sanzaï-Zouyé, la première danse fut exécutée

par la déesse Oudzoumé pour ramener la déesse du soleil et de la lumière

Amatéras, cachée par dépit au fond d'une grotte inaccessible. Egalement

légendaire, la danse de Hono-Sousori. Pour nous elle présente un certain

(1) Nous tenons à adresser nos plus vifs remerciements à notre maître et ami

M. Revon, prof. de l'hist. des civilisât. d'Extrême-Orient, à la Sorbonne. Ses conseils

nous ont été extrêmement précieux pour cette étude. Nous avons abondamment puisé

dans les documents suivants : Revon, Hoksaï, 1898 ; BENAZET, Le théâtre au Japon,

1901 ; LEQUEUX, Le théâtre japonais, 1889 ; IIITO,)II, Le théâtre japonais, Revue des

Revues, octobre 1900 ; BOUSQUET, Le théâtre au Japon, Revue des Deux-Mondes,

15 août 1814 ; ASTON, A histoy of Japanese lileraltcre, London, 1899 ; LANGEGQ (Jun-

ker von), Altejapamsche Drames, Leipzig, 1863 et 1889; D' l4ltcttUx, Le théâtre mé-

dical en Chine et au Japon, Chronique médicale, 1899, pp. 265,481 ; 1900, pp. 514, 575 ;

AsTON, trad. par H. Davray, Littérature japonaise, 1902.

360 GEYER

intérêt, en ce qu'elle mime une mort par submersion. « L'auguste Hono

Sousori se mit tout nu et souilla ses mains et son visage avec une boue

rougeâtre, puis il dit à son auguste petit frère : « C'est ainsi que je souille

mon coeur. Dès aujounl'hui je serai le danseur wasaoki de ta Seigneurie. »

Il leva les pieds, frappa le sol et marcha. Imitant les mouvements péni-

bles de ceux qui se noient, il se dressa sur la plante des pieds, au mo-

ment où la mer commença à les mouiller. Lorsque la mer atteignit ses

genoux, il leva alternativement les jambes; ensuite il se mit à courir à

droite et à gauche au moment où elle atteignit ses cuisses ; et au moment

où elle atteignit sa ceinture, il tourna sur lui-même, ensuite il plaça les

mains sur sa poitrine, lorsque la mer atteignit ses aisselles, et enfin lors-

qu'elle atteignit son cou, il agita les mains (1). »

Les danses d'Oudzoumé et d'IIono-Sousori furent l'origine de la danse

2vazaoki, qualifiée de pantomime comique par M. Foukoutchi-guen-

Itchiro. Elle prit une grande place dans les matzoztri ou mystères repré-

sentés aux grandes fêtes du culte shianto et plus particulièrement aux

réjouisaances célébrant les grands événements naturels tels que le prin-

temps, les semailles ou les récoltes. La danse waao ? t donna naissance

aux kagoura, danses constituées surtout par une succession de pas lents et

d'attitudes hiératiques » et aux deagalrvu (fête des premiers riz). Au

VI° siècle interviennent des influences étrangères, chinoise avec le zonito-

gakou, coréenne avec les koma-gakou, et bouddhique dans la tenjikolt-

gakou.

Au IX° siècle, période particulièrement intéressante de l'histoire du Ja-

pon, se crée une danse exécutée encore aujourd'hui. C'est le saiiibasho. Un

acteur costumé en vieux prêtre s'avance sur la scène, et, l'éventail à la

main, exécute un pas rythmé accompagné par le chant plaintif du choeur,

qui rappelle dans une mélopée fort obscure la miséricorde des dieux sau-

veurs (2). »

Notons l'apparition du choeur qui prendra une place de plus en plus

grande dans le drame nippon devenant analogue à la tragédie grecque.

Une autre danse, le shirabyoshi fut inventée au palais de l'empereur Toba

(1108-1123) par deux danseuses célèbres et son succès la rendit bientôt

très populaire. C'est du shirabyoshi et du denrakou que sortit le sarou{Ja-

kou prenant peu à peu une valeur dramatique indiscutable. « Désormais

le sarougakou complétera la signification des mouvements rythmés et de

la mimique par le chant des vers (outaï) et par l'emploi ordinaire du

(1) D'après le Nihonghi, V. AsTO : v, i, pp. 41, 49 et FOUKOUTCIII-OUSV-ITCHIRO, Elude

sur les origines dramatiques dans le Kokowni-l1o-1'omo (Tokyo), 1896 ; Bénazet, Le

théâtre au Japon, 1901, p. 49.

(2) BOUSQUCT, Le Japon de nos jours. Paris, 1877, t. 1, p. 311. -

LA PSYCHIATRIE DANS LE THÉÂTRE JAPONAIS 361

masque. Les acteurs seront soutenus par un choeur de 10 à 20 chanteurs

et par un orchestre de flûtes et de tambours (1).

Enfin, au XIV. siècle, sous le troisième shogoun Ashikaga Yoshimits

(1368-1394), le drame sacré s'épanouit définitivement dans le ni et le

kiy6ghen. '< Le nô devenait une sorte de tragédie » (2) dans laquelle se

condensait toute l'action dramatique des genres précédents, tandis que le

kiyôghen (folles paroles) en prenait les éléments comiques.

« Du drame sacré se détacha, au XVIIe siècle, un système dramatique

nouveau, le théâtre profane ou slai6aï, dont l'action se continue de nos

jours (3). » En réalité, ce théâtre profane ou populaire comme on l'ap-

pelle encore, se retrouve à l'état embryonnaire dans les monogatari, dé-

clamations rythmées à trame historique, analogues aux chants des

rhapsodes grecs ou de nos trouvères. Cette déclamation lyrique en se

compliquant prit le nom de djiorouri. Plusieurs djiorouri furent repré-,

sentes à l'aide de marionnettes. Une femme, Okouri, comédienne remar-

quable de la seconde moitié du XVIIe siècle, sut donner au drame popu-

laire une impulsion nouvelle en cherchant à lui fournir une hase ration-

nelle avec le réalisme de la vie courante. On appela kabouki, les drames

(1) « Ann. du musée Guinet », t. XIII ; BEÇAZET, Le théâtre au Japon, 1901, p. 15.

(2) J. HITomi, Le Japon, p. 197.

(3) Benazet, op. cit., p. 34.

xv 24

D'après Le Théâtre au Japon (Leroux, édit.)

362 GEYER

issus de cette rénovation et kabouki-shibcrï le théâtre populaire dont le

premier s'organisa à Kyoto.

Le théâtre eut son Shakespeare dans Tcikamatsou-A]onzayemon(\633-

1724) qui laissa 97 dji8rouri. Il eut un contemporain également célèbre,

Takemoto Tcikougo, auteur de 90 drames. Mais, il est une oeuvre populaire

entre toutes due à Takida Idzomno et intitulée « Tchiousshingoura, his-

toire des quarante-sept rûninn », drame en onze actes sur lequel nous

reviendrons. Le théâtre populaire comporte deux genres, la pièce histori-

que, Djidaimono ou Oyélllono et la pièce de moeurs SewCt1llono, brodant

le plus souvent sur un sujet passionnel.

C'est seulement vers 1885, qu'un groupe de lettrés manifesta son in-

tention de donner au Japon un théâtre inspiré de la civilisation nouvelle,

également affranchi des extravagances romantiques, et des descriptions

réalistes du Kabouki-sch ihaï (1). Un théâtre fut fondésous le nom deSoshi-

shibai (théâtre des étudiants). Jusqu'à présent il s'est surtout alimenté

avec des traductions d'Alexandre Dumas.M. Kawakami y donna des scè-

nes de la guerre sino-japonaise exécutées d'après des photographies prises

par lui-même. M. Osada en 1898, montait une traduction du « Monde où

l'on s'ennuie ». .

Dans ce très court résumé, nous avons suivi toute l'évolution du drame

sacré et du drame populaire. Il nous est plus facile maintenant de cher-

cher l'élément psychiatrique épars dans le nombre relativement élevé

d'oeuvres dramatiques parvenues jusqu'à nous.

Une difficulté embarrasse immédiatement le critique. C'est qu'aucune

de ces pièces ne constitue une oeuvre réellement littéraire. Presque toutes

n'existent que par une charpente sur laquelle brode l'acteur en scène,

suivant l'inspiration du moment (2). Il nous est donc impossible de

suivre dans ses détails la pathologie d'une mentalité. Nous sommes loin

de Shakespeare et d'Ibsen. D'autre part, toutes les formes primitives du

drame sacré et du drame populaire ne nous offrent aucun intérêt pour

l'étude que nous nous proposons. Nous devrons borner nos recherchesaux

nô, aux kioghen et aux djionouri.

D'une façon générale, on peut rapprocher du no, le djiorouri aussi bien

le sujet historique (djidaïnono) que la pièce de moeurs (sewamono). Les

trois genres constituent un ensemble de drames se tenant suffisamment

pour être étudiés simultanément. Ils tranchent très nettement sur les

comédies ou 7t'M/oy/<eM.

(i) BENAZET, op. cit., p. 182.

(2) Les mêmes procédés sont en usage dans la littérature dramatique chinoise. Voir

à ce sujet MAURICE Courant, Le théâtre en Chine, Revue de Paris, 15 mai 1900, p. 238.

LA PSYCHIATRIE DANS LE THÉÂTRE JAPONAIS 363

Commençons par les drames. Parmi eux, le nô Aoi-to-Oué nous

arrêtera un instant. Aoï est la femme épousée en secondes noces par le

prince Ghenndji. Elle est en but aux reproches amers de la première

femme, la princesse Rokoujo, dont l'esprit sort de la tombe pour la tour-

menter. Ces hallucinations terrifiantes, vaincues par les incantations d'une

prêtresse shinntoïste, sont aussitôt remplacées par des idées de jalousie.

Le drame se termine par la victoire définitive d'un prêtre sur le démon

de la jalousie.

Aoï est évidemment une mélancolique à idées de persécution intenses,

et le délire est ce point aigu qu'il supprime la personnalité de la malade.

Aoï, en effet, s'efface totalement devant ses idées délirantes. A aucun mo-

ment, elle n'apparaît sur la scène. Une bande de brocart représente son

lit de malade près de la rampe, et c'est tout. Par contre, ses idées de

.persécution d'abord, ses idées de jalousie, ensuite, évoluent sur les plan-

ches ; les premières personnifiées par le spectre de la princesse Rokoujo,

les secondes par un personnage à masque diabolique, le démon de la

jalousie. Celui-ci « avance en glissant » vers le prêtre appelé pour le

chasser ou s'en éloigne. « Quelle face humaine, dit M. Benazet, si grimée

et si déformée fût-elle, pourrait égaler l'horreur diabolique du masque

Hanja ? Quel Méphistophélès ironique et sarcastique, pourrait être comparé

au démon de la jalousie, dans sa pantomime à attitudes hésitantes, suite

de feintes et de menaces, d'attaques et de retraites (1) ? » Nous croyons sans

=peine qu'on puisse arriver ainsi à un degré d'émotion scénique excessi-

vement intense. De plus, toutes les péripéties du développement psycho-

logique sont amplifiées par le choeur et l'orchestre dont les cris et les

coups de tambour se précipitent ou s'interrompent brusquement suivant

l'action. Supposons qu'au lieu d'Othello lui-même, Shakespeare ait mis

en' scène son délire. N'est-ce pas un procédé théâtral extrêmement

puissant et intéressant. Cette peinture de la jalousie morbide mise en

valeur avec toute son intensité nous montre que, malgré la condition

manifestement inférieure de la femme japonaise, les émotions de la sphère

génitale ne perdent rien de leur importance étiologique. -

C'est en effet l'amour morbide que nous trouvons également comme

pivot du nô J(oï no Omoné (Le fardeau de l'amour). Amour ridicule d'un

vieillard pauvre pour une dame de la cour. Yamashira Shoji est chargé

de l'entretien des chrysanthèmes impériales. Un jour, en jardinant, il

aperçoit une dame se promenant parmi ses fleurs. « Cette vue lui a ins-

piré une passion qu'il sent désespérée et incurable (2). » Pour apitoyer

(1) BENAZET, op. cit., p. 122.

(2) BEVA7.ET, top. cit., p. 127.

364 GEYER

celle qui ignore son amour, il se met à tourner autour du jardin, un far-

deau sur l'épaule. Peu à peu, le fardeau devient si pesant que le vieillard

exténué et désolé en meurt. Le fardeau s'élève dans ce nô, à la hauteur

d'une entité psychique jouant le rôle principal de la pièce. Nous voyons

d'après ce petit drame qu'au Japon comme chez nous, la sénilité mentale

peut se traduire par un réveil des appétits sexuels noté par tous les alié-

nistes.

Par ces deux exemples, on apprécie suffisamment la fertilité de l'esprit

japonais dans les expédients à employer pour faire valoir tel ou tel côté du

psychisme d'un personnage. Pourtant, il faut avouer que le plus souvent,

le nô intéresse les spectateurs avec l'exagération de ses histoires de bri-

gands ou de chevaliers à aventures extraordinaires et fabuleuses.

Ce grossissement puéril des événements, ce manque de mesure et

d'observation exacte, tous ces défauts habituels des nô se retrouvent dans

les dji6rouri du théâtre populaire. Celui-ci appuyant plus volontiers sur

les côtés réalistes ou passionnels. Le plus célèbre des djiôrouri est ]'« his-

toire des 47 rôninn ». Elle fut publiée en 2 volumes vers 1802, avec des

illustrations de Hoksaï. M. Revon l'a résumée dans l'admirable étude

qu'il a consacrée au grand peintre japonais. Nous la lui empruntons.

« Arrivons, dit-il, à une histoire, fameuse et populaire entre toutes,

qui a fait surgir les romans et les tragédies par dizaines, les dessins par

milliers, et qui continue d'attirer sans cesse, de nos jours, des flots de

spectateurs dans les théâtres de la capitale : le grand drame héroïque des

« Quarante-sept fidèles ». Le jeune Açano, seigneur d'Akao, étant à Eddo

auprès du shiôghoun, fut chargé de la difficile mission de recevoir un en-

voyé du Mikado avec toutes les cérémonies requises ; il prit donc des leçons

d'étiquette auprès d un vieux noble Kira Kotské-

no-ské, homme intéressé et arrogant qui, ne

recevant pas du jeune chevalier autant de pré-

sents qu'il en pouvait rêver, lui fit subir une

longue série d'outrages; un jour Açano, affolé

par une suprême insulte, tira son sabre et blessa

à la face le vieux Kira, qui put s'enfuir; mais

la querelle avait eu lieu dans l'enceinte du pa-

lais, crime capital : Açano fut condamné sur-le-

champ il s'ouvrir le ventre, sa fortune fut con-

fisquée, sa famille fut déclarée éteinte, et tous

les membres de son clan dispersés, devinrent chevaliers errants. Ceci

se passait au mois d'avril 1701. Oïshi Kouranoské, le plus ancien servi-

teur du seigneur mort, convoqua aussitôt quarante-six autres fidèles,

choisis parmi les meilleurs, pour préparer la vengeance obligatoire ; après

D'après Hoksaï.

LA PSYCHIATRIE DANS LE THEATRE JAPONAIS 365

avoir tenu un conseil où ils firent d'avance le sacrifice de leurs vies, les

quarante-sept résolurent de se séparer pour échapper à la surveillance de

la police : les uns se firent charpentiers, forgerons, marchands, et après

quelque temps se servirent de leur métier pour s'introduire dans la de-

meure de Kira et en étudier les dispositions intérieures; les autres se

jetèrent avec éclat dans la vie des foires et des lieux suspects ; Oïshi lui-

même, après avoir divorcé et abandonné ses enfants, partit pour Kioto,

où il épousa publiquement une vile prostituée, puis se plongea dans une

telle existence d'ivrogne et de débauché que le dernier des hommes ne

l'eût pas rencontré sans le couvrir de mépris ; Kira apprenait tout par sa

police secrète : il dormit tranquille. Dans la soirée du 30 janvier 1703, au

milieu d'une formidable tempête de neige, Oïshi se trouvait à Eddo au

milieu de sa troupe ; il arrêtait le plan d'attaque, donnait à chacun ses

ordres, fixait l'heure décisive. Soudain, aux coups de minuit, tous se

retrouvèrent devant la maison de Kira, et comme les voisins réveillés

s'inquiétaient de voir dans le quartier tous ces hommes d'armes, ils pri-

rent soin de les rassurer avec politesse, expliquant leur dessein ; on s'in-

clina. Alors Oïshi, se plaçant devant la grande porte du seigneur, fit

entendre un roulement de tamhour solennel : tous les braves de Kira

s'armaient et accouraient en désordre; aussitôt quelques-uns des assail-

lants s'élancent contre eux par la porte ouverte, tandis que les autres

escaladent le toit et les murs du jardin, avec des échelles de corde ;

après une rude mêlée, les quarante-sept arrivent à tuer tous leurs enne-

mis, n'épargnent que les femmes et les enfants, et enfin, maîtres de la

place, recherchent le puissant seigneur, qu'ils trouvent caché dans une

armoire. Cependant, Oïshi, entouré de ses hommes, s'agenouille devant

le vieillard, avec le respect qu'exigent son rang et son âge, puis lui expose

humblement le but de l'attaque et, après avoir fait lui-même les prépara-

tifs de mort, l'invite à s'ouvrir le ventre, mais en vain : Kira a trop peur ;

alors le chef lui coupe la tête, froidement, avec le même poignard dont

Açano s'était servi pour son suicide ; puis les quarante-sept éteignent les

feux de la maison pour éviter un incendie possible, consolent les veuves

et les orphelins, et enfin se retirent, emportant dans un baquet la tète

sanglante. Les voici, à la pointe du jour, qui traversent les rues en bon

ordre, calmes et joyeux : le peuple les salue avec admiration ; un grand

seigneur, les voyant passer devant sa maison, leur envoie des rafraîchis-

sements, avec un message de sympathie; la police se cache ; ils arrivent

au monastère où leur jeune maître a été enseveli ; l'abbé lui-même les

reçoit à la porte. Ils entrent, déposent la tête de Kira devant la tombe

d'Açano, brûlent de l'encens tour à tour, par rang d'ancienneté, pendant

que les moines se mettent en prières; puis tous se relèvent, leur tâche

366 GEYER

finie et tandis qu'Oïshi règle avec l'abbé les détails de leurs propres funé-

railles, ils attendent debout la sentence de mort. L'ordre officiel arrive :

ils se séparent et vont s'ouvrir le ventre, avec une tranquillité héroïque,

chacun dans la maison de quelque ancien seigneur. On les ensevelit côte à

côte, près de la tombe de leur maître, dans le paisible cimetière où, au-

jourd'hui encore, depuis deux siècles, ils écoutent battre près d'eux le

coeur de la nation (1). » - ,

Ce drame, que nous avons tenu à conter en entier, est vraiment inté-

ressant pour le psychologue en ce qu'il nous montre un coinde la mentalité

japonaise que nous jugeons difficilement avec nos critériums habituels. le

veux parler du suicide tel qu'il se pratique là-bas. Toute l'action de Tcious-

shinghoura part du suicide d'Açano et se termine sur celui des « quarante-

sept fidèles ». Ce suicide très spécial qui consiste à s'ouvrir le ventre

de bas en haut et de gauche à droite s'appelle harakiri (PI. LVliI).

Le mépris de la mort et la sérénité sont les deux grandes qualités du

caractère japonais. On les retrouve dans l'indifférence, la facilité avec

lesquelles ils terminent leur vie par un harakiri. Nul cabotinage, nulle mise

en scène dans leur suicide. Souvent l'individu qui a décidé de s'ouvrir le

ventre se retire dans la chambre la plus isolée de son habitation pour se

tuer avec méthode et tranquillité sans crainte des indiscrets. Quelquefois,

on demande à un ami, à un serviteur de vous rendre un dernier service,

celui de vous trancher le cou avec le sabre à deu'x mains quand, ayant

suffisamment saigné et débridé la plaie on penche légèrement la tête en

avant. Chose remarquable, le suicide par désespoir n'existe pas. On se tue

pour témoigner son mépris de la mort, pour forcer son ennemi à se tuer

aussi, on se tue pour les points d'honneur les plus futiles (2).

L'histoire de ces 47 harakiri simultanés, décidés d'avance n'a donc rien

qui doive nous surprendre. La Chine, pourtant, détient le record du sui-

cide collectif avec ces 500 disciples de Confucius se tuant pour ne pas sur-

vivre à l'incendie de leur bibliothèque. On peut dire que, si dans les races

blanches, le suicide est le plus souvent le fait d'un aliéné, en Extrême-

Orient, celui qui se donne la mort est rarement un fou. D'ailleurs, la

cause première est identique dans les deux cas : hérédité et influence du

milieu. Hérédité psychopathique dans les races blanches, hérédité nor-

male dans les races jaunes. Les conceptions théologiques et cosmogoniques

si différentes dans les deux races jouent probablement un rôle important

dans notre crainte et dans leur mépris de la mort. Il est possible que cette

crainte disparaisse dans certaines familles blanches ne partageant pas les

(1) Revon, Hoksaï, p. 2ri.

(2) Voir Suuzo Kunn, Veber Selbstmord und Selbsino7-dvei,suche bei Geisteskranken,

Jahrbucher sur Psychiatrie, 1898, 3° fasc.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE T. XV. PL. XLVIII.

LA l'SYCIllA'I HOE DANS LM TIIÉA-11le JAPONAIS

, , (R. GEYEIt).

L'exécution du Harakiri par Toyokouni

tiré du « Japon artistique » reproduit dans « Le Théâtre au Japon » (l.eroux édit.).

368 GEYER

croyances religieuses de leur race, leur psychologie se rapprochant alors

de la psychologie jaune, du moins à ce point de vue.

Les Japonais et les Chinois ont pour la mort cette espèce d'ignorance

que tous les hommes et les autres animaux supérieurs possèdent à l'aurore

de leur existence comme si l'accumulation des forces vitales, au début,

enlevait à l'organisme la possibilité d'une conception de déchéance et de

fin. '

Ajoutons que le harakiri est infiniment plus fréquent chez l'homme. La

femme se pend ou se noie. Le harakiri qui est formellement défendu au-

jourd'hui a conservé toute sa vogue au théâtre et le public manifeste cha-

que fois qu'il en a l'occasion combien, malgré les lois, ses passions ont

peu changé. Les Parisiens purent se faire une idée du harakiri, en 1900,

grâce aux représentations données à l'Exposition et à l'Athénée par la

troupe de Mme Sada-Yacco.

A la fin de Khéça, M. Kawakami s'ouvrait le ventre, courageusement,

sur la scène même. Nous ne sommes pas habitués à un tel réalisme. L'ac-

teur européen préfère disparaître pendant que, dans la coulisse, un coup

de pistolet annonce sa mort à la salle émue (1).

Parmi les sewamono (pièces de moeurs),nous en signalerons un, intéres-

sant entre tous. Hoksaï nous l'a conté avec quelques dessins délicieux.

Nous nous adressons encore à M. Revon pour apprendre de lui ce qu'est

ce drame, intitulé « La petite violette de Eddo ».

« Shiraï Ghompatchi était un jeune guerrier du seigneur de la province

d'inaba, qui, dès l'âge de seize ans, était renommé pour sa beauté, son

courage et son habileté au métier des armes ; un jour que son chien s'était

battu avec celui d'un autre guerrier du même clan, les deux camarades se

disputèrent, en vinrent aux prises et, par malheur, Gompatchi tua son ad-

versaire ; il ne lui restait plus qu'à se faire chevalier errant : il s'enfuit,

en route- pour Eddo. Un soir, fatigué d'une longue journée de marche, il

aperçut sur le chemin une maison qui avait les apparences d'une auberge,

entra, mangea et se mit au lit ; vers minuit, comme il dormait profondé-

ment, une jeune fille de quinze ans,merveilleusementbelle, s'approcha de

sa couche, l'éveilla et lui dit : « Seigneur, vous êtes ici dans un repaire de

brigands. Ils vous ont laissé entrer, mais pour vous perdre ; car si votre

bourse peut être légère, votre sabre vaut un pesant d'or, Ils sont dix, avec

leur chef. Moi-même, je suis la fille d'un riche marchand de Mikaosa ;

' (1) On trouvera quelques renseignements pour la question médico-légale du suicide

en Extrême-Orient dans le Si-ynen-lu, compendium de médecine légale chinoise, traduit

par le Dr EU. Marin.

LA PSYCHIATRIE DANS LE THÉÂTRE JAPONAIS 369

l'an dernier ces hommes m'ont enlevée, avec le trésor de mon père, je vous

en supplie,prenez-moi avec vous, et fuyons ce lieu d'horreur. » Elle pleu-

rait ; Gompatchi à peine sorti du sommeil l'écoutait, silencieux, frappé à

la fois d'admiration et d'épouvante; mais comme il était brave, il retrouva

bien vite son sang-froid et après une minute de réflexion, répondit à la

jeune fille : « Je vais tuer ces voleurs dans un instant ; dès que je les at-

taquerai, échappez-vous au dehors, et attendez-moi à quelque distance. »

Elle sortit ; peu après, lorsque les meurtriers se glissèrent sans bruit pour

tuer le jeune homme, ils le trouvèrent debout, le sabre en main ; le premier

qui rentra eut la têle coupée, et les neuf autres, déconcertés, luttant en

désordre, tombèrent tour à tour sous ses coups désespérés. Gompatchi

délivré rejoignit la jeune fille, et au point du jour tous deux prirent

joyeusement la route de Mikoua. Lorsque les pauvres parents revirent

l'enfant qu'ils croyaient perdue, lorsqu'ils apprirent comment elle avait L

sauvé le chevalier et comment le chevalier l'avait sauvée, ils versèrent des

larmes de bonheur ; ce furent de longues journées de fête, durant lesquelles

Gompatchi et les vieux ne songeaient qu'à se réjouir, tandis que la jeune

fille, devenue amoureuse de son héros, ne pensait qu'à lui et bâtissait en

son coeur de tendres rêves. Cependant, malgré les efforts du riche mar-

chand qui voulait l'adopter comme son fils, malgré les douces paroles qui

cherchaient à le retenir, Gompatchi ambitieux, se résolut à quitter cette

demeure hospitalière. « Je suis chevalier, dit-il à son amie, et je veux

entrer au service d'un nouveau seigneur. Mais séchez vos yeux, car bientôt

je reviendrai. En attendant, soyez-moi fidèle, et demeurez pieuse envers

vos parents. » Elle essuya ses larmes et sourit. Lui repartit vers Eddo,

la bourse bien garnie par les soins du père, et faisant en esprit la conquête

de l'avenir. Une nuit, comme il approchait de la capitale, tomba au

milieu d'une bande de six voleurs, qui l'attaquèrent; tirant son sabre, il

en tua deux; mais, exténué par sa journée de marche, il allait succomber

sous les efforts des quatre autres, lorsqu'un marchand qui passait par là,

entendant le bruit, sauta de sa chaise à porteurs, le poignard à la main.

et aida le jeune héros à mettre en fuite ses derniers adversaires. L'homme

qui venait de secourir Gompatchi n'était autre que TchôbédeBandzouinn

le chef tout-puissant des Compagnons de Eddo, le père du peuple opprimé,

le fier ennemi de tous les oppresseurs, célèbre dans tout l'empire pour les

luttes épiques qu'il avait osé soutenir contre le chef même des chevaliers

du shiôghoun, et qui devaient le conduire, après une vie de dévouements

admirables, à une mort de héros : car un jour que son terrible rival l'a-

vait invité chez lui pour le perdre, il accepta, jugeant sa carrière assez rem-

plie, commanda son cercueil, se rendit à la maison du traître, entra dans

le bain qu'on lui offrait dans l'intention de l'y faire bouillir, et périt ainsi

370 GEYER

comme un mar.tyr, afin de prouver qu'un homme du peuple pouvait être

plus brave qu'un chevalier; en attendant, il remplissait Eddo de son acti-

vité bienfaisante au milieu de la fidèle troupe des justiciers dont il s'était

entouré, ne laissant jamais sans aide un malheureux, ni un coquin sans

vengeance. Pour Gompatchi, une telle rencontre était le salut. Après' les

compliments d'usage, il mit Tchôbé au courant de son histoire. « Je ne

suis, dit Tchôbé, qu'un pauvre homme du vulgaire ; veuillez m'excuser de

vous faire une offre déplacée : si cependant vous consentiez à accepter mon

humble hospitalité jusqu'au jour où vous aurez trouvé du service, ma mai-

son est la vôtre. » Gompatchi accepta, et tous deux entrèrent ensemble à

Eddo. Cependant le jeune homme après quelques mois d'oisiveté chez son

protecteur, glissa peu à peu à une existence dissolue, et il passait tout son

temps à la Plaine du bonheur où sa beauté l'avait rendu le grand favori des

femmes.Or,à ce moment,on parlait parlout d'une belle jeune fille nommée

Komouraçaki (1), récemment entrée dans cet endroit fameux, et qui y

brillait comme une reine sans rivales. Gompatchi curieux courut à la mai-

son des « Trois rivages de la mer », demanda la grande courtisane : mais

quand leurs yeux se rencontrèrent, quel cri d'étonnement ! Comment le

noble chevalier avait-il oublié ses promesses ? Et comment la fille du riche

marchand de Mikaoua était-elle tombée à cette boue ? quand la pauvre

enfant, écrasée à la fois de honte et de joie, peut répondre aux questions

dont la pressait son ami : Hélas ! lui dit-elle, c'est une triste histoire que

la mienne. Après votre départ, l'au dernier, tous les malheurs ont fondu

sur notre maison ; mes vieux parents sont tombés dans la misère ; com-

ment les soutenir ? J'ai vendu ce misérable corps, pour envoyer l'argent à

mon père et à ma mère; aujourd'hui, ils sont morts; et cependant, je

suis toujours rivée à ma chaîne. Oh ! y-a-t-il dans le vaste monde une créa-

ture plus pitoyable que moi ! Mais puisque je vous retrouve, vous si fort,

vous viendrez au secours de ma faiblesse, Vous m'avez sauvée une fois ;

je vous en supplie, ne m'abandonnez pas maintenant ! -Oui, dit Gompat-

chi, votre famille si prospère a été cruellement frappée par le sort, et c'est

une destinée bien triste que la vôtre. Mais ne pleurez plus. Je suis, il est

vrai, trop pauvre pour vous racheter ; mais je vous aimerai : comptez sur

moi. » Alors elle fut consolée,et oublia toutes ses infortunes dans sa grande

joie de le revoir. Dès ce moment, Gompatchi passa presque toutes ses

heures auprès d'elle, et pendant quelque temps, ils vécurent heureux.

Mats son pécule de chevalier errant s'épuisait ; bientôt, n'ayant plus de

ressources et ne songeant qu'à sa passion, il se fit assassin pour se procu-

rer de l'argent ; et chaque fois qu'il en manquait, il tuait un homme;

(1) Mot à mot « Petite Violette ».

LA PSYCHIATRIE DANS LE THÉÂTRE JAPONAIS 371

Tchôhé l'ayant appris, le chassa. A la fin, ses aventures sanglantes furent

connues de la police : on le surveilla, on l'arrêta ; après un jugement

sommaire, il fut décapité dans la plaine des supplices, comme un malfai-

teur du droit commun, Tchôbé seul eut pitié de sa mémoire, réclama son

corps et le fit enterrer dans la terre sacrée d'un temple. Komouraçakti avait

tout ignoré; lorsque la rumeur publique lui apprit à la fois les crimes et

l'exécution de Gompatchi, sa douleur fut sans bornes. Mais bientôt, en

vraie Japonaise, elle retrouva tout son courage et prit une résolution

suprême : elle parvint à s'enfuirde sa honteuse prison, courut à la tombe

fraîchement fermée, s'y jeta à genoux, pria longtemps, toute en larmes,

sur l'homme qu'elle avait tant aimé et à qui elle pardonnait toutes ses

fautes ; puis, tirant le poignard qu'elle portait à sa ceinture, elle s'en

frappa et tomba percée au coeur. Les vieux prêtres du monastère, émus de

compassion et respectueux de ce grand amour, ensevelirent l'humble

courtisane dans la tombe de son ami ; puis, en philosophes religieux, ils

y gravèrent une inscription indulgente, rappelant le souvenir de ces oi-

seaux fabuleux (hiyok), à la fois deux et un, qui symbolisaient la fidélité

conjugale : « Ces deux oiseaux, beaux comme des fleurs de cerisier, pé-

rirent avant l'heure, comme les fleurs que le vent abat avant qu'elles aient

pu porter leurs fruits » (1).

Nous ne nous arrêterons pas au caractère de Komouraçaki. Sa prostitu-

tion et son suicide n'ont rien d'anormal pour un pays où la femme qui

loue son corps pour subvenir aux besoins de ses vieux parents est sincè-

rement respectée. Le terme « chaste » pourra qualifier sans ironie cette

courtisane accomplissant ainsi une action méritoire. Par contre, Gompat-

chi appartient incontestablement à l'aliénation mentale. Abstraction faite

de la couleur japonaise de tel ou tel détail, on peut en faire un « fou

moral ». Son ambition, son hypertrophie égotiste, son caractère égocen-

trique, comme disent les Allemands, son impulsion à vagabonder, enfin

ses vols et ses crimes le stigmatisent suffisamment pour le classer. Le côté

légendaire réduit au minimum, le type morbide se présente bien observé.

11 tient une place très intéressante à côté des autres vagabonds légendaires,

Don Quichotte, Ashavérus ou Peer Gynt. D'origine vraisemblablement

hystérique, ces impulsions d'automatisme ambulatoire constituent une

observation ne différant en rien de celles qui sont rapportées par les

aliénistes de tous pays. La description que donne ScUüle de ces malades

peut s'appliquer en toute exactitude à Gompatchi. « Le besoin d'errer et

de vagabonder s'observe chez ces individus à lacunes morales, et il est

malheureusement fréquent de leur voir passer ainsi toute leur existence

(1) Revon, Hoksaï, pp. 236-241.

372 GEYER

sans que la prison ni les souffrances qu'ils endurent puissent les corriger.

Ils commettent aussi toutes sortes d'extravagances coupables, ils prennent

de faux noms, font de leur existence des récits romanesques, qui résultent

au fond, pour le psychologue, d'un mélange d'idées de persécution et

d'idées ambitieuses, la moitié du récit est seule vraie, mais le narrateur

est convaincu comme un malade atteint de délire systématisé. Ils suppor-

tent les privations, les souffrances, les sévérités de la justice plutôt que

d'abandonner un iota de leurs prétentions généalogiques (1). »

Nous venons de voir le côté tragédie du théâtre japonais. Deux nô et

deux djiôrouri choisis parmi les plus connus et les plus caractéristiques

nous ont permis de constater que l'analyse psychologique est toujours

suffisamment fouillée et exacte lorsqu'on néglige les détails ethniques qui

étonnent notre mentalité européenne. Cependant, il faut bien avouer que

ces qualités sont exceptionnelles. Sur les 235 nô qui nous sont parvenus

et un nombre plus considérable encore de djiôrouri, bien rares sont les

drames qui méritent d'arrêter le psychologue et surtout le psychiatre. Les

lettrés japonais reconnaissent eux-mêmes, peut-être trop sévèrement, les

défauts de leurs compositions dramatiques. Ils les résument en quatre

critiques : « l'atrocité voulue des incidents ; la complexité et l'invraisem-

blance de l'intrigue; la méconnaissance des sentiments ordinaires de

l'humanité; la confusion des notions morales entre le bien et le mal, le

juste et l'injuste (2) ».

Les comédies dans la littérature japonaise portent le nom de Kiyogen.

Dans le spectacle, elles alternent toujours avec les nô pour dérider le

spectateur entre deux tragédies. Le Kiyôghen met très souvent en scène le

paysan avec ses défauts, sa débilité mentale, sa crédulité excessive qui

fournissent un. élément comique d'effet certain. Parmi les campagnards

japonais, le renard (kitzné) joue le rôle légendaire rempli chez nous par

le diable bu le sorcier. Le malicieux animal, assume tous les méfaits,

toutes les calamités, il joue mille tours pendables aux malheureux qu'il

veut tourmenter.

On lui attribue, entre autres choses, le pouvoir d'entrer dans le corps

de ses victimes. Il pénètre par les orifices naturels ou plus fréquemment,

par les extrémités en s'insinuant entre les ongles et la peau. C'est le « dé-

lire de possession par les renards » en tous points semblable à notre

démonomanie. Hallucinations psychomotrices et dissociation du « moi »

(1) SCHULE, Traité clin, des mal. ment. ; trad. franc. Dagonet et Duhamel, 1888

p. 469.

(2) Benazet, op. cil., p. 242, d'après M. Foukoutchi-guén-Itchiro. '

LA PSYCHIATRIE DANS LE THEATRE JAPONAIS 373

anxiété, désordre dans les actes, idée obsédante de possession, le tout

évoluant sur un terrain prédisposé, à l'occasion d'un choc moral ou psy-

chique. Le prêtre bouddhiste ou shinntoïste se livre alors à des exorcismes

analogues à ceux des prêtres catholiques et le renard pas plus que le dé-

mon n'insiste pour rester quand la suggestion est suffisamment puissante.

Parmi les observations de cette psychopathie nous en rapporterons une

qui est typique. M. le Dr Baret l'a lue à la Société médico-psychologique ;

il la tenait du Dr Baels de l'Université impériale japonaise. « Je fus une

fois appelé près d'une jeune fille atteinte d'une fièvre typhoïde. Elle gué-

rit, mais pendant sa convalescence, elle entendit des femmes causer entre

elles d'une autre femme qui avait un renard et qui ferait sans doute tout

son possible pour le passer à quelqu'un d'autre et en être débarrassée. A

ce moment même, elle éprouva une sensation étrange, le renard venait de

prendre possession d'elle. « Il vient ! il vient ! » criait-elle. Et alors d'une

voix étrange, sèche, fêlée, le renard de répondre par sa propre bouche et

de railler son hôtesse infortunée. Cet état de choses dura trois semaines,

au bout desquelles on se décida à aller chercher un prêtre bouddhiste de

la secte de Nichiren. Il interpella violemment le renard qui, toujours par

la bouche de la jeune fille, répondit et conclut enfin : « Je suis fatigué

d'elle ; je ne demande pas mieux que de m'en aller. Que me donnera-t-on

pour cela ? » Le prêtre demanda ce qu'il voulait. Le renard réclama, tou-

jours par la même voix, certains gâteaux et certains fruits qui devaient

être placés tel jour à quatre heures de l'après-midi dans un lieu qu'il

désigna. La jeune fille avait conscience des paroles qu'elle prononçait,

mais elle était incapable d'en dire d'autres, les objets indiqués furent

portés l'endroit désigné et le renard quitta la jeune fille sans difficulté (1).

Il n'y a guère que les femmes qui soient sujettes à ce délire de posses-

sion pour lequel une intelligence bornée et un esprit superstitieux sont

nécessaires. Vraisemblablement, cette zoomanie deviendra déplus en plus

rare; de même, chez nous les lycanthropes et les possédés du diable dis-

paraissent à mesure que s'élève la mentalité des classes pauvres.

Cette préoccupation a créé un certain état d'esprit parmi les paysans

japonais. Nous en trouvons la répercussion dans un kiyôghen intitulé

Kitzné-Tsouki (possession par les renards). M. Benazet en a rapporté le

schéma. « Le fermier Tanaka a envoyé aux champs deux de ses hommes,

avec des crécelles, pour écarter les oiseaux et leur a recommandé de pren-

dre garde à l'astucieux renard, à Kitzné, qui, par ses méfaits, est devenu

(1) Baret, « Sur un délire névropathique avec dédoublement de la personnalité ob-

servé au Japon, le « kitsùne-tsùki » ou possession par les renards », Soc. inéd. ps.,

séance du 29 février 1892.- Voir aussi : RFmz,« Les possédés au Japon », Oboxn. Psykh.

Nevl'ol. ; exper. Psycol.,St-Pétersbourg, 1901,94-96.

374 GEYER

la terreur du voisinage. La recommandation n'est que trop exactement

observée. L'esprit des guetteurs est si bien rempH par la crainte de la

possession par les renards que, lorsqu'ils voient paraître leur maître, te-

nant à la main, un pot de saké, récompense et rafraîchissement après la

besogne, ils croient voir en lui Kitzné le tentateur, et le jettent rudement

hors de son propre champ de riz » (4 ).

On voit le rôle joué par l'idée obsédante issue de la crainte, dans la

création d'une illusion ou d'une interprétation délirante. Sur l'une des

gravures adjointes à cette étude, un imbécile manifeste, par toute son al-

lure, des idées de satisfaction et de grandeur. Il s'est couvert d'une armure

en paille à laquelle il attache un prix inestimable et appuie, avec orgueil,

sa main sur un bâton de bambou qui vaut plus à ses yeux que le plus

riche sabre de chevalier. On remarquera avec quel réalisme le masque du

« possédé » reproduit le faciès d'un dégénéré inférieur. Réalisme qui ne

nous étonne pas, sachant qu'un grand nombre de masques de théâtre

furent dessinés par Hoksaï.

(l) Benazet, op. cit., p. 124, d'après 0. EnwARDs, op. cit.

Le renard suggère à un simple d'esprit; revêtu d'une armure en paille, qu'il est

devenu grand seigneur. (D'après le « Japon artistique ».)

LA PSYCHIATRIE DANS LE THÉÂTRE JAPONAIS 375

. Le rôle du renard est tenu effectivement par un acteur. Ainsi prend

corps le dédoublement de la personnalité particulière à cette forme dé-

lirante. Déjà dans un nô, nous avons vu paraître sur scène, l'halluci-

nation et de délire de jalousie d'une mélancolique persécutée. Ce procédé

de matérialiser le psychisme des personnages est donc assez familier au

théâtre japonais.

La crédulité du paysan n'est pas seulement mise à contribution dans

le délire de possession par les renards. Les situations qui en firent leur

élément comique sont innombrables. Il serait fastidieux de multiplier des

exemples faciles à trouver dans la bibliographie déjà riche du théâtre au

Japon.

Si le paysan japonais a une crédulité exagérée il possède également une

certaine affection pour le saké (eau-de-vie de riz). Le kiyôghen qui a

pour titre « Le sale de la tante » met en scène un jeune homme qui pour

obtenir du saké de sa tante se déguise en diable. La tante terrorisée le

laisse boire et il boit tellement qu'il s'endort consciencieusement ivre,

oubliant de remettre son masque. La tante furieuse, en reconnaissant sa

méprise, se venge en gratifiant son neveu de coups de poing vigoureux.

Que conclure de cette étude ? Nous avons vu deux nô, deux dji6rouri,

deux kiyôghen, choisis parmi les plus intéressants, les plus caractéris-

tiques. Il eût été parfaitement inutile d'en citer davantage. Un travail

d'analyse est ici forcément aride puisqu'il s'exerce sur une charpente

schématique au lieu d'avoir à disséquer un caractère soigneusement dé-

veloppé. Nous n'avons pas entre les mains l'admirable observation d'un

Hamlel, d'un Lear, d'un Brand ou d'un Solness.

Cependant, le peu que nous trouvons à choisir, nous montre assez que

les Japonais savent être de parfaits artistes, de profonds observateurs

quand ils veulent s'en donner la peine. Ainsi la mentalité de Gompatchi

dans « La Petite Violette de Eddo » est remarquablement détaillée, il est

« lui-même » tout en s'analysant beaucoup moins que le PeerGynt d'Ibsen.

Il nous semble que nous avons surtout deux choses à retenir au seul

point de vue «aliénation mentale ». C'est, d'une part, le harakiri dans

les tragédies et d'autre part le rôle du renard dans les comédies. Si le

harakiri est tombé en désuétude depuis les ordonnances qui l'ont défendu,

il émeut encore violemment les générations actuelles qui l'estiment comme

le meilleur moyen de témoigner son mépris de la mort.

Quant à la possession par le renard, elle nous renseigne admirablement

sur l'état mental des paysans. Le simple d'esprit s'y rencontre fréquem-

ment et il est possible que le saké joue un certain rôle dans ce degré d'in-

376 GEYER

fériorité mentale. Toujours prêt à subir les influences qui exploitent sa '

crédulité, le paysan japonais comme le paysan breton sera longtemps

encore une source féconde où se fournira le rire des comédies.

Il ne faudrait pas, toutefois, juger le Japonais par son théâtre qui n'est

qu'un reflet de toutes les exagérations et de tous les défauts de ce peuple

resté très enfant par certains côtés de son cerveau. En réalité cette agglo-

mération humaine a subi, par l'intermédiaire de la Corée, l'influence de

l'admirable philosophie de trois hommes supérieurs, sages entre les sages :

Lao-Tse, Kong-Tse et Bouddha. Ils en ont acquis une franchise d'allure,

une douceur, une sérénité surtout, qui ont frappé tous les voyageurs.

N'est-ce pas François Xavier qui disait déjà en parlant d'eux « Ce peuple

fait les délices de mon âme ».

Terminons en citant, d'après M. Revon, un fait qui nous donnera un

excellent critérium de leur mentalité. « Si un vieux domestique ayant

commis quelque faute, reçoit de son maître un reproche brutal, il se con-

tente de sourire avec indulgence, parce qu'il estime que des paroles exa-

gérées sont l'indice d'une folie passagère (1). »

(1) Revon, Hoksaï, note de la p. 197.

Le gérant : P. Bouchez.

160 Année N° 5. SEPTEMBRE-OCTOBRE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX £

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

LES DÉVIATIONS DE LA COLONNE VERTEBRALE

DANS LA

MALADIE DE PARKINSON

ra Il

J. A. SIGARD

Chef de Clinique

et

L. ALQUIER

Interne des Hôpitaux.

Ayant eu 1 occasion d observer, a la Clinique cle la oalpetnere, un-- -

certain nombre de cas de maladie de Parkinson, nous avons été frappés

de la fréquence des déviations de la colonne vertébrale, au cours de cette

affection.

Nulle part, dans les traités anciens, comme dans les plus récents, depuis

le premier mémoire de Parkinson (1) jusqu'à l'article de MM. Grasset et

Rauzier (2). il n'est fait mention des déformations du rachis que peut dé-

terminer la « paralysie agitante ». Il est bien fait allusion, par tous les

auteurs, à l'attitude « penchée en avant» que présentent les malades,

dans la forme commune (type de flexion), mais sans que l'examen de la

colonne vertébrale ait particulièrement attiré l'attention des observateurs.

Et pourtant, Charcot et l'Ecole de la Salpêtrière s'étaient attachés à

montrer tout l'intérêt que présente l'étude des déviations, du rachis, au

cours des maladies nerveuses. M. Hall ion (3) avait même, dans sa thèse

(1) l'nnhmsov, On Essay of the shating palsy by James Parkinson, Membre of the

Royal Collège of Surgeons, London,1811.

(2) Grasset et Rauzier, In Traité de médecine Brouardel et Gilbert, t. X.

(3) Hallion, Des déviations vertébrales névropathiqiaes, Th. Doct. Paris, 1892.

xv 25

378 SICAHD ET ALOUIËR

inaugurale, réuni en un tableau synthétique tous les cas antérieurement

publiés, et étudié la genèse des déviations; au cours des diverses affec-

tions organiques ou dynamiques du système nerveux : dans l'hémiplégie,

la syringomyélie, le labes, les myopathies, la sciatique (Brissaud, 13a-

binski), et dans l'hystérie.

A cette liste déjà longue, on peut, d'après nos observations, ajouter la

maladie de Parkinson.

Sur 17 parkinsoniens dont nous avons pu faire une étude complète, 12

présentent des déviations notables de la colonne vertébrale. Cette forte

proportion ne semble pas due à une série particulièrement heureuse ; car,

au cours de nos recherches bibliographiques, nous avons trouvé, dans

la « Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière », plusieurs photographies déjà

anciennes de parkinsoniens, présentant des déviations rachidiennes analo-

gues à celles constatées par nous. En 1889, Dulil (1) relatant un casd'hé-

miparkinson gauche avec attitude anormale de la tête et du tronc (exten-

sion) écrit : « La tête est rejetée directement en arrière, en extension

forcée, sans inclinaison latérale. Le tronc est, lui aussi, penché en arrière,

dans une attitude qui exagère notablement la cambrure dorso -lombaire,

mais il est, en même temps, légèrement incliné à droite, de telle sorte que

la colonne vertébrale décrit une double courbure latérale, concave à droite,

au niveau de sa portion dorsale supérieure, et concave à gauche dans la

portion lombaire ; l'épaule gauche est soulevée, comme la hanche, du

même côté, le membre inférieur est en exfension, le pied est légèrement

abaissé de manière que le talon touche à peine le sol, l'avant-pied appuyant

surtout sur le sol. » Voilà la description nette d'une lordo-scoliose. Deux

photographies sont jointes à ce travail ; malheureusement, la malade est

habillée, si bien qu'on ne peut que soupçonner la lordose, sur la photo-

graphie prise de profil ; la seconde,vue de face, permet de mieux apprécier

la scoliose. En 1895, MM. Paul Richer et Henry Meige (2) publient, dans

une « Etude morphologique sur la maladie de Parkinson», des photogra-

phies vues de face, de dos, de profil de deux parkinsoniens, montrant

chez tous les deux, une cyphose dorsale supérieure, très nette chez la

première malade, moins accentuée chez le second, avec peut-être une

légère ébauche de scoliose. Les photographies de la première malade re-

présentent, non la malade elle même, mais une statuette qu'en fit le .

Dr Paul Richer. On peut en admirer l'exactitude parfaite, en la comparant

aux chromopholographies de cette malade, prises alors qu'elle était dans

(1) Dutil, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1889, p. ils.

PAUL Riciibii et HENRI MEME, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1895,

p. 361.

DÉVIATIONS DE LA COLONNE VERTÉBRALE 379

le service du professeur Charcot, par M. Londe, et que l'on peut voir

dans la collection de la Clinique de là Salpêtrière.

Enfin, il existe, au Musée Charcot à la Salpêtrière, deux photographies

d'un parkinsonien, prises de face et de profil. Sur cette dernière, et bien

que le malade soit représenté vêtu, l'existence d'une cyphose, intéressant

toute l'étendue de la colonne dorsale, est évidente.

Voici maintenant, nos cas personnels. Pour ne pas allonger outre

mesure ce travail, nous résumons, en deux tableaux synoptiques, ce qui,

dans chaque cas, nous a paru essentiel pour cette étude, Les photographies

de nos malades sont dues à M. Infroit, que nous remercions vivement de

son obligeance.

le' Tableau. - Parkinsoniens présentant des déviations de la colonne

vertébrale.

2° Tableau. - Parkinsoniens sans déviations de la colonne verté-

brale.

Parmi les 12 observations de notre premier tableau, la huitième (Bel,

54 ans) nous semble devoir être mise à part : il s'agit d'une cypho-sco-

- liose légère, datant de la puberté, et qui n'a, par conséquent, rien à voir

avec la « parolgie agitante » ; la malade n'a d'ailleurs pas remarqué que

la déviation vertébrale dont elle est atteinte,- ait augmenté depuis le dé-

but de son affection. Dans les onze autres cas, les malades présentent des

déviations nettes de la colonne vertébrale, qui ou bien, ont apparu depuis

le début de leur maladie (obs. 2, 3, 4, 5, 6, 9, 10, 11, 12), ou bien, se

sont notablement accrues (obs. et 7), une légère déviation existant anté-

rieurement. Nous avons soigneusement recherché, dans tous les cas, s'il

n'existait pas quelque cause, étrangère à la maladie de Parkinson, et qui

puisse expliquer ces déviations. L'examen clinique ne permet pas de soup-

çonner une affection osseuse de la colonne vertébrale : des radiographies,

que nous aurions voulu joindre à ce travail, ont été faites dans trois cas

(obs. 5, 10,12) ; elles montrent la parfaite intégrité des vertèbres. D'autre

part, nous n'avons pu déceler chez aucun de nos malades, nul stigmate

(['hystérie. Il n'existe pas non plus de paralysie vraie d'un groupe muscu-

laire, rendant compte de ces déviations. Il nous semble donc logique de

les rattacher à la maladie de Parkinson, mais à quel mécanisme attri-

buer leur genèse ? ' !

Tout d'abord, remarquons qu'il ne s'agit pas simplement de déviations

imputables à la cachexie, à l'alitement prolongé des malades; trois seu-

lement d'entre eux (obs. 3, 4, 9) sont impotents, cachectiques, confinés

au lit ou dans un fauteuil ; les autres vont et viennent toute la journée,

ayant conservé leurs forces; plusieurs exercent encore leur profession.

L'ancienneté de la maladie n'est pas davantage une cause ; la malade de

PREMIER TABLEAU. Parkinsoniens avec déviations de la colonne vertébrale.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpètrière. T. XV, PI. XLIX

DÉVIATION DE LA COLONNE VERTEBRALE DANS LA MALADIE DE PARKINSON

Nouvelle Iconographie DE la SALPE'7RIÈItE. T. XV, PI. L

DEVIATION DE LA COLONNE VERTÉBRALE DANS LA MALADIE DE PARKINSON

(smicard et ,9luier).

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. XV, PI. LI

DÉVIATION DE LA COLONNE VERTEBRALE DANS LA MALADIE DE PARKINSON

(smicard el ,fllguic).

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. XV. Pli. LI

DÉVIATION DE LA COLONNE VERTÉBRALE DANS LA MALADIE DE PARKINSON

(Sicnrd et ,9lguier).

DEUXIÈME TABLEAU. Parkinsoniens sans déviations de la colonne vertébrale.

DÉVIATIONS DE LA COLONNE VERTÉBRALE 383

notre observation 12, parkinsonienne depuis un an seulement, affirme

nettement ne s'être voûtée que depuis ce temps, et, cependant, sa dévia-

tion est, à l'heure actuelle, assez notable. Enfin, la déviation n'est certes

pas en rapport avec le tremblement, puisque celui-ci existe dans les 5 ob-

servations de notre deuxième tableau (parkinsoniens sans déviation).

Notamment dans l'observation 17 (parkinsoniens sans déviation), le trem-

blement est beaucoup plus intense que chez plusieurs malades de notre

première série (parkinsoniens avec déviation).

Au contraire, l'examen des malades nous a aisément permis de consta-

ter que les déviations de la colonne vertébrale dépendent de la raideur mus-

culaire. Cette dernière est à peine ébauchée chez ceux de nos malades

dont rachis n'est pas dévié; chez les autres les déviations rachidien-

nes ont apparu en même temps que leurs muscles devenaient « lourds »

comme courbaturés, et que leurs mouvements commençaient à perdre

leur souplesse; chez tous, nous avons pu constater, non seulement la

lenteur et la gêne des mouvements, l'état figé des traits, qui constitue

le masque du parkinsonien, mais encore, au palper, une rigidité toute

spéciale de certains muscles (principalement les biceps brachiaux et les

muscles de la face antérieure des avant-bras, pour le type ordinaire, de

flexion) ; dans les cas les plus nets, ces muscles deviennent durs, et presque

ligneux. Faisons remarquer encore que, sous l'influence du traitement

institué (mécanothérapie, massage, bains chauds, bromhydrate d'hyos-

cine), un certain nombre de nos malades (obs. 1, S, 10, 11, 12) ont vu

diminuer parallèlement leur raideur et leurs déviations, les injections

sous-cutanées de bromhydrate d'hyoscine, qui diminuent, pendant quel-

ques heures, la raideur musculaire, atténuent momentanément les dévia-

tions ; plusieurs malades (notamment, les nOS 1, S, 11) peuvent, lorsqu'ils

sont sous l'influence du médicament, se redresser partiellement, ce qu'ils

ne peuvent plus faire le lendemain, alors que la raideur est redevenue ce

qu'elle était auparavant.

Nous ne voudrions pas pousser plus loin l'analyse et affirmer que telle

ou telle déviation correspond à la raideur de tel ou tel groupe muscu-

laire. Faisons seulement remarquer que ceux de nos malades qui sont

devenus cyphotiques, présentent le type ordinaire, en flexion, de la mala-

die, leur tête est fléchie sur la poitrine ; les avant-bras sont reportés en

avant, en demi-flexion, les mains ont l'attitude classique du parkinsonien ;

le palper montre que la rigidité prédomine nettement au niveau des mus-

cles fléchisseurs, pour le membre supérieur ; parfois même (obs. 3 et 4),

les mouvements d'extension des membres sont incomplets, et nettement

limités par la tension des fléchisseurs, qui semblent légèrement rétractés.

Au contraire, le malade de notre observation 10, atteint d'une lordose

384 SICARD ET ALQUIER

avec ébauche de scoliose, présente nettement le type d'extension,non seu-

lement pour le tronc, mais aussi pour la tête et les membres : dans la

position habituelle, ses hras pendent, dans la position du soldat au port

d'armes, et ne sont pas ramenés en avant, comme le montre la photogra-

phie prise de profil. Enfin, notre cas de scoliose correspond à un hémi-

parkinson ; dans nos 3 observations (n"' 6, 7, 9) de cypho-scoliose déve-

loppée en même temps que la raideur, celle-ci prédomine d'un côté du

corps.

Nous conclurons donc en disant que, dans la maladie de Parkinson,

on observe le plus souvent des déviations de la colonne vertébrale, de

types divers (cyphoses, scolioses, lordoses simples ou combinées diverse-

ment entre elles) apparaissant en même temps que la raideur musculaire,

et, croyons-nous, sous son influence.

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE

SPASMES FONCTIONNELS ET MALADIES HÉRÉDITAIRES

ET FAMILIALES DTI SYSTEME NERVEUx.. ? ....

PAR R

DESTARAC

(de Toulouse)

Nous avons présenté, au dernier Congrès de Toulouse (1), deux malades

atteints d'une même affection qui se rapproche des maladies héréditaires

par son début dans la seconde enfance et par quelques-uns de ses symp-

tômes, tandis qu'elle emprunte les autres à divers tics ou spasmes, souvent

décrits sous des noms divers, mais encore imparfaitement connus.

L'un a déjà fait le sujet d'un travail publié dans la Revue Neurologi-

que en juin 1901. La marche des accidents, suivie avec soin depuis cette

époque, présente un réel intérêt.

Nous devons à la bienveillance de M.le professeur Mossé d'avoir pu étu-

dier l'autre dans son service de l'Hôtel-Dieu.

Nous avons été surpris de retrouver, dans ce second cas, une symptoma-

tologie identique au premier, quoiqu'un peu plus complexe, et une même

évolution donnant l'impression d'une seconde édition amplifiée de la

même maladie, et non pas seulement d'une analogie superficielle entre

deux états morbides différents.

Malgré sa physionomie bien spéciale, le tableau clinique offert par nos

malades, rappelle par certains traits, d'une part, la paraplégie spasmodi-

que, d'autre part, la maladie de Friedreich et l'hérédo-ataxie cérébelleuse.

Comme dans ces deux dernières affections, l'intégrité de la force muscu-

laire contraste avec l'impotence fonctionnelle, systématisée, sous forme

de spasmes fonctionnels à certains mouvements complexes et coordonnés*

tels que la marche et l'écriture. t

L'analogie se traduit encore par des attitudes vicieuses et des mouve-

ments involontaires des membres, du tronc et de la tête.

(1) ler avril 1902.

386 DESTARAC

Le torticolis spasmodique nous parait être le phénomène capital, dans

toute l'acception du terme qui caractérise cette affection, si bien que nous

serions tenté de la désigner sous le nom de syndrome du torticolisspasrzo-

dique.

Avant d'entreprendre l'étude de nos malades, un court préambule nous

parait nécessaire pour mettre certains points en relief et en préciser l'in-

térêt particulier.

. 1

En 1900, M. Babinski présente à la Société deNeurologie un homme de

37 ans atteint de torticolis spasmodique, ayant les caractères du torticolis

mental, associé à des spasmes du bras et de la jambe du même côté.

En présence du signe des orteils, il n'hésitait pas à rattacher ces divers

spasmes à une cause unique, à une perturbation dans le fonctionnement

du faisceau pyramidal, dont il se déclarait, du reste, incapable de préciser la

nature.

Il signalait, en outre, l'hyper ex tension permanente du gros orteil, et

M. Ballet faisait remarquer la forme athétosique des mouvements du bras.

Nous attirons l'attention sur ces deux phénomènes, en rappelant que les

mouvements athétosiques font partie de la maladie de Friedreich, et que

l'hyperextension permanente du gros orteil constitue souvent la première

manifestation du pied-bot de Friedreich, qui persiste même parfois indé-

finimentsous cette forme rudimentaire(l).

En juin 1901, nous présentions à la Société de Neurologie l'observation

suivante :

H. Fou ? âgée de 18 ans, née à terme, de parents bien portants, n'ayant ja-

mais eu ni convulsions, ni autres manifestations nerveuses, et ne présentant

aucun stigmate d'hystérie (2).

La maladie débute, vers 8 ou 9 ans, par une gêne dans les mouvements de

l'écriture analogue à la crampe des écrivains, gêne qui existe aussi pour certains

mouvements compliqués, tel le travail au crochet.

A 16 ans, se montre une sorte de boiterie provoquée par un spasme du mol-

let gauche qui met le pied en varus équin. Ce spasme se produit au maximum

dans la marche, et disparaît dans la course, ou du moins ne semble pas entraver

le mouvement des jambes à cette allure rapide.

Elle monte et descend les escaliers quatre à quatre, et saute, sans difficulté,

d'une assez grande hauteur.

En dehors de la marche et de l'écriture, le bras et la jambe exécutent, avec

force et souplesse, les mouvements les plus varies.

(1) SocA, Th. Paris, 1888, p. 32.

(2) Voir Rev. Nenr., juin 1901.

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 387

Un peu plus tard, apparaissent des contractions spasmodiques de la hanche,

dont les secousses se communiquent au tronc.

Ces spasmes se transforment bientôt en une déviation permanente, avec sco-

liose consécutive. Cette contracture de la hanche cède assez facilement sous la

simple pression de la main.

En dernier lieu s'installe un torticolis clonique d'abord, tonique ensuite, rap-

pelant les récentes descriptions du torticolis mental et, comme lui, corrigé par

le signe du doigt.

Les réflexes rotuliens sont exagérés et les cutanés abolis. Il y a un léger clo-

nus du pied. ,

Le signe des orteils est très net des deux côtés.

Les gros orteils sont en hyperextension.

Les sphincters sont intacts. Pas d'incoordination,ni de titubation,ni de signe

de Romberg.

La force musculaire est conservée.

Il se produit spontanément mais surtout dans la marche, de la tachycardie

et de l'oppression sans lésion, du coeur ni des poumons. 1

La sensibilité, l'intelligence ne présentent rien d'anormal. Il en est de même

de l'état mental.

L'émotion exagère tous ces phénomènes spasmodiques.

Fig. 1.

Fis. 2. '

388 DESTARAC

En présence de ces phénomènes d'aspect si varié, nous nous refusions

à porter autant de diagnostics qu'il y a de formes différentes de spasme,

et nous préférions ne voir en eux que les manifestations d'un seul et même

état morbide. Nous rappelions que Duchenne de Boulogne a réuni, dans

son chapitre des spasmes fonctionnels, la crampe des écrivains, le torti-

colis spasmodique, toutes ces contractions toniques ou cloniques qui se

manifestent seulement pendant l'exercice de certains mouvements volon-

taires ou instinctifs, et qu'il les rattache à un état morbide quelconque

des centres nerveux.

Nous constations encore qu'un certain nombre de ces mouvements

convulsifs sont incontestablement de nature hystérique (Duchenne, Pi-

tres, Joffroy) et que la plupart sont englobés dans les tics et dans la fa-

mille des myoclonies (Raymond) qui n'est, sans doute, qu'un groupement

d'attente.

Enfin nous ne pouvions oublier la séduisante théorie psychique de

M. Brissaud qui a donné à la question du torticolis un regain d'actualité,

ni l'importance du signe des orteils, mise en évidence par M. Babinski, au

point de vue de l'interprétation anatomique du même phénomène.

Nous restions, malgré tout, hésitant.

Mieux éclairé aujourd'hui par l'évolution des accidents chez notre pre-

mière malade, et par l'étude d'un nouveau cas, nous pourrons, peut-être,

nous montrer plus affirmatif.

II

Chez notre jeune fille, cette hyperextension des orteils s'est transformée

en un Pied-bot de Friedreich très complet (l'l. LUI. C).

Les pieds sont en équinisme, tassés d'avant en arrière, avec proéminence de

la partie dorsale. Tous les orteils sont en hyperextension avec saillie des ten-

dons. La plante du pied est plus excavée et ridée. Ce pied creux persiste dans

la station debout, comme en fait foi l'empreinte sur laquelle toute la partie

moyenne du pied fait défaut.

Le spasme du mollet gauche a gagné le mollet droit. Il n'apparaît pas immé-

diatement (1), mais au bout de quelques pas ; les pieds ne reposent plus alors

que par l'extrémité antérieure des métatarsiens. La malade ne peut plus avan-

cer que très difficilement, même soutenue par un aide. Cette attitude reproduit

fidèlement la démarche d'un cas de Friedreich figurée par M. Raymond (2j,

dans ses scléroses de la moelle.

La force musculaire mesurée par la résistance à la flexion et il l'extension

(1) Au début le spasme ne se manifestait qu'après un temps de marche. M. Marie a

fait la même remarque au sujet des troubles de la marche dans l'hérédo-ataxie.

(2) Scléroses systém. de la moelle, 1894, p. 329.

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 389

paraît conservée, et cependant la station debout et la marche amènent rapide-

ment une lassitude extrême et une sensation de brisement dans les membres.

Tandis qu'au début elle se tenait constamment debout, elle passe maintenant

toutes ses journées assise (1).

La tachycardie et l'oppression se montrent au moindre effort, et parfois spon-

tanément, et l'on peut se demander s'il ne s'agit pas là de phénomènes bul-

baires.

Nous devons noter encore, pour compléter l'observation, une sorte d'inquié-

tude des membres inférieurs, dans la station debout, et un défaut d'équilibre

empêchant les deux pieds de poser, à la fois, à plat sur le sol.

Des vertiges ont apparu depuis quelque temps.

Il se serait produit, il y a quatre mois,des troubles vaso-moteurs de la jambe

gauche, que nous n'avons pu observer, sous forme de gonflement avec rou-

geur remontant jusqu'à mi-jambe.

Dans l'état actuel, cet ensemble clinique pourrait être pris, à un exa-

men superficiel, pour une paraplégie spasmodique :

Démarche spasmodique sans titubation, ni incoordination, ni signe de

Romberg, réflexes rotuliens exagérés, clonus du pied et signe des orteils,

intégrité des sphincters et de la sensibilité.

Mais cette systématisation des phénomènes spasmodiques pour la mar-

che et l'écriture s'éloigne du tableau classique de la paraplégie spasmo-

dique.

Au contraire, ce symptôme du début, ce trouble de l'écriture prenant

le caractère d'un spasme fonctionnel, n'est pas sans analogie avec la re-

marque qui a déjà été faite dans la maladie de Friedreich et l'hérédo-

ataxie (2), où les troubles de la motricité des membres supérieurs peuvent

se déceler, bien longtemps avant tout autre symptôme, à l'occasion des

mouvements complexes de l'écriture (3).

Mais, dans ce cas, le trouble ne se produit pas sous la forme d'un spasme,

mais d'une incoordination motrice. Le malade prend la plume d'une façon

maladroite, rate plusieurs fois l'encrier ; des petits mouvements latéraux

détournent tout le temps la main de sa direction primitive. Le résultat est

à peu près le même : les lettres sont tremblées, irrégulières.

(1) Leç. 1893-1894, p. 55 et 56. M. Brissaud a noté cette fatigue, sensation purement

objective que rien ne parait motiver objectivement. Cette fatigue si spéciale est ce

qu'il faut redouter par dessus tout. Elle assombrit le pronostic.

(2) SocA, loc. Cil., p. 65 ; MAniE, Sem. méd., 27 sept. 1893.

(3) Chez nos deux sujets, la difficulté a attiré l'attention à l'occasion de la dictée.

M. Raymond fait la même remarque dans un cas de Friedreich (Cliniques, t896-9' ? ,

p. 352).

(4) Il y a aussi des mouvements de la tête dans l'hérédo-ataxie pendant les différents

actes, mais elle reprend la situation fixe dès que le mouvement est accompli et que

le sujet est suffisamment « calé ». Marie, loc. cil., p. 445.

390 DESTARAC

L'analogie est encore frappante entre le torticolis spasmodique et les

mouvements involontaires de la tête dans le Friedreich.

Ces mouvements consistent en oscillations ordinairement antéro-posté-

rieures, parfois latérales, qui ne se produisent pas généralement quand le

malade est au repos absolu dans le lit, mais qui apparaissent dès qu'il se met

en mouvement. « Si le malade marche, dit Soca (1), la tête se met à

branler tout de suite, et cela jusqu'à ce qu'il s'arrête. S'il s'asseoit, les

mouvements cessent au bout d'un certain temps; dans quelques cas, le

mouvement est continu ou à peu près, que le malade soit assis, debout ou

qu'il marche, il ne cesse que quand il est couché. Dans d'autres cas

encore, le mouvement serait absolument continu et ne cesserait que pen-

dant le sommeil. » L'émotion exagère toujours ces mouvements.

On ne saurait décrire avec plus de précision les caractères propres au

torticolis spasmodique qu'on retrouve dans toutes les observations.

Le caractère essentiel, qui l'a fait classer par Duchenne dans les spasmes

fonctionnels, c'est de ne se produire qu'à l'occasion des mouvements vo-

lontaires, et de disparaître quand la tête est appuyée.

Dans certains cas, en général à une période avancée de la maladie, le

spasme persiste même quand le sujet est couché, mais à un moindre degré.

il disparaît toujours pendant le sommeil.

Entre les types extrêmes, tous les degrés peuvent se rencontrer.

Si nous récapitulons les phénomènes qui rapprochent notre cas de la

maladie de Friedreich et de l'hérédo-ataxie, nous trouvons :

Le début dans la seconde enfance ;

Les troubles de l'écriture, précédant, de longtemps, les autres acci-

dents ;

Une attitude spéciale des pieds, dans la marche.

Des mouvements involontaires de la tète et du tronc.

Le pied-bot et la scoliose ;

La tachycardie, la dyspnée et les vertiges ;

La conservation de la force musculaire.

Il est vrai que les réflexes sont exagérés, tandis qu'ils sont, presque tou-

jours, abolis dans le Friedreich. Cette dissemblance n'est pas capitale,

puisqu'on a signalé des cas de Friedreich avec conservation et même

exagération des réflexes (Vizioli, Musso, Ormerod et Smi th, Seeligmüller,

Massalongo (2) et qu'ils sont, le plus souvent, exagérés dans l'hérédo-

ataxie.

Il manque toutefois le symptôme cardinal, sans lequel, a dit M. Ray-

mond,il n'y a pas de Friedreich, c'est la démarche tabéto-cérébelleuse.

(1) SocA, loc. cit., p. 72.

' (2) V. Soce, loc. cit., p. 106, et 111nnre,loc. cil., p. 446.

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 391

Pour ce qui est du pied-botde Friedreich, il n'est plus, parait-il, con-

sidéré aujourd'hui comme absolument spécial à la maladie de ce nom.

On l'aurait rencontré dans une autre maladie héréditaire et familiale, dans

la paraplégie spasmodique.

Il est important de noter la coexistence du torticolis spasmodique dans

ce même groupe héréditaire et familial. Il a été, en effet, rencontré, par

MM. Cestan et Guillain, chez deux soeurs atteintes de paraplégie spasmo-

dique familiale, et chez un homme présentant la même affection.

« Il nous a paru intéressant, disent ces auteurs (1), de signaler, chez

nos spasmodiques,ce torticolis spasmodique semblable au torticolis mental

et de conclure, sinon à leur identité complète au point de vue de la patho-

génie, du moins à leur ressemblance parfaite au point de vue de la cli-

nique. »

Nous pouvons faire la même remarque au sujet de notre malade..

Nous retrouvons chez elle le signe du doigt, cet acte de foi qui sauve,

caractéristique du torticolis mental (2) pour M. Brissaud et ses élèves.

Il y a même le geste que M. Meige qualifie de paradoxal et d'illogique.

Pour empêcher la tête de se pencher à droite, le malade se sert de sa

main gauche appuyée à gauche, ce qui devrait augmenter la déviation de la

tête à droite au lieu de la redresser.

Nous nous réservons de revenir plus tard sur ce point spécial, et de re-

chercher si, en dehors de la théorie psychique, il n'y aurait pas une expli-

cation physiologique de ce geste paradoxal et illogique en apparence.

Nous considérons le torticolis comme un trouble du tonus, pouvant être

modifié par les lois qui régissent le tonus ; lois formulées par Sherrington.

III

Chez notre second malade, nous retrouvons les mêmes symptômes du

début apparaissant à peu près dans le même ordre, et à la même époque.

C'est d'abord la crampe des écrivains qui ouvre la marche, vers t'age de

9 ans, lorsque l'enfant commence à écrire sous la dictée, et qui précède

de 7 à 8 ans les autres accidents.

Le torticolis vient ensuite à 18 ans, bientôt suivi des spasmes des mus-

cles fléchisseurs du pied et de la jambe, à gauche d'abord, et plus tard

des deux côtés, entraînant des troubles de la marche.

Nous assistons à la même évolution dans les deux cas, mais le second

nous offre des points de contact beaucoup plus nombreux avec la maladie

de Friedreich et l'hérédo-ataxie.

(1) CESTAN et GUILLAI\, Rev. de Méd., 1900, t. 20, p. 815.

(2) MM Ballet et MEMH qui ont examiné nos malades reconnaissent dans ce cas le

torticolis mental.

392 DESTARAC

A part la crampe des écrivains et le torticolis, nous observons encore

chez Vig :

L'abolition de tous les réflexes tendineux, avec conservation des réflexes

cutanés ;

Le pied-bot ;

La scoliose ;

L'ataxie statique du bras droit ;

Les mouvements involontaires de la face ;

Les troubles de la parole ; .

Les contractions fibrillaires ; ...

De très légers troubles de la sensibilité objective, et l'abolition de la sensi-

bilité électromusculaire ;

Les secousses nystagmiformes ;

La tachycardie et l'oppression ;

En dernier lieu, des modifications de l'excitabilité mécanique et électri-

que qui rappellent la réaction myotonique de la maladie deThomsen.

Observation. - Vig.. Eugène, 29 ans, cultivateur dans les Hautes-Pyrénées.

Antécédents héréditaires. - Grand-père paternel paralysé à 50 ans. Père

73 ans, mère 5 ans, deux soeurs 30 et 35 ans, tous bien portants. A part la

paralysie du grand-père, il n'y a jamais eu, dans la famille, de tics, ni autres

affections nerveuses.

Antécédents personnels.- Né à terme, d'une grossesse normale, accouche-

ment sans forceps, nourri au sein, pas de convulsions.

La première enfance se passe sans accidents. Vig. a marché de bonne heure

et a toujours pu courir comme ses camarades, sans chutes fréquentes. Jamais

de maladies graves à garder le lit.

- Pas d'alcoolisme, ni de syphilis.

Il a toujours vécu de la vie saine des champs, sans secousses morales.

Il va à l'école à 8 ans. Son intelligence est assez ouverte, il a bonne mé-

moire et apprend facilement, surtout le calcul.

. A 12 ans, il s'aperçoit en écrivant sous la dictée qu'il ne peut suivre ses

camarades. A 15 ans, la gêne devient extrême et la crampe des écrivains atteint

son maximum.

A cette époque, se montrent, sur la face dorsale des deux poignets, deux tu-

meurs arrondies, du volume d'une noix, plus grosses le matin au réveil, et dou-

loureuses, surtout la nuit. Pour calmer ces douleurs, il est obligé de tenir ses

bras hors du lit. La guérison se produit sans traitement vers l'âge de 18 ans.

A 18 ans, apparaissent, sans cause appréciable, des tiraillements dans le

sterno-mastoïdien qui amènent la rotation de la tête à gauche. Vig. est obligé,

pour la redresser, d'appuyer la main sur le menton, ou sur la joue; les tiraille-

ments se produisent par crises avec intervalles de repos.

A 20 ans, survient une boiterie gauche, provoquée par une contraction exa-

gérée de la jambe sur la cuisse.

Nouvelle Iconographie DE la SALPÊTRIÈHE, T. XV, PI. LUI

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE

('Destar[lc) .

A Malade atteint de torticolis spasmodique. (Obs.I). - A' Le même, conigeant sa déformation

13, C Pieds rappelant le pied hot de Fricdmich (Obs 1 et Il),

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 393

Après avoir été réformé au conseil de revision, où l'on aurait porté le dia-

gnostic de chorée, il fait une cure à Bigorre, en septembre, et dans l'hiver qui

suit, tous ces phénomènes s'atténuent.

Il subit encore quelques secousses de la tête surtout par les temps froids.

Seule la gène de l'écriture ne s'améliore pas.

Les choses restent en l'état jusqu'à 27 ans.

En septembre 1899, Vig. fait une chute, sur le côté droit, d'une hauteur de

3 mètres, et garde le lit pendant 4 jours.

En janvier 1900, les troubles de la marche reparaissent, cette fois dans les

deux jambes.

Il peut courir sans difficultés, tandis que la marche au pas est de plus en

plus pénible. Il dit aussi, d'une façon formelle, qu'il préférait marcher à recu-

lons, dès qu'il en avait le prétexte, ses jambes obéissant mieux ; il marchait

toujours ainsi en conduisant ses boeufs.

En février 1901, le torticolis s'aggrave à son tour et tous les accidents pren-

nent une tournure si inquiétante, qui) se décide à venir à Toulouse, pour se

faire traiter.

Examen clinique. - Vig. est d'une taille au-dessous de la moyenne, peu

musclé, mais d'aspect bien portant (PI. LUI, A et A').

Un est trappe par le volume du crâne et son

asymétrie (Fig. 3).

Torticolis. - Le torticolis est le résultat de

la contraction combinée du splénius et du tra-

pèze droit, d'une part, et du sterno-mastoïdien

du même côté, avec prédominance d'action des

premiers muscles. La tête est fléchie à droite

et en arrière; cette attitude à peu près perma-

nente est exagérée, à tout instant, par des con-

tractions toniques plus fortes.

L'épaule du même côté est attirée en haut

par des secousses qui se communiquent au tronc,

elle reste fixée dans cette oosition tant nue la

tête est fléchie. Quand la tête se redresse, l'épaule s'abaisse en même temps.

Au début, le torticolis disparaissait au repos ; actuellement, il s'atténue con-

sidérablement quand le malade est couché, mais ne disparaît complètement que

pendant le sommeil .

L'attitude normale peut être obtenue par la volonté seule, ou l'appui de la

main, mais pendant un instant seulement.Pour redresser la tête, déviée à droite,

Vig. applique sa main gauche sur la joue gauche, ce qui paraît illogique. Nous

pouvons nous-même maintenir la rectitude, sans grand effort.

Membres supérieurs. - La force est conservée dans les bras et dans les

mains, le dynamomètre donne 90° à droite et 85° à gauche.

Le bras et la main droits accomplissent, avec aisauce, les mouvements les

plus variés. Il n'y a ni incoordination, ni tremblement, ni raideur, même pour

les mouvements les plus délicats, par exemple, celui de se boutonner.

xv 26

Fig. 3.

394 DESTAHAC C

Le but est atteint sans précipitation et avec précision. : Crampe des écrivains. zig. prend la plume d'une façon normale, la trempe

dans l'encrier sans hésitation et sans zig-zag, il esquisse même dans l'air les

mouvements de l'écriture, avec la plus grande facilité. Mais quand il s'agit de

tracer quelques caractères sur le papier, le tableau change immédiatement. La

plume est serrée convulsivement entre le pouce et l'index fléchis, ainsi que les

autres doigts, dans la paume de la main qui s'appuie fortement sur le papier.

L'écriture est lente et extrêmement pénible ; elle exige un effort considéra-

ble qui exagère la tétanisation du cou et de l'épaule, et met en évidence un

spasme facial du côté droit (Fig. 4).

Il n'y a cependant pas de crampe douloureuse.

Les lettres sont de même hauteur et sur la ligne droite, mais les jambages,

surtout ceux des majuscules, sont formés de lignes brisées.

A main levée, l'écriture est à peu près impossible. Les troubles de l'écriture

Sont moins marqués pour la maiu gauche, qui n'écrit pas en miroir.

Alaxie statique. - Le bras gauche présente un phénomène analogue et l'a-

taxie statique. On observe, dans les muscles au repos, des contractions fascicu-

laires,que nous retrouverons, d'ailleurs, sur presque toute la surface du corps,

et qui n'amènent pas de déplacements des segments du membre. Mais, si l'on dit

au malade de lever le bras, et de le tenir immobile, ces contractions s'exagè-

rent, sous forme d'ondulations assez lentes, et lui impriment de petites oscilla-

tions latérales ; elles s'exagèrent si l'on charge la main d'un poids ; ces oscilla-

tions cessent, dès qu'on oll're un point d'appui, et que les muscles se relâchent.

Elles n'altèrent pas sensiblement la direction du mouvement ; il ne s'agit pas

d'un tremblement intentionnel : le verre plein est porté à la bouche sans acci-

dent. Il n'y a point d'incoordination comme dans le tabes ou la maladie de

Friedreich. L'étendue, la direction, la vitesse, l'énergie du mouvement sont

conservées. L'occlusion des yeux reste sans effet.

, Nous avons fait la remarque suivante : les mouvements du bras sont d'au-

tant plus marqués qu'il est tenu immobile ou exécute des mouvements lents,

ils disparaissent à mesure que les mouvements sont plus rapides.

'-Pour manger, le malade se tient assis, il serre son bras gauche contre le

i \

Fig. 4.

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 395

corps pour l'immobiliser, le coude gauche appuyé sur la cuisse, l'assiette dans

la main gauche qui tient aussi le pain.

Dans cette position, le bras est immobile, mais l'avant-bras remue encore.

La main droite porte la fourchette à la bouche sans maladresse, malgré les se-

cousses de la tête.

. Membres inférieurs. - Tous les segments des membres inférieurs semblent

avoir conservé l'intégrité de leur force, seule, la flexion du pied sur la jambe

paraît un peu affaiblie, surtout à gauche. Quand on tire, avec une égale force

sur les deux pieds fléchis, la gauche résiste un peu moins, sans cependant se

laisser étendre complètement.

. Quand Vig. est couché ou assis, il peut faire exécuter à ses jambes tous les

mouvements, sans trace de raideur ou d'incoordination.

. Le gros orteil vient se poser sur le bout de votre doigt, sans hâte, et sans

dévier de la ligne droite.

Il n'y a point d'ataxie statique pour les membres inférieurs.

. Station. Il se lève sans le secours de ses mains, et peut rester debout,

les pieds rapprochés et les yeux fermés, sans perdre l'équilibre.

Mais le corps n'est pas dans la rectitude : le tronc est incliné à gauche, l'é-

paule droite relevée, et la tête, portée à droite et en arrière, est agitée par des

contractions lentes et soutenues.

Démarche. La démarche est des plus bizarres et difficile à décrire, c'est un

déclanchement de contractions variées de la tête, du tronc et des membres, que

le cinématographe seul pourrait reproduire, et dont nos photographies ne peu-

vent donner qu'une idée très vague.

Les cuisses sont rapprochées, la droite est en adduction et en rotation in-

terne, elle est de plus légèrement fléchie sur le bassin, le pied gauche dirigé

en dehors, le droit en dedans. Le tronc est penché à gauche et en arrière,

l'épaule droite relevée, en même temps que la tête est abaissée vers l'épaule ;

quand la tête se relève, l'épaule s'abaisse.

Le départ se fait toujours du pied droit, le gauche se contente de le suivre,

sans jamais le dépasser.

Les jambes se déplacent avec grande difficulté. Tout le corps semble retenu

en arrière par une force que le malade a de la peine à vaincre.

. Les mouvements se font à faux et par saccades, comme si la décontraction

des antagonistes ne se produisait pas en temps utile.

Le membre est comme bridé, et l'effort que fait le malade pour détacher le

pied du sol, et contrebalancer l'action des antagonistes, produit une détente un

peu brusque.

Les pieds, le gauche snrtout, frottent contre le sol, de la pointe, au départ,

du talon, à l'arrivée ; le droit appuie par son bord externe.

Le malade marche du bassin. A chaque pas, le tronc se jette en arrière, des

contractions spasmodiques des muscles du dos viennent, par instant, exagérer

encore cette flexion, et la jambe qui suit ce mouvement estentralnée trop haut ;

l'équilibre en parait compromis.

Il n'y a pas d'incoordination, ui de titubation cérébelleuse, à proprement par-

396 DESTARAC

]or ; parfois, cependant, les jambes s'embarrassent, et l'on remarque quelques

faux pas de côté.

Le bras gauche est en demi-flexion, la main en pronation, on y remarque,

comme pour les membres inférieurs, la prédominance d'action des muscles

dont nous constaterons plus tard l'hyperexcitabilité électrique.

Le torticolis s'exagère pendant la marche, et le spasme de la joue apparaît.

Il est facile de s'assurer que ces troubles de la marche sont plutôt le fait de

l'asynergie que de la paralysie : si l'on arrête le malade, et qu'on lui demande

d'élever et de porter en avant cette jambe gauche qui est toujours en retard, il

le fait, avec force, et sans la moindre gêne.

Sa volonté n'a d'ailleurs pas perdu toute influence, elle peut encore inter-

venir, à un moment donné, pour remettre un peu d'ordre dans cette anarchie

des mouvements. En prenant le malade sous le bras, et en lui recommandant

de fléchir le corps en avant, il peut encore, par un effort de volonté, rendre à

la jambe une partie de ses mouvements, et lui faire exécuter le pas, tout à

l'heure impossible ; mais le résultat est médiocre, et les pieds semblent avoir

plus de peine à se détacher du sol.

Dans la marche à reculons, le mouvement des jambes est plus libre et se

fait sans effort : la gauche évolue aussi facilement que la droite ; en un mot,

l'harmonie semble rétablie.

En règle générale, le froid, les émotions, les obstacles à éviter augmentent

la gêne des mouvements.

Empreintes. La méthode des empreintes nous révèle les particularités

suivantes :

Après chaque pas exécuté par le pied droit, le gauche vient se placer sur le

même plan, un peu en avant ou en arrière.

La base de sustentation n'est pas élargie.

Les deux pieds conservent leur position respective des deux côtés de la ligne

d'axe, mais la distance des pieds à cette ligne n'est pas partout égale, surtout

pour la gauche. Cette épreuve ne nous montre pas ces déviations de la ligne

droite qui surviennent par instants, parce que, sans doute, l'attention du sujet

est tenue en éveil.

La pointe du pied gauche frotte contre le sol, au départ, dans l'intervalle des

appuis, et parfois à l'arrivée. Le talon laisse des traces qui précèdent immé-

diatement le moment de l'appui.

Le pied droit laisse des traces du frottement de la pointe dans les premiers

pas seulement.

L'empreinte du pied gauche diffère de celle du pied droit. Dans la première,

on constate l'absence de la partie moyenne tandis que le talon antérieur, les

orteils et le talon postérieur sont bien marqués.

Dans la seconde, les orteils manquent parfois, mais l'avant-pied et l'arrière-

pied sont bien marqués ; la partie moyenne de la plante ne laisse de trace que

sur le bord interne, fortement appuyé.

Nous devons insister sur un dernier point qui nous paraît devoir être rap-

proché de ce fait que, à une période moins avancée de la maladie, la course

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 397

était plus facile que la marche au pas et de cet autre fait que les oscillations

du bras gauche disparaissent dans les mouvements rapides.

On retrouve inscrite sur le tracé cette sorte de loi « la répétition de

l'acte semble diminuer l'incorrection du mouvement ». Les premiers pas sont

plus courts, plus spasmodiques.

De 30 centimètres, ils arrivent progressivement à 50 et 60, puis se main-

tiennent à cette distance, tant qu'une émotion, un obstacle ne vient pas appor-

ter quelque perturbation.

Les traces de frottement, fréquentes au début, vont aussi en diminuant

comme nombre et comme intensité (1).

Pied-bot. - Nous trouvons l'explication de ces empreintes de la plante du

pied dans l'existence d'un double pied-bot analogue au pied-bot de Friedreich :

équinisme, extension des premières phalanges, flexion des autres, saillie des

tendons, pied creux persistant dans la station debout (PI. LUI, B).

Scoliose. - Nous avons déjà signalé l'inclinaison du tronc à gauche et en

arrière, il en résulte une scoliose persistante. Mais, par un effet de volonté, la

déviation peut être corrigée, en partie seulement.

Réflexes. - Tous les réflexes (2) tendineux sont abolis, aux membres in-

férieurs et supérieurs ; le chatouillement de la plante n'amène aucun déplace-

ment des orteils, ni en flexion, ni en extension.

Les réflexes cutanés, crémastérien, abdominal sont plutôt exagérés. Les ré-

flexes conjonctival et pharyngien sont conservés.

Mais tandis que la percussion du tendon ne donne aucun résultat, la percus-

sion des muscles produit le déplacement énergique du segment correspondant.

Nous reviendrons plus loin sur l'excitabilité mécanique, à propos de l'explora-

tion électrique.

Contractions fibrillaires ou fasciculaires. -Quand le malade est couché, et

que les muscles sont dans le relâchement, on constate sur tout le corps, avec

prédominance dans certaines régions, des contractions plutôt fasciculaires que

fibrillaires. Ce sont des tressaillements des muscles qui n'amènent pas de dé-

placement des segments des membres, mais souvent un ébranlement de tout

le membre, et des soubresauts des orteils.

Mouvements involontaires au repos. - Au repos, la tête convenablement

calée, on ne constate en fait de mouvements, et à part les contractions fascicu-

laires déjà signalées, que quelques légers spasmes des muscles du cou qui ne .

produisent plus la déviation forcée de la tête mais de faibles déplacements.

.Les jambes, le tronc et les épaules sont aussi ébranlés par des secousses

intermittentes ? "

(1) Une constatation analogue a été faite par M. Brissaud, dans un cas d'hérédo-

ataxie : « la malade est plus ingambe quand elle a fwt une course un peu longue et

elle entend par là une course de deux ou trois kilomètres ». Leçons 93-9, p. Il.

(2) Les auteurs ne signalent, en général, que l'état des réflexes rotuliens. M. Brissaud

rapporte un cas où les réflexes tendineux étaient abolis en même temps aux membres

supérieurs et inférieurs.

398 DESTARAC

Face. - Au repos les sourciliers sont ordinairement contractés,ce qui donne

à la physionomie l'air inquiet.

Par moments, se montrent quelques tiraillements de la commissure droite.

- Dans les mouvements volontaires, quand le malade marche ou écrit, il se

produit un spasme tonique et persistant de tout le côté droit de la face.

Les mouvements des lèvres sont normaux, dans l'acte de souffler, faire la

moue, mais, dans la parole, il existe un trouble des mouvements bien systéma-

tisé. Dans la prononciation des lettres V et F, la lèvre est abaissée à droite par

la contraction du carré du menton.

Langue. - Quand on fait tirer la langue, elle apparaît déviée à droite et

animée de quelques légères contractions.

Voile du palais. Il est attiré en bas vers la langue et la suit dans sa pro-

jection en avant.Le pilier droit, plus contracté que le gauche, produit une asy-

métrie de l'ouverture, avec déviation de la luette à gauche.

Parole. - Le malade est ordinairement silencieux, il se mêle rarement à

la conversation ; quand on l'interroge, il répond avec précision, mais la réponse

se fait attendre quelques secondes, comme s'il avait de la peine à se décider.

- La parole est lente, comme retenue par des spasmes des lèvres. Certaines

lettres sont plus longues, plus soutenues.

Elle est modifiée, d'une façon toute spéciale, par cette contraction du carré du

menton, lors de la prononciation des V et des F. Les lèvres ne venant plus au

contact des dents, ces lettres sont prononcées comme un H aspiré : il dit

« ranime pour femme, « hilant » pour vivant.

Sensibilité. - Il n'y a pas de troubles subjectifs de la sensibilité.

La sensibilité objective est un peu altérée, vers l'extrémité des membres in-

férieurs.

Elle va en s'atténuant de la jambe vers la plante du pied.

Pas de dissociation.

Le sens des attitudes segmentaires est conservé, ainsi que le sens stéréognos-

tique. '

La sensibilité électro-musculaire doit être affaiblie, car, lorsque nous produi-

sons la tétanisation des muscles avec les plus forts courants, le malade ne se

plaint pas.

'Examen de la vision. - M. le professeur Frenkel a bien voulu nous com-

muniquer le résultat de son examen :

Volume et tonus de l'oeil normaux. z

Légère injection de la conjonctive bulbaire, au niveau de la fente palpébrale,

cependant, il n'y a pas de lagophtalmie.

Quand le malade ferme les yeux, il se produit un tremblement fibrillaire

des paupières, signe dont Bard a noté l'importance dans le diagnostic de toutes

les névropathies.

Il n'y a point de ptosis.

Mouvements de l'oeil, normaux, pas de diplopie, pas de strabisme.

Pas de nystagmus, quand il regarde droit devant lui . -

Légères secousses zlsla9mi%ormes dans l'abduction forcée.

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 399

Réaction à la convergence normale. ,

La convergence est normale. '

Réaction de la pupille normale quand on projette la lumière sur la macula,

très peu prononcée quand on la projette sur la rétine, donc pas de réaction

hémianopsique,

Le réflexe à l'accommodation est normal ; pas de signe d'Argyll Robertson.

Pupilles normales, sans mydriase, ni myosis.

Milieux de l'oeil normaux.

Examen ophlalmoscopique. - Pupille un peu pâle dans la moitié temporale'

de l'aeil droit. '

Rétine, vaisseaux, choroïde, normaux.

Acuité visuelle 2/3. Champ visuel normal, pas de dyschromatopsie. '

Il n'y a donc rien à souligner, que les secousses nystagl/lijo1'lnes.

Les sphincters sont normaux.

Il y a de la tachycardie et de ['oppression, dans la marche.

Pas de vertiges.

Dermographisme très marqué.

Rien au coeur ni au poumon.

Sens génital conservé.

Intelligence intacte.

Nous n'avons pu découvrir de modifications de l'état mental; on remarque

seulement une cerlaine apathie et de l'indifférence.

Examen électrique. - L'excitabilité mécanique est augmentée au niveau

des muscles qui présentent, en même temps, de l'hyperexcitabdité galvanique.

Alors que, par exemple, aux bras, les réflexes tendineux sont abolis, on ob-

tient, par la percussion des muscles, une contraction assez énergique pour ame-

ner un déplacement du segment correspondant. ,

Sur la plupart de ces muscles, il se produit,au point percuté, un nodule dont'

la saillie ne disparaît que progressivement, au bout de 5 à 6 secondes.

Ce même nodule apparaît aussi au niveau du sterno-mastoïdien droit, siège'

du torticolis. ,

Courant galvanique. - Sous le rapport de la quantité, l'excitabilité galva-

nique est augmentée. Les muscles de la face, les sterno-masloïdien, grand pec-"

toral, deltoïde, biceps, triceps, long supinateur, fléchisseurs, se contractent avec :

des courants très faibles de 1/10 à 1/2 ! \lA; tandis que les nerfs correspon-

dants exigent un courant plus fort : 2 à 3 1/2 11.A. '

Les autres muscles : extenseurs, éminences thénar et hypothénar, interos-

seux présentent leur contraction minima entre 2 et 5 MA.

Quand on explore la main, on voit apparaître, par propagation du courant, `

des contractions dans le triceps avec 3 pila. au négatif, alors que les muscles

de l'éminence thénar ne se contractent pas encore.

Avec le positif, ces mêmes contractions apparaissent dans le long supinateur

à 2 1/2 MA.

Aux membres inférieurs, 1'liyperexcilibilité est plus marquée à droite qu'à

gauche.

400 DESTARAC

A droite, les adducteurs et le vaste interne se contractent déjà à 2/10 MA,

tandis qu'à gauche il faut ï/2 à 1 MA.

Nous avons été frappé du rapport qui existe entre l'excitabilité de certains

muscles et l'attitude des membres dans la marche. Il y a une prédominance

d'action des muscles hyperexcitables. Ex. : adduction forcée de la cuisse à

droite, coïncidant avec l'augmentation de l'excitabilité des adducteurs.

La même remarque peut être- faite pour les membres supérieurs.

Au point de vue qualitatif, CFP se rapproche, égale, ou même dépasse, dans

certains cas, CFN.

Pour les extenseurs des orteils, par exemple, et surtout pour le second orteil,

nous avons toujours obtenu CFP avec 4 MA et 14 éléments, et CFN avec

7 MA et 18 éléments.

Dans les muscles hyperexcitables, le deltoïde en particulier, dont nous avons

multiplié l'examen à ce point de vue, les deux pôles donnent la contraction

minima avec une même force de courant CFP = CFN avec 1/10 ou 2/10 de

MA. CFN minima est plus forte, plus instantanée, plus généralisée, elle sou-

lève en bloc tout le muscle; CFP, au contraire, est moins rapide, elle produit

une série de dépressions et de reliefs, une sorte d'ondulation et la décontrac-

tion est aussi plus lente à se produire.

Nous tenons à signaler un dernier point qui a retenu notre attention. L'ex-

ploration du sterno-mastoïdien, atteint par le torticolis, est particulièrement

difficile, car le muscle est bien rarement dans le relâchement complet, alors

même qu'il ne produit pas de déviation de la tête. Le repos n'est souvent

qu'apparent, et il subsiste une contraction, en quelque sorte latente, qui

contrarie la production de la secousse minima. Si l'on n'est pas prévenu qu'il

faut user de patience pour attendre le moment opportun, on est amené à aug-

menter le courant au delà de la force utile jusqu'au moment où une contrac-

tion trop énergique vient vous avertir que le but est dépassé.

Cette contraction latente, ou cette hypertonicité, doit exister aussi pour les

muscles moins atteints.

' Le fait suivant semble nous en fournir la preuve. Si nous prenons encore le

deltoïde, qui participe à ces contractions fasciculaires généralisées que nous

avons décrites plus haut, et que, la secousse minima une fois obtenue, au

moment où muscle est au repos complet, nous la répétions à intervalles

égaux, nous verrons, par instant, l'amplitude de la contraction diminuer, puis

disparaître complètement pendant un certain temps, pour reparaître ensuite.

Cette disparition de la contraction, toutes les conditions de l'expérience

restant égales, ne nous parait explicable que par une modification survenue

dans la tonicité musculaire, qui échappe à l'oeil de l'observateur. 1

L'excitabilité faradique suit la même marche que la galvanique, il y la la

même augmentation qui va en décroissant de haut en bas, de la racine à l'ex-

trémité du membre.Tandis que le deltoïde se contracte avec le plus faible cou-

rant, ! à 2 centimètres d'écartement des bobines, les interosseux, les thénar et

hypothénar ne se contractent qu'à 5.

Cette différence est encore plus marquée pour les membres inférieurs : les

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 401

adducteurs, le tenseur du fascia lata se contractent à 2 centimètres, les mus-

cles de la jambe à 9 centimètres et 11 centimètres.

Quand on explore la main, il se produit, comme au galvanique, des contrac-

tions ondulatoires par propagation, dans les muscles biceps, triceps, long su-

pinateur, deltoïde.

Il nous reste à signaler une dernière particularité assez singulière, qui jointe

aux autres modifications, fait songer tout d'abord la réaction myotonique.

En électrisant les muscles du mollet et de la région postérieure de la cuisse

avec un fort courant et des intermittences rares, ou constate, comme à l'état

normal, des contractions isolées, mais avec des intermittences fréquentes, il

se produit une tétanisation qui dure 5 il 6 secondes après la cessation du cou-

rant. Ce phénomène se produit 5 à 6 fois, puis la décontraction redevient.

normale, des ondulations semblables aux mouvements des vagues se dessinent

sous la peau, lors du passage du courant, et pendant la décontraction.

Ces forts courants faradiques sont très facilement supportés, et ne provoquent

pas de douleur.

IV

Nous avons suffisamment insisté, à propos du premier cas, sur l'analo-

gie qui, d'après nous, existe entre les troubles de l'écriture et les mouve-

ments de la tète chez nos malades et dans le groupe Friedreich-hérédo-

ataxie ; nous n'y reviendrons pas.

La question des réflexes mérite de nous arrêter un instant.

Les réflexes rotuliens sont exagérés chez Marie Fou,avec signe des orteils

et, au contraire, ils sont tous abolis chez Vig. Il y a là, au premier abord,

une différence fondamentale qui semble nous interdire tout rapprochement

entre les deux.

Cette objection est sans valeur, si l'on songe que le but de notre thèse

est de montrer les liens de parenté qui unissent nos deux malades à un

groupe d'affections « hérédo-ataxie, maladie de Friedreich héréditaire» (1),

dans lequel, précisément, les réflexes vont de l'exagération à l'abolition

complète, en passant par tous les degrés intermédiaires.

(1) Après un mois et demi de traitement \douche statique, courant continu) et un

séjour dans sa famille, le malade nous revient avec une atténuation marquée de tous

ces symptômes. C'est à ce moment que M. Ballet a bien voulu examiner Vig., en pré-

sence de MM. Meige, Noguès et Cruchet. L'absence des réflexes rotuliens est constatée

tout d'abord, mais une deuxième exploration, avec le procédé de Jendrassik, les fait

apparaître, mais très faiblement, les autres réflexes sont toujours nuls.

Lors de nos premiers examens, nous avions toujours trouvé les réflexes rotuliens

abolis, même avec le procéde de Jendrassik.

Rappelons à ce sujet que les cas de Friedreich avec conservation ou simple dimi-

nution des réflexes sont classiques (Vizioli, Musso, Massalongo, Ormerod, Smith). Ces

deux derniers auteurs ont trouvé les réflexes conservés à un premier examen et abolis

à un deuxième.

402 DESTARAC

- On peut prévoir d'ailleurs le moment où les types cliniques, déjà isolés

dans la classe des maladies héréditaires et familiales, seront reliés par de

nouvelles formes, ménageant entre eux une transition insensible.

Nos malades appartiennent peut-être à cette dernière catégorie.

Ils nous enseignent, du moins, que l'état des réflexes, dans le torticolis

et les divers spasmes fonctionnels, ne peut servir de base certaine au dia-

gnostic différentiel, et que des réflexes plus ou moins normaux n'autori-

sent pas à affirmer l'origine psychique d'un spasme.

Nous devons noter, en terminant, chezFou. et Vigo l'antagonisme entre

les réflexes tendineux et cutanés, l'exagération des premiers coïncidant

avec l'abolition des seconds et vice-versa.

- Cet antagonisme parait être la règle dans les maladies organiques du

système nerveux, et il est signalé, par M. Marie, dans le Friedreich et

l'hérédo-ataxie.

Nous ne ferons que rappeler le Pied-bot (1) deFriedreich et la scoliose,

deux manifestations de la déséquilibration du tonus. La figure et l'em-

preinte du pied sont caractéristiques.

L'une et l'autre déviations ne sont point irréductibles, et ne suppriment

point les mouvements actifs du tronc et du pied. L'action des antagonistes

les corrige en partie. Sous l'influence de la volonté, le tronc se redresse,

mais une légère courbure persiste; pour le pied, la plante reste un peu

excavée.

Le bras droit est agité par des mouvements oscillatoires, dès que le

malade s'efforce de le maintenir, immobile, dans une position élevée ; les

oscillations cessent, dès qu'il retrouve un point d'appui. C'est l'ataxie

statique deFriedreich, phénomène propre à sa maladie.

Les mouvements involontaires de la face chez Vig. consistent en contrac-

tions isolées de la commissure gauche et en un hémispasme généralisé à

tout le côté gauche de la face, survenant à l'occasion des mouvements, de la

marche, de l'écriture, à l'occasion d'un effort ou d'une émotion.

Il se produit aussi, quand il parle, des contractions du carré du- menton

qui troublent l'articulation des lettres V. F.

Nous retrouvons les mêmes contractions de la face dans le Friedreich et

l'hérédo-ataxie : « On constate assez souvent l'existence de contractions

exagérées des muscles de la face dans les mouvements de la mimique, dans

ceux de la parole, ou comme phénomène associé, pendant l'exécution des

différents mouvements des membres » (Marie, hérédo-ataxie). « Aux lè-

vres, dit Soca, on note de petites secousses, visibles surtout quand le ma-

lade se dispose à parler, ou vient de le faire ; quand on l'observe avec trop

(1) Voir fig.

(2) Mal. de Friedreich, loc. cit., p. 12.

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 403

d'attention. Tantôt c'est la commissure qui est le siège d'une petite dé-

pression, tantôt la petite secousse agite le carré du menton. Quand le ma-

lade est dans un calme absolu, les mouvements n'existent plus du tout. »

Vig. présente encore un hémispasme de la langue avec quelques mou-

vements fibrillaires, à ce propos nous citerons encore Soca : « Si l'on fait

tirer la langue, on la voit agitée de petits mouvements fibrillaires, mais à

part ce tremblement, la langue peut se mouvoir dans tous les sens avec la

plus grande facilité. »

Les caractères sont encore les mêmes pour les troubles de la parole, dans

les deux cas : lenteur, gêne, appui sur certaines syllabes, difficulté pour

prononcer certaines lettres. L. K. V. I. (Soca).

Les troubles de la vision, plus nombreux dans l'hérédo-ataxie, se tradui-

sent dans le Friedreich et chez Vi ? par un symptôme unique : les secousses

il.

C'est un symptôme, dit Soca, qu'il faut rechercher convenablement, si

l'on ne veut pas le méconnaître. Chez Vig. il ne se produit que dans l'ab-

duction forcée du regard.

Les troubles de la sensibilité se bornent chez noire malade à une légère

anesthésie de l'extrémité des membres inférieurs, remontant jusqu'à mi-

jambe. Ils sont- aussi de peu d'importance dans le Friedreich, l'hérédo-

ataxie, et sont regardés comme des symptômes de second ordre.

L'absence de douleur au passage de forts courants faradiques, notée

dans notre observation, paraît être la règle dans le Friedreich.« La sensi-

bilité électro-musculaire est diminuée dans l'immense majorité des cas,

même alors que tous les autres modes de sensibilité sont conservés (1). » .

Les contractions fibrillaires, ou mieux fasciculaires, à peu près généra-

lisées chez Vig.,n'aménent pas de déplacement des segments des membres,

comme dans le paramyoclonus, mais parfois un simple ébranlement, et

des mouvements d'extension des orteils, qui n'ont pas, dans ce cas, comme

cela a été observé dans le Friedreich, le caractère athélosique, mais sont,

au contraire, brusques et instantanés.

z Nous retrouvons ces mêmes contractions décrites par M. Marie dans

1,'Iiéi-édo ataxie : « Je dois encore vous signaler certaines secousses muscu-

laires que quelques auteurs appellent « tremblements fibrillaires »,bien

qu'en réalité ce phénomène ne soit nullement analogue aux fines contrac-

tions fibrillaires, presque incessantes, qui s'observent dans différentes

amyotrophies. Les secousses peuvent se montrer dans un grand nombre de

muscles du tronc et des membres (dos, cuisses, éminence thénar). Parfois

aussi se montrent des soubresauts des tendons des orteils, d'une façon

(t) Soca, loc. cit., p. 104.

404 DESTARAC ·

générale, ces diverses manifestations s'observent dans la maladie de Frie-

dreich typique. »

Il est difficile de caractériser la démarche de notre malade. Elle n'est

pas franchement spasmodique, bien que les pieds frottent le sol, d'où ils

se détachent à peine. Elle participe de la démarche tabétique par la dé-

tente un peu brusque des mouvements, mais le talon ne frappe pas le sol

en retombant. Elle n'est pas non plus cérébelleuse. Vig.ne marche pas les

jambes écartées et en titubant ; il n'est pas obligé de regarder ses pieds, ce

qui d'ailleurs lui serait difficile.

On pourrait la qualifier d'asynergique, les mouvements se faisant à faux

et par saccades, par suite du défaut d'harmonie entre les contractions et

les décontractions des antagonistes, les fléchisseurs se contractant trop

et trop longtemps.

Mais, comme dans le Friedreich et l'hérédo-ataxie, le tronc est porté en

arrière, les reins sont cambrés, et le malade marche du bassin. En même

temps, la tête et le tronc sont agités de mouvements,ce qui augmente encore

la ressemblance.

Ces mouvements brusques, saccadés, sans harmonie ni souplesse, avec

cette association grotesque des spasmes de la tête et du tronc, donnent

l'impression d'une marionnette mue par des ficelles.

Sous le rapport de l'excitabilité mécanique et électrique, nous retrou-

vons chez Vig. comme dans la réaction myotonique;

10 Pour le muscle :

L'augmentation de l'excitabilité mécanique, avec persistance de la con-

traction,et l'augmentation galvanique,avec égalité des deux pôles ; la téta-

nisation persistante au faradique ; des contractions ondulatoires, quand

un pôle est à la main, l'autre à la racine du membre ; ces ondulations se

montrent aussi pendant la tétanisation, et surtout après l'ouverture du

courant, pendant la décontraction. '

2° Pour le nerf :

Des réactions normales, ou diminuées.

Il manque il ce tableau, pour que l'analogie soit complète : la tétanisa-

tion persistante au galvanique ; nous n'avons pu l'obtenir avec les cou-

rants les plus forts.

De plus, la tétanisation faradique persistante se rencontre, non pas dans

les muscles hyperexcitables, mais, au contraire, dans les muscles donc'

l'excitabilité est plutôt diminuée (1).

A part les réactions électriques, un autre rapprochement peut être fait

(1) Nous avons été entraîné par ces constatations à rechercher l'état de la fibre mus-

culaire. M. Rispal a pratiqué l'examen d'un fragment de muscle du mollet, enlevé

avec l'autorisation du malade, mais sans aucun résultat.

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 405

avec la maladie de Thomsen. Nous avons noté que la marche est plus gênée,

plus spasmodique dans les premiers pas, elle se régularise ensuite. Ce fait

est enregistré d'une façon assez nette sur le tracé des empreintes : lespre-

miers pas sont plus courls, les intervalles portent la trace des frottements

du talon et de l'avant-pied, mais bientôt le pas augmente, de 30 cm. il

passe à 55 et à 60 cm., et les frottements deviennent de plus en plus rares.

A rapprocher encore de cet ordre de faits, que. à l'époque où la maladie

était moins accentuée, Vig. courait plus facilement qu'il ne marchait,

comme si la succession rapide des mouvements supprimait la gêne et régula-

risait la synergie musculaire (1).

Cette particularité existe encore chez notre première malade, mais chez

elle l'exploration électrique ne nous a pas permis de constater les mêmes

modifications.

Rappelons enfin,que la tétanisation persistante se rencontre,précisément,

dans ces muscles du mollet et de la région postérieure de la cuisse qui

semblent se contracter trop et trop longtemps, d'où un effort plus grand

des antagonistes et une détente brusque. La jambe gauche ne peut même

vaincre cette résistance pour se porter en avant, et n'accomplit qu'un

demi-pas, avec grand effort.

Pendant près d'un mois que le malade a été soumis à notre examen,

nous avons multiplié, à dessein, nos recherches au point de vue des réac-

tions électriques, tant elles nous paraissaient anormales. Toujours les

mêmes résultats ont été enregistrés : nous avons donc la certitude de n'a-

voir pas été victime d'une illusion, mais nous n'en sommes pas moins

fort embarrassé pour tirer une conclusion de ces faits.

Sommes-nous en présence de la réaction myotonique,ou d'une forme un

peu particulière de la réaction de dégénérescence ?

La tétanisation faradique persistante a été observée parfois (Babinski,

Huet), dans les névrites périphériques, mais sous forme de crampe doulou-

reuse, et coïncidant avec une diminution considérable de l'excitabilité.

Nous ne trouvons pas chez Vig. des signes bien manifestes de névrite.

Les réflexes rotuliens sont abolis, mais cette abolition existe pour tous

les réflexes tendineux, tant aux membres inférieurs qu'aux supérieurs.

Il y a bien aussi une légère diminution de la sensibilité aux extrémités.

L'excitabilité électrique est diminuée, mais plutôt d'une façon relative,

par comparaison à l'hyperexcitabilité des muscles de la racine des mem-

bres.

La force est conservée, il n'y a pas d'atrophie musculaire appréciable,

(1) Il en est de même dans la maladie de Thomsen. La raideur spasmodique entrave

plus ou moins les premiers pas, puis elle diminue à mesure que les mouvements se

répètent. 1

406 DESTAI1AC

les troncs nerveux ne sont pas douloureux à la pression. Il y a, de plus,

des contractions fibrillaires qui ne font pas partie du tableau clinique des

névrites et nous porteraient plutôt à mettre en cause les cellules motrices

des cornes antérieures.

Quant aux relations possibles de notre cas avec la maladie de Thomsen,

rien, a priori, n'empêcherait de les admettre, si les deux ontmêmepatho-

génie et font partie du même groupe héréditaire et familial.

Quoi qu'il en soit, nous nous contenterons d'exposer le résultat de notre

examen, sans oser tirer de conclusions d'une seule observation, et en sou-

haitant que de nouvelles recherches, en s'ajoutant aux nôtres, viennent

éclairer ce point particulier.

L'exploration électrique nous parait, du reste, avoir été trop souvent

négligée dans cet ordre de phénomènes.

V

Ce long examen comparatif ne peut laisser de doutes sur l'analogie de

certains phénomènes (torticolis spasmodique, crampe des écrivains) et la

ressemblance parfaite de cerlaius autres, offerts par nos malades, avec

ceux décrits dans l'hérédo-ataxie et la maladie de Friedreich. Si bien que

ce dernier diagnostic s'imposerait chez Vig., s'il existait seulement, dans

la marche, quelques traces de titubation, et de l'incoordination dans les

mouvements du bras.

La seule différence,c'estque, dans ces deux affections, y a de l'incoor-

dination fonctionnelle et, chez nos malades, des spasmes fonctionnels .

Simple nuance, que l'on constate à tout propos, pour les membres infé-

rieurs et supérieurs, dans la marche, l'écriture ; pour la tète, le tronc,dans

la station debout. Les autres phénomènes sont identiques : pied-bot, sco-

liose, nystagmus, troubles de l'articulation, etc. '

- Cela est si vrai que nous pourrions nous approprier, sans y changer un

mot, cette judicieuse remarque par laquelle VI. Brissaud (1) caractérise

le trouble des mouvements dans la maladie de Friedreich et l'hérédo-ataxie :

« chez ces malades vous devez reconnaître un fait dominant, c'est le trou-

ble très spécial de la coordination des mouvements complexes destinés à des

fonctions prévues telles que la marche, la course, la préhension des objets,

l'articulation des mots, etc.» ,

Ce trouble très spécial de la coordination des mouvements complexes des-

tinés à des fondions prévues, n'est-ce pas aussi bien la définition du

spasme fonctionnel.

Dans le groupe Friedreich-hérédo-ataxie et dans le nôtre, ce sont des

(1) Leç., 1883-1894, p. 58.

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 407

troubles de la coordination des mouvemenls complexes des jambes, des

mains,des muscles de la face, l'occasion de fonctions déterminées (marche,

écriture, parole).

On peut concevoir les troubles les plus variés, suivant la profession et

les occupations des malades. Notre jeune fille est gênée pour écrire, mais

el.le l'est aussi pour le travail du crochet, elle léserait, sans doute,de même,

si elle était fleuriste, pianiste, etc, etc.

Ce qui domine encore dans les deux cas,ce sont des troubles de l'équili-

bmtion ; désèquilihralion du tonus (pied-bot, scoliose).

Ataxie statique de la tête, du bras, du tronc, sous forme d'oscillation

ou de spasme, survenant quand les muscles entrent en fonctions pour

maintenir la position d'équilibre, sans point d'appui.

Cette différence cesse même d'exister pour certains symptômes.

Nous trouvons chez Vig. l'ataxie du bras, les troubles de la parole, le

nystagmus, semblables on tous points à ceux du groupe voisin.

Dans les deux cas encore, l'émotion a la plus grande influence sur l'in-

tensité de la plupart des phénomènes, et c'est à tort qu'on a voulu voir

dans ce fait, pour le torticolis, par exemple, une preuve en faveur de son

origine psychique.

Dans les deux cas, enfin, le pronostic est le même, et l'on peut dire des

deux, avec M. Brissaud (1) : « c'est une affection qui n'est pas mortelle, et

qui n'est, au total, qu'une infirmité plus pénible moralement que physi-

quement. »

Chez nos malades, les accidents ont débulé, comme dans le Friedreich,

dès la seconde enfance, mais le caractère familial fait défaut. Fou : est fille

unique ; Vig. a deux soeurs bien portantes ; mais ces deux faits sont in-

suffisants pour nous permettre de juger du caractère familial, qui

d'ailleurs n'est pas constant dans les affections de ce nom.

La coexistence de la paraplégie spasmodique familiale et du torticolis

spasmodique, signalée par MM. Ceslanet Guillain chez trois sujets, peut

encore être invoquée en faveur de notre opinion qui tend à faire rentrer

le torticolis spasmodique, la crampe des écrivains, les spasmes dits fonc-

tionnels dans le groupe des affections héréditaires, et à les rattacher, comme

ces dernières, à une altération native de quelque point des centres ner-

veux.

Duchenne de Boulogne avait déjà admis, pour les spasmes fonctionnels,

un état morbide quelconque des centres nerveux.

, M. Babinski est venu confirmer cette opinion de Duchenne et préciser,

sinon la' nature, du moins le siège probable de cet état morbide, en atti-

(1) Loc. cit., p. 55. , ,

408 DESTAHAC

rant l'attention sur le signe des orteils, que nous avons nous-même signalé é

après lui, indice d'une perturbation dans le fonctionnement du faisceau

pyramidal. l.

M. Brissaud et, avec lui, M. Meige, sans abandonner la théorie psychi-

que, font cependant une légère concession à la théorie anatomique, en

admettant que la lésion est non la cause mais bien l'effet de la répétition

exagérée du spasme.

«Rien d'impossible, dit M. Meige (1), à ce qu'une modification anato-

mique minuscule soit, non plus la cause, mais la conséquence d'un acte

moteur, réitéré plus que de raison, sous l'impulsion initiale de telle ou

telle idée motrice. »

Nous pouvons objecter à M. Meige que chez Marie Fou ? atteinte d'un

torticolis qu'il a bien voulu reconnaître lui-même comme identique au

torticolis mental, le signe des orteils a été constaté dés le début de la ma-

ladie, par conséquent, avant que la répétition des mouvements ait pu en-

traîner quelque lésion des centres.

Nous pensons que la modification anatomique est toujours primitive et

tient à une malformation congénitale, résultat de la dégénérescence.

Selon que cette altération originelle sera plus ou moins profonde, les

accidents se montreront dès l'enfance, avec une symptomatologie plus com-

plexe et plus grave (nos malades), ou à un âge plus ou moins avancé,sous

une forme atténuée, monosymptomatique (spasme fonctionnel).

Dans ce dernier cas, la répétition exagérée de l'acte peut bien être, en

effet, la cause provocatrice de l'état morbide latent.

C'est la pathogénie admise par Duchenne (2), pour les spasmes fonction-

nels. « La répétition de l'excitation volontaire produit l'état morbide dans

un point donné de la moelle, mais il faut admettre pour le développement

de cette maladie une prédisposition particulière ; en effet, une foule de

gens abusent, par exemple, de la plume, sans être atteints pour cela de

la crampe des écrivains. »

Celte prédisposition particulière, dont parle Duchenne, qui permet l'é-

closion de la maladie chez tel sujot et pas chez d'autres,soumis cependant

au même surmenage, c'est la tare nerveuse héréditaire, fruit de la dégéné-

rescence.

Sans doute, l'hérédité nerveuse est le fond commun sur lequel germent

toutes les affections nerveuses, tant psychiques qu'anatomiques.

« C'est, dit M. Raymond, l'aptitude à faire éclore des affections ner-

veuses,conférée à un organisme vicié dans ses caractères anatomiques appa-

rents, ou dans son fonctionnement psychique, ou dans les deux à la fois. »

(il Arch. général. de méd., février 1902, p. 191.

(2) Loc. cil., p. 1028. .

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 409

Mais,de ce que l'affection nerveuse ne correspond pas encore à une al té-

ration anatomique bien déterminée. est-on autorisé à en faire un trouble

psychique ? -

On ne voit pas trop à quelles lésions correspondent les mouvements de

la tête dans la maladie de Friedreich, doit-on en faire un phénomène psy-

chique ?

« La théorie mentale, dit M. Féré (1), qui tend à envahir l'étiologie des

troubles nerveux dont on ne connaît pas la cause physique, a l'immense

avantage de dispenser de tout effort pour la recherche de cette cause

physique, mais elle a le tort de détruire toute chance de trouver : c'est

une théorie paresseuse dont on ne doit se contenter qu'en attendant

mieux. »

Dans une leçon de M. Raymond (2) sur les myoclonies, qui compren-

nent des états pathologiques, encore mal définis, bien voisins de ceux

étudiés chez nos malades, nous relevons les lignes suivantes : « En pré-

sence d'un cas de myoclonie, si bénin soit-il en apparence, à ses débuts,

vous ne saurez jamais quelle tournure prendra le syndrome dans la suite.

Tenez-vous dans l'expectative.

« Pourpen que la force musculaire diminue et que les muscles affectés

se mettent à maigrir, recherchez avec soin l'étal électrique des nerfs et des

muscles ; et si cette recherche aboutit à la constatation de la réaction de

dégénérescence, faites des réserves relativement à la curabilité du cas.

«Bien plus, si les manifestations myoclonillues ont envahi la zone d'in-

nervation du bulbe,necal;hezpasvoscraintessurla possibi 1 itéd'undénoue-

ment fatal. » M. Raymond admet donc la relation possible des myoclonies

avec les affections organiques du système nerveux.

Ajoutons que pour cette catégorie d'affections le caractère héréditaire et

familial a été démontré par Massaro. Ewald, Unverricht.

VI

Après avoir essayé de démontrer la parenté symptomatique de nos cas

avec la maladie de Friedreich et l'hérédo-ataxie,il nous resterait à recher-

cher si une même parenté pathogénique ne pourrait pas être invoquée.

C'est le syndrome cérébelleux qui domine dans 1'liéi-édo-;i taxie et la

maladie deFriedreicb, et c'est le cervelet qui, directement ou indirecte-

ment, parait devoir être mis en cause.

Si on analyse avec soin nos observations, on ne peut manquer d'être

frappé de ce fait que tous les accidents peuvent être ramenés à un trou-

(1) Spasme fonctionnel du cou. Rev. de méd., 1894, p. 155.

(2) Leçon 1894, 1895.

' xv 21

410 DESTAKAC

ble du tonus, à un défaut d'équilibre musculaire, ne se manifestant que

dans des circonstances particulières, soit dans la station debout, soit dans

l'exécution de certains mouvements complexes, avec conservation de la

force musculaire.

Au repos et dans les mouvements simples, le trouble disparaît.

Or, nous savons, depuis les travaux de Luciani, de Thomas, de ltunel,

etc., que le cervelet est un centre de renfort et d'énergie du tonus muscu-

laire, et que cette énergie préside au maintien de l'équilibre pour chaque

attitude et chaque mouvement, c'est l'action .stis//< ? Mt7tstc< ? .

Dans le syndrome cérébelleux, nous relevons les particularités suivan-

tes : dans la station debout, le tronc et la tête s'inclinent alternativement

d'un côté ou de l'autre, mais parfois aussi toujours du même côté (Alen-

zel).

Ces phénomènes s'exagèrent pendant les mouvements, et cessent, ou sont

beaucoup moins marqués, au repos.

. Quand l'effort nécessaire pour maintenir l'équilibre est réduit au mi-

nimum, dit Thomas, il y a intégrité relative des mouvements isolés des

membres.

La force musculaire est conservée aux membres supérieurs et infé-

rieurs.

Mais, à côté de ces quelques analogies, il existe de nombreuses dis-

semblances qui nous empêchent de pousser plus loin la comparaison.

Si nous admettons un trouble du tonus, nous serions mal venu à pré-

tendre préciser le siège de la lésion, alors que cette question, comme le

dit Crocq (1), dans son remarquable rapport, n'est pas encore résolue,

bien qu'elle soit l'objet, depuis nombre'd'années, des méditations et des

recherches expérimentales les plus attentives de la part des cliniciens et

des physiologistes.

Les nombreuses théories émises sur le tonus peuvent être ramenées a

ces deux propositions :

1° Le tonus est la manifestation extérieure de l'étal d'excitation per-

manente des cellules motrices de la moelle entretenue par les impressions

périphériques ; .

2° Cet état d'excitation des cellules motrices est soumis à une double

influence excitatrice et inhibitrice des centres supérieurs (cerveau, cerve-

let, protubérance).

« C'est la moelle,dit111. Grasset,qui présideà la coordination des contrac-

tions et des relâchements musculaires nécessaires pour obtenir etmainte-

nir chaque position.

(1) Congrès de Limoges, 1901.

LE SYNDROME DU TORTICOLIS SPASMODIQUE 411 I

« L'immobilité elle-même est active.

« Le tonus est une partie de celle fonction médullaire générale ; c'est

la partie concernant le maintien dans l'immobilité d'une position et d'une

attitude. '

« L'écorce cérébrale a certainement une action sur le tonus, nous pou-

vons modifier volontairement l'attitude de notre corps.

« A côté du centre cortical et du centre médullaire, M. Grasset admet

un centre régulateur automatique du tonus qu'il place dans la protubé-

rance. »

C'est la protubérance, pour Vulpian,qui préside à l'attitude normale des

animaux.

Luciani place les centres toniques dans le cervelet, Brissaud dans le

locus niger, Von Gehuchten dans le noyau rouge.

Quel est le siège des lésions chez nos malades ; le placerons-nous dans

la moelle ou dans les centres supérieurs ?

Ces deux hypothèses pourraient être soutenues ; c'est la moelle qui est

atteinte dans la maladie de Friedreich, et c'est le cervelet dans l'hérédo-

atoxie, ces deux affections présentent cependant la plus grande ressem-

blance au point de vue clinique.

Pour notre part, en l'absence de constatations anatomo-pathologiques,

nous nous abstiendrons de toute conclusion prématurée.

TRAVAIL DU LABORATOIRE DU Pr DEJERLNE.

HOSPICE DE LA SA1,PÉ7'RIERE

ÉTUDE SUR LES LÉSIONS RADICULAIRES

ET GANGLIONNAIRES DU TABES

(Suite et fin) / ,

PAR

André THOMAS et Georges HAUSER.

IV. - Étude d'ensemble des lésions.

Récapitulons maintenant les principaux résultats de nos examens ana-

tomo-pathologiques, et voyons comment se présentent les lésions juxta-

ganglionnaires et ganglionnaires du tabès (1).

1° Lésions DES FIBRES radiculaires. - L'étude de l'atrophie radiculaire

dans la portion sus-ganglionnaire conduit aux résultats suivants : Dans

la majorité des cas il semble que les fibres saines soient un peu plus

nombreuses au voisinage immédiat du ganglion qu'un peu plus haut

vers la moelle ; mais il en est (notamment, obs. II et X) où la racine

postérieure est au contraire plus atteinte dans sa portion immédiatement

contiguë au ganglion. Aussi, des légères variations régionales observées

dans tel ou tel cas, on ne saurait déduire une règle absolue, suivant

laquelle l'atrophie augmenterait ou diminuerait de la moelle vers le

ganglion.

Au reste presque toujours, au point de pénétration dans le ganglion

l'atrophie se montre avec netteté, et l'on peut généralement la poursui-

vre dans le parenchyme ganglionnaire, au moins dans la région du pôle

central, où les fibres encore groupées par petits faisceaux se prêtent

mieux à l'observation. C'est ainsi que le 9/4 ou le 1/3 interne du gan-

glion se montrent souvent, sur des coupes longitudinales colorées par la

méthode de Pal, beaucoup plus pauvres en fibres à myéline que le reste

de l'organe.

Mais quelque profonde et intense que soit l'atrophie en ces régions, les

fibres radiculaires reparaissent presque toujours compactes, bien colorées,

(1) 11 va sans dire que dans tous nos cas nous nous sommes assurés, par l'état de

la moelle épinière, que le tabes était indiscutable.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 413

normales à leur émergence du pôle périphérique, dans" leur portion

sous-ganglionnaire, et dans le nerf périphérique.

Est-ce à dire que ce point de démarcation soit constant et que les alté-

rations radiculaires ne puissent en aucun cas franchir le ganglion ? Cela

n'est pas démontré, mais dans aucun cas nous n'avons constaté ce fait.

En ce qui concerne les racines postérieures, il est donc nettement établi

que leur atrophie s'étend jusqu'au ganglion rachidien et- même dans le

parenchyme ganglionnaire, tandis qu'à leur sortie elles sont au contraire

généralement saines.

Ilistologiqllement, l'atrophie est surtout caractérisée par une destruction

progressive de la gaine de myéline. Sa désintégration lente, sa réduction

en fines gouttelettes que l'acide osmique ne colore plus en noir et leur élimi-

nation au dehors du tube nerveux traduisent ce processus essentiellement

lent, qui s'observe mieux par l'étude des dissociations. A l'époque d'évo-

lution avancée où l'on examine d'habitude ces lésions,un grand nombre de

fibres ont ainsi perdu leur myéline. Il ne reste à sa place qu'un espace

circulaire, vide, n'ayant ni la limite régulière, ni l'aspect strié concen-

triquement de l'ancienne gaine.

Cependant le tube nerveux, réduit au cylindraxe et à son enveloppe

conjonctive persiste encore longtemps. Masqué sur les coupes longitudi-

nales par la gaine de Schwann épaissie, le cylindraxe apparaît, sur les coupes

transversales, avec un calibre variable, mais toujours amoindri. Même dans

ces préparations, où la méthode de Pal ne montre que quelques rares fibres

à myéline, on peut juger, après coloration au picro-carmin, qu'un grand

nombre de cylindraxes subsistent encore, soit à l'état nu, soit protégés

seulement par leur gaine de Schwann qui s'applique intimement sur eux.

Mais l'interprétation des coupes est généralement rendue difficile, du fait

de l'existence de débris protoplasmiques amorphes et de nombreux noyaux.

A un stade plus avancé, le cylindraxe finit par disparaître, ainsi qu'en

témoigne la présence de nombreuses « gaines vides » où la fibre n'est plus

représentée que par un espace clair, vacuolaire, encerclé d'une membrane

conjonctive. Maisjamais, dans nos cas an moins, la totalité des tubes nerveux

n'est tranformée en gaines vides ; quelque ancienne que soit l'évolution du

tabes, on n'assiste jamais à la disparition complète, totale des fibres.

Quant à la gaine de Schwann, il semble que ses noyaux conjonctifs se mul-

tiplient : sur les préparations colorées à 1'liématéine-éosiiie, la racine pos-

térieure se distingue aussitôt par sa teinte beaucoup plus accentuée due à

la quantité considérable d'éléments nucléés à la surface des fibres. Mais

y a-t-il une prolifération réelle ? Ou le simple tassement des fibres peut-il

donner l'illusion d'une hyperplasie des noyaux conjonctifs ? Cette dernière

explication ne nous semble pas suffisante pour tous les cas; en effet, tandis

414 THOMAS ET HAUSER

que dans certaines racines postérieures les fascicules comptent sur une

coupe transversale 3 ou 4 fois plus de noyaux que ceux de la racine anté-

rieure correspondante, leur calibre est au contraire à peine diminué ; il

faut donc qu'il y ait un véritable accroissement du nombre des noyaux

qui, en raison de leur disposition parallèle au trajet des fibres, appar-

tiennent à la gaine de Schwann.

- Le processus de désintégration dont nous venons de voir les résultats

donne souvent lieu autour des fibres à une agglomération de débris proto-

plasmiques qui ne sontque lentement résorbés. Ces débris se présentent soit t

sous forme de granulations interstitiel les arrondies ou anguleuses; soit sous

l'aspect d'un croissant ou d'un cercle entier de tissu amorphe autour d'une

fibre nerveuse, oubien encore ils constituent des i lots i rrégul iers au mil ieu

desquels se trouvent plongées des fibres atrophiées.

2° Lésions DU système conjonctif DES racines. - A côté des altérations

parenchymateuses que nous venons de décrire, il existe des lésions des

méninges, du tissu conjonctif péri et intra-fasciculaire et des vaisseaux, que

nous devons maintenant résumer.

Voici l'ensemble de nos constatations : Dans tous nos cas, il existait une

pachyméningite, plus ou moins prononcée, autour de la racine posté-

rieure. L'inflammation de cette enveloppe se poursuit sur l'épinèvre du

nerf radiculaire; elle ne revêt pas en cette région une intensité plus

accentuée.

Elle se traduit en général par l'hyperplasie des faisceaux fibreux, la

formation d'amas embryonnaires, de traînées nucléaires le long des vais-

seaux, enfin par des lésions vasculaires (sclérose et dégénérescence hyaline

des tuniques des petits vaisseaux) pouvant donner lieu à des foyers hémor-

rhagiques. '

L'arachnoïde est de son côté le siège de lésions analogues. Bien que sou-

vent confondue par l'inflammation avec les autres méninges, on reconnaît

parfois son feuillet viscéral épaissi. C'est surtout au niveau desou cul-de-

sac terminal que le travail inflammatoire parait actif. Il se traduit par

l'agglomération découches conjonctives néoformées etsubissantrapidement

une dégénérescence spéciale qui leur donne un aspect amorphe, parfois

vitreux. L'intervalle qui sépare normalement la dure-mère de l'arachnoïde

arrive ainsi à se combler et la symphyse des deux feuillets devient

complète.

La localisation sur la pie-mère d'irritations du même ordre donne lieu

à l'épaississement de la gaine piale commune, qui dans le dernier seg-

ment des racines se confond avec la dure-mère (épsttévile).

Enfin sur celte dernière portion des racines postérieures on observe

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 415

dans nombre de cas, l'hyperplasie des cloisons qui séparent (mésonévrite)

et des gaines conjonctives qui entourent les faisceaux secondaires (périné-

vrite),et du tissu conjonctif inlra-fasciculaire (endonévrile). Nageotte qui a

décrit ces localisations in(lammaloires, a montré qu'elles ont pour siège non

pas la portion située au-dessus du cul-de- sac arachnoïdien, mais bien le

segment terminal, compris entre le ganglion et le cul-de-sac séreux, le

nerf radiculaire. A ce niveau les faisceaux nerveux des racines postérieu-

res et aussi des racines antérieures seraient le siège d'une périnévrite in-

tense. « Cette prolifération semble partir du périnèvre pour former un

anneau qui étouffe le faisceau nerveux. Cet anneau s'accroît par sa face

interne en même temps qu'il fait de la fillrose par sa face externe... A côté

de ce processus d'écrasement des filets nerveux pris en masse, on voit sur

les mêmes racines, mais en d'autres places, se produire une dissociation des

fascicules élémentaires des racines par une prolifération embryonnaire du

tissu conjonctif, suivie de sclérose... Dans le cas de tabes ancien on observe

le même processus, mais à un degré plus intense ; le remaniement amené

par le processus néoplasique clans les racines postérieures est énorme. Ces

racines sont subdivisées en 30 à 40 fascicules grêles et dégénérés » (1).

Nos examens confirment dans quelques cas l'existence de cette péri-

névrite, qui d'abord semble se traduire par une accumulation énorme

d'éléments conjonctifs jeunes à la face interne des gaines périfasciculaires

(Obs. IV et V) ; et qui, à un stade plus avancé, devient franchement

fibreuse. Le périnèvre s'épaissit alors par l'adjonction de fibres conjonc-

tives nouvelles qui s'agglomèrent en couches concentriques et tendent à

rétrécir l'aire du fascicule (Obs. III, VII, X).

En même temps se développe et s'hyperplasie le système des travées

conjonctives intra-fasciculaires (endonèvre). Les tubes nerveux se trou-

vent alors dissociés par petits groupes ou même circonscrits individuel-

lement par de véritables gaines. Ils semblent plongés au sein d'un tissu

plus ou moins nettement (ibrillaire. On peut concevoir que grâce à la pé-

nétration au milieu des fascicules de lames conjonctives nouvelles, ceux-

ci subissent une subdivision pathologique qui en multiplie le nombre ; et

c'est ainsi que la ]Jéri-endonév1'ite aboutirait, selon Nageotte, à un bou-

leversement dans l'architecture de cette partie des racines postérieures.

Cette assertion ne doit, il nous semble, être émise qu'avec réserves. Il

importe en effet de tenir compte des différences et des anomalies qui peu-

vent exister déjà à l'état normal dans la subdivision des racines. Par

suite de ces variations, que nous avons signalées dans le précédent chapi-

tre, on ne saurait toujours déterminer s'il y a,dans un cas et à un niveau

(1) NAGEOl"I'E, Bull. de la Soc. de Biologie, 1894. Voir aussi p. 429 note (2), pour

l'indication des autres travaux de l'auteur.

416 THOMAS ET HAUSER

donné, augmentation du nombre des fascicules. Ces réserves sont d'au-

tant plus fondées que l'endo et la périnévrite, en dissociant et en écar- z

tant les faisceaux secondaires, les individualisent plus nettement qu'à -i

l'état normal et augmentent la surface de coupe de la racine postérieure.

Les fascicules jusque là groupés et compacts sont de la sorte mieux déli-

mités, et paraissent accrus de nombre, mais leur multiplication n'est

qu'apparente. -

Quoi qu'il en soit, on ne peut mettre en doute la tendance du tissu

conjonctif inter,péri et intra-fasciculaire participer au processus inflam-

matoire qui atteint les enveloppes externes de la racine. Il reste à déter-

miner avec quelle fréquence et dans quelle mesure réagissent ces terri-

toires conjonctifs interstitiels. La méso et la périnévrile d'une part; l'endo-

nevrite d'autre part, ont-elles le caractère de constance que cet auteur leur

a attribué ? Nous ne le pensons pas. Bien que, nous conformant à ses

recommandations, nous ayons presque toujours pratiqué des coupes sériées

de la portion sus-ganglionnaire des racines, nous ne les avons rencontrées

que dans une partie de nos cas. Tandis que l'épaississement des enveloppes

méningées est banal, la périnévrite fait souvent défaut,même à une période

assez avancée de la maladie (Obs. Il. VI, VIII). Lorsqu'elle exisle,

son intensité est très variable, mais généralement en relation avec celle

de la méningite. Quant à l'endonévrite, elle est moins fréquente ; nous

ne l'avons nettement observée que dans 2 cas (Obs. 'II et X) et il semble

que l'inflammation ne se propage à l'endouévre que lorsqu'elle atteint sur

le périnèvre une intensité très marquée.

S'il en est ainsi, le processus interstitiel, marchant de dehors en dedans,

gagnerait successivement les systèmes conjollclifs péri et intra-fasciculai-

res;mais cette progression n'est pas fatale; et très souvent il se limite

aux enveloppes périradiculaires, qui en sont en tous cas le point de dé-

part. Loin de se réaliser toujours au complet, ainsi que l'indique Nageotte,

il se montre inconstant, variable d'intensité, contingent ; et par là son in-

nuence sur le développement de l'atrophie radiculaire est, comme nous

verrons, discutable.

En ce qui concerne les racines antérieures, nous avons souvent noté

l'existence, autour d'elles, d'une méningite qui, dans certains cas (Obs. X

et XI), est aussi marquée que sur les racines postérieures ; mais d'une

façon générale s'y montre beaucoup plus légère. Cette méningite cesse,

comme on peut le constater nettement sur ces mêmes cas, à partir du

point où les racines s'accolent au ganglion. Quant au processus intersti-

tiel, il est à peine ébauché et n'atteint que rarement un degré notable.

Les faisceaux secondaires restent groupés et compacts; ils n'ont aucune

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 417 7

tendance à se dissocier, car le tissu conjonctif ne s'infiltre pas entre eux.

Les vaisseaux restent le plus souvent normaux. Cette immunité relative

est intéressante à relever ; disons cependant que Nageolle est beaucoup

plus affirmatif sur l'existence de lésions interstitielles clans la racine an-

térieure.

Au point de vue histologique, ce processus inflammatoire présente des

caractères intéressants. Nous avons déjà dit un mot de ia pachyméningite

et de l'arachnitis. Le tissu conjonctif néoformé prend fréquemment un

aspect réfringent, vitreux, anhyste qui se manifeste soit sur les faisceaux

fibreux de la dure-mère, soit sur le feuillet arachnoïdien. Le tissu con-

jonclif du périnèvre émane en apparence de la pie-mère : il réagit, soit

par la production d'éléments conjonctifs jeunes (amas nucléaires) qui se

transforment en faisceaux fibreux, soit en donnant naissance à des masses

inflammatoires volumineuses. Sur des coupes transversales, celle hyper-

plasie conjonctive se présente parfois sous la forme de faisceaux ayant

un contour arrondi et un calibre qui rappelle celui des faisceaux mus-

culaires ; ils ont un aspect homogène, à peine grenu. Ils s'agglomèrent

autour des fascicules et se fondent en nappes compactes dont on ne dis-

tingue plus les éléments constituants. (Voir notamment obs. 1, III, Vlt.

X, XI). L'apparence homogène, quasi-amorphe de ce tissu fait penser ;i

première vue à un exsudât coagulé. Il n'en est rien cependant, et il s'agit

de formations conjonctives modifiées par une dégénérescence spéciale, et

contenant de nombreux capillaires et des vaisseaux dont les tuniques,

réfringentes, hyalines se fondent avec les parties environnantes.

L'inflammation de l'endonévre se traduit tantôt uniquement par l'excès

des'noyaux conjonctifs, tantôt par le développement anormal des trabécuies

et des cloisons ; celles-ci deviennent souvent anhystes, réfringentes; et

dans quelques cas les fibres paraissent plongées dans une sorte de ciment

qui provient peut-être de la dégénérescence vitreuse des fibrilles conjonc-

tives hyperplasiées.

Cette tendance générale du tissu enflammé à subir une transformation

nécrotique est un caractère que nous avons presque toujours rencontré ici.

11 mérite d'être signalé et rapproché de l'étal des vaisseaux qui d'une fa-

çon constante sont le siège d'altérations de même nature. Leurs tuniques

épaissies sont confondues en une paroi unique d'aspect hyalin. Cette dé-

générescence atteint presque fous les petits vaisseaux de la racine posté-

rieure ; il est impossible de dire, vu la destruction des éléments distinctifs,

si elle affecte les petites veines plutôt que les arlérioles. Elle semble res-

pecter les gros vaisseaux voisins. '

Ce n'est pas toutefois le seul mode d'altération vasculaire et l'on peut

418 THOMAS ET HAUSER

observer maismoins fréquemment la périvasculite en évolution, la sclérose

à tendance oblitérante, et même la dégénérescence calcaire (Obs. VI).

L'intensité des lésions vasculaires permet de s'expliquer les hémorrha-

gies interstitielles, les foyers hémorrhagiq lies circonscrits que l'on ren-

contre avec une certaine fréquence soit au niveau des racines postérieures,

soit dans le ganglion. Nous avons vu, par les obs. I, IV et VI que des

cavités entourées d'une paroi scléreuse peuvent détruire partiellement

le parenchyme ganglionnaire, dissocier et refouler les fibres radiculaires.

La présence de pigment sanguin dans leurs parois, l'existence de petits

foyers hémorrhagiques épars font entrevoir le mécanisme de formation

des cavités ; il est probable que la rupture d'un vaisseau a donné lieu

à une hémorrhagie interstitielle qui s'est ensuite résorbée; plus tard il

est resté un kyste dont les parois plus ou moins végétantes écartent le

tissu nerveux. Au voisinage, les éléments nerveux n'en ont pas moins con-

servé leur vitalité et malgré la compression exercée sur les fibres, il ne

s'ensuit pas, fait à noter, de dégénérescence (Obs. VI).

3° Lésions du parenchyme ganglionnaire. Nos constatations sur les

altérations du ganglion seront brièvement résumées. Nous n'avons guère

rencontré de lésions du stroma qui mérite d'être signalée. La capsule du

ganglion n'est pas épaissie, non plus que les cloisons conjonctives qui en

émanent. Nous avons signalé plusieurs fois l'exislence d'amas de noyaux

embryonnaires, surtout à la périphérie. Peut-être le tissu conjonctif inters-

titiel est-il parfois hyperplasié entre les cellules et autour de leur

capsule ; mais on ne peut guère prononcer le mot de sclérose.

Parmi les altérations des cellules ganglionnaires, il en est quelques-

unes qui ne méritent pas d'être retenues ; telle est la rétraction de la cel-

lule et sa déformation qui, de l'aveu générai, est l'effet d'une fixation dé-

fectueuse, et peut s'observer sur des ganglions normaux. La surcharge

ou le défaut de pigment successivement incriminés, n'ont pas beaucoup

plus d'importance : les variations quantitatives du pigment sont extrême-

ment grandes à l'état normal ; et dans le tabès, nous avons vérifié le fait,

il est impossible de la comparaison des cas, de tirer aucune règle en faveur

de l'abondance ou de la rareté du pigment cellulaire.

Ayant fort peu employé la méthode de Nissl. nous nous sommes bor-

nés à une étude cytologique générale, mais susceptihle cependant de

nous renseigner sur l'état du protoplasma et du noyau. Avec les métho-

des techniques ordinaires, et notamment le carmin en masse, on peut re-

trouver l'aspect clair ou sombre du protoplasma correspondant aux varia-

tions des élémenls chromatophiles. Bien que Wollenherg et Redlich aient

cru voir dans l'aspect trouble et sombre de certaines cellules un caractère

LÉSIONS radiculaires ET ganglionnaires DU TABES 419

pathologique, il faut évidemment se garder aujourd'hui d'en tirer pareille

conclusion.

Ce qui surtout a retenu notre attention, c'est l'existence sur un petit

nombre de cellules d'un ensemble d'altérations - d'ailleurs déjà plusieurs

fois notées - qui semblent aboutir à l'atrophie et à la disparition de quel-

ques-unes d'entre elles.

Ces altérations portent à la fois sur la capsule péri-cellulaire et sur la

cellule elle-même. Au lieu d'une rangée unique d'éléments nucléés, la

cellule ganglionnaire se montre environnée de plusieurs assises de noyaux

conjonctifs qui lui forment une couronne épaisse et compacte; il est rare

que la cellule ganglionnaire ait gardé son aspect normal. Presque tou-

jours amoindrie, déformée, elle est parfois presque entièrement détruite.

Il ne subsiste plus alors au centre de la capsule proliférée qu'un débris

protoplasmique déchiqueté, informe, et un noyau à peine distinct. Et même

le corps cellulaire peut manquer entièrement et le seul vestige de l'élément

disparu est un amas pigmentaire (Planche XLII, B).

La place occupée par la cellule ganglionnaire est alors entièrement

envahie par une agglomération des noyaux conjonctifs. Il est possible que

ces éléments conjonctifs jeunes viennent soit à disparaître, soit à se

transformer en fibres adultes, en sorte que finalement à la place de la cel-

lule normale, il reste une cellule atrophiée ou même il ne reste rien au

milieu du tissu interstitiel.

On pourrait être tenté de contester la réalité de cette lésion, et de sup-

poser que les figures dont nous parlons résultent d'une section dirigée

tangentiellement à la circonférence d'une cellule ; dans ce cas, en effet, les

éléments de la capsule, au lieu de se disposer en couronne, donneront

l'illusion d'un disque d'éléments nucléés appliqués à la surface de la cel-

lule. Mais cet aspect ne peut évidemment se présenter que sur un petit

nombre de cellules ganglionnaires, sectionnées forluitemenlpar leur pôle,

et l'absence du noyau sur une telle coupe permet d'écarter cette cause d'er-

rieur.- L'hypothèse qu'il s'agit là de figures d'involution normale propres

à la cellule ganglionnaire ne saurait non plus être sérieusement soutenue.

On ne peut donc se refuser à y voir un type de lésions, atteignant un

petit nombre de cellules et aboutissant à l'atrophie. Nous ne nous pronon-

cerons pas sur le point de savoir si c'est l'hyperplasie des éléments de la

capsule qui détermine par compression ou autrement, l'atrophie cellulaire,

ou si c'est la cellule, atteinte primitivement, qui réagit à son tour sur les

éléments conjonctifs de son enveloppe.

Ici, comme ailleurs, l'inflammation du tissu interstitiel peut fort bien

n'intervenir que secondairement, ou tout au moins reconnaître pour cause

420 THOMAS ET nAUSER

une diminution de vitalité de l'élément noble et une rupture d'équilibre au

profit du tissu conjonctif. f.

Cette supposition est d'autant plus acceptable que l'atrophie simple de

la cellule ganglionnaire, sans prolifération des éléments de la capsule, peut

également se rencontrer. Nous en avons un exemple dans l'obs. I où cer-

taines cellules sont manifestement atrophiées sans aucune hyperplasie des

noyaux ou épaississement de la zone fibreuse de la capsule. Cette diminu-

tion porte sur le noyau et le protoplasma cellulaire d'une façon sensible-

ment proportionnelle et peut réduire la cellule au cinquième de sa taille

normale sans altérer en rien ses caractères histologiques. Il semble donc

que parfois l'atrophie cellulaire puisse s'effectuer isolément sans réaction

de la capsule.

Quoi qu'il en soit, on peut, croyons-nous, conclure de ces observations

que, si la majorité des cellules ganglionnaires reste normale dans le

tabes, on peut observer, en particulier dans des cas avancés, des altérations

cellulaires et péri-cellulaires qui évoluent lentement vers l'atrophie et la

disparition de l'élément noble.

V. - Interprétation.

Tels sont les faits. Quelle interprétation convient-il de leur donner ? ' ?

Pour répondre à celte question, nous envisagerons tout d'abord l'atro-

phie des racines postérieures en elle-même, nous rechercherons ensuite

quelle en est la cause.

Le processus dégénératif des racines postérieures est un processus d'a-

trophie simple, la gaine de myéline et le cylindre-axe disparaissent lente-

ment et progressivement, la dégénération wallérienne est une exception.

La disparition de la gaine de myéline est plus rapide que celle du

cylindre-axe ; en examinant en effet les coupes colorées au carmin en

masse, on se rend compte que malgré la disparition de la plupart des gai-

nes de myéline, les cylindres-axes sont encore relativement nombreux ;

mais ils sont très malades, réduits souvent à un filament extrêmement ténu.

Le cylindre-axe résiste donc beaucoup plus longtemps que la gaine de

myéline et on est très surpris de compter un aussi grand nombre de cylin-

dres-axes sur des coupes de racines qui se présentent tout d'abord comme

extrêmement atrophiées : la clinique laisse cependant soupçonner un tel

contraste; les troubles de la sensibilité sont en effet habituellement beau-

coup plus proportionnés au degré de conservation des cylindres-axes qu'à

l'atrophie macroscopique des racines.

Il est assez fréquent que dans le tabès les racines postérieures soient

atrophiées jusque dans le ganglion, et c'est une particularité qui a été

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 421

bien mise en lumière par les travaux d'Oppenheim etSiemmerling (1),

Guizetti, Dinkler, Redlich (2).

Nos examens personnels confirment pleinement les résultats obtenus

par les précédents auteurs et dans la plupart de nos séries de coupes l'atro-

phie radiculaire pouvait être suivie jusque dans l'intérieur des ganglions,

et les coupes longitudinales démontrent très nettement qu'elle peut y être

suivie très profondément, par conséquent tout près des cellules d'origine,

mais remonte-[-elle jusqu'à la cellule ? Nous n'avons pu résoudre ce der-

nier problème par les méthodes que nous avons utilisées.

Ce n'est pas toutefois une règle absolue que l'atrophie des racines pos-

térieures remonte jusque dans le ganglion ; sur quelques racines coupées

en série dans des cas de tabes peu avancé, l'un de nous (3) a pu s'assurer

déjà que l'atrophie radiculaire diminue en se rapprochant du ganglion et

ce fait tendrait à prouver que la fibre est d'abord atteinte dans son bout

périphérique ou médullaire, et que l'atrophie gagne progressivement le

bout central. Cependant, sur plusieurs des ganglions et des racines que

nous avons examinés, les fibres étaient plus grêles au voisinage même

du ganglion que quelques millimètres plus haut, ce qui laisse supposer

qu'il s'agit d'un processus d'atrophie segmentaire : c'est ce que l'un de nous

a déjà constaté sur des dissociations de' racines postérieures traitées par

l'acide osmique (4); l'atrophie des fibres radiculaires est irrégulière, parfois

nettement segmentaire, la gaine de myéline d'un segment interannulaire

ayant les dimensions d'une fibre de petit calibre et les deux segments in-

terannulaires adjacents ayant les dimensions d'une fibre de gros calibre,

de sorte que suivant le segment interannulaire examiné, telle fibre pour-

rait être prise pour une fibre grêle, ou pour une grosse fibre ; sur certaines

fibres nous avons pu suivre cette alternance jusqu'à quatre ou cinq fois.

Sur quelques-unes les segments grêles sont plus courts que ceux de gros

calibre, et le noyau au lieu d'occuper le milieu de la longueur est plus rap-

proché d'une des extrémités : ailleurs les variations de calibre ont lieu sur

le même segment.Le même fait avait été entrevu par Philippe (5) qui a fait

remarquer que l'inégalité, dans la distribution et l'intensité du processus

atrophique, se retrouve même pour chaque tube quand en examine ses

diverses portions : un segment atrophié fait parfois suite à un segment

presque normal. Le processus d'atrophie ou de dégénérescence des racines

(1) OPPENHEIM et SIB11)1&IVLING. Arch. f. Psck. Bd.1\'III.

(2) Redlich. Ein Beilrag zur Analomie und Pathologie der Ruckennearks hinters-

tl'allge, Jena, 1897.

(3) J. DEJEIII1m et A. Thomas. Maladies de la moelle épinière. Traité de médecine de

Brouardel et Gilbert, 1902.

(4) Id.

(5) Philippe. Thèse de Doctorat, 1897.

422 THOMAS ET IIAUSER

postérieures est donc un processus segmentaire. C'est un processus qui

nous paraît être beaucoup plus fréquent, dans les maladies du système

nerveux qu'on ne le croit généralement : cependant, dans son mémoire sur

la névrite segmentaire périaxile, Gombault (1 ) rappelait que la disposition

segmentaire de la dégénérescence a été rencontrée chez l'homme dans l'a-

trophie musculaire protopathique, dans la sclérose latérale amyotroplii-

que, dans la névrite traumatique; le type segmentaire que nous avons

observé dans l'examen des racines postérieures diffère par bien des points

de celui qui a été décrit en général soit dans l'intoxication expérimentale,

soit dans l'intoxication pathologique par le plomb ; mais il y a lieu de se

demander, avec Gombault, si lorsque la lésion est circonscrite, le processus

étant alors moins actif, la diminution de calibre de la fibre ne s'effectue

pas par un procédé plus voisin de l'atrophie simple, par une sorte de des-

truction moléculaire de la gaine de myéline distincte de la fonte granu-

leuse, mais aboutissant à la longue au même résultat, la disparition totale

ou partielle de la gaine. Gombault, distingue à ce propos la destruction

brusque du centre trophique et la destruction graduelle : la première en-

traînerait la dégénérescence wallérienne, la seconde produirait la dégé-

nérescence segmentaire.

Sans nier, par conséquent, que la dégénérescence wallérienne puisse

atteindre quelques fibres, il fant admettre que le processus habituel d'a-

trophie des racines postérieures dans le tabes est un processus de dégéné-

rescence segmentaire ; et que, envisagé à un point de vue général, ce

mode de dégénérescence peut s'observer aussi bien au cours des maladies

primitives de la cellule ou de la fibre nerveuse, qu'à la suite de trauma-

tismes ou de foyers inflammatoires sur le trajet de la fibre nerveuse.

D'autre part, on sait depuis les travaux de Westphal, Pierret, Déjerine,

Pitres et Vaillard, Oppenheim et Siemmerling, Nonne, Joffroy et Achard,

que les altérations des nerfs cutanés sont fréquentes dans le tabes ; Nonne

les trouvées constamment, mais dans plusieurs cas, il est vrai, les altéra-

tions ne dépassaient pas celle que S. Mayera signalées dans les nerfs nor-

maux ; elles sont pour quelques auteursproportionnel les à celles des racines

postérieures, ce n'est pas pour d'autres une règle absolue. Or ces altérations

se présentent sur les dissociations, sous le même aspect que celles des ra-

cines postérieures : comme Shaw (2) l'a constaté, comme l'un de nous a pu

l'observer, la dégénération présente souvent le type segmentaire : c'est-à-

dire des caractères histologiques de même nature et peut-être de même

origine que celle des racines postérieures.

Les théories qui n'ont eu en vue que la dégénération des racines pos-

(1) Gombault. Archives de Neurologie, 1880, iio, 1 et 2.

(2) SHnw. Degeneration of the periph. nerves in locomotor ataxia. Journal of

mental diseases, 1888.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 423

térieures nous paraissent trop exclusives, pour avoir laissé dans l'ombre

les altérations des nerfs cutanés : après les racines postérieures ce sont les

nerfs qui dégénèrent le plus souvent ; et il est à remarquer que la dégé-

nération s'y présente sur les uns et les autres avec le même type histo-

logique et qu'ils appartiennent tous deux au même neurone : l'alrophie

de la racine postérieure remonte plus rapidement vers le centre que celle

du nerf périphérique; c'est la principale différence entre eux.

Recherchons par conséquent s'il n'existe pas du côté du centre trophique

commun, c'est-à-dire dans le ganglion rachidien, quelque lésion qui puisse

être la cause de ces dégénérescences.

Diverses altérations cellulaires ont été depuis longtemps signalées, no-

tammentparOppenheim (1), W ollenberg (2), Stroebe (3), Redlich (IL). Les

lésions décrites par ces auteurs portent sur la configuration générale de

la cellule (déformation, rétraction), sur l'aspect de son protoplasma (va-

cuolisation, aspect trouble et sombre, surcharge pigmentaire, ou de son

noyau (disparition lente) ; enfin sur sa capsule péricellulaire (prolifération

des éléments conjonctifs) (5).

Quelques-unes de ces altérations sont dénuées de valeur. Ainsi la dé-

formation, la rétraction du globe cellulaire est l'effet d'une fixation dé-

fectueuse ; les modifications quantitatives du pigment sont trop variables

à )'état normal pour qu'on en puisse tenir aucun compte. Il n'y a guère

à retenir que l'hyperplasie de la capsule et l'amoindrissement de la cel-

lule, lésions qui pourraient aboutir à l'atrophie et à la disparition de quel-

ques-unes d'entre elles.

Dans la plupart des ganglions que nous avons examinés les cellules

paraissent normales : dans quelques-uns et plus particulièrement ceux qui

appartiennent aux obs. I et III, il y a des altérations cellulaires assez

prononcées variant depuis l'atrophie simple jusqu'à la disparition : en

même temps que la cellule s'atrophie, les capsules ganglionnaires prolifè-

rent, à un tel point qu'elles finissent par combler la place occupée par la

cellule. Il est assez difficile de saisir le début de l'atrophie cellulaire, car

sur un ganglion normal les dimensions des cellules sont déjà très diver-

ses, il y en a des petites et des grandes ; mais lorsqu'elles arrivent à un

' (1 j Oppenheim. Berlin, klinisch. Wochensch.. 1894. Zur patholog. Anat. des Tabes.

'(2) WoLLENiiERG. rrch.f. Psychiatrie, 1892. Bd. XXIV.

(3) Strobue. Centralb. f. alt Palhol. 111,,¿ pat/¡, Anat., 1892.

(4) Redlich. Iahrb. f. l'sych. 1892. Die hinteren Wurzeln des Ruckenmarks, und die

patholog. Anat. der Tabes dorsalis.

(5) Voir aussi l'indication bibliographique et la critique de ces recherches dans

Souax. Anat. et phys. patholog. du tabès. Archives de Neurologie, 1901, fasc. 61 et 62.

424 THOMAS ET HAUSSER

degré d'atrophie marquée, il ne saurait plus y avoir d'hésitation, surtout

si l'on compare plusieurs ganglions enlre eux.Ces lésions d'ailleurs ne sont

pas constantes, mais elles sont d'autant plus fréquentes et plus intenses

que les fibres de la racine postérieure sont plus atrophiées dans le trajet

sus-ganglionnaire et dans le ganglion lui-même. -

D'autre part, des recherches ont été entreprises avec la méthode de Nissl

par Schaffer (1), Juliusberger et Meyer (2), Marinesco (3) ; tandis que les

premiers auteurs n'ont pu ainsi déceler aucune modification de la chroma-

tine, Marinesco a observé des lésions variables : désintégration des élé-

ments chromatophiles, pâleur et disparition des granulations chromatiques

des grosses cellules claires ; parfois rétraction, homogénéisation du noyau

avec conservation du volume ou atrophie du nucléole ; plus rarement.l'atro-

phie du corps cellulaire : Marinesco ne leur accorde pas une grande impor-

tance : en effet, les cellules des ganglions spinaux subiraient très vite des

altérations à la suite des intoxications et des infections, aussi ne présen-

tent-elles que rarement un aspect normal chez l'adulte ; et Marinesco con-

clut que la sclérose des cordons postérieurs n'est pas sous la dépendance

de ces lésions.

D'ailleurs la structure fine des cellules ganglionnaires bien étudiée ces

dernières années (Lenhossek (4), Flemming (5), Lugaro (6), Van Gehuch-

ten et Nelis) a montré qu'il existe à l'état normal plusieurs types de cellules

qui se différencient par la disposition, la grosseur, le nombre des éléments

chromatophiles. Les deux types principaux (cellules claires finement gra-

nuleuses, et cellules à gros blocs chromatiques) sont reliés entre eux par

des formes de transition. Ce polymorphisme complique singulièrement,

on le conçoit, l'interprétation des figures anatomo-pathologiques.

Nous avons fait trop peu d'examens par la méthode de Nissl pour appor-

ter ici des faits concluants : en tout cas, les résultats des auteurs précédents

ne sont pas de nature à faciliter la solution du problème, et ceux que nous

avons obtenus avec d'autres méthodes suffisent très amplement pour laisser

supposer que dans les cas de tabès anciens, la lésion des fibres de la racine

postérieure est susceptible de remonter jusqu'à la cellule d'origine ou de

retentir sur elle.

(1) Scuaffer. Das Verhalten der Spinalganglienzellen bei Tabes auf grund Niss'l

farbung. Neurolog. Celztralb. 1898.

(2) Juliusberger et MEYER. Beitrafizur Patholog. der Spinalganglienzellen, Neul'Olog.

Centralb. 1898.

(3) Marinesco. Pressa médicale. Août 1901.

(4) Lenhossek. Arch. y. Psychiatrie. 1897.

(5) fLHIPI1N6....... ld...... 189.

(6) Lugaro. Rivisla di patol. neru. e mentale. Oct. 1898.

Id. Même publication, 1900, fasc. 4 et 6.

(7) VAN GEIIUCIITEN et NÉLIS. Bull. acad. médic. de Belgique. 1898.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 425

, Mais inversement, ne¿peut-on admettre qu'il faut chercher dans la cel-

lule le ]Jl'i1lltl1ll 1nOl'ens de l'atrophie des racines postérieures et de la

sclérose des cordons postérieurs ? C'est là une hypothèse qui soulève de

grosses objections de fait..

En effet, si l'on consulte les résultats obtenus par les différents auteurs,

et basés sur diverses méthodes de recherches, on remarque qu'ils sont

d'accord sur les points principaux, confirmés également par nos examens

personnels.

tua Les lésions cellulaires sont inconstantes, et l'on a d'autant moins de

chance de les rencontrer que l'on s'adresse à des cas de tabes plus récent.

3° Elles sont minimes par le nombre des cellules atteintes, et toujours

disproportionnées au degré de l'atrophie radiculaire.

3° Elles n'ont pas de caractère spécifique. Il s'agit, soit d'altérations du

protoplasma (chromatolyse, vacuolisation, atrophie), ou du noyau (atro-

phie, disparition) qui n'offrent aucun aspect spécifique, soit d'inflamma-

tion de la capsule péricellulaire avec hyperplasie des cellules ou des fibres

conjonctives.

Il ne faudrait pas pourtant s'exagérer la portée de ces objections, et

notamment accorder trop d'importance à la disproportion numérique

entre les fibres et les cellules frappées d'atrophie. Nos connaissances

plus récentes sur la structure du ganglion rachidien laissent entrevoir

qu'il s'agit d'un organe plus complexe qu'on ne l'avait tout d'abord ima-

giné : à côté des cellules bipolaires, il existe des cellules multipolaires,

des cellules sympathiques (Dogiel), dont le prolongement se bifurque un

grand nombre de fois sans quitter le ganglion et se termine autour des

cellules par des arborisations capsulaires en partie myéliniques et des

arborisations sous-capsulaires amyéliniques. ,

Toutes les cellules ne font donc pas partie du neurone sensitif, et le

nombre des cellules bipolaires, de même que leur proportion par rapport

aux fibres radiculaires sont encore indéterminés (1). Aussi ne saurait-ont

'( ! ) Les procédés de numération contribuent également à modifier les anciennes doc-1,

trines sur la constitution anatomique du ganglion rachidien. Si, toutes les cellules

ganglionnaires étaient des cellules bipolaires ou des cellules en T de Ranvier, le

nombre des cellules devrait être égal à celui des fibres de la racine postérieure et du

bout périphérique ; or les opinions des auteurs à ce sujet sont des plus discordantes ; , ..

ainsi, d'après lieimlioltz, le nombre des cellules est beaucoup plus grand que celui des

fibres, deux à trois fois plus, tandis que Wagner pense que les deux nombres se cor-,

respondent. Pour Beck, Bilder et Volkm1.nn, Scliv,tlba et Praud, le no ubre des ; cellu·

les serait au contraire plus faible que celui des fibres. Gaule et Lewiu (C3jLel-alb. far

physiol., 1896) sont arrivés à des résultats comparables à ceux de Helmholtz : ils ont

examiné avec de très grands soins le 31° et le 32° ganglions du lapin : dans le premier,

aux 3173 fibres de la racine postérieure correspondent 20.361 cellules ganglionnaires,

dans le deuxième aux t.2T[0 fibres de la racine postérieure correspondent 27.618 cellules

xv 28

426 THOMAS ET UAUSER *

faire trop de réserves au sujet de ces questions numériques qui- doivent

cependant entrer en ligne de compte.

D'autre part si les altérations cellulaires que nous avons signalées ne

peuvent être tenues comme une preuve de l'origine cellulaire du tabes,

elles ne sauraient cependant permettre d'écarter définitivement la théorie

cellulaire. Ne peut-on en effet invoquer toujours l'existence de troubles

dynamiques ou fonctionnels, inaccessihles à nos moyens d'investigation

(Babinski) (1 ) ? Discutons donc un instant cette hypothèse. Une objection

importante peut lui être adressée. Si l'on accepte en en'et la conception-

classique du protoneurone sensitif, édifiée par Ramon y Cajal, Van Gehu-

chten, ce neurone serait essentiellement constitué par la cellule ganglion-

naire avec son prolongement protoplasmique dirigée de la périphérie

cutanée au ganglion et son axone, la fibre radiculaire. Que la cellule

vienne à disparaître même fonctionnellement, la dégénération doit porter-

sur ses deux prolongements car elle est le centre trophique de chacun

d'eux. Or dans le tabes la racine postérieure dégénérée au-dessus du gan-

glion, retrouve au-dessous son intégrité et nous avons pu vérifier ce fait,;

même dans le cas où les lésions cellulaires étaient évidentes, variant depuis

l'atrophie légère jusqu'à la disparition complète.

Il y aurait là contre la théorie cellulaire un argument important, si la

conception physiologique classique était assise sur des bases certaines.

Mais des résultats expérimentaux obtenus par Lugaro (2), Van Gehuch-

ten et Nélis, tendent à modifier l'opinion sur ce point. Ces auteurs ont en

effet démontré que la section du bout central de la racine postérieure n'a

aucun retentissement sur la cellule d'origine, tandis que la section du

bout périphérique entraîne des altérations cellulaires très intenses. Cette

remarquable exception à la loi qui veut que la.section du cylindre-axe

retentisse toujours sur sa cellule d'origine donne à penser que nous con-

naissons encore malle rôle trophique de la cellule ganglionnaire sur ses

prolongements.Quoi qu'il en soit,ces expériences montrent que la cellule du

ganglion spinal se comporte différemment suivant que la section porte sur le

bout central ou le bout périphérique de la racine postérieure ; ne peut-on

alors supposer et déduire qu'à son tour l'action trophique de la cellule est

beaucoup moins intense pour la racine postérieure que pour le nerf péri-

j '

ganglionnaires. Il y aurait donc une fibre pour six à sept cellules. Tout en ne donnant

à ces calculs que la valeur de numérations approximatives, en raison des difficultés et

des nombreuses causes d'erreur qui s'attachent à ces recherches, on ne peut cepen-

dant leur refuser un réel intérêt et ne pas en tenir compte.

'(1) Uarinski (in leçon de Darier), Gaz. hebdom., 1892.

(2) Lucaao, Riv. de patol. n11'V. e mentale, 1901. Sulla alterazioni delle cellule ner-

vose dei gangli spinali in seguito al taglio della branca perferica a centrale del loro

prolongamento.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 427

phérique.On conçoit dès lors que le prolongement central doué d'une vita-

lité moindre que le prolongement périphérique subisse plus facilement

que ce dernier l'influence d'une perturbation cellulaire.

Mais sommes-nous fondé à admettre l'existence d'une perturbation fonc-

tionnelle ? Ce que nous savons du rôle trophique de la cellule, grâce à

l'expérimentation et à la pathologie, peut-il légitimer cette hypothèse ?

L'abolition brusque de cette fonction réalisée par la section d'une fibre

nerveuse ou la destruction de son centre a pour résultat la dégénéres-

cence du segment qui est séparé du centre trophique : cette dégéné-

rescence, si.spéciale par les conditions dans lesquelles elle apparaît, pré-

sente des caractères histologiques non moins spéciaux : on lui donne le

nom de dégénérescence wallérienne. ,

Nous savons encore que la fibre nerveuse peut dégénérer de deux façons

différentes, lorsque le centre trophique est atteint. Est-il détruit brusque-

ment, c'est la dégénérescence wallérienne que l'on observe ; s'atrophie-t-il

lentement, progressivement, on peut alors observer la dégénération seg-

mentaire, comme dans la sclérose latérale amyotrophique ; comme nous

l'avons déjà indiqué plus haut, cette forme de dégénérescence n'exclut pas

la possibilité d'une altération cellulaire primitive.

Mais dans le cas de section d'un nerf, il est un phénomène non moins

intéressant qui se produit plus tard et que nous connaissons bien depuis

les recherches de Ranvier, c'est la régénération du nerf : elle soulève un

problème intéressant de physiologie nerveuse : doit-elle être interprétée

comme une réaction du neurone irrité par la section, comme un processus

de néoformation analogue à celui qui a lieu pour d'autres tissus au milieu

d'un foyer inflammatoire,ou bien encore ne fait-elle que révéler une fonc-

tion normale de la cellule, la régénération constante du cylindre axe ? En

un mot on peut se demander notamment si la fibre nerveuse ne se régé-

nère pas constamment, se détruisant sans cesse par son extrémité périphé-

rique, mais repoussant constamment aussi du centre vers la périphérie.

. Le fait parait démontré pour certains nerfs tels que ceux du museau de

la taupe dont les extrémités se désagrègent au moment de la chute épithé-

liale (Renaut) (1). D'après le même auteur non seulement les nerfs végètent

par leur extrémité, ma is l'accroissement peut aussi se faire dans la conti-

nuité par élongation du cylindre-axe en un point de son trajet,entre son ori-

gine et sa. terminaison ; telle serait la signification des segments intercalaires

observés sur le trajet d'une fibre. En somme la régénération constante du

cylindre-axe est peut-être une fonction cellulaire, et sous l'influence de

divers processus morbides, le tabes entre autres, cette fonction disparai-

(1) RENAUT. Traité d'histologie pratique.

428 THOMAS ET HAUSER

trait la première, la cellule continuant à vivre encore pour elle-même ,

plus ou moins longtemps, avant de s'atrophier : ce que l'on désigne habi-

tuellement du terme vague de dégénération pourrait n'être dans certains

cas qu'une absence de régénération.

Cette circonstance qu'on n'observe pas de fibres régénérées dans les ra-

cines postérieures, viendrait à l'appui de la théorie cellulaire du tabes.

Nous rappellerons toutefois qu'après la section des racines postérieures,

Wagner n'a pas constaté de névromes de régénérations, mais l'expérience

n'a peut-être pas été faite avec toutes les précautions désirables. Elle est

d'ailleurs infirmée par l'existence, dans certains cas de syringomyélie, de,

névromes de régénération, à l'entrée des racines postérieures dans la moelle

(Raymond) (1).

Il est en somme probable que le défaut de régénération dans le tabes

est le fait d'un affaiblissement de l'action trophique normale de la cel-

lule (2), et sans admettre avec Stroebe qu'il s'agit d'une maladie partielle

de la cellule, on peut concevoir que les altérations fonctionnelles surve-

nues dans la vie cellulaire retentissent d'abord sur les portions de la fibre

les plus éloignées du centre du neurone (cordons, postérieurs d'une part,

nerfs cutanés de l'autre), et d'autre part qu'elles affectent surtout le

prolongement sur lequel s'exerce le moins à l'étal normal ,son influence

trophique, c'est-à-dire la racine postérieure.

La théorie cellulaire du tabes et plus particulièrement celle qui invoque

un trouble dynamique ou fonctionnel des cellules du ganglion spinal puise

dans les considérations précédentes des arguments, qui, quoique en grande

partie théoriques, ne nous paraissent pas cependant dénués de valeur.

mais elle soulève de grosses objections dont la principale est que, mal-

gré la longue durée de la maladie, la partie la plus noble du neurone, la

cellule, n'est pas constamment atteinte, du moins autant que nous pouvons

l'affirmer avec les méthodes actuellement en usage, on peut en tous cas

admettre que si l'atrophie tabétique n'a pas de tendance à la régénéra-

tion, c'est qu'elle s'effectue sur des fibres dont la vitalité est médiocre et

il n'est pas téméraire de supposer que la diminution du pouvoir trophique

de la cellule est une des causes de cette fragilité.

L'incursion que nous venons de faire dans le domaine des hypothèses

nous a donné l'occasion de poser quelques problèmes jusqu'ici irrésolus,

d'insister sur les diverses formes que peuvent prendre les dégénérescen-

ces du nerf, et de montrer combien en matière de pathogénie et d'anato-,

mie pathologique les interprétations sont difficiles alors que nous con-

(1) RAYMOND, Archives de Neurologie, 1893.

(2) Il faut, bien entendu, songer aussi que chez le malade les conditions générales s

du terrain et la persistance de la cause doivent s'opposer à la réparation des lésions.

LÉSIONS RADICULA1RES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 429

naissons si mal le rôle trophique et les phénomènes biologiques de la

cellule nerveuse.

Pour d'autres auteurs, ce n'est pas dans le ganglion rachidien, mais sur

le trajet même de la racine postérieure depuis le ganglion jusqu'à la

moelle qu'il faut chercher la cause de l'atrophie des racines postérieures.

D'après Obersteiner et Redlich (1), les racines postérieures sont atteintes

primitivement au niveau de l'étranglement annulaire que leur l'ait subir

la pie-mère à leur pénétration dans la moelle. Nous insisterons dans un

prochain travail sur l'état des méninges spinales dans le tabes; faisons

remarquer pourtant que les altérations méningées sont très variables

d'intensité et nos propres observations ne nous permettent pas d'attacher

une grande importance à leur existence et que l'étranglement est quelque

peu artificiel, etNageotte prétend qu'il fait défaut si la moelle est durcie sur

place dans le canal vertébral. En outre, si c'est là tout d'abord le point

faible de la racine postérieure, on ne se rend pas bien compte que celle-ci

dégénère non seulement dans son trajet médullaire, mais dans toute son

étendue jusqu'au ganglion rachidien, à moins d'admettre qu'en deçà de

la moelle, il ne s'agisse d'une atrophie rétrograde, ce qui paraît très in-

vraisemblable : en effet des maladies telles que la syringomyélie qui dé-

truisent souvent les racines postérieures jusqu'à leur pénétration dans la

moelle et qui durent de nombreuses années ne donnent lieu qu'exception-

nellement à de l'atrophie rétrograde et encore celle-ci est-elle légère.

Nous avons rappelé plus haut le siège et la nature des lésions décrites

par Nageotte(2) ; quelques auteurs les ont également considérées comme

des lésions inconstantes et variables : Obersteiner qui les a recherchées dans

trois cas ne les a trouvées que dans un cas ancien, dans les deux autres

plus récents, elles faisaient défaut. De même, Redlich ne les a pas retrou-

vées dans tous les cas qu'il a examinés : dans les cas de tabes récent, en

particulier, elles faisaient défaut ou elles étaient à peine évidentes, et

même lorsque le tabes était plus avancé, les lésions étaient relativement

peu intenses et Redlich conclut qu'il n'y a aucun parallélisme entre la

névrite transverse et la dégénération des cordons postérieurs.

(1) Obersteiner et RGDLICIi, Arbeit. aus Prof. Obe1'Stei';el's Labo1"at., 2e Heft, Wien,

1894. - Wien. med. Wochenschrifl, 1894.

(2) NAGEOTTE, Soc. de l31olog., 1894, La lésion primitive du tabes.

Id. Bull. Société anat. Paris, 1894.

Id. Arch. de Neurologie, 1895. Etude sur la méningo-myélite diffuse dans

le tabes, la paralysie générale et la syphilis spinale.

Id. Soc. de Biologie, 1900. Note sur la théorie du tabes. - Note sur la lésion primi-

tive du tabes.

430 THOMAS ET HAUSER

- Les résultats auxquels nous sommes arrivés sont assez comparables à

ceux qu'a obtenus Nageotte ; toutefois il y a lieu de distinguer d'une part

l'épinévrite lésion habituelle, mais qui ne saurait intervenir, à aucun titre,

comme cause de l'atrophie de la racine postérieure, d'autre part, la péri-

névrite qui est loin d'être constante et l'endonévrite encore moins com-

mune ; il est rare qu'elles soient une cause de compression ou d'écrase-

ment des racines, il y a d'autre part souvent une disproportion assez mar-

quée entre la dégénération des fibres et l'intensité de l'inflammation du

tissu conjonctif interstitiel.

. Reportons-nous en effet aux résultats de l'obs. II ; les racines sont ma-

lades jusque dans le ganglion et pourtant les lésions de périnévrite et

d'endonévrite font complètement défaut. II en est de même pour quelques

autres cas (obs. 1 et VIII) ; même dans l'obs. III, il y a sur certaines ra-

cines des fascicules qui restent libres de toute lésion de périnévrite

jusqu'à l'entrée du ganglion alors que d'autres sont entourés de véritables

anneaux d'inflammation aiguë et chronique et pourtant les unes et les au-

tres sont dégénérées, atrophiées jusque dans l'intérieur du ganglion, sans

qu'il y ait de différence à ce point de vue entre ceux-ci et ceux-là.

Prenons pour exemple le 8" ganglion dorsal de notre obs. VI; nous

avons constaté sur le trajet de la racine postérieure des lésions conjonctives

inflammatoires extrêmement intenses et déjà anciennes, les fibres radicu-

laires sont dissociées à un degré que nous avons eu rarement l'occasion de

rencontrer sur les autres racines, et malgré cela la racine postérieure est à

peine dégénérée au-dessus et au-dessous du foyer.

Lorsque la périnévrite et la mésonévrite existent, elles revêtent généra-

lement l'aspect qui a été décrit par Nageotte, et dans l'obs. V, cas de tabes

récent, les proliférations nucléaires sur le bord interne de l'anneau de

périnévrite sont plus manifestes que dans les autres cas où s'agit de tabes

plus avancés ; toutefois, dans certains cas, les altérations interstitielles

paraissent relativement récentes alors que l'atrophie des fibres est déjà

ancienne (obs. III) : ces deux ordres de lésions n'évoluent donc pas

toujours simultanément et les racines postérieures sont dégénérées parfois

jusque dans le ganglion alors que les lésions de périnévrite sont en pleine

activité.

Nageotte admet avec raison que les lésions conjonctives ne sont pas

sous la dépendance de la lésion parencbymateuse puisqu'elles restent cane'

tonnées dans un espace très limité, et qu'elles ne suivent pas la racine

dégénérée dans tout son trajet. Mais contrairement à Nageotte, nous ne

pouvons admettre que la lésion parenchymateuse soit exclusivement sous

la dépendance de la lésion conjonctive, et cela non seulement parce que

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES 431

celle-ci est inconstante ou non proportionnelle à l'atrophie des racines,

mais encore parce qu'elle ne semble pas appartenir en propre au tabes.

En effet, de'llassary (1) l'a retrouvée chez des individus non tabétiques,

morts d'affections diverses (fièvre typhoïde, tuberculose pulmonaire, etc.).

Nageotte a répondu, il est vrai, que dans un cas décrit et figuré par de

Massary, la lésion différait complètement par son aspect des lésions qu'il

avait décrites et figurées chez les tabétiques, mais il n'explique pas en quoi

elles diffèrent; il reconnaît d'autre part que les lésions trouvées chez un

typhique présentent certainement une ressemblance grossière avec les

lésions du tabès jeune : ces faits prouvent tout simplement d'après Nageotte

que la région qu'il a décrite présente des aptitudes pathologiques spécia-

les ; cet auteur reconnaît d'ailleurs qu'indépendamment du tabes elle pré-

sente des altérations conjonctives assez fréquentes; d'après lui les dégé-

nérescences radiculaires de la moelle au cours des tumeurs cérébrales

reconnaissent la même pathogénie et constitueraient par cela même un

tabes qui ne diffère du tabes vrai que par sa marche et son étiologie;

mais le sort de l'élément nerveux qui traverse ce foyer inflammatoire est

tout différent suivant la nature de l'inflammation, sa marche et sa durée.

Nous voilà bien loin de l'écrasement des racines par la périnévrite, et à

l'action mécanique de la méningite radiculaire se substitue dans la pensée

de Nageotte la spécificité de l'inflammation comme fadeur essentiel de

l'atrophie radiculaire.

Les arguments que nous venons d'indiquer nous paraissent suffisam-

ment décisifs pour refuser à la lésion de Nageotte une importance capitale

dans le processus de dégénération des racines ; d'ailleurs dans certains cas

de méningo-myélite syphilitique, les racines postérieures sont parfois plon-

gées dans une pachyméningite intense sans qu'elles subissent le contre-

coup de cette inflammation de voisinage : et, sans s'adresser ailleurs, dans

le tabes lui-même la méningite est parfois très intense autour de la racine

antérieure sans que celle-ci en ait le moins du monde souffert. Comme

pour celle qui entoure la racine postérieure, elle présente ce caractère

particulier de ne pas dépasser le niveau du pôle central du ganglion;

quelquefois cependant les tubes nerveux sont plus grêles dans la traversée

de ce foyer morbide : 'mais cet accident n'est pas la règle.

D'ailleurs, si la théorie de Nageotte répondait à l'interprétation exacte

des faits, il faudrait envisager l'atrophie des fibres radiculaires à l'inté-

rieur du ganglion comme une atrophie rétrograde, et l'on ne conçoit guère

que cette atrophie rétrograde puisse se produire si les fibres radiculaires

ne sont pas profondément dégénérées au delà, du foyer primitif : or, nous

(1) De Massary, Thèse de Doctorat, Paris, 1891.

2. Tn011fASRT HAUSER

avons pu le constater au cours de plusieurs examens, une atrophie légère., -

de la racine postérieure au niveau et au-dessus du nerf radiculaire peut

être suivie et rester la môme dans le ganglion (obs. II).

Enfin, on peut lui faire encore le grave reproche de négliger une partie

des lésions nerveuses du tabès (altérations des nerfs cutanés, musculaires,

etc.), alors qu'une conception pathogénique doit, pour être- satisfaisante,

s'appliquer à l'ensemble des manifestations du processus tabétique. Il ne z

faut pas perdre de vue, en effet, que dans le tabes ce ne sont pas seule- z

ment les racines postérieures et les nerfs cutanés qui sont.malades, mais -

encore assez fréquemment les nerfs musculaires et les filets sympathiques

(Roux) (1). Pour ces deux ordres de nerfs la question de l'origine cellu-

laire peut se poser comme pour les racines postérieures et les nerfs cuta-

nés ; toutefois les cellules des cornes antérieures restent saines alors que

les nerfs musculaires sont très dégénérés et l'origine cellulairede l'atro--

phie musculaire des tabétiques est passible aussi des mêmes objections.

Nous ne pensons pas toutefois qu'on doive reléguer la lésion décrite par

Nageotte au rang des banalités, et il serait exagéré d'en faire avec de Mas-

sary une altération de structure constante des racines postérieures, car

sur quelques ganglions normaux elle fait complètement défaut ; et d'autre

part sur quelques séries de coupes de racines tabétiques l'atrophie pos-

térieure s'accentue brusquement au niveau de la périnévrite, lorsque celle-

ci est extrêmement intense (obs. I).

Les lésions décrites par Nageotte se rattachent selon nous aux altérations

méningées qui accompagnent si fréquemment le processus tabétique Sur

toute la hauteur du trajet des racines, la dure-mère, l'arachnoïde et la

pie-mère sont enflammées et la névrite transverse juxta-ganglionnaire

n'est qu'une localisation de l'inflammation en une région particulièrement

propre à son développement. En effet, à ce niveau, les cloisons conjonc-

tives (périnèvre et mésonèvre), dépendances des méninges, atteignent à

l'état normal, du fait de la subdivision de la racine postérieure, une éten-

due, une surface, un nombre beaucoup plus considérables. L'inflammation

propagée des méninges trouve là une région éminemment favorable à son

expansion ; elley acquiert donc son maximum d'activité. L'épaississement

des gaines péri-fasciculaires écarte, dissocie les faisceaux secondaires, et

modifie profondément l'aspect normal ; suivant son acuité, le processus

inflammatoire, tantôt se limite à l'enveloppe externe, tantôt gagne les.

gaines péri-fasciculaires (périnévrite), tantôt même envahit à la fois le pé-

rinèvre et l'endonevre des fascicules. Il se propage mani festement de dehors

(1) Cii. Roux, Thèse de Doctorat, Paris, 1899.

LÉSIONS RADICULAIRES ET GANGLIONNAIRES DU TABES . 433-

en dedans, et envahit par étapes le système conjonctif interstitiel..11. ne,

s'agit donc en réalité que d'une lésion épisodique d'origine méningée.- ,

Si dans la plupart des cas la lésion interstitielle ne nous semble pas

plus intervenir comme lésion initiale dans la dégénérescence de la racine

postérieure que la méningite spinale : dans la sclérose des cordons posté-

rieurs, elle ne nous paraît pas davantage devoir être considérée comme un

élément absolument négligeable dans la conception générale du processus

tabétique dont elle peut dans une certaine mesure justifier la localisation

dominante ; en tous cas, elle concourt à en faire pressentir la complexité.

La lésion fondamentale du tabes est en résumé une névrite, qui

présente quelques caractères histologiques comparables à ceux qui ont été

relevés au cours des névrites toxiques expérimentales ou pathologiques,

telles que la névrite saturnine, mais qui présente aussi, comme marque

distinctive, son élection pour les racines postérieures ; en raison de sa

marche lente et progressive et de son peu de tendance à la restauration des

éléments, cette névrite donneplutôt l'impression d'un trouble dystrophique

que d'une altération inflammatoire.

Pour expliquer cette prédominance toute spéciale du processus dégé-

nératif sur les fibres des racines postérieures, il y a peut-être lieu de faire

intervenir divers facteurs tels que les lésions de méningite étagées sur le

trajet de la racine postérieure, la névrite transverse de Nageotte ou même

quelquefois l'étranglement d'Obersteiner et de Redlich; ces lésions peu-

vent agir à leur tour soit mécaniquement, soit plutôt par les altérations

vasculaires qui les accompagnent, et qui occasionnent des troubles circu-

latoires et le ralentissement des échanges dans le système radiculaire pos-

térieur, soit encore par leur spécificité. On peut invoquer encore une

altération fonctionnelle ou dynamique de la cellule ganglionnaire dont le

pouvoir trophique s'exerce moins activement sur le bout central de la

racine postérieure que sur son bout périphérique. Enfin, il est encore

possible que par suite de l'infection de la grande cavité sous-arachnoï-

dienne, à la démonstration de laquelle concourent les recherches de Na-

geotte, Babinski, le liquide céphalo-rachidien des tabétiques acquière des

propriétés toxiques et doive aussi être mis en cause dans le processus d'a-

trophie des racines postérieures et dans l'inflammation de la région de

Nageotte qui est en communication assez directe avec la grande cavité

sous-arachnoïdienne.

Le tabes nous apparaît donc comme une affection beaucoup plus com-

plexe qu'on ne l'admet ordinairement; c'est pourquoi tenant compte de

la multiplicité des lésions et de la difficulté que soulève leur interpréta-

434 THOMAS ET HAUSTR R

tion nous préférons aux diverses formules généralement trop exclusives

une théorie plus éclectique.

La lésion essentielle du tabes est, en somme, une dystrophie qui porte sur

l'ensemble de neurone sensitif périphérique, tout en prédominant beaucoup

sur le prolongement central de la cellule ? et qzci atteint généralement aussi

certaines portions du protoneurone moteur, et du système sympathique.

Les altérations histologiques se caractérisent par des modifications des

fibres nerveuses comparables sous certain^ rapports à celles qui ont été rele-

vées au cours des nél)1'ites toxiques, expérimentales ou pathologiques . Elles

sont très distinctes de la dégénemtion wallérienne.

Si le corps cellulaire du protoneurone sensitif parait en général conserver

sa structure et son aspect normaux, il est cependant parfois^ le siège de

lésions atrophiq11es, et d'ailleurs, à défaut de lésions ^anatomiques, il est

légitime de supposer 'que sa fonction trophique est dansjine certaine mesure

compromise. l . ! ') , . ," . t. ¡ ... ? < 1 if ! . t,

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'ACTION PHYSIOLOGIQUE

DE QUELQUES BROMURES

PAR

ca. FÉFiÉ

Médecin de Bicêtre.

C'est surtout le bromure de potassium qui a été l'objet des recherches

physiologiques. Cette action a été étudiée par Huette et surtout par Mar-

Lin-Dumëurette et Pelvet qui ont montré ses propriétés « anesthésiques

et amyosthéniques » et « son action hyposthénisante nerveuse et vascu-

laire ». Huette avait signalé des propriétés sédatives sur les fonctions

génitales et l'anesthésie pharyngée. D'après les recherches d'Albertoni, il

diminue l'aptitude épileptogène de la substance corticale et le pouvoir

excito-moteur bulbo-médullaire. On attribue la même action aux autres

bromures alcalins ; ce n'est guère qu'au point de vue de l'action cardio-

vasculaire qu'on a cherché à les différencier (1).

On connaît surtout l'action dépressive des bromures ; mais le bromure

de potassium qui est le plus employé en thérapeutique s'est vu depuis

longtemps reprocher des accidents d'excitation : Max Simon ne lui recon-

naissait qu'une action momentanée sur les accès épileptiques et il l'accu-

sait d'amener au bout d'un temps plus ou moins long un redoublement

des crises, d'augmenter le délire ou même de le provoquer (2). On lui a

attribué des tendances homicides ou suicides (Echeverria, Weir Mit-

chell) (3). On lui a reproché d'exagérer l'irritabilité naturelle des mala-

des (4). Il est certain que quelques individus irritables .éprouvent des

phénomènes d'excitation sous l'influence des petites doses, tandis que des

doses plus élevées provoquent chez eux une dépression manifeste. Il existe

une véritable ivresse bromique (5) qu'on observe surtout chez les neura-

(1) MATHILDE K013RYNER, Etude expérimentale sur l'action cardio-vasculaire des bro-

mures alcalins, th. Genève, 1901.

(2) MAX SIMON, Traitement de l'épilepsie par le bromure de potassium (Bull. de thé-

rap., 1869, p. 506).

(3) Weir Mitciiell, Ueber die ungewohnlichen Wit'kungell der 13romyrüparate (The-

rap. Wochensch., 1896, n^ 35).

(4) J. ALLISON HoDGES, Soma of the unsuspected effects of the bromides (Southern

med. Record, Atlanta, 1896, p. 505).

(5) CH. Féré, Les épilepsies et les épileptiques, 1890, p. 510.

436 FÉRÉ

sthéniques chez lesquels on essaye de remédiera l'insomnie par des doses

faibles de un à deux grammes. ' 1

Guerver a communiqué à la Société de psychiâtrie de Saint-Pétersbourg

en 1898 (1) des recherches expérimentales faites sur les chiens qui me

paraissent de nature à éclairer cette action excitante des faibles'doses de

bromure. Il a observé que le bromure de potassium produit au début une

hyperhémie passagère du cerveau, à laquelle succède une anémie par con-

traction active des vaisseaux cérébraux. Les autres bromures provoqueraient

aussi une hyperhémie cérébrale, mais sans anémie consécutive. Guerver

n'a pas constaté de modifications de l'excitabilité corticale' parallèles aux

modifications de la circulation. Ce défaut de corrélation entre l'excitabi-

lité et l'hyperhémie peut tenir à ce que si chez les animaux comme

chez l'homme, l'écorce cérébrale est sensible aux irritants mécaniques,

chimiques, électriques, ces irritants ne constituent pas pour' elle des' ex-

citations physiologiques et ne provoquent pas de réactions physiologi-

ques.. 1 " *'

La manière propre de réagir de l'écorce cérébrale, c'est le mouvement

volontaire ; la manière physiologique d'explorer son excitabilité c'est de

mesurer l'énergie des mouvements volontaires. Ce qu'on ne peut obtenir

d'un animal, on peut l'obtenir de l'homme.

- On peut peser la capacité de travail volontaire d'un individu notam-

ment avec l'ergographe deMosso, et comparer cette capacité à l'état normal

et sous l'influence d'excitants divers ou d'un médicament.

Nous avons déjà publié dans ce recueil une expérience de travail nor-

(1) A. V. GuEHVEH, Des M ! odt/ ! ea< : ot ! i de ! ct Ctt'e : s< ! 0 ! : c)'( ! y ! : o-cere&)'ae MU t' : n-

(1) A. V. GUEIWER, Des modifications de la circulation cl'dnio-cérébmle sous l'in-

fluence des bromures de potassium, de sodium, d'ammonium et de lithium (Revue neu-

rologique, 1899, p. 430). ,

Fig. 1. - Diagramme représentant le travail normal de neuf séries de quatre ergogram-

mes. Chaque colonne verticale représente une série. Les figures se lisent de gauche

à droite.

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURKS 43 ?

mal du médius droit. Le médius droit soulève chaque seconde un poids de

3 kilog. jusqu'à épuisement. On répète le même effort par séries de quatre

ergogrammes ; les ergogrammes de chaque série sont séparés par une mi-

nute de repos et les séries sont séparées par 5 minutes de repos. Neuf séries

successives donnent respectivement un travail total de 22,71 kilogramme-

tres,- 20,43,-18,54,- 4G, 14,-1,27,- 1 ir,l3,-13,0 ? 12,93,

- 42,30.La fatigue s'accumule graduellement et la neuvième série dépasse

encore la moitié de la première. Le diagramme 1 (fig. 1) représente le tra-

vail total des neuf séries. Ce travail a varié dans les expériences faites dans

les mêmes conditions normales pour le même sujet (l'auteur), entre 143 et

150 kilogrammètres. La comparaison de ce diagramme avec les diagrammes

représentant le travail dans les expériences qui vont suivre et qui sont

faites comme la précédente, le matin à la même heure après un repos

complet, permettra de comprendre l'influence des bromures sur le travail

volontaire.

Dans toutes les expériences les bromures ont été ingérés à l'état de sel

dans un pain azyme pour éviter toute excitation gustative.

I. - Brom2se de potassium.

Exp. I. - Cinq minutes avant le commencement du travail, ingestion d'un

gramme de bromure de potassium.

438 - FÉRÉ '' . 1

ACTION PHYSIOLOGIQUE bE QUELQUES BROMURES 439.

- 1 1 l - . Scierie... , - -

440 ' 1 l - ' FÉRÉ ' J'1 ' é .

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROi)IUItES 441

442 feue

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 443

444 FÉHÉ É

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 44

446 FÉRÉ

Dans cette expérience, l'excitation se manifeste encore immédiatement,

mais elle cesse dès le deuxième ergogramme, et la première série est au-

dessous de la normale.

Exp. V. - Immédiatement avant le début du travail,ingestion de 5 grammes

de bromure de potassium.

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 447

448 FÉRÉ

tant, ce qui peut tenir à ce que, malgré les précautions prises, le sujet

n'est pas toujours exactement dans les mêmes conditions physiologiques.

IL- Bromure de sodium.

Exp. VI. - Cinq minutes avant le commencement du travail, ingestion de

1 gramme de bromure de sodium.

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 449

450 FÉRÉ

c'est-à-dire 5 minutes avant la dixième, ingestion d'un autre gramme de

bromure de sodium.

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 451

452 FÉRÉ

ACTION PUYS10LOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 453

454 FEUE

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 455

456 . FÉRÉ

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 457

458 FÉRÉ

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 459

Exp. XI. Cinq minutes avant le travail, ingestion de deux grammes de

bromure de camphre.

460 FÉRÉ

ACTION» PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 461

V. Bromure d'ammonium.

. Exp. XII. Cinq minutes avant le travail, ingestion d'un gramme de bro-

mure d'ammonium.

462 FÉRÉ

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 463

dans la limite du travail normal. Toutefois, à la fin de l'expérience, la

fatigue est beaucoup plus marquée qu'à l'état normal.

Exp. XIII. Cinq minutes avant le travail, ingestion de deux grammes de

bromure d'ammonium.

464 FÉRÉ

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE QUELQUES BROMURES 465

première série comme avec la même dose de bromure de potassium. Elle

a été peu intense et peu durable.

En somme dans toutes les expériences sauf la cinquième, on a observé

une excitation initiale, provoquée par les bromures. Dans l'expérience V,

la dose la plus forte de bromure de potassium a produit une dépression

immédiate. Constamment sous l'influence des diverses doses, la fatigue se

trouve accélérée. Quelle qu'ait été la valeur du travail total, on trouve à

la fin de l'expérience une diminution considérable de la capacité de tra-

vailler : à l'état normal la neuvième série donne encore à peu près la

moitié du travail initial normal, tandis qu'avec les bromures cette série ne

donne quelquefois pas un dixième du travail normal.

L'action des bromures est rapide ; elle se manifeste presque instanta-

nément avec de hautes doses.

L'action excitante primitive bien connue des anesthésiques, appartient

aussi aux analgésiques (1),aux narcotiques (2) et aux antispasmodiques (3)

et l'ergographie permet de la démontrer chez l'homme.

Cette action excitante, on la retrouve d'ailleurs dans l'histoire de la

plupart des poisons nerveux, cocaïne, atropine, duboisine, ergotine (4).

(1) Note sur l'action excitante de l'antipyrine (Journal de neurologie, 1901, p. 631).

(2) Note sur l'influence de l'opium sur le travail (compte rendu de la Soc. de biolo-

gie, 1901, p. 725). Note sur l'influence du haschisch sur le travail (ibid., p. 696).

(3) CoH<''t&M'on a t'acoHpAt/m'oKyMe ta ua'MKe (tAtd. 1090). Cot ? &. A-

(3) Contribution à l'action physiologique de la valériane (ibid. 1090). Contrib. à l'é-

tude de l'aclion physiologique de la valériane et des valèrianates (Arch. de Neuro-

logie, le série, t. XIV, p. 22).

(4) Note sur l'action physiologique de l'ergoline (compte-rendu de la Soc. de Bio-

logie, 1902, p.48).

EXISTE-T-IL UNE VARIETE PER0N1EKE

DE L'AMYOTROPHIE TYPE CHARCOT MARIE ?

TAU

Paul SAINTON

Chef de Clinique à la Faculté de Médecine de Paris.

Dans le premier numéro de l'année 1902 de cette revue, le Professeur

Soca (de Montevideo) publie un cas d'atrophie musculaire limitée aux

membres inférieurs chez une femme de 46 ans ; un frère de la malade âgé

de 48 ans était atteint de la même affection avec une localisation iden-

tique. D'après la description de l'auteur ce cas appartient évidemment à

l'amyotrophie type Charcot Marie. Au cours des considérations qui accom-

pagnent cette observation, M. Soca me reproche d'avoir, dans mon travail

inaugural (1), rejeté arbitrairement du cadre de l'atrophie type Charcot

Marie les cas où l'atteinte des membres supérieurs ne s'est point produite.

Je n'ai jamais eu une telle idée et je saisis l'occasion qui se présente de

m'expliquer ce sujet. Le but principal de ma thèse étaitde montrer sous

sa forme schématique le type primitif, tel que les parrains de la maladie

l'avaient conçu. A cette époque, en effet, nombre de cas n'ayant rien à

voir avec Patrophiemuscuiaire type Charcot Marieavaient étépubliés sousce

nom. C'est ainsi que Vannier, Delon, Hulsemann, Stude ont fait rentrer

dans ce cadre des névrites périphériques manifestes; c'est ainsi que

Brossard y a rangé certaines myopathies, c'est ainsi que Bernhardt consi-

dérait comme formes frustes, en se basant sur les réactions électriques,

des cas que nous ne pouvons faire rentrer dans aucune entité morbide

bien définie ; certains n'ont-ils point voulu identifier complètement' la

névrite interstitielle de Déjerine Sottas à l'amyotrophie qui nous occupe ?

(1) Un erratum s'est glissé dans le travail de M. Sainton sur un cas d'eunuchisme

familial paru dans le numéro précédent, p. 216 :

Au lieu de : « En quoi ressemble-t-il, en quoi en diffère-t-il ? C'est un point qu'il importe

aux eunuques d'élucider. »

Lire : « En quoi ressemble-t-il aux eunuques, en quoi en diffère-t-il ? C'est un point

qu'il importe d'élucider. » (N.D.L.R.)

(2) L'amyotrophie type Charcot Marie, Thèse de Paris, 1899.

AMYOTROPHIE TYPE CHARCOT-MARIE 467

Je n'ai point nié qu'il y eût des formes péronières de la maladie; si

l'on se reporte à la page 210 de ma thèse, où je classe les observations

douteuses, je m'exprime ainsi à propos des observations deSachs, Jacoby,

Burr. « Sachs, Jacoby, Burr n'ont fait en somme que suivre la description

que Tooth a donné du peroneal type. La lecture de ces observations nous

amène à nous demander s'il n'existe pas un type péronier d'atrophie mus-

culaire héréditaire comme la description des cas de Paul Haïnel pouvait

faire soupçonner l'existence d'un type limité aux extrémités supérieures.

Les cas que nous rapportons ici ne nous paraissent ni assez probants, ni assez

démonstratifs pour que l'on puisse admettre au moins actuellement l'exis-

tence de ce type. »

J'ai donc laissé la question en suspens et avec quelque raison ; si l'on

se reporte au travail de Tooth, on constate qu'aucun des 3 cas dans les-

quels l'affection a été limitée aux membres inférieurs n'est familial,

que l'atrophie a toujours eu une prédilection marquée pour un côté, que par

conséquent la marche n'est point celle que suit habituellement la maladie.

De même dans les observations de Jacoby, de Burr, il y a doute sur le dia-

gnostic.

Seul le cas de Sachs est familial, mais l'impotence fonctionnelle des

membres inférieurs, contrairement à ce que j'ai constaté habituellement

et le fait a été vérifié par Guillain, était tout à fait en désaccord avec

la conservation relative des mouvements que l'on observe dans la mala-

die. Il n'existait aucun fait positif probant, qui me permît d'admettre

l'existence d'une forme limitée aux membres inférieurs, si rationnelle que

cette hypothèse puisse paraître.

Le cas publié par le professeur Soca vient combler une lacune, parce

qu'il est des plus démonstratifs. Je dois ajouter que, depuis la publication

de mon travail inaugural, j'ai eu la bonne fortune d'observer avec mon

excellent maître, M. Pierre Marie, deux jeunes gens, officiers dans l'armée

italienne, chez lesquels depuis quelques années déjà les membres infé-

rieurs étaient seuls touchés par l'atrophie. Leur grand'mère àgée de qlta-

tre-vingts ans était atteinte de la même affection ; ses membres supérieurs

n'avaient jamais présenté la moindre trace d'atrophie. Ce fait vient donc à

l'appui de l'observation du professeur Soca et j'estime qu'en présence de

pareils cas, on est définitivement autorisé à admettre l'existence d'une

variété péronière de t'amyotrophie type Charcot Marie. Il manque, il est

vrai, la confirmation de l'autopsie ; mais les caractères cliniques de la

maladie sont assez nets, pour que l'on puisse trancher la question, sans

crainte d'erreur.

« LA MALADIE »

Tableau de Jules Romain.

(1533-1534).

l'A Il

C. E. MARIANI.

M. Paul Bicher dans son intéressant ouvrage : t'AI't et la Médecine, a

consacré deux paragraphes du chapitre IX à l'énumération et à la des-

cription des peintures où l'on trouve la représentation soit d'un médecin

qui examine l'urine, soit d'une application de ventouses. Ces pratiques,

particulièrement au XVI6 siècle, étaient comme un accessoire de la falnéa-

tion, et partant très fréquentes.

Le matériel artistique et documentaire, amassé si soigneusement par le

Dr Richer, est puisé surtout dans les gravures de calendrier, frontispices,

miniatures de livres, et dans quelques tableaux de l'école hollandaise :

ni l'école italienne, ni l'espagnole, pourtant si riches en oeuvres d'art

peintes ou sculptées, n'y figurent. Pour cette raison il m'a paru inté-

ressant de signaler, aux lecteurs de cet érudit périodique qui depuis si

longtemps répand le goût de ces sortes de recherches médico-artistiques,

une oeuvre d'art du plus haut intérêt à cet égard, où l'application des

ventouses et l'uroscopie font le sujet unique du tableau, et ont été par le

peintre groupés harmonieusement ensemble pour donner un éloquent

symbole de la Maladie.

L'auteur du tableau, dont je présente aux lecteurs une reproduction

d'après une bonne gravure sur acier, est le célèbre : Jules Pippi dit Ro-

main, ou Jules Romain (1499-ils40), peintre et architecte, élève et ami

de Raphaël, qui peignit à Rome et puis à Mantoue, où appelé par Frédé-

ric deGonzague,dernier des marquis de cenom,il se trouva à la tête d'une

légion d'artistes et créa une école, en peignant une longue série de fres-

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA ? w CR1ÈPE.

T, XV. PL. LIV.

LA ,tVJL1 SL.JL.6 r

Gravure d'après un tableau de JULio Romano (1533-1534)

(C.-E. Manant.)

21[ASSON ET Ci-, Éditeurs.

LA MALADIE 469

ques et tableaux, vrai cycle hautement décoratif, et en faisant peindre

d'après ses dessins ses nombreux élèves dans les appartements de la cour

de Mantoue et du palais du Tè, qui avaient-déjà recueilli des chefs-d'ceu-

vre du Mantegna, du Perugin, du Giambellino et du Francia.

Le tableau qui nous intéresse fait partie d'un cycle de six peintures, qui

retrace l'histoire de la vie humaine, c'est-à-dire, dans l'intention de l'an-

teur, les plaisirs et les douleurs de la vie, et porte précisément le titre

significatif : La maladie. Il a été peint en 1533-1534, dans une chambre

de rez-de-chaussée du pavillon appelé la Grotta, tout prés du palais du Té.

La double scène que nous représente le tableau, se développe dans

toute la largeur du cadre et se passe dans la chambre d'un malade. Au

premier plan, à droite, se détache la figure traditionnelle du médecin - la

tête à longs cheveux coiffée d'une toque, le visage soigneusement rasé,

l'escarcelle pendue à la ceinture-qui inspecte un vase de verre à demi

plein d'urine qu'il lient de la main droite. En face de lui,une femme dra-

pée à la romaine se tient debout, le bras et l'index droit levés : son aspect

sévère et son geste d'enseignement nous révèlent en elle le symbole de la

science ; à ses pieds une servante agenouillée broie dans un mortier quel-

que substance médicamenteuse. Derrière le médecin un homme âgé, à

cheveux et à barbe blancs, la figure contractée par la douleur, semble

réclamer l'attention du médecin trop absorbé dans l'examen de l'urine,

vers le malade qu'il indique avec la main droite tendue vers le côté opposé

du tableau. De fait dans le côté gauche de la toile nous voyons étendu

dans un lit somptueux un malade qui cache sa figure dans ses mains.

Le drap ramené sur les cuisses laisse entièrement à découvert le dos et

les fesses. Deux grosses ampoules, qui boursouflent la peau des deux côtés

du dos, témoignent que deux ventouses ont été déjà appliquées : un per-

sonnage de grand âge, debout près du lit, les bras nns jusqu'au coude,

s'apprête à appliquer une troisième ventouse avec le goblet de verre qu'il

tient à la main, pendant que deux adolescents à côté de lui tiennent la

petite lampe nécessaire et unejatte. Une jeune femme se tientau chevet du

lit, chargée de maintenir le malade et pose une de ses mains sur son dos ;

une autre femme, probablement l'épouse ou la mère du malade, est assise

au pied du lit, repliée sur elle-même, la face à demi voilée, dans une

attitude empreinte de douleur profonde. Tout au fond de la chambre, une

vasque il bain en pierre ; une large corniche moulurée court le long des

parois de la chambre et supporte les ustensiles qu'on trouve ordi-

nairement dans toute chambre de malade : pots à médecines, verres, bo-

470 MARIANI

eaux, jattes, fruits et une horloge à sable destinée à compter les heures

interminables de la souffrance.

Je n'abuserai point de la patience du lecteur en lui détaillant la valeur

artistique du tableau et ses défauts : il a sous les yeux une bonne repro-

duction, où il pourra à son aise admirer, sinon la couleur, du moins la

correcte harmonie de la composition, la vérité saisissante des scènes ren-

dues, la sobriété et l'exactitude des détails, et surtout le sentiment dou-

loureux et compatissant qui se dégage du tableau tout entier, malgré la

conventionnalité un peu froide de quelques personnages, ce qui est du

reste un des défauts communs à toute l'oeuvre, pourtant si riche et si

pleine de mérites, de l'élève préféré de Raphaël.

Le gérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (lïie-Mrne).

16" Année N° 6. Novembre-Décembre

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

SUR LES AFFECTIONS z'"

DE LA QUEUE DE CHEVAL

ET DU

SEGMENT INFÉRIEUR DE LA MOELLE (1)

PAR

Le professeur F. RAYMOND.

Messieurs,

Il y a quelques semaines, j'ai consacré une de mes leçons du vendredi

à l'étude d'un cas pathologique qui nous a mis en présence de la sym-

ptomatologie qu'on est convenu d'assigner aux affections de la queue

de cheval. Vous vous rappelez peut-être que je me suis appesanti sur la

signification qu'on donne couramment à ces mots ; par une sorte d'abus de

langage, on les a détournés de leur sens anatomique. En effet, la queue

de cheval comprend l'ensemble des racines qui s'échappent du renflement

lombaire et du cône terminal, tant celles qui concourent à la constitution

du plexus lombaire que celles qui vont former les plexus sacré et sacro-

coxygien. Or on applique couramment les termes d'affection de la q1e1te

de cheval à des cas pathologiques qui se distinguent par l'intégrité, par-

tielle ou totale, des fonctions sensitivo-motrices dans les régions des mem-

bres inférieurs, innervées par le plexus lombaire. A supposer qu'un-

processus morbide intéressât la totalité des racines de la queue de cheval,

il devrait comprendre au nombre de ses traits symptomatiques une

(1) Voir le n° 2 de la Nouvelle Iconographie de la Salpêlrière, 1902.

xv 31

474 RAYMOND

paralysie sensilivo-motrice toGale des membres inférieurs, lundis qu'on a

pris l'habitude de réserver le diagnostic d'affection de la queue de cheval

aux cas où, aux membres inférieurs, l'anesthésie et la paralysie motrice

respectent en majeure partie ou en totalité le domaine d'innervation du

plexus lombaire. Il faut dire, du reste, que cette circonscription de l'anes-

thésie et de la paralysie motrice est de règle, lorsqu'une lésion intéresse la

queue de cheval au-dessous de la terminaison inférieure du névraxe,

c'est-à-dire à un niveau où elle ne peut pas agir directement sur la moelle.

Dans cette même leçon, j'avais insisté sur ce que des lésions circon-

scrites, situées à des niveaux différents de la portion inférieure de la

moelle, peuvent se révéler par les mêmes expressions symptomatiques,

étant donné que dans un cas la lésion intéresse un certain groupe de

centres spinaux (affection nucléaire), et dans l'autre, les seules racines de

la queue du cheval qui tirent leur origine de ces mêmes centres (affection

radiculaire). J'ai insisté sur l'importance qu'il peut y avoir, dans un cas

donné, à diagnostiquer le siège précis de la lésion, à distinguer une affec-

tion nucléaire de la portion inférieure du névraxe d'une affection radi-

culaire limitée à un certain nombre de racines de la queue de cheval. Je

vous avais exposé surquels éléments se fonde le diagnostic différentiel,

tout cela à propos d'un malade chez lequel j'ai été amené à diagnostiquer

une affection nucléaire de la partie inférieure du névraxe rachidien, 'cône

terminal et partie contiguë du renflement lombaire. L'occasion m'est

fournie de revenir sur celte intéressante question de diagnostic différen-

tiel, à propos d'une malade qui, elle, esl atteinte, selon toutes probabili-

tés, d'une affection radiculaire de la queue de cheval, ces mots étant pris

dans l'acception restreinte que je viens de spécifier.

Premier exemple CLINIQUE. La malade en question, une nommée Maria

F..., est âgée de 30 ans. Elle est entrée dans le service, le 17 octobre dernier

(1900). Elle occupe le lit n° 14 de notre salle Rayer. Elle est mécanicienne de

son état.

De souche saine, F..., n'a pas fait de maladie grave durant son enfance.

Depuis l'âge de 14 ansjusqu'à il y a six mois elle a toujours été bien réglée. A

t'age de 16 ans, elle a eu une adénopathie strumeuse, dont il ne reste plus de

traces; on l'a traitée par les applications locales de teinture d'iode, et par les

toniques à l'intérieur. Elle est restée anémique, pendant fort longtemps.

F..., n'est pas mariée. Elle n'a jamais eu d'enfants : jamais non plus elle n'a

eu de maladies vénériennes. Elle affirme avoir toujours été d'une grande

sobriété.

Sa maladie actuelle a débuté au mois de novembre 1898, à la suite de grandes

fatigues professionnelles : F... a commencé ressentir, au niveau de la colonne

vertébrale, des douleurs vives, continues, mais sujettes il des exacerbations au

cours desquelles la malade se mettait à pousser des cris. Je note expressément

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 475

qu'elle n'avait subi aucun traumatisme. La malade n'a pu découvrir aucune

cause apparente à ses douleurs. Celles-ci ont persisté pendant une quinzaine

de jours. Localisées d'abord à la région du dos, elles ont envahi la région

lombaire, en irradiant vers les fesses. Elles n'empêchairnt pas la malade de

marcher.

Une amélioration, survenue en mars 1899, a persisté jusqu'en avril 1900.

Puis, sans cause appréciable, les douleurs sont réapparues, aussi violentes

que précédemment. Elles siégeaient dans les lombes et irradiaient le long du

trajet du sciatique, dans les fesses, dans la partie postérieure des cuisses et

jusque dans les jambes. Elles étaient beaucoup plus intenses à gauche qu'à

droite. Elles ont résisté à des applications de vésicatoires et des pulvérisations

de chlorure de méthyle.

A la fin de juin, la malade commença à se préoccuper de ce que, en marchant,

elle était obligée de se pencher du côté le plus douloureux; en outre, elle

traînait la jambe gauche. Elle vint nous consulter à la Salpêtrière. et elle fut

maintenue en traitement, du 9 au 24 juillet 1900. Dans l'idée qu'il s'agissait

d'une simple névralgie, on lui fit prendre du salicylate de soude et du salicylate

de méthyle. Ce traitement ne lui procura aucune amélioration. La malade reprit

. son travail chez elle ; bientôt les désordres de la marche s'aggravèrent au

point que F..., pour se déplacer dans sa chambre, était obligée de s'accrocher

aux meubles. C'est dans ces conditions qu'elle a demandé à réintégrer le ser-

vice, le 7 octobre dernier.

Tout d'abord, et toujours dans la croyance qu'il s'agissait d'une simple

sciatique, on traita la malade par le siphonage au chlorure de méthyle, et par

les bains sulfureux. Au bout de quatre semaines, aucune amélioration n'était

survenue dans l'état de la malade ; au contraire, F... se plaignait maintenant

de ne plus pouvoir retenir ses urines, quand elle était debout et quand elle

essayait de marcher; elle avait parfaitement conscience du passage de l'urine

à travers l'urèthre.

En décembre (1900), les douleurs s'étaient complètement dissipées, et la

malade, qui se croyait en voie de guérison, retenait mieux ses urines. Mais

voici qu'en février 1901 les douleurs firent leur réapparition dans la jambe

droite qui, restée beaucoup plus forte que celle de gauche, se mit à faiblir à

son tour.

Dans les premiers jours du mois de mars, la malade éprouvait toujours en-

core des douleurs très supportables dans la jambe droite, le long du mollet.

Par la pression on ne parvenait pas à mettre en évidence les points doulou-

reux classiques, sur le trajet du sciatique ; le signe de Lasègue faisait défaut.

En fait de troubles objectifs de la sensibilité, on notait :

De l'anesthésie, en bande, à la partie interne de chaque fesse et à la partie

médiane de la face postérieure de chaque cuisse; elle intéressait il la fois la

sensibilité à la douleur, la sensibilité au chaud et au froid. La sensibilité tac-

tile était à peine émoussée, dans l'étendue de cette même bande.

Une autre zone d'anesthësie occupait la plante du pied gauche.

Les membres inférieurs étaient très amaigris ; cet amaigrissement était plus

476 RAYMOND

prononcé à gauche . De ce côté, la circonférence de la cuisse mesurait

21/2 centimètres de moins qu'à droite.

Dans le décubitus dorsal, la malade exécutait facilement, avec ses membres

inférieurs, les différents mouvements segmentaires physiologiques; seuls les

mouvements de flexion et d'extension du pied sur la jambe, les mouvements

de latéralité des pieds, les mouvements des orteils s'exécutaient sans vigueur,

et il était facile de s'y opposer. La malade soulevait aisément les jambes au-

dessus du plan du lit.

Par contre, la malade ne pouvait se maintenir d'aplomb sur ses membres

inférieurs sans être soutenue. Elle ne pouvait marcher sans se maintenir ac-

crochée aux meubles, et elle traînait les jambes, surtout celle de gauche. Les

réflexes rotuliens étaient un peu exagérés ; les réflexes achilléens étaient nor-

maux.

La malade perdait ses urines, même quand elle était couchée; ces évacua-

tions involontaires se répétaient toutes les demi-heures environ. La malade

avait conscience du passage de l'urine, du contact d'une sonde avec la muqueuse

vésico-uréthrale. Quand elle était debout, elle pouvait uriner spontanément,

mais non quand elle était couchée. Depuis six mois, elle n'avait pas revu ses

règles. A l'inspection de la région sacrale, on remarquait un commencement.

d'eschare.

Enfin l'examen des organes thoraciques fait constater une légère submatité

au niveau du sommet gauche, et, à ce même niveau, une diminution du mur-

mure vésiculaire, sans bruits adventices. ,

Vous allez vous rendre compte de l'état actuel de la malade, par l'exa-

men que je vais faire d'elle, à l'instant.

Vous remarquerez d'abord combien les membres inférieurs sont amai-

gris ; leur amaigrissement a fait des progrès, dans ces derniers temps. Le

membre inférieur gauche est plus maigre que le droit; vous allez voir

qu'il est aussi moins vigoureux. Seuls les mouvements de la cuisse sur le

bassin et les mouvements d'adduction des cuisses s'opèrent encore avec

une vigueur manifeste. Les autres mouvements segmentaires sont très

affaiblis, surtout ceux du pied. '

Le réflexe rotulien est très affaibli à droite, aboli à gauche. Les réflexes

'achilléens sont abolis des deux côtés.

Les troubles objectifs de la sensibilité,que je vous signalais tout à l'heure,

ont gagné en étendue. Ils occupent maintenant une bande qui s'étend, sans

discontinuité, depuis la fesse jusqu'au pied, de chaque côté (figures 1 et 2).

Les troubles de la mixtion sont restés stationnaires ; voire que la malade

perd moins souvent ses urines. De plus, cette incontinence se complique

de rétention ; en effet, quand on sonde la malade, après une de ces mixtions.

involontaires, on retire de sa vessie jusqu'à 4 et 500 grammes d'urine.

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 477

11 est à noter que le réflexe anal est aboli. A part cela, on ne constate

pas de troubles des fonctions du gros intestin. - -

- L'eschare sacrée s'est étendue en surface et en profondeur ; elle atteint

maintenant jusqu'à l'os.

La lésion pulmonaire paraît être en voie de rétrocession, à en juger par

les résultats de l'examen stéthoscopique.

Fig. 1. - (3 mars 1901).

Fig. 2. - (18 avril 1901).

' Résumé. L'histoire pathologique de cette femme peut, somme toute,

se résumer dans ces quelques phrases :

A l'âge de 28 ans, et sans cause appréciable autre que des fatigues pro-

fessionnelles, F..., qui exerçait le métier de mécanicienne, a été prise de

violentes douleurs dans le dos, qui se sont étendues aux lombes et aux

fesses. Elles se sont dissipées au bout de quinze jours, pour reparaître

un mois plus tard. Cette fois elles irradiaient jusque dans la jambe, sur le

478 RAYMOND

trajet du sciatique, et elles étaient beaucoup plus intenses à gauche qu'à

droite. ' -

. Un peu plus tard, des troubles de la marche sont apparus. Leur aggra-

vation progressive a déterminé la malade à nous consulter une première

fois, puis à réclamer son admission définitive dans le service. Entre temps

l'incontinence d'urine avait fait son apparition, incontinence qui, d'abord,

ne se manifestait que dans la position debout. Après une amélioration

transitoire, elle est devenue persistante, et en même temps elle s'est com-

pliquée de rétention.

Dans la suite, les douleurs ont diminué d'intensité. L'impotence des

membres inférieurs est allée en augmentant; elle faisait contraste avec

l'intégrité des mouvements segmentaires. Elle s'est compliquée d'un

amaigrissement progressif des membres inférieurs, plus prononcée à gau-

che, d'une eschare au siège, de (roubles des réflexes tendineux, d'une

anesthésie en bande, anesthésie partielle. qui d'abord occupait, dechaque

côté, la partie interne de la fesse, la partie médiane de la face postérieure

de la cuisse et, à gauche seulement, la plante du pied. Plus tard, l'anes-

thésie a envahi la face postérieure des jambes.

Enfin l'examen des poumons a fait constater une infiltration commen-'

çante du sommet gauche, qui actuellement parait être en voie de résolu-

tion.

Diagnostic. - Ceux d'entre vous qui ont présente à la mémoire la des-

cription que j'ai tracée, dans une précédente leçon, de la symptomatologie

des affections de la queue de cheval, ont dû se dire déjà que cette sym-

ptomatologie se trouve de nouveau réalisée par la malade que vous venez

de voir à l'instant. J'ajoute que cette fois nous avons affaire, selon toutes

probabilités, à une affection des racines qui composent la queue de cheval,

et non à une affection du segment médullaire qui donne naissance à ces

racines. Voici mes raisons :

9 Les accidents ont débuté sous la forme de douleurs qui irradiaient le

long du trajet du sciatique, douleurs beaucoup plus intenses à gauche

qu'à droite. Il y a là deux circonstances qui plaident en faveur du siège

radiculaire, extra-spinal, de la lésion : début par des douleurs violentes,

à propagation excentrique; inégale intensité des manifestations doulou-

reuses, d'un côté à l'autre.

L'impotence des membres inférieurs, survenue un peu après les mani-

festations douloureuses, a progressé lentement ; même à l'heure présente,

elle n'est pas l'expression d'une paralysie motrice, dans le sens strict du

mot. Elle contraste avec l'intégrité des mouvements segmentaires. Elle se

double d'une amyotrophie qui, elle également, a progressé avec lenteur,

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 479

et qui est restée diffuse. A l'instar des douleurs et de l'impotence motrice,

celte amyotrophie est plus prononcée à gauche qu'à droite. Autant de'ca-

ractères qui cadrent très bien avec l'hypothèse d'une névrite radiculaire

de la queue de cheval ; ils sont, au contraire, étrangers à la symptomato=

logie des paralysies spinales dites nucléaires, parce qu'elles sont sym-

plomatiques d'une lésion destructive des centres spinaux des nerfs' péri-

phériques :

Le symptôme, troisième en date, l'incontinence d'urine, a également

revêtu des caractères qui parlent en faveur d'une origine 'névritique

en tout cas, ils se concilient difficilement avec l'hypothèse d'une origine

spinale, nucléaire : tout d'abord, l'incontinence d'urine était essentiellement

transitoire, elle se manifestait seulement dans la position debout. Plus

tard, elle est devenue persistante, alternant avec.la rétention. En dernier

lieu, elle a subi une certaine amélioration. Je vous répète qu'une pareille

marche se conçoit t mal, dans l'hypothèse d'une lésion dégénérative des cen-

tres qui président à l'innervation motrice de la vessie. De plus,.ces centres

étant situés dans le voisinage immédiat de ceux qui président à l'innerva-

tion de la vessie et de l'uréthre, on ne s'expliquerait pas la conservation

de la sensibilité vésico-uréthrale, dans l'hypothèse d'une lésion nucléaire,

responsable de l'incontinence d'urine.

La distribution de l'anesthésie superficielle cadre très bien, également,

avec l'hypothèse d'une névrite limitée à une partie des racines du sciati-

que. Aussi bien, chez notre malade, l'anesthésie .cutanée est circonscrite,

de chaque côté, à la partie interne de la fesse, à la partie médiane de la

face postérieure de la cuisse et de la jambe et, à gauche, à la planté du

pied. Déjà la distribution asymétrique de cette anesthésie constitue un

argument à invoquer en faveur de son origine radiculaire, extra-spinale.

D'autre part, ce que nous savons de la topographie des cenlres de l'inner-

vation sensitive des membres inférieurs parle dans le même sens. En effet,

les téguments de la face postérieure de la cuisse et de la jambe tirent leur

innervation sensitive du premier segment sacral, tes téguments du périnée

et ceux de la partie médiane de la région fessière, des le et 5e segments

sacraux. Ce dernier loge également le centre de l'innervation sensitive de

l'anus. Entre ces deux niveaux, c'est-à-dire dans le second segment sacral,

se trouvent situés les centres de l'innervation sensitive de la vessie, de

l'urèlhre et du rectum. Donc, une lésion nucléaire, une lésion intéressant

la substance grise de la moelle sacrale sur toute sa hauteur, devrait occa-

sionner une anesthésie de la muqueuse uréthro-yésirale et de la mu-

queuse du rectum, ce qui n'est pas, chez notre malade. Or l'intégrité de

la sensibilité de la vessie, de l'uréthre et du rectum se concilie très bien

480 RAYMOND

avec l'hypothèse d'une névrite, limitée à un certain nombre de racines

de la queue de cheval.

A ce propos, laissez-moi insister sur ce que les racines sensitives et

les racines motrices de la vessie et du rectum pénètrent la portion termi-

nale du névraxe à des niveaux différents : les points de pénétration des

premières sont situés à un niveau manifestement plus élevé que les points

de pénétration des racines motrices. On conçoit donc que des troubles de

l'innervation motrice de la vessie puissent se développer, dans un cas de

névrite radiculaire de la queue de cheval, sans troubles concomitants de

l'innervation sensitive, ainsi qu'il est arrivé chez notre malade.

Je conclus, en définitive, à l'existence d'une affection radiculaire de la

queue de cheval, et pour que vous puissiez vous faire une idée exacte de

sa distribution, je vais vous rappeler ce que nous savons, de par les don-

nées de l'observation clinique, relativement à la superposition des centres

moteurs et sensitifs, dans la portion la plus inférieure du névraxe, celle

qui donne naissance aux plexus sacré et sacro-coccygien :

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 481

482 RAYMOND "

affection radiculaire de la queue de cheval, qu'il s'agit très vraisemblable-

ment chez le malade qu'on vient d'installer devant vous.

Cet homme, un nommé R..., est âgé de 38 ans. Il exerce la profession de

cocher. Il avoue des excès de boissons : indépendamment du vin dont il arro-

sait largement ses repas, il n'absorbait pas moins de deux verres d'absinthe et

de deux petits verres d'alcool, chaque jour. Cependant il ne présente aucune

des manifestations extérieures, bien connues, de l'alcoolisme.

Dans les commencements du mois de février, R... se trouva exposé, sur sa

voiture, à une pluie battante, pendant une grande partie de la journée. Envi-

ron une semaine plus tard, il remarqua que son pied gauche était engourdi,ne

se réchauffant plus et, avec cela, difficile à mouvoir. Peu après, les deux pieds

se mirent à enller. Du pied gauche la sensation d'engourdissement se propa-

gea peu à peu à la jambe, à la cuisse, à la hanche. Le malade se mit à ressen-

tir des douleurs assez vives dans le membre inférieur gauche, à la face posté-

rieure, principalement. Il éprouvait delà difficulté à marcher. Il vint dans

l'impossibilité de monter sur le siège de sa voiture.

C'est dans ces conditions qu'il se fit admettre à l'hôpital Laennec, environ

quinze jours après le début des accidents. On se contenta de le purger, sans

s'occuper de sa jambe. Au bout de six jours, il demanda à quitter l'hôpital. Il

se rendit à la consultation externe de Reaujon ; là on lui prescrivit des bains

sulfureux.

Uu peu plus tard, R... éprouva une difficulté croissante pour uriner ; en

quelques jours elle dégénéra en une paralysie complète de la vessie : le malade

n'urinait plus que par regorgement. Il se fit admettre à l'hôpital Nccker, dans

le service de mon collègue, le professeur Guyon. On le sonda pendant une hui-

taine de jours ; on put ainsi se rendre compte qu'il n'avait pas de rétrécissement

de l'urèthre. Au bout de ce temps, il urinait de nouveau spontanément, et on

le transféra daus le service de mon collègue Rendu. Dans l'intervalle étaient

survenus des phénomènes en rapport avec une parésie du gros intestin, c'est-

à-dire une constipation opiniâtre et une grande difficulté pour aller à la selle.

Les douleurs et la faiblesse des membres inférieurs persistaient.

Dans le service de Rendu, le malade fut traité par le seigle ergoté et la rhu-

barbe, et par des applications du courant électrique.

Au bout de trois semaines, il quitta l'hôpital, sans la moindre amélioration.

Il se soigna chez lui, tant bien que mal, puis, voyant s'aggraver son impo-

tence, il est venu échouer dans mon service. Je vais, à l'instant même, l'exa-

miner devant vous.

Vous remarquerez d'abord que le malade se lient bien d'aplomb sur ses

membres inférieurs. Vous voyez qu'il boite, en marchant, et qu'il traîne

la jambe gauche. De ce même côté, le pied est ballant ; il oscille dans tous

les sens. R... a de la peine à fléchir et à relever les orteils de son pied

gauche; les mouvements qu'il exécute ainsi sont empreints d'une grande

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 483

faiblesse. Il lui est impossible de fléchir ou d'étendre ce pied, ou de lui

imprimer des mouvements de latéralité.

Les mouvements de flexion de la jambe sur la cuisse se font sans vi-

gueur, contrairement à ce qui a lieu pour les mouvements d'extension.

Les mouvements d'adduction des cuisses paraissent être intacts. Au con-

traire, les contractions des fessiers sont moins énergiques à droite qu'à

gauche. En somme, nous constatons, chez R..., l'existence d'une parésie

motrice, limitée aux muscles de la face postérieure de la cuisse, aux mus-

cles de la jambe et du pied. Nous nous trouvons donc de nouveau en pré-

sence d'une paralysie limitée au domaine d'innervation du sciatique (plexus

sacré).

Vous voyez que les muscles paralysés sont flasques, sans consistance ;

le pli fessier est abaissé, à gauche. Déplus, ils sont frappés d'une atrophie

qui se remarque à première vue. La mensuration, pratiquée à la partie

moyenne de la cuisse, donne 58 centimètres de circonférence, à droite et

seulement 56 1/2 à gauche ; au niveau du mollet, on trouve 41 centimè-

tres à droite et 36 à gauche.

La contractilité idio-musculaire persiste partout.

Le réflexe rotulien est conservé, des deux côtés ; le réflexe achilléen est

aboli.

En fait de troubles subjectifs de la sensibilité, nous notons ce qui suit :

le malade se plaint d'être sujet à des douleurs intermittentes ; elles lui

parcourent le membre inférieur gauche en totalité, sur le trajet du sciati-

que, pareilles à des éclairs. Dans toute l'étendue de ce membre, il éprouve

une sensation continuelle de froid ; aussi J'enveloppe-[-il de ouate et de

bandes de flanelle.

Les troncs nerveux ne sont pas douloureux à la palpation. Le signe de

Lasègue fait défaut.

L'examen de la sensibilité objective va mettre en évidence une zone d'a-

nesthésie, qui occupe la moitié gauche du scrotum, de la verge, du péri-

née, de la partie avoisinante delà fesse et de la cuisse. En haut, cette zone

d'anesthésie est limitée par une ligne horizontale qui passe par l'épine

iliaque postérieure ; en bas, elle se prolonge le long de la partie moyenne

de la face postérieure de la cuisse, en se rétrécissant de plus en plus ; à

la face postérieure du mollet, elle se réduit à une étroite languette.

Au pied, on retrouve l'anesthésie à la plante, et à la partie externe de

la. face dorsale.

L'anesthésie, complète à la fesse, va en diminuant d'intensité, de haut

en bas ; au mollet elle se réduit à une légère hypoesthésie. A la plante,

elle est de nouveau presque complète.

Au demeurant, l'anesthésie affecte avec une égale intensité les trois ma-

484 RAYMOND

nières d'être de la sensibilité. Ainsi, le jour de son entrée dans le service,

le malade, en se réchauffant près du poêle, s'est fait une profonde brûlure

au talon gauche, sans qu'il en ait ressenti la moindre douleur. Ce détail

vous donnera une idée du degré de l'analgésie au pied gauche.

L'incontinence et la rétention d'urine ont disparu. IL.. a parfaitement

conscience du besoin d'uriner. Seulement, pour satisfaire ce besoin, il est

obligé de pousser. Il n'a pas la sensation du passage de l'urine à travers le

canal. Le jet formé par l'urine n'a aucune force ; le malade est obligé d'é-

carter fortement les jambes pour ne pas mouiller ses chaussures.

Il a parfaitement conscience du contact des matières fécales avec la

muqueuse de la dernière partie du gros intestin.

Le réflexe anal est aboli.

Depuis le début de sa maladie, R... n'a plus eu d'érections.

Le réflexe crémastérien est conservé.

Résumé. - Donc, chez un homme de 38 ans, alcoolique avéré, mais

sans tare neuropathique, des phénomènes de paresthésie se sont montrés,

à la suite d'un brusque refroidissement, dans le membre inférieur gau-

che, au pied d'abord, puis à la jambe et à la cuisse suivis de près par

des douleurs et par une parésie motrice de ce même membre. Peu de

temps après est survenue une paralysie de la vessie, puis une parésie du

gros intestin. La paralysie vésicale est dissipée après huit jours d'un trai-

tement par la cathétérisme. L'impotence du membre inférieur gauche est

allée en augmentant.

Aujourd'hui,quatre mois après le début des accidents, l'état patholo-

gique, réalisé par le malade, peut se résumer dans ces quelques mots :

Parésie motrice, très prononcée, des muscles de la face postérieure de

la cuisse, des muscles de la jambe et du pied, à gauche.

Atrophie, très nette, des mêmes muscles ; R. D.... dans le domaine du

sciatique poplité externe, avec forte diminution de l'excitabilité faradique

et galvanique ; cette diminution se retrouve, moins accusée, dans le do-

maine du sciatique poplité externe, et dans le domaine du grand sciati-

que, à la cuisse.

Abolition du réflexe achilléen.

Douleurs intermittentes, à caractère fulgurant, sur le trajet du scia-

tique.

Anesthésie de la moitiégauche du scrotum, de la verge, du périnée, de

la partie adjacente de la fesse, se prolongeant à la face postérieure de

la cuisse, sous la forme d'une bande dont la largeur va en diminuant, de

-haut en bas.1 .. ,

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 485

L'anesthésie se retrouve à la plante, et à la partie externe de la face

dorsale du pied.

Elle s'étend à la muqueuse de l'urèthre. A part cela, il ne subsiste plus

d'autres traces de la parésie vésicale antécédente que la faiblesse du jet

urinaire. -

Abolition du réflexe anal.

Suppression des érections.

Diagnostic. Messieurs, après ce que je vous ai dit, de la symptoma-

tologie des affections de la queue de cheval, vous ne doutez pas, je suppose,

que nous n'ayons affaire, chez cet homme, à une affection de pareil siège.

Nous sommes de nouveau en présence d'un syndrome très net, bien cir-

conscrit ; il comprend comme éléments essentiels :

Une parésie motrice, limitée au domaine d'innervation du sciatique

branche terminale du plexus sacré, doublée d'un certain degré d'atrophie

musculaire, accompagnée de modifications quantitatives et, par places, de

modifications quantitatives des réactions électriques.

L'abolition du réflexe achilléen ; l'abolition du réflexe anal.

Une anesthésie qui réalise la topographie, si particulière, que vous con-

naissez bien, sauf qu'elle est limitée à un seul côté : muqueuse vésico-

uréthrale ; moitié gauche du scrotum, de la verge, du périnée, de la partie

adjacente de la fesse, et se prolongeant le long de la partie médiane de la

face postérieure de la cuisse, avec participation de la plante et de la partie

externe de la face dorsale du pied.

Celle circonscription unilatérale de l'anesthésie parle déjà hautement

en faveur du siège radiculaire de la lésion responsable des accidents pré-

sentés par cet homme. On conçoit difficilement une lésion nucléaire, une

lésion de la substance grise de la portion la plus inférieure du névraxe,

strictement limitée à une moitié de cette substance, de façon à occasionner

une anesthésie strictement unilatérale. Au contraire, cette disposition uni-

latérale se conçoit très bien, dans l'hypothèse d'une lésion radiculaire.

Les autres éléments du syndrome parlent dans le même sens. Ainsi les

accidents du début ont consisté en phénomènes de paresthésie engour-

dissement, sensation de froid - qui ont fait place à des douleurs assez

vives ; cela se voit couramment dans les affections névritiques.

Le malade a eu, à titre purement transitoire, des troubles de l'urination

et de la défécation. Or, la durée éphémère de ces troubles des fonctions

de la vessie et du gros intestin est inconciliable avec l'hypothèse d'une

lésion grossière des centres spinaux qui président à l'innervation sensitive

et motrice de ces organes.

48G RAYMOND

Il a, présentement, de l'anesthésie uréthro-vésicale, sans troubles con-

comitants des fonctions motrices de la vessie ; de même, il présente l'abo-

lition du réflexe anal, en rapport avec l'anesthésie de la portion la plus

inférieure du gros intestin, sans troubles concomitants des fonctions more

trices.

Or, je vous ai dit déjà et je vous répète que les racines sensitives et les,

racines motrices, en rapport avec la sensibilité et la motilité de la vessie

et du gros intestin, pénètrent à des niveaux différents la portion terminale

du névraxe : les racines sensitives à un niveau plus élevé que les racines

motrices. On conçoit donc que dans un cas de névrite radiculaire, les pre-

mières puissent être intéressées, à l'exclusion des secondes.

Je viens de prononcer les mots de névrite radiculaire. Aussi bien, je

crois que, chez R..., c'est cetle affection qui est en cause. Rappelez-vous

que cet homme est un alcoolique avéré. Or l'alcoolisme figure au nombre

des causes les plus fréquentes des névrites multiples de n'importe quel

siège. Peut-être m'objecterez-vous que ni le diagnostie anatomique, ni le

diagnostie étiologique, que je viens de formuler, ne cadrent avec la brus-

querie du début des accidents présentés par le malade ? Cette objection

est sans valeur. Il n'est pas rare que la polynévrile, quand elle est d'ori-

gine infectieuse ou toxique, débute avec une pareille brusquerie. Soit

dit en passant, la qualification d'apohlectiforme à été donnée à certaine

forme de névrites multiples, par Dubois, de Berne, uniquement pour

caractériser ce mode de début. Or, parmi les observations de polynévrite

apoplectiforme, publiées jusqu'à ce jour, il s'en trouve précisément, qui

concernaient des alcooliques.

La dénomination susdite est susceptible de donner le change, de faire

croire que la polynévrite apoplectiforme reconnaît pour point de départ

la formation d'un foyer hémorrhagique au voisinage immédiat d'un cer-

tain nombre de racines spinales ou au voisinage d'un plexus. Effective-

ment cette interprétation a été adoptée par certains neuropathologistes.

Appliquée à l'ensemble des cas de polynévrite apoplectiforme, elle consa-

cre une erreur. Toutefois, on connaît des cas où le mécanisme en ques-

tion est intervenu dans le développement d'une névrite multiple. Est-ce

que chez notre malade, qui, en sa qualité d'alcoolique, est exposé à des

altérations vasculaires susceptibles de favoriser des hémorragies, il se

serait formé un extravasat sanguin dans la portion inférieure du canal

rachidien,qui, en comprimant un certain nombre de racines de la queue de

cheval, aurait donné lieu aux phénomènes morbides, présentés par le ma-

lade ? Je ne le crois pas, Messieurs, et voici mes raisons :

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 487

Dans un cas de névrite multiple apoplectiforme, d'origine hémorrha-

gique, d'emblée ou en très peu de temps, les accidents atteignent leur

apogée; puis ils rétrocèdent, en partie ou en totalité, d'une façon pro-

gressive. Chez notre malade c'est l'inverse qui s'est produit : d'abord R...

a éprouvé de l'engourdissement et une sensation de froid dans le pied

gauche. Ces sensations anormales ont gagné la jambe, la cuisse et la

hanche, du même côté. Elles ont fait place a des douleurs très vives. Puis

est survenue une faiblesse croissante du membre; il quelque temps de là,

elle s'est compliquée d'une paralysie transitoire de la vessie et d'une cons-

tipation opiniâtre. Entre temps, l'impotence du membre inférieur gauche

est allée en s'accentuant. Elle s'est doublée d'une atrophie musculaire

diffuse. En même temps, l'examen du malade a fait constater l'existence

d'une anesthésie circonscrite au domaine d'innervation du plexus sacré.

Je dis qu'il y a là une progressivité d'évolution, inconciliable avec

l'hypothèse d'une hémorrhagie subite qui, d'emblée, donnerait lieu au

minimum d'effets morbides imputables à une compression de racines ner-

veuses. Cette progressivité ne se conçoit que si l'on admet l'existence

d'une polynévrite radiculaire à marche extensive, ou encore une com-

pression croissante des racines intéressées. Admettons que compression

il y ait eu. Etant données la soudaineté du début et la rapidité relative

avec laquelle les accidents ont évolué, il est peu admissible que cette

compression ait été effectuée par une tumeur proprement dite. En raison

des habitudes d'intempérance du malade, je me rallierai assez volontiers

à l'hypothèse d'une pachyméningite hémorrhagique. Mais tout compte

fait, c'est le diagnostic de névrite radiculaire, d'origine alcoolique, inté-

ressant un cerlain nombre des racines du plexus sacré, qui obtient mes

préférences.

Pronostic et traitement. Du moment que nous avons affaire à une

simple névrite, à une névrite qui intéresse une partie seulement des raci-

nes de la queue de cheval et d'un seul côté seulement, du moment que

les manifestations de cette névrite se réduisent à une paralysie incomplète

des muscles innervés par les branches terminales du plexus sacré à gauche,

du moment que la parésie vésicale qui, à un moment donné, s'associait à

la parésie motrice du membre inférieur gauche, s'est presque totalement

dissipée, nous avons des motifs sérieux d'espérer que les accidents pré-

sentés par le malade rétrocéderont à la longue, sous l'influence d'un trai-

tement approprié.

Ce traitement devra comprendre la mise en oeuvre des moyens suscep-

tibles d'influencer la névrite et de soustraire le malade aux influences

488 RAYMOND

nocives que nous soupçonnons d'avoir engendré celle-ci ; c'est pourquoi

nous associerons les révulsifs, sous la forme de pointes de feu appliquées

sur la partie inférieure du rachis, à la galvanisation du nerf sciatique et

de la partie inférieure de la moelle, à l'administration interne de l'iodure

de potassium, au régime lacté. Bien entendu, le malade sera sevré de toute

boisson alcoolique.

Plus tard, pour hâter la restauration des muscles paralysés et atrophiés,

nous prescrirons le massage, les bains sulfureux, l'hydrothérapie appliquée

méthodiquement, le tout associé à une alimentation reconstituante et à

l'administration interne de la noix vomique.

Troisième exemple clinique. Voici un troisième malade, dont le cas

est à mettre en parallèle avec celui du précédent. A première vue il peut

sembler que dans les deux cas la même affection soit en cause. Or je

compte vous convaincre que, selon toutes les probabilités, il n'en est rien.

Cet homme, un nommé Jean B..., est âgé de 28 ans. Il est marié et père

d'une fillette qui jouit d'une bonne santé habituelle. Il a eu, dans le cours de

son enfance, des bubons strumeux, à l'aine gaucho ; il en conserve des traces

bien manifestes. Enfin, il est affligé d'une fistule à l'anus, qui s'est ouverte,

la veille du début de sa maladie actuelle.

B... exerçait la profession de garçon brasseur.

En cette qualité il buvait quotidiennement de trois à quatre litres de bière,

de cidre ou de vin. Jamais il n'absorbait d'eau-de-vie ni d'absinthe. y a envi-

ron sept mois, en appuyant sur une pédale, avec son pied gauche, il s'aperçut

que sa jambe gauche était frappée d'une certaine faiblesse. 11 n'y attacha aucune

importance. Le lendemain soir, il fut pris de frissons, de maux de tête, de

douleurs dans les reins; il dîna sans appétit. Le surlendemain, il boitait et

il traînait la pointe du pied gauche.

Enfin le quatrième jour, B... dut s'appuyer sur une canne pour marcher.

Le matin, au réveil, il lui avait été impossible d'uriner. Dans la journée, il put

le faire, non sans difficulté ; l'urine s'écoulait en buvant, et pour ne pas mouil-

ler ses chaussures, le malade était obligé d'écarter les jambes.

Le lundi suivant, B... dut prendre le lit, en proie à une fièvre intense et à

des douleurs de reins. Il resta alité pendant une quinzaine de jours, avec des

symptômes de grippe. La difficulté pour uriner subsistait. L'impotence de la

jambe gauche était allée en augmentant. C'est tout au plus si le malade pouvait

encore se déplacer dans sa chambre, en s'appuyant sur deux chaises; il était

presque complètement privé de l'usage de sa jambe gauche. Les douleurs de

reins le gênaient beaucoup pour fléchir le tronc. De temps en temps, il éprou-

vait des crampes douloureuses dans les mollets.

Pendant deux mois et demi, son médecin l'a électrisé et lui a fait prendre

des bains. Puis, après un séjour à l'hôpital Boucicaut, B... est venu nous

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 489

consulter à la Salpêtrière. Vous allez vous rendre compte de son état actuel,

par l'examen que je vais faire du malade, devant vous :

Vous voyez que, pour marcher, le malade est obligé de s'appuyer sur

deux cannes. A gauche, la cuisse seule semble obéir à la volonté; la jambe

est comme pendante, et en marchant, le malade la projette en avant. Le

pied est ballant.

Vous voyez que le membre inférieur gauche est fortement amaigri. Il

s'agit d'une atrophie musculaire massive ; elle est prononcée surtout dans

la loge musculaire postérieure de la cuisse et au mollet. La fesse gauche

y participe, mais dans une moindre mesure. Dans toute l'étendue du mem-

bre inférieur gauche, il existe un abaissement de la température locale.

Les orteils du pied gauche sont comme figés dans une immobilité per-

manente. Les mouvements volontaires d'élévation, d'abaissement et de

latéralité du pied gauche sont abolis.

Le malade ne peut pas davantage imprimer de mouvements volontaires

à sa jambe gauche, qui est pendante comme une masse inerte.

Les mouvements de flexion et d'extension de la cuisse sur le bassin sont

affaiblis, ceux d'adduction sont supprimés. Pour les rétablir, le malade

est obligé de tendre le tronc sur le bassin, et alors ils s'exécutent sans vi-

gueur.

Le réflexe patellaire et le réflexe achilléen sont abolis, à gauche, de

même que le réflexe cutané plantaire.

La sensibilité objective est intacte partout. En fait de troubles de la

sensibilité subjective, le malade éprouve une sensation de froid dans toute

l'étendue du membre inférieur gauche.

Enfin il éprouve toujours une certaine difficulté pour uriner.

Telles sont les manifestations pathologiques, présentées par le malade.

Elles se réduisent présentement à une paralysie motrice du membre infé-

rieur gauche, qui va en diminuant d'intensité, de l'extrémité à la racine

du membre, et qui se double d'une atrophie musculaire massive, prédo-

minante aux muscles de la face postérieure de la cuisse et à ceux du mollet,

et d'un abaissement de la température locale, avec lequel coïncide une

sensation subjective de froid. On constate, en outre, l'abolition du réflexe

rotulien, du réflexe achilléen et du réflexe cutané plantaire et une certaine

gêne de l'urination.

Diagnostic. - Messieurs, aurions-nous de nouveau affaire, chez ce troi-

sièmemalade, à une névrite radiculaire, unilatérale, limitée à une partie

des racines gauches du plexus sacro-coccygien ? Il se peut.

xv 32

490 RAYMOND

La soudaineté du début des accidents ne saurait être invoquée comme

un argument péremptoire contre cette hypothèse; vous devez en être con-

vaincus après ce que je vous ai dit, tout il l'heure, à ce sujet. -t

La disposition unilatérale de la paralysie motrice et de l'atrophie mus-

culaire concomitante, les antécédents alcooliques du malade militent en

faveur du siège périphérique de la lésion. Oui, sans doute; mais il y a

lieu de prendre en considération la nature exclusivement motrice des

accidents, l'absence de troubles objectifs de la sensibilité. Ces caractères

s'observent, assurément, dans les cas de polynévrites, mais à titre excep-

tionnel. D'autre part, chez B..., le début de la maladie n'a pas été que

brusque; il a été marqué par un mouvement fébrile et par des phéno-

mènes généraux tels qu'on les observe à la période d'invasion des ma-

ladies infectieuses. Cela aussi se voit dans les cas de névrites multiples,

mais beaucoup plus rarement que dans les cas de poliomyélite infectieuse.

Or, la poliomyélite, la myélite limitée à la substance grise de la moelle,

peut revêtir un caractère franchement hémorrhagique, se présenter à l'état

d'hématomyélite, laissant comme trace durable un foyer hémorrhagique.

De par les travaux de Minor nous savons que les foyers d'hématomyélie

peuvent se cantonner dans une moitié de la moelle, voire dans une colonne

antérieure. Supposez donc que chez B..., une hématomyélite infectieuse

ait été le point de départ des accidents actuels. Supposez qu'elle se soit t

cantonnée, au début, dans la moitié gauche du segment médullaire, qui

donne naissance aux racines du plexus sacro-coccygien et dans la seule

portion motrice de la substance grise. Vous aurez alors de quoi expliquer

toutes les circonstances du cas pathologique réalisé par notre malade :

Le début soudain, fébrile, avec les allures qu'on observe à la période

d'invasion des poliomyélites infectieuses;

L'impotence des membres inférieurs, faisant place, très rapidement, à

une paralysie partielle du membre inférieur gauche, limitée au domaine

d'innervation du plexus sacré ;

La prompte survenance de l'atrophie des muscles paralysés, le caractère

massif de cette atrophie ;

La nature des modifications des réactions électriques ;

Le refroidissement du membre paralysé et atrophié, qui ne manque

jamais, dans les cas de poliomyélite antérieure, tandis qu'il est étranger

à la symptomatologie des polynévrites ;

L'abolition simultanée des réflexes rotulien et achilléen et du réflexe

plantaire ;

Le caractère rudimentaire des troubles vésicaux qui s'explique par

l'unilatéralité de la lésion, et surtout par son siège en hauteur.

Enfin, il n'est pas jusqu'à la marche des accidents, qui ne plaide en

AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 491

faveur de l'hypothèse que je suis en train de discuter. Tout à l'heure j'in-

sistais sur la progressivité d'évolution, relevée dans la marche des accidents

présentés par notre précédent malade. Ce mode d'évolution, disais-je, est

inconciliable avec l'hypothèse d'une hémorrhagie (ou de tout autre proces-

sus) donnant lieu d'emblée au maximum d'effets morbides. Elle n'est

concevable que dans l'hypothèse d'une polynévrite radiculaire à marche

extensive. Or, chez notre dernier malade les circonstances sont précisément

inverses ; ce n'est plus à une marche progressive que nous avons affaire.

Les choses se sont passées comme si un orage subit avait produit d'emblée

son maximum de ravages, laissant à sa suite des dégâts irréparables. Et

c'est bien ainsi que les choses se passent dans les cas de poliomyélite anté-

rieure aigué la paralysie infantile en est la modalité la plus fréquente

et dans la plupart des cas d'hématomyélie.

Vous connaissez maintenant les raisons pour lesquelles je penche

davantage chez notre dernier malade, vers le diagnostic d'hématomyélie ou

plutôt de poliomyélite hémorrhagique limitée à la colonne antérieure du

segment médullaire, qui donne naissance aux racines du plexus sacro-

coccygien.

Pronostic et traitement. - Ce diagnostic comporte, cela va de soi, un

pronostic plus sombre que celui que j'ai porté chez nos deux précédents

malades. Je vous parlais, à l'instant, de dégâts irréparables. Aussi bien,

que voulez-vous que nous fassions contre les suites d'une hémorrhagie ou

d'une myélite qui a désorganisé, dans une certaine étendue, la substance

grise de la moelle ? De la révulsion sous forme de pointes de feu, dans

l'espoir d'apaiser la réaction irritative que le foyer hémorrhagique est

censé entretenir à son voisinage ? Je le veux bien, mais sans espoir aucun

d'obtenir une réparation anatomique du territoire spinal détruit. Nous

serons peut-être plus heureux et mieux inspirés en recourant à tous les

moyens, électrisations, massage, frictions excitantes, applications hydro-

pathiques, etc., susceptibles de réveiller la nutrition et la contractilité des

muscles frappés de paralysie et d'atrophie. L'expérience nous a démontré

qu'en s'engageant dans cette voie avec circonspection et persévérance, on

obtient des résultats qui semblent inespérés quand on envisage les choses

au point de vue d'un étroit organisme, quand on .ne tient pas compte des

suppléances fonctionnelles dont sont susceptibles aussi bien les amas gris

des centres nerveux que les muscles plus ou moins synergiques. Je m'ex-

pliquerai avec plus de détails là-dessus, quand une occasion propice se

présentera de le faire. '

LÉSIONS SYPHILITIQUES DES CENTRES NERVEUX

FOYERS DE RAMOLLISSEMENT DANS LE BULBE

HÉMIASY11'ERGIE, LATÉROPULSION

ET MYOSIS BULBAIRES

AVEC HÉMIANESTHÉSIE ET HÉMIPLÉGIE CROISÉES

PAR

J. BABINSKI et J. NAGEOTTE.

Nous avons présenté à la Société de Neurologie, dans la séance du

17 avril 1902, un travail sur un syndrome lié à une lésion bulbaire uni-

latérale, dont les traits cliniques essentiels sont des vertiges, une hémi-

plégie et une hémianesthésie du côté opposé à la lésion, une hémiasyner-

gie, de la latéiopulsion et du myosis du côté de la lésion.

Notre description était basée sur l'étude de trois cas, dont un étésuivi

d'autopsie. Les limites imposées par les dimensions des bulletins de la

Société ne nous ont pas permis de faire une description de cette dernière

observation aussi détaillée que nous l'aurions désiré et nous ont mis dans

la nécessité de laisser dans l'ombre quelques côtés de notre sujet qui nous

semblent intéressants.

Cette étude est un complément de notre premier travail ; elle est

particulièrement consacrée à parfaire l'exposé et l'analyse de l'observation

anatomo-clinique que nous avons rapportée déjà, mais trop brièvement.

F. P..., âgé de 50 ans, entre le 5 octobre 1901 à la Pitié.

Il a contracté la syphilis à l'âge de 30 ans.

Il y a huit jours, en pleine santé, il a ressenti une douleur de tête vive

du côté gauche et il a été pris brusquement de vertiges, de troubles de

motilitégraves, ainsi que d'une grande gêne dans la déglutition. Son état

ne s'est guère modifié, dit-il, depuis le début, sinon que la céphalalgie

s'est atténuée et qu'il a maigri. Le malade est, en effet, maigre, pâle, paraît

très faible, ce qui s'explique du reste fort bien, car il ne s'est presque pas du

tout alimenté pendant cette période de huit jours; ce qui l'en empêche,

c'est que la déglutition est très difficile ; lorsqu'il cherche à boire, il rend

HÉM1ASYNERGIE, LATÉR0PULS10N ET MYOSIS BULBAIRES 493

en partie le liquide par le nez et il est pris d'une quinte de toux. Il ne

peut siffler; la voix est nasillarde ; le réflexe du voile du palais est aboli.

Il y a des troubles de sensibilité ; tout le côté droit du corps jusqu'au

cou présente un affaiblissement de la sensibilité au tact et à la température ;

l'anesthésie est surtout très accusée à la jambe et à la partie inférieure de

la cuisse; à la face, la sensibilité paraît émoussée des deux côtés d'une ma-

nière à peu près égale; le sens musculaire est normal à gauche et à droite ;

une piqûre provoque une sensation moins désagréable à droite, mais la

compression des masses masculaires semble plus douloureuse de ce côté

qu'à gauche.

La motilité est profondément troublée. Le malade ne peut marcher sans

être soutenu ; il est sans cesse entraîné à gauche et il tomberait de ce côté

s'il était abandonné à lui-même. Dans la marche les membres inférieurs

sont écartés l'un de l'autre) les mouvements élémentaires du membre infé-

rieur gauche sont brusques et le pied gauche vient s'appliquer sur le sol

d'une manière bruyante ; les mouvements du membre inférieur droit pré-

sentent aussi ces caractères, mais d'une manière bien moins prononcée.

Lorsque le malade, placé dans le décubitus dorsal, après avoir fléchi la

cuisse sur le bassin et la jambe sur la cuisse, replace le membre dans sa

position primitive, voici ce qu'on observe : à droite, le mouvement est

à peu près normal, l'extension de la cuisse sur le bassin et celle de la

jambe sur la cuisse sont exécutées presque synergiquement et le talon glisse

sur le sol d'arrière en avant ; à gauche, le mouvement est bien différent :

dans un premier temps, la jambe s'étend brusquement sur la cuisse et le

talon est éloigné du sol par une distance d'un décimètre ; dans un second

temps, la cuisse s'étend sur le bassin et le talon vient s'appliquer sur le

sol. Quand le malade se met à genoux sur une chaise, à droite le mouve-

ment est normal, à gauche il s'accomplit avec brusquerie. Le côté droit

est toutefois un peu plus faible que le gauche, mais à la vérité la différence

à cet égard entre les deux côtés est minime. Quand le malade, placé dans

le décubitus, cherche à se mettre sur son séant, il exécute un mouvement

de rotation autour d'un axe passant par le côté gauche du corps et on con-

state, à droite, « le mouvement combiné de flexion de la cuisse et du tronc ».

Les mouvements des membres supérieurs sont accomplis avec correction,

mais avec un léger tremblement.

Le réflexe crémastérien et le réflexe abdominal existent et sont sembla-

bles des deux côtés. A gauche, le réflexe plantaire est normal ; adroite, on

constate le phénomène des orteils. Le réflexe du tendon rotulien droit est

normal; à gauche, en outre de la contraction du triceps crural de ce côté,

la percussion du tendon rotulien donne lieu à une contraction des adduc-

teurs de la cuisse droite. Les réflexes achilléens sont normaux. Les réflexes

494 BABINSKI ET NAGEOTTE

tendineux du membre supérieur paraissent un peu plus forts à droite qu'à

gauche.

Du côté de l'oeil, on note un peu de nystagmus, surtout dans le sens

latéral, mais parfois aussi dans le sens vertical. Les pupilles se contrac-

- lent à la lumière, mais elles sont inégales ; la gauche, sans être très petite,

est sensiblement plus étroite que la droite.

Dés l'entrée du malade à l'hôpital on cherche à lutter contre la faiblesse

qui résulte de l'inanition par l'alimentation artificielle, en attendant de le

soumettre à un traitement hydrargyrique qui,en raison de ses antécédents,

est indiqué. Mais cinq jours après, dans l'après-midi, il succombe brusque-

ment dans une syncope.

Examen anatomique. A l'oeil nu on constate que le tronc basilaire et

les artérioles qui en partent sont obstrués par une thrombose récente. Sur

une étendue de 1 cent. 1/2 au voisinage de son extrémité inférieure le tronc

basilaire présente en outre des parois extrêmement épaissies, blanchâtres,

opaques ; cette altération se continue sur la vertébrale gauche, sur l'éten-

due de 1 centimètre environ.

Les méninges molles (pie-mère et arachnoïde spinales et cérébrales) sont

partout un peu épaissies et opalines.

Après avoir pratiqué à l'état frais la coupe de Meynert, on a fait durcir

dans le bichromate la pièce constituée par le bulbe, le cervelet, la protu-

bérance et les ganglions de la base. Une fois durcie, cette pièce a été dé-

bitée en tranches minces par des coupes perpendiculaires à la tige céré-

brale ; ces tranches ont été imprégnées d'acide osmique par la méthode de

Marchi, puis incluses à la colloïdine; enfin la pièce a été reconstituée

pendant l'enrobage par la superposition de toutes les tranches, et le bloc

ainsi obtenu a été débité en 1200 coupes d'un dixième de millimètre.

Toutes les coupes ont été montées en série, et si quelques défauts d'im-

prégnation au centre de certains morceaux sont venus, par places et sur

une petite étendue, interrompre la continuité des faisceaux dégénérés, les

points de repère sont restés suffisamment rapprochés pour que les trajets

aient pu être déterminés avec une absolue certitude et pour qu'aucun

foyer primitif n'ait échappé.

La moelle a été fragmentée en segments et des coupes ont été pratiquées

au niveau de chaque paire radiculaire (méthode de Marchi). De plus. la

moelle et l'écorce cérébrale ont été étudiées sur des coupes colorées à

l'hématoxyline et par la méthode de Weigert pour la myéline.

L'examen microscopique a montré 1° des lésions diffuses, portant sur

l'élément mésodermique et généralisées à toute l'étendue de la cavitésous-

arachnoïdienne (moelleetcerveau); 2° des lésions localisées, véritables foyers

de nécrose et de ramollissement, qui sont sous la dépendance des lésions

IIÉMIASYNERGIE, LATÉROPULSION ET MYOSIS BULBAIRES 495

vasculaires, mais qui se cantonnent dans le bulbe ; 3° des lésions paren-

chymateuses systématisées consécutives aux lésions localisées.

Les lésions mésodermiques diffuses consistent en une infiltration de toute

l'étendue de la pie-mère et de l'arachnoïde par des éléments cellulaires qui

répondent les uns au type lymphocyte, les autres au type cellule plasma-

tique. Cette infiltration s'accompagne d'un certain degré de fibrose au

Fig. 1. Coupe des méninges molles au niveau du lobule paracentral. Ilématoxy-

line et éosine. Grossissement de 26 diamètres.

Ar; Arachnoïde. P.jI. Pie-mère. Entre ces deux membranes le tissu sous-arach-

noïdien est épaissi et infiltré d'éléments cellulaires, surtout au voisinage des vais-

seaux de la pie-mère. Artères saines, sauf épaississement de la tunique externe. Une

grande veine, coupée obliquement, porte dans sa paroi trois nodules d'infiltration cel-

lulaire.

496 BABINSKI ET NAGEOTTE

niveau de la moelle, mais surtout au niveau du cerveau où l'espace sous-

arachnoïdien est rempli d'un tissu conjonctif fibrillaire, jeune, à mailles

lâches, qui contient encore de nombreux éléments cellulaires (fig. 1).

Les vaisseaux participent dans une large mesure à ce processus inflam-

matoire. Les veines ont leurs parois bourrées d'éléments arrondis au point

que leurs parois ont souvent quadruplé d'épaisseur; de plus, cette infiltra-

tion prédomine habituellement en un point de la circonférence,de sorte que

la lumière est excentrique. Les artérioles présentent de l'épaississement et

de l'infiltration de leur tunique externe et des lésions d'endartérite fibreuse.

Fig. 2. - Coupe de la pie-mère spinale au niveau de la 2 racine dorsale (entrée du

sillon antérieur). Hématoxyline et éosine. Grossissement de 56 diamètres.

Périartérite et endartérite. Phlébite. Infiltrations cellulaires dans les interstices

des fibres de là pie-mère et du tissu sous-arachnoïdien. ·

Fig. 3. Coupe de la pie-mère spinale au niveau de la 2e racine dorsale (région

antéro-latérale). Hématoxyline et éosine. Grossissement de 113 diamètres.

Phlébite nodulaire. Infiltration cellulaire (lymphocytes et plasmazellen) dans les

parois veineuses et dans les interstices de la pie-mère.

NOUVELLE tcONOGRAPHIEnE LA SALPËnUÈKE.

T. XV. Pl. LV

LESIONS SYPHILITIQUES DES CENTRES NERVEUX

lT";r)11nunf'1'Qi¡J-IJ' : lf ? J8Q..UI¡J.Q £ .i.J ?

HÉMIASYIOERGIE, LATÉROPULS10N ET MYOSIS BULBAIRES 497

Les capillaires sont lésés de la même façon : leurs parois sont infiltrées de

cellules rondes (fig. 2 et 3).

Les lésions du tronc basilaire méritent une description spéciale ; cette

artère, ainsi que la terminaison de la vertébrale gauche et toutes les arté-

rioles qui en partent, sont épaissies et thrombosées. Une série de coupes

montrent que la lésion est en partie ancienne, en partie récente; elle

Fig. 4. Coupe du tronc basilaire au voisinage de son extrémité inférieure. Héma-

toxyline et éosine.

El. i. - Elastique interne.

Tun. i. Tuniqua interne épaissie.

L. v. - Lumière du vaisseau, obstruée par les débris d'un caillot récent.

C. o. - Caillot organisé ancien. (La fente que l'on voit à droite de la figure entre

les tuniques vasculaires et le caillot organisé est le résultat d'une incision pratiquée

sur la pièce à l'état frais.)

Fig. 5. - Coupe du tronc basilaire dans sa région moyenne. Hématoxyline et

éosine.

El. i. - Elastique interne.

Tun. i. - Tunique interne épaissie-.

C. o. - Caillot organisé ancien, oblitérant complètement la lumière du vaisseau.

L. s. - Lacunes sanguines creusées au centre de ce caillot.

An. Anévrisme disséquant par lequel le cours du sang s'était rétabli.

498 BABINSKI ET NAGEOTTE

consiste dans une périartérite très nette et clans une endartérite énorme

qui, en certains points, ne laisse plus qu'un tout petit chenal pour le

passage du sang ; il est manifeste qu'une partie des tissus situés en dedans

de l'élastique interne provient de l'épaississement de l'endartère, tandis

qu'une autre partie, la plus considérable, est le produit de l'organisation

de caillots pariétaux anciens; dans cette dernière partie on observe au

centre des lacunes sanguines néoformées (fig. ). La tunique moyenne et

les tissus de l'endartère épaissie ont subi des lésions de nécrose dans les

portions les plus éloignées du courant sanguin ; à la faveur de cette né-

crose, il s'est formé en un point un anévrisme disséquant, en dehors de

l'élastique interne, dans l'épaisseur de la musculaire désorganisée (fig. 5).

Dans les derniers moments de la vie, il s'est formé une thrombose qui a

arrêté le cours du sang et qui est peut-être la cause immédiate de la mort.

Telles sont les lésions mésodermiques superficielles. Dans la profon-

deur du tissu nerveux on trouve des lésions de capillarité, surtout au ni-

veau du bulbe, de la protubérance et des tubercules quadrijumeaux.

L'écorce cérébrale est indemne; elle ne présente qu'un certain degré

de sclérose névroglique sous-jacente aux lésions inflammatoires de la

pie-mère, sans lésions des fibres à myéline tangentielles.

En somme, l'appareil mésodermique du système nerveux tout entier est

le siège d'un vaste Aomet, caractérisé essentiellement par les lé-

sions typiques des vaisseaux ; l'artérite du tronc basilaire, en particu-

lier, ne permet d'émettre aucun doute sur la nature de la lésion. La sclé-

rose conjonctive, déjà avancée en certains points, montre que cette lésion

évolue depuis un certain temps.

Les lésions localisées consistent en quatre foyers qui siègent dans la

moitié gauche du bulbe, dans des territoires irrigués par des branches de

la vertébrale antérieure gauche, atteinte d'endartérite, ainsi que nous

venons de le dire. Ces foyers ne se cantonnent pas exactement chacun

dans le territoire d'une artériole bulbaire ; ils résultent chacun de l'alté-

ration de rameaux terminaux appartenant à plusieurs artérioles (médianes

antérieures, radiculaires internes et externes, accessoires); ils respectent t

un certain nombre de territoires appartenant à des rameaux des mêmes

artérioles ; de plus, les propriétés physiques des tissus dans lesquels ils

se sont formés paraissent avoir eu sur leur forme et leur extension une

influence indépendante des dispositions vasculaires ; ainsi le plus ancien

des foyers (F2) est allongé verticalement, c'est-à-dire parallèlement aux

fibres nerveuses de la région et perpendiculairement au trajet des arté-

rioles.

De ces quatre foyers, le plus récent et le plus grand (Fi) s'étend sur toute

la moitié supérieure du bulbe : sa forme générale est triangulaire ; sa base

NOUVELLE Iconographie DE la SALPL'IRI1 : RE. T. XV. PI LVI

LESIONS SYPHILITIQUES DES CENTRES NERVEUX

IlhniasYllergic, latéropulsion, myosis bulbaire.

(J. Babinski et J. Nagent te)

HÉMIASYNERGIE, LATÉROPULSION ET MYOSIS BULBAIRES 499

s'adosse à la pie-mère, son sommet s'avance dans l'épaisseur de la subs-

tance réticulée jusque près du plancher, entre le faisceau solitaire et le

faisceau longitudinal postérieur; il est limité par un sillon d'oedème;

dans son épaisseur, la myéline des tubes n'a pas encore subi la dégénéres-

cence graisseuse, mais il existe déjà à la périphérie et le long des vaisseaux

des corps granuleux disséminés (Pl. LVI, fig. J, K, L, M).

Ce foyer entame la lame postérieure de l'olive, la moitié antérieure de

la racine du trijumeau sur une petite étendue, et sectionne une partie des

racines du spinal ; il interrompt forcément le trajet des fibres ascendantes

du faisceau antéro-latéral (faisceau de Gowers) ; toutefois le faisceau céré-

belleux direct, qui passe très tôt en arrière, paraît lui avoir échappé ; les

noyaux situés dans le faisceau latéral du bulbe sont naturellement englo-

bés. Toutes les dégénérescences secondaires que ce foyer aurait été capa-

ble d'amener, de par sa situation, ne sont certainement pas encore ache-

vées, car la racine du trijumeau n'a pas dégénéré au-dessous de la section ;

néanmoins les fibres arciformes ont dégénéré à partir du point sectionné

et est possible qu'au moins une partie de la dégénérescence du ruban

de Reil droit lui soit imputable. Nous n'avons pas constaté au-dessus de

lui de dégénérescence répondant au trajet récemment décrit du faisceau

de Gowers vers le cervelet.

Le second foyer (F2) est étroit et allongé dans le sens vertical ; son tra-

jet onduleux s'étend de la partie moyenne à la partie supérieure des oli-

ves ; il siège sur les parties latérales du ruban de Reil, plus ou moins en

arrière, suivant le niveau où on le considère. Certainement plus ancien

que le précédent, il est constitué par une cavité remplie de corps granu-

leux. Il sectionne la moitié postérieure du ruban de Reil, les régions

internes de la substance réticulée, quelques fascicules de l'hypoglosse; il

entame le faisceau longitudinal postérieur et se place au hile de l'olive de

manière à interrompre à la fois les fibres olivaires gauches avant leur

entre-croisement et les fibres olivaires droites après leur entre-croisement;

delà résulte une dégénérescence bilatérale et symétrique de ces fibres, ou

du moins d'une bonne partie d'entre elles (Pl. LVI, LVII, fig. K, L, M, N).

Les troisième et quatrième foyers sont peu étendus et constitués par

des zones de myélite plutôt que par des ramollissements. L'un (F3) siège

sur la partie antérieure du ruban de Reil, respectée par le foyer précé-

dent, et l'autre (F4) sur le faisceau pyramidal (PI. LVI, fig. K, L, M).

Il nous faut aborder maintenant l'étude des lésions parenchymateuses

systématisées, ou, en d'autres termes, des dégénérescences secondaires con-

sécutives à ces foyers. Nous nous sommes assurés, par une étude minu-

tieuse des coupes sériées, que les lésions mésodermiques que nous avons

décrites plus haut n'ont altéré en rien la pureté de ces dégénérescences,

500 BABINSIiI ET NAGEOTTE

qui proviennent exclusivement des foyers nécrobiotiques. Nous les étu-

dierons en envisageant successivement chaque faisceau au-dessus et au-

dessous des foyers. T'/T

Le faisceau pyramidal est altéré dans toute la hauteur de la moelle;

nous ne dirons rien de la disposition de ses deux portions qui est classi-

que, sinon que la limite externe du'faisceau pyramidal direct ne peut être

fixée avec certitude, à cause,de,la présence de fibres descendantes bulbo-

protubérantielles qui lui sont immédiatement juxtaposées. Au-dessus du

foyer il existe quelques'fibres,dégénérées dans le* faisceau pyramidal ; on

peut lesYsuivre°jusqu'à la capsule interne où elles se groupent dans la ré-

gion postérieure'dû segment postérieur ; s'agit-il là d'une dégénérescence

rétrograde ? Nous ne pouvons l'affirmer, n'ayant pas suivi les fibres dégé-

nérées jusqu'à leur disparition (Pl. LIX, fig. S).

Le ruban de Reil gauche, au-dessus des foyers, présente une dégéné-

rescence intense; dans les régions où ce faisceau forme un triangle allongé

d'avant en arrière (bulbe et régions inférieures de la protubérance), on dis-

tingue très nettement-deux* -zones dégénérées : 1,'une très considérable en

arrière, l'autre plus discrète en avant, séparées par un espace relativement

sain. Dans la zone postérieure, il ne reste plus une fibre saine. Cette zone

répond aux fibres sectionnées par le foyer F2; par sa situation, ce foyer

a atteint plus particulièrement les fibres provenant' du noyau grêle (PI.

LVII, LVIII, fig. 0, P,Q).

En effet, Bechterew assigne à celles des fibres du ruban de Reil qui

proviennent du noyau grêle une topographie spéciale ; ces fibres consti-

tueraient la partie postérieure de la couche interolivaire et se myélinise-

raient à une époque plus tardive que les fibres émanées du noyau cunéi-

forme, qui occuperaient la partie antérieure de la couche interolivaire.

Comme le noyau grêle répond' aux membres inférieurs et le noyau cunéi-

forme aux membres supérieurs, cela revient à dire que les fibres du ruban

de Reil qui servent au passage des impressions des membres inférieurs

sont en arrière et celles des membres supérieurs en avant; or, précisément L

on remarquera que, dans notre cas, où la région postérieure de la couche

interolivaire était plus atteinte que la région antérieure, les troubles sen-

sitifs prédominaient aux membres inférieurs.' go .

La région antérieure du ruban de Reil n'est pas indemne de toute dégé-

nérescence ; il existe des fibres dégénérées disséminées partout ; ces fibres

sont plus nombreuses et plus condensées tout à fait en avant ; ce sont les

fibres sectionnées par le foyer F. -

Lorsque, au-dessus du noyau masticateur, le ruban de Reil a pris une

forme aplatie d'avant en arrière, nous ne trouvons plus cette division

nette ; il semble qu'à ce niveau les fibres des différentes origines se soient

NOUVELLE Iconographie DE la SALPUTRtÈRE. T. XV. PI. LY ! l

LESIONS SYPHILITIQUES DES CENTRES NERVEUX

IIW niasgncrgie, lal £ 51ol)iilsinii, myosis bulbaire.

(/ Babiiiski et J. Nngeotlc) 1

Nouvelle Iconographie pE IA A SALPtTRltRE. T. XV. PI. LVIII

LESIONS SYPHILITIQUES DES CENTRES NERVEUX

IIÉMIASYNERGIG, LATÉROPULSION ET MYOSIS BULBAIRES 501

confondues; en dehors des fascicules dupes leoacaisc2cs profond, dépen-

dance du faisceau pyramidal, on ne trouve plus de territoires intacts dans

son épaisseur. Pourtant Bechterew admet que les fibres postérieures de la

couche interolivaire occupent plus haut la région interne du ruban de

Reil ; Long, dans sa thèse, a publié deux cas qui viennent' à l'appui de

cette manière de voir. Notre observation tend, au contraire, à prouver

que, au moins chez certains sujets, les fibres de différente origine se mé-

langent dans la région protubérantielle ; c'est aussi l'avis de Scblesinger

(Pl. LIX, fig. R). Ifl . '

En remontant dans la protubérance et dans l'isthme de l'encéphale, le

ruban de Reil médian prend, au voisinage des tubercules quadrijumeaux

postérieurs, la forme d'un L; la brancheantéro-postérieure, moins impor- z

tante que la branche transversale, est superficielle. Au niveau des tuber-

cules quadrijumeaux antérieurs, la branche transversale se renfle et l'en-

semble du faisceau dégénéré forme ùmtriangle curviligne, dont la base

concave embrasse le noyau, rouge, tandis que l'angle externe effilé se

recourbe en arrière où il est sons-jacentau bras du tubercule quadrijumeaux /

postérieur, puis'plus haut au corps genouillé interne. J.

Plus haut encore, sous l'extrémité supérieure du corps genouillé in-

terne, le ruban de Reil prend'une forme moins définie ; il devient irrégu-

lièrement ovalaire ; ses fibres sont moins tassées et s'éparpillent à la péri-

phérie ; en un mot il commence à se dissocier pour occuper toute la région

désignée par M. et Mme Déjerine sous le nom de zone du ruban de Reil

médian. Dans cette région, les fibres cheminent au milieu d'amas irrégu-

liers de cellules, croisant à angle droit les fascicules des fibres rayon-

nantes de la couche optique. Ces amas dépendent de la portion antérieure

(inférieure) du noyau externe de la couche optique, dans laquelle une partie

des fibres dégénérées s'épuise rapidement; beaucoup d'entre elles pénè-

trent dans le noyau médian, qui est situé en arrière (en haut) et en dedans.

Ces deux groupes cellulaires, noyau externe et noyau médian, sont les

seuls aboutissants des fibres du- ruban 'de Reil ; la dégénérescence cesse à

quelques millimètres au-dessus dû point où disparaît le noyau médian et

nous avons pu nous assurer qu'aucune fibre altérée ne se dirige vers l'é-

corce - en cela notre observation vient corroborer tous les travaux ré-

cents.Nous avons constaté également qu'aucune fibre ne se rend à la subs-

tance noire, ni aVêoÍ'ps de Luys, ni au globus pallidlls, ni à la commis-

sure de Meynert, comme Bechterew le suppose pour les fibres émanées du

noyau cunéiforme ; ces fibres forment, est vrai, dans notre cas, la mino-

1-i té 1(1,è,s fibres dégénérées ; nous croyons néanmoins que ces connexions

n'auraient pas pu nous échapper si elles existaient réellement.

Les rapports du ruban de Reil dans sa dernière portion (zone du ruban

S02 BABINSKI ET NAGEOTTE

de Reil médian) sont les suivants : en avant la zone dégénérée répond au

faisceau pyramidal, dont elle est séparée par la partie externe du faisceau

thalamique de Forel et de la zona iacertc; en dehors elle s'adosse à la zone

grillagée qui la sépare du segment rétro-lenticulaire de la capsule interne ;

en arrière et en dedans elle pénètre largement dans le noyau médian ; en

arrière et en dehors, elle répond à la région postérieure' (supérieure) du

noyau externe. Dans leur trajet, les fibres du ruban de Reil traversent

la moitié externe du noyau semi-lunaire de Flechsig (PI. LIX, fig. S).

Au-dessous des foyers de ramollissement, on observe une dégénéres-

cence descendante de la couche interolivaire, qui est notablement moins

dense que la dégénérescence ascendante, mais qui permet de suivre les

fibres dans leur entre-croisement (fibres arciformes internes) jusqu'aux

noyaux grêle, cunéiforme et du trijumeau. Parmi ces fibres, celles desti-

nées au noyau grêle paraissent être les plus nombreuses'. S'agit-il de fibres

descendantes suivant exactement le trajet des libres ascendantes et desti-

nées aux noyaux d'où partent celles-ci ? Nous ne le croyons pas. Parmi les

observateurs qui ont rencontré la même disposition, les uns, comme Bech-

terew, en ont conclu qu'il existe dans cette région des fibres descendantes ;

les autres, comme Déjerine et son élève Long, supposent que la dégéné-

rescence inférieure est une dégénérescence rétrograde. Or nous savons,

par les recherches de Nissl et de Marinesco, que l'amputation d'un cy-

lindraxe est loin d'être indifférente pour la vitalité d'un neurone et,

par conséquent, de la portion de cylindraxe qui est restée attenante à la

cellule, surtout lorsque cette amputation a eu lieu au voisinage de la cel-

lule. Lorsqu'un nerf moteur est coupé, et encore mieux arraché à son

émergence, toutes les cellules du noyau se modifient et un certain nombre

d'entre elles succombent, donnant ainsi naissance à une dégénérescence

de la portion proximale du cylindraxe qui n'est pas à proprement parler

une dégénérescence rétrograde et qui ne contrevient pas à la loi de Welter,

mais qui est le résultat de la mort totale du neurone. Nous croyons qu'il 1

faut attribuer à ce processus la dégénérescence de ces fibres qui suivent si

exactement le trajet des fibres ascendantes et qui forment des boules exac-

tement de la même taille que ces fibres, indice d'un calibre égal. La couche

interolivaire ne contiendrait ainsi que des fibres ascendantes, libres du

ruban de Reil, émanées des noyaux grêle (membres inférieurs), cunéi-

forme (membres supérieurs), du trijumeau (face) et destinées aux noyaux

de la couche optique (PI. LVI, LV, fig. I, J, K, L, M).

Le ruban de Reil droit présente une zone de dégénérescence légère

qui répond précisément à la région épargnée dans le ruban de Reil gauche

et qui provient de fibres sectionnées à gauche de la ligne médiane avant

leur entre-croisement; ce sont naturellement les fibres dont l'entre-croi-

sement est le plus élevé qui ont été ainsi atteintes.

NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière. T. XV. PI. L1X

LESIONS SYPHILITIQUES DES CENTRES NERVEUX

llélllill"Yllel' ! 11e, latél'opub,ion, myosis bulbaire

(J. Ralnnski et J. Nageotte)

LIÉ111ASYNERGIE, LATÉROPULSION ET MYOSIS BULBAIRES 503

Au-dessous des foyers, dans la région de la substance'réticulée qui avoi-

sine le ruban de Reil et le faisceau longitudinal postérieur, on aperçoitdes

faisceaux longitudinaux dégénérés qui cheminent entre les fibres de l'hy-

poglosse. Au-dessous des olives ces fibres sont séparées du ruban de Reil 1

parle corps juxtaolivaire interne; elles s'appliquent sur la corne anté-

rieure qu'elles coiffent. Plus bas elles sont séparées du faisceau pyrami-

dal direct par une mince ligne pâle (PI. LV, fig. H), puis cette ligne de

démarcation disparaît; elles descendent dans la moelle en s'écartant un

peu de la corne antérieure et forment une virgule dont la tête s'adosse au

faisceau pyramidal direct en touchant à la périphérie de la moelle, et dont

la queue se perd dans l'épaisseur du faisceau antéro-latéral, en dedans de

la place du faisceau de Gowers. Ces fibres diminuent rapidement de nombre

dans la région cervicale, mais nous avons pu les suivre jusque dans la ré-

gion sacrée. Le faisceau répond à la description du faisceau cérébelleux des-

cendant qui, suivant les auteurs, proviendrait en partie du cervelet, en par-

tie du noyau de Deiters. Nos figures reproduisent, en particulier, très exac-

tement le trajet bulbaire et spinal indiqué et figuré par Thomas chez le

chien.Mais il est vraisemblable que, dans notre cas, aux fibres descendantes

du noyau de Deiters se surajoutent des fibres d'origines diverses et en

particulier des fibres du faisceau longitudinal postérieur atteintes par le

foyer F2.

Au-dessus des foyers on trouve des faisceaux dégénérés, en moins grand

nombre, épars dans la substance réticulée et siégeant sur les côtés de la

portion postérieure de la formation réticulée blanche, comme ceux

que nous venons de décrire au-dessous du foyer F2. Un certain nom-

bre de ces fibres se recourbent dans la portion postérieure de la substance

réticulée grise pour pénétrer dans le noyau de Deiters où elles s'arrêtent.

Ces fibres sont évidemment les mêmes que celles que Probst a vues chez

des animaux et qu'il a décrites comme des fibres ascendantes venant de la

moelle et destinées au noyau de Deiters. On doit se demander ces fibres

ne représenteraient pas plutôt une dégénérescence ascendante du faisceau

descendant que nous venons de décrire, comparable à la dégénérescence

centripète que nous avons admise pour le ruban de Reil (PI. LVII, LVIII,

fig. N, 0, P, Q).

Il existe en outre d'autres fibres dégénérées qui remontent jusque dans

les régions supérieures de la calotte. Ce sont : 1° des fibres éparses dans

toute l'étendue de la substance réticulée grise ; 2° des fibres groupées en

fascicules plus denses qui siègent dans la formation réticulée blanche,

formant un trait d'union entre le faisceau longitudinal postérieur et le ru-

ban de Reil, sans qu'on puisse établir de limite nette entre ces différentes

formations. Dans la partie supérieure du bulbe, les fascicules dégénérés

5D'i Il 13BABINSKI ET NAGEOTTE

sont écartés du raphé médian par l'apparition d'un faisceau longitudinal

non dégénéré, qui va en se renforçant jusqu'au noyau central supérieur

de la calotte, dans lequel il semble se perdre. Dans la protubérance toutes.

ces fibres dégénérées éparses forment par leur ensemble un triangle dont

la base s'adosse au ruban de Reil et au noyau réticulé ; le côté interne ré-

pond à ce faisceau médian non dégénéré que nous venons d'indiquer, plus

haut à la portion interne du noyau central supérieur qui prend sa place ;

le côté externe est limité par le faisceau central de la calotte. Dans l'aire

ainsi délimitée les fibres dégénérées sont assez nombreuses en bas ; elles

diminuent de nombre à mesure que l'on remonte et disparaissent avec la

calotte.

Le faisceau longitudinal postérieur gauche présente au-dessous du

foyer F2 une dégénérescence intense; mais comme ses fibres se mélangent

bientôt à celles du ruban de Reil, nous n'avons pas pu savoir ce qu'elles

deviennent par en bas. En haut il existe un petit nombre de fibres dégé-

nérées dans le faisceau ; par analogie avec ce qui se passe dans le ruban de

Reil, on peut supposer que ces fibres représentent une dégénérescence

centripète qui s'étend jusqu'à l'extrémité supérieure du faisceau, sur la

face interne du noyau rouge (PI. LVI, fig. J, K, L).

Enfin nous arrivons à la dégénérescence des fibres olivaires, que nous

avons pu suivre dans toute leur étendue jusqu'à leur terminaison. Les

fibres émanant des deux olives bulbaires, sectionnées en grand nombre

par un foyer unique, comme nous l'avons dit, forment par leur dégénéres-

cence des boules beaucoup plus petites que les fibres des autres faisceaux.

Elles constituent d'abord les fibres pré-,inter-et rétrotrigéminales, puis

vont se grouper à la partie profonde des corps restiformes, avec lesquels

elles pénètrent dans le cervelet. Bientôt elles traversent en réseau les corps

restiformes et vont se grouper dans leur angle postérieur (Pl. LVI, LVII,

fig. L, M, N, 0).

Elles montent ainsi jusqu'à la partie supérieure du corps ciliaire et se

recourbent pour descendre entre l'embolus et l'olive, ainsi qu'à la face

interne de la moitié postérieure de l'olive où elles prennent part au plexus

intraciliaire. Un certain nombre d'entre elles se dirigent directement dans

la toison pendant leur trajet ascendant. Ces fibres se terminent dans l'em-

bolus et l'olive cérébelleuse, et ne se rendent pas à l'écorce comme on l'avait

supposé. A la dénomination de fibres olivo-cérébelleuses, il convient donc

de substituer celle d'olivo-ciliaires qui indique leur origine dans l'olive

bulbaire et leur terminaison dans le corps ciliaire du côté opposé

(PI. LV11,, LVIII, fig. 0, P. Q).

Après un grand nombre d'hypothèses émises par les différents auteurs

sur le trajet des cylindraxes des cellules olivaires et sur la direction des

llÉlIA5YNGIiGIC LATÉROPULSION ET MYOSIS BULBAIRES 505

libres qui relient les olives au cervelet, Cajal a reconnu que les fibres pré-,

inter-et rétrotrigéll11nales représentent la voie efférente croisée des olives

vers le cervelet, sans pouvoir suivre les fibres dans leur trajet ultérieur.

Bechterew, d'autre paît, a suivi ces fibres par la méthode du déve-

, loppement et a reconnu leurs connexions avec le corps dentelé; mais il

n'est pas fixé sur leur direction et il en fait provenir une partie direc-

tement de l'écorce du cervelet. Nous croyons être les premiers à montrer

par la méthode de Marchi le trajet, la direction et la terminaison des

fibres olivo-ciliaires.

En résumé, un homme de 50 ans, syphilitique depuis l'âge de 30 ans,

est pris brusquement, en pleine santé, d'accidents nerveux graves :

hémiasynergie du membre inférieur gauche, latéropulsion vers la gau-

che, tremblement léger des membres supérieurs, hémiplégie légère et

hémianesthésie droites, difficulté de la déglutition, et léger rétrécissement

de la pupille gauche. Douze jours après le début des accidents, le malade

meurt et l'autopsie permet de constater la présence de lésions syphiliti-

ques artérielles et méningées diffuses, avec ramollissements multiples

localisés dans la moitié gauche du bulbe.

De cette observation complexe nous tirerons d'abord quelques déduc-

tions relativement au mode de développement des affections syphilitiques

du système nerveux, puis nous chercherons à établir les rapports qui

existent entre les symptômes observés et les localisations constatées par

l'examen anatomique.

Pour ce qui concerne le premier point, notre observation est précieuse

parce que le malade est mort très peu de temps après l'apparition des

troubles cliniques. Or il existe des lésions déjà anciennes, généralisées à

toute l'étendue des méninges cérébro-spinales, qui ont évolué pendant

une période latente, sans donner naissance à des symptômes appréciables,

ou au moins sans que le malade s'en soit aperçu.

La présence des lésions méningées généralisées nous paraît être la règle

dans la syphilis nerveuse en voie d'évolution, quelle qu'en soit la forme,

qu'il s'agisse de tabes, de paralysie générale ou de lésions conglomérées

du cerveau et de la moelle. Ces lésions constituent, en quelque sorte, les

fondations sur lesquelles s'élèvent ensuite les lésions caractéristiques de

chacune des formes de la syphilis du système nerveux. Les récents travaux

accomplis à la suite do la découverte de Widal sur la cytologie du liquide

céphalo-rachidien sont venus confirmer les faits que l'anatomie pathologi-

que avait déjà précédemment permis de constater. De plus, l'examen du

liquide extrait par la ponction lombaire a montré que la lymphocytose,

xv 33

506 BABINSKI ET NAGEOTTE

qui décèle la méningite, est extrêmement précoce, qu'elle accompagne les

tout premiers symptômes de la syphilis nerveuse, qu'elle peut même en

être la seule manifestation, et que, par conséquent, la méningite paraît

être le premier stade des lésions du système nerveux, qui dérivent de la

syphilis. L'observation que nous rapportons vient à l'appui de cette ma-

nière de voir ; en effet les altérations des méninges sont anciennes, comme

nous l'avons dit, l'artérite du tronc basilaire est manifestement spécifique,

et la méningite présente des lésions vasculaires caractéristiques de la

syphilis. C'est une méningite syphilitique.

La méningite syphilitique a des analogies avec la méningite tubercu-

leuse au point de vue histologique ; ce qui les différencie, c'est que dans

la première les infiltrations cellulaires sont plus discrètes et qu'elles ne

présentent pas de caséification vraie comme dans la tuberculose; elles

subissent seulement une mortification quand l'irrigation sanguine devient

insuffisante ; il faut néanmoins reconnaître qu'il y a une grande ressem-

blance entre les deux processus, et que, pour distinguer ces deux ordres

de lésions, il est nécessaire de les envisager dans leur ensemble.

Dans notre cas, les lésions artérielles diffuses ont déterminé, dans le

bulbe, la formation de foyers de mortification dont dépendent exclusive-

ment les troubles cliniques qui ont été observés, et c'est au mode spécial

de localisation de ces foyers que sont dues les particularités symptomati-

ques. Nous allons essayer de superposer dans la mesure du possible les

symptômes et les lésions.

Sans revenir sur les différents détails anatomiques qui ont été discutés

au sur et à mesure de leur description, nous rappellerons qu'il existe :

9° une interruption de la voie olivo-ciliaire des deux côtés; les cellules

des olives inférieures du bulbe ne sont plus en connexion par leurs

cylindraxes avec les cellules des olives cérébelleuses et des embolus ;

2° une interruption de la voie descendante qui relie le noyau de Deiters

gauche (et peut-être le cervelet gauche) avec la partie gauche de l'axe

médullaire; s'il existe une voie ascendante de la moelle au noyau de

Deiters (Probst), cette voie est également sectionnée ; 3° une interrup-

tion d'une partie des fibres du ruban de Reil ; 4° une interruption des

voies ascendantes latérales de la moelle (faisceau de Gowers) avec conser-

vation probable du faisceau cérébelleux direct ; 5° une lésion du fais-

ceau longitudinal postérieur gauche avec dégénération descendante ;

60 une destruction des nerfs mixtes gauches sur une certaine étendue ;

7° une lésion légère de la pyramide gauche.

Ces deux dernières lésions expliquent la gêne de la déglutition et l'hé-

miparésie droite.

HÉM)ASYNEnG)R, LATÉIIOI'FJLS101; ET MYOSIS BULBAIRES ri07

Au point de vue de la sensibilité, la disposition anatomo-patlrologique

nous paraît s'adapter aux particularités cliniques.

Nous avons déjà indiqué précédemment'comment on pouvait compren-

dre, selon nous, la prédominance de l'anesthésie au membre inférieur ; elle

peut être attribuée à ce que les altérations du ruban de Reil sont surtout

intenses dans la partie postérieure de la couche interolivaire où siègent

les fibres nerveuses provenant du noyau grêle auquel aboutissent les

fihres longues des racines postérieures des membres inférieurs.

Si à la face l'anesthésie est bilatérale, c'est sans doute parce que le

foyer F2 sectionne à la fois des fibres du ruban de Reil déjà entre-croi-

sées et des fibres qui ne le sont pas encore ; ajoutons à cela que le noyau

du trijumeau gauche ainsi que la portion descendante sont un peu

entamés.

La présence d'altérations dans les deux voies sensitives bulbaires, la

voie médiane et la voie latérale, cadre bien avec ce fait clinique que la

sensibilité était atteinte dans presque tous ses modes, le tact, la tempéra-

ture et la douleur. Mais il nous est impossible de déterminer ici la part

qui revient à la lésion de chacune des voies sensitives dans la genèse des

troubles de sensibilité.

Dans deux autres cas, sans contrôle anatomique, que nous avons relatés

dans notre communication antérieure, une lésion bulbaire avait déterminé

une dissociation remarquable de la sensibilité, analogue à celle que l'on

observe dans la syringomyélie : perte de la sensibilité à la douleur et à la

température avec conservation du tact et de la notion de position. Nous

avons supposé que dans ces cas le ruban de Reil était respecté et que la

lésion siégeait exclusivement sur les voies sensitives latérales du bulbe;

les autres symptômes cadraient bien avec celte supposition.

Au cours des recherches bibliographiques que nous avons faites, nous

a\ons trouvé plusieurs observations analogues ; la plus nette est celle de

Hun (N.-Y. llled. J., 1897),qui concerne un homme atteint d'analgésie et

d'anesthésie à la température de toute la moitié gauche du corps, avec

conservation du tact : il existait une vaste lésion sur les parties latérales du

bulbe avec conservation du ruban de Reil. Dans ce cas, il existait en ou-

tre, du côté de la lésion, une perte du sens musculaire que l'auteur met

sur le compte de la lésion du faisceau cérébelleux direct. L'observation de

Hun ainsi que les nôtres viendraientà l'appui de l'opinion de Van Gehuch-

ten qui considère ce faisceau comme destiné au passage des impressions

tactiles, tandis que les fibres ascendantes de la région latérale transmet-

traient les sensations de douleurs et de température. Mais ce n'est là en-

core qu'une hypothèse discutable, à laquelle on pourrait faire des objec-

tions, et la seule conclusion ferme qu'il soit permis de tirer des faits obser-

508 BABINSlil ET NAGEOTTE

vés jusqu'à présent est la suivante : une lésion bulbaire peut donner lieu à

une dissociation des divers modes de la sensibilité identique la dissocia-

tion syringomyélique.

Dans notre cas, il existait un rétrécissement de la pupille gauche. C'est

là un phénomène que nous avons rencontré à plusieurs reprises dans des

lésions unilatérales du bulbe et que' nous avons relevé dans plusieurs

des observations publiées. On peut également constater une rétropulsion

du globe oculaire avec rétrécissement de la fente palpébrale ; en un mot

les lésions bulbaires peuvent amener un syndrome oculo-pupillaire à peu

près identique à celui que l'on observe dans les lésions du sympathique

cervical. Toutefois ces troubles paraissent être moins accentués que lorsque

le sympathique est sectionné. Nous nous étions demandé un moment si

ces faits ne permettaient pas de supposer l'absence d'un centre ciliaire

dans la moelle ; mais comme il n'existe pas de fibres dégénérées dans les

racines antérieures médullaires au niveau de la région dorsale supérieure,

nous sommes amenés à conclure que les fibres donl l'interruption cause

les symptômes en question ne vont pas directement au sympathique et

que, par conséquent il existe bien un centre médullaire interposé.

On doit donc admettre avec Salkowski et François Franck que le cen-

tre cilio-spinal existe, mais ce n'est qu'un centre secondaire subordonné à

un centre irido-dilatateur situé dans le bulbe. Laborde (cité par François

Franck dans l'article Grand sympathique du dictionnaire Dechambre) dé-

clare avoir observé des phénomènes pupillaires unilatéraux dans les hé-

misections de la moelle cervicale. Nous-mêmes avons vu un myosis unila-

téral avec rétropulsion de l'oeil et diminution de la fente palpébrale chez

des chiens après hémisection de la moelle au-dessous du bulbe. Chez

deux lapins, qui ont survécu, nous avons constaté les mêmes phénomènes

après une simple piqûre latérale du bulbe ou de la moelle cervicale supé-

rieure ; mais dans ces deux cas les phénomènes se sont atténués progres-

sivement et ont disparu au bout de quelques jours.

Quelles sont les fibres descendantes qui.établissent la communication

entre le centre irido-dilatateur supérieur et le centre cilio-spinal ? On

peut supposer avec quelque vraisemblance que ces fibres passent par le

faisceau longitudinal postérieur, qui a de nombreuses connexions avec les

noyaux des nerfs moteurs de l'oeil. Dans l'observation de S. Gee et

II. IL Tooth (Brain, 1898), qui concerne un cas d'hémorrhagie de la

protubérance, il est noté que les pupilles sont en myosis, la droite plus

petite que la gauche; or les faisceaux longitudinaux postérieurs sont

atteints, le droit plus que le gauche. Au contraire dans l'observation detlun,

déjà citée, les pupilles étaient égales et les faisceaux en question intacts.

Quel que soit leur lieu de passage, ces fibres s'arrêtent dans la moelle ;

HÉMIASYNERGIE, LATÉROPULS10N ET MYOSIS BULBAIRES 509

on n'en trouve aucune trace dans les racines antérieures des régions cer-

vicales inférieure et dorsale supérieure, en particulier dans la 1 ra dorsale.

Il nous reste maintenant à nous occuper des symptômes cérébelleux

proprement dits : sensations vertigineuses, nystagmus, latéropulsion vers

le côté lésé, tremblement des membres supérieurs, hémiasynergie du

membre inférieur du côté lésé. Ces symptômes, qui sont associés dans un

grand nombre de cas de lésion du cervelet ou de la protubérance, sont

sans doute reliés entre eux par des rapports physiologiques intimes, mais

qu'il est difficile de préciser dans l'état actuel de nos connaissances. Il

n'entre pas dans notre plan de pousser plus loin l'étude du vertige, qui

est un phénomène complexe et encore obscur, ni de décrire à nouveau le

symptôme asynergie, pour l'étude clinique duquel nous renvoyons aux

travaux antérieurs de l'un de nous. Nous devons toutefois insister sur ce

point que dans l'asynergie il n'existe pas le plus petit trouble de la notion

de position ; le malade reconnaît immédiatement le sens et l'étendue des

plus petits mouvements imprimés à ses membres ; il reproduit fidèlement

les yeux fermés, avec ses membres sains, les mouvements imprimés à ses

membres asynergiques. Aussi l'occlusion des yeux ne modifie-t-elle en

rien ce trouble ; que le malade ait les yeux fermés ou les yeux ouverts,

son asynergie ne varie pas. C'est là un caractère essentiel qui différencie

nettement l'asynergie de l'ataxie tabétique. Dans l'observation de Hun, il

est vrai, l'auteur a noté la perte du sens musculaire et l'exagération de

l' « ataxie » par l'occlusion des yeux; mais dans ce cas les lésions étaient

beaucoup plus étendues que dans le nôtre ; elles englobaient en particu-

lier le faisceau cérébelleux direct et les corps restiformes et il existait

un foyer dans le cervelet au niveau du corps dentelé, de telle sorte que

l'on peut supposer que les troubles moteurs observés n'étaient pas de

l'asynergie pure.

Nous ferons aussi remarquer l'importance de la latéropulsion pour le

diagnostic des lésions de cette région ; nous avons eu plusieurs fois

l'occasion d'observer ce symptôme que nous avons également relevé dans

plusieurs observations, mais qui ne nous parait pas avoir été mis suffi-

samment en valeur par les auteurs qui se sont occupés de la question.

C'est pourtant un symptôme très saillant qui attire l'attention dès le pre-

mier abord et qui met immédiatement sur la voie du diagnostic.

Pour expliquer ces différents symptômes nous avons la lésion de trois

appareils fort importants : 1° la lésion bilatérale des faisceaux olivo-

ciliaires ; 2° la lésion unilatérale du faisceau qui met en rapport le noyau

de Deiters avec la moelle ; 3' l'interruption de la .voie centripète consti-

tuée par le faisceau de» Gowers. C'est bien évidemment dans ces trois

lésions qu'il faut chercher la cause des symptômes cérébelleux; mais il

510 BABINSKI ET NAGEOTTE

n'est guère possible d'aller plus loin. L'appareil olivaire joue sans doute

un grand rôle dans le fonctionnement du cervelet ; Cajal a fait remarquer

que les cellules des olives bulbaires comptent parmi les plus compliquées

de l'économie ; déplus on voit leur complexité augmenter progressivement

à mesure que l'on monte dans l'échelle animale pour arriver à l'homme

qui a les olives plus perfectionnées qu'aucun autre animal ; on doit donc

s'attendre à ce que leur altération amène des troubles importants. Quels

sont-ils ? Dans notre cas, les systèmes olivaires droit et gauche sont atteints

d'une façon sensiblement égale ; néanmoins il faut remarquer que l'olive

gauche seule est atteinte dans sa substance. Faut-il attribuer à cette lésion

le tremblement intentionnel des membres supérieurs ?

Le noyau de Deiters dont le faisceau efférent vers la moelle est sec-

lionné, semble jouer un grand rôle dans les troubles observés. Ses rela-

tions intimes avec le nerf vestibulaire suffiraient déjà à le désigner comme

un des organes importants de l'équilibre; Bruce (Brit. med. J., 1899) a

constaté que sa destruction entraine la chute sur le côté et des mouve-

ments d'oscillation des yeux. Il semble donc qu'on peut attribuer avec

quelque vraisemblance à la lésion du faisceau de Marchi, ou faisceau

cérébelleux descendant, la latéropulsion et le nystagmus. Intervient-elle

en outre dans la genèse de l'asynergie proprement dite ? C'est probable,

puisque dans notre cas, où l'asynergie était presque limitée à un côté,

c'est en réalité, avec la lésion du faisceau de Gowers, la seule lésion

unilatérale que nous ayons constatée dans le domaine des fibres cérébel-

leuses. Quant au faisceau de Gowers, faisceau centripète, il est possible

que son altération ait contribué à provoquer la perturbation de la synergie

musculaire, mais ce n'est qu'une hypothèse.

En somme, si nos observations ne nous donnent pas la solution défini-

tive des questions que nous nous sommes posées, elles nous conduisent à

une certaine approximation et elles limitent le champ des recherches. C'est

par le rapprochement de faits anatomo-cliniques plus ou moins analogues,

différant les uns des autres par quelques particularités, que l'on arrivera

à déterminer le rôle joué par les divers systèmes de fibres nerveuses

bulbaires dans la transmission des divers modes de sensations, dans les

fonctions de l'équilibre et de la synergie musculaire.

EXPLICATION DES PLANCHES -

HÉMIASYNERGIE, LATÉROPULSION ET MYOSIS BULBAIRES 511

512 BABINSKI ET NAGEOTTE

RL. Ruban de Reil latéral.

RM. Ruban de Reil médian.

T. Pilier antérieur du trigone.

Tr. Trapèze.

V. N. trijumeau.

VII. N. facial.

VIII. N. acoustique.

X. N. pneumogastrique.

XII. N. hypoglosse.

LES LÉSIONS HISTOLOGIQUES DE L'ÉCORCE

DANS LES ATROPHIES DU CERVELET.

M. LANNOIS ET J. PAVIOT

Agrégés, médecins des hôpitaux de Lyon.

TI 1 ...

11 y a un peu puis U un a115 ualib une cuumuutucnvutt préliminaire a la

Société des Sciences médicales de Lyon (i), nous avons démontré que dans

5o<; ! ete M SctCM metca/M (/e L</o ? t (<), nous avons démontré que dans

certains cas d'atrophie du cervelet on pouvait voir disparaître les cellules

de Purkinje et la couche des grains, tandis que se montrait une couche

nouvelle n'ayant pas encore attiré l'attention des histologistes.

Quelle était la nature de cette couche nouvelle, ou plutôt non encore

décrite, de cellules cérébelleuses ? Il nous parut tout d'abord qu'il s'agis-

sait bien de cellules nerveuses et non de cellules névrogliques.

Nous basant ensuite sur le fait que ces cellules apparaissent déjà sur

un cervelet normal, à la limite des couches moléculaire et granuleuse,

autour des cellules de Purkinje, nous avons cru pouvoir les identifier

avec les grandes cellules étoilées bien décrites par Ramon y Cajal, Golgi,

Bechterew, et que Déjerine désigne sous le nom de grandes cellules du

type II de Golgi.

Depuis cette époque, nous avons continué nos recherches. Nos premiè-

res constatations avaient d'abord porté sur un cas d'atrophie cérébelleuse

ayant donné lieu à la production d'un pseudo-kyste au niveau du vermis

inférieur, puis sur un cas d'hémiatrophie du cervelet que nous avions

déjà publié antérieurement. Nous avons pu ensuite examiner deux cas

mis très obligeamment à notre disposition par NI.le professeur Pierret.Enfin

en dernier lieu nous avons pu retrouver la lésion qui nous occupe sur l'é-

corce du cervelet dans un cas de sclérose cérébrale infantile avec atrophie

de l'hémisphère cérébelleux opposé.

Voici d'abord nos observations :

(i) L\NNOIS et PAVIOT, De la mise en évidence, par l'atrophie dite parenchymalevse,

du cervelet d'une couche cellulaire innommée de la corlicalilé cérébelleuse (Soc. des

Sciences méd., 19 juin 1901, et Lyon médical, 4 août 1901).

514 LANNOIS ET PAVIOT

Observation 1

Syndrome cérébelleux' avec asynergie musculaire du tronc et des membres.

- At1'ophie du cervelet apparemment limitée à la base. - Formation

d'un pseudo-kyste sous-cérébelleux. - Méningite chronique diffuse (1).

Maxime V..., 3 ans 1/2. C'est un enfant assisté et nous ne pouvons avoir

aucun renseignement sur ses antécédents héréditaires ou personnels. On sait

seulement que la mère, qui accoucha la Charité, ne présentait pas de spécifi-

cité ; la grossesse et l'accouchement furent normaux.

L'enfant est amené de l'Ardèche où il était placé et on nous dit qu'il a du

tremblement depuis l'âge de deux ans, sans pouvoir nous donner de détails

plus précis.

A son entrée, l'enfant présentait les phénomènes suivants :

Dans la station verticale, possible seulement avec appui, écartement marqué

des membres inférieurs pour accroître la base de sustentation, tremblement

généralisé de tout le corps exagéré par les émotions et les mouvements volon-

taires. Il a des oscillations latérales de grande amplitude et, lorsqu'il veut pren-

dre un objet, une grande incertitude des membres supérieurs. La marche est

impossible sans soutien ; la démarche est ébrieuse, les jambes fortement écar-

tées, le talon frappant le sol, le pied se relevant brusquement à chaque pas.

Lorsque l'enfant est à terre et qu'on lui dit de se relever il se met à quatre

pattes, étend fortement les membres inférieurs et grimpe le long de ses cuisses

comme un myopathique. Si on lui dit de s'asseoir seulement, il présente au

maximum le phénomène décrit par Bahinski : les membres inférieurs en ex-

tension s'élèvent d'abord à 30 ou 40 centimètres au-dessus du plan horizontal ;

à ce moment le tronc se soulève à son tour formant un angle avec les cuisses.

Enfin les membres inférieurs retombent sur le plan du lit et le tronc devient t

vertical.

La force musculaire est conservée. Pas de troubles trophiques. Sensibilité

intacte. Pas de troubles sphinctériens.

Les réflexes rotuliens sont très exagérés. Légère trépidation épileptoïde. Pas

de contracture.

L'enfant reste habituellement assis dans une chaise et au moindre mouve-

ment présente les oscillations latérales décrites plus haut en même temps que

s'exagèrent des secousses nystagmiformes qu'on fait apparaître facilement. Il

y a du strabisme divergent, avec tendance des yeux il se porter en haut.

La vue parait normale, ainsi que l'audition.

La parole est saccadée, explosive, lente, les syllabes séparées par de longs

intervalles.

(1) Ce petit malade a été présenté à la Société des sciences médicales de Lyon (7 fé-

vrier 1900) par M. Lévy, interne des hôpitaux, comme un bel exemple d'asynergie

cérébelleuse. Les pièces anatomiques ont été présentées à la même société (30 janv.

1901), par M. V)AL, interne des hôpitaux.

LÉSIONS HISTOLOGIQUES DE L'ÉCORCE DU CERVELET 515

L'intelligence parait peu développée, mais l'enfant n'est pas un idiot : il

comprend bien ce qu'on lui dit et répond correctement. Il est propre.

L'enfant resta ainsi dans le service pendant dix-huit mois et mourut de

broncho-pneumonie le 23 janvier 1901.

A l'autopsie, en dehors des lésions de broncho-pneumonie localisées aux

deux lobes inférieurs, il n'y avait rien d'important en dehors du système

nerveux.

A l'ouverture de la dure-mère on constate qu'il s'écoule une quantité de

liquide céphalo-rachidien plus considérable qu'à l'état normal, que les vaisseaux

sont fortement dilatés et injectés.

Il existe une lepto-méningite généralisée : il est impossible de détacher la

pie-mère sans enlever avec elle une partie de l'écorce sous-jacente. Les faces

internes des hémisphères sont adhérentes, ne laissant voir que le tiers posté-

rieur du corps calleux : il est d'ailleurs relativement facile de les séparer.

En arrière du chiasma il existe une petite plaque qui paraît surtout formée

par de la substance grise et englobant les bandelettes optiques et la troisième

paire ; les autres nerfs de la base sont intacts. La méningite chronique est plus

marquée à la base du cerveau que sur la surface externe des hémisphères.

Sur le cervelet, on trouve les mêmes lésions de lepto-méningite. Sous le

cervelet, entre sa face inférieure et la face supérieure de la protubérance et du

bulbe, il s'est formé une poche sous-arachnoïdienne, en forme de prisme trian-

gulaire qui contient environ 60 à 80 grammes d'un liquide clair, citrin, de con-

sistance un peu plus sirupeuse que le liquide céphalo-rachidien.

A ce niveau le cervelet est fortement tassé dans le sens horizontal : le vermis

inférieur est aplati et diminué dans toutes ses dimensions ; la face inférieure

des hémisphères est plane dans sa partie antéro-externe, fortement excavée

dans la partie postéro-interne. Les lésions sont assez nettement symétriques,

j16 LANNOIS ET PAVIOT

légèrement plus étendues à droite. Les lamelles sont aplaties et ont pris un as-

pect décoloré et jaunâtre qui contraste avec l'aspect normal du reste des hémis-

phères cérébelleux et du vermis supérieur. Dans toute la partie atrophiée la

consistance est dure au toucher et manifestement sclérosée.

La protubérance, le bulbe et la moelle, en dehors d'une légère diminution de

volume ne présentent pas de lésions visibles à l'oeil nu.

Examen HISTOLOGIQUE. Deux fragments du cervelet sont soumis à l'examen

histologique, l'un'prélevé 'au niveau du vermis, l'autre au milieu de l'un des

hémisphères.

Vermis (inclusion à la celloïdine, coloration par la méthode de Nissl).

Les circonvolutions sont grêles d'une façon très apparente : la couche molé-

culaire comparée à celle d'un cervelet normal est réduite au moins de moitié.

A un faible grossissement, la couche des grains présente une diminution nota-

ble du nombre de ses cellules ; tandis qu'à l'état normal celles-ci constituent

une large bande bleue granuleuse, on ne trouve plus qu'une couche de grains,

encore confluents, il est vrai, mais non plus superposés.

Aux extrémités des festons cérébelleux on ne voit plus cette fusion des cou-

ches granuleuses des deux faces qui donne normalement l'aspect d'un gros ren-

flement en massue; la couche granuleuse se continue sous forme d'un ruban

beaucoup moins coloré et se contourne à son extrémité sous forme de renfle-

ment avec le ruban du côté opposé. Ces altérations se présentent avec le même

aspect et la même intensité sur tous les festons et sur toutes les coupes.

Une autre altération frappe de suite : les cellules de Purkinje ont disparu

totalement et partout. Au niveau de la place qu'elles devraient occuper, c'est-

à-dire bordant en dehors la couche des grains, mais très nettement séparée

d'elle, on trouve une couche régulière de cellules ovales, pâles, dont le noyau

a son grand axe dirigé perpendiculairement à l'axe de la circonvolution. Cette

couche particulière ou du moins particulièrement visible dans ce cas, comporte

de 5 à 10 de ces cellules ovales : très confluentes au milieu, elles vont en se

raréfiant soit vers la zone moléculaire, soit vers la zone des grains.

A un fort grossissement, on ne distingue nettement que les noyaux de ces

cellules : ils sont ovales, d'un bleu pâle et granuleux, munis de 1 à 2 nu-

cléoles très vigoureusement colorés en bleu. On ne voit pas de protoplasma.

La zone médullaire des lamelles cérébelleuses offre des signes nets d'augmen-

tation des grains névrogliques qui, outre leur nombre, changent un peu d'as-

pect, en ce sens que les noyaux des cellules sont plus colorés. De plus, on voit

souvent les grains s'accumuler en files de chaque côté des capillaires delà

substance médullaire.

Fragment de l'un des hémisphères cérébelleux. - Ce fragment avait été

prélevé sur un point qui ne paraissait pas comprimé par le pseudo-kyste et

dans le but de faire une comparaison avec l'état normal.

Or, nous retrouvons là exactement les mêmes lésions, quoique à un degré

moindre, sauf pour l'augmentation très nette des grains névrogliques de la

substance médullaire. Même disparition totale et absolue des cellules de Pur-

kinje ; même réduction de la couche moléculaire ; même raréfaction de la

LÉSIONS 1JISTOLOGIQU¡';S DE l'ÉCORCE DU CERVELET 517 "à

couche des grains ; enfin même isolement, en dehors de la couche des grains,

de cette couche de cellules ovales à noyau pâle et à 1 ou 2 nucléoles.

Sur les deux séries de. coupes nous notons une intégrité très évidente de

l'endartère des artérioles. La pie-mère sur les deux coupes, mais surtout sur

celle du vermis, présente une augmentation du nombre des cellules fixes :

il y a des cellules à noyau rond assez nombreuses, les capillaires sont gorgés

de sang. Par comparaison avec un cervelet sain, la pie-mère est nettement

augmentée d'épaisseur.

Corticalité cérébrale (prélevée dans la région motrice), recueillie dans l'al-

cool. - Coloration soit au Nissl, soit à la safranine, des coupes obtenues après

inclusion il la celloïdine.

Le premier fait qui frappe est un fort épaississement de la pie-mère. Et il

ne s'agit pas là d'un processus récent et aigu, mais de la transformation de la

pie-mère en un feutrage fibrillaire et serré enfermant dans ses mailles de nom-

breuses cellules fixes; ces cellules fixes n'offrent pas cependant de noyaux en

bâtonnets ou en croissants grêles comme dans un tissu fibreux très ancien,

mais ils ont des formes ovales et surtout sont disséminés d'une façon diffuse

comme dans les inflammations subaiguës ou lentes.

D'ailleurs, sur une même coupe, cette pie-mère fibrillaire et feutrée n'offre

pas partout le même épaississement, il y a des points ou petites plaques, où

celui-ci est plus marqué.

Les prolongements de la pie-mère entre les circonvolutions offrent aussi un

épaississement net et la transformation en ce même tissu feutré.

Les veines, quand la coupe en comporte, sont gorgées de sang, mais elles

n'offrent ni endo-, ni périphlébite.

Les artères de la pie-mère n'offrent pas non plus d'inflammation pour leur

propre compte. Aussi les artérioles pénétrantes de la corticalité n'offrent pas

le moindre épaississement de leur adventice.

Pour la substance cérébrale sous-jacente, elle offre les signes d'une inflam-

mation diffuse et certainement subaiguë aussi, c'est-à-dire que l'on voit dissé-

minée partout, dans la zone des cellules et dans l'axe blanc des circonvolutions

une infiltration de noyaux, les uns ronds, les autres ovales, à chromatine plus

ou moins dense. Ces noyaux sont très régulièrement disséminés, n'offrant

aucune prédominance, aucune confluence ni périvasculaire, ni péricellulaire.

Mais leur nombre est tel qu'à un faible grossissement, ils obscurcissent la vue

des cellules nerveuses, surtout sur les coupes colorées à la safranine.

Pour les cellules nerveuses du cortex, au Nissl, elles se montrent en leurs

couches superposées classiques et non déformées, sans altération même chro-

matolytique; mais il nous est est impossible toutefois de rencontrer une seule

des grandes pyramidales ganglionnaires que nous devions voir cependant

dans la zone où le fragment a été prélevé. Toutefois, petites et grandes pyra-

midales, couche des polymorphes profondes sont parfaitement reconnaissables

à un fort grossissement au travers de l'infiltration de noyaux ronds ou ovales.

En somme, les signes histologiques d'une inflammation subaiguë de la pie-

mère et des couches superficielles du cortex sont évidents.

518 LANNOIS ET PAVIOT

Protubérance. Inclusion à la celloidine après passage dans les alcools

successifs, coloration soit au carmin ammoniacal, soit à la safranine.

Pas de lésion méningitique. Pas de lésion de l'épithélium épendymaire du

4° ventricule. L'organe fait sur les coupes l'impression d'être trop petit.

On est là aussi frappé d'une infiltration diffuse de noyaux ovales ou ronds,

beaucoup plus nombreux que les grains névrogliques normaux. De plus, cette

infiltration est surtout marquée dans la couche des fibres transversales du

pont et dans les ilots de cellules nerveuses des noyaux du pont. Et, par contre,

les noyaux ronds deviennent rares dans la substance nerveuse immédiatement

sous-jacente au plancher, et deviennent de plus en plus nombreux au sur et à

mesure que l'on s'avance de la partion dorsale vers la portion ventrale du pont

de varole.

Ces résultats sont constants sur les coupes qui. ont porté sur la moitié supé-

rieure de la protubérance comme sur celles de la moitié inférieure.

Les cellules nerveuses des noyaux du pont sont, par places au moins, net-

tement altérées, et ceci d'une façon non douteuse. En effet, quand on observe

à un fort grossissement une traînée cellulaire interposée aux fibres transver-

sales du pont, on voit manifestement à côté de cellules nerveuses à limites

nettes, à noyau bien serti, à protoplasma avec grains chromatophiles (bien

visibles même la safranine), d'autres cellules à contours flous, à noyau peu

visible, à protoplasma opaque et finement granuleux.

En somme, infiltration de noyaux dans la portion ventrale de la protubé-

rance prédominante entre les fibres transversales et au niveau des amas cellu-

laires nerveux, dits noyaux du pont; altération inégalement répartie des cel-

lules de ces noyaux, mais nette.

Bulbe. Recueilli dans l'alcool. Inclusion à la paraffine. Coloration au

Nissl et à la safranine.

On y remarque une infiltration diffuse de petites cellules rondes ou ovales ;

cependant immédiatement sous l'épendyme du 4° ventricule la substance ner-

veuse en offre très peu, et, par contre, ces petites cellules sont particulièrement

confluentes et abondantes dans les festons de l'olive bulbaire, dans tout l'espace

interolivaire et la moitié antérieure du raplié bulbaire, enfin le long des fibres

arciformes externes ; là elles font des lignes incurvées de petits grains, lignes

qui épousent la direction de l'incurvation des faisceaux de fibres.

En somme, c'est au niveau des systèmes de provenance ou à destination céré-

belleuse qu'on les voit surtout. Peut-être ne sont-elles d'ailleurs que les témoins

d'une dégénérescence que la façon dont les pièces ont été recueillies ne nous

permet pas de vérifier.

Les festons de l'olive présentent leurs cellules en aussi grand nombre que

d'habitude; leurs cellules ne semblent pas atrophiées d'une façon appréciable;

on peut même dire qu'au Nissl, méthode qui montre souvent plus qu'il n'y a,

leur constitution n'est pas sensiblement modifiée dans aucun de leurs éléments

onstitutifs.

Enfin pour être complet on doit ajouter que très fréquemment les artérioles

pénétrantes du bulbe, quelles que soient la hauteur et la zone considérées, présen-

LÉSIONS HISTOLOGIQUES DE L'ÉCORCE DU CERVELET 519

tent de la péri-vascularite subaiguë, sous forme d'un épaississement léger

fibrillaire assez riche en cellules à noyau rond ou ovale de leur tunique adven-

tice. Il ne s'agit pas de développement de la gaine lymphatique par des élé-

ments migrateurs ou embryonnaires, mais d'un feutrage fibrillaire peu épais

immédiatement appliqué en dehors de la double couche musculaire lisse de

l'artériole.

Nous eûmes alors l'idée d'étudier à ce point de vue un cervelet dont nous

avions publié antérieurement l'observation (1) et sur lequel nous avions

déjà noté une atrophie des folioles absolument semblable à celle que nous

trouvions dans ce cas, sans avoir cependant l'attention suffisamment atti-

rée du côté des lésions cellulaires que nous venions de rencontrer. Nous

résumerons tout d'abord cette intéressante observation.

Observation Il (résumée).

Epilepsie. Crises extrêmement fréquentes avec aura sensitive dans les

membres du côté gauche et conservation apparente de la conscience. -

Atrophie du lobe gauche du cervelet.

Le nommé Roc..., âgé de 21 ans, a des crises depuis l'âge de 9 ans. Celles-ci

sont extrêmement fréquentes. On en a compté de 400 à 625 par an. Elles sont

très courtes et le malade affirme qu'il ne perd pas connaissance, malgré la

chute et les mouvements toniques et cloniques.

Il n'a d'autre trouble somatique appréciable qu'une légère atrophie de la

cuisse gauche dont on se rend bien compte à la vue et au toucher (1 cm. 1/2

de différence). A 15 ans, à la suite d'une série de crises subintrantes il avait

présenté une hémiplégie gauche passagère qui avait laissé une très légère hési-

tation dans la marche et à laquelle fut attribuée cette atrophie.

Il avait une aura sensitive tantôt dans le bras, tantôt dans la jambe gauche.

A l'autopsie « on est immédiatement frappé par une atrophie considérable

du lobe gauche du cervelet qui est diminué de volume dans sa totalité et dont

la face inférieure est déformée comme si elle portait l'empreinte d'une exostose

ou d'une tumeur de la fosse cérébelleuse. Mais il n'existe rien d'anormal soit

du côté de l'occipital, soit du côté de la base du crâne. L'atrophie porte égale-

ment sur les pédoncules cérébelleux issus du lobe gauche. A la palpation le

lobe atrophié est beaucoup plus dur et plus résistant que le droit.

« Sur des coupes on voit cette sclérose porter surtout sur la substance grise,

la substance blanche étant relativement intacte : la substance grise forme une

sorte de petit feston mince, d'aspect sec, de coloration ocreuse qui se diffé-

rencie nettement de la coloration gris rosé, d'aspect gras et humide du côté

sain. On s'aperçoit cependant facilement que la substance grise n'est pas

(1) Lannois et PAVIOT, Sur un cas d'atrophie unilatérale du cervelet (Revue Neuro-

logique, oct. 1898).

520 LANNOIS ET PAVIOT

également atrophiée sur toute la circonférence du cervelet et qu'il y a de

petits points isolés où l'aspect normal est relativement conservé.

«... Pour les hémisphères cérébraux, le droit (du côté opposé à la lésion

cérébelleuse) est beaucoup moins volumineux que le gauche : la différence est

de 120 grammes au profit du gauche... ,

« Examen histologique du cervelet (méthode de Nissl) : .... à la partie

moyenne du lobe atrophié, altération intense. Dès l'examen à l'oeil nu et par

transparence, les coupes du fragment apparaissent considérablement décolo-

rées. Au microscope la couche moléculaire est diminuée des deux tiers de son

épaisseur et notablement pauvre en cellules.

« Pour la couche des grains, elle n'est plus marquée que par une légère

condensation des cellules qui y sout à peine plus nombreuses que dans la couche

moléculaire. Quelle que soit la coupe de ce fragment et quel que soit le point de

cette coupe, les grandes cellules de Purkinje ont complètement disparu...

« Dans la partie postérieure du lobe atrophié, la lésion est très intéressante

parce qu'elle est beaucoup moins marquée, moins totale que sur le fragment

précédent. L'atrophie de la couche moléculaire, la raréfaction de la cou-

che des grains, la disparition des cellules de Purkinje en sont toujours

les caractères dominants. Mais le fait intéressant est que cette lésion débute

constamment par la partie profonde"d-es folioles. C'est vers la nervure médul-

laire principale que les dentelures offrent la lésion et on peut souvent observer

deux, trois dentelures atrophiées à la base d'une foliole dont les den-

telures les plus périphériques sont encore intactes.

« On constate alors que dès que la couche des grains a subi la plus légère

réduction dans une dentelure, les cellules de Purkinje disparaissent totalement

à ce niveau. Elles disparaissent, ces grandes cellules, sans laisser une trace,

un vestige même léger du moins à la méthode de Nissl. On ne les voit plus

ou on les voit belles et avec tous leurs bras ; il n'est pas possible d'observer

des stades intermédiaires entre leur disparition et leur état normal...

« Aucune altération sur les coupes du vermis inférieur.

« Sur les coupes de l'amygdale du lobe atrophié, nous avons trouvé plu-

sieurs dentelures offrant les mêmes altérations atrophiques que la partie pos-

térieure du lobe atrophié... (1) »

Nous avons reproduit ici tout l'examen histologique de notre obser-

vation en ce qui concerne le cervelet, pour bien montrer que nous avions

bien vu la lésion caractéristique sur laquelle nous avons insisté dans

notre premier cas et que nous allons retrouver dans le troisième. Mais

nous ne l'avions pas interprété comme elle devait l'être : ce que nous avions

considéré comme une simple condensation de la couche des grains, c'était t

en réalité la disparition de cette couche, en même temps que des cellu-

(1) Nous renvoyons à l'observation primitive pour les figures et la suite de l'examen

histologique.

T. XV. PI LX

NOUVELLE ICONOORAPH1E OE LA SALP7R1ÈRE. e T. XV. Pl LUX

NOUVELLE Iconographie DE la SALPÉTR7ÈRE. T. XV. Pl LXI

LESIONS HISTOLOGIQUES DE L'ECORCE DANS Lmnvrmn DU z.=v· ?

(La/111ois et 'Paviol)

LÉSIONS UISTOLOGIQUES DE L'ÉCORCE DU CERVELET 521

les de Purkinje, qui mettait en évidence la couche nouvelle des gran-

des cellules étoilées.

C'est qu'en effet la lésion est ici à son maximum. Si l'on part d'un des

rares poinls où la substance grise est conservée, on voit brusquement,

comme nous l'avons dit, les cellules de Purkinje disparaître, la couche des

grains s'amoindrir pour disparaître à son tour, ne laissant plus que la

mince couche de cellules à caractères si tranchés que nous avons décrite.

C'est à l'extrémité d'une dentelure ou un peu avant que la modification se

fait. La couche se continue dès lors avec les mômes caractères le long de

toutes les dentelures de la partie sclérosée; elle est constituée par 5 à '10

de ces cellules à noyau ovale, à chromatine peu colorée, piqué d'un ou deux

nucléoles, à grand axe orienté du côté de la surface des lamelles cérébel-

leuses. La couche moléculaire est très réduite d'épaisseur et la couche des

grains n'est plus représentée que par de rares petits points bleus isolés.

Ces caractères sont d'ailleurs très évidents sur les photographies que

nous reproduisons ; nous les devons à M. A. Lumière que nous ne saurions

trop remercier ici de son inépuisable obligeance (Pl. LX et LXI).

Il s'agissait dans ces deux cas d'atrophie du cervelet que l'on pouvait t

à la rigueur dire primitive : dans le premier, la lésion qui paraissait

nettement limitée au vermis et aux parties médianes de la face inférieure

du cervelet était en réalité diffuse et étendue à toute la corticalité céré-

belleuse. Dans le second, l'atrophie avec sclérose était nettement limitée

à l'un des hémisphères. Nous désirions vivement nous rendre compte de

ce qui se passait dans le cas où l'atrophie parait nettement secondaire,

c'est-à-dire dans les cas de sclérose cérébrale infantile où l'on sait qu'il

se produit consécutivement une hémiatrophie croisée du cervelet.

Cette occasion nous a été récemment fournie par la mort, dans le ser-

vice de l'un de nous, d'une malade hospitalisée pour de l'épilepsie et qui

présentait une hémiplégie spasmodique infantile du côté droit. On veraa

que nous avons retrouvé dans le cervelet des lésions identiques à celles

que nous venons de décrire; leur description parait calquée sur les pré-

cédentes.

Observation III.

Hémiplégie spasmodique infantile droite. - Epilepsie. Sclérose

cérébrale de l'hémisphère gauche avec atrophie croisée du cervelet.

La nommée Philomène M..., 49 ans, est amenée pour la première fois à la

consultation des maladies nerveuses le 13 octobre 1898.

Son père est mort à 87 ans et sa mère à 80. On ne peut obtenir beaucoup

de renseignements car son état psychique est défectueux et la personne qui

l'accompagne et la soigne ne la connaît pas depuis longtemps. Elle aurait eu

yv v 34

522 LANNOIS et paviot

un frère mort d'affection inconnue. Une soeur s'est mariée ; elle a eu une fille

qui prenait des crises ( ? ) et est morte à 16 ans.

On n'a pas de renseignement sur sa naissance ; elle sait seulement qu'elle

aurait eu des convulsions à 15 mois lorsqu'elle était en nourrice. Depuis elle

a toujours pris des crises.

Celles-ci paraissent assez fréquentes : la soeur qui l'accompagne en a vu plu-

sieurs. Après une sensation de picotement qui débute par la main droite et

remonte le long du bras, la malade pousse un cri, tombe à terre n'importe où,

a des mouvements toniques, puis cloniques, etc. Elle revient lentement il elle,

est hébétée et dort. Elle se blesse souvent dans ses chutes.

Comme elle habite seule, il est difficile de savoir la fréquence des crises :

elle dit en prendre parfois plusieurs dans la même journée.

C'est une femme d'aspect vieilli qui présente une hémiplégie droite remon-

tant au début des premières crises, c'est-à-dire à l'âge de 15 mois. Elle

boite et fauche en marchant. Le bras droit est accolé au tronc, l'avant-bras

fléchi, les doigts et surtout l'index ayant aussi de la tendance à se mettre en

flexion.

. Presque tous les mouvements sont possibles, mais il y a une raideur ma-

nifeste dans les mouvements provoqués. Il existe aux deux membres inférieur

et supérieur droits, mais surtout au bras, un tremblement à oscillations peu

rapides et à grande amplitude que la malade ne peut maîtriser : pas de mou-

vements athétosiques.

Pas d'atrophie manifeste ni au bras ni à la jambe ; seulement le membre

supérieur droit présente une cyanose très apparente. Au dynamomètre, 10 il D.

et 20 à G.

Aucun trouble de la sensibilité.

Les réflexes tendineux des deux membres gauches sont très exagérés et ils

le sont aussi du côté sain quoique il un moindre degré. Trépidation épileptoïde

des deux côtés plus forte à droite.

A la face il n'y a pas d'asymétrie bien apparente : peut-être est-elle un peu

tirée à gauche ; les plis du front se font également des deux côtés.

La figure est sans expression, la malade est d'ailleurs peu intelligente ; elle

ne sait ni lire ni écrire, sa mémoire paraît défectueuse. Elle est incapable de

tout travail et vit seule dans une chambre de la charité publique.

Il n'y a rien aux viscères, rien dans les urines. Pas de troubles trophiques.

La voûte est légèrement en ogive avec un crâne petit, brachycéphale, d'un

indice de 85.3 avec un diamètre antéro-postérieur de 4G.4 et un diamètre

transverse de 14.

Deux ans plus tard, le 21 novembre 1900, elle entre aux Chazeaux dans

le même état. Elle dit toutefois qu'elle prend moins de crises qu'autrefois, ce

qu'elle attribue à la ménopause survenue il y a quelques mois : beaucoup de

crises sont réduites à l'aura, sensation de picotement dans le bras droit. L'in-

telligence a encore baissé : elle ne sait où elle est, ne peut dire son âge, etc.

Le 10 février 1901, elle devient brusquement délirante, se déshabille dans

LÉSIONS UISTOLOGIQUES DE L'ÉCORCE DU CERVELET 523 3

la salle, dit qu'elle a un gros ventre, qu'elle va accoucher; mise au lit, elle ne

veut pas qu'on reste autour d'elle ni qu'on la serre, ce qui ferait mal à son

enfant. Le lendemain le délire avait disparu, mais elle est obnubilée, ne répond

rien, tire cependant la langue si on le lui demande. La température est élevée :

39°5, le pouls à 120. Rien aux viscères, sauf de la constipation. Les quatre

membres sont contracturés surtout à gauche où les tremblements sont très

apparents. Cet état dure près d'un mois.

Le 18 mai, le même état se renouvelle : elle ne veut pas qu'on l'approche

parce qu'on ferait mal à ses enfants. Refus absolu de nourriture : pendant

10 jours, on dut la nourrir avec la sonde introduite par le nez. Il semble bien

que la déglutition soit devenue très difficile, car elle laisse continuellement

s'écouler la salive. Pouls lent, température normale.

Le 15 janvier 1902, les crises convulsives ont été très peu fréquentes de-

puis qu'elle est entrée à l'hôpital. Elle n'en a eu que six, dont une nocturne,

pendant l'année 1901.

A deux reprises elle a eu des accidents délirants comme ceux décrits ci-dessus.

Ces jours-ci elle en a eu une nouvelle période plus active ; elle était devenue

méchante au point que les soeurs du service demandaient son transfert à l'asile

de Bron. Elle revient lentement à son état antérieur.

Le 5 mai 1902, mort après un état demi-comateux qui dure depuis huit à

dix jours.

Autopsie, 34 heures après la mort. Lésions de broncho-pneumonie du

lobe supérieur du poumon droit. On trouve même de petits blocs lobulaires

grisâtres et ramollis, purulents ; il y a aussi de la broncho-pneumonie dans les

parties déclives des deux autres lobes. Congestion de la base gauche.

Rien au coeur. Foie un peu graisseux. Reins petits et sclérosés.

Du côté de l'encéphale, pas d'adhérences de la dure-mère à la calotte crâ-

nienne. Après l'incision de la dure-mère il s'écoule du côté gauche surtout une

quantité de liquide tout à fait anormale. Les méninges molles sont hyperémiées

et oedématiées avec infiltration d'aspect gélatineux.

On est de suite frappé par l'inégalité des hémisphères : débarrassés de la

pie-mère ils pèsent, le droit 470 grammes et le gauche 280 grammes. Ce der-

nier a donc subi un ratatinement considérable qui porte sur son ensemble.

Au lieu du'développement et de la consistance ordinaires, les circonvolutions

sont atrophiées, ratatinées, séparées par des sillons et des scissures très larges.

Bien que l'atrophie soit généralisée, elle a son maximum au niveau de la région

pariétale : autour de celle-ci, les circonvolutions voisines, frontale ascendante,

opercule, lobule paracentral, etc., sont également plus touchées que celles qui

sont éloignées.

Il n'y a ni tubérosités ni cavités porencéphaliques.

Sur la coupe, la substance offre au couteau une résistance et une dureté

anormalos, surtout dans la région des deux pariétales et de la pariétale ascen-

dante.

La substance blanche est très réduite de volume et les noyaux centraux

524 LANNOIS ET PAVIOT

font une saillie, très forte et très dure, dans les ventricules. Ils sont très durs

a la coupe et ont un aspect rétracté.

Il n'y a pas de lésions apparentes au niveau de l'isthme : la protubérance

notamment paraît aussi développée d'un côté que de l'autre. Le bulbe est éga-

lement d'aspect normal.

Au contraire, il y a une lésion évidente du cervelet : le lobe droit est réduit

de moitié environ. Il est rétracté, très dur au toucher, dans sa totalité. Les

circonvolutions sont aplaties, comme flétries et desséchées.

Examen histologique. 1° Circonvolution cérébrale atrophiée. Hémi-

sphère gauche. - Pièce recueillie dans l'alcool; inclusion à la paraffine; colo-

ration au Nissl, au picrocarmin, à l'hématéine-éosine.

Dès l'examen, à un faible grossissement, la circonvolution fait l'impression

générale d'être réduite dans toutes ses parties constitutives. La couche molé-

culaire est diminuée de hauteur ; la zone des cellules nerveuses, moins

épaisse, offre surtout des cellules comme raréfiées ; enfin, l'axe blanc lui-

même est diminué de volume.

D'autres faits frappent, c'est d'abord une modification variable suivant les

points observés, portant sur la zone des cellules nerveuses ; elle consiste en

ceci : sur une certaine longueur, quand on parcourt la surface de la circonvo-

lution, il semble que la couche des petites cellules nerveuses polygonales la

plus superficielle est comme isolée, séparée de la couche des grandes cellules

pyramidales ; il y a entre ces deux couches un espace où les cellules petites

pyramidales manquent plus ou moins complètement. Puis si l'on va plus loin,

quelquefois même à côté, toutes les couches de cellules nerveuses, raréfiées il

est vrai, sont présentes. Un autre fait net est représenté par les variations

dans cette raréfaction même des cellules nerveuses du cortex ; elle est très

inégalement répartie; sur une des faces de la circonvolution observée, la zone

des cellules a toute son épaisseur et sur la face opposée, dans la même coupe,

les cellules plus rares ne se rencontrent que sur une profondeur moindre

des deux tiers au moins. Dans ces dernières parties, on voit quelques petites

cellules pigmentaires en couche assez homogène, sous la zone moléculaire et

plus bas quelques cellules pyramidales de moyenne dimension disséminées,

la substance médullaire enfin immédiatement au-dessous. Au contraire, dans

les points où la couche de cellules corticales parait au complet comme

nombre, on peut remarquer que les pyramidales petites et moyenues sont

rares, la plupart des cellules qui la constituent sont polymorphes, polygonales

et souvent même rondes, mais en dehors de ce changement de forme, la cel-

lule est bien constituée.

En somme, dans cette atrophie de la couche cellulaire corticale, on remarque

surtout une grande variabilité, et régionale, et dans les éléments sur lesquels

elle porte. Ainsi, on peut voir en un point de l'écorce où toutes les autres

cellules nerveuses ont disparu, un nid isolé de 4-5 belles cellules pyramidales

intactes et normales, même au Nissl.

Enfin, du côté de l'axe médullaire de la circonvolution, outre sa gracilité,

on note une infiltration intense d'éléments ronds ou ovales, témoins sans

LÉSIONS HISTOLOGIQUES DE L'ÉCORCE DU CERVELET 525

aucun doute d'une dégénérescence que nous ne pouvons mettre en vue sur

des pièces recueillies dans l'alcool. Quand il s'agit d'une circonvolution qui

présente de l'atrophie de son manteau gris seulement sur une de ses faces,

l'axe médullaire paraît comme déplacé du côté atrophié : il n'est plus compris

entre deux lames grises égales.

Pas de lésion il noter du côté des vaisseaux pénétrants.

2° Fragment de l'hémisphère cérébelleux gauche, paraissant normal.

En effet, sur les coupes, quelle que soit la coloration, il est impossible de dé-

couvrir la moindre altération connue.

3° Fragment de l'hémisphère cérébelleux droit atrophié. - C'est toujours

une atrophie parcellaire et régionale que révèlent les coupes. Celles-ci compor-

tent une lamelle cérébelleuse de le, ordre supportant ses trois ou quatre arborisa-

tions de 2° ordre, et ces dernières les arborisations de 3e ordre sur ses deux faces.

Or on peut observer une arborisation de 3° ordre tout entière atrophiée à côté

d'une autre intacte; ou bien encore une arborisation de 3e ordre qui montre

sur une de ses faces l'atrophie intense de ses trois couches quand l'autre face

lui offre les trois couches intactes. Ou bien encore on peut voir une arborisation

de 2° ordre offrir toutes les arborisations de 3° ordre atrophiées sauf une, celle

de sa pointe atrophiée.

Comme nous l'avons constaté dans les deux cas précédents, le premier signe

chronologique de l'atrophie est la disparition des cellules de Purkinje ; puis

apparaît la raréfaction des grains ; enfin à un degré de plus, quand les grains

sont devenus très rares, on voit que la couche moléculaire a beaucoup diminué

de hauteur et que notre couche de cellules innommée, à l'union de la couche

moléculaire et de la couche des grains, s'isole et persiste seule.

Même sur les lamelles les plus atrophiées, cette couche de cellules persiste

quand même. Les cellules qui la composent se dégagent et s'isolent en couche

continue au sur et mesure que les grains se raréfient, si l'on observe un point

de passage entre un territoire intact et un territoire atrophié. On a toujours

l'impression que cette ligne de cellules est mise en vue par la raréfaction des

grains, comme la ligne de galets, par un Ilot qui se retire, car elles préexis-

tent à l'atrophie, cela n'est pas douteux ; elles ne sont que recouvertes par les

grains, quelques-unes débordant même dans la partie profonde de la couche

moléculaire.

Nous retrouvons à ces cellules de la couche innommée les mêmes caractères.

Leurs noyaux sont ovales à grand axe dirigé de la profondeur vers la sur-

face de la lamellle. Ces noyaux sont deux fois plus volumineux que ceux des

grains ; ils sont moins colorés ou plutôt leur réseau chromatique étant moins

serré, moins compact, ils paraissent comme un peu poussiéreux. Ils sont aussi

plus volumineux que les noyaux des cellules de la couche moléculaire, bien

que comme constitution ils s'en rapprochent assez.

La couche moléculaire, quand on passe d'un point normal à un point

atrophié, diminue de plus de moitié de sa hauteur, en même temps que ses

cellules diminuent de nombre ; et c'est au moment où cette diminution de

hauteur et la raréfaction de ses cellules, ainsi que des grains, atteignent leur

526 LANNOIS ET PAVIOT

maximum que la couche innominée des cellules atteint son plein développe-

ment, est le mieux isolée, paraît le plus fournie en cellules.

Nous n'avons pas encore, au moment où nous publions cette observation,

les coupes colorées au Weigert-Pal, mais toutefois sur les coupes teintées au

picro-carmin, on peut déjà se rendre compte de l'atrophie des portions médul-

laires des arborisations cérébelleuses. Cet axe médullaire sur les arborisations

non atrophiées est jaune .verdâtre, sur les arborisations atrophiées la teinte

jaune verdâtre disparaît, bien que comme largeur cet axe ne diminue pas sen-

siblement ; cela prouve que la myéline, colorée par l'acide picrique (sur coupes

non déshydratées et montées dans la glycérine) disparaît de ces portions mé-

dullaires parallèlement à l'atrophie du manteau gris.

4e Partie inférieure du bulbe. - (Recueillie dans l'alcool ; inclusion dans

la paraffine ; coloration au Nissl, à l'hématéine-éosine, au picro-carmin.)

Il n'y a pas la moindre lésion. Notamment les traînées des fibres transver-

sales superficielle, la zone interolivaire, les arborisations médullaires de l'olive

bulbaire n'offrent ni les unes, ni, les autres, d'infiltration nucléaire anormale.

Les festons de l'olive ont les dimensions et le développement ordinaire. Les

cellules de l'olive ne montrent ni signes d'atrophie ni diminution de nombre.

En résumé, dans ces trois observations d'atrophie primitive ou secon-

daire du cervelet, nous.avons constamment retrouvé une lésion qui nous

paraît absolument caractéristique. Dans les folioles et les dentelures de

l'écorce cérébelleuse, la lésion apparaît brusquement. Les cellules de

Purkinje disparaissent les premières d'une manière totale et absolue, sans

laisser le moindre vestige de corps cellulaires dégénérés ou en voie de

destruction : on les voit normales ou on n'en voit aucune.

En même temps la couche des grains s'atténue; elle devient moins

épaisse et moins dense et finalement s'effile et disparaît ne laissant, avec

la méthode de Nissl, que quelques rares points bleus disséminés.

Concurremment à cette double disparition des couches de cellules nor-

males du cervelet, on voit apparaître en dehors de la couche des grains et

nettement séparée d'elle, une couche innominée de cellules ovales, pâles,

à noyau formé de chromatine peu dense, à 1 et 2 nucléoles fortement co-

lorés. Ces noyaux, dont l'atmosphère de protoplasma se distingue mal, pré-

sentent des dimensions variables ; les plus petits ayant le double d'un des

noyaux des grains, les plus gros atteignant trois ou quatre fois ce volume.

Ils forment une couche continue, assez dense à son centre, qui contourne

les dentelures cérébelleuses comme une bordure ou un feston : nous la

comparons volontiers à la ligne de galets laissée par le flot qui se retire.

Cette couche nouvellement apparue ne donne pas l'impression d'être

nouvellement formée : il semble nettement que les cellules qui la compo-

LÉSIONS HISTOLOGIQUES DE L'ÉCORCE DU CERVELET 527

sent préexistaient sous les cellules de Purkinje et les grains et qu'elle est

seulement mise en évidence par leur disparition.

Il y a manifestement en même temps une diminution très évidente de

l'épaisseur de la couche moléculaire et de la couche médullaire.

Nous ne saurions trop insister en terminant sur la nécessité pour bien

faire toutes ces constatations, d'employer des coupes sur fragments recueil-

lis à l'alcool et montées soit à la celloïdine, soit à la paraffine. Ce n'est pas'

qu'on ne puisse voir cette couche de cellules sur les fragments conservés

dans le Millier ou i'acide chromique ; c'est ainsi qu'elle est très apparente

sur une coupe colorée au carmin et déjà ancienne que le professeur Pier-

ret a bien voulu nous confier. On peut même la voir sur des coupes colo-

rées au Weigert-Pal, mais les détails que nous avons décrits ci-dessus ne

peuvent être distingués avec cette dernière coloration.

C'est vraisemblablement pour cette raison que l'existence de cette cou-

che a échappé jusqu'à présent aux observateurs. Nous n'avons rien trouvé

en effet dans la littérature sur le point spécial qui nous occupe : il n'y a

rien notamment dans la thèse très importante de Thomas (1). Cependant t

nous sommes persuadés que Thomas a vu la lésion avec Déjerine (2), car

dans l'examen histologique du cas qui leur a servi à établir l'atrophie

olivo-ponto-cérébelleuse, ils disent : « La plupart des cellules de Purkinje

ont disparu... Les grains sont moins intensivement colorés qu'à l'état nor-

mal ; ils sont très irréguliers et leur protoplasma offre un aspect granuleux.

Au lieu (l'ê ! re régulièrement arrondis, ils sont ovales ou crénelés, polygo-

naux ; quelques-uns sont plus volumineux, leur protoplasma a un aspect

granuleux. Ils ne sont pas tassés... »

Dans 1'1)érédo-alixie cérébelleuse, il peut ne pas y avoir de lésions cel-

lulaires. Nonne (3) dit expressément, malgré l'atrophie considérable qui

donnait l'aspect d'un cervelet en miniature, que les cellules de Purkinje

étaient de forme et de nombre normal et qu'il en était de même de la cou-

che granuleuse. Dans un travail récent Switalsky (4.) dit qu'il en était

de même dans l'observation primitive de P. Marie, dont il a pu faire l'au-

topsie.

Mais dans l'observation de Menzel (5), que Londe classe comme intermé-

diaire entre l'ataxie héréditaire et l'atrophie cérébelleuse, il est facile de

(1) Thomas, Le .Cervelet, thèse de Paris, 1891. Steinheil, éditeur.

(2) Déjeuine et Thomas, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1900, p. 336.

(3) Nonne, Archiv. sur Psychiatrie, 1891, t. XXII.

(i) SN1T.ILShI, Nouv. Iconographie de la Salpétrière, 1901, p. 373.

(5) Menzel, Archiv. sur Psychiatrie, 1891, t. XXII.

528 LANNOIS ET PAVIOT -

voir que l'atrophie ressemblait beaucoup à celle que nous avons décrite.

« Le cervelet, écrit-il, est atrophié considérablement. Les lamelles sont

étroites et mollasses... La couche granuleuse de l'écorce est étroite et pau-

vre en corps granuleux. La couche moléculaire est étroite... Le déficit

des grosses cellules de Purkinje est considérable... là où elles manquent,

elles manquent complètement : nulle part on n'en trouve de dégénérées...

Là où les faisceaux blancs sont le mieux conservés, il y a un grand nom-

bre de ces cellules, mais on trouve des lobules entièrement privés de fibres

et de cellules. » '

On pourrait peut-être multiplier les descriptions de ce genre. Le plus

intéressant serait de voir les auteurs faire une revision de leurs cas,

comme nous l'avons fait pour notre observation II, et nous sommes

persuadés que beaucoup retrouveraient dans '< la couche granuleuse

étroite » la nouvelle couche à la description de laquelle nous nous som-

mes attachés.

Quelle est la nature des cellules de cette couche ? Leur volume, les ca-

ractères et l'aspect du noyau ne permettent pas de penser qu'il s'agisse de

cellules névrogliques. Ce sont bien des cellules nerveuses. Si on examine

avec soin un cervelet normal après coloration par la méthode de Nissl, on

peut déjà distinguer quelques-unes de ces cellules, soit éparses dans la

couche moléculaire, soit plutôt à la limite de la couche moléculaire et de

la couche des grains, autour des cellules de Purkinje, ce qui explique

pourquoi elles se montrent dès que celles-ci disparaissent. Or, on sait

qu'il s'agit là des grandes cellules étoilées qui ont été bien figurées par

Ramôn y Cajal et étudiées par Golgi, Bechterew, etc., et qui, si l'on en

croit Athias (1), descendent de la partie superficielle de l'écorce pour

gagner la partie profonde de la couche des grains. Ce sont ces grandes

cellules étoilées que Déjerine désigne sous le nom de grandes cellules du

type II de Golgi pour indiquer leurs caractères de cellules de relation.

Ces cellules que l'on peut voir également en petit nombre dans la cou-

che moléculaire et dans l'espace primitivement occupé par la couche des

grains, existent-elles normalement à l'état de couche condensée rendue

invisible par l'épaisseur des grains ? Faut-il penser, au contraire, que c'est

l'atrophiedes couches moléculaire et médullaire qui amène leur tassement

et leur condensation sous la forme du mince feston que nous avons décrit ?

Nous penchons pour la deuxième solution.

Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, le fait important est de voir cette couche

de cellules de relation persister, intacte et continue, alors que les deux

autres, cellules de Purkinge et petites cellules étoilées de la couche des

grains, peuvent disparaître d'une façon aussi complète.

(1) A-Tiius, thèse de Paris, 1891.

LÉSIONS H1STOLOGIQUES DE L'ÉCORCE DU CERVELET 529

Nous ne terminerons pas sans insister encore une fois sur ce fait : la

lésion que nous venons de décrire se produit d'une manière uniforme dans

des cas d'origine fort différente, atrophie d'apparence primitive, lepto-

méningite chronique cérébrale et cérébelleuse, sclérose cérébrale infantile.

Nous avons dit aussi qu'on pouvait soupçonner son existence dans le cas de

Menzel et dans celui de Déjerine et Thomas où coexistaient d'autres lésions

diverses du système nerveux. Les lésions cérébelleuses nous paraissent

donc assez nettement comme ayant un caractère secondaire. Et ceci n'est

pas sans permettre une déduction importante au point de vue clinique.

Il en résulte, en effet, que le syndrome cérébelleux, tout en conservant son

intérêt clinique, ne doit pas toujours être considéré comme synonyme de

lésion primitive du cervelet : il peut n'être que la manifestation de lésions

éloignées retentissant secondairement sur l'écorce cérébelleuse. La lésion

de l'écorce cérébelleuse peut évoluer sans donner de symptômes, et. d'au-

tre part, dans des autopsies d'hérédo-ataxie cérébelleuse publiées, après

celles de Fraser et de Nonne, par Nliura et par Switalski, nous voyons

que les lésions du cervelet sont véritablement insignifiantes à côté de

celles que l'on trouve dans les faisceaux médullaires ascendants, dans la

substance grise de la moelle, dans la protubérance et le reste du système

nerveux.

En résumé :

1° Il n'y a pas de différence histologique entre la corticalilé d'un cer-

velet paraissant atrophié primitivement et celle d'un cervelet atrophié se-

condairement; 1

2° Dans ce processus d'atrophie, il s'isole constamment une couche qui

répond probablement à la persistance et à la condensation des cellules de

relation des couches granuleuse et moléculaire (cellules du type Il de Golgi),

la couche moléculaire s'atrophiant en même temps que disparaissent les

cellules de Purkinje et les grains. La disparition des cellules de Purkinje

est totale et absolue et précède toutes les autres modifications dans ce pro-

cessus d'atrophie ;

3* La nature fréquemment secondaire de l'atrophie démontre qu'on ne

doit pas considérer le syndrome clinique cérébelleux comme étant tou-

jours le représentant d'une lésion primitive du cervelet.

LABORATOIRE DE LA CLINIQUE PSYCHIATRIQUE

DE L'UNIVERSITÉ DE MOSCOU.

SUR L'ASPECT DES PROLONGEMENTS PROTOPLASMIQUES

DES CELLULES NERVEUSES

DES CORNES ANTÉRIEURE ET POSTÉRIEURE

DE LA MOELLE ÉPINIÈRE

CHEZ DES enfants NOUVEAU-NÉS

(méthode chromo-argentique)

PAR

SERGE SOUKHANOFF,

privat-docent de l'Université

de Moscou.

ET

FÉLIX CZARNIECK,

médecin du Bureau central d'admis-

sion pour les aliénés (à Moscou).

Dans nos deux ouvrages précédents sur l'aspect externe des prolonge-

ments protoplasmiques des cellules nerveuses spinales chez les vertébrés

adultes et dans notre communication sur ce même sujet à la Société des

Neurologistes et des Aliénistes de Moscou (séance du 17.'mai 1902), nous

avons indiqué que nous avons réussi à obtenir l'imprégnation chromo-

argentique des éléments nerveux de la moelle épinière chez les vertébrés

adultes, parce que nous avons fait non seulement des coupes transversales

de la moelle épinière, mais encore des coupes longitudinales, détachant les

cornes postérieures des cornes antérieures à l'aide d'une coupe, passant

approximativement par le canal central ; grâce à ce procédé proposé par

Soukhanoff, la pénétration du liquide fixatif dans la substance grise de la

moelle épinière est plus rapide. Dans nos ouvrages précédents, nous avons

signalé la richesse des investigations concernant l'état des prolongements

protoplasmiques de l'écorce cérébrale dans différentes conditions et

l'absence des recherches correspondantes concernant les cellules nerveu-

ses spinales. Nos recherches actuelles concernent l'aspect des prolonge-

ments protoplasmiques des cellules nerveuses de la corne postérieure et

de la corne antérieure de la moelle épinière chez des enfants nouveau-

nés ; nous avons pour but encore de comparer les faits que nous avons

observés cette fois avec les résultats que nous avons obtenus auparavant.

CELLULES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 531

Sachant par notre expérience précédente que pour obtenir une imprégna-

tion chromo-argentique suffisante des cellules spinales, chez des verté-

brés adultes, il est nécessaire de faire des coupes longitudinales delà

moelle épinière, nous avons eu recours à ces dernières aussi dans les cas

que nous allons décrire plus bas, croyant que ce procédé nous donnera la

possibilité d'obtenir de meilleuree préparations.

Des morceaux de moelle épinière, coupés d'une manière ordinaire,

étaient encore divisés en deux parties à l'aide d'une coupe longitudinale,

passant cette fois en direction dorso-ventrale. Les morceaux restaient dans

le liquide chromo-osmique 4 il 4 jours 1/2 ; ensuite ils étaient transportés

dans une solution de nitrate d'argent (2 0/0), à laquelle on ajoutait en-

core de l'acide osmique (procédé de Kolossoff). Dans ce dernier mélange

on laissait les préparations 2 à 3 jours. Les coupes de la moelle épinière

étaient faites en direction longitudinale, comme dans nos lecherches pré-

cédentes (1).

Cas I. - Garçon, âgé de 1 mois et 5 jours. Poids 2.900 grammes. Dé-

(1) Nous avons reçu les morceaux de la moelle épinière des enfants nouveau-nés

de la Maison des enfanls trouvés de Moscou, grâce à l'amabilité de M. le Dr Solovtzoff

à l'égard duquel nous nous faisons un devoir d'exprimer ici nos remerciements.

Fig. t.

532 SOUKHANOFF ET CZARNIECK

bilité physique. Le morceau de la moelle épinière a été pris six heures

après la mort.

Cornes antérieures. - Dans la région de la corne antérieure a été ob-

tenue l'imprégnation d'une quantité assez considérable de prolongements

protoplasmiques, appartenant aux cellules motrices. Ces dendrites sont

en général assez fines, décrivent ordinairement des sinuosités, ont des

contours comparativement réguliers (voy. fig. 1). Elles s'amincissent

assez rapidement, en se divisant, puis, sur une étendue assez longue, elles

conservent une grosseur à peu près égale. Les ramifications terminales

fines deviennent plus tortueuses et ondulées et assez souvent on observe

sur leur trajet des épaississements et des gonflements très menus, d'une

forme tantôt très régulière, tantôt moins régulière. Çà et là on rencontre de

gros épaississements et gonflements de grandeur variable et de forme irré-

gulière, disposés sur les dendrites plus fines et sur les dendrites termina-

les ; mais un tel aspect est assez rare, et le type pédominant est caractérisé

par des dendrites à contours comparativement réguliers, qui, à de forts

grossissements, apparaissent moins réguliers. Les dendrites des cellules

de la corne antérieure ont peu d'appendices collatéraux. Ces appendices

ne sont pas gros, sont assez uniformes, ordinairement pourvus d'un

épaississement terminal ; parfois le pédoncule de l'appendice collatéral

apparaît un peu recourbé ; certains appendices ont un pédoncule un peu

plus long. Parfois on peut voir sur le trajet des dendrites des saillies en

formes de verrues.

Cornes postérieures. - Les prolongements protoplasmiques des cellules

de la cornepostérieure,en général, différentd'une manièreassez sensibledes

dendrites des cellules de la corne antérieure ; tout d'abord ici les dendrites

de la plupart des éléments imprégnés présentent un nombre plus ou moins

considérable d'appendices collatéraux, qui ont une forme et une grandeur

variables (voy. fig. 2) ; tantôt ces appendices consistent en un pédoncule

fin, terminé par un épaississement ; tantôt ils ont l'aspect de bâtonnets

très menus et de filaments souvent recourbés.

Parfois on observe sur les dendrites des formations plus compliquées

que les appendices collatéraux ordinaires; ces formations rappellent des

Fit. 2.

CELLULES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 533

appendices collatéraux complexes ou des appendices collatéraux se rami-

fiant. Nous donnons à ces formations dans l'un de nos ouvrages précédents

le nom de rejetons. Mais, outre les appendices collatéraux et les rejetons,

certaines dendrites des cellules de la corne antérieure laissent échapper

des ramifications très petites. Toutes les cellules, pourtant, n'ont pas des

dendrites riches en appendices collatéraux; on en rencontre dont les den-

drites n'en présentent pas de si nombreux. Par places dans la substance

blanche, auprès de la substance grise, on voit des cellules nerveuses dont

les prolongements protoplasmiques sont presque tout à fait privés d'ap-

pendices collatéraux (voy. fig. 3). En poursuivant le trajet des dendrites,

passant de la substance grise dans la substance blanche, nous avons

pu facilement nous assurer que les prolongements protoplasmiques,

riches en appendices collatéraux, commencent à les perdre graduellement,

quand ils pénètrent dans la substance blanche. Les contours des dendrites

des cellules de la corne postérieure sont moins réguliers (voy. fig. 4).

que ceux des dendrites des cellules motrices ; sur leur trajet on observe

ordinairement çà et là des épaississements à forme irrégulière, et sur les

· Fig. 3.

Fig. 4.

534 SOUKUANOFF ET CZARNIECK

ramifications terminales assez souvent on voit aussi des gonflements très

marqués de forme et de grandeur variables. Il faut encore noter que les

dendrites des cellules de la corne postérieure sont plus courtes et se rami-

fient plus que celles des cellules motrices.

Cas IL- Garçon jumeau, âgé de 1 mois et 22 jours. Poids 2.900 gram-

mes. Autopsie 32 heures après la mort.

Cornes antérieures. --Sur nos préparations on rencontre un nombre

insignifiant de cellules multipolaires de la corne antérieure avec un corps

cellulaire imprégné ; on voit ici beaucoup de dendrites bien imprégnées,

de grosseur variable, appartenant à diverses cellules motrices dont le corps

est resté non imprégné et qu'on peut suivre sur une distance souvent

assez considérable. En examinant ces dendrites à un petit grossissement, on

peut voir que leurs contours sont lisses et que leurs fines ramifications

terminales ont pour la plupart des épaississements et des gonflements de

diverses grandeurs. Les ramifications terminales des dendrites ont l'aspect de

filaments très fins et tortueux. Les contours des dendri tes des cellules de la

corne antérieure en commun seprésentent, commeil est ditplus haut, com-

parativel1lentréguliers et les contours des dendritesplus grosses et des den-

drites de calibre moyen sont bien plus lisses que les contours des ramifica-

Fi,. 5.

Fig. 6.

CELLULES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 535

lions plus fines et terminales (voy. fig. 5 et 6). Il faut encore ajouter que

çà el là on voit sur les dendrites des appendices collatéraux assez unifor-

mes, consistant en un pédoncule très fin, parfois recourbé, tantôt pl uscourt,

tantôt plus long et ordinairement épaissi au bout.

Cornes postérieures. - Les prolongements protoplasmiques des cellules

nerveuses de la corne postérieure, outre qu'ils sont comparativement plus

courts et plus ramifiés, ont encore des contours irréguliers et généralement

sont plus richement couverts d'appendices collatéraux, que les dendrites

des cellules motrices (voy. fig. 7). Très souvent on rencontre ici des

cellules, sur les dendrites desquelles on peut voir une très grande quantité

d'appendices collatéraux de grandeur et de forme variables, pour la plu-

part épaissis au bout; mais outre les appendices collatéraux on peut voir,

sur les dendrites de ces mêmes cellules, d'autres formations, qui ont l'air

d'être des appendices collatéraux plus compliqués, correspondant à ce

que nous nommons rejetons. Sur les prolongements protoplasmiques de

certaines cellules nerveuses de la écorne postérieure, au contraire, le nom-

bre d'appendices collatéraux est comparativement très petit. Parfois on

observe des dendrites, sur le trajet desquelles on rencontre des épaississe-

ments et des gonflements, qui leur donnent un aspect variqueux. Sur

l'une des coupes on a observé une cellule nerveuse, située dans la sub-

stance grise de la corne postérieure, avec des dendrites courtes, ayant des

contours comparativement réguliers et presque dépourvus d'appendices

collatéraux.

Cas III. Fillette, âgée de 1 mois et 5 jours. Poids 3.800 grammes.

Autopsie approximativement 24 heures après la mort.

Fig. 7.

536 SOUIOEANOFI' ET CZARNIECK

Cornes antérieures. La quantité des corps cellulaires imprégnés est

très insignifiante; le nombre des prolongements protoplasmiques impré-

gnés est très considérable. Les prolongements protoplasmiques ont com-

parativement des contours réguliers, sont très pauvres en appendices col-

latéraux; on parvient à suivre bien des dentrites sur une distance assez

longue. Les dentrites plus grosses et celles de calibre moyen apparaissent

plus rectilignes que les ramifications fixes terminales, qui en somme sont

bien plus tortueuses, et on observe souvent sur leur trajet des épaississe-

ments et des gonflements à forme irrégulière. Au sujet des appendices

collatéraux, comme nous l'avons dit plus haut sur les dendrites des cel-

lules motrices, leur quantité est très insignifiante et ils ont, en général,

un aspect uniforme et pour la plupart sont constitués d'un pédoncule fin

avec un épaississement sphérique au bout (voy. fig. 8).

Cornes postérieures. - Ici on rencontre assez souvent des cellules ner-

veuses avec bonne imprégnation, dont les prolongements protoplasmiques

sont parsemés par une grande quantité d'appendices collatéraux de forme

variable, parmi lesquels prédominent les appendices collatéraux, consis-

tant en un pédoncule relativement long, parfois recourbé, avec un épais-

sissement au bout. Sur une seule et même dendrite les appendices colla-

téraux se disposent d'une manière tantôt plus dense, tantôt plus raréfiée

(voy. fig. 8). Outre ces cellules nerveuses à dentrites riches en appen-

dices collatéraux, on rencontre des cellules nerveuses, ayant les pro-

Fig. 8.

CELLULES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 537 7

longements protoplasmiques il contours plus réguliers et presque privés

d'appendices collatéraux.

Les résultats de l'examen des prolongements protoplasmiques des cel-

lules spinales de tous les cas cités plus haut ont beaucoup d'analogie

entre eux. Premièrement, partout il existait une différence très marquée

entre l'aspect des prolongements protoplasmiques des cellules nerveuses

de la corne antérieure et de la corne postérieure ; dans les cornes anté-

rieures, dans tous nos cas les dendrites des cellules nerveuses ont des con-

tours comparativement plus réguliers, plus rectilignes, plus longs et très

pauvres en appendices collatéraux; dans les cornes postérieures, les den-

drites sont courtes, plus ramifiées, ont des contours moins réguliers et

sont bien plus riches en appendices collatéraux de forme très variable.

La différence que nous notons dans l'aspect externe des prolongements

protoplasmiques des cellules motrices et sensitives est si grande et saute

tellement aux yeux qu'une seule dendrite permet de dire si l'on est en

présence de cornes antérieures ou de cornes postérieures. Pourtant, il

nous faut dire que dans les cornes postérieures on rencontre parfois des

dendrites pauvres en appendices collatéraux et ayant des contours plus

réguliers ; ces dendrites, privées d'appendices collatéraux, appartiennent

aux cellules menues, peu nombreuses de la corne postérieure, avec des

prolongements courts; mais en outre, les dentrites privées d'appendices

collatéraux peuvent être observées là où elles doivent passer au milieu de

la substance blanche. Nous avons pu voir plus d'une fois que le prolon-

gement protoplasmique de la cellule de la corne postérieure, richement

couvert d'appendices collatéraux à forme variable, commence à perdre ces

derniers, lorsqu'il passe de la substance grise dans la substance blanche.

Nous avons observé ces phénomènes dans nos recherches faites par la

méthode, Golgi-Cajal, sur la moelle épinière d'un lapin adulte ; nous

l'avons mentionné dans l'un de nos ouvrages précédents. L'une des cellules

de la corne postérieure, dont les dendrites étaient tout à fait privées d'ap-

pendices collatéraux, était située juste au milieu d'une masse de fibres

nerveuses de la substance blanche. On a l'impression que les prolonge-

ments protoplasmiques, dans la substance blanche, ne peuvent avoir d'ap-

pendices collatéraux. Ensuite, sur les dendrites des cellules de la corne

postérieure, outre les appendices collatéraux, dans tous les cas,on pouvait

voir d'autres formations, comme des appendices collatéraux plus compli-

qués, que nous appelons rejetons, et dont nous avons aussi parlé dans

l'un de nos ouvrages antérieurs ; nous disions que nous ne décidons pas

si ces rejetons sont en effet des appendices collatéraux complexes ou bien

des prolongements protoplasmiques très menus, se ramifiant d'une ma-

nière particulière. Ces formations sont seulement propres aux dendrites

xv 35

538 SOUKLIANOFF ET CZARNIECK

des cellules nerveuses de la corne postérieure ; on n'en voit pas sur les

prolongements protoplasmiques des cellules motrices.

Quant à l'état variqueux des prolongements protoplasmiques spinaux,

il faut remarquer que dans les cornes antérieures on rencontre parfois des

ramifications terminales, sur le trajet desquelles se disposent des épais-

sissements et des gonflements ; un peu plus souvent, quoique en somme

assez rarement aussi, on observe sur quelques-unes des dendrites de la

corne postérieure un état monili(01'1ne. Bien plus souvent on peut voir sur

le trajet des ramifications protoplasmiques terminales, par exemple dans

les cornes antérieures, des épaississements à forme irrégulière, des élar-

gissements et des rétrécissements, ce qui rappelle aussi l'état variqueux

des dendrites.

En comparant les résultats de nos investigations actuelles avec les résul-

tats de nos recherches antérieures, par la méthode Golgi-Cajal, concer-

nant la moelle épinière des hommes adultes, nous avons pu constater une

ressemblance fondamentale ; là, comme ici, nous avons observé une dif-

férence très marquée dans l'aspect des dendrites de la corne antérieure et

de la corne postérieure; là il y avait aussi approximativement la même

différence entre ces dendrites qu'ici. En comparant les prolongements pro-

toplasmiques des cellules motrices chez l'homme adulte avec les dendrites

correspondantes chez un enfant nouveau-né, nous avons eu l'impression

que, chez l'homme adulte, ils sont : 1° plus gros ; 2° peut-être, en somme,

plus longs, et 3° comme plus pauvres encore en appendices collatéraux

qu'ici.

Nous voudrions encore citer nos considérations générales concernant le

rôle et la signification des appendices collatéraux des prolongements pro-

toplasmiques. En comparant l'aspect des prolongements protoplasmiques

de différentes cellules nerveuses, il est facile de s'assurer que quelques-

unes des dendrites sont privées d'appendices collatéraux ou en sont très

pauvres; d'autres, au contraire, en sont parsemées d'une manière très

abondante. Aux cellules nerveuses, dont les prolongements protoplasmi-

ques envoient une grande quantité d'appendices collatéraux, se ratta-

chent les cellules pyramidales de la moelle épinière, les cellules de Pur-

kinje, du cervelet, la plupart des cellules des cornes postérieures de la

moelle épinière; quant aux cellules des cornes antérieures de la moelle

épinières, elles possèdent des dendrites, ayant des contours comparati-

vement réguliers et peu d'appendices collatéraux. En prenant en consi-

dération ces-données, l'un de nous (Soukhanoff) suppose, que les dendri-

tres, riches en appendices collatéraux, appartiennent aux cellules qui

apparaissent comme unités nerveuses, moins subordonnées aux autres

neurones, et qui ont une fonction directrice. La signification des cellules

CELLULES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 539

pyramidales corticales et des cellules de Purkinje est, sans doute, autre

que celle, par exemple, des cellules qu'on rencontre parfois dans l'écorce

cérébrale, cellules de Golgi, de Martinet ti, de Cajal. Il est intéressant

que les cellules des cornes antérieures de la moelle épinière, possédant

de nombreuses connexions réflexes, sont pauvres en appendices collaté-

raux ; les cellules spinales motrices sont plus subordonnées que les cellules

pyramidales de l'écorce cérébrale et les cellules de Purkinje; les cellu-

les spinales motrices dépendent de l'activité de l'écorce cérébrale (par le

faisceau pyramidal), exécutant les ordres de cette dernière ; et elles dépen-

dent aussi des excitations réflexes du côté du premier neurone sensitif. Des

prolongements protoplasmiques des cellules de la corne postérieure de la

moelle épinière sont, en somme, riches en appendices collatéraux, de forme

bizarre et très variable; le second neurone sensitif a pour origine ces

cellules, et leur cylindraxe forme les sensitives isolées de la moelle

épinière, qui conduisent les différentes espèces de sensibilité ; ces cellules,

à ce qu'il paraît, non seulement reçoivent des excitations, partant de la

superficie de la peau et qui leur sont transmises par le premier neurone

sensitif, qui ne les différencie pas, mais elles transforment et différencient

les excitations vagues qu'elles reçoivent et les rendent spécifiques; ainsi

ces cellules servent non seulement de centres réflexes et de stations de trans-

mission, mais elles ont encore une signification autonome très importante.

Comme l'aspect des dendrites des autres cellules nerveuses n'est pas encore

suffisamment étudié, nous ne pouvons pas développer davantage nos

suppositions et nous nous bornons à ce que nous venons de dire. Le

fait que, les prolongements «protoplasmiques de certaines cellules ner-

veuses, ayant une fonction autonome et apparaissant non pas comme de

simples centresréllexes, sont richement parsemés d'appendices collatéraux,

tandis que les dendrites des cellules, jouant un rôle subordonné ou bien

destinées presque exclusivement aux actes réflexes, sont pauvres en appen-

dices collatéraux, nous permet, jusqu'à un certain point, de comprendre la

signification des appendices collatéraux pour l'élément nerveux. Il faut

penser que ces derniers ne servent pas exclusivement aux contacts; peut-

être sont-ils nécessaires à l'élaboration active de l'énergie spécifique. Les

appendices collatéraux, en augmentant le volume de l'élément protoplas-

mique nerveux, le rendent plus apte à retenir, à conserver et à accumuler

les excitations qu'il reçoit des autres cellules nerveuses et à les transmettre

plus loin déjà transformées.

GIGANTISME ET INFANTILISME

PAR

P.-E. LAUNOIS

Agrégé, médecin de l'hôpital Tenon.

ET

PIERRE ROY

Interne des hôpitaux de Paris.

Le gigantisme et l'infantilisme sont deux troubles de l'évolution assez

disparates, pour qu'il semble téméraire au premier abord de les rappro-

cher dans une description commune. Un semblable rapprochement s'im-

pose cependant par la lecture de certaines observations éparses dans la

science et par l'analyse de celle qui a servi de base au présent mémoire.

L'observation que nous rapportons est l'étude biologique d'un homme

de grande taille, mesurant actuellement 2 m. 04, possédant de nom-

breux stigmates d'infantilisme et continuant a grandir,bien qu'il ait atteint

l'âge de 30 ans. Ce dystrophique n'est pas un inconnu pour nombre de

médecins : comme beaucoup des commensaux de nos services hospitaliers,

il a son histoire.

Il a, en effet, été déjà étudié parCapitan (1), en 1893, au cours d'un

séjour qu'il fit à la Pitié dans le service d'A. Robin. Il été présenté il

l'Académie de médecine en 1899 par J. Lucas-Championnière (2), qui

avait été frappé par l'apparition tardive, les caractères et l'évolution d'un

genu valgll1n gauche. Les anthropologistes, Capitan (3), Papillault (4), ont

fait sur son squelette une série de mensurations aussi précises que variées.

Plusieurs de nos collègues ont pu encore l'examiner à loisir.alors qu'il était t

occupé, comme infirmier, à l'hôpital Saint-Antoine ou hospitalisé, comme

infirme, à l'hospice de Bicêtre.

Une analyse minutieuse nous a permis de mettre en valeur certaines

particularités que présente ce géant et qui n'avaient pas frappé les obser-

vateurs qui nous ont précédés.

(1) CAPITAN, Médecine moderne, 14 octobre 1893.

(2) J. Lucas-Ciiampionnière, Bull. de l'Acad. de méd., 9 mai 1899.

(3) Capitan, 13u11. de la Soc. d'anthropologie, 18 mai 1899.

(4) tAl'ILt.A(1LT, Mode de croissance d'un géant, Bull. de la Soc. d'Anth. le, juin,

1899.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPKTRJÈHH. T. XV PL. LXII.

GIGANTISME ET INFANTILISME

(P.-E. Laullois et Pierre Roy.) ,

Le géant Charles à 21 ans (Wâ6).

Figures cWr,titcs des BlIlldl1lS de la Société de Paris, Mai 1899.

nlnssoa T C ? Editeurs.

gigantisme ET infantilisme 541

Observation.

Charles F., âgé de 30 ans, est né à Paris le 1er juillet 1872. Son père,

égoutier, est mort à l'âge de 48 ans d'asthme cardiaque ou pulmonaire ; il

était petit (1 m. 54). Nous avons vu sa mère, ancienne balayeuse, âgée ac-

tuellement de 53 ans, sourde et emphysémateuse : sa taille ne mesure que

1 m. 48.

Cinq enfants sont nés de cette union dont deux avant notre sujet : un garçon,

est mort âgé seulement de quelques mois ; un.second fils, mouleur en cuivre,

âgé de 33 ans, mesure 1 m. 61 ; deux autres après lui : une soeur, bijou-

tière, âgée de 28 ans, d'une taille de 1 m. 54 et un frère de 25 ans, bijoutier,

d'une taille de 1 m. 61. Les deux frères et la soeur sont bien portants ; ils

sont mariés et ont des enfants.

Dans la famille directe, on ne note donc que de petites tailles. Mais un oncle

paternel avait, paraît-il, plus de 2 mètres de haut; et on a toujours pensé que

c'était de lui que notre géant tenait sa grande taille (1).

Charle F.. est né très grand, ou plutôt très gros, comme le dit son frère

aîné ; depuis son enfance il n'a jamais cessé de grandir d'une manière à peu

près régulièrement progressive.

A la naissance il dit avoir pesé 21 livres. Elevé au- sein maternel, il eut

une enfance assez robuste et fut toujours bien portant ; il ne fut pas épargné

cependant par les maladies contagieuses et eut successivement la rougeole,

la variole à 9 ans, la fièvre typhoïde à, 11 ans.

A 12 ans, il fut placé eu pension à Auteuil chez l'abbé Roussel, où il apprît le

métier de cordonnier : sa taille devait être déjà remarquable à cette époque,car

il se souvient, qu'en le voyant entrer, pour la première fois dans son établis-

sement, le directeur ne put maîtriser sa surprise et s'écria : « Ce n'est pas un ri

enfant, c'est un garçon de 20 ans qu'on nous envoie ! » Ayant quitté la pen-

sion à 14 ans 1/2, il alla vivre avec les forains ; tantôt il faisait le boniment

à la porte des baraques, tantôt il vantait les mérites des monstres. Il accom-

pagna pendant un certain temps le géant Thomas Daroy, qui, selon son dire,-

aurait mesuré 2 m. 33. Chez le lutteur Marseille, il faisait la parade ou « lut-

tait à blanc » : compère dissimulé dans la foule, il demandait un gant, puis

disparaissait par la toile ; parfois cepeudant, s'il était nécessaire, il prenait

part à la lutte ; mais celle-ci n'était jamais bien sérieuse.

(1) Charles F..., a été présenté à l'Académie de médecine le 9 mai 1899 par M. J. Lucas-

Championnière comme un exemple de gigantisme héréditaire (le père et une soeur

géants). Quelques réserves que l'on doive faire nécessairement sur tous les renseigne-

ments recueillis auprès des malades ou de leur entourage, ceux que nous rapportons

semblent être plus exacts, ayant été contrôlés à domicile auprès d'autres membres de

la famille : la mère, le frère ainé. Ce cas est bien fait pour rendre suspects quelques-

uns au moins des exemples d'hérédité du gigantisme, basés sur le seul témoignage

des sujets observés ; c'est ainsi que le frère de notre géant dit n'avoir pas connais-

sance de l'oncle paternel si grand dont il nous avait été parlé.

542 LAUNOIS ET ROY

En 1893, reconnu apte au service militaire, il fut incorporé dans un régi-

ment d'artillerie, en garnison à Givet (PI. LXII).

A cette époque (21 ans) il ne mesurait que 1 m. 86 (1). Pendant trois ans,

il put accomplir tous les exercices sans la moindre fatigue. Sa force faisait

même l'admiration de ses camarades, tout autant que son appétit formidable.

Par ordre ' du général, il lui avait été accordé deux doubles rations, c'est-

à-dire une quantité quatre fois plus grande que celle qui constitue l'ordinaire du

soldat; il mangeait, par exemple, chaque jour deux pains réglementaires.

' Au moment où il quitta le régiment, en 1896, il avait encore grandi et

mesurait 1 m. 94. Sa vigueur était proportionnée à sa taille : exerçant suc-

cessivement les professions de charretier ou de déménageur, il pouvait trans-

porter les charges les plus lourdes avec la plus grande aisance.

Puis il est à nouveau hanté du désir de vivre parmi les nomades et retourne

dans les foires, non plus comme simple faiseur de boniments, mais comme

phénomène à titre de géant. Il est devenu « le Grand Chai-les n, car sa taille,

n'a pas cessé de s'accroître : mesurant 1 m. 96 en 1897, 1 m. 99 en 1899

(PI. LXIII), il atteint 2 m. 03 en 1901. Il parcourt alors presque toute la France

et il narre aujourd'hui encore avec complaisance les succès qu'il obtint dans

certaines villes. Il était d'ailleurs assez habile metteur en scène, accordait l'en-

trée libre aux médecins, aux militaires et aux enfants ; son titre de « seul

géant Parisien » lui, aussurait, paraît-il, de grosses recettes.

Depuis quatre ans, il est rentré chez lui : des douleurs, qu'il avait ressenties

pour la première fois à la sortie du régiment et qui siégeaient dans les membres

inférieurs, ont été en augmentant et lui ont interdit toute fatigue. Progressi-

vement aussi son genou s'est déformé,et est devenu le siège d'un genu valgum,

nécessitant l'usage de béquilles, dont il se sert aujourd'hui encore pour mar-

cher (2). De violents maux de tête gênent son sommeil ; il s'est mis à maigrir

progressivement et il a vu, non sans une grande tristesse, diminuer ses forces

et disparaître la vigueur dont il était si fier autrefois.

Aujourd'hui, réduit à la mendicité, il promène dans les rues de Paris son

grand corps d'infirme, vendant des lacets ou des chansons.

' Etat actuel (octobre 1902) ? Deux faits attirent et retiennent l'attention

(1) Si les chiffres des différentes tailles atteintes successivement par Charles F..., et

que nous rapportons plus loin, n'offrent peut-être pas des garanties irrécusables, en

revanche ce premier chiffre est officiellement confirmé par l'observation de M. Capi-

tan prise en 1893, et suffit à lui seul, et déjà, pour démontrer la remarquable per-

sistance d'une croissance qui dure encore, ce que d'autres faits viennent d'ailleurs

péremptoirement confirmer.

Les photographies de la planche LXII montrent la morphologie du géant Charles

à cette époque et nous remercions MM. Capitan et Papillault de nous avoir autorisés

à les reproduire. Bien que les clichés aient été oxydés par le temps, les images sont

suffisamment nettes pour rendre intéressante leur comparaison avec les photogra-

phies ultérieures.

(2) C'est vers cette époque qu'il fit un séjour à Bicêtre dans le service de M. Pierre

Marie qui a bien voulu nous autoriser à reproduire les excellentes photographies de

la planche LXIII. Nous tenons à lui en adresser tous nos remerciements.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIERE. T. XV. PL. LXIII,

GIGANTISME ET INFANTILISME

(P.-E. Larmois ct Picrrc Ro ? )

Le géant Charles à 27 ans (¡m99).

I'Inotmr : uplnics au scrwcc utv \I. 1c D I'ncrrc \Iamc, Ilospicc <IC lict·trc.

Masson et Ci1", Kditcurs.

GIGANTISME ET INFANTILISME 543

dès que le grand Charles retire ses vêtements : c'est d'abord la déviation si

accusée de sa jambe gauche en genu valaum ; et c'est, d'autre part, l'absence

presque totale de tout signe effectif de puberté.

La hauteur, dans la station debout, est de 2 m. 04 (l).Mais dans cette hau-

teur, la plus grande part semble due à l'allongement des membres inférieurs :

la distance du grand trochanter droit au sol est de 1 m. 129. Or, même à ne

considérer que les canons artistiques des anciens Egyptiens, très grossièrement

approximatifs, il est vrai, ou voit que chez l'homme normal, en dehors des

différences de races et des autres variations, la longueur des membres inférieurs

représente les 10/19 de la hauteur totale. Pour une taille de 2 m. 04, la lon-

gueur des membres inférieurs devrait être de 1 m. 07 ; chez le grand Charles

ils dépassent de 59 millimètres cette proportion. D'après les tables de Quéte-

let (2), on arrive à un résultat à peu près identique : chez un homme de

30 ans, pour une taille de 1 m. 686, la hauteur du grand trochanter est de

0 m. 876 ; donc, chez un homme du même âge qui garderait un développement t

proportionnel et harmonieux des différentes parties du corps, avec une taille

de 2 m. 04, cette mesure devrait être de 1 m. 061, soit 68 millimètres en moins

de la longueur des membres inférieurs de notre sujet. L'écart est ici assez mar-

qué pour qu'on puisse négliger les causes d'erreur inévitables dans des calculs

de ce genre et qu'on soit autorisé à conclure que le grand Charles a des mem-

bres inférieurs notablement plus allongés que ne le comporterait sa taille. Au

contraire, les dimensions du tronc semblent voisines de la normale (Distance

sterno-pubienne : 62 cent.). La tête semble petite pour un si grand corps (hau-

teur de la tête, du vertex au menton : 22 cent. 5) (Pl. LXIV et LXV).

La déformation énorme du membre inférieur gauche (la cuisse et la jambe

forment un angle ouvert en dehors d'environ 135 degrés) fait que l'attitude,sans

les béquilles, est fortement hanchée ; il se produit,par compensation,une légère

scoliose dorso-lombaire à concavité droite, attitude vicieuse qui ne laisse pas

de fausser toutes les mensurations pratiquées sur le tronc ou sur le bassin. A

la vérité, le grand Charles peut marcher sans se servir de ses béquilles ; il fait

alors de grandes enjambées inégales, suivant la jambe sur laquelle repose le

poids du corps. A marcher ainsi, il se fatigue vite ; aussi, depuis deux ou trois

ans, il a pris l'habitude de s'aider de deux béquilles dont il ne peut plus se

passer : l'une, béquille ordinaire, qu'il place sous son aisselle gauche et qui n'a

(1) Les anthropologistes insistent sur les difficultés que présente la mensuration

mathématiquement exacte de la taille chez un sujet quelconque. Ces difficultés et la

variabilité de la stature, déjà manifestes chez l'homme normal, se trouvent multipliées

chez les géants et surtout chez un géant aussi mal équilibré que le grand Charles,

lorsqu'il est privé du secours de ses béquilles. Tel quel, le chiffre de 2 m. 04, même

sujet à l'erreur ou à des variations, d'ailleurs assez minimes, est intéressant parce

qu'il permet d'établir une comparaison avec les mensurations recueillies anté-

rieurement ; leur progression assez régulière rend manifeste la persistance de l'accrois-

sement en hauteur, confirmé encore par l'allongement des différents segments des

membres. (Voir les mensurations détaillées de 1899 et de 1902.)

2) QOh1ELFoT, Anthropométrie, p. 431.

54l LAUNOIS ET ROY

de remarquable que sa longueur inaccoutumée (1 m. 48) ; l'autre, plus petite,

de moitié moins longue, sur la partie supérieure de laquelle il s'appuie de la main

droite, s'en servant comme d'une canne.

L'inclinaison des épaules, des mamelons, des épines iliaques, ainsi que l'en-

coche thoraco-ahdominale du flanc droit et les plis cutanés à ce niveau, tiennent

à l'attitude lianchée, qu'est obligé de prendre le sujet pour maintenir son équi-

libre. Le thorax est assez bien conformé; sa circonférence au niveau de la

ligne mamelonnaire, est de 1 m. 04.

Les quatre membres sont très angmentés de longueur : nous avons déjà

signalé l'allongement disproportionné des membres inférieurs ; celui des mem-

bres supérieurs est à peu près équivalent : la grande envergure, que l'on sait

représenter, avec un léger excès, environ la hauteur totale de l'individu, atteint

ici 2 m. 09. Les différents segments des membres sont respectivement assez

bien proportionnés. Si l'on excepte une légère atrophie musculaire du membre

inférieur gauche tenant au moindre fonctionnement de ce membre infirme, ou

peut dire que le volume des bras et des jambes est régulier et que, ni aux poi-

gnets (circonférence, 19 cent. 7), ni aux chevilles (circonférence bimalléolaire,

24 cent.), on ne constate d'élargissement notable.

La main est très grande (ng.1) : si on la compare à la main d'un individu nor-

mal, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une hypertrophie générale et sensiblement régu-

lière de tous ses segments, eu relation avec le développement excessif des

autres parties du corps. - De même, le pied est volumineux (lig. 2), sans être

CLICHÉ INFROIT

rig. 1. - La main du géant Charles comparée avec la main d'un adulte normal.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA. SAlPtTRIÈRE T. XV. rL LXIV.

GIGANTISME ET INFANTILISME E

(P.-E. Launois et Pierre RD}",)

Le géant CIL1RLI : S à 30 ans (2"'0.1).

Massov 1 T Cie, l : .d¡tcllrc;.

GIGANTISME ET INFANTILISME 545

difforme, du moins en ce qui concerne le pied droit; le pied gauche, déformé par

le fait du genu valgum, est immobilisé en équin varus ; il est considérablement

épaissi, et, dans la marche, les points d'appui sont constitués par les orteils et

le bord externe. Les ongles des orteils présentent une striation transversale,

surtout accusée 'IL l'ongle du gros orteil gauche, au niveau duquel s'observent

les déformations de l'onychogrippose.

La face, pâle et couverte de lentigines, est complètement imberbe. Il y a une

légère asymétrie faciale, la moitié droite du visage étant un peu moins déve-

loppée que la moitié gauche ; le malade lui-même a remarqué depuis deux

mois environ que la pommette gauche

faisait une saillie plus grande que la

droite. Quant il l'oreille du côté gauche

elle est manifestement plus grande que

celle du côté droit : pour une largeur

identique de lui-2 millimètres, le pavillon

de l'oreille gauche mesure 73 mm. 5 de

haut, tandis que la hauteur du pavillon

de l'oreille droite n'est que de 68 milli-

mètres.- Le maxillaire inférieur n'ap-

paraît pas très augmenté de volume ;

la bouche est normale et la langue n'at-

teint pas des proportions démesurées.

Les yeux sont petits et tout ridés. Le

crâne ne présente pas de déformations

très évidentes ; le front est cependant

assez peu développé.- La voix n'est ni

particulièrement grave, ni particulière-

ment aiguë; et le grand Charles module

avec une voix il peu près normale les

chansons qu'il essaye de vendre.

Le développement de l'appareilgéni-

tal est tout à fait incomplet : si la verge

paraît bien conformée, elle estde dimen-

sions minimes. Les bourses, peu dé-

veioppees, renferment deux testicules rudimentaires : le droit a le volume d'une

amande, le gauche n'atteint guère que celui d'une noisette. Le toucher rectal

ne permet pas de sentir la prostate ; comme c'est la règle dans l'atrophie testi-

culaire congénitale, la glande prostatique ne s'est pas développée (1). Au point

de vue fonctionnel, l'ana]Jhl'odzsie est et a toujours été absolue. Il y aurait eu

quelques érections ; mais elles n'ont jamais été accompagnées d'éjaculations.

Il faut rapprocher de cette atrophie testiculaire les autres signes d'infanti-

lisme. Si quelques rares poils existent dans la région sus-puLienue, les ais-

(1) Lnonois, Castration et atrophie de la prostate. Association française pour l'avan-

cement des sciences. Congrès de Caen, 1894.

CLICHÉ INFROIT

Fig. 2. Le pied du géant Charles.

546 LAUNOIS ET ROY

selles et la face sont absolument glabres. La figure imberbe présente un aspect

juvénile tout à fait particulier (1).

Le grand Charles, qui jouissait autrefois d'une vigueur remarquable, con-

serve encore aujourd'hui un assez bon développement musculaire ; mais ses

forces ont considérablement diminué. Le quadriceps fémoral gauche est nota-

blement atrophié par le fait de l'inaction dans laquelle il se trouve.

Depuis trois ans environ il a beaucoup maigri ; son poids est actuellement

de 86 kilogrammes, alors qu'il dit avoir pesé jadis jusqu'à 106 kilogrammes.

L'analyse des urines a été pratiquée par M. Savinel, interne -en pharmacie

du service : elle a donné les résultats suivants :

NouvtLLL Iconographie 17E la SALi'L'fAIt : NE. T. XV. PI L1V

GIGANTISME ET INFANTILISME

(P. E. Launois et Tiare 'Roy).

Le géant Charles à 30 ans (2"' 0 1)

GIGANTISME ET INFANTILISME 547

présence de quelques tatouages : une rose se voit sur la face antérieure du tho-

rax, une bague sur l'annulaire droit et une autre sur le médius gauche.

La sensibilité objective, sous tous ses modes, est intacte ; il n'y a pas de

troubles sensoriels. Mais, depuis l'apparition du genu valgum, de violentes

douleurs dans les membres inférieurs persistent jour et nuit.

L'état mental est relativement bon, en dépit de la détresse morale et surtout

physique dans laquelle se trouve le malade : bien que très sensible à la perte

de ses forces et à son infirmité actuelle, il a conservé quelque gaieté. Il est

assez irascible et facile à émotionner; son caractère un peu fantasque lui a

rendu impossible le séjour à Bicôtre, où il avait été hospitalisé. Sa mémoire

excellente lui permet de raconter, en les amplifiant même, ses anciens succès

à travers les foires de province. Son intelligence est assez développée; c'est

lui-même qui composait autrefois ses boniments.

Si sa chasteté obligatoire l'a mis à l'abri de toute contagion syphilitique, sa

vie aventureuse l'a exposé aux abus alcooliques ; il boit, en effet, plusieurs

verres d'absinthe par jour.

M. Papillâult, professeur à l'École d'anthropologie, a bien voulu compléter

et rectifier avec toute la précision désirable, les mesures que nous avions prises

sur le géant Charles. Nous avons pu les rapprocher de celles qui avaient été

recueillies en 1899 par le même observateur,et le tableau ci-dessous offre ainsi

le rare avantage de permettre une comparaison très exacte des différents chif-

fres obtenus à trois ans d'intervalle, sur le même individu, d'après la même

technique, appliquée par le même observateur.

548 LAUNOIS ET ROY

NOUVELLE Iconographie de la SALPÊTRIÈRE. T. XV. PI LXVI

-GIGANTISME ET INFANTILISME

(`l ? E. Lrrunnis et Pierre Roy).

Le genou du géant Charles

, (Geiwvalgum tardif et persistance à rAge de 3° ans - ?

Nouvelle Iconographie de la SALPÊTRIÈRE. T. XV. PI LXVII

GIGANTISME ET INFANTILISME

(P. E. Launoh el Pierre Roy).

La main du géant Charles

(Persistance Lige de ;o ans des cartilages de conjugaison).

GIGANTISME ET INFANTILISME 549

550 LAUNOIS ET ROY

De cette observation, nous retiendrons pour les étudier spécialement

trois données principales qui nous semblent tout particulièrement inté-

ressantes :

1° La persistance chez un homme de 30 ans des cartilages de conj1/gai-

son ;

2° Le mode de croissance gigantesque et ses anomalies ;

3° L'atrophie génitale, dans ses rapports avec les deux faits précédents.

1. Persistance des cartilages de conjugaison. -Les épreuves ra-

diographiques que nous avons obtenues sont, à notre connaissance, les pre-

miers documents précis qui aient été fournis pour appuyer l'hypothèse, déjà

souvent émise, de la persistance anormale des cartilages épiphysaires chez

certains géants adultes.

Depuis longtemps, on a signalé des poussées de croissance en hauteur

se produisant, sous des influences variables, chez des sujets adultes qui

semblaient avoir atteint leur stature définitive; et, comme l'accroisse-

ment en longueur des os se fait au niveau des cartilages de conjugaison,

il était tout naturel de supposer, en pareil cas, la persistance anormale de

ceux-ci ou le réveil pathologique de ractivitéproiiférante de leurs cellules

cartilagineuses.

Dès 1832, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1) distinguait, parmi les

anomalies par augmentation générale de volume, deux variétés : le géan-

la taille. Topinard (2), reprenant plus tard cetle distinction, a pu dire

que le gigantisme est causé, soit par Y accélération du développement, soit

par la prolongation de son terme final. Dans le premier cas, le gigantisme

apparaît avant 20 ans, comme l'expression d'une exagération dans le

rythme de la croissance; dans le second, le gigantisme est plus tardif,

la croissance se prolongeant anormalement au delà dit ternie normal.

Contre la théorie de Langer (3), d'après laquelle la plupart des géants

auraient atteint leur taille avant la vingtième année, les exemples sont

nombreux : témoin cette femme, citée par B. Mosler (4), qui, mariée à

10 ans avec un homme qui la dépassait d'une tête, semit à grandir déme-

surément jusqu'à atteindre une taille de 1 m. 93 et à dépasser à son tour

son mari, plus petit delà hauteur d'une tête.

Tous ces cas de croissance retardée, c'est-à dire, se produisant au delà

(i) GEOFFROY SAINr-IIILAII1E, Traité de tératologie, t. I, chap. II, p. 16G.

(2) Topinahd, Elém. d'Anllc. 7éa .,1885, p. 434.

(3) LANCER, Wachslhum des menschlichen Sloe/elles mil Bezug auf den Riesen. Dent.

schriften d. Kais. Akad. d. Wissensch. Wien, 1872.

(4) B. l\IOSLER, Uebei, diesogenannle Ak¡'omegalie, Virchow-Fetschrift, Internat.Beitr.

z. Wiss.

GIGANTISME ET INFANTILISME t 551

de la limite habituelle de l'accroissement en longueur du corps, qui est,

chez l'homme, comprise entre 18 et 25 ans, ne peuvent s'expliquer que

par la persistance anormale des cartilages juxta-épiphysaires. Si cette

persistance est signalée dans plusieurs observations, il est le plus souvent 1

difficile de la constater sur le vivant, au travers des parties molles qui

masquent les extrémités articulaires et empêchent de sentir le relief que

forme à la surface de l'os le cartilage conjugal.

D'autre part, la majorité des squelettes de géants, conservés dans les

muséums, n'étant pas accompagnés de descriptions cliniques, il est assez

difficile de déterminer l'âge des sujets auxquels ils appartiennent et on ne

peut se fonder sur la non-soudure des épiphyses pour le déterminer avec

précision. Il en est ainsi, par exemple, pour le géant Mû lier du Muséum

du Collège des médecins de Philadelphie, décrit soigneusement par Hins-

dale (1) : « Sur le sujet dont je vais décrire le squelette, dit cet auteur, on

ne sait rien, sinon qu'il naquit dans le Kentucky. En 1877, le profes-

seur Joseph Leidy fut informé qu'un corps de géant était à vendre, à la

condition qu'aucune question ne serait posée pour établir son identifica-

tion... Aucun nom n'ayant été donné pour ce sujet, je l'appellerai le Géant

Américain » (2). Et plus loin, l'auteur ajoute : « Il est probable que le

géant américain avait atteint l'âge de 22 ou 24 ans au moment de sa

mort : les os semblent avoir atteint leur entier développement, quoique les

jonctions épiphysaires soient encore visibles sur tous les os longs. »

Une semblable détermination de l'âge d'un squelette anormal est coup

sûr imparfaite : les radiographies, que nous avons obtenues, démontrent

précisément que chez notre sujet les jonctions épiphysaires ne se sont pas

encore faites à l'âge de 30 ans.

Il existe cependant quelques squeletles aux épiphyses non soudées

ayant appartenu à des géants dont on connaît, en partie du moins,l'histoire,

sans qu'on soit fixé sur l'âge exact atteint au moment de la mort. C'est ainsi

qu'à Vienne, on conserve au Musée anatomique le fémur du géant Barts-

chen, mesurant 65 centimètres et dont les épiphyses ne sont pas soudées.

Or, Bartschen, soldat dans l'armée turque, vécut prisonnier pendant un

certain temps comme Ilajdul : e et, « bien que t'age de sa mort soit iucer-

.tain, il est vraisemblable que les cartilages épiphysaires conservèrent ici

leur pouvoir ostéoéne pendant un temps anormalement long » (3).

Le fameux squelette du géant irlandais, Cornelius Magrath (voir plan-

(1) Hinsdale, AC1'omegaly, Warren, Détroit, U. S. A., 1898, p. 69.

(2) On retrouve ce même squelette décrit sous le nom de Géant du Kentucky dans

l'article de Woods Hutchinson in the \ew-Yorlc Médical journal, July, 19110.

(3) l3onae et Jancso, Ein Fait von pathologischem Riesel1w1tclts. Deutsches Archiv.

sur Rlin. med., 1898, p. 385.

552 , LAUNOIS ET ROY -

che VU),si soigneusement étudié par D.-J. Cunningham les épiphyses

supérieures des deux humérus soudées seulement en partie au corps de

l'os ; des deux côtés également, les épiphyses inférieures du radius ne

sont pas entièrement soudées. Toutefois le retard observé dans le processus

de l'ossification est beaucoup moins marqué que chez notre géant : Magrath,

né en 1736,à College-Green, dans le comté de Tipperary, mourut le 20 mai

1760, c'est-à-dire à l'àge de 24 ans; on sait qu'à cet âge il peut arriver

normalement que l'épiphyse inférieure du radius ne soit pas entièrement

soudée.

Parmi les plus beaux exemples de retard dans l'ossification des cartila-

ges qu'il nous a été donné de retrouver, une mention toute particulière

appartient au géant décrit par Buday et Janeso (2) ; il est, à bien des

égards, absolument comparable à celui que nous observons (voir plus loin

le résumé de son observation).

Il s'agit d'un homme, mort à 37 ans, et qui, de taille normale jusqu'à

20 ans (1 m. 63), se mit à cette époque à grandir progressivement jusqu'à

l'âge de 35 ans, pour atteindre au moment de sa mort une stature de

2 m. 02. Dans les deux dernières années on ne constata plus aucune crois-

sance, fait avec lequel concorda la constatation à l'autopsie d'èpiphyses

partout ossifiées. En revanche, on trouva les signes d'un retard très anor-

mal dans l'ossification de ces cartilages : à la périphérie de certains os

longs, après la macération, une petite zone laissa reconnaître assez bien le

cartilage conjugal : cette ligne épiphysail'e se retrouvait ainsi sur les os de

l'avant-bras et à l'extrémité supérieure du fémur. A l'examen microscopi-

que, on constatait une prolifération anormale des cellules cartilagineuses

dans le sens de la longueur de l'os ; les cellules cartilagineuses à l'état de

repos ne se trouvaient qu'à la partie superficielle du cartilage, dans un

cinquième seulement de la masse totale, tout le reste étant encore en acti-

vité. Budayet Jancso concluent à bon droit qu'il s'agit bien là à'un casde

gigantisme par retanl de l'allongement.

L'application de la radiographie à l'étude du gigantisme n'a jamais été,

jusqu'à présent,pratiquée d'une façon systématique. Quelques auteurs y ont

eu recours cependant pour établir les rapports qui relient le gigantisme

à l'acromégalie. Ce nouveau moyen de recherches, applicable à toutes les

malformations ou déformations du squelette, a fourni de précieux rensei-

gnements à Marinesco (3), à Gastou et Brouardcl (4), à Gilbert, Garnier

et Poupinel (5), à Gibson (6), etc.

(1) D.-J. Cunningham, Transactions 0 GAe ro;/al Irisla Academy, 26 janvier 1891.

(2) Buday et Jancso, loc. cü.

(3) Marinesco, Soc. de hiol., 17 juin 1896.

(4) Gastou et BROUAPDEL, Presse méd., 29 juillet 1896.

(5) GILBERT, Garnier et PouriNEL, Soc. de biol., 29 janvier 1898.

(6) Gibson, Acad. de méd., 22 mai 1900.

GIGANTISME ET INFANTILISME 553

Marinesco, par exemple, dans ses recherches sur les mains acromégali-

ques,a rapproché et comparé les résultats que lui ont fournis quatre sujets

qu'il a étudiés à l'aide des rayons de Röntgen : chez trois d'entre eux,

qui présentaient la forme massive de P. Marie, il a noté une hypertrophie

notable des métacarpiens et des phalanges, une exagération uniforme de

l'état normal et une augmentation régulière du volume des épiphyses.

Chez la quatrième malade, femme de 33 ans, atteinte d'acromégalie à

forme géante, chez laquelle l'affection avait débuté à 25 ans, la main était

plus longue et moins grosse; la diaphyse des phalanges était uniformé-

ment allongée et l'on n'observait pas de productions osseuses au niveau

des extrémités des os. De plus, l'hypertrophie des parties molles, compa-

rativement à celle des os, était beaucoup moindre que dans la forme mas-

sive. Pour cet auteur, de semblables constatations faciliteraient la dis-

linction qu'il faut établir entre les deux formes de l'acromégalie : la

forme massive, de l'adulte ou à début tardif, et la forme géante, de l'ado-

lescent ou à début précoce.

o Il serait à souhaiter, dit de son côté M. Henry Meige, dans une

étude récente (1), que l'on fit des radiographies de géants ne présentant

pas de signes d'acromégalie. Il est très vraisemblable que, pendant tout

le temps que se poursuit la croissance en longueur, on pourra constater la

persistance des cartilages de conjugaison. Ceux-ci, au contraire, auront

complètement disparu si le sujet présente des déformations acromégali-

ques. » Réservant pour l'instant la question de savoir si le géant que nous

observons deviendra un jour ou l'autre un acromégalique, nous nous

contenterons de constater que nos épreuves radiographiques répondent au

desideratum exprimé par Meige et justifient d'une manière éclatante l'hy-

pothèse formulée par lui après tant d'autres.

Nous croyons encore devoir faire. remarquer dès maintenant que la

localisation de cartilages encore actifs aux membres et, dans les membres,

aux épiphyses qui normalement s'ossifient le plus tardivement, donnée-

l'explication de l'inégal développement des membres et du tronc, camez

aussi des différents segments des membres. I ?

II. Mode de croissance gigantesque et ses anomalies.- Le l'

mier caractère remarquable de la croissance gigantesque, qu'il nous a été-

donné d'observer, est sa continuité et sa persistance. Ayant commencé à

s'allonger à un âge impossible à déterminer, le grand Charles continue

encore à grandir d'une façon notable, bien qu'il ait atteint sa trentième

année.

L'accroissement de sa taille s'est fait avec une progression régulière,

quoique excessive. On ne note pas, chez lui, cet accroissement brusque,

(1) fIexnx Meige, Sur le Gigantisme, Arcli. gén. de médecine, octobre 1902. p. 442.

xv 36

554 LAUNOIS ET ROY

qui se fait vers 17 ou 18 ans, et qui a été signalé chez beaucoup de géants

acromégaliques (Henry Meige). A 21 ans, Capitan ne relevait qu'une hau-

teur de 1 m. 86. Comme beaucoup de conscrits normaux, il continue

à grandir pendant ses trois années de service militaire. A 27 ans il mesu-

rait ! m. 99 ; enfin dans ces trois dernières années a encore gagné cen-

timètres. La persistance de ses cartilages de conjugaison nous permet de

supposer qu'il est susceptible de grandir encore.

Chez le géant, comme chez le jeune sujet, dit J. Lucas-Champion-

nière (1), l'accroissement n'est pas le résultat d'un allongement régulier

et continu du squelette ; l'accroissement se fait par périodes intermitten-

tes, s'accompagnant de malaise général, de douleurs articulaires, parfois

de poussées fébriles. En tout cas, ce qu'il est intéressant de noter chez

Charles F., c'est la persistance des douleurs articulaires, très violentes,

douleurs de croissance sans doute, provoquant l'insomnie, et qui l'ont

amené à consulter à l'hôpital.

Le genu valgum, si accusé chez notre sujet, s'est développé tardive-

ment : nous possédons en effet une photographie prise au sortir du régi-

ment, qui le représente sous l'uniforme d'un grand cuirassier, dont la

jambe gauche est parfaitement rectiligne. En août 1898, Championnière

le vit une première fois dans son service de l'Hôtel-Dieu, où il était venu

demander des soins pour une entorse tibio-tarsienne gauche; cl il cette épo-

que, la jambe était absolument droite » ; ce n'est donc qu'à )'age de 27 ans,

que s'est produite la déformation osseuse qui semble aller d'ailleurs en

s'accentuant. On sait que lereaec valgum se produit d'ordinaire chez les

jeunes sujets dont l'accroissement des membres inférieurs est très rapide,

et qu'il est dû au développement exagéré et irrégulier de l'extrémité dia-

physaire. Le seul fait de la production tardive de cette déformation aurait

pu suffire pour affirmer la persistance de cartilages de conjugaison au

niveau de l'extrémité inférieure du fémur.

La déformation articulaire du genou offre dans un cas de ce genre un

intérêt tout particulier : .

1° Le genu 1'algu1n a été, en effet, signalé chez les géants : Langer (2),

étudiant leur conformation physique, notait que, chez eux, la ceinture

pelvienne est proportionnellement augmentée d'une manière très nette et

ajoutait que cet élargissement du bassin contribuait avec la longeur anor-

male des membres inférieurs à produire le gêna valgum (liiocl-lnce des

Anglais), et expliquait sa fréquence.

(1) J. LUC.1S·I.IIATIPIONNIInE,IW ésenlaliozz d'un géant dont les phénomènes de grandis-

semeul tardif se caractérisent comme ceux du g'-l1ndissement des jeunes sujets (Bull-

de l'Acad. de méd., 9 mai 1899, 3' série, t. XLI, p. 481).

(2) Lancer, loc. cit.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE r.A ^ALPÊTRIÈRE

T. XV. PL. LXVIII

GIGANTISME ET INFANTILISME

(P.-E. Launois et Pierre Roy.)

Squelette d'un eunuque égyptien.

(Lortet.)

Squelette du géant irlandais Cornélius

M.GP1TII (1736-1760).

(D.-J. Cunningham.)

\(.\SSO\ I : T C ? l'lntcurs.

GIGANTISME ET INFANTILISME 555

Cunningham(l), sur le squelette du géant irlandais Corneliuslllagrath,

observa, de son côté, l'existence d'un genu valgum double, surtoutaccusé

du côté gauche (voir planche LXVIII). « Le condyle interne est extrême-

ment long, tandis que l'externe est très court. Cette déformation n'est

pas due à l'obliquité originaire de la ligne épiphysaire, puisque les con-

dyles descendent le long de lignes qui sont parallèles au grand axe de la

diaphyse fémorale. Il est plus que prohahle que l'extrême largeur du bas-

sin peut en quelque mesure être responsable de la déformation. » Cun-

ningham ajoute que, chez le géant de Saint-Pétersbourg et sur le squeletta

de Berlin, n° 3040, il existe également un haut degré de genu valgum.

Enfin le géant étudié par Buday et Jancso (2), chez lequel nous avons

déjà rappelé le retard de la soudure des épiphyses, présentait aussi un

genu valgum droit (fig. 3).

2° D'autre part, l'existence d'un genu valgum a été notée assez fré-

quemment chez les acromégaliques (Osborne, Aliddletoii, Schultze, Huits-

chmann, Rosewell Paru) :

3° Enfin le genu valgum n'est pas rare chez les infantiles (Henry

Meige) (3).

La déformation des genoux se rencontrant à la fois chez les géants, chez

les acromégaliques et chez les infantiles, il est permis de penser qu'il

existe peut-être certaines relations entre ce« trois étals pathologiques.

La croissance gigantesque chez notre sujet n'a pas porté également sur

toutes les pièces de son squelette. De l'étude très précise qu'en a faite Pa-

pillault en 1899, on peut dégager les conclusions suivantes : *

1° Le tronc est proportionnellement (4.) à peu près normal et l'allonge-

ment porte surtout sur les membres ;

2° Les membres inférieurs sont plus accrus que les supérieurs ;

3° Les segments proximaux des membres (fémur, humérus) sont moins

accrus proportionnellement que les segments distaux.

4° La main et le pied sont un peu moins accrus que le segment distal 1

correspondant.

Déjà à l'époque où il l'observait, Papillault concluait que ce trouble

systématique dans les proportions du corps devait s'expliquer par l'état

d'ossification plus ou moins avancée des différents cartilages épiphysaires,

(1) CuNNINGHAM, lac. Cil.

(2) BUDAY et Jancso, lac. cit.

(3) Henry MEIGE. l'Infantilisme, le féminisme et les hermaphrodites antiques, p. 21.

L'Anthropologie, t. IV, 1895.

(4) Pour mieux faire ressortir les anomalies produites chez le grand Charles par le

fait de sa croissance exagérée,Papillault a comparé les mensurations recueillies sur lui

avec la moyenne de celles pratiquées sur trois Parisiens ^de taille élevée, mais bien

proportionnés et harmonieusement développés.

556 LAUNOIS ET ROY

qui par suite réagissaient inégalement à la cause anormale et inconnue qui

excitait et prolongeait leur activité proliférative,

Nos radiographies viennent pleinement confirmer cette hypothèse : les

cartilages dont les rayons de Rontgen nous ont montré la persistance

sont précisément ceux qui, à l'état normal, s'ossifient le plus tardivement

(épiphyses voisines du genou, épiphyses éloignées du coude). C'est au

niveau de ces cartilages encore actifs que s'est produit en trois ans l'al-

longement des différents segments des membres que rend plus évident la

comparaison des chiffres recueillis en 1899 et en 1902. Cette comparaison

montre, de plus, que les différents segments des membres ne se sont pas

accrus d'une manière égale et proportionnelle, et, à cet égard, il semble

que les conclusions de Papillault, exactes en 1899, ne le soient peut-être

plus autant en 1902.

En ce qui concerne le membre inférieur droit, il semble tout d'abord

que l'allongement n'ait pas été très considérable : le grand trochanter,

qui était il y a trois ans à une hauteur de 1 m. 118 au-dessus du sol, est

aujourd'hui à 1 m. 129 ; il n'a donc subi qu'une augmentation de 11 mil-

limètres. Mais il faut tenir compte de l'affaissement de la voûte plantaire

(la hauteur de la malléole interne, de 87 mm., en 1899, n'atteint plus

aujourd'hui que 79 mm.) ; il reste ainsi pour le segment fémoro-tibial

un allongement global de 19 millimètres, qui se répartit de la manière sui-

vante : en trois ans, le fémur a gagné 12 millimètres et le tibia 7 milli-

mètres. Pour juger de cet allongement, il faut encore tenir compte que

les mesuresont été prises sur le membre inférieur droit, resté rectiligne,

mais qui, ayant à supporter seul tout le poids du corps, s'est certainement

moins accru que le membre inférieur gauche : en examinant les photo-

graphies, il apparaît nettement que celui-ci, tout difforme et inaccessible

qu'il soit, aux mesurations précises,a une longueur supérieure à celui du

côté droit et, cela en négligeant même l'inclinaison compensatrice du bas-

sin. Quant au pied (droit), sa longueur a augmenté d'une manière appré-

ciable (12 mm.). Mais à droite comme à gauche le pied et les orteils

sont trop déformés par les attitudes vicieuses pour qu'on puisse songer

à comparer avec quelque précision des mensurations prises dans des con-

ditions par trop différentes et par trop variables.

Il n'en est pas de même pour les mesures prises sur le membre supé-

rieur (gauche) ; elles sont susceptibles d'une assez suffisante rigueur : la

longueur totale du membre supérieur, comprise entre l'acromion et l'ex-

trémité du médius, qui était en 1899 de 912 millimètres, est aujourd'hui

de 963 millimètres ; c'est constater qu'elle s'est accrue de 51 millimètres.

La répartition de l'accroissement sur les différents segments du membre

peut être indiquée de la façon suivante :

GIGANTISME ET INFANTILISME 557

558 LAUNOIS ET ROY

constants la perte de l'instinct sexuel et la rapproche de la polyphagie et de

la polydipsie ; parmi les signes objectifs, inconstants, il signale l'atrophie

des testicules, susceptible de coïncider parfois avec l'hypertrophie du

pénis. Après avoir décrit les hypertrophies localisées caractéristiques

de l'affection, Woods Hutchinson s'exprime ainsi au sujet des modifica-

tions observées dans la sphère génitale :

« Un autre symptôme~singulier et très constant, constituant ainsi l'uni-

que exception à la loi régionale de ces hypertrophies, est la diminution

des fonctions sexuelles, qui se rencontre dans environ 65 pour 100 de la

totalité des cas, diminution qui peut même s'étendre à la taille des orga-

nes externes ; ceux-ci, d'après mes recherches, n'ont jamais été trouvés

hypertrophiés, bien qu'occupant une place dans la ligne moyenne carac-

téristique. En réalité, on les a trouvés imparfaitement développés et

au-dessous de la taille moyenne dans beaucoup de cas, et spécialement

dans ceux où l'affection s'est montrée à un âge relativement peu avancé.

Chez la grande majorité des femmes, la menstruation devient irrégulière

et finalement se supprime entièrement; tandis que chez 60 pour 100

environ des hommes l'appétit sexuel, subissant dans un petit nombre

d'exemples un accroissement temporaire de vigueur, finit par diminuer

nettement et rapidement pour, en dernier lieu, disparaître; cette dimi-

nution peut, comme je l'ai dit, s'accompagner de l'atrophie du pénis et

des testicules. En fait, cet affaiblissement sexuel.est un Irait si frappant de

la maladie qu'une des plus récentes théories palhogéniques est celle de

Freund, qui en fait le principal facteur étiologique et considère l'affection

comme due à un arrêt de développement sexuel. Mais comme cet affaiblis-

sement n'est vraiment présent que dans environ 60 pour 100 des cas, et

comme il ne se montre dans la grande majorité que longtemps après l'éta-

blissement non seulement de la puberté, mais même de la conception,

chez la femme, ou de la période d'activité génitale, chez l'homme, on le

regarde maintenant comme un effet et un symptôme plutôt que comme

une cause de la maladie (1). »

Enfin llinsdale (2), dans sa monographie sur l'acromégalie écrit :

« Les organes génitaux externes peuvent être hypertrophiés, tandis que

l'utérus et les testicules sont trouvés atrophiés. Il est commun de trouver

que la menstruation a cessé au début de l'affection. Dans la forme géante

de l'acromégalie, comme dans la forme ordinaire, la slérilité est l'état IiaLi-

tuel. » .

2° Dans le gigantisme. - En dehors des rapports toujours discutés

(1) WOODS Hutchinson, New- York Med. journ., 12 mars 1898, p. 344.

(2) rIINSDALS, loc. cit., p. 16.

GIGANTISME ET INFANTILISME 559

entre l'acromégalie et le gigantisme, il est un fait généralement constaté

chez les géants, c'est leur impuissance. Cette impotence fonctionnelle

n'avaitpas échappé il Isodore Geoffroy Saint-IIilaire,qui l'a vait signalée de

la façon suivante : « Le point par lequel les géants se rapprochent le

plus des nains et justifient le mieux l'idée de Changeux(l), c'est qu'ils

sont ordinairement impuissants, comme ceux-ci, et sont très promptement

énervés par les plaisirs de l'amour. Le défaut d'aptitude des géants aux

fonctions génératrices ne saurait au reste étonner chez des êtres épuisés et

affaiblis par la rapidité et l'excès de leur accroissement et s'explique

beaucoup mieux à leur égard qu'au sujet des nains. Il avait de plus con-

staté que le pénis dugéant irlandais Patrick O'Bryan, mort à 29 ans, qu'on

conserve au Muséum du Collège des chirurgiens à Londres, ne surpassait

pas les dimensions normales de cet organe- « Chez quelques géants,

ajoute encore l'auteur de l'histoire des anomalies, l'érection est même pres-

que impossible (2). »

Il n'est pas toujours possible de faire un examen détaillé de l'appareil

génital d'un géant et de savoir comment s'accomplissent ses fonctions;

cependant plusieurs observations renferment des détails assez circons-

tanciés sur ce sujet. Dana (3), par exemple, dans sa description du géant

Péruvien, mort à 30 ans avec une taille de 7 pieds 8 pouces, note qu'il

avait un pénis extrêmement petit, mesurant 3 pouces de long. De même,

chez le Chinois, géant acromégalique de 25 ans, observé par Matignon (4),

« la verge est petite, les testicules microscopique, sa peine des haricocèles ».

Le géant examiné par Henry Meige (5) dans le service de M. Gilbert,

homme de 39 ans, mesurant 1 m. 96, déclare n'avoir aucun appétit sexuel.

Bonardi (6) remarque chez un géant acromégalique qu'il lui avait été

donné d'observer : « Le sens génésique a subi chez le malade une atteinte

notable : indifférence complète pour les plaisirs vénériens; érection in-

complète et fugace . » D'autres observations sont plus explicites encore

à cet égard : S. Garnier et Santenoise ont publié une note sur le « cas

(1) Chanceux, auteur d'un Traité des extrêmes ou Éléments de la science de la réa-

lité (n6), dans lequel il s'efforce de démontrer l'analogie nécessaire qu'il y a entre

les extrêmes dans tous les domaines : physique, moral, etc., a fait une application par-

ticulière de ce principe dans sa Dissertation sur les nains et les géants, Journal de

Phys., t. XIII, suppl., p. 167, 1778.

(2) ISIDORE GEOFFROY Saixt-Hilaire, Histoire générale et pa7-licitliè ? 'e des anomalies s

de l'organisation chez l'homme et chez les animaux, elc., ou Traité de tératologie,

t. I, p. 183, et note 2.

(2) DANA, The journal of nervous and mental diseases, nov. 1893.

(4) Matignon, Un cas d'acoomégalo-gigantisme. Méd. moderne, 6 novembre 1897,

p. 705.

(5) Henry MEIGE, Sur le gigantisme. Arch. gén. de méd., octobre 1902, p. 451.

(6) Bonardi, Il Morgagni, n- 9,1899.

560 LAUNOIS ET ROY

tératologique complexe d'un aliéné (gigantisme, féminisme, cryptorchi-

die) », où il est dit : « Les bourses sont très réduites et ne contiennent

pas trace de testicules ; on a beau enfoncer le doigt aussi avant que pos-

sible dans le canal inguinal, déprimer la paroi abdominale à ce niveau,

on ne perçoit absolument rien qui puisse faire soupçonner la présence de

ces organes. La verge est très petite, longue de 6 centimètres avec une

circonférence à sa racine de 7 centimètres. Nous n'avons pas pu savoir

comment fonctionnent ces organes génitaux, le malade étant trop troublé

pour pouvoir répondre à cet égard » (1).

Mais parmi toutes les observations publiées, celles qui méritent avant

tout d'être rapprochées de la nôtre, ont été recueillies par Woods Hutchin-

son et Buday et Jancso (2). -

Elles mettent également en valeur l'association de l'atrophie génitale et

gigantisme.

Voici l'observation de Woods Hutchinson :

Oi3s. IT. - Un cas d'acromégalie chez une géante (3) (Woods Hutchinson).

Vers le milieu de février 1893, « Lady Aama », une géante française, vint

en notre ville pour être exhibée dans un « muséum ». Au bout d'une semaine

elle tomba malade et mourut le 27 du mois.

On entama des négociations avec la troupe dont elle faisait partie et son

corps fut acheté par le Muséum de l'Université de l'Etat d'Iowa. Ainsi je fus

conduit à examiner cette très intéressante anomalie.

« Lady Aama » avait été annoncée comme ayant plus de 8 pieds de haut

(2 m. 44). Mais ce n'était là que l'exagération habituelle aux géants qui se

montrent en public et nous ne fûmes pas surpris de trouver, en la mesurant

soigneusement cinq jours après sa mort, que sa hauteur, ou, plus exactement,

sa longueur était exactement de 6 pieds et 7 pouces 3/4 (2 m. 02), quoique,

à la vérité, elle ait pu dépasser légèrement celle-ci, alors que la voûte plantaire

était mieux formée et que les disques intervertébraux n'étaient pas aplatis- Les

(1) GARDER ET SANTENOISE, Arch. de Neurologie, mars 1898, p. 203. - L'intérêt très

grand qui semblerait devoir s'attacher à cette observation est un peu diminué par le

fait que le malade qualifié géant ne mesurait que 1 m. Il ; que son féminisme ne se

justifiait peut-être pas par l'hypertrophie réelle des glandes mammaires et qu'enfin

l'examen microscopique de l'appareil génital enlevé il l'autopsie manque absolument.

De plus, il y est fait mention d'un développement exagéré de la face, sans que le mot

d'acromégalie y soit même prononcé.

(21 Les exemples d'atrophie génitale chez les géants pourraient être multipliés à

l'infini : les sujets observés par Fritsche et KLens, SIRENA, CnsnL, d'autres encore,

présentaient également une diminution dans le volume ou dans les fonctions de leur

appareil génital, contrastant avec le développement gigantesque de leur squelette.

(3) Wooos Hutchinson, The Américain journal of the medical sciences, août 1895,

p. 190.

GIGANTISME ET INFANTILISME 561

mesures furent prises entre deux perpendiculaires à la table sur laquelle le

corps reposait, menées respectivement par le sommet de la tête et par le talon

et la plante du pied.

Son nom de baptême était Emma Aline Batallaid; elle était née en France

au pied du Jura, son âge variant, d'après les déclarations de ses soeurs, entre

19 et 17 ans ; ce dernier semble plus probable en raison de l'examen ultérieur

qui montra qu'à peine un tiers des épiphyses du squelette étaient soudées aux

diaphyses ; mais ceci peut aussi avoir été le résultat du développement im-

parfait de ses tissus. La plus vieille épiphyse soudée était celle de l'extrémité

inférieure du tibia (18e année, Quain).

La cause de sa mort était, disait-on, une consomption rapide qui n'avait duré

que six mois ; mais une enquête soigneuse montra que ses forces avaient tou-

jours été en diminuant depuis quatre ou cinq ans, et qu'elle était morte presque

subitement. Elle fut exhibée encore trois jours avant sa mort, qui semble avoir

été causée par une attaque de grippe ou de bronchite aiguë, mort survenue par

syncope au cours d'une forte quinte de toux. Elle souffrit très peu durant sa

maladie, mais sa faiblesse musculaire était si grande que, plusieurs semaines

avant sa mort, elle était obligée de se soutenir, étant debout, sur des tiges

fixées dans le plancher. En fait, la mort semble avoir été causée par un état

de collapsus général, hâté par une grippe.

Elle était la 15e enfant d'un pauvre laboureur, tous les autres étant de taille

normale ; une soeur l'accompagnait et déclara que la taille avait été en augmen-

tant jusqu'à sa mort.

Son intelligence était véritablement pauvre, mais en aucune façon anor-

male.

Le corps était extrêmement amaigri et la première chose qui attira notre

attention fut la petite taille apparente de la poitrine et du tronc comparés dans

l'ensemble avec les extrémités grandement allongées. Ceci d'ailleurs était d'ac-

cord avec ce qui est, à mon avis, la règle en pareil cas, à savoir que les géants

sont grands et les nains petits surtout par les jambes, le corps étant dans les

deux cas très voisin de la normale.

Cette impression fut confirmée par les mensurations qui montrèrent que la

longueur des extrémités inférieures du sommet du grand trochanter au bord

inférieur du calcanéum était de 47 pouces (1 m. 19), c'est-à-dire près de 60 0/0

de la hauteur totale, tandis que la moitié de cette hauteur se trouve d'ordi-

naire située un pouce au-dessous de ce niveau, au bord supérieur de la sym-

physe (Quain). D'après les canons du Blanc (Duval, Anatomie artistique)

établis par les anciens artistes égyptiens, la longueur des membres inférieurs,

depuis ce point, devrait représenter les 10/19 de la hauteur totale ; dans le cas

d'Aama elle devrait être de 41 pouces 2/3 (1 m. 06), c'est-à-dire 5 pouces

(0 m. t3) en moins que la mesure constatée. La même chose existait aux mem-

bres supérieurs (de l'acromion à l'extrémité du médius), qui, d'après les mêmes

canons, auraient dû représenter les 8/19 de la stature et mesurer 33 pouces 1/3

(0 ni.85),'alors qu'ils mesuraient 37 pouces (0 m. 94).

Le même rapport est retrouvé dans les mesures des os du thorax, le ster-

5C2 LAUNOIS ET ROY

num mesurant 8 pouces 1/4 (0 m. 21), c'est-à-dire il peine un quart de pouce

plus long que celui d'un adulte normal (Uuval), et la clavicule 7 pouces

(0 m. 18) ou seulement un pouce au-dessus de la même moyenne. L'étendue

de cet allongement des jambes, responsable de cette taille excessive, peut être

mise en valeur en comparant la longueur des membres inférieurs de lady Aama

avec leur longueur moyenne dans sa race, qui serait les 10/19 de 5 pieds,

o, 2 pouces (1 m. 65) (Quatrefages), c'est-à-dire 34, 3 pouces (0 m. 87), soit

une différence de 12, 6 pouces (0 m. 32) ou près des 3/4 de l'excès total de la

hauteur.

Le second fait notable fut chez elle la taille disproportionnée et la forme

particulière de ses mains et de la mâchoire inférieure. Les mesures d'ailleurs

confirmèrent cette impression ; la main, au lieu d'être d'accord avec les canons

artistiques 1/10 de la hauteur totale, égale à 7, 9 pouces (0 m. 20), était longue

de 11, 25 pouces (0 m. 285), c'est-à-dire près de 1/7 de la taille ; elle avait en

outre la forme spéciale en battoir, avec des doigts carrés du bout, et de largeur

uniforme sur toute leur longueur. Les pieds, au lieu d'être les 3/19 delà

taille, soit 12, 6 pouces (0 m. 32), mesuraient 13, 75 pouces (0 m. 35). D'au-

tre part, non seulement la mâchoire, mais aussi les os du nez étaient manifes-

tement élargis. La mâchoire inférieure mesurait 6 1/4 pouces (0 m. 16) de

l'angle à la symphyse, au lieu de 3 3/4 pouces (0 m. 095) qui est la longueur

normale des adultes mâles. Quant au crâne, il fut trouvé à peine au-dessus de

la moyenne, mesurant 21 1/8 pouces (0 m. 56) de circonférence au lieu de

20 pouces (0 m. 51) (longueur normale chez la femme).

Il n'y avait absolument rien de visible sur le tronc au-dessus du pubis,

pour indiquer le sexe, les glandes mammaires étant presque complètement

absentes et la circonférence de la poitrine n'ayant que 2 pouces (0 m. 05) en

moins que celle des hanches.

Les mamelons étaient aplatis et petits ; leur dissection montra il peine la

trace du tisssu glandulaire et du ligament suspenseur . Les téguments du

corps étaient épaissis et terreux, mais sans rien autre d'anormal, et les cheveux

étaient minces et épais, mais de longueur à peu près normale.

Autopsie. Emaciation extrême. Coeur légèrement au-dessus de la taille

normale, ventricule gauche élargi, valvules dilatées, péricarde normal.

Poumons. - Normaux, sauf pour la taille, qui semble au-dessous de la

moyenne. Coloration pâle, collapsus complet. Pas d'adhérences pleurales.

Rate. Considérablement augmentée. Poids : 2 livres. Pulpe grisâtre.

Capsule épaisse et surface lobulée.

Reins. - Normaux ; capsule non adhérente.

Foie. Légèrement augmenté, mais sain par ailleurs.

Capsules surrénales augmentées.

Glande thyroïde. Taille et apparence normales.

Le cerveau était pâle et ramolli ; mais, en raison de l'impossibilité de faire

une autopsie près d'une semaine après la mort, il fut trouvé dans un tel état

de dégénération qu'il fut difficile de le retirer en entier.

Ceci fut surtout marqué au sommet du lobe temporo-sphénoïdal gauche, qui

GIGANTISME ET INFANTILISME 563

fut retiré sous forme d'un amas de débris ramollis. Pour la même raison, le

corps pituitaire, qui était grandement augmenté de volume, fut retiré de

travers et sa forme et son contour furent complètement détruits.

Les dimensions, qu'on estime être environ celles de la dernière phalange du

pouce, peuvent toutefois être estimées d'après celles de la fosse, celle-ci me-

sure 1 pouce 1/4 (0 m. 032) d'avant en arrière et 1 pouce 1/2 (0 m. 039)

transversalement.

Le poids du cerveau, après durcissement dans l'alcool, pour permettre son

maniement, était de 36 onces, soit 8 onces au-dessous du poids moyen chez

la femme.

Les ventricules latéraux apparurent quelque peu dilatés, le sommet de la

corne antérieure étant élargi et arrondi et la cavité du 3e ventricule bien pro-

longée en bas dans l'infundibulum. Il n'y avait pas de foyer hémorragique et les

méninges étaient saines. Les circonvolutions, scissures et les proportions gé-

nérales étaient normales, sauf un épaississement particulier avec compression

en arrière des lobes temporo-sphénoïdaux obligeant le tiers antérieur de la

scissure de Sylvius à se diriger presque verticalement et.à repousser le gyrus

unciforme à l'intérieur.

L'anomalie la plus frappante fut trouvée dans les organes génitaux. Le

mont de Vénus et les grandes lèvres étaient aplatis et peu développés. Le cli-

toris avait presque un demi-pouce de diamètre et était extrêmement proémi-

nent, avec de grands replis clitoridiens, d'un pouce 1 /2 (0 m. 04) de longueur,

présentant une ressemblance assez vraisemblable avec un petit pénis imp(l1'-

faitement développé ; ce fut là sans doute l'origine des bruits courant pen-

dant la vie d'Aama qu'elle était une hermaphrodite.

Le vagin était petit et étroit, admettant à peine l'index.

L'utérus avait une longueur de 1 pouce 1/4 (0 m. 032) et une largeur de

2/3 de pouce (0 m. 02), environ la taille et la forme de la dernière phalange,

du petit doigt ; il pesait 2 drachmes.

Les trompes de Fallope étaient difficiles à reconnaître, et leurs extrémités

abdominales n'avaient que 3 ou A- fibres rudimentaires (aucune ne s'attachant

à l'ovaire). Les ovaires étaient représentés par de petites masses granuleuses

de la taille de l'ongle d'un doigt, adhérentes à la face postérieure du liga-

ment large.

LE SQUELETTE.- Après avoir enlevé les parties molles, les os furent macé-

rés et nettoyés, dans l'espoir de les monter pour le muséum ; mais leur état

spongieux et criblé était tel qu'il sembla douteux qu'ils fussent assez résistants

pour soutenir les fils métalliques et supporter leur propre poids. L'ensemble du

système osseux parut être en état d'ostéoporose ; un simple attouchement au-

rait délogé les dents de leurs alvéoles, les côtes et les os faibles se seraient tor-

dus au moindre effort et les disques épiphysaires sur les corps des vertèbres

auraient été dérangés avec le doigt. En fait, il apparut littéralement qu'il n'y

avait pas dans tous les matériaux osseux de ce squelette gigantesque de quoi

faire une bonne et solide charpente osseuse de taille moyenne.

Les os, quoique beaucoup plus grands, étaient il peine plus durs que nor-

564 LAUNOIS ET ROY

malement, le radius, l'omoplate et le péroné, par exemple, n'excédant le poids

moyen des os sains que de 10 pour 100.

Le squelette.

GIGANTISME ET INFANTILISME 563

ment des dents sont également très visibles. Les deux incisives supérieures,

la canine, les bicuspides et la première molaire ont disparu à gauche et les

alvéoles sont atrophiées, tandis que les dents qui restent sont elles-mêmes

ébranlées dans leurs alvéoles ou ont de larges cavités dans leurs couronnes.

Un appareil était porté pendant la vie la mâchoire supérieure.

Bassin et tronc.

Bassin.

566 LAUNOIS ET ROY

GIGANTISME ET INFANTILISME 567

sont de taille moyenne. Les parents étaient alcooliques ; ils sont morts. Un

frère et une soeur sont morts en bas âge de maladies indéterminées. Un frère,

âgé de 25 ans, domestique, est d'une taille moyenne.

Il eut une enfance chétive, mais ne fut atteint d'aucune maladie ; et à 17 ans

il était développé comme un homme de 20 ans. A cette époque il se livra à des

excès génitaux ; d'après les renseigne-

ses, avec lesquelles il pratiquait le coït

quatre à six fois par nuit, et cela pen-

dant deux années. Au boutde ce temps,

des troubles commencèrent à se mani-

fester : l'éjaculation suivant immédia-

tement l'érection, il ne pouvait plus

satisfaire ses maîtresses ; puis, il eut

encore quelques érections, mais sans

éjaculation. A 20 ans (1879) il était tout

à fait impuissant et depuis il est resté

tel.

C'est à ce moment qu'il commença

à grandir d'une manière anormale.

En effet, lorsqu'il se présenta à 20 ans

pour la première fois devant le con-

seil de revision on constata les mesures

suivantes :

568 LAUNOIS ET ROY

alors 110 kilos et était si grand qu'il ne pouvait coucher dans un lit ordinaire.

Il sortit gnéri et se remit à garder les porcs.

En avril 1894 il se produit une nouvelle poussée à. la cheville droite, sans

douleurs dans les autres extrémités, et c'est pour cela qu'il entre à notre clini-

que.

Etat actuel (24 mai 1894). Simon Botis est un homme de taille gigan-

tesque : il mesure 1 m. 98 et pèse 114 kilogrammes.

Au premier abord on remarque que le corps est augmenté dans toutes ses

dimensions et que tout chez lui est gigantesque : squelette, peau, musculature.

La peau, pâle au visage, brune sur les avant-bras et la paume de la main,

présente une consistance normale, en dehors des adhérences cicatricielles de la

jambe droite ; nulle part elle n'est plus épaisse, durcie ou ridée qu'à l'état nor-

mal.

Les cheveux sont noirs et courts ; moustache rare ; pas de barbe. Les poils

du creux de l'aisselle et du pubis sont suffisamment longs et fournis.

Tête. La partie crânienne de la tête est à peine plus grande qu'à l'état

normal, mais la partie faciale est réellement augmentée, aussi bien en largeur

qu'en longueur ; en particulier le nez, les os malaires et les maxillaires, aussi

bien le supérieur que l'inférieur, semblent énormes, au point que le visage

produit dans son ensemble une impression très désagréable et répugnante.

Le crâne, augmenté en largeur et en longueur, est un peu aplati en arrière ;

le front est étroit z

L'élargissement de la partie supérieure du visage est due :

1° A l'énorme élargissement de la racine et de la partie osseuse du nez ;

2° A la saillie notable des os malaires.

Par contre, l'allongement porle surtout sur la croissance des maxillaires

supérieur et inférieur.

Le nez, très fort, est courbé ; sa pointe regarde un peu à gauche ; son dos

est très élargi, en particulier à l'extrémité inférieure de la partie osseuse,

tandis que la racine et la partie cartilagineuse sont un peu plus rétrécies. Le

septum membraneux n'est pas dévié.

Par suite de l'élargissement du nez, les veux sont très éloignés l'un de l'au-

tre (Distance biangulaire interne : 7 cent. 3, au lieu de la normale : 5 cent. 9).

Le maxillaire inférieur présente un accroissement gigantesque, par suite

duquel les dimensions suivantes sont très augmentées :

GIGANTISME ET INFANTILISME 569

Les lèvres sont à peine plus épaisses que normalement. Longueur de la

bouche fermée : 6 cent. 3.

Les oreilles sont petites et bien conformées.

Tronc. La cage thoracique est augmentée dans tous les sens. La partie

supérieure est aplatie; l'inférieure est fortement bombée en avant et sur les

côtés. - Les clavicules sont épaisses, longues et fortement courbées. Les

côtes, larges et épaisses, sont plus recourbées à droite qu'à gauche ; du côté

gauche, les premières côtes sont plus fortes que les dernières. Les côtes infé-

rieures forment avec leurs cartilages un angle droit; et la conjugaison des

cartilages et des côtes est marquée par de petites nodosités dures et perceptibles

à la palpation.

La colonne vertébrale, dans sa portion dorsale, est courbée vers la droite, au

niveau de la 3e à la 6' vertèbre dorsale. Elle est un peu courbée en arrière.

Les épaules sont horizontales ; scapulae alalae.

Membres supérieurs. Plus longs qu'à l'état normal : l'allongement porte

sur tout le membre, mais est frappant surtout aux mains, qui semblent dispro-

portionnées relativement au reste du membre. Musculature faible et flasque.

Tous les os semblent, à la palpation, augmentés non seulement en longueur,

mais dans toutes leurs dimensions. Mais cet accroissement n'est pas propor-

tionnel sur tous les os : ainsi l'axe longitudinal de la main est incliné vers le

bord radial de l'avant-bras, comme si la croissance du radius était restée en

retard de celle du cubitus. Les deux mains sout très grandes, surtout très

longues ; la forme en est cependant tout à fait proportionnée, en sorte que,

malgré leur grandeur, elles ne sont pas sans élégance. Les doigts sont longs,

leurs articulations non épaissies, leurs ongles conformés normalement. Seul le

petit doigt a sa première phalange fléchie, et ses mouvements d'extension,

actifs ou passifs, sont abolis.

Membres inférieurs. Augmentés également dans toutes leurs dimensions ;

mais le plus frappant est l'accroissement des pieds. A la face antérieure de la

jambe droite, cicatrice profonde résultant de la carie osseuse ancienne et de

l'ablation du séquestre. Genu valgum droit, avec forte projection en avant du

condyle interne; épaississement notable de la moitié inférieure du tibia droit.

La jambe gauche, non difforme, est plus longue et plus grêle que la droite.

Les deux pieds semblent trop grands pour le reste du corps : un certain degré

de pied-bot varus du côté droit.

Les facultés psychiques ne présentent pas d'anomalie frappante. L'intelli-

gence est plus grande qu'on ne pourrait le croire d'après sa physionomie : en

effet, la saillie énorme des pommettes, l'écartement des yeux,.son front borné

et sa mandibule énorme lui donnent l'aspect d'un idiot. Mais il répond avec

intelligence aux questions qu'on lui adresse, s'intéresse aux maladies de ceux

qui l'entourent, s'occupe et noue volontiers conversation avec eux ; il gagne

souvent aux jeux de cartes, etc.

Organes des sens normaux. Sensibilité à tous les modes intacte. Réflexes

normaux. Force musculaire au dynamomètre un peu diminuée.

La marche, comme aussi tous les mouvements et gestes sont pénibles, le

xv 37

570 LAUNOIS ET ROY

moindre mouvement coûtant une très grande fatigue. Le malade boite, en

raison de l'inégalité de ses jambes.

La respiration se fait la bouche ouverte. Les deux côtés de la poitrine se

soulèvent également; type costal plutôt qu'abdominal, 18 respirations par

minute. Toux et expectoration, sans bacilles de Kock à l'examen. Légère sub-

matité aux deux sommets.

Coeur et pouls normal : 73 à la minute.

Le sang examiné au microscope a été trouvé normal comme nombre, forme

et couleur des globules rouges et blancs.

Cavité bucco-pharyngée très augmentée. Il manque quelques dents. Amyg-

dales un peu volumineuses. La langue est plus longue, plus large et plus

épaisse que normalement.

Bon appétit, un peu plus considérable que celui d'un homme normal. Pas

de soif exagérée.

Urine normale, D : 1012. Ni sucre, ni albumine.

Les organes génitaux externes ne sont pas plus grands que ceux d'un homme

normalement développé. Longueur du pénis : 10 centimètres ; circonférence :

9 centimètres. Bourses non épaissies. Testicules petits.

Marche de la maladie. - Le malade resta à la clinique du 24 mai 1894 au

23 septembre 1896, date de sa'mort.

31 mai 1894. - Ouverture spontanée de deux petits abcès au niveau de la

jambe droite. Guérison rapide.

Août 1894. Amygdalite. Végétations adénoïdes. Extirpation en des séances

répétées de plusieurs polypes du nez ; mais la respiration reste gênée, plusieurs

gros polypes nasaux n'ayant pu être extirpés.

Octobre 1894. Apparition de la polydypsie (12 litres d'eau environ) et de

polyurie : 13 litres d'urine claire, de densité 1027, donnant la réaction du su-

cre et déviant le polarimètre de 5 0/0.

Novembre 1894. --Pneumonie de la base gauche, pendant laquelle la quan-

tité d'urine tomba à 3 ou 4 litres et la teneur en sucre à 1 ou 2 pour 0/0.

Mars 189S. 9 à 16 litres d'urine par jour ; teneur en sucre : 6 ou 6,5

pour 0/0.

Août 1895. Le malade a maigri de 12 kilogrammes (poids : 102 kgs.); mais

sa taille s'est accrue d'un centimètre (1 m. 995). Les circonférences thoraciques

ont diminué d'une façon assez notable, ainsi que la circonférence des membres.

Toux et expectoration. Anémie et diminution des forces.

Janvier 1896. L'amaigrissement continue (poids : 96 legs.). Signes très

nets d'infiltration des deux sommets, malgré qu'on continue à ne pas trouver de

bacilles de Koch dans l'expectoration. Le sucre a disparu des urines, dont la

quantité oscille entre 2 à 3 litres 1/2 par jour. Il n'a pas reparu jusqu'à la mort.

Opothérapie thyroïdienne (30 centig. de thyroïdine) sans résultat appréciable.

Mars 1896. -Fièvre hectique. Dans les crachats, bacilles de Koch et fibres

élastiques. La déchéance se précipite (poids : 70 kgs.).

23 septembre 1896. - Mort dans le marasme par suite du progrès des lésions

tuberculeuses des deux poumons.

GIGANTISME ET INFANTILISME 571

Autopsie (1) (pratiquée le 24 septembre 1896). Longueur du corps dans

le décubitus dorsal : 2 m. 02. Poids : 74 kilogrammes.

Cerveau : poids (y compris l'hypophyse) : 1.615 grammes. Tumeur plus

grosse qu'un oeuf de poule formée par l'hypophyse augmentée de volume;

cette tumeur repose pour la plus grande partie sur la selle turcique très élargie

ainsi que sur les parties voisines du sphénoïde et du frontal. Elle a 7 centimè-

tres de longueur sur 5 centimètres de largeur. Elle empiète sur le sommet du

lobe temporal et la partie antérieure du pont de Varole. On la trouve consti-

tuée de deux parties : l'une, antérieure, petite et l'autre plus grande, posté-

rieure, réunies par une partie moyenne plus mince, sur les côtés de laquelle

se trouve une petite gouttière, qui reçoit le nerf optique. Les deux tractus du

nerf optique et le chiasma sont couverts et aplatis par la tumeur ; mais, bien

que comprimés, ils ne présentent ni atrophie, ni changement décoloration. Les

nerfs olfactifs et la partie postérieure des lobes frontaux sont comprimés par

la portion antérieure encavée de la tumeur. La hauteur de celle-ci est de

3 centimètres de haut en bas. Elle ne pénètre pas dans les ventricules ; la com-

missure blanche est intacte.

La structure histologique de l'hypophyse normale ne se retrouve que dans

la partie moyenne. Dans les autres parties, on note une prolifération intense,

avec des figures cellulaires désordonnées et un tissu conjonctif épaissi. Il ne

s'agit donc pas d'une simple hypertrophie, mais véritablement d'une tumeur l'

qui est, plutôt qu'un adénome ou un adéno-sarcome, un angio-sarcome.

Quelques vestiges du thymus ; mais d'après l'examen microscopique on ne

peut pas dire que ce soit une persistance anormale.

Poumons : dégénérescence caséeuse des sommets ; nodules et cavernes com-

muniquant avec les bronches ; quelques tubercules disséminés dans les bases.

L'examen microscopique a révélé très nettement la nature tuberculeuse de ces

lésions.

Langue : 11 cm. 05 de long sur 8 de large.

Cartilage thyroïde : longueur : 6 cm. 7.

Cordes vocales : longueur : 2 cm. 8.

Corps thyroïde pas sensiblement accru : 57 gr. 05. Rien d'anormal à l'exa-

men microscopique.

Pharynx très augmenté.

Rate : 840 grammes. Capsule épaissie. Coloration brun pâle. Consistance

dure. Prolifération du tissu conjonctif.

Reins très augmentés ; poids du rein droit : 298 grammes, du rein gauche :

315 grammes. Consistance plus dure que normale. L'examen histologique

montre des traces de néphrite; épithélium; des tubes urinifères granuleux ;

cylindres à l'intérieur des canaux; dégénérescence hyaline des glomérules

augmentation du tissu conjonctif périglomérulaire.

Capsules surrénales pas très augmentées ; mais structure à.peu près nor-

male.

(1) Très résumée.

57 LAUNOIS ET BOY

Foie : 2.960 grammes. Congestion muscade, avec infiltration graisseuse des

zones périphériques des acini. Quelques granulations tuberculeuses milaires

disséminées dans le tissu conjonctif.

Estomac et intestins augmentés dans toutes leurs dimensions. Longueur :

intestin grêle (10 m. 70), gros intestin (3 m. 80). Quelques lésions tuberculeu-

ses dans l'intestin grêle et le colon ; tubercules caséifiés dans les ganglions

mésentériques.

Testicules très diminués de volume, au contraire de tous les autres organes,

dont on a vu l'arwmenlation. Testicule droit : 9 er. 5 ; gauche : 12 er. 5.

Atrophie testiculaire sans inflammation : ni la

capsule, ni le tissu conjonctif ne sont hypertro-

phiés. Atrophie des canaux séminiféres, sclérosés

et ratatinés : épithélium très bas ; cellules in-

différentes, atrophiées, ne présentant aucune ap-

parence de travail de spermatogénie. Pas de sper-

matozoïdes dans les canaux. Il s'agit en somme

d'une atrophie testiculaire primaire, semblable

celle de certains tuberculeux.

Prostate petite et pâle.

Muscles atrophiés et pâles, en particulier les

gastrocnémiens, dans lesquels ou trouve quelques

trichines encapsulées.

Moelle épinière, à peu près normale, sauf un

peu d'hyperémie dans la portion lombaire, avec

sclérose commençante de la partie médiane des

cordons de Goll et de la partie inférieure des

cordons latéraux.

Nerfs périphériques. Sur les coupes du

sciatique, on note un peu d'atrophie des fibres

nerveuses ; les fibres normales sont en minorité ;

le tissu fibreux l'emporte sur le tissu nerveux ;

mais il n'y a pas trace d'inflammation.

Ni atrophie, ni dégénérescence graisseuse des

nerfs optiques.

Articulations. Arthrite déformante des

grandes articulations avec déformations caracté-

ristiques, surtout à la hanche. Corps étranger

articulaire libre (souris articulaire), formé de

tissu cartilagineux de la hanche droite. Synoviale

vineuse et hypertrophiée aux articulations des membres supérieurs. Au niveau

de la tibio-tarsienne droite, les cartilages sont augmentés, mais il n'y a pas

trace d'inllammation tuberculeuse présente ou passée. '

Squelette (fig. 4). Les diaphyses sont grandes, mais à peu près normales.

il) Extraite des Deutsch. Arch. für, klin. lIfed., 1898.

Fig. 4 (1). Le squelette du

géant Simon Botis (Buday et

JANcso).

GIGANTISME ET INFANTILISME 57d

Pas d'exostoses, sauf quelques ostéophytes aux os de la jambe. Les épiphyses

sont plus inégales que les diaphyses; leurs vaisseaux sont plus larges. Insertions

musculaires très saillantes, notamment celle du biceps sur le radius, celle du

sous-clavier à la clavicule. Les os sont très légers, car la substance compacte

corticale est anormalement mince ; en revanche la cavité médullaire est extraor-

dinairement développée ; elle se poursuit jusque dans les épiphyses, où les

travées osseuses forment un réseau fin en toile d'araignée. Ostéoporose remar-

quable, accentuée dans les petits os, particulièrement ceux du tarse, au point

que la substance corticale a une consistance parcheminée et garde l'empreinte

du doigt.

Crânes Augmentation disproportionnée de sa portion faciale par rapport

à sa portion crânienne, bien que celle-ci ne soit pas tout à fait normale. Epais

seur de la voûte crânienne : 4 7 millimètres.

A l'intéreur du crâne, selle turcique aplatie et très élargie.

574 LAUNOIS ET ROY

dans la selle turcique et débordait en avant, de même qu'en arrière sur la

partie asilaire de l'occipital.

Le trou occipital semble très petit (diamètre sagittal : 31 mm. ; diamètre

transversal : 32 mm.).

Toutes les parties du temporal sont très augmentées : le conduit auditif

externe est long de 37 millimètres (au lieu de la longueur normale : 15 mm.).

Face (fig. 5). Les maxillaires supérieurs sont très augmentés (distance de la

suture fronto-nasale au bord alvéolaire : 10 cm. 2), Les fosses nasales montrent

un tel degré d'allongement et d'élargissement qu'il est à peu près sans exemple :

les os nasaux sont doublés de largeur (15 mm.), et de lougueur (42 mm.).

Hauteur du nez : 84 millimètres. L'antre d'Higmore est accru en proportion des

maxillaires supérieurs. Les molaires sont surtout augmentées en hauteur.

Le maxillaire inférieur est plus augmenté dans son corps que dans ses

branches :

GIGANTISME ET INFANTILISME 575

Les pieds ne sont pas allongés en proportion des jambes, ni des autres par-

ties du corps. Pied droit en varus équin. Il n'y a d'ostéophytes qu'aux phalan-

ges unguéales.

De tous ces faits, en particulier du cas de Buday et Jancso qui, à tant

d'égards, est si comparable au nôtre, on peut conclure que chez les géants,

plus souvent encore que chez les acromégaliques, il existe de l'atrophie

génitale. - ,

Réciproquement, pour ainsi dire, il est une autre donnée non moins

intéressante à signaler, c'est que l'infantilisme peut s'observer chez les

sujets de taille élevée. Si le plus souvent l'infantilisme s'accompagne d'ar-

rêt de développement du squelette, on peut parfois noter un accroissement

excessif des os (Henry Meige) (1). Il y a peu de temps, le professeur

Joffroy (2) évoquait le souvenir de Lorain montrant à ses élèves un cuiras-

sier de haute stature qu'il ne craignait pas de considérer comme un infan-

tile. Otto Ammon (3), à la suite d'une longue enquête sur l'infantilisme

et le féminisme, poursuivie dans les conseils de revision de la Bavière,

concluait que « l'infantilisme se manifeste chez les sujets de toute taille,

depuis les plus petits jusqu'aux plus grands ».

D'autre part, on sait depuis longtemps que la castration, pratiquée chez

les animaux, surtout dans le jeune âge, provoque des modifications du

squelette. « Les ailes du chapon ne sont pas plus développées que celles

du coq, mais les pattes, très élancées chez ce volatile castré, lui donnent

une apparence très particulière. Le taureau, toujours bien plus bas sur

jambes que le boeuf de sa race, a surtout des membres postérieurs peu,

élevés ; tandis que c'est l'allongement des membres postérieurs qui, chez

le boeuf, redresse la ligne du dos, qui est généralement descendante sur le

taureau (4). » Poncet a obtenu de même par la castration un allonge-

ment des membres .postérieurs chez le lapin f5). , . ,

Enfin chez l'homme, l'eunuque, castré avant la puberté, se fait remar-

quer par l'allongement exagéré de ses membres inférieurs. >

E. Godard (6) dans ses Notes de voyage, décrit d'une façon remarquable

l'habitus extérieur des eunuques : « Les eunuques sont maigres, de grande

(1) Henry MEIGE, Sur les rapports réciproques de l'appareil sexuel et de l'appareil

squelettique, Journal des connaissances méd., 14 mai 1896, p. 164.

(2) JoFFROY, Soc. de Neurologie de Paris, 1 juin 1900. - Discussion à la suite de la

communication de Babinski.

(3) OTTO AMMON, « L'Anthropologie », 1896, p. 285.

(4) LORTET, Arch. d'Anthropologie criminelle, Lyon, 1896, p. 364.

(5) Poncet, Congrès pour l'avancement des sciences, Le Havre, 1877.

(6) EBNEST Godard, Observations médicales et scientifiques. Egypte et Palestine,

Paris, 1867, p. 115.

576 LAUNOIS ET noY

taille, hébétés. Leurs jambes sont monstrueuses par longueur. Les nègres

du pays peuvent être grands, mais jamais disproportionnés commes les

eunuques. M. le Dr Rossin, à qui je demandais la raison de ce fait, me disait t

qu'il n'avait lieu qu'au moment de la puberté, Ainsi, un eunuque cl'Alim-

Pacha, qui a de longues jambes, était fait comme les autres quand il était

jeune. Les jambes n'ont grandi d'une manière démesurée que depuis le

moment de la puberté. » Dans le portrait qu'il fait du chef eunuque

d'une grande princesse, le même observateur écrit : « C'est un grand gail-

lard qui a près de six pieds ; il est grand, maigre et parait gelé ; il a de

grands doigts allongés et osseux. On dirait que la castration détermine

un grand développement du corps. » Matignon (1), Hikmet et Begnault (2),

ont confirmé de leur côté ces descriptions.

Cette même systématisation aux membres inférieurs du gigantisme des

eunuques, orientaux se retrouve cheztesSkoptzisou «blanches colombes»,

secte mystique de castrés volontaires en Russie, qui ont les jambes très

prolongées par rapport aux cuisses (3).

Mais le document le plus précieux que nous ayons sur le gigantisme des

eunuques est le squelette rapporté d'Egypte par le professeur Lortet et

qui se trouve actuellement au musée Lacassagne.

.Eu voici la description (4) :

Eunuque âgé de 24 à 25 ans probablement et paraissant venir de la région

habitée par les Schillouks, peuplade occupant les territoires situés entre Khar-

toum et le Bahr-el-Gazal. La peau était d'un vert de bronze foncé. Le crâne est

petit mais bien conformé, quoique le prognathisme maxillaire et dentaire soit

des plus prononcés (Voir PI. LXVIII) (5).

Voici la mensuration exacte des os des membres de cet homme prise au la-

boratoire de médecine légale de la Faculté de Lyon par M. l'agrégé Rollet.

GIGANTISME ET INFANTILISME 577

578 LAUNOIS ET ROY

Tous ces exemples d'atrophie génitale chez des géants et d'accroisse-

ment du squelette chez des infantiles ou des castrés précoces suffisent il

montrer la réalité des rapports qui existent entre l'état des glandes géni-

tales et les modifications du squelette.

Mais le lien qui rattache entre elles ces malformations n'est pas encore

connu et le problème est plus complexe qu'on ne pourrait le sup-

poser au premier abord. Pour justifier celte assertion, il nous suffira de

rappeler les résultats de l'autopsie du géant observé parBuday el Jancso.

Il était, lui aussi, entaché d'infantilisme ; mais cet infantilisme, au lieu

d'être congénital comme celui du grand Charles, s'était développé vers

l'âge de 18 ans à la suite d'une hyperactivité fonctionnelle des glandes

génitales. Il présentait, comme les eunuques décrits par Godard, et comme

celui de Lortet, un allongement marqué des membres inférieurs. Quand

il mourut à t'age de 37 ans, on trouva nne hypertrophie considérable de

l'hypophyse et il était devenu acromégalique.

Celle dernière considération nous amène à rechercher si l'évolution de

la dystrophie aboutira chez le grand Charles aux mêmes résultats et si,

lui aussi, un jour prochain, deviendra un acromégalique. Nous avons

même cherché à reconnaître s'il ne présentait pas déjà quelques-uns des

traits caractéristiques de la maladie de Pierre Marie.

Actuellement, en ne se basant que sur son habitus extérieur,on nepeut

dire que le grand Charles soit un acromégalique : il n'en a ni le facies,si

typique, ni l'hypertrophie disproportionnée et caractéristique des mains

et des pieds, ni la cyphose cervico-dorsale, etc. Sa tête semblé petite, sur-

montant un aussi grand corps ; ses pieds et ses mains sont énormes, est

vrai, mais leur développement est assez en rapport avec celui des autres

segments des membres ; enfin, si son thorax présente une scoliose à con-

cavité droite, celle-ci, réductible, est en rapport avec l'attitude hanchée

rendue obligatoire par la déformation du genou gauche.

Cependant la comparaison des mensurations recueillies en 1899 avec

celles plus récentes de 1902 montre qu'il est survenu certaines modifi-

cations intéressantes dans sa charpente osseuse : le thorax s'est développé

d'une manière assez notable (circonférence = 1 m. 015 en 1899 ; 1 m.

040 en 1902) ; la longueur des mains s'est accrue (de 233 à 243 mm.) ;

enfin la tête présente des modifications très caractéristiques. En effet,

si le crâne s'est développé d'une manière assez régulière dans ses diffé-

rents diamètres transverses et antéro-postérieurs (de 2 mm. pour le dia-

mètre transverse maximum, etc.), en revanche, à la face, les dimensions

verticales se sont accrues d'une manière tout à fait particulière et facile

à apprécier dans le tableau comparatif suivant :

GIGANTISME ET INFANTILISME 579

580 LAUNUIS ET ROY

comparables pour la taille à ceux d'une fillette de 8 à 10 ans. En outre,

un épithélioma malpighien de la glande pituitaire, englobant le tuber cine-

reum, remplissait la selle turcique. EtBabinski (1) conclut que les lésions

de l'hypophyse qui produisent chez l'adulte (acromégalie) des troubles des

organes génitaux (suppression des règles, atrophie de l'utérus), produisent

peut-être chez l'enfant un arrêt de développement des organes génitaux.

Par conséquent, le grand Charles aurait une double raison d'avoir une

hypertrophie du corps pituitaire : et comme géant, et comme infantile.

Mais ces déductions qui semblaient devoir rester hypothétiques, en

l'absence du contrôle nécroscopiqne, ont reçu une confirmation irrécusa-

ble et définitive grâce à la radiographie du crâne qui nous a révélé l'é-

norme augmentation de la selle turcique, et, parlant, de son contenu.

Sur le conseil que nous donna M. Marie à la Société de Neurologie où

fut présenté ce malade (1), nous avons prié M. Béclère, dont la compétence

en pareille matière est bien connue, de vouloir bien pratiquer cette recher-

che. D'après cet auteur, trois signes seraient caractéristiques du crâne

acromégalique et permettraient d'affirmer le diagnostic sur le seul examen

de l'épreuve radiographique :

1° L'agrandissement notable de la selle turcique ;

2° Le développement exagéré des saillies du crâne (sinus fronlaux,

etc.) ;

3° L'inégale épaisseur des parois du crâne.

On peut voir sur la radiographie du crâne du grand Charles (PI. LXIX)

qu'il ne manque aucun de ces signes. En outre, on y voit d'une façon re-

marquable l'énorme ressaut lost-laiiibtloïtlieiz, don (Pipi 1 la u 11 en 1899 avait

déjà noté, sur le même sujet, le développement progressif (3) et qu'il avait t

retrouvé sur un crâne acromégalique appartenant à l'école d'Anthropo-

logie (fig. 6).

Il ne suffit donc plus de dire que le géant Charles est en train de s'a-

cromégaliser ; il faut convenir qu'il est véritablement un acromégalique et

que, s'il n'en a pas encore les déformations caractéristiques apparentes, il

a du moins, au niveau de son hypophyse, tout ce qu'il faut pour faire ces

déformations, lorsque ces cartilages de conjugaison anormalement persis-

tants, se seront enfin soudés.

(1) 6 nov. 1902. Revue neurologique, 15 nov. 1902.

(2) BABINSKI, Tumeur du corps pituitaire sans acromégalie et avec arrêt de dévelop-

pement des organes génitaux, Soc. de Neurologie, 1 juin 1900, Revue Neur., 15 juin

1900.

(3) BÉCLÈHE, La radiographie du crâne et le diagnostic de l'acromégalie. Soc. méd.

des hôp. 5 déc. 1902.

(4) PAPTLLAULT, loc. cit., p. 443. Voir les considérations très intéressantes sur la va-

leur ethnique et pathologique du ressaut postlambdoïdien et sur le mécanisme de sa

formation.

Nouvelle Iconographie DE LA SALFETRIERE. T. XV. PI. LIX

GIGANTISME ET INFANTILISME

(P. E. LOI/I/ois ft Pif1Tf Roy).

Le- crâne du géant Charles

- - ? 5n ? PlJr inrwal=ri5c n : 1rn;¡; : ("1" : înÎpnnpç : ? 0 lnnUetl ? r P\ ? 1Oïrc rlps ticSlc rny7tlyr

. GIGANTISME ET INFANTILISME 581

D'ores et déjà, a dit récemment Henry Meige (1), on peul conjecturer

que les géants affectent deux types principaux : le type infantile et le type

acromégalique. Les premiers, dont les soudures épiphysaires sont exa-

gérément tardives, tendent à s'accroître incessamment en longueur. Chez

les seconds, les épiphyses étant soudées, l'excès de la fonction ostéogéni-

que entraîne les déformations de l'acromégalie. »

Si l'observation du grand Charles vient confirmer la réalité de l'existence

d'un type infantile de gigantisme, en revanche elle montre que cette dis-

tinction des deux variétés de géant infantile et de géant acromégalique,

vraie dans l'espace, n'est pas irréductible dans le temps, c'est-à-dire que

le type infantile tend à évoluer, pendant une période plus ou moins lon-

gue, vers le type acromégalique, pour arriver à se confondre même plus

tard avec lui, 1 hypertrophie hypophysaire causale étant commune a tous

les deux.

Mais le problème prèle encore à d'autres considérations : il comporte

en particulier l'étude des rapports réciproques existant entre l'atrophie

testiculaire et j'hypertrophie hypophysaire. Aussi nous a-t-il paru intéres-

sant de généraliser nos recherches et, en l'absence de documents précis

sur l'hypophyse des eunuques, d'examiner les modifications qui, par une

sorte de suppléance, peuvent se produire au niveau de la glande pitui-

taire chez les animaux castrés précocement (mouton, boeuf, etc.), par

(1) IIENIIY 111EIGE, Sur le gigantisme, Arch. gén. de méd., octobre 1902, p. 414.

Fig. 6. - Crâne d'acî,o2zégciliqtte appartenant à l'Ecole d'Anthropologie, destiné à

montrer le ressaut post-lambdoidien (Papillault). (Extraite des Bull. de la Soc.

d'Anthrop. de Paris, juin 1899).

582 LAUNOIS ET ROY .

comparaison avec la glande pituitaire des animaux non castrés de même

espèce (bélier, taureau, etc.).

Sans préjuger des résultats que nous pourrons obtenir, nous nous

croyons dès maintenant autorisés à formuler les conclusions suivantes :

1° Il existe réellement un type de gigantisme infantile, dans lequel la

taille élevée coexiste avec l'atrophie génitale, ou, tout au moins, avec l'im-

puissance et la stérilité, si souvent notées chez les géants;

2° Toutefois ce type de gigantisme infantile, très particulier parla con-

tinnité de la croissance (persistance des cartilages de conjugaison), par la

modalité de cet accroissement (allongement des membres et surtout des

membres inférieurs) et ses anomalies (genu valgum) n'est peut-être pas

irréductible, dans le temps, au type de gigantisme acromégalique (grand

tronc, hypertrophie des extrémités, déformation du maxillaire inférieur,

etc.), après que se sera effectuée l'ossification très 1'etal'l/¡ : e des cartilages

épiphysaires, l'hypertrophie hypophysaire causale étant commune à toits

les deux ;

3° Il reste à déterminer la part de l'hypertrophie pituitaire dans la pro-

duction de cette croissance anormale. A cet égard, l'examen de l'hypophyse,

chez les eunuques et les animaux castrés précocement, pourra peut-être four-

nir d'utiles renseignements .

LES PAOTRED AU ZABAT

PAR

A. DUCREST DE VILLENEUVE.

Presque tous les auteurs d'anecdotes, et les peintres de moeurs breton-

nes, semblent généralement ignorera quel point les bretons du Léon sont

demeurés superstitieux, à quel point ils ont conservé l'amour du merveil-

leux et la croyance aux choses surnaturelles. Les habitants des campagnes,

même les plus civilisés, anciens soldats, anciens marins, croient encore à

l'existence des korrigans et des lutlins, qu'ils désignent sous le sobriquet

général depaotred arzabbat, les « garçons du sabat ». Tous y croient et en

ont peur ; beaucoup les ont vus et ont même eu à se plaindre de leurs mé-

chancetés. Mais nul d'entre eux ne raconte volontiers ces sortes d'aventures

aux étrangers sceptiques, aux gens qui ne parlent pas leur langue; ils

craignent les représailles des paotred ar zabat, qui, paraît-il, n'aiment

pas que l'on se moque d'eux, et c'est je crois, pour cette raison que tant

de gens ignorent l'existence actuelle de ces vieilles croyances en Bretagne.

Voici des renseignements que de rustiques amis, habitant le pays

compris entre Plabennec et le Folgoat, m'ont donnés sur ces êtres singu-

liers :

Les paotred ar zabat ne sortent guère que la nuit, pour aller danser

près des mares sales et fangeuses. Ils changent de formes à volonté; tantôt

animaux domestiques ou sauvages, tantôt hommes ou femmes, ils imitent

la voix des personnes ou les cris des divers animaux avec une rare perfec-

tion ; mais la forme qu'ils affectionnent le plus, est celle du chat, et ils

imitent volontiers son miaulement. Les paotred ar zabat dansent des ron-

des en chantant de douces mélopées, ou bien exécutent de folles sara-

bandes en faisant un vacarme d'enfer.

Mais leur occupation favorite paraît être de jouer les plus mauvais

tours à la race bretonne, qu'ils semblent avoir prise en grippe, et laquelle

leur rend avec usure. Aussi malheur au paysan attardé, passant près de la

lande ou du carrefour que les paotred ar zabat ont choisi pour leurs

ébats; il est tout de suite entouré, saisi et forcé de danser avec eux jus-

qu'au lendemain ; encore bien heureux s'il n'est pas emmené prisonnier

584 DUCREST DE VILLENEUVE

pour plusieurs jours dans quelque mystérieuse retraite, d'où il ne sort

qu'épuisé et à moitié mort de peur.

Les paotred ar zabat ne se contentent pas de tourmenter le passant assez

osé pour venir troubler leurs diaboliques divertissements ; parfois disent

les bretons, ils se réunissent autour d'une ferme, puis appellent par son

nom l'un de ses habitants. Pour mieux le tromper, ils prennent la voix

d'un parent, d'un ami, et. si, au premier appel, l'homme ou la femme

demande ce qu'on lui veut, il s'en va malgré lui trouver ces démons. Ni

fenêtres fermées, ni porles closes ne sauraient l'en empêcher; au besoin

les paotred ar zabat l'enlèvent par la cheminée. Parfois, ils volent en

même temps une charrue et son attelage, et forcent alors leur victime à

labourer quelque lande aride, parsemée de ronces et de pierres de toutes

sortes, et en cas de résistance de sa part, les coups de fouets et de bâtons

pleuvent drus comme grêle sur son échine, au lieu de tomber sur le dos

des chevaux. Au pou[ d'un certain temps plus ou moins long, bêles et

gens rentrent au domicile harassés et meurtris, mais au retour, nul ne se

souvient au juste de l'endroit où il a dû aller.

Du reste, le travail des paotred ar zabat est un travail maudit : au-

cune trace de labour ne demeure la nuit achevée.

Un des tours les plus communs, joués par les paotred ar zabat, aux

fermiers, consiste à pénétrer dans les écuries et à emmêler les crins des

chevaux d'une manière inextricable.

Des paysans m'ont dit aussi que des gens, ayant été malades à la suite

de ces escapades nocturnes, avaient rendu des masses d'horreurs, n'en-

trant dans la nourriture d'aucun peuple quelque grossier et sauvage qu'il

puisse être. '

Si les paotred ar zabat n'aiment pas qu'on se moque d'eux, ils n'aiment

pas non plus, paraît-il, que l'on mette en doute leur puissance, et voici

ce que l'on m'a conté au sujet d'un fermier sceptique : à la veillée chez

un voisin, l'imprudent ayant déclaré que, s'il en rencontrait sur son che-

min, il saurait bien leur jouer quelque bon tour, s'était trouvé, en ren-

trant chez lui, nez à nez avec une bande de ces diaboliques danseurs.

Ceux-ci n'ayant pas paru remarquer sa présence, au lieu de s'éloigner

tranquillement, il s'était allongé sur le haut du talus bordant la lande

hantée, puis s'était laissé rouler jusqu'au bas, pour leur faire peur. Mais

alors, il avait été entouré et retenu prisonnier jusqu'au lever du jour.

Quand il voulait s'en aller, on le laissait monter jusqu'en haut du talus ;

arrivé là d'invisibles mains le faisaient trébucher et le jetaient parmi les

bruyères, aux bruyants éclats de rire de toute la bande.

Lorsqu'une première fois, on a suivi les korrigans, on est complète-

LES PAOTRED AR ZABAT 385

ment à la merci de leur volonté; malgré soi, on est forcé de se rendre à

leurs appels.

L'on cite à Plabennec une femme qui s'en allait ainsi toutes les nuits,

en dépit des portes et fenêtres soigneusement barricadées par son mari.

A la mêmeheure, une voix l'appelant au loin, elle disparaissait sans qu'on

put savoir de quelle manière, et le lendemain, se retrouvait à la place

qu'elle occupait la veille, sans pouvoir dire elle-même, d'où elle venait,

ni comment les choses s'étaient passées.

Bien que les paotred ar zabat aiment surtout à se promener, une fois le

soleil couché, il en est parfois cependant, qui parcourent les campagnes

pendant le jour, et cela toujours en vue de nuire aux gens du pays. Si le

paysan breton est peureux à la nuit noire, en revanche, il est quelque peu

fanfaron au grand jour; de plus s'il est généralement hospitalier, il ne

lâche pas facilement son bien et n'aime pas à dépenser inutilement son

argent; aussi les paotred ar zabat qui, semble-t-il, connaissent admira-

blement leurs ennemis, s'appliquent-ils à tirer parti de leurs défauts.

Un jour, près de Loc'h Maria Plabennec, un métayer était en train de

préparer l'aire neuve (Leur nevez) pour battre son grain le lendemain. Il

faisait très chaud, et il avait encore fort à faire pour terminer sa besogne

avant la tombée de la nuit, aussi était-il de très mauvaise humeur; il

travaillait tout en grommelant, lorsque vint à passer une pauvre vieille,

portant sur sa tête un grand panier, rempli de ces coquillages connus en

Basse-Bretagne sous le nom de coques. Elle s'arrêta un instant pour le

considérer par dessus la haie, puis l'appelant, elle lui dit :

- « Selaon ta 1 Cladanïl; (1), j'ai là dans mon panier de belles coques

fraîches ; achète-les-moi pour me faire gagner quelques sous, cela te por-

tera bonheur ! »

Des coques, répondit le paysan mécontent d'être dérangé dans son

travail, dis donc, mamm coz (2), j'ai mieux que cela à manger à la mai

son ! C'hostamm truillou (3) ! passe ton chemin, ou bien tu vas voir ! »

« Eh bien, Clandaïk, dit la vieille en s'en allant clopin clopant, tu

mangeras des coques malgré toi ».

Et Clandaïk resla bouche bée, en entendant un éclat de rire qui n'avait

rien d'humain.

Le soir même, il tomba malade, et expectora des coques, « comme s'il

en avait fait une ventrée. »

Parfois les paotred ar zabat, tout en restant invisibles, égarent les bêtes

(1) Ecoute-donc.

(2) Vieille mère.

(3) Vieux morceau de chiffon.

xv 88

586 DUCREST DE VILLENEUVE

et les gens, et ceux-ci tournent dans un champ ou dans une lande, comme

dans un cercle magique sans pouvoir en sortir.

Si le paysan est souvent en butte à la méchanceté d'êtres surnaturels,

il a cependant à sa disposition divers moyens pour se défendre contre

leurs maléfices : les uns, comme des messes dites à l'autel de certains

saints, sont de touchantes marques de confiance en leur vieille foi et

dans la puissance de leurs apôtres, mais les autres sont quelque peu gro-

tesques et puérils : ainsi l'on peut se promener impunément avec une

croûte de pain dans sa poche. Les rôdeurs de nuit sont quelque peu

voleurs, ivrognes et gourmands; ils aiment à tirer profit de leurs victi-

mes ; aussi malheur à celui qui se promène la nuit avec une bouteille

de vin, ou de gwin ardent dans sa poche, ou bien avec un paquet de

crêpes à la main ; malheur à celui qui a le gousset trop bien garni, il est

sûr de ne pas rentrer tranquillement chez lui ! Je ne sais pourquoi, les

paotred ar zabat ont horreur du pain el s'éloignent avec soin d'une aussi

pileuse nourriture.

Cette gratification de quelques-uns de leurs propres défauts, faite par

les paysans bretons à leurs malins ennemis , et l'empressement de

ceux-ci à profiter de ces mêmes travers, chez les paysans, sont choses

amusantes à constater. Il n'est pas un ivrogne, retour du pardon, qui n'ait

été envoyé rouler dans un fossé boueux, la tête la première par les paotred

ar zabat. En cas de plaies et de bosses, ceux-ci ont bon dos.

Comme on peut le voir, ces faits ressemblent fort aux histoires de

possession du moyen-âge et paraissent dus, soit à des hallucinations, soit

à des manifestations hystériques. Si l'imagination de ces gens simples, et

pour lesquels toute chose incompréhensible est manifestation surnaturelle,

si leur imagination, dis-je, en arrive à bâtir bien des légendes, sous l'in-

fluence de la peur, dans ce qu'ils racontent, tout n'est cependant pas fictif :

les gens sortent bien la nuit, sans se souvenir de rien le lendemain, et

d'autres s'égarent bien dans un champ ou une lande, tournant pendant

des heures dans le même cercle sans pouvoir en sortir ; quelque halluci-

nation leur montre bien ce qu'ils croient voir et le fond de l'aventure est

toujours à peu près vrai, si les détails en sont invraisemblables. Leurs

histoires ne sont pas vieilles de cent ans ; non, ce sont des faits d'hier, et

vous pouvez vous-même serrer la main à ceux qui y ont joué le principal

rôle.

LES GÉANTS DANS L'AI3T *

PAR

HENRY MEIGE.

Les oeuvres d'art représentant des Nains ont fourni une ample matière

à la critique médicale. Charcot et Paul Richer leur ont consacré un des

plus importants chapitres de leur livre sur les Difformes et les Malades dans

l'Art. Ils ont bien montré que les artistes, en figurant les nains, avaient

maintes fois choisi leurs modèles dans la nature et s'étaient attachés, non

seulement à rendre l'exiguïté de la taille, mais à reproduire les anomalies

physiques de toutes sortes dont sont presque toujours dotés ces êtres exi-

gus.

J'ai moi-même essayé dans ce recueil, en signalant quelques figurations

nouvelles, d'établir une sorte de classification des nains dans l'art (1),

d'après les types cliniques observés de nos jours : nains rachitiques,

myxoedémateux, infantiles, etc., auxquels il faut encore joindre les achon-

droplasiques (2), dont Pierre Marie, Cestan ont signalé des représentations

figurées d'une exactitude pathologique indiscutable. M. Faut Richer

a multiplié ces exemples dans son récent ouvrage dont les images et les

commentaires qui les accompagnent sont à cet égard tout à fait démons-

tratifs (3).

Quelque réserve qu'il soit toujours nécessaire d'apporter aux diagnos-

tics rétrospectifs, basés sur la seule inspection des oeuvres d'art, on ne

saurait méconnaître le bien fondé delà majorité de ceux qui ont été portés

sur les images de nains. Et s'il était besoin d'en justifier l'exactitude, il

suffirait de rappeler qu'un nombre important de figurations de nains sont

des portraits parfaitement authentiques de personnages dont l'existence

est prouvée et dont les difformités sont attestées par les écrits contempo-

rains. Les portraits des nains de cour en particulier, - et ils forment

(1) Les Nains el les Bossus dans l'art, Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, n 3

1896.

(2) V. Remarques complémentaires sur les Nains- dans l'art, Nouv. Iconographie de

la Salpêtrière, n° 4, 1901.

(3) PAUL Ricnsn, Art el Médecine. Gauthier, édit. 1902,

588 HENRY MEIGE

une riche galerie signée des noms les plus illustres, sont comme des

reproductions fidèles de malformations physiques aisément reconnaissa-

bles. Ces nains, comme leurs maîtres, eurent leurs peintres et leurs bio-

graphes, souvent les mêmes peintres et les mêmes biographes,

qui, s'ils étaient peut-êlre enclins à atténuer les imperfections physiques

des princes, savaient n'être point déplaisants en reproduisant dans toute

leur vérité grotesque les difformités des bouffons. On peut donc garantir

l'exactitude de la plupart des figurations de nains, et c'est bien pourquoi

la critique médicale y trouve une base si solide pour ses interprétations.

Peut-on en dire autant des figurations de Géants !

Le silence qui jusqu'ici s'est fait sur cette question tend à démontrer le

contraire.Les imagesgigantescluesnesontpourtantni très rares ni inconnues.

On sait bien qu'il y eut des géants célèbres, dont l'existence est non moins

certaine que celle d'une foule de nains. De tout temps, les puissants de la

terre ont aimé à s'entourer de personnages extrêmement grands ou extrë-

mement petits ; mais il est sûr qu'ils ont toujours témoigné pour ces der-

niers une prédilection particulière et que leurs faveurs ont été prodiguées

en raison inverse de la taille. Si nombre de nains de cour ont été gratifiés

d'un portrait, bien peu de géants de cour ont eu cet honneur.

Il faut reconnaître d'ailleurs que les géants n'ont jamais pénétré aussi

intimement que les nains dans l'intimité des monarques. Et cela se con-

çoit aisément : le géant est un être encombrant; si sa vue peut émer-

veiller, sa compagnie manque d'attraits ; il n'a pas généralement la drô-

lerie de son opposite; et puis, sa haute stature peut nuire au prestige

d'un puissant, qui entend bien montrer sa supériorité sur les autres hom-

mes ; le nain au contraire, le nain difforme surtout, fait valoir les avantages

physiques du maître. ,

Aussi les géants ont-ils été réservés pour des emplois moins- familiers

et simplement décoratifs. Les rois d'Angleterre en faisaient leurs portiers;

en Allemagne, on les enrégimentait dans des bataillons de parade. Mais

on ne leur offrait pas le luxe d'un portrait signé par un maître célèbre.

De ce fait, l'iconographie des géants est beaucoup moins riche que celle

des nains.

Il n'existe que très peu de tableaux consacrés à des « géants de cour ) : .

Sternberg a signalé le portrait d'un géant qui vivait à la cour du comte

palatin Frédéric II, portrait peint en 1553, grandeur naturelle, etqui existe

encore au château d'Ambras, près d'Inspruck, en Tyrol (1).

. ;¡

(1) Dans ce même château, on voit, dit E. Garnier, d'après Keissler, une statue en

LES GÉANTS DANS L'ART 589

-' Ce document sérail particulièrement intéressant en ce sens que l'artiste,

qui sans doute a copié fidèlement son modèle, a indiqué des déformations

corporelles que Sternberg considère comme le plus ancien document his-

torique où l'on puisse reconnaître les caractères objectifs de l'acromé-

galie.

Je rappellerai à ce propos que M. Souques a publié une très intéres-

sante étude sur une figuration romaine de Maccus qui semble bien avoir

été inspirée par l'acromégalie (1). J'ai signalé également l'interprétation

qu'on pouvait faire en faveur de l'acromégalie des déformations corporelles

dont fut affligé sur le tard un empereur romain de haute stature, Antonin

le Pieux (2).

Dans son curieux volume sur les Nains et les Géants, E. Garnier signale

le portrait par Zucchero d'un géant hollandais, haut de 2 m. 278, dans la

chambre des gardes de Hampton Court. Et aussi celui d'Antoine Payne,

géant de 2 ni.. 228, qui joua un certain rôle dans les guerres civiles au

temps de Charles II. Le monarque fit peindre par Kneller un portrait de

Payne qui « après être resté longtemps dans la grande galerie du château

de Stowe, devint la propriété de l'historien Gilbert, qui le fit graver en

tête du second volume de son Histoire du comté de Cornoitctilles ».

Hogarth a peint, dans sa Foire de Soitthtvarla, un géant de 2 m. 328,

Maximilien Cristophe Miller, qui s'exhiba en Europe dans les premières

années du XVIIIe siècle. Une gravure de Boitard, reproduite par E. Gar-

nier, le montre en costume hongrois, armé d'un riche cimeterre que lui

aurait donné Louis XIV. Aucune particularité pathologique n'est appa-

rente sur cette image, à propos de laquelle E. Garnier fait t cette judicieuse

remarque : «... Par une supercherie assez commune dans les gravures re-

présentant des géants, la coiffure et les pieds dépassent le filet d'encadre-

ment. On remarquera également que les géants portent toujours des

chapeaux ou bonnets à hautes plumes afin d'augmenter aux yeux des spec-

tateurs l'apparence de leur grande taille. »

Le portrait de Walter Parsons, portier de Jacques ? ? haut de 2 m. 178

(ou même 2 m. 30) a élé gravé en 1636 par G. Glover, dix ans après sa

- mort. Un autre géant exhibé en Angleterre au XVII" siècle, Blocker, haut

de 2 m. 228, a été gravé par Carpenter en 1751.

bois du géant Aymon qui faisait parité des gardes de l'archiduc Ferdinand, et qui eut

maille a partir avec un nain de cour, lequel avait aussi sa statuette en bois.

(1) SouQurs, Alacciis, Polichinelle et l'acromégalie, Nouv. Iconographie de la Salpê-

trière, n° 6, 1896.

(2) Arcli. gén. de médecine, octobre 1902.

Dans les Nains et Bossus dans l'Art, on trouvera aussi l'indication de plusieurs sta-

tuettes grotesques de l'époque gréco-romaine dont les malformations ont une certaine

ressemblance avec celles de l'acromégalie. Voy. également Quelques 11lW'ea,'OIlS de la

cathédrale de Reims, Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, n° 4, 1900.

590 HENRY MEIGE

-' E. Garnier a encore reproduit le portrait de Daniel Cajanus, géant sué-

dois, haut de 7 à 8 pieds, dessiné par Reckers, - et celui deBernardoGigli i

ou Gilli, géant italien de 8 pieds, gravé par Fougeron, d'après un dessin

de 1411llinton Sur 'celte dernière image l'énormité des mains est remar-

quable; par contre les pieds sont peu développés. Enfin une gravure

hollandaise très rare représente la géante Abeltie, née à Groningue. ? Cruiclahanh gravé vers 1815 le portrait du géant James Tolleuer,

haut de 2 m. 582, dont les deux soeurs étaient également gigantesques.

On trouve encore dans le livre de E. Garnier les reproductions des por-

traits des géants suivants : .

Joachim Eleiceigui, espagnol de 2 m. 307, figuré dans l : llhestcation, : 6 juillet' 184 5, en tambour-major' ; ses mains (42 centimètres) et ses pieds

sont énormes.

r ArtUurGalley, lithographie en couleurs.

; Miss Marian, dite la « Reine des Amazones », qui mesurait 2 m. 45

(affiche lithographiée colossale).

, Toutes ces figurations, bien qu'elles aient été destinées à perpétuer le

souvenir de géants authentiques, sont loin d'être des copies fidèles de la

nature. De la même façon qu'ils ont presque toujours exagéré les propor-

,lions colossales de leurs sujets en les entourant d'individus de petite

taille, les artistes n'ont pas hésité à atténuer les difformités du corps des

-membres ou du visage. Aussi ne trouve-t-on guère de portraits de géants

qui puissent permettre à la critique médicale de s'exercer (1).

Mais, dira-t-on, le gigantisme présente-t-il donc en dehors 'de l'éléva-

tion inusitée de la taille, des caractères morphologiques que puisse expri-

- mer le dessin ? Oui, dans un grand nombre de cas. .

Dans une étude consacrée récemment à cette question (2) j'ai tenté de

prouver que l'immense majorité des géants sont affligés de malformations

véritablement pathologiques. En particulier, une bonne moitié de ceux

qui, exhibés d'abord en public, ont été par la suite étudiés médicalement

(1) Si les anciens monarques nnt témoigné parfois de l'intéiêt aux géants, plusieurs

d'entre eux méritaient bien d'être incorporés dans la phalange gigantesque.

Le Dr Paul Ileiberg (de Copenhague) a eu l'amabilité, dont je le remercie sincère-

ment de me signaler l'existence, dans la cathédrale de Hoskifde, d'une colonne de la

chapelle Christian lor où se trouvent marquées les tailles d'un certain nombre de sou-

verains 'de haute stature. Une gravure les représente à l'échelle, auprès d'un géant

irlandais, nommé Murphy, qui, vers 1865, travaillait en Danemark, et mesurait m 52,

A côté s.e trouvent l'empereur russe, Pierre le Grand, qui avait 2 m. 07, le prince

Christian de Danemark (2 m. 031 : l'empereur russe Alexandre 111 (1 m. 91) le roi

Christian IX (1 m. 92).

" (2) Ilrnr lleice,Sun le le Gigantisme.. ,\rch : gél1)I'. de médecine, octobre 1902.

, LES GÉANTS DANS L'AHT r) 9 1

j

pendant ces dernières années, offrent les stigmates si caractéristiques de

l'acromégalie.

Si l'on peut admettre à la rigueur que l'énormité des mains et des

pieds soit passée inaperçue ou que les artistes aient négligé d'en figurer

la disproportion, on s'étonne davantage que les déformations faciales ne

les aient pas frappés et qu'ils aient à peine esquissé la prognathisme, les

saillies malaires et sourcilières.

Les géants d'alors n'étaient-ils donc pas, pour un bon nombre, comme

aujourd'hui, acromégaliques ? Ou bien, par un hasard singulier, leurs por-

traits onl-ils été toujours faits, avant l'apparition des déformations acro-

mégaliques, alors qu'ils n'étaient encore que géants, ou si l'on veut em-

ployer ce mot, 8omatomé ! JlIliques (1) : Je crois qu'en effet les portraits des

géanls qui nous ont été conservés furent généralement faits au moment où

les modèles possédaient leur .stalure la plus imposante, et avant que les

progrès de l'affection aient amoindri leur taille en épaississant leur chef

et leurs extrémités.

Car, en devenant peu peu accromégaliques, ils perdaient de leur attrait

pour les monarques épris de formes surhumaines. Et lors même qu'ils

eussent déjà présenté quelques ébauches d'acromégalie, les artistes n'ont

pas manqué de les atténuer pour rapprocher leur oeuvre d'un idéal de

grandeur, d'ailleurs bien rarement réalisé par la nature.

Cependant, tous les géants ne deviennent pas acromégaliques, et le

trouble du développement, qui débute par le gigantisme pour se para-

chever par l'acromégalie, peut s'arrêter au premier stade, sans jamais

atteindre le second. On connaît quelques exemples d'individus de stature

gigantesque, qui vécurent jusqu'à un àge assez avancé en conservant des

proportions harmonieuses, une force au-dessus de la moyenne, et sans

troubles sérieux de la santé.

Mais ce sont là des exceptions assez rares pour qu'on soit surpris de ne

rencontrer qu'elles dans les portraits de géants célèbres, surtout lorsqu'on

tient compte des chiffres souvent considérables atteints par la taille de ces

derniers.

J'incline donc à croire qu'il en est des portraits de géants de cour

comme de ceux qui figurent aujourd'hui sur les toiles des baraques forai'-

nés : ils ont été embellis avec intention el les difformités naturelles des

originaux sont adroitement dissimulées.

, 11 faut ajouter que le type acromégalique, fréquent chez les géants, n'est

pas le seul dont ceux-ci se rapprochent. J'ai cru pouvoir soutenir qu'un

certain nombre de géanls présentaient les caractères de l'In{antilisnw (2).

' (I) Voy. Cumpte rendu de la Soc. de Neurologie de Paris (6 nov. 1902) in Revue

Neurologique, numéro du 15 nov. z90 ? ,

(2) Sur le gigantisme, toc. cit. ' '

592 HENRY MEIGE

Tout récemment, MM. P. Launois et P. Roy ont présenté à la Société

de Neurologie de Paris un géant de 2 m. Ou, qui est en même temps un

véritable infantile (1). Les exemples de ce genre ne sont pas très rares.

Vers 1889, on exhiba à Paris un géant de plus belle stature encore et

dont le visage rappelait celui d'un enfant vieillot.

Mais les stigmates de l'infantilisme ne sont également guère reconnais-

sablés sur les portraits de géants.

En somme, il faut se résigner à constater la pauvreté des renseigne-

ments que peuvent fournir les figurations consacrées aux géants de cour

comme aux géants de foire.

A côté des géants dont l'existence est notoire, il faut envisager les

géants légendaires, et ils sont nombreux. Tous ont fourni matière à des

oeuvres d'art, et, bien qu'il s'agisse de représentations allégoriques, on peut

se demander si les artistes, désirant figurer des personnages de haute sta-

ture, n'auraient pas été amenés à's'inspirer de ceux qu'ils étaient à même

de rencontrer dans la nature. Un certain nombre de nains symboliques

ne sont-ils pas représentés avec des attributs difformes, manifestement

inspirés par la vue de nains en chair et en os ? Peut-être en est-il de même

de certains géants dans l'art.

Ici encore, il faut enregistrer une désillusion.

Je me suis attaché à étudier à ce point de vue les figurations gigantes-

ques et je ne pourrais guère en citer qui répondissent à un type morpho-

logique observé sur le vivant.

Le géant dans l'Art est un géant idéal.

Les Géants de la Mythologie grecque ont été maintes fois représentés.

On les voit luttant contre les Dieux, sur les temples d'Olympie, à Argos,

à Pergame, à Agrigenle, sur le Parthénon, et sur une foule de bas-reliefs

ou de vases antiques. Ce sont toujours des hommes admirablement musclés

et proportionnés, mais ne dépassant pas leurs divins adversaires par leur

stature, conformément à la tradition qui attribuait également aux divinités

une taille surhumaine. Jamais les Grecs n'ont songé à figurer les géants

autrement qu'en amplifiant les proportions de l'homme, et toujours de

façon harmonieuse. -

. (1) Voy. l'observation et les photographies dans le présent numéro de la Nouvelle

Iconographie de la Salpêtrière,

LES GÉANTS DANS L'ART 593

Goliath est, sans contredit un des plus antiques géants dont le souvenir

nous ait été transmis. On estime sa taille approximativement à 8 pieds ou

8 pieds et demi, neuf pieds, dit-on, avec son casque.

Son combat malheureux contre David a inspiré plus d'un tableau. Sur

aucun de ceux que j'ai pu voir, le gigantisme de Goliath ne semble avoir

été l'objet d'une étude d'après nature. Il est représenté sous les traits d'un

homme très grand, musclé en hercule, souvent barbu, avec des traits gros-

siers, la peau très brune, en opposition avec David, adolescent glabre, fluet

et pâle.

Souvent, David est figuré seul tenant à la main, ou foulant aux pieds la

tête de son gigantesque adversaire ; mais celle-ci n'a rien de caractéris-

tique ('L).

On connaît la célèbre statue de Michel-Ange intitulée David, aujourd'hui

à Florence. Cette statue de dimensions colossales fut, paraît-il, désignée

pendant un certain temps sous le nom de Géant. La vérité des formes cor-

porelles en est saisissante, surtout par contraste avec les statues antiques,

qui nous apparaissent toujours quelque peu idéalisées.

On est particulièrement frappé des dimensions des mains, qui semblent

énormes, par rapport au reste du corps. Bien plus que les spécimens gi-

gantesques de la statuaire grecque, cette oeuvre d'art se rapproche des mo-

dèles de haute stature que l'on observe aujourd'hui dans la nature. La

le le elle aussi, parait grosse. Et je retrouve dans mes notes de voyage

(janvier 1896) cette remarque, qui ne saurait d'ailleurs exprimer qu'une

impression de passage : «Pourquoi cenom de David ` ? ...David n'était pasun

géant; or, c'est là l'image d'un géant, et même d'un géant qui semble avoir

tendance à s'acromégaliser. »

A Mantoue, qui possède encore, dans son vieux château, les coquets petits

appartements des nains chers aux ducs, on voit, par contre, au Palazzo Te,

La salle des Géants, ornée de personnages fabuleux de dimensions surhu-

maines, tous du type athlétique le plus hypertrophié.

Le récent bel ouvrage de M. Paul Richer qui contient une si nombreuse

collection de nains, ne traite pas des géants. On y trouve cependant la re-

production de deux tableaux de Lucas Granach, du Musée de Dresde, re-

présentant un geantendol'l111 attaqué par des nains et le même géant réveillé

(1) Voy. les tableaux de Giorgione,Caravage, à Vienne ; Feti, Diamanti, à Dresde ;

D. de Volterre, Giudo Reni, au Louvre, etc., etc. Et un certain nombre de sculptures

inspirées par le même sujet.

594 HENRY MEIGE

pourchassant ses minuscules agresseurs. On dirait des illustrations germa-

niques des Aventures de Guliver. Le géant, dit M. Paul Richer, « est d'un

modelé rond qui ne trahit point la force musculaire. Sa grande barbe et

son nez en pied de marmite n'ont rien de spécial aux personnalités de son

espèce ».

C'est un homme dodu, dont les proportions ne semblent colossales que

par comparaison avec les petits avortons qui l'assaillent. Eux-mêmes re-

présentent les prototypes de ces statuettes de gnomes ventrus et barhus,

myrmidons germains, dont on fabrique encore d'innombrables spécimens

en Allemagne.

Les autres géants légendaires, ceux du temps de Charlemagne, Garin,

Guillaume, Court-Nez, le géant OEnother, sans oublier Roland lui-même,

et les géanls sarrazins, Itohaslu, llenouart, Narquillus, Corso Il, etc., n'ont

guère fourni matière aux oeuvres d'art. Les géants Rabelaisiens, les géants

des Aventures de Guliver, ont été maintes fois dessinés et gravés ; mais

ces figurations ne présentent pour la plupart aucun intérêt au point de

vue auquel nous nous sommes placés ici.

Enfin, il est encore un personnage qui appartient à l'histoire religieuse

et dont la haute stature est restée, à tort ou à raison, mémorable. Je veux

parler de saint Cristophe.

Au dire des hagiographies, saint Cristophe qui porta d'abord le nom de

Reprobus ou Adocimos (réprouvé), puis celui A' Of férus, serait né en Syrie.

La légende raconte qu'il décida de se mettre au service de l'homme le

plus puissant qu'il rencontrerait Son premier maître ayant eu peur de

Satan, il se mit au service du diable ; mais, ayant vu le diable effrayé par

une image du Christ, il se voua à ce dernier. Un ermite le baptisa et lui

conseilla de se faire passeur près d'une rivière dont le pont avait été

emporté.

Un jour, un enfant se présenta pour traverser le fleuve. Le géant l'en-

leva sur ses épaules comme une plume ; mais bientôt il se sentit écrasé

sous le poids d'un énorme fardeau. L'enfant n'était aulre que Jésus, qui

se révélait par ce miracle de pesanteur, auquel il en ajouta bientôt un nou-

veau, en commandant au géant de planter en terre le tronc de palmier

qu'il tenait à la main ; le lendemain le palmier était couvert de feuilles et

de dattes.

' Ce prodige détermina saint Cristophe à prêcher la conversion au chris-

tianisme. Il fit de si nombreux adeptes qu'on ne larda pas à le persécuter.

Poursuivi par les soldats romains, il fut pris et décapité, probablement

sous le règne de l'empereur Dèce.

LES GÉANTS DANS L'ART 595

Au moyen âge, on croyait que la simple vue d'une image de saint Cris-

tophe préservait pour la journée de l'eau, du feu, des tremblements de

terre, et faisait découvrir des trésors.

On l'invoquait aussi contre la peste. De là la coutume de peindre le

saint colossal sur les murs des églises, ou d'en placer des statues à l'exté-

rieur.

Il existait à Florence, sur la façade de l'église San Miniato hors les Murs,

un Saint Cristophe haut de 20 pieds, peint par A. Pollaiuolo, qui fut,

dit-on; copié par Michel Ange et nombre d'artistes italiens.

En France, à Auxerre, un Saint Cristophe de 9 mètres de haut, datant

de 1539, fut démoli en 1768. On en voyait un autre Noire-Dame de Paris,

datant de 1413 ; un autre encore à Sens.

La vertu préservatrice attribuée aux images de saint Cristophe explique

le grand nombre de gravures qui lui ont été consacrées. Elles portaient des

légendes de ce genre ;

CristoJ1hori sancti speciem quicumque tuetur

Illo namque die nullo languore tenetur.

Ou bien :

Cristophori faciem die quincumque tueris

Illa nempe die morte viola non morieris.

Les plus anciennes figurations de saint Cristophe seraient des peintu-

res byzantines sur lesquelles le géant était pourvu d'une tête de chien.

On a voulu y voir une réminiscence des figurations de divinités égyp-

tiennes. Winckeimann explique le fait en disant que saint Cristophe était

du pays des Cynocéphales (hommes à tête de chien). C'est une hypothèse.

En voici une autre, qui n'est ni plus ni moins défendable :

S'il est vrai que Saint Cristophe ait été un géant, il y a une chance

sur deux pour qu'il ait été aussi acromégalique. Or, les géants de cette

espèce, avec leur énorme prognathisme et la saillie excessive de leurs

arcades sourcilières, évoquent aisément le souvenir du facies simiesque

et canin, celui des singes cynocéphales. El l'on peut dire : si les artistes

byzantins ont représenté Saint Cristophe avec un tête de chien, ce n'est

pas parce qu'il était du pays des hommes velus et hirsutes, mais bien

parce qu'étant acromégalique, sa tête rappelait celle d'un chien ou d'un

singe à tête de chien.

Quoi qu'il en soit, ce mode de figuration de saint Cristophe ne semble

pas avoir prévalu longtemps.

De bonne heure, le saint est représenté comme un homme gigantesque

traversant une rivière dont l'eau atteint à peine sa cheville. Il tient à la

main, en guise de bâton, un tronc de palmier ou une grosse branche

596 HENRY MEIGE

d'arbre. Sur l'une de ses épaules l'Enfant-Jésus est assis, portant parfois

le globe terrestre.

Les Italiens représentent saint Christophe imberbe.Les Allemands sous

les traits d'un homme fort barbu. Tantôt il regarde son jeune fardeau et le

porte d'un pas allègre ; tantôt il marche à demi-courbé, comme écrasé

sous un poids colossal. 1.

Accessoirement, on voit aussi l'ermile qui conseilla à saint Cristophe de

se faire passeur, tenant une torche ou une lanterne symbolique pour

l'éclairer.

A Padoue, dans l'église des Eremitani, dont une partie remonte au

XIIO siècle, se trouve une chapelle consacrée saint Jacques et saint-Cris-

tophe. Elle est décorée de précieuses fresques, représentant des épisodes de

la viede ces deux saints par plusieurs peintres de l'école de Padoue, élèves

ou imitateurs de Squarcione (139Ji.-174.). Andréa Mantegna termina la

décoration murale vers le milieu du XV° siècle ; celles de ses peintures

que le temps n'a pas trop détériorées sont parmi,les plus justement réputées.

Je ne fais que rappeler ce souvenir, pour insister d'avantage sur deux

fresques d'une valeur artistique assurément moindre, mais témoignant

d'une certaine tendance à l'observation naturelle,

Une fresque de BONO Feruara représente Saint Cristophe, s'apprêtant à

entrer dans le fleuve, portant l'Enfant Jésus sur son épaule droite el s'ap-

puyant sur un long bâton. Au fond, un paysage boisé avec une ville cré-

nelée, plusieurs monuments, des animaux, des personnages. A gauche,

la cabane du passeur; à droite, un loqueteux que le saint domine de sa

haute stature (Pl. LXX).

Saint Cristophe apparaît là, presque nu, gigantesque et herculéen. Ses

mains et ses pieds sont plutôt de petites proportions ; mais le visage, im-

berbe, est lourd, l'angle du maxillaire inférieur très abaissé bien que le

menton ne soit pas proéminent. Le nez est fort, les yeux très grands, avec

un strabisme, bien probablement involontaire.

Tout en faisant très large la part des erreurs du dessin de celte figure,

on ne peut cependant s'empêcher d'y retrouver quelques réminiscences

d'un facies qui s'observe encore aujourd'hui chez les géants. Ce n'est pas,

ant s'en faut, l'apparence acromégalique, mais un je ne sais quoi re-

donnant l'impression éprouvée en face de certains géants de chair et

d'os. Du moins n'ai-je rencontréjusqu'à présent aucune figuration gigan-

tesque qui me parut se rapprocher davantage de la vérité naturelle,

quelles que soient, je le répète, les imperfections artistiques évidentes de

cette peinture. Au surplus, sans prétendre que celle-ci soit la copie d'un n

modèle vivant, il n'est pas absurde de supposer que l'artiste se soit

NouVELI.LicOKOGKAPHIEDELASALPrnotRE. T. XV. PI LXX

LES GÉANTS DANS L'ART

(Henry Meige)

Saint Cristophe

portant l'enfant Jésus

Fragment d'une fresque de

BONO VA FERRARA

dans l'église des Eremitani, à Padoue.

Saint Cristophe

Ses prédications

Fragment d'une fresque

D ANSIi17T0 DA FORLI

église des Eremitani, à Padoue.

Masson & Ci-, Editeur%

LES GÉANTS DANS L'ART 597

inspiré du souvenir de quelque géant rencontré un jour ou l'autre.

Dans la même chapelle, une autre fresque de la main d'ANSUINO DA

Fonr.i, représente la Prédication de saint Cristophe (PI. LXX).

Sous une riche colonnade, les soldats se pressent autour du saint.

Celui-ci, colossal, vêtu d'une courte tunique et d'un large manteau, se

tient debout à droite, tenant de la main gauche son tronc de palmier. Ses

jambes sont nues ; les pieds, sans être disproportionnés dans leur lon-

gueur sont mastocs, carrés ; les mains n'ont rien d'excessif. Mais le visage

est intéressant par l'accentuation des saillies osseuses, maxillaires, et ma-

laires. Ici encore, rien qui puisse permettre de penser vraisemblablement

à l'acromégalie. Mais, plus peut-être que dans la peinture précédente, le

visage du saint gigantesque se rapproche de celui que m'ont paru avoir

un certain nombre de géants.

Je me garde de vouloir tirer de cette constatation, dont l'analyse est si

malaisée, une conclusion décisive et je me contenterai de la résumer

ainsi : Parmi toutes lesfigurations artistiques de géants qu'il m'a été donné

de voir, c'est surtout devant les deux fresques de Padoue que j'ai eu l'im-

pression de me trouver en face d'images offrant quelques ressemblances

avec la nature.

J'ai noté, en effet, au sur et à mesure qu'ils se présentaient, un assez

grand nombre de tableaux consacrés à saint Cristophe, et sauf les deux

précédents, aucun ne m'a paru pouvoir donner matière à la critique médi-

cale.

Voici, à titre documentaire, les principales de ces figurations ;

Dans la chapelle des Eremitani de Padoue, Mantegna a représenté la

Décollation, et l'Inhumation de saint Cristophe. Dans ces fresques, d'un

haut intérêt artistique, le saint est un géant idéalisé.

Parmi les peintres des écoles italiennes qui ont figuré saint Cristophe,

On peut citer :

BGRNARDI\0 LUINI, dans la Chartreuse de Pavie ;

LORENZO Di Lonenrzo, dans la galerie Borghèse, à Borne ;

Massolino, dans l'église St-Clément, à Borne ;

Crnia DA à à l'Académie de Venise ;

PORDIsNONC, dans l'église St-Roch, à Venise ;

Ecole Vénitienne, dans l'église St-Jean et St-Paul ;

TITIGN, au Palais des Doges, à Venise.

h'RaNCESCO BuoNsIGNORI, dans le Musée de Vérone : un tableau représen-

tant la Vierge sur un trône avec Enfant Jésus, entourée de plusieurs saints

dont saint Cristophe barbu tenant son palmier de la main droite et soute-

nant de la gauche le Bambino à cheval sur son épaule.

598 HENRY MEIGE

. LoRENzO Loto, au Musée de Berlin, montre un saint Christophe hercu-

léen, barbu et noir de peau, à côté d'un saint Sébastien tout féminin.

LEONELLO ESPADA, au Louvre, fait voir la Décollation de Saint Cristophe.

Au Louvre, on voit encore deux dessins de J. BELLINI, dont l'un repré-

sente saint Cristophe sous les traits d'un adolescent gigantesque fort bien

proportionné.

Parmi les peintures des Ecoles flamandes : · '

Sur l'un des volets du triptique de l'Agneau mystique des frères VAN

EYCK, saint Christophe est représenté coiffé d'un turban.

Il existe de H. MEMLING un Saint Cristophe entre Saint Egidius et Saint

Benoît, sur le panneau central d'un tryptique du Musée de Bouges;

Un Saint Cristophe de Dierick Bouts est figuré sur le volet d'uu trypti-

que conservé il la Pinacothèque de Munich, représentant Y Adoration des

Mages. Dans la Galleria Eslense, à Modène, le Saint Cristophe attribué à à

DIERICK Bouts est une répétition de celui de Munich. '

Au musée de Dresde, un Saint Cristophe de l'école flamande, couvert

d'une large draperie.

De Rubans, il existe à la Pinacothèque de Munich un Saint Cristophe,

réplique de celui qui figure sur un des volets de la Descente de Croix, à

Anvers, - tableau commandé par les arquebusiers d'Anvers dont saint

Cristophe était le patron.

- A l'Exposition des Primitifs Flamands, qui eut lieu cette année il Bruges

on pouvait voir plusieurs Saint Cristophe. Outre celui de II. Memling.qui

forme le panneau central d'un tryptique du Musée de Bruges, un autre

dont l'attribution reste inconnue, accompagné de saint Antoine, se voyait

sur le revers d'un volet de tryptique appartenant à M. James Simon.

Deux Saint Cristophe d'HEKniK Blés (un à M. E. Novak, de Prague, l'au-

tre à M. Ed. F. Weber, de Hambourg) ; un autre d'un peintre flamand in-

connu, à Me Mayei'van den Bergh, Anvers.

Dans l'école espagnole, HIBERA, a aussi peint un Saint Cristophe, actuel-

lement au Musée du Prado, à Madrid. Il y a, dans la cathédrale de Séville,

un Saint Cristophe de 9 mètres de haut, peint, en 1854, par MATTEO Perlez

de Alesio (1).

(1) Il existe aussi de nombreuses gravures représentant saint Cristophe. Dans l'école

Italienne, par : Nicolo da Modena, Cherubino Alberti, l3ellavia, Guido Reni, 13. Dis-

eaino, Orazio Borgiani, Francesco Amato, etc...

Plus nombreuses et plus intéressantes sont les gravures allemandes : deux gravures

d'Albert Durer, de 1511 et 1a25 et celles de Martin Zagel, Martin Schoengauer, Alldur-

fer, 13eham, Ilans Baldung Grun, Amman, Aldegrever, etc.

TABLE DES MATIÈRES

Amyolrophie à type Char eut-Marie [Sur un

nouveau cas d') (1 pl.), par Soct, 53.

Amyol¡'ophie Cha¡'cot-111w'ie (Exile-l-il une

variété péronière de l'), par Samrov,

466.

Alcathisie (Le syndrome psychaslènique de

l') (1 pl. en piotocollogi-.), par F. Ray-

mond et Pierre JANI : T, 241.

Atrophie musculaire m ! }élopathique (Noie

à propos de la topographie radiculaire

des), par CESTAN et HULT, 182.

Atrophie muscu'aire myélupatltique (Elude

clinique de la topographie). (1 (¡g. 4 pl.),

par Cestax et Huet, 1. '

Bromures (Elude physiologiglle de quel-

ques) (10 schémas), par FÉIIE, 435.

Cécité verbale pure, ramollissement de la

région calcarine gauche, dégénérescence

du sptemuin du côté droit (5 pl. en

pliotocollogr.), par Brissaud, 281.

Cellule* nerveuses des cornes de la moelle

épinière chez les nouveau nés (Les pro-

10ngcII/ents proloplasmiques des) (8 fiÓ.),

par SOU¡"HA : \OFF et Cl.III : \ II : CI< .

Cervelet (Lésions histologiques de l'écorce

dans les atrophies du) (1 fig. 2 pl. en plio-

tocollogr.), par LANNOIS et P.wuor, 512.

Colonne vertébrale dans la maladie de

Parkinson (Les déviations de la) 4 pl.

,en pliotocollogr.), par SIC IIIU et 1-

QUIEH, 311.

Démence précoce et ca/a/ollie (pl. photo-

collogr.). par Sucv.s, 330.

Eunuchisme familial (Un cas d') (1 photo-

grav.), par P. Samrus, 212.

Exostokes multiples à tendance sttppuralive

(2 pltolucollogr. et 2 dessins), par Lau-

1\OIS et P. Roy, 349.

Géants dans (Les) (1 pl. phocollogr.)

par Ilcw Meige, 586. '

Gigantisme et infantilisme (6 fig. 8 pl.)

par Launois et Pieiuie Boy, 539.

Hallucination de l'otcie alleruant avec des

accès de surdité verbale et d'aphasie

sensorielle chez un paralytique général.

Lésions de 7né ? tiîigo encéphalite (1 pl.

pliotocollogr.), par P. Sérieux et R. Mi-

GaoT, 286.

Ilémiasynergie, latéropultion et myosis

bulbaires avec hémianesthésie cl hémi-

plégie croisées. Lésions syphilitiques des

centres nerveux (8 fig. dans le texte,

5 pl. en pliotocollogr.), par BAi31-,sKi et

Nageotte, 493.

Ilzrrrémélie du membre abdominal droit

étudié par la radiographie (Un cas'd')

(1 pl. en photocollogr.), par IXFRol1' et

Heitz, 265.

Infantilisme dégénératif (Type Lorain)

compliqué de dgsllegroïdze pubérale

(Type Brissaud) (2 pl. en photocollogr.),

par ER"ES1' DupnL et Philippe Pagmez,

124.

Lacunes de désintégration cérébrale (Ana-

Lomie des) (2 pl. en photocollogr.), par

Jeaa FcnnwD, 101.

Maladie (La). Tableau de Jules Romain

(1 pl. en photograv.), par 468.

Vlonstmosrlé rare de la face et de l'encé-

phale (Description d'un cas de) (3 pl. en

photograv.), 3 dessins, par ILwsH.\L1'ER

et BRIOUEL, 222.

Muscles grand et petit pectoral (Absence

congénitale) (2 pl.en pliotocollogr.), par

A. Souques, 131.

Myopathie alrophique progressive (Une

variété peu commune de) (1 pl.). par E.

Long, 32.

Myopathie familiale avec rétraction (2 pl.), J,

par Cestan et Lejosne, 38.

Myopathie avec réactions électriques »or-

males (Un cas de) (1 photocollogr.), par

Félix tLLARD, 28.

Myopathies (Documents iconographiques

relatifs aux) (1 pi.), par Pierre Marie,

27.

Myotollie alrophique (1 pl.et 5 pioto.rav.),

par RossoLmo, 63.

Néoplasies cérébrales (Trois cas de) (2 pl.

en photocollogr., 8 dessins), par GILDEIl1'

Ballet et 1n\1.1\D-D&LILLE, 201.

600 table DES matières

Paotred au ? abat (légendes brelotznes),par

DucnçT DE Villeneuve, 582.

Pierres de vessie en Hollande (1 pl. en

photocollogr.), par L. BOLK et L.

Mayol, 278.

Possédés dans l'art (encore quelques)

(1 pl.), par Henry Meige, 78.

Psychiatrie dans le théâtre japonais (3 fig.),

par Geyel, 359.

Queue de cheval et du segment inférieur de

la moelle (sur les -affections de la)

(5 fig.), par F. Bnxxoao), 81, 473.

Sens des altitudes, par Pierre Bonnier,

146.

Syndrome de Liltle (2 pl. en photocollogr.),

par GASTON Daniel, 138.

Tabès (Lésions 1'lldie,dall'es et ganqlioizizai-

res du) (4 pl. en photograv. et 10 des-

sins), par A. Thomas et G. Hausser, 290,

412. .-

Torticolis spasmodique (Le syndrome)

(1 pl. en photocollogr., 4 fig. dans le

texte), par Destarag, 385).

Urologues (les) (4 pl. en photograv. et

4 photogr. dans le texte), par PAUL RI-

cher, 185.

XpoE.leage (La vie biologique d'un) (1 pho-

tograv, 6 traces), par Vaschide et VUR-

pas, 247.

TABLE DES AUTEURS

ALLARD (FÉLIx). Myopathie avec réactions

électriques normales (Un cas de) (1 phot.),

28.

Alquier et SICwRn. Les déviations de la

colonne vertébrale dans la maladie de

Parkinson (4 pi. en photocollogr.), 37.

BAD1l'\SKI et NAGEOTTE. Hémiasynergie,

latéropulsion, myosis bulbaires (5 pl.

5 fig.), 493.

Ballet (GILDERT) et DrLILLr (ARMAND).

Trois cas de néoplasies cérébrales (2 pl.

en photocollogr., 8 dessins), 201.

BOLS et Léon MAYEN. Les pierres de vessie

en Hollande pl. en photocollogr.), 278.

13ox : m ! R (PIERRE). Le sens des attitudes,

146.

BRIQUEL et HAUSiIALTER. Description d'un

cas de monstruosité rare de la face et

de l'encéphale (3 pl. en photocollogr.,

3 dessins), 222.

Brissaud. Cécité verbale pure ; ramollisse-

ment de la région calcarine gauche; dé-

générescence du splenium et du lapetum

du côté droit (avec 5 pi. en photocol-

logr.), 281.

DEL1SLH (Armand) et Ballet (GILi3rl%T).

Trois cas de néoplasies célébrâtes (2 pl.

en pholocollogr. 8 dessins), 201.

CESTAX et HUET. Contribution clinique à l'é-

tude de la topographie des atrophies mus-

culaires myélopatiiiques (1 tig., 4 pl.), 1.

CESTAN et Lejonne. Une myopathie fami-

liale avec rétraction (2 pl.), 38.

CESTAN (R.) et HuET (E). Note à propos

de la topographie radiculaire des atro-

phies musculaires myélopathiques, 182.

Czarnieck et SOUKHANOFF. Les prolonge-

ments protoplasmiques des cellules ner-

veuses des cornes de la moelle épinière

chez les nouveau-nés (8 fig.), 529.

DAMEL (Gaston). Syndrome de Little (2 pl.

en photocollogr.), 138.

Destarac. Le syndrome du torticolis spas-

modique (1 pl. en photocollogr., 4 fig.

dans le texte), 385.

DUCREST de Villeneuve. Paotred ar Zabat,

légendes bretonnes. 582.

DUPRÉ (ERNHST) et Pagniez (PHILIPPE). In-

fantilisme dégénératif(Type Lorain) com-

pliqué de dysthyroïdie pubérale (type

Brissaud) (2 pl. en photocollogr.), 124.

Férié. Contribution à l'étude physiologique

de quelques bromures (10 schémas), 435.

FRFIIIAND (Jean). Anatomie des lacunes de

désintégration cérébrale (2 pl. en pho-

tocollogr.), 101.

Geyer (R.). La psychiatrie dans le théâtre

Japonais (3 fig.) 359.

HAusER (G* et Thomas (A.). Etude sur

les lésions radiculaires et ganglionnaires

du tabes (avec 4 pl. en photogr. et 90 des-

sins), 290, 412.

HAUSIIALTEN et Briquel. Description d'un

cas de monstruosité rare de la face et de

l'encéphale (3 pl. en photocollogr.),

3 dessins), 222.

Hertz et Infroit. Un cas d'hémimélie du

membre abdominal droit étudié par la

radiographie (1 pl. en photocollogr.),

265.

HuET (E.) et Cestan (R.). Note à propos de

la topographie radiculaire des atrophies

musculaires myélopathiques, 182.

INFROIT et HRITZ. Un cas d'hémimélie du

du membre abdominal droit étudié par

la radiographie (1 pl. en photocollogr.),

265.

Janet (Pierre) et RAYMOND (F.). Le syn-

drome psychasténique del'akathisie(1 pi.

en photocollogr.), 241.

Lannois et Pavot. Lésions de l'écorce du

cervelet (1 fig., 2 pl.), 512.

Launois et Roy (P.). Exostoses multiples

à tendance suppurative (avec 2 pl. en

photocollogr. et 2 dessins), 349.

Launois et Roy. Gigantisme et infantilisme

(8 pl., 6 fig.), 539.

Lejonne et Cestan. Une myopathie fami-

liale avec rétraction (2 pl.), 38.

Long (E.). Une variété peu commune de

myopathie atrophique progressive (1 pl.),

32.

MARIANI. La maladie. Tableau de Jules

Romain (1 pl. en photogr.), 468.

Marie (Pierre). Documents iconographi-

ques relatifs aux myopathies (1 pl.), 27.

602 TABLÉ DES AUTEURS

(IL.) et 13o.n (L.). Les pierres de

vessie en Hollande (1 pi. en photo-

collogr.), 278.

MEIGE (Henry). Encore quelques possédés

dans l'Art (1 pl.), 18.

Meige (Henry). Les géants, dans l'Art

(1 pl.), 586.

Mignot (R.) et Sérieux (P.). Hallucina-

tions de l'ouïe alternant avec des accès

de surdité verbale et d'aphasie senso-

rielle chez un paralytique général. Lé-

sions de méningo-encéphalite (1 pL

photollogr.), 286.

NAGEOTTE et BAi31NsKi. Lésions syphiliti-

ques des centres nerveux. Ilermiasy-

nergie latéropulsion et myosis bulbaires

avec hémanesthésie et hémiplégie croi-

sées (5 tig. dans le texte, 5 pl. en pho-

tocoll0gr. 493.

Pagmez (PHILIPPE) et Dupré (En\çsT).

Infantilisme dégénératif (type Lorain)

compliqué de dysthyroïdie pubérale(type

Brissaud) (12 pl. en photocollogr.), 134.

Paviot et LA1\¡-'¡OlS. Les lésions histologi-

ques de l'écorce dans les atrophies du

cervelet (1 fig. 2 pl. en photocollogr.),

512.

RAYMOND (P. F.). Sur les affections de la

queue de cheval et du segment inférieur

de la moelle (5 fig.), 81, 413.

Rarnow (F.) et Janet (Pierre). Le syn-

drome psychasténique de l'akatisie

(1 pl. en photocollogr.), 241.

Richer (Paul,). Les Urologues (4 pl. et

4 photogr. dans le texte, 185).

ROSSOLIIIO. De la myotonie alrophique

(1 pl., 5 photogr.), 63.

Roy (P.) et Launois. Exostoses multiples

tel tendance suppurative (2 pl. en photo-

gr. et 2 dessins), 349.

Roy (Pierrb) et Launois. Gigantisme et

infantilisme (6 fig, 8 pl.), 539.

SA ! 1';TOX (P.). Un cas d'Eunuchisme ami-

lial (1 photogr.), 272).

S,1-ITO ? Existe-t-il une variété péronière

de l'amyotrophie Charcot-llarie, 466.

Séglas. Démence précoce et catatonie

(avec 3 pl. photocollogr.), 330.

Sérieux (P.) et MIGNOT (R.). Hallucina-

tions de l'ouie alternant a\ec des accès

de surdité verbale et d'aphasie senso-

rielle chez un paralytique général. Lé-

sions de méningo-encéphalite (avec

1 pl. photocollogr.), 286.

Sic.vno et Alquier. Les déviations de la

colonne vertébrale dans la maladie de

Parkinson (4 pi. en photocollogr.), 377.

SOCA. Sur un nouveau cas d'amytrophie

à type Charcot-Marie (i pi.), 53.

SouKHAXOKF et Czpnwccx. Prolongements

protoplasmiques des cellules des cornes

de la moelle chez les nouveau-nés

(8 tig.), 529.

Souques (A.). Absence congénitale des mus-

cles grand et petit pectoral (2 lit. eu

photocollogr.), 131.

Thomas (A.) et HAUSER (G.). Elude sur les

lésions radiculaires et ganglionnaires

du tabes (avec 4 pl. en photograv. et

10 dessins), 290, 412.

Vnscmne et Vunras. La vie biologique

d'un xyphophage (1 photograv., 6 tra-

cés), 247.

VUIlI'AS et Vascmon. La vie biologique

d'un xyphophage (1 photogr., 6 tracés),

241.

TABLE DES PLANCHES

Akathisie (Raymond et P. JAXET), XXX.

Amÿotrophie Charcot-Alarie (Soca), IX.

Atrophie congénitale des muscles pec ! o-

raux (Souques), XVI, XVII.

Atrophie musculaire myélopathique (Ces-

TAX et HuET). III, IV.

Cécité verbale pure (Brissaud), XXXIII à

XXXVII.

Cervelet (lésions de l'éc rce dans l'atro-

phie du) (Lannois et PmoT), LX, LXI.

Démence précoce et catatonie (SEGLAS),

XLIII à XLV.

Exostoses multiples à tendances suppura-

tives (Launois et Roy), XLVI, XLVII.

Géanls dans l'art (Henry Meige), LXX.

Gigantisme et infantilisme (Launois et

lonj, LXII à LXIX.

llémiasynergie, latéropulsion, myosis bul-

baires ; lésions syphilitiques des centres

nerveux (13AmXSI([ et NAGEOTTE), LV à

LIX.

Hémimélie du membre inférieur droit

(IIEITZ et Infroit), XXXI.

Infantilisme, type I.orain, et dysthyroïdie

pubérale, type Brissaud (Dupnù et PA-

G\tsz), XIV, XV.

Lacunes de désintégration cérébrale (FER-

rand), XII, XIII.

La maladie, tableau de Jules Romain

( : 111ARlAl'(I), LIV.

Maladie de Parkinson (Déviations de la

colonne vertébrale) (SicAnD et ALQUIER),

RLIX à LII,

Monstruosité de la face et de l'encéphale

(Haushalter et BIIIQUFL),XXVII, XXVIII,

XXIX.

Myopathie (Documents iconographiques)

"* (Pierre Jlwnte, V.

Myopathie atrophique progressive (Long),

VI.

Myopathie avec rétractions familiales

(CRSTA.N et LiowB), VII, VIII.

Myotonie atrophique (Rossolimo), X.

Pierres de vessie en Hollande (BOLK et

INIA-YET), XXXI t.

Possédés. La Colère et le Désespoir de

Giotto (Henry Meige), XI.

Psychiatrie dans le théâtre Japonais

(,geyser), XI.VIII.

Surdité verbale, aphasie sensorielle, lial-

lucinations de l'ouïe chez un paralytique

général (Sérieux et \Icvor)· XXXVIII.

Syndrome de Little (Daniel), XVIII, XIX.

Syringomyélie à topographie radiculaire

(Cestan et HUET), I, II.

Tabès (Lésions radiculaires et ganglion-

naires) (Thomas et IIwuscB), XXXIX à

XL11.

Torticolis spasmodique (DESTAItAc), LUI.

Tumeurs cérébrales (Ballet et Armant

DBLILLB), XXV, XXVI.

Urologues (PAUL Richer), XX, XXI, XXII,

XXIV.

Le gérant : P. Bouchez .

Imp..1. Thevenot., Sainl-Dizicr (Haute-Maine),